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Jean THORAVAL
Professeur à l'Université
de Haute Bretagne
Nicole BOTHOREL
Maître-Assistant
à l'Université
de Haute Bretagne
Francine DUGAST
Maître-Assistant
à l'Université
de Haute Bretagne

LES NOUVEAUX
ROMANCIERS
ETUDE CRITIQUE
(AVEC DE NOMBREUX EXTRAITS)

Pour les étudiants des universités


et pour les élèves des classes préparatoires
aux grandes écoles

Bordas
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On s'est servi, au cours de l'étude, des editions suivantes :


SAMUEL BECKETT
Ed. de Minuit : Watt, L'innommable.
10/18 : Molloy, Malone meurt.
NATHALIE SARRAUTE
Gallimard : Les fruits d'or.
Ed. de Minuit : Tropismes.
10/18 : P o r t r a i t d'un inconnu, Le planétarium.
ALAIN ROBBE-GRILLET
Ed. de Minuit : Le voyeur, La jalousie, La maison de rendez-vous, Pro-
jet p o u r une révolution à New York.
10/18 : Les gommes, Dans le labyrinthe..
MICHEL BUTOR
Gallimard : Passage de Milan, Degrés.
10/18 : La modification, L'emploi du temps.
CLAUDE SIMON
Ed. de Minuit : Le vent, L'herbe, Le palace, Histoire, La bataille de
Pharsale, Les corps conducteurs.
10/18 : La route des Flandres.
ROBERT PINGET
Ed. de Minuit : Quelqu'un, Le Libera.
10/18 : L'inquisitoire.
CLAUDE OLLIER
Ed. de Minuit : La mise en scène, E t é indien.
Gallimard : Le maintien de l'ordre, L'échec de Nolan.
CLAUDE MAURIAC
Albin Michel : La marquise sortit à cinq heures, L'agrandissement.
Grasset : L'oubli.
MARGUERITE DURAS
Ed. de Minuit : Détruire, dit-elle.
Gallimard : Le square, L'après-midi de M. Andesmas.
10/18 : Moderato cantabile.
PHILIPPE SOLLERS
Ed. du Seuil : Le parc, Drame, Nombres.
JEAN RICARDOU
Ed. de Minuit : L'observatoire de Cannes, La prise de Constantinople.
JEAN-PIERRE FAYE
Ed. du Seuil : L'écluse.

Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le consen-


tement de l'auteur, ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (loi du
11 mars 1957, alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par
quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les
articles 425 et suivants du code pénal. La loi du 11 mars 1957 n 'autorise, aux
termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, que les copies ou reproductions strictement
réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective
d'une part et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but
d'exemple et d'illustration.

© B o r d a s P a r i s 1976 n ° 155 760 505


I S B N 2.04.009649.3
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PREMIERE PARTIE

Situation
du Nouveau R o m a n
LES NOUVEAUX ROMANCIERS

LES ROMANCIERS QUI PRÉCÈDENT LE NOUVEAU ROMAN


ET CHANGENT LE ROMAN AVANT LUI

Boris Vian - 1920-1959 Raymond Queneau - né en 1903


1946 - Vercoquin et le 1933 - Le chiendent
Plancton 1942 - Pierrot mon ami
- J'irai cracher sur vos 1947 - Exercices de style
tombes 1952 - Le dimanche de la vie
1947 - L'écume des jours 1959 - Zazie dans le métro
- L'automne à Pékin 1965 - Les fleurs bleues
1949 - Les fourmis (nouvelles) 1968 - Le vol d'Icare
1950 - L'herbe rouge
1953 - L'arrache-cœur

LE NOUVEAU ROMAN PROPREMENT DIT

Samuel Beckett - né en 1906 1957 - La modification


1938 - Murphy (en anglais, 1960 - Degrés
réécrit en français en 1973 - Intervalle
1946) Jean Cayrol - né en 1912
1945 - Watt (traduit en 1969) 1947 - Je vivrai l'amour des
1946 - Mercier et Camier (tra- autres
duit en 1970) 1952 - Le vent de la mémoire
1951 - Molloy 1954 - L'espace d'une nuit
- Malone meurt
1953 - L'innommable 1956 - Le déménagement
1955 - Nouvelles et textes 1959 - Les corps étrangers
1963 - Le froid du soleil
pour rien 1966 - Midi minuit
1961 - Comment c'est 1968 - Je l'entends encore
1967 - Têtes mortes
1969 - Histoire d'une prairie
1970 - Le dépeupleur 1971 - Histoire d'un désert
Michel Butor - né en 1926 1972 - Histoire de la mer
1954 - Passage de Milan
1956 - L'emploi du temps
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1975 - Histoire de la forêt Robert Pinget - né en 1919


1976 - Histoire d'une maison 1951 - Entre Fantoine et
Agapa
Marguerite Duras - née en 1914 1952 - Mahu ou le matériau
1955 - Le square 1953 - Le renard et la bousso-
1953 - Les petits chevaux de le
Tarquinia 1959 - Le fiston
1958 - Moderato Cantabile 1962 - L'inquisitoire
1960 - Dix heures 1/2 du soir 1965 - Quelqu'un
en été - Autour de Mortin
1962 - L'après-midi de M. 1967 - Le Libera
Andesmas 1969 - Passacaille
1965 - Le ravissement de Lol. 1971 - Fable
V.Stein 1975 - Cette voix
1969 - Détruire, dit-elle
1971 - L'Amour Alain Robbe-Grillet - né en
1922
1973 - India Song
Nathalie Granger 1953 - Les gommes
suivie de La femme du 1955 - Le voyeur
Gange 1957 - La jalousie
1974 - en collaboration avec 1959 - Dans le labyrinthe
Xavière Gauthier : 1965 - La maison de rendez-
Les parleuses vous
1970 - Projet pour une révo-
Louis René des Forêts lution à New York
1943 - Les mendiants 1974 - Glissements progressifs
1946 - Le bavard du plaisir (ciné-roman)
1960 - La chambre des enfants 1975 - Topologie d'une
cité-fantôme
Claude Mauriac - né en 1914
Nathalie Sarraute - née en 1902
1957 - Toutes les femmes sont
fatales 1938 - Tropismes
1959 - Le dîner en ville 1948 - Portrait d'un inconnu
1961 - La marquise sortit à 1953 - Martereau
5 heures 1959 - Le planétarium
1963 - Les fruits d'or
- L'agrandissement
1965 - La fièvre 1968 - Entre la vie et la mort
1966 - L'oubli 1972 - Vous les entendez ?
- Le déluge
1969 - Le livre des fuites Claude Simon - né en 1913
1970 - La guerre 1957 - Le vent
1972 - Les géants 1958 - L'herbe
1974 - Le temps immobile 1960 - La route des Flandres
1962 - Le palace
Claude Ollier - né en 1922 1967 - Histoire
1958 - La mise en scène 1969 - La bataille de Pharsale
1961 - Le maintien de l'ordre 1971 - Les corps conducteurs
1963 - Eté indien 1973 - Triptyque
1967 - Navettes 1975 Leçon de choses
- L'échec de Nolan
1972 - La vie sur Epsilon Monique Wittig
- Enigma 1964 - L'Opoponax (Prix
1974 - Our ou Vingt ans après Médicis)
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1969 - Les Guérillères Nathalie Sarraute


1973 - Le corps lesbien 1956 - L'ère du soupçon

Ouvrages théoriques Alain Robbe-Grillet


(Nouveau Roman) : 1963 - Pour un nouveau
roman

E N MARGE DU NOUVEAU ROMAN ET PARALLÈLEMENT A LUI

J.-M. Le Clézio - né en 1940 1975 - W ou le souvenir


1963 - Procès-verbal (Prix d'enfance
Renaudot) Bernard Pingaud
1973 - Les géants 1958 - Le prisonnier
1975 - Voyage de l'autre côté 1965 - La scène primitive
Walter Lewino Yves Régnier
1967 - L'éclat et la blancheur 1963 - Sud
1967 - La barrette
Georges Pérec - né en 1936
1975 - Paysages de
1965 - Les choses (Prix l'immobilité
Renaudot)
1976 - Le fou d'Amérique
1967 - Un homme qui dort
1969 - La disparition Bernard Teyssèdre
1971 - Les revenantes 1968 - Foi de Fol

LES NOUVEAUX « NOUVEAUX ROMANCIERS »

Jean-Louis Baudry - né en 1930 Pierre Rottenberg


1963 - Les images 1966 - Le livre partagé
1967 - Personnes
1970 - La création Philippe Sollers - né en 1936
1961 - Le parc
Jean-Pierre Faye - né en 1925 1965 - Drame
1958 - Entre les rues 1968 - Logiques
1961 - La cassure 1972 - Lois
1962 - Battement 1973 - H
1964 - L'écluse (Prix - Nombres
Renaudot)
Jean Thibaudeau - né en 1935
Jacques Henric - né en 1939 1960 - Une cérémonie royale
1969 - Archées 1966 - Ouverture
Jean Ricardou - né en 1932 1968 - Imaginez la nuit
1974 - Voilà les morts
1961 - L'observatoire de Can-
nes Ouvrages théoriques
1965 - La prise de Constanti- (Nouveau «Nouveau Roman»)
nople (Prix Fénéon) Jean Ricardou
1969 - Les lieux-dits 1967 - Problèmes du Nouveau
1971 - Révolutions minuscules Roman
Maurice Roche - né en 1925 1971 - Pour une théorie du
1966 - Compact Nouveau Roman
1975 - Opéra bouffe 1973 - Le Nouveau Roman
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FLASHES POUR ET CONTRE


Contre
« Le Nouveau Roman... est de tout repos. Il ne remet rien en
question. Il est d'une parfaite inocuité ». Hervé Bazin - 1961.
« Le Nouveau Roman a certainement porté le coup de grâce à
la littérature engagée. Dans cinq ou six ans d'ici, une troisième
niaiserie tuera le Nouveau Roman. » Jean Dutourd - 1963.
« Il est extrêmement difficile d'inventer une histoire. En revan-
che, il est extraordinairement facile d'écrire un Nouveau Roman.
Le genre se passe comme un chandail ». Kléber Haedens - 1965.
Le Nouveau Roman : « une cure d'amaigrissement du roman ».
J.-B. Barrère.
« Une régression, de Platon à l'art de l'empailleur ». R. Kemp.
« Jeux de patience » ... « on appelait cela autrefois préciosité ».
Albérès.
« Travaux de laboratoire » qui provoquent « un accablement
sans nom ». Robert Poulet.
« Waves in a tea cup ». Un critique anglais.
« ...Ces non-personnages qui hantent les limbes du non-roman
et les terrains vagues de l'intertextualité... ». Claude Roy - 1971.
Pour
« La nouvelle littérature ne flatte pas notre paresse ni nos
goûts... elle doit être méritée ». Claude Mauriac.
« Une parole exigeante ». Ludovic Janvier.
« Ces œuvres étranges... ne témoignent pas de la faiblesse du
genre romanesque, elles marquent seulement que nous vivons
à une époque de réflexion, et que le roman est en train de réflé-
chir sur lui-même ». Sartre.
Neutralité froide
« ...Des romans qui prennent pour sujet leur propre succès »
et qui utilisent « toutes les possibilités encore vacantes de la
technique pour frapper la limite la plus éblouissante de la per-
version d'un genre ».
« ...des romans à pente nulle ». G. Blin.

DÉFINITIONS
Michel Butor
« Le Nouveau Roman, ça désigne au fond un certain nombre
d'œuvres dont on s'est mis à parler en même temps, vers 1956-57,
et ces œuvres ont des relations, certainement, elles ont des points
communs, mais il n'est pas facile de savoir lesquels ».
Alain Robbe-Grillet
« Si j'emploie volontiers, dans bien des pages, le terme de
Nouveau Roman, ce n'est pas pour désigner une école, ni même
un groupe défini et constitué d'écrivains, qui travailleraient dans
le même sens ; il n'y a là qu'une appellation commode englobant
tous ceux qui cherchent de nouvelles formes romanesques, capa-
bles d'exprimer (ou de créer) de nouvelles relations entre l'hom-
me et le monde, tous ceux qui sont décidés à inventer le roman,
c'est-à-dire à inventer l'homme ».
Claude Simon
« Je n'ai jamais entendu parler d'un programme. Nous ne nous
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c o n n a i s s i o n s pas, et n o u s a v i o n s t o u s d é j à p a s m a l é c r i t a v a n t
de n o u s t r o u v e r r é u n i s a u x É d i t i o n s d e M i n u i t . J e c r o i s q u e ce
q u e l'on p e u t d i r e c ' e s t q u e n o u s n o u s t r o u v o n s s p o n t a n é m e n t
d ' a c c o r d p o u r r e j e t e r u n c e r t a i n n o m b r e d e c o n v e n t i o n s q u i régis-
s e n t le r o m a n t r a d i t i o n n e l . M a i s à p a r t i r d e là, c h a c u n d e n o u s
œ u v r e selon s o n t e m p é r a m e n t ».
Maurice Nadeau
« N o u v e a u R o m a n est u n e a p p e l l a t i o n c o m m o d e m i s e e n circu-
l a t i o n p a r les j o u r n a l i s t e s , p o u r d é s i g n e r u n c e r t a i n n o m b r e d e
t e n t a t i v e s qui, d a n s l ' a n a r c h i e d e s r e c h e r c h e s i n d i v i d u e l l e s , o n t
c o n v e r g é d a n s le r e f u s d e c e r t a i n e s f o r m e s r o m a n e s q u e s (...) a u
p r o f i t d ' u n d i s c o u r s q u i se p r é o c c u p e r a i t m o i n s d e s c o n v e n t i o n s
d u g e n r e q u e d ' u n e r é a l i t é p a r t i c u l i è r e à e x p r i m e r . Quelle
r é a l i t é ? A p a r t i r de là les o p i n i o n s d i v e r g e n t ».
D o n c : « le N o u v e a u R o m a n n e f o r m e n i u n e école n i m ê m e
u n m o u v e m e n t ».
R o l a n d B a r t h e s va e n c o r e p l u s loin :
« E n d é p i t d u s e n t i m e n t q u e l'on p e u t a v o i r d ' u n e c e r t a i n e
affinité e n t r e les œ u v r e s d u N o u v e a u R o m a n (...), o n p e u t h é s i t e r
à v o i r d a n s le N o u v e a u R o m a n a u t r e c h o s e q u ' u n p h é n o m è n e
sociologique, u n m y t h e l i t t é r a i r e d o n t les s o u r c e s e t l a f o n c t i o n
peuvent être aisément situées ; une c o m m u n a u t é d'amitiés, de
voies d e diffusion e t de t a b l e s r o n d e s n e suffit p a s a u t o r i s e r u n e
s y n t h è s e v é r i t a b l e d e s œ u v r e s (...). Bref, il v a u d r a i t m i e u x s'inter-
r o g e r s u r le s e n s d e l ' œ u v r e de R o b b e - G r i l l e t o u d e B u t o r , q u e
s u r le s e n s d u N o u v e a u R o m a n ».

