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EN ROUTE POUR LES « I.L.E.S. » !

De l'utilisation des images picturales en classe de français langue étrangère

Anne Pauzet

Klincksieck | « Éla. Études de linguistique appliquée »

2003/4 no 132 | pages 491 à 510


ISSN 0071-190X
DOI 10.3917/ela.132.0491
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-ela-2003-4-page-491.htm
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EN ROUTE POUR LES « I.L.E.S. » 1 !


DE L’UTILISATION DES IMAGES PICTURALES
EN CLASSE DE FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE

L’art émane de la même vie qui trouve dans la


pensée la prise de conscience la plus lucide.
On est tenté pourtant de les opposer : la pen-
sée se nourrit d’idées, l’art de sensibilité. […]
Mais tous deux se rejoignent à leur origine :
l’esprit d’un homme, l’esprit d’un temps. Si
l’art les traduit en images, par des voies
inconscientes, la philosophie les traduit en
idées, par les voies de la réflexion.
René Huygue, L’art et l’âme, p. 157

Résumé : Dans la classe de Français Langue Étrangère, les œuvres picturales


sont actuellement utilisées dans un triple objectif : illustratif, langagier ou
artistique. Ces habitudes culturelles d’apprentissage ne prennent pas en
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compte les publics auxquels elles s’adressent, leurs spécificités culturelles et © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
leurs propres réceptions des œuvres (approches illustratives et artistiques) et
risquent de pousser les apprenants à confondre le réel et sa représentation en
renforçant leur croyance en une soi-disant objectivité de l’image (approches
illustratives et langagières). Pourtant l’art est aussi une porte d’entrée dans la
culture de l’autre !
Aussi j’ai expérimenté une approche permettant de mieux cerner la « culture
partagée » 2 d’un pays à une époque donnée à travers ses productions visuelles.
Deux pistes de recherche ont été suivies : la peinture comme univers de réfé-
rence ; l’imaginaire collectif et l’art. Pour accéder aux œuvres une entrée par
le sensible a été privilégiée. Dans une situation multiculturelle, cette démarche
permet à chacun de découvrir les différences culturelles et de mesurer le lien
qui s’établit entre la structure de l’œuvre et le message.

1. Lambert F., « Images Langues Étrangères », Le Français Dans le Monde, numéro spécial,
juillet 1994. L’image n’est pas un langage universel, elle est en elle-même une langue étrangère.
C’est pourquoi Frédéric Lambert parle si joliment des « I.L.E.(S) » (Images Langues Étrangères).
2. Robert Galisson, De la langue à la culture par les mots, CLE International, 1991.
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PRATIQUES DE CLASSE : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

1. LES PRATIQUES DE TERRAIN : ÉTAT DES LIEUX


Le manuel de FLE, outil principal d’un grand nombre d’enseignants, pro-
pose des pratiques concernant l’utilisation des œuvres picturales. De ce fait
il véhicule une certaine vision de l’art. Dans la perspective de faire un état
des lieux de ces pratiques et des représentations qu’elles véhiculent, j’ai
dépouillé un corpus de 74 manuels de 1950 à nos jours 3.
Produits par des éditeurs français et rédigés en langue française, ces
manuels s’adressent principalement à un public d’adultes ou de collégiens
et lycéens. Ce sont ceux que l’on peut trouver sur les rayonnages des biblio-
thèques de FLE.
Sur ce corpus de 74 manuels, 20 ne proposent aucune reproduction
d’œuvres picturales. Pour les autres, j’analyserai et commenterai tout
d’abord les activités en fonction de leurs objectifs principaux : illustratifs,
langagiers ou artistiques puis j’observerai à quelles instances elles s’adres-
sent : raison ou sensibilité ? Enfin je dégagerai les représentations sur la
peinture véhiculées par le discours des manuels.

1. 1. Analyse du corpus en fonction des objectifs : illustratifs, langagiers


ou artistiques
1. 1. 1. Une simple fonction illustrative
Dans leur grande majorité les reproductions de tableaux sont utilisées
comme simples illustrations puisque sur 404 tableaux recensés, 182 seule-
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ment sont associés à des activités. Toutes les autres œuvres illustrent, de
façon le plus souvent implicite, des thèmes d’unités (« Les mystères », le
« 14 juillet », la « Justice »…), des dialogues, des poèmes, des mots, des
textes sur des lieux, des personnages célèbres…
Lorsque l’on utilise l’œuvre picturale pour sa seule fonction illustrative,
c’est souvent le rôle de redondance qui détermine le choix de l’œuvre. Il
apparaît alors que la sélection de la reproduction se décide en fonction d’un
élément du titre.
Le choix peut aussi se faire en fonction du contenu, le contenu de
l’œuvre illustrant le contenu du texte :
Le dossier 1 A. « À quoi rêvent les Français ? » du manuel Libre
Échange 3 4 évoque les timbres-poste de l’exotisme. Entourant la partie
écrite, l’étudiant peut découvrir de nombreux timbres « exotiques » et la
reproduction d’une œuvre de Gauguin, La femme du roi. Ce choix ne prend

3. Pour plus de précisions se référer à Anne Pauzet, Peinture et culture partagée en didactologie
des langues-cultures. Thèse de doctorat, soutenue à la Sorbonne – Paris III, le 30 novembre 2001.
4 . J. Courtillon et G.D. De Salins, Libre Échange 3, Hatier-Didier, 1993.
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sens qu’en fonction de tout un savoir partagé à propos de l’« exotisme » et
de ses « univers de référence ». On ne s’étonne pas, en France, de contem-
pler à tout propos les vahinés alanguies du célèbre peintre. Ses tableaux
sont associés, dans notre esprit, à une certaine vision de l’exotisme qui
mobilise des références telles que : « îles », « Tahiti », « vahinés », « lan-
gueur », « liberté de mœurs »… Que peuvent comprendre des étudiants chi-
nois ou japonais… à ces associations souterraines si l’enseignant, pleine-
ment conscient de l’existence d’un tel patrimoine visuel et culturel, ne relaie
pas la « défaillance » du manuel et ne les explique pas clairement.
L’auteur du texte cité dans le dossier éclaire d’ailleurs lui-même ce point
en écrivant :
Longtemps, j’ai confondu l’exotisme et les timbres-poste. Leurs baobabs et leurs
oiseaux de paradis, leurs bariolures et leurs papillons m’exaltaient. […] Comparés au
timbre, tous les autres modes de locomotions faisaient de pauvres véhicules. Les
orchidées du douanier Rousseau, les dames tahitiennes de Gauguin, pourtant toutes
nues ou les femmes d’Alger de Delacroix ne tenaient pas la route. Le plus vilain
timbre-poste du Sénégal m’emmenait plus loin que le plus beau des portulans. 5
Voilà, en quelques lignes, notre petit panthéon national de l’exotisme pic-
tural dévoilé. Cette association quasi systématique (exotisme = Gauguin,
Rousseau) se retrouve dans de nombreux manuels 6.
Les associations récurrentes faites dans les manuels révèlent l’imaginaire
des concepteurs de méthodes et bien souvent aussi la culture visuelle parta-
gée d’une époque.
Les choix correspondent aussi à l’image que les concepteurs se font de ce
qu’il est bon de connaître du point de vue culturel (certaines méthodes ne
citent que des peintres du XXe siècle, ce qui donne un vernis de modernisme
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au manuel). Une enseignante en Histoire de l’Art interrogée explique
le choix des tableaux est loin d’être innocent. Même si la personne qui a fait le choix
n’en a pas toujours conscience, elle fait des choix qui reflètent notre culture telle que
nous la percevons et ça véhicule tout un tas de choses auprès des étudiants étrangers,
ça conforte l’image qu’ils ont d’une certaine culture française, donc c’est un peu per-
nicieux parce que ça donne quand même une image de notre culture qui vaut ce
qu’elle vaut avec ses limites et très souvent le problème, c’est qu’on n’est pas
conscient des limites, on oublie de les définir, un peu comme si on oubliait un cadre. 7
Quand les œuvres sont employées comme simples illustrations, les
concepteurs des manuels oublient de définir le cadre dans lequel les sélec-
tions s’opèrent en omettant de justifier leurs choix. L’utilisation de

