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La Nature et la vie...

Régénération de l'homme
par le végétal, régime
végétarien, littérature et
philosophie [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Viaud, Gabriel (dit Viaud Bruant). Auteur du texte. La Nature et la
vie... Régénération de l'homme par le végétal, régime végétarien,
littérature et philosophie végétariennes... / Gabriel Viaud. 1897.

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Département Sciences et
Techniques
GABRIEL VIAUD

LA NATURE
K T

LA- VIE
RÉGÉNÉRATION DE L'HOMME
PAR LE VÉGÉTAL

RÉGIME VÉGÉTARIEN
L IT T fi R A T U II H ET PHILOSOPHIE Y f« Cf É T ARIENNES

PARIS
CHARLES MENDEL, ÉDITEUR
118 ET 118 !>is, UUE D'ASSAS

1897
Tous droits réservés.
LA NATURE
ET

LA VIE
DU MÊME AUTEUR :
t

Les Philosophes et les animaux.


Les nouvelles Méthodes Thérapeutiques.
L'Histothérapie ou .Thérapeutique des tissus. Analyse du Traité
du DR BRA.
Un repas fin de siècle.
Sur un Endothéliome lobulé des séreuses. (En collabo-
ration avec le Professeur MONTANÉ.)
Leçons sur la Septicémie (recueillies au cours de M. le
Professeur PEUCH).
La Nature et les maladies.
Contribution à l'étude de la Trichophytie.
De la coloration artificielle des fleurs naturelles.
(Travail lu iL la Société académique d'Agriculture. Belles-Lettres,
Sciences et Arts.)
L'Homme et la Nature
1° Influence de l'homme sur les animaux.
2° Influence de l'homme sur les végétaux.
La Thérapeutique simpliste.

EN PRÉPARATION :

Miscellanées Végétariennes. (Les Cadavres alimentaires. —


La Tuberculose et la Nécrophagie. — Les Poisons intestinaux. —
La Vie c'est la Vie. — Essai de Physiatrie : La Zoothérapie
ou traitement de l'homme malade par les animaux sains. —
Photothérapie. — Du Kneippisme.)
LA NATURE
K T

RÉGIME VÉCË')'An.IM\, LITTÉRATUltE E'I' PHILOSOPHIE VÉ<lÉTAIUENNËS

PREMIÈRE PARTIE
Thérapeutique Végétarienne Du Véyétarisme. — Absorption
:
des médicaments pal' les plantes. — Végétaux médicmnelltés. — Assi-
milation et répartition du fer dans l'organisme. — Production des
légumes ferrugineux.
DEUXIÈME PARTIE
Littérature Végétarienne : Les Fleurs et notre littérature contem-
poraine. — Le sentiment de la. nature chez nos Poètes et liomanciers :
Sully Prmlhomme, François Coppée, -,Nlatirice Hollinat, Jean Riche-
pin, Gabriel Vicaire, François Fabié, Jean Aiearll, Armand Silvestre,
Jean Hameau, Oh. Fllster, Kmile Blémont, Jean Lahor, Gabriel Marc,
Louis Legendre, Eugène Manuel, André Thenriet, Victor Cherbuliez,
f .nite Zola, Alphonse Daudet, E. Legouvo, Emile Pouvillon, Octave
Mirbeau, Jules Claretie, Pierre Loti, Carmen Sylva.
PHILOSOPHIE VÉGÉTARIENNE.

PARIS
CHARLES MENDEL, ÉDITEUR
118 ET 1 1_8 bis, XlUE D'ASSAS

1897
Tous droits réservés.
\
PRÉFACE

«
Répandre le goût des (leurs c'est.
travailler à l'amélioration sociale. -
Les Fleurs et la Littérature contem-
poraine.
Gabriel N,'iÀuD.

Après les sanglantes tragédies de la Révolution,


la tyrannie, les malheurs de l'empire et les hon-
tes de l'invasion, les cœurs blessés, découragés,
demandèrent à la nature, à cette mère féconde,
à sa verdure, à ses fleurs, l'oubli de ses maux. On
se remit à lire Bernardin de Saint-Pierre, Rous-
seau ; on ne voulut vivre et sentir qu'à la manière
des héros de Chateaubriand, de Mme Staël et de
Lamartine.
C'était le retour à la vie naturelle, à la vie
végétarienne, remise en honneur par Bernardin
de Saint-Pierre et Rousseau, deux végétariens
convaincus.
« L'idée de ces scènes horribles et dégoûtantes,
préliminaires obligés d'un de ces plats de viande
que je voyais servis sur la table, me fit prendre
la nourriture animale en dégoût et les bouchers
en horreur... » s'écriait Lamartine.
Et les grands poètes romantiques de cette épo-
que s'inspiraient de Schiller, Herder, Gœthe,
Lessing, Walter Scott, Byron et Shakespeare.
D'ailleurs, le Végétarisme compte parmi ses
adeptes les gloires les plus pures de l'humanité,
dans les temps anciens comme dans les temps
modernes.
Dans l'Inde antique, Bouddha; en Perse, Zo-
roastre et le roi Cyrus ; en Égypte, Osiris ; en Grèce,
à Rome et à Alexandrie : Hésiode, Pythagore,
Plutarque, PJaton, Socrate, Épaminondas, Dio-
gène, Démocrite, Eschyle, Euripide, Cincinnatus,
Pline, Sénèque, Marc-Aurèle, Virgile, Ovide, Ju-
vénal, Porphyre.
Dans les temps modernes : Mahomet, Bacon,
Gassendi, Bossuet, Fénelon, Locke, Newton, Mil-
ton, Arnaud, Nicolle, Pascal et toute l'école de
Port-Royal, Voltaire, Anquetil, Byron, Monthyon,
Franklin, Gleizès.
Bien que les majorités soient loin d'avoir tou-
jours raison, — nous avons perdu hélas! cette
illusion,— il est bon de faire savoir à ceux qui
ont peur de la solitude, que les végétariens sont
incomparablement plus nombreux que les carni-
vores sur la surface de notre planète.
Les nécrophages, — littéralement mangeurs
de cadavres, — n'ont pas plus le nombre, la
quantité, qu'ils n'ont la qualité.
Sur 1,200 millions d'hommes, 500 millions de
bouddhistes sont végétariens par leur religion.
Environ 100 millions de mahométans le sont par
habitude, et parmi les 400 millions de chrétiens,
un grand nombre le sont, de fait, sinon par con-
viction.
Il n'est malheureusement que trop facile de
démontrer que c'est précisément dans cette der-
nière fraction de l'humanité que le nervosisme,
l'anémie, l'alcoolisme, le morphinisme et tous les
alcaloïdismes, en général, exercent les plus re-
doutables ravages.
Comme remède, nous ne voyons que le retour à
la nature, au double point de vue physique et
intellectuel.
Dans la mesure de nos faibles moyens, nous
tentons aujourd'hui cette régénération de l'homme
par le Végétal : régime végétarien d'une part et
littérature naturelle d'autre part.
L'amour de la nature modifie profondément
l'cime humaine, car cet amour suscite une sorte
de rêverie qui nous apaise et nous rend plus doux,
étant faite d'une vague et profonde sympathie
pour toutes les formes innocentes de la vie uni-
verselle.
La régénération que nous souhaitons doit com-
mencer par l'enfance.
La vue des champs, des bois, des sentiers enso-
leillés, des prairies émaillées de fleurs, tout cela
éveille chez les enfants des impressions d'une
fraîcheur, d'une vivacité sans égales, qu'on ne
peut ressentir qu'à cet âge de la vie. Ce sont des
souvenirs qu'on amasse pour la vieillesse, et ce
doit êtrè une des plus grandes joies qu'on puisse
éprouver, au déclin de la vie, que de repasser
dans les sentiers de son enfance et d'y retrouver,
à la vue des mêmes objets, des sensations qu'on
croyait à tout jamais disparues.
Il faudrait de bonne heure inculquer aux en-
fants l'amour des choses extérieures. Ce sont les
impressions de l'enfance qui persistent souvent
toute la vie. Nous en verrons la preuve, au cours
de ce travail, pour André Theuriet et Pierre Loti.
C'est mon enfance qui a fait mon esprit ce qu'il
est, disait Victor Hugo.
Ernest Renan a été un des exemples les plus
frappants à l'appui de la thèse qui attribue à l'in-
fluence locale l'originalité intime et comme la
sève vivante du talent. Tous les traits particuliers
au génie breton se sont rencontrés en lui. Une
éducation d'intelligence scientifique et moderne
n'avait pu les modifier.
Si le milieu ne fait pas tout de l'homme, il fa-
vorise ou combat d'une façon puissante les ten-
dances primitives avec lesquelles nous sommes
nés. Et la solitude mélancolique de la Bretagne
était bien faite pour renforcer la disposition de
l'àme celtique à se replier en elle-même et à vivre
dans ses rêves. Ainsi vécut Renan.
Il faudrait faire prendre l'habitude aux jeunes
enfants de regarder et de voir.
Beaucoup de personnes ne voient pas et meu-
rent en ignorant que le soleil est beau à son lever
et que le monde est rempli de merveilles. Heu-
reux ceux qui savent regarder; ils ont des jouis-
sances que les autres ignorent et ils ne connais-
sent jamais l'ennui, notre plus grand ennemi.
Une fleur que l'on regarde sans attention, sans
saisir sa physionomie propre, peut sembler éter-
nellement banale. Il suffirait d'y consacrer quel-
ques minutes d'examen pour commencer à y
prendre intérêt et se créer la plus délicieuse de
toutes les distractions.
C'est pour marcher vers ce but qu'un Saxon,
Frédéric Frœbel, qui répétait toujours : « Les
fleurs et les arbres ont été mes premiers maîtres, »
avait introduit en Allemagne, les « jardins d'en-
fants », créés par Pestalozzi en Italie.
Le jardin, dans le système Frœbel, nous le ver-
rons plus loin, c'est la nature dont il faut rap-
procher les enfants autant que possible.
Si on ne veut pas aller jusqu'à créer des jardins
d'enfants, on pourrait toujours essayer, en France,
ce qui donne de si bons résultats en Angleterre
et en Hollande : les concours de fleurs cultivées
par les jeunes élèves des écoles. Dans ces pays,
tous les ans, à l'époque du premier janvier, on
distribue aux enfants un certain nombre de fleurs
rustiques; ces plantes sont plus tard présentées
à un jury spécial, et des prix sont décernés aux
plus beaux spécimens de chaque genre.
N'oublions pas que le sentiment du beau est
l'un des facteurs les plus importants de l'évolu-
tion du sens moral. Les philosophef anglais appel-
lent émotion cosmique le sentiment que nous
éprouvons en face de l'ordre infini qui règne
dans l'univers entier.

Toute l'immensité sombre, bleue, étoilée


Traverse l'humble fleur du penseur contemplée.

dit Victor Hugo.


C'est le Végétarisme seul qui construit l'homme
dans sa première enfance : on ne pourrait abso-
lument pas alors le nourrir avec des jus de viande
ou des consommés, si savamment faits qu'ils fus-
sent. Les succédanés du lait de la mère appartien-
nent à la diététique végétarienne, la nature l'exige
impérieusement.
On sait que le régime nécrophago-alcoolique
est tout à fait contraire à la lactation, dont il tarit
les sources, tandis que le régime végétarien, les
soupes, potages, etc., sont connues populairement
pour être favorables aux nourrices. Ici le fait et
l'instinct du peuple sont d'accord avec la lo-
gique.
Pourquoi alors est-on porté à donner la préfé-
rence, dans certains cas, au régime carnivore?
C'est, — question de gourmandise à part, —
parce que la viande possède comme aliment, une
qualité très réelle, mais un peu illusoire dans sa
réalité : elle est un excitant du cerveau et des
centres nerveux. Cette énergie excitatrice, qui est
un attrait puissant pour notre espèce toujours en
quête de ce qui peut stimuler ses fonctions ner-
veuses, est peu durable et suivie d'une réaction
dépressive. Et c'est en quoi elle est illusoire. La
plupart des excitants nerveux sont dans ce cas, et
voilà pourquoi ils s'appellent les uns les autres
pour s'entr'aider, se suppléer. Voilà pourquoi la
viande appelle l'alcool et le tabac. (Tout le monde
connaît l'influence désastreuse de l'alcool et du
tabac. M. Decroix, Vétérinaire Principal de l'ar-
mée Président de la Société contre l'abus du ta-
,
bac, a démontré que l'imprégnation de l'orga-
nisme par la fumée narcotico-àcre du tabac est
une des causes efficientes de la dépopulation.)
C'est ainsi que le régime carnivore, en tant
qu'excitateur du système nerveux, prédispose à
l'alcoolisme et travaille en faveur de la névrose.
Les principes de la viande engendrent une
fausse faim et une fausse soif qui s'accompagnent
fatalement de l'intempérance sexuelle. Car, il ne
faut pas l'oublier, tout se tient dans le fonctionne-
ment de nos organes.
La multiplicité immorale des mets et les insi-
dieuses attractions de la cuisine moderne dévelop-
pent une fièvre viscérale qui se traduit par une
effervescence des sens, une hypéresthésie de la
moëlle, un détraquement cérébral.
Les amours morbides de notre fin de siècle
n ont pas d'autre origine.
Et les désordres physiologiques précèdent ainsi
les désordres psychologiques. Ces influences se
voient et se manifestent partout : dans les produc-
tions littéraires notamment.
M. Gaston Deschamps, flétrissait récemment la
société zoophage en présentant lui-même son
dernier ouvrage : Chemin fleuri, au public — ce
qui n'est déjà pas banal.
« Je me vante (tant pis pour ceux qui ne seront
pas contents) de n'avoir mis dans mon récit — où
il y a cependant des hommes et des femmes, — ni
un adultère, ni même un accouchement.
Un roman sans chute, alors? Mon Dieu, oui.
Autant dire, n'est-ce pas? une tragédie sans
songe, une bicyclette sans pédales, un cotillon
sans accessoires, un civet sans lièvre ni lapin.
Les jeunes filles pourront donc lire ça? Je le
confesse, c'est peut-être honteux ce que j'ai fait là...
Je sais bien que plus tard, lorsque ces jeunes
filles seront mariées, lorsque des messieurs très
modernes leur auront appris la vie, elles me mépri-
seront. Mais je ne regretterai rien, et je me tien-
drai au contraire, pour très heureux et bien ré-
,
compensé si mon intention charitable me vaut,
pendant quelques journées rapides, l'amicale in-
dulgence de leur cœur ingénu.
Si l'on observe avec quelque attention ce que
nous appelons le monde et la cohue de bourgeois
surexcités qui a remplacé tant bien que mal, les
anciennes aristocraties, on remarque aisément,
dans ces nouvelles couches, deux vices rédhibi-
toires, deux maux qui semblent d'abord s'exclure
l'un l'autre. D'un côté, sur toute l'étendue de
cette raison sociale que Renan appelait « l'empire
dela Béotie », c'est la sottise épaisse, bien vêtue,
bien nourrie, bien logée; c'est le snobisme ahuri ;
c'est la passion du cabotinage, le culte de la pu-
blicité le respect naïf et roublard de la réclame,
,
la folie du théâtre et de ses pompes, l'horreur de
ce qui n'est pas « drôle », et surtout un désir ri-
dicule, vraiment epileptique de s'amuser. Flirt et
Ineiirasthcme, mélange de puérilité et de décré-
jpitude, ambitions bornées, philosophie de jockeys,
japhorismes de propriétaires, mascarade bariolée
et morne, où rien ne s'élève au-dessus du mé-
diocre... »
On conçoit que quelques-uns aient éprouvé le
besoin de fuir cette atmosphère irrespirable et
cette compagnie. Agacés et impatients, ils ont
fait bande à part et ont cherché des sommets où
l'on pût rêver et penser à loisir. Mais alors ils sont
allés trop loin. Leur mouvement pourrait s'appe-
ler la sécession des intellectuels.
Ils ont tari volontairement les sources d'enthou-
siasme où se rafraîchissait, aux heures de lassi-
tude, l'âme dolente de l'humanité. Ayant cru
que tout avait été analysé, pesé, scruté, ils sont
devenus incapables de confiance et impropres à
l'action. Ils ont voulu fonder la littérature de mé-
pris, et voilà que leur talent précocement desséché,
s'est changé en une froide rhétorique.
Que n'ont-ils songé à la Nature?
Dans son roman : Chez les Snobs, lVI. Pierre
Veber, dont l'esprit fin, aiguisé et coupant réalise
le type parfait du Pince-sans-rire, nous initie aux
mœurs des snobs.
Qu'entend-on par snob?
« Les §nobs sont ceux qui, en tout, portent la
dernière, « dernière mode », la mode que l'on
ne suit plus parce qu'elle est trop exagérée; mais
c'est insuffisant : ce sont aussi, les gens qui veulent
tout comprendre ou, chose bien différente, pa-
raître tout comprendre; ce n'est pas encore suffi-
sant, ce sont les chercheurs d'inédit à moins qu'ils
ne soient les « suiveurs d'inédits ». Ce sont ceux
qui n'estiment que le rare et le précieux, et tom-
bent ainsi dans l'extravagant; ce sont les badauds
qui se laissent égarer par une réclame bien ma-
chinée; ce sont aussi les crédules qui se prennent
à toute affectation d'étrangeté et de cosmopoli-
tisme. Mais ce n'est pas encore cela, et il y a de
tout cela! C'est un état d'âme assez nouveau, in-
définissable, pour lequel il a fallu un nouveau
mot : les snobs sont les snobs, voilà ! »
« On reconnait les snobs au costume prétentieux
et laid dont ils s'affublent. Actuellement, ils vont
par la ville enjuponnés de longues redingotes, le
col engoncé dans des collets en velours, les épaules
remontées presque au niveau des oreilles par le
relief des manches. Ils s'efforcent d'avoir « un air
1830 ».
« Leurs femmes aiment les bandeaux plats, les
manches plates, les sarraus moyen âge, les tuniques
à « l'Eisa », les accoutrements élégiaques, mys-
tiques, wagnériens, fabuleux. Elles font briller à
leurs doigts des gemmes aux noms sonores, tels que
béryls et chrysoprases. Ou bien engaînées de soie
verte, couleur d'yeux maudits, ceinturées de pla-
tine, chapeautées de fleurs méditatives elles tien-
nent à la main de sveltes lotus sans affectation. Si
elles ont l'intention de flirter sérieusement dans
les recoins de l'Exposition d'horticulture, sur quel-
que banc laqué vert clair, dans la fraîcheur de la
terre arrosée, parmi les roses trop pâles, les chry-
santhèmes à peine mauves et l'odeur suggestive
des orchidées, elles se cuirassent d'une toilette de
combat : jupe de drap gris,, corsage de chinchilla
à petites basques, etc. »
Dans une partie de cet ouvrage nous étudions
l'influence des fleurs sur notre littérature contem-
poraine. Quelle série d'ouvrages il y aurait à faire
sur l'importance des couleurs, des fleurs et des
parfums dans ce monde des snobs !

M. Veber, par exemple, entend une jeune es-


thète lui dire après le potage :
« J'ai entrevu tantôt un violet passionné dont je
suis encore angoissée; les couleurs évoquent en
moi d'antiques légendes, ou des souvenirs de par-
fums troublants. »
Et encore :
« Pourquoi exposez-vous les purs Chevaliers du
Graal aux entreprises des Filles-Fleurs? La candeur
impolluée du Lys s'offense de la trop lubrique
pivoine. »
Laissons ces dilettantes et leur « état d'âme »
aristocratique pour revenir à notre sujet.
Dans le cours de notre étude, nous insisterons
parfois, sur une donnée profondément juste, c'est :
l'influence du sol sur celui qui Vhabite.
La nature inanimée pèse lourdement sur la na-
ture animée; son action est semblable à celle des
grands fleuves contre leurs barrières ou de la mer
contre ses digues; elle est sourde, inconsciente,
mais toute puissante. L'homme est obligé de céder
à l'air qu'il respire, à la montagne qui arrête son
regard, au ruisseau qui coule devant sa demeure,
et c'est en vain qu'il se glorifie de son libre arbi-
tre et de sa volonté : l'un et l'autre sont sinon
enchaînés, du moins forcés de s'agiter entre des
bornes Inébranlables, qui apparaissent d'autant
plus serrées qu'on les étudie davantage.
A notre tour, nous ne sommes pas sans exercer
nous-mêmes une réaction sur ce qui nous entoure,
sans nuancer de quelques-uns des traits qui nous
sont propres le milieu qui nous informe, sans lui
rendre par quelque reflet de nous quelque chose
de la part de physionomie que nous en avons
reçue.
Le chien de l'aveugle ne ressemble pas au chien
de berger, comme le chien du riche ne ressemble
pas au chien du pauvre. « Mes bêtes et moi nous
nous ressemblons, » disait un jour un pâtre; ses
bêtes, c'était son chien, ses brebis et son âne. Il
disait vrai, plus vrai qu'il ne pensait peut-être;
car entre lui et ce qu'il appelait ses bêtes, il n'é-
tait pas besoin de raisonner et d'induire pour
reconnaître un air de maison.
« Il est incontestable que,
moralement comme
physiquement, nous sommes tous, hommes, bêtes,
végétaux et même minéraux, étroitement unis en
un père commun par un même lien de famille :
»

les animaux sont nos frères, les plantes sont nos


sœurs, et les minéraux, par leurs propriétés chimi-
ques , des parents plus ou moins éloignés ; car il
y a du minéral dans le végétal, du minéral et du
végétal dans l'animal. » Jules BAISSAC.
Le régime alimentaire, essentiellement subor-
donné au sol producteur des plantes ingérées par
l'homme et les animaux, a une action encore plus
évidente sur l'homme.
Les pays riches en végétaux vigoureux et variés
ont des habitants et des animaux domestiques
robustes et nombreux. Nous en donnerons des
exemples plus loin. Qu'il nous suffise de rappeler
les Caussenards et les Ségalais, les uns forts, les
autres chétifs, dans le département de l'Aveyron,
constitué de deux parties bien distinctes : l'une
fertile, la Causse, l'autre presque stérile, le Ségala.
Les bœufs de la Sologne transportés en Beauce
sont profondément et rapidement modifiés par le
régime alimentaire.
Les Végétariens de naissance ont une denture
très belle, un développement physique rappelant
cette beauté grecque des formes qu'on chercherait
en vain chez les nécrophages presque fatalement
alcooliques.
Le régime sanglant et le régime végétarien ont
des effets diamétralement opposés sur l'organisme
humain.
Le fait bien constaté de la méchanceté et de la
férocité des animaux carnivores comparées à la
docilité et la douceur des herbivores, même les
[ plus puissants, est déjà une forte présomption en
faveur du végétarisme et de son heureuse influence
sur les passions de toute nature. Mais, des nom-
breuses expériences rapportées par Liebig, il
résulte qu'on peut rendre les carnassiers inoffen-
sifs avec une nourriture végétarienne et les her-
bivores méchants et sanguinaires avec l'alimenta-
tion kréophagique.
Le département du Lot est le plus végétarien de
tous nos départements; il est au premier rang
pour la longévité et la moralité; cette année en-
core, il n'y avait aucune affaire à juger à l'époque
des assises.
La viande, dit Tolstoï, ne sert qu'à développer
des instincts bestiaux, la lubricité, la luxure.
Il est confirmé que la vertu ne va pas avec le
bifteck.
Pour arriver à une vie morale, il est indispensa-
ble d'acquérir progressivement les qualités néces-
saires et, de toutes les vertus,. celle qu'il faut
,
conquérir avant toute autre, c'est la sobriété, la
volonté de maîtriser ses passions.
étant une question scientifique
Le végétarisme
autant que morale, les auteurs les plus divers se
trouvent rapprochés dans notre ouvrage. Claude
Bernard et Houchard y coudoient Lamartine et
Theuriet; M. Brunctière est en compagnie de
M. Berthelot. Les lecteurs voudront bien nous
pardonner ces rencontres, parfois bizarres.
Dans la Rôtisserie de la Heine Pédauque, livre
aussi charmant que profond, M. Anatole France
fait ainsi parler son M. d ',Istarac :
«
Quand nous connaîtrons exactement les subs-
tances contenues dans le corps des animaux, il
deviendra possible de tirer ces mêmes substances
des corps qui n'ont point de vie et qui les fourni-
ront en abondance. On se nourrira alors d'extraits
de métaux et de minéraux traités convenablement
par les physiciens. Ne doutez pas que le goût en
soit exquis et l'absorption salutaire. La cuisine se
fera dans des cornues et dans des alambics et nous
aurons des alchimistes comme maitres-queux.
N'êtes-vous pas bien pressés, messieurs, de voir
ces merveilles. Je vous les promets pour un temps
prochain. Mais vous ne démêlez point encore les
effets excellents qu'elles produiront. »
M. Berthelot, s'exprimait, il n'y a pas longtemps,
d'une façon sensiblement analogue. Il nous pro-
mettait une ère prochaine où le labeur humain
serait presque aboli, la chaleur du soleil et la
i
chaleur intérieure de notre globe se chargeant de
collaborer pour faire pousser les moissons toutes
seules.
Et il ajoutait, que la chair fraîche deviendrait
superflue. On aurait dans sa poche, pour s'ali-
menter, sa petite tablette de matière azotée, son
petit flacon plein de matière grasse, son petit
morceau de fécule condensée.
Personnellement, nous souhaitons vivement la
réalisation de ce rêve de savant qui supprimerait
d'un seul coup la nécrophagie et l'action immo-
rale qui précède immédiatement toute nourriture
animale à savoir : l'assassinat.
Nous le répétons le végétarisme est moins une
,
question scientifique, dans le sens étroit du mot,
qu'une question sociale et surtout morale. Le vé-
ritable terrain de la question est celui de la cons-
cience, c'est-à-dire de l'être moral qui est enfermé
dans nos organes.
Il faudra tôt ou tard s'occuper sérieusement de
cette doctrine dans laquelle se trouve la véritable
soin lion sociale.
Le régime végétal est plus économique que le
régime carnivore. Ceci n'est nullement contesta-
blc et ce n'est point négligeable, vu la cherté
croissante de la vie. Mais ce régime végétal est-il
aussi réparateur, aussi fortifiant que l'autre? Oui,
alors même qu'il est exclusif. Pratiqué rationnelle-
ment, il suffit à entretenir les fonctions vitales et
intégralement, la force mécanique de l'homme.
C'est ce qui a été démontré par des expérimenta-
tions d'un caractère scientifique rigoureux.
Un des maîtres de la médecine contemporaine,
le professeur Bouchard, membre de l'Institut, a
dit : « Je ne veux pas qu'on fasse du travail mus-
culaire avec de la viande. Le travail musculaire
doit se faire avec le pain. Je veux que la viande
soit économisée, et qu'on ne crée pas aux classes
nécessiteuses des besoins factices et coûteux. Les
médecins sont complices de cette grande erreur
économique. C'est à eux qu'il appartiendrait au
contraire de faire connaître la vérité, de montrer
quel abus on fait des viandes et quel préjudice en
résulte non seulement pour la richesse publique,
mais encore pour la santé publique. »
Nos ouvriers dépensent tout leur salaire pour
leur nourriture animale qui coûte horriblement
cher. De plus, cette alimentation, très échauffante
par elle-même, ne marche qu'avec le tabac et
! l'alcool. Les ouvriers étrangers, notamment les
f Italiens, ont un grand avantage sur leurs concur-
| L'ents français : c'est d'être d'une grande sobriété.
Ils sont tous végétariens et vivent de pain, d'oi-
gnons crus, de tomates, de riz, de polenta avec
de l'eau pure.
A l'étranger, l'avenir du végétarisme est désor-
mais fixé. En France, il en sera de même dans les
prochains siècles, selon les vues prophétiques du
docteur Saffray. C'est une doctrine destinée à
l'élite des intelligences; elle s'impose comme re-
mède unique à l'envahissement de l'alcoolisme,
de la morphinomanie, de l'éthéromanie, du co-
caïsme et des buveurs d'eau de Cologne.
La santé publique se trouvera bien du régime
végétarien et, comme disait lord Beaconsfield la
,
santé du peuple est un problème social qui prime
tous les autres.
Le professeur Bail, de l'Académie de Médecine,
fait cette constatation de nos mœurs fin de siècle :
Un journaliste me disait : « J'ai beaucoup à
travailler, et quelquefois le travail me répugne.
Je me fais alors une piqûre et, dès que je suis en
puissance de morphine, je produis tout ce que je
veux et tant que je veux... Un grand nombre de
savants, de membres de l'Institut, de littérateurs
n'ont pas d'autre stimulant que la morphine. »
Nous savons hélas! qu'un écrivain de rare ta-
lent, Guy de Maupassant, était du nombre de
ceux qui recourent à ce qu'on a appelé « les para-
dis ai-liliciels ». Ces auteurs transforment leur
corps en laboratoire où passent, l'un après l'autre,
à des moments plus ou moins éloignés, le chloral,
le haschich, l'opium. Transportés par la pensée
dans un au-delà fictif, ils bégayent des peladanes
dont se délectent des initiés.
Cette littérature est le résultat d'une sorte d'ané-
mie morale, semblable à l'anémie physique, fort
à la mode aujourd'hui, et qui a sa source dans
»
notre régime débilitant et dans l'excès de déve-
loppement de la « pensée moderne ».
Semblables à des fleurs forcées, les jeunes in-
telligences éclosent rapidement, mais la santé
reste fortement ébranlée par cette excitation
anormale d'un système délicàt : le système ner-
veux.
Il n'est pas étonnant ensuite que ces existences
surchauffées, maladives, produisent des œuvres où
les auteurs de tous les crimes passionnels appren-
nent cette recherche des tristesses de la vie et du
néant qui les caractérise. Ces écrivains se précipi-
tent sur les mauvais côtés de notre civilisation
avancée — d'aucuns disent faisandée — et ne
recherchent c les cas pathologiques, les perver-
sions des sens physiques et les déviations du sens
moral.
C'est cette littérature morbide, qui a donné
naissance à quelques crimes retentissants, ces
dernières années. Les auteurs de ces crimes sont
de tout jeunes gens qui ont appris dans les livres
consacrés à l'étude du mécanisme de nos passions
et de nos sensations à se regarder vivre, et à con-
templer d'un œil hypnotisé les plus secrètes et les
plus passagères vibrations de leur système ner-
veux. On retrouve, chez eux, tout le cabotinage et
toute la psychologie navrante de ces écrivains.,
C'est le même énervement, la même curiosité ma-
ladive du soi, la même recherche des tristesses
et des inutilités de l'existence, le même parti pris
de fermer la porte à l'espérance et partant à idéa-
liser le néant.
J'écris, dit l'un d'eux, pour ceux qui, ont éprouvé
toutes les désillusions du cœur, de l'âme et des
sens, pour ceux qui ont l'intuition de la vie et
qui ont recherché toutes les émotions brutales,
toutes les ivresses féroces, toutes les jouissances
farouches, toutes les amertumes corrosives... pour
ceux enfin qui ont le courage et la force de dissé-
quer leur cœur en public.
Voulez-vous un exemple des poètes qui n'em-
pruntent rien à la nature ?
Ames de boue au sein de la fange vautrées,
Corps ignobles, bondés d'immondes intestins,
Crapules

0 les pieuvres, les rats, les vers, les trichines,


Grugez, rongez le monde, immense roquefort.

Quant aux psychologues, ils sont d'une incohé-


rence qui n'a d'égale que leur prétention.
« Le bi-mentalisme appète vers des
intégrali-
sations parcellaires et des parallélismes conver-
gents, c'est-à-dire qu'il s'avère à la fois circonfé-
rentiel et quadraturial. »
Après la définition psychologique, la descrip-
tion pittoresque.
« Les encéphales des scientistes congestionnés
par l'admiration renvoyaient à leurs visages des
fluides nerveux, charriant des ondées rouges et
violentes d'enthousiasme. »
Un simple nota : nous avons copié textuelle-
ment.
Lents à l'enthousiasme, dit M. Nicolle, prompts
au dénigrement et au mépris, ces écrivains sont
surtout tourmentés du désir de produire du nou-
veau, de faire autre. Leur philosophie est toute
imprégnée de pessimisme. Ils s'occupent parfois
de science, mais ne s'intéressent particulièrement
qu'aux sciences occultes. Le culte de la forme les
attire; aux sonorités des mots ils ajoutent leurs
couleurs et leurs odeurs spéciales; les vers sont
des bouquets, des essences et des romances : la
musique n'a-t-elle pas de la fleur et de l'oiseau?
disent les initiés.
Toutes leurs critiques sont violentes : Sarcey
est un vieux sabot littéraire, et Huysmans parle de
la vaseuse imbécillité de Daudet. Quand donc,
s'écrie un autre, Coppée deviendra-t-il un écrivain,
je veux dire écrivain sachant écrire? Les poésies
de Sully-Prudhommc sont des amplifications en
vers d'une bêtise à faire vomir.
Leurs appréciations réciproques ne sont, d'ail-
leurs, pas plus bienveillantes. Nous lisons dans
une petite revue littéraire :
L'insondable René Ghil, poète symbolico-instru-
mentiste, ayant envoyé à Gros Claude, les Écrits
pour l'art) que mensuellement il perpètre, a reçu
du brillant fantaisiste ce quatrain reconnaissant :

Ami de ton poème obscur


Je ne dirai qu'une parole :
La poésie en est trop molle,
Et le papier en est trop dur.

Ce n'est donc pas de ce côté que nous cherche-


rons la saine littérature. Vers qui dirigerons-
nous nos regards? Est-ce vers les romanciers qui
accumulent des documents et montrent partout et
toujours les monstruosités en étalant à nos yeux
une vitrine de musée tératologique et pathologi-
que? Croirons-nous avec M. Zola que le vice et la
vertu sont des produits comme le vitriol et le su-
cre , et que nous sommes une matière molle que
les circonstances façonnent au hasard de leurs
combinaisons? Évidemment non.
Il ne nous reste plus alors que la pléiade, encore
nombreuse, d'écrivains vigoureux, qui s'inspirent
de la nature, de ses fleurs, de ses forêts.
Ce sont les écrivains végétariens; c'est la litté-
rature que nous appelons végétarienne. Le mot
végétarisme vient de' l'adjectif anglais vegete,
vigoureux, vif, lequel a pour racine l'adjectif la-
tin végétasqui a la même signification.
Littérature végétarienne est donc synonyme de
littérature tonique : Theuriet, Cherbuliez, Legouvé,
Sully-Prudhomme, Coppée et leurs élèves sont, à
notre point de vue, des écrivains végétariens. Ils
reposent des auteurs qui versent plus ou moins
dans le mysticisme, l'hiératisme, l'occultisme et
autres machinismes à la mode ; ils représentent la
littérature saine, vivifiante et courtoise en opposi-
tion avec la littérature de rut, de relent et d'in-
vectives dont nous avons donné quelques exemples.
Nous croyons à une renaissance prochaine de
l'idéalisme. Le positivisme en philosophie et le
réalisme en art et littérature ne satisfont plus nos
aspirations nouvelles.
Le wagnérisme, la peinture aérée de Puvis de
Chavannes, les violentes et récentes querelles des
jeunes avec Zola, sont des symptômes non équivo-
ques de cette réaction idéaliste.
Et Lamartine, est-ce qu'il ne prend pas actuel-
lement une belle revanche? Il n'y a pas à dire, le
mouvement s'accentue de plus en plus en faveur
de celui qu'accabla naguère l'injustice poussée
jusqu'à la férocité.
Pour Lamartine, l'ordre et la marche habituels
sont ainsi intervertis : C'est le Capitole qui suc-
cède à la Roche Tarpéienne.
Si les lettrés, dit Jules Simon, dans son dernier
ouvrage : Quatre portraits, oubliaient Lamartine,
le public lui est toujours resté fidèle. Ce qui est
certain, c'est qu'il n'a jamais été plus admiré et
plus aimé qu'aujourd'hui. M. Deschanel a publié il
n'y a pas longtemps de très beaux et très atta-
chants volumes sur Lamartine, et M. Lemaltre
vient de lui consacrer onze articles dans le Jour-
nal des Débats.
Il n'est pas jusqu'au retour à la romance qui ne
soit un indice de ce nouvel état de l'âme contem-
poraine.
On affecte, dit M. Lefèvre, de trouver un air
vieillot à la romance. Quand on la chante, on
parle d'exhumation. Si on veut la décrire, on ima-
gine quelque chose de presque funèbre, de ma-'
cabre à demi ou tout au moins de fantomnal.
Eh bien, tout ceci est fort injuste.
N'en déplaise à nos dessinateurs humoristiques,
à nos critiques du dernier bateau, — celui qui n'a
pas encore débarqué ses passagers au pays des
dollars, — n'en déplaise aux applaudisseurs d'in-
sanités grivoises, la romance n'est pas morte du
tout. Nous irons plus loin, jusqu'à ce semblant de
paradoxe : la romance est encore la reine du jour,
café-concert et jusque sur les fortifs.
iL L'atelier, au

L'âme du peuple est tout à fait romance.


c'est la petite fleur bleue de l idéal
La romance,
si l'on peut joindre ces deux mots
lerrc à trJl'J'(?,
faits pour être opposés.
A l'atelier, le peuple est touchant. Durant son
travail, les chansons, qui bercèrent son enfance
lui reviennent, pures et blanches, sa voix
naïve,
ronronne il la façon des vieux rouets d'antan. Il
doit avoir, à ce moment, des visions chastes; il
semble être en un tranquille pays où chanter,
aimer et dormir sont les grandes, les uniques
occupations. La romance alors est un baume mei-
veilleux, c'est la fée de l'oubli, c'est une façon de
très grand bonheur.
Plus l'homme se déclare positiviste et disposé
seulement à admettre ce que ses sens peuvent
percevoir, plus il fait preuve de puérilité et de
faiblesse.
En notre époque où la séculaire foi s'assoupit,
chacun au gré de son imagination ou de son in-
tuition, répond aux questions qui naissent en lui,
les origines et les destinées de l 'hi-imanité,
sur
le bien et le mal, sur le lendemain de la mort.
sur
Le mystère, aux ailes invisibles, plane lourdement
sur cette fin de siècle qui s'écoule dans une han-
tise universelle des choses merveilleuses, inexpli-
cables et pourtant réelles.
Jamais, à aucun autre moment de notre histoire,
nous n avons éprouvé plus grand besoin de repos
idéal afin de démêler les
graves questions de la
vie avec calme et sans idée préconçue.
Il n 'y a plus de mystères, s'écriait
un illustre
chimiste à l époque florissante du positivisme, c'est-
à-dire hier encore, et pour pousser cri de triom-
ce
phe quel moment choisissait-il? C'était le moment,
où de toutes parts, l'insuffisance du positivisme et
du naturalisme éclatait aux
yeux mêmes des plus
prévenus. C était le moment où il apparaissait
que
toutes ces questions d'origine, de nature et de fin,
qui échappent aux prétentions d,':\ la science, sont
après tout les principales questions qui
nous in-
téressent tous. Jamais, au contraire, elles
ne s'é-
taient dressées devant nous, plus obscures et plus
énigmatiques, plus angoissantes, pourrait-on dire.
Oui, quel est le sens de la vie? Pourquoi
sommes-
nous nés? Et pourquoi mourons-nous?.Jamais
peut-être toutes ces questions mystérieuses ne
se
sont posées avec plus de force que depuis qu'on
a
proclamé qu'il n'y avait plus de mystères.
Il serait beau, dit Jules Lemaître, de voir un
jour l'humanité vieillie, dégoûtée dos agitations
stériles, excédée de sa propre civilisation, déserter
les villes, ces marais humains, revenir à la vie na-
turelle et employer à en bien jouir toutes les res-
sources d'esprit, toute la délicatesse et la sensibi-
lité acquises par d'innombrables siècles de culture.
L'humanité finirait ainsi à peu près comme elle
a commencé : les derniers hommes seraient comme
les premiers, des hommes des bois, mais plus
instruits.

Gabriel VIAUD.
PREMIÈRE PARTIE

THÉRAPEUTIQUE VÉGÉTARIENNE

CETTE PREMIÈRE PARTIE A OBTENU LA MÉDAILLE n'OH


(PRIX GAUSSAIL) AU DERNIER CONCOURS
OUVERT PAR L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE TOULOUSE
CHAPITRE PREMIER

De l'absorption des médicaments par les plantes


et de leur utilisation en thérapeutique

Du végétarisme. — Légumes ferrugineux.


Herbis, non verbis.

Dans l'étude qui va suivre, nous ne voulons nul-


lement parler des plantes médicinales utilisées de tout
temps en médecine. Après avoir abusé à l'excès
d'herbes qui ne possédaient aucune des propriétés
qu'on leur attribuait, on est tombé dans l'excès op-
posé et on a impitoyablement proscrit, comme dan-
gereuse , la thérapeutique des petits moyens. Sans nul
doute, la doctrine des signatures qui faisait employer
la pulmonaire contre les affections des poumons et la
capillaire contre la chute des cheveux, a fait son
temps; mais on a été trop loin en repoussant complè-
tement l'emploi de plantes à efticacité bien reconnue.
Sans prendre parti pour l'usage exclusif ou pour la
proscription en bloc des herbes médicinales, nous ne
voulons nous occuper ici que des plantes médicamen-
fées, c'est-à-dire des végétaux susceptibles de s'assi-
miler un principe médicamenteux, sous l'influence
d'un traitement spécial.
Nous parlerons de résultats obtenus expérimenta-
lement et de l'utilisation que la thérapeutique de
l'homme et des animaux pourrait en faire. Nous avons
cherché à emmagasiner dans les tissus de nos végé-
taux alimentaires des principes tels que le fer, le
phosphore et la chaux sous la forme d'oxyde, de
phosphate, d'azotate, etc. ; toutes substances utiles à
l'organisme sain et encore plus nécessaires à l'orga-
nisme malade.
Nous avons été conduit à essayer cette méthode
spéciale en considérant avec quelle facilité quelques
plantes absorbent et retiennent une quantité relati-
vement considérable d'un principe donné. Ainsi, la
pariétaire et la bourrache placées dans certaines con-
ditions se chargent d'une proportion telle d'azotate
de potasse qu'elles peuvent être utilisées à titre de
diurétiques puissants ; les fucus sont aussi de remar-
quables accumulateurs d'iode. Pour ces derniers, on
a même observé que la proportion d'iode assimilée
n'est pas en rapport avec la petite quantité renfermée
dans l'eau de mer; on peut donc penser que les fucus
possèdent en dehors de leur faculté d'absorption une
conformation particulière de cellule expliquant cette
affinité singulière.
Le sorgho (Sorghum Saccharatum) est très avide de
nitrates; il s'assimile notamment l'azotate de po-
tasse en très grande quantité.
La plante est en général docile aux modifications de
régime qu'on lui impose, et il est facile de changer sa
composition chimique par une culture appropriée. Sa
composition est intimement subordonnée au sol pro-
ducteur et aux conditions extérieures dans lesquelles
elle vit.
Le sol a une telle influence qu'il suffit de la pré-
sence ou de l'absence d'un corps entrant dans la cons-
titution d'une plante pour amener aussitôt un chan-
gement appréciable de la plante elle-même. C'est,
ainsi qu'on peut produire du maïs sans silice, alors
que ce corps existe normalement dans cette graminée.
Tout le monde connaît la différence de composition
et d'aspect des mêmes végétaux pris sur le continent
ou sur le bord de la mer. Nous avons rapporté des
dunes de Soulac (Gironde) des EryngÜt1n campestre,
des Arlemisia vulgaris, des œillets, etc., ne ressem-
blant aucunement aux espèces semblables du centre
de la France.
De même les engrais exercent une influence mar-
quée sur la quantité de sucre renfermée dans la bet-
terave; les agriculteurs du Nord connaissent et ex-
ploitent ce fait particulier. On peut produire des
asperges monstrueuses en lesgorgeant de silicate de
,
potasse.
Enfin, il est des végétaux très vénéneux qui devien-
nent inoffensifs par la culture ; l'aconit napel nous en
offre un exemple.
En présence de ces observations, nous avons donc
vu la possibilité de faire absorber aux plantes que
nous consommons journellement des médicaments
toniques, diurétiques, dépuratifs, etc., lesquels sont
quelquefois indispensables à la guérison d'affections
rebelles à tout autre traitement. Nous n'avons'pas la
prétention de produire à volonté des plantes renfer-
mant des médicaments quelconques à haute dose; les
lois de la nature ne permettent pas à l'homme de
créer des plantes médicaments, d'une espèce nouvelle,
mais elles ne s'opposent pas à l'accumulation dans les
tissus végétaux du maximum des principes contenus
normalement et même par une accoutumance pro-
gressive à une réserve anormale d'un de ces mêmes
principes. *

Cette méthode nous paraît avoir de très grands


avantages :
Elle permet de puiser dans le règne végétal d'une
façon agréable des principes médicamenteux utiles;
c'est plutôt une question d'hygiène qu'un traitement
toujours pénible ;
Elle est sans danger pour l'organisme, comme nous
le démontrerons dans le cours de ce travail ;
Le fer, la chaux, etc., qu'on oblige ainsi à pénétrer
dans les tissus des végétaux s'y trouvent en quelque
sorte à l'état physiologique et le tube digestif les tolère
et les absorbe bien plus facilement.
Les préparations ferrugineuses prônées à la qua-
trième page des journaux sont, en général, à base de
sels solubles fortement astringents et désagréables au
goût. Elles noircissent les dents et troublent profon-
dément les fonctions digcstives. Les spécialités à base
de sels à acides végétaux sont moins astringentes et
beaucoup mieux supportées par l'estomac; ce qui dé-
montre déjà la valeur supérieure du fer végétal.
Nous verrons plus loin quelle est l'importance du
fer dans l'économie et les conséquences fâcheuses qui
résultent d'une diminution, même peu sensible, dans
la quantité de ce corps.
Signalons, pour le moment, que d'après les plus
récentes recherches de Cahn, Kobert et surtout Bunge,
l'initiateur de tous les travaux sur la pénétration du
fer et sa répartition dans l'organisme, il résulte que
le fer dans les végétaux se trouve à l'étal de combinai-
son organique analogue à celle du fer de œuf et l'
du lait. Or, la nature a placé dans ces corps destinés
à l'alimentation des jeunes animaux et des enfants,
le fer sous sa forme directement assimilable.
Ces expérimentateurs démontrent ensuite, que ces
préparations ferrugineuses pharmaceutiques ne sont
pas absorbées. Si par hasard, il y a absorption, c'est
que le fer a pénétré par effraction, c'est-à-dire après
avoir irrité et désorganisé la muqueuse stomacale.
Nous reviendrons plus loin sur ces travaux sug-
gestifs.
Avant d'entreprendre l'étude de l'absorption pro-
prement dite des médicaments, voyons rapidement
les bons résultats que l'on peut tirer du simple régime
végétal. Il n'est pas inutile d'appeler l'attention sur la
valeur du végétarisme, que notre époque fiévreuse et
névrosée rejette entièrement.
Tous les principes qui entrent dans la composition
de nos tissus sont renfermés dans les végétaux. On
trouve à l'analyse des plantes, de la fibrine, de l'al-
bumine, des sucres et même des corps gras, contrai-
rement à ce que l'on croyait autrefois. Le maïs en
renferme 8 à 9 p. 100, l'avoine 3,30 et le blé 2,6. C'est
au monde végétal que les animaux empruntent les
matériaux nécessaires à leur évolution. Nos organes,
quelque perfectionnés qu'ils soient, sont incapables
d'édifier une molécule organique avec des matières
minérales; ce pouvoir est dévolu au seul végétal.
La plante a une puissance d'assimilation extraor-
dinaire, précisément pour absorber dans le milieu
minéral une partie de ses aliments. La fonction chlo-
rophyllienne ne comprend pas seulement la décom-
position de l acide carbonique et la fixation du car-
bone elle s'étend encore à la production de substances
,
ternaires et quaternaires. La plante à chlorophylle
forme par synthèse les amides et les albuminoïdes
dont elle a besoin et qu'elle cède ensuite aux ani-
maux. Elle est donc l'intermédiaire nécessaire entre
le monde minéral et le monde animal ; notre vie est
sous son entière dépendance.
Dans le courant de ces dernières années, on a fait
une guerre impitoyable au régime végétal, incapable,
'disait-on, de communiquer la moindre énergie. Les
exploitations industrielles qui demandent à l'ouvrier
travail soutenu, ont mis le régime animal en hon-
un
Les ouvriers se sont peu à peu habitués à l'a-
neur.
limentation exclusive de la viande, au grand détriment
de leur santé et de leur bourse. Dans les villes où
grouillent des agglomérations ouvrières considéra-
bles, on laisse vendre à bas prix des viandes prove-
nant d'animaux atteints de maladies contagieuses,
notamment de la tuberculose. Il est hors de doute
aujourd'hui que ces viandes altérées peuvent commu-
niquer la phtisie, aussi sûrement que la viande char-
bonneuse peut engendrer le charbon.
Le régime animal, très échauffant par lui-même,
donne la fièvre, augmente la. circulation sanguine,
prédispose à toutes les phlegmasies possibles, irrite
le tube digestif, sèche la langue, excite la soif. Or,
sait comment les malheureux calment ces symptô-
on
mes graves ; ils ont la ressource du débit sur le comp-
toir où ils ajoutent l'alcoolisme aux maladies antérieu-
Alors survient ce cortège effrayant d affections
res.
constitutionnelles qui minent la race en l atteignant
vives et dans sa fécondité. C est l 'a-
dans ses sources
brutissement d'abord, puis l'anéantissement des for-
de la volonté; c'est l'aliénation mentale depuis
ces et
la forme bénigne jusqu'à la folie furieuse. Dans un
la
autre milieu, c'est morphinomanie qui fait tous les
jours des progrès; c'est l'éthéromanie qui gagne tou-
tes les classes de la société ; demain ce sera autre
chose.
Les viriles populations des campagnes échappent
seules à ces influences néfastes par le régime végétal
qui reste la base de leur alimentation.
En Angleterre, Galton a comparé la taille et le
poids des enfants dans les villes et les campagnes ; il
a vu que la taille des campagnards dépassait de trois
centimètres celle des enfants des villes et le poids de
trois kilos celui de ces mêmes enfants. La mortalité,
qui est à la campagne de 21 pour 1,000, s'élève à 26
pour 1,000 dans la ville ; Liverpool, centre manu-
facturier par excellence, montre une mortalité ef-
frayante de 35 pour 1,000. Les départements agricoles
donnent en moyenne 8,000 jeunes gens réformés sur
20,000, tandis que les départements industriels en
fournissent 1-4,000. *
On ne s'arrêterait pas si on voulait s'étendre sur
les produits pathologiques
d'une vie de surmenage
physique et intellectuel qui réclame une alimenta-
tion puissammenf^rïcÏÏ^^mais aussi presque contre
nature. »

La science est ici d'accord avec l'observation.


