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Bestiaire
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des
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nombres
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- -
Bestiaire des nombres

Twitter : @AnecdotesMaths
Introduction
A l’instar des botanistes, les mathématiciens catégorisent les nombres
entiers, les classant par leurs propriétés. Il faut dire que la flore des
nombres entiers est très riche et intéressante à étudier. Elle renferme
une multitude d’espèces qui possèdent chacune des propriétés par-
fois étonnantes.

∗∗∗

Dans ce bestiaire des nombres, je vous propose de faire un petit


tour d’horizon, non exhaustif bien entendu, de différents types de
nombres. Certains sont surprenants, d’autres amusants. Tous vous
ferons sans doute comprendre que l’imagination des mathématiciens
est sans limite et que, là où certains ne voient que des nombres, eux
voient des êtres aux caractéristiques bien particulières.

∗∗∗

Il n’y a pas besoin de connaissances particulières pour lire ce livre,


qui se veut accessible au plus grand nombre. La majeure partie des
chapitres peuvent être lus indépendamment les uns des autres. Vous
pouvez donc picorer ce livre de la façon qui vous plaît, même si je

-2-
vous conseille de le lire dans l’ordre. Enfin, pour chaque type de
nombres, je vous encourage à tester et à chercher par vous-même
des exemples. Bonne lecture !

-3-
1. Nombres premiers
À tout seigneur, tout honneur, commençons par les nombres pre-
miers. Ce sont les nombres qui possèdent exactement deux diviseurs
positifs : 1 et eux-mêmes.

2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, ...

Les nombres premiers ont été étudiés depuis l’Antiquité et on re-


trouve même dans les fameux Éléments d’Euclide (vers 300 av. J.-C.)
une démonstration du fait qu’il en existe une infinité. Car, oui, aussi
loin que vous irez, vous pourrez toujours trouver des nombres pre-
miers et au moment où ce livre est écrit, le plus grand nombre pre-
mier connu est 282 589 933 − 1 qui ne possède pas moins de 24 862 048
chiffres dans son écriture en base 10.
Les nombre premiers sont fondamentaux car tout nombre entier
peut s’écrire de manière essentiellement unique comme un produit
de facteurs premiers. Par exemple, 10 = 2×5 ou encore 12 = 22 ×3.

∗∗∗

Le plus étonnant est qu’il existe dans les nombres entiers naturels
des « trous » aussi grands que l’on veut dans lesquels il n’y a aucun
nombre premier. Une démonstration de ce fait est la suivante : si

-4-
n > 2 et si on note n! la factorielle de n (voir encadré) alors aucun
des nombres suivants n’est premier :

n! + 2, n! + 3, ... , n! + n

En effet, comme n! et 2 sont divisibles par 2 alors n! + 2 est divisible


par 2 et n’est donc pas premier. De même, n! et 3 sont divisibles par 3
donc n! + 3 est divisible par 3 et n’est pas premier non plus. Etc. Cela
donne ainsi une plage de n − 1 entiers consécutifs qui ne sont pas
des nombres premiers. Comme n est quelconque, vous comprenez
donc bien qu’il existe des intervalles aussi grands qui ne contiennent
aucun nombre premier.

Factorielle d’un entier


La factorielle d’un entier naturel n est le nombre noté n! tel
que :
n! = 1 × 2 × 3 × · · · × n

Par exemple, 4! = 1 × 2 × 3 × 4 = 24.


Comme les nombres 1, 2, 3, ..., n apparaissent en facteurs dans
n!, la factorielle d’un entier n est donc toujours divisible par
tous les entiers inférieurs ou égaux à n.

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2. Nombres chanceux
Pour certains nombres, la vie ne tient qu’à un fil. Certains d’entre
eux réussissent même à échapper à un destin cruel.
Écrivez la liste des nombres entiers à la suite :

1 2 3 4 5 6 7 8 9
10 11 12 13 14 15 16 17 18
19 20 21 22 23 24 25 26 27

Épargnez le nombre 1 puis, en commençant par le nombre suivant,


éliminez ensuite un nombre sur deux de cette liste :

1 3 5 7 9
11 13 15 17
19 21 23 25 27

Épargnez le nombre 3 puis, en repartant du début de la liste, suppri-


mez un nombre sur 3 :

1 3 7 9
13 15
19 21 25 27

Le dernier nombre à survivre après 3 est 7. Il aura donc la vie sauve


mais éliminez un nombre sur 7 de cette liste en partant du début :

-6-
1 3 7 9
13 15
21 25 27

Vous avez compris le principe : vous allez conserver ensuite le nombre


9 et vous allez tuer un nombre sur 9 dans la liste restante. Lorsqu’on
répète cela indéfiniment, on obtient la suite suivante :

1, 3, 7, 9, 13, 15, 21, 25, 31, 33, 37, 43, 49, 51, 63, 67, 69, 73, 75,
79, 87, 93, 99, 105, 111, 115, 127, 129, 133, 135, 141, 151, 159,
163, 169, 171, 189, 193, 195, 201, 205, 211, 219, 223, 231,
235, 237, 241, 259, 261, 267, 273, 283, 285, 289, 297, 303, ...

Tous ces nombres qui n’ont pas été éliminés s’appellent des nombres
chanceux. Ces nombres, découverts en 1956, sont en nombre infini.
Parmi les nombres chanceux, certains sont en plus des nombres
premiers :

3, 7, 13, 31, 37, 43, 67, 73, 79, 127, 151, 163, 193, 211, 223, 241,
283, 307, 331, 349, 367, 409, 421, 433, 463, 487, 541, ...

Mais, pour eux, on ne sait toujours pas s’il en existe une infinité !

-7-
3. Nombres maléfiques
L’imagination des mathématiciens est sans limite et les nombres que
nous allons voir en sont l’illustration.
On dit qu’un nombre entier naturel est maléfique s’il possède un
nombre pair de 1 lorsqu’on l’écrit en binaire (voir encadré). Par
exemple, le nombre 5 s’écrit 101 en binaire et c’est donc un nombre
maléfique. Les informaticiens ont un langage beaucoup moins imagé :
pour eux, un nombre maléfique s’appelle sobrement un nombre de
parité zéro.
Représentation en binaire
Tout nombre peut s’écrire de manière unique comme une
somme de puissances de 2. Par exemple, pour le nombre 13,
on a

13 = 23 + 22 + 20 = 1 × 23 + 1 × 22 + 0 × 21 + 1 × 20

On dira alors que la représentation en binaire de 13 est 1101.

Les premiers nombres maléfiques sont les suivants :

0, 3, 5, 6, 9, 10, 12, 15, 17, 18, 20, 23,


24, 27, 29, 30, 33, 34, 36, 39, ...

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A l’inverse, les nombres qui ne sont pas maléfiques s’appellent des
nombres odieux. Comme chaque nombre possède soit un nombre
pair (maléfique), soit nombre impair (odieux) de 1 dans sa représen-
tation en binaire, dans tous les cas ils ne sont pas gâtés !

∗∗∗

Au fait, en quoi posséder un nombre pair de 1 est-il maléfique ou


odieux ? Il faut savoir que ces termes viennent de l’anglais evil et
odious. Comme un nombre pair se dit even et qu’un nombre impair
se dit odd dans la langue de Shakespeare, vous comprenez que ces
dénominations ont été données malicieusement en raison d’une
proximité orthographique plutôt que d’une quelconque mauvaise
volonté de ces nombres.

-9-
4. Nombres polis et impolis
Un peu de courtoisie ne fait jamais de mal dans la vie de tous les
jours et il en va de même avec les nombres.
Un nombre poli est un nombre qui est la somme d’un certain nombre
d’entiers consécutifs. Par exemple, 3 est un nombre poli car 3 =
1 + 2. Citons aussi le nombre 15 parmi les nombres polis puisque
15 = 4 + 5 + 6. Voici la liste des premiers nombres polis :

1, 3, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23,
24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41,
42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, ...

Vous constatez qu’il y en a beaucoup, à croire que la politesse fait


partie des mathématiques. Cependant, tous les nombres ne sont pas
aussi courtois car il existe des nombres qui ne sont pas polis. Il y en a
même plein et on leur donne le nom très original de nombres impolis.
Qui sont ces nombres qui sont mal élevés ? Que ces malappris se
dénoncent !
Si vous reprenez la liste des nombres polis donnée plus haut, vous
constatez qu’il manque toutes les puissances de 2 :

2, 4, 8, 16, 32, ...

- 10 -
On peut en fait montrer que ces nombres qui manquent de politesse
sont exactement les puissances de deux.

