EXPERTISE
Fiche pratique
ASSURANCE DE RESPONSABILITÉ
OBLIGATOIRE : DISTINCTION ENTRE
OBJET ET ÉTENDUE DE LA GARANTIE
L’affaire
Les consorts X font réaliser des travaux de
terrassement et d’enrochement en surplomb
de leur habitation. Les travaux sont confiés à la
société Y, depuis liquidée, assurée auprès de A
à la date de réalisation des travaux. Suite à la
réalisation de ces travaux, des désordres sont
apparus en limite de la propriété de leur voisin.
Les maîtres d‘ouvrage sont alors condamnés
sous astreinte à démolir et reconstruire dans
les Règles de l’art la partie du mur de soutè-
nement située sur le fonds voisin et à réparer
le préjudice subi par ce dernier. Les consorts X
recherchent la garantie de l’assureur de la
société Y intervenue pour réaliser les travaux.
La décision
La cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date
du 29 mars 2018, déboute les consorts X de
leur demande de condamnation de l’assureur
à prendre en charge les travaux de reprise et
à les garantir des condamnations prononcées
au profit de leur voisin aux motifs suivants : « La
nature décennale du désordre n’étant pas contes-
tée, il est admis que seules les activités déclarées
par l’entreprise lors de la souscription du contrat
d’assurance sont garanties et force est de consta-
ter à la lecture des conditions particulières que
l’activité terrassement et/ou enrochement n’y
figure pas ; que bien plus, il est mentionné au
paragraphe gros œuvre en caractère gras : “Est
exclue la réalisation de silos, piscines, fosses à
lisier, bâtiments d’élevage industriel, bâtiments
isothermes, de fours et cheminées industriels,
barrettes, parois moulées, palplanches, parois
de soutènement autonomes, de revêtements
plastiques, textiles ou bois” ; qu’ainsi que l’a
justement retenu le premier juge par des motifs
pertinents que la cour adopte, le mur litigieux est
bien un ouvrage autonome en ce qu’il nécessite
la réalisation d’une étude géotechnique préalable
à sa reconstruction ; que cet ouvrage qui n’est
relié à aucun autre se suffit à lui-même et a pour
seule fonction de retenir les terres de la parcelle B
✃
située en contre-haut de la parcelle P ; qu’il ne
constitue pas l’annexe ou l’accessoire d’une acti-
vité de gros œuvre telle que définie au contrat ;
qu’en conséquence, le rejet de la demande de
garantie sera également confirmée. »
Les consorts X se pourvoient alors en cassation
en évoquant que :
• tout contrat d’assurance souscrit en vertu
de l’article 1792 du Code civil est, nonobstant
toute clause contraire, réputé comporter des
garanties au moins équivalentes à celles
figurant à l’annexe I de l’article A.243-1 du
Code des assurances ;
• aucune stipulation du contrat ne peut avoir
pour effet d’amoindrir d’une manière quel-
conque le contenu de ces garanties ;
• pour rejeter leurs demandes formées contre
l’assureur A, l’arrêt ne conteste pas la nature
décennale du désordre mais relève que « le
contrat d’assurance souscrit par la société Y
prévoyait l’exclusion de la réalisation de parois
de soutènement autonome, en sorte que les
travaux réalisés par son assuré n’étaient pas
garantis, quand la clause d’exclusion faisait
échec aux règles d’ordre public relatives à
l’étendue de l’assurance de responsabilité obli-
gatoire en matière de construction et devait, par
suite, être réputée non écrite, la cour d’appel a
POUR EN SAVOIR PLUS
Ouvrages disponibles
• Les notes de jurisprudence rédigées par le
Cneaf (Collège national des experts architectes
français) dans la revue de l’Ordre Les cahiers
de la profession.
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Cette fiche a été rédigée par Laurine Bernat,
avocat.
MARS / AVRIL 2021 • N° 185 • Q U A L I T É CO N S T R U CT I O N
JUDICIAIRE
violé les articles L.241-1, L.243-8 et A.243-1 du
Code des assurances, ensemble l’annexe I à ce
dernier article. »
La Cour de cassation, en date du 5 novembre
2020, casse l’arrêt au motif que la clause, qui
avait pour conséquence d’exclure de la garantie
certains travaux de gros œuvre réalisés par
la société Y dans l’exercice de son activité
d’entrepreneur, faisait échec aux règles d’ordre
public relatives à l’étendue de l’assurance
de responsabilité obligatoire en matière de
construction et devait, par suite, être réputée
non écrite ; la cour d’appel a donc violé les
textes susvisés (C. cass., 3e ch. civ., 5 novembre
2020, n° 18-18.341).
Autrement dit, sauf à justifier que l’on est en
présence de deux activités techniquement
différentes, la police d’assurance ne peut
couvrir partiellement une activité unique. En
l’espèce, la police prévoyait la couverture du lot
« Gros œuvre » sauf les parois de soutènement
autonome.
Le commentaire
La présente décision est à rapprocher d’un
arrêt rendu le 4 février 2016 (C. cass., 3e ch. civ.,
4 février 2016, n° 14-29.790), concernant une
clause de la police d’assurance couvrant un
pisciniste dont l’application de la couverture
était limitée uniquement aux seules atteintes à
la solidité de la structure de la piscine, excluant
tout autre désordre de nature décennale.
La jurisprudence ne semble ainsi pas admettre
la couverture partielle d’une activité. À travers ce
nouvel arrêt, la jurisprudence affine sa position
en définissant deux lignes jurisprudentielles :
• la clause déterminant l’objet du contrat
est valable là où celle relative à la modalité
d’exécution de l’activité est nulle (C. cass.,
3e ch. civ., 8 novembre 2018, n° 17-24.488) ;
• la Haute Cour admet en revanche la pos-
sibilité d’externaliser l’étude technique de
procédés spécifiques et novateurs et donc
de ne pas couvrir cette partie d’activité : une
telle clause ne constituant pas une exclusion
de garantie mais une condition de garan-
tie (C. cass., 3e ch. civ., 22 novembre 2018,
n° 17-22.112). n
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