Frankland a donné le tableau de l'énergie calorifique
et mécanique développée par les diverses substances
alimentaires. Ce sont les matières sucrées et amy-
lacées qui fournissent le plus de chaleur et de force
disponibles; les viandes de bœuf, de veau et de porc
viennent au second rang. Fick et Vislicenus, dans leur
célèbre ascension du Faulborn, ont démontré que
toutes les substances organiques en s'oxydant four-
nissent de l'énergie.
Dans le récent match de marche à pied entre Ber-
lin et Vienne (578 kil.) les deux vainqueurs sur 15
concurrents, MM.PoitzetEisœsser, sont deux végéta-
riens. Pendant ce long trajet ils se sont sustentés
avec des fruits et de l'eau fra&he.
Le docteur Verloren a remarqué que les insectes se
nourrissent surtout de matières albuminoïdes quand
ils ne font rien, et, au contraire, ont une alimenta-
tion presque exclusivement ternaire et non azotée
quand ils travaillent beaucoup. Les insectes les plus
actifs, comme les abeilles, se nourrissent de matières
extrêmement pauvres en azote.
Les substances ternaires brûlent complètement en
donnant beaucoup de mouvement caloritique, tandis
matières albuminoïdes laissent une grande
que les
quantité de résidus excrémentitiels, tels que les com-
posés azotés la leucine, la tyrosine, la créatine, et
:
surtout l'urée. Or, les corps non encore oxydés sont
seuls capables de jouer un rôle dans l'économie, et
l'urée avec sa grande richesse en azote n'a plus au-
cune valeur.
Dans certains pays, les végétaux entrent dans le
régime de l'homme pour une proportion étonnante,
99 p. 100. Des populations entières de nègres vivent
de millet; les Égyptiens se nourrissent de dattes, les
Chinois de riz et les Malais de sagou. On a dit fort ju-
dicieusement que dans les îles de l 'Océariie le nombre
d'habitants est proportionné au nombre des cocotiers,
unique production de la végétation. Sur 1,200 mil-
lions d'hommes, 500 millions de bouddhistes sont vé-
gétariens par leur religion. Environ 100 millions de
mahométans le sont par habitude, et parmi les 400
millions de chrétiens, un grand nombre le sont de
fait, sinon par conviction.
Il y a donc beaucoup de végétariens dans le monde,
et ce ne sont pas les moins vigoureux.
Il existe deux affections plus terribles
que la
guerre, puisqu'elles enlèvent tous les ans des millions
d 'hommes, et auxquelles nous paraissons
ne pas son-
ger. Malgré les étonnants progrès de la chirurgie, la
tuberculose et le cancer se jouent de la médecine.
Toutes les tentatives faites pour détruire les plus
pe-
tits foyers de ces maladies sont restées vaines, et
nous voyons tous les jours augmenter ces effrayants
fléaux. Il est même des interventions chirurgicales qui
confinent à l'assassinat, tant la mort en est la suite
certaine. En face du ces insuccès, ne devrait-on pas
chercher ailleurs la véritable cause et le traitement
rationnel de ces affections? Notre régime de plus en
plus exclusivement animal ne peut-il pas être incri-
miné, et n'y aurait-il pas lieu de le modifier?
Nous ne voulons pas proscrire d'une façon absolue
l'usage de la viande; mais nous voudrions qu'on re-
vînt un peu à l'alimentation végétale, aujourd'hui
abandonnée. On a beaucoup exagéré les bienfaits du
régime animal et on a créé des besoins nouveaux aux
ouvriers des grandes villes. Il serait peut-être de
bonne politique sociale de faire reprendre aux classes.
laborieuses le régime végétal, très économique,
comme nous le verrons plus loin.
Un docteur dont nous ne savons plus le nom, rap-
porte que l'usage prolongé du jus de carottes assou-
plit le caractère et le rend plus doux, surtout chez
les personnes nerveuses, et que les pois et les lentilles
favorisent l'embonpoint et la joyeuse humeur.
Il est à remarquer qu'à Vichy, où le caractère des
buveurs d'eau est rarement aimable et doux, on ne
manque jamais, dans les tables d'hôtes, de servir, à
chaque repas, un énorme plat de carottes.
Les choux ont une réputation si bien établie contre
les maladies de poitrine et contre l'ivresse, qu'ils de-
vinrent la panacée des Romains pendant plusieurs
siècles. Il est certain que la consommation des choux
prévient l'ivresse d'une façon à peu près sûre; les
mangeurs de choux au lard ou à la graisse ne s eni-
vrent pas facilement.
La laitue, soit l'espèce pommée, soit la romaine ou
chicon, dont on fait une grande consommation dans
le Nord surtout, jouit, de temps immémorial, de la ré-
putation méritée de plantes calmantes, rafraîchis-
santes , antispasmodiques, propres à calmer les né-
vroses et assurer un bon sommeil.
Aussi, dans le Nord, en consomme-t-on beaucoup
dans les repas du soir. On n'invite pas les gens à sou-
per, on les invite à manger la salade, ce qui est sy-
nonyme.
La pomme, a les mêmes propriétés. Ce fruit neu-
Iralise, en outre, les acides en excès dans l'estomac,
facilite les fonctions du foie et des reins, et à ce titre,
procure un sommeil calme à celui qui mange une
pomme avant de se coucher.
Les végétaux transforment les individus. Le sol, en
effet, a une action manifeste sur l'évolution organi-
que, et les hommes ont une constitution intimement
liée à celle de la terre qui produit des plantes diffé-
rentes suivant sa composition.
Quelques exemples entre mille.
Le département de l'Aveyron, formé de deux par-
ties bien distinctes, le Srgala et la Causse, produit
également des hommes très différents. La première
région constituée par du schiste, du gneiss, du mi-
caschiste, donne peu de végétation : les Ségalais sont
petits, maigres, souffreteux comme leurs animaux.
La deuxième, de formation jurassique, produit en
quantité des plantes diverses : les Caussenards sont
fortement charpentés, grands et vigoureux. Dans
l'Indre, on remarque la même différence entre le pe-
tit Brennou à figure jaune et ratatinée et le robuste
Champenois à teint frais. Les bœufs de la Sologne
transportés en Beauce sont profondément modifiés
par le régime plus varié et plus riche. En médecine
vétérinaire, on n'observe l'ostéoclastie, improprement
appelée grappiette, que sur les animaux des pays
pauvres en végétation ou pendant les années de sé-
cheresse, alors que les plantes n'ont pas absorbé la
quantité normale de chaux. Les os s'altèrent, se tu-
méfient et les animaux sont condamnés à mourir si
on ne leur apporte le phosphate de chaux qui man-
que dans leurs aliments.
Il existe une maladie sévissant parfois avec une
grande intensité et qui a son origine unique dans le
défaut de l'alimentation végétale : nous voulons par-
ler du scorbut; Les grandes épidémies de scorbut
correspondent toujours à une extrême sécheresse ou
à un froid rigoureux empêchant la production des vé-
gétaux alimentaires. C'est ce que nous rapporte l'his-
toire pendant les années 1486, 1556,1562 et 1818,
en Ilussie. En Angleterre, cette affection était au-
trefois très commune; elle a disparu quand la cul-
ture maraîchère bien entendue a produit en grande
quantité et à bas prix les légumes du ménage. Sur
les bateaux qui restent longtemps en mer, on voit
apparaître le scorbut au moment précis où les appro-
visionnements en légumes sont terminés; les marins
obligés de consommer des viandes conservées ne tar-
dent pas à éprouver les premiers symptômes de la
maladie. L'absence de végétaux dans l'alimentation
est tellement bien la véritable cause, qu'il suffit, dans
ces cas, de faire relâche, de reprendre des végétaux
frais, pour voir aussitôt disparaître le scorbut. Le
remède employé pour le combattre quand on se trouve
dans l'impossibilité de se procurer des légumes est
généralement le citron. Ce fruit contient une forte
proportion de sels de potasse, aussi pourrait-o,n croire
qu'en administrant des préparations à base de sels
de potasse, on obtiendrait de bons résultats. Nulle-
ment; il faut avoir recours au fruit à l'état frais.
Enfin, tout récemment, deux Italiens, Renzi et
Reale, ont montré expérimentalement le rôle de l'a-
limentation végétale dans le traitement du diabète
sucré d'origine pancréatique. Ces savants ont dé-
terminé artificiellement le diabète chez des chiens
en enlevant le pancréas ; puis ils ont soumis ces ani-
maux au régime végétal exclusif et ont constaté la
disparition complète de la maladie au bout de quel-
que temps. Ils ont alors essayé le même traitement
sur l'homme; les résultats ont été les mêmes.
La glycosurie persistait avec l'alimentation animale
et disparaissait avec l'alimentation végétale. Ils pro-
duisaient ainsi alternativement cles périodes de santé
et de maladie à volonté. Le régime végétal était
constamment suivi de l'augmentation du poids du
corps et des forces musculaires et de la diminution
de l'azoturie et de la phosphaturie (1).
Les religieux de la Trappe n'admettent dans leur
régime aucune substance d'origine animale et ne
prennent qu'un repas par jour. Ce sont des agricul-
teurs adonnés aux plus rudes travaux de la terre.
Avec cela, ils se portent à merveille, et certaines ma-
ladies sont presque totalement inconnues dans leur
ordre. On n'y voit ni goutteux, ni tuberculeux, ni
cancéreux, ni dartreux.
Par contre, les maladies ci-dessus désignées sont
(1) Gazetta degli Ospedali.
Seulement la viande flatte davantage le goût et a
des qualités excitantes que n'ont pas les légumes. Or,
nous savons que dans la nature rien ne se crée, rien
ne se perd : la loi est aussi fatale pour les forces que
pour la matière, et si l'on apporte de la force, il faut
l'avoir empruntée quelque part.
La force dont on peut disposer est donc bien prise,
pour ainsi dire, sur le capital; c'est en réalité un em-
prunt qu'il faudra solder plus tard.
Le carnivorisme est une sorte d'alcoolisme atténué ;
malheureusement, un excitant appelle les autres et
le régime carnassier tend presque constamment à se
compléter par le régime alcoolique. L'alimentation
végétarienne, au contraire, engage sur la pente in-
verse, et l'homme frugivore est naturellement porté
à la sobriété.
Là est la véritable et unique solution de l'irritant
problème de l'alcoolisme.
Tous les végétariens intransigeants sont buveurs
d'eau ou n'admettent que des boissons non fermen-
tées, telles que le thé et le café.
D'ailleurs, le thé, d'après les plus récentes études,
est la boisson la plus saine, la plus nourrissante, la
plus active et la plus économique.
Saine, parce que l'ébullition de l'eau employée à
sa confection a chassé tous les ferments et tous les
microbes capables d'engendrer des maladies, telles
que la fièvre typhoïde, la dysenterie, etc.;
Nourrissante, parce que la feuille de thé est le vé-
est vin vi- mieux! montrer par Tan- végétarisme.hon- dit-il, est
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gétal qui contient la plus grande quantité de matière
azotée assimilable ;
Active, parce que le principe appelé théine a une
grande intensité d'action bien constatée;
Economique, parce que son prix de revient est
presque dix fois moindre que le prix du mauvais vin
consommé par la classe ouvrière.
N'oublions pas que 500 millions de Bouddhistes vi-
vent de riz et de thé. Et ils ne s'en portent que mieux!
Nous terminerons ce chapitre consacré il. montrer
les énormes avantages de l'alimentation végétale, par
l'exposition d'un budget de famille fourni à M. Tan-
neguy de Wogan, un chaud défenseur du végétarisme.
C'est une lettre sincère d'un travailleur solide et hon-
nête.
« Les ouvriers sont élevés, dès l'enfance, dit-il,
dans le culte de la force, parce qu'ils comprennent
qu'aujourd'hui encore, la vigueur de leurs bras est
presque leur seul gagne-pain, la sauvegarde de l'a-
venir pour le nid familial et pour eux-mêmes. Mais
qu'ils me laissent leur dire, leur répéter que la force
qu'ils doivent ambitionner, ce n'est pas celle de l'a-
thlète qui soulève un poids monstrueux dans un
;
effort convulsif; c'est la force durable, sans faiblesse
et sans intermittence qui permet d'éviter l'épuisement
malgré le dur labeur de chaque jour; c'est aussi la
force morale qui le maintient ferme et droit au milieu
de toutes les circonstances dépressives auxquelles il
est en butte.
« Mes camarades me disent souvent, quand je leur
parle végétarisme, qu'un homme qui se livre à un
travail manuel très dur ne peut pas être végétarien.
Bêtises que tout cela! Je puis prouver que, me nour-
rissant d'un régime purement et strictement végétal,
j'ai fait plus de travail et j'ai pu travailler pendant un
plus grand nombre d'heures que la plupart de ceux
de mes camarades qui lisent ces quelques lignes. Je
ne suis pas un ouvrier pour rire, et ceux qui savent
ce que c'est que le métier de limeur aux pièces sont là
pour le dire. Eli bien, pour le travail, je ne crains
aucun mangeur de viande. En donnant le résultat de
mon expérience du régime végétarien, ce que je fais
n'est que pour réfuter les absurdités de ceux qui pré-
tendent que sans viande on ne peut travailler avec vi-
gueur; je ne dois pas oublier d'ajouter que, depuis
que j'ai adopté le végétarisme, je n'ai jamais eu un
jour de maladie, je n'ai jamais eu besoin de médecin.
Je suis heureux de pouvoir répéter par écrit ce que
j'ai dit si souvent à mes camarades. Que ceux qui sont
dans la gêne par suite de chômage. de salaires insuf-
fisants ou du nombre de leurs enfants, se le tiennent
pour dit. Je voudrais voir tous ces gens-là essayer du
végétarisme, non pas pendant un mois parce qu'un
,
mois ne suffit pas pour juger d'un régime qui, par
suite de l'abandon des excitants habituels, cause tout
d'abord une certaine faiblesse, mais pendant deux
mois. Ils m'en diront des nouvelles.
« En attendant, je leur dédie le petit calcul suivant :
ÉCONOMIE DOMESTIQUE 1) UN OUVRIER CÉLIBATAIRE
(VÉGÉTARIEN) DU 1er JANVIER AU 5 AVRIL I8Sa.

Situation d'épargne ait 31 décembre 1882, ci : 230 fr.


Recettes du 31 décembre 1882 au 5 avril 1883 :

Paye du 31 décembre 1882 22 50


20 janvier 1883 14 25
— 43 75
—. 5 février —
20 février — 20 95
— 47 15
— 5 mars —
20 mars 31 20
— —
5 avril 34 "
— —
TOTAL 213 80

Dépense du janvier au 5 avril 1883,


1er
60 20
pour nourriture • •

Pour frais généraux : blanchissage,


chauffage, éclairage, hygiène, corres-
pondance, courses, etc 53 80
Deux termes de loyer 65 »
Pour chaussure et linge 15 »

TOTAL 194 " n

RESTE 19 80

pour l'épargne.

« Ce trimestre représente une période de chômage


intermittent. J'ai pu, avec le salaire minimum de
2 fr. 25, me procurer une nourriture abondante et
m'entretenir en vêtements, linge, chaussures, etc.,
et ajouter la somme de 19 fr. 80 à mon épargne. »
Tandis que dix hommes végétariens peuvent se
nourrir avec le produit d'un seul hectare, il faut
8 hectares pour nourrir un seul homme kréophage.
Pour une population donnée, le changement de
régime se traduirait par une diminution de dépense
variant de 20 à 30 p. 100, suivant les pays.
Les grévistes de tous les pays devraient méditer ce
conseil d'un ouvrier et chercher la véritable solution
sociale dans l'équilibre de leur budget.
Après avoir prouvé l'importance du monde végé-
tal dans la vie de l'humanité et les bienfaits du végé-
tarisme, nous allons démontrer l'innocuité absolue
des plantes au point de vue de la transmission des
maladies contagieuses. Nous avons vu que la viande
des animaux atteints d'affections contagieuses pouvait
servir de véhicule aux germes ; voyons à présent si
la consommation des végétaux est absolument sans
danger.
Cette démonstration n'est pas inutile.
La question de savoir si les plantes sont suscepti-
bles d'absorber les microbes est toute d'actualité. On
s'occupe, en ce moment, d'un projet destiné à débar-
rasser complètement la ville de Paris de ses eaux
d'égouts et à les transporter dans de vastes terrains
environnants ; c'est ce qu'on appelle l'épandage des
eaux faisant suite au loul à l'égout. Il paraît qu'il y a
auprès de Paris 30,000 hectares de sables presque
sans valeur, qu'il serait possible de féconder de cette
façon. Les eaux résiduaires ainsi répandues sont très
riches en germes pathogènes divers ; on y rencontre
le bacille de la tuberculose, du tétanos, de la fièvre
typhoïde, le vibrion septique, etc. Or, dans le sol, les
germes à l'état de spores conservent pendant des
années leur vitalité ; ils trouvent également l'humi-
dité et la chaleur nécessaires à leur pullulation. On
peut voir avec les yeux de l'esprit combien doivent
être riches en bactéries, ces eaux d égouts, si l 'on
qu'elles ont servi à nettoyer les rues de la capi-
songe
tale, réceptacle commun des crachats tuberculeux,
du jetage morveux des spores tétanigènes, des micro-
bes de la septicémie, de la diphtérie, etc. Et c est sur
les terrains fertilisés au moyen de ces eaux qu'on
cultivera les légumes apportés demai n aux Halles cen-
trales. Il est donc de première importance de s'as-
si les végétaux sont susceptibles de prendre
surer
dans le sol ces virus infectieux, surtout lorsque ces
sont à l'état de spores, c 'est-à-dire à l état de
germes
corpuscules de proportions infiniment réduites. Avant
de conseiller une alimentation végétale, il est de toute
nécessité d'être fixé sur ce point.
Que deviennent dans le sol les germes pathogènes ?
MM. Grancher et Richard ont fait de sérieuses études
cette importante question d'hygiène ils ont vu que
sur ;

le bacille typhique disparaissait à cinquante centimè-


tres de profondeur. Au delà de cette limite, ils n ont
jamais rencontré ce bacille. MM. Wurtz et Mosny ont
essayé, à l'aide d'un appareil fort ingénieux, de dé-
terminer exactement la profondeur à laquelle ce
même bacille typhique descendait dans le sol; ils ne
l'ont jamais trouvé au delà de soixante centimètres.
En outre, ils se sont assurés qu'en amenant une nappe
d'eau souterraine à cinquante centimètres de la sur-
face du sol, cette nappe n'entraînait pas de bacilles
vivants. Les bacilles tuberculeux survivent un an et
plus dans la terre, ils conservent leur pouvoir infec-
tieux malgré les gels et dégels successifs. Les travaux
de Schotelius, Galtier et Chantemesse le prouvent
surabondamment.
Les lombrics terrestres si nombreux deviennent
même tuberculeux. Dans leur tube digestif on a trouvé
des bacilles vivants et virulents.
Disons, en passant, que la température du sol a
ime grande influence sur la culture naturelle des mi-
crobes dans le sol.
Miquel, le premier, a constaté dans la terre la pré-
sence d'un bacille qui végète activement entre 65° et
70° et qu'il a nommé Bacillus thermophilus.
Globig a montré que les microbes thermophiles abon-
dent dans les couches superficielles du sol. Il a isolé
de la terre d'un jardin 30 espèces qui poussaient sur
la pomme de terre à 58°. Ces bactéries trouvent dans
le sol les sources de chaleur nécessaires à leur déve-
loppement. D'autre part, Schotelius ayant observé
la persistance pendant des années de la colorabilité et
de la virulence des bacilles tuberculeux enfouis dans
le sol, enterra des organes sains et tuberculeux
d'hommes et d'animaux à une profondeur de ilU,25.
Des thermomètres à maxima placés dans ces organes
et d'autres mis directement dans la terre, au même
niveau, devaient indiquer le maximum de tempéra-
ture pendant l'expérience. Au bout de 7 à 8 mois les
furent déterrés la température du sol avait
organes :

atteint 13°, celle du poumon sain 22°, celle du pou-


mon tuberculeux 36°.
La terre, purificateur des eaux contaminées qui
filtrent à travers des assises suffisamment épaisses,
conserve vivants dans ses couches superficielles de
nombreux microbes pathogènes, surtout à cause des
conditions de chaleur. Le température du sol a donc
grande importance dans l'étiologie des maladies
une
contagieuses.
Les organes morts qu'on enfouit dans le sol attei-
gnent facilement 20° et 40° pendant la putréfaction;
cette température favorise singulièrement la multi-
plication des spores que des vers de terre peuvent
transporter dans les parties supérieures. La partie où
prospèrent nos légumes est donc une zone morbifique
très dangereuse.
Pasteur a montré que les fourrages récoltés sur des
fosses renfermant des cadavres d'animaux charbon-
neux et consommés par les moutons, pouvaient re-
produire l'affection charbonneuse. Il donne comme
explication de ce cas de contagion la présence des
vers de terre, qui, dans leur travail constant et con-
sidérable ramènent à la surface du sol les parties
,
profondément situées.
Nous avons arrosé de la luzerne, du trèfle et diffé-
rentes graminées avec des cultures charbonneuses
très virulentes; les tiges de ces plantes, pressées
dans un mortier, ont donné un jus dans lequel nous
n'avons jamais vu de spores.
L'inoculation sous-cutanée d'un centimètre cube de
jus, à trois cobayes et trois lapins, a donné un résul-
tat négatif. Ces végétaux mangés par des lapins, des
cobayes et des moutons n'ont pas communiqué le
charbon. Si donc la contagion de cette maladie a pu
être observée par Pasteur dans l'expérience citée plus
haut, c'est parla souillure accidentelle de la surface
extérieure des fourrages, et non par la pénétration
des microbes à l'intérieur des tissus végétaux.
Le docteur Charrin, qui a fait les mêmes expérien-
ces que nous, n'a trouvé qu'une plante grasse consen-
tant à se laisser inoculer le bacille de la suppuration.
La surface des végétaux est très favorable au dévelop-
pement des microbes. Ainsi, en Allemagne, où sévit
sur les animaux une maladie à caractère épizootique,
la lupinose) on a remarqué que le poison incriminé
la lupinoloxine n'est autre chose qu'un produit de
transformation résultant de la pullulation à la surface
du lupin de très nombreuses colonies de micro-orga-
nismes. Ces germes ne se développent pas sur tous
les lupins d'une contrée. Quelques parcelles de ter-
rain produisent seules des lupins nuisibles; à côté ils
sont inoffensifs. On a même cru remarquer que c'était
toujours le même endroit du champ qui donnait lieu
au développement de l'affection; les microbes se mul-
tiplieraient et se conserveraient sur place.
Il en est de même de la maladie d'Er¡uisclum ou
maladie des prêles. Les chevaux atteints meurent as-
sez rapidement à la suite de l'ingestion des tiges de
prêles, évidemment recouvertes d'un micro-organisme
nocif.
Les expériences que nous avons tentées en vue de
faire absorber des spores charbonneuses aux végétaux
ayant donné des résultats nuls, nous avons alors es-
sayé de faire pénétrer dans l'intérieur de leurs tissus
des substances médicamenteuses en dissolution ou en
suspension dans l'eau. Là nous avons pleinement
réussi.
L'absorption d'un principe médicamenteux se ré-
duit en somme à une question d'osmose. La solution
traverse les parois cellulaires, ce que ne peut faire
le germe contagieux, s'unit aux éléments de ces pa-
rois, molécule à molécule, et les abandonne ensuite
pour se combiner avec les éléments du liquide de la
plante. C'est pour cette raison qu'on trouve toujours
une différence de composition dans les liquides des
deux côtés de la paroi cellulaire. Ce fait ne se produi-
rait pas expérimentalement dans un appareil à dia-
lyser; il y a là une propriété particulière inhérente à
la membrane vivante. Non seulement les substances
traversant les parois agissent chimiquement les unes
sur les autres, mais la paroi cellulaire elle-même
étant vivante participe au phénomène de transforma-
tion. C'est donc osmotiquement que les racines ab-
sorbent les préparations médicamenteuses qu'on leur
impose; ces substances pénètrent dans les cellules,
se mélangent au protoplasma de ces mêmes cellules
et montent dans les parties supérieures de la plante
où elles s'accumulent.
La mémorable expérience de Raulin relative à l'in-
fluence d'une quantité infinitésimale d'un principe
dans la végétation de la plante microscopique : l'as-
pergillus niger, est pleine d'enseignement. En ce qui
concerne notre étude, elle nous apprend qu'une
très faible quantité d'un principe peut augmenter la
puissance végétative d'une plante dans des propor-
tions véritablement étonnantes, et qu'en outre cette
dernière est susceptible de s'assimiler une substance
alors même qu'elle est diluée au cinquante millième
dans un liquide.
Parmi les substances à faire absorber aux végétaux,
il nous a paru que le fer était une des plus impor-
tantes, en raison de son utilité dans l'organisme et du
parti que peut en tirer la médication tonique. Cet agent
médicamenteux appartient d'ailleurs à la classe des
analeptiques, particulièrement propres à combattre
l'anémie. Les eupeptiques et surtout les névrosthé-
niques sont loin de présenter les mêmes avantages.
Le fer entre dans la composition normale du sang
et bien que réduit à une faible proportion, il est in-
dispensable au bon fonctionnement des organes. Dans
les végétaux, il a une importance aussi grande. Le
protoplasma ou base de la vie, comme l'a appelé
Huxley, contient du fer. Sans lui la chlorophylle se
décolore et la plante meurt. Les quelques atomes de
fer de chlorophylle en font tellement partie intégrante
qu'elle perd entièrement ses propriétés spéciales
quand ils disparaissent. On peut dire que cette toute
petite quantité de fer tient sous sa dépendance la vie
de tous les êtres et que, sans elle, la face du monde
serait changée en peu de temps, puisque la fonction
chlorophyllienne est la condition première de l'exis-
tence, tout en étant immédiatement subordonnée à
la propriété fondamentale de la cellule.
De même dans le sang, le fer est de première né-
cessité. La nutrition ne s'effectue pas régulièrement
quand la proportion normale de ce corps diminue.
Enlevons le fer, et la propriété principale des globules
disparaît. Combiné avec l'hémoglobine, il constitue
la base de cette faculté précieuse du sang de pouvoir
absorber l'oxygène de l'air si nécessaire aux combus-
tions organiques. D'ailleurs, le sang veineux en ren-
ferme moins que le sang artériel.
Voici un tableau très significatif dans sa concision.

Fer contenu dans 1000 grammes de sang.


Homme en bonne santé 0,56
Homme atteint de maladie inflammatoire
Homme anémique
....... 0,49
............................ 0,36

L'homme élimine tous les jours 0,05 de fer. Il faut


donc compenser cette perte pour conserver intactes
toutes les fonctions. Boussingault nous donne la pro-
portion pour cent du fer contenu dans nos aliments
de nature végétale.
Riz 0,0015
Haricots 0,0074
Lentilles 0,0083
La viande de 6o'M/' n'en renferme
que..... 0,003

M. Linet, s'appuyant sur le rôle joué dans l'orga-


nisme par le phosphore et le fer, montre que ces corps
sont bien plus abondants dans les végétaux à poids
égal.
Sans parler du fer dont nous avons vu l'importance
comme élément du sang, rappelons que le phosphore
entre pour une assez forte proportion dans la compo-
sition du cerveau et que -la pensée est fonction de
cet organe.
Voici le tableau publié par M. Linet dans la « So-
ciété Nouvelle » revue belge :
Acide phosphorique dans 100 parties :

Porc 0.50 Fèves 1.15


Gibier 0.40 Pois 1.00
Bœuf gras ........ 0.35 Froment ..... 0.92
Oxyde de fer dans 100 parties :

Sang de lJœuf...,.. 0.71 .. Froment 8.68


Porc 0.78 Pois 1.08
Chair de humf..-,.' 0.09 Lentilles 2.0Û
Veau ............. 0.02 ...................
Les chiffres sont ennuyeux, mais il n'est rien
d'aussi éloquent, surtout quand ils sont aussi instruc-
tifs que ceux-là.
En traitant des légumes ou des fourrages d'après la
méthode que nous allons maintenant exposer, on
pourrait arriver à produire des plantes extrêmement
riches en fer, et, comme nous le verrons plus loin,
en fer sûrement assi7nilable.
Nous avons d'abord dirigé nos recherches vers les
différentes espèces végétales utilisées dans notre ali-
mentation sous forme de salades. C'est, en effet, de
cette façon que nous prenons une grande partie de
nos aliments végétaux.
La première série d'expériences a porté sur des lai-
tues, des scaroles et des chicorées.
Voici la façon d'opérer.
On prend de jeunes plants déjà forts qu'on place en
terre à environ 0,25 les uns des autres; on les arrose
pendant les huit premiers jours avec de l'eau ordi-
naire. Puis, on prépare une certaine quantité (4 à 5
litres) d'eau ferrugineuse avec 5 grammes de tartrate
de fer et de potasse, très soluble dans l'eau, dans un
récipient contenant de la vieille ferraille, de vieux
fers de chevaux, etc. Au bout de huit jours, les jeunes
plants sont arrosés avec la solution. On ajoute un peu
d'eau dans le vase qui renferme la préparation pour
remplacer celle qui sert aux arrosages, et de temps en
temps on y jette une pincée de tartrate de fer.
Au bout de quelque temps on force la dose de tar-
trate, 10, 15 grammes, pour la même quantité d'eau.
Il convient de cesser pendant quelques jours pour
recommencer un peu plus tard et ainsi de suite jus-
qu'au complet développement des salades. On peut
arroser sans inconvénients la tige et les feuilles. Il est
bon de pratiquer entre chaque pied de salade un trou
de 0,25 à 0,30 de profondeur qu'on remplit avec la
préparation indiquée plu's haut. Cette indication a
pour but de faire pénétrer le médicament jusqu'aux
plus profondes racines. Quand les salades sont dévelop-
pées, on peut commencer à les consommer en pre-
nant les précautions suivantes :
41, Couper par une section nette les pieds au collet.

2° Plonger la base des feuilles dans la préparation


i
ferrugineuse et les abandonner pendant 2 heures.
Il ne faut pas craindr-e le desséchement ou la flétris-
sure des salades ; elles se maintiennent dans un grand
état de fraîcheur. Au contraire, les plantes ainsi trai-
tées semblent prendre une vigueur plus considérable.
Cette précaution a pour but de les obliger à vivre aux
dépens de la solution et par conséquent à puiser les
éléments qui s'y trouvent. Elles n'ont aucune peine
à consommer ces aliments anormaux, étant donné
qu'elles ont subi antérieurement une espèce d'entraî-
nement progressif.
Le mot entraînement appliqué à un végétal peut
paraître excessif; il traduit cependant bien notre
pensée. Il se produit, en effet, dans les végétaux
soumis à cette médication, une sorte de travail or-
ganique spécial qui les rend aptes à s'assimiler en
dernier lieu une plus grande proportion de fer. Ce
fait particulier nous fait espérer qu'on pourrait arri-
ver à créer des races de salades ferrugineuses en
semant la graine des pieds soumis au traitement et en
poursuivant l'opération sur plusieurs générations.
Nous ne voyons rien qui puisse s'opposer à ce ré-
sultat. Les données de la science moderne nous per-
mettent au contraire d'entrevoir cette possibilité.
L'état bactéricide et le phagocytisme, c'est-à-dire la
faculté qu'ont les cellules organiques de pouvoir lut-
ter contre l'envahissement des microbes ne consti-
tuent-ils pas une propriété acquise par les cellules à
la suite de diverses circonstances parmi lesquelles
l'hérédité est la plus étonnante?
Nous savons qu'il y a des influences qui peuvent
communiquer peu à peu aux cellules une plus grande
vitalité, modifier leur nutrition d'une façon avanta-
geuse et partant leur permettre de lutter victorieuse-
ment contre les virus infectieux.
Et ces modifications apportées dans les liquides et
dans les éléments de l'organisme, qui constituent ce
qu'on appelle l' immunité, sont susceptibles de se
transmettre d'ascendants à descendants. Nous avons
vu les fucus accumuler des quantités relativement
énormes d'iode, parce que leur séjour dans la mer
les a dirigés peu à peu vers ce but; la cellule organi-
que des fucus s'est modifiée progressivement et est
devenue capable de soustraire l'iode à l'eau de mer
qui en renferme cependant une faible proportion.
De même, les cultures continues faites sur le tabac
ont prouvé que l'on peut arriver à produire des va-
riétés dont la dose de nicotine est fixe ; cette proportion
d'alcaloïde se transmet ensuite par hérédité et ne varie
pas tant que les conditions de milieu restent les mêmes.
Nous nous proposons de pousser plus loin ces recher-
ches, nous contentant aujourd'hui d'attirer l'attention
sur ce point intéressant de physiologie végétale.
Quoi qu'il en soit, pour en revenir à nos salades
telles qu'elles sont au moment où elles peuvent être
consommées, il est facile aux expérimentateurs de
s'assurer qu'elles ont bien absorbé du fer, au moyen
d'un réactif commode : le salicylate de soude. La co-
loration violet évêque que prend la solution de sali-
cylate au contact du jus de salade traitée est bien
évidente et d'autant plus intense que la quantité de
fer est plus grande. Le tanin est aussi un précieux
réactif, mais beaucoup moins sensible.
Il ne nous a pas été possible de doser exactement
la quantité de fer absorbée; il faut des appareils et
une compétence que nous ne possédons pas, mais
nous pouvons affirmer que la proportion de principe
ferrugineux absorbé par les végétaux soumis à la
méthode que nous préconisons est au moins égale à
celle que renferment les préparations tant vantées de
la grande réclame, D'ailleurs, la quantité introduite
dans le tube digestif ne prouve absolument rien ; les
préparations ferrugineuses administrées directement
à l'intérieur font peu d'effet, attendu que tout le fer
est retrouvé dans les excréments.
Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de la
pénétration et de la répartition du fer dans l'orga-
nisme.
La partie essentielle est l'assimilation, et à ce point
de vue nous pouvons assurer que la meilleure façon
de faire accepter à notre estomac un médicament
quelconque, c'est de le lui présenter sous une forme
en quelque sorte physiologique.
Pour se convaincre que le fer est facilement absorbé
par les végétaux, sans avoir recours aux réactifs chi-
miques, il suffit de se rappeler l'expérience fortuite
et récente qui a permis de colorer toutes sortes de
fleurs par la pénétration dans les tissus de matières
colorantes diverses. C'est ainsi que nous avons pu
faire des camélias bleus, des lilas verts et jaunes et
autres monstruosités florales.
On peut également, parle même procédé, commu-
niquer à des fleurs inodores un parfum délicieux et
obtenir des dahlias et des chrysanthèmes odorants.
Nous n'aurions jamais soupçonné, il y a quelques
années, que, de ces fleurs sans originalité, d'une al-
lure triste et désolée, l'homme arrivât à en faire la
garniture la plus éclatante, la plus variée, la plus dé-
corative et la plus troublante comme odeur, des vases
qui surmontent les consoles de nos salons.
Pourquoi le végétal résisterait-il plus à l'assimila-
tion d'une solution ferrugineuse qu'à celle de subs-
tances chimiques colorantes ou parfumées?
D'ailleurs, dans notre méthode des légumes médi-
camentés, nous combinons la double influence de la
force végétative et de la capillarité ; nous réunissons
donc toutes les chances de réussite.
Qu'on n'objecte pas que la plante prend dans le sol
les principes qui lui conviennent et reste indifférente
à ceux qu'on veut lui imposer, car tous les amateurs
de fleurs connaissent le procédé employé pour pro-
duire
Le paradoxe bleu du Fol hortensia.

Il suffit d'arroser un hortensia blanc ou rose avec


une solution ferrugineuse pour le rendre bleu; l'hor-
tensia blanc devient bleu quand il est seulement cul-
tivé dans ce qu'on appelle une terre ferrugineuse. Si
on emploie la solution il faut la préparer avec 10 gram-
mes de sulfate de fer et 1000 grammes d'eau ; cinq ou
six arrosages avant la floraison suffisent générale-
ment.
Voilà donc un végétal qui se passait parfaitement
de fer et qui en absorbe cependant quand on le place
dans des conditions particulières.
MM. Berthelot et André ont montré tout derniè-
rement comment on peut doser avec exactitude le
Ph, S, C, atc. dans les plantes; comment aussi les
analyses opérées par voie humide et avec le concours
prolongé des acides même bouillants, et souvent l'in-
cinération elle-même, ne fournissent que des résul-
tats incomplets et des dosages parfois éloignés de la
réalité.
Ces expérimentateurs ont développé ces études pour
la potasse, la soude, le fer, le phosphore, etc.; ils in-
sistent sur les résultats obtenus relativement aux al-
calis et aux oxydes.
Les végétaux, en effet, exercent sur la terre et sur
l'extraction des alcalis et autres substances qui y sont
contenues des réactions chimiques propres, tout à fait
distinctes des actions lentes des agents atmosphéri-
ques, et plus encore des actions des acides minéraux.
Les plantes arrivent à tirer du sol, disent ces au-
teurs, les moindres traces de Ph. S. potasse, fer, né-
cessaires à leur alimentation. Elles les extraient du
sol, le plus souvent en absorbant pour leur propre
compte sous forme de composés organiques particu-
liers des doses d'acide silicique bien plus considé-
rables que la dose de cet acide qui serait soluble di-
rectement dans les acides minéraux purs.
M. P. Petit a montré que l'orge contenait du fer à
l'état de composé organique, analogue aux nucléines,
et a isolé cette nucléine. Depuis lors, examinant l'in-
fluence du fer, à diverses formes de combinaison,
sur la végétation de l'orge, il lui a paru que les sels de
fer étaient parfaitement absorbés par l'orge au même
titre que le fer à l'état organique, et qu'ils ame-
naient comme celui-ci une assimilation plus intense
d'azote.
Les ferrugineux sur les végétaux auraient, en plus,
de leur action tonique, une influence bien nette sur
l'assimilation des substances azotées.
Les légumes médicamentés que nous préconisons
seraient donc des agents médicamenteux toniques
et très nutritifs par le fer et l'azote assimilés.
Les Norvégiens utilisent depuis longtemps le pou-
voir absorbant du bois pour injecter les poteaux télé-
graphiques. Ils forent Illl trou de tarière dans chaque
poteau à 0 m. 75 du sol et y déposent des cristaux de
sulfate de cuivre qui diminuent peu à peu. Tous les
trois ou quatre mois, on ajoute du sulfate de cuivre
remplacer celui qui a été absorbé par le bois.
pour
L'absorption du sel cuprique s'effectue de haut en bas
et de bas en haut avec une régularité parfaite, ainsi
que le prouve la teinte verdâtre caractéristique que
l'on voit dans chaque section.
Comment douter ensuite de l'absorption d'une solu-
tion ferrugineuse par la tige fraîchement coupée
d'une salade?
Dans une deuxième expérience, nous avons essayé
de faire du cresson ferrugineux. Rien n'est plus fa-
cile. Tout le monde peut produire à très bon marché
une excellente salade tonique, dépurative et antiscor-
butique.
Il suffit de prendre un récipient en forme de baquet
d'une contenance de vingt litres environ ; on place à
la partie inférieure un petit robinet destiné à renou-
veler l'eau et à la partie supérieure on étend une
sorte de toile d'emballage très grossière qui doit être
contact avec l'eau. On place dans le fond du ba-
en
quet de vieux morceaux de fer avant d'étendre la
toile, puis on jette sur cette dernière de la graine de
cresson. Au début, pour no pas gêner le développe-
ment des graines, il faut se contenter d'eau rouillée;
cette eau est très bonne, l'eau rouillée n'étant autre
chose qu'un mélange d'hydrate de péroxyde de fer et
de carbonate de fer en suspension dans l'eau. Le car-
bonate de fer se dissout facilement et s'absorbe bien.
On renouvelle l'eau tous les cinq à six jours. Douze à
quinze jours plus tard, on ajoute environ dix gram-
de tartrate de, fer et de potasse, et on continue
mes
ainsi jusqu'au développement complet du cresson.
Ajoutons que toutes ces salades conservent leur
bon goût naturel.
Ces premières expériences nous ayant donné pleine
satisfaction, nous les avons poursuivies.
A la suite de l'extrême sécheresse de l'année 1892,
l'ostéoclastie faisait de grands ravages dans le Poitou.
Les plantes renfermant peu de matières minérales
nourrissaient insuffisamment les vaches laitières.
Dans une de nos fermes, à la Douardière, commune
de Coulombiers (Vienne), presque toutes les vaches
présentaient les symptômes de la maladie. Quelques-
unes périrent, les autres se traînèrent péniblement
jusqu'au printemps. A cette époque, nous traitâmes
un champ de luzerne et de trèfle avec la préparation
suivante :
Sulfate de fer 50 gr.
Phosphate de squde 500 gr.
Azotate de chaux....... 'j00 gr.
le tout dilué dans trois barriques d'eau.
Les plantes récoltées furent données aux vaches
malades; en outre, le fermier employa dans ses
cultures des engrais phosphatés et superphospha-
tés. L'année suivante, malgré l'excessive sécheresse
de l'été, on ne remarqua plus un seul cas de la mala-
die. Les fourrages devinrent meilleurs, les animaux
multiplièrent, vinrent mieux, l'allaitement se fit
se
dans de meilleures conditions; en un mot, une heu-
reuse transformation se manifesta.
Depuis, le hasard qui fait tout à propos, nous a
placé dans milieu se prêtant admirablement à la
un
continuation de ces expériences. Les jeunes chevaux,
dont nous sommes chargé de surveiller l'acclimate-
ment, souvent pénible, sont bien justiciables d 'un
traitement à base de plantes riches en sels minéraux,
notamment en fer assimilable. De plus, la campagne
habitons est riche en carrières de phospha-
que nous
tes fossiles ; nous sommes précisément placé sur la
veine étroite de coquillages marins qui part des Ar-
dennos et traverse une bonne partie de la France. Les
éléments ne nous ont donc pas manqué; disons tout
de suite que les jeunes chevaux convalescents que
soumis au traitement tonique des plantes
nous avons
rnédicamentées en ont tiré les meilleurs résultats.
De même, il serait indiqué de donner aux moutons
atteints de cachexie .aqueuse des fourrages traités
d'après la méthode précitée.
Au point dé vue de l'agriculture, le fer rendrait de
grands services si on savait l 'utiliser. Ainsi, un agri-
culteur du Jura, M. Albert, a expérimenté l'emploi
du sulfate de fer --t a obtenu une récolte en fourrages,
double. Il serait indiqué d'utiliser les résidus des
tanneries ou tannées sur lesquels on pourrait verser
une solution ferrugineuse et obtenir des tannates et
des gallates de fer d'un emploi facile et économique
en agriculture.
Les engrais sont à la terre ce que le sang est aux
animaux. C'est la terre qui est anémique, et si nous
sommes atteints de la même maladie, c'est que le
sol, pauvre en principes nutritifs, donne des plantes
anémiées, lesquelles nourrissent mal l'homme et les
animaux.
On sait que l'une des lois fondamentales de l'agri-
culture exige la restitution au sol, des matières miné-
rales enlevées par ces végétaux.
C'est une constatation très ancienne que les végé-
taux renferment constamment des matières terreuses
et alcalines qui sont indispensables à la croissance
des plantes, à leur vie complète et même à leur des-
tination, qui est, pour la plupart, d alimenter des
êtres vivants. On a même remarqué que le végétal
avait à cet égard une certaine propriété d'élection
qui lui fait préférer tel terrain à tel autre comme plus
profitable à son développement, parce que les sels
minéraux nécessaires s'y trouvent en plus grande
abondance.
Trouver pour chaque plante le terrain d élection et
savoir pourquoi ce terrain est chimiquement propre
à la croissance de cette plante, c'est ce que Boussin-
gault a appelé d'une belle expression « consulter l'o-
pinion du végétal ). Toute la chimie agricole en dé-
coule.
Or, de tous les produits chimiques, dont l'utilisa-
tion comme engrais devait être reconnue avantageuse
dans le plus grand nombre des cas, il n'en est guère
de plus important que l'acide phosphorique, qui se
présente et est utilisé généralement sous l'aspect de
phosphates. Les chimistes ont eu vite fait de consta-
ter que l'acide phosphorique favorise au plus haut
degré la production du grain pour les céréales, la for-
mation du sucre dans la betterave et celle de la fécule
dans la pomme de terre.
Des calculs précis ont établi que sur une superficie
d'un hectare cultivé, le blé consomme 37 kilos d'acide
phosphorique, la betterave 50 à 55 kilos, l'avoine un
peu moins ; pour le foin et la luzerne, le taux peut
s'élever à 70 et à 80 kilos.
D'une façon générale, tous les fourrages, les gra-
minées des prairies, les céréales et les légumineuses
ont besoin de beaucoup de phosphates. Tous les culti-
vateurs savent combien cet amendement profite au
froment, à la luzerne, au sainfoin, au sarrasin, au
trèfle, à la betterave, au maïs, à l'avoine, au topi-
nambour, à la vesce, au pois, au haricot, à la fève, à
la pomme de terre, etc., etc.
Ils savent aussi combien est plus profitable à leurs
bestiaux le fourrage riche en acide phosphorique, et
qu'avec une quantité moindre de bon foin ils obtien-
nent à cet égard un meilleur résultat. Leurs animaux
abandonnés dans les pâturages savent d'eux-mêmes
trouver les zones de terrain cultivé que le phosphate
est venu enrichir.
Si l'on réfléchit en effet que les deux tiers de la
charpente osseuse des animaux sont formés d'acide
phosphorique uni à la chaux et à la magnésie, et que
ce môme acide uni à la potasse se trouve en quantité
notable dans les muscles et les nerfs, on s'explique
sans peine que l'instinct seul le fasse rechercher.
Si par suite du peu de richesse du foin, il vient à
faire défaut, l'animal dépérit; ses os s'affaiblissent,
tout l'organisme souffre, sa lactation s'en ressent et
ses produits s'étiolent en bas âge.
Le mouton, le bœuf et la vache doivent trouver
dans leur alimentation journalière des quantités d'a-
cide phosphorique variant de huit grammes jusqu'à
quinze grammes, et les phosphates qu'on mêle artifi-
ciellement à leur nourriture ne produisent jamais à
cet égard les heureux effets d'un foin naturellement
riche.
Les mêmes considérations s'appliquent au fer.
Nous avons vu la quantité relativement considéra-
ble de fer éliminée par les animaux dans une journée;
il est donc indispensable de restituer à ceux-ci la pro-
portion de principe ferrugineux perdu. Et il n'y a que
les plantes riches en fer qui soient susceptibles de
remplir efficacement ce rôle.
Enfin, nous tenterons Vabsorption des antiseptiques
-
par les plantes. Ces dernières recevraient de nom-
breuses applications dans la thérapeutique des mala-
dies contagieuses. Nous essayerons notamment de
faire pénétrer une solution d'acide salicylique dans
les tissus de la spirée (Spirea ulmaria) ou reine des
prés ; cette plante en renferme déjà une notable pro-
portion à l'état spontané. L'écorce de saule, qui ren-
ferme de la salicine, mériterait également un traite-
ment intensif, l'acide salicylique étant un précieux
antipyrétique et un antifermentescible de premier
ordre.
Peut-être essayerons-nous également le passage à
travers l'organisme végétal de préparations iodées en
vue du traitement du crétinisme sous toutes ses for-
mes. L'iode est, on le sait, l'obstiné satellite du fer,
et pourrait probablement pénétrer dans les tissus vé-
gétaux en même temps que ce dernier. Les plantes
iodées seraient indiquées comme traitement hygiéni-
que à des populations entières. Le Valais, en Suisse,
en retirerait les plus grands avantages.
CHAPITRE II

La pénétration et la répartition du fer


dans l'organisme.