5. Idem, p. 24.
6. Les œuvres orientalistes de Delacroix n’apparaissent presque jamais associées au thème de
l’exotisme. Le Douanier Rousseau et Gauguin apparaissent le plus souvent. Sur l’ensemble du
corpus, on recense neuf reproductions du Douanier Rousseau, dont quatre qui renvoient directe-
ment au thème de l’exotisme. Elles sont citées dans sept manuels (cinq méthodes pour adultes et
deux pour collégiens et lycéens). Pour ce qui est de Gauguin, huit de ses œuvres associées à l’exo-
tisme sont reproduites dans sept manuels pour adultes.
7. Entretien exploratoire n° 2, janvier 1996.
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peintures fait office de décor attrayant où le saupoudrage d’images séduc-
trices cautionne à bon compte les revendications culturelles des méthodes.
1. 1. 2. Des objectifs langagiers
182 œuvres sont de simples supports pour introduire des activités langa-
gières. Les œuvres servent essentiellement de point de départ pour des acti-
vités linguistiques, que ce soit pour :
a. l’expression écrite (rédiger un portrait à partir d’un tableau, décrire un
lieu ou laisser aller son imagination face à ce que l’image suggère…) ;
b. la compréhension écrite (rechercher dans des textes les passages qui cor-
respondent aux illustrations, lire des descriptions de personnages célèbres
et retrouver les portraits correspondants…) ;
c. la compréhension orale ;
d. l’acquisition du lexique (imaginer les liens familiaux, nommer les objets,
les situer dans l’espace…)
e. la grammaire (l’apprenant doit réagir à partir d’une sollicitation picturale
comme dans Bonne Route 1 où un tableau permet d’utiliser des struc-
tures telles que « Moi aussi » ou « moi non plus » en réponse à la ques-
tion « Vous aimez ça ? ») ;
f. l’expression orale. Les œuvres permettent dans certains cas de provoquer
une prise de position affective ou encore d’inciter les élèves à débattre
d’un thème. C’est le cas pour En avant la musique 2 ou Le Nouveau Sans
Frontières 2 où des images de femmes au travail permettent de demander
aux étudiants si la condition féminine a évolué depuis le XIXe siècle. Les
œuvres ne figurent encore une fois que pour leur valeur illustrative. Le
thème des tableaux a plus d’importance que la représentation qu’en ont
fait les peintres (on ne se pose pas la question de savoir comment les
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peintres ont représenté tel ou tel thème). © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
Lorsque les œuvres sont utilisées à des fins illustratives ou langagières,
on risque, comme l’écrit A. Richard 8, de conforter les élèves dans ce que
Bourdieu appelle la « vision naïve » de la peinture où l’on confond le réel et
sa représentation. Toujours d’après A. Richard, cette pratique n’éveille pas
le regard critique et enferme les élèves dans leur confiance en « l’objecti-
vité » de l’image ». Elle ne conduit à aucune distanciation.
1. 1. 3. Une finalité artistique
L’approche artistique, qui prend en compte les « codes picturaux » et
considère l’œuvre comme un univers de formes construisant du sens, est
moins fréquente.
Néanmoins, quelques méthodes (Archipel 1, Nouvel Espace 2, Nouveau
Sans Frontières 3 et Nouveau Sans Frontières 4, Soleil 2), soucieuses de

8. A. Richard, Itinéraires pour une appropriation des œuvres picturales (Finalités et conditions
d’une initiation à l’art chez des élèves de lycée. Propositions de méthode). Thèse de doctorat,
Université Paris VIII, 1994.
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développer les compétences artistiques des apprenants, se préoccupent du
langage particulier des œuvres. On constate cependant que la plupart
d’entre elles laissent étudiants et enseignants bien démunis en outils (pas
d’explication et d’illustrations pour un lexique très technique où l’on
emploie des termes tels que « aplat », « clair-obscur », « demi-teinte »,
« formes stylisées », « perspectives »…). Cette démarche a le mérite de res-
pecter le langage pictural mais, de même que l’on présente le vocabulaire
pour apprendre une langue étrangère, et qu’ensuite seulement on l’utilise et
on se l’approprie, il serait utile de le faire aussi dans le domaine de la pein-
ture pour éviter un découragement face aux difficultés liées à sa compré-
hension et un sentiment d’incompétence face aux œuvres.
En outre, cette approche ne se soucie presque jamais des publics aux-
quels elle s’adresse, de leurs spécificités culturelles et de leurs propres
réceptions des œuvres, ce qui semble pourtant être essentiel en situation
multiculturelle. On fait toujours « comme si » il n’y avait aucune différence
entre un public de français et un public d’apprenants étrangers, « comme
si » les récepteurs possédaient les mêmes références que les natifs. Ce fai-
sant, on véhicule l’idée selon laquelle les connotations liées aux formes, aux
couleurs, à la composition, aux gestes… sont les mêmes pour tous. Or, nos
apprenants sont issus de civilisations parfois fort différentes de la nôtre où
les lectures des signes chromatiques, morphologiques, rhétoriques, tech-
niques et socioculturels reflètent une représentation tout autre du monde.
Ainsi, le phénomène « couleur » se vit et se pratique différemment selon
les cultures.
Dans la sensibilité japonaise, « il importe parfois moins de savoir si on a affaire à du
rouge, à du bleu ou à tout autre coloration que de savoir si l’on est en présence d’une
couleur mate ou d’une couleur brillante. […]
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Dans la plupart des sociétés d’Afrique noire, par exemple, il est primordial de savoir © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
s’il s’agit d’une couleur sèche ou d’une couleur humide, d’une couleur tendre ou
d’une couleur dure, d’une couleur lisse ou d’une couleur rugueuse, d’une couleur
sourde ou sonore, d’une couleur gaie ou d’une couleur triste. La couleur n’est pas une
chose en soi, encore moins un phénomène relevant de la vue. Elle est appréhendée de
pair avec d’autres paramètres sensoriels, et, de ce fait, teintes et nuances n’ont guère
de raison d’être. 9
La perception des couleurs, les faits de nomination qui en découlent ainsi
que les significations qui y sont attachés sont donc en étroite relation avec
la culture et il en va de même dans bien d’autres domaines : représentation
de l’espace, de la profondeur, itinéraire de lecture de l’œuvre peinte, signifi-
cations attachées aux vêtements, aux coiffures, aux insignes, aux lieux dans
la peinture figurative, codes gestuels et proxémiques…
L’image picturale est une langue étrangère, observer d’autres modes de
composition, d’autres grammaires permet de nous défaire de notre « réel » 10.

