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La présidence Trump

a été publié sous la direction littéraire de Jean Pichette.

Illustration de la couverture : Christian Ti et


Mise en pages : Jolin Masson
Adjointe à l’édition : Coralie Baudet
Direction de la production : Marie Lamarre
Révision : Andrée Laprise
Correction : Laurence Taillebois

© Serge Tru aut et les éditions Somme toute


ISBN : 978-2-89794-005-8 ♦ epub : 978-2-89794-110-9 ♦ PDF : 978-2-89794-109-3

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Dépôt légal – 2e trimestre 2019


Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada

Tous droits réservés


Imprimé au Canada
TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS
Chapitre 1
JANVIER 2017 : DÉBUT DU CARNAGE
Chapitre 2
HEUREUX COMME UN NAZI QUI…
Chapitre 3
FÉVRIER 2017 : AUX ABRIS OU AUX BARRICADES
Chapitre 4
MARS 2017 : DONALD ET LE POT AU LAIT
Chapitre 5
LE TRIOMPHE POST-MORTEM DE JACKSON
CHAPITRE 6
AVRIL 2017 : LE COMMANDO DES RICHES
Chapitre 7
DARTH VADER S’INSTALLE À LA MAISON-BLANCHE
CHAPITRE 8
MAI 2017 : TRUMP ET LES BRUTES
Chapitre 9
JUIN 2017 : NON À L’ACCORD DE PARIS
Chapitre 10
LE JUGE ET LE SALAFISTE
Chapitre 11
JUILLET 2017 : LE DILEMME CORÉEN
Chapitre 12
DESTITUTION ! VOUS DITES ?
Chapitre 13
Û
AOÛT 2017 : RENVOI DU FORT EN GUEULE
Chapitre 14
SEPTEMBRE 2017 : LE NERF CORÉEN
Chapitre 15
LES ABÎMÉS DE DULUTH, MINNESOTA
Chapitre 16
OCTOBRE 2017 : 59 PERSONNES TUÉES
Chapitre 17
JOE SIX-PACK HABITE BUTTE, MONTANA
Chapitre 18
NOVEMBRE 2017 : LES FAUX JETONS
Chapitre 19
DÉCEMBRE 2017 : A-T-IL TOUTE SA TÊTE ?
Chapitre 20
LE RICHE PREND LE FRAIS À CŒUR D’ALENE, IDAHO
Chapitre 21
JANVIER 2018 : LE CULTE DE SA PERSONNALITÉ
Chapitre 22
FÉVRIER 2018 : QUEUE DE POISSON
Chapitre 23
MARTIN LUTHER EST LE ROI D’IRON MOUNTAIN, MICHIGAN
BIBLIOGRAPHIE
Les impôts sont ce que nous payons
pour vivre dans un pays civilisé.
W O. H
Juge à la Cour suprême
des États-Unis, de 1902 à 1932

Nous sommes tous des accidents géographiques.


M
AVANT-PROPOS

À la veille comme à l’avant-veille du scrutin présidentiel du 8 novembre


2016, tout un chacun savait que si Donald Trump l’emportait, il serait
un président hors normes, voire le Batman de la théorie du chaos qui
aiguise l’extase chez tout libertarien qui se respecte. Cette certitude
découlait de deux faits passablement singuliers qui étaient également
des postures. Le premier est à ranger à la rubrique des tabous éventrés.
Le deuxième appartenait à la catégorie des indi érences pour ne pas
dire du je-m’en-foutisme, au demeurant dangereux quand on sait que la
parole du chef de l’exécutif traverse les méridiens à la nanoseconde.
Le tabou ? Trump s’est avéré le premier candidat à aborder et quali er
la santé mentale de son adversaire. Depuis la n des années 60, tous les
prétendants au trône avaient respecté la règle Goldwater, une règle non
écrite qui interdisait à chacun de traiter l’autre de fou, de tête de nœuds.
Plus loin, on détaillera la règle en question.
Toujours est-il que lors de la campagne, Trump, qui, faut-il le rappeler,
n’avait jamais occupé un poste d’élu, traita Hillary Clinton de
détraquée. Puis il embraya en martelant qu’elle était trop déséquilibrée
pour combattre avec doigté et intelligence le terrorisme islamiste.
Comme on le verra, cette entorse aux conventions du respect que
commande la démocratie dans le sens le plus grec du terme aura un
e et boomerang salutaire.
L’indi érence ? Une fois les primaires terminées, une fois les
nalistes choisis, ces derniers s’appliquent illico à la constitution de
leurs équipes de transition. La suite on la connaît. L’équipe du gagnant
est initiée par l’administration sortante aux dossiers importants ou
sensibles. Bref, les uns et les autres préparent le passage du témoin
toujours prévu pour n janvier.
Avec Trump, il en fut autrement. En un mot, il ne s’est jamais
préoccupé de la formation de son comité et encore moins de son
mandat. Cette opération fut menée à l’enseigne du dilettantisme, de l’à-
peu-près, jusqu’à la victoire. Au lendemain de celle-ci, l’improvisation,
la précipitation furent de mise.
Dans les semaines suivant son élection, un constat, d’ailleurs
inquiétant, devait con rmer que Trump serait hors normes dans le sens
le plus irrégulier du mot. Grâce aux con dences récoltées par des
journalistes, on apprenait que Trump se distinguait par un sacré dé cit
d’attention.
C’est bien simple, au lendemain d’une élection présidentielle la CIA
dépêche auprès du gagnant un émissaire qui remet un rapport sur l’état
du monde et le commente. On dépêche également un initié à la
constitution et à la ribambelle d’amendements qui l’accompagnent, a n
que le vainqueur ne soit pas pris au dépourvu sur ce anc.
Dans un cas comme dans l’autre, les personnes concernées devaient
observer qu’après cinq minutes, Trump était aux abonnés absents.
Comme si ses neurones avaient décidé d’a cher leur préférence pour
les rêves que miss Morphée fabrique à la tonne.
Bien. Comme il avait été décidé de composer le récit de la présidence
Trump au lendemain de sa victoire, on s’est employé évidemment à
entamer la recherche a érente dès le 9 novembre 2016. Puis, lorsqu’à la
faveur du ballet des nominations, entre autres choses, on a réalisé que
notre homme était plus détonnant que surprenant, on a convenu que la
méthodologie commandée par cette aventure éditoriale au long cours –
4 ans ! –, devrait être la plus totale possible. Évidemment…
Évidemment, on a fréquenté jour après jour les sites des grands
quotidiens, on a fréquenté tout aussi quotidiennement les centres de
ré exion, épluché des livres, décrypté des documentaires, suivi des
cours d’universités en ligne – extrêmement instructifs pour ce qui a
trait à la toile de fond –, puis on a sillonné le pays. D’est en ouest, puis du
nord au sud et en zigzags.
Résultat ? De ce premier tome de la présidence Trump, on vous
épargnera la litanie des lieux communs, « genre-comme » : on espère
que la lecture sera instructive, etc. Car ce récit est à l’image de
l’homme : déprimant ! Vous voilà prévenu.
Chapitre 1

JANVIER 2017 :
DÉBUT DU CARNAGE

Le 20 janvier 2017, Donald Trump, cheveux jaunis en poupe et cravate


rouge des courtiers en valeurs diverses, a prêté serment devant le
régisseur des saintes écritures américaines : le juge en chef de la Cour
suprême, John Roberts. Dans les jours précédant cette cérémonie, le
futur 45e président des États-Unis avait exigé de jurer délité à la
Constitution sur la Bible d’Abraham Lincoln. Puis le jour J, aux
alentours de midi, il déposa un autre livre sur cette Bible. Il faisait ainsi
un geste éminemment singulier, voire troublant, quand on sait combien
la conjugaison de la foi et de la politique est en ce pays sacralisée.
Il déposa sur la Bible de Lincoln celle que sa mère lui avait o erte
pour son neuvième anniversaire. D’origine écossaise, Mary Anne
Trump, née MacLeod, appartenait à la branche la plus austère des
presbytériens, appelée Wee Frees. Pour ces derniers, les épiscopaliens,
les pentecôtistes, les anglicans, ces a reux papistes de catholiques et
autres sont des moins que rien puisque ce sont des libertins. À l’inverse,
ces derniers estiment que les Wee Frees sont habités par une
conception si violente de la sévérité qu’ils forment le contingent des
contradicteurs fanatiques du message de paix cher à Jésus. Bref, ils sont
considérés comme dangereux. Pour faire bonne mesure, on se
rappellera que Jean Calvin fut le premier des presbytériens. On
rappellera également que Donald Trump voue à sa mère un culte qui se
confond avec l’idolâtrie. Ce président étant, comme les autres, un
croyant, on ajoutera que son père, d’origine allemande, appartenait à
l’Église luthérienne. Quoi d’autre ? Ce père, catégorie fouettard, était
antisémite. Il était également raciste, ainsi qu’en témoigne la
discrimination à l’endroit des Noirs érigée en philosophie de gestion de
son vaste parc immobilier locatif à New York.
Après avoir juré délité à la Constitution, le nouveau chef de
l’Exécutif prononça un discours inaugural détonnant. Un discours
caractérisé par sa brutalité inouïe, si on le compare à ceux de ses
prédécesseurs, dont plusieurs étaient assis juste derrière lui. En e et,
étaient présents Jimmy Carter, Bill Clinton, George W. Bush et Barack
Obama. Pour cause de maladie, Bush père était absent. En présence de
Carter et de ses homologues, Trump injuria l’histoire récente de son
pays, sa situation sur la scène internationale, l’état de son économie. En
d’autres termes, il a rudoyé la réalité des choses made in America et
donc ses prédécesseurs assis derrière lui.
Ce discours, d’une importance que l’on sait particulière, car vu et
entendu dans le monde entier, Trump l’a amorcé en prenant carrément
le contrepied de celui formulé au même endroit par John F. Kennedy,
avant d’introduire une référence appuyée à celui prononcé par Ronald
Reagan. Là où Kennedy estimait que les citoyens ne devaient pas se
demander ce que le gouvernement pouvait faire pour eux, mais bien ce
qu’eux pouvaient faire pour lui, Trump servit la sentence suivante : « Ne
vous demandez pas ce que pouvez faire pour le gouvernement, mais
bien ce que le gouvernement a fait pour vous. » Reagan ? « […] dans la
présente crise, le gouvernement n’est pas la solution à notre problème ;
il est le problème ».
L’adresse à la nation qui s’ensuivit fut ponctuée de tous les expédients
qui fondent le lugubre, le glauque. Devant Carter et consorts, on insiste,
Trump, s’a chant comme une victime (sic) des circonstances, a rmait
qu’il lui incombait « de reconstruire le pays et de restaurer ses
promesses pour tout le peuple », ce dernier ayant été abusé par l’élite.
Car « l’establishment se protège lui-même, mais pas les citoyens de
notre nation. Leurs victoires n’ont jamais été vos victoires. Leurs
triomphes ne sont pas vos triomphes […] tout cela va changer ici et
maintenant. »
Il en allait ainsi parce que les États-Unis « subissent le carnage
perpétré par d’autres pays qui fabriquent nos produits, volent nos
entreprises et détruisent nos emplois ». La réalité ? Les entreprises
américaines n’ont jamais été aussi prospères, les indices boursiers
américains n’ont jamais été aussi élevés, les marges béné ciaires n’ont
jamais été aussi prononcées. Autrement dit, les entreprises américaines
pro tent très bien des règles inhérentes à cette mondialisation voulue
par les gouvernements successifs depuis Reagan. On retiendra en n
que, lors de son allocution, le taux de chômage avoisinait les 5 %, soit
sous le taux de chômage structurel ! Précisons qu’il s’agit dans une
bonne proportion de Mac’s Jobs.
Sur le anc de la défense, les États-Unis, dixit Trump,
« subventionnent les armées des autres pays, favorisant ainsi le triste
épuisement de notre armée ». La réalité ? Jamais ce pays n’a été aussi
puissant, car son budget militaire (plus de 600 milliards de dollars par
an en moyenne) est plus élevé que celui combiné des 9 nations qui
gurent au tableau des 10 puissances militaires du monde.
Produit de la trahison des élites, dont les présidents derrière lui, le
carnage en question a dévasté les centres-villes, continuait-il, alors que
les statistiques démontrent que le pays n’a jamais été aussi sécuritaire.
Paradoxe des paradoxes, il a dépeint une Amérique urbaine prisonnière
de la violence, alors qu’il s’est posé durant sa campagne comme depuis
sa victoire comme le président qui défendrait avec ardeur les intérêts
ou positions de la National Ri e Association (NRA).
Cette dissertation rythmée par la fureur et l’excès sera conclue en
reprenant le slogan de Reagan – Let’s make America great again – en
promettant ensuite la réincarnation « d’une nouvelle erté nationale »,
avant de marteler « qu’à compter d’aujourd’hui, ce sera l’Amérique
avant tout. L’Amérique avant tout. » Cette exclamation très nationaliste
devait en choquer plus d’un, car elle se révélait l’écho d’une devise à
l’origine nauséabonde.
Dans un commentaire publié ce même jour par le Washington Post,
Eric Rauchway, professeur d’histoire à l’université de Californie,
précisait que le slogan « America rst », ou l’Amérique avant tout, avait
été celui des Américains favorables aux nazis dans les années 1930, dont
l’aviateur Charles Lindberg fut le porte-parole vedette. Toujours selon
l’historien, le baron de la presse William Randolph Hearst avait une
telle a ection pour le régime nazi, combinée à une haine féroce de
Franklin D. Roosevelt, qu’il jugeait « plus communiste que les
communistes » européens, qu’il avait exigé qu’on utilise régulièrement
dans les colonnes de ses journaux l’expression « America rst ».
Dans les semaines ayant suivi sa candidature aux primaires
républicaines, soit en août 2016, Trump s’appliqua à dire et à répéter ce
slogan jusqu’à ce que l’Anti-Defamation League sorte sur la place
publique pour lui demander de le mettre en sourdine. Trump
obtempéra. Mais bon, comme le devoir de mémoire n’est nulle part
inscrit dans la Constitution des États-Unis, il ne s’est pas privé de
prononcer le slogan en question à plus d’une reprise dans la conclusion
de son discours d’investiture.
LE CAPRICE NO 1
Au lendemain comme au surlendemain de cette cérémonie, Trump, ses
conseillers Steve Bannon et Kellyanne Conway ainsi que son porte-
parole Sean Spicer devaient tordre le cou à la matérialité des faits en
concoctant une légende digne du bas Moyen Âge. C’est tout simple, la
vanité étant le squelette moral de ce président, il lui était insupportable
d’entendre ou de lire des reportages assurant que l’assistance à la
cérémonie d’investiture fut la plus faible de l’histoire récente. Spicer le
premier devait manier les vices inhérents aux sophismes dans le but
d’amputer la vérité.
Aux journalistes présents à sa première conférence de presse, Spicer
a rmait qu’ils « ont produit délibérément des faux reportages » et que
« nous devrions rendre la presse imputable », car « l’assistance fut la
plus importante jamais constatée lors d’une inauguration. Point. » En
fait, selon le porte-parole, « toutes ces tentatives pour amoindrir
l’enthousiasme de l’inauguration sont honteuses et fausses ». Il faut
préciser qu’en matière d’audience, celle comptabilisée lors du discours
de Trump fut concurrencée dès le lendemain par des manifestations
organisées dans les grandes villes américaines contre le nouveau
locataire de la Maison-Blanche et notamment contre sa misogynie.
Jamais, c’est à retenir, le nombre de participants à ces contestations ne
fut aussi imposant que depuis les marches contre la guerre du Vietnam.
Malgré les clichés qui prouvaient, entre autres, que l’assistance aux
investitures d’Obama fut de loin supérieure à celle de Trump, malgré les
inventaires e ectués par les experts en ces a aires, malgré les mille et
un reportages, le culte du chef qui habite ses proches devait produire
son lot de bêtises, d’insanités et de propos passablement dangereux.
C’est à Kellyanne Conway que l’on doit le dérapage intellectuel le plus
stupide et le plus spectaculaire qui soit. En réponse à une question
posée par l’animateur de l’émission Meet The Press du réseau NBC,
concernant les dénégations de Spicer, Conway, alias Fatal Attraction
selon Saturday Night Live, évoquait pour la première fois l’existence de
« faits alternatifs ».
En d’autres mots, madame Conway s’évertua à mépriser l’intelligence
de millions de téléspectateurs en gre ant de l’absurdité aux discussions
qui ont cours quotidiennement dans le bureau ovale. Sa prestation t
penser à un célèbre détournement littéraire : Jules Verne rédigea Le
Tour du monde en 80 jours ? Un siècle plus tard, l’écrivain Julio
Cortazar, maître en fantastique, y t écho en rédigeant Le Tour du jour
en 80 mondes. C’est dit.
Dans la foulée de la polémique que suscita illico ce recours aux faits
alternatifs, le monde fut témoin d’une série d’épisodes menaçant
jusqu’aux colonnes de la démocratie. À la faveur d’un de ses « tweets »
grammaticalement mesquins puisqu’ils réduisent la pensée que l’on
peut avoir sur un sujet à une proposition principale et deux
subordonnées au grand maximum, Trump donna le signal d’une
o ensive très agressive contre les médias en avançant que les
journalistes « sont les gens les plus malhonnêtes qui existent sur
terre ».
Il n’en fallait évidemment pas plus pour que Bannon, l’ex-patron du
site d’information poubelle Breitbart, lui emboîte le pas en alimentant
avec violence la haine des médias. Lui qui d’habitude s’abstient de
donner des entrevues sollicita le New York Times a n de souligner tout
d’abord que les médias « devraient se taire ». Ensuite ? « Je veux que
vous me citiez là-dessus : les médias forment le parti de l’opposition. Ils
ne comprennent rien au pays. Ils n’ont toujours pas compris pourquoi
Donald Trump est président. »
« L’élite des médias s’est lourdement trompée […] elle s’est trompée à
100 %. Vous avez été humiliés. » Et que penser de Spicer et de son dé cit
de crédibilité conséquent à ses commentaires sur l’inauguration ?
Bannon : « Vous vous moquez de moi ? Nous pensons que c’est un badge
d’honneur. Questionner son intégrité… les médias vous avez zéro
intégrité, zéro intelligence. Vous ne travaillez pas. C’est vous le parti
d’opposition et non le Parti démocrate. Oui vous êtes l’opposition. »
Cette agression contre les médias, Trump et les siens devaient la
mener simultanément à une tentative d’imposition d’un autre fait
alternatif, donc à ranger à la rubrique des pensées déjantées. Lors d’un
entretien accordé au journaliste David Muir du réseau ABC, Trump est
allé jusqu’à marteler que s’il avait perdu le vote populaire lors de
l’élection de novembre, c’est tout simplement parce que des millions de
gens avaient fraudé. Après quoi il asséna : « Mais vous savez ce qu’il y a
d’important ? Des millions de gens sont d’accord avec moi quand je dis
cela. » Cette posture logeant à l’enseigne de la victimisation à outrance
devait ulcérer l’ONG Campaign Legal Center (CLC) qui rassemble des
sommités universitaires en droit de vote et mécanismes électoraux.
Dans un communiqué publié le 25 janvier, Gerry Hebert, directeur de
la division droits de vote et carte électorale du CLC, soulignait que les
« réclamations de Trump ont été constamment démysti ées et
contraires aux évidences qui démontrent clairement qu’il n’y a pas eu
de vaste fraude. En faisant des déclarations fausses et irresponsables et
en nommant Je Sessions à la tête du ministère de la Justice à une
époque où nous n’avons plus les pleines protections de la Loi sur le
droit de vote, le président Trump lance une attaque tous azimuts contre
le droit de vote. »
Après quoi, M. Hebert rappelait les conclusions de deux études
récentes consacrées aux possibles fraudes électorales. La première
porte la signature de la Republican (Républicain !) National Lawyers
Association qui, après avoir analysé toutes les élections tenues dans
21 États entre 2000 et 2010, est parvenue à la conclusion qu’il y avait eu
une ou peut-être deux irrégularités. La deuxième étude e ectuée, elle,
par le Brennan Center for Justice a constaté qu’il y avait eu 31 fraudes
sur le milliard de votes comptabilisés lors des divers scrutins des
récentes années.
Comme l’objectif à peine feint de Trump et de son ministre de la
Justice est de réduire à moyen terme les pouvoirs dont disposent les
autres paliers gouvernementaux en matière électorale, Gerry Hebert
soulignait que l’administration Bush, qui avait caressé un temps une
réduction des droits de vote, avait commandé une vaste enquête.
Résultat ? Les responsables n’ont trouvé aucun fait propre à
commander une réforme électorale.
LE REPLI ET LES COLÈRES
Au cours de la première semaine après son entrée en fonction, Trump,
nationaliste chez qui la èvre du chauvinisme est particulièrement
aiguisée, nationaliste cultivant la mentalité de l’assiégé, s’est évertué à
prendre le contre-pied de politiques antérieures et plus
particulièrement celles portant l’empreinte d’Obama. Ce faisant, en
moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il s’aliénait une foule de
dirigeants à travers le monde.
Le 23 janvier, il signait le décret stipulant que les États-Unis se
retiraient du Traité de libre-échange Asie-Paci que. Ici, rappelons qu’il
mettait entre parenthèses une politique, une idée, une philosophie
économique introduite sur la scène mondiale, pour ne pas dire
imposée, par ses prédécesseurs et dont Ronald Reagan fut le
précurseur. Comprenne qui pourra.
Le 24 janvier, il in rmait la décision d’Obama en donnant son aval à la
construction des pipelines Keystone XL et Dakota Access et con rmait
de facto qu’il était un climatosceptique. Ce faisant, il révoltait la nation
Sioux du Dakota. À cet égard, deux faits doivent être retenus : il avait
nommé un contrôleur chargé de faire le tri, pour ne pas dire censurer,
parmi les études réalisées par les scienti ques de l’Energy Protection
Agency à la tête de laquelle il a propulsé Scott Pruitt, avocat en chef du
camp qui nie le réchau ement climatique. Et d’une.
Et de deux, comme conseiller aux dossiers énergétiques, il a choisi
Harold Hamm réputé être le roi de la fracturation comme méthode de
récupération du gaz de schiste. Après quoi, Trump ordonnait un gel des
travaux de recherche accomplis par l’Environmental Protection Agency
(EPA) ainsi que des bourses de thèse. Ce faisant, il provoquait une forte
mobilisation des scienti ques à travers tout le pays.
Le même jour, il amendait le décret d’Obama visant l’interdiction des
prisons secrètes où l’on pouvait torturer à tout va, si l’on ose dire.
Encore le 24 janvier, il prescrivait la suspension, si chère au bigot en
chef de l’administration qu’est le vice-président Mike Pence, des
subventions allouées aux ONG versées en planning familial et
n’excluant pas le recours à l’avortement.
Le lendemain, il exigeait la réduction et parfois la suppression de la
contribution nancière de son pays à plusieurs agences internationales,
dont certaines rattachées à l’ONU. Au cours de cette journée, il
téléphonait – en fait il agressait verbalement – au président du
Mexique, Enrique Pena Nieto à propos du mur qu’il veut construire le
long de la frontière commune à ces deux pays et pour lequel le Mexique
devra, selon lui, payer les coûts. Quasi simultanément, on retiendra
qu’il avait également admonesté le premier ministre de l’Australie.
Auparavant, à la faveur d’un entretien accordé à deux journalistes
européens – un Britannique et un Allemand –, Trump s’était évertué à
métamorphoser l’Europe en général et l’Allemagne en particulier en un
adversaire dont il espère encore et toujours l’implosion. Lui,
l’Américain ne veut plus de cette Europe dont l’architecture politique a
été dessinée en grande partie à Washington dans les années 1950 a n
qu’elle soit et demeure une puissance économique, mais surtout pas
politique. Bref, les Britanniques aidant, l’Europe était et reste avant
tout une vaste zone libre-échangiste, les politiques en matière de
défense et d’a aires étrangères restant embryonnaires.
Aux journalistes, il martelait que l’OTAN était obsolète et l’OMC un
désastre. Puis, le propriétaire de golfs et d’hôtels en Écosse et en
Irlande, qui à ce titre doit observer des règles édictées par l’Union
européenne (UE), laissait entendre qu’il préférerait négocier avec
chaque pays du Vieux Continent plutôt qu’avec l’UE, qu’il considère
comme une alliance dont l’objectif est un a aiblissement économique
des États-Unis. Une alliance menée par l’Allemagne qui, par ailleurs,
poursuit une politique d’accueil des migrants qui n’est rien de moins
que « désastreuse ». Quoi d’autre ? L’alliance des États-Unis avec
l’Europe n’est plus une certitude.
Cette diatribe anti-européenne aura fait le bonheur de Poutine mais
éveillé le dépit, voire la colère, des dirigeants de l’UE. Notamment de
Donald Tusk, président du Conseil européen, qui, dans une lettre
adressée aux 27 chefs d’État et de gouvernement des États membres de
l’UE, stipulait que « les déclarations incendiaires » de Trump rendaient
« l’avenir de l’Europe incertain », car il venait de « remettre en question
70 ans de politique étrangère américaine ».
Patron de la Fédération des industries allemandes, autrement dit
patron des patrons allemands, Markus Kerber se fera remarquer en
jugeant que la politique nationaliste de Trump « menace notre
prospérité » comme « jamais en 60 ans ». Après quoi, dans un éditorial
de l’in uent hebdomadaire Der Spiegel intitulé « Défendre les valeurs
de l’Ouest. Pour la construction d’un front international contre
Trump », Kerber estimait que le président des États-Unis « parle
comme une caricature » et qu’il est de fait « un danger pour notre
civilisation », car il met « nos valeurs en hibernation ». Puis, il concluait
« il faut construire un front contre Trump », car « nous n’avons pas
d’autre choix que de défendre avec force nos intérêts et nos principes ».
Cette multiplication de coups de semonce sur le front international
aura eu une conséquence terrible, et d’ailleurs trop peu soulignée, pour
le secrétariat d’État et donc pour la politique étrangère des États-Unis.
Le 25 janvier tous les sous-secrétaires d’État ainsi que les directeurs de
divisions, soit tous les mandarins du ministère, remettaient leur
démission, histoire de signi er leur profond désaccord avec la
philosophie de Trump. Le départ de personnes très expérimentées et
ayant servi aussi bien les présidents démocrates que républicains aura
évidemment des répercussions dans la gestion des relations
internationales.
Cette cascade de démissionnaires, qui soit dit en passant sont d’autant
plus di ciles à remplacer que le privé n’en forme pas, aura mis en
lumière le socle de la philosophie de Trump pour tout ce qui a trait aux
a aires internationales : la combinaison du repli et de l’égoïsme. En fan
inconditionnel d’Ayn Rand, la sainte patronne des libertariens, la
déesse de l’autolâtrie, l’apôtre de l’insensibilité qui fait paraître Thomas
Hobbes pour un brave chef scout, Trump s’est posé d’entrée de jeu en
président de la sécheresse ou de l’introversion. C’est au choix.
SUS AUX RÉFUGIÉS !
Dans l’après-midi du vendredi 27 janvier, Bannon retrouvait Trump
dans le bureau ovale. Seuls, c’est à noter, ils s’attelaient à la rédaction
d’un mémorandum particulièrement chargé, car émaillé de leurs
préjugés. Intitulé Protection of The Nation From Foreign Terrorist Entry
Into The United States, cet ordre était rendu public dans les heures
suivantes. Singularité du protocole employé par ce duo ? Le texte n’a
pas été soumis, comme il se doit en pareilles circonstances, à l’examen
juridique et à l’assentiment du contentieux du ministère de la Justice.
Le document exigeait donc le bannissement des citoyens de sept pays
musulmans qui souhaitaient venir aux États-Unis. Il s’agissait plus
exactement de pays du Proche et du Moyen-Orient, soit l’Irak, l’Iran, le
Liban, la Syrie, le Soudan, la Somalie et la Libye. Ces pays ont ceci de
commun que Trump n’y détient aucun golf ou hôtel contrairement à
d’autres pays comme l’Arabie Saoudite, l’Égypte, la Turquie et Dubaï. Et
alors ? Les ressortissants de ces dernières nations ne sont pas visés par
cet ordre, alors que tout un chacun sait que des citoyens égyptiens et
saoudiens furent les acteurs des attentats du 11 septembre auxquels
Trump et Bannon faisaient référence. Tout le monde sait également
que les principaux nanciers de la nébuleuse terroriste sont des
Saoudiens.
Cet aspect du dossier aura pour conséquence immédiate le dépôt
d’une plainte émanant de Citizens for Responsability and Ethics in
Washington (CREW). Dans son argumentation, le porte-parole de cette
organisation, Jordan Libowitz, avançait que Trump « doit vendre ses
commerces en dehors du cercle familial et déposer ses autres actifs
dans une ducie. Car il a violé la Constitution », en épargnant les pays
où il poursuit des a aires.
Plus fondamentalement, le décret de Trump se révélait la première
restriction à la politique d’immigration depuis 1965 et surtout la
première interdiction basée sur la religion. En 1924, le président Calvin
Coolidge, inspiré par les théories eugénistes, racistes, alors en vogue en
Allemagne et au Royaume-Uni, avait limité l’entrée des Italiens et des
Juifs d’Europe centrale sous prétexte qu’ils étaient socialement
inadaptés. Il s’agissait, on le répète, d’une limitation et non d’une
interdiction. Cela étant, on ne peut s’empêcher de souligner mille fois
plutôt qu’une que Calvin Coolidge, surnommé Silent Cal parce qu’il
faisait le strict minimum en tant que chef de l’Exécutif, était et reste le
héros des Républicains.
Sur un plan hautement symbolique, l’agression de Trump à l’endroit
des immigrants contredisait violemment une des valeurs sur lesquelles
des générations d’Américains se sont appuyées a n de mettre en relief
ce qui distinguait leur pays de bien d’autres. En e et, sur le bas-relief de
la statue de la Liberté, porte d’entrée qui a frappé l’imaginaire de
millions d’individus à travers le monde, on peut lire : « Give me your
tired, your poor/Your huddled masses yearning to breathe free/The
wretched refuse of your treeming shore./Send these, the homeless,
tempest-tossed to me,/I lift my camp beside the golden door. » Soit :
« Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres/Envoyez-moi vos cohortes qui
aspirent à vivre libres,/Les rebuts de vos rivages surpeuplés/Envoyez-
les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte/De ma lumière,
j’éclaire la porte d’or. »
Il va sans dire que le geste de Trump a heurté, voire révolté, les
ressortissants de ces pays, les Irakiens au premier chef. Il se trouve que
la très grande majorité de ces derniers espérait s’installer aux États-
Unis, car ayant collaboré et parfois combattu aux côtés des forces
américaines lors de la guerre civile conséquente au renversement de
Saddam Hussein, leur vie était tout simplement menacée.
C’est d’ailleurs au nom du danger auquel serait exposé tout individu
renvoyé dans son pays d’origine que la juge Ann Donnelly, de la Cour
fédérale du district de Brooklyn, va suspendre l’application de l’ordre de
Trump dans la soirée du 29 janvier. Ce faisant, elle donnait raison au
plaignant, soit l’American Civil Liberties Union qui avait par ailleurs
mis l’accent sur la préparation et la gestion totalement bancales du
dossier. Par exemple, aucune exemption n’avait été prévue pour ceux et
celles qui avaient la double nationalité. Rien n’avait été prévu
également pour ceux et celles qui avaient la nationalité britannique et
une autre nationalité. Où les renverrait-on ? Au Royaume-Uni ou en
Irak ou en Syrie ou…
Après Donnelly, le juge James Robart de la Cour fédérale de Seattle,
un Républicain nommé à ce poste par George W. Bush en 2003, va
ordonner l’interdiction du bannissement voulu par Trump à la
grandeur des États-Unis. Dans ce cas, il est important de noter que le
plaignant était nul autre que l’État de Washington. Quant à la juge
Leonie M. Brinkema, de la Cour fédérale d’Alexandria en Virginie, elle
va enfoncer le clou en quali ant l’ordre de Trump de contraire à l’esprit
de la Constitution.
En e et, après avoir pris une décision analogue à celle de la juge
Donnelly, Brinkema va analyser plus à fond le sujet avant de
communiquer le 13 février son avis. Selon cette magistrate, Trump a
violé les protections prévues dans le premier amendement pour tout ce
qui a trait à la liberté religieuse. D’après elle, le décret « n’a jamais été
motivé par des préoccupations rationnelles de sécurité, mais bien par
un préjugé religieux ». Dans ses attendus, Brinkema rappelle que tout
au long de sa campagne, Trump a évoqué « le bannissement des
musulmans », que l’ex-maire Rudolph Giuliani l’a exposé lors d’un
entretien, que…
« Le bannissement des musulmans a été une des pièces maîtresses de
la campagne du président pendant des mois et le communiqué de
presse qui le détaillait était toujours sur son site lorsque le
mémorandum » de Trump a été publié le 27 janvier. Quoi d’autre ? « Le
maximum de pouvoir ne signi e pas le pouvoir absolu. Tout acte
présidentiel doit être conforme avec les limites xées par l’allocation
des pouvoirs accordés par le Congrès et les contraintes de la
Constitution, incluant la Déclaration des droits », de souligner la juge
Brinkema.
On répète, « tout acte présidentiel doit être conforme… aux
contraintes de la Constitution, incluant la Déclaration des droits ». En
rappelant cette réalité légale fruit de la séparation des pouvoirs, la
magistrate prenait le contre-pied du dogme arrêté par Steve Bannon,
voire de la pierre angulaire de sa conception du pouvoir, soit que toute
décision du président doit se conjuguer d’abord et avant tout avec la
souveraineté des États-Unis. Pour l’éminence grise de Trump, toute
empreinte de l’étranger doit être réduite à une peau de chagrin. D’où le
retrait du Traité de libre-échange Asie-Paci que, les attaques verbales
contre l’OTAN, l’Union européenne, les pays européens, etc.
En ce qui concerne plus précisément la fermeté de ton choisi pour la
composition du mémorandum sur l’immigration, celle-ci s’avère le
re et de l’idée xe qui habite Bannon. Soit que les musulmans
poursuivent une guerre religieuse qui ne dit pas clairement son nom et
dont l’objectif ultime est l’expansion de l’Islam. Les nations judéo-
chrétiennes refusant de partager ce point de vue, les États-Unis doivent
être à la pointe du combat et Washington devrait même mettre une
sourdine à tous les di érends qu’il a avec la Russie pour mieux s’allier
avec les ploutocrates du Kremlin, histoire de casser du musulman, la
Russie étant chrétienne. Bannon ? « Je suis Thomas Cromwell à la cour
des Tudors. » On se souviendra que Cromwell, puissant ministre
d’Henry VIII, mena le combat contre le Vatican ou pour la séparation
entre l’Église catholique et l’Église anglicane.
CONFLITS D’INTÉRÊTS
Le 20 janvier 2017, un citoyen s’est prévalu du recours introduit par
Obama en matière de droit du public à l’expression, voire de la
contestation. Le droit en question a la forme de la pétition. Ce jour-là
donc, un Américain lança une pétition dont l’introduction indique :
« Les con its d’intérêts économiques sans précédent de la présente
administration doivent être visibles au peuple américain, incluant
toute documentation pertinente pouvant révéler les in uences
étrangères et les intérêts nanciers qui mettraient Donald Trump en
con it avec la clause des émoluments de la Constitution. » La personne
à l’initiative de ce geste priait tout logiquement le président de
communiquer sa déclaration de revenus.
Trois jours plus tard, 310 000 Américains avaient signé la pétition, un
record. Une semaine auparavant, un sondage commandé par le
Washington Post et ABC News révélait que les trois quarts des citoyens
voulaient que Trump fasse ce que tous les présidents et vice-présidents
ont fait depuis Richard Nixon, soit rendre sa déclaration de revenus
publique. D’autant qu’il s’était vanté à plusieurs reprises de ne pas payer
d’impôts. CQFD : je suis un homme très malin !
La réponse de l’administration fut formulée par la préposée à
l’abrutissement, Kellyane Conway, qui estimait que ce dossier
intéressait les journalistes et seulement eux. Le sondage, la pétition
signée par au-delà de 300 000 individus ? À ranger au rayon des « faits
alternatifs ». Et pourtant, pourtant…
Moins d’une semaine après l’investiture du président, la direction du
club de golf qu’il possède à Mar-a-Lago en Floride annonçait que
l’abonnement annuel à ce dernier doublait, passant de 100 000 $ à
200 000 $. Au cours de ses premiers jours à la Maison-Blanche, un de
ses ls utilisa l’avion présidentiel durant 48 heures a n de superviser la
construction d’un hôtel en Uruguay. À cet usage, on ajoute la présence
obligatoire d’agents secrets et on obtient un coût total pour le Trésor
public de 95 000 $ environ. Ce n’est pas tout.
En maintenant ses enfants à la tête de son empire, Trump reste le
président confronté au plus grand nombre de con its d’intérêts dans
l’histoire du pays. En conservant les hôtels qu’il détient ici et là dans le
monde, le grand chef de la diplomatie américaine a sombré, à tout le
moins, dans l’apparence de con it d’intérêts. On a d’ailleurs constaté
une augmentation de l’achalandage des délégations étrangères dans
l’hôtel que possède Trump à Washington.
En tant que président, il a le pouvoir de nommer le ministre de la
Justice. Quid de « l’égalité » ? Alors que Trump entrait en fonction, ce
ministère négociait avec la Deutsche Bank une amende xée à
14 milliards pour ses magouilles lors de la Crise de 2008. Et alors ?
Cette banque est l’un des principaux créanciers de Trump. Quoi
d’autre ? En tant que président, il a le pouvoir de nommer les membres
de la direction du Internal Revenue Service, soit l’administration des
impôts, ainsi que ceux du National Labor Relations appelés
éventuellement à examiner les plaintes de ses employés, voire la
syndicalisation de ces derniers. À la n du mois, Eric Danziger,
président de la Trump Organization, annonçait un plan d’expansion
quali é d’agressif puisqu’il prévoit l’édi cation de 26 hôtels dans divers
pays au cours du mandat de Trump.
Ses nominations aux postes clés de la nouvelle administration sont
une déclinaison de la myriade de con its d’intérêts. Quand on s’attarde
aux gestes du nouveau président a n de faire avaler la pilule anti-
éthique au contingent des légalistes, on retient qu’il avait trempé sa
plume dans l’encrier du sans-gêne. À preuve, l’inventaire consacré à ce
sujet par le Center For Public Integrity est tout simplement
hallucinant.
Prenons les généraux John Francis Kelly et James N. Mattis. Avant
d’être catapulté chef de cabinet de Trump, Kelly fut nommé secrétaire à
la Sécurité intérieure et Mattis secrétaire à la Défense. Avant Trump,
une loi fédérale interdisait à tout ancien militaire de diriger ses
administrations pendant sept ans après sa retraite. Mieux, il était
interdit d’entretenir des liens avec des entreprises privées.
Que t le Congrès majoritairement républicain a n de satisfaire
Trump ? Il vota une loi qui abolissait la règle évoquée. Tout
simplement. On se rappellera que jusqu’à sa nomination, Kelly fut
conseiller et membre des conseils d’administration, entre autres, de
DynCorp et Beacon Global Strategies. Mattis ? Il siégeait au conseil de
General Dynamics, un des principaux fournisseurs du Pentagone, et
détenait pour plus d’un million de dollars d’actions de ce conglomérat.
Il siégeait également au conseil de Theranos et au Center for a New
American Security nancé principalement par les entreprises clientes
du Pentagone en plus d’avoir perçu des honoraires de Northrop
Grumman qui fabrique notamment des avions de chasse.
Avant d’être secrétaire d’État, Rex Tillerson fut un des cadres
supérieurs d’ExxonMobil puis en devint le président et chef de la
direction en 2006. À ce titre, il a négocié d’énormes contrats
d’exploitation et de distribution d’hydrocarbures avec une pléiade de
chefs d’État dont Vladimir Poutine. Malin comme pas un, Tillerson
avait pro té de sa fonction en investissant dans 156 holdings répartis à
travers le monde. Lors de sa nomination, ExxonMobil lui a versé
180 millions à titre d’indemnité de départ. Quoi d’autre ? Tillerson s’est
engagé à ne pas participer à des négociations dont le pétrole serait un
des enjeux pendant un an. On veut bien le croire, mais… L’armée des
États-Unis d’Amérique est la plus grosse consommatrice
d’hydrocarbures dans le monde.
Avant d’être bombardé secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, ancien
de Goldman Sachs, s’était distingué comme le président du prêteur
hypothécaire OneWest reconnu coupable de pratiques litigieuses et de
discrimination. Lors des audiences devant les membres du Congrès il a
« oublié » de mentionner les 100 millions d’actifs répartis dans une
ribambelle de holdings disséminés à travers la planète. En tant que
secrétaire au Trésor, Mnuchin est notamment le grand chef de la
Financial Stability Oversight Council et responsable des politiques de
taxation et des ducies « o shore ».
Pour faire court, selon l’inventaire dressé par The Center For Public
Integrity, la très grande majorité des membres du cabinet formé par
Trump en janvier 2017 sont tous en con its d’intérêts ou en apparence
de con its.
DU LIBRE ARBITRE
Le samedi 29 janvier, Trump annonçait une réorganisation du Conseil
de sécurité nationale totalement inédite : la politisation de ce dernier
en la personne de Steve Bannon. En le parachutant au sein d’une
instance responsable d’un dossier d’une importance extrême, tout en
lui accordant un pouvoir décisionnel, Trump modi ait brutalement le
cours de l’histoire en cette matière.
Ce comité rassemblant les secrétaires d’État et de la Défense, le
président du Joint Chiefs of Sta , soit à l’époque le général Joseph
Dunford, et le patron de la National Intelligence, Dan Coats, les
prédécesseurs immédiats de Trump, Barack Obama et George W. Bush
avaient observé la règle qui veut que le comité en question ne soit pas
in uencé par l’exécutif. De fait, le directeur de cabinet de Bush, Joshua
Bolten, était allé jusqu’à interdire à Karl Rove, conseiller principal de
Bush, de siéger au poste de simple observateur. Dave Axelrod, le
conseiller d’Obama ? Il pouvait assister à certaines réunions, mais à
titre de… gurant !
Dans le cas qui nous occupe, a n d’asseoir son autorité sur cette
instance, Trump avait accompagné cette nomination d’une double
rétrogradation : celles du général Dunford et de Coats. En fait, il
permettait à ces derniers d’être présents seulement lorsque les sujets
relevant de leurs responsabilités et expertises étaient à l’ordre du jour.
La bêtise de sa décision était si évidente – peut-on imaginer des
réunions sur la sécurité sans qu’il soit question de la dimension
militaire et des renseignements ? –, qu’elle avait convaincu le New York
Times de signer un éditorial intitulé « President Bannon ? ». Le
signataire soulignait notamment qu’en « épousant les politiques de
Bannon », Trump avait aligné des décisions qui ne le faisaient pas
paraître comme un président audacieux « mais simplement
incompétent ».
Le lundi 30 janvier à 21 h 15, Sally Yates, secrétaire intérimaire de la
Justice, reçoit une lettre dans laquelle son signataire, John DeStefano,
un assistant de Trump, lui signi e son renvoi. Deux minutes plus tard,
le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, communique les
raisons de cette mise au ban : « Mme Yates est une nomination de
l’administration Obama. Elle est faible sur le dossier des frontières et
très faible pour ce qui est de l’immigration illégale. » Ce faisant, Spicer
mettait un terme aux turbulences qui avait caractérisé les relations
entre l’Exécutif et Yates trois jours durant.
Le vendredi 27 janvier, Trump publiait donc son mémorandum
intitulé Protecting the Nation From Foreign Terrorist Entry Into the
United States. Yates fut d’autant plus surprise par cette initiative que,
comme nous l’avons vu, les services de son ministère habilités à donner
leur avis juridique sur les politiques de la Maison-Blanche ne furent pas
consultés. Tout au long du week-end, elle et les mandarins de la Justice
planchèrent sur cette a aire. Elle songea à démissionner mais se ravisa
en estimant qu’il aurait été inapproprié de re ler « la patate chaude » à
son successeur.
En fait, elle opta pour le contre-pied politique le 30 janvier. Dans une
note de service, Sally Yates avançait « qu’aussi longtemps que je serai
procureure générale, le ministère de la Justice ne présentera pas des
arguments défendant un ordre de l’Exécutif aussi longtemps que je
n’aurai pas été convaincue qu’il serait approprié de le faire ». Pour
mémoire, on se souviendra qu’elle s’était fait connaître en mai 2015
pour son attachement marqué pour l’indépendance de la justice en
déclarant : « nous ne sommes pas le ministère de la poursuite ni celui de
la sécurité publique. Nous sommes le ministère de la Justice. »
Cela étant, le renvoi de Yates demeure une mise en relief prononcée
de l’inclination de Trump pour la rudesse. Au lendemain de sa victoire à
la présidentielle, il était déjà prévu que Yates serait licenciée une fois
Je Sessions con rmé ministre de la Justice par le Congrès. Soit dans le
courant du mois de février. Autrement dit, quelques jours plus tard.
Simultanément, une centaine de hauts fonctionnaires des ministères
de la Justice, de la Sécurité intérieure, de la Défense et des A aires
étrangères publièrent un texte dans lequel ils exprimaient leur
opposition au ban imposé par Trump aux citoyens des sept nations
musulmanes. Il faut préciser que la loi américaine permet aux
fonctionnaires fédéraux d’émettre des opinions divergentes sans risque
de punition. Ces fonctionnaires insistaient notamment sur le risque
inhérent au décret de Trump. « Nous ne devons pas nous aliéner des
sociétés entières a n de préserver notre sécurité. »
La réaction de la Maison-Blanche fut à l’image de son occupant :
féroce. Spider : « Ces bureaucrates de carrière ont un problème avec
ça ? Ou bien ils appliquent ce programme ou bien ils s’en vont. » Outré
par la position de la Maison-Blanche, Obama sortit de sa réserve le
lendemain en signi ant sa ferme opposition à la politique de Trump en
matière d’immigration.
LE JUGE DES ORIGINES
Au lendemain du renvoi de Yates, soit le 31 janvier, Trump dévoilait
l’identité du juge choisi pour occuper le poste de magistrat à la Cour
suprême laissé vacant depuis le décès d’Antonin Scalia presque un an
auparavant. Jamais dans les annales judiciaires du pays, un poste
n’avait été laissé vacant si longtemps. En e et, les sénateurs
républicains s’étaient employés des mois durant à barrer la route au
juge Merrick Garland sélectionné par Obama.
En désignant Neil Gorsuch, Trump a opté pour un homme qui est rien
de moins que la copie carbone, en matière de philosophie du droit, du
très conservateur Scalia. À l’instar de l’homme ayant eu le plus
d’in uence intellectuelle sur le groupe des juges conservateurs qui
dominent par une voix le tribunal suprême, Clarence Thomas, Gorsuch
appartient au courant dit des originalistes. Ce courant estime qu’il faut
coller au plus près à l’esprit et à la lettre de la Constitution adoptée en
1787. En d’autres termes, Thomas et ceux qui partagent sa vision
considèrent qu’il faut se glisser, si l’on peut dire, dans la peau des pères
fondateurs a n de prendre des décisions conforment à leurs préceptes.
Mettons que Thomas, Gorsuch, Samuel Alito et John Roberts, sont
des… sala stes !
Au ras des pâquerettes, il faut s’attendre à ce que Gorsuch réduise
l’accès des femmes au libre choix en matière d’avortement, écarte si
possible les législations des États favorisant une réduction des
conséquences inhérentes à la pollution et opte pour la politique de la
main de fer pour tout ce qui a trait aux méfaits quali és de criminels. Si
on prend en considération l’âge de Gorsuch au moment de sa
nomination, soit 43 ans, et celui de ses confrères conservateurs, alors
on peut avancer que la philosophie conservatrice et religieuse va
dominer l’horizon juridique du pays pendant une très longue période.
Chapitre 2
HEUREUX COMME
UN NAZI QUI…

Heureux comme un nazi qui le 18 novembre 2016 prenait la direction


du restaurant Maggiano’s Little Italy à Washington. Il se rendait à cet
endroit, le nazi d’aujourd’hui, a n de rencontrer ses admirateurs qui
sont tous, il faut le souligner, les intercesseurs des malé ces
idéologiques conçus et développés d’abord par le Britannique Houston
Stewart Chamberlain, l’Allemand Oswald Spengler ensuite et Alfred
Rosenberg également Allemand. Bref, la troïka du racisme érigé en
système de gouvernement, en mécanique huilée de l’appareil d’État.
Ils se réunissaient donc dans ce lieu de la capitale pour célébrer la
victoire de leur champion : Donald Trump, mais aussi pour écouter
l’exposé de leur chef de le, Richard Spencer. Entre autres faits d’armes,
il a emprunté à la culture des sophistes contemporains, les
relationnistes, ces artistes du rabotage de sens, pour cacher ses
intentions véritables derrière l’expression qu’il a forgée : alt-right.
C’est parfois étrange l’usage que les salariés du tube cathodique font
de temps en temps des mots. Le communiste est nommé communiste,
le terroriste est nommé terroriste, l’escroc est escroc, le tueur est un
tueur, la femme est la femme, la paella est la paella, etc. Mais quand
vient le temps de quali er un Richard Spencer pour ce qu’il est, un nazi,
ici et là on puise dans le panier des pudeurs pour l’associer à l’alt-right.
En d’autres termes, on voudrait illustrer une lâcheté intellectuelle
qu’on n’agirait pas autrement.
Dans le cas qui nous concerne, Spencer donc, il faut tout d’abord
rappeler qu’il a amorcé son discours en formulant cette expression :
« Let’s party like it’s 1933. » Autrement dit, « faisons la fête comme si
c’était 1933 », année où Hitler fut nommé chancelier. Ensuite, Spencer
s’exclama : « Nous voulions Trump à la Maison-Blanche. Notre rêve est
devenu réalité ». Puis il conclura : « Hail Trump. Hail our people. Hail
victory. » Il n’en fallut pas plus pour que les personnes présentes se
lèvent et fassent le salut nazi qu’un vidéaste indiscret lma.
Simultanément ou presque, Milo Yiannopoulos, éditeur chez
Breitbart News, Charles Johnson, maître dans l’art de concevoir de
fausses informations, Mike Cernovich, qui voudrait que tous les
immigrants subissent un examen de leur QI et qui assure que l’homme
est racialement supérieur à la femme, Jared Taylor, fondateur du site
suprémaciste American Renaissance et bien d’autres convergeaient vers
Washington pour fêter la victoire de Trump.
Toutes ces personnes étaient et demeurent les gures de proue de
divers courants qui en termes d’in uence ont beaucoup béné cié de la
mansuétude dont Trump a fait preuve à leur endroit durant les
primaires et la présidentielle. Ils se partagent entre les Economic
Nationalists, Western Chauvinists, White Nationalists, White
Supremacists, fascistes convaincus et nazis.
On mettrait en doute l’existence des liens entre l’administration
Trump et ces groupes qu’il su rait de rappeler que leur correspondant
au sein de celle-ci était nul autre que Steve Bannon. Le stratège en chef,
le directeur de campagne de Trump, qui dans une entrevue publiée
dans Mother Jones le 22 août 2016 devait con er que Breibart est « la
plate-forme de l’alt-right ». Rien de moins. L’autre allié de poids de ces
groupes est Stephen Miller, conseiller principal de Trump, et opposant
fervent à l’immigration.
Toutes les personnes nommées partagent un dénominateur commun
qui donne froid dans le dos : elles veulent un pays exclusivement blanc.
Comme si les États-Unis n’étaient pas assez racistes comme ça, n’en
déplaise aux consommateurs paresseux de cette béquille intellectuelle
qu’est le politiquement correct.
Prenons Spencer. Par l’intermédiaire du cercle qu’il a fondé à
Washington, le National Policy Institute, il fait la promotion d’un
programme qui repose essentiellement, tenez-vous bien, sur le
« Peaceful Ethnic Lansing » ou nettoyage ethnique qu’il ose quali er de
paci que. Soyons réalistes au risque d’être vulgaires : Spencer voudrait
faire des abat-jour avec la peau des fesses des 100 millions de Noirs, de
Latinos et d’Asiatiques que compte le pays et il parle de nettoyage…
paci que !
A n de mettre en relief la profondeur du dégoût que Spencer cultive à
l’endroit du di érent, de l’étranger, on rapportera un épisode que lui-
même aime raconter. Voilà, il s’agit de tennis. Il y a une dizaine
d’années, il regardait avec d’autres dans un bar un match opposant une
des sœurs Williams à la Suisse d’origine slovaque Martina Hingis.
Comme chacun sait, les Williams sont des Afro-Américaines. Et alors ?
Spencer fut révolté par le soutien apporté par les personnes présentes à
Williams, lui ayant pris parti pour Hingis, car « ma loyauté va à ma
race ».
Chapitre 3
FÉVRIER 2017 : AUX ABRIS
OU AUX BARRICADES

Cela ne fait pas quinze jours que Trump est aux manettes que les
membres du Congrès, les représentants comme les sénateurs, s’agitent
dans tous les sens. À l’image du lapin de la fable, voilà qu’ils zigzaguent
entre les ambassades d’Australie, du Mexique, les capitales
européennes, l’Empire du milieu et celui du Soleil levant. Ils se
démènent à tout va avec l’espoir de réparer les pots cassés par le grand
chef lors de discussions téléphoniques avec divers homologues ou lors
d’entrevues avec des journalistes, dont celle très remarquée lors de la
mi-temps du Superbowl opposant les Falcons d’Atlanta à ses amis les
Patriots de la Nouvelle-Angleterre. Pour la petite histoire, on se
souviendra que ces derniers l’avaient emporté 34 à 28.
L’activisme déployé notamment par les dirigeants des Commissions
des a aires étrangères, de la Défense et des A aires économiques a ceci
de singulier qu’on n’avait jamais été témoin d’une telle volonté des élus
du Congrès de se démarquer de la politique du président. Paradoxe des
paradoxes, la gestion des relations internationales étant une
prérogative de l’Exécutif – le secrétariat d’État est un ministère
régalien –, les initiatives prises alors eurent une portée strictement
symbolique, le Congrès, on le répète, n’ayant pas le pouvoir de mener
une politique internationale parallèle. Reprenons.
Le 2 février, le sénateur du Maryland, Ben Cardin, soit le Démocrate
occupant le poste le plus élevé au sein de la Commission des Relations
internationales, retient l’attention pour avoir mis au grand jour les
divergences existant entre Trump et les élus tant démocrates que
républicains en la matière. Aux journalistes, Cardin con e que « le
Congrès devra avoir un rôle plus actif que d’habitude pour ce qui a trait
aux a aires étrangères. En partie pour convaincre l’administration
Trump de supporter les valeurs traditionnelles américaines dans le
monde et en partie pour réparer les dommages qu’il a causés. Ce sera
nécessaire et ce sera bi-partisan. »
Dans la foulée, on apprend que lui et le sénateur républicain du
Tennessee, Bob Corker, avaient rencontré le ministre allemand des
A aires étrangères, Sigmar Gabriel, ainsi que le roi Abdallah II, de
Jordanie, a n de permettre à ces derniers d’exposer leurs griefs et
ensuite de les rassurer. Auparavant, le sénateur de l’Arizona et
président de la Commission sénatoriale des armées, John McCain, avait
publié un communiqué dans lequel il révélait avoir eu un entretien avec
l’ambassadeur australien aux États-Unis, Joe Hockey, a n de répéter
« son soutien inébranlable » aux liens avec l’Australie.
On se rappellera que quelques jours avant ce geste, Trump s’était
montré particulièrement agressif à l’endroit du premier ministre
australien, Malcolm Turnbull, allant jusqu’à lui raccrocher au nez.
L’Australien voulait tout simplement que Trump respecte l’engagement
pris par Obama d’accueillir 1 250 réfugiés rassemblés dans un centre de
détention. Chef de le des Républicains à la Chambre des
représentants, Paul Ryan t écho aux propos de McCain lors d’une
conférence de presse. Bref, on remarquera que sur fond d’a aires
étrangères, le torchon brûle entre Trump et les élus de son parti au
Congrès.
Mais de toutes les déviations signées par Trump sur ce anc, celles
dont l’Europe est le dénominateur commun vont retenir davantage
l’attention, car jamais un président américain n’avait eu des mots aussi
durs, presque guerriers, contre le Vieux Continent. À telle enseigne, on
le répète, que le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait
couché par écrit, n janvier, le sentiment d’anxiété qui habitait les
28 leaders européens.
Dans les journées suivant le geste de Tusk, les gens d’importance en
France, en Italie, en Espagne et ailleurs en Europe, mais surtout en
Allemagne, multiplient les commentaires qui renforcent dans tous les
recoins de l’UE que Trump est le premier président qui ne soit pas
favorable à l’Europe. Pire, il prie pour un éclatement de l’Europe, car
cela serait tout béné ce pour les États-Unis. Dans cette histoire, il n’est
pas vain de mentionner que sa haine de l’UE découle en grande partie
des démêlés qu’il a eues avec les fonctionnaires parce que
l’administration de ses hôtels et golfs situés en Europe n’était pas au
diapason des règles européennes.
Plus précisément, les dirigeants du Vieux Continent abhorrent son
dédain pour les institutions bilatérales, son soutien au Brexit en
général et aux propos nauséabonds du chef de le de ce Brexit, Nigel
Farage, propos dont le racisme est passé comme une lettre à la poste au
royaume de l’Habeas Corpus. Ces mêmes dirigeants sont également
outrés pour sa défense du sanguinaire président philippin Rodrigo
Duterte et pour la sympathie qu’il témoigne à Vladimir Poutine.
Tout pays, pour reprendre l’adage napoléonien, étant « condamné à
faire la politique de sa géographie », les bons mots que Trump a eus
pour Poutine, notamment lors de l’entretien accordé à Bill O’Reilly, de
la chaîne Fox, à la mi-temps du Superbowl, ont très mal passé en
Allemagne. Surtout à la tête de ce pays. En e et, concernant Angela
Merkel et le scepticisme qu’elle cultive à l’endroit de Poutine, l’ancien
maître-espion autrefois basé en Allemagne, on notera que celui-ci
découle d’une réalité toute simple : Angela est née et a grandi en
Allemagne de l’Est, parle parfaitement le russe, en connaît la culture,
etc. Et d’une.
Et de deux, à l’avant-veille du Superbowl, le chef de l’Exécutif
américain était parti à l’assaut, c’est le cas de le dire, de l’économie
allemande, des innovations manufacturières de ce pays d’ingénieurs, de
ses dirigeants tant publics que privés. En quatre phrases et moins,
Trump dévoilait sa propension au protectionnisme commercial tous
azimuts. Il prévint que les récalcitrants à sa politique baptisée America
rst seraient punis. À mots couverts, il dévoila son penchant pour une
guerre commerciale avant de s’en prendre nommément à BMW.
Aux dirigeants de ce constructeur automobile, le président américain
signi e que s’ils s’entêtent à vouloir ériger une usine au Mexique, une
taxe punitive de 35 % leur sera imposée. Il se trouve que BMW est aux
États-Unis mêmes l’exemple du bon citoyen corporatif d’origine
étrangère. À son usine située en Caroline du Sud, BMW fabrique plus de
véhicules qu’il n’en vend aux États-Unis. En d’autres termes, BMW
exporte une partie de sa production Made In USA.
Lorsqu’on s’attarde à la toile de fond de cette guerre commerciale qui
ne dit pas son nom, on observe que contrairement à ses prédécesseurs,
Trump s’est entouré de gens d’a aires et non d’économistes. En fait, il y
en a un, d’économiste. Il s’appelle Peter Navarro. Signe particulier ? Il
est le seul de sa corporation à être un adversaire, d’ailleurs acharné, du
libre-échange. Quoi d’autre ? Les gens d’a aires choisis par Trump
cultivent la même philosophie : le capitalisme de la destruction. Tout
doit être mis en œuvre pour écraser le concurrent. Bref, ils ont sacralisé
le dogme de la folle du logis philosophique, soit évidemment Ayn Rand
qui jugeait l’égoïsme, l’individualisme trempé dans l’acier de la
brutalité, comme étant la valeur suprême.
Cela précisé, après avoir menacé BMW, Trump s’en est pris à GM,
Ford, United Technologies et autres géants de l’économie américaine
qui envisageaient la construction d’usines en territoire mexicain. On
aura deviné qu’eux aussi ont été avertis qu’un châtiment nancier leur
serait in igé si… Cette position fut jugée si outrancière par Edmund
Phelps, prix Nobel d’Économie, qu’il a a rmé publiquement que « cela
ressemble de plus en plus à l’économie de l’époque fasciste ».
Interrogé par le journaliste Steve Erlanger, du New York Times, Mark
Leonard, directeur du Conseil européen des relations internationales, a
avancé que « Trump est le premier président américain depuis que
l’Union européenne a été créée qui ne soit pas favorable à davantage
d’intégration. Non seulement ça, il est contre car il voit la destruction
de l’UE dans l’intérêt de l’Amérique. Les Européens jugent Trump
comme étant la pire menace à l’ordre mondial et à l’idéal européen de
l’organisation du monde […]. Les États-Unis ont joué un rôle crucial
dans le maintien d’un certain ordre mondial face aux dé s que posent la
Russie et la Chine ainsi que l’islamisme radical. Au lieu d’agir en
surveillant ces forces diverses, Trump les ampli e et cela est
proprement terri ant. C’est comme si vous veniez de réaliser que la
médecine que vous prenez était pire que le mal lui-même. »
Le 2 février, lors d’un sommet des pays européens à Malte, le
président français François Hollande s’est appliqué à répondre aux
admonestations de maître Trump en lui signi ant tout d’abord qu’il
« ne peut y avoir de relations entre l’Europe et les États-Unis qu’à la
condition qu’elles soient dé nies de concert ». Ensuite ? Il a estimé
« qu’il était inacceptable que par l’intermédiaire d’un certain nombre de
déclarations le président des États-Unis fasse pression sur l’Europe, sur
ce qu’elle doit être ou ne pas être ».
Le 4 février, dans un éditorial du journal Le Monde intitulé « Les
Européens doivent résister à Trump », on pouvait lire : « Les Européens
sont prévenus. Donald Trump n’aime pas l’Union européenne. Il a
prophétisé son démantèlement. Le Brexit est une “grande chose”, qui a
ravi le président américain au moins autant qu’une bonne émission de
télé-réalité. Et dans le projet européen, aventure unique dans l’histoire
en n apaisée du Vieux Continent, il ne voit qu’une manipulation de
l’Allemagne au service de ses propres intérêts. M. Trump est le premier
président américain ouvertement hostile à l’Europe. Les 28 doivent en
tirer des conséquences précises : la politique de l’autruche serait un
désastre. »
Puis l’éditorialiste concluait : « Dans le monde de Xi Jinping, Vladimir
Poutine et Donald Trump, univers marqué par le retour en force de
l’ultranationalisme, l’Europe est plus importante que jamais. Elle n’est
pas seulement une nécessité pratique. Elle est un modèle de relations
civilisées entre États. C’est sans doute ce que Donald Trump n’aime
pas. »
Au lendemain de la publication de ce commentaire, l’éditorialiste de
l’hebdomadaire allemand Der Spiegel trempait à son tour sa plume dans
l’encrier de l’outrage : « L’Allemagne doit se mettre en opposition au
45e président des États-Unis et son gouvernement. Cela s’annonce
d’ores et déjà di cile pour deux raisons : parce que nous avons obtenu
la démocratie libérale des Américains et parce qu’il n’est pas clair de
savoir comment l’homme brutal et colérique de l’autre côté de
l’Atlantique va réagir aux pressions diplomatiques. »
Puis il enfonçait le clou : « C’est littéralement douloureux d’écrire la
phrase suivante, mais le président des États-Unis est un menteur
pathologique. Le président des États-Unis est également un raciste
(cela aussi fait mal de l’écrire). Il fomente un coup d’État d’en haut ; il
veut instaurer une démocratie non libérale ou pire ; il veut saper la
balance du pouvoir. Il renvoie la ministre de la Justice par intérim parce
qu’elle défendait une opinion di érente de la sienne et l’accuse de
trahison. C’était le vocabulaire qu’utilisait Néron, empereur et
destructeur de Rome. C’est ainsi que les tyrans pensent. »
Simultanément, à Washington, dans les colonnes du journal en ligne
Politico, des mandarins du Parti républicain exposaient leur dépit à
l’endroit de Trump et de sa sympathie a chée pour Poutine. Le
premier d’entre eux, Mitch McConnell, leader de la majorité au Sénat, a
pris à contre-pied les propos de Trump lors de la mi-temps du
Superbowl en ces termes : « Les Russes ont annexé la Crimée, ils ont
envahi l’Ukraine et se sont mêlés de nos élections. Non, je ne pense pas
qu’il y ait d’équivalent entre la manière dont les Russes se conduisent et
la nôtre. […] Nous n’agissons pas comme les Russes. Je crois qu’il y a une
claire distinction ici que tous les Américains comprennent et je ne
l’aurais pas caractérisée de la manière » dont Trump l’a fait.
Une semaine plus tard, lors d’un sommet des membres de l’OTAN à
Bruxelles, le secrétaire à la Défense Jim Mattis va gre er des chi res ou
plutôt des montants aux paroles de Trump. Fait à noter, il va détailler la
volonté de son gouvernement avec une fermeté qui tranchait avec ses
prédécesseurs. En e et, à intervalles réguliers, les patrons du
Pentagone déploraient que bien des pays membres de l’OTAN ne
respectaient pas leurs obligations nancières mais n’allaient pas jusqu’à
formuler des menaces ou un quelconque chantage. Là, il en fut tout
autrement.
Devant l’assemblée des ministres de la Défense et de hauts gradés,
Mattis en appelle à l’adoption d’un plan prévoyant que chaque pays
consacre 2 % de son budget à l’e ort militaire. Un plan qui serait
notamment balisé par des dates, histoire de véri er si chacun se
conforme à ses obligations. Sinon, Mattis a laissé entendre qu’une
réduction des engagements pris par les États-Unis à l’égard de l’Europe
serait commandée. Elle pourrait prendre la forme d’une réduction des
troupes américaines stationnées en Europe ou encore élever la barre à
partir de laquelle telle attaque est quali ée de militaire ou pas ou…
Dans le cas de l’Allemagne, pour des raisons historiques que l’on
devine, les pères fondateurs de la République fédérale avaient décidé
d’inscrire dans le marbre de la Constitution que ses forces armées
auraient un rôle strictement défensif. De fait, ce pays accorde bon an,
mal an, 1,2 % de son budget à la chose militaire, alors qu’il occupe une
position géographique centrale. À ce propos, on ne sera pas étonné
d’apprendre que les « petits » e orts de Berlin en cette matière font
grincer des dents, derrière les rideaux de la bienséance diplomatique,
où certains pays, et notamment la France estiment que la « timidité »
militaire de l’Allemagne l’avantage sur le front de l’économie.

