Vous êtes sur la page 1sur 6

TRIBUNAL ADMINISTRATIF fp/pc

DE RENNES

N° 2205631 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


___________

ASSOCIATION SAUVEGARDE DU TREGOR,


GOËLO, PENTHIEVRE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ASSOCIATION PLESTIN ENVIRONNEMENT
___________

Mme Fabienne Plumerault Le juge des référés,


Juge des référés
___________

Ordonnance du 25 novembre 2022


___________

54-035-02
C

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 7 novembre 2022, l’association Sauvegarde du Trégor,


Goëlo, Penthièvre et l’association Plestin Environnement demandent au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative,


la suspension de l’exécution de l’arrêté du 3 octobre 2022 par lequel le préfet des Côtes-d’Armor
a autorisé l’abattage de trois arbres quai Maréchal Foch à Lannion ;

2°) de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de


l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elles soutiennent que :

- leurs objets statutaires leur donnent intérêt à agir ;


- la condition d’urgence est remplie : elle est présumée en matière d’urbanisme ; en
outre, plusieurs arbres de haute tige, très anciens, appartenant à une allée caractéristique bordant
le Léguer depuis des décennies, risquent d’être abattus ;
- sur le doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté litigieux :
- il méconnaît l’article L. 350-3 du code de l’environnement : l’abattage n’est pas
autorisé pour les besoins de projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements, seules
dérogations possibles mais uniquement pour pallier à un problème de desserte du bâtiment
construit pour abriter la société Anthénéa, qui produit des soucoupes flottantes ;
- il est insuffisamment motivé ;
- le préfet a commis une erreur de droit et un détournement de pouvoir : c’est au
moment de l’instruction du permis de construire que l’éventualité d’un abattage devait être
envisagée ;
N° 2205631 2

- le préfet a commis une erreur de fait dès lors qu’en l’espèce, plus généralement
les problèmes techniques de sortie des soucoupes flottantes ne paraissent pas avoir été résolus.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2022, le préfet des Côtes-


d’Armor conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable à défaut pour les associations requérantes d’avoir un intérêt à
agir, l’impact de la décision contestée étant très limité ;
- la condition d’urgence n’est pas satisfaite : le nombre d’arbres concernés est
particulièrement faible et il n’existe aucune autre alternative moins impactante pour
l’environnement ; l’urgence réside surtout dans la nécessité de permettre à l’entreprise Anthénéa
de poursuivre son activité en plein développement et d’assurer le transport pour l’écoulement de
sa production dans les meilleurs délais en ayant un accès au fleuve Le Léguer puis à la mer ;
- sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse :
- elle est suffisamment motivée, a été prise au visa de l’article L. 350-3 du code de
l’environnement et s’inscrit dans le cadre d’un projet d’aménagement ;
- elle n’est entachée d’aucune erreur de droit : elle a pour objet de permettre un
aménagement de la chaussée nécessitant l’abattage de trois platanes sans lien avec le permis de
construire antérieurement délivré mais en lien avec la nature de l’activité qui a pris place dans le
bâtiment ;
- elle n’est entachée d’aucune erreur de fait : les conditions de transfert jusqu’au
fleuve ont fait l’objet de plusieurs réunions à la fin de l’année 2021, lesquelles ont permis
d’identifier les obstacles physiques et de prévoir les mesures préalables à prendre.

La requête a été communiquée à la commune de Lannion, qui n’a pas produit de


mémoire.

Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête au fond n° 2205644.

Vu :
- le code de l’environnement ;
- le code de justice administrative.

Le président du Tribunal a désigné Mme Plumerault, première conseillère, pour statuer


sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 15 novembre 2022 :


- le rapport de Mme Plumerault,
- les observations de M. Le Roy, président de l’association Sauvegarde du Trégor,
Goëlo, Penthièvre, qui reprend les mêmes termes que les écritures qu’il développe, soutient que
les associations requérantes ont intérêt à agir dès lors que leurs objets statutaires sont en lien
N° 2205631 3

