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AVANT-PROPOS
Chapitre 1
JANVIER 2017 : DÉBUT DU CARNAGE
Chapitre 2
HEUREUX COMME UN NAZI QUI…
Chapitre 3
FÉVRIER 2017 : AUX ABRIS OU AUX BARRICADES
Chapitre 4
MARS 2017 : DONALD ET LE POT AU LAIT
Chapitre 5
LE TRIOMPHE POST-MORTEM DE JACKSON
CHAPITRE 6
AVRIL 2017 : LE COMMANDO DES RICHES
Chapitre 7
DARTH VADER S’INSTALLE À LA MAISON-BLANCHE
CHAPITRE 8
MAI 2017 : TRUMP ET LES BRUTES
Chapitre 9
JUIN 2017 : NON À L’ACCORD DE PARIS
Chapitre 10
LE JUGE ET LE SALAFISTE
Chapitre 11
JUILLET 2017 : LE DILEMME CORÉEN
Chapitre 12
DESTITUTION ! VOUS DITES ?
Chapitre 13
Û
AOÛT 2017 : RENVOI DU FORT EN GUEULE
Chapitre 14
SEPTEMBRE 2017 : LE NERF CORÉEN
Chapitre 15
LES ABÎMÉS DE DULUTH, MINNESOTA
Chapitre 16
OCTOBRE 2017 : 59 PERSONNES TUÉES
Chapitre 17
JOE SIX-PACK HABITE BUTTE, MONTANA
Chapitre 18
NOVEMBRE 2017 : LES FAUX JETONS
Chapitre 19
DÉCEMBRE 2017 : A-T-IL TOUTE SA TÊTE ?
Chapitre 20
LE RICHE PREND LE FRAIS À CŒUR D’ALENE, IDAHO
Chapitre 21
JANVIER 2018 : LE CULTE DE SA PERSONNALITÉ
Chapitre 22
FÉVRIER 2018 : QUEUE DE POISSON
Chapitre 23
MARTIN LUTHER EST LE ROI D’IRON MOUNTAIN, MICHIGAN
BIBLIOGRAPHIE
Les impôts sont ce que nous payons
pour vivre dans un pays civilisé.
W O. H
Juge à la Cour suprême
des États-Unis, de 1902 à 1932
JANVIER 2017 :
DÉBUT DU CARNAGE
Cela ne fait pas quinze jours que Trump est aux manettes que les
membres du Congrès, les représentants comme les sénateurs, s’agitent
dans tous les sens. À l’image du lapin de la fable, voilà qu’ils zigzaguent
entre les ambassades d’Australie, du Mexique, les capitales
européennes, l’Empire du milieu et celui du Soleil levant. Ils se
démènent à tout va avec l’espoir de réparer les pots cassés par le grand
chef lors de discussions téléphoniques avec divers homologues ou lors
d’entrevues avec des journalistes, dont celle très remarquée lors de la
mi-temps du Superbowl opposant les Falcons d’Atlanta à ses amis les
Patriots de la Nouvelle-Angleterre. Pour la petite histoire, on se
souviendra que ces derniers l’avaient emporté 34 à 28.
L’activisme déployé notamment par les dirigeants des Commissions
des a aires étrangères, de la Défense et des A aires économiques a ceci
de singulier qu’on n’avait jamais été témoin d’une telle volonté des élus
du Congrès de se démarquer de la politique du président. Paradoxe des
paradoxes, la gestion des relations internationales étant une
prérogative de l’Exécutif – le secrétariat d’État est un ministère
régalien –, les initiatives prises alors eurent une portée strictement
symbolique, le Congrès, on le répète, n’ayant pas le pouvoir de mener
une politique internationale parallèle. Reprenons.
Le 2 février, le sénateur du Maryland, Ben Cardin, soit le Démocrate
occupant le poste le plus élevé au sein de la Commission des Relations
internationales, retient l’attention pour avoir mis au grand jour les
divergences existant entre Trump et les élus tant démocrates que
républicains en la matière. Aux journalistes, Cardin con e que « le
Congrès devra avoir un rôle plus actif que d’habitude pour ce qui a trait
aux a aires étrangères. En partie pour convaincre l’administration
Trump de supporter les valeurs traditionnelles américaines dans le
monde et en partie pour réparer les dommages qu’il a causés. Ce sera
nécessaire et ce sera bi-partisan. »
Dans la foulée, on apprend que lui et le sénateur républicain du
Tennessee, Bob Corker, avaient rencontré le ministre allemand des
A aires étrangères, Sigmar Gabriel, ainsi que le roi Abdallah II, de
Jordanie, a n de permettre à ces derniers d’exposer leurs griefs et
ensuite de les rassurer. Auparavant, le sénateur de l’Arizona et
président de la Commission sénatoriale des armées, John McCain, avait
publié un communiqué dans lequel il révélait avoir eu un entretien avec
l’ambassadeur australien aux États-Unis, Joe Hockey, a n de répéter
« son soutien inébranlable » aux liens avec l’Australie.
On se rappellera que quelques jours avant ce geste, Trump s’était
montré particulièrement agressif à l’endroit du premier ministre
australien, Malcolm Turnbull, allant jusqu’à lui raccrocher au nez.
L’Australien voulait tout simplement que Trump respecte l’engagement
pris par Obama d’accueillir 1 250 réfugiés rassemblés dans un centre de
détention. Chef de le des Républicains à la Chambre des
représentants, Paul Ryan t écho aux propos de McCain lors d’une
conférence de presse. Bref, on remarquera que sur fond d’a aires
étrangères, le torchon brûle entre Trump et les élus de son parti au
Congrès.
Mais de toutes les déviations signées par Trump sur ce anc, celles
dont l’Europe est le dénominateur commun vont retenir davantage
l’attention, car jamais un président américain n’avait eu des mots aussi
durs, presque guerriers, contre le Vieux Continent. À telle enseigne, on
le répète, que le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait
couché par écrit, n janvier, le sentiment d’anxiété qui habitait les
28 leaders européens.
Dans les journées suivant le geste de Tusk, les gens d’importance en
France, en Italie, en Espagne et ailleurs en Europe, mais surtout en
Allemagne, multiplient les commentaires qui renforcent dans tous les
recoins de l’UE que Trump est le premier président qui ne soit pas
favorable à l’Europe. Pire, il prie pour un éclatement de l’Europe, car
cela serait tout béné ce pour les États-Unis. Dans cette histoire, il n’est
pas vain de mentionner que sa haine de l’UE découle en grande partie
des démêlés qu’il a eues avec les fonctionnaires parce que
l’administration de ses hôtels et golfs situés en Europe n’était pas au
diapason des règles européennes.
Plus précisément, les dirigeants du Vieux Continent abhorrent son
dédain pour les institutions bilatérales, son soutien au Brexit en
général et aux propos nauséabonds du chef de le de ce Brexit, Nigel
Farage, propos dont le racisme est passé comme une lettre à la poste au
royaume de l’Habeas Corpus. Ces mêmes dirigeants sont également
outrés pour sa défense du sanguinaire président philippin Rodrigo
Duterte et pour la sympathie qu’il témoigne à Vladimir Poutine.
Tout pays, pour reprendre l’adage napoléonien, étant « condamné à
faire la politique de sa géographie », les bons mots que Trump a eus
pour Poutine, notamment lors de l’entretien accordé à Bill O’Reilly, de
la chaîne Fox, à la mi-temps du Superbowl, ont très mal passé en
Allemagne. Surtout à la tête de ce pays. En e et, concernant Angela
Merkel et le scepticisme qu’elle cultive à l’endroit de Poutine, l’ancien
maître-espion autrefois basé en Allemagne, on notera que celui-ci
découle d’une réalité toute simple : Angela est née et a grandi en
Allemagne de l’Est, parle parfaitement le russe, en connaît la culture,
etc. Et d’une.
Et de deux, à l’avant-veille du Superbowl, le chef de l’Exécutif
américain était parti à l’assaut, c’est le cas de le dire, de l’économie
allemande, des innovations manufacturières de ce pays d’ingénieurs, de
ses dirigeants tant publics que privés. En quatre phrases et moins,
Trump dévoilait sa propension au protectionnisme commercial tous
azimuts. Il prévint que les récalcitrants à sa politique baptisée America
rst seraient punis. À mots couverts, il dévoila son penchant pour une
guerre commerciale avant de s’en prendre nommément à BMW.
Aux dirigeants de ce constructeur automobile, le président américain
signi e que s’ils s’entêtent à vouloir ériger une usine au Mexique, une
taxe punitive de 35 % leur sera imposée. Il se trouve que BMW est aux
États-Unis mêmes l’exemple du bon citoyen corporatif d’origine
étrangère. À son usine située en Caroline du Sud, BMW fabrique plus de
véhicules qu’il n’en vend aux États-Unis. En d’autres termes, BMW
exporte une partie de sa production Made In USA.
Lorsqu’on s’attarde à la toile de fond de cette guerre commerciale qui
ne dit pas son nom, on observe que contrairement à ses prédécesseurs,
Trump s’est entouré de gens d’a aires et non d’économistes. En fait, il y
en a un, d’économiste. Il s’appelle Peter Navarro. Signe particulier ? Il
est le seul de sa corporation à être un adversaire, d’ailleurs acharné, du
libre-échange. Quoi d’autre ? Les gens d’a aires choisis par Trump
cultivent la même philosophie : le capitalisme de la destruction. Tout
doit être mis en œuvre pour écraser le concurrent. Bref, ils ont sacralisé
le dogme de la folle du logis philosophique, soit évidemment Ayn Rand
qui jugeait l’égoïsme, l’individualisme trempé dans l’acier de la
brutalité, comme étant la valeur suprême.
Cela précisé, après avoir menacé BMW, Trump s’en est pris à GM,
Ford, United Technologies et autres géants de l’économie américaine
qui envisageaient la construction d’usines en territoire mexicain. On
aura deviné qu’eux aussi ont été avertis qu’un châtiment nancier leur
serait in igé si… Cette position fut jugée si outrancière par Edmund
Phelps, prix Nobel d’Économie, qu’il a a rmé publiquement que « cela
ressemble de plus en plus à l’économie de l’époque fasciste ».
Interrogé par le journaliste Steve Erlanger, du New York Times, Mark
Leonard, directeur du Conseil européen des relations internationales, a
avancé que « Trump est le premier président américain depuis que
l’Union européenne a été créée qui ne soit pas favorable à davantage
d’intégration. Non seulement ça, il est contre car il voit la destruction
de l’UE dans l’intérêt de l’Amérique. Les Européens jugent Trump
comme étant la pire menace à l’ordre mondial et à l’idéal européen de
l’organisation du monde […]. Les États-Unis ont joué un rôle crucial
dans le maintien d’un certain ordre mondial face aux dé s que posent la
Russie et la Chine ainsi que l’islamisme radical. Au lieu d’agir en
surveillant ces forces diverses, Trump les ampli e et cela est
proprement terri ant. C’est comme si vous veniez de réaliser que la
médecine que vous prenez était pire que le mal lui-même. »
Le 2 février, lors d’un sommet des pays européens à Malte, le
président français François Hollande s’est appliqué à répondre aux
admonestations de maître Trump en lui signi ant tout d’abord qu’il
« ne peut y avoir de relations entre l’Europe et les États-Unis qu’à la
condition qu’elles soient dé nies de concert ». Ensuite ? Il a estimé
« qu’il était inacceptable que par l’intermédiaire d’un certain nombre de
déclarations le président des États-Unis fasse pression sur l’Europe, sur
ce qu’elle doit être ou ne pas être ».
Le 4 février, dans un éditorial du journal Le Monde intitulé « Les
Européens doivent résister à Trump », on pouvait lire : « Les Européens
sont prévenus. Donald Trump n’aime pas l’Union européenne. Il a
prophétisé son démantèlement. Le Brexit est une “grande chose”, qui a
ravi le président américain au moins autant qu’une bonne émission de
télé-réalité. Et dans le projet européen, aventure unique dans l’histoire
en n apaisée du Vieux Continent, il ne voit qu’une manipulation de
l’Allemagne au service de ses propres intérêts. M. Trump est le premier
président américain ouvertement hostile à l’Europe. Les 28 doivent en
tirer des conséquences précises : la politique de l’autruche serait un
désastre. »
Puis l’éditorialiste concluait : « Dans le monde de Xi Jinping, Vladimir
Poutine et Donald Trump, univers marqué par le retour en force de
l’ultranationalisme, l’Europe est plus importante que jamais. Elle n’est
pas seulement une nécessité pratique. Elle est un modèle de relations
civilisées entre États. C’est sans doute ce que Donald Trump n’aime
pas. »
Au lendemain de la publication de ce commentaire, l’éditorialiste de
l’hebdomadaire allemand Der Spiegel trempait à son tour sa plume dans
l’encrier de l’outrage : « L’Allemagne doit se mettre en opposition au
45e président des États-Unis et son gouvernement. Cela s’annonce
d’ores et déjà di cile pour deux raisons : parce que nous avons obtenu
la démocratie libérale des Américains et parce qu’il n’est pas clair de
savoir comment l’homme brutal et colérique de l’autre côté de
l’Atlantique va réagir aux pressions diplomatiques. »
Puis il enfonçait le clou : « C’est littéralement douloureux d’écrire la
phrase suivante, mais le président des États-Unis est un menteur
pathologique. Le président des États-Unis est également un raciste
(cela aussi fait mal de l’écrire). Il fomente un coup d’État d’en haut ; il
veut instaurer une démocratie non libérale ou pire ; il veut saper la
balance du pouvoir. Il renvoie la ministre de la Justice par intérim parce
qu’elle défendait une opinion di érente de la sienne et l’accuse de
trahison. C’était le vocabulaire qu’utilisait Néron, empereur et
destructeur de Rome. C’est ainsi que les tyrans pensent. »
Simultanément, à Washington, dans les colonnes du journal en ligne
Politico, des mandarins du Parti républicain exposaient leur dépit à
l’endroit de Trump et de sa sympathie a chée pour Poutine. Le
premier d’entre eux, Mitch McConnell, leader de la majorité au Sénat, a
pris à contre-pied les propos de Trump lors de la mi-temps du
Superbowl en ces termes : « Les Russes ont annexé la Crimée, ils ont
envahi l’Ukraine et se sont mêlés de nos élections. Non, je ne pense pas
qu’il y ait d’équivalent entre la manière dont les Russes se conduisent et
la nôtre. […] Nous n’agissons pas comme les Russes. Je crois qu’il y a une
claire distinction ici que tous les Américains comprennent et je ne
l’aurais pas caractérisée de la manière » dont Trump l’a fait.
Une semaine plus tard, lors d’un sommet des membres de l’OTAN à
Bruxelles, le secrétaire à la Défense Jim Mattis va gre er des chi res ou
plutôt des montants aux paroles de Trump. Fait à noter, il va détailler la
volonté de son gouvernement avec une fermeté qui tranchait avec ses
prédécesseurs. En e et, à intervalles réguliers, les patrons du
Pentagone déploraient que bien des pays membres de l’OTAN ne
respectaient pas leurs obligations nancières mais n’allaient pas jusqu’à
formuler des menaces ou un quelconque chantage. Là, il en fut tout
autrement.
Devant l’assemblée des ministres de la Défense et de hauts gradés,
Mattis en appelle à l’adoption d’un plan prévoyant que chaque pays
consacre 2 % de son budget à l’e ort militaire. Un plan qui serait
notamment balisé par des dates, histoire de véri er si chacun se
conforme à ses obligations. Sinon, Mattis a laissé entendre qu’une
réduction des engagements pris par les États-Unis à l’égard de l’Europe
serait commandée. Elle pourrait prendre la forme d’une réduction des
troupes américaines stationnées en Europe ou encore élever la barre à
partir de laquelle telle attaque est quali ée de militaire ou pas ou…
Dans le cas de l’Allemagne, pour des raisons historiques que l’on
devine, les pères fondateurs de la République fédérale avaient décidé
d’inscrire dans le marbre de la Constitution que ses forces armées
auraient un rôle strictement défensif. De fait, ce pays accorde bon an,
mal an, 1,2 % de son budget à la chose militaire, alors qu’il occupe une
position géographique centrale. À ce propos, on ne sera pas étonné
d’apprendre que les « petits » e orts de Berlin en cette matière font
grincer des dents, derrière les rideaux de la bienséance diplomatique,
où certains pays, et notamment la France estiment que la « timidité »
militaire de l’Allemagne l’avantage sur le front de l’économie.
À É
À titre comparatif, on soulignera que les États-Unis dépensent
annuellement 3,6 % de leur PIB ou 664 milliards en dollars
d’aujourd’hui. On soulignera également que lors de son exposé de
Bruxelles, Mattis se faisait sans le dire l’avocat de l’industrie militaire
américaine. À cet égard, il est important de savoir que, par exemple, les
forces aériennes ne peuvent pas combiner, pour des faits de
technologies de communications, des jets de combat d’origines
diverses. En clair, l’aviation de tel pays ne peut pas être composée du
chasseur britannique, du français et du suédois. CQFD : bien des pays
européens étant équipés du jet américain, acheter américain…
LES GRIZZLIS DE BETSY DEVOS
Aux États-Unis, l’importance allouée au ministère de l’Éducation dans
l’administration des responsabilités et politiques qui incombent au
gouvernement fédéral loge à l’enseigne du petit, pour ne pas dire
l’extrêmement petit. À preuve, son budget ne dépasse jamais les 3 % du
budget de l’État, le ministre en titre est à la 16e place dans la ligne de
succession à la présidence et il y a surtout la réalité suivante : au cours
des récentes années, par le biais de réformes diverses, la Maison-
Blanche et le Congrès ont « re lé » aux États et aux administrations
scolaires beaucoup de mandats pour ce qui a trait aux examens, à
l’établissement de standards, aux balises nancières et à l’imputabilité.
Ce ministère a beau être de moindre importance, jamais le choix de
son grand patron n’a été aussi contesté que celui arrêté par Trump :
Betsy DeVos, héritière d’Amway, le géant et maître en embrouilles
pyramidales. Elle est aussi une fondue du petit Jésus et donc croit en la
théorie créationniste qui voudrait ramener les travaux du brave et
génial Charles Darwin à des facéties de prêtre vaudou.