Michel Z é r a f f a
P a r t a n t d u c o n c e p t d e « r o m a n e s q u e » ( « r o m a n e s q u e signifie
u n e a b s t r a c t i o n des f o r m e s ») e t d e « l ' e x i s t e n c e d ' u n f a i t r o m a -
n e s q u e , c o m m e l'on p a r l e d ' u n f a i t p i c t u r a l o u m u s i c a l », M. Zé-
raffa p e n s e q u e l ' e x i s t e n c e de ce f a i t r o m a n e s q u e « c o n s t i t u e
a u j o u r d ' h u i , p o u r u n e t r è s l a r g e p a r t , la f o r m e , la s t r u c t u r e e t la
signification f o n d a m e n t a l e s d u r o m a n f r a n ç a i s d a n s ses ten-
d a n c e s les p l u s n o v a t r i c e s , d a n s ses a s p e c t s les p l u s n e t t e m e n t
e s t h é t i q u e s , — d a n s la m e s u r e o ù t o u t e œ u v r e o r i g i n a l e p r o c è d e
d ' u n e r e c h e r c h e , d ' u n e e x p é r i e n c e p o r t a n t s u r u n a r t et s u r la
r é a l i t é é t u d i é e p a r l ' a r t i s t e . J e vois l'idée d e r o m a n e s q u e p r é v a l o i r
a u j o u r d ' h u i s u r celle d e r o m a n , c o m m e l'idée d e p i c t u r a l s u r
celle d e p e i n t u r e ».
D o n c le N o u v e a u R o m a n s e r a i t « u n e m u t a t i o n d u r o m a n e n
r o m a n e s q u e ».
Michel M a n s u y :
« C o m p a r é a u r o m a n " t r a d i t i o n n e l "... le N o u v e a u R o m a n
offre u n v i s a g e n e t t e m e n t m i e u x d e s s i n é . S o n i m p o r t a n c e n u m é -
r i q u e e s t t r è s limitée, m a i s s o n r e t e n t i s s e m e n t c o n s i d é r a b l e e n
d é p i t des critiques... L'école a ses m a î t r e s , s a d o c t r i n e , s o n p r o -
g r a m m e d e r e c h e r c h e s , ses œ u v r e s p i l o t e s , et q u ' e l l e c o m p t e d é j à
d e u x g é n é r a t i o n s , s'efforce d e p r é c i s e r les c a r a c t è r e s a c t u e l s d e
n o t r e p r é s e n c e a u monde... L a d e u x i è m e g é n é r a t i o n , q u ' o n p o u r r a i t
qualifier de n é o - n é o - r o m a n e s q u e , s ' e s t a f f i r m é e a u m o m e n t o ù l e
structuralisme linguistique s'imposait u n peu partout. Dans u n e
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large mesure, elle substitue à l'interprétation du perçu et du


vécu, l'exploration de l'espace scriptural... Le Néo-Roman veut
opérer en littérature, avec un retard dont il a conscience, une
révolution analogue à celle que notre siècle a réalisée depuis
des années en peinture...
...Il tend au non-figuratif, au pur romanesque des formes sans
autre contenu que le mot ».
Dans les manuels d'histoire littéraire
Michel Raimond
Dans Le roman depuis la Révolution, M. Raimond appelle
nouveaux romanciers « ceux qui entreprennent de renouveler le
genre romanesque (...), qui se définissent à la fois par le refus des
formes passées et par la volonté systématique d'en trouver de
nouvelles ».
Les auteurs de « La littérature en France depuis 1945 » :
« Le Nouveau Roman, un moment beaucoup plus qu'un mouve-
ment ».
« Ce terme inexact puisqu'il n'y a jamais eu d'école ni de
groupe, présente au moins le mérite de mettre l'accent sur la
volonté qui, elle, est bien commune à ces écrivains de recherche
et de renouvellement. »
« Leurs recherches sont convergentes, leurs refus sont com-
muns ».
Quelques textes célèbres de Robbe Grillet pour compléter ces
définitions 1
Il p a r t des idées reçues sur le Nouveau Roman :
« La voici donc cette charte du Nouveau Roman telle que la
rumeur publique la colporte : 1/ Le Nouveau Roman a codifié les
lois du roman futur. 2/ Le Nouveau Roman a fait table rase du
passé. 3/ Le Nouveau Roman veut chasser l'homme du monde.
4/ Le Nouveau Roman vise à la parfaite objectivité. 5/ Le Nou-
veau Roman, difficilement lisible, ne s'adresse qu'aux spécialis-
tes ».
Et voici maintenant, en prenant l'exact contrepied de chacune
de ces phrases, ce qu'il serait plus raisonnable de dire :
« Le Nouveau Roman n'est pas une théorie, c'est une recherche.
Il n'a donc codifié aucune loi. Ce qui fait qu'il ne s'agit pas
d'une école littéraire au sens étroit du terme »...
« Le Nouveau Roman ne fait que poursuivre une évolution
constante du genre romanesque ».
« Loin de faire table rase du passé, c'est sur les noms de nos
prédécesseurs que nous nous sommes le plus aisément mis
d'accord ; et notre ambition est seulement de les continuer »...
« Le Nouveau Roman ne s'intéresse qu'à l'homme et à sa situa-
tion dans le monde ».
« Même si l'on y trouve beaucoup d'objets, et décrits avec
minutie, il y a toujours et d'abord le regard qui les voit, la
pensée qui les revoit, la passion qui les déforme. Les objets de

1. Extraits de l'article de Robbe-Grillet : « Nouveau Roman - Homme


Nouveau », dans P o u r un nouveau roman.
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nos romans n'ont jamais de présence en dehors des perceptions


h u m a i n e s , réelles o u i m a g i n a i r e s »...
« Le N o u v e a u R o m a n n e vise q u ' à u n e s u b j e c t i v i t é t o t a l e »...
« Le N o u v e a u R o m a n s ' a d r e s s e à t o u s les h o m m e s d e b o n n e
foi ».
« N o s livres s o n t é c r i t s a v e c les m o t s , les p h r a s e s d e t o u t le
m o n d e , d e t o u s les j o u r s . Ils n e p r é s e n t e n t a u c u n e difficulté
p a r t i c u l i è r e de l e c t u r e p o u r c e u x q u i n e c h e r c h e n t p a s à c o l l e r
d e s s u s u n e grille d ' i n t e r p r é t a t i o n p é r i m é e , q u i n ' e s t p l u s b o n n e
d é j à d e p u i s p r è s d e c i n q u a n t e a n s »...
« Le N o u v e a u R o m a n ne p r o p o s e p a s d e s i g n i f i c a t i o n t o u t e
faite »...
« Le seul e n g a g e m e n t possible, p o u r l ' é c r i v a i n , c ' e s t la littéra-
t u r e ».
« A v a n t l ' œ u v r e , il n ' y a r i e n ».

LE NOUVEAU ROMAN DANS L'HISTOIRE LITTÉRAIRE

Le r o m a n f r a n ç a i s a pris, d e p u i s 1945, d e s d i r e c t i o n s t r è s di-


verses. T a n d i s q u e s u b s i s t e t o u j o u r s le t r a d i t i o n n e l « r o m a n
b a l z a c i e n », o n a v u se s u c c é d e r le r o m a n e n g a g é de l ' a p r è s - g u e r r e ,
et, e n r é a c t i o n c o n t r e lui, le r o m a n g r a t u i t et d é s i n v o l t e q u i v e u t
retrouver un néo-classicisme r o m a n e s q u e . On classe « à p a r t » des
r o m a n s qui se d i s t i n g u e n t p a r la n o u v e a u t é d e l e u r m o n d e ima-
ginaire et p a r l e u r l i b e r t é s c r i p t u r a l e , q u e ce soit c e u x d e Q u e n e a u ,
de G r a c q o u de B o r i s Vian. L o r s q u e se d é v e l o p p e le N o u v e a u
R o m a n , l ' i m p o r t a n c e p r i s e p a r le p h é n o m è n e n ' e m p ê c h e p a s les
a u t r e s f o r m e s r o m a n e s q u e s de c o n t i n u e r p a r a l l è l e m e n t à lui.
Le N o u v e a u R o m a n d o n n e le s e n t i m e n t d ' u n e r u p t u r e d é c i s i v e
avec ce qui p r é c è d e , c o m m e s'il s ' a g i s s a i t d ' u n t o u t a u t r e r o m a n ,
e t n o n p l u s d ' u n a s p e c t d u r o m a n m u l t i f o r m e : le N o u v e a u R o m a n
a p p a r a î t c o m m e le r e f u s d u p a s s é . M a i s ce r e f u s n e d o i t p a s m a s -
q u e r l ' h é r i t a g e . L ' h i s t o i r e l i t t é r a i r e m o n t r e e n e f f e t les t r a n s f o r -
m a t i o n s r é g u l i è r e s d ' u n r o m a n q u i n ' a c e s s é d ' é v o l u e r d e p u i s le
XIX siècle. Les n o u v e a u x r o m a n c i e r s se r é c l a m e n t d ' a i l l e u r s d ' u n
c e r t a i n n o m b r e de p r é d é c e s s e u r s : F l a u b e r t , Poe, P r o u s t , Dos-
toïevski, Joyce, V i r g i n i a Woolf, K a f k a , J.-L. B o r g è s , R. R o u s s e l .
Ils se s e n t e n t les h é r i t i e r s de c e u x q u i o n t c h a n g é la c o n c e p t i o n
d u r o m a n (en e n f a i s a n t u n « i n s t r u m e n t d ' o p t i q u e » s e l o n la
f o r m u l e de P r o u s t ) ; d e c e u x qui o n t t r a n s f o r m é le r é c i t r o m a -
n e s q u e , avec d e s i n t r i g u e s p l u s f l o u e s o u f l u c t u a n t e s , d e s « m o n -
t a g e s » de t e x t e s é t r a n g e r s s e m b l a b l e s a u x « c o l l a g e s » d e la pein-
t u r e ; de c e u x q u i o n t i n t r o d u i t le m o n o l o g u e i n t é r i e u r , la m i s e
en a b y m e , le c o n t r e p o i n t ; de c e u x q u i o n t t r a n s f o r m é le « p o i n t
de v u e » d u n a r r a t e u r , a b a n d o n n a n t l ' o m n i s c i e n c e p o u r le s u b j e c -
t i v i s m e et le r e l a t i v i s m e d u r e g a r d ; d e c e u x a u s s i q u i o n t f a i t
é v o l u e r le p e r s o n n a g e r o m a n e s q u e d u « t y p e » à la « c o n s c i e n c e »
q u i se livre à des « m y r i a d e s d ' i m p r e s s i o n s » ; d e c e u x q u i o n t
é t é s e n s i b l e s à la « p s y c h o l o g i e d e s p r o f o n d e u r s » o u à la p s y c h a -
nalyse p o u r r e n o u v e l e r la p s y c h o l o g i e r o m a n e s q u e ; enfin, d e c e u x
qui o n t c h e r c h é d é j à à f a i r e la t h é o r i e d u r o m a n , e t o n t i n t r o d u i t
d a n s le r o m a n la r e c h e r c h e s u r le r o m a n . Cet h é r i t a g e est réel,
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m a i s le N o u v e a u R o m a n a r a d i c a l i s é t o u t e s les p o s i t i o n s précé-
dentes.