À É
À titre comparatif, on soulignera que les États-Unis dépensent
annuellement 3,6 % de leur PIB ou 664 milliards en dollars
d’aujourd’hui. On soulignera également que lors de son exposé de
Bruxelles, Mattis se faisait sans le dire l’avocat de l’industrie militaire
américaine. À cet égard, il est important de savoir que, par exemple, les
forces aériennes ne peuvent pas combiner, pour des faits de
technologies de communications, des jets de combat d’origines
diverses. En clair, l’aviation de tel pays ne peut pas être composée du
chasseur britannique, du français et du suédois. CQFD : bien des pays
européens étant équipés du jet américain, acheter américain…
LES GRIZZLIS DE BETSY DEVOS
Aux États-Unis, l’importance allouée au ministère de l’Éducation dans
l’administration des responsabilités et politiques qui incombent au
gouvernement fédéral loge à l’enseigne du petit, pour ne pas dire
l’extrêmement petit. À preuve, son budget ne dépasse jamais les 3 % du
budget de l’État, le ministre en titre est à la 16e place dans la ligne de
succession à la présidence et il y a surtout la réalité suivante : au cours
des récentes années, par le biais de réformes diverses, la Maison-
Blanche et le Congrès ont « re lé » aux États et aux administrations
scolaires beaucoup de mandats pour ce qui a trait aux examens, à
l’établissement de standards, aux balises nancières et à l’imputabilité.
Ce ministère a beau être de moindre importance, jamais le choix de
son grand patron n’a été aussi contesté que celui arrêté par Trump :
Betsy DeVos, héritière d’Amway, le géant et maître en embrouilles
pyramidales. Elle est aussi une fondue du petit Jésus et donc croit en la
théorie créationniste qui voudrait ramener les travaux du brave et
génial Charles Darwin à des facéties de prêtre vaudou.
Toujours est-il que la contestation de sa nomination de la part des
organisations de parents d’élèves, de fonds de charité versés en
éducation, de savants de la chose pédagogique, des ONG défendant la
laïcité et l’école publique, des syndicats et bien évidemment des élus au
Congrès, dont des Républicains, cette contestation donc fut à ranger à
la rubrique du jamais vu. Exemple entre mille de cette singularité : au
cours d’une journée, le 2 février pour être exact, le nombre d’appels de
parents contestant DeVos fut si élevé que le central téléphonique du
Congrès s’est retrouvé au bord de l’asphyxie, si l’on peut dire les choses
ainsi.
Comme c’est toujours le cas lorsqu’une politique ou une personne
sont l’objet de critiques très vives, le moteur de celles liées à DeVos est
d’une simplicité manifeste. En un mot : DeVos s’est révélée ignare. Lors
des audiences du Congrès consacrées à sa nomination, les membres de
la Commission de l’éducation ont réalisé que Mme DeVos ne
connaissait rien des principaux chapitres de la Loi fédérale sur
l’éducation. Autrement dit, elle n’avait pas fait le travail élémentaire
consistant à étudier les bases qui fondent son ministère.
Cette attitude ou plus exactement cette posture n’est pas à mettre sur
le compte d’une quelconque paresse, mais bien à ranger au rayon du
parti pris et de la somme de préjugés induits par celui-ci. Mais encore ?
Mme DeVos est une croisée de l’école privée, de l’enseignement privé
ciselé à l’aune des parfums religieux. Évidemment ! Si Trump l’a choisie
elle, c’est pour qu’elle fasse ce pour quoi Pruitt a été nommé à
l’Environnement et Mike Price à la Santé : détruire tout ce qui
ressemble de près ou de loin au public.
Dans le cas de DeVos, rien ne résume mieux l’obscurantisme et la
bêtise abyssale de la philosophie politique qui la distingue que l’épisode
suivant : le sénateur Chris Murphy du Connecticut, soit l’État où furent
massacrés les gamins et gamines de l’école Sandy Hook, lui demande si
elle est favorable ou pas à l’interdiction des armes à feu dans les
environs des écoles. Sa réponse ? Non, car qui tuerait les grizzlis qui
rôdent autour ? C’est à se demander si madame n’avait pas fumé de la
moquette cette journée-là.
Cet épisode mis à part, DeVos s’est montrée une ardente avocate de
l’école privée. Sans se perdre dans les méandres bureaucratiques de ses
prises de position, de ses paroles prononcées avant sa comparution
devant le Congrès comme plus tôt dans l’État du Michigan dont elle est
originaire, il faut retenir qu’elle entend détourner littéralement des
fonds destinés à l’école publique au pro t du privé. Parmi la méthode
choisie, on a retenu le mécanisme des bourses accordées aux plus
démunis.
Malgré cette alchimie faite d’ignorance et d’idiotie, Madame Betsy
DeVos a été adoubée par les membres du Congrès. De toute manière, le
contraire aurait été très étonnant quand on sait que 11 des 12 sénateurs
siégeant à la Commission de l’éducation ont béné cié des largesses
nancières de la famille DeVos lors des récentes élections :
200 millions ! Comme le chantait le divin Ray Davies des Kinks :
« Money can’t run and money can’t talk/But when I write out a cheque I
swear to God I hear money talk/Money talks and, baby, when you’ve
been bought/You paid attention everytime money talks… »
LES CORBEAUX DE LA FINANCE
Dans la foulée de la Crise de 2008, la pire depuis celle de 1929, Barack
Obama et les Démocrates siégeant au Congrès avaient mandaté le
député Barney Frank et le sénateur Chris Dodd a n qu’ils révisent et
réforment l’ensemble de l’industrie nancière. Au cours des vingt
années antérieures au cataclysme de 2008, cette industrie avait
béné cié d’une opération politique d’autant plus étendue et profonde
qu’elle consistait à détruire toutes les balises mises en place dans les
années 1930 à la faveur de la Loi Glass-Steagall a n d’éviter une
répétition de 1929. En d’autres termes, Ronald Reagan et Bill Clinton se
sont appliqués à rayer les lois et règles arrêtées par Franklin D.
Roosevelt dans le but de discipliner une industrie dont la fonction, le
moteur, commande justement l’édi cation de balises.
La démolition pilotée par ces deux présidents devait favoriser un
mélange des genres comme des métiers, l’explosion de l’enfumage
nancier, l’épandage de l’escroquerie et autres malversations ayant
pour dénominateur commun la complexité, histoire de berner le
citoyen lambda. Après des mois d’étude et de rédaction, Frank et Dodd
ont déposé leur projet de loi de 849 pages qui sera adopté le 21 juillet
2010.
Entre autres réformes, cette loi prévoyait la création d’un bureau de
protection du consommateur, un renforcement des règles administrées
par la Securities and Exchange Commission (SEC), soit le gendarme de
la Bourse, et les diverses agences gouvernementales concernées par
l’action des banques, compagnies d’assurances et ducies. Il était
également prévu d’introduire la notion d’imputabilité. Mais encore ? Le
conseiller nancier ou banquier aurait comme obligation duciaire
d’œuvrer dans l’intérêt du consommateur.
Cette disposition devait faire hurler les acteurs de la nance, outrés
qu’on veuille les soumettre à l’éthique de responsabilité. Eux étant
habités par l’éthique de conviction… Qu’on y songe, au pays des quakers,
des mormons, des fous de Dieu, il était permis aux vendeurs des
produits nanciers de veiller aux béné ces des fabricants de ces
produits et non à l’intérêt de l’acheteur. Cela rappelé, on ne sera pas
étonné d’apprendre qu’aucun des principaux responsables de la Crise
de 2008 n’a été jugé et encore moins emprisonné !
Une fois élu président, Trump a rempli son cabinet et les instances
chargées de le conseiller de personnes majoritairement issues du
monde de la nance et en particulier des fonds spéculatifs et des fonds
d’investissement. On notera que la banque d’a aires Goldman Sachs
reste particulièrement bien représentée, le conseiller Steve Bannon, le
secrétaire au Trésor Steven Mnuchin et le patron du National
Economic Council, Gary Cohn, ayant tous travaillé pour cette société.
Ces derniers et d’autres avec eux, notamment Stephen A.
Schwarzman, président du puissant fonds Blackstone Group, qui est
également président du Business Council choisi par Trump, ont
convaincu ce dernier de mettre une sourdine à la très grande majorité
des dispositions contenues dans la Loi Dodd-Frank. Pour bien
souligner l’empressement du monde de la nance responsable de la pire
crise économique depuis 1929 et donc des cohortes de chômeurs et des
milliers et des milliards de pertes, ce monde de la nance, qui a été
sauvé avec l’argent public, a obtenu ce qu’il voulait le 2 février 2017, soit
moins de 15 jours seulement après l’intronisation de Trump.
Conscient qu’il n’obtiendrait pas le nombre de votes nécessaires (60)
au Sénat pour radier purement et simplement Dodd-Frank, Trump a
émis une directive enjoignant les diverses agences ou administrations
concernées à modi er le tableau des règles à l’enseigne du laisser-aller.
Et qu’enseigne l’histoire à ce propos ? Que doper l’économie par le biais
de la déréglementation nancière est le prélude à un désastre.
AU TABLEAU DES IMPAIRS
Dans le courant du mois de janvier, le département d’État rédigeait un
communiqué mentionnant le fait que 6 millions de Juifs avaient été
tués dans le cadre de la politique que les nazis avaient baptisée La
solution nale. Le personnel concerné avait composé ce texte en vue du
Holocaust Remembrance Day du 27 janvier, croyant que, comme
d’habitude, la Maison-Blanche le reprendrait in extenso ou du moins
s’en inspirerait largement.
Avant de poursuivre, il faut s’arrêter sur la date choisie par les Nations
Unies pour observer ce devoir de mémoire d’une importance que tous
savent très singulière. C’est le 27 janvier 1945 que les troupes
soviétiques ont libéré le camp d’Auschwitz-Birkenau et ont donc
découvert l’étendue de la Shoah.
Au jour J donc, la Maison-Blanche publie sa dissertation sur le sujet et
provoque illico un tollé, car il n’est nulle part fait mention de
l’Holocauste dont les Juifs ont été les principales cibles. Les critiques
pleuvent, le sénateur démocrate Tim Kaine allant jusqu’à taxer ce geste
de négationnisme, les noms d’oiseaux fusent. Pendant plusieurs jours,
le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, multiplie les
opérations d’enfumage sans parvenir à éteindre le feu. Au contraire, car
les sympathisants néo-nazis, dont les animateurs du site Daily Stormer,
ont alimenté la polémique en félicitant Trump pour avoir gommé toute
mention des Juifs.
Début février, Fred Brown, représentant de la Republican Jewish
Coalition, signe un texte dans lequel il martèle : « L’absence de mention
claire des sou rances imposées aux Juifs durant l’Holocauste est une
omission misérable. L’Histoire démontre sans l’ombre d’une ambiguïté
que le but de la solution nale des nazis était l’extermination des Juifs
d’Europe. Nous espérons qu’à l’avenir, il [Trump] exposera ces
sentiments quand il parlera de l’Holocauste. »
Dans les 48 heures suivant ce geste, le chat est pour ainsi dire sorti du
sac. Le département d’État avait bien envoyé sa note de service,
contrairement aux dénégations de la Maison-Blanche, note qui a tout
simplement été ignorée pour faire place nette à la position défendue
par les conseillers de Trump et surtout, surtout, par Steve Bannon qui,
lorsqu’il était à la tête de Breitbart News, peinait à cacher son
antisémitisme.
LE BILLARD RUSSE
Le 13 février, Kellyanne Conway, la préposée à la confection des
légendes, assurait sur les ondes de MSNBC que le président avait
« pleine con ance » en Michael Flynn, son conseiller à la Sécurité
nationale soupçonné depuis des jours d’avoir eu un ou plusieurs
entretiens avec l’ambassadeur russe à Washington, Sergueï I. Kisliak.
Jusqu’à ce jour, Flynn avait nié ce fait. Et le vice-président Mike Pence,
alors qu’on l’avait interrogé à plus d’une reprise à ce propos, avait relayé
le mensonge de Flynn, croyant dur comme fer que l’ex-général disait
vrai. Sept heures après la sortie de Conway sur MSNBC, Flynn
remettait sa démission. En fait, il a été démissionné.
De prime abord, on pourrait croire que Flynn ayant été nommé à ce
poste hautement stratégique au lendemain de l’élection, il était dans la
logique des choses que le futur conseiller ait au moins un dialogue avec
l’ambassadeur russe. Mais voilà, il se trouve que les paroles échangées
entre ces deux messieurs l’ont été dans des circonstances
particulièrement délicates. Autrement dit, graves. Le 29 décembre
2016, Barack Obama, alors président en titre, avait ordonné le renvoi de
douzaines de Russes suspectés d’espionnage en plus d’imposer un
nouveau train de sanctions. La raison invoquée ? Les services russes
avaient piraté le réseau informatique du Parti démocrate a n de
favoriser la victoire de Trump.
C’est dans les heures suivant l’ordonnance d’Obama que Flynn et
Kisliak ont eu une discussion qui, comme il est de coutume à ce niveau,
fut enregistrée. Au cours de celle-ci, Flynn prie son homologue de ne
pas réagir avec force à l’action d’Obama, en laissant entendre qu’une
fois o ciellement en poste, il sera en mesure de donner satisfaction au
Kremlin sur le plan des sanctions. On insiste : Flynn formule une
requête politicienne alors qu’Obama est toujours le chef de l’Exécutif.
Le 30 décembre, Vladimir Poutine annonce que Moscou ne ripostera
pas.
Le 26 janvier, Sally Yates, ministre par intérim de la Justice, prévient
Donald F. McGahn, le nouveau conseiller juridique de la Maison-
Blanche, qu’après avoir interrogé Flynn, le FBI a eu une certitude : en
agissant comme il l’a fait, le conseiller à la Sécurité nationale est
vulnérable au possible chantage de Moscou. D’autant que le 13 février,
des journalistes du Washington Post révéleront qu’en fait, Flynn a été
en lien avec Kisliak avant comme après l’élection de Trump.
Le lendemain, on apprend que plusieurs personnes dans l’entourage
du candidat ou du président Trump ont été en contact régulier avec des
Russes. Plus précisément, on apprend qu’au cours des deux mois
précédant le jour du scrutin, des proches ont discuté avec des « senior
russian intelligence o cials », notamment Paul Manafort, qui fut
directeur de campagne de Trump avant d’être remplacé par Steve
Bannon.
Les services de renseignements américains ont intercepté les
échanges entre des maîtres espions et des gens d’a aires russes d’un
côté et des membres de l’équipe électorale de Trump et certains de ses
associés en a aires alors qu’ils venaient de réaliser que le réseau
informatique du Parti démocrate en général et celui de la candidate
Clinton en particulier avaient été piratés. Manafort a nié les faits, tous
les faits, alors que c’était un secret de polichinelle qu’il avait été
consultant politique des Ukrainiens pro-russes.
La réaction de Trump fut à son image : brutale. Au lieu de cultiver le
souci de vérité, il a attaqué le FBI avec une férocité jamais vue en
clamant qu’il fallait à tout prix partir à la chasse des agents du FBI qui
ont chuchoté des informations dans les oreilles des journalistes et qu’il
fallait surtout les châtier. Il faut dire qu’entre la mise en relief des
a aires de Manafort en Ukraine et d’autres personnes de son
entourage, le réseau CNN avait appris que la Maison-Blanche avait fait
pression sur la direction du FBI pour qu’elle fasse pression à son tour
sur les journalistes du New York Times qui avaient révélé l’histoire des
contacts entre Manafort et compagnie avec les Russes. Trump devait
conclure cet épisode en aiguisant la bre de l’outrage : « Vivons-nous
dans l’Allemagne nazie ? » Comparer le FBI à la Gestapo d’Himmler
quand on est président des États-Unis, c’est tout simplement abject.
Simultanément, sur les rives de la Moskova, au Kremlin pour être
exact, Poutine pro tait du chaos des premières semaines de la
présidence de Trump en ordonnant un geste militaire propre à éveiller
la peur chez tous les chefs d’État européens, les Allemands et les
Polonais au premier chef. Le tsar Poutine avait exigé le déploiement
discret d’un nouveau type de missiles pouvant être lancés à partir d’une
base mobile. Ce faisant, il violait le traité sur les missiles de moyenne
portée que Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev avaient signé en 1987.
En 2014, alors qu’Obama occupait la Maison-Blanche, Poutine avait
fait le même manège, mais à l’époque le missile était encore inscrit à la
rubrique en développement. Là, les deux bataillons déplacés avec leurs
missiles de croisière et leurs quatre lanceurs étaient considérés comme
pleinement opérationnels. Il faut rappeler qu’à la faveur du traité de
1987, les Russes avaient détruit les SS-20 qui pointaient vers l’Europe et
les Américains les Pershing II qui pointaient vers la Russie.
Pour dire les choses brutalement, Poutine venait de con rmer, pour
ne pas dire répéter, ce qu’il avait signi é au président George W. Bush :
la Russie considérait le traité de 1987 comme nul et non avenu, car
entre la Chine et les anciennes nations du bloc soviétique qui avaient
rejoint l’OTAN ou envisageaient de le faire, son pays était confronté à
de nouvelles menaces.
Quelques jours plus tard, histoire d’aiguiser les nerfs de Trump et de
ses collaborateurs, un avion de combat russe tournoyait au-dessus d’un
navire de guerre américain en mer Noire pendant que, quasi
simultanément, un navire russe frôlait la frontière maritime des États-
Unis à la hauteur du Maryland. À un journaliste du New York Times,
Sergueï A. Markov, un proche de Poutine, con ait que ce dernier
« étudiait les moyens de mettre à pro t le chaos constaté à la Maison-
Blanche pour mieux atteindre ses objectifs ».
Plus globalement, l’espoir de Poutine était que les États-Unis soient
tellement préoccupés par les dossiers internes, de l’enquête sur
l’espionnage russe pendant les élections aux con its d’intérêts de la
famille Trump en passant par la renégociation de l’ALENA, qu’ils lui
laisseraient ainsi toute la marge de manœuvre nécessaire à l’avancée de
ses pions sur tous les fronts.
DEUX CAMOUFLETS
Le 5 février, Michael V. Hayden jette un énorme pavé dans la mare
présidentielle. Ce jour-là, il signait dans le Washington Post un texte
très critique de la politique de Trump et Bannon en matière
d’immigration musulmane. Hayden, c’est à noter, fut le patron de la
National Security Agency de 1999 à 2005 puis de la CIA de 2006 à 2009.
Fait rare dans les annales du renseignement, Hayden a dirigé les deux
plus importantes administrations où sont rassemblés les maîtres-
espions.
Dans son commentaire, il torpillait d’emblée le geste du duo Trump-
Bannon en ces termes : « Le décret sur l’immigration de Trump a été
mal conçu, sa mise en application très di cile et mal expliquée. Pour
être honnête, il ne pouvait pas en être autrement puisqu’il n’est pas le
produit d’une requête des professionnels du renseignement et de la
sécurité demandant un changement, mais bien le produit d’une
politique élaborée par des gens proches du président et marquée
idéologiquement qui se sont engagés à traiter une menace dont ils ont
exagéré la réalité. »
Après quoi, Hayden détaille des évidences, à savoir que six des sept
États inscrits dans la liste de Trump sont en réalité des États
fragmentés où la ressource humaine est de fait essentielle à la défaite de
ceux qui menacent les États-Unis. Ensuite, Hayden raconte que bien
des professionnels de la CIA l’ont contacté pour exprimer leur vive
colère. Car en agissant comme il l’a fait, Trump a trahi la parole donnée
à ces Irakiens et aux autres qui ont collaboré avec les États-Unis, qu’eux
et leurs familles seraient toujours protégés.
Puis Hayden conclut que « tous les tenants d’une idéologie dure »
feraient mieux de consulter les professionnels de la CIA avant de faire
des proclamations dans la précipitation.
Au lendemain de l’intervention de l’ex-patron des services de
renseignements, l’amiral Michael G. Mullen se manifestait dans les
pages du New York Times en signant une critique intitulée « I was on
the National Security Council. Bannon doesn’t belong there ». De 2007
à 2011, ce haut gradé fut président du Joint Chiefs of Sta . En d’autres
termes, pendant quatre ans il a occupé la plus haute fonction militaire
du pays.
Il faut savoir que le Comité des directeurs du Conseil de sécurité fut
créé en 1947. Sa fonction a ceci d’unique : rassembler les propositions
de sécurité formulées lors des réunions des membres représentant le
Pentagone, le département du Trésor, les services de renseignements et
autres agences, par exemple, les douanes puis en faire le tri avant de
composer à l’attention du chef de l’Exécutif une série d’options sur des
sujets divers. Fondé sous la présidence d’Harry Truman, le comité des
directeurs devait être imperméable aux agitations politiques. Bref, il
devait être neutre.
Dans son texte, l’amiral enfonçait la plume là où ça fait mal : « Avoir
Bannon comme membre avec droit de vote du Comité des directeurs
aura une in uence négative sur des délibérations supposées neutres. Je
crains que cela ait un e et terri ant sur les délibérations et diminue,
potentiellement, l’autorité et les prérogatives accordées par le Sénat
aux membres du Comité. À la di érence de M. Bannon, ils sont tous
imputables des conseils qu’ils donnent et des politiques qu’ils
exécutent. »
Puis il concluait : « Le président a le droit et la responsabilité de
façonner le Conseil de sécurité comme il le voit. Mais les politiques
partisanes n’ont pas de place à cette table. Bannon ne devrait pas en
être. » En moins de 48 heures, deux anciens mandarins de l’appareil
d’État réduisaient à des confettis deux décisions d’une grande
importance prises par Trump.
ABOLITION DES RÈGLES
Le 12 novembre 2013, lors du lancement d’un livre à Washington,
Bannon avait déclaré : « Je suis un léniniste. Lénine voulait détruire
l’État, c’est également mon objectif. Je veux faire en sorte que tout
s’écroule et je veux détruire l’establishment. » Une fois devenu l’homme
le plus puissant de Washington après Trump, Bannon va s’atteler avec
une méticulosité marquée du sceau du fanatisme à convaincre son
patron de nommer aux postes clés des personnes habitées par la
volonté de destruction. Une fois cela accompli, Bannon va marteler lors
de l’assemblée annuelle du Conservative Political Action Conference
(CPAC) tenue le 23 février que « la destruction de l’État a commencé ».
Reprenons.
Jamais dans l’histoire récente des États-Unis, un parti politique
détenant la majorité du Congrès n’avait eu recours au Congressional
Review Act avec autant de frénésie que les Républicains. La loi en
question permet l’usage rapide des procédures favorisant l’adoption des
résolutions de désapprobation qui, une fois signées par le président,
annulent les règlements fédéraux. En trois semaines, les avocats de la
loi de la jungle que sont les Républicains d’aujourd’hui vont s’activer sur
les fronts de l’environnement, de la nance, des communications et de
la sécurité.
Ils vont abolir la règle qui interdisait aux entreprises minières le
recours à des méthodes pouvant polluer les cours d’eau, les nappes
phréatiques ou menaçant les forêts. Ils vont abolir la règle qui obligeait,
sous peine d’amendes, ces entreprises à signaler toute contamination
de l’eau pouvant a ecter une communauté et qui permettait à celle-ci
d’intenter des poursuites contre le pollueur. Ils vont abolir la règle qui
obligeait les minières versées dans l’extraction des hydrocarbures de
réduire la pollution au méthane des terres fédérales et des terres
appartenant aux Premières Nations.
Ils vont abolir la règle introduite dans le Dodd-Frank Act en 2010 qui
obligeait les entreprises pétrolières à communiquer les sommes
accordées à des gouvernements étrangers comme cela se fait en
Europe. Ils vont abolir la règle qui obligeait les sociétés commerçant
avec le gouvernement fédéral d’indiquer toute violation documentée
aux règles fédérales du travail. Les entreprises estimaient que cette
dernière consistait en fait à dresser une liste noire. Oui, trois fois oui. Le
but de cette loi consistait e ectivement à faire l’inventaire des moutons
noirs.
Ils vont abolir, pour faire court, les règles qui protégeaient les
étudiants en matière de prêts, celles qui limitaient les frais sur les
cartes de paiement, celles qui balisaient l’exploitation du gaz et du
pétrole dans l’Arctique, celles qui protégeaient la vie privée des gens
lorsqu’ils utilisent Internet. Puis les Républicains, Trump en tête, vont
se faire les complices de l’abjection. Le 14 février, ils vont abolir une loi
introduite par Obama.
À la suite du massacre de 20 enfants et de 6 enseignants qui
fréquentaient l’école primaire de Newtown, au Connecticut, Obama
avait voulu et obtenu que la vente d’armes aux handicapés mentaux soit
interdite. La loi spéci ait que les personnes visées étaient celles qui
étaient incapables de gérer leurs a aires nancières et autres activités
de base et quotidiennes. Autrement dit, des personnes qui étaient sous
la surveillance d’adultes. Leur nombre ? 75 000 ! Et alors ? Les
Républicains et Trump n’ont rien trouvé de mieux que d’annuler cette
loi. Un schizophrène peut di cilement s’acheter une automobile mais
se payer un AK45… On voudrait illustrer la négation de la vie humaine,
on ne trouverait pas mieux.
MISE À MORT D’UN ÉTAT
Le 15 février, Trump prend le monde entier par surprise. En une phrase
et une seule, il enterre la solution des deux États, israélien et
palestinien, que les États-Unis avaient o ciellement mis de l’avant à la
faveur des Accords d’Oslo. Plus précisément, après une ronde de
pourparlers tenus à Madrid et une série de négociations secrètes à Oslo,
le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le président de l’OLP
Yasser Arafat signaient à Washington, le 13 septembre 1993, en
présence de Bill Clinton, alors président des États-Unis, la Déclaration
de principes.
Cette déclaration avait pour socle l’accord suivant : l’OLP
reconnaissait le droit d’existence de l’État israélien, le gouvernement
israélien convenait de l’existence d’un État palestinien formé de la
Cisjordanie et de Gaza. Ce principe, les successeurs de Clinton, Bush et
Obama, l’ont reconnu et défendu. Et voilà que le 15 février, Trump se
range derrière le premier ministre Benyamin Netanyahou qui, à la
di érence de ses prédécesseurs, n’a jamais été partisan des deux États,
mais bien l’avocat du Grand Israël pour lequel militent sans relâche les
extrémistes religieux israéliens.
De cet épisode, on retiendra que ni Trump ni Netanyahou n’ont
formulé une solution de rechange. De manière implicite, ils ont adopté
la posture de la négation diplomatique. Et on observera qu’aucun des
acteurs impliqués dans les a aires israélo-palestiniennes depuis des
années, soit les avocats de la Feuille de route et les membres du Quartet,
les di érentes instances de l’ONU et les pays européens concernés, n’a
été informé du revirement spectaculaire de la politique américaine en
la matière.
En fait, ce qu’il faut en comprendre : l’administration américaine table
particulièrement sur… la crainte que suscite l’Iran au sein du monde
arabe. Il est vrai que l’émergence d’un Iran, majoritairement chiite et
perse et détenant la bombe atomique, e raie énormément les pays
sunnites et arabes et au premier chef l’Égypte et l’Arabie Saoudite qui se
disputent le titre de puissance du Moyen-Orient. En d’autres termes,
pour ce qui concerne l’Iran, ces pays sont sur la même longueur d’onde
que Trump. Bref, en échange de la protection américaine, on est prêt à
laisser pourrir, il n’y a pas d’autre mot, le dossier palestinien.
Cette attitude a ceci d’odieux qu’elle condamne les Palestiniens à la
vassalité. On s’explique. En renvoyant la solution des deux États dans
les catacombes de l’Histoire, Trump se fait le complice d’un long et
pénible délabrement politique, culturel, économique et sociologique
des Palestiniens. Il est écrit dans le ciel qu’en agissant comme il l’a fait,
et même s’il s’en défend, Trump vient de cautionner le processus de
colonisation. Au train où se poursuit celui-ci, des pans entiers de la
Cisjordanie vont être enclavés de fait en territoire israélien.
Ensuite ? La poussée démographique palestinienne étant ce qu’elle
est, aux alentours de 2030 les Palestiniens seront majoritaires dans un
territoire combinant l’actuel Israël avec l’espace sur lequel l’OLP et le
Hamas détiennent actuellement l’autorité. Il va sans dire que la grande
majorité des personnes de confession juive n’accepteront jamais cette
réalité. Il est donc probable, à moins d’un retournement géopolitique
d’ici là, que des politiques et des lois seront adoptées qui feront des
Palestiniens des citoyens de seconde zone. Bref, l’apartheid est à
l’horizon.
SUS AUX MÉDIAS !
Au terme du premier mois de sa présidence, l’inventaire des politiques
arrêtées par le chef de l’Exécutif logeait à l’enseigne du cafouillage, pour
rester modéré. Qu’on y pense, au cours de cette période, il a renvoyé le
conseiller à la sécurité nationale, trois cours de justice ont envoyé aux
poubelles de l’histoire son ordonnance concernant les candidats à
l’immigration de sept pays musulmans, il a puisé dans le sac à malices
a n de trouver les arguments au renvoi de la ministre en intérim de la
Justice en désaccord avec lui. Quoi d’autre ? Son ministre du Travail, le
brutal Andrew Puzder, a été contraint à la démission. Car en plus de la
violence conjugale dont il est accusé, la bonne de cet adversaire
fanatique du salaire minimum était une sans-papiers.
Telles étaient les conditions générales dans lesquelles se trouvait
Trump lors de la conférence de presse du 16 février. Au lieu de répondre
aux questions par ailleurs légitimes des journalistes, il a usé de tous les
ressorts qui fondent la version larmoyante de la victimisation. De qui,
de quoi ? D’Obama d’abord, des journalistes ensuite. Tout au long des
77 minutes de cette conférence, le maître corbeau de la politique
américaine s’est appliqué à dire et à répéter qu’il avait hérité d’un
désordre et que les journalistes étaient des « personnes malhonnêtes ».
Lors de la campagne électorale, il avait martelé que ces derniers étaient
les gens « les plus malhonnêtes ». Il quali era des nouvelles publiées
dans le Wall Street Journal de « fausses nouvelles ». En un mot, plutôt
que d’a ronter la réalité, il a tiré sur l’ambulance.
Paradoxe des paradoxes, il se trouve que lui et son entourage, on pense
surtout à Kellyane Conway, ont été les principaux producteurs de
fausses nouvelles. Un jour, Trump a rme qu’il y a eu un attentat en
Suède. La réalité ? Fox News avait interrogé un documentariste raciste
qui racontait n’importe quoi. Dans la foulée, Trump enfonçait le clou en
ces termes : « La Suède a accueilli beaucoup trop de réfugiés. » Un autre
jour, il établit la liste de 78 actes terroristes peu ou pas couverts par les
journalistes qui sont aussi « les ennemis du peuple américain ». Parmi
les 78, il avait glissé les attentats commis à Paris et sur la Promenade
des Anglais à Nice, tous détaillés par les médias du monde entier.
Conway ? Histoire de ne pas faire dans la dentelle, elle invente rien de
moins qu’un événement pour défendre la politique anti-immigration de
Trump en assurant que des Irakiens avaient commis un attentat à
Bowling Green au Kentucky. Pourquoi personne n’est au courant ?
Parce que les médias, dixit Conway, n’en ont pas parlé !
Le 23 février, coup de théâtre. L’administration Trump, par
l’intermédiaire de son porte-parole Sean Spicer, fait ce que ni Nixon à
l’époque du Watergate ni Clinton lors de l’épisode Monica Lewinsky
n’avaient osé faire : interdire la présence de certains médias à la
conférence de presse. Après que Trump eut quali é les reporters
d’« ennemis » à l’emploi « d’organisations qui inventent des nouvelles »,
Spicer n’a rien trouvé de mieux que de barrer le chemin de la Maison-
Blanche aux médias suivants : le New York Times, le Washington Post, le
Los Angeles Times, CNN, le Hu ngton Post, Politico, la BBC et Buzzfeed
News.
Quelques semaines plus tôt, le même Spicer avait salué les médias en
ces termes : « qu’ils soient conservateurs, libéraux ou autres, ils font que
le démocratie reste une démocratie et non une dictature ». Dans les
heures qui ont suivi cette censure, cette attaque frontale contre la
presse si contraire au premier amendement de la Constitution et la
sacralisation de la liberté d’expression qui la distingue, des
commentateurs comparaient Trump à Viktor Orban, premier ministre
hongrois qui, en ayant pris l’information en otage, a métamorphosé la
démocratie hongroise en une autocratie.
Dans un commentaire publié dans le New York Times, Joel Simon,
directeur du Committee to Protect Journalists, souligne que le
dénigrement constant du travail des journalistes par le président était
non seulement une violation de l’esprit démocratique qui plane sur les
États-Unis, mais aussi un encouragement à tous les autocrates de la
planète de poursuivre leur travail de sape contre les fondements de la
démocratie.
Dans son texte, Simon rappelle que les États-Unis ayant défendu avec
constance la liberté de la presse, ils occupent une place particulière sur
le plan de la moralité publique. Par exemple, Bush avait critiqué à
plusieurs reprises les violations de la liberté de la presse au Zimbabwe
et au Venezuela et Obama s’était démené pour obtenir la libération de
journalistes en Éthiopie et au Vietnam. Et qu’a répondu Trump lorsque
Joe Scarborough de MSNBC l’a interrogé sur les assassinats
systématiques de journalistes en Russie ? « Bien, je pense que notre
pays fait plein d’assassinats également. »
Trump s’est fait le complice des pires régimes en matière de
protection des journalistes, soit l’Iran et la Turquie. Dans ces pays, on
estime que le nombre de reporters emprisonnés se chi re dans les
milliers. Dans le cas de la Turquie, le président Recep Erdogan n’a pas
fait dans la dentelle : il a mis le monde médiatique sous une chape de
plomb. Bref, il a fait pire que le régime précédent pourtant reconnu
perclus de corruptions.
Chapitre 4
MARS 2017 :
DONALD ET LE POT AU LAIT

Le 28 février au soir, Donald Trump a fait ce que tout président fait en


début d’année : il a livré son discours sur l’État de l’union… composé à
l’enseigne de la vanité ! En e et, maître Donald, sur son perchoir et
droit dans ses bottes, a assuré que si tout le monde fait ce qu’il
commande, alors « nos enfants grandiront dans une nation des
miracles ». Rien de moins ! Depuis ce cher Thucydide, on enseigne et on
répète que l’histoire est tragique. Donald arrive et hop ! Il transforme le
monde en une cour des miracles. A-t-il détaillé comment il entendait s’y
prendre ? Nenni ! Reprenons.
Depuis les propos qu’il a tenus lors de son investiture, on sait que tous
les présidents qui l’ont précédé depuis Bush père ont été des incapables,
les États-Unis subissant un carnage tous azimuts qu’il doit combattre à
la force du poignet. Il annonce, ce soir-là, qu’il va chambarder toutes les
relations commerciales que son pays poursuit avec toutes les nations de
la planète. Son objectif ? Faire en sorte que ces relations soient justes,
équitables. Comment ? Il n’en sou e mot.
Ensuite, il annonce une réduction des impôts des individus riches. À
ce propos, on ne se lasse pas de dire et de répéter, depuis le milieu des
années 1990, qu’un économiste britannique de l’université Warwick a
fait la preuve par A plus B que toute diminution des impôts accordée
aux riches d’entre les riches Américains est en fait une subvention
indirecte à l’industrie du luxe qui est un monopole quasi français,
Bernard Arnault et François Pinault étant les principaux propriétaires
des grandes marques, parfums, champagnes, alcools ns et bijouteries
d’Italie et de France.
Depuis que Reagan a adopté la théorie du ruissellement – ce que
j’accorde aux riches retombe après coup sur les autres –, développée par
l’économiste français Jean-Baptiste Say entre la n du XVIIIe et le
premier quart du XIXe siècle, on a constaté que le millionnaire
américain achète le grand cru de Bourgogne et non de l’Oregon, les
vêtements de Dior ou Saint-Laurent et non de Calvin Klein ou Donna
Karan, les sacs ou valises de Louis Vuitton ou Hermès et non
Samsonite, etc. Sans oublier Ferrari, Audi, BMW et autres Mercedes.
Ce cadeau aux riches, Trump l’a accompagné de la promesse suivante :
une réforme en profondeur du code de taxation sera menée a n qu’elle
se traduise par une baisse prononcée pour les entreprises. Et ce, en
bouleversant notamment la méthode de calcul des revenus des sociétés.
Sur ce sujet, il n’est pas allé plus loin. Mais si l’on se e aux ré exions
des membres républicains du Congrès à cet égard, il faut s’attendre à ce
que Trump adopte la théorie du « border ajustement ». C’est-à-dire ?
On modi e le mécanisme comptable de ce que l’on importe pour
fabriquer le produit X avant de l’exporter. Bref, nous voici plongés dans
l’équation dite du compliqué-complexe.
Puis Trump a promis de « faire repartir le moteur de l’économie
américaine » en gre ant aux mesures scales évoquées un vaste
programme de modernisation des infrastructures terrestres, aériennes,
ferroviaires, etc. Moyennant des investissements avoisinant les
1 000 milliards de dollars, Trump entend refaire les ponts, les routes,
les chemins de fer et autres à une condition : « Acheter américain et
employer des Américains ». L’exemple évoqué : « Les pipelines
américains doivent être faits avec de l’acier américain. »
En ce qui concerne les relations des États-Unis avec le reste du
monde, il a réa rmé son intention de coller à la doctrine dite America
rst, qui avait tant choqué, sans la nommer. Les termes employés
furent : « Mon travail n’est pas de représenter le monde. Mon travail est
de représenter les États-Unis d’Amérique. Et nous savons que
l’Amérique est dans une meilleure forme lorsqu’il y a moins de
con its. »
Paradoxalement, il a pro té de son diagnostic sur l’État de l’union
pour prendre le revers des positions avancées notamment lors d’un
entretien le mois précédent. Après avoir descendu en amme l’OTAN,
allant jusqu’à évoquer un possible retrait de son pays, voilà qu’il trouve
à cette organisation des qualités. « Nous supportons avec force l’OTAN,
une alliance fondée sur les décombres de deux guerres mondiales qui a
détrôné le fascisme, et mené une guerre froide qui a défait le
communisme. » Avant de répéter ce qu’il a martelé tout au long de sa
campagne, soit que les pays alliés en Europe et en Asie doivent
augmenter leurs budgets de la défense.
Des semaines auparavant, lors d’une conversion téléphonique avec le
président taïwanais, il avait dit envisager la mise entre parenthèses de
la politique dite Une Chine (One China) que tous les présidents avaient
respectée depuis la reconnaissance de la Chine de Mao par Richard
Nixon en 1972. Trump, on s’en doute, avait passablement agacé les
autorités de Pékin. Et alors ? Le 28 février au soir il se contredisait en
a rmant suivre la politique de ses prédécesseurs alors que quelques
jours auparavant il avait vertement critiqué la Chine parce qu’à ses
yeux, elle ne s’impliquait pas assez dans le dossier nord-coréen.
Lui qui se posait en avocat de l’isolationnisme ou en opposant du
multilatéralisme, voilà qu’il martelait que le leadership américain
« devait reposer sur les intérêts vitaux en matière de sécurité que nous
partageons avec nos alliés à travers le monde ». De la contradiction,
maître Donald est un champion.
RUSSIE, GUERRE ET PAIX
Dans les derniers jours, voire semaines, de l’administration Obama, la
fébrilité avait imprimé ses marques sur les fonctions quotidiennes du
président, de ses conseillers, des mandarins de l’État, des secrétaires et
autres professionnels de la politique. Plus les uns et les autres
épluchaient des informations d’origines diverses, analysaient des
témoignages ou écoutaient des transcriptions d’une foule de
conversations téléphoniques, plus ils réalisaient que le travail de sape
des élections américaines poursuivi pendant des mois et des mois par
les autorités russes, Poutine en tête, avait été d’une ampleur sans
précédent.
À la gravité des gestes commandés par le Kremlin s’est alors gre ée
une hantise : une fois installé à la Maison-Blanche, Trump va
s’appliquer à gommer des grands pans des malversations conçues par
les Russes et, ce faisant, détruire certains des piliers qui fondent la
démocratie. Quoi d’autre ? Si on laisse les Russes dormir tranquilles,
alors ils recommenceront. Non seulement ça, ce qu’ils ont fait chez
nous, ils le feront chez nos alliés.
On insiste : Obama et ses proches collaborateurs, dont les patrons des
diverses agences de renseignements appelés à quitter leurs bureaux au
lendemain de l’intronisation de Trump, avaient p-e-u-r ! Il faut savoir
qu’à plusieurs reprises, ce dernier avait martelé que l’administration
Obama avait monté en épingle l’opération de déstabilisation du
processus électoral par Moscou dans le but de le discréditer. Plus d’une
fois, Trump avait torpillé la crédibilité de la CIA, NSA et consorts,
laissant clairement entendre qu’il ne leur faisait pas con ance. CQFD :
la posture de Trump avait ceci de très dangereux qu’elle annonçait un
ébranlement des socles de notre sécurité.
On se rappellera qu’à la n de décembre, Michael Flynn, alors choisi
pour être conseiller à la Sécurité nationale, avait eu plusieurs
conversations téléphoniques avec l’ambassadeur russe Sergueï I.
Kisliak. On se rappellera également qu’en marge du congrès du Parti
républicain, plusieurs proches du futur président avaient été en
relation avec des Russes. Mais voilà qu’on apprenait, grâce aux
informations rassemblées par les maîtres espions britanniques et
néerlandais, que des proches de Trump avaient eu des rencontres avec
des Russes en Europe, aux Émirats arabes unis et aux Seychelles. On
apprenait également que des services de renseignements américains
avaient intercepté des conversations entre proches de Trump et des
représentants russes alors physiquement au… Kremlin ! Bref, la coupe
du ressentiment était pleine.
A n d’éviter l’étou ement d’une a aire autrement plus grave que celle
du Watergate, Obama avait décidé d’abaisser le niveau de sécurité pour
accéder à ce type de sujet. On s’explique. Dans le but de propager
l’information, le président sortant a descendu de quelques crans
l’habilitation de sécurité, car il voulait aussi que ces informations soient
partagées avec divers services européens.
Le 2 mars, le nouveau ministre de la Justice Je Sessions devait signer
un coup d’éclat propre à justi er la hantise d’Obama : il se retirait du
dossier russe. L’homme qui avait le pouvoir de nommer un enquêteur
spécial sur l’a aire se retirait, car il avait menti quelques jours
auparavant. En e et, lors des audiences tenues au Congrès pour
con rmer sa nomination, il avait nié avoir rencontré des représentants
russes. La vérité ? Il avait rencontré l’ambassadeur Kisliak. Détail d’une
grande importance, Sessions a discuté avec ce dernier, alors qu’il savait
que le FBI détenait les preuves de l’ingérence des Russes dans les
élections.
Lors de la conférence de presse organisée pour annoncer son retrait,
Sessions a minimisé la portée de ses pourparlers avec Kisliak en disant
qu’il lui était arrivé d’avoir des discussions avec des représentants
russes. Kisliak un simple représentant russe… Il était l’ambassadeur de
la Russie et non concierge, bonté divine ! Un ambassadeur formé à
l’école soviétique et qui, en tant que maître dans l’art de négocier la
réduction de l’arsenal nucléaire, avait été en poste à Washington de
1985 à 1989. Puis avait été nommé comme représentant de la Russie à
l’OTAN !
Bien évidemment, le retrait de Sessions devait agacer passablement
Trump, car quelques jours plus tôt, le 20 février pour être exact, il avait
une fois de plus a rmé qu’à « ma connaissance, personne avec qui je
travaille n’en a eu », des contacts avec les Russes s’entend, ou encore « je
n’ai rien à voir avec la Russie ». Le 3 mars patatras ! Le New York Times
révélait que les collaborateurs de Trump avaient eu de multiples
discussions avec des Russes haut placés. Exemple entre tous, Paul
Manafort, directeur de campagne de Trump pendant quelques mois,
entretenait des relations régulières avec un ancien gradé russe
également traducteur.
Le 20 mars cela devenait o ciel. Quoi donc ? Devant les membres du
House Intelligence Committee, le patron du FBI James B. Comey
annonçait qu’une enquête sur les malversations conçues par les
services russes a n de torpiller l’exercice électoral avait été ouverte. De
son témoignage devant les élus, on retiendra que Comey a fait un geste
très rare ou plutôt un geste que les patrons du FBI font seulement
lorsqu’ils estiment qu’il en va de l’intérêt général, soit, ici, dévoiler
l’objet d’une enquête.
Quasi simultanément, on apprenait que Roger J. Stone, conseiller de
longue date de Trump, avait échangé à plusieurs reprises avec les
animateurs du site Guccifer 2.0 qui, selon les services de
renseignements américains, étaient en contact avec les maîtres espions
russes chargés de la dissémination des courriels volés aux Démocrates.
On apprenait aussi que Michael Flynn avait perçu 65 000 dollars en
2015 d’une société qui était en fait la liale d’une entreprise russe
versée en cybersécurité. Après quoi, Flynn convenait de témoigner en
échange de son immunité.
FAISONS DIVERSION
Le 4 mars, par l’intermédiaire d’un de ses tweets cinglants, Trump
accusait Obama de l’avoir espionné en octobre 2016, en le traitant au
passage de « sale type ou malade ». Après quoi, il comparait l’écoute des
conversations téléphoniques qu’Obama aurait ordonnées au
cambriolage du Watergate. Sur quelle base, quelle preuve ? Aucune. Ce
jour-là, M. le président a campé M. Je-sais-tout-j’entends-tout-je-vois
tout.
Le seul indice sur lequel Trump basait ses accusations était en réalité
une intuition. Celle que cultivait son avocat à la Maison-Blanche,
Donald F. McGhan II. À la suite des révélations sur les liens entre
membres de la garde rapprochée de Trump et des personnalités russes,
McGhan a cru bon d’avancer que la très secrète Foreign Intelligence
Surveillance Court avait probablement donné son aval à l’écoute de ces
derniers à la demande du cabinet présidentiel.
Si tel avait été le cas, alors Obama aurait violé deux traditions ou deux
protocoles conçus pour garantir l’indépendance du ministère de la
Justice et du FBI vis-à-vis du président et de son personnel. Dans les
jours précédant l’accusation de Trump, Reince Priebus, directeur de
cabinet de la Maison-Blanche, fut vertement critiqué après que des
journalistes eurent révélé qu’il avait fait pression sur un haut
fonctionnaire du FBI a n qu’il nie les informations sur les liens entre le
camp de Trump et les Russes. En fait, le n mot de cet aspect du dossier
est le suivant : jaloux de son indépendance, le FBI a coulé la demande de
Priebus sur la place publique, histoire de lui servir une leçon.
Conformément à la mise en scène élaborée a n d’imprimer avec force
l’idée que Trump est une victime, les communicants des bas-fonds
trumpiens n’ont pas fait dans la dentelle. La posture de Sarah Huckabee
Sanders, attachée de presse, résume le tout à merveille. Selon cette
préposée à l’en ure, Obama est l’auteur du « plus grand abus de pouvoir
que notre pays ait vu. Écoutez, je crois que les informations qu’il a vues
l’ont conduit [le président] à croire que cela [l’écoute téléphonique] est
probablement vrai. […] Je pense que cet abus de pouvoir s’est avéré une
énorme attaque contre la démocratie en tant que telle. Et le peuple
américain a le droit de savoir si cela a eu lieu. »
Par la voix d’un de ses attachés, Obama a réagi en insistant sur le fait
suivant : jamais au cours de ses deux mandats il n’avait autorisé l’écoute
téléphonique d’un citoyen américain. Du côté du FBI, la réaction fut
passablement plus musclée, voire empreinte de colère, car les
insinuations de Trump laissaient entendre que cette institution avait
violé la loi. Après un deuxième tweet dans lequel le président se
montrait insistant, James B. Comey, directeur du FBI, demandait
o ciellement au ministère de la Justice d’intervenir publiquement et
au plus vite sur la place publique pour dire que tout cela était faux.
La requête du FBI ayant été ignorée par Je Sessions, les mandarins
de la plus importante organisation policière du pays se sont attelés à
expliquer pourquoi les accusations de Trump sont graves pour le FBI.
Car en plus d’avoir violé la loi, le FBI aurait été témoin, voire complice,
d’un complot mené par Obama a n de déstabiliser la jeune
administration Trump. Quoi d’autre ? Si le FBI avait mis Trump sur
écoute, alors il possède toutes les preuves, si preuves il y a, que celui-ci
était au courant des manipulations russes du processus électoral. Le
FBI avait donc tous les éléments pouvant justi er la mise en marche du
processus de destitution.
PAS D’IMMIGRANTS MUSULMANS
Le 6 mars, le président revient à la charge avec un nouveau décret anti-
immigration puisque le premier a été rejeté par trois cours fédérales. Ce
nouveau décret présente beaucoup de points communs avec le premier,
notamment le fait que les citoyens des pays arabes où il possède des
propriétés ne sont pas touchés. Et à la demande du secrétaire à la
Défense James Mattis, l’Irak ne gurait plus sur la liste. Pour le reste,
l’objectif restait le même : réduire de 110 000 à 50 000 le nombre de
réfugiés acceptés aux États-Unis.
Trump édictait encore une politique de discrimination basée sur la
religion. Les gens de confession musulmane originaires de l’Iran, de la
Libye, de la Somalie, du Soudan, de la Syrie et du Yémen étaient
considérés comme des terroristes potentiels.
Après analyse de la poursuite déposée par le procureur général
d’Hawaï, suivie par la Muslim Association of Hawaï, un juge de la Cour
fédérale du district d’Honolulu interdisait l’application de l’ordre
présidentiel sur tout le territoire des États-Unis, « a nationwide order ».
Dans son argumentation, le magistrat, soit Derrick K. Watson, estimait
que le mémorandum de Trump était anticonstitutionnel, car il faisait le
lit de la discrimination sur une base religieuse. Ce faisant, Trump
battait en brèche la neutralité de l’État.
En fait, le juge Watson prit soin de souligner que Trump était parti en
guerre contre une religion : l’Islam. Dans sa conclusion, il précisait que
personne « ne peut nier, puisqu’on utilise les informations sur
lesquelles le gouvernement s’est appuyé, que les populations de ces six
pays sont musulmanes à une très forte majorité, de 90,7 % à 99,8 %. De
fait, il n’est pas erroné de conclure qu’en visant ces pays, c’est l’Islam
qu’on vise. »
Peu après, un juge de la Cour fédérale du Maryland et un autre de
l’État de Washington en arrivèrent aux mêmes conclusions : cette
politique était contraire à la Constitution. Dans le cas de l’État de
Washington, le magistrat s’était penché sur une plainte déposée par
l’association des procureurs généraux démocrates. Pour faire court, ces
deux juges estimaient que le décret violait l’article 1 de la Constitution.
Au début mars, Trump ordonnait le renvoi de 46 procureurs nommés
par Obama, dont celui du poste le plus puissant au pays, car Wall Street
est dans sa juridiction, soit le procureur du district sud de New York :
Preet Bharara.
Le cas Bharara a ceci de passionnant et de désolant qu’il révèle que
même sur le front de la justice, Trump prend un soin méticuleux à
violer les règles ou protocoles. Il est formellement interdit que le
président ait toute relation, toute discussion directe avec un procureur
une fois celui-ci nommé a n de protéger ce dernier de toute pression de
l’Exécutif, voire d’abus de pouvoir. Après que Trump eut essayé de
rejoindre Bharara au téléphone, celui-ci a dû contacter un conseiller du
ministère de la Justice a n qu’on explique au président l’existence de
ces balises.
Bon, Bharara est viré. Fait particulier ? Le lessivage de l’appareil
judiciaire e ectué par Trump a été décidé alors que ce procureur
enquêtait sur certains agissements portant l’empreinte des o ciers à la
propagande que sont les dirigeants et les animateurs du réseau Fox.
Reprenons le l.
Dans les jours antérieurs à la publication du bannissement des
citoyens de six nations musulmanes, Trump licenciait donc
46 procureurs nommés lors des deux mandats d’Obama.
Simultanément, on apprenait, grâce à un scoop du New York Times, que
le journaliste vedette de Fox et ami de Trump, Bill O’Reilly, ainsi que
Roger Ailes, grand patron de cette chaîne, avaient multiplié les actes de
harcèlement sexuel au l des ans.
En ce qui concerne O’Reilly, les journalistes du New York Times
avaient découvert qu’au cours de sa longue collaboration avec Fox, les
principaux actionnaires de ce réseau, Rupert Murdoch en tête, avaient
signé des ententes hors cour avec les victimes de ces messieurs. CQFD :
des millions et des millions avaient été accordés à X nombres de
femmes. Et alors ? Le procureur du district sud de New York avait
estimé que les actionnaires de Fox n’ayant pas été informés ou si peu à
cet égard, il y avait obligation d’enquête.
ASSURANCE DE BAZAR
Durant les années qui ont suivi l’adoption, le 30 mars 2010, du Patient
Protection and A ordable Care Act, plus connu sous le nom
d’Obamacare, les Républicains et tout ce que le pays compte de groupes
conservateurs, de lobbys défendant des intérêts particuliers ayant le
béné ce nancier comme dénominateur commun, se sont évertués à
descendre en ammes cette réforme de la santé. En fait, ces opposants
étaient déchaînés, tellement ils étaient habités par le fanatisme et son
concert de stupidités.
Rien ne symbolise mieux la violence avec laquelle ce dossier fut traité
que l’attitude adoptée par Sarah Palin. Sur les ondes radio et télé, sur les
parvis des églises et des sièges gouvernementaux, Palin avait ramené
l’Obamacare à une politique d’euthanasie digne du régime nazi. Rien de
moins. Elle a même ajouté que cette loi consacrait la création de
tribunaux de la mort qui décideraient du sort de tous les vieux.
Durant les primaires comme durant la campagne présidentielle,
Donald Trump avait fait de sa réforme de la santé sa principale
promesse. À mille reprises, il s’était engagé à proposer un régime qui
garantirait « une assurance à tout un chacun à un coût moins élevé et
avec une meilleure couverture ». Dans la foulée de l’Obamacare,
20 millions de citoyens avaient obtenu une assurance alors
qu’auparavant la grande majorité d’entre eux n’en possédaient pas et
11 millions de personnes cataloguées comme pauvres et réparties dans
31 États avaient béné cié de ce plan. On se rappellera et on retiendra
que le coût moyen annuel d’une assurance maladie pour la famille type
est de 18 000 dollars américains.
Les Républicains proposèrent leur plan au cours de la première
quinzaine de mars. Signe particulier ? Il loge à l’enseigne du compliqué-
complexe. Mais encore ? Il révèle combien les Républicains ont la haine
du pauvre chevillée au corps. Le projet prévoit la n de l’expansion du
plan Obama en 2020. Ceux qui s’étaient inscrits à l’Obamacare avant
cette date et qui le resteront en permanence conserveront leur
couverture. Les autres ? Non. Il faut comprendre que l’Obamacare allait
jusqu’à assurer un ménage de quatre personnes disposant d’un revenu
annuel de 33 900 dollars américains, ou 138 % du niveau de pauvreté
calculé par le fédéral. Et alors ? Dépendamment du revenu annuel
perçu, des gens ne renouvellent pas toujours leur inscription.
Le projet prévoit par ailleurs des déplacements budgétaires inhérents
à la gestion de l’assurance santé totalisant 370 milliards au cours des
10 prochaines années. Selon l’analyse du Center on Budget and Policy
Priorities, les déplacements en question vont pénaliser les États
pauvres, car ces déplacements vont les forcer à réduire le nombre de
personnes couvertes.
Le projet républicain annonçait également une diminution de 32 % (!)
des subventions prévues dans l’Obamacare pour l’acquisition d’une
assurance maladie. Comble de l’hypocrisie, il promettait aux personnes
de 60 ans et plus une multiplication par deux des subventions, mais il
permettait aux assureurs de… multiplier par cinq le prix de l’assurance
que les compagnies proposent aux plus jeunes. En n, on s’en doute, les
Républicains gâtaient encore une fois les riches et les entreprises en
éliminant tout simplement la taxe introduite par Obama a n de
rembourser une partie des coûts de l’Obamacare, soit 600 milliards sur
10 ans.
Le 13 mars, le Congressional Budget O ce, chien de garde budgétaire
indépendant des partis politiques, publie son analyse du plan
républicain : une douche froide. Selon cette institution, le plan va
augmenter de manière très prononcée la cohorte des gens sans
couverture médicale : soit 24 millions dont 14 millions au cours de
l’année suivant son adoption. Cette donnée parmi d’autres va
convaincre les élus républicains modérés de s’opposer au Trumpcare.
Sénatrice du Maine, Susan Collins sera à la pointe de ce combat.
D’autant que quelques jours auparavant, des organisations diverses
avaient témoigné devant les membres du Congrès pour dire leur
opposition à la couverture proposée par les Républicains dont :
l’American Hospital Association, l’Association of American Medical
Colleges, la Catholic Health Association of The United States, la
Children’s Hospital Association, l’American Nurses Association et
l’American Association of Retired Persons. En d’autres mots, l’ensemble
du monde hospitalier estimait ce plan contraire à l’intérêt public. Point.
Le 24 mars, Paul D. Ryan, leader des Républicains à la Chambre des
représentants, se rendait à la Maison-Blanche. Sa mission était à la fois
simple et désagréable quand on sait combien le président Trump est
irascible : convaincre ce dernier de reporter le vote sur l’assurance-
maladie à plus tard, car les 40 élus républicains regroupés au sein du
Freedom Caucus étaient toujours décidés à voter contre le projet.
Trump va se ranger à l’avis de Ryan : il va reporter le vote, mais exiger la
vengeance contre les alliés des Démocrates, donc des traîtres.
LE MAJORDOME DE L’OBSCURANTISME
Le 9 mars, Scott Pruitt, nouveau patron de l’Environmental Protection
Agency (EPA) a rmait, sur les ondes de CNBC, que le dioxyde de
carbone n’était pas le principal moteur du changement climatique. « Je
crois que mesurer avec précision l’activité humaine sur le climat est
quelque chose de très di cile à faire et qu’il y a un profond désaccord
sur le degré de son impact. […] Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il est
le principal contributeur du réchau ement climatique observé. »
Ce faisant, cet avocat contredisait des décennies de recherches
e ectuées par diverses institutions scienti ques et agences fédérales. Il
contredisait également l’étude publiée en 2013 par l’Intergovernmental
Panel on Climate Change qui rassemble pas moins de
2 000 scienti ques de divers pays qui assuraient qu’il est « plus que
probable » que plus de la moitié du réchau ement de la planète était la
conséquence des émissions de dioxyde de carbone et des gaz à e ets de
serre. Ce n’est pas tout.
Dans les jours précédant l’audience sénatoriale prévue pour étudier sa
nomination à la tête de l’EPA, la NASA concluait son rapport en ces
termes : « La température moyenne à la surface de la Terre a augmenté
de 2 °F (1,1 °C) depuis la n du XIXe siècle, un changement qui découle
principalement de la hausse du dioxyde de carbone et des autres
émissions humaines qui vont dans l’atmosphère. »
Dans une entrevue accordée au New York Times, le docteur Benjamin
Santer, du Lawrence Livermore National Laboratory, rattaché au
ministère de l’Énergie, con ait que « M. Pruitt se trompe. La
communauté scienti que étudie ce cas depuis des décennies. Et le
consensus de beaucoup d’études nationales et internationales et très
simple : les facteurs naturels ne peuvent pas expliquer le volume et les
mécanismes du réchau ement. Un fort pourcentage de l’in uence
humaine sur le changement global du climat est la meilleure
explication du réchau ement que nous avons mesuré et suivi. »
Rien n’illustre mieux l’imbécillité de la posture de Pruitt que les
critiques proférées à son endroit par des cadres supérieurs des grandes
sociétés pétrolières. En marge de la conférence annuelle de CERAWeek,
qui regroupe les producteurs de pétrole, Wael Sawan, vice-président
exécutif de Shell Energy Resources résumait l’opinion de ses confrères
en ces termes : « Je suis convaincu que le CO2 cause de sérieux
problèmes à notre génération et aux futures générations. »
Paradoxalement, Pruitt en traduisant la position évoquée plaçait
l’EPA sur la voie de la violation de la loi fédérale. En 2009, l’EPA avait
émis un avis juridique qui stipulait que le dioxyde de carbone avait créé
des dommages si élevés qu’il correspondait parfaitement à la dé nition
comprise à la rubrique santé des humains du Clean Air Act. Selon les
obligations imposées par cette loi, tous les pollueurs doivent être
réglementés et surveillés par l’EPA. Une cour fédérale avait con rmé
cette opinion avant que la Cour suprême refuse carrément d’entendre
une plainte déposée à ce sujet.
Dans les jours suivant sa con rmation à l’EPA par les membres du
Congrès, Pruitt t un geste qui révélait combien son scepticisme anti-
climatique se confondait avec le fanatisme. Il a nommé aux postes clés
de l’EPA les principaux collaborateurs du sénateur républicain James
Inhofe, réputé chef de le des négationnistes du réchau ement
planétaire au Congrès.
Le travail de destruction des balises légales et réglementaires a
rapidement débuté. Pruitt ordonnait la mise au rancart du programme
consistant à relever les données inhérentes à l’émission de méthane.
Puis il s’appliquait au démantèlement du processus judiciaire conçu par
Obama a n que le fédéral ait davantage de pouvoir en ce qui concerne
l’eau – rivières, lacs, etc. –, a n de prévenir la pollution. De plus, il
estimait fondé que la Maison-Blanche envisage de couper le budget de
l’EPA de 24 % ou 2 milliards et le nombre d’employés de 20 % ou
3 000 personnes.
En alignant des politiques contraires au mandat de l’EPA, Pruitt
con rmait, comme si besoin était, qu’il était bel et bien la marionnette
des frères Charles et David Koch. Ces deux-là sont à la tête de la plus
grosse fortune privée du monde : environ 100 milliards de dollars
américains. En fait, si l’on considère que leur fortune découle d’une
entreprise et une seule, Koch Industries, alors ils sont plus riches que
Bill Gates et Warren Bu ett. Ces libertariens pur sucre sont également
de grands pollueurs : le pétrole, les mines, la chimie, c’est leur « truc ».
L’origine de leur fortune est si singulière qu’elle commande plus d’un
arrêt sur image.
Leur père Fred a fait son premier million grâce au contrat que Staline
lui avait accordé dans les années 1920 pour mettre en place un réseau
d’extraction du pétrole. Puis son deuxième plus gros contrat lui fut
accordé par Adolf Hitler qui lui commanda notamment la construction
d’une énorme base pétrolière à Hambourg. Sa fréquentation du régime
nazi eut sur lui un tel impact qu’il devint lui-même nazi. Par exemple, il
interdisait que l’on prononce le h de son nom parce que cela lui donnait
une connotation trop juive.
Pour éduquer ses quatre ls, il engagea une gouvernante allemande
folle amoureuse d’Hitler et de ses idées. Dans les années 1950, Fred
cofonda la John Birch Society si violemment anticommuniste et si
raciste – chaque Noir est un communiste potentiel –, que Bob Dylan lui
a consacré une chanson, Talkin’ John Birch Paranaoid Blues, qui résume
à merveille combien cette société se conjugue avec le nazisme : « Now
we all agree with Hitler views/although he killed six millions Jews/It
don’t matter too much that he was a fascist/At least you can’t say he was
a Communist » ou « Nous partageons tous les vues d’Hitler/bien qu’il
ait tué six millions de Juifs/cela a peu d’importance qu’il fut fasciste/au
moins, on ne peut pas dire qu’il était communiste… »
Hélas, trois fois hélas ! Le devoir de mémoire n’étant nulle part inscrit
dans la « plus meilleure constitution du monde-mondial » qu’est celle
des États-Unis, la collaboration de la famille Koch avec le régime nazi,
comme celle d’ailleurs de General Motors, Ford, Dupont, IBM, Chase
Manhattan Bank, les Rockefeller et bien d’autres, reste un tabou…
En fondé de pouvoir obéissant aux souhaits des frères Koch, Pruitt est
allé jusqu’à faire clairement allusion à l’élimination de l’EPA. En e et,
devant les membres de la Conservative Political Action Conference
(CPAC), Pruitt, interrogé à ce propos, a répondu : « Je crois que ce serait
justi é. Je pense qu’à travers le pays, les gens considèrent l’EPA comme
ils considèrent l’IRS », soit l’Internal Revenue Service qui est en fait
l’administration des impôts.
La négation du savoir, le refus de reconnaître des vérités, la volonté de
s’opposer à tout examen rationnel qui caractérise Pruitt ont eu une
conséquence inattendue : des scienti ques ont jugé cela si grave qu’ils
ont décidé de s’engager en vue des élections de mi-mandat en novembre
2018. Physicienne des particules à l’université de Washington, Chanda
Prescod-Weinstein a con é préférer l’engagement politique plutôt que
la collaboration avec Pruitt et consorts « parce que l’histoire nous
enseigne que la collaboration ne marche jamais à l’avantage de la
science. Lorsque vous travaillez avec des extrémistes, des racistes, des
gouvernements islamophobes ou nationalistes, ça ne fonctionne jamais
pour la science. »
LE BUDGET DE LA GUILLOTINE
C’est bien simple, le premier budget proposé par Donald Trump fut à
l’image de l’homme : brutal ! Pour reprendre le titre de l’éditorial que le
New York Times a consacré à ce sujet, Trump était à l’évidence habité
par « la volonté d’abattre ». Quand on s’attarde aux chi res, on ne
saurait mieux dire. On le répète, mais autrement : Trump voulait punir.
Quelles catégories sociales ou quels groupes d’individus ? Toutes et
tous, à l’exception des riches et des militaires. C’est bien simple (bis), il
a réduit tous les postes budgétaires non impliqués dans la chose
militaire. Détaillons.
Au ministère de la Défense, il « o rait » une augmentation de 10 %, à
574 milliards de dollars, à celui de la Sécurité intérieure, c’était 7 %, et à
celui des Vétérans 6 %. Lorsqu’on compare le budget de la Défense à
celui du département d’État où il commandait une réduction de près de
30 % ou 11 milliards, on a le sentiment que le chef de l’Exécutif
souhaitait réduire le rôle de la diplomatie américaine à celui de gurant
au pro t de la force militaire. Paradoxe des paradoxes, il s’est trouvé des
hauts gradés militaires pour critiquer ouvertement et en des termes
fermes les choix de Trump en ces matières. Ils estimaient et estiment
encore et toujours que les organisations américaines non militaires et
versées en a aires internationales amènent la stabilisation.
La première victime des réductions ordonnées du côté du
département d’État est l’ONU et ses diverses agences. Ensuite ? La
Banque mondiale et les programmes ou institutions culturelles à
vocation internationale comme le East-West Center à Honolulu.
Lorsqu’on additionne les réductions xées sur le front international et
celles visant le anc intérieur, on obtient une somme égale à la hausse
accordée au Pentagone et seulement au Pentagone : 54 milliards.
À mots à peine couverts, des dirigeants de diverses nations ont jugé
que cette rallonge mettait en relief la volonté guerrière américaine. En
Asie, ce budget a suscité d’autant plus d’aigreurs que sous
l’administration précédente, Obama avait ordonné un ample
redéploiement des forces américaines dans le Paci que, notamment en
Australie.
De tous les postes de dépenses, celui qui a le plus écopé est l’EPA avec
une diminution de 31 % ou 2,6 milliards de dollars. La violence, c’est le
mot dont cette administration a été la cible, a suscité la colère de la
communauté scienti que qui a compris illico que, ce faisant, Trump
mettait entre parenthèses la recherche et la lutte sur le changement
climatique. Pour les États du Wisconsin et du Michigan, cela signi ait la
n du programme de dépollution des Grands Lacs comme de la baie de
Chesapeake en Virginie.
Pour l’exercice nancier 2018, le dé cit devrait totaliser 487 milliards
de dollars, avant de se xer à 1 000 milliards en 2023 si les choix sont
maintenus à quelques milliards près. Évidemment, ces choix ont fait
hurler bien des économistes qui ont vu la marque de la bêtise et de
l’irresponsabilité. Car au vu des paramètres socio-économiques qui
singularisaient les États-Unis cette année-là, on savait d’ores et déjà
que les dépenses liées aux personnes de 65 ans et plus pour ce qui est de
la sécurité sociale, Médicare, Medicaid et les retraites des militaires et
des employés fédéraux vont passer de 37 % en 2017 à 45 % du total du
budget.
La haine du pauvre étant devenue la marque du Parti républicain, on a
décidé de fermer une agence fédérale fondée en 1965 par Lyndon B.
Johnson dans le cadre de sa politique baptisée Great Society. Baptisée
Appalachian Regional Commission, cette agence voyait au
développement des infrastructures et de l’économie des régions les plus
pauvres des États-Unis. Quant aux institutions culturelles dont
plusieurs ont vu le jour sous l’administration Johnson, elles ont été
supprimées ou presque. Il s’agit de la National Endowment for the Arts,
la National Endowment for the Humanities et la Corporation for Public
Broadcasting, soit la maison mère du réseau télé PBS et radio NPR.
Le mot de la n appartient à un Républicain, Charles Dent,
représentant de Pennsylvanie : « Le président propose, le Congrès
dispose. Nous ne pouvons pas nancer la montée en puissance de la
défense aux dépens des dépenses intérieures et non militaires. C’est à la
fois irréaliste et injuste. »
NOMINATIONS ET CHAISES VIDES
Lorsqu’on lit le curriculum de Jay Clayton, avocat nommé le 8 mars par
Trump au poste de président de la Securities and Exchange
Commission (SEC), soit LE gendarme de la Bourse, on ne se pose pas
les questions usuelles sur sa compétence, son expérience et autres.
Non ! Quand on s’attarde au curriculum vitæ de maître Clayton, on ne
peut qu’être subjugué, pour ne pas dire e aré, par l’élasticité morale qui
distingue tous ceux qui ont été mêlés à sa nomination.
Voici un homme 50 ans qui en tant qu’associé du puissant bureau
d’avocats Sullivan & Cromwell a défendu les intérêts notamment de la
Deutsche Bank, d’UBS, de Volkswagen, de Goldman Sachs, de Valeant
Pharmaceuticals International, de Weinstein Company, oui celle
d’Harvey Weinstein, de LinkedIn, de la rme de courtage immobilier
Ocwen, du fonds spéculatif Pershing Square Capital et autres qui ont
été pris, par les agents du FBI comme des procureurs du district sud de
New York, la main dans le sac des magouilles diverses, dans celui des
escroqueries sur grande échelle, on pense à la Deutsche Bank, celui des
malversations d’envergure comme UBS ou Valeant, etc.
Voilà un homme de 50 ans qui a placé les millions et les millions
accordés au l des ans par les entreprises ci-haut, en échange de ses
services évidemment, dans 175 (!) fonds d’investissement et actions
d’entreprises, donc, comme dirait l’ami La Palice, inscrites à la Bourse.
Voilà un homme de 50 ans qui a aiguisé l’inquiétude de la sénatrice
démocrate Catherine Cortez Masto, du Nevada, car il a représenté les
intérêts de l’entreprise de téléphonie suédoise TeliaSonera après un
échange de propriétés avec la russe MegaFon qui, elle, est liée à l’Iran.
Pour faire court, les autorités américaines associées aux autorités
néerlandaises ont fait la proposition suivante à TeliaSonera : vous payez
une amende de 1,4 milliard et on abandonne les poursuites de
corruption sur grande échelle qui pèsent sur vous.
Voilà un homme qui promet de se retirer de tous les dossiers où ses
anciens clients seront nommés, ce qui est la moindre des choses, mais
qui, si sa bre éthique avait l’épaisseur du papier à cigarettes au
minimum, devrait se retirer tout bonnement, tout simplement. Car
lorsqu’on additionne ses clients qui forment rien de moins que
l’aristocratie de la voyoucratie boursière, comme en témoigne la Crise
de 2008, à ses placements dans 175 sociétés, mettons qu’il sera dans les
faits un… président tablette ! Autant nommer Alexandre le
bienheureux, on sera plus honorablement servi.
Le 14 mars, la banque d’a aires Goldman Sachs fait encore parler
d’elle. Cette fois-ci en la personne de James Donovan, que Trump vient
de nommer sous-ministre du Trésor, donc bras droit de Steven
Mnuchin lui aussi ex-cadre de Goldman. Avec Gary Cohn et Steve
Bannon, ils sont quatre anciens de Goldman au cœur du pouvoir. Le
mandat de Donovan ? Établir une politique de déréglementation
béné que aux entreprises et aux banques, ainsi que Trump l’avait
promis.
À côté de ses nominations e ectuées à l’aune des intérêts d’une caste,
on observe une masse de chaises vides. Plus exactement un nombre
jamais vu de postes inoccupés. Leur nombre est si imposant qu’on dit
l’appareil d’État totalement grippé. Au sein même de la majorité
républicaine, on reconnaît, à mots évidemment couverts, que les
experts démocrates pour tout ce qui a trait à l’administration publique
ont raison : Trump ayant tardé à faire des nominations importantes, la
gestion de l’État a che d’ores et déjà des mois de retard. Le hic ? C’est
qu’outre les e ets que l’on devine pénibles, cette lenteur ralentit la
poursuite de dossiers avec des alliés qui ne cachent plus leur
agacement.
En chi res, la situation est la suivante : personne n’a été nommé ne
serait-ce qu’à un poste appartenant à la catégorie vitale car essentiel à
une gestion normale de l’appareil d’État. Plus exactement, Trump n’a
toujours pas choisi les numéros deux et trois des ministères les plus
importants. Selon un « scoop » du New York Times, l’O ce of
Government Ethics, dont l’une des fonctions consiste à enquêter sur les
nances des candidats, avait reçu, en date du 5 mars 2017, 63 demandes
d’enquête, comparativement à 228 par Obama, à la même date, lui qui
avait déjà été accusé d’avoir été lent.
Au secrétariat d’État, l’impact de cette politique de la chaise vide fut
particulièrement profond, 6 sous-secrétaires et 22 assistants n’ayant
pas été remplacés. Au Trésor, toujours pas de conseiller général, ni trois
sous-ministres et neuf assistants etc. L’incroyable fouillis dans lequel
est empêtrée la haute administration est rien de moins que le re et de
l’indi érence manifestée par Trump à l’égard des activités du comité de
transition qui fut opérationnel à la minute où sa victoire à la
présidentielle fut annoncée.
Trump ne veut pas gérer l’État à la mesure de la complexité inhérente
à son poids, mais bien comme un de ses hôtels, soit en petit comité. Aux
questions posées par un journaliste de Fox News, il a résumé sa
position : « Je ne veux pas nommer des gens à beaucoup de ces postes
parce que ce n’est pas nécessaire. Je me demande : que font tous ces
gens ? Nous n’avons pas besoin de tous ces postes. » Le résultat
recherché ? L’a aissement de l’État dans son ensemble.
À l’a aissement de l’État, il faudrait gre er une énormité qui en dit
long sur l’inhumanité dans sa forme la plus absolue qui habite Trump et
la majorité des Républicains : soit la guerre à la connaissance, au savoir,
au progrès, aux réalités du monde. De-que-cé ? Les réductions
monstrueuses, il n’y a pas d’autres mots, décrétées du côté de la science
en général, de la médecine en particulier. Des chi res a érents à ce
dossier, on a retenu une réduction de près de 6 milliards de dollars ou
18 % du budget des National Institutes of Health qui emploient des
centaines de chercheurs ainsi qu’une réduction de 900 millions ou 20 %
du budget de l’O ce of Science du département de l’Énergie.
Physicien de renom et directeur général de l’American Association for
the Advancement of Science, Rush D. Holt a réagi en ces termes :
« N’ont-ils pas pensé aux avancées qui doivent être réalisées, aux
améliorations qui doivent être accomplies pour la condition humaine ?
Le bilan de la science a été si positif pendant tellement d’années – qui
voudrait s’en débarrasser ? À quoi pensent-ils ? » Pour sa part, dans un
communiqué, l’American Society of Clinical Oncology a souligné que ce
budget « aura un e et dévastateur sur l’infrastructure de la recherche
fédérale déjà si fragile ».
Tel que proposé, ce budget va probablement se traduire par
l’élimination du John E. Fogarty International Center fondé dans les
années 1960. Depuis sa fondation, cette institution a fait des
recherches, entre autres, sur le sida, l’ebola, le diabète, la mortalité des
femmes enceintes. Le fait et juste le fait d’envisager la fermeture d’un
centre réputé dans le monde entier a fait réagir une personnalité qui n’a
rien à voir avec la science : J. Stephen Morrison, premier vice-président
du Center for Strategic and International Studies. Selon son analyse le
Fogarty International Center favorise « l’avancée des intérêts des États-
Unis de multiples façons ».
On fait l’impasse sur les réductions à la NASA, l’Advanced Research
Projects Agency et autres lieux où l’intelligence est la valeur cardinale
pour mieux souligner que ce budget est le révélateur par excellence de
l’anti-intellectualisme qui habite Trump et ses collaborateurs, les
leaders républicains et le réseau de la vulgarité qu’est Fox News. Nos
commentateurs patentés se seraient débarrassés de leur pudeur de
gazelle qu’ils nommeraient cet anti-intellectualisme pour ce qu’il est : la
marque de commerce (sic) du fascisme. La di érence avec Benito et sa
cohorte lorsqu’ils marchèrent sur Rome ? Trump et les siens portent la
cravate, la bleue ou la rouge, soit la couleur des courtiers en valeurs
nauséabondes.
L’ÉTRANGER DE L’INTERNATIONAL
Le 17 mars, Trump reçoit la chancelière allemande Angela Merkel à la
Maison-Blanche. C’est leur première rencontre, leur premier face à face
après que Trump eut vertement critiqué, au cours de la campagne
électorale, l’accueil réservé par Merkel aux réfugiés. À la condamnation
de cette politique humaniste s’est ajouté par la suite, nous l’avons vu,
notamment lors d’un entretien avec deux journalistes européens, le
souhait de voir l’Union européenne imploser ainsi qu’une exigence
nancière. Laquelle ? Trump estimant que bien des pays membres de
l’OTAN n’ayant pas payé leur dû, ils devaient rembourser les États-Unis
et augmenter à l’avenir leur quote-part. Bien.
Après avoir discuté de ces sujets et d’autres derrière des portes closes,
Trump et Merkel ont fait ce qui se fait en pareilles circonstances : une
conférence de presse commune. La première chose que les journalistes,
notamment du New York Times, du Washington Post et de Politico ont
relevé, c’est la froideur qui caractérisait la relation entre ces deux
dirigeants. À l’évidence, ils ne s’apprécient guère, pour dire les choses
poliment. En empruntant au vocabulaire de la bienséance, Merkel a
résumé les choses comme suit : « Bien, les gens sont di érents. Parfois,
il est di cile de trouver des compromis, mais c’est pour cela que nous
avons été élus. Si tout allait bien, s’il n’y avait pas de problème, alors
vous n’auriez pas besoin de politiciens pour faire ce boulot. »
Cela étant, malgré une séance de discussion, les divergences sur les
dossiers évoqués sont demeurées. Les réfugiés ? Merkel juge qu’il est
nécessaire de leur fournir de l’assistance a n d’améliorer leur sort, de
stabiliser leurs pays et de prévenir de possibles guerres civiles.
L’OTAN ? Elle s’est engagée à augmenter le budget a érent. Sur le front
commercial, Trump estimait que les négociateurs allemands avaient
été plus habiles que leurs homologues américains lors des discussions
sur les accords commerciaux. Merkel répondait que ce n’est pas son
pays qui avait mené ces négociations, mais les représentants de l’UE à
qui les membres avaient délégué leurs pouvoirs en cette matière. Sur la
dissolution de l’UE souhaitée par Trump, Merkel a répondu « qu’elle
était profondément convaincue » que le succès de l’Allemagne « était
inextricablement lié à celui de l’UE ». Et Trump…
Et Trump de dire qu’entre les deux dirigeants, il y a tout de même un
point commun : Obama les a fait espionner avec le concours des
services secrets britanniques. Bien entendu, cette accusation jamais
soutenue par des faits a tétanisé aussi bien les services britanniques que
le gouvernement de Theresa May qui, par la voix d’un porte-parole, a
quali é le propos de Trump de « ridicule ».
Presque simultanément à la rencontre Merkel-Trump, à Séoul le
secrétaire d’État Rex Tillerson dévoilait o ciellement la politique des
États-Unis à l’égard de la Corée du Nord. Sur un ton qui ne laissait
aucun doute sur la fermeté de la politique en question, Tillerson
assurait, lors d’une conférence de presse suivant sa rencontre avec les
dirigeants de la Corée du Sud, que « la politique de la patience
stratégique », telle que dé nie par Obama, « était terminée ». Et d’une.
Et de deux, Kim Jong-un ayant a rmé le jour de l’an que son pays
était rendu à la dernière étape préalable au lancement d’un missile
É
intercontinental pouvant atteindre les États-Unis, Tillerson con ait
que le recours à la frappe préventive était désormais sur la table des
options étudiées par les États-Unis. Et de trois, le secrétaire d’État
martelait qu’il n’y aurait pas de pourparlers avec la Corée du Nord tant
et aussi longtemps que ses dirigeants n’auraient pas ordonné la n de
leur programme nucléaire et la destruction de leurs armes de
destruction massive. La veille au Japon, après une rencontre avec le
premier ministre Shinzo Abe, Tillerson avait estimé que la politique
suivie par son pays pendant une vingtaine d’années était un échec.
Le 19 mars, Tillerson et le président chinois Xi Jinping a rmaient que
les deux pays s’étaient engagés sur la voie d’une coopération plus
étroite. Mais une fois gommée la langue de bois qui singularise ce type
d’exercice, les contentieux demeuraient en l’état. Sur la Corée du Nord,
qui la veille avait e ectué un autre test balistique, il ressort que le statu
quo triomphait une fois encore, même si le comportement de Kim
Jong-un, le président nord-coréen, donne des maux de tête aux
Chinois.
Depuis Bill Clinton, les administrations américaines ont beau avoir
demandé plus de coopération aux Chinois qui ont fait mine
d’acquiescer, le dossier coréen n’a pas bougé, pour ainsi dire, d’un iota.
Car si le programme nucléaire coréen a enregistré des progrès, c’est bel
et bien parce que la Chine a laissé transiter par son territoire les
matières nécessaires à la fabrication de la bombe. Il est probable que
cette mauvaise volonté est une réponse à la mauvaise foi des
Américains qui appellent à plus de coopération, mais appliquent leur
programme dit Terminal High Altitude Area Defense ou THAAD qui
consiste à implanter un réseau de défense antibalistique en Corée du
Sud. Ce faisant, les États-Unis s’attaquent à la dissuasion nucléaire
chinoise.
Pendant ce temps, à New York, Jared Kushner, gendre de Trump et
conseiller principal en relations internationales, qui reste à la tête d’un
empire immobilier malgré sa fonction o cielle, vendait une de ses
propriétés pour un montant de 400 millions de dollars. À qui ? À une
compagnie d’assurances chinoise, Anbang Insurance Group, qui
appartient à des familles de hauts dirigeants du Parti communiste
chinois. Le con it d’intérêts ? Ben voyons donc, quelle vilaine
expression. Money talks!
Chapitre 5

LE TRIOMPHE POST-
MORTEM DE JACKSON

Lorsque Donald Trump a annoncé sa candidature en juin 2015, il a fait


ce que tous font en pareilles circonstances : dévoiler son slogan. Soit
Make America Great Again. La nature singulière de cette expression –
est-ce que la première puissance du globe serait en plein déclin ? – a
suscité tout logiquement une question : Trump serait-il un populiste ?
Plus précisément, serait-il l’héritier politique d’Andrew Jackson,
7e président du pays, de 1829 à 1837 ?
Après la répétition de la formule America First lors de son discours
d’inauguration en janvier 2017 et des divers commentaires qu’il avait
livrés lors de la campagne à propos notamment des immigrants, la
question évoquée s’était métamorphosée en une certitude : Trump est
bel et bien un populiste.
Sa posture devait d’autant plus surprendre qu’elle tranchait
nettement avec les courants ou écoles de pensée qui avaient dominé la
politique américaine depuis la n de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans un article publié en mars 2017 dans Foreign A airs, Walter R.
Mead, professeur de relations internationales au Bard College,
soulignait : « Pour la première fois en 70 ans, le peuple américain a élu
un président qui dénigre les politiques, les idées et les institutions qui
ont été au cœur de la politique étrangère des États-Unis. »
Durant toutes ces années, les partisans d’Alexander Hamilton, un des
rédacteurs de la Constitution, et ceux de Woodrow Wilson,
28e président, avaient dominé en e et la scène où s’entrecroisent les
conceptions que les uns et les autres se font de la place que doivent
occuper les États-Unis.
Pour les descendants d’Hamilton, les « Hamiltoniens », le pays devait
pro ter de la perte d’in uence du Royaume-Uni constatée après la n
de la guerre – symbolisée par l’indépendance de l’Inde –, pour se muer
« en un gyroscope de l’ordre mondial », ainsi que le suggéra Edward
House, ex-conseiller de Wilson. Pour lui et ceux qui partageaient
l’héritage d’Hamilton, cette mutation devait se faire par la mise en
place d’une architecture sécuritaire et nancière au cœur de l’économie
mondiale a n que les intérêts des États-Unis avancent et aillent en
s’ampli ant. À certains égards, Reagan a passablement emprunté à
cette école de pensée.
À l’instar des « Hamiltoniens », les « Wilsoniens » jugeaient que la
domination de l’ordre libéral était vitale aux intérêts américains. Mais à
la di érence des premiers, les seconds estimaient que cela devait se
faire par le biais de la promotion des valeurs américaines, des droits de
la personne, de la gouvernance démocratique et l’instauration de l’État
de droit. Bref, la Politique avec un grand P devait avoir préséance sur
l’économie. Jimmy Carter résume plus que d’autres ce courant.
Entre ces deux écoles, on a eu droit dans les années 2000 aux
oscillations, guère plus, conçues et agitées par les néoconservateurs de
l’administration Bush-Cheney. Soit que l’ordre libéral doit être
maintenu par les e orts unilatéraux xés et imposés par Washington.
Rien ne symbolise mieux cette attitude que la guerre en Irak. Bush
étant enclin à agir sans demander l’avis de la communauté
internationale, c’est à Tony Blair que revint le mandat de justi er
l’invasion de l’Irak auprès de l’ONU.
Cet épisode eut une conséquence inattendue : le retour et l’essor du
nationalisme populiste. Bref, de Jackson. Avec, comme alliés
circonstanciels, les libertariens et leur chef de le Rand Paul. Pour eux,
l’exceptionnalisme américain ne réside pas dans une campagne de
séduction continue et universelle des idéaux américains, mais bien
dans la défense égoïste des intérêts des citoyens.
Pour Jackson d’abord et pour Trump ensuite, les États-Unis, de
rappeler en substance Mead, ne forment pas une entité politique
dé nie par un ensemble de propositions aux tonalités intellectuelles
puisant dans les Lumières et inclinant donc à l’universel. Pour eux, les
États-Unis n’ont pas vocation à transformer le monde. De fait, le rôle de
son gouvernement est de fondre la destinée du pays avec la sécurité
physique et économique de ses citoyens.
Selon les Jacksoniens et leur chef de le actuel, Trump évidemment,
les partis traditionnels de connivence avec les élites intellectuelles et
économiques sont coupables de trahison. Rien de moins. Car leur
objectif étant la dissolution de l’identité originelle du peuple américain,
ils ont permis à des groupes divers d’occuper, peu ou prou, le devant de
la scène.
De quels groupes s’agit-il ? Les Afro-Américains, les femmes, les
Autochtones, les hispaniques, les LGBT, les musulmans et surtout les
immigrants. En multipliant les attaques contre cet ensemble par
ailleurs hétéroclite, Trump et ses vassaux ont réussi un… prodige !
Ils sont parvenus, du moins le temps d’une élection, à faire croire à
une majorité de citoyens de la première puissance politique, la
première puissance économique, militaire et culturelle, qu’ils étaient
des victimes. De qui, de quoi ? Du parti de l’étranger, du parti de la
di érence. En d’autres mots, Trump et consorts ont actualisé la légende
du coup de poignard dans le dos qui s’est développée en Allemagne
après la Première Guerre mondiale.
Cette certitude explique l’ADN de la politique qui distingue Trump et
ses électeurs de tous les autres. Ceux d’aujourd’hui comme d’hier. Pour
eux tous, le deuxième amendement de la Constitution est plus
important que le premier et tous les autres. Car il permet au peuple de
mettre sur pied des milices a n de combattre la tyrannie et donc de
posséder des armes.
Dans la conclusion de la biographie qu’il a consacrée à Andrew
Jackson. l’historien Sean Wilentz a composé un commentaire qui
mérite son lot de ré exions : « Jackson avait une personnalité plus
volatile que la plupart des autres présidents. Il avait un fort penchant
pour la personnalisation des disputes politiques et se voyait encerclé
par de noirs complots. À cet égard, il ressemble à bien des chefs de
l’Exécutif qui ont échoué, notamment et récemment Richard M. Nixon.
Son orgueil prononcé, couplé avec une forte inclination pour la
mé ance tournait parfois en une telle obsession que cela l’éloignait des
a aires qu’il fallait gérer. » CQFD…
Chapitre 6
AVRIL 2017 :
LE COMMANDO DES RICHES

