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Rousseau, Jean-Jacques (1712-1778). J.-J. Rousseau. Du Contrat social, ou Principes de droit politique. [Précédé d'une Notice sur J.-J.

Rousseau, par N. David.]. 1865.

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NATIONALF,
'PipLIOTHÈQUE

DU CONTRAT SOCIAL
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
A!ÏE'T.S
MEIUEI'RS
COUECriû*
DES ETMODERNES
ANCIBSJ

J.-J. Roys^tfàu

. »u

CONTRAT SOCIAL

/$* MCfPVS DUDROITPOLITIQUE


Foediris
aoquas
Dicnmus
lvgcs.
t\.)
(Mneid.

ÉDITION
DEUXIÈME

PARIS
BUREAUXDE LA PUBLICATIOX
5 RIECOp-HÉliON
18G5
NOTICE
SUR

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

Nousn'avous,t\ proposdocesquelquesnotes
surl'illustrephilosophe do Genève,ni l'inten-
tion ni la prétentiond'entrerdans cesminu-
tieuxdétailsbiographiques quirallientle plus
ordinairement les suffragesdeslecteursvulgai-
res, et qui, à nos yeux,ne sontque lamenue
monnaiedel'histoire.Loindenouségalement
l'outrecuidantepensée de juger un grand
hommeavecle critériumde noslumièresmo-
dernes,de le rapetisserà noscourtesvuesou
de le grandirau delà d'unesagemesure.Ces
sortesde besognesnous inspirentun profond
mépris, etnousne voyonspasce que peutga-
gnerla postérité&essayerde marchanderla
gloireauxêtressurhumains qui, sanssoucide
leurscontemporains et en vuede cettemême
postérité, ont prodiguéle pluspur de leurâme
et de leurgénie. Enfilsreconnaissants et res-
pectueux,nousrecueillons l'héritagedecedix-
nuitièmesiècledontnousavonsle devoird'ap-
— G—
pliijucr les doctrines-,les hommessupérieurs
qu'il a produitsont amplementaccomplileur
tachesfaisonsen sorti-qu'elle ne deviennepas
infécondeentre nos mainsdébiles.
Kn ce temps de défaillancesde toutesorte,
il est bon de rassérénerles espritspur la lec-
ture dVeiiviescrééesen vuedu progrèsindéfini
de l'humanité, et nous pensonsque, danscet
ordre d'idées, nul ne pâmait contesterà J.-J,
Rousseaula gloire d'avoircontribué plus que
personneà l'extension de ce progrès. Si les
préjugés, |es superstitions,les inimiitéscom-
misessur les plus hauts degrésde 1échelleso-
ciale ont pu tomberun instant sousla hache
des démolisseursinspirésqui voulaientrecons-
truire a nouveau nu édifice lézardé, devenu
improprede à abriter ceux qui s'y réfugiaient,
essayons ressaisir ces armes de liéros et
do les promènera travers les fou'espour que
celles-cipuissent mieuxjuger de la nécessité
d'en forgerà leur tour en vue de l'avenir'des
générationsau benc.iu..
Nousn'ignoronspas qu'il et de modeaujour-
d'hui de déclarervieilliesles doctrinesdu col-
laborateur de VEitcycloj'é'iie , de l'auteur du
Contratsocialet des L>ttre.ide In montagne. Le
premier qui ait défini ce quepouvaitdevenir
l'économiepolitiquesi singulièrementcomprise
et exploitéedansla suite, n'est plus, aux yeux
du bourgeoisisme constitutionneletanglomane
du dix-neuvièmesiècle,qu'un rêveuraux idées
confuseset contradictoires.qu'un assembleurde
nuages,qu'un maniaque de sensibilité,à vues
fausses, à logiquedouteuse... noussupprimons
le restede cetteénumériliondejugementsdits
raisonnables, journellement transmis comme
articlesde foi par les détenteursordinairesde
toute la sagacitécontenuedans le cerveaudola
France,un peumoins d'un siècleaprèsla mort
de l'écrivainqui, le premier,a sérieusementap-
—7 —
prisAnotrenationù penseret à agir.L'heure
de la justiceet delareconnaissance est lentea
venir,îrfaiselle arriveplussûrement encoreque
la vengeance au piedboiteux.
C'estce qui nous faitcroireque pou doit
nousimporter au fondcequ'ontétédanslavie
privéeces grands initiateursdes peuples,et
nousvoudrions biensavoirpourquoiilsne bé-
néficieraientpasde l'indulgence souriantedont
ona L'outnine de comblerlés théocrates quand
, ilsdisentbéatement à tourde rôle:« Faitesce
queje dis,et non cequeje fais.» Aussi,nous
bornerons-nous a groupersuccinctement les
aperçus biographiques qu'il nousest loisible
de donnera cette place.Jean-Jacques a ra-
contélui-mêmeen détail, dans le livre le
plusétrangequi soit sorti de la plumed'un
écrivain,toutesonhistoirejusqu'en 1765. Ona
pu lui reprochera justetitred avoir,dausses
Confessions,trop oubliéce qu'ilse devaità lui-
mêmeet ce quil deviilà ceuxqui fatalement
ont étémêlésà sa vie; maisnul n'a ététenté
do suspectersa véracité,et tousont puiséà
pleinecoupeà lasource troubléedaus laquelle
unesociétédisparue.Nous
se
ioflètcsifidèlement
feronsdonc commeceuxqui nousont précé-
dés, tout eu évitantsoigneusement ceslieux
communs demoraleà l'usagede la rueSaint-
Denis,queleslexicobiograpnes deprofession (1)
sèmentsi volontiers sur leurspaspourobtenir
l'approbation des monsignori et débiterle plus

(1)Nousexcepterons deCescommentateurs nul,d'un


tonrogue, fontlaleçonauxgrands hommes, M.Peti-
tain.quia donnéunetrèscomplète édition deRous-
seauen18Î9 Lefèvre,
(Paris. 8 fortsvol.in-lt).Les
notesdontil a enrichicetteéditionprouvent, do
atteintsonbut: « Instruire
reste,qu'ila loyalement
et nonendoctriner un lecteurqu'ondoit,supposer
biencapable deporterseulsonjugement.»
avantageusement possibledes fatrassomnifères
qui doiventfairesourire depitié, aux Champs-
Klypéens, lesglorieuxathlètesdenos siècleslit-
téraires.

J.-J. Rousseauest né A Genève,le i Juillet


1712(1). Son père, simplehorloger,ne put lui
fairedonnerune instructionrégulièreet raison-
née; l'enfantapprit à lire dansles romans,puis
dans 11'ssuct,.Molière,Fontenclle,La Bruyère
et Plutarqiio; c'estdans ce dernierqu'il puisa
ce sentimentde fière indépendancequi devait
faire l'honneuret le malheurde sa vie.Cette
ardeurîi <mbrasserla causedeshérosde l'an-
tiquité avait besoind'un correctif: l'enfantle
trouvacheîson instituteurLamberèicr; 1Ase
révélacet amourde la campagne,sourceinspi-
ratricede tant de pages éloquentesqui n'ont
pas été égaléesdepuis. Le père de Honsseau,
qu'une aventureuvuit éloignéde Genève,ne
pouvaitpas veillersur son avenir. 11fut donc
pincé chezun greffier,p »urapprendresous lui
« l'utile métier de grapLiian;» puischezun
graveur,qu'il ne tarda pasà quitterpourcou-
rir leschamps.
C'esten 1728qu'il est recueillih Annecypar
cettemadamede Warens,quidevaitprendreune
silarge,placedanssesaffections,bienqu'il puisse
être accuséd'avoir peu généreusementdévoilé
ses faiblesses.Son «mie, pour employerl'eu-
phémisnipde cebon M. Douillet,lui fait abju-
rer le protestantisme. Successivement laquaiset
(i) M. Musscl-Pathayprétend que Rousseau s'est
trompé,et quela véritabledateest le98juin.
—9 -
professeur de musique,sanscarrièredéfinie,il
apprendla viedansla misèrerl l'ignominie ae
la sujétion.Aprèsmaintsessais,il ret.urnechez
sa premièreprotectrice, et y trouveun coparta-
geant de sesbonnesgiâcesdont il envisage
l'intrusirucomme un congéformel.Ilquitteces
Charmettes oùil avaitpa-séles plusbellesan-
néesde sa vie,et s'enrôlecommeprécepteur des
enfantsde M.de Mably,grand-prévotdeLyon
(1710). Il y resteun an à peine.Cuisil reprend
le cheminde Paris,ayanten pochesacomédie
de Narcisse, des projetsd'opéras,lu tètechar-
gée d'unnouveausystèmedenotationmusicale
assezmalaccueilli«lesgensdu métier, et qui
devaitretrouver,à noireépoque,unepartiedu
succèsentrevupar son auteur. Il se lie avec
Marivaux, l'abbéde Mably,Fontcnelle, Duclos,
Grinunet Diderot.Lanceun momentdansle
tourbillondu mondeélégantet frivole, il
conçoitde vastes projets, qui aboutissentA
l'emploi de secrétairedu comte de Mon-
taigu,ambassadeurde Franceà Venise.Forcé
de renoncerà ce poste, Rousseauretourneù
Paris, devientcommischezle fermier-général
Dupin,faitconnaissance de cetteThérestLc-
vasseur,plustardassociéeà sa viesansque
rienjustifiâtceltedétermination chezcellenui
en était l'objet,car ellene tentarien pourdé-
tournerle père de sesenfantsdu parti pris,
tantde foisrenouvelé,de l'abandondecespe-
tits malheureux,celtegrandetachedemeurée
indélébile, qui ternitla mémoire du philosophe
de Genève.
C'esten1719quecommence «la longuechaî-
ne » desmalheursde Rousseau. Destinéen ap-
à devenirun de cesgribouilleurs de
Eiarence
roi8iôme ordreA la suite des renommées en
évidence,il eût nu coulerdoucement cettovio
de parasitequi était le lotordinairedeshom-
mesde plumedansl'ancienne sociétéfrançaise,
— 10 —
lorsqu'unequestionposéepar le désoeuvrement
d'une honnêteréunionde beaux-espritsde pro-?
vince,l'Académiede Dijon,vientchangertoute
l'économiede l'existencepaisibledu très obscur
Rousseau.A cette question: Le progrès des
scienceset desarts a t-ii contribuéa corrompre
ouà épurerlesmoeurs? Jean-Jacquesprend parti
contre les arls, cl obtientle prix propose.Si
Marmontela dit la vérité. voici commentla
chosese passa: L'Académiede Dijonvenaitde
lancersonprogramme.Dansune promenadede
Diderotet de Rousseau, celui-cidit A son ami
qu'il se proposede traiter la question.»—Quel
parti prendrez-vous? demandeDiderot.—Celui
d'affirmerque les arts épurent,les moeurs.—
C'estle pont auxAnesj tous lestalents médio-
cresprendrontce chemiu-la...Leparti contraire
présente Ala philosophieet A1éloquenceun
champnouveau,riche et fécond.—Vousavez
raison,reprendRousseau,aprèsy avoirréfléchi
un momeljt,et je suivraivoire conseil.»
puoi qu'il en soit, ce succèsinespéréfit ou-
vrir toutesles grandesoreillesdu public Ace
nominconnude Rousseau,etVoltairelui-même
s'en émut.Maiscetteglorioled'unmomentn'as-
surait pas l'indépendancetantrêvéedu triom-
phateur;il se fait, pour vivre,copistede musi-
que, en attendant que lo Devindu villagevînt
une foisde plus(1752le remettreen évidence
et lui susciterdesenvieuxet des ennemisdont
son caractèreombrageuxdevait lui exagérer
l'importance.Lanaïvesimplicitéde la musique
du Devindéroutaitles habitudesde la nation.
La Uttre sur la musique françaiseexcitaun toile
général-,on alla mêmejusqu'à prononcertout
bas le nomde la Buslillc: lesgrandesquerelles
du Parlementcl du clergéétaient oubliées;on
avaittouchésansscrupuleaux préférencesartis-
tiquesd'uneépoqued'art facticei la mortseule
semblaitpouvoirexpier ce crime abominable.
—H —
Kn1753,nouvellequestionposéepar l'Aca-
démiede Dijon,quiprovoquele fameuxDis»
courssurl'inégalité parmi leshommes. Decejour,
Rousseau conçoitle projetde sesIntlitutio/n pO'
litiques.Parislui estdevenuodieux,il retourne
AGenève, se refaitcalvinistepourconserver le
titrede citoyende la république.Sescompa-
triotesne l'accueillantpas commeil l'espérait,
il revientà Paris,se lieavecmadamede l'Kpi-
nav; ellelui olfieAVErmitage unasilequide-
vaitlui permettrede se livrertoutentierAses
projets deréorganisation politique,projetscon-
çusdanslasolitude, caressés avecamour,et qui
allaientplus tardréaliserpour leurauteurla
sommedegloireAlaquelleil se croyaitendroit
de prétendn\Cen'estpastoutefoisqu'iloubliât
lesautresIravauxquiontégalement marqué dans
sa vielittéraire,ainsiquele peuventtémoigner
le Dictionnairede tnutique et la Nouvelle Hélofce,
Dansl'intervallede ses travauxse placentsa
ruptureavecmadame del'Kninay,sa liaisonavec
madamed'lloudetot,ses relationsavecd'Alem-
bert.Puisviennentsesrapportsavecmadamede
Luxembourg,madame de IJonftlers,le princede
Conti; sa retraiteAMontmorency, oùRousseau
achève1Emile,le Contrats>,cial, qui paruten
17G2, un moisou deuxavantVEmile. Malgréles
'hautesprotections nuisoutenaicntle philosophe,
cedernierlivrele faitdécréterde prisedecorps
parle Parlemenlde Paris.Ilcroitpouvoirseréfu-
gierà Genève entoutesûreté.Pasplusqued'au-
tres illustrespersécutés,il n'est prophètedans
sonpays.Sonlivrey estbrûlépar la maindu
bourreau,et la encoresapersonneestmenacée,
soncaractèreméconnu,sontalentdiscuté,in-
misau bande l'Kuropeet îlela civilisa-
ion.Il va errantpar la Suisse,trouvantenfin
iurié,
A Motiers-Travers uneretraitepaisible,s'y re-
vêtantpourla premièrefoisde cethabitd'Ar-
ménienqui n'était qu'unesingularitéde plus
— 12 —
danscetteexistencesi étrangementaccidentée.
A Moticr8enfin,il écrit sa réponseA M;de
Beaumont,Aproposde VEmite, et lesLettresde
la montagne, quidevaientsuscitercontrelui un
dernieret terribleorageet le forcerdo quitter
la Suisseet de se réfugieren Angleterre,après
un courtséjourdansl'île de Saint-Pierre,dé-
pendantducantonde Berne.
Icis'arrêtentlesConfessions,etnousmarchons
Agrandspas vers le dénouaientde cette vie
agitéeet si cruellementtraversée.Onn'a pas
manqué d'arguerdo toutesles inégalitésd'hu-
meur,de toutesles bizarreriesdu malheureux
Rousseaupourluiattribuerle tort d'avoirété
l'artisande sa propreinfortune.C'est, Acoup
sûr, le procédéle plus commodequ'ait pu
employerla sagesse detoitslesjourspourfrap-
per d'ostracisme cetautreAristide; mais, tout
en faisantlu partdesrécriminations exagérées
quel'auteurd'Emile' n'a pas épargnéesAceux
qui, un momentses amis,tenaientalorsle haut
du pavé,nouscroyonsqu'onne sauraitrefuser
Acettegrandevictimele don de la sincéritéet
d'un ardentamourpour ses semblables : cela
racliètcbiendestravers,desinjusticeset môme
des erreurs.
Lecalmes'étaitfaitdansles espritsi lc22mai
1767,Rousseautouchede nouveaula terrede
France,séjournehuit joursAAmiens,accepte
l'asile quelui offrele princede Conti,au chA-
teaude Trye,prèsduGisors,s'y cachesousle
nomde Rcnou.Auboutd'unan. sousle poids
do ses terreursde misanthrope,il quitteTrye,
se réfugieAGrenoble,Allourgoin,a Monquln,
et revientAParison juillet 1770.obsédéde la
niononianiode voir des ennemispartout.Le
marquisdeGirardin lui offredanssa terred'Kr-
nienonville en 1771le reposqu'il devaitsi peu
de tempsgoûter. De1771A1778,annéede sa
mort, il publieles Considérations sur le gouver-
— 13 —
ttementde Pologne,fruit des principesétablis
dans le Contratsocial;se livre avec l'ardeur
qu'ilavaitapportéeAsestravauxprécédents,A
son goûtpassionnépourla botanique.Acette
périodeappartiennentencoreles Rêveriesdu
Promeneur solitaireet Pygmalion.
Le3 juillet 1718, Rousseaus'éteint AErme-
nonville,empoisonné, disentlesuns,naturelle-
ment,disentles autres; par le suicide selon
madamede Staël et Musset-Pathay, suicide
contreditformellementpar le témoignagedu
sculpteur Houdon.Ku17(14, ses restessont por-
tés au Panthéon.Genèvea réparéen partieses
tortsenversle plus illustrede ses fils,en lui
érigeantune statu•, confiéeau ciseaud'un au-
tre Genevois,Pradier.Paris n'a pas été plus
loin, en faitde réparationtardive,qu'unbuste
des plusmesquinshisséau coinde lu tue Plà-
trière,devenuerue Jcan-Jacqucs-llousseau.

Voltaireet Jean-Jacquesdominentle dix-


huitièmesiècletout entier; l'heure n'est pas
encorevenue de rendreamplementjustice A
cesdeuxgrandshommes,séparésde leur vi-
vant,unisaprèsleur mortdansl'admirationde
la postérité,qui représentent,l'un l'espritfran-
çaisdansce qu'il a de plussubtil, l'autrel'a-
mourdu progrèsdanssa pluslargeacception,
servipar la magied'un styleincomparable, une
vivesensibilitéet une hauteraison.
Con'estpas ici le lieu de refaireune foisde
plusle parallèlede cesdeuxpèresde1aliberté
moderne.Nous renvoyonspour celaAl'ingé-
nieuxtravailpubliépar M. KugènoNo?!dans
— 11 —
utile(I), en attendantque nous
la Bibliothèque
commenous l'espérons,remettreau
our les oeuviesles plusremarquables de Vol-
aire et de Rousseau.Si nousavonschoisile
{missions,
présentvolume,c'est que, de tousceuxdu gé-
néreuxpenseur,il nousa parule pluscomplè-
tementrésumersesvuesd'amélioration sociale.
Nousvoulionspar 1Arendre un juste hom-
mageAson livrede prédilection,a celuiqui,
avecEmile, devaitAses yeuxconsacrersa re-
nommée.Cestaussiet surtout parceque c'est
desentraillesde ce livre généreuxqu'estsortie
la granderévolutionde 1789.Nousne sommes
pas, quantAnous, de ceseulantsiugrats qui
viennentlâchementbaverdes injuresau pied
de la statuede leur mère.
X.DAVID.

(I)Collection
A60cent,le volume
; Dubuis-
Paris,
sonet 0,(8,rueCoq-Héron.
DU CONTRAT SOCIAL

LIVREPREMIER

Jo veux cherchersi, dans l'ordre civil, il


peut y avoir quelquerèglod'administration
légitimeet sûreen prenant les hommestels
qu'ilssont et les loistelles qu'elles peuvent
être. Je tâcheraid'alliertoujoursdans cette
recherchece que le droit permet avecce que
l'intérêtprescrit,afinque lajusticeet l'utilité
ne se trouventpointdivisées.
J'entre en matière sans prouverl'impor-.
tancede mon sujet. On me demanderasi je
suis princeou législateur,pour écrire sur la
politique.Je répondsque non, et que c'est
pourcelaque j'écris sur la politique.Si j'é-
tais princeou.législateur,jo no perdraispas
montemps a direce qu'il faut faire; je le fe-
rais ou je me tairais,
Né citoyend'un Etat libre et membre du
souverain,quelquefaibleinfluenceque puisse
avoirma voixdans les affairespubliques,le
— 16 —
droitd'y votersuffitpourm'imposerle devoir
de m'eninstruire: heureux,toutesles folsquo
je méditosur les gouvernements,de trouver
toujours dans mes recherchesde nouvelles
raisonsd'aimerceluide monpays!

I.—Sujetdecepremier livre.
L'hommeest nd libre,et partout il est dans
les fers. Telse croit le maîtredes autres qui
ne laissepas d'être plus esclavequ'eux.Com-
mentce changements'est-ilfait?Je l'ignore.
Qu'est-cequi peut le rendre légitime? Je
croispouvoirrésoudrecette question.
Si jo ne considéraisque la forceet l'effet
qui en dérive, je dirais : Tant qu'un peuple
est contraintd'obéiret qu'ilobéit,il mit bien;
sitôt qu'il peut secouerle joug et qu'il le se-
coue,il fait encoremieux; car, en recouvrant
sa libertépar le mêmedroitqui la lui a ravie,
ou il est fondéà la reprendre,ou l'onne l'é-
tait pas à la lui ôter. Maisl'ordresocialest
un droitsacréqui sert de baseà tous les au-
tres. Cependantce droit ne vient pointde la
nature; il est doncfondésur desconventions.
Il s'agit de savoir quellessont ces conven-
tions. Avant d'en venirlà, je doisétablirce
queje viensd'avancer.

H.—Despremières
sociétés.
La plus anciennedetoutesles sociétéset la
seulenaturelleest cellede la famille.Encore
.— 17 —
les enfantsno restent-ilsliés au père qu'aussi
longtempsqu'ils ont besoindo lui pour le
conserver.Sitôt que ce besoin cesse,lelien
naturelse dissont.Les enfunts,exemptsdo
l'obéissancequ'ils devaientau père, le père
exemptdes soins qu'il devait aux enfants,
rentrenttous égalementdans l'indépendance.
S'ilscontinuentde rester unis, ce n'est plus
naturellement,c'est volontairement, et la fa-
milleelle-mêmene se maintientque par con-
vention.
Cettelibertécommuneest une conséquence
de la naturedol'homme.Sa premièreloi est
de veiller&sa propreconservation,ses pre-
miers soins sont ceux qu'il se doit à lui-
même,et sitôt qu'il est en âge do raison,lui
seulétant juge des moyenspropresà &econ-
server,devientpar là son propremaître.
La familleest donc,si l'on veut, le premier
modèledes sociétés politiques;le chef est
l'imagedu père,le peupleest l'imagedesen-
fants, et tous,étant nés égaux et libres,n'a-
liènent leur liberté que pour leur utilité.
Toutela différenceest quef,dans la famille,
l'amourdu pèrepourses enfantsle payedes
soinsqu'il leur rend, et que. dans l'État, le
plaisir de commandersupplée-à cet amour
que le chefn'a pas pourses peuples.
Grotiusnie que tout pouvoir humainsoit
établien faveurde ceuxqui sont gouvernés;
il cite l'esclavageen exemple.Sa pluscons-
tante manièrede raisonnerest d'établirtou-
jours le droit par le fait(l). On pourraitem-
(l)« Lessavantesrecherchessurlodroitpublicne
sontsouventque l'histoiredesanciensabus,et on
— 18 —
ployerune méthodeplus conséquente,mais
non pas plus favorableaux tyrans.
Il est donc douteux, selon Grotius, si le
genre humain, appartient à une centaine
d'hommes,ou si cettecentained'hommesap-
partient au genre humain,et il paraît dans
tout son livre pencher pour»le premieravis.
C'est aussi le sentimentde Hobbes.Ainsi,
voila l'espècehumainediviséeen troupeaux
de bétail, dont chacuna son chef, qui le
garde pour le dévorer.
Commeun piltre est d'une nature supé-
rieureà cellede son troupeau, les pasteurs
d'hommes,qui sont leurs chefs, sont aussi
d'une nature supérieureà cellede leurspeu-
ples. Ainsiraisonnait,au rapportde Phllon,
l'empereurCaligula,concluantassez bien de
cette analogieque les roisétaient des dieux,
ou que les peuplesétaientdes bêtes.
Le raisonnementde Caligularevientà celui
do Hobbeset de Grotius.Aristote,avec eux
tous, avait dit aussi que les hommesne sont
point naturellementégaux, mais que les uns
naissentpour,l'esclavageet les autres pour la
domination.
Aristoteavait raison, maisil prenait l'effet
pourla cause. Tout hommené dans l'escla-
vage naît pour l'esclavage, rien n'est plus
certain: les esclavesperdenttout dans leurs
fers, jusqu'au désir d'en sortir; ils. aiment
leur servitude,commeles compagnonsd'U-
s'cslentêtémalà propos,quandon s'est'donnéla
pclno dolestrop étudier.» [Traitémanuscritdes
intérêtsde la Franceavecses voisins,par M.L.
M.d'A)Voilàprécisément cequ'afaitGrotius.
— 1<J—
lysseaimaientleurabrutissement(1).S'il y a
doncdesesclavespar nature, c'est parcequ'il
y a eu desesclavescontrela nature.Laforce
a faitles premiersesclaves,leurlâchetélesa
perpétués,
Je n'ai riendit du roi Adam,ni de l'empe-
reur Nod,pèredotroisgrandsmonarquesqui
se partagèrentl'univers,commefirentles en-
fantsdeSaturne,qu'onacrureconnaîtreeneux.
J'espèrequ'onme saura gré de cettemodéra-
tion; car, descendantdirectementde l'unde
ces princes,et peut-êtrede la brancheaînée,
quesais-josi, par la vérificationdes titres, jo
ne me trouveraispoint le légitime roi du
genrehumain?Quoiqu'il en soit, on ne peut
disconvenirqu'Adamn'ait été souveraindu
mondecommellobinsondo son île, tant qu'il
en fut le seul habitant, et ce qu'ily avait de
commodedans cet empire, était que le mo-
narque,assurésur son trône, n'avaità crain-
dre ni rébellions,ni guerres,ni conspirateurs.
111.—Dudroitdu plusfort.
Le plus fort n'est jamais assez fort pour
être toujoursle maître, s'il no transformesa
forceen droitet l'obéissanceen devoir.De là
le droitdu plus fort, droit pris ironiquement
en apparenceet réellementétablien principe.
Maisne nousexpliquera-t-on jamais ce mot?
La force est une puissancephysique;je no
vote point queilo moralité peut résulter do
un petittraitédol'iularque,
;t)'Voyez Intitulé:Que
lesbêtesusentdela raison.
- 20 —
ses effets.Céderà la forceest un acte doné-
cessité, non de volonté; c'est tout au plusun
acte de prudence.En quelsens pourra-ceêtre
un devoir?
Supposonsun moment ce prétendu droit.
Jo dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias
inexplicable;car sitôt que c'est la force qui
fait le droit, l'effet change avec la cause:
touteforcequi surmontela premièresuccède
à son droit.Sitôt qu'on peut désobéitImpu-
nément,on le peut légitimement;et puisque
le plus fort a touojursraison,il ne s'agit que
de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or,
qu'est-cequ'un droit qui périt quandla force
cesse? S'il faut obéir par force,on n'a pas
besoind'obéirpar devoir;et si l'on n'est plus
forcéd'obéir,on n'y est plus obligé.-Onvoit
doncque le motdroitn'ajouterien à la force;
il ne signifieici riendu tout.
Obéissezaux puissances.Si celaveut dire :
cédezà la force, le précepte est bon, mais
superflu; je réponds qu'il ne sera jamais
violé.Toutepuissancevient de Dieu,je l'a-
voue; maistoutemaladieen vient aussi: est-
ceà dire qu'ilsoit défendu d'appelerle mé-
decin?Qu'un brigandme surprenne au coin
d'un bois, non-seulémentil faut par force
donner la bourse,mais quand je pourrai la
soustraire,suis-jeen consclenco obligé de la
donner?Car enfinle pistolet qu'il tient est
aussiune puissance.
Convenonsdoncque forcene fait pas droit,
et qu'onn'est obligé d'obéirqu'aux puissan-
ceslégitimes.Ainsi,ma questionprimitivere-
vient toujours.
— 21 —

IV.- DeIVsilavage.

Puisqu'aucunnommen'a une autoriténa-


turellesur son semblable,et puisquela force
ne produitaucundroit, restentdoncles con-
ventionspour basede touteautoritélégitime
parmileshommes.
Si un particulier,dit Grotius, peut aliéner
sa libertéet se rendre esclaved'un maître,
pourquoitout un peupleno pourrait-il pas
aliénerla sienne et se rendresujet d'un roi?
Il y a là biendesmotséquivoques quiauraient
besoind'explication;mais tenons-nous-enà
celuiù'aliémr. Aliéner,c'est donnerou ven-
dre. Or, un hommequi se fait esclaved'un
autre ne se 'donnepas, il se vend, tout au
moinspour sa subsistance; mais un peuple,
pourquoise vend-il?Rienloinqu'un roi four-
nisseà ses sujets leur subsistance,il ne tire
la sienneque d'eux,et, splonRabelais,un roi
ne vit pas de peu. Les sujets donnentdonc
leurpersonneà conditionqu'onprendraaussi
leur.bien. Je ne vois pas ce qui leur reste à
conserver.
Ondira que le despoteassureà ses sujets
la tranquillitécivile.Soit; maisqu'y gagnent-
ils, si les guerresque son ambitionleur at-
tire, si soninsatiableavidité,si lesvexations
de son ministèreles désolentplusque ne fe-
raientleursdissensions?Qu'y gagnent-ilssi
cette tranquillitémêmeest unede leurs mi-
sèresIOnvit tranquilleaussidanslescachots;
en est-ce assez pour s'y trouverbien? Les
— 22 —
Grecsenfermésdans l'antre du cyclopey vi-
vaienttranquilles,en attendantque leurtour
vînt d'êtredévorés.
Direqu'un hommese donnegratuitement,
c'est direune choseabsurdeet inconcevable;
un tel acte est illcgitimoet nul, par celaseul
que celuiqui le fait n'est pas dans son bon
sens.Direla même.chosedo tout un peuple,
c'est supposerun peuplede fous: la foliene
fait pas droit.
Quandchacunpourraits'aliénerlui-même,
il ne peut aliénerses enfants: ils naissent
hommes et libres;leurlibertéleurappartient,
•nul n'a droit d'en disposerqu'eux. Avant
qu'ilssoienten dgode raison,le pèrepeuten
en leur nomstipulerdesconditionspourleur
conservation,pourleur bien-être,mais non
les donnerirrévocablement et sanscondition,
car un tel donest contraireaux linsdelà na-
ture, et passe les droitsde la paternité. Il
faudraitdonc, pourqu'un gouvernement ar-
bitrairefût légitime,qu'à chaquegénération
le peuplefût le maîtrede l'admettreoudele
rejeter;maisalorsce gouvernement ne serait
plusarbitraire.
Renoncerà sa liberté, c'est renoncerà sa
qualitéd'homme,aux droits de l'humanité,
mêmeà sesdevoirs.Il n'y a nuldédommage-
mentpossiblepourquiconquerenonceà tout.
Unetelle renonciationest incompatible aveo
la naturede l'homme,et c'estôtertoutemo-
ralitéà ses actionsque d'ôtertoute libertéà
sa volonté.Enfin,c'estuneconvention vaine
et contradictoire de stipuler,d'une part, une
autoritéabsolue;de l'antre, une obéissance
— 23 —
sans bornes.N'est-ilpas clair qu'on n'est en-
gagé à rien envers celui dont on a droit de
tout exiger? Et cette seule condition, sans
équivalent,sans échange,n'entraine-t-ello pas
la nullitédo l'acte? Car quel droit mon es-
clave aurait-il contre moi, puisque tout ce
qu'il a m'appartient,et que son droit étant le
mien, ce droit de Mcontremoi-mêmeest
un mot qui n'a aucun sens?
Grotiuset lesautres tirent do la guerreune
autro origine du prétendu droit d'esclavage,
Lo vainqueur ayant, selon eux, lo droit de
tuer le vaincu, celui-ci peut rachetersa vie
aux dépensde sa liberté, conventiond'autant
plus légitimequ'ellotourne au profit de tous
deux.
Mais il est clair que ce prétendudroit de
tuer les vaincus ne résulte en aucunoma-
nière de l'état de guerre. Par cela seul que les
hommes,vivant dans leur primitiveindépen-
dance,n'ont point entre eux de rapport assez
constant pour constituer ni l'état do paix ni
l'état de guerre, ils no sont point naturelle-
ment ennemis. C'estlo rapport des choseset
non des hommes qui constituela guerre, et
l'état de guerre ne pouvant naître des sim-
ples relations personnelles, mais seulement
des relations réelles, la guerre privéo, ou
d'hommeà homme, nepeut exister, ni dans
l'état de nature, où il n'y a point do propriété
constante, ni dans l'état social, où tout est
sous l'autorité des lois.
Les combatsparticuliers,les duels, les ren-
contres,sontdes actesquine constituentpoint
un état; et à l'égard des guerres privées,au-
- 24 -
toriséespar les étublissoinents de LouisIX.
roide France, et suspenduespar la paixdé
Dieu,ce sont.desabusdu gouvernementféo-
dal, systèmeabsurdes'il en fut jamais,con-
traireauxprincipesdudroitnaturelet à toute
bonnopolitique.
La guerre n'est donc point une relation
d'hommeà homme,maisune relationd'Etat
à Etat,danslaquellelesparticuliersnesonten-
nemisqu'accidentellement, non pointcomme
hommes, ni mémocommecitoyens, mais
commesoldats: non pointcommemembres
de la patrie,maiscommeses défenseurs.En-
fin chaque Etat ne peut avoirpour ennemis
que d'autresEtats, et non pas des hommes,
attendu qu'entre chosesde diversesnatures
on ne peut fixeraucunvrai rapport.
Ce principeest mêmeconformeaux maxi-
mesétabliesde touslestemps,et à la pratique
constantede tous les peuplespolicés.Lesdé-
clarationsde guerresontmoinsdes avertis-
sementsaux puissancesqu'à leurssujets.L'é-
tranger,soit roi, soit particulier,soit peuple,
qui vole, tue ou détientles sujets, sans dé-
clarer la guerre au prince, n'est pas un
ennemi, c'est un brigand. Mêmeen pleine
guerre, un princejuste s'emparebien, en
paysennemi, de tout ce qui appartientau
public, mais il respectela personneet les
biensdes particuliers;il respecteles droits
sur lesquelssont fondésles siens.La findela
guerreétant la destructionde l'Etat ennemi,
on a droitd'entuer les défenseurs,tant qu'ils
ont les armesà la main;mais,sitôt qu'ilsles
posentet se rendent,cessantd'êtreennemis
- 28 —
ou instrumentsdo l'ennemi,ils redeviennent
simplementhommes,et l'onn'a plusdo droit
sur leur vio. Quelquefois- on peut tuer l'Etat
sans tuer un seul do ses membres; or, la
guerreno donneaucundroitqui ne soitnéces-
saireà sa fin. Cesprincipesnosont pas ceux
do Grotius; ils no sont pas fondéssur des
autoritésde poètes,maisilsdériventdela na-
ture des choses et sontfondéssur la raison..
A l'égarddu droitde conquôto,il n'a d'au-
tre fondementque la loi du plus fort. Si la
guerrene donne point au vainqueurle droit
de massacrerles peuplesvaincus, ce droit
qu'il n'a pas ne peut fonderceluide les as-
servir.Onn'a lo droit de tuer l'ennemique
quandon ne peut le faireesclave; le droit do
, lo faireesclavene vientdoncpas du droit do
le tuer : c'estdoncun échangeinique do lui
faireacheter,au prix desa liberté,sa vie,sur
laquelleon n'a aucundroit. En établissantlo
droit de vie et de mortsur le droit d'escla-
vageet le droitd'esclavagesur ledroit do vie
et de mort,n'est-ilpas clairqu'ontombedans
le cerclevicieux.
En supposantmêmece terribledroitdetout
tuer, je dis qu'un esclavefait à la guerre, ou
un peuploconquis, n'esttenu à rien du tout
enversson maître, qu'à lui obéirautant qu'il
y est forcé. En prenantun équivalent à sa vie,
le vainqueurne lui en a point fait grâce: au
lieu'de le tuer sans fruit, il l'a tué inutile-
ment. Loindoncqu'il ait acquissur luinulle
autoritéjointeà la force,l'état de guerresub-
siste entre euxcommeauparavant,leurrela-
ion mêmeen est l'effet,et l'usage du droit
— 26—
de la guerre ne supposeaucuntraité do p:iix.
Ils ont fait une convention,soit ; mais cette
convention,loindo détruirel'état do guerre,
en supposela continuité.
Ainsi, do quelquesens qu'on envisageles
choses,lo droit d'esclaveest nul, non-seule-
ment parce qu'il est illégitime,mais parce
qu'il est absurdeet no signifierien.Cesmots
esclavage et droitsontcontradictoires;ilss'ex-
cluentmutuellement.Soitd'un hommeà un
homme,soitd'unhommeà un peuple,ce dis-
courssera toujourségalementinsensé: « Je
faisavectoi unoconventiontout à ta charge
et tout à monprofit, que j'observeraitant
qu'ilme plaira,et quetu observerastant qu'il
me plaira.»