HISTOIRE DU NOUVEAU ROMAN


Les œ u v r e s d u N o u v e a u R o m a n s o n t a p p a r u e s p r o g r e s s i v e m e n t .
Elles n ' o n t e u d ' a b o r d q u ' u n e f a i b l e a u d i e n c e . C e r t a i n s d e s a u t e u r s
les p l u s a n c i e n s a v a i e n t d é j à p u b l i é a v a n t 1950 e t m ê m e a v a n t l a
g u e r r e : c ' e s t le c a s d e B e c k e t t , d o n t M u r p h y , p u b l i é e n a n g l a i s
e n 1938, p a r a î t , r é é c r i t e n f r a n ç a i s , e n 1946, et de N a t h a l i e S a r r a u t e ,
dont Tropismes date de 1 9 3 8 é c r i v a i n s n e se c o n n a i s s e n t
p a s e n t r e eux. O n n e p e u t n o t e r a u d é b u t n i i n f l u e n c e r é c i p r o q u e
ni soutien ; a u c u n théoricien, a u c u n critique privilégié n ' a p p a r a î t
encore. C'est S a r t r e p a r exemple, qui soutient Nathalie S a r r a u t e
e n 1948, et qui é c r i t u n e p r é f a c e p o u r P o r t r a i t d ' u n i n c o n n u .
Puis, e n t r e 1950 e t 1955, B e c k e t t p u b l i e M o l l o y ; N a t h a l i e Sar-
r a u t e , M a r t e r e a u ; Robbe-Grillet, Les g o m m e s et Le v o y a g e u r ;
B u t o r , P a s s a g e de M i l a n ; P i n g e t , E n t r e F a n t o i n e et A g a p a ; Mar-
g u e r i t e D u r a s , Le s q u a r e .
C'est u n e m a i s o n d ' é d i t i o n q u i r é u n i t a l o r s les r o m a n c i e r s : les
Editions de Minuit ; viendront aussi y publier leurs œuvres, entre
1955 et 1960, C l a u d e S i m o n e t C l a u d e Ollier. P e u à p e u s ' e s t cons-
t i t u é u n g r o u p e . L a c r i t i q u e p a r l e de la N o u v e l l e V a g u e d u r o m a n ;
elle p a r l e a u s s i d ' E c o l e d e M i n u i t , et d e N o u v e a u R o m a n .
P o u r t a n t , dit Robbe-Grillet, « n o u s n'avions pas l'impression en
c o m m e n ç a n t à é c r i r e q u e n o s r o m a n s é t a i e n t t e l l e m e n t n o u v e a u x ».
C'est v e r s 1960 q u e le g r o u p e p r e n d v r a i m e n t f i g u r e d ' é c o l e
littéraire, en dépit de la résistance des romanciers eux-mêmes.
M a l g r é lui, R o b b e - G r i l l e t a p p a r a î t c o m m e le c h e f d'école. Il a
p u b l i é u n c e r t a i n n o m b r e d ' a r t i c l e s t h é o r i q u e s . Il a l u i - m ê m e
« s o n » c r i t i q u e spécialisé, R o l a n d B a r t h e s . Le p u b l i c p r e n d p o u r
d e s s o r t e s d e m a n i f e s t e s d e u x o u v r a g e s e x p l i q u a n t et d é f e n d a n t
les n o u v e l l e s o r i e n t a t i o n s : L ' è r e d u s o u p ç o n , de N a t h a l i e Sar-
r a u t e , p u b l i é e n 1956, e t P o u r u n n o u v e a u r o m a n , d e Robbe-Grillet,
p u b l i é e n 1963 2 De n o u v e l l e s f o r m u l e s s o n t l a n c é e s p a r la criti-
q u e : « E c o l e d u R e g a r d », « R o m a n O b j e c t a l », « A n t i - r o m a n »,
« A n t e - r o m a n ». U n e q u e r e l l e é c l a t e , d a n s le g e n r e d e celles q u i
o p p o s e n t la t r a d i t i o n et l ' a v a n t - g a r d e . O n é c r i t des p a m p h l e t s
c o n t r e ces n o u v e a u x t e x t e s q u e l ' o n j u g e e n n u y e u x o u i n c o m p r é -
h e n s i b l e s : c ' e s t L a c u r e d ' a m a i g r i s s e m e n t d u r o m a n de J.-B. Bar-
r i è r e , o u L a c a f e t i è r e est s u r la table, d e P. d e B o i s d e f f r e . Des
d é b a t s t h é o r i q u e s n a i s s e n t a u t o u r d e la n o u v e l l e école r o m a n e s -
q u e , et u n e c e r t a i n e « e f f e r v e s c e n c e c r i t i q u e » se m a n i f e s t e . Ce
q u ' o n a p p e l l e « la n o u v e l l e c r i t i q u e » s ' i n t é r e s s e e n g é n é r a l a u
N o u v e a u R o m a n e t f a i t a l l i a n c e a v e c lui. Il s e m b l e q u e ce r o m a n -
l à p l u s q u e t o u s les a u t r e s a p p e l l e les c o m m e n t a i r e s c r i t i q u e s ,
q u e la l e c t u r e c r i t i q u e s o i t le p r o l o n g e m e n t n o r m a l de l ' a c t i v i t é
r o m a n e s q u e . D a n s le p u b l i c , le N o u v e a u R o m a n d e v i e n t le r o m a n
« d o n t o n p a r l e » ( e t c e r t a i n s a j o u t e n t « p l u s q u ' o n n e le lit »).
C'est la célébrité en F r a n c e et à l'étranger. La p r o d u c t i o n d u

1. Nathalie S a r r a u t e est née en 1902, Beckett en 1906, mais Robbe-


Grillet en 1922, B u t o r en 1926.
2. Il s'agit de recueils d'articles.
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N o u v e a u R o m a n e s t t r è s i m p o r t a n t e d a n s les a n n é e s 1960, a v e c
des œ u v r e s de N a t h a l i e S a r r a u t e , Alain R o b b e - G r i l l e t , M i c h e l
B u t o r , C l a u d e S i m o n , C l a u d e Ollier, C l a u d e M a u r i a c , M a r g u e r i t e
Duras.
Mais u n e n o u v e l l e g é n é r a t i o n d ' a u t e u r s a p p a r a î t a l o r s , q u i radi-
calise encore certaines positions des nouveaux-romanciers. Elle
se g r o u p e s u r t o u t a u t o u r d e s E d i t i o n s d u Seuil, e t d e la r e v u e
Tel Quel : P h i l i p p e Sollers, J e a n R i c a r d o u , J e a n T h i b a u d e a u ,
J.-L. B a u d r y p u b l i e n t d e p u i s 1960. L a t h é o r i e c o n t i n u e à s e m ê l e r
é t r o i t e m e n t à la p r a t i q u e r o m a n e s q u e : le t h é o r i c i e n , c e t t e fois,
est p r i n c i p a l e m e n t R i c a r d o u , a v e c les P r o b l è m e s d u N o u v e a u Ro-
m a n e n 1967, et P o u r u n e t h é o r i e d u N o u v e a u R o m a n e n 1971.
Les c r i t i q u e s c o m m e n c e n t à p a r l e r d ' u n « n o u v e a u N o u v e a u
R o m a n ».

VUE D'ENSEMBLE DU NOUVEAU ROMAN


Le N o u v e a u R o m a n , n o u s l ' a v o n s vu, se p r é s e n t e d ' a b o r d c o m -
m e u n m o u v e m e n t d e r e f u s — m a i s il e s t a u s s i u n m o u v e m e n t
d e r e c h e r c h e , p h é n o m é n o l o g i q u e o u s c r i p t u r a l e — e t il e s t enfin,
p o u r le public, u n e l e c t u r e difficile.
M o u v e m e n t de refus. Le N o u v e a u R o m a n é c a r t e u n e concep-
t i o n t r a d i t i o n n e l l e , « b a l z a c i e n n e », d u r o m a n , e n ce q u i c o n c e r n e
les f o r m e s et la m a t i è r e r o m a n e s q u e , a u s s i b i e n q u e l ' é t a t
d ' e s p r i t q u ' e l l e révèle. Le N o u v e a u R o m a n r e f u s e l ' i n t r i g u e e t
les s t r u c t u r e s t r a d i t i o n n e l l e s d u récit, le « p e r s o n n a g e », les
s i g n i f i c a t i o n s p s y c h o l o g i q u e s , m o r a l e s et i d é o l o g i q u e s , les conven-
tions pseudo-réalistes, l'attitude omnisciente du r o m a n c i e r et ses
c e r t i t u d e s f a c e a u m o n d e et à l ' h o m m e . Il r e f u s e a u s s i l a
c o n c e p t i o n d u r o m a n e n g a g é t e l q u ' o n l ' é c r i v a i t a p r è s la g u e r r e ;
il n e v e u t p a s d o n n e r d e s i g n i f i c a t i o n s t r a n s c e n d a n t e s a u récit.
« L a f o n c t i o n de l'art, dit Robbe-Grillet, n ' e s t j a m a i s d ' i l l u s t r e r
une vérité — ou m ê m e une interrogation — connue à l'avance,
m a i s d e m e t t r e a u m o n d e des i n t e r r o g a t i o n s q u i n e se c o n n a i s -
s e n t p a s e n c o r e e l l e s - m ê m e s ».
De m ê m e C l a u d e S i m o n a f f i r m e : « J e n e v e u x r i e n p r o u v e r ,
r i e n d é m o n t r e r . . . », et R o b e r t P i n g e t : « T o u t ce q u ' o n p e u t d i r e
o u signifier n e m ' i n t é r e s s e pas, m a i s l a f a ç o n de d i r e ».
Ces r e f u s o n t défini le N o u v e a u R o m a n f a c e à la t r a d i t i o n , e t
o n t c o n t r i b u é à c r é e r le g r o u p e : c ' e s t ce q u e s o u l i g n e R o b b e -
Grillet : « Si u n c e r t a i n n o m b r e d e r o m a n c i e r s p e u v e n t ê t r e
considérés c o m m e f o r m a n t u n groupe, c'est beaucoup plus p a r
les é l é m e n t s n é g a t i f s o u p a r les r e f u s qu'ils o n t e n c o m m u n e n
face d u m o n d e t r a d i t i o n n e l ».
M o u v e m e n t de r e c h e r c h e . Le N o u v e a u R o m a n é l a b o r e u n e nou-
velle c o n c e p t i o n d u r o m a n : c ' e s t celle d u « r o m a n p r o b l è m e », d u
« r o m a n e x p é r i m e n t a l » ( d a n s u n s e n s t r è s d i f f é r e n t d e celui d e
Zola) qui d o i t a p p o r t e r de « n o u v e l l e s f o r m e s e t d e n o u v e l l e s
s u b s t a n c e s » r o m a n e s q u e s . M a i s le r o m a n n ' e s t p a s le r é s u l t a t d e
c e t t e r e c h e r c h e , il e s t la r e c h e r c h e elle-même. Celle-ci e s t i n t é g r é e
a u r o m a n , elle n e s ' o c c u l t e p a s , elle se m o n t r e . E l l e e s t le s u j e t
r o m a n e s q u e p a r excellence. Le r o m a n e s t l ' a v e n t u r e d u r o m a n e t
le l e c t e u r d o i t p a r t i c i p e r à c e t t e a v e n t u r e . N o u s p o u v o n s distin-
g u e r t r o i s d i r e c t i o n s p r i n c i p a l e s de c e t t e « r e c h e r c h e ».
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• Le r o m a n e s t e n t r e p r i s e de d é c h i f f r e m e n t d u réel, e n t r e p r i s e
p h é n o m é n o l o g i q u e . C ' e s t e n ce s e n s q u ' o n a p a r l é d u N o u v e a u
R o m a n c o m m e d ' u n « n é o - r é a l i s m e ». Il c h e r c h e à r e n d r e c o m p t e
d e s r a p p o r t s d e l ' h o m m e e t d u réel. C o m m e le d i t M a n s u y il
« s'efforce de p r é c i s e r n o t r e saisie des choses à travers u n e redé-
f i n i t i o n d u t e m p s e t d e l ' e s p a c e ». T a n t ô t il n o u s p r é s e n t e u n e
v i s i o n « o b j e c t a l e » d e ces c h o s e s d o n t l ' h o m m e n e p e u t p e i n d r e
q u e les s u r f a c e s , s a n s p r é t e n d r e l e u r d o n n e r u n « f a u x m y s t è r e »,
s a n s i n v e n t e r « u n c œ u r r o m a n t i q u e d e s c h o s e s » c a r les o b j e t s
s o n t là « d u r s , i n a l t é r a b l e s , p r é s e n t s p o u r t o u j o u r s » ( R o b b e -
Grillet). T a n t ô t l a v i s i o n e s t t o t a l e m e n t s u b j e c t i v e e t c h e r c h e à
r e m p l a c e r l a f a u s s e c l a r t é d e la p s y c h o l o g i e t r a d i t i o n n e l l e p a r u n e
v é r i t é des p r o f o n d e u r s , p a r le r é a l i s m e p s y c h i q u e des « t r o p i s -
m e s », d e s « s o u s - c o n v e r s a t i o n s », des m o n o l o g u e s i n t é r i e u r s , d e s
s o l i l o q u e s d é s o r d o n n é s , a-logiques. Le r o m a n v e u t é c h a p p e r a u x
visions stéréotypées, aux conventions de l'ancien réalisme, devenu
u n n o u v e l a c a d é m i s m e . O n p e u t p a r l e r à ce p r o p o s d ' u n e r e c h e r -
c h e « p h é n o m é n o l o g i q u e » d a n s le N o u v e a u R o m a n . A l b é r è s a
r a i s o n de d i r e q u e le r o m a n d e v i e n t u n e « é t u d e c r i t i q u e de l a
c o n n a i s s a n c e d u r é e l ». B u t o r , lui, a f f i r m e : « Le r o m a n e s t le
d o m a i n e p h é n o m é n o l o g i q u e p a r excellence, le lieu o ù é t u d i e r d e
q u e l l e f a ç o n l a r é a l i t é n o u s a p p a r a î t o u p e u t n o u s a p p a r a î t r e ».
Et Nathalie S a r r a u t e pense que l'œuvre d'art est « percée des
apparences vers une réalité inconnue » ( « percée » indiquant u n
e f f o r t v e r s le réel, n o n u n r e f l e t p a s s i f ) .
• Le r o m a n se p r é s e n t e a u s s i c o m m e u n e e x p l o r a t i o n de l'ima-
g i n a i r e : livré a u x i m a g e s , a u x f a n t a s m e s , a u x r ê v e s , a u x obses-
sions, a u x m y t h e s , il a p p a r a î t c o m m e r é v é l a t e u r à la fois d ' u n
i n c o n s c i e n t p e r s o n n e l et d ' u n i n c o n s c i e n t collectif. C i t o n s ce q u e
d i t R o b b e - G r i l l e t d e s « t h è m e s g é n é r a t e u r s » de s o n r o m a n P r o j e t
p o u r u n e r é v o l u t i o n à N e w Y o r k : « ... J e m e t r o u v e assailli p a r
u n e m u l t i t u d e d e s i g n e s d o n t l ' e n s e m b l e c o n s t i t u e la m y t h o l o g i e
d u m o n d e o ù j e vis, q u e l q u e c h o s e c o m m e l ' i n c o n s c i e n t c o l l e c t i f
d e la société, c'est-à-dire à la fois l ' i m a g e q u ' e l l e v e u t se d o n n e r
d ' e l l e - m ê m e , e t le r e f l e t d e s t r o u b l e s q u i la h a n t e n t . F a c e à ces
m y t h e s m o d e r n e s , d e u x a t t i t u d e s s o n t p o s s i b l e s : o u b i e n les
c o n d a m n e r . . . o u b i e n a l o r s les a s s u m e r et... r e c o n n a î t r e q u e ces
i m a g e s s o n t a u t o u r d e m o i , c'est-à-dire e n m o i , e t q u ' a u lieu d e m e
b o u c h e r les y e u x e n m e v o i l a n t la face, il m e r e s t e la p o s s i b i l i t é
d e j o u e r a v e c elles ».
A p r o p o s de s e s p r e m i e r s r o m a n s , R o b b e - G r i l l e t s o u l i g n a i t d é j à
la s u b j e c t i v i t é d e la v i s i o n d u n a r r a t e u r , c a p a b l e de f a i r e n a î t r e
d e s i m a g e s d é f o r m é e s e t d é l i r a n t e s : « N o n s e u l e m e n t c'est u n
h o m m e qui, d a n s m e s r o m a n s p a r e x e m p l e , d é c r i t t o u t e chose,
m a i s c ' e s t le m o i n s n e u t r e , le m o i n s i m p a r t i a l d e s h o m m e s : en-
gagé a u c o n t r a i r e t o u j o u r s d a n s u n e a v e n t u r e p a s s i o n n e l l e d e s
p l u s o b s é d a n t e s , a u p o i n t de d é f o r m e r s o u v e n t s a v i s i o n et d e
p r o d u i r e c h e z lui d e s i m a g i n a t i o n s p r o c h e s d u d é l i r e ».
Le N o u v e a u R o m a n n ' a p p a r a î t donc plus, à u n certain m o m e n t ,
c o m m e u n e r e c h e r c h e « o b j e c t a l e » : « Le N o u v e a u R o m a n n e vise