Au début du mois, dans les colonnes des journaux ayant un certain


souci de vérité, on pouvait lire et réaliser qu’ils sont riches,
immensément riches. Qu’ils n’ont jamais été aussi riches. Jamais, on
insiste, l’ensemble des personnes ayant la gestion de ce pays entre leurs
mains n’ont été aussi riches. Selon les calculs de Bloomberg, la fortune
combinée des 180 ministres, conseillers et hauts fonctionnaires
nommés par Trump totalisait 12 milliards de dollars.
Bien évidemment, à la lecture de ces données, les simples citoyens et
surtout les personnes dont la fonction consiste, entre autres, à éviter le
mélange des genres, soit le con it d’intérêts comme l’apparence de
con it d’intérêts, ont questionné cet état des choses nancières avec
d’autant plus d’angoisse que le ou l’avait emporté sur l’éthique
élémentaire. Une fois encore, l’éthique de conviction ou la somme de
mes droits l’avait emporté sur l’éthique de responsabilité ou la somme
de mes devoirs. Bref, Trump et les siens ont tous composé leurs
déclarations sur leurs actifs ou intérêts à l’enseigne de l’élasticité
morale.
De tous les cas recensés, le plus obscur ou embrouillé, le plus
complexe à saisir, reste celui de Jared Kushner et d’Ivanka Trump. On
se rappellera que ces deux personnes ont été sacrées o ciellement
conseillers du président. Dans le cas de Jared, il est chargé entre autres
des dossiers internationaux. Au moment où ils ont signé leurs contrats
de conseillers de Trump, Jared et sa femme étaient et restent les
principaux béné ciaires d’un empire immobilier et d’une société
d’investissements dont la valeur est de 740 millions de dollars.
Cette somme est le fruit d’une série d’acquisitions et de ventes, de
conseils divers et autres activités réalisés depuis dix ans et qui ont
totalisé 7 milliards. Ce montant met en relief l’apparence de con it
d’intérêts dans laquelle se trouve le couple. Car le montant en question
a été rendu possible grâce aux prêts et investissements de Goldman
Sachs, Blackstone Group et des banques étrangères Deutsche Bank,
Natixis, la Bank Hapoalim pour ne parler que des plus importants. Dans
le cas de Hapoalim, au moment des faits, elle était l’objet d’une enquête
du FBI, car soupçonnée d’avoir favorisé l’évasion scale de riches
Américains.
Si Kushner a détaillé ses avoirs, il s’est par contre abstenu de dévoiler,
dans sa déclaration o cielle, les identités des personnes avec qui il
avait fait des a aires ou avec qui il détenait des actifs. Là encore le ou
l’a emporté sur le devoir de vérité. Dans un entretien accordé au New
York Times, Larry Noble, ancien conseiller général et responsable de
l’éthique au sein de la Federal Election Commission, a souligné que cet
aspect du dossier Kushner posait un sacré problème.
Selon Noble : « Nous ne savons pas qui sont ses associés dans
beaucoup de ses investissements. Il est probable que ses partenaires
ont des intérêts qui pourraient a ecter la manière dont il va conseiller
le gouvernement. Et ça c’est préoccupant. Il est également probable que
certains de ses partenaires étrangers ont un intérêt réel pour la
politique et il se pourrait qu’il conseille le président sur ces politiques.
Tout ça est une zone grise où nous ne savons pas ce qui s’y passe. »
Ex-numéro deux de la banque d’a aires Goldman Sachs, Gary Cohn
est lui aussi expert dans l’embrouillage nancier. On estime que
l’addition de ses actifs varie entre 253 millions et 611 millions de dollars.
Autrement dit, entre les deux chi res il y a une di érence de plus de
300 millions ! Comprenne qui pourra. Au moment de signer sa
déclaration d’intérêts, le nouveau patron du National Economic
Council détenait toujours un paquet d’actions dans diverses
entreprises.
À l’instar de Cohn, Steve Bannon, principal conseiller de Trump, a une
fortune très di cile à évaluer avec précision puisqu’elle varie entre
12 millions et près de 54 millions. Son origine ? Les émoluments perçus
lorsqu’il était cadre supérieur de Goldman Sachs, l’investissement dans
la série télé Seinfeld, la production de documentaires et, au cours des
deux dernières années, les conseils payés pour mousser les idées de
l’extrême droite.
En fait, concernant ce dernier aspect du dossier Bannon, les sommes
perçues avaient la même origine : Robert Mercer et sa lle Rebekah.
Riche parmi les riches – Mercer est dans la caste du 1 % des plus
riches –, c’est un militant des causes qui caractérisent l’extrême droite,
la peste brune, dont il fait la promotion à travers Breitbart News et
Cambridge Analytica dont il est le principal actionnaire. Mercer déteste
la démocratie et ne se gêne pas, par Bannon et Breitbart interposés, de
semer les graines de l’antisémitisme et du racisme.
Conseillère spécialisée notamment dans les sondages, Kellyane
Conway possède une fortune évaluée à 11 millions minimum. Elle fait
son beurre avec la constellation de l’extrême droite. En e et parmi ses
principaux clients, on retrouve la National Ri e Association,
Cambridge Analytica et le Tea Party.
Quelques jours avant la publication de ces données, une plainte avait
été déposée par les Citizens for Responsibility and Ethics contre
Christopher P. Liddell, conseiller du président et directeur des
initiatives stratégiques. Cet ancien vice-président nances de
Microsoft, International Paper et General Motors et détenant des
actions dans 750 compagnies aurait participé à des réunions avec des
dirigeants de sociétés dans lesquelles il possède l’équivalent de
2 millions en actions.
BILL, ROGER, DONALD ET LE SEXE
Le 5 avril, alors qu’il est interrogé sur les multiples cas de harcèlements
sexuels commis par l’animateur vedette de Fox News Bill O’Reilly, le
président des États-Unis d’Amérique répond : « Je crois que c’est une
personne que je connais bien. C’est une bonne personne. Je ne crois pas
que Bill ait fait quelque chose de mal. » Puis il ajoute ceci qui en dit long
sur son état moral : « Il n’aurait pas dû régler. »
Quelques jours auparavant, en fait le 1er avril, au terme d’une enquête
de plusieurs mois, le New York Times révélait que O’Reilly et Fox News
avaient signé des ententes hors cour avec des femmes victimes de
harcèlement du présentateur chouchou des conservateurs pendant des
années. Au total, O’Reilly et Fox ont déboursé 13 millions.
En fait, il est probable que le montant accordé par Fox et O’Reilly soit
plus élevé encore. Le 13 millions en question est la somme accordée aux
cinq femmes qui ont bien voulu témoigner à visage découvert. La
première tranche de ces 13 millions a été déboursée en 2002, la
dernière en 2016. Entre les deux, et selon des témoignages anonymes, le
porte-voix du fasciste en chef qu’est Rupert Murdoch, actionnaire
principal de Fox, aurait harcelé davantage de femmes. Bref, il a abusé de
son pouvoir sur une base régulière.
On notera que les cas révélés par le journal s’échelonnent sur quatorze
années. Tout logiquement, on notera surtout que les patrons de Bill ont
laissé faire. Ils ne l’ont pas sermonné. Il faut dire que l’exemple venait
de haut. En e et, au cours de l’été 2016, le grand patron du réseau Roger
Ailes, ex-conseiller principal de Reagan, avait été trouvé coupable de
harcèlement à l’égard de l’animatrice Gretchen Carlson. Fox avait alors
payé 20 millions en dommages avant de virer, cette fois-là, Roger Ailes.
Rien n’illustre mieux l’inclination de ces messieurs pour le
harcèlement que la politique arrêtée par Ailes lors de la création de
Fox : on engage de belles femmes majoritairement blondes, on leur
interdit de porter le pantalon à l’écran, elles doivent porter des talons
hauts, la table autour de laquelle elles sont assises, la table autour de
laquelle elles animent les élucubrations ciselées par ce réseau poubelle,
doit être transparente.
Réseau poubelle ? On sait peu, trop peu, que Fox a été fondé après que
Ailes et Murdoch eurent obtenu satisfaction sur le front des idées
lorsque Reagan était président. Voilà de quoi il s’agit : en 1949,
l’administration Truman avait développé une politique baptisée
Fairness doctrine sur l’application de laquelle la Federal
Communications Commission veillait. Cette doctrine stipulait que les
sujets controversés devaient faire l’objet d’un traitement honnête,
équitable et balancé. En président beaucoup plus pétri d’idéologie qu’on
ne le dit, Reagan décida d’abolir cette règle.
Le résultat fut une catastrophe journalistique. Plus exactement, en
rabotant tout ce qui pouvait constituer un frein aux idées défendues par
les fous de Dieu, les riches d’entre les riches, les fondus d’armes à feu,
les misogynes, les racistes en général et ceux qui détestent les
immigrants en particulier, comme l’animateur Lou Dobbs et autres
cyclopes de la théorie du complot, on a favorisé le triomphe du retour
de la bête : la peste brune.
Les choses se sont passées comme suit : une fois la doctrine renvoyée
dans les poubelles de l’histoire, une fois le réseau Fox lancé, Ailes a tenu
le discours suivant à ses animateurs et journalistes : vous défendez
mordicus nos idées aux heures de grande écoute quitte à mentir. Les
recti catifs ? On les fera entre 5 et 8 h du matin.
Dans la foulée des révélations du New York Times, les communicants
de Fox, ces troglodytes de la linguistique, ont délié le chapelet des lieux
communs qu’on délie toujours en pareille circonstance : parce que nous
sommes respectueux des femmes, nous allons faire en sorte que
l’environnement de travail soit conforme, etc., etc.
Deux jours plus tard patatras ! D’autres plaintes visant Ailes sont
déposées et deux annonceurs de poids, soit Mercedes et Hyundai,
décident en n de retirer leurs spots publicitaires de The O’Reilly
Factor. Le coup est rude, car on craint alors que cela donne des idées
aux autres annonceurs. Il faut savoir qu’avec 446 millions de revenus
publicitaires par année, l’émission de O’Reilly est la vache à lait du
réseau. Son salaire annuel ? 18 millions.
Dans un courriel envoyé aux médias, Donna Boland, responsable des
communications de Mercedes, a résumé le sentiment des annonceurs :
« Étant donné l’importance des femmes dans tous les aspects de nos
a aires, nous estimons que l’environnement n’est pas propice à la
publicité de nos produits. » Hyundai ? « En tant qu’entreprise nous
cherchons des partenariats avec des rmes qui partagent nos valeurs
d’inclusion et de diversité ». Récapitulons.
Lorsque Ailes fut renvoyé, avec tout de même 40 millions dans ses
poches, un communiqué fut émis en août 2016, assurant qu’après une
enquête interne e ectuée par un bureau d’avocats, une politique basée
sur la con ance et le respect des employés avait été élaborée. Puis ?
Quand on s’attarde aux dates des faits reprochés à O’Reilly, on constate
que certains d’entre eux ont été commis après le renvoi de Ailes. Bref,
Fox s’est encore une fois moqué du monde.
Encore une fois ? Faut-il rappeler que Fox est une division d’un
conglomérat qui fut propriétaire du journal The Sun qui, pendant des
années, a espionné des centaines de vedettes, de politiciens, de sportifs
et des membres de la famille royale ? Faut-il rappeler que ce journal a
poussé l’odieux jusqu’à faire croire aux parents d’une adolescente
kidnappée que cette dernière était vivante alors que les patrons du
journal la savaient morte ? On voudrait illustrer l’inhumanité que le
visage de Rupert Murdoch conviendrait à merveille !
À
À la mi-avril, une cinquantaine d’annonceurs avaient décidé de se
retirer du O’Reilly Factor. Cette cascade de désinvestissements fut la
conséquence de manifestations organisées par des groupes de femmes
demandant le renvoi de l’animateur ainsi que des révélations faites par
des employées indiquant que la politique de respect des femmes
brandie par les patrons du réseau était une farce.
Le 19 avril, Rupert Murdoch et ses ls James et Lachlan décident en n
de trancher : renvoyer Bill O’Reilly. Au moment de son licenciement, ce
dernier baisait la bague du pape à Rome.
TRUMP RETIRE BANNON
Le 5 avril, le général H. R. McMaster, conseiller à la Sécurité nationale,
obtient de Trump le renvoi de Bannon du « principals committee » ou
comité des directeurs. Ce faisant, McMaster lui redonnait le rôle qui lui
avait été assigné il y a des décennies, comme nous l’avons vu.
Bannon avait été parachuté à ce poste pour surveiller les agissements
comme les politiques du conseiller à la sécurité nationale. En d’autres
mots, Trump souhaitait que Bannon insu e à cette instance un sens
plus aigu des rapports de force.
Comme il fallait s’y attendre, Trump n’a pas pu s’empêcher de
formuler des accusations en caressant l’espoir qu’elles altèrent la portée
de la volte-face qu’il a été obligé de faire sous la pression de McMaster
et de son gendre Jared. Les accusations ? Il a martelé que Susan Rice,
qui fut la conseillère à la Sécurité nationale jusqu’au passage de relais
entre Obama et Trump, avait sollicité l’identité des collaborateurs de
Trump qui seraient sous la surveillance des services de
renseignements. Trump a-t-il présenté des preuves à l’appui de son
a rmation ? Aucune.
TRUMP ET LA SYRIE
Le 6 avril, des missiles américains s’abattent sur une base militaire en
Syrie. C’est la première fois qu’un chef de l’Exécutif américain
commandait une frappe en Syrie depuis le début de la guerre civile. La
raison évoquée par Trump réputé être beaucoup plus isolationniste que
ses prédécesseurs ? L’attaque à l’arme chimique menée par Bachar el-
Assad, deux jours auparavant, contre des civils et qui avait fait 80 morts.
Au lendemain de celle-ci, l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU,
Nikki R. Haley, avait prévenu qu’une action unilatérale serait prise par
É
les États-Unis si le Conseil de sécurité s’abstenait de réagir. Ce propos,
Haley l’a formulé quasi simultanément à la con dence de Trump à
l’e et que le recours au gaz chimique l’avait convaincu de changer son
approche du dossier syrien. Antérieurement, il avait con é vouloir
éviter toute intervention.
On s’en doute, la réaction du Kremlin fut d’autant plus immédiate et
ferme que la Syrie reste sa seule porte d’entrée maritime en
Méditerranée. Par la voix de son porte-parole, Vladimir Poutine a
quali é l’attaque américaine « de dur coup aux relations entre la Russie
et l’Amérique qui sont déjà dans un piteux état ». Selon le
gouvernement russe, cette attaque « crée un obstacle sérieux à la
formation d’une coalition internationale chargée de combattre ce
diable universel » qu’est le terrorisme international.
Qu’ils soient Américains ou Européens, les experts en géopolitique
s’accordent tous pour assurer que jamais, au grand jamais, Poutine
n’abandonnera Assad. En fait, Assad est le fondé de pouvoir des Russes
dans la région. Il est devenu la marionnette du Kremlin. A n d’avoir
une in uence sur la région et notamment sur les voies maritimes, les
routes du pétrole, le Kremlin a construit en Syrie, de l en aiguille, la
plus importante base militaire russe en dehors de son territoire. Entre
leurs bases en Crimée et ailleurs sur le littoral de la mer Noire et celle
située en Syrie, le Kremlin est notamment parvenu à enclaver l’un des
piliers de l’OTAN, la Turquie.
Histoire d’éviter tout emballement dans les heures précédant le
lancement de missiles, le Pentagone avait prévenu ses homologues
russes a n de minimiser le risque auquel seraient exposés les militaires
russes. En modi ant sa position, Trump prenait le contre-pied de celle
d’Obama quelques années auparavant et qui fut vertement critiquée au
sein même de son administration.
Quatre ans auparavant, Obama avait menacé Assad d’une o ensive
militaire si jamais il avait recours aux armes chimiques que toutes les
conventions internationales ont condamnées depuis la Première
Guerre mondiale. Durant l’été 2013, Assad a utilisé les armes en
question. La communauté internationale, la France en tête, a préparé
une réaction puis attendit qu’Obama donne son aval. Que t Obama ? À
la dernière minute, il commanda de stopper la préparation de
l’o ensive contre Assad.
Entre l’envoi de missiles sur un camp militaire syrien et des volte-face
sur plus d’un front, le monde venait de réaliser que la doctrine de
Trump était de ne pas en avoir. Plus clairement, le monde croyait que
l’écho du slogan America rst se traduirait sur la scène internationale
par une politique épousant toutes les caractéristiques de
l’isolationnisme.
Au cours des primaires comme de la campagne présidentielle, Trump
avait dit et répété qu’il faudrait faire en sorte que la Russie devienne
amie des États-Unis, que la Chine étant le véritable ennemi, on ne
devrait même pas l’inviter à dîner et que son pays n’avait pas à se mêler
du dossier syrien. En quelques jours, il faisait table rase de tout ça : il
invitait le président Xi Jinping, il contrariait Poutine et intervenait en
Syrie.
Trump dans ses mots : « J’aime penser de moi que je suis une
personne exible. Je n’aime pas dire où je vais et ce que je vais faire. »
Au terme de ses journées Kathleen H. Hicks du Center for Strategic and
International Studies commentait : « Il n’y a pas émergence d’une
doctrine de Trump en politique étrangère au sens classique du terme.
On assiste par contre à l’émergence de caractéristiques qui sont les
traits de l’homme : imprévisible, instinctif et indiscipliné. »
Imprévisible et inculte fut également le porte-parole de la Maison-
Blanche Sean Spicer qui, au détour d’une réponse à une question posée
en conférence de presse sur la Syrie, osa a rmer qu’Assad avait fait pire
qu’Hitler. Son argument ? Hitler n’a pas utilisé d’armes chimiques
contre le peuple allemand. Les camps de concentration ? Bof… un détail
de l’histoire peut-être ?
TILLERSON CHEZ POUTINE
Une semaine après l’envoi des missiles américains et une journée avant
une rencontre à Moscou entre Tillerson et Poutine, le Conseil national
de sécurité publiait un document de quatre pages dans lequel la Russie
était reconnue coupable d’avoir couvert toute la stratégie chimique des
Syriens et que ce n’était donc pas les rebelles syriens qui, ainsi que le
martelait le Kremlin, avaient usé du gaz sarin a n de piéger le
gouvernement Assad.
Poutine annonçait qu’il allait demander aux Nations Unies et à des
membres de la communauté internationale de poursuivre un examen
o ciel du dossier syrien. Dans la foulée, Poutine se plaisait à comparer
le rapport du Conseil de sécurité à celui que la Maison-Blanche avait
pondu en 2003 et dans lequel il était a rmé que l’Irak avait un arsenal
d’armes de destruction massive.
Au lendemain de cette estocade, Tillerson rencontrait Poutine
pendant deux heures au cours desquelles ils ont discuté des dossiers
syrien, ukrainien et nord-coréen sans qu’aucun accord ne soit trouvé.
Lors de la conférence de presse qui suivit, Tillerson emprunta les mots
du principe de réalité : « Le niveau de con ance entre nos deux pays est
bas. Les deux plus importantes puissances nucléaires de la planète ne
peuvent avoir ce type de relations. » La seule chose que les deux partis
ont convenu de faire est de mettre sur pied un comité de travail chargé
d’étudier les irritants entre les deux nations. Sinon…
Sinon sur le dossier libyen, Tillerson a réitéré que la Russie avait
couvert les agissements d’Assad. À quoi le ministre russe des A aires
étrangères, Sergueï Lavrov, a répondu que cela relevait de « l’hystérie
médiatique » puisque les faits inhérents au gazage de civils n’étaient pas
connus et encore moins véri és. Et que c’est pour cette raison que la
Russie a opposé son veto à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU
condamnant le régime d’Assad. À noter que ce fut la seule fois où la
Chine n’a pas voté comme la Russie. Elle s’est abstenue.
Après que Tillerson eut fait son exposé, Lavrov a pris tout le monde
par surprise en attaquant la politique étrangère de Washington.
Comment ? En déclinant les interventions décidées par les di érents
présidents sur le long terme. Au ras des pâquerettes, Lavrov a pris un
malin plaisir à expliquer que les changements de régime voulus ou
souhaités par les États-Unis en Serbie, en Irak, en Libye et ailleurs dans
le monde s’étaient tous soldés par des échecs.
À la minute où Lavrov développait cette critique, Trump faisait un
autre de ces volte-face dont il a le secret après sa rencontre avec le
secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, soit le patron d’une
organisation qu’il avait quali ée « d’obsolète » durant la campagne. Et
voilà qu’après sa réunion avec Stoltenberg, Trump ne trouvait que des
vertus à cette organisation militaire.
La veille, Trump avait signé un décret ayant ulcéré le Kremlin. De
quoi s’agissait-il ? Le président o cialisait le vote du Sénat voulant que
le Montenegro devenait à son tour membre de l’OTAN. Ce qui signi ait :
tous les pays des Balkans qui ne sont pas dans l’OTAN peuvent en faire
la demande.
Qu’une autre région du monde, si petite soit-elle, ayant été dans
l’orbite soviétique, se gre e à l’OTAN, a le don d’horripiler Poutine.
LA CIA ET L’AGITATION RUSSE
D’un fait révélé à un autre, de l en aiguille, on a appris dans le courant
du mois que la CIA avait su rapidement que les Russes s’étaient
introduits dans le réseau informatique du Parti démocrate, du Parti
républicain et de diverses organisations politiques aux États-Unis.
Signe de la volonté a rmée du Kremlin d’orienter le cours des élections
en fonction de son objectif principal, favoriser la victoire de Trump, on
a appris également que les Russes avaient pénétré les réseaux
informatiques des bureaux électoraux locaux et de divers États. Pour
John O. Brennan, alors directeur de la CIA, la coupe était pleine.
À telle enseigne que dans le courant du mois d’août 2016, soit dix
semaines avant le jour du scrutin, Brennan était si inquiet qu’il a fait un
geste inédit : il a amorcé des rencontres secrètes et séparées avec
chacun des leaders démocrates et républicains des Commissions des
renseignements du Sénat et de la Chambre des représentants, soit huit
personnes. Le dénominateur commun ? Si secrètes furent ces
rencontres, Brennan souhaitait néanmoins que les leaders en question
fassent pression auprès de la direction du FBI pour qu’elle ouvre une
enquête. Pourquoi le FBI et non la CIA ? Parce que le premier a pour
mandat la surveillance intérieure, la CIA œuvrant à l’extérieur.
Lors de son conciliabule du 25 août avec Harry Reid, leader
démocrate au Sénat, Brennan fut plus spéci que que jamais : les Russes
veulent la victoire de Trump. Parmi les arguments évoqués pour
convaincre Reid, le directeur de la CIA était allé jusqu’à souligner que
des membres de l’équipe de Trump étaient de connivence avec des
« o ciels » russes. Quelques jours plus tard, Reid écrivait à James
Comey, directeur du FBI, pour lui dire, sans jamais mentionner la
rencontre avec Brennan, qu’il était de plus en plus évident que les
Russes magouillaient encore et toujours pour faire capoter le processus
électoral.
À la surprise des gens alors au parfum du dossier, Comey leur con a
qu’une enquête avait été ouverte a n de déterminer la nature des liens
entre les Russes et des conseillers de Trump. Plus tard, au cours de
l’automne mais avant les élections, les bonzes du FBI assurèrent qu’ils
n’avaient pas de preuves concluantes. Mais voilà que quelques jours
avant le jour J, ces mêmes bonzes commencèrent à contester leurs
conclusions antérieures.
Ce changement de position à l’égard d’un dossier que l’on sait ultra-
sensible a Wikileaks pour origine. Les limiers du FBI comme ceux de la
CIA savaient que les Russes s’étaient invités dans les circuits
informatiques des deux principaux partis, mais qu’ils avaient coulé, par
le biais de Wikileaks, une énorme quantité de courriels signés par des
Démocrates, mais non par des Républicains. CQFD…
Signe de la mutation opérée par la direction du FBI, celle-ci
demandait en octobre 2016 à la très discrète Foreign Intelligence
Surveillance Court la permission de mettre Carter Page sur écoute. Ce
dernier fut un des conseillers de Trump sur les a aires étrangères. Cet
ancien o cier de la Navy fut surtout un employé de la banque d’a aires
Merrill Lynch spécialiste des activités économiques russes. Il fut en lien
avec des membres des géants du pétrole Rosneft et Gazprom qui étaient
aussi des proches de Poutine. Pendant des années, il a critiqué la
politique américaine à l’endroit de la Russie, mais salué celle de Poutine
à l’égard des États-Unis.
Dès 2013 Carter Page apparut sur le radar du FBI après que des
détectives eurent compris qu’il entretenait alors des contacts réguliers
avec un maître espion russe en fonction à New York. Après quoi, à la
faveur de cette surveillance, le FBI constata qu’il avait eu aussi des
contacts avec deux autres agents russes.
De tous les collaborateurs de Trump ayant aiguisé la curiosité des
services de renseignements américains, Paul Manafort arrive en tête de
liste, car il fut rien de moins que son directeur de campagne jusqu’à ce
qu’il doive démissionner lorsque les autorités découvrirent ses liens
d’a aires avec des Ukrainiens proches de Poutine.
Paul Manafort est un personnage de romans d’espionnage, du type du
héros du roman Le Tailleur de Panama de John Le Carré. Un peu
escroc, abonné aux paradis scaux, etc. Lorsque ces liens avec l’Ukraine
furent rendus publics, il remit sa démission, le 19 août 2016.
Plus tard cette journée-là, Manafort créa une entreprise qui, toujours
le même jour, béné cia de deux prêts particuliers d’un montant de
13 millions. Deux prêts accordés par des individus qui entretenaient des
liens d’a aires avec Trump. L’un était un milliardaire ukrainien
d’origine, l’autre était un conseiller économique du futur président.
À travers la panoplie de comptes opaques que le directeur de
campagne détenait à Belize, à Chypre et aux îles Caïmans et par lesquels
transitaient les sommes perçues et réinvesties après coup dans
l’immobilier aux États-Unis, à travers ses relations avec des oligarques
russes proches de Poutine, Manafort est, à lui seul, la dé nition parfaite
du con it d’intérêts. Contrairement aux obligations prescrites par la loi
concernant le lobbying, il n’a jamais déclaré les émoluments récoltés
pour son travail de conseiller politique en Ukraine.
Vu l’énormité des gestes commis par Page, Manafort et compagnie, on
comprend mieux rétrospectivement pourquoi James Comey a rendu
publique en mars la poursuite d’une enquête du FBI.
ENTRE LA CHINE ET LA CORÉE
Un peu plus de 48 heures après avoir reçu le président Xi Jinping à son
domaine de Mar-a-Lago, Trump se lâche par Twitter interposé : « J’ai
expliqué au président de la Chine qu’il obtiendrait un meilleur accord
commercial avec les États-Unis s’il trouvait une solution au problème
que pose la Corée du Nord. » Puis quelques minutes plus tard, il a servi
la mise en garde suivante, toujours par Twitter : « La Corée du Nord
recherche les ennuis. Si la Chine décide d’aider, ça sera vraiment bien.
Sinon, nous réglerons le problème sans eux ! USA. »
À lire ces lignes, on ne croirait pas mais les États-Unis et la Chine
reviennent de loin. Trois mois plus tôt, Trump avait heurté les
dirigeants chinois comme aucun président avant lui en évoquant une
possible révision de la politique suivie par les Américains baptisée : Une
Chine.
L’attitude adoptée par Trump heurta à ce point Xi Jinping qu’il refusa
de prendre ses appels téléphoniques. Il refusa de lui parler tant et aussi
longtemps qu’il n’aurait pas adhéré de nouveau au principe de Une
Chine. Après bien des hésitations et des atermoiements, Trump convint
de revenir en arrière et de suivre à nouveau les sillons de la politique
chinoise suivis par tous les présidents depuis Nixon.
Ce qu’il y a d’intéressant, car plus ou moins inédit dans ce dossier, c’est
que le revirement de Trump ne s’est pas fait à la suite de pressions du
secrétariat d’État ou du Pentagone, mais bien à la suite des pressions de
son gendre, Jared Kushner. En passant, la vente de l’immeuble de
400 millions à des hauts dirigeants chinois avait été annulée à la faveur
de vives critiques formulées en raison de l’apparence de con it
d’intérêts.
Cet épisode est l’illustration par excellence de la marginalisation du
secrétariat d’État voulue par Trump. On aurait des doutes qu’il su rait
de rappeler que le chef de l’Exécutif n’a remplacé aucun des vingt hauts
fonctionnaires d’un ministère qui depuis des décennies dispose du
budget le plus important de tous les ministères des A aires étrangères
de la planète.
Lorsqu’on s’attarde aux gestes des personnes impliquées dans le
sommet TrumpXi Jinping, et à leur chronologie, on retient que la
subtilité légendaire des Chinois a eu, si l’on peut dire, son mot à dire.
Dans l’espoir d’obtenir satisfaction, les dirigeants chinois ont tablé sur
les a nités entre personnes au lieu d’emprunter les canaux
conventionnels de la diplomatie.
Trump, alors qu’il n’était encore que président élu, avait signi é qu’il
remettait en question la politique d’Une Chine. Dans un entretien au
Financial Times, il précisait qu’il entendait ra ermir les liens avec
Taïwan dans l’espoir que cela joue en sa faveur dans les rapports de
force poursuivis avec la Chine sur le anc coréen.
Après l’intronisation de Trump et la con rmation du statut de
conseiller o ciel accordé à Kushner, l’ambassadeur chinois à
Washington Cui Tiankai s’est appliqué à faire copain-copain, si l’on peut
dire les choses ainsi, avec le gendre de Trump. Ex-directeur principal
pour l’Asie dans l’administration Obama, Evan S. Medeiros a précisé
que « depuis Kissinger, les Chinois sont obsédés par le maintien d’un
accès direct avec la Maison-Blanche ainsi que par l’ampleur de celui-ci.
Aussi avoir un lien direct avec un membre de la famille du président est
considéré comme sans prix. » Pour Pékin, avoir un lien direct avec la
famille du président est jugé plus important qu’un lien avec le
secrétaire d’État.
On comprendra mieux pourquoi la rencontre à Pékin entre Xi Jinping
et Tillerson ne dura qu’une trentaine de minutes et que la conférence de
presse se résuma à une avalanche de lieux communs. En réalité, au
cours de leur conciliabule, Tillerson et Xi avaient préparé l’ordre du
jour du sommet à Mar-a-Lago. Comme si le rôle du secrétaire d’État
avait été réduit à celui de majordome de Kushner.
É
Outre la marginalisation du secrétariat d’État ou de la diplomatie
conventionnelle, la préparation et le déroulement de la rencontre
Trump-Xi devaient con rmer une autre mise à l’écart. Celle de Steve
Bannon. En e et, la bre nationaliste et donc passablement guerrière
de Bannon étant passablement aiguisée, il était l’architecte de la remise
en question de la doctrine Une Chine.
LA GUERRE ENTRE BANNON ET KUSHNER
Alors qu’il jonglait avec la première et importante décision militaire,
soit bombarder une base militaire en Syrie, Trump s’est appliqué à
engueuler tous les membres de son entourage, autrement dit le cœur de
son administration, en leur demandant de mettre un terme à leur
guéguerre. Plus précisément, il a exigé que les chefs de le des deux
camps opposés depuis son entrée en fonction et qui ont fait de ses
débuts les plus chaotiques dans les annales récentes de la
présidentielle, fument le calumet de la paix.
Les chefs de le ? Jared Kushner d’un côté, Steve Bannon de l’autre.
Dans le camp du premier, un homme de grande in uence auprès du
président mais aussi de Wall Street : Gary Cohn, ex-numéro deux de
Goldman Sachs. Disons les choses avec modération : Bannon et
Kushner ne peuvent pas se voir en peinture. Surtout depuis que Bannon
a xé avec Trump, soit en tête à tête, la politique anti-immigration.
Comparativement à Bannon, Kushner incline vers la pondération,
ainsi d’ailleurs que Cohn, qui jusqu’à sa nomination par Trump fut un
Démocrate. Ces deux-là n’ont jamais apprécié le ton nationaliste et
musclé que Bannon imprima sur la politique d’information de Breibart
News. Les deux étant de confession juive, ils ont encore moins apprécié
les intonations antisémites qui ont distingué régulièrement les articles
de ce site poubelle.
Lorsqu’on remonte le l des sujets ou politiques avancés et défendus
par les représentants des deux camps, on observe que le duo Kushner-
Cohn penchant pour une approche qui s’inscrit dans le long terme
ferraille pour qu’une politique plus centriste l’emporte. Au contraire,
Bannon ayant la certitude que jamais des Démocrates ne voteront pour
Trump, il faut coller coûte que coûte au programme annoncé durant la
campagne.
Trump s’était engagé à peau ner une politique anti-immigration et à
construire un mur à la frontière mexicaine ? Bannon veut son
application alors que Kushner-Cohn la questionne. Trump veut
imposer des tarifs douaniers, notamment à la Chine, et remettre en
cause les traités de libre-échange ? Bannon le veut, Kushner-Cohn
s’inquiètent. Trump appelle de ses vœux l’implosion de l’Union
européenne ? Bannon également, Kushner-Cohn s’y opposent. En fait,
sur aucun des sujets qui comptent, Kushner et Bannon ne s’entendent.
L’ARGENT COULE À FLOTS
À la mi-avril, la Federal Election Commission rendait public
l’inventaire des sommes données par des particuliers ou par des
entreprises pour l’organisation des festivités entourant l’inauguration
de la présidentielle. Le diable se cachant dans les détails, aucune limite
aux dons n’est xée par les autorités. En d’autres mots, l’inauguration
est l’occasion, entre autres choses, pour ceux et celles qui n’avaient pas
donné lors de la campagne présidentielle de se rattraper. C’est
également l’occasion pour ceux et celles qui avaient donné d’en
remettre des tonnes dans le but d’obtenir divers avantages.
Rappelons certaines données : pour sa première inauguration, Bush
avait établi à 100 000 $ par personne le montant accordé aux festivités
et à 250 000 $ pour sa deuxième. Obama ? Pour sa première, il avait xé
à 50 000 $ le maximum, tout en interdisant les « cadeaux » émanant des
lobbyistes et des entreprises. Pour sa deuxième, il avait accepté un
maximum d’un million des entreprises et de 250 000 $ des individus.
Dans le cas de Trump, c’est bien simple, aucune restriction aux dons
personnels. Et les dons des entreprises ? On avait interdit à son équipe
de solliciter des sommes dépassant le million. Bref, ce fut bar ouvert. De
fait, on ne sera pas étonné d’apprendre que le montant amassé par
Trump s’est révélé un record : 107 millions. On répète : 107 millions
pour une soirée !
Cette orgie, il n’y a pas d’autre mot, d’espèces liquides a permis à plus
d’un donateur d’obtenir satisfaction ou plus exactement de béné cier
du libre arbitre présidentiel. Ainsi, Boeing, grâce à un « don » d’un
million, a eu droit à une modi cation très importante pour ses intérêts
nanciers : pendant la campagne, Trump s’était engagé à éliminer la
Export-Import Bank, soit cette institution qui garantit des milliards de
prêts aux acheteurs d’avions de l’entreprise. Dans le courant du mois
d’avril, Trump avait abandonné l’engagement en question.
Avec 5 millions accordés, Sheldon Adelson, le magnat des casinos, fut
celui ayant donné la somme la plus importante. Son espoir ? Que
l’administration Trump interdise les sites de poker en ligne et
déménage l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Son
deuxième vœu a été pratiquement exaucé. Les barons des mines de
charbon ont o ert 10 millions en laissant savoir qu’ils voulaient des
assouplissements sur le plan des règles environnementales. Ils ont eu
ce qu’ils voulaient au cours des premières semaines du mandat. Restons
dans les mines.
Bob Murray était et demeure l’actionnaire majoritaire de Murray
Energy, une entreprise réputée être un pollueur notoire, car cultivant
l’indi érence la plus absolue pour tout ce qui a trait aux règles
environnementales. En 2007, Murray s’était fait une « sale » réputation
en a rmant que la mort de sept mineurs dans les sous-sols d’une de ses
mines était attribuable à un tremblement de terre et non à un dé cit de
mesures de sécurité. Il avait menti.
En 2017, il o rait 300 000 $ pour l’inauguration de Trump. Quelques
semaines plus tard, lui et tout l’état-major de Murray Energy étaient
photographiés dans le bureau ovale aux côtés de Trump signant
l’abolition d’une loi qui interdisait aux entreprises minières de jeter
leurs déchets dans les cours d’eau.
AT&T, Verizon et Comcast donnent au-delà de 2 millions ? Trump
nomme à la tête de la Federal Communications Commission l’ancien
avocat général de Verizon et surtout avocat de l’abolition de la règle
ayant sacralisé la neutralité du Net. Big Pharma, P zer et Amgen
donnent des milliers et des milliers de dollars ? Trump annonce qu’il a
remisé dans la boîte des oublis sa promesse de négocier une diminution
des prix des médicaments.
Cette masse d’espèces sonnantes et les cadeaux présidentiels qui
s’ensuivirent furent en fait le prélude à du jamais vu dans l’histoire
présidentielle, voire le prélude à une déstabilisation du centre de
gravité des pouvoirs. En e et, l’agenda présidentiel des deux premiers
mois révèle que près de 300 dirigeants d’entreprise ont participé à des
rencontres à la Maison-Blanche. Jamais Bush père et ls, jamais
Clinton et Obama n’avaient reçu et écouté un aussi grand nombre de
patrons d’entreprises. Ce fut plutôt le contraire.
Cette politique de porte grande ouverte aux bonzes de Wall Street a eu
la conséquence suivante : les élus du Congrès, y compris donc les
Républicains, réalisaient que leur in uence sur le cours des a aires de
l’État n’était plus égale ou supérieure à celle des grands patrons. On sait
trop peu que dès son entrée en fonction, Trump avait demandé à
Stephen Schwarzman, président de Blackstone, de former et de
recruter les membres d’une nouvelle entité baptisée Forum politique et
stratégique du président. Très rapidement, on a réalisé que, par
exemple, sur la politique monétaire chinoise, ce forum avait plus de
poids dans les décisions présidentielles que les conseillers ou ministres
concernés.
LES CADEAUX FISCAUX
À la n du mois, Gary Cohn, patron du National Economic Council, et
Steve Mnuchin, secrétaire au Trésor, présentaient la réforme scale
promise durant la campagne alors que Trump avait martelé que sa
réforme serait la plus ambitieuse de l’histoire. Ambitieuse la réforme
proposée l’était, mais surtout dans un sens : pour les riches et les
entreprises.
Elle était ambitieuse mais aussi quelque peu bâclée. Il faut souligner
qu’à quelques jours du centième jour de la présidentielle, Trump et les
siens constataient que leur bilan législatif était égal à zéro. Aucune des
principales propositions n’avait été votée. En fait le retour de bâton sur
le front de l’immigration et de la santé fut même brutal. Avec son plan
scal, Trump espérait inscrire quelque chose à son bilan au plus vite.
Bref, la précipitation distingua tout cet exercice.
Ceci explique cela : lors de la conférence de presse convoquée pour
détailler un plan se résumant pratiquement à une page, Cohn et
Mnuchin furent soit hésitants, soit emphatiques. Cohn : « Une fois par
génération nous avons l’occasion de faire quelque chose de grandiose.
Le président Trump a fait de la réforme scale sa priorité et nous avons
un Congrès républicain qui veut que cela se fasse. »
Alors réduisons les impôts au maximum ! Bien. Le plan en question
diminuait tout d’abord le nombre de paliers d’imposition de 7 à 3. De ce
geste, on retiendra que l’imposition maximale d’un individu est passée
de près de 40 % à 35 %. Mais bon, pour ceux qui déboursaient un tel
pourcentage Trump avait gre é à cette réduction une série de cadeaux.
Un, la taxe sur les biens était éliminée. Deux, l’« alternative minimum
tax » l’était également. Cette dernière limitait les déductions et autres
avantages béné ciant aux plus riches. Trois, on permettait aux
individus actionnaires et dirigeants des rmes d’investissements ou
d’immobiliers qui avaient le statut d’associés dans des rmes de service
ou qui étaient médecins ou consultants actionnaires d’être admissibles
à l’impôt exigé des corporations et non plus des personnes, soit une
réduction de plus de 50 % : de 39,6 % à 15 %.
Aux entreprises, il s’engageait à ce que le plafond soir ramené à 15 %.
Paradoxalement, lui qui s’était fait le chantre du America rst, il
exemptait les sociétés d’impôts sur les revenus réalisés à l’étranger. Il
assurait que celles qui rapatrieraient des béné ces « planqués » dans
des paradis scaux ne seraient pas pénalisées. À ce propos, il faut
rappeler et souligner que chaque fois qu’un congé scal a été accordé
aux entreprises qui rapatriaient les fonds « planqués » dans les bien
nommées îles Vierges ou Caymans et autres passoires scales, les
directions en pro taient pour racheter des actions. Résultat, les
actions, donc les actifs de ces patrons, augmentaient à vitesse grand V.
Que ce soit sous Reagan, Thatcher, Mulroney, Harper, Bush père et
ls, les tenants des baisses prononcées d’impôts des riches et des
sociétés nous ont toujours servi la même sérénade. Celle qui relève,
ainsi que la réalité l’a démontré chaque fois, de la fumisterie en
conserve. Mais encore ? Les réductions allouées à ceux qui sont en haut
de la pyramide vont redescendre au ras des pâquerettes et doper ainsi
l’activité économique.
Cohn et Mnuchin ont fait honneur à ce théorème de l’imbécillité en
assurant que les 2 000 milliards de déductions scales accordées au
cours des dix prochaines années seront comblés par une addition de 1 %
au PIB annuel. Mieux, selon le secrétaire au Trésor, il est probable que
la croissance économique serait de 3 % ! Grâce à quoi ? L’e et de
ruissellement induit par les avantages scaux.
Ce qu’il y a de pathétique dans la position scale de Trump et des
siens, d’un Trump qui soit dit en passant se fait un énorme cadeau à lui-
même, est que personne n’ait tiré des enseignements de
l’irresponsabilité qui distingue la fameuse théorie du ruissellement.
Mais encore ? Chaque fois que l’on a réduit les impôts, la dette a
augmenté en èche. Les États-Unis, qui jusqu’à Reagan ont dégagé
davantage de surplus budgétaires que de dé cits, ont une dette
accumulée de 19 000 milliards. Dans une très grande proportion, cette
dette est la conséquence des politiques scales de Reagan, Bush père et
ls.
Selon les calculs réalisés par les forts en thème scal, la réforme de
Trump devrait ajouter 7 000 milliards d’ici dix ans à la colonne de la
dette publique et de 21 000 milliards d’ici 2036. Voir des responsables
de ce niveau confondre une fable de La Fontaine avec la réalité
économique relève du comique troupier.
LES CENT JOURS
Et au centième jour de son mandat, le président des États-Unis
d’Amérique Donald J. Trump confectionna une légende : « Je crois
sincèrement que les 100 premiers jours de mon administration ont été
les plus réussis dans l’histoire de notre pays. » Dans une entrevue
accordée à l’agence Reuters, le même homme confessait : « C’est plus de
travail que dans ma vie précédente. Je pensais que ce serait plus facile. »
Ou encore « je n’avais pas réalisé combien c’était [la présidence]
imposant. Chaque décision que vous prenez est plus di cile que celle
que vous prenez normalement. »
Les plus réussis… Avant de s’installer à la Maison-Blanche, il avait
promis de mettre à la poubelle la réforme de santé d’Obama et de la
remplacer par une meilleure assurance maladie pour chaque
Américain, de briser l’économie chinoise et la Corée du Nord, de faire
copain-copain avec Poutine. Dans chaque cas, il a échoué.
Rien n’illustre mieux cela que son commentaire pour expliquer ce
chapelet d’échecs : « Je ne pensais pas que ce dossier était aussi
complexe. » Au fond, Trump est une anormalité politique. Cet homme
sans aucune expérience de la chose publique, cet homme qui n’avait
jamais été élu à un poste contrairement à tous ses prédécesseurs a eu la
prétention de gérer la présidence comme sa chaîne d’hôtels.
Quand il négociait autour d’une table de la Trump Tower, il le faisait
avec des gens qui avaient tous le même objectif : le pro t. Quand il
négocie avec Xi Jinping ou Poutine, avec les leaders républicains ou
démocrates, c’est autrement plus compliqué. Reconnaître après coup
cela, la complexité, c’est… « Comme la poussière des grandes routes, la
vanité est aveuglante. »
Chapitre 7
DARTH VADER S’INSTALLE
À LA MAISON-BLANCHE

Cela ne faisait pas un mois que Donald Trump s’était installé à la


Maison-Blanche que les scénaristes de Saturday Night Live (SNL)
faisaient de Steve Bannon un de leurs nouveaux et imposants
personnages. En intendants aguerris de l’histoire moderne de la science
politique, les comiques du samedi avaient transformé notre homme en
une brute d’entre les méchants. On a nommé Darth Vader.
Semaine après semaine, ou presque, la bande de SNL dépeignait un
Bannon/Vader s’introduisant dans le bureau ovale où un Donald
dépassé par les événements lui remettait au fond les rênes du pouvoir.
Pour cause de dé cit en matière politicienne, Trump priait donc Vader
de décider à sa place.
Avec Dick Cheney comme vice-président de George W. Bush, on avait
cru qu’au tableau des éminences grises ayant eu le plus d’in uence sur
le chef de l’Exécutif, Cheney resterait longtemps en première place.
Bien des historiens l’avaient d’ailleurs quali é de vice-président ayant
le plus marqué la gestion des a aires que n’importe quel autre de ses
prédécesseurs. C’était sans compter Bannon.
Il aura fallu huit ans, et seulement huit ans, avant qu’un personnage,
en l’occurrence Bannon, fasse jeu égal, voire dépasse Cheney, pour ce
qui est du poids politique. Il y est parvenu en concoctant avec une
régularité digne de mention un coup tordu après l’autre, mensonge
après mensonge. En octobre 2015, le magazine Bloomberg Business
week avait publié un article riche en enseignements sur ce monsieur
titré : « This Man Is The Most Dangerous Political Operative in
America ».
Dangereux, il l’était et le demeure. Car Bannon est raciste. En fait,
chez lui la haine de l’autre, de l’étranger, est si forte qu’on devrait dire
qu’il est raciste tous azimuts. Il déteste le Mexicain, l’Asiatique, le Noir.
Depuis le 11 septembre, il a la haine des musulmans. Quoi d’autre ? Il
peine à cacher son antisémitisme. Quoi d’autre (bis) ? Lorsqu’il a été
nommé à la tête de Breitbart News, il s’est attelé à transformer ce
dernier en un incubateur des énergies déployées par tous les courants
de l’extrême droite. Et pas seulement américaine.
Dans le livre passionnant qu’il a consacré à Bannon, Devil’s Bargain
édité par Penguin Press, le journaliste de Bloomberg Joshua Green
précise que le corpus idéologique de Bannon a pour origine un obscur
philosophe français de la première moitié du XXe siècle et un émule de
celui-ci, un Italien qui développera des concepts adoptés par Mussolini
en personne. Le Français s’appelait René Guénon. L’Italien ? Julius
Evola.
Au l du temps et d’une production abondante, Guénon s’est employé
à tenter l’alchimie entre la métaphysique, la franc-maçonnerie,
l’occultisme, le sou sme, la Vedanta hindouiste, le catholicisme de
l’époque médiévale et autres vices ésotériques. Son ambition ? Que le
monde adopte la théorie philosophique qu’il avait baptisée
Traditionaliste avec un grand T et qui est, à plus d’un égard, un rejet de
la modernité, du progrès.
En fait, Guénon aurait souhaité que l’homme adopte les anciennes
religions, car elles sont les dépositaires des vérités spirituelles
essentielles. Guénon voulait un homme plutôt docile, au moment où le
contemporain capital, le vieux Sartre, nous rappelait que « l’homme est
condamné à être libre ».
Fils spirituel de Guénon, Evola, de rappeler Green, devait poursuivre
la logique philosophique du premier en empruntant la voie du fascisme.
En monarchiste convaincu, Evola travailla à faire le pont entre la
philosophie complexe de Guénon et sa propre conception raciste du
monde. Pour faire court, et ainsi que le souligne Green, Mussolini t des
théories d’Evola la base du programme fasciste italien qui devait
d’ailleurs séduire les avocats du nazisme.
Et Bannon dans tout ça ? Il s’est appliqué à tracer la diagonale entre
les concepts de l’un et les théories de l’autre avec l’éducation qu’il avait
reçue à l’école Benedictine de Richmond, en Virginie, qui était rien de
moins qu’une académie militaire et catholique. Ce portrait serait
incomplet si on ne soulignait pas l’extraordinaire e et qu’a eu sur lui
l’encyclique de 1931 de Pie XI intitulée Quadragesimo anno.
Green note que le principe de subsidiarité induit par cette encyclique
est au cœur de la conception non pas philosophique de Bannon, mais
bel et bien politique. Dans son texte, le pape avançait que la place
comme la taille de l’État devaient être réduites au strict minimum. Que
les citoyens qui vivaient dans les régions n’ont pas besoin que des élus
leur disent quoi faire. Bref, Pie XI se t alors le champion de la
décentralisation.
Cette idée, voire cette conception communautaire de la vie en société,
devait séduire l’ex-banquier de Goldman Sachs qu’était Bannon au
point qu’il en t l’un des points cardinaux de sa politique d’information
lorsqu’il fut nommé à la tête de Breitbart. Par contrecoup, ce biais
politique avait convaincu Robert Mercer et sa lle Rebekah d’investir
massivement dans Breitbart.
Robert et sa lle détestent tout ce qui ressemble de près comme de
loin à l’État. Scienti ques de formation, ils lèvent le nez sur tout ce qui
ressemble de près comme de loin à l’étranger et ils ont imposé Bannon à
Trump comme directeur de campagne. Quoi d’autre ? Follow The
Money!
Chapitre 8
MAI 2017 : TRUMP
ET LES BRUTES

Au 102e jour de sa présidence, on réalisa que Trump avait parlé avec


chacun des durs et dictateurs, des brutes et autocrates qui dirigent les
nations qui comptent en Asie et au Moyen-Orient. On réalisa même
qu’il avait dialogué avec certains d’entre eux plus souvent qu’il n’avait
échangé avec les chefs d’État alliés. Pour leur faire des remontrances ?
Pour les convaincre de respecter, ne serait-ce qu’au minimum, les droits
de la personne ? Nenni ! Dans tous les cas, il a usé des cordes de la
séduction a n de prendre à revers, pour ne pas dire contrecarrer, les
politiques xées par Obama.
De voir ou entendre Trump cajoler, il n’y a pas d’autre mot, les
proxénètes de la politique internationale, a retourné les sangs des
personnels des ONG versées en droits de la personne et en qualité
démocratique ainsi que les mandarins et ex-conseillers des présidents
tant démocrates que républicains. Car pour la première fois depuis la
n de la Deuxième Guerre mondiale, un président américain n’a pas
une fois évoqué ou prononcé les expressions droits de la personne et
valeurs démocratiques. Non seulement ça, derrière les paravents des
faits strictement politiques posés par Trump, pointait, encore une fois,
la logique des intérêts personnels. Reprenons.
Après que le président turc Recep Tayyip Erdogan eut obtenu en avril,
par référendum, un rabotage des droits démocratiques, autrement dit
après avoir accompli une concentration des pouvoirs, Trump l’a appelé
pour le féliciter. Faut dire qu’il est propriétaire d’un vaste complexe
résidentiel et commercial en plein centre-ville d’Istanbul. Après avoir
assuré qu’il collerait à nouveau au principe d’Une Chine, après avoir
reçu le président Xi Jinping à Mar-a-Largo, Trump a obtenu ce qu’il
voulait depuis une dizaine d’années : le permis d’exploitation de sa
marque de commerce en Chine.
Au cours des récents mois, après que le président égyptien Abdel
Fattah al-Sissi eut musclé de manière plus marquée sa politique en
remplissant ses lugubres prisons, que fait Trump ? Il l’appelle pour le
féliciter. Le premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-cha, chef de la
junte militaire qui a fait un coup d’État en 2014, marche dans les pas de
Sissi ? Trump l’appelle en avril pour l’inviter.
Son a ection pour les hommes à poigne du globe, Trump l’a démontré
avec éclat au 101e jour de sa présidence en invitant le tueur en série et
président des Philippines Rodrigo Duterte à séjourner aux États-Unis.
Faut-il rappeler que sa politique consistant à faire assassiner par les
forces de l’ordre et autres les dealers de drogue comme les
consommateurs s’est soldée par la mort de 7 000 personnes au bas
mot ? Faut-il rappeler qu’il avait insulté publiquement Obama de la pire
des façons avant de lancer que les États-Unis pouvaient « aller au
diable », car il avait décidé de se rapprocher de la Chine ?
Le même jour ou presque, Trump agaçait tout ce que Washington
compte de personnes, Démocrates et Républicains, analystes, hauts
fonctionnaires et commentateurs des a aires étrangères, en con ant
qu’il « serait honoré de rencontrer personnellement Kim Jong-un », si
les circonstances s’y prêtaient. Cette déclaration a d’autant plus surpris,
pour ne pas dire énervé, qu’aucun président américain n’avait accepté
de discuter directement avec un dirigeant nord-coréen depuis des
lunes.
En fait, dans la foulée de cette évocation, le tout Washington a eu ce
qu’il faut bien appeler une certitude : en agissant de la sorte, Trump n’a
fait qu’observer le conseil donné par les dirigeants chinois aux
dirigeants américains depuis Clinton. À savoir, parler directement avec
les dictateurs coréens.
Ce côté bravache-qui-roule-des-mécaniques, Trump l’a encore une
fois interprété le surlendemain alors qu’il recevait le président de
l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Lors de la conférence de
presse, Trump a assuré qu’il allait triompher là où tous ses
prédécesseurs avaient échoué : signer un accord de paix. Trump :
« Franchement, c’est quelque chose qui, je crois, n’est pas aussi di cile
à faire que ce que les gens ont cru au cours des années. » Comment y
parvenir ? Trump n’en a pas dit un mot.
LE FBI ET LE FOUILLIS ÉLECTORAL
Le 28 octobre 2016, James Comey, alors directeur du FBI, envoie une
missive discrète aux leaders du Congrès pour leur signaler qu’une
nouvelle enquête sur des centaines de courriels échangés entre Hillary
Clinton et ses collaborateurs venait tout juste d’être ouverte. Le but ?
Savoir notamment si la candidate démocrate et ex-secrétaire d’État
avait dévoilé des secrets. On se souviendra qu’en juillet, ce même
Comey avait clos l’enquête sur ce sujet.
On ne sait trop comment, mais cette lettre devint publique dans les
heures suivant sa réception. Bien évidemment, elle eut un impact sur le
résultat des élections, notamment sur le vote par anticipation. Dans les
jours suivant l’élection, bien des voix s’élevèrent dans le camp
démocrate pour accuser Comey, un Républicain, d’avoir favorisé
Trump. Pour beaucoup, l’annonce d’une autre enquête fut le facteur
déterminant dans le triomphe de Trump. Bref, on lui reprochait d’avoir
été faiseur de rois.
Au début du mois, il fut convoqué par les membres de la Commission
sénatoriale des a aires judiciaires a n de s’expliquer sur cet épisode
lourd de sens. Aux élus qui le questionnèrent, Comey con a qu’il fut
confronté à un dilemme cornélien : soit il informait le Congrès et il
prenait le risque que le fait s’ébruite, soit il dissimulait la découverte
récente des centaines de courriels. Après ré exion, il jugea que la
dissimulation serait catastrophique. La suite, on la connaît.
Au cours de sa comparution, certains sénateurs dirent leur
étonnement de réaliser que les courriels de Clinton avaient fait couler
beaucoup plus d’encre que les agissements des Russes a n d’orienter le
vote en faveur de Trump. Autrement dit, la question posée à Comey
était : Comment se fait-il que le FBI se soit montré si discret
concernant les piratages informatiques commandés par le Kremlin ?
Cette interrogation fut formulée alors que circulait à Washington une
rumeur voulant que lors de leur tête-à-tête après l’élection, Barack
Obama avait mis Trump au parfum des étranges fréquentations russes
de Flynn. Le 8 mai, la rumeur fut plus précise : deux personnes
présentes lors de l’entretien assuraient qu’Obama avait fait part de son
inquiétude quant à la possible nomination de l’ex-général Michael T.
Flynn au poste de conseiller à la Sécurité nationale.
On se souviendra que les contacts de Flynn avec l’ambassadeur russe à
Washington, sa longue discussion avec Poutine à Moscou, sans oublier
ses étranges analyses géopolitiques avaient convaincu Obama de le
renvoyer de son poste de directeur de la Defense Intelligence Agency.
Ministre adjointe de la Justice, Sally Yates devait souligner, elle aussi,
les mises en garde qu’elle a servies aux personnes concernées après
avoir constaté que Flynn avait eu plusieurs contacts avec des
représentants russes après la victoire de Trump.
Dans la foulée, on apprenait que lorsqu’il fut le patron de l’équipe de
transition, le gouverneur Chris Christie, du New Jersey, prévint Trump
que les allers-retours russes de Flynn étaient plus que suspects.
Christie démissionna de ce comité. Mike Pence, vice-président élu, prit
la place, anqué d’Ivanka Trump et de Jared Kushner. Flynn leur t
savoir qu’il était intéressé par trois postes : secrétaire d’État ou de la
Défense ou conseiller à la sécurité nationale. Le trio nommé, le vice-
président en tête, choisit sans hésitation le dernier poste. La principale
raison ? Pour obtenir le poste de conseiller on n’a pas à subir les
interrogations des élus au Congrès.
Le 8 mai, le sous-comité des a aires judiciaires tient ses audiences sur
l’a aire Flynn et les malversations des Russes durant la campagne. Les
Républicains siégeant sur ce sous-comité eurent un comportement
pour le moins troublant à l’endroit de James Clapper, ex-directeur de la
National Intelligence Agency, et surtout de Yates. En un mot, cette
journée-là, ces élus passèrent leur temps à éluder, à louvoyer, à éviter le
fond du sujet.
Par exemple, plutôt que d’aborder les agissements de Flynn, le
sénateur républicain de l’Iowa, Chuck Grassley, demanda aux deux
invités s’ils avaient été les sources anonymes des « scoops » publiés
dans le Washington Post ou s’ils avaient demandé à quelqu’un de le
faire. Le sénateur du Texas, John Cornyn, se demandait, quant à lui, si
révéler l’identité des citoyens américains sous surveillance ne revenait
pas à jeter la suspicion sur la communauté des services de
renseignements du pays. Quant à Lindsay Graham, il fut plus franc du
collier. C’est bien simple, pour lui le fond de l’a aire consistait à se
demander quelle était l’identité de la personne qui avait informé le
Washington Post. Et pour Ted Cruz, l’autre sénateur du Texas, le sujet
n’était pas le bon puisque le bon était… les courriels d’Hillary Clinton !
Ainsi donc, les Républicains campèrent sur la position la plus
corporatiste qui soit, défendre un Républicain quoi qu’il en coûte, a n
de gommer au maximum le temps accordé à un sujet d’une
extraordinaire gravité. On ne doit pas oublier que durant une vingtaine
de jours, Flynn fut conseiller à la sécurité nationale et à ce titre
organisa, entre autres, un entretien de Trump avec Poutine.
Pourtant, Yates avait prévenu oralement et par écrit Donald McGhan,
l’avocat général de la Maison-Blanche, que Flynn avait enfreint le
Logan Act qui interdit à une personne de poursuivre une politique
étrangère alors qu’une autre administration, en l’occurrence celle
d’Obama, était en poste. De fait, selon Yates et des hauts fonctionnaires
des services de renseignements, Flynn, s’il n’avait pas été viré, aurait pu
être sujet d’un chantage de la part de Moscou. C’est dire la gravité du
dossier.
COMEY EST RENVOYÉ
Il faut imaginer la scène : le 9 mai dans l’après-midi, Comey est dans
une salle du siège du FBI à Los Angeles. Devant lui, des employés de
cette institution l’écoutent. Au fond de la salle, donc face à Comey mais
derrière les fonctionnaires rassemblés, des écrans de télé. Le directeur
du FBI s’adresse à ces derniers lorsqu’il lit une dépêche de CNN :
« Trump a renvoyé Comey ». Il pense tout d’abord que Trump ne l’ayant
pas informé de son geste, les réseaux télé viennent de faire une
grossière erreur. Puis véri cation faite, il plie bagage et retourne à
Washington.
L’argument évoqué par Trump et par le ministre de la Justice Je
Sessions ? Comey a fort mal géré le dossier Clinton. En fait, tout est
résumé dans cette note signée par le sous-ministre à la Justice Rod
Rosenstein : « La réputation et la crédibilité du FBI ont subi des
dommages substantiels qui a ectent jusqu’au ministère. Je ne peux pas
défendre la manière dont le directeur a mené la conclusion de l’enquête
consacrée aux courriels de la secrétaire d’État Clinton, comme je ne
comprends pas son refus d’accepter le jugement universel qu’il a fait
une erreur. Pratiquement tout le monde est d’accord que le directeur a
fait de sérieuses erreurs ; c’est un des rares constats sur lequel des
personnes de divers horizons sont unies. »
La position de Trump et des dirigeants du ministère de la Justice a
ceci de remarquable qu’elle met en relief l’extraordinaire contradiction
entre l’argument servi dans la foulée de ce renvoi et les propos tenus
lors de la campagne électorale. Dans cette histoire, Trump et Sessions
ont démontré un sans-gêne à l’endroit des citoyens qui se confond avec
le je-m’en-foutisme dans la forme la plus vulgaire qui soit.
Lors de la campagne, Sessions avait applaudi à tout rompre la
réouverture de l’enquête sur les courriels de Clinton pendant que
Trump invitait les Russes, Poutine en tête, autrement dit un pays
étranger, à communiquer d’autres courriels s’ils en possédaient.
En réalité, c’est plutôt l’enquête sur les liens entre des membres de
l’équipe électorale avec des Russes qui est à l’origine du renvoi de
Comey. Le fait que Manafort, Flynn et consorts soient sous la loupe des
limiers du FBI et que, conséquemment, cela pourrait empoisonner la
poursuite de son mandat a convaincu Trump de se débarrasser de
Comey.
Lorsqu’au renvoi de Comey, on gre e ceux de Yates, Clapper et autres
inquiets par les agissements de Moscou, on peut tout logiquement se
demander si Trump et ses proches ne sont pas embringués dans une
opération de camou age. Autrement dit, si Trump et ses proches ne
sont pas en train de « gi er », si l’on peut dire les choses ainsi, l’État de
droit. Chose certaine, jamais dans l’histoire de ce pays des observateurs
n’avaient établi le parallèle entre ce dossier et le fameux « Massacre du
samedi soir » du 20 octobre 1973, e ectué par Nixon. À cette date, ce
dernier avait viré Archibald Cox, procureur spécial dépêché par le
ministère de la Justice, pour faire la lumière sur le cambriolage des
bureaux du Parti démocrate dans l’édi ce du Watergate. Dans la foulée,
le ministre de la Justice et le sous-ministre démissionnèrent.
Interrogé à ce propos par le New Yorker, John Dean, qui fut l’avocat
général de la Maison-Blanche sous Nixon, a estimé « qu’en agissant de
la sorte, Trump et ses collaborateurs soulèvent beaucoup de questions.
Comment conclure autrement qu’en se disant que Trump sait qu’il a des
problèmes ? Chaque geste qu’ils font maintient le signal “opération de
couverture”. »
On s’en doute, le limogeage de Comey eut des répercussions notables
dans tous les recoins de la République. Certaines d’entre elles furent
d’autant plus brutales que Comey aura été, jusqu’alors, le seul directeur
du FBI a avoir ouvert des enquêtes sur les deux candidats à la
présidentielle. Stratège en chef de la Maison-Blanche, Steve Bannon
alla jusqu’à quali er l’ordonnance de Trump de pire erreur politique
dans l’histoire récente du pays.
Chose certaine, ce congédiement eut pour conséquence immédiate de
voir et d’entendre sur tous les réseaux télé les Démocrates exiger la
nomination d’un procureur spécial chargé de scruter les relations entre
les proches du président et Moscou. Dans un communiqué, le
représentant démocrate de la Californie et membre de la Commission
sur les renseignements, Adam Schi , indiquait : « La décision du
président dont le personnel électoral est sous enquête du FBI pour
collusion avec la Russie de renvoyer l’homme qui supervisait cette
enquête, à la suite de la recommandation du ministre de la Justice qui
s’était retiré de lui-même, soulève des questions profondes concernant
l’interférence e rontée de la Maison-Blanche dans une enquête
criminelle. »
Simultanément, un grand jury de Virginie émettait des subpœnas a n
de mettre notamment la main sur des documents liés aux agissements
de Flynn. En d’autres mots, le grand jury en question donnait
satisfaction au FBI et con rmait de facto son intérêt grandissant pour le
dossier.
LES ÉTATS DE SANTÉ
Après des semaines de tergiversations, de débats rythmés par la menace
et la violence, les Républicains dits modérés de la Chambre des
représentants se sont rangés derrière leurs chefs, dont le premier
d’entre eux Paul Ryan, en votant, le 4 mai, le projet de réforme du
A ordable Care Act, plus connu sous le nom d’Obama Care. Par une très
courte majorité, 217 à 213 la Chambre basse a donné satisfaction à
Trump après que celui-ci eut essuyé un échec quelques semaines
auparavant.
La brutalité du projet républicain était si évidente qu’elle a convaincu
les associations de médecins, des hôpitaux et jusqu’à des compagnies
d’assurances de s’y opposer. Président et chef de la direction de la
société Northwell Health, Michael J. Dowling est allé sur la place
publique pour marteler que « pour moi, ceci n’est pas une réforme. C’est
juste une débâcle. » Paul Markovitch, président de l’énorme Blue Shield
a estimé quant à lui « qu’il faut s’opposer, car il menace de frapper les
plus malades et ceux qui en ont le plus besoin de manière
disproportionnée ». Même Warren Bu ett, l’oracle d’Omaha, est allé
jusqu’à critiquer la politique républicaine en la matière.
Dans la foulée de l’adoption d’Obama Care, le secteur privé s’était
rapidement ajusté. Si des compagnies comme UnitedHealth Group ou
Aetna avaient abandonné le marché de l’assurance individuelle, c’était
pour mieux o rir une couverture sous l’égide de Medicaid. Bref, après
les critiques usuelles, le privé s’était mis au diapason.
Cet épisode de la vie politique américaine a ceci de fascinant qu’il
révèle combien, chez les leaders républicains du Congrès, l’adhésion à
une idéologie particulière a pris le pas sur la rationalité et le principe de
réalité. Paul Ryan a perdu dans cette histoire tout sens commun.
À preuve, une majorité de gouverneurs républicains, donc des
personnes chargées d’administrer directement ou indirectement des
services de santé, ont eu peine à cacher leur opposition au projet piloté
par Ryan, notamment ceux des États où il y a une présence notable de
compagnies pharmaceutiques. Mais encore ? En réduisant le nombre
de personnes assurées, la réforme aura comme e et pervers de réduire
de facto le nombre de consommateurs de médicaments.
La position des gouverneurs républicains rappelée, on comprendra
mieux le fait que des chefs de le du Parti démocrate aient mal
camou é leur satisfaction. Pour ces derniers, Ryan et les siens ont
commis une erreur politique si énorme et sur un sujet jugé très sensible
par une écrasante majorité d’Américains que ces derniers vont leur
in iger une défaite aux élections de mi-mandat. Bref, à l’idéologie, les
Démocrates ont opposé le calcul politique.
Dans les jours suivant le vote de la Chambre des représentants,
autrement dit en « re lant » au Sénat le soin de mener la démarche à
son terme, le patron des Républicains à la Chambre haute, Mitch
McConnell, a formé comme il se doit un groupe de travail. Signe
particulier ? Sur les 13 personnes choisies, aucune femme. En fait.
McConnell y a nommé les plus fervents adversaires de l’Obama Care,
les personnes les plus à droite.
Cette attitude fut jugée si outrancière par la sénatrice républicaine du
Maine, Susan Collins, qu’elle a jugé bon de mettre entre parenthèses ce
cadenas politique qui s’appelle l’unité du parti à tout prix. Collins : « Les
leaders ont le droit de choisir qui ils veulent. Cela ne m’empêchera pas
de travailler sur la réforme de la santé. »
COMEY LA SUITE
Dans les jours suivant le renvoi de Comey, les porte-parole de la
Maison-Blanche Sean Spicer et Sarah Huckabee Sanders, ainsi que le
ministre de la Justice Je Sessions et le sous-ministre Rod J.
Rosenstein, se sont appliqués à poursuivre une campagne de salissage
aux dépens de l’ex-chef du FBI. Le propos choisi ? Comey n’était pas du
tout apprécié par le personnel du FBI et l’enquête sur les liens supposés
entre les proches de Trump et Moscou qui l’obsédait tant est un petit
sujet parmi bien d’autres.
Signe de l’ardeur avec laquelle cette bande des quatre entendait
poursuivre son travail de sape, Sarah Huckabee Sanders était allée
jusqu’à assurer que beaucoup de limiers du FBI et des cadres
intermédiaires l’avaient appelée pour dire leur appréciation du geste de
Trump à l’endroit de Comey. Sanders : « Un nombre incroyable
d’employés du FBI sont reconnaissants et remercient le président. »
Le 11 mai, Andrew McCabe, directeur par intérim du FBI, témoignait
devant les membres de la Commission sur les renseignements. Sur les
angles d’attaque choisis, on insiste, par les quatre, McCabe devait
décliner un avis totalement contraire. Au vu des faits accumulés, il
s’avérait que l’implication des Russes dans le processus électoral avait
atteint un niveau si signi catif qu’il n’était pas question d’abandonner.
McCabe : « C’est bien simple, vous ne pouvez pas arrêter les hommes et
les femmes du FBI de faire ce qu’il est juste de faire. » Et de deux, de
préciser McCabe, le FBI résistera à toute tentative extérieure dont le
but est d’in uencer ou de saborder l’enquête.
Interrogé sur la soi-disant impopularité de Comey au sein de cette
institution, la réponse fut sans appel. « Le directeur Comey jouissait
d’un vaste soutien au sein du FBI. Et c’est d’ailleurs toujours le cas. La
grande majorité des employés du FBI avait un lien profond et positif
avec le directeur Comey. »
Pendant que McCabe répondait aux questions des sénateurs, on
apprenait une drôle d’a aire. Le 27 janvier, Trump convoquait Comey à
la Maison-Blanche. Une fois dans le bureau ovale, une fois les
présentations d’usage faites, Trump formula un ordre inusité : il
demanda au vice-président Mike Pence et au ministre de la Justice
Sessions, donc patron de Comey, de sortir. Puis Trump amena ce
dernier dans une pièce où un repas avait été préparé.
Avant de poursuivre, il faut savoir que dans la foulée du Watergate et
donc des entorses confectionnées notamment par Nixon, une loi
garantissait aux directeurs du FBI une plus grande indépendance du
pouvoir exécutif. Des balises avaient donc été imposées et la durée du
mandat xé à 10 ans. Dans l’esprit des législateurs, il était devenu
impérieux, après Nixon, de faire en sorte que le chef de l’Exécutif ne
soit pas en mesure de faire ce qu’il voulait avec le patron du FBI. En
d’autres mots, la frontière entre l’Exécutif et le judiciaire fut renforcée.
Revenons au repas. Entre deux crevettes, Trump demande à Comey
de prêter un serment de loyauté à sa personne. Comey explique au
président qu’il ne peut faire cela, car sa loyauté doit aller à tous les
Américains. Par contre, il s’engageait à être toujours honnête avec lui.
Une fois cet épisode devenu public, Sarah Huckabee Sanders devait
marteler que jamais le président Trump n’avait exigé une telle chose.
« Il ne lui viendrait pas à l’esprit de demander loyauté à sa personne
mais bien à notre pays et à son grand peuple. »
Entre deux sarabandes verbales, on devait apprendre l’essentiel. À
l’évidence plus inquiet qu’il ne voulait l’admettre, Trump avait
interrogé plus d’une fois Comey là-dessus. À trois reprises, ce dernier
devait lui dire que sa personne n’était pas le sujet de l’enquête.
Quelques jours plus tard, en fait le 16 mai, on réalisait que Trump
avait fait un geste préoccupant. Au lendemain de la démission forcée de
Flynn, Trump a demandé à Comey de mettre un terme à la poursuite de
l’enquête sur l’ex-général. Trump : « J’espère que vous comprenez qu’il
faut laisser aller, laisser Flynn aller. C’est un chic type. J’espère que
vous laisserez tomber. »
DONALD LA GAFFE
Le 15 mai, le Washington Post publie un scoop pour le moins inquiétant.
Le quotidien révèle que lors d’une rencontre au lendemain du renvoi de
Comey avec le ministre russe des A aires étrangères Sergueï Lavrov et
l’ambassadeur russe à Washington Sergueï Kisliak, le président Trump
a dévoilé des secrets. Si secrets qu’ils n’étaient pas partagés avec les
alliés et n’avaient pas été communiqués dans leur totalité aux agences
américaines concernées.
Trump leur a indiqué qu’un des alliés américains dans cette région
avait détaillé certaines actions en cours de préparation au sein de
Daesch. Ensuite ? Trump est allé con er aux Russes jusqu’au nom de la
ville où résidait la source. Bref, il en a dit su samment, selon les
témoignages recueillis par le Washington Post, pour permettre aux
Russes de remonter la chaîne de communications.
Sur le plan légal, si le président des États-Unis est la seule personne à
qui il est permis de révéler un secret sans prendre le risque d’une
poursuite, il est tout de même soumis à une obligation qui relève d’une
longue tradition et que tous les présidents avant lui avaient observée : à
savoir demander au pays qui est à la source d’une information sensible
s’il peut la partager avec un tiers.
Après le Washington Post, le New York Times révélait que le pays allié
en question dans la région était Israël. En nommant la ville où était
située la source de l’information des Israéliens, Trump permettait,
indirectement il est vrai, à une partie tierce d’être au parfum. Qui donc ?
L’allié des Russes dans la région qui est par ailleurs le principal
adversaire d’Israël, soit l’Iran.
Paradoxe des paradoxes, politiquement causant, en communiquant
des informations sensibles aux Russes, Trump renforçait la rumeur
publique voulant que certains de ses proches avaient « copiné » avec
Moscou durant les élections pour favoriser sa victoire.
Il a surtout pris le risque de s’aliéner des alliés de l’OTAN,
géographiquement plus proches du Moyen-Orient, sur le anc des
dossiers sensibles. À l’évidence, après cet épisode, tout pays qui échange
des secrets avec les États-Unis est en droit de s’interroger sur la
con ance qu’il peut avoir avec ce pays et surtout avec son président.
Cela étant, le personnel politique n’étant pas à une contradiction près,
on se rappellera que quelques mois auparavant, Obama s’était demandé
s’il ne faudrait pas échanger certaines informations avec les Russes à
propos de la Syrie. Les Républicains avaient alors hurlé. Parmi eux, nul
autre que le représentant du Kansas Mike Pompeo, désormais directeur
de la CIA. Il avait alors quali é cette idée de « stupide ».
On se rappellera également, voire surtout, que lorsqu’on avait appris
qu’Hillary Clinton avait communiqué des informations sensibles par
l’intermédiaire d’un portable non sécurisé, les Républicains avaient crié
à l’irresponsabilité. Trump était allé plus loin allant jusqu’à la traiter de
tous les noms.
LA FAMILLE SANS-GÊNE
Au cours de la première semaine de mai, Nicole Meyer, la sœur de Jared
Kushner, a fait une campagne promotionnelle à Pékin et à Shanghai a n
de convaincre des citoyens chinois d’investir au minimum 500 000 $
dans un projet de 1 500 copropriétés de luxe en cours de préparation
dans le New Jersey.
Arrêtons-nous aux chi res. L’investissement minimum avancé par
Mme Meyer est en fait le montant xé par le gouvernement fédéral lors
de l’élaboration du programme EB-5. Celui-ci stipule que tout étranger
qui décide d’investir cette somme dans un projet immobilier ou autre
situé dans une zone économiquement défavorisée aura la possibilité
d’obtenir plus rapidement et beaucoup plus facilement le visa et
éventuellement la citoyenneté américaine.
Selon une étude réalisée par The United States Government
Accountability O ce (GOC), qui est en fait le limier en chef du Congrès,
le programme en question a eu un énorme e et pervers. Alors qu’il avait
été conçu a n de doper l’activité économique dans des zones sinistrées,
on a réalisé que les principaux béné ciaires étaient les promoteurs
immobiliers comme les Kushner qui, grâce à ce programme, ont fait
nancer par des étrangers des projets de copropriétés de luxe. Une fois
ces édi ces construits et habités, le GOC a constaté que les démunis
quittaient le quartier, car la valeur des terrains, et donc les taxes,
augmentaient en èche.
Tant à Pékin qu’à Shanghai, Mme Meyer s’est vantée d’avoir une ligne
de communication directe avec Trump et avec tout le personnel de la
Maison-Blanche. Une fois cette faute éthique dévoilée, le relationniste
de la société s’est fendu d’un communiqué pour nous assurer que Mme
Meyer n’avait pas pensé une seconde… Blablabla ! Il est fascinant de
constater que des porte-parole acceptent de jouer le rôle de l’idiot utile
en composant des communiqués consistant à prendre le citoyen pour
un sombre crétin. Passons.
Pour se rendre en Chine, Mme Meyer a évidemment pris l’avion. Pour
surveiller la construction d’un hôtel Trump en Uruguay, les ls Trump
également. Pour faire du ski à Aspen et à Whistler, son frère et sa belle-
sœur Ivanka aussi. Pour faire ses allers-retours entre son golf de Mar-a-
Lago en Floride ou celui de Bedminster au New Jersey, Trump aussi.
Pour aller voir sa femme et son ls qui vivent dans la Trump Tower de
New York, ayant refusé de vivre à la Maison-Blanche, il doit là aussi
prendre l’avion. Et puis…
Et puis, et puis, il faut bien veiller à la sécurité de tous ces gens-là et
des lieux où ils se trouvent. Et comme faire des a aires entre la Chine,
Dubaï et l’Uruguay, et comme se reposer entre Mar-a-Lago et
Bedminster et non à Camp David, résidence secondaire o cielle de la
présidence, et comme tout cela coûte cher, il a bien fallu augmenter le
budget inhérent à la protection de tout ce beau monde.
Là, il faut le reconnaître, les membres du Congrès, les Républicains
aussi bien que les Démocrates, n’ont fait ni dans la dentelle ni dans le
détail, puisqu’ils ont ajouté la modique somme de 120 millions par an.
On souligne : il s’agit d’une addition ! Prenez les services secrets. Pour
protéger le roi post-moderne et sa suite dans ses multiples allers-
retours, il en coûte 750 millions sur un budget de 1,8 milliard. Pour
ajuster la Trump Tower aux exigences de sécurité, il a fallu débourser
23 millions. Pour la sécurité quotidienne de l’immeuble, il faut compter
entre 127 000 et 145 000 $.
Pour dire les choses platement, donc telles qu’elles sont, il faudra bien
se poser un jour la question suivante : Trump a-t-il été en fait un escroc
de génie lorsqu’il était à la Maison-Blanche ? Un, ses enfants font la
navette entre divers pays sans dépenser un sou pour le transport et a n
de boni er la valeur de l’actif Trump. Deux, les dépenses a érentes à
l’amélioration de la sécurité de la Trump Tower sont payées par l’État.
Trois…
Trois, il y a surtout qu’en prenant fréquemment le chemin de ses golfs,
Trump fait la pub de ces derniers sans débourser un sou. Les
responsables de l’éthique au sein du gouvernement fédéral ont noté en
e et que les extraits lmés par les chaînes de télévision chaque fois que
le président se rend par exemple à Mar-a-Lago constituaient une pub
gratuite pour ses propriétés. Comme quoi le con it d’intérêts est une
fable des chevaliers de la Table ronde.
ET MUELLER REVINT
Parmi les arguments évoqués par Trump pour justi er le renvoi de
Comey, il y avait une note préparée par le sous-ministre de la Justice
Rod Rosenstein. De ce qui a transpiré, cette note était en fait un
brouillon. Toujours est-il que Trump avait décidé d’en faire la pierre
angulaire du licenciement de Comey. Il s’est murmuré que derrière les
rideaux, Rosenstein ne décoléra pas pendant plusieurs jours car, ce
faisant, Trump avait passablement « abîmé » ce à quoi ce mandarin de
la justice tenait le plus : sa réputation d’homme indépendant des partis
politiques.
Dans les jours suivant le renvoi de Comey, les Démocrates prirent un
soin méticuleux à questionner le jugement de Rosenstein dans cette
histoire. Et ce, avec d’autant plus d’ardeur que lors de son examen de
passage devant la Commission de la justice au mois de mars, soit
quelques semaines auparavant, Rosenstein avait répondu par
l’a rmative lorsqu’on l’avait interrogé sur l’enquête consacrée aux
agissements des Russes. Plus précisément, il avait indiqué qu’il
porterait une attention particulière à ce dossier.
Le 17 mai, Rosenstein prenait d’une certaine manière sa revanche sur
Trump. Il estimait les magouilles des Russes su samment graves pour
nommer un procureur spécial à qui toute latitude était accordée a n
d’enquêter sur tout ce qu’il jugerait digne de l’être. Bref, le mandat était
large. Ce faisant, Rosenstein donnait satisfaction aux Démocrates qui
avaient réclamé à cor et à cri la nomination d’un procureur spécial, mais
contrariait énormément Trump qui avait cru qu’en virant Comey il
stoppait net l’histoire russe.
La personne choisie par le sous-ministre de la Justice ? Robert
Mueller III. Ancien directeur du FBI qu’il avait dirigé pendant 13 ans –
il a servi sous Bush et Obama –, Mueller avait la réputation d’être aussi
intègre qu’indépendant. Tous les portraits dressés de lui dans les
médias soulignent toujours que lui et son ami James Comey, alors que
ce dernier était sous-ministre de la Justice sous Bush, avaient eu le
courage de s’opposer avec force à Dick Cheney et à sa garde rapprochée
lorsqu’il avait été question de prolonger un programme secret
d’interrogatoire.
Signe de la tension entre Trump et les mandarins de la Justice, le
premier fut informé de la nomination de Mueller seulement après que
Rosenstein eut signé son ordonnance. Une fois cela réalisé, ce dernier
ainsi que le directeur par intérim du FBI se sont rendus directement au
Congrès pour mettre au parfum les leaders démocrates et républicains.
En n, on retiendra que le mandat de Mueller se distinguait par son
ampleur. Car non seulement on demandait à Mueller d’analyser tous les
liens ou coordination entre le personnel de campagne de Trump et des
correspondants russes, mais aussi sur tout acte jugé troublant et non en
lien direct avec la relation avec les Russes. Autrement dit, il était permis
à Mueller d’enquêter sur une possible obstruction à la justice. Bonjour
l’ambiance !
Passé maître dans l’art de semer la zizanie, Poutine pro tait de
l’angoisse conséquente à la décision de Rosenstein en annonçant de
Sotchi, la cité balnéaire de la mer Noire, et lors d’une conférence de
presse conjointe avec le premier ministre italien, qu’il était prêt à livrer
les informations dites classi ées que Trump avait fournies au ministre
Lavrov et à l’ambassadeur Kisliak.
LE CONTRE-PIED ORIENTAL
Au cours de ses deux mandats, Obama, ayant convenu de l’échec de la
politique traditionnelle des États-Unis concernant le Proche comme le
Moyen-Orient, avait décidé de suivre une politique di érente. Au cœur
de celle-ci, il y avait cette volonté de prendre une voie débouchant à
moyen ou long terme sur une réconciliation avec l’Iran. Lors des
négociations consacrées au programme de dénucléarisation militaire
de ce pays, Obama avait laissé entendre que des sanctions seraient
abandonnées. Lors de ces mêmes négociations, les représentants
américains s’étaient montrés moins durs ou exigeants que leurs
homologues européens, surtout les Français.
Tout logiquement, cette politique s’était accompagnée d’un
bouleversement géopolitique. De ce dernier, deux faits sont à retenir :
Obama fut le premier président américain à refuser de vendre des
avions de combat à l’Arabie Saoudite et le premier à critiquer
publiquement certaines des politiques arrêtées par le premier ministre
israélien Benyamin Netanyahou, notamment sur l’implantation des
colonies. En fait, Obama s’aliéna Netanyahou qui ne se gêna d’ailleurs
pas en humiliant le vice-président Joe Biden et la secrétaire d’État
Hillary Clinton en les faisant poireauter des heures sur le tarmac de
l’aéroport de Tel Aviv.
En ce qui concerne le monde sunnite et plus particulièrement les
deux nations qui le dominent, soit l’Égypte et l’Arabie Saoudite, Obama
n’hésita pas à questionner, directement ou par l’intermédiaire des
É
secrétaires d’État, Clinton d’abord, John Kerry ensuite, leurs bilans en
matière des droits de la personne, du traitement réservé aux femmes,
etc. Bref, Obama eut un comportement jugé provocateur par les
conservateurs qui dirigent toutes ces nations.
Après une campagne électorale au cours de laquelle Trump déclina
son sentiment anti-musulman à plusieurs reprises, après avoir émis un
interdit de séjour en sol américain visant uniquement des pays
musulmans, voilà que Trump fait une tournée orientale. Il arrive à Ryad
alors que les Iraniens faisaient ce que des millions de sunnites rêvent de
faire : voter à une élection. Il arrive et il est célébré comme jamais
Obama ne l’a été. Il arrive et il est décoré. Il arrive et il est fêté en grande
pompe.
Ce déluge de tambours et trompettes qui salue tout le séjour du
45e président des États-Unis au royaume des lieux saints de l’Islam est
tout simple à expliquer : pour les sunnites, Trump est l’exact contraire
d’Obama. Un, il veut déchirer l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran,
car comme il l’a dit et répété il n’a aucune con ance en ses dirigeants.
Deux, ainsi que le prouve la liste des ressortissants des sept pays bannis
de l’espace américain, Trump est un adversaire de l’Islam politique.
Trois, il se moque du bilan en matière des droits de la personne. Cela lui
est totalement indi érent. Quatre, il a convenu de nous vendre des
armes.
Pour en vendre, il en a vendu des missiles, des avions, des tanks et
autres. Il en a vendu un sacré paquet. On annonce des ventes de
110 milliards de dollars. Quali er cela d’énorme reviendrait à formuler
une tautologie. De cet épisode du voyage de Trump, on retiendra qu’il a
convenu de vendre aux Saoudiens des armes jugées sensibles comme
les missiles antibalistiques qui visent en fait l’Iran.
Dans une opinion publiée dans le Hu ngton Post, le sénateur
démocrate du Connecticut Chris Murphy écrivait : « dans ce baril de
poudre qu’est le Moyen-Orient, cette vente pourrait être l’allumette
plongeant toute la région, et nous, dans le terrier de lapin du con it
militaire permanent ». Fichtre !
Au lendemain de son séjour en Arabie Saoudite, Trump prenait la
direction d’Israël. À Netanyahou et autres dirigeants de ce pays, Trump
annonçait un retour en arrière. Plus précisément, après avoir parlé avec
les autocrates saoudiens, il déclarait que l’avenir de la coalition anti-
Iran qui est en train de se forger avait pour passage obligé un accord de
paix entre Israéliens et Palestiniens. Un accord consacrant l’existence
de deux pays vivant, si l’on ose dire, en bon voisinage.
Ce faisant, Trump heurtait non seulement Netanyahou mais tous les
leaders des partis membres de sa coalition et enclins à suivre une
politique de colonisation. Depuis qu’il est aux commandes, le premier
ministre s’est employé à subordonner toute entente avec les
Palestiniens derrière la lutte anti-iranienne, alors que Trump, au
contraire, plaçait un possible traité au cœur du combat contre Téhéran.
PEUT-ÊTRE QUE OUI, PEUT-ÊTRE QUE NON
Après son périple au berceau des trois monothéismes qui ont
ensanglanté l’histoire du monde, Trump s’est retrouvé en Europe. À
Bruxelles d’abord, à Taormina, en Sicile, ensuite. S’il fut sobre et
attentif au Moyen-Orient, il fut agressif à l’endroit des chefs d’État
alliés, comme si ces derniers étaient tenus pour acquis. Comme s’ils
devaient se comporter en vassaux devant l’échotier de America First.
Il faut dire que l’Europe, celle soucieuse de l’État de droit et non celle
embellie des magazines dont l’ambiance est le fonds de commerce, il ne
l’aime pas. L’Europe de la Commission européenne, celle qui a fait
l’Union européenne, celle dont Bruxelles est la capitale, il ne l’aime pas
du tout. Car cette Europe-là est celle qui édicte des règles que le
promoteur Trump est obligé de respecter.
C’est d’ailleurs plus le promoteur, l’homme d’a aires, qui s’est
distingué à Bruxelles que le chef d’État. Il eut d’ailleurs des mots
passablement durs à l’endroit de l’Allemagne allant jusqu’à la traiter de
« très mauvaise » en matière de relations commerciales. Il a même
accusé Berlin de suivre une politique de dé ation monétaire a n
d’avantager le Made in Germany aux dépens des États-Unis.
Sa posture à cet égard frise la malhonnêteté, car tous les personnels de
la Maison-Blanche et de la Réserve fédérale savent pertinemment que
c’est plutôt le contraire. En e et, les Mercedes, BMW et Bayer
consacrant d’énormes budgets à la recherche et au développement,
celles-ci « aiment » un euro fort. Elles veulent une monnaie plus
« chère » que le dollar.
Sur le anc environnemental, plus exactement pour ce qui est de
l’Accord de Paris sur le réchau ement climatique, il a sou é, c’est le cas
de le dire, le chaud et le froid. Peut-être que oui, il con rmera l’adhésion
d’Obama à ce traité auquel ont adhéré tous les pays membres de l’Union
européenne. Peut-être que ce sera non. Bref, sa décision il la prendra
dans quelques jours, et non dans quelques semaines, lorsqu’il sera de
retour à la maison. Qu’il refuse de dire à quelle enseigne il loge alors
qu’il est en présence des Européens les a passablement agacés.
Bien évidemment, il a sermonné les Européens au sujet des budgets
accordés à la défense. Une fois de plus, il a martelé le même discours : le
fait que bien des nations n’observent pas la règle de l’OTAN en la
matière est une injustice in igée au peuple américain. Sauf… sauf que
depuis des discussions et une entente avec l’administration Obama, les
membres de l’UE ont augmenté leurs dépenses militaires depuis 2015.
Mais ce qui a le plus heurté les chefs d’État européens, c’est le côté mi-
gue, mi-raisin que Trump a employé lorsqu’est venu le temps
d’échanger sur l’article 5 de l’Alliance atlantique, qui est rien de moins
que la version militaire du « tous pour un, un pour tous ». Toujours est-
il que Trump a refusé de dire s’il con rmait ou pas le ralliement de son
pays à cet article.
Après des discussions entre les membres de l’OTAN, entre les États-
Unis et l’Union européenne et entre membres du G7 en Sicile, la
chancelière Angela Merkel est intervenue sur la place publique pour
exprimer son désappointement, sans emprunter les saillies de
l’amertume, concernant les relations entre l’Europe et les États-Unis.
À Munich, elle a con é que « l’époque au cours de laquelle nous
pouvions compter sur le soutien entier des autres est pour ainsi dire
terminée. C’est ce que j’ai réalisé au cours des derniers jours. » De fait,
« il est temps que nous prenions notre destin entre nos mains ». Quand
on y songe, Merkel a en fait collé au principe de réalité.
Car sur aucun des sujets débattus lors de la tournée de Trump, il n’y a
eu d’accord. Sur l’OTAN, le réchau ement climatique, les échanges
commerciaux sans oublier la Russie, les vues européennes étaient
opposées, parfois diamétralement opposées, à celles de Trump. Si la
fermeté du ton de Merkel peut surprendre, il faut comprendre qu’en ce
qui la concerne sa connaissance de la Russie « écrase » celle de Trump.
De fait, l’attitude de Trump par rapport à l’OTAN et surtout par
rapport à l’article 5 a eu sur Merkel l’e et d’une douche froide, pour ne
pas dire très froide. On ne sera pas étonné que Merkel ait formulé ce qui
suit : « Nous devons être conscients que nous devons nous battre pour
À
avoir la maîtrise de notre avenir, de la destinée des Européens. » À cet
appel à un sursaut supranational, un fait d’une importance majeure doit
être souligné deux fois plutôt qu’une : le Royaume-Uni, deuxième
puissance militaire derrière la France en Europe, a voté le Brexit, a opté
pour le divorce avec l’Union européenne.
Chapitre 9
JUIN 2017 : NON
À L’ACCORD DE PARIS

