Vous êtes sur la page 1sur 3

La présidence américaine a changé de style :

Les discours d’Obama et de Trump analysés par ordinateur


Jacques Savoy
Institut d’informatique, Université de Neuchâtel
Le 10 janvier B. Obama a prononcé son discours d’adieu, non pas à Washington mais à Chicago,
capitale de l’Illinois, état pour lequel il a été sénateur de 1996 à 2008. Comme le veut la tradition
pour un tel testament politique, le président a présenté et défendu son bilan dans lequel figure
l’assurance maladie universelle mais également le redressement de Wall Street, le sauvetage de
l’industrie automobile, la protection de l’environnement, la lutte contre le réchauffement
climatique (accord de Paris, 2015), et la lutte contre les inégalités. Dans deuxième temps, le
président dresse un panorama de l’avenir politique des États-Unis et de ses institutions.

Dans cette seconde partie, le président sortant met en garde ces concitoyens sur les dangers
menaçant la démocratie. En premier lieu, il insiste sur la propagation des fausses nouvelles (et ce
que l’on désigne également sous le terme de « fait alternatif ») qui renforce nos jugements
préconçus (et sont écrits dans cette optique). En deuxième, il souligne le risque de nier les
problèmes (par exemple, qu’il n’y a pas de réchauffement climatique), et rappelle l’importance de
l’immigration pour les États-Unis. Enfin, il met en garde les Américains sur le discrédit que l’on
porte aux institutions gouvernementales. En conclusion, B. Obama invite ces concitoyens à être
vigilants et à s’engager et, plus particulièrement pour les jeunes, de sortir du monde virtuel pour
être plus actif dans la vie réelle.

Grâce à nos ordinateurs, le style de ce dernier discours d’Obama (4 887 mots) présente une
continuation que l’on rencontre dans l’usage très fréquent du « nous » (we, 238 occurrences). Ce
pronom s’avère en fait le mot le plus fréquent et se retrouve dans le slogan yes, we can! Cette
fréquence très élevée constitue une caractéristique du style d’Obama, mais ce pronom apparaît de
manière récurrente chez les présidents ou premiers ministres en exercice.

Comme élément novateur dans ce discours d’adieu, on rencontre le pronom « vous » (you, 102
occurrences) avec une répétition élevée mais également la négation (not, 61 occurrences) et le
terme « démocratie » (22 apparitions). Ce discours recourt également abondamment au temps
présent et à des termes cognitifs (je pense, je crois, etc.).

Dix jours plus tard, D. Trump a prononcé le 58e discours d’investiture devant le Capitole. Pour
une présidence, ce discours revêt une importance particulière car il indique les grandes lignes de la
future politique du président, révèle son analyse de la situation et fixe les objectifs pour la nouvelle
administration. Le style et la rhétorique accompagne cet exercice afin de l’embellir, de souligner
un passé glorieux, d’ajouter des émotions et d’annoncer un avenir radieux. Comme chef-d’œuvre,
on peut citer celui prononcé par J. F. Kennedy (1961) avec sa phrase célèbre « Chers concitoyens,
ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour
votre pays. »

Dans sa forme, le discours de D. Trump s’avère bref (16 minutes pour 1 661 mots). Dans l’après
deuxième guerre mondiale, cette longueur minimale est juste dépassée par le discours d’investiture
de J. F. Kennedy (1961, 1 505 mots) et celui de J. Carter (1977, 1 365 mots).
En analysant la fréquence des mots, on constate que D. Trump utilise le plus souvent le « nous »
(we, our) avec 99 occurrences (soit 6 % du discours contre le 5 % du dernier discours d’Obama).
Le « je/moi » (I, me, my) qui était si récurrent lors de sa campagne électorale s’est effacé
(seulement deux occurrences). Le changement de style s’est opéré. En comparaison avec tous les
autres discours inauguraux, le pronom « vous / votre / vos » (you) en tant que référence au peuple
atteint une fréquence très élevée. D. Trump insiste pour dire que ce n’est point sa victoire, mais
votre victoire, le triomphe du peuple (« je me battrai pour vous », « votre voix », « vos espoirs »,
« vos rêves »).