V.—Qu'ilfauttoujours
remonter
A,unepremière
conveallop,
QuandJ'accorderaistout ce que j'ai réfuté
jusqu'ici,les fauteursdu despotismen'en se-
raientpas plus avancés..Il y aura toujours
une grande différenceentre soumettreune
multitudeet régir une société.Quedeshom-
meséparssoientsuccessivement asservisà un
seul,en quelquenombrequ'ilspuissentêtre,
jo ne volslà qu'un maîtreet des esclaves;je
n'y voispointun peupleet son chef; c'est, si
l'on veut, une agrégation,mais non pas une
association;il n'y a là ni bienpublic,ni corps
politique.Cet homme,eût-ilasservila moitié
du monde, n'est toujoursqu'un particulier:
son intérêt, séparéde celuides autres, n'est
_ r> — '
toujoursqu'un intérêtprivé.Sico mêmehom-
me vienta périr,son empire,aprèslui, reste
éparset sans liaison,commeun chêneso dis-
soutet tomboen tas de centres aprèsque le
feu l'a consumé.
Un peuple,dit Grotius,peut se donnerà un
roi. SelonGrotius,un peupleestdoncun peu-
ple avantde so donnerù un roi. Cedonmême
est un actecivil; il supposeunodélibération
publique.Avant donc que d'examinerl'acte
par lequelun peupleélit un roi, il seraitbon
d'examinerl'acte par lequelun peupleest un
car cet acte, étant nécessairementan-
fieuple,
érleurà l'autre, est le vrai fondementde la
société.
En effet, s'il n'y avait point de convention
antérieure,oùserait,à moinsquol'électionne
fût unanime,l'obligation,pour le petitnom-
bre, de se soumettreau choix du grand; et
d'où cent qui veulent un maître, ont-ilsun
droitde
1 voterpour dix qui n'enveulentpoint?
La loi do la pluralitédes suffragesest elle-
mêmeun établissement de convention,
et sup-
poseau moinsunefois l'unanimité.
VI.—Dupactesocial.
Je supposeles hommesparvenusà ce point
où les obstaclesqui nuisentà leurconserva-
tion dans l'état do nature l'emportentpar
leur résistancesur.les forcesquechaquein-
dividupeut employerpourso maintenirdans
cet état. Alorscet état primitifno peutplus
subsister,et le genre humainpériraits'il ne
changeaitsa manièred'être.
— 28 —
Or, commoles hommesne peuventengen-
drer de nouvellesforces,maisseulementunir
et diriger cellesqui existent, ils n'ontplus
d'autremoyenpoifrse conserver,quodofor-
nu •,paragrégation,une pommede forcesqui
pmïsel'emportersurla résistance,doles met-
tre en Jeu par un seul mobile,et de les faire
agir do concert.
Cettosommede forcesne peut naîtrequo
du concoursde plusieurs; maisla forceet la
libertéde chaquehommeétant les premiers
instrumentsdo sa conservation, commentles
engagera-t-ilsansse nuire,sans négligerles
soinsqu'il se doit?Cettodifficulté,ramenéeà
monsujet, peut s'énonceren cestermes:
« Trouverune fornle d'associationqui dé-
fendeet protégode toute la forcecommune
la personneet les biens de chaqueassocié,
et par laquellechacun,s'unlssantà tous,n'o-
béissepourtantqu'à lui-même,et reste aussi
librequ'auparavant. «Telest le problèmefon-
damentaldont le Contratsocialdonnela so-
lution.
Les clausesdo ce contrat sont tellement
déterminéespar la nature de l'acte, que la
moindremodificationles rendrait vaineset
donul effet; en sortequo,bienqu'ellesn'aient
peut-êtrejamais été formellementénoncées,
ellessont partoutles mêmes,partout tacite-
mentadmiseset reconnues,jusqu'àce que, le
pacte socia.étant viofé,chacunrentre alors
dans ses premiersdroits et reprennesa li-
berté naturelleen perdantla libertéconven-
tionnellepourlaquelleil y renonça.
Cesclauses,bien entendues,se réduisent
~ aa —
toutesà uno seule, savoir: l'aliénationtotalo
do chaqueassociéavectous sesdroitsh touto
la communauté;car, premièrement,chacun,
sodonnanttout entier, laconditionest égale
pour tous, et, la conditionétant égalopour
tous, nul n'a intérêt dola rendre onéreuso
aux autres.
Do plus, l'aliénationso faisant sans ré-
serve, l'unionest aussi parfaitequ'elle peut
l'être, et nul associén'a plus rienà récla-
mer; car, s'il restait quelquesdroitsaux par-
ticuliers,commeil n'y aurait aucunsupérieur
communqui pût prononcerentre eux et lo
public, chacun, étant en quelquepoint son
propre juge, prétendrait bientôt l'être en
tout; l'état do nature subsisterait,et l'asso-
ciationdeviendraitnécessairement tyranniquo
ou vaine.
Enfin,chacunse donnantà tousnese donne
à personne;et, comme11n'y a pas un asso-
cie sur lequel on n'acqulèrolo même droit
qu'onlui cède sur soi, on yagne l'équivalent
de tout ce. qu'on perd, et pius do forcepour
conserverce qu'ona.
Si donc on écarte du pacte social ce qui
n'est pas de son essence,on trouveraqu'il se
réduit aux termes suivants : « Chacunde
nousmet en communsa personneet toutesa
puissancesousla suprêmedirectionde la vo-
lonté générale, et nous recevonsen corps
chaquemembrecommepartie indivisibledu
tout. »
A l'instant, au lieu de la personneparticu-
lièrede,chaquecontractant,cet acte d'asso-
ciation produit un corps moral et collectif,
- 30 —
composed'autantdomembresquel'assemblée
a de voix,loquelreçoitdo ce mémoacte son
unité, sou moicommun,sa vie et sa volonté.
Cetto personnepublique,qui so forme ainsi
par l'uniondo toutes les autres, prenait au-
trefoisle nomdo cité(1),et prendmaintenant
celui de république,ou de corps politique,
lequelest appelépar ses membresétat,quand
il est passif; souverain,quand il est actif;
puissance,en lo comparantà ses semblables.
A l'égarddes associés,ils prennentcollecti-
vementle nom do peuple,et s'appellenten
particulier citoyens,commo participants à
l'autoritésouveraine,et sujets,commosoumis
aux loisdel'État. Maisces termesse confon-
dent souventet so prennentl'un pourl'autre;
(1)Levraisensdecemots'estpresque entièrement
effacéchezlesmodernes : la plupartprennent une
villepourunecité,clun bourgeois pourun citoyen,
Ilsnosaventpasquelesmai-oiis fontlaville,mais
que lescitoyensfontlacité,Cettemémoerreurcoula
cherauxCarthaginois. Je n'ai paslu quele litrede
civesau jamaisné donnéauxsujetsd aucunprince,
mêmeanciennement auxMacédoniens, ni de nos
oursauxAnglais, quoique plusprès delalibertéque
ouslesautres.LesseulsFrançais
(>as prennent touscenom
do citoyens,parcequ'ilsn'enontaucunevéritable
idée,commo onpeutlevoirdansleursdictionnaires,
sansquoiIls tomberaient, en l'usurpant, dans le
crimedo'lèse-majesté.: ce nom,cluzeux,exprime
unevertu,et nonpasun droitQuand Bodlna voulu
denoscitoyens et bourgeois,ila faitunelourde,
Earler
ovueenprenantlesunspourlesautres.M.d'Alem-
bertne s'yest pastrompé, et a biendistingué, dans
sonarticleGenève,lesquatreordresd'hommes (même
enycomprenant
cinq,notre fessimples étrangers)qui sont
dans etdontdeuxseulement
ville, composent la
Nulauteurfrançais,
république. que je sache,n'acom.
prislevraisensdumotcitoyen.
— 31 —
il suffitde lessavoirdistinguerquandils sont
employésdans touteleur précision.
VIL—Dusouverain.
On voit, par cette formule,quo l'acted'as-
sociationrenfermeun engagementréciproque
du publicavecles particuliers,et quochaque
Individu,contractant,pour ainsi dire, avec
lui-même,sotrouve engagé sous un double
rapport,savoir: commomembredu souverain
enversles particulierset commomembredo
l'État enversle souverain.Mais on ne peut
appliquerici la maximedu droit civil, que
nul n'est tenuaux engagementspris aveclui-
même;-car il y a bien de la différenceentre
s'obligerenverssoi ou envers un tout dont
on fait partie.
iII faut remarquerencoreque la délibération
publique,qui peut obligertous les sujets en-
vers le souverain,à causodes deuxdifférents
rapportssouslesquelschacund'euxest envi-
sagé, ne peut,par la raisoncontraire,obliger
•le souverainenvers lui-môme,et que, par
conséquent,il est contre la nature du corps
politiqueque le souverains'imposeune loi
qu'il ne puisseen'freindre.Nepouvantsocon-
sidérerque sous un seul et même rapport,il
est alorsdansle casd'un particuliercontrac-
tant avecsol-même;par ou l'on voit qu'il n'y
a ni ne peuty avoirnulleespècedoloi fonda-
mentaleobligatoirepour ce corpsde peuple,
.pas mêmele contratsocial.Cequi no signifie
as que ce corpsne puissefort bien s'enga-
ger envers autrui,en ce qui ne dérogepoint
_: 32 -
en ce contrat; car, à l'égard do l'étranger,il
devientun être simple,un Individu.
Maislo corps politiqueou le souverain,ne
tirant son être que de la saintetédu contrat,
ne peutjamais s'obliger,mêmeenversautrui,
à rien qui dérogeà cetacte primitif, commo
d'aliénerquelqueportionde lui-même,ou do
se soumettreà un autre souverain.Violer
l'actepar lequelil existeserait s'anéantir,et
ce qui n'est rien ne produitrien.
Sitôtque cette multitudeest ainsi réunie
en un corps,on ne peutoffenserundes mem-
bres sans attaquerle corps, encoremoinsof-
fenser le corps sans que les membress'en
ressentent.Ainsi, le devoiret l'intérêt obli-
gent égalementlesdeuxpartiescontractantes
S s'entr'nidermutuellement,et les mêmes
hommesdoiventchercherà réunir sous co
doublerapporttousles avantagesqui en dé-
pendent.
Or,lesouverainn'étant forméquedesparti-
culiersqui le composent,n'a ni ne peut avoir
d'intérêt
' la contraireau leur; par conséquent,
puissancesouverainen'a nulbesoinde ga-
rant enversles sujets,parcequ'il est impos-
siblequelecorpsveuillenuireà toussesmem-
bres, et nous verronsci-aprèsqu'il ne peut
nuireà aucunen particulier.Lesouverain,par
celaseulqu'ilest, est toujours tout ce qu'il
doit être.
Maisil n'en est pas ainsides sujetsenvers
le souverain,auquel,malgrél'intérêtcommun,
rien ne répondraitde leurs engagements,s'il
ne trouvait des moyensde s'assurerde leur
fidélité.
— 33 —
En effet,chaqueindividupeut,commehom-
me, avoirune volontéparticulière,contraire
ou dissemblableà la volontégénéraloqu'il a
commecitoyen.Son intérêt particulierpeut
lui parlertout autrement que l'intérêt com-
mun; son oxlstenceabsolue,et naturellement
indépendante,peut lui faireenvisagercequ'il
doità la causecommunecommeune contri-
butiongratuite,dont la pertosera moinsnui-
sible aux autres quo le payementn'en est
onéreux pour lui, et regardant la personne
«moralequi constituel'Etat commeun être do
raison, parceque ce n'est pas un homme,il
Jouirait des droits du citoyensans vouloir
remplirlesdevoirsdu sujet : injusticedontle
progréscauseraitla ruinedu corpspolitique
Afindoncque lo pacte socialne soit pas un
vainformulaire,il renfermetacitementcet en-
gagement, qui seul peut donnerdo la force
aux autres: quequiconquerefuserad'obéirà
la volontégénéraley sera contraintpar tout
le corps; ce qui ne signifieautre chosesinon
qu'on le forcerad'être libre: car telleest la
conditionqui, donnant chaquecitoyenà la
patrie, le garantit de toute dépendanceper-
sonnelle;conditionqui fait l'artificeet le jeu
, de la machinepolitique,et qui seulerend lé-
gitimeslesengagementscivils, lesquelssans
Icelaseraient absurdes, tyrannlqueset sujets
aux plus énormesabus.

BU
CONIIUT
SOi:lU.
— 34 —

VIII.-Dol'étalcivil.
Ce passagede l'état de nature à l'état civil
produit dans l'hommeun changementtrès
remarquable,en substituantdanssa conduite
la justiceà l'instinct,et donnantà sesactions
la moralité qui leur manquait auparavant.
C'estalorsseulementquo lu voix du devoir,
succédantà l'impulsionphysique,et le droit
à l'appétit,l'homme,qui, jusque-là, n'avait*
regardéque lui-même,se voitforcéd'agir sur
d'autres principes,et de consultersa raison
avant d'écouterses penchants.Quoiqu'ilse
prive dans cet état do plusieursavantages
qu'il tient de la nature, il en regagnedo si
grands, ses facultéss'exercentet se dévelop-
pent,sesidéess'étendent,ses sentimentss'en-
noblissent,son urne tout entières'élèveà tel
point, que, si les abusdo cettonouvellecon-
ditionne le, dégradaientsouventau-dessous
de celledontil est sorti,il devraitbénirsans
cessel'instant heureux qui l'en arrachapour
Jamais,et qui, d'un animalstupidoet borné,
fit un être intelligentet un homme.
Réduisonstoutecetto balanceà des termes
facilesà comparer.Coquo l'hommeperdpar
le contrat social, c'est sa liberténaturelleet
un droitillimitéà tout ce qui le tentoet qu'il
peut atteindre; ce qu'ilgagne, c'estla liberté
civileet la propriétéde tout co qu'ilpossède.
Pour ne pas se tromperdans ces compensa-
tions, il faut bien distinguer la liberténatu-
relle, qui n'a pourborne que les forcesde
— 35 —
l'individu»de la liberté civile, qui est limitée
par la liberté générale, et la possession,qui
n'est quol'effetdola forceou ledroit du pre-
mieroccupant, do la propriété, qui no peut
êtrefondéeque sur un titre positif.
On pourrait sur ce qui précèdoajouter à
l'acquitdo l'état civil la liberté morale,qui
seulerend l'hommevraiment maître de lui,
car l'impulsionduseul appétitest l'esclavage,
et l'obéissance à la loi qu'ons'est prescriteest
la liberté.Maisjo n'enal déjàquetrop dit sur
cet article, et le sens philosophique du mot
libertén'est pas ici de monsujet.

IX.—Dudomaino
réel.
Chaquemembredolacommunautésedonné
à elleau momentqu'ellese forme,tel qu'il se
trouveactuellement,lui et toutes ses forces,
dont les biens qu'il possèdefont partie,fîo
n'est pasquopar cet actela possessionchange
de natureen changeantde mains,et devienne
propriétédans cellesdu souverain;maiscom-
me les forces de la cité sont incomparable-
ment plusgrandesque cellesd'un particulier,
la possessionpubliqueest aussi dans le fait
plusforte et plus irrévocable,sans être plus
légitime, au moins pour les étrangers; car
l'Etat, à l'égard de ses membres,est maître
de tousleurs bienspar lo contratsocial,qui,
dans l'Etat, sert do base à tous les droits ;
maisil ne l'est, à l'égarddes autrespuissan-
ces que par le droitdepremieroccupantqu'il
tient des particuliers.
— 36 —
Le droitdo premieroccupant,quoiqueplus
réel que celuidu plusfort,nedevientun vrai
droit qu'aprèsl'établissement de celuide pro-
priété.Tout hommea naturellementdroit à
tout ce qui lui est nécessaire;mais l'actepo-
sitif qui le rend propriétairede quelquebien
l'exclutde tout le reste. Sa part étant falto,
il doit s'y borner,et n'a plus aucundroità la
communauté.Voilàpourquoile droitde pre-
mieroccupant,si f ibledans l'état de nature,
est respectableà tout hommecivil. On res-
pectemoinsdans <:cdroitce qui est à autrui
que ce qui n'est pas à sol.
En général, pour autoriser sur un terrain
quelconquelo droit de premieroccupant,il
faut lesconditionssuivantes: premièrement,
quoco terrain ne soit encorehabitépar per-
sonne; secondement,qu'on n'en occupeque
la quantitédontona besoinpoursubsister; en
troisièmeHeu,qu'on en prenne possession,
non par une vainecérémonie,maispar letra-
vail et la culture,seul signede propriétéqui,
au défautde titresjuridiques,doiveêtre res-
pectéd'autru).
En effet,accordernubesoinet au travaillo
droit do premieroccupant,n'est-cepas l'éten*
dre aussi loinqu'ilpeut aller?Peut-onne pas
donnerdes bornesà ce droit? Sufrlra-t-llde
mettrele piedsur un terrain commun pour
s'en prétendreaussitôt lo maître? Suffira-t-il
d'avoirla forced'en écarter un momentles
autreshommespourleurôter le droit d'y ja-
mais revenir?Commentun hommeou un
peuplepeut-il s'emparerd'un territoire Im-
menseet en privertout le genre humainau-
— 37 —
trcmentque par une usurpationpunissable,
puisqu'elleôteau reste deshommesle séjour
et les alimentsque la nature leur donneen
commun?QuandNusiezBalbaoprenaitsurle
rivagepossession de la merduSudet detoute
l'Amériqueméridionale,au nomde la cou-
ronnede Castille,était-ceassezpour en dé-
possédertous les habitantset en excluretous
les princesdu monde?Surco pied-là,cescé-
rémoniesso multipliaientassezvainement,et
loroi catholiquen'avaittout d'un coup qu'à
prendredosoncabinetpossessionde tout l'u-
nivers,sauf à retrancherensuitede aon em-
pirece qui était auparavantpossédépar les
autres princes.
Onconçoitcommentlesterresdes particu-
liers, réunieset continues,deviennentle ter-
ritoirepublic,et commentledroit de souve-
raineté,s'étendantdes sujetsau terrainqu'ils
occupent,devientà la folsréelet personnel;
ce qui met les possesseursdans une plus
grande dépendance,et fait de leurs forces
mêmesles garantsdo leurfidélité.Avantage
qui ne paraît pas avoirété biensentidesan-
ciensmonarques,qui, no s'appolantque rois
des Perses, des Scythes, des Macédoniens,
semblaientso regarder commeles chefsdes
hommesplutôt que commeles maîtres du
Ceuxd'aujourd'huis'appellentplusha-
ilementrois do France,d'Espagne,d'Angle-
Eays.
terre, etc.En tenant ainsile terrain, ils sont
biensûrsd'entenir leshabitants.
Cequ'll'ya de singulierdans cettoaliéna-
tion,c'est que,loin qu'en acceptantles biens
des particuliersla communautéles en dé-
— 38 —
pouille,ellene fait que leur en assurerla le
gitiinepossession,changerl'usurpationenun
véritabledroit, et la jouissancecopropriété.
Alorsles possesseursétant considèrescomme
dépositairesdu bien public,leursdroitsétant
respectés do tous les membresde l'Etat, et
maintenusdotoutesle3forcescontrel'étran-
ger, par une cessionavantageuseau public,
et plusencoreà eux-mêmes, ils ont, pour
ainsi dire, acquis ce qu'ilsont donné: para-
doxe qui s'appliqueaisémentpar la distinc-
tion desdroitsque le souverainet lo proprié-
taire ont sur lo mémofonds,commeon verra
ci-après.
Il peut arriver aussi que les hommescom-
mencèrentà s'unir avant que de rien possé-
der, et que, s'emparant ensuited'un terrain
suffisantpour tous, ils en jouissent en com-
mun, ou qu'ilsle partagent entre eux, soit
également,soit selonles propositionsétablies
par lo souverain.De quelquemanièrequose
fassecette acquisition,lo droit que chaque
particuliera sur sonproprefondsest toujours
subordonnéau droit que la communauté a sur
tous; sans quoi,il n'y auraitni soliditédans
lo liensocial,ni forceréelledansl'exercicede
la souveraineté.
Jo termineraicochapitreet celivrepar une
remarquequi doit servir dobaso à tout le
systèmesocial: c'est qu'au lieu de détruire
l'égaliténaturelle,le pa>:tefondamentalsub-
stitue au contraireune égulitémoraleet légi-
time à co quo la nature avait pu mettre d'i-
négalitéphysiqueentre les hommes,et que,
pouvantêtre inégaux en forceou en génie,
— 39 —
'
ils deviennenttous égaux par conventionet
de droit (1).
(I)Sonslesmauvais g ouvernements, cetteégalité
: ellenosertqu'àmain-
etillusoire
n'estqu'apparente
tenirlepauvrodanssa misère et le richedansson
usurpation.Dansle fait,lesloissont utiles
toujours
à ceuxquipossèdent etnuisent à ceuxquin'ontrien;
d'oùil suitquel'étatsocialnVstavantageux aux
choseet
hommes qu'autantqu'ils ont tousquelque
qu'aucun d'euxn'ariendotrop.
— 40 —

LIVREII

I, —Quola souveraineté
estInaliénable.
La premièreet la plus importante consé-
quence des principes ci-devantétablis est
que la volontégénéralepeut seule diriger les
forcesdo l'Etat selon la fin do son institu-
tion,qui est le biencommun;car si l'opposi-
tion des intérêts particuliersa rendu néces-
saire l'établissementdes sociétés, c'est l'ac-
cordde cesmêmesIntérêtsqui l'a rendupos-
sible.C'est co qu'ily a de commundansces
différentsintérêts qui formelo lien social; et,
s'il n'y avait pas quelquepoint dans lequel
tous les intérêts s'accordent,nulle sociéténo
sauraitexister. Or, c'est uniquementsur cet
intérêt commmunquo la société doit être
gouvernée.
Jodis doncquo la souveraineté,n'étant quo
l'exercicede la volontégénérale, ne peut ja-
maiss'aliéner,et que lo souverain,qui n'est
qu'un être collectif,ne peut être représenté
quo par lui-même,le pouvoirpeut bien se
transmettre,maisnon pas la volonté.
En effet, s'il n'est pas impossiblequ'une
volonté particulières'accorde, sur quelque
point, avecla volontégénérale,11est impos-
sibleau moinsque cet accordsoit durableet
constant; car la volonté particulièretend,
par sa nature,-atixpréférences,et la volonté
- 41 —
générale à l'égalité. Il est plus impossible
encorequ'on ait un garant de cet accord,
quand mêmeil devrait toujours exister; ce
no seraitpas un effetde l'art, mats du ha-
sard.Le souverainpeutbiendire: je veuxac-
tuellementce quo veut un tel homme,oudu
moinsce qu'il dit vouloir;maisil no peut
pas dire: ce quecet hommevoudrademain,
je le voudraiencore, puisqu'il est absurde
que la volontéso donne des chaînespour
l'avenir, et puisqu'il ne dépend d'aucune
volontéde consentirà rien de contraireau
biende l'être qui veut. SI donc lo peuple
prometsimplementd'obéir,il sodissout par
cet acte; il perd sa qualité do peuple Î à
l'instantqu'ily a un maître,il n'y a plus de
souverain,et dès lors le corpspolitiqueest
détruit,
Co n'est point à dire que les ordresdes
chefs ne puissent passer pour des volontés
générales,tant quo le souverain,libredos'y
opposer,ne le fait pas. En pareilcas, du s'i-
lenceuniversel,on doit présumerle consen-
tementdu peuple.Cecis'expliqueraplusuu
long.
II.—Quela souveraineté
estIndivisible.
Parla mêmeraisonque la souverainetéest
inaliénable,elleest indivisible;car la volonté
est généralo(1),ou elle ne l'est pas; elle est
(l)l'ourqu'unevolonté
nécessaire
soitgénérale,
sollunanime
il n'estpas
i maisIIest
toujours
nécessaire qu'elle
touteslesvoixsoientcomptées;toute
quo
exclusion romptlagénéralité.
fonnello
— 42 -
celledu corps du peuple,ou seulementd'une
partie.Dansle premiercas, cettevolontédé-
claréeest un acte de souverainetéet faitloi;
dans le second,ce n'est qu'unevolontéparti-
culièreou un acte de magistrature;c'estun
décrettout au plus.
Maisnos politiques,ne pouvantdiviserla
souverainetédans son principe,la divisenten
forceet en volonté,en puissancelégislativeet
en puissanceexecutive,en droits d'impôts,
dejustice et do guerre,en administrationin-
térieureet en pouvoirde traiter avecl'étran-
ger; tantôt ils confondenttoutes cesparties,
et tantôt ilslesséparent; ils fontdu souverain
un être fantastiqueet forméde piècesrappor-
tées; c'est commes'ils composaientl'homme
de plusieurscorps,dont l'un auraitdes yeux,
l'autredes bras, l'autredes pieds;et rien de
plus. Lescharlatansdu Japon dépècent,dit-
on, un enfant aux yeux des spectateurs:
puis, jetant en l'iiir tout ses membresl'un
aprèsl'autre,ils fontretomberl'enfantvivant
et tout' rassemblé.Tels sontà peu prés les
tours do gobeletsdo nos politiques;après
avoirdémembrélo corps socialpar un pres-
tige dignodo la foire,ils rassemblentles piè-
ces on ne sait comment.
Cetteerreur vientdo nos'êtro pas fait des
notionsexactesdo l'autorité souveraine,et
d'avoirprispourdes partiesde cetteautorité
co qui n'en était que des émanations.Ainsi,
par exemple,on u regardé l'acto do déclarer
la guerreet' celuide fairela paix commedes
actes do souveraineté, co qui n'est pas, puis-
que chacunde ces actes n'est point une loi,
— 43 —
maisseulementune applicationdela loi, un
acte particulierqui déterminele cas de la loi,
commeonloverraclairementquandl'idéeat-
tachéeau mot loi sera fixée.
En suivant de mêmeles autres divisions,
on trouveraitque toutes les fois qu'on croit
voir la souverainetépartagée,on se trompe;
que les droits qu'on prend pour des parties
de cette souverainetélui sont tous subordon-
nés, et supposenttoujoursdes volontéssu-
prêmesdont ces droitsne donnentque l'exé-
cution.
On no saurait dire combience défaut
d'exactitudea jeté d'obscuritésur les déci-
sionsdes auteurs en matièrede droit politi-
que, quand ils ont voulu juger des droits
respectifsdes rois et des peuples, sur les
principesqu'ils avalent établis. Chacunpeut
voir,dansles chapitresIII et IV du premier
livrede Grotius,commentce savant homme
et son traducteur Harbeyracs'enchevêtrent,
s'embarrassentdansleurs sophismes,crainte
d'en dire tropou de n'en pas dire assez,selon
leurs vues,et On choquer les intérêts qu'ils
avaient à concilier. Grotius, réfugié en
France,mécontentdo sa patrie, et voulant
fairesa courà LouisXIII,à qui son livreest
dédié,n'épargnerien pour dépouillerles peu-
plesdo tous leurs droits, et pour en revêtir
les rois avectoutl'art possible.C'eût été bien
aussi le goût do Harbeyrac,qui dédiait sa
traductionau roi d'Angleterre,George Ier.
Mais malheureusementl'expulsionde Jac-
quesII, qu'il appelleabdication,loforçaità se
tenirsur la réserve; à gauchir,à tergiverser,
— 44 —
pour ne pas faire de Guillaumeun usurpa-
teur. Si cesdeuxécrivainsavaientadoptéles
vrais principes,toutes les difficultésétaient
levées,et ilseussentété toujoursconséquents;
maisils auraienttristementdit la vérité,et
n'auraientfait leurcour qu'aupeuple.Or, la
vériténe mène pointà la fortune,et le peu-
ple ne donneni ambassades,ni chaires, ni
pensions.

III.—SIlavolonté peuterrer.
générale
11s'ensuitde ce quiprécèdeque la volonté
généraleest toujoursdroiteet tend toujours
à l'utilitépublique;mais il ne s'ensuit pas
quoles délibérationsdu peupleaient toujours
la mêmerectitude.On veut toujourston bien,
maisonnole voitpas toujours; Jamaison ne
corromptlopeuple,maissouventonle trompt1,
et c'estalors seulementqu'il paraît vot.Jv
ce qui est mal.
Il y a souventbiende la différenceentrela
volontéde tous et la volontégénérale! celle-
ci no regarde qu'à l'intérêt commun,l'autre
regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'uno
sommedovolontésparticulières;maisôtczdo
ces mêmesvolontésles pluset lesmoinsqui
s'entre-détruisent(1), reste pour sommedes
différencesla volontégénérale.

(j)«Chaque ditle M.d'A.,a desprincipes


Intérêt,
différents.
L'arcorddodeuxIntérêtsparticuliers se
à celuid'untiers.» Il eût pu
formepar opposition
queraccord
ajouter do touslesintérêts
soformepar
— 45 —
Si quandle peuple, suffisammentinformé,
délibère,les citoyensn'avaient aucune com-
municationentreeux, du grand nombredo
petitesdifférencesrésulteraittoujoursla vo-
lontégénérale,et la délibérationserait tou-
jours bonne.Maisquandil se faitdes brigues,
des associationspartiellesaux dépensde la
grande,la volontéde chacunedo ces associa-
tionsdevientgénéralepar rapportà sesmem-
bres, et particulièrepar rapport à l'Etat; on
peut direalorsqu'il n'y a plus autant de vo-
tants qued'hommes,mais seulementautant
que d'associations:les différencesdeviennent
moins nombreuseset donnent un résultat
moinsgénéral.Enfin,quandune de ces asso-
ciations est si grandequ'ellel'emportesur
toutes les autres, vous n'avezplus pour ré-
sultat une sommede petitesdifférences,mais
une différenceunique; alors il n'y a plus do
volontégénérale,et l'avisquil'emporten'est
qu'un avis particulier.
Il importedonc,pouravoirbien l'énoncédo
la volontégénérale, qu'il n'y ait pas deso-
ciétépartielledans l'Etat, et que chaqueci-
toyen n'opinequo d'après lut (l). Tellefut
l'uniqueet sublimeInstitutiondu grand Ly-
curguo.Ques'il y a des sociétéspartielles,il
en faut multiplierle nombreet en prévenir
oppositionàceluidechacun.S'iln'y avaitpointd'In-
à peinesentirait-on
térêtsdifférents, l'Intérêt
commun,
quine etla
trouverait
jamaisd'obstacle
cesserait
: toutIraitdelui-
d'êtreunail.
même, poltlquo
(i) «Vcracosaé, dit Machiavel,choalcunodivi-
sion!nuocoiio ailellepubbliche,
e alcunoglovano.
quellenuocono chosonod'allosclteo da partiglant
l'inégalité,commefirentSolon,Numa,Servius.
Cesprécautionssontles seules bonnespour
que la volontégénéralesoit toujourséclairée
et que lopeuplene so trompopoint.
IV.—Desbornesdu pouvoirsouverain.
Sil'Etat ou la cité n'est qu'unopersonne
morale,dontla vie consistedans l'unionde
ses membres,et si le plus importantdo ses
soinsest celuide sa propreconservation,il
lui faut une force universelleet compulsive
pourmouvoiret disposerchaquepartie de la
manièrela plus convenableau tout. Comme
la naturedonneà chaquehommeun pouvoir
absolusur tousses membres,lo pactesocial
donneau corps politiqueun pouvoirabsolu
sur tousles siens, et c'estcomêmepouvoir,
qui, dirigé par la volontégénérale, porte,
commej'ai dit, lonomde souveraineté.
Mais,outrelu personnepublique,nousavons
a considérerles personnesprivéesqui la com-
posent,et dont la vieet la libertésontnatu-
rellementindépendantes d'elles.Il s'agitdonc
dobiendistinguerles droitsrespectifsdes ci-
toyenset dusouverain(t),et lesdevoirsqu'ont
accomnngneto: quelle
g chosenzasette,senia
lovano,
sinmntcnirono.
partigfanl, Nonpotondo adiinquo pro«
vedereunfunrtatorod'unaRcpubbllca chononslano
Inquelle,hada proveder
inlmlclalo nimeno
' chonon
selle.»{lltst.Florent.,Ilv.VU.)
vlaslano
(I)Lecteurs novouspresser,
attentif:!, pas, J evons
prie,dom'ftccuser
Icidocontradiction.Jon'aipul'é-
viterdanslestermes, vu la pauvreté dela langue;
maisattendez.
— 47 —
à remplirles premiersen qualité de sujets,
du droitnatureldontilsdoiventjouiren qua-
litéd'hommes.
Onconvientque tout ce quo chacunaliène
par lo pacte socialde sa puissance,do ses
biens,dosa liberté,c'est seulementla partie
de tout cela dont l'usageimportoà la com-
munauté;mais il faut conveniraussi quole
souverainseul est juge do cetteimportance.
Touslesservicesqu'un citoyenpeut rendre
à l'Etat, il les lui doit sitôt que le souverain
les demande: maisle souverain,de son côté,
ne peut charger les sujets d'aucunechaîne
inutileà la communauté ; il ne peutpasmême
le vouloir: car, sousla loide raison, rien ne
se fait sans cause,non plusque sousla loido
nature.
Le3engagementsqui nous lient au corps
socialne sont obligatoiresquo parcequ'ils
sont mutuels, et leurnature est telle, qu'en
les remplissanton no peut travaillerpourau-
trui sanstravailleraussipoursoi.Pourquoila
volontégénéraloest-elletoujoursdroite, et
pourquoitous veulent-ils constammentlo
bonheurde chacun d'eux, si ce n'est parce
qu'iln'y a personnequi ne s'appropriecemot
cftac««,et qui ne songeà lui-mêmeenvotant
pourtous?Cequiprouvequol'égalitédodroit
et la notionde justicequ'elleproduitdérivent
de la préférencequochacunse donne, et par
conséquentde la naturede l'homme5 quola
volontégénéralo,pour être vraimenttelle,
doit l'êtredanssonobjet, ainsiquodansson
essence; qu'elledoit partirde tous pours'ap-
pliqueru tous, et qu'elleperd sa rectitude
— 48 -
naturellelorsqu'elletendà quelqueobjetindi-
viduelet déterminé,parcequ'alorsJugeantde
cequinousest étranger,nous n'avonsaucun
vrai principed'équitéqui nousguide.
En effet,sitôtqu'ils'agit d'unfait oud'un
droitparticulier,sur un pointqui n'a pasété
réglé par une conventiongénéraleet inté-
rieure,l'affairedovléntcontentieuse. C'estun
procèsoùles particuliersintéresséssont une
despartieset lepublicl'autre,maisoùJenevols
ni lalot qu'ilfaut suivre, ni le Jugequi doit
prononcer.Il seraitridiculede vouloiralors
s'enrapporterà une expressedécisionde ta
volontégénérale,quine peutêtre quela con-
clusiondol'unedo parties,et qui, par consé-
quent,n'estpourl'autrequ'unevolontéétran-
gère,particulière,portéeen cette occasionà
et sujetteà l'erreur.Ainsi,demême
l'Injustice
qu'unevolontéparticulièrene peutreprésen-
ter la volontégénérale,la volonté générale,à
son tour, changede nature,ayantun objet
particulier,et nopeut,commogénéralo,pro-
noncerni sur un hommenisur un fait.Quand
le peupled'Athènes,par exemple,nommait
ou cassaitses chefs,décernaitdes honneurs
à l'un,imposaitdespeinesà l'autre, et, par
desmultitudesde décretsparticuliers,exer-
çait indistinctement touslesactesdugouver-
nement,lo peuplealorsn'avaitplusdovolonté
généraleproprementdlto, il n'agissaitplus
commosouverain,mais commemagistrat.
Ceciparaîtracontraireauxidéescommunes,
matsil faut melaisserlo tempsd'exposerles
»miennes.
Ondoitconcevoir par là quece quigénéra-
-49 —
lisela volontéest moinsle nombredes voix,
que l'intérêtcommunqui les unit ; car, dans
une institution,chacunse soumetnécessaire-
mentaux conditionsqu'ilimposeaux autres;
accordadmirabledel'intérêtet de la justice,
qui donneaux délibérationscommunesun
caracttred'équitéqu'onvolt évanouirdansla
discussion de touteaffaireparticulière,faute
d'unintérêtcommunqui unisseet identifiela
règledu juge aveccelledola partie.
Par quelquecôtéqu'onremonteau principe,
on arrivetoujoursa la mêmeconclusion ; sa-
voir : quele pacte socialétablit entreles ci-
toyensune telleégalité,qu'ilss'engagenttous
sousles mêmes conditions,et doiventJouir
tous desmêmesdroits.Ainsi,parlanature du
pacte,tout acte de souveraineté,c'est-à-dire
tout acte authentiquedola volontégénérale,
obligeoufavoriseégalementtouslescitoyens,
en sorte que lo souverainconnaîtseulement
le corpsde la nation, et ne distingueaucun
de ceuxqui la composent.Qu'est-cedoncpro-
prementqu'un actedosouveraineté?Con'est
pas uneconventiondu supérieuravecl'Infé-
rieurmaisunoconvention du corp3aveccha-
cunde ses membres; conventionlégitime,
parcequ'ellen pour base le contratsocial;
équitable,parcequ'elleest communeà touss
utile,parcequ'ellene peut avoird'autreobjet
quole biengénéral, et solide,parcequ'ellea
pour garant la force publiqueet lo pouvoir
suprême.Tant quoles sujets no sontsoumis
qu'à do tellesconventions,ils n'obéissentà
personne,maisseulementà leurproprevolon-
té; et demander jusqu'oùs'étendentlesdroits
-B0 —
respectifsdu souverainet descitoyens,c'est
demanderjusqu'àquelpointceux-cipeuvent
s'engageravec eux-mêmes,chacunenvers
tous,et tousenverschacund'eux.
On'voit par laque lo pouvoirsouverain,
tout absolu,tout sacré,tout inviolabloqu'il
est, no passeni nopeut passerles bornesdes
conventionsgénérales,et quo tout homme
peut disposerpleinementde ce qui luia été
laissédosesbienset de sa libertépar cescon-
ventions; de sorteque lo.souverainn'estja-
maisen droitdochargerun sujet plusqu'un
autre, parcequ'alors,l'affairedevenantparti-
culière,son pouvoirn'est pluscompétent.
Cesdistinctionsune fois admises,il est si
faux quodans lo contrat socialil y oit, de
la part des particuliers, aucunerenoncia-
tion véritable,quo leursituation,par l'effet
de ce contrat, se trouve réellementpréfé-
rableà ce qu'elleétait auparavant,et qu'au
Heu d'une aliénationils n'ont fait qu'un
échangeavantageuxd'unemanièreIncertaine
et précairecontreuneautremeilleureet plus
sûre, do l'indépendance naturellecontrela li-
berté,du pouvoirdo nuireà autruicontreleur
propresûreté, et do leur forcequod'autres
pouvaientsurmontercontreun droitquel'u-
nionsocialerendinvineible.Leurviemême,
qu'ilsontdévouéeà l'Etat,en est continuelle-
ment protégée; et lorsqu'ilsl'exposentpour
sa défense,quofont-ilsalors,quolui rendre
ce'qu'ilsont reçudelui? Quefont-ilsqu'ilsne
fissentplusfréquemment et avecplusdodan-
ger dansl'étatdo nature,lorsquelivrantdes
combatsinévitables,ils défendraient,
au péril
- 51 -
do leur vie, co qui leur sert à la conserver?
Tousont à combattraau besoinpour la pa-
trie, il est vrai, mais aussi nuln'a jamaisà
combattrepour soi.Negagne-t-onpasencore
a courir,pour ce qui fait notre sûreté, une
partiedes risquesqu'il faudrait courir pour
nous-mêmes sitôt qu'ellonousserait ôtéo?

