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«Depuis qu’on se parle, t’es devenue pour moi une sorte de fantasme. Tu me plais vraiment, ton
visage, tes formes… Le fait que tu sois plus jeune, j’aime bien aussi. Et en plus, tu me résistes…»
Plus jeune, c’est le terme : Norman Thavaud a alors 29 ans, Louise (1), qu’il a rencontrée l’année
précédente, en a 18. C’est avec ces mots, envoyés sur Messenger en 2016, que le youtubeur star
converse avec cette jeune fan. Jusqu’à la convaincre de lui envoyer des photos d’elle nue.
En réponse à l’un de ces clichés, la star aux près de 12 millions d’abonnés sur la plateforme
essaye de se montrer sous un jour intime : «Je parais peut-être doux et fragile dans la vie, mais
au lit j’aime être tout l’inverse, très dominant. J’aime que la fille n’ait pas le choix, qu’elle soit
sous mes ordres. […] C’est ça que j’ai envie de te faire en voyant cette photo.» Une première
rencontre aura lieu par la suite, qui laissera un souvenir douloureux chez la jeune fille. «Je n’ai
pas eu le choix. J’ai réalisé que j’avais été une victime de viol quand je suis sorti avec quelqu’un
d’autre et que j’étais encore traumatisée de ce qui m’était arrivée.»
Louise n’est pas la seule à décrire des faits similaires. Comme l’a révélé Libération, une enquête
préliminaire du parquet de Paris, confiée depuis plusieurs mois à la Brigade de protection des
familles (BPF) de Paris, a débouché, lundi 5 décembre, sur le placement en garde à vue du
youtubeur de 35 ans, levée mardi soir «sans poursuites à ce stade». Six jeunes femmes ont été
entendues à ce jour par la police, sous les chefs d’accusation de «viol» et de «corruption de
mineures». Norman Thavaud, ressorti libre après trente-six heures, demeure présumé innocent,
et n’a pas répondu à nos questions malgré plusieurs tentatives réalisées auprès de son avocate et
de son attachée de presse.
Libération enquête depuis près d’un an sur les soupçons qui pèsent sur Norman Thavaud. Nous
avons recueilli huit témoignages, dont quatre sont aujourd’hui entre les mains de la BPF. Des
propos qui dessinent un schéma d’emprise du vidéaste, basé à la fois sur la notoriété et la
différence d’âge.
Entre 2010 et 2018, période à laquelle remontent les témoignages recueillis par Libération,
«Norman fait des vidéos» est une icône de la première génération qui a grandi avec Internet.
Après plus d’une décennie de carrière solo et même si son apogée est derrière lui, sa chaîne
culmine aujourd’hui à près de 2,7 milliards de vues. Il se produisait aussi sur scène avant que le
Covid n’interrompe la tournée de son Spectacle de la maturité.
Sur son compte Instagram, Maggie Desmarais livre un récit détaillé des agissements de
l’humoriste. D’autres plaignantes trouvent la force de lui raconter leur histoire. La Canadienne
se convainc de porter plainte. Puis témoigne au printemps suivant pour l’antenne française du
média québécois Urbania, dans lequel elle apparaît face caméra, mais l’écho dans l’Hexagone est
alors faible.
Pour elle, tout débute en octobre 2017. Maggie Desmarais a 16 ans et ne rate pas une vidéo de
Norman depuis qu’elle en a 12. Un soir, elle lui envoie via Snapchat une photo d’elle et de Pirate,
son chat, accompagnée du texte «Tes deux plus grands fans du Québec». A son réveil, il lui a
répondu. «J’étais très heureuse, je ne m’y attendais pas du tout, se remémore-t-elle. Je pensais
qu’il n’allait jamais l’ouvrir. Personne avec autant de notoriété ne répond à ses fans qui
envoient de tout petits messages comme ça.»
Norman, 30 ans à l’époque, et Maggie se mettent à parler quotidiennement. Une discussion par
messages Snapchat, qui tourne vite au flirt dès les premiers jours, malgré la différence d’âge.
«C’était un peu comme un rêve, mon idole était en train de me complimenter, de s’intéresser à
moi… Je savais que c’était problématique, mais ce n’était pas sexuel. C’était plus facile à
accepter.»
