Vous êtes sur la page 1sur 15

Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?

Michel Bentz
22/11/2021

La féminité de Frida Kahlo à l’épreuve du désir de maternité

Frida Kahlo est une femme peintre, née à le 6 juillet 1907 et décédée le 13 juillet 1954
à Coyoacan Mexico. Elle est considérée comme une icône du féminisme du 20 ème siècle et est
« ingérée » par le mouvement féministe actuel. Pourtant cette assimilation relève de
l’anachronisme. En effet, elle ne s’est pas engagée dans un mouvement féministe et elle n’a
produit aucun écrit sur le sujet. C’est à travers sa vie extrêmement riche et à travers ses
peintures, qu’il faut chercher à comprendre l’expression de sa féminité réelle et pragmatique.
Nous pouvons en retenir, une volonté farouche de vivre pleinement sa vie, d’exercer et
d’afficher la liberté d’une femme confrontée aux contingences de la vie. En effet, Frida a dû
composer avec la vie, notamment avec ce que Frida appelle ses deux graves accidents : « Dans
ma vie, j’ai été victime de deux graves accidents. Le premier, c’est quand un tramway m’a
renversé […]. L’autre, c’est Diego » selon Frida – Éditions Flammarion 1983 page 137
d’Hayden Herrera qui cite Gisèle Freund dans Imagen de Frida Kahlo. Le premier accident est
survenu en 1925 ; lorsqu’un tramway renverse le bus dans lequel était montée Frida Khalo ;
Frida a 18 ans ; elle est très grièvement blessée : son abdomen et sa cavité pelvienne sont
transpercés par une barre de métal ; sa jambe droite subit un grand nombre de fractures, son
pied droit est également cassé, le bassin, les côtes et la colonne vertébrale sont eux aussi brisés.
C’est lors de ses nombreuses hospitalisations que Frida s’initie à la peinture. C’est au deuxième
accident, à savoir Diego, que nous allons nous intéresser, couvrant la période 1928-1934,
période durant laquelle Frida a été confrontée à son rôle d’épouse et à son désir de maternité.
Diego Rivera (1886 – 1957) est un peintre mexicain ; il est mondialement connu pour ses
peintures murales, réalisées au Mexique, principalement à Mexico, et aux États-Unis. Nous
examinerons tout particulièrement la relation Frida-Diego, les difficultés qu’elle a rencontrées,
enfin la façon dont Frida a exprimé ses sentiments à travers ses peintures. Entre 1928 et 1934,
Frida a rencontré Diego, l’a épousé, l’a profondément aimé, l’a suivi à San Francisco, Detroit
et New-York, elle fut enceinte à trois reprises, mais elle ne put mener à terme ses maternités,
puis pris ses distances avec Diego. Nous couvrirons chronologiquement cette période et
tenterons de comprendre la spécificité de le féminité de Frida, comment elle a pu vivre dans
l’ombre de Diego, tout en affirmant sa personnalité, en imposant ses choix, en exprimant ses

1
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

sentiments les plus profonds, mais également l’évolution de cette féminité au terme de cette
courte période..

En 1928, Frida retrouve d’anciens amis de lycée qui sont étudiants et qui l’encouragent
à adhérer au parti communiste ; elle y fait la connaissance d’intellectuels et d’artistes dont Tina
Mondotti, photographe, actrice et militante révolutionnaire qui organisent des réunions
hebdomadaires ; c’est probablement à l’occasion de l’une de ces réunions, fin 1928, que Frida
fait la connaissance de Diego. il existe de nombreuses versions de leur rencontre ;
’’officiellement ’’ selon Frida : « Dès qu’on m’eut autorisé à marcher et à sortir dans la rue,
j’allai, avec mes peintures, voir Diego, qui à cette époque-là peignait les fresques des couloirs
du ministère de l’Éducation. Je ne le connaissais que de vue, mais l’admirais énormément. J’eus
le courage de lui demander de descendre de l’échafaudage pour regarder mes peintures et me
dire sincèrement si oui ou non elles valaient quel que soit […]. Sans me dégonfler je lui dit :
« Diego, descendez ! » Et lui, égal à lui-même, si humble si aimable, il descendit. « Écoutez, je
ne suis pas venue pour flirter, ni rien, même si vous êtes un cavaleur. Je suis venue vous montrer
mes peintures. Si vous les trouvez intéressantes, dites-le-moi, sinon, dites-le-moi aussi pour que
je fasse autre chose qui aide mes parents. Alors il me répondit : « Bon d’accord, je trouve tes
peintures très intéressantes, surtout ce portrait de toi, qui est le plus original. Les trois autres me
semblent influencés par ce que tu as vu. Retourne chez toi, fais un tableau, et dimanche prochain
je viendrai chez toi et je te dirai ce que j’en pense. » C’est ce qu’il fit et il dit : « Tu as du
talent. » » cité par Hayden Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 115 qui cite
Bambi dans Frida Kahlo Es una Mitad et Rodriguez dans Frida Kahlo, Expresionista. Cette
version officielle est corroborée par le récit que fit Diego dans son autobiographie avec Gladys
March My life My art cité par Hayden Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page
116. De cette version officielle, il en ressort que Frida cherche à établir un rapport direct et
franc avec Diego évacuant tout rapport dominant / dominé; il ne s’agit ni d’un rapport
hiérarchique, à savoir le grand peintre reconnu vis-à-vis de la peintre amatrice, ni d’un rapport
homme femme ; Frida a voulu établir un rapport d’égal à égal, faire descendre Diego de son
échafaudage, entre deux artistes.