V.—Dudroitdovieetdemort.
Ondemandecomment lesparticuliers,n'ayant
pointdroitdodisposerdeleurproprevie,peu-
vent transmettreau souveraincemêmedroit
qu'ilsn'ont pas?Cettequestionne paraît dif-
ficileà résoudrequo parcequ'elleest mal po-
sée.Touthommea droit de risquersa propre
viepour la conserver.A-t-onjamais dit que
celuiqui se'Jettepar une fenêtrepouréchap-
per à un incendiesoit coupablede suicide?
A-t-onmémojamais imputé ce crimeà celui
qui périt dans une tempêtedont, en s'embar-
quant, il n'ignorepas lo danger?
Lotraité sociala pour fin la conservation
descontractants.Qui veut la fin veut aussi
les moyens,et ces moyenssont inséparables
de quelquesrisques,mêmede quelquespertes.
Quiveutconserversu vie aux dépensdes au-
tres , doit la donneraussi pour eux quandil
faut. Or, le citoyen n'est plus jugodu péril
auquella loi veut qu'il s'expose; et quandle
princelui a dit : Il est expédientà l'Etat que
tu meures, il doit mourir; puisquece n'est
qu'à cette conditionqu'il a vécuen sûretéjus-
qu'alors,et que sa vien'estplus seulementun
bienfaitde la nature, maisun doncondition-
neldel'Etat.
Lapeinedemort infligéoauxcriminelspeut
être envisagéoà peupréssouslo mêmepoint
de vue; c'est pour n'êtrepas la victimed'un
assassinquo l'on consentà mourir,si on le
devient.Danscetraité,loinde disposerdesa
proprevie,onne songequ'àla garantir,et il
n'estpas à présumerqu'undescontractants
préméditedoso fairependre.
D'ailleurstout malfaiteur,attaquantle droit
social,devientpar ses forfaitsrebelleet traî-
tre à la patrie; il cessod'en être membreen
violantses lois,et mêmeil luifait la guerre.
Alors,la conservation do l'Etatest incompa-
tibleavecla sienne; il faut qu'undesdeux
périsse:et quandon fait mourirle coupable,
c'est moinscommecitoyenque pommeen-
nemi.Lesprocédures,le jugement,sontles
preuvesde la déclaration qu'ila rompulotrai-
té social,et, parconséquent,qu'iln'est plus
membredo l'Etat. Or,comme11est reconnu
tel, tout au moinspar son séjour,il en doit
être retranchépar l'exil,commeinfrecteurdu
pacte,ou par la mort,commeennemipublic,
carun tel ennemin'est pas une personneino-
rale: c'est un homme,et c'estalorsquele
droitde la guerreest de tuerlevaincu.
Mais,dlra-t-on,la condamnation d'un crimi-
nel est un acte particulier.D'accordiaussi,
cettecondamnation n'appartlent-ellopointau
souverain;c'est un droitqu'il peut conférer
sans pouvoirl'exercerlui-même. Toutesmes
idéesse tiennent,maisjo nesauraisles expo-
sertoutesà la fois.
— 83 —
Au reste, la fréquencedo supplicesest tou-
jours un signedofaiblesseoude paressedans
le gouvernement: il n'y a point de méchant
qu'onno pût rendrebonà .quelquechose.On
n'a droitde fairemourir,mêmepourl'exem-
ple,que celui qu'on ne peut conserversans
danger.
A l'égarddu droitdofairegrflceoud'exemp-
ter un coupablede la peine portéepar la loi
et prononcéepar le juge, il n'appartientqu'à
celuiqui est au-dessusdu juge et de la loi,
c'est-à-direausouverain; encoresondroiten
cecin'est-ilpas biennet, et les cas d'en user
sont-ilstrès rares.Dansun Etat biengouver-
né, il y a peu de punitions,non parcequ'on
fait beaucoupde grâces, maisparcequ'il y n
peu de criminels; la multitudedescrimesen
assurel'impunité,lorsquel'Etat dépérit.Sous
la républiqueromaine,jamais le sénatni les
consulsnetentèrentde fairegnlce, le peuplo
mêmen'enfaisaitpas,quoiqu'ilrévoquâtquel-
quefoisson proprejugement.Lesfréquentes
grâcesannoncentquebientôtlesforfaitsn'en
auront plus besoin, et chacun voit où cela
mène.Maisje sensquemoncoeurmurmureet
retientma plume;laissonsdiscutercesques-
tionsà l'hommejuste qui n'a pointfailli, et
quijamaisn'eut lui-mêmebesoindo grâce.
VI.-Dela loi.
Par le pactesocial,nousavonsdonnél'exis-
tence et la vie au corpspolitique; il s'agit
maintenantdeluidonnerle mouvementet la
-84 —
volonté par la législation.Car l'acte primitif
par lequel co corps so formeet s'unit ne dé-
terminerien encoredoco qu'il doit fairepoui
so conserver.
Coqui est bienet conformeà l'ordroesttel
par la nature des ehoseset Indépendamment
des conventionshumaines.Toutejusticevient
doDieu,lui seulen est la source;maissi nous
savionsla recevoirde si haut, nous n'aurions
besoinni do gouvernementni de lois.Sans
douteII est une justiceuniverselle,émanéede
la raison seule';maiscette justice, pour être
admiseentre nous, doit être réciproque.A
considérerhumainementles choses,faute de
sanctionnaturelle, les loisdo la justice sont
vainesparmi leshommes;ellesno font quele
bien du méchant et lo mal.du juste, quand
celui-ciles observeavectout le monde, sans
quopersonnelesobserveaveclui.Il faut donc
desconventionset desloispour unir lesdroits
aux devoirset ramenerlà justice à son objet.
Dansl'état do nature,où tout est commun,je
ne dois rien à ceux à qui je n'ai rien promis;
jo ne reconnaispour être à autrui quo co qui
m'estinutile. Il n'enest pus ainsi dans l'état
civil,où tous les droitssont fixéspar la loi.
Maisqu'est-cedoncenfinqu'une loi? Tant
qu'on so contenterade n'attacherà ce mot
quo des idées métaphysiques,on continuera
de raisonnersans s'entendre; et quand on
aura dit ce quo c'est qu'uneloi de la nature,
on n'en saura pas mieuxco quo c'est qu'une
loide l'Etat.
J'ai déjà dit qu'iln'y avait point de volonté
généralesur un objetparticulier.Eneffet,cet
objet particulier est dans l'Etat ou hors do
l'Etat: une volontéqui lui est étrangère n'est
point généralo par rapport h lut, et si cet ob-
jet est dans l'Etat, il en fait partie;alors il se
forme entre le tout et sa partie une relation
qui en fait deux êtres séparés,dont la partie
est l'un, et le tout moins cette même partie
est l'autre. Maislo tout moinsune partie n'est
point le tout, et tant quo eo rapportsubsiste,
il n'y a plus de tout, mais deux parties
inégales; d'où il suit que la volonté do l'une
n'est point non plus généralo par rapport à
l'autre.
Maisquand tout lo peuplestatue sur toutle
peuple,il ne considèrequo lui-même; et s'il
se forinoalors un rapport, c'est de l'objeten-
tier sous un point de vueà l'objet entiersous
un autre point do vue, sans aucune division
du tout. Alors,la matièresur laquelleon sta-
tue est généralecommela volontéqui statue.
C'est cet acte quej'appelleune loi.
Quand je dis que l'objet des lois est tou-
jours général, j'entends quo la loi considère
les sujets en corps et les actionscommeabs-
traites, jamais un hommecommeindividu,ni
une action particulière.Ainsi, la loi peut bien
statuer qu'ily aura des privilèges, mais elle
n'en peut donner nommémentà personne;la
loi peut faire plusieurs classes de citoyens,
assigner même les qualités qui donneront
droit à ces classes,mais elle ne peut nommer
tels et tels pour y être admis; elle peut
établir un gouvernementroyal et une succes-
sion héréditaire, mais elle no peut éliro un
roi ni nommer une famille royale : en un
-86 —
mot, toutefonctionqui so rapporteà un objet
individueln'appartientpoint à la puissance
législative.
Sur cetto idée, on voit à l'instant qu'il no
faut plus demanderà qui il appartient de
faire des lots, puisqu'ellessont des actesde
la volontégénéralo; ni si le prince est au-
dessusdeslois,puisqu'ilestmembrede l'Etat
ni si la loi peut être injuste,puisquenul n'est
Injuste enverslui-même;ni commenton est
libreet soumisaux lois, puisqu'ellesne sont
quodes registresde nos volontés.
On voit encoreque la loi réunissantl'uni-
versalitéde la volontéet celle do l'objet,co
qu'un homme,quelqu'ilpuissoêtre, ordonne
do son chef n'est point uno loi; co qu'or-
donnemêmele souverainsur un objet parti-
culier n'est pas non plusuneloi,maisun dé-
cret; ni un acte de souveraineté,mais do
magistrature.
J'appelledoncrépubliquotout Etat régi par
des lois, sousquelqueformed'administration
que ca puisseêtre; car alorsseulementl'inté-
rêt publicgouverne,et la chosepubliqueest
quelquechose. Tout gouvernementlégitime
est républicain(1).J'expliqueraici-aprèsce
que c'est que gouvernement.
Les loisno sont proprementque les condl-
(l)Jen'entends seulement,
pas parcemot,unearis-
tocratie
ouunedémocratie, maisengénéraltoutgou-
vernement guidé parla volonté
générale,
qui estla
loi.Pourêtrelégitime,
ilnefaulpasquelegouverne-
mentseconfonde aveclesouverain,
maisqu'ilensoit
loministre;alorslamonarchie estrépubli-
elle-même
quo.Cecis'éclalrclra
danslelivresuivant.
- 87 —
tlons de l'associationcivile.Le peuplesoumis
aux loisen doit être l'auteur : 11n'appartient
qu'à ceux qui s'associentde régler les confli-
tions de la société; maiscommentles régle-
ront-ils? Sera-ced'un communaccord, par
une inspiration sublime? Le corps politique
a-t-11un organe pour énoncer ses volontés?
Quilui donnerala prévoyanconécessairepour
en formerles actes et les publierd'avance,ou
commentles prononcera-t-ilau moment du
besoin?Commentune multitudeaveugle,qui
souventno sait co qu'elleveut, parcequ'elle
sait rarement ce qui lui est bon, exécuteralt-
ellod'elle-mêmeune entrepriseaussi grande,
aussi difficile,qu'un systèmede législation?
De lui-même,le peupleveut toujoursle bien;
mais, de lui-même,il no le voit pas toujours.
La volontégénéraloest toujoursdroite; mais
le jugement qui la guide n'est pas toujours
éclairé. Il faut lui faire voir les objetstels
qu'ils sont, quelquefoistels qu'ils doiventlut
paraître; lui montrer le bon cheminqu'ello
cherche, la garantir de la séduction des vo-
lontés particulières, rapprocherà ses yeux
les lieux et les temps, balancer l'attrait des
avantagesprésentset sensibles,par le danger
des maux éloignéset cachés. Les particuliers
voientle bien qu'ils"rejettent,le publicveut lo
bien qu'ilne voit pas.Tous ont égalementbe-
soinde guides; ilfaut obligerlesuns à confor-
merleursvolontésàleurraison;11fautapprend'ro
au peupleà connaîtreco qu'il veut. Alors,des
lumièrespubliquesrésulte l'union de l'enten-
dementet doïa volonté dans le corpssocial;
de là, l'exact concoursdes parties,et enfinla
— 88 —
plus grande forcedu tout. Voilàd'où na t la
nécessitéd'un législateur.

VIL- Dulégislateur.
Pourdécouvrirles meilleuresrègles doso-
ciétéqui conviennentaux nations,il faudrait
uno .'ntelligenco 'supérieurequi vît toutes
les passionset qui n'en éprouvâtaucune;qui
n'eût aucun rapportavecnotrenatureet qui
la connûtà fond; dont lo bonheurfût indé-
pendantdonous, et qui pourtantvoulûtbien
s'occuperdu nôtre; enfinqui,dansle progrès
des temps,so ménageantune gloireéloignée,
pût travaillerdans un siècleet jouir dans un
autre (1). Il faudraitdes dieux pour donner
desloisaux hommes.
LomêmeraisonnementquofaisaitCaligula
quantau fait, Platonlofaisaitquantau droit,
pour définirl'hommecivilouroyal,qu'ilcher-
che dansson Livredu Règne;maisilest vrai
qu'un grandprinceest un hommorare; que
sera-cpd'un grandlégislateur?Lepremiern'a
qu'à suivrele modèlequo l'autre doitpropo-
ser ; celui-ciest lo mécanicienqui Inventela
machine, celui-làn'est que l'ouvrierqui la
monteet lafaitmarcher.Dansla naissancedes
sociétés,.dit Montesquieu,ce sont les chefs
des républiquesqui fofttl'institution,et c'est
(1)Unpeuple nodevient célèbre
quoquand salé-
commence
gislation a décliner.OnIgnoredurant
combiendesiècles doLyçurguo
l'Institution fitlebon-
heurdes Spartiatesavantqu'ilfut questiond'eux
danslerestedolaGrèce.
— 69 —
ensuitel'Institutionqui formeleschefs desré-
publiques.
Celui qui ose entreprendred'instituer un
peupledoit so sentiron état de changer,pour
ainsi dire, la nature humaine;do transformer
chaqueindividu, qui, par lui-même, est un
tout parfait et solidaire, en partie d'un plus
grand tout, dontcet individureçoive,en quel-
que sorte, sa vie et son être; d'altérerla cons-
titution do l'homme pour la renforcer; do
substituerune existencepartielleet moraleà
l'existencephysiqueet indépendantequo nous
avonstous reçuede la nature. Il faut, en un
mot, qu'il ôtoà l'hommeses forces propres,
pour lui en donnerqui lui soient étrangères,
et dont il no puissefaire usage sans le se-
cours d'autrul. Plus ces forcesnaturellessont
mortes et anéanties, plus les acquisessont
grandes et durables,plus aussi l'institution
est solideet parfaite; et sorte que si chaque
citoyenn'est rien, no peut rien que par tous
les autres, et que la forceacquisepar lotout
soit égaleou supérieureà la sommedesforces
naturellesde tous les individus,on peut dire
que la législationest au plus haut point de
perfectionqu'ellepuissoatteindre.
Le législateurest, à touségards,un homme
extraordinairedans l'Etat. S'il doit l'être par
son génie, il ne l'est pas moinspar son em-
ploi.Cen'est pointmagistrature,ce n'est point
souveraineté.Cetemploi,qui constituela ré-
publique, n'entre point dans sa constitution;
c'est une fonction particulièreet supérieure,
qui n'a rien de communavec l'empire hu-
main',car si celuiqui commandoaux hommes
— 60 —
no doit pas commanderaux lots, celuiqui
commandoaux lois nodoit pas non pluscom-
manderaux hommes;autrement, ses lois,
ministresde ses passions,no feraientsouvent
queperpétuerses injustices, et jamais il ne
pourraitéviterquodesvuesparticulièresn'al-
térassentla saintetéde son ouvrage.
Quand Lycurguedonna dos lois à sa pa-
trie, il commençapar abdiquerla royauté.
C'était la coutumede la plupart des villes
grecques,de confierà des étrangersl'établis-
sementdes leurs. Les républiquesmodernes
de l'Italie imitèrentsouventcet usage; celle
de Genèveen fit autantet s'en trouva bien(t).
Itomo,dans son plus bel tige, vit renaître
en sonseintous les crimesde la tyrannie et
se vit prête à périr pour avoir réuni sur les
mêmestêtes l'autoritélégislativeet le pouvoir
souverain.
Cependantles décemvirseux-mêmes no
s'arrogèrentjamais lo droit de faire passer
aucuneloi de leur seuleautorité. « Rien de
co que nous vous proposons,disaient-ilsau
peuple,ne peut passeren loisans votre con-
sentement.Romains,soyezvous-mêmesles
auteursdes lois qui doiventfaire votre bon-
heur, »
(I)Ceux q uineconsidèrent
Calvinq ue comme théo-
connaissent
logien, mulretendue dosongénie,Laré-
dactiondenossagesédits,à laquelleileutbeaucoup
depart,luifaitautantd'honneurquosoninstitution.
Quelque révolution
queletemps puisseamener dans
notreculte,lantquoVamour de la patrieet de la li-
berténeserapaséteintparminous,jamaisla mé-
moiredocograndhomme necesserad'yêtreenbéné-
diction,
— 61 —
Celui qui rédige les lois n'a donc ou ne
doit avoir aucun droit législatif,et le peuple
même ne peut, quand il le voudrait, se dé-
pouiller de ce droit incommunicable,parco
que, selonle pacte fondamental,il n'y a quo
la volontégénéralequi obligeles particuliers,
et qu'on ne peut jamais s'assurer qu'une vo-
lonté particulière est conformeà la volonté
générale, qu'après l'avoirsoumiseaux suffra-
ges libresdu peuple;j'ui déjà dit cela,mais il
n'est pas inutilede le répéter.
Ainsi, l'on trouve à la fois dans l'ouvrage
de la législation, deux choses qui semblent
. Incompatibles: une entrepriseau-dessusde la
forcehumaine,et, pour l'exécuter,une auto-
rité qui n'est rien.
Autre difficultéqui mérite attention. Les
sages qui veulentparler au vulgaire leur lan-
gage au lieu du sien, n'en sauraient être en-
tendus. Or, il y a mille sortesd'idéesqu'il est
impossiblede traduire dans la langue du peu-
ple. Les vues trop généraleset les objetstrop
éloignés sont également hors de s'a portée;
chaque individu ne goûtant d'autre plan de
gouvernement que celui qui se rapporte à
son intérêt particulier, aperçoit difficilement
les a*efntagesqu'il doit retirer des privations
continuellesqu'imposentles boimeslois. Pour
qu'un peuple naissant pût goûter les saines
maximesde la politiqueet suivre les règles
fondamentalesde la raison de l'Etat, il fau-
drait que l'effet pût devenir la cause, quo
l'esprit social, qui doit être l'ouvrage de
l'institution,présidât à l'institutionmémo, et
quo les hommes fussent avant les lois co
— G2-
qu'ils doivent être par elles. Ainsi donc,lo
législateurno pouvantemployerni la forceni
lo raisonnement,c'est une nécessité qu'il re-
coure à uno autorité d'un autre ordre qui
puisse entraîner sans violenceet persuader
sans convaincre.
Voilàco qui força de tout temps les pairs
des nations de recourirà l'interventiondu
ciel et d'honorerles dieux de leur propresa-
gesse, afin que les peuples,soumisaux loisde
l'Etat commeà cellesde la nature, et recon-
naissantlo mémo pouvoir dansla formation
do l'hommeet dans cellode la cité, obéissent
avec liberté et portassentdocilementlo joug
de la félicitépublique.
Cetteraison sublime,qui s'élève.nu-dessus
de la portée des hommesvulgaires, est celle
dont le législateur met les décisionsdansla
bouche des immortels,pour entraîner, par
l'autoritédivine,ceux que ne pourraitébran-
ler la prudencehumaine (1). Maisil n'appar-
tient pas à tout hommede faire parler les
dieux, ni d'être cru quand il s'annonce
pour'être leur interprète.La grande ftmedu
législateurest lo vrai miraclequi doit prou-
ver sa mission.Tout hommepeut graver des
tables de pierre, ou ncheter un oracle, ou
feindreun secretcommerceavec quelquedi-

(1)« E veramente, ditMachiavel,


meisnonfaalcuno
ordlnatoredl leggistraordinarle Inun populo,che
nonrhoressoaDio,perchealirimenti nonsarebbero
aecettate;perche sonomollihenlconosclutlda uno
prudenie,etquallnonhannoInse raggtonl évident!
da potergllpersuader© ad altruln{Dlscorsl
sopra
TitoLivto,I. I, c,xi.)
— 63 —
vlnité, ou dresserun oiseaupour lui parlerà
l'oreille,ou trouverd'autresmoyensgrossiers
d'en imposer au peuple. Celuiqui ne saura
que celapourra même assemblerpar hasard
une trouped'insensés,mais il ne fonderaja-
mais un empire,et son extravagant ouvrage
périra bientôt avec lui. Do vains prestiges
formentun lien passager; il n'y a quola sa-
gessequi le rende durable. Lu loi judaïque,
toujours subsistante; celle do l'enfant d'is-
maël, qui depuis dix siècles régit la moitié
du monde,"annoncent encoreaujourd'huiles
grands hommesqui les ont dictées;et tandis
que l'orgueilleusephilosophieou l'aveugloes-
prit de parti no voit en eux que d'heureux
imposteurs,levrai politiqueadmiredans leurs
institutionsco grand et puissant génie qui
présideaux établissementsdurables.
Il no faut pas do tout ceci conclureavec
"Warburtonquo la politiqueet la religionaient
parmi nousun objet commun; mais que, dans
l'originedes nations, l'une sert d'instrument
à l'autre.

VIII.—Dupeuple.

Comme,avant d'élever,un grandarchitecte


observeet sondele sol pour voir s'il en peut
soutenirle poids,lo sage instituteur ne com-
mencepas par rédiger de bonnes lois en
elles-mêmes ; mais il examineauparavant si
le peupleauquelil les destineest propreà les
supporter.C'estpour cela que Platon refusa
de donner des lois aux Arcadienset aux
— 64 —
Cyn'-nlens, sachant que ces deux peuples
étalent richeset ne pouvaient souffrir l'éga-
lité; c'est pour cela qu'on vit en Crète de
bonneslois et de méchants hommes, parce
que Minos n'avait discipliné qu'un peuple
chargé de vices.
Millenationsont brillésur lu terre,qui n'au-
raient jamais pu souffrirde bonneslois; et
cellesmêmequi l'auraient pu n'ont eu dans
toute leur durée qu'un temps fort court pour
cela. Les peuples,ainsi que les hommes,no
sont docilesque dans leur jeunesse; ils de-
viennent1ucorrigibles envieillissant;quandune
foisles coutumessont établieset les préjugés
enracinés,c'est uno entreprise dangereuse et
vainedovouloirlesréformer; lepeupleno peut
pas mêmesouffrir qu'on toucho à ses maux
pour les détruire, semblableà ces, malades
stupideset sans couragequi frémissentà l'as-
pect du médecin.
Ce n'est pas quo, commoquelquesmaladies
bouleversentla tête des hommes,et lourôtent
le souvenirdu passé, il no so trouve quelque-
fols, dans la duréedes États,des époquesvio-
lentes où les révolutionsfont sur les peuples
ce quo certainescrisesfont sur les Individus,
où l'horreurdu passé tient lieu d'oubli, et où
l'Etat, embrasépar les guerres civiles,renaît,
pour ainsi dire, do sa cendre, et reprend la
vigueurdo la jeunesseen sortant des bras do
la mort : tello fut Sparte au temps de Ly-
curgue, tello fut Homoaprès les Tarqulns. et
tellesont été, parminous, la Hollandeet la
Suisse,aprèsl'expulsiondes tyratis.
Maiscesévénementssont rares; co sont des
— 65 —
exceptionsdont la raisonso trouvetoujours
dans la constitutionparticulièrede l'Etat ex-
cepté. Elles no sauraient mémo avoir lieu
deuxfois pour le mêmepeuple;car il peut se
rendrelibre tant qu'il n'est que barbare,mais
il nole peut quequandlo ressortcivilest usé.
Alorsles troubles peuvent le détruire sans
quo les révolutionspuissent le rétablir; et
sitôf que ses fers sont brisés, il tombe épars
et n'existe plus; il lui faut désormais un
maîtreet non pas un libérateur. Peuplesli-
bres, souvenez-vousde cette maxime : On
peut acquérir la liberté, mats on ne la re-
couvrejamais.
Il est pour les nattons, commepour les
hommes,un temps do maturité qu'il faut at-
tendreavantde lo soumettreà dus lois; mais
la maturité d'un peuple n'est pis toujours
facileà connaître,et si on la prévient,l'ou-
vrage est manqué.Tel peuple est disciplina-
nteen naissant; tel autre ne l'est pas au bout
de dix slccles. Les Russes ne seront jamais
vraiment policés,parce qu'ils l'ont été trop
tôt. Pierre avait le gén'o imttttif, il n'avait
pas le vrai génie,celui qui créeet fait tout
de rien. Quelques-unesdes*choses qu'il fit
étaientbien, la plupartétalent déplacées.Il a
vu quo son peupleétait barbare, il n'a point
vu qu'il n'était pas mûr pour la police;il l'a
vouluciviliserquand il no fallaitque l'aguer-
rir. 11a d'abord voulu faire des Allemands,
des Anglais,quand 11fillnlt commencerpar
faire des Russes; il n empêchéses ailets de
Jamais devenir co qu'ils pourraientêtre, en
leur persuadant qvnis étalent co qu'ils ne
BUCO-IÎIUT
SOCIAt. 3
- 66 -
sont pas. C'estainsi qu'un précepteurfran-
çais formeson é.evepour brillerun moment
dans son enfance,et puis n'être jathaisrien.
L'empiredeRussievoudrasubjuguerl'Europe,
et sera subjuguélui-même.LesTartares,ses
sujetsou ses voisins,deviendrontses maîtres
et lesnôtres:cetterévolution
meparaîtinfailli-
ble. Tous les rois de l'Europetravaillentde
concertà l'accélérer.

IX.—
SUIIQ
duchapitre
précédent.
Commela nature a donnédes termesà la
statured'unhommebienconformé,passéles-
quels ellene fait plusque des géants ou de3
nains,11y a de même,euégardà la meilleure
constitutiond'un Etat, des bornesà l'étendue
qu'ilpeutavoir,afinqu'ilne soitni tropgrand
pourpouvoirêtre bien gouverné,ni trop pe-
tit pour pouvoirso maintenirpar lui-même.
Il y a danstout corpspolitiqueun maximum
de'forcequ'ilne sauraitpasser,et duquelsou-
vent il s'éloigneà forcedo grandir. Plusle
liensocials'étend,plus il so rehlcho,et, en
général,un petit Etatest proportionnellement
plus fort qu'ungrand.
Milleraisons démontrentcetto maxlmo.
Premièrement,l'administrationdevientplus
pénlblodans lesgrandesdistances,commeun
poidsdevient plus lourd au bout d'un plus
grand levier.Elledevientainsi plusonéreuse
à mesureque les degrésso multiplient ; car
chaquevillea d'abordla slennoquo lo peuple
- V-
paye,chaquedistrictla sienne,encorepayée
par le peuple; ensuite chaquoprovince,puis
les grandsgouvernements,les satrapies,les
vice-royautés,qu'il faut toujours payerplus
cherà mesurequ'onmonte, et toujoursaux
dépensdu malheureuxpeuple; enfin, vient
l'administrationsuprême, qui écrase tout '.
tant de surchargesépuisant continuellement
les sujets, loin d'être mieux gouvernéspar
cesdifférentsordres, ils le sont moinsbien
quo s'il n'y en avait qu'un seul au-dessus
d'eux. Cependant,à peinereste-t-ildes res-
sourcespourlescas extraordinaires,et quand
il y fautrecourir,l'Etat est toujoursà la veille
de sa ruine.
Cen'est pas tout : non-seulementlo gou-
vernementa moinsde vigueuret de célérité
pour faire observerles lois, empêcherles
vexations,corrigerles abus,prévenirles en-
treprisesséditieusesqui peuventso fairedans
des lieux éloignés;maislo peuple a moins
d'affectionpourses chefs,qu'ilnevoitjamais,
pour la patriequi est a ses yeux commele
monde,et poursesconcitoyens dontla plupart
lui sontétrangers.Lesmêmeslotsno peuvent
convenirà tant de provincesdiverses,qui ont
des moeursdifférentes,qui viventsous des
climatsopposés,et qui ne peuventsouffrirla
mêmeformede gouvernement.Desloisdiffé-
rentes n'engendrentque troubleet confusion
parmides peuplesqui,vivantsousles mêmes
chefset dansunecommunication continuelle,
passentouse marientlesuns chezles autres,
et soumisà d'autrescoutumes,ne saventJa-
mais si leur patrimoineest bienà eux. Les
— 68 —
talentssont enfouis,les vertus Ignorées,les
vicesImpunis,dans cetto multitude d'hom-
mes inconnusles unsaux autres,que lesiège
del'administrationsuprême rassembledans
un mémolieu.Leschefs, accablésd'affaires,
ne volentrien par eux-mêmes; des commis
gouvernentl'Etat. Enfin, leo mesures qu'il
faut prendrepour maintenir l'autoritégéné-
rale, à laquelletant d'officierséloignésveu-
lent se soustraireou en imposer,absorbent
touslessoins publics;il n'enreste plus pour
lo bonheurdu peuple; à peine en reste-t-il
pour sa défenseau besoin; et c'est ainsi
qu'uncorps,trop grand poursa constitution,
s'affaisseet périt écrasé sous son propre
poids.
D'unautre côté, l'Etat doit so donnerune
certaine basepouravoir de la solidité,pour
résisteraux secoussesqu'il no manquerapas
d'éprouver,et aux effortsqu'ilsera contraint
de faire pour se soutenir;car tous les peu-
ples ont uno espècede forcecentrifuge,par
laquelleIls agissentcontinuellement les uns
contreles autres, et tendentà s'agrandiraux
dépensde leurs voisins,commeles tourbil-
lonsde Descartes.Ainsiles faiblesrisquent
d'être bientôtengloutis,et nul no peutguère
se conserverqu'euse mettantavectous dans
uno espèced'équilibrequi rende la compres-
sion partoutà peu prèségale.
On voltpar là qu'ily a des raisonsdo s'é-
tendreet des raisonsde so resserrer; et co
n'est pas lo moindretalent du politique,do
trouver,entreles uneset les autres, la pro-
portionla plusavantageuseà la conservation
do l'Etat. Onpeut direen généralquelespre-
mières, n'étant qu'extérieureset relatives,
doiventêtre subordonnéesaux autres, qui
sontinterneset absolues; uno saineet forte
constitutionest la premièrechose qu'ilfaut
rechercher,et l'on doit plus comptersur la
vigueur qui naît d'un bon gouvernement,
que sur les ressourcesque fournit un grand
territoire.
Au reste,on a vu des Etatstellementcons-
titués,que.lanécessitédes conquêtesentrait
dans leurconstitutionmême,et que, pourse
maintenir,ilsétalentforcésde s'agrandirsans
cesso.Peut-êtrese félicitaient-ils
beaucoup do
cetto heureusenécessité,qui leur montrait
pourtant, avec le terme de leur grandeur,
l'inévitablemomentde leurchute.