9. Michel Pastoureau, « Une histoire des couleurs est-elle possible ? », Ethnologie française :
paradoxes de la couleur. Éd. Armand Colin, oct.-déc. 1990, tome 20, p. 370.
10. Comme l’écrit R. Barthes à propos de l’immersion dans une langue étrangère qui permet de
« défaire notre “réel” sous l’effet d’autres découpages, d’autres “syntaxes”… jusqu’à ce qu’en
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Les œuvres sont donc fruits d’une culture : une conscientisation du fait
culturel des œuvres, dans leur construction comme dans leur décodage,
semble donc primordiale.

1. 2. Analyse des représentations sur la peinture véhiculées par le dis-


cours des manuels
Le discours des manuels véhicule trois visions de l’art qui se situent
toutes dans des registres fort différents.
1. 2. 1. Une vision négative de l’art
Il est surprenant de constater que certaines méthodes (notamment celles
qui s’adressent aux collégiens et lycéens) perpétuent une vision négative de
l’art et des musées. Ainsi la méthode Coquelicot (1989), destinée à un
public de jeunes adolescents italiens, utilise le thème de la visite au musée
pour produire un dialogue de ce type :
Un week-end culturel.
Sylvie : Demain, on ira au Louvre et après-demain, on visitera le musée d’Orsay.
François : Mais nous, on ne veut pas aller au Louvre, les musées, ça nous embête. […]
Si on visite les musées, moi, je ne sortirai pas avec vous, je resterai ici et je regarderai la 5.
Les autres : Moi aussi, moi aussi, moi aussi.
Sylvie : Si on va au Louvre, après je vous emmènerai à la Tour Eiffel.
Martine : La Tour Eiffel, d’accord, comme ça on pourra cracher sur les gens.
Cette vision des choses véhiculée par l’École (par le biais de la méthode)
confirme ce qu’écrivent Pierre Bourdieu et Alain Darbel dans leur ouvrage
L’Amour de l’art datant de 1969 11, à savoir que l’École et les musées ont
contribué à renforcer et à perpétuer des inégalités socialement condition-
nées devant la culture (ce qui se traduit ici par un rejet du musée et de ce
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qu’il représente pour les élèves). D’un côté, il y aurait ceux qui peuvent
goûter l’art et de l’autre ceux qui n’ont pas reçu cette grâce :
les musées trahissent, dans les moindres détails de leur morphologie et de leur organi-
sation, leur fonction véritable, qui est de renforcer chez les uns le sentiment de
l’appartenance et chez les autres le sentiment de l’exclusion. 12
Même si la politique culturelle des musées a évolué depuis la date de
parution de cet ouvrage, la mentalité des spectateurs potentiels reste
emprunte de cette représentation. Cet exemple révèle des élèves (adoles-
cents censés représenter de jeunes italiens typiques) d’emblée exclus d’un
monde trop cultivé qu’ils rejettent comme étant ennuyeux. Ils l’opposent au
monde de la vie quotidienne où l’on s’amuse (« regarder la 5 », « aller à la
Tour Eiffel »…).

nous tout l’Occident s’ébranle et que vacillent les droits de la langue paternelle, celle qui nous
vient de nos pères et qui nous fait à notre tour, pères et propriétaires d’une culture que précisément
l’histoire transforme en “nature” ». Barthes R., L’Empire des signes, Albert Skira, 1980, p. 13.
11. L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Éditions de Minuit, 1969.
12. Idem, p. 165.
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1. 2. 2. Immédiateté du plaisir esthétique
Dans un registre radicalement différent, certains manuels affirment l’im-
médiateté de la rencontre avec l’œuvre, du plaisir esthétique :
– Fréquence Jeunes 3 13 illustre par un dialogue le décalage existant entre
le discours conventionnel des adultes (qui représentent l’institution) et celui
des adolescents :
Leçon 29 : L’art est difficile.
– Moi, je suis en train de faire un devoir de Français, je te dis pas la galère.
– C’est quoi le sujet ?
– Racontez la visite d’un musée. Qu’est-ce que vous avez appris ? Quel plaisir avez-
vous ressenti ?
– Alouette 2 14, manuel destiné à un public de jeunes adolescents, propose
un tableau de maître en introduction de chaque dossier (« fixées par un
maître de la peinture les scènes de la vie, fût-elle la plus quotidienne, se
voient conférer une autre dimension et méritent qu’on les regarde avec inté-
rêt » 15).
Pour le dossier « L’invitation au voyage » illustré par une reproduction
d’un tableau de Chardin le professeur peut, est-il précisé, souligner « éven-
tuellement les contrastes entre les contraintes du voyage (valises, vête-
ments) et le plaisir de la découverte, les visites aux musées et la révélation
des tableaux de grands peintres » 16.
Cette vision des choses contribue à entériner l’idée selon laquelle la ren-
contre avec une œuvre ne se prépare pas, ne demande aucun effort, aucun
travail. Alouette 2 propose une vision égalitaire et idéalisée de l’accès aux
œuvres mais ce faisant ne fait que reprendre un point de vue longtemps
transmis par l’École, à savoir que dans « l’immense majorité des écoles
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françaises, le « frisson esthétique » est posé comme radicalement opposé à © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
toute explication » 17.
Dans de nombreux cas, on utilise l’art pour entraîner les élèves dans une
dimension autre (plonger dans un monde de couleurs, se détendre, inviter à
la rêverie, oublier un moment la classe…). On sort du cadre, hors de l’école
et des activités pédagogiques, pour entrer dans le monde personnel, intérieur
de l’apprenant, dans un espace de liberté totale où l’intellect n’a plus prise.
1. 2. 3. Opposition « raison »/ « sensibilité »
Dans un registre tout autre, lorsque les méthodes proposent un véritable
travail sur les œuvres, elles privilégient alors l’analyse intellectuelle au détri-
ment d’une approche sensible. À 5 reprises seulement (sur 94 recensées), on

13. Fréquence Jeunes 3, 1994.


14. Alouette 2, 1980.
15. Idem, p. 4.
16. Ibid., p. 20 du Livre du professeur.
17. Porcher L., L’Éducation artistique, luxe ou nécessité, Armand Colin, 1973, p. 14.
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entre dans les œuvres en sollicitant la sensibilité des apprenants. Pour tous
les autres « exercices » proposés, les consignes reflètent bien l’orientation
générale : « Analysez ces œuvres » (Nouveau Sans Frontières 3), « Analysez
la composition » (NSF4), « Observez et répondez aux questions » (Clé des
champs 2)…
L’École, comme l’explique L. Porcher 18, depuis la IIIe République, a
cherché à doter chaque enfant d’instruments tels que la lecture, l’écriture, le
calcul qui leur serviraient à travailler et à vivre sans se préoccuper de leur
fournir des produits culturels de luxe. Ainsi, à l’art, qui privilégie des
concepts flous comme l’inspiration, la sensibilité immédiate et spontanée, le
don, s’oppose une pédagogie de la rationalité, de l’apprentissage et du tra-
vail.
Je pense qu’il est dommageable d’opposer la raison à la sensibilité et par-
tage le point de vue de L. Porcher selon lequel il faut sortir de la querelle
qui présente la raison comme desséchante, refroidissante, tueuse de sensibi-
lité et d’émotion. Pourquoi opposer la raison à la sensibilité, la réflexion à
l’émotion ? S’approprier l’œuvre, la déchiffrer demande un apprentissage.
Pour que l’apprenant reçoive le « message » de l’œuvre d’art encore faut-il
lui en donner les moyens et lui permettre de développer sa sensibilité.