S’en suit une période de presque 12 mois jusqu’au mariage de Frida et de Diego qui eut
lieu le 21 août 1929 ; durant cette période d’activité intense, Frida s’investit dans le parti, au
côté de Diego qui assurait le secrétariat général du parti communiste républicain et dans la
2
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

peinture, en prenant appui sur. « Frida assistait aux rassemblements de travailleurs, prit part aux
réunions clandestines et monta à la tribune – Elle ne portait plus de corsages blancs, elle portait
en revanche des chemises rouges ou noires et un insigne en émail orné de la faucille et de
marteau » selon Hayden Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 122, citant
Gomez Arias, conférencier, chroniqueur et essayiste politique mexicain, ami de collège de
Frida, dans des entretiens privés. Une peinture murale de Rivera effectuée en 1928 le confirme :

Diego Rivera, «L'Arsenal», 1928 (Photo: Wikimedia Commons


(Fair Use))

On voit la militante Frida, les cheveux cours, portant une


chemise d’homme rouge, arborant une étoile carmin,
portant un pantalon, distribuant fusils et baïonnettes

Frida pose ici comme une héroïne politique, ou plutôt comme une femme ayant les attributs du
héros, brouillant ainsi toutes les pistes du genre tout autant que la compagne d’un dirigeant
communiste, c’est-à-dire comme être libre, mais au service d’un autre être.

Durant cette période, Frida intensifia son travail d’artiste, mais fit évoluer sa technique. De
Diego, elle apprit à mieux poser le sujet dans des fonds unis, à utiliser de larges aplats. Sa palette
commence à se démarquer de la tradition coloriste européenne que Frida n’avait jamais réussie
à complètement adopter ; il faut rappeler ici, que Frida était une peintre autodidacte qui a appris
la peinture dans les livres (les peintres de la Renaissance tels Botticelli, Bronzino)

Le mariage de Frida avec Diego est un exemple de l’esprit de liberté qui anime la jeune
femme de vingt-deux ans, résolue à briser les codes de la société mexicaine ; elle s’oppose à
ses parents qui ne veulent pas du mariage, elle effectue elle-même toutes les démarches et
accepte un mariage dans l’intimité. Frida raconte : « A dix-sept ans (vingt ans en fait car Frida

3
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

a toujours affirmé être née en 1910, année de la révolution mexicaine), je tombai amoureuse de
Diego, et cela déplait à mes parents parce que Diego était communiste et parce qu’ils disaient
qu’il ressemblait à un gros, gros, gros Brueghel. Ils disaient que ce mariage ressemblait à celui
d’un éléphant et d’une colombe. Néanmoins, je fis toutes les démarches au tribunal de
Coyoacan pour que nous puissions nous marier le 21 août 1929 […] personne n’assistait à la
noce, sauf mon père, qui dit à Diego : « N’oubliez pas que ma fille est malade et qu’elle le
restera toute sa vie ; elle est intelligente, mais pas jolie. Réfléchissez-y si vous voulez, et si vous
souhaitez l’épouse, je vous donne ma permission » », selon Hayden Herrera dans Frida –
Éditions Flammarion 1983 page 128, citant Bambi dans Frida Kahlo Es una Mitad.qui relate
également un article de presse qui relève de l’intimité du mariage

