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La juridiction administrative congolaise dans la loi

organique n°16/027 du 15 octobre 2016: architecture,


atouts et points d’nterrogation
Wenceslas Ruhana Mirindi Busane

To cite this version:


Wenceslas Ruhana Mirindi Busane. La juridiction administrative congolaise dans la loi organique
n°16/027 du 15 octobre 2016: architecture, atouts et points d’nterrogation. LA PLACE DE LA JUS-
TICE CONSTITUTIONNELLE ET ADMINISTRATIVE DANS LA CONSOLIDATION DE L’ETAT
DE DROIT ET LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX Mélanges en l’honneur du
Professeur émérite TSHITAMBWE KAZADI Honoré, A paraître. �hal-03513784�

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1

« La juridiction administrative congolaise dans la loi organique


n°16/027 du 15 octobre 2016 : architecture, atouts et points
d’interrogation »
Proposition d’article présentée par

Wenceslas BUSANE Ruhana Mirindi


Vice-recteur aux Affaires académiques
Professeur de droit public et administratif
Université Catholique de Bukavu
Avocat au barreau de Bukavu
Tél. : +243 9 97 44 02 20/ +243 89 88 62 047
E-mail : wenceslas.busane@ucbukavu.ac.cd
Site web : www.ucbukavu.ac.cd
Adresse : Avenue de la Mission, 2, Kadutu, Bukavu, Sud-Kivu, République démocratique du Congo
B.P. 285 Bukavu

Résumé
La justice administrative congolaise est en pleine réforme quoiqu’il y ait lieu de regretter qu’elle s’opère à pas de
tortue. En effet, la Constitution du 18 février 2006 a consacré l’institution d’un ordre juridictionnel administratif,
rompant ainsi avec plusieurs décennies d’organisation d’une justice administrative essentiellement greffée à
l’ordre des juridictions judiciaires. Mais, c’est dix ans après que le législateur daigne adopter la loi portant
organisation, compétences et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif ! Le présent article propose
une lecture critique de la loi dans l’objectif d’apprécier l’architecture et les atouts de la juridiction administrative
et de discuter les points d’interrogation qui subsistent.

Abstract

The Congolese administrative justice is involved in a reform process which, unfortunately, is going very slow.
The Constitution of 18th February 2006 established the order of administrative jurisdictions. This way, he
introduced an important change from the former system of administrative jurisdictions organized inside the
judicial jurisdictions. But, it’s surprising that it took more than ten years, after the constitution provision, to
adopt the law related to the organization, functioning and competencies of the administrative jurisdictions. This
paper proposes a critical overview of the law in order to appreciate the structure, the advantages and to discuss
some remaining issues.
2

INTRODUCTION

1. L’avènement de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation,


compétences et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif1 marque, sans nul
doute, un pas important dans le processus de la réforme de la justice administrative en
République démocratique du Congo. En effet, cette loi était attendue depuis plus de dix ans
déjà, c’est-à-dire depuis la consécration de l’ordre des juridictions administratives par la
Constitution du 18 février 20062. La Constitution, elle-même, avait ainsi rompu avec plusieurs
décennies d’organisation d’une justice administrative essentiellement greffée à l’ordre des
juridictions judiciaires3. L’institution d’un nouveau système de partage des pouvoirs
politiques et administratifs4 a mis davantage en exergue la nécessité des juridictions
administratives. La loi est donc venue répondre à un besoin évident de règlement des litiges et
d’accompagnement des processus d’élaboration des lois, édits et règlements. Elle est aussi
intéressante pour ses innovations et porteuse de promesses au regard des atouts indéniables
qu’elle comporte. Il demeure, néanmoins, des points d’interrogation, et parfois de regret, sur
certains choix. La présente analyse propose un débat sur la pertinence, les atouts et les
éventuelles limites de la juridiction administrative congolaise, telle qu’elle est prévue par la
loi du 15 octobre 2016. Le débat s’articule autour de quelques questions d’organisation et de
fonctionnement (I), de compétence (II) et de procédure (III).

I. QUESTIONS D’ORGANISATION ET DE FONCTIONNEMENT

2. Des innovations pertinentes en matière d’organisation et de fonctionnement de la


juridiction administrative s’observent mais certains choix suscitent des interrogations.
3. La Constitution du 18 février 2006 « institue un ordre de juridictions administratives
composé du Conseil d’Etat et des cours et tribunaux administratifs »56. La loi, quant à elle,
distingue, au sein de l’ordre des juridictions administratives, les juridictions de droit commun

1
Journal officiel de la République Démocratique du Congo (J.O.RDC), Numéro spécial, 57ème année, Kinshasa,
18 octobre 2016.
2
Articles 154 et 155 de la Constitution du 18 février 2006, J.O.RDC, Numéro spécial, 47ème année, Kinshasa, 18
février 2006.
3
Lire à ce sujet notre article, « L’évolution de la juridiction administrative au Congo : de la période belge à nos
jours et perspectives », CDPK, Année 14, n°4, Décembre 2010, pp. 571 à 582.
4
En effet, sous l’empire de la Constitution du 18 février 2006, le pouvoir administratif de l’Etat est désormais
partagé entre le pouvoir central, les provinces, les entités territoriales décentralisées, les entités territoriales
déconcentrées du point de vue de l’organisation territoriale. Du point de vue de l’organisation des services, ce
pouvoir administratif est partagé entre les services déconcentrés avec plus ou moins d’autonomie de gestion, les
services décentralisés et les autorités administratives indépendantes.
5
Article 154 de la Constitution du 18 février 2006.
6
L’ordre des juridictions administratives entretient, toutefois, des liens avec les autres ordres de juridictions. Il
partage avec eux le pouvoir judiciaire, les ressources budgétaires, le régime de contrôle disciplinaire, la
procédure de nomination, le statut des magistrats et le règlement des conflits d’attribution. En effet, toutes les
juridictions, y compris les juridictions administratives, sont soumises à la gestion du pouvoir judiciaire qui est
assurée par le Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci, entre autres attributions, élabore les propositions de
nomination, de promotion et de révocation des magistrats, y compris ceux de l’ordre administratif, et exerce sur
eux le pouvoir disciplinaire. Il élabore le budget du pouvoir judiciaire qu’il transmet au gouvernement pour
inscription au budget général de l’Etat. Le premier président de la Cour de cassation est l’ordonnateur de ce
budget (Article 149 de la Constitution du 18 février 2006). Tous les magistrats, y compris ceux des juridictions
administratives, relèvent d’une même autorité de nomination. Ils sont nommés, et relevés de leurs fonctions, par
le Président de la République, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (Article 82 de la
Constitution du 18 février 2006). Ils relèvent du même statut des magistrats (Article 150 de la Constitution du 18
février 2006). La Cour constitutionnelle est le tribunal des conflits de compétence entre la Cour de cassation et le
Conseil d’Etat (Article 161 de la Constitution du 18 février 2006).
3

et les juridictions spécialisées7. Les juridictions de droit commun, auxquelles se limite la


présente analyse, se retrouvent dans une organisation pyramidale composée des tribunaux
administratifs, à la base, des cours administratives d’appel, au milieu et du Conseil d’Etat, au
sommet. La réforme réalise la décentralisation de la justice administrative en rapprochant,
géographiquement et psychologiquement, le justiciable de son juge8.