∗∗∗

Un nombre poli peut souvent s’écrire de plusieurs façons comme


la somme d’entiers consécutifs. Par exemple, il existe trois façons
d’écrire 15 comme une telle somme :

15 = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 = 4 + 5 + 6 = 7 + 8

On dira alors que le degré de politesse de 15 est de 3. Ainsi, le degré


de politesse de 9 est 2 car les seuls façons d’écrire 9 comme une
somme de nombres consécutifs est 9 = 4 + 5 = 2 + 3 + 4.
Une façon de trouver le degré politesse d’un nombre n est la suivante :
décomposez ce nombre en produit de facteurs premiers, prenez les
exposants des nombres premiers différents de 2, augmentez les tous
de 1, multipliez-les et retirez 1 à la fin. Par exemple, pour calculer le
degré de politesse de 90, on commence par écrire 90 = 21 × 32 × 51 .
Les exposants des nombres premiers différents de 2 sont 2 (pour le
nombre 3) et 1 (pour le nombre 5). Le degré de politesse de 90 est
donc
(2 + 1) × (1 + 1) − 1 = 5

A vous de trouver ces cinq décompositions maintenant !

- 11 -
5. Nombres heureux
et malheureux
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage... ». Pour les
nombres, inutile de voyager pour être heureux, comme nous allons
le voir.
Prenez un nombre et calculez la somme des carrés de ses chiffres.
Par exemple, si vous considérez le nombre 134, vous obtenez 12 +
32 + 42 = 26. Recommencez avec le nombre obtenu : 22 + 62 = 40.
Répétez ce processus : 42 + 02 = 16, 12 + 62 = 37, 32 + 72 = 58,
52 + 82 = 89, 82 + 92 = 145, 12 + 42 + 52 = 42, 42 + 22 = 20, 22 = 4,
42 = 16, ...
Dans cet exemple, vous constatez que la séquence 4, 16, 37, 58, 89,
145, 42, 20 se répétera indéfiniment.
Si vous aviez choisi le nombre 7 au départ, vous auriez eu la suite de
nombres suivante :

7, 49, 97, 130, 10, 1, 1, 1, 1, 1, ...

Et, dans ce cas, c’est la séquence 1, 1, 1, 1, 1, ... qui se répéterait


indéfiniment.
On peut démontrer qu’en partant de n’importe quel entier, on abou-

- 12 -
tira toujours à l’une de ces deux séquences (« 4, 16, 37, 58, 89, 145,
42, 20, 16, ... » ou « 1, 1, 1, ... »).
On dira qu’un nombre est heureux s’il aboutit à la séquence « 1, 1,
1, ... » (il en faut peu pour être heureux, paraît-il). Lorsqu’il boucle
sur la séquence « 4, 16, 37, 58, 89, 145, 42, 20, 16, ... », on dira qu’il
est malheureux.
La liste des nombres heureux commence de la façon suivante :

1, 7, 10, 13, 19, 23, 28, 31, 32, 44, 49,


68, 70, 79, 82, 86, 91, 94, 97, 100, ...

Et celle des nombres malheureux commence ainsi :

2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 11, 12, 14, 15, 16,


17, 18, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27,
29, 30, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39,
40, 41, 42, 43, 45, 46, 47, 48, 50,
51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 69,
71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 80, ...

Vous constatez qu’il y a donc plus de nombres malheureux que de


nombres heureux. Les nombres seraient-ils en fait déprimés ?

- 13 -
6. Nombres cycliques
La vie n’est qu’un éternel recommencement, paraît-il. Je ne sais pas
si cela est vrai mais il existe des nombres pour lesquels c’est bien le
cas. Les nombres cycliques sont les nombres n tels que les différents
nombres obtenus par permutation circulaire (voir encadré) de leurs
chiffres sont des multiples de n.

Permutation circulaire des chiffres


Lorsqu’on parle de permutation circulaire des chiffres d’un
nombre, on parle de l’opération qui consiste à prendre son
dernier chiffre et à le mettre devant. Par exemple, les permu-
tations circulaires du nombre 123 sont :

1 2 3 3 1 2 3 1 2 2 3 1

Un exemple de nombre cyclique : le nombre 142 857. Les différentes


permutations circulaires de ses chiffres sont :

142 857, 714 285, 571 428, 857 142, 285 714, 428 571

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Tous ces nombres sont bien des multiples de 142 857 car :

142 857 = 142 857 × 1


714 285 = 142 857 × 5
571 428 = 142 857 × 4
857 142 = 142 857 × 6
285 714 = 142 857 × 2
428 571 = 142 857 × 3

Puisqu’ils renaissent de leurs cendres lorsqu’on permute circulaire-


ment leurs chiffres, les nombres cycliques sont aussi parfois appelés
nombres phénix.
On peut montrer que si n est un nombre cyclique alors il est de la
forme n = (10p−1 − 1)/p où p est un nombre premier différent de
2 ou de 5. Attention, cela n’est qu’une condition nécessaire mais pas
suffisante car, par exemple, si p = 11, le nombre obtenu n’est pas
cyclique. En revanche, on s’aperçoit par exemple que les nombres
premiers 7 et 17 donnent naissance à des nombres cycliques de cette
façon. En effet, si p = 7, on retrouve le nombre 142 857 de l’exemple
de départ et si p = 17, on trouve le nombre 588 235 294 117 647
qui est cyclique, si on admet qu’on puisse ajouter un zéro devant
(0 588 235 294 117 647).

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10p−1 − 1
p Cyclique ?
p
3 33 Oui
5 1999, 8 Non
7 142 857 Oui
11 909 090 909 Non
13 76 923 076 923 Non
17 0 588 235 294 117 647 Oui

Si cela vous amuse de vérifier, voici la liste des premiers nombres


premiers p pour lesquels le nombre obtenu de cette façon est un
nombre cyclique :

7, 17, 19, 23, 29, 47, 59, 61, 97, 109, 113, 131, 149, 167, 179, 181, 193,
223, 229, 233, 257, 263, 269, 313, 337, 367, 379, 383, 389, 419, ...

Cela en fait beaucoup. Cependant, si vous considérez que c’est tri-


cher que de mettre un zéro devant le nombre et qu’on exclut de la
définition des nombres cycliques ceux qui commencent par un zéro
(ainsi que les nombres avec un seul chiffre qui se répète comme 111
par exemple)), alors on peut montrer que le seul nombre cyclique
qui existe est 142 857.

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- 17 -
7. Nombres premiers jumeaux
L’expression « les deux font la paire » s’applique particulièrement
bien à certains nombres premiers. Les mathématiciens ont étudié
certains couples de nombres premiers, ce qui a donné naissance à
quelques conjectures toujours non résolues.
Hormis 2 et 3, deux nombres premiers ne peuvent jamais être des
nombres consécutifs car, si vous prenez deux nombres > 2 qui se
suivent, l’un au moins est divisible par 2 donc il ne peut être premier.
L’écart entre deux nombres premiers est par conséquent toujours au
moins de 2.
On dit que deux nombres premiers sont jumeaux s’ils diffèrent de 2.
Par exemple, les nombres premiers 3 et 5 sont une paire de nombres
premiers jumeaux, ou encore 11 et 13.
Les premiers couples de nombres premiers jumeaux inférieurs à 100
sont les suivants :

(3, 5), (5, 7), (11, 13), (17, 19), (41, 43), (59, 61), (71, 73)

Vous voyez qu’il n’y en a finalement pas tant que cela et, pourtant,
une très célèbre conjecture dit la chose suivante :

Il existe une infinité de nombres premiers jumeaux c’est-

- 18 -
à-dire qu’il existe une infinité de nombres premiers p
tels que p et p + 2 soient tous les deux des nombres
premiers.

Malgré de grandes avancées vers la démonstration de cette conjec-


ture, celle-ci n’a toujours pas pu être validée. On a tout de même
réussi à calculer de très grands nombres premiers jumeaux et, à ce
jour, la plus grande paire connue est :

2 996 863 034 89521 290 000 − 1

et
2 996 863 034 895 × 21 290 000 + 1

∗∗∗

Pour l’anecdote, ces nombres ont été trouvés en 2016 grâce à un


projet de calcul distribué nommé Twin Prime Search en lien avec le
projet PrimeGrid. Vous aussi, vous pouvez donc découvrir de grands
nombres premiers jumeaux en téléchargeant un logiciel qui utilisera
votre processeur lorsque celui-ci n’est pas occupé.

- 19 -
8. Nombres premiers
cousins et sexy
Sur la même idée que les nombres premiers jumeaux, on peut s’in-
téresser aux paires de nombres premiers qui diffèrent de 4. On parle
alors de nombres premiers cousins.
Voici les premiers nombres premiers cousins plus petits que 100 :

(3, 7), (7, 11), (13, 17), (19, 23), (37, 41), (43, 47), (67, 71), (79, 83)

Il est intéressant de noter qu’il n’y a qu’un seul nombre premier qui
appartient à deux paires de nombres cousins : il s’agit du nombre 7
(3 et 7 sont premiers, mais aussi 7 et 11).
En effet, si vous prenez trois nombres qui diffèrent de 4 consécutifs,
à savoir n, n + 4 et n + 8, l’un au moins sera divisible par 3. Le seul
cas où ces trois nombres seront premiers est lorsque l’un de ceux-là
est 3, autrement dit lorsque n = 3.

∗∗∗

Lorsque deux nombres premiers diffèrent de 6, on dit que ce sont


des nombres premiers sexy. Qu’on ne se méprenne pas, ce terme
n’a aucune connotation sexuelle : il vient simplement du fait qu’en
latin le nombre six se dit « sex ». Quels farceurs ces mathématiciens !

