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Construction - Un an de responsabilité et d’assurance des acteurs de la construction (1er juillet 2021 – 31 juillet 2022) - Chronique par Sabine Bertolaso,

Philippe
Brun et Emmanuelle Ménard
Responsabilité civile et assurances n° 2, Février 2023, chron. 1

Un an de responsabilité et d’assurance des acteurs de la construction (1er juillet 2021 – 31 juillet 2022)

Chronique par Sabine Bertolaso maître de conférences, université de La Rochelle, of counsel Racine-Bordeaux

et Philippe Brun avocat général à la Cour de cassation

et Emmanuelle Ménard avocat associé, Racine-Bordeaux

En matière de réception des travaux, la Cour de cassation limite le champ des réceptions multiples aux réceptions par lots et par
tranches, dont elle précise les contours (V. n° 2).

Concernant la responsabilité décennale, deux décisions enfoncent le clou concernant la définition des ouvrages et des éléments d’
équipement (V. n° 4 et 5), tandis que des précisions sont apportées sur la qualité de bénéficiaire de la garantie du constructeur en cas de
résolution de la vente (V. n° 6).

La Cour répond à la question du délai d’exercice du recours en garantie des vices cachés contre le fournisseur et de son point de départ
(V. n° 8).

À propos de la responsabilité de droit commun, une décision retient l’attention en consacrant le manquement d’un sous-traitant à son
obligation d’information envers l’entrepreneur principal (V. n° 11)

En assurance construction, plusieurs arrêts importants concernent l’assurance dommages-ouvrage, en particulier les délais d’instruction
(V. n° 13 à 15) et le recours subrogatoire de l’assureur (V. n° 16 et 17).

1. Responsabilité des acteurs de la construction

A. Réception des travaux

1. - Réception tacite. - À l’inverse de la réception judiciaire caractérisée sur la base du constat objectif que l’ouvrage est en état d’être reçu ou habité, la
réception tacite est appréciée de manière subjective, par référence à l’état d’esprit du maître de l’ouvrage. Sa volonté non équivoque d’accepter les travaux est
présumée en cas de prise de possession et de paiement du prix ou de la quasi-totalité du prix (en dernier lieu, V. Cass. 3e civ., 29 juin 2022, n° 21-17.997, F-D).
La réception tacite peut ainsi être prononcée en cas de paiement de la totalité du prix à la date à laquelle le maître de l’ouvrage est entré en possession des lieux (
Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 21-12.770, F-D : JurisData n° 2022-006873 ; Resp. civ. et assur. 2022, alerte 14, S. Bertolaso). Elle est en revanche écartée en l’
absence de prise de possession d’un ouvrage affecté de malfaçons et inachevé, dans des circonstances où de surcroît, les maîtres de l’ouvrage ont sollicité un
technicien et un huissier aux fins de contester les travaux ( Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 21-10.048, F-D : JurisData n° 2022-006874 ; Resp. civ. et assur.
2022, alerte 14, S. Bertolaso).

Remarque :

Si la prise de possession de l’ouvrage et le paiement du prix ou de la quasi-totalité du prix sont les critères d’appréciation auxquels les juridictions
ont le plus fréquemment recours, il est souvent fait référence à un faisceau plus large d’indices. La présomption de réception est ainsi renversée
lorsque le maître de l’ouvrage, après avoir fait constater par huissier l’abandon du chantier et des malfaçons, a mis en demeure le constructeur de
lui rembourser une somme correspondant au prix des travaux mal exécutés avant de l’assigner en référé aux fins de désignation d’un expert (Cass.
3e civ., 26 oct. 2022, n° 21-22.011, F-D : JurisData n° 2022-021681). Par ailleurs, le paiement d’une seule partie du prix ne fait pas obstacle à la
réception tacite lorsqu’il est justifié par l’existence d’une réserve à la réception (Cass. 3e civ., 20 avr. 2022, n° 21-13.630, F-D).

Emmanuelle Ménard

2. - Réceptions multiples. - La question des réceptions multiples d’un ouvrage inachevé donne lieu à un contentieux abondant. La Cour de cassation a consacré
l’existence de plusieurs réceptions en présence de travaux réalisés par tranches successives dans le cadre d’une seule et même opération de construction (Cass.
3e civ., 10 janv. 1990 : Bull. civ. III, n° 6 ; JCP G 1990, IV, 94. – Cass. 3e civ., 2 mars 2011, n° 10-15.211 : JurisData n° 2011-002693 ; Bull. civ. III, n° 27 ; Constr.-
Urb. 2011, comm. 75, note M.-L. Pagès de Varenne ; JCP N 2011, 305, note Erstein). Elle admet aussi les réceptions par lots (Cass. 3e civ., 16 nov. 2010, n° 10-
10.828 : JurisData n° 2010-021555 ; Defrénois 2012, n° 40289, note H. Périnet-Marquet), tout en écartant opportunément les réceptions partielles à l’intérieur d’
un même lot (Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, n° 14-19.279 : JurisData n° 2017-001546 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 57, note M.-L. Pagès-de Varenne). Poursuivant sur
la voie ainsi tracée, la 3e chambre civile approuve une cour d’appel d’avoir écarté la réception des seuls travaux jusqu’alors achevés au rez-de-chaussée et au
premier étage d’un immeuble comportant quatre niveaux, au motif qu’il « n'était pas soutenu que (ces) travaux (…) constituaient des tranches de travaux
indépendantes ou formaient un ensemble cohérent » ( Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n° 20-16.829, FS-B : JurisData n° 2022-003933 ; Resp. civ. et assur. 2022,
alerte 14, S. Bertolaso). Ce jugeant, la Haute Juridiction reprend les termes essentiels de son rapport pour l’année 2017 : « le lot est l'ensemble cohérent de
travaux en deçà duquel aucune réception partielle n’est possible. En revanche, il peut, bien évidemment, y avoir réception de tranches de travaux au-delà de
cette entité minimale, par exemple, par bâtiment en cas de construction de plusieurs immeubles » (Rapp. C. cass. 2017, p. 220).

Remarque :
Il est difficile de concevoir que les travaux réalisés sur deux étages d’un immeuble comportant quatre niveaux constituent des tranches de travaux
indépendantes ou un ensemble cohérent au sens où l’entend la Cour de cassation. Il s’agit plutôt d’une partie des travaux effectués en exécution de
plusieurs lots confiés au même constructeur.

