Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
—
L’HISTOIRE CONTEMPORAINE
DE NOTRE MONDE
TOME II
Du bouleversement de l’Europe
au futur en perspective
Discovery Publisher
Titre original : Tragedy & Hope: A History of the World in Our Time
1966, ©The Macmillan Company, ©Carroll Quigley
All rights reserved
Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou utilisée sous aucune forme
ou par quelque procédé que ce soit, électronique ou mécanique, y compris des
photocopies et des rapports ou par aucun moyen de mise en mémoire d’information
et de système de récupération sans la permission écrite de l’éditeur.
XIII
Le bouleversement de l'Europe 3
L’Autriche infelix, 1933-1938 5
La crise tchécoslovaque, 1937-1938 23
1939, l’année des dupes 36
XIV
La Seconde Guerre mondiale : montée en force de l'agression, 1939-1941 57
Introduction 59
La bataille de Pologne, septembre 1939 64
Sitzkrieg, septembre 1939-mai 1940 66
La mobilisation allemande et le blocus économique des Alliés 67
Les régions frontalières soviétiques, septembre 1939-avril 1940 72
L’attaque allemande du Danemark et de la Norvège, avril 1940 81
La défaite de la France (mai-juin 1940) et le régime de Vichy 83
La bataille d’Angleterre, juillet-octobre 1940 92
L’Europe méditerranéenne et l’Europe de l’Est, juin 1940-juin 1941 95
La neutralité américaine et l’aide apportée à la Grande-Bretagne 106
L’attaque nazie sur la Russie soviétique, 1941-1942 120
XV
La Seconde Guerre mondiale : le déclin de l’agression, 1941-1945 129
XVI
La nouvelle ère 231
Introduction 233
Rationalisation et science 237
Le modèle du XXe siècle 263
XVII
La rivalité nucléaire et la guerre froide 1945-1950 273
Les facteurs 275
Les origines de la guerre froide, 1945-1949 289
La crise en Chine, 1945-1950 307
Confusions américaines, 1945-1950 312
XVIII
La rivalité nucléaire et la guerre froide, 1950-1957 361
« Joe I » et le débat nucléaire américain, 1949-1954 363
La guerre de Corée et ses conséquences, 1950-1954 375
L’équipe d’Eisenhower, 1952-1956 391
La montée au pouvoir de Khrouchtchev, 1953-1958 410
La guerre froide en Asie de l’Est et du Sud, 1950-1957 445
L’Extrême-Orient 445
L’Asie du Sud-Est 446
L'Asie du Sud 454
Le Proche-Orient 467
XX
Tragédie et espoir : le futur en perspective 605
Le cours du temps 608
Les États-Unis et la crise de la classe moyenne 643
Ambiguïtés européennes 688
CONCLUSION 721
TOME II
Du bouleversement de l’Europe
au futur en perspective
XIII
LE BOULEVERSEMENT DE L'EUROPE
_________
L
’Autriche, à la suite du traité de Saint-Germain, était si faible économique-
ment que sa survie ne tenait qu’à l’aide financière de la Société des Nations
et des États démocratiques occidentaux. Sa région peuplée avait été réduite
au point de ne comporter guère plus que la grande ville de Vienne et la banlieue
vaste et inappropriée qui l’entourait. La ville, dotée d’une population de deux
millions de personnes dans un pays dont la population était passée de 52 à 6,6
millions, avait été auparavant le centre d’un grand empire, et était désormais le
fardeau d’une petite principauté. De plus, le nationalisme économique des états
successeurs tels que la Tchécoslovaquie séparait cette zone du Danube inférieur
et des Balkans d’où le gouvernement avait pu trouver son approvisionnement ali-
mentaire lors de la période précédant la guerre.
Pire encore, la ville et la campagne l’entourant étaient antinomiques par rapport
à leurs perspectives sur tous les problèmes politiques, sociaux ou idéologiques. La
ville était socialiste, démocratique, anticléricale, voire antireligieuse, pacifiste, et
progressiste, selon le sens du mot « progrès » au XIXe siècle, alors que le pays était
catholique, voire religieux, ignorant, intolérant, belligérant et rétrograde.
Chaque zone avait son propre parti politique, les chrétiens socialistes à la campagne
et les sociaux-démocrates en ville. Les deux étaient si bien équilibrés qu’aucun des
deux partis n’obtenait moins de 35 % des voix ou plus de 49 % du total des votes
au cours des cinq élections qui eurent lieu de 1919 à 1930. Cela signifiait que la
répartition du pouvoir au Parlement tombait entre les mains des partis mineurs
insignifiants tels que les pangermanistes, ou la fédération des agriculteurs. Comme
ces groupes mineurs s’étaient unis aux chrétiens socialistes à partir de 1920, la di-
chotomie entre la ville et la campagne se transforma en une séparation entre le
gouvernement de la capitale (dominé par les sociaux-démocrates) et le gouverne-
ment fédéral (dominé par les chrétiens socialistes).
Les sociaux-démocrates, bien que radicaux et marxistes dans leurs discours,
étaient très démocratiques et modérés dans leurs actions. Aux rênes du pays entier
de 1918 à 1920, ils réussirent à faire la paix, à écraser la menace du bolchévisme
venue de la Hongrie à l’ouest ou de la Bavière au nord, à établir une constitution
démocratique donnant une autonomie considérable aux États locaux (anciennes
provinces), et à pousser ce nouveau pays en l’aidant à devenir un État-providence
du XXIe siècle. Ce succès pouvait être observé dans l’incapacité des communistes
à s’établir après 1919, ou à avoir un membre élu au Parlement. D’autre part, les
sociaux-démocrates n’avaient pas réussi à concilier leur envie de s’allier à l’Alle-
Discovery Publisher Histoire • 5
6 Tome II : Du bouleversement de l’Europe au futur en perspective
magne (appelée Anschluss) avec le besoin d’aide financière de la part des puissances
de l’Entente qui s’opposaient à ce rapprochement.
Un accord entre les pangermanistes et les chrétiens socialistes afin de mettre
l’Anschluss au placard et de se concentrer sur l’obtention d’aide financière de l’En-
tente victorieuse, offrait la possibilité de renverser la coalition officiant au cabinet
de Michael Mayr en juin 1921, et de le remplacer par une alliance entre pangerma-
nistes et chrétiens socialistes dirigée par le pangermaniste Johann Schober. En mai
1922, cette alliance s’inversa quand le chef des chrétiens socialistes, Monseigneur
Ignaz Seipel, un prêtre catholique, devint chancelier. Seipel fut à la tête du gou-
vernement fédéral autrichien jusqu’à sa mort en août 1932, et ses politiques
furent poursuivies par ses disciples, Dollfuss et Schuschnigg. Seipel réussit à re-
construire financièrement le pays en contractant des prêts internationaux auprès
des puissances victorieuses de 1918. Il y parvint malgré la mauvaise cote de crédit
de l’Autriche, en insistant sur le fait qu’il ne pourrait pas empêcher l’Anschluss si
l’Autriche faisait faillite.
Pendant ce temps, les sociaux-démocrates qui contrôlaient la ville et l’état de
Vienne se lancèrent dans un formidable programme de sécurité sociale. Le vieux
système monarchique de taxes indirectes fut remplacé par un système de taxes
directes qui pesaient lourdement sur les nantis. Grâce à une administration hon-
nête, efficace et à un budget équilibré, les conditions de vie des pauvres furent
transformées. On le remarquait en particulier au niveau du logement. Elles étaient
déplorables avant 1914. En 1917, un recensement révéla que 73 % de tous les
appartements étaient des « pièces uniques » (plus de 90 % des appartements des
ouvriers en étaient), et parmi ces appartements, 92 n’avaient pas d’installations
sanitaires, 95 % n’avaient pas l’eau courante, et 77 % n’avaient ni électricité ni
gaz ; beaucoup n’avaient pas d’aération extérieure. Bien que cette pièce unique fût
plus petite que quatre mètres sur cinq, 17 % avaient des sous-locataires, partageant
en général le lit. À cause de ce manque de logement, les maladies (en particulier
la tuberculose) et le crime se répandaient, et le marché immobilier explosa avec
une hausse de plus de 2500 % entre 1885 et 1900. Ces conditions économiques
furent maintenues par un système politique largement antidémocratique dans le-
quel seulement 83 000 personnes, sélectionnées sur le critère de propriété, avaient
le droit de vote et où les 5500 plus riches avaient le droit de choisir un tiers des
sièges du conseil municipal.
Les sociaux-démocrates arrivèrent en 1918 dans cette situation. Entre 1918 et
1933, ils firent construire 60 000 logements, en grande partie des immeubles.
Ceux-ci avaient des planchers en bois, des fenêtres donnant sur l’extérieur, le gaz,
l’électricité, et des installations sanitaires. Dans ces grands lotissements, plus de la
moitié de la place était laissée libre pour y installer des parcs ou des terrains de jeu,
et on avait accès à des buanderies, des crèches, des bibliothèques, des cliniques, des
bureaux de poste et toutes autres formes de commodités. Le Karl Marx Hof, l’un
des plus grands immeubles de ce type, ne couvrait que 18 % de son terrain, mais il
contenait 1400 appartements qui abritaient 5000 personnes. Ces immeubles furent
construits avec une telle efficacité que le coût moyen par appartement n’était que
de 1650 dollars. Comme le loyer ne devait couvrir que la maintenance et non les
coûts de construction (qui venaient des taxes), le loyer moyen était de moins de
deux dollars par mois. Ainsi, les pauvres de Vienne ne dépensaient qu’une petite
partie de leur revenu dans le loyer, moins de 3 %, comparés aux 25 % à Berlin et
aux environs de 20 % à Vienne avant la guerre. De plus, toutes sortes de commo-
dités gratuites ou peu chères étaient fournies par la ville, telles que les soins mé-
dicaux, les soins dentaires, l’éducation, les bibliothèques, les loisirs, les sports, les
repas scolaires et la maternité.
Alors que tout ceci se passait à Vienne, le gouvernement fédéral de l’alliance chré-
tienne socialiste et pangermaniste sombrait de plus en plus dans la corruption.
Une enquête parlementaire révéla que des fonds publics étaient détournés vers des
banques et usines contrôlées par des partisans de Seipel, malgré tous les efforts
du gouvernement pour cacher les faits. Quand le gouvernement fédéral riposta
avec sa propre enquête des finances de la ville de Vienne, il dut rapporter qu’elles
étaient admirablement bien tenues. Tout ceci aida à accroître l’attrait pour les so-
ciaux-démocrates à travers toute l’Autriche, malgré leur orientation antireligieuse
et matérialiste. Cela fut évident, car on constata une augmentation constante des
votes pour les socialistes, qui passèrent de 35 % des votes totaux en 1920 à 39,6 %
en 1923, à 42 % en 1927. Pendant ce temps-là, le nombre de sièges occupés par
des chrétiens socialistes au Parlement chuta de 85 en 1920 à 82 en 1923, puis à
73 en 1927 et à 66 en 1930.
En 1927, Monseigneur Seipel créa une « Etnotna lista » regroupant tous les groupes
antisocialistes possibles, mais il ne parvint pas à renverser la tendance. L’élection
permit à son parti de récupérer 73 sièges, contre 71 pour les sociaux-démocrates,
12 pour les pangermanistes, et neuf pour la fédération des agriculteurs. En consé-
quence, Seipel entreprit de commencer un projet très dangereux. Il chercha à trans-
former la constitution autrichienne en dictature présidentielle, et s’en servir pour
restaurer la maison de Habsbourg au sein d’un état corporatif fasciste. Comme
le moindre changement à la constitution nécessitait une majorité de deux tiers
des votes du Parlement ou l’opposition et que les sociaux-démocrates détenaient
43 % des sièges, Monseigneur Seipel essaya de briser cette opposition en motivant
le développement d’une milice armée réactionnaire, l’Heimwehr (Garde locale).