- 20 -
Quelques exemples de nombres premiers sexy sont 5 et 11 ou encore
7 et 13. Voici la liste complète des nombres premiers sexy plus petits
que 100 :

(5, 11), (7, 13), (11, 17), (13, 19), (17, 23), (23, 29), (31, 37), (37, 43),

(41, 47), (47, 53), (53, 59), (61, 67), (67, 73), (73, 79), (83, 89)

De même que pour les nombres premiers jumeaux, on ne sait tou-


jours pas s’il existe une infinité de nombres premiers cousins et sexy.

- 21 -
9. Nombres parasites
Un nombre parasite est un nombre qui, s’il est multiplié par un
certain entier n compris entre 2 et 9, voit sa représentation décimale
inchangée, à l’exception du dernier chiffre qui vient se placer au
début.
Par exemple, 102 564 est un nombre parasite car 102 564 × 4 =
410 256. On dira même qu’il est 4-parasite car c’est le nombre 4 qui
a été utilisé dans cette opération.
Voici la liste des plus petits nombres n-parasites pour les différentes
valeurs de n entre 2 et 9 :

n Plus petit nombre n-parasite


2 105 263 157 894 736 842
3 1 034 482 758 620 689 655 172 413 793
4 102 564
5 142 857
6 10 169 491 525 423 728 813 559 932 203–
–389 830 508 474 576 271 186 440 677 966
7 1 014 492 753 623 188 405 797
8 1 012 658 227 848
9 10 112 359 550 561 797 752 808 988 764 044 943 820 224 719

- 22 -
Il existe une méthode pour trouver des nombres n-parasites. Si m
est le plus petit entier > 1 tel que 10m − 1 est divisible par 10n − 1
alors n × (10m − 1)/(10n − 1) est un nombre parasite.
Par exemple, si on prend n = 5, alors 10n − 1 = 49. Une petite
recherche informatique montre que le plus petit entier m tel que
10m − 1 est divisible par 49 est m = 42. On en déduit alors que le
nombre

5 × (1042 − 1)/(49) =
102 040 816 326 530 612 244 897 959 183 673 469 387 755

est un nombre parasite. Effectivement, on (ou plutôt un ordinateur)


peut vérifier que

5 × 102 040 816 326 530 612 244 897 959 183 673 469 387 755 =
510 204 081 632 653 061 224 489 795 918 367 346 938 775

A présent, à vous de créer vos propres nombres parasites !

- 23 -
10. Nombres économes
Quoi ? Radins certains nombres ? Ils font plutôt attention au nombre
de chiffres qu’ils utilisent dirons-nous plutôt.
Un nombre économe est un nombre pour lequel l’écriture en pro-
duits de facteurs premiers utilise moins (ou autant) de chiffres que
son écriture décimale. Par exemple, le nombre 125 s’écrit avec 3
chiffres en écriture décimale mais comme 125 = 53 , il n’a besoin
de que de deux chiffres pour pouvoir être écrit en un produit de
nombres premiers. Autre exemple : le nombre 4 374 = 2 × 37 est
aussi un nombre économe.
La suite des nombres économes commence de la façon suivante :

25, 128, 243, 256, 343, 512, 625, 729, 1024, 1029, 1215, 1250, ...

Vous voyez qu’il n’y en a pas tant que cela : par exemple, seulement
huit nombres inférieurs à 1000 sont économes.
Parmi les nombres économes, ceux qui utilisent strictement moins
de chiffres dans leur décomposition en facteurs premiers s’appellent
des nombres frugaux et ceux qui en utilisent autant s’appellent des
nombres équidigitaux.

∗∗∗

- 24 -
Pour l’anecdote, R.G.E. Pinch a découvert en 1998 une suite de neuf
nombres économes consécutifs :

1 034 429 177 995 381 247, 1 034 429 177 995 381 248,
1 034 429 177 995 381 249, 1 034 429 177 995 381 250,
1 034 429 177 995 381 251, 1 034 429 177 995 381 252,
1 034 429 177 995 381 253, 1 034 429 177 995 381 254,
et 10 344 291 779 953 812 455.

Il a même montré que, sous certaines hypothèses liées à la conjecture


des nombres premiers jumeaux, il existerait des suites de nombres
économes consécutifs de longueur aussi grande que l’on veut !

- 25 -
11. Nombres parfaits
La perfection n’est pas de ce monde... et pourtant, certains nombres
peuvent s’en revendiquer. Les nombres parfaits sont les nombres
égaux à la somme de tous leurs diviseurs positifs (sauf eux-mêmes).
L’exemple le plus connu de nombre parfait est le nombre 6 qui est
la somme de ses trois diviseurs 1, 2 et 3 (1 + 2 + 3 = 6). Un autre
exemple est 28 car les diviseurs de 28 (autres que 28) sont 1, 2, 4, 7
et 14 et 28 = 1 + 2 + 4 + 7 + 14.

∗∗∗

Les nombres parfaits sont connus depuis l’Antiquité et Euclide en


personne leur consacra une place dans son célèbre traité, Les Élé-
ments. Il y démontra en particulier que si le nombre 2p − 1 est un
nombre premier alors le nombre n = 2p−1 (2p − 1) est un nombre
parfait.
On connaissait à l’antiquité quatre nombres parfaits : 6 et 28, qu’on
a déjà évoqués, mais aussi 496 et 8218. Depuis, avec l’arrivée des or-
dinateurs, nous en sommes à une cinquantaine de nombres parfaits
connus.

∗∗∗

- 26 -
Voici d’ailleurs la liste des premiers nombres parfaits :

6, 28, 496, 8 128, 33 550 336, 8 589 869 056,


137 438 691 328, 2 305 843 008 139 952 128, ...

Euler a prouvé que si un nombre parfait est pair, il est de la forme


donnée par Euclide, à savoir 2p−1 (2p − 1). Il se trouve que tous les
nombres parfaits qu’on connait sont des nombres pairs et personne
ne sait à l’heure actuelle s’il existe ou non des nombres parfaits
impairs et encore moins s’il y en a une infinité. Euler disait même :
« La question de savoir s’il existe des nombres parfaits impairs est
une question hautement difficile ». Si Euler le dit, on peut lui faire
confiance...

- 27 -
12. Nombres abondants
et déficients
Les nombres parfaits étant plutôt rares, il faut bien se rabattre sur
ceux qui ne le sont pas. Ils se découpent en fait en deux catégo-
ries : ceux dont la somme des diviseurs est strictement inférieure au
nombre et ceux dont la somme des diviseurs est strictement supé-
rieure. Par exemple, la somme des diviseurs de 12 (autres que 12)
est 1 + 2 + 3 + 4 + 6 = 16. Comme cette somme est strictement
supérieure à 12, on dit que 12 est un nombre abondant. Voici la liste
des premiers nombres abondants :

12, 18, 20, 24, 30, 36, 40, 42, 48, 54, 56

Autre exemple : la somme des diviseurs de 15, à savoir 1 + 3 + 5 =


9, est strictement inférieure à 15. Dans ce cas, on dira que 15 est
un nombre déficient. D’autres exemples de tels nombres sont les
suivants :

1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 21, 22

Vous constaterez d’ailleurs que tous les nombres premiers sont défi-
cients. Paradoxalement, il y a abondance de nombres déficients et
beaucoup moins de nombres abondants.

- 28 -
∗∗∗

Parmi les nombres déficients, il en est certains qui auraient presque


pu être des nombres parfaits, à peu de choses près. Ce sont les
nombres déficients dont la somme des diviseurs est égale au nombre
de départ moins 1. On les appelle les nombres presque parfaits. Par
exemple, la somme des diviseurs du nombre 8 est 1 + 2 + 4 = 7 =
8−1. En fait, n’importe quelle puissance de 2 est un nombre presque
parfait car la somme des diviseurs de 2k est 1 + 2 + 22 + ... + 2k−1 =
2k − 1 (voir encadré).
Somme des puissances d’un entier
Il existe une formule bien connue qui permet de calculer la
somme des puissances d’un nombre q :
q n+1 − 1
1 + q + q 2 + ... + q n =
q−1
Par exemple, pour q = 2, on a
2n+1 − 1 2n+1 − 1
1 + 2 + 22 + ... + 2n = = = 2n+1 − 1
2−1 1

On ne connaît pas d’autres exemples de nombres presque parfaits


et c’est à l’heure actuelle un problème toujours non résolu que de
savoir si ces nombres sont exactement les puissances de 2.