Toujours est-il que la contestation de sa nomination de la part des
organisations de parents d’élèves, de fonds de charité versés en
éducation, de savants de la chose pédagogique, des ONG défendant la
laïcité et l’école publique, des syndicats et bien évidemment des élus au
Congrès, dont des Républicains, cette contestation donc fut à ranger à
la rubrique du jamais vu. Exemple entre mille de cette singularité : au
cours d’une journée, le 2 février pour être exact, le nombre d’appels de
parents contestant DeVos fut si élevé que le central téléphonique du
Congrès s’est retrouvé au bord de l’asphyxie, si l’on peut dire les choses
ainsi.
Comme c’est toujours le cas lorsqu’une politique ou une personne
sont l’objet de critiques très vives, le moteur de celles liées à DeVos est
d’une simplicité manifeste. En un mot : DeVos s’est révélée ignare. Lors
des audiences du Congrès consacrées à sa nomination, les membres de
la Commission de l’éducation ont réalisé que Mme DeVos ne
connaissait rien des principaux chapitres de la Loi fédérale sur
l’éducation. Autrement dit, elle n’avait pas fait le travail élémentaire
consistant à étudier les bases qui fondent son ministère.
Cette attitude ou plus exactement cette posture n’est pas à mettre sur
le compte d’une quelconque paresse, mais bien à ranger au rayon du
parti pris et de la somme de préjugés induits par celui-ci. Mais encore ?
Mme DeVos est une croisée de l’école privée, de l’enseignement privé
ciselé à l’aune des parfums religieux. Évidemment ! Si Trump l’a choisie
elle, c’est pour qu’elle fasse ce pour quoi Pruitt a été nommé à
l’Environnement et Mike Price à la Santé : détruire tout ce qui
ressemble de près ou de loin au public.
Dans le cas de DeVos, rien ne résume mieux l’obscurantisme et la
bêtise abyssale de la philosophie politique qui la distingue que l’épisode
suivant : le sénateur Chris Murphy du Connecticut, soit l’État où furent
massacrés les gamins et gamines de l’école Sandy Hook, lui demande si
elle est favorable ou pas à l’interdiction des armes à feu dans les
environs des écoles. Sa réponse ? Non, car qui tuerait les grizzlis qui
rôdent autour ? C’est à se demander si madame n’avait pas fumé de la
moquette cette journée-là.
Cet épisode mis à part, DeVos s’est montrée une ardente avocate de
l’école privée. Sans se perdre dans les méandres bureaucratiques de ses
prises de position, de ses paroles prononcées avant sa comparution
devant le Congrès comme plus tôt dans l’État du Michigan dont elle est
originaire, il faut retenir qu’elle entend détourner littéralement des
fonds destinés à l’école publique au pro t du privé. Parmi la méthode
choisie, on a retenu le mécanisme des bourses accordées aux plus
démunis.
Malgré cette alchimie faite d’ignorance et d’idiotie, Madame Betsy
DeVos a été adoubée par les membres du Congrès. De toute manière, le
contraire aurait été très étonnant quand on sait que 11 des 12 sénateurs
siégeant à la Commission de l’éducation ont béné cié des largesses
nancières de la famille DeVos lors des récentes élections :
200 millions ! Comme le chantait le divin Ray Davies des Kinks :
« Money can’t run and money can’t talk/But when I write out a cheque I
swear to God I hear money talk/Money talks and, baby, when you’ve
been bought/You paid attention everytime money talks… »
LES CORBEAUX DE LA FINANCE
Dans la foulée de la Crise de 2008, la pire depuis celle de 1929, Barack
Obama et les Démocrates siégeant au Congrès avaient mandaté le
député Barney Frank et le sénateur Chris Dodd a n qu’ils révisent et
réforment l’ensemble de l’industrie nancière. Au cours des vingt
années antérieures au cataclysme de 2008, cette industrie avait
béné cié d’une opération politique d’autant plus étendue et profonde
qu’elle consistait à détruire toutes les balises mises en place dans les
années 1930 à la faveur de la Loi Glass-Steagall a n d’éviter une
répétition de 1929. En d’autres termes, Ronald Reagan et Bill Clinton se
sont appliqués à rayer les lois et règles arrêtées par Franklin D.
Roosevelt dans le but de discipliner une industrie dont la fonction, le
moteur, commande justement l’édi cation de balises.
La démolition pilotée par ces deux présidents devait favoriser un
mélange des genres comme des métiers, l’explosion de l’enfumage
nancier, l’épandage de l’escroquerie et autres malversations ayant
pour dénominateur commun la complexité, histoire de berner le
citoyen lambda. Après des mois d’étude et de rédaction, Frank et Dodd
ont déposé leur projet de loi de 849 pages qui sera adopté le 21 juillet
2010.
Entre autres réformes, cette loi prévoyait la création d’un bureau de
protection du consommateur, un renforcement des règles administrées
par la Securities and Exchange Commission (SEC), soit le gendarme de
la Bourse, et les diverses agences gouvernementales concernées par
l’action des banques, compagnies d’assurances et ducies. Il était
également prévu d’introduire la notion d’imputabilité. Mais encore ? Le
conseiller nancier ou banquier aurait comme obligation duciaire
d’œuvrer dans l’intérêt du consommateur.
Cette disposition devait faire hurler les acteurs de la nance, outrés
qu’on veuille les soumettre à l’éthique de responsabilité. Eux étant
habités par l’éthique de conviction… Qu’on y songe, au pays des quakers,
des mormons, des fous de Dieu, il était permis aux vendeurs des
produits nanciers de veiller aux béné ces des fabricants de ces
produits et non à l’intérêt de l’acheteur. Cela rappelé, on ne sera pas
étonné d’apprendre qu’aucun des principaux responsables de la Crise
de 2008 n’a été jugé et encore moins emprisonné !
Une fois élu président, Trump a rempli son cabinet et les instances
chargées de le conseiller de personnes majoritairement issues du
monde de la nance et en particulier des fonds spéculatifs et des fonds
d’investissement. On notera que la banque d’a aires Goldman Sachs
reste particulièrement bien représentée, le conseiller Steve Bannon, le
secrétaire au Trésor Steven Mnuchin et le patron du National
Economic Council, Gary Cohn, ayant tous travaillé pour cette société.
Ces derniers et d’autres avec eux, notamment Stephen A.
Schwarzman, président du puissant fonds Blackstone Group, qui est
également président du Business Council choisi par Trump, ont
convaincu ce dernier de mettre une sourdine à la très grande majorité
des dispositions contenues dans la Loi Dodd-Frank. Pour bien
souligner l’empressement du monde de la nance responsable de la pire
crise économique depuis 1929 et donc des cohortes de chômeurs et des
milliers et des milliards de pertes, ce monde de la nance, qui a été
sauvé avec l’argent public, a obtenu ce qu’il voulait le 2 février 2017, soit
moins de 15 jours seulement après l’intronisation de Trump.
Conscient qu’il n’obtiendrait pas le nombre de votes nécessaires (60)
au Sénat pour radier purement et simplement Dodd-Frank, Trump a
émis une directive enjoignant les diverses agences ou administrations
concernées à modi er le tableau des règles à l’enseigne du laisser-aller.
Et qu’enseigne l’histoire à ce propos ? Que doper l’économie par le biais
de la déréglementation nancière est le prélude à un désastre.
AU TABLEAU DES IMPAIRS
Dans le courant du mois de janvier, le département d’État rédigeait un
communiqué mentionnant le fait que 6 millions de Juifs avaient été
tués dans le cadre de la politique que les nazis avaient baptisée La
solution nale. Le personnel concerné avait composé ce texte en vue du
Holocaust Remembrance Day du 27 janvier, croyant que, comme
d’habitude, la Maison-Blanche le reprendrait in extenso ou du moins
s’en inspirerait largement.
Avant de poursuivre, il faut s’arrêter sur la date choisie par les Nations
Unies pour observer ce devoir de mémoire d’une importance que tous
savent très singulière. C’est le 27 janvier 1945 que les troupes
soviétiques ont libéré le camp d’Auschwitz-Birkenau et ont donc
découvert l’étendue de la Shoah.
Au jour J donc, la Maison-Blanche publie sa dissertation sur le sujet et
provoque illico un tollé, car il n’est nulle part fait mention de
l’Holocauste dont les Juifs ont été les principales cibles. Les critiques
pleuvent, le sénateur démocrate Tim Kaine allant jusqu’à taxer ce geste
de négationnisme, les noms d’oiseaux fusent. Pendant plusieurs jours,
le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, multiplie les
opérations d’enfumage sans parvenir à éteindre le feu. Au contraire, car
les sympathisants néo-nazis, dont les animateurs du site Daily Stormer,
ont alimenté la polémique en félicitant Trump pour avoir gommé toute
mention des Juifs.
Début février, Fred Brown, représentant de la Republican Jewish
Coalition, signe un texte dans lequel il martèle : « L’absence de mention
claire des sou rances imposées aux Juifs durant l’Holocauste est une
omission misérable. L’Histoire démontre sans l’ombre d’une ambiguïté
que le but de la solution nale des nazis était l’extermination des Juifs
d’Europe. Nous espérons qu’à l’avenir, il [Trump] exposera ces
sentiments quand il parlera de l’Holocauste. »
Dans les 48 heures suivant ce geste, le chat est pour ainsi dire sorti du
sac. Le département d’État avait bien envoyé sa note de service,
contrairement aux dénégations de la Maison-Blanche, note qui a tout
simplement été ignorée pour faire place nette à la position défendue
par les conseillers de Trump et surtout, surtout, par Steve Bannon qui,
lorsqu’il était à la tête de Breitbart News, peinait à cacher son
antisémitisme.
LE BILLARD RUSSE
Le 13 février, Kellyanne Conway, la préposée à la confection des
légendes, assurait sur les ondes de MSNBC que le président avait
« pleine con ance » en Michael Flynn, son conseiller à la Sécurité
nationale soupçonné depuis des jours d’avoir eu un ou plusieurs
entretiens avec l’ambassadeur russe à Washington, Sergueï I. Kisliak.
Jusqu’à ce jour, Flynn avait nié ce fait. Et le vice-président Mike Pence,
alors qu’on l’avait interrogé à plus d’une reprise à ce propos, avait relayé
le mensonge de Flynn, croyant dur comme fer que l’ex-général disait
vrai. Sept heures après la sortie de Conway sur MSNBC, Flynn
remettait sa démission. En fait, il a été démissionné.
De prime abord, on pourrait croire que Flynn ayant été nommé à ce
poste hautement stratégique au lendemain de l’élection, il était dans la
logique des choses que le futur conseiller ait au moins un dialogue avec
l’ambassadeur russe. Mais voilà, il se trouve que les paroles échangées
entre ces deux messieurs l’ont été dans des circonstances
particulièrement délicates. Autrement dit, graves. Le 29 décembre
2016, Barack Obama, alors président en titre, avait ordonné le renvoi de
douzaines de Russes suspectés d’espionnage en plus d’imposer un
nouveau train de sanctions. La raison invoquée ? Les services russes
avaient piraté le réseau informatique du Parti démocrate a n de
favoriser la victoire de Trump.
C’est dans les heures suivant l’ordonnance d’Obama que Flynn et
Kisliak ont eu une discussion qui, comme il est de coutume à ce niveau,
fut enregistrée. Au cours de celle-ci, Flynn prie son homologue de ne
pas réagir avec force à l’action d’Obama, en laissant entendre qu’une
fois o ciellement en poste, il sera en mesure de donner satisfaction au
Kremlin sur le plan des sanctions. On insiste : Flynn formule une
requête politicienne alors qu’Obama est toujours le chef de l’Exécutif.
Le 30 décembre, Vladimir Poutine annonce que Moscou ne ripostera
pas.
Le 26 janvier, Sally Yates, ministre par intérim de la Justice, prévient
Donald F. McGahn, le nouveau conseiller juridique de la Maison-
Blanche, qu’après avoir interrogé Flynn, le FBI a eu une certitude : en
agissant comme il l’a fait, le conseiller à la Sécurité nationale est
vulnérable au possible chantage de Moscou. D’autant que le 13 février,
des journalistes du Washington Post révéleront qu’en fait, Flynn a été
en lien avec Kisliak avant comme après l’élection de Trump.
Le lendemain, on apprend que plusieurs personnes dans l’entourage
du candidat ou du président Trump ont été en contact régulier avec des
Russes. Plus précisément, on apprend qu’au cours des deux mois
précédant le jour du scrutin, des proches ont discuté avec des « senior
russian intelligence o cials », notamment Paul Manafort, qui fut
directeur de campagne de Trump avant d’être remplacé par Steve
Bannon.
Les services de renseignements américains ont intercepté les
échanges entre des maîtres espions et des gens d’a aires russes d’un
côté et des membres de l’équipe électorale de Trump et certains de ses
associés en a aires alors qu’ils venaient de réaliser que le réseau
informatique du Parti démocrate en général et celui de la candidate
Clinton en particulier avaient été piratés. Manafort a nié les faits, tous
les faits, alors que c’était un secret de polichinelle qu’il avait été
consultant politique des Ukrainiens pro-russes.
La réaction de Trump fut à son image : brutale. Au lieu de cultiver le
souci de vérité, il a attaqué le FBI avec une férocité jamais vue en
clamant qu’il fallait à tout prix partir à la chasse des agents du FBI qui
ont chuchoté des informations dans les oreilles des journalistes et qu’il
fallait surtout les châtier. Il faut dire qu’entre la mise en relief des
a aires de Manafort en Ukraine et d’autres personnes de son
entourage, le réseau CNN avait appris que la Maison-Blanche avait fait
pression sur la direction du FBI pour qu’elle fasse pression à son tour
sur les journalistes du New York Times qui avaient révélé l’histoire des
contacts entre Manafort et compagnie avec les Russes. Trump devait
conclure cet épisode en aiguisant la bre de l’outrage : « Vivons-nous
dans l’Allemagne nazie ? » Comparer le FBI à la Gestapo d’Himmler
quand on est président des États-Unis, c’est tout simplement abject.
Simultanément, sur les rives de la Moskova, au Kremlin pour être
exact, Poutine pro tait du chaos des premières semaines de la
présidence de Trump en ordonnant un geste militaire propre à éveiller
la peur chez tous les chefs d’État européens, les Allemands et les
Polonais au premier chef. Le tsar Poutine avait exigé le déploiement
discret d’un nouveau type de missiles pouvant être lancés à partir d’une
base mobile. Ce faisant, il violait le traité sur les missiles de moyenne
portée que Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev avaient signé en 1987.
En 2014, alors qu’Obama occupait la Maison-Blanche, Poutine avait
fait le même manège, mais à l’époque le missile était encore inscrit à la
rubrique en développement. Là, les deux bataillons déplacés avec leurs
missiles de croisière et leurs quatre lanceurs étaient considérés comme
pleinement opérationnels. Il faut rappeler qu’à la faveur du traité de
1987, les Russes avaient détruit les SS-20 qui pointaient vers l’Europe et
les Américains les Pershing II qui pointaient vers la Russie.
Pour dire les choses brutalement, Poutine venait de con rmer, pour
ne pas dire répéter, ce qu’il avait signi é au président George W. Bush :
la Russie considérait le traité de 1987 comme nul et non avenu, car
entre la Chine et les anciennes nations du bloc soviétique qui avaient
rejoint l’OTAN ou envisageaient de le faire, son pays était confronté à
de nouvelles menaces.
Quelques jours plus tard, histoire d’aiguiser les nerfs de Trump et de
ses collaborateurs, un avion de combat russe tournoyait au-dessus d’un
navire de guerre américain en mer Noire pendant que, quasi
simultanément, un navire russe frôlait la frontière maritime des États-
Unis à la hauteur du Maryland. À un journaliste du New York Times,
Sergueï A. Markov, un proche de Poutine, con ait que ce dernier
« étudiait les moyens de mettre à pro t le chaos constaté à la Maison-
Blanche pour mieux atteindre ses objectifs ».
Plus globalement, l’espoir de Poutine était que les États-Unis soient
tellement préoccupés par les dossiers internes, de l’enquête sur
l’espionnage russe pendant les élections aux con its d’intérêts de la
famille Trump en passant par la renégociation de l’ALENA, qu’ils lui
laisseraient ainsi toute la marge de manœuvre nécessaire à l’avancée de
ses pions sur tous les fronts.
DEUX CAMOUFLETS
Le 5 février, Michael V. Hayden jette un énorme pavé dans la mare
présidentielle. Ce jour-là, il signait dans le Washington Post un texte
très critique de la politique de Trump et Bannon en matière
d’immigration musulmane. Hayden, c’est à noter, fut le patron de la
National Security Agency de 1999 à 2005 puis de la CIA de 2006 à 2009.
Fait rare dans les annales du renseignement, Hayden a dirigé les deux
plus importantes administrations où sont rassemblés les maîtres-
espions.
Dans son commentaire, il torpillait d’emblée le geste du duo Trump-
Bannon en ces termes : « Le décret sur l’immigration de Trump a été
mal conçu, sa mise en application très di cile et mal expliquée. Pour
être honnête, il ne pouvait pas en être autrement puisqu’il n’est pas le
produit d’une requête des professionnels du renseignement et de la
sécurité demandant un changement, mais bien le produit d’une
politique élaborée par des gens proches du président et marquée
idéologiquement qui se sont engagés à traiter une menace dont ils ont
exagéré la réalité. »
Après quoi, Hayden détaille des évidences, à savoir que six des sept
États inscrits dans la liste de Trump sont en réalité des États
fragmentés où la ressource humaine est de fait essentielle à la défaite de
ceux qui menacent les États-Unis. Ensuite, Hayden raconte que bien
des professionnels de la CIA l’ont contacté pour exprimer leur vive
colère. Car en agissant comme il l’a fait, Trump a trahi la parole donnée
à ces Irakiens et aux autres qui ont collaboré avec les États-Unis, qu’eux
et leurs familles seraient toujours protégés.