Emmanuelle Ménard

3. - Effets de la réception. - La question de l’apparence des désordres à la réception revêt une importance capitale dans la mesure où elle conditionne l’
inapplicabilité des garanties légales des constructeurs et leur responsabilité de droit commun en l’absence de réserves (en dernier lieu, V. Cass. 3e civ., 29 juin
2022, n° 21-18.304, F-D). Il appartient au propriétaire de l’ouvrage d’établir que les désordres n’étaient pas visibles et cette preuve n’est pas rapportée s’il a été
parfaitement informé, dès avant la réception, qu’aucune mesure ne pourra mettre fin aux désordres ni en réduire l’importance ( Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 20-
22.636 et 21-14.912, F-D : JurisData n° 2022-006875 ; Resp. civ. et assur. 2022, alerte 14, S. Bertolaso).

Remarque :

L’apparence est appréciée de manière subjective, en fonction de la capacité personnelle du maître de l’ouvrage à détecter un désordre, une non-
conformité ou une non-façon au jour de la réception. Un des principaux acteurs du logement social, qui avait fait édifier des bâtiments devant
respecter les normes légales et réglementaires d’accessibilité et d’adaptabilité aux personnes à mobilité réduite, dispose des compétences lui
permettant de s’apercevoir, même si le maître d’œuvre et le bureau de contrôle ne l’ont pas alerté, que la largeur de circulation était insuffisante d’
un à 2 centimètres dans certains logements (Cass. 3e civ., 29 juin 2022, n° 21-18.304, F-D).

Emmanuelle Ménard

B. Responsabilité décennale

4. - Notion d’ouvrage. - En l’absence de définition légale, la qualification d’ouvrage est subordonnée au constat que des matériaux ont été incorporés dans le sol
au moyen de travaux de construction. Des travaux de terrassement et d’aménagement d’un terrain ne sont ainsi pas constitutifs d’un ouvrage au sens de l’
article 1792 du Code civil ( Cass. 3e civ., 10 nov. 2021, n° 20-20.294, FS-B : JurisData n° 2022-006875 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 13, note S. Bertolaso)
. La solution paraît s’imposer d’évidence dans la mesure où ces travaux consistent usuellement à creuser et à déplacer la terre, sans incorporation de matériaux
dans le sol au moyen de techniques de construction. Le fait que le constructeur qui les a réalisés avait connaissance du futur projet de construction d’un bâtiment
ne suffit pas à justifier l’application de l’article 1792 « par anticipation » (même arrêt).

Remarque :

La solution aurait vraisemblablement été différente si le constructeur avait procédé à la viabilisation du terrain.

Sabine Bertolaso

5. - Notion d’élément d’équipement. - En l’absence de définition légale, la Cour de cassation définit l’élément d’équipement par référence à sa capacité à
fonctionner. Après avoir très clairement retenu qu’un enduit de façade assurant une simple fonction d’imperméabilisation « ne constitue pas un élément d’
équipement (…) dès lors qu’il n’est pas destiné à fonctionner » (Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-10.249 : JurisData n° 2020-001761 ; Constr.-Urb. 2020, comm.
53, note M.-L. Pagès-de Varenne), la 3e chambre civile considère tout aussi nettement « qu’un carrelage et des cloisons, adjoints à l’existant, ne sont pas
destinés à fonctionner ». Or, seuls « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la
responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ». En l’absence d’élément d’équipement et d’ouvrage, seule la
responsabilité de droit commun du constructeur est envisageable, quel que soit le degré de gravité des désordres ( Cass. 3e civ., 13 juill. 2022, n° 19-20.231,
FS-B : JurisData n° 2022-011752 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 231, note E. Ménard). Ainsi privé de bénéfice de l’assurance obligatoire, le demandeur qui
veut obtenir réparation devra apporter la preuve d’une faute du constructeur sur le terrain de la responsabilité contractuelle.

Remarque :

La conception restrictive de la notion d’élément d’équipement réduit ipso facto la portée du principe selon lequel quand bien même ils ne sont pas
assimilables à des travaux de construction d’un ouvrage, les travaux d’adjonction d’un élément d’équipement relèvent de la garantie décennale, dès
lors qu’ils rendent l’immeuble, dans son ensemble, impropre à sa destination (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19.640 : JurisData n° 2017-011592 ;
Resp. civ. et assur. 2017, comm. 248 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 120, note M.-L. Pagès-de Varenne ; Constr.-Urb. 2017, alerte 1, G. Durand-
Pasquier ; JCP G 2017, 1018, note J.-P. Karila).

Sabine Bertolaso

6. - Bénéficiaire de la garantie décennale en cas de résolution de la vente. - On sait que si la garantie décennale est en principe d’application exclusive, il en
va toutefois autrement pour la vente après achèvement, pour laquelle l’application des règles de la responsabilité décennale n’est pas exclusive de celle de la
garantie des vices cachés (V. par ex. Cass. 3e civ., 11 mai 2010 : n° 09-13.358). Ce n’est pas à dire toutefois que ces deux corps de règles puissent se cumuler,
ainsi que la troisième chambre civile a eu l’occasion de le préciser, par cet arrêt du 8 juillet 2021 ( Cass. 3e civ., 8 juill. 2021, n° 20-15.669 : JurisData n° 2021-
010978 ; Resp. civ. et assur. 2021, comm. 186, obs. S. Bertolaso).

Plus précisément, il résulte de cette décision que lorsque l’acquéreur a sollicité et obtenu la résolution de la vente sur le fondement de l’article 1641 du Code civil,
il ne peut pas invoquer le jeu de la responsabilité décennale. Une cour d’appel est ici approuvée d’avoir considéré qu’ayant par l’effet de la résolution de la vente
perdu sa qualité de propriétaire du bien n’était pas recevable à agir sur le fondement de la garantie décennale.
Autrement dit, si les articles 1641 et 1792 du Code civil sont l’un comme l’autre potentiellement susceptibles d’être invoqués par l’acquéreur d’un immeuble, ce
dernier doit prendre garde à l’ordre dans lequel il les invoque…

