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LA
RÉVOLUTION
VÉGÉTARIENNE
Table des matières
Couverture
Titre
Table des matières
Copyright
PETIT LEXIQUE
PROLOGUE. Tous végétaliens
Chapitre 1 - Ces bêtes qu’on abat
Des lapins massacrés
La triste vie des truies
Le confinement des poules
Le calvaire des canards
Des vaches qui ne rient pas
Les rituels de la mort
L’agonie des poissons
Le spectre de la Shoah
Chapitre 2 - Tuer humainement !
L’industrie peut-elle se réformer ?
Qu’attendre de l’élevage traditionnel ?
Pourquoi tuer ?
Chapitre 3 - L’animal est une personne
Une pensée éthique éparse
L’idée de protéger les animaux
Les préludes de la révolution
Le carnisme
Chapitre 4 - La litanie des excuses
Les animaux ne souffrent pas
La nature est cruelle
Les végétaliens doivent prendre des suppléments
L’alimentation carnée est culturelle et naturelle
Il vaut mieux vivre pour être mangé que ne pas vivre
Le cri de la carotte (et de la souris)
À trop humaniser l’animal, on déshumanise l’être humain
Il y a plus important que de s’occuper des animaux
C’est trop bon !
Épilogue. Les révolutions morales
Bibliographie sélective
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Diffusion : Seuil
Distribution : Volumen
Tous végétaliens
Claude Lévi-Strauss1.
Le spectre de la Shoah
Face à cette abominable condition des animaux qui finissent
dans nos assiettes, toute personne sensée a envie de crier
« Arrêter le massacre ! ». Mais le massacre continue et même
s’amplifie dans nombre de pays. Du moins, pour l’instant… Il
faut savoir que de nos jours plus de 60 milliards d’animaux
terrestres sont abattus dans les abattoirs chaque année dans le
monde11. Ce chiffre ne prend pas en compte ceux qui meurent
avant d’atteindre l’âge de l’abattoir. Concernant les poissons,
l’estimation est plus délicate puisque c’est en tonnes qu’ils
sont comptabilisés. Mais il semble que ce soit plus
de 1 000 milliards de poissons qui sont pêchés chaque année, à
quoi il faut ajouter tous ceux qui sont rejetés morts à la mer et
ceux qui sont tués dans les élevages piscicoles12. Bref,
l’industrie du poisson dépasse de loin l’industrie de la viande
en termes de carnage.
Sous le choc, certains défenseurs de la cause animale
n’hésitent pas à comparer les abattoirs aux camps
d’extermination où six millions de Juifs ont péri durant la
Seconde guerre mondiale. Par exemple, c’est ce que fit
en 2003 Matt Prescott, lors d’une campagne en faveur de
l’alimentation végétalienne, intitulée « La Shoah dans votre
assiette » et dont il était le maître d’œuvre : « Les victimes de
l’Holocauste ont été traitées comme des animaux, et donc
logiquement on peut en conclure que les animaux sont traités
comme les victimes de l’Holocauste13. » L’argument n’est pas
absurde. On retrouve dans ces deux « industries » la même
cruauté, la même indifférence à la souffrance et la même
logique meurtrière. La ressemblance va même plus loin
puisque les Nazis se sont directement inspirés, pour nombre
d’aspects techniques, des procédés industriels d’abattage des
animaux apparus à la fin du XIXe siècle aux États-Unis. Le
chemin d’Auschwitz a donc commencé dans les abattoirs14.
La Shoah étant un sujet sensible, la comparaison peut
troubler. Pourtant, son but n’est pas de minimiser
l’abomination de l’Holocauste. Au contraire, elle tient à garder
cet événement comme point de référence absolu. Ensuite, il est
important de savoir que ce sont des Juifs qui, les premiers, ont
établi un parallèle entre la manière dont les Nazis les avaient
traités et celle dont l’industrie de la viande traite les animaux.
Pour évoquer cette similarité entre la condition des animaux
d’élevage et celle de ses compatriotes juifs massacrés dans les
camps d’extermination, et afin de bien souligner que pour les
animaux l’horreur n’a jamais de fin, le prix Nobel de
littérature (1978) Isaac Bashevis Singer, écrivain de langue
Yiddish, avait écr it que pour les animaux « tous les humains
sont des nazis » et avait comparé leur situation à « un éternel
Treblinka15 ».