Puis Hayden conclut que « tous les tenants d’une idéologie dure »
feraient mieux de consulter les professionnels de la CIA avant de faire
des proclamations dans la précipitation.
Au lendemain de l’intervention de l’ex-patron des services de
renseignements, l’amiral Michael G. Mullen se manifestait dans les
pages du New York Times en signant une critique intitulée « I was on
the National Security Council. Bannon doesn’t belong there ». De 2007
à 2011, ce haut gradé fut président du Joint Chiefs of Sta . En d’autres
termes, pendant quatre ans il a occupé la plus haute fonction militaire
du pays.
Il faut savoir que le Comité des directeurs du Conseil de sécurité fut
créé en 1947. Sa fonction a ceci d’unique : rassembler les propositions
de sécurité formulées lors des réunions des membres représentant le
Pentagone, le département du Trésor, les services de renseignements et
autres agences, par exemple, les douanes puis en faire le tri avant de
composer à l’attention du chef de l’Exécutif une série d’options sur des
sujets divers. Fondé sous la présidence d’Harry Truman, le comité des
directeurs devait être imperméable aux agitations politiques. Bref, il
devait être neutre.
Dans son texte, l’amiral enfonçait la plume là où ça fait mal : « Avoir
Bannon comme membre avec droit de vote du Comité des directeurs
aura une in uence négative sur des délibérations supposées neutres. Je
crains que cela ait un e et terri ant sur les délibérations et diminue,
potentiellement, l’autorité et les prérogatives accordées par le Sénat
aux membres du Comité. À la di érence de M. Bannon, ils sont tous
imputables des conseils qu’ils donnent et des politiques qu’ils
exécutent. »
Puis il concluait : « Le président a le droit et la responsabilité de
façonner le Conseil de sécurité comme il le voit. Mais les politiques
partisanes n’ont pas de place à cette table. Bannon ne devrait pas en
être. » En moins de 48 heures, deux anciens mandarins de l’appareil
d’État réduisaient à des confettis deux décisions d’une grande
importance prises par Trump.
ABOLITION DES RÈGLES
Le 12 novembre 2013, lors du lancement d’un livre à Washington,
Bannon avait déclaré : « Je suis un léniniste. Lénine voulait détruire
l’État, c’est également mon objectif. Je veux faire en sorte que tout
s’écroule et je veux détruire l’establishment. » Une fois devenu l’homme
le plus puissant de Washington après Trump, Bannon va s’atteler avec
une méticulosité marquée du sceau du fanatisme à convaincre son
patron de nommer aux postes clés des personnes habitées par la
volonté de destruction. Une fois cela accompli, Bannon va marteler lors
de l’assemblée annuelle du Conservative Political Action Conference
(CPAC) tenue le 23 février que « la destruction de l’État a commencé ».
Reprenons.
Jamais dans l’histoire récente des États-Unis, un parti politique
détenant la majorité du Congrès n’avait eu recours au Congressional
Review Act avec autant de frénésie que les Républicains. La loi en
question permet l’usage rapide des procédures favorisant l’adoption des
résolutions de désapprobation qui, une fois signées par le président,
annulent les règlements fédéraux. En trois semaines, les avocats de la
loi de la jungle que sont les Républicains d’aujourd’hui vont s’activer sur
les fronts de l’environnement, de la nance, des communications et de
la sécurité.
Ils vont abolir la règle qui interdisait aux entreprises minières le
recours à des méthodes pouvant polluer les cours d’eau, les nappes
phréatiques ou menaçant les forêts. Ils vont abolir la règle qui obligeait,
sous peine d’amendes, ces entreprises à signaler toute contamination
de l’eau pouvant a ecter une communauté et qui permettait à celle-ci
d’intenter des poursuites contre le pollueur. Ils vont abolir la règle qui
obligeait les minières versées dans l’extraction des hydrocarbures de
réduire la pollution au méthane des terres fédérales et des terres
appartenant aux Premières Nations.
Ils vont abolir la règle introduite dans le Dodd-Frank Act en 2010 qui
obligeait les entreprises pétrolières à communiquer les sommes
accordées à des gouvernements étrangers comme cela se fait en
Europe. Ils vont abolir la règle qui obligeait les sociétés commerçant
avec le gouvernement fédéral d’indiquer toute violation documentée
aux règles fédérales du travail. Les entreprises estimaient que cette
dernière consistait en fait à dresser une liste noire. Oui, trois fois oui. Le
but de cette loi consistait e ectivement à faire l’inventaire des moutons
noirs.
Ils vont abolir, pour faire court, les règles qui protégeaient les
étudiants en matière de prêts, celles qui limitaient les frais sur les
cartes de paiement, celles qui balisaient l’exploitation du gaz et du
pétrole dans l’Arctique, celles qui protégeaient la vie privée des gens
lorsqu’ils utilisent Internet. Puis les Républicains, Trump en tête, vont
se faire les complices de l’abjection. Le 14 février, ils vont abolir une loi
introduite par Obama.
À la suite du massacre de 20 enfants et de 6 enseignants qui
fréquentaient l’école primaire de Newtown, au Connecticut, Obama
avait voulu et obtenu que la vente d’armes aux handicapés mentaux soit
interdite. La loi spéci ait que les personnes visées étaient celles qui
étaient incapables de gérer leurs a aires nancières et autres activités
de base et quotidiennes. Autrement dit, des personnes qui étaient sous
la surveillance d’adultes. Leur nombre ? 75 000 ! Et alors ? Les
Républicains et Trump n’ont rien trouvé de mieux que d’annuler cette
loi. Un schizophrène peut di cilement s’acheter une automobile mais
se payer un AK45… On voudrait illustrer la négation de la vie humaine,
on ne trouverait pas mieux.
MISE À MORT D’UN ÉTAT
Le 15 février, Trump prend le monde entier par surprise. En une phrase
et une seule, il enterre la solution des deux États, israélien et
palestinien, que les États-Unis avaient o ciellement mis de l’avant à la
faveur des Accords d’Oslo. Plus précisément, après une ronde de
pourparlers tenus à Madrid et une série de négociations secrètes à Oslo,
le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le président de l’OLP
Yasser Arafat signaient à Washington, le 13 septembre 1993, en
présence de Bill Clinton, alors président des États-Unis, la Déclaration
de principes.
Cette déclaration avait pour socle l’accord suivant : l’OLP
reconnaissait le droit d’existence de l’État israélien, le gouvernement
israélien convenait de l’existence d’un État palestinien formé de la
Cisjordanie et de Gaza. Ce principe, les successeurs de Clinton, Bush et
Obama, l’ont reconnu et défendu. Et voilà que le 15 février, Trump se
range derrière le premier ministre Benyamin Netanyahou qui, à la
di érence de ses prédécesseurs, n’a jamais été partisan des deux États,
mais bien l’avocat du Grand Israël pour lequel militent sans relâche les
extrémistes religieux israéliens.
De cet épisode, on retiendra que ni Trump ni Netanyahou n’ont
formulé une solution de rechange. De manière implicite, ils ont adopté
la posture de la négation diplomatique. Et on observera qu’aucun des
acteurs impliqués dans les a aires israélo-palestiniennes depuis des
années, soit les avocats de la Feuille de route et les membres du Quartet,
les di érentes instances de l’ONU et les pays européens concernés, n’a
été informé du revirement spectaculaire de la politique américaine en
la matière.
En fait, ce qu’il faut en comprendre : l’administration américaine table
particulièrement sur… la crainte que suscite l’Iran au sein du monde
arabe. Il est vrai que l’émergence d’un Iran, majoritairement chiite et
perse et détenant la bombe atomique, e raie énormément les pays
sunnites et arabes et au premier chef l’Égypte et l’Arabie Saoudite qui se
disputent le titre de puissance du Moyen-Orient. En d’autres termes,
pour ce qui concerne l’Iran, ces pays sont sur la même longueur d’onde
que Trump. Bref, en échange de la protection américaine, on est prêt à
laisser pourrir, il n’y a pas d’autre mot, le dossier palestinien.
Cette attitude a ceci d’odieux qu’elle condamne les Palestiniens à la
vassalité. On s’explique. En renvoyant la solution des deux États dans
les catacombes de l’Histoire, Trump se fait le complice d’un long et
pénible délabrement politique, culturel, économique et sociologique
des Palestiniens. Il est écrit dans le ciel qu’en agissant comme il l’a fait,
et même s’il s’en défend, Trump vient de cautionner le processus de
colonisation. Au train où se poursuit celui-ci, des pans entiers de la
Cisjordanie vont être enclavés de fait en territoire israélien.
Ensuite ? La poussée démographique palestinienne étant ce qu’elle
est, aux alentours de 2030 les Palestiniens seront majoritaires dans un
territoire combinant l’actuel Israël avec l’espace sur lequel l’OLP et le
Hamas détiennent actuellement l’autorité. Il va sans dire que la grande
majorité des personnes de confession juive n’accepteront jamais cette
réalité. Il est donc probable, à moins d’un retournement géopolitique
d’ici là, que des politiques et des lois seront adoptées qui feront des
Palestiniens des citoyens de seconde zone. Bref, l’apartheid est à
l’horizon.
SUS AUX MÉDIAS !
Au terme du premier mois de sa présidence, l’inventaire des politiques
arrêtées par le chef de l’Exécutif logeait à l’enseigne du cafouillage, pour
rester modéré. Qu’on y pense, au cours de cette période, il a renvoyé le
conseiller à la sécurité nationale, trois cours de justice ont envoyé aux
poubelles de l’histoire son ordonnance concernant les candidats à
l’immigration de sept pays musulmans, il a puisé dans le sac à malices
a n de trouver les arguments au renvoi de la ministre en intérim de la
Justice en désaccord avec lui. Quoi d’autre ? Son ministre du Travail, le
brutal Andrew Puzder, a été contraint à la démission. Car en plus de la
violence conjugale dont il est accusé, la bonne de cet adversaire
fanatique du salaire minimum était une sans-papiers.
Telles étaient les conditions générales dans lesquelles se trouvait
Trump lors de la conférence de presse du 16 février. Au lieu de répondre
aux questions par ailleurs légitimes des journalistes, il a usé de tous les
ressorts qui fondent la version larmoyante de la victimisation. De qui,
de quoi ? D’Obama d’abord, des journalistes ensuite. Tout au long des
77 minutes de cette conférence, le maître corbeau de la politique
américaine s’est appliqué à dire et à répéter qu’il avait hérité d’un
désordre et que les journalistes étaient des « personnes malhonnêtes ».
Lors de la campagne électorale, il avait martelé que ces derniers étaient
les gens « les plus malhonnêtes ». Il quali era des nouvelles publiées
dans le Wall Street Journal de « fausses nouvelles ». En un mot, plutôt
que d’a ronter la réalité, il a tiré sur l’ambulance.
Paradoxe des paradoxes, il se trouve que lui et son entourage, on pense
surtout à Kellyane Conway, ont été les principaux producteurs de
fausses nouvelles. Un jour, Trump a rme qu’il y a eu un attentat en
Suède. La réalité ? Fox News avait interrogé un documentariste raciste
qui racontait n’importe quoi. Dans la foulée, Trump enfonçait le clou en
ces termes : « La Suède a accueilli beaucoup trop de réfugiés. » Un autre
jour, il établit la liste de 78 actes terroristes peu ou pas couverts par les
journalistes qui sont aussi « les ennemis du peuple américain ». Parmi
les 78, il avait glissé les attentats commis à Paris et sur la Promenade
des Anglais à Nice, tous détaillés par les médias du monde entier.
Conway ? Histoire de ne pas faire dans la dentelle, elle invente rien de
moins qu’un événement pour défendre la politique anti-immigration de
Trump en assurant que des Irakiens avaient commis un attentat à
Bowling Green au Kentucky. Pourquoi personne n’est au courant ?
Parce que les médias, dixit Conway, n’en ont pas parlé !
Le 23 février, coup de théâtre. L’administration Trump, par
l’intermédiaire de son porte-parole Sean Spicer, fait ce que ni Nixon à
l’époque du Watergate ni Clinton lors de l’épisode Monica Lewinsky
n’avaient osé faire : interdire la présence de certains médias à la
conférence de presse. Après que Trump eut quali é les reporters
d’« ennemis » à l’emploi « d’organisations qui inventent des nouvelles »,
Spicer n’a rien trouvé de mieux que de barrer le chemin de la Maison-
Blanche aux médias suivants : le New York Times, le Washington Post, le
Los Angeles Times, CNN, le Hu ngton Post, Politico, la BBC et Buzzfeed
News.
Quelques semaines plus tôt, le même Spicer avait salué les médias en
ces termes : « qu’ils soient conservateurs, libéraux ou autres, ils font que
le démocratie reste une démocratie et non une dictature ». Dans les
heures qui ont suivi cette censure, cette attaque frontale contre la
presse si contraire au premier amendement de la Constitution et la
sacralisation de la liberté d’expression qui la distingue, des
commentateurs comparaient Trump à Viktor Orban, premier ministre
hongrois qui, en ayant pris l’information en otage, a métamorphosé la
démocratie hongroise en une autocratie.
Dans un commentaire publié dans le New York Times, Joel Simon,
directeur du Committee to Protect Journalists, souligne que le
dénigrement constant du travail des journalistes par le président était
non seulement une violation de l’esprit démocratique qui plane sur les
États-Unis, mais aussi un encouragement à tous les autocrates de la
planète de poursuivre leur travail de sape contre les fondements de la
démocratie.
Dans son texte, Simon rappelle que les États-Unis ayant défendu avec
constance la liberté de la presse, ils occupent une place particulière sur
le plan de la moralité publique. Par exemple, Bush avait critiqué à
plusieurs reprises les violations de la liberté de la presse au Zimbabwe
et au Venezuela et Obama s’était démené pour obtenir la libération de
journalistes en Éthiopie et au Vietnam. Et qu’a répondu Trump lorsque
Joe Scarborough de MSNBC l’a interrogé sur les assassinats
systématiques de journalistes en Russie ? « Bien, je pense que notre
pays fait plein d’assassinats également. »
Trump s’est fait le complice des pires régimes en matière de
protection des journalistes, soit l’Iran et la Turquie. Dans ces pays, on
estime que le nombre de reporters emprisonnés se chi re dans les
milliers. Dans le cas de la Turquie, le président Recep Erdogan n’a pas
fait dans la dentelle : il a mis le monde médiatique sous une chape de
plomb. Bref, il a fait pire que le régime précédent pourtant reconnu
perclus de corruptions.
Chapitre 4
MARS 2017 :
DONALD ET LE POT AU LAIT
LE TRIOMPHE POST-
MORTEM DE JACKSON
LE JUGE ET LE SALAFISTE
É
Écoutez, pour faire court et surtout plus e cace, il serait plus fondé et
rapide de demander à Panoramix qu’il touille dans sa marmite la
résurrection de la Pythie de Delphes. Au moins on aurait un avis
dé nitif. Plus sérieusement, il faut savoir par ailleurs qu’il est interdit
au pouvoir judiciaire d’amorcer une procédure de destitution du
président. Comme quoi l’imputabilité, à ce niveau, se conjugue plus
qu’on ne le croit avec la relativité.
C’est dommage, bien dommage, car si l’on en croit ce que raconte
Allan J. Lichtman, professeur d’histoire à l’American University de
Washington, dans son livre The Case for Impeachment publié par Dey
Street Books, Donald Trump est de tous les 45 présidents qu’a comptés
le pays celui qui devrait être le sujet d’une dizaine de requêtes en
destitution au minimum. Car jamais, jamais, jamais, un chef de
l’Exécutif n’a été abonné à autant de con its d’intérêts.
Commençons par le plus simple d’entre eux, car quotidien. Trump
n’ayant pas vendu les parts qu’il détient dans son empire résidentiel et
hôtelier, il est coupable d’abus de biens publics et perçoit des
émoluments de pays étrangers, ce qui est strictement défendu par la
Constitution.
Les émoluments ? Au lendemain de sa victoire, le gouvernement
saoudien a loué, tenez-vous bien, 500 chambres à l’hôtel que détient
Trump à Washington, chambres qui ont été occupées par des gens
chargés de faire du lobbying pour les Saoudiens, évidemment. En fait,
sur ce anc Lichtman a calculé que le nombre de con its d’intérêts est
de 20, dont 1 avec la Chine.
Pour résumer les causes de destitution qui existent dans le domaine
des a aires, on retiendra que notre historien a constaté que Trump
avait violé, à la suite de sa fraude universitaire, le Racketeer In uenced
and Corrupt Act, le Stop Trading on Congressional Knowledge, qu’il a fait
des a aires avec le Bayrock Group de Moscou, qui est sous le coup d’une
poursuite du procureur de New York pour fraude, blanchiment d’argent
sale, extorsion, conspiration, pot-de-vin, etc. La coupe est pleine, non ?
Pas encore !
La loi permettant la destitution pour des méfaits avérés et antérieurs
à sa présidence, Trump pourrait être poursuivi pour son comportement
à l’endroit des femmes et des Noirs, sachant qu’il a négocié plusieurs
ententes hors cour. En ce qui concerne les femmes, on sait qu’il a acheté
le silence de plus d’une, en plus d’avoir agressé physiquement sa
première femme. Pour ce qui est des Noirs, on se souviendra qu’il avait
érigé la discrimination en mode de gestion. En d’autres mots, Trump a
violé les lois sur les droits civiques. Passons à l’environnement.
Au cours des récentes années, le Tribunal international de La Haye
ainsi que la Cour pénale internationale ont estimé que les crimes contre
l’environnement doivent être considérés comme des crimes contre
l’humanité. En rejetant l’avertissement servi par les ingénieurs
américains et 72 Prix Nobel sur les dangers inhérents au réchau ement
climatique, en multipliant les directives anti-environnementales, en se
retirant de l’Accord de Paris sur le réchau ement de la planète, Trump,
d’assurer Lichtman, est bel et bien coupable de crime contre
l’humanité. La coupe est pleine ? Loin de là.
