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Laurence CORSINI

L ’É NIGME DE L A MA ISON D’À CÔT É

Roman

Adiktion Studio

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L ’énigme de la maison d’à côté

Roman

Laurence CORSINI

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© Adiktion Studio
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Cet ouvrage né de l’imagination de l’auteur, n’étant qu’une création
romanesque, toutes ressemblances ou similitudes dans la réalité avec les
personnages du roman ne peuvent qu’être fortuites et de ce fait ne pour-
ront faire l’objet d’aucune plainte ou poursuite juridique, ni être passibles
de sanctions pénales.

Du même auteur

Les péripéties du Canapé Doré & Les chambres d’hôtes - Nouvelles


L’énigme de la Maison d’à côté - Roman policier
Méta Morphoses - Fantastique
L’Asile de la Déraison - Critique sociologique
Faux-cils et Faux-Semblants - Roman
Mimes et Gestuel, au delà du réel - Roman
États d’âme, prose et poésies - Recueil de poèmes

Couverture
Illustration Marie Castelli, Adiktion Studio ©

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L ’énigme de la maison d’à côté

Prologue

Neuf heures venaient de sonner à la chapelle qui jouxtait sa


demeure.
Roxane encore en tenue d’Éve se frotta les yeux, émergeant
d’une nuit sans sommeil passée à essayer d’apprivoiser celui-ci.
En effet, cela faisait bientôt deux ans qu’elle était insomniaque
et confondait les jours avec les nuits ! Machinalement elle se leva
pour aller se rafraîchir, jetant au passage un coup d’œil sur la jo-
lie terrasse qu’elle partageait en mitoyenneté avec la maison d’à
côté. De ce fait, sans le vouloir, son regard pouvait plonger chez
les voisins, simplement lorsqu’elle regardait par la fenêtre. Mais
jusque-là cette bizarrerie des architectes n’avait encore jamais
gêné personne. Roxane aimait cette terrasse qu’elle découvrait
chaque matin à travers les vitres et cette période de l’année la
rendait plus attrayante encore !
C’est alors qu’elle aperçut l’homme bondir de la fenêtre voi-
sine pour sauter sur la terrasse et tenter de grimper à l’énorme
glycine odorante qui encerclait son balcon. Interloquée, Roxane
eut envie de crier, puis mue par je ne sais quel réflexe de pru-
dence, elle se dissimula dans les pans de la tenture qui déco-
rait l’ouverture. L’homme ne réussissant pas à escalader après
plusieurs tentatives, reprit le chemin inverse empruntant cette
fois-ci le petit escalier en colimaçon qui menait de la terrasse
commune à la maison des voisins.
Mais justement il ne s’agissait pas du voisin !
Sa curiosité ayant pris le pas sur sa peur, Roxane avança le
bout du nez et plongea son regard dans la pièce de l’autre maison.
La fenêtre envahie par la lumière du matin laissait entrevoir des
boiseries somptueuses de couleur ocre encadrant une superbe
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bibliothèque aux reliures colorées égayant tout l’ensemble. Jamais


jusque-là elle n’y avait prêté attention et seul le bond incongru de
l’individu qui venait juste de disparaître, lui fit prendre conscience
de la beauté du lieu. Roxane passa alors rapidement un tee-shirt
et descendit aussi prestement dans son salon pour ouvrir les volets
de la porte fenêtre donnant sur la terrasse. Puis poussée par je ne
sais quelle impulsion elle se mit à gravir avec précaution le dit
escalier en colimaçon qui permettait de rejoindre la fenêtre d’où
l’homme avait bondi !
Voilà qu’à son tour elle cherchait à pénétrer chez ses voisins !
« Mais quelle mouche me pique ? » se demanda-t-elle. Il n’em-
pêche qu’elle continua jusqu’à parvenir au seuil de la pièce. C’est
alors qu’elle entendit les sanglots d’une femme au rez-de-chaus-
sée, couverts par la voix rauque d’un homme en colère :
« Mais d’où vient ce type ? Dis-moi tout sinon...  »
La lame de parquet qui craqua sous les pieds de Roxane fit s’in-
terrompre le voisin, faisant aussitôt rebrousser chemin à Roxane,
paniquée à l’idée d’être prise en flagrant délit d’intrusion !
Elle s’enfuit donc et se réfugia dans ses appartements.
Sauf qu’il n’y avait jamais eu de femme chez les voisins
qui étaient deux vieux messieurs homosexuels convaincus et
charmants à la vie jusque-là sans histoire !
Épuisée, Roxane oublia l’incident et alla s’installer sous sa
véranda afin de déguster un bon petit déjeuner. Elle adorait ce
moment de la journée où les senteurs de la glycine se mêlaient
aux bourdonnements des abeilles butinant les grappes violettes,
lorsque la rosée du matin brillait encore dans les toiles translucides
jetées çà et là durant la nuit par les araignées du soir. Tout scintillait
alors et parfois même une légère vapeur d’eau suivie d’un petit
grésillement accompagnait la disparition des gouttes de rosée.
Roxane, croqua dans la tartine de pain frais nappée de confiture
que le soleil du jour fit à son tour miroiter puis soupirant d’aise
se lova dans le rocking-chair au coussin bien moelleux en se
balançant doucement.

C’est alors qu’un hurlement retentit et que les sanglots de


la femme reprirent de plus belle. Sortant alors de sa torpeur
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Roxane vit se balancer, accroché au lustre des voisins, l’homme


qu’elle avait vu bondir sur la terrasse.
Sauf qu’il était pendu !
Elle se pencha pour mieux voir. Il s’agissait bien d’un homme
mais était-ce vraiment le visiteur ou était-ce quelqu’un d’autre ?

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Une matinée d’été

La chair de poule hérissa tout le corps de Roxane. En trem-


blant, elle reprit alors son poste d’observation fascinée par les
oscillations du corps qu’elle apercevait par la fenêtre béante.
Puis dans un laps de temps très court, elle entendit des pas dans
l’escalier d’en face, une ombre qu’elle ne put identifier ferma
prestement les battants de la fenêtre, tirant les rideaux avec pré-
cipitation. Le silence revint...
Seul le battement d’aile d’une colombe vint troubler le temps
qui s’était arrêté ! Roxane sentant sa gorge sèche, déglutit avec
difficulté. Revenue de sa stupeur de l’instant, elle se demandait
même si elle n’avait pas été le jouet de son imagination et si sa
nuit blanche n’en était pas la cause ? Mais non, l’observation de
la terrasse, de la glycine effeuillée et des branches éparts sur la
pelouse constituaient des éléments bien réels.

Elle n’avait pas rêvé et avait bien vu un homme bondir, sauter


par la fenêtre et tenter de pénétrer chez elle par la glycine ! Quant
au pendu, s’agissait-il d’une hallucination  due à la fatigue  ?
Toutes ces questions se bousculaient dans sa tête, où peur et
curiosité se mélangeaient en un amalgame inextricable. Pendant
quelques secondes, elle eut la tentation de prévenir la police,
mais y renonça très vite de peur de paraître ridicule, ou accusée
d’indiscrétion.
« Bon, soit j’oublie tout et la vie reprend comme avant, soit
je découvre la vérité… » se dit-elle en elle-même. Ce fut à cet
instant que Roxane décida de jouer les détectives.
La peur qui l’avait envahie auparavant l’avait définitive-
ment quittée, et s’était transformée en une sorte d’excitation
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étonnante pour elle. En effet Roxane était une personne plutôt


pragmatique ne se départant jamais de son calme, ce qui lui
permettait de tout relativiser. N’empêche que cela ne devait pas
être tout à fait vrai puisque ses insomnies dégradaient sa qualité
de vie depuis ces deux dernières années ! Certes elle avait perdu
son emploi de chroniqueuse dans un petit journal local et cela
mine de rien semblait à l’évidence l’avoir touchée plus qu’elle
ne l’avait cru au premier abord et pour la première fois elle se
demanda bien pourquoi  ? S’agissant d’un licenciement éco-
nomique elle n’était pas remise directement en cause. Roxane
s’était même réjouie de cette opportunité de prendre un congé
sabbatique qui lui donnerait du temps pour mieux profiter de la
vie. Ayant quelques économies et pas de loyer à payer grâce à la
maison dont elle avait hérité, elle s’y était installée avec enthou-
siasme et conviction. Il n’empêche que les insomnies avaient
commencé dès son aménagement. Au début elle les avait attri-
buées à son changement radical de vie, au silence qui régnait
dans le quartier et qui constituait un environnement inhabituel
pour elle habituée à la frénésie bruyante de Paris. Mais mainte-
nant qu’elle s’était habituée et appréciait sincèrement le lieu, elle
ne comprenait pas leur persistance et était même allée consulter
un médecin qui n’avait su que lui donner des pilules associées à
quelques paroles d’encouragement…
L’événement dont elle venait d’être l’involontaire témoin
occupa désormais tout son esprit et balaya ses interrogations
quant à l’inconfort de ses nuits.

