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(Extrait de l’anthologie : Le monde du zen par Nancy Wilson Ross, Stock 1976) Les
histoires qui suivent ont été recueillies dans diverses anthologies d’anecdotes
relatives à la vie selon le Zen et notamment dans un « classique » du XIIe siècle :
Shaseki-shu (Florilège de la Pierre et du Sable), traduit du japonais par Nyogen
[…]
2 juillet 2017 | Catégories : Traditions | Mots-clés : Bouddhisme, Zen
(Extrait de l’anthologie : Le monde du zen par Nancy Wilson Ross, Stock 1976)
Les histoires qui suivent ont été recueillies dans diverses anthologies d’anecdotes
relatives à la vie selon le Zen et notamment dans un « classique » du XIIe siècle :
Shaseki-shu (Florilège de la Pierre et du Sable), traduit du japonais par Nyogen
Senzaki et Paul Reps. Sous le titre de : 101 Histoires zen, ces histoires
trouvèrent place dans le livre de Paul Reps intitulé : Zen Flesh, Zen Bones
(littéralement Chair zen, Os zen).
Dans sa courte préface à l’édition de 1957, Paul Reps écrivait à propos du « vieux
Zen » : « Voici des fragments de sa peau, de sa chair, de ses os, mais non de sa
moelle, que l’on n’a jamais trouvée dans les mots. » C’est là une allusion à l’une
des histoires célèbres relatives au Premier Patriarche du Zen, le moine bouddhiste
Bodhidharma, qui, au VIe siècle, apporta le « Grand Enseignement » d’Inde en Chine.
Bodhidharma avait rassemblé autour de lui quatre de ses disciples pour mesurer
leurs progrès sur la voie de la compréhension. Chacun des quatre répondit à la
question qu’il leur posait sur « la nature de la vérité ». Au premier, le Maître
répliqua : « Tu as ma peau » ; au second : « Tu as ma chair » ; au troisième : « Tu
as mes os. » Mais le quatrième disciple, Eka, s’étant contenté de s’incliner en
silence, Bodhidharma lui dit : « Tu as ma moelle. »
N. W. R.
Ryokan, un Maitre du Zen, menait l’existence la plus simple dans une petite hutte,
au pied d’une montagne. Un soir, un voleur pénétra dans sa hutte mais ne trouva
rien à y prendre.
— Tu as peut-être fait un long chemin pour me rendre visite, il ne faut pas que tu
repartes les mains vides. Je t’en prie, accepte mes vêtements en présent.
— Le pauvre homme ! murmura-t-il. J’aurais voulu lui donner cette lune magnifique.
Parabole
Deux souris — une blanche, et une noire — se mirent à ronger la liane à laquelle il
était suspendu. L’homme vit alors près de sa tête une appétissante fraise sauvage.
Ne tenant plus la liane que d’une main, il cueillit la fraise de l’autre et la
mangea. Que son goût était délicieux !
Obéissance
Le Maître Bankei s’adressait non seulement à des élèves du Zen mais à des personnes
de tout rang et de diverses sectes. Il ne citait jamais les sutras et ne se
complaisait pas dans les dissertations scolastiques, mais ses propos, jaillis du
cœur, s’adressaient au cœur de ses auditeurs.
Fièrement, le prêtre se fraya passage parmi la foule jusqu’au Maître. Bankei lui
sourit et lui dit :
— Mets-toi à ma gauche.
Le Premier Principe
Le Maître les dessina d’abord sur le papier. Tandis qu’il le faisait se tenait près
de lui un élève effronté, qui avait préparé plusieurs litres d’encre à cette fin et
ne se privait pas de critiquer le travail de son maître.
— Et celui-ci ?
Enfin, comme le jeune homme s’était absenté pour quelques instants, Kosen se dit :
« Voici ma chance d’échapper à son œil critique » — et il traça hâtivement : « Le
Premier Principe », sans être distrait par la présence de l’élève. Lorsque celui-ci
revint, il dit : — C’est un chef-d’œuvre, Maître !
Le Bruit d’une seule main
Mais l’enfant insista et Mokurai se rendit enfin à son désir. Le soir même, le
petit Toyo se présenta au seuil de la chambre de sanzen, de Mokurai, frappa le gong
pour s’annoncer, s’inclina trois fois avant d’entrer et alla s’asseoir devant le
Maître dans un silence respectueux.
