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II.

Le patrimoine, une préservation entre tensions et concurrence :


1) Paris entre protection et nouvel urbanisme :
a- Un riche patrimoine à protéger :
Le patrimoine de Paris est un patrimoine extrêmement important. Par l'ancienneté de sa fondation et sa
place de capitale, Paris concentre un patrimoine exceptionnel. On trouve à Paris 1803 monuments, 173
musées et 171 églises. Le monument le plus visité était Notre Dame (12 millions de visiteurs), puis le Sacré
Coeur, le Louvre (9,6 millions), la Tour Eiffel, le centre Pompidou, le Musée d'Orsay, Cité des Sciences de
la Vilette, Arc de Triomphe, Musée de Quai Branly, la Sainte Chapelle, le Musée Grévin....Paris a eu aussi
la chance de pouvoir conserver ce patrimoine car elle n'a pas subi de destructions majeures (pas
d'incendies graves, pas de guerres, les seules destructions datant de la Commune et de la Révolution).
L'histoire de Paris est extrêmement ancienne, elle remonterait au Vème millénaire avant notre ère.
Favorisée par la présence d’un fleuve, la Seine et d’îles qui permettent de facilement le franchir, une
occupation humaine continue s’observe à partir du IIIème siècle avant JC, quand un peuple gaulois les
Parisii fonde l'oppidum de Lutèce (oppidum : lieu fortifié, petites agglomérations défensives chez les
Gaulois). Après la conquête de la Gaulle par César, le lieu est investi par les envahisseurs et les Romains
construisent alors une cité suivant le plan géométrique des villes romaines. Ils s'installent surtout sur l'île
de la Cité, ils y construisent un forum, des thermes, des arènes dont les vestiges sont encore visibles
(musée de Cluny vers la Sorbonne).
C'est à l'époque médiévale que la ville va prendre véritablement sa place de capitale. Vers 465, les Francs
pénètrent en Gaule et chassent les Romains de Lutèce. Clovis en fait alors la capitale du royaume des
Francs vers 508. Il faudra attendre les premiers Capétiens pour que la ville s’affirme vraiment comme le
lieu du pouvoir monarchique, notamment à partir de Louis VI (1108-1137) et de Philippe Auguste (1180-
1223). La présence du roi et de son administration bouleverse le paysage urbain. Sur l'île de la Cité, les
rois font élever un Palais qui devient aussi un lieu de justice et le centre du Trésor Royal. La Cité est ainsi
le siège administratif, judiciaire et financier de la monarchie française. La ville connaît alors une
importante croissance démographique et elle devient dès le XIIIème siècle la plus grande cité d'Europe
avec 200 000 hbs. Les murailles successives de la ville accompagnent ces agrandissements, notamment
celle de Philippe Auguste qui inclut la forteresse du Louvre. Le Louvre deviendra d'ailleurs demeure
royale à partir de Charles V(1364-80). De nombreux monuments de cette période subsistent,
essentiellement des édifices religieux comme la cathédrale Notre-Dame ou la Sainte Chapelle.
A l'époque moderne, la ville continue sa croissance démographique et spatiale et sa transformation. De
nouveaux bâtiments sont construits comme les Tuileries ou les Invalides, de nouveaux quartiers comme
le Marais et de grandes places royales : la place Louis le Grand (place Vendôme) et la place Louis XV
(place de la Concorde). La ville devient alors vraiment la capitale des Lettres et du bon goût. Dès Louis
XIV, et malgré l’installation du roi à Versailles, elle est présentée comme la capitale du monde, celle qui
donne le bon ton et arbitre les élégances. La ville rayonne culturellement et intellectuellement sur toute
l'Europe.
Avec la Révolution, la ville redevient le centre politique de la France. Elle compte alors 600 000 hbs. Les
événements parisiens comme la prise de la Bastille donnent à Paris un poids sans précédent dans
l'histoire nationale. La ville devient le théâtre de nombreuses révolutions tout au long du 19ème siècle
(révolution de 1830, 1848, Commune de Paris en 1871). Elle symbolise la Liberté et les droits de l'homme.
C'est surtout au XIXème siècle et au début du XXème siècle que la ville va atteindre son apogée. Sous le II
Empire, Paris va être profondément transformé. Napoléon III qui veut faire de Paris une ville moderne
confie au Baron Haussmann le soin de redessiner la ville par de grands travaux. Le paysage urbain va être
entièrement transformé et fixer durablement la physionomie de la capitale. Ces travaux, s'ils ont pu être
traumatisants et destructeurs, vont contribuer au succès de la ville.
Haussmann axe sa transformation en 3 points :