Après le mariage s’ouvrit une nouvelle période d’une année, durant laquelle, Frida dut
vivre sous le même toit que son mari, mais aussi composer avec Diego qui était absorbé
pleinement dans son travail. Etonnamment, Frida se glissa dans les habits de la femme qui vient
en soutien à son mari, comme si la convention du mariage avait fait muter la Frida révoltée,
fougueuse, en une icône de l’épouse. Elle le soigna en septembre 1929 durant une période de
surmenage, elle le soutint moralement lors de son procès organisé par le parti visant à l’exclure.
Encore plus curieusement elle suivit les conseils de Lupe Marin, l’ancienne épouse de Diego,
qui lui conseilla d’acheter le matériel de cuisine pour préparer les petits plats qu’aimait Diego,
et de les lui apporter sur son lieu de travail. Elle accompagnait ainsi Diego sur son lieu de travail
car c’était la meilleure façon d’être avec lui. Hayden Herrera dans Frida – Éditions Flammarion
1983 page 137, cite Bambi dans Frida Kahlo Es una Mitad. : « Bien des années plus tard, Frida
explique à une amie « Nous ne pouvions pas avoir d’enfant, et je pleurais, j’étais inconsolable,
mais je me distrayais en cuisinant, en faisant le ménage, parfois en peignant, et en tenant
compagnie à Diego sur l’échafaudage tous les jours. Il était très heureux quand j’arrivais avec
le déjeuner dans un panier couvert de fleurs » ». Frida était amoureuse de Diego ; le désir d’être
une bonne épouse était le pivot de sa vie à cette époque. Autant le changement dans l’attitude
de Frida est très marqué, autant la motivation nous reste inconnue : s’agit-il pour Frida de renter
dans le rang assignée à la femme dans un Mexique encore très marqué par les statuts du viriarcat
qui régissaient, de façon très marquée, les rapports homme / femme en cette période
postrévolutionnaire ? S’agit-il d’une stratégie consciente ou inconsciente de Frida pour garder
son Diego ou s’agit simplement du résultat de l’état amoureux d’une jeune femme confrontée

4
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

à la vie à deux, l’autre étant un homme de plus de quarante, très connu ? N’oublions pas Frida
n’a que vingt-deux ans. Néanmoins, Frida ne se laissa pas éclipser pour autant ; elle garda son
nom, elle joua le rôle de critique lorsqu’elle tenait compagnie à Diego sur l’échafaudage, selon
un entretien de Zendejaz par Crommie relaté par Hayden Herrera dans Frida – Éditions
Flammarion 1983 page 135, elle essaya de gagner sa vie pour éviter de dépendre financièrement
de Diego. Cette tension, entre Frida qui se considère la femme de et Frida comme femme, sera
le fil conducteur des premières années du couple.

Nous avons mentionné le fait que Frida se plaignant de ne pas pouvoir avoir d’enfant ;
en 1930, Frida fut enceinte. Elle mentionne cette première maternité dans une lettre adressée à
Leo Loesser, un médecin rencontré à San Francisco et un ami très proche du couple, le 26 mai
1932, dans Frida Kahlo par Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page 118.
« Il y a deux ans, j’ai subi un avortement chirurgical au Mexique […] sauf que j’étais enceinte
de trois mois ». Cet évènement correspond bien au fait relaté par Bambi cité plus. Nous ne
savons pas ce qui a motivé Frida, et Diego ?, à avoir un enfant, s’il s’agit d’un évènement non
désiré, encore moins, quelle fut la raison de cet avortement. S’agit-il d’un moment dans la vie
de Frida dans lequel elle souhaitait être une épouse au sens plein, la grossesse accompagnant le
mouvement qui l’a poussé à endosser les habits de l’épouse ? A-t-elle agit sous la pression
sociale patriarcale mexicaine qui pesait fortement sur les femmes à cette époque où la
conscience féministe était très peu développée (la principale revendication féministe de
l’époque, celle du mouvement Frente Unico pro Derechos de la Mujer (Front uni pour la
défense des droits féminins) portait sur des revendications économiques, à savoir comment
améliorer les conditions de vie économique des femmes et sur une revendication politique
majeure, à savoir le droit de vote des femmes (il faudra attendre 1953)) ? Nous rappellerons ici
que Frida n’avait pas participé à cette époque à aucun mouvement et que le milieu politique et
artistique dans lequel elle vivait n’avait pas de visée théorique ou pratique féministe. Tout au
plus pourrons-nous considérer que la pratique de ce milieu favorisait l’émergence de la
conscience de soi, de la liberté : Frida a montré qu’elle savait briser les codes de la société (son
mariage, son engagement politique, ses tenues).

Un tableau que Frida a peint en 1931 peut ouvrir un certain horizon sur cette première
maternité