Roxane descendit comme un félin jusqu’à la jolie terrasse,


faisant son tour matinal habituel pour contempler fleurs et
pousses nouvelles. « Surtout ne pas changer mes habitudes pour
ne pas donner l’éveil », pensa-t-elle. Ses pieds nus foulaient déli-
catement le gazon bien fourni et un bien-être étonnant se diffu-
sait en elle. Son cœur tressaillit dans sa poitrine quand la porte
fenêtre d’en face s’ouvrit laissant passer Gérald, le plus bavard
du couple.
« Alors ma belle, on fait son petit tour du matin » Il semblait
détendu et affable comme à l’accoutumée.
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« Et la nuit, a-t-elle été meilleure ? s’enquit-il gentiment sur


ses insomnies récurrentes, ayant été mis dans la confidence par
Roxane.
– Euh, non, c’est comme d’habitude, je récupère le matin et
fais la grasse matinée, répondit-elle naturellement, cela passera
bien un jour  ! Je suis un peu groogy avec les pilules du tou-
bib… » ajouta-t-elle en souriant.
Pourquoi eût-elle l’impression que Gérald était soulagé de
cette dernière information, elle ne le sut pas mais le ressentit
aussitôt. Puis elle alla humer le jasmin et contempler les nou-
velles pivoines qui s’étaient épanouies. Leur terrasse commune
s’étendait sur deux cents mètres carrés de gazon bien entretenu
par leurs soins et offrait tout au fond un refuge délicieux consti-
tué en une pergola parsemée de chèvrefeuille à l’odeur de miel
et de clématites roses et mauves. Quelques roses pompons com-
plétaient le décor et rendaient la Gloriette charmante et délicate.
Aux beaux jours, des coussins confortables y étaient installés et
Sylvain le compagnon de Gérald s’était investi de la mission de
les rentrer aux premières ondées, chaque soir quand tous étaient
couchés afin de les protéger de toute humidité.
Chaque matin, il les replaçait avec soin en bon obsessionnel
qu’il était. Roxane les aimait beaucoup tous les deux et ils lui
rendaient bien. Ils vivaient ensemble depuis vingt ans et leur vie
semblait plus que limpide. Encore que... l’événement du matin
semblait désormais bien prouver le contraire ! Sylvain apparut
drapé comme à son habitude dans un kimono de soie très théâ-
tral et fit un petit geste amical de la main, avant d’aller nourrir
les poissons rouges du bassin central de la terrasse. Il enclencha
ensuite la manette permettant aux tritons de la fontaine, gar-
diens des lieux, de cracher leur geysers rafraîchissants et scin-
tillants de soleil en cette belle journée et se frotta les mains de
satisfaction comme tous les jours avant d’aller faire l’inspection
de son mini jardin d’herbes aromatiques qu’il avait constitué
dans un coin. C’était lui qui faisait la cuisine et ses quiches par-
tagées avec leur voisine étaient savoureuses à tomber par terre.
Roxane sourit en se remémorant tout cela, étonnée aussi que
tout est l’air normal !
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« Et pourtant en attendant, il y a un pendu qui se balance


accroché au lustre ! Je n’ai pas rêvé ! » s’exclama-t-elle en son for
intérieur. Semblant rassérénés par l’attitude de leur voisine, ils
retournèrent dans leur antre en minaudant comme à l’accoutu-
mée. Le muguet de Mai tapissait un coin d’ombre de la terrasse
jardin et le chat noir aux yeux dorés du quartier vint faire son
petit tour. C’était le travail de Roxane de lui octroyer sa sou-
coupe remplie de lait et son bol de croquettes. A chacun ses
tâches. Vraiment dans ce lieu que pouvait-il arriver ? Et pour-
tant !
Une femme avait sangloté, un homme s’était enfui pour mieux
se pendre ensuite, puis Pffft tout s’était escamoté... Suspense !

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Nuit de pleine lune

Les fleurs du cerisier, planté sur la terrasse voltigeaient çà et


là jusqu’à se réfugier dans la chambre à coucher de Roxane en
diffusant une odeur sucrée favorisant l’euphorie. Roxane essayait
de se souvenir du visage de l’homme qui cherchait à s’enfuir afin
de le fixer dans sa mémoire. En même temps elle se demandait
ce qui se tramait dans la maison d’à côté et ce qu’était devenue la
femme en sanglots. Elle s’attarda volontairement sur la terrasse-
jardin, afin de découvrir tout détail susceptible de faire avancer
ses recherches. Roxane jouait au détective et s’en sentait stimulée,
même si un danger sous-jacent pouvait en résulter. En furetant au
pied de la glycine et en ramassant les grappes violettes arrachées
accidentellement par l’homme en fuite, elle découvrit une boite
d’allumettes probablement tombée dans sa tentative d’escalade.
Distribuée dans un but publicitaire par les établissements, celle-
ci donnait l’adresse et la photo d’une terrasse de café situé près
du village. Ouvrant machinalement celle-ci, elle y découvrit
à l’intérieur un numéro de téléphone inscrit au stylo à bille.
Jubilant intérieurement, elle se dit que c’était un bon début
pour son enquête et s’apprêtait à rentrer lorsqu’elle perçut des
chuchotements émanant de la fenêtre du sous-sol situé en rez de
jardin de la villa de ses voisins.
« Tu penses qu’elle a vu quelque chose ?
– Non franchement je ne crois pas, elle était comme d’habitude
ce matin, en plus elle semblait shootée avec ses nouveaux cachets ! 
– Tant mieux... mais dis-moi, que fait Inès ?
– Je lui ai donné un calmant, elle dort, on verra bien après.
La voix de Gérald paraissait froide, calme et assurée à l’inverse
de celle de Sylvain angoissée et hésitante.
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L’échine de Roxane se hérissa, elle ne s’était pas trompée. Il


se passait bien quelque chose de pas ordinaire chez les voisins.
Elle tourna alors les talons et se décida à composer le numéro
de téléphone inscrit dans la boite d’allumettes.
« Allo, Allo, qui est à l’appareil ? C’est toi Inès ?» répétait une
voix de femme à l’autre bout du fil,
« Alors comment ça s’est passé ?
– Bonjour, mon nom ne vous dira rien, mais j’ai trouvé votre
numéro de téléphone et j’ai tout lieu de croire que votre amie
Inès est en danger ; elle se trouve actuellement sous sédatif et
dans le plus grand secret chez un couple se prénommant Gérald
et Sylvain F. Le saviez-vous  ? Et si vous voulez l’aider, il faut
m’en dire plus sur elle. 
– Mais, mais, qui êtes- vous donc et qui vous a donné mon
numéro de téléphone ? 
– J’ai surpris une conversation entre les deux personnes que
j’ai nommées et j’ai tout lieu de me préoccuper du sort de votre
amie ; mais il me faut en savoir plus !
– Inès n’est pas mon amie, mais ma sœur jumelle et si elle
connait Gérald c’est qu’il a été son mari, il y vingt ans de cela
avant qu’il ne découvre son homosexualité, elle a même eu un
enfant avec lui. Le problème est qu’elle est très fragile et va sou-
vent faire des séjours en institution psychiatrique, elle est tou-
jours aidée financièrement par Gérald qui n’a jamais osé révéler
son passé à Sylvain. Il lui a raconté qu’elle était sa sœur et qu’elle
était déficiente mentale ! Qu’ont-ils fait à ma sœur ? » dit-elle
tout à coup très angoissée.
Roxane ne répondit pas, enchainant sur une autre question.
« Pourquoi est-elle allée les voir ?
– Et bien, répondit son interlocutrice, c’est un peu
compliqué, mais bon je vous l’expliquer. Ma sœur n’a jamais
dit à son fils qui était son père, mais celui-ci à ses dix-huit ans
a décidé de faire des recherches et a engagé un détective privé
qui a réussi à retrouver l’adresse de Sylvain, à partir des sommes
qu’il versait à ma sœur pour le pensionnat de l’enfant. Étant
désormais majeur, il a dit à ma sœur qu’il voulait rencontrer
son père maintenant qu’il savait son adresse. Comme il ignorait
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l’homosexualité de celui-ci, Inès a paniqué et a décidé d’aller en