Le projet échoua en 1929, quand les changements apportés à la constitution par
Seipel furent majoritairement rejetés par le Parlement. En fin de compte, cet échec
poussa à utiliser des méthodes illégales, une tâche qui incomba au successeur de
Seipel, Engelbert Dollfuss, de 1932 à 1934.
L’Heimwehr fit sa première apparition en 1918-1919, en tant que groupe de
paysans armés et de soldats formés sur les marges du territoire autrichien pour
résister aux intrusions italiennes, slaves et bolchéviques. Une fois ce danger écar-
té, leur existence perdura en tant qu’organisation informelle de groupes réaction-
naires armés, financée dans un premier temps par les mêmes groupes de l’armée
allemande qui finançaient les nazis en Bavière à cette époque (1919-1924). Plus
tard, ces groupes se firent financer par les industriels et les banquiers pour servir
d’arme contre les syndicats, et après 1927 par Mussolini dans le cadre de ses projets
de révisionnisme pour la zone danubienne. Dans un premier temps, ces troupes
de l’Heimwehr étaient indépendantes et avaient chacune leur propre chef dans
différentes régions. Après 1927, elles commencèrent à se regrouper, bien qu’une
rivalité certaine fût toujours présente parmi les différents chefs. Ces chefs étaient
des membres des partis chrétiens socialistes ou pangermanistes et avaient quelques
fois des liens avec Habsbourg. Les chefs étaient Anton Rintelen et Walter Pfrimer
en Styrie, Richard Steidle dans le Tyrol, le prince Ernst Rüdiger von Starhemberg
en Haute-Autriche, et Emil Fey à Vienne. Alors que le mouvement s’unifiait, le
« chef d’état-major » de ce mouvement, un meurtrier multirécidiviste et repris
de justice d’Allemagne, fut Waldemar Pabst, qui avait pris part à beaucoup de
meurtres politiques commandés par les nationalistes en Allemagne au cours des
années 1919-1923.
Ces organisations s’entraînaient ouvertement en formation militaire, manifes-
taient chaque semaine de façon provocative dans les zones industrielles des villes,
déclaraient ouvertement leur volonté de détruire la démocratie, les syndicats et
les socialistes et de forcer le changement de constitution, et attaquaient et tuaient
leurs opposants.
Les initiatives de Seipel afin de réformer la constitution en utilisant l’Heimwehr
pour faire pression sur les sociaux-démocrates échouèrent en 1929, même s’il réus-
sit en quelque sorte à rendre le président chrétien-démocrate, Wilhelm Miklas,
plus puissant. Au même moment, Seipel refusa une offre des sociaux-démocrates
proposant le désarmement et la dissolution de l’Heimwehr ainsi que de la milice
sociale-démocrate, la Schutzbund.
À cause de sa stratégie, Seipel se mit à dos ses partisans pangermanistes et de la
fédération des agriculteurs, ce qui lui valut la perte de la majorité à la chambre.
Elle démissionna en septembre 1930. En utilisant les nouvelles réformes constitu-
tionnelles qui avaient été votées l’année précédente, Seipel créa un cabinet « prési-
dentiel », un gouvernement minoritaire, de chrétiens socialistes et de membres de
l’Heimwehr. Pour la première fois, ce groupe avait accès à des postes ministériels,
et pas les plus rassurants vu que Starhemberg devint ministre de l’Intérieur (qui
dirigeait la police), et Franz Hüber, un autre dirigeant de l’Heimwehr, devint mi-
nistre de la Justice. Tout ceci fut mis en place malgré le fait que l’Heimwehr venait
de passer un serment devant son organisation qui forçait ses membres à rejeter la
démocratie parlementaire et y préférer un État « dirigé » par un parti unique coo-
pératif. À compter de cet instant, la constitution fut constamment bafouée par les
chrétiens socialistes.
De nouvelles élections furent demandées en novembre 1930. Starhemberg promit
à Pfrimer qu’il lancerait un putsch pour empêcher les élections, et Starhemberg an-
nonça publiquement : « Maintenant que nous sommes là, nous ne laisserons pas le
contrôle à quelqu’un d’autre, peu importe le résultat des élections. » Cependant, le
chancelier Karl Vaugoin était convaincu que son groupe gagnerait les élections, ainsi
il mit son veto au putsch. Le ministre de la Justice, Hüber, fit saisir les papiers des
pangermanistes, des agriculteurs, des dissidents chrétiens socialistes, ainsi que des
sociaux-démocrates, durant la campagne, prétextant qu’ils étaient « bolchéviques ».
Les élections se tinrent dans la confusion causée par ces actions contradictoires,
cela fut la dernière élection dans l’Autriche d’avant-guerre. Les chrétiens socia-
listes perdirent sept sièges, tandis que les sociaux-démocrates en gagnèrent 1. Ces
derniers en avaient 72 alors que les premiers en avaient 66, l’Heimwehr en avait
8, et le bloc pangermaniste et agriculteurs en avait 19. Le gouvernement minori-
taire de Seipel démissionna servilement, remplacé par un gouvernement chrétien
socialiste plus modéré, dirigé par Otto Ender et avec le soutien de l’alliance pan-
germanistes-agriculteurs.
En juin 1931, même si Seipel essaya à nouveau de former un gouvernement, il ne
réussit pas à obtenir suffisamment de soutien, et les coalitions faibles des chrétiens
socialistes et des pangermanistes continuèrent malgré une révolte de l’Heimwehr
menée par Pfrimer en septembre 1931. Pfrimer et ses partisans furent jugés pour
trahison et acquittés. On ne fit pas d’efforts pour récupérer leurs armes, et il devint
vite évident que la coalition chrétienne socialiste, poussée par ses propres affinités
et sa peur de la violence de l’Heimwehr, préparait une attaque sur les sociaux-dé-
mocrates et les syndicats. Ces attaques s’intensifièrent après mai 1932, quand un
nouveau cabinet arriva au pouvoir, avec Dollfuss en tant que chancelier et Kurt
Schuschnigg en tant que ministre de la Justice. Le cabinet n’avait une majorité
que d’un vote au Parlement, à 83 contre 82, et dépendait entièrement des huit
députés Heimwehr pour avoir la majorité. Comme ils savaient qu’ils perdraient, les
chrétiens socialistes ne voulaient pas déclencher d’élection. Comme ils avaient la
ferme intention de régner, ils restèrent au pouvoir, bafouant la loi et la constitution.
Bien que les nazis devinssent de plus en plus forts et violents jour après jour en
Autriche, la coalition chrétienne-socialiste-Heimwehr passait son temps à détruire
les sociaux-démocrates. La milice de l’Heimwehr s’en prenait aux socialistes dans
les zones industrielles des villes, arrivant en train dans les zones rurales à ce but, et
le gouvernement chrétien socialiste réprimait ensuite les sociaux-démocrates pour
ces « problèmes. » En octobre 1932, après l’un de ces événements, Dollfuss nomma
Ernst Fey, le chef de l’Heimwehr, secrétaire d’État (puis ministre par la suite) de la
sécurité civile en commande de toutes les forces de police d’Autriche. Cela permit
à l’Heimwehr d’avoir en plus des huit sièges au Parlement, trois sièges au cabinet.
Fey interdit immédiatement tout rassemblement excepté ceux de l’Heimwehr. À
partir de ce moment, la police fit des descentes et détruisit systématiquement les
propriétés des sociaux-démocrates et des syndicats en prétextant « chercher des
armes ». Le 4 mars 1933, le gouvernement Dollfuss perdit le vote au Parlement à
un vote d’écart, à 81 contre 80. Ils rejetèrent un vote pour « problème technique »
et se servirent du soulèvement qui suivit comme une excuse pour empêcher par la
force que le Parlement se rassemble.
Dollfuss gouvernait par décret, en utilisant la loi de l’empire des Habsbourg
datant de 1917. Cette loi permettait au gouvernement de prendre des ordon-
vait être acceptée soit par le plébiscite soit par un vote des deux tiers de l’ancien
Parlement avec au moins la moitié de ses membres présents. Cela eut lieu le 30
avril 1934, les nombreuses lois ayant été acceptées par une petite partie de l’ancien
Parlement. Comme on empêchait les socialistes d’y participer et que les panger-
manistes refusaient d’y venir, seuls 76 sièges étaient occupés sur les 165, et une
partie vota contre les lois proposées.
La nouvelle constitution n’eut pas d’importance réelle, car le gouvernement conti-
nuait de gouverner par décret, et la bafouait à volonté. Par exemple, un décret
du 19 juin 1934 privait les tribunaux de leur pouvoir constitutionnel de juger la
constitutionnalité des choix du gouvernement avant le 1er juillet 1934.
Le caractère corporatif de la nouvelle constitution était une vaste supercherie.
Dans beaucoup de domaines, aucun collectif n’avait été établi, et là où ils avaient
été établis, les membres étaient nommés et non pas élus comme le décrivait la loi,
et dans la majeure partie des cas, ils ne faisaient rien. À la place, tout le système
bancaire et industriel se retrouva infesté de bureaucrates du front patriotique. À
cause de la crise mondiale et d’une mauvaise gestion, les banques autrichiennes
s’effondrèrent entre 1931 et 1933, précipitant encore plus la crise économique
mondiale. Le gouvernement autrichien prit le contrôle de ces banques et remplaça
petit à petit leurs effectifs, en particulier les employés juifs, par des valets du parti.
Comme les banques contrôlaient près de 90 % des sociétés industrielles du pays,
ces valets purent placer leurs amis à tous les échelons du système économique. En
1934, sauf rares exceptions, plus rien ne pouvait se faire dans le domaine com-
mercial sans avoir des « amis » dans le gouvernement, et tout était possible avec
ces « amis ». Cette « amitié » s’obtenait facilement par la corruption, et on vit ainsi
les entreprises verser ponctuellement de l’argent sur les comptes des personnalités
politiques. Début 1936, le scandale éclata en plein jour quand il fut révélé que la
compagnie d’assurance Phénix (dont Vaugoin, ancien chancelier et dirigeant du
parti chrétien socialiste, était le président) avait perdu 250 millions en cadeaux
et « prêts » donnés en guise de pot-de-vin. Le gouvernement dut avouer ce fait, et
publia une liste des groupes politiques et des politiciens qui avaient reçu en tout
moins de trois millions de shillings. Cela n’expliquait pas tout l’argent perdu.
Aucune explication ne fut trouvée. Des poursuites légales furent entamées contre
vingt-sept personnes, mais le gouvernement de Schuschnigg ne jugea aucune de
ces personnes.
