EXPERTISE
JUDICIAIRE
Fiche pratique
LA RESPONSABILITÉ
DES AUTO-CONSTRUCTEURS
L’affaire
Dans une première affaire,une personne achète une
maison située dans un lotissement et datant de
l’époque de la reconstruction d’après-guerre. Les
pavillons de ce lotissement sont de plain-pied avec
un comble non aménagé lors de la construction. Le
propriétaire réhabilite sa maison plus ou moins lui-
même : travaux de réparation de la couverture,
changement des menuiseries extérieures, rempla-
cement de l’escalier et réalisation de quelques amé-
nagements intérieurs pour les lots d’équipement.
Il la revend par le biais d’une agence immobilière
trois ans après, à un prix plusieurs fois supérieur à
son prix d’achat. Les acquéreurs se rendent vite
compte que les travaux de cette réhabilitation
présentent des défauts majeurs et assignent le ven-
deur pour vices cachés, malfaçons et impropriété à
destination.
Dans une seconde affaire, un propriétaire, ex-
cellent bricoleur, construit lui-même l’extension de
sa maison pour y créer une cuisine et un coin repas.
Les travaux sont impeccables: les plâtres sont lisses
et bien peints, les menuiseries, les carrelages,
l’électricité sont également irréprochables. En
toiture, un lanterneau d’éclairage de la pièce a
été installé avec un châssis de toit pivotant posé
horizontalement. Quelques années plus tard, le
bien est vendu. Dès la survenue de fortes pluies, l’ac-
quéreur constate des infiltrations d’eau passant
©2012 – Clément Chouteau – AQC
#
N.D.L.R. : les illustrations
proposées dans cette fiche
sont sans rapport avec
les affaires citées.
1 Traversée d’un relevé d’étanchéité
autour d’un lanterneau par un tube,
réalisée par le propriétaire et ayant
entraîné des infiltrations.
2 Cette descente d’eaux pluviales sur
une maison individuelle ne respecte
évidemment pas les Règles de l’art.
1 ©2012 – Salim Aichi – AQC
MARS / AVRIL 2017 • N° 161 • Q U A L I T É C O N S T R U CT I O N
entre l’ouvrant et le cadre dormant du châssis, pro-
voquant des coulures d’eau le long des parois de la
trémie. Une procédure est déclenchée, et un expert
est nommé.
Le jugement
Dans le premier dossier, le rapport de l’expert est
très net : les travaux réalisés par le vendeur ne
sont pas conformes aux règlements élémentaires,
ni même au simple bon sens. Les anomalies les
plus flagrantes sont les suivantes:
• les chutes d’eaux pluviales descendent droit dans
le sol, sans puisard de réception ni raccordement
à un réseau de collecte enterré, ce qui à court
terme ne peut qu’entraîner le minage du terrain
sous les fondations;
• les canalisations des réseaux d’eau et de chauf-
fage, plutôt que d’être isolées, sont posées sur
de l’isolant étalé au-dessus du plafond du rez-
de-chaussée, dans les combles (bien évidemment,
aux premiers gels, les tuyaux se sont fendus,
créant un dégât des eaux);
• l’escalier d’accès au comble est réalisé avec des
plaques de panneaux de bois aggloméré, sans
embrèvement, assemblées avec des vis inadap-
tées qui font éclater les rives des marches et des
contremarches. www
2
23
EXPERTISE
JUDICIAIRE

Fiche pratique
• LA RESPONSABILITÉ DES AUTO-CONSTRUCTEURS •

• le réseau d’électricité est non-conforme donc souscrite, et en cas de sinistre apparaissant après
dangereux et complètement à refaire; la vente, les constructeurs ou réparateurs non pro-
fessionnels seront amenés à garantir eux-mêmes
• les baies dans les murs extérieurs étant trop leurs ouvrages.
grandes pour les fenêtres préfabriquées que le
vendeur a achetées chez un marchand de maté- Rappelons que selon l’article 1792-1 du Code civil,
riaux, celui-ci a découpé des bandes dans des « est réputé constructeur de l’ouvrage, toute per-
plaques préfabriquées en béton destinées à mon- sonne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle
ter des clôtures, et les a collées contre les ébra- a construit ou fait construire».
sements des baies, formant ainsi les battées.
La plupart, voire la quasi-totalité des auto-construc-
teurs ignorent même que l’on doit être assuré et
que la réception d’un ouvrage doit être prononcée
(mais peut-on recevoir un ouvrage que l’on a
construit soi-même?).