parler à Gérald.
– Ah je comprends mieux, répondit Roxane, mais l’ami de
Gérald connait-il l’existence de ce fils, au fait comment s’appelle-
t-il ?
– Son prénom est Didier.
– Et le détective ?
– Samuel Hash.
– Merci, je vous donne mes coordonnées et je vous tiens au
courant. À bientôt. Je ne pense pas qu’il faille prévenir la police,
mes voisins sont charmants !
– Si vous le dites, il n’empêche que je m’inquiète » dit la sœur
jumelle d’Inès.
Il y eut un silence suivi du « A bientôt » formulé par Roxane.

Celle-ci avait volontairement omis de parler de l’homme


qu’elle avait vu bondir sur la terrasse et tenter d’entrer par effrac-
tion chez elle, et surtout de la vision du «pendu » !
D’ailleurs plus le temps passait, plus elle se demandait si ce
n’était pas une hallucination... due aux médicaments qu’elle avait
pris pour ses insomnies. Pourtant il lui avait paru bien réel ! Et
puis qu’était-t-il advenu d’Inès ? Une inquiétude tordit l’estomac
de Roxane, tandis qu’elle se posait une foule de questions.
Qui était l’homme qui se sauvait de chez les voisins et pour-
quoi s’était-il pendu, et comment ? Si pendu il y avait...
En attendant une sérieuse migraine serrait ses tempes et sa
décision de jouer au détective et surtout de garder cela pour elle,
commençait à lui donner des spasmes à l’estomac !
«  Mais qu’est-ce qui me prend à vouloir jouer les Sherlock
Homes ? » se dit-elle. Pourtant malgré la boule d’angoisse qui lui
serrait la gorge, son désir de continuer ses investigations fut le plus
fort et l’adrénaline qu’il provoquait fit monter son excitation !

Remontant dans sa chambre elle s’installa en tailleur sur son


lit, un œil toujours sur les fenêtres des voisins, et l’ordinateur sur
les genoux, elle entreprit de réunir ses interrogations et les infor-
mations qu’elle venait de recueillir : L’intrus était-il le détective
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mandaté par le fils d’Inès ? Mais pourquoi s’être introduit ainsi


dans la maison et surtout pourquoi s’y retrouver pendu ! Toute à
ses pensées, Roxane ne vit même pas le temps passé et en oublia
de déjeuner et de dîner. Ce ne fut qu’à la nuit tombée qu’elle
descendit l’étage pour ouvrir le frigidaire et grignoter ce qui lui
tombait sous la main. Puis elle remonta à son poste d’observation
sans allumer une seule lampe, de peur d’être vue. Vers vingt-trois
heures, alors qu’elle commençait à s’assoupir, des bruits et des
chuchotements la sortirent de sa torpeur.

Stupéfaite, elle vit Gérald et Sylvain avec brouette, pioches et


pelles se diriger vers un superbe massif de rhododendrons rouges
grenat. Ils commencèrent à creuser. La terre noire et allégée par les
mini-copeaux constituant le compost nécessaire au bon enracine-
ment de ces fleurs, fut creusée et évacuée facilement grâce aux coups
de pelles énergiques de nos deux compères. Il en résultat bientôt
un monticule impressionnant cachant les deux protagonistes. Elle
ne pouvait distinguer le trou correspondant à la terre évacuée, mais
à voir la terre accumulée devant il ne pouvait qu’être profond et
conséquent. C’était nuit de pleine lune et le couple avaient laissé de
côté les lampes électriques qui au-début de leur travail balayaient la
pelouse de faisceaux lumineux. Il faisait assez clair cette nuit-là pour
y voir et œuvrer ! Ainsi Roxane était aux premières loges également.
Soudain ils s’arrêtèrent et retournèrent dans la maison. Une demi-
heure passa. Roxane se dit qu’ils étaient assez farfelus pour vouloir
planter un arbre un soir de pleine lune, afin que celle-ci favorise sa
croissance. Le grincement de la porte-fenêtre l’alerta de leur retour.
Ils sortirent alors portant difficilement un objet plus long que large,
de deux mètres environ, enveloppé manifestement dans une bâche
de plastique. « Bizarre », pensa Roxane, on ne voit pas les branches,
ni les feuilles et puis ce n’est pas la saison, on ne plante pas les arbres
au printemps ! En trois minutes s’évanouirent ses élucubrations sur
l’aménagement des jardins les soirées de pleine lune et une autre
réalité plus crue et plus terrible  s’imposa à son esprit : Et s’il s’agis-
sait d’un corps ? S’agissait-il d’Inès ou du pendu ? Roxane en eut la
chair de poule, elle sentit sa gorge se contracter et se mit à trembler.

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Inès et Gaëtan

En voyant débarquer Inès, Gérald d’abord surpris, se sentit


bientôt très mal à l’aise. Que se passait-il donc ? Jamais elle n’avait
agi de la sorte. Puis voyant son état d’extrême agitation, il se dit
qu’il y avait quelque chose de grave qui ne pouvait déboucher que
sur des ennuis en perspective ! D’autant plus que Gérald avait fait
l’impasse de sa vie passée en cachant soigneusement à Sylvain l’er-
reur de son mariage à vingt ans ainsi que la naissance de son fils...
C’eut été plus simple de le dire mais Gérald avait choisi différem-
ment et avait fait passer pour sa sœur, Inès qu’il ne voyait que très
rarement, la présentant comme quelqu’un de fragile et d’instable.
Sylvain l’avait cru. Gérald envoyait en cachette de l’argent à son
ex-femme dont il n’avait jamais divorcé d’ailleurs, payant aussi
régulièrement le pensionnat où avait été placé leur fils dès l’âge
de trois ans. Comme tout se passait bien, il avait même fini par
oublier cet épisode de sa vie comme sa paternité. Or voilà que
l’histoire venait de le rattraper. Il servit une collation à Inès, y
ajoutant un tilleul et un anxiolytique. Lorsqu’elle fut calmée, elle
put enfin lui expliquer la raison de sa visite : Grâce à un détective
privé, leur fils venait de découvrir l’identité de Gérald ainsi que
son adresse et avait comme projet de le rencontrer. 
« Mais, mais tu sais bien que ce n’est pas possible, il y a Sylvain
qui ne sait rien ! » Inès éclata en sanglots. Gérald prit une poignée
de mouchoirs pour étancher ses larmes. Elle se moucha spora-
diquement tout en pétrissant le coussin qu’elle avait près d’elle,
répétant en boucle :
« Il va venir, oui, oui, il va venir ! Mon Dieu que faire, que
faire  !  » Puis elle s’endormit d’un seul coup et se mit à ronfler
bruyamment.
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Sylvain rentra juste à cet instant. Gérard en eut des sueurs