— Tu sais le bruit que font deux mains lorsqu’on les claque l’une contre l’autre,
dit Mokurai. Maintenant, dis-moi ce qu’est le bruit d’une seule main ?
Le lendemain soir, lorsque son maître lui reposa sa question, Toyo se mit à jouer
la musique des geishas.
— Non, dit Mokurai. Ce n’est pas là le son d’une seule main. Tu n’as pas compris.
Se disant qu’une telle musique devait être à peine audible, Toyo s’installa dans un
lieu plus tranquille et se remit à réfléchir. Ce faisant il entendit de l’eau qui
coulait goutte à goutte : « J’ai trouvé ! » se dit-il.
— Ce n’est pas cela, dit Mokurai. Cela, c’est le bruit de l’eau qui coule ; ce
n’est pas le bruit d’une seule main. Cherche encore.
Pendant près d’un an, Toyo chercha en vain. Finalement, il entra en méditation et
oublia tous les sons.
— Je ne pouvais plus en trouver d’autres, expliqua-t-il plus tard. C’est ainsi que
j’ai atteint le son qui n’a pas de son.
Ni eau, ni lune
Une nuit où la lune brillait, elle transportait de l’eau dans un vieux seau
rafistolé avec du bambou tressé. Le bambou se rompit, le fond du seau céda — et à
cet instant précis Chiyono se sentit libre.
La carte de visite
— Je n’ai rien à faire avec cet homme, dit Keichu. Dis-lui de me laisser en paix.
Puis, avec un crayon, il biffa les mots : Gouverneur de Kyoto et renvoya son
serviteur chez Keichu.
La main de Mokusen
Mokusen Hiki vivait dans un temple de la province de Tamba. Un de ses fidèles vint
le voir pour se plaindre de l’avarice de son épouse. Mokusen alla rendre visite à
la femme, et, lui montrant son poing fermé, lui demanda :
— Je dirais qu’elle est déformée, dit la femme. Mokusen ouvrit sa main toute grande
et demanda :
À dater de ce jour, la femme aida son mari à dépenser son argent aussi bien qu’à
l’épargner.
Le voleur converti
Un soir, comme Shichiri Kojun récitait des sutras, un voleur armé d’une épée
affilée entra chez lui et lui mit en main le marché : son argent ou sa vie.
— Ne prends pas tout. J’ai besoin d’un peu de cet argent pour payer l’impôt,
demain.
Le voleur prit presque tout l’argent, et il allait s’en aller lorsque Shichiri
ajouta :
Quelques jours plus tard il fut arrêté et avoua, entre autres méfaits, le vol de
l’argent de Shichiri. Celui-ci, appelé comme témoin, déclara :
— Cet homme n’est pas un voleur, du moins en ce qui me concerne. Je lui ai donné
cet argent et il m’en a remercié.
Le Bien et le Mal
L’élève vola à nouveau, Bankei à nouveau n’en tint pas compte, ce qui amena les
autres élèves à lui faire tenir une pétition exigeant le renvoi du voleur, faute de
quoi eux-mêmes s’en iraient tous ensemble.
— Vous êtes des hommes sages. Vous savez ce qui est bien et ce qui ne l’est pas.
Vous pouvez aller ailleurs pour étudier si vous le souhaitez, mais ce pauvre
garçon, lui, ne sait même pas distinguer le bien du mal. Qui l’instruira si je ne
le fais pas ? Je le garderai donc ici même si vous vous en allez tous.
— Toi, un soldat ? s’écria Hakuin. Quel ministre voudrait de toi comme garde ? Ton
visage est celui d’un mendiant !
— Tu as donc un sabre ? Ton arme est sans doute beaucoup trop faible pour me
trancher la tête !
Comme Nabushige levait son sabre, Hakuin dit : — Ici s’ouvrent les portes de
l’enfer !
À ces mots, le samouraï, impressionné par le sang-froid du Maître, remit son arme à
la ceinture et s’inclina.
— Ici s’ouvrent les portes du paradis, dit Hakuin.
Histoire de Ryonen
Ryonen, une nonne bouddhiste, naquit en 1797. Elle était la petite-fille du célèbre
guerrier japonais Shingen. Son génie poétique et sa beauté étaient tels qu’à dix-
sept ans elle devint l’une des suivantes de l’impératrice.