1. Positions et oppositions s u r le r o m a n contemporain.


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q u ' à u n e s u b j e c t i v i t é t o t a l e », a f f i r m e Robbe-Grillet. E t G. G e n e t t e ,
dans u n article de F i g u r e s m o n t r e c o m m e n t à la vision d'un
r o m a n c i e r « a r p e n t e u r p o i n t i l l e u x » s u c c è d e la v i s i o n d ' u n r o m a n -
c i e r « s p é l é o l o g u e d e l ' i m a g i n a i r e ». O n d é c o u v r e chez R o b b e -
Grillet « u n e t r o u b l a n t e i r r é a l i t é , n a g u è r e i n s o u p ç o n n é e ». « C e t
e s p a c e à la fois i n s t a b l e e t o b s é d a n t , c e t t e d é m a r c h e a n x i e u s e ,
p i é t i n a n t e , ces f a u s s e s r e s s e m b l a n c e s , ces c o n f u s i o n s d e l i e u x e t
de p e r s o n n e s , ce t e m p s dilaté, c e t t e c u l p a b i l i t é diffuse, c e t t e
s o u r d e f a s c i n a t i o n de la violence, q u i n e les r e c o n n a i s s a i t ? l'Uni-
v e r s d e R o b b e - G r i l l e t é t a i t celui d u rêve et d e l ' h a l l u c i n a t i o n ».
Mais si c e t t e « s u b j e c t i v i t é » d o n n e la loi d ' o r g a n i s a t i o n d u
m o n d e visible « selon d e s r a p p o r t s d ' a n a l o g i e q u i a p p a r t i e n n e n t
e n p r i n c i p e à l ' u n i v e r s i n t é r i e u r », o n p e u t a j o u t e r , c o m m e G. Ge-
nette, qu'ils a p p a r t i e n n e n t « peut-être s i m p l e m e n t à l'espace d u
l a n g a g e ».
• Le r o m a n e s t é g a l e m e n t r e c h e r c h e f o r m e l l e e t s c r i p t u r a l e .
Celle-ci e s t d ' a i l l e u r s n é c e s s a i r e d a n s t o u t n o u v e a u r o m a n , q u e l l e
q u e soit s o n o r i e n t a t i o n , c a r il n ' e s t p a s q u e s t i o n d e s é p a r e r
f o r m e e t s u b s t a n c e . B u t o r i n s i s t e s u r l ' i m p o r t a n c e d e l'« i n v e n t i o n
f o r m e l l e ». C a r ce s o n t des « f o r m e s n o u v e l l e s » d a n s le r o m a n
qui « r é v é l e r o n t d a n s la r é a l i t é d e s c h o s e s n o u v e l l e s ». Aussi
ajoute-t-il q u ' « à u n e n o u v e l l e situation... c o r r e s p o n d e n t d e s
f o r m e s n o u v e l l e s à q u e l q u e n i v e a u q u e ce s o i t : l a n g a g e , style,
t e c h n i q u e , c o m p o s i t i o n , s t r u c t u r e » ; e t il m o n t r e le r ô l e i m p o r -
t a n t d e c e t t e r e c h e r c h e : « L a r e c h e r c h e d e n o u v e l l e s f o r m e s ro-
m a n e s q u e s . . . j o u e u n t r i p l e r ô l e p a r r a p p o r t à la c o n s c i e n c e q u e
n o u s a v o n s d u réel : d é n o n c i a t i o n , e x p l o r a t i o n , a d a p t a t i o n ».
Robbe-Grillet, p a r l a n t d e s r o m a n s , a f f i r m e : « C ' e s t d a n s l e u r
f o r m e q u e r é s i d e l e u r r é a l i t é ».
C'est ainsi q u e le r o m a n p e u t ê t r e défini c o m m e « le l a b o r a t o i r e
d u r é c i t » ( B u t o r ) . C'est a i n s i q u ' e n p l u s i e u r s n o u v e a u x r o m a n s ,
o n t r o u v e le r o m a n c i e r é c r i v a n t s o n r o m a n et se p o s a n t d e s p r o -
b l è m e s f o r m e l s (ce r o m a n c i e r , Gide e t H u x l e y l ' a v a i e n t d é j à in-
t r o d u i t d a n s l e u r s œ u v r e s ) , o u le n a r r a t e u r r é d i g e a n t , e t s e criti-
q u a n t , g o m m a n t , r a t u r a n t , se r e p r e n a n t (Molloy, M a l o n e ) . S a n s
d o u t e la r e c h e r c h e c r i t i q u e e t t h é o r i q u e est-elle i m p o r t a n t e à l'ex-
t é r i e u r d u r o m a n . M a i s ce q u i e s t i n t é r e s s a n t , c ' e s t de la v o i r ici
i n t é g r é e a u r o m a n m ê m e , a v e c ces n a r r a t e u r s e t ces s c r i p t e u r s
c o n s c i e n t s et c r i t i q u e s qui se r e g a r d e n t c r é e r . R o b b e - G r i l l e t p e u t
donc a f f i r m e r q u e seule l'intéresse « la l i t t é r a t u r e en t a n t q u e
p r o b l è m e ». C a r l ' œ u v r e d ' a r t e s t « u n e r e c h e r c h e q u i se c r é e elle-
m ê m e , u n e r e c h e r c h e q u i s é c r è t e e l l e - m ê m e ses p r o p r e s ques-
t i o n s ».
D o n c « le N o u v e a u R o m a n n ' e s t p a s u n e t h é o r i e , c ' e s t u n e re-
c h e r c h e ». « Il n ' e x p r i m e pas, il r e c h e r c h e . E t ce qu'il r e c h e r c h e ,
c ' e s t l u i - m ê m e ».
P o u r le public, le N o u v e a u R o m a n e s t s u r t o u t u n e l e c t u r e difficile
Il lui o f f r e d e s f o r m e s n o u v e l l e s , d é c o n c e r t a n t e s , q u ' o n n e p e u t
p l u s a b o r d e r a v e c les s c h é m a s h a b i t u e l s de l ' e s p r i t . T a n t ô t le
r o m a n s e m b l e fait d e r é p é t i t i o n d e scènes, t a n t ô t l ' h i s t o i r e é c l a t e
e n f r a g m e n t s d o n t il e s t difficile de f a i r e u n e « r e c o n s t i t u t i o n »,

1. Editions du Seuil.
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t a n t ô t p a r u n p r o n o m i n h a b i t u e l le t e x t e s e m b l e i n t e r p e l l e r le
l e c t e u r , etc.
L ' a s p e c t é n i g m a t i q u e e s t r e n f o r c é p a r le r e f u s d e t o u t c o m m e n -
t a i r e e x p l i c a t i f . Il f a u t d e v i n e r s e u l la r è g l e d u j e u e t les t r u q u a -
ges. Le r o m a n , à t o u s p o i n t s d e vue, e s t u n e « f i c t i o n r u s é e ». Il a
p e r d u s o n a s p e c t r a s s u r a n t , s é c u r i s a n t . Il d e m a n d e la p a r t i c i p a -
tion active d u lecteur, refuse la passivité.
L e r o m a n s e m b l e v o u l o i r d é t r u i r e t o u t « r o m a n e s q u e ». L e s
« aventures » ne sont plus que des scènes quotidiennes, banales,
ou des f r a g m e n t s assez i r o n i q u e m e n t e m p r u n t é s a u r o m a n e s q u e
de la para-littérature, ou des histoires policières qui t o u r n e n t
c o u r t , o u d e m o n o t o n e s r é p é t i t i o n s . Le N o u v e a u R o m a n e s t à l a
fois a n t i - r o m a n e t a n t e - r o m a n : le r o m a n s ' i n s t a l l e d e p r é f é r e n c e
d a n s l ' e s p a c e b l a n c a v a n t o u a p r è s l ' a v e n t u r e . Ce n ' e s t p a s l'aven-
t u r e a m o u r e u s e d e L é o n D e l m o n t e t Cécile q u i n o u s e s t r a c o n t é e
en détails dans La modification, mais u n voyage de Delmont de
Paris à Rome.
E n f i n , l ' i d e n t i f i c a t i o n à u n h é r o s n e p e u t p l u s f a c i l e m e n t se
f a i r e . C e p e n d a n t , le N o u v e a u R o m a n a d e s a s p e c t s i n c a n t a t o i r e s ,
p o é t i q u e s , f a n t a s m a t i q u e s q u i p e u v e n t p r o v o q u e r u n e s o r t e d'en-
v o û t e m e n t . F a s c i n a t i o n n o u v e l l e e n g e n d r é e p a r ces n o u v e l l e s for-
mes romanesques.
E n c o n c l u s i o n : n o u s p o u v o n s r e p r e n d r e ce q u e d i t Z é r a f f a
d a n s P o s i t i o n s e t O p p o s i t i o n s s u r le r o m a n c o n t e m p o r a i n :
« Le N o u v e a u R o m a n n o u s o f f r e s a n s d o u t e u n m o n d e d'incer-
t i t u d e , d ' a m b i g u ï t é ; il n o u s r a p p e l l e a i n s i c e q u e n o u s s o m m e s ,
d e s e n v e r s e t d e s e n d r o i t s s i m u l t a n é s ». Or, « c ' e s t u n e leçon de
r é a l i s m e q u e d e n o u s m o n t r e r la p e r m a n e n c e t e r r i b l e d e l'éven-
t u e l : à n o u s d e c h o i s i r , les c a r t e s é t a n t s u r l a t a b l e , e t à n o u s d e
c o m b i n e r . C a r ce n ' e s t p a s le m o i n d r e a v a n t a g e d e L ' i n n o m m a b l e
o u d e L a m a i s o n d e r e n d e z - v o u s q u e d e n o u s p l a c e r d a n s les
labyrinthes sans cesse fourchus, et de nous p e r m e t t r e ainsi de
r é i n v e n t e r s a n s c e s s e le r o m a n p a r r a p p o r t à u n e r é a l i t é t o u j o u r s
a m b i g u ë e t c h a n g e a n t e ».
Et l'imagination n'est pas déçue : « L'imagination y trouve au
m o i n s a u t a n t s o n c o m p t e q u e l o r s q u ' e l l e se t r o u v e c o a g u l é e p a r
u n p e r s o n n a g e , u n type, u n e histoire, u n message. »
« J e a n Ricardou nous a s s u r e que cette nouvelle lecture est
p a s s i o n n a n t e . . . Il n o u s i n v i t e n o n s e u l e m e n t à d é p i s t e r les m o n -
tages calculés p a r l'auteur, mais encore tous ceux qui peuvent
ê t r e d é c o u v e r t s d a n s u n t e x t e , v o u l u s o u non... Il a u t o r i s e t o u t e s
les i n i t i a t i v e s , j u g e a n t à l a fois licite e t a g r é a b l e p o u r u n l e c t e u r
d e p a r t i c i p e r a p r è s le s c r i p t e u r à la p r o d u c t i o n d ' u n texte, e n y
p r o j e t a n t t o u s les m o n t a g e s q u e ce t e x t e p o u r r a i n t é g r e r . »