froides « Dire qu’il aurait pu tout entendre ! » se dit-il. Il chan-
cela un peu et s’assit sur le rebord du lit en s’épongeant le front
avec un des mouchoirs.
« Tu ne te sens pas bien, mon chou ? » s’enquit tendrement
Sylvain.
Se relevant d’un bond, Gérald grommela quelque chose
d’inaudible et sortit précipitamment. Voyant Inès endormie, Syl-
vain sortit à son tour et ne voyant pas Gérald, partit vaquer à
son occupation favorite  : surfer sur les réseaux sociaux d’inter-
net, et surtout sur les sites de rencontre. C’était d’ailleurs là qu’il
avait rencontré Gérald. Sylvain aussi avait son jardin secret et ne
disait pas tout à Gérald. Ainsi de temps en temps faisait-il des
rencontres, s’inventant diverses identités pour donner un peu de
piment à sa vie. Car il faut le dire depuis sept ans qu’ils vivaient
ensemble, il ne se passait plus grand-chose dans leur couple, et à
part une grande tendresse, la vie lui paraissait plutôt plan-plan !
Donc le sexuel il le trouvait sur des sites plus ou moins «  hards »,
sans risque de lendemain. Bien sûr pour ne pas mettre en danger
la santé de Gérald, Sylvain se protégeait et cachait ses préserva-
tifs au-dessus d’une poutre du bureau où il était censé travail-
ler à la création de ses romans. En fait Sylvain écrivait pour les
autres, ayant décidé de mettre son imagination et son talent au
service d’autrui car cela lui rapportait beaucoup d’argent… Syl-
vain aimait beaucoup l’argent et là était son talon d’Achille. Un
jour émoustillé par plusieurs dialogues et un profil peu ordinaire,
Sylvain prit le risque de donner rendez-vous à son domicile à un
jeune homme rencontré sur un site. Jamais il n’avait procédé ainsi,
mais de la même façon qu’il est dit « l’occasion fait le larron », il
profita d’un séminaire d’une semaine de Gérald pour faire venir
l’inconnu ; ce qui ne devait être qu’une chaude soirée de parties de
jambes en l’air, se transforma en une semaine érotico-sentimen-
tale qui se reproduisit plusieurs fois dans d’autres lieux bien sûr !
Sylvain profitait du corps de son partenaire qui devenu follement
amoureux, le couvrait à son tour de cadeaux et de déclarations
enflammées. Sylvain n’y prêtait guère attention alors que Gaétan,
le jeune éphèbe en question, se consumait littéralement d’amour
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pour lui. D’empressé il devint de plus en plus pressant et cette re-


lation commença à déranger Sylvain qui voulut y mettre fin. Mais
Gaétan ne l’entendant pas ainsi, commença à devenir exigeant,
voulant plus de temps, plus de place et surtout de la reconnais-
sance. Pour Sylvain il n’en fut pas question et il remercia de façon
très cavalière le jeune homme. Celui-ci fou de rage débuta par un
harcèlement téléphonique pour finir par un odieux chantage.
« Puisque tu ne veux plus de mon amour, paye-moi pour nos
rencontres sexuelles  !  » Sylvain quelque peu cynique, crut qu’il
pourrait terminer ainsi cette liaison qui devenait encombrante et
que tout compte fait, c’était une solution pour se débarrasser de
lui ! Mais il n’avait pas présumé de l’hystérie et de la pathologie
du jeune homme qui insatiable ne cessait de le traquer journelle-
ment pour obtenir faveurs et argent. « Ses phrases se terminaient
chaque fois par un « sinon je vais débarquer chez toi et tout dire
à Gérald ! » Et le jour arriva où Gaëtan passa à l’acte et pénétra
chez les voisins de Roxane afin de mettre ses menaces à exécution
et de tout dévoiler.

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L ’énigme de la maison d’à côté

Départ du Trio

Roxane était fascinée, même plus  : hypnotisée pourrait-


t-on dire par le spectacle qui se passait sous ses yeux par cette
nuit de pleine lune. Elle vit le corps escamoté disparaitre dans
la cavité creusée par le couple et le monticule de terre rapetis-
ser pour combler le trou. A grands coups de bêche ils tassèrent
la terre et ne s’interrompirent pas même une minute ! Puis une
fois le trou bien nivelé, ils replantèrent méthodiquement un par
un les rhododendrons rouges écarlates qu’ils avaient dépotés.
Tout redevint comme avant, comme si rien ne s’était passé.
Mais qui était dans le trou ? Roxane attendit le matin pour
rappeler la sœur jumelle d’Inès qui s’alarmait de plus en plus
n’ayant aucune nouvelle de sa soeur.
« Je vais prévenir la police, c’est par trop inquiétant ! »
De plus Samuel Hash, le détective contacté par le fils d’Inès
lui non plus ne donnait plus de nouvelles contrairement à ses
habitudes. Les hémisphères cérébraux de Roxane fonctionnaient
à la vitesse de la lumière et elle sentit comme une effervescence
submerger toute sa tête. Les joues en feu, presqu’en hypoxie, elle
arriva néanmoins à rassurer la sœur d’Inès, lui promettant de la
tenir au courant. Mais qui se trouvait sous les massifs de fleurs,
le détective, la sœur d’Inès, où le pendu ? Et pourquoi l’homme
s’était-il pendu  ? A moins qu’on l’ait assassiné, mais pourquoi
l’accrocher au lustre. Roxane devait à tout prix en savoir plus,
aussi décida-t-elle de pousser plus loin ses investigations et d’aller
espionner ses voisins. Elle s’était aperçue que près de la gloriette
il y avait une zone de résonnance qui renvoyait parfois l’écho de
ce qui se disait dans la maison d’à côté. Ainsi faisant mine d’aller
se relaxer dans le coussin moelleux de cet endroit confortable, elle
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L ’énigme de la maison d’à côté

se levait régulièrement pour essayer d’entendre ce qui se tramait


à l’intérieur.
Un éternuement retentit qui la fit sursauter, puis une voix gei-
gnarde de femme s’éleva. « Ouf, Inès n’est pas morte, ce n’est pas
elle qui est sous les rhododendrons » D’ailleurs celle-ci s’adressait
à Gérald.
« Tu sais l’homme que tu as vu, c’est le détective de notre fils,
est-il parti ? »
– Chut, ne parle pas de lui, voilà Sylvain. »
–  Alors, la petite sœur va-t-elle mieux ? » demanda la voix très
reconnaissable de Sylvain, voix dont le timbre ressemblait plus à
celui d’une girouette qui grince et tourne dans le vent qu’à une
voix humaine.
« Oui, oui elle s’est reposée, elle déjeune avec nous puis je la rac-
compagne à la gare » précisa avec précipitation Gérald souhaitant
à l’évidence couper la parole à Inès, de peur qu’elle en dise trop.
« Allons grignoter à l’auberge du coin, elle est près de la gare,
ainsi nous pourrons consulter les horaires des trains ». Ce qui fut
dit fut fait. Un brouhaha confus retentit, puis plus rien. Roxane
rentra chez elle. Elle vit la porte du garage s’ouvrir et la voiture de
Gérald apparut, Inès se trouvait à l’arrière, Sylvain s’était installé à
l’avant à côté de Gérald qui conduisait.
Roxane en profita pour prendre dans la commode de sa
chambre, le double des clefs de la maison des voisins, que lui avait
un jour confié l’agence immobilière avant que ceux-ci n’emmé-
nagent et se précipita dans la maison d’à côté. « J’ai deux heures de-
vant moi, le temps qu’ils déjeunent, attendent le train et reviennent
de la gare. » Celle-ci était à une dizaine de kilomètres et cela allait
lui laisser la possibilité d’explorer et de fureter sans se presser !

Par précaution tout de même elle appela les renseignements


afin de connaître les horaires des trains pour Paris. Puis, le nez au
vent elle sortit de chez elle et à pas feutrés bien qu’il n’y eu per-
sonne pouvant être alerté, traversa la pelouse jusqu’à la porte d’en-
trée, mit la clef dans la serrure et pénétra dans la maison d’à côté.