- créer des perspectives et des points de vue par la création de nouvelles artères qui dégagent la
vue de bâtiments (ex : le boulevard Saint Germain dégage les thermes de Cluny)
- améliorer la circulation par des voies larges avec trottoir bordées d'arbres
- améliorer la qualité de vie et de l'hygiène : création de parcs, de jardins, du bois de Boulogne et
de Vincennes, création des grands cimetières, exil des boucheries (création des abattoirs de la Villette),
modernisation du réseau d'égouts, amélioration de l'adduction d'eau. Construction des fameux
immeubles de style Haussmann modernes. (1852-70 : construction de plus de 100 000 immeubles à
Paris !). Développement de l'éclairage au gaz. Enfin, la superficie de la ville même est doublée par
l'annexion des communes de la petite banlieue et la création en 1860 des 20 arrondissements toujours en
usage.
Le renouvellement de l’urbanisme par Haussmann va faire de Paris la ville-lumière. Jusqu'au année 30,
Paris va atteindre un rayonnement extraordinaire. Sa renommée mondiale est renforcée par les
Expositions Universelles qu'elle organise en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900. Elle se dote de la Tour Eiffel
lors de l'Exposition de 1889 et 32 millions de visiteurs viennent l'admirer. En 1900 le Grand Palais et le
Petit Palais sont visités par 51 millions de personnes. Avec 2 millions d'hbs en 1880, la ville est désormais
à l'avant-garde de la mode (la Haute Couture naît à Paris fin 19èms siècle et en 1946 elle compte une
centaine de maisons labellisées Haute Couture) et surtout à l'avant garde artistique (des grands courants
se développent autour des artistes parisiens comme l'impressionnisme et le fauvisme dès la fin du 19ème
siècle et seront poursuivis après la Première GM dans le quartier Montmartre autour de Picasso,
Modigliani, Breton, Man Ray ou Stravinsky).
Avec les Trente Glorieuses, Paris va connaître une modernisation importante. Elle se dote de nouveaux
bâtiments comme la Maison de la Radio en 1963 et la Tour Montparnasse (tour alors la plus haute
d'Europe consacrée à des bureaux avec 220 m) construite entre 1969 et 1973 et qui fut l’objet d’une
importante polémique. En effet, ses détracteurs la trouvent dérangeante à cause de sa hauteur
disproportionnée par rapport au reste de la ville de Paris. Ainsi ironise-t-on parfois quant au fait que son
sommet offre la plus belle vue de Paris : c'est en effet le seul endroit d'où on ne la voit pas (plagiant ainsi
Tristan Bernard qui disait cela de la Tour Eiffel, dînant au restaurant de son premier étage). D'ailleurs, en
1975, trois ans après la fin de la construction, la municipalité décida d'interdire la construction
d'immeubles de plus de sept étages.
Une politique de sauvegarde du patrimoine et de rénovation des vieux quartiers est entreprise à partir
des années 60. Parallèlement la population même de Paris change : la capitale attire désormais les
« bobos » au détriment des ouvriers (gentrification) et la population de la ville diminue (2,2 millions
aujourd'hui). Depuis les années 70, Paris est l'objet de grands travaux décidés surtout par les Présidents
de la République. Georges Pompidou fait construire le centre Beaubourg (1972-77) et fait aménager les
voies sur berges, Mitterrand fait construire ou réorganiser le musée d'Orsay (1986), le Grand Louvre
(1989), l'Opéra Bastille (fini en 1989), la Grande Bibliothèque (1989-95), la Grande Arche de la Défense
(1989) et les colonnes de Buren (1986). Jacques Chirac dote la ville du Musée du Quai Branly (2006). La
désindustrialisation récente de la ville a également permis un renouvellement de la ville et la création de
nouveaux parcs comme celui d'André Citroën.
=> Cette longue histoire de Paris explique la richesse de son patrimoine actuel. La liste est longue pour
celui qui envisagerait aujourd'hui de visiter la capitale. Alors qu'au XIXème ce sont surtout les
monuments qui sont considérés comme patrimoine, aujourd'hui la liste est bien plus longue ! On peut
visiter à Paris : - des hôtels particuliers, - des fontaines (comme la fontaine Stravinsky) ou les fontaines
Wallace, - des stations de métro, - les quais de Seine avec ses bouquinistes (les Quais sont d'ailleurs
classés au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1991), - les ponts, - les parcs et les jardins, - le Paris
littéraire du Flore et du bld Saint Germain, -les grandes brasseries, des vignes, des cimetières, des gares,
des passages couverts, les puces, .... A cela s'ajoute tout le patrimoine immatériel : gastronomie, objet de
luxe...

