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CY Cergy Paris Université

Faculté de Droit
Licence 1ère année – Section C – Second semestre 2022-2023

DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours de Monsieur le Professeur Tristan POUTHIER

Fiche n° 2 : Le peuple souverain

I- LE TITULAIRE DE LA SOUVERAINETE : LA NOTION JURIDIQUE DE


PEUPLE

A- La tradition républicaine dans les textes

Document n°1 : Extraits de constitutions républicaines depuis 1793

B- La nationalité, condition d’exercice de la citoyenneté

Document n°2 : Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 : Traité sur l’Union européenne
(« Maastricht I », extrait)

C- Le principe d’unicité du peuple français

1°) La question du « peuple corse »

Document n°3 : Décision DC n° 91-290 du 9 mai 1991 : Loi portant statut de la collectivité
territoriale de Corse (« Statut de la Corse », extrait)

2°) La bataille de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires

Document n°4 : Décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 – Charte européenne des langues
régionales et minoritaires

Document n°5 : Assemblée générale du Conseil d’État, section de l’intérieur : Avis sur le projet de
loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires, 30 juillet 2015

3°) La reconnaissance des populations d’Outre-Mer : la prise en compte de la diversité

Document n°6 : Article 72-3 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 issu de la révision
constitutionnelle du 29 mars 2003

D- La prohibition de l’exercice de la souveraineté nationale par une section du peuple

Document n°7 : Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 : Loi modifiant le code électoral et le
code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions
d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales (« Quotas par sexes »,
extrait)
Document n°8 : Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les
femmes et les hommes

II- LES MODALITES D’EXERCICE DE LA SOUVERAINETE : LA QUESTION DU


REFERENDUM

A- Le référendum comme remède aux maux du parlementarisme républicain : le réformisme


de Carré de Malberg sous la IIIe République

Document n°9 : Raymond Carré de Malberg, « Considérations théoriques sur la question de la


combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public et de la science
politique, 1931 (extraits)

B- L’introduction du référendum dans la Constitution du 4 octobre 1958

Document n°10 : Gérard Conac, « Les débats sur le référendum sous la Ve République », Pouvoirs,
n°77, 1996 (extraits)

C- La pratique plébiscitaire du général de Gaulle

Document n°11 : Allocution radiotélévisée du général de Gaulle prononcée le 6 janvier 1961, deux
jours avant le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie

Document n°12 : Extrait du discours du Général de Gaulle le 18 octobre 1962, dix jours avant le
référendum constituant sur l’élection du président de la République au suffrage universel

Document n°13 : Allocution du général de Gaulle radiotélévisée prononcée le 25 avril 1969, deux
jours avant le référendum sur la régionalisation et la réforme du sénat

D- Du « référendum d’initiative partagée » au « référendum d’initiative citoyenne » ?

Document n°14 : Article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958

Document n°15 : Extraits de l’avis fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la
législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi de finances pour
2015 par M. Paul Molac (extrait)

Document n°16 : Quentin Girault, « L’adoption du référendum d’initiative citoyenne, un moyen de


préserver la Ve République », La semaine juridique Edition Générale, n° 1-2, 14 Janvier 2019

Document n°17 : Olivier Duhamel, « Le référendum d’initiative citoyenne, soit poison, soit
illusion », La semaine juridique Edition Générale, n° 1-2, 14 Janvier 2019

Document n° 18 : Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition de


loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de
Paris

Document n° 19 : Communiqué de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel


Document n°20 : Proposition de loi constitutionnelle relative à l’instauration du référendum
d’initiative citoyenne enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2021

Document 21 : Extrait du rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la


législation et de l’administration générale de la République, sur la proposition de loi
constitutionnelle visant à modifier les conditions de déclenchement du référendum d’initiative
partagée enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022

E- Vers une démocratie participative ?

Document n°22 : Extrait du site du Conseil économique, social, et environnementale à propos de la


convention citoyenne sur la fin de vie

Document n°23 : Dispositions relatives à la saisie du CESE par voie de pétition (Article 69 alinéa 3
de la Constitution du 4 octobre 1958 et article 3 de la loi organique du 15 janvier 2021 relative au
Conseil économique, social et environnemental)
I- LA NOTION JURIDIQUE DE PEUPLE AU SENS DE LA CONSTITUTION DU 4
OCTOBRE 1958

A- La tradition républicaine dans les textes

Document n° 1 : Extraits de constitutions républicaines depuis 1793

Constitution du 24 juin 1793, art. 7 : « Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français. »

Constitution du 22 août 1795, Déclaration des droits et des devoirs, art. 17 : « La souveraineté
réside essentiellement dans l’universalité des citoyens français. »

Constitution du 4 novembre 1848, art. 1 Er : « La souveraineté réside dans l’universalité des citoyens
français. »

Constitution du 4 octobre 1958, art. 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce
par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est
toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs
des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.
La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives ».

B- La nationalité, condition d’exercice de la citoyenneté

Document n°2 : Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992 : Traité sur l’Union européenne
(« Maastricht I », extrait)

[...] En ce qui concerne la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales :

21. Considérant qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 8 B ajouté au traité instituant la


Communauté européenne, "tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas
ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il
réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État." ; qu’il est prévu que ce droit
sera exercé sous réserve des modalités à arrêter par le Conseil formé par un représentant de chaque
État membre au niveau ministériel, statuant à l’unanimité, sur proposition de la Commission et
après consultation du Parlement européen ; que l’article 8 B, paragraphe 1, stipule in fine que "ces
modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État
membre le justifient" ;

22. Considérant que les "modalités à arrêter" auront pour objet de fixer les règles applicables à
l’exercice du droit de vote et d’éligibilité ; qu’au nombre de celles-ci, figurent notamment la preuve
de la jouissance des droits civiques dans l’État d’origine, la durée de résidence dans l’État dont
l’intéressé n’est pas le ressortissant ainsi que la prohibition de doubles inscriptions ;

23. Considérant que l’intervention de modalités à définir ultérieurement et qui peuvent inclure des
dispositions dérogatoires, ne s’oppose pas à ce que le Conseil constitutionnel exerce son contrôle
sur le point de savoir si la clause précitée de l’engagement international soumis à son examen, telle
qu’elle est stipulée, n’énonce pas un principe qui par lui-même contrevient à une disposition de
valeur constitutionnelle ;
24. Considérant que l’article 3 de la Constitution dispose dans son premier alinéa que "la
souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du
référendum" ; que le même article dispose, dans son troisième alinéa, que "le suffrage peut être
direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et
secret" ; qu’il est spécifié au quatrième alinéa de l’article 3 que "sont électeurs, dans les conditions
déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits
civils et politiques" ;

25. Considérant qu’en vertu de l’article 24 de la Constitution, le Sénat, qui est élu au suffrage
indirect, "assure la représentation des collectivités territoriales de la République" ; qu’aux termes du
premier alinéa de l’article 72 de la Constitution "les collectivités territoriales de la République sont
les communes, les départements, les territoires d’outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est
créée par la loi" ; que selon le deuxième alinéa du même article "ces collectivités s’administrent
librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi" ;

26. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’organe délibérant d’une collectivité
territoriale de la République ne peut procéder que d’une élection effectuée au suffrage universel ;
que le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la
République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation de ces collectivités ; qu’il
s’ensuit que la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l’élection des sénateurs ;
qu’en sa qualité d’assemblée parlementaire le Sénat participe à l’exercice de la souveraineté
nationale ; que, dès lors, le quatrième alinéa de l’article 3 de la Constitution implique que seuls les
"nationaux français" ont le droit de vote et d’éligibilité aux élections effectuées pour la désignation
de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale de la République et notamment pour celle des
conseillers municipaux ou des membres du Conseil de Paris ;

27. Considérant, qu’en l’état, l’article 8 B, paragraphe 1, ajouté au traité instituant la Communauté
européenne par l’article G de l’engagement international soumis au Conseil constitutionnel, est
contraire à la Constitution ;
. En ce qui concerne la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement
européen :

28. Considérant que le paragraphe 2 de l’article 8 B rapproché de l’article 138, paragraphe 3,


maintient la possibilité d’instituer une procédure uniforme pour l’élection du Parlement européen
sous réserve de son adoption par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles
respectives ;

29. Considérant que, sans préjudice de ces stipulations, l’article 8 B, paragraphe 2, dispose que :
"Tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de
vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside dans les
mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités
à arrêter, avant le 31 décembre 1993, par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la
Commission et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des
dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient." ;

30. Considérant que si le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen des
citoyens de l’Union européenne doit être exercé selon des modalités à définir ultérieurement et qui
peuvent comprendre des dispositions dérogatoires, cette double circonstance ne fait pas obstacle à
ce que, pour les motifs indiqués ci-dessus à propos du paragraphe 1 de l’article 8 B, le Conseil
constitutionnel exerce son contrôle sur la clause précitée de l’engagement international soumis à
son examen ;
31. Considérant qu’il ressort des dispositions combinées du quatrième alinéa de l’article 3 de la
Constitution et des autres alinéas du même article que la règle constitutionnelle qui limite le droit de
vote aux "nationaux français" ne s’impose que pour l’exercice du droit de suffrage "dans les
conditions prévues par la Constitution" ;

32. Considérant que le Parlement européen a pour fondement juridique, non les termes de la
Constitution de 1958, mais des engagements internationaux souscrits, sur une base de réciprocité,
dans le cadre des dispositions de valeur constitutionnelle mentionnées précédemment ; qu’au
demeurant, selon l’article E du traité sur l’Union européenne, le Parlement européen exerce ses
attributions dans les conditions et aux fins prévues, d’une part, par les dispositions des traités
instituant les Communautés européennes et des traités et actes subséquents qui les ont modifiés et
complétés et, d’autre part, par les autres stipulations du traité sur l’Union européenne ; que le
principe ainsi posé trouve son illustration dans les modifications apportées à l’article 4 du traité
instituant la Communauté européenne, à l’article 7 du traité instituant la Communauté européenne
du charbon et de l’acier et à l’article 3 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie
atomique, respectivement par les articles G, H et I du traité sur l’Union européenne ; qu’il est
stipulé que le Parlement européen, à l’instar des autres institutions communautaires, agit "dans les
limites des attributions qui lui sont conférées" par chacun des traités précités ;

33. Considérant qu’il suit de là que la reconnaissance au profit de tout citoyen de l’Union
européenne, sur une base de réciprocité, du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement
européen dans un État membre de la Communauté européenne où il réside, sans en être
ressortissant, ne contrevient pas à l’article 3 de la Constitution ;

34. Considérant au surplus que le traité sur l’Union européenne, n’a pas pour conséquence de
modifier la nature juridique du Parlement européen ; que ce dernier ne constitue pas une assemblée
souveraine dotée d’une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l’exercice de la
souveraineté nationale ; que le Parlement européen appartient à un ordre juridique propre qui, bien
que se trouvant intégré au système juridique des différents États membres des Communautés,
n’appartient pas à l’ordre institutionnel de la République française ;

35. Considérant, dans ces conditions, que le paragraphe 2 de l’article 8 B ajouté au traité instituant
la Communauté européenne par l’article G du traité sur l’Union européenne n’est contraire à aucune
règle non plus qu’à aucun principe de valeur constitutionnelle ;

B- Le principe d’unicité du peuple français

1°) La question du « peuple corse »

Document n°3 : Décision DC n° 91-290 du 9 mai 1991 : Loi portant statut de la collectivité
territoriale de Corse (« Statut de la Corse », extrait)

En ce qui concerne l’article 1er :

10. Considérant que l’article 1er de la loi est ainsi rédigé : "La République française garantit à la
communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple
français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts
économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l’insularité s’exercent dans le respect de
l’unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut." ;
11. Considérant que cet article est critiqué en ce qu’il consacre juridiquement l’existence au sein du
peuple français d’une composante "le peuple corse" ; qu’il est soutenu par les auteurs de la première
saisine que cette reconnaissance n’est conforme ni au préambule de la Constitution de 1958 qui
postule l’unicité du "peuple français", ni à son article 2 qui consacre l’indivisibilité de la
République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la souveraineté
nationale ; qu’au demeurant, l’article 53 de la Constitution se réfère aux "populations intéressées"
d’un territoire et non pas au concept de peuple ; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine
font valoir qu’il résulte des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du
préambule de la Constitution de 1946, de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la
Constitution de 1958 comme de ses articles 2, 3 et 91, que l’expression "le peuple", lorsqu’elle
s’applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de
toute subdivision en vertu de la loi ;

12. Considérant qu’aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 "le
peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de
la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et
complétée par le préambule de la Constitution de 1946" ; que la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des représentants "du peuple français" ;
que le préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1958,
énonce que "le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race,
de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés" ; que la Constitution de 1958
distingue le peuple français des peuples d’outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre
détermination ; que la référence faite au "peuple français" figure d’ailleurs depuis deux siècles dans
de nombreux textes constitutionnels ; qu’ainsi le concept juridique de "peuple français" a valeur
constitutionnelle ;

13. Considérant que la France est, ainsi que le proclame l’article 2 de la Constitution de 1958, une
République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les
citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du "peuple
corse, composante du peuple français" est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le
peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de
religion ;

14. Considérant en conséquence que l’article 1er de la loi n’est pas conforme à la Constitution ; que
toutefois il ne ressort pas du texte de cet article, tel qu’il a été rédigé et adopté, que ses dispositions
soient inséparables de l’ensemble du texte de la loi soumise au Conseil constitutionnel ;

2°) La bataille de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires

Document n°4 : Décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 – Charte européenne des langues
régionales et minoritaires