- 29 -
13. Nombres de Dudeney
Si vous aimez les cubes, vous allez être servis.
Un nombre de Dudeney est un nombre qui est un cube parfait (une
puissance troisième d’un entier) tel que la somme de ses chiffres est
égale à sa racine cubique.
Par exemple, le nombre 512 est un cube puisqu’il est égal à 83 et la
somme de ses chiffres est 5 + 1 + 2 = 8 qui est la racine cubique de
512. Nous avons donc là un exemple de nombre de Dudeney.
Hormis l’exemple de 1, un autre nombre de Dudeney est 4 913 dont
la racine cubique est 17 et on a bien 4 + 9 + 1 + 3 = 17. Je ne vais pas
faire durer le suspense plus longtemps, voici les six seuls nombres
de Dudeney qu’on connaît :

1, 512, 4 913, 5 832, 17 576, 19 683

On n’en connaît aucun autre car il n’en existe tout simplement aucun
autre, tout simplement (voir encadré). Sur une infinité de nombres
entiers, seulement six sont donc égaux au cube de la somme de leurs
chiffres.

- 30 -
Pourquoi il n’y en a qu’un nombre fini ?
Le fait qu’il n’y a qu’un nombre fini de nombres de Dudeney
tient dans une petite démonstration. Si n est un tel nombre
et qu’il possède d chiffres, la somme de ses chiffres ne peut
pas dépasser 9| + 9 +{z· · · + 9} = 9d. Le cube de la somme de
dfois
ses chiffres ne peut donc pas dépasser (9d)3 = 729d 3 donc
n 6 729d 3 .
Cependant, si un nombre possède d chiffres alors il est supé-
rieur à 10d−1 . Cela donne donc la condition 10d−1 6 729d 3 .
Une petite étude de fonctions (en passant au logarithme par
exemple) permet de voir que cette condition n’est vérifiée que
pour d 6 6. Autrement dit, un nombre de Dudeney possède
six chiffres ou moins et, pour les trouver tous, il suffit alors
d’utiliser un programme informatique.

- 31 -
14. Nombres de Kaprekar
Le mathématicien indien Kaprekar (1905-1986) est connu pour un
fameux algorithme qui porte son nom mais aussi pour des nombres
qui vérifient une propriété lorsqu’on prend leurs carrés.
On dit qu’un nombre est un nombre de Kaprekar si, lorsque vous
le prenez au carré, vous pouvez « couper » ce nombre en deux de
façon à ce que la somme des deux morceaux vous donne le nombre
de départ.
Voici un exemple de nombre de Kaprekar pour mieux comprendre.
Si vous prenez le carré de 703 vous obtenez 7032 = 494 209. Vous
pouvez couper ce nombre en deux morceaux et leur somme donne :
494 + 209 = 703.

∗∗∗

Lorsque vous coupez, vous n’êtes pas obligé d’avoir deux nombres
avec autant de chiffres l’un que l’autre. Par exemple, 4 879 est un
autre nombre de Kaprekar car, en prenant son carré, vous trouvez
23 804 641. En prenant 238 d’une part et 04 641 d’autre part, vous
obtenez 238 + 04 641 = 4 879.

- 32 -
Les quinze premiers nombres de Kaprekar sont :

1, 9, 45, 55, 99, 297, 703, 999, 2 223, 2 728,


4 879, 4 950, 5 050, 5 292 et 7 272

Des nombres de Kaprekar, il y en a beaucoup. Il y en a même des aussi


grands que l’on veut : par exemple, tous les nombres de la forme
999 ... 9 sont de tels nombres. Je vous laisse vous en convaincre avec
les nombres suivants

999 9992 = 999 998 000 001 = 999 998 + 000 001

et

9 999 999 999 9992 = 99 999 999 999 980 000 000 000 001
= 9 999 999 999 998 + 0 000 000 000 001

- 33 -
15. Nombres narcissiques
« Miroir, mon beau miroir, qui sont les nombres les plus beaux ? ». Je
ne sais pas si les nombres que nous allons présenter sont les plus
beaux mais, en tout cas, ils aiment observer leurs propres chiffres.
On dit qu’un nombre est narcissique s’il est égal à la somme des
puissances n-ièmes de chacun de ses chiffres, où n désigne le nombre
de chiffres. Par exemple, le nombre 153 est narcissique car il possède
n = 3 chiffres et que

13 + 53 + 33 = 153

On remarque que les nombres à un seul chiffre sont évidemment


narcissiques. Les premiers exemples de nombres narcissiques sont
les suivants :

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 153, 370, 371, 407,


1634, 8208, 9474, 54748, 92727, 93084, ...

On peut démontrer qu’il n’existe que 88 nombres narcissiques en


tout et pour tout. Cela semble peu, n’est-ce pas ? La raison en est la
suivante : si un nombre narcissique possède n chiffres, alors 10n−1 6
n × 9n ce qui entraîne que (1/9) × (10/9)n−1 6 n. Une petite étude
de suite montre que cette relation n’est vérifiée que si n 6 60.

- 34 -
Autrement dit, les nombres narcissiques n’auront jamais plus de 60
chiffres. Si vous voulez tout savoir, le plus grand nombre narcissique
possède 39 chiffres et il s’agit de

115 132 219 018 763 992 565 095 597 973 971 522 401

- 35 -
16. Nombres de Münchhausen
Les nombres narcissiques ont des cousins éloignés qui vérifient aussi
une propriété sur la somme des puissances de leurs chiffres.
Considérez un nombre et prenez chaque chiffre de ce nombre à la
puissance lui-même. Faites la somme de tout cela. Si vous retombez
sur votre nombre de départ, on dit que ce nombre est un nombre
de Münchhausen. Par exemple, c’est le cas du nombre 3435 car
33 + 44 + 33 + 55 = 3 435.
D’une certaine façon, les chiffres des nombres de Münchhausen
s’élèvent eux-mêmes (en puissance), ce qui rappelle l’épisode où le
célèbre personnage fictif du nom du baron de Münchhausen s’était
élevé lui-même pour sortir des sables mouvants en se tirant par
ses cheveux. Voilà donc d’où vient le nom de ces nombres, qui fut
donné par le mathématicien hollandais Daan van Berkel en 2009.
Pour l’anecdote, ce baron a aussi donné son nom à une maladie
psychiatrique grave : le syndrome de Münchhausen.

- 36 -
Le baron de Münchhausen se soulevant par les cheveux.
Gravure de Gustave Doré.

Outre les exemples évidents des nombres 0 et 1, un autre exemple


de nombre de Münchhausen est 438 579 088 à condition de prendre
la convention 00 = 0. Cet exemple est en fait le dernier qu’on peut
proposer car on peut démontrer qu’il n’y en a pas d’autre. Il y a donc
en tout, et pour tout, quatre nombres de Münchhausen.

- 37 -
17. Nombres puissants
« Sans maîtrise, la puissance n’est rien » disait un célèbre slogan
d’une marque de pneus. Sauf qu’en mathématiques, ce n’est pas rien
que d’être puissant.
Un nombre puissant est un nombre qui, dès qu’il est divisible par
un nombre premier p, alors il est aussi divisible par p 2 . Par exemple,
le nombre 108 est puissant car ses seuls facteurs premiers sont 2 et
3 et que 22 = 4 et 32 = 9 divisent aussi le nombre 108.
Autre exemple : 125 est un nombre puissant car son seul facteur
premier est 5 et qu’il est aussi divisible par 52 = 25. Vous remarquez
d’ailleurs au passage qu’une puissance d’exposant > 2 d’un nombre
premier donne toujours un nombre puissant, comme par exemple
53 ou 74 .
Les nombres puissants inférieurs à 1 000 sont les suivants :

1, 4, 8, 9, 16, 25, 27, 32, 36, 49, 64, 72, 81, 100, 108, 121, 125,
128, 144, 169, 196, 200, 216, 225, 243, 256, 288, 289, 324,
343, 361, 392, 400, 432, 441, 484, 500, 512, 529, 576, 625,
648, 675, 676, 729, 784, 800, 841, 864, 900, 961, 968, 972, 1000

∗∗∗

- 38 -
Les nombres puissants sont assez faciles à étudier car on peut mon-
trer qu’ils ont une forme bien particulière : ils sont tous du type
a2 × b 3 où a et b sont des entiers. Autrement dit, ce sont des pro-
duits d’un carré par un cube.
Les nombres puissants ont plusieurs propriétés remarquables mais
citons-en deux :
• il existe une infinité de nombres puissants consécutifs (comme
8 et 9, ou encore comme 288 et 289) ;
• tout nombre assez grand est la somme d’au plus trois nombres
puissants.

- 39 -
18. Nombres d’Achille
Vous connaissez sans doute Achille, le fameux héros de la guerre
de Troie dans la mythologie grecque dont le talon était sa grande
faiblesse. Ce héros a donné son nom à un type de nombres.
Tout d’abord, notons qu’un nombre est une puissance parfaite s’il
est de la forme an c’est-à-dire si c’est la puissance d’un nombre en-
tier. Quand ce n’est pas le cas, on dit parfois que c’est un nombre
imparfait.
Un nombre d’Achille est un nombre qui, comme le héros, est à la
fois puissant et imparfait. Par exemple, le nombre 72 est un nombre
d’Achille. En effet, puisque 72 = 23 ×32 , ce nombre est le produit d’un
carré par un cube, ce qui en fait un nombre puissant (voir chapitre
précédent). De plus, 72 n’est pas une puissance parfaite donc c’est
un nombre imparfait.
D’autres exemples de nombres d’Achille sont les suivants :

72, 108, 200, 288, 392, 432, 500, 648, 675, 800, 864, 968, 972,
1 125, 1 152, 1 323, 1 352, 1 372, 1 568, 1 800, 1 944, 2 000,
2 312, 2 592, 2 700, 2 888, 3 087, 3 200, 3 267,
3 456, 3 528, 3 872, 3 888, 4 000, 4 232, 4 500,
4 563, 4 608, 5 000

- 40 -
Vous avez donc sous les yeux tous les nombres d’Achille plus petits
que 5 000. Cela en fait peu finalement ; tout le monde ne peut pas
être un héros !