Après trois décennies de débats nationaux et de conférences


internationales, après publication de mille et une études e ectuées de
par le monde qui toutes concluaient que le réchau ement climatique
était un fait, une réalité propre à esquinter durablement la planète, les
représentants de 195 pays signaient le 12 décembre 2015 l’Accord de
Paris sur le climat. Il s’agissait du premier accord universel sur ce
dossier sensible entre tous. L’objectif xé à tous les pays ? Réduire les
gaz à e et de serre a n d’écarter la menace suivante : une augmentation
de 3 °C de la température moyenne au cours du présent siècle.
Deux ans et quelques mois plus tard, en mai comme on sait, Trump
avait refusé de préciser sa pensée sur ce dossier. Arrive le 1er juin et que
fait-il ? De la Maison-Blanche, Trump annonçait avoir commandé le
retrait de l’Accord de Paris. Son argumentation fut développée à l’aune
du nationalisme étroit, de la mentalité de l’assiégé.
« J’ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh et non de
Paris. » Ou encore : « Jusqu’à présent, il était inimaginable qu’un accord
international empêcherait les États-Unis de conduire ses propres
a aires. » Ou encore : « Jusqu’à quel point veut-on la déchéance de
l’Amérique ? À quel moment ont-ils commencé à rire de nous comme
pays ? Nous ne supportons plus que les dirigeants des autres pays se
moquent encore de nous. C’est terminé. »
C’est donc en ces termes que Trump a justi é sa décision. Pas une fois,
il ne l’a expliquée en s’appuyant sur la logique, sur l’intelligence, sur
l’observation des vérités scienti ques découvertes après une analyse
rationnelle des tenants et aboutissants du sujet.
Il s’est comporté de la sorte, il s’est retiré de l’accord parce que,
fondamentalement, il croit dur comme fer que le changement
climatique est un canular forgé par la Chine dans le but d’a aiblir
durablement la compétitivité du secteur manufacturier américain.
Durant la campagne, il avait ramené à plus d’une reprise le changement
climatique à une mauvaise farce. À cette position, il faut ajouter le
calcul politique.
À l’instar des mandarins et élus du Parti républicain, des experts en
cartes électorales et manitous des sondages, Trump a retenu que les
problèmes environnementaux, et pas seulement le réchau ement
climatique, étaient jugés, par ceux et celles qui l’avaient poussé à la
Maison-Blanche, comme le cadet de leurs soucis. Paradoxalement,
selon une étude signée par le Yale Program on Climate Change en 2017,
70 % des électeurs républicains pensent que le réchau ement est bel et
bien une réalité, 53 % d’entre eux estiment qu’il est la conséquence de
l’activité humaine et 69 % croient qu’il faut réduire notamment les
émissions de carbone des usines de charbon.
À bien des égards, ce paradoxe symbolise ou résume la métamorphose
du Parti républicain pour tout ce qui a trait au changement climatique.
Entre la campagne de 2008 et celle de 2016, ce parti est passé au fond du
coq à l’âne. On sera probablement surpris, mais… mais le plan développé
et présenté en 2008 à Portland dans l’Oregon par John McCain,
candidat choisi par les Républicains pour la nale contre Obama, était
beaucoup plus ambitieux que celui avancé par le champion des
Démocrates, donc Obama. On retiendra également que la majorité des
Républicains jugeaient nécessaire de réduire les émissions de carbone.
Que s’est-il donc passé pour que le Grand Old Party tourne casaque ?
Comment se fait-il que sur un dossier qui concerne tous les êtres
humains de la planète, il ait opté pour la fuite en avant ? En fait, ce
dossier a ceci de passionnant et terri ant en même temps qu’il met en
lumière comme jamais les vices de la politique américaine depuis que la
Cour suprême a décidé en janvier 2010 qu’il n’y avait plus de limite aux
dépenses électorales. Bref, que c’était bar ouvert. Reprenons.
Le plan de réduction de carbone annoncé par McCain en 2008,
combiné à l’attitude de la majorité des élus républicains, a produit son
lot de cauchemars chez deux individus : Charles et David Koch. Les
Koch sont propriétaires notamment d’un réseau de ra neries qui
produit 600 000 barils de pétrole par jour ! Après avoir ruminé
l’attitude de McCain et des Républicains, les Koch ont arrêté une
politique d’une telle violence qu’elle a passablement amputé la qualité
démocratique.
Après avoir investi massivement dans les campagnes présidentielles
depuis les années 1970, les Koch ont décidé d’investir massivement
dans toutes les élections locales et au niveau des États. Ils ont doté leurs
think tanks, comme Americans for Prosperity et le Competitive
Enterprise Institute, de budgets conséquents à qui ils ont ordonné,
entre autres, de descendre en ammes toutes les études et leurs auteurs
analysant le réchau ement.
Ensuite, ils se sont employés avec méticulosité à assujettir, dès 2008,
le nancement d’une campagne électorale à un serment intitulé No
Climate Tax. En fait, pour béné cier des largesses nancières des deux
frères, tout candidat devait signer o ciellement ce serment. Les
conséquences ne devaient pas tarder à mettre en lumière la volonté
comme la brutalité des agissements des Koch.
De celles-ci, on a retenu deux exemples. Vétéran respecté du Sénat, le
Républicain Richard Lugar de l’Indiana devait perdre la primaire en
vue des législatives de 2010. Quant à Fred Upton, représentant
républicain du Michigan qui avait coparrainé une loi sur l’e cacité
énergétique des ampoules, car certain que le réchau ement climatique
n’était pas une légende, il tourna sa veste a n de béné cier des espèces
sonnantes des Koch et conservait ainsi son poste de président de la
Commission de l’énergie et du commerce. Voilà pour l’épisode no 1.
L’épisode no 2 a pour principal acteur Barack Obama. Lors de son
discours sur l’état de l’Union en février 2013, il prévint « que si le
Congrès n’agit pas rapidement a n de protéger les futures générations,
alors j’agirai ». Obama a alors introduit le Clean Power Plan dans le
paysage qui devait se traduire par la fermeture de dizaines et de
dizaines de centrales à charbon.
Comme il fallait s’y attendre, tout ce que le pays compte de lobbyistes
défendant les intérêts nanciers des manufacturiers et des industriels
partit à l’assaut des barricades. Avec le soutien monétaire des Koch, ils
parvinrent à convaincre les procureurs généraux de 28 États de
s’opposer au plan d’Obama. En portant leur cause devant la Cour
suprême des États-Unis.
Évidemment conscients que celle-ci était dominée par les
conservateurs inclinant dans certains cas, on pense à Clarence Thomas,
aux sirènes des libertariens, les chefs de le de la poursuite contre le
Clean Power Plan, dont Scott Pruitt, futur patron de l’Energy Protection
Agency (EPA), ont insisté sur le fait que cette loi était une intrusion
marquée du gouvernement dans les a aires privées. Résultat ? En
février 2016, soit quelques mois avant la victoire de Trump, la Cour
suprême donnait raison aux plaignants par cinq voix contre quatre.
Si les commentateurs patentés du cirque médiatique n’étaient pas
habités par des pudeurs de gazelles, ils nommeraient les choses pour ce
qu’elles sont : les Koch sont coupables de crimes, c’est le cas de le dire,
contre l’humanité. Point.
Trump avait à peine annoncé le retrait de l’Accord de Paris que les
maires des 33 plus grandes villes du pays, des gouverneurs, plus de
80 présidents d’université et les patrons de 100 entreprises faisaient un
coup d’éclat. Même si aucune de ces personnes n’a le pouvoir de
représenter la nation tout entière, elles ont décidé de soumettre un
plan aux Nations Unies dans lequel elles s’engageaient à respecter les
cibles xées dans l’accord en question.
Coordonnateur des e orts de cet aréopage, l’ex-maire de New York
Michael Bloomberg assurait : « Nous allons faire tout ce que l’Amérique
devait faire si elle était restée » dans l’accord. Parallèlement, les
gouverneurs Andrew M. Cuomo de New York, Jerry Brown de
Californie, Jay Inslee de Washington et quelques autres s’attelaient à la
formation d’une alliance des États souhaitant appliquer les principes de
l’Accord de Paris.
Dans la lettre envoyée au secrétaire général des Nations Unies,
Antonio Guterres, Bloomberg soulignait : « Alors que la branche
exécutive du gouvernement américain parle au nom de la nation sur le
front des a aires étrangères, ce n’est pas elle qui détermine les actions
des États en matière de changement climatique. La masse des décisions
qui orientent l’action des États-Unis est en fait l’addition des décisions
prises par les villes, les États, les entreprises et la société civile.
Collectivement, ces acteurs restent convertis à l’Accord de Paris. »
On se rappellera que pour tout ce qui a trait à l’émission de carbone
par les véhicules, les États ont énormément de poids, car ils gèrent le
parc automobile par le biais des plaques d’immatriculation. On se
rappellera également que les municipalités disposent de pouvoirs
beaucoup plus étendus que le Fédéral en ce qui concerne le parc
À
immobilier composé des immeubles à bureaux et commerciaux. À cet
égard, lorsqu’il était maire de New York, Bloomberg avait donné
l’exemple en confectionnant un plan subventionné de transfert
énergétique des édi ces.
Cinq jours après l’annonce de Trump, le gouverneur de Californie
Jerry Brown, État le plus peuplé avec 39 millions d’habitants, allait à la
rencontre du président chinois Xi Jinping, à Pékin. Dans sa poche il
avait la lettre signée par les maires des grandes villes, bon nombre de
gouverneurs, les présidents d’université ainsi que par les présidents des
plus grosses entreprises américaines et qui stipulait que tous
entendaient respecter l’Accord de Paris. Voilà pour le pied de nez.
COMEY COMPARAÎT
Après son renvoi du FBI, James Comey était évidemment convoqué par
la Commission sénatoriale du renseignement. Dans le témoignage
écrit, prélude au témoignage oral, il rappelait notamment que Trump
lui avait suggéré de laisser tomber l’enquête sur Flynn, qu’il avait à plus
d’une reprise demandé si lui-même était le sujet d’une enquête
particulière dans le cadre de l’enquête plus vaste sur les liens entre
certains de ses collaborateurs et les Russes. Quoi d’autre ? Dans ce
témoignage écrit à l’intention des sénateurs avant sa comparution,
Comey précisait également que Trump s’était distingué de tous ses
prédécesseurs en l’appelant au téléphone à plusieurs reprises en plus de
demander à le rencontrer plus d’une fois.
Cela est d’autant plus singulier qu’a n de garantir l’indépendance de
la justice, les relations entre le président et le directeur du FBI ont été
légalement encadrées a n de limiter celles-ci au strict minimum. Par
exemple, Comey a rencontré Obama à deux reprises seulement, dont
une fois pour o cialiser sa nomination par ce dernier, en septembre
2013. Comey laissait clairement entendre que le chef de l’Exécutif
s’était employé à faire obstruction à la justice. On se souviendra que
dans un État de droit, les pressions exercées par une personne en
position de force, ici le président, sur une autre, ici Comey, pour que
celle-ci abandonne son enquête est considérée comme une tentative de
corruption. Donc d’une o ense criminelle.
Le 8 juin, lors de sa comparution devant les membres du Congrès,
Comey s’appliqua à détailler l’obstruction de Trump en spéci ant
notamment qu’il avait remis au procureur spécial Mueller tous les
documents nécessaires à l’ouverture d’une étude spéci que. Trump
voulait notamment que Comey aille clamer publiquement qu’il n’était
en rien le sujet de l’enquête poursuivie par le FBI sur les relations avec
des Russes.
Cela précisé, la comparution de Comey met en relief le déluge de
haine et de fausses informations, de violences et d’idioties, que
permettent les nouvelles technologies. Comey avait à peine terminé son
témoignage que les vandales de la peste brune l’attaquaient avec
virulence avant de partir à l’assaut du FBI sur le thème suivant : le FBI
mène un complot contre Trump, l’enquête sur les agissements des
Russes étant en fait un paravent à la chasse aux sorcières que cette
institution poursuit.
Tout a commencé lorsqu’un militant républicain se situant à
l’extrémité droitière du parti est intervenu sur le Web. Jack Posobiec,
plus enclin à gérer son fonds de commerce sur fond de haine qu’à
chercher la simple vérité, s’était taillé toute une réputation, et une sale,
en faisant la promotion du Pizzagate. Mais encore ? Des membres du
Parti démocrate, dont Hillary Clinton, organisaient des orgies avec des
enfants dans le sous-sol d’une pizza de Washington.
Le 8 juin, Posobiec écrivait que Comey « avait juré sous serment que
jamais Trump ne lui avait demandé de stopper une enquête ». On se
souviendra que Trump avait tout de même suggéré, mais non
commandé, de laisser Flynn tranquille. Flynn qui fut notamment
conseiller à la sécurité… nationale. Et non concierge d’un centre d’art
postmoderne ! À peine Posobiec avait-il envoyé son message que Fox
News s’y appuyait pour mieux défendre la théorie assurant que le FBI
complotait contre Trump.
L’animateur Sean Hannity de Fox, le préposé à la version vulgaire du
journalisme, Alex Jones, le cinglé qui avait nié le massacre des gamins
de l’école élémentaire de Sandy Hook et que des millions d’individus,
soit le contingent des atrabilaires, écoutent religieusement chaque jour,
Rush Limbaugh, le préposé à la socialisation de l’abrutissement, le site
poubelle Breitbart News et d’autres qu’on oublie reprenaient à l’unisson
le tweet de Posobiec pour marteler que Trump était une victime.
TRUMP POURSUIVI
Le 12 juin, les procureurs généraux du Maryland et du district de
Columbia annonçaient, en conférence de presse conjointe, qu’ils
avaient déposé une plainte contre le président Trump. La poursuite
arguait notamment qu’en maintenant des liens de propriété avec ses
hôtels et ses restaurants, le chef de l’Exécutif faisait de la concurrence
déloyale aux lieux dont les États nommés sont propriétaires. Des lieux
où se tiennent régulièrement, par exemple, des congrès, comme le
Carnegie Library ou le Washington Convention Center, et qui sont donc
des « producteurs » de taxes, de revenus.
Ils avançaient également que Trump était en contravention avec
l’article de la Constitution qui lui interdit de recevoir des cadeaux de
gouvernements étrangers. L’article en question ne dé nissant pas
clairement ce qu’est un cadeau ou pas, les procureurs estimaient, par
exemple, que lorsqu’une délégation étrangère louait des chambres dans
l’hôtel que Trump possède en plein centre de Washington, elle lui
faisait un cadeau indirect. Et en agissant de la sorte, le gouvernement
étranger essayait d’obtenir satisfaction sur tel sujet ou tel dossier. Bref,
nous voici dans le terrain glissant de la corruption.
Ces procureurs martelaient aussi que le maintien des liens de
propriété de Trump créait « un dilemme intolérable ». Plus exactement,
ils refusaient de répondre favorablement à une requête émanant de la
Trump Organization, tout en se doutant que celle-ci allait se tourner
vers des États enclins à leur accorder les faveurs souhaitées.
Dans le cadre de leur poursuite, les procureurs ont insisté sur un point
sensible entre tous : la déclaration de revenus du président. En e et,
Brian E. Frosh du Maryland et Karl Racine du district de Columbia
considéraient que si Trump communiquait sa déclaration de revenus,
alors ils seraient en mesure d’avoir une idée plus exacte de ce qui relève
du con it d’intérêts ou de l’apparence de con it. Pour l’heure, de
souligner Racine, « les con its d’intérêts du président menacent notre
démocratie ».
Antérieurement à cette plainte, à la mi-avril pour être précis, le
Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (CREW) avait
annoncé poursuivre Trump. Ses avocats quali aient le fait que la Chine
ait approuvé juridiquement 38 marques de commerce de Trump
comme une violation des clauses de la Constitution qui interdisent
l’acceptation de cadeaux d’une puissance étrangère. Ce n’est pas tout.
A n que le bien-fondé de leur poursuite ne soit pas nié illico par le
district de Manhattan, soit là où ils avaient déposé leur plainte, les
avocats de CREW avaient joint à celle-ci le Restaurant Opportunities
Centers United et une personne se nommant Jill Phaneuf dont le
travail consiste à convaincre des individus ou des sociétés à louer des
espaces au Carlyle Hotel et au Glover Park Hotel de Washington. Fait à
noter, et non des moindres, dans les deux cas les avocats de CREW
pouvaient les présenter comme victimes des agissements de Trump.
DE L’ADULATION DE SOI
Le lundi 12 juin, on a vu de l’absurde. On a entendu une pièce de
boulevard où le mauvais goût, le vulgaire, est le moteur. La pièce a été
lmée. On a été témoin de ce que des politologues, des humoristes, des
philosophes, des cinéastes, des historiens et des politiciens hors Union
soviétique et Chine ont moqué pendant des décennies. De quoi s’agit-
il ? Du culte de la personnalité dont Staline fut le grand satrape.
Comme cela fut enregistré à maintes reprises à Moscou et à Pékin, à
Prague et à Hanoi, on a vu ce jour-là des ministres et des conseillers
américains portant la cravate et non le col Mao faire publiquement
l’apologie du grand chef. Le vice-président Mike Pence : « Le grand
privilège de ma vie est de servir en tant que vice-président un président
qui tient la promesse faite au peuple américain. » Le directeur de
cabinet Reince Priebus : « Nous vous remercions pour l’opportunité et
vous bénissons pour servir votre agenda. » Etc., etc.
Tous ensemble, tous les membres du cabinet convoqués par Trump à
la Maison-Blanche ont joué les bénis-oui-oui. Ils ont adopté les saillies
de l’idiotie et de la agornerie, de la veulerie et de l’aveuglement. Ce que
les dirigeants du pays le plus puissant de la planète ont fait, en cet
après-midi du 12 juin, se résume ainsi : sacraliser la version pathétique
de la politique. De quoi leur re ler le Nobel de la vulgarité !
À L’ATTAQUE DE LA JUSTICE
Le 16 juin, Trump alimente sa montée en puissance contre le ministère
de la Justice, plus précisément ses principaux dirigeants, par
l’intermédiaire d’un tweet rageur : « J’ai été mis sous enquête pour avoir
renvoyé le directeur du FBI [NDLR : James Comey] par l’homme
[NDLR : Rod Rosenstein] qui me suggéra de renvoyer le directeur du
FBI. » Il jugeait que l’instruction donnée à Mueller d’étudier sous
toutes les coutures les relations entre des Russes et des membres de
son équipe électorale était en fait une chasse aux sorcières. Que c’était à
la fois « ridicule » et « triste ».
Cette attaque contre ce ministère, inusitée, s’avérait un exemple
parmi d’autres de l’o ensive menée par Trump, ses conseillers à la
Maison-Blanche et les élus républicains au Congrès depuis que le
numéro deux du ministère, Rod Rosenstein, avait commandé l’enquête
sur les Russes et nommé Mueller procureur spécial. L’ex-leader des
Républicains au Congrès, Newt Gingrich allait jusqu’à a rmer que
Mueller « était le fer de lance de l’État profond qui veut détruire » la
présidence de Trump. Cela soulevé, on remarquera que Trump avait
fait de Rosenstein sa nouvelle tête de Turc.
Le président avait mené cette agression alors que le FBI était a aibli
par le nombre de postes laissés vacants ainsi que par le renvoi ordonné
des douzaines de procureurs nommés par Obama. En d’autres
mots,Trump et ses alliés cherchaient à discréditer par tous les moyens
l’appareil judiciaire.
Il faut dire qu’entre la nomination de Mueller et la publication de son
tweet du 16 juin, le Washington Post avait publié deux « scoops ». Le
premier assurait que Mueller avait décidé d’étendre son enquête à une
possible obstruction de la justice par Trump. Le deuxième ? Mueller
avait également décidé d’étendre son enquête à l’examen des
transactions nancières dans lesquelles Jared Kushner était impliqué.
Ce penchant marqué pour l’indépendance de la justice, que Mueller
mettait de fait en relief par ses agissements, agaçait au plus haut point
Trump et tous ceux qui, dans son entourage, estiment que l’État est un
empêcheur de tourner en rond pour ne pas dire un empêcheur de
magouiller « tranquille-pépère ». À cet égard, dans les jours précédant
l’envoi de son tweet, le numéro deux de la Justice devait énerver Trump
au plus haut point.
Lors de sa comparution devant les élus du Congrés, Rosenstein faisait
clairement entendre que ses actions n’étaient pas et ne seraient pas
dictées par le chef de l’Exécutif. Puis il rajoutait : « Je ne suivrai aucun
ordre tant et aussi longtemps que je ne les jugerai pas appropriés et
conformes à la loi. Peu importe ce que les gens en pensent. » On s’en
doute, Trump avait une conception di érente de la chaîne de
commandements. On sait qu’il aimerait beaucoup virer Mueller de son
poste, mais pour cela il faudrait qu’il obtienne l’accord o ciel de…
Rosenstein !
CONTRE CUBA ET OBAMA
À la mi-juin, Trump devait encore une fois prendre le contre-pied d’une
politique édictée par Obama. En 2014, au terme de négociations
menées en secret, côté américain, par Benjamin J. Rhodes, sous-
secrétaire à la Sécurité nationale, le président des États-Unis avait
convenu de lever certaines des restrictions imposées à Cuba depuis plus
de 60 ans. Plus précisément, Obama gommait des interdits sur le plan
commercial et sur la mobilité des personnes.
Ainsi, il était permis aux Américains de se rendre à Cuba dans le cadre
de voyages culturels ou de missions éducatives. Il était permis à des
sociétés hôtelières de signer des ententes avec des contreparties
cubaines. Il était permis aux Américains d’origine cubaine de se rendre
sans encombre sur l’île ou encore d’envoyer de l’argent aux membres de
leur famille. Quoi d’autre ? Des ambassades furent ouvertes à
Washington et à La Havane.
Trump ayant estimé que l’accord négocié et signé par Obama était à la
fois « terrible et mal conçu », il décidait d’en abolir des pans entiers d’un
trait de plume. Son argumentation ? « Nous ne resterons pas silencieux
face à l’oppression communiste. Nous ne voulons pas que les dollars
américains alimentent le monopole militaire qui exploite et abuse les
citoyens de Cuba. »
En abonné aux e ets de manche, Trump avait à peine rayé d’un trait
de plume l’accord d’Obama qu’il signait un mémorandum qui
rétablissait, si l’on peut dire, certaines dispositions contenues dans
celui du Démocrate. Cet aspect du dossier est révélateur des opinions
divergentes qui distinguent le Parti républicain. D’un côté, il y a les élus
si fanatiques qu’ils veulent une abolition pure et simple de tout ce
qu’Obama a fait. Ils sont menés par Marco Rubio et Mario Diaz-Balart,
deux élus de la Floride. De l’autre, il y a les Républicains sensibles aux
a aires et militant de fait, avec le soutien de la Chambre des commerces
des États-Unis, pour le maintien d’une activité commerciale libérée de
bien des entraves.
Quelques mois après l’introduction des nouvelles dispositions, Obama
avait prononcé un discours dans un théâtre situé en plein centre de La
Havane. Il souligna alors sa volonté « d’enterrer le dernier vestige de la
Guerre froide […] de laisser derrière nous les batailles idéologiques du
passé ». Histoire de répondre directement à Obama, Trump démontra
son désir de raviver la Guerre froide en martelant : « nous ne serons
jamais aveugles sur ce qui s’est passé. Nous nous souviendrons de ce qui
s’est passé. »
CONTRE LE GARDIEN DE LA RÉALITÉ CHIFFRÉE
Le grand public connaît peu l’institution publique la plus puissante du
Congrès. Sur toutes les lois et tous les règlements votés par le Congrès,
sur les réformes adoptées, il imprime sa marque. De qui s’agit-il ? Du
Congressional Budget O ce (CBO), dont le mandat consiste à analyser
et à chi rer toutes les lois discutées et adoptées par les Chambres haute
et basse. Dans le rôle du rabat-joie, de l’éteignoir, il excelle. Et c’est tant
mieux.
Il est le fruit d’un rapport de force poursuivi en 1974 par Nixon et le
Congrès. Le premier ayant refusé d’allouer les fonds appropriés à des
administrations qui s’étaient opposées à certaines de ses politiques, les
membres du Congrès avaient voté le Congressional Budget Act en 1974
a n d’asseoir l’autorité des parlementaires sur le budget. C’est dans le
cadre de cette loi que fut créé le CBO dont le rôle était de fournir des
estimations économiques et impartiales sur les lois.
Voilà qu’au cours du mois de juin, le CBO et son patron Keith Hall sont
les cibles de tirs groupés et de propos brutaux de Républicains furieux,
car Hall et ses économistes ont conclu que la réforme de la santé
élaborée au premier plan par Paul Ryan, le leader des Républicains à la
Chambre basse, se soldera par des coûts beaucoup plus élevés que ceux
avancés.
Ministre du Budget, Mick Mulvaney est allé jusqu’à dire que l’heure de
la « n est arrivée » et qu’il faudrait donc amender la loi a n de réduire
l’in uence du CBO à une peau de chagrin. À un journaliste du
Washington Examiner, Mulvaney a a rmé que « l’on peut avoir un
gouvernement sans un Congressional Budget O ce ».
Ministre de la Santé, Tom Price s’appliqua à la remise en cause de la
crédibilité des économistes du CBO en déclarant que l’évaluation des
coûts de la réforme préparée en partie par ses services était la preuve de
leur incompétence puisqu’ils avaient en fait surévalué les coûts en
question. Par un de ces paradoxes dont l’histoire a le secret, c’est ce
même Price qui avait proposé à Hall le poste de patron du CBO.
En 2015, Price avait alors souligné que « Keith Hall est doté d’un
niveau d’expertise économique et d’expérience impressionnant ».
Républicain d’obédience, Hall fut nommé économiste en chef du
Council of Economic Advisers par… George W. Bush, qui le nomma
ensuite au ministère du Commerce avant de le bombarder patron du
Bureau of Labor Statistics. Comme quoi, de l’excès de partisanerie,
Price est le maître.
LE BROUILLARD RUSSE
Le 18 juin, un avion de combat américain descendait un jet syrien dans
la zone où s’a rontent Daesch, les milices pro-Assad et les milices qui
lui sont opposées ainsi que les alliés des uns et des autres, soit les États-
Unis, la Russie, l’Iran, Israël et la Turquie. Mettons que la zone est
militairement encombrée. C’était la première fois depuis 1999 au
Kosovo qu’un aviateur américain descendait un avion ennemi. Dans les
deux cas, l’avion était de fabrication russe. Dans les heures antérieures à
cet acte, un missile de croisière Made in USA s’était abattu sur la base
où les Syriens confectionnaient des armes chimiques.
On s’en doute, la réaction des Russes fut immédiate. Un, le ministère
de la Défense prévenait que tout objet volant détecté à l’ouest de
l’Euphrate serait considéré par l’armée de l’air comme une cible. Dans
son communiqué, le porte-parole russe ne spéci ait pas si la cible serait
anéantie. Deux, les Russes indiquaient qu’ils suspendaient
immédiatement l’usage de la ligne téléphonique spéciale qui permettait
aux belligérants de communiquer certaines informations a n d’éviter
l’emballement.
Pour être exact, après que Poutine eut ordonné en septembre 2015
l’implication des forces militaires russes dans le territoire syrien pour
venir en aide à Bachar al-Assad, un mémorandum avait été négocié et
signé avec les Américains a n d’éviter tout a rontement aérien.
Quelques jours plus tard, le secrétaire d’État, Rex Tillerson,
comparaissait devant les membres de la Commission des a aires
étrangères de la Chambre des représentants. Il se t alors l’adversaire
du chapelet de sanctions envisagées par le Sénat a n de punir la Russie
pour ses tentatives de déstabilisation du processus électoral américain.
Tillerson estimait que toute sanction serait une amputation de la
« exibilité » nécessaire à Trump dans ses pourparlers avec Poutine et
donc d’une amélioration du dialogue entre les partis. Bref, après
l’épisode du jet syrien abattu, Tillerson pinçait les cordes de
l’apaisement.
Ce faisant, Tillerson devait agacer passablement les faucons anti-
russes du Congrès ainsi que les directions des agences de
renseignements, la CIA et le FBI au premier chef. Car tous jugeaient
que le personnel du secrétariat d’État chargé de la surveillance des
corps diplomatiques n’observait pas pleinement les règles édictées à cet
e et.
Au mois de mai, de nouvelles provisions furent votées et introduites
dans le Intelligence Authorization Act. Celles-ci étaient autant de
balises xées à la mobilité des diplomates russes en territoire
américain. Plus exactement, après avoir acquis la conviction que les
Russes s’étaient appliqués au déraillement du processus électoral, le
pouvoir exécutif avait commandé un renforcement des règles, car on
avait alors noté que les Russes ne respectaient pas les règles
précédentes.
Il était notamment prévu que le secrétariat d’État collabore plus
étroitement avec le FBI et l’O ce of the Director of National
Intelligence a n de s’assurer que les Russes avaient bel et bien indiqué
au département d’État leurs allées et venues en territoire américain si
ces derniers se poursuivaient plus de 48 heures et s’ils dépassaient la
distance de 25 milles.
Ces nouvelles provisions étaient en réalité la conversion en une
ordonnance législative des volontés exprimées en la matière par les
maîtres américains du contre-espionnage. Ces derniers avaient jugé
que le laxisme manifesté par l’ex-secrétaire d’État John Kerry et le
président Obama avaient favorisé les magouilles électorales russes.
ASSURANCE CONTRE LES PAUVRES
Sept ans durant, tout ce que les deux chambres du Congrès comptaient
de Républicains s’était promis de détruire l’A ordable Care Act. Après
le rejet de la réforme présentée à la Chambre des représentants, voilà
que les sénateurs républicains déposaient à leur tour leur projet.
Même si ce dernier était moins brutal à l’endroit des classes
économiques fragiles que celui discuté dans la Chambre basse, il
proposait néanmoins un train de mesures qui laissaient entrevoir
l’envie du châtiment. Qu’on y songe, le texte de 142 pages défendait
l’idée d’un nouveau système de crédits fédéraux pour aider les gens à
nancer le coût d’une assurance maladie qui s’accompagnait de la
possibilité que les États de l’Union abandonnent les services ordonnés
par l’Obama Care comme les soins nécessaires aux femmes enceintes,
les services d’urgence et les traitements inhérents aux maladies
mentales.
Paradoxe des paradoxes, pour les Républicains tendance
libertarienne, comme Rand Paul, et pour les plus conservateurs d’entre
eux, comme Ted Cruz, l’inventaire des amputations à la couverture des
soins inclus dans la réforme Obama était jugé insu sant. CQFD : ils
promettaient de s’y opposer. Si on ajoute les sénateurs qui entendaient
s’y opposer, comme Susan Collins du Maine, pour des raisons inverses à
celles de Cruz et consorts, soit que le projet était trop punitif, alors
force est de constater que l’initiative de Mitch McConnell, chef de le
des Républicains au Sénat, a été ciselée à l’aune de l’incongruité. Ce
dernier savait pertinemment ce que ses troupes pensaient de son projet
avant qu’il ne soit présenté.
À preuve, quelques jours plus tard, McConnell comprit qu’il n’était
plus possible de la faire voter avant la n du mois. Il décida donc de ne
pas ordonner le vote. Puis le 30, Trump se manifesta par tweet
interposé. Le président suggérait un plan en deux étapes. Il invitait les
élus à voter l’abrogation de l’Obama Care dans un premier temps puis
son remplacement ultérieur par un autre programme.
Dans tous les cas, une chose est sûre : on voulait passer une loi qui
« sortirait » des millions et des millions d’Américains de l’Obama Care.
Par une combinaison d’idées fanatiques – Obama érige des tribunaux
de la mort –, de réductions budgétaires et d’avantages scaux accordés
aux riches d’entre les riches, les Républicains s’appliquaient à ce que
des millions et des millions de personnes vivent à nouveau le
cauchemar suivant : le non-accès à des soins de santé.
On en doute ? Alors voici les chi res avancés par le CBO : le plan
élaboré par les sénateurs républicains, s’il devenait loi, se traduirait
tout d’abord par 14 millions de citoyens qui perdraient leurs assurances
d’ici la n de 2018 et 22 millions d’ici 2026.
Les analystes ont également calculé que la réduction de soins
médicaux « produirait », si l’on ose dire, 22 900 décès en 2020 et jusqu’à
26 500 en 2026. Au total, on estimait le nombre de morts additionnelles
ou conséquentes à l’abolition de l’Obama Care à 208 500 au cours des
10 années à venir. Après avoir étudié la réforme de la santé du
Massachusetts, réforme qui avait servi de modèle pour l’Obama Care,
les experts du CBO ont constaté un déclin de la mortalité de 3 %, toutes
causes confondues.
Ce sujet a mis en lumière combien l’escroquerie ou la malhonnêteté
intellectuelle imbibait les ondes de Fox News ou les pages de la
National Review ou encore des études signées par des universitaires au
béné ce de Americans for Prosperity et autres think tanks. Toutes ces
organisations ont nié avec force les conclusions de l’analyse de la CBO
pour mieux avancer que les améliorations observées sur le front de la
santé n’étaient pas du tout liées à la réforme d’Obama, mais bien à
l’embellie économique. On comprendra pourquoi le prix Nobel
d’économie Paul Krugman a quali é les plans des Républicains comme
relevant de la « cruauté ».
LE OUI, MAIS… DE LA COUR SUPRÊME
Et à la n du mois, la Cour suprême gi a les magistrats des cours d’appel
du 4e et du 9e districts. La majorité des juges de ce tribunal était arrivée
à la conclusion suivante : une portion des interdits imposés aux
citoyens de six pays musulmans pouvait avoir force de loi jusqu’en
octobre 2017. À cette date, ces mêmes juges entendraient les arguments
favorables au décret de Trump et ceux qui s’y opposent avant de
prendre une décision nale.
En attendant de plancher sur celle-ci, ces juges ont estimé que si les
citoyens de l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen
sont en mesure de faire la preuve qu’ils entretiennent une relation de
bonne foi avec un citoyen américain ou une entité américaine, alors ils
pourront entrer aux États-Unis. Plus exactement, le tribunal suprême a
statué qu’une personne qui a un lien familial avec quelqu’un aux États-
Unis, un étudiant qui a été accepté par une université américaine ou un
conférencier invité à faire un exposé devant une audience américaine
auront le droit d’entrer aux États-Unis.
Toute personne qui n’est pas en mesure de faire la preuve qu’elle
entretient « une relation de bonne foi » avec un Américain ou une
institution ou une entreprise ne pourra pas pénétrer en territoire
américain. Cet interdit, qui en dit long sur le mépris que le chef de
l’Exécutif cultive à l’égard du droit d’asile, visera également les réfugiés
de la guerre en Syrie.
Bien évidemment, à l’annonce de la décision de la Cour, Trump a crié
victoire. Dans un communiqué et non un tweet, il a souligné : « qu’en
tant que président, je ne peux permettre à des gens qui nous veulent du
mal d’entrer dans notre pays. Je veux des gens qui aiment les États-Unis
et tous ses citoyens et qui travailleront dur et seront productifs. » On
retiendra qu’il faut aimer tous les citoyens. Il est vrai que tout le monde
il est beau, tout le monde il est gentil.
Cela étant, la décision des magistrats a eu comme répercussion
notable et quasi immédiate l’amorce d’un débat juridique quali é
d’historique par des initiés à la philosophie du droit. Selon ces derniers,
au cours des mois à venir les avocats, les politiciens, les juges et autres
acteurs devront argumenter autour de l’axe suivant : les pouvoirs
accordés au président en matière de sécurité nationale peuvent-ils
avoir préséance sur la discrimination dont des individus pourraient
être victimes en raison de leur religion ou de leur origine nationale ?
D’ores et déjà, en précisant que l’axe évoqué serait à l’étude au cours
des prochaines semaines, les neuf magistrats de la Cour suprême
faisaient leur l’opinion de l’administration Trump qui pense que la
Constitution accorde au président une vaste autorité pour tout ce qui a
trait au contrôle des frontières.
Cecillia Wang, une des dirigeantes de l’American Civil Liberties Union
(ACLU), intervenait sur la place publique pour mentionner en premier
lieu que « le communiqué de presse de la Maison-Blanche s’appuie sur
des faits alternatifs ». Car la réalité serait totalement di érente de celle
avancée, pour la bonne raison que les services consulaires des États-
Unis vont se retrouver plongés dans un pataquès juridique qui, dans
bien des cas, durera des mois puisqu’il faudra prouver ou nier la
relation dite de bonne foi.
Le juge Clarence Thomas avait d’ailleurs rédigé un avis di érent de
celui de ses collègues même s’il a convenu après coup d’adopter leur
opinion. Son argument ? « La décision d’aujourd’hui va alourdir la tâche
des fonctionnaires puisqu’il leur reviendra de décider – au péril du
mépris –, si les individus des six nations visées qui souhaitent rentrer
aux États-Unis ont une relation de bonne foi avec une personne ou une
entité jugée su sante. » Le relativisme induit par le décret de Trump et
souligné par Thomas devait convaincre les juges Samuel A. Alito et Neil
M. Gorsuch de signer son point de vue.
LE CHAT SORT DU SAC RUSSE
Quelques jours après que le monde eut appris que Paul Manafort était
la gure centrale de l’enquête que le FBI menait sur les agissements des
Russes en période électorale, l’homme faisait une admission de poids :
au cours des deux dernières années et plus, il avait touché 17 millions
pour des services professionnels qu’il avait rendus à la formation
politique ukrainienne Le Parti des régions, dont le dirigeant était nul
autre que le président déchu Viktor F. Ianoukovytch. Réfugié en Russie,
ce dernier était et reste un proche de Poutine.
On a dit de cette admission qu’elle était de poids, car pour la première
fois Manafort dévoilait une somme et son origine, ce qu’il n’avait pas
révélé alors que directeur de campagne de Trump, il était légalement
obligé de le faire. Sa rme Davis Manafort International, qui avait
ouvert une liale en Ukraine, avait pour mandat d’améliorer l’image de
Ianoukovytch et de combattre tous ceux qui travaillaient au
rapprochement avec l’Union européenne.
En amont, un de ses associés, Richard Gates, s’appliquait à redorer
l’image de l’Ukraine pro-russe auprès des lieux de pouvoir à
Washington. En clair, tant Manafort que Gates œuvraient pour le
béné ce d’une puissance étrangère. Dans le cadre de son contrat,
Manafort avait accordé des mandats à diverses personnes et sociétés,
dont Tony Fabrizio, sondeur de profession, qui travaillera plus tard
pour Trump durant la campagne électorale.
Avec les millions récoltés à la faveur de ses associations ukrainiennes,
Manafort a investi des millions et des millions dans l’acquisition de
maisons et d’appartements de luxe. Il avait pour partenaire son gendre
Je rey Yohan. Signe particulier ? Il fait l’objet d’une plainte pour
escroquerie et fraudes diverses.
Chapitre 10

LE JUGE ET LE SALAFISTE

Dans la foulée de la nomination de Neil Gorsuch au poste de juge à la


Cour suprême devenu vacant à la suite du décès d’Antonin Scalia, le
Sénat envoya un questionnaire de 68 pages au prétendant. La première
question : comment son nom avait-il retenu l’attention du président ?
Sa réponse fut la suivante : « J’avais été contacté par Leonard Leo ».
Cela fait des années que Leo, fervent catholique, est vice-président
exécutif d’une organisation peu connue mais pourtant très in uente,
puissante, qui a pour nom la Federalist Society. Fondée en 1982 par des
conservateurs tendance dure et des libertariens, cette société défend
« la liberté individuelle, les valeurs traditionnelles et la force de loi »,
auxquelles il faut ajouter la forti cation de la conception chrétienne du
monde.
Pour parvenir à ses ns, la Federalist Society travaille au corps
l’appareil judiciaire de l’État fédéral. Son ambition était et demeure son
remodelage. Rien de moins. Entre les départs de juges et le blocage des
nominations d’Obama par les Républicains, Trump et ses alliés de la
Federalist ont hérité, si l’on peut dire, d’un pactole : nommer 124 juges à
des cours fédérales. Ce n’est pas tout. Lorsqu’on prend en compte l’âge
des magistrats, on observe que Trump sera en mesure de nommer entre
70 et 90 juges aux cours d’appel.
Jamais dans l’histoire récente du pays un président et un groupe
n’auront eu l’occasion de sculpter le pro l idéologique et philosophique
de la justice avec profondeur et longueur. Longueur de quoi ? De temps.
En e et, lorsqu’on jongle avec les courbes démographiques et qu’on
combine celles-ci avec l’espérance de vie, on retient que Trump, Leo et
consorts sont en train de façonner l’horizon juridique des États-Unis
pour les trente prochaines années, voire les quarante. Lors de sa
nomination, Gorsuch avait 49 ans.
Avant Gorsuch, le vice-président Leo avait chuchoté dans l’oreille de
George Bush les noms de John Roberts, aujourd’hui juge en chef de la
Cour suprême, et de Samuel Alito, avant d’organiser leurs campagnes de
soutien. On insiste : ces deux-là sont très conservateurs et de bons
chrétiens. Pour illustrer l’énorme importance qu’a le plus haut tribunal
du pays pour la Federalist Society, on reprendra les mots mêmes de
Leo : « La Cour suprême doit être une institution qui veille à limiter le
pouvoir constitutionnel du gouvernement. » En d’autres mots, il faut
réduire l’assise comme la taille de l’État.
On ne soulignera jamais assez que le courant libertarien qui anime la
Federalist a pour déesse philosophique Ayn Rand. Au passage, on
soulignera qu’en bonne petite-bourgeoise pétrie de contradictions, la
mère Rand avait demandé l’aide de l’État lorsque sa santé s’est
détériorée au cours des dernières années de sa vie. Passons.
Les buts de la Federalist étant au diapason des intérêts des grandes
entreprises, cette organisation béné cie de la manne nancière des
Google, Chevron et consorts, mais surtout des riches d’entre les riches
qui ont adopté toutes les élucubrations de Rand, soit les frères Charles
et David Koch, la fondation Richard Mellon Scaife, la famille Mercer et
autres Heritage Foundation. Voilà pour l’aspect nancier.
En ce qui a trait maintenant à la philosophie du droit, les militants de
la Federalist ont pour héros deux juges de la Cour suprême : Antonin
Scalia et Clarence Thomas. Décédé en février 2016, le premier fut
l’image publique du courant juridique dit « originaliste », avec ses
bonnes blagues là où le second en fut et en reste la gure intellectuelle.
Nommé en 1991 par George Bush à la Cour suprême après des
audiences ponctuées par les accusations d’agressions sexuelles d’Anita
Hill, Thomas est allé plus loin que Scalia. C’est lui qui a introduit le
principe de contextualisation dans les débats des juges de cette Cour.
Mais encore ? Pour lui, coller au texte d’origine ne su t pas. Il faut
également prendre en considération le contexte qui prévalait à
l’époque.
Par exemple, le deuxième amendement avait été écrit au lendemain
de la guerre d’Indépendance par souci d’autodéfense et parce que le
fusil était alors considéré comme un outil essentiel à la sécurité
alimentaire – la chasse. Et alors ? Vouloir restreindre la possession des
armes, surveiller le commerce de ces dernières en brandissant, entre
autres choses, les tueries de masse dans les écoles ou collèges
reviendraient à trahir l’esprit qui transpire dans l’article
constitutionnel en question.
La tuerie d’enfants dans une école primaire du Connecticut, le
carnage perpétré dans une église du sud par un raciste, le massacre de
dizaines d’êtres humains à Las Vegas et bien d’autres, tous e ectués
avec des armes qui symbolisent le soin méticuleux apporté à l’essor
mécanique de celles-ci, qui symbolisent l’usage du progrès à des ns
toujours plus destructrices, tout cela ne saurait invalider le deuxième
amendement, selon maître Thomas. Il est exactement comme les
sala stes qui font une lecture littérale du Coran : le progrès est jugé
l’ennemi de l’ADN religieux.
Le plus terrible dans cette histoire est que la Federalist Society ayant
fait de Thomas son maître à penser, elle s’emploie à placer sur
l’échiquier juridique du pays les anciens stagiaires et élèves de Thomas
qui tous aujourd’hui ont atteint l’âge leur permettant d’occuper des
postes in uents.
Que les idées d’un puriste, que sa philosophie un tantinet totalitaire,
pour rester pondéré, soient parvenues à gangréner le corps judiciaire
des États-Unis d’Amérique, cela dépasse l’entendement. C’est le moins
que l’on puisse dire.
Chapitre 11
JUILLET 2017 :
LE DILEMME CORÉEN

Au début de janvier 2017, alors qu’il n’était pas encore o ciellement


président des États-Unis, Donald Trump avait assuré dans un tweet que
jamais un missile intercontinental coréen ne pourrait atteindre le
territoire de son pays. Cette a rmation, déclinée sur le mode
linguistique cher au macho qui roule des mécaniques, le président élu
l’avait fait reposer non pas sur les capacités du système antimissile
américain, mais bien sur les incapacités techniques qu’il prêtait aux
Coréens.
Six mois plus tard, presque jour pour jour, en fait le 4 juillet, qui est
aussi la fête nationale des Américains, les militaires coréens
balançaient un missile qui pénétra l’atmosphère puis en revint pour
faire un parcours total avoisinant les 1 000 km. Dans un communiqué,
la Korean Central News Agency, soit l’un des organismes chargés de la
propagande, soulignait que ce nouveau missile baptisé Hwasong-14
pouvait atteindre le cœur des États-Unis avec des têtes nucléaires. Et
comme cette agence est en délicatesse avec la politesse, elle concluait :
grâce à « la grande décision » de notre leader, « nous avons mouché le
nez des arrogants Américains ».
Quant à Kim Jong-un, il t comme il a l’habitude de faire en pareille
occasion : il se gargarisa des gros mots de la fanfaronnade. Après avoir
traité les Américains de « bâtards », il eut ce commentaire : « J’imagine
qu’ils ne sont pas très heureux du cadeau que nous leur avons envoyé
pour souligner l’anniversaire de leur indépendance. Nous devrions leur
envoyer plus souvent de ces cadeaux a n qu’ils n’aient pas le temps de
s’ennuyer. » L’agence de presse alla jusqu’à préciser que le très cher
leader avait ri à gorge déployée en prononçant ces mots.
Dans cette histoire à ranger au rayon du compliqué-complexe tant son
coe cient de di culté relève du billard à cinq bandes, les acteurs ont
fait comme de coutume, soit tordre la réalité des faits qui se prêtent à la
quanti cation. Ces acteurs, soit la Corée du Nord, la Corée du Sud, le
Japon, la Chine et bien entendu les États-Unis, ont avancé des chi res
di érents concernant la distance parcourue.
Si le Hwasong-14 s’est bel et bien échoué aux alentours des 1 000 km et
s’il ne dispose pas des outils techniques lui permettant de faire bien
davantage, alors les Américains peuvent, si l’on ose dire, dormir
tranquilles. En e et, Hawaï est à un peu moins de 6 000 km et l’Alaska à
un peu plus de 6 000 km. Par contre pour les Japonais, principaux alliés
des États-Unis en Asie, cet essai est synonyme de cauchemar, pour ne
pas dire de détresse. Car une bonne portion du territoire japonais est
dans la zone des 1 000 km. Quant aux Sud-Coréens…
On s’en doute, du côté des Américains et de leurs alliés, toutes les
options autres que diplomatiques ont été soupesées : une frappe
préventive ici, un bombardement là, etc. Si celles-ci étaient dans l’ordre
du possible lorsque Bill Clinton était président, ce n’est plus le cas
aujourd’hui. Les informations recueillies ces dernières années
montrent que le régime a enfoui tout un arsenal nucléaire
profondément dans sa chaîne de montagnes.
En fait, pour faire court, pour tout ce qui a trait aux options militaires,
mettons que cet aréopage d’alliés est en quelque sorte coincé. Car la
moindre attaque e ectuée par l’un d’eux se traduirait, selon les mots de
James Mattis, secrétaire à la Défense, par le « pire des con its qui soit ».
Ajoutons que la frontière entre les deux Corée est la plus « chargée » en
armements du monde !
Si la Corée du Nord ne dispose pas d’armes aussi avancées
techniquement que celles de ses voisins du Sud, ces derniers doivent
composer avec une réalité… terri ante ! Près de la moitié de la
population sud-coréenne, dont les 10 millions de la capitale Séoul,
vivent à l’intérieur des 50 milles ou 80 km de la zone démilitarisée. Et à
la lisière de celle-ci, les Nord-Coréens ont déployé 8 000 canons à
longue portée et des lanceurs de rockettes. Selon les experts militaires,
la Corée du Nord serait en mesure de faire 300 000 attaques ou
bombardements sur Séoul dans l’heure suivant une possible attaque
préventive des États-Unis ou du Japon.
Dans un entretien accordé au New York Times, Robert E. Kelly,
professeur de sciences politiques à l’université Pusan National de Corée
du Sud, rappelait : « vous avez cette énorme agglomération où est
regroupé tout ce qui est important en Corée du Sud – le gouvernement,
les a aires et une énorme population –, et il se trouve que le territoire
de cette gigantesque mégalopole commence à 30 milles de la frontière
et se termine à 70 milles de cette frontière. En termes de sécurité
nationale, c’est de la folie pure. »
Du côté de la Chine et de son président Xi Jinping, ce dossier aussi est
à l’image d’un casse-tête quasi insoluble. Pour les dirigeants chinois,
plus exactement pour l’ensemble des élites et du Parti communiste qui
dominent la Chine, le pire scénario reste une possible réuni cation des
deux Corée. Pour Xi Jinping et les siens, la réuni cation est synonyme
d’horreur absolue.
Car cela signi erait à moyen terme une présence des forces militaires
américaines et de leur arsenal d’armes très performantes. Cela
signi erait donc que certains de ses centres névralgiques seraient à
portée de canon. Une réuni cation signi erait en n un a ux sans
précédent de réfugiés coréens. Ceux, plus précisément, qui ont soutenu
la dictature pendant des décennies et qui ont pro té de leur statut aux
dépens de la population. Une population qu’ils ont a amée à plus d’une
reprise depuis les années 1950.
Contrairement aux Américains, aux Sud-Coréens et aux Japonais, les
experts chinois ont la certitude qu’il faudra encore des années avant
que la Corée du Nord soit en mesure de fabriquer un missile pouvant
atteindre les côtes américaines. En fait, l’envoi d’un missile dans
l’espace les agace beaucoup moins que les tests nucléaires déjà e ectués
et ceux à venir. Pour être clair, cela énerve au plus haut point Xi Jinping
et ses collaborateurs.
La cause de cet énervement est tout d’abord géographique. L’essai
réalisé en septembre 2016, le sixième du genre, a été fait à Punggye-ri
situé à quelques kilomètres de la Chine. Il était si proche que les
résidents de Yanji, en Chine, se sont plaints des multiples dommages
aux fenêtres qui en ont résulté. Les Chinois de la région craignent
comme la peste qu’une radiation des nappes phréatiques s’ensuive.
C’est un secret de polichinelle que lorsqu’il est en présence d’un
interlocuteur occidental, le président chinois se plaint de Kim Jong-un
en évoquant son jeune âge et sa témérité. Mais bon… comme un
e ondrement de ce régime est inscrit au catalogue des pires calamités
pour Pékin, Xi Jinping reste sur son quant-à-soi. Personne ne sait
même s’il a xé une ligne rouge.
En fait, au lendemain du lancement du Hwasong-14, le leader chinois
a comme d’habitude suggéré aux parties concernées d’entamer des
négociations directes.
L’ÉTHIQUE FAIT SA VALISE
Le 6 juillet, Walter M. Shaub Jr., directeur de l’O ce of Government
Ethics, soit le gardien de l’éthique dans l’appareil d’État comme au sein
de la classe politique, annonçait sa démission. Vu ses états de services,
vu surtout son opposition à Trump et aux membres de son cabinet, on
peut avancer qu’au fond, Shaub a pris les devants. Il se doutait fort bien
que son mandat ne serait pas renouvelé puisqu’il est un homme enclin à
préserver avant tout l’esprit comme la lettre du cadre juridique de sa
fonction plutôt que de jurer loyauté au président.
Il s’en doutait probablement depuis qu’il avait fait un geste inattendu.
Après avoir utilisé les canaux de communication conventionnels, dont
ceux de la discrétion, qu’il y a entre hauts fonctionnaires et dirigeants
politiques, après avoir constaté que ses avis émis en matière de con its
d’intérêts avaient été jugés nuls et non avenus par Trump et consorts, il
était intervenu sur la place publique. Il était intervenu pour dire et
souligner que la seule issue qui soit véritablement éthique concernant
le vaste empire immobilier et hôtelier de Trump était sa liquidation. On
doit préciser que Shaub, avocat et historien, avait pris soin de
communiquer son avis avant que Trump ne soit o ciellement
président et donc avant qu’il ne soit en con it.
L’O ce of Government Ethics a vu le jour à la faveur du Watergate.
Dans la foulée des magouilles en tous genres alors mises à jour, le
législateur, et non l’exécutif, avait décidé de mettre sur pied ce bureau
de l’éthique qui dispose d’un réseau de gardiens ou surveillants dans
toutes les administrations publiques a n que les employés et leurs
patrons soient également soumis au devoir moral que commande le
service public.
Trump décida de placer ses actifs dans une ducie dite half-blind.
Autrement dit, le président avait conservé un droit de regard sur
l’évolution comme sur la gestion de ses avoirs. Là aussi, Shaub jugea le
geste nul pour tout ce qui a trait à l’éthique. Il con era d’ailleurs que
c’est après avoir constaté que Trump ainsi que les Partis républicain et
démocrate avaient démontré fort peu d’intérêts pour un sujet pourtant
de la première importance qu’il décida de démissionner.
Dans le cas des Républicains, l’indi érence pour ne pas dire le mépris
qu’ils nourrissaient pour la chose éthique était si marquée que Mick
Mulvaney, directeur du budget, alla jusqu’à s’opposer à une requête
aussi fondée qu’usuelle de la part de Shaub. Celui-ci avait demandé à
l’administration Trump qu’elle lui fournisse l’identité des lobbyistes
nommés ici et là et auxquels le chef de l’Exécutif avait accordé des
dérogations.
Shaub s’était aussi fait remarquer pour avoir recommandé avec force
que Kellyane Conway soit réprimandée pour avoir moussé les produits
fabriqués par la lle de Trump sur les ondes télé. Rien de cela ne fut fait.
On comprendra pourquoi parmi les raisons évoquées pour expliquer sa
démission, Shaub avait insisté sur le fait qu’il fallait donner plus de
muscles à l’O ce of Government Ethics.
Quelques jours après la démission de Shaub, le 10 juillet pour être
exact, les représentants Elijah E. Cummings, du Maryland, et Hakeem
Je ries, de New York, jetaient un pavé dans la mare trumpienne. Ces
deux membres du Congrès demandaient des explications au président
concernant les actions qu’il détenait dans un vaste complexe
immobilier du Bronx, largement subventionné par le gouvernement
fédéral a n de maintenir les loyers abordables.
Cummings et Je ries estimaient que les 4 % que Trump détenait dans
l’ensemble résidentiel Starrett City le mettaient en con it d’intérêts,
car il était par ailleurs le patron du ministre responsable du
Department of Housing and Urban Development, soit Ben Carson.
Entre mai 2013 et juillet 2017, les propriétaires de Starrett ont perçu
490 millions à titre de loyers subventionnés.
Dans la lettre envoyée à Carson et à Trump, les deux représentants
questionnaient par ailleurs la nomination de Lynne Patton au poste de
directrice des bureaux du ministère au New Jersey et à New York, où se
trouve, on le rappelle, le complexe en question. Signe particulier de
cette nomination ? Patton fut associée dans les a aires de la famille
Trump.
LE G20 D’HAMBOURG
À
À la veille du G20 tenu à Hambourg, Trump a fait un arrêt à Varsovie où
il t amplement écho à la théorie du choc des civilisations développée
par l’historien Bernard Lewis d’abord et surtout par le politologue
Samuel Huntington ensuite. Devant un parterre qu’il savait conquis
d’avance par son inclination nationaliste, Trump t référence à la
théorie évoquée sous la forme suivante : « La question fondamentale de
notre époque est : est-ce que l’Ouest a la volonté de survivre ? Avons-
nous su samment con ance en nos valeurs pour les défendre à
n’importe quel prix ? Respectons-nous su samment nos concitoyens
pour protéger nos frontières ? Avons-nous le désir et le courage de
préserver notre civilisation face à ceux qui veulent la pervertir et la
détruire ? »
Selon lui, l’ennemi réel et non potentiel s’appelle l’Islam radical et le
terrorisme ainsi que la « perversité inhérente à la bureaucratie
gouvernementale ». On notera que pour la première fois depuis son
élection, Trump reprenait, à mots à peine couverts, la sérénade chère
aux libertariens. Soit que tout ce qui ressemble de près comme de loin à
l’État doit être combattu.
Après la parenthèse polonaise, Trump a pris la direction d’Hambourg,
où des milliers de personnes ont manifesté sous la bannière
« Bienvenue en enfer ». Après les discussions et négociations usuelles,
ce G20 s’est révélé, à bien des égards, celui de l’isolement. De qui ? Des
États-Unis. Merkel résuma la tournure des événements ainsi : « Si le
compromis ne peut être trouvé qu’à la condition que chacun
s’accommode des vues de l’autre, nous pouvons également dire que
nous pouvons di érer. »
Sur les deux principaux sujets inscrits au programme de ce G20, soit
l’Accord de Paris sur la réduction des gaz à e et de serre et sur la guerre
commerciale qui se pointe à l’horizon, les États-Unis se sont retrouvés
seuls. Dans le communiqué nal, les dirigeants de 19 pays disaient
prendre acte du retrait commandé par Trump de sortir de l’Accord de
Paris, tout en signalant qu’eux venaient de signer le cahier des charges
de l’accord en question, dont le but est une réduction, d’ici 2025, des gaz
à e et de serre de 26 à 28 % au-dessous du niveau enregistré en 2005.
Ex-conseiller d’Obama sur les changements climatiques, Andrew
Light a con é à un journaliste du New York Times : « il est clair que les
États-Unis se sont encore une fois isolés pour tout ce qui a trait au
changement et qu’ils vont se retrouver derrière les autres puissances
économiques qui, elles, vont se concurrencer sur le marché de l’énergie
propre créé par l’Accord de Paris et qui est évalué à 20 000 milliards de
dollars ».
Selon les observateurs présents, c’est surtout sur le front commercial
que l’isolement des États-Unis fut le plus évident. C’est là, sur ce anc,
que les participants ont frôlé la foire d’empoigne, Trump allant jusqu’à
envisager le retrait de son pays de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC).
D’après les données de l’International Trade Administration, au cours
de l’année 2016, soit l’année de l’élection présidentielle, les États-Unis
sont demeurés le principal importateur d’acier avec 30 millions de
tonnes métriques venant principalement du Canada, du Brésil, de la
Corée du Sud, du Mexique et de la Turquie. La Chine ? Même si Trump
la prend souvent pour cible en soulignant que c’est elle qui a mis la
sidérurgie américaine par terre, elle reste un acteur secondaire.
Toujours est-il que selon Trump, la mondialisation induite par
l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et par l’accord de
partenariat Transpaci que a ravagé l’industrie américaine et
nécessitait donc l’imposition de restrictions à ce commerce combinée à
une hausse des tarifs douaniers. La réaction à sa position fut immédiate
et quelque peu musclée.
À peine les mesures de Trump évoquées, le président de la
Commission européenne, Jean-Claude Juncker, montait littéralement
aux barricades en précisant : « Nous répondrons par des contre-
mesures en espérant que ce ne sera pas nécessaire. Nous sommes prêts
à prendre les armes, si besoin est. Je ne veux pas divulguer en détail ce
que nous entendons faire. Mais je peux vous dire que nous serons en
mesure, s’il le faut, de réagir par des contre-mesures en quelques jours
– nous ne prendrons pas deux mois pour cela. »
Pendant que Trump méditait sur le protectionnisme, des
représentants européens et japonais annonçaient la conclusion d’un
accord de libre-échange avant que le Mexique et la Chine, deux des
principaux partenaires commerciaux des États-Unis, annoncent
également une entente. Et dire que l’un des principaux chefs de le du
libéralisme économique, ayant eu notamment pour conséquence une
montée en puissance du libre-échange, s’appelait Ronald Reagan,
président républicain !
Si on ajoute l’accord commercial qu’avaient signé le Canada et l’Union
européenne en 2016, si on ajoute également que la Chine est en train de
convaincre 16 nations asiatiques, dont le Japon, de former un bloc
commercial, alors on ne peut qu’avancer qu’en faisant du
protectionnisme le moteur de sa politique commerciale, Trump a en
fait discriminé, pour reprendre le quali catif des auteurs d’une étude
publiée par la London School of Economics and Political Science, les
grandes entreprises… américaines !
Une fois arrivé au pouvoir, Trump s’est appliqué à convertir dans les
faits son mantra : America rst. Sur le plan des a aires économiques, on
l’a vu, il s’est fait remarquer en retirant les États-Unis de l’accord
transpaci que. Derrière les rideaux, ceux du commerce, de l’argent, il se
disait que ce retrait était au fond une chance pour les entreprises des
pays qui suivent le chemin contraire à celui du protectionnisme
d’occuper le terrain que les entreprises américaines auraient occupé
grâce à leur force de frappe.
L’accord entre le Japon et l’Union européenne, par l’énorme impact
qu’il aura sur les a aires économiques du monde, est à cet égard
éloquent. Il favorisera, en termes relatifs, les assureurs japonais et les
constructeurs automobiles en sol européen et les agriculteurs et
entreprises de bâtiments et travaux publics européennes en sol
japonais. Tokyo s’est engagé à permettre aux entreprises européennes
de participer aux appels d’o res sur les gros contrats publics.
Autrement dit, la porte est désormais ouverte pour l’allemande
Siemens ou la française Alstom et autres.
Au ras des pâquerettes, l’entente signée entre le Japon et l’Europe va
modi er les jeux de la concurrence de telle sorte, ont noté notamment
ces mêmes experts, que les entreprises américaines seront prises en
tenaille tant sur le Vieux Continent qu’au Japon. Pour bien saisir
l’énormité des enjeux nanciers, on méditera deux chi res : en 2016, les
entreprises américaines ont vendu pour 108 milliards de biens et
services au Japon, comparativement à 66 milliards pour les entreprises
européennes.
Au-delà des faits d’ordre strictement économique ou nancier, cet
enchevêtrement d’ententes commerciales a ceci de fascinant et
d’intrigant en même temps qu’il annonce, à moyen ou long terme, une
déstabilisation du centre de gravité géopolitique. Avant tout, on notera
que les 28 États membres de l’Union européenne, le Japon, la Chine,
l’Australie, bien des pays d’Asie et d’Amérique du Sud sans oublier
évidemment le Canada, restent abonnés aux traités de libre-échange
même si les États-Unis ont emprunté la voie du protectionnisme.
Dans le cas du Japon, ce penchant pour le libre-échange con ne à
l’obsession. Et ce, pour des raisons autant économiques que politiques.
Pour les dirigeants de ce pays ainsi que pour l’ensemble de la classe
d’a aires, le cauchemar des cauchemars pourrait être que l’écart déjà
constaté avec la Chine se creuse davantage.
En se posant en apôtre de l’America rst, Trump a alimenté de fait une
idée qui e raie les o cines de Washington ainsi que les Bourses de New
York et de Chicago. Au sein des pays producteurs de pétrole, l’Arabie
Saoudite en tête, on n’a pas abonné l’idée de créer un panier de
monnaies a n de mettre un terme à « l’exorbitant privilège », pour
reprendre le mot du président français Valéry Giscard d’Estaing, que
constitue pour les États-Unis le dollar.
LA LÉGENDE DE LA MOSKOVA
Entre deux discussions avec des dirigeants du G20, Trump s’entretint
comme convenu avec Vladimir Poutine. D’emblée, il avait abordé le
sujet qui donne des migraines à ses conseillers, car ceux-ci ne
souhaitaient vraiment pas qu’il aborde d’entrée le sujet qui fâche, soit
les interférences russes durant les élections. Trump n’en t qu’à sa tête.
Trump a donc demandé à Poutine de se commettre, de dire, de
préférence sur la place publique, s’il avait e ectivement ordonné une
déstabilisation du processus électoral. Le dirigeant russe a nié. En fait,
selon le témoignage du secrétaire d’État, Rex Tillerson, il a nié à
plusieurs reprises, car Trump s’est entêté à poser la question plus d’une
fois. À telle enseigne d’ailleurs que son entretien avec son homologue
russe fut si long qu’il bouscula l’agenda de tout le monde.
Moins de quarante-huit heures après cette rencontre au sommet, le
New York Times publiait un scoop et non des moindres. Après avoir
enquêté pendant des semaines, les limiers de ce quotidien a rmaient
que le ls aîné du président, Donald Jr., avait rencontré, le 9 juin 2016,
une avocate russe proche du Kremlin. Ils soutenaient également que le
patron de la campagne électorale, Paul Manafort, et Jared Kushner,
s’étaient joints à lui. De quoi fut-il question lors de cette réunion ? Les
acteurs présents ou leurs porte-parole assuraient que la discussion
tourna uniquement autour du programme d’adoption d’enfants russes.
Vingt-quatre heures plus tard, ce journal publiait un autre scoop
mettant en relief les mensonges des uns et des autres. Trump Jr. et les
représentants de Manafort et Kushner admettaient que le cas Hillary
Clinton fut également abordé. Mais encore ? L’avocate russe, Natalia
Veselnitskaya, avait demandé un entretien avec un des membres de la
garde rapprochée de Trump en laissant entendre qu’elle détenait des
informations propres à entretenir une campagne de salissage contre
Hillary Clinton.
Trump Jr., Manafort et Kushner se défaussèrent en a rmant qu’ils
s’étaient vite aperçu que les informations se résumaient à de la poudre
de perlimpinpin. Bref, qu’il n’y avait pas matière à compromettre
Clinton. Ce scoop contraria particulièrement Kushner, car lorsqu’il
avait rempli la requête inhérente aux demandes de cotes de sécurité, il
avait omis de mentionner cette réunion à la rubrique contacts avec des
étrangers.
Le New York Times nous apprenait également que Donald Jr. fut
informé, par un ancien journaliste britannique introduit au Kremlin,
que le gouvernement russe s’appliquait à soutenir par des moyens
divers la candidature de son père. On découvrait aussi, voire surtout,
certains dessous nanciers de cet épisode.
En collant à la fameuse devise « follow the money », les reporters du
quotidien new-yorkais réalisaient que l’avocate Veselnitskaya avait
pour client Denis Katsyv, actionnaire majoritaire de Prevezon
Holdings, un fonds d’investissement situé à Chypre, réputé pour ses
vertus (sic) scales. Ce Katsyv fut poursuivi par le parquet de New York
pour avoir blanchi 230 millions de dollars empochés à la faveur
d’a aires de corruption ; 230 millions qu’il avait « parqués » dans des
banques situées à New York ainsi que dans des projets… immobiliers !
Retournons à Chypre.
Quelques jours plus tard, on apprenait, grâce à l’analyse du réseau des
comptes bancaires de Manafort qui passaient et repassaient par ceux
qu’il détenait à Chypre, on apprenait donc que celui-ci avait contracté
une dette de 17 millions auprès d’intérêts ukrainiens pro-russes et
d’intérêts russes. De ces derniers, on retient ceux d’Oleg V. Deripaska,
un milliardaire proche de Poutine, qui a déposé une plainte en Virginie,
en 2015, en réclamant à Manafort et à d’autres individus 19 millions.
Entre les initiatives de Donald Jr. et de son beau-frère Jared, les
courriels du premier et les omissions du second, les comptes bien
remplis de Manafort et ses mensonges, l’avocate russe et l’oligarque
proche de Poutine qui dépose une plainte devant un tribunal des États-
Unis d’Amérique, il n’en fallait pas plus pour que la zizanie s’installe à
demeure à la Maison-Blanche. Au cœur du pouvoir, autour de Trump
qui ne décolérait pas, les conseillers accusaient les collaborateurs de
tous les vices et inversement.
Exemple entre tous, par le biais de con dences chuchotées dans
l’oreille de journalistes, on apprend que Marc E. Kasowitz, le patron de
l’équipe d’avocats privés qui représentent Trump, aimerait bien que
Kushner soit mis au rencart. D’après lui, Kushner est un obstacle
majeur, car il est plus enclin à défendre ses intérêts que ceux de son
beau-père.
Quand Kushner n’est pas pris pour le bouc émissaire de tous les
problèmes rencontrés par le président, la cible de choix est nulle autre
que Reince Priebus, le chef de cabinet en personne. Quand il n’est pas
considéré comme un faible, on le quali e d’incompétent, au mieux ; de
crétin, au pire. Bref, comme disait Chirac : « Les emmerdes ça vole
toujours en escadrille. »
Au milieu de cette tempête, Trump n’a évidemment rien trouvé de
mieux que de conjuguer un de ses tweets avec la rage en accusant
Hillary Clinton d’avoir mené sa campagne à l’enseigne de l’illégalité. De
fait, de marteler le président, le ministère de la Justice devrait
abandonner son enquête sur les supposés liens des membres de son
équipe avec des Russes pour mieux en ouvrir une sur « l’escroc Hillary
Clinton ».
La zizanie et la colère ayant pris la place de l’exercice de l’intelligence
et du sérieux à la Maison-Blanche, les membres du Congrès se sont
empressés, si l’on peut dire, de se les approprier. En e et, le 22 juillet,
les leaders républicains et démocrates annonçaient un geste législatif
spectaculaire : ils se sont accordés pour qu’un nouveau train de
sanctions soient imposées à la Russie.
Les raisons invoquées pour justi er leur geste découlaient
évidemment de la déstabilisation du processus électoral conçue par les
Russes, mais aussi des agressions militaires commises dans l’est de
l’Ukraine et en Crimée. En d’autres termes, les élus avaient décidé de
charger le train des sanctions à sa pleine capacité, car en plus de la
Russie, ils avaient décidé d’étendre celles-ci à l’Iran et à la Corée du
Nord. Bref, comme disent les gamins dans les cours d’école, les élus
venaient de coincer le président dans un coin.
Ils venaient de le coincer, car vu le contexte, Trump ne pouvait
recourir à son droit de veto sans passer pour un allié de Poutine ou pour
un vassal totalement inféodé aux desiderata du tsar Poutine. On notera
que pour bien le coincer, pour bien lui faire comprendre que la
séparation des pouvoirs exécutif et législatif n’est pas aux États-Unis
une légende conçue pour ramener les sénateurs et les représentants à
des rôles de gurants, ils ont gre é la Corée du Nord et l’Iran à leurs
sanctions. On se rappellera que durant la campagne, Trump martelait
constamment qu’une fois en poste, il déchirerait l’accord qu’Obama
avait signé avec l’Iran.
Qui plus est, on se souviendra également que Michael Flynn et son ls
Donald Jr. avaient laissé miroiter à des interlocuteurs russes une
possible levée de sanctions. Ces discussions ayant versé dans la trappe
des secrets de polichinelle, comment Trump pourrait-il encore brandir
son besoin de souplesse, et donc son opposition aux législateurs, pour
négocier une normalisation des relations avec Moscou ?
Le 25 juillet, les représentants envoyaient leur pavé dans la marre. À
une écrasante majorité, 419 contre 3, les élus de la Chambre des
représentants adoptaient les sanctions visant les trois pays. Le
président de la Commission des a aires étrangères, soit le Républicain
Ed Royce de Californie, déclara alors : « Il était grandement temps que
l’on réponde avec force. »
Deux jours plus tard, le 27 juillet, les sénateurs, là aussi à une
écrasante majorité (98 contre 2) votaient en faveur des sanctions.
Président de la Commission sénatoriale des a aires étrangères, le
sénateur républicain Bob Corker, du Tennessee, eut alors ces mots : « Si
je pouvais donner un conseil au président […], c’est qu’il ne serait pas
bon de commencer une présidence en usant du veto. » Au passage, on
retiendra que les législateurs avaient introduit dans leur loi sur les
sanctions une clause qui interdit au président d’abolir certaines d’entre
elles sans avoir obtenu leur aval.
Trois jours plus tard, donc le 30 juillet, Poutine réagissait avec force,
voire avec brutalité. Il ordonnait que les États-Unis réduisent leur
personnel diplomatique en Russie, au-delà de 1 000 personnes, en
rappelant 755 d’entre elles. Dans les annales des relations entre ces
deux nations, l’ordre de Poutine se révélait le geste le plus musclé fait
par un dirigeant russe ou américain depuis 1986 alors que la Guerre
froide sévissait encore.
Poutine ayant une maîtrise assez diabolique, merci, des rapports de
force, on notera qu’il a pris soin de prendre sa décision de manière si
rapide que, lui aussi, coinçait Trump. Il s’est dépêché, en e et, de
communiquer son décret avant que le président Trump ne réagisse aux
sanctions arrêtées par le Congrès.
L’EMPÊCHEUR DE POLLUER EN ROND
Le 6 juillet, le gouverneur de Californie, Jerry Brown, prenait une
initiative susceptible de réveiller la colère de Trump. Ce jour-là, Brown
bousculait le chef de l’Exécutif sur le terrain des a aires
internationales, en faisant une annonce par le biais d’une
vidéoconférence à Hambourg, où Trump participait au G20.
Aux participants présents au Global Citizen Festival qui se tenait dans
la ville allemande, Brown indiquait qu’il avait décidé d’organiser une
conférence internationale qui se tiendrait à San Francisco en
septembre 2018 et qui rassemblerait tous les dirigeants des pays qui
avaient signé l’Accord de Paris sur le climat.
« Écoutez, c’est à vous et c’est à moi et aux dizaines de millions de
personnes qu’il revient de combattre les forces de la carbonisation, de
se mettre ensemble pour mener la lutte contre la menace existentielle
que pose le changement climatique. […] Je sais que le président Trump
veut sortir de l’Accord de Paris, mais il ne parle pas pour le reste de
l’Amérique. Nous, en Californie, et dans tous les États à travers
l’Amérique, nous croyons qu’il est temps d’agir. »
Simultanément ou presque, on l’a vu, l’ex-maire de New York Michael
Blomberg révélait avoir envoyé une lettre aux Nations Unies signée par
1 200 maires, patrons d’entreprises et présidents d’université.
Économiste spécialiste des questions énergétiques à l’université
Harvard, Robert Stavins faisait observer que la force déployée par les
acteurs des paliers sous-nationaux a n de contrer les politiques de
Trump n’avait jamais été aussi évidente dans l’histoire du pays.
É
Et Brown de conclure : « Aucun État ni aucune nation ne fait ce qui
devrait être fait. C’est extrêmement sérieux, et trop de gens prennent
cela un peu trop légèrement vu la réalité de la menace. […] Si le monde
entier à l’exception des États-Unis est galvanisé par ce combat, ça ne
prendra pas longtemps avant que les États-Unis le rejoignent. Je pense
que sans le savoir, le président Trump stimule le mouvement contre la
carbonisation par sa résistance très publique et singulière à la science,
la diplomatie et la politique. »
LA FÉE DU PROFIT
Le 6 juillet, un front commun formé par 18 procureurs généraux
d’autant d’États et du district de Columbia intentait une poursuite
contre le ministère de l’Éducation et sa titulaire, Betsy DeVos. La
cause ? En militante acharnée de la privatisation des écoles, cette
dernière avait ordonné un mois auparavant le gel de la panoplie de
règlements mise en place par l’administration Obama a n de venir en
aide aux étudiants escroqués par des collèges privés.
Après des années de négociations, et non des mois, avec les avocats
des collèges privés, l’administration Obama avait élaboré des règles
dans le but d’alléger les dettes contractées par les étudiants auprès
d’administrations fédérales. Ces règles devaient être e ectives le
1er juillet 2017. DeVos décida de s’opposer à celles-ci en brandissant la
plainte déposée par l’association des écoles privées de Californie.
Chef de le de la poursuite des États, Maura Healey, procureure du
Massachusetts, déclara « depuis le premier jour, la ministre DeVos est
du côté des dirigeants des écoles privées et contre les étudiants et leurs
familles noyés par des prêts étudiants. Sa décision d’abolir des
protections vitales pour les étudiants et les contribuables est une
trahison des responsabilités qui incombent à son ministère ainsi qu’une
violation de la loi fédérale. » Au passage, on notera et retiendra que
Trump a fondé un collège privé et qu’il fut lui aussi poursuivi par d’ex-
étudiants pour fraude. Il régla le tout hors cour. P f !
Le même jour, donc le 6 juillet, la fée du pro t présenta un projet de
loi qui prenait le contre-pied des politiques suivies depuis une dizaine
d’années. Pour faire court, pendant la décennie antérieure,
l’administration Obama opta pour une rationalisation de certains
aspects fondamentaux de l’éducation tant publique que privée. En clair,
il fut décidé notamment qu’il revenait au fédéral d’uniformiser les tests
ou examens. Que t DeVos ? Elle renversa le tout en donnant aux États
bien des pouvoirs en la matière. Bref, elle n’était toujours pas ministre,
mais encore et toujours femme d’a aires.
À BAS L’ÉTAT
Une fois installé à la Maison-Blanche, Trump s’est évidemment
appliqué à renverser la table des conventions et politiques comme
promis durant la campagne. Au ras du bitume ceci a donné cela : il a
commandé à son administration la création d’équipes spéciales
chargées de s’attaquer agressivement aux règles gouvernementales et
donc aux devoirs que celles-ci induisent. L’équilibre entre les droits et
les devoirs que suppose la citoyenneté en République, tels que dé ni
par les maîtres anciens, dont les Grecs en premiers ? Foutaise et
baliverne.
La commande de Trump fut communiquée aux acteurs concernés
dans la plus grande discrétion. On s’en doute, les artisans du
saucissonnage des biens publics voulaient travailler à l’ombre. Cette
attitude dont l’objectif nal était la prise en otage du droit du public à
l’information a éveillé la curiosité de certains. D’autant que bien des
personnes concernées par la volonté du président et de son cabinet
formé majoritairement de gens d’a aires qui ne songent qu’à démolir ce
qu’il reste de public dans la cité ont refusé de se plier aux règles
inhérentes au droit des citoyens. Mais encore ? Informer ces derniers
des faits et gestes commis.
Pour connaître ce qui devait être su, le New York Times et le site
d’information ProPublica ont décidé de former une équipe commune
de limiers a n évidemment de lever un certain nombre de lièvres. Ces
deux médias en sont arrivés là après avoir essuyé une série de refus à
leur requête concernant la composition de ces équipes de
déréglementation. La grande majorité des ministères mais aussi des
administrations publiques n’ont pas voulu se conformer aux devoirs qui
leur incombent en la matière. Le souci démocratique ? Bof, rien à
foutre !
Histoire d’illustrer l’énormité du travail que ces refus ont produit, on
citera un exemple et un seul : a n de connaître l’identité des personnes
composant le commando de la déréglementation, les journalistes ont
épluché 1 300 pages du cahier que doit signer toute personne
souhaitant rentrer au ministère de la Sécurité intérieure. Cette
méthode leur a permis d’identi er 78 membres de ces commandos dont
28 sont en apparence de con its d’intérêts. Cela leur a permis aussi de
connaître les noms des industriels ayant assisté à des réunions ou ayant
obtenu des rendez-vous.
Au ministère de la Sécurité intérieure, pour commencer par lui, les
reporters ont constaté que les membres de l’équipe chargée de raboter
l’appareil d’État ont rencontré régulièrement les avocats représentant
les intérêts d’entreprises privées, notamment celles versées en sécurité.
Au ministère de l’Éducation, deux membres du commando sont
d’anciens avocats d’associations vouées à la défense de l’école privée. Un
autre était un des dirigeants d’une société regroupant des collèges
privés.
Toujours à la Sécurité intérieure, Laura Peterson, lobbyiste en chef de
Syngenta, une « grosse » société suisse fabriquant des pesticides, a eu
plusieurs réunions avec Scott Cameron, membre du commando.
Singularité de ce dernier ? Il avait fondé une société qui combattait la
réglementation encadrant les pesticides. Sa société avait pour
partenaire nancier… Syngenta ! Pardon ? Pourquoi se gêner ? Ben
voyons, la retenue c’est le paravent que l’on sert comme piège à cons aux
crédules.
Au sein de l’Environment Protection Agency (EPA), l’adjudante-chef
du commando de déréglementation s’appelle Samantha Dravis. Avant
d’être nommée à ce poste, elle était une des dirigeantes du Republican
Attorneys General Association. Elle était également, voire surtout, la
présidente du Rule of Law Defense Fund qui regroupait des marchands
d’énergie comme les frères Koch et les procureurs généraux
républicains qui combattaient les règles environnementales érigées par
l’administration Obama.
Par le biais de leur think tank Freedom Partners, les frères Koch qui
nancent ce dernier à fond la caisse, ainsi que l’American Petroleum
Institute, l’énorme ConocoPhillips et le producteur de charbon Alpha
Natural Resources voulaient que Samantha Dravis abolisse notamment
les règles protégeant les nappes phréatiques et réduisant les gaz à e et
de serre.
Lorsqu’on s’attarde à ces exemples et aux autres relevés par le
consortium ProPublica et New York Times, on ne peut qu’être frappé
par l’acharnement avec lequel ces personnes s’emploient à détruire les
contrepoids développés par l’État a n, par exemple, de réduire la
pollution des nappes phréatiques à une peau de chagrin. Si on mettait
entre parenthèses le logiciel désuet de la droite et de la gauche, alors
peut-être verrait-on cette histoire américaine pour ce qu’elle est :
l’inhumanité contre l’humanité.
AU SUIVANT !
Le 21 juillet, Sean Spicer, porte-parole de la Maison-Blanche, jette
l’éponge. Après six mois et un jour d’échanges passablement musclés
avec les journalistes, Spicer démissionne. La raison principale ? Il s’est
opposé, dit-on avec véhémence, à l’engagement d’Anthony Scaramucci
comme nouveau directeur des communications. Spicer n’était pas le
seul dans son camp, Steve Bannon ainsi que le directeur de cabinet
Reince Priebus étaient également contre cette nomination.
Lors de la transition, Priebus s’était déjà opposé à Trump qui
souhaitait nommer Scaramucci, un banquier de métier, à un poste
in uent. Priebus ainsi que Spicer et Bannon craignaient que les
investissements étrangers de Scaramucci, réputé être un dur à cuire
d’entre les brutes, teintent négativement le message présidentiel.
Quatre jours après son entrée en poste, Scaramucci se faisait
remarquer en a rmant devant une grappe de journalistes qu’il allait
renvoyer tout le monde après qu’un reporter lui eut demandé comment
il allait mettre un terme à la communication con dentielle de gestes
faits et de paroles prononcées dans l’enceinte de la Maison-Blanche.
Quelques heures plus tard, le numéro deux des communications.
Michael C. Short, remettait sa démission.
Trois jours plus tard, Scaramucci récidivait. Cette fois, le sujet de sa
vindicte était le directeur de cabinet en personne : Reince Priebus. Dans
le cadre d’un entretien accordé à Ryan Lizza du New Yorker, Scaramucci
déclarait : « Reince est un connard paranoïaque schizophrénique, un
paranoïaque. » L’avant-veille sur les ondes télé, il avait martelé qu’il
était Caïn et que Priebus était Abel. Et qu’il devrait donc être renvoyé.
Bonjour l’ambiance !
Le lendemain, le 28 juillet, Priebus était viré. Trump l’annonçait par le
biais d’un tweet dans lequel il soulignait avoir nommé le général John
Kelly à sa place. Dans les annales de la République, le nom de Priebus
reste inscrit, pour l’instant du moins, à la rubrique du mandat le plus
court pour un directeur de cabinet.
En agissant de la sorte, Trump mettait un terme à une relation
empreinte de mé ance depuis le début. L’origine de celle-ci ? Après la
di usion d’un enregistrement d’Acces Hollywood dans lequel Trump
formulait des propos vulgaires à l’endroit des femmes, Priebus, alors
président du Republican National Committee, avait suggéré que Trump
se retire de la course à la présidentielle.
La position qu’il défendit alors devait lui valoir des inimitiés durables.
Celles d’Ivanka et de Jared.
Pour ces derniers, Priebus et tous ceux qu’il avait nommés, dont
Spicer, étaient en réalité des politiciens traditionnels, des personnes
plus loyales au Parti républicain qu’à Trump qui, rappelons-le, ne se
priva pas de critiquer ce parti.
Pour Ivanka et son mari, ainsi que pour ses frères et quelques autres
personnes, si Trump n’était pas aussi populaire que prévu, si son
programme politique était constamment bousculé, c’était la faute de
Priebus et autres professionnels de la politique. Par leur façon de faire,
Priebus et les siens empêchaient « Trump d’être Trump ».
Histoire d’illustrer la candeur politique, pour rester poli, d’Ivanka,
Scaramucci et compagnie on soulignera que pour eux, la personnalité
de Trump était telle qu’il ne pouvait qu’être idolâtré.
ENCORE LA SANTÉ
On l’a vu, une fois en poste, Trump s’est empressé d’inscrire le
remplacement d’Obamacare par une réforme qu’il promettait
meilleure. Le premier essai fut un échec. Tout naturellement, il s’est
appliqué avec le Congrès à la préparation d’un deuxième. Puis il a
estimé que la meilleure chose à faire serait de voter l’abolition de
l’Obamacare dans un premier temps puis de préparer ensuite une
nouvelle réforme. Bref, il proposait que durant plusieurs mois, voire
années, le vide règne.
Quoiqu’il en soit, le chef de le des sénateurs républicains, Mitch
McConnell, décida de former un groupe de travail rassemblant
13 sénateurs et sans Susan Collins du Maine, ni Lisa Murkowski, de
l’Alaska, deux Républicaines réputées pour leur maîtrise d’un dossier
éminemment complexe.
Un projet de réforme fut élaboré, présenté et débattu. Puis il eut un
e et inattendu pour McConnell et Paul Ryan : ce projet avait été si mal
préparé, si bâclé, qu’il sema le doute chez d’autres Républicains.
Au milieu de tout ça, des acteurs de la santé, y compris certains
assureurs, multiplièrent les mises en garde. Par exemple, la Blue Cross
Blue Shields prévint les sénateurs que l’abolition de l’Obamacare sans
remplacement par une autre couverture serait désastreuse. Les
dirigeants de cette compagnie d’assurances avançaient notamment
qu’un programme permettant aux individus de contracter une
assurance seulement lorsqu’ils en avaient besoin aurait comme e et
pervers une augmentation très prononcée des coûts.
Le 26 juillet, les sénateurs votent. Le résultat : 55 contre et 45 pour.
Outre les sénatrices Collins et Murkowski, cinq autres sénateurs
républicains ont rejeté ce énième projet. Pour McConnell et Ryan, cette
rebu ade est en fait une sacrée défaite. Pendant sept ans, ces deux-là
furent à la pointe du combat contre la pièce législative phare de l’ère
Obama. Ce fut également un échec cuisant pour Trump, qui t ce qu’on
attendait de lui, ce qui était prévisible : par tweet interposé, il injuria la
Républicaine Murkowski.
HUMILIER LA JUSTICE
La dernière semaine de juillet s’est déroulée sous la bannière de
l’humiliation. Presque tous les jours, le chef de l’Exécutif a pilonné à
coups de diatribes son ministre de la Justice, Je Sessions. Il a même
poussé l’outrage jusqu’à réduire la loyauté bien connue de Sessions à
son égard à un vil calcul d’opportuniste. Bref, jamais on n’avait été
témoin d’une attaque aussi musclée à l’endroit du ministère de la
Justice qui, faut-il le rappeler, est un ministère régalien. Même lorsque
Nixon était président et entretenait de durs rapports de force avec le
ministère à l’époque du Watergate, les relations entre les deux parties
ne furent jamais empreintes d’humiliation.
Tout a commencé lors d’un entretien que Trump accorda à des
journalistes du New York Times. Au détour d’une question, il exprima
son vif regret d’avoir choisi Sessions comme ministre. S’il avait su,
con a-t-il aux reporters, que Sessions se récuserait du dossier russe,
alors il aurait nommé quelqu’un d’autre.
C’est un secret de polichinelle que le roi Trump aurait voulu que non
seulement Sessions ne se retire pas, mais se présente sur la place
publique pour assurer qu’il n’avait entretenu aucun lien avec des
Russes. Sur le plan légal, Sessions a fait ce qu’il devait faire. Il n’avait pas
d’autre choix, car il fut membre de l’équipe électorale de Trump. Point.
Le lendemain, Trump traita Sessions de « faible » dans un tweet, car il
estimait que celui-ci aurait dû ouvrir une enquête sur Hillary Clinton et
ses supposés liens avec des Russes et commander l’abandon de celle en
cours et dont il est le sujet principal. Le surlendemain, le président
récidivait en se demandant pourquoi le ministre de la Justice ne mettait
pas à la porte Andrew G. McCabe, chef par intérim du FBI, puisque la
femme de celui-ci est une Démocrate qui s’est présentée à une élection
sénatoriale en Virginie.
Auparavant, dans une entrevue accordée au Wall Street Journal,
Trump avait réduit la loyauté de Sessions à son égard à trois fois rien.
« Quand ils disent qu’il m’a soutenu, bon… J’étais allé dans l’Alabama,
40 000 personnes étaient là. Il était sénateur de l’Alabama. J’ai gagné
cet État par une marge énorme, les chi res étaient massifs. J’ai gagné
beaucoup d’États par des marges massives. Il était sénateur, il a regardé
les chi res, il a vu que 40 000 personnes étaient venues et il a dû se dire
“qu’est-ce que j’ai à perdre ?” Alors il m’a apporté son soutien. Bon, ce
n’est pas une si grande chose que ça, sa loyauté. »
Le 28 juillet, dans les pages du New York Times, l’ex-sous-ministre à la
Justice Sally Q. Yates servait une sacrée mise en garde : « Le spectacle
des e orts du président pour humilier le ministre de la Justice avec
l’espoir qu’il démissionne a pétri é le pays. Mais pendant que nous
étudions les décombres de la relation entre le ministre de la Justice Je
Sessions et le président qu’il a soutenu, quelque chose d’insidieux s’est
avéré. »
« Le président essaye de démanteler l’État de droit, de détruire
l’honorable indépendance obtenue au l du temps par le ministère de la
Justice et de saper les carrières d’hommes et de femmes qui se
dévouent à la recherche de la justice jour après jour, sans se préoccuper
du parti politique au pouvoir. Si nous ne sommes pas prudents, lorsque
nous nous réveillerons de la présidence Trump, notre système de
justice pourrait avoir été brisé au-delà de toute reconnaissance. »
Chapitre 12
DESTITUTION ! VOUS DITES ?