Notre intelligence se lasse plutôt de


concevoir que la science de fournir.
« PASCAL.

Terminons par un aperçu rapide des travaux sur


la pénétration et la répartition du fer dans l'orga-
nisme. Les très récentes recherches dont nous allons
parler jettent sur la question que nous avons soulevée
une vive lueur et confirment les conclusions que
nous avons avancées.
Sans vouloir entreprendre un historique complet
d) nos connaissances sur ce point, rappelons que
jusqu'à ces derniers temps les vieilles théories du
passé étaient seules admises comme irréfutablement
établies. La formation de l'hémoglobine au moyen
des sels de fer de nos aliments et d'une matière albu-
minoïde ; la forte proportion de fer de la rate ; le rôle
particulier qu'on attribuait à cet organe dans la pro-
duction des globules rouges et l'action de la bile dans
l'élimination du fer sous forme de sulfure, consti-
tuaient un ensemble de faits acquis depuis longtemps
et auxquels en n'osait pas toucher. Il est si doux de
s'endormir dans une tranquille digestion des con-
naissances qu'on s'est assimilées peu à peu et aux-
quelles on tient d'autant plus qu'on a la paresse de
les contrôler ou de chercher une explication nouvelle
et plus rationnelle!

Pour ces amis du slalu quo perpétuel, les travail-


leurs que la recherche de l'inconnu agite et tourmente
sont des ennemis. Aujourd'hui plus que jamais les
expérimentateurs sont portés à tout vérifier, même
les lois les mieux établies. Ainsi il en a été de cette
grande question de la pénétration et de la répartition
du fer dans l'organisme, que le docteur Lambling,
dans un très intéressant article, vient de mettre au
niveau de la science actuelle.
La première chose à rechercher est de savoir s'il y
a une relation entre la formation des globules rouges
et l'administration à l'intérieur de l'organisme de
préparations martiales. Il est facile de répondre par
la négative en se basant sur l'inconstance des effets
des ferrugnieux et sur la lenteur de leur action.
M. Lambling se pose d'abord cette question d'une
mportance capitale :
Les préparations ferrugineuses introduites dans
l'est01nac sont-elles absorbées ?
En cherchant le fer absorbé, puis éliminé par les
urines, comme il était rationnel de le faire, Adolphe
Becquerel, Ihring et Hamburger n'ont pu obtenir au-
cune des réactions du fer dans l'urine fraiche, chez
les individus bien portants ou chlorotiques, et cela
avec tous les sels de fer. Mais le fer, s'il ne sortait pas
de l'organisme par les urines, pouvait prendre une
autre voie : c'est, en effet, par la surface intestinale,
ainsi qu'on vient de le démontrer, que s'élimine le fer.
Ce n'est pas, comme on l'a cru longtemps, par l'in-
termédiaire de la bile, mais bien parle suc gastrique
que Bunge considère comme étant de tous les liquides
digestifs le plus riche enfer. C'est ainsi que Gottlieb,
après une injection intra veineuse de 145 milligram-
mes de fer chez un chien maintenu à jeun, retrouva,
dans 35 c.c. de liquide vomi deux et trois jours après,
15 milligrammes du métal injecté. On observe le
même phénomène pour d'autres métaux, tels que le
bismuth et le manganèse.
Quand on suit par l'analyse quantitative cette éli-
mination du fer par l'intestin, on observe un phéno-
mène curieux. Vingt minutes après l'injection intra-
veineuse les urines contiennent du fer, mais quelques
,
heures plus tard, on n'en voit plus aucune trace. On
a calculé que pendant ce temps les urines avaient
éliminé à peu près 1/4 p. 100 du fer injecté. Que
devient le reste? Jakobj démontre que le métal s'ac-
cumule dans le foie ; on retrouve dans cet organe jus-
qu'à 70 p. 100 de la quantité injectée. D'ailleurs ce
fait se reproduit avec tous les métaux lourds : plomb,
cuivre, manganèse, etc. Le foie retient donc le fer et
le cède peu à peu au courant sanguin qui l'élimine
principalement par la surface intestinale.
Le manganèse se conduit dans l'organisme comme
le fer, et les observations relatives à ce métal sont
comparables à celles qu'on peut faire sur le fer. Or,
les expériences de Cahn et Kobert démontrent que le
manganèse n'est pas absorbé ou bien qu'il n'apparaît
dans les urines que lorsque le sel administré a com-
mencé à irriter et à désorganiser la muqueuse. Si on
conclut par analogie du manganèse au fer — et il y a
pour cela les meilleures raisons — on est obligé de
croire à la non-absorption des préparations ferrugi-
neuses introduites dans l'estomac ou au délabrement
de l'appareil digestif dont nous avons déjà parlé au
commencement' de cette étude.
Ces deux alternatives sont peu encourageantes pour
ceux qui sont dans l'obligation d'avoir recours à la
médication ferrugineuse.
Arrivons à présent à une partie encore plus inté-
-
ressante du travail de M. Lambling. S'il est vrai que
le fer minéral n'est pas absorbé par l'intestin, la ques-
tion se pose immédiatement de déterminer la nature
des matériaux auxquels l'économie emprunte, en de-
hors de toute médication, le fer nécessaire à l'entre-
tien de ses globules. Et la solution de ce problème
physiologique nous intéresse tout particulièrement
parce que nous y trouvons la preuve des faits que nous
soupçonnions seulement et qui nous ont poussé à
l'étude de l'absorption des ferrugineux par les plantes.
.. Un expérimentateur, Bunge, a cherché à connaître
les combinaisons du fer dans le lait et l e jaune d'œuf.
Cette idée était fort ingénieuse, car l'étude de ces
combinaisons du fer avec les éléments qui doivent
constituer l'hémoglobine chez les enfants et les jeunes
animaux pouvait seule permettre d'entrevoir la forme
sous laquelle on doit administrer les ferrugineux
pour en obtenir le maximum d'effets.
En traitant des jaunes d'œufs par de l'alcool et de
l'éther, on dissout les parties ne contenant pas de fer;
celui-ci reste dans le résidu, où on le trouve dans la
proportion de 29 p. 100. Bunge a très heureusement
nommé hématogène la substance riche en fer ainsi
isolée des jaunes d'œufs. On n'a pas encore pu re-
tirer l'hématogène du lait. Mais dès à présent les es-
sais de Bunge permettent d'affirmer que le lait,
« comme aussi la plupart de nos aliments d'origine vé-
gétale, contient le fer, non à l'état minéral, mais sous
la forme de combinaisons organiques analogues à l'hé-
matogène. » Voilà donc ce point capital parfaite-
ment établi : les préparations ferrugineuses resteront
toujours sans effets, ou en auront de désastreux
•pour la santé, tant qu'on persistera à les administrer
sous forme minérale. La combinaison organique du
fer dans le lait, le jaune d'œuf et les aliments vé-
gétaux constitue la forme idéale, la source unique à
laquelle nous devrons désormais emprunter le fer, si
utile au*: différents rouages de notre machine hu-
maine.
Cette constatation faite, il restait à savoir si l'hé-
matogène, telle que nous venons de la voir, était ab-
sorbable. Sôcin, guidé par Bunge, l'initiateur de tou-
tes ces expériences fécondes en enseignements, a pu
obtenir, à la suite de l'administration de jaunes d'œufs
à des chiens, une élimination par les urines de 7 à
12 milligrammes de fer en plus de la quantité nor-
male.
Cette proportion est énorme si l'on songe que le fer
absorbé s'élimine surtout par la surface intestinale et
très peu par les urines. A la suite de ces expériences,
on s'est appliqué à préparer une combinaison orga-
nique du fer se rapprochant sensiblement de l'héma-
togène. Marfori a obtenu par l'action d'un sel de fer
sur une alcali-albumine en solution ammoniacale une
combinaison organique se comportant avec les réac-
tifs à peu près de la même manière que l'hémato-
gène. Mais combien il est plus simple de recourir à
nos végétaux rendus ferrugineux par la méthode que
nous avons exposée et qui contiennent abondamment
ce fer organique si bien approprié à notre estomac et
à nos besoins! Cette séduisante et originale méthode
a eu d'ailleurs plus de retentissement que nous n'o-
sions l'esnérer. La grande presse parisienne : le Temps,
le Figaro, le Petit Journal, le Petit Parisien, etc.,
la plupart de nos revues scientifiques en ont fait des
analyses trop élogieuses et ont puissamment contri-
bué à son succès.
Par les nombreuses lettres que nous avons reçues à
la suite d'un article de Thomas Grimm, du Petit jour-
nal, nous avons pu voir combien le végétarisme dont
nous vantions les bienfaits était développé à l'étran-
ger, et combien il avait de tendance à s'acclimater
en France. Si nous n'avons pas encore, comme en
Allemagne et en Angleterre, des hôtels et auberges
végétariens, il y a tout au moins chez nous un sérieux
mouvement en faveur du végétarisme, qui aura peut-
être raison des obstacles que la routine et d'anciennes
théories surannées lui opposent. Puisque nous pro-
nonçons de nouveau ce mot de végétarisme, nous ne
pouvons résister au plaisir de parler d'un travail de
Léon Tolstoï, le grand écrivain russe.
Dans un très éloquent article, l'illustre philosophe
fait le procès de nos mœurs actuelles :
« Regardez, dit-il, les visages et la constitution des
hommes de notre société et de notre époque : tous
ces visages, avec des mentons et des joues pendants,
les membres trop gras et l'abdomen proéminent, vous
parlent éloquemment d'une vie pleine de débauche.
Et comment pourraient-ils être autrement? Deman-
dez-vous quel est le mobile principal de leur vie? Le
principal mobile de la majorité des hommes de notre
société et de notre époque est la satisfaction du
palais, la satisfaction du manger, la voracité.
« L'unique, le véritable intérêt et des hommes et
des femmes, c'est le manger, surtout après la pre-
mière jeunesse. Comment manger? Que manger?
Quand? Où?
« Pas une solennité, pas une joie, pas une inau-
guration ne se passe sans banquet.
« Voyez les voyageurs. On remarque cela encore
mieux chez eux. —Où mangerons-nous? Où mange-t-
on le mieux? — Et regardez les hommes quand ils se
réunissent pour un dîner, parés, parfumés autour
d'une table ornée de fleurs. Avec quelle joie ils se
!
frottent les mains et sourient
« Si on regardait au fond de l'âme pour savoir ce
que désire la majorité des hommes, on verrait que
c'est l'appétit. En quoi consiste, dès l'enfance, la pu-
nition la plus cruelle ? Être condamné au pain et à
l'eau. Quel est le domestique le mieux rétribué? Le
cuisinier? »
Puis l'auteur démontre que, sans l'abstinence, il
n'est pas de vie morale possible. L'homme gourmand
est incapable de lutter contre la paresse; et celui qui
est oisif et gourmand à la fois n'aura jamais la force
de lutter contre la passion de la femme.
Il fait ensuite un saisissant tableau d'un abattoir :
l'odeur pénible, répugnante, fade, qui se dégage des
échaudoirs; les bouchers en tabliers maculés de sang,
les manches également sanguinolentes, retroussées
sur leurs bras; les défenses des animaux qui, sentant
le sang, s'arc-boutent, mugissent, reculent jusqu'à
ce que rabatteur jette par terre cette jolie bête pleine
•de vie tout à l'heure.
Enfin Tolstoï termine en proclamant la supériorité
du régime végétal. La viande ne sert qu'à développer
des instincts bestiaux, la lubricité, la luxure, l'alcoo-
lisme.
Il est confirmé que la vertu ne va pas avec le bif-
teck.
Veut-il démontrer que, pour devenir bons, les hom-
mes doivent cesser de manger de la viande? Nulle-
ment.
Il veut seulement prouver que, pour arriver à une
vie morale, il est indispensable d'acquérir progressi-
vement les qualités nécessaires, et que, de toutes les
vertus, celle qu'il faudra conquérir avant tout autre,
c'est la sobriété, la volonté de maîtriser ses passions.
Et s'il cherche sérieusement et sincèrement la voie
morale, la première dont l'homme se privera sera la
nourriture animale; car, sans parler de l'incitation
aux passions produites par cette nourriture, son usage
est tout simplement immoral, puisqu'il exige une
action contraire au sentiment de la moralité, l'assas-
sinat, et il n'est provoqué que par la gourmandise, la
voracité.
En résumé, la thèse soutenue par Tolstoï peut se
formuler ainsi :
1° Le luxe est mauvais ;
2° Notre alimentation est trop abondante;
3° Il faut remplacer notre alimentation animale par
une alimentation végétale.
Si on peut critiquer certains points de ce travail,
on est obligé de partager les idées qui constituent le
fond même de la thèse. Il est certain que les raffine-
ments de notre cuisine nous obligent à manger beau-
coup plus que notre s'anté ne l'exige, et que la vie
facile et luxueuse nous dispose mal aux privations.
Zabarawski rapporte que la ration journalière d'un
Esquimau, dont l'alimentation est exclusivement ani-
male est de 24 livres de viande et de graisse, tandis
,
que l'habitant du Sahara, qui entreprend un voyage
d'un mois sur son chameau de selle, n'emporte avec
lui que 20 kilog. de nourriture et 10 kilog. d'eau. Par
mois, il ne lui faut pas le double, en poids, des ali-
ments nécessaires à l'Esquimau pour un seul jour. Et
ce sont des aliments de nature végétale, farine et
dattes.
Il faut bien croire qu'il y a autre chose qu'une dif-
férence de climat dans cette supériorité du régime
végétal.
Nous allons terminer la question de la pénétration
et de la répartition du fer dans l'organisme par quel-
ques conclusions auxquelles les derniers travaux ont
abouti, sans nous étendre autrement sur le détail des
expériences.
En faisant l'analyse des cendres de lait, on s'est
aperçu que la teneur en fer des cendres du lait est six fois
plus faible que celle des cendres du nouveau-né. On
s'est alors demandé à quelle source l'enfant puisait le
fer en dehors du lait et on a montré que le nouveau-né
possède au moment de la naissance une provision de
fer qu'il utilise au fis et à mesure qu'il se développe.
Ces faits sont du plus haut intérêt. Ainsi que Bunge
s'en est assuré par les examens réitérés du contenu
stomacal, les jeunes de lapin se nourrissent exclusive-
ment du lait de la mère pendant les deux premières
semaines. Au milieu de la troisième semaine, ils com-
mencent à ingérer, avec le lait, quelques aliments vé-
gétaux, et, à partir de la quatrième semaine, on
constate que l'estomac ne renferme plus guère que
des substances végétales. Or, la quatrième semaine
marque précisément l'époque où la réserve de fer que
possédait l'organisme est descendue à son minimum.
A mesure que l'animal absorbe des aliments végé-
taux riches en fer, la teneur en fer de l'organisme re-
monte de nouveau.
Il convient de signaler ici la conclusion pratique
qui ressort des travaux si intéressants de Bunge.
Sitôt que la période de l'allaitement est terminée, le
lait doit cesser de prédominer dans l'alimentation du
nouveau-né, car il est beaucoup trop pauvre en fer.
D'autres éléments plus riches en fer, et en particulier
le jaune d'œuf, doivent faire le fond de son alimenta-
tion. La même remarque s'applique à l'alimentation
des adultes anémiques. Voici quelques chiffres ex-
traits du tableau de Bunge.
On trouve pour 100 grammes de substance sèche :

Dans le lait 2.3 de fer.


— les lentilles.... 9.5
le jaune d'œuf
— ........... 10.4

et enfin Y énorme proportion de 32 à 39 grammes


dans les epinards. Cette composition extraordinaire
de l'épinard devrait réhabiliter cet ancien populaire
balai de ïestomac. Quand nous avons parlé des incon-
vénients nombreux des préparations martiales phar-
maceutiques : noircissement des dents, désorganisa-
tion de l'estomac, etc., nous n'avons pas mentionné
la constipation qui accompagne toujours le traite-
ment ferrugineux. Or l'épinard, avec son étonnante
composition, est laxatif. Un ferrugineux laxatif, n'est-
ce pas l'idéal?
Puisque le nouveau-né arrive au monde avec une
provision de fer, c'est évidemment aux dépens de
l'organisme de la mère que se fait cette accumulation
dans le fœtus. On s'est alors demandé à quelle épo-
que de la vie l'organisme maternel prépare cette
réserve de fer que le nouveau-né emporte avec lui.
Il est douteux, d'après Bunge, qu'une quantité aussi
considérable de fer soit assimilée en surplus par la
mère pendant le tethps relativement court de la gros-
sesse. Il est plus vraisemblable que, longtemps déjà
avant la conception, cette réserve de fer se prépare
lentement dans un organe quelconque. On s'expli-
querait ainsi pourquoi la chlorose est plus fréquente
chez la femme et pourquoi elle apparaît plus souvent
à l'époque de la puberté. Il est probable que c'est
dans la rate qu'a lieu celte accumulation. KrÜger rap-
porte que la rate contient environ cinq fois plus de
fer chez la vache que chez le bœuf.
Voici quelques-uns de ses résultats :
Fer pour 100 gr. de tissu splénique :

Bœuf. 0 46
Vaches pleines 0 43
Vaches non pleines ............ 2 17

Tel est l'état actuel de nos connaissances sur la


pénétration du fer dans l'organisme et sa répartition
dans les tissus. Comme on le voit, les faits récents
que l'expérience vient de révéler sur cette question si
suggestive confirment nos prévisions, quant au prin-
cipe de l'assimilation sûre par nos organes, des fer-
rugineux pris préalablement par les végétaux. Notre
méthode n'est encore qu'à ses débuts, mais elle est
séduisante. Elle a au moins le mérite de serrer aussi
près que possible les procédés de la nature et de ne
rien changer ni au régime ni à l'économie vitale des
malades.
Les travaux de Bunge ont déjà complètement bou-
leversé les anciennes idées; ils ouvrent un champ
nouveau aux investigateurs qui ont l'intuition des
vérités scientifiques; il y a donc lieu de les poursuivre.
L'hypothèse de la veille devient aussi la réalité du
lendemain, et le mot de Pascal reste toujours vrai :
« Notre intelligence se lasse plutôt de concevoir que
la science de fournir. »
CHAPITRE III

La Presse et la Méthode des végétaux


médicamentés

Cette méthode des Végétaux médicmnentés a eu le


plus franc succès auprès du public, grâce aux analyses
élogieuses faites par les leaders des grands quoti-
diens parisiens. Elle a eu, comme on dit de nos
jours, une très bonne presse.
MM. Thomas Grimm dans le Petit Journal, Jean
Frollo et Valensol dans le Petit Parisien, Émile Gau-
tier dans le Figaro et le Petit Journal, Vernier et
Max de Nansouty dans le Temps, Mikhael Suni et la
plupart des écrivains scientifiques, séduits par le
côté vraiment original et pratique de cette nouvelle
thérapeutique, ont exposé longuement le principe
même de la méthode et indiqué ses applications pos-
sibles.
Nous profitons de cette occasion pour adresser à
ces puissants vulgarisateurs des saines doctrines l'ex-
pression de nos respectueux remercîments.
Les articles de ces princes du journalisme contem-
porain, populaires à juste titre, ont été reproduits ou
commentés par toute la presse française et étrangère.
Aussi avons-nous été littéralement assailli de let-
tres nous demandant des renseignements ; ces lettres
provenaient de toutes les parties de la France, de
l'Europe et de l'Amérique.
Et cette constatation de l'influence de la presse
française à l'étranger n'a pas été la moindre part de
notre satisfaction d'avoir lancé dans le monde des idées
scientifiques un germe nouveau dont les fruits pas-
seront encore, nous l'espérons, la promesse des fleurs.
Nous donnons ci-après quelques appréciations des
principaux écrivains scientifiques actuels :

NOTE DE M. DUCliARTRE DE L'INSTITUT

Comme pièce de la correspondance imprimée,


M. P. Duchartre dépose sur le bureau une brochure
intitulée : De l'absorption des médicaments par les
plantes, et de leur utilisation en thétapeutique, par
M. Gabriel Viaud, et résume succinctement les idées
de l'auteur qui d'abord regarde les aliments végétaux
comme les meilleurs de tous et qui ensuite, se ba-
sant sur des expériences, conseille de faire absorber
des substances médicamenteuses, surtout du fer, à
des plantes, notamment à des salades, qui devien-
nent ainsi de vrais et non moins utiles qu'agréables
médicaments.
Bulletin de la Société nationale
d'Horticulture de France.
Le Temps.

CAUSERIE SCIENTIFIQUE

Lorsque les gens, bien des gens, s'étiolent et s'a-


némient dans notre existence surchauffée, on leur
dit : « Prenez du fer, buvez de l'eau ferrée. » Le prin-
cipe est traditionnel. Nos pères, déjà, mettaient de
vieux clous dans une bouteille d'eau et préparaient
ainsi artificiellement de l'eau ferrugineuse. Puis sont
venues les préparations pharmaceutiques les plus sa-
vantes. On les a achetées, on les a bues. Comme on
se félicitait à la ronde de ce progrès, des sceptiques
ont dit : « Arrêtez-vous, de tout ce fer que l'on ab-
sorbe, oxydé, peroxydé, dialysé, il ne reste rien dans
l'organisme » A qui se fier?
!

M. Gabriel Viaud, vétérinaire au 336 d'Artillerie, a


voulu en avoir le cœur net ? il s'est livré sur ce sujet
à des recherches méthodiques. Elles sont curieuses et
instructives.
Il arrive tout d'abord à cette conclusion que l'on
n'emmagasine pas comme on veut du fer dans son or-
ganisme. Ce sont vraisemblablement le foie et la rate
qui se prêtent à cet approvisionnement dans des
conditions spéciales et lorsqu'on a soin de les tenir
en bon état. Le foie, notamment, retient le fer; il
le cède peu à peu au courant sanguin lequel l'éli-
,
mine principalement par la surface intestinale ; quant
à l'.estomac, il sert de transmetteur, mais son rôle
se borne là; il ne se livre pas à la chimie métallur-
gique.
Nous naissons tous avec une petite provision de fer
qu'il nous appartient d'entretenir sagement par les
pratiques de l'hygiène, de la sobriété et d'une nourri-
ture appropriée. En faisant l'analyse des cendres du
lait, on constate que leur teneur en fer est six fois
plus faible que celle des cendres des nouveaux-nés.
Donc, le marmot possède, au moment de sa nais-
sance, une provision de fer qu'il utilise au furet à
mesure qu'il se développe. Tant pis pour lui s'il abuse
de sa provision et ne la renouvelle pas. L'adage po-
pulaire qui dit d'un homme, c'est un homme de fer,
avec des muscles d'acier, est au fond la vérité scien-
tifique elle-même.
Que faut-il donc manger pour entretenir sa provi-
sion de métal organique? Que faut-il surtout faire
manger aux jeunes enfants? La viande est secon-
daire : les préparations ferrugineuses sont indiges-
tes. M. G. Viaud décerne la palme au lait qui. contient
2.3 de fer par 100 grammes de matière sèche, aux
lentilles contenant 9.5 de fer, au jaune d'œuf dont la
teneur est de 10.4. Les épinards malheureusement
laxatifs, contiennent l'étonnante proportion de 32 à
39 grammes de fer par 100 grammes de matière
sèche, 40 p. 100 de fer! Qui se serait douté de-cette
extraordinaire composition des épinards?
Pour ce qui concerne l'acide phosphorique, de
même que pour le fer, la teneur du blé, des fèves,
des pois et des haricots, est fort supérieure à celle de
la viande. Le haricot, malgré les fâcheux souvenirs
de collège qu'il laisse à toutes les générations, arrive
bon premier, comme teneur en acide phasphorique,
surpassant le bœuf de la meilleure qualité, ainsi que
la viande de porc et de gibier! Ces constatations
scientifiques paraissent donner entièrement raison
aux théories des végétariens; elles sont des plus ho-
norables.
MAX de NANSOUTY.

22 juin 1895.

Le Figaro.

IIERBIS NON VEKBIS.

Autrefois, aux âges naïfs, on traitait volontiers les


malades par les herbes — les « simples » — dont l'ins-
tinct divinatoire des foules avait empiriquement re-
connu les vertus curatives. Puis, on y renonça peu
à peu, la science ayant découvert le moyen d'extraire
des plantes médicamenteuses (ou de synthétiser arti-
ficiellement) les sels minéraux, les essences, les a!ca-
loïdes— l'iode des goémons, l'acide malique du jus
de pomme, l'hélénine de Candiac (suprême panacée
contre la bronchite et la coqueluche) de la grande
aunée, la quinine du quinquina, l'atropine de la bel-
ladone, etc., — bref, toutes les substances auxquelles
les « simples » doivent leurs propriétés mystérieuses
et bienfaisantes.
Ce fut là, ne nous y méprenons pas, un progrès ap-
préciable. Quand, en effet, les herbes médicinales
sont directement employées, on fait absorber au pa-
tient, en outre des substances effectivement actives,
une quantité infiniment plus grande de substances
indifférentes.
Voici que l'on revient peu à peu à la pharmacopée
végétarienne, et que certaines herbes, dédaigneuse-
ment qualifiées trop tôt de remèdes de bonne femme,
sont subrepticement remises à la mode par des prati-
ciens bien avisés. C'est que les sucs végétaux, dont la
composition est si complexe et si obscure, peuvent
parfois contenir, à côté de principes indifférents, et
en sus du principe généralement connu et employé,
plusieurs substances actives dont il n'est pas inutile
de totaliser les effets. Il peut même arriver que l'ex-
trait d'une plante qui recèle plusieurs principes ait
une action très différente de l'action sui gencris du
plus repandu d'entre eux : n'est-ce pas le cas, en ce
qui concerne l'opium, de l'extrait thébaïque et de la
morphine?
Ce n'est pas tout. L'administration des matières
chimiques proprement dites ne va pas toujours sans
quelques inconvénients. Prenez le fèr par exemple,
qui est, on le sait, l'un des éléments constituants du
sang normal et un tonique indispensable au bon fonc-
tionnement dela machine humaine. C'est une ques-
tion très délicate — si délicate qu'elle ne paraît avoir
encore reçu jusqu'ici de solution véritablement satis-
faisante — que celle de trouver une préparation fer-
rugineuse qui soit assimilable sans irriter l'estomac
ni offenser le goût..
Cependant, de toutes ces préparations, celles qui
sont à base d'acides végétaux paraissent être les moins
désagréables et les plus aisément digérées. Ce fut un
trait de lumière pour un ingénieux médecin vétéri-
naire de l'armée, M. Viaud, qui conçut dès lors l'idée,
assurément originale et probablement féconde, d'em-
magasiner systématiquement, au moyen de « trucs »
de culture appropriés, dans les tissus des végétaux
alimentaires, des principes tels que le fer, la chaux,
le phosphore, etc., bref de communiquer d'avance aux
légumes les vertus chimiques et médicamenteuses
qu'on demande d'ordinaire aux spécialités pharma-
ceutiques.
Je suppose, madame, que vous êtes anémique et
que le docteur vous a — comme c'était son devoir
— ordonné du fer. Le malheur est que vous avez l'es-
tomac réfractaire, et vous avez vos raisons pour crain-
dre que le fer ne tourne sur votre cher cœur.
— Qu'à cela ne tienne, vous dira M. Viaud : je vais
remplacer le fer par la « salade », ou plutôt je vais
vous administrer le fer redouté sous les innocentes
espèces « de laitue, de chicorée ou de cresson »...
Il le fera comme il l'aura dit. Seulement, ce seront
des salades spéciales qu'il vous servira, des salades
préalablement arrosées avec des solutions ferriques,
et dont les tiges fraîchement coupées auront été mises
ensuite à tremper dans l'eau rouillée. Sous la double
influence de la force végétative et de la capillarité, le
fer, qu'on aura pu doser exactement comme l'on dose
le sucre, au moyen des engrais, dans les betteraves
futures, la silice dans les maïs ou la nicotine dans le
tabac, le fer se sera ainsi fixé dans les tissus dont il
sera devenu partie intégrante, et vous l'absorberez
sans vous en apercevoir.
La salade n'en aura pas souffert, au contraire, car
la chlorose est chez les végétaux justiciable du même
traitement que chez l'homme, et vous, chère madame,
vous vous en porterez mieux.
On pourrait aussi bien peut-être introduire dans
l'organisme de la même agréable façon le phosphate
de chaux ou le salicylate de soude, les sels de cuivre
ou les antiseptiques.
La méthode n'en est encore qu'à ses débuts, mais
elle est séduisante. Elle a au moins le mérite de serrer
aussi près que possible les procédés de la nature et
de : ;e rien changer ni au régime ni à l'économie vitale
des patients : c'en est assez pour qu'on lui souhaite,
au moins sous bénéfice d'inventaire, longue vie et
triomphal succès.
tëmile GAUTIER.

8 avril 1893.
La Dépêche.
Toulouse.

A TRAVERS LA SCIENCE.

Voici dans le domaine thérapeutique, une char-


mante actualité, point banale du tout. Un médecin
vétérinaire, M. Gabriel Viaud, s'est préoccupé de
concilier l'antique médication par les « simples »,
par les herbes aux vertus curatives, l'empirisme des
bonnes femmes, avec la puissante pharmacopée con-
temporaine, dont maintes spécialités ne sont que des
extraits de « simples » savamment distillées, et dont
les mixtures chimiques les plus populaires, comme
le fer, en général trop violentes pour notre mécanisme
intérieur, deviennent plus aisément absorbables lors-
qu'elles sont préparées avec des sucs végétaux. Faire
entrer les médicaments dans la sève des plantes ali-
mentaires et servir aux malades ces légumes ainsi
« médicamentés », tel est le plan que s'est tracé
M. Viaud.
Des expériences ont été poursuivies sur les salades,
laitues, scaroles et chicorées ; elles ont été arrosées
avec une solution de tartrate de fer et de potasse que
l'on a concentrée au fur et à mesure du développe-
ment; M. Viaud a créé des salades ferrugineuses, et,
au lieu de se droguer avec des pilules ou des sirops à
base de fer qui fatiguent les organes digestifs, on se
régalera de ces rafraîchissantes verdures. Nos aima-
bles anémiées préféreront traiter ainsi leur chlorose.
Si l'innovation réussit, quelle révolution imprévue
dans l'existence calme des « potards » L'horticulture
!

deviendrait une annexe de la pharmacie, et une an-


nexe obligée ; ces glorieux alignements de bocaux,
dont les pompeuses exhibitions faisaient l'orgueil de
l'apothicaire seraient rivalisés, éclipsés, par les plan-
tes-bandes étiquetées. Les soins vulgaires du jardi-
nage remplaceraient en partie les savantes manipula-
tions chimiques. Pour les salades ferrugineuses, après
les avoir arrosées graduellement jusqu'à complète
croissance, on doit couper nettement les tiges et les
laisser tremper une journée dans le liquide ferrique
avant de les servir aux malades. Ce premier essai est
à la portée de tous. Souhaits sincères à cette pharma-
cie horticole !

MIKIIAEI. Suivi.

1er juin 1893.

La Nature.

THÉRAPEUTIQUE VÉGÉTARIENNE.

On a beaucoup parlé dans ces derniers temps des


expériences faites par un médecin-vétérinaire de
Poitiers, M. Viaud, sur les végétaux médicamen-
tés (l'absorption des médicaments par les plantes).
Cette méthode nouvelle consiste à faire absorber à
des légumes des principes utiles à l'organisme dans
le but de faciliter leur assimilation par nos organes
digestifs. C'est ainsi que M. Viaud a pu faire pénétrer
du fer, de la chaux, de l'acide phosphorique, etc..,
dans les tissus de nos végétaux alimentaires, pensant,
avec juste raison, que sous cette forme les principes
médicamenteux seraient sans doute plus assimilables.
-Cette méthode originale a eu beaucoup de retentis-
sement au moment de son apparition; elle a été le
point de départ de nombreux articles sur le végéta-
risme.
Depuis, M. Viaud a cherché à améliorer son oeuvre ;
d'après lui : 1° les préparations ferrugineuses intro-
duites dans l'estomac ne sont pas toujours bien absor-
bées; 2° s'il y a absorption, c'est que ces préparations
ont commencé à irriter et à désorganiser la muqueuse
stomacale; 3° le fer, dans l'œuf et le lait, se trouve à
l'état de combinaison organique analogue au fer des
végétaux. Cette dernière constatation est très impor-
tante, et Bunge qui, le premier, a eu l'idée de cher-
cher les combinaisons du fer dans le lait et le jaune
d'œuf, a eu un trait de génie, car l'étude des combi-
naisons du fer avec les éléments qui doivent consti-
tuer l'hémoglobine chez les enfants et les jeunes
animaux, peut seule permettre d'entrevoir la forme
sous laquelle on doit faire prendre les ferrugineux.
Et voilà que cette forme est précisément celle qu'on
rencontre dans les tissus végétaux. Au lieu de pren-
dre des préparations qui ne s'assimilent pas ou qui
désorganisent l'estomac, il est infiniment préférable
de chercher, dans I,es végétaux médicamentés, cet
élément si utile à notre organisme, qu'on a fort heu-
reusement nommée hématogène, en raison de son
rôle. Nous donnons ici les opinions de M. Viaud ; les
spécialistes auront à en apprécier la valeur.

24 mars 1894.

Echo de la Semaine.

Aimez-vous les épinards? Si oui, tout est pour le


mieux car, d'après notre très savant collègue, le ré-
dacteur scientifique du Temps, un médecin vétéri-
naire vient de mettre la main sur l'aliment le plus
riche de tous en fer. Or cet aliment c'est l'épinard
qui, d'après l'inventeur, M. Viaud, contient de 32 à
39 grammes de fer pour 100 grammes de matière
sèche. Le lait n'en renferme que 2.3 comparativement
au même poids; les lentilles en contiennent 9.5 et
le jaune d'œuf 10.4. Donc, amis lecteurs, si vous avez
clef enfants anémiques, faites-leur manger des épi-
nards, beaucoup d'épinards et vous ne tarderez pas à
voir reparaître sur leurs joues les belles couleurs de la
santé. La viande ne joue qu'un rôle secondaire.

Ch. MARSILLON.

21 juillet 1895.
Le Temps.

CAUSERIE SCIENTIFIQUE.

Se basant sur l'absorption spontanée de certains


principes médicamenteux par les végétaux, M. Viaud
a réussi à accumuler dans les tissus des plantes four-
ragères du fer, de la chaux, etc., en vue de traiter les
animaux anémiques ou atteints de cachexie aqueuse
et d'ostéoclastie. Il a pensé que, sous cette forme,
les animaux prendraient facilement les médicaments
et que l'assimilation serait plus sûre en raison de
l'état « physiologique » sous lequel se trouvent ces
principes au sein des cellules végétales. Il a ensuite
poussé plus loin ses recherches et a traité des laitues,
des chicorées, du cresson de la même façon; les sa-
lades conservent leur bon goût naturel, sont éminem-
ment toniques et peuvent être consommées par
l'homme pour combattre l'anémie et les maladies
constitutionnelles qui ne cèdent qu'au régime végétal
prolongé.
Ces travaux basés sur l'expérience et originaux sont
appelés à donner naissance à une nouvelle méthode
de traitement agréable et efficace.

VERNIER.

28 mars 1893.
Journal de la salité.

Un vétérinaire militaire, Viaud, a découvert


M.

que l'aliment de tous le plus riche en fer, c'est l'épi-


nard, qu'il faut manger pour entretenir sa provision
de métal organique et qu'il importe surtout de faire
manger aux jeunes enfants.
La viande est secondaire, les préparations ferrugi-
neuses sont parfois indigestes, M. G. Viaud décerne
la palme : au lait qui contient 2 gr. 3 de fer par 100
grammes de matières sèches, aux lentilles contenant
9 gr. 5 de fer, au jaune d'œuf dont la teneur est de
10 gr. 4 et surtout aux épinards, contenant l'étonnante
proportion de 32 à 39 grammes de fer par 100 grammes
de matières sèches. De plus l'épinard est laxatif, un
ferrugineux laxatif, n'est-ce pas l'idéal atteint.
D' COULOMB.
7 juillet 1895.

Grand Echo.
LilJe.
VÉGÉTARISME MÉDICAMENTEUX.

Un vétérinaire d'artillerie, M. G. Viaud, a fait sur


les plantes quelques études assez curieuses dans le
but de justifier le végétarisme et de réhabiliter les lé-
gumes aux yeux des intéressés.
Il a d'abord constaté que, contrairement à la viande,
les végétaux sont d'une innocuité absolue au point
de vue de la transmission des maladies contagieuses
et, cela, quelle que soit la nature du sol qui les four-
nisse.
Les microbes les plus infectieux et les plus divers
peuvent se trouver réunis à la surface d'un terrain en
si grande quantité qu'on puisse le supposer ; jamais les
végétaux que ce terrain produira ne s'assimileront
ces virus mortels. S'il en était autrement, du reste,
les légumes qui poussent dans les plaines d'Achères
et de Gennevilliers, où se fait l'épandage des eaux du
tout à l'égoût parisien et dont les terres peuvent être
considérées comme les plus contaminées qu'il soit
possible d'imaginer, ces légumes, disons-nous, se-
raient riches en bactéries de toutes sortes et, par
suite, la santé des Parisiens en souffrirait énormé-
ment. Or, il n'en est absolument rien.
Les végétaux ont donc la propriété de tirer direc-
tement du sol les minéraux qui entrent dans leur com-
position, mais ne sauraient s'assimiler de la même
façon les micro-organismes vivants qu'il peut conte-
nir, fussent-ils à l'état de spores, c'est-à-dire de cor-
puscules de proportions infiniment réduites.

Le fer contenu dans 1.000 grammes de sang d'un


homme en bonne santé pèse 0gl',56. Ce poids descend
à Ogr,49 chez un individu atteint de maladie inflam-
matoire et à Ogl',36 chez un anémique. Sa diminution
est donc proportionnelle à l'appauvrissement général
de notre corps. C'est qu'il est, en effet, indispensable
dans notre organisme : il vaut au sang cette faculté de
pouvoir se régénérer en absorbant l'oxygène de l'air.
Or, la respiration en élimine tous les jours 0Kr,05.
il faut donc restituer au sang cette quantité perdue
pour se maintenir en bonne santé : c'est par l'ali-
mentation que se fait cette restitution.
Partant de cette donnée, M. Viaud a cherché à
augmenter artificiellement la richesse en fer des vé-
gétaux. En arrosant convenablement les salades sur
lesquelles il opère avec de l'eau ferrugineuse obtenue
par la dissolution de quelques grammes de tartrate
de fer et de potasse, dont il augmente graduellement
la dose, il les soumet à une sorte d'entraînement pré-
liminaire. Puis, lorsqu'elles sont bonnes à manger, il
les coupe par une section nette au collet et les plonge
par la base, pendant vingt-quatre heures, dans le li-
quide qui sert à les arroser et où elles se saturent de
fer.
il s'est procuré d'une façon analogue du cresson
ferrugineux constituant une excellente salade tonique,
dépurative et antiscorbutique.
A la partie supérieure d'un baquet contenant de
l'eau rouillée et en contact avec cette eau, il étend
une toile d'emballage sur laquelle il sème la graine de
cresson. Quand celui-ci pousse, il ajoute du tartrate
de fer et de potasse en augmentant la dose à chaque
fois que l'eau est renouvelée — tous les cinq ou six
jours environ— et cela jusqu'à complet développe-
ment de la plante.
Les salades ainsi préparées conservent leur goût
naturel.
M. Viaud croit, cil outre, que cette méthode pour-
rait être étendue et qu'il serait, par exemple, possible
de traiter de cette façon des champs de luzerne et de
trèlle au moyen d'une solution de sulfate de fer,
phosphate de soude et azotate de chaux. Les fourra-
ges qu'on en récolterait pourraient être donnés à des
moutons atteints de cachexie aqueuse ou à des bœufs
présentant les symptômes de l'ostéoclastie (grap-
pictte). On obtiendrait, dit-il, de bons résultats.
L'idée générale qu'il nous présente est d'une pra-
tique qui nous semble plutôt difficile, surtout lors-
qu'il s'agit de traiter ainsi des champs entiers, mais
on ne peut nier cependant qu'elle séduit au premier
abord par son originalité.
Quoi qu'il en soit, si sa méthode se généralisait,
nul doute que M. Viaud n'ait de sérieux titres à la
reconnaissance des malades.
E. L.
3 octobre 1895.

Revue scientifique du Centre.

DE L'ABSORPTION DES MÉDICAMENTS PAR LES PLANTES


ET DE LEUR UTILISATION EN THÉRAPEUTIQUE

On sait la difficulté d'assimilation que présentent


les différents composés ferrugineux prescrits aux per-
sonnes débilitées ou anémiques. M. Viaud ayant observé
l'absorption spontanée de certains principes par des
végétaux, tels que l'azotate de potasse par la bour-
rache et la pariétaire, l'iode par les fucus, etc., fut
amené à rechercher la possibilité d'emmagasiner dans
les tissus de nos plantes alimentaires divers pro-
duits thérapeutiques comme le fer, le phosphate de
chaux, etc. Il réussit pleinement à produire des sala-
des, du cresson et autres légumes contenant du fer en
quantité notable, ce dont il est facile de s'assurer au
moyen d'un réactif commode : le salicylate de soude.
Le principe ferrugineux ainsi contenu dans un aliment
est accepté par l'estomac mieux que n'importe quelles
préparations pharmaceutiques qui produisent généra-
lement peu d'effet, attendu que tout le fer qu'elles
contiennent est rejeté au dehors avec les excréments.
M. Viaud se propose d'étendre ses études et d'essayer
l'absorption d'antiseptiques par des plantes qui rece-
vraient alors de nombreuses applications et dont
l'usage ouvrirait un horizon nouveau tt toute une
branche des traitements médicaux. M. Viaud est un
végétarien et repousse avec raison, l'usage exclusif
de la viande qui est trop généralisé à notre époque de
surmenage physique et intellectuel. Il montre que des
maladies constitutionnelles comme la tuberculose, le
cancer, l'anémie, sont causées ou aggravées par une
nourriture trop exclusivement carnivore, tandis
qu'elles sont guéries ou fortement atténuées par un
régime dépuratif végétal. En un mot, ce petit volume
qui a pour exergue Herbis non verbis, est riche en ob-
servations utiles et chacune de ses pages intéressera
le lecteur.
Ernest OLIVIER.

La Nouvelle Encyclopédie.

DE L'ABSORPTION DES MÉDICAMENTS PAR LES PLANTES.

Quand on parle de végétarisme, on s'expose fort à


passer, sinon pour imbécile, du moins pour un ori-
ginal, et même, aux yeux du plus grand nombre pour
un détraqué. Original, soit : car il est évident que la
majorité des hommes est créophage ou omnivore (les
beaux mots) tandis que les végétariens sont l'exception
Mais détraqué, c'est différent. Il ne serait pas diffi-
cile, encore que cette thèse puisse sembler légère-
ment paradoxale, de montrer que l'homme normal,
l'homme qui, selon la maxime des stoïciens, vit
conformément à la nature, est celui qui s'abstient de
viande, et que les autres, quel que soit leur nombre,
sont au contraire les anormaux.
Le végétarisme a d'ailleurs trouvé d'éloquents dé-
fenseurs, avec Pythagore dans l'antiquité, et de nos
jours, les docteurs AnnaKingsfard, Bonnejoy duVexin,
voire M. Dujardin-Beaumetz. Aussi n'entreprendrons-
nous pas de répéter leurs arguments; mais nous nous
bornerons à faire observer que le peuple qui passe
pour le plus grand mangeur de viande, le peuple an-
glais, est aussi celui qui compte le plus de végétariens.
Les restaurants végétariens sont nombreux à Londres,
il n'en existe qu'un seul à Paris, à notre connaissance
du moins. Au surplus, nous nous hâterons d'ajouter
qu'il ne faut pas confondre végétariens et légumistes.
Ces derniers sont en petit nombre et ont manifeste-
ment tort d'envelopper dans une même proscription
tous les aliments d'origine animale. Les partisans
du végétarisme rationnel, au contraire, admettent
et recommandent même l'usage des substances ani-
malisées comme les œufs, le lait et ses dérivés
(beurre, fromage, etc.), qui sont essentiellement nu-
tritives.
L'ouvrage de M. Gabriel Viaud vient donc à point
pour servir de complément aux ouvrages des végéta-
riens. L'auteur, un médecin vétérinaire des plus dis-
tingués, montre que non seulement le régime animal
est loin de posséder toute la valeur fortifiante qu'on
lui attribue, mais que les substances médicamenteu-
ses elles-mêmes ne doivent pas être utilisées à l'état
minéral, telles qu'on les prépare ordinairement dans
les officines de nos pharmaciens, mais doivent, pour
être réellement efficaces, être absorbées avec les vé-
gétaux qui seuls les rendent assimilables.
« La plante, dit M. Viaud, a une puissance d'assi-
milation extraordinaire, précisément pour absorber
dans le milieu minéral une partie de ses aliments. La
fonction chlorophyllienne ne comprend pas seulement
la décomposition de l'acide carbonique et la fixation
du carbone, elle s'étend encore à la production de
substances ternaires et quaternaires. La plante à chlo-
rophylle forme par synthèse les amides et les albumi-
noïdes dont elle a besoin et qu'elle cède ensuite aux
animaux. Elle est donc l'intermédiaire nécessaire en-
tre le monde minéral et le monde animal ; notre vie
est sous son entière dépendance. »
Le travail de M. Viaud dénote d'ailleurs une pro-
fonde érudition, et nous ne doutons pas que s'il est lu
avec l'attention qu'il mérite, il n'atteigne le modeste
but que s'est proposé son auteur : « Encourager le
végétarisme, trop délaissé de nos jours. »

La Gazelle de France.

CHRONIQUE SCIENTIFIQUE DU 6 FÉVRIER 1894.

