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Jana Urbanová

Commentaire composé - Moderato cantabile de Marguerite Duras

– Veux-tu lire ce qu’il y a d’écrit au-dessus de ta partition ? demanda la


dame.
– Moderato cantabile, dit l’enfant.
La dame ponctua cette réponse d’un coup de crayon sur le clavier.
L’enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition.
– Et qu’est-ce que ça veut dire, moderato cantabile ?
– Je sais pas.
Une femme, assise à trois mètres de là, soupira.
– Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, moderato cantabile ?
reprit la dame.
L’enfant ne répondit pas. La dame poussa un cri d’impuissance étouffé,
tout en frappant de nouveau le clavier de son crayon. Pas un cil de
l’enfant ne bougea. La dame se retourna.
– Madame Desbaresdes, quelle tête vous avez là, dit-elle.
Anne Desbaresdes soupira une nouvelle fois.
– À qui le dites-vous, dit-elle.
L’enfant, immobile, les yeux baissés, fut seul à se souvenir que le soir
venait d’éclater. Il en frémit.
– Je te l’ai dit la dernière fois, je te l’ai dit l’avant-dernière fois, je te l’ai
dit cent fois, tu es sûr de ne pas le savoir?
L’enfant ne jugea pas bon de répondre. La dame reconsidéra une
nouvelle fois l’objet qui était devant elle. Sa fureur augmenta.
– Ça recommence, dit tout bas Anne Desbaresdes.
– Ce qu’il y a, continua la dame, ce qu’il y a, c’est que tu ne veux pas le
dire.
Anne Desbaresdes aussi reconsidéra cet enfant de ses pieds jusqu’à sa
tête mais d’une autre façon que la dame.
– Tu vas le dire tout de suite, hurla la dame.
L’enfant ne témoigna aucune surprise. Il ne répondit toujours pas. Alors
la dame frappa une troisième fois sur le clavier, mais si fort que le crayon
se cassa. Tout à côté des mains de l’enfant. Celles-ci étaient à peine
écloses, rondes, laiteuses encore. Fermées sur elles-mêmes, elles ne
bougèrent pas.
– C’est un enfant difficile, osa dire Anne Desbaresdes, non sans une
certaine timidité. L’enfant tourna la tête vers cette voix, vers elle, vite, le

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temps de s’assurer de son existence, puis il reprit sa pose d’objet, face à
la partition. Ses mains restèrent fermées.
– Je ne veux pas savoir s’il est difficile ou non, Madame Desbaresdes, dit
la dame. Difficile ou pas, il faut qu’il obéisse, ou bien. Dans le temps qui
suivit ce propos, le bruit de la mer entra par la fenêtre ouverte. Et avec
lui, celui, atténué, de la ville au cœur de
l’après-midi de ce printemps.
– Une dernière fois. Tu es sûr de ne pas le savoir ?

Tu es sûr de ne pas savoir ce que ça veut dire, moderato cantabile?


C’est la phrase la plus connue du livre de Marguerite Duras. Moderato
Cantabile est un roman paru en 1958 aux éditions de Minuit. Le titre
Moderato cantabile est une indication musicale sur le tempo modéré et
chantant sur lequel doit être jouée la sonatine de Diabelli que joue le fils
d’Anne Desbaresdes. Le thème principal du texte dont le genre est
romanesque est l’impuissance de l’enfant dont nous ne savons pas le
nom lors de la leçon du piano pendant l’interrogation de son professeur.
Le récit est basé sur le dialogue entre le professeur du piano, son élève
qui est plutôt passif et sa mère impuissante qui fait partie de la leçon du
piano. L’enfant est plusieurs fois interrogé par son professeur du piano
sur la question ce que ça veut dire moderato cantabile. Le professeur
choisit une interrogation dure et heurtée puisque le lecteur a
l’impression que l’enfant est désespéré en ne pas savoir ce que ce terme
veut dire. L’auteur utilise la modalisation forte pour exprimer ces
sentiments. Nous pouvons dire que l’enfant est un peu dégradé par la
professeur qui insiste sur la réponse. Même la présence de sa mère
n’interrompt pas le comportement de la professeure qui pense que
l’enfant n’obéisse pas mais c’est seulement à cause de l’impuissance face
à elle. Le lecteur est compatissant avec l’enfant puisqu’il peut imaginer
cette situation ou le cri ne résout rien et l’étudiant devient en plus
apeuré et désespéré comme dans ce cas.
Comment donc cet incipit parvient-il à toucher le lecteur ?
Dans la première partie nous allons voir les procédés comme la
hyperbole et la métaphore utilisés par l’auteure pour que le lecteur soit
touché. Dans la seconde partie nous allons analyser comment l’auteure
joue avec les émotions dans le texte et quel est l’effet sur le
comportement des personnages.

