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QUELQUES JALONS POUR L’INTERPRÉTATION ET L’ÉCOUTE

Pierre-Gilles Guéguen

L'École de la Cause freudienne | « La Cause du Désir »

2021/2 N° 108 | pages 78 à 83


ISSN 2258-8051
ISBN 9782374710372
DOI 10.3917/lcdd.108.0078
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Quelques jalons
pour l’interprétation et l’écoute
Pierre-Gilles Guéguen
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Dans le contexte de la pandémie, les médias français mettent l’accent sur la détresse
psychique qui accompagne ce fléau. En même temps, le système psychiatrique d’état, déficient
depuis bien longtemps, est largement réduit à dispenser des médicaments. Alors que le nombre
de lits ne cesse de se restreindre, il s’agit désormais pour la psychiatrie DSM1 de promouvoir
des traitements rapides de quelques séances standardisées et des méthodes « objectives » rele-
vant pour l’essentiel de formations cognitivo-comportementales et éducatives2.
Le grand public confond souvent la méthode psychanalytique et les diverses formes
d’offre d’écoute de type « SOS psy » qui relèvent de la « bienveillance » et de ce que les Améri-
cains appellent « care » (soft power). Ou encore avec le woke qui donne naissance à des groupes
de support utilisant les méthodes reposant sur la pression de groupe du type « Alcooliques
Anonymes » et qui par leur multiplication aboutissent à des communautarismes radicaux qui
peuvent mener à la violence et renforcer les diverses ségrégations existantes.
Mais, au-delà d’un réconfort passager que ces pratiques peuvent éventuellement
offrir à un qui souffre, la psychanalyse et pour être plus précis – la psychanalyse dans
« L’orientation lacanienne » fait de ces deux termes Écoute et Interprétation une lecture
et un usage beaucoup plus restrictifs que celles des organismes de « Santé mentale » et
des associations d’« aide » téléphonique en tout genre.

Chez les post-freudiens

Tentons de jalonner un chemin qui a été tracé par Lacan et, à sa suite, par Jacques-Alain Miller
au fur et à mesure qu’il établissait ses Séminaires et en tirait des leçons étant bien divergentes

Pierre-Gilles Guéguen est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne.


1. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders.
2. Laurent É., « Les biopolitiques de la pandémie et le corps, matière de l’angoisse », Lacan Quotidien, no 892, 11 juin
2020, publication en ligne (www.lacanquotidien.fr).

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de la pratique des post-freudiens, voire même de celle du premier Lacan.


Ces cours et interventions diverses, expliquent pourquoi ce que la tradition appelle
l’« Écoute » et l’« Interprétation », tout en conservant les signifiants psychanalytiques
freudiens, se sont profondément modifiées dans les registres épistémique, clinique
et politique.
Passons directement au-delà de la période qui a suivi la mort de Freud et la conti-
nuation de la psychanalyse par l’IPA 3. Lacan en a fait partie malgré ses divergences
nombreuses et a su tirer de précieux enseignements des travaux de ses collègues, le plus
souvent, il faut bien le dire, en les examinant à la lumière d’une critique acerbe. En
1958, son écrit intitulé « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » réunis-
sait les principes de cette pratique qu’on appelait alors la cure analytique et, qu’aujour-
d’hui, nous préférons appeler « expérience analytique », justement pour éviter ce que le
terme de cure suggère de pathologisation a priori de l’analysant 4. Lacan n’est jamais
revenu sur ce point, même s’il lui est arrivé, une fois, de parler, d’utiliser l’expres-
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sion « éteindre le symptôme » à la fin de son enseignement.
Dans cette période de la psychanalyse, l’écoute que Lacan prescrit est destinée à
combattre celle que pratiquaient les psychanalystes de l’IPA qui cherchaient avant tout
à appliquer des grilles théoriques d’interprétation. Les exemples critiques sont nombreux
sous la plume de Lacan. S’il laisse relativement hors de sa critique acérée « la géniale
tripière » Mélanie Klein, il ne ménage ni Ernst Kris ni Marcel Bouvet et encore moins
Anna Freud. Retenons principalement qu’en s’opposant à ces analystes, il recommande
principalement à l’analyste lacanien de se tenir éloigné de l’application empirique des
grilles d’interprétation standardisées.
L’expérience d’une analyse part de la demande de l’analysant qui souffre, d’une insa-
tisfaction que Lacan nomme « manque-à-être ».