Dans l’histoire des États-Unis, 14 présidents ont été les sujets de


requêtes en destitution. Deux d’entre eux, et seulement deux, l’ont été
par la Chambre des représentants. Il s’agit d’Andrew Johnson, qui avait
succédé à Abraham Lincoln après son assassinat, le 15 avril 1865, et de
Bill Clinton. Mais voilà, dans les deux cas, les membres du Sénat ayant
voté l’acquittement ils sont retournés à leurs a aires. Richard Nixon ? Il
a démissionné avant que la destitution évoquée par des élus ne
devienne o cielle.
Si des juges et des gouverneurs ont été limogés au cours de l’histoire,
aucun chef de l’Exécutif ne l’a été pour la bonne et plate raison que
toute tentative de destitution s’avère une mission impossible tant le
mécanisme a été conçu à l’aune de la fraude… démocratique ! De-que-
cé ? Histoire d’enfumer le citoyen lambda et le contingent des crédules
en leur faisant miroiter le mirage d’une démocratie qui en réalité ne
l’est qu’à moitié, on a introduit le principe de destitution dans l’article 2
section 4 de la Constitution. Mais dans les faits…
Pour qu’un président soit démis, il faut tout d’abord que la
Commission des a aires judiciaires de la Chambre des représentants
juge recevable une requête à cet égard. Ensuite, et si elle a été jugée
recevable, la Commission va mener une enquête. Une fois celle-ci
terminée, chaque élément important de la conclusion devra être
soumis au vote des Représentants.
Admettons qu’une forte majorité d’entre eux soit favorable à la
poursuite du processus. Et alors ? Le Sénat hérite de la charge du
dossier et organise un procès en bonne et due forme qui sera présidé
par le juge en chef de la Cour suprême. Après quoi, si les deux tiers des
sénateurs votent eux aussi la poursuite de l’a aire, celle-ci sera étudiée
par la Cour suprême. Après quoi…

É
Écoutez, pour faire court et surtout plus e cace, il serait plus fondé et
rapide de demander à Panoramix qu’il touille dans sa marmite la
résurrection de la Pythie de Delphes. Au moins on aurait un avis
dé nitif. Plus sérieusement, il faut savoir par ailleurs qu’il est interdit
au pouvoir judiciaire d’amorcer une procédure de destitution du
président. Comme quoi l’imputabilité, à ce niveau, se conjugue plus
qu’on ne le croit avec la relativité.
C’est dommage, bien dommage, car si l’on en croit ce que raconte
Allan J. Lichtman, professeur d’histoire à l’American University de
Washington, dans son livre The Case for Impeachment publié par Dey
Street Books, Donald Trump est de tous les 45 présidents qu’a comptés
le pays celui qui devrait être le sujet d’une dizaine de requêtes en
destitution au minimum. Car jamais, jamais, jamais, un chef de
l’Exécutif n’a été abonné à autant de con its d’intérêts.
Commençons par le plus simple d’entre eux, car quotidien. Trump
n’ayant pas vendu les parts qu’il détient dans son empire résidentiel et
hôtelier, il est coupable d’abus de biens publics et perçoit des
émoluments de pays étrangers, ce qui est strictement défendu par la
Constitution.
Les émoluments ? Au lendemain de sa victoire, le gouvernement
saoudien a loué, tenez-vous bien, 500 chambres à l’hôtel que détient
Trump à Washington, chambres qui ont été occupées par des gens
chargés de faire du lobbying pour les Saoudiens, évidemment. En fait,
sur ce anc Lichtman a calculé que le nombre de con its d’intérêts est
de 20, dont 1 avec la Chine.
Pour résumer les causes de destitution qui existent dans le domaine
des a aires, on retiendra que notre historien a constaté que Trump
avait violé, à la suite de sa fraude universitaire, le Racketeer In uenced
and Corrupt Act, le Stop Trading on Congressional Knowledge, qu’il a fait
des a aires avec le Bayrock Group de Moscou, qui est sous le coup d’une
poursuite du procureur de New York pour fraude, blanchiment d’argent
sale, extorsion, conspiration, pot-de-vin, etc. La coupe est pleine, non ?
Pas encore !
La loi permettant la destitution pour des méfaits avérés et antérieurs
à sa présidence, Trump pourrait être poursuivi pour son comportement
à l’endroit des femmes et des Noirs, sachant qu’il a négocié plusieurs
ententes hors cour. En ce qui concerne les femmes, on sait qu’il a acheté
le silence de plus d’une, en plus d’avoir agressé physiquement sa
première femme. Pour ce qui est des Noirs, on se souviendra qu’il avait
érigé la discrimination en mode de gestion. En d’autres mots, Trump a
violé les lois sur les droits civiques. Passons à l’environnement.
Au cours des récentes années, le Tribunal international de La Haye
ainsi que la Cour pénale internationale ont estimé que les crimes contre
l’environnement doivent être considérés comme des crimes contre
l’humanité. En rejetant l’avertissement servi par les ingénieurs
américains et 72 Prix Nobel sur les dangers inhérents au réchau ement
climatique, en multipliant les directives anti-environnementales, en se
retirant de l’Accord de Paris sur le réchau ement de la planète, Trump,
d’assurer Lichtman, est bel et bien coupable de crime contre
l’humanité. La coupe est pleine ? Loin de là.
Lors de la campagne contre Hillary Clinton, Trump a plus d’une fois
martelé que la santé mentale de son adversaire étant dé ciente elle
n’était pas apte à présider les États-Unis. Ce faisant, Trump bafouait la
règle Goldwater. Il s’agit d’une règle non écrite qui date de l’élection de
1964 qui avait alors opposé Barry Goldwater à Lyndon Johnson. Le
premier, un Républicain, ayant évoqué plus d’une fois le recours à la
bombe atomique, ici et là on l’avait traité de cinglé. Depuis lors, tout
jugement sur la santé mentale d’un candidat avait été banni. Bien.
En attaquant Clinton sous cet angle, Trump a levé un tabou qui eut
après coup un e et boomerang : 35 psychiatriques à travers le pays,
nous l’avons vu, se sont appliqués à analyser Trump, à disséquer ses
mots, son comportement avant de dresser le diagnostic suivant : « Ses
discours et ses actions démontrent une incapacité à tolérer des
opinions divergentes des siennes, menant à des réactions rageuses. Ses
mots et son comportement suggèrent une profonde incapacité
d’empathie. Les individus qui présentent ces traits détournent la réalité
a n qu’elle colle à leur état psychologique, puis s’attaquent aux faits et à
ceux qui les ont avancés. Nous croyons que l’instabilité émotive
profonde qui l’habite lui interdit de servir convenablement le pays ».
Bigre !
Et Lichtman de conclure qu’en vertu du 25e amendement de la
Constitution et des procédures de la Chambre des représentants,
Donald Trump devrait être destitué toute a aire cessante. Comme le
constata ce cher Cervantès : « Le fou a un faux pli dans sa cervelle ».
Autrement dit, des pois chiches en guise de neurones.
Chapitre 13

AOÛT 2017 : RENVOI


DU FORT EN GUEULE

Le vendredi 28 août, Trump annonçait la nomination du général John


F. Kelly, jusqu’alors responsable du Homeland Security, au poste de
directeur de cabinet à la place de Reince Priebus. Deux jours plus tard,
Kelly s’installait donc dans le bureau à la fois le plus convoité et le plus
craint de toute l’administration. Sa première décision eut un e et bœuf,
catégorie Charolais et non Belle d’Aquitaine. C’est dire.
Ce lundi 31 août, Kelly virait Anthony Scaramucci, l’abonné aux gros
mots que Trump avait parachuté à la tête du département des
communications. Entre les noms d’oiseaux qu’il proféra à l’endroit de
Priebus et sa volonté a chée de renvoyer toute l’équipe des
communications, Scaramucci s’était aliéné les trois quarts du personnel
de la Maison-Blanche, dont la lle et le gendre de Trump. L’ex-
gestionnaire de fonds spéculatif avait fracassé les règles de la
bienséance qu’exige sa fonction lors d’un entretien avec un journaliste
du New Yorker allant jusqu’à injurier également Steve Bannon.
Le départ de Scaramucci fut la condition sine qua non de Kelly comme
préalable à sa nomination. Sinon ? L’autre condition, que le premier
général à occuper ce poste depuis Alexander Haig sous Nixon avança,
fut sa volonté d’introduire de la discipline dans tous les services de la
Maison-Blanche a n de mettre entre parenthèses le chaos qui avait
caractérisé l’administration Trump dès ses débuts.
En fait, si l’on se e à ce qui a transpiré de l’entretien de Trump avec
Kelly, ce dernier a obtenu que le directeur de cabinet retrouverait les
attributs et prérogatives de cette fonction. Soit la composition de
l’agenda, le contrôle de l’information, l’autorité sur tout le personnel et
tous les ministères non régaliens ainsi que l’accès au président.
Peut-être faut-il préciser que si Kelly a négocié ce qui précède, c’est
tout bonnement, tout simplement qu’il avait constaté que l’échec de
Priebus découlait de l’indi érence quasi totale que le président
cultivait à son endroit, sans oublier les coups bas d’Ivanka, de Jared, de
Bannon et de bien des ténors de l’administration.
UNE ARMÉE ET DES PUNITIONS
Le 2 août, Trump signait la loi rédigée et votée par une forte majorité
d’élus au Congrès. Histoire de mettre en relief l’aigreur, c’est le moins
qu’on puisse dire, que ce texte avait éveillée en lui, il n’invita pas les
médias à assister à la séance de signature, contrairement aux séances
antérieures. On se rappellera que la grappe de sanctions xée par le
législatif visait aussi bien l’Iran et la Corée du Nord que la Russie et
qu’elle gommait certaines prérogatives de l’Exécutif en l’obligeant à
demander l’aval du Congrès pour lever ces sanctions.
On ne sera pas étonné d’apprendre que dans la note envoyée au
Congrès pour signi er qu’il signait la loi, Trump protestait contre cette
limitation du pouvoir exécutif. Selon lui, le texte des élus « comprenait
des articles clairement anticonstitutionnels ». Selon son appréciation,
« cette loi demeure très dé ciente, en particulier parce qu’elle ampute
la marge de manœuvre de l’Exécutif en matière de négociations. En
limitant la exibilité de l’Exécutif, cette loi va rendre plus di cile pour
les États-Unis l’obtention de bons accords pour le peuple américain et
favorisera également un rapprochement entre la Chine, la Russie et la
Corée du Nord. »
Simultanément, les Russes, après avoir ordonné le renvoi de
750 membres du personnel diplomatique américain, étaient à la
manœuvre. Ils menaient des exercices militaires en vue d’un exercice
prévu à la n de l’été et dont l’ampleur relevait des sombres heures de la
Guerre froide ; pas moins de 100 000 soldats devaient y participer.
Ces exercices se déroulaient en Biélorussie, qui partage des frontières
avec la Lituanie, la Lettonie et surtout la Pologne. Ces trois pays sont
membres de l’OTAN.
De cet épisode militaire, une réalité doit être soulevée et méditée deux
fois plutôt qu’une à cause de son importance symbolique : la 1re armée
de tanks sera au cœur des manœuvres. Mais encore ? Après la n de la
Guerre froide, ce contingent fut démantelé et donc retiré de Smolensk,
près de la frontière avec la Biélorussie. En nostalgique de l’Union
soviétique, Poutine décida de reconstituer une 1re armée au pedigree
impressionnant : après avoir a ronté l’armée allemande sur tout le
front de l’Est au cours de la Deuxième Guerre mondiale, elle a pris
Berlin d’assaut, occupé l’Allemagne avant d’envahir la Tchécoslovaquie
en 1968.
Selon le général Philip Breedlove, ex-commandant en chef des forces
de l’OTAN : « L’armée choisie (par Poutine) a une raison. Il envoie un
message très clair aux Républiques baltes et à la Pologne ». Selon les
précisions livrées aux médias par le général Peter B. Zwack, ancien
attaché militaire des États-Unis à Moscou : « Le message est d’abord et
avant tout “nous vous observons, nous sommes forts, nous avons
beaucoup appris ; ne plaisantez pas avec la Russie”. »
La 1re Armée comprend 800 tanks et 300 pièces d’artillerie, soit bien
davantage que les forces déployées dans ces environs par l’Allemagne, la
Pologne et les pays baltes.
CONTRE LE MIGRANT ET CONTRE LE NOIR
De mémoire, jamais un président des États-Unis n’a autant détesté
l’immigrant depuis Calvin Coolidge dans les années 1920. Après avoir
réduit le ux des réfugiés, promis de construire un mur à la frontière
mexicaine, interdit d’accès les citoyens de sept pays majoritairement
musulmans et ordonné une hausse des arrestations des illégaux qui
font le sale boulot, voilà que le gardien de facto de la Statue de la Liberté
cautionnait une loi si violemment opposée à l’immigration qu’elle a
qualité de l’inédit dans l’histoire contemporaine de ce pays.
Le 2 août, le 45e président des États-Unis donnait o ciellement son
appui au texte composé par deux sénateurs d’États où le racisme fait
partie de l’ADN politique, soit l’Arkansas et la Georgie. La loi, proposée
par les héritiers d’Orval Faubus, George Wallace et autres proconsuls de
l’inhumanité, entend diviser par deux l’immigration légale. À l’ère des
vastes mouvements migratoires qui selon les experts en géopolitique
vont caractériser le présent siècle, voilà que Trump veut réduire à une
peau de chagrin l’immigration légale.
La formule choisie était la suivante : réduire à trois fois rien le nombre
de personnes qui évoquaient leurs liens familiaux avec des immigrants
devenus des citoyens américains ou qui avaient le statut de résidents.
En lieu et place, on entendait imposer une série d’examens qui se
traduiraient par la venue des migrants les plus quali és qui soient.
Comme c’est toujours le cas dans cette histoire qui se poursuit
aujourd’hui aux États-Unis, lorsqu’elle ne se poursuit pas en Hongrie,
au Royaume-Uni (voir le Brexit), en Allemagne ou en Espagne,
l’immigrant est encore et toujours le bouc émissaire de toutes les tares
économiques.
En chi res, cette politique aura pour conséquence la réduction de
640 000 immigrants légaux la première année et de 540 000 au bout de
dix ans. En d’autres termes, ce projet consiste à réduire de moitié
l’immigration légale. À titre comparatif, on notera qu’en 2014, 64 % des
personnes admises avaient un lien de parenté avec des personnes déjà
présentes et que seulement 15 % furent admises sur la base de leurs
quali cations.
Bien évidemment, la grande majorité des élus démocrates se sont
élevés contre cette politique. Mais il y eut également des Républicains
dont le sénateur Lindsay Graham, de la Caroline du Sud. Après avoir
rappelé que l’agriculture et le tourisme sont les deux principales
industries de son État, Graham commenta que « si cette proposition
devient loi, elle aura un e et dévastateur sur l’économie de notre État
qui dépend des immigrants. Les hôteliers, les restaurateurs, les
propriétaires de golfs et les agriculteurs vous diront que diviser
l’immigration légale en deux mettra leur commerce en péril. »
Le 1er juillet, le New York Times mettait la main sur un document que
les mandarins du ministère de la Justice, dont le premier d’entre eux,
soit Je Sessions, avaient préparé dans la plus grande discrétion et qui
consistait à redéployer les ressources de la division des droits civiques.
Plus exactement, ces derniers voulaient que des gens d’expérience des
droits civiques enquêtent et intentent des poursuites contre les
universités qui observent les règles de la discrimination positive, car
selon eux elles discriminent les Blancs. Tout le monde sait bien que
contrairement aux Noirs, les Blancs ne disposent pas des moyens
nanciers a érents aux études universitaires. P f…
Signe qu’il était bien conscient de l’injection raciste propre à son
projet, Sessions a interdit au directeur de la division des droits civiques,
John Gore, de répondre aux questions du journaliste qui avait obtenu
ce document. On notera par ailleurs qu’a n d’avoir la haute main sur
l’ensemble du projet, on a décidé que sa gestion dépendrait de la
division commandée par les nominations politiques, celles de Trump, et
non, comme c’est la tradition, par l’Educational Opportunities Section.
VIVE LES ÉVANGÉLISTES ET LE TEA PARTY…
Pendant que l’administration Trump mène, côté jardin, une guerre
larvée contre les Noirs et frontale contre les immigrants, côté cour, on
apprend qu’elle cajole les groupes ou organisations les plus extrémistes.
Au ras du bitume, ceci donne cela : tous les vendredis après-midi, la
Maison-Blanche envoie une note intitulée The Trumpet et adressée à
tous les chefs de le des associations évangélistes, du Tea Party, des
ennemis des taxes et impôts, des adversaires de l’avortement, des
dirigeants de la National Ri e Association, des opposants aux
homosexuels et autres minorités sexuelles, aux avocats de la famille
traditionnelle… Bref, tous les vendredis, la Maison-Blanche décline ce
qu’elle a fait dans la semaine et ordonne surtout la marche à suivre.
On notera que les regroupements de Républicains classiques, y
compris les modérés, ne gurent pas sur la liste d’envoi. Les
récipiendaires de cette lettre forment l’aréopage de tout ce que les
États-Unis comptent d’associations rassemblant les fanatiques, les
esprits binaires, les acariâtres. Il est fascinant de constater que sur ce
plan, Trump a pris l’exact contre-pied de Bush père.
Ce dernier, un Républicain horri é par les discours de ces groupes, et
notamment par les plus religieux d’entre eux, avait ordonné à James
Baker, directeur de cabinet, de les tenir à distance de la Maison-
Blanche. Bush ls t le contraire : il leur ouvrit la porte du bureau ovale.
Après quoi, Trump s’est appliqué à métamorphoser la voie ouverte par
Bush en un boulevard.
Interrogée au sujet de cette lettre, Kellyane Conway a évoqué le…
respect ! « La plupart d’entre eux considèrent que notre administration
poursuit la mission qui se préparait depuis des années. Ce n’est pas une
question politique mais de respect. Ils estiment qu’ils n’étaient pas
respectés. » Que des fondus du petit Jésus combattant fanatiquement
tout ce qui ressemble de près ou de loin à la laïcité brandissent le non-
respect à leur endroit est tout simplement confondant.
Président du Family Research Council, Tony Perkins a tenu des
propos qui révèlent combien l’idolâtrie dont Trump est le sujet en
certains milieux est marquée. « Il ne se passe pas un dimanche sans que
des gens ne m’apostrophent et me demandent “Comment va le
président ?” “L’avez-vous vu cette semaine ?” Je prie pour lui tous les
jours et je suis en colère contre les médias et leur façon de s’attaquer à
lui. »
Oublions les injures que Trump « envoie » à droite et à gauche en
général et contre les femmes en particulier, oublions ses agressions
contre les dirigeants australien et mexicain et retenons bien ceci : la
prochaine fois que Donald Trump se moquera d’un handicapé, il faudra
applaudir !
La révélation de l’existence de cette lettre a permis en tout cas d’en
apprendre davantage sur le mode de gestion choisi et suivi par Trump
et ses proches conseillers. Dans un premier temps, ils notent les
requêtes des groupes nommés puis ils les transforment en décrets ou en
lois. Grâce à l’épisode The Trumpet, on a su par exemple que Grover
Norquist, l’adversaire farouche de tout impôt et taxe, un autre militant
du retour à la loi de la jungle, avait pour ainsi dire écrit le nouveau code
scal.
FONCTIONNAIRE SOUS SURVEILLANCE
Dans la guerre aux médias qu’il avait déclarée alors qu’il était candidat
aux primaires du Parti républicain, Trump avait combiné insultes et
mensonges, allant même jusqu’à encourager des participants à ses
prestations à agresser physiquement les journalistes. Au début du mois,
Trump donnait une in exion autrement plus grave à la guerre en
question.
Le 4 août, Je Sessions révélait que trois fois plus d’enquêtes avaient
été ordonnées a n de connaître l’identité des fonctionnaires ayant
con é des informations sensibles à des reporters. Lors de la conférence
de presse consacrée à ce sujet, Sessions indiqua que le FBI avait mis sur
pied une division spécialisée dans la chasse à ceux qui chuchotent les
vilains petits secrets de Trump, de ses conseillers et de ses ministres.
Sessions déclara notamment : « je suis tout à fait d’accord avec le
président et condamne dans les termes les plus fermes le nombre
incroyable de fuites qui minent la capacité de notre gouvernement de
protéger notre pays. Nous reconnaissons le rôle important que la presse
joue et lui accordons tout notre respect, mais il n’est pas illimité. Ils ne
peuvent pas mettre des vies en danger sans risque d’impunité. »
Présent à ses côtés, Dan Coats, directeur du renseignement national
nommé par Trump, servit aux journalistes la mise en garde suivante :
« Comprenez-nous bien : même si vous dévoilez indirectement des
informations secrètes, nous vous trouverons, nous enquêterons sur
vous, nous vous poursuivrons sur tous les terrains que permet la loi et
vous ne serez pas contents des résultats. » Bigre !
L’annonce de Sessions faisait suite aux multiples interventions de
Trump par tweets interposés et dans lesquels il réclamait que le FBI
enquête sur les malversations supposées d’Hillary Clinton quand il ne
traitait pas son ministre de la Justice de faible. Dans ses propos,
Sessions a introduit une fausseté qui enveloppe tous les vices du
chantage : en se faisant le relais des fuites, les journalistes mettent des
vies en danger.
Cet aspect du dossier devait passablement choquer deux dirigeants de
presse. Pour Martin Baron, éditeur du Washington Post : « Sessions a
a rmé que nous mettions des vies en danger. Nous n’avons jamais fait
cela. Nous avons révélé la vérité sur ce que les membres de cette
administration ont dit et ont fait. Dans bien des cas, nos reportages
factuels ont contredit leurs déclarations o cielles. » Quant à Matthew
Purdy, rédacteur en chef du New York Times, il estimait « qu’il faut faire
la distinction entre les révélations qui mettent mal à l’aise le
gouvernement et les révélations qui mettent des vies en danger. Or
jamais nous n’avons publié des informations mettant des vies en
danger. »
Attardons-nous maintenant à la toile de fond de cette histoire. Sous
l’administration Obama, le ministère de la Justice a poursuivi dix
enquêtes sur des fuites, dont deux commandées alors que Bush était en
poste. Cet inventaire s’est avéré beaucoup plus élevé que le nombre
d’enquêtes ouvertes sous les divers présidents. Et d’une.
Et de deux, alors qu’il était ministre de la Justice, Eric Holder s’était
appliqué, avec l’accord d’Obama, à défendre les droits des journalistes
en ce qui concerne leurs sources. Il avait introduit des balises qui
rendaient plus di cile, par exemple, le recours aux subpœnas ou l’accès
à la cartographie téléphonique des journalistes. Bref, Holder avait opté
pour une limitation de la marge de manœuvre de l’État en matière
d’information. Ce faisant, ce ministre avait pris le contre-pied de Bush,
qui avait donné son aval à la création d’une force spéciale et secrète
placée sous la direction de la National Security Agency et qui était
chargée d’espionner les journalistes sans en avoir demandé
l’autorisation légale.
Cela étant, entre les dispositions contenues dans l’Espionnage Act et
dans les autres lois fédérales, l’État détient tous les pouvoirs lui
permettant de poursuivre au criminel toute personne ayant « coulé »
une information si sensible qu’elle pourrait a aiblir ou altérer la
sécurité du pays.
POLLUONS EN NOIR
En vue des élections à la Chambre des représentants en 2014, Ryan
Zinke, du Montana, avait reçu 14 000 dollars de la compagnie BNSF
Railway qui est dans les faits le principal transporteur du charbon
exploité dans le bassin de la rivière Powder. Pour avoir une idée plus
exacte de l’énormité des enjeux induits par cette exploitation, la zone
en question, propriété de l’État fédéral, fait six fois la super cie de la
Californie, soit 2 400 000 km2.
Zinke avait également reçu un total de 26 000 $ alloués par les trois
plus importantes compagnies de charbon du pays, soit Cloud Peak,
Arch Coal et Alpha Natural Resources. En 2016, Trump est élu. Quatre
mois plus tard, Zinke était nommé ministre de l’Intérieur. À ce titre, il
détient la haute autorité sur les parcs nationaux ainsi que sur le Bureau
of Land Management, qui possède 250 millions d’acres de terres et où
des sociétés exploitent le pétrole, le gaz, le bois d’œuvre, le charbon et le
foin.
Une fois installé à son poste, Zinke s’est appliqué à donner
satisfaction, et de manière culottée, à ces donateurs qui voient dans la
moindre mesure visant à combattre la pollution l’ombre du
communisme qui attaque sans relâche les États-Unis d’Amérique, ce
pays que Dieu est le seul à bénir. Zinke a littéralement renversé la table.
Il a pris à revers toutes les mesures introduites par Obama et par Sally
Jewell, nommée ministre de l’Intérieur en 2013.
En 2014, Jewell avait ordonné un moratoire sur les nouveaux contrats
de location des terres fédérales dont le sous-sol renferme du charbon. Il
faut savoir que 40 % du charbon produit provient des terres fédérales.
Elle avait également ordonné une étude approfondie sur les
conséquences environnementales inhérentes, car une fois brûlé, le
charbon égale 10 % des émissions totales du gaz à e et de serre.
Jewell avait également décidé de mettre un terme à la corruption
profonde qui distingue ce secteur d’activités en prônant une
augmentation du loyer des terres et une hausse des droits
d’exploitation. Elle avait constaté, par exemple, qu’entre 1990 et 2012,
seulement 11 appels d’o res sur les 107 e ectués a n d’inviter des
sociétés à louer ces terres avaient reçu plus d’une demande. Pour faire
court, et a n de payer le moins cher possible, les entreprises
s’arrangeaient entre elles. Comme elles s’arrangeaient par le recours à
la corruption des fonctionnaires à payer 2,5 % sur la taxe de vente des
terres au lieu des 12,5 % xés par les règlements fédéraux en 1920 !
Zinke était à peine adoubé par le Sénat qu’il commandait l’abolition de
toutes les ordonnances signées par Jewell y compris un arrêt de l’étude.
Il n’en fallait pas plus pour que les États de Californie et du Nouveau-
Mexique, ainsi que la nation cheyenne et un rancher, portent plainte
contre le gouvernement fédéral en arguant notamment que les sociétés
minières vont jusqu’à polluer les nappes phréatiques sans n’avoir
jamais été inquiétées.
LE PETIT CACHOTTIER
Lorsque Scott Pruitt déambule dans le quartier général de
l’Environmental Protection Agency (EPA), il est toujours accompagné
par des gardes de sécurité armés. Lorsqu’il se rend dans les locaux des
bureaux régionaux, ces ers-à-bras sont là. Lorsqu’il doit faire des
appels jugés importants, il s’empresse de quitter son bureau et va dans
un bureau voisin pour les e ectuer. Lorsque des employés, des
scienti ques ou autres, doivent se rendre dans une salle de réunion où il
sera présent, ils doivent laisser leurs cellulaires à la porte. Quoi
d’autre ? La plupart du temps, il leur interdit de prendre des notes
écrites. À la grande di érence de ses prédécesseurs, monsieur Pruitt est
un amant méticuleux ou attentif aux détails du secret. Le plus noir
d’entre les secrets.
Ce monsieur qui est rien de moins que la personni cation de
l’opposition brutale à la rationalité était et reste le croisé en chef des
intérêts nanciers des frères Koch et autres artistes de la culbute
environnementale. On l’a déjà écrit, on va le répéter : les animateurs du
tube cathodique ne seraient pas habités par des pudeurs de gazelle
qu’ils nommeraient ces derniers pour ce qu’ils sont : les principaux
acteurs d’un crime contre l’humanité. Ah ! Si les gaz à e et de serre
pouvaient être rouge sang…
Sur son pro l LinkedIn, Pruitt se dé nissait lui-même comme le
principal avocat combattant « l’agenda activiste de l’EPA ». Une fois
dans le fauteuil du patron, il s’est empressé de répéter ses positions
antérieures allant même jusqu’à souhaiter la disparition de l’agence. Au
cours du mois, des observateurs ainsi que des experts de la chose
environnementale ont réalisé que les gestes commis par ce triste sire
déboucheraient inévitablement sur des catastrophes. Autrement dit,
des drames humains.
Pruitt s’est entouré d’avocats anti-environnementaux dont la plupart
avaient été auparavant des lobbyistes des entreprises pétrolières,
gazières, minières, etc. Après quoi ils se sont attelés aux
bouleversements des règles édictées au l des ans par l’EPA et divers
ministères concernés par la protection du public.
Dans un premier temps, il a décidé d’interdire la publication de son
agenda, de ses activités et des agendas des mandarins de cette
administration. Ensuite, il a ordonné la suppression de 1 900 pages du
site de l’EPA qui traitaient notamment des changements climatiques.
Puis, il a mis un terme aux relevés (les data) des émissions des sociétés
exploitant les hydrocarbures. Et il a revêtu le costume du Docteur
Folamour de l’inhumanité. Oui, monsieur Pruitt s’est attaqué à l’eau. Au
vital.
Le Hamlet de l’administration Trump « une histoire de bruit et de
fureur racontée par un idiot », a commandé un renversement des règles
conçues a n que l’eau consommée par 330 millions d’Américains soit
potable. Patron de l’EPA sous deux présidents républicains (!), William
D. Ruckelshaus a con é au journaliste du New York Times qui enquêtait
sur le sujet que ce renversement des règles va probablement produire
un désastre analogue à celui observé à Flint au Michigan et à
Charleston en Virginie de l’Ouest. « Ils viennent de mettre la hache
dans les protections de la santé publique et environnementale et l’ont
caché. »
Cette haine de soi et des autres, il n’y a pas d’autres mots, cet ancien
avocat général de l’Oklahoma l’a poussée en épousant toutes les formes
de l’escroquerie intellectuelle pour ne pas dire morale : il a modi é les
conclusions d’une enquête réalisée par les scienti ques travaillant pour
les 13 agences et ministères concernés par ces questions. Déclinons.
Au cours de sa présidence, Obama avait édicté une convention
intitulée Waters of the United States et qui élargissait les protections
que dispense le gouvernement fédéral à deux énormes bassins que sont
la baie de Chesapeake et le euve Mississippi ainsi qu’aux milieux
humides. Les fermiers, les propriétaires terriens ainsi que les
promoteurs immobiliers s’opposèrent à ces mesures car elles allaient
e ectivement coûter entre 236 et 465 millions par année. Mais…
Mais les auteurs de la convention avaient composé un chapitre de
87 pages qui assuraient que les protections en question se traduiraient
par des économies annuelles variant entre 555 millions et 572 millions.
Aujourd’hui retraitée, celle qui fut la chef de la division économique de
l’EPA, Elizabeth Southerland, devait con er que « le 13 juin on a
ordonné verbalement aux économistes de produire une nouvelle étude
en supprimant les béné ces concernant les milieux humides ». Restons
dans les études.
Tous les quatre ans, les scienti ques des 13 agences et ministères ont
l’obligation, édictée par le Congrès, de produire un état des lieux du
changement climatique. Celui-ci devrait normalement être
communiqué au grand public au cours de l’automne 2017. Pourquoi ce
normalement ? Parce que, normalement, le responsable de l’EPA donne
son avis sur ce dossier au cours de l’été.
Or il se trouve, ainsi que l’ont con é des scienti ques, que les
conclusions de leur plus récente étude con rment, comme si besoin
était, que les températures moyennes enregistrées ces années-ci
augmentent plus rapidement. Et que les conséquences seront plus
draconiennes que celles envisagées jusqu’à présent. Selon les infos
coulées, même si les humains arrêtaient immédiatement l’émission de
gaz à e et de serre, la température sera de 2 °C plus élevée d’ici la n du
présent siècle.
À l’évidence, en négationniste maniaque du changement climatique,
Pruitt a décidé, là aussi, de faire faux bond aux usages de son agence qui
emploie 15 000 personnes, dont le gratin en matière climatique.
LA PEUR DE CORÉE
Et le 9 août 2017, la peur se répandit en Asie. Selon les observateurs, elle
fut même plus aiguisée en Corée du Sud et au Japon qu’ailleurs, car une
fois de plus Trump avait formulé une menace, celle-ci plus corsée que
les précédentes, sans les avoir consultés. Ce sursaut d’angoisse fut la
conséquence immédiate de l’avertissement de Trump à l’e et que la
Corée du Nord subirait un barrage de « feu et de fureur » si les
dirigeants de ce pays continuaient à provoquer les États-Unis et les
nations amies de la région.
Les dirigeants nord-coréens devaient réagir en soulignant que les
propos du président américain « n’avaient pas de sens » et que la seule
chose que ce dernier est apte à comprendre est la « force absolue », car il
était un être « privé de raison ». En Corée du Sud ainsi qu’au Japon et
même en Chine et en Russie, cette guerre de mots devenait de plus en
plus insupportable.
Même si le secrétaire d’État, Rex Tillerson, et le secrétaire à la
Défense, James Mattis, s’appliquèrent à modérer les commentaires du
grand patron, cela n’empêcha pas le ministre japonais de la Défense
d’annoncer qu’au nom du principe de précaution, des mesures
militaires avaient été commandées immédiatement. Et dans quel but ?
Riposter à la seconde où la Corée du Nord enverrait un missile doté
d’une arme nucléaire miniaturisée.
Dans une analyse consacrée à l’histoire des relations entre les
dirigeants américains et nord-coréens, l’ex-secrétaire à la Défense
William Perry, sous Bill Clinton, soulignait que depuis Dwight
Eisenhower, les chefs de l’Exécutif n’avaient jamais évoqué
publiquement le recours à l’arme nucléaire. « Moi et mes collègues
militaires pensions que c’était commettre une grave erreur que de
proférer des menaces vides de sens. Cela a aiblit votre crédibilité si
vous ne pouvez donner suite et en même temps cela stimule
l’adversaire. »
RACISTES ET NAZIS
Le vendredi 11 août au soir, ils ont marché sur le campus de l’université
Virginie, à Charlottesville, en vociférant des chants antisémites, tout en
brandissant les symboles rouges et noirs du régime nazi. Leur objectif ?
Empêcher le déménagement de la statue du général Robert E. Lee,
héros des confédérés, d’une place publique baptisée… The
Emancipation Park. Ce soir-là comme le lendemain, ils se sont
violemment battus contre les opposants.
L’un des suprémacistes blancs s’appelle James Alex Fields et n’a rien
trouvé de mieux que de foncer avec sa voiture sur un groupe qui
manifestait paci quement contre leurs idées le samedi matin. Résultat :
une femme de 32 ans a été tuée et 19 personnes blessées. Au terme
d’une n de semaine sanglante, les organisateurs de la manifestation
intitulée Unite the Right ont exprimé leur contentement.
Qui sont-ils ? Il y a Jason Kessler, soit celui qui a organisé la
manifestation et qui se dé nit comme l’avocat des Blancs, et surtout
Richard Spencer, sympathisant néo-nazi et théoricien le plus en vue du
mouvement, car favorable au nettoyage ethnique des États-Unis. À
leurs côtés, il y avait des membres du National Front et les animateurs
du journal Daily Stormer, deux organisations ouvertement pro-nazies
ainsi que des activistes du Ku Klux Klan dont le plus en vue d’entre eux,
Dave Duke, qui s’est présenté à une primaire du Parti républicain sans
oublier le soutien de la League of the South qui prône rien de moins que
la sécession des États du Sud et le retour de l’esclavage. Étaient
également présents les militants de Vanguard America qui entonnent
constamment le Blood and Soil, un des chants préférés d’Heinrich
Himmler, et du DIY Division de Californie.
Cela étant, un étonnement doit être rappelé. Celui d’Heidi Beirich, du
Southern Poverty Law Center, qui étudie régulièrement la mouvance
suprémaciste et qui s’est dit surprise par le nombre élevé de tous ces
sympathisants nazis. C’est d’ailleurs ce nombre qui a convaincu
Spencer, Kessler et autres de marteler des propos triomphants, Duke
allant même jusqu’à dire que l’élection de Trump les avait stimulés
avant de conclure : « Nous sommes là pour remplir ses promesses. »
Devant des caméras de télévision, des racistes se disent stimulés par la
victoire de Trump. Que fait ce dernier, que dit-il ? Il met ces derniers et
leurs opposants sur le même pied d’égalité. « Le blâme est des deux
côtés. » Un jeune fanatique originaire de l’Ohio tue une personne et en
blesse 19, un contingent chante des refrains antisémites, d’autres
encore gueulent à l’adresse des Afro-Américains qu’ils ne remplaceront
jamais le p’tit Blanc, les cinglés de Fox News comme Sean Hannity
mettent la violence sur le dos d’activistes du Parti démocrate pendant
que le fou furieux Alex Jones, si abruti qu’il nie le massacre des enfants
de l’école de Sandy Hook, est allé jusqu’à a rmer
« démographiquement, les Noirs ont douze fois plus de chance
d’attaquer les Blancs sans raison que ces derniers », et que fait le
président des États-Unis d’Amérique ? Il met tout le monde sur un pied
d’égalité.
Dans sa position, pour ne pas dire posture, il faut voir l’in uence qu’a
eue Steve Bannon, ex-patron du site Breitbart. C’est lui qui, lorsqu’il
était directeur de campagne de Trump, a fait des idées, autres que
strictement nazies, de ces groupes le fond de commerce de son
champion.
Pour sauver ce qui restait d’honneur au Parti républicain, John
McCain d’abord et Paul Ryan ensuite sont intervenus sur la place
publique pour signi er que les mots et les gestes de Kessler, Spencer,
Duke, The Daily Stormer et autres ne devraient pas avoir droit de cité en
Amérique. Dans la foulée, trois présidents d’entreprises dont Kenneth
C. Frazier de Merck ont remis leur démission du American
Manufacturing Council avant que d’autres Républicains n’imitent
McCain et Ryan.
Vu l’évolution du dossier et surtout le tir groupé dont il était la cible,
Trump a ni par faire volte-face le lundi 14 août. Devant la caméra
installée à la Maison-Blanche, le 45e président a lu sans conviction,
pour ne pas dire platement, un texte composé par ses communicants et
qui en n disait ce qui devait être dit : le racisme sous toutes ses formes
doit être combattu. Au fond, quand on songe aux tenants et
aboutissants de toute cette histoire, peut-être que le vieux Sartre avait
vu juste : « L’homme est une passion inutile ». Et toc !
L’EFFET BOOMERANG
Après que le PDG de Merck eut démissionné du American
Manufacturing Council, les présidents d’Intel et de Under Armour
l’imitaient. Le lendemain matin, Indra Nooyi, présidente de PepsiCo,
traitait du sujet lors d’une conférence téléphonique, soit un possible
retrait du prestigieux Strategic and Policy Forum qui conseille le
président sur les sujets économiques, avec Mary T. Barra, présidente de
GM, Virginia M. Rometty, présidente de IBM, et Rich Lesser, président
du Boston Consulting Group.
Simultanément ou presque, les bonzes du Manufacturing Jobs
Initiative étudiaient eux aussi la position de Trump à l’endroit de
l’extrême droite américaine pour déterminer s’il fallait quitter ou pas
cet organisme. Puis voilà que le mardi dans l’après-midi, Trump en
remettait une louche. Plus exactement, il contredisait les propos qu’il
avait formulés la veille en replaçant encore sur un pied d’égalité les
groupes nazis et leurs opposants.
Le lendemain matin, soit le 16 août, les présidents d’une douzaine de
grandes corporations poursuivaient le débat sur la question lors d’une
conférence téléphonique. En n de matinée, ces patrons qui avaient
avalé bien des couleuvres « trumpiennes » – ils étaient contre le retrait
de l’Accord de Paris sur le climat et contre ses politiques
d’immigration –, estimaient que le président ayant franchi le Rubicon
sur le dossier nazi ; ils n’avaient d’autre choix que de dissoudre le
Strategic and Policy Forum.
Trump ayant eu vent de ce qui se tramait, il décidait de prendre tout le
monde de court. Par le biais d’un tweet, il annonçait mettre un terme
aux mandats de Manufacturing Council et du Strategic and Policy
Forum. En fait, il a réagi ainsi a n de ne pas être humilié. Entre les
discussions tenues par ces patrons le mardi soir et le mercredi matin,
tout le gratin avait opté pour la démission. Qu’on y songe, outre les
sociétés nommées, les présidents de Johnson & Johnson, Blackstone
Group, Campbell Soup, General Electric, Walmart, Boeing, JPMorgan,
3M et BlackRock s’apprêtaient à démissionner.
À LA TOMBÉE DE LA NUIT
Deux jours après le week-end sanglant à Charlottesville, la mairesse de
Baltimore, Catherine Pugh, faisait un geste qui devait frapper
l’imagination même si celui-ci fut fait en catimini. Dans la nuit du
16 août et conformément à l’ordre édicté dans la discrétion, tous les
symboles et statues des Confédérés furent enlevés. Pugh justi a cette
modi cation du pro l des parcs et des squares en soulignant : « Quand
j’ai vu le climat dans lequel le pays était plongé, j’ai jugé qu’il serait très
important d’agir vite. » Cela faisait deux ans que le déplacement ou la
destruction pure et simple des statues à Baltimore était à l’étude. En
fait, après des échanges avec d’autres maires et certains gouverneurs,
elle a décidé de réagir avec célérité aux événements de Charlottesville.
Baltimore a ceci de particulier qu’outre les monuments à la gloire des
généraux sudistes Robert E. Lee et Stonewall Jackson, érigés en 1948 (!)
et non au XIXe siècle, on compte également une statue d’un enfant du
pays qui s’appelait Roger B. Taney. Ce dernier fut juge en chef de la Cour
suprême. Et alors ? C’est lui qui rédigea, en 1857, la décision de ce
tribunal consacrée au statut juridique des Noirs.
Taney estimait que comme les Noirs étaient considérés comme des
êtres inférieurs, qu’ils soient esclaves ou émancipés, au moment de la
rédaction de la Constitution, ils ne faisaient pas partie de la
communauté d’origine des États-Unis et ne pouvaient toujours pas être
considérés comme des citoyens de ce pays.
On a tenu à rappeler ce point sombre dans l’histoire de ce pays parce
qu’aujourd’hui, la philosophie du droit qui domine la Cour suprême est
celle dite des originalistes, comme on l’a vu plus haut.
Quelques heures après que la mairesse Pugh eut commandé la
destruction des monuments à la gloire des confédérés, Trump plantait
fermement ses pieds dans le lobby de sa tour new-yorkaise et refusait
de répondre clairement à la question d’un journaliste qui lui demandait
s’il mettait les suprémacistes et les néo-nazis d’un côté et leurs
opposants de l’autre sur le même plan moral. Son explication ? « Je
refuse de les traiter sur un plan moral. Ce que je dis, c’est qu’il y avait un
groupe d’un côté et un de l’autre et ils se sont a rontés. Ce fut vicieux et
horrible. »
Le lendemain, le New York Times publiait une étude sur les propos des
présidents sur des sujets sensibles comme le racisme. Elle montrait
qu’à l’inverse de ses prédécesseurs, dont des Républicains, Trump se
caractérisait par sa totale et foncière indi érence à l’égard de la morale.
AU TOUR DE BANNON
Le conseiller de l’ombre Steve Bannon a été renvoyé le 18 août après
une semaine marquée par les débordements autant politiques
qu’éthiques découlant des violents a rontements de Charlottesville. Il
semblerait qu’Ivanka, son mari Jared, sans oublier le directeur de
cabinet John Kelly et le conseiller à la Sécurité nationale, le lieutenant
général G. H. McMaster, ont ni par convaincre Trump qu’il était temps
de renvoyer Bannon.
D’après les témoignages recueillis par les journalistes de divers
médias, les allers et retours de Trump dans l’a aire de Charlottesville
en auraient convaincu plusieurs d’amorcer un blitzkrieg ayant Bannon
pour cible, car c’est bel et bien ce dernier qui avait convaincu le
président de mettre les manifestants de Charlottesville sur un même
pied. L’équation était d’autant moins étonnante que c’est sous la
direction de Bannon que le site Breitbart News a commencé à distiller
régulièrement le poison de l’antisémitisme et du racisme.
C’est parce qu’il est habité par un nationalisme viscéral, quasi
épidermique, que Bannon a milité sans relâche pour un réel
durcissement de la politique en matière d’immigration, contre le
bombardement de sites militaires syriens, contre l’Accord de Paris sur
l’environnement, contre la stratégie militaire face à la Corée du Nord,
pour une guerre commerciale ouverte avec la Chine, pour une
réduction à trois fois rien de l’appareil d’État fédéral et pour une lutte
sans merci contre une foule de règlements.
Dans les jours précédant son départ de la Maison-Blanche, Bannon
avait accordé une entrevue à American Prospect, un site d’information
libéral au sens américain du terme (donc conservateur). Il y injuriait les
collaborateurs de Trump en concluant qu’ils « ne veulent pas mouiller
leur chemise » par peur des conséquences.
Cela dit, dans la foulée de sa nomination au poste de stratège en chef
de Trump, Bannon s’était entouré de gens qui, comme lui, étaient de
fervents nationalistes ainsi que des adversaires des politiciens
« professionnels », sans oublier ceux qui, comme Gary Cohn,
défendaient le libre-échange. Depuis qu’il avait formé son équipe, c’est
un secret de polichinelle que Bannon et ses complices dépensaient bien
des énergies à comploter contre les autres conseillers et ministres.
Cohn, principal conseiller économique du président, ainsi que
McMaster étaient les cibles favorites de Bannon et consorts.
À peine Bannon quittait-il la Maison-Blanche qu’il reprenait le
chemin de Breitbart News pour participer à une réunion éditoriale.
Autrement dit, le devoir de réserve, même s’il n’est pas une obligation
écrite, n’a pas été observé.
LE GÉNIE EST DANS LA BOUTEILLE AFGHANE
Déjà que c’était compliqué… Là, ça devient franchement
incompréhensible à moins d’être un Nobel de la gravitation
géopolitique. Car voilà que Trump vient de se poser en forgeron des
faits troublants ou plus exactement étonnants là où ses deux immédiats
prédécesseurs avaient essayé tant bien que mal de conjuguer le dossier
afghan avec un zeste de rationalité. Commander une augmentation des
troupes américaines en Afghanistan, comme il vient de le faire dans la
soirée du 21 août, tout en demandant de l’aide à l’Inde qui, comme
chacun sait, est l’ennemi éternel du Pakistan qui considère
l’Afghanistan comme sa chasse gardée où la Chine a posé ses pions en
douce depuis que la guerre perdure, 16 ans (!)… Ouf ! Reprenons.
Cela fait donc 16 ans que des soldats américains sont présents en
Afghanistan. C’est sous Obama que leur nombre fut le plus élevé,
environ 100 000. Au l du temps et de divers retraits, le nombre a été
abaissé à 15 000. L’objectif principal était double : écarter la menace que
posent les talibans, ces féodaux du haut Moyen Âge, et bâtir une armée
digne de ce nom a n de prendre le relais. Pour parvenir à leurs ns, les
États-Unis, selon les calculs d’Anthony Cordesman du Center for
Strategic and International Studies, ont dépensé… 841 milliards de
dollars ! 841 milliards… Bonté divine ! Le nombre de soldats américains
tués de 2001 à 2017 a atteint 2411. Si on ajoute les pays qui ont participé
à la coalition, on obtient 3 549 morts.
Il y a eu tous ces morts et ces milliards dépensés. Pour quel résultat ?
Aucun. Les talibans sont toujours là. Le Pakistan sou e le chaud et le
froid : allié le jour, ennemi la nuit. Les gouvernements afghans se
succèdent et sont toujours aussi corrompus. Bref, comme disent les
férus d’abréviations, le dossier afghan c’est la « cata ». À preuve, un
terrible attentat a encore été commis le 31 mai 2017 par les talibans :
150 morts en plein centre de Kaboul.
C’est dans la foulée de cette saignée que James Mattis, secrétaire à la
Défense, a demandé l’envoi de 4 000 soldats supplémentaires. Trump,
qui n’a jamais été favorable à cet engagement militaire en Afghanistan,
les lui a accordés, mais seulement après deux réunions, au moins, au
cours desquelles des échanges explosifs ont été entendus entre le trio
d’ex-généraux, soit Mattis, McMaster et Kelly, qui tous ont commandé
des troupes en Afghanistan, et Steve Bannon de l’autre et le président
en retrait.
Bannon a suggéré un retrait total des troupes américaines et leur
remplacement par une combinaison de forces regroupant les
mercenaires de la rme privée Blackwater Worlwide, ceux de rmes
moins connues, et une CIA engagée dans une guerre dite totale. Si l’on a
bien saisi, pour la première fois on proposait d’enlever à l’État le
monopole de la violence légitime. Sous l’impulsion du vice-président
Mike Pence et du secrétaire d’État Tillerson, qui regrettait qu’aucune
stratégie diplomatique n’ait été considérée, l’idée saugrenue de Bannon
fut écartée.
Au terme de ces débats, une chose est devenue claire : comme une
victoire à court et à moyen terme était quasiment impossible, peut-être
faudrait-il e ectuer un copié-collé avec ce qui fut réalisé dans les
années 1950 en Corée. On négocie un cessez-le-feu et non un traité
classique. Personne ne gagne, mais personne ne perd. On se contente
du statu quo. C’est en partie pour cette raison que Trump a formulé une
requête qui le distingue des présidents Bush et Obama et qui a surpris le
monde entier, soit demander l’aide de l’Inde.
Tout ce que le Pakistan compte de généraux et de politiciens est resté
sans voix. En fait, selon les échos parvenus d’Islamabad, l’idée a sonné
l’alarme au sein de l’élite militaire du pays qui a toujours eu la haute
main sur la politique étrangère du pays. Pour les généraux, cette
implication con rme leur pire cauchemar : les États-Unis sont de
mèche avec l’Inde qui s’applique en sous-main à fournir de l’aide aux
groupes terroristes qui ont trouvé refuge en Afghanistan.
Ce qui n’était jusqu’à présent qu’une hantise est à l’origine d’un
phénomène trop méconnu. Parce que les États-Unis ont toujours
refusé d’adopter le plan suggéré par le Pakistan, soit inclure ce pays
dans une coalition militaire, ses généraux se sont tournés vers la Chine
qui, faut-il le rappeler, a pour principal concurrent régional dans ce
coin du monde… l’Inde !
Au l des ans, la Chine a investi massivement dans l’infrastructure
économique du Pakistan qui, de fait, est aujourd’hui beaucoup plus
stable sur ce plan. En d’autres mots, et vu les réalités géopolitiques de
l’endroit, en invitant l’Inde, Trump a pris le risque d’épaissir le mille-
feuille militaire.
À BAS LE MESSAGER
Il était écrit dans le ciel que le mois ne se terminerait pas sans que
Trump n’agresse avec un sursaut de violences verbales les journalistes.
Après avoir quali é tous les journalistes « d’ennemis du peuple »
quelques mois auparavant, voilà qu’il les quali ait de « gens malades »
qui « n’aiment pas notre pays » et « veulent prendre en otages notre
histoire et notre héritage ». Fichtre, tout un programme. Ses cibles
privilégiées ? CNN, NBC, ABC, CBS, le New York Times et le Washington
Post. Ce faisant, le président des États-Unis d’Amérique invitait encore
une fois ses supporters à agresser physiquement les reporters de ces
organisations.
Trump a développé cette nouvelle attaque pour mieux marteler que
les journalistes avaient été malhonnêtes dans leur couverture des
événements de Charlottesville. Qu’ils avaient en particulier fort mal
relayé ses commentaires : « Il est temps de mettre en lumière les
tromperies de médias qui sont tordus » car ils emploient « des gens
malhonnêtes ». Quoi d’autre ? C’est évidemment à cause des médias si
l’on assiste à une montée en puissance des extrémistes de droite « car ils
leur ont accordé une tribune combinée avec leurs fausses nouvelles ».
Ces propos se révélèrent une arme en or pour les régimes autoritaires
dans le monde. Les organisations qui, comme Reporters sans frontières,
s’emploient à défendre les journalistes à travers le monde, ont constaté
qu’en Chine, en Turquie, en Russie, au Cambodge et dans d’autres pays,
des journalistes, notamment américains, avaient été expulsés quand ils
n’étaient pas discriminés. Comment disait Cioran déjà ? « Être objectif,
c’est considéré l’autre comme un cadavre. » Comment être objectif
quand on assassine la vérité ?
Chapitre 14