2. PERSPECTIVES : REMÉDIATIONS

2. 1. Deux axes de recherche


Dans une perspective qui n’est ni langagière ni purement artistique, je
fais l’hypothèse qu’il peut exister une autre voie dont l’objectif serait d’éta-
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blir la pertinence d’une approche culturelle et sensible de l’œuvre ; une voie
à même de pallier aux inconvénients soulevés par l’utilisation des œuvres
picturales en classe de FLE et de prendre en compte la dimension culturelle
du public récepteur.
Le tableau est aussi une porte d’entrée dans la culture de l’autre « une clé
pour mieux comprendre les autres et être compris d’eux » 19, il s’agit d’un
véritable outil interculturel permettant un va-et-vient de la culture-cible à la
culture-source.
Les œuvres picturales nous fournissent un ensemble de signes culturels
par le biais de l’utilisation de codes qu’il s’agit de décrypter, qu’ils soient
socioculturels (les vêtements, les insignes, les coiffures, les objets… nous
renseignent sur l’identité des personnages ; les mimiques, les regards, les
gestes… informent sur les relations inter-individuelles…) ou chromatiques
avec l’utilisation des couleurs, morphologiques par le langage des formes,
rhétoriques par la façon dont les images transmettent leur message ou

18. « Aristocrates et roturiers », L’Éducation artistique, luxe ou nécessité, op. cit.


19. R. Galisson, De la langue à la culture par les mots, op. cit., 1991, p. 114.
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techniques. Ces codes constituent autant d’outils pour les enseignants en
Français langue étrangère.
Après avoir posé que l’œuvre, dans sa construction comme dans son
décodage, est le fruit d’une culture et que l’inter-iconicité fonde l’existence
de bien des images mass-médiatiques ou artistiques, il m’a fallu dégager des
concepts puis faire des propositions d’action pour déterminer comment uti-
liser les tableaux pour appréhender une culture autre. Les idées de Robert
Galisson sur la culture partagée ayant fait souche, j’ai privilégié une
approche permettant de comprendre de l’extérieur, avec des yeux étrangers,
le fonctionnement de « l’individu collectif » 20 français à travers ses produc-
tions visuelles. Deux axes de recherche ont été dégagés et une démarche
proposée.
2. 1. 1. La peinture comme univers de référence
Les images mass-médiatiques les plus courantes, publicités, dessins de
presse, photographies, images filmiques… citent bien souvent les tableaux
anciens ou contemporains ou s’inspirent du style des peintres.
Pour exemple, elles peuvent explicitement renvoyer :
a. au style d’une époque (classicisme, romantisme…) [une tentative publi-
citaire qui ne fut pas payante : devant les critiques, Nike a dû, lors du
mondial, retirer un portrait d’Éric Cantona, traité façon néo-classique
mussolinienne],
b. au style d’un peintre [se référer à l’utilisation massive faite par la publi-
cité du style magrittien],
c. au peintre lui-même,
d. à une œuvre particulière citée dans son intégralité [lorsque Chanel cite la
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Joconde] ou faisant l’objet de nombreux détournements [« Le détourne- © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
ment « à la manière de », « Le détournement « fragment d’œuvre », « Le
détournement « évocation culturelle » » 21.]
Ainsi, les concepteurs d’images sollicitent la mémoire collective en pui-
sant dans les vastes réserves du patrimoine visuel (il arrive qu’à lui seul un
tableau concentre la représentation que nous avons du monde !). Ce faisant,
ils nous font passer un message. Découvrir les liens qui unissent les images
des sociétés aux œuvres aide à mieux comprendre le pays dans lequel ces
images sont produites (son histoire, ses codes, la mentalité de ses habitants,
le symbolisme des formes et des couleurs…).
Un travail sur les « palimpsestes iconiques » 22 qui « déclinent à l’infini
des scènes assimilées par la culture (nature morte, portrait, paysage…) » 23

20. Idem, p. 125.


21. Fava V., « “À la manière de” : l’œuvre d’art dans l’affiche commerciale », Communication
et langages, 1er trimestre 1993, n° 95.
22. En référence aux « palimpsestes verbaux ». R. Galisson. « Les palimpsestes verbaux : des
révélateurs culturels remarquables, mais peu remarqués… », Les cahiers de l’ASDIFLE, n° 6.
23. J.C. Fozza, A.M. Garat, F. Parfait. Petite fabrique de l’image, Magnard, 1988, p. 115.
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permet d’accéder à ce fond de culture commune. Ils renseignent à la fois sur
les œuvres picturales originales et les valeurs dont elles sont porteuses mais
aussi, à travers l’étude des détournements dont ils font l’objet, ils nous
livrent un message contemporain.
Deux fiches pédagogiques à faire compléter ont été élaborées à l’inten-
tion des apprenants. Elles permettent une meilleure compréhension des
signes culturels :
La première fiche concerne les recherches sur le palimpseste [reproduc-
tion – présentation de l’auteur (dans le cas d’une publicité présentation de
l’annonceur) – support – cible ou public visé – produit (pour un palimpseste
publicitaire) – date de parution – type de détournement – écarts observés
par rapport à l’œuvre citée (ici l’apprenant notera les opérations effectuées
sur les codes comme par exemple lorsque l’on modifie un geste ou lorsque
l’on change une couleur) – effet produit/effet de sens (quel est le message
véhiculé par le palimpseste ?)].
La seconde fiche concerne l’œuvre originale [reproduction – nom de l’ar-
tiste – titre de l’œuvre – date de l’œuvre – technique : huile, aquarelle… –
dimension du tableau – hauteur x largeur – lieu de conservation – collection
publique ou privée – contexte de parution – présentation du peintre – infor-
mations sur le tableau (codes socioculturels – rhétoriques – chromatiques –
morphologiques – techniques). Les informations et illustrations seront à
rechercher dans des ouvrages sur la peinture ou des articles spécialisés ou
encore auprès d’informateurs. On retiendra surtout les informations qui
pourront permettre une compréhension du palimpseste.]
Ces fiches sont bien-sûr à adapter en fonction de la citation (cite-t-on le
style d’un peintre, d’une époque, le peintre lui-même ou un de ses
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tableau ?). On peut aussi choisir d’étudier d’autres « univers de référence » © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
comme la photographie, la bande-dessinée, la sculpture…
Ce travail, tout en donnant accès à la culture cultivée (les œuvres citées),
privilégie la culture quotidienne. Accéder aux œuvres par les palimpsestes
iconiques évite de se heurter aux représentations stéréotypées, paralysantes
et par trop prégnantes concernant la peinture (un univers jugé « élitiste » et
« inaccessible » pour qui n’a pas bénéficié d’une solide formation artis-
tique). La comparaison « œuvre originale »/« palimpseste » permet en outre
aux apprenants de mesurer à quel point l’image est construite puisque les
modifications apportées aux signes iconiques (composition, couleurs,
gestes, textes…) orientent le sens du message. Le caractère intentionnel du
palimpseste permet de « désamorcer l’inévitable conflit qui surgira dans la
classe quant à la subjectivité des interprétations face à l’image » 24.