- SUR LES NORMES DE RÉFÉRENCE APPLICABLES :

5. Considérant, d’une part, qu’ainsi que le proclame l’article 1er de la Constitution : "La France est
une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de
tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les
croyances" ; que le principe d’unicité du peuple français, dont aucune section ne peut s’attribuer
l’exercice de la souveraineté nationale, a également valeur constitutionnelle ;
6. Considérant que ces principes fondamentaux s’opposent à ce que soient reconnus des droits
collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue
ou de croyance ;

7. Considérant, d’autre part, que la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : "La libre communication des pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire,
imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi",
doit être conciliée avec le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution selon lequel "La langue de
la République est le français" ;

8. Considérant qu’en vertu de ces dispositions, l’usage du français s’impose aux personnes morales
de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; que
les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services
publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage ; que
l’article 2 de la Constitution n’interdit pas l’utilisation de traductions ; que son application ne doit
pas conduire à méconnaître l’importance que revêt, en matière d’enseignement, de recherche et de
communication audiovisuelle, la liberté d’expression et de communication ;

- SUR LA CONFORMITÉ DE LA CHARTE À LA CONSTITUTION :

9. Considérant qu’aux termes du quatrième alinéa de son préambule, la Charte reconnaît à chaque
personne "un droit imprescriptible" de "pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie
privée et publique" ; qu’aux termes de l’article 1 (a) de la partie I : "par l’expression " langues
régionales ou minoritaires ", on entend les langues : i) pratiquées traditionnellement sur un territoire
d’un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au
reste de la population de l’État ; et ii) différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État",
exception faite des dialectes de la langue officielle et des langues des migrants ; que, par "territoire
dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée", il convient d’entendre, aux termes de
l’article 1 (b), "l’aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d’expression d’un nombre
de personnes justifiant l’adoption des différentes mesures de protection et de promotion" prévues
par la Charte ; qu’en vertu de l’article 7 (§ 1) : "les Parties fondent leur politique, leur législation et
leur pratique sur les objectifs et principes" que cet article énumère ; qu’au nombre de ces objectifs
et principes figurent notamment "le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou
minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne
constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue...", ainsi que "la facilitation et/ou
l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique
et dans la vie privée" ; que, de surcroît, en application de l’article 7 (§ 4), "les Parties s’engagent à
prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues"
en créant, si nécessaire, des "organes chargés de conseiller les autorités" sur ces questions ;

10. Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des "groupes" de locuteurs
de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de "territoires" dans lesquels ces langues sont
pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité
devant la loi et d’unicité du peuple français ;

11. Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l’article 2 de la
Constitution en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le
français non seulement dans la "vie privée" mais également dans la "vie publique", à laquelle la
Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ;
12. Considérant que, dans ces conditions, les dispositions précitées de la Charte sont contraires à la
Constitution ;

Document n°5 : Assemblée générale du Conseil d’État, section de l’intérieur : Avis sur le
projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires, 30 juillet 2015

1. Le Conseil d’État a été saisi le 24 juin 2015 d’un projet de loi constitutionnelle autorisant la
ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le projet comporte un
article unique insérant dans la Constitution un article 53-3 autorisant la ratification de la Charte
européenne des langues régionales et minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992 et
signée par la France le 7 mai 1999.

2. Le Conseil d’État n’a pu donner un avis favorable à ce texte pour les raisons suivantes.

3. Le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 que la partie II
de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, rapprochée de son préambule, «
confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou
minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées et que ses
dispositions « tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français » dans la «
vie privée » comme dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les « autorités
administratives et services publics ». Il en a déduit qu’en adhérant à la Charte, la France
méconnaîtrait les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi,
d’unicité du peuple français et d’usage officiel de la langue française.

4. Saisi d’une modification de la Constitution permettant la ratification de la Charte, qui figurait


dans le projet de loi constitutionnelle portant renouveau de la vie démocratique, le Conseil d’État
s’est fondé dans son avis du 7 mars 2013 sur le fait que, loin de déroger ponctuellement, comme le
constituant a pu le faire dans le passé, à telle règle ou tel principe faisant obstacle à
l’application d’un engagement de la France, la faculté de ratifier la Charte donnée par la nouvelle
disposition constitutionnelle aurait introduit dans la Constitution une incohérence entre, d’une part,
les articles 1er, 2 et 3 qui affirment les principes constitutionnels mentionnés dans la décision du
Conseil constitutionnel du 15 juin 1999 et sont un fondement du pacte social dans notre pays et,
d’autre part, la disposition nouvelle qui aurait permis la ratification de la Charte.

5 Le Conseil d’État a vérifié si le projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte


européenne des langues régionales et minoritaires dont le Gouvernement l’a saisi permettait de
lever ces objections en précisant, dans l’article 53-3 que le projet propose d’insérer dans la
Constitution, que l’autorisation de ratification s’applique à la Charte européenne des langues
régionales et minoritaires « complétée par la déclaration interprétative du 7 mai 1999 ».

6. En signant la Charte, le 7 mai 1999, la France a annoncé « envisager de formuler dans son
instrument de ratification », une déclaration affirmant notamment qu’elle interprétait ce texte
comme ne conférant pas de droits collectifs aux locuteurs des langues régionales et minoritaires et
n’allant pas à l’encontre du principe d’usage officiel du français énoncé par l’article 2 de la
Constitution. Cette déclaration contredit l’objet de la Charte qui vise, dans des stipulations qui, en
vertu de l’article 21 de ce traité, ne peuvent faire l’objet de réserves, à donner des droits aux
groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires et à permettre à ces locuteurs
d’utiliser leur langue dans la sphère publique. Sa mention dans la Constitution aurait une double
conséquence. En premier lieu, la référence à deux textes, la Charte et la déclaration, difficilement
compatibles entre eux, y introduirait une contradiction interne génératrice d’insécurité juridique. En
second lieu, elle produirait une contradiction entre l’ordre juridique interne et l’ordre
juridique international, exposant tant à des incertitudes dans les procédures contentieuses nationales
qu’à des critiques émanant des organes du Conseil de l’Europe chargés du contrôle de l’application
de la Charte en application de sa partie IV.

7. Tout en rappelant qu’il n’existe pas de principes de niveau supra-constitutionnel au regard


desquels pourrait être appréciée une révision de la Constitution, le Conseil d’État ne peut que
constater que le projet qui lui est soumis ne permet pas d’atteindre l’objectif que le
Gouvernement s’est fixé.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du jeudi
30 juillet 2015.

3°) La reconnaissance des populations d’Outre-Mer : la prise en compte de la diversité

Document n°6 : Article 72-3 alinéa 1er de la Constitution du 4 octobre 1959 issu de la révision
constitutionnelle du 29 mars 2003

La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal
commun de liberté, d'égalité et de fraternité.

D) La prohibition de l’exercice de la souveraineté nationale par une section du peuple : la


question de la parité

Document n°7 : Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 : Loi modifiant le code électoral
et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions
d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales (« Quotas par
sexes », extrait)

En ce qui concerne les dispositions de l’article L. 260 bis du code électoral, tel qu’il résulte de
l’article 4 de la loi :

5. Considérant qu’en vertu de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil, les conseillers
municipaux des villes de 3500 habitants et plus sont élus au scrutin de liste ; que les électeurs ne
peuvent modifier ni le contenu ni l’ordre de présentation des listes et qu’en vertu de l’article L. 260
bis : Les listes de candidats ne peuvent comporter plus de 75 p. 100 de personnes du même sexe ;

6. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la Constitution : La souveraineté nationale appartient


au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple
ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les
conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans
les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant
de leurs droits civils et politiques. Et qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen : Tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi sont également admissibles
à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celles de
leurs vertus et de leurs talents ;

7. Considérant que du rapprochement de ces textes il résulte que la qualité de citoyen ouvre le droit
de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une
raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de
l’électeur ou l’indépendance de l’élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s’opposent à
toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu’il en est ainsi pour tout suffrage
politique, notamment pour l’élection des conseillers municipaux ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la règle qui, pour l’établissement des listes
soumises aux électeurs, comporte une distinction entre candidats en raison de leur sexe, est
contraire aux principes constitutionnels ci-dessus rappelés ; qu’ainsi, l’article L. 260 bis du code
électoral tel qu’il résulte de l’article 4 de la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel doit
être déclaré contraire à la Constitution ;

Document n°8 : Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les
femmes et les hommes

Article 1er
L’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions
électives. »
Article 2
L’article 4 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l’article 3 dans les
conditions déterminées par la loi. »
La présente loi sera exécutée comme loi de l’État.
Fait à Paris, le 8 juillet 1999.

II- LES MODALITES D’EXERCICE DE LA SOUVERAINETE : LA QUESTION DU


REFERENDUM

A- Le référendum comme remède aux maux du parlementarisme républicain : le réformisme


de Carré de Malberg sous la IIIe République

Document n°9 : Raymond Carré de Malberg, « Considérations théoriques sur la question de


la combinaison du référendum avec le parlementarisme », Revue du droit public et de la
science politique, 1931 (extraits)

Le référendum, corollaire de la représentation

[...] Ainsi, seul, le référendum apparaît comme un complément suffisant de l’idée de


représentation, parce que seul il donne satisfaction au concept sur lequel repose le régime
représentatif, à savoir que, par les élus, c’est le sentiment du corps populaire qui se manifeste : ce
concept appelle, en effet, comme conséquence forcée, la reconnaissance du droit pour les citoyens
de manifester un sentiment contraire à celui qui, sur un point déterminé, a été manifesté en leur nom
par les représentants.

Le référendum comme limite au parlementarisme absolu

[...] De même que jadis l’absolutisme monarchique avait dû se résigner à des abandons
devenus nécessaires, de même des propositions diverses ont été émises en vue de substituer au
parlementarisme absolu un régime de puissance parlementaire limitée et mitigée. [...]
Reste un troisième procédé : celui qui ouvrirait au corps populaire des citoyens l’exercice
des facultés de participation directe à la puissance publique dont il a été tenu à l’écart jusqu’à
présent par le régime représentatif et parlementaire. Celui-ci subsisterait, mais non plus
exclusivement, ni intégralement ; il serait limité par l’adjonction d’institutions tendant à procurer les
avantages combinés du parlementarisme et de la démocratie. Le Parlement ne serait plus souverain :
il ne monopoliserait plus le pouvoir de formuler la volonté générale. Concurremment avec lui, le
corps des citoyens serait admis à exercer le pouvoir législatif, en toute sa plénitude, par la voie de
l’initiative populaire. Et d’autre part, les décisions des Chambres ne posséderaient plus le caractère
et la force de décisions souveraines, elles n’acquéreraient leurs vertus définitives qu’à la condition
d’avoir été adoptées expressément ou tacitement, par une votation populaire ou par l’absence de
demande de référendum. [...]
Dans les États qui juxtaposent à la puissance législative des Chambres la possibilité de
demande populaire de référendum, c’est le peuple qui monte au rang suprême par l’acquisition du
pouvoir de prononcer le rejet ou l’adoption définitive des décisions parlementaires. Du coup, le
Parlement se trouve ramené au rang de simple autorité : il ne représente plus la volonté générale que
pour chercher et proposer l’expression qu’il convient de donner à celle-ci ; il ne remplit ainsi qu’un
office de fonctionnaire. Le véritable souverain, c’est alors le peuple, armé du moyen juridique de
statuer en dernier ressort, c’est-à-dire de déclarer si la décision émise par les Chambres comme
expression de la volonté générale est conforme ou non à la volonté de la communauté populaire
elle-même. Souveraineté et volonté générale se retrouvent ainsi identifiées l’une avec l’autre et
ont, l’une comme l’autre, leur siège dans le peuple.
Tel est le sens profond, capital même, de l’évolution qu’accomplit le parlementarisme en se
combinant avec la démocratie. Cette évolution est-elle souhaitable ? Nous ne demandons pas si elle
est possible. Il y a eu, il est vrai, un temps où les auteurs parlaient couramment d’incompatibilité
entre le parlementarisme et les institutions démocratiques, alléguant que le régime parlementaire est
une variété du gouvernement représentatif, lequel a été conçu comme étant tout justement l’opposé
de la démocratie. Mais aujourd’hui, il est difficile de maintenir cette thèse sur l’impossibilité de
concilier la puissance parlementaire avec celle du peuple, puisque, dans maintes constitutions déjà,
les deux puissances sont admises à s’exercer simultanément. Il est à remarquer, en effet, que
l’introduction dans l’organisation étatique d’une institution telle que le référendum ne supprime pas
le rôle ni le pouvoir de représentation du Parlement : celui-ci reste organe représentatif, tout
comme, dans le système de la monarchie limitée, le chef de l’État restait monarque au sens précis
du mot. Seulement, dans le régime parlementaire additionné de référendum, le Parlement n’exerce
plus son pouvoir représentatif que sous réserve des droits du peuple : ses pouvoirs de représentation
ne sont pas détruits, ils sont seulement limités, ou plus exactement dominés, par ceux du représenté.