SEPTEMBRE 2017 :
LE NERF CORÉEN

Au cours de la première semaine du mois, l’inattendu s’est produit :


pour la première fois en 67 ans d’une alliance particulièrement serrée,
le torchon entre les États-Unis et la Corée du Sud a brûlé. À sa manière,
qui est la contradiction même de la bienséance, Trump a souligné dans
un tweet que la force brute étant la seule chose que Kim Jung-un
comprenne, la tentative de dialogue voulue par le nouveau président
sud-coréen Moon Jae-in relevait de la crédulité. Histoire d’être au
diapason de sa volonté d’en découdre avec tous ceux qui ne faisaient pas
ce qu’il voulait, Trump menaçait de se retirer du traité de libre-échange
avec ce pays qui était et reste si attaché à son alliance avec les États-
Unis qu’il a participé à ses côtés aux guerres du Vietnam, de
l’Afghanistan et de l’Irak.
Ce désaccord était la conséquence indirecte du sixième essai nucléaire
de la Corée du Nord qui, lui, fut passablement di érent des précédents.
Cet essai a été d’une puissance six fois supérieure à celle des bombes qui
avaient ravagé Hiroshima et Nagasaki. En d’autres mots, les
observateurs américains et sud-coréens, sans oublier les Chinois,
réalisaient que les ingénieurs nord-coréens avaient augmenté la
cadence et atteint leur objectif.
Le président Moon rétorqua que « jamais nous ne tolérerons une
autre guerre catastrophique sur notre territoire. Nous
n’abandonnerons pas notre objectif de travailler avec nos alliés dans le
but d’accomplir une dénucléarisation paci que de la péninsule
coréenne. » Dans son échange avec Trump, Moon prit soin de formuler
une lapalissade : ce sont les Coréens et non les Américains qui devraient
supporter le maximum du poids inhérent à la guerre.
Cela étant, il faut rappeler qu’au lendemain du 5e essai, le président
Moon avait ni par donner son aval aux Américains qui désiraient
déployer un système de défense antimissile. Cette décision énerva les
dirigeants chinois à un point tel qu’ils ordonnèrent à leur tour
l’interdiction de vendre certains produits sud-coréens. Conséquence
immédiate de ce décret : Hyundai ferma ses chaînes de montage en
Chine.
En maître de la politique de l’agacement constant, Kim Jung-un avait
pris soin d’ordonner que cet essai se fasse au moment même où Xi
Jinping présidait un sommet de chefs d’État à Pékin, soit les dirigeants
du BRIC (le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud). À sa manière, le
Nord-Coréen s’invitait dans la discussion. Le résultat recherché ? Que
le Chinois fasse pression pour que le gouvernement américain
convienne de faire ce que le Coréen souhaitait avant toute chose : une
négociation en tête-à-tête avec Trump.
Si agacé soit-il par le jeune dirigeant nord-coréen, et notamment par
les risques de contamination d’une partie de l’est du territoire, le
président chinois était quelque peu coincé. Bien conscient que la Chine
craint comme la peste une réuni cation des deux Corée, Kim Jung-un a
tourné ce facteur à son avantage.
Paradoxe des paradoxes, ce 6e essai aura mis en relief l’existence
d’opinions divergentes, d’appréciations politiques di érentes, au sein
des deux camps. Il aura notamment mis à jour la dissension entre
l’ancien promoteur immobilier Trump et l’ancien avocat Moon
spécialisé dans la défense des droits de la personne et des syndicalistes.
Élu quelques mois auparavant sur la promesse d’entamer un dialogue
avec Kim Jung-un, Moon fut le premier dirigeant sud-coréen à déclarer
que s’il le fallait, il dirait non aux Américains. Cette in exion devait
pétri er les plus faucons des Américains.
LE MAÎTRE CHANTEUR
Au tout début du mois, grâce à Jonathan Taplin, on en apprenait des
vertes et des pas mûres sur l’encadreur de la toile informatique Google
et son appétit politico- nancier. Taplin, directeur emeritus de
l’Annenberg Innovation Lab à l’université de la Californie du Sud et
surtout auteur d’une remarquable enquête sur les mastodontes des
nouvelles technologies intitulée Move Fast and Break Things, Taplin
donc, soulignait que la présidente du centre de ré exion (sic) New
America Foundation, Anne-Marie Slaughter, avait viré l’économiste et
journaliste Barry Lynn de son poste de patron de l’Open Markets
Institute rattaché à New America.
Quel crime Lynn avait-il commis ? Il s’était porté à la défense de la
Commission européenne et plus précisément de l’amende de
2,7 milliards in igée à Google pour violation de la Loi anti-trust. Lui et
deux de ses collègues de l’Open Markets Institute tentaient
régulièrement de sensibiliser les autorités réglementaires sur les
corruptions politiques, économiques, sociales et culturelles inhérentes
au fait que Google, Amazon et Facebook soient des monopoles. À ce
propos, il faut rappeler que des études économiques avaient déjà
souligné que les monopoles en question étaient plus étendus ou plus
imposants que celui de Standard Oil en son temps.
Taplin précisait que la phobie de la réglementation était si intense
qu’elle avait convaincu la direction de Google de nancer des centaines
d’articles et d’études (sic), certaines études écrites par des
universitaires (sic), et relayés par des médias dociles, pour rester poli,
quand elle ne formulait pas des menaces. Ainsi, Taplin con ait que
l’ONG Consumer Watchdog, alors qu’elle enquêtait sur la manière dont
Google traitait la vie privée des consommateurs, avait subi un chantage
de la part de Rose Foundation, un de ses nanciers, après que celle-ci
eut été menacée par un dirigeant de Google. Le but : imposer ses vues
aux comités du Congrès, aux agences fédérales en général et à la Federal
Trade Commission en particulier. Comme on le verra, Google et
consorts devaient l’emporter.
L’EAU DANS LE GAZ
Au retour d’un séjour en Arizona e ectué à l’aune de l’agressivité, les
principaux conseillers de Trump lui suggéraient de mettre la pédale
douce. Ils jugeaient qu’il serait peut-être bon que le chef de l’Exécutif
réduise son usage de Twitter, qu’il injecte moins d’attaques
politiciennes dans les dossiers du jour. Des témoins de la scène ont
alors chuchoté dans les oreilles des journalistes du New York Times et
du Washington Post que Trump a alors piqué une crise et qu’il s’en est
pris à John Kelly, son chef de cabinet depuis cinq semaines seulement.
Cet ex-général des Marines a réagi, dit-on, avec calme, mais a tout de
même signalé qu’en 35 ans dans l’armée, on ne l’avait jamais traité de la
sorte et que ce serait la première et dernière fois. Le premier mandat de
Kelly consistait à mettre entre parenthèses de manière dé nitive le
chaos. Mais voilà, l’ordre, la nécessaire discipline que tout président
doit observer ainsi que l’inclination pour la collégialité sont
insupportables à Trump.
Après un mois et quelques jours, voici Trump agacé par l’e cacité du
général Kelly qui en peu de temps est parvenu à requinquer les troupes
démoralisées par l’incompétence de Priebus, à mettre de l’ordre dans
l’agenda présidentiel, à baliser les canaux de communications, à gérer
l’accès au président de manière aussi rationnelle que rentable, etc. La
remise en état de marche de la machine présidentielle a eu pour
conséquence rapide que Kelly s’est aliéné les agorneurs, les conseillers
du prince et autres.
Ces derniers avaient remarqué que Kelly était proche du secrétaire à
la Défense, James Mattis, un autre général, et du conseiller à la Sécurité
nationale, H. R. McMaster, général toujours en exercice. Il n’en fallait
pas plus pour que la rumeur se répande dans tous les recoins de
l’appareil d’État que ces trois-là étaient parvenus à brider Trump. La
preuve avancée ? La facilité avec laquelle Kelly avait obtenu la tête de
Bannon, de Scaramucci et de Sebastian Gorka, l’abonné aux tirades
volcaniques.
LES AMANTS DU CULOT
La fortune de Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor et ex-banquier de
Goldman Sachs, est évaluée à 300 millions de dollars. Dans sa
déclaration patrimoniale, il a omis de déclarer des biens immobiliers et
autres d’une valeur avoisinant les 100 millions, alors que sa fonction
consiste entre autres à faire la chasse à l’évasion scale et à ce type
« d’oubli ». Dans le courant du mois d’août, lui et sa femme ont utilisé un
jet gouvernemental a n de se rendre dans le Kentucky pour observer
une éclipse solaire dans les meilleures conditions qui soient. Et voilà…
Et voilà qu’en septembre, la chaîne ABC révélait que Mnuchin avait
poussé le culot jusqu’à déposer la requête suivante : utiliser un jet
gouvernemental pour sa lune de miel prévue en Europe. Coût de
l’opération ? 25 000 dollars de l’heure. Auparavant, il avait fait la
promotion du lm LEGO Batman dont il est le producteur, alors qu’il
est formellement interdit à tout salarié de l’État de vanter un de ses
produits. Pour la petite histoire, on notera que Mme Mnuchin avait
remballé une citoyenne qui estimait que son goût pour les vêtements de
luxe, Hermès et Tom Ford en particulier, frisait la provocation, étant la
femme de l’homme chargé des politiques scales.
L’ancien patron de l’O ce of Government Ethics, Walter Shaub, qui a
rejoint le Campaign Legal Center, car dégoûté par l’impunité dont
béné cient ces gens-là, a estimé « qu’avec Steve Mnuchin, un modèle
est en train de s’installer. Le ton a été donné au plus haut niveau lorsque
le président Trump en personne a établi que l’éthique n’avait aucune
importance et que les hautes fonctions comprennent des avantages. »
DISPUTER L’ANGLAISE
À la mi-septembre, un attentat dans le métro de Londres fait près de
30 blessés. Aussitôt, Trump compose un tweet dans lequel il laisse
entendre, sans aucune preuve, que Scotland Yard surveillait les auteurs
de ce drame depuis des jours, voire des semaines. Dans la foulée de cette
agression, Trump s’appliquait à justi er sa politique visant à interdire
les citoyens de six pays majoritairement musulmans à fouler le sol des
États-Unis. Il alla jusqu’à dire que cet attentat devrait en fait lui
permettre de faire en sorte que l’interdiction soit « plus large, plus dure
et plus spéci que ». Son attitude devait choquer au plus haut point la
première ministre Theresa May, qui rétorqua en ces termes : « Je crois
que cela n’aide personne de spéculer sur une enquête qui se poursuit. »
La suite ? Elle est décapante. Après avoir été informé sur les faits
a érents à cet attentat, sur sa réalité, Trump, qui pour écrire ses tweets
s’était appuyé sur les propos des fanatiques de Fox News, téléphona à
May pour lui présenter ses condoléances. Reprenons. Lors de l’émission
Fox & Friends, un des hôtes s’en prend à Scotland Yard puis un
entrepreneur dont le fond de commerce est la sécurité (!) en remet une
louche. Sans véri er quoi que ce soit, le président des États-Unis
reprend les élucubrations de Fox.
En juin, il avait critiqué le maire de Londres, Sadiq Khan, pour sa
gestion des suites d’un autre attentat. En mars, par l’intermédiaire de
son porte-parole, Sean Spicer, il avait fait dire que les services secrets
britanniques avaient mis la Trump Tower sur… écoute sur ordre de
Barack Obama ! Sacha Guitry : « La raison et la logique ne peuvent rien
contre l’entêtement et la sottise. »
PAGAILLE RUSSE
Jusqu’alors, on savait que les Russes s’étaient introduits dans le réseau
des courriels du Parti démocrate et d’Hillary Clinton. On savait
également que pour mener leur campagne de salissage de la candidate,
ils avaient utilisé Facebook comme paravent. On savait aussi qu’ils
avaient commis d’autres méfaits informatiques. On savait tout cela et
voilà qu’on découvrait avec e arement que l’escroquerie électorale de
Moscou fut encore beaucoup plus étendue.
Dans sa volonté de briser les reins des Démocrates, Poutine, quoi qu’il
en dise, avait compris que le talon d’Achille du mécanisme électoral des
États-Unis était au niveau des États. Ces derniers n’ayant pas les
moyens de l’État fédéral, ils passent des contrats avec des rmes
privées. Bref, les États allouent au privé la gestion de bien des
dimensions du mécanisme en question, par exemple la confection des
listes électorales.
Grâce à une enquête de CNN, on apprenait que l’entreprise
oridienne VR System fut piratée par le GRU, soit les services de
renseignements de l’armée russe. Cette société avait signé des ententes
avec 21 États. On apprenait également que deux autres sociétés avaient
été piratées, mais pour cause de sécurité d’État, leur identité ne fut pas
révélée. Pour faire court, mettons qu’il est plus que probable que les
Russes se soient « invités » dans la machine électorale des 50 États de
l’Union.
Cet état des lieux électoraux permettait de mieux comprendre
comment les Russes avaient cherché à avantager Trump mais aussi les
prétendants républicains qui étaient candidats dans le tiers des États
où il y avait un scrutin simultané à celui de la présidentielle. Cet aspect
du dossier combiné à d’autres devait convaincre le procureur spécial
Robert Mueller d’élargir passablement son enquête, pour ne pas dire
durcir son mandat. En d’autres mots, à l’analyse des faits et gestes du
candidat Trump, Mueller ajoutait l’analyse de ses actions et mots.
Ainsi, passé le 15 septembre, le procureur spécial Mueller exigeait que
la Maison-Banche lui envoie les documents et les courriels échangés
par les acteurs impliqués dans 13 dossiers. Parmi ces derniers, on a
retenu ceux a érents aux renvois de Michael Flynn et de James Comey,
aux actions des membres de son équipe responsable des relations
internationales, et surtout de la rencontre avec le ministre russe des
A aires étrangères, Sergueï Lavrov, en mai.
Au travers du tumulte causé par cette exigence, on apprenait qu’en
termes stratégiques, lui et ses collaborateurs avaient opté pour le choc
et la vague (shock and wave). Dans la logique de ce choix tactique,
Mueller a eu recours aux subpœnas a n de forcer les personnes
concernées à témoigner devant un Grand Jury plutôt que de les inviter
à un dialogue au siège de l’enquête. À propos de la tactique de Mueller et
de son équipe, Jimmy Gurulé, professeur de droit à l’université Notre-
Dame, devait noter « ce qu’ils font est en phase avec les méthodes
employées lors des enquêtes sur le crime organisé ».
On ne sera pas étonné d’apprendre que Mueller s’était entouré de
vétérans des poursuites contre la Ma a, comme Greg B. Andres, ou
contre les terroristes les plus recherchés comme Zainab N. Ahmad. De
fait, à l’usage des subpœnas ces derniers devaient combiner celui des
mandats de perquisition. Paul Manafort en t les frais, car il est
soupçonné non seulement de collusion avec les Russes, mais aussi de
violations des lois scales et de blanchiment d’argent.
Pour bien saisir l’importance du choix stratégique de Mueller, il faut
souligner que le contexte dans lequel lui et ses collaborateurs évoluent
est à la fois complexe et sensible. En e et, il se trouve que trois
commissions du Congrès sont habilitées à enquêter de près ou de loin
sur la lière russe et disposent donc du pouvoir de faire témoigner des
acteurs du dossier. Bref, histoire de ne pas se faire doubler par les
politiciens, Mueller et sa bande d’incorruptibles doivent composer
constamment avec la variable temps et la… discrétion.
L’extension du champ d’enquête du procureur spécial avait convaincu
Trump d’adjoindre à son équipe d’avocats un ancien procureur fédéral :
Ty Cobb. Mais voilà que dans la foulée de l’exigence de Mueller
s’ensuivit une lutte au sommet entre Cobb et l’avocat principal de la
Maison-Blanche, Donald F. McGahn II. Le nœud de la lutte ? L’ex-
procureur fédéral, donc rompu à ce type de dossier, était favorable à ce
qu’on re le à Mueller tous les documents demandés, au contraire de
McGahn, qui s’opposa avec férocité dit-on à cette position. Au nom de
quoi ? Des prérogatives présidentielles.
L’AVERSION POUR L’IMMIGRANT
Dans l’après-midi du dimanche 2 septembre, le ministre de la Justice
Sessions et le conseiller politique Stephen Miller se retrouvent dans le
bureau ovale. Ils sont là, ils parlent haut et fort, car ils ont la haine de
l’immigrant ou plus exactement parce qu’ils sont les avocats de cette
pureté, ici raciale, que d’autres ont quali ée avec raison de dangereuse.
Ils implorent donc Trump de mettre un terme au programme Deferred
Action for Childhood Arrivals ou DACA élaboré par Obama.
Ce programme permet aux immigrants sans papiers qui sont rentrés
aux États-Unis alors qu’ils étaient mineurs d’y rester à la condition de
remplir régulièrement un certain nombre d’obligations. Conscient que
des millions d’Américains éprouvent de la répugnance pour l’étranger,
surtout pour le bronzé qui parle espagnol, Obama avait pris soin de ne
pas accorder à ces derniers un blanc-seing. Son programme, on le
répète, était assorti d’obligations.
Miller et Sessions parvinrent à convaincre Trump. Il accorda son aval
au plan développé par Sessions, qui consistait à expulser 800 000 de ces
immigrants. À les renvoyer dans des pays que dans la grande majorité
des cas, ils ne connaissent pas. À peine annoncé le lendemain matin,
voilà que la décision de Trump divisait, comme c’est toujours le cas avec
l’immigration, le Parti républicain.
Avant tout, il faut préciser que les Républicains ne s’y attendaient pas.
Épuisés par les échecs à répétition rencontrés avec l’Obamacare, agacés
par les réactions de bien de leurs électeurs en rogne contre la politique
scale, ils auraient préféré canaliser leurs énergies sur d’autres
territoires que celui de l’immigration.
Depuis Reagan, les Républicains se partagent entre les « pro-
business » et les conservateurs sociaux. Bien conscients que ce sont les
immigrants qui font le sale boulot, ces immigrants essentiels
notamment à l’agriculture, les pro-business restaient favorables à
DACA. Habités par la bre raciste, il n’y a pas d’autre mot, les
conservateurs sociaux veulent déchirer DACA, donc expulser tous les
illégaux et construire le mur avec le Mexique. Le 4 septembre, les
dirigeants de la plupart des grandes entreprises ont exprimé leur
soutien à DACA, tout en faisant l’éloge de ces étrangers indispensables à
la marche de l’économie américaine. Histoire de ne pas être en reste, la
Chambre de commerce des États-Unis défendait la même position,
alors qu’elle se range presque toujours derrière les Républicains.
On s’en doute, les conservateurs sociaux avaient une tout autre
opinion. Un débat s’ensuivit avec ici et là des accents d’aigreur. Puis
voilà que le 14 septembre, Trump créait la surprise. Une grosse, une
énorme. Ce soir-là, il soupait en compagnie des leaders démocrates au
Congrès qui s’étaient rendus à la Maison-Blanche en catimini, soit la
représentante Nancy Pelosi et le sénateur Chuck Schumer. Au terme du
repas, dont on ne sait s’il relevait de la ripaille ou du jansénisme
alimentaire, les trois font le troc suivant : le président soutiendra une
loi qui protégera les jeunes immigrants en échange d’une hausse
marquée des budgets de la sécurité à la frontière sans qu’il soit indiqué
s’il s’agissait du mur ou pas.
À peine cette rencontre était-elle éventée que les porte-étendard du
conservatisme social partaient à l’assaut de la Maison-Blanche en
empruntant au dictionnaire de l’emphase les plus gros de ses mots. On
pense notamment, voire surtout, à celles qui ont fait de la disparition de
l’immigrant une croisade postmoderne. Elles s’appellent Ann Coulter,
essayiste, et Laura Ingraham, animatrice radio. Ces cinglées du sang
pur, du sans tache, ces deux fées de l’aryanisme made in USA, que Leni
Riefenstahl aurait choisies pour jouer les égéries du mâle au corps sain
et musclé, ont jugé que pour avoir fait ce troc, Trump devrait être le
sujet d’un processus de destitution. Fichtre !
En attendant que les mauvais esprits cessent de fanatiser les neurones
de ces dames bien pâles, Trump avait une fois de plus réussi à détourner
l’attention sur un de ses échecs : l’abolition entreprise, mais non
accomplie, de l’Obamacare.
TRUMP À L’ONU
Avant Trump, tous les présidents des États-Unis s’étaient abstenus
d’avoir recours, ou à dose homéopathique, au vocabulaire du
nationalisme. La raison en était simple : leurs principaux ennemis,
l’Union soviétique, la Chine, Cuba et autres Corée du Nord, dépensent
bien des énergies à ne pas voter telle résolution sous prétexte qu’elle
était une atteinte à leur souveraineté. Ce mot, Obama ne l’avait formulé
qu’une fois lors de son dernier discours dans l’enceinte de l’ONU.
Trump allait le marteler à 21 reprises. Cet usage fut noté, remarqué,
enregistré.
D’autant plus que Trump avait utilisé ce terme pour mieux servir ses
agressions verbales à l’endroit de la Corée du Nord, du Venezuela et
surtout de l’Iran. Dans le cas de la Corée, il l’a menacée d’une
destruction totale. Dans le cas du Venezuela, il a décliné des mises en
garde qui s’adressaient surtout à ses dirigeants. Dans le cas de l’Iran, il
jugeait que l’accord conclu sur les armes nucléaires était un très
mauvais accord et qu’il devrait être renégocié.
Les diplomates comme les observateurs présents ont tous relevé que
Trump avait épargné la Chine, qu’il a à peine égratignée, et la Russie,
qui pourtant avait annexé la Crimée après avoir soutenu en armes et en
hommes les Ukrainiens de l’Est, majoritairement pro-russes, en guerre
contre les Ukrainiens de l’Ouest. Bref, M. Trump a le nationalisme
sélectif.
Au lendemain de ce discours, Trump annonçait que, contrairement à
ce qu’il avait fait à deux reprises depuis son entrée en fonction, il ne
reconduirait pas l’accord avec l’Iran le 15 octobre. Sur le plan technique,
ce refus ne signi e pas que les États-Unis déchireraient l’accord et que
de fait celui-ci tomberait en désuétude. Par contre, cela permettrait au
Congrès de débattre du sujet pendant 60 jours avant d’imposer de
nouvelles sanctions.
Alors qu’il dévoilait ses cartes sur ce dossier, son secrétaire d’État, Rex
Tillerson, était en réunion avec ses homologues des pays qui avaient
négocié l’accord, soit l’Iran, évidemment, l’Allemagne, la France, la
Chine, la Russie et le Royaume-Uni. Au terme de cette réunion présidée
par Federica Mogherini, haute représentante de l’Union européenne
pour les A aires étrangères et la politique de sécurité, on apprenait que
le rapport des inspecteurs internationaux, chargés de surveiller si l’Iran
respectait le traité, avait conclu que ce pays avait observé toutes les
obligations du traité. Elle terminait sa conférence ainsi : « La
communauté internationale ne peut pas se permettre de démanteler un
accord qui fonctionne, qui donne des résultats. »
GUERRE À LA RAISON
Au début du mois, l’ouragan Harvey ravage Houston et ses environs.
Quelques jours plus tard l’ouragan Irma en fait autant sur la côte
oridienne. Les scienti ques ainsi que les secouristes, les pompiers et
autres personnels chargés de nettoyer les dégâts ont tous noté ou plus
exactement avancé la réalité suivante : ces ouragans relevant du jamais
vu auparavant en raison de leur puissance, il faudrait parler de super-
ouragans et non plus de simples ouragans.
Dans la foulée de ces catastrophes naturelles, plusieurs personnes
d’in uence comme le maire républicain de Miami, Tomas Regalado, ont
estimé qu’il fallait amorcer dans les plus brefs délais un débat sur les
changements climatiques d’abord et prendre des mesures appropriées
ensuite. Comment a réagi le patron de l’EPA, le Tartu e en chef de
l’administration Trump qui a pour nom propre (sic) Scott Pruitt ? En
s’appuyant sur la déraison. Monsieur a a rmé que ce n’était pas le
temps de discuter de ce sujet. Puis il a ajouté qu’il fallait être insensible
à ce qu’ont vécu les Texans et les Floridiens pour oser évoquer une
discussion sur le dossier. C’est à se demander si monsieur ne passe pas
son temps à fumer de la moquette à l’acrylique.
Car on réalisait que Pruitt se comportait comme un personnage du
formidable roman Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, soit en cyclope de la
linguistique. Quand monsieur ne commande pas un rabotage du sens de
telle expression, il exige un bouleversement des mots. On sait qu’il a
commandé l’élimination de l’expression changement climatique dans
toutes les publications de l’EPA pour la remplacer par « température
extrême ». On sait qu’il entend e acer toute trace de changement
climatique du musée de cette administration qui raconte… l’Histoire de
l’agence ! L’Histoire, bonté divine !
On apprenait également qu’en mars 2017, il avait viré cinq
scienti ques du Board of Scienti c Counselors qui en comprend 18 en
tout, pour les remplacer par des conseillers qui comprennent les
conséquences inhérentes aux réglementations. Bref, par des personnes
qui s’avèrent inféodées aux entreprises qui font leur miel de la
pollution. On apprenait aussi que la National Oceanic and Atmospheric
Administration avait dissous le Climate Science Advisory Committee
chargé de confectionner un guide complet sur la question pour les
entreprises comme pour le gouvernement. En d’autres mots, Pruitt ne
gère pas, en vrai stalinien de la déraison il purge. Ce n’est pas tout.
Dans sa guerre à la science et à l’idée même de progrès, dans sa guerre
à la santé du petit peuple, celui de la route du tabac, l’administration
Trump commettait un geste e arant. Le ministère de l’Intérieur venait
d’exiger que la National Academies of Sciences, Engineering, and
Medicine mette un terme à l’étude en cours consacrée aux risques que
pose à la santé des individus la stratégie des entreprises minières
consistant à exploiter les ressources naturelles en commençant par le
sommet des montagnes.
Cette étude avait été suggérée par deux agences de la santé situées en
Virginie-Occidentale qui avaient relevé une augmentation des fausses
couches, des cancers et autres problèmes médicaux chez les
populations vivant à proximité de ces mines. Ces problèmes avaient
également été observés au Kentucky. L’argument avancé par le ministre
responsable, soit Ryan Zinke ? Au nom de la discipline budgétaire, toute
étude qui coûte plus de 100 000 dollars doit être éliminée. Et les
béné ces découlant d’une réduction des énigmes médicales ? Chut !
Silence dans les rangs !
Toujours en septembre, on apprenait en n que dans son combat
contre la science, Trump envisageait de réduire d’au moins 6 milliards
le budget du National Institutes of Health qui est le plus important
pourvoyeur de fonds des laboratoires faisant de la recherche
biomédicale. De fait, cela c’était déjà traduit par une réduction de 11 %
des sommes allouées au National Science Foundation ainsi qu’à la liale
des recherches scienti ques sur les animaux et les plantes du ministère
de l’Agriculture, à l’analyse des données du Census Bureau et à la
science de la terre de la NASA.
On retiendra en n que le cantonnier des ondes radiophoniques de
l’imbécillité, l’inénarrable Rush Limbaugh, avait accusé les
scienti ques d’avoir « inventé » la menace que représentait l’ouragan
Irma. Qu’ils avaient concocté un complot à des ns nancières et
politiques. Car exagérer la menace faisait qu’il y avait toujours une
hausse des ventes de piles, de bouteilles d’eau et de publicités à la télé. À
l’évidence, Limbaugh aussi fume de la moquette.
L’ARGENT DE LA DÉRÉGLEMENTATION
En 2010, la Cour suprême avait con rmé que l’entreprise étant une
personne, son droit à l’expression ne pouvait être bridé et que
conséquemment elle pouvait dépenser autant qu’elle le voulait lors des
campagnes électorales. Depuis que le plus haut tribunal du pays avait
jugé que sur ce plan, c’était bar ouvert, l’argent a e ectivement coulé à
ots continus. Ainsi, les frères Koch avaient convaincu 300 autres
riches d’investir massivement dans l’élection de 2016. Résultat, les
Koch se sont retrouvés avec une cagnotte totalisant un milliard de
dollars, soit autant que le budget respectif du Parti démocrate et du
Parti républicain. 300 personnes = un milliard !
Ce ot continu qui se conjugue, faut-il le rappeler, avec l’intérêt
particulier et non avec l’intérêt général, devait avoir la répercussion
suivante : les candidats aux élections de 2016 avaient dépensé
6,4 milliards et les lobbyistes 3,15 milliards. Ces données désormais
o cielles révélaient du coup que depuis le scrutin de l’an 2000, les
dépenses avaient littéralement doublé.
Selon un article de World Review, « The State of Democracy » signé
par Celestine Bohlen, ces augmentations ne se sont pas soldées par un
« doublement » de la qualité démocratique mais bel et bien par une
« légalisation de la corruption ». Bohlen fait remarquer que les vétérans
qui militent pour une réforme du nancement des campagnes sont
déprimés, car tous ont constaté que les enseignements tirés du scandale
du Watergate en ces matières ont eu la vie courte. Autrement dit, tout
est revenu comme avant, avec tout de même une distinction. Laquelle ?
La situation est pire.
Selon Fred Wertheimer, président de l’organisme sans but lucratif et
sans liation politique particulière Democracy 21, si les États-Unis sont
très stricts pour ce qui est de la corruption des fonctionnaires, il n’en
reste pas moins « qu’il existe chez nous une corruption systémique de
tout le processus électoral. Quand vous composez avec des milliards et
des milliards de dollars qui ont pour objectif l’achat d’in uence, cela
dépasse tout le système et il devient de plus en plus di cile de
combattre cela et de maintenir en même temps le droit à la
représentation de l’Américain ordinaire. »
D’après les études de Yascha Mounk de l’université Harvard et de
Martin Gilens de l’université Princeton, il est clair que les politiques
économiques des 40 dernières années ont pro té aux riches et non à la
classe moyenne et encore moins aux pauvres. Il en a résulté un certain
désenchantement démocratique qui a renforcé, par exemple, l’idée que
tout politicien est corrompu. Pour reprendre le commentaire de
Wertheimer, « ces énormes montants d’argent ne sont pas donnés à des
ns charitables, mais pour obtenir des béné ces ».
LE BASKETBALL APRÈS LE FOOTBALL
Après les meurtres par la police de plusieurs Noirs non armés au cours
des dernières années, le quart arrière Colin Kaepernick, des 49e de San
Francisco, avait décidé de poser le genou à terre pendant l’hymne
national. D’autres joueurs lui avaient emboîté le pas. Après tout, eux
aussi, même s’ils sont Noirs, ont le droit d’exprimer leur opinion ainsi
que le stipule l’article 1 de la Constitution, non ? Par tweets interposés,
Trump s’est mis à engueuler ces athlètes, allant jusqu’à injurier
Kaepernick comme suit : « ls de pute ». Et c’est là qu’on rappelle que
Donald Trump est tout de même président des États-Unis d’Amérique.
Voilà qu’au cours du mois, Trump devait en remettre une couche. Il
devait étendre la polémique au territoire du basketball, le sport de
l’élégance. La raison en est toute simple. Le meneur de jeu Stephen
Curry des Warriors de Golden State, dont le jeu est presque aussi n
que celui de l’immense Julius Erving des 76ers de Philadelphie, avait
con é qu’il hésitait à se rendre à la Maison-Blanche où le président
reçoit chaque année les champions de la NBA. On insiste sur un point :
Curry disait hésiter.
Comment a réagi Trump ? « Curry hésite, de fait son invitation est
retirée. » Cette réaction devait provoquer un déluge de réactions chez
les joueurs de la NBA mais aussi de la NFL. De ces dernières, on a
retenu celle de LeBron James, « le plus meilleur joueur de basket au
monde » : « U-Bum. C’était un honneur de se rendre à la Maison-
Blanche jusqu’à ce que vous arriviez ». Il faut rappeler qu’après les
tueries évoquées, il y a les violences à Charlottesville et surtout
l’attitude très ambiguë de Trump à l’endroit des groupuscules nazis.
Visiblement énervé par l’écho qu’a eu la réponse de James, Trump
s’est alors transformé en apologiste de la violence dans le sport. Rien de
moins. Toujours par l’intermédiaire de tweets, il a critiqué le
commissaire Roger Goodell et les propriétaires d’équipes qui veulent
réduire notamment les commotions cérébrales en durcissant les règles
d’un sport dont les trois quarts des joueurs sont… noirs.
Le commissaire Goodell a alors émis un communiqué dans lequel il
empruntait les accents de la bienséance qu’on attend justement du
président des States : « La NFL et ses joueurs font de leur mieux pour
créer un sens d’unité dans notre pays et notre culture. […] Vos
commentaires, qui sèment la division, démontrent que vous n’avez
aucun respect pour la NFL, notre grand sport et pour tous les joueurs,
et que vous n’avez pas saisi le bien énorme que nos clubs et nos joueurs
représentent pour nos communautés. » Et vlan !
ÉLASTICITÉ DES USAGES
Parmi les angles d’attaque choisis par Trump durant la campagne
présidentielle, on se souviendra qu’il avait a ché une nette préférence

À
pour l’usage par Hillary Clinton de sa boîte de courriels privée. À plus
d’une reprise, il avait émis le souhait que le FBI mène une enquête de
fond sur le sujet, tout en martelant que cet usage était la preuve que la
championne des Démocrates était un escroc.
Avant de poursuivre deux ou trois choses doivent être précisées.
L’État n’interdit pas au personnel de la Maison-Blanche et aux
membres du gouvernement ou encore aux mandarins de l’appareil
d’État le recours aux réseaux privés de courriels. Par contre, il exige que
tout échange, par l’intermédiaire de ces derniers, de commentaires ou
d’informations portant sur des dossiers gouvernementaux, soit
également communiqué au réseau o ciel a n que le public y ait accès
et que les autorités responsables du respect de l’éthique soient à même
de savoir si les acteurs politiques respectent les balises xées en ces
matières.
Cela étant, voilà que dans les derniers jours de septembre, une
enquête des journalistes de l’hebdomadaire Newsweek révélait que des
membres de l’entourage de Trump et des conseillers principaux
faisaient exactement ce qu’ils avaient reproché à Clinton. Plus
précisément, ce magazine dévoilait qu’Ivanka Trump, son mari Jared,
tous deux conseillers o ciels, donc salariés de l’État, Steve Bannon, ex-
stratège en chef, Reince Priebus, ex-directeur de cabinet, Gary Cohn,
principal conseiller économique, et Stephen Miller, conseiller
politique, n’avaient pas envoyé des copies des textes dans lesquels ils
traitaient de dossiers gérés par la Maison-Blanche. Bref, ils étaient tous
en contravention de deux lois : la Presidential Records Act et la Federal
Records Act.
Et dire que dans les jours précédant le scrutin présidentiel, Trump
avait rédigé une libre opinion publiée par le USA Today où il soulignait :
« si nous voulons que l’Amérique soit grande à nouveau, nous devons
nous débarrasser de la corruption » qui gangrène Washington. Et alors ?
À la n du mois, on apprenait qu’après Mnuchin, le ministre de la Santé
Tom Price utilisait des jets pour se rendre, avec sa famille, à des
rencontres o cielles tout en commandant aux pilotes de ces avions des
détours par les complexes hôteliers luxueux où il possédait des
copropriétés. Idem avec la conseillère Conway.
DE L’OBSTINATION
Sept ans durant, les Républicains, on le rappelle encore une fois,
s’étaient jurés d’abolir la réforme de la santé. Sept ans donc pour
préparer l’abolition en question une fois de retour au pouvoir. Bien. Ils y
sont revenus au pouvoir puis ont essayé une fois, deux fois de
supprimer l’Obamacare du paysage médical. Ils ont été battus. Et pas
tant par les Démocrates que par des sénateurs républicains outrés par
la brutalité contre les citoyens américains peu argentés, comme ce fut
le cas avec les sénatrices Susan Collins, du Maine, et Lisa Murkowski, de
l’Alaska, ou par le dé cit démocratique avec lequel le leader des
Républicains au Sénat, Mitch McConnell, du Kentucky, avait manié le
mécanisme des débats, comme ce fut le cas avec le sénateur de
l’Arizona, John McCain.
Le fanatisme distinguant l’attitude de la majorité des Républicains
dans cette histoire, voilà qu’en septembre ils essayent à nouveau de
supprimer la principale victoire législative d’Obama. Ici, il faut préciser
que leur dernière tentative avait eu lieu deux mois auparavant. On
insiste, ils ont pris deux mois et deux mois seulement pour élaborer un
contre-plan sur un sujet que tous savent éminemment complexe.
Toujours est-il que la tâche fut con ée aux sénateurs Lindsey Graham,
de la Caroline du Sud, et Bill Cassidy, de la Louisiane. Une fois encore,
aucune femme ne fut appelée à siéger sur le comité.
Le projet est présenté dans la dernière semaine de septembre. Après
analyse, Collins, McCain et le sénateur Rand Paul, du Kentucky,
indiquent qu’ils voteront contre. Comprenant que cette contre-réforme
sera rejetée, McConnell décide qu’elle ne sera pas présentée, pour le
plus grand plaisir des associations de consommateurs, de médecins et
d’hôpitaux ainsi que d’une majorité de dirigeants de compagnies
d’assurances. Quoi d’autre ? Le Congressional Budget O ce avait
calculé que ce dernier projet, s’il avait été adopté, aurait réduit les
dépenses que consent Medicaid à la santé des Américains de mille
milliards de dollars en dix ans.
L’AMOUR DES RICHES
À la n du mois, la Commission sénatoriale du budget présentait son
projet budgétaire pour l’année scale 2018. Signe particulier ? Celui-ci
ouvrait la porte à une réforme scale aux montants sans précédents
depuis la présidence de Ronald Reagan. C’est probablement pour cette
raison que les Républicains ont inclus la réforme en question dans le
projet budgétaire car ainsi ils ont la quasi-assurance que les
Démocrates ne feront pas obstruction, car ce faisant ils priveraient le
pays d’un budget.
Tous savent que depuis son entrée en fonction, Trump entendait
ordonner des réductions marquées des impôts que payent les individus
et les entreprises, mais tout de même pas aux niveaux avancés dans le
document budgétaire.Les avantages scaux totaliseront 1 000 milliards
et 500 millions sur dix ans. Les principaux béné ciaires de cette
manne ? Les riches d’entre les riches et les entreprises.
Lorsqu’il a présenté à Indianapolis le plan développé sous sa
constante surveillance, le riche Trump a répété ce que ses
prédécesseurs Reagan et Bush avaient dit. À savoir que ces réductions
de taxes allaient se traduire par un dopage jamais vu de l’activité
économique, car les entreprises comme les individus allaient réinvestir
les sommes ainsi récupérées. Bref, il reprenait à son compte la théorie
du ruissellement le béné ce que l’on accorde aux riches va nir par
pro ter aux pauvres, qui ainsi que le prouvent les faits n’a jamais
fonctionné.
On vous fera grâce de la litanie des chi res présentés dans le projet de
Trump pour mieux retenir les conclusions de l’analyse réalisée par Tax
Policy Center, un organisme indépendant. Avant tout, la réduction ne
totaliserait pas 1 000 milliards et 500 millions, mais bien
2 000 milliards et 400 millions. De fait, il sera impossible d’atteindre
l’équilibre budgétaire au bout de dix ans, contrairement à ce qu’annonce
le document de Trump. Bien au contraire, car année après année la
dette publique va augmenter.
Selon la révision de Tax Policy, pour toutes les classes de la société, la
réduction moyenne sera de 1 600 $. Ceux qui perçoivent un revenu
annuel béné cieront d’une déduction de 1,2 % ou 660 $. Ceux qui font
partie du groupe du 1 % des plus riches récolteront la moitié des
déductions, soit 129 000 $ ou 8,5 % de réductions. Quant aux
entreprises, elles devraient empocher 2 milliards et 600 millions sur
10 ans.
D’après les estimations du Congressional Budget O ce, la dette du
gouvernement fédéral atteindra un pourcentage du PIB jamais vu
depuis le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Et d’une. Et de
deux, lorsque Reagan t voter son plan scal, la dette était égale à 24 %
du PIB. Lorsque Bush t voter le sien en 2001, elle était de 31 %. En juin
2017, elle était de 75 %. À l’évidence, Trump est la contradiction faite
homme de la méditation. Au nom évidemment de l’intérêt très
particulier.
Chapitre 15

LES ABÎMÉS DE
DULUTH, MINNESOTA

À Duluth, ville édi ée le long d’une crique du lac Supérieur, Bob Dylan
est né le 24 mai 1941. Trente-quatre ans plus tard, il publiait une
chanson intitulée Tangled Up In Blue ou Prisonnier du cafard. À
marcher ici et là, à regarder à droite et à gauche, en haut comme en bas,
on a vite compris pourquoi. Car la ville l’est. Quoi donc ? Cafardeuse.
Il est probable, voire plus que probable, qu’il n’en fut pas toujours
ainsi mais aujourd’hui, on insiste, elle est déprimante. Derrière un
certain vernis architectural se cache une misère sociologique qui vous
prend à la gorge. Une misère économique qui fait penser à une gravure
signée par un artiste anglais du XIXe siècle. Ce dernier avait dessiné
ceci : lors d’une visite de la reine Victoria à Dublin, les édiles de l’endroit
avaient camou é la pauvreté derrière des trompe-l’œil érigés le long du
parcours de sa majesté.
À Duluth, derrière le Greysolon Plaza, les abîmés de la ville marchent
au ralenti. On s’explique. Le Greysolon est situé sur la rue principale du
centre-ville, East Superior Street. Il s’agit d’un ancien palace hôtelier
transformé en un complexe résidentiel. La façade présente des demi-
colonnes de style corinthien surmontées de frises empruntant au style
en vogue lors de la première république française. Passons sur ce
télescopage esthétique au fond sympathique pour mieux retenir que
côté cour se concentre la misère évoquée.
En e et, lorsqu’on traverse le vaste hall de l’immeuble on se retrouve,
après quelques pas, sur la 1re rue et face à face avec ces abîmés par des
drogues d’invention relativement récente et qui s’appellent Fentanyl, la
plus recherchée d’entre elles, Oxycodone et Hydrocodone. Le
dénominateur commun de ces opiacés prescrits comme anti-douleurs ?
Ils sont fabriqués en laboratoire. Pas besoin de cultiver le pavot dans les
plaines de l’Afghanistan. Cela précisé, on comprendra l’avantage
nancier que représentent ces drogues pour les commerçants de
paradis arti ciels.
On passe sur les seringues aperçues dans les recoins pour mieux
souligner que les préposés à la réingénierie socioculturelle ont tous
pignon sur rue. La Union Gospel Mission voisine la Eagles Wings – A
Ministry of Invite God, etc. Tous ces préposés ont imprimé sur la trame
urbaine de la ville des marques qui ne sont en fait que le miroir d’une
terrible réalité : Duluth résume l’incroyable épidémie de morts
d’overdoses d’opiacés qui touche tous les États de l’Union et surtout les
petites villes des campagnes et les villes moyennes.
Tout au long de la première décennie du présent siècle, Duluth n’a pas
dénombré un mort à la suite d’une overdose. Depuis, entre 2011 et 2016,
cette municipalité a enregistré 167 décès. À la grandeur du Minnesota,
selon les chi res o ciels du département de la Santé, le nombre de
morts a augmenté de 74 % entre 2016 et 2017 pour se xer à 172. Ici, il
faut mettre en relief un point singulier : la nature de l’héroïne vendue
de l’est au midwest du pays se « marie » beaucoup mieux avec le
Fentanyl que celle vendue dans l’ouest.
En 2017, selon le Center for Disease Control, le nombre de personnes
mortes des suites d’une overdose a atteint les 72 000, soit plus que le
nombre de morts du VIH, plus ceux d’accidents de la route, plus ceux
par armes à feu. Dit autrement, en 2017, on a compté plus de décès, côté
américain, que durant les 15 ans de guerre au Vietnam ou encore lors du
sommet de l’épidémie du sida en 1995.
Selon les acteurs du monde médical et les démographes, l’ampleur de
cette épidémie explique un fait totalement inédit dans l’histoire du
pays : l’espérance de vie a diminué constamment de 2015 et 2018. Il faut
savoir qu’entre 1999, année de l’apparition de cette peste moderne, et
2015 il y a eu 183 000 morts. 183 000… !
Ce éau a eu une conséquence nancière sinistre : il a amputé
durablement le budget des municipalités et des États. On estime que les
coûts économiques a érents ont totalisé 504 milliards entre 1999 et
2015.
Cela rapporté, on comprendra que les compagnies pharmaceutiques
et les distributeurs de médicaments soient visés par 200 poursuites
É
dont 41 des États ! Bref, pour les experts en matière juridique, cette
a aire sera égale ou supérieure à celle du tabac. Cela prendra du temps,
mais…
L’ampleur de l’o ensive menée par ces paliers gouvernementaux est
au fond l’e et boomerang qui distingue le marchandage de ces drogues.
En e et, il n’a pas échappé aux maires de Duluth et d’ailleurs, aux
gouverneurs du Minnesota et d’ailleurs que les prescriptions de
Fentanyl et des deux autres anti-douleurs avaient été multipliées par
quatre depuis 1999.
Cette augmentation pour le moins prononcée s’explique par une
cascade de connivences et de magouilles, sans oublier évidemment une
a ection fanatique pour le gain qui s’avère au fond une copie carbone de
ce que font les ma as depuis des lunes. Des enquêtes du FBI et de divers
journaux ont mis en lumière les complicités qu’il y a eues ici et là entre
médecins, fabricants et distributeurs des produits cotés en Bourse,
pharmaciens, etc.
Lorsqu’on s’arrête aux caractéristiques nancières de cette épidémie,
aux vices nanciers introduits par des membres de la chaîne, soit de la
fabrication à la distribution, on peut tracer la diagonale avec la Crise de
2008. Plus exactement avec les crapules à qui on avait accordé la licence
du laisser-faire total, absolu.
En d’autres mots, la fameuse injonction formulée par Ronald Reagan
au cours de son premier mandat, à savoir « Enrichissez-vous », s’est
accompagnée d’un droit d’abîmer à qui mieux mieux la vie d’autrui. On
ne viendra jamais nous faire croire que les médecins, les chimistes, les
pharmaciens et tous les cadres des entreprises impliquées dans la vente
de ces produits, ces entreprises inscrites à la Bourse, ne connaissaient
pas les e ets délétères du Fentanyl et autres.
Chapitre 16

OCTOBRE 2017 :
59 PERSONNES TUÉES

Au milieu de la soirée du dimanche 1er octobre, un homme de 64 ans,


Stephen Paddock, se met à tirer sur la foule rassemblée en plein cœur
de Las Vegas. Des milliers de personnes étaient venues entendre des
groupes divers. Paddock avait réservé deux chambres à l’hôtel Mandala
Bay qui surplombe le site où se déroulait un festival de musique
country. Il y avait déposé pas moins de 23 armes, incluant des fusils
d’assaut, dont certains étaient munis de lunettes à longue portée. Les
policiers devaient découvrir également des explosifs et tout un attirail
technologique permettant d’augmenter la cadence du tir.
Au terme de son carnage, Paddock aura supprimé 59 personnes et en
aura blessé 527. Il s’agit de la pire tuerie de masse perpétrée par un
individu sur le sol américain. Avant celle-ci, et au cours des récentes
années, il y avait eu les massacres de Columbine, Aurora, Virginia Tech,
Newtown, San Bernardino et Orlando. Qu’ont fait les élus dans la foulée
de ces derniers ? Rien. L’a ection des Républicains pour les armes se
confondant avec fanatisme, ils ont cultivé l’indi érence à l’endroit des
victimes ainsi qu’à l’égard des gamins qui vont à l’école.
Il faut dire, voire préciser, qu’a n de rendre les élus républicains
captifs de sa manne nancière, la NRA avait développé et appliqué,
lorsque l’acteur Charlton Heston en était le président, un plan aussi
intelligent que diabolique. De quoi s’agit-il ? De géographie.
Il y a plusieurs années, la NRA avait commandé à ses membres, les
entreprises plus exactement, d’être présents dans les 435 districts qui
composent la Chambre des représentants, histoire, on l’a deviné, d’avoir
une emprise politique sur ces derniers. Ces entreprises se sont
appliquées, par le biais d’ateliers de production, de magasins et autres, à
avoir pignon sur rue dans les 435 comtés. Ainsi, lorsqu’un élu fait la
promotion d’un contrôle plus serré du commerce des armes, la NRA lui
retire son nancement et s’empresse de lui faire le chantage suivant : tu
la fermes, sinon on ferme boutique, après quoi on fera campagne pour
dire que tu as mis X nombres d’individus au chômage.
Dans l’histoire de ces saignées, on oublie presque toujours de
mentionner un fait important lorsqu’on aborde le deuxième
amendement de la Constitution qui permet le port d’armes. Lorsque
celui-ci a été rédigé, soit au XVIIIe siècle, un fusil de chasse, selon les
calculs de The Economist, coûtait 13 000 $ en dollars d’aujourd’hui. Il
était donc très cher. Qui plus est, il était considéré comme un
instrument essentiel à la survie des individus à une époque où la nature
n’était pas maîtrisée comme elle l’est aujourd’hui. Il avait également été
décidé que les armes seraient exemptées de l’impôt sur la succession.
Paddock tue et blesse quantité de personnes. Tout logiquement, pour
ne pas dire naturellement, des politiciens s’élèvent pour mieux
proposer un durcissement des balises inhérentes à l’accès aux armes et
à leur usage. Par exemple, au lendemain de ce massacre, la sénatrice
démocrate Dianne Feinstein, de Californie, voulait rendre plus di cile
l’acquisition des mécanismes qui permettent de transformer un fusil
semi-automatique en un fusil automatique.
D’autres souhaitaient que l’on débatte à nouveau de ce qui avait été
débattu après la tuerie de Virginia Tech, à savoir interdire la vente
d’armes aux handicapés mentaux. D’autres souhaitaient encore que l’on
débatte à nouveau de ce qui avait été débattu après le massacre des
enfants de Newtown, soit analyser le passé de celui qui veut acheter une
arme en magasin, dans une foire commerciale ou en ligne. Bref, ici et là,
les Démocrates estimaient que discuter de tout cela d’abord et légiférer
ensuite était une priorité nationale.
Quelle fut la réponse des Républicains qui détenaient, faut-il le
rappeler, la majorité au sein du Congrès ? Mitch McConnell en tête, ils
estimaient « qu’il serait particulièrement inapproprié » de politiser le
massacre de Las Vegas. Comme il fut particulièrement inapproprié de
la part de Franklin D. Roosevelt de politiser le bombardement de Pearl
Harbor. P f…
Du côté de la Chambre des représentants, on retiendra tout d’abord
que le Hearing Protection Act était toujours inscrit à l’ordre du jour. Le
projet de loi en question consistait, tenez-vous bien, à éliminer la taxe
de 200 dollars imposée aux silencieux, à rembourser ceux qui l’avaient
payée depuis 2015 et à faciliter l’enregistrement des exigences
a érentes à l’achat d’une arme. Tout logiquement, là encore, les
Démocrates demandèrent à Paul Ryan de retirer ce projet de loi et de
créer une Commission spéciale chargée d’étudier l’utilisation violente
des armes à feu aux États-Unis. En vain.
L’Histoire étant cynique quand elle n’est pas ironique, on retiendra
que simultanément à tout cela, les élus planchaient sur un projet de loi
visant à restreindre l’accès comme le recours à l’avortement. En fait,
48 heures seulement après la tuerie de Vegas, 237 représentants contre
189 votaient notamment l’interdiction du recours à l’avortement après
vingt semaines de grossesse. Ce qui t dire à Louise Slaughter,
représentante démocrate de l’État de New York : « Je ne sais pas
comment nommer cela autrement que pure hypocrisie. On les aime [les
enfants] avant qu’ils naissent, après quoi ils deviennent le problème de
quelqu’un d’autre. »
Au lendemain du geste commis par Paddock, Trump t une
intervention à la Maison-Blanche. Pas une fois il n’a mentionné les
armes, les lois sur les armes ou les fusils semi-automatiques. Il faut dire
qu’il a été le président qui, lors d’une assemblée de la NRA, tenue en
avril, avait déclaré : « Les huit années d’assaut contre les libertés
contenues dans notre deuxième amendement sont terminées. Vous
avez un ami véritable et un champion de votre cause à la Maison-
Blanche. » Pratiquement au même moment, le gouverneur républicain
du Kentucky Matt Bevin déclarait : « À tous ces opportunistes
politiques qui veulent pro ter de la tragédie de Las Vegas pour appeler
à plus de règlements sur les armes, je dis “Vous ne pouvez pas
discipliner le diable”. » Et pourtant…
Ainsi que l’ont rappelé alors la plupart des médias, entre 1979 et 1996,
il y a eu 13 tueries de masse en Australie. Depuis que le gouvernement
de ce pays a fait voter une loi qui interdit la vente des armes semi-
automatiques et introduit un programme de rachat de ces armes, il n’y a
pas eu un seul massacre.
Dans une opinion publiée dans les journaux, la chanteuse Rosanne
Cash écrivait : « Toutes les campagnes de relations publiques de la NRA
cachent quelque chose de très sinistre et de profondément destructif. Il
n’y a pas d’autre façon de le dire que de la façon suivante : la NRA
nance le terrorisme intérieur. » Et de rappeler qu’entre 2005 et 2015,
300 000 Américains avaient été tués par des revolvers et des fusils.
LA VICTOIRE DU BIGOT
Au tout début du mois, la victoire du bigot sur le candidat préféré de
l’establishment républicain était o cielle. De fait, le juge Roy Moore, le
bigot, et non Luther Strange, le Républicain bon teint, disputera en
e et le poste de sénateur de l’Alabama lors d’une élection
complémentaire plus tard à l’automne. Le gagnant succédera à Je
Sessions qui avait remis sa démission après sa nomination au poste de
ministre de la Justice.
L’ex-juge à la Cour suprême de cet État du Sud aurait été un
Républicain classique, sa victoire n’aurait pas fait débat, voire
polémique, comme ce fut le cas. Mais bon, cet homme étant abonné à la
politique des contraires, il campe toujours sur des positions choisies
dans le but de se distinguer, de se caractériser. Il est toujours dans
l’excès. Ainsi, en tant que fondu de la Bible, il conjugue toujours ses
jugements avec la lecture littérale des Saintes Écritures.
En tant qu’avocat de la conception nativiste qui stipule notamment
que la Constitution a été écrite par des Blancs parce que les Noirs ne
possédaient pas à l’époque l’éducation nécessaire à cet exercice, il a
additionné les gestes empreints de l’esprit ségrégationniste. Il faut dire
que l’Alabama fut gouverné dans les années 1960 par George Wallace
dont la triste maxime « Ségrégation hier, ségrégation aujourd’hui,
ségrégation pour toujours », est encore considérée comme fondée par
un contingent imposant de p’tits Blancs.
Quoi d’autre ? Il est farouchement opposé au mariage gai, à
l’immigration, il est créationniste… Pour faire court, disons tout
simplement qu’il a épousé toutes les idées ou positions pour lesquelles
militent les populistes de droite. Par exemple, au cours de la campagne
pour la primaire, il a pris un malin plaisir à brandir son pistolet pour
mieux illustrer son a ection, si l’on peut dire les choses ainsi, pour le
deuxième amendement de la Constitution. Ses excès ou plus
exactement ses biais ont eu pour résultat notable qu’il fut suspendu à
deux reprises de son poste de juge.
LE PRÉSIDENT CONTRE SON SECRÉTAIRE D’ÉTAT
Sous les administrations Clinton, Bush et Obama, les experts en
sécurité nationale, y compris ceux du Pentagone, ont toujours martelé
qu’il n’y avait pas de solution militaire à la menace que présente la
Corée du Nord. Que le seul moyen de faire entendre raison à Kim Jung-
un serait par le biais d’une négociation, d’un troc. Bref, que la solution
reposait entre les mains des diplomates et non des généraux.
On s’en doute, depuis son entrée en fonction, le secrétaire d’État Rex
Tillerson s’est employé à ouvrir tout d’abord des canaux de
communication directe entre le dictateur coréen et les dirigeants
américains. Pour ce faire, le 30 septembre il se rendait à la rencontre du
ministre chinois des A aires étrangères et du président Xi Jinping. Le
lendemain, patatras. Trump composait un de ses tweets féroces dans
lequel il critiquait cette démarche.
Selon lui, Tillerson perdait son temps à vouloir négocier avec Rocket
Man, ainsi qu’il nomme le dirigeant coréen. CQFD : les Chinois
également, puisqu’à l’évidence la position du président américain se
résume en un mot : militaire. La solution ne peut être que militaire.
D’ailleurs, Trump devait renforcer son idée en écrivant : « Être gentil
avec Rocket Man n’a jamais fonctionné en 25 ans, est-ce que ça
marchera cette fois-ci ? Clinton a échoué, Bush a échoué et Obama a
échoué. Moi, je n’échouerai pas. »
En fait, derrière les rideaux, selon les con dences sou ées dans les
oreilles de plus d’un journaliste par des conseillers du président, celui-
ci n’a pas décoléré lorsqu’il a appris que Tillerson se rendait à Pékin a n
de convaincre les Chinois de conseiller à Kim Jung-un d’entamer des
discussions directes avec l’administration Trump. Aux journalistes qui
l’accompagnaient lors de son périple asiatique, Tillerson a assuré que
trois canaux de communication avaient été récemment ouverts.
Ce faisant, jugeait Trump, Tillerson a contredit sa politique. C’était la
deuxième fois en trois mois que Trump prenait le contre-pied de son
secrétaire d’État. En juin, après que Tillerson eut tenté une médiation
entre le Qatar et ses voisins, Trump l’avait rembarré en estimant que sa
démarche était inutile, car ce pays nançait le terrorisme.
Deux jours plus tard, on était témoin d’une autre divergence entre
Trump et un membre de poids de son administration : le secrétaire à la
Défense James Mattis. Devant les membres de la Commission
sénatoriale des services armés, celui-ci, anqué du général Joseph F.
Dunford, chef d’état-major, devait contredire son président sur un
dossier délicat entre tous : l’accord signé avec l’Iran sur son programme
nucléaire.
À la question posée par le sénateur du Maine, Angus King, qui voulait
savoir s’il était dans l’intérêt de la sécurité nationale de maintenir le
traité avec l’Iran, le général Mattis répondait que oui. Non seulement
ça, il contredisait Trump sur un autre point. L’Iran se conformait bel et
bien aux obligations contenues dans l’accord négocié par l’Allemagne, la
France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine.
Quelques semaines avant que Mattis fût questionné par les sénateurs,
Tillerson concédait avoir tenté de convaincre Trump de respecter le
traité avec l’Iran. Dans la foulée, Tillerson confessait qu’il avait des
divergences avec un président qui estimait et estime encore et toujours
que cet accord était un désastre. Comme si les diplomaties de six pays
plus celle dirigée par Obama étaient un rassemblement d’abrutis.
COPAIN-COPAIN AVEC LE POLLUEUR
Au nom du Freedom of Information Act, les quotidiens New York Times
et Washington Post ainsi que des groupes environnementalistes et des
organismes sans but lucratif avaient demandé que l’agenda quotidien
de Scott Pruitt, patron de l’EPA, leur soit communiqué. Au début du
mois, ils obtinrent les 320 pages qui détaillent les allées et venues entre
février et mai de celui qui est dans les faits ministre de l’Environnement
sans le titre.
Le résultat est e arant. Depuis son entrée en fonction, Pruitt n’a cessé
d’aller à la rencontre des dirigeants d’entreprises de pétrole et de
charbon, des constructeurs automobiles et des cimentiers, des
fabricants de produits chimiques et des patrons des di érentes lières
agricoles. Bref, il a eu beaucoup de discussions avec les présidents
d’entreprises qui sont en attente des décisions, plus exactement des
pénalités nancières que prendra l’EPA à leur encontre pour ne pas
avoir respecté la loi. Point.
Pruitt s’était taillé une réputation d’ennemi juré des lois
environnementales alors qu’il avait poursuivi l’EPA à 14 reprises
lorsqu’il était procureur général de l’Oklahoma. Une fois à la tête de
cette agence, il poursuivait avec méticulosité son travail de sape, mais
cette fois-ci de l’intérieur. À preuve : il n’a rencontré qu’une fois ceux
qui combattent la pollution ou défendent la santé publique. Il s’agissait
des pédiatres.
Questionné à cet égard, le porte-parole de l’EPA devait avoir une
réponse confondante : « L’agence rencontre maintenant ceux que
l’administration Obama avait ignorés. » Comme si l’EPA était aussi le
ministère de l’Industrie et du Commerce. Comme si Obama n’avait pas
discuté avec les grands patrons de l’automobile dans le bureau ovale
lors, par exemple, de leur sauvetage nancier décidé justement par le
président.
En posant la loupe sur les allées et venues de Pruitt, les journalistes
réalisaient que ce dernier usait avec abondance des avions
gouvernementaux à des ns personnelles et qu’il enrichissait la famille
Trump. De quelle manière ? En discutant régulièrement avec les barons
de Corporate America au steak house de l’hôtel que possède Trump en
plein cœur de Washington. En d’autres mots, M. Pruitt est le monsieur
sans-gêne de l’administration.
Quelques jours plus tard, voilà qu’il donnait un coup de Jarnac à
l’ancien président. Le 9 octobre, il annonçait avoir signé un décret qui
abolissait toutes les mesures introduites par Obama dans le but de
réduire les émissions des gaz à e et de serre produites par les
entreprises énergétiques, soit le Clean Power Plan.
En guise d’explication, ce satrape de la pollution avançait que
l’éradication de ces règles allait favoriser le développement des
entreprises américaines versées en production d’énergie. Il est allé
jusqu’à souligner que cela permettrait une économie de 33 milliards,
tout en rejetant les béné ces nanciers avancés par Obama sur le plan
de la santé.
On se rappellera que les sociétés productrices de charbon et de gaz
naturel sont responsables d’un tiers des émissions de carbone. On se
rappellera ensuite que le but du Clean Power Plan était une réduction
de 32 % des émissions. On se rappellera en n et surtout qu’il est dans le
mandat de l’EPA de xer à chaque État les cibles possibles et à un coût
« normal ».
Outrés par l’irresponsabilité de Pruitt et l’apparence de con its
d’intérêts dont il est la personni cation, bien des États ont rapidement
indiqué qu’ils agiraient comme si l’abolition des règles en question
n’avait jamais existé. On pense à la Californie et à l’État de New York qui
ont décidé de poursuivre leur programme de transition énergétique en
optant notamment pour l’exploitation des énergies renouvelables.
LA MAGOUILLE DES HÉRITIERS
Au début du mois, une enquête menée conjointement par le
New Yorker, ProPublica et WNYC, soit la station de radio new-yorkaise
du réseau NPR, nous en apprenait des bonnes, des vertes et des pas
mûres sur les enfants Trump. Sur leur manière de faire des a aires
nancières juteuses en ayant recours aux mensonges, pour rester
modéré. Pour dire les choses platement, chez Ivanka et Donald Jr.,
l’appât du gain est si marqué qu’ils ont pris un abonnement à l’enseigne
du sans-gêne.
Dans l’État de New York, il existe une loi dite Martin Act qui interdit
toute exagération ou in exion des chi res a érents à un projet
immobilier ou à un ensemble immobilier déjà existant. Au milieu de la
décennie, Ivanka et Donald Jr. se mirent à plancher sur la construction
d’un condo-hôtel situé près du Holland Tunnel, à Manhattan. Ils
avaient baptisé celui-ci le Trump SoHo. Un prospectus, évidemment
sur papier glacé, fut produit, après quoi frère et sœur partirent à la
chasse d’acheteurs potentiels.
Dans le courant de l’année 2010, le Major Economic Crimes Bureau,
qui dépend du bureau du procureur général de Manhattan, en
l’occurrence Cyrus Vance, ouvrait une enquête sur les Trump à la suite
de divers témoignages et plaintes de leurs clients. Dans les mois suivant
l’ouverture de celle-ci, des avocats réputés pour leurs succès sur le front
des a aires criminelles étaient engagés par la Trump Organization. À
plus d’une reprise, ils rencontraient les procureurs rattachés à la
division des crimes nanciers majeurs.
Les défenseurs des Trump reconnaissaient que les chi res
concernant le Trump SoHo avaient été gon és dans le but de doper les
ventes, ainsi que les échanges de courriels entre Ivanka et Donald Jr. le
prouvaient, mais que les montants avancés n’avaient pas été exagérés
au point de constituer un crime. Bref, ces avocats demandaient
l’abandon de l’enquête. Tout bonnement.
Les limiers de Manhattan la poursuivirent pendant deux ans, car ils
avaient la certitude que la manipulation des chi res n’était pas une
histoire de milliers de dollars, mais bien de millions. En 2012, le père
ayant perdu patience, il demanda à son avocat de prendre le dossier en
main. L’identité de ce dernier ? Marc Kasowitz.
Celui-ci se rendit directement au bureau du procureur en chef Vance.
Il plaida sa cause. Trois mois plus tard, Vance ordonnait à ses
procureurs d’abandonner l’enquête sur les Trump. Le n mot de
l’histoire ? Le fric. Kasowitz avait donné 25 000 dollars à la campagne
électorale de Vance, somme qui en faisait un des plus gros donateurs. Il
devait lui retourner l’ascenseur. Pour la petite histoire, on retiendra que
les ventes des copropriétés du Trump SoHo n’ayant jamais atteint le
niveau nancier nécessaire à sa poursuite, le projet a été mis en faillite
en 2014.
L’IMMIGRANT ET LA LIGNE DURE
Quelques semaines après avoir accepté de mettre entre parenthèses, à
la suite d’une rencontre avec les chefs de le démocrates au Congrès,
l’expulsion des 800 000 Dreamers, voilà que la Maison-Blanche
communiquait la liste de ses exigences en échange de l’abandon des
expulsions.
On se souviendra qu’au cours du mois précédent, Trump avait fait les
manchettes en annonçant la mise en berne du programme DACA,
introduit par Obama. Et voilà que sous l’impulsion de son principal
conseiller en la matière, Stephen Miller, réputé pour ses travers racistes
en général et son mépris envers les Latinos en particulier, Trump
dévoilait un inventaire de requêtes ayant la dureté pour dénominateur
commun.
En échange du maintien de DACA, Trump voulait que le Congrès vote
la construction du mur à la frontière avec le Mexique, l’engagement de
10 000 agents d’immigration, un durcissement des règles a érentes à la
demande d’asile, la n des subventions fédérales aux villes dites
sanctuaires des migrants, l’usage obligatoire du programme fédéral E-
Verify par les entreprises a n qu’elles n’engagent pas d’illégaux, la n du
regroupement des familles en sol américain et un renforcement de la
surveillance a n de limiter au maximum le nombre d’enfants qui fuient
la violence en Amérique centrale, plus précisément au Guatemala, au
Honduras et au Salvador.
Aussitôt les demandes de Trump communiquées, Nancy Pelosi et
Chuck Schumer intervenaient sur la place publique pour assurer que la
liste de Trump n’était pas du tout au diapason de l’entente xée trois
semaines plus tôt. Pour les Démocrates, la brutalité des exigences
présidentielles révèle au fond que le président n’a pas l’intention de
négocier quoi que ce soit. Qu’il est bien décidé à déchirer le plan DACA
et ensuite d’expulser ces milliers de personnes qui, on ne le répétera
jamais assez, connaissent mieux les États-Unis que leurs pays d’origine.
Conformément à la discussion qu’ils avaient eue à la Maison-Blanche,
Schumer et Pelosi, ainsi d’ailleurs que la majorité des élus, Républicains
comme Démocrates, s’attendaient à ce que Trump alloue un délai de six
mois au Congrès pour préparer une loi. Une loi qui bouleverserait toute
l’architecture juridique des États-Unis en matière d’immigration.
À L’ASSAUT DE L’ÉLITE RÉPUBLICAINE
À peine renvoyé de son poste de stratège en chef du président Trump au
mois d’août, voilà que le sulfureux Steve Bannon s’était mis à la
manœuvre. De quoi ? Dans quel but ? Bouleverser la hiérarchie du Parti
républicain. En rayer les codes. Pulvériser les pouvoirs détenus par le
siège du parti avec les millions alloués à sa mission par le richissime
Robert Mercer et sa lle Rebekah. Le moyen employé est simple :
nancer les campagnes de francs-tireurs, des mercenaires de la
politique qui se présentent contre les candidats de l’establishment
républicain lors des primaires. Bref, des mercenaires qui ne jurent que
par le « à droite toute » !
Pour s’opposer au sénateur républicain John Barrasso, du Wyoming,
Bannon avait jeté son dévolu sur quelqu’un d’aussi sulfureux que lui :
Erik Prince, fondateur de cette armée privée qui a pour nom
Blackwater. Parmi les actions sinistres que cette entreprise a menées, et
que le vice-président Dick Cheney appréciait passablement lorsque
Bush était à la Maison-Blanche, on retiendra le massacre de 17 civils à
Bagdad.
Fort de la victoire aux primaires du non-conformiste Roy Moore en
Alabama, Bannon espérait qu’une victoire de Prince ajoutée à celles
envisagées au Nebraska, au Maine, au Mississippi, au Tennessee et en
Utah lui permettraient de renverser la table. Il pourrait renvoyer le
leader des Républicains au Sénat, soit Mitch McConnell en personne.
En clair, Bannon comptait sur la mise en place d’un contingent
d’opposants à l’élite de Washington pour briser la carrière politique de
McConnell et faire main basse sur l’idéologie de cette formation.

À
À cela s’ajoute ceci ; en vue des législatives de novembre 2018, et
sachant que Paul Ryan a indiqué qu’il ne se représenterait pas,
autrement dit que le rôle de chef des représentants serait également en
jeu, Bannon s’appliquait à torpiller les primaires. Outre l’argent des
Mercer, Bannon pouvait compter, pour son travail de sape, sur la
connivence de Breitbart News.
Au Mississippi, cette lutte intestine au sein du parti fut d’autant plus
vive qu’elle fut rythmée par les accents que l’on prête à la guerre civile.
Dans cet État, Bannon et Mercer ont pris fait et cause pour un candidat
de l’extrême droite Chris McDaniel, contre le sénateur Roger Wicker.
Ces dérapages convergeant tous vers le territoire des extrêmes furent
aussi observés que commentés. Ils eurent en tout cas une conséquence
inattendue, étonnante, car ceux-ci devaient convaincre un homme peu
réputé pour ses penchants à gauche d’intervenir sur la place publique
pour mieux critiquer Trump sur l’idéologie qui fonde sa politique. Bref,
sur les fondamentaux. Son nom ? George W. Bush.
Au milieu du mois, à New York, l’ex-président prononçait un discours
décapant, car il exposait ses divergences à l’égard de toutes les
politiques élaborées par Trump. Bush prenait faits et causes pour
l’immigration, pour le libre-échange, s’inquiétait du retour du
nationalisme et de la bigoterie. Il alla même jusqu’à quali er, sans
jamais la nommer, la politique de Trump de « casual cruelty » ou
cruauté occasionnelle.
« Nous avons vu le nationalisme déformé en nativisme, nous avons
oublié le dynamisme que l’immigration a apporté à l’Amérique. Nous
assistons à une perte de con ance dans les vertus du libre marché et du
commerce international, oubliant que les con its, l’instabilité et la
pauvreté succèdent au protectionnisme. Nous voyons le retour des
sentiments isolationnistes, oubliant que la sécurité de l’Amérique est
directement menacée par le chaos et le désespoir des pays lointains. »
Sans jamais nommer les tweets, il critiqua l’usage qu’en faisait
régulièrement Trump en ces termes : « Le harcèlement et la culture du
préjudice dans notre vie publique ont donné le ton au niveau national,
ils ont favorisé la cruauté et la bigoterie et compromis l’éducation
morale de nos enfants. » Quoi d’autre ? « La bigoterie et la suprématie
blanche sous toutes ses formes sont un blasphème contre le credo de
l’Amérique. »
DOCTEUR FOLAMOUR
Plus tôt dans l’année, Trump avait menacé la Corée du Nord « d’une
destruction totale », donc d’un bombardement atomique. Après quoi, il
suggéra que le Japon et la Corée du Sud se dotent à leur tour de l’arme
nucléaire. Ensuite, il a demandé : « À quoi sert l’arsenal nucléaire de
l’Amérique si on ne s’en sert pas ? »
Puis voilà qu’un scoop de NBC News nous apprenait qu’après une
discussion avec son secrétaire d’État Rex Tillerson au cours de laquelle
le président assurait que l’arsenal du pays en la matière avait beaucoup
diminué depuis la n de la Guerre froide, il envisageait la multiplication
par dix des bombes nucléaires. Arrêtons-nous aux chi res.
Selon les calculs du New York Times, avec 1 103 bombes, les États-Unis
pourraient détruire entièrement les pays suivants : la Chine, la Russie,
la Corée du Nord, l’Iran, la Libye, l’Irak et la Syrie. Chaque missile
comprenant cinq têtes nucléaires, combien en resterait-il ? 2 897. De
quoi les détruire deux fois encore si la première…
Ses in exions pro-nucléaires, ainsi que ses questionnements, parfois
étranges, pour dire le moins, ont convaincu un Républicain de haut rang
d’intervenir sur la place publique à ce sujet. Il s’agit du sénateur Bob
Corker, qui en tant que président de la Commission sénatoriale des
relations internationales, est l’un des personnages les plus importants
de cette chambre après le leader du Sénat.
À voix haute et claire, Corker a estimé que Trump administrait la
Maison-Blanche « comme de la téléréalité ». Le numéro deux du Sénat
qui appartient à la même formation que son président assurait, en
substance, que ce dernier se comportait comme un ado. Dans la foulée,
Corker jugeait qu’en multipliant des menaces à l’aune de la témérité,
Trump pourrait mettre le pays sur la voie de la Troisième Guerre
mondiale.
Voilà que Corker a rmait qu’il fallait s’en remettre au secrétaire
d’État Rex Tillerson, au secrétaire à la Défense James Mattis et au
directeur de cabinet John Kelly, dans l’espoir qu’ils agissent de manière
« à éloigner le pays du chaos ». Que le président de la Commission
sénatoriale sur les relations internationales fasse la leçon à son
président qui, à ce titre, a la haute main sur le ministère des A aires
étrangères car il s’agit, faut-il le rappeler, d’un ministère régalien relève
du… jamais vu !
Corker devait pro ter, si l’on peut dire, de cet épisode pour suggérer
aux membres du Congrès qu’ils amorcent l’étude d’une loi qui obligerait
le chef de l’Exécutif à obtenir l’aval de la Chambre des représentants et
du Sénat pour tout usage de la bombe.
FIN DE L’ALENA ?
Alors que les représentants commerciaux du Canada, des États-Unis et
du Mexique se retrouvaient à Washington pour entamer une quatrième
ronde de négociations depuis juillet, le scénario de l’échec, de la mise en
berne de l’ALENA, s’avérait le plus probable. D’autant qu’au terme d’une
rencontre avec le premier ministre Justin Trudeau dans le bureau ovale
le 11 octobre, Trump déclarait : « Il est possible que nous ne soyons pas
capables d’en arriver à un accord comme il est possible que nous en
ayons un. Nous allons voir si nous sommes capables de faire les
changements dont nous avons besoin. […] Nous verrons ce qui arrivera
à l’ALENA auquel je suis opposé depuis longtemps… »
Réputé être un farouche opposant au libre-échange, à sa philosophie,
même si ce sont les administrations américaines, celle de Ronald
Reagan en tête, qui ont milité pour la n des politiques
protectionnistes, Trump a réussi un prodige quand on sait qu’il est
républicain : il s’est mis toutes les chambres de commerce du pays à dos.
À la veille des discussions entre les signataires du traité, pas moins de
310 chambres de commerce ont envoyé une lettre à Trump le priant de
maintenir le libre-échange. Président de la Chambre de commerce des
États-Unis, donc la chambre des chambres, Thomas J. Donohue, devait
déclarer que « les négociations ont atteint un niveau critique. Et notre
Chambre n’a pas d’autre choix que de sonner l’alarme. Permettez-moi
de dire de manière énergique et directe que sur la table, il y a plusieurs
pilules empoisonnées qui pourraient anéantir tout le traité. »
Pour bien comprendre l’inquiétude qui transparaît dans les propos de
Donohue, peut-être faut-il rappeler que durant des mois et des mois,
tout ce que les États-Unis comptaient de gens d’a aires et de politiciens
favorables à l’ALENA avait cru que l’opposition de Trump relevait de la
posture. Ici et là, on croyait que la fermeté des propos qu’il employait
pour descendre en ammes cet accord était en fait qu’il s’agissait d’une
stratégie de négociations arrêtée a n d’inquiéter la partie d’en face et
d’obtenir après coup le maximum des négociations.
Là, on réalisait que dans les faits, Trump voulait la n de l’ALENA.
Autrement dit, qu’il ne partageait pas l’avis de ses homologues canadien
et mexicain, qui estimaient que les pourparlers en cours devaient
permettre, après un quart de siècle de vie, une actualisation de
l’entente. Une mise au diapason aux réalités économiques du
XXIe siècle.
On se rendait compte également que la n de l’ALENA allait se
traduire par une augmentation indirecte des coûts de production en
raison du retour, notamment, des tarifs. Au sein des secteurs
manufacturier, énergétique et agricole, la note s’annonçait salée. Par
exemple, les éleveurs américains de bœufs seraient confrontés à une
hausse de 25 % de leurs produits destinés à l’exportation au Mexique,
de 45 % pour la dinde et les produits laitiers et de 75 % pour le poulet,
les pommes de terre et certains dérivés du maïs.
Qui plus est, la n de l’ALENA déstabiliserait en profondeur des
chaînes d’approvisionnement et de la division du travail du sud du
Mexique au nord du Canada. Quoi d’autre ? Vice-président principal
des politiques internationales de la Chambre de commerce des États-
Unis, John Murphy faisait remarquer que Trump avait fait un très
mauvais pari politique vis-à-vis des dirigeants canadien et mexicain.
Selon lui, pour des raisons électorales évidentes, ces derniers ne
plieront pas devant le président Trump, car ils sont bien conscients
qu’il est très impopulaire tant au Canada qu’au Mexique. Murphy : « Il y
a un vieux proverbe dans la culture de la négociation qui stipule qu’il ne
faut jamais prendre on otage celui qu’on ne peut pas tuer. »
HARO SUR LA SANTÉ !
Au cours de la dernière semaine du mois précédent, on se rappellera
que les sénateurs républicains avaient échoué à abolir le A ordable
Care Act. Une quinzaine de jours passent et voilà que le maître de céans
des États-Unis décidait de frapper un gros coup. Le 12 octobre, il
ordonnait par décret présidentiel la n des subventions accordées aux
compagnies d’assurances a n que les ménages à faible revenu puissent
contracter une police. Quelques heures auparavant, Trump avait
également ordonné que des modi cations notables soient apportées au
système de santé dont la vente de polices de piètre qualité, des polices
proposant un nombre inférieur de protections que la moyenne. En
d’autres mots, Trump prescrivait en la matière un recours aux forceps.
Tel que le plan était conçu à l’origine, le total des subventions allouées
dans le cadre, plus précisément, d’une politique du partage des coûts
entre le fédéral, les États, les localités et autres devraient totaliser
9 milliards lors de l’exercice nancier 2017-2018 et 100 milliards au
cours de la prochaine décennie. Ces montants communiqués, on
comprendra mieux que les économistes ou analystes versés en
assurance maladie aient fait observer, à peine les directives de Trump
dévoilées, que celles-ci auraient pour conséquence une dislocation des
marchés d’assurances.
Car les directives en question se traduiraient illico par une
augmentation, entre autres, des primes et le retrait en série de
compagnies du marché où s’échangent les assurances depuis les débuts
de l’Obamacare. Dans un communiqué conjoint, Chuck Schumer et
Nancy Pelosi soulignaient que Trump « a apparemment décidé de punir
le peuple américain pour son incapacité à améliorer le système de
santé. C’est un acte très malveillant, un sabotage sans nom visant les
familles de travailleurs et la classe moyenne dans tous les recoins
d’Amérique. »
L’énormité des changements commandés par Trump devait
convaincre des Républicains de s’y opposer, car ils avaient rapidement
calculé qu’ils réduiraient le nombre d’assurés dans leurs districts ou
leurs États et donc des électeurs. D’autant que l’American Cancer
Society, l’American Academy of Family Physicians et l’Alliance of
Community Health Plans soulignèrent que des millions de citoyens
seraient confrontés à un dé cit nancier qui aurait pour e et direct
moins de soins de santé.
On douterait que les directives concoctées par Trump ne visaient pas
les pauvres et la tranche économiquement inférieure de la classe
moyenne qu’il su rait de tracer la diagonale, et pas celle du fou, avec ce
qu’annonçait le lendemain le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin.
Lors d’une conférence organisée par l’Institute for International
Finance, Mnuchin proposait l’abolition pure et simple de l’impôt sur la
succession.
Comme notre homme est le monsieur Sans-Gêne de l’administration,
il admettait « qu’à l’évidence, cela va avantager, je le concède, de
manière disproportionnée les riches ». On reconnaîtra que le M. Sans-
Gêne a tout de même le courage comme la franchise de son opinion.
Toujours est-il que les chi res sont à ce propos éloquents. Allons-y.
L’ensemble des réductions scales proposées par les Républicains
depuis l’entrée de Trump à la Maison-Blanche va totaliser
1 000 milliards et 500 millions sur 10 ans. À elle seule, la suppression de
l’impôt sur la succession va se traduire par un manque à gagner, pour le
Trésor fédéral, de 239 milliards.
Il faut rappeler qu’avant ce énième cadeau fait aux riches, les
soustractions scales accordées depuis celles de Bush en 2001 faisaient
qu’en octobre 2017, le tableau était le suivant : oui, l’impôt sur la
succession est de 40 %, mais l’héritier ne paye pas un sou d’impôt sur la
première tranche de 5,49 millions. Quant aux héritiers d’un couple, ils
ne payent rien sur les premiers 11 millions.
POSITION NORMANDE SUR L’IRAN
Au milieu du mois, Trump, obligé de se conformer aux règles découlant
de l’accord sur le nucléaire iranien, se prononçait sur le sujet à la
manière des Normands : en substance, il indiquait qu’il était toujours
contre ce traité, mais qu’il ne s’en retirait pas. En clair, si tant est qu’on
puisse l’être à ce propos, Trump s’est rangé à l’avis du secrétaire d’État
Rex Tillerson et du secrétaire à la Défense Jim Mattis, tout en collant
encore et toujours à la promesse faite durant la campagne électorale,
soit de déchirer cette entente avec l’Iran, car « elle constitue le pire
accord que nous ayons jamais signé ».
Après avoir épluché les rapports de la CIA et autres agences de
renseignement concernées par ce sujet, après consultations avec les
représentants des pays qui ont négocié cet accord, Mattis et Tillerson,
soit les personnes directement chargées, aux États-Unis, de gérer les
suites de ce dernier, ont dit et répété à Trump que l’Iran se conformait
aux obligations inscrites dans l’accord en question. Non seulement ça,
ils ont dit et répété à Trump qu’il devrait reconnaître publiquement que
l’Iran observait ses obligations. En vain.
Une fois qu’il eut indiqué qu’il ne voulait pas certi er que l’Iran était
en règle, il a demandé aux signataires du traité autres que l’Iran, soit la
Chine, la Russie, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, de faire
pression sur l’Iran dans le but d’entamer des discussions sur un
nouveau traité. Les diplomaties des trois nations d’Europe de l’Ouest
ont fait savoir rapidement qu’elles y étaient opposées, tout en
soulignant que le traité ayant force de loi s’avérait « le point culminant
de 13 ans de diplomatie ». 13 ans ! Quant au président iranien Hassan
Rohani, il déclarait que son pays ne considérerait « aucun
amendement ».
Lorsqu’on s’attarde à cette position, et notamment à l’obligation qui
est faite au président d’annoncer à intervalles réguliers ses couleurs à
propos de l’Iran, c’est à se demander si sa politique ne relève pas
uniquement de l’entêtement dans la version la plus vaniteuse qui soit.
Car en refusant la certi cation à l’Iran, il sait pertinemment qu’il oblige
le Congrès à se pencher sur le sujet, il sait surtout que pour que la mise
en berne du traité soit commandée, il faut que 60 sénateurs la votent.
Autrement dit, que huit voix démocrates seraient nécessaires. Or ces
derniers, ers justement de ce que l’administration Obama est
parvenue à faire à cet égard, ont martelé qu’il n’en était pas question.
LE « OUAIBE » DE L’HYPOCRISIE FINANCIÈRE
C’est à se demander si parfois la démocratie ne serait pas un objet
politique mal identi é. Oui, on a le droit de vote. Certes, on a le droit
d’expression. Mais lorsque vient le temps d’interroger la qualité
démocratique, voire l’essor de celle-ci, alors là… hou la la ! Tous aux
abris ! Bon. Prenez les jeunesses propriétaires du « ouaibe », « des
Internets » sis dans la Silicone Valley. Quand on leur demande d’être en
représentation sur la place publique en jouant du frisbee aux couleurs
de l’arc-en-ciel d’une main, sirotant un smoothie au litchi de l’autre,
tout en écoutant les formations musicales de « cool California »
disserter sur le sexe des anges, les jeunesses en question n’hésitent pas
à jouer les guignols devant les caméras.
Par contre, quand il s’agit de répondre à leurs inclinations politiques, à
leurs obligations sociales et donc à certains devoirs de transparence que
cela exige, là c’est silence dans les rangs. Tous les rangs, du petit
personnel au grand chef évidemment. Car charité bien ordonnée… Le
19 octobre, deux sénateurs démocrates, Amy Klobuchar, du Minnesota,
et Mark Warner, de Virginie, et le Républicain John McCain, déposaient
un projet de loi visant tout simplement à discipliner les acteurs du Net.
En n ! Baptisé Honest Ads Act, ce projet visait plus particulièrement
Facebook et Google qui s’accaparent 85 % (!) des placements
publicitaires e ectués sur le Web.
En fait, après que diverses agences de renseignement, soit la CIA, le
FBI et la NSA, eurent assuré que les Russes s’étaient invités dans la
campagne électorale a n de la déstabiliser au pro t de Trump, des élus
se sont en n réveillés. D’autant, il faut le souligner deux fois plutôt
qu’une, que la loi fédérale interdit aux étrangers d’investir dans les
élections américaines.
Tout logiquement, les trois auteurs du projet de loi voulaient que les
géants du Web et tous les autres soient obligés de faire ce que l’on exige
des quotidiens, des hebdomadaires, des mensuels, des radios et des
télévisions, soit divulguer l’identité des partis et personnes qui achètent
de l’espace publicitaire à des ns politiques. Sous l’administration
Obama, la Federal Election Commission (FEC) a demandé à plusieurs
reprises aux entreprises concernées de renforcer leur réglementation
en cette manière. Ces requêtes ont toujours été ignorées.
En fait, quand on y songe, les positions récentes formulées par la FEC
sont à bien des égards en contradiction avec la politique xée en
matière de publicité politique en 2006 par cette même commission,
alors que Bush était à la tête du pays. En mars 2006, les six membres qui
composent le conseil d’administration de la FEC votaient à l’unanimité
sur le fait que toute activité politique ne serait pas soumise à la
réglementation à laquelle sont soumis les médias conventionnels.
Il était même précisé que les blogueurs et autres activistes qui
percevraient des sommes découlant de commandites seraient
également exemptés. Cela explique que les frères Koch, Robert Mercer
et autres milliardaires libertariens ont investi des sommes colossales ici
et là dans le Web. En d’autres termes, le sourire permanent de la
directrice des opérations de Facebook, Sheryl Sandberg, et l’air de faux
crédule de son patron, Mark Zuckerberg, cachent une hypocrisie
abyssale, leur entreprise étant, pour une bonne part, une caisse de
résonance de la haine. Point !
PREMIÈRES ACCUSATIONS
Robert S. Mueller III signe un gros coup dans la matinée du 30 octobre :
il annonce que Paul Manafort est accusé d’avoir blanchi des millions et
des millions de dollars et d’avoir camou é les services qu’il a dispensés
en Ukraine pour le béné ce du parti pro-russe dirigé par Viktor
Ianoukovytch. Il avait « omis » en e et de se déclarer comme un
lobbyiste travaillant pour un pays étranger. Son associé et conseiller de
Trump pendant la campagne, Rick Gates, est lui aussi accusé.
Une heure plus tard, Mueller annonçait qu’un autre conseiller de
Trump, George Papadopoulos, était accusé d’avoir menti aux agents du
FBI et d’avoir été complice des agissements des Russes en jouant les
intermédiaires à plus d’une reprise. En fait, on apprenait que cela faisait
des semaines que Papadopoulos avait avoué avoir menti et collaborait
depuis avec les procureurs rattachés à l’équipe de Mueller. Bref, la
nouvelle était particulièrement mauvaise pour Trump.
Car entre les admissions de ce dernier et les échanges de courriels
saisis par les limiers de Mueller, on apprenait que lors d’une rencontre
tenue en juin 2016 à la Trump Tower, des représentants russes o raient
aux responsables de la campagne Trump de les aider de manière à
favoriser la victoire de Trump en leur fournissant des courriels propres
à noircir la réputation de Clinton.
Pour revenir à Manafort, Mueller précisait que ce dernier avait
blanchi pas moins de 18 millions de dollars en achetant des biens
immobiliers, des tapis de grande valeur, des autos de luxe, etc. Il avait
perçu des millions en prenant un soin particulier à ne pas les déclarer !
En d’autres mots, l’homme chargé de la campagne du futur président
des États-Unis était également un escroc scal.
Dans le cas de Papadopoulos, on apprenait aussi que Sam Clovis, qui
dirigea l’équipe de conseillers en a aires étrangères du candidat
Trump, était au courant des multiples contacts que celui-ci avait eus
avec des intermédiaires russes dans le but d’organiser notamment une
rencontre de Trump avec des notables en Russie.
Cela étant, un détail mérite d’être mis en relief car très révélateur de la
méthode Mueller. Plus précisément, de son culte pour la discrétion.
Règle générale, dans les dossiers importants, le ministère de la Justice
invite les avocats à discuter avec les procureurs des accusations qui
seront portées dans les 24 heures contre leurs clients, voire dans
certains cas des arrestations. Dans le cas qui nous occupe, ni les
défenseurs de Manafort ni ceux de Gates n’avaient été mis au parfum
des intentions de Mueller.
On découvrait également que l’usage fait par les Russes des sites
Facebook, Twitter et Youtube, la liale de Google, avait été beaucoup
plus important que ce qui avait été avancé jusqu’à présent. Beaucoup
plus important que ce qui avait été con é par les directions de ces
entreprises. À l’évidence, pour dire les choses platement, les
Zuckerberg, Larry Page et consorts ont logé leurs relations avec l’État à
l’enseigne du mensonge dans sa forme la plus grossière qui soit. Donc
ignoble !
Les chi res dévoilés à ce propos par le New York Times au terme d’une
enquête montrent que les agents russes ont disséminé des messages
aux contenus incendiaires ou faux qui ont atteint 126 millions d’usagers
de Facebook, que 131 000 interventions sur Twitter se sont conjuguées
avec la malveillance, qu’au moins 1 000 vidéos de Youtube relevaient de
la pure imagination.
On a découvert notamment que la rme au patronyme très sobre
Internet Research Agency était en fait un paravent érigé par les agents
russes et qu’elle fut très active plusieurs mois avant l’élection du
8 novembre. Par exemple, Twitter a reconnu que 2 700 de ses comptes
étaient directement liés à l’entreprise russe et que les tweets traitant de
l’élection avaient été lus par 288 millions de personnes.
Facebook a reconnu que 80 000 commentaires négatifs di usés par
son réseau avaient été lus par 29 millions de personnes. Facebook a
reconnu que son service de sécurité avait réalisé que bien des employés
des partis politiques avaient reçu des menaces signées par le groupe
APT28. Signe particulier de ce dernier ? C’est une o cine des services
de renseignements de l’armée russe.
Et qu’a fait Facebook ? Est-il intervenu puisque son principal
conseiller juridique, Colin Stretch, trouvait « très troublants » ces
messages consacrés à la race, à la religion, au port d’armes et aux gais et
lesbiennes ? Niet. Rien de rien. Mais monsieur a promis que Facebook
« est déterminé à prévenir ce genre de choses ». À quel prix SVP ?
Chapitre 17