b- Un héritage valorisé : Paris : première destination touristique :


L'importance phénoménale du patrimoine parisien explique que la ville est depuis longtemps (dès le
XVIIIème siècle) et reste la première destination touristique mondiale avec 38 millions de visiteurs par an.
On vient à Paris pour ses édifices célèbres, ses spectacles et ses commerces, surtout de luxe. Elle dispose
toujours d'une image idéalisée : c'est la ville de la beauté, du luxe et du romantisme.
Aujourd'hui le patrimoine parisien représente donc un atout économique indéniable. C'est non seulement
un bien culturel mais aussi un objet de consommation. Les entrées dans les monuments, les produits
dérivés et les locations de monuments sont devenus des sources non négligeables de revenus. Paris
cherche à valoriser son patrimoine pour rester la première destination touristique mondiale, c'est là
l'élément central de sa stratégie de développement. La ville doit donc entretenir son image et son
patrimoine, permettre l'accueil du tourisme de masse sans dénaturer ses monuments. Elle doit entretenir
les bâtiments existants mais aussi renouveler son offre par la création de nouveautés (par exemple par des
expositions temporaires...). La ville vit donc en partie de son tourisme. En 2018, le tourisme représentait
380 000 emplois dans le Grand Paris, soit 11,7 % de l’emploi salarié. Le chiffre d’affaires de l’hôtellerie en
2018 était de 4,5 milliards d’euros pour 52 millions de nuitées vendues.
L’attractivité de Paris pose la question de la préservation de son patrimoine. Depuis le milieu des années
1980, le champ d'investigation de la direction du Patrimoine croît de manière exponentielle (protection du
patrimoine contemporain, industriel, photographique....), alors que dans le même temps, les moyens dont
elle dispose stagnent, ou croissent de manière bien inégale par rapport à celle des monuments à protéger.
La conservation du patrimoine coûte cher. Les acteurs qui le gèrent sont nombreux (collectivités
territoriales, État, UE, UNESCO depuis 1972). Mais les moyens de tous ces acteurs sont limités.
Sauvegarder le patrimoine devient donc complexe et l'objet de rivalités. La recherche de financement est
au cœur des réflexions actuelles des conservateurs du patrimoine. Même des musées comme le Louvre
sont obligés d'y réfléchir. Le prêt d’œuvres d'art à des musées hors France est alors apparu comme une
solution (ex du Louvre Abou Dhabi déjà vu). L’appel au mécénat est également souvent envisagé,
notamment quant il s’agit de rénover des monuments anciens. L’exemple de la rénovation de l’hôtel de la
Marine montre les hésitations dans les choix à faire et les difficultés à réunir des fonds. Cet hôtel du
XVIIIème siècle, emblème national, situé place de la Concorde, à Paris, et propriété de l'État depuis sa
construction (1758-1774) par Gabriel pour Louis XV, avait besoin d’être rénové et a fait l’objet d’une
bataille importante pour sa rénovation. Aux débuts des années 2010, il devait être cédé à des capitaux
privés d’où une polémique importante (l’État étant accusé de brader le patrimoine national et sa mémoire
(ex : procès de Louis XVI et abolition de l’esclavage)). Finalement l’État finit par le confier au CMN
(Centre des monuments nationaux) en 2014 qui a cherché des solutions financières multiples. La
rénovation a été financée à 80 % par la transformation et la location en bureaux de la moitié de la surface
de l’édifice, par une concession, pour vingt ans, réservée à la présentation de la riche collection Al-Thani,
du nom de la famille régnante au Qatar contre 20 millions d’euros et enfin par l’État. Le bâtiment a
réouvert au public en juin 2021 mais dans une partie limitée du bâtiment. La préservation peut ainsi
parfois se réduire à un façadisme : pratique architecturale consistant à conserver la façade d'un bâtiment
ancien pour la plaquer sur une construction moderne. Le patrimoine n'est alors qu'un décor de façade,
vide de sens.
La préservation du patrimoine est donc aujourd’hui déjà compliquée pour des raisons économiques, elle
l’est aussi pour des raisons géopolitiques. Elle l’est aussi de plus en plus car avec la mondialisation, Paris
se trouve mise en concurrence avec d'autres villes. Son aura diminue, notamment son aura culturelle et
artistique. Le marché de l'art est désormais centré sur New York et pour l'Europe sur Londres et Berlin.
La ville, moins créative, perd en attractivité. Paris n'est donc plus la seule destination possible. Elle doit
donc rechercher des stratégies de soft power, par exemple accueillir les JO de 2024.

c- Des conflits au risque de muséification :


Au delà de la préservation de son patrimoine, Paris doit alors se renouveler, promouvoir des projets
urbanistiques pour adapter la ville au monde contemporain. La mairie de Paris cherche à mettre en avant
des projets innovants pour éviter la muséification et rendre la ville plus durable et plus accessible. La
capitale, comme toutes les autres communes, dispose d’un PLU (plan local d’urbanisme) qui permet de
planifier et d’organiser de nouveaux projets urbains tout en préservant le patrimoine. La mise en chantier
doit faire l’objet préalable d’un PSVM : plan de sauvegarde et de mise en valeur qui permet de préserver
les monuments historiques de toute destruction ou altération. En 2016, le Conseil de Paris a choisi de
modifier le PLU pour engager la capitale dans une ambitieuse politique d’innovation urbanistique. Cette
ambition s’inscrit aussi dans la dynamique du Grand Paris, ce projet visant à renforcer le rang de Paris
comme métropole mondiale par la création de nouveaux pôles économiques, par la densification du
réseau de transports. Il s’agit également de préparer les Jeux Olympiques de 2024.
Plusieurs projets architecturaux ont donc été présentés par la ville mais ils font souvent l’objet de
controverses ou de conflits. La volonté de changer Paris se heurte bien souvent à la méfiance des
Parisiens, notamment vis à vis de l’art contemporain. Malgré le succès public de réalisations comme le
centre Pompidou, la pyramide du Louvre ou les colonnes de Buren (après des contestations au départ
parfois violentes), le rejet reste souvent la première réaction. Cette hostilité trouve sa source dans
l'inscription controversée dans la ville, au cours des années 60-70 de bâtiments modernes comme la Tour
Montparnasse. Les tours de grande hauteur sont difficiles à admettre par tous. En 2010, la municipalité a
choisi de rompre avec le principe admis en 1975 de ne pas construire intra-muros d’immeubles surélevés,
la construction des tours est donc possible (jusqu’à 50 mètres pour un immeuble d’habitation et 180
mètres pour des bureaux). Ce changement du PLU est alors considéré comme un nécessité pour la
municipalité face à la densité de population dans la capitale mais est déjà contesté surtout par les
écologistes considérant les tours énergivores. Deux projets ont alors été au cœur de conflits : celui des
tours Duo dans le 13ème arrondissement de l’architecte Jean Nouvel et celui de la tour Triangle dans le
15ème. Les Tours Duo ont finalement été construites et ont été livrées progressivement entre 2021 et 2022.
Le projet de la Tour Triangle a fait l’objet de plus de controverses. Cet édifice de 180 mètres de haut doit
être implanté porte de Versailles, dans le 15e arrondissement. Le projet de 43 étages comporte un hôtel
quatre étoile, 2 200 mètres carrés d’espace de « coworking », un équipement culturel, un restaurant
panoramique... Le projet a été contesté dès son lancement, en septembre 2008, sous l’ancien maire de
Paris, Bertrand Delanoë. Les écologistes dénonçaient un projet « énergivore  ». Retoquée une première fois
en conseil municipal en 2014, avant son adoption en 2015, la tour Triangle est défendue par Anne Hidalgo
à la fois comme «  une œuvre d’art  » et «  un projet autour duquel se joue une part non négligeable de l’attractivité
et du rayonnement de Paris et du Grand Paris  ». Elle a été dessinée par l’agence d’architecture suisse Herzog
& de Meuron, à qui l’on doit notamment le « Nid d’oiseau » (le stade olympique) de Pékin ou la
Philharmonie de Hambourg. Plusieurs associations comme SOS Paris et ADHAPE (Association pour le
développement et l’aménagement harmonieux du Parc des expositions et ses environs) ont déposé plainte
contre la mairie de Paris, notamment pour favoritisme, en 2018 pour obtenir l’annulation du permis de
construire. La justice a finalement donné raison à Unibail le porteur du projet et les travaux, d’un montant
de 660 millions d’euros, ont commencer en 2022 et devraient s’achever en 2026.