Philippe Brun

C. Responsabilité solidaire du fabricant ou de l’importateur d’EPERS

7. - Champ d’application de l’article 1792-4 du Code civil. - L’article 1792-4 du Code civil consacre la responsabilité solidaire du fabricant ou de l’importateur d’
EPERS. Des projecteurs référencés au catalogue du fabricant et à propos desquels le bon de commande spécifie des caractéristiques particulières afin de
répondre à des besoins précis du chantier auquel ils étaient destinés, entrent dans la catégorie des EPERS (en ce sens, V. Cass. ass. plén., 26 janv. 2007, n° 06-
12.165 : JurisData n° 2007-037146 ; JCP G 2007, II, 10116, note O. Guérin ; Resp. civ. et assur. 2007, comm. 91 et étude 7, G. Courtieu. – En dernier lieu, V.
Cass. 3e civ., 16 nov. 2022, n° 21-20.016 : JurisData n° 2022-019670). Mais cette circonstance ne suffit pas à justifier la responsabilité solidaire de l’importateur.
En effet, tout comme sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, la responsabilité décennale bénéficie au seul propriétaire de l’ouvrage, l’action en
responsabilité solidaire dirigée contre le fabricant ou l’importateur d’EPERS lui est réservée. Elle ne saurait donc bénéficier au constructeur dans le cadre de son
recours en garantie, quand bien même le contrat conclu entre ce dernier et l’importateur est qualifié de « contrat de louage d’ouvrage » en raison de « l’existence
d’un travail spécifique destiné à répondre à des besoins particuliers ». Il s’agit en réalité d’un contrat de sous-traitance constituant une variété de contrat de
louage. Quoi qu’il en soit, en l’absence d’un contrat de vente qui aurait permis au constructeur de tirer bénéfice de la garantie des vices cachés, seule la
responsabilité de droit commun est envisageable, à moins que les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux soient réunies ( Cass. 3e civ.,
20 avr. 2022, n° 21-14.182 : JurisData n° 2022-006092 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 154, note S. Bertolaso).

Remarque :

Dans l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux, il est proposé de ne pas reprendre les dispositions de l’article 1792-4 du Code civil en raison
de l’imprécision du texte et de son faible intérêt pratique, le demandeur ayant la possibilité de se placer sur d’autres fondements (droit de la vente
ou responsabilité du fait des produits défectueux).

Emmanuelle Ménard

D. Garantie des vices cachés

8. - Action récursoire du constructeur fondée sur la garantie des vices cachés. - En énonçant, dans cet arrêt du 16 février 2022 ( Cass. 3e civ., 16 févr.
2022, n° 20-19.047 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 105, obs. E. Ménard ; D. 2022, p. 585, avis Ph. Brun, note J.-S. Borghetti) que « le constructeur dont la
responsabilité est retenue en raison des vices affectant les matériaux qu’il a mis en œuvre pour la réalisation de l’ouvrage doit pouvoir exercer une action
récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de
la vente », la troisième chambre civile réaffirme non seulement une solution qu’elle avait déjà consacrée (V. not. Cass. 3e civ., 20 oct. 2004, n° 02-21.576. –
Cass. 3e civ., 6 déc. 2018, n° 17-24.111), mais elle prend expressément le contre-pied de celle que font prévaloir de leur côté la première chambre civile et la
chambre commerciale (V. not. Cass. 1re civ., 6 juin 2018, n° 17-17.438 : D. 2018, p. 2166, note C. Grimaldi ; RTD civ. 2018, p. 919, obs. P. Jourdain ; RDC 2019
/1, p. 24, obs. J.-S.Borghetti. – Cass. 1re civ., 24 oct. 2019, n° 18-14.720. – Cass. 1re civ., 6 nov. 2019, n° 18-21.481. – Cass. com., 16 janv. 2019, n° 17-21.477 :
Contrats, conc. consom. 2019, comm. 61, obs. L. Leveneur ; RTD civ. 2019, p. 358, obs. P.-Y. Gautier), consistant à considérer que la prescription court à
compter de la vente initiale, y compris pour les acquéreurs successifs, sans aucun aménagement.

Il est vrai qu’elle concède que le délai de l'article L. 110-4, I du Code de commerce, court « à compter de la vente », et ce faisant ne contredit pas la solution
retenue de manière prétorienne par la première chambre civile et la chambre commerciale s’agissant du point de départ du délai de la prescription commerciale (l’
article L. 110-4, I ne précise pas le point de départ de la prescription, et ces deux chambres l’ont fixé à la vente initiale, uniquement dans le cas de la garantie des
vices cachés, alors qu’elles le situent dans tous les autres cas à la même date que celle fixée en droit commun de la prescription civile par l’article 2224 du Code
civil : V. par ex. Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 16-10.142 : Bull civ. I, n° 50. – Cass. com., 6 janv. 2021, n° 18-24.954 : RTD civ. 2021, p. 411, obs. H. Barbier ;
RTD civ. 2021, p. 421, obs. P. Jourdain), mais elle considère, contrairement à celles-ci, que le délai de l’article 1648 du Code civil (qu’il y a lieu de combiner avec
celui de la prescription de droit commun civile ou commerciale) se trouve suspendu, à l’égard de l’entrepreneur, jusqu’à la date de sa propre assignation dès lors
que jusqu’à cette date, l’entrepreneur n’est pas à même d’agir contre le vendeur et le fabricant (rappr. à propos de l’appel en garantie par l’entrepreneur du
fabricant de matériaux, Cass. com., 29 juin 2022, n° 19-20.647 : JurisData n° 2022-011364 ; Resp. civ. et assur. 2021, 195, obs. S. Bertolaso).

C’est sur le droit d’accès au juge que la troisième chambre civile se fonde expressément pour assoir cette solution (pour un exemple de condamnation d’un État à
raison du point de départ de la prescription jugé trop précoce, V. CEDH, 11 mars 2014, n° 52067/10, Moor c/ Suisse : D. 2014, p. 1019, note J.-S. Borghetti ;
D. 2014, p. 2032, obs. M. Bacache).

Implicitement mais nécessairement, c’est aussi et surtout en référence au principe selon lequel la prescription ne commence à courir contre un droit qu’à partir du
jour où ce droit est ouvert, incarné par l’adage « Actioni non natae praescriptur » (sur lequel, V. H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français : Litec, 4e éd.,
n° 7, p. 10) que la solution retenue ici se justifie.

S’agissant du point de départ de l’action fondée sur la garantie des vices cachés, il faut aussi signaler l’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 8 décembre
2021 ( Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-21.439 : Contrats, conc. consom. 2022, comm. 23, obs. L. Leveneur ; D. 2022, p. 257, avis Ph. Brun, note J.-S.
Borghetti) qui n’a pas manqué de retenir l’attention en énonçant que « l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut être assuré,
comme en principe pour toute action personnelle ou mobilière que par l’article 2232 du Code civil qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance
du droit. »
Ce faisant, la troisième chambre civile prend ses distances avec une solution jurisprudentielle devenue classique, consistant à considérer que le délai biennal de
la garantie des vices cachés devait s’appliquer dans les limites de la prescription de droit commun (V. par ex. Cass. com., 27 nov. 2001, n° 99-13.428 : Bull. civ.
IV, n° 188 ; JCP G 2022, 10021, note P. Jourdain. – Cass. 1re civ., 24 oct. 2019, n° 18-14.720 : JurisData n° 2019-018795).

