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Les animaux ont-ils des droits?

Introduction

Great Ape Project : ONG fondée en 1993 par Paola Cavalieri et Peter Singer. Elle réclame que l'on
protège les grands singes et qu'on leur reconnaisse des droits parce que leur patrimoine génétique est à
99,5% commun avec l'homme.
Initiative qui sont contestées :
– reconnaître des droits implique une certaine réciprocité, or les animaux ne reconnaissent aucun
droit à l'homme
– sur le plan philosophique, c'est nier la spécificité de l'homme (opposition nature/culture)
– étendre les droits de l'homme donc multiplier les atteintes dont ils peuvent faire l'objet, c'est les
affaiblir.

Les animaux peuvent-ils être sujets de droit et non seulement objet de droits?

I – Longtemps évident et indiscuté, l'assujettissement de l'animal à l'homme suscite


aujourd'hui une inquiétude morale croissante

A. En séparant radicalement l'homme et l'animal, la tradition occidentale a privé ce dernier de tout droit

1. Placé au sommet de la Création, l'homme semble appelé à régner sur le monde animal

Sociétés primitives : animal a une fonction religieuse importante.


– Egypte antique : dieux zoomorphes comme Anubis, Horus, Hâpi ou encore Bastet. Animaux
« sacrés » ont droit à une momification et un cérémonial.
– Grèce antique : sacrifices de génisses et de taureaux aux dieux
– Hindouisme + bouddhisme : métempsychose (= transmigration des âmes)

Religions du Livre sont en rupture avec cela. Ils n'ont plus de fonction religieuse.
Genèse : homme au centre de la Création. Dieu créé les animaux au bout du 4ème et du 5ème jour, puis
l'homme au 6ème jour pour couronner son oeuvre. Il commande à Adam et Eve de dominer les
animaux. Dans les dix commandements, il y a une interdiction de tuer qui s'applique seulement à
l'homme.

Dans le monde juif, l'animal est un intermédiaire pour accéder à Dieu puisqu'il n'y a pas d'idole. Porc
jugé impur.
René Girard – La violence et le sacré (1972) : lien entre la pratique du sacrifice et la domestication des
animaux. On domestique parce qu'il y a une idée sacrificielle = agneau substitué à Isaac qu'Abraham
allait sacrifier. Mise à mort de l'animal permet de purger la violence du groupe.
Enfin, le christianisme s'affranchit de ses racines judaïques car il peut désormais manger tous les
animaux.

Peu de respect pour les animaux dans les religions du Livre à nuancer : on ne mange les animaux que
par nécessité, et on mange sa chair, pas son sang (abattage rituel : on vide l'animal de son sang).
Saint François d'Assise (1181-1226) a le don de parler aux animaux (Giotto – Saint François prêchant aux
oiseaux).

Influence de la philosophie aristotélicienne : pour Aristote, les hommes sont supérieurs aux animaux,
qui sont supérieurs aux végétaux. Il y a une différence entre leurs âmes.
Aristote – La Politique : les animaux, comme les esclaves, ne servent qu'à servir les besoins de la vie des
hommes.

2. A partir du XVIIe siècle, la pensée philosophique est dominée par l'idée d'une rupture
radicale entre l'homme et l'animal

Modernité : Descartes pose l'homme comme « maître et possesseur de la nature ».


L'absence de langage fonde l'infériorité de l'animal.
Vè partie du Discours de la méthode (1637) : différence entre l'homme et l'animal est une différence
d'essence, de nature. Ce n'est pas physiologique, c'est parce qu'ils sont inférieurs.
Théorie de l'animal-machine.

Descartes n'est pas hostile aux animaux, il veut juste rappeler la spécificité de l'homme et prouver qu'il
ne se réduit pas à sa matérialité. En fait c'est une arme de guerre contre l'athéisme.

Disciples de Descartes sont pires : légende sur leur insensibilité. Ils ont été accusés de faire des
expériences sur des chiens... Disciples cartésiens : Malebranche, Nicolas Fontaine, Jacques de
Vaucanson...