4. Le titre premier de la loi, relatif aux dispositions générales, dispose que son objet consiste à
fixer « les règles relatives à l’organisation, à la compétence et au fonctionnement des
juridictions de l’ordre administratif » (article 1er), précise la composition de l’ordre des
juridictions administratives (article 2) et annonce que les juridictions administratives exercent
des compétences contentieuses et d’avis9 ainsi qu’une mission de conciliation et de médiation
(article 3). Il réaffirme, en outre, des principes classiques tels que l’instruction contradictoire
des dossiers (article 4), la publicité des débats (article 5), le secret du délibéré des juges, la
motivation des arrêts et des jugements, la publicité des prononcés des arrêts et jugements ainsi
que leur caractère exécutoire (article 6), l’absence d’effet suspensif des requêtes (article 7) et
la collégialité des formations de jugement (article 8). Ces dispositions n’appellent pas, à nos
yeux, des commentaires particuliers.

5. Le titre deuxième présente les principes d’organisation et de fonctionnement des


juridictions. Certains principes sont généraux tandis que d’autres sont spécifiques à chaque
juridiction. Les dispositions y relatives peuvent se regrouper en trois catégories en fonction
des commentaires qu’elles sont susceptibles de soulever.

6. La première catégorie comprend des dispositions qui relèvent de l’ordinaire du droit


judiciaire et qui ne soulèvent pas, par conséquent, des débats particuliers. C’est le cas, entre
autres aspects, de la dénomination des juridictions suivant le lieu de leur siège (article 10), du
droit de surveillance et d’inspection des juridictions supérieures sur les juridictions
inférieures, des devoirs et des prérogatives des chefs des juridictions et des juges (articles 11
et s.), l’établissement des sièges secondaires, en cas de nécessité (article 13), du règlement à
suivre dans les séances de délibérations (articles 19 et s.), des vacances et de la rentrée
judiciaire (articles 23 et s.), de certaines catégories de personnel comme les magistrats du
ministère public, les fonctionnaires et agents administratifs des greffes et des huissiers
(articles 26 à 31).

7. La deuxième catégorie comprend des dispositions, relatives au fonctionnement des


juridictions. Pour certaines, les choix judicieux opérés méritent d’être salués. A l’égard des
autres, c’est plutôt la prudence qui est recommandée pour leur mise en œuvre.

7
Selon l’article 2, alinéa 3, de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, les « juridictions spécialisées de l’ordre administratif»
sont créées et organisées en vertu de l’article 149, alinéa 6, de la Constitution du 18 février 2006. L’exposé des
motifs de la loi énumère, à titre indicatif, la Cour des comptes et les juridictions disciplinaires des
administrations publiques ou des ordres professionnels.
8
Sur l’intérêt de cette décentralisation dans les pays en voie de développement, S.DOSSOUMON, « Réflexions
sur le contrôle juridictionnel de l’administration dans les pays en voie de développement d’Afrique Noire
Francophone », RBSJA (Revue béninoise des sciences juridiques et administratives) n° 5, juin 1985, p. 13.
9
Les éventuelles difficultés susceptibles de découler du cumul des fonctions contentieuses et consultatives dans
le chef des juges du point de vue de l’exigence de l’impartialité nous paraissent avoir été convenablement
résolues par les dispositions sur le déport et la récusation aux articles 343 à 354. Entre autres dispositions, il est
prévu que « Les membres de la section du contentieux ne peuvent connaitre de demandes d’annulation des
actes, règlements ou décisions sur lesquels ils ont donné leur avis comme membre de la section consultative »
(article 344).
4

8. Ainsi, au niveau du Conseil d’Etat, il y a lieu de saluer la détermination des matières à


traiter par chacune des chambres des sections contentieuse et consultative. Ce procédé permet
la couverture rationnelle de la quasi-totalité des questions susceptibles d’être soumises à la
juridiction. Ainsi, la section contentieuse comprend la chambre d’administration ; la chambre
des finances publiques et de la fiscalité ; la chambre des affaires sociales ; la chambre des
élections, des formations politiques et des organismes professionnels ; la chambre des
matières économiques et la chambre des affaires générales. Le choix de cette dernière
chambre des affaires générales, « chargée du règlement de toutes les matières non
expressément attribuées à d’autres chambres » est dicté, de toute évidence, par le souci de
prudence. La vie administrative étant dynamique, le législateur n’est pas toujours en mesure
de prévoir anticipativement toutes les situations. Les animateurs de la juridiction devraient,
toutefois, éviter les deux extrêmes consistant soit à la transformer en un fourre-tout soit à la
délaisser complètement. La section consultative, comporte, quant à elle, la chambre des avis,
la chambre d’interprétation des textes juridiques et la chambre d’études et d’inspection
permanente. En sus de ses missions traditionnelles, la section consultative exerce également
une mission d’inspection permanente.

9. Au niveau de toutes les juridictions, il s’observe l’organisation des formations de jugement


et des formations de pilotage administratif.

10. Les formations de jugement sont les chambres, les chambres réunies, la section, les
sections réunies et l’assemblée plénière. Certaines de ces formations peuvent sortir de
prérogatives contentieuses. C’est le cas des sections réunies et de l’assemblée plénière qui
peuvent délibérer sur toutes les questions d’ordre général intéressant l’ensemble de la
juridiction ou, en cas de nécessité, sur toutes les questions relevant d’une section ou d’une
chambre (articles 53, alinéa 3 et 67, alinéa 3). Ces formations sont susceptibles, parfois, de
réaliser, dans le chef de certains magistrats, le cumul de fonctions contentieuses et
consultatives. Dans ce cas, la prudence recommande de veiller attentivement à l’exigence de
l’impartialité en application de l’article 344. Cette disposition interdit, en effet, au membre de
la section contentieuse de connaître d’une demande en annulation ou en réformation d’un
acte, règlement ou décision sur lesquels il a antérieurement donné un avis comme membre de
la section contentieuse.

11. Les formations de pilotage administratif sont l’assemblée plénière, lorsqu’elle délibère sur
les questions d’ordre général de la juridiction et le Bureau du Conseil d’Etat. Le Bureau est
composé du Premier Président, du Procureur général, des Présidents et des Premiers Avocats
Généraux (article 58, alinéa 1er). C’est « un organe de réflexion et de décision mis à la
disposition du Premier Président et du Procureur général pour la gestion efficiente et
harmonieuse du Conseil d’État ainsi que pour celle des autres juridictions administratives. Le
Bureau du Conseil d’État n’a pas de compétence juridictionnelle ; il ne peut se substituer ni à
une chambre, ni à une section, encore moins à l’Assemblée plénière du Conseil d’État »
(article 58, alinéas 2 et 3). La loi est donc précise sur le statut et le rôle du Bureau mais il
convient néanmoins que les animateurs veillent scrupuleusement au respect des attributions.

12. La troisième catégorie comprend des dispositions qui consacrent des choix qui soulèvent
quelques interrogations. Il s’agit du statut des juges et du statut des conseillers référendaires
près le Conseil d’Etat.
5

13. Pour ce qui est du statut des juges, il y a lieu de noter que la loi répartit les magistrats des
juridictions administratives en deux catégories. Il s’agit des magistrats du siège et des
magistrats du ministère public. Les magistrats du siège, particulièrement concernés par ce
commentaire, sont : « Le Premier Président, les Présidents et les Conseillers du Conseil
d’État; le Premier Président, les Présidents et les Conseillers des Cours administratives
d’appel ainsi que les Présidents et les juges des Tribunaux administratifs » (article 26, alinéa
1er, point 1.). Ils sont régis par le statut des magistrats10.