Lors de la campagne contre Hillary Clinton, Trump a plus d’une fois
martelé que la santé mentale de son adversaire étant dé ciente elle
n’était pas apte à présider les États-Unis. Ce faisant, Trump bafouait la
règle Goldwater. Il s’agit d’une règle non écrite qui date de l’élection de
1964 qui avait alors opposé Barry Goldwater à Lyndon Johnson. Le
premier, un Républicain, ayant évoqué plus d’une fois le recours à la
bombe atomique, ici et là on l’avait traité de cinglé. Depuis lors, tout
jugement sur la santé mentale d’un candidat avait été banni. Bien.
En attaquant Clinton sous cet angle, Trump a levé un tabou qui eut
après coup un e et boomerang : 35 psychiatriques à travers le pays,
nous l’avons vu, se sont appliqués à analyser Trump, à disséquer ses
mots, son comportement avant de dresser le diagnostic suivant : « Ses
discours et ses actions démontrent une incapacité à tolérer des
opinions divergentes des siennes, menant à des réactions rageuses. Ses
mots et son comportement suggèrent une profonde incapacité
d’empathie. Les individus qui présentent ces traits détournent la réalité
a n qu’elle colle à leur état psychologique, puis s’attaquent aux faits et à
ceux qui les ont avancés. Nous croyons que l’instabilité émotive
profonde qui l’habite lui interdit de servir convenablement le pays ».
Bigre !
Et Lichtman de conclure qu’en vertu du 25e amendement de la
Constitution et des procédures de la Chambre des représentants,
Donald Trump devrait être destitué toute a aire cessante. Comme le
constata ce cher Cervantès : « Le fou a un faux pli dans sa cervelle ».
Autrement dit, des pois chiches en guise de neurones.
Chapitre 13
SEPTEMBRE 2017 :
LE NERF CORÉEN
À
pour l’usage par Hillary Clinton de sa boîte de courriels privée. À plus
d’une reprise, il avait émis le souhait que le FBI mène une enquête de
fond sur le sujet, tout en martelant que cet usage était la preuve que la
championne des Démocrates était un escroc.
Avant de poursuivre deux ou trois choses doivent être précisées.
L’État n’interdit pas au personnel de la Maison-Blanche et aux
membres du gouvernement ou encore aux mandarins de l’appareil
d’État le recours aux réseaux privés de courriels. Par contre, il exige que
tout échange, par l’intermédiaire de ces derniers, de commentaires ou
d’informations portant sur des dossiers gouvernementaux, soit
également communiqué au réseau o ciel a n que le public y ait accès
et que les autorités responsables du respect de l’éthique soient à même
de savoir si les acteurs politiques respectent les balises xées en ces
matières.
Cela étant, voilà que dans les derniers jours de septembre, une
enquête des journalistes de l’hebdomadaire Newsweek révélait que des
membres de l’entourage de Trump et des conseillers principaux
faisaient exactement ce qu’ils avaient reproché à Clinton. Plus
précisément, ce magazine dévoilait qu’Ivanka Trump, son mari Jared,
tous deux conseillers o ciels, donc salariés de l’État, Steve Bannon, ex-
stratège en chef, Reince Priebus, ex-directeur de cabinet, Gary Cohn,
principal conseiller économique, et Stephen Miller, conseiller
politique, n’avaient pas envoyé des copies des textes dans lesquels ils
traitaient de dossiers gérés par la Maison-Blanche. Bref, ils étaient tous
en contravention de deux lois : la Presidential Records Act et la Federal
Records Act.
Et dire que dans les jours précédant le scrutin présidentiel, Trump
avait rédigé une libre opinion publiée par le USA Today où il soulignait :
« si nous voulons que l’Amérique soit grande à nouveau, nous devons
nous débarrasser de la corruption » qui gangrène Washington. Et alors ?
À la n du mois, on apprenait qu’après Mnuchin, le ministre de la Santé
Tom Price utilisait des jets pour se rendre, avec sa famille, à des
rencontres o cielles tout en commandant aux pilotes de ces avions des
détours par les complexes hôteliers luxueux où il possédait des
copropriétés. Idem avec la conseillère Conway.
DE L’OBSTINATION
Sept ans durant, les Républicains, on le rappelle encore une fois,
s’étaient jurés d’abolir la réforme de la santé. Sept ans donc pour
préparer l’abolition en question une fois de retour au pouvoir. Bien. Ils y
sont revenus au pouvoir puis ont essayé une fois, deux fois de
supprimer l’Obamacare du paysage médical. Ils ont été battus. Et pas
tant par les Démocrates que par des sénateurs républicains outrés par
la brutalité contre les citoyens américains peu argentés, comme ce fut
le cas avec les sénatrices Susan Collins, du Maine, et Lisa Murkowski, de
l’Alaska, ou par le dé cit démocratique avec lequel le leader des
Républicains au Sénat, Mitch McConnell, du Kentucky, avait manié le
mécanisme des débats, comme ce fut le cas avec le sénateur de
l’Arizona, John McCain.
Le fanatisme distinguant l’attitude de la majorité des Républicains
dans cette histoire, voilà qu’en septembre ils essayent à nouveau de
supprimer la principale victoire législative d’Obama. Ici, il faut préciser
que leur dernière tentative avait eu lieu deux mois auparavant. On
insiste, ils ont pris deux mois et deux mois seulement pour élaborer un
contre-plan sur un sujet que tous savent éminemment complexe.
Toujours est-il que la tâche fut con ée aux sénateurs Lindsey Graham,
de la Caroline du Sud, et Bill Cassidy, de la Louisiane. Une fois encore,
aucune femme ne fut appelée à siéger sur le comité.
Le projet est présenté dans la dernière semaine de septembre. Après
analyse, Collins, McCain et le sénateur Rand Paul, du Kentucky,
indiquent qu’ils voteront contre. Comprenant que cette contre-réforme
sera rejetée, McConnell décide qu’elle ne sera pas présentée, pour le
plus grand plaisir des associations de consommateurs, de médecins et
d’hôpitaux ainsi que d’une majorité de dirigeants de compagnies
d’assurances. Quoi d’autre ? Le Congressional Budget O ce avait
calculé que ce dernier projet, s’il avait été adopté, aurait réduit les
dépenses que consent Medicaid à la santé des Américains de mille
milliards de dollars en dix ans.
L’AMOUR DES RICHES
À la n du mois, la Commission sénatoriale du budget présentait son
projet budgétaire pour l’année scale 2018. Signe particulier ? Celui-ci
ouvrait la porte à une réforme scale aux montants sans précédents
depuis la présidence de Ronald Reagan. C’est probablement pour cette
raison que les Républicains ont inclus la réforme en question dans le
projet budgétaire car ainsi ils ont la quasi-assurance que les
Démocrates ne feront pas obstruction, car ce faisant ils priveraient le
pays d’un budget.
Tous savent que depuis son entrée en fonction, Trump entendait
ordonner des réductions marquées des impôts que payent les individus
et les entreprises, mais tout de même pas aux niveaux avancés dans le
document budgétaire.Les avantages scaux totaliseront 1 000 milliards
et 500 millions sur dix ans. Les principaux béné ciaires de cette
manne ? Les riches d’entre les riches et les entreprises.
Lorsqu’il a présenté à Indianapolis le plan développé sous sa
constante surveillance, le riche Trump a répété ce que ses
prédécesseurs Reagan et Bush avaient dit. À savoir que ces réductions
de taxes allaient se traduire par un dopage jamais vu de l’activité
économique, car les entreprises comme les individus allaient réinvestir
les sommes ainsi récupérées. Bref, il reprenait à son compte la théorie
du ruissellement le béné ce que l’on accorde aux riches va nir par
pro ter aux pauvres, qui ainsi que le prouvent les faits n’a jamais
fonctionné.
On vous fera grâce de la litanie des chi res présentés dans le projet de
Trump pour mieux retenir les conclusions de l’analyse réalisée par Tax
Policy Center, un organisme indépendant. Avant tout, la réduction ne
totaliserait pas 1 000 milliards et 500 millions, mais bien
2 000 milliards et 400 millions. De fait, il sera impossible d’atteindre
l’équilibre budgétaire au bout de dix ans, contrairement à ce qu’annonce
le document de Trump. Bien au contraire, car année après année la
dette publique va augmenter.
Selon la révision de Tax Policy, pour toutes les classes de la société, la
réduction moyenne sera de 1 600 $. Ceux qui perçoivent un revenu
annuel béné cieront d’une déduction de 1,2 % ou 660 $. Ceux qui font
partie du groupe du 1 % des plus riches récolteront la moitié des
déductions, soit 129 000 $ ou 8,5 % de réductions. Quant aux
entreprises, elles devraient empocher 2 milliards et 600 millions sur
10 ans.
D’après les estimations du Congressional Budget O ce, la dette du
gouvernement fédéral atteindra un pourcentage du PIB jamais vu
depuis le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Et d’une. Et de
deux, lorsque Reagan t voter son plan scal, la dette était égale à 24 %
du PIB. Lorsque Bush t voter le sien en 2001, elle était de 31 %. En juin
2017, elle était de 75 %. À l’évidence, Trump est la contradiction faite
homme de la méditation. Au nom évidemment de l’intérêt très
particulier.
Chapitre 15
LES ABÎMÉS DE
DULUTH, MINNESOTA
À Duluth, ville édi ée le long d’une crique du lac Supérieur, Bob Dylan
est né le 24 mai 1941. Trente-quatre ans plus tard, il publiait une
chanson intitulée Tangled Up In Blue ou Prisonnier du cafard. À
marcher ici et là, à regarder à droite et à gauche, en haut comme en bas,
on a vite compris pourquoi. Car la ville l’est. Quoi donc ? Cafardeuse.
Il est probable, voire plus que probable, qu’il n’en fut pas toujours
ainsi mais aujourd’hui, on insiste, elle est déprimante. Derrière un
certain vernis architectural se cache une misère sociologique qui vous
prend à la gorge. Une misère économique qui fait penser à une gravure
signée par un artiste anglais du XIXe siècle. Ce dernier avait dessiné
ceci : lors d’une visite de la reine Victoria à Dublin, les édiles de l’endroit
avaient camou é la pauvreté derrière des trompe-l’œil érigés le long du
parcours de sa majesté.
À Duluth, derrière le Greysolon Plaza, les abîmés de la ville marchent
au ralenti. On s’explique. Le Greysolon est situé sur la rue principale du
centre-ville, East Superior Street. Il s’agit d’un ancien palace hôtelier
transformé en un complexe résidentiel. La façade présente des demi-
colonnes de style corinthien surmontées de frises empruntant au style
en vogue lors de la première république française. Passons sur ce
télescopage esthétique au fond sympathique pour mieux retenir que
côté cour se concentre la misère évoquée.
En e et, lorsqu’on traverse le vaste hall de l’immeuble on se retrouve,
après quelques pas, sur la 1re rue et face à face avec ces abîmés par des
drogues d’invention relativement récente et qui s’appellent Fentanyl, la
plus recherchée d’entre elles, Oxycodone et Hydrocodone. Le
dénominateur commun de ces opiacés prescrits comme anti-douleurs ?
Ils sont fabriqués en laboratoire. Pas besoin de cultiver le pavot dans les
plaines de l’Afghanistan. Cela précisé, on comprendra l’avantage
nancier que représentent ces drogues pour les commerçants de
paradis arti ciels.
On passe sur les seringues aperçues dans les recoins pour mieux
souligner que les préposés à la réingénierie socioculturelle ont tous
pignon sur rue. La Union Gospel Mission voisine la Eagles Wings – A
Ministry of Invite God, etc. Tous ces préposés ont imprimé sur la trame
urbaine de la ville des marques qui ne sont en fait que le miroir d’une
terrible réalité : Duluth résume l’incroyable épidémie de morts
d’overdoses d’opiacés qui touche tous les États de l’Union et surtout les
petites villes des campagnes et les villes moyennes.
Tout au long de la première décennie du présent siècle, Duluth n’a pas
dénombré un mort à la suite d’une overdose. Depuis, entre 2011 et 2016,
cette municipalité a enregistré 167 décès. À la grandeur du Minnesota,
selon les chi res o ciels du département de la Santé, le nombre de
morts a augmenté de 74 % entre 2016 et 2017 pour se xer à 172. Ici, il
faut mettre en relief un point singulier : la nature de l’héroïne vendue
de l’est au midwest du pays se « marie » beaucoup mieux avec le
Fentanyl que celle vendue dans l’ouest.
En 2017, selon le Center for Disease Control, le nombre de personnes
mortes des suites d’une overdose a atteint les 72 000, soit plus que le
nombre de morts du VIH, plus ceux d’accidents de la route, plus ceux
par armes à feu. Dit autrement, en 2017, on a compté plus de décès, côté
américain, que durant les 15 ans de guerre au Vietnam ou encore lors du
sommet de l’épidémie du sida en 1995.
Selon les acteurs du monde médical et les démographes, l’ampleur de
cette épidémie explique un fait totalement inédit dans l’histoire du
pays : l’espérance de vie a diminué constamment de 2015 et 2018. Il faut
savoir qu’entre 1999, année de l’apparition de cette peste moderne, et
2015 il y a eu 183 000 morts. 183 000… !
Ce éau a eu une conséquence nancière sinistre : il a amputé
durablement le budget des municipalités et des États. On estime que les
coûts économiques a érents ont totalisé 504 milliards entre 1999 et
2015.
Cela rapporté, on comprendra que les compagnies pharmaceutiques
et les distributeurs de médicaments soient visés par 200 poursuites
É
dont 41 des États ! Bref, pour les experts en matière juridique, cette
a aire sera égale ou supérieure à celle du tabac. Cela prendra du temps,
mais…
L’ampleur de l’o ensive menée par ces paliers gouvernementaux est
au fond l’e et boomerang qui distingue le marchandage de ces drogues.
En e et, il n’a pas échappé aux maires de Duluth et d’ailleurs, aux
gouverneurs du Minnesota et d’ailleurs que les prescriptions de
Fentanyl et des deux autres anti-douleurs avaient été multipliées par
quatre depuis 1999.
Cette augmentation pour le moins prononcée s’explique par une
cascade de connivences et de magouilles, sans oublier évidemment une
a ection fanatique pour le gain qui s’avère au fond une copie carbone de
ce que font les ma as depuis des lunes. Des enquêtes du FBI et de divers
journaux ont mis en lumière les complicités qu’il y a eues ici et là entre
médecins, fabricants et distributeurs des produits cotés en Bourse,
pharmaciens, etc.
Lorsqu’on s’arrête aux caractéristiques nancières de cette épidémie,
aux vices nanciers introduits par des membres de la chaîne, soit de la
fabrication à la distribution, on peut tracer la diagonale avec la Crise de
2008. Plus exactement avec les crapules à qui on avait accordé la licence
du laisser-faire total, absolu.
En d’autres mots, la fameuse injonction formulée par Ronald Reagan
au cours de son premier mandat, à savoir « Enrichissez-vous », s’est
accompagnée d’un droit d’abîmer à qui mieux mieux la vie d’autrui. On
ne viendra jamais nous faire croire que les médecins, les chimistes, les
pharmaciens et tous les cadres des entreprises impliquées dans la vente
de ces produits, ces entreprises inscrites à la Bourse, ne connaissaient
pas les e ets délétères du Fentanyl et autres.
Chapitre 16
OCTOBRE 2017 :
59 PERSONNES TUÉES
À
À cela s’ajoute ceci ; en vue des législatives de novembre 2018, et
sachant que Paul Ryan a indiqué qu’il ne se représenterait pas,
autrement dit que le rôle de chef des représentants serait également en
jeu, Bannon s’appliquait à torpiller les primaires. Outre l’argent des
Mercer, Bannon pouvait compter, pour son travail de sape, sur la
connivence de Breitbart News.
Au Mississippi, cette lutte intestine au sein du parti fut d’autant plus
vive qu’elle fut rythmée par les accents que l’on prête à la guerre civile.
Dans cet État, Bannon et Mercer ont pris fait et cause pour un candidat
de l’extrême droite Chris McDaniel, contre le sénateur Roger Wicker.
Ces dérapages convergeant tous vers le territoire des extrêmes furent
aussi observés que commentés. Ils eurent en tout cas une conséquence
inattendue, étonnante, car ceux-ci devaient convaincre un homme peu
réputé pour ses penchants à gauche d’intervenir sur la place publique
pour mieux critiquer Trump sur l’idéologie qui fonde sa politique. Bref,
sur les fondamentaux. Son nom ? George W. Bush.
Au milieu du mois, à New York, l’ex-président prononçait un discours
décapant, car il exposait ses divergences à l’égard de toutes les
politiques élaborées par Trump. Bush prenait faits et causes pour
l’immigration, pour le libre-échange, s’inquiétait du retour du
nationalisme et de la bigoterie. Il alla même jusqu’à quali er, sans
jamais la nommer, la politique de Trump de « casual cruelty » ou
cruauté occasionnelle.
« Nous avons vu le nationalisme déformé en nativisme, nous avons
oublié le dynamisme que l’immigration a apporté à l’Amérique. Nous
assistons à une perte de con ance dans les vertus du libre marché et du
commerce international, oubliant que les con its, l’instabilité et la
pauvreté succèdent au protectionnisme. Nous voyons le retour des
sentiments isolationnistes, oubliant que la sécurité de l’Amérique est
directement menacée par le chaos et le désespoir des pays lointains. »
Sans jamais nommer les tweets, il critiqua l’usage qu’en faisait
régulièrement Trump en ces termes : « Le harcèlement et la culture du
préjudice dans notre vie publique ont donné le ton au niveau national,
ils ont favorisé la cruauté et la bigoterie et compromis l’éducation
morale de nos enfants. » Quoi d’autre ? « La bigoterie et la suprématie
blanche sous toutes ses formes sont un blasphème contre le credo de
l’Amérique. »
DOCTEUR FOLAMOUR
Plus tôt dans l’année, Trump avait menacé la Corée du Nord « d’une
destruction totale », donc d’un bombardement atomique. Après quoi, il
suggéra que le Japon et la Corée du Sud se dotent à leur tour de l’arme
nucléaire. Ensuite, il a demandé : « À quoi sert l’arsenal nucléaire de
l’Amérique si on ne s’en sert pas ? »
Puis voilà qu’un scoop de NBC News nous apprenait qu’après une
discussion avec son secrétaire d’État Rex Tillerson au cours de laquelle
le président assurait que l’arsenal du pays en la matière avait beaucoup
diminué depuis la n de la Guerre froide, il envisageait la multiplication
par dix des bombes nucléaires. Arrêtons-nous aux chi res.