JOE SIX-PACK HABITE


BUTTE, MONTANA

En n ! On a vu Joe Six-Pack. Depuis le temps qu’on entendait parler de


lui, de ce citoyen économiquement associé aux pauvres dans un pays où
réside le contingent le plus imposant de riches d’entre les riches de la
planète, on était curieux. On l’a vu plus d’une fois. La première, c’était
au Walmart de Iron Moutain, dans le Michigan.
Il était devant nous, dans l’allée no 3. Il n’était pas gros ou enveloppé,
mais bel et bien obèse. Sa compagne, qui était peut-être sa sœur ou sa
cousine, allez savoir, l’était également. Dans leur panier étaient
superposées six pizzas, catégorie ultra-large. Il n’y avait rien d’autre que
ce mille-feuille chimique qui bousille tant la santé du bipède que c’est à
se demander si derrière Pizza Hut ou Domino Pizza ne se cachent pas
Dow Chemical ou DuPont de Nemours.
Comme nous étions « au plus meilleur pays du monde puisqu’il est le
seul à béné cier de la protection du petit Jésus », une voix intérieure
s’est manifestée. En fait, elle a formulé un ordre. Le suivant : « Sors de
là ! Va calculer et comparer. » Quoi donc ? Combien il en coûterait pour
faire une simple soupe de légumes sans que ce soit une crème de
cresson ou un potage parmentier aux poireaux.
Mais voilà, comme nous étions au royaume du capitalisme qui incline
souvent au capitalisme stalinien – tout ce qui ressemble à la
concurrence doit être écrasé, laminé, ventilé –,on a vite constaté que
bien des légumes étaient vendus en gros et non au détail. Bref, le calcul,
le juste calcul, s’est révélé impossible.
Alors on est allés dans l’allée des produits surgelés. Là, on a tout
d’abord réalisé que l’espace séparant les congélateurs qui se font face
est plus large que celui des autres rangées. On a surtout réalisé que la
marque de pizza choisie par Joe Six-Pack était cette semaine-là en
solde. Autrement dit, à vue d’œil, il était plus économique d’acheter six
spécimens de cet engin alimentaire conçu en Italie au Xe siècle que de
faire un potage qu’il faudrait tôt ou tard accompagner d’un plat plus
consistant.
Ensuite, on a aperçu Joe à Bismarck, au Dakota du Nord, ville baptisée
en l’honneur de « l’inventeur » de… l’État-providence, avant de le
retrouver à Billings dans le Montana. Là, juste derrière un hôtel
fréquenté par des gens qui ne sont pas des pauvres et qui est situé sur
une des artères principales de la ville, il y a un magasin de la Saint-
Vincent-de-Paul. Particularité de ce dernier ? La taille de la surface
allouée à son stationnement qui, lui, fait pratiquement face au point de
chute local de l’Armée du salut et de sa soupe populaire.
Ce n’est qu’après avoir arpenté les rues de ces villes qu’on a compris
que Joe Six-Pack habitait en fait à Butte, dans le Montana. Pour dire les
choses simplement, la trame urbaine de cette ancienne capitale minière
se décline à l’enseigne du déglingué. Du foutoir. Car ici, on ne compte
plus les résidences abandonnées, donc placardées, qui sont rattachées
des deux côtés ou, au mieux, semi-détachées. On ne compte plus les
puits miniers abandonnés eux aussi et qui « décorent » l’horizon de
cette ville où il y a promiscuité de pauvres. Parmi les épiceries, d’ailleurs
peu nombreuses, où ils peuvent faire leurs emplettes, on a relevé celle-
ci dont le nom est en soi un programme : Terminal Food Center.
À proximité de cette dernière, sur West Park Street, il y a la librairie
Books & Books. Entre autres caractéristiques, elle propose Mein Kampf.
Ce qui au fond n’est pas étonnant quand on sait que le Montana compte
le plus grand nombre ou parmi le plus grand nombre de sympathisants
nazis du pays pour ne pas dire de miliciens armés qui veulent, entre
autres choses, gommer la présence du migrant du paysage.
Complètement, totalement.
Dans les environs de Books & Books et de Terminal Food Center, on a
relevé la présence d’un bon nombre de marchands qui ont fait du
désespoir leur valeur d’usage et donc leur valeur marchande. Il s’agit
évidemment des églises. Elles sont toutes présentes. L’anglicane fait
face à la luthérienne qui voisine l’épiscopalienne derrière laquelle se
trouve la catholique, etc.
L’une d’entre elles, une catholique, occupe un lieu qu’on osera
quali er de stratégique. Elle est juste en face de l’entrée d’une mine de
cuivre qui appartenait à l’Anaconda Copper Mining Company, liale de
la gigantesque Amalgamated Cooper Company, qui compta au cours de
son histoire les Rockefeller et les Rothschild parmi ses principaux
actionnaires. C’est dire l’attirance profonde que ce lieu suscita en
matière de rendement sur l’avoir des actionnaires.
La place de cette église avait ceci de stratégique : la mort. Dans son
livre Montana – High, Wide, and Handsome, publié par Bison Books,
l’historien et journaliste Joseph K. Howard souligne que lors du boom
minier, et plus particulièrement au cours du premier tiers du siècle
antérieur, il ne se passait pas un jour sans qu’un mineur ne meure ou ne
soit grièvement blessé.
Howard raconte que mis à part les accidents, la cause principale de
cette hécatombe était la silicose : 42 % des mineurs en sou raient.
42 % !!! Il en allait ainsi parce que les dirigeants des diverses sociétés
qui exploitaient, outre le cuivre, l’or, l’argent et autres s’opposaient avec
force à toute amélioration des conditions de travail des grands-parents
de Joe Six-Pack. Howard : « Butte est née dans la violence, l’alimente et
vit avec elle. »
La présence de cette violence quotidienne était induite par l’extrême
richesse de son sous-sol ainsi qu’en témoignent les 4,7 km de tunnels.
Howard rappelle que la butte est réputée avoir été la colline la plus
riche du monde pendant plusieurs décennies. Puis, pour faire court,
tout s’est éteint lorsque l’Anaconda Cooper Mining Company a fermé au
début des années 1980.
Depuis, Butte n’est plus rythmée par la violence, mais par le déclin.
Aussi lent que constant. Il en va à Butte comme il en va au fond dans
tout le Montana, le Dakota du Nord, le nord du Michigan, le centre et le
nord-est de l’État de Washington. Ici et là, les jeans ne sont pas troués
par une mode imbécile, mais élimés par la pauvreté.
Dans le cas du Montana, le contingent de Joe Six-Pack totalise 14 % de
la population. Parmi eux, ceux que l’on a inscrits à la rubrique de
l’extrême pauvreté représentent 6,5 %. Ces chi res combinés à ceux de
l’ensemble du pays ont provoqué une vive polémique entre
l’administration Trump et l’ONU. Dans le courant de juin 2018, les
experts de cette dernière ont publié leur rapport sur la pauvreté aux
É
États-Unis. Ils ont calculé que ce pays comptait 40 millions de Joe Six-
Pack dont 18,5 millions prisonniers de l’extrême pauvreté.
La Maison-Blanche a rétorqué que de ces derniers, le pays en
comptait 250 000. Quant à Nikki Haley, ambassadrice des États-Unis à
l’ONU, elle a martelé que le rapport « était politiquement motivé » et
qu’il « est manifestement ridicule que l’ONU examine la pauvreté en
Amérique ». Bref, l’avenir des riches s’annonce radieux. Celui de Joe
Six-Pack ? Rien à foutre !
Chapitre 18

NOVEMBRE 2017 :
LES FAUX JETONS

Au début du mois, les hauts dirigeants de Google, Facebook et Twitter


dé laient devant les membres de la Commission sénatoriale de la
Justice qui planchaient sur les interventions des Russes durant la
campagne électorale. De ces trois mastodontes du Net, Facebook fut
particulièrement visé pour cause d’indolence, voire d’indi érence à
l’endroit des hostilités, sous des formes diverses, que les contingents de
la malveillance, qu’ils soient d’origine russe ou autre, s’appliquaient à
mener avec un doigté certain.
Si les « vépés » de Facebook furent davantage malmenés que leurs
homologues de Google et de Twitter, c’est tout simplement parce que
leur grand chef, soit Mark Zuckerberg, avait déclaré du haut de sa
chaire située à Russian Hill à San Francisco qu’a rmer qu’une
puissance étrangère s’était invitée dans la campagne présidentielle était
« une idée stupide ». CQFD : les services de renseignements de son pays
formaient donc le troupeau des idiots utiles. P f !
Non seulement le patron au t-shirt bleu perle avait-il quali é l’idée en
question de stupide, mais il avait, avec le concours de plus d’un de ses
collaborateurs, balayé du revers de la main l’importance accordée aux
fausses nouvelles. C’est à se demander si l’éducation littéraire de
monsieur Zuckerberg ne fut pas particulièrement bancale. Nier
l’importance de la confection de légendes quand on a été le forgeron du
premier réseau social du « ouaibe », mettons que cela revient à prendre
la classe politique américaine au grand complet pour une bande
d’idiots.
Lors d’un échange particulièrement musclé, le sénateur démocrate du
Delaware, Chris Coons, devait notamment demander : « Comment se
fait-il que Facebook ait attendu 11 mois avant de venir nous consulter et
nous aider à mieux comprendre l’étendue du problème, à mieux voir le
problème qu’il représente, avant de commencer à travailler sur une
réponse législative propre à le régler ? »
À la faveur des débats sur le cas russe, on réalisait que les modèles
d’a aires de Facebook et consorts reposant sur l’argent récolté par la
vente de pubs, ces entreprises avaient adopté, en matière d’éthique, une
politique de laisser-faire si prononcée qu’elle constituait en fait un
encouragement à la production de fausses informations. Grâce aux
analyses de contenus de Media Matters, on apprenait qu’outre l’histoire
russe, des organisations bien structurées et disposant de budgets
conséquents s’acharnaient à publier de fausses informations, en
particulier pour tout ce qui a trait à l’avortement, aux droits de
reproduction, à l’actualité scienti que, la santé, les droits civiques et les
changements climatiques.
Par exemple, l’organisme LifeNews, dont la page Facebook est suivie
par un million d’abonnés, passe temps et énergie à fabriquer de fausses
études dont certaines assurent que l’avortement aujourd’hui égale un
cancer du sein demain. Entre les échanges sur le cas russe et les fausses
informations, les patrons de ces entreprises nissaient par faire une
admission : l’usage abusif de leur plate-forme est e ectivement
beaucoup plus répandu que ce qu’on avait cru jusqu’à présent. Il y eut
tout de même une exception : Google.
En e et, conscient que l’avenir législatif de ces entreprises pourrait
être à l’image des retentissements que l’on prête aux vents contraires, le
conseiller général de Google, Kent Walker, a insisté, répété, lors des
audiences devant la Commission, que Google n’était en rien un réseau
social, mais bien un site de référence. Point.
TOUT CONTRE MUELLER
Le procureur spécial Robert Mueller fait ce que doit : il enquête. Puis il
découvre des cadavres politiques dans les placards de la sphère
républicaine. Alors, il interroge. Il met en examen. Il arrête. Sur les
330 millions de citoyens que compte le pays, un est plus agacé que tous
les autres par ses avancées. Il s’agit évidemment de Trump. Comme ce
dernier est en ligne directe avec les agités médiatiques de l’extrême
droite, Fox, New York Post, Washington Times et consorts, il faisait
savoir au début du mois qu’une idée le démangeait plus que toute autre :
ordonner le renvoi de Mueller.
Sans demander leur reste, les agités en question se faisaient un devoir
d’ajouter des louches d’allusions, d’inventions. Bref, Sean Hannity, le
chef de le des commentateurs déjantés, fanatisés, et ses acolytes
multipliaient les attaques a n de discréditer dé nitivement Mueller. À
le descendre. Les moyens employés devaient se révéler à leur image : un
mélange de fourberie et de sectarisme.
Selon Hannity, la véritable complice des Russes s’appelle Hillary
Clinton. Car selon lui, cette dernière – accrochez-vous bien – voulait en
fait détruire sa candidature. Et d’une. Et de deux, Hillary et son mari de
président ont vendu de l’uranium américain aux Russes. Et de trois,
alors qu’il était patron du FBI, Mueller n’a jamais enquêté sur cette soi-
disant vente. Il est donc le complice des Clinton. Son successeur James
Comey également puisqu’il était en lien avec lui.
Jeanine Pirro, la folle du logis médiatique qu’est Fox News, ira jusqu’à
marteler sur les ondes : « Il faudrait arrêter tout ça. Il faudrait renverser
la table et l’emprisonner. » Qui donc ? Hillary Clinton. Car c’est elle qui,
avec l’aide de Barack mais aussi de Michelle Obama, a construit de
toutes pièces « la lière Trump et les Russes ». Éditorialiste au New
York Post, autre propriété du bateleur en chef de la haine qu’est Rupert
Murdoch, Michael Goodwin ira jusqu’à demander la démission
immédiate de Mueller, car ayant été chef du FBI sous Obama il fut
nommé tout d’abord par George Bush, il s’est abstenu d’enquêter sur ce
qui s’est passé sous cette présidence.
On notera que Hannity, Jeanine Pirro, Goodwin, sans oublier les
abonnés aux commentaires elleux et racistes que sont Laura
Ingraham, Ann Coulter et Lou Dobbs, s’époumonaient au moment
même où les patrons de Facebook, Twitter et Google reconnaissaient,
preuves à l’appui, que les Russes étaient intervenus au pro t de Trump.
On retiendra également qu’au lendemain du asco que fut la
couverture de la soirée électorale de la présidentielle 2000 ayant
opposé Al Gore à George W. Bush, Roger Ailes, alors président de Fox
News, s’était engagé, devant les sénateurs qui l’interrogeaient, à
introduire une bonne dose de sérieux et de neutralité. Cet engagement
ne fut jamais tenu. Comme quoi, et ainsi qu’avait coutume de le
chuchoter ce cher Raymond Queneau, le papa de Zazie, « ce n’est pas la
faute des mots si certains d’entre eux sont gros ».
On soulignera en n que conscient, dès les heures suivant sa
nomination, que son enquête susciterait un torrent de réactions et
surtout d’agressions, Mueller a pris un soin maniaque à former la
meilleure équipe de juristes et procureurs qui soit. En fait, il était
parvenu à convaincre les as des as. On pense notamment à son chef
d’équipe, Andrew Weissmann, qui après des mois d’enquête avait réussi
à faire tomber Vincent Gigante, le patron de la famille ma euse des
Genovese, ou encore les dirigeants de Enron ou… etc.
LE NOUVEAU CHEF DE LA FED
Le 2 novembre, Trump dévoilait l’une des plus importantes décisions
que doit prendre tout président tous les quatre ans, soit nommer ou
reconduire le président de la Réserve fédérale (FED), que bien des
initiés de la politique américaine considèrent comme le poste le plus
important après celui de président. Trump avait choisi Jerome H.
Powell pour succéder à Janet L. Yellen.
Ce faisant, le chef de l’Exécutif se distinguait à deux égards. Il avait
opté pour une personne qui, contrairement à tous ses prédécesseurs
depuis 1979, alors que Jimmy Carter était président, n’avait pas étudié
l’économie. Plus précisément, Powell détient un diplôme en sciences
politiques et un autre en droit. Dans le passé, il a occupé un poste
important au Trésor, mais a surtout travaillé comme banquier
d’a aires, notamment pour le Carlyle Group, avant d’être nommé par
Obama à un poste de gouverneur de la Fed. L’autre singularité ? Pour la
première fois depuis Reagan, Trump s’abstenait de reconduire un
patron de la Fed ayant été choisi par un président lié au parti politique
adverse.
De Powell, ses collègues de la Fed, de Carlyle et autres disent qu’il est
un Républicain centriste et pragmatique. Sur le plan macro-
économique, on s’attend à ce qu’il colle à la politique xée par Yellen,
puisqu’il a toujours voté avec elle, soit augmenter les taux d’intérêt à un
faible pourcentage, mais avec constance, et vendre sur une base
régulière les actifs que la Fed avait achetés dans la foulée de la crise
nancière de 2008.
Cela étant, il faut s’attendre à ce que les élus démocrates et des
personnalités de poids comme les économistes Paul Krugman, Prix
Nobel d’économie, et Nouriel Roubini, qui avait prévu avant tout le
monde le désastre nancier de 2008, questionnent avec ardeur sa
politique. Car autant ces derniers estiment encore et toujours que le
dé cit constaté sur le plan des balises réglementaires risque de
favoriser une autre crise, autant les Républicains, Trump en tête,
jugeaient qu’il y avait encore beaucoup trop de règles.
À cet égard, Powell est entre les deux pôles. S’il pense qu’il y a matière
à réduire le nombre de balises, il trouve que le plan de Trump est trop
laxiste. Bref, c’est à suivre.
ROBERT MERCER QUITTE RENAISSANCE
On sait peu que le richissime Robert Mercer, codirigeant du fonds
spéculatif Renaissance Technologies, a investi, et non simplement
donné, plus de 20 millions dans la campagne de Trump. On sait trop
peu qu’à titre de plus gros donateur, il a imposé Steve Bannon comme
directeur de campagne de Trump pour remplacer Paul Manafort ainsi
que d’autres collaborateurs. On sait moins qu’il est le principal
actionnaire du site d’informations Breitbart. On sait encore moins qu’il
est un des principaux actionnaires de la rme britannique Cambridge
Analytica versée en magouilles électorales.
Par contre, un fonds de pension savait. Lequel ? Celui des policiers et
des pompiers de Baltimore. Ses dirigeants savaient et comme ils ne
partageaient pas du tout les idées, notamment racistes, de monsieur
Mercer, ils ont demandé le rapatriement des 33 millions qu’ils avaient
con és aux gestionnaires de Renaissance Technologies qui, soit dit en
passant, est le fonds qui a aligné les meilleurs rendements sur l’avoir
des actionnaires depuis 1990. Pour la petite histoire, on rappellera que
ce fonds a été fondé par un mathématicien de haut vol qui avait travaillé
pendant des années pour le Pentagone. Il s’appelle James Simons. Il
supportait Hillary Clinton.
Une fois rendu public, le retrait de la caisse de Baltimore, voilà que
d’autres décidaient de l’imiter ou à tout le moins d’interpeller les
personnes concernées par l’administration des retraites. Ce fut tout
d’abord la Michigan State University, puis la State University de New
York, puis le Public School Retirement System of Missouri, etc.
Ce chapelet de contestations fut évidemment observé et discuté au
sein de Renaissance Technologies. Puis le 2 novembre, Mercer
annonçait sa démission. Les autres dirigeants rent notamment
remarquer que la présence de Mercer et son activisme politique
auraient un e et pervers notable : convaincre les meilleurs des
mathématiciens, des météorologistes, des astrophysiciens de les
rejoindre serait plus di cile.
DES CADEAUX, TOUJOURS PLUS DE CADEAUX
Et dans la matinée du 2 novembre, le père Noël de la scalité déposa sa
hotte devant les élus de la Chambre des représentants. Il l’ouvrit et
dévoila des milliards et des milliards, des centaines de milliards de
cadeaux sous la forme de réductions scales, voire d’exemptions totales.
Des cadeaux conçus pour le bien-être des riches d’entre les riches et des
grandes corporations, mais non des PME. Ce père Noël qui, dans ses
temps libres, est le père fouettard des classes moyennes et des pauvres
s’appelle Kevin Brady. Il est le président républicain du Committee on
Ways and Means (Commission des méthodes et moyens). Bref, le
régisseur des plaisirs du prince.
Le 2, Brady et son grand chef Paul Ryan exposaient leur loi de réforme
du code scal du pays. Au cœur de celle-ci, il y avait ceci : l’impôt des
sociétés sera réduit de 15 % d’un coup ! De 35 à 20 %. En d’autres mots,
les Républicains accordaient des déductions scales totalisant tenez-
vous bien 1 000 milliards sur 10 ans. Les Républicains convenaient de
creuser le dé cit fédéral, même s’ils s’en défendent, de 1 000 milliards
et 500 millions supplémentaires. Car outre cet impôt, nos chers
Républicains faisaient des cadeaux particuliers aux promoteurs
immobiliers. Ceux qui voient là un cadeau fait à maître Trump et à sa
famille sont évidemment des esprits malfaisants.
Au moins, ce qu’il y a de bien avec les Républicains, c’est que leur
argumentaire est toujours le même depuis que Reagan a orchestré la
première valse des soustractions scales. Autrement dit, tout ce qu’il
nous reste à faire est un copier-coller de ce que l’on a écrit mille et une
fois. À savoir que l’argent accordé aux riches va retomber illico sur tous
les autres, sauf que…
D’ailleurs c’est à se demander si les remontrances que Trump
adressait régulièrement aux Européens en général et à Angela Merkel
en particulier ne seraient pas en fait une mascarade, un faux-semblant.
Car si l’on se e à l’étude que Steven Rosenthal du Urban-Brookings Tax
Policy Center a consacrée à la réforme de Brady et Ryan, on constate
que sur les 1 000 milliards alloués aux entreprises, les investisseurs
étrangers, les détenteurs européens ou japonais d’actions d’entreprises
américaines, vont récolter 70 milliards par année ou 35 % du total
annuel.
Quand aux autres Américains, ceux des classes inférieures, c’est bien
simple, la majorité d’entre eux devra payer, essuyer les pots cassés par
l’appât absolu du gain. Histoire de combler tout de même une portion
du dé cit que va engendrer la manne des cadeaux, Brady et ses acolytes
ont décidé de supprimer les déductions prévues à des ns médicales,
celles aux dépenses scolaires ou encore celle tant appréciée par les
classes moyennes, soit une déduction du pourcentage lié à l’intérêt sur
les hypothèques. Bref, la vaste majorité est condamnée à multiplier les
génu exions nancières pour le béné ce (sic) des riches. Amen !
COUP DE CHAUD
Après bien des tergiversations, le pouvoir exécutif permettait au début
du mois la publication de l’étude que les scienti ques à l’emploi de
13 agences fédérales mènent tous les 4 ans sur les changements
climatiques. Sa conclusion est que ce sont bel et bien les humains qui
sont la cause dominante du réchau ement. Selon leurs calculs, au cours
des 115 dernières années, la température moyenne a augmenté de 1,8 °F
(1 °C).
Ce faisant, les physiciens, les astrophysiciens, les météorologues et
autres maîtres en équations scienti ques, supervisés par la National
Oceanic and Atmospheric Administration, contredisaient encore une
fois mais avec plus de force que d’habitude les professions de foi des
trois plus hauts responsables politiques concernés par cette question.
Soit le président Trump, le patron de l’EPA, Scott Pruitt, et le ministre
de l’Énergie, Rick Perry, qui, le matin même de la publication de l’étude,
avait poussé la prétention jusqu’à a rmer que concernant ce dossier,
« la science a tout faux ». Ramener des dizaines de chercheurs de haut
vol à une bande de cancres, c’est ce qu’on appelle le comble du culot.
Dans cette histoire, un aspect singulier doit être mis en relief. À titre
de directeur du National Economic Council, il revenait à Gary Cohn de
s’assurer de la validité de l’étude et d’autoriser sa publication. Certains
auraient préféré une mise entre parenthèses de l’étude en question,
mais l’aval accordé a prévalu sur le désir de censure manifesté en haut
de l’appareil d’État.
Cela étant, les scienti ques avançaient dans leur rapport que 16 des
17 dernières années ont été les plus chaudes depuis que l’on compile des
statistiques à ce propos. Ensuite, les dégâts causés par les températures
extrêmes, ouragans, inondations, etc. ont coûté 1 000 milliards et
100 millions aux États-Unis. Et les chercheurs ont réalisé qu’aucun État
de la fédération n’avait été épargné par les conséquences inhérentes au
phénomène.
Pour bien des experts en ces choses, le pays est exposé à un sacré dé .
Les principaux politiques du pays n’accordant aucun crédit aux travaux
des scienti ques de leur pays, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils
planchent sur l’élaboration de plans propres à améliorer la situation en
la matière. Pour reprendre une citation dans le New York Times de
Christopher Field, directeur du Stanford Woods Institute for the
Environment, « choisir d’être idiot dans notre relation avec le monde
naturel revient à choisir de se mettre derrière la boule noire ».
ADVERSAIRE LE LUNDI, AMI LE MARDI
Jamais depuis sa victoire à la présidentielle un an auparavant, Trump
n’avait si bien personni é, en novembre 2017, ce qu’on nomme parfois
la politique de la girouette. Avant tout, il faut rappeler que sa tournée en
Asie commençait par un discours devant les militaires américains basés
à Yokota, dans les environs de Tokyo, puis se poursuivait avec une
rencontre avec le premier ministre japonais Shinzo Abe puis avec le
président chinois Xi Jinping.
Dans la matinée du 5 novembre, le président se présentait devant des
milliers de soldats rassemblés avant d’en ler les rodomontades
rythmées par les roulements de ses mécaniques corporelles. Genre,
comme disent les gamins dans les cours d’école, « mon papa est plus
fort que le tien ». C’est sérieux ! Tenez, aux soldats il disait ceci : « À la
maison tout commence, je vais vous le dire et au fond vous le savez,
vous le voyez, tout commence à aller très bien. » Et ce « depuis que lors
d’une journée, très très spéciale, et qui s’appelle le jour de l’élection »,
vous avez élu le Grand Commandeur.
Aux soldats, il a rmait que si la Bourse enchaînait les bonnes
performances, c’était grâce à lui, si le chômage avait encore baissé,
c’était encore et toujours grâce à lui. Ce faisant, Trump rompait avec
une tradition bien établie chez les présidents : lorsqu’on est à l’étranger,
on s’interdit de faire un discours électoral. Autrement dit, on
commente au minimum ses politiques intérieures. Passons.
Puis, il soulignait que les forces présentes devant lui et celles
disséminées un peu partout en Asie-Paci que étaient prêtes à défendre
les États-Unis et tous leurs alliés dans la région dans le but de
« renverser par la force » leurs adversaires. « Personne aucun dictateur,
aucun régime et aucune nation, ne doit sous-estimer la volonté
américaine. »
Après avoir emprunté aux accents guerriers, il développait l’idée
centrale de sa politique dans la région. Plus exactement, il appelait à
l’émergence d’un bloc « Indo-Paci que libre et ouvert », formé d’abord
et avant tout des grandes démocraties du coin, soit l’Inde, l’Australie et
évidemment le Japon. En fait, l’idée en question fut évoquée et discutée
une première fois par celui qui en est à l’origine, soit le Japonais Abe.
Son but ? Contrer la montée en puissance de la Chine.
En toile de fond, il faut retenir que depuis le retrait ordonné par
Trump, dans les semaines suivant son intronisation à la Maison-
Banche, du Traité de libre-échange Asie-Paci que, les 12 pays
concernés étaient plongés en pleins réajustements. Certains optant
pour la négociation de traités bilatéraux, d’autres se demandant si, à
long terme, il ne faudrait pas choisir entre la Chine et le Japon.
Après avoir échangé avec Abe sur un possible accord commercial
bilatéral, Trump partait à la rencontre de Xi Jinping. Il partait à la
rencontre d’un homme qui, à la faveur du congrès du Parti communiste
chinois tenu le mois précédent, avait obtenu un deuxième mandat et
surtout consolidé son emprise sur l’appareil du parti. Entre les renvois
et l’emprisonnement de centaines d’apparatchiks, des politologues
chinois assuraient que jamais depuis Mao Tsé-Toung un dirigeant
chinois n’avait été aussi puissant que Xi Jinping.
Une fois à Pékin, voilà que Trump est tout miel. Tout miel et eau de
rose. Alors qu’on s’attendait à ce qu’il attaque frontalement son
homologue sur le plan des échanges commerciaux entre les deux pays
et notamment sur sa politique de dé ation monétaire, Trump disait
comprendre la position chinoise. Il disait avoir salué le président pour
les progrès qu’il avait fait faire à son pays et qui font que les États-Unis
« sont si loin derrière ». Il disait qu’on ne peut blâmer la Chine d’avoir
tiré avantage de la faiblesse de la politique commerciale des États-Unis.
É
Autrement dit, si la Chine taille des croupières aux États-Unis sur le
front de l’économie, c’est la faute aux présidents qui l’avaient précédé.
Lorsqu’il était au Japon, lorsqu’il était aux côtés de Shinzo Abe,
Trump se faisait l’avocat du bloc Indo-Paci que. Puis, lorsqu’il fut aux
côtés de Xi Jinping, il déclarait : « Peut-être, maintenant plus que
jamais, avons-nous l’opportunité de renforcer notre relation. » Puis
s’adressant directement au dirigeant chinois, il déclara, sur l’air de la
déférence, « vous êtes un homme très spécial ».
Il n’en fallait pas plus pour que le numéro un chinois con e : « J’ai dit
au président que le Paci que était assez grand pour satisfaire aussi bien
la Chine que les États-Unis. » Avant de rappeler ce qui est au cœur de sa
politique étrangère : deux pays peuvent coexister paci quement s’ils
respectent les systèmes politiques de chacun. Pour la petite histoire, on
retiendra que Trump respecte tellement cette position qu’à la
di érence de ses prédécesseurs, pas une fois il n’avait abordé la
question délicate des droits de la personne.
Une chose est certaine. En entendant cela, en voyant tout cela, les
sourires des uns et des autres, le premier ministre japonais Abe a dû
avaler son saumon fumé de travers. Les dirigeants australien et indien
également.
Quoi d’autre ? En ce qui concerne, les échanges commerciaux et la
Corée du Nord, aucune in exion n’avait été notée. Trump a simplement
rappelé avoir demandé à son partenaire chinois de faire pression sur
Kim Jung-un. Bref, rien de neuf sous le soleil.
LES BIEN NOMMÉES ÎLES CAÏMANS
Trois jours après que les Républicains eurent révélé qu’il était dans leur
intention de « re ler » 1 000 milliards en cadeaux scaux aux grandes
sociétés plus d’autres dizaines de milliards aux riches, le journal
allemand Süddeutsche Zeitung et le Consortium international des
journalistes d’investigation (CIJI) communiquaient un chapelet de
chi res a érents à l’évasion scale. Les résultats avancés, après que le
quotidien allemand eut mis la main sur des documents secrets,
notamment ceux de la rme d’avocats britannique Appleby, sise aux
Bermudes, avaient ceci d’e arant qu’ils dépassaient l’entendement. Ils
relevaient de l’absurde.
En e et, l’e euillage scal des journalistes mettait en relief le
renversement de la logique que l’on prête depuis des siècles à une fable.
Le voici : la grenouille, l’archipel des Caïmans, est devenue aussi
pesante, économiquement causant, que le bœuf, Jupiter. Les chi res en
tout cas donnent le vertige.
Toutes les multinationales d’origine américaine ou dont le siège social
est situé aux États-Unis ont « stationné » l’équivalent de 63 % des
pro ts qu’elles enregistrent en dehors des États-Unis dans les paradis
suivants : les Bermudes, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’île de
Man, Jersey et Guernesey. Selon les calculs de l’Organisation de la
coopération et du développement économique (OCDE), Apple,
Amazon, Google et autres parviennent à faire perdre 240 milliards en
revenus d’impôts aux gouvernements à travers le monde, année après
année.
Comme ce fut le cas sous la présidence de Bush ls, des élus
républicains ont jugé que le meilleur moyen de récupérer une portion
des actifs liquides « planqués » ici et là consisterait à accorder une
amnistie scale aux entreprises, mais aussi aux riches. Car gurez-vous
que le seul cabinet Appleby, fondé par un major britannique de la n du
XIXe siècle qui détestait l’impôt, compte pas moins de 31 000 clients
américains dont la fortune de plusieurs d’entre eux dépasse le milliard.
Parmi les riches, on a relevé les noms de James Simons et Robert
Mercer de Renaissance Technologies, Bono, le séminariste du « rock-
pop-machin-chose », et comme il se doit sa majesté Élizabeth II. Après
tout, elle est la souveraine de bien des lieux-dits scaux où, comme à
Londres ou à Durham, l’on observe l’adage qui tient de constitution :
The King Can’t Do Wrong ! (Le roi ne se trompe jamais !) Ouille…
Ainsi donc, nos chers Républicains voulaient pardonner aux uns et
aux autres leurs méfaits. À l’évidence, ces messieurs n’avaient tiré
aucun enseignement du congé antérieur. Sous Bush, on avait constaté
que les patrons des dirigeants de Apple, Google, General Electric et
autres avaient pro té de l’occasion pour se remplir les poches en
rachetant des paquets d’actions. Ce qui a réduit l’o re d’actions et donc
a dopé leurs valeurs avec lesquelles nos chers présidents se gavent sur
une base annuelle.
De l’orgie de chi res dévoilée, l’un mérite beaucoup plus d’attention
que tous les autres : 2 000 milliards et 600 millions. C’est le montant
total que les entreprises américaines et seulement américaines ont
« garé » dans les maisons closes de l’économie. Un individu égare
1 000 dollars et ses mains sont agellées par les galériens des services
scaux. Des entreprises planquent… Cela fait penser au proverbe
stalinien : « Je tue une personne, elle devient un martyr, un symbole, et
je ne récolte que des emmerdements. J’en tue 12 000, je fais des
statistiques et je suis tranquille. »
Pour arriver à de tels résultats, les entreprises ont béné cié et
béné cient toujours des incroyables prouesses réalisées par le duo
formé d’avocats et de scalistes. Oui, il s’agit bel et bien de prouesses, de
créativité comptable. Car il faut savoir qu’on ne « planque » pas
uniquement de l’argent liquide, des actions, des obligations et autres
véhicules nanciers. On planque bien d’autres choses.
Par exemple, et ainsi que les journalistes du Consortium l’ont précisé,
la marque déposée de Nike, l’application utilisée par Uber, les brevets
de botox d’Allergan, la technologie du réseau Facebook et beaucoup,
beaucoup d’autres, comme les bateaux de luxe ou les résidences
secondaires, sont camou és dans le labyrinthe de la discrétion
nancière. Et pour parvenir à cela, notre duo s’est montré créatif et
surtout persuasif. Persuasif ? Notre cher duo a réussi à convaincre ici et
là les législateurs d’accorder des cajoleries pécuniaires à on sait qui.
Prenez l’Irlande. Ce pays mériterait le Nobel de la géographie scale
pour avoir inventé ce que dans le jargon on nomme « The Double
Irish ». Essayons d’éclaircir. Outre le fait que les rmes étrangères ont
la possibilité de négocier leur taux d’imposition, les autorités leur
permettent ceci : faire transiter les pro ts qu’elles ont enregistrés
partout en Europe par une liale située en Irlande et employant des
Irlandais avant d’acheminer ces pro ts dans une case postale d’une
liale irlandaise située, elle, aux Bermudes, aux Caïmans ou à l’île de
Man. Ce n’est pas tout.
Si vous êtes en mesure de faire la preuve que toute la stratégie, la
marche à suivre, la gestion, par exemple, de la liale qu’Apple a installée
en Irlande est bel et bien dirigée par le siège social situé lui en
Californie, no problemo, vous ne payez pas d’impôt en Irlande. En fait,
concernant Apple, mais aussi Amazon, Facebook et autres, la réalité est
toute simple : sur les sommes que ces entreprises récoltent en
Allemagne ou en France, leurs plus gros marchés européens, elles ne
payent pratiquement pas un sou d’impôt. Mais assurent, par voie de
communiqué évidemment, qu’elles sont respectueuses des lois des pays
où elles sont présentes. Cause toujours, tête de nœud !
Cela a fait ceci : Apple a « planqué » 236 milliards, P zer 178 milliards,
Microsoft 146 milliards, General Electric 82 milliards et Google bon
cinquième avec 78 milliards. Les cancres qui ont conçu le Monopoly
devraient plancher sur la physionomie nancière de Mister Hyde.
Money Talks, chantait Ray Davies…
MAINMISE SUR LA JUSTICE
Dans les jours suivant sa victoire, Trump avait ordonné à Donald F.
McGhan II d’élaborer dans la discrétion un plan ayant pour but de
nommer assez rapidement des juges très conservateurs aux postes déjà
vacants et aux postes à combler d’ici la n du mandat. Lorsqu’on
s’attarde aux chi res, plus précisément à celui des âges des magistrats
et donc à celui du départ à la retraite, on constate que jamais depuis
Nixon un président n’aura eu l’occasion d’imprimer sur le paysage
judiciaire du pays une in uence aussi marquée que celle de Trump.
McGhan devait nommer dans les délais les plus brefs des candidats
conservateurs aux postes de juges des diverses cours d’appel qui
dépendent du fédéral et qui, surtout, sont situées dans des États
remportés par Trump, mais où les sénateurs démocrates seront
confrontés au verdict des citoyens lors des législatives de 2018. Ces
États, comme l’Indiana, le Michigan ou encore la Pennsylvanie, ayant
voté majoritairement pour Trump, celui-ci faisait le calcul que les
sénateurs démocrates concernés ne feraient pas obstruction à ses
choix.
La liste fut composée dans une salle d’un bureau d’avocats situé près
du capitole, à Washington, et où, outre McGahn, avaient été convoqués
des membres de la Federalist Society et de la Heritage Foundation, deux
cercles de ré exion défendant des politiques qui se conjuguent avec
l’extrême droite.
Lorsque Trump s’est installé à la Maison-Blanche, on comptait
145 postes vacants au sein du système fédéral de justice, dont 18 dans
les cours d’appel. Pour bien mesurer l’importance de ces dernières, on
se rappellera qu’elles prennent 60 000 décisions par an versus 80 pour
la Cour suprême. C’est dire.
Une fois la liste établie par McGahn et ses collaborateurs en main, la
majorité républicaine s’est attelée à la tâche avec célérité. En un an,
12 candidats avaient été con rmés sur les 18 à combler. Sur ces
derniers, 14 étaient des hommes, 16 étaient des Blancs. Entre
l’embrouillamini et les calculs politiciens, les Démocrates ont été
incapables de contrer ne serait-ce qu’une nomination. Pourtant,
lorsqu’on s’attarde à la biographie de chacun de ces magistrats, à leurs
inclinations, on constate qu’il y avait matière à s’opposer avec force à
certains d’entre eux.
Une magistrate en tout cas y a vu. Elle s’appelle Shira A. Scheindlin.
Elle fut juge au sein de la Federal District Court. Depuis elle a été
nommée au conseil d’administration du Lawyers’ Committee for Civil
Rights Under Law. Dans une analyse e ectuée pour le béné ce du New
York Times, en date du 9 novembre, cette initiée à la philosophie du
droit livre un verdict au titre décoi ant : « Les choix délirants de Trump
pour les cours de justice » ou « Trump’s Crazy Choices for the Courts ».
Racisme, homophobie, lutte contre les droits des femmes, etc. : l’analyse
de Scheindlin montre que pas moins de 7 magistrats sur les 12 choisis
par le président Donald Trump appartiennent à la catégorie des
bipèdes déjantés, pour rester poli comme modéré. Mais que diable a-t-
on fait de l’enseignement juridique d’origine latine stipulant : In Medio
Stat Virtus. Il n’a probablement pas traversé l’Atlantique.
LE RENARD DANS LE POULAILLER
À la mi-novembre, Trump annonçait la nomination d’Alex Azar au
poste de secrétaire à la Santé et aux services sociaux, en remplacement
de Tom Price, qui avait démissionné en septembre à cause de son usage
abusif d’avions à des ns personnelles. Avant d’être parachuté à la tête
de ce ministère, Azar avait été le président et chef de la direction d’Eli
Lilly, un géant du monde pharmaceutique, et un des mandarins de ce
même ministère sous Bush.
Ce choix a été reçu, si l’on peut dire les choses ainsi, par des
commentaires souvent acides. Pour bien des élus démocrates et des
acteurs de la santé, en se portant sur Azar, Trump essaye encore une
fois, mais en dehors du Congrès, d’ébranler le socle politique sur lequel
repose l’A ordable Care Act d’Obama.
Pour d’autres, il est paradoxal que Trump nomme l’ex-patron d’Eli
Lilly alors que par tweets interposés, il a maintes fois critiqué les
compagnies pharmaceutiques pour avoir augmenté à plusieurs reprises
les prix des médicaments, dans des proportions telles qu’elles ont
convaincu bien des patients de porter plainte contre les sociétés Novo
Nordisk, Sano et Lilly.
En attendant la suite, cette nomination fut commentée en ces termes
par le représentant démocrate du Vermont Peter Welch : « Plutôt que
d’assécher le marais, Trump a introduit le renard dans le poulailler. »
À L’ATTAQUE !
Dans une lettre adressée le 13 novembre aux membres de la
Commission judiciaire de la Chambre des représentants, le ministère
de la Justice indiquait que ses procureurs étudiaient la possibilité de
désigner un procureur spécial qui serait chargé, si ces procureurs
décidaient de donner suite, de scruter les états nanciers de la Clinton
Foundation. L’ordre d’enquêter fut signé par Je Sessions.
En agissant de la sorte, Sessions donnait satisfaction à Trump, mais
à… moitié ! Des semaines durant, à coups de tweets parfois violents,
toujours injurieux, le président avait réclamé la nomination d’un
procureur spécial chargé de faire la lumière sur la circulation de
capitaux au sein de la fondation créée par l’ex-président Bill Clinton.
Plutôt que de nommer directement un procureur spécial comme le
souhaitaient également bien des élus républicains, Sessions a laissé ce
soin aux procureurs de son ministère.
Il faut préciser que cet ordre stipulait que les limiers de
l’administration judiciaire enquêteraient sur les liens possibles entre
une décision prise par des agences gouvernementales sous la
présidence Obama et les béné ces directs ou indirects que la Fondation
Clinton en aurait tirés. Cette décision autorisait la vente, courant 2010,
de la minière Uranium One, propriété d’actionnaires canadiens, à
l’agence d’énergie nucléaire de Russie. Parmi les neuf agences qui
avaient donné leur aval à la transaction, on comptait le Comité sur
l’investissement étranger dans lequel la secrétaire d’État, à l’époque
Hillary Clinton, détient un droit de vote.
Il est vrai que la fondation a reçu des millions de dons de personnes
ayant des liens de propriété avec Uranium One. Il est également exact
que Bill Clinton a perçu 500 000 $ d’une banque russe pour faire un
discours. Mais il n’existe aucune preuve que l’ex-secrétaire d’État
Clinton a voté en faveur de cette transaction ou encore qu’elle a
participé d’une manière ou d’une autre aux discussions des agences
gouvernementales sur ce dossier.
Durant la campagne, Trump avait évoqué à plusieurs reprises ce sujet
pour mieux mettre en relief ce qui était d’après lui un con it d’intérêts.
Lorsqu’on est candidat, il est usuel d’entendre des propos accusant son
adversaire de con it d’intérêts. Par contre aux États-Unis, depuis
l’a aire du Watergate, la tradition veut que le chef de l’Exécutif utilise
l’appareil gouvernemental, ici le ministère de la Justice, à des ns de
vengeance.
Mais voilà, dans le cas de Trump, depuis qu’il est lui-même le sujet
d’une enquête ordonnée par le numéro deux de la Justice et non le
ministre en titre, celui-ci étant un politique, il n’a pas cessé d’accuser
Sessions de faiblesse. Il n’a pas cessé de réclamer une enquête sur « la
malhonnête Hillary et les Démocrates » sous prétexte qu’ils étaient de
mèche avec les Russes.
S’IL LE DIT, C’EST QUE C’EST VRAI
Au milieu du mois, l’Alabama Media Group et le Washington Post
publiaient simultanément des entrevues avec quatre femmes qui
avaient été agressées sexuellement par le juge Roy Moore. Gre és à des
témoignages antérieurs, on réalisait que cet ex-avocat avait violenté au
moins dix femmes. Certaines dans le huis clos de son bureau de juriste,
d’autres dans un centre commercial de Gadsden.
Fait à retenir, le gérant du Gadsden Mall avait interdit de cité Roy
Moore, dès les années 1990, parce qu’il était connu comme prédateur
sexuel. On se rappellera également que ce fou de Dieu, qui fut banni à
deux reprises de la Cour suprême de l’État de l’Alabama, avait battu le
sénateur Luther Strange dans le cadre de la primaire républicaine de
septembre.
Cela précisé, les témoignages recueillis par les deux quotidiens
ajoutaient ceci en gravité aux témoignages précédemment enregistrés :
au moins deux des femmes aujourd’hui âgées de 50 ans et plus étaient
mineures au moment des faits. Jusqu’à présent, Moore a échappé aux
mailles de la justice. Bon.
Les diverses con dences de ces femmes augmentées de certaines
précisions apportées par leurs avocats avaient été jugées si crédibles
par Mitch McConnell, leader des Républicains au Sénat, par Paul Ryan,
patron des Républicains à la Chambre, par le National Republican
Senatorial Committee et par d’autres Républicains en vue que tous
avaient décidé de retirer leur soutien à Roy Moore.
Et Trump ? Entre les premières révélations et les plus récentes, il
avait refusé de répondre à toutes les questions posées par les
journalistes. Puis voilà qu’en réaction aux quatre dernières révélations,
Moore nia avec vigueur, son avocat allant jusqu’à faire des interventions
pour le moins bizarres. Exemple ? On devrait faire un examen
graphologique des mots et de la signature des jeunes lles dans le livre
de l’école quand elles avaient 14 ans, car cela prouverait
vraisemblablement qu’elles sont des menteuses.
Alors que Trump s’apprêtait à prendre l’avion pour son golf de Mar-a-
Lago, un journaliste lui demande s’il vaut mieux élire quelqu’un qui a
« violenté un enfant » qu’un Démocrate. Trump décidait de répondre :
« Il a totalement nié tout ça. Il a dit que cela n’était pas arrivé. Vous
devez l’écouter. »
Puis il embrayait en attaquant le candidat démocrate Doug Jones, ex-
procureur fédéral à Birmingham : « Nous n’avons pas besoin d’un autre
libéral ici, un Démocrate, Jones. J’ai jeté un œil sur son bilan. Il est
a reux sur le front des crimes. Il est a reux sur la question des
frontières. Il est a reux sur les questions militaires. » Puis revenant sur
Moore, il concluait : « Il a fait huit campagnes [NDLR : pour être juge]…
Je dois dire que 40 ans ça fait longtemps. »
Il n’en fallait pas plus pour que les préposées au polissage des
mensonges, du mépris et du cynisme que sont Kellyanne Conway et
Sarah Huckabee Sanders sortent sur la place publique clamer que peu
importe ce qu’on reproche à Moore, l’important était qu’on l’élise, car le
plus important est que la réforme scale soit votée. Pas un mot sur les
victimes supposées ou réelles de Roy Moore. Le souci d’humanité ?
Non, mais vous voulez rire. C’est pas sérieux. C’est pour les
branquignols, non ?
LES KOCH S’INTRODUISENT CHEZ TIME
Le 26 novembre, l’a aire est bouclée : pour 3 milliards comptants,
Meredith Corporation fait l’acquisition de Time Inc., dont le catalogue
d’imprimés comprend le prestigieux hebdomadaire Time Magazine, le
populaire People Magazine, Sports Illustrated et Fortune qui fut le
premier imprimé dans l’histoire de cette entreprise. Sise à Des Moines,
dans l’Iowa, Meredith contrôle un ensemble de magazines ayant pour
dénominateurs communs les femmes et la famille ainsi que des stations
de télé locales.
Cette transaction avait ceci de singulier que les frères Charles et David
Koch ont mis 650 millions sur la table. La réputation des principaux
nanciers des causes les plus conservatrices qui soient et du Parti
républicain n’étant plus à faire, leur porte-parole a emprunté un des
lieux communs usuels à ce type d’investissement : juré, craché, cette
somme allouée doit être comprise comme un investissement passif.
Deux individus et seulement deux achètent près du cinquième des
actions avec droit de vote de Time Inc. et vont faire de la guration…
Môssieu le porte-parole prend vraiment les enfants du Bon Dieu pour
des canards sauvages. Car depuis le milieu des années 1970, les Koch
mènent une guerre sans relâche aux idées qui fondent la démocratie.
Vouloir nous faire croire que ces 650 millions sur 3 milliards relèvent
d’un élan de magnanimité…
Chapitre 19

DÉCEMBRE 2017 :
A-T-IL TOUTE SA TÊTE ?

Le 1er décembre, Bandy X. Lee faisait la tournée des médias. Cette


femme est psychiatre. Non seulement ça, elle enseigne à la faculté de
médecine de Yale University. Bref, son curriculum étant ce qu’il est, elle
fait partie du contingent des cracks de la profession. Si ce jour-là, Mme
Lee était le centre d’attention, du moins l’un des centres, des médias,
c’est tout simplement parce que la veille, elle avait précisé en quoi
Trump était un homme dangereux pour son pays, mais aussi pour le
monde.
Dans la page des opinions de cette institution intellectuelle qu’est
aussi le New York Times, Bandy Lee signait un texte au titre plus
qu’évocateur, merci : « Psychiatrists Warn About Trump’s Mental
State » ou « Les psychiatres mettent en garde à propos de la santé
mentale de Trump ». Dans l’introduction d’un texte passablement court
mais dense en termes d’informations, elle rappelait qu’elle avait été
l’éditrice d’un livre au titre lui aussi plus qu’évocateur : The Dangerous
Case of Donald Trump: 27 psychiatrists and Mental Health Experts
Assess a President ou Le Cas dangereux de Donald Trump :
27 psychiatres et experts en santé mentale évaluent le président.
Avant même de lire une ligne, on apprend qu’ils s’y sont mis à 27 et
non à 2 ou 3 pour poser leur loupe sur les neurones de Trump et leur
fonctionnement. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il serait
présomptueux de leur faire un procès en sorcellerie. Ensuite, toujours
dans son introduction, Lee raconte qu’après la publication de leur
étude, d’autres professionnels de la santé mentale partageant leur
diagnostic les ont rejoints. Désormais, ils sont des centaines, de
souligner Lee. Bien.
Le texte dans le célèbre quotidien avait une raison particulière. En un
mot, il découlait de la lecture des récents tweets écrits par le président.
Après une étude de ces derniers, Lee concluait que ses désordres
mentaux étaient plus fréquents.
Une fois le regroupement des tweets e ectué, Lee a noté que Trump
était aux prises « avec un processus de décompensation : sa perte du
sens de la réalité va augmentant, les signes de volatilité sont plus
marqués et son comportement imprévisible ». Qui plus est, « il est attiré
par la violence comme un moyen de répliquer. Ces traits de caractère
placent notre pays et le monde dans une situation de danger extrême. »
Après quoi, Lee rappelait que « normalement, nous appliquons un
modèle de traitement des gens qui sont dangereux et qui comprend le
con nement, l’éloignement de l’accès aux armes et une évaluation
urgente. À cause de son statut de président, nous ne pouvons pas faire
cela avec lui. Mais les pouvoirs qui sont les siens et le type d’armements
dont il dispose devraient nous alarmer plus que jamais. Nous supplions
le public et les législateurs du pays d’agir a n qu’une évaluation du
président soit faite. »
UN CADEAU DE MILLE MILLIARDS
Le 2 décembre, une majorité de sénateurs approuvaient une première
version de la plus importante réforme de l’architecture scale du pays
depuis 1986. Le souci démocratique de ces chers Républicains ayant
l’épaisseur du papier à cigarettes, cette opération législative fut menée
rondement. En d’autres mots, peu de temps avait été alloué aux
Démocrates pour analyser un texte de 500 pages farcies d’équations
complexes et de propositions parfois absconses. Qu’importe, l’essentiel
étant de satisfaire les féodaux du 0,1 % des plus riches. Deux semaines
et deux jours plus tard, les sénateurs adoptaient par 51 voix contre 48 ce
nouveau code scal.
Au passage, on retiendra que certaines provisions contenues dans la
version nale de cette loi auront pour e et net et quasi immédiat
d’enrichir un certain nombre de représentants et de sénateurs
républicains. Parmi eux, Bob Corker, du Tennessee, Donald Trump, sa
lle Ivanka et son mari Jared Kushner, et ses ls Erik et Donald Jr. Mais
bon…
La dimension massive des cajoleries scales accordées à une minorité
devrait avoir comme e et pervers d’ajouter 1 000 milliards de dollars au
É
dé cit des États-Unis d’Amérique à moins qu’un plan soit élaboré et
surtout appliqué pour remédier à un problème qui agace passablement
à l’étranger.
À titre d’exemple, rappelons un épisode particulier de l’histoire scale
de ce pays. Dans les années 1990, le patronat allemand avait signi é sa
colère à l’endroit de l’indiscipline budgétaire des Américains, car
chaque fois, disait-il, qu’il devait investir 100 dollars dans la remise à
niveau de l’infrastructure économique de l’ex-Allemagne de l’Est, il
fallait en retenir 50 pour acheter de la dette américaine a n d’éviter la
dégringolade du Made in USA. De quoi faire grincer davantage que des
dents.
Cela étant, certains Républicains comprenant le dilemme que posait
la réforme scale sur le front de la dette se promettaient dès le début du
mois de… couper ici et là ! Mais encore ? Ils juraient qu’ils allaient
s’atteler à la destruction de tout ce qui restait ou rappelait le New Deal
de Roosevelt et la Great Society de Johnson.
En clair, nous l’avons déjà dit, ils entendaient ramener à de la poudre
de perlimpinpin les déductions prévues pour les enfants et les
étudiants, les vieux et les malades, les familles monoparentales, donc
les femmes, et les programmes issus des droits civiques. Parmi les
Républicains qui faisaient d’ores et déjà la promotion de ces réductions,
on comptait l’un des premiers d’entre eux : Paul Ryan, le fondu d’Ayand
Rand, la grande prêtresse de l’égoïsme marqué au fer.
Comme il se doit, les deux chambres du Congrès ayant adopté la
réforme en question, il ne restait plus à Trump qu’à la signer. Mais voilà,
comme chez lui la vanité et l’ambition sont balzaciennes – aucun
président n’a mieux campé Rastignac que lui –, il fallait qu’il pro te de
cette occasion pour se démarquer.
Dans la matinée du vendredi 22 décembre, les réseaux télé se
demandaient si le chef de l’Exécutif allait signer le texte avant la n de
l’année, ainsi qu’il l’avait promis lors de son entrée à la Maison-Blanche.
Peu avant 10 h, agacé par CNN, qu’il déteste particulièrement, NBC,
CBS et ABC, il envoyait un tweet dans lequel il annonçait que le texte
aurait force de loi dans les 30 minutes qui suivaient. À cette
information, il ajoutait qu’il n’avait pas eu tout le crédit qui lui revenait
dans cette histoire qui, soulignons-le, lui rapportait des millions et des
millions.
De cet épisode tragi-comique, on retiendra qu’au sein même de la
majorité républicaine ainsi qu’au sein de grandes corporations, des voix
s’étaient élevées pour suggérer que la signature se fasse après le
1er janvier. La raison ? Les uns et les autres trouvaient plus poli, si l’on
ose dire, que les déductions soient incluses dans la prochaine année
scale. Après avoir bousculé tout son personnel pour que son ordre soit
respecté, Trump signait.
Quand on s’arrête aux particularités de cette réforme, quand on y
prête attention, un constat tout simple se fait : elle est la conséquence
nette de la victoire que les riches ont remportée dans la guerre des idées
entamée au milieu des années 1970.
Qu’on y pense. Aujourd’hui le 1 % des plus riches détient ou contrôle
40 % de la richesse du pays, les 99 % qui suivent en détiennent 60 %.
Trente ans auparavant, ces proportions étaient exactement le
contraire. Avec cette réforme, le taux marginal d’impôt va se
rapprocher des 35 % alors qu’il était de 70 % lorsque Reagan s’est
installé à la Maison-Blanche. L’impôt sur les grandes entreprises est
passé de 46 % en 1980 à 21 % en 2017, une baisse de 25 % !!!!
Les richesses récupérées par les riches au l des années leur ont
permis, faut-il le rappeler, d’investir massivement dans les campagnes
d’élus, tant républicains que démocrates, qui s’engageaient à réduire les
impôts et les taxes. Résultat net : l’échiquier politique s’est déplacé à
droite toute. Les pauvres n’ont plus de champions et les syndicats sont
en perdition, les juges conservateurs ayant été nommés aux postes clés,
la syndicalisation est redevenue un parcours de combattant.
Cela, tout cela, fut rendu possible à cause de ceci : les contributions
nancières, aux campagnes présidentielles et législatives de 2016, des
24 949 personnes qui forment le 1 % des riches d’entre les riches ont
atteint 40 % du total des contributions, alors qu’elles avoisinaient les
15 % en 1980. Ce pourcentage est si énorme qu’on n’ose même pas le
commenter par crainte d’un dérapage linguistique incontrôlé.
NI UNE NI DEUX : DEHORS !
Bigre. Le procureur spécial Robert Mueller III n’entend vraiment pas à
rigoler. A n de ne pas être pris en défaut pour cause d’un déplacement
maladroit d’une virgule dans le cadre, il est vrai, d’une enquête qui, par
son ampleur, fait écho à celle du Watergate, ce vétéran de la guerre du
Vietnam ne fait pas dans la dentelle. Dernier exemple en date du
2 décembre : le super agent Peter Strzok.
Ce jour-là, on apprenait que cet enquêteur principal du FBI, que
Mueller avait choisi lors de la composition de son équipe, avait été
renvoyé au cours de l’été. Plus exactement, on l’avait a ecté au
Département des ressources humaines du FBI. Dans le cadre de son
enquête sur les faits et gestes commis par le FBI lors de la campagne de
2016, l’inspecteur général de cette institution avait découvert que
Strzok avait écrit des courriels dans lesquels il critiquait Trump.
A n de réduire à néant tout soupçon concernant son intégrité et celle
de son équipe, Mueller décidait de montrer la porte à cet agent que
James Comey respectait particulièrement.
LA TROISIÈME EST LA BONNE
Dans la matinée du 4 décembre, la Cour suprême publiant un avis non
signé concernant l’interdiction que Trump voulait imposer à
l’émigration et à la mobilité des citoyens de huit pays. L’avis permettait
à l’administration d’appliquer son programme de restrictions, même si
les oppositions légales de divers groupes ou associations de défense des
immigrants étaient toujours en cours. Au passage, on retiendra que les
juges Ruth Bader Ginsburg et Sonia Sotomayor ont refusé de donner
leur aval au projet.
L’avis suggérait aux cours d’appel de prendre en considération que
l’interdiction souhaitée par Trump était légale et permettait un
renforcement des balises xées par l’administration à la mobilité des
personnes. On se souviendra que six des huit pays étaient à forte
majorité musulmane et que les deux autres étaient la Corée du Nord et
des groupes du Venezuela.
L’arbitraire ayant distingué le plan de Trump, les mesures variaient
d’un pays à l’autre. Par exemple, on permettait aux étudiants iraniens
de se rendre aux États-Unis dans le cadre d’un échange et on interdisait
l’immigration aux Somaliens, etc.
JÉRUSALEM CAPITALE
Des années durant, pour ne pas dire des décennies, des délégations
israéliennes et palestiniennes ont négocié un traité de paix, le statut des
territoires occupés, les droits des Palestiniens. Il y eut les discussions
de Madrid, l’entente d’Oslo, le sommet de Camp David, les pourparlers
de Charm el-Cheikh, il y eut la feuille de route, le quartet et d’autres
encore. Il y eut tellement de négociations et de rencontres que
plusieurs d’entre elles ont disparu du radar de l’histoire.
Pour reprendre une image chère aux experts en géopolitique, le mille-
feuille inhérent au dossier israélo-palestinien fut commenté en
permanence de Tel-Aviv à Stockholm, de Ramallah à Washington, en
passant par Genève, Londres, Le Caire, Paris, Berlin et autres capitales
dont Moscou évidemment. Le mille-feuille en question était composé,
entre autres, d’une couche de religion juive, une autre de religion
musulmane, du retour des réfugiés, des colonies juives, du statut des
lieux saints, de la géographie du futur État palestinien, etc.
Jamais l’éventualité de quali er Jérusalem de capitale d’Israël ne fut
au centre de ces mille et une négociations. Si au détour d’une phrase le
sujet fut évoqué, jamais il ne t partie des principaux points à négocier.
D’autant que pour les Palestiniens, faire de la partie est de Jérusalem
leur capitale était au centre de leurs préoccupations. Jusqu’à ce qu’à ce
que…
Trump s’engagea à reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État
d’Israël au cours de la campagne électorale. Le 6 décembre, cette
promesse devenait réalité. Trump annonçait cela tout en commandant
logiquement le transfert à long terme de l’ambassade des États-Unis de
Tel-Aviv à Jérusalem, la ville des lieux sacrés pour les croyants des trois
monothéismes, dont la mosquée al-Aqsa qui est le troisième lieu sacré
pour les musulmans.
En agissant de la sorte, Trump renvoyait 70 ans de diplomatie
américaine au rayon des souvenirs. En fait, si cette possibilité fut
évoquée lors de diverses campagnes par les futurs présidents, une fois
installés à la Maison-Blanche, ces derniers étou aient cette idée parce
que cette ville étant sacrée pour les juifs, les musulmans et les
catholiques, la consacrer capitale d’Israël reviendrait à privilégier un
monothéisme aux dépens des deux autres.
Dans les heures suivant cette annonce, le pape François signi a
clairement son opposition en précisant : « je ne peux pas rester
silencieux ». Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres
imitait le pape en con ant notamment la « grande anxiété » provoquée
par ce geste. Ensuite, les dirigeants d’Allemagne, de France, d’Italie et

É
du Royaume-Uni, soit les proches alliés des États-Unis, faut-il le
rappeler, martelaient que Trump faisait une erreur.
Dans le cas du pape François, on retiendra qu’il collait à la position
adoptée par toutes les parties depuis la création de l’État d’Israël en
1948. À savoir, et pour reprendre ses mots, que « Jérusalem est une ville
unique, sacrée pour les juifs, les chrétiens et les musulmans où sont
situés des lieux saints respectifs aux religions et qui sont vénérés ».
Quoi d’autre ? Jérusalem « a pour vocation particulière la paix ».
Dans le cas du secrétaire général de l’ONU, on retiendra que
« Jérusalem doit être le sujet d’une négociation directe entre les deux
parties sur la base des résolutions du Conseil de sécurité et de
l’Assemblée générale et qui prennent en considération les
préoccupations légitimes des Palestiniens et des Israéliens. Dans ce
moment de grande anxiété, je tiens à souligner qu’il n’y a pas d’autre
choix que la solution des deux États. Il n’y a pas de plan B. »
Quant à l’Union européenne, la responsable des a aires étrangères,
Federica Mogherini, exprima sa crainte « des répercussions qu’elle aura
sur le processus de paix ». Dans un communiqué, elle rappelait que la
position commune des membres de l’UE était que Jérusalem devrait
être la capitale des deux États, israélien et palestinien, et que les
ambassades ne devaient pas déménager tant et aussi longtemps que le
statut nal de cette ville n’aura pas été xé.
Dans la foulée, Mogherini faisait remarquer qu’une résolution de 1980
du Conseil de sécurité condamnait toute tentative d’Israël d’annexer
Jérusalem-Est, car cela reviendrait à violer le droit international.
Histoire de ne pas être en reste, Macron, Merkel, May et le premier
ministre italien Paolo Gentiloni exprimaient chacun et sans aucune
ambiguïté leur opposition.
De l’avalanche de réactions, l’une d’entre elles se démarqua
particulièrement par son mélange de dépit et de découragement, mais
surtout par la fonction de celui qui la formula. Il s’agissait de Saeb
Erekat, au cœur des négociations du côté des Palestiniens depuis
26 ans. Pour la première fois en autant d’années, Erekat contredisait le
chef de l’Exécutif américain sur la base même des discussions qui se
poursuivaient tant bien que mal depuis près de 30 ans.
En e et, lors de son annonce, Trump avait précisé que les États-Unis
étaient toujours favorables à la solution des deux États voisins vivant en
paix. Erekat estimait qu’en quali ant Jérusalem de capitale d’Israël,
Trump avait mis un terme de facto à cette solution. Le négociateur des
Palestiniens estimait que la position de Trump était à ranger au rayon
des mirages. Ce n’est pas tout.
Fort de sa longue expérience, de sa longue fréquentation de
représentants américains et israéliens, Erekat envisageait une solution
pour le moins radicale. Vu le contexte, il estimait que les Palestiniens
devraient abandonner l’idée d’un État indépendant et considérer
l’émergence d’un seul État pour toute la région Israël + la Cisjordanie +
la bande de Gaza, mais où tous les citoyens, soit les juifs et les
musulmans, seraient égaux devant la loi. Autrement dit, qu’il fallait
réorienter les négociations entre les deux parties en fonction de
l’égalité des droits a n d’éviter la création d’un État d’apartheid.
« Ils [Trump et Netanyahou] se sont arrangés pour détruire tout
espoir d’un État. Ils nous laissent sans option. C’est la réalité. Nous
vivons ici. Notre lutte devrait se concentrer sur un objectif : l’égalité des
droits. » À ce commentaire on ajoutera : Erekat sait pertinemment que
jamais les Israéliens n’accepteront l’égalité des droits à cause du facteur
démographique. Les citoyens de confession juive deviendront
minoritaires d’ici 2030.
L’INTOUCHABLE
Elles s’appellent Rachel Crooks, Samantha Holley et Jessica Leeds. À
l’automne 2016, elles avaient con é avoir subi le harcèlement sexuel de
Donald Trump. Quelques semaines plus tard dans certains cas,
quelques mois dans d’autres, des actrices, des animatrices d’émissions
télé ainsi que des stagiaires assuraient sur la place publique avoir été
victimes des assauts sexuels de producteurs, dont le célèbre Harvey
Weinstein, d’acteurs, de réalisateurs ou de journalistes vedettes comme
Bill O’Reilly ou Charlie Rose.
Dans pratiquement tous les cas, ces révélations furent le fruit d’un
long et patient travail des journalistes du New York Times et du New
Yorker. À cette cascade de témoignages s’ensuivit une cascade de chutes
des personnes coupables de ces agressions, à une exception notable :
Trump. En e et, contrairement à un Weinstein ou un Kevin Spacey, il
fut épargné.
Évidemment outrées par l’indi érence à l’endroit des écarts
physiques et verbaux du chef de l’Exécutif et notamment pour les abus
commis en tant que copropriétaire de la franchise Miss Univers, ces
femmes revenaient à la charge le 11 du mois. Des élus démocrates
estimaient que la gravité de gestes commis, la crédibilité des
témoignages, commandaient la démission de Trump.
Invitée à préciser la position de la Maison-Blanche, la porte-parole
Sarah Huckabee Sanders formula le commentaire suivant : « Lors d’une
élection décisive, les citoyens de ce pays ont accordé leur soutien au
président Trump et nous estimons que les réponses à ces allégations
ont été apportées lors de ce processus. » Fermez le ban !
MONDIALISATION DU FAUX-SEMBLANT
Au terme de l’année 2017, les maîtres en linguistique du dictionnaire
Collins concluaient une équation au résultat vertigineux : le recours à
l’expression « Fake news » avait augmenté de 365 % en un an. Il n’en
fallait pas plus pour que l’expression en question soit sacralisée « mot
de l’année » par Collins. Le moteur de cette montée en puissance de la
socialisation du mensonge a pour nom propre Donald Trump.
Évidemment. Trump, mais aussi tous ceux qui l’ont imité, lui et celui
qui les a tous inspirés : l’ex-agent du KGB Vladimir Poutine.
Cette guerre incessante, cet usage permanent du Fake news contre la
pensée critique, d’ailleurs sans précédent depuis les années 1930, a ceci
d’extrêmement grave qu’elle est menée par un front commun qui
rassemble Trump, Poutine et tous les autocrates et dictateurs de la
planète. Comme s’il y avait eu une fédéralisation de la perversion
politique. Ce qui nous rappelle ce qu’Hannah Arendt avait constaté lors
du procès d’Adolf Eichmann auquel elle assista : « C’est dans le vide de
la pensée que s’inscrit le mal. »
Toujours est-il qu’après avoir été le tambour-major du « Fake-
machin », Trump et ses préposés à l’abrutissement ont favorisé
l’emprisonnement et le meurtre de journalistes ici et là dans le monde.
Oui, mille fois oui. The Cambodia Daily publie un article critique à
l’endroit du premier ministre Hun Sen ? Ce dernier ordonne la
fermeture de ce quotidien et l’emprisonnement de ses journalistes
avant de rajouter : « J’ai un message pour le président [Trump], votre
attaque contre CNN est justi ée. Les médias américains sont très
mauvais. »
En Turquie, en Syrie, au Venezuela, en Hongrie, en Pologne, en Libye,
en Chine, en Thaïlande, aux Philippines et bien évidemment en Russie,
non seulement les médias locaux subissent les agressions des
dirigeants, mais aussi les médias étrangers et en particulier CNN.
Même les rapports des ONG Amnistie internationale, Human Rights
Watch et Transparency International sont ramenés désormais au rang
des Fake news.
Dans la majorité des cas, les chefs d’État qui s’en sont pris aux
journalistes se sont servis de Trump comme caution. Souvent comme
suit : « Le président Trump en personne a dit que CNN… » Ce qu’il y a
d’e rayant dans cette histoire, c’est qu’en Occident, les méfaits de
Trump contre l’un des principaux socles de la démocratie n’ont pas
suscité des réactions à la mesure de la gravité inhérente à la
construction d’une réalité alternative.
Il est vrai que la logique des droits l’ayant emporté sur l’observation de
l’équilibre entre les droits et devoirs qui incombait à tout citoyen… C’est
à se demander si le devoir de s’informer ne concerne pas uniquement
les abonnés absents ! Après tout, nous vivons dans un univers parallèle,
non ?
DISNEY S’EMPARE DE FOX
Le jour même où la FCC annonçait l’abolition de la neutralité du Net,
voilà que Disney et 21st Century Fox dévoilaient avoir conclu l’entente
suivante : le premier faisait l’acquisition du second moyennant un
échange d’actions totalisant 52,4 milliards. Grosso modo, dans la foulée
de cette acquisition, Disney sera en mesure de gre er les studios
cinéma et télévision de 21st Century à son réseau et de se transformer
en mastodonte des géants de « l’entertainment » en général et
d’Hollywood en particulier. Rupert Murdoch, principal actionnaire
jusqu’alors de Century, avait soustrait le réseau Fox News de la
transaction. Bref, Murdoch avait décidé de se concentrer sur
l’information et le sport.
Robert A. Iger, président-directeur général de Disney, avait fait les
premiers pas. Il voulait acheter à tout prix un fabricant de contenus
contre des milliards et des milliards a n d’éto er son o re de produits
divers. La pression inhérente à la montée en puissance de Net ix,
Google et autres avait convaincu le patron de Disney qu’un changement
profond du modèle d’a aires était inévitable si on voulait éviter la
déchéance à long terme.
Dans les semaines antérieures à cette transaction, Iger et ses proches
collaborateurs avaient imprimé une modi cation importante sur la
stratégie de l’entreprise : o rir aux consommateurs deux réseaux
proposant la di usion de lms en continu. Pour dire les choses
platement, mettons qu’Iger voulait s’appliquer à l’édi cation de deux
Net ix d’ici 2020 au plus tard.
Donald Trump n’étant pas à un paradoxe près, il salua avec
enthousiasme cette acquisition, alors que quelques semaines
auparavant il avait dit vouloir s’opposer à l’achat de Time Warner par
AT&T. La clé de cette posture ? Murdoch est le propriétaire de Fox
News, caisse de résonance par excellence de l’adoration de sa personne,
alors que Time Warner est propriétaire du réseau qu’il déteste entre
tous : CNN.
À ce propos, il faut rappeler et souligner qu’à la n de novembre, le
ministère de la Justice avait annoncé qu’il poursuivait AT&T et Time
Warner. L’objectif ? Tuer dans l’œuf l’achat envisagé par AT&T au
montant record de 85,4 milliards.
PAUVRE REX
Depuis son entrée en fonction, le secrétaire d’État n’a jamais épousé les
vices de la mauvaise volonté en diplomatie. Dans son cas, on ne doit
jamais oublier qu’en tant qu’ex-président d’Exxon-Mobil, il a parcouru
le monde et négocié mille et un contrats avec divers dirigeants sur les
cinq continents du globe. En un mot comme en cent, sa connaissance
du monde était et reste mille fois supérieure à celle du président.
Sa connaissance du monde (bis) étant ce qu’elle est, soit passablement
vaste, il appartenait au camp des réalistes. Au camp des pragmatiques
qui ont compris ou accepté que le monde était multipolaire. À la grande
di érence de son patron, pas une fois il n’a eu recours aux mots ou
expressions des va-t-en-guerre.
C’est fort probablement pour cela, ce penchant pour l’apaisement
plutôt que pour la confrontation, que le 13 décembre, il a déclaré :
« Nous sommes prêts à discuter à n’importe quel moment avec la Corée
du Nord, si celle-ci le souhaite et nous sommes prêts à ce que cette
première rencontre ait lieu sans condition préalable. » Ce faisant,
Tillerson savait fort bien qu’il prenait à contre-pied la position de
Trump. À savoir, qu’il ne peut y avoir de négociations tant et aussi
longtemps que la Corée du Nord n’aura pas pris l’engagement de
suspendre son programme nucléaire et ses essais de missiles.
Le soir même, la Maison-Blanche faisait un geste inusité. Par le biais
d’un communiqué de presse, elle désavouait son secrétaire d’État en
arguant que la « Corée du Nord agit de manière dangereuse non
seulement à l’endroit du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud, mais
également à l’endroit du monde. Les agissements de la Corée du Nord
ne sont bons pour personne et certainement pas pour la Corée du
Nord. »
Au moment où la polémique entre Tillerson et la Maison-Blanche
était constatée, on apprenait qu’en fait l’Exécutif américain préparait le
terrain pour le remplacement du secrétaire d’État par le directeur de la
CIA, Mike Pompeo. Ce dernier se distinguait de Tillerson en étant au
diapason de la position de Trump, soit une pression maximale sur la
Corée du Nord.
Cinq jours après l’intervention de Tillerson, Trump élargissait sa
politique de pression maximale à la Russie, la Chine et l’Iran, tout en
mettant en relief une conception carrément impérialiste des relations
entre les États-Unis et leurs alliés. En substance, Trump disait aux
alliés, et aux Européens en particulier, nous sommes prêts à collaborer
avec vous en autant que cela se fasse dans des termes avantageux pour
nous. Reprenons.
L’élargissement évoqué fut décliné lors de la présentation du livre
blanc de l’administration Trump consacré à la sécurité du pays. Selon
ses concepteurs, la concurrence entre les grandes puissances du globe
était de retour après « une vacance », pour reprendre leurs mots, de
30 ans. Trump et les siens jugeaient que la Chine et la Russie étant
redevenues agressives, il fallait renforcer dès aujourd’hui l’arsenal
militaire des États-Unis.
Le livre blanc soulignait que la Chine et la Russie « étaient
déterminées à transformer les économies de manière qu’elles soient
moins libres et moins équitables, à accroître leurs puissances militaires,
à contrôler l’information et les données a n de mieux réprimer leurs
sociétés et à répandre leur in uence ». De fait, Trump et ses
collaborateurs en la matière suggéraient de prendre le contre-pied de la
politique d’Obama.

