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Mathilde Bréchet • Marie-Elise Masson

GALLIMARD JEUNESSE
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Aujourd’hui, à l’école, Basile et Gaspard
se sont encore moqués de Fatou. Ils ont
dansé autour d’elle en chantant : « Oreilles
pourries, oreilles pourries ! » Comme tous
les jours. Mais cette fois, Fatou ne s’est pas
laissé faire.

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Fatou est malentendante. Ça veut dire
qu’elle entend très mal. En fait, ses oreilles
n’ont jamais bien marché, même quand elle
était bébé.
Fatou est dans la classe arc-en-ciel, avec
six autres élèves, tous sourds ou
malentendants. Leur maitresse parle deux
langues : le français et la langue des
signes.

Certains enfants se moquent de Fatou. A


cause de sa voix bizarre : elle parle fort et
comme si elle avait du dentifrice dans la
bouche. C’est vrai qu’au début, ça me

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faisait peur. Mais maintenant, je trouve que
Fatou est trop forte. Elle parle avec son
corps : ses mains, ses yeux, ses sourcils et
puis sa bouche, qui fait des grimaces
rigolotes…

Fatou comprend très bien les mots


méchants sur les lèvres de Basile et
Gaspard : « Oreilles pourries, oreilles
pourries ! » Mais elle ne dit rien.
Moi, je trouve que c’est leur cerveau, qui
est moisi. Est-ce qu’ils aimeraient, eux,
qu’on les appelle « Taupe à lunettes » ou
« Tête d’ananas » ?

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Quand je regarde Fatou, je me pose
plein de questions. Est-ce que c’est triste,
un monde sans bruits ? Est-ce qu’elle peut
imaginer le cri du chat ou du mouton ? Est-
ce qu’elle entend son cœur quand elle a
peur, comme moi quand je joue à cache-
cache ? Est-ce que tous les deux on
pourrait être amis ?

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Pendant la récré de la cantine, Anissa et
moi, on a appris des mots en langue des
signes avec la maitresse de Fatou. Et puis,
un jour, on s’est lancés :
— Bonjour, a dit Anissa en posant sa main
sur son menton puis en l’avançant vers
Fatou.

Moi, j’ai tapé mon index et mon majeur


droits contre ceux de gauche. Ça veut dire
« Je m’appelle ». Mais avant que je termine,
Fatou a fait un immense sourire et a dit de
sa drôle de voix :
— Ar-thur, je sais ! C’est-toi-qui-n’est-pas-
très-fort-au-foot !
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En voyant ma tête toute rouge, Fatou a
éclaté de rire. Puis elle a frotté ses paumes
de mains en disant :
— Par-don, Ar-thur. Je-joue-au-foot-moi-
aussi.
— Tu es rem-pla-çante ? j’ai dit exprès.
Fatou a froncé les sourcils et m’a tiré la
langue. Mais ensuite elle a souri et a posé
deux doigts sur son bras.
— C’est bon, je rigole… Tu es a-tta-
quante ? j’ai demandé.

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« Oui », a dit Fatou de la tête. « A-ttends-
et-re-garde », a-t-elle ajouté en mimant
quelque chose avec ses mains.
— Heu… une vague ? j’ai essayé. Ah, oui,
la mer !
« Oui », a dit Fatou avec les yeux tout en
continuant à mimer.

— Heu…la main ? a poursuivi Anissa.


Couper la main…
Fatou a ensuite fermé son poing, a
tendu son index, puis l’a un peu replié…
— Un crochet ! j’ai hurlé. LE CAPITAINE
CROCHET !

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Fatou se tordait de rire. Et nous aussi.
Quand on a repris notre souffle, elle a
répété « CA-PI-TAINE » en posant à
nouveau ses deux doigts sur son bras.
— Tu es attaquante et capitaine de ton
équipe de foot, c’est ça ? a dit Anissa.
« Super !» j’ai dit avec mes deux
pouces levés.
« Bravo ! » a jouté Anissa en agitant
ses deux mains.

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C’est à ce moment-là que Basile et
Gaspard sont arrivés. Et qu’ils ont chanté :
— Oreilles pourries, oreilles pourries !
Fatou ne s’est pas fâchée. Au contraire,
elle s’est mise à rire. Elle a fait semblant
de fouiller dans sa poche de poitrine et a
levé les bras au ciel. Puis, avec son index,
elle a fait vibrer ses lèvres.
— Ça veut dire « carton rouge » j’ai
ajouté. Allez, sur la touche, les pas-
sympas !

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Je l’aime bien, Fatou. Elle est rigolote. Et
maintenant, Basile et Gaspard font moins
les malins.
À l’école, certains pensent encore que
Fatou a quelque chose en moins. Mais pour
moi, elle a quelque chose en plus.
Et puis, elle m’a appris plein de signes,
dont un très joli mot « ami ».

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