Rapidement, l’humoriste passe à la vitesse supérieure et demande à Maggie de lui envoyer des
photos de plus en plus osées. «C’était en dehors de mes limites et il le savait très bien. Mais
quand je répondais à ses attentes, ce n’était jamais assez extrême pour lui. Au début je n’étais
pas à l’aise en soutien-gorge, puis j’ai fini complètement nue. Et même nue, c’était “place-toi de
cette façon-là”, “écarte plus les jambes”… C’était toujours plus inapproprié.»
A l’approche de son 31e anniversaire, le 14 avril, il fait comprendre à Maggie Desmarais qu’il
aimerait bien un cadeau spécial. «J’ai dû lui envoyer un striptease sur Snapchat et il l’a
sauvegardé dans la discussion. Ça me rendait mal à l’aise, car je voyais la vidéo à chaque fois
qu’on se parlait. Je lui ai demandé plusieurs fois de la supprimer, il ne l’a jamais fait», affirme-
t-elle.
Quelques semaines plus tard, Norman annonce à Maggie qu’il se rendra au Québec à la mi-juillet
2018 et veut en profiter pour la voir. Il lui propose de passer une nuit ensemble à l’hôtel. «Les
deux semaines avant qu’il vienne, il est devenu super gentil dans ses mots. Des choses qu’il ne
faisait plus depuis des mois. Des «ma petite princesse, qu’est-ce que tu as fait de ta journée ?» Il
m’appelait “baby”.» Le jour de l’arrivée du Français, Maggie loue une voiture et roule une heure
depuis son village pour se rendre à Montréal (au Québec, il est possible de conduire dès 16 ans),
puis s’installe au McDonald’s près de l’aéroport pour l’attendre. Après l’atterrissage et plusieurs
heures sans donner de nouvelles, Norman finit par lui répondre qu’il ne pourra pas la voir ce
soir. «Là, je me suis vraiment énervée. Il ne pouvait pas me faire attendre pour rien. Je lui ai
envoyé un long message pour lui dire que je ne voulais plus le voir. Il m’a dit «trop long», et
rien d’autre.»
«Il m’avait déjà dit qu’il comptait coucher avec moi, mais il sentait que j’étais
réticente parce que j’étais vierge. Pour me rassurer, il m’a dit qu’il allait me présenter
à son père.»
Maggie Desmarais comprend que cette histoire d’amour n’en était pas une. Lorsque le scandale
#BalanceTonYoutubeur éclate, il revient vers elle pour la dernière fois et lui demande, inquiet,
de ne pas en parler. Elle se réfugie alors dans l’écriture de poèmes, publiés sur son compte
Instagram anonyme «Atraversdesmots». Plus d’une centaine de courts textes, archivés depuis
mais qu’elle assure avoir écrits à partir de cette rencontre avortée de juillet 2018, et jusqu’en
décembre 2019, soit après leur relation. Elle y évoque, sur un ton parfois très triste, sa vie
sentimentale et sexuelle d’adolescente en manque de repères et sous emprise, sans toutefois
mentionner Norman.
Elle affirme que «moins de la moitié de ces écrits évoquaient mon histoire avec lui, et le reste
n’a rien à voir», mais dit ne jamais les avoir envoyés au youtubeur. Lors de ses premières heures
de garde à vue, dont TF1 a révélé des éléments, Norman aurait pourtant expliqué aux enquêteurs
avoir découvert ces «98 poèmes», qui lui seraient «entièrement dédiés», et constitueraient une
preuve que la jeune fille allait, d’elle-même, trop loin dans ses sentiments. Il aurait également
affirmé, selon TF1, être victime d’un complot orchestré par Maggie Desmarais, qui «fait une
fixette sur lui». Sollicité également sur ce point précis, ni lui ni son entourage ne nous ont
répondu.
Après plusieurs mois d’échanges, parfois par Skype, Louise, désormais majeure, finit par se
rendre à Paris lors d’un voyage avec son école. Elle propose à Norman de se rencontrer. Ils se
retrouvent directement dans l’appartement du vidéaste, qui invoque sa notoriété comme raison
pour ne pas aller dans un lieu public. «Au départ, la soirée se passe bien. On s’embrasse à mon
arrivée, puis on décide de se commander à manger et de se poser devant Netflix. Je suis hyper
stressée à ce moment-là.» Ils décident «d’aller plus loin». «D’un côté j’en avais envie, et de
l’autre non. J’ai commencé à paniquer et j’ai fini par lui faire croire que j’avais mes règles.»