L’interprétation n’est pas ouverte à tous les sens

Comme c’est encore le cas aujourd’hui, il est posé que, dès le début de l’expérience
– Lacan est sur ce point très ferme – le patient parlera sans restriction ni censure autant
qu’il est possible de ce qui lui vient à l’esprit et que l’analyste « écoutera » en n’interve-
nant que rarement, certes, mais en étant partie prenante dans le dispositif. C’est ce que
la tradition analytique, depuis Freud, avait nommé « interpréter ». Rien ne l’y oblige,
rien ne le guide dans son intervention d’autre que sa propre expérience de l’analyse, du
contrôle et de l’idée qu’il s’en est construit. Dans le Séminaire XI, Les Quatre Concepts
fondamentaux de la psychanalyse, Lacan signale cependant que « L’interprétation n’est
pas ouverte à tous les sens. [...] Elle est une interprétation significative, et qui ne doit
pas être manquée. Cela n’empêche pas que ce n’est pas cette signification qui est, pour
l’avènement du sujet, essentielle. Ce qui est essentiel, c’est qu’il voie, au-delà de cette

3. International Psychoanalytical Association.


4. Cf. Lacan. J., « Variantes de la cure type », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 323-362.

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signification, à quel signifiant – non-sens, irréductible, traumatique – il est, comme


sujet, assujetti 5 ».
Du côté de l’analysant, ce qui est requis, c’est donc un effort de parole pour atteindre
à la vérité du ou des symptômes dont il se plaint. Cet effort, passées les premières
séances, devient souvent plus difficile, plus répétitif, les « révélations » plus rares. Les
répétitions plus systématiques. Du côté de l’analyste, la retenue et la tactique de l’in-
terprétation imposent un silence qui peut être relié à la fuite du temps : « Oui, vous dites
toujours la même chose mais, selon le mot d’Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois
dans le même fleuve ! »
Ainsi, ce que veut dire dans la psychanalyse lacanienne écouter, n’est certainement pas
se coller au sens de tous les signifiants que l’analysant apporte en séance et encore moins
en y rajoutant du sens par des interventions psychologisantes. Pourtant, une bonne
partie des séances est faite de la relation de faits très ordinaires de la vie quotidienne et
de banalités que Lacan avait rangées dans le registre imaginaire.
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Éric Laurent le dit autrement. Il cite le Lacan des Écrits – qualifions-le de « premier
Lacan » – pour rappeler qu’une analyse – encore aujourd’hui – se joue sur différents
plans : « Le “premier Lacan” en distinguait trois : une dimension qui touche au signifié,
celle de l’histoire d’une vie vécue comme histoire et donc cela suppose l’épopée narrée du
sujet, la narration continue de son existence, deuxièmement une dimension signifiante, la
perception de sa sujétion aux lois du langage et troisièmement l’accès à l’intersubjectivité,
au jeu intersubjectif par où la vérité, disait Lacan à cette époque “entre dans le réel” 6 ».
Ce repérage donné par Lacan n’a pas perdu de sa valeur, l’analysant raconte sa vie,
il se fie pour obtenir la vérité au langage ou plutôt à lalangue qu’il parle, à ses sonorités,
sa grammaire, ses homophonies, c’est-à-dire à un savoir qui est de l’Autre, à ce titre il
est parlé par l’Autre. C’est la troisième partie, l’entrée dans le réel, qui pose à l’analyste
les plus grandes difficultés : la nécessité de fixer dans le réel les effets de réduction gagnés
sur le symptôme. Lacan quittera l’interprétation par l’intersubjectivité. Il trouvera l’appui
du structuralisme, puis d’autres solutions interprétatives.
Ainsi dès 1957, il pensait la zone de la fin d’une analyse comme une significantisa-
tion c’est-à-dire un accès réel à la dimension du symbolique, débarrassé des mirages
imaginaires. On devait la chercher dans l’Autre considéré à ce moment comme « garant
de la Bonne Foi nécessairement évoqué, fût-ce par le Trompeur, dès qu’il s’agit non plus
des passes de la lutte ou du désir, mais du pacte de la parole 7 ».

L’écoute de la chaîne signifiante

Nous sommes bien loin du mode d’interprétation analytique qui caractérisait la


psychanalyse à cette époque. Il s’agissait, pour le psychanalyste, de rétablir les signifiants

5. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.A. Miller,
Paris, Seuil, 1973, p. 226.
6. Miller J.-A., « La théorie du partenaire », Quarto, no 77, mars 2002, p. 6-33.
7. Lacan J., « La psychanalyse et son enseignement », Écrits, op. cit., p. 454.