La corruption se répandit dans tout le gouvernement jusqu’à arriver à un point
où, comme le disait Starhemberg : « Personne ne savait plus à qui faire confiance,
et même les plus incroyables suspicions trouvaient une justification. » L’affront
des nazis fut renforcé en mai et juin 1934, jusqu’au point où on pouvait comp-
ter en moyenne quinze attentats par jour. Le 12 juillet, le gouvernement mit en
place par décret la peine de mort pour les auteurs des attentats. Les nazis mena-
cèrent d’effectuer un putsch à la première condamnation de ce genre. La première
condamnation fut effectuée le 24 juillet, mais contre un socialiste de vingt-deux ans
après un procès sommaire. Le même jour, la police et le front patriotique reçurent
un rapport de leurs espions disant que les nazis préparaient une attaque pour le
lendemain. Tous les détails furent transmis à Fey, mais lui et Dollfuss passèrent la
soirée à débattre d’un potentiel soulèvement socialiste. Le rassemblement du ca-
binet prévu le 25 juillet fut repoussé à cause de cette alerte, mais aucun effort ne
fut fait pour protéger les ministres. À environ 13 heures, 154 nazis débarquèrent
de huit camions de transport et se précipitèrent dans la chancellerie sans tirer le
moindre coup de feu. Ils assassinèrent Dollfuss et s’enfermèrent à l’intérieur. Un
autre groupe de nazis prit possession de la station de radio de Vienne et annonça
un nouveau gouvernement dont Rintelen était le chancelier. Il y eut aussi quelques
soulèvements nazis sporadiques en province lors desquels des vingtaines de per-
sonnes furent tuées. La « Légion autrichienne » nazie en Allemagne et le gouver-
nement allemand n’osèrent pas se déplacer à cause d’un avertissement strict de
Mussolini disant qu’il envahirait l’Autriche par le sud s’ils le faisaient.
Après six heures de négociations au cours desquelles Fey et le ministère allemand
servaient d’intermédiaires, les hommes assiégés dans la chancellerie en furent dé-
logés et déportés en Allemagne. Quand la mort de Dollfuss fut découverte, treize
personnes furent exécutées et un grand nombre emprisonné ; toutes les organisa-
tions nazies furent fermées et leurs activités suspendues. Au même moment, ceux
qui avaient tenté de prévenir le gouvernement de ce complot ou de l’empêcher
furent arrêtés et quelques-uns tués (dont l’espion de la police qui avait fourni des
détails spécifiques la veille du crime).
Schuschnigg et l’Heimwehr se partagèrent le gouvernement après la mort de
Dollfuss. Chacun prit quatre sièges au cabinet. Schuschnigg était chancelier du
gouvernement et vice-président du front patriotique, alors que Starhemberg était
président du Front patriotique et vice-chancelier du gouvernement.
À partir de juillet 1934, Schuschnigg essaya de se débarrasser de l’Heimwehr, en
particulier de Starhemberg, afin de créer une dictature purement personnelle avec
un parti unique, un syndicat, et une politique : satisfaire les nazis sans céder de
pouvoir ou de position essentielle, afin de maintenir les socialistes en difficulté et
d’obtenir autant de soutien de la part de Mussolini que possible.
Nous avons évoqué le fait que Dollfuss et Schuschnigg avaient trois opposants
en 1932 : les socialistes, les nazis et l’Heimwehr. Ils voulaient les détruire dans cet
ordre en utilisant la puissance de ceux qui n’étaient pas encore détruits contre les
autres, ainsi que celle des chrétiens socialistes. Au fur et à mesure des démarches,
ils essayèrent également de détruire les chrétiens socialistes, en regroupant tous
ces groupes en un parti politique unique, amorphe et dénué de sens, le front pa-
triotique. Le but du parti était de mobiliser le soutien pour les deux dirigeants.
Il n’avait pas de principe politique à proprement parler et n’était absolument pas
démocratique, obligé d’appliquer les décisions du « chef ». Tout le monde, peu im-
porte leur croyance politique, y compris les nazis, les catholiques, les communistes,
et les socialistes, fut forcé de rejoindre le parti sous une forte pression politique,
sociale et économique. Résultat : toute morale politique fut anéantie, l’intégrité
publique fut ruinée, et une grande partie de la population active politiquement
se retrouva forcée de rejoindre les deux groupes extrémistes qui opéraient en se-
cret, les nazis et les communistes, et beaucoup plus de monde rejoignit ce premier
groupe. Même les socialistes, afin de ne pas laisser partir leurs membres énervés
chez les communistes, durent adopter une attitude plus révolutionnaire. Comme
tout se déroulait secrètement, et que le champ était libre pour des slogans futiles,
des avantages matérialistes grossiers, et des expressions pieuses de vertu, personne
ne savait vraiment ce que les autres pensaient, ni à qui faire confiance.
La perte du soutien de l’Italie pour l’Heimwehr et pour une Autriche indépendante
à la suite de l’incident d’Éthiopie avait permis à Schuschnigg de se débarrasser de
Starhemberg et de sa milice et l’avait forcé à se montrer conciliant avec les nazis.
Fey fut évincé du gouvernement en octobre 1935. Un supplément politique aux
protocoles de Rome fut signé par l’Autriche, l’Italie et la Hongrie le 23 mars 1936.
Il impliquait que les pays signataires ne passeraient pas d’accord avec un pays
non-signataire pour changer la situation politique de la région danubienne sans
avoir consulté les autres pays signataires. En avril, l’Autriche copia l’Allemagne et
se mit un peu plus à dos la France et la Petite Entente, en annonçant la mise en
place du service militaire général. Le même mois, Schuschnigg ordonna le désar-
mement de la milice catholique. En mai 1936, trois membres de l’Heimwehr, dont
Starhemberg, furent évincés du cabinet, et Starhemberg fut démis de ses fonctions
de dirigeant du front patriotique. Une semaine plus tard, une série de décrets or-
donna le désarmement de l’Heimwehr, la création une milice armée pour le front
patriotique qui serait la seule milice armée du pays, déclarant que désormais le
dirigeant du front et le chancelier seraient une seule et unique personne, et don-
nant au chancelier le droit de désigner les dirigeants de toutes les unités politiques
locales et d’autoriser leur nomination. Ces décrets interdirent tout défilé et rassem-
blement jusqu’au 30 septembre, et déclarèrent que le front patriotique était « une
fondation autoritaire », une personne légale, et « le seul et unique instrument pour
la formation de l’engagement politique dans l’État ».
Schuschnigg, dont la position en Autriche était « renforcée », et face à la pression de
Mussolini le poussant à faire la paix avec Hitler, signa un accord le 11 juillet 1936
avec Franz von Papen, le ministre allemand. Selon la partie de l’accord publiée,
l’Allemagne reconnaissait l’indépendance de l’Autriche et sa souveraineté, chaque
pays faisait la promesse de ne pas intervenir dans la politique intérieure de l’autre,
l’Autriche reconnaissait être un État allemand, et des accords supplémentaires visant
à calmer la tension existante avaient été promis. Dans des accords secrets passés au
même moment, l’Autriche promettait l’amnistie pour les prisonniers politiques,
promettait d’installer les nazis dans des postes à « responsabilité politique », afin
qu’ils aient les mêmes droits politiques que les autres Autrichiens et de permettre
aux Allemands en Autriche d’utiliser leurs symboles et hymnes nationaux en tant
que citoyens d’État tiers. Les deux états supprimaient les restrictions financières et
autres restrictions concernant les touristes. La proscription mutuelle sur les jour-
naux dans les deux états fut levée, de sorte que cinq journaux allemands désignés
puissent être publiés en Autriche et que cinq journaux autrichiens soient autorisés
noncée par Hitler le 5 novembre 1937 lors d’une réunion secrète avec six autres
personnes. Parmi ceux présents, autres que Hitler et son aide, le colonel Hossback,
se trouvaient le ministre de la Guerre (Werner von Blomberg), les commandants
en chef de l’armée (Werner von Frisch), de la marine (Erich Raeder), et de l’armée
de l’air (Hermann Göring), et le ministre des Affaires étrangères (Konstantin von
Neurath). Il apparaît évident en regard de quelques déclarations de Hitler qu’il
avait déjà reçu certaines informations concernant les décisions prises en secret par
Chamberlain du côté britannique, par exemple, il avait annoncé catégoriquement
que la Grande-Bretagne voulait satisfaire les ambitions colonialistes de l’Allemagne
en leur donnant des zones hors de l’Empire britannique, comme l’Angola appar-
tenant au Portugal, on sait maintenant que Chamberlain y pensait, en effet. En
outre, Hitler avait assuré à son audience qu’il « était presque certain que la Grande-
Bretagne, et probablement aussi la France, avaient déjà tacitement rayé les Tchèques
du tableau et étaient d’avis que la question serait réglée en temps voulu par l’Alle-
magne... Une attaque de la France, sans le soutien britannique, et avec l’éventualité
que l’assaut finisse dans une impasse face à nos fortifications du front ouest, était
très peu probable. Nous n’avions pas non plus à nous attendre à une marche de la
France à travers la Belgique et les Pays-Bas sans le soutien britannique. »
Hitler pensait qu’en réduisant le soutien allemand à Franco en Espagne, la guerre
qui s’y déroulait serait prolongée, et qu’en encourageant l’Italie à rester en Espagne,
en particulier dans les îles Baléares, les troupes de l’armée coloniale française en
Afrique ne pourraient pas traverser la mer Méditerranée pour intervenir en Europe,
et que la France et la Grande-Bretagne seraient tellement restreintes par l’Ita-
lie en Méditerranée qu’elles ne réagiraient pas contre l’Allemagne concernant la
Tchécoslovaquie et l’Autriche. En fait, Hitler était tellement sûr de la perspective
d’une guerre en 1938, avec la Grande-Bretagne et la France d’un côté et l’Italie
de l’autre, qu’il pensait que l’Allemagne pourrait conquérir la Tchécoslovaquie et
l’Autriche la même année.
Pour Blomberg, Fritsch et Neurath, ces idées étaient tout bonnement inaccep-
tables. Ils émirent des objections en avançant que le réarmement de l’Allemagne
était si rétrograde qu’ils n’avaient aucune division motorisée capable de se déplacer,
qu’il n’y avait aucune raison de s’attendre à une guerre anglo-franco-italienne en
1938, que l’Italie, dans le cas d’une telle guerre, n’occuperait que vingt divisions
françaises, en laissant suffisamment pour attaquer l’Allemagne, et qu’une telle at-
taque serait très dangereuse, car les fortifications allemandes sur la frontière ouest
étaient « insignifiantes ». Hitler avait écarté ces objections. Il avait « répété ses dé-
clarations précédentes, affirmant qu’il était convaincu de la non-participation de la
Grande-Bretagne, et que, par conséquent, il ne croyait pas probable que la France
engage le combat contre l’Allemagne. »
Comme Blomberg, Fritsch et Neurath s’étaient opposés à lui lors de cette confé-
rence de novembre 1937, Hitler les fit remplacer par trois subordonnés plus
souples lors d’un coup d’État soudain, le 4 février 1938. Hitler prit lui-même le
poste de ministre de la Guerre et de commandant en chef des armées, avec le gé-
néral Wilhelm Keitel en chef d’état-major des forces armées du Reich. Neurath
fut remplacé comme ministre des Affaires étrangères par le fanatique Ribbentrop.
Dirksen, un homme très doué, fut envoyé à Londres comme ambassadeur, mais
ses compétences étaient gâchées, puisque Ribbentrop ne prêtait pas attention à ses
rapports et à ses avertissements fondés.
Pendant ce temps, le gouvernement britannique, en particulier le petit groupe
chargé du contrôle des affaires étrangères, était arrivé à une décision en sept points
concernant l’attitude à adopter face à l’Allemagne :
L’Allemagne de Hitler était le rempart de première ligne contre la propagation
du communisme en Europe.