Face à la situation et Norman désormais nu, elle dit s’être sentie obligée de faire quelque chose
pour le satisfaire, «même si c’est triste de penser comme ça». «J’ai commencé à lui faire une
fellation, sauf qu’il forçait parfois sur ma tête pour que je reste. Puis il a insisté pour éjaculer
sur mes seins et ma bouche. J’estime aujourd’hui avoir été violée».
Après ce rapport sexuel oral, il se serait montré froid. «Je commence à sentir qu’il veut appeler
un Uber pour que je rentre. Sauf que c’était impossible pour moi. L’auberge de jeunesse dans
laquelle séjournait ma classe était fermée à cette heure.» Inquiète de se retrouver seule dans
Paris, la jeune femme insiste pour rester. «Ça se voyait vraiment que ça le faisait chier.» Il finit
par accepter, mais impose à Louise de dormir sans haut. «Il en a profité pour peloter mon corps
dans la nuit», se souvient-elle. Bien qu’il ait déclaré à Louise la réciprocité de ses sentiments, il
refusera de se mettre en couple avec elle, prétextant avoir «peur».
«Je ne savais pas qui c’était, mais je lui ai quand même fait signer un autographe, raconte-
t-elle. Il m’a regardée deux-trois fois, et je m’en souviendrai toute ma vie : il m’a tendu un petit
post-it et m’a dit : “Mets le dans ta poche !”» Zoé estime que Norman avait déjà un schéma bien
rodé, «puisqu’il avait préparé plusieurs papiers avec son numéro de téléphone avant mon
arrivée».
Elle n’y porte pas une grande attention, avant d’envoyer un message quelques semaines plus
tard. Entre-temps, la lycéenne avait «binge-watché toutes ses vidéos et étai [t] devenue sa fan
numéro 1», quitte à voler la carte bleue de sa mère pour recharger le crédit de son téléphone
pour lui parler. Les SMS illimités ne sont pas encore répandus, Snapchat encore moins. «Je lui
avais dit que j’avais un copain et qu’il fallait que ça soit sérieux pour que je le quitte. Et il
m’avait dit de le faire.»
En juin, elle plaque son petit ami et prend le train pour Paris, depuis sa Lorraine. La veille,
Norman s’était montré persuasif. «Il m’avait déjà dit qu’il comptait coucher avec moi, mais il
sentait que j’étais réticente parce que j’étais vierge. Pour me rassurer, il m’a dit qu’il allait me
présenter à son père. La nana de 16 ans sans expérience que j’étais a cru à tout ça», regrette-
t-elle. Arrivée à la gare de l’Est, il refuse de venir la chercher «en raison de sa trop grande
célébrité», pourtant encore relative. Zoé le retrouve dans un «appartement crado» proche de la
place de République. «Une chambre de bonne, qui n’était pas son logement principal.» Après
trois-quarts d’heure de discussion, il tente une première approche. «Il a commencé à mettre ses
mains dans mon col. J’étais plus ou moins OK avec ça, parce qu’il m’a dit que si je n’aimais pas
ça, c’est qu’on ne pouvait pas sortir ensemble.»
Eléa (1) raconte, elle aussi, s’être fait «jeter dehors» après un rapport sexuel rapide avec le
youtubeur. Tout commence fin novembre 2016, lorsqu’ils entament une relation de séduction
sur les réseaux sociaux. Après seulement deux semaines, et alors qu’elle fête ses 18 ans à cette
période, il lui propose de la rencontrer à Montpellier, où elle vit. Il y accompagne son ami Jhon
Rachid, également connu sur YouTube.
Eléa rejoint les deux acolytes dans un hôtel Mercure du centre-ville où ils logent. «Sur le coup, je
me suis dit “wow, je suis en soirée avec Norman et Jhon Rachid, quoi !” J’envoyais des
messages à tous mes amis.» Au premier contact, de simples discussions. Toutefois, l’étudiante
remarque : «Il m’avait appelée «Eléa 18 ans Open» sur son portable. Je lui ai demandé
pourquoi : «Parce que tu étais open pour qu’on se rencontre.» Innocemment, j’ai dit OK. J’étais
vraiment trop bête.» Il lui confisque aussi son téléphone. «Sur le coup, je trouvais ça logique.