Dès l’enfance, Singer avait été choqué par la cruauté de ses
contemporains envers les animaux et, avant même
l’Holocauste, il avait commencé à se tourner vers le
végétarisme. Mais c’est la prise de conscience de la similarité
entre la Shoah et l’industrie de la viande qui a fini d’en faire
un végétarien convaincu. C’est d’ailleurs un thème qui revient
régulièrement dans ses écrits. Il ne voulait définitivement pas
être complice de ces horreurs. Il voyait même dans
l’alimentation carnée la source de la violence entre les
humains. Comme il l’écrivait : « Il n’y a qu’un petit pas entre
tuer des animaux et créer des chambres à gaz à la Hitler et des
camps de concentration à la Staline […]. Il n’y aura pas de
justice tant que l’homme brandira un couteau ou un fusil et
détruira les plus faibles que lui. » Il estimait également qu’il
est hypocrite de « se dire épris de justice si on s’empare d’une
créature plus faible que soi pour la torturer et la tuer16 ».
Bien sûr, pour Singer et pour ceux qui font, comme lui, la
comparaison entre la Shoah et l’industrie de la viande, une
ressemblance et une filiation historique ne signifient pas qu’il
y a identité. Les deux industries sont différentes. La Shoah
avait pour objectif d’exterminer tous les Juifs, tandis que
l’industrie de la viande ne cherche nullement à éradiquer les
animaux de rente de la surface de la Terre ; au contraire, elle
fait tout pour qu’ils se reproduisent de façon à pouvoir les
massacrer sans fin. Exterminer six millions de Juifs en
l’espace de quelques années n’est évidemment pas la même
chose que d’abattre des milliards de cochons, vaches et poules
chaque année avec l’idée de prolonger ce bain de sang
indéfiniment. Autre différence : dans le cas de la Shoah, ce
furent des animaux humains qui ont été massacrés ; dans le cas
des abattoirs, les victimes sont des animaux non humains. Là
où les premiers laissent des traces, la mémoire des seconds est
oubliée. Ce qui arrange tout le monde. Enfin, il y a également
des différences du côté des témoins de ces industries. Les
Allemands qui s’opposaient publiquement à l’extermination
des Juifs mettaient leur vie en danger. Ceux qui de nos jours
critiquent l’industrie de la viande pour sa cruauté à l’encontre
des animaux ne risquent que des sarcasmes. Ce qui en dit long
sur le manque de compassion de ceux qui ne le font pas.
Une fois ces différences établies, faut-il maintenir la
comparaison ? Il n’y a aucune raison de s’en abstenir17. Une
comparaison, comme on l’a dit, n’est pas une identification.
C’est une opération qui consiste à mettre en relation deux
choses différentes afin de réfléchir à certaines similarités (ou,
inversement, mettre en relation deux choses similaires afin de
percevoir des différences). Ici, la comparaison permet de
prendre conscience d’un problème occulté (la cruauté de
l’industrie de la viande) en soulignant sa ressemblance avec un
problème bien identifié (l’abomination de la Shoah). Pourquoi
donc s’interdire cette prise de conscience ?
Tuer humainement !
Pourquoi tuer ?
Confrontés à cette cruelle logique de l’élevage, certains
amateurs de blanquette de veau, d’omelette aux champignons
ou de camembert qui ne voudraient plus en être complices
pourraient se dire qu’il doit y avoir un moyen d’obtenir du lait
et des œufs, sans tuer les animaux. Comme cela, même s’ils
arrêtaient de manger de la viande, ils pourraient au moins
continuer occasionnellement à déguster quelques produits
d’origine animale. Le fromage, c’est si bon, soupirent-ils.
Comment pourraient-ils s’en priver ? Toute la question est
bien sûr de savoir si une telle métamorphose de l’élevage est
envisageable sur un plan pratique.