Un pacte entre les quatre puissances que sont la Grande-Bretagne, la France,
l’Italie et l’Allemagne afin d’éradiquer toute influence russe d’Europe était le but
ultime, par conséquent, la Grande-Bretagne n’avait pas la moindre envie d’affaiblir
l’Axe Rome-Berlin, mais le voyait avec l’entente franco-anglaise comme la base
d’une Europe stable.
La Grande-Bretagne ne voyait aucune objection à ce que l’Allemagne s’empare
de l’Autriche, de la Tchécoslovaquie et de Dantzig.
L’Allemagne ne devait pas avoir recours à la force pour arriver à ses buts en Europe,
car cela précipiterait une guerre au cours de laquelle la Grande-Bretagne devrait
intervenir à cause de la pression de l’opinion publique présente dans le système
d’alliances en France et en Grande-Bretagne, sans se précipiter, l’Allemagne pou-
vait atteindre ses objectifs sans utiliser la force.
La Grande-Bretagne voulait un accord avec l’Allemagne, limitant le nombre et
l’utilisation d’avions de bombardement.
La Grande-Bretagne était prête à donner à l’Allemagne des colonies en Afrique cen-
trale et du sud, dont le Congo belge et l’Angola portugais, si l’Allemagne renonçait
à son envie de récupérer le Tanganyika, qui avait été pris à l’Allemagne en 1919,
et si elle signait un accord international disant qu’elle gouvernerait ces régions en
respectant les droits des autochtones, avec une politique économique de « portes
ouvertes », et sous une forme de supervision internationale comme les mandats.
La Grande-Bretagne mettrait la pression sur la Tchécoslovaquie et la Pologne
pour qu’elles négocient avec l’Allemagne et qu’elles soient conciliantes avec les
demandes allemandes.
On devrait ajouter un huitième point aux sept précédents : la Grande-Bretagne
doit se réarmer afin de maintenir sa position dans ce « monde des trois blocs » et
pour dissuader l’Allemagne d’utiliser la force afin de créer son bloc en Europe.
Parmi les défenseurs de ce point, on trouvait Chamberlain, qui développa l’armée
de l’air britannique qui sauva la Grande-Bretagne en 1940, et le groupe de la Table
ronde dirigé par lord Lothian, Edward Grigg et Leopold Amery, qui avaient mis
en place une campagne pour instaurer le service militaire obligatoire.
Les sept premiers points furent répétés à l’Allemagne par plusieurs porte-parole à
partir de 1937. On en trouve aussi la mention dans de nombreux documents pu-
bliés récemment, dont les archives du ministère des Affaires étrangères allemand,
les documents du ministère des Affaires étrangères britannique, et de nombreux
extraits de journaux et autres documents personnels, en particulier les extraits du
journal de Neville Chamberlain et les lettres adressées à sa sœur. Parmi de nom-
breuses autres occasions, ces points étaient évoqués dans les affaires suivantes :
(a) dans une conversation entre lord Halifax et Hitler, à Berchtesgaden, le 17
novembre 1938 ; (b) dans une lettre de Neville Chamberlain à sa sœur, le 26 no-
vembre 1937 ; (c) dans une conversation entre Hitler, Ribbentrop, et l’ambassadeur
britannique (sir Nevile Henderson) à Berlin, le 3 mars 1938 ; (d) dans une suite
de discussions entre lord Halifax, Ribbentrop, sir Thomas Inskip (ministre de la
Défense britannique), Erich Kordt (assistant de Ribbentrop) et sir Horace Wilson
(le représentant personnel de Chamberlain) à Londres, les 10 et 11 mars 1938 ; et
(e) dans une conférence de Neville Chamberlain avec plusieurs journalistes amé-
ricains, tenue dans la maison de lord Astor, le 10 mai 1938. De plus, des extraits
de ces sept points étaient mentionnés dans des vingtaines de conversations et de
documents qui sont maintenant disponibles.
Certains aspects significatifs de celles-ci devraient être soulignés. D’abord, mal-
gré les efforts britanniques continus qui durèrent plus de deux ans, Hitler avait
rejeté l’Angola et le Congo et avait exigé de récupérer les colonies allemandes
perdues en 1919. En 1939, l’Allemagne refusa constamment de négocier sur ce
point et finit même par refuser de reconnaître les tentatives de discussions de la
Grande-Bretagne. Ensuite, tout au long de ces documents, les Anglais firent une
distinction nette entre les objectifs de l’Allemagne et ses méthodes. Ils ne voyaient
pas d’objection aux objectifs de l’Allemagne en Europe, mais ils insistaient sur le
fait qu’elle ne devait pas utiliser la force pour y parvenir à cause du risque d’une
guerre. Cette distinction était acceptée par les diplomates allemands et par les sol-
dats professionnels allemands, qui voulaient atteindre les objectifs de l’Allemagne
pacifiquement, mais cette distinction n’était pas acceptée par les dirigeants du parti
nazi, particulièrement par Hitler, Ribbentrop et Himmler, qui étaient trop im-
patients et voulaient se prouver à eux-mêmes ainsi qu’au monde que l’Allemagne
était suffisamment puissante pour obtenir ce qu’elle voulait sans avoir à attendre
l’autorisation de qui que ce soit.
Ces barbares pensaient que la Grande-Bretagne et la France étaient si « déca-
dentes » qu’elles se battraient pour n’importe quoi, et ne voyaient pas le rôle que
jouait l’opinion publique en Grande-Bretagne. Ces pensées renforcèrent leur at-
titude. Convaincus que le groupe gouvernant en Grande-Bretagne voulait que
l’Allemagne prenne l’Autriche, la Tchécoslovaquie et Dantzig, ils ne pouvaient
pas comprendre pourquoi un tel accent était mis sur l’utilisation de méthodes
pacifiques, et ils ne voyaient pas en quoi l’opinion publique britannique pourrait
forcer son gouvernement à partir en guerre sur ce point alors que le gouverne-
ment britannique avait été très clair sur le fait que la dernière chose qu’il voulait
était une guerre. Cette erreur venait du fait que les nazis n’avaient aucune idée de
comment un gouvernement démocratique fonctionnait, n’avaient de respect ni
pour l’opinion publique ni pour la presse libre, et leur erreur se trouvait renforcée
par la faiblesse de l’ambassadeur britannique à Berlin (Henderson) et par les liens
de Ribbentrop avec le Cliveden Set en Grande-Bretagne lorsqu’il avait été ambas-
sadeur là-bas de 1936 à 1938.
Troisièmement, le gouvernement britannique ne pouvait pas reconnaître publi-
quement l’existence de ces « sept points », car l’opinion publique britannique les
aurait jugés inacceptables. Par conséquent, ces points devaient rester secrets, ex-
cepté pour quelques « ballons d’essai » publiés dans The Times, lors de discours à la
Chambre des Communes ou à la Chatham House, dans des articles de The Round
Table et dans des indiscrétions délibérées afin de préparer le terrain pour ce qui se
mettait en place. Afin de convaincre le peuple britannique d’accepter ces points,
un par un, au fur et à mesure de leur complétion, le gouvernement britannique
répandit la rumeur selon laquelle l’Allemagne était armée jusqu’aux dents et que
l’opposition à l’Allemagne était minime.
Cette propagande fit sa première apparition dans les épanchements du groupe de la
Table ronde, dont le chef, lord Lothian, avait rendu visite à Hitler en janvier 1935,
et avait promu ce programme en sept points dans The Times, dans The Round Table,
à la Chatham House, à All Souls, et à lord Halifax. Dans le numéro de décembre
1937 de The Round Table, où quasiment tous les sept points dont Halifax venait
de discuter avec Hitler étaient mentionnés, l’idée d’une guerre pour restreindre les
ambitions de l’Allemagne en Europe était rejetée, car son « résultat était incertain »
et que cela « impliquerait des catastrophes nationales inacceptables. » En faisant la
somme des effectifs de forces militaires dans le cas d’une telle guerre, l’Allemagne
sortait prépondérante, en omettant aussi bien la Russie que la Tchécoslovaquie et
en estimant que l’armée française n’était qu’aux deux tiers de l’effectif de l’armée
allemande et en estimant que l’armée britannique avait moins de trois divisions.
Au printemps 1938, cette vision complètement erronée de la situation fut diffusée
par le gouvernement même.
Pendant des années, avant juin 1938, le gouvernement affirmait que le réarme-
ment britannique avançait à un rythme satisfaisant. Churchill et d’autres remirent
cela en question, et fournirent des statistiques sur le réarmement allemand pour
démontrer que le progrès britannique dans ce domaine n’était pas suffisant. Ces
statistiques (qui étaient erronées) furent rejetées par le gouvernement, et ces derniers
défendirent leur méthode de réarmement. Aussi tard qu’en 1938, Chamberlain
annonça que l’armement britannique était tel que cela pouvait faire passer la
Grande-Bretagne pour une « puissance presque terrifiante... aux yeux du reste du
monde ». Mais, au fil de l’année, le gouvernement changea grandement d’attitude.
Afin de persuader l’opinion publique qu’il était nécessaire de céder à l’Allemagne,
le gouvernement et ses partisans prétendaient que l’armement britannique faisait
pâle figure comparé à celui de l’Allemagne.
Nous savons désormais, grâce aux documents saisis du ministère de la Guerre
allemand, que c’était une grossière exagération. De 1936 au déclenchement de la
guerre en 1939, la production aérienne allemande n’avait pas été augmentée, mais en
moyenne, 425 avions en tous genres étaient produits par mois (y compris des avions
commerciaux). La production de blindés était faible, et même en 1939, était infé-
rieure à celle de la Grande-Bretagne. Les neuf premiers mois de 1939, l’Allemagne
ne produisait que 50 tanks par mois, au cours des quatre derniers mois de 1939,
en période de guerre, l’Allemagne produisait 247 « tanks et canons automoteurs »,
comparés aux 314 tanks produits par la Grande-Bretagne sur la même période.
Au moment de la crise de Munich en 1938, l’Allemagne disposait de 35 divisions
d’infanterie et de quatre divisions motorisées, aucune d’entre elles n’avait un effectif
complet ou n’était entièrement équipée. À ce moment, la Tchécoslovaquie pouvait
mobiliser au moins 33 divisions. De plus, l’armée tchèque était mieux entraînée,
avait un équipement supérieur, un meilleur moral et de meilleures fortifications.
Les tanks allemands de cette époque pesaient tous moins de dix tonnes et étaient
équipés de mitrailleuses, à l’exception de quelques tanks de 18 tonnes (les Mark
III) armés de canons de 37mm. Les Tchèques avaient des centaines de tanks de
38 tonnes armées de canons de 75mm. En mars 1939, quand l’Allemagne envahit
la Tchécoslovaquie, elle en captura 469, ainsi que 1500 avions, 43 000 mitrail-
leuses et près d’un million de fusils. À tout point de vue, c’était légèrement moins
que ce dont l’Allemagne disposait à Munich, et, si le gouvernement britannique
l’avait voulu, les 39 divisions allemandes à Munich, potentiellement aidées par la
Pologne et la Hongrie, se seraient retrouvées opposées aux 34 divisions tchèques
avec le soutien de la France, de la Grande-Bretagne et de la Russie.