C’était Norman, quand même.»
«Il m’a attrapée et tirée sur le côté du lit, et est allé dans son sac chercher un énorme
pot de lubrifiant. Il a commencé à m’en mettre partout, j’étais écœurée.»
— Eléa, 18 ans à l'époque
La soirée se poursuit dans une chicha, tenue par le cousin de Jhon Rachid. «On y va en Smart.
C’était son garde du corps qui conduisait et j’étais sur les genoux de Norman. Il avait les mains
plus que baladeuses. Ça me dérangeait et il me disait : «Ben qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu
enlèves mes mains ? C’est moi.» Il jouait sur le côté affectif qu’on avait «créé» en l’espace de
deux semaines.» De retour à l’hôtel, il l’embrasse, puis lui aurait demandé d’avoir un rapport
sexuel. «Je n’en avais pas envie, mais il avait tellement joué avec ma psychologie… J’avais
intégré le fait que si je ne faisais pas ce qu’il voulait, c’était terminé. Donc j’ai accepté.»
Pendant l’acte, il insiste pour que la jeune femme mette son string dans sa bouche, ce qu’elle
refuse catégoriquement. La suite est tout aussi brutale, selon Eléa : «Il m’a attrapée et tirée sur
le côté du lit, et est allé dans son sac chercher un énorme pot de lubrifiant. Il a commencé à
m’en mettre partout, j’étais écœurée. Il a aussi eu des propos très sales, que je n’arrive pas à
répéter six ans après. J’ai voulu que ça se termine vite.» Eléa n’ose pas quitter l’hôtel. «Il m’a
rabaissée en me disant que la différence d’âge était une barrière. Il me disait : «Je pensais que
tu étais une femme, mais tu es visiblement une gamine».» Au petit matin, Norman l’invite à
partir. «Dans le tramway pour rentrer chez moi, je me sentais souillée.» Elle l’a recontacté le
lendemain et les échanges ont repris pendant quelques mois. «Il était connu, me promettait la
belle vie… Ça me faisait beaucoup d’illusions.»
Fausse spontanéité
Toutes les cibles du youtubeur ne sont pas tombées dans ce piège. Avec Sarah, 15 ans en mars
2015, les premiers échanges par Snapchat – il lui a fait le «privilège» de l’ajouter avec son
compte privé Nonosupersecret – laissent vite place à l’ambiguïté. «Il m’envoyait des photos où il
mimait un bisou. Il était plus séducteur qu’ami.» Elle coupe court le jour où Norman poste en
story un gâteau végan. Elle demande la marque. Il répond très sérieusement : «OK, si tu
m’envoies une photo de tes boobs !» Elle s’insurge : «C’est une blague ?» et signifie un refus
catégorique. L’homme de 27 ans la bloque. Avec Maeva, 20 ans en 2016, il faisait «le mec déçu»
lorsqu’elle ne lui envoyait que sa tête. Elle décèle rapidement la tentative de manipulation. «Il
voulait juste coucher avec moi, ou ne rien faire.» Elle a refusé à plusieurs reprises toute
rencontre physique.
A la suite du placement en garde à vue de Norman, Selma a publié sur Instagram, mercredi, des
captures d’écran d’une conversation Messenger remontant à 2016. Elle a alors 15 ans. Contactée
par Libération, elle raconte : «Il avait bercé notre enfance, toutes les meufs des années 2000 le
regardaient au collège. Mon père mettait ses vidéos à la télé. Et derrière, je retournais dans ma
chambre et Norman m’envoyait des “montre-moi une photo de ton cul”…. C’est horrible !»
Parfois, elle n’envoie que sa tête, «une vraie tête de bébé», et Norman joue alors de l’asymétrie
du rapport de force pour lancer des ultimatums. «T’as envie de me dégoûter ? T’as envie que
j’arrête de te parler ? Non ? Bah fais-moi plaisir alors.»
En échangeant leurs histoires, certaines plaignantes ont réalisé que les clichés reçus de leur idole
bouche en cœur, torse nu ou les cheveux décoiffés, étaient identiques. Une fausse spontanéité,
destinée à faire croire à chacune qu’elle était dans une relation individualisée et sincère. Ainsi, il
est 17h17 le 14 octobre 2016, lorsque Norman Thavaud envoie, au même instant, pour lancer une
discussion, la même photo de sa chambre à Maeva, Louise et Alexandra.