- 41 -
19. Nombres taxicab
Vous connaissez sans doute Ramanujan, ce mathématicien indien
de génie du début du 20ème siècle. Une illustration de ses facultés à
comprendre les nombres fut rapportée dans une anecdote par son
collègue, le mathématicien Hardy, qui s’est déroulée aux alentours
de 1919 :

« Je me souviens que j’allais le voir une fois, alors qu’il


était malade, à Putney. J’avais pris un taxi portant le
numéro 1729 et je remarquai que ce nombre me sem-
blait peu intéressant, ajoutant que j’espérais que ce ne
fût pas mauvais signe. – Non, me répondit-il, c’est un
nombre très intéressant : c’est le plus petit nombre dé-
composable en somme de deux cubes de deux manières
différentes. »

Ramanujan avait vu juste car 1729 = 13 +123 = 93 +103 et qu’aucun


nombre avant 1729 ne peut s’écrire comme une somme de deux
cubes de deux façons différentes. Depuis, le nombre 1729 s’appelle
un nombre taxicab (« taxi » en anglais).
Plus généralement, on appelle n-ème nombre taxicab le plus petit
entier naturel qui peut s’écrire comme une somme de deux cubes de

- 42 -
n façons différentes. Nous avons dit que 1729 est le 2ème nombre
taxicab. Le troisième est 87 539 319 qui est donc le plus petit entier
naturel à pouvoir s’écrire de trois façons différentes comme la somme
de deux cubes :

87 539 319 = 1673 + 4363 = 2283 + 4233 = 2553 + 4143

Les quatrième, cinquième et sixième nombres taxicab sont respecti-


vement 6 963 472 309 248 (trouvé en 1991), 48 988 659 276 962 496
(trouvé en 1999) et 24 153 319 581 254 312 065 344 (trouvé en 2003).
On ne connaît pas les nombres taxicab suivants, même si on en
connaît des bornes. Par exemple, le septième nombre taxicab est
inférieur ou égal à

24 885 189 317 885 898 975 235 988 544

On ne connaît que six nombres taxicab et, pourtant, un théorème dû


à Hardy (celui de l’anecdote) et Wright dit qu’il en existe une infinité !

- 43 -
20. Nombres intouchables
Nous avons vu à l’occasion des nombres parfaits que la somme des
diviseurs d’un entier était un sujet d’étude lorsqu’on s’intéresse aux
nombres entiers. Nous allons encore être confrontés à cette notion
avec les nombres dont nous allons parler.
Jusque-là, chaque fois que nous avons parlé de la somme des divi-
seurs d’un nombre, nous excluions le nombre lui-même des diviseurs.
Les mathématiciens ont en fait donné un nom à tous ces diviseurs
qui ne sont pas le nombre lui-même : on les appelle les diviseurs
propres. Par exemple, les diviseurs propres de 9 sont 1 et 3 de sorte
que la somme des diviseurs propres de 9 est 1 + 3 = 4. On a donc
touché 4 !
On dira qu’un nombre est intouchable s’il n’est la somme des divi-
seurs propres d’aucun entier. Par exemple, 4 n’est pas intouchable car
c’est la somme des diviseurs propres de 9. De même, aucun nombre
parfait n’est intouchable, car, par définition, il est égal à la somme
de ses diviseurs propres.
En revanche, 5 est un nombre intouchable car il n’y a aucun entier n
dont il serait la somme des diviseurs propres. Pour le prouver, il suffit
de remarquer que la somme des diviseurs propres d’un certain entier

- 44 -
n contiendra toujours le terme 1 (car 1 est toujours un diviseur). Or,
la seule façon d’écrire 5 comme une somme contenant 1 et dont les
termes sont tous différents est 5 = 1 + 4. Ainsi, si 5 était la somme
des diviseurs de n, cela voudrait dire que 4 est aussi un diviseur de n,
et donc a fortiori, 2 serait aussi un diviseur de n (si un nombre est
divisible par 4, il est divisible aussi par 2). La somme serait donc de
la forme 1 + 2 + 4, ce qui dépasse 5...

∗∗∗

Les nombres intouchables sont étudiés depuis bien longtemps et,


déjà aux alentours de l’an 1000, le mathématicien Ibn Tahir al-Baghdadi
avait remarqué que 5 est un nombre intouchable. Voyez-vous d’autres
exemples de nombres intouchables ? Si vous séchez, voici la liste des
seize premiers :

2, 5, 52, 88, 96, 120, 124, 146, 162,


188, 206, 210, 216, 238, 246, 248

Y en a-t-il d’autres ? Assurément. Et pas qu’un peu puisqu’en 1973,


Erdős, ce célèbre mathématicien Hongrois du 20ème siècle, a dé-
montré qu’il en existe une infinité.
Pourtant, des mystères demeurent toujours sur les nombres intou-
chables. Par exemple, le nombre 5 est le seul exemple de nombre

- 45 -
intouchable qui soit impair que l’on connaisse. On conjecture qu’il
n’y en a pas d’autres mais personne n’en a encore pu le prouver
jusqu’à présent.

- 46 -
21. Nombres reimerp
Si vous prenez un nombre premier et que vous le lisez à l’envers,
c’est-à-dire de droite à gauche, le nombre obtenu est parfois encore
un nombre premier. Par exemple, le nombre premier 71 lu à l’envers
est le nombre 17 qui est lui-même un nombre premier.
Un nombre premier qui donne encore un nombre premier (différent
du nombre de départ) lorsqu’on le lit dans l’autre sens s’appelle un
nombre reimerp.
Le plus petit nombre reimerp est 13. Les suivants sont :

17, 31, 37, 71, 73, 79, 97, 107, 113, 149, 157, . . .

Évidemment, si un nombre est un reimerp, le nombre obtenu en


lisant dans l’autre sens est lui aussi un reimerp.
Le plus grand reimerp connu à ce jour est le nombre

1010 006 + 941 992 101 × 104 999 + 1

qui fut découvert en 2007 par un certain Jens Kruse Andersen. Il


semblerait que la question de savoir s’il existe une infinité de reimerp
soit encore un problème ouvert.

∗∗∗

- 47 -
Notons, pour l’anecdote, que, parmi les nombres reimerp, certains
se distinguent particulièrement. C’est le cas du nombre reimerp 73,
qui est le 21ème nombre premier. Son « miroir » 37 est, lui, le 12ème
nombre premier, autrement dit, le miroir de 21. Étonnant, tout de
même !

∗∗∗

Pourquoi les appelle-t-on « reimerp », au fait ? Tout simplement car


ce mot est obtenu en lisant le mot « premier » à l’envers. Ils sont dé-
cidément très inventifs pour trouver des noms ces mathématiciens !

- 48 -
22. Nombres de Fermat
Le célèbre Pierre de Fermat, celui-là même qui n’a jamais pu donner
la démonstration d’un célèbre théorème (car, selon lui, la marge de
son cahier était trop étroite) a donné son nom à un type de nombre
bien particulier.
n
Un nombre de Fermat est un nombre de la forme 22 + 1 où n est un
entier naturel. Les premiers nombres de Fermat sont les suivants :
0
22 + 1 = 2
1
22 + 1 = 5
2
22 + 1 = 17
3
22 + 1 = 257
4
22 + 1 = 65537

Il se trouve que ces cinq nombres sont tous premiers. Il n’en fallut
pas moins à Fermat pour conjecturer que tous les nombres de cette
forme sont premiers. On a dû attendre 1 732 pour que la conjecture
de Fermat soit mise en défaut, lorsqu’Euler prouva de manière très
5
astucieuse que le nombre de Fermat 22 + 1 = 4 294 967 297 n’est
5
pas un nombre premier en donnant la décomposition 22 + 1 =
641 × 6 700 417.

- 49 -
Pierre de Fermat

Actuellement, on ne connaît que cinq nombres de Fermat qui sont


premiers, à savoir ceux qui ont été cités plus haut, et on ignore
toujours s’il en existe d’autres. En fait, on n’en sait encore que très
peu sur les nombres de Fermat : on ne sait toujours pas s’il y en a
une infinité qui sont premiers, ni même s’il y en a une infinité qui ne
sont pas premiers.
Cela n’empêche tout de même pas d’avoir une petite idée sur la
question : Boklan et Conway ont publié en 2016 une analyse précise
de ces nombres suggérant que la probabilité qu’il existe un autre
nombre de Fermat premier est de moins d’une sur un milliard...