On fait des légumes-médicaments, c'est ce qu'as-


sure un de nos confrères qui rapporte qu'un vétéri-
naire de la Vienne, en étudiant la constitution des
végétaux, a pensé à donner à ceux qu'il cultive les
éléments chimiques dont il entend les pourvoir.
La facilité avec laquelle les plantes absorbent les
substances du milieu dans lequel on les place ou dont
on les arrose, assure le succès de ces curieuses ex-
périences.
C'est ainsi que la bourrache, placée dans de certai-
nés conditions, se charge tellement d'azotate de po-
tasse qu'elle devient un diurétique puissant.
M. Viaud est parti du principe que, dans l'orga-
nisme humain, le fer et le phosphore ont une place
prépondérante, le fer comme élément sanguin, le
phosphore comme élément cérébral, pour dresser le
tableau comparatif suivant :
Quantité pour cent d'acide phosphorique :

Porc.... 0.50 fèves 1.15


Gibier ................ 0.40 Pois 1 M

Bœuf.
............... 0.35 Froment ........... 0.92

Fer contenu dans cent parties :

Sang de boeuf 0.71 Pois 1.08


........ Lentilles
Sang de porc 0.78
Froment
........... 2 »
Chair de boeuf
Chair de veau
0.09 ........... 8.68
....... 0.02

Ces chiffres montrent, selon Viaud, les quali-


M.
tés nutritives des végétaux et en particulier du pain.
Il va jusqu'à affirmer que la somme de fer absorbée
est plus grande avec du pain sec qu'avec un rosbif.
Poursuivant sa démonstration, M. Viaud cons-
tate que tous les principes qui entrent dans la com-
position de nos tissus se retrouvent à l'analyse dans
les végétaux : l'albumine, le sucre, les corps gras.
Il cite comme exemple à l'appui de sa thèse les
populations des campagnes, dont l'alimentation est
presque exclusivement végétarienne, et qui sont plus
vigoureuses que celles des villes.
M. Viaud procède ainsi :
Il prend de jeunes plants déjà forts qu'il place en
terre à 25 centimètres les uns des autres et qu'il ar-
rose pendant une semaine avec de l'eau ordinaire
pour les bien faire prendre.
Puis il prépare quelques litres d'eau ferrugineuse,
avec 5 grammes de tartrate de fer et de potasse, très
soluble dans l'eau. Pour cela, il place, au fond du
récipient, de la vieille ferraille, de vieux fers à che-
vaux.
lAu bout de huit jours, c'est avec cette eau-là qu'il
arrose ses jeunes plants et, lorsqu'il croit les avoir
accoutumés au fer, il force sur la quantité de tartrate
de fer et il en met 10 à 15 grammes pour le même vo-
lume d'eau.
Gomme dans un traitement humain, il interrompt
de temps à autre pour laisser reposer la plante.
D'après ses remarques, on peut arroser sans incon-
vénient la tige et les feuilles.
Lorsque les salades sont développées, il recom-
mande les précautions suivantes :
1° Couper par une section nette les pieds; 2° plon-
ger la base des feuilles dans la préparation, ferrugi-
neuse et les y laisser pendant vingt-quatre heures.
Dans une seconde expérience, ce médecin vétéri-
naire a fait du cresson ferrugineux, ce qui a été plus
aisé et permet au premier venu d'obtenir une salade
antiscorbutique.
On prend un baquet pouvant contenir 20 litres"en-
viron à la partie inférieure, on met un robinet pour
pouvoir renouveler l'eau et, à la partie supérieure,
on étend une toile d'emballage touchant l'eau.
Dans le fond du baquet on met de vieux morceaux
de fer; et, sur la toile humide, on jette la graine de
cresson. On remplace l'eau tous les quatre ou cinq
jours. Au bout d'une quinzaine, on ajoute dix gram-
mes de tartrate de fer et de potasse et on continue
ainsi jusqu'à ce que le cresson ait poussé.
Pour s'assurer que ces salades contiennent du fer,
il suffit d'avoir recours à un réactif connu, le salicylate
de soude. La coloration violet fournit une preuve
certaine et connue de tous les chimistes.
Ce système une fois admis, on pourrait traiter do
la sorte des champs de luzerne ou de trèfle.
M. Viaud espère faire absorber des antiseptiques
par des plantes.
TUÉOl'llHASTE.

Le Monde illustré.

LA SEMAINE SCIENTIFIQUE.

Les plantes renferment un grand nombre de corps


simples en des proportions assez variables : l'oxygène,
l'hydrogène, le silicium, le carbone, le phosphore, le
soufre, le sodium, le potassium, l'iode, le brome, le
chlore, le magnésium, le lithium, le rubidium, et
peut-être d'autres encore.
Peut-on changer dans les plantes les proportions
de ces corps? Certainement, puisque suivant la com-;
position des terres une même espèce de végétaux
varie, dans une certaine mesure, de composition
chimique.
Partant de ces faits, M. Viaud a cherché systéma-
tiquement à faire absorber à des légumes du fer, de
la chaux, de l'acide phosphorique, etc., dans des pro-
portions sensibles.
On pense bien que ce n'est pas pour le bien-être
de ces végétaux, si intéressants qu'ils soient : c'est
en vue de la thérapeutique humaine.
Les préparations ferrugineuses, sous n'importe
quelle forme, sont en général très mal supportées
par l'estomac. Comment sont tolérés les végétaux
ferrugineux? Très bien, répond M. Viaud, d'après des
expériences récentes, aussi bien que le fer qu'on
trouve dans l'œuf et le lait allié à des matières albu-
minoïdes.
Docteur SERVET DE BONNIÈRES.
24 mars 1894.

Rivista italiana di scienze naturali.


Siena.

Partendo dal fatto che le piante assorbono, sponta-


neamente , certe sostanze contenute nel terreno o nell'
atmosfera, l'egregio A. è riuscito ad accumulare nei
tessuti delle piante diverse sostanze medicamentose,
come ferro, calce ecc. Egli ritiene che somministrando
queste piante agli animali, essi, sotto questa forma,
prenderanno più facilmente i medicamenti e che
l'assimilazione ne sarà piu rapida, evitandosi anche
non pochi degli inconvementi che ordinariamente si
lamentano. Ecco le principali questioni svolte nel
volume.

The Vegetarian messenger

Manchester.

The suggestion here made by Dr. Viaud is that as


plants and flowers are susceptible of modifications
by means of soil, manure, etc., it would be possible
to make plants the vehicle of tonic and other reme-
dies. The ferruginous elements would thus be ta-
ken not in the form of a drug but of a vegetable food.
Apart from the development of this thesis, Dr.
Viaud's essay is of interest, as showing the increased
attention which our cause is receiving from French
scientific men. One of the aims of the book, as the
author frankly avows, is to encourage vegetarianism.
Tie has. written an interesting dissertation.

Week.
Taronts.
Good news for vegetarians; M. Viaud, now fat-
«
tens » salads, cress, etc. with preparations of iron,
phosphate of lime and other flesh and bone streng-
theners, so thai sickly stomachs sensitive to such me-
dicaments taken directly, can now assimilate them
in the vegetable form.

21 avril 1893.

Actualité ftcinnli/iquc.
LES PLANTES MÉDICAMENTEUSES.

Faire absorber à des légumes quelconques, à l'aide


de terres de culture, des principes utiles ',,t notre or-
ganisme de façon à les rendre beaucoup plus facile-
,
ment assimilables, est chose réellement remarquable.
Un émincnt médecin vétérinaire de Poitiers, doublé
d'un savant, M. Viaud, a résolu ce problème. A la
suite de longues et minutieuses études comparées,
il est arrivé à faire pénétrer la chaux, le fer, l'acide
phosphorique, dans les tissus mêmes de nos plantes
alimentaires. Il estimait avec juste raison que, sous
cette forme, ces produits médicamenteux se trou-
vaient absorbés aisément par l'estomac et les intes-
tins et passaient ainsi dans le sang, les os et les
muscles qu'ils revivifiaient et reconstituaient.
Avant M. Viaud, d'illustres savants, les Becquerel,
les Hamburger, les Bunge avaient déu.jntré que
toutes les préparations ferrugineuses et autres, tant
prônées par leurs inventeurs, ne sont pas absorbées
par l'estomac, ou si, par extraordinaire elles le sont,
c'est au détriment des muqueuses de cet organe
qu'elles irritent et souvent, aussi, désorganisent en
partie. S'appuyant sur des autorités aussi sérieuses,
M. Viaud, travailleur infatigable, a cherché et trouvé.
Il s'est dit que tenter de se guérir ou d'augmenter
ses forces en détruisant lentement mais sûrement
l'estomac était pure folie ou tout au moins jouer un
jeu dangereux; qu'au contraire, trouver dans les vé-
gétaux médicamentés ces principes utiles si facile-
ment assimilables, était chose sensée et raisonnable.
C'est alors que, dans un but purement humanitaire,
il n'a plus hésité à faire connaître et apprécier,
comme elle le mérite, son ingénieuse méthode.

LES SALADES DE L'AVENIR.

Quand on voit aux Halles centrales les arrivées de


laitues, de chicorées, d'endives, de scaroles, de mâ-
ches, de cressons, voire même de pissenlits, on com-
prend l'importance du rôle de la salade dans notre
alimentation.
Des herbes vertes, jaunes ou blanches, des herbes
fraîches, des herbes tendres, des herbes savoureuses
et convenablement assaisonnées, est-il rien, d 'ail-
leurs, qui vaille ce régal pour faire passer le rôti, sur-
tout quand beaucoup d'autres plats ont précédé?
Quelle soit à la française, à la russe, ou même à
ces modes étrangement compliquées, savantes et
gourmandes, comme Dumas se plaisait à en exposer
le goût par la bouche des personnages de ses comé-
dies, la salade est, pour tous ceux qui « savent man-
ger », le condiment par excellence.
Beau rôle pour une herbe, même si elle naquit en
cuiiches de luxe.
Il ne suffit cependant plus à l'ambition des sa-
lades. Elles aspirent désormais à plus hautes desti-
nées.
Être aliment agréable et sain ne les contente plus.
Elles veulent devenir médicaments.
Et entendons-nous bien, non pas médicaments
d'occasion, comme depuis si longtemps le cresson en
avait la réputation.
Elles désirent que leur usage ne soit plus limité à
quelques scorbutiques de jour en jour plus rares, ou
aux gens qui ont simplement besoin de se rafraîchir
le sang.
Elles veulent entrer dans la grande médecine.
Il se pourrait même qu'elles y prissent la place que
rêve pour elles M. Viaud, un médecin vétérinaire,
dont je viens de lire un curieux travail sur « l'absorp-
tion des médicaments par les plantes pour leur uti-
lisation en thérapeutique ».
L'idée n'est certes point banale.
Tous 1er, botanistes, tous les jardiniers ont observé
la facilité avec laquelle certaines plantes absorbent et
retiennent une quantité considérable d'un principe
minéral donné.
Ainsi, la pariétaire et la bourrache, placées dans
des conditions définies, se chargent d'une telle pro-
portion d'azotate de potasse, qu'elles peuvent être uti-
lisées comme diurétiques puissants.
Les fucus qui se développent dans l'eau de mer
sont de remarquables accumulateurs d'iode.
La plante est souvent docile aux modifications de
régime qu'on lui impose et qui permettent de chan-
ger sa composition chimique par une culture appro-
priée.
Les végétaux de même espèce diffèrent de compo-
sition suivant qu'ils sont cultivés sur le continent ou
sur le bord de la mer. On cueille sur les dunes des
œillets qui ne ressemblent aucunement à leurs « frè-
res » du centre de la France.
Les engrais exercent une influence marquée sur la
quantité de sucre contenue dans la betterave ; tous les
agriculteurs du Nord connaissent ce fait et en tirent
profit.
Enfin il y a des végétaux vénéneux qui deviennent
inoffensifs par la culture dans un sol nouveau. C'est
le cas de l'aconit napel.
Ces observations ont frappé M. Viaud. Et il s'est
demandé s'il ne serait pas possible de « faire absorber
aux plantes que nous consommons journellement les
médicaments toniques, diurétiques, dépuratifs, etc... »
qu'il est souvent très désagréable de prendre quand
ils nous sont prescrits par le médecin.
Les toniques ont principalement sollicité son atten-
tion. Nous sommes, en effet, à une époque tributaire
des toniques.
Il faudrait du fer, beaucoup de fer à nos générations
qui s'anémient.
Le proclamer n'est pas une hardiesse, ni une nou-
veauté. C'est une vérité admise par tous, par les sa-
vants comme par les ignorants. Le fer est un des prin-
cipaux éléments de la thérapeutique des bonnes
femmes , buveuses d'eau rouillée, aussi bien que de
celle des grands médecins aux prescriptions martia-
les savantes.
L'abondance du fer dans la nature, dit le savant
Bordier, l'idée de force , de puissance qu'on a depuis
longtemps attachée à son nom, et qui l'a fait placer
sous l'invocation du dieu de la guerre, l invincible
Mars lui-même, sont autant de causes qui, à des de-
grés divers, ont contribué à accréditer son action vic-
torieuse sur les maladies, particulièrement celles où
l'on pouvait regarder comme favorable l'apport de la
puissance et de la force.
Éclairés par les chimistes, les physiologistes ont été
amenés il considérer le fer comme un aliment néces-
saire au sang.
Liebig aimait à répéter cette phrase : « Si le fer
était exclu des aliments, la vie organique serait évi-
demment impossible. »
Est-ce pour répondre à cette nécessité que la nature
prévoyante veut que beaucoup des substances qui
figurent dansnotre alimentation soient riches en fer ?
Dans le pain blanc, dans les pommes de terre, dans
les haricots, dans les épinards, dans les œufs, dans
les lentilles, etc..., le chimiste Boussingault a trouvé
du fer en des proportions qui varient de 0,0045 à 0,0083
cent. C'est dans les lentilles, légume favori des
pour
hommes forts et actifs, au temps d'Esaü, qu'il y a le
plus de fer.
La première série des expériences de « plantes mé-
dicamenteuses » de M. Viaud a porté sur des laitues ,
des scaroles et des chicorées.
Si quelques lecteurs avaient le désir de les répéter,
le mode opératoire est simple.
Prendre de jeunes plants déjà forts, les placer en
terre à 25 centimètres les uns des autres, les arroser
pendant les huit premiers jours avec de l'eau ordi-
naire , puis les arroser avec une eau ferrugineuse
(5 grammes de tartrate de fer par o litres d'eau), for-
ensuite la dose jusqu'à 10 et 15 grammes. Dé
cer
temps en temps, il est bon d'interrompre le traite-
ment.
Quand les salades sont développées, on les con-
somme après avoir laissé baigner pendant vingt-quatre
heures dans la préparation ferrugineuse la base des
feuilles coupées. Étant donné l' « entraînement » an-
térieur, ce bain force la plante à une dernière et plus
grande absorption de fer.
On peut facilement s'assurer par les réactifs chimi-
ques, par le salicylate de soude en particulier, que la
salade ainsi traitée s'est réellement « chargée » de
fer.
Après avoir opéré sur les scaroles, les laitues et les
chicorées, M. Viaud a fait du cresson ferrugineux.
C'est même plus simple. « Tout le monde, dit-il, peut
produire très bon marche une excellente salade to-
-,'l

nique. » Il suffit de jeter de la graine de cresson sur


une toile d'emballage tendue à la surface d'un baquet
plein d'eau ferrugineuse qu'on renouvelle de temps
en temps.
Voilà qui est certes pour plaire aux jeunes lilles
ehlorotiques. Elles seront heureuses de pouvoir pren-
dre du fer sans compromettre la blancheur do leurs
dents, comme jadis. C'est toujours M. Viaud qui l 'af-
firme.
Il se propose d'ailleurs d'étendre ses études a l 'agri-

culture. Il ne veut point que les hommes seuls béné-


ficient d'une médication tonique aussi avantageuse. Il
fournira à des moutons, à des bestiaux, des fourrages
également ferrugineux.
Et ce n'est pas tout. Il essaie aujourd'hui d'imposer
aux plantes l'absorption des antiseptiques.
Après la salade ferrugineuse, ce sera la salade an-
tiseptique. Et qui sait où l'on s'arrêtera dans cette
heureuse voie de la transformation des salades en
médicaments d'une « administration simple, sûre et
agréable ». Car un détail est Ù. noter : quoique bour-
rée de fer, la salade ne change pas de goût.
Il est souhaiter que ces expériences si curieuses
;'I,

soient reprises et contrôlées, de manière a ce que,


si véritablement, la salade est appelée à devenir un
médicament précieux, nous puissions en jouir le pins
possible. A quand la fruiterie annexe de la phar-
tut.
macie? Quelle revanche pour les herboristes!
VALENSOL.

LES LÉ(Ï UMES MÉDICAMENTÉS.

La lutte pour la vie devient chaque jour plus vive ,


sous l'action incessante d'une civilisation croissante;
et la question de l'alimentation est un problème,
dont la solution se complique; au lieu de diminuer.
Aussi faut-il suivre avec intérêt les efforts tentés
pour accroitrc la valeur nutritive de lous les produits
du sol; et, dans cet ordre d'idées, les expériences
laites par M. Gabriel Viaud, médecin vétérinaire dans
le département de la Vienne, méritent d'être signalées.
Tour ses études, il est parti de ce principe que
l'on peut emmagasiner dans les tissus de nos végétaux
alimentaires du fer et de la chaux, c'est-à-dire des
substances utiles à l'organisme sain et plus nécessai-
res encore à l'organisme malade.
M. Viaud a été amené à essayer sa méthode en con-
sidérant avec quelle facilité quelques plantes absor-
bent et retiennent une quantité', considérable d'un
principe donné.
Ainsi la bourrache, placée dans de certaines con-
ditions, se charge tellement d'azotate de potasse
qu'elle devient un diurétique puissant.
Le fucus accumule l'iode aisément, car il en ren-
ferme beaucoup plus que l'eau de mer, dans laquelle
le recueille, ce qui démontre son affinité propre
on
pour cette substance.
On peut dire qu'en thèse générale la plante est
docile aux modifications du régime qu'on lui impose.
De même que, par l'élevage, on ,transforme les races
d'animaux, par une culture appropriée, on change la
composition chimique des végétaux.

Dans l'organisme humain, le fer et le phosphore


jouent un rôle immense, le fer comme élément san-
guin et le phosphore comme élément cérébral.
Or ces deux corps sont plus abondants dans certains
végétaux que dans la plupart des viandes.
Pour cent parties, voici la quantité d'acide phos-
ÍJhorique renfermée :

Porc 0.50 Fèves 1.15


0.40 Pois
Gibier...............
Boeuf................ 0.35 Froment
1

0.92
"

Le fer contenu également dans cent parties, est :

Sang (le bœuf. 0.71 Pois 1.08


Sang de porc 0.78 Lentilles
Froment
........... 2
8.68
»
Chair de bœuf 0.09
Chair de veau ....... 0.02

Ces chiffres montrent les qualités nutritives des


végétaux et en particulier du pain. La somme de fer
absorbée est plus grande avec du pain sec qu'avec un
rosbif, contrairement à l'opinion généralement ré-
pandue.
Le sol a une telle influence qu'il suffit d'y consta-
ter la présence ou l'absence d'un corps entrant dans
la composition d une plante pour amener un change-
ment notable dans cette plante elle-même.
Les cultivateurs le savent bien, puisqu'ils répan-
dent des engrais naturels ou chimiques dans leurs
champs. La quantité de sucre trouvée dans les bette-
du nord de la France varie énormément, sui-
raves
yant la façon dont la terre a été traitée.
Des plantes analogues cultivées dans l intérieur des
terres ou sur le littoral ne se ressemblent plus entre
elles; et des végétaux vénéneux sont rendus inoilen-
sifs par la culture.

Il est reconnu que tous les principes qui entrent


dans la composition de nos tissus sont renfermés dans
les végétaux. A l'analyse, on y trouve de l'albumine,
du sucre et des corps gras.
La plante a une puissance d'assimilation que nos
possèdent pas pour absorber, dans le mi-
organes ne
lieu minéral, une partie de ses aliments.
Enfin, on ne peut nier que les populations des
sont plus vigoureuses que celles des villes.
campagnes
Le grand air et le genre de leurs travaux y contri-
buent certainement, mais l'alimentation y est aussi
pour beaucoup, et cette alimentation est formée sur-
tout de légumes.
Un savant anglais a comparé la taille des enfants
des villes et des champs. Celle des campagnards l'em-
porte de trois centimètres.
La proportion des conscrits réformés est double
dans les grands centres de population.

M. Viaud a réussi, affirme-t-il, accumuler dans


it
les tissus de nos végétaux différents principes, tels
que le fer, la chaux, le phosphore.
Il a obtenu des salades et du cresson ferrugineux.
Ces produits médicamentés conservent leur bon
goût naturel et conviennent parfaitement aux anémi-
ques et à toutes les personnes atteintes de maladies
constitutionnelles.
Sa méthode permet donc de puiser, dans le règne
végétal, des principes médicamenteux utiles à notre
organisation, et les malades peuvent prendre des re-
mèdes d'une façon agréable, presque sans s'en douter.
Pourquoi, si tout cela. est vérifié par l'expérience,
n'arriverait-on pas, par des procédés analogues, it
créer des plantes antiseptiques, qui auraient leur rôle
tout indiqué dans les épidémies, pour combattre la
contagion.

Voici la façon d'opérer indiquée par M. Viaud : Il


prend de jeunes plants déjà forts qu'il place en terre
à 25 centimètres les uns des autres et qu'il arrose
pendant une semaine avec de l'eau ordinaire pour les
bien faire prendre.
Puis il prépare quelques litres d'eau ferrugineuse,
avec 5 grammes de tartrate de fer et de potasse, très
soluble dans l'eau. Pour cela, il place, au fond du
récipient, de la vieille ferraille, de vieux fers à che-
vaux, etc.
Au bout de huit jours, c'est avec cette eau là qu'il
arrose ses jeunes plants et, lorsqu'il croit les avoir
accoutumés au fer, il force sur la quantité de tartrate
de fer et il en met 10 à 15 grammes pour le même
volume d'eau.
Comme dans un traitement humain, il interrompt
de temps à autre pour laisser reposer la plante.
D'après ses remarques, on peut arroser sans incon-
vénient la tige et les feuilles.
Lorsque les salades sont développées, il recom-
mande les précautions suivantes :
10Couper par une section nette les pieds; 2° plon-
ger la base des feuilles dans la préparation ferrugineuse
et les y laisser pendant vingt-quatre heures.

Dans une seconde expérience, ce médecin vétéri-


naire a fait du cresson ferrugineux, ce qui a été plus
aisé et permet au premier venu d'obtenir une salade
antiscorbutique.
On prend un baquet pouvant contenir 20 litres envi-
ron, à la partie inférieure, on met un robinet pour
pouvoir renouveler l'eau et, à la partie supérieure,
on étend une toile d'emballage touchant l'eau.
Dans le fond du baquet on met de vieux morceaux
de fer; et, sur la toile humide, on jette la graine de
cresson. On remplace l'eau tous les quatre ou cinq
jours. Au bout d'une quinzaine, on ajoute dix. gram-
mes de tartrate de fer et de potasse et on continue
ainsi jusqu'à ce que le cresson ait poussé.
Pour s'assurer que ces salades contiennent du fer,
il suffit d'avoir recours à un réactif connu, le salicy-
late de soude. La coloration violet fournit une preuve
certaine connue de tous les chimistes.

Ce système pourrait être employé sur une grande


échelle. Rien n'empêcherait, si le principe était
admis, de traiter de la sorte des champs de luzerne
ou de trèfle.
Comme tous les inventeurs, M. Viaud est poussé
par une foi absolue; il espère faire absorber des anti-
septiques par des plantes.
Le temps, qui consacre seul les découvertes, lui
donnera-t-il raison ? on doit le désirer, car sa méthode
pourrait avoir une portée immense pour nourrir et
pour guérir les hommes.
Il est certain qu'elle offrirait des avantages précieux
par la facilité de préparation des aliments végétaux
toniques ou autres, et pour l'absorption des remèdes,
ainsi que par son innocuité.
En attendant l'arrêt définitif de la science, nous ne
pouvons qu'adresser des vœux de succès au patient
expérimentateur.
JEAN FROLLO.
LE TRIOMPHE DE L'ÉPINARD.

Je n'aime pas les épinards, et j'en suis fort


— «
aise, car si je les aimais/j'en mangerais, et, juste-
ment, je ne peux pas les souffrir. »
Eh bien! il paraît que j'ai deux fois tort : Il tort de
ne pas aimer les épinards ; 2° tort — surtout — de
ne pas en manger... quand même.
Deux. savants distingués, le chimiste allemand
Biïnge et le vétérinaire français Gabriel Viaud, se
sont mis d'accord tout exprès pour me confondre, en
me prouvant, clair comme le jour, que l'épinard est
le plus précieux des légumes, en raison de ses pro-
priétés médicamenteuses et fortifiantes.
Comme qui dirait de la santé en purée, — avec du
sucre ou du jus, et quelques menus croûtons autour!

On connaissait depuis bel âge les vertus émol-


lientes et laxatives de l'épinard, dues sans doute aux
sels de potasse qu'il contient. Rien de tel pour vous
balayer le tube digestif, en expulser la bile et les
glaires, et, par contre-coup, vous rafraîchir le teint :
Par l'espinard et le poi reau
Florit le lys clair de la peau

C'était déjà très bien, car, comme le dit spirituel-


lement le docteur Monin, de toutes les libertés né-
cessaires, la plus nécessaire, parce que, sans elle, on
s'évertuerait en vain à jouir des autres, c'est encore
la liberté du ventre. (Jhjginie de l'l'sIOl;wC, pp. 78-7!).)
Songez, maintenant, combien il est avantageux de
pouvoir s'assurer le bénéfice de cette liberté essen-
tielle, sans rien changer à ses habitudes, sans déran-
gement ni souci, sans avoir besoin de s'ingurgiter
un las de drogues nauséabondes ou corrosives!
Voici tantôt un siècle, c'est-à-dire depuis que cette
herbe, d'origine persane, s'est acclimatée chez nous,
il était de notoriété publique qu'un plat d'épinards
valait (sauf votre respect) un bon lavement.
Mais ce qu'on ne savait pas, c'est que c'était là
peut-être la moindre de ses qualités physiologiques.
Il faut peut-être, ici, pour l'intelligence de la chose,
ouvrir une parenthèse.

Personne n'ignore — personne, à tout le moins,


ne devrait ignorer — que le fer, qui entre dans la
à
composition normale du sang, est peu près indis-
pensable au fonctionnement de l'organisme.
Supprimez le fer du torrent circulatoire, où il ne
figure cependant qu'à l'état de traces infinitésimales,
et la machine vivante, subitement détraquée, va bat-
tre la breloque.
La nutrition sera tôt viciée et les globules rouges,
le tapioca do ce potage pourpre, dont le bouillon
s'appelle le sérum, vont faire banqueroute à leur mis-
sion, qui est de fixer l'oxygène de l'air en vue des
combustions interstitielles.
Les globules rouges, qu'on nomme aussi h&malkt,
possèdent le pouvoir de happer au passage l'oxygène
de l'air et de le promener comme une flamme dans
les moindres coins. Celte opéraiipn l'orme même à
peu près tout le fonds et le tréfonds de cet ensemble
de phénomènes spéciaux connu sous le nom généri-
que de la vie.
Or, cette propriété de capter et de retenir l'oxygène
au vol, les globules rouges le doivent au fer qu'ils
contiennent.
Savourez-moi plutôt ce petit tableau, qui n'a l'air
de rien :

Fer contenu dans 1,000 grammes de sang :


Homme en bonne santé 0,50
Homme souffrant d'unc maladie inflammatoire ..... 0,49
Homme anémique ................................ 0,36

C'est-à-dire que la richesse du sang (partant, la vi-


gueur du sujet) est en raison directe de sa teneur en
fer.
Voilà pourquoi le fer est le spécifique par excellence
dans toutes les maladies qui se traduisent par l'affai-
blissement, la dépression, la misère physiologique,
par exemple, dans l'anémie, la chlorose, les pâles
couleurs, la neurasthénie, — et aussi dans les conva-
lescences longues et pénibles.
Mais si le fer est nécessaire aux malades qui ont
besoin de se refaire, il n'est pas moins nécessaire aux
hommes bien portants, qui ont besoin de se con-
server. Il s'épuise, en effet, à la longue, comme les
phosphates s'épuisent dans un sol surmené. La
preuve, c'est que le sang veineux, le sang qui a déjà
servi à irriguer les divers organes où il a laissé le
meilleur de lui-même, renferme, à son retour, non
seulement moinsd'oxygène, mais encore moins de
fer que le sang frais des artères.
C'est donc qu'il a perdu du fer en route.
Cette perte est évaluée à 0,05 par jour. Cette perte
doit être réparée si l'on tient à ce qu'aucune fonction
ne s'altère : « faut d'l'engrais » — c'est-à-dire du fer.
Reste à trouver le fer sous une forme assimilable.
Et c'est là le chiendent r
Parmi les innombrables préparations ferrugineuses
de la pharmacopée contemporaine, les unes ne sont
pas absorbées, et, par conséquent, ne servent à rien,
tandis que les autres ne s'assimilent qu'à la condition
de vous noircir les dents, ou (chose plus grave) de
vous démolir l'estomac. Finalement, le remède est
pire que le mal.
C'est ainsi que l'idée est venue à un vétérinaire de
l'armée, M. Gabriel Viaud (déjà nommé), d'emprun-
ter à tels et tels végétaux alimentaires le fer — né-
cessairement assimilable — que renferment leurs
tissus.
Et voilà comment nous revenons, par un chemin
de traverse, à la question des épinards?
Je ferme la parenthèse.

Les plantes logent effectivement à la même en-


seigne que les hommes, en ce sens que le fer joue
dans la vie végétale un rôle aussi grand que dans la
vie animale.
Non seulement le protoplasma, cette étoffe fonda-
mentale de la cellule vivante, contient du fer, mais
ce métal est encore intégrante partie et facteur cons-
tituant de la chlorophylle, c'est-à-dire de la matière
colorante des feuilles, qu'on voit pâlir aussitôt qu'il
disparaît.
Quelques végétaux contiennent même du fer à dose
relativement forte. Il y am.ut, d'après Boussingault,
0,0074 de fer pour 100 dans les haricots, 0,0083 pour
100 dans les lentilles (ce qui expliquerait un peu l'im-
prudence d'Ésaû), 'davantage encore dans les épinards.
Le chimiste allemand Bunge (également déjà
nommé) a établi que les épinards et le jaune d'œuf
étaient des aliments proportionnellement plus riches
en fer et en fer digestible et utilisable que les potions
« martiales » les plus renommées.
D'où cette conséquence qu'un monsieur qui se
nourrirait exclusivement de jaune d'œuf et d'épinards,
en buvant du lait (qui contient aussi du fer), serait
intérieurement cuirassé contre toutes les surprises,
avec une santé de fer — c'est le cas de le dire.
M. Viaud est allé plus loin.
Songeant que les épinards, comme les autres lÁ-
gumes et comme les hommes, doivent parfois avoir
besoin de ton, il s'est avisé de les mettre par avance
au régime ferrugineux.
C'est-à-dire qu'il les arrose avec des sels de fer et
qu'il trempe leurs tiges fraîchement coupées dans de
l'eau rouillée, de façon à leur communiquer, à un
degré supérieur, les vertus dynamogéniantes et gal-
vanisatrices qu'on, demande d'ordinaire aux spécia-
lités pharmaceutiques.
Sous la double influence de la force végétative et
de la capillarité, le fer, qu'on peut ainsi doser,
comme on dose mathématiquement le sucre, au
moyen des engrais, dans les betteraves futures, le
fer se fixe ainsi dans les tissus du légume et on l'ab-
sorbe sans s'en apercevoir.
Si paradoxale qu'elle puisse paraître, cette mé-
thode n'a rien d'illogique. Elle a, par-dessus le mar-
ché le mérite de serrer d'aussi près que possible les
,
procédés de la nature, sans rien changer ni aux ha-
bitudes ni à l'économie des patients.

Décidément, j'étais mal inspiré de dédaigner l'épi-


nard, et je vois bien que ce n'est pas sans motif que
la tradition populaire a fait de sa graine, qui orne les
épaulettes des colonels, l'emblème du commande-
ment.
Émile GAUTIER.

LA PHARMACIE VÉGÉTARIENNE.

Il est toujours agréable, — en tout bien tout hon-


neur, — pour un chroniqueur féru du désir ardent
d'eire utile à son prochain, de pouvoir constater
qu'il n'a pas tout à fait prêché dans le désert.
C'est là une aubaine qui (soit dit sans vanité) nous
arrive peut-être au Pelil Journal un peu plus souvent
qu'ailleurs. Plus favorisé que la Renommée de la
Fable, qui n'avait que cent trompettes, le Petit Jour-
liaI compte chaque jour plus d'un million de bouches,
ce qui suppose, au bas mot, trois millions de

paires d'oreilles. « Ça est une tribune, pour une fois,
savez-vous », comme disent les Belges, et il suffira
de rappeler que c'est de cette tribune que mon cama-
rade Pierre Giffard a lancé la Reine Bicyclette, qui
depuis a fait du chemin et... des petites, et déchaîné
la pédalomanie, pour établir qu'elle ne manque pas
d'écho.
Il parait, — sans vouloir comparer des choses qui
n'ont rien de comparable, — que votre serviteur
soussigné aurait également réussi à lancer l'épinard.

En tout cas, trois jours après l'article que j'avais


cru devoir consacrer à l'apologie de cette herbe mé-
connue, l'épinard faisait prime, et je pourrais citer tel
quartier de Paris où, l'approvisionnement ordinaire
étant épuisé, épiciers et fruitiers n'avaient plus de quoi
faire face aux incessantes commandes des ménagères.
D'autre part, les lettres pleuvaient, — ce qui est le
meilleur indice qu'on a touché juste, — prodiguant
les encouragements ou réclamant des explications
complémentaires.
Voilà qui est pour faire honneur et plaisir au sa-
vant médecin-vétérinaire, M. Gabriel Viaud, dont je
n'avais fait que traduire les ingénieuses idées c-ii
matière de chimie alimentaire !
Quant aux innombrables braves gens qui, sur la
foi de la parole du Petit Journal, ont tenté l'expé-
rience, j'aime à penser qu'ils n'auront qu'à s'en féli-
citer.
Le fer, en effet, je le répète, fait, physiologiquc-
ment parlant, corps avec notre chair et notre sang,
dont il est un facteur indispensable.
C'est le plus souvent au manque de fer qu'il faut
attribuer l'anémie, la chlorose, les pâles couleurs,
une foule d'autres tares ou infirmités mal détermi-
nées , mais trop fréquentes, hélas surtout dans les
!

grandes agglomérations populeuses.


Or, d'une communication faite naguère à l'Acadé-
mie de médecine de Berlin par le célèbre chimiste
allemand Biinge, il résulte que l'épinard contient
de 32 à 39 de fer pour 100 de matière sèche — alors
que le corps réputé jusqu'ici le plus riche en fer, le
jaune d'oeuf, en renferme à peine 9 pour 100.
Ce qui est plus précieux encore, c'est que le fer de
l'épinard se présente sous une forme directement
assimilable pour nos organes, tandis que les expé-,
riences de Cahn, Kobert, Jacobj, d'autres encore,
ont montré que nombre de préparations ferrugi-
neuses ne sont absorbées et ne passent dans le torrent
circulatoire que par effraction, en quelque sorte, et
après avoir irrite et déchiré la muqueuse de l'estomac
ou de l'intestin.
Ce n'est pas tout. A la différence de la plupart des
pilules ou potions « martiales 1), qui ont encore le
tort, par-dessus le marché, de provoquer la consti-
pation, l'épinard est laxatif. On l'a baptisé, à bon
droit, le balai des voies digestives.
Un ferrugineux qui purge, n'est-ce pas l'idéal?

Mais on n'a pas oublié que ce n'était là qu'une


partie de la thèse, si curieusement intéressante, de
M. Gabriel Viaud.
Son rêve intégral serait, en effet, d'augmenter en-
_
core les vertus toniques et médicamenteuses de l'épi-
nard en enrichissant artificiellement et d'avance sa
teneur en fer assimilable.
A cet effet, il propose d'arroser les épinards en
terre avec des solutions ferrugineuses ou d'en mettre
les tiges fraîches à tremper dans l'eau rouillée. Sou
la double influence de la force végétative et de la ca-
pillarité, le fer qu'on aura pu doser exactement,
comme l'on dose le sucre, au moyen des engrais,
dans les betteraves futures, la silice dans le maïs ou
la nicotine dans le tabac, le fer se sera incorporé aux
tissus, et vous l'absorberez sans vous en apercevoir
Les épinards n'en auront pas souffert, car la misère
physiologique est, chez les végétaux, justiciable du
même traitement que chez l'homme, mais vous, chère
madame, vous vous en porterez mieux.
Il y a bel âge, au surplus, que le fait est acquis à
la science — laquelle avait le tort de ne pas avoir su
en tirer méthodiquement parti.
M. H. Billet, professeur de chimie, m'écrit juste-
ment de Wimereux que, depuis plusieurs années, il
fait des expériences à ce sujet, cultivant en amateur
des végétaux riches non seulement en fer, mais aussi
en acide phosphorique, et qu'il obtient couramment
des résultats merveilleux.
Par exemple, M. I-I. Billet ne voudrait pas que le
procédé se limitât au fer — ni aux épinards. D'autres
légumes, à l'en croire, pourraient être avantageuse-
ment soumis au même régime, de façon à véhiculer
non seulement le fer ou l'acide phosphorique, mais
encore d'autres sels minéraux, pour ne pas dire tous
ou presque tous les médicaments quelconques.

Telle est également l'opinion du docteur Gabriel


Viaud, dont le but suprême est d'emmagasiner sys-
tématiquement au moyen de « trucs » de culture
appropriés, dans les tissus de n'importe quels végé-
taux alimentaires, des principes tels que la chaux, 1(1
phosphore, le soufre, etc., bref, de communiquer il
tous les légumes les propriétés chimiques sui generis
qu'on ne demande guère d'ordinaire qu'aux spécialités
pharmaceutiques.
Telle était déjà, il y a plus de deux siècles, l'opi-
nion de Philbert Guybert, Docteur-Régent de Paris,
qui la formulait, en termes naïfs, dans son livre :
Méthode agréable et facile pour avoir fruits, herbages
et racines qui purgerogent doulcement et bénignement
le corps. (Loyson MDCLXIX).
La méthode en question consiste à prendre un
arbre jeune, à en fendre la tige, dont on enlève la
moelle sur une longueur d'une palme, à y introduire
de la scammonée, du ricin, de l'ellébore, et à obturer
soigneusement avec un emplâtre. L'arbre donne dès
lors des fruits laxatifs, capables de chasser du sang
la bile et les humeurs peccantes. Par-dessus le mar-
ché, ces arbres n'ont que très rarement leurs feuilles
mangées par les chenilles, ou leurs fruits rongés par
les vers.
On peut aussi déchausser les arbres au printemps
et mettre les drogues en contact direct avec les raci-
nes ou bien encore tremper les racines dans un plat
contenant une solution appropriée, de façon à donner
aux fruits l'odeur et la saveur désirées avec le pou-
voir de préserver ceux qui les mangeront de la peste
ou des venins.
L'auteur rapporte aussi un usage très répandu,
paraît-il, de son temps, pour préserver les vergers
des voleurs : cet usage consistait à glisser sous l'é-
corce des arbres fruitiers une forte pincée de poudre
de cantharides... Aôh! Shoclâng!
Le livre entre dans de longs détails sur la façon de
percer des trous dans l'arbre et de préparer les injec-
tions de substances purgatives ou narcotiques. Mais
on voilà assez!
M. le docteur Ad. Bonnard, de Tournon (Ardèche),
qui m'a fait l'honneur de me communiquer ce cu-
rieux document, n'a l'air d'y croire qu'à moitié.
Il n'empêche qu'il y a lieu de signaler comme quoi
la méthode proposée par le docteur Viaud n'est que
l'accommodation à l'esprit scientifique moderne
d'une idée déjà vieille en date et qui a eu autrefois
son ère de popularité.
A tout le moins, la méthode de M. Viaud —
qu'il
coûte rien de mettre à l'essai a le grand mérite
ne —
de serrer d'aussi près que possible les procédés de la
nature, et de ne rien changer ni au régime ni à l 'éco-
nomie vitale, des patients. C'en est assez pour qu on
lui souhaite, ne fût-ce que sous bénéfice d'inventaire,
longue vie et réussite triomphale !

Mais en attendant, n'oublions pas que tels quels,


avoir besoin qu'on les ferre », les épinards
sans «
sont, avant même les lentilles, d'incomparables fer-
rugineux.
fîmile GAUTIER.
DEUXIÈME PARTIE

LITTÉRATURE VÉGÉTARIENNE
Oh! verte, verte, combien verte
Était mon ;îme ce jour-là!

En présence de la production littéraire outrancière


de cette dernière partie du siècle , œuvres engendrées
par le régime minorant de la viande et les « paradis
artificiels » qui en sont le complément forcé et néces-
saire, on est en droit de se demander ce qu'il restera
de tout ce fatras le siècle prochain. Nous souhaite-
rions que la littérature morbide de nos temps dispa-
rût sans laisser de trace. Malheureusement, dans
notre monde où rien ne se crée, où la matière par-
court un cycle fatal se transformant en mille produits
divers, rien ne se perd non plus.
Les œuvres maladives, les théories immorales et
funestes autant que fausses ébranlent les intelligen-
ces les mieux équilibrées et jettent le doute dans les
consciences. Ces idées ont souvent une grande téna-
cité, et pour qu'elles disparaissent il faut que dispa-
raissent aussi les hommes dans les cerveaux desquels
telles se sont incrustées.
Et encore le mal produit n'est-il pas toujours en-
rayé. « Un écrivain lance dans un journal un paradoxe
funeste et se dit : Bah! l'article ne sera lu que d'un
petit nombre de beaux esprits, amoureux d'ironie,
pour qui il sera le divertissement d'une minute.
Vous vous trompez : une semence d'idée fausse a été
par vous jetée dans le monde des réalités morales.
Elle ne dépérira point. Ce qu'elle deviendra, nul ne
le sait; ce que nous savons, nous, c'est qu'un jour
ou l'antre, après mille et mille transformations, qu'il
est impossible de suivre, elle se posera sur un esprit
mal fait, comme un microbe pathogène sur un orga-
nisme délabré, et qu'elle le corrompra, et que de
cette pourriture s'exhaleront de nouveaux poisons. 1)

— F. SARCEY.

Oui, nous le répétons, rien ne se perd. Ce qui esi
vrai de la matière, l'est également de la force. Un
mouvement arrêté subitement se transforme en cha-
leur; la chaleur se transforme à son tour en mouve-
ment, à moins qu'elle ne jaillisse sous forme de lu-
mière. C'est pour elle , comme pour la matière, un
circulus qui ne finit jamais.
Pourquoi n'en irait-il pas de même dans le monde
moral? On s'imagine qu'une idée juste, échappée de
la bouche d'un sage, une bonne action faite par iii-i
honnête homme. dans le silence de la vie domesti-
que , n'a d'action que celle qui est limitée par les rÍr-
constances où elle s'est produite, que le bienfait
en périt tout de suite et s'évanouit sans laisser de
trace.
C'est une erreur, ou tout au moins nous sommes
convaincu que c'est une erreur. Le bien, une lois crée
cl mis en branle, ne peut plus s'anéantir. L'idée juste
court et file, éveillant à distance les âmes ct. la foi,
qui se change en désir de la propager; la bonne ac-
Iion peut tomber sur une terre stérile, elle n'est pas
perdue pour cela :
il arrive qu'un souffle invisible
l'emporte vers un cœur lointain 0\1 elle renouvelle et
féconde le goût du dévouement.
Un brave homme qui accomplit consciencieuse-
ment son devoir s'imagine que son travail a été sté-
rile, et se dit parfois, retournant la tète vers son
passé monotone : A quoi bon?
A quoi bon? mais à augmenter la semence du bien
qui est sur la terre, à créer un mouvement dont les
ondes iront toujours se propageant, pour le bonheur
de l'humanité, a travers des transformations innom-
brables.
Nous espérons que les œuvres saines l'emporteront
sur les mauvaises.
Ce qui restera des œuvres si nombreuses de notre
époque, ce sont celles des écrivains qui se sont ins-
pirés de la nature.
11 n'y a qu'un moyen, ou du moins
il y a un moyen
sûr pour un écrivain de mérite de se faire un nom .
c'est de choisir, dans le champ d'étude qui lui agrée,
restreinte, relativement inexplorée, de
une province
la faire sienne et de s'y tenir. Le moment vient vite,
s'il est laborieux et habile, où l'on ne peut plus tou-
cher au domaine dont il a ainsi pris possession sans

i
rencontrer sa trace et avoir à compter avec ses tra-
vaux.
Les vrais écrivains ont compris cette vérité fonda-
mentale, et au lieu de décrire la campagne ou le pay-
général, ils ont créé des types, ils se sont in-
san en
téressés à des paysans et à des pays particuliers. Les
romanciers se sont partagé la France, chacun en nous
peignant sa province natale ou celle qu'il connaissait le
mieux. L'on a eu ainsi une sorte de géographie pit-
toresque de la patrie française. Qu'il nous suffise de
rappeler le Berry de Sand, la Touraine de Balzac,
l'Alsace d'Erckmann-Chatrian, la Normandie de Flau-
bert, la Provence de P. Arène et de Daudet, la Lor-
raine de rrheuriet, les Cévennes de Fabre.
Ce n'est pas nous qui blâmerons ces naturistes de
cet exclusivisme, de ce cantonnement provincial. Ils
ont pris la nature où elle leur convenait le mieux et
ils ont eu le grand public avec eux.
Virgile nous a montré jadis les lauriers et les
bruyères pleurant la mort de Daphnis :

Illum etiam latiri, illum etiam flavere myricce.

Lamartine dans Jocehjn, Victor Hugo, dans les Con-


templations ont repris et parfois outré ce colloque
mystérieux de l'homme avec la nature.

J'embrasserais le sol et j'aimerais la pierre !

disait l'un.
J'ai souvent
Des conversations avec les giroflées

répétait l'autre.
On sent, à travers toute la poésie de Victor Hugo,
l'inspiration d'une philosophie nouvelle et l'expres-
sion d'un sentiment profond. C'est le sentiment de la
vie universelle, d'une force unique et infinie, qui so
manifeste dans la fleur des champs comme dans le res-
plendissement des astres, qui fait bouillonner le sang
dans nos veines, monter la sève dans les tissus des
plantes, et qui se révèle, avec un mystère étrange et
doux, dans le regard de l'animal, dans la brute pensive,

Qui porte en son œil calme, où l'infini commence,


Le regard éternel de la nature immense.

L'amour de la nature fut la source principale de


l'inspiration de Mme Sand. « Personne comme elle,
avec des mots, de simples mots choisis et combinés
entre eux, personne n'a réussi à traduire dans la réa-
lité vivante d'un paysage, ces lumières et ces om-
bres ces harmonies et ces contrastes, cette magie des
,
son:-, ces symphonies de la couleur, ces profondeurs
et ces lointains des bois, cet infini mouvant de la
mer, cet infini étoilé du ciel. Personne surtout n'a su
somme elle saisir, exprimer cette âme intérieure,
cette âme secrète des choses qui répand sur la face
mystérieuse de la nature le charme de la vie. »
— CARO. —
Le célèbre Haeckel, attendri par l'admirable faune
marine, ébloui par une flore exubérante s écriait :

bien-aimé père, combien je vous remercie de


« Mon
m'avoir donné l'amour si vif de la nature et mon goût
particulier pour les beaux arbres. »
Le pays où Baudelaire fut le plus malheureux est
la Belgique, pays le du silence, de la boue noire et
des cieux badigeonnés de suie. Les arbres, disait-il,
fleurs n'ont parfum... jugez de
sont noirs et les aucun
ce que j'endure.
Cherbuliez, un de nos écrivains qui
M. Victor
s'inspirent le plus de la nature, est d avis que dans un
les champs et les arbres ne doivent pas exister
roman
soi, être là pour leur propre compte; mais que
pour
s'ils ont le droit de jouer un rôle, c'est seulement à

titre d'acteurs moraux qui interviennent ou, ce qui est


la même chose pour nous, qui ont l'air d'intervenir
dans le drame qui se joue au milieu d 'eux. Car est-ce
qu'un « cœur troublé n'intéresse pas l univers entier
»
à ses chagrins? Est-ce qu'il ne se flatte pas de tour-
menter de sa fièvre l'âme tranquille de la nature?
exemple, a-t--il lieu de se ré-
« Un personnage, par
jouir? Le voilà qui sourit aux champs et aux arbres,
et ceux-ci ne manquent jamais de lui rendre la pa-
reille. A-t-il occasion de s'attrister et de se plaindre?
Aussitôt la nature entière prend le deuil, et jamais
n'a couler si grande abondance les larmes
on vu en «
Associer le monde physique à nos joies
des choses ».
et nos
à peines est une excellente règle en littéra-
ture. » — DUCROS. —
Les mêmes remarques s'appliquent à la peinture.
Le poète polonais Adam Mickiewicz, apostrophant un
noble Polonais qui avait toujours le crayon à la main
lui disait : « Pourquoi, si vous aimez tant à dessiner,
ne pas peindre les arbres de nos forêts. »
N'y a-t-il pas là une vue artistique de premier or-
dre? En France, n'est-ce pas en peignant les arbres de
nos forêts que les Millet, les Corot, les Français et
tant d'autres ont renouvelé l'art du paysage?
L'un des meilleurs dans ce genre, Th. Rousseau,
s'est justement illustré par des procédés nouveaux
dans l'art d'interpréter les arbres et la perspective
aérienne. Un arbre n'est pas un espalier, disait-il, il a
un volume comme les terrains, l'eau, l'espace. Les
arbres doivent tenir au terrain, les branches doi-
vent venir en avant ou s'enfoncer dans la toile; le
spectateur doit pouvoir par la pensée faire le tour de
l'arbre.
La littérature végétarienne s'impose surtout aux
névrosés, aux philosophes de l'école désolante de
Schopenhauer. Il est impossible que cette brillante et
incomparable nature soit faite de cruautés et. de dé-
sordres. Quand cette dernière pensée est entrée dans
l'âme, quand ce flambeau est allumé, il est bon de
rentrer dans le monde, d'étudier de nouveau la vie,
ses combats, ses conditions.
Alors cii, voit autrement les choses : l'ordre et la
bonté se montrent partout. Non, les créatures ne
sont pas jetées au hasard dans la mêlée. Ce globe
est un champ clos où tous combattent; mais il existe,
temps de la chevalerie, des règles et des
comme au
limites qui tempèrent et honorent le combat.