14. Parmi les tares reprochées à l’ancien système, de la juridiction administrative greffée à la
juridiction judiciaire, figurait le défaut de spécialisation du juge administratif en matière
administrative. Le recrutement n’était fait ni en fonction d’une formation spécialisée ni en vue
d’une spécialisation. Bien plus, le juge n’était pas exclusivement rattaché à la juridiction
administrative au vu de l’unicité du statut et de la polyvalence des magistrats11. La loi du 15
octobre 2016 n’a pas opéré de progrès significatif en ce qui concerne le recrutement en
fonction ou en vue de la spécialisation des juges en matière administrative. Il y a lieu de noter,
toutefois, que dans le mécanisme exceptionnel de recrutement sur titre dans les quinze années
de l’installation des juridictions de l’ordre administratif, elle a élevé le niveau d’exigence en
ce qui concerne le diplôme des juges (doctorat en droit pour le Conseil d’Etat ; diplôme
d’études supérieures en droit pour la Cour administrative d’appel et le tribunal administratif)
et en ce qui concerne l’expérience professionnelle (avocats justifiant d’une expérience de plus
de quinze ans pour le Conseil d’Etat ; de plus de dix ans pour la Cour administrative d’appel
et de plus de cinq ans pour le tribunal administratif) (article 406, alinéas 1er et 2). L’espoir est
peut-être aussi permis que le rattachement exclusif aux juridictions administratives sera
observé grâce au principe constitutionnel12 et légal13 d’inamovibilité.

15. Pour ce qui est du statut des conseillers référendaires, le législateur a été bien inspiré de
doter les juges du Conseil d’Etat de collaborateurs qu’il a dénommés « conseillers
référendaires ». Il a assigné à ces derniers la mission d’ « assister les magistrats du Conseil
d’Etat dans l’accomplissement de leur mission »14. Ils sont appelés à jouer le rôle capital qui
consiste à « assister le magistrat dans procédure de confection de la décision »15. Cependant,
quelques observations, formulées dans une précédente étude au sujet de la même institution,
proposée par le Projet de loi sur les juridictions administratives16, sont encore d’actualité,
mutatis mutandis, et doivent, à cet effet, être rappelées. Elles sont relatives aux modalités
d’appréciation des compétences, au statut, à l’affectation au seul Conseil d’Etat et à la durée
du mandat des conseillers référendaires.

16. En ce qui concerne la compétence des candidats conseillers référendaires, il conviendrait


d’exiger, outre les publications et l’expérience professionnelle, un niveau minimal de
10
Loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats, J.O.RDC, Numéro spécial, 47ème
année, Kinshasa, 25 octobre 2006.
11
W. BUSANE, « L’évolution de la juridiction administrative congolaise : de la période belge à nos jours et
perspectives », CDPK, Année 14, n°4, Décembre 2010, p.582 ; W. BUSANE, Le contrôle du pouvoir
discrétionnaire de l’administration par le juge administratif congolais, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp.70 à 71.
12
Article 150, alinéa 3 de la Constitution du 18 février 2006.
13
Article 14 de la loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats, J.O.RDC, Numéro
spécial, 47ème année, Kinshasa, 25 octobre 2006.
14
Article 44, alinéa 3 de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et
fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif.
15
R.MATTA-DUVIGNAU, « Les ‘petites mains’ des juridictions administratives : les assistants de justice »,
Revue de recherches juridiques. Droit prospectif, 2008-4, p. 2204.
16
W.BUSANE, Le contrôle du pouvoir discrétionnaire de l’administration par le juge administratif congolais,
Bruxelles, Bruylant, 2012, pp.270 à 272.
6

diplôme, par exemple une licence en droit, ainsi que l’aptitude à la recherche et à l’analyse
vérifiée par un test approprié. Une expérience probante dans le domaine du droit public et
administratif pourrait être considérée comme un atout.

17. En ce qui concerne le statut, le Projet de loi prévoyait le recrutement au grade de


« conseiller à la cour d’appel », disposition qui était susceptible de provoquer de fâcheuses
confusions entre les statuts du magistrat et du conseiller référendaire. La loi du 15 octobre
2016 prévoit, quant à elle, qu’il peut s’agir soit du magistrat du siège ou du parquet ayant au
moins le rang égal au Conseiller à la Cour administrative d’appel soit de tout juriste non
magistrat choisi sur la base de ses publications ou de son expérience dans un des domaines
pertinents du droit énumérés par la loi (article 44, alinéa 2). Elle dispose, ensuite, que le statut
du conseiller référendaire est fixé par décret du Premier ministre délibéré en Conseil des
ministres (article 44, alinéa 5). Il y a lieu de mentionner, à ce niveau, la réserve formulée par
la Cour constitutionnelle sur cette disposition lors de l’examen de conformité à la Constitution
qu’elle a effectué sur cette loi à la demande du Président de la République avant la
promulgation. La réserve de la Cour est formulée en ces termes : « Par respect du principe de
la séparation des pouvoirs, l'article 44 alinéa 5 doit être compris au sens de la soumission des
conseillers référendaires au statut des magistrats, lequel est porté par une Loi organique,
plutôt qu'à un statut édicté par le Premier ministre, Chef du Gouvernement »17.

18. Ainsi que cela ressort de la réserve de la Cour constitutionnelle, la définition du statut du
conseiller référendaire par décret du Premier ministre délibéré en Conseil des ministres ne
saurait se justifier. D’une part, la désignation d’un magistrat du parquet ou du siège aux
fonctions de conseiller référendaire doit être prise pour une affectation normale dans un des
services du pouvoir judiciaire conformément au statut des magistrats. Cependant,
contrairement à la position de la Cour constitutionnelle, qui semble considérer que le statut du
conseiller référendaire doit, dans tous les cas, être assujetti au statut des magistrats, le statut
du conseiller référendaire non magistrat ne saurait y être soumis pour la simple raison que le
candidat n’est pas magistrat. Le statut du conseiller référendaire non magistrat devrait être
normalement défini par la loi sur les juridictions administratives dont l’objet est de régir, entre
autres aspects, les services d’administration de ces dernières. A tout le moins, la loi sur les
juridictions administratives pourrait renvoyer à la loi sur les agents de carrière des services
publics de l’Etat ainsi qu’elle l’a fait pour les greffiers et les huissiers. Enfin, il faut considérer
que le conseiller référendaire exerce une fonction purement administrative d’assistance au
magistrat qui exerce, pour sa part, une fonction juridictionnelle.

19. En ce qui concerne l’affectation des conseillers référendaires au seul Conseil d’Etat, il y a
lieu de reconnaître l’intérêt évident de doter la haute juridiction d’un personnel hautement
qualifié au regard de son rôle d’unification de la jurisprudence administrative. Néanmoins, la
production des décisions de bonne qualité au niveau des cours administratives d’appel et des
tribunaux administratifs est aussi une nécessité. Le recrutement des juristes en appui aux
magistrats de ces juridictions devrait être également envisagé même si le nombre et les
exigences en termes de compétences pourraient être légèrement revus à la baisse.

20. La loi limite la durée de l’exercice de la mission de conseiller référendaire à trois ans
renouvelable une seule fois. Cette limitation ne se comprend pas au regard des tâches

17
Cour constitutionnelle, R. Const 309, En cause : Requête du Président de la République en appréciation de la
conformité à la Constitution de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des
juridictions de l'ordre administratif, 10 août 2016, J.O.RDC, 47ème année, Numéro spécial, 18 octobre 2016.
7

essentiellement techniques et administratives qu’il est appelé à réaliser et tant qu’il continue à
remplir les conditions exigées pour l’accomplissement de ses fonctions.

II. QUESTIONS DE COMPETENCE

21. Les compétences de la juridiction administrative ont été élargies. Certains choix
paraissent, néanmoins, critiquables.