5
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

Frida Kahlo y la cesárea


Museo Frida Kahlo
620 x 730 Oil on canvas

Cette œuvre est inachevée. Frida utilise-t-elle la peinture, sa propre mise en scène pour rendre
compte de sa condition physique et de sa condition psychique ? Ce tableau semble indiquer que
cette grossesse exprime son désir d’enfant, car Frida, nue est au centre du tableau ; elle porte
un enfant en son ventre, entourée des trois éléments qui gravitent autour d’elle, Diego en haut
à droite (son amour), un enfant né normalement à droite (son désir d’enfant), enfin à gauche
Frida habillée dans un vêtement qui rappelle sa mexicanité, déjà révélée dans des auto portraits
antérieurs, mexicanité qu’elle révèle également dans ses tenues Tehuana (longues robes
traditionnelles qui ne servaient pas uniquement à cacher ses imperfections, mais servaient aussi
à produire et véhiculer un signe vers celui qui le reçoit). Enfin en haut à gauche, l’ensemble des
personnages renvoient au milieu hospitalier si familier de Frida. Nous avons dans ce tableau
inachevée la représentation des tiraillements auquel, Frida doit faire face, son amour pour
Diego, son désir d’enfant qui semble impossible en raison de ses problèmes de santé, enfin son
besoin d’exprimer son attachement à se terre, à ses racines, attachement souvent répété dans
ses toiles. Frida n’était pas seulement femme, elle était femme mexicaine dans un pays multi-
ethnique. Nous ne développerons pas cet aspect d’une autre dimension très importante qui
caractérise la relation entre Frida et Diego ; une Frida en prise d’une tension sur ses origines et
un Diego en prise d’une tension entre art européen et art sud-américain imprégné de culture
précolombienne.
6
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

Suite à cette période, Diego va partir en novembre 1930 pour travailler aux Etats-Unis
pour une durée de trois ans, puisqu’il reviendra au Mexique définitivement en décembre 1933.
Il séjournera à San Francisco, Detroit et New-York. Il fera une incursion au Mexique de deux
mois au Mexique en juin 1931. Ces trois années seront une période d’activité intense pour
Diego ; le communiste sera appelé à réaliser de grandes fresques dans l’antre du capitalisme.
Frida accompagnera son mari dans ce pays qu’elle appellera Gringoland ; elle rencontre de
nombreuses difficultés, de santé d’abord, de double déracinement, celui de ses racines
familiales et culturelles et celui de ses convictions politiques ; en effet, les mécènes de Diego,
s’appellent Ford, Rockefeller ; Frida sera confrontée à la haute bourgeoisie américaine. Enfin
elle vit dans l’ombre de Diego, ayant peu d’amis ou d’amies « je n’ai pas d’amies. Une ou deux
au plus qu’on ne peut pas appeler des amies », écrit Frida à sa meilleure amie Isabel Campos le
3 mai 1931 dans Frida Kahlo par Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page
101. Néanmoins, Frida n’a perdu ni sa liberté de pensée, ni sa liberté de parole ; ainsi en 1931,
Frida écrit le 24 janvier : « Diego a donné une conférence dans un club de vieilles, devant un
parterre de quatre cents épouvantails qui devaient avoir les deux cents ans , avec le cou bien
ficelé parce qu’il pendouille en forme de vague […] elles me regardaient comme une bête rare »
ou encore le 12 février 1931 « […] et les Ricains, je te raconte pas, des andouilles au carré sauf
qu’ils ont aussi leur bon côté, et puis ils ne sont pas aussi sans gêne que dans notre Mexique
adoré » dans Frida Kahlo par Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page 98-
99, enfin le 26 nombre 1931, Frida écrit à leo Loesser depuis New York : « La haute société
d’ici me dégoûte et j’éprouve une certaine colère devant tous ces gens riches, étant donné que
j’ai vu des milliers de personnes dans la misère la plus horrible sans rien à manger et sans
endroit où dormir, c’est ce qui m’a le plus frappée ici, c’est terrible de voir les riches donner
des fêtes jour et nuit alors que des milliers et des milliers de gens meurent de faim » selon
Hayden Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 163.

Le passage à Detroit (avril 1932 – mars 1933) marque une étape importante pour Frida ;
à Detroit Frida continua à soutenir Diego complètement submergé par son travail, mais pris ses
distances avec la société américaine qu’elle tentait de fuir malgré ses obligations en tant femme
du grand Rivera. De la pensée, elle passa aux actes de provocation comme le relate Hayden
Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 169 sur la base d’entretiens avec des
témoins de l’époque: « Conviée à prendre le thé chez la sœur d’Henry Ford, elle chanta les