Le référendum garant de l’équilibre des pouvoirs

Outre la modification principielle qui résulte de cette suprématie populaire quant à la


situation organique et à la condition de puissance du Parlement, l’adjonction du référendum
entraînerait d’autres conséquences multiples, parmi lesquelles il convient de citer notamment les
suivantes :
Elle aurait pour avantage de fournir la solution du problème relatif à la limitation de la
puissance du Parlement vis-à-vis du gouvernement. Il ne semble guère possible d’établir, même
approximativement, une balance durable des pouvoirs entre le Parlement et l’exécutif, tant qu’il ne
se trouve pas organisé, au-dessus d’eux, de puissance qui soit capable de les départager, en
ramenant au besoin l’une de ces deux autorités au respect des droits de l’autre, et surtout qui assure,
en face de leur dualité, l’unité nécessaire à l’État, en les maintenant toutes deux dans la dépendance
commune d’une volonté maîtresse dominant les leurs. Or, du jour où à la souveraineté
parlementaire serait substituée celle du peuple, statuant par voie de votations directes sur les
questions de législation ou de politique gouvernementale, cette puissance supérieure, appelée à
dominer à la fois les deux sortes d’autorités, ne ferait plus défaut. Parlement et Exécutif pourraient,
chacun de son côté, en appeler au peuple, en lui déférant la solution des questions sur lesquelles ils
se trouvent en conflit. Dans ces conditions, les compétences de l’Exécutif seraient susceptibles
d’être accrues, et la puissance du Parlement rencontrerait en elles un nouveau facteur de limitation,
sans d’ailleurs que l’Exécutif puisse plus que le Parlement imposer sa volonté d’une manière
absolue : il n’y aurait d’absolument prépondérante et décisive que la volonté populaire.

B- L’introduction du référendum dans la Constitution du 4 octobre 1958

Document n°10 : Gérard Conac, « Les débats sur le référendum sous la Ve République »,
Pouvoirs, n°77, 1996 (extrait)

D’une réhabilitation éclatante à une option prudente

C’est incontestable, à la Libération, c’est le général de Gaulle qui réintroduit le référendum


en France. C’est lui qui démontre que seul le suffrage universel peut conférer une légitimité à un
État républicain. L’article premier de l’ordonnance du 21 avril 1944 exprime sur ce point sa
conviction profonde : « Le peuple français décidera souverainement de ses futures institutions. » Et
c’est par le référendum organisé le 21 octobre 1945 que, passant outre aux réserves des partis, il met
en œuvre cet engagement. Ce jour-là, le peuple français tranche le nœud gordien constitutionnel. Il
refuse de revenir aux institutions de la IIIe République. Il estime que l’Assemblée élue le même
jour doit être constituante. Il s’attribue le droi d’adopter ou de rejeter le projet de Constitution
qu’elle doit préparer dans les six mois. Pour la première fois, il est traité en authentique décideur.
En répondant aux deux questions qui lui étaient posées, il a pu choisir entre trois solutions.
De cette éclatante réhabilitation de la démocratie directe le général de Gaulle ne pouvait
qu’être fier. Mais constatons qu’en 1946 le référendum n’est pas encore dans sa pensée une pièce
maîtresse du système constitutionnel qu’il voulait proposer aux Français. Il ne le mentionne même
pas dans le discours de Bayeux. C’est seulement quelques semaines plus tard que, comme pris de
regret, il y fait référence dans le discours d’Épinal. Même ainsi réparé, l’oubli est révélateur de ses
priorités réformistes. L’essentiel pour lui c’était la restauration de l’autorité et de la légitimité de
l’État républicain.
A cette date, il lui restait à comprendre dans quelle mesure et comment le référendum
législatif pourrait concourir à cet objectif. Il y fut aidé par Michel Debré et René Capitant. Bien
qu’influencés l’un et l’autre par les analyses de Carré de Malberg, ces deux juristes étaient loin de
partager les mêmes conceptions de la démocratie. Pour Michel Debré, elle devait être gouvernée ;
pour René Capitant, elle ne pouvait être que gouvernante.
Le général de Gaulle s’est instruit à l’écoute de ses deux interlocuteurs privilégiés. Très
pragmatiquement, il pressent que la classe politique n’est pas prête à cautionner les idées de René
Capitant. Sans les rejeter pour l’avenir, il juge plus sage de se rallier aux thèses de Michel Debré.
Elles lui paraissent plus raisonnables dans l’immédiat. Le référendum doit permettre de limiter
l’influence des partis. Mais il ne faut pas qu’il devienne une machine de guerre manipulée par les
groupes de pression. Aussi n’est-il pas question de laisser à d’autres qu’au président de la
République la possibilité d’y recourir.

Des compromis aux malentendus : l’ambiguïté des débats préalables

Tout naturellement lorsque le Général revient au pouvoir en 1958, c’est par un référendum
qu’il entend donner sa légitimité au régime qu’il veut fonder. Le projet de loi constitutionnelle du 3
juin 1958, révisant l’article 90 de la Constitution de 1946, est parfaitement net sur ce point : « Le
projet de Constitution sera préparé par le gouvernement puis soumis à la décision du peuple par
référendum. » Pendant le débat historique du 2 juin à l’Assemblée nationale, Jacques Duclos et
François Mitterrand contestent cette procédure, qui élimine l’Assemblée nationale du pouvoir
constituant. Jacques Duclos ne manque pas d’agiter le spectre du bonapartisme. Estimant ce procès
injuste, le général de Gaulle lui réplique : « En 1945 vous avez avec nous préparé les référendums
d’où est sortie la IVe République. La République a-t-elle disparu ? »
Prenant à son tour la parole, François Mitterrand contre-attaque : « L’Assemblée doit se
prononcer avant le référendum constituant, faisant connaître son avis concurremment à l’avis du
gouvernement. » Et de manière inattendue, le député de la Nièvre conclut : « S’il y a conflit, ce que
je n’espère pas, alors c’est l’occasion solennelle pour le pays de décider. » Charles de Gaulle
comprend que l’argument porte, d’autant plus que la Commission du suffrage universel a émis un
vœu dans le même sens. Pour refuser le débat préalable à l’Assemblée nationale, le président du
Conseil invoque l’urgence et les conditions difficiles du moment. Mais surtout il met en avant le
risque d’un référendum conflictuel : « Au cas où l’Assemblée rejetterait le projet si le gouvernement
le soumettait au peuple, ce serait dresser l’Assemblée nationale contre le suffrage universel. Je m’y
refuse absolument. »
S’esquissent ainsi, entre les deux grands protagonistes de la future Ve République, les
données essentielles du problème de fond. Mais dans l’atmosphère lourde d’une crise nationale, on
est resté dans le conjoncturel.
Dès le début des travaux de rédaction, le général de Gaulle donne des directives pour que
soit reconnu au chef de l’État le droit de recourir au référendum. L’unique article du titre consacré à
la révision constitutionnelle (le futur titre XIV article 89) trouve rapidement sa formulation
définitive. Il n’en est pas de même pour le futur article 11. La première version, rédigée par les
collaborateurs du président du Conseil et de Michel Debré, garde des Sceaux, est remaniée à
plusieurs reprises. Progressivement, le champ du référendum est restreint, la procédure référendaire
désamorcée.
Le débat hâtif qui se déroule au Comité consultatif constitutionnel reste très superficiel.
L’article 3, qui précise que la souveraineté du peuple s’exerce par ses représentants et par le
référendum, est approuvé sans discussion. La question de savoir si la Constitution pourrait être
modifiée par la procédure du futur article 11 ne préoccupe pas beaucoup les membres du comité,
tant la réponse négative leur apparaît évidente. Curieusement aussi, les membres du comité ne
demandent que très peu de précisions sur la notion d’organisation des pouvoirs publics. Leur
curiosité est satisfaite lorsqu’il leur est confirmé que la loi électorale et la réforme des collectivités
publiques relèvent bien de cette qualification.
Le Comité semble pleinement rassuré par les apaisements prodigués par le garde des
Sceaux. Pourquoi d’ailleurs s’inquiéter d’une rédaction en apparence anodine ? Son président, Paul
Reynaud, dans sa lettre au président du Conseil, constate que « le comité a pris acte avec
satisfaction de l’esprit dans lequel est conçu le référendum, qui ne peut en aucun cas être le moyen
d’opposer le gouvernement aux Assemblées ».
Machiavélisme d’un côté, naïveté de l’autre ? Non, sans doute. Mais en tout cas, de la part
du général de Gaulle et du garde des Sceaux, Michel Debré, le souci de soumettre au peuple un
texte acceptable par la classe politique, quitte à atténuer le projet initial, voire à y laisser traîner
quelques ambiguïtés. Quant aux ministres d’État et aux parlementaires associés aux travaux
préparatoires, tous souhaitent que l’on puisse aboutir au plus vite. Ils comptent avant tout sur le
général de Gaulle pour résoudre la crise algérienne. Pour l’avenir, ils ne doutent pas que les
traditions parlementaires rendront inoffensives les réformes les plus novatrices.
Incontestablement, bien des points étaient restés dans l’ombre ou tout simplement sous-
estimés. Dans un pays marqué par une tradition de souveraineté parlementaire et de méfiance à
l’égard des formes plébiscitaires du pouvoir, il était d’ailleurs difficile d’évaluer a priori comment
pourrait être utilisé le référendum. Les problèmes surgiront à l’usage. Plusieurs susciteront de
nombreuses controverses, les débats les plus importants ayant porté sur trois questions essentielles
qui n’avaient été perçues qu’a posteriori. Est-il constitutionnel de donner au référendum la
signification d’une question de confiance posée directement par le président au peuple ? Est-il
constitutionnel d’utiliser l’article 11 pour réviser la Constitution ? Est-il constitutionnel de tenter
d’élargir le champ référendaire par une interprétation constructive des formules contenues dans
l’article 11 ?
C- La pratique plébiscitaire du général de Gaulle

Document n°11 : Allocution radiotélévisée du général de Gaulle prononcée le 6 janvier 1961,


deux jours avant le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie

Françaises, Français,

Je vous ai exposé déjà les motifs, le contenu et la portée du projet de loi, qu’en ma qualité de
président de la République, je soumets à votre approbation au sujet de l’Algérie. Aujourd’hui, je
dois appeler votre attention sur l’étendue des conséquences qu’aura la réponse du pays et sur le fait
que chacun, qu’il vote oui, qu’il vote non ou qu’il s’abstienne, y prendra, en personne, une
responsabilité directe. C’est là, sans nul doute, un des événements principaux de notre histoire.
D’abord, parce que l’affaire d’Algérie est, en elle-même, capitale. [...] Mais ce qui est en question
dans le référendum du 8 janvier 1961, ce n’est pas seulement le fait de reconnaître aux populations
le droit de choisir leur sort, de les engager, en attendant, dans la voie de l’Algérie algérienne unie à
notre pays, de viser à obtenir, dans les moindres délais possibles, la confrontation pacifique de
toutes les tendances afin d’organiser librement l’autodétermination. Autant que du sujet lui-même, il
s’agit, en réalité, de notre propre destin, car la nation française voit s’offrir à elle l’occasion
solennelle soit de prouver son unité, soit d’étaler sa division. Après avoir, hélas, payé bien cher les
déchirements lamentables d’autrefois, notre pays doit savoir que si, par malheur, sur un pareil sujet
et en dépit de mon appel, il laissait briser la cohésion de sa masse sous les impulsions, d’ailleurs,
contradictoires de plusieurs et très diverses sortes d’agitateurs ou de partisans, il courrait tout droit
au chaos et à l’abaissement. Au contraire, il peut être certain que si, dimanche prochain, devant le
monde qui regarde et qui écoute, il manifeste la volonté immense et positive d’un grand peuple,
alors, rien ne pourra prévaloir contre lui, ni au-dedans, ni au-dehors. Françaises, Français, vous le
savez. C’est à moi que vous allez répondre. Depuis plus de vingt années, les événements ont voulu
que je serve de guide au pays dans les crises graves que nous avons vécues. Voici que, de nouveau,
mon devoir et ma fonction m’ont amenés à choisir la route. Comme la partie est vraiment dure, il
me faut, pour la mener à bien, une cohésion nationale, c’est-à-dire une majorité qui soit en
proportion de l’enjeu. Mais aussi, j’ai besoin, oui, j’ai besoin de savoir ce qu’il en est dans les
esprits et dans les coeurs. C’est pourquoi, je me tourne vers vous par-dessus tous les intermédiaires.
En vérité, qui ne le sait ? L’affaire est entre chacune de vous, chacun de vous et moi-même.
Françaises, Français, tout est simple et clair. Le oui franc et massif. Je vous le demande pour la
France.

Vive la République !
Vive la France !

Document n°12 : Extrait du discours du Général de Gaulle le 18 octobre 1962, dix jours avant
le référendum constituant sur l’élection du président de la République au suffrage universel

« […] Si votre réponse est : "Non" ! comme le voudraient tous les anciens partis afin de rétablir leur
régime de malheur, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion, ou même si la
majorité des "Oui" ! est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée
aussitôt et sans retour. Car, que pourrais-je faire, ensuite, sans la confiance chaleureuse de la
Nation ?
Mais si, comme je l’espère, comme je le crois, comme j’en suis sûr, vous me répondez "Oui" ! une
fois de plus et en masse, alors me voilà confirmé par vous toutes et par vous tous dans la charge que
je porte ! Voilà le pays fixé, la République assurée et l’horizon dégagé ! Voilà le monde décidément
certain du grand avenir de la France ! […] »
Document n°13 : Allocution du général de Gaulle radiotélévisée prononcée le 25 avril 1969,
deux jours avant le référendum sur la régionalisation et la réforme du sénat

Françaises, Français,

Vous, à qui si souvent j’ai parlé pour la France, sachez que votre réponse dimanche va engager son
destin. Parce que d’abord, il s’agit d’apporter à la structure de notre pays un changement très
considérable. [...]