Selon les calculs du New York Times, avec 1 103 bombes, les États-Unis
pourraient détruire entièrement les pays suivants : la Chine, la Russie,
la Corée du Nord, l’Iran, la Libye, l’Irak et la Syrie. Chaque missile
comprenant cinq têtes nucléaires, combien en resterait-il ? 2 897. De
quoi les détruire deux fois encore si la première…
Ses in exions pro-nucléaires, ainsi que ses questionnements, parfois
étranges, pour dire le moins, ont convaincu un Républicain de haut rang
d’intervenir sur la place publique à ce sujet. Il s’agit du sénateur Bob
Corker, qui en tant que président de la Commission sénatoriale des
relations internationales, est l’un des personnages les plus importants
de cette chambre après le leader du Sénat.
À voix haute et claire, Corker a estimé que Trump administrait la
Maison-Blanche « comme de la téléréalité ». Le numéro deux du Sénat
qui appartient à la même formation que son président assurait, en
substance, que ce dernier se comportait comme un ado. Dans la foulée,
Corker jugeait qu’en multipliant des menaces à l’aune de la témérité,
Trump pourrait mettre le pays sur la voie de la Troisième Guerre
mondiale.
Voilà que Corker a rmait qu’il fallait s’en remettre au secrétaire
d’État Rex Tillerson, au secrétaire à la Défense James Mattis et au
directeur de cabinet John Kelly, dans l’espoir qu’ils agissent de manière
« à éloigner le pays du chaos ». Que le président de la Commission
sénatoriale sur les relations internationales fasse la leçon à son
président qui, à ce titre, a la haute main sur le ministère des A aires
étrangères car il s’agit, faut-il le rappeler, d’un ministère régalien relève
du… jamais vu !
Corker devait pro ter, si l’on peut dire, de cet épisode pour suggérer
aux membres du Congrès qu’ils amorcent l’étude d’une loi qui obligerait
le chef de l’Exécutif à obtenir l’aval de la Chambre des représentants et
du Sénat pour tout usage de la bombe.
FIN DE L’ALENA ?
Alors que les représentants commerciaux du Canada, des États-Unis et
du Mexique se retrouvaient à Washington pour entamer une quatrième
ronde de négociations depuis juillet, le scénario de l’échec, de la mise en
berne de l’ALENA, s’avérait le plus probable. D’autant qu’au terme d’une
rencontre avec le premier ministre Justin Trudeau dans le bureau ovale
le 11 octobre, Trump déclarait : « Il est possible que nous ne soyons pas
capables d’en arriver à un accord comme il est possible que nous en
ayons un. Nous allons voir si nous sommes capables de faire les
changements dont nous avons besoin. […] Nous verrons ce qui arrivera
à l’ALENA auquel je suis opposé depuis longtemps… »
Réputé être un farouche opposant au libre-échange, à sa philosophie,
même si ce sont les administrations américaines, celle de Ronald
Reagan en tête, qui ont milité pour la n des politiques
protectionnistes, Trump a réussi un prodige quand on sait qu’il est
républicain : il s’est mis toutes les chambres de commerce du pays à dos.
À la veille des discussions entre les signataires du traité, pas moins de
310 chambres de commerce ont envoyé une lettre à Trump le priant de
maintenir le libre-échange. Président de la Chambre de commerce des
États-Unis, donc la chambre des chambres, Thomas J. Donohue, devait
déclarer que « les négociations ont atteint un niveau critique. Et notre
Chambre n’a pas d’autre choix que de sonner l’alarme. Permettez-moi
de dire de manière énergique et directe que sur la table, il y a plusieurs
pilules empoisonnées qui pourraient anéantir tout le traité. »
Pour bien comprendre l’inquiétude qui transparaît dans les propos de
Donohue, peut-être faut-il rappeler que durant des mois et des mois,
tout ce que les États-Unis comptaient de gens d’a aires et de politiciens
favorables à l’ALENA avait cru que l’opposition de Trump relevait de la
posture. Ici et là, on croyait que la fermeté des propos qu’il employait
pour descendre en ammes cet accord était en fait qu’il s’agissait d’une
stratégie de négociations arrêtée a n d’inquiéter la partie d’en face et
d’obtenir après coup le maximum des négociations.
Là, on réalisait que dans les faits, Trump voulait la n de l’ALENA.
Autrement dit, qu’il ne partageait pas l’avis de ses homologues canadien
et mexicain, qui estimaient que les pourparlers en cours devaient
permettre, après un quart de siècle de vie, une actualisation de
l’entente. Une mise au diapason aux réalités économiques du
XXIe siècle.
On se rendait compte également que la n de l’ALENA allait se
traduire par une augmentation indirecte des coûts de production en
raison du retour, notamment, des tarifs. Au sein des secteurs
manufacturier, énergétique et agricole, la note s’annonçait salée. Par
exemple, les éleveurs américains de bœufs seraient confrontés à une
hausse de 25 % de leurs produits destinés à l’exportation au Mexique,
de 45 % pour la dinde et les produits laitiers et de 75 % pour le poulet,
les pommes de terre et certains dérivés du maïs.
Qui plus est, la n de l’ALENA déstabiliserait en profondeur des
chaînes d’approvisionnement et de la division du travail du sud du
Mexique au nord du Canada. Quoi d’autre ? Vice-président principal
des politiques internationales de la Chambre de commerce des États-
Unis, John Murphy faisait remarquer que Trump avait fait un très
mauvais pari politique vis-à-vis des dirigeants canadien et mexicain.
Selon lui, pour des raisons électorales évidentes, ces derniers ne
plieront pas devant le président Trump, car ils sont bien conscients
qu’il est très impopulaire tant au Canada qu’au Mexique. Murphy : « Il y
a un vieux proverbe dans la culture de la négociation qui stipule qu’il ne
faut jamais prendre on otage celui qu’on ne peut pas tuer. »
HARO SUR LA SANTÉ !
Au cours de la dernière semaine du mois précédent, on se rappellera
que les sénateurs républicains avaient échoué à abolir le A ordable
Care Act. Une quinzaine de jours passent et voilà que le maître de céans
des États-Unis décidait de frapper un gros coup. Le 12 octobre, il
ordonnait par décret présidentiel la n des subventions accordées aux
compagnies d’assurances a n que les ménages à faible revenu puissent
contracter une police. Quelques heures auparavant, Trump avait
également ordonné que des modi cations notables soient apportées au
système de santé dont la vente de polices de piètre qualité, des polices
proposant un nombre inférieur de protections que la moyenne. En
d’autres mots, Trump prescrivait en la matière un recours aux forceps.
Tel que le plan était conçu à l’origine, le total des subventions allouées
dans le cadre, plus précisément, d’une politique du partage des coûts
entre le fédéral, les États, les localités et autres devraient totaliser
9 milliards lors de l’exercice nancier 2017-2018 et 100 milliards au
cours de la prochaine décennie. Ces montants communiqués, on
comprendra mieux que les économistes ou analystes versés en
assurance maladie aient fait observer, à peine les directives de Trump
dévoilées, que celles-ci auraient pour conséquence une dislocation des
marchés d’assurances.
Car les directives en question se traduiraient illico par une
augmentation, entre autres, des primes et le retrait en série de
compagnies du marché où s’échangent les assurances depuis les débuts
de l’Obamacare. Dans un communiqué conjoint, Chuck Schumer et
Nancy Pelosi soulignaient que Trump « a apparemment décidé de punir
le peuple américain pour son incapacité à améliorer le système de
santé. C’est un acte très malveillant, un sabotage sans nom visant les
familles de travailleurs et la classe moyenne dans tous les recoins
d’Amérique. »
L’énormité des changements commandés par Trump devait
convaincre des Républicains de s’y opposer, car ils avaient rapidement
calculé qu’ils réduiraient le nombre d’assurés dans leurs districts ou
leurs États et donc des électeurs. D’autant que l’American Cancer
Society, l’American Academy of Family Physicians et l’Alliance of
Community Health Plans soulignèrent que des millions de citoyens
seraient confrontés à un dé cit nancier qui aurait pour e et direct
moins de soins de santé.
On douterait que les directives concoctées par Trump ne visaient pas
les pauvres et la tranche économiquement inférieure de la classe
moyenne qu’il su rait de tracer la diagonale, et pas celle du fou, avec ce
qu’annonçait le lendemain le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin.
Lors d’une conférence organisée par l’Institute for International
Finance, Mnuchin proposait l’abolition pure et simple de l’impôt sur la
succession.
Comme notre homme est le monsieur Sans-Gêne de l’administration,
il admettait « qu’à l’évidence, cela va avantager, je le concède, de
manière disproportionnée les riches ». On reconnaîtra que le M. Sans-
Gêne a tout de même le courage comme la franchise de son opinion.
Toujours est-il que les chi res sont à ce propos éloquents. Allons-y.
L’ensemble des réductions scales proposées par les Républicains
depuis l’entrée de Trump à la Maison-Blanche va totaliser
1 000 milliards et 500 millions sur 10 ans. À elle seule, la suppression de
l’impôt sur la succession va se traduire par un manque à gagner, pour le
Trésor fédéral, de 239 milliards.
Il faut rappeler qu’avant ce énième cadeau fait aux riches, les
soustractions scales accordées depuis celles de Bush en 2001 faisaient
qu’en octobre 2017, le tableau était le suivant : oui, l’impôt sur la
succession est de 40 %, mais l’héritier ne paye pas un sou d’impôt sur la
première tranche de 5,49 millions. Quant aux héritiers d’un couple, ils
ne payent rien sur les premiers 11 millions.
POSITION NORMANDE SUR L’IRAN
Au milieu du mois, Trump, obligé de se conformer aux règles découlant
de l’accord sur le nucléaire iranien, se prononçait sur le sujet à la
manière des Normands : en substance, il indiquait qu’il était toujours
contre ce traité, mais qu’il ne s’en retirait pas. En clair, si tant est qu’on
puisse l’être à ce propos, Trump s’est rangé à l’avis du secrétaire d’État
Rex Tillerson et du secrétaire à la Défense Jim Mattis, tout en collant
encore et toujours à la promesse faite durant la campagne électorale,
soit de déchirer cette entente avec l’Iran, car « elle constitue le pire
accord que nous ayons jamais signé ».
Après avoir épluché les rapports de la CIA et autres agences de
renseignement concernées par ce sujet, après consultations avec les
représentants des pays qui ont négocié cet accord, Mattis et Tillerson,
soit les personnes directement chargées, aux États-Unis, de gérer les
suites de ce dernier, ont dit et répété à Trump que l’Iran se conformait
aux obligations inscrites dans l’accord en question. Non seulement ça,
ils ont dit et répété à Trump qu’il devrait reconnaître publiquement que
l’Iran observait ses obligations. En vain.
Une fois qu’il eut indiqué qu’il ne voulait pas certi er que l’Iran était
en règle, il a demandé aux signataires du traité autres que l’Iran, soit la
Chine, la Russie, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, de faire
pression sur l’Iran dans le but d’entamer des discussions sur un
nouveau traité. Les diplomaties des trois nations d’Europe de l’Ouest
ont fait savoir rapidement qu’elles y étaient opposées, tout en
soulignant que le traité ayant force de loi s’avérait « le point culminant
de 13 ans de diplomatie ». 13 ans ! Quant au président iranien Hassan
Rohani, il déclarait que son pays ne considérerait « aucun
amendement ».
Lorsqu’on s’attarde à cette position, et notamment à l’obligation qui
est faite au président d’annoncer à intervalles réguliers ses couleurs à
propos de l’Iran, c’est à se demander si sa politique ne relève pas
uniquement de l’entêtement dans la version la plus vaniteuse qui soit.
Car en refusant la certi cation à l’Iran, il sait pertinemment qu’il oblige
le Congrès à se pencher sur le sujet, il sait surtout que pour que la mise
en berne du traité soit commandée, il faut que 60 sénateurs la votent.
Autrement dit, que huit voix démocrates seraient nécessaires. Or ces
derniers, ers justement de ce que l’administration Obama est
parvenue à faire à cet égard, ont martelé qu’il n’en était pas question.
LE « OUAIBE » DE L’HYPOCRISIE FINANCIÈRE
C’est à se demander si parfois la démocratie ne serait pas un objet
politique mal identi é. Oui, on a le droit de vote. Certes, on a le droit
d’expression. Mais lorsque vient le temps d’interroger la qualité
démocratique, voire l’essor de celle-ci, alors là… hou la la ! Tous aux
abris ! Bon. Prenez les jeunesses propriétaires du « ouaibe », « des
Internets » sis dans la Silicone Valley. Quand on leur demande d’être en
représentation sur la place publique en jouant du frisbee aux couleurs
de l’arc-en-ciel d’une main, sirotant un smoothie au litchi de l’autre,
tout en écoutant les formations musicales de « cool California »
disserter sur le sexe des anges, les jeunesses en question n’hésitent pas
à jouer les guignols devant les caméras.
Par contre, quand il s’agit de répondre à leurs inclinations politiques, à
leurs obligations sociales et donc à certains devoirs de transparence que
cela exige, là c’est silence dans les rangs. Tous les rangs, du petit
personnel au grand chef évidemment. Car charité bien ordonnée… Le
19 octobre, deux sénateurs démocrates, Amy Klobuchar, du Minnesota,
et Mark Warner, de Virginie, et le Républicain John McCain, déposaient
un projet de loi visant tout simplement à discipliner les acteurs du Net.
En n ! Baptisé Honest Ads Act, ce projet visait plus particulièrement
Facebook et Google qui s’accaparent 85 % (!) des placements
publicitaires e ectués sur le Web.
En fait, après que diverses agences de renseignement, soit la CIA, le
FBI et la NSA, eurent assuré que les Russes s’étaient invités dans la
campagne électorale a n de la déstabiliser au pro t de Trump, des élus
se sont en n réveillés. D’autant, il faut le souligner deux fois plutôt
qu’une, que la loi fédérale interdit aux étrangers d’investir dans les
élections américaines.
Tout logiquement, les trois auteurs du projet de loi voulaient que les
géants du Web et tous les autres soient obligés de faire ce que l’on exige
des quotidiens, des hebdomadaires, des mensuels, des radios et des
télévisions, soit divulguer l’identité des partis et personnes qui achètent
de l’espace publicitaire à des ns politiques. Sous l’administration
Obama, la Federal Election Commission (FEC) a demandé à plusieurs
reprises aux entreprises concernées de renforcer leur réglementation
en cette manière. Ces requêtes ont toujours été ignorées.
En fait, quand on y songe, les positions récentes formulées par la FEC
sont à bien des égards en contradiction avec la politique xée en
matière de publicité politique en 2006 par cette même commission,
alors que Bush était à la tête du pays. En mars 2006, les six membres qui
composent le conseil d’administration de la FEC votaient à l’unanimité
sur le fait que toute activité politique ne serait pas soumise à la
réglementation à laquelle sont soumis les médias conventionnels.
Il était même précisé que les blogueurs et autres activistes qui
percevraient des sommes découlant de commandites seraient
également exemptés. Cela explique que les frères Koch, Robert Mercer
et autres milliardaires libertariens ont investi des sommes colossales ici
et là dans le Web. En d’autres termes, le sourire permanent de la
directrice des opérations de Facebook, Sheryl Sandberg, et l’air de faux
crédule de son patron, Mark Zuckerberg, cachent une hypocrisie
abyssale, leur entreprise étant, pour une bonne part, une caisse de
résonance de la haine. Point !
PREMIÈRES ACCUSATIONS
Robert S. Mueller III signe un gros coup dans la matinée du 30 octobre :
il annonce que Paul Manafort est accusé d’avoir blanchi des millions et
des millions de dollars et d’avoir camou é les services qu’il a dispensés
en Ukraine pour le béné ce du parti pro-russe dirigé par Viktor
Ianoukovytch. Il avait « omis » en e et de se déclarer comme un
lobbyiste travaillant pour un pays étranger. Son associé et conseiller de
Trump pendant la campagne, Rick Gates, est lui aussi accusé.
Une heure plus tard, Mueller annonçait qu’un autre conseiller de
Trump, George Papadopoulos, était accusé d’avoir menti aux agents du
FBI et d’avoir été complice des agissements des Russes en jouant les
intermédiaires à plus d’une reprise. En fait, on apprenait que cela faisait
des semaines que Papadopoulos avait avoué avoir menti et collaborait
depuis avec les procureurs rattachés à l’équipe de Mueller. Bref, la
nouvelle était particulièrement mauvaise pour Trump.
Car entre les admissions de ce dernier et les échanges de courriels
saisis par les limiers de Mueller, on apprenait que lors d’une rencontre
tenue en juin 2016 à la Trump Tower, des représentants russes o raient
aux responsables de la campagne Trump de les aider de manière à
favoriser la victoire de Trump en leur fournissant des courriels propres
à noircir la réputation de Clinton.
Pour revenir à Manafort, Mueller précisait que ce dernier avait
blanchi pas moins de 18 millions de dollars en achetant des biens
immobiliers, des tapis de grande valeur, des autos de luxe, etc. Il avait
perçu des millions en prenant un soin particulier à ne pas les déclarer !
En d’autres mots, l’homme chargé de la campagne du futur président
des États-Unis était également un escroc scal.
Dans le cas de Papadopoulos, on apprenait aussi que Sam Clovis, qui
dirigea l’équipe de conseillers en a aires étrangères du candidat
Trump, était au courant des multiples contacts que celui-ci avait eus
avec des intermédiaires russes dans le but d’organiser notamment une
rencontre de Trump avec des notables en Russie.