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qui manquaient à l’histoire du sujet, parties refoulées de son histoire en distinguant


particulièrement les signifiants-maîtres, d’abord le Nom-du-Père ou les suppléances ou
les symptômes qui pouvaient en tenir lieu pour l’analysant, et de rétablir le sens de l’his-
toire singulière du sujet, en cherchant à dégager le fantasme qui donne accès au régime
pulsionnel de la jouissance 8. C’est donc vers ce mode d’interprétation que se dirigeait
l’analyste dans son écoute inspirée par une dialectique du désir hégélienne que Lacan
avait reçue de Koyré.
Ce n’est qu’à la fin des Écrits que paraît « La science et la vérité 9 » rédigé en 1965 et
qui marqua profondément l’époque puisque Lacan, à la veille de la rencontre avec les
linguistes à Baltimore en 1966, et juste avant son Séminaire « La logique du fantasme 10 »
qui introduit les concepts logiques d’aliénation et de séparation, en donne pour la
première fois les principes fondés sur le groupe de Klein (aliénation et séparation) 11.
Il y énonce la célèbre formule : « L’inconscient est structuré comme un langage ».
C’est une indication sur l’écoute psychanalytique de l’inconscient qui sépare « l’écoute »
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lacanienne de celle d’autres structuralistes éminents comme Noam Chomsky 12.
Le questionnement sur le réel donne à l’écoute et à l’interprétation une valeur
nouvelle. Freud recommandait ce qu’on a nommé, pour l’écoute, l’attention également
flottante de l’analyste : « Le médecin se comporte ici de la façon la plus appropriée s’il
s’abandonne lui-même dans un état d’attention en égal suspens à sa propre activité d’es-
prit inconsciente, évite le plus possible la réflexion et la formation d’attentes conscientes,
ne veut de ce qu’il a entendu, rien fixer de façon particulière dans sa mémoire et capte
de la sorte l’inconscient du patient avec son propre inconscient. 13 »
L’écoute et l’interprétation qui s’imposent sont désormais configurées par une autre
théorie de l’interprétation qui repose sur l’appui pris sur Saussure : l’écoute, c’est l’écoute
de la chaîne signifiante et le moteur en est la métaphore, tandis que la métonymie signi-
fiante ne propose à l’infini que la fuite du sens. L’accès au réel exige selon Lacan la
traversée du fantasme et un gain de savoir qui authentifierait l’accès de l’analysant à une
vérité sur sa jouissance.

L’effet de trou

C’est un coup de tonnerre longuement préparé dans les Séminaires XVIII et XIX qui
amène Lacan, en 1973, à faire figurer dans son Séminaire Encore à la fois le tableau de
la sexuation et la proposition qui a choqué, qu’en s’efforçant de s’approcher de la vérité
de son être, l’analysant jouit en même temps de son blabla, de tout ce qu’il profère au

8. Miller J.-A., « Marginalia de “Constructions dans l’analyse” », Cahier de l’ACF-VLB, no 3, Rennes, octobre 1994,
p. 4-30.
9. Lacan J., « La science et la vérité », Écrits, op. cit., p. 855.
10. Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, « La logique du fantasme », 1966-1967, inédit.
11. Cf. Comptes rendus d’enseignement 1964-1968, « La logique du fantasme », Ornicar ?, no 29, avril-juin 1984,
p. 13-18.
12. Cf. Milner J.-C., Le Périple structural. Figures et paradigme, Paris, Seuil, 2002, p. 141-175.
13. Freud S., Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 2002.