Rénover et porter un nouvel urbanisme est donc complexe et donne lieu à des conflits nombreux. Au nom
de la préservation, on peut parfois figer Paris, sombrer dans le conservatisme mais on peut aussi à
l’inverse par des projets peu respectueux défigurer le ville, son esthétique ou porter atteinte à son
patrimoine. Les acteurs s’opposent, riverains et associations tendant à rejeter la marchandisation de la
ville ou sa transformation brutale et à l’inverse les grandes entreprises et souvent les pouvoirs publics
voulant stimuler le potentiel commercial et économique de la ville. Paris est donc fatalement entre
préservation et nouvel urbanisme et l’équilibre n’est pas évident à maintenir. Il n’est pas non plus
évident à maintenir du point de vue social. La gentrification de la ville ayant souvent pour corollaire une
tendance accrue au conservatisme. Les tensions sont aussi fortes entre intérêts publics et intérêts privés,
surtout dans le contexte du renchérissement constant du prix du foncier à Paris. La préservation risque
aussi de transformer la ville en musée, le patrimoine architectural n’étant plus qu’une mise en décor de la
ville.

- urbanisme : c’est l’art, la science et la technique de l’aménagement des agglomérations humaines, c’est
aussi l’ensemble des règles et mesures juridiques qui permettent aux pouvoirs publics de contrôler
l’affectation et l’utilisation des sols dans une agglomération.

2) La question patrimoniale au Mali : destruction, préservation et restauration dans un pays en