Votre réponse va engager le destin de la France, Parce que si je suis désavoué par une majorité
d’entre vous, solennellement sur ce sujet capital, et quelles que puissent être le nombre, l’ardeur de
l’armée, de ceux qui me soutiennent, et qui de toute façon détiennent l’avenir de la patrie, Ma tâche
actuelle de chef de l’État deviendra évidemment impossible, et je cesserai aussitôt d’exercer mes
fonctions. Alors, comment sera maîtrisée la situation résultant de la victoire négative de toutes ces
diverses, disparates et discordantes oppositions, avec l’inévitable retour au jeu des ambitions,
illusions, combinaisons et trahisons dans l’ébranlement national que provoquera une pareille
rupture. Au contraire, si je reçois la preuve de votre confiance, je poursuivrai mon mandat,
j’achèverai grâce à vous, par la création des régions et la rénovation du Sénat, l’oeuvre entreprise il
y a dix années, Pour doter notre pays d’institutions démocratiques adaptées au peuple que nous
sommes, dans le monde où nous nous trouvons, et à l’époque où nous vivons, après les confusions,
les troubles et les malheurs que nous avions traversés depuis des générations. Je continuerai, avec
votre appui, de faire en sorte quoi qu’il arrive, que le progrès soit développé, l’ordre assuré, la
monnaie défendue, l’indépendance maintenue, la paix sauvegardée, la France respectée. Enfin, une
fois venu le terme régulier, sans déchirement et sans bouleversement, tournant la dernière page du
chapitre que voici quelques trente ans j’ai ouvert dans notre histoire, je transmettrai ma charge
officielle à celui que vous aurez élu pour l’assumer après moi. Françaises, Français, dans ce qu’il va
advenir de la France, jamais la décision de chacune et de chacun de vous n’aura pesé aussi lourd.

Vive la République !
Vive la France !

D- Du « référendum d’initiative partagée » au « référendum d’initiative citoyenne » ?

Document n°14 : Article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou


sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au
référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes
relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services
publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à
la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque
assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative
d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les
listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet
l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le
respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi
organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition
de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de
deux ans suivant la date du scrutin.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de
la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la
consultation.

Document n°15 : Extraits de l’avis fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de
la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi de finances
pour 2015 par M. Paul Molac (extrait)

III. LES NOMBREUX OBSTACLES À LA TENUE D’UN RÉFÉRENDUM D’INITIATIVE


PARTAGÉE OBLIGERONT, À TERME, À REVOIR LA PROCÉDURE

La description des différentes étapes de la procédure d’initiative partagée suffit à démontrer


toute la difficulté de parvenir, un jour, à la tenue effective d’un référendum de ce type. Pour
reprendre l’expression de M. Christophe Geslot, maître de conférences en droit public à l’université
de Franche-Comté, entendu par votre rapporteur pour avis, l’ensemble de la procédure relève du
« chemin de croix ». Dès lors, tout en attendant de pouvoir constater l’usage qui en sera fait en
pratique à partir de l’année prochaine, il n’est pas trop tôt pour réfléchir à des évolutions qui
permettraient de rendre la procédure d’initiative partagée plus effective.

A. DE MULTIPLES ÉCUEILS À SURMONTER

Certes, le luxe de précautions prises à l’article 11 par le constituant de 2008 peut se justifier
par la volonté de ménager les compétences du Parlement : comme l’avait souligné le comité
Balladur en 2007, « il y aurait quelque contradiction » à recommander « à la fois d’émanciper le
Parlement et d’étendre de manière excessive le champ de la démocratie directe ».
Pour autant, tout laisse à penser que cette procédure a été introduite dans notre Constitution
non sans une certaine réticence, qui explique la multiplication des obstacles dressés sur le chemin
du référendum – que le professeur Anne Levade a qualifiés de « limites structurelles » de la réforme
de 2008.
La première de ces limites est le nombre de signatures de parlementaires requises pour
prendre l’initiative de la procédure. À l’heure actuelle, seuls les groupes SRC et UMP de
l’Assemblée nationale disposent de 185 députés. Au Sénat, après les élections du 28 septembre
2014, les groupes UMP et UDI-UC peuvent réunir, au total, 186 sénateurs. En pratique, il est
probable que c’est l’opposition qui tentera de mettre à l’agenda politique des propositions de loi
complétant ou contestant le programme législatif de la majorité. Plus rarement, des parlementaires
de la majorité pourraient chercher à mettre en avant des sujets transcendant les clivages partisans,
sur lesquels le pouvoir exécutif ne souhaite pas prendre l’initiative.
Les contraintes de recevabilité financière de la proposition de loi constitueront une autre
importante limitation. Faute d’intervenir dans la procédure avant l’éventuelle phase d’examen par le
Parlement, le Gouvernement ne pourra vraisemblablement pas « lever le gage » d’une proposition
de loi d’initiative partagée se heurtant à l’article 40 de la Constitution, comme il peut
habituellement le faire à l’égard d’amendements ou de propositions de loi qui recueillent son
assentiment. Or, comme l’a relevé le professeur Francis Hamon, « il sera souvent difficile pour des
parlementaires de l’opposition de rédiger une proposition de loi qui fasse rêver à un avenir
meilleur sans enfreindre la sacro-sainte règle de l’article 40 » de la Constitution.
Le nombre de soutiens populaires exigé par l’article 11 de la Constitution, soit un dixième
du corps électoral, est particulièrement élevé. Réunir environ 4,5 millions d’électeurs – fût-ce par la
voie électronique, réputée favorable à une rapide diffusion de l’information et capable de mobiliser
largement – représentera un authentique défi. Le droit comparé offre, certes, quelques d’exemples
dans lesquels des procédures d’initiative populaire peuvent aboutir malgré un seuil de signatures
aussi élevé : ainsi, la Bavière, tout en exigeant la réunion d’un dixième des électeurs, soit environ
900 000 personnes, est le Land d’Allemagne pratiquant le plus grand nombre de « procédures
législatives populaires » (Volksgesetzgebungsverfahren).
Toutefois, la plupart des autres États retiennent des seuils de soutiens populaires
sensiblement plus bas : 100 000 citoyens en Suisse et 500 000 citoyens en Espagne et en Italie, soit
environ 1 à 2 % du corps électoral.
De même, la procédure d’initiative citoyenne européenne (ICE), entrée en vigueur le 1er avril
2012, nécessite la réunion de « seulement » un million de citoyens de l’Union européenne, pour
autant qu’ils soient issus d’au moins un quart des États membres – soit aujourd’hui sept États. À ce
jour, trois initiatives ont effectivement atteint ce seuil et ont été présentées à la Commission
européenne ou sont en voie de l’être.
Il est donc fort probable que, dans le cas français, « la majorité des initiatives (…) se
heurteront au mur des signatures ».
Ce risque est renforcé par les modalités de financement de la « campagne » – en faveur ou
en défaveur – du recueil des soutiens populaires. Privée de toute aide publique, cette campagne n’en
est pas moins soumise à l’interdiction du financement par les personnes morales autres que les
partis politiques et au plafonnement à 4 600 euros des dons des personnes physiques. En pratique,
ce sont donc principalement les partis politiques qui auront la capacité de peser, dans un sens ou
dans l’autre, sur les opérations de recueil des soutiens – au détriment des associations, groupes de
pression ou comités ad hoc de citoyens qui, dans d’autres pays connaissant les référendums
d’initiative populaire, occupent une place souvent déterminante.
À supposer qu’un dixième des électeurs soutiennent une proposition de loi présentée en
application de l’article 11 de la Constitution, la tenue d’un référendum n’en resterait pas moins
improbable. En effet, il suffit, pour empêcher le référendum, que la proposition de loi ait été
examinée par chacune des deux chambres dans les six mois.
Un rejet de la proposition de loi par le Parlement n’entraîne donc pas d’appel au peuple. Ce
rejet peut d’ailleurs résulter d’un examen sommaire, puisque rien – juridiquement tout du moins –
n’interdira l’Assemblée nationale ou le Sénat de voter, respectivement, une motion de rejet
préalable ou une question préalable, privant ainsi la proposition de loi du bénéfice d’une réelle
discussion.
La proposition de loi peut également être adoptée par les assemblées, dans une version
modifiée, sinon dénaturée. Comme l’a relevé le professeur Anne Levade, on peut même – au moins
théoriquement – concevoir qu’à l’issue des débats au Parlement, la mesure législative finalement
votée soit l’exact opposé de celle figurant dans le texte soutenu par les électeurs.
En cas de constat, au bout de six mois, de l’absence d’examen de la proposition de loi par
les deux assemblées, la convocation du référendum n’est enserrée dans aucun délai. Le chef de
l’État peut donc décider du moment qui lui paraît, politiquement, le plus opportun. Quant à
l’absence de toute convocation du référendum par le président de la République, elle apparaîtrait
sans nul doute comme un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice
de son mandat », au sens de l’article 68 de la Constitution, justifiant sa destitution par le Parlement
réuni en Haute Cour. Cette procédure, longtemps inapplicable faute d’adoption de la loi organique
attendue depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, devrait prochainement entrer en
vigueur : le 21 octobre 2014, le Sénat a adopté sans modification le projet de loi organique portant
application de l’article 68 de la Constitution, que l’Assemblée nationale avait adopté en janvier
2012.
En cas de vote négatif lors du référendum, l’impossibilité de recommencer la procédure
dans les deux années qui suivent constitue une contrainte quelque peu exorbitante – a fortiori au
regard de la durée totale du processus. Comme l’a suggéré M. Christophe Geslot, la rédaction
retenue à l’article 11 de la Constitution, qui prohibe toute nouvelle proposition de référendum
« portant sur le même sujet », apparaît trop large. Elle gagnerait à être remplacée par la référence à
une nouvelle proposition « comportant des dispositions législatives similaires » à celles rejetées par
le peuple.
En cas de vote positif lors du référendum, la loi adoptée par le peuple n’aurait pas de
valeur juridique supérieure à celle d’une loi adoptée par le Parlement. En droit, rien ne
s’opposerait donc à ce qu’une loi purement parlementaire vienne modifier ou abroger une loi
adoptée à l’issue d’un référendum d’initiative partagée.

B. UNE PROCÉDURE NÉCESSAIREMENT AMENÉE À ÉVOLUER

Au regard de toutes les difficultés qui précèdent, il va de soi que la procédure référendaire
d’initiative partagée devra, à terme, être modifiée.
D’une manière générale, on sait que les responsables politiques entretiennent des rapports
ambivalents avec le référendum, dont le champ n’a cessé, en vain, d’être élargi : aucun référendum
n’a été organisé dans les domaines ajoutés en 1995 et en 2008. Dans le cas du référendum
d’initiative partagée, s’ajoute de surcroît un enjeu particulier, signalé par M. Christophe Geslot, lié
au risque de « malentendu » entre les politiques et le peuple, ce dernier s’attendant à ce que la
procédure aboutisse à un référendum, qui n’aura in fine vraisemblablement pas lieu.
Peu d’améliorations substantielles peuvent être apportées dans la loi organique.
Compte tenu de la rédaction de l’article 11 de la Constitution, le rôle du législateur organique se
limite, pour l’essentiel, à fixer différents délais et à définir les modalités du recueil des soutiens des
électeurs. Interrogée par votre rapporteur pour avis sur les aménagements organiques souhaitables,
Mme Anne Levade a, par exemple, proposé d’ajouter les élections sénatoriales et l’utilisation des
pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution parmi les périodes justifiant la suspension
ou le report du recueil des soutiens. Elle a également regretté que n’ait pas été prévue la publication
au Journal officiel de la proposition de loi, concomitamment à la décision du Conseil
constitutionnel relative à sa constitutionnalité. M. Christophe Geslot, quant à lui, a suggéré, afin de
protéger la confidentialité des opinions politiques de chacun, de restreindre la possibilité de
consultation de la liste des soutiens à la seule vérification par l’électeur que son propre nom y figure
ou non.
Au-delà de ces possibles aménagements, toute réforme visant à « déverrouiller » la
procédure d’initiative partagée, en vue de favoriser un usage réel de ce nouveau type de
référendum, nécessiterait une révision constitutionnelle.
Sans bouleverser l’économie générale de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, c’est-à-
dire en conservant l’objectif d’un référendum dont l’initiative associerait parlementaires et citoyens,
plusieurs pistes pourraient être envisagées :
– diminuer le nombre de parlementaires requis pour présenter la proposition de loi, par exemple en
conférant ce droit à tout groupe parlementaire ;
– réduire le nombre de soutiens populaires nécessaires, par exemple en abaissant le seuil de 10 %
des électeurs inscrits (environ 4,5 millions de soutiens) à 5 % de ce dernier (environ 2,3 millions de
soutiens) ou, afin de mieux mesurer la capacité de mobilisation de l’électorat, à 10 % des votants à
la dernière élection présidentielle (environ 3,7 millions de soutiens) ;
– remplacer la condition d’un examen par le Parlement de la proposition de loi par l’exigence d’une
adoption de celle-ci. Ainsi, un rejet de la proposition par les assemblées n’empêcherait pas le peuple
de trancher lui-même la question ;
– limiter le droit d’amender la proposition de loi, afin d’éviter toute dénaturation de celle-ci par le
Parlement. Afin de ne pas réduire l’intérêt du travail parlementaire, cette restriction pourrait être
avantageusement assortie de la possibilité de soumettre à référendum, simultanément à la
proposition de loi initiale, une « contre-proposition » adoptée par le Parlement ;
– fixer au président de la République un délai maximal de convocation du référendum, en vue
d’éviter toute inertie en la matière.
À l’heure où nombre d’États s’efforcent de mieux associer la population à la prise de
décision publique, y compris dans le domaine constitutionnel, une réflexion visant à une réelle
démocratisation de la procédure référendaire reste à mener dans notre pays.