Le recours à l’article 2232 du Code civil peut sembler logique dès lors que tel est bien l’objet de ce dispositif issu de la réforme de la prescription que de fournir un
délai butoir général, applicable à toutes les actions personnelles ou mobilières, quand l’encadrement du délai biennal par la prescription de droit commun n’
apparaissait guère que comme un pis-aller, non dénué d’inconvénient (on songe notamment à la question du point de départ de ce délai qui tend à se confondre
avec celui de la garantie des vices cachés, V. not. en ce sens, J.-S. Borghetti, D. 2022, p. 257).

On ignore toutefois si la première chambre civile et la chambre commerciale finiront par se rallier à cette orientation, qui n’est elle-même pas sans susciter des
interrogations, notamment sur sa compatibilité avec la qualification du délai biennal de l’article 1648 de délai de forclusion (Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n° 20-
22.670 : JurisData n° 2022-000060. – Comp. Cass. 1re civ., 20 oct. 2021, n° 20-15.070 : JurisData n° 2021-020333. – Sur cette question, V. notre étude,
Forclusion ou prescription ? Incertitudes jurisprudentielles sur la nature du délai de l’article 1648 du Code civil : Resp. civ. et assur. 2022, alerte 7).

Sur ces différentes questions, la réunion de chambre mixte pourrait s’avérer pertinente.

Philippe Brun

E. Responsabilité de droit commun

1° Responsabilité de l’architecte

9. - Clause d’exclusion de solidarité. - Quid de la portée de la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans un contrat de maîtrise d’œuvre, selon laquelle le
maître d’œuvre « ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération de construction (…) »
? D’origine purement jurisprudentielle, l’obligation in solidum n’a pas pour objet de faire peser sur un seul des coauteurs les conséquences de la faute commise
par les autres, mais de faciliter la tâche de la victime en lui épargnant tout à la fois la charge de recours multiples et le risque de l’insolvabilité de certains
responsables. Hormis le cas dans lequel le maître d’œuvre n’a pas contribué, avec les autres constructeurs, à la réalisation de l’entier dommage, opposer la
clause d’exclusion de solidarité au maître de l’ouvrage reviendrait à méconnaître la portée de l’obligation in solidum. Dans des circonstances où l’architecte s’est
« abstenu de préparer un projet complet définissant précisément les prestations des locateurs d’ouvrage et d’exiger d’eux des plans d’exécution, ce dont il
résultait que la faute de l’architecte était à l’origine de l’entier dommage », il était donc impossible d’opposer la clause d’exclusion de solidarité aux fins de réduire
la charge de réparation pesant sur l’architecte en tenant compte des défauts d’exécution imputables aux entreprises intervenues sur le chantier ( Cass. 3e civ.,
19 janv. 2022, n° 20-15.376, FS-B : JurisData n° 2022-000605 ; Resp. civ. et assur. 2022, 106, note S. Bertolaso).

Remarque :

Les autres acteurs du chantier sont les principaux bénéficiaires de cette solution, laquelle contraint les architectes à supporter les effets de la
condamnation in solidum de tous les constructeurs à réparer le préjudice subi par le maître de l’ouvrage.

Sabine Bertolaso

10. - Responsabilité en cas de dépassement du budget global du chantier. - Les cas de sous-évaluation du coût des travaux nécessaires à la réalisation de l’
opération de construction sont malheureusement nombreux. La réponse à la question de savoir si le maître de l’ouvrage peut prétendre à la réparation d’un
préjudice dépend du contexte. La faute du maître d’œuvre est caractérisée sous réserve que soit établie la sous-estimation du coût des travaux, appréciée par
référence au prix d’une prestation standard (Cass. 3e civ., 13 juin 2019, n° 18-16.643 : JurisData n° 2019-015728). La preuve de la faute doit naturellement être
accompagnée de celle d’un lien de causalité avec le préjudice consécutif au dépassement du budget (Cass. 3e civ., 18 févr. 2016, n° 15-12.221 : JurisData
n° 2016-002688). Dans des circonstances où les juges du fond ont observé que « si le projet de l’architecte avait été correctement réalisé, (les maîtres de l’
ouvrage) auraient dû nécessairement payer le surcoût correspondant aux prestations complémentaires omises de son évaluation », la responsabilité du
défendeur est écartée faute de relation de cause directe entre sa faute et le préjudice invoqué ( Cass. 3e civ., 19 janv. 2022, n° 20-15.376, FS-B : JurisData
n° 2022-000605 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 106, note S. Bertolaso).

Remarque :

La solution adoptée pourrait restreindre, de manière significative, l’accès à la réparation demandée en cas de sous-évaluation du coût des travaux.

Sabine Bertolaso

2° Responsabilité du sous-traitant

11. - Responsabilité contractuelle du sous-traitant envers l’entrepreneur principal. - Exercée sur le fondement de l'ancien article 1147, devenu 1231-1 du
Code civil, l'action récursoire de l'entrepreneur principal obéit à un régime probatoire spécifique, procédant de la nature de l'obligation du sous-traitant. Ce dernier
est tenu d'une obligation de résultat qui emporte présomption de faute et de causalité, si bien que le sous-traitant qui voudrait échapper aux conséquences de sa
responsabilité, serait contraint d'établir qu'une cause étrangère est à l'origine du désordre dénoncé ( Cass. 3e civ., 10 nov. 2021, n° 20-18.510, F-D : JurisData
n° 2021-018232 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 20, note S. Bertolaso. – En dernier lieu, V. déjà, Cass. 3e civ., 20 déc. 2018, n° 17-24.870 : JurisData n° 2018-
024116). Sur ces bases, un entrepreneur principal qui recherche la responsabilité de son sous-traitant n'a pas à démontrer la faute de ce dernier. Dans
l'hypothèse où le sous-traitant n'a pas manqué à son obligation de résultat (tel est le cas s’il a effectué des travaux conformes à ce qui a été contractuellement
prévu et exempts de vice), une action reste envisageable s’il a enfreint son « devoir de conseil dans les domaines de sa spécialité ». Elle prospère dans l’
hypothèse où le sous-traitant aurait dû, en sa qualité de spécialiste du béton connaissant ses fragilités en cas d'exposition à certaines conditions climatiques
extrêmes, « lors de la conclusion du contrat-cadre d'origine, poser à la société Tech Inter (donneur d’ordre), profane en la matière, toutes les questions
nécessaires à la fourniture d'une prestation adaptée à ses besoins ». En d’autres termes, le respect par le sous-traitant de son obligation de résultat ne prive pas
l'entrepreneur principal de la faculté d'exercer utilement contre lui une action en responsabilité contractuelle au titre d'un manquement à l'obligation d'information,
de conseil ou de mise en garde (même arrêt).