guerre :
a- La situation du Mali : un riche patrimoine à protéger face à une situation politique complexe et à
une volonté délibérée de détruire :
Le Mali est un pays d’Afrique du Nord-Ouest. Sa partie nord est en plein Sahara, le sud appartient
surtout au Sahel, semi-désertique. Le pays a eu un riche passé étant situé sur les anciennes routes
commerciales traversant le désert du Sahara et mettant en relation l’Afrique de l’Ouest avec l’Afrique du
nord arabo-musulmane. Des empires puissants se sont développés dans cette région du VIIIème siècle au
XVIIème siècle et ont laissé un riche patrimoine reposant sur une histoire plurielle (animisme,
islamisation, ethnies diverses comme celles des Touaregs, des Dogons...). Aujourd’hui 4 sites sont classés
à l’Unesco : à Tombouctou, les trois mosquées et les 16 mausolées des Saints sont classés depuis 1988,
idem pour la grande mosquée de Djenné, les falaises de Bandiagara ont été classées en 1989, et enfin en
2004 le tombeau des Askia à Gao. Le pays est aussi riche par ses multiples ethnies en patrimoine
immatériel, notamment chez les Dogons (danse traditionnelle) ou chez les Peuls.
Mais la situation politique du Mali est compliquée. Le pays vient de subir récemment deux coups d’État
en août 2020 et en mai 2021, le président Ibrahim Keïta, élu depuis 2013, ayant été renversé par une junte
militaire sous la pression de manifestations populaires. Ces coups d’État ont porté au pouvoir Assimi
Goïta, aujourd’hui président de la Transition en attendant de nouvelles élections. Le pays est en proie à de
multiples tensions depuis au moins 2012, date d’un premier coup d’État. Dans ce pays multiethnique, le
peuple touareg, en partie organisé au sein du MNLA (mouvement national de libération de l’Azawad)
situé au Nord, a cherché son indépendance et proclamé la naissance de l’Azawad. Face au refus du Sud,
le conflit s’est complexifié avec l’arrivée de djihadistes islamistes profitant de la faiblesse de l’État malien
pour se développer dans toute la région Nord ainsi qu’au Niger. Plusieurs groupes sont présents comme
AQMI au Sahel (Al Qaïda au Maghreb Islamique) et Ansar Eddine qui ont d’ailleurs fusionné en 2017
pour créer le GSIM (groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) et fragilisent par leurs actions
(attentats, enlèvements…) le pays. La France a choisi après mandat de l’Onu d’intervenir d’abord par
l’opération Serval (2013-2014) puis par l’opération Barkhane toujours en cours mais dont la fin a été
annoncée pour 2023. Malgré la présence de la Minusma, donc des casques bleus de l’Onu et d’un accord
signé en 2015 entre les rebelles et le gouvernement malien, la situation reste tendue, les attentats fréquents
(mort de deux soldats français en septembre 2020/libération de l’otage française Sophie Pétronin en
octobre 2020). Les réseaux terroristes et criminels (importance des trafics illicites via le Sahara) restent
actifs et dangereux. L ‘armée française n’a pas réussi à juguler le terrorisme et la présence française est
aujourd’hui rejetée. Le pays est devenu la proie des mercenaires russes de Wagner.
Situé en zone de conflits, le patrimoine malien et surtout Tombouctou a été particulièrement impacté par
la crise. En effet en d’avril 2012, la ville est attaquée et prise par le groupe djihadiste Ansar Eddine qui
cherche à contrôler le nord Mali à son profit. La police des mœurs djihadiste va vouloir faire appliquer
l’orthodoxie religieuse dans la ville, la vision très rigoriste de l’islam salafiste, notamment après la
décision de l’Unesco de classer la ville sur la liste du patrimoine en péril. Entre juin 2012 et janvier 2013,
les djihadistes détruisent 14 des 16 mausolées et endommagent une des mosquées de la ville. Plus de 4200
manuscrits sont également brûlés. La mosquée de Djenné et le tombeau d’Askia souffriront aussi d’actes
de vandalismes pendant cette période. Le patrimoine immatériel a a également ainsi été touché par les
événements, de nombreuses manifestations et pratiques culturelles ayant été interrompues depuis le
début du conflit.
Mais les destructions de Tombouctou ne s’apparentent pas à de simples dommages collatéraux du conflit
qui opposait Ansar Eddine à l’État malien. Elles ne sont intervenues que plusieurs semaines après la prise
de la ville et la fin des combats. Ces destructions ont bel et bien été réalisées à des fins idéologiques. Elles
sont au service de la vision rigoriste qu’ils ont de l’islam. Pour eux les monuments funéraires issus d’une
pratique religieuse différente de la leur (ici l’islam soufi) doivent disparaître. Ils refusent toute idée d’un
islam tolérant. Ils cherchent aussi à s’opposer à la reconnaissance internationale de l’Unesco, qui venait
d’inscrire le site sur la liste du patrimoine en péril. Mais les destructions de Tombouctou ne sont pas
isolées : d’autres sites ont été victimes des djihadistes salafistes. Ils ont pu s’en prendre à des statues
humaines ou animales vues comme de l’idolâtrie (destruction des trois statues géantes de Bâmiyân
représentant des Bouddhas par les Talibans en mars 2001), aux traces d’un monde préislamique
(destruction du site archéologique de Palmyre en 2015 par Daech en Syrie et destructions des statues
antiques de Mossoul la même année). Les djihadistes cherchent à faire de ces destructions un manifeste
de leur propre modèle patrimonial et un outil de communication mondial. Ils provoquent volontairement
une émotion patrimoniale, ils procèdent à un « nettoyage culturel » dans les sites qu’ils occupent pour
faire pression sur la communauté internationale et provoquer des réactions. Ils veulent aussi par ces
actions spectaculaires gagner de nouveaux adeptes et montrer la preuve de leur efficacité et affirmer leur
souveraineté politique.

b- La question de la protection et de la restauration :