7
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

louanges du communisme ; chez les catholiques, elle couvrit l’église de ses sarcasmes […] Elle
racontait, par exemple, comment elle avait placé le mot de Cambronne dans des expressions
comme « je vous emmerde ! » tout en faisant semblant d’en ignorer leur signification […].
Après une soirée chez Henry Ford qui, Frida la savait fort bien, était ouvertement antisémite.
Les époux rentrèrent à l’appartement. Diego qui hurlait de rire, montra Frida du doigt et s’écria
« Quelle bonne femme ! vous savez ce qu’elle a dit à table, au moment où un ange passait ?
Elle s’est retournée vers henry Ford et lui a demandé : ’’Monsieur Ford, est-ce que vous êtes
juif ?’’ » » Frida n’aimait pas du tout Détroit « Cette ville me fait l’effet d’un vieux patelin
miteux, on dirait un petit village. Je n’aime pas du tout » écrit-elle au docteur Leo Loesser le
26 mai 1932 dans Frida Kahlo par Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page
118. Dans cette lettre, Frida demande conseil au docteur Leo Loesser, mais également à l’ami :
« mais la chose la plus importante dont je voulais m’entretenir avec vous avant tout autre
personne, c’est que je suis enceinte de deux mois » ; Comment interpréter cette deuxième
grossesse, car Frida de 1932 n’est plus la même Frida qu’en 1930 lors de sa première grossesse ?
Dans sa lettre à leo Loesser, elle indique qu’elle a souhaité mettre fin à cette grossesse en
avortant : « Estimant que mon état, il valait mieux avorter, je le lui (Docteur Pratt qui la suivait
à Detroit) dit et il m’a donné une dose de quinine et une purge bien carabinée d’huile de ricin ».
Cette tentative ayant échoué, Frida demande conseil à Leo Loesser qui la connait bien, comme
docteur et aussi comme ami très proche. En effet Frida hésite et avance plusieurs raisons dans
sa lettre. Tout d’abord, Frida avance des raisons médicales, à savoir le risque pour l’enfant si la
naissance venait à terme, car Frida craint que l’épilepsie de son père ne soit transmissible et la
capacité et craint les conséquences, pour l’enfant, de l’incapacité de Frida à aller au terme de
cette grossesse. Frida avance également des difficultés logistiques, lié au fait que Diego, et donc
elle en épouse fidèle, ne restera pas suffisamment longtemps à Detroit ; elle s’interroge sur
l’opportunité d’accoucher aux Etats-Unis ou au Mexique. Elle réitère son souci de la solitude
qu’elle endure « Je n’ai personne de ma famille ici pour s’occuper de moi pendant et après ma
grossesse, et mon pauvre petit Diego ne pourrait pas même s’il le voulait, à cause de son travail
et des milliers de choses dont il doit s’occuper. Inutile donc, de compter sur lui ». De surcroit
elle écrit « Je ne crois que Diego ait très envie d’avoir un enfant : le travail est son principal
souci. Les gosses arriveraient en troisième ou en quatrième position ». Nous noterons que Diego
avait plusieurs enfants illégitimes (notamment une fille Marika née à Paris d’une liaison extra-

8
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

conjugale avec la peintre russe Marie Vorbieff), et légitimes (deux filles, Guadalupe et Ruth)
avec sa femme précédente Lupe Marin). Les arguments avancés par Frida Kahlo militent pour
un avortement chirurgical, comme si Frida devait se plier à sa situation personnelle et maritale ;
néanmoins elle laisse la porte ouverte, comme si au fond d’elle-même, elle souhaitait avoir un
enfant pour elle-même « Si vous pensez qu’il vaut mieux pour ma santé de ne pas avorter et
garder cet enfant, je trouverai le moyen de pallier à toutes ces difficultés ». Cette
correspondance montre que Frida commence à prendre conscience qu’elle n’occupera jamais
la première place pour Diego, qui privilégiera toujours son art, malgré les efforts qu’elle aura
faits pour le soutenir ; elle prend également conscience de la solitude dans laquelle elle se trouve
pour prendre des décisions ; elle s’interroge de savoir si elle doit prendre sa décision comme la
femme de Diego, ou une décision propre.

Finalement Frida prendra sa décision propre ; elle veut aller au terme de sa grossesse,
elle décide de garder l’enfant et elle trouvera le moyen de pallier les difficultés.
Malheureusement, Frida fera une fausse couche le 4 juillet 1932, suivie d’une hémorragie le
lendemain ; elle est hospitalisée pendant treize jours à l’hôpital henry Ford dans un endroit
sinistre ; Frida voulait s’en échapper, mais était trop faible. Frida ressent très rapidement le
besoin d’exprimer, de crier ce qu’elle ressent ; encore à l’hôpital, Frida se remit à dessiner
comme le relate Hayden Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 176 selon
Lucienne Bloch qui était présente : « Le lendemain de son admission, elle supplia un docteur
de lui procurer des livres de médecine comportant des illustrations sur le sujet. Le praticien
argua du fait que l’hôpital n’autorisait pas les patients à consulter ce type d’ouvrage, dont les
images risquaient de le perturber. Frida était furieuse. Diego intercéda en sa faveur et dit à
l’homme de science : « Vous n’avez pas à faire à n’importe qui. Frida va en faire quelque chose.
Elle en fera une œuvre d’art ». ». Cet épisode très douloureux qu’elle évoque dans une lettre à
leo Loesser le 29 juillet 1932 dans Frida Kahlo par Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection
Points 2009 page 123 : « […] À ce moment-là j’étais enthousiaste à l’idée d’avoir cet enfant,
même après avoir réfléchi aux difficultés que cela engendrerait : c’est surement mon corps qui
parlait, car je sentais le besoin de la garder. […] J’étais tellement contente à l’idée d’avoir une
petit Dieguito que j’ai beaucoup pleuré, mais maintenant que c’est passé, il n’y a plus qu’à se
résigner. » Outre le fait que nous voyons ici Frida exprimer sa volonté de triompher du
désespoir, nous noterons également que cet enfant était son projet, le projet de son corps ; sont