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L ’énigme de la maison d’à côté

Roxane espionne ses voisins

Ce qui la frappa en premier, ce fut ce curieux mélange d’odeurs


d’encens et d’éther associées. Comme si on avait voulu endormir
quelqu’un, puis dissimuler les relents d’éther avec des bâtonnets
parfumés à l’encens. Dans l’entrée rien ne lui parut anormal, dans
le salon non plus. Mais levant la tête en contemplant la mezzanine
au dessus, elle vit le lustre où elle avait découvert l’homme pen-
du. Elle monta dans les chambres et tout semblait en ordre, Puis
elle parvint dans le bureau surtout utilisé par Sylvain censé écrire
ses bouquins. Étant douée en informatique, elle s’installa devant
l’écran et l’alluma. En apparence Sylvain jouait la transparence
car aucun mot de passe n’était demandé pour accéder à l’écran :
l’ordinateur n’était pas verrouillé. Bon, se dit-elle, la confiance
règne dans le couple. Pourtant en y réfléchissant quelque chose
l’avait toujours gêné dans Sylvain : il ne regardait jamais en face
lorsqu’on parlait. Mais bon, on ne pouvait pas mettre au pilori
tous les individus ayant ce comportement, peut-être la timidité en
était-elle la cause. Il n’empêche qu’un sentiment étrange l’envahis-
sait toujours lorsqu’elle se trouvait en sa présence, un sentiment
où malaise et envie de fuir étaient étroitement imbriqués ! Elle
continua à avancer sur l’ordinateur, rien que du banal en fait sur
l’écran. Puis elle cliqua sur la mémoire où étaient stockés les ro-
mans. Au début les titres apparurent ainsi qu’une liste impression-
nante d’ouvrages. Mais quand écrivait-il ? se demanda-elle, il est
toujours dehors été, comme hiver. Peut-être est-il insomniaque
comme moi et écrit-il la nuit, cependant je vois de ma chambre
la fenêtre de son bureau et elle est toujours éteinte ! Il doit écrire
ailleurs. Au moment où ces pensées la traversaient, elle fit défiler
les titres des ouvrages ouvrant les documents un par un. A l’ins-
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tant même où elle allait y renoncer tant la liste était exhaustive,


le titre de l’un d’eux ne s’ouvrit pas. Un clic, un double clic rien.
Tiens, pourquoi celui-là, puis un mot de passe fut demandé  ?
Plusieurs idées lui vinrent en tête, mais rien n’ouvrait le dossier.
Se penchant sur le titre de l’ouvrage  « Extérieurs et passages »,
elle songea à «  ex  » et à «  pas sage  » et se rappela du nom de
leur maison : L’Éloge de la Folie. Se disant qu’Erasme n’avait rien
avoir là-dedans, elle tapa le mot éloge comme mot de passe, rien
ne se passa, puis folie et là le document s’ouvrit. Sa stupeur fut
à son comble lorsqu’elle découvrit une collection de photos et
vidéos de jeunes hommes dans des situations pornographiques,
puis des lettres où il était évident qu’elles s’adressaient à Sylvain.
Ce n’était que sexe et déviation et manifestement les quelques
commentaires ajoutés par Sylvain montrait que non seulement il
appréciait ces rencontres, mais qu’il était aussi cynique que per-
vers. Roxane venait de découvrir un secret bien gardé. Une bonne
centaine de photos de jeunes éphèbes étaient répertoriées. Arri-
vant à la dernière, elle découvrit un jeune gitan superbe mais très
agressif dans ses propos. La liste des rendez-vous était citée et une
dernière date était inscrite huit jours auparavant, juste la veille du
jour où elle avait vu le pendu se balancer !
Jetant un coup d’œil sur sa montre, Roxane vit qu’une heure
trente était déjà passée. Elle s’empressa alors de fermer l’ordina-
teur, de tout remettre en place et effaçant toute trace de son pas-
sage, sortit de la maison.
Son cerveau était en ébullition et elle n’arrivait plus à rassem-
bler ses idées. Elle décida donc d’aller prendre une douche pour
évacuer son stress. Peu de temps après elle entendit le moteur d‘une
voiture et vit ses deux voisins rentrer seuls de leur promenade. Un
peu plus tard, appelant la sœur jumelle d’Inès, elle apprit que
celle-ci était rentrée et avait réintégrée la clinique psychiatrique
qui lui servait de résidence secondaire.

Didier, le fils d’Inès et de Gérald, lisait et relisait les rapports et


les photos que lui avait envoyés le détective privé. Il avait d’abord
été très bouleversé à l’idée que son père soit homosexuel, et en
voulut moins à sa mère de lui avoir caché sa filiation. Puis, peu
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à peu il s’habitua à cette idée et n’eut plus en tête que l’envie de


rencontrer son père. La photo qui lui avait été donnée montrait
une ressemblance frappante entre les deux hommes et il constata
que cette similitude lui faisait réellement plaisir. Didier n’avait
aucunement envie de lui faire des reproches, cela ne lui vint pas
une seule minute à l’esprit. Il voulait juste connaître son histoire
et la chronologie des faits. L’idée que sa visite allait mettre une
pagaille monstre dans la vie de son père ne l’effleura pas même
une seconde tant son désir de le rencontrer était intense. Il était en
première année de faculté de droit et n’acceptait pas d’être déclaré
comme enfant naturel, ayant décidé de demander à ce père qu’il
venait de découvrir, de reconnaître sa paternité qu’il soit homo-
sexuel ou pas ! Apercevant le numéro de téléphone du détective
Samuel Hash épinglé au-dessus de son bureau il décida de l’appela
séance tenante. Habituellement l’homme répondait toujours ou
bien rappelait rapidement. Mais depuis huit jours ce n’était plus
le cas ! Cette fois encore, Didier fut en communication avec la
messagerie à qui il confia un énième message. Il avait fait part de
tout cela à sa mère mais la voyant en pleine panique lorsqu’il lui
avait annoncé ses projets, il avait décidé de ne plus lui en parler.
Elle était trop fragile avec sa dépression actuelle.

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L ’énigme de la maison d’à côté

L’abri de jardin

Après avoir laissé ruisseler sur sa peau l’eau de la douche


pendant une bonne vingtaine de minutes, Roxane se sentit plus
calme. Mais ses interrogations revinrent au galop envahir son
esprit. Elle prit un papier et un crayon et commença métho-
diquement à les écrire. Elle venait également d’apprendre par
la sœur d’Inès contactée par Didier son neveu, que le détective
ne répondait plus depuis huit jours. Etait-ce lui qu’elle avait vu
bondir par la fenêtre ? Inès lui avait-il dit qui il était ? Ou le
couple l’avait-il pris pour un cambrioleur et une fois occis, s’en
était débarrassé ? La seule certitude était qu’il ne voulait pas du
tout que Sylvain soit mis au courant. Et que la nuit suivante
ils avaient ensemble enterré comme un corps sous le massif de
fleurs. Il faudrait vérifier qui était enterré, mais à l’idée de faire
cette macabre investigation, le cœur de Roxane se soulevait.
Donc elle préféra commencer par rechercher sur le Web, le
profil et la photo du dit détective puisqu’elle connaissait son
nom. Comme il avait écrit un livre pour témoigner de son mé-
tier, sa photo y était en bonne place. Et là Roxane eut le choc
de sa vie en reconnaissant l’homme qu’elle avait vu bondir par
la fenêtre des voisins et qui avait tenté de pénétrer chez elle.
Mais qu’est ce qui l’avait effrayé, au point de s’enfuir de la mai-
son d’à côté ! Etait-ce Gérald qui demandait violemment à Inès
son identité, était-ce Sylvain ou la vue du pendu ? Car plus elle
y songeait, plus le souvenir qu’elle avait du profil physique ne
se rapprochait pas du détective. En effet Samuel Hash était un
homme athlétique d’environ un mètre quatre-vingt-cinq, de
type scandinave blond aux yeux clairs. L’homme qu’elle avait
vu accroché au lustre était plutôt mince, longiligne, blond aussi
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mais frisé ! Alors qui était-il ? Il n’empêche que le couple de voi-


sins avait bien enterré quelqu’un ou quelque chose !