Des acteurs nombreux vont se mobiliser à la fois pour protéger et restaurer les sites détruits mais aussi
pour punir les actes de destruction. Déjà, avant même l’arrivée des djihadistes, durant l’été 2011 des
érudits et des volontaires de Tombouctou s’étaient organisés pour évacuer clandestinement des milliers
de manuscrits vers le sud Mali et la capitale. La mobilisation citoyenne et populaire a été forte et a
concerné toutes les ethnies et toutes les classes sociales. La communauté internationale incarnée ici entre
autres par l’Unesco va également avoir une action importante. D’abord les sites sont placés sur la liste
patrimoine mondial en péril. Ensuite, pour la première fois, une résolution de l’ONU intègre la protection
des sites culturels et historiques dans le mandat d’une opération du maintien de la paix (ici celle de la
Minusma). En effet depuis la Convention internationale de La Haye de 1954, remaniée en 1999, les États
se sont engagés à protéger en temps de guerre les biens culturels. L’idée qui domine est qu’il faut assurer
une protection universelle au patrimoine au nom de l’intérêt international. L’Unesco va donc dès 2012
collaborer avec l’État malien et les forces françaises d’intervention pour intégrer la protection des sites
culturels et limiter le trafic illicite de biens culturels. Les membres des ONG et les soldats vont se voir
remettre un « Passeport pour le patrimoine » afin d’être sensibilisés à ces questions.
Mais après la destruction des mausolées, l’Unesco va aller plus loin : elle va reconnaître la destruction des
biens matériels comme un crime de guerre. La Cour pénale internationale (CPI) est une juridiction pénale
universelle permanente depuis 2002 chargée de juger les personnes (pas les États) accusées de génocide,
de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre. Pour la première fois, la CPI va
donc se pencher sur la destruction d’un patrimoine culturel et aboutir à la condamnation en septembre
2016 d’Ahmad al-Mahdi pour crimes de guerre pour avoir dirigé intentionnellement des attaques contre
dix des monuments de Tombouctou. Al-Madhi a été condamné à 9 ans de prison et à des réparations dont
le montant a été fixé à 2,7 millions d’euros. Comme il n’avait pas les moyens de payer cette compensation
financière, ce sont l’UNESCO, l’Union européenne, la Suisse et l’État malien qui ont participé au
financement de la reconstruction.
La communauté internationale va fortement s’impliquer dans la restauration et la reconstruction du
patrimoine détruit ou détérioré. Elle va soutenir l’État malien dans un vaste programme de réhabilitation.
Avec la participation des communautés concernées, l’Unesco va entreprendre la reconstruction des
mausolées détruits et la réhabilitation des mosquées et des bibliothèques. Elle va aussi soutenir la
formation du personnel local pour rendre plus durable la préservation patrimoniale. L’objectif est
également social et économique : la restauration est une des conditions nécessaires à la relance du
tourisme et au développement du pays. Pour restaurer les mausolées, une enquête historique reposant
sur des fouilles archéologiques et des récits anciens a été réalisée afin de mieux cerner et maîtriser les
techniques ancestrales. Entre 2013 et 2015, des maçons et des artisans locaux ont donc reconstruit les
mausolées en partant des restes de murs et en cherchant la plus grande authenticité possible. L’Unesco
s’est donc appuyé sur les savoir-faire locaux pour reconstruire à l’identique. D’ailleurs au Mali, nombre
de biens patrimoniaux sont en terre et entretenus collectivement chaque année, par exemple le crépissage
se fait annuellement à la mosquée de Djenné en appliquant une nouvelle couche de boue pour lutter
contre l’érosion du bâtiment sensible à la pluie et au vent. De plus, l’UNESCO a accompagné les habitants
pour la mise en mémoire de l’évènement et la reconstruction religieuse des mausolées : une cérémonie de
sacralisation a eu lieu en février 2016. Néanmoins, la reconstruction morale semble impossible à réaliser
pour nombre d’habitants de Tombouctou. Pour certains, depuis les évènements de 2012, les saints ont
quitté la ville et n’offrent plus leur protection aux habitants.
Depuis 2012 et la destruction des mausolées de Tombouctou, le Mali est devenu, malgré lui, un
laboratoire expérimental de la préservation patrimoniale en temps de guerre, de la difficile application de
la Convention de 1954 par l’Unesco et la communauté internationale. Mais le manque de stabilité
politique ne permet pas à la communauté de valoriser son patrimoine. Les sites sont très difficiles d’accès
à cause de la situation de guerre latente. Le Mali étant un pays pauvre, le budget de la culture est limité et
le patrimoine, pourtant héritage commun des Maliens, a du mal à jouer son rôle social (forger l’identité
nationale malienne dans un pays divisé en ethnies différentes). Cela explique que trois sites sont toujours
classés patrimoine en péril (tombeau des Askia et Tombouctou depuis 2012, villes anciennes de Djenné
depuis 2016)

- Patrimoine en péril : l’Unesco peut choisir de placer des biens classés au titre de patrimoine mondial sur
la liste du patrimoine en péril afin d’alerter la communauté internationale sur les dangers qui menacent
ces sites et inciter à une réaction. 52 sites sont classés en péril pour des raisons variés : conflits, pollution,
urbanisation sauvage, tourisme incontrôlé...