Document n°16 : Quentin Girault, « L’adoption du référendum d’initiative citoyenne, un


moyen de préserver la Ve République », La semaine juridique Edition Générale, n° 1-2, 14
Janvier 2019

L’initiative populaire désigne tous les processus qui consistent en la possibilité pour les citoyens, en
cette seule qualité, de proposer l’adoption d’une norme via un référendum (dans cette perspective,
la procédure dite de « l’initiative partagée » n’est absolument pas un processus d’initiative
populaire). Le référendum d’initiative citoyenne en est une variante, qui inclut également la
révocation d’élus. À ce titre, il s’inscrit dans une discussion constitutionnelle qui revient
régulièrement sur le devant de la scène.

C’est énoncer une évidence que d’affirmer que lorsque ce type de procédé occupe le débat public,
celui-ci est généralement marqué par une forte polarisation idéologique. Ceci s’explique certes
aisément par les termes que ces procédures charrient dans leur sillage (démocratie, peuple, élites
politique, par exemple), mais il reste que cela condamne à une opposition de principe qui tourne
vite à la confrontation d’arguments théoriques. Il faut d’ailleurs bien reconnaître qu’aussi longtemps
que l’initiative populaire ne sera pas une réalité, la question de ses vices et vertus restera
nécessairement abstraite. Nous défendons pourtant ici l’idée que ce type de procédure, comme
d’ailleurs les instruments de démocratie semi-directe en général, ne mérite ni exécration ni
vénération.

Pour s’en convaincre, on peut tout d’abord partir de la circonstance que tous les éléments qui
composent l’initiative citoyenne existent à l’étranger, qu’il s’agisse d’initiative populaire législative
(en Italie, ou dans certains États des États-Unis, dont la Californie qui est celui où l’instrument est
le plus usité. - V. Const. italienne, art. 75. - Const. californienne, art. II, sect. 8), constitutionnelle
(en Californie, encore, mais aussi en Suisse. - V. Const. féd. Suisse, art. 139), ou de la révocation
des élus (Const. californienne, art. II, sect. 14. - au Venezuela, Const. bolivarienne, art. 72).
Pourtant, aucun État la pratiquant ne se caractérise par son instabilité, son « ingouvernabilité », son
inadéquation avec l’économie mondialisée ou quelque phénomène antidémocratique qu’on puisse
imaginer. Le Venezuela fait bien sûr figure d’exception, mais il faudrait être d’une singulière
mauvaise foi pour affirmer que les terribles difficultés que connaît ce pays sont imputables à la
démocratie semi-directe.

Certes, on observe parfois dans ces endroits une montée des extrêmes ou l’émergence d’un degré
important d’antiparlementarisme, mais pas plus que partout ailleurs et, s’agissant de la Suisse,
plutôt moins. Cette affirmation, de l’ordre du constat, est encore appuyée par le fait que les
procédés en usage dans chacun des exemples mentionnés sont très différents les uns des autres.
Pour le dire clairement, ces processus se sont institutionnalisés : ils font partie du fonctionnement
politique ordinaire et n’ont pas entraîné de rupture majeure.

On peut encore penser que ceci s’explique par d’autres facteurs, propres à chacun de ces États, et
que la France aurait à cet égard une singularité qui pousserait à craindre d’éventuels effets délétères
encore jamais observés hors de ses frontières. Il y a cependant là aussi de nombreuses raisons d’être
rasséréné.

Les processus d’initiative populaire sont en effet d’abord et avant tout des procédures, qui ne
peuvent être introduites que par un ensemble de normes, elles sont donc intégralement encadrées
par le droit. Il s’ensuit qu’une hypothétique proposition de référendum serait nécessairement passée
par diverses étapes avant toute votation. Ces étapes étant fort nombreuses, elles ne peuvent être
toutes prévues par la norme constitutionnelle par laquelle l’initiative citoyenne serait introduite : il y
aurait nécessairement une loi organique, probablement une loi ordinaire, certainement des normes
réglementaires. Dès lors, le Parlement et le Gouvernement demeureraient les principaux architectes
du processus, quelle que soit la voie retenue pour réviser la Constitution. Or, ceci représente un
pouvoir considérable sur le fonctionnement général de la procédure : le seuil de signatures à
recueillir ; les conditions de cette récolte ; le rang normatif au niveau duquel l’initiative pourrait
avoir lieu ; d’éventuelles exclusions matérielles (not. la matière financière) ; l’office du juge
constitutionnel, le cas échéant ; une éventuelle intervention parlementaire et son intensité ;
l’organisation de la campagne et notamment la place qu’y tiendraient les acteurs politiques. Voilà
autant d’éléments de nature à modifier profondément l’orientation générale du processus, et donc
ses conséquences. L’initiative citoyenne sera ainsi plus ou moins accessible en fonction des
modalités de récolte de signatures ; n’aura pas le même impact selon qu’elle serait législative,
constitutionnelle, ou les deux ; pourrait être utilisée dans un domaine très large ou très restreint en
fonction de ce qu’on prévoit d’y exclure ; ne conférera pas le même degré de pouvoir à ses initiants
selon que le Parlement peut intervenir ou non ; n’aura pas les mêmes conséquences sur la vie
politique selon que celles-ci favorisent les acteurs politiques traditionnels ou au contraire les
marginalise.

Il faut encore ajouter que la notion d’initiative populaire est née en régime représentatif (c’est
d’ailleurs pour cela qu’on parle de démocratie « semi-directe »), qu’elle s’est exportée dans des
pays aussi différents que l’Italie ou les États-Unis et que la variété des procédés est telle que l’on
peut affirmer qu’une véritable ingénierie des initiatives populaires existe. Par conséquent, il serait
loisible aux responsables de son introduction en droit français de « piocher » dans un grand nombre
de solutions différentes, à toutes les étapes. Notamment, l’intervention parlementaire est
généralement possible, et de nombreuses variantes existent : ainsi en Suisse où les représentants
rédigent un « contre-projet », qui sera soumis à la votation en même temps que l’initiative.

Il est également possible d’innover en s’efforçant de favoriser l’institutionnalisation du processus, si


on s’appuie sur les éléments spécifiques de la fabrique législative. Ainsi de l’intervention
consultative du Conseil d’État, des caractères propres de la jurisprudence constitutionnelle, ou des
restrictions singulières aux propositions de loi. Même en cas d’initiative citoyenne constitutionnelle,
des moyens de maîtriser en partie les conséquences du dispositif existent. On peut, par exemple,
maintenir un certain degré de contrôle juridictionnel, à condition de le prévoir dans la norme
constitutionnelle d’insertion de la procédure. De même, il est possible de prévoir un contre-projet
parlementaire, voire gouvernemental et de l’avantager dans la votation en travaillant sur les règles
d’adoption, par exemple en prévoyant un seuil de participation pour l’adoption du texte et en
contraignant parallèlement à ce que le texte issu de l’initiative ne puisse être adopté qu’en cas de
rejet exprès et donc majoritaire du contre-projet.

Il ne s’agit là que de quelques pistes dont l’évocation a pour objet de souligner la grande plasticité
de ce type de dispositifs. Tout ceci peut également s’appliquer dans le cadre de la révocation,
particulièrement s’agissant des règles de participation ou du seuil de signatures. En somme, toutes
les propositions issues du mouvement des « gilets jaunes » sont parfaitement maîtrisables si on
utilise à la fois le droit comparé et l’ingénierie constitutionnelle.

Cette affirmation a un revers. Dès lors qu’on accepte l’idée que le processus s’institutionnalisera
nécessairement et reste fondamentalement aux mains des acteurs politiques traditionnels, cela
implique que les vertus possibles du dispositif restent limitées. Il y a là quelque chose d’inévitable :
toute procédure de ce type est forcément lourde à mettre en œuvre, quelles que soient ses modalités
et ce n’est par conséquent pas un instrument de législation régulier. Il est impossible d’envisager les
procédures d’initiative populaire comme autre chose qu’un contre-pouvoir et comme tel assez rare,
alternatif et non-continu. Elles ne seront donc jamais suffisamment utilisées pour réellement
déstabiliser le fonctionnement politique ordinaire, dans la mesure où celui-ci, restant le canal
ordinaire de la décision publique pourra toujours s’adapter si cela s’avère nécessaire.

Un régime fortement et durablement contesté, non dans ses fondements, mais dans son
fonctionnement, doit s’adapter ou il se condamne à l’effritement. Après une trentaine d’années de
montée de l’abstention et du vote d’extrême-droite, de multiplication des formes de contestation
jusqu’à l’effondrement de nombre des partis traditionnels, il nous semble qu’il y a lieu d’affirmer
que la Ve République n’est pas aussi efficace que ses thuriféraires l’affirment (si toutefois l’on
accepte que la légitimité d’un régime est une part de son efficacité, en ce qu’elle en assure la
pérennité).

On ne peut donc qu’être étonné du faible enthousiasme suscité par l’initiative citoyenne, alors
même que le processus est connu, qu’il présente peu de risques véritables, semble désiré par une
partie significative de la population (V. Sondage du 19 déc. 2018 : https://elabe.fr/gilets-jaunes-
19decembre/, consulté le 7 janv. 2019) et permet d’envisager un « changement dans la continuité ».
Nécessairement limitée dans ses effets, et pourtant perçue comme la voie d’une démocratisation
d’importance, l’initiative citoyenne apparaît comme une réponse institutionnelle viable aux
difficultés croissantes que connaît le régime. À cet égard, elle devrait avoir les faveurs de ceux qui
tiennent à conserver la dynamique fondamentale de la V e République, bien plus que de ceux qui
souhaitent sa disparition.

Document n°17 : Olivier Duhamel, « Le référendum d’initiative citoyenne, soit poison, soit
illusion », La semaine juridique Edition Générale, n° 1-2, 14 Janvier 2019

Référendum d’initiative citoyenne (RIC) ? Trois mots qui frappent comme une devise
démocratique. Référendum : en référer au peuple. Initiative, qualité par essence. Citoyenne, cela
même qui réconcilie démocrates et républicains. Comment s’y opposer ? En y regardant de plus
près. En passant du réflexe à la réflexion.

Se posent alors 3 questions : un RIC serait déclenché par qui ? Sur quoi ? Avec quelle portée ?
Étudions 2 types idéaux avant de s’interroger sur d’autres solutions pour améliorer notre
démocratie.

1. Le RIC pleinement accepté, porteur de poisons

• Premier trait d’un référendum d’initiative citoyenne très ouvert, il peut intervenir en tous
domaines, législatif, conventionnel, constitutionnel.

• Deuxième élément de la pleine ouverture : il peut être déclenché par une faible minorité de
citoyens : en Suisse, 50 000 soit environ 1 % du corps électoral pour le référendum législatif, porté
à 100 000 pour une initiative de révision constitutionnelle. Ce qui donnerait en France
respectivement 450 000 et 900 000 électeurs.

• Troisième trait, le référendum doit être décisionnaire, soit d’abrogation, soit d’adoption d’une loi,
constitutionnelle, organique ou ordinaire, soit d’un règlement.

• Quatrième particularité du RIC intégral, il serait révocatoire, c’est-à-dire susceptible de mettre un


terme au mandat de tout élu, président de la République inclus.
Imaginons un instant les conséquences de l’adoption d’un tel type de référendum en France.
François Mitterrand aurait été révoqué au bout de 2 ans, Jacques Chirac au bout de 6 mois, ses
successeurs auraient connu à un moment ou un autre le même sort. La France aurait-elle été mieux
gouvernée ? La vérité est qu’elle se serait retrouvée nettement plus ingouvernée.

Supposons maintenant que le RIC soit accepté hors la révocation des élus.

• Référendum constitutionnel : combien de temps avant le rétablissement de la peine de mort ?


L’enfermement sans jugement de tous les « fichiers S » radicalisés ? La légalisation de la torture
pour faire parler les terroristes islamistes ? Autrement dit la mutilation d’un droit pénal civilisé.
Combien de temps avant la suppression de toute aide sociale pour les étrangers en situation
régulière ? L’adoption de la préférence nationale dans l’accès au logement ou à l’emploi ?
Autrement dit l’instauration d’un droit social xénophobe.

• Référendum conventionnel : comment éviter la sortie de l’Union européenne votée au premier


moment nationaliste venu ? A-t-on bien médité la gravité du Brexit britannique : 37% des électeurs
inscrits qui imposent un bouleversement total de l’avenir de leur pays, sans que les plus concernés,
les expatriés n’aient pu voter, et alors que 2 des nations des 4 nations qui composent le Royaume-
Uni, l’écossaise et l’irlandaise du nord, ont voté pour le maintien dans l’Union européenne ?

• Référendum législatif ou réglementaire : comment éviter la suppression de la redevance


audiovisuelle, et partant la disparition de l’audiovisuel public, France culture, musique, inter, France
2, 3, 4, 5, … ? La diminution drastique ou suppression de la CSG, mettant les finances publiques
dans un état catastrophique ? Comment croire que ne serait pas votée un jour ou l’autre la
disparition des limitations de vitesse, malgré les milliers de morts supplémentaires qui
s’ensuivraient ?

D’aucuns objectent l’exemple suisse. Illusion et négation. Illusion qu’il existe des constitutions
idéales en soi, urbi et orbi, en tout temps et en tout lieu. Des procédures parfaites, quel que soit le
peuple, quelle que soit la période historique. Négation de tout ce qui fait la spécificité suisse, le pays
le plus fédéral du monde, possédant 4 langues officielles, l’allemand, le français, l’italien et le
romanche, pratiquant une démocratie de concordance dans laquelle tous les partis gouvernent
ensemble. Imagine-t-on un pays adoptant par référendum la création d’une vignette automobile ?
Les Suisses l’ont fait, en 1984. Un peuple refusant par référendum de supprimer leur redevance
audiovisuelle, une des plus chères du monde ? Les Suisses l’ont fait, en 2018. Notons d’ailleurs que
ces référendums exceptionnellement anti-démagogiques, les cantons de langue allemande, en
première ligne, se distinguent nettement des francophones, nettement plus rétifs aux taxes et impôts.