LES DIVERGENCES

L e N o u v e a u R o m a n n ' e s t p a s u n bloc. A l ' i n t é r i e u r d u g r o u p e


d e s n o u v e a u x r o m a n c i e r s , il y a d e s d i f f é r e n c e s , d e s o p p o s i t i o n s ,
d e s q u e r e l l e s . P i e r r e Daix, d a n s N o u v e l l e c r i t i q u e et a r t m o d e r n e

1. Ed. Klincksieck. — 2. Editions du Seuil, p. 15.


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s o u l i g n e ces d i f f é r e n c e s : « Il a suffi de q u e l q u e s a n n é e s p o u r q u e
les t r a j e c t o i r e s de ces é c r i v a i n s , u n i n s t a n t c o n f o n d u s p a r l'igno-
r a n c e e t l ' i n c o m p r é h e n s i o n , divergent... Il y a d é n o m i n a t i o n c o m -
mune, mais non dénominateur commun. »
Daix p e n s e q u ' i l y a d e s « é c r i v a i n s d i f f é r e n t s » e t r a p p e l l e
les r e m a r q u e s d e B a r t h e s : « L a m u l t i p l i c a t i o n d e s é c r i t u r e s e s t
u n f a i t m o d e r n e q u i o b l i g e l ' é c r i v a i n à u n choix, f a i t d e la f o r m e
u n e c o n d u i t e , et p r o v o q u e u n e é t h i q u e d e l ' é c r i t u r e ». M a i s d u
m ê m e c o u p , il t r o u v e ce q u i e s t c o m m u n a u x n o u v e a u x r o m a n -
c i e r s : « le n o u v e a u r ô l e d e l ' é c r i t u r e d a n s l a c r é a t i o n r o m a n e s q u e ,
le n o u v e a u r ô l e d u l a n g a g e ». Le N o u v e a u R o m a n a p p a r a î t s u r
ce p o i n t c o m m e u n p h é n o m è n e d e « r u p t u r e q u a l i t a t i v e ». M a i s
c h a q u e é c r i v a i n r e c h e r c h a n t s a p r o p r e voie s c r i p t u r a l e , les diver-
g e n c e s s o n t a u s s i t ô t i n é v i t a b l e s e n t r e les r o m a n c i e r s : elles s o n t
la c o n s é q u e n c e d e la l i b e r t é d e r e c h e r c h e . Il e s t difficile d e d é f i n i r
le N o u v e a u R o m a n , c a r u n e r e c h e r c h e e s t j u s t e m e n t u n m o u v e -
ment, u n e évolution, et c h a c u n décide de son p r o p r e m o u v e m e n t ,
de son orientation, de son rythme. Chaque livre n o u v e a u r e m e t
en cause la vision initiale des choses.
Ces d i v e r g e n c e s s o n t r e c o n n u e s p a r les r o m a n c i e r s e u x - m ê m e s ;
a i n s i B u t o r , p a r l a n t de Robbe-Grillet, d a n s L e s é c r i v a i n s e n
p e r s o n n e l d é c l a r e : « D a n s les r o m a n s d e R o b b e - G r i l l e t , il n ' y
a p a s d'effort de réflexion s u r le t r a v a i l m ê m e d u r o m a n c i e r à
l ' i n t é r i e u r d u r o m a n ; il n ' a p p a r a î t r i e n d u p r o b l è m e q u e j e m e
p o s e des r e l a t i o n s e n t r e les g e n s e t les œ u v r e s d ' a r t . A m o n sens,
c ' e s t u n e d i f f é r e n c e é n o r m e ».
Ces d i f f é r e n c e s se m a n i f e s t e n t s u r t o u t e n t r e N a t h a l i e S a r r a u t e
e t R o b b e - G r i l l e t à p r o p o s d e la p s y c h o l o g i e , q u e N a t h a l i e S a r r a u t e
n ' a p a s s u p p r i m é e ; e n t r e R o b b e - G r i l l e t e t B u t o r , d a n s ce q u e P.
A s t i e r a p p e l l e la « q u e r e l l e des s u r f a c e s e t d e s p r o f o n d e u r s »
q u i o p p o s e le « c h o s i s m e » à l'« h u m a n i s m e ». B a r t h e s a s o u l i g n é
l a différence e n t r e l ' a b s e n c e « d ' i t i n é r a i r e » d a n s u n r o m a n d e
R o b b e - G r i l l e t et la p r é s e n c e d ' u n « c h e m i n e m e n t c r é a t e u r » d a n s
u n r o m a n de B u t o r ( A r g u m e n t s , 1958).
Ces différences v o n t a p p a r a î t r e d e f a ç o n b e a u c o u p p l u s n e t t e
e n t r e la j e u n e g é n é r a t i o n d e n o u v e a u x r o m a n c i e r s e t l ' a u t r e :
o n va p a r l e r a l o r s d ' u n « N o u v e a u N o u v e a u R o m a n ».

LE NOUVEAU NOUVEAU ROMAN OU ROMAN « TEL QUELIEN »


Il e s t r e p r é s e n t é s u r t o u t p a r les œ u v r e s de r o m a n c i e r s p l u s
j e u n e s : J e a n R i c a r d o u ( n é e n 1932), P h i l i p p e S o l l e r s ( n é e n 1936),
J.-L. B a u d r y , J e a n T h i b a u d e a u , R o t t e n b e r g , M. R o c h e .
Ceux-ci se r e g r o u p e n t d é s o r m a i s a u x É d i t i o n s d u Seuil, et à la
r e v u e Tel Quel ( q u i a é t é f o n d é e e n 1 9 6 0 ) I l s p o u r s u i v e n t à la
fois u n e e n t r e p r i s e d e p r o d u c t i o n t e x t u e l l e — t e x t e s q u ' i l s ap-
pellent parfois encore « r o m a n s » — et u n travail critique et
théorique très approfondi. A côté de Sollers et de T h i b a u d e a u
c ' e s t s u r t o u t R i c a r d o u q u i a p p a r a î t c o m m e le t h é o r i c i e n d u

1. M. Chapsal, Les écrivains en personne, Julliard.


2. Cf. aussi les revues Change et Promesse.
3. Cf. articles publiés dans Théorie d'ensemble.
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N o u v e a u N o u v e a u R o m a n . Il a p u b l i é d e u x o u v r a g e s : P r o b l è m e s
d u n o u v e a u r o m a n (1967) et P o u r u n e t h é o r i e d u n o u v e a u r o m a n
(1971). Mais, c o m m e le s o u l i g n e Sollers, il n e s'agit p a s « de
r é d u i r e la p r a t i q u e à l a t h é o r i e , o u p i r e , d ' i l l u s t r e r p a r la
pratique... u n e théorie préalable » 1
« C o m m e n o u s p e n s o n s q u e ce q u i a é t é a p p e l é l i t t é r a t u r e ap-
p a r t i e n t à u n e é p o q u e close l a i s s a n t p l a c e à u n e s c i e n c e nais-
s a n t e , celle de l ' é c r i t u r e , c e t t e p r a t i q u e t h é o r i q u e , r e d o u b l a n t e t
p e n s a n t la p r a t i q u e t e x t u e l l e d a n s s e s effets f o r m e l s n o u v e a u x ,
est devenue indispensable » 2
Les é c r i v a i n s d u p a s s é d o n t o n p a r l e s o n t s u r t o u t d é s o r m a i s
Paul Valéry et R a y m o n d Roussel, Maurice Blanchot et Georges
B a t a i l l e . Le N o u v e a u N o u v e a u R o m a n p r e n d ses d i s t a n c e s à
l'égard des p r e m i e r s n o u v e a u x romanciers, et se livre parfois à
c e r t a i n e s a t t a q u e s . P h i l i p p e Sollers, p a r e x e m p l e d é n o n c e « l'idéo-
logie p o s i t i v i s t e d u N o u v e a u R o m a n , q u i oscille e n t r e u n e sur-
v i v a n c e p s y c h o l o g i s t e ( c o u r a n t de c o n s c i e n c e ) et u n « d e s c r i p -
t i o n n i s m e » d é c o r a t i v e m e n t s t r u c t u r a l ». E t il d e m a n d e q u ' o n
f a s s e « s o r t i r la n a r r a t i o n de s o n c o p i a g e p s e u d o - r é a l i s t e o u i m a -
g i n a i r e , p o u r l ' a m e n e r à u n e e x p l o r a t i o n e n p r o f o n d e u r d u fonc-
t i o n n e m e n t d e la l a n g u e ».
R i c a r d o u , lui, n ' e s t p a s a g r e s s i f à l ' é g a r d d e Robbe-Grillet,
o u de C l a u d e S i m o n , e n p a r t i c u l i e r , ( d o n t il é t u d i e les d e r n i e r s
r o m a n s p a r u s ) , et t o u t e n m o n t r a n t la d i f f é r e n c e e n t r e le N o u v e a u
R o m a n et le r o m a n s e l o n Tel quel, il t e r m i n e s u r c e t t e i m a g e d e
ce q u e f u t le N o u v e a u R o m a n p o u r le r o m a n Tel q u e l i e n : « ce
lieu p a r a d o x a l o ù l ' a p p u i le p l u s vif e n t r a î n e l ' é c a r t le p l u s
a m p l e : le t r e m p l i n » D a n s l ' e n s e m b l e , il y a u r a i t « radicali-
s a t i o n p a r Tel q u e l d e l ' a c t i v i t é d u N o u v e a u R o m a n ».
Il f a u t se r a p p e l e r , d u r e s t e , la f a ç o n d o n t Robbe-Grillet, d a n s
u n a r t i c l e d a t é 1955-1963 5 a n n o n ç a i t l ' é v o l u t i o n i n é v i t a b l e d u
N o u v e a u R o m a n : « q u e les f o r m e s r o m a n e s q u e s p a s s e n t , c ' e s t
p r é c i s é m e n t ce q u e dit le N o u v e a u R o m a n ! Dès q u e le N o u v e a u
R o m a n c o m m e n c e r a à s e r v i r à q u e l q u e chose, q u e ce so i t à l'ana-
lyse p s y c h o l o g i q u e , a u r o m a n c a t h o l i q u e , o u a u r é a l i s m e socia-
liste, ce s e r a le s i g n a l p o u r les i n v e n t e u r s q u ' u n n o u v e a u N o u v e a u
R o m a n d e m a n d e à v o i r le j o u r , d o n t o n n e s a u r a i t p a s e n c o r e à
q u o i il p o u r r a i t s e r v i r , s i n o n à la l i t t é r a t u r e ».
Ce n o u v e a u N o u v e a u R o m a n a b a n d o n n e d é f i n i t i v e m e n t les
c o n c e p t i o n s « r é a l i s t e s » ( o u « n é o - r é a l i s t e s », o u « p h é n o m é n o -
l o g i q u e s »). Sollers, c o m m e R i c a r d o u , e t a p r è s R o b b e - G r i l l e t
a t t a q u e « l'illusion r é a l i s t e » : « le p r é t e n d u r é a l i s m e (de quel-
q u e n o m qu'il se t r a v e s t i s s e , qu'il s o i t n a t u r a l i s t e o u m e n t a l ) ,
ce p r é j u g é q u i c o n s i s t e à c r o i r e q u ' u n e é c r i t u r e d o i t e x p r i m e r