24. Lambert F., « Images Langues Étrangères », Le Français Dans Le Monde, numéro spécial,
juillet 1994, p. 37.
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2. 1. 2. L’imaginaire collectif et l’art
Reprenant le célèbre aphorisme d’Oscar Wilde : « La vie imite l’art bien
plus que l’art n’imite la vie », Alain Roger explique que notre regard est
riche de multiples références et que, même lorsque nous le pensons pauvre
ou que nous n’en savons rien, « il est saturé de modèles, latents, invétérés,
et donc insoupçonnés, etc., qui œuvrent en silence pour, à chaque instant,
modeler notre expérience, perceptive ou non. Nous sommes, à notre insu,
une intense forgerie artistique et nous serions stupéfaits si l’on nous révélait
tout ce qui, en nous, provient de l’art. » 25
Chaque société façonne ses propres représentations de l’homme, de la
femme, de la nature, des divinités, des villes, des personnages… Les
peintres, par leur art, donnent leur point de vue sur ces thèmes
Ainsi entre la fin du siècle dernier et le début du siècle, l’Allemagne est devenue une
grande puissance industrielle ; il en résulta une énorme croissance des villes, villes qui
pour les uns menaçaient de détruire l’homme (Heym, Kirchner) et pour les autres
offraient un spectacle « ravissant » toujours renouvelé (Macke). 26
Dans le domaine du FLE, cette entrée n’est pratiquement jamais évoquée.
Pour accéder à l’imaginaire collectif partagé par le biais des représentations
picturales, je propose, pour ma part, de créer, à chaque fois qu’il sera possible,
un « musée-imaginaire » de références iconiques, une iconothèque d’images
issues de la peinture mais appartenant à la culture visuelle la plus largement
partagée : les images que les sociétés retiennent et diffusent (à travers les
manuels scolaires par exemple), nous fournissent de précieuses informations
sur les valeurs qu’elles veulent transmettre. Ce catalogue traitera de thèmes
« universels-singuliers », c’est-à-dire présent dans chaque société mais que
chacune représente à sa manière et fera place, à chaque fois que la comparai-
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son sera possible, aux images issues d’autres cultures. En effet, il est très rare
que les images ou les œuvres picturales issues de cultures autres apparaissent
dans les pages des manuels. Il semble pourtant qu’une incursion dans d’autres
systèmes de représentations s’avèrerait nécessaire pour parvenir à cette
décentration tant prônée dans le domaine interculturel !
« Ce musée imaginaire » permettra ainsi d’élargir le stock de références
visuelles des apprenants et des enseignants et de mieux comprendre les
symboles, les mythes, les valeurs des sociétés en présence. En cela, il exer-
cera à la relativité ! En effet, tout comme les individus, les sociétés sont
victimes de refoulement ou de prise de conscience et c’est pourquoi une
étude des représentations autres que ce soit dans le temps (à travers
l’Histoire) ou dans l’espace (à travers les cultures) permet, en miroir, de
mieux se comprendre soi-même.
Comme dans chaque image produite par notre culture, on peut lire « en
“transparence” une autre image et une autre formule cachées sous l’annonce

25. Roger A., Court traité du paysage, Gallimard, 1997, p. 13.


26. Y. Chevillard. « Commenter un tableau en cours d’allemand », Les Langues Modernes, n° 4,
1990, p. 69.
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“de surface” » 27, ce musée imaginaire aidera au décodage des images
« grand public » produites par notre société en révélant utilement le soubas-
sement rhétorique des messages qui jouit d’une grande stabilité. Il permettra
de mettre au jour les grandes images emblématiques de notre civilisation et
dévoilera ses valeurs profondes.
Cette incursion dans d’autres systèmes de représentation s’avère néces-
saire pour conduire à cette décentration tant prônée dans le domaine inter-
culturel.

2. 2. Une démarche pour aborder les « I.L.E.S »


Découvrir une culture étrangère,
a. c’est aborder un monde sensoriel qui nous parle, avant même les mots, de
cette culture autre,
b. c’est être immergé dans un autre univers de formes, de couleurs qui par-
leront en premier lieu à notre corps.
Le monde de l’œuvre est une unité […] mais, au sein de cette totalité, il est possible
d’opérer des distinctions « le sensible, le monde représenté, le monde exprimé » qui
s’adressent à trois instances du sujet : au corps par le langage des formes qui font
naître des sensations, à l’intelligence en appelant des références qui construisent des
significations, au sentiment enfin en provoquant des engagements du spectateur. 28
A. Richard 29 explique que, face à une œuvre, l’univers ressenti, vécu
(« Que ressentez-vous ? Quel est votre état affectif ? ») sera ensuite décrit
(« Relevez les éléments représentés. ») pour ensuite être interprété (« Faites
des hypothèses interprétatives à partir d’indices », « Quelles questions pou-
vez-vous poser pour vérifier vos hypothèses ? »).
Dans une situation multiculturelle, cette démarche permet à chacun de
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découvrir les différences culturelles qui s’exprimeront quelquefois au niveau
des sensations provoquées par les formes mais aussi, d’une façon très mar-
quées, au niveau des interprétations. Elle permet aussi, dans un second temps,
de mesurer le lien qui s’établit entre la structure de l’œuvre et le message.

3. EXPÉRIMENTATION DE LA PROPOSITION : MISE EN PLACE


D’UN ATELIER « PEINTURES – IMAGES ET CULTURES »
Lors de mes recherches, j’ai pu, après ces réflexions théoriques, expéri-
menter des pratiques de classe (retour au « terrain » !).