Avant d’en terminer avec ce sujet, il peut être intéressant de mentionner que l’Al-
lemagne, en 1930, avait commencé la production d’un tank de 23 tonnes armé
de canons de 75mm, le Mark IV, mais en ajoutant les Mark III et les Mark IV,
on ne décomptait que 300 unités lors de la déclaration de guerre, en septembre
1939. De plus, elle avait obtenu à cette date 2700 Mark I et Mark II, des tanks
de qualité inférieure dont 25 % tombaient en panne chaque semaine. À la même
date (septembre 1939), l’armée de l’air allemande comptait 1000 bombardiers et
1050 avions de chasse. Pour contraster, le programme aérien britannique lancé
en mars 1934, qui se concentrait sur les avions de chasse, devait aligner une force
de première ligne de 900 avions. Cela s’intensifia, sous la demande insistante de
Chamberlain, et le programme de mai 1938 prévit de fournir une force de première
ligne de 2370 avions. Ce nombre fut à nouveau augmenté en 1939. La Grande-
Bretagne produisit près de 3000 avions « militaires » en 1938 et près de 8000 en
1939, comparé aux 3350 avions de « combat » produits par l’Allemagne en 1938
et aux 4733 en 1939. De plus, la qualité des avions britanniques était supérieure
à celle des avions allemands. C’est grâce à cette différence que la Grande-Bretagne
réussit à vaincre l’Allemagne lors de la bataille d’Angleterre en septembre 1940.
En se basant sur ces faits, il paraît évident que la Grande-Bretagne n’avait pas cédé
devant des forces supérieures en 1938, comme cela fut annoncé à l’époque et, par la
suite, par de nombreux écrivains, y compris Winston Churchill, dont les mémoires
de guerre ont été écrits deux ans après la saisie des archives de la Reichswehr. Nous
avons la preuve que le gouvernement Chamberlain savait tout ceci, mais donnait
constamment l’impression du contraire et que lord Halifax était allé si loin qu’il
avait lancé un appel à la manifestation pour les attachés militaires à Prague et Paris.
Le gouvernement Chamberlain avait clairement fait comprendre à l’Allemagne,
à la fois publiquement et en privé, qu’il ne s’opposerait pas à ses projets. Comme
Dirksen l’écrivit à Ribbentrop, le 8 juin 1938, « Tout ce que vous pouvez obtenir
sans tirer le moindre coup de feu respecte l’accord avec la Grande-Bretagne. » Par
conséquent, il était évident que la Grande-Bretagne ne s’opposerait pas à l’an-
nexion de l’Autriche, bien qu’elle ait sans cesse appelé à ne pas utiliser la force.
En février 1938, sir John Simon et Chamberlain annoncèrent à la Chambre des
Communes que ni la Société des Nations ni la Grande-Bretagne ne pouvait aider
l’Autriche à garder son indépendance. Le 12 février, Hitler dit à Schuschnigg que
lord Halifax avait donné son accord « pour tout ce qu’il [Hitler] avait fait en rap-
port à l’Autriche et aux Sudètes ». Le 3 mars, Nevile Henderson dit à Hitler que
les changements en Europe étaient acceptables tant qu’ils étaient effectués sans « le
libre jeu de la contrainte forcée », et qu’il s’était personnellement « exprimé à de
nombreuses reprises en faveur de l’Anschluss ». Enfin, le 7 mars, alors que la crise
atteignait son sommet, Chamberlain refusa à la Chambre des Communes de se
porter garant pour l’Autriche ou quelque autre petit pays. Cette déclaration fut
faite sous les applaudissements des partisans du gouvernement. Le lendemain, le
ministère des Affaires étrangères envoya un message à ses missions diplomatiques
en Europe dans lequel il déclarait « ne pas pouvoir garantir la protection » de l’Au-
triche. Cela montrait si clairement à Hitler que la Grande-Bretagne n’intervien-
drait pas, que dans ses ordres d’invasion de l’Autriche, il enjoignait aussi les forces
de défense sur les autres frontières allemandes à ne pas prendre de précautions (le
11 mars 1938). En fait, Hitler était bien plus inquiet en ce qui concerne l’Italie
que pour la Grande-Bretagne ou la France, malgré l’accord passé avec Mussolini
en septembre 1937 dans lequel il s’engageait à aider l’Allemagne à atteindre ses
objectifs en Autriche en échange du soutien allemand pour ses propres ambitions
en Méditerranée.
Bien que la scène internationale eût été mise en place, l’invasion et l’annexion ne
se seraient pas passées en mars si certaines conditions n’avaient pas été remplies
en Autriche, en particulier la détermination de Schuschnigg d’empêcher le dérou-
lement du plan Keppler pour la pénétration nazie du gouvernement autrichien.
Dès qu’il prolongeait une concession, il en retirait une autre, afin de faire de la
situation nazie une farce. Enfin, Papen persuada Schuschnigg de rendre visite à
Hitler à Berchtesgaden le 12 février 1938. Là-bas, le chancelier autrichien se fit ré-
primander par un Hitler furieux et fut forcé de signer un nouvel accord qui aidait
sérieusement à remplir le plan Keppler. Bien qu’aucun ultimatum ne fût donné à
Schuschnigg, il apparaissait évident que, si les moyens pacifiques ne fonctionnaient
pas, on aurait recouru aux moyens martiaux. Schuschnigg promit (1) de nommer
Seyss-Inquart, un nazi, ministre de la Sécurité et de lui donner le contrôle illimité
des forces de police en Autriche ; (2) de faire libérer de prison et de rétablir tous
les nazis qui étaient emprisonnés à leurs positions, y compris les rebelles de juillet
1934 ; (3) de faire transférer cent officiers de l’armée en Allemagne ; (4) d’autoriser
les nazis résidant en Autriche à exprimer leurs convictions et à rejoindre le front
patriotique avec les mêmes droits que les autres, le parti nazi demeurant illégal.
En échange, Hitler renouvela l’accord du 11 juillet 1936.
À son retour en Autriche, Schuschnigg appliqua ces concessions sporadiquement
sans l’annoncer au public, mais il avait toujours l’intention de résister. Le 2 mars,
il commença à négocier avec le groupe socialiste, hors-la-loi depuis longtemps, et
le 9 mars, il annonça soudainement un plébiscite organisé le dimanche 13 mars.
Ce plébiscite, sans surprise, était complètement abusif. Il n’y avait qu’une seule
question, qui demandait aux votants, « Êtes-vous en faveur d’une Autriche libre
et allemande, indépendante et sociale, chrétienne et unie, qui soit pour la paix et
le travail, pour l’égalité de tous ceux qui s’affirment alliés du peuple et de la pa-
trie ? » Il n’y avait aucune liste électorale, seuls des bulletins oui étaient fournis par
le gouvernement, et quiconque voulait voter non devait fournir son propre bulle-
tin, de la même taille que les bulletins oui, avec rien d’autre que le mot non dessus.
Les nazis étaient scandalisés. Par le biais de Seyss-Inquart, Hitler envoya un ul-
timatum demandant à ce que le plébiscite soit repoussé et remplacé par un autre
où le point de vue opposé (l’union avec l’Allemagne) pouvait aussi être exprimé.
Plus les jours passaient, plus les demandes allemandes étaient nombreuses. Un
après-midi, alors que l’armée allemande marchait en direction de la frontière, une
demande de démission de Schuschnigg et de remplacement par Seyss-Inquart au
poste de chancelier arriva. Si une réponse positive était donnée avant 19 h 30, l’in-
vasion serait stoppée. Schuschnigg démissionna, mais le président Miklas refusa de
nommer Seyss-Inquart chancelier avant 23 h. À cette heure, les troupes allemandes
étaient en train de franchir la frontière et leur avancée ne pouvait plus être arrê-
tée. On avait ordonné aux Autrichiens de ne pas résister, et les Allemands étaient
généralement bien accueillis. Göring demanda à Seyss-Inquart un télégramme de-
mandant aux troupes allemandes de l’aide pour restaurer l’ordre et ainsi justifier
l’invasion. Il ne le reçut point, alors il l’écrivit lui-même.
L’absence de résistance, l’accueil de la part des Autrichiens, et l’absence de réaction
de la part de l’Italie et des puissances occidentales encouragèrent les Allemands à
viser plus haut. Durant presque toute la journée du 12 mars, ils discutèrent d’un
retrait anticipé après la mise en place du gouvernement de Seyss-Inquart, mais l’ac-
cueil désopilant donné à Hitler à Linz ce jour-là, le besoin des matières premières
autrichiennes telles que le bois, la main-d’œuvre que représentait le demi-million
de chômeurs autrichiens, l’opportunité de piller les juifs, et l’absence totale d’op-
position encouragèrent Hitler à prendre la décision d’annexer l’Autriche. Cela se
produit le 13 mars, et un plébiscite fut planifié pour le 10 avril afin d’approuver
cette action. Pendant ce temps, ceux qui s’opposaient aux nazis étaient massacrés
ou réduits en esclavage, les juifs étaient pillés et maltraités, et des honneurs extra-
vagants étaient donnés aux truands nazis qui avaient semé le trouble en Autriche
pendant des années. Le plébiscite du 10 avril révéla que, sous la forte pression des
nazis, plus de 99 % des Allemands étaient en faveur de l’Anschluss.
La crise tchécoslovaque
1937-1938
P
armi les États qui émergèrent des décombres de l’empire des Habsbourg, la
Tchécoslovaquie était le plus prospère, le plus démocratique, le plus puissant
et le mieux administré. Cet État, créé en 1919, était en forme de têtard et
était composé de quatre parties principales. Celles-ci étaient, en partant de l’ouest
jusqu’à l’est, la Bohême, la Moravie, la Slovaquie et la Ruthénie. La population était
de 15 millions d’habitants dont 3 400 000 étaient allemands, six millions étaient
tchèques, trois millions étaient slovaques, 750 000 étaient hongrois, 100 000 étaient
polonais et 500 000 étaient ruthéniens. De manière générale, la population vivait
dans une économie prospère et profitait de niveaux d’éducation, de progressivité
et de culture élevés. Les populations de l’est comme les Allemands et les Tchèques
étaient les mieux lotis tandis que les Slovaques et les Ruthéniens possédaient un
niveau de vie un peu moins élevé.
Les nombreuses minorités, surtout les Allemands qui étaient en nombre impor-
tant, naquirent de la nécessité de donner au pays des frontières défendables et
viables. Dans le nord-ouest, la frontière stratégique évidente était le long des mon-
tagnes des Sudètes, et pour garantir cela, il était nécessaire que tous les Allemands
de Tchécoslovaquie vivent dans la partie sud de ces montagnes. Les Allemands
refusèrent, même s’ils n’avaient jamais vraiment fait partie de l’Allemagne, car ils
considéraient les Slaves comme inférieurs et que leur position économique était
menacée. La région des Sudètes était la région la plus industrialisée de l’empire des
Habsbourg et elle vit ses marchés limités par les nouvelles divisions territoriales.
De plus, bien qu’elles ne les visassent pas, les réformes agraires de la nouvelle ré-
publique affectèrent beaucoup plus les Allemands que les autres, car ils avaient
constitué une classe supérieure. Ce malaise économique prit de plus en plus d’am-
pleur après le début de la Grande Dépression de 1929 et surtout après qu’Hitler
eut démontré que sa politique pouvait rendre l’Allemagne plus prospère. D’un
autre côté, les minorités de Tchécoslovaquie étaient celles les mieux traitées d’Eu-
rope et leurs protestations étaient visibles, car justement, elles vivaient dans un
État démocratique libéral qui leur donnait la liberté de protester.
