EXPERTISE
JUDICIAIRE
Fiche pratique
ISOLATION PHONIQUE: LA CONFORMITÉ N’EST
PAS EXONÉRATOIRE DE RESPONSABILITÉ POUR
LES CONSTRUCTEURS
L’affaire
Un promoteur a vendu en l’état futur d’achèvement
(Vefa) un appartement et une place de parking à un
acquéreur. Dès la livraison de son appartement, le
propriétaire se plaint de nuisances acoustiques, no-
tamment en provenance de la salle de bains de son
voisin. Il assigne le promoteur en indemnisation de
ses préjudices et ce dernier appelle en garantie la
société chargée du lot «Menuiseries, cloisons, plafonds»
et son assureur. Lors des opérations d’expertise,
l’expert relève que l’isolation phonique entre l’appar-
tement et celui du voisin est défectueuse en raison
d’isolants sous-dimensionnés; il indique que ce dé-
sordre rend l’immeuble impropre à sa destination.
Le jugement
L’acquéreur est débouté devant la cour d’appel de
sa demande en réparation du trouble phonique sur
le fondement de l’article 1792 du Code civil. En ef-
fet, la cour d’appel considère que la non-conformité
ne porte, compte tenu de la tolérance de 3 dba, que
sur un dépassement du bruit aérien de 6 dba entre
la chambre et le bureau de son voisin et de 3 dba
entre les deux salles de bains, ce qui ne lui permet
pas de justifier d’une impropriété à destination et
donc, du caractère décennal des désordres.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 20 mai 2015
largement commenté, casse l’arrêt des juges du
fond: «Qu’en déduisant de la seule circonstance que
le dépassement des normes d’isolation phonique
applicables aurait été limité, l’absence de désordre
relevant de la garantie décennale, la cour d’appel a
violé les articles 1646-1 et 1792 du Code Civil» (C. cass.,
3e ch. civ., 20 mai 2015, n° 14-15107). C’est donc bien
au visa de l’article 1792 du Code civil que le construc-
teur sera condamné à indemniser l’acquéreur de
l’appartement – alors même que le dépassement
des normes acoustiques serait minime – si l’im-
propriété à destination est établie.
Le commentaire
Notre société protège la quiétude de l’environ-
nement des consommateurs que sont les acquéreurs
en Vefa. C’est ainsi que dès 1978, le CCH a prévu une
garantie spécifique de confort acoustique, à charge
du promoteur, à l’articleL111-11. Cet article protège
l’acquéreur en lui faisant bénéficier légalement,
c’est-à-dire même en l’absence de contrat, des
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POUR EN SAVOIR PLUS
Documents de référence
• Article 1792 du Code civil.
• Article L111-11 du Code
de la construction et de
l’habitation (CCH).
Ouvrages disponibles
• Les notes de jurisprudence
rédigées par le Cneaf (Collège
national des experts architectes
français) dans la revue de l’Ordre
Les cahiers de la profession.
Agence qualité construction (AQC)
29, rue de Miromesnil
75008 PARIS
www.qualiteconstruction.com
Cette fiche a été rédigée
par Me Étienne Groleau et
Jacques Argaud, architecte,
expert près la cour d’appel de
Rennes, président du Collège
régional des architectes
experts de Bretagne.
MAI / JUIN 2016 • N° 156 • QUALITÉ CONSTRUCTION
dispositions protectrices de toutes les normes ap-
plicables. L’acquéreur est donc protégé des non-
conformités. Mais qu’en est-il si les normes sont
respectées?
Dans cet arrêt, l’enjeu pour le demandeur était de
justifier que le défaut d’isolation phonique rendait
l’appartement impropre à sa destination. Pour la Cour
de cassation, la référence aux normes acoustiques
est sans incidence sur la caractérisation de l’impro-
priété à destination d’un ouvrage. Ainsi, l’acqué-
reur bénéficie également de la protection au titre
des vices de construction alors même qu’il aurait
été établi par expertise qu’il n’en n’existait aucun!
De fait, la notion d’impropriété à destination en ma-
tière acoustique est retenue par une interprétation
plus subjective qu’objective. En d’autres termes, la
notion d’impropriété à destination est tellement large
qu’elle supplante les autres critères, notamment
ceux relatifs au respect des Règles de l’art.
Le travail de l’expert judiciaire n’en est que plus dé-
licat et son influence plus déterminante: il ne lui
suffit plus de contrôler la conformité de la construc-
tion aux différentes normes (à l’aide d’appareils de
mesures), mais il doit fournir au juge des éléments
de faits lui permettant d’apprécier si l’ouvrage peut
être habité conformément à sa destination, ce qui
inclut un minimum de confort. Une telle solution est
désormais classique, et constitue le droit positif.
Puisque la Cour de cassation ne contrôle pas l’ap-
préciation des faits, il existe un risque d’une inter-
prétation différente entre les tribunaux, en fonction
de la sensibilité des juges.
Comme il l’a été débattu lors de la dernière table
ronde du Cneaf le 28janvier 2016, la question se pose
de savoir si le mode d’occupation de l’appartement
est un paramètre que le juge doit appréhender, pour
rechercher l’impropriété à destination. Le parallèle
est alors flagrant avec la problématique des dé-
sordres thermiques et énergétiques, pour laquelle
le confort ou les économies d’énergies espérés ne
sont pas constatés, alors même qu’ils n’empêchent
pas un usage normal de l’ouvrage. Mais, à la différence
de la loi «transition énergétique» du 17 août 2015
qui concerne ce dernier cas de figure, la réglemen-
tation de l’usage sonore des logements semble dif-
ficile. Le mieux est finalement de laisser l’arbitrage
aux juridictions, dont la motivation sera contrôlée
rigoureusement par la Cour de cassation. ■
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