- 50 -
23. Nombres sublimes
Nous avons vu qu’il existe des nombres qui sont parfaits mais que
se passe-t-il quand la perfection d’un nombre se trouve dans ses
diviseurs ?
Un nombre sublime est un nombre dont le nombre de diviseurs et la
somme des diviseurs (incluant le nombre lui-même) sont tous deux
des nombres parfaits. Un exemple de nombre sublime est 12 car :
• ce nombre possède 6 diviseurs positifs (1, 2, 3, 4, 6 et 12) et
6 est un nombre parfait ;
• la somme de ces diviseurs, à savoir 1+2+3+4+6+12 = 28
est aussi un nombre parfait.
Y a-t-il d’autres exemples de nombres sublimes ? Il y en a bien un,
oui... Il s’agit de

2126 (261 − 1)(231 − 1)(219 − 1)(27 − 1)(25 − 1)(23 − 1)

qui est égal à :

60865556702383789896703717342431696226578307733\
51885970528324860512791691264

Et à part celui-là ? Eh bien, rien. On n’en connaît pas d’autre à l’heure


actuelle. N’est-ce pas cette rareté qui les rend si sublimes, finale-

- 51 -
ment ?
Trouver le nombre de diviseurs et leur somme
Si vous connaissez la décomposition en un produit de facteurs
premiers d’un entier, vous pouvez très simplement trouver le
nombre de diviseurs de ce nombre. Pour cela, il faut augmenter
chaque exposant de 1 et multiplier les nombres obtenus.
Par exemple, 12 = 22 × 31 donc le nombre de diviseurs de 12
est (2 + 1) × (1 + 1) = 6.
Plus généralement, si n = n1a × n2b × . . . alors le nombre de
diviseurs est :
(a + 1) × (b + 1) × ...

Il existe aussi une formule un peu plus compliquée pour trouver


la somme des diviseurs qui est la suivante :

(n10 + n11 + ... + n1a ) × (n20 + n21 + ... + n2b ) × ...

Pour le nombre 12, cela donne donc :

(20 + 21 + 22 )(30 + 31 ) = (1 + 2 + 4)(1 + 3) = 28

- 52 -
24. Nombres de Brown
Dans deux articles datant de 1876 et 1885, Henri Brocard posa le
problème suivant :

Existe-t-il un entier naturel n tel que le nombre n! + 1


soit un carré ?

Autrement dit, quels sont tous les nombres n et m tels que n! + 1 =


m2 ? Si vous cherchez un peu vous trouverez sans doute une première
solution, facile à voir : 4! + 1 = 52 . On dit alors que la paire (4, 5)
est une paire de nombres de Brown.
En cherchant un peu plus, on peut trouver deux autres paires de
nombres de Brown : (5, 11) et (7, 71). En effet, 5! + 1 = 112 et
7! + 1 = 712 .
Y en a-t-il d’autres ? Actuellement, on ne le sait toujours pas même si
Erdős conjectura qu’il n’existe pas d’autres solutions que les trois que
nous venons de donner. L’utilisation de l’outil informatique permet
pour l’instant d’appuyer cette conjecture car il a permis de constater
qu’il n’existe aucune autre solution pour n inférieur à un milliard.

∗∗∗

- 53 -
Pour l’anecdote, le mathématicien indien Ramanujan découvrit indé-
pendamment ce problème en 1913, ce qui fait qu’il porte parfois le
nom de problème de Brocard-Ramanujan. Quant à savoir pourquoi
ils s’appellent les nombres de « Brown », je vous avoue que je n’en
ai aucune idée...

- 54 -
25. Nombres répunits
Si vous aimez le chiffre 1, vous allez êtres servis. Un nombre répunit
est un nombre qui ne possède que des 1 dans son écriture décimale.
Les nombres suivants sont donc tous des répunits :

1, 11, 111, 1111, 11111, 111111, ...

Autrement dit, ce sont tous les nombres de la forme (10n − 1)/9.


Si vous n’avez pas encore fait une overdose de 1, voici pourquoi ils
ont été étudiés initialement : au 19ème siècle, on s’est intéressé à
ces nombres pour mieux comprendre la structure des décimales qui
se répète dans les nombres de la forme 1/n. On a montré assez tôt
que pour tout nombre premier p, la période de l’écriture décimale
du nombre 1/p est égale à la longueur du plus petit répunit divisible
par p.
Si tout cela vous paraît un peu abstrait, voyons un exemple : si vous
considérez le nombre premier p = 7, alors le développement décimal
de 1/7 est
1
= 0, 142857142857142857142857142857 ...
7
Vous constatez qu’un bloc de 6 chiffres se répète ; on dit alors que la
période est 6. Si on regarde le plus petit répunit divisible par 7, on

- 55 -
constate qu’il s’agit de 111 111 (en effet, 111 111 = 7 × 15 873) et
qu’il possède 6 chiffres, comme la période de 1/7. Magique, n’est-ce
pas ?

∗∗∗

Il est possible en fait de définir un nombre répunit de manière plus


général : c’est un nombre qui ne comporte que des 1 dans son écriture
dans une certaine base de numération. Par exemple, un nombre
répunit en binaire (ou base 2) est un nombre de la forme 2n − 1.
C’est ce qu’on appelle aussi un nombre de Mersenne...

- 56 -
26. Nombres de Mersenne
On peut tout à fait être prêtre et faire des mathématiques. Le Père
Marin Mersenne ne s’en privait pas et bien lui en a pris car il nous a
laissé des nombres d’une grande importance.
Les nombres de Mersenne sont les nombres de la forme 2n − 1 où
n est un entier naturel. Voici les premiers tels nombres :

0, 1, 3, 7, 15, 31, 63, 127, 255, 511, 1 023, 2 047, 4 095, 8 191

Il est amusant de noter qu’en binaire les nombres de Mersenne sont


les nombres uniquement composés de 1 (et d’aucun 0).

Le Père Mersenne

Parmi les nombres de Mersenne, certains d’entre eux sont aussi des
nombres premiers (qu’on appelle sobrement les nombres de Mer-

- 57 -
senne premiers) comme par exemple 22 − 1 = 3 et 25 − 1 = 31. Les
nombres de Mersenne premiers sont d’une grande importance car
les plus grands nombres premiers qu’on connaît sont de cette forme.
On a par exemple pu déterminer que le nombre 282 589 933 − 1 est
un nombre premier et c’est même le nombre premier le plus grand
que l’on connaisse à l’heure actuelle. Il est composé de 24 862 048
chiffres (rien que ça !). Ce nombre a été trouvé grâce à un projet
de calcul distribué appelé GIMPS auquel chacun peut participer en
téléchargeant un logiciel sur le site mersenne.org.

∗∗∗

Les nombres de Mersenne ont aussi un rôle important dans l’étude


des nombres parfaits. Dès le 4ème siècle avant J.C., Euclide avait
montré que si M est un nombre de Mersenne premier, alors M(M +
1)/2 est un nombre parfait pair. Il a fallu attendre des siècles plus
tard pour qu’Euler prouve la réciproque, à savoir que si un nombre
pair est parfait alors il est de la forme M(M + 1)/2 où M est un
nombre de Mersenne premier.
Ainsi, chaque découverte d’un nouveau nombre de Mersenne pre-
mier est aussi la découverte d’un nouveau nombre parfait. Au mo-
ment où j’écris ces lignes, on connaît 51 nombres de Mersenne pre-
miers et donc autant de nombres parfaits !

- 58 -
27. Nombres vampires
Parfois, les mathématiciens aiment se faire peur. À moins que ce soit
leur côté maléfique qui ressorte (et on a vu que ce côté était bien
développé).
Si vous considérez le nombre 1 260, vous constatez que les quatre
chiffres de ce nombre peuvent être regroupés en deux morceaux : 2
et 1 d’un côté et 6 et 0 de l’autre, et on constate que 1 260 = 21 × 60.
De manière assez amusante, les deux facteurs 21 et 60 s’appellent
les crocs et le nombre de départ 1 260 s’appelle un nombre vampire.
Pour une définition un peu plus rigoureuse, on peut donner la sui-
vante : un nombre vampire est un nombre qui possède un nombre n
pair de chiffres qui peut s’écrire comme le produit de deux nombres
dont le premier contient n/2 chiffres du nombre de départ dans
n’importe quel ordre et le deuxième contient les n/2 chiffres restant
dans n’importe quel ordre.
Pour bien comprendre, voici un autre exemple : le nombre 1 395
peut donner naissance aux nombres 15 (premier et dernier chiffres)
et 93 (troisième et deuxième chiffres) et on a 1 395 = 15 × 93.
On a pu montrer qu’il n’existe que 7 nombres vampires à 4 chiffres.
Il y en a 148 à 6 chiffres (comme 108 135) et 3 228 à 8 chiffres (par

- 59 -
exemple, 10 025 010).
Pour être tout à fait complet, on doit préciser que dans la définition
d’un nombre vampire, on n’accepte pas que les deux facteurs se
terminent tous les deux par un ou plusieurs zéros. Par exemple, bien
que 126 000 = 210 × 600, cela ne fait pas de 126 000 un nombre
vampire. Cela empêche de créer artificiellement des nombres vam-
pires à partir d’autres (par exemple, à partir de 1 395, en ajoutant
des zéros, on aurait 103 905 qui donnerait 103 905 = 150 × 930). Ce
serait trop facile !