22. Les compétences de la juridiction administrative sont déterminées par la Constitution, par
des lois particulières et par la loi du 15 octobre 2016, qui régit la majeure partie. La
Constitution ne présente qu’une partie des missions du Conseil d’Etat. L’article 155, alinéas
1er à 3, de la Constitution dispose : « Sans préjudice des autres compétences que lui reconnaît
la Constitution ou la loi, le Conseil d’Etat connaît, en premier et dernier ressort, des recours
pour violation de la loi, formés contre les actes, règlements et décisions des autorités
administratives centrales. Il connaît en appel des recours contre les décisions des Cours
administratives d’appel. Il connaît, dans les cas où il n’existe pas d’autres juridictions
compétentes, de demandes d’indemnités relatives à la réparation d’un dommage exceptionnel,
matériel ou moral résultant d’une mesure prise ou ordonnée par les autorités de la République.
Il se prononce en équité en tenant compte de toutes les circonstances d’intérêt public ou privé
[…] ».

23. Les compétences des juridictions administratives peuvent également découler des lois
particulières. C’est le cas du pouvoir de réception de la déclaration de patrimoine des
membres du gouvernement provincial pour communication à l’administration fiscale18. C’est
aussi le cas de la compétence de connaître des recours en annulation pour violation de la loi,
des édits et des règlements nationaux formés contre les actes ou décisions des autorités
provinciales ou locales et des organismes décentralisés placés sous leur tutelle19.

24. La loi du 15 octobre 2016 réserve son titre troisième aux compétences des juridictions
administratives. Ce titre comporte deux chapitres dont le premier porte sur les compétences
communes et le second sur les compétences spécifiques à chaque juridiction.

25. Dans les deux chapitres, plusieurs dispositions relèvent de l’ordinaire du droit judiciaire et
n’appellent pas, à nos yeux, des débats particuliers. Ainsi, il est reconnu aux juridictions
administratives la compétence d’interprétation de leurs décisions (article 75), de connaître des
demandes reconventionnelles (article 76), de connaître des demandes fondées sur le caractère
téméraire et vexatoire (article 77), de connaître des incidents liés à la demande principale
(article 78), de connaître des demandes en garantie en lien avec la demande originaire (article
79) et de connaître des demandes connexes (articles 91, 100 et 117).

26. En ce qui concerne les compétences spécifiques à chaque juridiction, il s’observe que les
compétences sont réparties en fonction du niveau territorial des administrations ; le pouvoir de
suspension est introduit aux côtés des pouvoirs d’annulation et d’interprétation ; les
compétences sont consultatives et contentieuses ; la cassation administrative est introduite ; le
champ du contentieux de l’administration dédié aux juridictions administratives est étendu.

18
Article 24, alinéas 1er et 3, de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la
libre administration des provinces, J.O.RDC, n° spécial, 31 juillet 2008.
19
Article 74 de la loi n°08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre
administration des provinces, J.O.RDC, n° spécial, 31 juillet 2008.
8

27. Pour ce qui est de la répartition territoriale des compétences, il s’agit du niveau central, du
niveau provincial et du niveau local. Le Conseil d’Etat est compétent à l’égard des activités
des administrations centrales (articles 82 à 93). Les cours administratives d’appel sont
compétentes à l’égard des activités des administrations provinciales (articles 94 à 101). Les
tribunaux administratifs sont compétents à l’égard des activités des administrations locales à
savoir celles des villes, des communes, des secteurs, des chefferies et des territoires (articles
102 à 122). Le niveau local comprend les entités territoriales décentralisées (villes,
communes, secteurs et chefferies) ainsi que les entités territoriales déconcentrées (territoires,
quartiers, groupements et villages). Toutefois, en ce qui concerne les entités territoriales
déconcentrées, la loi n’aligne que les activités des territoires. L’omission des activités des
autres entités territoriales déconcentrées à savoir les quartiers, les groupements et les villages
ne se comprend pas. Ces entités sont aussi, en effet, des centres de production des décisions et
d’agissements susceptibles de déclencher des litiges dont le règlement devrait être assuré par
les juridictions administratives. C’est d’ailleurs cela l’esprit, pensons-nous, de la loi sur les
subdivisions territoriales à l’intérieur des provinces, qui régit les entités territoriales
déconcentrées, et qui, a priori, n’écarte pas certaines entités. Elle dispose, en effet, que « Les
décisions des autorités administratives déconcentrées sont soumises à un contrôle
administratif. Leurs actes sont susceptibles de recours juridictionnel »20.

28. Le pouvoir de suspension est l’une des innovations les plus pertinentes introduites par la
loi. En effet, même si l’absence d’effet suspensif des requêtes demeure le principe, la
juridiction peut se prononcer en suspension dans les cas et suivant les procédures prévus par
la loi. L’aménagement des pouvoirs du juge en matière de suspension, auquel nous
reviendrons dans les questions de procédure, présente un double avantage. D’une part, il
permet de sauvegarder les intérêts légitimes des justiciables. D’autre part, il permet d’éviter la
paralysie de l’action de l’administration par la suspension systématique de ses actes à
l’introduction de chaque recours en annulation ou en réformation21.

29. La juridiction administrative est dotée à la fois des compétences consultatives et des
compétences contentieuses. Elle est le conseiller des administrations de son ressort mais aussi
le juge des litiges suscités par les actions de ces dernières.

30. Dans sa section consultative, la juridiction dispose des attributions suivantes : donner des
avis motivés sur la régularité juridique des projets ou propositions d’actes législatifs,
règlements ou décisions ; se prononcer sur les difficultés d’interprétation des textes
juridiques ; donner des avis motivés sur la légalité ou la constitutionnalité des dispositions sur
lesquelles elle est consultée ; donner des avis motivés sur la pertinence des moyens juridiques
retenus pour atteindre les objectifs que les autorités administratives se sont assignés ; répondre
aux questions qui soulèvent une difficulté d’interprétation juridique devant une juridiction ou
une autorité administrative ; attirer l’attention des pouvoirs publics sur les réformes qui
paraissent souhaitables pour l’intérêt général. Toutes ces attributions, si elles bien exercées,
sont susceptibles d’aider les administrations à améliorer sensiblement l’exercice de leur
mission.

31. Du point de vue de l’étendue de la compétence consultative, l’on constate que la


juridiction administrative congolaise se différencie de la juridiction administrative belge alors
qu’elle se rapproche de la juridiction administrative française. La compétence consultative de

20
Article 34 de la loi organique n°10/011 du 18 mai 2010 portant fixation des subdivisions territoriales à
l’intérieur des provinces, J.O.RDC, Numéro spécial, 51ème année, Kinshasa, 7 juin 2010.
21
R. ODENT, Contentieux administratif, tome I, Paris, Dalloz, 2007, p. 726.
9

la juridiction administrative belge ne porte que sur des affaires administratives non
contentieuses (litigieuses). Elle exclut les avis sur des problèmes d’ordre législatif ou sur ceux
que suscitent l’exécution des décisions de justice, les questions suscitées par l’existence ou
l’imminence d’un procès et même celles qui donnent lieu à des polémiques ou à des prises des
positions antagonistes soit entre institutions soit dans les milieux politiques22. La juridiction
administrative congolaise, à l’instar de la juridiction administrative française, exercent une
compétence consultative plus étendue. Elle donne des avis sur des projets de texte, des avis
sur des difficultés juridiques en matière administrative, prépare et rédige des textes qui lui
sont demandés et appelle l’attention des pouvoirs publics sur toutes réformes qui lui
paraissent conformes à l’intérêt général23. La juridiction administrative congolaise joue donc
un rôle d’avis mais aussi de législation. Tel est le choix du législateur congolais qui ne suscite
a priori aucune critique. Il y a lieu, néanmoins, d’inviter la section consultative de la
juridiction administrative congolaise à exercer sa mission avec prudence afin d’éviter de
s’engager dans les affaires contentieuses, au risque d’énerver les prérogatives de la section
contentieuse, ou dans la polémique politicienne, au risque d’écorcher son indépendance et son
impartialité.