27. P. Fresnault Deruelle, L’image manipulée, Edilig, 1983, p. 33.


28. A. Richard. Itinéraires pour une appropriation des œuvres picturales. Finalités et conditions
d’une initiation à l’art chez des élèves de lycée. Propositions de méthode. Thèse de Doctorat de
3e cycle, Paris VIII, p. 162-163.
29. A. Richard, Thèse de Doctorat, op. cit.
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503
3. 1. Titre et descriptif
3. 1. 1. Titre
Pourquoi l’atelier a-t-il été ainsi intitulé ?
a. Peintures : parce que l’objectif central était une entrée dans la culture par
le biais des tableaux et ceci dans une perspective interculturelle. Des
peintures de toutes les époques et de toutes les cultures ont été produites.
b. Images : parce que les œuvres picturales étaient toujours reliées aux
images de notre quotidien. Ces images se servent de l’art comme univers
de référence que ce soit de façon consciente ou inconsciente.
c. Cultures : parce que c’est précisément l’accès aux cultures partagées qui
est privilégié dans cette approche (cependant les recherches sur les
œuvres permettent aussi d’accéder à une culture plus savante).
3. 1. 2. Descriptif
Cet atelier était ouvert aux étudiants étrangers du Centre International
d’Études françaises à Angers ainsi qu’aux Français (principalement des
enseignants en Français Langue Étrangère).
Le document d’information reproduit en Annexe a été distribué à tous les
étudiants intéressés par l’intermédiaire de leur professeur de langue.
Cet atelier était purement facultatif et d’autres cours proposés au CIDEF
pouvaient être en « concurrence » avec l’atelier, néanmoins le créneau
horaire choisi était le plus « calme » de la journée.

3. 2. Description du public et du contexte


Reprenant la terminologie de R. Galisson 30, je définirai le public ayant
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assisté à cet atelier de la façon suivante : le groupe était constitué d’adultes © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
d’un niveau d’étude supérieur au baccalauréat ou équivalent dans leur pays.
C’était un public non-captif (choix de l’atelier libre/pas d’évaluation) dans
un milieu endolingue avec une enseignante native. Le groupe, à la motiva-
tion forte et intrinsèque, était culturellement hétérogène. Le niveau de
langue des participants n’était pas totalement homogène mais tous avaient
une compréhension et une expression moyenne. Le fait qu’ils soient en fin
de semestre de cours intensifs a facilité les échanges. Le nombre de partici-
pants, variant de 8 à 11 suivant les séances, a permis à chacun de s’exprimer
individuellement. Les étudiants s’inscrivaient à la séance en fonction de
leur emploi du temps.