Ah! s'il est un pays où i'ame se repose,


Se baignant de parfums dans un bocage obscur,
Comme le papillon englouti dans la rose,
Baisé d'un chaud.soleil, caressé d'un vent pur,
Ce merveilleux Eden que toute âme désire,
Fût-il au bout du monde, allez vous y plonger.
BAllHEV D'AUIIEVILLY.

C'est là lerefuge trouvé pour les esprits fatigués


de notre existence fiévreuse, brûlée par la viande,
l'alcool et le tabac; c'est l'absorptio.i dans la beauté
des choses, c'est l'agenouillement devant le mystère
des couleurs et des formes.

La nature bénit ceux qui vivent en elle;


Le calme vient au cœur du calme des forets.
Les fleurs et notre littérature
contemporaine (1)

Les roses ont fait plus d'honnêtes


gens que les lois.
A. VACfJUEI\IE.

Rien ne nous plaît dans la nature


que ce qu'elle a de presque spiri-
tuel, comme ses émanations; que ce
qui touche presque à l'âme, comme
ses parfums; que ce qui fait illusion,
comme les formes et les couleurs.
JOUBERT.

Il n'est pas nécessaire de se livrer à une longue


enquête sur le mouvement littéraire actuel pour s'a-
percevoir que le naturalisme, si puissant hier en-
core, est en train de disparaître. Déjà, à l'apparition
des horreurs de la Terre} quelques écrivains, dé-
goûtés de la recherche constante des instincts bes-
tiaux de l'homme, avaient rompu avec l'école réa-

(1) Un extrait de cetle étude a été lu par l'auteur à la séance


publique annuelle du 17 janvier 1892, de la Société académique
d'Agriculture, Belles-Leltres, Sciences et Arts de Poitiers.
L'ouvrage entier a été couronné à la suite d'un concours par
l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Tou-
louse.
liste. Le fameux lJfanijf?ste) signé par MM. Bonnetain,
llosny, Descaves, Margueritte et Guiches, avait été
rédigé dans un but de protestation.
Depuis, le courant anti-naturaliste s'est accentué,
et, aujourd'hui, ce sont les poètes de l'idéal et des
fleurs, qui représentent le vrai mouvement intellec-
tuel. Sur nos six mille romanciers et peut-être au-
tant de poètes, beaucoup, empruntent aux fleurs leur
inspiration ou leur moyen d'expression. Les élèves
de Sully-Prudhomme, François Coppée, André Theu-
riet, etc., se dressent hardiment contre les décadents,
en chantant gaiement les fleurs et les champs.
Si l'on veut tirer une conclusion définitive, rela-
tivement à l'évolution littéraire contemporaine, et
chercher à savoir si les psychologues succéderont
aux naturalistes, et les symbolistes aux parnassiens,
il est difficile de ne pas se perdre au milieu des trop
nombreuses écoles déliquescentes qui se divisent et
se subdivisent à l'infini.
Aussi, nous sommes-nous placé à un point de vue
absolument spécial : nous envisagerons seulement
les auteurs qui, à un degré quelconque, utilisent les
fleurs dans leurs descriptions.
Cette recherche des parentés spirituelles entre écri-
vains de la même époque, est la plus intéressante
et la plus originale partie de l'histoire des lettres. Il
est curieux de voir comment les mêmes fleurs agis-
sent, de semblable ou de différente façon, sur les
organes délicats des vrais artistes, c'est-à-dire des
qui ressentent vivement en présence de
personnes
certains spectacles.
Nous ne chercherons pas si les descriptions des
sont toujours exactes. Il serait évidemment fort
ileurs
intéressant de cueillir les fautes grossières, les héré-
botaniques, commises parfois par des écrivains
sies
réalistes, qui se piquent cependant de reproduire la
nature dans sa rigoureuse exactitude.
Nous avons déjà rencontré, sans les chercher, des
bizarreries qui constitueraient un jardin plus bizarre
encore :
M. Emile Zola, dans son Paradou, fait épanouir en
même temps des espèces de plantes essentiellement
différentes comme époque de lloraison.
Avant lui, Victor Hugo a décrit un lis bleu comme
des yeux bleus ; —
Georges Sand, un chrysanthème à
Paul Féval, mélèze iL feuilles
fleurs d'azur; — un
persistantes; — Balzac, un azuléc grimpant, — et
Alexandre Dumas, une tulipe noire.
Sans nul doute, les écrivains ne perdraient rien de
leur valeur à consulter des personnes compétentes
pour tous les détails spéciaux.
Pour donner à notre travail la clarté désirable,
nous en indiquons les divisons nécessaires :

Puissant amour des fleurs. —Leur rôle dans la vie, t"s arts,
la musique, la poésie. — D'où vient ce culte? Plusieurs sour-
ces : amour de la nature en général,
adoucissement de nosmœurs,
besoins nouveaux d'expressions pour les poètes et les romanciers.
— Ressources fournies il ce dernier point de vue par l'étude des
fleurs.
if
Rapide aperçu de 'notre littérature relativement au sentiment
de la nature. J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre, Chateau-
briand, Lamartine, George Sand, Victor Hugo. — Etude de nos
poètes contemporains qui s'inspirent des Heurs : Sully - Peu
dhomme, François Coppée, Maurice Rollinat, Jean Richepin, Ga-
briel Vicaire, François Fabié, Jean Aicard, Armand Silveslre,
Ch. Fuster, Emile nIémollt, Jean Rameau, Jean Lahor, Gabriel
Marc, etc., etc.
m
Romanciers : André Theuriet, Victor CherbuIiez, Emile Zola,
Alphonse Daudet, E. Legouvé, Émile Pouvillon, Octave Mirbeau,
Jules Claretie, Pierre Loti, Carmen Sylva, Camille Flammarion.
IV

Considérations générales sur les tendances actuelles de noh'c


littérature. — La renaissance de l'idéalisme.
CHAPITRE PREMIER

Puissant amour des (leurs. — Leur rôle dans la vie, les arts, la
musique, la poésie. — D'ou vient ce culte? — Plusieurs sour-
ces : amour de la nature en gênerai, adoucissement de nos
mœurs, besoins nouveaux d'expression pour les poètes et les
romanciers. — Ressources fournies à ce dernier point de vue
par l'étude des fleurs.

Cultive tes champs, mais aussi ton jardin,


afin de récolter avec le blé, des fruits et des.
lleurs : on ne vil pas seulement de pain.
WHATELY.

En aucun temps, le culte des fleurs n'a été aussi


vif que de nos jours. Il suffit de jeter un coup d'œil
sur les splendides jardins publics de nos villes, et les
jardinets plus modestes de nos campagnes, pour
s'assurer que l'amour des fleurs est très développé.
En France, presque toutes les habitations possèdent
un espace consacré à leur culture. On n'élève plus
comme autrefois des autels à la déesse Flore, mais
son empire est plus puissant que jamais.
C'est que les fleurs sont profondément entrées dans
nos mœurs; toutes les circonstances de' la vie exigent
aujourd'hui leur présence. La fleur est le domaine et
le besoin de tous, dit Charles Yriarte. C'est une bran-
che nouvelle, une science inédite, une industrie fé-
conde qui remue l'or à pleines mains et fait de nou-
veaux prodiges. Un salon sans fleurs est une nudité
qui nous offense ; il nous faut des fleurs pour les vi-
vants, pour les morts, pour les fiancées, pour les
divas, pour la table et pour la parure ; demain il nous
en faudra plus encore. La fleur fraîche se porte au
chapeau. Si l'on veut être logique, la fleur au chapeau
exige pour complément la fleur au manchon et la
gerbe au corsage ; les dames les plus avancées risquent
même le bouquet à la boutonnière; cela donne un
petit air impertinent très apprécié par les messieurs
du monde hippique.
Pour avoir une idée de l'importance des transactions
commerciales auxquelles donne lieu l'industrie des
fleurs, il suffit de citer quelques chiffres se rappor-
tant il Paris seulement. Douze marchés sont destinés
à fleurir la capitale; trois millions de francs sont mis
en circulation pour le forçage des lilas, des roses et
du muguet, et le Midi envoie tous les ans pour quatre
millions de fleurs d'orangers, de mimosas et de rose,,
Pour la France, la somme totale dépensée en bou-
quets est évaluée annuellement à plus de cinquante
millions.
Aujourd'hui la mode est aux Orchidées, et ces ra-
vissantes fleurs se partagent, avec les roses, les fa-
veurs du public qui est depuis longtemps guéri de sa
lalipomanie. On trouve, dans cette aristocratique
famille, les nuances les plus exquises, les teintes les
plus délicates et les variétés les plus infinies qu'il soit
possible d'imaginer. Il y en a de blanches, de violet-
tes, de pourpre, d'argent et d'or. Les orchidées ont
des journaux; il y a des orchidophiles, des orchido-
graphes et des orchidologues.
Une orchidée nouvelle, au moment de son appari-
tion en Europe, produit une profonde émotion. Les
amateurs la saluent avec enthousiasme et la fêtent à
l'égal d'un grand événement politique ou social. Ci-
tons quelques exemples :
«
C'est sous l'influence d'un vif sentiment d'amour-
propre national que nous reproduisons dans notre
Revue l'image du magnifique Lælia purpurata. Quelle
merveilleuse plante, brillante au sein de cette riche
famille où les merveilles foisonnent! Le jour de son
introduction mériterait d'être marqué d'une lettre d'or
dans les annales de la botanique.

«
Ce jour-là, le 3mars 1889, les orchidophiles trou-
vèrent la table du festin richement garnie, puisque le
maitre leur offrait à la fois des variétés de Lœlia, etc.

« Ce joli bijou, l' Oneidium papilio, semble être un


papillon jaloux qui vient cacher les organes floraux.

« Parmi les Dendrobium, les collecteurs ont signalé


une espèce à fleurs bleues. Les amateurs compren-
dront avec quelle anxiélé la floraison d'un bijou pareil
est attendue!
« Combien de visiteurs, entrés profanes dans lcs
serres à orchidées, en sont sortis amateurs! »
Le grand charme des orchidées, c'est leur variété;
c'est la différence qu'ily a d'un genre à l'autre, c'est le
mélange de toutes les formes et de tous les coloris,
c'est la petite fleur bizarre mimant l'insecte des Pleu-
1'otallis et genres analogues; c'est la fleur à consis-
tance de cire, aux couleurs éclatantes, ternes ou
blanches, des Pescatorea, des Lycaste,. c'est l'épi
floral des Aerides et des Saccolabium; c'est la fleur
solitaire aux teintes miroitantes des Masdevallia ; c'est
le thyrse gracieux des Odontoglosswn, des Dendro-
bium et des Phalaenopsis; c'est la suavité des VancZa
et leur extrême noblesse. C'est cet ensemble si varié
qui forme la passion des orchidées; c'est cette inten-
sité de coloris, cette délicatesse de la texture des
fleurs, cette bizarrerie de leur forme qui les placent
au-dessus de toutes les autres familles de plantes.
Les descriptions de ces joyaux sont extrêmement
colorées. « Les fleurs sont d'un blanc de crème poin-
tillé et maculé de pourpre. Les pétales sont lavés
d'une teinte de vin Oporto.
« Les sépales latéraux sont
flagellés de macules de
sang. Le sépale supérieur est légèrement ombré do
pourpre. Le staminode marbré de vert, émarginé et
garni à son milieu d'un petit apicule rose carné tendre,
avec de riches maculatures cramoisies. Le mentrum
aies trois cinquièmes, comme longueur des parties
libres des sépales latéraux, il est rétréci en avant de
l'ap(,x.
Leur coloris est fond jaune vitellin régulièrement
réticulé de veines brun purpurin.... Le searpe naît à
la base du pseudo-bulbe portant un racème de fleurs
répandant un parfum suave de vanille joint à la sen-
leur du melon. La IÓvrc du labelle est panduriforme,
la partie inférieure est d'un pourpre chaud admirable;
on pourrait comparer cette partie au bout de la queue
d'un coq de bruyère, le bout est rouge vineux foncé,
ombré de brun clair et luisant
« Le sépale dorsal est marqué extérieurement de
sept lignes cannelle foncé, le clinandre est charnu et
encapuchonné d'un pourpre d'une douceur indicible.
« [,(i fine cristallisation du tissu
de ces fleurs scin-
tille sous la lumière et semble saupoudrée de poussière
de diamants. Quelles gracieuses phalènes quels chastes
!

thYI'ses!
« On croirait, en voyant le Slanhopea tigrina, avoir
sous les yeux une fleur d'ivoire ou de cire parfumée
par III 1I!!JslÙiew;e incantation d'une magicienne orien-
lI/le. »
La description la plus pittoresque est celle qui est
relative à l'orchidée crapaud (Megaclinium bufo).
« Imaginez un serpent vert aplati comme une
fleur
séchée; imaginez-vous alors une rangée de crapauds
ou d'autres reptiles tachetés de même, qui sont rangés
sur une pile, le dos dressé, les pattes de devant s'é-
talant à gauche et à droite, la gueule large ouverte
montrant une grande langue pourpre qui branle d'une
façon convulsive : vous aurez alors une idée approxi-
mative de cette plante étrange, qui, si Pythagore en
avait connu quelque chose, aurait rendu superflus
tous ses arguments sur la transmigration des âmes. »
Leur parfum est difficile à apprécier; il faut un
odorat subtil et un esprit inventif, pour qualifier les
odeurs de ces étranges plantes. Un Anglais y a essayé
son nez, et il nous communique ses impressions
olfactives, qui ne plairont peut-être pas à tous les
orchidophiles.
Cattleya Mossiœ : Deux pétales ont le parfum du
miel, le labelle n'émet pas de parfum.
Cœlogyne flaccida : Odeur rappelant l'urine des
chevaux.
Dendrobium fimbrialum : odeur de la créosote.
Epidendrum fragrans : parfum indéfinissable, mé-
lange d'odeur de foin et de bergamotte.
Lœlia albida : senteur de miel de fleur de tilleul
très parfumé.
Odontoglossum blandum : rappelle l'odeur qui
s'exhale d'un champ de fèves.
Dans toutes les descriptions, il n'est question que
du facies, du portrait, du baptême et même du...
sang de ces fleurs, que les hybridateurs mélangent il

l'infini.
On voit que la littérature des orchidées est aussi
singulière que les plantes elles-mêmes. Il faut avouer
que ces dernières possèdent un grand cachet d'ori-
ginalité et que leur développement tient de la magie,
,
si l'on songe qu'avec les seuls principes puisés dans
l'air, elles élaborent des feuilles et des fleurs colos-
sales. Il est aussi digne de remarque que beaucoup de
ces végétaux aériens dont les pollinies, qui doivent
assurer la reproduction ne peuvent être transportées
sans le secours d'un agent étranger (insecte généra-
lement) ont les plus grands traits de ressemblance
,
avec les insectes. C'est ainsi que dans cette famille on
trouve l'orchis-mouche (Orchis mu s ci fer a), l'orchis-
papillon (Oncidium papilio), l'orchis-abeille (Orchis
api fera).
Pour saisir toute l'importance de ces filles de l'air,
il suffit de citer les prix atteints par quelques spéci-
d'une rare collection vendue il y a peu de
mens
temps :

Un Cypripedium Slonei a atteint 8,000 fr.


Un C. Moi,,qaitix 4,550 fr.
Un Lseliu bella 4,500 fr.
2,250 ft'.
Un Cattleya amesiana ................
Nous relevons sur un catalogue d'orchidées quel-
ques prix qui ne sont pas absolument rares :
745. Vanda Lowi, 4 bulbes, 3 feuilles 1,000 u\
098. Cattleya labiaia, 5 bulbes, 4 feuilles 750 fr.
867. Odontoglossum nevadense, une jeune pousse, 650 fr.

En présence de cet engouement pour les fleurs, les


poètes et les romanciers, moins que personne, ne
pouvaient se dispenser de les chanter. En outre, les
écrivains ont de plus en plus besoin d'expressions H
d'images nou\elles, et c'est tout naturellement dans
ce domaine qu'ils cherchent la couleur indispensable
à la communication de leurs visions délicates.
Voyons quel parti les vrais artistes peuvent tirei1
de l'étude des fleurs.
Callimaque inventa le chapiteau corinthien en con-
templant une acanthe sauvage qui poussait sur la
tombe d'une jeune fille. Ce fait nous montre le rôle
de la plante dans l'art. La copie du végétal est l'ori-
gine, en effet, de toute ornementation. Bien plus :
telle fleur, par la fréquence de sa reproduction, par
le multiple parti qu'en tirent les artistes d'un peuple
ou d'une époque, arrive à caractériser l'art de cette
époque ou de ce peuple; l'art égyptien est insépara-
ble du lotus, l'assyrien de la marguerite, et le persan
de l'œillet. Dans les sculptures de nos cathédrales,
toute l'humble flore de nos champs revit, perpétuée à
travers les siècles par l'hommage attendrissant d'ar-
tistes dont le nom est oublié.
La plante est infinie dans ses aspects, dit M. Falize :
gracieuse dans sa fleur, fine et capricieuse en ses
veines, altière et robuste par la solide architecture de
ses grands arbres, délicate et souple en ses longues
tiges vertes, variée dans le dessin de ses feuilles. Les
graines, par leurs juxtapositions imprévues, consti-
tuent des jeux de fonds.
Les bulbes et les oignons donnent des profils de
vases, les fruits ont prêté leurs formes à tous les be-
soins d'art de l'homme. L'écorce de l'arbre est un
modèle pour les ciseleurs, les fleurs des jardins ont
toutes les harmonies de la couleur, et l'on n'en fini-
rait point s'il fallait analyser toutes les beautés que
nous offre ce règne végétal et que l'art exploite sans
arriver à les épuiser.
Avant de peindre, Delacroix mettait une fleur à
coté de son chevalet, et il disait : « Cette fleur est
mon inspiration et mon désespoir. »
Après avoir servi de modèle à l'ar t, la fleur s'intro-
duit dans la musique, et nous lui devons nos plus
purs chefs-d'œuvre d'art musical.
M. G. Bellaigue, dans son intéressante étude : La
nature dans la musique, nous montre la part prépon-
dúrante des fleurs dans la production des œuvres des
grands maîtres.
Nulle part la nature ne parle autant que dans
Guillaume Tell de Rossini. Aucun air n'approche de
Sombres forêts. C'est plus qu'une romance, plus
qu'une rêverie : c'est l'âme de la solitude, c'est la vie
latente et nocturne des choses, le sommeil des grands
sapins, dont l'accompagnement balance les grands
rameaux.
Schumann a prêté à la nature une sympathie uni-
verselle pour la souffrance humaine. Jusque dans le
calice des roses il a vu des pleurs. Dans les Amours
d'lIlI poète, il n'est question que de confidences d'a-
mour et de chagrin faites aux roses du jardin. Impos-
sible de rendre mieux que Schumann ces larmes
qu'une feuille de rose essuie.
Dans la Damnation de Berlioz, on sent la mélanco-
lie de l'homme au milieu de la nature. Et pourtant
l'aube, on le sent aussi, est tiède et printanière. De
l'orchestre montent des parfums.
Dans cette musique il y a la secrète influence de la
nature véritable et vivante, l'effluve mystérieux des
herbes et des fleurs, le trouble dont frissonne parfois
la terre et l'homme avec elle, je ne sais quelle lan-
gueur qui, de la création, pénètre en nous et s'insi-
nue par les souffles et les parfums.
Dans le Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, on
entend très peu de notes, et presque toutes graves,
un chant solennel, soutenu de lents accords : voilà
l'air des roses.
Un musicien contemporain qui a été et n'a guère
été autre chose qu'un paysagiste, Félicien David,
dans le Désert et Lalla-Roukh, a magnifiquement
présenté l'Orient avec tout son mystère indolent. Il
diffère de Schumann : ici plus de douleurs; « c'est le
pays des roses » ; tout respire la langueur, la mol-
lesse, tout existe d'une existence à peine sensible,
mais douce comme celle des vapeurs ou des parfums.
Dans l'Africaine, Meyerbeer consacre à la nature et
aux fleurs les derniers actes. « Le jeune homme s'a-
vance, grisé de parfums et de soleil. Le chant s'épa-
nouit d'abord à l'orchestre, et des lèvres de Vasco tom-
bent des paroles entrecoupées : Pays merveilleux!...
Jardins fortunés!... salut... Il aborde avec respect,
presque avec pudeur, cette nature vierge. Quel amour
encore timide! quelle adoration craintive dans la
phrase: 0 paradis sorti de l'onde! Quelle tendresse et
quelle pureté Vraiment l'amour de la nature est ici
!

l'égal des humaines amours. La terre, belle et chaste


comme une fiancée, s'offre au héros dans toute la
force de sa jeunesse inviolée, et le cri de Vasco : Tu
m'appartiens! consacre et consomme ce magnifique
hyménée. Tout ici est subordonné à la nature. A ces
mots : 0 ma Sélika, les harpes font pleuvoir leurs
notes comme des fleurs.
« Puis à la fin du dernier acte, on sent que les
fleurs du mancenilier peuvent tuer. Une phrase de
violoncelle monte vers Sélika, toujours plus mar-
quée, toujours plus enivrante. Des parfums s'exhalent
d'eux-mêmes et vont au-devant d'elle. Sombre et
triste, elle aussi, la création comprend la détresse de
sa créature, et ne lui refuse pas le bienfait de la
mort. »
Si les musiciens de nos opéras empruntent une
grande partie de leur inspiration à la nature, les li-
brettistes ne pouvaient s'empêcher de mettre forte-
ment à contribution le monde des fleurs.
Dans Hamlet, opéra tiré de la conception de Sha-
kespeare, un des principaux personnages, Ophélie,
meurt au milieu des fleurs. L'héroïne cherche à sus-
pendre à un saule ses guirlandes de renoncules et de
marguerites, quand la branche sur laquelle repose
son pied se rompt, et tous ses trophées de verdure
tombent avec elle au milieu des nénuphars. Quand
on la couche dans son tombeau, son frère désolé s'é-
crie : « Déposez-la dans la terre, et que de ce beau
corps sans tache il naisse des violettes » La reine, à
!

son tour, jette des fleurs sur le cercueil, en disant :

« Des fleurs sur cette jeune fleur! » Mourir ainsi,


c'est rentrer en souriant dans le sein de la douce
nature.
On ne saurait mieux caractériser Ophélie qu'en em-
pruntant à Shakespeare lui-même cette dernière
image : « Cette jeune fille est une fleur de printemps,
une fraîche marguerite des champs, un brin de mu-
guet des bois, svelte et blanc, qui répand encore sou
doux parfum sous le pied du destin qui l'écrase. »
Citons au hasard quelques vers fleuris :

..........
Fleurs écloses prés d'elle. (Faust.)

Connais-tu le pays 011 fleurit l'oranger,


Le pays des fruits d'or et des roses vermeilles.
(lIlignon.)
Au souille de zéphyre
Quelles tendres senteurs!
Ma bouche aspire
Le doux parfum des fleurs. (Songe d'une nuit d'été.

La lieur que tu m'avais jetée


Dans ma prison m'était restée
Flétrie et sèche, mais gardant
Son parfum terrible, enivrant. (Carmen.)
épais olt le blanc jasmin Vf
Sous le dôme •

A la rose s'assemble, etc.

Mais je sens en mon cœur des murmures confus,

............
Les (1curs me paraissent plus belles,

Pour qui s'ouvrent les calices


Des roses chaque jour,
C'est le dieu de tes caprices,
C'est l'amour! (Lakiîz(,,.)

Les blanches fleurs à peine écloses,


Magnolias, jasmins et roses ,
Ces sublimes et douces choses,
C'est pour les belles que Brahma
Les créa. (Si j'étais roi!)

La poésie tout entière réside dans les émotions di-


ressentons en face d'un spectacle.
verses que nous
Nous aimons les sensations qui nous remuent agréa-
blement. Or, quel champ plus riche d'émotion que
la vue des fleurs au coloris si puissant, aux odeurs si
enivrantes !

Par nature, nous détestons les couleurs foncées qui


donnent l'impression de l'absence de vie et de
nous
lumière. Les peintres qui n'interprètent que le côté
triste de la nature, qui ne font que les crépuscules
et les paysages d'automne, nous plaisent moins que
ceux qui voient la joie partout, comme Corot, par
exemple, dont les sujets de prédilection étaient les
levers de l'aurore ou le printemps, avec tout ce qu ils
avaient de vivant et de gai.
D'ailleurs, de tout temps , le noir a été pris comme
signe de deuil, tandis que le blanc a toujours eu une
signification contraire. Les dames utilisant les fleurs
et les couleurs diverses, comme objet de décoration,
nous ne pouvons nous permettre d'élever des doutes
la valeur de celles-ci comme moyen d'expression.
sur
Nous verrons plus loin comment les poètes se sont
heureusement inspirés des nuances des fleurs pour
nous communiquer leurs sensations.
Citons un exemple en passant.
Un jeune écrivain de beaucoup de talent, M. Ro-
denbach, voulant nous faire sentir le rose un peu
passé des vieilles peintures, nous dit :

Dans les chambres, comme ils parlent, les vieux portraits


Dont la bouche a gardé des roses d'azalées...

L image est absolument juste, et nous éprouvons


bien l'impression que le poète a voulu nous commu-
niquer.
La nature use largement des contrastes de cou-
leurs. Au lieu de grouper des plantes de couleurs
semblables, qui nous donneraient une impression
monotone, elle les disperse au hasard pour que la
physionomie de chaque fleur apparaisse bien. De loin
dispose des tiges frêles de graminées qui
en loin, elle
donnent plus de légèreté à l'ensemble. Les artistes
fleuristes imitent la nature quand ils cherchent la
beauté d'un bouquet dans le contraste des teintes; ils
suppléent aux couleurs qui leur font défaut par l 'eiyi-
ploi de rubans multicolores, et ils terminent en jetant
au hasard quelques tiges fines, qui communiquent
immédiatement l'élégance et la légèreté.
Nous parlions, tout à l'heure, delà physionomie des
fleurs. M. Mouton, dans une remarquable étude sur la
physionomie des végétaux, a montré la vérité de cette
expression.
Un végétal est un animal qui dort, disait judicieu-
sement Bulï'on. En effet, le végétal respire et vit tout
comme un animal; seule, la vie active extérieure
paraît lui manquer, ce qui n'est pas absolument vrai.
Tous les rêveurs qui vont chercher au milieu des
forêts le recueillement profond et mystérieux qu'on
respire sous les grands arbres connaissent bien la voix
des végétaux, musique harmonieuse s'il en est une.
Tous les arbres ont une physionomie qui frappe nos
sens. Ce sont comme des personnalités qui nous ins-
pirent des sentiments divers. C'est ainsi que nous
sommes pris de respect en présence de ces énormes
chênes, colosses au feuillage dur, au branchage tor-
tueux et violent. Aussi avons-nous pris cet arbre
comme le symbole de la force sereine, de la noblesse
imposante et austère. Les arbres à feuillage persistant
nous suggèrent l'idée de l'audace par l'étrange té de
leur attitude. Les cyprès, par leur forme droite
comme une colonnette, nous font penser à un mor-
ceau d'architecture. Leur verdure noire et leur tige
élancée qui semble tendre au ciel, en ont fait l'arbre
des cimetières. Un poète polonais, Adam Mickiewicz,
trouve que le cyprès a l'air d'un laquais allemand en
livrée de deuil, qui n'ose ni lever la main ni baisser
la tête de peur de manquer à l'étiquette. Tout cela
vaut-il « notre bouleau blanc, qui, semblable à une
veuve sur le corps de son mari, se tord les bras, laisse
tomber jusqu'à terre le long de ses épaules les ruis-
seaux de sa tresse, éloquent de pose, quoique muet
de douleur » ?
Si les arbres inspirent de tels sentiments, à plus
forte raison les fleurs nous suggéreront-elles des im-
pressions autrement vives. La forme du calice et de la
corolle, l'éclat de leurs nuances, leur port gracieux
et leurs diverses attitudes, se traduisent pour nous en
images sensibles.
Les fleurs, dit Mouton, sont près de nous; nous les
voyons à chaque pas dans nos jardins , nous les déta-
chons de leur tige pour les admirer et pour en em-
bellir nos demeures ; nous les rassemblons en bou-
quets ou en guirlandes pour exprimer nos plus doux
sentiments ou pour célébrer nos fêtes, et c'est ce
qui explique comment, au lie i de s'en tenir au sen-
timent de la beauté naturelle, qui suffit à les faire
admirer, l'homme a été porté à leur donner comme
une part de son âme.
Le langage des fleurs fondé sur des observations an-
ciennes est souvent juste. La rose avec sa fraîcheur et
sa tendre délicatesse de tons n'est-elle pas la vraie
fleur de l'amour? Le myosotis avec sa pâle couleur
et sa petitesse ne rappelle-t-il pas le souvenir déjà
lointain?
Le symbolisme actuel tire un grand parti des fleurs.
Dans un sonnet intitulé :
Correspondances, Barde-
laire note les rapports qui existent entre les percep-
tions des sens :

Comme de longs échos qui de loin se confondent,


Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il découvre les analogies qu'il y a entre les parfums


ut les couleurs, entre les couleurs et les sons. C'est le
point de départ des poètes nouveaux qui se décorent
du nom pompeux de symbolistes. Ils voient, par
exemple, des correspondances entre le son du cuivre
et l'ardente couleur du géranium; ils sentent une
droite relation « entre le lilas frais et la caresse prin-
tanière de quelque parfum ». Ils exagèrent ces sensa-
tions, et arrivent à employer des expressions qui
rappellent le son d'une odeur, la couleur d'une note,
le parfum d'une pensée,
M. F. Goppée, qui n'est pourtant pas un poète dé-
cadent, avait, avant eux, senti dans son âme d'ar-
liste :

Quelque chose comme une odeur qui serait blonde. »

Les sensations d'odeur ont une grande importance,


romanciers n'ont pas laissé échapper. Pres-
que nos
font naître leurs amours dans un jardin en-
que tous
chanté où « une vague odeur d orangers s évapore
la rosée des grappes blanches des acacias ».
avec
Nous verrons comment M. E. Zola nous communique
des impressions extrêmement vives en évoquant les
odeurs des fleurs.
D'ailleurs, tous les écrivains qui ne ressentent rien
présence des merveilles florales obtenues de nos
en
jours ou des petites fleurettes de nos champs, ne sont
pas des artistes, étant donné que la première qualité
d'un artiste est l'émo;ion. Mmc Roland écrivait à une
de ses amies l'impression produite sur elle par un
bouquet de violettes. « Je me souviens toujours de
l'effet singulier que produisit sur moi un bouquet de
violettes à Noël. J'étais, lorsque je le reçus, dans cette
situation d'âme qu'apporte souvent une saison favo-
rable au sérieux de l'esprit; mon imagination som-
meillait; je pensais froidement, et je ne sentais guère.
Tout à coup la couleur de ces violettes, leur parfum
délicat, vinrent frapper mes organes : ce fut comme
un réveil à la vie. Un doux frémissement parcourut
tous mes membres. l'activité déploya ses puissances
de riantes images naquirent en foule, une teinte rose
se répandit sur l'horizon du jour; mon courage fut
animé et je devins capable de plus de chose. »
George Sand nous apprend aussi comment les
plantes s'harmonisent avec nos pensées. Elle raconte
qu'un jour, en portant les mains à son visage, elle
avait respiré l'odeur d'une sauge dont elle avait
touché les feuilles quelques heures auparavant. Elle
avait respecté la plante et n'avait emporté d'elle que
exquise senteur. D'où vient que celle-ci l avait
son
laissée? Quelle chose précieuse est donc le parfum,
qui, sans rien faire perdre à la plante dont il émane,
s'attache aux mains d'un ami, et le suit en voyage
charmer et lui rappeler longtemps la beauté
pour le
de la fleur qu'il aime?
Voilà une âme réellement artiste ; non seulement
la faculté de sentir, mais elle possède encore le
elle a
talent de nous faire éprouver ses émotions.
CHAPITRE II

Rapide aperçu de notre littérature relativement au sentiment de


la nature. — Jean-Jacques Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre,
Chateaubriand, Lamartine, Georges Sand, Victor Hugo. Nos
poètes : Sully-Prudhomme, François Coppée, Maurice Rollinal,
Jean Richepin, André Theuriet, Gabriel Vicaire, François Fabip,
Aicard, Cb. Fuster, Armand ^ilvestre, Emile Blémont,
Jean
Jean Rameau, Jean Labor, Ch. Valois, Léon Duvaucliel, Ga-
briel Marc, etc.

En un parfum ému chaque fleur s'évapore.


FRANÇOIS COPPÉE.

Les poètes et les romanciers n'ont jamais autant


usé des fleurs dans leurs descriptions que de nos
jours. Pour se rendre compte de cette vérité, qui

peut paraître surprenante au premier abord, il est

utile de remonter assez haut dans notre histoire lit-

téraire.
Au début de son évolution, l'esprit français se fait

remarquer par son indifférence profonde pour toutos


les choses du monde physique. Le sentiment de la

nature lui fait absolument défaut. La description pit.

toresque , qui doit acquérir dans la suite tant d 'im

portance , n'existe pas encore.


Les écrivains du douzième et du treizième siècle,
ne se préoccupent que d'une chose, l'étude de leurs
personnages. Ils restent insensibles à tout ce qui les
entoure; évidemment, il n'est pas question des fleurs
qui, seules, pourraient les faire départir de leur sys-
tème étroit.
Pendant les quinzième et seizième siècles, on ne
trouve pas encore de trace de l'amour des choses ex-
térieures.
Le dix-septième siècle, se consacre uniquement à
l'étude des sentiments , et se fait remarquer par une
absence à peu près totale, de ces descriptions qui
empruntent à la nature, leur vivacité et leur couleur.
C'est cet exclusivisme outré, qui fait dire à Théophile
Gautier : je n'ai trouvé qu'un vers pittoresque dans
toute la haute littérature du siècle de Louis XIV :

La campagne à présent n'est pas beaucoup fleurie.

Et pourtant la Guirlande de Julie existait à cette


époque. M. Ludovic Halévy, dans une spirituelle pré-
face, parle de cette œuvre commune où les meilleurs
faiseurs de madrigaux du temps bavardaient agréa-
blement avec les fleurs. La Guirlande de Julie fut
offerte en 1641 par le duc de Montausier à Mlle de Ram-
bouillet à l'occasion de sa fête. Voici les noms des
poètes qui ont collaboré à la Guirlande : Chapelain,
Combaud, Colletet, Hacan, des Marets, Tallemant
des IlÓaux, Scudéry et enfin le duc de Montausier, qui
eut le tort d'y mettre lui-même la main. Seize ma-
drigaux sont signés de lui; il tient la plus grande
place dans ce recueil et prouve surabondamment.
qu'on est parfois bien mal servi par soi-même. Quatre
petits vers ont seuls mérité de survivre. C'est le qua-
train de des Marets sur la Violette.

Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe,


Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Mais, si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Le dix-huitième siècle commence une ère nouvelle,


et c'est Jean-Jacques Rousseau qui en donne le signal.
Ce philosophe, est attiré par le charme de la soli-
tude et cherche dans la contemplation des choses de
,
notre monde le bonheur que ne lui donne pas sa
grande réputation d'écrivain. Beaucoup de ses utopies
fantaisistes ne lui survivront pas ; il ne restera de son
œuvre que son enthousiasme pour les spectacles na-
turels, et ses surprises et ses « joies de botaniste ».
Puis, Bernardin de Saint-Pierre fait faire un nou-
veau pas à la littérature descriptive et imagée, et
André Chénier ressuscite véritablement en poésie le
sentiment de la nature. Malheureusement, en déca-
pitant ce jeune et viril poète, on trancha du même
coup l'unique rameau où s'était greffé « le génie grec
sur le vieux chêne gaulois qui dépérissait ».
Il faut alors arriver jusqu'à Chateaubriand, précur-
seur de l'école romantique, pour voir reparaître avec
succès la peinture vraie des choses qui nous entourent.
« La brise alanguie de Syrie nous apportait indo-
lemmont la senteur des tubéreuses sauvages... Le
soleil tomba derrière le rideau des arbres; en bas,
c'étaient des lilas, des azalées, des lianes annelées
aux gerbes gigantesques, etc. »
Ce que Chateaubriand aime le plus, c'est « l'odeur
fine et suave de l'héliotrope ».
Puis, Alfred de Vigny, Lamartine, George Sand,
suivent cette même voie et parlent à nos sens et à
nos cœurs en termes émus. Ces écrivains suggèrent à
notre esprit les images qu'ils se font de la nature ex-
térieure. On ne peut lire les pièces de Lamartine
sans voir par la pensée le lac, le vallon, les fleurs
qu'il nous présente. Ce puissant lyrique aime les fleurs
comme des amies.
Je descends
Dans mon jardin trempé par les froides ondées
Visiter un moment mes plantes inondées;
Je remarque à mes pieds si les bourgeons en pleurs
Ont de mes perce-neige épanoui les fleurs;

J'appelle par leur nom mes arbres en chemin;


Je touche avec amour leurs branches de ma main ;
Comme de vieux amis de cœur je les aborde,
Car dans l'isolement mon âme qui déborde
De ce besoin d'aimer, sa vie et son tourment
Au monde végétal s'unit par sentiment.
Et si Dieu réduisait les plantes en poussière,
J'embrasserais le sol et j'aimerais la pierre!

George Sand, par la sensation vive des choses de


la nature, est un poète admirable. « J'ai toujours
trouvé, dit-elle, la nature infiniment plus belle que
je ne l'avais prévu, etje neme souviens pas de l'avoir
trouvée maussade, si ce n'est ',L des heures où je l'é-
tais moi-même.
.............................
« C'est que la fraîcheur des eaux, les parfums des
plantes, les harmonies du vent circulent dans le sang
et les nerfs, en même temps que l'éclat des couleurs
et la beauté des formes s'insinuent dans l'imagina-
tion. »
Alfred de Musset, cherche dans la nature un re-
mède à son abattement moral. Il reproche à Gœlhe
d'avoir enfanté la plus sombre figure humaine qu'il
soit possible d'imaginer. « Pardonnez-moi, û grand
poète, qui êtes maintenant un peu de cendre et qui
reposez sous la terre! Pardonnez-moi! Vous êtes un
demi-dieu, et je ne suis qu'un enfant qui souffre.
Mais je ne puis m'empêcher de vous maudire. Que
chantiez-vous le parfum des (leurs, les voix de la
ne
nature, etc. »
C'est dans les Nuits, que l'essor lyrique du poète
s'élève au plus haut degré, et ce sont précisément les
pièces où il s'inspire le plus de l'âme universelle de
la nature. Dans un grand nombre d'autres morceaux,
il demande encore aux fleurs les moyens d'exprimer
tout ce que ressent son âme mai..vJive.
Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques
Sortaient autour de nous du calice des Ileurs.
A la même époque, des poètes plus humbles, mais
non moins originaux, cherchent à

Comprendre à leur parfum le langage des roses.

Victor de Laprade, Pierre Dupont, etc., nous don-


nent de vrais petits chefs-d'œuvre d'études champê-
tres. Citons un fragment des V(l'uniques.

Touchantes Heurs du sacrifice,


Mortes, vous savez nous guérir ;
Je vois dans votre humble .calice
Le ciel entier s'épanouir.
0 véroniques, sous les chênes,
Fleurissez pour les simples cœurs
Qui, dans les traverses humaines,

..............
Vont cherchant les petites fleurs....

..............
Alphonse Karr, le parfait jardinier, découvre la
Provence dont on ignorait les richesses florales et
produit ses innombrables romans sous les tilleuls de
son jardin sauvage de Saint-Raphaël où

...... la brise rafraîchissante


S'embaume en se jouant dans les lilas tremblants,
Ou sème sur la terre une neige odorante
En balançant les cerisiers tout blancs.
J'ai souvent des conversations avec les giroflées,
dit Victor Hugo, qui s'indigne contre les mauvais
cœurs sans respect pour les fleurs :
Je t'ai vu haïr l'aube, et marcher sur des Heurs.
\
i
Pour lui, les grandeurs, la puissance, sont peu de
chose
auprès d'un liseron des prés.

Quand la libertine Zebeth, reproche à Gallus ses


largesses, elle arrache les bracelets et les colliers
fruits de son inconduite et s'écrie :
Oll donc êtes-vous (leurs des champs?

C'est que la jeunesse de Victor Hugo, s'est écoulée


dans le jardin du couvent des Feuillantines, toujours
rempli de fleurs, et, comme le dit quelque part le
poète : « C'est mon enfance qui a fait mon esprit ce
qu'il est. » Il nous raconte comment, un pédant, fui
sur le point de l'arracher à son Eden favori, pour le
faire entrerau collège, et comment sa mère le retint
pour le laisser grandir au milieu des fleurs, sous la
libre étendue du ciel.

................
Les pâles liserons, les pâquerettes blanches,
Les cent fleurs du buisson, de l'arbre, du roseau,

...........
Qui rendent en parfums ses chansons à l'oiseau,

toutes ces jeunes roses,


Tous ces objets pensifs, toutes ces douces choses,
Parlèrent à ma mère avec l'onde et le vent,
Et lui dirent taut bas : — « Laisse-nous cet enfant!

..........
Ne va pas le jeter au hasard dans la foule.

.................
Nous ne lui donnerons que de bonnes pensées;
Car nous sommes les fleurs, les rameaux, les clartés,
Nous sommes la nature et la source éternelle
Où toute soif s'épanche, où se lave toute aile;
Et les bois et les champs, du sage seul compris,
Font l'éducation de tous les grands esprits!
Laisse croître l'enfant parmi nos bruits sublimes,
Nous le pénétrerons de ces parfums intimes,
Nés du souffle céleste épais dans tout beau lieu
Qui font sortir de l'homme et monter jusqu'à Dieu,
Comme le chant d'un luth, comme l'encens d'un vase,

.................
L'espérance, l'amour, la prière et l'extase!

Nous te le rendrons simple et des cieux ébloui;


Et nous ferons germer de toutes parts en lui
Pour l'homme, triste effet, perdu sous tant de causes,

..........
Cette pitié qui naît du spectacle des choses.

Ainsi parlaient à l'heure où la ville se tait

....................
L'astre, la plante, et l'arbre, — et ma mère écoutait.

Un d es derniers survivants de cette forte génÓ-


ration de capitans romantiques, vient de s'éteindre
cette année. Arsène Houssaye était le fils de Jean-
Jacques Rousseau, le père de toute poésie. Ce grand
vieillard à la barbe fluviale aimait passionnément les
fleurs.
Une seule chose me fait haïr la mort, disait-il : c'est
qu'il ne pousse pas de fleurs dans les tombes.
Son cercueil, du moins, en a été couvert. 1) y a
même eu, à cette occasion, un désarmement des hai-
nes et des jalousies dont on ne voit pas de fréquents
exemples dans le nouveau monde littéraire.
Arrivons à présent, à nos poètes modernes qui nous
intéressent le plus au point de vue particulier auquel
nous nous sommes placé.

SULLY-PRUDHOMME

Dans un sonnet adressé à Jean Aicard, pour l'en-


courager à se maintenir dans la voie qu'il avait adopt é
le grand poète des Epreuves et de Justice, disait : No
fais jamais d'autres vers ou n'en fais que de pareils,
n'imite pas la tristesse des nôtres qui ne reflètent ni
les cieux ni les mers.
M. Sully-Prudhomme se trompait étrangement. On
sent, au contraire, l'âme de la nature, dans toutes
les poésies philosophiques du sage qui nous engage à
chercher un repos réparateur dans le vaste sein de
l'univers.
La nature nous dit : Je suis la raison même
Et je ferme l'oreille aux propos insensés.

Superbe leçon donnée à ceux qui ne voient autour


d'eux que chaos et misère, à tous les jeunes décadents
dont le cœur est déjà glacé par les désillusions préco-
ces. Il nous montre la puissance du lien qui nous at-
tache au sol qui nous a vu naître, à ses fleurs, à ses
arbres :

...........
Fleurs de France, un peu nos parentes
Vous devriez pleurer nos morts.
Frères pardonnez-moi, si, voyant à nos portes,
Comme un renfort venu de nos aïeux gaulois,
Ces vieux chênes couchés parmi les feuilles mortes
.le trouve un adieu pour les bois.

Son principal but, nous dit-il, est de caresser les


plus nobles aspirations par une rêverie bienfaisante.
Après la lecture de ses œuvres pondérées, harmo-
nieuses, où le spectacle de la misère nous émeut, on
se sent meilleur. Le Bonheur, notamment, nous
laisse une délicieuse impression d'idéal.
L'auteur est heureux de fuir la grande ville où la
lutte pour la vie est si âpre; il veut se soustraire au
grossier spectacle de l'étal où gisent les cadavres des
animaux destinés au ventre des grandes aggloméra-
tions humaines.
Qu'il fail bon ne plus voir pendre à la boucherie
Des cadavres ouverts,
Pour que l'humaine chair par d'autres chairs nourrie,

...............
Nourrisse un jour des vers.

Te souvient-il du parc olt nous errions si tristes?


Dans un sentier tout jonché de lilas
La solitude alanguissait nos pas,

.................
Le crépuscule aux Heurs mêlait ses améthystes.

Fuyez le pavé dur et l'or vil des cités


J'ai rêvé
des sentiers
Embaumés du parfum d'éternels églantiers.

Citons en terminant la remarquable appréciation de


Jules Lemaitre sur le célèbre académicien. « Une tris-
tesse plus pénétrante que la mélancolie romantique;
la fine sensibilité qui développe chez les très vieil-
se
les races, et en même temps la sérénité qui vient do
la science; un esprit capable d'embrasser le monde el
d'aimer chèrement une fleur ; toutes les délicatesses,
toutes les souffrances, toutes les fiertés, toutes les
ambitions de l'âme moderne : Voilà, si je ne me
trompe, de quoi se compose le précieux élixir que
M. Sully-Prudhomme enferme en des vases d'or pur,
d'une perfection serrée et concise. »
FRANÇOIS COPPÉE

M. François Coppée est l'un de nos poètes qui s'ins-


pire le plus des fleurs ; c'est aussi celui qui parait avoir
le plus de cœur. On sent sa bienveillance naturelle,
son attendrissement pour les braves gens, sa pitié
pour les douleurs simples, dans tous ses vers où il
chante si souvent les fleurs :

............
En un parfum ému chaque fleur s'évapore.

Ames tristes des fleurs, chastes frissons des bois.

...................
Noble et pur, un grand lys se meurt dans une coupe.

L'auteur devers pleins d'une si douce langueur, ne


peut avoir qu'une âme tendre et pénétrante.
Écoutons ce petit compliment adressé à une
tulipe :

0 rare fleur, et de décor,


ô fleur de luxe
Sur ta tige toujours dressée et triomphante,
Le Vélasqucz eût mis à la main d'une infante
Ton calice lamé d'argent, de pourpre et d'or.
Rien n'est plus frais et plus pimpant que :

Brune et blonde, et de plus fraîches comme un matin,


L'une sombre pavot, l'autre blanche anémone,
Celle-ci fleur de mai, celle-là (leur d'automne,
Ensemble elles voulaient connaître le destin.

Dans un morceau exquis, il nous raconte la création


de la première femme au milieu de l'Eden resplendis-
sant. Dieu avait fait une œuvre parfaite; il était fi (,r
de sa créature, car, pour l'engendrer, sa puissance
avait pris tout ce que la nature possède de beau.
Et pour sa chair superbe, il avait pris les roses.

Le doux poète ne perd pas de vue les fleurs au mi-


lieu des envolées les plus superbes de sa pensée. Quoi
de plus touchant que le Liseron.
Noble et belle, elle avait à vingt ans pris le voile.