Sabine Bertolaso

2. Assurance construction

A. Assurance dommages-ouvrage

1° Champ d’application de la garantie obligatoire

12. - Dommages futurs. - Au détour de l’action exercée par un syndicat de copropriétaires contre un assureur dommages-ouvrage, la question est posée de la
nature décennale de simples risques de désordre ( Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15.608, FS-B : JurisData n° 2022-007484 ; Resp. civ. et assur. 2022,
comm. 182, note S. Bertolaso). Un premier risque procède de l’absence d’écran en sous-toiture pouvant entraîner des chutes de tuiles sur les occupants et des
entrées d’eau en cas de vents violents. Le risque ne s’étant pas réalisé dans les 10 ans suivant la réception des travaux, les demandes formées au titre de l’
assurance obligatoire « en l’absence de désordre décennal constaté durant le délai d’épreuve » sont rejetées. Un second risque résulte de l’absence de
raccordement des évents, lequel provoque « des odeurs nauséabondes présentant un danger pour la santé des personnes ». La Cour de cassation reproche aux
juges du fond d’avoir écarté la mise en jeu de la garantie dommages-ouvrage, alors que « le risque sanitaire lié aux nuisances olfactives rendait, en lui-même, l’
ouvrage impropre à sa destination ». Dans le premier cas de figure, aucun élément constitutif du risque ne s’est réalisé. À l’inverse, dans le second cas de figure,
le principal élément révélant le risque (les nuisances olfactives) est apparu dans le délai d’épreuve. Sans renier le principe selon lequel un risque constaté au
cours du délai décennal suffit à caractériser l’impropriété à destination d’un ouvrage dès lors qu’il s’agit d’un risque certain de mise en péril de la solidité de l’
ouvrage et/ou de la sécurité des occupants (Cass. 3e civ., 12 sept. 2012, n° 11-16.943 : JurisData n° 2012-020105 ; Constr.-Urb. 2012, comm. 162, note M.-L.
Pagès-de Varenne), la Haute Juridiction marque son attachement au délai d’épreuve en limitant l’application de la garantie obligatoire au cas où, dans le délai
décennal, la présence d’un élément constitutif du risque est établie. Dans le même ordre d’idée, la Haute Juridiction a récemment admis la garantie décennale en
cas de combustion interne des boitiers de connexion de panneaux photovoltaïques malgré l’absence d’incendie dans le délai d’épreuve, le risque avéré d’
incendie de la couverture ayant en lui-même rendu le bâtiment impropre à sa destination pendant les 10 années qui ont suivi la réception des travaux (Cass. 3e
civ., 21 sept. 2022, n° 21-20.433, FS-B : JurisData n° 2022-015306 ; Resp. civ. et assur. 2022, alerte 37, S. Bertolaso).

Remarque :

Il n’était sans doute nul besoin de faire référence au risque sanitaire d’atteinte à la santé des personnes, dans la mesure où la présence d’odeurs
nauséabondes à l’origine de nuisances olfactives aurait pu suffire à caractériser l’impropriété à destination indispensable à la mise en jeu de la
garantie dommages-ouvrage.

Sabine Bertolaso

2° Incidences du non-respect des délais d’instruction

13. - Modalités de calcul du délai de 60 jours. - L’article L. 242-1, alinéa 3, du Code des assurances impose à l’assureur de « notifier à l’assuré sa décision
quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat » avant l’expiration d’un délai de 60 jours « courant à compter de la réception de la
déclaration de sinistre ». S’agissant des modalités de calcul du délai, la date de la notification est, à l'égard de celui qui y procède, la date de l'expédition de la
lettre qui en fait état et à l'égard de celui à qui elle est faite, celle de sa réception (CPC, art. 668). Il suffit donc que l’assureur ait expédié le courrier dans le délai
légal, peu important que l’assuré l’ait reçu postérieurement à son expiration ( CE, 7e et 2e ch. réunies, 5 nov. 2021, n° 443368, Lebon : Resp. civ. et assur.
2022, comm. 26, note S. Bertolaso. – En ce sens, V. déjà Cass. 3e civ., 18 févr. 2004, n° 02-17.976 : JurisData n° 2004-022388 ; Bull. civ. III, n° 29 ; Resp. civ. et
assur. 2004, comm. 157, note H. Groutel ; JCP G 2004, II, 10095, note A. Billemont).

Emmanuelle Ménard

14. - Étendue de la garantie en cas de non-respect du délai de 60 jours. - Faute d’avoir notifié à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des
garanties prévues au contrat dans un délai de 60 jours suivant réception de la déclaration de sinistre, l’assureur dommages-ouvrage est déchu du droit de
contester sa garantie (C. assur., art. L. 242-1, al. 3). Les clauses-types précisent que les garanties « jouent pour ce qui concerne le sinistre déclaré » (C. assur.,
art. A. 243-1, ann. II, B, 2°, c.). L’assureur dommages-ouvrage ne saurait donc être condamné au versement d’une indemnité dont le montant inclut le coût des
travaux de suppression d’un mur de refend à propos duquel la déclaration de sinistre ne fait état d’aucun désordre. Seule la preuve que « la suppression du mur
de refend était nécessaire à la réparation du sinistre déclaré » aurait pu justifier le versement de l’indemnité ( Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-18.540, FS-B :
JurisData n° 2021-019913 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 54, note S. Bertolaso). Conforme à la lettre des clauses-type, cette décision ne surprend pas
davantage que celle d’où il ressort que si l’assureur dommages-ouvrage doit financer la réparation des désordres listés dans la déclaration de sinistre quel que
soit leur degré de gravité, il est tenu de garantir les dommages immatériels dans la seule limite prévue par la police au titre d’une éventuelle garantie facultative (
Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 21-10.155, F.-D : JurisData n° 2022-003063 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 144, note R. Porte). La solution procède du
principe en vertu duquel les sanctions applicables en cas de non-respect des délais imposés dans le cadre du processus amiable de mise en jeu de la garantie
ont un caractère limitatif (en dernier lieu, V. Cass. 3e civ., 19 janv. 2022, n° 20-17.697 et 20-17.758 : JurisData n° 2022-000656 ; JCP G 2022, doctr. 602, obs. J.-
P. Karila). Selon l’article L. 242-1, alinéa 5, du Code des assurances, « (…) l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la
réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt légal au double du taux de l’intérêt légal ». Seule une
stipulation de la police imposant leur indemnisation oblige l’assureur à supporter la charge d’éventuels préjudices immatériels (perte locative, perte d’
exploitation…), mais dans la seule « limite du plafond de la garantie facultative souscrite à cette fin » (Cass. 3e civ., 21 sept. 2022, n° 21-18.960 : JurisData
n° 2022-015565 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 289, obs. S. Bertolaso).