3) Le tourisme culturel entre valorisation et protection : l’exemple de Venise


a- Une histoire ancienne et un patrimoine exceptionnel :
Avant même le début de toute implantation humaine, le site de Venise est en lui-même exceptionnel.
Cette zone de lagunes, de petites îles et d’étroits cordons littoraux au bord de l’Adriatique aux ressources
très limitées va surtout se développer à l’époque médiévale. Selon la légende, la ville aurait été fondée en
421 dans les îlots du rivus altus (du Rialto), elle aurait alors accueilli les habitants de la région chassés par
les incursions barbares des Goths puis des Huns. Duché byzantin, la ville résiste aux pressions des Francs.
Au IXème siècle, la ville reçoit les reliques de Saint Marc et celui-ci devient le saint patron de la ville. A
partir de l’an Mil, Venise connaît un développement rapide grâce à son commerce maritime. Située entre
l’Europe, la Méditerranée et la mer Noire, elle devient l’intermédiaire indispensable des transactions, le
fer de lance de la construction navale grâce à son Arsenal, de la production artisanale (verrerie, orfèvrerie,
soieries) et même des activités de finance (lettres de change, ducat en or de Venise à partir de 1284). Elle
bénéficie aussi d’institutions originales mêlant le pouvoir d’un seul (le Doge), à celui d’une élite (le Sénat)
et de tous (le Grand Conseil). Jusqu’au XVIème siècle et la réorientation des échanges vers l’Atlantique, la
ville est prospère et devient un centre culturel et artistique. L’enrichissement est rendu visible par des
constructions qui sont aujourd’hui à la base du patrimoine de la ville : place Saint Marc avec le palais des
Doges et la Basilique Saint Marc, Grand canal bordé de palais, centre historique aux ruelles sinueuses et
aux multiples églises, cité aux 450 ponts comme celui du Rialto ou des Soupirs.
Venise est dans l’imaginaire collectif la ville des amoureux, la ville des gondoles et des lagunes, de la
« dolce vita » à l’italienne ou du Carnaval. Ville ayant inspiré de nombreux artistes de George Sand à lord
Byron, de Shakespeare à Thomas Mann, Venise est pour le Corbusier « le plus prodigieux événement
urbanistique existant sur cette terre ». Rien d’étonnant alors que la ville et son paysage de lagune soient
inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité depuis 1987 avec le statut particulier de Valeur
universelle exceptionnelle (VUE : statut particulier à certains sites sur lesquels l’Unesco exerce une
vigilance particulière) et qu’elles soient aujourd’hui un haut lieu du tourisme.
b- Venise face aux nuisances du tourisme de masse :
Ville touristique dès le XVIIème siècle, Venise est aujourd’hui confrontée au tourisme de masse, le
nombre de touristes ayant connu une croissance exponentielle depuis les années 1990 (tourisme multiplié
par trois entre 1997 et 2017). En 2018, la cité estime avoir accueilli plus de 30 millions de touristes, la très
grande majorité se contentant de passer une journée sur place leur nombre est difficile à estimer. Par
contre, 5,2 millions de touristes en 2018 ont séjourné au moins une nuit sur la commune (contre 580 000 en
1951, 2 millions en 1980). Cette augmentation récente du tourisme s’explique par le patrimoine culturel de
la ville mais pas seulement. La ville a énormément cherché à développer cette activité pour ses retombées
économiques d’où l’organisation d’événements comme la Mostra de Venise ou la biennale d’architecture.
Elle s’est dotée d’infrastructures de qualité (un aéroport principal et deux secondaires qui permettent
l’arrivée des avions low cost, une gare internationale et une gare maritime ouverte aux bateaux de
croisières, importantes offres d’hébergements).
Mais depuis quelques années, cette massification du tourisme pose des problèmes grandissants. On parle
même d’ »overtourisme » : la surfréquentation de la ville par les touristes provoque l’asphyxie des
espaces urbains et de fortes dégradations. Le tourisme permet à la ville de vivre (retombées économiques
estimées à 500 millions d’euros par an) mais met aussi en péril son patrimoine, voire menace sa survie. Le
tourisme provoque d’abord une hausse des prix de l’immobilier qui a pour conséquence une forte
diminution de la population et la gentrification du centre-ville. Les Vénitiens ne peuvent plus vivre à
Venise même et sont contraints de quitter le centre-ville. Les propriétaires préfèrent de plus en plus
réserver leurs appartements aux touristes via des plateformes comme Airbnb ce qui leur permet de
quadrupler leurs revenus. La ville comptait 150 000 habitants dans les années 50 contre 54 000
aujourd’hui. Le tourisme a tendance aussi à détruire les activités de production, les touristes préférant
souvent acheter un souvenir à bas coût made in China qu’un produit local forcément artisanal et plus
cher. Le tourisme mondialisé a également tendance à modifier l’offre. Le risque est alors la
« disneylandisation » de Venise. Concept inventé par la géographe Sylvie Brunel, il permet d’évoquer la
transformation du paysage sous la pression de la demande touristique, réduisant le monde à un parc
d’attraction. Les touristes ne viendraient alors à Venise que pour se prendre en photo devant le pont de
soupirs ou sur la place Saint Marc sans réelle considération pour la richesse culturelle de la ville. De plus,
le tourisme apporte aussi son lot de nuisances : nuisances sonores voire incivisme des touristes, pollution
de toutes sortes et même visuelles (croissance des panneaux publicitaires lumineux par exemple),
difficulté à circuler en ville, saturation de l’espace et des réseaux de transport. L’accueil des navires de
croisières est particulièrement dénoncé. Ces navires imposants (environ 600 par an) déplacent des masses
d’eaux considérables qui affaiblissent les fondations des immeubles, polluent l’air et dégradent la lagune.
Enfin, la ville subit aussi les conséquences du changement climatique : les marées et les tempêtes sont
plus fortes et nombreuses, le niveau de la mer s’élève. Le phénomène d’acqua alta (= marée haute) prend
de plus en plus d’ampleur. La place Saint Marc a été ainsi inondée 50 fois entre 2000 et 2010 contre 5 entre
1930 et 1940. La dernière acqua alta de novembre 2019 a été particulièrement spectaculaire et a relevé le
niveau de l’eau de 1,87 mètres.
Dans le cadre de la mondialisation, Venise est devenue à l’instar de Paris ce que le géographe Michel
Lussault appelle un « hyper-lieu », un territoire de circulation et de connexions intenses, spécifiques à la
mondialisation. Carrefours du monde, emblèmes de l’imaginaire collectif mondialisé, ces hyper-lieux ont
une attractivité très forte, base de leurs succès et de leur réussite économique mais les conséquences en
sont elles aussi démultipliées, surtout quand ils sont spatialement limités comme Venise.