Chaque fois qu’Alexandra arrive chez lui, avant de passer le pas de la porte, Norman
lui impose de faire la bise à son pénis. «Tous les couples faisaient ça selon lui.»
Cette dernière a été en couple avec le youtubeur pendant plusieurs mois. Elle fait sa rencontre en
février 2016. Elle a 18 ans, lui 28. Un soir, Norman l’aborde alors qu’elle sort de l’Eden, une
boîte de nuit parisienne, avec l’une de ses amies. «Je ne savais pas du tout qui c’était. C’est ma
copine qui m’a expliqué.» Après ce premier contact, les numéros de téléphone sont échangés. Ils
se voient régulièrement et se mettent en couple. «C’est ce que je croyais en tout cas, avant que je
découvre l’histoire des autres filles», se désole-t-elle. Puis, Alexandra se remémore : «Au début
de la relation, tout allait bien, même s’il était très insistant pour avoir des relations sexuelles.»
Chaque fois qu’elle arrive chez lui, avant de passer le pas de la porte, Norman lui impose de faire
la bise à son pénis. «Tous les couples faisaient ça selon lui.» En outre, impossible qu’une soirée
à deux se passe sans masturbations et fellations. «Même quand je n’en avais pas envie, il me
forçait. On devait faire ça de 20 heures à minuit. Sinon, il disait que j’étais asexuelle. C’était du
chantage affectif. A l’époque, j’étais jeune et amoureuse. Je ne le faisais pas par envie mais par
obligation, parce qu’il me menaçait de me quitter. Je regardais le plafond en attendant que ça
passe. Lui, il était comme un lapin», raconte Alexandra.
Si Alexandra a bien été en couple avec Norman, ce dernier a longtemps agité ce mirage auprès
des autres jeunes femmes. «Il voulait me convaincre d’abandonner mes études de médecine
parce que mon avenir était avec lui», raconte Eléa, qui n’a jamais envisagé de céder. Les
conséquences à moyen et long terme de ces agissements ont été multiples. Louise a «des
problèmes de santé psychologique» et redoute l’affaire judiciaire en cours. Maggie Desmarais
confesse des problèmes pour interagir avec les hommes. Après avoir dévoilé à ses parents sa
virée parisienne, Zoé a vu les liens avec son père se rompre.
La plupart des victimes se connaissent entre elles, rassemblées par leur histoire commune. Elles
ont créé une association, les Audacieuses. Réunies dans une boucle Instagram, elles ont suivi
ensemble les avancées de l’enquête de la Brigade de protection des familles. Elles trouvent aussi
ensemble une légitimité à se décrire comme victimes. C’est le cas d’Alexandra : «Le témoignage
de Maggie m’a fait un électrochoc car je pensais être la seule.» Même son de cloche pour Eléa :
«J’en ai beaucoup pleuré. Je me sentais salie, trahie, comme toutes les autres.»
Parmi les treize membres du groupe (dont deux sont arrivées à la suite des révélations de cette
semaine) toutes n’envisagent pas de collaborer avec la justice ou de s’exprimer dans la presse.
Louise, par exemple, dit ne pas faire confiance à l’institution judiciaire. Si elle a tout de même
témoigné auprès de la BPF, c’est par solidarité avec les autres femmes. «J’ai déjà eu des
problèmes de viols avant lui. Quand on vous demande : «Comment étiez-vous habillée ?» c’est
peine perdue…» Eléa, qui n’a pas déposé plainte, est dans la même démarche : «J’aimerais que
mon témoignage puisse pousser les autres filles à faire un pas vers leur reconstruction. Même
si j’en garde un traumatisme, j’ai réussi à tirer un trait sur cette histoire.»
Alexandra attend, elle, beaucoup de l’issue de ces enquêtes : «Ces quelques mois ont suffi à me
gâcher une partie de ma vie car je n’arrivais plus à voir les hommes de la même manière.
Pendant longtemps, je me suis dit que j’avais peut-être un problème. Je ne sais pas s’il continue
aujourd’hui, mais je souhaiterais qu’il reconnaisse qu’il a déconné. Tout ce que je veux, c’est
qu’il disparaisse d’Internet.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.