32. En dehors de ce qui précède, il y a lieu de regretter que la loi n’ait pas rendu obligatoire la
consultation de la juridiction administrative préalablement à l’élaboration des actes législatifs
et administratifs. La consultation obligatoire serait, pourtant, le gage de l’amélioration des
textes normatifs, surtout les textes à portée générale et impersonnelle qui affectent à la fois
l’intérêt général et les situations individuelles24.

33. En ce qui concerne les compétences contentieuses, toutes les juridictions administratives
sont compétentes, chacune au niveau de son ressort, pour l’examen des recours en annulation
pour violation de la Constitution, du traité régulièrement ratifié25, de la loi, de l’édit ou du
règlement formés contre les actes administratifs des autorités administratives et pour l’examen
des recours en suspension formés contre les actes administratifs des autorités administratives.
Tous les autres chefs de compétences sont spécifiques aux différentes juridictions.

34. Les compétences contentieuses spécifiques du Conseil d’Etat consistent en l’examen : de


l’appel des arrêts ainsi que des décisions rendues au premier ressort par les cours
administratives d’appel (article 86) ; des pourvois en cassation dirigés contre les arrêts et
jugements des juridictions administratives de droit commun ou contre les décisions des
juridictions administratives spécialisées (article 87) ; des demandes en révision, des prises à
partie des magistrats de l’ordre administratif, des règlements des juges, des demandes en
renvoi d’une Cour administrative d’appel à une autre Cour administrative d’appel ou d’une
juridiction du ressort d’une Cour administrative d’appel à une autre du ressort d’une autre
Cour administrative d’appel, des actions en responsabilité dirigées contre l’État pour durée
excessive de la procédure devant une juridiction de l’ordre administratif (article 88), des
demandes d’indemnités relatives à la réparation d’un dommage exceptionnel (article 89).

22
P. LEWALLE, Contentieux administratif, Bruxelles, Larcier, 2ème édition, 2002, p. 401, n°290 ; M. LEROY,
Contentieux administratif, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 164 et 165.
23
B. PACTEAU, Traité de contentieux administratif, 1ère édition, Paris, PUF, 2008, pp.63 et 64 ; G. PEISER,
Droit administratif général, 24ème édition, Paris, Dalloz, 2008, p. 210.
24
Voir à ce sujet nos propositions dans W. BUSANE, Le contrôle du pouvoir discrétionnaire de
l’administration, déjà cité, pp. 315 à 317.
25
La loi retient le recours pour violation de la Constitution et du traité régulièrement ratifié uniquement pour le
Tribunal administratif (article 104) mais a priori il n’y a pas de raison pour ne pas le retenir également pour le
Conseil d’Etat et la Cour administrative d’appel.
10

35. En outre, le Conseil d’État connaît, toutes sections réunies : des pourvois qui soulèvent
des questions de principe ; des pourvois comportant des moyens complexes relevant de la
compétence de plusieurs chambres d’une section et qui sont susceptibles de recevoir des
solutions divergentes, des pourvois soumis au Conseil d’état lorsque le juge de renvoi ne
s’est pas conformé au point de droit jugé par le Conseil d’État ; des pourvois introduits, après
cassation avec renvoi, contre les décisions rendues par la juridiction du renvoi ; des cas
d’éventuels revirements de jurisprudence; du pourvoi du Procureur général près le Conseil
d’État ; du pourvoi du Procureur général près le Conseil d’État agissant dans le seul intérêt de
la loi ; de tout pourvoi, lorsque le Procureur général, le Premier Président, le Président de la
section ou celui de la chambre le sollicite ; des pourvois introduits pour la deuxième fois après
cassation et concernant la même cause et les mêmes parties ; des conflits de compétence entre
différentes juridictions de l’ordre administratif ; des affaires estimées complexes par le
Premier Président ou par les Présidents des sections du Conseil d’État (article 90).

36. Il ressort de toutes les compétences attribuées au Conseil d’Etat que ce dernier joue un
rôle fondamental dans le système de la justice administrative. Il est juge de la légalité de
l’action administrative du pouvoir central en premier et dernier ressort, juge de la réparation
des préjudices causés par ladite action administrative, juge d’appel des décisions rendues par
les cours administratives d’appel, juge de cassation des décisions des juridictions
administratives de droit commun ou spécialisées, juge des conflits entre juridictions
administratives, juge disciplinaire des magistrats de l’ordre administratif, garant de l’unité de
la jurisprudence et conseiller des pouvoirs publics en matière d’élaboration et d’application
des actes normatifs.

37. Les compétences contentieuses spécifiques de la Cour administrative d’appel consistent


en l’examen : de l’appel des jugements et ordonnances rendus par les Tribunaux
administratifs ; de l’appel des décisions prises par des organes disciplinaires des provinces,
des organismes publics ou des ordres professionnels provinciaux et locaux ; des recours en
annulation, pour violation de la loi, de l’édit et du règlement, formés contre les actes,
règlements ou décisions des autorités administratives provinciales et des organismes publics
placés sous leur tutelle ainsi que des organes provinciaux des ordres professionnels ; du
contentieux des élections des députés provinciaux, des gouverneurs et vice-gouverneurs de
province; des recours introduits, sur réclamation du contribuable, contre les décisions prises
par l’administration fiscale du Pouvoir central.

38. Les compétences contentieuses spécifiques du Tribunal administratif sont les plus
étendues. Contrairement au système antérieur, dans lequel la juridiction administrative était
essentiellement juge des actes administratifs unilatéraux, le législateur lui confie également le
contentieux des contrats administratifs ainsi qu’une série d’autres matières relevant de l’action
administrative. Certaines compétences visent même les décisions des personnes privées. La
volonté du législateur était manifestement d’attribuer à la juridiction administrative la
plénitude de compétence sur le contentieux de l’administration. Ce choix n’a rien de
critiquable, a priori. Il s’agit d’un choix possible parmi tant d’autres et le législateur dispose
du pouvoir constitutionnel d’en apprécier discrétionnairement. Toutefois, si certaines
compétences paraissent se justifier aisément et constituer parfois des innovations pertinentes,
d’autres appellent, cependant, quelques observations.

39. Il a été attribué au Tribunal administratif les compétences suivantes : l’examen des
recours en annulation, pour violation de la Constitution, du traité dûment ratifié, de la loi, de
l’édit et du règlement, formés contre les actes, règlements ou décisions des autorités du
11

territoire, de la ville, de la commune, du secteur ou de la chefferie ainsi que contre ceux des
organismes publics placés sous leur tutelle (article 104, alinéa 1er), le contentieux relatif aux
marchés et travaux publics, à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux réquisitions
(article 104, alinéa 2), le contentieux fiscal de son ressort (article 104, alinéa 3), le contentieux
des élections urbaines, communales et locales (article 104, alinéa 4), des litiges relatifs à la
nomination, à l’avancement, à la discipline, aux émoluments, aux rémunérations et aux
pensions ou, généralement, de tout litige d’ordre individuel concernant des agents et
fonctionnaires du territoire, de la ville, de la commune, du secteur et de la chefferie ainsi que
ceux des organismes
publics placés sous leur tutelle (article 106); l’exécution de toutes les décisions des Tribunaux
administratifs, des Cours administratives d’appel et du Conseil d’État (article 120, alinéa 1er),
l’exécution des autres actes authentiques pris en matière administrative (article 120, alinéa 2).

40. Le législateur a également confié à la juridiction administrative la compétence relative au


contentieux de certaines personnes privées ayant des incidences sur la vie publique. Il s’agit
des litiges relatifs à la désignation des membres des corps professionnels ou des partis
politiques. Cette compétence est incidemment mentionnée car elle se déduit d’une disposition
initialement destinée à l’indication d’une des modalités de détermination des compétences des
tribunaux administratifs (article 112).