9
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

extériorisés, Diego, contraintes logistiques et contraintes sociales. Frida parle en son nom ;
c’est comme si la grossesse qui marque usuellement la fin de la femme comme unité
indépendante et le début de la relation mère-enfant, s’était brutalement rompue ; comme si cette
interruption signifiait à Frida non seulement la possibilité d’un retour à cette femme comme
unité indépendante, mais également la possibilité d’être encore plus indépendante, puisque cet
épisode de la vie de Frida marque le début de sa prise de distance avec Diego. Au même moment
Frida réalise un tableau comme pour exorciser cet épisode, exprimer, de sa façon unique, ce
qu’elle ressent, tableau appelé l’Hôpital Henry Ford :

L'hôpital Henry Ford, Frida Kahlo, 1932


Huile sur métal, 32.5cm x 40.2cm, Musée Dolores Olmedo, Mexique

10
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

Frida se présente dans une nudité totale, nudité du corps, nudité psychologique, solitude absolue.

Elle s’est représentée elle-même sur un lit d’hôpital qui semble flotter dans les airs, entièrement
nue, gisant dans des draps tachés de sang. Elle le seul personnage vivant du tableau et est peinte
beaucoup plus petite que l’espace disponible ; c’est pour elle une manière de se représenter seule
dans sa douleur. Sur sa joue, on distingue une larme blanche : elle semble souffrir en silence,
dignement. Ce nu est le fruit d’une perception féminine ; il n’a rien en commun avec les nus
idéalisés des peintres masculins. L’absence de drap de dessus, l’isolement du lit expriment à
merveille le sentiment de vulnérabilité et de nudité ressenti par les malades

Frida tient dans sa main gauche des fils rouges, sortes de liens avec elle-même.

Au-dessus d’elle, sont peints trois éléments.

Au centre, se trouve son fœtus mort, qu’elle appellera «Dieguito» dans la lettre à Léo Loesser.
Son enfant est cependant représenté bien formé et vivant.

A gauche, Frida Kahlo a peint une «coupe» de corps de femme. Elle dit que c’était un moyen pour
elle d’expliquer comment marchait un accouchement, et en l'occurrence, de montrer pourquoi
cela n’avait pas été possible. Elle semble faire de son bassin la principale cause pour laquelle elle
ne peut plus avoir d’enfants. Tous les autres objets sont reliés, à l’instar du fœtus, par liens qui
semblent être des cordons ombilicaux. Ce sont donc des facteurs de sa grossesse, des
prolongements de sa fausse-couche.

Enfin, à droite, un escargot est peint. L’artiste dira que c’était pour dépeindre la lenteur de sa
fausse couche, interminablement longue et pénible.

Dans la partie inférieure du tableau sont représentés trois autres éléments.

A gauche est peinte une machine, part importante de sa grossesse, qui dépeint l’impersonnalité
du service hospitalier et la sensation d’être seule face à une machine.

Au milieu, Frida a peint une orchidée, qui est un cadeau que lui a fait Diego lorsqu’elle était à
l’hôpital.

A droite, un bassin fracturé est peint : faisant échos à la coupe de bassin au rang supérieur, il
montre une nouvelle fois les raisons pour laquelle Frida ne pourra jamais avoir d’enfant.

On peut noter que les différents éléments semblent aller deux par deux : les deux représentations
de bassin pour expliquer les raisons pour lesquelles elle ne peut pas accoucher, le fœtus et
l’orchidée qui rappellent son mari Diego Rivera et l’escargot et la machine, pour symboliser la
lenteur et la dureté du processus de sa grossesse et de sa fausse-couche.