Parmi les Allemands de la région des Sudètes, seule une partie était nazie, mais
elle se faisait entendre, était bien organisée et était financée par Berlin. Les nazis
furent progressivement plus nombreux, surtout après l’Anschluss autrichien. Le
parti nazi fut interdit en Tchécoslovaquie en 1934, mais sous Konrad Henlein,
il changea simplement de nom, devenant le Parti allemand des Sudètes. Avec
600 000 membres, il obtint 1 200 000 votes à l’élection de mai 1935 et 44 sièges
Discovery Publisher Histoire • 23
24 Tome II : Du bouleversement de l’Europe au futur en perspective
tel n’eût été entendu en Grande-Bretagne, l’idée derrière ce slogan était bel et bien
présente dans le pays. Dans ce dilemme, le « monde des trois blocs » du Cliveden set
ou même la guerre germano-soviétique des anti-bolchéviques semblaient être les
seules solutions envisageables. Puisque ces deux dernières nécessitaient d’exclure la
Tchécoslovaquie du système de pouvoir européen, celle-ci fut éliminée par le biais
de l’agression allemande, de l’indécision et du sentiment de lassitude des Français
face à la guerre, la conciliation publique et la pression discrète et sans merci de la
part des Britanniques.
Il n’y a pas besoin de connaître en détail les négociations interminables entre
Henlein et le gouvernement tchèque, dans lesquelles la Grande-Bretagne eut un
rôle très actif de mars 1938 jusqu’à la fin. Tous les projets proposés par les Tchèques
sur les droits des minorités, les concessions économiques, l’autonomie culturelle
et administrative, et même à propos du fédéralisme politique, furent soumis à la
Grande-Bretagne et l’Allemagne, puis furent finalement écartés, car considérés
comme inappropriés par Henlein. Les « demandes de Karlsbad » de ce dernier,
énoncées le 24 avril après la conférence d’Henlein avec Hitler, étaient extrêmes.
Elles débutaient par une introduction dénonçant les Tchèques et l’État tchécoslo-
vaque et insistaient sur le fait que le pays devait abandonner sa politique extérieure
et cesser d’être un obstacle à l’ « offensive vers l’est » allemande. Elles énuméraient
en tout huit requêtes. Parmi celles-ci on pouvait trouver : (1) l’égalité totale entre
Tchèques et Allemands, (2) la reconnaissance du groupe allemand en tant que so-
ciété avec une personnalité juridique, (3) la démarcation des zones allemandes, (4)
la pleine autonomie gouvernementale et (5) la protection légale des citoyens qui
se trouvaient en dehors de ces dernières, (6) la réparation des dommages infligés
par les Tchèques à la région des Sudètes depuis 1918, (7) la présence d’officiers
allemands dans les zones allemandes et pour finir, (8) la pleine liberté de proclamer
la nationalité et la philosophie politique allemande. Il n’y avait ici aucune allusion
à la révision des frontières et pourtant, après de longues semaines de négociation,
le gouvernement tchèque concéda à tous ces points, sous la forte pression de la
Grande-Bretagne, et Henlein rompit les négociations et fuit en Allemagne du 7
au 12 septembre 1938.
Dès le 17 mars 1938, soit cinq jours après l’Anschluss, le gouvernement sovié-
tique appela à se concerter afin d’obtenir des actions collectives pour mettre fin
à l’agression et pour éviter le risque grandissant d’un nouveau massacre mondial.
Cette demande fut sommairement rejetée par lord Halifax. À la place, Chamberlain
annonça le 24 mars à la Chambre des communes que la Grande-Bretagne refusait
de s’engager à aider les Tchèques s’ils étaient attaqués, ainsi que la France si elle
leur venait en aide. Lorsque la demande soviétique fut reformulée en septembre
1938, elle fut ignorée.
Le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères français se rendirent à
Londres à la fin du mois d’avril et essayèrent de convaincre la Grande-Bretagne
d’accepter trois choses. La première était la mise en place de discussions navales
assurant à la France la possibilité de rapatrier ses troupes africaines sur son territoire
en cas de crise, la seconde était un soutien économique pour la Petite Entente afin
de les sauver de la pression économique allemande. La dernière était de promettre
que, dans le cas où la pression anglo-française sur la Tchécoslovaquie avait pour
conséquence des concessions importantes aux Sudètes et que l’Allemagne refusait
celles-ci et tentait de détruire l’État tchèque, une protection anglo-française serait
donnée à la Tchécoslovaquie. Les deux premières demandes furent reportées et la
troisième fut refusée. Il fut également indiqué clairement aux Français que, dans le
cas où une guerre opposant la Grande-Bretagne et la France à l’Allemagne éclatait,
la contribution de la Grande-Bretagne dans cet effort conjoint serait restreinte aux
moyens aériens, puisque c’était la seule façon par laquelle les Britanniques eux-
mêmes pouvaient être attaqués, même s’il était possible qu’à un moment donné,
ils envoient deux divisions en France. Lorsque les Français essayèrent de s’assu-
rer que ces deux divisions seraient bien motorisées, il fut répété que ces unités
n’étaient pas promises, mais étaient simplement une possible contribution future
et qu’aucune confirmation ne pouvait être donnée quant à leur motorisation. La
violence de ces discussions entre la France et la Grande-Bretagne n’est pas reflétée
dans les minutes publiées par le gouvernement britannique en 1949. Le jour sui-
vant la clôture de ces discussions, Chamberlain écrivit à sa sœur : « Heureusement,
les articles ne montrent pas que nous avons frôlé la rupture [avec les Français] à
propos de la Tchécoslovaquie. » Il est évident que Chamberlain était déterminé à
ignorer les Sudètes et ne souhaitait pas entrer en guerre avec l’Allemagne, à part
si l’opinion publique en Grande-Bretagne l’y contraignait. En fait, il sentait que
l’Allemagne pouvait imposer sa volonté sur la Tchécoslovaquie simplement en
exerçant une pression économique, bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à dire, avec
sir Nevile Henderson et lord Halifax, que cette méthode pourrait réussir en « très
peu de temps. » « Si l’Allemagne optait pour cette solution », selon Chamberlain,
« aucune casus belli (déclaration de guerre) ne surviendrait sous les termes du Traité
franco-tchécoslovaque et l’Allemagne pourrait réussir tout ce qu’elle entreprendrait
sans même déplacer un seul de ses soldats. » Si l’Allemagne décidait de détruire la
Tchécoslovaquie, il ne voyait pas comment on pourrait l’en empêcher. Mais il « ne
[pensait] pas que l’Allemagne voulait détruire la Tchécoslovaquie. » Par conséquent,
la pression des Anglais et des Français sur les Tchèques à propos des négociations
pouvait permettre de « sauver quelque chose de la Tchécoslovaquie et tout particu-
lièrement l’existence de l’État tchécoslovaque. » En tout cas, il était déterminé à ne
pas entrer en guerre avec eux, car rien ne pouvait empêcher l’Allemagne d’obtenir
une victoire immédiate sur les Tchèques. Et même si les Allemands perdaient à
la suite d’une longue guerre, il n’était pas garanti que la Tchécoslovaquie soit re-
constituée sous sa forme déjà existante.
L’avis de Chamberlain (qui était la force de décision durant toute cette crise) fut
présenté de manière plus positive à un groupe de journalistes nord-américains lors
d’un déjeuner chez lady Astor le 10 mai 1938. Il souhaitait un pacte des quatre
puissances, exclure la Russie de l’Europe et une révision des frontières tchécoslo-
vaques en faveur de l’Allemagne. Puisque ces souhaits ne pouvaient être satisfaits
tchèque alors que les Tchèques avaient eux-mêmes 17 premières lignes et 11 autres
divisions qui leur étaient supérieures en tout point, à part au niveau de l’appui
aérien. De plus, ils possédaient d’excellentes fortifications et un meilleur moral.
Le gouvernement britannique le savait pertinemment. Le 3 septembre, l’attaché
militaire britannique à Prague écrivit à Londres : « de ce que j’ai pu voir, l’armée
tchèque ne possède aucun défaut qui puisse être assez important pour justifier l’idée
qu’elle n’est pas capable de s’en sortir [même si les Tchèques se battent seuls] … Je
pense donc qu’il n’y a aucune raison matérielle qui les empêcherait de mettre en
place une résistance prolongée, forte, par eux-mêmes. Tout dépend de leur moral. »
L’information comme quoi les Allemands allaient attaquer avec seulement 22 di-
visions fut signalée à Londres par l’attaché militaire le 21 septembre. Le fait que la
Russie avait au moins 97 divisions et plus de 5000 avions fut signalé par l’attaché à
Moscou, même s’il avait une très mauvaise opinion des deux. Le fait que la Russie
avait vendu 36 de ses derniers modèles d’avions militaires à la Tchécoslovaquie se
savait également. La Russie ne souhaitait pas se battre si la France se battait à ce
moment-là, mais aujourd’hui, il est très clair que la Russie avait assuré à tout le
monde qu’elle respecterait ses obligations conventionnelles. En 1950, le président
Beneš révéla que la Russie avait fait pression sur lui afin qu’il résiste aux demandes
des Allemands en septembre 1938. La France avait subi une pression similaire, ce
qui fut signalé à Londres à ce moment-là.
Dès la troisième semaine de septembre, la Tchécoslovaquie possédait un million
d’hommes et 34 divisions prêts au combat. Les Allemands, au cours du mois,
avaient augmenté leur mobilisation à 31 puis finalement à 36 divisions, mais cela
représentait probablement une force inférieure à celle des Tchèques, car beaucoup
des 19 divisions de première ligne étaient seulement aux deux tiers de leur force,
l’autre tiers ayant été utilisé comme noyau pour former les divisions de réserve.
Parmi les 19 divisions de première ligne, trois étaient blindées et quatre motorisées.
Seules cinq divisions avaient été laissées à la frontière française afin de vaincre la
Tchécoslovaquie le plus rapidement possible. La France, qui n’était pas complète-
ment mobilisée, avait sa ligne Maginot complètement armée en temps de guerre
et disposait de plus de 20 divisions d’infanterie. En outre, la France disposait de
dix divisions motorisées. Concernant la puissance aérienne, les Allemands avaient
en moyenne un léger avantage concernant la qualité, mais possédaient bien moins
d’avions. L’Allemagne possédait 1500 avions tandis que la Tchécoslovaquie en avait
moins de 1000 ; la France et la Grande-Bretagne en comptaient plus de 1000 à elles
deux ; et la Russie en possédait 5000, selon les rapports. De plus, la Russie comp-
tait environ 100 divisions. Bien que celles-ci ne puissent pas être utilisées contre
l’Allemagne, car la Pologne et la Roumanie ne leur auraient pas permis de traver-
ser leur territoire, elles auraient constitué une menace permettant de persuader la
Pologne de rester neutre et d’amener la Roumanie à soutenir la Tchécoslovaquie
en gardant la Petite Entente intacte et donc, en gardant la Hongrie neutre. En
maintenant la Pologne et la Hongrie neutres, il ne fait aucun doute que l’Alle-
magne aurait été isolée. La neutralité de la Pologne et de la Roumanie n’aurait pas
empêché les forces aériennes russes d’aider la Tchécoslovaquie et, dans le pire des
cas, la Russie aurait pu envahir la Prusse orientale en traversant les États baltes, et
ce par la mer Baltique, puisqu’elle avait été presque complètement désertée par les
forces armées allemandes régulières : « Il est assez clair que l’Italie n’aurait jamais
combattu pour l’Allemagne. »
Les preuves démontrent que le gouvernement de Chamberlain avait connaissance
de ces faits, mais qu’il avait toujours donné l’impression du contraire. Lord Halifax
déformait tout particulièrement les faits. Bien que tous les rapports indiquassent
que le moral de l’armée tchèque était au beau fixe, il prit une phrase isolée d’un
rapport mal écrit de l’attaché militaire britannique à Berlin comme autorité pour
déclarer que le moral de l’armée tchécoslovaque était bas et que le pays serait en-
vahi. Bien que le général Maurice Gamelin, commandant en chef français, eût
présenté un compte-rendu très encourageant sur l’armée tchèque, et eût été cité
à cet effet par Chamberlain lors d’une réunion avec son conseil des ministres le
26 septembre, Halifax le cita le lendemain en déclarant que la résistance tchèque
serait de très courte durée. À Prague, l’attaché militaire protesta contre la déclara-
tion à propos du moral tchèque, soulignant qu’elle avait été faite en référence à la
police des frontières, qui n’était pas militaire. L’attaché militaire à Paris douta de la
déclaration de lord Halifax à propos de l’opinion de Gamelin, et cita les opinions
contraires des plus proches collaborateurs de Gamelin au sein de l’armée française.