avec la préservation du patrimoine naturel, souligne que les trois arbres dont l’abattage est
autorisé sont situés dans deux alignements et sont repérés dans la fiche Natura 2000 « Rivière
Leguer, forêts de Beffou, Coat an Noz et Coat an Hay » comme étant riches en biodiversité car
ils abritent des chauves-souris, que ces arbres font partie du patrimoine naturel et culturel de
Lannion, insiste sur le fait que l’autorisation d’abattage aurait dû être intégrée au permis de
construire antérieurement délivré dès lors que la mairie connaissait déjà l’activité qui serait
exercée dans le bâtiment, qu’il y a lieu d’appliquer les dispositions de l’article L. 350-3 du code
de l’environnement qui étaient applicables à la date de délivrance du permis de construire, qu’en
tout état de cause, il n’existe aucun projet d’aménagement, qu’il existe beaucoup d’incertitudes
sur la viabilité du projet, la solidité des quais, la navigabilité de l’estuaire notamment pour
pouvoir mettre à l’eau les soucoupes flottantes fabriquées par la société Anthénéa et qu’il
n’existe aucune certitude sur le fait que ce sont seulement trois arbres qui devront être abattus ;
- les observations de Mme Debreu-Milon, représentant l’association Plestin
Environnement, qui reprend les mêmes termes que les écritures qu’elle développe, insiste sur
l’intérêt à agir des associations requérantes eu égard à leurs objets statutaires, sur le caractère
irréversible de l’abattage des arbres, souligne que l’article L. 350-3 du code de l’environnement
applicable est celui en vigueur à la date de délivrance du permis de construire, qu’il n’existe en
tout état de cause aucun projet d’aménagement ni aucun intérêt public qui nécessiterait l’abattage
de ces arbres, souligne qu’il n’existe aucune certitude sur la viabilité de l’activité de la société
Anthénéa, qu’il n’a pas été prouvé que les soucoupes flottantes qu’elle fabrique ne pourraient pas
sortir de l’usine autrement qu’en abattant les trois arbres en cause, que les mesures de
compensation sont insuffisantes dès lors que ce sont trois arbres centenaires qui doivent être
abattus et que la société Anthénéa a indiqué, par voie de presse, ne pas vouloir payer les frais liés
aux mesures compensatoires prévues dans l’arrêté en litige ;
- les observations de M. Creismas, représentant le préfet des Côtes-d’Armor, qui
reprend les mêmes termes que les écritures qu’il développe, souligne que l’enjeu
environnemental de l’abattage des arbres en cause est faible, qu’il s’agit de platanes situés en
bout d’alignement qui ne sont pas situés en espaces boisés classés, qu’il n’y avait pas de
possibilité de connaître, dès la délivrance du permis de construire les bâtiments accueillant
l’activité de la société Anthénéa, la taille des produits devant en sortir, qu’il existe un intérêt
majeur économique à préserver l’activité d’une entreprise novatrice qui doit livrer une unité
flottante en 2023 au sultanat d’Oman, insiste sur le fait que le texte applicable est celui en
vigueur à la date de la décision litigieuse, que l’abattage des arbres s’inscrit dans le cadre d’un
projet d’aménagement de la chaussée en raison de la taille des soucoupes flottantes produites par
la société Anthénéa, indique qu’à ce jour, c’est seulement l’abattage de trois arbres qui est prévu.

La commune de Lannion n’était ni présente, ni représentée.

La clôture de l’instruction a été différée à l’issue de l’audience au 21 novembre 2022 à


16 heures.

Par un mémoire, enregistré le 18 novembre 2022, le préfet des Côtes-d’Armor conclut


de nouveau au rejet de la requête par les mêmes moyens.

Il fait valoir en outre qu’il est justifié d’un aménagement en sortie de l’usine Anthénéa
afin d’effectuer les manœuvres nécessaires au transport des unités flottantes jusqu’au quai de
Loguivy-Lès-Lannion.
Par un mémoire, enregistré le 21 novembre 2022 à 13h30, l’association Sauvegarde du
Trégor, Goëlo, Penthièvre et l’association Plestin Environnement concluent aux mêmes fins que
leur requête par les mêmes moyens.
N° 2205631 4

Elles soutiennent en outre qu’il n’est pas justifié de la réalité d’un projet
d’aménagement à la date de l’arrêté attaqué et que les travaux envisagés ne constituent pas un
aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, qu’il ressort de la notice
élaborée par la ville de Lannion qu’il est probable qu’il soit nécessaire d’abattre d’autres arbres
ou que le transport de soucoupes flottantes porte atteinte aux arbres restés en place en raison de
la largeur insuffisante de la chaussée, bas-côtés inclus, que les arbres devant être abattus sont
centenaires, se situent dans une trame verte et bleue, à la limite d’un espace boisé classé et qu’il
existe un doute sur la pertinence des mesures de compensation prévues, que la navigabilité du
Léguer n’est pas prouvée.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice


administrative :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une


décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en
réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de
l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est
fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité
de la décision (…) ».