30. Galisson R., « Le Français Langue Étrangère montera-t-il dans le train en marche de la
“didactique” scolaire », ÉLA, n° 111, juillet-sept. 1998.
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504
3. 3. Présentation des séances
Séance 1
A. Sélection des documents en fonction des objectifs
Pour la première séance de cet atelier une vingtaine de tableaux associés à
des palimpsestes ont été sélectionnés. Ils ont été collectés sur deux ans dans
la presse ou des ouvrages et magazines spécialisés dans la présentation des
campagnes publicitaires… Ces palimpsestes datent des années 1990, la
majorité étant parus en 1998-1999, ils reflètent donc les valeurs de ces
années-là et la culture la plus largement partagée de la société à cette époque.
B. Les consignes. Déroulement de la séance. Observations
Pour cette séance, j’ai tout d’abord exposé les reproductions de tous les
palimpsestes collectés ainsi que celles des œuvres originales (une seule
œuvre pouvant être citée par plusieurs palimpsestes). J’ai ensuite demandé
aux participants de retrouver les liens existants entre les œuvres et les
images-citations, de reconstituer les familles en partant du visuel (les
formes). Cette activité avait pour but de sensibiliser les apprenants au lan-
gage si particulier des images et de découvrir les liens qui unissent les
images médiatiques aux œuvres. Ensuite s’effectuait une mise en commun
où chacun expliquait les raisons de ses choix. À ce moment-là, un lexique
de base pouvait être fourni. Par la suite, les membres du groupe étaient invi-
tés à sélectionner un palimpseste avec les consignes suivantes :
1. Travail individuel
* Observez l’œuvre originale puis notez ce que vous avez ressenti.
* Le tableau original a-t-il un sens pour vous ? Expliquez les raisons de
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vos réponses (qu’elles soient positives ou négatives).
* Après observation du palimpseste, comprenez-vous pourquoi ce
tableau a été utilisé (ou le style de ce peintre cité…). Quel effet cette cita-
tion produit-elle ?
* Lorsque c’est le cas, repérez les modifications ayant été effectuées du
tableau au palimpseste (couleurs, gestes, ajouts ou suppression d’ob-
jets…) et faites des hypothèses quant à la signification de ces modifica-
tions.
* Posez toutes les questions que vous jugerez utiles pour confirmer ou
infirmer les hypothèses.
2. Mise en commun/Travail collectif
Après cette étape individuelle, une mise en commun avait lieu : chaque
personne présentait le fruit de ses réflexions. Les autres pouvaient intervenir
à partir de ce que la personne avait exprimé et éventuellement répondre aux
questions de la personne qui intervenait (l’enseignant y répondait en dernier
recours).
Dans ce groupe où étudiants étrangers et enseignants français se
côtoyaient, la discussion a souvent permis de faire découvrir aux uns et aux
autres l’aspect très culturel de la lecture de l’image en révélant :
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505
* la gestuelle d’une culture, comme pour cette étudiante vietnamienne
qui voyait dans les deux personnages en prière de l’Angélus de Millet
deux jeunes amoureux à leur premier rendez-vous baissant la tête en
signe de timidité ou encore lorsqu’une étudiante mexicaine interprétait le
geste de Chateaubriand, une main posée sur la poitrine [Portrait de
Chateaubriand par Girodet-Trioson] comme étant un geste patriotique :
« Au Mexique, on salue le drapeau avec le tranchant de la main sur la
poitrine. »
* la Charge Culturelle Partagée attachée aux portraits : ainsi la reproduc-
tion et la reconnaissance du visage de Freud se font dans les cultures où
la psychanalyse a joué un rôle prépondérant. Une participante asiatique
n’identifiait pas la personne représentée sur le « palimpseste » d’un
tableau d’Ingres (où le visage de Freud se substitue à celui d’Œdipe)
alors qu’elle connaissait un peu la légende d’Œdipe.
* les connotations liées à certains objets : la pomme, au Vietnam, est un
produit exotique alors que la banane est le produit du pauvre ;
* une façon d’aborder l’art : alors que les Français ont vu dans les por-
traits d’Arcimboldo une fantaisie amusante les étudiants asiatiques ont
immédiatement évoqué la paix en réponse à la question : « Qu’avez-vous
ressenti en observant l’œuvre originale ? » : « C’est un portrait très diffé-
rent des autres, pas de peau, de lignes… des fruits. Il évoque quelque
chose de très calme, c’est un tableau de la paix » (une étudiante taïwa-
naise). En Chine, le paysage transmet l’état intérieur du peintre. En
observant une peinture, on peut donc découvrir les sentiments de l’artiste.
À la lumière de cette remarque, on peut comprendre la réflexion de cette
apprenante.
3. Corrigé
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Les fiches pédagogiques de présentation des palimpsestes [voir partie II]
ont ensuite été distribuées. Dans une autre situation d’enseignement-
apprentissage les apprenants auraient pu compléter eux-mêmes ces fiches
après un travail de recherche préalable.
Séance 2
La seconde séance avait pour objectif de sensibiliser les apprenants à la
manière dont les sociétés façonnent leurs propres représentations en rete-
nant certaines œuvres comme emblématiques d’une époque, d’un thème,
d’un lieu…
Après concertation, il a été décidé que nous travaillerions sur les person-
nages célèbres. Parmi de nombreuses possibilités, deux documents ont été
sélectionnés à titre d’exemples, deux portraits de personnages célèbres, por-
teurs des valeurs de leur temps et que la postérité a retenu. Ils appartiennent
au stock de références iconiques de notre société et ont été peints à deux
époques marquantes de notre culture.
* Le portrait de Marat assassiné peint par David peut être qualifié d’em-
blématique pour la période de la Révolution française. On le retrouve
dans de nombreux manuels de français ou d’histoire en France mais aussi
dans d’autres pays d’Europe.
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506
* Le Portrait de Chateaubriand de Girodet-Trioson qui reflète les
valeurs du romantisme appartient lui aussi au patrimoine collectif (nom-
breuses reproductions existantes, présent dans les manuels scolaires,
repris par les publicitaires…).
La séance a été orientée vers une approche de ces deux œuvres :
* Les participants étaient invités à suivre une démarche privilégiant une
entrée par le sensible.
* Pour chacune d’elles, une mise en commun a été effectuée puis des
documents complémentaires ont été produits montrant en quoi ces pein-
tures, points de vue sur leur temps, étaient emblématiques dans notre
société.
* Des images mass-médiatiques en lien avec les documents originaux ont
également été présentées pour attester de la prégnance de ces représenta-
tions dans l’imaginaire collectif.
Séance 3
La séance 3 ne sera pas présentée ici car elle correspond à une autre piste
de recherche qui n’a pas été développée dans cet article.
Séance 4
Lors du dernier temps d’atelier, un travail personnel était demandé à par-
tir d’œuvres ou de thèmes de leur choix. En raison du caractère « supplé-
mentaire » de cet atelier (ils suivaient parallèlement une vingtaine d’heures
de cours hebdomadaire avec évaluation), du peu de temps dont les partici-
pants disposaient, le travail demandé ne devait pas exiger un investissement
considérable : ceux qui le désiraient pouvaient apporter une œuvre très
connue dans leur pays et la présenter en suivant la démarche déjà proposée.
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Ils pouvaient aussi venir avec un ou des ouvrages de peintures issues de leur
culture.
La séance a été consacrée à la peinture mexicaine. Une des étudiantes taï-
wanaises a voulu mettre le Mexique à l’honneur, c’est pourquoi elle a choisi
de travailler à partir d’une œuvre de Frida Kalho, célèbre femme-peintre
mexicaine et compagne de Diego Rivera. L’étudiante mexicaine avait,
quant à elle, apporté des ouvrages sur la peinture de son pays.
* À partir de la reproduction d’une œuvre très connue de Frida Kalho,
nous avons suivi la démarche déjà exposée. L’étudiante, passionnée par
cette femme-peintre, avait ensuite préparé une présentation très complète
du tableau et du peintre. Elle a ainsi pu répondre à nos questions de façon
détaillée.
* Nous avons ensuite feuilleté les livres de peintures mexicaines en repé-
rant les tableaux les plus connus au Mexique (d’après notre informatrice
qui n’avait pas de formation particulière en peinture), ceux-ci avaient de
grandes chances d’appartenir au stock iconique partagé des membres de
cette culture.
On peut ici dire que le travail préalable avait sensibilisé les apprenants à
une ouverture interculturelle, qu’ils avaient acquis une certaine distance
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507
puisque les commentaires reflétaient le souci de présenter d’une façon
explicite les codes et les représentations en vigueur dans leur culture. En
cela l’atelier répondait aux objectifs fixés, objectifs qui vont être présentés
dans les lignes qui suivent. J’expliquerai par la suite dans quelle mesure ils
ont été atteints, ce qui pourrait encore être amélioré et comment.
Les objectifs de l’atelier
a. Sensibiliser les apprenants au langage si particulier des images quelles
qu’elles soient en privilégiant une entrée par le sensible.
b. Les sensibiliser à la façon dont nous « lisons » ces images et à la dimen-
sion culturelle du décodage.
c. Acquérir une plus grande distance culturelle permettant un aller-retour
continu entre la culture-source et la culture-cible.
d. Découvrir les liens qui unissent les images des sociétés aux œuvres et
comprendre comment, par l’utilisation de peintures comme univers de
référence, les images du quotidien nous font passer un message.
e. Mieux comprendre la société dans laquelle ces images sont produites
(son histoire, ses codes, la mentalité de ses habitants, le symbolisme des
formes et des couleurs…).
f. Être un moment d’écoute et d’échange véritablement interculturel.
g. Parler français, acquérir du lexique (mais ceci comme un moyen d’accé-
der à l’image et non comme une fin).
h. Motiver :
* par l’emploi de thèmes « universels-singuliers » (universalité des
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thèmes et réalisations particulières) et aiguillonner la curiosité des appre- © Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)
nants en les amenant à s’interroger sur leur culture et celle des autres ;
* par le recours à la force émotionnelle et la richesse des symboles ;
* en sollicitant à la fois l’inconscient personnel et l’inconscient collectif ;
* en permettant de parler de soi tout en préservant la pudeur (les œuvres
ou les thèmes choisis par les participants leur permettent de se dévoiler
tout en restant à distance) ;
* par l’accès direct au support (à l’univers du visuel) sans la barrière de la
langue (« une image vaut 10 000 mots »), on entre donc dans l’univers
visuel étranger de façon immédiate et sensible et ensuite viennent la
rationalisation, l’envie d’en connaître plus, la recherche plus intellec-
tuelle aussi ;
* en proposant des activités ludiques à partir de supports visuels (comme
par exemple de retrouver les couples palimpsestes-oeuvres originales en
observant les formes, les couleurs…) et par le plaisir pris à observer les
œuvres ;
* en favorisant l’expression de chacun et la recherche personnelle.
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2. Conclusions de l’atelier
La mise en place et l’animation d’un atelier d’expérimentation de ces
propositions ainsi que des expériences annexes m’ont amenée à formuler
quelques conclusions. Ces réflexions sont à replacer dans le contexte d’en-
seignement particulier qui était le mien. Il s’en dégage que :
a. plus l’œuvre est connue et plus les participants sont censés avoir de réfé-
rences la concernant, moins ils se font confiance pour laisser les sensa-
tions guider leurs interprétations. Dans un système scolaire où l’on fait le
plus souvent appel à l’intelligence, le travail sur un tableau immensément
célèbre peut aboutir à des « blocages ».
Ainsi, à propos du tableau Marat assassiné, une étudiante américaine qui
avait déjà suivi des cours d’Histoire de l’Art aux États-Unis déclare : « Je
n’ai pas de sentiments de ce tableau, je crois qu’il y a une histoire intéres-
sante derrière mais j’ai oublié, je l’ai entendue. » Des commentaires d’en-
seignants en FLE vont aussi dans ce sens :
* « Quand le guide explique, je trouve ça merveilleux mais j’ai du mal à
le voir moi-même »,
* « Ce tableau mélange deux difficultés : l’Histoire et la Peinture, ça
« écrase un peu » »
Pour éviter, dans la mesure du possible, cet aspect paralysant d’une
œuvre trop référencée, il me semble opportun de demander aux participants
étrangers de choisir de travailler sur les œuvres qu’ils connaissent le moins
et aux Français de travailler à partir d’œuvres étrangères [celles de la (ou
des) culture(s) en présence dans la classe]. De cette façon, le premier objec-
tif sera plus facilement atteint puisque les personnes ne seront plus culpabi-
lisées par les connaissances manquantes. Ils pourront donc plus aisément
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mettre en avant une autre instance que l’intelligence pour entrer dans
l’œuvre et laisser parler leur sensibilité.
b. La comparaison d’œuvres représentant un même thème dans différentes
cultures induit de véritables discussions interculturelles et motive forte-
ment les participants,
*« C’est très intéressant, on apprend beaucoup de choses sur la culture
[…] je suis très contente d’apprendre des choses sur la culture. Moi aussi,
je m’intéresse à la culture quotidienne et puis je suis très intéressée par le
troisième jour (*troisième séance : comparer les peintures de deux aires
culturelles). J’aime la discussion, comment pensent les autres mais on n’a
pas beaucoup de temps pendant deux heures. » (une étudiante de Taïwan)
*« On peut découvrir que les choses, ça dépend des époques et des cul-
tures […] on peut parler. » (une étudiante japonaise)
*« C’est intéressant de savoir l’opinion des autres parce que parfois on ne
pense pas à certaines solutions. » (une étudiante thaïlandaise)
*« Les échanges avec les étudiants étrangers sont intéressants » (une
enseignante française).
c. Plus encore que la comparaison suivant les époques, c’est la comparaison
suivant les cultures (et plus particulièrement les cultures en présence dans
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la classe) qui remporte le plus vif succès. Aussi, il semble que les images
de la réalité étrangère devraient avoir davantage droit de cité dans les
manuels ou dans les salles de classe. Il est en effet très rare que les
images ou les œuvres picturales issues de cultures autres apparaissent
dans les pages des ouvrages de FLE. Une incursion dans leur propre sys-
tème de représentation semble pourtant être fortement motivant pour les
étudiants.
d. S’intéresser à la culture de l’autre le pousse, en retour, vers une attitude
d’ouverture et de curiosité envers la nôtre.
e. Le côté ludique de l’atelier a souvent été souligné.
f. Certains palimpsestes iconiques offrent plus d’intérêt que les autres :
ceux qui font référence à l’univers du pictural uniquement pour le pres-
tige offrent un champ de prospection moins riche que ceux qui ont
construit un discours rhétorique plus complexe.
g. En ce qui concerne la rhétorique des messages visuels, j’ai constaté à
maintes reprises que les participants sont, pour la plupart, familiers avec
le langage de l’image et interprètent volontiers les signes picturaux si
l’on oriente les questions dans ce sens. Il me semble que ce phénomène
tient au fait que nos apprenants vivent dans un monde d’images et sont
familiarisés avec une rhétorique qui se complexifie de façon croissante à
partir du début du siècle. Même si, comme on le constate trop souvent,
l’enseignement des langues-cultures privilégie une pédagogie par l’image
plutôt qu’une pédagogie de l’image, je suis convaincue, par ma pratique
quotidienne, que les étudiants sont en parfaite harmonie avec le monde
riche en messages visuels dans lequel nous vivons.
© Klincksieck | Téléchargé le 23/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 188.24.238.144)