Si la mise à mort n’est plus une pratique de l’élevage des
poules, il faudrait commencer par ne plus exterminer les mâles
juste après leur naissance. Il faudrait s’en occuper (au
minimum leur donner à manger et leur procurer un espace
suffisant pour qu’ils puissent vaquer à leurs activités
naturelles), sans en attendre le moins bénéfice en retour. Ces
mâles pouvant vivre jusqu’à environ huit ans, cette charge
aurait un coût financier important. Sans compter que,
lorsqu’on a la responsabilité d’animaux, il faut les soigner. Ce
qui entraîne des coûts de soins vétérinaires, surtout quand les
animaux vieillissent. Ensuite, il resterait à s’occuper des
poules pondeuses. Il ne serait maintenant plus question de les
abattre vers l’âge de deux ans, quand leur production d’œufs
baisse. Les éleveurs verraient donc leur production diminuer
drastiquement après ces deux années. Il leur serait bien sûr
possible de refaire le plein de jeunes poules. Mais il faudrait
quand même continuer à nourrir et loger les plus anciennes qui
pondraient relativement peu d’œufs. Ce qui, là encore, serait
difficilement rentable, à moins d’augmenter considérablement
le prix de vente de l’œuf. Mais rien ne dit qu’il y aura alors des
clients, surtout que la nourriture végétalienne serait en
comparaison considérablement moins chère. Bref, il est
difficile, pour ne pas dire impossible, d’imaginer une activité
économique autour de l’œuf qui ne soit pas fondée sur la mise
à mort des poules.
Échapper à la cruauté semble encore plus difficile pour le
secteur du lait. Il faudrait bien sûr commencer par supprimer
ces « usines à lait » où les vaches passent des mois enfermées,
quand ce n’est pas toute leur vie. Il faudrait arrêter de les
exploiter sans merci pour qu’elles ne développent plus des
boiteries et des mammites, et ne finissent plus complètement
épuisées après quelques années de grossesses à répétition.
Ensuite, il ne faudrait plus les envoyer à l’abattoir quand elles
commencent à ne plus produire assez de lait, c’est-à-dire qu’il
ne faudrait plus les abattre quand elles ont environ six ans,
alors qu’elles peuvent vivre une vingtaine d’années. Permettre
aux vaches laitières de brouter tranquillement une fois qu’elles
ne seraient plus utiles pour l’industrie du lait coûterait cher,
surtout que l’argent de leur vente aux abattoirs aurait disparu.
Ensuite, il faudrait s’occuper des veaux. Pour que l’on puisse
traire les vaches, il faut en effet qu’elles aient des bébés et que
ceux-ci soient privés du lait qui leur est destiné. Maintenant, il
faudrait laisser les veaux téter leur mère et ne se contenter que
du surplus. Ce qui n’irait pas bien loin en termes de quantité.
Certes, les veaux femelles pourraient rapidement être mis à
contribution pour la production de lait, afin de suppléer, et un
jour remplacer, leur mère. Mais les mâles, qui ne serviraient à
rien, plomberaient encore davantage les finances des éleveurs.
Ce type d’élevage se retrouverait de toute façon dans une
situation absurde. Pour diminuer les frais d’entretiens des
bovins qui ne produisent pas de lait (taureaux) ou pas assez
(vieilles vaches), il faudrait diminuer leur nombre, c’est-à-dire
qu’il faudrait limiter la reproduction de ces animaux. Mais
pour obtenir le maximum de lait, il faut que les vaches
donnent naissance à autant de veaux que possible. Ce
paradoxe montre clairement qu’un commerce du lait ne
reposant pas sur la mise à mort des bovins n’est pas viable.
Une fois cette fantaisie d’un élevage sans mise à mort
oubliée, les amateurs de blanquettes de veau, d’omelettes aux
champignons et de camembert sont définitivement poussés
dans leurs derniers retranchements. Pour ne plus être
complices de l’industrie de la viande, ils sont déjà obligés de
devenir quasi-végétaliens. Maintenant, les voilà forcés de
reconnaître que, pour continuer à manger une fois de temps en
temps leurs petits plats ou mets à base de produits d’origine
animale, ils n’ont pas d’autres choix que de tuer, ou de faire
tuer, des poules, des veaux, des cochons, etc. Alors, acculés,
ils vont affirmer que c’est le recours aux abattoirs, où les
animaux sont tués dans de « sales conditions », qui pose
surtout problème dans l’élevage traditionnel, mais que, en soi,
il n’y a pas de problème à tuer un animal qui a bien vécu si
cette mise à mort se fait de façon indolore. Ouf, se disent-ils.
La blanquette de veau et le camembert sont sauvés. Toujours
cela que les végétaliens ne feront pas disparaître des tables à
manger.
Imaginons donc un monde où l’élevage ne relèverait plus de
l’industrie. Imaginons que les abattoirs tels qu’ils existent de
nos jours aient été abolis. Imaginons que l’élevage ne se
pratique plus que de manière traditionnelle et que c’est
l’éleveur lui-même qui, après avoir pris soin d’elles toute leur
vie, met à mort ses propres bêtes de la façon la plus indolore
possible. Comment imaginer meilleur système d’élevage ?