2. Aux termes de l’article L. 350-3 du code de l’environnement, dans sa rédaction


applicable au litige : « Les allées d'arbres et alignements d'arbres qui bordent les voies ouvertes
à la circulation publique constituent un patrimoine culturel et une source d'aménités, en plus de
leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l'objet d'une protection
spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur
renouvellement, et une mise en valeur spécifiques. / Le fait d'abattre ou de porter atteinte à un
arbre ou de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de
plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres est interdit. / (…) le représentant de
l'Etat dans le département peut autoriser lesdites opérations lorsque cela est nécessaire pour les
besoins de projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements. Le représentant de l'Etat dans le
département informe sans délai le maire de la commune où se situe l'alignement d'arbres
concerné du dépôt d'une demande d'autorisation. Il l'informe également sans délai de ses
conclusions. / La demande d'autorisation ou la déclaration comprend l'exposé des mesures
d'évitement envisagées, le cas échéant, et des mesures de compensation des atteintes portées aux
allées et aux alignements d'arbres que le pétitionnaire ou le déclarant s'engage à mettre en
œuvre (…). Le représentant de l'Etat dans le département apprécie le caractère suffisant des
mesures de compensation et, le cas échéant, l'étendue de l'atteinte aux biens (…) / La
compensation mentionnée aux cinquième et sixième alinéas doit, le cas échéant, se faire
prioritairement à proximité des alignements concernés et dans un délai raisonnable (…) ».

3. Si l’article L. 350-3 a posé un principe général de protection des allées et


alignements d’arbres, il a toutefois prévu des dérogations notamment pour les besoins de projets
de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements, conditionnées par la mise en œuvre de mesures
compensatoires de préférence locales.
N° 2205631 5

4. En l’espèce, l’usine Anthénéa située le long de la rivière Le Léguer à Lannion a pour


activité la fabrication et la vente d’alcôves flottantes, aménagées pour un usage d’habitation. Il
ressort des pièces du dossier que, pour la livraison de ses alcôves, la société Anthénéa a prévu
d’utiliser le quai à sable de Loguilvy-Lès-Lannion situé à 1 600 mètres de son usine, dont la
structure après qu’aient été réalisées des études de stabilité, permet d’accepter sans travaux les
charges de grue induites par leur chargement. Toutefois, ces unités flottantes, d’un diamètre de
9,43 mètres, ne peuvent emprunter le réseau routier sans la réalisation de certains travaux de
voirie le long du trajet alors que la largeur de la chaussée oscille entre 5,30 m et 6,20 m. Parmi
les travaux s’avérant nécessaires figure un élargissement de la chaussée à la sortie de l’usine
pour permettre à la remorque destinée à convoyer les alcôves d’emprunter le quai du Maréchal
Foch jusqu’au quai d’embarquement, élargissement supposant l’abattage de trois arbres situés en
bout de deux alignements. Cette opération d’abattage doit ainsi être regardée comme nécessaire à
un projet de travaux et d’aménagement au sens de l’article L. 350-3 du code de l’environnement.
L’arrêté en litige a en outre prévu, comme mesure compensatoire, la plantation de dix nouveaux
arbres aux abords immédiats de l’entreprise Anthénéa, par la reconstitution notamment d’un
alignement de quatre arbres le long de la façade du bâtiment dans l’espace public et il ne ressort
d’aucune des pièces du dossier que d’autres abattages d’arbres situées au sein d’alignements
seraient nécessaires sur le parcours de la remorque. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que
cet arrêté méconnaîtrait l’article L. 350-3 du code de l’environnement n’est pas de nature, en
l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

5. Aucun des autres moyens invoqués susvisés n’est davantage, en l’état de


l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté en litige.

6. Il résulte de ce qui précède que l’une des conditions mises à l’application de l’article
L. 521-1 du code de justice administrative n’étant pas remplie, il y a lieu, sans qu’il soit besoin
d’examiner la fin de non-recevoir opposée par le préfet des Côtes-d’Armor, de rejeter les
conclusions à fin de suspension de la requête des associations requérantes.

Sur les dépens :

7. Aucun frais de cette nature n’ayant été engagé dans le cadre de la présente instance,
les conclusions présentées par les associations requérantes à ce titre ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. En vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le


tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement
par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge. Les
conclusions présentées à ce titre par les associations requérantes doivent, dès lors, être rejetées.

ORDONNE:

Article 1er : La requête des associations Sauvegarde du Trégor, Goëlo, Penthièvre et Plestin
Environnement est rejetée.
N° 2205631 6

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Sauvegarde du Trégor, Goëlo,


Penthièvre, désignée représentante unique, pour l’ensemble des requérantes en application de
l’article R. 751-3 du code de justice administrative, au ministre de la transition écologique et de
la cohésion des territoires et à la commune de Lannion.

Copie de la présente ordonnance sera adressée au préfet des Côtes-d’Armor

Fait à Rennes, le 25 novembre 2022.

Le juge des référés, La greffière d’audience,

signé signé

F. Plumerault P. Cardenas

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le
concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les
parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Vous aimerez peut-être aussi