41. Si les juridictions administratives ont, à l’évidence, des compétences bien remplies, il
semble, néanmoins, y avoir eu omission au moins en deux matières. En matière fiscale,
l’article 96, alinéa 4, dispose que la Cour administrative d’appel est compétente pour
connaître, en premier et dernier ressort, des recours introduits, sur réclamation du
contribuable, contre les décisions prises par l’administration fiscale du Pouvoir central qui ne
donnent pas entière satisfaction à l’intéressé. La loi omet de désigner la juridiction
compétente en ce qui concerne le recours contre les décisions prises par l’administration
fiscale du Pouvoir provincial. L’article 104, alinéa 4, attribue au Tribunal administratif le
contentieux fiscal de son ressort. Cette disposition ne règle pas le problème de l’omission ci-
haut signalée dans la mesure où le ressort du Tribunal administratif se limite au territoire, à la
ville, à la commune, au secteur et à la chefferie. Pareillement, en matière de la fonction
publique, l’article 106 dispose que « Les tribunaux administratifs connaissent, en premier
ressort, des litiges relatifs à la nomination, à l’avancement, à la discipline, aux émoluments,
aux rémunérations et aux pensions ou, généralement, de tout litige d’ordre individuel
concernant des agents et fonctionnaires du territoire, de la ville, de la commune, du secteur et
de la chefferie ainsi que ceux des organismes publics placés sous leur tutelle ». La loi omet,
cependant, de désigner expressément le juge compétent pour le contentieux des fonctionnaires
publics de la province et du pouvoir central. Au titre de solutions, l’on pourrait suggérer, peut-
être, de considérer les recours relatifs aux actes visant la situation des fonctionnaires au rang
de juridictions correspondantes soit la Cour administrative d’appel pour les actes des
administrations provinciales et le Conseil d’Etat pour les actes des administrations centrales.
Une autre solution, pour les deux cas, pourrait consister à retenir la compétence du Tribunal
administratif en application du prescrit de l’article 104, alinéa 5, qui dispose que « Tout autre
contentieux administratif, dont la connaissance n’aura pas été expressément attribuée à une
autre juridiction administrative, relève de la compétence de la section du contentieux du
Tribunal administratif ». Néanmoins, l’arbitrage exprès et clair du législateur est souhaitable.

III. QUESTIONS DE PROCEDURE


12

42. Le législateur a introduit plusieurs innovations procédurales qui augurent d’une bonne
administration de la justice. Il n’empêche, cependant, que certains choix suscitent encore des
interrogations.

43. La procédure devant les juridictions de l’ordre administratif est répartie sur trois titres. Le
titre IV organise la procédure devant la section consultative et la section contentieuse (articles
123 à 276). Devant la section consultative, sont consacrés les régimes des demandes d’avis,
des demandes d’interprétation des textes ainsi que le régime des avis. Devant la section
contentieuse, sont déterminés l’introduction de l’instance, l’instruction, les moyens
d’investigation, les incidents de l’instruction, le jugement de l’affaire, la notification et
l’exécution des arrêts et jugements ainsi que les voies de recours. Le titre V organise les
procédures spéciales communes aux juridictions de l’ordre administratif. Il s’agit de la
procédure spéciale de médiation et de conciliation, du référé, du sursis à exécution, des
astreintes ainsi que du déport et de la récusation. Le titre VI organise les procédures
applicables devant le Conseil d’Etat. Il vise l’indemnité pour dommage exceptionnel, le
pourvoi en cassation, la prise à partie, la révision et le règlement des juges.

44. Pour une meilleure appréhension, il y a lieu de regrouper les innovations selon qu’elles
concernent l’introduction de l’instance, les voies de recours, les procédures préalables à la
décision de la juridiction sur le fond du litige, les procédures de référé et l’astreinte.

45. Pour ce qui est de l’introduction de l’instance, trois innovations ont été introduites. Primo,
la notion du requérant a été élargi. Si dans l’ancien système seul le particulier, à savoir la
personne physique, était admise à saisir le juge26, désormais l’action est ouverte également
aux personnes morales de droit public, par requête, ainsi qu’au ministère public, par
réquisitoire (article 135, alinéa 1er). La personne physique et la personne morale de droit privé
ainsi que la personne morale de droit public agissent dans leur intérêt personnel tandis que le
ministère public agit dans l’intérêt général et, en particulier, dans l’intérêt des droits et
libertés fondamentaux des personnes (article 136, alinéa 1er). Cet élargissement de la notion
du requérant comporte l’avantage évident d’augmenter les possibilités de contrôler la
régularité des actes de l’administration. Secundo, il a été ouvert une action pour l’intérêt
général ou communautaire. L’ancien système n’admettait que l’action pour un intérêt
personnel27. L’intérêt général est poursuivi par le Ministère public tandis que l’intérêt
communautaire est poursuivi par une communauté agissant par son représentant dûment
mandaté (articles 143 et 159). Tertio, la procédure de filtrage des requêtes a été introduite.
Elle permet, « dès le seuil de l’action, d’écarter, avec la garantie d’un recours pour le
justiciable, les recours manifestement irrecevables ou infondés ou ceux qui ne relèvent pas de
manière évidente de la compétence des juridictions de l’ordre administratif »28. A cet effet, la
loi reconnaît au chef de la juridiction le pouvoir de dispense d’instruction et de
communication du dossier à la chambre pour examen avant de fixer la date à laquelle l’affaire
sera appelée « si le recours est manifestement irrecevable, ou si la cause ne relève pas, de
façon évidente, de la compétence de la juridiction » (article 177, alinéa 2). Cette procédure
est, sans nul doute, pertinente, dans la mesure où elle permet de désengorger la juridiction.
Cependant, le pouvoir d’appréciation discrétionnaire conféré au juge pourrait susciter
l’inquiétude s’il est exercé en dehors de tout contrôle car il est susceptible de porter atteinte au

26
Article 87 de la l’ordonnance-loi n°82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de
justice, J.O.Z., 23ème année, n°7, 1er avril 1982.
27
Ibidem.
28
Exposé des motifs de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 relative aux juridictions de l’ordre
administratif.
13

droit au juge, droit fondamental garanti à tout citoyen. Il y a lieu, toutefois, de s’apaiser dans
la mesure où le dossier doit être soumis à la chambre pour examen. Dans le silence de la loi
sur les critères d’appréciation de l’irrecevabilité manifeste ou de l’incompétence manifeste de
la juridiction, la lumière de la jurisprudence, dans les meilleurs délais, sera d’un grand
secours29.

46. En ce qui concerne les voies de recours, la loi du 15 octobre 2016 a introduit la cassation
(voir supra), la révision et l’opposition aux côtés de la tierce-opposition, de l’appel, de
l’interprétation et de la rectification d’erreur matérielle déjà prévus par le système antérieur.
Ces voies de recours n’appellent pas des débats particuliers. Il y a lieu, toutefois, de souligner
que leur introduction offre des opportunités supplémentaires de contrôle de l’action
administrative ou de l’action juridictionnelle, sommes toutes profitables aux citoyens et aux
justiciables. Même si loi n’en dit rien, il y a lieu de se demander si l’opposition formée par les
autorités administratives est concevable30.