Pourtant, même dans ce cas, la cruauté serait encore au
rendez-vous. En effet, qui peut encore considérer qu’il n’est
pas cruel de planter – ou de faire planter par quelqu’un
d’autre – un couteau dans la gorge d’un veau, d’un agneau ou
d’un cochonnet inoffensif juste pour son plaisir culinaire ? Les
amateurs de blanquette de veau seraient horrifiés à l’idée
qu’on le fasse sur leurs enfants, sur leur chien ou sur leur chat.
Or ce veau, cet agneau ou ce cochonnet a bien une maman qui
l’aime, a bien des frères ou sœurs avec qui il aime jouer, a bien
du plaisir à gambader sur l’herbe. Autrement dit, comment
pourrait-on justifier que l’on puisse tuer sans nécessité, juste
pour son plaisir, un animal qui aime profiter de la vie et qui ne
fait de mal à personne ?
La réponse à cette question, les consommateurs
consciencieux la connaissent. S’ils prônent l’élevage
traditionnel, c’est parce qu’ils reconnaissent qu’il est
scandaleux de traiter les animaux suivant les pratiques de
l’industrie. Cette position revient à reconnaître que les
animaux ne sont pas des machines à produire de la viande, du
lait ou des œufs. Ce sont des êtres sensibles qui méritent d’être
traités avec un certain respect et qui entrent donc dans la
sphère des considérations morales. Or la morale ne souffre pas
du plus ou moins. Elle tranche de façon catégorique. Par
exemple, le meurtre de masse n’est pas condamnable
uniquement parce qu’il se pratique à grande échelle : il est
condamnable parce qu’il implique le meurtre, ne serait-ce que
d’un individu ; le grand nombre d’individus n’est qu’un
facteur aggravant. Ou encore, ce n’est pas parce qu’un viol a
été moins violent qu’un autre viol que le premier n’est pas
condamnable. Ce n’est pas parce qu’une séance de torture dure
moins longtemps qu’une autre qu’elle peut être acceptable. Ce
n’est pas parce qu’un meurtrier n’a pas trop fait souffrir sa
victime qu’il n’est pas coupable d’un crime. Enfin, ce n’est
pas parce qu’un maître est relativement bienveillant avec son
esclave que ce dernier ne doit pas être libéré. Une fois que l’on
a reconnu que l’animal est un être sensible, il n’est donc plus
acceptable de le maltraiter pour son plaisir ; il n’est plus
question de l’exploiter à sa guise ; il n’est plus tolérable de le
tuer par caprice.
Certes, de nombreux consommateurs de viande, qui sont
horrifiés par l’industrie de la viande, disent ne pas voir de
problème dans la mise à mort d’un agneau. Certains disent
même l’avoir fait ou être prêts à le faire. Mais, là encore, ils ne
comprennent pas que la morale n’est pas simplement affaire de
sentiment ou de perception. Ceux qui, il n’y a pas si
longtemps, pratiquaient des ratonnades ou des lynchages ne
voyaient pas non plus de problème moral à leurs méfaits. Or
une telle attitude est choquante de nos jours. Ce n’est pas
parce que les principes moraux ont changé. C’est parce qu’il
apparaît désormais inadmissible de ne pas appliquer
rigoureusement ces principes à l’ensemble des êtres à qui ils
s’appliquent, pris aussi bien individuellement que
collectivement. On ne va pas dire à l’auteur d’une ratonnade
que son acte est acceptable tant qu’il ne passe pas au stade du
génocide. Autrement dit, s’il est moralement condamnable de
massacrer et de torturer les populations noires, il est
moralement condamnable de tuer, ou faire tuer, un seul Noir
pour son plaisir. C’est la conséquence logique d’une position
morale.
Il en est de même pour les animaux. S’il est moralement
condamnable d’envoyer chaque année des milliards d’animaux
à l’abattoir, comme le pensent tous les promoteurs de l’élevage
traditionnel, il est moralement condamnable de tuer un seul
agneau pour son plaisir. Il faut bien comprendre que ce n’est
pas une condamnation qui s’impose de l’extérieur aux
amateurs de produits d’origine animale. Elle est la
conséquence de leur propre positionnement moral. C’est juste
une question de logique. Bref, ce n’est pas parce que, comparé
à l’élevage industriel, l’élevage traditionnel fait moins souffrir
les animaux que le second ne pose pas de problème moral.