Le mensonge selon lequel Gamelin était défaitiste se répandit dans les journaux,
et demeure jusqu’à présent.
Juste au moment où la crise atteignait un point crucial en septembre, l’ambassa-
deur britannique à Paris rapporta à Londres que le colonel Charles A. Lindbergh
venait de quitter l’Allemagne avec un compte-rendu stipulant que l’Allemagne
possédait 8000 avions militaires et pouvait en fabriquer 1500 par mois. Nous sa-
vons maintenant que l’Allemagne possédait environ 1500 avions, en fabriquait
280 par mois en 1938, et avait abandonné tous ses plans de bombardement de
Londres, même en temps de guerre, à cause du manque d’avions et de la distance
par rapport à la cible. Lindbergh raconta quotidiennement ses récits de malheurs,
à la fois à Paris et à Londres, pendant la crise. Le gouvernement britannique com-
mença à équiper les Londoniens de masques à gaz ; le Premier ministre et le roi
appelèrent la population à creuser des tranchées dans les parcs et sur les places ;
les écoliers commencèrent à être évacués de la ville ; les Tchèques furent autorisés
à se mobiliser le 24 septembre ; et trois jours plus tard, on annonça que la flotte
britannique était prête à combattre. En général, chaque rapport ou rumeur qui
pouvait renforcer les sentiments de panique et de défaitisme était mis en valeur et
tout ce qui pouvait contribuer à une résistance forte ou unie contre l’Allemagne
était minimisé. À la mi-septembre, Bonnet était brisé et Daladier s’effondrait, tan-
dis que les Britanniques étaient complètement perdus. Le 27 septembre, Daladier
céda tout comme le peuple britannique.
Pendant ce temps, le 13 septembre, sans consulter son Conseil des ministres,
Chamberlain demanda par télégraphe à avoir une entrevue avec Hitler. Ils se
Apparemment, un front uni avait été formé contre l’agression d’Hitler, mais seu-
lement en apparence. Monsieur Chamberlain commençait déjà à ébranler l’unité
et la résolution de ce front et il recevait à présent l’aide considérable de Bonnet à
Paris. La situation atteignit son point culminant le 27 septembre lorsqu’il fit un dis-
cours à la radio dans lequel il dit : « Il est horrible, fantastique, incroyable de penser
que nous sommes en train de creuser des tranchées et d’essayer des masques à gaz
à cause d’une querelle survenue dans un pays lointain, entre des gens dont nous
ne savons rien... Une querelle qui, en principe, a déjà été réglée… » Le même jour,
il envoya un télégramme à Beneš, indiquant que s’il n’acceptait pas les demandes
des Allemands avant 14h le jour suivant (le 28 septembre), la Tchécoslovaquie
serait envahie par l’armée allemande et que rien ne pourrait empêcher cela. Ce
message fut immédiatement suivi d’un autre, indiquant que dans un tel cas, la
Tchécoslovaquie ne pourrait pas être reconstituée dans ses frontières, quelle que
soit l’issue de la guerre. Enfin, il envoya un autre message à Hitler. Dans celui-ci,
il suggérait une conférence entre les quatre puissances et garantissait que la France
et la Grande-Bretagne forceraient la Tchécoslovaquie à convenir d’un arrangement
si Hitler s’abstenait de faire la guerre.
Le mercredi 28 septembre à 15 h, Chamberlain rencontra le Parlement pour la
première fois depuis le début de la crise afin de l’informer de ce qui avait été fait
jusque-là. Toute la ville de Londres était en panique. Les membres du Parlement se
recroquevillèrent sur leurs bancs, en attendant que les bombes de Goriner tombent
du ciel. Alors que Chamberlain arrivait à la fin de son long discours, un message
lui fut apporté. Il annonça qu’il s’agissait d’une invitation à une conférence des
quatre puissances à Munich le jeudi. Il y eut un hurlement de joie et de soulage-
ment tandis que Chamberlain se précipitait à l’extérieur du bâtiment sans donner
aucune clôture officielle à cette session.
À Munich, Hitler, Chamberlain, Mussolini et Daladier divisèrent la Tchécoslovaquie
sans consulter personne, encore moins les Tchèques. La conférence commença le
29 septembre à 12 h 30 et se termina à 2 h 30 du matin lorsque l’accord des quatre
puissances fut donné au ministre tchèque à Berlin, qui attendait à l’extérieur de-
puis plus de dix heures. L’accord parvint à Prague seulement 18h avant que l’oc-
cupation allemande ne dût se mette en place.
L’accord de Munich stipulait que certaines zones désignées en Tchécoslovaquie
seraient occupées par l’armée allemande en quatre étapes, du 1er au 7 octobre.
Une cinquième zone, désignée par une commission internationale, serait occupée
à partir du 10 octobre. Aucune propriété ne devait être retirée de ces endroits.
La commission internationale imposerait des plébiscites qui devraient avoir lieu
avant la fin du mois de novembre, les zones désignées étant occupées par une
force internationale pendant ce laps de temps. La même commission internatio-
nale devait superviser l’occupation et tracer la frontière finale. Pendant six mois,
les populations concernées auraient le droit de choisir de rester ou de quitter les
zones transférées sous la supervision d’une commission germano-tchécoslovaque.
Le croupion de la Tchécoslovaquie devait être protégé par la France et la Grande-
Bretagne. L’Allemagne et l’Italie rejoindraient cette protection aussitôt que les pro-
blèmes des minorités polonaises et hongroises dans cet État seraient résolus. S’ils
n’étaient pas réglés en trois mois, les quatre puissances se réuniraient de nouveau
pour réfléchir au problème.
L’accord de Munich fut violé en tout point en faveur de l’Allemagne, de manière
à ce que finalement, l’armée allemande occupe simplement les lieux qu’elle sou-
haitait. En conséquence de quoi, le système économique tchèque fut détruit et
tous les chemins de fer et autoroutes les plus importants furent coupés ou bloqués.
Cela fut décidé par la commission internationale, composée du secrétaire d’État
allemand Weizsäcker et des représentants diplomatiques français, britannique,
italien et tchèque à Berlin. Sous la présidence de l’état-major général allemand, ce
groupe, par un vote de quatre contre un, accepta chaque demande allemande et
annula les plébiscites. De plus, la protection du croupion de la Tchécoslovaquie
ne fut jamais assurée, bien que le 2 octobre la Pologne se soit emparée de régions
où la majorité de la population n’était pas polonaise, et que la Hongrie reçut le
sud de la Slovaquie le 2 novembre. La frontière finale avec l’Allemagne fut impo-
sée aux Tchèques par l’Allemagne seule, les trois autres membres de la commis-
sion s’étant retirés.
Beneš démissionna le 5 octobre de sa fonction de président de la Tchécoslovaquie
sous la menace de l’ultimatum allemand et fut remplacé par Emil Hácha. La
Slovaquie et la Ruthénie obtinrent une autonomie complète immédiatement.
L’alliance soviétique prit fin et le Parti communiste devint illégal. Les réfugiés an-
tinazis de la région des Sudètes furent rassemblés par le gouvernement de Prague
et remis aux Allemands afin d’être exécutés. Tous ces événements révèlent très
clairement le résultat premier de Munich : l’Allemagne devint suprême en Europe
centrale et toute possibilité d’entraver son pouvoir, soit par une politique com-
mune entre les puissances occidentales, l’Union soviétique et l’Italie, soit en trou-
vant une quelconque résistance ouvertement anti-allemande en Europe centrale,
était vaine. Puisqu’il s’agissait exactement de ce que souhaitaient Chamberlain et
ses amis, ils auraient dû être satisfaits.
L
es plans d’apaisement de Chamberlain et les plans d’agression d’Hitler ne
prirent pas fin avec Munich. Au cours des trois semaines qui suivirent cet
accord (fait le 21 octobre 1938), Hitler donna l’ordre à ses généraux de pré-
parer des plans afin de détruire du croupion de la Tchécoslovaquie et d’annexer
la ville de Memel, contrôlée par la Lituanie. Un mois plus tard, il ajouta Dantzig
à cette liste, bien qu’il fît part de son envie de l’annexer par le biais d’une action
de l’Accord Ciano-Perth d’avril 1938, et fut appliqué en novembre, bien que les
conditions spécifiées à l’origine par la Grande-Bretagne (à savoir le retrait des
troupes italiennes d’Espagne) n’aient pas été remplies.
Avant qu’Hitler ne puisse continuer d’attaquer, il devait se débarrasser de la car-
casse de la Tchécoslovaquie. Ribbentrop et lui s’indignaient d’avoir été floués d’une
guerre en septembre, et décidèrent immédiatement de rayer dès que possible de
la carte le reste de la Tchécoslovaquie, afin de pouvoir commencer une guerre.
Hitler annonça que la prochaine fois, il espérait sincèrement qu’aucun « sale porc »
ne proposerait de conférence.
Les ordres d’attaque du croupion tchèque furent envoyés le 21 octobre, comme
nous l’avons mentionné plus haut. Les plans de Keitel, présentés le 17 décembre,
assuraient que la tâche serait effectuée par l’armée du temps de paix, et sans au-
cune mobilisation. Toutes possibilités d’oppositions de la France ou de la Grande-
Bretagne furent efficacement éliminées par lord Halifax, car celui-ci insistait sur le
fait que la garantie pour la Tchécoslovaquie soit formulée de façon à être contrai-
gnante pour les quatre puissances de Munich réunies (ou au moins pour trois
d’entre elles) et ne serait pas acceptée par la Grande-Bretagne si elle était formulée
de façon à contraindre les signataires individuellement. Cela rendit toute garan-
tie inutile, et ce projet détestable fut repoussé indéfiniment à la suite d’une note
allemande à lord Halifax le 3 mars 1939.
À cette date avancée, Hitler était prêt à attaquer le croupion tchèque. La Hongrie
fut invitée à se joindre à cette opération, et accepta avidement le 13 mars. Pendant
ce temps, la cible représentait un nid d’intrigues. Les Sudètes nazis étaient partout,
cherchant à faire régner le chaos. La Pologne et la Hongrie travaillaient ensemble
pour créer une frontière commune en transformant la Slovaquie en protectorat
pour la Pologne, et la Ruthénie en province hongroise. Ils espéraient ainsi bloquer
la progression allemande vers l’est et empêcher l’extension de l’influence russe
vers l’Europe centrale. Au sein des deux provinces autonomes, la Slovaquie et la
Ruthénie, et à un moindre degré la Bohême-Moravie, des turbulences avaient
lieux, liées à plusieurs groupes semi-fascistes et réactionnaires qui cherchaient le
pouvoir et la faveur des Allemands.