D’abord, l’auteure du texte utilise plusieurs de procédés comment


toucher le lecteur. Le champ lexical de la musique est très important.
Dans ce début du roman il y a plusieurs mots liés a la musique comme

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déjà dans le titre « moderato cantabile », « la partition » a la ligne 4 ou «
clavier » a la ligne 3. Le récit est écrit au discours direct comme le
dialogue mais il manque des guillemets. Par exemple déjà a la ligne 1
nous pouvons y trouver le discours direct sans guillemets qui est
rapporté par le verbe demander au passé simple « Veux-tu lire ce qu’il y
a d’écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame ». Puis par
exemple le champ lexical de la colère est très visible : « femme soupira »
à la ligne 7, « un cri d’impuissance étouffée » à la ligne 9, « soupire une
nouvelle fois » à la ligne 12, « sa fureur augumenta » a la ligne 18, «
hurla la dame » a la ligne 23 et « frappa » à la ligne 24. Le champ lexical
du temps est aussi très important : « une nouvelle fois » à la ligne 13, «
une dernière fois » à la ligne 17 ou « cent fois » à la ligne 17. Enfin
l’auteure utilise le champ lexical de nombreux verbes du mouvement «
resta immobile 3, « bougea » à la ligne 10, « il en frémit » à la ligne 16 et
un grand nombre d’autres exemples.

Puis l’auteur utilise la langue soutenue et riche ce qui montre peut être
une appartenance a une classe sociale élevée. Elle n’utilise pas les mots
familiers ni vulgaires. Les verbes sont au passé simple, ce qui est
fréquent pour un style soutenu et littéraire. Par exemple « demanda la
dame » à la ligne 1, « soupira » à la ligne 7, « l’enfant ne répondit pas » à
la ligne 9 etc. La présence des épithètes nous, aux lecteurs, permet de
bien imaginer la situation et de nous embarquer dans le récit. Prenons
l’exemple de « l’enfant resta immobile » à la ligne 3 ou « la tête tournée
vers sa partition » à la ligne 4. « une femme assise à trois mètres de la »
à la ligne 7. Puis l’auteure utilise la description en détail alors nous
savons tout sur le comportement ou les émotions des personnages
principaux. Prenons l’exemple de la phrase au premier paragraphe : «
l’enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition ». Ou bien dans
le dernier paragraphe de ce texte, l’auteure décrit les impressions des
personnages : « Dans le temps qui suivit ce propos, le bruit de la mer
entra par la fenêtre ouverte. Et avec lui, celui, atténué, de la ville au
cœur de
l’après-midi de ce printemps ».

Après, la place du narrateur est très importante dans ce récit. Le


narrateur nous dit tous les détails sur l’histoire. La narration est très
détaillé avec les descriptions et les dialogues entre les personnages -
entre le professeur, l’élève et sa mère. Le narrateur omniscient qui
raconte l’histoire a la troisième personne nous dit tout sur les

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personnages principales. Leur comportement, leurs sentiments et les
émotions. Par exemple déjà au début de ce texte : « L’enfant ne répondit
pas. La dame poussa un cri d’impuissance étouffé, tout en frappant de
nouveau le clavier de son crayon. Pas un cil de l’enfant ne bougea. La
dame se retourna ».

Enfin, l’auteure emploie un grand nombre de figures de style. Par


exemple l’hyperbole est beaucoup utilisé : « je te l’ai dit cent fois, tu es
sur de ne pas le savoir? » a la ligne 17. Elle suscite le grossissement pour
mise en valeur, attirer l’attention du lecteur et dramatiser. L’hyperbole
n’est pas sans doute une seule figure de style utilisée. Par exemple la
métaphore est dans le texte employée aussi : « quelle tête vous avez la »
à la ligne 12 ce qui est dit ironiquement par la professeure du piano a la
mère de son élève qui ne savait pas ce que ça veut dire moderato
cantabile. Ou bien « c’est un enfant difficile » à la ligne 30.

Maintenant nous avons vu quelques procédés linguistiques de l’auteure


pour toucher le lecteur et dans la partie suivante nous parlerons de la
rôle des émotions dans le texte, comment l’auteure joue avec eux et
quel impact ont-elles sur le lecteur.

D’abord, les sentiments jouent un rôle très important dans ce texte.