1. Théorie d'ensemble, p. 70.


2. Id., p. 392.
3. Ricardou, P o u r une théorie du nouveau roman, p. 265.
4. Cf. P o u r un nouveau roman, p. 171.
5. Cf. l'article « Du réalisme à la réalité ». « Chacun voit dans le
monde sa propre réalité, mais... le r o m a n est justement ce qui la crée.
L'écriture romanesque ne vise pas à informer... elle constitue la réa-
lité... elle est invention, invention du monde et de l'homme ».
6. Le r o m a n et l'expérience des limites, conférence Tel quel, 8 décem-
bre 1965.
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q u e l q u e c h o s e qui n e s e r a i t p a s d o n n é e d a n s c e t t e é c r i t u r e , quel-
que chose sur quoi l'unanimité p o u r r a i t être réalisée immédiate-
ment... ». « Le p r é j u g é le p l u s t e n a c e est... celui q u i d é f i n i t le
roman... c o m m e u n reflet d u m o n d e o u de l ' e s p r i t — u n m i r o i r
p r o m e n é le l o n g des r o u t e s o u a u t o u r d u c e r v e a u ; u n reflet p a r
c o n s é q u e n t , q u i s ' é c r i r a i t t o u t seul, d e m a n i è r e p l u s o u m o i n s
structurée, à travers un " tempérament u n ingénieur ou u n
visionnaire... »
« T o u t se p a s s e c o m m e si o n c o n f é r a i t la r é a l i t é à n ' i m p o r t e
q u o i p l u t ô t q u ' a u l a n g a g e ».
Il n ' y a p a s de f o r m e s i n n o c e n t e s , de f o r m e s b r u t e s , o r i g i n e l l e s ,
p u r e s , i m m é d i a t e s , p o p u l a i r e s , p r e m i è r e s o u d e r n i è r e s . Il n ' y a
p a s de d e g r é zéro d e la signification. Il n ' y a d o n c p a s d e r o m a n
« v r a i » o u « r é a l i s t e ».
E n effet, la « notion de r é a l i t é » n ' e s t j a m a i s q u ' « u n e conven-
t i o n et u n c o n f o r m i s m e , u n e s o r t e de c o n t r a t t a c i t e p a s s é e n t r e
l ' i n d i v i d u e t s o n g r o u p e social ».
Donc, le r o m a n n e p e u t ê t r e ni la r e p r é s e n t a t i o n n i l'expres-
s i o n d e q u e l q u e c h o s e d ' e x t é r i e u r à lui. Il lui f a u t f u i r « l'illusion
n a t u r a l i s t e » o ù « le livre e s t p r i s p o u r la vie m ê m e »
Au r é a l i s m e , R i c a r d o u o p p o s e le « s c r i p t u r a l i s m e » : « ...l'essen-
tiel e s t s i t u é d a n s le langage... le s u j e t d u l i v r e e s t t o u j o u r s e n
quelque m a n i è r e sa p r o p r e composition... On ne s a u r a i t s o n g e r
à a u c u n s u j e t p r é é t a b l i » ; e t il d o n n e la f o r m u l e c é l è b r e d é j à :
« Un r o m a n n'est pas l'écriture d'une aventure, mais l'aventure
d ' u n e écriture... ». O n e x p l o r e l ' é c r i t u r e , ses lois. P o u r les v r a i s
é c ri vains, « l ' e s s e n t i e l c ' e s t le l a n g a g e m ê m e . E c r i r e , p o u r eux,
c ' e s t n o n la p r é t e n t i o n d e c o m m u n i q u e r u n s a v o i r p r é a l a b l e ,
m a i s ce p r o j e t d ' e x p l o r e r le l a n g a g e c o m m e u n e s p a c e p a r t i c u -
lier ». Le l a n g a g e e s t m a t é r i a u r o m a n e s q u e . O n p a s s e d u « d i r e »
a u « faire » : « La d é m a r c a t i o n d u f a b r i q u e r et du dire n o u s
s e m b l e f o n d a m e n t a l e . . . Les a c t u e l l e s r e c h e r c h e s t e n d e n t à r e m -
p l a c e r u n e l i t t é r a t u r e d u b a v a r d a g e p a r u n e l i t t é r a t u r e d u f a i r e ».
L ' é c r i t u r e e s t « p r o d u c t r i c e » de fiction, d ' i n t r i g u e , d e « conte-
n u » : « C'est le c o n t e n u qui v i e n t e n q u e l q u e m a n i è r e r e s s e m b l e r
à la f o r m e ».
L ' i n t r i g u e est... « le p r o d u i t i n t é g r a l d e s d é v e l o p p e m e n t s d ' u n e
é c r i t u r e ». « L a fiction p o u r n o u s , c ' e s t ce que, p a r s o n f o n c t i o n n e -
m e n t , c o n s t i t u e u n e prose... L a fiction e s t i n s p i r é e p a r l ' é c r i t u r e ».
« L a l i t t é r a t u r e , « a c t i v i t é p r o d u c t r i c e », e s t p a r d é f i n i t i o n
l i b r e de t o u t s e n s p r é c é d a n t s a p r a t i q u e : s a u f à t r a h i r , elle n ' e n
s a u r a i t s e r v i r a u c u n ». L'écrivain, c o m m e le d i s a i t d é j à R o b b e -
Grillet, n ' a r i e n à dire. « Il n ' a r i e n à dire, il a à é c r i r e » (Ricar-
dou). Le r o m a n n e p e u t ê t r e « e n g a g é » : « le livre q u i se v e u t
v r a i m e n t livre, c'est-à-dire texte, n ' a p l u s à i n f o r m e r , à convain-
cre, à d é m o n t r e r , à r a c o n t e r , à r e p r é s e n t e r » (Sollers).
S u r ces d e u x d e r n i e r s p o i n t s , n o u s v o y o n s q u e les p r i n c i p e s d u
n o u v e a u N o u v e a u R o m a n ne s o n t p a s t r è s d i f f é r e n t s d e c e u x
du p r e m i e r Nouveau Roman. L'originalité du nouveau Nouveau
R o m a n se m a n i f e s t e s u r t o u t s u r u n a u t r e p l a n : Tel q u e l n o u s

1. Ricardou, P o u r une théorie du nouveau roman, p. 36.


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offre e n effet u n e t h é o r i e d ' e n s e m b l e , u n e s c i e n c e d e la l i t t é r a t u r e ,


q u i e s t l ' a p p l i c a t i o n à l ' é c r i t u r e de l ' a n a l y s e f a i t e p a r M a r x d a n s
le d o m a i n e é c o n o m i q u e .
N o u s r e v i e n d r o n s s u r ces a s p e c t s f o n d a m e n t a u x d e l a p r a t i q u e
d u Nouveau R o m a n dans u n prochain chapitre (en particulier
s u r l a n o t i o n d e l ' é c r i t u r e c o n s i d é r é e c o m m e p r o c e s s u s d e pro-
duction).
Il e s t d o n c b i e n é v i d e n t q u e le n o u v e a u N o u v e a u R o m a n e s t
p l u s e n c o r e q u e le N o u v e a u R o m a n u n m o u v e m e n t d e r e f u s ,
e t u n m o u v e m e n t d e r e c h e r c h e . E t il e s t u n e l e c t u r e e n c o r e p l u s
difficile. Le n o u v e a u N o u v e a u R o m a n , d i r o n s - n o u s p o u r r é s u m e r ,
i n s i s t e d o n c s u r l a p r o d u c t i o n d u texte, s u r l ' é c r i t u r e , et s o u l i g n e
a u s s i l ' i n t e r d é p e n d a n c e d e s t e x t e s : « Le l i v r e — le v o l u m e r o m a -
n e s q u e , le r o m a n ...du m o m e n t q u ' i l n e s e p r é t e n d p a s u n e
somme, ne sera à son t o u r qu'une plus grande séquence, dans
u n e s u i t e n o n l i m i t é e a p r i o r i d e livres... » (J. T h i b a u d e a u ) ; « le
c o n c e p t d ' i n t e r t e x t u a l i t é e s t ici e s s e n t i e l : t o u t t e x t e se s i t u e à
l a j o n c t i o n d e p l u s i e u r s t e x t e s d o n t il e s t à l a fois l a r e l e c t u r e ,
l ' a c c e n t u a t i o n , la c o n d e n s a t i o n , le d é p l a c e m e n t e t l a p r o f o n d e u r »
(Sollers).
Le n o u v e a u N o u v e a u R o m a n m a n i f e s t e u n e nouvelle f o r m e
d ' i m a g i n a t i o n « s c r i p t u r a l e », r é v é l a n t l ' o b s e s s i o n d e l ' é c r i t u r e .
Métaphores, images nous renvoient dans leur ambiguïté, à
l ' a c t e d ' é c r i r e , o u a u p r o d u i t d e l ' é c r i t u r e . R a p p e l o n s les r e m a r -
q u e s de M a n s u y : « Alors que, chez Freud, tout rêve était plus
o u m o i n s u n e s y m b o l i s a t i o n d e la libido, c h e z R i c a r d o u t o u t
récit... e s t u n e s y m b o l i s a t i o n d e la p a g e i m p r i m é e a v e c ses l i g n e s
e t s e s blancs... Il y a u r a i t u n e b e l l e é t u d e à f a i r e s u r c e t t e f o r m e
d ' i m a g i n a t i o n ».

CONCLUSION

Voici d o n c ce q u ' o n p e u t r e t e n i r d e l ' e n s e m b l e d e c e t t e b r è v e


histoire du Nouveau R o m a n :
— l a r u p t u r e é v i d e n t e a v e c le r o m a n t r a d i t i o n n e l ;
— la diversité des recherches ;
— les liens é t r o i t s e n t r e c r i t i q u e , t h é o r i e e t r o m a n , r o m a n e t
science de la littérature ;
— l'influence des travaux de linguistique structurale, p o u r la
d e u x i è m e g é n é r a t i o n d e n é o - r o m a n c i e r s , a l o r s q u e l'influence d e
la phénoménologie jouait surtout s u r la première génération ;
— l ' i m p o r t a n c e d u l a n g a g e , d e l ' é c r i t u r e , de l a p r o d u c t i o n , d u
texte ;
— l'idée q u e « l ' a r t n ' e x p r i m e r i e n q u e l u i - m ê m e » ( R o b b e -
Grillet) ;
— et en m ê m e temps, l'orientation n e t t e m e n t marxiste des
théoriciens tel queliens d u n o u v e a u N o u v e a u R o m a n .
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Problèmes de composition
LES STRUCTURES DU RECIT
Le récit du roman traditionnel était essentiellement linéaire
quoique sa formule se soit compliquée au cours du XX siècle. Le
roman racontait une « histoire », logiquement, chronologiquement,
et dramatiquement. La « vie » était soumise à l'ordonnance d'un
récit interprétatif et organisateur : narration et description s'as-
sociaient pour une explication du monde et de l'homme.
Le Nouveau Roman refuse cette mise en ordre rationnelle et
littéraire : ce qui ne signifie pas, évidemment, que toute orga-
nisation en soit absente et que son écriture soit anarchique. Mais
il est de fait qu'on ne peut plus, pour expliquer le Nouveau
Roman, invoquer les lois du récit traditionnel. On le rapproche
plutôt de la poésie, de la musique, de la peinture, de l'architec-
ture, de l'art de la tapisserie. Sans doute les critiques du roman
ont-ils parlé de canon, de fugue, de contrepoint, de mise en
abyme avant l'apparition du Nouveau Roman. On continue à en
parler, mais on parle aussi désormais de cubisme, de mobiles, de
structures aléatoires, de jeu d'échecs.
Lorsque le lecteur lit un Nouveau Roman, il peut essayer d'y
retrouver une « histoire », démarche plus ou moins facile selon
les œuvres ; plus facile par exemple avec un texte de Butor
qu'avec u n texte de Ricardou. De toute façon, il faut se livrer à
un travail de reconstruction, le véritable récit romanesque étant
éliminé du roman. Ainsi, dans La modification, la véritable « his-
toire » précède (et suivra) ce qui fait la matière du roman écrit :
le temps vécu par un voyageur dans le train Paris-Rome. Dans
Le voyeur, la scène sadique du meurtre et du viol qui devrait
être le point culminant d'un récit n'est pas écrite : le roman nous
offre au contraire les essais de Mathias pour se recomposer un
itinéraire « innocent ». Si le lecteur de Claude Simon veut recons-
tituer l'histoire de Corinne ou d'oncle Charles, il lui faut rappro-
cher des scènes de La route des Flandres, de Histoire, de La
bataille de Pharsale. Et le récit que pourrait se faire le lecteur
d'une telle « histoire » demeurerait nécessairement incomplet,
fragmentaire, douteux, ambigu. Le but de l'entreprise romanesque
n'est plus de raconter une histoire, mais de faire participer à
une expérience. Robbe-Grillet, dans Pour un nouveau roman, à
propos de « quelques notions périmées », rappelle ce qu'était
l'histoire dans le roman traditionnel, et remarque l'actuelle désa-
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grégation de l'intrigue : alors qu'autrefois le romancier digne de


ce nom était « celui qui sait raconter une histoire », aujourd'hui
« raconter est devenu proprement impossible ». Mais nuançant
son propos, Robbe-Grillet ajoute : « Cependant, c'est un tort de
prétendre qu'il ne se passe plus rien dans les romans modernes...
Il ne faut pas assimiler la recherche de nouvelles structures du
récit à une tentative de suppression pure et simple de tout événe-
ment, de toute passion, de toute aventure....En somme, ce n'est
pas l'anecdote qui fait défaut, c'est seulement son caractère de
certitude, sa tranquillité, son innocence. » Nous rappellerons à ce
sujet que Robbe-Grillet a lui-même rédigé pour les « prière
d'insérer » de ses premiers romans, des sortes de résumés d'intri-
gue. « Ces admirables résumés, dit M a r r i s s e t t e indiquent tou-
jours les lignes générales d'une histoire précise. »
Si le Nouveau Roman apparaît rarement comme une « histoi-
re » ou une « intrigue », il apparaît toujours comme une « struc-
ture ». Butor nous parle de « cette énorme structure qu'est un
roman ». Pour lui, le romancier est celui « qui s'aperçoit qu'une
structure est en train de s'esquisser dans ce qui l'entoure et qui
va poursuivre cette structure, la faire croître, la perfectionner,
l'étudier, jusqu'au moment où elle sera lisible pour tous ». (Essais
sur le roman). Le critique de son côté doit poursuivre cette struc-
ture devenue romanesque, l'étudier et, si possible, la rendre li-
sible pour tous. Cette étude structurale du Nouveau Roman
montre que :
— les structures chronologiques traditionnelles sont abandon-
nées alors que des structures spatiales prennent de l'importance ;
— les structures logiques et explicatives sont remplacées par
des structures de variation, de répétition, d'association, de mise
en abyme ;
— il n'y a plus d'organisation dramatique du récit ; certains
romans ont une structure nettement ludique ;
— le plan de la narration devient plus important que celui de
la fiction ;
— le travail de l'écrivain n'est plus occulté ;
— la structure du roman enfin intègre des textes étrangers ;
une intertextualité voyante se développe.

STRUCTURES CHRONOLOGIQUES ET A-CHRONOLOGIQUES


Le récit chronologique était solidement encadré dans un temps
officiel, avec ses heures, ses jours, ses saisons, ses années. C'était
un temps semblable à une échelle fixe et stable, qu 'on pouvait
même descendre et remonter sans encombre, car les « flash-
back » et les scènes simultanées étaient nettement donnés comme
tels. La fiction temporelle était fermement organisée.
Dans le Nouveau Roman plusieurs cas se présentent.
Romans où la chronologie demeure le cadre extérieur du roman.
La modification, Histoire, Quelqu'un, Les gommes se déroulent
en vingt-quatre heures fictives (les vingt-quatre heures d 'un
voyage ou d'une journée du narrateur).