X.- suite.
Onpeutmesurerun corpspolitiquededeux
manières: savoir,par l'étenduedu territoire,
et par le nombredu peuple,et il y a, entre
l'uneet l'autredo ces mesures, un rapport
convenable pourdonner à l'Etat sa véritable
grandeur.Cesont leshommesqui fontl'Etat,
et c'eat le terrain qui nourritles hommes;
co rapportestdoncquo la terre suffiseàl'en-
tretiende ses habitants, et qu'ily ait autant
d'habitantsquela terreen peutnourrir.C'est
danscettepropositionquoso trouvele tnnxl-
mumdo forcod'un nombredonnédo peuple,-
cars'il y a du terrain do trop, la gardeest
onéreuse,la culture insuffisante,le produit
-Ttr^
superflu;c'estla causeprochainedes guerres
défensives;s'il n'y en a pas assez, l'Etat se
trouve,pourle supplément, à la discrétionde
ses voisins;c'estla causeprochaine desguer-
res offensives.Toutpeuplequi n'a, par sa po-
sition,quol'alternativeentre le commerceou
la guerre, estfaibleen lui-même;il dépend
doses voisins,il dépenddesévénements ; il
n'a Jamais qu'une existenceincertaineet
courte;il subjugueet changede situation,ou
il est subjuguéet n'estrien.Il no peutsecon-
server libre qu'à forcede petitesseou de
grandeur.
On no p^ut donneren calculun rapport
fixe entre l'étenduedo terre et le nombre
d'hommesquisosuffisentl'un à l'autre, tant
à causedesdifférencesqui so trouventdans
les qualitésdu terrain,danssesdegrésdefer-
tilité, dansla naturede ses productions, dans
l'influencedesclimats,que decellesqu'onre-
marquedans les tempéramentsdes hommes
qui les habitent, dont les uns consomment
peudansun paysfertile,lesautresbeaucoup
sur.unsolingrat.11fautencoreavoirégarda
la plusgrandeou moindrefécondité desfem-
mes,h ce que le pays peut avoirde plus ou
moinsfavorablea la population,à la quantité
dontle législateurpeutespérerd'y concourir
par ses établissements,dosortoqu'ilno doit
pas fonderson jugement sur ce qu'il voit,
maissur.ce qu'ilprévoit,ni s'arrêterautantà
l'étatactueldola populationqu'àceluioùelle
doitnaturellement parvenir.Enfin,il y a mille
occasionsoù lesaccidentsparticuliersdu lieu
exigentoupermettentqu'onembrasseplusdo
— 71 —
terrain qu'il no paraît nécessaire. Ainsi,l'on
s'étendrabeaucoupdans un pays de monta-
gnes, où les productionsnaturelles,savoirles
bois,les pâtura1.!es, demandentmoinsde tra-
vatr,où l'expérienceapprendque les femmes
sont plus fécondesque dans les plaines,et où
un grand sol Incliné ne donne qu'une petite
base horizontale,la seulequ'il faut compter
pour la végétation. Au contraire, on peut se
resserrerau bord de la mer, même dans des
rocherset des'subies presque stériles, parce
quo la pêchey peut suppléeren grande par-
tie aux productionsde la terre, que les hom-
mes doivent être plus rassembléspour re-
pousserles pirates, et qu'on a d'ailleursplus
de facilitépour délivrerle pays, pnr les colo-
nies, des habitants dont il est surchaigé.
A ces conditions,pour instituer un peuplo,
11en faut ajouter une qui no peut suppléerà
nulle autre,maissans laquelleellessonttoutes
inutiles s c'est qu'onjouissede l'abondanceet
de la paix ; car lo temps oùs'ordonnoun Etat
est commo celui où se forme un bataillon,
l'Instant où lo corps est le moins capabledo
résistanceet le plus facileà détruire. On ré-
sisterait mieux dans un désordre absoluquo
dans un moment do fermentation,où chacun
s'occupede son rang et non du péril. Qu'une
guerre, une famine, uno sédition survlenno
en ce temps de crise,l'Etat est Infailliblement
renversé.
Con'est pas qu'il n'y ait beaucoupdo gou-
vernementsétablis durant ces orages, mais
alorsco sont,ces gouvernementsmêmes qui
détruisent l'Etat. Les usurpateurs amènent
— 72 -
ou choisissenttoujourscestempsde troubles
pourfairepasser,à la faveurde l'effroipublic,
des lois destructivesque le peuplen'adopte-
rait jamaisde sang-froid.Lechoixdumoment
de l'institutionest un duscaractèresles plus
sûrs p»rlesquelson peut distinguer l'oeuvre
du législateurd'aveccelledu tyran.
Quel peupleest doncpropre à la législa-
tion! Celuiqui, se trouvantdéjàlié parquel-
que uniond'origine,d'intérêtou do conven-
tion,n'a point encoreporté le vraijour des
lois;celuiqui n'a ni coutumesni superstitions
bienenracinées;celuiqui ne craintpas d'être
accablépar uno invasionsubito; qui, sans
entrerdans les querellesde ses voisins,peut
résisterseulà chacund'euxous'aiderdo l'un
pour repousser l'autre; celui dont chaque
membrepeut être connu de tous, et oùl'on
n'est pointforcédo charger un hommed'un
grand fardeauqu'un hommeno peut porter;
celuiqui p.:ut so p isser des autres peuples,
et dont tout autre peuplene peut se pas-
ser (i); celukpit n'est ni riche ni pauvreet
peut se suffireù lui-même:enfin,celuiqui
(0 Sidodeux peuples l'un ne pouvaitso
voisins,
do l'autre,coseraitunosituationtrèsduro
passer
lopremier et trèsdangereuse le second.
pour pour
Toutenationsage,enpareilcas,s'efforcerabienvlto
dedéli.rerl'aulrodoceltedépendance.Larépublique
do Thlascala,enclavée dansl'empiredu Mexique,
aimamieuxso passerdosel qued'enacheterdes
Mexicains,et mémod'enaccepter gratuitement.Los
sages Thlascatan* virentlo dégocaclmsousccUo
Il*seconservèrent
Mitraille. et copetitEtat,
libres,
enferme danscegrandEmpire, futenfinl'instrument
doia ruine.
— 73 —
réunit la consistanced'un ancienpeuple avec
la docilitéd'un peuple nouveau.Ce qui rend
péniblel'ouvragede la législationest moins
ce qu'il faut établirque ce qu'il faut d.itruire,
et co qui rendle succèssi rare, c'est l'impos-
sibilitéde trouver la simplicitéde la nature
jointe aux besoinsde la société. Toutes ces
conditions,il est vrai, se trouvent difficile-
ment rassemblées: aussi voit-on peu d'États
bien constitués.
Il est encoreen Europeun pays capabledo
législation: c'estl'île de Corse.La valeur et
la constanceaveclaquellece brave peuplea
su recouvrer et défendresa liberté mérite-
raientbienque quelquehommesage luiapprît
à la conserver.J'ai quelque pressentiment
qu'unJour cotte petite île étonnera l'Europe.
XI.—Dos dolégislation.
diverssystèmes
SI l'on cherche en quoi consiste précisé-
ment lo plus grand biendo toué,qui doit être
la fin de tout systèmedo législation,on trou-
vera qu'il se réduitù ces deux objets princi-
paux, la libertéet Yégalité.La liberté, parce
quo toute Indépendanceparticulièreest au-
tant do forceôtéo au corps de l'État : l'éga-
lité, parce que la liberté no peut Bubslster
sans elle.
J'ai déjà dit ce que c'est quo la liberté ci-
vilesà l'égard do l'égalité,11no faut pas en-
tendre, par co mot, quo les degrésde puis-
sance et do richesse soient absolumentles
mêmes; mais que, quant à la puissance,elle
— 74 —
soitau-dessous dotouteviolence,et nes'exerce
jamaisqu'envertu du rang et des lois, et,
quant à la richesse,que nul citoyenne soit
assez opulentpour en pouvoir acheter un
autre, et nulassezpauvrepourêtrecontraint
de se vendre(1): ce qui supposedu côtédes
grands, modérationde bienset de crédit;et
du côtédes petits,modérationd'avariceet de
convoitise.
Cetteégalité,disent-ils,est unechimèrede
spéculationqui no peut existerdansla pra-
tique; maissi l'abusest iuévitable,s'ensuit-il
qu'ilno faille pas au moinsle régler? C'est
précisémentparce quo lu forcedes choses
tend toujoursà détruirel'égalité,que la force
dola législationdoittoujourstendreà la main-
tenir.
Maisces obletsgénérauxdo toute bonne
institution doiventêtre modifiésen chaque
payspar les rapportsqui naissenttant dola
situationlocalequo du caractèredeshabi-
tants; et c'est sur ces rapportsqu'il fautas-
signer à chaquepeupleun systèmeparticu-
lier d'institution,qui soit le meilleur,non
peut-êtreen lui-même,mais pour l'Étatau-
quel il est destiné.Par exemple,losolest-il
ingrat et stérile,ou le pays trop serré pour
les habitants?toijrnez-vous du coté do l'in-
(t)Voulez-vous doncdonnerà l'Étatdola consis-
tance?Hnpproehp« lesdegrésextrêmes autantqu'ilest
possible; nidesgens
nesouffrez opulents nidesgueux.
Cesdeuxétals,naturellement inséparables, sontégae-
mentfunestes au biencommun : de l'unsortentles
fauteurs dola tyrannie,etdol'autrelestyrans;cest
toujours entreeuxquesofaitletraficdolaliberté pu*
bllque etl'autrela vend.
; l'unl'achète
— 7B -
dustrie et des arts, dont vous échangerezles
productionscontreles denréesqui vous man-
quent. Au contraire, occupez-vousde riches
plaineset des coteaux fertiles? Dans un bon
terrain, manquez-vousd'habitants? Donnez
tous vos soinsà l'agriculture,qui multiplieles
hommes, et chassez les arts qui ne feraient
qu'acheverde dépeupler lo pays, en attrou-
pant sur quelquespoints du territoire le peu
d'habitants qu'il a (t). Occupez-vous des riva-'
ges étenduset commodes;couvrezla merde
vaisseaux, cultivez lo commerceet la navi-
gation; vousaurezune existence brillante et
courte. La mer ne bilgne-t-ellepur vos côtes
que des rochers presque Inaccessibles?res-
tez barbareset ichthyophages,vousPUvivrez
plus tranquilles,meilleurspeut-être, et sûre-
ment plus heureux. En un mot, outre les
maximes communes à tous, chaque peuple
renfermeen lut quelquecausaqui les ordonne
d'une manière particulière, et rend sa légis-
lation propre à lui seul. C'est ainsi qu'autre-
fois les Hébreux, et récemment les Arabes,
ont eu pour principal objet, la religion; les
Athéniens, les lettres; Cnrthago et Tyr, le
commerce; Rhodes, la marine; Sparte, la
guerre, et Rome, la vertu. L'auteur do l'fc'<-
prlt da Loiia montré,dansdesfoulesd'exem-
ples, par quel art le législateurdirige l'insti-
tution vers chacundo ces objets.
(1) Quelquobran.'hodorommcrco e xtérieur,dit
M.d'A,..,norépandguèrequ'unofausseutilitépour
un royaumeengénéral:elle peutenrichirquelques
mémoquelques
particuliers, villes;maisla nationen-
tièren'ygagnerien,et le peuplo
n'enestpasmieux.
— 76 —
Ce qui rend la constitutiond'unEtat véri-
tablementsolideet durable, c'est quand les
convenances sont tellementobservéesque les
rapportsnaturelset les loistombenttoujours
deconcertsur les mêmespoints,et quecelles-
ci ne font, pourainsi dire,qu'assurer,accom-
pagner,rectifierles autres. Maissi le légis-
lateur,so trompantdans son objet, prendun
différentde celui qui naît de la na-
frinclpe
uredes choses,quMl'un tendeà la,servitudo
et l'autreà la liberté;l'un aux richesses,l'au-
tre à la population ; l'un à la paix,l'autre aux
conquêtes,onverralesloiss'affaiblirInsensi-
blement,la constitutions'altérer,et l'Etat no
cesserad'être agité Jusqu'àce qu'il soit dé-
truit ou changé,et que l'invinciblenature ait
reprisson empire.
XII.—Division
deslois.
Pourordonnerle tout, on donnerla meil-
leureformepossibleà la chosepublique,il y
a diverses relatlçus à considérer.Première-
ment. l'actiondu corps entier agissantsur
lut-mdmo,c'est-à-direlo rapportdu tout au
tout, ou du souverainà l'Etat; et ce rapport
est composédocoîùldes termes intermédiai-
res, commonouslo verronsct-aprôs.
Les lois qui règlent co rapportportentle
nomde loispolitiques,et s'appellentaussilots
fondamentales,nonsans quelqueraison, si
cesloissont sages; cars'il n'y a dans chaque
Etat qu'unebonne manièredo l'ordonner,lo
peuplequi l'a trouvéedoit s'y tenir 5niaissi
- 77 -
l'ordre établiest mauvais,pourquoipren-
drait-onpourfondamentales desloisquil'em-
pêchentd'être bon? D'ailleurs,en tout état
de cause,un peupleest toujoursle maîtredo
changerses lois, mêmeles meilleures ; car
s'illut plaîtde se fairemal à lui-même,qui
est-cequia le droitdol'enempêcher ?
La seconderelationest celledes membres
entreeuxou avecle corpsentier,et ce rap-
port doit être au premierégard aussipetit,
et au secondaussi grand qu'il est possible;
en sortequechaquecitoyensoitdansunepar-
faiteindépendance de tous les autres,et dans
unoexcessivedépendancede la cite, co qui
se faittoujourspar lesmêmesmoyens;car il
n'y a quola forcede l'Etatqui 'assola liberté
de sesmembres.C'estdecedouxièmo rapport
que naissentlesloisciviles.
Onpeut considérerune troisièmesorte de
relationentrel'hommeet la loi,savoir,celle
de ladésobéissance à lapeine^etcelle-cidonne
Heuà l'établissement deslotscriminelles, qui,
dans le fond,sont moinsune espèceparti-
culièrede lois, que la sanctionde toutes les
autres.
A ces trois sortes de lois, 11s'en Joint
unoquatrième,la plusImportantedo toutes,
qui noso graveni sur le marbre,ni sur l'ai-
rain, mais danslescoeursdescitoyens; qui
fait la véritableconstitutionde l'Etat; qui
prendtousles Joursdonouvellesforces; qui,
lorsqueles autres lois vieillissentou s'étei-
gnent,les ranimeoulessupplée,conserveun
peupledans l'esprit de son institution,et
substitueInsensiblement la forcedo l'habl-
— 78 —
tude à celledel'autorité.Je parledes moeurs,
descoutumeset surtout de l'opinion,partie
inconnueà nospolitiques,maisde laquelledé-
pend le succèsde toutes les autres; partie
dontle grandlégislateurs'occupeen secret,
tandis qu'ilparaîtse bornerà des règlements
particuliers,qui ne sont que le cintredola
voûte,dontles moeurs,pluslentesà naître,
ormentenfinl'Inébranlableclef.
Entrecesdiversesclasses,lesloispolitiques
qui constituentla forme du gouvernement
sont les seulesrelativesà monsujet.
— 79 —

LIVREIII

Avantde parlerdesdiversesformesde gou-


vernement,tâchonsde fixerle sens précisde
ce mot, qui n'a pas encoreété fort bien ex-
pliqué.
I. —Dugouvernement
engénéral.
J'avertisle lecteurque ce chapitredoitêtre
lu posément,et queje nesais pas l'art d'être
clairpourqui ne veut pas être attentif.
Toute action librea deux causesqui con-
courent à la produire: l'une morale, savoir
la volontéqui déterminel'acte; l'autre phy-
sique,savoirla puissancequil'exécute.Quand
je marcheversun objet,Il faut premièrement
queJ'y veuillealler; en secondHeu,que mes
piedsm'y portent. Qu'unparalytiqueveuille
courir,qu'un hommeagilenole veuillepas,
tousdeux resteronten place.Le corpspoli-
tique a les mêmesmobiles: on y distingue
de mêmela forceet la volonté,celle-cisoua
le nomde puissancelégislative, l'autresousle
nomde puissanceexecutive.Rienne s'y fait
ou ne s'y doit fairesansleur concours.
Nousavonsvu que la puissancelégislative
appartientau peupleet ne peut appartenir
qu'àlui. Il est aisé de voir,au contraire,par
les principes ci-devantétablis,que la puis-
sanceexecutivene peut appartenirà la gêné-
— 80 —
ralitôcommelégislatriceou souveraine,parce
que cette puissancene consistequ'endesac-
tes particuliersquinesont pointdu ressortde
la loi, et par conséquentde celui du souve-
rain, donttous les actes ne peuventêtre que"
deslois.
Il faut donc à la forcepubliqueun agent
proprequi la réunisseet la metteen oeuvre
selonles directionsde la volontégénérale,
qui serveà la communication de l'Etat et du
souverain,qui fasseen quelquefaçon,dansla
personnepublique,ce quo fait dans l'homme
l'unionde l'Ameet du corps. Voilàquelleest
dansl'Etat la raison du gouvernement,con-
fondumal à proposavec le souverain,dont
il n'est quo le ministre.
Qu'est-cedonc que lo gouvernement?Un
corps Intermédiaireétablientre les sujets et
le souverainpour leur mvtunllocorrespon-
dance,chargé do l'exécutiondes lois et du
maintiendo la liberté,tant clvllo que poli-
tique.
Les membresdoco corps s'appellentma-
gistratsou rois, c'est-à-dire gouverneurs,et
lo corps entier porte lo nom de prince (l).
Ainsiceuxqui prétendentque l'acto par le-
quel un peuplese soumet à deschefsn'est
pointun contrat,ont granderaison.Ce n'est
absolumentqu'uno;commission,un emploi
dans lequel,simplesofficiersdu souverain,
Ils exercenten son nomle pouvoirdont 11
les a faits dépositaires,et qu'il peut limiter,
(t)C'estainsiqu'àVeniseon donnean collègelo
nomdoSérénlsslme Prince,mémoquandloDogo n'y
assistepas.
— 81 —
modifieret reprendrequandil lui plaît : l'a-
liénation d'un tel droit étant Incompatible
avec la nature du corps social, et contraire
au but de l'association.
J'appelledonc gouvernement, ou suprême
administration, l'exercicelégitimede la puis-
sance executive;et prince ou magistrat,
l'hommeou le corpschargé de cette admi-
nistration.
C'estdans le gouvernement quesetrouvent
les forcesintermédiairesdont les rapports
composent celuidu tout au tout, ou du sou-
verainà l'Etat. On peut représenterce der-
nierrapportpar celuides extrêmesd'unepro-
portioncontinue,dont la moyennepropor-
tionnelleest le gouvernement.Le gouverne
ment reçoitdu souverainlesordresqu'ildonne
au peuple,et pourque l'Etatsoitdansun bon
équilibre,11faut, tout compensé,qu'ily ait
égalitéentre le produitou la puissancedu
gouvernement pris en lui-même,et lo produit
oula puissancedes citoyens,qui sontsouve-
rainsd'uncôtéet sujetsdol'autre.
Doplus,onnesauraitaltéreraucundestrois
termes,sans rompreà l'instantla proportion.
Si losouverainveut gouverner,ou si loma-
gistrat veutdonnerdes lois, ou si les sujets
refusentd'obéir,ledésordresuccèdeà la règle,
la forceet la volontén'agissentplus de con-
cert, et l'Etat dissous,tombeainsidansledes-
potismeou dans l'anarchie.Enfin,commoil
n'y a qu'unemoyennoproportionnelle entre
chaquerapport,il n'y a non plus qu'unbon
gouvernementpossibledans un Etat. Mais,
commemilloévénementspeuventchangerles
— 82 -
rapportsd'unpeuple,non-seulement différents
gouvernementspeuvent être bons à divers
peuples,mais au mêmepeuple en différents
temps.
Pourtacherde donneruno idée desdivers
rapportsqui peuvent régner entre ces deux
extrêmes,je prendraipourexemplele nombre
du peuple,commeun rapport plus facile à
exprimer.
Supposonsque l'Etat soit composéde dix
millecitoyens.Le souverainne peutêtre con-
sidéré que collectivement.eten corps; mats
chaque particulier,en qualité do sujet, est
considérécommoIndividu;ainsi, lo souverain
est au sujet commedix milleest à un, c'est-
à-direque chaquemembrede l'État n'a pour
sa part que la dix-millième partlo.dol'autorité*
souveraine,quoiqu'illui soit soumis tout en-
tier. Quelo peuplasoit composéde cent mille
hommes,l'état des sujets ne changepas. et
chacunporteégalementtout l'empiredes lois,
tandis que son suffrage,réduità un cent-mil-
lième,a dix fols moins d'influencedans leur
rédaction.Alors,lo sujet restant toujoursun,
le rapportdu souverainaugmente en raison
du nombredes citoyens; d'où 11suit que plus
l'Etat s'agrandit,plusla liberté diminue.
Quandje dis quelo rapportaugmente,J'en-
tends qu'ils'élolgnode l'égalité.Ainsi,plusle
rapportest granddansl'acceptiondes géomè-
tres, moins11y a de rapportdans l'acception
commune;dans la première,le rapport,con-
sidéréselon la quantité, se mesurepar l'ex-
posant,et dans l'autre,considéréselonl'iden-
tité, 11s'esttmopar lasimilitude.
— 83 —.
Or, moinsles volontésparticulièresse rap-
portentà la volontégénérale,c'est-à-direles
moeursaux lois,plus la forceréprimantedoit
augmenter.Doncle gouvernement,pourêtre
bon,doit être relativementplusfort à mesure
que le peupleest plus nombreux.
D'unautre côté, l'agrandissementdel'Etat
donnantaux dépositairesde l'autoritépubli-
que plus do tentationset de moyensd'abuser
de leur pouvoir,plus le gouvernementdoit
avoir de force'pour contenirle peuple,plus le
souveraindoitenavoirà sontour pourconte-
nir le gouvernement.Je ne parlepas icid'une
forceabsolue,mats do la forcerelativedes
diversespartiesde l'Etat.
Il suit de ce doublerapport, que la propor-
tion continueentrelo souverain,le princeet
le peuple,n'est pointuneidéearbitraire,mais
uno conséquencenécessairede la nature du
corpspolitique.11suit encoreque l'undes ex-
trêmes, savoirlo peuplecommesujet, étant
fixe et représentépar l'unité, toutos lesfols
que la raisondoubléoaugmenteou diminue,
la raison simple augmenteou diminuesem-
blableinent.et quo par conséquentle moyen
termoest cliangé: ce qui fait voir qu'iln'y a
pas uno constitutiondegouvernementunique
et absolue,mais qu'ilpeut y avoirautant do
gouvernements différentsen nature, que d'É-
tats différentsen grandeur.
Si, tournantco systèmeen ridicule,on di-
sait que pour trouvercetto moyennepropor-
tionnelleet formerle corpsdu gouvernement,
il ne faut,selonmol,quetirer la racinecarrée
du nombredu peuple,jo répondraisquoje no
— 81 —
prendsicico nombreque pourun exemple;
queles rapportsdontjo parlene se mesurent
pas seulementpar lo nombredes hommes,
maisen généralpar la quantitéd'action,la-
quellese combinepar des multitudesdecau-
ses; qu'aureste,si pourm'exprtmerenmoins
do paroles,j'emprunteun momentdes termes
do géométrie,Jo n'Ignorepascependantque
la précisiongéométriquen'a pointHeudans
les quantitésmorales.
Legouvernement est enpetitce quele corps
politiquequi le renfermeest en grand.C'est
une personnemoralodouéedecertainesfacul-
tés,activecommelosouverain,passivecommo
l'Etat, et qu'on peut décomposer en d'autres
rapportssemblables ; d'où naît, par consé-
quent,unenouvelle proportion,uneautreen-
coredanscelle-ci, selonl'ordredés tribunaux,
jusqu'àcoqu'onarriveà un moyentermein-
divisible,c'est-à-diroà un seulchefou ma-
gistrat suprême,qu'onpeut so représenter,
au milieudocettoprogression, commel'unité
entrela sériedes fractionset cellodesnom-
bres.
Sansnousembarrasserdanscettomultipli-
cationdo termes, contentons-nous de consi-
dérer le gouvernementcommeun nouveau
corpsdansl'Etat.distinctdu peupleet dusou-
verain,etIntermédiaire entrel'unet l'autre.
Il y a cette différenceessentielleentreces
deuxcorps,que l'Etat existe parlui-même,
et quo le gouvernementn'existeque parlo
souverain.Ainsi, la volontédominantedu
princen'estoune doit êtrequola volontégé-
néraloou la loi; sa forcen'est quela force
— 85 —
publiqueconcentréeen lui; sitôt qu'il veut
tirer de lui-mêmequelqueacte absolu et in-
dépendant,la liaisondu tout commenceà se
relâcher.S'il arrivait enfin que lo princeeût
une volontéparticulièreplus activeque celle
du souverain,et qu'il usât, pour faire obéir à
cette volontéparticulière,dela forcepublique
qui est dans ses mains, en sorte qu'on eut,
pour ainsi dire, deuxsouverains,l'un de droit
et l'autre de fort,à l'Instantl'unionsociales'é-
vanouirait,et lo corpspolitiqueseraitdissous".
Cependant,pourque le corpsdu gouverne-
mentait une existence,une vie réellequi lo
distinguedu corps do l'Etat, pour quo tous
ses membrespuissentagir de concert et ré-
pondreà la fin pour laquelle11est Institué, il
lui faut un moi particulier, une sensibilité
communeà ses membres,uno force, unovo-
lontéproprequi tendent à sa conservation.
Cetteexistence particulièresupposedes as-
semblées,des conseils,un pouvoirdo délibé-
rer, do résoudre, des droits, des titres, des
privilègesqui appartiennentau prince exclu-
sivement,et qui rendentla conditiondu ma-
gistrat plus honorableà proportionqu'elleest
plus pénible. Lesdifficultéssont dans la ma-
nièred'ordonner,dans le tout, cotout subal-
terne,dosorte qu'il n'altère point la constitu-
tion généraleen affermissantla sienne; qu'il
distinguotoujours sa forcoparticulièredes-
tinéeà sa propreconservation,do là forcepu-
bliquedestinéeà la conservationdo l'Etat; et
qu'enun mot il soit toujoursprêt à sacrifier
le gouvernementau peuple, et nonle peuplo
au gouvernement.
— 86 —
D'ailleurs, bien que le corps artificieldu
gouvernementsoit l'ouvraged'unautre corps
artificiel, et qu'il n'ait en quelque sorte
qu'unevie empruntéeet subordonnée,cela
n'empêchepas qu'il ne puissetigir avecplus
ou moinsde vigueur ou de célérité; jouir,
pourainsi dire,d'unesanté plusoumoinsro-
buste; enfin, sans s'éloigerdirectementdu
but de son institution, il peut s'en écarter
plusou moins, selon la manièredont il est
constitué.
C'estde toutesces différencesque naissent
les rapportsdiversque le gouvernementdoit
avoir avec lo corps de l'Etat, selonles rap-
portsaccidentelset particulierspar lesquels
ce mêmeEtat est modifié;car, souventle
gouvernementlo meilleuren sot deviendrale
plus vicieux,si ses rapportsse sont altérés
selonlesdéfautsdu corpspolitiqueauquel 11
appartient.
II.—Duprincipe
quiconstitue
tesdiverses
formes
du
gouvernement.
Pourexposerla cause généralode ces dif-
férences,il fautdistinguerici le prince et le
gouvernement, conimej'ai distinguéci-devant
l'Etat et le souverain.
Le corpsdu magistrat peut être composé
d'un plusgrand ou moindrenombredo mem-
bres.Nousavonsdit que le rapport du sou-
verainaux sujets était d'autant plus grand
que le peupleétait plus nombreux,et fpar
une évidenteanalogie,nous en pouvonsdire
— 87 —
autant du gouvernementà l'égard des ma-
gistrats.
Or, la forcetotale du gouvernementétant
toujourscellede l'Etat, ne varie point; d'où
il suit queplus il use de cette force sur ses
_propres membres, m oinsil lui en reste pour
'agir surtout le peuple.
Donc,plus les magistratssont nombreux,
plus le gouvernementest faible.Commecette
maximeest fondamentale, appliquons-nousà
la mieuxéclalrcir.
Nouspouvonsdistinguerdans la personne
du magistrat trots volontésessentiellement
différentes.Premièrement,la volontépropre
de l'individu,qui ne tendqu'à son avantage
particulier; secondement, la volonté com-
mune des magistrats,qui se rapporteunique-
ment à l'avantagedu prince, et qu'on peut
appelervolontéde corps,laquelleest généralo
par rapport au gouvernement,et particu-
lièrepar rapport à l'Etat, dontle gouverne-
ment fait partie; en troisième lieu, la vo-
lonté du peuple ou la volonté souveraine,
laquelleest générale, tant par rapport à
l'Etat considérécommelo tout, que par rap-
port nu gouvernementconsidérécommepar-
tie du tout.
Dansuno législationparfnlte,lavolontépar-
ticulièreou Individuelle doit être nulle,la vo-
lontédocorpspropreaugouvernementtrèssu-
bordonnée, et,par conséquent, la volontégéné-
raleou souverainetoujours dominanteet la
règle unlquodo toutesles autres.
Selonl'ordrenaturel, au contraire,ces dif-
férentesvolontésdeviennentplus actives à
- 88 —
mesure qu'ellesse concentrent.Ainsi,la
volontégénéraloest toujoursla plusfaible,
la volontéde corpsa le secondrang,et lavo-
lontéparticulière le premierde tous;de sorte
que, dansle gouvernement, chaquomembre
est premièrement sol-même, et puis magis-
trat, et puis citoyen,gradationdirectement
opposée à cellequ'exigel'ordresocial.
Celaposé,que tout lo gouvernement soit
entrelesmainsd'unseulhomme, voilàla vo-
lontéparticulière et la volontéde corpspar-
faitementréunies,et par conséquent celle-ci
nuplus haut degré d'intensité qu'ellepuisse
avoir.Or,commec'estdu degrédolavolonté
quodépendl'usagedela force,et quela forco
absoluedu gouvernement no variepoint,il
s'ensuitquo lo plusactifdesgouvernements
est celuid'unseul.
Au contraire,unissonslo gouvernement à
l'autoritélégislative;faisonsloprincedu sou-
verain,et detous les citoyensautantdoma-
gistrats;alorsla volontédecorps,confondue
avecla volontégénérale,n'aurapasplusd'ac-
tivitéqu'elle,et laisseralavolontéparticulière
dans toutesa force.Ainsi,le gouvernement,
toujoursavec la mêmeforceabsolue,sera,
danssonminimum, de forcorelativeoud'ac-
tivité..
Cesrapportssont incontestables, etd'autres
considérations serventencoreaies confirmer.
On volt,parexemple,quechaquomagistrat
est plus actifdans son corps quo chaquo
citoyendans le sien, et que, par consé-
la volontéparticulière a beaucoup plus
'Influencedans les actes du gouvernement
auent,
— 89 — •
que dansceuxdu souverain;car chaquema-
gistrat est presquetoujourschargéde quel-
que fonctiondu gouvernement,au lieuquo
chaquecitoyen,pris à part, n'a aucunefonc-
tion dela souveraineté. D'ailleurs,plusl'Etat
s'étend,plus sa forceréelleaugmente,quoi-
qu'ellen'augmentepasen raisondo sonéten-
due; maisl'Etat restantle même,les magis-
trats ontbeauso multiplier,le gouvernement
n'en acquiertpasune plusgrandeforceréelle,
parceque cetteforceest cellede l'Etat,dont
la mesureest toujourségale.Ainsi,la forco
relativeou l'activitédu gpuvernementdimi-
nue,sansquosa forcoabsolueouréellepuisse
augmenter.
11est sûrencorequel'expédition desaffaires
devientpluslenteà mesurequo plusde gens
ensont chargés;qu'endonnanttropà lapru-
ilence,on no donnepas assezà la fortune;
qu'onlaisseéchapperl'occasion,et qu'à forco
do délibérer,on perd souventle fruitdela
délibération.
Jo viensde prouverquelegouvernement se
relâcheà mesurequelesmagistratsse multi-
plient, et J'ai prouvé ci-devantqueplusle
peupleest nombreux, plusla forceréprimante
doit augmenter: d'où 11suit que lo rapport
des magistratsau gouvernement doitêtre In-
versedu rapport des sujets au souverain,
c'est-à-dtroque plusl'Etats'agrandit,pluslo
gouvernement doitso resserrer,tellementquo
le nombredes chefsdiminueen raisondo
l'augmentation du peuple.
Au reste,Je ne parleici que de la forcere-
lative du gouvernement, et nondesa rectl-
— 90 -*-
tude 5car, au contraire,plus le magistrat est
nombreux,plu8 la volonté de corpsse rap-
prochede la volonté générale; au lieu que,
sous un magistrat unique, cetto même vo-
lonté de corpsn'est, commeje l'ai dit, qu'une
volontéparticulière.Ainsi,l'on perd d'un côté
ce qu'on peut gagner de l'autre, et l'art du
législateur est do savoirfixerlo point où la'
forceet la volontédu gouvernement,toujours
en proportionréciproque,se combinentdans
le rapport le plus avantageuxà l'Etat.

III.- Division desgouvernements.


On a vu, dans lo chapitreprécédent,pour-
quoi l'on distinguo les diverses espèces ou
formes de gouvernementspar les. nombres
des membres qui les composent; Il reste à
voir dans celui-cicommentse fait cettodivi-
sion.
Le souyerain peut, en premier Heu, com-
mettre le dépôt,du gouvernementà tout le
peupleou à la plus grande partie du peuple,
en sorte qu'ily ait plusde citoyensmagistrats
que de citoyenssimplesparticuliers.Ondonne
à cette forme do gouvernementle nom de
démocratie*
Ou bien,qu'il peut' resserrer le gouverne-
ment entre les maîns d'un petit nombre,
en sorte qu'il y ait plus de simples citoyens
que de magistrats, et cetto forme porte le
nom d'aristocratie.
Enfin,Il peut concentrertout le gouverne-
ment dans les mains d'un magistrat unique,
- 91 —
dont tous les autres tiennent leur pouvoir.
Cette troisièmeforme est la plus commune,
et s'appello monivchic,ou gouvernement
royal.
Ondoit remarquerque toutes ces formes,
ou du moinslesdeux premières,sont suscep-
tibles do plus ou de moins,et ont mêmetme
assezgrandelatitude; car la démocratiepeut
embrassertout le peuple,ou se resserrerJus-
qu'à la moitié.L'aristocratieà son tour peut,
de la moitiédu peuple,so resserrer jusqu'au
pluspetltnombreindéternitnément. Laroyauté
même est, susceptibledo quelque partage.
Sparte eut constammentdeux rois par sa
constitution,et l'on a vu, dans l'Empirero-
main,Jusqu'à huit empereursà la fols, sans
qu'onpût dlro que l'empirefût divisé.Ainsi,
il y a un pointoù chaqueformede gouverne-
ment seconfondavecla suivante,et l'on volt
que, soustrois seulesdénominations,le gou-
vernementest réellementsusceptibled'au-
tant de formesdiverses quo l'Etat a doci-
toyens.
11y n plus ! co même gouvernementpou-
vant, à certainségards,se subdiviseren d'au-
tres parties,l'une administréed'unemanière
et l'autred'une autre, Il peut résulterde ces
troisformescombinéesune multitudedo for-
mes mixtes,dontchacuneest multipllable par
toutesles formessimples.
On a do tout temps beaucoupdisputé sur
la meilleurel'ormedo gouvernement,sans
considérerquochacuned'ellesest la meilleure
encertainscas, et la pire en d'autres.
Si dansles différentsEtats, lo nombredes
— 92 —
magistrats suprêmes doit être en raison In-
verse de celuides citoyens, il s'ensuit qu'en
général le gouvernementdémocratiquecon-
vient aux petits Etats, l'arlstocratlquoaux
médiocres, et le monarchiqueaux grands.
Cetto règle so tire immédiatementdu prin-
cipe; matscommentcompter la multitudede
circonstancesqui peuvent fournir des excep-
tions?
IV.—Deladémocratie.
Celuiqui fait la loisuit mieuxque personne
commentelledoitêtreexécutéeet interprétée.II
sembledonc qu'on no saurait avoirune meil-
leureconstitutionquo celleoù lo pouvoirexé-
cutifestjoint au législatif;maisc'estcelamême
qui rendcegouvernementinsuffisantà certains
égards, parce que les choses qui doiventêtre
distinguéesne lesontpas,et que le princeet lo
souverainn'étant que la même personne,ne
forment,pour ainsi dire, qu'ungouvernement
sans gouvernement.
11n'est pas bon que celui qui fait les lois
les exécute,niquole corpsdu peupledétourne
son attention des vues générales, pour les
donner aux objets particuliers. Rien n'est
plus dangereux que l'influencedes intérêts
privés dans les affairespubliques, et l'abus
des lois par legouvernementest un mal moin-
dre que la corruptiondu législateur,suite in-
faillible des vues particulières.Alors l'Etat
étant altéré dans sa substance,toute réforme
devientimpossible.Un peuplequi n'abuserait
— 93 —
jamal3du gouvernement,n'abuseraitpasnon
plusdo l'indépendance; un peuplequi gouver-
nerait toujoursbien,n'auraitpasbesoind'être
gouverné.
A prendrele terme dans la rigueurdo l'ac-
ception,11n'a jamais existéde véritabledé-
mocratie, et il n'en existera jamais. Il est
contrel'ordre naturel quo lo grand nombre
gouverne,et que lo petit soit gouverné.On
ne peut imaginerquo lo peuploreste inces-
sammentassemblépourvaquer aux affaires
publiques,et l'on voitaisémentqu'il no sau-
rait établirpour cela des commissions,sans
que la formode l'administrationchange.
En effet,je crois pouvoirposer en principe
que, quand les fonctionsdu gouvernement
sont partagéesentre plusieurstribunaux,les
moins nombreuxacquièrent tôt ou tard la
plusgrandeautorité, ne fût-cequ'à causede
la facilité d'expédierles affaires qui les y
amènentnaturellement.
D'ailleurs,que do chosesdifficilesà réunir
ne supposepasce gouvernement?Première-
ment, un Etat très petit où lo peuplesoit
facile à rassembler,et où chaque citoyen
puisseaisémentconnaîtretousles autres; se-
condementune grande simplicitéde moeurs,
qui préviennela multituded'affaireset les
discussionsépineuses;ensuite, beaucoupd'é-
galité dans les rangs et dans les fortunes,
sans quoil'égaliténo saurait subsisterlong-
temps danslesdroits et l'autorité;enfin,peu
ou point de luxe; car, ou le luxe est l'effet
des richesses,ou il les rend nécessaires;il
corromptà la fois le riche et le pauvre,l'un
—"9i —
par la possession,l'autre par la convoitise:11
vendla patrieà la mollesse,à la vanité; il ote
à l'Etattous ses citoyens,pour les asservirle3
uns aux autres, et tous à l'opinion.
Voilàpourquoiun auteur célèbre a donné
la vertu pour principe à la république;car
toutes ces conditionsne sauraient subsister
sans la vertu; mais, faute d'avoirfait les dis-
tinctions nécessaires, ce beau génioa man-
qué souventde justesse, quelquefoisde clarté
et n'a pas vu que l'autoritésouveraineétant
partout la même, lo même principe doit
avoirlieudans tout Etat bien constitué,plus
ou moins,il est vrai, selonla l'ormedu gou-
vernement.
Ajoutonsqu'il n'y a pas de gouvernement
si sujet aux guerres civileset aux agitations
intestines que lo démocratiqueou populaire,
parce qu'il n'y en a aucun qui tende si forte-
ment et si contirmell-ment à changer de
forme,ni qui demandeplus de vigilanceet de
courage pour être maintenu dans la sienne.
C'estsurtout danscette constitutionque le ci-
toyen doit s'armer do forcoet de constance,
et dire chaquejour de sa vie au fondde son
coeurce que disaitun vertueuxpalatin(1)dans
la diète de Pologne: Malopericulosam libcrta-
temquamquielumservilium.
S'il y avait un peupledo dieux, il so gou-
vernerait démocratiquement.Ur>gouverne-
ments! parfait ne convientpasà des hommes.
de Posnanie,
(i)Lepalatin pèredu roide Pologne,
ducdoLorraine.
— 95 —

V.—Del'aristocratie
Nousavonsicideux personnesmoralestrès
distinctes,savoir,le gouvernementet le sou-
verain;et, par conséquent,deux volontésgé-
nérales:l'une,par rapportà touslescitoyens;
l'autre,seulementpour les membresde l'ad-
ministration.Ainsi,bienque le gouvernement
puisse régler sa police intérieurecommoil
lui plaît, il ne rient jamaisparler au peuple
qu'aunomdu souverain,c'est-à-direau nom
du peuplemême,co qu'il ne fautjamais ou-
blier.
Les premièressociétésse gouvernèrent aris-
toeratiquement. Leschefsdesfamillesdélibé-
raient entre eux des affairespubliques.Les
jeunesgenscédaientsans peineà l'autoritéde
l'expérience. De là les nomsde prêtres,ù'an-
ciens,de'sénat, de géronies.Les sauvagesde
l'Amériqueseptentrionalese gouvernenten-
coreainsidonosjours,et sont très biengou-
vernés.
Maisà mesureque l'inégalitéd'institution
l'emportasur l'inégaliténaturelle,la richesse
oula puissance(t) fut préféréeà l'âge,et l'aris-
tocratiedevint élective.Enfin, la puissance
transmiseavecles biensdu pèreaux enfants
rendant les famillespatriciennes,rendit le
gouvernementhéréditaire,et l'onvit dessé-
nateursde vingt ans.
Il estclairquolemotoptimales
(1) chezlesanciens
neveutpasdirelesmeilleurs,maislespluspuissants,
- 96 —
11y a donc trois sortes d'aristocratie: na-
turelle,élective,héréditaire.La premièreno
convientqu'à des peuplessimples;la troisièmo
est lo pire de tous les gouvernements; la
deuxièmoest le meilleur: c'est l'aristocratio
proprementdite.
Outrel'avantagede la distinctiondes deux
pouvoirs,elle a celuidu choix do ses mem-
bres, car, dans lo gouvernementpopulaire,
tous les citoyens naissent magistrats,mais
celui-ciles borne à un petit nombre,et ils
ne lodeviennentq ie par ''lectlou(1),moyen
par lequel la probité, les lumières, l'expé-
rienceet toutes les autres raisonsde préfé-
rence et d'estime publiquesont autant de
nouveauxgarants qu'on sera sagementgou-
verné.
1)3plus,les assembléesse font pluscommo-
dément,lesaffairesse discutentmieux,s'ex-
pédientavec plus d'ordre et de diligence;le
créditde l'Etat est mieuxsoutenuchezl'étran-
ger par de vénérablessénateursque par une
multitudeinconnueou méprisée.
En un mot, c'est l'ordre le meilleuret le
plus naturel que les plus sages gouvernent
la multitude,quand on est sûr qu'ils la gou-
vernerontpourson profitet non pourle leur;
(OUimportebeaucoup de réglerpar des loisla
formode l'élection
des magistrats,car,en l'abandon-
nanta la volontédu prince,on n« peutéviterdo
tomberdansl'aristocratie commeIIest
héréditaire,
arrivéaux répuliliquesde l'entseetdoRerneAussi
la premièreesi-ello
depuislongtemps unEtatdissous,
maislaseconde semaintientpar l'extrêmesagessede
sonsénat;c'estd'uneexception bienhonorableeibien
dangereuse.
— 97 —
il no faut point multiplieren valu les res-
sorts, ni faire,avec vingt mille hommes,ce
quo cent hommeschoisispeuventfaire en-
core mieux.Maisil faut remarquerque l'in-
térêt de corp3commenceà moinsdirigerici
la forcopubliquosur la régi- de la volonté
généralo,et qu'uneautre peineinévitableen-
lèveaux lois une partiedo la puissanceexe-
cutive.
A l'égarddes convenancesparticulières,il
no faut ni un.Etat si petit, ni un peuplesi
simpleet si droit, que l'exécutiondes lois
suive immédiatementla volonté publique,
commedansune bonnedémocratie.11ne faut
pas non plus urvisi grau le nation,quo les
chefsépars pour la gouvernerpuissenttran-
cherdu souverainchacundans son départe-
ment, et commencerpar se rendre indépen-
dants pourdevenirenfinles maîtres.
Maissi l'aristocratieexige quelquesvertus
de moinsque le gouvernementpopulaire,elle
en exigeaussi d'antresqui lui sont propres,
commela modérationdans les richeset le
contentementdans les pauvres;car il semble
qu'uneégalité rigoureusey serait déplacéo;
ellene fut pas mêmeobservéeà Sparte.
Au reste, si cette formecomporteune cer-
taine inégalité de fortune, c'est bien pour
qu'engénérall'administrationdesaffairespu-
bhtraps>^oitconfiéeà ceux qui peuvent le
/yhyçux'y^Hnnnertout leur temps, mais non
/^as^omroâ prétendAristote, pour que les
yi rT?Sn0^; wuJ°urs A
préférés. u contraire.
\-;%ilmTOçte/qu'un choixopposéapprennequel-
VquefmVautpeuple qu'ily a, dans leméritedes
•^/.'UbVçfxfiUTsocui. 4
— 98 —
hommes,des raisons de préférencoplus im-
portantesque la richesse.