Cela étant, un détail mérite d’être mis en relief car très révélateur de la
méthode Mueller. Plus précisément, de son culte pour la discrétion.
Règle générale, dans les dossiers importants, le ministère de la Justice
invite les avocats à discuter avec les procureurs des accusations qui
seront portées dans les 24 heures contre leurs clients, voire dans
certains cas des arrestations. Dans le cas qui nous occupe, ni les
défenseurs de Manafort ni ceux de Gates n’avaient été mis au parfum
des intentions de Mueller.
On découvrait également que l’usage fait par les Russes des sites
Facebook, Twitter et Youtube, la liale de Google, avait été beaucoup
plus important que ce qui avait été avancé jusqu’à présent. Beaucoup
plus important que ce qui avait été con é par les directions de ces
entreprises. À l’évidence, pour dire les choses platement, les
Zuckerberg, Larry Page et consorts ont logé leurs relations avec l’État à
l’enseigne du mensonge dans sa forme la plus grossière qui soit. Donc
ignoble !
Les chi res dévoilés à ce propos par le New York Times au terme d’une
enquête montrent que les agents russes ont disséminé des messages
aux contenus incendiaires ou faux qui ont atteint 126 millions d’usagers
de Facebook, que 131 000 interventions sur Twitter se sont conjuguées
avec la malveillance, qu’au moins 1 000 vidéos de Youtube relevaient de
la pure imagination.
On a découvert notamment que la rme au patronyme très sobre
Internet Research Agency était en fait un paravent érigé par les agents
russes et qu’elle fut très active plusieurs mois avant l’élection du
8 novembre. Par exemple, Twitter a reconnu que 2 700 de ses comptes
étaient directement liés à l’entreprise russe et que les tweets traitant de
l’élection avaient été lus par 288 millions de personnes.
Facebook a reconnu que 80 000 commentaires négatifs di usés par
son réseau avaient été lus par 29 millions de personnes. Facebook a
reconnu que son service de sécurité avait réalisé que bien des employés
des partis politiques avaient reçu des menaces signées par le groupe
APT28. Signe particulier de ce dernier ? C’est une o cine des services
de renseignements de l’armée russe.
Et qu’a fait Facebook ? Est-il intervenu puisque son principal
conseiller juridique, Colin Stretch, trouvait « très troublants » ces
messages consacrés à la race, à la religion, au port d’armes et aux gais et
lesbiennes ? Niet. Rien de rien. Mais monsieur a promis que Facebook
« est déterminé à prévenir ce genre de choses ». À quel prix SVP ?
Chapitre 17
NOVEMBRE 2017 :
LES FAUX JETONS
DÉCEMBRE 2017 :
A-T-IL TOUTE SA TÊTE ?
É
du Royaume-Uni, soit les proches alliés des États-Unis, faut-il le
rappeler, martelaient que Trump faisait une erreur.
Dans le cas du pape François, on retiendra qu’il collait à la position
adoptée par toutes les parties depuis la création de l’État d’Israël en
1948. À savoir, et pour reprendre ses mots, que « Jérusalem est une ville
unique, sacrée pour les juifs, les chrétiens et les musulmans où sont
situés des lieux saints respectifs aux religions et qui sont vénérés ».
Quoi d’autre ? Jérusalem « a pour vocation particulière la paix ».
Dans le cas du secrétaire général de l’ONU, on retiendra que
« Jérusalem doit être le sujet d’une négociation directe entre les deux
parties sur la base des résolutions du Conseil de sécurité et de
l’Assemblée générale et qui prennent en considération les
préoccupations légitimes des Palestiniens et des Israéliens. Dans ce
moment de grande anxiété, je tiens à souligner qu’il n’y a pas d’autre
choix que la solution des deux États. Il n’y a pas de plan B. »
Quant à l’Union européenne, la responsable des a aires étrangères,
Federica Mogherini, exprima sa crainte « des répercussions qu’elle aura
sur le processus de paix ». Dans un communiqué, elle rappelait que la
position commune des membres de l’UE était que Jérusalem devrait
être la capitale des deux États, israélien et palestinien, et que les
ambassades ne devaient pas déménager tant et aussi longtemps que le
statut nal de cette ville n’aura pas été xé.
Dans la foulée, Mogherini faisait remarquer qu’une résolution de 1980
du Conseil de sécurité condamnait toute tentative d’Israël d’annexer
Jérusalem-Est, car cela reviendrait à violer le droit international.
Histoire de ne pas être en reste, Macron, Merkel, May et le premier
ministre italien Paolo Gentiloni exprimaient chacun et sans aucune
ambiguïté leur opposition.
De l’avalanche de réactions, l’une d’entre elles se démarqua
particulièrement par son mélange de dépit et de découragement, mais
surtout par la fonction de celui qui la formula. Il s’agissait de Saeb
Erekat, au cœur des négociations du côté des Palestiniens depuis
26 ans. Pour la première fois en autant d’années, Erekat contredisait le
chef de l’Exécutif américain sur la base même des discussions qui se
poursuivaient tant bien que mal depuis près de 30 ans.
En e et, lors de son annonce, Trump avait précisé que les États-Unis
étaient toujours favorables à la solution des deux États voisins vivant en
paix. Erekat estimait qu’en quali ant Jérusalem de capitale d’Israël,
Trump avait mis un terme de facto à cette solution. Le négociateur des
Palestiniens estimait que la position de Trump était à ranger au rayon
des mirages. Ce n’est pas tout.
Fort de sa longue expérience, de sa longue fréquentation de
représentants américains et israéliens, Erekat envisageait une solution
pour le moins radicale. Vu le contexte, il estimait que les Palestiniens
devraient abandonner l’idée d’un État indépendant et considérer
l’émergence d’un seul État pour toute la région Israël + la Cisjordanie +
la bande de Gaza, mais où tous les citoyens, soit les juifs et les
musulmans, seraient égaux devant la loi. Autrement dit, qu’il fallait
réorienter les négociations entre les deux parties en fonction de
l’égalité des droits a n d’éviter la création d’un État d’apartheid.
« Ils [Trump et Netanyahou] se sont arrangés pour détruire tout
espoir d’un État. Ils nous laissent sans option. C’est la réalité. Nous
vivons ici. Notre lutte devrait se concentrer sur un objectif : l’égalité des
droits. » À ce commentaire on ajoutera : Erekat sait pertinemment que
jamais les Israéliens n’accepteront l’égalité des droits à cause du facteur
démographique. Les citoyens de confession juive deviendront
minoritaires d’ici 2030.
L’INTOUCHABLE
Elles s’appellent Rachel Crooks, Samantha Holley et Jessica Leeds. À
l’automne 2016, elles avaient con é avoir subi le harcèlement sexuel de
Donald Trump. Quelques semaines plus tard dans certains cas,
quelques mois dans d’autres, des actrices, des animatrices d’émissions
télé ainsi que des stagiaires assuraient sur la place publique avoir été
victimes des assauts sexuels de producteurs, dont le célèbre Harvey
Weinstein, d’acteurs, de réalisateurs ou de journalistes vedettes comme
Bill O’Reilly ou Charlie Rose.
Dans pratiquement tous les cas, ces révélations furent le fruit d’un
long et patient travail des journalistes du New York Times et du New
Yorker. À cette cascade de témoignages s’ensuivit une cascade de chutes
des personnes coupables de ces agressions, à une exception notable :
Trump. En e et, contrairement à un Weinstein ou un Kevin Spacey, il
fut épargné.
Évidemment outrées par l’indi érence à l’endroit des écarts
physiques et verbaux du chef de l’Exécutif et notamment pour les abus
commis en tant que copropriétaire de la franchise Miss Univers, ces
femmes revenaient à la charge le 11 du mois. Des élus démocrates
estimaient que la gravité de gestes commis, la crédibilité des
témoignages, commandaient la démission de Trump.
Invitée à préciser la position de la Maison-Blanche, la porte-parole
Sarah Huckabee Sanders formula le commentaire suivant : « Lors d’une
élection décisive, les citoyens de ce pays ont accordé leur soutien au
président Trump et nous estimons que les réponses à ces allégations
ont été apportées lors de ce processus. » Fermez le ban !
MONDIALISATION DU FAUX-SEMBLANT
Au terme de l’année 2017, les maîtres en linguistique du dictionnaire
Collins concluaient une équation au résultat vertigineux : le recours à
l’expression « Fake news » avait augmenté de 365 % en un an. Il n’en
fallait pas plus pour que l’expression en question soit sacralisée « mot
de l’année » par Collins. Le moteur de cette montée en puissance de la
socialisation du mensonge a pour nom propre Donald Trump.
Évidemment. Trump, mais aussi tous ceux qui l’ont imité, lui et celui
qui les a tous inspirés : l’ex-agent du KGB Vladimir Poutine.
Cette guerre incessante, cet usage permanent du Fake news contre la
pensée critique, d’ailleurs sans précédent depuis les années 1930, a ceci
d’extrêmement grave qu’elle est menée par un front commun qui
rassemble Trump, Poutine et tous les autocrates et dictateurs de la
planète. Comme s’il y avait eu une fédéralisation de la perversion
politique. Ce qui nous rappelle ce qu’Hannah Arendt avait constaté lors
du procès d’Adolf Eichmann auquel elle assista : « C’est dans le vide de
la pensée que s’inscrit le mal. »
Toujours est-il qu’après avoir été le tambour-major du « Fake-
machin », Trump et ses préposés à l’abrutissement ont favorisé
l’emprisonnement et le meurtre de journalistes ici et là dans le monde.
Oui, mille fois oui. The Cambodia Daily publie un article critique à
l’endroit du premier ministre Hun Sen ? Ce dernier ordonne la
fermeture de ce quotidien et l’emprisonnement de ses journalistes
avant de rajouter : « J’ai un message pour le président [Trump], votre
attaque contre CNN est justi ée. Les médias américains sont très
mauvais. »
En Turquie, en Syrie, au Venezuela, en Hongrie, en Pologne, en Libye,
en Chine, en Thaïlande, aux Philippines et bien évidemment en Russie,
non seulement les médias locaux subissent les agressions des
dirigeants, mais aussi les médias étrangers et en particulier CNN.
Même les rapports des ONG Amnistie internationale, Human Rights
Watch et Transparency International sont ramenés désormais au rang
des Fake news.
Dans la majorité des cas, les chefs d’État qui s’en sont pris aux
journalistes se sont servis de Trump comme caution. Souvent comme
suit : « Le président Trump en personne a dit que CNN… » Ce qu’il y a
d’e rayant dans cette histoire, c’est qu’en Occident, les méfaits de
Trump contre l’un des principaux socles de la démocratie n’ont pas
suscité des réactions à la mesure de la gravité inhérente à la
construction d’une réalité alternative.
Il est vrai que la logique des droits l’ayant emporté sur l’observation de
l’équilibre entre les droits et devoirs qui incombait à tout citoyen… C’est
à se demander si le devoir de s’informer ne concerne pas uniquement
les abonnés absents ! Après tout, nous vivons dans un univers parallèle,
non ?
DISNEY S’EMPARE DE FOX
Le jour même où la FCC annonçait l’abolition de la neutralité du Net,
voilà que Disney et 21st Century Fox dévoilaient avoir conclu l’entente
suivante : le premier faisait l’acquisition du second moyennant un
échange d’actions totalisant 52,4 milliards. Grosso modo, dans la foulée
de cette acquisition, Disney sera en mesure de gre er les studios
cinéma et télévision de 21st Century à son réseau et de se transformer
en mastodonte des géants de « l’entertainment » en général et
d’Hollywood en particulier. Rupert Murdoch, principal actionnaire
jusqu’alors de Century, avait soustrait le réseau Fox News de la
transaction. Bref, Murdoch avait décidé de se concentrer sur
l’information et le sport.
Robert A. Iger, président-directeur général de Disney, avait fait les
premiers pas. Il voulait acheter à tout prix un fabricant de contenus
contre des milliards et des milliards a n d’éto er son o re de produits
divers. La pression inhérente à la montée en puissance de Net ix,
Google et autres avait convaincu le patron de Disney qu’un changement
profond du modèle d’a aires était inévitable si on voulait éviter la
déchéance à long terme.
Dans les semaines antérieures à cette transaction, Iger et ses proches
collaborateurs avaient imprimé une modi cation importante sur la
stratégie de l’entreprise : o rir aux consommateurs deux réseaux
proposant la di usion de lms en continu. Pour dire les choses
platement, mettons qu’Iger voulait s’appliquer à l’édi cation de deux
Net ix d’ici 2020 au plus tard.
Donald Trump n’étant pas à un paradoxe près, il salua avec
enthousiasme cette acquisition, alors que quelques semaines
auparavant il avait dit vouloir s’opposer à l’achat de Time Warner par
AT&T. La clé de cette posture ? Murdoch est le propriétaire de Fox
News, caisse de résonance par excellence de l’adoration de sa personne,
alors que Time Warner est propriétaire du réseau qu’il déteste entre
tous : CNN.
À ce propos, il faut rappeler et souligner qu’à la n de novembre, le
ministère de la Justice avait annoncé qu’il poursuivait AT&T et Time
Warner. L’objectif ? Tuer dans l’œuf l’achat envisagé par AT&T au
montant record de 85,4 milliards.
PAUVRE REX
Depuis son entrée en fonction, le secrétaire d’État n’a jamais épousé les
vices de la mauvaise volonté en diplomatie. Dans son cas, on ne doit
jamais oublier qu’en tant qu’ex-président d’Exxon-Mobil, il a parcouru
le monde et négocié mille et un contrats avec divers dirigeants sur les
cinq continents du globe. En un mot comme en cent, sa connaissance
du monde était et reste mille fois supérieure à celle du président.
Sa connaissance du monde (bis) étant ce qu’elle est, soit passablement
vaste, il appartenait au camp des réalistes. Au camp des pragmatiques
qui ont compris ou accepté que le monde était multipolaire. À la grande
di érence de son patron, pas une fois il n’a eu recours aux mots ou
expressions des va-t-en-guerre.
C’est fort probablement pour cela, ce penchant pour l’apaisement
plutôt que pour la confrontation, que le 13 décembre, il a déclaré :
« Nous sommes prêts à discuter à n’importe quel moment avec la Corée
du Nord, si celle-ci le souhaite et nous sommes prêts à ce que cette
première rencontre ait lieu sans condition préalable. » Ce faisant,
Tillerson savait fort bien qu’il prenait à contre-pied la position de
Trump. À savoir, qu’il ne peut y avoir de négociations tant et aussi
longtemps que la Corée du Nord n’aura pas pris l’engagement de
suspendre son programme nucléaire et ses essais de missiles.
Le soir même, la Maison-Blanche faisait un geste inusité. Par le biais
d’un communiqué de presse, elle désavouait son secrétaire d’État en
arguant que la « Corée du Nord agit de manière dangereuse non
seulement à l’endroit du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud, mais
également à l’endroit du monde. Les agissements de la Corée du Nord
ne sont bons pour personne et certainement pas pour la Corée du
Nord. »
Au moment où la polémique entre Tillerson et la Maison-Blanche
était constatée, on apprenait qu’en fait l’Exécutif américain préparait le
terrain pour le remplacement du secrétaire d’État par le directeur de la
CIA, Mike Pompeo. Ce dernier se distinguait de Tillerson en étant au
diapason de la position de Trump, soit une pression maximale sur la
Corée du Nord.
Cinq jours après l’intervention de Tillerson, Trump élargissait sa
politique de pression maximale à la Russie, la Chine et l’Iran, tout en
mettant en relief une conception carrément impérialiste des relations
entre les États-Unis et leurs alliés. En substance, Trump disait aux
alliés, et aux Européens en particulier, nous sommes prêts à collaborer
avec vous en autant que cela se fasse dans des termes avantageux pour
nous. Reprenons.
L’élargissement évoqué fut décliné lors de la présentation du livre
blanc de l’administration Trump consacré à la sécurité du pays. Selon
ses concepteurs, la concurrence entre les grandes puissances du globe
était de retour après « une vacance », pour reprendre leurs mots, de
30 ans. Trump et les siens jugeaient que la Chine et la Russie étant
redevenues agressives, il fallait renforcer dès aujourd’hui l’arsenal
militaire des États-Unis.
Le livre blanc soulignait que la Chine et la Russie « étaient
déterminées à transformer les économies de manière qu’elles soient
moins libres et moins équitables, à accroître leurs puissances militaires,
à contrôler l’information et les données a n de mieux réprimer leurs
sociétés et à répandre leur in uence ». De fait, Trump et ses
collaborateurs en la matière suggéraient de prendre le contre-pied de la
politique d’Obama.
É
Alors que ce dernier avait estimé que la sécurité des États-Unis
passait par une collaboration plus étroite avec leurs alliés et leurs
partenaires économiques et par une réduction des arsenaux nucléaires,
Trump, au nom de son America rst, optait pour une contradiction
totale, absolue, de ces choix. Ainsi, pour ce qui est des armes nucléaires,
il martelait « qu’elles étaient le fondement de notre stratégie pour
préserver la paix et la stabilité et pour dissuader de toute agression
contre les États-Unis ». De quoi rappeler le sous-titre du chef-d’œuvre
de Stanley Kubrick, Docteur Folamour : « Comment j’ai appris à ne plus
m’en faire et à aimer la bombe. »
LE NIET DE L’ONU
Le 21 décembre, l’Assemblée générale de l’ONU servait un camou et à
Trump. Par 128 voix contre 9 et 35 abstentions, les membres de cette
organisation dénonçaient la décision de reconnaître Jérusalem capitale
d’Israël. Ce faisant, ces nations dénonçaient également la menace de
Trump de punir ceux qui voteraient contre sa politique.
Fait à retenir qui met en relief l’isolement des États-Unis sur ce
dossier, leurs principaux alliés faisaient partie de la majorité :
Allemagne, France, Japon et Royaume-Uni. Seuls l’Australie et le
Canada se sont abstenus. On se rappellera que depuis la guerre des Six
Jours en juin 1967, la plupart des résolutions votées concernant
Jérusalem et qui ont force de loi sur le plan international stipulaient
que le statut de cette ville n’était pas résolu et que, de fait, toute
réclamation d’Israël à l’e et qu’elle était sa capitale n’était pas valide.