Les voisins étant rentrés chez eux, Roxane profita d’un rayon
de soleil pour aller s’asseoir de nouveau dans la gloriette, là où
l’on entendait tout !
« Ouf, ta sœur est partie, disait Sylvain à Gérald, ce n’est pas
que je ne l’aime pas, mais sa déprime est tellement pesante.
– C’est vrai, dit Gérald opinant de la tête, c’est vrai, que
c’est pénible à la longue ! » En fait il avait été aussi soulagé que
son compagnon de la voir partir, mais pas pour les mêmes rai-
sons, craignant à chaque instant de la voir s‘effondrer et de tout
dévoiler à Sylvain. Comment celui-ci réagirait-il en apprenant
qu’il avait été marié et avait eu un enfant, et qui plus est qu’Inès
en fait était son ex-épouse et non pas la sœur annoncée  ! Il
n’osait même pas imaginer le tsunami qui pourrait en découler,
d’autant plus qu’en ce moment Sylvain était plus nerveux que
d’habitude... Et il y avait de quoi !
« Tu crois qu’elle ne s’est doutée de rien, demanda alors Syl-
vain à Gérald.
– Mais non elle était complètement shootée » Un soupir de
soulagement retentit et Sylvain s’affala sur la méridienne du
salon.
« Tu sais mon chou, je ne voulais pas le tuer, c’est vraiment
un accident, j’ai cru que c’était un cambrioleur, alors j’ai pris la
hache pour lui faire peur, j’étais dans la panique ! Mais quand il
s’est approché, je me suis défendu !
– Je sais, je sais, Ne te tracasse pas, nous nous en sommes
débarrassés, personne n’ira le chercher là où il est ! Il n’avait qu’à
pas venir nous agresser. »
De fait, Gérald était plutôt soulagé par l’acte de Sylvain qui
l’avait mine de rien lui aussi débarrassé d’un témoin. Le moins
qu’on puisse dire c’est que les états d’âme n’encombraient pas la
conscience de nos deux compères.

Roxane ne voyait pas les mimiques des deux hommes, mais


leur dialogue lui sembla on ne peut plus explicite. Elle comprit
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donc avec effroi que Sylvain avait occis le détective, le prenant


pour un cambrioleur et qu’avec son ami, tous deux l’avaient
enterré.

Mais le pendu d’où sortait-il et où était-il surtout ?


Roxane se mit à réfléchir sur la personnalité de Sylvain ; lui qui
paraissait si fragile et si doux, il avait bien tué un homme, et un
costaud qui plus est ! Et puis il y avait toutes ces photos pornos
de ses ex-amants et tous ces commentaires. Sylvain s’avérait être
non seulement obsessionnel, et la comptabilité qu’il avait tenue
de sa vie secrète le décelait, mais les témoignages de ces hommes
le montraient sous un jour, pas du tout fragile ni perdu, mais
plutôt violent, cruel, sadique et machiavélique. Il trompait tout
le monde et continuait de le faire ! Mais qui était ce blond frisé,
accroché au lustre, comment était-il arrivé là ?
Roxane interrompit ses pensées car elle devait aller faire quelques
courses n’ayant plus rien pour se sustenter. Elle sauta dans son jean,
pris sa voiture et fila au supermarché le plus proche. Comme elle
détestait faire les courses, elle décida d’aller au rayon des surgelés
afin de faire une provision conséquente de denrées et plats tout
prêts, qu’elle n’aurait plus qu’à décongeler pour se nourrir  ! Elle
acheta même en plus fromages, fruits et légumes et n’eut pas à se
charger d’eau minérale comme elle avait coutume de le faire à Paris,
l’eau du village venant d’une source indemne de toute pollution.
Elle rentra tout dans son garage et déchargea tranquillement ses
provisions, jusqu’au moment où elle s’aperçut qu’elle avait vu trop
grand et que le congélateur de sa cuisine ne contiendrait pas l’excès
de surgelés. Qu’à cela ne tienne, elle n’aurait qu’à les entreposer une
semaine ou deux dans le congélateur installé au fond de l’abri de
jardin, afin de dépanner tout le monde les jours de grande chaleur,
de réception ou de barbecues.

La pluie se mit à tomber de façon torrentielle, aussi Roxane


déposa-elle le surplus dans un sac isotherme avec quelque gla-
çons, afin d’attendre la prochaine éclaircie. Le diable ce jour-là
avait décidé de battre sa femme et de marier sa fille au même ins-
tant, si bien que pluie et soleil apparaissaient ensemble. Roxane
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L ’énigme de la maison d’à côté

chaussa ses bottes de caoutchouc et se précipita au fond du jardin


pour sauvegarder ses produits. Le couple des voisins bien occupé
à d’autre chose, ne l’aperçut même pas traverser. Il y avait long-
temps qu’elle n’avait pénétré dans l’abri de jardin. Elle fut surprise
par le désordre inimaginable qui y régnait, alors qu’elle voyait sou-
vent Sylvain y faire de fréquentes visites. Elle s’était même fait la
réflexion que, en bon obsessionnel qu’il était, il avait dû y aména-
ger une réserve bien étiquetée de conserves et denrées de base di-
verse de façon de ne jamais être pris au dépourvu ou bien comme
il collectionnait une foule de graines variées de fleurs des quatre
coins du monde, qu’il y avait installé une mini serre, transformée
en nursery florale afin de satisfaire sa passion.

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L ’énigme de la maison d’à côté

Découverte macabre

Mais il n’en était rien du tout. Un enchevêtrement incroyable


de chaises longues, d’outils et de branches séchées chevauchaient
le barbecue des soirées estivales et parvenir jusqu’au congélateur
constituait un vrai parcours du combattant ! Ce qui était éton-
nant c’est qu’il était branché le dit congélateur alors que de toute
évidence il n’était pas utilisé durant ces mois d’hiver. « Avec tout
ce fatras dessus et devant c’est un coup à provoquer un court-cir-
cuit et même un incendie » se mit à marmonner entre ses dents
Roxane. Après avoir dégagé un chemin jusqu’au congélateur et
replié les transats, elle installa tout sur le côté, afin d’avoir libre
accès au couvercle, puis prit son sac isotherme préservant ses pro-
visions, afin de les déposer. Quelle ne fut pas sa surprise de voir
qu’il était pratiquement rempli à ras bord par des paquets entou-
rés de plastique... « Bizarre, il n’a même pas étiqueté ses produits,
comment s’y retrouve-t-il » se dit-elle en son for intérieur. En sai-
sissant un pour regarder et en déroulant le plastique, son sang ne
fit qu’un tour. Elle vacilla, lâcha aussitôt le paquet qu’elle avait
commencé à ouvrir ! Une main sectionnée au niveau du poignet
y était déposée !

Roxane eut un haut le cœur et se mit à vomir. Elle sentit ses


jambes se dérober sous elle et s’affaissa au bord de l’évanouisse-
ment. La fraîcheur qui sortait du congélateur ouvert, ainsi que
le bruit du moteur qui peinait à reconstituer le froid, la sortit du
malaise. Elle se redressa alors en proie à la panique, n’ayant qu’une
idée en tête. Sortir et s’enfuir de là au plus vite, ne doutant pas
une seule seconde que les paquets restants contiennent d’autres
restes macabres.
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L ’énigme de la maison d’à côté

Son sac isotherme toujours accroché à son bras, elle enjamba


ce qui se trouvait encore entre elle et la porte, et ce fut à cet instant
qu’elle vit déposée soigneusement sur une bûche, une perruque
blonde bouclée ! Simultanément revint à sa mémoire l’image du
lustre avec le pendu  qu’elle avait aperçu.