VI.—Dela monarchie.
Jusqu'ici, nous avons considéréle prineo
commoune personnemoraleet collective,unie
par la forcodes lois, et dépositairedans l'Etat
do la puissanceexecutive.Nousavons main-
tenant à considérercette puissance réunie
entreles mainsd'une personnenaturelle,d'un
hommeréel,qui seul nit le droitd'en disposer
selonles lois. C'est ce qu'on appelleun mo-
narqueou un roi.
Tout au contraire des autres administra-
tions, où un être collectifreprésenteun in-
dividu,dans celle-ci,un individu,représente
un être collectif;en sorte que l'unité morale
qui constituele prince est en même temps
une unité physique,dans laquelle toutes les
facultés que la loi réunit dans l'autre, avec
tant d'efforts,se trouventnaturellementréu-
nies.
Ainsi, la volontédu peuple,et la volonté
du prince, et la force publiquede l'Etat, et
la force particulièredu gouvernement,tout
répondau mêmemobile; tous les ressorts do
la machine sont dans la même main, tout
marcheau mêmebut : il n'y a point de mou-
vementsopposésqui s'entre-détruisent, et l'on
ne peut imaginer aucune sorte de constitu-
tion dans laquelleun moindreeffort produise
une actionplusconsidérable. Archimède,assis
tranquillementsur le rivage, et tirant sans
- 99 -
pelnoà flotun grandvaisseau,moreprésente
un monarquehubile,gouvernantdoson cabi-
net ses vastes Etats, et faisant tout mouvoir
en paraissantimmo'iile.
Maiss'il n'y a point de gouvernementqui
ait plus de vigueur,'iln'y en a point où la
volontéparticulièreait plus d'empire,et do-
minoplus aisémentles autres : tout marche
au mêmebut, il est vrai; mais ce but n'est
point celuidola félicitépublique,et la forco
mêmede l'administrationtourne sans cesse
au préjudicede l'Etnt.
Les rois veulentêtre absolus,et de loinon
leur crie qu<ilomeilleurmoyen de l'êtreest
de se faire aimer de leurs peuples. Cetto
maximeest très belleet même très vraieà
certains égards. Malheureusement,on s'en
moqueratoujours dans les cours. La puis-
sancequi vient de l'amour des peuplesest
sansdoutela plusgrande; maiselle est pré-
caireet conditionnele; jamais les princesno
s'encontenteront.Lesmeilleursrois veulent
pouvoirêtre méchants, s'il leur plaît, sans
cesserd'êtrelesmaîtres.Un sermoneurpoliti-
que aura beau leur dire que la force du peu-
ple étant la leur, leur plus grand intérêt est
que le peuple soit florissant,nombreux,re-
doutable,ils saventtrès bienque cela n'est
pas vrai.
Leur intérêt personnelest premièrement
que le peuplesoit faible,misérableet qu'ilno
puissejamaisleur résister.J'avoueque,sup-
posantles sujetstoujoursparfaitementsou-
mis, l'intérêtdu princeseraitalorsquele peu-
ple fût puissant, afin que cette puissance
— 100—
étant la sienne,lorendîtredoutableà sesvoi-
sins; mais commocet intérêt n'est quose-
condaireet subordonné,et que lesdeuxsup-
positionssontincompatibles, il est naturelquo
les princesdonnent toujoursla préférenceà
la maxhuoqui lotirestle plus immédiatement
utile.C'estco quoSamuelreprésentaitforte-
mentaux Hébreux;c' st co quo Machiavela
fait voiravec évidence.En feignantde don-
ner desleçonsaux rois, ilen a donnédogran-
desaux peuples.LoPrincedo Machiavelest lo
livredes républicains.
Nousavonstrouvé,par les ' rapports géné-
raux, quo 11 monarchie n'est convenable
qu'auxgrandsEtats, et nousle trouvonsen-
coreen l'examinanten elle-même..Plusl'ad-
ministrationpubliqueest nombreuse,pluslo
rapportdu princ"aux sujets diminueet s'ap-
prochede l'égalité,en sorte que ce rapport
est un ou l'égalitémêmedans la démocratie.
Cemêmerapport augmenteà mesurequole
gouvernementse resserre,et il est dans son
maximumquin l le gouvernementest dans
les mainsd'un seul.Alors il so trouve une
trop grande distanceentre le princeet lo
peuple,et l'Etat manquedo liaison, l'our la
former,il fautdoncdesordresintermédiaires;
il fautdesprinces,des grands,de la noblesse
pour les remplirOr,riende tout celane con-
vientà un petitEtat,queruinenttouscesdegrés
Maiss'il est difficilequ'un grand Etat soit
bien gouverné,il l'estbeaucoupplusqu'ilsoit
biengouvernépar un seul homme,et chacun
sait ce qui arrivequand le roi se donnedes
substituts.
— 101 —
Un défaut essentiel et inévitable,qui met-
tra toujours lo gouvernementmonarchique
au-dessousdu républicain,est que, dans ce-
lui-ci,la voixpub.iquen'élève presquejamais
aux premièrespincesquodeshommeséclairés
et capables,qui les remplissentavechonneur;
au Heuquo ceux qui parviennent-dans lesmo-
narchiesne sont, le plus souvent,quo de pe-
tits brouillons,de petits fripons, do petits
intrigants, à qui les petits talents, qui font,
dans les cours, parveniraux grandes places,
ne serventqu'a montrer au publicleurineptie
aussitôt qu'ils y sont parvenus.Le peuploso
trompebienmotussur cechoixque lo prince,
et un homme d'un vrai mérite est presque
aussi rare dans le ministèrequ'unsot à latêto
d'un gouvernementrépublicain.Aussiquand,
par quelqueheureux busard, un de ces hom-
mes nés pour gouvenrv prend le timon des
affairesdans une monarchie presque abîmée
par ces tas dejolis régisseurs,ouest tout sur-
pris des ressourcesqu'il trouve, ?t cela fait
époquedans un pays.
Pourqu'un Etat monarchiquepût être bien
gouverné,il faudrait que sa grandeur ou son
étenduefût mesuréeaux facultésde celui qui
gouverne.11est plus aiséde conquérirque de
régir. Avecun levier suifisant, d'un doigt on
peut ébranler le monde, mais pour le soute-
nir, il faut les épaules d'Hercule.Pour peu
qu'un Etat soit grand, le prince est presque
toujourstrop petit. Quand,au contraire,il ar-
rive que l'Etat est trop petit pour son chef,
ce qui est très rare, il est encoremal gou-
verné,parce que le chef, suivant toujoursla
— 102—
grandeurdo ses vues, oublieles intérêts des
peuples,et nolesrendpas moinsmalheureux, 1
par l'abus des talents qu'il a do trop, qu' n
chef borné, par le défaut do ceux qui lui
manquent.Il faudrait,pour ainsidire, qu'un
royaumes'étendit ou se resserrât à chaque
règne, selonla portéedu prince; au lieu quo
les talentsd'un sénat,ayant des mesuresplus
fixes,l'Etat peut avoir des bornesconstantes
et l'administrationn'allerpas moinsbien.
Le plus sensibleinconvénientdu gouverne-
ment d'un seul est le défautde cettesucces-
sion continuellequi formedans les deux au-
tres uneliaisonnon interrompue.Unroi mort,
il en faut un autre; les électionslaissentdes
intervallesdangereux; ellessontorageuseset,
à moinsque les citoyensne soient d'un dé-
sintéressement,d'une intégrité que ce gou-
vernementne comporteguère, la brigueet la
corruptions'en mêlent.Il est difficileque ce-
lui à qui l'Etat s'est vendu ne le vendepas à
son tour, et ne se dédommagepas, sur les
faibles,de l'argent que les puissantslui ont
extorqué.Tôt ou tard, tout devientvénalsous
une pareilleadministration;et la paix donton
jouit alorssousles rois est pireque le désor-
dre des interrègnes.
Qu'a-t-onfait pourprévenir cesmaux?On
a rendules couronneshéréditairesdans cer-
taines familles,et l'on a établi un ordre de
successionqui prévienttoute disputeà lamort
des rois;c'est-à-direque, substituantl'incon-
vénientdes régencesà celuides élections,on
a préféréune apparencetranquilleà unead-
ministrationsage, et qu'on a mieuxaiméris-
— 103—
quer d'avoirpour chefdes enfants,desmons-
tres, des imbéciles,que d'avoirà disputersur
le choixdes bonsrois; on n'a pas considéré
qu'en s'exposantainsiaux risquesde l'alter-
native,on met presquetoutesles chancescon-
tre soi.C'étaitun mottrès senséquo celuidu
jeuneDenis,à qui son père,en lui reprochant
une actionhonteuse,disait: «T'enai-jodonné
l'exemple?—Ah! réponditle fils, votre père
n'était pas roi. »
Toutconcourtà priver de justice et de rai-
son un liommoélevé pour commanderaux
autres. On prend beaucoupde peine, à co
qu'ondit, pourenseigneraux jeunes princes
l'art de régner; il ne paraîtpasquocetto édu-
cationleur profite.On ferait mieux docom-
mencerpar leur enseigner l'art d'obéir.Les
plusgrands rois qu'aitcélébrésl'histoiren'ont
pointété élevéspourrégner,c'estune science
qu'onne possèdejamais moins qu'aprèsl'a-
voir trop apprise et qu'on acquiert mieux
en obéissant qu'en commandant.Nam uli-
lissimusidem ac brtvissimusbonaruminala-
rumquererumdelectus, rojilarequidaut noluc-
rls suballaprincipe,aut volacris(1).
Vm suite de co défaut de cohérenceest
l'inconstancedu gouvernementroyal, qui, se
régltmttantôt sur un plan, tantôt sur un au-
tre, selonle caractèredu princequi règne ou
des gens qui régnent pourlui, ne peut avoir
longtempsun objet fixeni une conduitecon-
séquente,variationqui rond toujoursl'Etat
flottantde maximeen maxime, do projet en
llist.,1.1.
|1)Tacite,
— toi —
projet,et qui n'a pas lieudans lesautresgou-
vernementsoùloprinceest toujourslomême.
Aussivoit-on qu'en général, s'il y a plus de
rusedans unocour,il y a plusde sagessodans
un sénat, et que les républiquesvont à leurs .
fins par ues vues plus constanteset mieux
suivies, au lieu que chaquorévolutiondans
le ministèreen.produit uno dans l'Etat, la
maximecommuneà touslesministres,et pres-
que à tous les rois, étant de prendreen toute
chosole contre-pieddo leur prédécesseur.
Decette mêmeincohérenceso tire encorela
solutiond'un sophismetrès familieraux poli-
tiquesroyaux: c'estnon-seulement de compa-
rer le gouvernementcivil au gouvernement
domestique,et le princeau père do famille,er-
reur déjà réfutée,maisencorede donnerlibé-
ralementà ce magistrattouteslesvertusdont
il aurait besoin,et de supposertoujoursque le
princeest ce qu'il devrait être, suppositionà
l'aide de laquellele gouvernementroyal est
évidemment préférablea tout autre, parce
qu'il est incontestablement le plusfort, et que
pour être aussile meilleur, il ne lui manque
qu'une volontédo corps plus conformeà la
volontégénérale.
Maissi, selonPlaton (1),le roi, par nature,
est un personnagesi rare, combiende fols la
nature et la fortune concourront-ellesà le
couronner?Et si l'éducationroyale corrompt
nécessairementceuxqui la reçoivent,quedoit-
on espérerd'une suite d'hommesélevéspour
régner? C'estdonc bien vouloirs'abuserque
(i) ïn clvtU.
— 105—
doconfondrele gouvernementroyal avecce-
lui d'un bonroi.Pourvoirco qu'est co gou-
vernementen lui-même,il faut le considérer
sousdes principesbornés ou méchants,car
ils arriveronttels au trône, ou le trôneles
rendratels.
Ce3difficultésn'ont pas échappéà nos au-
teurs; maisils n'en sont point embarrassés.
Lo remèdeest, disent-ils, d'obéirsansmur-
mure.Dieudonnelesmauvaisrois danssaco-
lère,et il les faut supportercommodes châ-
timentsdu ciel.Cediscoursest édifiant,sans
doute; maisJo ne saiss'il ne conviendraitpas
mieux en chaireque dans un livre de politi-
que. Quodire d'un médecinqui prometdes
miracleset dont tout l'art est d'exhorterson
maladeà la patience?On sait bienqu'il faut
souffrirun mauvaisgouvernementquand on
l'a; la questionserait d'entrouverun bon.

VII.—Desgouvernements
mixtes.
A proi nent parler,il n'y a pointde gou-
vernementsimple.Il fautqu'un chef unique
ait des magistratssubalternes; il faut qu'un
gouvernementpopulaireait un chef. Ainsi,
dansle partagedelà puissanceexecutive,il y
a toujoursgradation du grand nombre au
moindre,aveccette différenceque tantôt le
gra 1 nombredépenddu petit, et tantôt le
petit du grand.
Quelquefoisil y a partageégal, soit quand
les partiesconstitutivessont dansunedépen-
dance mutuelle,commedans le gouverne-
— iOG—
mentd'Angleterre,soit quand l'autorité do
chaquepartie est indépendante,mais impar-
faite, commeeu Pologne.Cettedernièreforme
est mauvaise,parcei>u'iln'y a point d'unité
dans le gouyernementet que l'Etat manque
de liaison.
Lequel vaut mieux d'un gouvernement
simpleou d'un gouvernementmixte? Ques-
tion fort agitée chezles politiques, et à la-
quelleil faut faire la même réponse que j'ai
faiteci-devantsur toute formede gouverne-
ment.
Logouvernementsimpleest lo meilleuren
soi, par celaseul qu'il est simple.Maisquand
la puissanceexecutiveno dépendpas assez
de la législative, c'est-à-direquand il y a
plus de rapport du prince au souverain que
du peupleau prince,il faut remédierà codé-
faut de proportionen divisantle' gouverne-
ment; car alors toutesses partiesn'ont pas
moinsd'autoritésur les sujets, et leur divi-
sion les rend toutes ensemble moins fortes
contrele souverain.
On prévient encore le même Inconvénient
en établissantdes magistrats intermédiaires,
qui, laissant le gouvernementen son entier,
serventseulementà balancerles deux puis-
sanceset à maintenirleurs droits respectifs.
Alorslo gouvernementn'est pas mixte,11est
tempéré.
On peut remédierpar des moyenssembla-
les à l'inconvénientopposé,et quandle gou-
vernementest trop lâche, ériger des tribu-
naux pour le concentrer.Cela se pratique
dans toutesles démocraties.Dans le premier
— 107—
cas, on divisele gouvernementpour l'affai-
blir, et danslesecondpourle renforcer;car le
maximumde forceet île faiblessese trouvent
égalementdans les gouvernementssimples,
au lieu que les formes mixtes donnentune
forcemoyenne.

VIII.—Quetoutoformedogouvernement
n'estpas
propreà toutpays.
La liberté,n'étant pas un fruit de tous les
climats,n'est pas à la portéedetousles peu-
ples. Plus on médite ce principeétablipar
Montesquieu, pluson en sent la vérité. Plus
on le conteste, plus on donneoccasionde
l'établirpar de nouvellespreuves.
Danstousles gouvernementsdu monde,la
personnepubliqueconsommeet no produit
rien. D'où lui vientdoncla substancecon-
sommée?Dutravail de ses membres.C'est
le superfludes particuliersqui produit le
nécessairedu public: d'où il mit que l'état
civil ne peut subsister qu'autant que le
travail deshommesrendau delàde leursbe-
soins.
Or, cet excédant n'est pas le mémo dans
tous les paysdu monde.Dansplusieurs,ilest
considérable;dans d'autres,médiocre;dans
d'autres,nul; dans d'autres, négatif. Ce rap-
port dépendde la fertilité du climat, de la
sorte de travailque la terre exige, de la na-
ture de sesproductions,de la forcodoses ha-
bitants,de la plus ou moins grandeconsom-
mationquileur est nécessaire,et do plusieurs
— 108—
autres rapports semblables desquels 11est
composé.
D'autre part, tous les gouvernementsne
sont pas de mémonature; il y en a do plus
ou moins dévorants,et les différencesson!
fondéessur cet autre principe,que plus le;*
contributionspubliquess'éloignent do leur
.source,et plus ellessont onéreuses.Cen'est
pas sur la quantité des impositionsqu'il faut
mesurer cette charge, mais sur lo chemin
qu'elles ont à faire pour retourner dans les
mains dont elles sont sorties; quandcette
circulationest prompteet bien établie,qu'on
paye peu ou beaucoup,le peupleest toujours
riche et les financesvont toujoursbien. Au
contraire, quelquepeu que lo peupledonne,
quandce peune lui revientpoint,en donnant
toujours, bientôt il s'épuise; l'Etat n'est ja-
mais riche,et le peupleest toujoursgueux.
Il suit de là quo plus la distancedu peuplo
au gouvernementaugmente, et plus les tri-
buts deviennentonéreux.Ainsi,dansladémo-
cratie, le peupleest le moins chargé; dans
l'aristocratie,il l'est davantage;dans la mo-
narchie,il portele plus grands poids.La mo-
narchiene convientdoncqu'aux nationsopu-
lentes; l'aristocratie,aux Etats médiocresen
richesse,ainsi qu'en,grandeur; h démocratie,
aux Etats petits et pauvres.
En effet,plus on y réliéehit,plus on trouve
en cecido différenceentre les Etats libreset
les monarchiques: dans les premiers, tout
s'emploieà l'utilité commune;dans les au-
tres, les forcespubliqueset particulièressont
réciproques,et l'une s'augmentepar l'affal-
— 109 —
blissementde l'autre; enfin,au lieu de gou-
vernerles sujetspourles rendre heureux,le
despotismeles rend misérablespourles gou-
verner.
Voilàdonc,dans chaqueclimat,des causes
naturellessur lesquelleson peutassignerla
formedu gouvernementà laquellela forcodu
climat l'entraîne,et dire mêmequelleespèce
d'habitantsil doit avoir. Leslieuxingratset
stériles,où lo produitno vaut pas lo travail,
doiventrester inculteset déserts,ou seule-
ment peuplésdosauvages;leslieuxoù lotra-
vaildes hommesne rendexactementquo le
nécessairedoiventêtre habitéspar des peu-
plesbarbares;toutepolitiquey seraijtImpos-
sible;les lieux où 1excès du produitsur lo
travail est médiocreconviennentaux peu-
ples libres; ceux où lo terroir abondantet
fertilodonne beaucoupde produitspour peu
de travailveulentêtre gouvernésmonarchi-
quement,pourconsumerparle luxedu prince
l'excès du superfludes sujets; car il vaut
mieuxquocet excès soit absorbépar le gou-
vernementquodissipépar les particuliers.Il
y a des exceptions,Jo lo sais, mais ces ex-
ceptionsmêmes confirmentla règle, en ce
qu'ellesproduisenttôt ou tard des révolu-
tionsqui ramènentleschosesdansl'ordrede
la nature.
Distinguonstoujoursles lois généralesdes
causesparticulièresqui peuventen modifier
l'effet.Quandtout lo Midiserait couvertde
républiqueset tout lo Nordd'Etats despoti-
ques,il n'en serait pas moinsvrai que, par
l'cftetdu climat, lo dospotlsmoconvientaux
— 110 —
pays chauds,la barbarie aux pays froids, et
la bonne politiqueaux régions intermédiaires.
Je vols encore qu'en accordantle principe,
on pourradisputersur l'application;on pourra
dire qu'il y a des pays froids très fertiles
et des méridionauxtrès ingrats. Mais cetto
difficulté n'en est une quo pour ceux qui
n'examinent pas la chose dans tous ses rap-
ports. Il faut, comme je l'ai déjà dit, compter
ceux des travaux, des forces,de la consom-
mation,etc.
Supposonsque de deux terrains égaux, l'un
rapporte cinq et l'autre dix. SI les habitants
du premierconsommentquatre et ceuxdu der-
nier neuf, l'excès du premier produit sera un
cinquièmeet celui du secondun dixième.Le
rapport de ces deux excèsétant donc inverse
de celuides produits, le terrain qui ne pro-
duira.que cinq donnera un superfludouble do
celui du terrain qui produira dix.
Mais il n'est pus question d'un produitdou-
ble,et je ne crois pas que personneose mettre
en général la fertilitéîles pays froids en éga-
lité même aveccelle des pays chauds.Toute-
fois, supposonscetto égalité; laissons, si l'on
veut, en balancel'Angleterreavec la Sicile,et
la Pologneavec l'Egypte; plus au midi, nous
aurons l'Afriquo et les Indes; plus au Nord,
nous n'aurons plusVlen.Pour cetto égalité de
produit, quelle différencedjtns la culture I En
fcicile,il ne faut que gratter la terre ; en An-
gleterre, que do soins pour la labourerl Or,là
où il faut plus de bras pour donner lo même
produit, le superflu doit être nécessairement
moindre.
— ili —
Considérezoutre cela,quola mêmequan-
tité d'hommesconsommebeaucoupmoins
dans les pays chauds.Le climat demande
qu'ony soit sobre pour se porter bien: les
Européensqui veulenty vivre commochez
eux périssenttous de dyssenterieet d'indi-
gestions.« Noussommes,dit Chardin,des
bêtescarnassières,desloups,en comparaison
des Asiatiques.Quelques-unsattribuentla
sobriétédes Persansà ce que leur pays est
moinscultivé,et moi,jecrois,nu contraire,
queleurpaysabondemoinsen denrées,parce
qu'ilen fautmoinsauxhabitants.Sileurfru-
était un effetde la di-
galité,contlnue-t-11,
settedu pays,Il n'y aurait que les pauvres
qui mangeraientpeu, au lieu quec'est géné-
ralementtoutle monde;et on mangeraitplus
oumoinsen chaqueprovinceselonla fertilité
du pays, au lieu que la mêmesobriétéso
trouvepartoutle royaume.Ilsse louentfort
deleurmanièrede vivre,disantqu'il ne faut
queregarderleurteintpourreconnaîtrecom-
bienelleest plusexcellente quecelledeschré-
tiens.Eneffet,le teintdesPersansest uni;ils
ont la peaubelle,fineet polie;au lieu quele
teintdes Arméniens,leurssujets,qui vivent
à l'européenne,
estrude,couperosé, etquoleurs
corpssontgroset pesants.•
Pluson approchede la ligne,plusles peu-
ples vivent do peu.Ils ne mangentpresque
pas de viande;le riz, le maïs,le cuzcuz,le
mil,la cassave,sontleursalimentsordinaires.
Il y a aux Indesd03millionsd'hommes dontla
nourritureno coûtepas un solparjour.Nous
voyonsen Europemêmedes différences sen-
-li-
sibles pour l'appétit entre les peuples du
Nord et ceux du Midi.Un Espagnol vivra
huit Jours du dîner d'un Allemand.Dans les
paysoù les hommessont plus voraces,loluxe
se tourne aussi vers les chosesde consomma-
tion. En Angleterre, il so montre sur une
table chargée de viandes; en Italie, on vous
régale de sucre et de fleurs.
Le luxe des vêtementsoffreencoredo sem-
blables différences.Dans les climats où les
changementsdvssaisonssont promptset vio-
lents, on a des habits meilleurset plus sim-
ples; dans ceux où l'on ne s'habille que pour
la parure, on y cherche plus d'éclat que d'u-
tilité; les habits eux-mêmesy sont un luxe.
A Naples,vous verreztous les jours so pro-
mener au Pausylippedes hommes en veste
dorée et point do bas. C'est la même chose
pour les bâtiments; on donne tout à la ma-
gnificence,quand onn'a rien à craindredesIn-
jures del'air. A Paris, à Londres,on veut être
logéchaudementet commodément;à Madrid,
on a des salonssuperbes,matspointdefenêtres
quiferment,et l'oncouchedans desnids à rats.
Les aliments sont beaucoupplus substan-
tiels et succulentsdans les pays chauds ; c'est
une troisièmedifférencequi no peut manquer
d'influersur la seconde.Pourquoimangc-t-on
tant de légumesen Italie? parcequ'ils y sont
bons, nourrissants, d'excellent goût. En
France, où ils ne sont nourris que d'eau, ils
ne nourrissentpoint et sont presquecomptés
pour rien sur les tables. Ils n'occupentpour-
tant pas moins do terrain, et coûtent du
moins autant de peine à cultiver. C'est uno
- 113 -
expériencefaite que les blés de Barbarie,
d'ailleursinférieursà ceux do France,ren-
dent beaucoupplusen farine,et que ceuxde
France,à leur tour,rendent plus quoles blés
du Nord: d'oùl'onpeut intérerqu'unegrada-
tionsemblable s'observegénéralementdans la
mêmedirectiondola ligneau pôle.Or,n'est-
cepas un désavantage visible,d'avoirdans un
produitégalunomoindrequantitéd'aliments?
A toutes ces différentesconsidérations,
j'en puis ajouter une qui en découleet qui
les fortifie, c'est que les pays chauds ont
moinsbesoind'habitantsqueles paysfroids,
et pourraienten nourrirdavantage,ce qui
produitun doublesuperflu,toujoursà l'avan-
tage du despotisme.Plus le mémonombre
d'habitantsoccupeuno grande surface,plus
les révoltesdeviennentdifficiles,parcequ'on
ne peut se concerter,ni promptement ni secrè-
tement,et qu'ilest toujoursfacileau gouver-
nement d'éventerles projets et de couper
les r mmiunlcations ; mais plus un peuple
nombreuxso rapproche,moins le gouver-
nement peut usurpersur le souverain; les
chefs délibèrentaussi sûrement dans leurs
chambresquelo pince danssonconseil,et la
foules'assembloaussitôtdansles placesque
les troupesdans leurs quartiers. L'avantage
d'un gouvernementtyranniquoest donc,en
ceci,d'agirà grandesdistances.
A l'aidedes points d'appuiqu'il se donne,
sa forcoaugmenteau loin commecelledes
leviers(l). Celledu peuple,au contraire,n'n-
(I)CecinocontreditpascoquoJ'aiditci-devant.
— 114-
git que concentrée; elle s'évaporeet se perd
en s'étendant, comme l'effetde la poudre
éparseà terre, et qui tie prend feu que grain
à grain. Les payslesmoinspeuplés sontainsi
les plus propresà la tyrannie ; les bêtesféro-
ces ne régnentque dansles déserts.
IX.—Dessignesd'unbongouvernement.
Quand donc on demandeabsolumentquel
est le meilleur gouvernement,on fait une
questioninsoluble,commeindéterminée; ou,
si l'on veut, elle a autant de bonnessolutions
qu'il y a de combinaisonspossibles dans les
positionsabsolueset relativesdes peuples.
Maissi on demandaità quel signe on peut
connaîtrequ'un peupledonné est.bim bumal
gouverné,ce serait autre chose,et la question
de fait pourrait se résoudre.
Cependanton ne la résout point, parce que
chacun veut la résoudreà sa manière.Lessu-
jets vantent la tranquil ité publique, les ci-
toyensla libertédesparticuliers;l'un préfèrela
sûreté des possessions, et l'autre celle des
personnes; l'un veut que le meilleurgouver-
. nement soit lo plus sévère; l'autre soutient
que c'est le plus doux; celui-civeut qu'onpu-
ll.II,c.u) surlesInconvénients dosgrandsEtats,car
là del'autoritédu gouvernement
il s'agissait surses
membres, et 11s'agitIci do sa forcecontreles su-
jets.Sesmembres eparsluiserventde pointd'appui
loinsurlopeuple,maisil n'a nulpoint
Souragirau
'appui p ouragir directement sur ses membresmê-
mes.Ainsi, dansl'undescas,la longueur dulevieren
etlaforcodansl'autrecas.
faitla faiblesse,
— U5 —
nisseles crimes, et celui-là qu'on les pré-
vienne; l'u'i trouvebeauqu'onsoitcraintdes
voisins,l'autre aime mieux.qu'on en soit
ignoré; l'un est content quand l'argentcir-
cule,l'autreexige quo le peupleait du pain.
Quandmêmeon conviendraitsur ces points
et d'autres semblables,en serait-on plus
avancél Lesquantités moralesmanquantdo
mesureprécise, fût-ond'accordsur le s'gne,
commentl'êtresur l'estimation?
Pour moi, Je m'étonnetoujoursqu'on mé-
connaisseun signe aussi simple,ou qu'onait
la mauvaisefoi don'en pas convenir.Quelle
est la fin do l'associationpolitique?C'est la
conservationet la prospéritéde ses membres.
Et quelest lo signe le plus sûr qu'ilsse con-
serventet prospèrent?c'est leur nombreet
leur population.N'allezdoncpas chercherail-
leurs ce signesi disputé.Touteschosesd'ail-
leurs égales, le gouvernementsous lequel,
sans moyensétrangers, sans naturalisation,
sans colonie,les citoyenspeuplentet multi-
plientdavantage,est infailliblement le meil-
leur; celuisous lequelun peuplediminueet
dépéritest le pire. Calculateurs,c'est main-
tenant votreaffaire: comptez,mesurez,com-
parez(1).
Ondoitjugersurlo mêmeprincipe
(!)méritent dessiècles
qui la préférence
pour la prospérité
dugenre
humain. Ona tropadmiré ceuxoùl'onavufleurirles
lettreset lesarts,sanspénétrer setretdo leur
l'objet
culture,sansen hconsidérer lo funesteeffet:tdque
apud umanttas vocabatur.
imperItosNeverrons-nous cumpars
servltullsesset. Jamais dansles
maximes deslivresl'intérêt
grossierqui faitparlerles
auteurs?Non,quoiqu'ilsen puissentdire;quand,
— 116 —

X. —Del'abusdugouvernementetticsapente
à dégénérer,
,
Commelavolontéparticulièreagit sans cesse
contre la volontégénérale, ainsile gouverne-
ment fait un effortcontinuelcontre la sou-
veraineté.Plus cet effort augmente, plus la
malgré sonéclat,unpayssedépeuple, Iln'estpasvrai
quo toutaillebien;elII nesuîlltpasqu'unpoêleait
centmillelivresde rentepourquesonslccfesoltle
meilleur detous.Il fautmoinsregarderau re|»sap-
parent el à la tranquillitédeschefsqu'aubien-être
desnationsentières, etsurtoutdesEtatslesplusnom-
breux.La grèlodésolequelques cantons,maisello
faitrarement disette.Lesémeutes, lesguerresciviles
elTarouchenl beaucoup leschefs,maisellesnofontpas
lesvraismalheursdes peuples,qui pôUvent mémo
avoirdu relâche,tandisqu'ondisputeà qui lesty-
rannisera. C'estde leurétatpermanent quo naissent
leursprospérités ou leurscalamités réelles;q uand
toutresteécrasésousle joug,c'estalorsquetoutdé-
péril,c'estalorsqueIs chers,détruisant a leuraise,
ubi soliludlnemfatlunt p'icemapiiellant.Quand
les tracasseriesdes grandsagitaientlo royaumedo
Franco, elquelocoanjutcur do Parisportaitau pa-
iementun poignarddanssa poche, celan'empêchait
pas quodle peuple,fiançaisnevécut heureuxet nom-
breux, ansunohotinêUi ut libreaisance.Autrefois,
laGrècefleurissait au seindespluscruellesguerres:
losangy coulaità Ilots,cltoutle paysétaitcouvert
d'hommes. Il semblait, dit Machiavel,qu'au milieu
des meurtres,des proscription?, des guerresciviles,
noirerépublique en devintpluspuissante:la vertu
de ses citoyens,leursmoeurs,leur Indépendance,
avalentplusd'elîelpourla renforcer que toutesses
dissensions n'enavalentpourl'affaiblir.Unpeud'a-
gitation donnedu ressortaux âmes,et coqui fait
vraimentprospérer l'espêco estmoinsla paixquela
liberté.
— 117—
constitutions'altère: et commoil n'y a point
ici d'autrevolontéde corps qui, résistantà
celledu prince,fasseéquilibreavecelle,Ildoit
arrivertôt ou tard que le princeopprimeen-
fin losouverainet rompele traitésocial.C'est
là le vice inhérentet inévitablequi, dès la
naissancedu corpspoliiquo,tendsansrelâche
à lo détruire, de mêmeque la vieillesseet la
mortdétruisentenfinle corpsde l'homme.
Il y a deux volesgénéralespar lesquelles
un gouvernement dégénère,savoir: quand11
so resserreou quandl'Etatse dissout.
Legouvernementse resserrequandil passe
du grand nombreau petit, c'est-à-direde la
démocratieà l'aristocratie,et de l'aristocra-
tie à la royauté.C'estlà son Inclinationnatu-
rellefl). S'il rétrogradaitdu petit nombreau
(1)Lalormalion lentoelleprogrès dola république
deNunlsedansse* lagunes offrent
unexemple notable
docettosuccession, etil estbienétonnant que,d epuis
dodoutecentsans.lesVénitiens
plusencore semblent n'en
être qu'au secondterme,lequelcommença au
Serrardl Comli/Ho UU8.Quantaux anciens ducs
qu'on leurreproche, quoi q u'enpuissedireleSqultl-
nlo déliallùerlàveneta,il est prouvéqu'ilsn'ont
point étéleurssouveiains.
Onnemanquera pasde m'objecter la république
romaine, quisuivit, dira-t-on,un progrèsloutcon-
traire,p assant delà monarchie à Iaristocratie,et de
à ladémocratie.
l'aristocratie Josuisbienéloigné d'en
penser ainsi.
Lepremier établissement doRomulns futun gou-
vernement mixte, quidegén -rapiomptemenl endes-
potisme. Pardescauscs l'Etalpéritavant
particulières.
letemps, comme onvoitmourir unnouveau-né avant
d'avoiratteintl'âged'hommoL'expulsion desTar-
qutns futlavéritable époque dola république: mais
ellenopritpas d'abordunoformoconstante, parce
qu'onnolitquolamoitié dol'ouvrage,enn'abolissant
- 118 -
grand, on pourrait dire qu'il se relâche; mais
ce progrés inversoest impossible.
En effet,jamaisle gouvernementne change
de formeque quand son ressort usé le laisse
trop affaiblirpour conserverla sienne.Or, s'il
se relâchaitencoreen s'étendant, sa forcede-
viendrait tout à fait nulle, et il subsisterait
encoremoins.Il faut doncremonteret serrer
lo ressort à mesure qu'il cède; autrement,
l'Etat qu'il soutienttomberaiten ruine.
pas le patrlclat: car, do cellemanière, l'aristocratie
héréditaire, qui estla piredesadministrations légiti-
mes,reslanten connuavecla démocratie, la forme
du gouvernement, toujours incertaineet flottante, no
fut llxée.comme l'a prouvéMachiavel, qu'il rétablis-
sementdestribuns,alorsseulement d y eutun vrai
gouvernement etunovêritcbtedémocratie. En effet,
le peuplealorsn'étaitpasseulement souverain, mats
aussimagistrat eljuge;losénatn'étaitqu'untribunal
ensous-ordre, (tour l empérerouconcentrer logouver-
nement ; et lesconsulseux-mêmes, bienquepatri-
ciens,bienquepremiers bienquegénéraux
magistrats,
absolusa la guerre,n'étaientà Romuquolesprési-
dentsdu peuple.
Dèslors,on vitaussilo gouvernement prendre sa
pentenaturelle ettendrefortement
s'abollss:inl
à l'aristocratie.
de lui-même,
Lo
patrlclat comme l'arisUJcra-
lien'étaitplusdanslecorpsdespatriciens comme elle
esta Venise elà Gènes,maisdanslocorpsdu Sénat,
composé dopatriciens et doplébéiens: mémodansle
corps de tribuns,quandils commencèrent d'usurper
une puissance active,car alesmotsne fontrienaux
choses,etquandlopeiiplodeschefsquigouvernent
lui,quelque, nomquoportentceschefs,c'estloti-
oursunearistocratie.
Iiour
Dol'abusdel'aristocratie naquirent lesguerrescivi-
leset le triumvirat.Sylla,JulesCésar,Auguste, de-
vinrentdansle faitdovéiitables monuques,et enfin,
souslodespotisme do Tibère,l'Etatfutdiss-us.L'his-
toireromainenédémentdoncpasmonprincipe : elle
le confirme.
— H9 —
Le cas de la dissolutiondol'Etat peut arri-
verde deux manières:
Premièrement,quand le princen'adminis-
tre plusl'Etat selonles lois, et qu'il usurpe
lopouvoirsouverain.Alors,ilse faitun chan-
gement remarquable: c'est que, non pas lo
gouvernement,mais l'Etat >c resserre; je
veux dire que le grand Etat se dissout, et
qu'il s'en formeun autre dans celui-là,com-
poséseulementdesmembresdugouvernement,
et qui n'est plus riennu reste du peupleque
son nmîtteet son tyran. De sorte qu'à l'ins-
tant que le gouvernementusurpelasouverai-
neté, le pactesocialest rompu; et tous les
simplescitoyens,rentrés do droit dans leur
liberténaturelle, sont forcés, mais non pas
obligésd'obéir.
Lo mêmecas arrive aussi quandles mem-
bres du gouvernementusurpentséparément
lepouvoirqu'ilsne doiventexercerqu'encorps,
co qui n'est pas une moindre infractiondes
lois,et produitencoreun plusgranddésordre.
Alorson a, pour ainsi dt-o,autant de princes
quodo magistrats,et l'Etat, non moins di-
visé que le gouvernement,péritouchangede
forme.
Quandl'Etat so dissout,l'abus du gouver-
nement,quelqu'ilsoit,prendle nomcommun
d'anarchie.En distinguant,la démocratiedé-
génèreen oc/itocraffr,l'aristocratieen olygar-
chie;j'ajouteraique la royautédégénèreen
tyrannie;maisce derniermot est équivoque
et demandeexplicaton.
Dansle sens vulgaire,un tyran est un roi
qui gouverneavecviolenceet sans égardà la
— 120—
justice et aux lois. Dans lo sens précis,un
tyran est \u\ particulierqui s'arrogel'autorité
royale sans y avoir droit. C'est ainsi que
les Grecsentendaientcomot do tyran t ils le
donnaientIndifféremmentaux bons et aux
mauvaisprincesdontl'autoritén'était pas lé-
gitime (l).Ainsi,tyranet usurpateursontdeux
ntots parfaitementsynonymes.
Pour donnerdifférentsnoms à différentes
choses,j'appellotyran l'usurpateurde l'auto-
rité royale,et despotel'usurpateurdu pouvoir
souverain.Le tyran est celuiqui s'ingèrecon-
tre lesloisà gouvernerselonles lois; le des-
poteest celui qui se met au-dessusdes lois
mêmes.Ainsi,le tyran peut n'être pas des-
pote,maisle despoteest toujourstyran.