L’élevage et la mise à mort industriels n’ont été que les
révélateurs de l’existence de ce problème qui ne disparaîtra
que lorsque l’on aura fini de se repaître de chair animale.
Ce n’est d’ailleurs plus qu’une question de temps pour que
la société s’en rende compte, puisque – comme on va le voir
dans le chapitre suivant – elle en est venue à reconnaître dans
son ensemble, à travers une évolution des mentalités qui
s’étend sur au moins les deux derniers siècles, que l’animal est
une personne et qu’on n’a pas le droit de le faire souffrir
gratuitement…
Le carnisme
De Plutarque à Singer, Regan ou Francione l’argumentation
en faveur du végétalisme n’a jamais dévié d’un principe
éthique fondamental. Résumé en quelques mots, ce principe
stipule qu’on ne doit pas faire souffrir et tuer juste pour son
plaisir un être qui veut profiter de la vie. Mais pendant
longtemps les propos de Plutarque avaient tendance à être
jugés utopiques ou secondaires. Il y avait trop de prétextes
pour ne pas les prendre en compte. Devait-on se soucier des
animaux quand tant d’êtres humains étaient encore esclaves ?
Devait-on les regarder avec compassion quand tant d’hommes
et de femmes étaient légalement victimes de cruautés les plus
diverses ? Devait-on accorder la même considération aux
intérêts des animaux qu’à ceux des êtres humains quand
beaucoup de ceux-ci (en particulier, ceux des femmes)
n’étaient pas respectés ? Devait-on être attentif aux animaux
quand tout un discours scientifique niait qu’ils avaient des
désirs, des émotions, une intelligence ? Devait-on se tourner
vers une alimentation strictement végétalienne quand, par
mystique de la viande et méconnaissance de la nutrition, on
pouvait encore douter des vertus nutritives de cette
alimentation ? Devait-on s’afficher végétalien face aux
sarcasmes et à la réprobation de la société quand les
justifications éthiques de cette alimentation semblaient
obscures ?
Mais, de nos jours, tous ces obstacles ont disparu. Nul être
humain ne peut légalement être tenu en esclavage. La cruauté
envers les êtres humains, et envers les animaux, est interdite.
Aucune discrimination injustifiée n’est tolérée. Les animaux
sont des personnes ayant des émotions et une conscience. Une
alimentation végétalienne est reconnue comme tout à fait
appropriée aux besoins des êtres humains. Quant aux
justifications éthiques de cette alimentation, elles sont
désormais étayées dans une multitude de textes, accessibles à
quiconque veut y réfléchir. Au début du XXIe siècle, continuer
à consommer des produits d’origine animale, quand la
diététique dit que ce n’est pas nécessaire et que la morale le
réprouve, revient donc à participer à une idéologie cruelle.
Celle-ci a d’ailleurs un nom : le carnisme20.
Le mot vient du latin « caro, carnis », qui veut dire la chair
et qui forme la racine, par exemple, du mot « carnage ». C’est
bien d’une idéologie dont il est question, d’abord parce que
manger des produits d’origine animale se fonde sur l’idée
arbitraire qu’il est légitime d’exploiter et de tuer des animaux
pour s’en repaître ; ensuite, parce que cette idée imprègne
nombre de nos comportements et réflexions. Certes, tout un
système de pensées a longtemps voulu faire croire que cette
consommation d’animaux est naturelle et donc qu’elle ne
relevait d’aucune idéologie. Mais c’est le propre de toute
idéologie dominante de ne pas se présenter comme telle et de
faire croire que les représentations du monde qui la
caractérisent sont des évidences. D’ailleurs, le carnisme est
une idéologie qui travaille d’autant plus à demeurer dans
l’ombre qu’elle est une idéologie violente : tout en présentant
la consommation de produits d’origine animale comme
naturelle elle fait tout pour que les consommateurs ne se
rendent pas compte de la façon abominable dont chaque année
des milliards d’animaux sont élevés et abattus. Or, lorsque les
consommateurs sont témoins de cette violence, ils en sont
psychologiquement affectés. Ils savent bien au fond d’eux-
mêmes qu’on ne torture pas et ne tue pas un être sensible, qu’il
soit humain ou non, juste pour son plaisir. Pour ceux qui
continuent à consommer des produits d’origine animale, il ne
reste qu’à se voiler la face ou à s’inventer des excuses.