L’auteur de l’article a eu le cas d’une maison indi-

Photo ci-contre:
Création d’une nouvelle menuiserie
dans une façade existante.
La baie a été réalisée par sciage de
la maçonnerie parpaing, la pose de
fenêtre est réalisée avant réalisation
d’un appui de fenêtre avec rejingot,
absence de fixations mécaniques
pour solidariser la nouvelle fenêtre
©2012 – Claire Alaphilippe – AQC
avec le mur, etc.
Le Tribunal a prononcé la résiliation de la vente et
a condamné le vendeur à rembourser l’acquéreur;
il a aussi jugé que l’agence immobilière, profession-
nel de l’immobilier, devait garantir le vendeur à POUR EN SAVOIR PLUS
hauteur des deux tiers de la somme.
Ouvrages disponibles
Dans le deuxième dossier, l’expert constate évi- • Les notes de jurisprudence
demment que le châssis est horizontal alors que ce rédigées par le Cneaf (Collège
national des experts architectes
type de fenêtre ouvrante doit présenter une pente.
français) dans la revue de l’Ordre
Il constate également que le vendeur a certainement Les cahiers de la profession.
repeint la paroi de la trémie dans le cadre de la vente
afin de masquer les coulures qui devaient néces-
sairement se produire. Il y a donc malfaçon et vice
caché. Le nouveau propriétaire ne demande pas la
résiliation de la vente mais l’obtention de la réduc- Agence qualité construction (AQC)
tion du montant du prix de la vente correspondant 29, rue de Miromesnil
au coût des travaux de mise en conformité. 75008 PARIS
www.qualiteconstruction.com
Le Tribunal condamne le vendeur à rembourser ce
montant à l’acquéreur. Cette fiche a été rédigée par
Alain Delcourt, membre
Les commentaires du Cneaf (Collège national des
Ces exemples amènent plusieurs réflexions sur experts architectes français)
l’assurabilité des auto-constructeurs ou auto- et expert près la cour d’appel
réparateurs qui construisent eux-mêmes pour de Douai.
eux-mêmes. Aucune assurance ne pourra être
viduelle construite avec un architecte titulaire d’une
mission complète, pour laquelle le maître d’ouvrage
avait acheté lui-même les menuiseries extérieures
(de bonne qualité) posées (correctement) par un
menuisier professionnel. L’assureur Dommages-
Ouvrage a demandé pour cette fourniture directe
une surprime, qui a été payée.
Dans une autre affaire en cours, un particulier
monte une petite opération de promotion immobi-
lière de 16 logements collectifs. Son banquier lui
conseille de confier à un professionnel une mission
d’Assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO), conseil
qu’il ne suit pas. Des marchés sont passés avec des
entreprises, mais subissant de multiples difficul-
tés – dont des liquidations judiciaires – avec celles-
ci, le particulier poursuit les travaux lui-même. L’as-
sureur Dommages-Ouvrage lui demande du coup
une surprime importante et celle-ci n’étant pas
payée, finit par suspendre sa garantie.
Autre cas de figure, les «castors» qui construisent
leurs propres habitations. Leur projet est évi-
demment de conserver ces maisons, mais avec les
aléas de la vie, ils peuvent être amenés à vendre
leur habitation avant les dix ans (sachant qu’il n’y
a pas eu de réception stricto sensu permettant de
fixer précisément la date de départ des garanties
biennale et décennale). Peuvent-ils espérer trou-
ver une assurance à un prix raisonnable lorsqu’ils
sont réunis en association?
La question se pose aussi lorsque le maître d’ou-
vrage se réserve une partie des travaux qu’il exécute
lui-même. Que se passe-t-il lorsque ces travaux
génèrent des désordres d’ordre décennal avec des
conséquences directes sur les travaux réalisés par
les entreprises professionnelles? ■
#

24 Q U A L I T É C O N S T R U C T I O N • N ° 1 6 1 • M A R S / AV R I L 2 0 1 7