Emmanuelle Ménard
15. - Opposabilité ou inopposabilité à l’assuré de la prescription biennale en cas de non-respect du délai de 60 jours. - Déchu du droit de contester sa
garantie sans pouvoir revendiquer le bénéfice d’une cause de non-indemnisation, l’assureur dommages-ouvrage qui n’a pas respecté le délai de 60 jours ne peut
pas se prévaloir de la prescription biennale acquise à la date d’expiration de ce délai. En conséquence, l’assureur « ne peut plus opposer la prescription biennale
qui serait acquise à la date de la seconde déclaration » du même sinistre que celui dont l’assureur a pris connaissance 3 ans plus tôt, alors même que plus de 2
ans se sont écoulés depuis la désignation régulière d’un expert amiable dans les 60 jours suivant la date de la première déclaration ( Cass. 3e civ., 30 sept.
2021, n° 20-18.883 : JurisData n° 2021-015432 ; Resp. civ. et assur. 2021, alerte 32, S. Bertolaso ). Le Conseil d’État confirme cette solution ( CE, 7e et 2e
ch. réunies, 5 nov. 2021, n° 443368 : Lebon ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 26, note S. Bertolaso), laquelle ne prive pas l’assureur de la possibilité d’
opposer à l’assuré une fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale acquise au jour de la déclaration de sinistre, pourvu qu’il se préoccupe de le faire dans
le délai de 60 jours suivant réception de ladite déclaration (Cass. 1re civ., 4 mars 1997, n° 95-10.045 : Bull. civ. I, n° 78 ; Resp. civ. et assur. 1997, chron. 17,
H. Groutel). L’assureur a également la faculté d’opposer « la prescription biennale dans le cas où l’action du maître de l’ouvrage (l’assuré) n’a pas été engagée
dans le délai de 2 ans à compter de l’expiration du délai de soixante jours suivant la réception de la déclaration de sinistre » ( CE, 7e et 2e ch. réunies, 5 nov.
2021, n° 443368 : Lebon ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 26, note S. Bertolaso. – En ce sens, V. déjà Cass. 3e civ., 20 juin 2012, n° 11-14.969 : JurisData
n° 2012-013492 ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 324, note H. Groutel ; Constr.-Urb. 2012, comm. 139, obs. M.-L. Pagès-de Varenne).

Remarque :

Il convient d’opérer une distinction entre la prescription biennale acquise à l’expiration du délai de 60 jours et celle qui le sera 2 ans après. Bien que
déchu du droit de contester sa garantie pour n’avoir pas respecté les contraintes du processus amiable, l’assureur dommages-ouvrage ne peut
opposer la première, mais demeure recevable à invoquer la seconde.

Emmanuelle Ménard

3° Appel en garantie et recours subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage

16. - Distinction de l’appel en garantie et du recours subrogatoire. - Si le recours subrogatoire contre les constructeurs dont les travaux sont à l’origine des
désordres est ouvert à l’assureur dommages-ouvrage déchu du droit de contester sa garantie pour n’avoir pas respecté le délai de 60 jours, sa recevabilité est
subordonnée au paiement de l'indemnité au jour où le juge statue au fond (Cass. 3e civ., 9 juill. 2003, n° 02-10.270 : JurisData n° 2003-019943 ; Resp. civ. et
assur. 2003, comm. 272. – Cass. 3e civ., 30 janv. 2008, n° 06-19.100 : JurisData n° 2008-042558 ; JCP G 2009, I, 133, note J.-P. Karila. – Cass. 3e civ., 1er oct.
2020, n° 19-19.305 : JurisData n° 2020-015481 ; Resp. civ. et assur. 2021, comm. 18, note H. Groutel ; Constr.-Urb. 2020, comm. 125, note M.-L. Pagès-de
Varenne). Afin d’échapper à cette dernière exigence, l’assureur dommages-ouvrage peut appeler les constructeurs en garantie des condamnations qui pourraient
être prononcées contre lui. La Cour de cassation a ainsi censuré une décision retenant l’irrecevabilité d’une telle demande au motif que « l'assureur dommages-
ouvrage, subrogé dans les droits de son assuré, ne peut exercer son action contre les constructeurs responsables que lorsqu'il a payé l'indemnité due à celui-ci ».
Sur le fondement de l’article 334 du Code de procédure civile, la 3e chambre civile rappelle « qu'une partie assignée en justice est en droit d'appeler une autre en
garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, une telle action ne supposant pas que l'appelant en garantie ait déjà indemnisé le
demandeur initial » ( Cass. 3e civ., 8 déc. 2021, n° 20-18.540, FS-B : JurisData n° 2021-019913 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 54, note S. Bertolaso). L’
assureur dommages-ouvrage, dès lors qu’il est assigné en justice, peut ainsi fort bien appeler les constructeurs en garantie sans avoir à justifier du paiement de
tout ou partie de l’indemnité d’assurance.