47. La loi du 15 octobre 2016 a introduit les procédures de médiation et de conciliation. Elles
sont conçues comme des procédures préalables à la décision au fond des litiges. Le législateur
rejoint ainsi quelque peu le Code de procédure civile et le Code du travail qui instituent la
conciliation comme un préalable tantôt obligatoire, tantôt facultatif. Ces procédures
comportent des avantages indéniables dont celui de régler les différends de la manière la plus
consensuelle possible et de réduire significativement le risque d’engorgement des juridictions.
Le législateur est, néanmoins, très laconique sur le régime juridique de la médiation et de la
conciliation. Il prévoit que les juridictions administratives peuvent recourir à ces modes à la
demande des parties avant de statuer au fond des litiges dont elles sont saisies (article 277,
alinéa 1er). Il en découle que le juge ne peut pas ordonner d’office le recours à ces modes. La
médiation ou la conciliation se déroule dans un délai de trois mois à compter du jour de
l’introduction de la requête (article 277, alinéa 2). La sanction du dépassement de ce délai
n’est toutefois pas indiquée. L’arrangement intervenu entre les parties est constaté et coulé
dans une décision d’expédient (article 277, alinéa 3). Dans le cas contraire, le dossier suit son
cours normal en application des dispositions de la loi (article 277, alinéa 4). Il y a lieu de
regretter le silence du législateur sur des préoccupations importantes telles que la définition de
la médiation et de la conciliation, les litiges susceptibles d’être soumis à ces modes, la
procédure à suivre ainsi que la portée des décisions issues de ces modes31. L’une des
questions qui se pose à l’égard de ces modes est de savoir si l’on peut y soumettre le
règlement des litiges mettant en cause les actes administratifs unilatéraux. La lumière de la
jurisprudence est, dès lors, indispensable, face au silence du législateur.

48. L’introduction de la procédure de référé vient combler un vide important du système


antérieur. Cette procédure permet, en effet, au juge de prendre des mesures d’urgence qui
s’imposent pour la bonne administration de la justice et la protection des droits des citoyens.
Il s’agit d’une procédure contradictoire permettant au juge des référés statuant en cas
d’urgence d’ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative qui est
l’objet d’une requête en annulation ou en réformation quand sa légalité inspire un doute
29
Pour d’autres cas de procédures abrégées en droit comparé, lire notamment M. LEROY, Contentieux
administratif, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 687 à 697 ; B. PACTEAU, Traité de contentieux
administratif, déjà cité, pp. 309 et 310.
30
Voir, à ce sujet, la position de M. LEROY, Op.cit., p. 987, que nous partageons, selon laquelle cette hypothèse
est inconcevable.
31
Sur le sujet, lire notamment D. RENDERS, P. DELVOLVE, Th. TANQUEREL (dir.), L’arbitrage en droit
public, Bruxelles, Bruylant, 2010 ; A. NYALUMA MULAGANO, Les modes alternatifs de règlement des
conflits. Une clé d’accès à la justice administrative congolaise ?, Bruxelles, Bruylant, 2016.
14

sérieux ; d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à


laquelle une personne morale de droit public aurait porté une atteinte grave manifestement
illicite et d’ordonner sur simple requête (même en l’absence de décision administrative
préalable) toutes mesures utiles, sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision
administrative32. La loi organise les référés généraux, les référés particuliers et les référés
spéciaux. Les référés généraux comportent le référé-suspension qui permet de décider s’il y a
lieu d’ordonner la suspension de la décision administrative attaquée (article 282, alinéa 1 er) ;
le référé-liberté qui permet au juge d’ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la
liberté (article 283, alinéa 1er) et le référé-conservatoire qui permet au juge d’ordonner toutes
mesures utiles à la préservation de la situation des parties à l’avenir (article 284). Les référés
particuliers comportent le référé-constat, qui permet au juge de constater, par un expert qu’il
désigne, la constatation des faits qui seraient susceptibles de donner lieu à un litige (article
297) ; le référé-instruction qui permet au juge d’ordonner une expertise ou une mesure
d’instruction (article 298) et le référé-provision qui permet au juge d’accorder une provision
au créancier qui l’a saisi (article 299). Les référés spéciaux comportent le référé
précontractuel des marchés publics, qui permet au juge de sanctionner les violations des
règles de transparence, de publicité et de mise en concurrence à l’occasion de la passation des
marchés publics, des contrats de partenariats et de délégation de service public (article 308) ;
le référé douanier, qui permet au juge d’être saisi lorsque les garanties offertes, dans le cadre
d’une procédure de contestation des droits et taxes à l’importation et à l’exportation ou de la
contestation de la douane sur le caractère prohibé de la
marchandise, ont été rejetées par l’administration douanière (article 313, alinéa 1er) ; le référé-
fiscal, qui permet au juge d’être saisi, en matière fiscale et parafiscale, lorsque les garanties
offertes dans le cadre d’une procédure de contestation des impôts directs et indirects, de la
taxe sur la valeur ajoutée, que ces impôts et taxes résultent d’une loi ou d’un édit ou d’une
décision d’une autorité territoriale décentralisée, ne sont pas admises au bénéfice du sursis
légal de paiement (article 316, alinéa 1er ) et le référé sur déféré qui permet au juge d’être saisi
par l’autorité chargée de la tutelle sur les actes des entités décentralisées pour suspendre une
délibération d’un acte soumis à un contrôle a priori et qui n’a pas fait l’objet de transmission
préalable (article 319, alinéa 1er).

49. Dans la foulée du référé, la loi a introduit le sursis à exécution grâce auquel la juridiction
d’appel ou le Conseil d’Etat saisi d’un pourvoi en cassation peut ordonner de surseoir à
l’exécution du jugement ou de l’arrêt attaqué si les moyens invoqués paraissent, en l’état de
l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation, la réformation ou l’infirmation du
jugement ou de l’arrêt attaqué ou si l’exécution d’un jugement ou d’un arrêt risque d’exposer
l’appelant à la perte d’une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses
conclusions d’appel seraient accueillies (articles 321 et 322).

50. L’introduction de l’astreinte vient apporter une certaine réponse à la problématique de


l’exécution des décisions de la juridiction administrative face aux administrations
récalcitrantes. Le principe légal est, en effet, que les arrêts et les jugements sont exécutoires
de plein droit (article 250, alinéa 1er). Dans cette optique, « Le greffier appose sur les
expéditions, à la suite du dispositif, la formule exécutoire ci-après : « Les ministres et les
autorités administratives, en ce qui les concerne, sont tenus de pourvoir à l’exécution du
présent arrêt ou jugement. Les huissiers de justice à ce requis ont à y concourir en ce qui
concerne les voies de droit commun » » (article 250, alinéa 3). Ainsi, une administration

32
G.CORNU, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 7ème édition, 2006, p. 768. Lire également à ce sujet, P.
WACHSMANN (dir.), Le nouveau juge administratif des référés. Réflexions sur la réforme opérée par la loi du
30 juin 2000, Strasbourg, PUS, 2002.
15

publique peut être condamnée au paiement d’une astreinte en cas d’inexécution de la décision
prescrivant ledit paiement ; lorsque l’autorité a refusé de déférer à la mise en demeure de
prendre une nouvelle décision ; en cas de silence de l’autorité, après l’expiration d’un délai de
trente jours suivant la mise en demeure (article 329). Toutefois, il y a lieu de craindre que la
seule condamnation à l’astreinte ne soit suffisante notamment face à une administration
publique qui déciderait d’ignorer systématiquement la décision du juge33.

51. A côté des innovations notables introduites par la loi, quelques interrogations subsistent en
rapport avec les pouvoirs du juge face à l’autonomie de l’administration, la définition du
dommage exceptionnel et l’étendue des compétences des juridictions de l’ordre judiciaires
agissant transitoirement comme juridictions de l’ordre administratif.