É
Alors que ce dernier avait estimé que la sécurité des États-Unis
passait par une collaboration plus étroite avec leurs alliés et leurs
partenaires économiques et par une réduction des arsenaux nucléaires,
Trump, au nom de son America rst, optait pour une contradiction
totale, absolue, de ces choix. Ainsi, pour ce qui est des armes nucléaires,
il martelait « qu’elles étaient le fondement de notre stratégie pour
préserver la paix et la stabilité et pour dissuader de toute agression
contre les États-Unis ». De quoi rappeler le sous-titre du chef-d’œuvre
de Stanley Kubrick, Docteur Folamour : « Comment j’ai appris à ne plus
m’en faire et à aimer la bombe. »
LE NIET DE L’ONU
Le 21 décembre, l’Assemblée générale de l’ONU servait un camou et à
Trump. Par 128 voix contre 9 et 35 abstentions, les membres de cette
organisation dénonçaient la décision de reconnaître Jérusalem capitale
d’Israël. Ce faisant, ces nations dénonçaient également la menace de
Trump de punir ceux qui voteraient contre sa politique.
Fait à retenir qui met en relief l’isolement des États-Unis sur ce
dossier, leurs principaux alliés faisaient partie de la majorité :
Allemagne, France, Japon et Royaume-Uni. Seuls l’Australie et le
Canada se sont abstenus. On se rappellera que depuis la guerre des Six
Jours en juin 1967, la plupart des résolutions votées concernant
Jérusalem et qui ont force de loi sur le plan international stipulaient
que le statut de cette ville n’était pas résolu et que, de fait, toute
réclamation d’Israël à l’e et qu’elle était sa capitale n’était pas valide.
CONTRE LE FBI, CONTRE MUELLER
Au premier jour de l’enquête dont Robert Mueller avait été chargé,
Trump avait jugé que le ministère de la Justice avait déclenché une
chasse aux sorcières dont lui et ses proches étaient les cibles. Donc les
victimes. Bien. Voilà que dans le courant du mois, Trump et ses gardes-
chiourmes en lançaient une et une vraie. Les sujets ? Le personnel de
l’équipe formée par Mueller et des échelons supérieurs du FBI.
Au milieu du mois, Trump critiquait à tout va le FBI en général et sa
direction en particulier, en a rmant une fois encore qu’il était l’objet
des mauvaises intentions des divers agents ou cadres de cette
institution. Son explication ? L’enquête sur ses liens supposés avec des
Russes est un coup monté par les Démocrates. Plus précisément, le FBI
étant un nid de Démocrates ; il s’abstient d’enquêter sur Hillary
Clinton.
Des élus républicains ayant perdu jusqu’à la notion même du devoir
d’État, du service public, multipliaient les échos aux accusations de leur
patron en accusant le FBI d’un penchant favorable aux Démocrates.
Quelques jours plus tard, on apprenait que l’équipe d’avocats au service
de Trump avait quelque peu in échi son attitude à l’égard de Mueller.
Du jour au lendemain, les défenseurs de Trump décidaient de faire le
service minimum en matière de collaboration.
À l’origine de cette modi cation, il y avait une crainte et une grande
frustration. La crainte ? Dans le courant du même mois, Michael Flynn
avait plaidé coupable. De quoi ? D’avoir menti aux agents du FBI à
propos de ses rencontres et discussions avec des Russes haut placés
dont l’ambassadeur à Washington. On se rappellera que Flynn avait
parlé avec le diplomate russe des sanctions imposées par Obama alors
que ce dernier était encore en poste.
La frustration ? Trump avait cru dur comme fer qu’en renvoyant
James Comey et en le remplaçant par Christopher A. Wray, ce dernier
s’emploierait illico à renvoyer tout agent soupçonné de sympathie pour
les Démocrates. Bien évidemment, Wray s’est abstenu de prendre des
mesures qui auraient été taxées de chasse aux sorcières. Et comme les
États-Unis d’Amérique sont la plus grande démocratie du monde, bénie
par Dieu…
Chapitre 20

LE RICHE PREND LE FRAIS À


CŒUR D’ALENE, IDAHO

Vous arrivez à Bismarck, Dakota du Nord : économiquement causant,


c’est parcimonieux. Vous traversez Glendive, Montana, c’est délabré
donc triste. Vous posez vos valises à Billings, Montana : cela accompli,
vous constatez que c’est plutôt pauvre. Vous marchez dans Missoula,
Montana, et vous observez qu’ici, l’économie se dé nit à l’enseigne du
dépourvu. Puis vous passez la frontière. Vous voici à Cœur d’Alene, et là,
c’est euri, c’est beau, c’est surtout riche. Très riche.
Ce que l’on voit à Savannah, Georgie, Lac Tahoe, côté Nevada, Boulder,
Colorado, ou encore à Hiannys Port, Massachusetts, vous le voyez à
Cœur d’Alene. Mais encore ? Les galeries, car il y en a passablement,
vendent des tableaux et non de la peinture à numéros. Les marchands
de meubles vendent des divans en veau d’Italie de « qualité-totale-ISO
9 milliards » ainsi que de la quincaillerie culinaire Made In Germany.
Comme à Portland, dans l’Oregon, ici et là il y a des sculptures.
Évidemment, il y a des golfs. Mais rien ne symbolise mieux la richesse
du lieu-dit que la marina. Ici chaque bateau est protégé par un gazebo.
On insiste, chaque engin nautique est recouvert.
Paradoxe des paradoxes, l’État et non l’entreprise privée est à l’origine
de la prospérité de cette ville fondée par un marchand de fourrures
francophone et qui est située à quelques kilomètres de la Colombie-
Britannique. Oui, l’État ! En fait, la marine. Dans cette ville construite
sur le rivage d’un lac particulièrement profond est enclavée une des
bases les plus secrètes, dit-on, au monde.
C’est en e et dans ses environs que la lière des sous-marins des
États-Unis d’Amérique a décidé d’installer notamment sa division de
recherches sur l’acoustique si essentielle à la fonction de camou age.
C’est donc ici que l’on a rassemblé des ingénieurs de haut vol, des cracks
en physique, etc. En d’autres mots, ici la base rassemble un bon nombre
de personnes bien mieux payées que le simple soldat. S’ensuivit un
essor du parc immobilier, l’ouverture de restos, etc.
Et comme la ville et sa région, son lac et ses montagnes, sont tout
simplement beaux, des riches ont débarqué. Ils ont fait construire des
demeures qui se négocient dans les millions qu’ils ont récupérés. Oui,
mille fois oui. Ils ont récupéré des millions. C’est au cours de notre
passage à Cœur d’Alene que l’on a appris que nos riches d’aujourd’hui
sont de véritables artistes lorsqu’il s’agit de faire des culbutes
nancières sur le terrain des impôts. Des maîtres ès scalité. Allons-y.
En 2007, un ingénieur informaticien à l’emploi de l’institution
britannique HSBC Private Bank avait « coulé » des informations sur les
actifs cachés par 30 000 de ses clients fortunés répartis aux quatre
coins de la planète. Puis, en avril 2016, 11 millions de documents
retraçant les opérations de camou age scal, de blanchiment d’argent
sale, e ectuées pendant quarante ans par la rme d’avocats Cossack
Fonseca, étaient également « coulés » sous le nom de Panama Papers.
Dans les mois qui suivirent cette dernière révélation, trois
universitaires, un Danois, un Norvégien et un Français enseignant à
Berkeley en Californie, Gabriel Zucman, réputé être un des plus grands
experts pour tout ce qui a trait à la fraude scale, se sont attelés à tracer
la diagonale entre la base de données de HSBC et celle des Panama
Papers.
Le résultat devait s’avérer e arant, hallucinant. Car si on savait que
les 1 % des plus riches Américains et Européens « planquaient » des
centaines de milliards dans les paradis scaux sans aucun égard sur les
conséquences socio-économiques que leur fanatisme pécuniaire
induisait, on n’avait jamais pensé que tout cela se faisait dans les
proportions calculées ou découvertes par nos trois chercheurs.
Selon leurs estimations, 0,01 % et non 1 %, on tient à le souligner,
détient la moitié des actifs disséminés dans les divers paradis scaux.
Nos analystes ont calculé par ailleurs que les ultra-riches ont camou é
le quart de leurs richesses disposées dans les bien nommées îles
Vierges, îles Caymans et autres duchés du Luxembourg ou du
Lichenstein.
Zucman et ses confrères ont constaté un recours plus intensif
qu’anticipé jusqu’à présent à deux outils ou méthodes. Le plus simple
des deux à résumer est le suivant : l’usage du conjoint comme paravent
à la malversation scale. Par exemple, on met certains actifs au nom de
sa femme. Le deuxième s’appelle l’auto-employeur. Les riches ont
réalisé que dès qu’on est salarié, une partie tierce, le plus souvent,
l’entreprise, déclare votre revenu. Alors que lorsqu’on est employeur,
les possibilités de camou age sont plus nombreuses et faciles à exercer.
L’autre astuce plus fréquemment utilisée a trait à la propriété
immobilière. Mais encore ? On place la maison ou l’immeuble sous le
chapeau d’une société qui agit en fait comme paravent. Au dernier
trimestre de 2015, nos experts ont conclu qu’aux États-Unis, près de
60 % des transactions de propriétés de 3 millions et plus avaient été
réalisées par des sociétés et non par des personnes nommées pour un
total de 61 milliards.
Et parmi ces transactions, certaines avaient été observées à Cœur
d’Alene, Lac Tahoe, Hyannis Port, etc.
Chapitre 21

JANVIER 2018 : LE CULTE


DE SA PERSONNALITÉ

Au cours des deux premiers jours de l’année, le président des États-


Unis s’est défoulé. Par le biais d’une douzaine de tweets, il a attaqué et
beaucoup injurié. Il a félicité sa personne en cultivant les ondes de la
vanité. Bref, il s’est comporté comme un gamin bousculant ses
camarades dans la cour d’école en clamant que son papa est plus fort
que les leurs. En d’autres mots, l’année 2018 a débuté à l’aune du
pathétique.
Parmi les tweets composés comme d’habitude, soit à la va-vite, il y a
ceux qui doivent être pris au sérieux en raison notamment de la charge
agressive qui les singularise et ceux qui obligent la question : est-ce que
ce président ne serait pas habité par les saillies qui distinguent
l’adolescence ? On pense notamment à l’orgueil et à son revers
malé que : la vanité.
À preuve le tweet suivant : « Depuis que je suis en poste, j’ai été très
strict pour tout ce qui a trait à l’aviation civile. Bonne nouvelle : on vient
juste de rapporter qu’il n’y a pas eu de morts en 2017, la meilleure et la
plus sécurisée des années de l’histoire. » Le studio Marvel voudrait
donner une suite à la fois glorieuse et tapageuse à leurs lms pour ados,
il devrait faire de Trump le superhéros des cieux américains bénit
évidemment par Dieu en personne.
Ce penchant pour le comportement machiste enrobé d’un orgueil, on
le répète, démesuré, s’est illustré à une autre reprise. Le 2 janvier, à
9 h 49 pour être exact, maître Trump a joué le rôle du chaman
bienveillant du Dow Jones. Selon lui : « Les compagnies accordent
d’énormes bonus à leurs employés grâce à la Loi sur la réduction des
impôts. C’est grandiose ! » Bon. La loi en question a été adoptée au cours
de la dernière semaine de décembre et non quelques mois auparavant.
À ce que l’on sache, aucun audit, aucune véri cation nécessaire ou « due
diligence », comme disent les initiés, n’a été consacré à ce dossier.
Il y eut aussi le tweet de l’obsession. Celle qu’il nourrit encore à
l’endroit d’Hillary Clinton. Cela faisait quatorze mois qu’il avait battu
cette dernière, quatorze mois au cours desquels il l’a régulièrement
injuriée. L’année 2018 commence à peine, bingo ! Il en remet une
louche en accusant une fois encore l’ex-prétendante démocrate d’être
corrompue, tout en laissant entendre qu’elle béné cie de la
bienveillance du ministère de la Justice, car ce dernier est au cœur de
l’État profond. CQFD : il y a un complot contre sa personne.
Puis il y eut les tweets ayant pour dénominateur commun les a aires
étrangères. Et tout d’abord celui-ci : « Ce n’est pas seulement le
Pakistan à qui nous donnons des milliards pour rien, mais à bien
d’autres pays. Par exemple, nous allouons des centaines de millions par
an aux Palestiniens et n’avons aucun respect ou appréciation de leur
part. Ils ne veulent même pas négocier un traité de paix pourtant
attendu depuis longtemps. Nous avons soustrait Jérusalem, la partie la
plus di cile de la négociation, de la table, mais Israël, pour cela, devrait
payer davantage. Comme les Palestiniens ne veulent plus discuter de
paix, pourquoi devrions-nous leur accorder des sommes massives ? »
Quel culot ! Trump décide de quali er unilatéralement Jérusalem
capitale de l’État d’Israël et il s’en prend aux Palestiniens. Sans avoir
discuté, sans avoir échangé ne serait-ce que dix mots avec les dirigeants
de l’Autorité palestinienne, il sacre Jérusalem capitale et il agresse
après coup les Palestiniens…
Avant les Palestiniens, il y eut l’assaut contre l’Iran en général et
contre Obama en particulier. Le libellé de ce tweet : « Le peuple iranien
se soulève en n contre un régime brutal et corrompu. Tout l’argent
qu’Obama a eu la folie de leur accorder est allé au nancement du
terrorisme et dans leurs poches. Le peuple n’a pas grand-chose à
manger, l’in ation est très élevée et les droits de la personne sont
inexistants. Les États-Unis vous surveillent ! » Obama aurait été le
nancier indirect ou inconscient des actes terroristes préparés par
l’Iran. Whouahh…
Puis il y eut le tweet qui a dérangé entre tous. Le tweet qui a agacé
jusqu’à certains membres de son cabinet. Le 2 janvier, à 8 h 49, il
écrivait : « Le leader nord-coréen Kim Jung-un a déclaré que le “bouton
nucléaire était sur son bureau en permanence”. Est-ce que quelqu’un au
sein de son régime a amé et appauvri pourrait l’informer SVP que moi
aussi j’ai un bouton nucléaire, mais qu’il est beaucoup plus gros et plus
puissant que le sien et qu’il fonctionne. »
Ce commentaire, décliné sur le mode des roulements de mécanique –
« mon bouton est plus gros que le tien » –, devait susciter son lot de
critiques, voire de sarcasmes, des Démocrates, évidemment, mais aussi
de personnalités républicaines. Rien ne résume mieux le
comportement de ces derniers que le tweet d’Eliot A. Cohen, ex-
conseiller de la secrétaire d’État Condoleezza Rice, sous la présidence
de George W. Bush : « Il parle comme un irritable gamin de dix ans.
Mais avec des armes nucléaires – et des vraies –, à sa disposition. Que
des gens en responsabilités dans son entourage, ou qui le soutiennent,
ne rejettent pas cela ou ne s’en moquent pas dépasse mon
entendement. »
D’autant que le tweet de Trump avait été écrit quelques heures après
que le gouvernement sud-coréen eut souligné sa ferme volonté
d’entamer des discussions avec celui de la Corée du Nord.
DE HÉROS À PARIA
Le 9 janvier, Steve Bannon annonçait sa démission du poste de
président de Breitbart News. Dans les faits, il a été démissionné. Par
qui ? Rebekah Mercer qui, avec son père, est l’actionnaire majoritaire de
ce média. Il a été viré, l’ancien directeur de campagne du candidat
Trump, l’ex-stratège en chef du président Trump, parce que depuis le
début de l’année, il était le sujet principal d’une polémique
particulièrement violente.
Au cœur de celle-ci, il y avait rien de moins que la santé mentale du
chef de l’Exécutif américain. Pour les besoins de son livre Fire and Fury:
Inside the Trump White House, Michael Wol avait interrogé
longuement Bannon. Parmi les con dences et observations de ce
dernier, il y avait ceci : bien des collaborateurs du président pensent
que sa santé mentale n’est pas au diapason de ce qu’exige sa fonction.
Dans la foulée, Bannon allait jusqu’à assurer que son ls aîné Donald Jr.
était un incapable.
Mis au parfum du contenu du livre et surtout des propos tenus par
Bannon à propos de sa santé mentale, Trump essaya par tous les
moyens, notamment judiciaires, d’empêcher la publication de ce
bouquin. En vain. En fait, les menaces de Trump devaient convaincre
l’éditeur Henry Holt and Co. de devancer le lancement de l’essai.
S’ensuivit une o ensive furieuse menée par les grognards de Trump.
Le directeur de cabinet, le patron du Conseil de sécurité nationale, le
secrétaire au Trésor, le secrétaire d’État, la conseillère Kellyanne
Conway et le conseiller politique Stephen Miller, qui devait sa montée
en puissance à Bannon en personne, montaient au créneau. Chacun
prenait un soin méticuleux à marteler que le « mental » du président
était plus qu’à la hauteur de ce que ce poste commande. Qu’il était un
génie politique, selon Miller. Plus laudateur que ça, tu meurs. Point.
Dans la foulée, ces personnes, ces mêmes personnes qui quelques
mois auparavant ne tarissaient pas d’éloges à l’endroit de Bannon,
s’employaient à le ratiboiser. À le ramener à trois fois rien. Et ce, avec
d’autant plus de frénésie qu’après son renvoi de la Maison-Blanche en
août, Bannon s’était promis de déstabiliser l’establishment du Parti
républicain qu’il déteste, le leader du sénat Mitch McConnell plus que
tout autre. Bref, le 9 janvier, Bannon était renvoyé dans ses quartiers.
Après quoi, Trump s’appliquait à la rédaction de tweets à la gloire de
sa personne. « À vrai dire, tout au long de ma vie, mes deux principaux
atouts ont été ma stabilité mentale et d’être particulièrement
intelligent. J’ai été un homme d’a aires ayant eu du succès, une vedette
de la télévision qui a remporté la présidence à son premier essai… Je
pense que cela me quali e non pas tant comme intelligent, mais comme
un génie et un génie qui plus est très stable. »
Cela étant, son comportement au quotidien, sa manière de gérer les
a aires les plus sensibles, comme le dossier coréen, sa vantardise et
autres travers devaient convaincre, dans le courant du mois, des
Démocrates et d’anciens conseillers de Bush, d’émettre le souhait qu’un
débat soit amorcé sur sa santé mentale. Plus précisément, ces derniers
espéraient qu’une discussion se poursuive à l’enseigne du
25e amendement qui stipule que le pouvoir peut être transféré au vice-
président si le président est jugé incapable de remplir ses devoirs.
EN DOUCE
Le 3 janvier, Trump signait en catimini un décret qui mettait un terme
aux travaux de la Presidential Advisory Commission on Election
Integrity. On se rappellera qu’au lendemain de sa victoire contre
Clinton, il avait dénoncé une soi-disant fraude électorale menée dans le
seul but de le décrédibiliser. Au début de son mandat, il a rmait, sans
avoir le début d’une preuve, que les 3 millions de votes supplémentaires
que Clinton avait obtenus devraient être inscrits à la panoplie de
complots dont il était la victime.
Dans la foulée de cette accusation, tout logiquement, le nouveau chef
de l’Exécutif ordonnait la création d’une commission chargée
d’enquêter sur les malversations supposées. Puis, au l des analyses
e ectuées par le personnel de cette commission en collaboration avec
les personnels de tous les États concernés par le mécanisme électoral,
dont ceux dirigés par les Républicains, la fraude évoquée s’est dégon ée
à l’image du sou é au fromage.
Trump a donc commandé la mise au placard de la commission
d’enquête. En fait, ce n’est pas tout à fait cela. Pour être exact, il a
transféré le mandat d’enquêter au ministère de la Sécurité intérieure, le
Homeland Security. La raison avancée ? « Plutôt que de s’engager dans
des batailles judiciaires et sans n aux dépens des contribuables, j’ai
signé aujourd’hui un décret qui ordonne la dissolution de la
commission et j’ai demandé au ministère de la Sécurité intérieure
d’étudier toutes les issues et de déterminer la marche à suivre. »
Cet épisode prouve, si besoin était, que lorsque la vérité n’est pas au
diapason des désirs du prince, celui-ci s’attelle à la tapisser de ses
méfaits, son souci démocratique étant égal à l’attention esthétique que
l’on porte à la guenille. Chose certaine, son comportement ce jour-là
devait faire bondir les Démocrates et même certains gouverneurs
républicains. Car en re lant l’étude au Homeland Security, tous
comprenaient que la lumière sur les faits inhérents à l’élection
passerait sous les fourches caudines d’un ministre et de hauts
fonctionnaires nommés par maître Trump.
Secrétaire d’État du Maine et membre de la Commission, le
Démocrate Matthew Dunlap devait souligner que cette décision « est
alarmante. Le ministère de la Sécurité intérieure opère dans l’ombre.
La chance d’avoir une enquête réalisée en public a été perdue et je
pense que le peuple devrait franchement être e rayé par cela. »
LE SADIQUE CANDIDAT
Pendant une quarantaine d’années, Joe Arpaio, 85 ans aujourd’hui, a été
shérif du Maricopa County, qui inclut Phoenix. Tout au long de cette
période et auparavant lorsqu’il travaillait pour la Drug Enforcement
Administration, cet avocat de la manière forte a eu un comportement
particulièrement sadique envers les immigrants latinos. Il était si
impitoyable qu’il fut accusé d’actes criminels et donc passible d’une
peine d’emprisonnement.
Jusqu’à ce que le président des États-Unis lui accorde son pardon en
soulignant que ce shérif était un modèle en ce qui a trait à la loi et
l’ordre. Qu’importe qu’il fût en contravention avec la loi, qu’importe
qu’il organisât des camps d’emprisonnement où la chaleur du désert
était au cœur de sa culture de la punition permanente, il était, selon
Trump et tous les fondus du châtiment voulu par Dieu, l’exemple à
suivre.
Fort du pardon accordé, fort de la popularité dont il jouit au sein de la
frange tordue du Parti républicain, voilà que le 9 janvier il annonçait sa
candidature pour le poste de sénateur après que le Républicain Je
Flake eut annoncé qu’il ne se représenterait pas aux législatives de
novembre. Et voilà que Trump con ait qu’il allait soutenir Arpaio.
En Alabama, le juge Roy Moore, réputé être un prédateur sexuel et un
bigot cultivant avec rage la haine des gays, se porte candidat à
l’investiture républicaine. Sa réputation étant ce qu’elle est, les leaders
républicains au Congrès s’opposent à lui, mais pas Trump. Arpaio se
présente, et Trump…
LES POCHES DE JARED
Le 6 janvier, soit le jour de L’Épiphanie, le jour où la chrétienté salue la
visite que les rois mages rent au petit Jésus, on apprend que lors de la
visite diplomatique en Israël en compagnie de son beau-père-président,
Jared Kushner avait conclu une entente de 30 millions avec une
compagnie d’assurances de ce pays, la Menora Mivtachim. Plus
précisément, le contrat en question fut signé dans les jours précédant la
tournée diplomatique de Trump.
L’accord passé entre Kushner et Menora stipulait que moyennant un
investissement de 30 millions, cette dernière devenait copropriétaire
d’un parc immobilier situé dans les environs de Baltimore et
comprenant 10 immeubles locatifs. Bien évidemment, une fois cet
accord éventé, les relationnistes de la Maison-Blanche et de l’empire
Kushner se sont évertués à nous faire croire qu’il n’y avait pas de con it
d’intérêts. Peut-être y avait-il apparence de con it, mais bon, en cette
ère d’élasticité morale, il n’y a pas matière à en faire tout un fromage,
hein ? Jared est chargé de négocier un pacte de paix entre les Israéliens
et les Palestiniens.
Soyons rassurés, Jared est au-dessus de tout soupçon. Oui, oui, le
grand manitou des communications de la Maison-Blanche en
personne, Raj Shah, l’a assuré : « Nous avons une con ance absolue
dans le travail que Jared fait dans le cadre de nos e orts pour la paix et
il prend très au sérieux les obligations éthiques. Il entend ne jamais
compromettre sa personne ou l’administration ». Ouf !
Les porte-parole de la Maison-Blanche et de l’entreprise Kushner
voudraient donc que le citoyen dorme tranquille, alors que le ministère
de la Justice des États-Unis est, lui, plutôt inquiet. En e et, alors que
Kushner négociait avec des Israéliens, ce ministère poursuivait une
enquête sur un citoyen israélien richissime, Beny Steinmetz, accusé de
corruption. Ce dernier s’est associé à Kushner dans l’acquisition
d’immeubles locatifs à Manhattan pour un montant de 200 millions.
Ce ministère enquêtait également sur les agissements de la banque
israélienne Hapoalim soupçonnée d’avoir organisé l’évasion scale de
riches Américains. Et alors ? Cette banque est un des créanciers de
l’empire Kushner. En n, on retiendra que Kushner a vendu plusieurs
étages de l’ancien édi ce du New York Times à un Israélien.
À la suite de ces révélations. Richard W. Painter, ex-avocat de la
Maison-Blanche responsable de l’éthique sous la présidence de George
W. Bush et actuellement professeur de droit à l’université du
Minnesota, devait noter que les États-Unis ont choisi « un envoyé
spécial qui s’est identi é comme une personne partageant les vues des
faucons » israéliens et américains. Non seulement ça « il obtient de
l’argent de personnes riches et de gens d’a aires qui sont tous d’un
même pays », soit Israël évidemment. Conclusion : « Cela va renforcer
le camp de ceux qui n’aiment pas les États-Unis. »
DEHORS PUIS DEDANS
Au début de la deuxième semaine du mois, le couperet tombe sur la
communauté salvadorienne répartie principalement entre trois États :
la Californie, le Texas et la Virginie. Ce jour-là, le ministère de la
Sécurité intérieure annonçait que les 200 000 personnes d’origine
salvadorienne qui béné ciaient du programme Temporary Protected
Status (TPS) devraient quitter les États-Unis dans le courant de l’année
2019.
Grâce au TPS, ces Salvadoriens détenaient les papiers leur permettant
de travailler légalement, de vivre normalement depuis 2001. Cette
année-là, à la suite de deux tremblements de terre particulièrement
dévastateurs, Bush avait signé le décret permettant à des milliers de
citoyens de ce pays de se réfugier aux États-Unis. Depuis lors, Bush et
après lui Obama avaient renouvelé la protection accordée à ces gens.
Les responsables de ce ministère devaient justi er leur décision en
avançant que les conditions s’étaient améliorées au Salvador. Que les
écoles, les routes, les ponts, les hôpitaux, le parc immobilier et autres
avaient été reconstruits. Et d’une. Et de deux, que ce programme, ainsi
que son nom le précisait, était temporaire.
Dans les semaines précédant cette décision, ce même ministère avait
décidé de mettre un terme à la partie du TPS concernant les
45 000 Haïtiens qui s’étaient installés à la suite du tremblement de
terre de 2010. Quoi d’autre ? Avant eux, les Nicaraguayens avaient été
rayés du TPS et bientôt ce serait au tour des Honduriens.
On se rappellera également que la èvre anti-immigrant de cette
administration était si vive qu’elle avait également décidé de mettre un
terme au plan élaboré par Obama a n de protéger les
800 000 Dreamers, soit ces jeunes mineurs arrivés aux États-Unis, avec
leurs parents étrangers et sans papiers. À ce propos, et concernant
justement les Salvadoriens, il faut préciser que selon les études
réalisées par la Chambre de commerce des États-Unis, qui est opposée
aux politiques de Trump en cette matière, et par des ONG versées en
défense des immigrants, les Salvadoriens sont particulièrement bien
intégrés. Pour bien des entrepreneurs en construction, notamment du
Texas, ils sont même devenus essentiels à la poursuite de leurs a aires.
Et ce, pour la bonne et sempiternelle raison qui stipule que ces
immigrants font le sale boulot que les locaux ne veulent plus faire.
Puis voilà qu’au lendemain de l’ordre donné par le Homeland Security,
Trump prenait le contrepied de la politique d’immigration suivie
depuis son entrée en fonction. Ce virage à 90 degrés, Trump l’a pris lors
d’une rencontre au sommet entre leaders républicains et démocrates
tenue à la Maison-Blanche. On l’a vu, au terme d’une heure et demie de
pourparlers, on convenait de prolonger temporairement le programme
d’Obama sur les Dreamers en échange de quoi les Démocrates
entérinaient certains aspects du plan a érent à la construction du mur
à la frontière avec le Mexique.
Après quoi, Trump dévoila l’inattendu. Aux journalistes présents à la
Maison-Blanche, ce président qui avait fait de l’immigrant une de ses
cibles de choix durant la campagne et lors de sa première année en tant
que chef de l’Exécutif, con ait avoir discuté du sujet délicat entre tous :
paver la voie a n que les 11 millions de sans-papiers prennent le chemin
qui débouche sur la citoyenneté américaine.
Qu’on y songe, Trump se disait prêt à proposer une politique
d’immigration que Bush et Obama avaient tenté d’appliquer. Ce fut en
vain, tant l’opposition est sur ce anc d’autant plus fanatique qu’elle
jongle avec les arguments qui distinguent les abrutis et les racistes. À
suivre…
L’INTERROGATOIRE
Durant des semaines, voire des mois, le Tout-Washington s’est
demandé si le procureur spécial Robert Mueller III oserait convoquer
le président a n de l’interroger. Le 8 du mois tous les intéressés
apprenaient quelle était son intention. En e et, ce jour-là, les limiers de
NBC News révélaient qu’en décembre, Mueller avait informé les
avocats de Trump qu’il entendait le soumettre à la question sans qu’une
requête formelle soit déposée, sans qu’une date ne soit xée.
Pour l’équipe d’avocats de Trump et le premier d’entre eux, Ty Cobb,
cette volonté était le signe que l’enquête touchait à sa n. Pour Cobb et
ses collaborateurs, après avoir accusé de mensonges quatre proches du
président, il ne restait plus à Mueller qu’à interroger celui-ci et de
boucler le tout. Pour d’autres au contraire, la requête était le signe
d’autre chose.
Selon les con dences livrées à un reporter du New York Times par un
initié au dossier, Mueller cherchait à déterminer si Trump avait fait
obstruction à la justice. Selon le témoignage de cet initié, le procureur
spécial chargé de faire la lumière sur les agissements des Russes, a
ensuite décidé d’élargir son mandat après que Trump eut renvoyé
James Comey.
La révélation par ce dernier que Trump l’aurait prié d’arrêter
l’enquête sur les gestes commis par son ex-conseiller à la Sécurité
nationale Michael Flynn, combinée à son renvoi comme tel, avaient
convaincu Mueller qu’une entrave à son travail, donc une obstruction
au cours de la justice, était une hypothèse logique. En d’autres termes,
Mueller estimait qu’il était de son devoir d’étendre son mandat.
Comme par hasard, ce même jour, les sénateurs démocrates
dévoilaient un rapport volumineux sur les interférences des Russes.
Eux aussi jugeaient que Trump s’était employé à torpiller l’exercice
mené a n de faire la lumière sur cette histoire. « Jamais dans l’histoire
de l’Amérique une menace aussi claire à la sécurité nationale n’a été
autant ignorée par un président des États-Unis. » À ce rapport, Trump
devait réagir avec l’arme qui lui est la plus familière : l’injure. Il traita la
sénatrice démocrate Dianne Feinstein de « sournoise ».
Deux jours plus tard, il prenait à revers la position adoptée quelques
mois auparavant, soit qu’il était disposé « à 100 % à répondre » sous
serment aux questions de Mueller. Le 10 janvier, il indiquait aux
journalistes « qu’il parlait aux avocats » ainsi qu’aux procureurs de
l’équipe Mueller et que « nous verrons bien ce qui va se passer ». Bien
évidemment, il pro tait de la question posée par les journalistes pour
dire et répéter que Mueller poursuivait « une chasse aux sorcières » et
que tout cela n’était qu’un « canular des Démocrates ».
LE PRÉSIDENT RACISTE
Deux jours après avoir laissé entendre qu’il était disposé à élaborer un
programme d’intégration o cielle des sans-papiers, le président
rencontrait à nouveau les délégations d’élus démocrates et républicains
experts en immigration. Au terme de cette autre séance de
négociations, on apprenait que Trump avait une fois de plus tourné sa
veste. On apprenait surtout qu’il avait multiplié les remarques racistes,
injurié l’humanisme.
Selon les commentaires des Démocrates présents aussi bien que des
Républicains, Trump s’est demandé pourquoi les États-Unis devraient
accueillir les personnes qui viennent de « ces pays de merde » qui
distinguent l’Afrique. Que si les Nigériens débarquent, ils ne
retourneront jamais « dans leurs huttes » ou encore « pourquoi
voulons-nous des Haïtiens » alors « qu’ils ont tous le sida ». Alors que…
« nous devrions plutôt admettre les gens originaires de pays comme la
Norvège ».
En articulant de tels propos, en établissant une hiérarchisation des
races, Trump collait aux thèses du théoricien en chef du racisme
développées au premier tiers du XXe siècle, soit le philosophe allemand
Oswald Spengler, auteur du misérable Le Déclin de l’Occident. Quelques
décennies plus tard, le politologue chéri par une foule de Républicains
contemporains, soit Samuel Huntington, y ferait écho dans son Choc
des civilisations.
Il a fallu l’intervention du sénateur républicain Lindsay Graham, de
Caroline du Sud, pour rappeler à Trump que « l’Amérique est une idée
et non une race ». À cette remarque et à celles des autres sénateurs
présents à cette rencontre, le patron du service de presse de la Maison-
Blanche devait réagir sans jamais aborder le sujet frontalement.
Plutôt que d’expliquer la position défendue par le président, Raj Shah
rédigeait un communiqué sur le mode agressif : « Certains politiciens à
Washington ont choisi de se battre pour des pays étrangers, alors que le
président Trump se battra toujours pour le peuple américain. » À quoi
le représentant Cedric L. Richmond, de Louisiane, président du
Congressional Black Caucus, devait rétorquer comme suit et en beauté :
« Le slogan Make America Great Again est en fait le code pour Make
America White Again ». Yes !
DU SILENCE À 130 000 DOLLARS
Le 12 octobre, le Wall Street Journal, propriété de Rupert Murdoch
donc lié au réseau Fox, publiait un scoop. Le sujet ? La bagatelle. Plus
sérieusement, l’honorable quotidien des amants de la Bourse assurait
que l’actrice porno Stormy Daniels, de son vrai nom Stephanie Cli ord,
avait reçu une somme de 130 000 dollars en octobre 2016, soit moins
d’un mois avant l’élection, des mains de Michael Cohen. Dans l’équipe
des défenseurs de Trump, Cohen a toujours été le spécialiste des
dossiers dits délicats.
Le montant obtenu après négociations avec l’avocat de Daniels, Keith
Davidson, était en fait une OPA sur le silence de Daniels. En échange,
l’actrice convenait de taire qu’elle avait eu une relation avec le futur
chef de l’Exécutif. Une fois l’a aire éventée par le Wall Street Journal,
Cohen signait dans l’heure un courriel dans lequel il indiquait que tout
cela relevait de la rumeur et que le président niait catégoriquement
toute relation avec Daniels.
Mais voilà, cette a aire devait avoir un e et inattendu : elle remettait
en lumière un autre scoop du Wall Street Journal publié, lui, le
4 novembre 2016, et sur le même sujet. Soit que le groupe American
Media, éditeur notamment du National Enquirer, avait déboursé
150 000 dollars pour obtenir l’exclusivité des con dences d’une
ancienne playmate sur sa relation avec Trump. Son identité : Karen
McDougal. Comme il se doit, les représentants de Trump avaient hurlé
que tout cela relevait de la rumeur.
De cet épisode, on retiendra que Trump et ses acolytes avaient
convenu de payer près de 300 000 $ à deux femmes qui avaient ceci en
commun : le même avocat, Keith Davidson, spécialisé dans les dossiers
salaces.
L’ARGENT CACHÉ D’APPLE
Au milieu du mois, Apple faisait une annonce détonnante. La direction
de la compagnie, Tim D. Cook en tête, assurait qu’elle allait rapatrier
252 milliards de dollars de pro ts qui avaient été parqués dans divers
paradis scaux. Cette somme représentait 94 % des liquidités totales de
cette entreprise experte dans le non-paiement d’impôts aux États-Unis
ainsi qu’ailleurs dans le monde.
Apple a convenu de payer 38 millions de taxes sur le montant rapatrié
et d’investir aux États-Unis. Ce retour, si l’on peut nommer la chose
ainsi, est la conséquence des déductions scales décidées quelques
semaines auparavant par Trump. En fait, en ce qui concerne les sociétés
qui « planquent » leurs béné ces dans les îles Vierges ou aux îles
Caïmans, on devrait parler de cadeaux scaux.
En e et, le nouveau code scal prévoit que les entreprises paieront
15 % sur les liquidités enfouies dans les caves de ces paradis. Soit tout de
même 6 % de moins que le nouveau taux de 21 %.
En d’autres termes, selon les calculs e ectués par l’Institute on
Taxation and Economic Policy, en accordant ses béné ces avec
l’architecture scale dessinée par le gouvernement, Apple fait une
économie de… 43 milliards ! Cela dit, si aux pro ts d’Apple camou és ici
et là de par le monde on gre e ceux de Microsoft, Cisco, Google et
consorts, on obtient un montant qui mérite son lot de méditations :
3 000 milliards de dollars.
L’annonce d’Apple fut accompagnée d’un communiqué signé par son
président Cook, dans lequel il soulignait qu’il était « de notre
responsabilité de donner en retour à notre pays et aux personnes qui
ont rendu notre succès possible ». Quand on songe à tout ce qu’Apple et
compagnie doivent notamment à la recherche militaire, donc à l’argent
public, ce propos, pour dire le moins, est à ranger au rayon des
vulgarités. « Donner en retour à notre… »
RENVOYER MUELLER OU PAS
Et voilà qu’on apprend aujourd’hui ce qui s’est vraiment passé avant-
hier. En fait, c’est plus compliqué que ça. Voilà qu’aujourd’hui, on
apprend que Trump convient d’être interrogé par le procureur spécial
Robert Mueller. On apprend même qu’il serait impatient que cela se
fasse. Cette volonté d’apaisement, il faut la mettre en ligne avec une
révélation : en juin dernier, le président Trump avait commandé le
renvoi de Mueller et donc la n de son enquête.
On savait que Trump avait jonglé avec cette idée, mais pas au point de
passer à l’acte. Si celui-ci ne s’est pas traduit dans les faits, c’est tout
simplement parce que le conseiller juridique de la Maison-Blanche en
personne, soit Donald F. McGahn II, avait dit que sa démission serait
e ective aussitôt, car le renvoi de Mueller aurait une conséquence
catastrophique sur la présidence. Qu’elle pourrirait la gestion des
années qui restent à faire d’ici 2020.
À cela, il faut ajouter ceci : lorsque Trump avait ordonné le renvoi de
Mueller, il avait également indiqué qu’il songeait à renvoyer celui qui
avait donc ouvert l’enquête, soit Rod J. Rosenstein, le numéro trois du
ministère de la Justice. Son attitude était au fond le re et de la stratégie
adoptée par son équipe juridique et non celle de la Maison-Blanche, si
l’on peut dire les choses ainsi, et qui était alors dirigée par son avocat
personnel de longue date : Marc E. Kasowitz. À la di érence de
McGahn, ce dernier avait opté pour une stratégie agressive à l’endroit
de Mueller.
L’avocat de la Maison-Blanche était totalement en désaccord avec le
choix tactique de Kasowitz. À son avis, le choix en question, et vu les
prérogatives constitutionnelles allouées à tout procureur spécial,
permettrait tôt ou tard à Mueller d’ajouter un autre mandat à celui
assigné à l’origine : obstruction à la justice.
Un mois après la bataille qui s’est déroulée derrière les rideaux,
Trump engageait un nouvel avocat pour diriger son équipe : Ty Cobb. À
peine arrivé en poste, ce dernier retourne comme une crêpe la stratégie
de son prédécesseur : nous allons collaborer et non nous opposer à
Mueller. L’objectif poursuivi ? Plus nous serons de bonne foi, plus nous
serons de bonne volonté, plus les chances que l’enquête soit terminée
bien avant la prochaine présidentielle vont augmenter.
Et alors nous éviterons ce que Trump veut éviter à tout prix : que
Mueller pose sa loupe de limier sur l’état nancier de son empire. Sur
ses us et coutumes monétaires.
TRUMP À DAVOS : OUI, MAIS…
Règle générale, les présidents américains évitent de se rendre à Davos.
Même s’ils inclinaient à une conception multipolaire du monde comme
Obama ou à une conception dont la mondialisation sous direction
américaine est l’ADN, comme les Bush père et ls, les présidents ont
toujours refusé, à l’exception de Clinton, les invitations des
organisateurs de Davos, de peur de passer pour les intendants au
service exclusif de l’élite économique de la planète. Trump, lui, a imité
Clinton. Il y est allé.
La veille de son allocution, le premier ministre Justin Trudeau
annonçait qu’à la suite du retrait des États-Unis du traité de libre-
échange Asie-Paci que, les 10 pays concernés venaient de conclure une
entente. Le premier ministre indien, Narendra Modi, se faisait l’apôtre
de la mondialisation, alors que le président français, Emmanuel
Macron, la chancelière allemande, Angela Merkel, et le premier
ministre italien, Paolo Gentiloni, se faisaient les avocats d’une plus
grande intégration au sein de l’Union européenne. À l’évidence, les
Européens s’étaient entendus pour prendre le contre-pied de la
politique de démantèlement du système politique et économique
poursuivie par Trump. Bien.
Au lendemain du tour de piste de Trudeau, de Modi et des Européens,
c’est au tour de Trump de livrer son exposé louvoyant et ponctué par
une litanie de vantardises et demi-vérités, pour rester pondéré. « Je suis
ici pour formuler un message simple : il n’y a jamais eu de meilleure
époque pour employer, pour construire, investir et progresser aux
États-Unis. L’Amérique est ouverte au commerce et elle est à nouveau
compétitive. » Ah bon !
L’argumentation choisie par Gary Cohn, son conseiller principal pour
l’économie, fut développée à l’aune de la malhonnêteté intellectuelle. À
preuve, les chi res alignés. Dans la plupart des cas, le duo Cohn-Trump
a mis sous le boisseau les chi res, et les bons, inhérents aux politiques
notamment de croissance, que l’administration Obama avait conçues.
Quoi d’autre ? « L’Amérique d’abord – l’America rst –, ne signi e pas
l’Amérique d’abord. »
FIN BRUTALE
À la n du mois, Andrew G. McCabe prend tout le monde par surprise :
il annonce sa démission de directeur adjoint du FBI. La surprise fut
d’autant plus grande qu’il était à trois mois d’être admissible à la
retraite. Il avait d’ailleurs con é à des proches qu’il attendrait le 18 mars
avant de mettre un terme à son association avec le FBI, longue de
21 ans. On retiendra que James Comey l’avait nommé en 2016, donc
tout récemment, à ce poste pour sa force intellectuelle. Mais…
Mais bon, les pressions émanant de la Maison-Blanche ainsi que des
élus républicains furent si appuyées, si constantes, que McCabe a
décidé de jeter l’éponge. En fait, les pressions en question découlent
toutes d’une obsession, d’une haine. Celle que Trump et des
Républicains nourrissent à l’endroit d’Hillary Clinton. Détaillons.
Quelques années auparavant, Jill, la femme de McCabe, s’était
présentée au poste de sénatrice de la Virginie. Pour mener sa
campagne, l’ancien gouverneur de cet État Terry McAuli e avait
convenu de la nancer. Signe particulier de ce dernier ? C’est un ami des
Clinton. Jill McCabe perdit son élection. Ce n’est qu’après, en 2016, que
son mari fut choisi par Comey pour occuper la fonction de directeur
adjoint.
En 2017, le FBI t enquête sur l’usage qu’Hillary Clinton t des
messageries, des courriels, alors qu’elle était secrétaire d’État. Et alors ?
Trump et les Républicains estiment que McCabe étant le mari d’une
partisane démocrate, il était en con it d’intérêts. En d’autres mots, qu’il
aurait dû se récuser.
Le directeur adjoint n’ayant pas agi comme les Républicains le
souhaitaient et étant par ailleurs le numéro deux d’un organisme qui est
un acteur, indirect il est vrai, de l’enquête sur les liens entre l’équipe de
Trump et les services russes, il était devenu la cible de choix des
attaques des uns et des autres.
Dans le courriel que McCabe envoya à tous ses collègues du FBI, il
con e « sa tristesse ». Il y avait matière.
ET MOI, ET MOI, ET MOI
Lorsque Trump a amorcé son discours sur l’état de l’Union, son
premier, à la toute n du mois, le taux de satisfaction des Américains
était de 37 %, soit le plus faible de tous les présidents de l’ère moderne
au début de leur deuxième année de mandat. Ce mécontentement
passablement généralisé ne l’a pas empêché de développer son exposé à
l’aune de l’orgueil de soi. Qu’on y songe, devant des millions de citoyens
qui écoutent ce qui demeure le discours le plus attendu de l’année,
maître Trump a servi une énième fable sur ses « extraordinaires »
accomplissements. Bref, il s’est répété.
Ainsi, d’après lui, « nous vivons un nouveau moment américain. Il n’y
a jamais eu de meilleur temps qu’actuellement pour commencer à vivre
le rêve américain. » Ce rêve dont on attend encore et toujours la
révélation de son contenu comme de son objectif, a n qu’il ne soit plus
une légende que les présidents utilisent à toutes les sauces, histoire de
berner le citoyen lambda.
Lorsqu’il sortait des ornières de la ction – « … un nouveau moment
américain » –, il se félicitait une fois de plus d’avoir xé des politiques
ayant favorisé une diminution prononcée du chômage et une
progression des rendements boursiers. Sinon, en matière
d’immigration, il se promettait de réussir là où ses prédécesseurs « ont
tous échoué depuis 30 ans ». Quoi d’autre ? Sur le plan intérieur, il
s’engageait à présenter prochainement un plan de modernisation des
infrastructures doté d’un budget de 1 000 milliards et 500 millions de
dollars.
En ce qui concerne le politique internationale, il a vitupéré, ce n’est
pas nouveau, contre la Corée du Nord et l’Iran. Il s’est félicité des reculs
territoriaux in igés à Daech au Moyen-Orient. Il n’a pratiquement pas
évoqué les relations avec la Chine et la Russie, alors que ces deux pays
étaient quali és par le récent National Security Strategy de principaux
adversaires géopolitiques. Plus étonnant, il n’a pas dit un mot sur le
sujet de l’année : les manipulations électorales des Russes et l’enquête
ordonnée par la suite rythmée notamment par des bouleversements à
la tête du FBI.
En d’autres mots au cours de ce discours qui fut le plus long des
50 dernières années (80 minutes), après celui de Clinton en 2000,
maître Donald a pris soin de sa personne.
Chapitre 22

FÉVRIER 2018 :
QUEUE DE POISSON

Quelle étrange histoire que cette note secrète composée par les
Républicains et consacrée à l’enquête sur les Russes, avalisée par
Trump, puis rendue publique. Quelle drôle d’histoire. Si drôle qu’elle
s’est conclue en queue de poisson. Pour quel camp ? Les Républicains.
Cet épisode aurait été dialogué par Audiard – « J’parle pas aux cons, ça
les instruit » – qu’il serait permis de rire à gorge déployée. Mais voilà,
celui qui a rédigé cette note s’appelle Devin Nunes et non Audiard.
Signe particulier ? Il a un comportement bonapartiste sans l’élégance.
Quoi d’autre ? Au moment des méfaits détaillés ci-après, ce
représentant de Californie était le président de la Commission sur les
renseignements.
Le 2 février, contre l’avis donné conjointement par le ministère de la
Justice et le FBI, Trump permet à Nunes de communiquer une note qui
assure que, sur fond d’enquête sur les agissements des Russes, les hauts
fonctionnaires de ce ministère et la direction du FBI sont de mèche.
Qu’ils poursuivent un complot contre l’actuel président. Et ce, depuis la
campagne des primaires. Dans leur note, Nunes et ses complices
républicains de la Commission et du Sénat a rmaient notamment que
les limiers et les procureurs du FBI avaient forgé de fausses preuves
dans le but de convaincre un juge responsable de dossiers sensibles de
leur accorder les mandats nécessaires à la surveillance des
collaborateurs de Trump.
Ils avançaient notamment que l’état-major du Parti démocrate ainsi
qu’Hillary Clinton avaient payé un ex-espion britannique s’appelant
Christopher Steele a n de fournir des éléments, pour ne pas dire un
scénario, sur les interventions des Russes dans le cadre de la campagne.
CQFD : Robert Mueller étant l’ancien directeur du FBI nommé à la tête
d’une commission spéciale par un ministère de la Justice à la solde des
Démocrates, il devrait jeter l’éponge, puisque lui aussi est forcément de
mèche.
Il est vrai que le FBI a posé sa loupe sur les agissements de Carter Page
qui durant la campagne électorale faisait partie de l’équipe de
conseillers de Trump. Oui, il a été mis sur écoute. Mais cela se faisait
depuis… 2013 ! Soit bien avant que Clinton ainsi que Trump annoncent
qu’ils se présenteraient. Le FBI surveillait Page en raison de ses
fréquents allers-retours entre Moscou et les États-Unis et surtout en
raison de ses agissements et de ses positions sympathiques à Poutine.
Le souci démocratique ayant été ravalé par Nunes et la majorité des
élus républicains à un faux-semblant, une ombre malé que, ils ont
interdit aux Démocrates membres des Commissions sur le
renseignement de publier la note qu’ils avaient composée et dans
laquelle ils avançaient les contre-preuves, et non une stricte opinion,
aux arguments des Républicains. Cela devait convaincre un ancien
mandarin du FBI de sou er dans l’oreille d’un journaliste que pour
mener un complot contre le président, il faudrait convaincre des
douzaines de fonctionnaires du ministère et du FBI et obtenir diverses
permissions d’un juge ripou.
L’étrillage conçu par Nunes et les siens a n de discréditer
durablement les institutions chargées de la loi et l’ordre n’aurait pas été
complet sans l’intervention publique de Trump. Peu après la sortie de la
note, Trump a jugé que « ce qui arrive à notre pays est une disgrâce.
Beaucoup de gens devraient avoir honte d’eux-mêmes, voire
davantage. » Avant de marteler encore une fois que cette histoire faite
de magouilles russes est en fait un « canular » qu’on utilise pour mener
« une chasse aux sorcières » dont il est bien sûr la cible no 1.
Le bout de la queue de poisson a fait son apparition, si l’on peut dire
les choses ainsi, le 16 février. Ce jour-là, Rod Rosenstein, le numéro
deux du ministère de la Justice, s’est présenté à une conférence de
presse avec en main un document de 37 pages. Dans celui-ci, fruit, on
insiste, de l’enquête de Mueller, 13 citoyens russes ainsi que trois
entreprises ayant pignon sur rue aux États-Unis et ayant signé des
contrats avec le gouvernement russe étaient accusés d’avoir poursuivi
un vaste et profond travail de sape a n de faire dérailler le processus
électoral à l’avantage de Trump.
Par le biais notamment de comptes Facebook et Twitter, ces
13 personnes s’étaient présentées comme des militants politiques anti-
immigrants et fervents chrétiens. Grâce à l’enfumage idéologique qu’ils
avaient conceptualisé en amont avec les experts des services
d’espionnage de l’armée russe, ces individus identi és par Mueller
étaient même parvenus à participer à l’organisation de rassemblements
républicains, notamment en Floride.
En agissant de la sorte, en intervenant deux semaines après
l’a rmation de Trump et de Nunes qui réduisait cette histoire à un
canular, Mueller envoyait le message suivant : les faits récoltés au l de
notre travail prouvent de manière irréfutable que les Russes ont miné
le processus électoral des États-Unis d’Amérique. Point.
Quelques heures après la conférence de Rosenstein, le conseiller à la
Sécurité nationale H. R. McMaster, alors qu’il participait à Munich à la
rencontre annuelle des diplomates et experts en sécurité d’Europe et
des États-Unis, soulignait que les faits avancés par Mueller et son
équipe étaient la preuve dé nitive que les Russes s’étaient invités dans
la campagne présidentielle. Ce faisant, il contrariait passablement
Trump et ses proches qui auraient préféré que le responsable de ces
questions adopte pro l bas.
Le 20 février, Trump sombrait dans le nivellement par le bas. Alors
qu’il était président, Obama, a-t-il a rmé, n’est pas intervenu parce
qu’en réalité, il était complice de Clinton. Deux jours plus tard, la queue
de poisson au complet était dévoilée : après les 13 Russes, Mueller
déposait une plainte au criminel contre Paul Manafort et Rick Gates,
associé de Manafort et directeur adjoint de la campagne de Trump.
Selon l’acte d’accusation, Manafort avait notamment blanchi
l’équivalent de 30 millions, dont une portion importante découlait des
contrats de consultant politique qu’il avait contractés auprès du
président pro-russe de l’Ukraine, Viktor F. Ianoukovitch. Au passage,
on retiendra que Manafort avait démontré une sacrée maîtrise du
labyrinthe des paradis scaux.
Le lendemain, coup de théâtre : Gates plaidait coupable aux
accusations portées par Mueller et proposait de collaborer avec lui en
échange d’une réduction de la peine de prison qui lui sera in igée. Non
seulement Gates plaidait coupable, il con ait avoir menti aux détectives
de l’équipe Mueller dans le courant du mois.
Dans la salle des pas perdus où se croisent les malfrats en nœuds
papillon, il y avait un autre menteur : Alex van der Zwaan, avocat au
sein d’un des plus gros cabinets, donc un des plus in uents, en
Occident : Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom. Entre autres
spécialités sur laquelle les associés de celui-ci ne font pas de publicité, il
y avait et il y a toujours la suivante : défendre les intérêts des chefs
d’État les moins recommandables de la planète et de leurs lobbyistes
qui arpentent sans cesse les couloirs du Congrès. Pour faire court, van
der Zwaan a admis avoir menti aux collaborateurs de Mueller.
Le bilan ? En date du 24 février, le procureur spécial Mueller, aussi
impavide qu’Henry Fonda dans Douze hommes en colère, avait
formellement accusé 34 individus et 3 sociétés de 100 crimes ou
fraudes. Tout ça, sur la base d’un canular ? Ad augusta per angusta, ce
qui en langue franque signi e : À des résultats grandioses par des voies
étroites. Ave !
LA DÉFENSE AVANT LA SANTÉ
Au terme de la première semaine du mois, les patrons des sénateurs
démocrates et républicains concluaient une entente budgétaire. Mitch
McConnell pour les seconds et Chuck Schumer pour les premiers
annonçaient que la limite imposée aux dépenses avait été modi ée
conformément aux souhaits exprimés par Trump. En un mot, le budget
des dépenses était augmenté de 300 milliards sur deux ans.
De la valse des montants induits par cet accord, le Pentagone, et donc
les entreprises qui gravitent autour en permanence, étaient les
principaux béné ciaires. Plus de la moitié du total, 165 milliards pour
être exact, leur reviendrait. Les autres postes de dépenses, soit la santé,
l’éducation, l’environnement, les infrastructures, la fonction publique,
etc. se partageront 131 milliards.
Histoire d’illustrer la préséance prononcée accordée aux armes sur
l’empathie humaniste on retiendra, par exemple, que le budget alloué
aux soins médicaux nécessaires aux enfants a été augmenté de
5,8 milliards sur deux ans. Celui alloué à la santé mentale et aux
contrecoups de l’épidémie des opioïdes de 6 milliards également sur
deux ans. Bref, une fois encore, le dilemme antique de la science
économique – du beurre ou des canons – était réduit en miettes par les
élus « de la plus meilleure démocratie du monde-mondial ».
DES AGRESSIONS, DEUX DÉMISSIONS
Le 7 février, Rob Porter démissionnait. Il occupait le poste clé de
secrétaire du personnel du cabinet. En d’autres termes, c’était le
principal adjoint de John Kelly, le directeur de cabinet. Deux jours plus
tard, David Sorensen en faisait autant. Il était jusqu’alors rédacteur des
discours du président. Les deux étaient accusés d’agressions physiques
et morales par leur ex-femme.
Parmi les faits troublants que cette a aire expose, l’un mérite une
attention particulière : la protection ou à tout le moins la mansuétude
dont ces deux-là ont béné cié. De la part de qui ? Trump et Kelly. Ils
savaient ou plus exactement ils ne pouvaient pas ne pas savoir.
Car pour obtenir l’habilitation de sécurité qui va avec leurs fonctions,
tant Porter que Sorensen ont été les sujets obligatoires des enquêtes
des agents du FBI. Ces derniers ont interrogé les uns et les autres et
leur ex-femme en particulier pendant des jours et des jours. Ces
dernières ont dévoilé les noirs secrets de leur ex-mari. L’une disposait
même d’une photo d’elle prise à la suite des mauvais traitements de
Porter. L’autre a fait référence à un enregistrement téléphonique de la
police alors qu’elle avait appelé à l’aide.
Les coups portés à plus d’une reprise avaient convaincu le FBI de
recommander notamment que l’habilitation de sécurité ne soit pas
accordée à Porter. Pour la première fois dans l’histoire moderne de la
Maison-Blanche, on avait interdit au numéro deux du cabinet un accès
aux dossiers sensibles. Kelly et Trump avaient été informés par le FBI.
Donc cela faisait des mois qu’ils avaient été mis au parfum.
Comment le président et celui qui est de facto son chef de
gouvernement ont-ils réagi ? Kelly a dit qu’il ne savait pas. « J’ai été
estomaqué par les nouvelles accusations portées contre Rob Porter […]
tout individu a le droit de défendre son intégrité. » Bref, Kelly a servi le
cocktail fait de langue de bois et de poncifs.
Et Trump ? Après avoir défendu l’animateur de Fox News Bill O’Reilly,
après avoir défendu le juge Roy Moore lors de la primaire pour le poste
de sénateur de l’Alabama, deux agresseurs sexuels, faut-il le rappeler,
Trump a été dèle à lui-même. Il a pris le parti de l’agresseur.
Dans un de ses tweets, il écrivait : « Les vies de personnes ont été
brisées, détruites par de simples allégations. Certaines sont vraies et
certaines sont fausses. Certaines sont vieilles et certaines sont
nouvelles. Toute personne accusée à tort ne s’en remet jamais – sa vie et
sa carrière sont nies. » L’obligation d’arbitrage, d’équilibre, qui
incombe au président ? Il s’en moque pour mieux mentir.
Oui, il a menti. Lui et ses proches collaborateurs, comme la porte-
parole Sarah Huckabee Sanders et surtout Donald F. McGahn II, avocat
de la Maison-Blanche, avaient été mis au parfum. En e et, lors des
audiences devant la Commission sénatoriale sur les renseignements,
tenues une semaine après la démission de Porter et les réactions
o cielles que celle-ci a provoquées, le directeur du FBI, Christopher A.
Wray, a souligné que les membres de l’état-major de la présidence
avaient été informés à trois reprises – mars, juillet et novembre 2017 –
que Porter avait agressé ses deux ex-femmes à plusieurs reprises.
On répète, Trump et les siens ont menti dans les grandes largeurs et
plus d’une fois.
LES FOUS DE DIEU
Lorsque George Bush père avait succédé à Ronald Reagan, il avait
ordonné à ses collaborateurs de tenir les évangélistes, les fous de Dieu,
le plus loin possible de la Maison-Blanche. On l’a vu, lorsque son ls
George Walker succéda à Clinton, il s’appliqua à prendre son père à
contre-pied. On l’aura compris, les intendants de la Bible obtinrent un
droit de présence, et donc de parole, au cœur du pouvoir. Avec Trump,
les relations entre le chef de l’Exécutif et les inféodés aux ctions
religieuses devaient prendre une tournure nouvelle.
Après avoir épluché l’agenda de la Maison-Blanche depuis l’arrivée de
Trump, des journalistes des grands quotidiens ont calculé que le
nombre moyen d’évangélistes qui se rendaient sur place jour après jour
était de 20. Il ne se passe pas une journée sans qu’une vingtaine de
portiers des canons de la chrétienté se rendent à la rencontre du
président ou de son directeur de cabinet ou de tel conseiller. Pour
demander ceci, pour exiger cela.
Tous ces religieux ont pro té au maximum de l’attention que le
45e président leur a accordée avec générosité et constance. Ici, il faut
rappeler que 80 % des évangélistes avaient voté pour lui, que pour la
première fois depuis 2004 la majorité des catholiques avaient
également voté pour lui, etc.
Pour faire court, les trois quarts des croyants du pays ont opté pour le
candidat des riches. Et après, ils viendront nous faire la causette sur le
message biblique en général et l’amour des pauvres en particulier alors
qu’ils excellent avant tout dans la défense de leurs pédophiles ! Non ?
Attardez-vous aux faits et chi res, nom de Dieu !
Toujours est-il qu’au cours de la première année du mandat de Trump,
ces évangélistes ont beaucoup obtenu. Ils demandaient depuis des
lunes que Jérusalem soit sacrée capitale de l’État d’Israël ? Trump s’est
plié à leur requête. Ils voulaient que le président rende plus di cile
l’accès à l’avortement sans prendre en considération l’avis des femmes,
dont on oublie trop souvent qu’elles sont le sujet d’une misogynie
théorisée par les pères de l’Église – saint Augustin : « Homme, tu es le
maître, la femme est ton esclave, c’est Dieu qui l’a voulu » ? Trump s’est
plié à nouveau.
Dans le but de renverser la légalisation de l’avortement décidée en
1973 par la Cour suprême à la faveur du procès Roe c. Wade, Trump a
nommé un juge pro-vie au sein de ce tribunal : Neil Gorsuch. Les
évangélistes réclamaient que la religion imprime son in uence sur
l’appareil d’État sur une base régulière, donc non accidentelle ou
épisodique ? Trump a décrété la création de la Division de la liberté
religieuse et de conscience au sein du ministère de la Santé et des
Services sociaux.
Quoi d’autre ? Les évangélistes espéraient l’abolition de l’amendement
Johnson qui menace les organisations religieuses de perdre leurs
avantages scaux si elles soutiennent des candidats aux élections ?
Trump s’est engagé à entamer ce combat législatif. On passe sur les
autres avantages accordés à la cohorte des militants de la croisade
permanente pour mieux rappeler que pour les gures de proue du
mouvement, les politiques arrêtées par Obama, notamment celles sur la
santé, consistaient à faire le lit de l’Antéchrist. C’est à se demander si ces
gens-là n’ont pas fumé la myrrhe des rois mages.
LE TRAIN DES DÉMISSIONS
La note confectionnée par le représentant Nunes et des bonzes
républicains sur le complot poursuivi par le ministère de la Justice et le
FBI, combinée aux attaques de Trump à l’e et que les hauts
fonctionnaires de ces organisations devaient avoir honte, a eu un écho
inattendu. Au milieu du mois, Rachel L. Brand, la numéro trois du
ministère de la Justice, annonçait sa démission.
Républicaine bon teint, elle avait été nommée à ce poste par Je
Sessions en mai 2017. Sa fonction consistait d’abord et avant tout à
épauler le numéro deux de ce ministère dans l’enquête menée par
Robert Mueller. Elle supervisait notamment les départements des
droits civiques et de l’anti-trust. Bien.
Pour dire les choses platement, Brand a quitté son poste parce qu’elle
a craint que Rosenstein ne soit renvoyé et qu’elle soit donc dans
l’obligation d’assurer l’intérim, voire qu’elle soit nommée. En fait, elle a
eu peur. C’est d’ailleurs en cela que cet épisode est intéressant : il met en
relief les séquelles inhérentes à la politique de l’e roi.
WALL STREET SE MARRE
À la faveur d’analyses, d’audiences au Sénat et interrogations diverses
sur la Crise de 2008, la pire depuis celle des années 1930, tous devaient
réaliser que les principales causes de celle-ci ne relevaient pas de
phénomènes économiques classiques, mais bien d’un ensemble
d’escroqueries e ectuées aux dépens des citoyens.
A n d’étou er tout recours à la malversation des chi res, au tripotage
nancier, Preet Bharara, procureur général du tribunal du sud de New
York, avait décidé en 2013 que la surveillance de Wall Street serait sa
priorité. C’est lui qui devait accuser notamment Steven Cohen,
fondateur de SAC Capital Advisors, et ses associés de fraude massive.
De fait, il imposa une pénalité de 1,8 milliard de dollars à ce dernier et
une interdiction d’exercer pendant 5 ans.
Une fois l’interdiction levée, que constatait Cohen ? Que Trump s’est
débarrassé de son pire ennemi, soit le procureur Bharara. Quoi d’autre ?
Il venait de réduire le taux d’imposition des gestionnaires de fonds et il
avait amputé le champ d’action de ce qui était devenu la bête noire de
Wall Street : le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB).
On se rappellera qu’au lendemain de la Crise, Obama qui s’était rendu
compte qu’il n’existait aucun organisme voué à la protection des
consommateurs fonda le CFPB. À sa tête, il nomma l’ancien procureur
général de l’Ohio Richard Cordray. À la n de 2016, donc un mois avant
l’entrée en fonction de Trump, Corday avait récupéré 12 milliards de
dollars des magouilles conçues par les tartu es de la scène nancière.
Bien.
En novembre 2017, à la suite de pressions, Cordray démissionnait.
Pour le remplacer, Trump opta pour Mick Mulvaney, son directeur de
budget qui avait quali é le CFPB de « farce ». Cela souligné, on
comprendra qu’à l’annonce de cette nomination, Wall Street a applaudi.
Ce n’est pas tout.
Parmi les dispositions qui balisent le mandat de ce bureau et son
périmètre, l’administration Obama avait xé la suivante : son patron
doit demander une prolongation budgétaire chaque trimestre. Février
arrive. Il faut renouveler le budget, que fait Mulvaney ? Il demande 0 $.
En clair, aux yeux de monsieur, l’intérêt du consommateur, sa
protection, ne vaut même pas une roupie de sansonnet.
PLUS À L’UN, MOINS À L’AUTRE
Une semaine après l’entente scale signée par les leaders démocrates et
républicains et portant sur le plafond de la dette, la Maison-Blanche
présentait son budget. Premier constat, et non des moindres, les
restrictions budgétaires dans les programmes sociaux, l’éducation, la
santé, l’environnement et autres s’avéraient plus importantes que celles
convenues par les membres du Congrès.
En fait, en partisan vraiment fanatique de la réduction de l’État en un
squelette, exception faite évidemment de la défense, Mulvaney,
directeur du budget, a décidé d’abaisser la cible budgétaire établie par
les élus une semaine auparavant de 57 milliards. Il a notamment décidé
de soustraire de manière draconienne les sommes accordées aux aides
alimentaires. Dans le cas du Supplemental Nutrition Assistance
Program, la baisse est de 30 % sur 10 ans. Pratiquement un tiers !
Par contre l’armée, elle, il s’est appliqué à la gâter d’une hausse de
200 milliards sur 2 ans. Au passage, on notera que les Républicains qui
hurlaient contre les politiques d’Obama en la matière au nom de
l’équilibre n’ont pas dit un mot à propos du dé cit de 984 milliards
prévu par Mulvaney ou 7 000 milliards sur 6 ans.
Simultanément au dévoilement du budget et aux justi cations
formulées – nos programmes sociaux favorisent le chômage –, on en
apprenait des vertes et des pas mûres sur l’armée et donc sur les
entreprises qui lui fourguent plus souvent qu’on ne le pense des engins
qui ne sont pas vraiment au point. Autrement dit, il est naturel (sic) de
culpabiliser Joe Six-Pack, de le rendre imputable de tout, de rien et du
chômage en particulier, mais pas le militaire, car lui appartient à la
caste des seigneurs, n’est-ce pas ? Pourtant, les chi res, quand on les
regarde, les soupèse, ils donnent le vertige. Celui qui se fond avec le
malaise.
Prenons le programme de défense des missiles antimissiles. En 30 ans
de recherche (30 ans !), il a coûté 200 milliards. Mais voilà, comme le
système n’est pas au point, Trump a décidé d’augmenter son budget de
14 milliards pour l’exercice 2018 après l’avoir haussé de 10 milliards lors
de l’exercice antérieur. Et ce, en clamant que ce système était e cace à
97 % alors qu’en réalité il l’est à 50 %. On répète : 200 milliards, 30 ans
et 50 %.
Pour dire les choses platement, le défaut du programme est en fait le
cœur de celui-ci. Il a pour nom propre le Ground-Based Midcourse
Defense. Sa mission ? Sanctuariser le territoire américain. Depuis 1999,
18 tests ont été e ectués. Résultat ? Huit d’entre eux ont été des échecs.
En 2016, la direction du Pentagone en personne a conclu que ce
système avait une capacité de défense limitée. On répète (bis) :
200 milliards, 30 ans et 50 %.
LES PORTES TOURNANTES
Dans le courant du mois, un record inquiétant se con rmait : jamais
dans l’histoire des États-Unis on n’avait observé un roulement de
personnel aussi régulier qu’intense. À la suite des trois démissions
enregistrées au cours du mois, le roulement en question a atteint les
34 % soit deux fois plus que Reagan qui détenait le précédent record et
trois fois plus que son prédécesseur immédiat : Obama.
Les gens partent soit parce que le grand patron les a virés, soit parce
qu’ils ne le supportent plus, soit, lorsqu’ils ne sont pas en lien direct
avec lui, parce que l’atmosphère est devenue irrespirable. Derrière les
rideaux, il se chuchote en e et que l’exigence de loyauté à l’endroit de
Trump a induit une gestion du personnel rythmée par la paranoïa.
Détaillons.
Depuis que Trump est président, et pour ne parler que des postes les
plus importants, il y a eu deux conseillers à la sécurité nationale, trois
conseillers adjoints à la sécurité nationale, cinq directeurs des
communications, un chef de la stratégie, un directeur de cabinet, un
ministre de la Santé, plusieurs directeurs de cabinet adjoints, son
équipe d’avocats privés. etc.
Le hic, c’est que la réputation de Trump étant ce qu’elle est, bien des
postes demeurent vacants quand on ne demande pas à certains
d’accepter un cumul de fonctions. Et voilà qu’ici et là on dit que Rex
Tillerson ainsi que Je Sessions n’en ont plus pour longtemps.
Autrement dit, la gestion de la première puissance du globe se confond
avec le tumulte.
L’ AFFECTION POUR LA BESTIALITÉ
Le mercredi 14 février, Nikolas Cruz, un jeune homme de 19 ans, se rend
dans les couloirs du Marjory Stoneman Douglas High School, à
Parkland, en Floride. Entre ses mains, il tient un fusil semi-
automatique AR-15. Il lance des bonnes lacrymogènes, histoire
d’enfumer les lieux. Puis, il actionne le système d’alarme. Croyant qu’il y
a un incendie, des dizaines de gamins et de gamines se ruent dans les
couloirs. C’est alors que Cruz se met à tirer sur ses anciens camarades. Il
avait été renvoyé quelques mois plus tôt de ce collège.
Cruz tue 17 élèves et en blesse beaucoup d’autres. A n que son carnage
soit le plus ample possible, il con era avoir fureté dans certaines classes
dans l’espoir de trouver, et donc de tuer, des adolescents qui se seraient
cachés. Après ce massacre, Cruz se rendra dans un Walmart, puis
achètera une boisson gazeuse dans un Subway avant d’aller dans un
MacDo. À 3 h 40, la police le fera prisonnier et retiendra qu’il était
calme. Totalement indi érent au chapelet d’horreurs dont il fut le chef
d’orchestre.
Après avoir épluché quand et comment il s’était procuré un AR-15, les
autorités ont découvert qu’il en avait fait l’acquisition en février. En fait,
de cet aspect du dossier, il faut retenir mille fois plutôt qu’une, qu’en
Floride il est plus facile de se payer un fusil semi-automatique qu’une
arme de poing. On retiendra surtout que l’addition des 17 jeunes tués
par Cruz à tous ceux qui l’ont été depuis la saignée e ectuée à l’école
primaire de Sandy Hook dans le Connecticut, en 2012, a établi à 400 le
nombre d’êtres humains fusillés dans les sanctuaires de l’éducation.
Dans les jours qui ont suivi, une vague d’étudiants s’est formée à
travers le pays pour exiger ce qui dans la majorité des pays est la
norme : un meilleur contrôle du commerce des armes. Parmi ces
étudiants, David Hogg, un survivant de Parkland, s’était fait remarquer
par son éloquence. Une semaine après la tuerie, il devenait la vedette
par défaut d’une vidéo di usée par Youtube et regardée par des
centaines de milliers de personnes.
Dans cette vidéo qui en dit long sur la nature humaine, son réalisateur,
un certain Mike M., a rmait que David Hogg était un acteur ainsi
d’ailleurs que les survivants. Que tous étaient complices dans le
complot visant à déstabiliser la NRA, le commerce des armes et à abolir
le deuxième amendement.
L’audience qu’eut cette vidéo faite par un homme qui n’a eu ni le
courage ni la franchise de son opinion – il ne s’est jamais identi é –,
devait convaincre Wayne LaPierre, le patron de la NRA, et Dana Loesch,
la porte-parole de cette organisation, de faire des sorties publiques où
l’inhumanité allait se disputer le fanatisme. Tenez-vous bien.
Pour M. LaPierre, les Démocrates, de connivence avec les médias, ont
voulu pro ter de ce dernier massacre pour poursuivre leur complot
« socialiste » qui vise rien moins « qu’à éradiquer les libertés
individuelles ». La politisation « honteuse de cette tragédie est une
stratégie classique puisée dans le manuel d’un mouvement toxique. Ils
détestent la NRA. Ils détestent le deuxième amendement. Ils détestent
les libertés individuelles. » Sa solution pour réduire le nombre de
tueries ? Engager des gardiens armés.
Quant à Miss Loesch, égérie de l’extrême droite depuis son
association avec le site Breibart News, elle a d’abord fait écho aux
propos de son patron. À savoir que « comme d’habitude, les
opportunistes n’ont pas perdu une seconde pour exploiter cette
tragédie à des ns politiques. » Puis elle enfonçait le clou de la haine :
« La plupart des médias aiment les tueries de masse. Vous les
journalistes aimez ça. Je ne dis pas que vous aimez la tragédie, mais je
dis que vous aimez les tirages, les audiences. Voir des femmes blanches
pleurer, c’est de l’or… »
Histoire de ne pas être à la traîne de ces deux personnages, les élus
républicains devaient pousser leur manque de courage – ils béné cient
tous du nancement de la NRA pour leurs campagnes – en empruntant
à leur dictionnaire des poncifs. Leader des Républicains à la Chambre,
Paul Ryan jugeait qu’actuellement on ne dispose pas d’assez
d’informations pour légiférer. Ah bon ! 400 morts en 5 ans, juste dans
les écoles, ce n’est pas assez ? Nom de Dieu !
Cela n’a pas empêché l’administration chargée de superviser le
commerce des armes, soit le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and
Explosives (BATFE), d’être constamment a aiblie par les e orts
combinés des Républicains et de la NRA. Au cours des 12 dernières
années, il n’y a pas eu de directeur permanent pendant 8 ans ! Son
budget étant abonné à la rubrique réduction, seulement 117 des
141 agents qui avaient démissionné ou pris leur retraite en 2017 ont été
remplacés. Depuis lors, 24 agents sont partis, aucun n’a été remplacé.
En n, la meilleure des meilleures ou comment la NRA a réussi un
prodige. Cette dernière est parvenue à introduire un amendement
proprement sidérant : au nom de la liberté individuelle, il est interdit au
BATFE d’user des bases de données qui lui permettraient d’établir le
lien entre une arme et son propriétaire. Résultat ? Ses employés
doivent composer avec des tonnes de « documents papier » entassées
dans des entrepôts aussi étendus que les catacombes parisiennes !
BILLY GRAHAM EST MORT
Le 21 février, Billy Graham meurt à son domicile en Caroline du Nord. Il
avait 99 ans. Il fut le confesseur de pratiquement tous les présidents
depuis le début des années 1960 et de Richard Nixon en particulier.
Entre autres faits d’armes, on se rappellera qu’il fut à l’origine du
sursaut des évangélistes amorcé dans les années 1940 et, ensuite, de
leur expansion.
On ne soulignera jamais assez que ces derniers furent à la pointe du
violent combat mené dans les années 1920 contre John Scopes,
instituteur dans une école du Tennessee qui avait enfreint une des lois
de cet État en enseignant la théorie de l’évolution développée par
Darwin. La loi en question stipulait – au XXe siècle ! – que l’homme
avait été créé par Dieu. Il est interdit d’évoquer toute autre hypothèse.
De fait, pendant son long parcours de prêcheur, Graham restera
l’avocat en chef de la création divine. Cela devait l’amener, à bien des
reprises, à exposer sa haine des Lumières. Par exemple, plutôt que de
dire la France, il aimait bien dire, sur le ton du dédain, « le pays de
Voltaire », le sien étant celui de Popeye.
Sa fréquentation des présidents en général et de Nixon en particulier
devait permettre, pour reprendre un mot cher aux croyants, « une
révélation » : l’antisémitisme de ce triste sire. Au cours d’une
conversation avec Nixon, une conversation enregistrée au début des
années 1970, Graham et son cher président a rmaient que les Juifs
libéraux contrôlaient les médias et qu’ils étaient responsables de la
pornographie. Houla !
Dire, en l’espèce, que Graham eut un comportement féodal
reviendrait à insulter le Moyen Âge. Un comportement digne de l’âge de
fer ? Là encore ce serait formuler une injure, cet âge ayant été
caractérisé par l’idée de progrès si contraire à l’ADN de la Bible. Alors
l’âge de pierre ? Exactement. Fermons le ban !
COHEN ALLONGE LES BILLETS
À la mi-février, Michael D. Cohen, avocat personnel de Trump, con ait
qu’il avait remis la somme de 130 000 dollars sans dire de manière
explicite que cette somme était en fait un achat. Celui du silence de
l’actrice porno Stormy Daniels. L’a aire étant évidemment sensible,
Cohen accompagnera cette admission d’un communiqué envoyé au
New York Times dans lequel il assurait que le paiement e ectué était
conforme à la loi et qu’il ne peut être quali é comme une contribution à
la campagne de Trump.
À preuve, devait-il préciser, il n’a jamais été remboursé. L’a aire serait
risible si l’homme n’avait pas la réputation d’être une brute. En e et,
tous les journalistes qui avaient couvert la campagne de Trump lors des
primaires puis de la présidentielle ont eu amplement le temps de
réaliser que Cohen était du genre menaçant. Et pour cause : il fut le
« plombier » de Trump des années durant. En d’autres mots, il était
chargé du sale boulot.
Derrière la solution de tous les coups tordus de Trump, on retrouve
Cohen. Dans l’a aire Jill Hart, ex-associée de Trump l’ayant accusé
d’agression sexuelle, l’a aire Karen McDougal, ex-Playmate, l’a aire
Jeremy Frommer, ex-gérant d’un fonds spéculatif, et d’autres, Cohen a
imprimé ses marques soit par le biais de paiements, de menaces ou de
chantage. Et ce, avec la connivence de David J. Pecker, président de
American Media, puissant groupe médiatique, qui comprend
notamment The National Enquirer, Closer, Ok! bref, des magazines à
gros tirages. Grâce au soutien de Pecker, Cohen a pu enterrer des
« sales » a aires et détruire des réputations à coups de fausses
informations.
Chapitre 23

MARTIN LUTHER EST LE ROI


D’IRON MOUNTAIN, MICHIGAN

Iron Mountain, bourgade située au nord du Michigan, ne fait pas


exception : sur son territoire, toutes les églises dominent les coins de
rue. Mais à la di érence de bien des villes, la congrégation des
luthériens est ici plus présente que les autres. Sur 500 m2, et seulement
500, deux d’entre elles se font concurrence. La Mt Olive Lutheran
Church nous promet « Un retour de la grâce » à 6 h 30, alors que la Our’s
Saviour Lutheran Church nous commande d’être « constamment
joyeux, de prier tout le temps et de remercier Dieu en toutes
circonstances ». En d’autres mots, elle exige du bipède qu’il soit un
permanent du garde-à-vous. D’autant que la First Convenant Church
sise juste en face nous assure que dimanche, à compter de 8 h 45, on
saura pourquoi « Jesus is our superhero ». Allô maman, bobo…
Cette in ation de lieux surmontés par la croix du petit Jésus
s’explique en grande partie par les incroyables avantages scaux
accordés et qu’évidemment on n’évoque jamais. C’est bien simple, les
églises ne payent pas de taxes. Ni au fédéral, ni à l’État, ni à la
municipalité. Ajoutez à cela que les riches qui leur accordent des dons
déductibles eux aussi d’impôts ne sont plus obligés, à la suite d’un
récent jugement de la Cour suprême, de dévoiler leur identité et vous
obtenez un pactole. Bref, la réingénierie sociale et culturelle voulue par
les puissants est en bonnes mains. Y compris les baladeuses.
Iron Mountain ainsi que le Michigan, l’Ohio, le Wisconsin et l’Indiana
forment, si l’on peut dire, le pré carré politique du vice-président Mike
Pence. Chez lui, la bre religieuse est si dense, pour ne pas dire
fanatique, qu’il s’interdit de partager un repas avec une femme si sa
femme est absente. Qu’est-ce qu’il chantait déjà, Ray Davies ? « Long
ago life was clean/Sex was bad, called obscene/And the rich were so
mean… Victoria was my queen… Victoria loved them all », comme le
petit Jésus.
Toujours est-il que Pence est l’archétype du politicien qui milite au
sein du courant qui domine désormais le Parti républicain, soit celui
des religieux. Après des années, voire des décennies, d’e orts constants
nancés par les riches, les évangélistes sont parvenus à bouleverser le
programme politique du Grand Old Party à leur avantage. Ils sont
parvenus à placer leurs inféodés aux postes clés de l’État. Ils sont même
parvenus à semer le doute, un doute criminel, sur le réchau ement
climatique, à convaincre une cohorte de crédules de renier
l’évolutionnisme cher à Darwin pour le remplacer par le « intelligence
design » (dessein intelligent) et autres idioties conçues par les fondus
du… totalitarisme.
Ainsi que le rappelle Max Blumenthal dans une enquête
monumentale consacrée au Parti républicain et à ses relations avec les
croyants, enquête intitulée Republicain Gomorrah et publiée par Nation
Books, tout a commencé dans les années 1950 avec Rousas John
Rushdoony, le « ministre » de la Presbyterian Church USA que Ike
Eisenhower, alors président républicain, détestait car il le trouvait
dangereux. C’est Rushdoony qui le premier s’est appliqué à implanter
un réseau au sein de ce parti a n de restaurer la pureté et l’ordre.
Son ambition consistait à remplacer la démocratie par une théocratie
qui gouvernerait selon son interprétation des canons de la Bible. Rien
de moins. Pour ce faire, il a organisé les Evangelical Convocations a n
que les Évangélistes sortent de leur culture insulaire et répandent le
message de la Bible dans tous les recoins de la société. Puis au nom de sa
philosophie baptisée Christian Reconstructionism, il a rédigé The
Institutes of Biblical Law qui a eu beaucoup d’in uence sur les leaders
religieux d’hier et d’aujourd’hui, de Jerry Falwell à James Dobson.
Comme notre homme, Rushdoony, se prenait pour le Martin Luther
des temps modernes, c’est sérieux, son Dieu était évidemment une
copie carbone de celui défendu par ce dernier. Soit un Dieu qui châtie,
qui exige l’expiation. Quand on relit les fameuses 95 thèses du
théologien allemand publiées en 1517, et qui fut par ailleurs un
théoricien de l’antisémitisme ayant fortement in uencé les nazis,
quand on les relit, donc, on a froid dans le dos.
Des exemples ? « Jésus-Christ a voulu que la vie entière des dèles fût
une pénitence ». « Il faut exhorter les chrétiens à s’appliquer à suivre le
Christ, leur chef, à travers les peines, la mort et l’enfer. » « Les
indulgences rendent les chrétiens désinvoltes et sapent la signi cation
du sacrement de pénitence qui consiste à aiguiser la conscience et à
conduire à la conversion. » On voudrait composer la bible (sic) du
masochisme qu’il su rait de plagier Luther.
La forte inclination que celui-ci avait pour la punition s’est traduite
par une espèce de culte de celle-ci au sein de la sphère religieuse. Chuck
Colson, Tim LaHaye, Randall Terry, Marvin Olasky, Howard
Ahmanson, sans oublier le plus cinglé d’entre ces chefs de le, James
Dobson, ont fait de la punition le sujet central de leur démarche. Dans
le cas de Dobson, cette obsession est allée jusqu’à faire de la correction
physique des enfants la pièce maîtresse de son organisation Focus on
The Family.
Son argumentation était et demeure d’une stupidité abyssale. La
voici : comme la jeunesse des années 1960 s’est perdue dans la
révolution sexuelle, Woodstock, la fumette, la contestation de l’autorité,
etc., tout doit être fait pour que cela n’arrive pas à la jeunesse
d’aujourd’hui. Celle-ci doit être obéissante, observer la continence,
adorer Dieu, etc. Sinon ? Le fouet, la taloche, le coup de pied ou encore
la ceinture.
Ce désir d’ordre et de pureté a eu pour écho la haine des homosexuels,
de l’avortement, des Noirs, des immigrants et à bien des égards des
femmes. Oui, des femmes. Pour Dobson et consorts, madame doit rester
à la maison et faire ce qu’on lui dit de faire. En toile de fond : la chute du
Mur. Dans la foulée de cet événement historique, le combat contre les
communistes a été remplacé par celui contre les homosexuels,
l’avortement, etc.
Cela rappelé, on retiendra que de l’Union soviétique, les religieux
Made In USA ont adopté ces hôpitaux psychiatriques où l’on enfermait
les dissidents. Ceux qui pensaient et agissaient di éremment. Tout
simplement.
BIBLIOGRAPHIE

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DOCUMENTAIRES
American Experience (série) : « The Presidents – Ronald Reagan ». Rédaction et réalisation :
Adriana Bosch et Austin Hoyt. Production : PBS. Durée : 270 minutes. 1998.
Frontline: Bannon’s War. Réalisateur : Michael Kirk. Production : PBS. Durée : 60 minutes. 2017.
Frontline: Trump’s Showdown. Réalisateur : Michael Kirk. Production : PBS.
Durée : 120 minutes. 2018.
Why We Fight. Réalisateur : Michael Jarecki. Production : CBC, BBC plus une douzaine d’autres.
Durée : 98 minutes. 2005.

SITES LES PLUS CONSULTÉS


aclu.org
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npr.org
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probublica.org
publicintegrity.org
spiegel.org
theguardian.com
washingtonpost.com
Cours proposés par la plate-forme d’apprentissage en ligne EdX.org
American Government, cours dispensé par le professeur Thomas E. Patterson de l’université
Harvard.
Central Challenges of American National Security, Strategy, and The Press, cours dispensé par
Graham T. Allison, David E. Sanger et Derek S. Reveron de l’université Harvard.
The Presidency and the Shape of the Supreme Court, cours dispensé par le professeur Kevin
McMahon du Trinity College, rattaché à l’université du Connecticut.

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