Sabine Bertolaso

17. - Conditions du recours subrogatoire. - Si la recevabilité du recours subrogatoire est facilitée en raison de l’exception au principe de la prohibition des
subrogations futures (sur cette question, V. n° 16), son succès n’est pas systématique. Certes, le fait que l’assureur dommages-ouvrage ait payé l’indemnité en
exécution d’une décision de justice ne constitue pas un obstacle dans la mesure où l’article L. 121-12 du Code des assurances ne pose aucune exigence relative
à la cause du paiement ( Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15.217, FS-B : JurisData n° 2022-007480 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 208, note S. Bertolaso.
– Dans le même sens, V. Cass. 3e civ., 17 nov. 2021, n° 20-19.182). Mais dans la mesure où la subrogation n’a d’autre effet que la transmission à l’assureur des
droits et des actions de l’assuré, le recours subrogatoire ne peut s’exercer que « dans la mesure de ce qui a été payé et dans la limite de la créance détenue par
l'assuré contre le responsable » (Cass. 2e civ., 16 déc. 2021, n° 20-13.692 : JurisData n° 2021-020355 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 56, note E. Coyault. –
Dans le même sens, V. déjà Cass. 2e civ., 11 juin 2015, n° 14-14.217, 14-17.708 et 14-17.770). Puisque l'assureur n'a pas davantage de droits que son assuré n’
en a lui-même (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 93-21.135 : JurisData n° 1996-002251), il ne saurait échapper à la prescription de l’action dont son assuré était le
titulaire (Cass. 1re civ., 18 nov. 2003, n° 00-12.783), ni obtenir le versement d’une somme supérieure à la valeur du préjudice subi par ce dernier (Cass. 2e civ.,
11 juin 2015, n° 14-10.520). Il a ainsi été jugé que la somme réclamée par l’assureur dommages-ouvrage ne devait pas excéder celle à laquelle l’assuré pouvait
prétendre (Cass. 3e civ., 22 oct. 2014, n° 13-24.420 : JurisData n° 2014-025086 ; Constr.-Urb. 2014, comm. 161, obs. M.-L. Pagès-de Varenne). De la même
manière, si l’assuré ne dispose d’aucune action en réparation contre le constructeur en raison de l’apparence du désordre non réservé à la réception, l’assureur
dommages-ouvrage ne saurait voir son recours subrogatoire prospérer ( Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15.217, FS-B : JurisData n° 2022-007480 ; Resp. civ.
et assur. 2022, comm. 208, note Sabine Bertolaso).

Remarque :

Dans des circonstances où la responsabilité décennale du constructeur et l’assurance de responsabilité qu’il a souscrite ne profitant pas au maître
de l’ouvrage subrogeant, ne bénéficient pas non plus à l’assureur dommages-ouvrage subrogé, ce dernier n’a d’autre choix que d’envisager une
action en répétition de l’indu contre l’assuré sur le fondement des articles 1302 à 1302-3 du Code civil.

Sabine Bertolaso

B. Assurance de responsabilité décennale


18. - Activité non déclarée. - Depuis qu'elle a admis que « si le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut
comporter des clauses d’exclusion autres que celles prévues à l’article A. 243-1 du Code des assurances, la garantie de l’assureur ne concerne que le secteur d’
activité professionnelle déclarée par le constructeur » (en dernier lieu, V. Cass. 3e civ., 8 juill. 2021, n° 19-18.437 : JurisData n° 2021-011154. – Cass. 3e civ.,
10 juin 2021, n° 20-13.387 : Resp. civ. et assur. 2021, comm. 199, note R. Porte), la Cour de cassation procède à un contrôle rigoureux de l'identité de l'activité
couverte et de l'activité exercée sur le chantier. Lorsque cette dernière diffère de celle désignée dans la police, l'assureur peut refuser d'indemniser au motif que
la prestation réalisée n'entre pas dans l'objet de la garantie. Le contrôle porte parfois sur les aspects techniques de l'activité. Ainsi, le constructeur garanti pour les
activités de « charpente et ossature bois », « couverture-zinguerie-bardage », « menuiserie bois », « PVC, métal », « électricité » et « télécommunication » n’est
pas couvert au titre des désordres affectant la maison en ossature bois qu’il a intégralement réalisée à l’exception du lot plomberie réservé au maître de l’
ouvrage, faute de déclaration des activités de « maison à ossature bois » et de « maçonnerie » ( Cass. 3e civ., 30 sept. 2021, n° 20-12.662, F-D : JurisData
n° 2021-018496 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 261, note R. Porte). Le contrôle peut aussi concerner la nature juridique de l'activité. Ainsi, l'assuré intervenu
dans le cadre d'un contrat de construction de maison individuelle alors que le contrat stipulait qu’il n’était pas garanti à ce titre, ne saurait réclamer indemnisation
au seul motif qu’il a déclaré l’ensemble des travaux correspondant à l’édification d’une maison ( Cass. 3e civ., 2 mars 2002, n° 21-12.096, F-D : JurisData
n° 2022-006334 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 137, note R. Porte).

Emmanuelle Ménard

19. - Preuve de l’absence de garantie. - Le principe selon lequel la garantie ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur
constitue sans nul doute l’un des meilleurs instruments dont dispose l’assureur de responsabilité pour échapper à toute indemnisation. Encore faut-il que ce
dernier apporte la preuve que la clause des conditions particulières du contrat d’assurance écartant l’activité exercée sur le chantier du domaine de la garantie « a
été portée à la connaissance de l’assuré et qu’il l’a acceptée » ( Cass. 3e civ., 17 nov. 2021, n° 20-16.771 : JurisData n° 2021-018573 ; Resp. civ. et assur.
2022, comm. 55, note S. Bertolaso). Tel n’est pas le cas s’il n’est pas établi que l’assuré a eu connaissance et a accepté les conditions particulières de la police
qu’il prétend ne pas avoir signées (même arrêt).

Emmanuelle Ménard

C. Police unique de chantier (PUC)

20. - Nature juridique du contrat et compétence d’attribution. - Il ressort des dispositions de la loi MURCEF n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 que « les
marchés passés en exécution du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ». Les contrats d’assurance conclus par les personnes
morales de droit public selon les procédures du Code des marchés publics ont ainsi le caractère de contrats administratifs. Le contrat par lequel, dans le cadre d’
une police unique de chantier, une commune souscrit une assurance dommages-ouvrage en respectant les dispositions du Code des marchés publics est donc
un contrat administratif. La nature du contrat n’est pas modifiée en cas de souscription d’une assurance couvrant la responsabilité décennale de toutes les
entreprises faisant partie du groupement titulaire du marché de travaux. En effet, une telle souscription révèle, conformément aux dispositions de l’article L. 112-1,
alinéa 3, du Code des assurances relatives à l’assurance pour compte, une simple stipulation pour autrui ne modifiant pas la nature du contrat ( T. confl., 5 juill.
2021, n° C4223 : Resp. civ. et assur. 2021, comm. 209, note R. Porte ; Resp. civ. et assur. 2021, comm. 220, note S. Bertolaso). En conséquence, la juridiction
administrative est compétente pour statuer sur l’appel en garantie du groupement d’entreprises contre l’assureur sur le fondement de la police unique de chantier
(même arrêt).