∗∗∗

Pour finir, sachez qu’il existe des formules pour créer des nombres
vampires. Si pour tout entier naturel k, vous prenez les nombres
a = 25 × 10k + 1 et b = 4 × (10k+1 + 52) alors le nombre a × b est
un nombre vampire. Par exemple, si k = 1, ces formules donnent
a = 251 et b = 608 et le nombre 251 × 608 = 152 608 est un
nombre vampire.

- 60 -
28. Nombres premiers
de Wilson
Le célèbre théorème de Wilson dit qu’un nombre p est premier si,
et seulement si, p divise (p − 1)! + 1. Par exemple, comme 5 divise
(5 − 1)! + 1 = 4! + 1 = 24 + 1 = 25 alors 5 est premier.
Ce théorème est tout à fait remarquable dans le sens où il donne
une caractérisation des nombres premiers et permet de tester im-
médiatement si un nombre p est premier : on effectue la division de
(p − 1)! + 1 par p et si le reste vaut 0, le nombre est premier, sinon,
il ne l’est pas. Facile ! Quel est le hic ?
Le théorème de Wilson est en fait inutilisable en pratique car les
nombres (p − 1)! + 1 deviennent vite beaucoup trop grands pour
pouvoir les diviser par p, même avec un ordinateur. Pour vous donner
une idée, pour montrer que 97 est un nombre premier avec le théo-
rème de Wilson, il faudrait utiliser le nombre (97 − 1)! + 1 = 96! + 1
qui possède 149 chiffres... alors imaginez ce que ça donnerait si vous
souhaitiez savoir si 1 427 est un nombre premier ! (Spoiler : il l’est.)
Pour en revenir au théorème de Wilson, nous avons non seulement
vu que 5 divise (5 − 1)! + 1 = 25 mais on constate que 52 divise

- 61 -
aussi (5 − 1)! + 1. Cela marche aussi pour le nombre premier 13
qui divise (13 − 1)! + 1 = 479 001 601 et dont le carré divise aussi
(13 − 1)! + 1 car 479 001 601 = 132 × 2 834 329.
En cherchant bien (mais sans croire que cela est facile), on peut
trouver un autre nombre premier qui vérifie cela : 563. Plus générale-
ment, un nombre premier p tel qu’à la fois p et p 2 divisent (p −1)!+1
s’appelle un nombre premier de Wilson.
A l’heure actuelle, les seuls nombres premiers de Wilson connus sont
5, 13 et 563 et on ne sait pas s’il en existe d’autres. En 2012, il a été
vérifié qu’il n’y en a aucun autre jusque 2 × 1013 et on conjecture
qu’il en existe une infinité.
Répétons-le : on n’a pas réussi à en découvrir plus que trois et pour-
tant on pense qu’il y en a une infinité. Il n’y a qu’en mathématiques
qu’on peut voir cela !

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29. Nombres Harshad
En sanskrit, le mot Harshad signifie « donner une grande joie » et
c’est de ce qualificatif qu’a décidé d’affubler certains nombres le
mathématicien Kaprekar en 1955. Qui sont donc ces nombres qui
procurent une telle allégresse ?
Un nombre Harshad est un nombre qui est divisible par la somme
de ses chiffres. Par exemple, le nombre 18 est un nombre Harshad
car il est divisible par 1 + 8 = 9. Un autre exemple est donné par
un nombre que nous avons vu précédemment : 1 729 (il s’agit d’un
nombre taxicab). En effet, 1 + 7 + 2 + 9 = 19 et 1 729 = 19 × 91.
Tous les nombres Harshad inférieurs ou égaux à 100 sont les suivants :

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 18, 20, 21, 24, 27, 30, 36,


40, 42, 45, 48, 50, 54, 60, 63, 70, 72, 80, 81, 84, 90, 100

Vous remarquez que tous les nombres non nuls inférieurs ou égaux
à 10 sont évidemment présents. Cela donne en particulier une suite
de 10 nombres Harshad consécutifs. Peut-on trouver des suites de
tels nombres consécutifs encore plus longues ?
Selon un théorème démontré par Cooper et Kennedy en 1992, il
n’existe pas de suite de nombres Harshad consécutifs de stricte-

- 63 -
ment plus de 20 nombres mais ils ont donné une infinité d’exemples
de suites composées d’exactement 20 nombres Harshad consécu-
tifs. Les nombres de la plus petite telle suite étant plus grands que
1044 363 342 786 , autant vous dire qu’il va falloir renoncer à vouloir
l’écrire dans ce modeste livre.

- 64 -
30. Nombres de Lychrel
Un palindrome est un mot qui se lit de la même façon de gauche
à droite et de droite à gauche, comme par exemple « radar » ou
« kayak ». Pour les nombres, la définition est la même et, par exemple,
12521 et 4334 sont des nombres palindromes.
Considérez l’algorithme suivant :
• choisissez un nombre et ajoutez-le à son miroir (le nombre
obtenu en le lisant à l’envers)
• tant que le nombre obtenu n’est pas un palindrome, recom-
mencez l’opération
Par exemple, en prenant le nombre 119 pour nombre de départ, on
obtient les étapes suivantes :

119 + 911 = 1030


1030 + 0301 = 1331

On voit dans ce cas qu’on tombe au bout de deux étapes sur un pa-
lindrome (1331). Certains nombres donnent des palindromes après
une seule étape (par exemple 128 car 128 + 821 = 949) alors que
d’autres demandent un peu plus de travail : il faut 24 itérations pour
obtenir un palindrome en partant de 89.

- 65 -
La question qui se pose alors est : est-ce que tous les nombres
donnent un palindrome à un moment donné lorsqu’on leur applique
cet algorithme ? Essayez de chercher un nombre qui ne donne pas
un palindrome en suivant cette procédure et vous constaterez que
c’est assez difficile d’en trouver.
Un nombre qui ne donne jamais de palindrome s’appelle un nombre
de Lychrel. Actuellement, on ne connaît aucun nombre de ce type.
Cependant, il y a quelques nombres dont on suspecte qu’ils le soient,
le plus petit d’entre eux étant 196. Celui-ci a été testé jusqu’à un
milliard d’itérations mais aucun palindrome n’a été trouvé pour le
moment.
D’autres potentiels nombres de Lychrel sont :

295, 394, 493, 592, 689, 691, 788, 790

mais, encore une fois, cela n’a pas été démontré.


Définir un type de nombre dont on ne connaît aucun exemple, c’est
quand même surprenant !

- 66 -
31. Nombres chanceux d’Euler
En 1772, Leonhard Euler remarqua que le polynôme

P(n) = n2 + n + 41

donnait des nombres premiers lorsqu’on le calcule pour


n = 0, 1, 2, ... , 39. Par exemple, P(0) = 41 est premier, P(1) = 43
est premier, P(2) = 47 est premier, etc. Malheureusement, la liste
s’arrête à n = 40 car P(40) = 1 681 = 41 × 41 n’est pas premier.
Ce polynôme donne tout de même 40 nombre premiers, ce qui est
remarquable.
Sur le même principe, on peut se demander pour quelles valeurs
de k le polynôme P(n) = n2 + n + k donne des nombres premiers
pour n = 0, 1, 2, ... , k − 2. Le nombre k = 2 donne un tel polynôme
car, dans ce cas, il s’agit de P(n) = n2 + n + 2 et P(0) = 2 est
premier. De même, le nombre k = 3 possède la même propriété :
P(n) = n2 + n + 3 prend les valeurs premières 3 et 5 lorsque n = 0
et n = 1.
Plus généralement, on dit qu’un nombre k est un nombre chanceux
d’Euler lorsque l’expression P(n) = n2 +n+k est un nombre premier
pour n = 0, 1, 2, ... , k − 2.
Nous avons vu que 2, 3 et 41 sont des nombres chanceux d’Euler

- 67 -
mais ce ne sont pas les seuls et on en connaît quelques autres :

2, 3, 5, 11, 17, 41

Inutile d’en chercher plus loin, ces six nombres sont en fait les seuls.
Il n’en existe aucun autre comme cela a été démontré en 1952 grâce
au théorème de Stark-Heegner.

∗∗∗

Les nombres chanceux d’Euler ne doivent pas être confondus avec les
nombres chanceux que nous avons vus dans un précédent chapitre.
D’ailleurs, le seul nombre qui soit à la fois un nombre chanceux et
un nombre chanceux d’Euler est 3. On peut donc dire que 3 est un
nombre super chanceux !