Bref, pas tout de suite, pas toujours, mais rapidement et souvent un référendum d’initiative
citoyenne totalement consacré produirait en France des effets néfastes ou catastrophiques.

2. Le RIC sérieusement contrôlé, vecteur de frustrations

Qu’à cela ne tienne, prenons ces objections en considération et inventons un référendum d’initiative
citoyenne encadré. Rappelons que notre Constitution a été amendée en ce sens en 2018 : « Un
référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un
cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes
électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet
l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le


respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi
organique, le président de la République la soumet au référendum. » (Const., art. 11, al. 3 à 5,
créés ; L. const. n° 2018-724, art. 4, 2e . – V.JCP G 2008, I, 177, Étude B. Plessix)

La révision a multiplié les filtres : le domaine, qui ne peut être constitutionnel, le contrôle en amont
du Conseil constitutionnel, l’initiative qui exige le soutien d’abord de 185 parlementaires puis de
4,5 millions des citoyens, le barrage final puisque à supposer que les 3 premiers aient été franchis,
le constitutionnel, le parlementaire et le citoyen, le seul examen de l’initiative par le Parlement
fermerait la voie référendaire. Résultat : aucun référendum « d’initiative partagée » en 10 années.

Réduisons les filtres, suggèrent les bons esprits qui veulent sauver le RIC. Mais jusqu’à quel point ?
Excluez les domaines constitutionnel, pénal, budgétaire afin d’éviter les pires les plus évidents, et
vous créerez déjà de grandes frustrations. Vous n’éviterez pas pour autant les risques d’accès de
fièvre xénophobe. Mettez également hors domaine référendaire ce qui concerne les étrangers. La
frustration se transformera chez beaucoup en fureur. Et viendra encore la suppression des radars ou
des limitations de vitesse. Considérez-les comme exclues car elles touchent aux recettes de l’État ou
au droit pénal, via les contraventions ? Mais alors que restera-t-il dans le domaine référendaire ?
Les grandes questions sociétales, l’avortement, le mariage pour tous, le cannabis, l’euthanasie…
Trois de ces 4 sujets relèvent au moins pour part du droit pénal, par hypothèse exclu d’un RIC filtré.
Le domaine résiduel se trouve alors réduit comme peau de chagrin.

Bref, un référendum d’initiative citoyenne bien contrôlé pour en éviter les poisons ne serait plus
qu’une illusion.
3. Les autres solutions

Que le présidentialisme français, si particulier, assure une stabilité du pouvoir choisi par les
électeurs, laquelle nous fit si longtemps défaut, les esprits encore rationnels et de bonne foi ne le
contesteront pas. Mais que notre démocratie laisse à désirer, qu’elle soit l’objet d’une défiance
continue, qu’il faille donc trouver des moyens pour mieux impliquer les citoyens dans notre vie
politique, les mêmes, et nombre d’autres, l’admettront sans difficulté. Les contradictions du
mouvement des « gilets jaunes », ses incohérences et ses démagogies, sa dimension largement
égotiste, très envieuse des plus riches et indifférente aux plus pauvres, ses dérives haineuses,
incendiaires et racistes ne doivent pas servir d’alibi pour cacher ce que ce mouvement révèle du
sentiment d’exclusion dont souffrent nombre de nos concitoyens.

Si le RIC charrie beaucoup plus de risques que de bienfaits, il faut chercher ailleurs. Notre
démocratie doit être tout à la fois plus représentative et plus participative.

• Une démocratie plus représentative, la solution existe, elle est pratiquée par la plupart des
pays du continent européen. - Il s’agit d’adopter une véritable représentation proportionnelle au
Parlement. Le Front national a obtenu moins de 2 % des élus avec près de 9 % des suffrages
exprimés au second tour des élections législatives. Même s’il porte une part de responsabilité, étant
incapable d’avoir les alliés nécessaires pour ne pas être marginalisé, cette sous-représentation paraît
injuste. Indépendamment de cette correction, la proportionnelle éviterait que le parti du Président
domine l’Assemblée. Elle exigerait la formation d’une véritable coalition pour gouverner. Elle
donnerait à l’Assemblée nationale une force qui lui fait défaut pour contrebalancer la puissance
présidentielle. Un mode de scrutin à l’allemande permettrait d’avoir une moitié des députés élus au
scrutin majoritaire, très ancrés dans leur circonscription et une seconde davantage reliée aux
programmes nationaux des partis garantissant la juste représentation de l’ensemble des électeurs.
• Une démocratie plus participative, des mécanismes doivent être inventés ou creusés. - Le
droit de pétition existe de longue date mais ne fonctionne pas bien. Les nouvelles technologies
devraient permettre de le vivifier. Un site numérique simple et dont la promotion serait assurée
s’ouvrirait à la signature de tous les électeurs, voire tous les résidents réguliers. Franchir un seuil,
par exemple de 500 000 signatures pour les demandes de nature législative ou réglementaire, deux
millions pour celles de nature constitutionnelle, cela dans un délai de 100 jours et la pétition devrait
obligatoirement faire l’objet d’un débat au Parlement.

Par ailleurs, des sondages participatifs ou conférences de citoyens pourraient être utilisés sur une ou
deux questions politiques par an. Ils associeraient un panel de citoyens avec des experts
indépendants et auditionneraient les membres du Gouvernement concernés avant la présentation
d’un projet de loi. Ces procédures ont parfois été utilisées mais peu médiatisées et sans organiser à
un stade du processus la confrontation avec les gouvernants.

D’autres pistes restent à imaginer afin de faire surgir de nouveaux lieux de rencontre entre
gouvernants et gouvernés, des ronds-points de la démocratie.

Document n° 18 : Conseil constitutionnel, Décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition


de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de
Paris

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, le 10 avril 2019, par le président de


l'Assemblée nationale, sous le n° 2019-1 RIP, conformément au quatrième alinéa de l'article 11 et au
premier alinéa de l'article 61 de la Constitution, de la proposition de loi visant à affirmer le caractère
de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris.

Au vu des textes suivants :


 la Constitution, notamment ses articles 11 et 40 ;
 l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel, notamment son article 45-2 ;
 la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l'article 11 de la
Constitution, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-681 DC du 5
décembre 2013 ;

Au vu des pièces suivantes :


 les observations du Gouvernement, enregistrées les 23 avril 2019 ;
 les observations de M. Sébastien Nadot, député, enregistrées le même jour ;
 les observations en réponse de Mme Valérie Rabault et plusieurs autres députés, enregistrées
le 29 avril 2019 ;
 les observations en réponse de M. Gilles Carrez, député, enregistrées le même jour ;
 les observations en réponse de M. Patrick Kanner, sénateur, enregistrées le même jour ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La proposition de loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été déposée sur le bureau
de l'Assemblée nationale, en application du troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution.
2. Aux termes des premier, troisième, quatrième et sixième alinéas de l'article 11 de la Constitution :
« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou
sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au
référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes
relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics
qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la
Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. »« Un référendum portant
sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des
membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.
Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une
disposition législative promulguée depuis moins d'un an ».
« Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le
respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique. »
« Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition
de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux
ans suivant la date du scrutin ».
3. Aux termes de l'article 45-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus : « Le
Conseil constitutionnel vérifie, dans le délai d'un mois à compter de la transmission de la
proposition de loi :« 1° Que la proposition de loi est présentée par au moins un cinquième des
membres du Parlement, ce cinquième étant calculé sur le nombre des sièges effectivement pourvus
à la date d'enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel, arrondi au chiffre
immédiatement supérieur en cas de fraction ;
« 2° Que son objet respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l'article 11 de
la Constitution, les délais qui y sont mentionnés étant calculés à la date d'enregistrement de la
saisine par le Conseil constitutionnel ;
« 3° Et qu'aucune disposition de la proposition de loi n'est contraire à la Constitution ».
4. En premier lieu, la proposition de loi a été présentée par au moins un cinquième des membres du
Parlement à la date d'enregistrement de la saisine du Conseil constitutionnel.
5. En deuxième lieu, elle a pour objet de prévoir que « l'aménagement, l'exploitation et le
développement des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et de Paris-Le Bourget
revêtent le caractère d'un service public national au sens du neuvième alinéa du préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 ».
6. Il en résulte que cette proposition de loi porte sur la politique économique de la nation et les
services publics qui y concourent. Elle relève donc bien d'un des objets mentionnés au premier
alinéa de l'article 11 de la Constitution.
7. Par ailleurs, à la date d'enregistrement de la saisine, elle n'avait pas pour objet l'abrogation d'une
disposition législative promulguée depuis moins d'un an. Et aucune proposition de loi portant sur le
même sujet n'avait été soumise au référendum depuis deux ans.
8. En dernier lieu, aux termes du neuvième alinéa du Préambule de 1946 : « Tout bien, toute
entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un
monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Si la nécessité de certains services
publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle, la détermination des
autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l'appréciation du
législateur ou de l'autorité réglementaire selon les cas.
9. L'aménagement, l'exploitation et le développement des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle,
Paris-Orly et Paris-Le Bourget ne constituent pas un service public national dont la nécessité
découlerait de principes ou de règles de valeur constitutionnelle. La proposition de loi, qui a pour
objet d'ériger ces activités en service public national, ne comporte pas par elle-même d'erreur
manifeste d'appréciation au regard du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la proposition de loi est conforme aux conditions fixées par
l'article 11 de la Constitution et par l'article 45-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 tels qu'ils
sont rédigés.
11. Dès lors, l'ouverture de la période de recueil des soutiens des électeurs à la proposition de loi
doit intervenir dans le mois suivant la publication au Journal officiel de la République française de
la présente décision. Le nombre de soutiens d'électeurs inscrits sur les listes électorales à recueillir
est de 4 717 396.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - La proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public
national de l'exploitation des aérodromes de Paris est conforme aux conditions fixées
par l'article 11 de la Constitution et par l'article 45-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7
novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Article 2. - L'ouverture de la période de recueil des soutiens des électeurs à la
proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de
l'exploitation des aérodromes de Paris doit intervenir dans le mois suivant la publication
au Journal officiel de la présente décision.
Article 3. - Jusqu'à l'intervention de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel
constatera si la proposition de loi a recueilli le soutien d'au moins 4 717 396 électeurs
inscrits sur les listes électorales, l'examen de la proposition de loi par le Parlement est
suspendu.
Article 4. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 mai 2019, où siégeaient : M.
Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes
Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques
MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 9 mai 2019.

Document n° 19 : Communiqué de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel

Les décisions du Conseil constitutionnel relatives, d’une part, à la proposition de loi dite du «
référendum d’initiative partagée » (RIP) concernant Aéroports de Paris (ADP) et, d’autre part, à la
disposition de loi autorisant la privatisation d’ADP appellent de ma part deux observations.

1/ Le Conseil constitutionnel a pour office de juger si un texte de loi dont il est saisi est conforme
ou non à la Constitution et pas de dire si ce texte lui apparaît bon ou mauvais en opportunité.
Or, le texte de l’article 11 de la Constitution et la loi organique qui en fait application pour
l’institution du RIP comportent une rédaction parfaitement claire. Pour être recevable, il faut que la
proposition de loi remplisse trois conditions : être signée par au moins un cinquième des
parlementaires ; c’est le cas puisque le nombre minimum requis est de 185 parlementaires alors que
248 l’ont signée ; être relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation
et aux services publics qui y concourent : c’est également le cas puisqu’elle vise à ériger ADP en
service public national ; enfin, ne pas porter sur une disposition promulguée depuis moins d’un an, à
la date d’enregistrement de la saisine par le Conseil constitutionnel : à cette date, la loi concernant
l’éventuelle privatisation d’ADP n’avait – même s’il s’en fallait de peu – pas été votée, ni a fortiori
promulguée. On peut être favorable ou critique envers ces dispositions, elles sont rédigées ainsi.

2/ Entre la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai concernant la proposition de loi présentée


dans le cadre de la procédure du RIP et sa décision validant le 16 mai le projet de loi Pacte
autorisant la privatisation d’ADP, il y a pleine cohérence juridique.
La première s’inscrit dans le cadre d’une procédure permettant, si elle aboutit, de déclarer ADP «
service public national », ce qu’il n’est pas aujourd’hui ; la seconde confirme que, aujourd’hui, ADP
n’est pas un service public national et elle juge qu’il n’est pas non plus un « monopole de fait », ce
qui, en application de la jurisprudence du Conseil, permet juridiquement sa privatisation. La
circonstance que, compte tenu du lancement de la procédure du RIP, cette privatisation puisse en
fait être rendue plus difficile peut sans doute donner matière à réflexion sur la manière dont cette
procédure a été conçue, mais nul ne saurait ignorer la lettre de la Constitution et de la loi organique
que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter.
Document n°20 : Proposition de loi constitutionnelle relative à l’instauration du référendum
d’initiative citoyenne enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2021

Article unique
L’article 89 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « , ainsi qu'aux citoyennes et citoyens ayant droit
au vote. »
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, après le mot : « révision » sont insérés les mots : « , sauf lorsqu’elle est à
l’initiative des citoyennes et citoyens, ».
b) Après la même première phrase, sont insérées neuf phrases ainsi rédigées : « Lorsque la
proposition de révision est à l’initiative des citoyennes et citoyens, elle doit explicitement
mentionner le titre, le but de la proposition, le texte intégral de la proposition et l’identité du ou des
porteurs de l’initiative. Ceux-ci pourront retirer leur proposition avant le dépôt des signatures s’ils
considèrent que le Gouvernement a tenu compte de leur proposition. La proposition est déposée
auprès d’un tribunal d’instance qui dispose d’un délai de vingt jours à compter du dépôt pour statuer
sur sa conformité à la forme décrite à l’alinéa précédent à l’issue duquel une proposition est
considérée comme valide. Une proposition valide est publiée officiellement et est accompagnée
d’un support papier et numérique où les citoyens pourront apporter leur soutien. En cas de rejet, le
tribunal d’instance produit une décision publique en motivant les raisons. La proposition doit
recueillir 700 000 signatures de citoyennes et citoyens ayant droit au vote dans un délai de dix-huit
mois à compter de la publication officielle de leur initiative. Les signatures, en format papier ou
numérique, doivent être accompagnées du nom d’usage, prénom, date de naissance et adresse du
signataire. La validité des signatures est contrôlée par la Cour de cassation dans un délai qui ne peut
dépasser une durée maximale de quatre mois. Une fois validée ou le délai expiré, le Président
soumet la proposition de révision au référendum dans un délai compris entre trois mois et un an. »
c) Il est complété par la phrase : « Celle-ci sera alors mise en application dans un délai maximal de
six mois. »
3° Le troisième alinéa est supprimé.