L’utilisation des sentiments permet au lecteur bien comprendre la
situation et voir et suivre ce qui se passe dans la tête des personnages.
En plus, le lecteur devient plus proche des personnages en voyant
comment ils se sentent. Cela donc permet de rendre le texte plus
intéressant et plus émotif. L’auteure joue avec deux émotions
principales : l’impuissance et la colère. L’impuissance de l’enfant face a
sa professeure est bien visible. Dès le début, l’enfant est interrogé par
son professeur du piano sur la question ce que le terme veut dire :
« – Veux-tu lire ce qu’il y a d’écrit au-dessus de ta partition ? demanda la
dame.
– Moderato cantabile, dit l’enfant.
La dame ponctua cette réponse d’un coup de crayon sur le clavier.
L’enfant resta immobile, la tête tournée vers sa partition ». Dès le début,
l’enfant reste immobile ayant le sentiment d’impuissance. Peut être
l’intention de l’auteure est de susciter le sentiment de pitié chez le
lecteur. Le narrateur décrit l’enfant comme « l’enfant, immobile, les yeux
baissés, fut seul à se souvenir que le soir venait d’éclater. Il en frémit »
L’enfant est plutôt passif, il ne réagit pas à l’interrogation de la femme
puisque elle a choisi un style de communication très agressif à mon avis.

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Puis, le sentiment de la colère domine dans ce texte. Le professeur du
piano est dès le début très nerveuse parce que l’enfant ne sait pas la
réponse. Elle lui demande au moins cinq fois la question : « qu’est-ce que
ça veut dire, moderato cantabile ? » et sa colère monte parce qu’elle ne
reçoit pas la réponse. Nous pouvons noter que le champ lexical de la
colère domine dans le texte et la colère évolue : « La dame poussa un cri
d’impuissance étouffé, tout en frappant de nouveau le clavier de son
crayon ». Puis la colère du professeur du piano monte : « Je te l’ai dit la
dernière fois, je te l’ai dit l’avant-dernière fois, je te l’ai dit cent fois, tu es
sûr de ne pas le savoir? ». Ici, l’utilisation de l’hyperbole encore renforce
le moment. Selon le narrateur « sa fureur augmenta » et tout cela a
abouti à un hurlement de la professeur « tu vas le dire tout de suite,
hurla la dame ». En plus, la professeur à cause de sa colère casse le
crayon « alors la dame frappa une troisième fois sur le clavier, mais si
fort que le crayon se cassa ». A la fin de ce texte, le professeur en déduit
une conclusion en disant que l’enfant n’obéit pas, même si, à mon
opinion, la faute était à elle parce que l’enfant a agi ainsi justement à
cause de son comportement.

Enfin, dans le dernier paragraphe de ce texte, il y a un changement. Les


deux émotions ont disparu et quelque chose de nouveau arrive. C’est «
le bruit de le mer qui entra par la fenêtre ouverte et avec lui, celui,
atténué, de la ville au cœur de l’après-midi de ce printemps » qui
complètement rompt l’histoire. Le mot « printemps » évoque quelque
chose de beau, nouveau et positive. Avant, tout l’histoire était concentré
sur le professeur du piano qui était en colère et son élève, passif, qui ne
savait pas la réponse. Mais cela ne dure pas longtemps. A la fin de ce
texte, le professeur demande a son élève : « Une dernière fois. Tu es sûr
de ne pas le savoir ? ».

Pour conclure, le texte qui est le début du livre Moderato cantabile de


Marguerite Duras, d’une écrivaine de la deuxième moitié du 20e siècle,
est très riche du point de vue stylistique. Dans la première partie,
l’auteure utilise plusieurs procédés pour toucher et captiver le lecteur.
Elle utilise donc un grand nombre de figures de style comme l’hyperbole
ou la métaphore qui ont pour effet de renforcer le sentiment chez le
lecteur et de dramatiser le récit. En plus le texte est décrit d’une manière
très détaillé alors que le lecteur sache tous les détails sur l’histoire.
L’hyperbole « je te l’ai dit cent fois » émise par le professeur du piano
est un bon exemple de la dramatisation du récit. Puis l’auteure joue avec

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des émotions et avec les sentiments qui ont pour effet de bien imaginer
la situation, de comprendre ce qui se passe et de susciter un sentiment
chez le lecteur. Les sentiments principaux sont la colère chez la
professeure et l’impuissance face à elle chez son étudiant, fils de
madame Desbaresdes. Probablement, l’auteure a choisi ce début un peu
banal pour le contraster avec l’histoire principale du roman qui n’est pas
bien sur la leçon du piano mais le meurtre d’une femme dans un café.

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