...............
Dans ce cœur tout céleste, il n'était donc resté
Aucun attachement pour la terre, excepté
Le vif amour des fleurs qu'avait la bonne sainte;
Elle les adorait. Devant une jacinthe,
Une pervenche, un lys, une rose, un oeillet,

..................
Son regard attendri tout à coup se mouillait.

Autour de sa fenêtre
Un églantier grimpait qui semblait la connaitre;
Comme si de la voir le jasmin fùL charmé,
Pour elle il exaltait son arôme embaumé
Et doux comme une voix qui murmure je t'aime!
CI »

Quand venait la Toussaint, la paie. chrysanthème


Lui souriait encor sous les feuillages bruns;
Et les fleurs lui rendaient son amour en parfums.
Tout le Cahier rouge est à citer. Rien ne va plus au
cœur que l'histoire de ce malheureux liseron, amou-
reux d'une fauvette, et qui, triste, rampant parmi
les feuilles sèches,
ltlail au désespoir de fleurir pour lui seul.
Plus loin, il nous conte son attachement pour les
lilas de son jardin :

Fleuris longtemps, frêle et charmant lilas!


Toute la philosophie du poète, faite de, sympathie
et de pitié, est renfermée dans ses vers. Toute l'œu-
vre du consolateur des humbles, est empreinte de
bonté et de générosité. Rappelons quelques titres des
petits contes : l' Aumône, la Chanson des pauvres, le
Petit épicier de Montrouge, etc. On voit qu'il s'attache
surtout aux douleurs obscures et dédaignées. Dans
les fleurs, c'est encore le même choix; il s'adresse
surtout aux simples, comme le liseron, qui revient si
souvent dans ses descriptions.
Si on posait à François Coppée les questions sui-
vantes : Quelle fleur aimez-vous? Quel parfum? Quelle
couleur? disait une de ses admiratrices, je gagerais
que le poète répondrait : le liseron, l'iris, le rose
effacé.
MAURICE B,OLLINAT

M. Maurice Rollinat, estune nature complexe; tan-


tôt c'est un solitaire et un paysan ami des fleurs, tantôt
c'est un esprit inquiet, malade, profondément dégoûté
do la vie. L'écrivain sain et viril, seul, nous intéresse
par son amour et sa compréhension de la nature. Les
1'01'('':; n'ont pas de secrets pour ce raffiné. Le monde
végétal l'occupe plus que l'espèce humaine dont la
bêtise ne peut faire oublier la perfidie. Combien il
préfère aux bruits de la cohue parisienne le silence
aimable de la vraie campagne. Il est vrai que la
sienne est bien belle et bien sauvage. (Fresselines,
dans la partie la plus pittoresque de la Creuse.) Du
reste, il n'y a pas que du silence; pour ce rustique
les murmures, les chuchotements, les soupirs, les
souffles sont confidentiels, familiers et suggestifs.
Pour qui sait les comprendre, ils racontent la nature
dont ils sont les innombrables voix éparses dans l'at-
mosphère mélancolique.
Comm(-,, le cerf aspirant au repos après la course, le
poète cherche à fuir la grande ville :

O ma si fragile compagne,
Puisque nous souffrons à Paris,
Envolons-nous dans la campagne
Au milieu des gazons fleuris.

...........
Mon âme devient bucolique
Dans les chardons et les genêts,
Et la brande mélancolique
Est un asile où je renais.
Aux. champs, nous calmerons nos fièvres,
Et mes vers émus que tu bois,
Jailliront à flots de mes lèvres,
Dans la pénombre des grands bois.
Viens donc, ô chère créature!
Paris ne vaut pas un adieu!
Partons vite et, dans la nature
Grisons-nous d'herbe et de ciel bleu!
Voila de la fraîche et tonique poésie. Pourquoi ce
tendre et ce délicat'change-t-il de corde pour se pré-
cipiter dans le néant? Pourquoi nous donner les tris-
tes Névroses et le lugubre Abîme?
Dans le titre seul des pièces des Névroses on sent
toute la maladie du poète. Le Fantôme du crime, Ma-
demoiselle squelette, la Morgue, le Glas, la Ballade
du cadavre, la PutnJj'aci'ion, se trouvent en joyeuse
compagnie des Roses, du Liseron, des Pâquerettes, du
Val des Marguerites, du Ravin des Coquelicots. Ses
rêveries sent des cauchemars horribles où s'agitent
des cadavres; il plonge ses yeux dans les morgues où
il voit des noyés et des pendus aux visages gonflés et
difformes ; il pénètre dans les cercueils et nous montre
les têtes sautillantes et grimaçantes des guillotinés,
Sois béni, vert printemps, si cher aux cœurs blessés,
Puisqu'en ressuscitant la flore ensevelie
Tu parfumes de grâce et de mélancolie
Les paysages morts que l'hiver a laissés.
Jusqu'à ce que l'infecte et mordante mixture
De sciure de bois, de son, et de phénol
Saupoudre son corps froid, couleur de vitriol,
Dans le coffre du ver et de la pourriture.
La Ven touse n'est autre chose qu'une
Corolle aspireuse et braquée
Sur notre sang qui la fleurit.
Ilollinat adore les roses, il aime leur parfum qui
s'envole avec le vent et fait oublier sur la tombe la
putréfaction qui fermente (w-dessous,
J'aime la rose pourpre aux boutons de carmin,
Coupe où l'on boit le sang filtré de la nature,
Sirène dont le souffle errant à l'aventure
Est un chuchotement d'amours sans lendemain
Mais il préfère
la rose poitrinaire
Dont l'incarnat plaintif avive la pâleur.

JEAN RICHEPIN

M. Jean Richepin est l'un de nos plus puissants


poètes modernes, mais c'est aussi celui dont les des-
criptions vives et colorées nous écœurent le plus. Il
traite de chimères les plus purs sentiments humains
amour, dévouement, larmes.
Eau sel, soude, mucus et phosphate de chaux,
0 larmes, diamants du cœur! laissez-moi rire!
A chaque page on rencontre des mots orduriers a
côté des plus poétiques choses, notamment des fleurs :
Car toujours ils naîtront
Comme naissent d'un
Des roses,
Des roses.

L'emploi de ces mots grossiers n 'a peut-être d autre


but que la recherche d'une rime riche et d'une plus
grande sonorité. Et pourtant, ce roi des gueux, aime
le soleil dont la chaleur donne à mars ses bourgeons
et à mai ses parfums. Dans ses promenades hors de
Paris, il est heureux
.... ,
Comme une fleur dans l'herbe.

Et, quand s entrouvrent les yeux des marguerites


J
Mal/clws il chante le soleil :
Vive le bon soleil sa lumière est sacrée.
C'est lui qui verse l'or au calice des fleurs.

Plus tard, lorsque ses espérances, ses illusions, ses


vœux de gloire s'envolent, il se rappelle encore son
heureuse et naïve adolescence.
Adieu, adieu, rose qui tombes!
Adieu, adieu, beau mois de mai!

Jusque dans la mer il trouve des fleurs :

La mer énorme, atroce et tragique a des (leurs.


Fleurs folles, lieurs vivantes.
Fleurs étranges ayant pour humus le rocher!
Mais on voit. se mouvoir leurs mains, s'ouvrir leur bouche,
Et celles-ci frémir quand une algue les touche.
Et celles-là marcher.
L'anémone en un creux crispe ses tentacules,
Gros bouton de cactus en lui-même rentrant.
Par tas, c'est un parterre étalé comme un grand
Tapis de renoncules.
Combien d'autres œillets, jasmins, roses trémières,
Aux douceurs de velours, aux éclats de métal,
Qui font du noir abîme un ciel oriental,
Tout vibrant de lumières !

Dans un beau drame, Par le glaive, représenté à


la Comédie-Française, Jean Richepin a recours aux
fleurs pour égayerl'esprif des spectateurs. Il agrémente
lapièce, trop sombre par elle-même, de quelques
couplets fleuris :
La belle fille de Ravenne
Au bois fleuri prit la verveine
Et dit « 0 Ileur du bois fleuri,
Tu ne seras qu'à mon mari. »

— Puis un chœur invisible répond :

................
— Cueillez la verveine.

Amis, à la santé du printemps et des roses!

s'écrie un des personnages.


On dirait que le grand lyrique abandonne son an-
cien genre, pour créer des oeuvres de plus noble
conception. Par le glaive, est une tentative heureuse ;
nous souhaitons vivement qu'elle ne soit pas la der-
nière.
En prose, les pages les plus originales (Croquis de
printemps), sont consacrées aux fleurs.
Malgré le soleil anémique, le ciel gris couleur de
caoutchouc, et son pauvre nez qui coule et se tuméfie,
Hicbepin croit obstinément au printemps et le salue
parce qu'il entend dans les rues le cri :
La verdurette! la verdureLte!

ce qui signifie que les champs sont en train de se tis-


ser une belle robe en velours émeraude, et que les
buissons tirent des feux d'artifice de frondaison.
Puis, la marchande de primevères et de jonquilles
annonce ses fleurs jaunes, en imitant les deux notes
plaintives du coucou.
Et c'est aussi les vendeurs du mouron, à la canti-
lène mélancolique.
Ces trois parties sonnant ensemble donnent LiU
poète, l'impression d'un merveilleux trio pour bas-
son, hautbois et petite flûte. Cela chante la campa-
gne, la forêt, avec une gravité d'andante au fond do
la basse, mais avec quelle gaieté dans le dessus. Cette
symphonie des fleurs est vraiment délicieuse.
Un peu plus tard, les lilas entrent en scène, et le
poète nous donne un de ses plus beaux morceaux, au
point de vue de la puissance de coloris, de l'harmo-
nie et du rhythme musical.
,
« C'est le mois des lilas, des lilas jolis, des lilas
fleuris, des lilas fleurant le miel, des lilas couleur de
ciel, couleur de ciel à l'heure où les nuages sont en-
core azurés par la nuit qui s'en va et sont déjà rosés
par l'aube qui vient, en sorte que cet azur et ce rose
se fondent en une délicate et tendre nuance de liquide
améthyste : c'est le mois des lilas fleuris fleurant le
miel. »
Nous resterons sur cette magnifique inspiration.

EUGÈNE MANUEL

Auteur amoureux d'idéal, ne cherchant pas sa YUil1


dans le document banal ou malpropre, mais dans les
émotions intimes de la vie.
Sa source traverse les bois et les prés fleuris;elle
est humble,

Mais elle est pure; on y peut boire.

Le meilleur morceau de ses Pages intimes, est sans


contredit le Rosier. Le tendre poète nous raconte qu'il
a transporté dans son jardin un rosier de cimetière.

11 a vécu sur un tombeau,


Le rosier fleuri que j'arrose ;
Le mystère du froid caveau
S'épanouit dans chaque rose.
Parmi les autres confondu,
Nul regard ne peut le connaître.
Dans la corbeille il est perdu :
Seul je le vois de ma fenêtre.
Mais souvent, au déclin du jour,
Quand la foi rêve ou bien le doute.
Seul, je m'approche avec amour,
Je l'interroge et je l'écoute ;
Alors je le vois frissonner
Au souvenir que le réveille ;
Chaque rameau semble incliner
Vers ma lèvre sa fleur vermeille;
Il me parle du cher blondin
Endormi dans la paix profonde;
Et fait passer dans mon jardin
Comme un souffle de l'autre monde!

Quelle délicatesse de sentiment, et surtout quelle


grandeur dans ces vers si simples, qui touchent en
les effleurant aux plus hautes idées !
LOUIS LEGENDRE

Louis Legendre! Découvrons-nous et saluons l'au-


teur de : Ce qui disent les (leurs, un pur chef-d'œuvre
dans le genre. Le créateur de ce merveilleux recueil
et de tant de fines et spirituelles comédies, telles
que Colibri, s'est mis au premier rang de nos poètes
modernes en donnant cette ravissante série de petits
poèmes légers et originaux. Nul ne s'est aussi juste-
ment et aussi profondément inspiré des moindres
détails des fleurs; nul n'a mieux décrit leurs sugges-
tives causeries. Las d'entendre les hOÍnmes et même
les meilleurs, dit-il, il veut causer avec les fleurs,
qui, dans nos maisons, dans nos jardins,
Ouvrant d'invisibles oreilles
Écoutent ce que nous disons.

Il est donc juste qu'il leur demande les jugements


qu'elles portent sur nous.
Pour cela, le poète ouvre sa fenêtre et donne ren-
dez-vous à toutes ses amies des jardins. C'est au-,
dience solennelle ; que chacune vienne à son tour ; l'al-
tière rose et l'humble fraxinelle auront même crédit.
Ecoutons-les.
Commençons par la reine.
Elle est charmante cette rose.

Et les poètes qu'on acclame


En des rimes de bon aloi,
L'ont chanté autant que la femme.
Elle a toutes les adorations, toutes les gloires, tou-
les les beautés, et elle semble se plaindre.
C'est trop, m'a répondu la rose,
Car j'ai tout à satiété!..
Rien à vivre ne nous invite
Lorsque plus rien n'est souhaité,
Et c'est pourquoi je meurs si vitJ!..
Vœillet qui vient d'avoir ces dernières années un
regain d'actualité, se plaint amèrement de l'abandon
OII on le laisse à présent.
11 a beaucoup perdu en devenant banal ; les gran-

des scènes lui sont désormais interdites et le regret


des honneurs lui aigrit le caractère.

Pourtant — (toujours la vanité !)


L'œillet rouge est souvent porte.
A dislance pour un myope,
D'un vieux commerçant retiré
Il fait un monsieur décoré'..

Ce qui le console parfois, c'est d'aller très haut


sous les toits, fleurir le bord d'une mansarde habitée
par une jeune et jolie fille qui lui prodigue ses soins.
Et puis
Une chute est toujours facile;
Et je me sens le coeur moins noir,
De penser que je pourrais choir
Sur la tête d'un imbécile!..

Les camélias roses ou blancs ont un grave défaut :

ils sonttrop corrects, trop rigides, trop fleurs de cire;


et puis, sans parfum ils manquent d'âme.
Ils sont beaux sans être troublants, et n'inspirent
qu'un froid respect avec la raideur de leurs poses.
Le poète les compare heureusement aux filles d'An-
gleterre, à la chair d'un joli grain, mais dont le flegme
et le manque d'aisance détruisent toute gaieté.
Leurs yeux clairs sont pleins d'insolence :

Vous avez un air rogue et fier;


On vous on te sur fil de fer
m onte

Pour compléter la ressemblance.


Les fleurettes des champs ont également leur place
dans le livre. Poète, disent-elles, défends-nous, con-
tre les chimistes à la recherche d'un composé des-
tiné à détruire notre postérité, nous, les fleurs des
humbles et des pauvres.
Que quelque vieux savant nous fasse disparaître,
Rien ne tranchera plus sur l'uniformité
Des champs, verts au printemps et jaunes en été!
Et quel mortel ennui, le jour où la tunique
De la terre sera d'une couleur unique!
Les épis, tous pareils, sont un fond de décor;
Et nous, avec nos tons d'azur, de pourpre et d'or,
Nous faisons de la plaine un tableau qui chatoie :
Le grain n'est que la vie, et nous sommes la joie,t

Nous ne pouvons résister au plaisir de donner en


entier, quelques morceaux types, des différents gen-
res qui entrent dans la composition du recueil.
L'AUBÉPINE

Je Us que chez les Grecs, aux fêtes d'hyménée,


Si l'on était alors nu moment de l'année
Où le printemps nouveau reverdit les buissons,
La coutume voulait que de jeunes garçons
Offrissent aux amants un bouquet d'aubépine,
Le sens de cet usage aisément se devine,
Et ces rameaux en fleurs, mais hérissés de clous,
Prédisaient l'avenir à ces heureux époux :
L'amour s'en va, l'hymen demeure, l'hymen triste!
Ainsi passe la fleur, — et l'épine subsiste!
PENSÉES

Alsace, tu te dis quelquefois qu'on t'oublie


Comme une sœur depuis longtemps ensevelie.
Non ! ces vingt ans passés ne pèsent pas un jour.
Et nos fronts ont vieilli, mais non pas notre amour.
Nous avons prospéré, mais nous restons moroses!
C'est à toi que nos cœurs rapportent toutes choses :
Pour que ton souvenir sacré vînt m'émouvoir,
0 chère sœur, il m'a sulïi d'aperccvoir
Avec leurs larges fleurs tristement nuancées,
Ces nœuds alsaciens qu'on nomme des Pensées.

Par ces exemples, il est facile de voir que M. Le-


gendre, a la même grâce et la même finesse dans les
Ions les plus divers. C'est toujours la même origi-
nalité quelle que soit la corde touchée, depuis la
note ironique ou spirituelle jusqu'à la note patrio-
tique. Il termine ses agréables causeries avec les
(leurs, le soir, quand leur voix s'éteint et que leurs
couleurs disparaissent, alors que dans le ciel la lune
S'ouvre, comme un grand lys, en un jardin d'étoiles.

ANDRÉ THEUIIIKT

Nous connaissons surtout M. André Theuriet comme


romancier, mais le délicieux auteur de Bigarreau et
d Amour d'automne, a commencé par être un très
gracieux poète. Ses premiers vers datent de sa sei-
zième année et il les dédie aux bois :
Aux bois émus, aux bois baignés
De rosée el; de lumière,
J'offre mes vers tout imprégnés
De la senteur forestière.

Le domaine de Boisfleury, tant choyé du senti-


mental primitif à cause de ses fleurs et de son ombre
« fraiche et aromatique », produit une vive impres-
sion sur l'esprit du jeune auteur, qui respire la poé-
sie, là où elle pousse comme une fleur sauvage.

...................
Et dans Peau des fossés les baumes et les menthes
Comme en un rêve, ont l'air d'exhaler leurs parfums.
Les fleurs du jardinet : roses et citronnelles,
Œillets et liserons sur le sol répandus,
Ont ces regards navrés qu'on lit dans les prunelles
D'un ami survivant à ses amis perdus.

Plus tard, à Paris, il n'oublie pas les impressions


de son jeune âge et les jardins de la capitale sont l'ob-
jet de son admiration :

AU LUXEMBOURG

Le vieux jardin s'est réveillé


Dans un bain d'air ensoleillé.
Il semble que le cœur renaisse.
Les lilas et les giroflées
Mettent au détour des allées
f Une exquise odeur de jeunesse.
0 Heurs, oiseaux, voix du printemps
Grands marronniers tout palpitants
D'un voluptueux frisson d'ailes
Vos fêtes n'ont jamais manqué
Et, chaque année, au jour marqué,

...........
Elles nous reviennent fidèles

.............
Dans un parfum de réséda,
Sur l'épaule de Velléda
Les ramiers, d'une voix câline,
Roucoulaient leur tendre duo:
Et j'entendais comme un écho,
L'amour chanter dans ma poitrine.
Les quinconces sont reverdis;
Les oiseaux, comme au temps jadis,
Gazouillent au fond des allées;
Mais nous passons, mûrs et pensifs,
Lentement auprès des massifs
De lilas et de giroflées.

Nous retrouverons au chapitre suivant, consacré


romanciers, la spirituelle vieille barbe, qui res-
aux
tera toujours jeune.

GABRIEL VICAIRE

Écrivain très personnel, sincère et ému, M. Gabriel


Vicaire, est vivement attiré par la grande poésie des
campagnes. Il aime par-dessus tout sa chère pro-
vince, et commence ses vers par une invocation à la
Bresse :

Pardonne, vieille mère, à la face chenue,


Si dans tes yeux si doux lisant ma bienvenue
Et tout émerveille du bruit de tes échos,
Rimeur improvisé, fol oiseau de passage,
Pour te regailiardir, j'ai mis ton corsage
Ce bouquet de bleuets et de coquelicots.

Ses innocentes idylles, n'ont pas l'ampleur des


grandes tirades lyriques, mais elles possèdent le don
divin de la simplicité :
Pervenche, anémone
Egayez les prés
Voici la mignonne
Aux sourcils dorés
Buvez la rosée
Lys et liseron,
Voici l'épousée
La couronne au front.

Et ses petites chansons, ne sont-elles pas ravis-


santes ?
Volez autour
Des marguerites
0 mes petites
Chansons d'amour.

Quelle limpidité, si l'on compare ces vers frais et


pimpants, aux productions indigestes et incompré-
hensibles des auteurs déliquescents!

FRANÇOIS FABIÉ

M. François Fabié est un poète de terroir convaincu.


Ses poésies vigoureuses et viriles sont aussi âpres et
robustes que les coteaux de son pays. La Bonne le}'J'e,
la Par sic des IJNcs, renferment un parfum agreste de
lleurs sauvages.
Dans son Amende honorable à 1(( lc/'l'C, il nous
montre la puissance de l'amour du sol et n'a pas
honte de ses goûts restés paysans en pleine vie pari-
sienne. Il adore ses parents qui lui ont appris le culte
de son pays aride et sauvage.
Fais qu'ils t'aiment, dit-il, à la vieille terre du
Rouergue,
étale à leurs yeux tes parures,
Tes manteaux verts et bruns, tes fleurs et tes épis.
Chante-leur les chansons de tes forêts mouvantes,
De les fleuves roulant de l'ombre ou du soleil,
La complainte des mers par les nuits d'épouvantes,
OLI des grands prés fleuris à l'heure du réveil.

AParis, le professeur se rappelle la terre natale.


t't, en pleine Sorbonne, choisi pour faire l'éloge de la
poésie française, il n'oublie pas les poètes des hum-
bles et des fleurs qui

apportent un motif de pipeau.


Comme un pâtre une fleur d'ajonc à son chapeau.

Son Mariage des oiseaux, un de ses meilleurs mor-


ceaux, est un joyeux ramage printanier du commen-
cement it la fin. Les merles, les grives, les bouvreuils
sont de la partie, car c'est le vingt-deux mars et les
oiseaux se marient. Puis, la nuit tombe et

Le vent de germinal amoureux des pervenches


lierce tous ces nouveaux époux énamourés.
ARMAND SILVESTRE

Quelques personnes seront surprises de voir arri-


ver le nom de M. Armand Silvestre, dans cette énu-
mération des chantres'de la nature en. général et des
fleurs en particulier. Et pourtant, il existe peu de
poètes s'inspirant autant des fleurs que l'auteur des
contes incongrus du -Ci il Blas et de Y Écho de Paris.
Rien n'est plus vrai. Les Ailes d'or, les Vers pour
être chantés, sont remplis de roses, de violettes et
de lis. Dans Rose de mai, on a peine à croire que c'est
le créateur du commandant Laripète, de l'amiral Le
Kelpudubec et de l'ambassadeur grec Fépipimongro-
poulo, qui nous présente :
Une rose frileuse au cœur noyé de pluie.

Les asphodèles, les chrysanthèmes, les azalées ne


cessent d'éclore dans ses délicieuses poésies.
Dans Griselidis, qui a eu un si légitime succès à la
Comédie-Française, le poète a eu de très heureuses
inspirations.
Puisqu'à mes yeux rien n'est plus beau
Depuis qu'elle s'en est allée!
Roses, dépouillez les couleurs

...............
Qui vous faisaient ses sœurs vermeilles

Verse aux sens éperdus les mortelles rosées


!

.................
Qui penchent vers le sol le front des lys voilés!

A Vaucluse nous cueillerons


Des bleuets et des liserons
De toutes sortes.
Pour qu'avec ces petites fleurs,
Tous mes baisers et tous mes pleurs,
Tu les emportes !
Et si ta mère à sou retour
En Avignon, pays d'amour, --

Est réveillée,
Montrant chacune de ces fleurs,
Dis-lui que du printemps les pleurs
Seuls t'ont mouillée !

Dans ses sonnets, M. Armand Silvestre, n'oublie pas


davantage les fleurs :
Dans l'air flagellé d'or, le caprice du vent
Mêle la feuille morte au souvenir vivant,
Les fleurs de l'âme avec ce que les fleurs ont d'âme.

Enfin, dans l' Or des couchants, le gai poète nous


promène encore sur le gazon fleuri d'anémones nais-
santes et le long des chemins où
L'aubépine a neigé ses fleurs de neige rose.

Tous ces vers sont délicats et simples ; ils laissent


dans l'esprit une délicieuse impression que ne pro-
duisent pas toujours les gaudrioles du conteur des
Jbj/eusetés.

JEAN AICAHD

Vrai chantre de la Provence, sa lyre est toujours


débordante de lumière et de soleil. Il s intéresse aux
pauvres gens de son pays, qui ne sont jamais pauvres
puisqu'ils ont lo soleil. Ses héros vivent toujours en
pleine campagne au milieu des fleurs ; ils meurent à
l'automne quand celles-ci disparaissent et leurs tombes
sont couvertes de lis et d'asphodèles sauvages. Quel
charme dans les touchantes aventures de Noté et d0
Miel le et dans sa romance A tin Myosotis!
Son recueil de poésie, Au bord du dése1'l, est rempli
de fraîcheur malgré l'aridité des déserts nus et brÙ-
lants. Les pierres y sont merveilleusement colorées
et le sable que le vente ride
Est plus beau qu'un genêt en fleurs !

Ce qui n'est pas peu dire.

EMILE BLÉMONT

Exquis poète, en possession d'un souffle réellement


viril, n'excluant pas la simple et touchante mélanco-
lie. C'est un peintre des bois qui murmurent, des
fleurs qui se penchent, de tous ces petits riens qui
sont si éloquents pour les âmes délicates.

.... André cueillait des fleurs,


Un ciel immaculé baignait le paysage,
André fit sa cueillette; il releva les yeux :
Devant l'aïeul en pleurs, il resta bouche bée;
Et l'aïeul contemplait les champs, sous la flambée
Immense du soleil paisible et glorieux.
Et dans les blés, courbant sous leurs fleurs favorites
Leurs épis blonds, bercés de souffles amicaux,
Il voyait les bleuets et les coquelicots
Rire, sveltes, à la candeur des marguerites.
Quelle sensibilité d'artiste dans ses promenades
champêtres.
Près des ruisseaux nous cueillons des bouquets
Le rouge œillet ne croit pas sur les rives,
Mais l'églantier y prend des airs coquets
Et le muguet des pâleurs très plaintives.
Les peupliers qui bordent l'horizon
Chantent lÜ-bas comme des tieurs sensibles;
De tout petits lilas en pâmoison
Disent aux Ilots leurs langueurs indicibles.

Sa Légende du Pl'internps, son Egloguc chinoise,


sont des hymnes aux bois frissonnants, aux flots
purs, à la nature entière. Les philosophes Ly-Ting et
Tchang-Saot, demandent à vivre sans histoire comme
les peuples heureux. Loin des complots obscurs et
des vains apparats, ils cueillent

La Heur bleue et la fleur aux timides rougeurs,

et élèvent leurs enfants

Près du treillis léger, sous les lieurs familières,

JEAN RAMEAU

M. Jean Rameau s'est fait rapidement un nom dans


notre littérature actuelle ; il a l'intuition des couleurs,
et en abuse même parfois quand il parle de baisers
bleus et de spasmes roses. Mais, c'est un artiste vive-
ment ému, qui a appris le culte des forêts et des fleurs
en pleine campagne, au milieu de ses landes sau-
vages. Il a vécu de la vie des bois et en a surpris tous
les sourires et toutes les tristesses. Ce délicat « qui
embrasserait les arbres », adore son pays où le soleil
Semble offrir à pleins bras des roses à la terre.

Il regrette amèrement les beaux jours et les belles


fleurs, quand l'hiver implacable prend sans remords
Les rayons éteints, les fleurs expirantes.

Il n'aime que la nature et admire ses innombrables


beautés. C'est un primitif, « qui nous intéresse aux
imperceptibles frissons des violettes sous la mousse
et trouve des mots tendres pour nous peindre l'émoi
des plantes que le vent incline et qui se donnent un
baiser furtif. »
Suivons-le dans les prairies fleuries où le flot des
petits ruisseaux, bouillonne,

.... hésite, s'aventure


Découvre un liseron de belle architecture,
Heurte un jonc, baigne un thym.
Parfois se prélassant au milieu des collines,
Ils font des étangs bleus aux nappes cristallines
Où naît le nymphéa
En qui l'àme des eaux s'élève, éblouissante,
Pour offrir une fleur tendre et reconnaissante
Au ciel qui les créa.

CHARLES FUSTER.

Nous ne périssons pas par l'enthousiasme, nous


périssons plutôt par la platitude, disait fort judicieu-
sement Octave Feuillet.
M. Ch. Fusler doit être du môme avis, car ses œu-
vres sont imprégnées d'idéal el de romanesque.
L'auteur de Louise,, de l' Aeit(? des choses, Du fond
de l'âme (sa dernière publication éminemment, vé-
cue), etc., est un amoureux d'émotion et de tendresse
profondément vraies :

J'ai pris ce dernier chrysanthème :


Sous La bouche il veut se fermer,
Car, puisque mon automne t'aime,
L'automne des fleurs doit t'aimer.

JEAN LAHOR

Poète de l'amour vrai dans ses Vers dorés y il ap-


porte dans tous ses sujets, une observation morale
qui fait la personnalité sympathique et l'écrivain re-
marquable.
Sois pur, le reste est vain

dit-il fièrement au libertin qui court de la gouge


impubère à l'impudique gouge.
Dans l' Illusion, il mêle harmonieusement les fleurs
à ses pensées :

Les soirs d'été les fleurs ont des langueurs de femmes,


Palpitantes aussi d'extase et de désir,
Les fleurs ont des regards qui nous font souvenir
De grands yeux féminins attendris par les larmes,
Et les beaux yeux des fleurs ont d'aussi tendres larmes.
Dans son poème admirable intitulé : Réminiscence,
il nous montre la sérénité de son âme et les souvenirs
de son enfance, quand il errait au milieu des forêts
de son pays, le soir tout frissonnant sous les hautes
futaies, grandies encore par l'obscurité. L'auteur nous
montre une fois deplus que l'étude de la nature, peut
seule,donner au poète.la sincérité et la simplicité.
Jusque dans les Chants de la Mort, les fleurs han-
tent son esprit :
Je voudrais te parer de (leurs rares, de (leurs
Souffrantes, qui mourraient, pâles sur ton corps pâle.

ALEXANDRE PJEDAGNEL

M. A. Piedagnel a fait de remarquables croquis


d'hiver et de printemps d'où j'aillit un vif amour des
fleurs. L'hiver, quand les grands bois dressent au
loin leurs branches dépouillées et que les fleurs des
champs sont mortes,
L'aïeul songe aux (leurs d'or

Pour la jeunesse, Décembre a beau gémir, Avril rit


dans son cœur, et elle songe déjà au rustique bouquet
emperlé de rosée qui annonce le printemps. Plus
tard, les bouquets des champs aux. vives couleurs,
remplacent ces premières fleurs.
Salicaire, aconit, troène et scabieuse
Se dressent à côté du fier coquelicot,
De la frêle églantine et d'un rameau d'yeuse,
Mêlés aux boutons d'or, à l'herbe, au mélilot.
La clématite embaume, et parmi les fougères,
Voici la gentiane et la reine des prés;
Le liseron, qui tombe-en guirlandes légères,
Courbe le chèvrefeuille aux beaux fleurons ambrés.

PIERRE GAUTJJIEZ

M. Pierre Gautliiez est un nouveau venu, mais on


peut lui prédire, dès aujourd'hui, une bonne place
dans le mouvement poétique actuel. C'est un solitaire
qui aime le calme des nuits et les haleines des fleurs.
Le soir, quand tout paraît sommeiller dans la cam-
pagne, il va seul par les champs et un monde vague
et doux s'éveille à sa vue.
L'âme errante des fleurs m'entre dans la poitrine.
L'odeur des millets blancs et des rosiers pourprés
Flotte vers moi. Je sens un parfum d'aubépine,
Et la fine senteur de la reine des prés.
(Herbes folles.)

CIL VALOIS

Laissons-nous consoler, par ce charmeur, qui ne


cherche pas à débrouiller l'énigme de la vie. Le bon-
heur pour lui c'est d'ignorer l'ennui et de croire à
l'idéal.
Dieu qui créa les fleurs, a bien fait toutes choses!
Je dors, je suis heureux! pas de larmes, des roses!

EDMOND ROSTAND, JEAN PSICIIAIU.

Admirent les fleurs dans des poésies simples, fraÎ-


ches, où la note personnelle domine.
LES NÉNUPHARS

L'étang dont le soleil chauffe la somnolence


Est flcuri, ce matin, de beaux nénuphars blancs.
Les uns sortis de l'eau, se dressent tout tremblants,
Et dans l'air parfumé leur tige se balance.

LES ROSES

Les roses m'ont tenu des propos étranges :


Pourquoi donc, lorsqu'au bas de la robe des cieux,
Ouvrière du jour, l'aube allonge ses franges,

...................
Marcher la haine au cœur et la colère aux yeux?

Et moi j'ai répondu : « Hoses, roses aimées,


J'ai toujours eu pour vous un goût particulier;
J'aspire longuement vos âmes parfumées,

..............
Je suis votre poète et votre familier.

LÉON DUVAUCHEL

Écrivain aimable et plein de sincérité. Suivons-le


dans sa Clé des champs et nous reviendrons émer-
veillés de notre promenade.
La plaine est blonde, ainsi qu'une fille que j'aime.
Ses cheveux, partagés par les traits inégaux
Que forment les sentiers pleins de coquelicots,
S'ébouriffent au vent, gracieux diadème. Etc.

Ses Paysages de France sont d'une saveur très ori-


ginale.
CHARLES BOURG AULT-DUCOUDRAY

Dans sa pièce intitulée XAne, M. Bourgault-Ducou-


dray, trouve le moyen de nous attondrir et de nous
parler des fleurs. Il nous intéresse aux misères d'un
vieillard de l'espèce asine, qui, après vingt ans d'un
labeur sans relâche, est abandonné pauvre martyr
obscur. Mais
Voici que des sorbiers, des frênes, des ormeaux,
Monte vers la splendeur des étoiles naissantes,
Ainsi que des accords de harpes frémissantes,
Un hymne pacifique exhalé des rameaux.
Sous l'ivresse qui gonfle et fait battre leur sein,
Succombantes, les fleurs mystiques et pâmées,

Et le parfum des Heurs, et l'hymne des ramures,


Plus doux qu'une prière au chevet d'un mourant,
Versent au cœur flétri de cet âne expirant,
En un suprême espoir le pardon des tortures.

Le bon rêveur Paysant, qui a chanté v les longs sou-


venirs embaumés » des violettes, et surtout l'exquis
poète de la Forêt bleue, Jean Lorrain, sont à citer
ici. De même, François Casale, pseudonyme sans pré-
tention sous lequel s'abrite une aimable et délicieuse
jeune fille, et dont le volume : Neiges d'avril, a été
couronné par l'Académie française.
Des hortensias, de ces fleurs d'une beau triste, le
délicat poète dit :
Toujours en les voyant si pâles, je repense
Aux châteaux délaissés qui sont au bord du Rhin,
Cachés dans leurs grands parcs ainsi qu'en un écrin
Où leur deuil longuement se repaît de silence.

Enfin, quelques très jeunes poètes, au cœur plein


d'enthousiasme et de générosité, célèbrent le prin-
temps et les fleurs en termes émus.
Va-t'en cueillir la marjolaine, s'écrie M. Ph. Mon-
nier.
Je veux épouser la déesse Aurore,
La déesse Aurore au sceptre de fleurs;
Lumière naissante et lys près d'éclore,
Je veux partager les rires d'Aurore
Et partager ses pleurs.
répète M.Daniel de Venajicourt.
Ce sont de vigoureux défenseurs de la nature qui
nous font espérer un juste retour à la saine poésie.
Ils montrent qu'en dépit de tous les décadents ané-
miques à la voix mourante, la poésie n'est pas morte.
Le symbolisme décadent, dont le but est de faire
sentir sans descriptions et de donner la sensation des
choses par des symboles évoquant l'idée avec inten-
sité, ne pouvait éviter d'emprunter aux fleurs leurs
images vives.
Ah! quand refleuriront les roses de septembre?
s'écrie Paul Verlaine, le père de toutes les nouvelles
écoles. Le cœur navré du poète cherche une dernière
consolation dans le souvenir et l'espoir, si bien ex-
primés dans ce vers. Hélas! il est des roses, qui ne
refleurissent plus.
M. Stéphane Mallarmé n'a jamais été aussi bien
inspiré que par les fleurs :
Des avalanches d'or du vieil azur, au jour
Premier, et de la neige éternelle des astres,
Mon Dieu, tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,
Le Glaïeul fauve (l'iris), avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées,
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées.
L'hyacinthe, le myrtlie à l'adorable éclair,
Et, pareille à de la chair de femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en Heur du jardin clair,
Celle qu'un sang farouche et radieux arrose!
Et tu fis la blancheur sanglotante (h lys
Qui, roulant sur les mers des soupirs qu'elle effleure
A travers l'encens bleu des horizons pàlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure!
Ces vers, sont évidemment incompréhensibles,
mais on ne peut leur enlever une certaine harmonie,
obtenue par des alliances de mots, et des effets de
rhythme assez heureux. Pourquoi les auteurs symbo-
listes exag'èrent-ils leurs procédés?
M. Mallarmé dans une autre pièce, Apparition, se
sert encore des fleurs pour rendre des sons qu'on a
rattachés à la harpe éolienne :
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs,
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.

La Création des fleurs et l'l!ppatitio¡¡, sont peut-


être les seules pièces clé tout le fatras symboliste, 011
s'aperçoivent parfois, ces images de rêve insaisissa-
ble, que les décadents recherchent avec tant de soin.
En dehors des noms que nous venons de passer en
revue, il y a une infinité de poètes de talent, anciens
et nouveaux venus qui méritent une mention dans
celle trop rapide élude. Citons au hasard :
Charles Grandmougin, Gabriel Marc, G. Levasseur,
T. Maisonneuve, Alfred Dubout de Tourneforl,
,
E. Beauguitte, Edouard Monod, Henri Fauvel, G. Bal,
André Lcmoync, IlPnri Guérin, Il. Chanlavoine,
H. tîénol, Martin Paoli (Les Asphodèles), Suzanne Cas-
lagnicr (Primevères), Auguste Bertoul (Fleurs f/r-
cfuses), Ludovic Baratte (Femmes el Fleurs), Charles
Audic (Poèmes silliples), Ândré Foulon de Vaulx (Les
i
lèvres pures), Edmond Héraux de l'île d'lIaïl (Fleurs
des mornes), Adrien Levai (Les Anémones), Victor
Orban, Joseph Piersc.n (Les Violet les), Edmond Rail-
lac (Myrtes et Primevères), Du ltizon, Axiane de Ro-
vencia, M"'° Sisley, Jean Silva, Achille Steens, Imbarl
de la Tour, Maurice Truherl, Francisque Renard,
élève de G. Vicaire, Xavier de la Pcrraudière, Désiré
Piret (Les Violet les), comte de Puymaigre (Les Fleurs).
Eux aussi s'inspirent doucement des fleurs, pos-
sèdent à un très haut degré le sentiment de la na-
ture, et n'empruntent rien aux écoles dissolvantes.
Grands admirateurs de leur pays, ils sont très ori-
ginaux; beaucoup ont la note sensible qui parle au
cœur et tous nous offrent :
Un petil bouquet de, Heurs
De Icu)' province.

Un mot de deux femmes, la baronne d'Ottenfels et


la marquise de Blocqueville, qui s'entretiennent agréa-
blement avec les fleurs. La baronne, contemple les
]}l'IIS¡:('S, et éprouve de vives et nombreuses sensa-
tions.
Ainsi dans vos pâles visages
Mon œil évoque des images,

...........
D'un souvenir presque effacé.

Toutes n'ont pas de pâles visages quelques-unes


,
sont d'une nuance sombre, et paraissent porter le
deuil des anciens jours, avec leurs grands i/eur dl'
L'dow's. Quand la terre fermente sous les longs bai-
sers du soleil, le poète perdu dans la forêt retrouve
Une âme que son âme ignore
Une âme — neur qui vous adore
Frêles compagnons d'autrefois!
Quant à l'aimable marquise, elle ressent des im-
pressions diverses en présence des fleurs. Le cycla-
men lui suggère des réflexions sages et quelque peu
philosophiques; la scabieuse jette son âme délicate
dans de mélancoliques rêveries; mais ce sont les J'oses
de Noël, qui ont le privilège de la captiver le plus
longtemps.
Rose de Noël, fleur de cimetière,
Fille de la neige et des noirs autans,
Ne jalouse pas ta sœur printanière,
Riche de couleur, de parfums troublants,
0 frileuse fleur, aux regards touchants.
Elle est le plaisir! Et toi la prière.
C'est toi que l'on aime encor la dernière,
Rose de Noël, rose en cheveux blancs.

Enfin, il n'est pas jusqu'aux écrivains les plus scep-


tiques, les plus pessimistes de notre temps, qui
n'aient eu leur moment de faiblesse, nous allions
dire, de simplicité touchante, à l'égard des fleurs.
Paul Bourget, l'implacable psychologue, abandonne
parfois l'analyse des états d ame plus ou moins com-
plexes pour chanter les fleurs :

Les petites fleurs du fossé,


Renoncules et marguerites
Ont des sourires du passé
Et de vieux airs de choses dites.
Marguerites et boutons-d'or,
Je me dis qu'après tant d'années
L'homme n'a appris encor
A rajeunir tes fleurs fanées,

Nous guérissons du souvenir,


Sans jamais guérir de la vie,
Et les fleurs qui doivent finir
Toujours tiennent l'àme asservie.

Dans les relations de ses voyages en Italie, l'auteur


du Disciple, nous raconte ses sensations de nature,
alors qu'il est en contact direct avec les splendeurs
de la flore des Apennins. Qui a pu courir un peu cet
immense monde et ne pas se ressentir capable de
émotions uniques, si simples, si pénétrantes,
ces
qui furent celles de notre première jeunesse : enten-
dre par une après-midi d'été le bourdonnement dans
bois de la vie universelle, le soupir confus de la
un
terre sous la chaleur et comme sa germination?
Quoique ce fût ici un automne italîen, c'était un
«
automne tout de même, et les allées de ce jardin
d'Oria étaient plantées, au lieu de tilleuls embau-
més, de mornes cyprès, noir et mouvant rideau à
travers lequel je découvrais l'immense, la fertile
plaine. Dans les buissons frissonnaient ces frileuses
roses de novembre qui ne jettent pas de parfums et
que la première bise effeuillera. D'autres fleurs d'au-
tomne frémissaient dans les plates-bandes, et des
plantes vertes, parmi lesquelles, pour remplacer le
parfum absent des roses, cette citronnelle à la péné-
trante senteur que les Italiens appellent du joli nom
d'« herbe Louise ».
De Maupassant aimait la terre et les éléments sans
les admirer, sans les poétiser, sans s'exalter. Il aimait
« d'un amour bestial et
profond, méprisable et sacré,
tout ce qui vit, tout ce qui pousse, tout ce qu'on
voit ».
Cet horizon sombre et triste révélait un changement
profond dans la vie du bon vivant d'autrefois. Sur
l'eau, écrit pendant cette dernière période de temps,
commence par une phrase significative : Quinze jours
sans parler! Ce cri d'une âme qui n'aspire plus qu'au
vide immense, au renoncement de tout, nous explique
l'événement qui a terminé cette existence maladive.
Citons cette délicate description du parc Monceau,
ce bijou de parc élégant, étalant en plein Paris sa grâce
factice et verdoyante, au milieu d'une ceinture
d'hôtels princiers.
« Le long des larges allées,
qui déploient à travers
les pelouses et les massifs leur courbe savante, une
foule de femmes et d'hommes assis sur des chaises
de fer, regardent défiler les passants tandis que, par
les petits chemins enfoncés sous les ombrages et ser-
pentant comme des ruisseaux, un peuple d'enfants,
grouille dans le sable, court, saute a la corde sous
l'œil indolent des nourrices ou sous le regard inquiet
des mères. Les arbres énormes, arrondis en dôme
monuments de feuilles, les marronniers
comme des
géants dont la lourde verdure est éclaboussée de grap-
blanches, les sycomores distingués, les
pes rouges ou
platanes décoratifs avec leur tronc savamment tour-
menté, ornent des perspectives séduisantes les
en
grands gazons onduleux.
C'est l'endroit artificiel et charmant où les gens de
«
ville vont contempler des fleurs élevées en des serres,
et admirer, admire au théâtre le spectacle
comme on
de la vie, cette aimable représentation que donne en
plein Paris, la belle nature. »
Combien plus mélancolique et déjà maladive cette
sensation aiguë de l'écrivain en promenade dans son
yacht :
J'écoutai longtemps, avec un ravissement infini,
«
le chant nocturne envolé à travers l'espace. Ce chant
arrivait dans un souffle chaud et parfumé d'aromates
qui s'épandait comme un flot plein de la
sauvages
senteur violente des myrtes, des menthes, des citron-
nelles, des immortelles, des lentisques, des lavandes,
des thyms brûlés sur la montagne par le soleil d'été.
C'était le vent de terre qui se levait, chargé des
haleines de la côte et qui emportait aussi vers le large,
mêlant à l'odeur des plantes alpestres, éette
en la
harmonie vagabonde.
Je demeurais haletant, si grisé de sensation, que
le trouble de cette ivresse fit délirer mes sens. Je ne
savais plus vraiment si je respirais de la nwsique, ou
si j'entendais des pm,/,wHs, ou si je dormais dans les

étoiles. »
Émile Zola, le sceptique et fataliste auteur de 1 His-
faite d'une famille le second f!mpil'i', a écrit des
sous
qu'on aurait de la peine à intercaler entre les
vers
lignes de la Terre :
Amii te souviens-tu de la tombe noircie,
Tout au bord d'une allée, à demi sous les fleurs,

..................
Qui nous retint longtemps et nous laissa rêveurs?

...
L'enfant dort sous les fleurs, et la terre
Lui fait de mousse verte un pudique suaire.
Ce n'est pas nous qui nous plaindrons de l abandon
des études, de maladies morales qui nous éner-
la bonne et réconfortante poésie des fleurs
vent, pour
et des champs. Les psychologues nous font éprouver
sentiment de dégoût et d'impuissance qui se tra-
un
duit par un affaiblissement de notre volonté. Les
positivistes arrivant à la négation de tout, et les
pessimistes concluant à l'existence d'une maladie
constitutionnelle de la nature humaine contre laquelle
il n'y a pas à lutter, détruisent en nous tout principe
de certitude et plongent notre esprit dans une noire
tristesse.
Nous sommes convaincu, que beaucoup de ceux'
qui veulent paraître plus désabusés, plus sceptiques,
plus corrompus que nos pères, n'en pensent pas un
mot. Au fond, ils ont une haute opinion de leur valeur
personnelle et se traitent en conséquence.
D'ailleurs, leur grand maître, Schopenhauer, qui
préconisait l'ascétisme afin de faire finir le monde,
avait un enfant naturel. Ce philosophe qui manifestait
une aversion profonde pour la vie, avait une terreur
plus profonde du choiera et quittait Francfort
encore
fuir le fléau. Il prenait mille précautions contre
pour
les accidents de toutes sortes et habitait un premier
pour mieux échapper en cas d'incendie. En somme,
vie était en complète opposition avec sa doctrine.
sa
Choléra des esprits, ô pessimisme infâme,
C'est toi le vrai Héau, le péril et l'aû'ront!

s'écrie avec indignation Jean Aicard.


Jacques Normand raille spirituellement ces dégoû-
tés de la vie :
0 pessimiste, mon ami,
Dans une maison confortable
Je te vis l'autre soir à table.
Tu n'avais pas l'air endormi !
Pour soutenir ton âme bleue,
Tu dégustais les plats truffés,
Et les homards bien étoffés
Tottraient le régal de leur queue...

Monsieur, je n'en avais que l'air :

Je pensais à Schopenhauer 1
0 pessimiste mon ami,
Voici le printemps, saison douce,
Ranimant la fleur sous la mousse
Et l'homme par l'hiver blêmi.
Un de ces matins, en cachette,
Ne t'en défends pas! — je t'ai vu
Aspirant d'un air ingénu
Le parfum d'une violette!

Monsieur, je n'en avais que l'air :

Je ne sens que Schopenhauer !


CHAPITRE III

Romanciers modernes : André Theurict, Victor Cherbnliez,


Al-
phonse Daudet, Emile Zola, E. Pouvillon, Georges Duruy,
Octave Mirheau, E. Legollvé, Pierre Loti, etc.