1. Dans Les romans de Robbe-Grillet.


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P a s s a g e de M i l a n s ' i n s c r i t n e t t e m e n t d a n s u n c a d r e d e d o u z e
h e u r e s , de s e p t h e u r e s d u s o i r à s e p t h e u r e s le l e n d e m a i n m a t i n .
La Marquise sortit à cinq heures n o u s restitue u n e h e u r e de
vie a u c a r r e f o u r d e B u c i à P a r i s , t a n d i s q u e L ' a g r a n d i s s e m e n t
d u r e « à p e i n e d e u x m i n u t e s », le t e m p s d ' u n e s o n n e r i e d e télé-
phone.
P a r f o i s le c a d r e e s t p l u s v a s t e : u n e d i z a i n e de j o u r s d a n s
L'herbe, s e p t m o i s d a n s Le vent, u n a n e x a c t e m e n t d a n s L ' e m p l o i
d u t e m p s . Q u a n t à Degrés, il n o u s offre, a u t o u r d ' u n e j o u r n é e
pivot, celle d u m a r d i 12 o c t o b r e 1954, e t s p é c i a l e m e n t d ' u n e
h e u r e de c o u r s d ' h i s t o i r e e n 2 A, l ' e x p l o r a t i o n d e q u e l q u e s
s e m a i n e s d e la vie d ' u n lycéen p a r i s i e n . Les i n d i c e s t e m p o r e l s
p e u v e n t , d a n s ces c a d r e s , r e v e n i r a v e c b e a u c o u p d ' i n s i s t a n c e :
a d v e r b e s de t e m p s , n o t a t i o n s de j o u r s e t d ' h e u r e s , d a t e s t r è s
p r é c i s e s c o m p o r t a n t le j o u r , le m o i s , l ' a n n é e ( o n n o t e l e u r r e t o u r
l a n c i n a n t d a n s Degrés). Le c a d r e fictif p e u t d u r e s t e d e m a n d e r
cette précision :
— l ' e m p l o i d u t e m p s d ' u n lycée, d a n s D e g r é s ;
— u n v o y a g e P a r i s - R o m e e t s o n h o r a i r e p r é c i s d a n s L a modi-
fication ;
— l ' e n t r e p r i s e q u i c o n s i s t e à r é d i g e r u n « j o u r n a l », d a n s L'em-
ploi d u t e m p s ; celle qui c o n s i s t e à c o n s i g n e r ses o c c u p a t i o n s es.
s e n t i e l l e s d a n s u n a g e n d a , d a n s L a m i s e en s c è n e ;
— le d é r o u l e m e n t d ' u n d î n e r e n ville a v e c les p l a t s q u i se
s u c c è d e n t d a n s le r o m a n d e M a u r i a c ;
— le p a s s a g e p r o g r e s s i f d e l ' a p r è s - m i d i à la s o i r é e d a n s les
d e u x r o m a n s de M a r g u e r i t e D u r a s , Le s q u a r e et L ' a p r è s - m i d i
d e M. A n d e s m a s . M ê m e la j o u r n é e b a n a l e d u n a r r a t e u r d a n s
H i s t o i r e e s t r a c o n t é e s u c c e s s i v e m e n t a v e c le lever, u n e r e n c o n t r e ,
le p a s s a g e à la b a n q u e , le d é j e u n e r a u r e s t a u r a n t , le r e n d e z - v o u s
à d e u x h e u r e s p o u r v e n d r e d e s m e u b l e s à u n e r e v e n d e u s e , la
visite h o r s de la ville chez u n cousin, le r e t o u r a u soir, le d î n e r
d a n s u n café, la r e n t r é e à la m a i s o n .
Mais quelle q u e s oit l ' a b o n d a n c e de ces indices, o n s ' a p e r ç o i t
vite q u ' i l n e s'agit p a s r é e l l e m e n t d ' u n e s u c c e s s i o n c h r o n o l o g i q u e :
il s'agit d ' u n t e m p s « é c l a t é » à l ' i n t é r i e u r d u c a d r e q u i n o u s est
p r é s e n t é . D a n s H i s t o i r e c o m m e d a n s L a m o d i f i c a t i o n , les vingt-
quatre heures du cadre temporel chronologique ne constituent
q u ' u n e p e t i t e p a r t i e d u r o m a n , q u e l q u e s s é q u e n c e s , q u e l q u e s tran-
c h e s t e m p o r e l l e s a u p r é s e n t , e n t r e l e s q u e l l e s s u r g i s s e n t t o u t e s les
couches du passé.
D a n s La m o d i f i c a t i o n c ' e s t l ' a c t i v i t é m e n t a l e d u v o y a g e u r i n o c
c u p é , assis d a n s s o n c o i n de c o m p a r t i m e n t , silencieux, q u i f a i t
s u r g i r le p a s s é et i m a g i n e r l'avenir. Ce v o y a g e lui e n r a p p e l l e
d ' a u t r e s , faits seul, avec s a m a î t r e s s e Cécile o u a v e c s a f e m m e .
S a n s d o u t e l ' é m e r g e n c e de ces s o u v e n i r s peut-elle s ' e x p l i q u e r
d e f a ç o n « r é a l i s t e » p a r les lois d e la m é m o i r e o u de l ' a s s o c i a t i o n
d'idées, le « t e m p s » d u r o m a n d e v e n a n t a l o r s ce t e m p s i n t é r i e u r
d e la r e m é m o r a t i o n (les s o u v e n i r s les p l u s l o i n t a i n s r é a p p a r a i s -
s a n t e n d e r n i e r ) o u de la c o n j e c t u r e , d e l ' i m a g i n a t i o n d u f u t u r
p r o c h e . Les lois d e l ' a c t i v i t é p s y c h i q u e e x p l i q u e n t a l o r s les r u p -
t u r e s , les s a u t s , les r a p p r o c h e m e n t s b r u s q u e s , le s u r g i s s e m e n t
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p a r c e l l a i r e et d i s c o n t i n u . Il f a u t r e l i r e à ce p r o p o s les r e m a r q u e s
d e B u t o r d a n s s e s E s s a i s s u r le r o m a n Il o b s e r v e q u e
l o r s q u ' o n r e m o n t e le c o u r s d u t e m p s , « c o m m e u n a r c h é o l o g u e
o u u n g é o l o g u e » o n r e n c o n t r e « d ' a b o r d les t e r r a i n s r é c e n t s , p u i s ,
d e p r o c h e e n proche,... les a n c i e n s ». P u i s il p r é c i s e : « P a r a l l é l i s -
mes, renversements, reprises, l'étude de l'art musical m o n t r e
q u ' i l s'agit là d e d o n n é e s é l é m e n t a i r e s d e n o t r e c o n s c i e n c e d u
t e m p s . » De la « ligne » t e m p o r e l l e o n p a s s e à la « s u r f a c e » :
« C h a q u e é v é n e m e n t a p p a r a î t c o m m e p o u v a n t ê t r e le p o i n t
d'origine et de convergence de plusieurs suites narratives. La nar-
r a t i o n n ' e s t p l u s u n e ligne m a i s u n e s u r f a c e d a n s l a q u e l l e n o u s
i s o l o n s u n c e r t a i n n o m b r e d e lignes, d e p o i n t s , o u d e g r o u p e m e n t s
remarquables. »
Ce s o n t ces « g r o u p e m e n t s », c ' e s t c e t t e o r g a n i s a t i o n d u r o m a n
que Françoise Van Rossum-Guyon a analysés dans son étude
Critique d u roman, m o n t r a n t qu'il y a dans La modification u n
m o n t a g e s u b t i l d e s é q u e n c e s , u n e s t r u c t u r e p o l y p h o n i q u e : « Le
t e m p s n a r r é e s t d é c o u p é e n p é r i o d e s de p l u s i e u r s j o u r s e t les
suites narratives qui leur correspondent sont soumises à une
d o u b l e s t r u c t u r a t i o n , formelle... et t h é m a t i q u e . . . » F o r m e l l e : il y
a les t r o i s p a r t i e s — les n e u f c h a p i t r e s — et d a n s c h a q u e c h a p i t r e
d e s « s t r o p h e s , s é p a r é e s p a r d e s b l a n c s ». C e r t a i n e s d e ces « stro-
p h e s » s o n t d e s « m o t i f s q u i j o u e n t le r ô l e de l e i t m o t i v e ». D o n c
l'organisation relève d'une motivation « qui n'est pas réaliste,
m a i s c o m p o s i t i o n n e l l e ». Ainsi le t e m p s n ' e s t p l u s le p r i n c i p e
o r g a n i s a t e u r , c o m m e e n t é m o i g n e le s c h é m a q u ' e l l e t r a c e de l a
d i s p o s i t i o n d e s « s t r o p h e s » d a n s les 9 c h a p i t r e s e t q u ' e l l e c o m -
m e n t e a i n s i : « I n t r o d u i t e s p r o g r e s s i v e m e n t c o m m e les d i v e r s e s
voix d ' u n e f u g u e , les s u i t e s n a r r a t i v e s s ' i m i t e n t et se r é p o n d e n t ,
e n c a n o n , s e l o n d e s r y t h m e s t r è s précis... C e t t e p r o g r e s s i o n e s t
a s c e n d a n t e d u r a n t les q u a t r e p r e m i e r s c h a p i t r e s , e t d e s c e n d a n t e
à p a r t i r d u c i n q u i è m e . E l l e e s t a r i t h m é t i q u e d u r a n t les t r o i s
p r e m i e r s c h a p i t r e s e t e s t e n s u i t e c o m m e infléchie p a r u n p r i n c i p e
de dissymétrie... »
O n le voit, la n o t i o n d e « s t r u c t u r e t e m p o r e l l e » n ' e s t p l u s
p e r t i n e n t e ici. « L ' œ u v r e n a r r a t i v e , d é c l a r e e n c o r e F r a n ç o i s e V a n
R o s s u m , offre d e s p o s s i b i l i t é s q u i s e m b l a i e n t r é s e r v é e s a u x œu-
v r e s m u s i c a l e s o u a r c h i t e c t u r a l e s . C ' e s t le j e u des f o r m e s : répé-
t i t i o n s , v a r i a t i o n s , c o n t r a s t e s , i n v e r s i o n s , q u i s o u t i e n t la t h é m a -
t i q u e e t n o n p a s l ' i l l u s i o n r é f é r e n t i e l l e f a v o r i s é e p a r les descrip-
t i o n s , le p o i n t d e vue, e t le d é c o u p a g e d u t e m p s p a s s é . »
D a n s L ' e m p l o i d u t e m p s , l ' a n a l y s e f a i t d é c o u v r i r le m ê m e
g e n r e d ' o r g a n i s a t i o n c o m p l e x e , a l o r s q u e le d é b u t d u r o m a n se
p r é s e n t e s o u s les a p p a r e n c e s r a s s u r a n t e s e t s i m p l e s d ' u n j o u r n a l ,
d ' u n r é c i t d e s a vie à l ' é t r a n g e r , p a r u n j e u n e F r a n ç a i s exilé.
Mais, t r è s vite, le n a r r a t e u r r e n c o n t r e d e s difficultés : le r é c i t
facile, c h r o n o l o g i q u e , d e s é v é n e m e n t s « clairs, i n t a c t s , d a t é s s a n s
m é p r i s e p o s s i b l e » d e la p r e m i è r e s e m a i n e d o i t d e v e n i r t r è s vite
« u n e v é r i t a b l e r e c h e r c h e », c a r le n a r r a t e u r é c r i t s e p t m o i s a p r è s