52. La loi confère les pouvoirs importants de jugement au juge administratif. Elle détermine la
procédure du jugement de l’affaire (articles 229 à 236). Elle indique également les mentions
des arrêts du Conseil d’Etat, qui sont, mutatis mutandis, transposables aux décisions des
autres juridictions administratives (article 384). Elle se garde, cependant, de se prononcer sur
la portée des décisions du juge. Ce silence est susceptible d’éveiller la question de savoir si le
juge ne pourrait pas se permettre de s’immiscer dans les pouvoirs de l’administration en
enjoignant à cette dernière de prendre des mesures qui relèvent de sa décision. Cette façon de
faire ne s’accommoderait pourtant pas avec le principe de la séparation des juridictions
administratives des autorités administratives. L’une de conséquences de ce principe serait
qu’aucune juridiction administrative n’a qualité pour adresser à l’administration des ordres ou
des injonctions, ni pour prendre elle-même des décisions que l’administration active est seule
qualifiée pour prendre34. Cette crainte est fondée si l’on s’en tient à certaines décisions prises
par la section administrative de la Cour suprême de justice. Dans une affaire, elle a par
exemple enjoint à l’administration de réintégrer des fonctionnaires et de leur assurer le
payement de leur rémunération, avec effet rétroactif à la suite de l’annulation d’une
ordonnance de révocation35.

53. Comme dans le système antérieur, la loi ne précise pas suffisamment la définition du
dommage exceptionnel36. Elle se contente de disposer que « Lorsqu’une personne estime
avoir subi un dommage exceptionnel, matériel ou moral, résultant soit d’une mesure prise ou
ordonnée par les autorités du Pouvoir central, des provinces, des entités territoriales
décentralisées ou des organismes publics placés sous leur tutelle, soit par omission de celles-
ci, et qu’il n’existe aucune juridiction compétente pour connaitre de sa demande de réparation

33
L’affaire Noualhier, où le maire de Limoges a tenu tête au Conseil d’Etat français est une illustration
éloquente de la difficulté, cité par MUEPU MIBANGA, « Exécution des arrêts rendus en matière
administrative », RJZ, 60ème année, p. 86.
34
A ce sujet, R. ODENT, Contentieux administratif, tome I, Paris, Dalloz, 2007, p. 1013.
35
CSJ, RA 182, 180 et 191-1er juin 1990, Ngbenzi Nzombi M’Okoba ; Dzu-ma-Mbadi ; Mulomba Kalenda ;
Nsilulu za Mafuefue ; Ukendi Katako c/ La République du Zaïre prise en la personne du Commissaire d’Etat à
l’enseignement primaire et secondaire. Pour des observations sur cet arrêt, lire notamment R.MUSHIGO-A-
GAZANGA GIGOMBE, Le contentieux administratif dans le système juridique de la République Démocratique
du Congo, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2004, pp.219 à 221.
36
BALANDA MIKUIN LELIEL, « Procédure et compétence administrative de la Cour suprême de Justice du
Zaïre » déjà cité, p. 3. La jurisprudence ne fournit pas non plus la solution. Dans une affaire relativement récente,
le juge a rejeté une demande de réparation de dommage exceptionnel étant donné qu’au moins une des
conditions légales n’était pas réunie, à savoir l’absence de juridiction compétente, dans la mesure où le litige
était de la compétence des juridictions du travail, Arrêt « Matueta», RA.455 – 8 avril 2002, Matueta Ngyo
Kokan et Nondo Kiniangi Lumingu c/ La République démocratique du Congo (Bull.CSJ, 2004, p. 127).
16

du préjudice subi, elle peut introduire par voie de requête une demande d’indemnité devant le
Conseil d’État » (article 355). Face à ce silence, et procédant par déduction des indications
sommaires de la loi, nous osons proposer que le dommage exceptionnel serait invocable dans
quatre hypothèses : l’action en réparation d’un préjudice découlant d’une mesure législative ;
l’action en réparation d’un préjudice découlant d’une mesure de nature politique ; l’action en
réparation d’un préjudice découlant d’une mesure administrative à l’égard de laquelle le
Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent et l’action en réparation du préjudice découlant
d’une mesure juridictionnelle. Dans toutes ces hypothèses, en effet, aucune juridiction n’est
compétente au regard du droit en vigueur.

54. Il y a lieu de regretter que les dispositions innovantes de la loi du 15 octobre 2016 ne
puissent pas encore connaître une application effective à défaut d’installation des juridictions
de l’ordre administratif. La loi sur les juridictions de l’ordre judiciaire prévoit que la Cour
suprême de justice et les Cours d’appel exerceront les attributions dévolues au Conseil d’Etat
et à la Cour administrative d’appel en attendant l’installation de ces derniers en appliquant les
règles de compétences définies par les articles 146 à 149 et 155 de l’ordonnance-loi n°82-020
du 31 mars 1982 portant Code de l’organisation et de la compétence judiciaires 37. Cette
situation est tout simplement indescriptible et inadmissible. La réalité est qu’il est maintenant
organisé une transition de la transition, une transition cacophonique ! La Cour suprême de
justice est elle-même appelée à disparaître pour céder la place à la Cour de cassation qui n’est
pas encore installée. La Cour suprême de justice est appelée à appliquer les attributions du
Conseil d’Etat conformément aux dispositions de la loi portant Code de l’organisation et de la
compétence judiciaires abrogée par la loi sur les juridictions de l’ordre judiciaire. Il y a lieu de
remarquer, en outre, qu’aucune juridiction n’est désignée pour exercer les attributions
dévolues au tribunal administratif. Il est grand temps, pensons-nous, d’achever l’installation
de nouvelles juridictions aussi bien de l’ordre judiciaire que de l’ordre administratif pour
permettre aux citoyens et aux justiciables de tirer le meilleur profit du nouveau système
juridictionnel de contrôle de l’action de l’administration.

CONCLUSION

55. Le législateur congolais a produit une œuvre indéniablement importante par l’adoption de
la loi sur les juridictions de l’ordre administratif. C’est la rupture d’avec plusieurs décennies
de la juridiction administrative incorporée aux juridictions judiciaires et l’avènement de la
juridiction administrative autonome ! Le nouveau système permet d’assurer à la fois le conseil
et le contrôle de l’action administrative à tous les niveaux, central, provincial et local de son
exercice. C’est le rapprochement du justiciable de son juge qui toujours est appelé de tous les
vœux. Les compétences de la juridiction administrative sont largement étendues à une plus
grande surface de l’action administrative. L’introduction du pouvoir de suspension permet au
juge de mieux prendre en compte les impératifs de la protection des droits des citoyens.
L’élargissement de la notion du requérant à la personne morale de droit public et au ministère
public augure un contrôle plus étendu de l’action administrative. L’augmentation des voies de
recours, dont la cassation administrative, est à saluer. L’introduction des modes alternatifs de
règlements des litiges administratifs, à l’instar de la médiation et de la conciliation, des
procédures de référé, des astreintes sont autant d’innovations dignes d’intérêt. L’œuvre est
pleine de promesses !

37
Article 154 de la loi organique n°13-011 du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et
compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, J.O.RDC, Numéro spécial, 54ème année, Kinshasa, 4 mai 2013.
17

56. L’œuvre suscite néanmoins des interrogations. Le statut des juges et de leurs
collaborateurs (les conseillers référendaires) peut-il garantir la spécialisation et l’efficacité?
Comment résoudre l’apparente omission de détermination du juge compétent à l’égard du
contentieux fiscal du pouvoir provincial et du contentieux de la fonction publique du pouvoir
provincial et du pouvoir central ? La loi peut-elle garantir le respect de l’indépendance de
l’administration face aux éventuelles immixtions du juge administratif ? Quelle est la
définition du dommage exceptionnel ? A quand, finalement, l’installation des juridictions de
l’ordre administratif pour rendre la réforme effective?

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