Remarque :

La solution a l’avantage de la simplicité puisque toutes les garanties offertes par l’assureur dans le cadre d’une même police seront examinées par
le même juge.

Sabine Bertolaso

D. Assurance facultative

21. - Conséquences de l’inexactitude d’une attestation d’assurance. - L’attestation d’assurance a vocation à renseigner les tiers sur l’existence de la garantie
d’assurance de responsabilité souscrite par le constructeur. Si l’attestation est imprécise au point de tromper le maître de l’ouvrage sur l’indemnisation du risque
dont il se trouve privé, la responsabilité de l’assureur peut être engagée. En l’absence de contrat, l’action en réparation est exercée sur un fondement délictuel. L’
assureur est ainsi susceptible d’être condamné sur le fondement de l’ancien article 1382, devenu 1240, du Code civil dans des circonstances où l’attestation
mentionnait la garantie du constructeur au titre de sa responsabilité civile alors que l’assurance souscrite était une assurance de chose couvrant, avant réception
et au seul bénéfice du constructeur assuré, « les dommages résultant d’un effondrement ou d’un risque d’effondrement » ( Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 20-
17.293, F-D : JurisData n° 2022-007705 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 183, note R. Porte).

Remarque :

En cas d’inexactitude de l’attestation d’assurance, la responsabilité délictuelle de l’assureur de responsabilité est subordonnée à la preuve de l’
existence d’une relation de cause directe entre la faute de ce dernier et le préjudice dont le maître de l’ouvrage sollicite réparation. En l’espèce, il
appartiendra à la cour d’appel de renvoi de déterminer si une garantie responsabilité civile aurait couvert l’abandon de chantier ou la prestation de l’
assuré.

Sabine Bertolaso

22. - Assurance RC d’un architecte : incidence de la non-déclaration d’un chantier. - Dans les contrats souscrits auprès de la mutuelle des architectes
français (MAF Assurances), figurent usuellement des clauses relatives aux sanctions encourues en l’absence de déclaration d’un chantier. Au cours des
dernières années, la Cour de cassation admettait l’application des clauses stipulant que toute omission ou déclaration inexacte autorisait l’assureur,
conformément aux dispositions de l’article L. 113-9 du Code des assurances, à réduire l’indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux
cotisations qui auraient été dues pour cette mission si elle avait été complètement et exactement déclarée. En l’absence de déclaration, la réduction
proportionnelle équivalait donc à une absence de garantie (en ce sens, V. Cass. 3e civ., 27 juin 2019, n° 17-28.872 : JurisData n° 2019-011360 ; Constr.-Urb.
2019, comm. 110, note M.-L. Pagès de Varenne). La Haute Juridiction opère un revirement en considérant que, le contrat d’assurance ne pouvant déroger aux
dispositions d’ordre public de l’article L. 113-9 en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle d’indemnité due au tiers lésé que celui prévu
par le texte, cette dernière ne peut se calculer d’après le rapport entre les cotisations payées pour la mission inexactement déclarée et les cotisations qui auraient
dû être payées pour cette mission. Autrement dit, la réduction doit être réalisée en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport au taux de la prime
qui aurait été due si la mission avait été déclarée ( Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15.420, FS-B : JurisData n° 2022-007483 ; Resp. civ. et assur. 2022,
comm. 184, note. S. Bertolaso). Il en résulte que l’absence de déclaration d’un chantier ne saurait justifier que l’assureur de responsabilité d’un architecte oppose
une absence de garantie.

Remarque :

À propos des champs respectifs d’application des articles L. 113-9 et L. 113-10 du Code des assurances, la 3e chambre civile précise que l’
application du premier des deux textes n’est pas envisageable dans l’hypothèse où une clause de la police, même sans expressément viser le
second, consacre la sanction qu’il prévoit, c’est-à-dire le paiement d’une surprime de 50 % calculée sur la prime omise (même arrêt).

Sabine Bertolaso

23. - Qualification des clauses définissant l’étendue de la garantie. - La Cour de cassation est régulièrement saisie de la question de la qualification des
clauses qui ont vocation à dessiner les frontières de la garantie d’assurance. Le régime applicable aux exclusions de risque étant particulièrement rigoureux, les
assurés tentent fréquemment d’établir l’existence d’une exclusion ne respectant pas les exigences légales posées par les articles L. 112-4 (caractères très
apparents) et L. 113-1 (caractère formel et limité) du Code des assurances, là où les assureurs veulent convaincre du contraire. Le rapport annuel de la Cour de
cassation pour l’année 1996 mentionne l’opposition entre « les circonstances en quelque sorte occasionnelles du sinistre » (exclusions) et les « conditions
permanentes du risque garanti » (Rapp. C. cass. 1996). Lorsqu’elle désigne les exclusions de garantie, la Cour de cassation fait également référence aux
« circonstances particulières de la réalisation du risque », concomitantes du sinistre dont elles empêchent le règlement. Tel est le cas de la clause selon laquelle
le contrat d’assurance souscrit par un architecte « a pour objet de garantir l’adhérent contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de la
profession d’architecte, encourues dans l’exercice de celle-ci, telle qu’elle est définie par la législation et la règlementation en vigueur à la date de l’exécution de
ses prestations ». L’exécution des travaux avant l’obtention d’un permis de construire, soit en violation des règles d’urbanisme, constitue « une circonstance
particulière de la réalisation du risque » constitutive d’une exclusion de garantie ( Cass. 3e civ., 20 avr. 2022, n° 21-16.297, FS-B : JurisData n° 2022-006093 ;
Resp. civ. et assur. 2022, comm. 208, note S. Bertolaso). En revanche, « la clause qui place hors du champ de la garantie les dommages résultant d’un
manquement aux obligations de faire, de ne pas faire ou de délivrance détermine l’étendue de la garantie, même si elle se présente sous l’indication erronée de
clause d’exclusion et n’est donc pas soumise aux dispositions de l’article L. 113-1 du Code des assurances » ( Cass. 3e civ., 10 nov. 2021, n° 19-25.436, F-D :
JurisData n° 2021-020362 ; Resp. civ. et assur. 2022, comm. 34, note S. Bertolaso).

Remarque :

Les critères mis en œuvre par la Cour de cassation ne permettent pas de lever toute incertitude relative à la qualification des clauses définissant les
contours de la garantie d’assurance.

Sabine Bertolaso

Mots clés : Construction. - Chronique un an de.

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