1. P. 115. — 2. P. 246. — 3. P. 249.


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s o n arrivée, E t les s e m a i n e s p a s s e s « se c o n t r a c t e n t p r e s q u e e n
u n e seule, i m m e n s e , é p a i s s e , c o m p a c t e , c o n f u s e ». De p l u s les
é v é n e m e n t s r é c e n t s v i e n n e n t t r o u b l e r le r é c i t d u p a s s é e t « c o m -
m e n c e n t à f o r m e r d e s c a i l l o t s t r è s o p a q u e s » et, d i t Revel, « j ' a i
besoin d'un vrai courage p o u r p a s s e r outre, p o u r r e p r e n d r e m o n
r é c i t à l ' e n d r o i t o ù j e l'ai laissé ». Puis, le n a r r a t e u r a c c e p t e d e
r a c o n t e r a u s s i ces é v é n e m e n t s e n c o u r s . M a i s s o n r é c i t n e le
s a t i s f a i t p a s e n c o r e : « J e m e vois c o n t r a i n t d ' i n t e r r o m p r e c e t
o r d r e q u e j e suivais... ». E n effet, tel s o u v e n i r f a i t r e s s u r g i r t e l
a u t r e selon les lois q u i n e s o n t p a s c h r o n o l o g i q u e s . E n f i n u n e
r e l e c t u r e des p a g e s d é j à é c r i t e s a m è n e u n e r é - é c r i t u r e : le p a s s é
a c h a n g é de signification à l a l u m i è r e d u p r é s e n t e t g r â c e à
t o u t e la r e c h e r c h e e n t r e p r i s e . C'est b i e n ce q u ' e x p l i q u e B u t o r
l u i - m ê m e à G. C h a r b o n n i e r d a n s les E n t r e t i e n s a v e c M. B u t o r .
Il y a e n effet d e u x s o r t e s d e s é r i e s t e m p o r e l l e s d a n s le r é c i t :
celles q u i v o n t d a n s le s e n s c h r o n o l o g i q u e — e t celles q u i r e m o n -
t e n t le c o u r s d u t e m p s , d e la fin d u m o i s a u d é b u t . « Ce m o u v e -
m e n t inverse du temps chronologique normal, r e m a r q u e Butor,
c ' e s t q u e l q u e c h o s e d o n t n o u s a v o n s l ' e x p é r i e n c e d a n s le f o n c t i o n -
n e m e n t de n o t r e m é m o i r e c o n s t a m m e n t ».
Il y a a u s s i 5 p l a n s t e m p o r e l s :
— celui des s o u v e n i r s de l ' o r d r e c h r o n o l o g i q u e d e p u i s le 1°
octobre,
— celui d e s é v é n e m e n t s p r é s e n t s ,
— celui d e s r e m o n t é e s d a n s le p a s s é e n s e n s i n v e r s e ,
— celui d e la r e l e c t u r e d a n s l ' o r d r e c h r o n o l o g i q u e ,
— celui de la r e l e c t u r e d a n s l ' o r d r e i n v e r s e .
A j o u t o n s q u e les c i n q m o i s de l ' é c r i t u r e c o r r e s p o n d e n t a u x
c i n q p a r t i e s ( o u c i n q a c t e s ) d u l i v r e ; qu'il y a e n g r o s c i n q
s o u s - p a r t i e s c o r r e s p o n d a n t a u x c i n q s e m a i n e s ; q u e d a n s l a se-
m a i n e , il y a c i n q j o u r s d ' é c r i t u r e .
O n e n a r r i v e à u n s c h é m a t r è s c o m p l e x e m a i s b i e n défini.
« Le livre e s t c o n s t r u i t t o u t e n t i e r c o m m e u n c a n o n , u n c a n o n
a u s e n s musical... u n i m m e n s e c a n o n t e m p o r e l » d i t B u t o r . M a i s
s'agit-il e n c o r e d e « s t r u c t u r e t e m p o r e l l e », d e t e m p s i n t é r i e u r ,
de t e m p s d e la m é m o i r e ? A c e r t a i n s n i v e a u x p e u v e n t j o u e r s a n s
d o u t e les lois d ' a s s o c i a t i o n d e s o u v e n i r s , les lois d e r é s u r g e n c e
des s o u v e n i r s . Mais le s c h é m a d ' e n s e m b l e e s t d ' u n a u t r e o r d r e .
Il s'agit d e c o m p o s i t i o n , d ' o r g a n i s a t i o n d u récit, d ' u n s y s t è m e
d e r a p p o r t s , d e figures, d ' u n e a r c h i t e c t u r e . O n e s t d ' a c c o r d a v e c
G. R a i l l a r d : « la r é c u r r e n c e d e s a p p a r i t i o n s d e s m o i s , loin
d'imiter u n prétendu désordre mental, tend à des schémas
a r i t h m é t i q u e s r é g u l i e r s , d e c o m p l e x i t é c r o i s s a n t e m a i s de f o r m u l e
v o l o n t a i r e m e n t s i m p l e » E t le l i v r e r e n d c o m p t e e n m ê m e t e m p s
de la complexité d u souvenir.
Voici t r o i s t e x t e s significatifs d e ce r o m a n , L ' e m p l o i d u t e m p s :
« ...C'est ce jour-là, le samedi 19 avril, comme nous avions
terminé nos sablés et bu notre dernière tasse de thé vert,

1. P. 107-108.
2. L'exemple, article critique en post-face à l'édition 10/18 de L'emploi
du temps.
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Lucien et moi, au premier étage de l'« Oriental Bamboo », à


cette m ê m e table, près de cette fenêtre qui donne s u r la façade
de l'Ancienne Cathédrale, sous l'œil de bienveillant reptile d u
garçon jaune u n peu gras assis à l'angle opposé de la pièce,,
près du buffet chargé de verres et de couverts, avec ce même air,
avec ce même dessin de lèvres, qui était peut-être u n sourire,
que lors de ce dîner de novembre avec James, où nous avions.
parlé du « Meurtre de Bleston », que lors de ce dîner de juin
avec Lucien, où nous avons parlé de J.-C. Hamilton et des sœurs
Bailey, que lors de ce déjeuner de l'hiver, dont je retrouverai
la date exacte en poursuivant cette recherche, où j'avais ren-
contré p o u r la première fois George Burton, où il m'avait adressé
la parole parce qu'il avait r e m a r q u é l'exemplaire de son livre
dans l'édition Penguin que je venais de racheter dans une
librairie d'occasion... » (1).
« ...Ce qui se présentait à m a mémoire ce n'était pas d'abord,
avec le plus de précision e t d'insistance, les événements de la
semaine précédente, puis de moins en moins clairs, j o u r après
jour, en r e m o n t a n t vers le passé, dans l'ordre inverse de celui
du calendrier, les événements antérieurs ; p e n d a n t que j'écrivais
hier, ce qui se détachait s u r le fond confus et obscur de n o t r e
année entière, Bleston, ce qui conditionnait mes phrases, ce
qu'il serait donc nécessaire d'interroger p o u r les éclaircir, c'était
cette région du mois d'août p e n d a n t laquelle j'avais écrit les
pages que je venais de lire, et les régions plus anciennes qu'elles
concernaient, fragments d'avril, janvier, et juin, et, grâce à ce
dernier, u n f r a g m e n t de novembre, dont toute une série de
bandes plus ou moins claires séparées p a r de larges zones
d'ombre, comme les raies en quoi se décompose l'éclat d'un
corps incandescent sur l'écran noir d'un spectroscope, toute une
série de résonances plus ou moins intenses séparées p a r de
larges intervalles à peu près muets, comme les harmoniques
en quoi se décompose le timbre d'un son. »
Ce sont ces régions-là qui sont venues au premier plan ce
soir, p a s s a n t entre celles qui s'étaient éveillées hier, comme les
doigts d'une main entre ceux de l'autre lorsqu'elles se croi-
sent... 2
« ...Ainsi, chaque jour, éveillant de nouveaux jours harmoniques,
t r a n s f o r m e l'apparence du passé, et cette accession de certaines
régions à la lumière généralement s'accompagne de l'obscurcis-
sement d'autres jadis éclairées qui deviennent étrangères et
muettes j u s q u ' à ce que, le temps ayant passé, d'autres échos
viennent les réveiller.
Ainsi la succession primaire des jours anciens ne nous est
jamais rendue q u ' à travers une multitude d'autres, changeantes,
chaque événement faisant en résonner d'autres antérieurs qui
en sont l'origine, l'explication, ou l'homologue, chaque monu-
ment, chaque objet, chaque image nous renvoyant à d'autres
périodes qu'il est nécessaire de r a n i m e r p o u r y retrouver le
secret p e r d u de leur puissance bonne ou mauvaise, d'autres pé-
riodes souvent lointaines et oubliées dans l'épaisseur et la dis-
tance se mesurent n o n plus p a r semaines ou p a r mois mais par
siècles, se détachant s u r le fond confus et obscur de notre
histoire entière, bien au-delà des limites de notre année, Bleston,

1. L'emploi du temps, p. 315-316, coll. 10/18.


2. Op. cit., p. 428 à 430.
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d'autres périodes et d'autres villes bien au-delà de tes fron-


tières comme celles qui se superposaient dans m a vision
samedi, tandis que je regardais les tapisseries du Musée, ces
grandes illustrations de laine, de soie, d'argent, et d'or, qui
m'ont si souvent servi de termes de référence dans ton déchif-
frage, Bleston... »

D a n s P a s s a g e d e Milan, le c a d r e d e s d o u z e h e u r e s e n f e r m e
é g a l e m e n t des s é r i e s n a r r a t i v e s q u i n e se s o u m e t t e n t q u ' e n p a r t i e
à la c h r o n o l o g i e : le p r i n c i p e o r g a n i s a t e u r e s t ici la s i m u l t a n é i t é .
Il y a d a n s ce livre, d i t B u t o r , u n e « s t r u c t u r e r e l a t i v e m e n t sta-
ble », celle d ' u n i m m e u b l e p a r i s i e n de six é t a g e s , d o n c « u n e
superposition d'étages » étudiée « à t r a v e r s u n e succession d'heu-
r e s ». C'est u n c a d r e s p a t i o - t e m p o r e l p r é c i s . P o u r q u e c h a q u e
é t a g e n e r e s t e p a s c o u p é des a u t r e s , B u t o r a i m a g i n é d e s p r i n c i -
p e s de r e g r o u p e m e n t s , u n e fête p o u r les v i n g t a n s d ' u n e j e u n e
fille, u n e r é u n i o n de l e t t r é s ; c e l a f a i t u n e s t r u c t u r e a s s e z
c o m p l e x e o ù la vie collective d e l ' i m m e u b l e n o u s e s t d o n n é e p a r
t r a n c h e s s i m u l t a n é e s s é p a r é e s p a r des b l a n c s :
« Au 4 p a l i e r , la m u s i q u e s u i n t e d e l a porte... »
« L a s o u t a n e d e l ' a b b é J e a n r e m p l i t le g r a n d fauteuil... » ( 1
« Le m é t r o p a s s a n t s o u s la r u e f a i t t r e m b l e r l ' a s c e n s e u r . . . »
« Louis L é c u y e r m o n t a n t les m a r c h e s . . . »
« Il a v a i t s o n n é , la p o r t e s'ouvre... » ( 3
« L a G r a n d e B é n é d i c t e é t a i t a u - d e s s u s chez d e Vere... » ( 5
« Au 1 étage, V i r g i n i e R a l o n s ' a p p r ê t e à l a v e r la v a i s s e l l e »
« M a r t i n de V e r e d é s i g n e u n p a n n e a u s u r f o n d t r è s pâle... » ( 5
« Au 6 é t a g e la vieille É l i s a b e t h M e r c a d i e r s ' é t a i t e n d o r m i e . . . »
L ' e n t r é e s u c c e s s i v e d e s séries, p u i s l e u r d é r o u l e m e n t s i m u l t a n é ,
f o n t p e n s e r à u n e s t r u c t u r e p o l y p h o n i q u e , et la d i v e r s i t é d e s oc-
c u p a t i o n s se r é s o u t p a r f o i s d a n s la s i m i l i t u d e d ' u n a c c o r d p a r f a i t :
« Dormait Léon, dormait Lydie, comme des flaques dormaient,
comme deux troncs d'arbres serrés dans le filon d'une mine,
dormaient sous une immense écorce fourrée de mousses, blindée
de cristaux opaques, dormaient.
Dormaient Éléonore et Godefroy, dormaient Frédéric et Julie,
dormaient Jean, Virginie, Alexis, dormaient Ahmed, Vincent,
Gérard, dormaient le vieux Paul et Marie, dormaient Gertrude,
Elisabeth, m a d a m e Phyllis, madame Tenant, dormaient les trois
enfants de Vere, dormaient l'employé, la vendeuse, dormait
Henriette Ledu, dormaient Martine, Viola, Félix.
Dormaient différemment, marmonnant, m u r m u r a n t , respirant
h a u t o u d o u c e m e n t , d o r m a i e n t . »

D a n s Degrés, le p r i n c i p e de s i m u l t a n é i t é c r é e u n e s t r u c t u r e
e n c o r e p l u s c o m p l i q u é e . B u t o r dit a v o i r é t é f a s c i n é à ce m o m e n t -
là p a r « la n o t i o n de p l u r i e l », et a v o i r v o u l u r a c o n t e r « d e s m a s -
ses d ' a v e n t u r e s , des o r g a n i s a t i o n s d ' a v e n t u r e s à l ' i n t é r i e u r des-
quelles c h a q u e a v e n t u r e i n d i v i d u e l l e p u i s s e ê t r e c o n s i d é r é e com-
m e u n d é t a i l ». E t a u s s i a v o i r v o u l u lier l ' e s p a c e e t le t e m p s (ce
qu'il a v a i t d é j à f a i t d a n s P a s s a g e de M i l a n e t L a m o d i f i c a t i o n ) .

1. Op. cit., p. 432-433.


2. Passage de Milan, Ed. Gallimard, p. 247.
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Nicole BOTHOREL. maître-assistant de littérature française à l'université de


Haute-Bretagne depuis 1965. Elle travaille sur des problèmes de technique
romanesque dans le roman moderne et contemporain. Elle assure des cours
de méthodologie critique et des cours sur le Nouveau Roman.

Francine DUGAST-PORTES, maître-assistant de français, elle enseigne à


l'université de Haute-Bretagne depuis 1966. Elle assure des cours sur le
Nouveau Roman, des cours de méthodologie critique et de stylistique. Elle
prépare une thèse traitant de certains aspects du roman au 2 0 siècle.
Jean THORAVAL, agrégé, docteur ès lettres, est professeur de littérature
française contemporaine à l'université de Haute-Bretagne. Outre des éditions
d'œuvres classiques et contemporaines et des ouvrages de méthodologie,
il a publié aux éditions Bordas “Les grandes étapes de la civilisation
française”

L'ambition de cet ouvrage sur le roman contemporain est d'abord de faire


le point sur le renouveau d e s conceptions, d e s techniques et d e s lectures
de ce qu'on a appelé de façon générale “Le Nouveau Roman" ; c ' e s t éga-
lement de faire une recherche de s e s thèmes privilégiés, d e s obsessions et
peut-être m ê m e d e s f a n t a s m e s qui s ' e n dégagent ; c ' e s t enfin d e porter une
appréciation sur les entreprises si diverses de ce roman d'avant-garde,
décrié et loué tour à tour.

Un d e s mérites évidents de l'ouvrage e s t le recours constant aux textes d e s


écrivains : l'illustration systématique par de larges extraits vise à éclairer le
propos critique, mais veut également inciter à lire dans leur intégralité des
œ u v r e s nouvelles qui ne sont “difficiles” que parce qu'on leur applique, peut-
être, un mode de lecture qui ne leur convient pas.
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.

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La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

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