Un autre terme très usité par le nouveau président est America / American qui avec ses 34
occurrences se place en septième rang par ordre de fréquence. Le slogan « America first » ne sera
pas limité à la campagne électorale mais servira certainement de guide aux décisions de la
nouvelle administration. En effet, ce discours contient la phrase : « Toutes les décisions en
matière de commerce, de taxes et impôts, d’immigration ou d’affaires étrangères seront prises au
profit des travailleurs américains et des familles américaines. »

En contre-point, on notera qu’aucun autre nom géographique spécifique ne sera prononcé


(Mexique, Chine, Russie, Europe) sauf Washington. Le centre d’intérêt spatial se limite aux États-
Unis. Va-t-on passer au « Only America » car le mot America s’accompagne des termes pays
(country, 9 occurrences) et nation (9 occurrences). Le terme (other) countries (autres pays au
pluriel) se retrouve associé avec des vocables négatifs (ravage, triste). Finalement, avec le mot
« frontières » (borders) on associe « rétablies » et « défendues ». Le nationalisme fait-il un retour
triomphant au 1600 Pennsylvania Avenue ?

Comme businessman, il se préoccupe surtout du secteur industriel. Ainsi, si on retrouve les termes
industries ou factories, les lemmes « banque », « assurance », « automobile », « pétrole »,
« importations » et « exportations » sont ignorés. Aucune mention du budget, de la justice, de la
science, et une seule occurrence de l’immigration, des taxes et impôts (indiquée ci-dessus).

En écho au « vous », le terme « peuple » (people) apparaît neuf fois et D. Trump souligne ainsi son
rôle central et primordial. Ce dernier s’oppose clairement à l’establishment des politiciens de
Washington. Dans cette perspective, notre système a extrait comme phrase caractéristique de ce
discours la suivante « Leurs [des politiciens de Washington] victoires n'ont pas été vos victoires ;
leurs triomphes n'ont pas été vos triomphes ; et pendant qu'ils faisaient la fête dans notre capitale
nationale, il n’y avait rien à fêter pour les familles en difficulté partout dans notre pays. ». Serait-
ce le début d’une confrontation entre le Congrès et la Maison Blanche ?

En examinant des variables linguistiques, on se rend compte que ce discours se distingue par
l’emploi surabondant du futur. Après l’allocution de Grant (1869), ce discours arrive en deuxième
position dans le suremploi de ce temps verbal. De plus, il s’inscrit dans un ton très concret (peu
d’abstraction, choix de mots simples) et possède un accent de satisfaction (avec les termes comme
victoire, fête, etc.) qui inclut l’ensemble du peuple (par exemple, avec les termes ensemble,
chacun, et, tous). Comparés aux présidents depuis 1945, la tonalité générale s’avère plus
pessimiste avec ses nombreuses expressions négatives (comme non, triste, tombé, désuet).

À l’image des présidents Bush (fils) ou Nixon, D. Trump emploi de manière intensive des termes
sacrés liés à la nation américaine (Amérique, loi, peuple, constitution, pays, nation). Si l’on y
retrouve que très peu de termes reliés à la famille, la référence à Dieu demeure présente mais avec
une fréquence moindre que ces prédécesseurs républicains (« l’Amérique peuple de Dieu » ou
« protégé par Dieu »).
D. Trump a annoncé être l’auteur de ce discours inaugural. On peut en douter. Toutefois, tout
homme de plume sait s’effacer devant la personne qui prononce son texte. Il s’avère donc difficile
de découvrir de façon certaine le véritable auteur. Toutefois quelques mesures stylométriques
pointent en direction d’un homme de plume. En effet, la longueur moyenne des phrases de ce
discours inaugural s’élève à 16,6 mots, une valeur proche de celle que nous retrouvons dans les
allocations électorales de D. Trump (15,4). Dans ses interventions orales, D. Trump possédait une
la longueur moyenne se situant à 12,2 mots / phrase. La différence est importante. À titre de
comparaison, Hillary Clinton possédait une longueur moyenne de 16,3 mots par phrase à l’oral et
de 17,8 mots dans ses discours. Ces deux valeurs restent assez proche indiquant que H. Clinton
suivait de près la rédaction de ses discours.

Vous aimerez peut-être aussi