Le degré estimé de maturité politique en Slovaquie venait du fait que les membres
du cabinet de monseigneur Tiso avaient eux-mêmes pris les bombes des nazis pour
semer la zizanie dans leur propre province. Leurs démarches pour se séparer en-
tièrement de Prague furent entravées par l’insolvabilité financière de la Slovaquie.
Quand ils firent appel à Prague pour demander de l’aide financière le 9 mars 1939,
le président Hácha détrôna le Premier ministre slovaque et trois de ses ministres.
Seyss-Inquart, accompagné de nombreux généraux allemands, força le cabinet slo-
vaque à envoyer une déclaration d’indépendance depuis Prague. Tiso, convoqué
par Hitler à Berlin le 13 mars, fut « persuadé » d’autoriser cet acte. La déclaration
fut reçue par le peuple slovaque avec une profonde apathie, bien que les radios
allemandes diffusassent sur les ondes des histoires d’émeutes et de perturbations,
et qu’au sein de la Slovaquie et de la Bohême des groupes nazis faisaient tout leur
que Hitler se dirige vers le sud, c’est-à-dire soit vers l’Adriatique soit vers l’Égée.
Par conséquent, bien que leurs avis divergeassent concernant la Roumanie et la
mer Noire, ils étaient déterminés à apporter leur soutien à la Turquie et la Grèce
contre l’Allemagne et l’Italie.
Les conséquences de ces forces cachées et contradictoires rendirent l’histoire des
relations internationales de septembre 1938 à septembre 1939, ou même un peu
plus tard, incohérente et compliquée. De manière générale, le positionnement de
la Grande-Bretagne était la clé de tout, car les objectifs des autres pays concernés
étaient relativement simples. En raison de la politique dualiste, ou « dyarchique »
comme l’appelle le biographe de lord Halifax, de la Grande-Bretagne, il y avait
non seulement deux programmes, mais aussi deux groupes qui les appliquaient.
Le bureau des Affaires étrangères, dirigé par lord Halifax, tenta de satisfaire la de-
mande publique de mettre fin à la conciliation et de construire un front uni contre
l’Allemagne. Chamberlain et son groupe personnel, composé de sir Horace Wilson,
sir John Simon, et sir Samuel Hoare, cherchèrent à faire des concessions secrètes
à Hitler afin de réussir le projet d’un accord général anglo-allemand basé sur sept
points. La première politique était publique, l’autre était secrète. Comme le bu-
reau des Affaires étrangères avait connaissance des deux, il essaya de construire le
« front de la paix » contre l’Allemagne de telle sorte à ce qu’il semble suffisamment
imposant aux yeux du public pour que l’opinion britannique y soit favorable, et
pour forcer Hitler à parvenir à ses fins par la négociation plutôt que par la force,
auquel cas l’opinion publique forcerait le gouvernement à déclarer une guerre qu’il
ne désirait pas pour pouvoir rester en fonction. Ce plan complexe s’effondra, car
Hitler était déterminé à faire la guerre pour satisfaire ses aspirations personnelles
de pouvoir, alors que les démarches pour créer un « front de la paix » (facilement
démontable dans l’éventualité où Hitler réussissait ses objectifs par la négociation
ou passait un accord général avec Chamberlain) ont eu pour résultat de construire
un « front de la paix » qui était si faible qu’il ne pourrait ni maintenir la paix par la
menace d’un recours à la force ni gagner une guerre une fois que la paix était per-
due. Mais surtout, les manœuvres impliquées menèrent l’Union soviétique droit
dans les bras d’Hitler.
Ce projet complexe impliquait une acceptation des événements du 15 mars par
le gouvernement britannique, hormis quelques légères contestations. Ces dernières
étaient dirigées contre le risque d’agitation populaire liée à l’acte, plutôt que contre
l’acte en lui-même. Le 15 mars, Chamberlain dit à la Chambre des communes
qu’il avait donné son accord pour la prise de la Tchécoslovaquie, mais aussi qu’il
refusait d’accuser Hitler de faire preuve de mauvaise foi. Néanmoins deux jours
plus tard, quand les cris de rage du peuple britannique montrèrent qu’il avait mal
jugé le corps électoral, il se réfugia dans sa circonscription de Birmingham le 17
mars et dénonça la prise de la Tchécoslovaquie. Cependant, rien n’avait été fait, à
part le rappel d’Henderson à Berlin « pour des consultations » et l’annulation d’une
visite à Berlin du président de la Commission du Commerce prévue entre le 17
et le 20 mars. La prise avait été déclarée illégale, mais ne fut pas reconnue comme
telle. Des efforts considérables furent effectués pour tenter de la faire reconnaître
par la loi en établissant un consulat britannique accrédité par l’Allemagne à Prague.
De plus, six millions de livres en réserves d’or tchèque à Londres furent rendues à
l’Allemagne sous le faux et insignifiant prétexte que le gouvernement britannique
ne pouvait pas donner d’ordres à la Banque d’Angleterre (mai 1939).
L’acquisition allemande de l’or tchèque à Londres n’était qu’une petite étape
d’un plan plus large, et en grande partie secret, de concessions économiques pour
l’Allemagne. Pour Chamberlain et ses compères, la crise tchèque de mars 1939
n’était qu’une interruption contrariante de leurs initiatives visant à mettre en place
un accord général avec l’Allemagne suivant les sept points mentionnés précédem-
ment. Ces initiatives avaient été interrompues, après le 3 mars 1938, par la crise
tchèque de cette même année, mais elles restaient l’élément principal des plans de
Chamberlain. Il incita Hitler à discuter de ces projets lorsque les deux dirigeants
se rencontrèrent face à face le 15 septembre à Berchtesgaden. Hitler l’interrompit
et orienta immédiatement le sujet de discussion vers celui de la crise. À nouveau,
une fois l’accord de Munich signé le 30 septembre, Chamberlain incita Der Führer
à discuter d’une entente générale, mais ce dernier esquiva la question. Ce schéma
continua pendant un an, Chamberlain et ses conseillers proposant des conces-
sions et Hitler les esquivant, ou les ignorant. Cependant, il y eut un léger chan-
gement après septembre 1938 : le projet de Chamberlain fut élargi afin d’inclure
des concessions économiques, et les démarches pour y parvenir devinrent de plus
en plus secrètes, en particulier après les événements de mars 1939.
Après le mois de septembre 1938, le projet initial fut étendu pour accueillir un
huitième point : un soutien économique pour l’Allemagne, dans l’exploitation
de l’Europe de l’Est. Fin1938, la situation économique allemande était critique à
cause de la vitesse de réarmement, des dépenses et des perturbations économiques
découlant de la mobilisation de 1938, ainsi que la grande pénurie de change, qui
entravait l’importation de produits de nécessité. Göring, commissaire du Plan éco-
nomique de Quatre Ans, présenta ces faits lors d’une conférence secrète tenue le
14 octobre 1938. Au cours de son discours, il prononça les mots suivants :
« Je suis confronté à des difficultés inédites. La Trésorerie est vide, la capacité in-
dustrielle est surchargée de commandes pour les années à venir. Malgré ces diffi-
cultés, je vais aller de l’avant, peu importe les circonstances. Les mémorandums ne
servent à rien, je ne veux que des propositions positives. Je convertirai, si nécessaire,
l’économie par des moyens brutaux afin d’atteindre cet objectif. L’heure est venue
pour les entreprises privées de montrer si elles méritent de continuer d’exister. Si
cela échoue, je passerai quand même aux entreprises d’État. Je ferai un usage bar-
bare des pouvoirs que m’a attribués le führer. Tous les objectifs et plans de l’État,
du parti, et des autres agences qui ne suivent pas cette voie doivent être rejetés
sans pitié. Les problèmes idéologiques ne peuvent pas être résolus pour l’instant,
nous nous en occuperons plus tard. Je mets en garde contre les promesses faites
aux ouvriers que je ne pourrai pas tenir. Les envies du front allemand du travail
vont devoir passer à l’arrière-plan. L’industrie doit être entièrement convertie. Une
rées. L’opposition en Allemagne et nos potentiels alliés dans une possible guerre,
et surtout les États-Unis, sont de plus en plus convaincus de notre faiblesse et de
notre manque de volonté ou de force pour tenir tête à l’Allemagne. »
Lorsque la crise bohémienne éclata le 15 mars 1939, Chamberlain annonça que
la visite d’Oliver Stanley à Berlin ce week-end-là serait repoussée, mais que les dis-
cussions autour de l’économie entre les associations industrielles britanniques et
allemandes continuaient. Le tollé public continua de plus belle, à tel point que le
28 mars, il fut annoncé que ces négociations étaient interrompues à cause de l’agi-
tation de l’opinion publique. Cependant, le 2 avril, seulement cinq jours plus tard,
l’attaché commercial allemand à Londres reçut secrètement l’information que les
Anglais étaient prêts à reprendre les discussions. Fait étonnant : la garantie unila-
térale de la Grande-Bretagne pour la Pologne fut faite le 31 mars, soit exactement
à mi-chemin de l’indignation publique et de la reprise secrète des négociations
économiques. Il faut peut-être mentionner que pendant toute cette période, la
France négociait également pour passer des accords commerciaux visant à envoyer
des matières premières à l’Allemagne, à la suite d’un accord préliminaire signé lors
de la visite de Ribbentrop à Paris, début décembre 1938. Bien que la documen-
tation soit incomplète, nous savons que cet accord franco-allemand était dans sa
version finale le 11 mars.
Malgré ces concessions, Hitler avait soif de guerre, et répondait à chaque concession
avec un nouveau coup de théâtre qui perturbait l’opinion publique britannique.
En novembre 1938, les Allemands commirent pendant de nombreux jours des
atrocités continues à l’encontre des juifs, détruisant leurs propriétés, rasant leurs
temples, agressant leur peuple. Ils finirent par imposer aux juifs d’Allemagne une
amende collective d’un milliard de reichsmarks. À la suite de cela, une série de lois
excluant les juifs de la vie économique allemande vit le jour.
L’indignation publique liée à ces actions était encore très présente lorsqu’en dé-
cembre 1938, les Allemands annoncèrent qu’ils augmentaient la capacité de leur
flotte de sous-marins pour passer de 45 à 100 % de celle de la Grande-Bretagne,
conformément au Traité de 1935, et remodelaient deux croiseurs en construction
pour passer de canons de six pouces à des canons de huit pouces. Toutes les dé-
marches faites par la Grande-Bretagne pour persuader l’Allemagne de renoncer ou
de reformuler cette annonce de façon à apaiser l’opinion publique furent refusées.
Finalement, en mars, la Tchécoslovaquie fut entièrement détruite. Au même mo-
ment, la Pologne commença à se retrouver sous pression.
L’Allemagne ouvrit ses négociations avec la Pologne de façon plutôt amicale le 24
octobre 1938. Elle demandait à obtenir Dantzig et une bande large d’un kilomètre
le long du corridor de Dantzig dans le but de créer une autoroute et un chemin
de fer à quatre voies, sous la souveraineté allemande. Les droits économiques et
portuaires de la Pologne sur Dantzig seraient garantis et le « couloir qui traverse le
Corridor » serait isolé des installations de communications polonaises en créant un
tunnel ou un pont. L’Allemagne voulait également que la Pologne rejoigne un bloc
anti-russe. Si ces trois demandes étaient obtenues, l’Allemagne était prête à faire