Elle se rendit à Edo et demanda à Tetsugyu de l’accepter comme disciple, mais, dès
qu’il l’eut vue, le Maître la renvoya à cause de sa trop grande beauté.
Ryonen alla trouver un autre Maître, Hakuo, qui la renvoya pour la même raison, en
disant que sa beauté serait une source d’ennuis.
Ryonen prit alors un fer rouge et l’appuya contre son visage. En quelques instants,
sa beauté s’évanouit pour toujours.
Le Tunnel
Zenkai, le fils d’un samouraï, devint le suivant d’un haut personnage d’Edo. Il
s’éprit de l’épouse de son maître et, surpris par celui-ci, le tua ; après quoi il
s’enfuit avec la femme.
Tous deux se mirent à voler. Mais la femme était si avide que Zenkai, dégoûté,
l’abandonna et gagna la province de Buzen, où il devint mendiant. Pour expier son
passé, il résolut d’accomplir une action méritoire : une dangereuse route de
montagne ayant causé la mort à plusieurs personnes, il décida de percer de ses
mains un tunnel à travers cette montagne.
Deux ans avant l’achèvement de ce travail, le fils de l’homme que Zenkai avait tué
le retrouva et voulut le tuer à son tour pour venger son père.
— Je te ferai volontiers don de ma vie, dit Zenkai, mais laisse-moi terminer mon
travail. Le jour même où j’en aurai fini, tu pourras me tuer.
— À présent, dit Zenkai, tu peux me trancher la tête. Mon travail est terminé.
— Comment pourrais-je couper la tête de mon propre maître ? dit le jeune homme, les
yeux pleins de larmes.
En cours de route il s’arrêta près d’un temple Shinto et dit à ses hommes :
— Je vais visiter ce temple. Ensuite je jouerai à pile ou face. Si c’est face, nous
vaincrons ; si c’est pile, nous perdrons. Le Destin décidera donc de notre sort.
Nobunaga entra dans le temple et fit une prière silencieuse. Puis il joua à pile ou
face, et la pièce de monnaie retomba la face en l’air. Les soldats de Nobunaga se
battirent avec tant de conviction qu’ils vainquirent aisément leurs ennemis.
— Personne ne peut modifier les édits de la Destinée, dit à Nobunaga son serviteur
après la bataille.
— Assurément pas, répondit Nobunaga en lui montrant la pièce avec laquelle il avait
joué à pile ou face, et dont les deux faces étaient identiques.
Bien qu’il ait été le premier Japonais à étudier le Zen en Chine, on ne se souvient
guère du nom de Kakua. Voici pourquoi.
Kakua était allé en Chine pour recevoir le véritable enseignement. Il n’y voyagea
point mais y vécut dans une montagne lointaine, méditant constamment. Lorsque
quelqu’un allait le trouver et lui demandait de prêcher, il disait quelques mots et
s’en allait plus loin encore, dans un lieu plus désert.
Lorsque Kakua revint au Japon, l’empereur qui avait entendu parler de lui lui
demanda de prêcher le Zen pour son édification et celle de ses sujets.
Kakua écouta l’empereur en silence, puis tira une flûte des plis de sa robe et,
soufflant dedans, en fit sortir une seule note.
Sur quoi, ayant salué poliment, il disparut et plus personne n’entendit parler de
lui.
Tempérament
— C’est une chose très étrange que tu as là, dit Bankei. Montre-moi comment elle se
manifeste.
— Je t’aime tant que je ne veux pas te perdre. Ne me trompe pas avec une autre
femme. Si tu le fais, mon fantôme viendra te hanter et ne te laissera jamais en
paix.
Lorsqu’elle fut morte, son mari respecta son souhait pendant trois mois, mais
ensuite il s’éprit d’une autre femme et se fiança avec elle. Dès ce jour-là, un
fantôme lui apparut chaque nuit, lui reprochant de n’avoir pas tenu sa promesse. Ce
fantôme savait beaucoup de choses : il disait à l’homme tout ce qui se passait
entre sa fiancée et lui. Chaque fois que l’homme offrait un présent à sa fiancée,
le fantôme le décrivait en détail, et il répétait chacune de leurs conversations.