Surtout sortir au plus vite et ne rencontrer personne  ! Elle


referma la porte, reposa la clef sous la pierre du seuil de l’abri de
jardin et s’enfuit littéralement aussi vite qu’elle put, pour se réfu-
gier chez elle.
Désormais ce n’était plus un cadavre qu’il y avait, mais deux.
Et si, selon les dires de Sylvain qu’elle avait entendus, le premier
était un accident, le second découpé en morceaux n’était pas venu
là par hasard. Les scènes violentes et sado-masochistes des photos
cachées dans l’ordinateur de Sylvain lui revinrent à l’esprit et la
perruque bouclée lui fit soudain penser à la superbe chevelure
brune du dernier amant. Pourquoi, elle n’en savait rien, mais le
fait est que ses neurones venaient de lui donner un indice.

Cela dit son cœur battait la chamade et elle ne savait plus que
faire. Jouer les détectives était une chose, se retrouver à côté d’as-
sassins en était bien une autre. Elle risquait fort d’être la prochaine
victime ! Aussi cette fois-ci décida-t-elle d’appeler la police.
Mais lorsqu’elle décrocha le combiné du fixe, aucune tonalité
ne se fit entendre. La ligne était coupée. Elle voulut allumer la
lumière, car le ciel couleur de plomb avait jeté sur les lieux une
obscurité oppressante. Là aussi plus de courant. L’angoisse gagna
Roxane, l’assassin devait être là ! Il savait tout et l’attendait.
Elle arracha son sac au passage, pour prendre son portable et
s’enferma à double tour dans sa chambre. C’est à ce moment-là
qu’elle vit qu’il y avait de la lumière dans la maison d’à côté  !
Roxane se sentit en danger, mais tout ce qu’elle sut faire, fut de
se mettre à pleurer. Chaque craquement du parquet la faisait tres-
sauter, chaque bruit le plus infime soit-il, la terrorisait. Puis la
crise de panique céda, sa respiration se calma et reprenant son
souffle et son sang-froid elle ouvrit son armoire prit un sac de
voyage y jeta l’essentiel, prit son portable qui lui s’alluma, appela
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un taxi et se prépara à sortir. Lorsqu’elle vit le clignotant de la voi-


ture demandée, elle s’éjecta littéralement de sa demeure, effectua
un double tour de clef pour fermer la porte et courut se jeter dans
le taxi qui l’attendait.
« Vite, à la gare » dit-elle. Personne n’avait bondi de l’ombre
pour l’égorger, aussi au lieu de se précipiter vers la police, elle prit
le premier train en partance et se retrouva à Paris une heure après.
Ce Paris qu’elle avait quitté pour retrouver calme et sérénité !
Quelle illusion...

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L ’énigme de la maison d’à côté

Souvenirs

Au fur et à mesure qu’elle s’éloignait de la maison d’à côté, le


calme revenait en elle et le train scandait la vie et la liberté retrou-
vée. A vouloir jouer au détective, elle s’était exposée.
« Mais qu’est-ce que je vais bien faire maintenant et où vais-je
aller ? » Roxane avait bien quelques amis à Paris, mais ce n’était
qu’un pis-aller pour une semaine ou deux ! Elle téléphona à une
copine pour trouver un toit pour quelques jours et se dit qu’il
fallait qu’elle cherche du travail avant de décider quoi que ce soit
pour la maison d’à côté. En parler à la police, cela prendrait du
temps et Gérald et Sylvain auraient tout loisir de faire disparaître
les corps. Deux morts, cela faisait beaucoup !
Roxane s’arrêta devant une agence d’intérim, hésita quelques
secondes et décida d’y entrer.
« Bonjour, je suis journaliste et je cherche un emploi.
– Bon, remplissez une demande et laissez votre curriculum
vitae ainsi qu’une lettre de motivation ».
L’indifférence de l’employée lui tomba sur la tête comme la
foudre sur un arbre. Ses épaules s’affaissèrent, sa tête se courba,
cela s’annonçait mal. C’est alors qu’un homme entra, mal rasé à
la mode d’aujourd’hui mais plein de vitalité et à voix haute apos-
tropha l’employée.
« Alors vous me l’avez trouvée ma pigiste ?
– Non, pas encore » répondit l’employée
– Oh ! Mais cela je suis encore capable de le faire ! » dit Roxane
en éclatant soudain de rire. Son attitude changea aussitôt, son dos
se redressa, des fossettes creusèrent ses joues et un sourire désar-
mant apparut sur son visage. L’homme tourna la tête.
« Vous êtes pigiste ?
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L ’énigme de la maison d’à côté

– Je suis journaliste et j’ai ma carte de presse, mais je cherche


du travail, donc j’accepte ce qu’il y a ! » L’homme la dévisagea,
puis lui sourit.
« Je travaille au Journal Le Monde dans le 13e. Voici ma carte
venez me voir demain. »
Roxane hocha la tête en signe d’assentiment, ravie de l’aubaine
qui venait de lui être offerte. Son estomac lui rappela soudain
qu’elle avait faim, aussi entra-t-elle dans la première boulangerie
sur son passage pour acheter un sandwich. Comme elle se trouvait
en face d’un charmant petit square, elle décida de s’installer sur un
banc pour déguster son «repas». Malgré l’imprévu et l’inconfort
de la situation où fuir avait été la seule solution, étonnamment
elle éprouva un vrai plaisir à croquer dans le pain frais dont les
effluves lui chatouillaient agréablement les narines. Ses papilles
gustatives se réjouissaient de cette simple nourriture empreinte
de liberté. Un vent léger faisait danser les branches d’un saule
pleureur et le jaune vif des forsythias plantés près de la haie revi-
gora son âme. Machinalement elle regarda jouer les enfants, tout
en réfléchissant à son devenir. Cela curieusement l’entraîna dans
une forme de rêverie qui fit remonter un souvenir de sa vie à Paris
avant qu’elle ne décide de s’installer dans ce petit village qu’elle
fuyait aujourd’hui.
Écume de vie, fractale et résilience... Tout devrait commencer
par cette phrase ! Elle était si vraie et toi tu l’as déjà perdue. Ainsi
Roxane s’adressait-t-il au dernier homme de sa vie qu’elle avait fui
lui aussi.
« Rappelle-toi, ce devait être les premiers mots du Livre, de
notre Livre ! Toi qui a une mémoire prodigieuse, tu viens de faire
le pire que l’on puisse faire à soi-même : Oublier! Oublier son dé-
sir de commencer, oublier que tu es libre d’agir pour toi et par toi.
Nier son désir, n’est-ce pas recommencer à te nier toi-même ? Ne
l’as-tu pas déjà assez fait, mon Ange ? Cherche, cherche, tu dois la
retrouver cette phrase ! Mais sais-tu ce que tu cherches au juste ? »

Ses yeux riaient malgré l’agacement de ce début de journée


et ses lèvres palpitaient l’heure. L’heure si proche des baisers et
du pacte des corps. Lui, ne la séduisait pas, il l’émouvait. C’était
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ainsi. Capteur d’une émotion fixée on ne sait où, sans savoir ni


pourquoi, ni comment ! Tout était si simple et emberlificoté en lui
en même temps. Emberlificoté, ce mot goulayant était si vrai ! Il
disait oui et non, vivait, ressentait, percevait mille choses contra-
dictoires et aller vers sa liberté lui était apparu de façon fulgurante.
Personne ne pourrait jamais le contraindre et il lui ressemblait à
elle aussi quelque part dans le lointain de l’humanité. Il pouvait
s’auto-détruire mais resterait libre envers et contre tout, envers et
contre lui. Je crois que c’était pour cela qu’ils s’étaient rencontrés,
qu’elle s’était arrêtée ce jour de février de plein chagrin ! Étonnée
de le regarder et de ressentir son âme.