- 68 -
32. Nombres d’Euclide
Dans sa démonstration de l’infinitude des nombres premiers, Euclide
utilise à un moment donné le raisonnement suivant : si on considère
une liste de n nombres premiers distincts p1 , p2 , ... et pn , on peut
trouver un nouveau nombre premier en considérant le nombre q =
p1 × p2 × ... × pn + 1 (voir encadré).
C’est sans doute de ce raisonnement que viennent ce qu’on appelle
les nombres d’Euclide : ce sont les nombres de la forme p1 × p2 ×
... × pn + 1 où les pi sont les n premiers nombres premiers (et pas
simplement des nombres premiers quelconques comme dans la
démonstration d’Euclide). Par exemple, puisque les trois premiers
nombres premiers sont 2, 3 et 5 alors les nombres : 2 + 1 = 3,
2 × 3 + 1 = 7 et 2 × 3 × 5 + 1 = 31 sont des nombres d’Euclide. La
liste des premiers nombres d’Euclide commence donc ainsi :

3, 7, 31, 211, 2311, ...

Il est étonnant de voir que tous ces nombres sont eux-mêmes des
nombres premiers. Serait-ce toujours le cas ? Eh bien non, car le
nombre d’Euclide suivant est 30 031 qui est le produit de 59 par 509.
À l’heure actuelle, le plus grand nombre d’Euclide premier qu’on

- 69 -
connaisse est le nombre obtenu en ajoutant 1 au produit des 13 494
premiers nombres premiers mais on ne sait toujours pas s’il existe
une infinité de nombres d’Euclide premiers. Pire que cela, on ne sait
pas non plus s’il existe une infinité de nombres d’Euclide qui ne sont
pas premiers !
La démonstration d’Euclide
Pour prouver qu’il existe une infinité de nombres premiers,
Euclide considère une liste de nombres premiers distincts p1 ,
p2 , ..., pn . Il considère ensuite le nombre q = p1 × p2 × ... ×
pn + 1. Il y a alors deux possibilités :
• soit q est un nombre premier et, comme il est strictement
plus grand que les pi , cela donne un nouveau nombre premier ;
• soit q n’est pas premier et, dans ce cas, il possède un diviseur
premier p. Si p était dans la liste des nombres premiers précé-
dents, alors il diviserait p1 × p2 × ... × pn . Comme il divise q,
il diviserait leur différence à savoir q − p1 × p2 × ... × pn = 1,
ce qui n’est pas possible. Le nombre p serait donc un nombre
premier qui n’est pas dans la liste de départ.
Ainsi, à partir d’une liste de nombres premiers, il est toujours
possible d’en construire un nouveau, d’où l’existence d’une
infinité de nombres premiers.

- 70 -
33. Nombres premiers
de Sophie Germain
Sophie Germain était une brillante mathématicienne mais ce n’était
pas facile d’être une femme et de faire des mathématiques à l’époque.
Pour pouvoir se consacrer aux mathématiques, qui étaient réservées
aux hommes, Sophie Germain utilisait un nom d’emprunt : Antoine
Auguste Le Blanc. Ses travaux portaient sur la théorie des nombres
et, particulier, elle s’est attaquée au théorème le plus célèbre de
l’arithmétique : le grand théorème de Fermat (voir encadré).
On dit qu’un nombre premier p est un nombre premier de Sophie
Germain si 2p + 1 est aussi un nombre premier. Par exemple, p = 11
est un tel nombre car 2 × 11 + 1 = 23 est un nombre premier. La
liste des nombres premiers de Sophie Germain commence ainsi :

2, 3, 5, 11, 23, 29, 41, 53, 83, 89, 113, 131, ...

On conjecture qu’il existe une infinité de nombres premiers de Sophie


Germain mais on ne l’a toujours pas démontré. En attendant, le plus
grand qu’on connaisse est :

2 618 163 402 417 × 2290 000 − 1

Et c’est déjà bien !

- 71 -
Le grand théorème de Fermat
Ce théorème est sans doute le plus célèbre problème ma-
thématique en arithmétique. Il dit qu’il n’existe pas d’entiers
naturels x, y et z strictement positifs tels que x n + y n = z n si n
est supérieur ou égal à 3. Il fut énoncé en 1637 par Fermat, qui
affirma qu’il en avait trouvé une démonstration véritablement
merveilleuse que la marge de son livre était trop étroite pour
contenir. Il ne fut réellement prouvé qu’en 1994 par Andrew
Wiles et il s’appelle désormais le théorème de Fermat-Wiles.
C’est en travaillant à prouver le théorème de Fermat que So-
phie Germain s’est retrouvée à étudier une classe de nombres
contenant les nombres premiers p tels que 2p + 1 est aussi
premier.

- 72 -
34. Nombres illégaux
Savez-vous que vous pourriez être en infraction avec la loi rien qu’en
écrivant un nombre ? Et, pourtant, c’est bien la réalité. Un nombre
illégal est un nombre qui, lorsqu’il est traduit en binaire, représente
un programme ou des données qu’il est illégal de posséder. Par
extension, un nombre premier illégal est un nombre illégal qui est
premier. Le tout premier nombre illégal a été généré en mars 2011 par
Phil Carmody ; il s’agissait d’un nombre de 1 401 chiffres qui, traduit
en binaire, représentait un programme qui permettait de décrypter
des DVD dont le contenu était chiffré. Si vous vous demandez quel
est ce nombre premier illégal, le voici :
48565078965739782930984189469428613770744208735135792401
96520736686985134010472374469687974399261175109737777010
27447528049058831384037549709987909653955227011712157025
97466699324022683459661960603485174249773584685188556745
70257125474999648219418465571008411908625971694797079915
20048667099759235960613207259737979936188606316914473588
30024533697278181391479795551339994939488289984691783610
01825978901031601961835034344895687053845208538045842415
65482488933380474758711283395989685223254460840897111977

- 73 -
12769412079586244054716132100500645982017696177180947811
36220027234482722493232595472346880029277764979061481298
40428345720146348968547169082354737835661972186224969431
62271666393905543024156473292485524899122573946654862714
04821171381243882177176029841255244647445055834628144883
35631902725319590439283873764073916891257924055015620889
78716337599910788708490815909754801928576845198859630533
82349055809203299960323447114077601984716353116171307857
60848622363702835701049612595681846785965333100770179916
14674472549272833486916000647585917462781212690073518309
24153010630289329566584366200080047677896798438209079761
98594936463093805863367214696959750279687712057249966669
80561453382074120315933770309949152746918356593762102220
06812679827344576093802030447912277498091795593838712100
05887666892584487004707725524970604446521271304043211826
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En publiant ce nombre dans ce livre, vous devenez le possesseur
d’un objet qu’il est illégal de détenir. Lire ce livre vous met donc
hors-la-loi !

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35. Nombres somme-produit
Lorsqu’on considère un nombre, on peut s’intéresser à la somme
de ses chiffres et aussi au produit de ses chiffres. Par exemple, si on
s’intéresse au nombre 135 :
• la somme de ses chiffres est 1 + 3 + 5 = 9
• le produit de ses chiffres est 1 × 3 × 5 = 15
Que se passe-t-il lorsqu’on fait le produit de ces deux nombres ?
Puisque 9 × 15 = 135, on retrouve dans ce cas le nombre de départ.
Un nombre égal au produit de la somme de ses chiffres par le produit
de ses chiffres s’appelle un nombre somme-produit (très original).
Nous venons de voir que 135 est un tel nombre et, en 1997, S. Para-
meswaran, à l’origine d’un article qui a défini ces nombres, donna
aussi l’exemple de 144. En effet,
• la somme de ses chiffres est 1 + 4 + 4 = 9
• la produit de ses chiffres est 1 × 4 × 4 = 16
et on vérifie qu’on a bien 9 × 16 = 144.
On peut s’arrêter ici car on peut démontrer qu’avec 0 et 1, les nombres
135 et 144 sont les seuls exemples de nombres somme-produit. Il
n’y a donc que quatre nombres de cette sorte, ce qui fait peu mais
l’histoire ne s’arrête pas là car Parameswaran a défini dans son ar-

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ticle ce qu’il appelle les supernombres somme-produit de la façon
suivante : ce sont les nombres qui sont des multiples de la somme
de leurs chiffres par le produit de leurs chiffres. Par exemple, 111 est
un tel nombre car
• la somme de ses chiffres est 1 + 1 + 1 = 3
• le produit de ses nombres est 1 × 1 × 1 = 1
Et comme 111 = 3 × 1 × 37, il est égal à 37 fois la somme de ses
chiffres multipliée par le produit de ses chiffres. Et vous, saurez-vous
en trouver d’autres ?

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Savez-vous qu'il existe des nombres qui sont maléfiques ? Que

9590439283873764073916
certains nombres sont sexys ? Que d'autres encore sont économes
ou même chanceux ? Savez-vous qu'en détenant ce livre vous vous
mettez hors-la-loi ?
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Voilà quelques curiosités à propos des nombres entiers que vous

7163375999107887084908
allez découvrir dans ce livre: ce bestiaire des nombres vous présente
plusieurs types de nombres aux caractéristiques bien particulières.

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859630533823490558092
32999603234471140776019
84716353116171307857608
8622363702835701049612
9568184678596533310077
17991614674472549272833
4869160006475859174627
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