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cours des séances 14. Infiltré par ses fantasmes et sa jouissance pulsionnelle, le matériel de
sa séance, même s’il tente d’atteindre la vérité de sa souffrance, est aussi un moyen de
la jouissance de son fantasme pour l’analysant car le signifiant travaille pour le sens,
mais aussi pour la jouissance. L’analysant cherche la vérité de l’impasse de son symp-
tôme, mais dans cette recherche empirique, l’analyste ferait mieux de ne pas oublier que
le mot de la fin n’existe pas et qu’on ne peut que mi-dire la vérité rebelle.
Cela figure dans le chapitre que Jacques-Alain Miller a intitulé « Du baroque » dans le
Séminaire Encore 15. Lacan a sidéré son auditoire en quelques phrases : « L’inconscient ce n’est
pas que l’être pense, comme l’implique pourtant ce qu’on en dit dans la science tradition-
nelle – l’inconscient, c’est que l’être, en parlant, jouisse, et, j’ajoute ne veuille rien en savoir de
plus. J’ajoute que cela veut dire – ne rien savoir du tout 16 ». Dès lors, l’analyste doit être averti
que la vérité que l’analysant croit détenir, et dont il perçoit parfois les éclats, est menteuse.
La grande difficulté de l’écoute analytique, l’écueil à éviter à tout prix, est précisément
pour l’analyste de ne pas s’identifier à la jouissance de la parole de l’analysant en séance
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– on peut sans le savoir nous-mêmes, vouloir le Bien de ce dernier. Les impasses dont les
contrôlants font état proviennent souvent du fait qu’ils pensent l’analyse en termes de
guérison, d’éradication du symptôme. C’est souvent ce qui embarrasse ceux qui consul-
tent en contrôle pour leur pratique : ils tendent à communier avec la recherche de vérité
que l’analysant mène sur son symptôme et ils se fourvoient eux-mêmes en y adhérant.
Cet effet a un nom dans l’analyse, c’est le contre-transfert. Il était au programme de l’appui
pris par Lacan sur la dialectique hégélienne qui suppose des effets d’Aufhebung 17, c’est-à-
dire de progrès vers une fin ou le sujet se trouverait réconcilié avec sa jouissance 18.
L’écoute implique le « pas de dialogue » entre l’analysant et l’analyste dans le cadre
des séances. Sur ce point, l’apport de la linguistique a été très important pour Lacan,
notamment la distinction entre métaphore et métonymie qui formalise le langage et
permet de considérer la psychanalyse comme une science du langage, qui ne fait pas
place au sensible. Elle ne fait pas non plus de place à l’analogie mais prend en compte
le manque, le vide qui est le moteur interne de l’analyse : l’effet de trou 19.
En ce sens, elle fonde selon le vœu de Lacan la pratique psychanalytique sur la
logique et les mathématiques. Elle récuse la rhétorique et met l’accent sur le manque
« d’abord par l’écriture du sujet S/ ; le manque de signifiant du sujet (manque à être)
peut s’écrire -1 ou être noté S (A/) sur le graphe du désir 20 ». Je soulignerai dans cette cita-
tion le terme d’écriture qui renvoie à deux textes fondamentaux de Lacan : « Le sémi-
naire sur “La Lettre volée” 21 », en 1955 et « Lituraterre 22 », en 1971.

14. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte etabli par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975.
15. Ibid., p. 95.
16. Ibid.
17. Cf. Écrits, op. cit., « La signification du phallus », p. 692.
18. Cf. Miller J.-A., « Progrès en psychanalyse assez lents », La Cause freudienne, no 78, juin 2011.
19. Laurent É., « Le savoir inconscient et le temps », Hebdo-blog, no 211, 5 juillet 2020, disponible en ligne :
https://www.hebdo-blog.fr/savoir-inconscient-temps/
20. Aflalo A., « “Booz endormi” et Lacan réveillé », Ornicar ?, no 51, janvier 2004, p. 247.
21. Lacan J., « Le séminaire sur “La Lettre volée” », Écrits, op. cit., p. 11.
22. Lacan J., « Lituraterre », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 11.

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« Lituraterre » en particulier inaugure une période où Lacan insiste sur deux aspects
qu’il développera dans son tout dernier enseignement et qui proposent une forme d’in-
terprétation et d’écoute nouvelle. D’une part, il insiste sur l’interprétation par l’équi-
voque donc une interprétation qui s’impose sans qu’il appartienne à l’analyste de
trancher dans le sens, mais plutôt de faire résonner le signifiant dans ses harmonies de
satisfaction de la jouissance dans le corps, et d’autre part, sur la lecture du symptôme
afin d’en obtenir la réduction par la mise au même plan de l’imaginaire du symbolique
et du réel comme Lacan tente de le faire saisir par ses manipulations des nœuds.
La séance courte peut concourir à ce type d’interprétation en radicalisant à l’extrême
le trou dans le tissu signifiant de sorte qu’une jaculation, un son, peut faire interpréta-
tion dans une écoute qui est aussi lecture du symptôme 23.
De ces fixations et réduction du sinthome, nous en avons parfois l’idée dans la variété
des récits de passe.
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23. Miller J.-A., « Lire un Symptôme », Mental, no 26, juin 2011, p. 49.

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