Document n°21 : Extrait du rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l’administration générale de la République, sur la proposition de loi
constitutionnelle visant à modifier les conditions de déclenchement du référendum d’initiative
partagée enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022

I. LA QUESTION DE LA PARTICIPATION DU PEUPLE EN DÉMOCRATIE

Dans la Constitution de 1958, le peuple français est le seul titulaire de la souveraineté nationale.
Pourtant, une crise démocratique se manifeste selon des formes différentes et parfois antinomiques,
dans un contexte de tarissement du recours au référendum et, plus généralement, d’inefficacité des
processus institutionnalisés d’initiative populaire.

A. LE PEUPLE FRANÇAIS, SEUL TITULAIRE DE LA SOUVERAINETÉ


NATIONALE
Traditionnellement pensées comme opposées, les notions de souveraineté nationale et populaire
sont réconciliées dans la Constitution de 1958.
L’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 reflète le principe de la
souveraineté nationale ; il dispose que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement
dans la Nation ». À contrario, la notion de souveraineté populaire est souvent associée à des
mécanismes de démocratie directe ou participative : référendums ou consultations des citoyens,
assemblées délibératives…
L’article 3 de la Constitution de 1958, dans la continuité de la Constitution de 1946, concilie
souveraineté nationale et souveraineté populaire. Il dispose que « la souveraineté nationale
appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le Conseil
constitutionnel a eu l’occasion de préciser cette notion, en considérant que « seuls peuvent être
regardés comme participant à l'exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français
élus dans le cadre des institutions de la République » ([2]), ce qui est le cas des membres du
Parlement ([3]) .

Comme de nombreux pays européens, la France connaît toutefois une crise de la démocratie
représentative qui prend des formes variables.
La montée de l’abstention en est la manifestation principale. Pour s’en tenir aux élections
nationales, l’abstention s’est établie à 26,3 % au premier tour et 28 % au second tour des élections
présidentielles de 2022, deuxièmes niveaux les plus élevés depuis 1965. Pour les élections
législatives de 2022, l’abstention était de 52,5 % au premier tour – un taux jamais observé depuis
1958 – et 53,8% au second tour. Ces élections ont pourtant été, depuis longtemps, les plus
mobilisatrices. Le taux élevé d’abstention illustre le caractère insatisfaisant de ce qui reste la
modalité la plus fréquente d’exercice par le peuple de sa souveraineté.
Dans le même temps, le dernier référendum organisé date de 2005 soit près de vingt ans, et son
résultat a ensuite été contourné par le vote du Parlement.
Dans ce contexte, l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne effectif s’est imposé, aux
côtés des revendications sociales, comme l’une des revendications principales du mouvement des
« Gilets jaunes », apparu à l’automne 2018. Le référendum réclamé par les Gilets jaunes présente
plusieurs composantes : les citoyens devraient pouvoir initier une révision constitutionnelle,
abroger une loi, révoquer un élu et adopter une mesure d’ordre législatif ([4]).

B. UNE PARTICIPATION DIRECTE À LA DÉMOCRATIE QUI RESTE LIMITÉE

L’apparente désuétude du référendum dans le contexte politique actuel, comme la méconnaissance


des autres outils en faveur de l’initiative populaire, illustrent les limites de la démocratie dite
« directe » ou « semi-directe ».

1. Le référendum sous la Vème République reste un outil aux mains du Président de la


République

 Le retour du référendum dans la Constitution de 1958

La pratique des plébiscites bonapartistes avait largement décrédibilisé l’usage du référendum, qui
s’était limité à l’adoption de textes constitutionnels depuis la chute du Second empire ([5]). Le
référendum législatif n’a pleinement fait son retour dans le dispositif constitutionnel français qu’en
1958.
Deux types de référendums à l’échelle nationale sont ainsi prévus dans le texte adopté en 1958 :
– l’article 11 permet au Président de la République de soumettre au référendum un projet de loi
portant sur des domaines précis, à savoir « l’organisation des pouvoirs publics » ou « la
ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le
fonctionnement des institutions ». Par la suite, le champ possible du référendum a été élargi aux
« réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux
services publics qui y concourent » ([6]) .
– l’article 89 prévoit un référendum pour l’approbation de toute révision de la Constitution. Une
procédure alternative est toutefois prévue : le projet de révision peut aussi être soumis au Parlement
convoqué en Congrès, qui doit l’approuver à la majorité des trois cinquièmes des suffrages
exprimés.
D’autres types de référendum ont été inscrits dans la Constitution depuis 1958. Il s’agit de
référendums d’ordre local, du référendum de l’article 88-5 permettant aux électeurs de valider
« tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union
européenne » ([7]) et du référendum d’initiative partagée introduit en 2008.

 Le tarissement de sa pratique, faute de place laissée à l’initiative des autres acteurs


politiques et des citoyens

La pratique de l’outil référendaire a surtout été mise en œuvre que sous la présidence du général De
Gaulle, avant de s’essouffler. À titre d’exemple, sur les 24 révisions constitutionnelles effectuées à
ce jour, seules deux ont été validées par référendum : la fin du septennat en 2000 et l’instauration de
l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962 ([8]) .
La victoire du « non » lors du référendum de 2005 sur la Constitution européenne avec près de 70%
de participation semble avoir durablement marginalisé le recours au référendum en France par les
présidents de la République
Le rôle clef du Président de la République doit ici être pris en compte. C’est lui qui, certes sur
proposition du Gouvernement, peut soumettre au référendum un projet de loi portant sur les
matières énumérées à l’article 11. C’est également lui qui, en décidant de convoquer le Parlement
réuni en Congrès, peut décider de s’affranchir du recours au référendum pour l’adoption d’une
révision constitutionnelle. Faute de pouvoir être déclenché à l’initiative du Parlement ou des
citoyens, le référendum est, en quelque sorte, « confisqué ». Cet état de fait n’est pas étranger au
risque de dérive plébiscitaire. Il s’agit d’un des principaux arguments avancés à l’encontre du
référendum, certains considérant que les citoyens se prononcent parfois moins sur la question que
sur la personne qui la pose – le Président.

2. L’initiative citoyenne est par ailleurs peu utilisée


 Les espoirs déçus du « référendum d’initiative partagée » introduit en 2008
Dans ce contexte, l’introduction d’un « référendum d’initiative partagée » à l’article 11, à l’occasion
de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a pu apparaître comme une avancée. Il permet
l’organisation d’un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa de cet article à
l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs
inscrits sur les listes électorales. Le mécanisme, précisé par la loi organique du 6 décembre 2013,
s’est avéré hybride et inutilisable.
Inutilisable, car les seuils d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des
électeurs (soit environ 4,7 millions de personnes), sont trop élevés pour permettre l’exercice effectif
de ce droit. En pratique, ils ne permettent pas aux électeurs de se saisir pleinement des possibilités
offertes par cet article.

Les seuils nécessaires à l’initiative populaire : quelques exemples étrangers

En Italie, dont la population est comparable à celle de la France, 500 000 signatures suffisent
pour demander l’abrogation d’une loi en vigueur. 50 000 électeurs peuvent par ailleurs exercer une
initiative législative.
En Suisse, souvent citée en modèle, 50 000 signatures sont requises pour demander un référendum
législatif abrogatoire, ce qui représente environ 0,9 % d’un corps électoral de 5,5 millions de
personnes. Pour une initiative tendant à réviser la Constitution, 100 000 signatures sont requises.
Aux États-Unis, le nombre de signatures requises est souvent défini par rapport au nombre de
votants aux dernières élections et non par rapport au total des inscrits : en Californie, 5 % du
nombre de votants.
Hybride, car même si ces seuils sont atteints, cela ne suffit pas pour déclencher un référendum. Le
Président de la République ne soumet la proposition de loi à référendum que si elle n’est pas
examinée par les deux assemblées dans le délai de six mois fixé par la loi organique. Elle peut ainsi
être rejetée, substantiellement modifiée ou vidée de sa substance.
Pour reprendre les mots du juriste Antonin Gelblat, auditionné par votre rapporteur, ce dispositif
semble avoir « été conçu pour ne pas servir ». De fait, les seuils requis n’ont jamais été atteints.
Dans sa décision du 9 mai 2019 ([9]) , le Conseil constitutionnel a jugée conforme aux conditions
fixées par l’article 11 de la Constitution une proposition de loi cosignée par plus de 185
parlementaires visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des
aérodromes de Paris. S’est donc ouverte une période de neuf mois, au cours de laquelle la
proposition a recueilli le soutien de 1 093 030 personnes. Le 26 mars 2020, le Conseil a donc
constaté que cette proposition de loi n’avait pas atteint le seuil de signatures requis malgré des
chiffres significatifs.
Il s’agit de la seule fois où la phase de recueil des signatures a été mise en œuvre ; plus récemment,
le 25 octobre 2022, le Conseil s’est prononcé sur la proposition de loi portant création d’une
contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Il a jugé qu’elle
ne portait pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique
économique de la nation et ne satisfaisait donc pas aux conditions posées ([10]). C’était seulement la
deuxième fois en quatorze ans que le Conseil était saisi par plus de 185 parlementaires.

 La révision constitutionnelle avortée de 2019

Préparé à la suite du Grand débat national après le mouvement des Gilets jaunes, le projet de loi
constitutionnelle pour un renouveau démocratique ([11]) prévoyait déjà l’élargissement du champ du
référendum et l’assouplissement des conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative
partagé.
Son article 2 prévoyait, en particulier, l’extension du champ possible du référendum de droit
commun et du référendum d’initiative partagée, pour inclure les questions de société et
l’organisation des pouvoirs publics territoriaux. L’article 9 prévoyait le partage de l’initiative entre
parlementaires et citoyens, et abaissait le nombre de soutiens requis pour déclencher la procédure de
référendum d’initiative partagée.
Sa discussion ayant été abandonnée, ces dispositions n’ont jamais pu être adoptées ni même
débattues.

Les autres dispositifs d’initiative citoyenne

Le dispositif se rapproche en certains points, d’une simple initiative en matière législative, par
laquelle les citoyens demandent à une assemblée ou une institution de se prononcer sur un sujet,
sans pour autant être amenés à prendre position par référendum.
Il apparaît donc pertinent de présenter brièvement les dispositifs existant en ce sens, qui, d’une
façon générale, souffrent d’un manque de visibilité.

Les pétitions devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE)


Selon l’article 69 de la Constitution, le CESE peut être saisi par voie de pétition, dans les conditions
fixées par une loi organique ([12]) . Les conditions relatives à la recevabilité de la pétition sont plus
souples que pour le référendum d’initiative partagée : 150 000 personnes (contre 500 000 avant
2021), âgées de seize ans et plus, de nationalité française ou résidant régulièrement en France.
Le CESE examine les pétitions reçues et fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites
qu’il propose d’y donner, par un avis en assemblée pleinière. Il a ainsi rendu une dizaine d’avis dans
ce cadre depuis la création du dispositif.

Les pétitions devant les assemblées parlementaires


Un droit de pétition existe aussi devant les assemblées parlementaires ([13]). En ce qui concerne
l’Assemblée nationale, elles sont adressées au Président et renvoyées à la commission compétente,
qui décide de les classer ou de les examiner. Sur proposition du président de la commission
compétente ou d’un président de groupe, un débat sur un rapport relatif à une pétition signée par
plus de 500 000 pétitionnaires, domiciliés dans trente départements ou collectivités d’outre-mer au
moins, peut être inscrit à l’ordre du jour par la Conférence des présidents.
La procédure, méconnue, paraît aujourd’hui délaissée au profit d’autres modes d’interaction entre
les citoyens et les parlementaires.

L’initiative citoyenne européenne et les pétitions devant le Parlement européen


Au niveau européen, l’initiative citoyenne européenne mise en place en 2011 ([14]) permet à un
million de citoyens européens provenant d’un quart des États membres d’interpeller la Commission
européenne pour lui demander de légiférer dans un domaine relevant de sa compétence. Depuis
2012, 5 initatives dans ce cadre ont abouti, obligeant la Commission euroépenne à apporter une
réponse.
Les citoyens ont aussi un droit de pétition devant le Parlement européen ([15]). Celui-ci reçoit dans ce
cadre environ un millier de pétition par an, à la suite desquelles il peut appeler la Commission à
agir.