Elisabeth de Fontenay – Le Silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve de l'animalité (1998) : pendant plusieurs
siècles, les philosophes français ont nié tout droit à l'animal. Exemple de Buffon qui présente les singes
comme stupides et impulsifs.
Rousseau dans Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) : il manque aux
animaux la liberté et la capacité de progresser. En revanche il apprécie la spontanéité des animaux et
critique l'esprit corrompu des hommes.

3. Dans cette perspective, l'animal ne peut se voir reconnaître aucun droit particulier

Droit français considère l'animal comme un bien meuble.


Article 528 du Code civil de Napoléon : chose se mouvant par elle-même.
Animal de ferme n'a qu'une valeur patrimoniale soumis au droit de propriété.
Article 524 du Code civil : ne distingue pas l'animal des autres éléments de la ferme

4. L'animal apparaît donc plutôt dans la culture occidentale comme une allégorie ou
comme une antithèse de l'homme

Animal est d'abord un miroir de l'homme : fables, Esope, La ferme des animaux d'Orwell, La Fontaine, le
Roman de Renart...
Animaux stéréotypés : renard et chat malins et calculateurs, lion fort et orgueilleux...
La Fontaine applique les figures animales aux humains comme dans « Les Obsèques de la Lionne ».

La Ferme des Animaux (1945) – Orwell : dénonce les dérives de la Révolution russe. Cochons finissent
par s'accaparer le pouvoir. Snowball est une allégorie de Staline.

Anthropomorphisme qui est critiqué par Alain dans Esquisses de l'homme paru en 1927 : ce que l'on
prend pour de l'intelligence chez les animaux n'est qu'une manifestation de l'instinct.

Animal peut servir de repoussoir.


Chant X de l'Odyssée d'Homère : Circé transforme les compagnons d'Ulysse en porcs, mais ils en sont
malheureux parce qu'ils ne peuvent pas parler ni penser : rappelle la spécificité de l'homme.
La métamorphose (1915) de Kafka : frontière entre l'humanité et l'animalité.

B. Toutefois, l'exploitation de l'animal par l'homme suscite aujourd'hui un malaise grandissant


1. Certaines traditions philosophiques défendent depuis longtemps l'idée d'une continuité
au sein du monde animal

Philosophie grecque ne se résume pas à Aristote : Pythagore + sceptiques + stoïciens valorisent les
animaux. Ils condamnent le sacrifice et pratiquent le végétarisme.
Plutarque – S'il est loisible de manger de la chair : condamne la consommation de nourritures provenant de
la mise à mort.
Ovide met en avant la gratitude et la reconnaissance que nous devons aux animaux qui nous sont utiles.

Tradition sceptique (Pyrrhon d'Elée, Montaigne) veut réduire la distance entre les hommes et les
animaux. Anecdote du « chien de Chrysippe » : chien capable de faire un syllogisme hypothético-
déductif.

Montaigne : différence entre homme et animal seulement de degré et pas de nature, donc l'animal le +
intelligent > homme le + bête. Le problème pour Montaigne c'est la vanité des hommes qui pensent
être supérieurs à l'animal.

Epoque contemporaine : de nombreux auteurs ont dit que homme et animal faisaient partie du même
monde.
– XIXe siècle : Michelet parlait de « nos frères inférieures » (contradiction : fraternité se définit
par l'égalité)
– Michel Serres – Le contrat naturel en 1990 : le contrat naturel est un contrat social qui serait fondé
sur l'amour du prochain, homme et animal confondus.

2. Aujourd'hui, le développement des activités humaines met en péril un nombre croissant


d'espèces

Société d'aujourd'hui, l'animal apparaît sous trois formes :


– animal sauvage/exotique : dans l'imaginaire sous forme de fantasme ou dans les zoos.
– Animal utilitaire : abattage et consommation de masse ou expérimentation scientifique
– animal de compagnie : alibi qui fait oublier les deux autres. France : 52% des foyers ont au
moins un animal de compagnie.