M.—Dela laortducorpspolitiquo.
Telloest la pentenaturelleet inévitabledes
gouvernementslesmieuxconstitués.Si Sparte
et Romeont péri, quel Etat peut espérerde
durer toujours? Si nous voulonsformerun
(I)« Omnescnim et habenluret dlcunturtyrannl,
uluntur In ea civlfate
qui protestato p erpétua q ua>
llberiato usaest.»(Corn.Nep.,id. MlUtad., n. 8.)Il
estvraiqu'Arlstoto (J/or. Nlcom.I.VIII,c. x) distin-
gue le tyrandu roi,*ence quolo premier gouvoino
pour sa propreutilité,el lesecondseulement pour
l'utilitédessujets;maisoutrequogénéralement tous
lesauteurs grecs ontprisle mottyrandansunautre
il paratlsurtoutparleHiérondeXéno-
sens,cils'ensuivrait
ommo
phon. locommtncementde la distinctiond'ArlUolo que,
depuis du monde,il n'auraitpas
encore existéunseulroi,
- 121 -
établissement durable,nosongeonsdoncpoint
à lorendreéternel.Pourréussir,ilnefaut pas
tenter l'impossible,ni so flatterdo donnerà
l'ouvragedes hommesuno soliditéquo les
choseshumainesno comportentpas.
Lecorpspolitique,aussibien que lo corps
de l'homme,commençaà mourirdèssa nais-
sanceet portoen lui-mêmeles causesdo sa
destruction.Maisl'unet l'autrepeuventavoir
uneconstitutionplus ou moinsrobusteet
propreà lo conserverplus ou moins long-
temps.Laconstitutionde l'hommeest l'ou-
vrage do la nature; cellede l'Etat est l'ou-
vrage dol'art. Il nodépendpas deshommes
do prolongerleur vie; il dépendd'euxde pro-
longercelledo l'Etataussiloinqu'ilest pos-
sible,en lui donnant la meilleureconstitu-
tion qu'ilpuisse avoir.Lo mieux constitué
finira,maisplustardqu'unautre,si nulacci-
dent imprévun'amène sa perte avec lo
temps.
Le principede la vIopolitiqueest dansl'au-
toritésouveraine.La puissancelégislativeest
le coeurde l'Etat; la puissanceexecutive
en est le cerveau,qui donne lo mouvement h
toutesles parties.Lecerveaupeut tomberen
paraly.-ieet l'individuvivreencore.Unhomme
reste Imbécileet vit; matssitôt quele coeur
a éessésesfonctions,l'animalest mort.
Cen'estpointpar lesloisquel'Etatsubsiste,
c'est par le pouvoirlégislatif.La loi d'hier
n'obligepas aujourd'hui;mais le consente-
menttaciteest présumédu silence,et le sou-
verainest censéconfirmerincessamment les
loisqu'il n'abrogepas, pouvantle faire.Tout
- 122 —
ce qu'il a déclarévouloirune fols, il lo veut
toujours,à moinsqu'il ne lo révoque.
Pourquoidonc porte-ton tant do respect
aux ancienneslois?C'est pour celamémo.On
doiteroiroqu'iln'y a que l'excellencodes \o-
lontés antiquesqui les ait pu conserversi
longtemps;si :e souverainno les eûtreconnu
constammentsalutaires, il les eut millefois
révoquées.Voilàpourquoi,loin de s'affaiblir,
les lois acquièrentsans cesseune forcenou-
velledans tout Etat bien constitué; le pré-
Jugédo l'antiquitéles rend chaquejour plus
Vénérables :au lieuque,partoutoù lesloiss'af-
faiblissenten vieillissant,
celaprouvequ'iln'y a
plusdepouvoirlégislatifetquel'Etatnevitplus.

XII.—Comment
somaintientl'autoritésouveraine.
Lo souverainn'ayant d'autro force que la
puissancelégislative,n'agit quo par des lois;
et leslois n'étant que desactesauthentiques
de la volontégénérale,le souverainno saurait
agir que quand le peuple est assemblé.Le
peupleassemblé,dira-t-on : quelle chimèreI
C'est unechimèreaujourd'hui,mais co n'en
était pas une il y a deux milleans. tas hom-
mes ont-ilschangét^onaturoî
Lesbornesdu possible,dans les chosesmo-
rales, sont moinsétroitesque nousne pen-
sons; ce sont nos faiblesses,nos vices,nos
préjugésqui les rétrécissent.Les ftmesbas-
ses ne croientpoint aux grands hommes!do
Yils esclavessourient d'un air moqueurà ce
nomdoliberté.
— 123—
Par co qui s'est fait, considéronsco qui
peut se fairo.Jo no parleraipas des ancien-
nes républiques do la Grèce; mais la répu-
bliqueromaine,était,comosemble,un grand
Etat, et la villede Romeunegrandeville.Le
derniercens donna dans Homoquatrecent
mille citoyensportant armes, et lodernier
dénombrement de l'empire, plus de quatre
millionsde citoyens,sans compterles sujets,
les étrangers,les femmes,les enfants,les es-
claves.
Quelledifficultén'imaginerait-onpas d'as-
semblerfréquemment le peupleimmensede
cettecapitaleet de ses environs?Cependant
il se passait p?u do semainesque le peuple
romain ne fût assemblé,et mêmeplusieurs
fols.Non-seulement il exerçaitles droitsde
la souveraineté,mais une partiodo ceuxdu
gouvernement. Il traitaitcertainesaffaires,il
jugeait certainescauses, et tout ce peuple
était sur la placepubliquepresqueaussisou-
vent magistratquocitoyen.
En remontantaux premierstemps des na-
tions,on trouveraitquela plupartdesanciens
gouvernements, mémamonarchiques, telsque
ceuxdesMacédoniens et des Franc*, avaient
de semblablesconseils.Quoiqu'il en soit, ce
seulfaitincontestable répondà touteslesdif-
cultés; do l'existant au possible,la consé-
quencem3 paraîtbonne.
124 -

XIII.-Suite.
Il ne suffit pas que le peupleassembléait
une fols fixéla constitutionde l'Etat, endon-
nant la sanctiona un corps de lois; il nosuf-
lit pas qu'il ait établi un gouvernementper-
pétuelou qu'il ait pourvuune foispourtoutes
i\ l'électiondes magistrats.Outre les assem-
blées extraordinairesque des cas imprévus
peuventexiger, il faut qu'ily enait de fixes
et de périodiquesque rien ne puisseabolirni
proroger,tellementqu'au jour marquélopeu-
ple soitlégitimementconrvoqué parla loi,sans
qu'il soit besoinpourcelad'aucuneautrecon-
vocationformelle.
Mais,hors de cesassembléesjuridiquespar
leur seuledate, tonteassembléedu peuplequi
n'aura pas été convoquéepar les magistrats
préposesh cet effetselonlesformesprescrites
doit être tenue pourillégitime,et tout co qui
s'y fait pour nul, parce que l'ordre mômedo
s'assemblerdoit émanerdo la loi.
Quantaux retours plus ou moinsfréquents
des assembléeslégitimes, ils dépendentde
tant de considérationsqu'onnosauraitdonner
là-dessusdes régies précises.Seulement,on
peut dire en généralque plus lo gorverne-
ment a de force, plus le souveraindoit so
montrer fréquemment.
Ceci,mo dlra-t-on, peut être bon pour une
seule ville; mais que faire quand l'Etat en
comprendplusieurs?Partagora-t-onl'autorité
— 123-
souveralnoou biendoit-onla concentrerdans
uneseulevilleet assujettirtout le resto?
Je répondsqu'on no doit faire ni l'un ni
l'autre. Premièrement,l'autorité souveraine
est simple et une, et l'onno peut la diviser
sans la détruire. En secondlieu, une ville,
non plus qu'unenation, ne peut être légiti-
mementsujette d'une autre, parce que l'es-
sencedu corpspolitiqueest dans l'accorddo
l'obéissanceet dola liberté,et que ces mots
de sujet et de souverainsont descorrélations
identiquesdont l'idéese réunit sous le seul
motde citoyen.
Je réponds encore quo c'est toujoursun
mal d'unir plusieurs villesen une seulecité;
et qiie,voulantfaire cette union,l'on ne doit
pas se flatter d'en éviter les inconvénients
naturels.11ne faut point objecterl'abus des
grands Etats a celuiqui n'en veut quo de pe-
tits. Mais commentdonneraux petits Etats
assez de force pour résister aux grands,
commeJadisles villesgrecquesrésistèrentau
grand roi, et commeplus récemmentla Hol-
lande et la Suisse ont résistéà la maison
d'Autriche?
Toutefois,si on ne peutpas réduirel'Etat h
de justes bornes, Il resto encoreune res-
source: c'est de n'y point souffrirde capi-
tale, de faire siéger le gouvernementalterna-
tivementdans chaqueville,et d'y rassembler
aussitour à tour les états du pays.
Peuplezégalement lo territoire, étendez-y
partout les mômes droits, portez-ypartout
l'abondanceet lu vie; c'est ainsi que l'Etat
deviendratout à la foisle plusfortet lemieux
— 426 ^-
gouverné qu'il soit possible. Souvenez-vous
les murs des villesno so forment quo
u débris des maisons des champs. A cha-
3uo
que palais quo je vois élever dans la capi-
tale, je crois Yoirmettre en masures tout un
pays.
XIV.- suite.
A l'instant quo lo peuple est légitimement
assembléen corpssouverain,toute juridiction
du gouvernementcesse, la puissance execu-
tive est suspendue, et li personne du der-
nier citoyen est aussi sacrée et inviolableque
celle du premier magistrat, purce qu'où se
trouvelo représenté, il n'y a plus de repré-
sentant. La plupart des tumultes'qui s'élevè-
rent à Homodans les comices,vinrentd'avoir
ignoré ou «négligé cette règle. Les consuls
alors n'étaient que les présidents du peuple;
les tribuns, de simplesorateurs (1); lo sénat
n'était rien du tout.
Ces intervallesdo suspension,où lo prince
reconnaît ou doit reconnaître un supérieur
actuel, lui ont toujours été redoutables, et
ces assembléesdu peuple,qui sont l'égide du
corps politiqueet le frein du gouvernement,
ont été de tout temps l'horreur des chefs;
aussi n'épargnent-ils jamais ni soins ni ob-
jections, ni difficultés,ni promesses,pour en
(1) Apeuprèsselonle sensqu'ondonnea cenom
danslo Parlement La ressemblance
d'AnRlclerre. do
cesemploiseûtmisenconnulesconsuls etlestribuns,
quandmémotoutejuridictioneût été suspendue..
- 127 —
rebuter les citoyens.Quandceux-cisont ava-
res, lrtchespusillanimes,plus amoureux du
reposque de la liberté, ils no tiennent pas
longtemps contre les efforts redoublés du
gouvernement; c'e^tainsi quo la force résis-
tante augmentant sans cesse, l'autoritésou-
veraines'évanouit a la fln, et quo la plupart
descités tombentet périssentavec le temps.
Maisentre l'autorité souveraineet le gou-
vernementarbitraire,ils'introduit quelquefois
un pouvoirmoyendontil faut parler.

XV.—Desdéputés
ou représentants.
Sitôtquo le service public cesse d'être la
principaleaffairodes citoyens, et qu'ils ai-
ment mieuxservir de leur bourseque de leur
personne, l'Etat est déjà près de sa ruine.
Faut-il marcher nu combat, ils payent des
troupes et restent chez eux ; faut il aller au
conseil, ils nommentles députéset restent
chezeux, A foreo de paresse et d'argent, ils
ont enfin des soldatspour asservir la patrie,
et des représentantspour la vendre.
C'est le tracas du commerceet des arts,
c'est l'avideintérêt du gain, c'est la mollesse
et l'amour des commoditésqui changent les
servicespersonnelsen argent. On cédo une
partie do son profit pour l'augmenterà son
aise. Donnezdol'argent,et bientôtvousaurez
des fers. Co mot de financeest un mot d'es-
clave; il est inconnu dans la cité. Dans un
Etat vraiment libre, les citoyensfont tout
avecleurs bras, et rien avecde l'argent; loin
— 128 —
do payer pour s'exempter do leurs dovoirs,
ils payeront pour les remplir eux-mômes.Je
suis bien loin dos idées communes;je crois
les corvéesmoins contraires à la liberté que
les taxes. ,
Mieuxl'Etat est constitué,plus les affairos
publiques l'emportent sur les privées dans
l'esprit des citoyens.11y a môme beaucoup
moins d'affaires privées, parco quo la somme
du bonheurcommunfournissantune portion
plus considérableà celuido chaquo individu,
il lui en reste moinsà chercherdans les soins
particuliers. Dans une cité bien conduite,
chacunvoleaux assemblées;sousun mauvais
gouvernement,nul n'aimeà faire un pas pour
s'y rendre, parcequo nul ne prend intérêt à
co qui s'y fait, qu'on prévoit que la volonté
générale n'y dominera pas, et qu'enfin les
soins domestiquesabsorbenttout. Les bonnes
lois en font fairede meilleures,les mauvaises
en amènentde pires. Sitôt que quelqu'undit,
des affairesde l'Etat, que m'Importe?on doit
compterque l'Etat est perdu.
L'attlédissementdo l'amour do la patrie,
l'activité do l'intérêt privé, l'Immensité des
Etats, les conquêtes,l'abusdu gouvernement,
ont fait Imaginerla vole des députés ou re-
présentants du peupledans les assembléesde
la nation.C'est ce qu'en certains pays on ose
appeler le tiers état. Ainsi, l'intérêt particu-
lier de deux ordres est mis au premier et au
secondrang; l'intérêt publicn'est qu'au troi-
sième.
La souveraineténe peut être représentée,
par la mômeraison qu'ellene peut être allé-
— 129 —
liée ; elle consisteessentiellementdans la
lonté générale, et la volonténo se représenta
point; elle est la mômeou elle est nutro, il
n'y a point do milieu. Les députés du peuple
no sont donc ni ne peuventêtre ses représen-
tants; Us no sont que ses commissaires,ils ne
peuvent rien conclure définitivement.Toute
loi que lo peupleen personne n'a pas ratltiéo
est nulle : co n'est point une loi. Le peuple
anglais pense être libre, 11se trompe fort; Il
ne l'est que durant l'électiondes membresdu
Parlement; sitôt qu'ils sont élus, il est escla-
ve, il n'est rien. Dans les courts momentsde
sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien
qu'il la perde.
L'idée des représentants est moderne; ello
nous vient du gouvernement féola), do cet
inique et absurde gouvernementdans lequel
l'espècehumaine est dégradée,et où le nom
d'homme est en déshonneur. Dans les an-
ciennesrépubliques,et mêmedans les monar-
chies,jamais le peuplen'eut de représentants;
on ne connaissait pas ce mot-là. Il est très
singulierqu'à Rome,où les tribuns étaient si
sacrés, on n'ait pas mômeimaginéqu'ils pus-
sent usurper les fonctionsdu peuple,et qu'au
milieu d'une si grande multitude, ils n'aient
jamais tenté de passer de leur chef un seul
plébiscite.Qu'onjuge cependant de l'embar-
ras que causait quelquefoisla fouie,parce qui
arriva du temps des Grucques,où une partie
des citoyens donnait son suffrage de dessus
les toits. Oà le droit et la liberté sont toutes
choses,les Inconvénientsne sont rien. Chez
ce sage peuple,tout était mis à sa justo me-
>PC0M1UT SOCIH. 5
— 130 —
sure; il laissait faire a ses licteurs co que ses
tribuns n'eussent osé faire ; il ne craignait
pas que ses licteurs voulussentle représen-
ter.
Pour expliquer cependant comment les tri-
buns le représentaientquelquefois,il suffitde
concevoir comment lo gouverne.uent repré*
sente le souverain. La loi n'étant que la dé-
claration de la volonté générale, il est clair
quo dans la pulssancolégislativele peuple ne
peut être représenté; maisilpeutet doitl'être
dans la puissanceexecutive, qui n'est que la
força nppliquéoà la loi. Ceci fait voir qu'en
examinant bien les choses, on trouverait que
très peu de nations ont des lois.Quoiqu'il en
soit, il est sûr que les tribuns n'ayant aucune
partie du pouvoirexécutif, ne peuventjamais
représenter le peupleromain par les droits de
leurs ctiurges, mais seulement en usurpant
sur ceux du sénat.
Chez les Grecs, tout co que le peupleavait
h faire, il lo faisait par lui-même; il élaltsans
cesse assemblésur la place.Il habitait un cli-
mat doux, il n'était point avide, des esclaves
faisaient ses travaux, sa grande affaireétait
sa liberté. N'ayantplus les mômesavantages,
comment conserver les unîmes droits? Vos
Climatsplus durs vous donnent plus de be-
soins (1),six mots de l'année, la placepubli-
que n'est pas tenable; vos langues sourdes ne
peuvent se faire entendre en plein air, vous
(I)Adopter dan*les paysfroidslo luxeet la mol-
lessedes Orientaux,cesl vouloirso donnerleui*
chaînes,c'ests'ysoumettre encoreplusnécessairement
qu'eux..
— 131 —
donnez plus à votre gain qu'à votre liberté,
et vous craignez bien moins l'esclavageque
la misère.
Quoi!la liberté ne se maintient qu'à l'ap-
pui do la servitude1?peut-être. Les deux
excès se touchent. Tout co qui n'est point
dans la nature a ses inconvénients,et la so-
ciété civileplusque tout le reste. Il y a telles
positionsmalheureusesoù l'on ne peut con-
server sa liberté qu'aux dépens de celled'au-
trul, et où le citoyen no peut être parfaite-
ment libre que l'esclavene soit extrêmement
esclave: telle était la positiondo Sparte. Pour
vous, peuples modernes, vous n'avez point
d'esclaves,mais vous l'êtes, vous payez leur
liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter
cette préférence,j'y trouve plus do lâcheté
que d'humanité.
Je n'entends point par tout cela qu'il faille
avoir des esclaves,ni que lo droit d'esclave
soit légitime,puisquej'ai prouvéle contraire.
Je dis seulement les raisons pourquoi les
peuplesmodernesqui se croientlibresont des
représentants,et pourquoiles peuplesanciens
n'en avalent pas. Quoiqu'il en soit, à l'instant
qu'un peuple se donne des représentants, il
n'est plus llbro, il n'est plus.
Tout .bleu examiné, je ne vois pas qu'il
soit désormaispossibleau souverainde con-
server parmi nous l'exercicede ses droits, si
la cité n'eit très pelito. Maissi elle est très
petite, ellesera subjuguée?Non.Je ferai voir
ci-après (l) commenton peut réunir la puls-
(i)C'estceque]e m'étaisproposéde fairedansla
— 132 —
sance extérieure d'un grand peuple aveola
policoalséo et le bon ordre d'un petit Etat.
XVI.—Quel'Institution
dugouvernement
n'est
p oint
un contrat.
Lo pouvoirlégislatifune folsbien établi, il
s'agit d'établirdo mémo le pouvoirexécutif;
car co dernier,qui n'opère quo par des actes
particuliers,n'étant pas l'essencede l'autre,
en est naturellementséparé.S'ilétait possible
que lo souverain,considérécommetel, eût la
puissance executive, le droit et le fait se-
raient tellementconfondusqu'on ne saurait
plus co qui est loi et co qui no l'est pas, et lo
corpspolitique ainsi dénaturé serait bientôt
en proie à la violence contre laquelle11fut
institué.
Les citoyensétant tous égaux par le con-
trat social,ce que tous doivent faire, tous
peuvent le prescrire, au lieu que nul n'a
droit d'exiger qu'un autre fasse co qu'il ne
fait pas»lui-même.Or, c'est proprement ce
droit, indispensablepour faire vivre et mou-
voir lo corps'politique, quo le souverain
donne au prince en instituant le gouverne-
ment.
Plusieurs ont prétendu que l'acte de cet
établissementétait un contrat entre le peu-
ple et les chefs qu'il se donne,contrat par
snitodocetouvrage, traitantdw»relations
lorsqu'en
externes,l'en seraisvenuaux confédérations s ma-
tièretoutoneuveet oùles principes sontencorea
établir.
— 133 —
lequel on stipulait entre les deux parties les
conditions sous lesquellesl'une s'obligeait à
commanderet l'autre à obéir.On conviendra,
Je m'assure, que voilà une étrange manière
de contracter; mais voyons si cette opinion
est soutenable.
Premièrement, l'autorité suprême no peut
pas plus se modifierque s'aliéner; la limiter,
c'est la détruire. Il est absurde et contradic-
toire que le souverainso donneun supérieur;
s'obligerd'obéir à un maître, c'est se remet-
tre en pleine liberté.
De plus, il est évident que co contrat du
peuple avec telles ou telles personnes serait
un acte particulier; d'où il suit quo ce contrat
ne saurait être une loi ni un acte de souve-
raineté, et que, par conséquent,il serait illé-
gitime.
On voltencore que les parties contractantes
seraient entre ellessous la seule loi de nature
et sans aucun garant de leurs engagements
réciproques,co qui répugne do toutes maniè-
res à l'état civil; celui qui a la forceen main
étant toujours le maîtrede l'exécution,autant
vaudrait donner lo nom de contrat à l'acte
d'un homme qui dirait à un autre : « Jo vous
donne tout mon bien,à la conditionque vous
m'en rendrez ce qu'il vous plaira. »
II.n'y a qu'un contrat dans l'Etat, c'est ce-
lui de l'association,et celui-làseul en exclut
tout autre. Onne saurait imaginer aucuncon-
trat publie qui no fût une violationdu pre-
mier.
— 134—

XVII.—Del'institution
du gouvernement.
Sousquelleidéefaut-ildoncconcevoirl'acte
par lequello gouvernementest institué? Je
remarqueraid'abord que cet acte est com-
plexeou composédo deux autres, savoir: l'é-
tablissementdo la loi et l'exécutionde la loi.
Par lo premier, le souverainstatue qu'ily
aura un corps do gouvernementétabli sous
telleou telle forme;et ilestclair que cet acte
est une loi.
Par le second, le peuple nommeles chefs
qui seront chargés du gouvernementétabli.
Or, cette nominationétant un acte particu-
lier, n'est pas unesecondeloi,maisseulement
unosuite do la première, et une fonctiondu
gouvernement.
La difficultéestd'entendrecommenton peut
avoirun acte do gouvernementavant que le
gouvernementexiste, et commentle peuple,
qui n'est quo souverainou sujet, peut deve-
nir prince ou magistrat dans certainescir-
constances.
C'estencoreici quoso découvreunode ces
étonnantespropriétésdu corps politique,par
lesquellesil concillodes opérationscontradic-
toires en apparence;car celle-cise fait par
une conversionsubitede la souverainetéen
démocatie. en sortequo sans aucunchange-
ment sensible,et seulementpar unonouvelle
relationdo tousà tous, les citoyens,devenus
magistrats, passentdes actes générauxaux
actes particuliers,et dola loià l'exécution.
- 138 —
Ce changementde relation n'est point une
subtilité de spéculationsans exempledans la
pratique; il a lieu tous les Jours dans le Par-
lement d'Angleterre,où la Chambrebasse, en
certaines occasions,se forme en grand co-
mité, pour mieux discuter les affaires,et de-
vient ainsi simplecommission,de coursouve-
raine qu'elleétait l'instant précédent; en telle
sorte qu'elle se fait ensuite rapport à elle-
même commo Chambredes communesde co
qu'elle vient do régler en grand comité;et
délibère de nouveau FOUSun titre de co
qu'ellea déjà résolusous un autre.
Tel est l'avantage propre nu gouvernement
démocratique,de pouvoir ôtro établi dans lo
fait par un simple acte do la volonté géné-
rale. Aprèsquoi, co gouvernement provision-
nel reste en possession,si telle est la formo
adoptéeou établie au nom du souverain, lo
gouvernement prescrit par la loi; et tout se
trouve ainsi dans la règle. Il n'est pis possi-
ble d'instituer lo gouvernementd'aucuneautre
maniôro légitime,et sans renonceraux prin-
cipes cl-dovantétablis.
XVIII.—Moyens
doprévenirlesusurpations
du
gou.ernemcnt.
De ces éclaircissementsil résulte, en confir-
mation du chapitre xvi, quo l'acte qui institue
le gouvernementn'est point un contrat, mais
une loi; que les dépositairesdo la puissance
executiveno sont point les maîtres du peu-
ple, uiais ses ottlciers} qu'il peut les dtubllr
— 136 —
et les destituer quand il lui plaît; qu'il n'est
point questionpour eux de contracter, mais
d'obéir,et qu'en se chargeant des fonctions
que l'État leur impose,ils ne font que rem-
plir leurdevoirdo citoyens,sans avoir en au-
cune sorte le droit de disputersur les condi-
tions.
Quanddonc il arrive quo le peupleInstitue
un gouvernementhéréditaire,soit monarchi-
que dans uno famille, soit aristocratique
dans un ordrede citoyens,ce n'est point un
engagementqu'il prend; c'est une formepro-
visionnellequ'il donneà l'administration,jus-
qu'à ce qu'il lui plaise d'en ordonner autre-
ment.
Il est vrai que ces changements sont tou-
jours dangereux,et qu'il ne faut jamaistou-
cher au gouvernementétabli que lorsqu'ilde-
vient incompatibleavec le bien public; mats
cette circonspectionest une maxime do poli-
tique, et non pas uno règle de droit; et l'Etat
n'est pas plus tenu de laisser l'autoritécivile
à.ses chefs, que l'autorité militaireà ses gé-
néraux.
Il est vrai encoroqu'on ne saurait, en pa-
reil cas, ob&erveravec trop do sointoutes les
formalitésrequises pour distinguer un acto
régulier et légitimed'un tumulte séditieux,
et la volontédo tout un peupledes clameurs
d'une faction. C'est Ici surtout qu'il ne faut
donnerau cas odieux que co qu'on ne peut
lui refuser dans touto la rigueur du droit! et
c'est aussi de ectto obligationquo le prince
tiro un grand avantage pour conserversa
puissancemalgrélo peuple,sans qu'on puîsso
— 137 —
dire qu'il l'ait usurpée; car. en paraissant
n'user que de ses droits, il lui est fort aisé de
les étendre, et d'empêcher,sous le prétexte
du repos public, les assembléesdestinées a
rétablir le bon ordre; do sorte qu'il se pré-
vaut d'un silence qu'il empêche do rompre,
ou des irrégularitésqu'il fait commettrepour
supposeren sa faveur l'aveu de ceux que la
crainte fait taire, et pour punir ceux qui
osent parler. C'est ainsi quo les décemvirs,
ayant été d'abordélus pour un an, puis con-
tinués pour une autre année, tentèrent de
retenir à perpétuité leur pouvoir,en no per-
mettant plus aux comicesde s'assembler;et
c'est par cefacilemoyenque tous les gouver-
nements du monde, une fols revêtus de la
forcepublique,usurpent tôt ou tard l'autorité
souveraine.
Les assembléespériodiquesdont j'ai parlé
ci-devantsont propres à prévenirou différer
ce malheur,surtout quand ellesn'ont pas be-
soin de convocationformelle; car alors le
prince ne saurait les empêcher,sans se décla-
rer ouvertementinfracteurdes lois et ennemi
de l'Etat.
L'ouvcrturode ces assemblées,qui n'ont
pour objet quo le maintien du traité social,
doit toujours so faire par deux propositions
qu'on no puisseJamaissupprimeret qui pas-
sent séparémentpar les suffrages.
La première: S'il plaît au souverainîle con-
serverla présentefirmedegouveriumenl.
La seconde: SUlplatt au peupled'enlaisser
fadminltlrallonà ceuxqui en sontactuellement
chargés,
- 138 —
Je suppose ici ce quo Je croîs avoir démon-
tré, savoir, qu'il n'y a dans l'Etat adcune loi
fondamentalequi ne se puisse révoquer,non
pas môme le pacte social; car si tous les ci-
toyens s'assemblaient pour rompre ce pacte
d'un communaccord, on ne peut douter qu'il
ne fût très légitimementrompu.Grotiuspense
même quo chacun peut renoncerà l'Etat dont
il est membre et reprendre sa liberté natu-
relle et ses biens, en sortant du pays(t).Or, Il
serait absurde que tous les citoyens réunisne
pussent pas co quo peut séparément ch?,cun
d'eux.
(1)Bienentenduqu'onnequittepaspouréluderson
devoiretse dispenser
do servirsa patrieau moment
quVIloa besoindo nous.Li fultoalorsspraitcrimi-
nelleet punissablo;
ceneseraitplusretraite,maisdé-
sertion.
— 139 —

LIVREIV.

I.—Quela volontégénéraleest indestructible.


Tant quo plusieurs hommesréunisse consi-
dèrent commeun seul corps, ils n'ont qu'une
volonté,qui se rapporteà la communeconser-
vation et au bien-êtregénéral. Alors,tous les
ressorts de l'Etat sont vigoureuxet simples,
ses maximessont claireset lumineuses;il n'a
point d'intérêts embrouillés",contradictoires;
le biencommunso montre partout avec évi-
dence, et ne demandequo du bon sens pour
être aperçu. La paix, l'union, l'égalité sont
ennemies des subtilités politiques.Les hom-
mes droits et simplessont difficilesà tromper
à cause do leur simplicité; les leurres, les
prétextes raffinés no leur en imposentpoint :
ils ne sont pas même assez fins pour être
dupes. Q ,and on volt chez lo plus heureux
peuple du mondedes troupes de paysansré-
gler les affaires d'Etat sou3un chêne, et se
conduiretoujours sagement, peut-on s'em-
pêcher de mépriser les raffinementsdesautres
nations, qui se rendent illustres et méprisa-
bles avectant d'art et de mystères?
Un Etat ainsigouvernéa besoinde très peu
de lois; à mesure qu'ildevientnécessaired'en
promulguer de nouvelles,cette nécessitése
volt universellement.Lo premierqui les pro-
pose no fait que diroce quo tous ont déjà
— 140 —
senti, et il n'est question ni de brigues ni
d'éloquencepourfaire passeren loi ce que cha-
cun a déjà résolu de faire, sitôt qu'il sera sûr
que les autres le feront commelui.
Ce qui trompe les raisonneurs, c'est que ne
voyant que des Etats mal constitués dès leur
origine, ils sont frappés de l'impossibilitéd'y
maintenir une semblable police. Us rient
d'imaginer toutes les sottises qu'un fourbe
adroit, un parleur insinuant, pourrait persua-
der au peuplede Paris ou de Londres. Ils ne
savent pasque Cromwelleût étémis aux son-
nettes par le peuple de Berne, et le duc de
Beaufortà la disciplinepar les Genevois.
Mais quand le noeudsocial commenceà se
relâcher et l'Etat à s'affaiblir,quand les inté-
rêts particulierscommencentà se faire sentir
et les petites sociétésà influersur la grande,
l'intérêt commun,s'altère et trouve des oppo-
sants; l'unanimiténe régne plus dans les voix;
la volonté générale n'est plus la volontéde
tous; 11s'élève des contradictions, des dé-
bats, et le meilleur avis no passo point sans
disputes.
Enfin, quand l'Etat, près do sa ruine, ne
subsiste plus quo par uno /ormo illusoireet
vaine, quo le lieu socialest rompu dans tous
les coeurs,quo lo plusvil intérêtse pare effron-
tément du nom sacré du bien public, alors la
volonté générale devient muette,tous, guidés
par des motifssecrets, n'opinentpas plus com-
me citoyensque si l'Etat n'eût Jamais existé,
et l'onfait passer faussoment,sous le nom do
lois,les décretsIniquesqui n'ont pour but quo
l'Intérêt particulier.
— 141—.
S'ensuit-ilde là que la volontégénéralesoi
anéantieou corrompue?Non;elleest toujours',
constante, inaltérableet pure; mais elle est
subordonnéeà d'autres qui l'emportent sur
elle. Chacun, détachant son intérêt do l'in-
térêt commun,voitbien qu'il ne peut l'en sé-
parer tout à fait; maissa part du mal public
ne lui paraît rienauprèsdu bienexclusifqu'il
prétend s'approprier. Ce bien particulier
excepté,Il veut le biengénéralpour sou pro-
pre intérêt tout aussi fortementqu'un autre.
Mômeen vendantson suffrageà prixd'argent,
il n'éteint pas en lut la volonté géné-
rale; il l'élude. La faute qu'il commetest
de changer l'état de la questionet de ré-
pondre autre chose que ce qu'on lui de-
mande; en sorte qu'au lieu de dire, par son
suffrage, Il est avantageuxA l'Etat, il dit, il
estavantageuxà telhommeou à tel purli quo
telou Iciavispasse.Ainsi,lf&lolde l'ordre pu-
blic dans les assembléesîvest pas tant d'y
maintenir la volontégénérale,que de faire
qu'ellesoit interrogéeet qu'ellorépondetou-
jours.
J'aurais Icibiendes réflexionsà faire sur lo
simpledroit do voter dans tout acte de sou-
veraineté,droit que rien no peut ôter aux ci-
toyens,et sur celui d'opiner,de proposer,tlo
diviser, do discuter,quo lo gouvernementu
toujours grand soin do ne laisser qu'à ses
membres; maiscette importantematièrede-
manderaitun traité à part, et Je no puis tout
dire dans celui-ci.
- 142 —

II. —Dessuffrages.
On voit, par lo chapitre précédent, que la
manière dont se traitent les affaires généra-
les peut donner un indice assez sûr de l'état
actuel des moeurset do la santé du corps po-
litique. Plus le concert règne dans les assem-
blées, c'est-à-dire plus les avis approchent de
l'unanimité, plus ainsi la volonté générale est
dominante; mais les longs débats, les dissen-
sions, le tumulte, annoncent l'ascendant des
Intérêts particuliers et le déclin de l'Etat.
Ceci paraît moins évident, quand deux ou
plusieurs ordres entrent dans sa constitution,
commoà Romeles patriciensot l's plébéiens,
dont les querelles troublèrent souvent les co-
mices, même dan$,les plus beaux temps de la
république; nuls cette exception est plus ap-
parente que réelle; car alors, par le vice in-
hérent au corps politique, on a, pour ainsi
dire, deux Etats en un; ce qui n'est pas vrai
dans deux ensembles, est vrai do chacun sé-
parément. Et, en effet, dans les temps mémo
les plus orageux, les plébiscites du peuple,
quand le sénat ne s'en mêlait pas, pissaient
toujours tranquillement,à la grande pluralité
des suffrages; les citoyensn'ayant qu'un Inté-
lo
rêt, peuple n'avait qu'une volonté. •
A l'autre extrémité du cercle, l'unanimité
revient ! c'est quandles citoyens,tombésdans
la servitude, n'ont plus ni liberté ni volonté.
Alors, la crainte et la flutterlo changent en
— 143 —
acclamation les suffrages;on ne délibèreplus,
on adoreet l'onmaudit.Telleétait la vile ma-
nière d'opinerdu sénat sousles empereurs.
Quelquefois celase faisaitavecdesprécautions
ridicules.Taciteobserveque, sous Othon,le3
sénateurs, accablantVitelllusd'exécrations,
affectaientde faireen même temps un bruit
épouvantable,alln que, si par hasard il deve-
nait le maître,il ne put savoirco que chacun
d'euxavait dit.
De ces diverses considérationsnaissentles
mnximessur lesquelleson doit réglerla ma
ntèrede compterles voix et de comparerles
avis, selonquela volontégénéraleest plus ou
moinsfacileà connaître,et l'Etat plusoumoins
déclinant.
Il n'y a qu'une seuleloi qui, par sa nature,
exige un consentementunanime : c'est le
pacte social; car l'associationciviloest l'acte
du monde le plus volontaire; tout homme
étant né libre et maîtrede lui-même,nul ne
peut, sous quelque prétexte que ce pulsso
être, l'assujettirsans sonaveu.Déciderque lo
fils d'un esclavenaît esclave, c'est décider
qu'il no naît pas homme.
SI donc,lors du pacto social,il s'y trouve
des opposants,leur oppositionn'invalidepas
le contrat, elle empêcheseulementqu'ils n'y
soientcompris; ce sont des étrangers parmi
les citoyens.Quandl'Etat est institué,lo con-
sentementest dans la résidence;habiter le
territoire,c'est so soumettreà la souverai-
neté (1).
(i)Cecidoittoujours d'unEtatlibre;car
s'entendro
— 144 —
Hors ce contrat primitif, la voix du plus
grand nombreoccupetoujourstous lesautres;
c'est une suite du
' mandecommentun hommecontrat, même.Maison de-
peut être libroet
forcé de se conformer à des volontésqui ne
sont pas les siennes1 commentles opposants
sont-ils libres et soumis à des lois auxquelles
ils n'ont pas consenti?
Jo répondsque la question est mal posée.
Lo citoyenconsentà toutes les lois, même à
colles qu'on passe malgré lui, et môme a
celles qui le punissentquand il ose en violer
quelqu'une. La volontéconstante do tous les
membres de l'Etat est la volonté générale;
c'est par elle qu'ils sont citoyenset libres (i).
Quand on propose uno loi dans l'assemblée
du peuple,co qu'on leur demande n'est pas
précisément s'ils approuvent la proposition
ou s'ils la rejettent, matssi elloest conforme
ou non à la volontégénérale,qui est la leur;
chacun, en donnantsou suffiâge, dit son avis
là-dessus, et du calculdes voix so tire la dé-
clarationde la volontégénérale. Quand dono
l'avis contraire au mien l'emporte, cela ne
prouveautre chosesinon que je m'étais trom-
d'nllleurs
la famille,lesMens,le défautd'nisllc.
laoê-
cc^lté,la violence,peutontretenirun habitantdans
lopaysmalgrélui.etalorssonséjourseulnosuppose
plus sonconsentement aucontratou.1la violationdu
contrat.
(t) AGénrs.on lit audevantdosprisonsetsur les
fersdes«alérlmisco molliberlas-Cetteapplicationde
aduvhooslbollootJuste.En ciïel.tl n'ya quoles
malfaiteurs do tousEtalsnul cmpiVIient lo citoyen
délielibro.Dansun paysoutousros Kcns»l\ sciaient
auxgalcres,onjouiraitdola plusparfaite liberté.
— 145 —
pé, et que ce que j'estimais être la volonté
généralene l'était pas. Si mon avis particu-
lier l'eût emporté, j'aurais fait autre chose
que ce queJ'avais voulu; c'est alors que je
n'aurais pas été libre.
Ceci suppose,il est vrai, que tous les ca-
ractèresdo la volonté générale sont encore
dans la pluralité;quand ils cessent d'y être,
quelqueparti qu'on prenne,il n'y a plus de
liberté.
Eu montrant ci-devantcommeon substi-
tuait des volontésparticulièresà la volonté
généraledans les délibérationspubliques,j'ai
suffisammentindiqué les moyens praticables
de prévenir cet abus; j'en parlerai encore
cl-apré».A l'égard du nombreproportionnel
des suffragespour déclarercette volonté,J'ai
aussidonnédes principessur lesquelsou peut
le déterminer.La différenced'une seule voix
romptl'égalité,un seul opposantrompt l'una-
nimité; mais,entre l'unanimitéet l'égalité, il
y a plusieurspartagesinégaux,à chacun des-
quels0,1peut fixerce nombre,selon l'état et
les besoinsdu corpspolitique.
Deux^naximesgénérales peuvent servir à
régler ces rapports: l'une,quoplus les délibé-
rations sont importanteset graves,plusl'avis
qui l'emportedoit approcherde l'unanimité;
l'autre, que plus l'affaireagitée exige do cé-
lérité,plusondoit resserrerla différeneopres-
crite dans le partage desavis. Dans les déli-
bérations qu'il faut terminer sur-lo-champ,
l'excédantduno seule voix doit suffire.La
premièrede cos maximesparaît plus conve-
nableaux loiset la socondoauxaffaires.Quoi
— 146 —
qu'il en soit, c'est sur leur combinaison que
s'établissent les meilleurs rapports qu'on peut
donner à la pluralité pour prononcer.