II. LE RÉFÉRENDUM D’INITIATIVE PARTAGÉE, DES PAROLES AUX ACTES

A. UN OUTIL AU SERVICE D’UNE DEMOCRATIE PLUS DYNAMIQUE ET PLUS


EFFICACE

Le référendum d’initiative partagée présente des avantages intrinsèques et apparaît comme un


élément de réponse à certaines difficultés rencontrées par la démocratie.

1. Remettre les citoyens au cœur du débat public


Contrairement à ce qui est souvent défendu, en particulier par les opposants au référendum, l’appel
direct aux citoyens par la voie du référendum ne doit pas être pensé comme concurrent du rôle du
Parlement. Au contraire, le référendum d’initiative partagée présente un réel intérêt dans le système
institutionnel français, marqué par la concentration du pouvoir aux mains d’un Président de la
République politiquement irresponsable, ainsi qu’une polarisation des débats publics autour de sa
personne et de son élection :
– L’initiative partagée, citoyenne soutenue par le Parlement ou inversement, permettrait de briser le
monopole actuel du Président sur le recours au référendum et contribuerait à rapprocher citoyens et
parlementaires. L’initiative citoyenne favoriserait la diversification des instigateurs de l’agenda
politique au-delà du président de la République et du gouvernement ;
– Le cas échéant, si le processus aboutit à l’organisation d’un référendum, il permettrait une
expression directe plus fréquente de la souveraineté nationale en dehors des seules phases
d’élections.
Ces dynamiques éloigneraient également le référendum de sa lecture plébiscitaire.
Le niveau actuel de l’abstention ne doit pas être considéré comme un obstacle, si l’on considère que
cette dernière est, au moins en partie, due à un sentiment d’inutilité du vote ou d’absence
d’identification à un candidat ([16]) . Le référendum d’initiative partagée permet aux citoyens de
prendre une décision directement, à l’issue d’un processus ayant impliqué également les
parlementaires, dans une logique de complémentarité et non de concurrence.

2. Favoriser la délibération publique


Un autre argument à l’encontre du recours au référendum est le caractère impulsif, irraisonné et
irrationnel des décisions qu’il engendrerait.
Dans le processus législatif « classique », la discussion parlementaire doit permettre de confronter
les différents arguments pour faire émerger une décision éclairée. Pourquoi, dès lors, ne pas
envisager que le référendum soit précédé d’une phase de délibération collective organisée de façon
institutionnalisée, afin de permettre un réel débat citoyen et d’éclairer les électeurs sur les
conséquences de leur choix ? Léon Gambetta, dans un discours sur le projet de plébiscite visant à
modifier la Constitution impériale en mai 1870, observait que « pour que le peuple prenne science
et conscience, il faut qu’il y ait eu débat, il faut qu’il y ait eu controverse, il faut qu’il y ait eu
discussion ».
Plusieurs pays étrangers prévoient déjà d’associer des mécanismes de délibération à l’organisation
des référendums. L’Oregon en est le principal exemple. Avant la mise au vote d’une initiative
populaire, une assemblée de 25 personnes est tirée au sort. Elle est chargée de travailler sur les
principaux enjeux et arguments pour et contre la proposition soumise au vote, et produit une note
qui est fournie aux électeurs. En Irlande, à partir de 2012, une convention de citoyens tirés au sort et
de parlementaires a travaillé sur plusieurs sujets pour fournir des recommandations, dont une partie
a été soumise à référendum à partir de 2015 ([17]).
Associé à ce type de mécanismes, le référendum d’initiative populaire ne tire pas sa valeur du seul
fait qu’il permet l’expression citoyenne le jour du vote ; il met aussi en œuvre une démocratie
délibérative, complémentaire de la démocratie directe.

3. Renforcer la légitimité des décisions ainsi adoptées, pour une action publique plus efficace
Enfin, la participation directe des citoyens à la délibération et à la décision pourrait permettre
d’améliorer l’acceptabilité des mesures qui en découlent, perçues comme plus consensuelles ou au
moins plus légitimes. Pour le politologue Bastien François, auditionné par votre rapporteur, le
caractère plus inclusif de la décision – prise non par les seuls « sachants », mais par l’ensemble des
citoyens – permettra de répondre plus efficacement aux enjeux politiques ou environnementaux qui
se poseront au cours des décennies à venir et qui nécessitent des choix nets.

B. POUR UNE INITIATIVE ACCESSIBLE ET RÉELLEMENT PARTAGÉE

La présente proposition de loi, loin d’épuiser le sujet, a néanmoins vocation à constituer un premier
pas vers une meilleure expression des citoyens. Elle tend à rendre effectif un dispositif qui, dans son
principe, paraît largement souhaité par l’ensemble du spectre politique, puisqu’il a été introduit dans
la Constitution sous la présidence de Nicolas Sarkozy et aurait dû être révisé sous la présidence
d’Emmanuel Macron et que les partis politiques composant la Nouvelle Union Populaire
Ecologique et Sociale ont été à l’initiative des deux tentatives d’y avoir recours. Le moment est
donc venu d’initier une réforme dans une logique de compromis, sans attendre une révision
constitutionnelle de plus grande ampleur.
En premier lieu, l’initiative permettant de soumettre un texte au référendum en l’absence d’examen
parlementaire aurait besoin du soutien d’un dixième des parlementaires (soit 93) et d’un million
d’inscrits sur les listes électorales.
La question des seuils est au cœur des débats sur l’initiative citoyenne. Il s’agit de trouver un juste
équilibre entre un niveau suffisamment élevé, pour éviter que des propositions qui ne reflètent pas
une préoccupation de la société puissent passer ce seuil, mais suffisamment accessible pour ne pas
constituer un obstacle.
En tout état de cause, selon la juriste Caroline Cerda-Guzman, auditionnée par votre rapporteur, il
n’appartient pas au seuil de faire office de garde-fou : c’est davantage l’objet de la définition des
matières sur lesquelles peut porter la proposition, et du contrôle exercé par le Conseil
constitutionnel. Or, la présente proposition de loi ne modifie ni l’un, ni l’autre : contrairement à la
révision constitutionnelle envisagée en 2019, elle n’élargit pas le champ des matières concernées,
qui reste le même que celui qui est ouvert au référendum « classique », et le rôle du Conseil
constitutionnel est maintenu.
En second lieu, la proposition de loi permet de rendre l’initiative réellement partagée. À l’heure
actuelle, elle doit émaner des parlementaires, puis recueillir le soutien des citoyens. L’inverse
devrait aussi être rendu possible : les citoyens pourraient prendre l’initiative de présenter une
proposition de texte, qui devrait ensuite recevoir le soutien des parlementaires.
Cette réforme devrait, en tout état de cause, être précisée par la loi organique, dont l’existence est
déjà prévue par la rédaction actuelle de la Constitution.
Ce facteur n’est pas de nature à retarder l’examen de la proposition de loi constitutionnelle, et ce
d’autant plus qu’une révision constitutionnelle issue d’une proposition de loi est une procédure plus
longue que la modification d’une loi organique.

Question : Le RIP est-il un outil efficace de participation directe du peuple à la démocratie ?

E- Vers une démocratie participative ?

Document n°22 : Extrait du site du Conseil économique, social et environnemental à propos


de la convention citoyenne sur la fin de vie

Le 13 septembre, le Président de la République a annoncé le lancement d’une Convention citoyenne


sur la fin de vie, dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental,
conformément à sa mission de carrefour de la participation citoyenne.
Le cadre de l'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou
d'éventuels changements devraient-ils être introduits ?
C’est à cette question centrale que la Convention citoyenne répondra, en réunissant toutes les
conditions de l’organisation d’un débat approfondi et serein sur un sujet complexe touchant à la fois
l’intime et le collectif.
La convention citoyenne réunira 150 citoyennes et citoyens qui pourront directement apporter leur
vécu s’informer de manière éclairée, approfondir pour construire du dialogue, débattre, et enfin
esquisser des perspectives et des consensus.
Pour piloter ce dispositif, le CESE a désigné un Comité de Gouvernance, présidé par Claire Thoury,
membre du CESE, regroupant des membres du CESE, des membres du Comité Consultatif National
d’Éthique, une philosophe spécialisée en éthique de la santé, un membre du Centre National des
Soins Palliatifs et de la Fin de Vie, des experts de la participation citoyenne et des citoyens ayant
participé à la Convention citoyenne sur le climat.
Ce comité de gouvernance est chargé d’assurer le suivi méthodologique du dispositif et de veiller
aux principes de transparence et de neutralité. Il se réunira de façon hebdomadaire jusqu’à la fin
du mois de mars.

« Le sujet de la fin de vie nécessite l’ouverture d’un débat national, un dialogue entre citoyens
issus d’horizons divers, représentatifs des différentes sensibilités qui s’expriment au sein de la
société française, au plus près de la complexité des intérêts et opinions. L’outil convention
citoyenne est idéal pour mener ce débat, et permettre à chacun d’exposer ses avis, pour aboutir à
des propositions communes en respectant toutes les libertés de parole. La redevabilité envers les
citoyens sera une pierre angulaire de nos travaux : cette convention citoyenne doit replacer les
citoyens au cœur de débat public pour irriguer la législation future. Le comité de gouvernance de
la convention citoyenne sur la fin de vie, garant des débats apaisés, sera particulièrement vigilant à
la façon dont les pouvoirs publics se saisiront de ces travaux. ».
Déclaration de Claire Thoury, membre du CESE et présidente du Comité de Gouvernance.
Un tirage des citoyennes et citoyens lancé en octobre
La société Harris Interactive, institut d’études et de sondages, a été mandatée pour réaliser le tirage
au sort à partir de numéros de téléphone générés de façon aléatoire (85 % de portables et 15 % de
fixes) et procéder à des appels téléphoniques afin d’identifier 150 citoyens volontaires représentatifs
de la diversité de la société française.
6 critères de sélection retenus

Afin de garantir un panel représentant la diversité de la société française, le Comité de Gouvernance


a décidé de retenir 6 critères de recrutement :
 Le sexe ;
 L’âge : 6 tranches d’âge, proportionnelles à la pyramide des âges à partir de 18 ans, ont été
définies ;
 Les typologies d’aire urbaine : en se basant sur les catégories Insee, la Convention
respectera la répartition des personnes en fonction du type de territoires où elles résident
(grands pôles urbains, deuxième couronne, communes rurales...) ;
 La région d’origine : en fonction du poids démographique de chaque région française,
l’ensemble des territoires français seront représentés. Les citoyens d’Outre-Mer seront ciblés
via un tirage au sort spécifique sur téléphones portables dont le préfixe est géolocalisé
 Le niveau de diplôme : 6 catégories ont été définies, afin de refléter le niveau de diplôme de
la population française ;
 La catégorie socioprofessionnelle : la Convention Citoyenne reflètera la diversité des CSP
(ouvriers, employés, cadres...) au sein de la population française.

Une attention particulière sera portée aux publics les plus précaires et aux ultramarins, dont le
recrutement peut s’avérer plus difficile.
Le CESE indemnisera les citoyennes et les citoyens tirés au sort pour participer aux travaux, Les
frais de transport, d’hébergement et de restauration seront également pris en charge, et une
indemnité de garde d’enfants sera mise en place
Le tirage au sort devrait s’achever au début du mois de décembre, avant l’installation de la
Convention citoyenne les 9, 10 et 11 décembre prochains au CESE.
Un calendrier en trois temps
La Convention citoyenne sur la fin de vie se déroulera en trois phases de décembre 2022 à mars
2023 :
 Phase d’appropriation et de rencontres
 Phase de délibération
 Phase d’harmonisation et restitution des travaux
Composition du Comité de gouvernance :
 6 représentants du CESE :
o Claire THOURY, Présidente du Comité de Gouvernance, groupe des associations du
CESE
o Fanny ARAV, groupe UNSA du CESE
o Michel CHASSANG, Groupe des professions libérales du CESE
o Benoît GARCIA, groupe CGT du CESE
o Jacques LANDRIOT, Groupe de la coopération du CESE
o Kenza OCCANSEY, Groupe des Organisations étudiantes et mouvements de
jeunesse du CESE
 3 représentants du milieu de la recherche universitaire :
o Cynthia FLEURY, professeure, Conservatoire national des arts et métiers
o Hélène LANDEMORE, professeure de sciences politiques à l’Université de Yale
o Sandrine RUI, maîtresse de conférence et sociologie, chercheure au centre Emile-
Durkheim, Université de Bordeaux, Faculté de sociologie
 2 représentants du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et
de la santé (CCNE) :
o Jean-François DELFRAISSY
o François STASSE
 1 représentant du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) :
o Giovanna MARSICO, Directrice du Centre
 2 citoyens ayant siégé à la Convention Citoyenne pour le Climat :
o Jean-Pierre CABROL
o Mathieu SANCHEZ

Document 23 : Dispositions relatives à la saisie du CESE par voie de pétition

Article 69 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le Conseil économique, social et


environnemental peut être saisi par voie de pétition les conditions fixées par une loi organique.
Après examen de la pétition, il fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu'il
propose d'y donner »

Article 3 de la loi organique du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et


environnemental

L'article 4-1 de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée est ainsi rédigé :

« Art. 4-1.-Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition de
toute question à caractère économique, social ou environnemental.
« La pétition est rédigée en français et adressée par écrit, par voie postale ou par voie électronique,
au Conseil économique, social et environnemental. Elle est présentée dans les mêmes termes par au
moins 150 000 personnes âgées de seize ans et plus, de nationalité française ou résidant
régulièrement en France. La période de recueil des signatures est d'un an à compter du dépôt de la
pétition. […]

Question : Comparez les conditions de participation à la convention citoyenne ou au droit de


pétition du CESE avec les conditions du référendum

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