Animal sauvage est le plus menacé : cinq vagues de disparition massives ont eu lieu pendant les 500
derniers millions d'années. La dernière, c'était les dinosaures.
Biodiversité semble en danger aujourd'hui : destruction des espèces + destruction des habitats. Cf Le
cauchemar de Darwin de Hubert Sauper sorti en 2004.
Avant 2050, la planète pourrait perdre 30% de ses espèces.

3. L'exploitation illimitée de l'animal pose la question de l'humanité de l'homme

Animal utilitaire : situation préoccupante également.


Chaque année en France : un milliard d'animaux sont abattus pour la boucherie + 30 millions pour la
chasse + 3 millions pour la recherche + 40 millions pour la fourrure + 590 000 tonnes de poissons.

Mise à mort des animaux peut être super cruelle : film de Rob Stewart sorti en 2008 – Les seigneurs de la
mer. Il montre la pêche des requins dans les Galapagos.
C'est un peu pareil pour l'agriculture comme le montre Jonathan Safran Foer avec son livre Faut-il
manger les animaux? Paru en 2001 : poulets élevés en batterie qui vivent leur courte vie dans des
conditions horribles.

Phénomène qui est ancien en réalité :


Paul Claudel (1868-1955) – Le Poète et la Biblie, Commentaire sur l'Ecriture (1948) : ravages de
l'industrialisation de l'agriculture. Il déplore que l'on ne traite plus les animaux avec respect.
La technique a asservi les animaux : clonage de la brebis Dolly, manipulations génétiques, « art
transgénique » (Eduardo Kac et son Glofish).

Problèmes à cela :
– l'homme encourt le reproche d'ingratitude (Jean de La Fontaine – L'Homme et la Couleuvre)
– cela peut avoir un coût direct pour l'homme : nouveaux risques sanitaires de type maladie de la
vache folle (ESB : encéphalopathie spongiforme bovine) à cause de l'alimentation par farines
animales.
– Les manipulations génétiques testées sur les animaux seront peut-être un jour appliquées à
l'homme = eugénisme.
– Les traitements cruels infligés aux animaux mettent en cause l'humanité de l'homme. En fait on
s'habitue nous-mêmes à ces mauvais traitements, avec le risque de traiter les autres hommes de
la même façon. C'est un peu le raisonnement du nazisme : espèces inférieures donc on peut être
cruel/les exterminer.

II – S'il ne peut être sérieusement considéré comme un sujet de droit, l'animal n'en possède
pas moins une valeur propre, qui justifie pleinement sa protection

A. Il semble difficile et même dangereux de concevoir l'animal comme doté de droits propres

1. Les penseurs de « l'écologie profonde » s'efforcent d'attribuer des droits propres à


l'animal, à côté de l'homme, voire contre lui

« L'écologie profonde » : inventé par Arne Naess (1912-2009) en 1973 dans la revue Inquiry. Avec
l'écologie profonde, c'est le refus que les êtres vivants soient classés en fonction de leurs valeurs
respectives. En fait, il consacre le droit à la vie de toute espèce humaine, sans jamais dire qu'une espèce
a plus le droit de vivre et de prospérer qu'une autre.

Thèses proches de celles du philosophe Peter Singer dans La libération animale (1975) : il fait une
distinction entre les « animaux humains » et les « animaux non humains ». Pour lui le « spécisme » est
une forme de racisme. Tous les êtres sensibles doit être considérés comme moralement égaux.

Jeremy Bentham (1748-1832) – Introduction aux principes de la morale et la législation (1789): à la suite de
Descartes, il se dit que la question c'est « peuvent-ils souffrir? » et non « peuvent-ils parler/penser? ».
Pour lui, tels les Français s'affranchissant par la Révolution, les animaux vont un jour s'affranchir.

Singer dit qu'utiliser des animaux pour se nourrir est injustifié, les moyens étant disproportionnés au
besoin. Il prône donc le végétérianisme voire le végétalisme. Il estime que les animaux d'aujourd'hui
sont les esclaves d'hier.
Il remet en question la distinction entre homme et animal, arguant que si l'on suit la logique cartésienne,
les attardés mentaux ne devraient pas avoir plus de considération que les animaux parce qu'eux aussi
sont privés de raison.