Ut,—Desélections.
A l'égard des élections du prince et des ma-
gistrats, qui sont, commeJe l'ai dlt>des actes
complexes,il y a deux votes pour y procéder,
savoir, le choix et lo sort. L'une et l'autre ont
été employéesen diverses républiques,et l'on
voit en.-oie actuellement un mélange très
compliqué des deux dans l'élection du doge
de Venise.
« Le suffrage par le sort, dit Montesquieu,
est do la nature do la démocratie.,• J'en con-
viens, mais commentcela? • Le sort, continue-
t-il,estune façond'élire qui n'uMigepersonne;
il laisse à chaque citoyen une espérance rai-
sonnable do servir sa patrie. » Ce ne sont pa3
là des raisons.
SI l'on fait attention que l'électiondes chefs
est uno fonction du gouvernement et non de
souveraineté,on verra pourquoila vole du sort
est plus dans la nature de la démocratie où
l'administration est d'autant meilleure que les
actes en sont moins multipliés.
Dans toute véritable démocratie, la magis-
trature n'est pas un avantage, m ils une charge
onéreuse qu'on ne peut Justement Imposerà
un particulier plutôt qu'à un autre. La loi
seule peut imposer cotte charge à celui sur
qui le sort tombera : car alors la condition
étant égale pour tous et le choixne dépendant
— 147—
d'aucunevolontéhumaine,il n y a pointd'ap-
plicationparticulièrequi altéro l'universalité
de la lot.
Dansl'aristocratie,le princechoisitloprince,
le gouvernementse conservopar lui-même,et
c'est là que les suffragessont bien placés.
L'exemplede l'électiondu doge do Venise
confirmecette distinction,loin do la détruire;
cette formemêlée convientdans un gouver-
nement mixte, car c'est une erreurde pren-
dre.le'gouvernementde Venis pour une vé-
ritable aristocratie.SI le peuple n'y a nulle
part au gouvernement, la noblessey est peuple
elle-môino.Unemultitudedo pauvresbarna-
botes n'approchaJamais d'aucunemagistra-
ture, et n'a de sa noblesseque lovain titre
d'excellenceet le droitd'assisterau grandcon-
seil.Ce grand conseil étant aussi nombreux
que notreconseilgénéralà Genève,ses illus-
tres membresn'ont pasplus de privilègesquo
nos simples citoyens.Il est certainqu'ôtunt
l'extrême disparité des deux républiques,la
bourgeoisedo Genèvereprésenteexactement
le patrlclatvénitien;nos natifs et habitants
représententles citadinset la peuplede Ve-
nise ; nos paysans représententles sujets de
terre-ferme;enfin, do quelque manière que
l'on considèrecette république,abstraction
faitede sa grandeur,son gouvernementn'est
pas plus aristocratiqueque le nôtre.Toutela
différenceest que, n'ayant nucuti chef a vie,
nousn'avonspa3lomômebesoindu sort.
Les élections,parsort,auraient peu d'incon-
vénientsdansunovéritabledémocratie,oùtout
étant égal, aussi bien par les moeurset par
— 148—
les talents, quopar lesmaximeset par la for-
tuno, lo choixdeviendraitpresqueindifférent.
MaisJ'ai déjà dit qu'il n'y avait point de véri-
tabledémocratie
Quandle choixet le sort se trouventmêlés,
le premierdoit remplirles pl.acesqui deman-
dent d s talents propres,tellesque les emplois
militaires; l'autre convient à celles où suffi-
sent le bon sens, la justice,l'intégrité, telles
que les charges de judlcaturo; parce que,
dans un Etat bien constitué,ces qualitéssont
communesà tous les citoyens.
Le sort ni les suffrages n'ont aucunlien
dans lo gouvernementmonarchique.Le mo-
narque étant de droit seulprlncoet magistrat
unique,lochoixdeses lieutenantsn'appartient
qu'à lui. Quand l'abbéde Saint-Pierrepropo-
sait de multiplierlesconseilsdu rblde France,
et d'en élireles membres par scrutin, il ne
voyaitpas qu'il proposaitde changerla forme
du gouvernement.
Il me resterait à parler do la manièrede
donneret de recueillirles voix dans l'assem-
bléedu peuple;mais peut-ôtrel'historiquedo
la policeromaine,à cet égard, expliquera-t-il
plus sensiblementtoutes les maximesque Je
pourrais établir. Il n'est pas indigne d'un lec-
teur Judicieuxde voir un peu en détailrom-
ment se traitent les affairespubliqueset par-
ticulièresdans un conseildo deux cent mille
hommes.
— 149 -