Derrière elle s’étendent des usines, univers inhospitalier d’Amérique, loin de son Mexique natal
qui lui manque. Seule dans cette immense plaine, elle se représente perdue, perdue
géographiquement, car loin de son pays qui lui manque : elle flotte au-dessus de la terre brune
du Mexique, alors que Détroit apparait au loin, mais aussi distanciation avec Diego qui est absorbé
par son travail d’esquisses et qui n’est pas là.
11
Compilation de commentaires sur la tableau
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

Comme pour la première grossesse, Frida a ressenti le besoin d’exprimer par la peinture
ce qu’elle ressentait au fond d’elle-même ; outre les nombreux éléments de la monographie,
nous noterons que Frida brise ici les codes de la peinture : il ne s’agit pas de montrer, le beau,
le sublime, de transmettre un message universel, mais de montrer la réalité dans toute sa crudité
vraie, réalité que seule une femme peut ressentir et révéler. Nous noterons la quasi-absence de
Diego ; l’orchidée ne représente plus Diego, mais son image, son souvenir ; c’est comme si
Frida signifiait qu’une distanciation se mettait en place entre elle et Diego. De même, la
distanciation entre la terre brune et le fond inhospitalier, exprimée, traduit le besoin pour Frida
de retisser un lien avec ce qui qui lui reste de stabilité, à savoir sa mexicanité, même si cette
stabilité semble être un rêve, comme le traduit le flottement du lit dans le tableau. Cette
mexicanité est également indiquée par le support et le format de l’œuvre d’art ; il s’agit d’une
peinture sur une tôle en métal de petit format qui ne peut que rappeler l’ex-voto que Frida a
souvent pratiqué et qu’elle collectionnait ; cette peinture a outre la matérialité de l’ex-voto,
toutes les caractéristiques, à savoir une scène illustrant une tragédie (la fausse couche), un saint
ou un martyr intervenant pour sauver la personne (en l’occurrence, Frida étant athée, elle fait
appel à ses racines pour l’aider dans son épreuve), enfin une inscription qui décrit la tragédie
(date et lieu).

Frida passa le reste de l’année 1932 à Detroit (elle fit un bref voyage de six semaines à
Mexico pour le décès de sa mère) avant de partir à New-York avec Diego qui devait y réaliser
deux grandes fresques murales ; à New York, Frida resta enfermée et travaillait très peu. Elle
n’était guère présente auprès de Diego et ne lui apporta son soutien que lorsque ce dernier se
trouva en difficulté avec les commanditaires des fresques murales, en raison du contenu
révolutionnaire de cette fresque qui choqua l’intelligentsia new-yorkaise. Frida retrouva son
engagement militant des années 1927 pour participer à des manifestations et réaliser des écrits ;
la fin du séjour déchira un peu plus le voile. Diego délaissa Frida pour avoir des aventures extra-
conjugales. Diego voulait rester aux Etats-Unis où il était reconnu comme grand muraliste alors
que Frida souhaitait rentrer au Mexique comme elle l’écrit à son ami le 16 novembre 1933 :
« […] moi à Gringoland, je passe mon temps à rêver de mon retour au Mexique, mais à cause
du travail de Diego, il a fallu rester ici. New York est très joli et je m’y sens mieux qu’à Detroit,
mais le Mexique me manque. Cette fois, nous y resterons presque un an, ensuite nous irons
peut-être à Paris, mais pour l’heure, je ne veux pas penser à l’après. » Finalement Frida et Diego

12
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

retournèrent à Mexico à la fin du mois de décembre 1933. Frida eut le dernier mot. Le retour
fut difficile. Diego ne put se remettre au travail, il reprochait à Frida de lui avoir forcé la main
pour revenir de New-York selon une lettre adressée par Frida à Ella Wolfe le 11 juillet 1934
dans Frida Kahlo par Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page 144 : « […]
Il pense que tout est de ma faute parce que je l’ai fait revenir au Mexique ; moi je sais que je ne
suis pas la seule coupable de son retour et cela me console. » Frida reconnait sa responsabilité
dans le retour au Mexique, l’assume, mais refuse d’en porter seule la responsabilité ; Frida n’est
plus l’épouse qui restait dans l’ombre de son mari. Frida ne produisit aucun tableau en 1934.
Elle fut hospitalisée à trois reprises, dont un avortement à trois mois de grossesse selon Hayden
Herrera dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 222. La date de cet épisode n’est pas
précisée. Cet avortement n’a donné lieu à aucun écrit et aucun tableau comme s’il s’agissait
pour Frida d’un non-évènement. Il est possible que Frida n’ait pas voulu s’exprimer sur ce sujet,
car les médecins avaient conseillé à Frida d’éviter les relations sexuelles selon Hayden Herrera
dans Frida – Éditions Flammarion 1983 page 229 citant un entretien privé avec Tibol à Mexico
en août 1977. Le voile couvrant Diego et Frida s’était déjà bien déchiré et il ne tenait plus qu’à
un fil lorsque Frida découvrit que Diego la trompait avec sa sœur Christina et qui la laisse très
meurtrie comme elle l’écrit à Leo Loesser le 26 novembre 1924 dans Frida Kahlo par Frida
Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page 158 : « […] je suis dans un tel état de
tristesse, d’ennui, et cetera, et cetera,, que je ne peux plus faire un dessin. Avec Diego, la
situation empire de jour en jour […] Après avoir sombré durant des mois dans le tourment, j’ai
pardonné à ma sœur. J’avais cru qu’ainsi les choses allaient changer un peu, mais c’est tout le
contraire. » Ici Frida réalise que toutes ces illusions qu’elle avait formulées lors de sa rencontre
avec Diego s’envolaient. Diego se retournait contre elle et allait la détruire. Elle s’exprime très
clairement dans une lettre du 18 octobre 1834 à Ella et Bertram D. Wolfe dans Frida Kahlo par
Frida Kahlo lettres 1922-1954 collection Points 2009 page 154 : « […] mais je suis chaque jour
un peu plus convaincue de m’être fait des illusions. Tout cela est très sérieux et les conséquences
sont tout aussi sérieuses […] Mais il faut bien l’admettre, je ne vaux guère plus que n’importe
quelle fille déçue d’avoir été abandonnée par son homme […] J’ai gâché le meilleur de mon
temps à vivre aux dépens d’un homme, me contentant de faire ce que j’estimais bon et utile
pour lui ». Il faudra attendre 1937, pour que Frida reprenne sérieusement la peinture, 1939 que