Bernard Edelman et Marie-Angèle Hermitte – L'Homme, la nature et le droit (1988) : il faudrait


reconnaître à la nature une valeur indépendante de l'utilité humaine, en substance « faire de la diversité
biologique un sujet de droits à part entière ».

2. Toutefois, l'homme doit rester au coeur des préoccupations écologiques

Arguments en faveur d'une écologie humaniste


– L'idée d'un droit inconditionnel à la vie pour tous les animaux ne tient pas : la nature ne le
respecte pas (les animaux doivent manger de la chair). Le végétérianisme peut être vu en ce sens
comme un ascétisme voire un puritanisme.
Il est impossible de respecter toutes les formes de vie : genre les protoplasmes ou les virus. Les
droits du moustique < droits du chimpanzé. Du coup, où place-t-on la limite?

– concernant les droits que l'on pourrait accorder à la nature en général, il semble difficile de se
passer d'une représentation humaine : les animaux ne peuvent ester en justice.
Il faut faire attention de ne pas tomber dans l'anthropomorphisme non plus (Jean-Marie Meyer
et Patrice de Plunkett dans Nous sommes des animaux, mais on n'est pas des bêtes (2007))

– Il faut veiller à ne pas remettre insidieusement en cause la séparation entre l'homme et l'animal.
La science ne peut dicter le droit (Henri Poincaré « un million d'indicatifs ne font pas un
impératif). Ca peut amener à relativiser les droits de l'homme en leur ôtant leur caractère sacré.
Aimer les animaux ne conduit pas à aimer les gens. Ainsi, le régime nazi a édicté des lois très
protectrices des animaux (interdiction du gavage des oies en Prusse).
Des partisans de l'écologie profonde ont tendance à considérer l'homme comme un parasite au
sein de la nature.

– La deep ecology participe d'une volonté de nivellement, dangereuse pour la primauté de


l'esprit : il ne faut pas nier la culture qui est la grande spécificité de l'homme et qui n'est pas
simplement une continuité de la nature.

B. Néanmoins, l'animal possède une valeur propre, qui peut fonder l'exigence de sa protection

1. Les espèces animales constituent un patrimoine irremplaçable pour l'humanité

Argument de type utilitariste accolé à la notion d'irremplaçable.


Pour Kant, dans la mesure où ils ne sont pas des personnes, les animaux ne sont pas irremplaçables,
mais les espèces le sont.
Ca a inspiré la Convention internationale sur la diversité biologique signée à Rio en 1992 : la
biodiversité est un patrimoine commun à l'humanité. Il faut la protéger par devoir envers les
générations futures. Mais dans ce cas-là c'est dans le seul intérêt de l'homme.

Exemple de la corrida : l'un des arguments les plus forts, c'est que les taureaux d'Andalousie auraient
disparu depuis longtemps s'il n'y avait pas eu la corrida. On voit donc que la préservation de l'espèce
peut entraîner un traitement cruel pour certains de ses membres.

2. Le respect de la nature est dicté par un évident sentiment de pitié

La pitié est un sentiment antérieur à la raison et qui nous unit à tous les êtres sensibles.
Rousseau sur la pitié : l'homme est naturellement bon parce qu'il réagit instinctivement à la souffrance
de l'autre. Donc tous les êtres pouvant souffrir (donc les animaux) sont inclus dans une même
communauté morale. Notre humanité, pour Rousseau, est de refuser la souffrance animale.

Loi Grammont de 1850 est le premier texte à protéger les animaux : punition d'une amende + une
peine les personnes ayant fait subir publiquement des mauvais traitements aux animaux.

En 1860, Napoléon III reconnaît d'utilité publique la SPA fondée en 1845 par Pariset.

Aujourd'hui, la législation protège beaucoup les animaux :


– loi Grammont remplacée par le décret du 7 septembre 1959 : sanctionne la cruauté envers les
animaux aussi dans le cadre privé
– loi du 19 novembre 1963 : acte de cruauté est un délit
– loi du 10 juillet 1976 : qualifie l'animal d' « être sensible »

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