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h. L’enseignant peut rencontrer des résistances. Leur compréhension et ana-
lyse me semble capitale. Elles trouvent leur origine dans les représenta-
tions concernant l’enseignement et la façon d’aborder ce qui a trait au
domaine artistique.
i. Un atelier à adapter à la situation d’enseignement :
Il est évident que, pour mener à bien cet atelier, j’ai dû m’adapter à une
situation d’enseignement particulière (niveau des étudiants – public hétéro-
gène – temps imparti – possibilité de travail personnel réduite en fonction
de facteurs extérieurs). Le travail demandé aurait pu être différent et plus
approfondi dans une autre situation de classe.
Les thèmes choisis, le travail demandé sont à modeler en fonction des
conditions d’enseignement. Si les enseignants sont formés, ils pourront
acquérir une certaine souplesse dans les conditions d’application des outils
proposés précédemment.
De plus, pour qu’un travail interculturel puisse être effectué, il faudrait
que les centres de langue disposent d’une petite iconothèque de peintures
étrangères, d’images étrangères. Un travail d’échanges entre enseignants
passionnés d’images et appartenant à des cultures différentes serait fort utile
dans cette perspective.
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POUR CONCLURE

J’insisterai sur le plaisir qu’il y a à travailler à partir d’œuvres picturales


librement choisies. Dans la mesure où elles sollicitent l’inconscient person-
nel, elles s’inscrivent en nous de façon durable et sont un moteur qui crée la
motivation : les raisons qui nous poussent à travailler sur une œuvre ou un
palimpseste ne sont presque jamais conscientes mais certaines images nous
fascinent alors que d’autres nous laissent indifférents. C’est la raison pour
laquelle, même si les outils proposés forment un cadre bien défini, les étu-
diants pourront effectuer une sélection dans le stock d’images ou de thèmes
proposés, le choix étant un facteur essentiel.

Anne PAUZET

ANNEXE
ATELIER PEINTURES, IMAGES ET CULTURES

Vous vous intéressez aux images et à la peinture.


Vous souhaitez découvrir comment les tableaux, les publicités, les photographies, les des-
sins de presse… nous permettent de mieux comprendre une culture.

Cet atelier vous est ouvert !

Quatre séances sont proposées (salle 515) :


– Vendredi 23 avril de 12 h 15 à 14 h 25
– Vendredi 30 avril de 12 h 15 à 14 h 25
– Vendredi 7 mai de 12 h 15 à 14 h 25
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– Vendredi 21 mai de 12 h 15 à 14 h 25

1re séance :
Les images des magazines (publicités, illustrations d’articles…), les affiches placardées
sur les murs, les dessins de presse, les photographies… citent bien souvent les tableaux
anciens ou contemporains ou s’inspirent du style des peintres. En cela, ils nous font passer un
message. Découvrir les liens qui unissent les images de notre société aux œuvres picturales
nous aide à mieux comprendre la société dans laquelle ces images sont produites (son histoire,
ses codes, la mentalité de ses habitants, le symbolisme des formes et des couleurs…).
2e séance :
Chaque société façonne ses propres représentations de l’homme, de la femme, de la
nature, de la ville, des personnages célèbres…
Les peintres, par leur art, nous donnent leur point de vue sur ces thèmes.
Lors de cette séance, vous explorerez l’un de ces thèmes à travers la « lecture » de plu-
sieurs œuvres.
3e séance :
Découvrir un pays étranger, c’est être confronté à une langue différente mais aussi à des
images, des formes, des couleurs qui nous parlent tout autant que les mots de cette culture
autre. Au cours de cette séance, nous chercherons, par la comparaison des peintures de deux
aires culturelles, à établir comment, en partant du visible, on peut remonter aux valeurs, aux
représentations de ces cultures.
4e séance :
Un travail personnel vous sera demandé à partir d’œuvres et de thèmes de votre choix.

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