Non content de me sentir de la tendresse et


de la compassion pour les bêtes qui remuent,
qui sentent et qui ont une urne de leur con-
dition, je m'en sens aussi pour ces arbres,
qui ne
pour ces plantes, pour ces mousses
remuent pas, qui ne paraissent pas penser,
mais qui vivent et qui meurent Iii, autour de
moi, sur la terre, et principalement pour cel-
les que j'ai connues, comme ces fougères,
dans
comme ces bruyères, au bord des roches,
cet enclos, quand j'étais petit, et surtout en-
core, pour ces troncs à lleur bleue (?) et
à
feuilles pleines d'une goutte de rosée le matin,
comme si elles avaient pleuré avec nous
pendant la nuit, et qui poussent sur la terre
de ceux d'autrefois
L.VMAMÏNE.

ANDRÉ TH EU RI ET

En tête des romanciers qui s'inspirent le plus de la


nature et des fleurs, nous plaçons M. André Theuriet,
le plus gracieux et le plus aimable de nos conteurs
contemporains.
Familiarisé de bonne heure avec les plantes de tou-
tes sortes, il ne pouvait manquer d'être fortement
épris de la flore et des spectacles de la riche Lorraine.
Tout jeune, il herborisait dans la campagne. Il y a
telles fleurs, comme la pulmonaire et la parisette,
qu'il ne revoit pas sans se rappeler doucement ses
causeries avec elles sous les hêtres.
Toutes ses œuvres sont imprégnées du parfum des
bois, et il a fait peu de sorties en dehors du genre où
il est passé maître. Lancé une fois ou deux dans l 'é-
tude des mœurs mondaines, il est vite revenu à ses
premières amours. C'est qu'en effet ses plus anciens
souvenirs de jeunesse ne se rattachent pas à des per-
sonnes, mais aux fleurs, aux champs et aux arbres.
Je ne me rappelle plus les figures des gens, mais
«
je vois distinctement les fleurs roses des pêchers, je
me remémore les châtaigniers de la foret, et j 'ai en-
core dans l'oreille le bruit mat des châtaignes tom-
bant sur la mousse. Plus tard, à l'époque de ma
vingtième année, après être resté dix-sept ans dans
où le châtaignier ne croît pas je traversais
un pays ,

un matin une châtaigneraie du Poitou; j'entendis tout


à coup le bruit sourd des châtaignes pleuvant sur la
mousse et je m'agenouillai dans la bruyère humide
pour ramasser avec un attendrissement fraternel ces
fruits à l'écorce vernissée et brune qui réveillaient en
moi les sensations de ma petite enfance. »
On voit combien Theuriet est fortement saisi et pé-
nétré par le monde extérieur. C'est l'écrivain qui sait
le mieux mêler les hommes et les choses qui l'entou-
rent. Nul m'a mieux décrit les sites pittoresques des
Vosges et de la Savoie. Quel coloris dans ses moindres
descriptions : « le vert miroir des lacs encadrés de
rochers ; les profondes futaies de sapins aux branches
desquels pendent d'antiques barbes de lichens; la rou-
geur parfumée des fraises sauvages, à côté de l'épa-
nouissement des balsamines jaunes au tremblant épe-
ron d'or, etc. »
Dans un de ses meilleurs romans : Amour d'automne,
son héroïne, Mariannette, désespérée par le départ de
celui qu'elle aime, cherche un souvenir et une con-
solation dans les fleurs qui lui rappellent son amour;
ses yeux se tournent vers le bouquet laissé. Les fleurs
ont conservé leur fraîcheur matinale ; les gentianes et
les myosotis des glaciers ouvrent leurs corolles bleues,
veloutées et tendres comme des regards amoureux.
Lentement la jeune fille prend le bouquet dans ses
mains et le contemple avec mélancolie ; lentement elle
se lève, va remplir d'eau un vase de grès, y plonge
avec de délicates précautions les plantes montagnar-
des; puis, tout à coup, ses yeux se mouillent, son
front se penche et ses lèvres se posent doucement sur
ce dernier souvenir.
Jeunes et vieilles barbes, montre toujours l'écrivain
sensible à tous les parfums.
« Il y avait, non loin de la maison, un frêne pleu-
reur à l'ombre duquel on avait disposé des sièges
rustiques. A droite et à. gauche, des héliotropes ré-
pandaient une fine odeur de vanille, une amoureuse
odeur que Pierre trouva de bon augure. »
Les plantes les plus modestes ne sont pas oubliées.
Écoutons une de ses meilleures descriptions pittores-
A table d'hôte, entre baigneurs, on se lie
ques : «
vite. J'étais le voisin d'une jeune fille, Jacqueline, et
je ne me privais pas de causer avec elle. Intelligente,
expansive, nullement façonnière, elle avait une cer-
taine culture; on pouvait même dire qu'elle était
avancée âge. Elle avait dû être élevée
assez pour son
diable, dans milieu demi-artiste, demi-bo-
* à la un
hême; mais elle gardait a> \'ec cela des étonnements
candides et une insouciance du mal qui empêchaient
de prendre avec elle de trop grandes libertés. Sa con-
versation était amusante ; nous
effleurions tous les
sujets, même les plus délicats. Elle m'avouait naïve-
ment ses goûts littérature, en art et même en cui-
en
sine. Un soir, à propos de ses fleurs de prédilection et
parfums préférés, je lui citai un passage de
de ses
Balzac où le héros du Lys de la Vallée parle d 'un par-
fum qui s'exhale des prairies en mai et qui commu-
nique à tous les êtres l'ivresse de la fécondation :
Une petite herbe, la flouve odorante, est un des
principes de cette harmonie voilée. Aussi personne
peut-il la garder impunément près de soi...
ne
Vraiment, me dit Jacqueline en ouvrant tout

grands ses yeux noirs humides, il y a une herbe pa-
reille?... Je voudrais la connaitre !...
Elle était si attirante avec ses luisantes prunelles,
sa peau blanche et ses lèvres rouges, que je ne pus
me tenir de lui répondre qu'auprès- d'elle point n'était
besoin de la flouve odorante.
............................
...............
Un jour, elle se leva et annonça qu'elle allait cueil-
lir un bouquet dans les prés. J'offris de l'accompagner.
........................
Coiffée d'un chapeau de paille à longs bords, ser-
rée dans unmantelet dont les bras croisés tendaient
l'étoffe soyeuse sur sa taille cambrée, elle descendait
avec une lente ondulation de tout le corps un sentier
caillouteux. Je la suivais, admirant la grâce volup-
tueuse de sa démarche. Derrière nous, le jour tom-
bait doucement et une nouvelle lune arrondissait au-
dessus des bois son mince croissant doré.
.............................
Nous étions arrivés à la prairie très verte et déjà
veloutée de l'humide vapeur du soir.
— Voici, dit Jacqueline en riant, le cas de nous
édifier sur la flouve odorante... Trouvez-moi cette
herbe merveilleuse !

Je lui montrai la frêle graminée aux épis blonds.


Je lui appris aussi que d'autres plantes avaient les
mêmes pénétrantes odeurs, et je lui cueillis des reines
des prés, des menthes, des mélilots, toutes ces fleurs
qui donnent au foin coupé son haleine amoureuse.
Elle penchait son blanc visage sur ce champêtre bou-
que t. travers les épillets des graminées et les som-
A.

mités violettes des menthes, je voyais luire ses yeux


ensorcelants

Cette jolie tête roulée sur ma poitrine, ces par-


fums de flouve et de mélilot montant du corsage, me
grisaient absolument. Je lui répondais par des phra-
ses incohérentes, tout en couvrant de baisers ses
cheveux et son cou. » •

Les personnes élevées à la campagne , seules, peu-


vent s'éprendre des choses de la nature d'une façon
aussi intense et nous transmettre leurs émotions avec
ce charme inexprimable. Leur âme, vivement im-
pressionnée, entre en communication avec les mer-
veilles du monde végétal , et il en résulte une sensa-
tion qui dure toujours : André Theuriet en est le plus
éloquent exemple.

VICTOR CHERBULIE/

Le choix des lieux est à l'âme ce que le regard ex-


térieur est à l'intelligence, dit quelque part Jules
Janin. Si vous voulez juger de l'état d'un cœur, de-
mandez où il se sent à l'aise, si c'est au milieu d'un
salon, ou sur les bords de la mer, ou au milieu des
fleurs. M. Victor Clierbuliez pense avec beaucoup de
raison que nous subissons inconsciemment l'influence
de la nature. Avec un talent infini, il associe le monde
extérieur à nos douleurs et à nos plaisirs. N'cst-il pas
vrai, en effet, que lorsque les choses au milieu des-
quelles nous vivons brillent d'un vif éclat, notre âme
est dans le ravissement et nous sommes portés à en-
tonner des chants d'allégresse ? Tout nous sourit; les
objets les plus grossiers nous apparaissent dépouillés
de leur rude enveloppe, et il plus forte raison les cho-
ses qui se montrent à nos sens sous des apparences
brillantes et gaies, comme les Heurs, par exemple.
Réciproquement, quand notre tiiie est remplie de
tristesse, la nature entière prend le deuil et semble
condescendre à nos peines.
C'est surtout dans les relations de ses impressions
de voyage dans le Midi, que le brillant écrivain nous
communique les sensations qu'il a éprouvées et nous
montre le mouvement qu'il imprime à ses paysages.
Ce qui lui plaît le plus dans le Midi, c'est la beauté
de la lumière, qui est l'âme d'un paysage et donne à
tout la vie et le charme. Pour ses yeux accoutumés
aux grisailles du Jura, cette limpide lumière du Midi,
est une révélation pleine d'enchantements. Unissant
la douceur à la force, elle accentue les formes et, du
même coup, les pénètre d'une grâce aérienne ; elle se
dégrade par des passages insensibles, s'enrichit de
mille reflets, module à l'infini sans sortir du ton et
fond tous les contrastes dans une divine harmonie,
olt chaque objet, chaque couleur fait sa partie du
concert. Nous faire rêver en nous montrant tout, c'est
l'effort suprême de l'art et le triomphe des grands
poètes du Midi. Leur premier maître fut le soleil.
Dans Art et nature, qui restera probablement le
chef-d'œuvre de V. Cherbuliez, l'auteur nous indique
les qualités de l'œuvre d'art; la personnalité des ar-
tistes se révélant dans leurs choix, leurs préférences,
leurs impressions, leurs procédés, leur conception
de la vie et du monde; enfin le caractère commun a
tous : l'étude constante de la nature.
Notre imagination transforme souvent les choses à
notre ressemblance. Elle attribue, en effet, aux fleurs
des émotions de plaisir ou de chagrin analogues aux
noires, et elle nous regarde comme des plantes qui
verdoient, fleurissent, fructifient et sentent tarir leur
sève.
Les plaines, les arbres, les fleurs, tout s occupe de
Souvent nous voyons dans tout ce qui nous en-
nous.
vironne des signes parlants, des symboles de ce qui
se passe en
ne
ture
sont que
n'est
nous.
des
qu'une
Les couleurs,
emblèmes
figuration
de
de
les
nos
notre
sons,

âme.
;
les
sentiments
parfums

Ce
la
lis
na-
ne
fleurit que pour témoigner par son immaculée blan-
cheur de l'innocence des félicités auxquelles nous as-
pirons; cette rose baignée et luisante de pluie nous
représente nos bonheurs les plus exquis, ceux qui
nous font pleurer.
Le germe de toute œuvre d'art est toujours une im-
pression; mais pour qu'elle fournisse à l'artiste un
sujet, il faut que l'étude, la méditation, le rêve,
l'aient fécondé. La nature inspire l'amour de créer,
et elle apprend comment on crée. Une paysanne di-
sait, en montrant une feuille de fougère dont les ner-
vures formaient un réseau semblable à la plus fine
dentelle d'or : « Regardez, elle est si belle qu'on
jurerait qu'elle a été faite à la main. » Qu'Isis lui par-
donne son blasphème! Les œuvres d'art sont des
créations de l'esprit, mais les plus admirables sont
celles dont on pourrait croire que c'est la nature qui
les a faites.
Les dogmes, les partis, les sectes, les formules,
tout ce qui nuit au jeu libre de l'esprit est funeste à
l'art. La nature n'a jamais dogmatisé; ses oiseaux,
ses Heurs ne catéchisent ni ne prêchent; son soleil
luit sur les orties comme sur les roses.
Le culte de la nature est la seconde religion des ar-
tistes qui en ont une, et en tient lieu à ceux qui n'en
ont point d'autre.
Poète, peintre ou musicien, l'artiste le plus scepti-
que ou le plus sensuel a ses symboles, ses rites et
cette foi qui est la démonstration de ce qu'on ne voit
point. Ses plus fugitives sensations se convertissent
comme d'elles-mêmes en sentiments et en rêves;
dans le parfum d'une violette il respire l'odeur et
l'ivresse de plusieurs printemps.
Il est impossible de faire une déclaration de prin-
cipes d'art aussi rationnelle que celle qui vient d'être
exposée dans ces quelques lignes; c'est, à peu de
chose près, le résumé de Art et nature.
Victor Cherbuliez, qui s'assimile aussi intimement
l'âme des choses, saisit également les petits détails
de paysages et nous les montre bien évidents, déga-
gés de tout brouillard d'abstraction, dans des descrip-
tions d'une sobriété et d'une concision vraiment
extraordinaires :
Un talus de gazon émaillé de cyclamens auxquels
«
se mêlaient des gueules-de-loup, des
centaurées rou-
ges, un thym d'une senteur exquise, et fourvoyées
parmi ces fleurs d'automne, deux violettes, etc. »

ÉMILE ZOLA

M. Émile Zola est le chef reconnu du naturalisme.


Grand poète à sa manière, mais trop pessimiste, il
ne voit dans la vie que les amertumes et les tristes-
ses; il n'examine que les produi ts pathologiques d'une '

civilisation avancée et se complaît dans les descrip-


tions noyées de détails ultraréalistes.
Et pourtant c'est un des plus puissants écrivains
de notre époque; on subit son influence malgré les
répugnances qu'il inspire.
C'est que cette grande imagination anime ses des-
criptions au delà de toute expression et prête une vie
intense à son sujet. Un semblable artiste ne pouvait
se priver du secours des fleurs dans ses récits. Tout
comme un simple romanesque, E. Zola utilise les
jardins pleins de pièges pour faire naître ses amours.
Un observateur très original, M. Léon-Bernard De-
rosne, nous montre la part du jardin dans les origi-
lies du mal, dont souffrent les héros de nos romans
d'amour.
C'est un traître. Oui, avec ses airs corrects et dé-
cents, le jardin est un traître. Il faut s'en méfier, car
mieux encore qu'aux jeux innocents, il se prête aux
jeux réputés le's moins innocents. Ne l'oublions pas,
sainte Nitouche est perfide. Voyez-moi cette bonne
mine, honnête et bourgeoise, ces allées sablées, ra-
tissées, avec leur bordure de vieux buis, luisant et
trapu, ces massifs de lilas, de tamaris, de fusains,
cette pelouse qui étale au soleil toute sa verdure,
avec la belle insouciance de l'enfant; comme tout
cela semble fait pour inspirer confiance. Eh bien! ne
vous y laissez pas prendre, carle jardin est par excel-
lence le protecteur, le défenseur habile et sournois
de l'amour qui se cache. Il rend hardis les timides,
éloquents les sots, et invite à l'indulgence ou à la gé-
nérosité celles qui ont pris le mieux la résolution de
n'être ni indulgentes ni généreuses, quand il y a dan-
ger à l'être. Il est doucereux, aimable, insinuant,
engageant, donne des idées, quelquefois des conseils;
mais, — et cela le sauve — il n'est pas compromet-
tant. Il y a une assez grande part de vérité dans la
théorie de Taine sur l'influence des milieux. Au col-
lège vers la seconde ou la rhétorique, vous n'avez
,
point été sans connaître et sans envier ces heureux
seigneurs qui racontaient, du ton le plus infatué et
le plus naïf, leurs amourettes avec les amies de leurs
sœurs, leurs cousines. On les écoutait ébahi, on ne
pouvait y croire. Pour avoir de telles aubaines, il fal-
lait pour le moins être chevalier, mousquetaire ou
hussard. On avait un peu de méfiance. Ils étaient
pressés de questions : Comment cela était-il possible?
Où cela se passait-il? Neuf fois sur dix, ils répon-
daient : Dans le jardin, parbleu! Et ils entraient dans
les détails, nous faisaient voir par le menu ce jardin,
son sycomore, ses marronniers, ses vernis, puis l'al-
lée du fond, la fameuse allée du fond, avec ses arbres
de Judée.
Écoutons Émile Zola nous raconter les premières

..................
amours de Serge et Albine dans le Paradou.

« Certains coins d'ombre avaient des recueillements


d'alcôve, une senteur d'amour, une tiédeur de bou-
quet pâmé aux seins d'une femme. Les rosiers avaient
des voix chuchotantes..... Les roses pleuvaient, de
larges pétales tendres, ayant la rondeur exquise, la
pureté à peine rougissante d'un sein de vierge. La
pluie de roses, autour d'elle, sur elle, la noyait dans
du rose.
Autour d'eux, c'était une floraison folle. Les
«
fleurs vivantes s'ouvraient comme des nudités, comme
des corsages laissant voir les trésors des poitrines. Il
y avait là des roses jaunes effeuillant des peaux do-
rées, des roses paille, des roses citron Puis les
chairs s'attendrissaient, les roses thé prenaient des
moiteurs admirables, étalaient des pudeurs cachées.
La grotte disparaissait sous l'assaut des fcuilla-
«
ges : les jasmins, étoilés de leurs fleurs suaves; les
glycines aux feuilles de dentelle tendre ; les chèvre-
feuilles criblés de leurs brins de corail pâle, les clé-
matites amoureuses, pomponnées d'aigrettes blan-
ches, s'enlaçaient, se liaient.
« Ils marchaient à travers un pré de fleurs. Par
moments, ils disparaissaient jusqu'aux chevilles dans
la soie mouchetée des silènes roses, dans le satin pa-
naché des œillets mignardise, dans le velours bleu des.
myosotis, criblé de petits yeux mélancoliques. Plus
loin, ils traversaient des résédas gigantesques qui leur
montaient aux genoux, comme un bain -de parfum.

« Les sentiers s'enfonçaient, emmêlaient des bouts


de taillis inextricables : des ageratum à houpettes
bleu céleste; des aspérules, d'une délicieuse odeur de
musc; des mimulus, montrant des gorges cuivrées,
ponctuées de cinabre; des phlox écarlates, violets,
superbes, dressant des quenouilles de fleurs que le
vent filait; des chrysanthèmes pareils à des lunes
pleines, des lunes d'or, dardant de courts rayons
éteints, blanchâtres, violâtres, rosâtres
« Plus haut, des digitales rouges, des lupins bleus
s'élevaient en colonnettes minces, suspendaient une
rotonde byzantine, peinturlurée violemment de pour-
pre et d'azur; tandis que, tout en haut, un ricin co-
lossal, aux feuilles sanguines, semblait élargir un
dôme de cuivre bruni
« Et Albine mena Serge, dans un champ qui était
comme le cimetière du parterre. Des scabieuses y
mettaient ce deuil. Les cortèges de pavots s'en allaient
à la file, puant la mort, épanouissant leurs lourdes
Heurs d'un éclat fiévreux. Des anémones tragiques
faisaient les foules désolées, au teint meurtri, tout
terreux de quelque souffle épidémique. Des daturas
trapus élargissaient leurs cornets violâtres, où des in-
sectes las de vivre venaient boire le poison du suicide.
Des soucis, sous leurs feuillages engorgés, ensevelis-
saient leurs fleurs, des corps d'étoiles agonisants,
exhalant déjà la peste de leur décomposition. Et c'é-
taient encore d'autres tristesses : les renoncules char-
nues, d'une couleur sourde de métal rouillé; les ja-
cinthes et les tubéreuses, exhalaient l'asphyxie se
mourant dans leur parfum. Mais les cinéraires sur-
tout dominaient, toute une poussée de cinéraires qui
promenaient le demi-deuil de leurs robes violettes et
blanches, robes de velours rayé, robes de velours
uni, d'une sévérité riche
« Puis Albine et Serge entrèrent dans un champ de
pivoines. Les fleurs rouges avaient des faces apoplec-
tiques dont le rire énorme les inquiétait
« Des champs de zinnia, pareils à de grosses pâque-
rettes courroucées; des champs de pétunias, aux pé-
tales comme une batiste de femme, montrant le rose
de la peau; des verveines exhalant l'odeur fraîche d'un
baiser
« Du parterre arrivait un vent qui semait sur son
passage une poussière de fécondation. »
Enfin, c'est le jardin qui veut la faute; de tous les
coins arrivent des odeurs de fleurs pâmées, et jamais
les sollicitations des héliotropes n'ont été si ardentes.
Mais c'est dans la grande description de la mort
d'Albine que le romancier réaliste emprunte le plus à
la symphonie des fleurs. Albine cherche dans le Pa-
radou une dernière et suprême jouissance; elle cueille
des fleurs enivrantes, en pare sa chambre, se couche
sur un lit de jacinthes et de tubéreuses, et écoute, en
attendant la mort, leur parfum délirant.
« Il n'y avait sous le plafond bleu que le parfum
étouffant des fleurs. Et il semblait que le parfum ne
fût autre que l'odeur de l'amour ancien dont l'alcôve
était toujours restée tiède, une odeur grandie, cen-
tuplée, devenue si forte qu'elle souillait l'asphyxie.
Peut-être était-ce l'haleine de la dame morte là, il y
avait un siècle. Elle se trouvait ravie à son tour dans
cette haleine. Ne bougeant point, les mains jointes
sur son cœur, elle continuait à sourire, elle écoutait
les parfums qui chuchotaient dans sa tête bourdon-
nante. Ils lui jouaient une musique étrange dé sen-
teurs qui l'endormait lentement, très doucement.
D'abord, c'était un prélude gai, enfantin; ses mains,
qui avaient tordu les verdures odorantes, exhalaient
l'âpreté des herbes foulées, lui contaient ses courses
de gamine au milieu des sauvageries duParadou. En-
suite un chant de flûte se faisait entendre, de petites
notes musquées qui s'égrenaient du tas de violettes
posé sur la table près du chevet, et cette flûte brodant
sa mélodie sur l'haleine calme, l'accompagnement
régulier des lis de la console, chantait les premiers
charmes de son amour, le premier aveu, le premier
baiser sous la futaie. Mais elle suffoquait davantage :
la passion arrivait avec l'éclat brusque des œillets à
l'odeur poivrée, dont la voix de cuivre dominait un
moment toutes les autres. Elle croyait qu'elle allait
agoniser dans la phase maladive des soucis et des
pavots qui lui rappelait les tourments de ses désirs.
Et, brusquement, tout s'apaisait, elle respirait plus
librement, elle glissait à une douceur plus grande,
bercée par une gamme descendante des quarantaines,
se ralentissant, se noyant jusqu'à un cantique ado-
rable des héliotropes dont les haleines de vanilles di-
saient les approches des roses. Les belles de nuit pi-
quaient çà et là un trille discret. Puis il y eut un
silence; les roses languissamment firent leur entrée.
Du plafond coulèrent des voix, un chœur lointain.
C'était un ensemble large qu'elle écouta au début avec
un léger frisson. Le chœur s'enfla; elle fut bientôt
toute vibrante des sonorités prodigieuses qui éclataient
autour d'elle. Les noces étaient venues, les fanfares
des roses annonçaient l'instant redoutable. Elle, les
mains de plus en plus serrées contre son cœur, pâmée,
mourante, haletait. Elle ouvrait la bouche, cherchant
le baiser qui devait l'étouffer, quand les jacinthes
et les tubéreuses l'enveloppèrent d'un dernier soupir
si profond qu'il couvrit le chœur des roses. Albine
était morte dans le hoquet suprême des fleurs »
Toute l'existence d'Albine est concentrée dans ce
morceau exposé avec une puissance dont seraient in-
capables tous les décadents actuels -lt la fois, malgré
leur enthousiasme à renier le grand évocateur et leur
empressement à monopoliser l'art symbolique.
On a beau être l'ennemi juré du naturalisme, il est
impossible de ne pas admirer cette description large-
ment conçue et sublimement pittoresque. Tout en ad-
mettant une exagération évidente du procédé, nous
pensons que ces pages laissent bien loin derrière elles,
les scènes écœurantes de Nana et de la Terre.

J. II. ROSNY,
De l'Académie Concourt.

L'un des premiers signataires du fameux Manifeste


écrit contre Zola au lendemain de la J'afe, si M. Rosny
a déclaré la guerre au grossier réalisme, il étudie
tout comme le Maître, l'influence des fleurs, des ar-
bres et de la grande nature. Dans son dernier roman :
Serment, l'amoureuse Marthe Laurent, après une très
grande peine, revient à la vie, à la vue de son jardin.
« Elle trouva des joies tranquilles à épier le travail
quotidien des rameaux, des tigelles, des fleurs de
printemps. Elle aimait voir trembler les longues bran-
ches à peine décorées de soutaches d'un vert de jeune
salade, à voir s'évaporer les gouttes d'eau sur les
plantes des parterres. Certains jours, une brume errait
sur les jardins. Les arbres et les arbustes verts, houx,
abiès, sapins avaient des attitudes farouches, pâlis-
saient, bleuissaient. Les platanes s'élevaient comme
des plantes de rêve ; une mélancolie plus charmante
errait entre les troncs clairs des bouleaux; l'herbe hu-
mide semblait plus vivante, tout cela s'atténuait,
perdait de sa matérialité. »
Quant à l'amoureux, furieux, blessé, désespéré,
ayant besoin d'air, il se précipite vers la campagne.
« Dans les jardins d'Auteuil, des frondaisons lé-
gères, neuves encore, se profilaient avec des grâces
diaphanes. Une électricité amoureuse pénétrait la
chair des hommes. »
Zola n'eut pas dit autrement ni mieux. Cette beauté
printanière saisit l'âme du héros et ses impressions
."e multiplient à mesure que l'écrivain le conduit dans
les bois. Une douceur plus grande, plus prenante,
descend dans son cœur. La grande nature, le chucho-
tement des ramilles, l'exhalaison fraîche de la terre,
tout ce qui se dégage d'électricité vitale du travail
lent de la végétation, amène l'homme à des conces-
sions intimes, à une appréciation différente du devoir.
' Il entra dans le bois. Des routes herbues s'éten-
daient, lointaines, dans un recueillement mystérieux ;
les retombées des feuillages, les trouées délicates,
aboutissaient des orfèvreries à (les progressions et
-'CL
,
des décroissances de tons adorables. De toutes parts,
la tunique de soie blanche des bouleaux variait la ver-
dure; il montait des chênes sur les pentes; des la-
biées azurines poussaient à côté des endymions bleus ;
souvent des fougères élevaient leurs filigranes d'in-
.. finie délicatesse ; des tendresses amoureuses se dé-

nouaient dans la pénombre des futaies.


« Le capitaine, comme un
adolescent, allait parles
sentes peu tracées, dévalait les pentes ; une douceur
toujours plus vaste, descendait sur son cœur, dissol-
vait sa volonté. Peu à peu ses résistances finales s'alan-
guirent. Alors l' Idylle s'épanouit. Dans son cerveau
rafraîchi, elle flotta avec les abandons de la première
jeunesse. Il la vit large, haute, éternelle, et elle ne
tuait pas son œuvre, elle la fécondait au contraire, la
faisait plus intense, plus logique. C'était la vie, la
vie vraie, avec des abondances inépuisables, ses joies
de procréation. »
Comme on le voit, c'est toujours l'étérnelle leçon
donnée à nos passions par l'incomparable Nature.

ALPHONSE DAUDET,

De l'Académie Concourt.

On a dit avec raison que M. Alphonse Daudet avait


su allier les talents de Cherbuliez et de Zola. Il a, en
effet, toute la gràce, toute l'ironie légère du premier,
et, plus adroit que le second, il ne s'est as enfermé
-

dans les doctrines étroites du naturalisme. L'aimable


conteur nous intéresse vivement aux peines de Jack
et du Petit Chose. Rien n'est plus touchant que les
adieux, du petit Chose au jardin qui l'a vu naître.
« Je disais aux platanes : «
Adieu mes chers amis »,
inou-
verrons les lui ». sou- de des- notre aventures fois. sans entier délicieux L'auteur l'Ermitage,

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et aux bassins : « C'est fini, nous ne nous verrons
plus. » Il y avait dans le jardin un grenadier dont les
belles fleurs rouges s'épanouissaient au soleil. Je lui
dis en sanglotant « Donne-moi une de tes fleurs ».
:

Il me la donna, et je la mis dans ma poitrine en sou-


venir de lui. »
Nulle part Alphonse Daudet ne montre autant de
délicatesse de sentiment et de sensibilité. Ces des-
criptions naïves ont plus de retentissement dans notre
âme que les recherches psychologiques ou les aventures
fantaisistes de cet esprit gai et malicieux tout à la fois.
Son journal d'un solitaire (Robert Helmont), sans
intrigue, sans intérêt comme roman, est tout entier
consacré aux impressions de campagne, au délicieux
bois de Sénart semé de jacinthes fleuries. L auteur
cherche à oublier dans son petit enclos de l 'Ermita-e,
les horreurs de l'invasion, et nous raconte les inou-
bliables sensations éprouvées dans ce « petit jardin
de curé, tout odorant de pêches mûres et de roses
finissantes ».
Pendant la campagne, il ramasse avec une préoccu-
pation inconsciente les fleurs de son parterre pour
les laisser à l'ennemi, et plus tard trouve, dans
ne pas
le repos de la nature et des hommes, ce calme uni-
versel qui peut consoler de la guerre.

GEORGES DURUY

M. Georges Duruy repousse avec autant d'énergie


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pires sentiments. Sans vouloir être classé dans la
catégorie des psychologues, il cherche cependant, par
l'observation directe et par la vive sensation des
choses, à démêler certains états spéciaux, et il n ai-
rive qu'à l'édifiant et naïf spectacle du triomphe des
âmes saines et équilibrées. Il s est essayé dans plu-
sieurs genres, mais, comme il l avoue lui-même, il
sent aucune aptitude pour la littérature brutale.
ne
Victoire d'âme et /' Ui2,issoii,, deux chefs-d'œuvre d'idéa-
lisme, ont définitivement fixé savoie. Naturellement,
n'avons que l'embarras du choix pour citer des
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extraits olt abondent les Heurs.
Dans de longs vases de cristal, des boules-de-
«
neige dressent orgueilleusement leurs tètes, blanches
celles des marquises d 'atitr(,fois, qui les re-
comme
gardent; sur un guéridon est posé un bouquet d ané-
mones, fleurs éphémères et gracieuses, écloses d'hier,
déjà lasses de vivre

Les pâles anémones achèvent de mourir dans leur


vase et mêlent leur petite âme timide de fleurs pres-
que sans parfum à l'âme impérieuse des jacinthes,
triomphalement éparse dans la chaude atmosphère
du boudoir. Les boules-de-neige à demi-pàmées ne
peuvent plus soutenir le poids de leurs têtes rondes,
qui se penchent et semblent prêtes à tomber, comme
de gros flocons suspendus au milieu du feuillage. »
EMILE POUVILLON

M. Emile Pouvillonpossède un réel sens pittoresque


joint à une inspiration variée qu'on rencontre dans
toutes ses œuvres. Fortement épris de l exquise na-
ture, il nous raconte les souvenirs de son jeune tlge,
ensoleillés comme son pays : le Qnercy.
Les peupliers étaient curieux à voir, la peau lui-
«
sante, la feuille épaisse, et au bas de chaque arbre
montée de rouge, comme du sang, transparaissait
une
a travers l'écorce. »
Voilà pour les arbres.
Et les prairies, un peu plus loin, les prairies
«
aussi se faisaient belles ; toutes soulevées, semblait-il,
gonflées de sève, remuées de vie printanière, avec
des écroulements de taupinières dans l'herbe, et, au
plus épais, pareilles tt des fleurs rouges, des crêtes de
poulets qui picoraient. »
Voilà pour les prairies.
Quelle terre puissante, couverte darbres à végé-
tation tellement intense qu'elle confine tL l'activité
animale, et de prairies qui se gonflent et se soulèvent
comme une poitrine humaine!
Les filles de ce pays sont comme ces jolis saules
qui passent leur vie à danser tt la moindre brise et à
se regarder dans l'eau. Quant aux fleurs, elles brillent
d'un éclat mÍH,;¡'al.
Il se dégage de tous ses petits contes un parfum
sylvestre qui fait plaisir.
Citons quelques fragments d'une des meilleures
pages que l'auteur ait jamais écrites : le Marchand de
lys.
« Laisse-nous cueillir cet arnica étoilé d'or, ce saxi-
frage rosé comme le bout du nez de l'aurore.
« Çasent si bon la montagne !
« Mais, entre tous, un parfum délicat, exquis, flotte,
dans la vapeur de la cascade.
« C'est une rose.
« Caressé par le souflle glacé qui courbe les hautes
herbes, elle s'épanouit dans l'horreur de l'abîme.
Hardi celui qui oserait la cueillir. A quoi bon d'ail-
leurs? Vierge jalouse, elle se flétrit dès qu'on la
touche; elle s'effeuille avant qu'on la respire.
« Le marchand de lys poursuit ses conquêtes. Les lys
sont plus haut. Courage! Mais l'escalade se fait rude,
les blocs enchevêtrés s'entassent en pyramide. — A
moi, mon âne — à moi, maître Les deux amis
! !

s'entr'aident! L'âne s'arc-boute au rocher, l'homme.


s'accroche à une touffe de rhododendrons qui lui se-
coue ses grappes roses au visage. Houp ! c'est fait.
« Enfin voici des lys. »

ERNEST LEGOUVÉ

M. Ernest Legouvé a quatre-vingt-six ans, mais il


n'est pas vieux. C'est un de nos plus charmants
esprits, plein de bienveillance, ami de tout le monde,
et grand ennemi de l'esprit chagrin qui assombrit
tout on soi et autour de soi. Ce sont les pessimistes
qui l'ont rendu optimiste, nous dit-il.
Leur trait caractéristique, c'est que leur méconten-
tement de tout se traduit par un immense conten-
tement d'eux-mêmes. Quel sentiment de leur supé-
riorité! quel dédain pour nous autres, pauvres gens
qui avons le culte de l'espérance! De quels noms ils
aflublentl Niais! jobards! Dupes! Pas si dupes
nous
que vous, mes chers amis. Du moins, nous, nous ne
souffrons des choses que quand elles nous frappent.
Vous, vous en souffrez avant qu'elles n'arrivent,
quand elles sont arrivées et même quand elles sont
passées Leur souvenir vous aide à en prévoir d'au-
!

tres... qui n'arriveront peut-être jamais. Car voilà ce


que j'admire en eux : huit fois sur dix, leur pres-
cience, dont ils sont si fiers, se trompe et si, par ha-
sard, le malheur qu'ils vous ont prédit arrive, quel
est leur premier mot? « Je vous l uvciis bien dit! »
Et les voilà consolés de notre chagrin, parce qu'il
leur donne raison... Mon Dieu! que je déteste tous
petits ou grands Shopenhauer, qui ne voient dans
ces
le fruit que la tache, dans la fleur que le poison,
dans le ciel que le nuage, dans le cœur humain que
le vice, dans l'homme que la bête, et, dans la lutte
pour la vie, que le crime.
Après un aussi éloquent plaidoyer, on peut ne
plus aimer les pessimistes; après les bons conseils
de l'éminent académicien sur les fleurs, on ne peut
que les adorer. Jugez-en.
Un musicien de mes amis était venu passer quel-
«
jours avec moi vers la fin d'août. Un matin,
ques
je lui dis : — « Venez donc entendre chanter mes
glaïeuls.— Chanter vos glaïeuls! me répondit-il en
riant. Que voulez-vous dire? — Venez! » Et je l'em-
mène devant une magnifique plate-bande, en pleine
richesse defloraison. — « Eh bien! lui dis-je, est-ce
tout cela ne chante pas? Est-ce qu'il ne sort pas
que
de ces accords de tons, de cette variété de formes,
de cet élégant mélange d'attitudes, une harmonie
qui nous rappelle les accents de Mozart et de 'Wel)er ?
Vraiment! reprit-il en riant, ces glaïeuls vous di-

sent tout cela? — Toutes les fleurs m 'en disent au-
tant... et bien d'autres choses encore. S.avez-vous
quelle est ma première occupation tous les matins ?
A peine levé, me voilà lancé dans le jardin, à la re-
cherche des plus jolies fleurs ouvertes pendant la
nuit. Je chasse même dans les prés et champs en-
vironnants. Oh! les paysans de mon voisinage me con-
naissent bien, avec mon sécateur et mon panier. Ils
m'arrêtent pour y regarder; je leur fais l effet d une
femme de ménage allant au marché. J'entasse le tout,
pêle-mêle; puis, revenu à la maison, je l'assemble
bouquet, dans un grand vase évasé; je le mets
en
table, et je travaille en le regardant... Il me
sur ma
donne des leçons de style. Vous riez! Rien n'est
plus vrai pourtant. Ce n'est pas qu'il brille par l 'ar-
rangement, mon bouquet. Oh! non! Je suis de l'école

des tachistes) comme disent les peintres modernes;


ce que je recherche, c'est le mariage des bruns, des
blancs, des violets, etc. J'étudie le jeu de toutes ces
couleurs, et je tâche de faire passer dans ce que j'é-
cris cette harmonieuse variété de tons qui naît des
contrastes et des rapports. N'oublions pas le parfum
qui me donne cette légère excitation que vous de-
mandez, vous autres, gens matériels, à votre affreuse
pipe et à votre infect tabac!
Ah! ah! du lyrisme! reprit mon ami, toujours
riant; mais ce n'est pas un goût, c'est une passion!
Oui, une passion! Et une passion qui a un mé-

rite bien rare... Elle ne vous fait que du bien. Qu'est-
ce que les médecins nous recommandent toujours,
à nous, vieux? L'exercice. Eh bien! mon cher ami,
je fais tous les matins deux ou trois kilomètres, à la
poursuite de mes fleurs, sans m'en apercevoir. Puis,
si vous saviez comme c'est calmant, reposant, la vue.
d'un beau végétal! Voyons, je vais encore vous
égayer. L'amour des lleurs a un bien autre avantage .
il pousse à la bienveillance, à la fraternité; il me
rapproche les classes... En voulez-vous la preuve?
Depuis plus de cinquante ans que j'habite ce village,
j'y ai vu se développer d'une façon tout à fait ex-
traordinaire ce goût charmant. Il n'y a pas aujour-
d'hui si petite maison dont les fenêtres étroites ne
s'étoilent, au printemps, de giroflées, d'œillets, de
géraniums ou de fuchsias. Je trouve même parmi les
de véritables amateurs. J'ai vu, à la croisée
paysans
d'un travailleur à la journée, des pyramidales aussi
belles que chez Vilmorin. Un de mes voisins a sur sa
croisée un cactus que je lui envie. Eh bien! toutes
les fois que je passe devant leur porte, j'entre. Nous
causons de cultures, de greffes. Je leur offre des
boutures. Ils me donnent des graines; nous éprou-
vons les uns pour les autres toutes sortes de senti-
ments de sympathie ; nous nous aimons, comme les
fidèles, en ce que nous aimons. Aussi je garde une
éternelle gratitude pour celui qui m'a greffé au cœur
cette passion.
— Qui est-ce donc?
— Un pauvre jardinier de campagne. Il avait, dans
le village, une petite maison à lui, et gagnait sa vie
à faire, chez les bourgeois, des jardins à la journée.
J'appris qu'il avait vendu l'unique barrique de vin
récoltée par lui dans ses vignes, et s'était condamné
à ne boire que de l'eau pendant un an... Pourquoi?
Pour se construire une petite serre. Ce trait me donna
envie de le connaître. J'allai le voir, et nous con-
vînmes qu'il viendrait chez moi, quatre jours par se-
maine, comme jardinier. J'allais souvent le regarder
travailler, et je causais avec lui pendant qu'il se re-
posait. Oh! ce n'était pas un jardinier moderne! Il
n'entendait rien a l'art de semer, sur une pelouse,
des taches rouges, jaunes, violettes, sous forme de
corbeilles bien arrondies, bien symétriques, où pas
une tige ne dépasse l'autre, et qui se composent in-
variablement de cinq ou six espèces de plantes, tou-
jours les mêmes. Oh! non! Il n'aurait pas pu trouver
une place dans les squares ou les jardins publics. Ce
qu'il admirait, lui, c'est tout le peuple des fleurs!
Les humbles et les superbes, les doubles et les sim-
ples, les sauvages et les cultivées, les démodées et
les recherchées, les vivaces et les annuelles, tout,
jusqu'aux mille fleurettes des champs, jusqu'au fol-
les herbes des bois. Je dois beaucoup à ce brave
homme. J'avais déjà le goût des fleurs; mais il m'a
appris, lui, à les aimer, de la seule façon dont on
aime véritablement, dans le détail, et en dilettante. »
Il est digne de remarque, que les personnes s'in-
téressant aux plantes de toutes sortes, sont précisé-
ment les plus charitables, les plus bienveillantes, les
plus sympathiques; Ernest Legouvé nous en fournit
une nouvelle preuve.

OCTAVE MIRBEAU,
De l'Académie Goncourt.

Parmi les écrivains arrivés à une juste et grande


réputation, durant le cours de ces dernières années,
il n'en est pas de plus passionné, et de plus aimable
pourtant que M. Octave Mirbeau. Défenseur des jeu-
nes talents méconnus, doué d'un très haut caractère
artistique, c'est l'ami des fleurs par excellence.
Dans un de ses plus violents livres, l'abbé Jules, il
nous montre son terrible héros en train de s'extasier
sur des fleurs. Quand ce vicaire, à constitution mal-
heureuse, entreprend l'éducation de son neveu, il lui
recommande d'adorer la nature, de s'éloigner le plus
possible des hommes en se rapprochant des plantes
et des fleurs... « Les philosophies, les systèmes, les
religions, les sciences, les arts, tout ça ce sont des
mensonges, des sottises ou des crimes... L'émotion
naïve' qu'une toute petite fleur inspire au cœur des
simples vaut mieux que la lourde ivresse et le sot or-
gueil qu'on puise à ces sources empoisonnées... Et
sais-tu pourquoi?... Parce que le cœur simple com-
prend ce que dit la toute petite fleur, et que tous les
savants, avec tous les philosophes, avec tous les poè-
tes, en ignoreront toujours le premier mot... Les sa-
vants, les philosophes, les poètes!... Peuh!... Ils ne
servent qu'à salir la nature de leurs découvertes et
de leurs mots, absolument comme si, toi, tu allais
barbouiller un lys ou une églantine avec ton caca »...
!

Cueillant un coquelicot double, dont les pétales fa-


nés et pareils à de la soie, retombaient les uns sur les
autres, en un joli chiffonnage, il s'écrie :
« Regarde cette fleur!
c'est délicieux... N'est-ce
pas qu'elle ressemble à une petite robe Louis XV?...
Toute l'émotion, toute la tendresse, toute la grâce,
tout l'esprit d'une mode, d'une époque, tout cela
vient de cette petite fleur, dont une femme, un jour,
en passant, aura envié la parure. »
Sur le bord du lit d'une jeune fille mourante, il
s'agenouille, et d'une voix émue l'abbé Jules console
la malheureuse famille : « Pauvre enfant! Tuesvenvie
un jour, et le lendemain tu t'en vas... De la vie tu
n'as connu que les premiers sourires, et tu t'endors à
l'heure de l'inévitable souffrance... Va dans la clarté
et dans le repos, petite âme, sœur de l'âme parfumée
des fleurs. Demain, dans mon jardin, je respirerai
ton parfum au parfum de mes fleurs. »
L'ardent réaliste du Calvaire doit écrire loin du
monde, dans les bois, livré à ses réflexions solitaires,
et c'est ce qui explique la saveur originale qui le ca-
ractérise. Écoutons cet amoureux de la nature, s'en-
tretenir dans son jardin, avec Jules Huret qui lui
demande son opinion sur le mouvement littéraire.
« Ça n'a l'air de rien, tout cela, dit-il en montrant
ses fleurs, eh bien! tenez, voyez cette fraxinelle; les
soirs d'été, quand elle a grandi, elle sécrète des gaz
et s'en enveloppe comme d'une atmosphère; il n'y a
qu'à en approcher une allumette, cela s'enflamme, et
ce sont nos feux d'artifice multicolores, nos feux de
bengale, à nous autres de Pont-de-l'Arche. Ici j'ai plan-
té des Eccremocarpus qui grimperont aux arbres et
rejoindront ces Boussingaultia et ces Lophospermun,
ce sera une adorable pluie de fleurs qui se serait ar-
rêtée à deux mètres du sol. Et partout, ici, là-bas, des
Helianthus, ces immenses soleils qui s'épanouissent
à deux et trois mètres de hauteur, et que Van Gogh a
peints passionnément, des Eremostachys, des divins
lys du Japon, des Iris Germanica, plus beaux que les
plus belles orchidées; là des pommiers fastueux, de
gigantesques Helenium.et sur cette pente, des pi-
voines, des citrouilles, des Hypericum pedestrianum,
fleur cocasse s'il en fut jamais, et qu'il faut piétiner
pendant une journée avec des souliers de maçon pour
la voir fleurir; et tant d'autres merveilleuses comme
ces Dielytra avec leurs tiges penchées où des cœurs
roses sont pendus... Vous verrez cela cet été !

« Ces ¡fleurs, c'est plus béait que tout, plus beau que
tous les pohncs, plus beau que tous les arts! »
Il faut savoir gré à l'auteur d'une profession de foi
aussi concise et aussi énergique en un temps où
n'osons plus parler des roses.
... nous
Quand nous les chantons on en rit.
Car des plus adorables choses,
Le culte est si vieux qu'il périt.