c- Une volonté de protéger difficile à concilier avec les enjeux économiques :


Pour résoudre les difficultés liées au surtourisme et au changement climatique, les acteurs se mobilisent et
recherchent des solutions.
Les premiers à se mobiliser sont les Vénitiens eux-mêmes. Depuis de nombreuses années, riverains et
associations de sauvegarde de la lagune alertent sur la situation et s’organisent. Les manifestations sont
nombreuses et réclament la régulation des sites de location de type airbnb, l’arrêt de la création de
nouveaux hôtels ou de ventes à emporter. Ils luttent surtout contre la présence des grands paquebots de
croisière et les escales de quelques heures (campagne « no grandi navi »). Les Vénitiens sont soutenus
dans leur lutte par les amoureux de la ville. Ainsi en 2017 pendant la Biennale, l’artiste Lorenzo Quinn atil
installé son « Support » pour sensibiliser l’opinion mondiale à la fragilité de la ville face à la montée des
eaux. En 2019, c’est Bansky qui lui dénonce par sa « Venice in oil » la pollution de la ville par les navires de
croisières.
Depuis la grande inondation de 1966, la ville et l’État italien cherchent à protéger Venise des acqua alta.
Un projet conséquent, le projet « Mose » (ou Moïse en français), a été développé depuis les années 1980.
Les travaux ont commencé en 2003 mais viennent juste de s’achever à cause de diverses malversations,
détournements d’argent public, … pour un coût final de 7 milliards d’euros. Ce système permet par un
jeu de 78 digues installées aux trois points d’entrée de la lagune de retenir l’eau de mer et de limiter les
inondations. Si le système n’a pas permis d’empêcher l’inondation de novembre 2019, il a cependant été
utilisé avec efficacité pour la première fois en octobre 2020 et laisse donc présager un début de solution à
long terme.
La municipalité a aussi pris des mesures pour essayer de concilier mise en tourisme et préservation du
patrimoine. Afin de réguler les flux de visiteurs, des portiques ont été installés à proximité de la place
Saint Marc et en 2018, un numerus clausus de 20 000 personnes a été imposé pendant le Carnaval pour
éviter l’encombrement du centre ancien. La mairie a aussi depuis 2017 lancé une campagne de
sensibilisation auprès des touristes #EnjoyRespectVenezia. Son objectif est de promouvoir un tourisme
plus responsable et durable. Douze bonne pratique sont conseillées comme de consommer des plats
locaux ou de choisir des objets artisanaux produits sur place ou de respecter l’environnement (ne pas
abîmer les murs, ne pas mettre de cadenas, ne pas donner à manger aux pigeons…). Cette campagne
cherche aussi à désengorger les sites patrimoniaux en proposant d’autres lieux moins fréquentés. De
même l’idée d’imposer une taxe à l’entrée de la ville, notamment pour les visiteurs à la journée ou les
croisiéristes, fait son chemin. Elle permettrait à la fois de ralentir l’afflux de visiteurs et de trouver les
financements nécessaires à l’entretien du patrimoine. Mais le projet a été repoussé à cause de la crise du
covid et va finalement commencer en janvier 2023 (taxe de 3 à 10 €).
L’ambiguïté des politiques est en effet réelle. D’un côté ils veulent protéger la ville mais en même temps
les enjeux économiques sont tels qu’ils prennent des décisions contradictoires. Ainsi la ville a bien décidé
en 2012 d’interdire l’entrée de la lagune aux paquebots de plus de 50 000 tonnes mais elle accorde souvent
des dérogations car les croisières génèrent 5000 emplois pour Venise. En juin 2019, un navire de 65 000
tonnes a même heurté un quai, provoquant la colère des Vénitiens. La municipalité a interdit la création
de nouveaux hôtels au centre-ville mais en 2017, elle a vendu le siège de la police qui a ensuite été
transformé en hôtel. En dix ans, l'État, la région et la ville ont ainsi vendu une trentaine de palais publics.
Face à ces difficultés, l’Unesco a plusieurs fois menacé la ville de placer Venise sur la liste des patrimoines
en péril. Cette liste vise à protéger des sites historiques et naturels des conflits armés et de la guerre, mais
aussi de la pollution, des catastrophes naturelles et autres facteurs qui peuvent endommager des sites au
patrimoine mondial, dont le développement incontrôlé du tourisme. L’inscription d’un site sur la liste du
patrimoine mondial en péril permet au site concerné de recevoir une assistance immédiate dans le cadre
du Fonds du patrimoine mondial mais aussi d’alerter la communauté internationale afin qu’elle se
mobilise en faveur des sites concernés. Excédé par le surtourisme après l’incident de juin 2019, le maire
lui-même a demandé de l’aide à l’Unesco, voire son inscription sur la liste des patrimoines en péril.
Concilier développement économique et préservation du patrimoine est donc complexe et met en jeu des
intérêts contradictoires, sources de débats et de situations conflictuelles.

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