CONTRE LE FBI, CONTRE MUELLER
Au premier jour de l’enquête dont Robert Mueller avait été chargé,
Trump avait jugé que le ministère de la Justice avait déclenché une
chasse aux sorcières dont lui et ses proches étaient les cibles. Donc les
victimes. Bien. Voilà que dans le courant du mois, Trump et ses gardes-
chiourmes en lançaient une et une vraie. Les sujets ? Le personnel de
l’équipe formée par Mueller et des échelons supérieurs du FBI.
Au milieu du mois, Trump critiquait à tout va le FBI en général et sa
direction en particulier, en a rmant une fois encore qu’il était l’objet
des mauvaises intentions des divers agents ou cadres de cette
institution. Son explication ? L’enquête sur ses liens supposés avec des
Russes est un coup monté par les Démocrates. Plus précisément, le FBI
étant un nid de Démocrates ; il s’abstient d’enquêter sur Hillary
Clinton.
Des élus républicains ayant perdu jusqu’à la notion même du devoir
d’État, du service public, multipliaient les échos aux accusations de leur
patron en accusant le FBI d’un penchant favorable aux Démocrates.
Quelques jours plus tard, on apprenait que l’équipe d’avocats au service
de Trump avait quelque peu in échi son attitude à l’égard de Mueller.
Du jour au lendemain, les défenseurs de Trump décidaient de faire le
service minimum en matière de collaboration.
À l’origine de cette modi cation, il y avait une crainte et une grande
frustration. La crainte ? Dans le courant du même mois, Michael Flynn
avait plaidé coupable. De quoi ? D’avoir menti aux agents du FBI à
propos de ses rencontres et discussions avec des Russes haut placés
dont l’ambassadeur à Washington. On se rappellera que Flynn avait
parlé avec le diplomate russe des sanctions imposées par Obama alors
que ce dernier était encore en poste.
La frustration ? Trump avait cru dur comme fer qu’en renvoyant
James Comey et en le remplaçant par Christopher A. Wray, ce dernier
s’emploierait illico à renvoyer tout agent soupçonné de sympathie pour
les Démocrates. Bien évidemment, Wray s’est abstenu de prendre des
mesures qui auraient été taxées de chasse aux sorcières. Et comme les
États-Unis d’Amérique sont la plus grande démocratie du monde, bénie
par Dieu…
Chapitre 20
FÉVRIER 2018 :
QUEUE DE POISSON
Quelle étrange histoire que cette note secrète composée par les
Républicains et consacrée à l’enquête sur les Russes, avalisée par
Trump, puis rendue publique. Quelle drôle d’histoire. Si drôle qu’elle
s’est conclue en queue de poisson. Pour quel camp ? Les Républicains.
Cet épisode aurait été dialogué par Audiard – « J’parle pas aux cons, ça
les instruit » – qu’il serait permis de rire à gorge déployée. Mais voilà,
celui qui a rédigé cette note s’appelle Devin Nunes et non Audiard.
Signe particulier ? Il a un comportement bonapartiste sans l’élégance.
Quoi d’autre ? Au moment des méfaits détaillés ci-après, ce
représentant de Californie était le président de la Commission sur les
renseignements.
Le 2 février, contre l’avis donné conjointement par le ministère de la
Justice et le FBI, Trump permet à Nunes de communiquer une note qui
assure que, sur fond d’enquête sur les agissements des Russes, les hauts
fonctionnaires de ce ministère et la direction du FBI sont de mèche.
Qu’ils poursuivent un complot contre l’actuel président. Et ce, depuis la
campagne des primaires. Dans leur note, Nunes et ses complices
républicains de la Commission et du Sénat a rmaient notamment que
les limiers et les procureurs du FBI avaient forgé de fausses preuves
dans le but de convaincre un juge responsable de dossiers sensibles de
leur accorder les mandats nécessaires à la surveillance des
collaborateurs de Trump.
Ils avançaient notamment que l’état-major du Parti démocrate ainsi
qu’Hillary Clinton avaient payé un ex-espion britannique s’appelant
Christopher Steele a n de fournir des éléments, pour ne pas dire un
scénario, sur les interventions des Russes dans le cadre de la campagne.
CQFD : Robert Mueller étant l’ancien directeur du FBI nommé à la tête
d’une commission spéciale par un ministère de la Justice à la solde des
Démocrates, il devrait jeter l’éponge, puisque lui aussi est forcément de
mèche.
Il est vrai que le FBI a posé sa loupe sur les agissements de Carter Page
qui durant la campagne électorale faisait partie de l’équipe de
conseillers de Trump. Oui, il a été mis sur écoute. Mais cela se faisait
depuis… 2013 ! Soit bien avant que Clinton ainsi que Trump annoncent
qu’ils se présenteraient. Le FBI surveillait Page en raison de ses
fréquents allers-retours entre Moscou et les États-Unis et surtout en
raison de ses agissements et de ses positions sympathiques à Poutine.
Le souci démocratique ayant été ravalé par Nunes et la majorité des
élus républicains à un faux-semblant, une ombre malé que, ils ont
interdit aux Démocrates membres des Commissions sur le
renseignement de publier la note qu’ils avaient composée et dans
laquelle ils avançaient les contre-preuves, et non une stricte opinion,
aux arguments des Républicains. Cela devait convaincre un ancien
mandarin du FBI de sou er dans l’oreille d’un journaliste que pour
mener un complot contre le président, il faudrait convaincre des
douzaines de fonctionnaires du ministère et du FBI et obtenir diverses
permissions d’un juge ripou.
L’étrillage conçu par Nunes et les siens a n de discréditer
durablement les institutions chargées de la loi et l’ordre n’aurait pas été
complet sans l’intervention publique de Trump. Peu après la sortie de la
note, Trump a jugé que « ce qui arrive à notre pays est une disgrâce.
Beaucoup de gens devraient avoir honte d’eux-mêmes, voire
davantage. » Avant de marteler encore une fois que cette histoire faite
de magouilles russes est en fait un « canular » qu’on utilise pour mener
« une chasse aux sorcières » dont il est bien sûr la cible no 1.
Le bout de la queue de poisson a fait son apparition, si l’on peut dire
les choses ainsi, le 16 février. Ce jour-là, Rod Rosenstein, le numéro
deux du ministère de la Justice, s’est présenté à une conférence de
presse avec en main un document de 37 pages. Dans celui-ci, fruit, on
insiste, de l’enquête de Mueller, 13 citoyens russes ainsi que trois
entreprises ayant pignon sur rue aux États-Unis et ayant signé des
contrats avec le gouvernement russe étaient accusés d’avoir poursuivi
un vaste et profond travail de sape a n de faire dérailler le processus
électoral à l’avantage de Trump.
Par le biais notamment de comptes Facebook et Twitter, ces
13 personnes s’étaient présentées comme des militants politiques anti-
immigrants et fervents chrétiens. Grâce à l’enfumage idéologique qu’ils
avaient conceptualisé en amont avec les experts des services
d’espionnage de l’armée russe, ces individus identi és par Mueller
étaient même parvenus à participer à l’organisation de rassemblements
républicains, notamment en Floride.
En agissant de la sorte, en intervenant deux semaines après
l’a rmation de Trump et de Nunes qui réduisait cette histoire à un
canular, Mueller envoyait le message suivant : les faits récoltés au l de
notre travail prouvent de manière irréfutable que les Russes ont miné
le processus électoral des États-Unis d’Amérique. Point.
Quelques heures après la conférence de Rosenstein, le conseiller à la
Sécurité nationale H. R. McMaster, alors qu’il participait à Munich à la
rencontre annuelle des diplomates et experts en sécurité d’Europe et
des États-Unis, soulignait que les faits avancés par Mueller et son
équipe étaient la preuve dé nitive que les Russes s’étaient invités dans
la campagne présidentielle. Ce faisant, il contrariait passablement
Trump et ses proches qui auraient préféré que le responsable de ces
questions adopte pro l bas.
Le 20 février, Trump sombrait dans le nivellement par le bas. Alors
qu’il était président, Obama, a-t-il a rmé, n’est pas intervenu parce
qu’en réalité, il était complice de Clinton. Deux jours plus tard, la queue
de poisson au complet était dévoilée : après les 13 Russes, Mueller
déposait une plainte au criminel contre Paul Manafort et Rick Gates,
associé de Manafort et directeur adjoint de la campagne de Trump.
Selon l’acte d’accusation, Manafort avait notamment blanchi
l’équivalent de 30 millions, dont une portion importante découlait des
contrats de consultant politique qu’il avait contractés auprès du
président pro-russe de l’Ukraine, Viktor F. Ianoukovitch. Au passage,
on retiendra que Manafort avait démontré une sacrée maîtrise du
labyrinthe des paradis scaux.
Le lendemain, coup de théâtre : Gates plaidait coupable aux
accusations portées par Mueller et proposait de collaborer avec lui en
échange d’une réduction de la peine de prison qui lui sera in igée. Non
seulement Gates plaidait coupable, il con ait avoir menti aux détectives
de l’équipe Mueller dans le courant du mois.
Dans la salle des pas perdus où se croisent les malfrats en nœuds
papillon, il y avait un autre menteur : Alex van der Zwaan, avocat au
sein d’un des plus gros cabinets, donc un des plus in uents, en
Occident : Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom. Entre autres
spécialités sur laquelle les associés de celui-ci ne font pas de publicité, il
y avait et il y a toujours la suivante : défendre les intérêts des chefs
d’État les moins recommandables de la planète et de leurs lobbyistes
qui arpentent sans cesse les couloirs du Congrès. Pour faire court, van
der Zwaan a admis avoir menti aux collaborateurs de Mueller.
Le bilan ? En date du 24 février, le procureur spécial Mueller, aussi
impavide qu’Henry Fonda dans Douze hommes en colère, avait
formellement accusé 34 individus et 3 sociétés de 100 crimes ou
fraudes. Tout ça, sur la base d’un canular ? Ad augusta per angusta, ce
qui en langue franque signi e : À des résultats grandioses par des voies
étroites. Ave !
LA DÉFENSE AVANT LA SANTÉ
Au terme de la première semaine du mois, les patrons des sénateurs
démocrates et républicains concluaient une entente budgétaire. Mitch
McConnell pour les seconds et Chuck Schumer pour les premiers
annonçaient que la limite imposée aux dépenses avait été modi ée
conformément aux souhaits exprimés par Trump. En un mot, le budget
des dépenses était augmenté de 300 milliards sur deux ans.
De la valse des montants induits par cet accord, le Pentagone, et donc
les entreprises qui gravitent autour en permanence, étaient les
principaux béné ciaires. Plus de la moitié du total, 165 milliards pour
être exact, leur reviendrait. Les autres postes de dépenses, soit la santé,
l’éducation, l’environnement, les infrastructures, la fonction publique,
etc. se partageront 131 milliards.
Histoire d’illustrer la préséance prononcée accordée aux armes sur
l’empathie humaniste on retiendra, par exemple, que le budget alloué
aux soins médicaux nécessaires aux enfants a été augmenté de
5,8 milliards sur deux ans. Celui alloué à la santé mentale et aux
contrecoups de l’épidémie des opioïdes de 6 milliards également sur
deux ans. Bref, une fois encore, le dilemme antique de la science
économique – du beurre ou des canons – était réduit en miettes par les
élus « de la plus meilleure démocratie du monde-mondial ».
DES AGRESSIONS, DEUX DÉMISSIONS
Le 7 février, Rob Porter démissionnait. Il occupait le poste clé de
secrétaire du personnel du cabinet. En d’autres termes, c’était le
principal adjoint de John Kelly, le directeur de cabinet. Deux jours plus
tard, David Sorensen en faisait autant. Il était jusqu’alors rédacteur des
discours du président. Les deux étaient accusés d’agressions physiques
et morales par leur ex-femme.
Parmi les faits troublants que cette a aire expose, l’un mérite une
attention particulière : la protection ou à tout le moins la mansuétude
dont ces deux-là ont béné cié. De la part de qui ? Trump et Kelly. Ils
savaient ou plus exactement ils ne pouvaient pas ne pas savoir.
Car pour obtenir l’habilitation de sécurité qui va avec leurs fonctions,
tant Porter que Sorensen ont été les sujets obligatoires des enquêtes
des agents du FBI. Ces derniers ont interrogé les uns et les autres et
leur ex-femme en particulier pendant des jours et des jours. Ces
dernières ont dévoilé les noirs secrets de leur ex-mari. L’une disposait
même d’une photo d’elle prise à la suite des mauvais traitements de
Porter. L’autre a fait référence à un enregistrement téléphonique de la
police alors qu’elle avait appelé à l’aide.
Les coups portés à plus d’une reprise avaient convaincu le FBI de
recommander notamment que l’habilitation de sécurité ne soit pas
accordée à Porter. Pour la première fois dans l’histoire moderne de la
Maison-Blanche, on avait interdit au numéro deux du cabinet un accès
aux dossiers sensibles. Kelly et Trump avaient été informés par le FBI.
Donc cela faisait des mois qu’ils avaient été mis au parfum.
Comment le président et celui qui est de facto son chef de
gouvernement ont-ils réagi ? Kelly a dit qu’il ne savait pas. « J’ai été
estomaqué par les nouvelles accusations portées contre Rob Porter […]
tout individu a le droit de défendre son intégrité. » Bref, Kelly a servi le
cocktail fait de langue de bois et de poncifs.
Et Trump ? Après avoir défendu l’animateur de Fox News Bill O’Reilly,
après avoir défendu le juge Roy Moore lors de la primaire pour le poste
de sénateur de l’Alabama, deux agresseurs sexuels, faut-il le rappeler,
Trump a été dèle à lui-même. Il a pris le parti de l’agresseur.
Dans un de ses tweets, il écrivait : « Les vies de personnes ont été
brisées, détruites par de simples allégations. Certaines sont vraies et
certaines sont fausses. Certaines sont vieilles et certaines sont
nouvelles. Toute personne accusée à tort ne s’en remet jamais – sa vie et
sa carrière sont nies. » L’obligation d’arbitrage, d’équilibre, qui
incombe au président ? Il s’en moque pour mieux mentir.
Oui, il a menti. Lui et ses proches collaborateurs, comme la porte-
parole Sarah Huckabee Sanders et surtout Donald F. McGahn II, avocat
de la Maison-Blanche, avaient été mis au parfum. En e et, lors des
audiences devant la Commission sénatoriale sur les renseignements,
tenues une semaine après la démission de Porter et les réactions
o cielles que celle-ci a provoquées, le directeur du FBI, Christopher A.
Wray, a souligné que les membres de l’état-major de la présidence
avaient été informés à trois reprises – mars, juillet et novembre 2017 –
que Porter avait agressé ses deux ex-femmes à plusieurs reprises.
On répète, Trump et les siens ont menti dans les grandes largeurs et
plus d’une fois.
LES FOUS DE DIEU
Lorsque George Bush père avait succédé à Ronald Reagan, il avait
ordonné à ses collaborateurs de tenir les évangélistes, les fous de Dieu,
le plus loin possible de la Maison-Blanche. On l’a vu, lorsque son ls
George Walker succéda à Clinton, il s’appliqua à prendre son père à
contre-pied. On l’aura compris, les intendants de la Bible obtinrent un
droit de présence, et donc de parole, au cœur du pouvoir. Avec Trump,
les relations entre le chef de l’Exécutif et les inféodés aux ctions
religieuses devaient prendre une tournure nouvelle.
Après avoir épluché l’agenda de la Maison-Blanche depuis l’arrivée de
Trump, des journalistes des grands quotidiens ont calculé que le
nombre moyen d’évangélistes qui se rendaient sur place jour après jour
était de 20. Il ne se passe pas une journée sans qu’une vingtaine de
portiers des canons de la chrétienté se rendent à la rencontre du
président ou de son directeur de cabinet ou de tel conseiller. Pour
demander ceci, pour exiger cela.
Tous ces religieux ont pro té au maximum de l’attention que le
45e président leur a accordée avec générosité et constance. Ici, il faut
rappeler que 80 % des évangélistes avaient voté pour lui, que pour la
première fois depuis 2004 la majorité des catholiques avaient
également voté pour lui, etc.
Pour faire court, les trois quarts des croyants du pays ont opté pour le
candidat des riches. Et après, ils viendront nous faire la causette sur le
message biblique en général et l’amour des pauvres en particulier alors
qu’ils excellent avant tout dans la défense de leurs pédophiles ! Non ?
Attardez-vous aux faits et chi res, nom de Dieu !
Toujours est-il qu’au cours de la première année du mandat de Trump,
ces évangélistes ont beaucoup obtenu. Ils demandaient depuis des
lunes que Jérusalem soit sacrée capitale de l’État d’Israël ? Trump s’est
plié à leur requête. Ils voulaient que le président rende plus di cile
l’accès à l’avortement sans prendre en considération l’avis des femmes,
dont on oublie trop souvent qu’elles sont le sujet d’une misogynie
théorisée par les pères de l’Église – saint Augustin : « Homme, tu es le
maître, la femme est ton esclave, c’est Dieu qui l’a voulu » ? Trump s’est
plié à nouveau.
Dans le but de renverser la légalisation de l’avortement décidée en
1973 par la Cour suprême à la faveur du procès Roe c. Wade, Trump a
nommé un juge pro-vie au sein de ce tribunal : Neil Gorsuch. Les
évangélistes réclamaient que la religion imprime son in uence sur
l’appareil d’État sur une base régulière, donc non accidentelle ou
épisodique ? Trump a décrété la création de la Division de la liberté
religieuse et de conscience au sein du ministère de la Santé et des
Services sociaux.
Quoi d’autre ? Les évangélistes espéraient l’abolition de l’amendement
Johnson qui menace les organisations religieuses de perdre leurs
avantages scaux si elles soutiennent des candidats aux élections ?