L’homme en était à ce point agacé qu’il en perdit le sommeil. C’est alors que
quelqu’un lui conseilla de soumettre son problème à un Maître du Zen qui vivait
près du village.
— Ton ancienne femme est donc devenue un fantôme, et elle sait tout ce que tu fais,
tout ce que tu dis ou offres à ta bien-aimée ? dit le Maître. Ce doit être un
fantôme très instruit, et que tu devrais admirer. La prochaine fois que tu le
verras, propose-lui un marché. Dis-lui que, puisque tu ne peux rien lui cacher, tu
rompras tes fiançailles s’il veut répondre à la question que tu lui poseras. Sur
quoi tu prendras une grosse poignée de baies de soja et tu lui demanderas combien
de baies tu as dans ta main. S’il ne peut te répondre, tu sauras que ce fantôme
n’est que le fruit de ton imagination, et il ne viendra plus t’ennuyer.
La nuit suivante, lorsque le fantôme apparut, l’homme le flatta, comme l’avait dit
le Maître, de son savoir.
— En effet, répliqua le fantôme. Je sais même que tu es allé voir le Maître du Zen
aujourd’hui.
— Puisque tu sais tant de choses, dit l’homme, dis-moi combien de baies de soja
j’ai dans cette main.
Le vrai miracle
Alors que Bankei prêchait au temple de Ryumon, un prêtre Shinshu, qui croyait au
salut par la répétition du nom de Bouddha d’Amour, conçut de la jalousie à cause de
son nombreux auditoire et voulut discuter avec lui.
— Le fondateur de notre secte, dit le prêtre avec arrogance, avait des pouvoirs si
miraculeux qu’il pouvait écrire le saint nom d’Amida alors qu’il se tenait sur
l’une des rives du fleuve, un pinceau à la main, et que son serviteur était sur
l’autre rive avec une feuille de papier. Es-tu capable d’une chose aussi
remarquable ?
— Ces tours de passe-passe ne sont pas dans la manière du Zen. Mon miracle à moi,
c’est de manger quand j’ai faim et de boire quand j’ai soif.
Mokurai, le Maître du temple de Kennin, à Kyoto, avait plaisir à parler avec des
marchands ou des chroniqueurs, aussi bien qu’avec ses élèves. Il lui arrivait aussi
de voir un tonnelier presque illettré, qui lui posait des questions stupides,
prenait le thé avec lui, puis s’en allait.
Un jour que ce tonnelier était là, Mokurai, qui désirait avoir un entretien privé
avec un de ses disciples, demanda à son visiteur d’attendre dans une autre pièce.
L’aveugle et la lanterne
Dans les temps anciens, au Japon, on utilisait des lanternes de bambou et de papier
où brûlait une chandelle. Un aveugle, qui avait rendu visite une nuit à un de ses
amis, se vit offrir une lanterne de cette sorte pour rentrer chez lui.
— Je n’en ai pas besoin, dit-il. Pour moi, il n’y a aucune différence entre le jour
et la nuit.
— Sans doute, dit son ami. Mais si tu ne portes pas de lanterne, quelqu’un d’autre
pourrait te bousculer. Prends-la donc avec toi.
L’aveugle y consentit, mais à peine avait-il fait quelques pas qu’un passant le
heurta brutalement.
Le Zen de Bouddha
Bouddha disait :
— Je considère la position des rois et des ministres comme celle des grains de
poussière. Je regarde les trésors d’or et de pierres précieuses du même œil que les
briques et les cailloux, les robes de soie les plus fines du même œil que des
loques usées. Les myriades de mondes qui composent l’Univers sont à mes yeux
pareils à des pépins de fruits et le plus grand lac de l’Inde à une goutte d’huile.
Les enseignements du monde sont des tours de magiciens. La plus haute conception de
l’émancipation m’apparaît comme une tapisserie de fils d’or vue en rêve et le
chemin sacré que suit l’illuminé comme le reflet des fleurs dans l’œil de celui qui
les regarde. Je vois la méditation comme la cime d’une montagne et le Nirvâna comme
un cauchemar en plein jour. Je considère la discrimination du bien et du mal comme
la danse serpentine d’un dragon, la naissance et le déclin des croyances comme de
simples traces laissées par les quatre saisons.