13
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

Frida divorce, pour se remarier, à ses conditions, avec Diego en décembre 1940 à San Francisco
à la demande pressante de Diego.

Nous avons traversé cinq années de vie de Frida, nous avons commencé par la militante,
la femme s’incarnant en soldat masculin distribuant des armes, pour rencontrer une Frida
amoureuse de Diego et se mettant à son service, comme une bonne soldate au service de son
général, le grand artiste, le leader révolutionnaire. Même si Frida ne cadrait pas vraiment avec
le stéréotype de l’épouse, elle a été tentée de s’y glisser Nous devons ici reconnaitre le
changement qui s’est opéré et que nous pouvons expliquer par les circonstances de sa situation
: Frida est une jeune femme de vingt-deux ans qui a grandi dans un environnement à la fois
patriarcal (femme ayant été élevée et éduquée au Mexique) et libérée (femme ayant et active
dans un milieu politique militant et artistique), qui a fait la rencontre d’un « grand » homme,
qui a eu l’expérience d’effectuer un voyage assez extraordinaire (nous pourrions imaginer qu’un
jeune homme qui aurait eu une telle expérience, n’en serait pas sorti indemne tout comme Diego
n’est pas sorti indemne de son voyage en Europe au début du XIXème siècle). Mais si Frida a
endossé rapidement ce rôle d’épouse, nous devons remarquer que petit-à-petit la distanciation
qui s’est installée entre Frida et Diego, de façon insidieuse, à l’insu au moins de Frida. Les
grossesses successives, surtout la seconde, ont ébranlé l’édifice que constituait le couple. Frida
a pris conscience qu’elle avait un réel désir personnel d’enfant, presque indépendamment de
Diego, mais réalisa que ce désir ne pourrait être comblé ; un point d’ancrage de sa féminité
possible s’était dérobé. L’éloignement de son pays fut un second élément qui ébranla l’édifice
du couple, éloignement que Frida a vécu comme un déracinement subi. Elle n’eut de cesse par
le port de ses tenus de rappeler sa mexicanité lorsqu’elle était aux Etats-Unis, de rappeler les
références à son pays dans les rares peintures qu’elle a réalisées aux Etats-Unis. Sur ces deux
sujets Frida s’est trouvée en opposition avec Diego qui n’avait pas compris ce dont avait besoin
Frida ou qui était tout simplement trop égoïste, pris dans son besoin d’exister en tant qu’artiste
reconnu. La fin 1934, nous montre une Frida, meurtrie par l’infidélité de son mari, qui traduit
son incapacité à garder Diego pour elle, à l’instar de ses prédécesseurs, meurtrie pas son
incapacité d’avoir un enfant. Nous comprenons mieux pourquoi Frida a écrit : « Dans ma vie,
j’ai été victime de deux graves accidents… ». Dire que Frida était trop présomptueuse, serait
surement injuste, dire qu’elle a voulu vivre pleinement cette période, est plus proche de la vérité.

14
Philosophie et Culture - Peut-on encore penser la féminité ?
Michel Bentz
22/11/2021

Frida sut rebondir tant sur le plan artistique puisque dès lors, elle commença à acquérir
une renommée internationale, que sur le plan personnel ; puisqu’elle récupérera Diego tel qu’il
était, tout en se ménageant un espace de liberté important pour elle-même. Elle sut s’imposer
comme femme et comme mexicaine, double statut de minorité dans le monde du 20 ème siècle.
Par contre, son désir de maternité restera toujours une cicatrice comme le montrent l’embryon
ainsi que les nombreuses poupées qu’elle gardait dans son atelier.

15

Vous aimerez peut-être aussi