Trump s’est engagé à entamer ce combat législatif. On passe sur les
autres avantages accordés à la cohorte des militants de la croisade
permanente pour mieux rappeler que pour les gures de proue du
mouvement, les politiques arrêtées par Obama, notamment celles sur la
santé, consistaient à faire le lit de l’Antéchrist. C’est à se demander si ces
gens-là n’ont pas fumé la myrrhe des rois mages.
LE TRAIN DES DÉMISSIONS
La note confectionnée par le représentant Nunes et des bonzes
républicains sur le complot poursuivi par le ministère de la Justice et le
FBI, combinée aux attaques de Trump à l’e et que les hauts
fonctionnaires de ces organisations devaient avoir honte, a eu un écho
inattendu. Au milieu du mois, Rachel L. Brand, la numéro trois du
ministère de la Justice, annonçait sa démission.
Républicaine bon teint, elle avait été nommée à ce poste par Je
Sessions en mai 2017. Sa fonction consistait d’abord et avant tout à
épauler le numéro deux de ce ministère dans l’enquête menée par
Robert Mueller. Elle supervisait notamment les départements des
droits civiques et de l’anti-trust. Bien.
Pour dire les choses platement, Brand a quitté son poste parce qu’elle
a craint que Rosenstein ne soit renvoyé et qu’elle soit donc dans
l’obligation d’assurer l’intérim, voire qu’elle soit nommée. En fait, elle a
eu peur. C’est d’ailleurs en cela que cet épisode est intéressant : il met en
relief les séquelles inhérentes à la politique de l’e roi.
WALL STREET SE MARRE
À la faveur d’analyses, d’audiences au Sénat et interrogations diverses
sur la Crise de 2008, la pire depuis celle des années 1930, tous devaient
réaliser que les principales causes de celle-ci ne relevaient pas de
phénomènes économiques classiques, mais bien d’un ensemble
d’escroqueries e ectuées aux dépens des citoyens.
A n d’étou er tout recours à la malversation des chi res, au tripotage
nancier, Preet Bharara, procureur général du tribunal du sud de New
York, avait décidé en 2013 que la surveillance de Wall Street serait sa
priorité. C’est lui qui devait accuser notamment Steven Cohen,
fondateur de SAC Capital Advisors, et ses associés de fraude massive.
De fait, il imposa une pénalité de 1,8 milliard de dollars à ce dernier et
une interdiction d’exercer pendant 5 ans.
Une fois l’interdiction levée, que constatait Cohen ? Que Trump s’est
débarrassé de son pire ennemi, soit le procureur Bharara. Quoi d’autre ?
Il venait de réduire le taux d’imposition des gestionnaires de fonds et il
avait amputé le champ d’action de ce qui était devenu la bête noire de
Wall Street : le Consumer Financial Protection Bureau (CFPB).
On se rappellera qu’au lendemain de la Crise, Obama qui s’était rendu
compte qu’il n’existait aucun organisme voué à la protection des
consommateurs fonda le CFPB. À sa tête, il nomma l’ancien procureur
général de l’Ohio Richard Cordray. À la n de 2016, donc un mois avant
l’entrée en fonction de Trump, Corday avait récupéré 12 milliards de
dollars des magouilles conçues par les tartu es de la scène nancière.
Bien.
En novembre 2017, à la suite de pressions, Cordray démissionnait.
Pour le remplacer, Trump opta pour Mick Mulvaney, son directeur de
budget qui avait quali é le CFPB de « farce ». Cela souligné, on
comprendra qu’à l’annonce de cette nomination, Wall Street a applaudi.
Ce n’est pas tout.
Parmi les dispositions qui balisent le mandat de ce bureau et son
périmètre, l’administration Obama avait xé la suivante : son patron
doit demander une prolongation budgétaire chaque trimestre. Février
arrive. Il faut renouveler le budget, que fait Mulvaney ? Il demande 0 $.
En clair, aux yeux de monsieur, l’intérêt du consommateur, sa
protection, ne vaut même pas une roupie de sansonnet.
PLUS À L’UN, MOINS À L’AUTRE
Une semaine après l’entente scale signée par les leaders démocrates et
républicains et portant sur le plafond de la dette, la Maison-Blanche
présentait son budget. Premier constat, et non des moindres, les
restrictions budgétaires dans les programmes sociaux, l’éducation, la
santé, l’environnement et autres s’avéraient plus importantes que celles
convenues par les membres du Congrès.
En fait, en partisan vraiment fanatique de la réduction de l’État en un
squelette, exception faite évidemment de la défense, Mulvaney,
directeur du budget, a décidé d’abaisser la cible budgétaire établie par
les élus une semaine auparavant de 57 milliards. Il a notamment décidé
de soustraire de manière draconienne les sommes accordées aux aides
alimentaires. Dans le cas du Supplemental Nutrition Assistance
Program, la baisse est de 30 % sur 10 ans. Pratiquement un tiers !
Par contre l’armée, elle, il s’est appliqué à la gâter d’une hausse de
200 milliards sur 2 ans. Au passage, on notera que les Républicains qui
hurlaient contre les politiques d’Obama en la matière au nom de
l’équilibre n’ont pas dit un mot à propos du dé cit de 984 milliards
prévu par Mulvaney ou 7 000 milliards sur 6 ans.
Simultanément au dévoilement du budget et aux justi cations
formulées – nos programmes sociaux favorisent le chômage –, on en
apprenait des vertes et des pas mûres sur l’armée et donc sur les
entreprises qui lui fourguent plus souvent qu’on ne le pense des engins
qui ne sont pas vraiment au point. Autrement dit, il est naturel (sic) de
culpabiliser Joe Six-Pack, de le rendre imputable de tout, de rien et du
chômage en particulier, mais pas le militaire, car lui appartient à la
caste des seigneurs, n’est-ce pas ? Pourtant, les chi res, quand on les
regarde, les soupèse, ils donnent le vertige. Celui qui se fond avec le
malaise.
Prenons le programme de défense des missiles antimissiles. En 30 ans
de recherche (30 ans !), il a coûté 200 milliards. Mais voilà, comme le
système n’est pas au point, Trump a décidé d’augmenter son budget de
14 milliards pour l’exercice 2018 après l’avoir haussé de 10 milliards lors
de l’exercice antérieur. Et ce, en clamant que ce système était e cace à
97 % alors qu’en réalité il l’est à 50 %. On répète : 200 milliards, 30 ans
et 50 %.
Pour dire les choses platement, le défaut du programme est en fait le
cœur de celui-ci. Il a pour nom propre le Ground-Based Midcourse
Defense. Sa mission ? Sanctuariser le territoire américain. Depuis 1999,
18 tests ont été e ectués. Résultat ? Huit d’entre eux ont été des échecs.
En 2016, la direction du Pentagone en personne a conclu que ce
système avait une capacité de défense limitée. On répète (bis) :
200 milliards, 30 ans et 50 %.
LES PORTES TOURNANTES
Dans le courant du mois, un record inquiétant se con rmait : jamais
dans l’histoire des États-Unis on n’avait observé un roulement de
personnel aussi régulier qu’intense. À la suite des trois démissions
enregistrées au cours du mois, le roulement en question a atteint les
34 % soit deux fois plus que Reagan qui détenait le précédent record et
trois fois plus que son prédécesseur immédiat : Obama.
Les gens partent soit parce que le grand patron les a virés, soit parce
qu’ils ne le supportent plus, soit, lorsqu’ils ne sont pas en lien direct
avec lui, parce que l’atmosphère est devenue irrespirable. Derrière les
rideaux, il se chuchote en e et que l’exigence de loyauté à l’endroit de
Trump a induit une gestion du personnel rythmée par la paranoïa.
Détaillons.
Depuis que Trump est président, et pour ne parler que des postes les
plus importants, il y a eu deux conseillers à la sécurité nationale, trois
conseillers adjoints à la sécurité nationale, cinq directeurs des
communications, un chef de la stratégie, un directeur de cabinet, un
ministre de la Santé, plusieurs directeurs de cabinet adjoints, son
équipe d’avocats privés. etc.
Le hic, c’est que la réputation de Trump étant ce qu’elle est, bien des
postes demeurent vacants quand on ne demande pas à certains
d’accepter un cumul de fonctions. Et voilà qu’ici et là on dit que Rex
Tillerson ainsi que Je Sessions n’en ont plus pour longtemps.
Autrement dit, la gestion de la première puissance du globe se confond
avec le tumulte.
L’ AFFECTION POUR LA BESTIALITÉ
Le mercredi 14 février, Nikolas Cruz, un jeune homme de 19 ans, se rend
dans les couloirs du Marjory Stoneman Douglas High School, à
Parkland, en Floride. Entre ses mains, il tient un fusil semi-
automatique AR-15. Il lance des bonnes lacrymogènes, histoire
d’enfumer les lieux. Puis, il actionne le système d’alarme. Croyant qu’il y
a un incendie, des dizaines de gamins et de gamines se ruent dans les
couloirs. C’est alors que Cruz se met à tirer sur ses anciens camarades. Il
avait été renvoyé quelques mois plus tôt de ce collège.
Cruz tue 17 élèves et en blesse beaucoup d’autres. A n que son carnage
soit le plus ample possible, il con era avoir fureté dans certaines classes
dans l’espoir de trouver, et donc de tuer, des adolescents qui se seraient
cachés. Après ce massacre, Cruz se rendra dans un Walmart, puis
achètera une boisson gazeuse dans un Subway avant d’aller dans un
MacDo. À 3 h 40, la police le fera prisonnier et retiendra qu’il était
calme. Totalement indi érent au chapelet d’horreurs dont il fut le chef
d’orchestre.
Après avoir épluché quand et comment il s’était procuré un AR-15, les
autorités ont découvert qu’il en avait fait l’acquisition en février. En fait,
de cet aspect du dossier, il faut retenir mille fois plutôt qu’une, qu’en
Floride il est plus facile de se payer un fusil semi-automatique qu’une
arme de poing. On retiendra surtout que l’addition des 17 jeunes tués
par Cruz à tous ceux qui l’ont été depuis la saignée e ectuée à l’école
primaire de Sandy Hook dans le Connecticut, en 2012, a établi à 400 le
nombre d’êtres humains fusillés dans les sanctuaires de l’éducation.
Dans les jours qui ont suivi, une vague d’étudiants s’est formée à
travers le pays pour exiger ce qui dans la majorité des pays est la
norme : un meilleur contrôle du commerce des armes. Parmi ces
étudiants, David Hogg, un survivant de Parkland, s’était fait remarquer
par son éloquence. Une semaine après la tuerie, il devenait la vedette
par défaut d’une vidéo di usée par Youtube et regardée par des
centaines de milliers de personnes.
Dans cette vidéo qui en dit long sur la nature humaine, son réalisateur,
un certain Mike M., a rmait que David Hogg était un acteur ainsi
d’ailleurs que les survivants. Que tous étaient complices dans le
complot visant à déstabiliser la NRA, le commerce des armes et à abolir
le deuxième amendement.
L’audience qu’eut cette vidéo faite par un homme qui n’a eu ni le
courage ni la franchise de son opinion – il ne s’est jamais identi é –,
devait convaincre Wayne LaPierre, le patron de la NRA, et Dana Loesch,
la porte-parole de cette organisation, de faire des sorties publiques où
l’inhumanité allait se disputer le fanatisme. Tenez-vous bien.
Pour M. LaPierre, les Démocrates, de connivence avec les médias, ont
voulu pro ter de ce dernier massacre pour poursuivre leur complot
« socialiste » qui vise rien moins « qu’à éradiquer les libertés
individuelles ». La politisation « honteuse de cette tragédie est une
stratégie classique puisée dans le manuel d’un mouvement toxique. Ils
détestent la NRA. Ils détestent le deuxième amendement. Ils détestent
les libertés individuelles. » Sa solution pour réduire le nombre de
tueries ? Engager des gardiens armés.
Quant à Miss Loesch, égérie de l’extrême droite depuis son
association avec le site Breibart News, elle a d’abord fait écho aux
propos de son patron. À savoir que « comme d’habitude, les
opportunistes n’ont pas perdu une seconde pour exploiter cette
tragédie à des ns politiques. » Puis elle enfonçait le clou de la haine :
« La plupart des médias aiment les tueries de masse. Vous les
journalistes aimez ça. Je ne dis pas que vous aimez la tragédie, mais je
dis que vous aimez les tirages, les audiences. Voir des femmes blanches
pleurer, c’est de l’or… »
Histoire de ne pas être à la traîne de ces deux personnages, les élus
républicains devaient pousser leur manque de courage – ils béné cient
tous du nancement de la NRA pour leurs campagnes – en empruntant
à leur dictionnaire des poncifs. Leader des Républicains à la Chambre,
Paul Ryan jugeait qu’actuellement on ne dispose pas d’assez
d’informations pour légiférer. Ah bon ! 400 morts en 5 ans, juste dans
les écoles, ce n’est pas assez ? Nom de Dieu !
Cela n’a pas empêché l’administration chargée de superviser le
commerce des armes, soit le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and
Explosives (BATFE), d’être constamment a aiblie par les e orts
combinés des Républicains et de la NRA. Au cours des 12 dernières
années, il n’y a pas eu de directeur permanent pendant 8 ans ! Son
budget étant abonné à la rubrique réduction, seulement 117 des
141 agents qui avaient démissionné ou pris leur retraite en 2017 ont été
remplacés. Depuis lors, 24 agents sont partis, aucun n’a été remplacé.
En n, la meilleure des meilleures ou comment la NRA a réussi un
prodige. Cette dernière est parvenue à introduire un amendement
proprement sidérant : au nom de la liberté individuelle, il est interdit au
BATFE d’user des bases de données qui lui permettraient d’établir le
lien entre une arme et son propriétaire. Résultat ? Ses employés
doivent composer avec des tonnes de « documents papier » entassées
dans des entrepôts aussi étendus que les catacombes parisiennes !
BILLY GRAHAM EST MORT
Le 21 février, Billy Graham meurt à son domicile en Caroline du Nord. Il
avait 99 ans. Il fut le confesseur de pratiquement tous les présidents
depuis le début des années 1960 et de Richard Nixon en particulier.
Entre autres faits d’armes, on se rappellera qu’il fut à l’origine du
sursaut des évangélistes amorcé dans les années 1940 et, ensuite, de
leur expansion.
On ne soulignera jamais assez que ces derniers furent à la pointe du
violent combat mené dans les années 1920 contre John Scopes,
instituteur dans une école du Tennessee qui avait enfreint une des lois
de cet État en enseignant la théorie de l’évolution développée par
Darwin. La loi en question stipulait – au XXe siècle ! – que l’homme
avait été créé par Dieu. Il est interdit d’évoquer toute autre hypothèse.
De fait, pendant son long parcours de prêcheur, Graham restera
l’avocat en chef de la création divine. Cela devait l’amener, à bien des
reprises, à exposer sa haine des Lumières. Par exemple, plutôt que de
dire la France, il aimait bien dire, sur le ton du dédain, « le pays de
Voltaire », le sien étant celui de Popeye.
Sa fréquentation des présidents en général et de Nixon en particulier
devait permettre, pour reprendre un mot cher aux croyants, « une
révélation » : l’antisémitisme de ce triste sire. Au cours d’une
conversation avec Nixon, une conversation enregistrée au début des
années 1970, Graham et son cher président a rmaient que les Juifs
libéraux contrôlaient les médias et qu’ils étaient responsables de la
pornographie. Houla !
Dire, en l’espèce, que Graham eut un comportement féodal
reviendrait à insulter le Moyen Âge. Un comportement digne de l’âge de
fer ? Là encore ce serait formuler une injure, cet âge ayant été
caractérisé par l’idée de progrès si contraire à l’ADN de la Bible. Alors
l’âge de pierre ? Exactement. Fermons le ban !
COHEN ALLONGE LES BILLETS
À la mi-février, Michael D. Cohen, avocat personnel de Trump, con ait
qu’il avait remis la somme de 130 000 dollars sans dire de manière
explicite que cette somme était en fait un achat. Celui du silence de
l’actrice porno Stormy Daniels. L’a aire étant évidemment sensible,
Cohen accompagnera cette admission d’un communiqué envoyé au
New York Times dans lequel il assurait que le paiement e ectué était
conforme à la loi et qu’il ne peut être quali é comme une contribution à
la campagne de Trump.
À preuve, devait-il préciser, il n’a jamais été remboursé. L’a aire serait
risible si l’homme n’avait pas la réputation d’être une brute. En e et,
tous les journalistes qui avaient couvert la campagne de Trump lors des
primaires puis de la présidentielle ont eu amplement le temps de
réaliser que Cohen était du genre menaçant. Et pour cause : il fut le
« plombier » de Trump des années durant. En d’autres mots, il était
chargé du sale boulot.
Derrière la solution de tous les coups tordus de Trump, on retrouve
Cohen. Dans l’a aire Jill Hart, ex-associée de Trump l’ayant accusé
d’agression sexuelle, l’a aire Karen McDougal, ex-Playmate, l’a aire
Jeremy Frommer, ex-gérant d’un fonds spéculatif, et d’autres, Cohen a
imprimé ses marques soit par le biais de paiements, de menaces ou de
chantage. Et ce, avec la connivence de David J. Pecker, président de
American Media, puissant groupe médiatique, qui comprend
notamment The National Enquirer, Closer, Ok! bref, des magazines à
gros tirages. Grâce au soutien de Pecker, Cohen a pu enterrer des
« sales » a aires et détruire des réputations à coups de fausses
informations.
Chapitre 23
MONOGRAPHIES
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Random House, 2008.
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W , Bob, Fear, Simon & Schuster, New York, 2018.
DOCUMENTAIRES
American Experience (série) : « The Presidents – Ronald Reagan ». Rédaction et réalisation :
Adriana Bosch et Austin Hoyt. Production : PBS. Durée : 270 minutes. 1998.
Frontline: Bannon’s War. Réalisateur : Michael Kirk. Production : PBS. Durée : 60 minutes. 2017.
Frontline: Trump’s Showdown. Réalisateur : Michael Kirk. Production : PBS.
Durée : 120 minutes. 2018.
Why We Fight. Réalisateur : Michael Jarecki. Production : CBC, BBC plus une douzaine d’autres.
Durée : 98 minutes. 2005.