JULES CLARETIE

Observateur fin et délicat, romancier sympathique,


s'attendrissant toujours à la vue des souffrances,
M. Jules Claretie demande aux fleurs ses plus émou-
vantes descriptions.
« J'ai vu, dit-il, dans un cimetière parisien, un spec-
tacle incomparable. C'était la tombe d'une jeune fille,
morte au matin du dernier mois de mai, à l'heure où
s'épanouissent les fleurs, et qu'en ces jours de mort
son fiancé avait transformée en un bouquet im-
mense. Des fleurs partout. Partout des roses, des
roses d'une blancheur, d'une candeur exquise. C'était
comme une symphonie lactée, comme une explosion
de lumière blanche. Il semblait qu'il eut neigé sur
cette tombe de vierge. L'hermine a plus de taches
que ces pétales immaculés. Une couronne embaumée
enveloppait, comme d'un nimbe, le nom de la jeune
morte : Marie, et portait ces mots, tracés avec des vio-
lettes du pôle, sur les roses blanches : A ma fiancën.
« Par un touchant sentiment, à côté de la date de la
mort, le fiancé avait fait graver la date du jour où
devait avoir lieu le mariage. Il s'en fallait de quel-
ques heures à peine que la morte fiancée ne devint la
femme, et le blanc bouquet de fleurs d'orangers, com-
mandé déjà et tout prêt était là, sur ce tombeau,
mais changé en bouquet funèbre.
« Il n'y a point de poésie, de tableau, de musique
qui m'ait donné l'impression attendrie de cette tombe
de jeune fille disparaissant sous ces amas de fleurs
qui souriaient encore, parfums et souvenir, sur le
mausolée de la chère promise. »
Ce simple et touchant récit nous montre toute la
sensibilité de cœur de Jules Claretie. Plusieurs fois
cet admirateur des beautés naturelles nous a signalé
la passion grandissante des Parisiens modernes pour
les fleurs. Il nous montre nue ce siècle positif et né-
vrosé garde le culte des fleurs comme un regain des
poésies évanouies ou fauchées. Le Parisien, en effet,
a des passions théatrales, des passions picturales, des
passions politiques et hippiques; mais il a, fort déve-
loppées aussi, des passions florales.
C'est un besoin de l'homme moderne, la fleur.
Lamartine, ce grand poète des ruraux, ce simple
qui nous émeut jusqu'à l'âme avec Jocclyn, un prêtre
et son chien, cet ami des paysans, vignerons et la-
boureurs, a expliqué, un jour, en devin merveil-
leux, cet instinct, cette parenté secrète qui existe
entre l'homme et le jardin. C'était à Mâcon, en 1847,
lors d'une séance de la Société d'horticulture. On le
pria de prononcer quelques paroles, et, alors, dans
improvisation étonnante et entraînante, le poète
une
des Méditations montra, voulut montrer que le rêve
même de l'humanité, l'histoire des nations et aussi
leurs théogonies tiennent dans un coin de terre : le
jardin.
Le jardin, c'est l'éternel paradis inventé par l'ima-
gination humaine.
Parcoures, disait Lamartine, toutes les reli-
«
gions, toutes les fables, il n'y en a pas une qui ne
fasse commencer l'homme dans un Éden, c'est-à-
dire dans un jardin; pas une qui ne mêle cette image
d'un jardin abondant en eaux et en fruits aux images
et aux songes de félicité primitive ou de félicité fu-
ture. »
Eh bien! oui, le bonheur, pour l'humanité, tient
dans un jardin, et le Prrisien, quel qu'il soit, veut
posséder chez soi ou devant ses yeux une miette de
' ce bonheur. De là, le square citadin et le
jardinet sur
la fenêtre, le pot de fleurs que Caton voulait imposer
comme une obligation à tout citoyen romain, et que
le Parisien, amoureux d'un brin de réséda autant
qu'un Hollandais de ses tulipes, cultive sans l ordre
de Caton.
11 lui en faut peu, au Parisien, pour avoir la sensa-
tion de la campagne, et l'ardeur de la fleur, et l ombre
de l'amour Dans un vase de verre, une branchette
!

de ces lilas qui vont fleurir ou, sur la cheminée, une


brassée d'aubépine qu'on ira casser à travers les
haies, ces prochains dimanches, et voilà l idéal Éden
réalisé. C'est l'illusion de la campagne, et c'est le
spectre du printemps, mais cela suffit.
J'ai dit qu'il y avait des fleurs parisiennes par-
«
tout, même dans les antres. Ce besoin du jardinet
chez l'homme, ce souvenir ou cet appétit de l'Eden
dont parlait Lamartine, est si puissant, qu'il en ar-
rive à corriger et à illuminer le bouge.
Loin de nos boulevards, dans la banlieue féroce,
«
de misère, boulevard de la Révolte, le
au pays
seul est dèjà tragique, il est des cloaques hi-
nom —
deux où vivent de pauvres êtres sordides. Ce sont
des ramasseurs de chiffons. Beaucoup, au fronton de
leur logis, ont charbonné leurs noms, leurs prénoms
plutôt, suivis de leurs surnoms, pleins de bravades
ironiques ou héroïques, comme on voudra : Ernest
dit Ici misère, Victor la pauvreté, Lottis pas Veinard.
Et l'argot, ici, prend des accents féroces et navrants.
Oui, ce sont des chiffonniers qui logent là. Et ces
chiffonniers ont des fleurs.
haut de leur balcon, l'horizon est formé de loin-
« Du
taines cheminées aux fumées noires de coke ou dorées
par l'acide sulfurique, et là, sous leurs yeux, sous
leurs pas, derrière la palissade qui borne la cité, ils
n'ont rien que des talus de terre noire, pétrie de dé-
bris, vieux cuirs de casquette, tessons de bouteilles,
débris de faïences brisées; mais sur cette lèpre, il y
a des fleurs, ramassées dans quelque ruisseau parmi
les chiffons ou rapportées du bois de Clamart, de Vin-
cennes ou de Viroflay, par les fillettes qui rôdent à
travers ces tanières. »
Ces fleurs de Paris, Jules Claretie a raison de les
défendre, car elles consolent beaucoup d'êtres mal-
heureux, et elles font vivre honnêtement nombre de
familles vouées à la misère.

CAMILLE FLAMMARION

M. Camille Flammarion est un esprit imaginatif de


premier ordre, qui nous enchante par ses visions fan-
taisistes. Il nous promène agréablement à la surface
de Mars et de Vénus, nous intéressant à la vie de ces
planètes. Laissons l'utopiste et le rêveur, et arrêtons-
nous à l'artiste philosophe qui embrasse toute la vie
des choses.
« Lorsque je respire le parfum d'une rose, dit-il,
lorsque j'admire la beauté de forme, la suavité de
coloris, l'élégance de cette fleur en son premier
épanouissement, ce qui me frappe le plus, c'est l'oeu-
vre de la force cachée, inconnue, mystérieuse, qui
préside à la vie de la plante, qui sait la diriger dans
l'entretien de son existence, qui choisit les molécules
de l'air, de l'eau, de la terre convenables pour son
alimentation, et surtout qui sait assimiler ces molé-
cules et les grouper délicatement au point d'en former
cette tige élégante, ces petites feuilles vertes si fines,
ces pétales d'un rose si tendre, ces nuances exquises
et ces délicieux parfums !

« La plante respire,
boit, mange, choisit, refuse,
cherche, travaille, vit, agit suivant ses, instincts ;
celle-ci se porte comme un charme celle-là est souf-
frante, cette autre est nerveuse, agitée. La sensitive
frissonne et tombe pâmée au moindre attouchement.
En certaines heures de bien-être, l'arum est chaud,
l'œillet phosphorescent, la vallisnérie fécondée des-
cend au fond des eaux mûrir le fruit de ses amours.
Sous ces manifestations d'une vie inconnue, le philo-
sophe ne peut s'empêcher de reconnaître dans le
monde des plantes un chant du chœur universel. »
Pour C. Flammarion les fleurs sont la parure, le
parfum de la terre. Elles vivent, et nous serions
peut-être bien étonnés s'il nous était permis d'enten-
dre ce que peuvent dire en leur langue les petites
fleurs et les grands arbres:

CARMEN SYLVA

Pseudonyme de S. M. la reine de Roumanie, qui


manie la plume avec élégance et légèreté. L'origina-
lité éclate dans les Pensées d'une reine et le Roman,
d'une princesse. Elle décrit ses voyages avec beau-
coup de détails pittoresques, et note de loin en
loin des pensées très élevées et d'un tour superbe.
Citons une délicieuse peinture d'un coin de Naples,
pays merveilleux où la nature s'est montrée tellement
généreuse qu'elle a inspiré les poètes de tous les
temps.
« Sur la hauteur, la villa Santa-Brigitta, un ancien
cloître transformé en une maison de campagne, re-
gardait curieusement la vaste étendue de mer. Un
chemin à pente rapide ombragé d'énormes figuiers,
y montait entre des murailles que tapissaient des
plantes grimpantes étoilées de fleurs rouges. Depuis
le jardin, on découvrait l'île de Capri rosée dans les
vapeurs bleues de l'atmosphère, le Vésuve avec son
menaçant panache de fumée, le golfe en entier dans
sa splendeur. Il était quelque peu abandonné, ce jar-
din, et roses, violettes, citronniers, orangers, y crois-
saient librement, s'y pressaient en massifs odorants
auxquels la haie de buis, là-bas, étincelante au soleil,
mêlait son âpre senteur. La citerne elle-même était
envahie par une abondante végétation; fougères et
capillaires y laissaient flotter avec grâce leurs vertes
chevelures et se reflétaient dans le sombre miroir
de l'eau. Et dans l'allée de verdure, soutenue par des
piliers blancs, qui ouvrait sur la mer, c'était une
frondaison luxuriante, un épanouissement de fleurs
de toute sorte, que le jardinier ne songeait heureu-
sement pas à réprimer. »
PIERRE LOTI

Dans sa réponse au discours de réception de Pierre


Loti, M. Mézières, dit : « Vous nous avez raconté
dans livre intime les impressions de votre en-
un
fance. Nous vous voyons au milieu des vôtres, en-
touré de la tendresse la plus affectueuse, n'ayant sous
les yeux que des scènes aimables dans un cadre de
verdure et de fleurs. »
Comme nous l'avons déjà vu pour André Theuriet,
les impressions de l'enfance qui persistent
ce sont
toute la vie, et Pierre Loti est un nouvel exemple de
cette influence décisive du jeune âge sur la vie entière.
M. J. Viaud est le premier académicien élu sous
pseudonyme littéraire. Il faut avouer, dit Jules
un
Lemaître, que ce nom d'emprunt lui sied à ravir,
Loti étant le génitif de lotus, le nom de la fleur
« »
de l'oubli et du rêve. Ce pseudonyme est à lui seul
déclaration de principes. Fatigué des hommes et
une
de leurs perfidies, le charmant solitaire s'écrie :
Laissons tout, et jouissons seulement au passage
«
des choses qui ne trompent pas, des belles créatures,
des beaux chevaux, des beaux jardins et des parfums
des fleurs. »
Vivement impressionné par la nature et complète-
ment saisi par elle, il voyage pour mieux la connaî-
tre. Le Tonkin, la Chine, le Sénégal, l'Islande, le
Maroc, sont tour à tour visités; les fleurs des pays
chauds l'éblouissent, leurs parfums l'enivrent, et il
rapporte des sensations très vives de toute la flore
des pays qu'il traverse. A son retour, on est saisi
d'admiration; on se précipite sur le Mariage de Loti,
le Roman d'un spahi, Pêcheur d'Islande; on applaudit
à la sincérité des sentiments et à la couleur du style.
Puis il part pour le Japon et nous montre ce splen-
dide pays avec tout son charme. L'une de ses plus
belles descriptions est consacrée à la reine des fleurs
orientales : le chrysanthème.
Après avoir reçu une invitation ornée d'un chry-
santhème héraldique d'or, le brillant écrivain se rend
au palais impérial en traversant Yeddo...
Et des chrysanthèmes, des chrysanthèmes partout!
Les boutiques ont déployé au vent leurs oriflammes
multicolores, leurs dragons rouges, leurs chimères
bleues; l'air est plein de découpures et de bariolages,
en étoffe ou en papier, qui s'agitent et flottent. Et
toujours des chrysanthèmes : des chrysanthèmes en
guirlandes blanches devant des maisons; des chry-
santhèmes entre tous les petits doigts et dans tous les
chignons des mousmés rieuses...
« Le palais d'un empereur du Japon! quel rêve
d'originale splendeur ce seul mot est capable d'évo-
quer dans bien des imaginations parisiennes!... Çà
et là, sur les pentes gazonnées, il y a des touffes de
bambous argentés qui sont des verdures presque
blanches ; des érables routes qui semblent des arbres
en corail, et je ne sais quelles broussailles dont le
feuillage est d'un violet de scabieuse...
Nous stationnons à un rond-point sablé, autour
«
duquel s'élèvent des constructions légères en bambou,
drapées et voilées de crêpons de soie d'un violet
tendre; sur tous ces voiles lilas, des chrysanthè-
mes héraldiques blancs étalent leurs larges rosaces
étranges.
Ce sont des expositions de fleurs. Sous ces abris
«
et sous ces tentures impériales, il y a des collections
de chrysanthèmes merveilleux, en l'honneur desquels
Leurs Majestés nous ont conviés; de très surprenants
chrysanthèmes dont rien ne peut donner idée dans
parterres d'automne. Avec une régularité géomé-
nos
trique, ils sont plantés en quinconces, sur des gradins
terre que recouvre une imperceptible mousse unie
en
et comme passée au rouleau; chaque pied n'a qu'une
tige, et chaque tige n'a qu'une fleur. Mais quelle
fleur ! plus grande que nos plus grands tournesols, et
toujours d'une nuance si belle, d'une forme si rare :
l'une a des pétales larges et charnus, disposés de telle
façon régulière qu'on dirait un gros artichaut rose ;
voisine ressemble à un chou frisé, d'une couleur
sa
fauve de bronze ; une autre encore du jaune le plus
éblouissant, a des milliers de petits pétales minces
qui s'élancent et retombent comme une gerbe de fils
d'or; il y en a qui sont d'un blanc d'ivoire, d'autres
d'un mauve pâle, ou bien du plus magnifique ama-
rante; il y en a de panachées, de nuancées, de mi-
parties...
Les petites fées aux longs vêtements de colibris
«
regardent avec nous ces collections, mais d'un air de
condescendance distraite...
« Il ne faut pas s'attarder ici, nous dit-on ; il faut
aller plus loin, plus loin, voir d'autres fleurs plus
belles, et monter sur la colline, là-bas, où l'impéra-
trice viendra, tout à l'heure, s'asseoir un instant au
milieu de nous.
« La colline, le plateau où l'on nous conduit, est un
parterre entièrement rose de chrysanthèmes. Sur les
côtés du parterre, dans de hauts kiosques légers, et tou-
jours à l'abri des mêmes longues soies violettes étoi-
lées de rosaces blanches, il y a d'autres expositions
de fleurs, — d'autres fantaisies sur les cln'ysanthèmes,
pourrait-on dire plutôt, exécutées par des procédés
différents et avec des secrets plus extraordinaires. Ici,
ce sont des espèces de bouquets montés, comme ceux
que l'on met dans nos vases d'église, mais d'énormes
bouquets, gros comme des arbres ; les pieds, au lieu
de n'avoir qu'une tige, en ont bien une centaine, dis-
posées avec la plus parfaite symétrie autour d'un tronc
central; et, au bout. de chaque branche, il y aune fleur
largement ouverte, jamais passée, jamais en boul
ton, toujours au même point de son épanouissement
éphémère : le même jour, évidemment, tout cela, qui
a coûté tant de peine, doit se faner et finir. Et chacun
de ces chrysanthèmes porte, sur une bandelette de
papier, son nom écrit à l'aide de ces caractères sa-
vants qui peuvent être lus en deux langues différentes,
en chinois aussi bien qu'en japonais ; ils s'appellent
le dix mille fois saupoudré d'or, la brume de monta-
gne, le nuage automnal... »
Enfin l'impératrice arrive, portant une violette ; sa
grande ombrelle délicieusement brodée de chrysan-
thèmes en relief se soulève, et notre compatriote est
tellement charmé qu'il classe l'opulente souveraine
dans le « tout petit nombre des femmes auxquelles
convient, dans son acception la plus raffinée, l'épithète
exquise. »
Dans l'intervalle de ces grands voyages notre écri-
vain se plonge dans la solitude et cherche le calme et
l'apaisement au milieu des forêts.
La nature bénit ceux qui vivent en elle

et l'Académie aussi.
CHAPITRE IV

Considérations générales sur les tendances actuelles de notre lit-


térature. — Le pessimisme est-il la religion de l 'avenit-? La
renaissance de l'Idéalisme.

Le jour où il n'y aura plus pour les hommes


ni enthousiasme, ni amour, ni adoration, ni
dévouement, creusons la terre jusqu'à son
centre, mettons-y cinq cents milliards de ba-
rils de poudre, et qu'elle éclate en pièces,
comme une bombe au milieu du firmament.
Alfred de VIGNY.

Depuis quelques années, notre littérature est enva-


hie par une quantité innombrable d'écoles et d'étiquet-
tes littéraires, qui rendent très difficile à démêler le
de l'évolution de notre époque. Ceux qui tentent
sens
travail perdent rapidement au milieu des Psy-
ce se
chologues, des lnluitivistcs, des Chatnoiristes, des
Mages, des Symbolistes, sans oublier les Brutcilistes,
les l/ydmpathcs et les Hirsutes. Tous les écrivains de
proclament parrains de ces nouvelles
ces écoles se
et professent par-dessus tout la religion du
venues
moi. Beaucoup d'entre eux, en effet, étudient leur
moi psychique, souvent peu intéressant, pour l'adorer
ou le donner en exemple; de sorte que, pour simpli-
fier les recherches, il conviendrait de les classer dans
une catégorie qu'on qualifierait écrivains moiistes. Les
autres, n'admettent comme style qu'une instrumen-
tation subtile, un charabia incompréhensible, à la
portée des seuls initiés, qui font profession de foi
déliquescente.
L'effort constant de leur esprit est dirigé vers l'inex-
primé. Ils font une chasse inouïe aux mots, ils les
transforment, les fabriquent de toutes pièces, et n'en
trouvent pas encore suffisamment. Et ce qu'il y a de
plus effrayant, c'est de penser qu'après avoir ramassé
des mots dans tous les coins, ils sont obligés de faire
une campagne semblable pour se procurer des idées.
De l'aveu même du roi des Mages, le Sâr Péladan,
qui a su se faire une tête bien kaldéenne, le mini-
d'un mage est fait de trois choses : génie, ca-
mum
ractère, indépendance. Aussi, n'y a-t-il dans tout Paris
que deux ou trois vrais mages (lui compris) — et en-
core, les autres?
Nous avons déjà parlé de leurs appréciations violen-
tes à l'égard des autres écrivains, même de ceux qui
touchent pourtant à leurs chapelles.
Bourget, ce fameux bachelier,
Cultive, pour les gens du monde,
Quelques navets en espaliers.

Jean Rameau, très innocent baudet,


Clame des vers, etc...
Bourget, Maupassant et Loti
Se trouvent dans toutes les gares.
On les offre avec le rôti,
Bourget, Maupassant et Loti.
Achetez aussi du Zola,
Ça sert dans les water-closets,
Etc

Leurs sentiments sceptiques sont affichés de la plus


cynique façon.

Dieu serait trop content si tu versais des larmes!

s'écrie dédaigneusement l'un d'eux.


Victor Hugo, qui n'était pas un ultramontain, et qui
valait presque cet inconnu, a dit :

Dieu regarde plus doucement 1

Ceux qui pleurent parce qu'ils aiment!

De même que le repos est nécessaire après une


longue fatigue, notre esprit a besoin de calme après
la lecture de ces énervantes productions. Aussi, nous
croyons à une renaissance prochaine de l' Idéalisme.
Cette dernière école est dans l'air.
M. Brunetière, dans une très remarquable confé-
rence, a prophétisé notre retour à l'idéalisme, et
nous ne saurions mieux faire que de reproduire très
succinctement les conclusions de cet académicien.
Il y a de cela vingt-cinq ou trente ans, une doc-
trine qui affectait les allures d'une religion de la ma-
,
tière régnait presque souverainement en philosophie,
,
sous le nom de positivisme, et en art et littérature, sous
les noms de réalisme ou de naturalisme.
Ce que nous voulons, disait-on aux professeurs,
ce sont des faits. Enseignez des faits, rien que des
faits. Les faits sont la seule chose dont on ait besoin
ici-bas. Ne plantez pas autre chose et déracinez tout
le reste. Ce n'est qu'au moyen des faits qu'on forme
l'esprit d'un animal qui raisonne : 11 reste ne servira
jamais de rien.
Il n'y a rien de plus méprisable qu'un fait, avait
dit Royer-Collard, et on lui répondrait maintenant : Le
fait est tout, puisqu'il est la seule réalité que nous
puissions atteindre.
C'est cette doctrine que nous avons vue, dans ces
dernières années, perdre insensiblement de son an-
cien crédit ; et tout ce qu'elle perdait c'est l'Idé(ilis?ite
qui l'a gagné.
« Et ce qu'on appelle Idéalisme, ce sont les doc-
trines qui, sans méconnaître l'incontestable autorité
des faits, des événements de l'histoire ou des phéno-
mènes de la nature, estiment qu'ils ne s'éclairent ni
les uns ni les autres de leur propre lumière ; qu'ils ne
portent pas avec eux leur signification tout entière;
et qu'ils relèvent de quelque chose d'ultérieur, de su-
périeur et d'antérieur à eux-mêmes. L'idéalisme, e est
encore la conviction que, si la science ou la connais-
sance de fait, la connaissance expérimentale, la con-
naissance rationnelle est une des fonctions de l 'esprit,
elle n'est ni la seule, ni peut-être la plus importante. »
En regardant autour de lui, M. Brunetière, voit les
symptômes non douteux d'une réaction, d'une re-
naissance prochaine.
« Observons d'abord que, si quelques savants, s 'é-
taient formé de la science en général, une idée trop
étroite et vraiment misérable, en la réduisant à une
constatation pure et simple et comme qui dirait à
une statistique de faits; si l'on avait cru faire mer-
veille en en chassant l'imagination comme une « maî-
tresse d'erreur », il n'y a pas aujourd'hui un vrai
«
savant pour soutenir pareille erreur. »
Ce serait une erreur de croire que le savant qui
«
suit les préceptes de la méthode expérimentale doive
repousser toute conception a priori et imposer silence
à son sentiment pour ne plus consulter que les résul-
tats de l'expérience. Non, les lois physiologiqués qui
règlent les manifestations de l'intelligence humaine
ne lui permettent pas de procéder autrement qu'en
passant toujours et successivement par le sentiment,
la raison et l'expérience ; seulement, instruit par de
longues déceptions et convaincu de l'inutilité des
efforts de l'esprit réduit à lui-même, il donne à l'ex-
périence une influence prépondérante, et il cherche à
prémunir contre l'impatience de connaître qui nous
pousse toujours vers l'erreur. »
Ces paroles ne sont pas d'un philosophe de profes-
sion, mais d'un physiologiste : elles sont de Claude
Bernard; c'est-à-dire de l'homme qui, dans le siècle
où nous sommes, avec Darwin et avec Pasteur, a re-
nouvelé les sciences de la vie. Et tous les trois en-
semble, s'ils les ont renouvelées, n'en doutons pas,
c'est peut-être bien moins par la patience de leurs
observations, qui fut cependant infinie, ou même par
la précision presque mathématique de leurs expé-
riences, que par la hardiesse de leurs vues, l'abon-
dance de leurs idées, et l'ampleur grandiose de leurs
hypothèses. S'ils sont Darwin, Pasteur et Claude Ber-
nard , c'est que les faits ne leur ont pas suffi, —
comme à tant de garçons de laboratoire qui n'en
croient pas moins avoir la science en tutelle ; — c'est
qu'on les a vus refuser de s'y soumettre quand les
faits ont semblé quelquefois contredire l'idée dont ils
se croyaient sûrs ; c'est qu'en deux mots ils ont plu-
tôt douté de l'infaillibilité de leurs sens, ou du résul-
tat de leurs expériences, que de la vérité de leur
sentiment.
De l'aveu de Claude Bernard, on peut donc avoir le
tourment de l'inconnu, ce qui revient à dire qu'on
peut pressentir la formule. « L'inconnu seul nous
agite et nous tourmente, dit-il, et c'est lui qui excite
saps cesse nos aspirations à la recherche des véri-
tés nouvelles dont notre sentiment a l'intuition cer-
taine. »
Si l'inconnu nous agite et nous tourmente, c'est que
l'idéal et les aspirations qu'il provoque ne sont pas
de vaines chimères ; c'est que le pressentiment et
l'intuition dans le cœur et l'esprit de l'homme, ont
droit à ce qu'on y applique l'observation et l'analyse :
beaucoup d'hypothèses devenues des vérités n'ont pas
eu d'autre origine.
Nous avons déjà émis ces idées dans le cours de
nos précédentes études : l'A bsorption des médicaments
par les plantes et la Pénétration et la Répartition du
fer dans l'organisme.
« Si nous considérons, ajoute M. Brunetière, quel-
ques-unes des formes les plus concrètes de la pen-
sée; si nous interrogeons la littérature ou l'art, nous
allons retrouver partout et reconnaître les mêmes
tendances idéalistes.
« Voici, par exemple, un art, c'est la musique, qui
produit cette espèce d'agitation fébrile, d'excitation
sentimentale, d'affolement intellectuel dont nous
sommes aujourd'hui tous plus ou moins atteints.
« L'un des premiers effets du wagnérisme n'a-t-il
pas été de dégager de ce fond de sensualité ce que la
musique a de plus intellectuel, de plus idéal.
« On peut dire du triomphe définitif du wagné-
risme qu'il est une victoire de l'idéalisme.
« De même dans la peinture, on observe la même
renaissance de l'idéalisme. »
Quel est le maître, en effet, que la jeunesse ac-
clame aujourd'hui? c'est Puvis de Chavannes.
Un biographe de M. Puvis de Chavannes écrivait
récemment à propos de sa Sainte Genevière :
« Les costumes de tous ces personnages sont-ils
bien ceux des paysans des environs de Paris, au temps
où vivait sainte Geneviève? Pourquoi en avoir souci.
La nature vivante a suffi it M. Puvis de Chavannes,
comme source d'inspiration et de document. Il est
allé un jour dans la plaine de Nanterre pour s'en
mettre dans les yeux l'atmosphère et le paysage...
puis il est venu s'enfermer dans son atelier de Neuilly,
ne demandant qu'à la représentation sévère de l'hu-
manité d'après le modèle, le secret de sa vie dont son
œuvre est remplie. »
Nos symbolistes, eux aussi, sont des idéalistes et,
de tous les reproches qu'ils ont adressés aux Parnas-
siens, leurs prédécesseurs, nous ne croyons pas
qu'il y en ait sur lequel ils soient plus souvent reve-
nus que celui de s'être formé de leur art à tous une
idée trop naturaliste ou trop matérialiste. Les vers
eux-mêmes de Leconte de Lisle leur ont paru, non
pas précisément trop parfaits, mais pourtant trop
achevés de forme, trop pleins, trop denses, trop ar-
rêtés en leur contour, et, dans l'un et l'autre sens du
mot, des vers trop définitifs; c'est-à-dire des vers
d'une beauté trop impersonnelle ; et des vers dont la
précision gêne et comme emprisonne la liberté du
rêve et de l'imagination.
Ainsi donc, partout, dans tous les arts, nous assis-
tons à une renaissance de l'idéalisme.
« Soyons donc idéalistes! conclut M. Brunetière.
Soyons-le, dans notre intérêt même, si nous ne pou-
vons nous défendre des dangers qui nous menacent
qu'en opposant à des idées, des idées plus nobles et
plus hautes. Soyons-le, dans l'intérêt dela littérature
et de l'art, qui ne seraient simplement que des mé-
tiers et des métiers inutiles, des occupations de man-
darins — si l'objet n'en était pas de pénétrer tous les
jours plus profondément dans la connaissance de la
nature et de l'humanité. Et enfin, soyons-le, dans
l'intérêt de la science elle-même ou de la vérité, dont
les progrès seraient bien insignifiants, de bien peu
de prix, s'ils ne tendaient qu'au perfectionnement de
la vie matérielle et dont les applications utilitaires
nous auraient ramenés bien vite à une barbarie rai-
sonnée, bien plus insupportable, bien plus horrible,
et bien plus désespérée que l'ancienne. »
Ce n'est pas contre les idéeb romanesques qu'il faut
mettre en garde la génération présente. Le danger
n'est pas là pour le moment.
Les bons vieux romans repris par quelques écri-
vains de notre époque reçoivent l'approbation du
public, qui est fatigué de la cuisine trop épicée des
écrivains réalistes et des analyses trop subtiles des
obscurs psychologues. Les naturalistes ont faussé et
lassé le goût des lecteurs, comme les marchands de
vin sophistiqué ont altéré notre palais, comme les
thériaques alimentaires ont excité et échauffé notre
organisme.
Il importe peu à la plupart des lecteurs de savoir
si les personnages d'un roman aiment en vertu de la
loi des contrastes ou de la loi des analogies, et par
quelle série infinie de mobiles, ils sont poussés à
accomplir tel ou tel acte. Ce qu'ils veulent surtout,
c'est qu'on ne complique pas outre mesure la nature
et qu'on donne des situations claires, simples, hon-
nêtes.
Dans son discours de réception à l'Académie fran-
çaise, Pierre Loti, a fait une juste sortie contre les
écrivains naturalistes et décadents. Les premiers pé-
riront , dit-il, quand la curiosité malsaine qu'ils éveil-
lent dans l'esprit sera passée, et les seconds qui pu-
blient, leurs saugrenuités inintelligibles dans les
«
feuilles éphémères consacrées aux déliquescences du
jour, sont agonisants. Quant aux pédants psycholo-
»
dans indigeste pathos, ils usurpent
gues, tombés un
titre qu'ils méritent pas. Les romans d 'âme
un ne
d'Octave Feuillet, les études d'André Theuriet, les
recherches de Georges Duruy, sont des œuvres autre-
ment saines les élucubrations des malades qui se
que
placent eux-mêmes dans la chapelle psychologue
hors de laquelle il n'y a point de salut.
Les romans qui n'agitent pas de questions trou-
blantes nous communiquent l'impression d'une source
fraîche coulant sable d'or, rencontrée après
sur un
une journée de chaleur accablante.
Ne nous décourageons pas, ne laissons pas surtout
s'introduire dans notre langage courant les mots na-
et désespérance. Disons aux désabusés . nous
vrance
aimons à croire, laissez-nous espérer, et plongeons-
dans le vaste sein de la nature. C est à ce contact
nous
l'admiration et l enthousiasme
que nous regagnerons
de l'enfance.
Heureux qui, conservant son âme extasiée,
Regarde encor la vie avec des yeux d'enfant.

Tout n'est pas perdu chez nous. Nous avons une


tendance ridicule à nous juger plus sceptiques et
moins généreux que nos pères. M. Édouard Pailleron
va nous expliquer l'origine de cette fausse honte.
Voici ce que le spirituel écrivain dit du Français :
Tu cacheras soigneusement les qualités que tu
«
montrer les défauts que tu n'as pas tu aimes
as, pour ;

ce qui est beau et tu es impressionniste, tu aimes ce


qui est délicat et tu es naturaliste, tu aimes ce qui
est honnête et tu fais de la politique. Croyant, tu
joueras le sceptique, tu paieras les impôts mieux
qu'aucun ne les paie — tu en paieras même davantage
et tu regarderas comme une insulte qu'on t'appelle

bon citoyen! »
Mais à côté de ce monde qui s'agite, il y en a un
autre, le vrai, celui-là, en qui bat le cœur de notre
vieille race, en qui s'épanouit la flore de ces senti-
ments simples, de ces vertus nécessaires sans les-
quels une nation ne peut vivre. — Nous en savons
encore parmi nous, Dieu merci! qui ont d'autre but
l'argent, d'autre ambition que le succès, d'autre
que
passe-temps que le plaisir; qui veulent, qui pensent,
qui croient, qui espèrent et donnent sans compter
leur intelligence à la grandeur du pays, leur travail
à sa richesse, leur vie ',t sa défense et leur dévoue-
ment à ses misères.
CHAPITRE Y

Philosophie végétarienne.

Une révolution s'est faite : nous avons quitté le sobre ré.


«
gime français, adopté de plus en plus la cuisine lourde et san-
glante de nos voisins, appropriée peut-être à leur climat, mais
nôtre. Le pis, c'est que nous infligeons ce régime à nos
pas au
enfants. Spectacle étrange de voir une mère donner à sa fille,
qu'hier encore elle allaitait, cette grossière alimentation de vian-
des saignantes. Et elle s'étonne de la voir violente, fantasque,
passionnée.
MICIIELET.

Nous avons déjà parlé clans la préface de cet ouvrage


de l'influence décisive de la nature dans le jeune âge
la vie entière. Ce sont les impressions de l'en-
sur
fance qui persistent souvent toute la vie. André Theu-
riet a souvent raconté ses impressions de première
enfance. Les choses l'impressionnaient plus que les
Les figures des gens qui l entouraient de-
personnes.
meurent pour lui, nous dit-il, dans un brouillar d,
tandis qu'il se rappelle encore très distinctement les
châtaigneraies de la forêt et le bruit mat des châtaignes
tombant sur la mousse.
En présence de nos plaies sociales si profondes et
si vives, il serait temps de se préoccuper avec Leibnitz,
Kant, Locke, Rousseau, Pestalozzi, Fourier, Frœbel,
Michelet, Quinet et tous les grands esprits des temps
modernes, du levier suprême de tous les progrès hu-
mains, l'éducation basée sur les lois de l'anthropologie
et de l'hygiène.
Nul n'a plaidé plus éloquemment la cause de cette
éducation rationnelle et scientifique; nul n'a porté de
plus rudes coups à la pédagogie de l'ignorantisme et
de la superstition que l'illustre historien que la dé-
mocratie a perdu trop tôt.
Michelet a accompli cette double tâche dans de
nombreuses publications. Mais il a admirablement
résumé sa pensée dans le livre intitulé : Nos fils.
Selon sa coutume, l'auteur n'est pas tendre pour le
moyen âge, pour ce « passé morbide, » comme il l'ap-
pelle ailleurs.
L'âge barbare de la pédagogie ne se termine pour
lui qu'au quinzième siècle ; l'âge humain ne commence
qu'avec Rabelais, Montaigne et Coméni.
Coméni, père de l'éducation concrète, de la substi-
tution des choses aux mots, des réalités aux abstrac-
tions, ouvre la voie à Vico, à Locke, à Robinson, à
Rousseau et à son école, voie féconde qu'élargissent
encore Pestalozzi et Frœbel.
Il faudrait placer les enfant au milieu de la na-
ture, sous les arbres de vie, dans le jardin de la tra-
dition orientale, dans le paradis perdu par l'éduca-
lion mystique, et retrouvé par le génie de Frœbel.
Créer, -produire, quel bonheur pour l'en fant!
Nul autre bonheur en ce monde ; c'est la félicité de
l'homme de communiquer sa vie, de mettre aux cho-
ses son empreinte personnelle.
Voilà l'action vivante, l'art, l'éducation profonde -

qui, tout en faisant des œuvres (jouet, statue, tableau),


fait une œuvre supérieure, l'âme de l'artiste lui-
même.
L'enfant est un créateur. L'aider et créer, c'est
tout.
Frédéric Frœbel répétait toujours : « Les fleurs et
les arbres ont été mes premiers maîtres. »
Le jardin, dans le système Frœbel, c'est la nature
dont il faut rapprocher les enfants autant que pos-
sible.
Un jardin d'enfants développe tous les bons germes,
cultive toutes les facultés, par une occupation appro-
priée au jeune âge. Cette occupation, c'est le jeu, un
jeu inventif, varié, utile, qui excite l'esprit, pique
la curiosité et provoque la spontanéité et l'activité
libre.
Donc, l'école qui devrait précéder toutes les autres
serait l'école d'agriculture.
Remarquons bien qu'il ne s'agit pas ici de concur-
rence aux écoles d'agriculture ou d'enseignement
de la botanique savante, mais de travail en plein
air et de travail utile au physique et au moral des
élèves.
Un semblable jardin leur rendrait déjà de grands
services alors même qu'ils n'y feraient autre chose
que d'y brouetter de la terre, d'y creuser des puits,
d'y élever des monticules, d'y construire des cabanes
et des cloisons, d'en ratisser les allées, d'en arroser
les légumes et de donner la chasse aux parasites vé-
gétaux et animaux.
Mais il y aurait plus et mieux que cela à faire, sans
aucune difficulté sérieuse, et même avec profit pour
la fécondité du sol et l'augmentation de ses produits.
Ce serait d'ajouter, à ces premiers exercices, des tra-
vaux se rapportant directement à l'agriculture pra-
tique (labours, ensemencements, assolements, se-
mailles , greffes, récoltes et conservation des fruits et
des graines). On pourrait, suivant les cas et les cir-
constances locales, y ajouter la construction de vases
en terre glaise, de caisses à fleurs, de bancs et de
tables rustique, de pavillons, etc.
A ces écoles se formeraient des hommes qui ne res-
teraient pas insensibles en présence des merveilleux
spectacles de la nature ; or, les honnêtes gens, à l'as-
pect d'un beau site, sont justement transportés d'un
enthousiasme qui n'est pas sans analogie avec l'ad-
miration qu'inspire le speC'Sacle d'une action ver-
tueuse, dit Mme de Staël.
On a soutenu que le degré de civilisation d'un peu-
ple se mesure à la quantité de houille qu'utilise ce
peuple. Nous proposons de modifier ainsi cet apho-
risme : le degré de civilisation d'un pays est on rela-
tion directe avec le culte dont les fleurs sont l'objet
dans ce pays.
Et, ce
à point de vue, nous ne craignons pas de
dire que la France tientle premier rang dans le monde.
Nulle part l'industrie des fleurs n'est aussi florissante ;
nulle part la passion florale n'est aussi vive.
A Paris et dans nos grands centres manufacturiers,
les fenêtres des maisons les plus misérables sont fleu-
ries. On peut être assuré que le toit de ces habita-
tions abrite une famille heureuse, sinon fortunée.
C'est un critérium infaillible, une preuve que la misère
n'a pas tout annihilé, et qu'il reste encore, au fond de
âmes éprouvées, le sentiment du beau. Ces géra-
ces
niums, ces giroflées, marquent d'une façon certaine
des ouvriers honnêtes et laborieux. Un
les maisons
écrivain a dit : « Quand je vois un coin de terre ré-
servé à un rosier, à une giroflée, à un œillet, cela me
suffit; si le jasmin et le chèvrefeuille encadrent la
porte au dehors, on est sûr de trouver au dedans un
chou et une pomme de terre ;
s'il n'y a pas là abon-
dance, il n'y non plus besoin; s'il n'y a pas
a pas
il
bonheur, y a — ce qui en approche le plus dans ce
monde — contentement. »
terminant à Michelet. Ce philosophe a
Revenons en
pratiqué, dans son intérieur, la vie végétarienne; et
notamment la Fem¡11w, contiennent des
ses ouvrages,
plaidoyers éloquents en faveur de la doctrine qui
Il insiste surtout sur l'aberration in-
nous est chère.
tellectuelle des parents et les fâcheux préjugés qui
condamment. les enfants a.u régime carnivore. Les en-
fants ont cependant une répulsion instinctive pour
les cadavres alimentaires.
Pour la femme et pour l'enfant, c'est une grâce,
«
une grâce d'amour, d'être surtout frugivore, d'éviter
la fétidité des viandes et de vivre plutôt des aliments
innocents qui ne causent la mort à personne, des
suaves nourritures, qui flattent l'odorat autant que
le goût. »
François Coppée, ces jours derniers, racontait dans
de ces articles au jour le jour où il essaie de saisir
un
la philosophie des événements actuels, l'impression
qu'il venait de ressentir à la lecture de trois livres de
Michelet, V Oisea,i,t s l'Insecte, la Mer.
C'est une prose enflammée, un style torrentiel,
«
qui toujours bondit, chante et brille. Je me suis laissé
emporter par ces flots d'inspiration, par cette coulée
d'enthousiasme et de poésie. Cependant, je m arrêtais
parfois, j'essayais de me ressaisir, de secouer le
charme; et je tombais alors dans une véritable stupé-
faction en constatant combien les âmes contemporai-
nes sont éloignées et différentes de cette âme débor-
dante de foi, d'espoir et de tendresse.
Quelle confiance! quel optimiste! »
Voilà un homme, un poète, qui est aussi un savant,
un observateur ; il est devant la nature, devant l 'é-
blouissante, mais implacable nature, devant la féro-
cité des instincts, devant la loi fatale de mort et de
destruction ; et ce spectacle ne lui arrache que des
cris d'admiration et d'amour! Non qu'il se refuse à voir
la réalité, les êtres qui s'entre-dévorent, les innom-
brables victimes. Bien au contraire, son cœur saigne
de la plus noble pitié, Mais il croit sincèrement que
tout ce massacre prépare la perfection universelle,
le triomphe absolu du bien et de la justice. Il n'a
pas le moindre doute de cet avenir, il est sûr de son
idéal. Qu'importent les siècles et les centaine de
siècles sanglants! Qu'importent même les milliards
de milliards d'êtres vaincus dans la lutte Tous ces
!

sacrifiés, conscients ou non, ont péri, périssent et


périront pour assurer la marche du monde vers la
parfaite beauté et la parfaite innocence ; et le philo-
sophe les ensevelit pieusement dans cette gloire et
dans cette consolation.
Cette candide et sublime chimère — qui exalta d'ail-
leurs les plus grands esprits de ce temps et, entre
tous, Victor Hugo, —va s'éteignant, si elle n'est pas
morte tout à fait dans l'âme moderne.
Nous n'avons plus une telle puissance d'illusion.
Or, la désillusion est le propre des faibles. Méfiez-
vous des dégoûtés, disait Flaubert; ce sont toujours
des impuissants.
Devant le sombre avenir qui se prépare, la grande
majorité des esprits est pleine d'inquiétude et de dé-
couragement. Nous ne pouvons plus nous exalter aux
logiques espérances des Michelet et des Victor Hugo,
et les rêves de pédants nous affligent. Nous admi-
rons , certes, les bienfaits de la science, et le rayon
de Rœntgen nous émerveille ; mais nous savons, hé-
las! qu'il n'y a point, au fond de tous les matras et de
toutes les cornues, une seule once d'une poudre de
perlinpinpin qui fasse oublier à l'homme les misères
TABLE DES MATIÈRES

Page a
PRÉFACE
,

PREMIÈRE PARTIE

THÉRAPEUTIQUE VÉGÉTARIENNE

Absorption des médicaments par les plantes 3


Du végétarisme 17
Préparation des légumes ferrugineux 28
De la pénétration et de la répartition du fer dans l'or-
ganisme 45
La Presse et la Méthode des végétaux médicamentés .... 58

DEUXIÈME PARTIE

LITTÉRATURE VÉGÉTARIENNE

Les Fleurs et notre Littérature contemporaine .......... 119


Poètes 142
Romanciers 190
Philosophie végétarienne ............................... 232
INDEX ALPHABÉTIQUE

DES AUTEURS CITÉS

A Bonncjoy, 1-t.
Bossuet, H.
Aicard (Jean), 171, 188 Bouchard ur, xv, xvm.
Albert, 4t. Bouddha, Il.
André, 36. Bourget Paul, 184.
Anquetil, H. Bourgault-Ducoudray, 178.
Arène (Paul), 114. "
Brunelière, xv,
Arnaud,II. .
Bunge, 7, 40.
Audic (Charles), 182. Bun'on 137.
Byron, ii.
B C
Bacon, n. Cahn, 7, 48.
Baissac (Jules), xn. Carmen Sylva, 22::.
Bail, xviii. Casalc (François, 179.
Balzac, 114, 1,21. Castagnier (Suzanne), 182.
Bal (G.), 182. Chantavoinc (Henri), 182
Baratte (Ludovic), 182. Charrin (Dr), 2G,
Barbey d'Aurevilly, 118. Chateaubriand, i, 144.
Baudelaire, HC, 139.
,
Beaconslleld (lord) xvm.
Beauguitte (E.), 182.
Chénier (Andrè), 144.
Cherbulicz (Victor), xxui. 110,19î».
Cincinnatus, u.
nellaigue (C.), 131. Claretie (Jules), 220.
Berlioz, 131. Claude (Bernard), xv, 236.
Bernardin de St-Pierre, 1,141.. Coméni, 242.
Berthelot, xv, 36. Coppée (François), XXII, XXIII, 120,
Bertout (Auguste), 182. 131), 143, 152. ':H8.
Blémont (Émile), 172. Corot, 117.
Blocqueville (marquis de), 182. Coulomb (Dr), 71.
Bonnetain, 120. Cyrus, Il,
1) Frollo (Jean), 90.
Fusler (Charles), 174.
Darwin, 236.
Daudet (Alphonse), xxn, 1K, 208. G

David (Félicien), 131.


Delacroix, 11". Galton, 11.
Decroix, vin. Gassendi, n.
Démocrite, ni. Gauthiez (P.), iii.
Descaves, 120. Gautier (Théophile), 232.
Deschanel, xxv. Gautier (Émile), (,t;, 102,103.
Deschamps (Gaston), v)". Génot (Henri), 182.
Diogène, n. Gliil (René), : .Nii.
Ducros. Gleizès, JI.
Dubout (Allïed), 1*2. Grandmougin (Charles), 182.
Duchartre, tiD. Grimm (Thomas), M.
Dumas (Alexandre), HI. Gros (Claude), xxn.
Dupont (Pierre), 147. Guériu (Henri), 182.
Duruy (George), 20D, 24 i. Guiches, HO.
Duvauchel (Léon), 178. Gœthe, n.

H
E .
Kpaminondas, n. Hackel, lis.
Erckmann-Chatrian, lH. Halévy (Ludovic), 143.
Héraux (Edmond), 182.
Eschyle, II.
Euripide, Il. llerder, Il.
Hésiode, Il,
F
Hugo Victor, v, vi, lit, 121, 147,
148, 234.
Fabié(François), )''S. Huysmans, xxn.
Houssaye (Arsène), 149.
Fabre, 114.
Falize (L.), 130.
1
Fauvel (Heuri), 181.
Fénelon, n. Imbarl de la Tour, 182.
Feuillet (Octave), 241.
Isis.
Féval (Paul), HI.
J
Flammarion (Camille),221.
Foulon de Vaulx (André), 182. Joubert, IW.
Flaubert, 114, 2k9. Juvénal, n.
Franklin, Il. K
Français, 11(;. Kant, 244.
France (Anatole), xv. Karr (Alphonse), 147.
Frœbel (Frédéric), v, 245. Robert, 7-18.
L Musset (Alfred de), 146.
Monod (Edouard), 182.
Lamartine, l, IJ, xv, xxv, 114, Montaigne, 244.
Hl0, 2-21. Mosny, 23.
Lambling, 40. Mouton 137, 138.
Lahor Jean, 'Ii:), N
Laprade (Victor de), Hi.
Leconte de Lisle. 230. Nansouty (Max de), 12.
Lefèvre, xxv. Newton, Il.
Legouvé (E.), XXIJL 212. Nicolle, il, xxi.
Legendre (Louis), 102. Normand (Jacques), 188.
Lemaitre (Jules), xxv, XXVII, lïil.
Lemoyne (André), 182. 0
Lessing, ii.
Levavasseur (G.), 182. Olivier (Ernest), 70.
Levât (Adrien), 1S). Orban (Victor), 182.
Liebig, xiv. Osiris. Il.
Leibnitz, 244. Ottenfels (baronne d'), 182.
Linel, 30. Ovide, n.
Locke, ii, 242.
P
Lorrain Jean, nn.
Loti (Pierre), v, 227.
Paoli Martin 182.
M perraudière (Xavier de la), 182.
Mahomet, Il, Petit (R.), 37.
Mallarme (Stéphane), ISO. Pierson (Joseph), 182,
Manuel (Eugène), HiO. piret (Ucsire), 182.
Marc-Aurèle., Il. Platon, n.
Marc (Gabriel), 182.
Pline, Il.
Marets (des), 144. Plutarque, Il.
Margueritte, 120. porphyre, II,
Marsillon, lin. pouvillon (Emile), 2.
Maupassant (Guy de), l8:i. Puvis de Chavannes, xxv, 238.
Mendelssohn 131. Puymaigre (Comte de), 182.
Michelet, 243, 244, 24". Pailleron, 242.
Millet, Hi. Paysanl, tT'.
Milton, JI, Pascal, u, 4.'i.
Mirbeau (Octave), 217. Pasteur, 2;;, 230.
Mickewiercz (Adam), 117, 13". Peladan, 233.
Pestalozzi, v, 244.
Monthyon, n.
Monnier, ISO. Picdagnel, 170.
Meyerbeer, 132. Psichari (Jean), 17".
Mezières, 227. Pythagore, u.
Q Steens (Achille), 182.
Quinet, 24't. Sully-Prud'homme, xxu, xxiii,
120, 150.
Il Suni (Mikael), (n.
Rabelais, 244. T
Raillae (Edmond), 182.
Hameau (Jean), 173. Tanneguy de Wogan, H).
Baulin, 28. Theuriet (André), v, xv, xxm,
Reale, ln. 114, 120, 16.'i, 190, 2M.
Renan (Ernest), v, x. Tolstoï, x, il.
Renard (Francisque), 182. Tournefort (ue), 182.
Hiehepin (Jean), Hii. Trubert (Maurice), 181.
nienzi, 16.
Rizon «ILi), 181. V
Rodenbach, 136.
Hollinat (Maurice), li>'(. vacquerie (Auguste), 119.
Holland (Madame), HO. Valois (Charles), 177.
Rosny, 120, 206. Veber (Pierre), xi.
Rossini, '131. Verlaine (Paul), 180.
Housseau (J.-Jacques), I, 24). Verloren, 11.
Rostand (Edmond), 177. Vernier, 70.
Rovencia (Axiane de), 182. Viaud (J.), 273, 227.
Rover Collard, 235. Vicaire (Gabriel), 167.
Vigny (Alfred de), 145, 232.
S
Virgile, Il 114.
Saffray (Dr), XYIii. Voltaire, H.
Sand (Georges), 115,121, 140, 145.
Sarcey (Francisque), xxn, 17,112. W
Schiller, Il.
Scliopenliauer, 117,188. Walter Scott, u.
Schumann, li1I, Wagner, xxiv.
Sénèque, n. Whately, 122.
Servet de Bonnières (Dr), 82. Wurtz, 23.
Shakespeare, Il, 133.
Silva Jean, 182. Z
Simon (Jules), xxy.
Silvestre (Armand), 170. Zaborowski, 54.
Sisley, 182. Zola (Emile), XXIII, xxv, 121, 139,
Socrate, ii. .187, 199.
Staël (de), i, 21G, Zoroastre, n.
Le 11° 25 centimes.

11 Année 1897 11" Année

LA
SCIENCE EN FAMILLE
Revue illustrée de vulgarisation scientifique

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MÉDAILLE D'HONNEUR
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16

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