IV.—Descomices
romains.
Nousn'avons nuls monumentsbien assurés
des premiers temps de Rome; il y a mémo
grande apparenceque la plupart des choses
qu'onen débitesont des fables( ); et, en géné-
ral, la partie la plus instructive des annales
des peuples,qui est l'histoire de leur établis-
sement, est celle qui nous manquo le plus.
L'expériencenousapprendtous les jours de
quelles causes naissent les révolutions des
empires; mais commeil ne so formo plus do
nous n'avons guère que des conjec-
Îieuples,
ures pour expliquer comment ils se' sont
formés.
Les usages qu'on trouve établis attestent
aumolti3 qu'ily eut uno origineà ces usages.
Des traditions qui remontentà ces origines,
celles qu'appuientles plus grandes autorités,
et que de plus fortesraisons confirment,doi-
vent p sser pour les plus certaines. Voilàles
maximesque j'ai tâché de suivre en recher-
chant comment le plus libre et le pluspuis-
sant peuple de la terre exerçait son pouvoir
suprême. »
Après la fondation do Rome,la république
naissante, c'est-à-direl'armée du fondateur,
Lenomdollome,qu'onprétendvenirdeRomu-
(i)est
grec
lus,aussi etslgnllteforce; le nomde Numnest
frec et slgnillétof. apparence
Quelle quolesdeux
premiers roisdocettevilleaient portéd'avanceles
nomssibienrelatifsà coqu'ilsontfait?
— 150 —
composéed'Albains,do Sabinset d'étrangers,
lut diviséeen trois clnsses,qui de cettedivi-
sion prirent le nom «lo tribu*.Chacunede
ces tribus fut subdiviséeendix curies,etcha-
quo curie en décuries,à la tête desquelles
on mit des chefs, appeléscurionset décu-
rions.
Outrecela,on tira do chaquetribuuh corps
de cent cavaliTsou chevaliers,appelécentu-t
rie; par ou l'on voit quo ces divisions,peu'
nécessairesdansun bourg, n'étaient d'abord
que militaires.Maisil semble qu'un instinct
de grandeur portaitla petite villode Romeà
se donnerd'avanceuno policeconvenableà la
canltalodu monde.
Do co premierpartago résulta bientôtun
inconvénient:c'estquela tribu des Albains(1)
et celo des Sabins (2) restant toujours au
mêmeétat, tandis que celledes étrangers(3)
croissaitsans cessepar lo concoursperpétuel
de ceux-ci,cette dernièrene tarda pas à sur-
passerles deuxautres.LeremèdequeServtus
trou»aà ce dangereuxabus fut de changerla
division,et, à celledes races qu'il abolit,d'en
substituer uno autre tirée «leslieux de la
villooccupéepar chaque tribu. Au lieu de
trois tribus, il en fit quatre, chacunedes-
quellesoccupaitune des collinesdo Romeet
en portait le nom.Ainsi,remédiantà l'inéga-
lité présente, il la prévint encorepour l'ave-
nir, et afin quo cettedivisionne fût pas seu-
(t) Rimnenm.
(S)Tiitienses.
(î) Luceres.
— 181 —
lement de lieux, mais d'hommes, il défendit
aux habitants d'un quartier de passer dans
un autre, ce quiempochales races de so con-
fondre.
Il doublaaussi les trois anciennescenturies
do cavalerie,et y en njouta douzeautres, mais
toujourssous les anciensnoms, moyensimple
et judicieuxp ir lequelil acheva de distinguer
le corps des chevaliers de celui du peuple,
sans faire murmurerce dernier.
A ces quatre tribus urbiiues, Servius en
ajouta qumzo autres, appelées tribus rusti-
ques; parce qu'ellesétalent forméesdes habi-
tants de la campagne partagés en autant de
cantons. Dans la suite, on en fit autant de
nouvelles, et le peuple romain se trouva
enfin diviséen trente-cinqtribus, nombre au-
quel ellesrestèrent fixées jusqu'à la fin do la
république.
De cette distinctiondes tribus do la villeet
des tribus de la campagnerésulta un effet di-
gne d'être observé,parce qu'iln'y en a point
d'autre exemple,et que Romelui dut à la fois
la conservation de ses moeurset l'uccroisse-
raeut de son empire. On croirait que les tri-
bus urbaines s'arrogèrent bientôt la puis-
sance et les honneurs,et ne tardèrent pas d'a-
vilir les tribus rustiques; co fut tout le con-
traire. On connaît le goilt des premiers Ro-
mains pour la vie champêtre. Co goût leur
venaitdu sage instituteur qui unit à la liberté
les travaux rustiqueset militaires, et relégua,
pour ainsidire, à la ville,les arts, les métiers,
l'intrkue, la fortuneet l'esclavage.
Ainsi, tout ce que Romeavait d'illustre vi-
— 1B2—
vant aux champs et cultivant la terre, on
s'accoutumaà ne chercherquo là les soutiens
de la république.Cet état, étant celuides plus
dignes patriciens,futhonoréde tout le monde;
la vie simple et laborieuse des villageoisfut
préférée à la vie oisive et lâche des bour-
geois de Rome,et tel n'eût été qu'un malheu-
reux prolétaire à la ville, qui, laboureur aux
champs,devintun citoyenrespecté.Cen'est pas
sans raison, disait Varron,que nos magnani-
mes ancêtres établirent au village la pépi-
nière de ces robustes et vaillants hommes
qui les défendaienten temps de guerre et les
nourrissaient en temps de paix. Pline dit po-
sitivement que les tribus des champsétalent
honorées à causo des hommes qui les com-
posaient; au lieu qu'on transférait, par igno-
minie, d ins cellesde la ville les lâches qu'on
voulaitavilir. Le Sabin AppiusClaurtlusétant
venu s'établir à Rome,y fut comblé d'hon-
neurs et inscrit dans une tribu rustique,qui
prit dans la suite le nom de sa famille.Enfin,
les affranchis entraient tous dans les tribus
urbaines, jamais dans les rurnles, et il n'y-
a pas, durant toute la république, un seul
exemple d'aucun do ces affranchisparvenu
à aucune magistrature, quoique devenu ci-
toyen.
Cette maxime était excellente; mais elle
fut poussées.1loin, qu'il en résulta enfinun
changement,et certainementun abus dansla
police.
Premièrement, les censeurs, après s'être
arrogé longtemps le droit de transférer arbi-
trairement les citoyens d'une tribu à l'autre,
— 153 —
permirentà la plupart do se faire inscrire
dans celle qui leur plaisait,permissionqui,
sûrement,n'était bonne à rien et était un
des grands ressorts de la censure.De plus,
les grands et les puissants,so faisant tous
inscriredans les tribus de la campagne,et les
affranchis,devenus citoyens,restant avec la
populacedans cellode la villo,les tribus, en
général,n'eurent plus de lieuni de territoire;
mais toutes se trouvèrenttellement mêlées,
ne pouvaitplus discerner les membres
3u'on
e chacune que par les registres; en sorto
que l'idéedu mot tribu passa ainsi du réel
au personnel,ou plutôt devint presqueune
chimère.
Il arriva encore que les tribusdo la ville
étant plus à portée,so trouvèrentsouventles
plus fortesdansles comices,et vendirentl'E-
tat à ceuxqui daignaientacheterles suffrages
de la canailloqui les composait.
A l'égarddes curies, l'instituteuren ayant
fait dixà chaquetribu, tout le peupleromain,
alors,renfermédans les mursde la ville, se
trouva composéde trente curies, dont cha-
cune avait ses temples,ses dieux, ses offi-
ciers, ses prêtres, ses fêtes appeléesCompt-
talia,semblables aux Paganallaqu'eurentdans
la suiteles tribus rustiques.
Au nouveaupartagedo Servius,ce nombre
de trente ne pouvant se répartir également
danscesquatretribus, il n'y voulutpointtou-
cher, et les curies, Indépendantesdes tribus,
devinrentune autre divisiondes habitantsde
Rome;maisil ne fut point questionde curies,
ni danslc3tribus rustiques,ni danslo peuple
— 184 —
qui les composait, parceque les tribus étant
devenuesun établissementpurementcivil, et
uno autre policeayant été introduitepour la
levéodes troupes, les divisionsmilitaires de
Romulusse trouvèrentsuperflues.Ainsi,quoi-
que tout citoyen fût inscrit dans une tribu, il
s'en fallait beaucoupquo chacun ne le fût
dans uno curie.
Servius fit encore une troisièmedivision,
qui n'avait aucun rapportaux deux précéden-
tes, et devint, par ses effets, la plus impor-
tante do toutes. 11distribuatout lo peuplero-
main en six classes,qu'il ne distingua ni par
le lieu, ni par les hommes,mats par les biens,
en sorte (pie les premières classes étaient
rempliespar les riches, les dernièrespar les
pauvres, et les moyennespar ceux qui jouis-
saient d'une fortunemédiocre.Ces six classes
étaient subdiviséesen cent quatre-vingt-treize
autres corps, appeléscenturies, et ces corps
étaient tellementdistribués, quo la première
classe eu comprenaitseule plus de la moitié,
et la dernièren'en formait qu'un seul. Il se
trouva ainsi que laclassela moinsnombreuse
en hommes,l'étaitle plusen centuries, et que
la dernièreclasse entière n'était comptéeque
pour une subdivision, bien qu'elle contînt
seule plus de la moitié des habitantsde Rome.
Afinque le peuple pénétrât moinsles con-
séquencesde cettedernière forme,Servius af-
fecta de lui donnerun air militaire; il inséra
dans la secondeclassedeux centuriesd'armu-
riers, et deax d'instruments de guerre dans
la quatrième; dans chaque classe,excepté la
dernière, il distingua les Jeunes et les vieux,
— 185—
c'est-à-dtreceux qui étalentobligésde porter
les armes et ceux que leur âge en exemptait
par les lois; distinctionqui, plusquo celledes
biens,produisit la nécessitédo recommencer
souvent le cens ou dénombrement;enfin, il
voulutque l'assembléese tînt au champde
Mars, it que tous ceux qui étalent en âge de
servir y vinssentavecleurs armes.
La raison pour laquelleil nesuivit pas,dans
la dernière classe, cette même divisiondes
jeunes et des vieux, c'est, qu'on n'accordait
point à la populacedont elle était composée,
l'honneurdo porter les armespour la patrie;
il fallaitavoirdes foyerspour obtenirle droit
de les défendre,et do cesinnombrablestrou-
pes de gueux dont brillentaujourd'huiles ar-
méesdes rois, il n'y en a pas un, peut-être,
qui n'eûtétéchasséavecdédaind'une cohorte
romaine, quand les soldatsétaientles défen-
seursde la liberté.
On distinguapourtant encore,dans la der-
nière classe,les prolétaires,de ceux qu'onap-
pelait capitecensl.Les premiers,non tout à fait
réduits à rien, donnaient au moins des ci-
toyensà l'Etat, quelquefoismômedes soldats
dans les besoinspressants.Pourceux qui n'a-
valent rien du tou et qu'on ne pouvaitdé-
nombrerque par leurstêtes,ils étaient regar-
dés commenuls, et Mariusfut le premierqui
daigna"lesenrôler.
Sans décider Ici si co troisièmedénombre-
ment était bon ou mauvais en lui-même,Je
crois pouvoiraffirmer qu'il n'y avait que les
moeurssimples des premiers Romains, leur
désintéressement,leur goût pour l'agricul-
— 156 —
turo, leur mépris pour lo commerceet pour
l'ardeur du gain, qui pussent le rendre pra-
ticable Où est le prince modernechez lequel
la dévorante avidité, l'esprit Inquiet, l'intri-
gue, les déplacementscontinuels,les perpé-
tuellesrévolutionsde fortunespussent laisser
durer vingt ans un pareil établissementsans
bouleversertout l'Etat? Il faut mémobien re-
marquer que les moeurs et la cenéuro, plus
fortesque cette institution, en corrigèrentle
vice à Rome, et que tel riche se vit relégué
dans la class$ des pauvres pour avoir trop
étalé sa richesse.
De tout cecil'on peut comprendreaisément
pourquoiil n'est presque jamais fait mention
que do cinq classes, quoiqu'ily en eût réelle-
ment six. La sixièmene fournissantni soldats
à l'arméo, ni votants au champde Mars (i),
et n'étant presque d'aucun usage dans la ré-
publique, était rarement comptéepour quel-
que chose.
Telles furent les différentes divisions du
peuple romain.Voyonsà pré-ent l'effet qu'el-
les produisaientdans les assembées. Ces as-
semblées, légitimement convoquées,s'appe-
laient comices;elles se tenaient ordinaire-
ment dans la placede Romeou au champ do
Mars, et se distinguaient en comices par cu-
ries , comices par" centuries et comicespar
tribus, seloncellesdo cestrois formessur la-
Je disau champde Mars, parcequec'étaitlà,
(I)s'assemblaient
quo lescomices
par centuries
; dansles
deuxautresformes,lo peuples'assemblaitau Forum
ou ailleurs,et alors lescapitecemtavalentautant
d'influenceetd'autorité
quolespremierscitoyens,
- 157 —
quelle elles étalent ordonnées.Les comices
par curies étaient de l'institutiondo Romu-
lus ; ceuxpar centuries,de Servius;ceux par
tribus, des tribuns du peuple. Aucuneloi no
recevaitla sanction, aucun magistrat n'était
élu quo dans les comices, et comme il n'y
avait aucun citoyenqui no fût Inscrit dans
uno curie, dam uno centurie ou dans uno
tribu, il s'ensuitqu'aucuncitoyenn'étaitexclu
du droit de suffrage,et que le peupleromain
était véritablementsouveraindo droit et do
fait.
Pour que les comicesfussentlégitimement
assembles,et quo co qui s'y faisait eût forco
de. loi, il fallait trois conditions: la pre-
mière,que lo corps ou lo magistrat qui les
convoquaitfût revêtu pour celade l'autorité
nécessaire; la seconde,que l'assembléese fit
un des jours permispar la loi; la troisième,
que les auguresfussentfavorables.
La raison du premierrèglementn'a pas be-
soind'être expliquée.Le secondest une af-
faire de police;ainsi, il n'était pas permisdo
tenir les comicesles jours do féerieet demar-
ché, où les gens de la campagne,venant à
Rome pour leurs affaires, n'avaient pas lo
tempsde passerla Journéedans la placepu-
blique. Par le troisième, lo sénat tenait en
brideun peuplefier et remuant,et tempérait
a proposl'ardeur des tribuns séditieux;mais
ceux-citrouvèrentplus d'un moyende se dé-
livrerde cette gêne.
Les loisde l'électiondes chefsn'étalentpas
les seuls points soumis au jugementdesco-
mices; le peuple romain, ayant usurpéles
— 158 —
plus importantes fonctfonsdu gouvernement
on peut dire que le sort do l'Europe était ré-
glé dans ses assemblées.Cetto variété d'ob-
jets donnaitlieu aux diverses formesque pre-
naient ces assemblées,selon les matières sur
lesquellesil avait à prononcer.
Pour Juger do ces diverses formes, il suffit
de les comparer. Romulus, en instituant les
curies, avait envie do contenirle sénat par le
peuple,et le peuplepar le sénat, en dominant
également sur tous. 11donna donc au peuple,
par cetto forme, toute l'autorité du nombre
pour balanc r celle de la puissance et des ri-
chesses qu'il laissait aux patriciens. Mais se-
lon l'esprit de la monarchie,il laissa cependant
plus d'avantage aux patriciens par l'influence
de leurs clients sur la pluralité des suffrages.
Cetto admirableinstitution des patrons et des
clients fut un chef-d'oeuvrede politique et
d'humanité, sans lequel le patrlclat, si con-
traire a l'espritde la république,n'eût pu sub-
sister. Romeseulea eu l'honneurdedonnerau
mondecebel exemple,duquel il ne résulta ja-
mais d'abuset quipourtant n'a Jamaisété suivi.
Cette mômeformedescuries ayant subsisté
sous les rois jusqu'à Servius, "et le règne du
dernier Tarqula n'étant point compté pour
légitime, cela Ht distinguergénéralementles
lois royales par le ijom de legescuviatoe.
Sous la république,1Mcuries,toujours bor-
nées aux quatre tribus urbaines, et ne conte-
nant plus quo la populacede Rome, ne pou-
vaient convenirni au sénat qui était à la tête
des patriciens, ni aux tribuns qui, quoique
plébéiens,étaient à la tête des citoyensaisés.
— 159 —
Ellestombèrentdoncdanslodiscrédit,et leur
avilissementfut tel quo leurs treuto licteurs
assemblasfaisaientco queles comicespar cu-
ries auraientdû faire.
La divisionpar centuriesétait si favorable
à l'aristocratie,qu'onnovoit pas d'abordcom-
ment le sénat no l'emportaitpastoujoursdans
les comicesqui po talent co nomet par les-
quelsétaient élus les consuls,les censeurset
lesautres magistratscurules.Eneffet,décent
quatre-vingt-treize centuriesqui formaientles
six classesde tout le peupleromain,la pre-
mièreclasseen comprenantquatre-vingt-dix-
huit et les voixno so comptantque par cen-
turies, cettu seule premère.classel'emportait
en nombredevoixsur touteslesautres.Quand
toutesces centuries étaient d'accord,on ne
continuaitpasmémoà recueillirles suffrages;
ce qu'avaitdécidéle plus petit nombrepassait
pourune décisionde la multitude,et l'on peut
dire que, dans les comicts par centuries,les
affairesse ré-rlaientà la pluralitédes écus,
bien plusqu'àcellodes voix.
Mais cette extrême autorité so tempérait
par deux moyens.Premièrement,les tribuns,
pour l'ordinaire,et toujoursun grand nombre
de plébéeus étant do la dusse des riches,
balançaientle créditdes patriciensdans cette
premi.re classo.
Le secondmoyenconsistaiten ceci: qu'au
lieu de faired'abord voter les centuries«eloa
leur ordre, ce qui aurait toujours fait com-
mencerpar la première,on en tirait unoau
sort, et colle-là(1)procédaitseulen l'élection,
(t) Celtecenturie
ainsiUréeausorts'appelait
proe-
— 160 —
après quo toutes les centuries, appeléesun
autre jour, selon leur rang, répétaient la
môme élection et la confirmaientordinaire-
ment.Onétait ainsil'autoritéde l'exempleau
rang, pour la donnerau soit, selonle principe
tie la démocratie.
Il résultait de cet usage un autre avantage
encore: c'est que les citoyensde la campagne
avaientle temps, entre les deux élections,do
s'informerdu mérite du candidat provislon-
Tiellement nommé,afindenodonnerleurs voix
qu'avecconnaissancede cause.Mais,souspré-
texte de célérité, l'on vint à bout d'abolircet
usage,et les deuxélectionsse firentle môme
jour.
Lescomicespar tribus étalent proprement
le conseildu peupleromain. Ils ne se convo-
quaient que par les tribuns; les tribuns y
étaient élus ex y passaient leurs plébiscites.
Non-seulementlo sénat n'y avait point de
rang, il n'avajtpas mômelo droitd'y assister;
et, forcésd'obéirà des lois sur lesquellesils
n'avaient pu voter, les sénateursà cet égard
étaient moinslibresque les dernierscitoyens.
Cette injusticeétait tout à fait mal entendue,
et suffisait seule pour invalider les décrets
d'un corps oùtous ses membresn'étalent pas
admis. Quandtous les patriciens eussentas-
sisté 4 ces comicesselon le droit qu'ils en
avaient comme citoyens, devenusalors sim-
plesparticuliers,ils n'eussentguèreinfluésur
à qui l'on
à causequ'elleétait la première
rogatlva.
demandait et c'estdo là qu'estYeriulo
sonsuffrage,
motdeprérogative.
— 16J -
une formede suffragesqui so recueillaientpar
tête, et où le moindre prolétairepouvaitau-
tant quolo princodu sénat.
On voit donc qu'outrel'ordre qui résultait
doces diversesdistributionspour le recueil-
lementdes suffragesd'un si grand peuple,ces
distributionsne se réduisaientpas a des for-
mes indifférentesen elles-mêmes,mais que
chacuneavait des effetsrelatifsaux vues qui
la faisaientpréférer.
Sans entrer là dessus en do plus longsdé-
tails, il résulte des éclaircissementsprécé-
dents quo les comicespar tribus étaient les
plus favorablesau gouvernementpopulaire,
et les comicespar centuriesà l'aristocratie.
A l'égard des comicespar centuries, où la
seule populacede Romeformait la pluralité,
commeils n'étaientbonsqu'à favoriserla ty-
rannieet les mauvais desseins, ils durent
tomberdansledécri, lesséditieuxeux-mêmes
s'abstenantd'un moyenqui mettrait tropà dé-
couvertleurs projets. 11est certain quo toute
la majestédu peuplo romain no se trouvait
que dans les comicespar centuries,qui seuls
étaient complets;attendu que dans les comi-
ces par curiesmanquaientlestribus rustiques,
et dans les comicespar tribus, le sénat et les
patriciens.
Quant à la manièrede recueillirles suffra-
ges," elle était, chez les premiersRomains,
aussisimplequo leurs moeurs,quoiquemoins
simple encore qu'à Sparto: chacun donnait
son suffrageà haute voix,un greffierles écri-
vait à mesure; la pluralitéde voix dans cha-
tribu déterminaitle suffragedu peuple,et
queCONIIAT
PU IOCU1, 0
— 162 —
ainsi des curieset des centuries. Cet usage
était bon, tant que l'honnêtetérégnait entre
< les citoyens, et que chacunavait honte de
donnerpubliquementson suffrageà un avis
Injusteou à un sujet indigne;mais quandle
peuplese corrompitet qu'onachetales voix,
il convint qu'elles se donnassenten secret
pour contenirles acheteurspar la défiance,
et fourniraux friponsle moyende n'être pas
des tra'tres.
Je sais que Cicéronblâme ce changement,
et lui attribueen partie la ruinede la répu-
blique.Maisquoiqueje sentelopoidsquedoit
avoir icil'autoritéde Cicéron,Je ne puis être
deson avis.Je pense, au contraire,quepour
n'avoirpas faitaisezde changementssembla-
bles,on accélérala pertode l'Etat. Commelo
régimedes gens sains n'est pas'propre aux
malades,il no faut pas vouloirgouvernerun
peuplecorrompupar les mômeslois qui con-
viennent à un bon peuple. Rien ne prouve
mieuxcette maxime que la durée de la ré-
publiquedo Venise, dont lo simulacreexiste
encore,uniquementparceque ceslois necon-
viennentqu'a doméchantshommes.
Ondistribuadoncaux citoyensdes tablettes
parlesquelleschacunpouvaitvotersans qu'on
sût quel était son avis. On établit ausside
nouvellesformalitéspourle recueillement des
tablettes,lo comptedes voix,la comparaison
des nombres,etc.; ce qui n'empêchapasque
la fidélitédos officierschargés de ces fonc-
tions(1)nofût souventsuspectée.Onfit enfin,
(1)Custodes,
dirlbltores,
rogatores
suffraglorum.
— 163 —
pour empêcherla brigue et le traficdos suf-
frages, des édits dont la multitudo montro
l'inutilité.
Versles derniers temps, on était souvent
contraint do recourir à des expédients ex- ,
traordlnaires pour suppléer-à l'insuffisance
des lois. Tantôt on supposait des prodiges;
mais ce moyen,qui pouvait en Imposerau
peuple,n'en imposaitpas.à ceux qui le gou-
vernaient;tantôt on convoquaitbrusquement
une assembléeavant que lescandidatseussent
eu le tempsde faire leurs brigues; tantôt on
consumaittoute une séance a parler,quand
on voyaitle peupe gagné prêt a prendre un
mauvais pani; innis enfin l'ambitionéluda
tout, et, ce qu'il y a d'ineroyable,c'est qu'au
milieude tant d'abus,ce peupleimmen»1,a
la faveur de ses ancienstègltnients, ne lais-
sait pas d'élire les magistrats,de passer les
lois, de juger les causes, d'expédierles af-
faires particulièreset publiques,presqueavec
autant de facilitéqu'eût pu faire lo sénat lui-
même.
V.- Dutribunal.
Quandon no peut.êtnWirune exacto pro-
portionentre les partiesconstitutivesde l'E-
tat, ou quo des causes indestructiblesen altè-
rent sans cesseles rapports,alorson institue
unpmagistratureparticulièrequi nefait point
corps avec les autres, qui replace chaque
terme duis son vrai rapport,et qui fait uno
liaison ou un moyen terme, soit entre lo
princeet le peuple,soit entre lo princeet lo
- 164 —
souverain, soit à la folsdes deux côtés, s'il
est nécessaire.
Ce corps, que J'appelleraitribunal, est le
conservateurdes loiset du pouvoirlégislatif.
11soit quelquefoisà protéger le souverain
contre le gouvernement,commefaisaientà
Rome les tribuns du peuple; quelquefoisà
soutenir le gouvernementcontre le peuple,
commefait maintenantà Venisele conseildes
dix ; et quelquefoisà maintenir l'équilibrede
part et d'autre, commefaisaient les éphores
a Sparte.
Le tribunat n'est point une partie constitu-
tive de la cité, et ne doit avoir aucunepor-
tion do la puissancelégislative,ni de l'execu-
tive ; mais c'est en cela même que la sienne
est plus grande; car, no pouvant rien^aire.
il peut tout empêcher; 11est plus sacré et
plus révérécommedéfenseurdes lois, que lo
princequi les exécuteet que le souverainqui
les donne.C'est ce qu'on vit bienclairementà
Rome,quandcesfierspatriciens,quiméprisè-
rent toujours le peuple.entier, furentforcés
de fléchirdevant im simpleolflcierdu peuple,
qui n'avait ni auspicesni juridiction.
Le tribunat, sagementtempéré, est le plus
ferme appui d'une bonne constitution; mais
pour peu de forcequ'il ait de trop, il renverse
tout ; à l'égard de fca faiblesse,elle n'est pas
dans la nature, et pourvu quil Boitquelque
chose,il n'est Jamaismoinsqu'il ne faut.
Il dégénèreen tyrannie, quand il usurpela
puissanceoxécutive,dont il n'est que le mo-
dérateur,et qu'il veut disposerdes loisqu'ilne
doit que protéger,L'énormepouvoirdes épho-
— 165—
rcs, qui fut sans dangertant queSpartecon-
serva ses moeurs,en accélérala corruption
commencée. Le sang d'Agtségorgé par ces
tyrans fut vengépar son successeur;le crime
et le châtimentdes éphoreshâtèrent égale-
mentla perte de la république,et après Cléo-
méneSpartene fut plus rien. Romepérit en-
core par la mômevoie, et le pouvoirexcessif
des tribuns,usurpépar degrés,servit enfin,à
t'aidedes lots faitespour la liberté,de sauve-
garde aux empereurs qui la détruisirent.
Quantau conseildes dix, à Venise,c'estun
tribunalde*sang,horribleégalementaux pa-
tricienset au peuple,et qui, loinde protéger
hautementles lois, ne sert plus, après leur
avilissement,qu'àporterdansles ténèbresdes
coupsqu'onn'oseapercevoir.
Le tribunats'affaiblit,commele gouverne-
ment, par la multiplicationdo ses membres.
Quandles tribunsdu peupleromain, d'abord
au nombrede deux, puis de cinq, voulurent
doublerco nombre, le sénat les laissa faire,
biensûr de contenirles uns par les autres,ce
qui ne manquapas d'arriver.
Le meilleurmoyendo prévenirles usurpa-
tions d'un si redoutablecorps, moyendont
nul gouvernementne s'est aviséJusqu'ici,ce
seraitdono pas rendrece corps permanent,
maisdo réglerdes Intervallesdurant lesquels
il resterait supprimé.Ces intervalles,qui no
doiventpas être assezgrandspourlaisseraux
abusle tempsde s'affermir,peuventêtrefixés
par la loi, de manlèro qu'il soit aisé de les
abrégerau besoin par des commissions ex-
traordinaires,
— 160—
Ce moyen me paraît sans inconvénient,
parceque, commeJe l'ai dit, le tribunat, ne
faisant point parti do la constitution,peut
être ôté sans qu'elle en souffre,et il me pa-
raît efficace,parce qu'un magistrat nouvelle-
ment rétabli ne part point du,pouvoirqu'a-
vait son prédécesseur,maisde celuiquo laloi
lui donne.
VI.- Deladictature.
L'inflexibilitédes lots, qui les empêchedo
se plieraux événements,peut,encertainscas,
les rendre pernicieuses,et causer par ellesla
perte do 1Etat dans ta crise. L'ordre et la
lenteurdes formesdemandentun espacedo
tempsquo les circonstancesrefusentquelque-
fois.11peut se présentermillecas auxquelsle
législateurn'a point pourvu,et c'est une prë?
voyancetrès nécessairedo sentir qu'on no
peut tout prévoir.
11ho faut doncpas vouloiraffermirlesins-
titutions politiquesJusqu'à s'ôter le pouvoir
d'en suspendrol'effet. Sparte elle-mêmea
laissédormirses lofs.
Maisil n'y a que les plus grandsdangers
qui puissent balancercelui d'altérorl'ordro
public, et l'on no doitJamais arrêter lo pou-
voirsacrédes lois quoquand il s'agit du sa-
lut dola patrie. Dansces cas rares et mani-
festes, on pourvoità la sûreté publiquepar
un actoparticulierqui en remetla charge au
plusdigue. Cettecommissionpeut se donner
dodeux manières,selonl'espècede danger.
— 167-
SI, pour y remédier,il suffitd'augmenter
l'activitédu gouvernement,on le concentre
dansun ou deux de ses membres: ainsi, ce
n'est pas l'autotritédesloisqu'onaltère, mais
seulementla formede leur,administration.
Quosi le périlesttel quel'appareildeslotssoit
un obstacle' à s'en garantir,alorson nomme
un chefsuprêmequi fassotairetoutesleslois,
et suspendeun momentl'autoritésouveraine.
En pareilcas, la volontégénéralen'est pas
douteuse,et il est'évidentquola premièrein-
tentiondu peupleestquel'Etatnepérissepas.
De cettomanière,la suspensionde l'autorité
législativeno l'abolitpoint! le magistratqui
la fuit tairono peut la faireparler,il la do-
minosans pouvoirla représenter;il peuttout
faire,exceptédeslois.
Le premiermoyens'employaitpar lo sénat
romainquandil chargeaitlesconsuls,parune
formuleconsacrée,d*ïpourvoirau salutde la
'république; lo secondavaitlienquandun des
deuxconsulsnommaitun dictateur(l), usage
dontAlbeavaitdonnél'exempleà Rome.
Dansles commencements de la république,
on eut très souventrecoursà la dictature,
parcequo l'Etat n.'uvultpas encoreunoas-
sietteassezfixepourpouvoirsosoutenirpar
la forcede sa constitution.Lesmoeursren-
dantalorssuperfluesbiendes précautionsqui
eussentété nécessairesdans un autre temps,
on ne craignaitni qu'un dictateurabusâtde
(l>Cellenomination
sofaisaitde nuitetensecret,
commesil'onavaiteulionto
demettreunhonmio au-
dessus
deslois.
— 168-
son autorité, ni qu'il tentât dola garderau
delàdu terme,Il semblait,aucontraire,qu'un
si grand pouvoirfût à chargeà celuiqui en
était revêtu, tant il se hâtait des'en défaire,
commesi c'eût été un postetrop pénibleet
trop périlleuxde tenirla placedes lois.
Aussi,n'est-cepas le dangerde l'abus,mais
celuido l'avilissement qui mefaitblâmerl'u-
sage indiscretdo cette suprêmemagistrature
dans les premierstemps.Cartandisqu'onla
prodiguaità des élections,à desdédicaces,à
des choseide pureformalité,il était à crain-
dre qu'elleno devîntmoinsredoutableau be-
soin, et qu'on ne s'accoutumâtà regarder
commeun vaintitre celui qu'onn'employait
qu'à do vainescérémonies.
Versla fin do la république,les Romains,
devenuspluscirconspects, ménagèrentla dic-
tature avecaussipeude raisonqu'ilsl'avalent
prodiguéeautrefois.Il était aisé de voirquo
leur crainteétait mal fondée; quela faiblesse
delà capitalefaisaitalorssa sûretécontreles
magistratsqu'elleavait dans sonsein, qu'un
dictateurpouvait,en certaincas, détendrela
libertépubliquesans Jamaisy pouvoiratten-
ter, et que lesfersdo Romene seraientpoint
forgésdans Romemôme,mais dansses ar-
mées: le peu de résistanceque firentMarius
iv Sylla, et Pompéeà César,montrabience
qu'onpouvaitattendrede l'autoritédudedans
contrela forcedu dehors.
Cetteerreurleurfit fairedo grandesfautes.
Telle,par exemple,fut celle de n'avoirpas
nommeun dictateur dans l'affairede Cati-
llna; car, commeil n'était questionque du
- 169-
dedansde la ville,et, tout au plus, de quel-
que provinced'Italie, avec l'autorité sans
bornesquo les lois donnaientau dictateur.
il eût facilementdissipéla conjuration,qui
ne fut étoufféequeparun concoursd'heureux
hasardsquejamais la prudencehumainene
devaitattendre.
Au lieude cela,le sénatse contentade re-
mettretout son pouvoiraux consuls,d'oùil
arriva que Cicéron,pour agir efficacement,
fut contraintde passer ce pouvoirdans un
point capital,et que, si les premierstrans-
portsde Joiofirentapprouversa conduite,ce
fut avecJusticeque dansla suiteon lui de-
manda compteau sang des citoyensversé
contreles lois,reprochequ'onn'eûtpufaireà
un dictateur.Matsl'éloquence du consulen
traîna tout; et lui-même,quoiqueRomain,
aimant mieux sa gloire quo sa patrie, no
cherchaitpas tant le moyenlo plus légitimo
et le plussûr dosauverl'Etat,que celuid'a-
voirtout l'honneurde cetteaffaire(i). Aussi
fût-il honoréjustementcommelibérateurdo
Rome,et Justementpuni commeinfracteur
deslois.Quelquo brillantqu'aitétésonrappel,
il estcertainquecefut une grâce.
Au reste,doquelquomanièroque cettoim-
portantecommission soit conférée,il importe
d'en fixerla duréeà un termetrès court,qui
Jamais no puisse être prolongé: dans les
crises qui la font établir,l'Etat est bientôt
C'estcodontIIpouvait
{i\ sorépondra pnproposant
undictateur,
n'osantsenommerliil-tnénio
etnepou*
vants'assurer
quosoncollègue
lenommerait.
— 170 —
détruit ou sauvé,et, passéle besoinpressant,
la dictature devient tyrannique ou vaine.A
Romoles dictateursne l'étant que pour six
mois,la plupart abdiquèrentavantce terme.
Si le terme eût été plus long,peut-être eus-
sent-ils été tentés de le prolonger encore,
commefirentlesdécemvirsceluid'uneannée.
Le dictateurn'avait que le temps de pourvoir
au besoin qui l'avait fait élire; il n'avait pas
celuide songerà d'autres projets.
VII.—Delacensure.
Do mémo que In déclarationdo la volonté
généralese fait par la loi, la déclarationdu
Jugementpublicso fait par la censure;l'opi-
nion est l'espècedo loi dont lo censeurest lo
ministre, et qu'il no fait qu'appliqueraux cas
particuliers,à l'exempledu prince.
Loindoncquo le tribunalcensorialsoit l'ar-
bitre de l'opiniondu peuple,il n'en est que le
déclaruteur,et sitôt qu'il s'en écarte;ses déci-
sions sont vaineset sans effet.
Il est inutilede distinguerles moeursd'une
nationdes objetsdo son estime; car tout cela
tient au mômeprincipe et se confondnéces-
sairement.Cheztous les peuplesdu monde,
co n'est point la hature, mais l'opinion qui
décide du choix de leurs plaisirs. Redressez
les opinionsdes hommes,et leur moeursB'Ô-
purerontd'elles-mêmes.On aimo toujours co
qui est beau ou co qu'on trouvo tel; mats
cest Burco Jugementqu'on se trompe; c'est
donoce jugementqu'il s'agit de régler, Qui
— 171—
jugedesmoeurs, Jugedel'honneur, et quiJuge
de l'honneur, prendsa loide l'opinin.
Les opinionsd'un peuplenaissentde sa
constitution;quoiquela loine règlepas les
moeurs,c'estla législation quilesfaitnaître;
quandla législation les moeursdé-
s'ntl'aiblit,
génèrent;maisalorslejugementdescenseurs
neferapasce quelaforcedesloisn'aurapas
fait.
Il suit delà quela censurepeut êtreutile
pourconserver lesmoeurs, Jamaispourlesré-
tablir.Etablissezdes censeursdurantla vi-
gueur des lois; sitôt qu'ellesl'ont perdue,
tout est désespérée; riende légitimen'a plus
deforcelorsqueleslotsn'enontplus.
La censuremaintientlesmoeurs, en empê-
chantles opinionsde socorrompre,encon-
servantleurdroiturepardosagesapplications,
quelquefois mômeen les fixant,lorsqu'elles
sont encoreIncertaines. L'usagedesseconds
dansles duels,portéJusqu'àlafureurdansle
royaumedo France,y fut aboliparcesseuls
motsd'un édltdu rot : Quantà ceuxquiont
la idehetid'appeler desseconds. Cojugement,
prévenantceluidu public,lo déterminatout
d'uncoup.Maisquandles mêmeséditsvou-
lurentprononcer quec'étaitaussiunolâcheté
dosebattreenduel,ce quiesttrès vrai,mats
contraireà l'opinioncommune,le publicse
moquadecettedécision,sur laquellesonju-
gementétaitdéjàporté.
J'ai dit ailleurs(1)quo l'opinionpublique
(tjJenefatsqu'Indiquer
danscecliapltre
cequej'ai
traitéplusaulongdansla Lettre
à M,dtÂltmbtrh
- 172 —
n'étant point soumiseà la contrainte,il n'en .
fallait aucun vestigedansle tribunal établi
pour la représenter.On ne peut trop admirer
avec quel art ce ressort, entièrementperdu
chezles modernes,était mis en oeuvrechez
les Romains,et encoremieuxchezles Lacé-
démoniens.
Un hommede mauvaisesmoeursayantou-
vert un bon avis dans le conseilde Sparte,
les éphores,sans en tenir compte,firentpro-
poserle mêmeavis par un citoyen vertueux.
Quelhonneurpourl'un, quellenotepourl'au-
tre, sans avoir donnéni louangeni blâmeà
aucundesdeuxI CertainsIvrognesdeSamos
Rouillèrentle tribunal des éphores, le len-
demain,par édlt public,il fut permisaux Sa-
mtens d'être des vilains.Un vrai châtiment
eût étémoinssévèrequ'unepareilleImpunité.
QuandSpartea prononcésur ce qui est ou
n'est pas honnête,la Grèce n'appellepas do
ses Jugements.
Vlil.Dolareligion
civile.
Les hommesn'eurentpoint d'abordd'autres
rois quo les dieux, ni d autre gouvernement
quo lo théocratlque.Ils firent le raisonne-
ment do Caligula, et alors ils raisonnaient
juste. Il faut une longuoaltérationde senti-
ments et d'idéespourqu'on puisseso résou-
dre à prendreson semblablepour maître,et
se flatterqu'ons'en trouverabien.
Docelaseulqu'onmettait Dieuà la tête de
chaquosociété polltiquo,il s'ensuivitqu'ily
— 173—
eut autantde dieuxque do peuples.Deux
peuplesétrangersl'unà l'autre, et presque
toujoursennemis, nepurentlongtemps recon-
naître un même maître; deux arméesse
livrantbataillene sauraientobéirau même
chef.Ainsi,desdivisions nationales résultale
polythéisme, et delà l'intolérancethéologique
et civile,qui naturellementest la môme,
commeil seradit ci-après.
Lafantaisiequ'eurentlesGrecsde retrou-
verleurdieuxchezlespeuplesbarbares,vint
de cellequ'ilsavaientausside se regarder
commelessouverains naturelsde cespeuples.
Maisc'estdenosjoursuneéruditionbienri-
dicule,que cellequi roulosur l'Identitédes
dieuxde diversesnations; comme6lMoloch,
Saturneet Chronospouvaientêtre le même
dieu;comme si leUaaldesPhéniciens, loZeus
desGrecset le JupiterdesLatinspouvaient
ôtrelomême;commes'il pouvaitresterquel-
que chosecommune à des êtreschimériques
portantdesnomsdifférents.
Quesi l'on demandaitcomment,dans le
paganisme, où chaqueEtatavaitsonculteet
ses dieux,il n'y avaitpointde guerresde re-
ligion,Je répondsquo c'étaitpar celamême
quechaqueEtat ayantsoncultopropreaussi
bienque FOUgouvernement, ne distinguait
pointles dieuxde ses lois.La guerrepolitl-
étaitaussithéologtquo ; les départements
Sue
esdieuxétaient,pourainsi dire,fixéspar
lesbornesdes nations.Ledieu d'un peuple
n'avaitaucundroitsurlesautrespeuples.Les,
dteuxdespaïensn'étalentpolutdcsdieuxjaloux,
ils partageaiententreeuxl'empiredu monde.
— 174—
Moïsemêireet le peupleiiébreuee prêtaient '
quelquefois à cette idée en parlant du dieu
d'Israël.Ils regardaient,il est vrai, comme
nulsles dieuxdes Chananéens,peuplespros-
crits, vouésà la destruction,et dont ils de-
vaient occuperla place.Mtus voyezcomment
ils parlaientdesdivinité*des peuplesvoisins
qu'illeur étaitdéfendud'attaquer: • La pos-
sessiondo co qui appartientà Cliamos,votre
dieu,disaitJephté aux Ammonites,no vous
ost-ellepas légitimementduo? Nous possé-
donsau mômetitre lesterres quonotre dieu
vainqueurs'est acquises(1).» C'étaitlà, co
me semble,une parité bien reconnueentre
les droitsdo Cliamoset ceuxdu dieud'Israël.
Maisquandles juifs,soumisaux roisdoBa-
bylone,etdansla suiteaux rotsde Syrie,vou-
lurents'obstinerà noreconnaîtreaucunautre
dieu que le leur, ce refus, regardé commo
une rébellioncontrele vainqueur,leur attira
les persécutionsqu'on Ht dans leur histoire.
et donton no voitaucunautroexemplo. avant
le christianisme(â).
Chaque religion étant donc uniquement
(t)«Nonneoaqurc possidetCliamos deusutuslibt
jute dcbcnlur ? » Triestlotcxlodela Vulxato, 1.0
\>,deCnitlere* a traduits« N'arroypx-vouspas avoir
ilroltdeposséder <omilappartient à Cliamos,votre
dieu?»Jlgnorn lafoiredutextehébreu ; maisjovos
que» dansla Vulgnte, Jcplilcreconnaîtposltl\ement
ledroitdudieucliamos, etquoletraducteurfrançais
affaiblitcettoreconnaissance par un stlonvousqui
n'estpasdanslolatin. , . . ,
(«)Ilestdola dernière évidence quêtaguerre des
Phoclens, appelée g uerre sacrés,nétaitpointuno
guerredeetnon : elleavaitpourobjetdepunirdes
religion
sacrilèges desoumettre desmécréants.
— 176—
attachéeaux loisde l'Etatqui la prescrivait,
il n'y avaitpointd'autremanièredeconvertir
un peupleque de l'asservir,ni d'autresmis-
sionnairesquelesconquérants? et l'obligation
de changerde culteétant la loides vaincus,
il fallaitcommencer par vaincreavantd'en
parler. Loin que leshommescombattissent
pourlesdieux,c'étaient,commedansHomère,
les dieuxquicombattaient pourleshommes;
chacundemandaitau sien la victoire,et la
payaitpar de nouveauxautels.LesRomains,
avantde prendreuno place,sommaientses
dienxde l'abandonner, et quandils laissaient
aux Tarentlnsleursdieuxirrités,c'estqu'ils
regardaientalorsces dieuxcommesoumis
aux leurs,et forcésdoleurfairehommage. Ils
laissaientaux vaincusleursdieux,commoils
leur laissaientleurs lois. Une couronnoau
Jupiterdu Capitoleétaitsouventle seultri-
but qu'ilsimposaient.
Enfin,lesRomainsayantétendu,avecleur
empire,leur culte et leuis dieux, et ayant
souventeux-mêmes adoptéceuxdes vaincus,
en accordantaux autresle droit do clé, les
peuplesde co vaste empireso trouvèrent
insensiblement avoirdesmultitudesdodieux
et de cultes,à peu près les mêmespartout,
et voilàcommentle paganismeno fut enfin
dansle mondeconnuqu'uneseuleet mémo
religion.
Co fut dans ces circonstances que Jésus
vintétablirsur la terreun royaumespirituel;
ce qui, séparantle systèmethêolonique du
systèmepolitique, fit quo l'Etat cessad'ôtro
un, et causalesdivisionsintestinesqui n'ont
- 176 -
jamais cessé d'agiter les peupleschrétiens.
Or,cette idéenouvelled'un rojaumodel'autre
monde n'ayant pu Jamaisentrer dans la tête
dés païens,ils regardèrenttoujours les chré-
tienscommede vrais rebelles,qui, sous une
hypocritesoumission,ne cherchaientque lo
momentdese rendreindépendantset maîtres,
et d'usurper adroit ment l'autoritéqu'ils fei-
gnaient de respecterdans leur faiblesse.Telle
fut la cause des persécutions.
Ce que les païensavaientcraintest arrivé;
alor3tout a changéde face,les humbleschré-
tiens ont changé do langage,et bientôt on a
vu co prétenduroyaumede l'autremondede-
venir, sous un chef visible,le plus violent
despotismedans celui-ci.
Cependant,commeil y a toujours eu un
princeet des lois civiles,il a résulté de cetto
doublepuissanceun perpétuelconflitde Juri-
diction, qui a rendu toute bonne politique
impossibledans les Etats chrétiens; et Ion
n'a Jamaispu venir à bout de savoir auquel
du maîtreou du prôtro on était obligéd'o-
béir.
Plusieurs peuples cependant, môme dans
l'Europeou a son voisinage,ont voulu con-
serverou rétablirl'anciensystème,mais sans
succès;l'espritdu christianismea tout gnghé.
Lecultosacré est toujoursresté ou redevenu
Indépendantdu souverain, et sans liaison
nécessaireavec le corps de l'Etat. Mahomet
eut des vuestrès saines; il Habienson sys-
tème politique,et, tant quola forme de son
gouvernementsubsista sous les califes ses
successeurs,ce gouvernementfut exactement
- 177 —
un et bonen cela.Maisles Arabes,devenus'
florissants, lettrés, polis, mous et lâches,
furent subjuguéspar des barbares; alors la
division entre les deux p dssances recom-
mença; quoiqu'ellesoit moins apparentechez
les mahométantsque chezles chrétiens, Ole
y est pourtant, surtout dans la secte d'Aly,
et il y a des Etats, tels que la Perte, où elle
ne cessede se fairesentir.
Parmi nous, les rois d'Angleterrese sont
établischefs de l'Eglise; autant en ont fait
les Césars; mais par ce titre, ils s'en sont
moinsrendus les maîtres que les ministres;
ils en ont moinsacquislodroitde la changer
que lo pouvoirde la maintenir; ils n'y sont
pas législateurs,ils n'y sont queprinces.Par-
tout où le clergéfait un corps (i), il est maî-
tre et législateur dans sa patrie. Il y a donc
deux puissances,deux souverainsen Angle-
terre et en Russie,tout commeailleurs.
Detous les auteurs chrétiens,le philosophe
Hobbesest le seul qui ait bien vu le mal et
le remède,qui ait proposéde réunirles deux
têtes de l'aigle, et de tout ramenerà l'unité
politique,sans laquellejamais Etatni gouver-
(I) Ilfautbienremarquer quecono sontpas tant
desassemblées comme
formelles, cellesde t-'ranro,
qui
lientlo clergéen un corps,quo la communion des
églises. Lacommunion cl l'excommunication sontlo
socialdu clergé,pacteaveclequelII sciatou-
ourslemaîtredespeuples
fiacte etdesroH.Touslesprêtres
qui communiquent ensemble sontconcitoyens, fussent-
ilsdesdeuxboutsdu monde, CelleInvention est un
clieNd'ieuvreen politique.Il n'yavaitriendesem-
blableparmiles prêtrespaïens: aussin'onl-llsJa-
maisfaitun corpsdoclergé.
- 178 —
nementne sera bien constitué;maisil a dû
voirque l'espritdominateurdu christianisme
était incompatible avec son système,et que
l'intérêt du prêtre serait toujoursplus fort
quoceluidel'Etat.Cen'est pas tant ce qu'il
y a d'horribleet de faux dans sa politique,
que ce qu'ily a do Juste et de vrai,qui l'a
renduodieuse(i).
Je croisqu'endéveloppant sousce pointdo
vuelesfaits historiques,on réfuteraitaisé-
ment les sentimentsopposésde Bayleet de
Warburton,dontl'un prétendque nullereli-
gion n'est utile au corpspolitique,,et dont
l'autresoutient,au contraire,que lo christia-
nismeen est lo plusfermeappui.Onprouve-
rait au premierquejamaisl'Etat ne fut fondé
que la religionne lut servîtde base,et au se- '
cond que la loichrétienneest' au fond plus
nuisible qu'utile à la forto constitutionde
l'Etat.Pouracheverdo me faireentendre.11
no faut quo donnerun peu plus de précision
.auxidéestrop vaguesdo religionrelativesà
monsujet.
La religion,considéréepar rapportà la so-
ciété,qui est ou généraleouparticulière,peut
aussiso diviseren deux espèces;savoir: la
religionde l'homme,et celledu citoyen.La
premiète, sanstemples,sansautels,sansrites,
bornéeau culte purementintérieurdu Dieu
(I)Voye«,entroautres,dansunolettredeCrolius à
sonfrère,du il avriltiilî, cequocesavanthomme
approuve etcequ'ilblâme danslelivre<u? Il est
Cive.
vraiquf,portéAl'indulgence, Il pa>attpardonnera
l'auteur
lebienenlaveurdumal; matstoutlomonde
n'estpassiclément.
- 179 —
suprême,et aux devoirséternelsde la morale,
est la pure et simple religionde l'Evangile,
le vrai théisme,et ce qu'on peut appeler le
droitdivin naturel. L'autre,Inscritedans un
seul pays, lui donne ses dieux, les patrons
propreset tutéiaires: ellea ses dogmes, ses
rites, sonculteextérieurprescritpardes lois*
hors la seulenationqui la suit, tout est pour
elle infidèle,étranger, barbare; elle n'étend
les devoirset les droits de l'hommequ'aussi
loin que ses autels. Tellesfurent toutes les
religionsdes premierspeuples,auxquelleson
peut donnerle nom de droit divin civil ou
positif.
Il y a une troisièmesorte de religionplus
bizarre,qui, donnantaux hommesdeuxlégis-
lations, d.juxchefs,deux patries,les soumet
à des devoirscontradictoires,et les empêche
de pouvoirêtre à la fois dévots et citoyens.
Telle est la religiondes Lamas,telleest celle
des Japonais,tel est le christianismeromain.
On peut appelercelle-cila religiondu prêtre.
11en résulteune sortede droitmixteet Inso-
ciablequi n'a point de nom.
A considérerpolitiquementces trois sortes
de religions,ellesont toutesleursdéfauts.La
troisièmeest si évidemmentmauvaise,quo
c'est perdrele temps de s'amuserà lo démon-
trer. Toutce qui romptl'unitésocialetiovaut
rien; toutes les Institutions qui mettent
l'hommeen contradictionavec lui-mêmene
valent rien.
La secondeest bonneen ce qu'elle" réunitle
culte divinet l'amourdes lois,et que faisant
do la patriol'objetdel'adorationdes citoyens
— 180 —
elle leur apprendque servir l'Etat, c'est on
servirle dieu tutélaire. C'est une espècede
théocratie, dans laquelle on. ne doit point
avoir d'autrepontifequele prince,ni d'autres
prêtresqueles magistrats.Alors,mourirpour
son pays, c'est aller au martyre; violer les
lois,c'estêtre impie,et soumettreun coupable
à l'exécrationpublique,c'est le dévouerau
courrouxdes dieux,sacere to.
Maisel'e est mauvaiseence qu'étantfondée
sur l'erreur et sur le mensonge,elle trompe
les hommes,les rend crédules,superstitieux,
et noiele vrai culte de la divinité dans un
vain cérémonial.Elle est mauvaiseencore
quand,devenantexclusiveet tyrannique,elle
rend un peuplesanguinaireet Intolérant;en
sorte qu'il ne respireque meurtreet massa-
cre, et croit faireuno action'sainte en tuant
quiconquen'admet pas ses dieux. Cela met
un tel peupledans un état naturelde guerre
avectous les autres,très nuisibleà sa propre
sûreté.
Reste dono la religion de l'hommeou le,
christianisme,non pas celui d'aujourd'hui,
maisceluide l'Evangilp,qui en est to. t à fait
différent,Par cetto religionsainte, sublime,
véritable, les hommes, enfants du même
Dieu,se reconnaissenttous pourfrères, et la
sociétéqui les unit noso dissoutpas, mémo
à la mort.
Maiscette religion, n'ayant nulle relation
particulièreavecle corpspolitique,laisseaux
loislaseuleforcoqu'ellestirent d'elles-mêmes
Bansleuren ajouter aucunoautre, et par là
un des grandsliens dola sociétéparticulière
— 181 —
reste sans effet.Rienplus, loin d'attacher les
coeursdes citoyensà l'Etat, elle les en dé-
tachecommede toutes les chosesde la terre;
je ne connaisrien de plus contraireà l'esprit
social.
Onnousdit qu'un peuplede vrais chrétiens
formerait la plus parfaite société que l'on
puisseimaginer.Je ne voisà cette supposition
qq'une grande difficulté,c'est qu'une société
de vraischrétiensne serait plus une société
d'hommes.
Je dis même que cette sociétésupposéene
serait,avectoutesa perfection,ni la plusforte,
ni la plu3durable; à forced'être parfaite,elle
manquerait de liaison, son vice destructeur
serait dans sa perfectionmême.
Chacunremplirait son devoir; les peuples
seraient soumis aux lois, les chefs seraient
Justes et modérés,les magistrats intègres et
incorruptibles, les soldats mépriseraient la
mort; il n'y aurait ni vaniténi luxe; tout cela
est fort bien; mais voyonsplus loin.
Le christianismeest une religioiîtoute spi-
rituelle, occupéouniquement des chosesdu
ciel ! la patrie du chrétien n'est pas de ce
monde. 11fait son devoir,il est vrai; mais 11
le fait avec uno profonde indifférencesur
lo bon ou mauvais succès do ses soins.
Pourvuqu'il n'ait rien à se reprocher,peu lui
Importeque tout aillebien ou mal ici-bas. Si
l'Etat est llorissant,à pelnoose-t-llJouir do la
félicitépublique,il craint do s'enorgueillirde
la glolrodoson pays;si l'Etat dépérit, il bénit
la maindo Dieuqui s'appesantitsursonpeuple.
Pour quo la société fût paisible et quo
— 182 —
Vharmoniôse maintînt, il faudrait que tous
les citoyens, sans exception, fussent égale-
ment bons chrétiens; mais si malheureuse-
ment il s'y trouve un seul ambitieux,un seul
hypocrite, un Catllina, par exemple, un
Cromwell, celui-là très certainement aura
bon marché de ses pieux compatriotes,la
charité chrétienne no permet pas aisément
de pensermaldesonprochain.Dès qu'il aura
trouvé par quelqueruse l'art de leur en Im-
poser et do s'emparerd'une partiodo l'auto-
rité publique, voilàun homme constitué en
dignité; Dieuveut qu'on le respecte: bientôt
voilà une puissance; Dieu veut qu'on lui
obéisse.Lo dépositairede cetto puissance.en
abuse-t-tl; c'estla vergodont Dieupunit ses
enfants.On se ferait consciencede chasser
l'usurpateur: il faudraittroublerle repos pu-
blie, user de violence,verserdu sang ; tout
cela s'accordemnl avec la douceurdu chré-
tien, et, après tout, qu'importequ'on soit libre
ou serl dnn3cette valléedo misère?L'essen-
tiel est d'alleren paradis, et la résignation
'n'est qu'un moyendo pluspour cela.
Survient-flquelquo guerre étrangère : les
citoyensmarchent*ans peine au combatj nul
d'entre eux ne songe à fuir, Ils font leur de-
voir, maissans passionpourla victoire; ilssa-
vent plutôt mourirquo vaincre.Qu'ilssoient
vainqueursou vaincus,qu'Importe?La Provi-
dencene sait-elle pas mieux qu'eux ce qu'il
leur faut? Qu'onimaginequel parti un enne-
mi fier,impétueux, passionné,peut tirer do
leur stoïcisme.Mettezvis-à-visd'euxces peu-
plesgénéreuxquo dévoraitl'ardentamourdo
- 183 —
, la gloireet de la patrie; supposezvotre répu-
blique chrétiennevis-à-visde Sparte ou do
Rome: les pieux chrétiens seront battus,
écrasés, détruits, avant d'avoir eu le temps
de so reconnaître,ou no devront leur salut
qu'aumépris quo leur ennemi concevrapour
eux. C'étaitun beausermentà mon gré, quo
celuides soldatsde Fabius; ils ne Jurèrent
pas de mourirou de vaincre; ils jurèrent do
revenirvainqueurs,et tinrent leurserment:
Jamaisdeschrétiensn'eneussenttenu un pa-
reil ; ils auraient cru tenter Dieu.
Maisjo me trompeendisantuno république
chrétienne; chacunde ces deux mots exclut
l'autre. Lo christianismeno prêcheque ser-
vitude et dépendance.Son espritest trop fa-
vorableà la tyrannie,pourqu'ellen'en profite
pas toujours. Les vrais clnétlens sont faits
pour ôtro esclaves; Ils le savent, et no s'en
émeuventguère; cettocourtevie a trop peu
de prix à leurs yeux.
Les troupes chrétiennessont excellentes,
nous dît-on. Jo le nie. Qu'onni'eifmontredo
telles.Quant à mol, Je ne connaispoint do
troupes chrétiennes.On mo citera les croi-
sades.Sans disputersur la valeurdescroisés,
jo remarqueraiquo, bien loin d'être des chré-
tiens, c'étaientdes soldatsdu prêtre, c'étaient
"descitoyensdo l'Eglise;ils se battaientpour
Bonpaysspirituel,qu'elleavait rendutempo-
rel, on no sait comment.A lo bienprendre,
cecirentresouslo paganisme; commel'Evan-
gile n'établit point une religionnationale,
toute guerre sacréeest Impossibleparmi les
chrétiens.
— 184 —
Souslesempereurspaïens,les soldatschré- '
tiensétaientbraves; tousles auteurschrétiens
l'assurent,et Je le crois: c'étaitune émulation
d'honneur contre les troupes païennes. Dès
que les empereurs furent chrétiens, cette
émulationne subsistaplus; et quand la croix
eut chassél'aigle,toute la valeurromainedis-
parut.
Mais,laissantà part les considérationspoli-
tiques, revenonsau droit, et fixonsles prin-
cipes sur ce pointimportant.Le droit que le
paste socialdonneau souverainsur les sujets
ne passe point, commeJe l'ai dit, les bornes
de l'unité politique(l). Les sujets ne doivent
donccompte au souverainde leurs opinions
qu'autant que ces opinions importentà la
communauté.Or 11Importebien a l'Etat que
chaquecitoyenait uno religion qui lui fasse
aimerses devoirs; mais les'dogmes de cette
religionn'intéressentni l'Etatni sesmembres
qu'autant quo ses dogmes so rapportentà la
moraleet aux devoirsque celuiqui la professe
est tenu do remplir envers autrui, Chacun
peut avoir,nu surplus,tellesopinionsqu'il lui
plaît, sansqu'ilapptrtienneausouveraind'en
connaître,car, commeII n'a point de compé-
tencedans l'autre monde, quel que soit le
(11« Oins1,1république, ditM.rt'A...,chacunest
parfaitement libreencoquinonuitpasnuxautres.»
Voilàla bornoInévitable, on no peul la poserplus
oxoctcmenl. Jo n'ai pumorefu«crau plaltirdociter
quelquefois cemanuscrit, quoique nonconnudupu-
blic,pour rendrehonneur à la mémoired'unnomma
Illustreet respectable,
qui avaitconservé
Jusque dans
le mlnlsièro le coeurd'unvrai citoyen,cl desvues
droitesclsainessurlogouvernement desonpays.
— 185 —
sort des sujets dans la vie à venir, ce n'est
pas son affaire,pourvuqu'ils soient bons ci-
toyens dans celle-ci.
11y a donc une professionde foi purement
civiledont il appartient au souverainde fixer
les articles, non pas précisémentcommedog-
mes de religion, mais comme sentiments de
sociabilité, sans lesquels il est impossible
d'êtro bon citoyen ni sujet fidèle (1). Sans
pouvoirobliger personneà les croire, il peut
bannir de l'état quiconquene les ci oit pas; il
peut lo bannir,non commeimpie, maiscomme
insociable,comme Incapabled'aimer sincère-
ment les lois.Injustice,et d'immoler,au besoin,
savio à sondevoir.Quesi quelqu'un,aprèsavoir
reconnu publiquementces mêmesdogmes,so
conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit
puni de mort; il a commislo plus grand des
crimes : Il a menti devant les lots.
Les dogmes de la religion civile doivent
être simples, en petit nombre, énoncés avec
précision,s;ms explicationsni commentaire.
L'extstencodo la Divinité puissante, intelli-
gente'', bienfaisante, prévoyante et pour-
voyante, la vio à venir, le bonheur des justes,
le châtiment des méchants,la sainteté du con-
trat social et des lois, voilàles dogmesposi-
tifs. Quant aux dogmes négatifs,Je les borne

(i)César,p laidant
pour tachaitd'établirlo
Catllina,
dogmo do la mortalitéde l'ame: Caionet Cleéron,
pour loréfuter,no s'amusèrentpointà philosopher;
ils socontentèrentdo montrerque r/sar parlaiten
mauvaisclloyenet avançaitunedoctrinepernlcleuso
b.l'Etat.Kneffet,voilàdequoidevaitJugerle sénat
de Romo, etnond'unequestion idéologique.
— 186 -
ù,un seul : c'est l'intolérance;ellerentre dans
les cuitesque nousavonsexclus.
Ceuxqui distinguent l'intolérancecivileet
l'intolérancethéologiquese trompent,à mon
avis.Cesdeuxintolérancessont inséparables.
11est impossiblede vivre en paix avec des
gens quon croit damnés; les aimer, serait
haïr Dieu,qui les punit ; il faut absolument
qu'on les ramèneou qu'onlestourmente.Par-
tout où l'intolérancethéologiqueest admise,
il est impossible qu'elleu'ait pas quelqueeffet
civil(t); et sitôt qu'elleen a, le souverain
n'est plus souverain,mômeau temporel: dès
lorslesprêtressont les vrais maîtres; lesrois
ne sont quoleurs officiers.
(t) Lomariage, par exemple, étantuncontratcivil,
adcseffets civilssanslesquelsil CM même I mpossible
quo la sociétésubsiste.Supposons doncqu'uncierge
vienne&boutdos'attribuer à luiseulladroitdopas-
sercet ucle,droitqu'ildoitnécessairement usurper
danstoulereligion fntolérante: alors,n'esl-ll
pasclair
qu'en raisantvaloirà propos l'autoritéde l'Église,Il
rendra\ainorelieduprincequin'auraplusdesujets
ceuxqueloclergé voudrabienluidonner? M aître
o marieroude nopasmarierlesvens,selonqu'ils
Suc
aurontou n'aurontpas telleoutelledoctrine, selon
qu'ilsadmellronl ourejetteront teloutelformulaire,
selonqu'ilslui serontplusou moinsdévoués, ense
conduisant prudemment et tenantferme,n'esl-llpas
clairqu'ildisposera seuldeshéritages, descharges,
descitoyens, dol'Klatmême, qui nosauraitsubsister,
n'clanlpluscomposé quedebâtards?Mals,dira-t-on,
Ionap|M?llci'a comme d'abus,on a journera,décrétera,
saisirale temporel. Quellep ltiél Leclergé,pourpeu
qu'il ait, nonpasdocourage, maisdebonsens,lais-
seratranquillement appeler,ajourner, décréter,saisir,
01finirapaiêtrelemaître. Cen'estpas,com*semble,
un grandsnciillce d'abandonner uno partie quand o n
estsûrdos'emparer dutout.
— 187 —
Maintenantqu'il n'y a plus et qu'il ne peut
plus y avoir de religion nationale exclusive,
on doit tolérer toutes celles qui tolèrent les
autres, autant que leurs dogmes n'ont rien de
contraire aux devoirs du citoyen. Matsqui-
conquooso dire hors de l'Eglisepointdesnlut
doit être chasséde l'Etat, à moins que l'Etat
ne soit l'Eglise, et que lo prince ne soit le
pontife.Un tel dogme n'est bon quo dans un
gouvernementthéocratlque;danstout autre il
est pernicieux.La raison sur laquelle on dit
que Henri IV embrassa la religion romaino
la devaitfaire quitter à tout honnêtehomme,
et surtout à tout princequi saurait raisonner.

IX.—Conclusion.
avoir posé les vrais principes
Après et tAchédo fonderl'Etat sur sa du droit
politique, base,
resterait à l'appuyer par ses relations exter-
nes, co qui comprendraitle droit des gens, lo
commerco,lo droit do la guerre et les con-
quêtes, le droit public,les ligues, les négocia-
tions, les traités. Maistout cela formeun nou-
vel objet trop vasto pour ma courte vue; j'au-
rais dû la fixer toujours plusprès de moi.
TABLEDESMATIÈRES

Pagci.
NOTICE sur J.-J.Rousseau, parN.DAVID B
DUCONTRAT SOCIAL
LIVRE PUEM1KU
I, —Sujetdecepremierlivre 10
II.—Despremières sociétés 16
III,— - Uu'droitdu plusfort 19
IV. Del'esclavage.... 9i
V,—Qu'ilfauttoujours remonter à unepre-
mièreconvention. SO
VI.—Dupactesocial • 87
VII.—Dusouveraln 31
VIII.- DeIVtatcivil...... 8t
IX.—Dudomaine réel ... 38
LIVRE II
I. —Queta souveraineté esl Inaliénable... (0
H.—Quelasouveraineté estIndivisible...,. 41
III. —SIla volonté g énérale
' IV,—Desbornesdupouvoirsouverain p euterrer...... 41
40
V.-r Dudroitdoviecl de moit 81
VI.- Dolaloi.... , .,,. 03
; VIL-Du législateur M
VIII.—Dupeuple ,. 03
IX.—Sultodu chapllroprécédent CO
X.-Suite..., , C9
* XI. — Des d ivers
systèmes de législation.... 73
XII,- Division deslois 70
LtvnEIII
1.—Dugouvernement en général 79
H.—Duprincipequiconstitueles diverses
formes dugouvernement. 84
— 190 -
Tag»».
III.—Division desgouvernements 90
IV.—Delàdémocratie 9î
V.- II*l'aristocratie 0$
VI.—I)Dla monarchie 03
VII—Desgouvernements mixtes 105
VIII.—Quoloulo formedo gouvernement
n'estpaspropreà toutpays 107
IX.—Dessignesd'unbongouvernement... 111
X.—Dol'abusdu gouvernement et dosa
penteà dégénérer 1,10
XI.— Dolamortdu corpspolitique 120
XII.—Comment semaintientl'autoritésouve-
raine 1*2
XIII.-Suite m
XIV.-Suite 120
XV.— Desdéputés oureprésentants 127
XVI.—Quel'institution dugouvernement n'est
pointun contrat 132
XVII.- Dal'institution du gouvernement 13f
XVIII. —Moyens do piwenirlesusurpation? du
gouvernement 135
LIVIIEIV
I. —Qualavolontégénéraleestindestruc-
tible 139
II.—Dessuffrages 113'
III.—Desélecions.. 148
IV.—Descomices romains 149
V.—Dutribunal 163
VI.—f)ola dictature no
VII.—Dt)lacensure 170
VIII.— Dela religioncivile lli
IX.—Conclusion 187
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