Un jour, une nuit, un écran insipide et impersonnel, provo-


cation pour elle, désir pour lui, avait abouti à un face à face de
deux êtres ignorant tout l’un de l’autre. Mais vraiment, rien de
rien, pas même à quoi ils ressemblaient ! Le petit bar vidéo où ils
s’étaient blottis, diffusait au milieu d’une musique mal choisie et
bruyante, des spots publicitaires montrant des défilés de manne-
quins présentant de la lingerie. Commentant du bout du regard
et des lèvres, ils s’approchèrent l’un de l’autre sans s’en apercevoir.
Elle, à cause de son chagrin, elle avait juste besoin de parler avec
un inconnu ; pas spécialement envie de le rencontrer lui et même
pas envie de rester.
« Je me demande ce que je fais là ! » Elle n’avait eu qu’à des-
cendre de chez elle, qui se trouvait à trois pas.
« Plutôt gentil mais pas mon type d’homme. » Ces données
s’imprimèrent involontairement. Il faisait froid dehors et chaud
dedans. Elle posa son manteau sur la balustrade où ils s’étaient
adossés juste en face du panneau Exit du bar. Sans doute pour
mieux pouvoir s’échapper. Comme par un fait exprès, son chan-
dail glissait régulièrement et lui, le rattrapait machinalement,
l’effleurant elle tels les battements d’aile d’un papillon. Même
dérisoire, involontaire donc inconscient, le jeu devenait délicieux
et présent. Comme deux adolescents ne sachant pas même quoi
faire, paroles, effleurements, simplicité et connivence les ani-
maient. Ses bras lui offrirent un appui, elle baissa à demi les cils
de ses paupières, tandis qu’un baiser scellait leur rencontre. Elle ne
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l’avait pas même vu venir ce baiser, tant elle était désemparée par
des problèmes familiaux. Pour lui c’était arrivé tout simplement
parce que son désir le taraudait. Points de suspension dans le néon
des âmes. Demain serait son anniversaire, il lui montra même sa
carte d’identité. Était-elle si inquiète ? Il voulait faire l’amour et
lui proposa l’hôtel.
« Je n’ai pas envie de me sentir plus mal » lui répondit-elle.  Il
comprit, n’insista pas et la raccompagna en bas de chez elle. Le
lendemain, il l’appela, mais elle l’avait déjà oublié ! Son épouse
allait rentrer de vacances, et oui il était marié. Mais tout cela ne
lui importait pas à elle, elle ne cherchait pas un mari, ni même un
amant. Elle avait eu tout simplement besoin de parler à un incon-
nu. Lui hésitait, tergiversait, regrettait déjà je ne sais pas trop quoi.
Cela l’agaça prodigieusement. Mais ils décidèrent néanmoins de
se revoir le soir. Comme pour être certains de se dire au revoir.

Tout fut simple : Ils tournèrent autour d’eux-mêmes durant


une heure ou deux, parlèrent philosophie, échangèrent et rirent,
puis deux heures du matin arrivèrent. Il lui proposa alors d’aller
chercher chez lui un je ne sais quoi d’inventé. Et une fois arri-
vés bien sûr ils firent l’amour. Dans l’avancée de la nuit, elle eut
envie de repartir vers sa vie. Il la retint tendrement contre lui.
Leurs corps résonnaient comme leurs âmes, ils s’étaient reconnus
mais ne le savaient pas encore. Ils dormirent peu, partagèrent un
lit et la nuit. Le trouvant tendre, attentionné, viril et délicieux,
elle se sentait devenir douce et eut alors envie de le regarder réel-
lement. L’homme qu’elle découvrait devenait soudain autre. Sa
femme rentrait le lendemain. La vie reprit son cours, les rêves se
dissipèrent. Une semaine passa. Il ne rappelait pas régulièrement
ou bien disait le faire sans le faire ! Elle en eut assez et en fit son
deuil un léger chagrin persistant à peine, sensation étrange et dif-
fuse d’être passée à côté de quelque chose de bien. Trois semaines
s’écoulèrent…

« S’il s’imagine que je vais être en attente ! » Dix heure quarante-


cinq, je viens de terminer mon rendez-vous, je me sens plutôt
bien, mais avec une envie de bouger évidente ! Lui vient d’appeler
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L ’énigme de la maison d’à côté

dans le bus qui le ramène vers le giron familial, petite ouverture


dans le vide. Il revenait vers une famille maternante, mais malme-
nante aussi, spécialiste de temporisation par omission !
En voilà des mois qu’elle erre d’aventures en errances et la ma-
gie là vient de se briser virtuellement. Elle se trouve libérée de sa
journée professionnelle, libre de son temps. Demain, soit elle le
verra peut-être, qui sait ! S’il ne veut pas, tant pis pour lui !
« Je ne t’entends pas » elle se dit que la conversation hachée
du portable reflétait beaucoup trop la réalité, cloisonnant tout,
réduisant les paroles. Elle sourit...
« Pas certain que l’on se rappelle demain, pas moi, en tout cas,
pas question ! Il est parti ce soir, alors ! » Agacement et soulagement
à la fois. Elle glisse et ronronne dans son espace qu’elle retrouve.
« Et si j’allais danser, se dit-elle, pour la danse, tout simplement.»
Demain son amant régulier l’invitera au cinéma, espérant ensuite
plus, bien sûr ! Elle ira mais ne lui donnera que quelques baisers,
qu’il dérobera presque. Son odeur même la dérange maintenant,
c’est fou comme une femme devient sélective lorsqu’elle
commence à préférer un autre homme !

« Mais qu’est-ce que je lui trouve à celui-là ? Des amants j’en ai


suffisamment, peut-être même trop ! » Mais l’âme de cet homme la
ravissait. « Pourquoi ai-je envie de laisser grandir la confiance ? » se
demande-t-elle. Une fois la porte fermée, ancrée devant le miroir
de l’entrée, elle se dit que sa vie professionnelle comme l’homme
qu’elle appréciait le moins, lui renvoyaient l’image d’une femme,
un peu lasse, plutôt jolie, pulpeuse et vivante, pour mieux séduire
mais aussi se protéger des hommages masculins, qui plait néan-
moins toujours, pétillante, complexe, petite fille et courtisane
tout à la fois et surtout prête à tout pour aimer qualitativement.

« Allons faire la magie ! « Elle prit une douche pour s’éclaircir


les idées, distilla quelques fragrances de Thierry Muggler, encerclant
ses chevilles jusqu’aux lobes des oreilles pour finir blotties au creux
de ses seins. Partie à la lisière d’une ombre à paupières, elle lissa ses
cils, agrémenta une mèche rebelle et se sourit. Hop, c’est bon elle
va aller danser ! Voilà l’idée s’est imposée ! Roxane aimait sortir
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seule, là tous les possibles pouvaient se présenter. Elle descendit


au parking pour prendre sa voiture, l’odeur un peu âcre du sous-
sol lui revint familière, sa main fit l’inventaire de l’essentiel qui lui
serait utile, elle le mit dans ses poches afin de se mouvoir en toute
sécurité dans ce monde de la nuit, excitée par sa liberté retrouvée,
stimulée par la lumière des spots et les éclairs des lasers. La Tour
Eiffel lui cligna de l’œil avec ses scintillements. Roxane lorgna
avec gourmandise les trottoirs déjà déserts et arriva en boîte.
La nuit allait pouvoir opérer  : musique, séduction, aucune
sortie n’était la même ; tout devenait imprévisible et Roxane ai-
mait cela !

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L ’énigme de la maison d’à côté

La chute

Tout doucement le cri plus strident d’un enfant la sortit de


ses souvenirs. Glissant machinalement la main dans une de ses
poches pour prendre le kleenex qui allait effacer la larme du
passé qui venait de perler, elle en sortit également sans le vouloir
la carte de l’homme qui lui avait fixé le rendez-vous profession-
nel du lendemain. Ralph Dormeil, rédacteur en chef, au journal
Le Monde. « Bon, bon, nous verrons bien », se dit-elle. Puis elle
se replongea dans d’autres rêveries, sans doute soulagée de ne
plus se trouver près de la maison d’à côté de chez elle qui lui po-
sait désormais une énigme. En voulant jouer les détectives alors
qu’elle n’avait ni formation, ni compétence dans ce domaine,
Roxane se rendait compte qu’elle s’était mis dans les ennuis. Elle
se mit à bailler et aurait bien glissé dans un soupçon de sieste
si la sonnerie de son téléphone portable ne l’avait ramené à la
réalité.

« Bonjour, Mademoiselle Roxane Emmerson ?


– Oui, elle-même.
– Lieutenant Barthès de la Police Judiciaire, votre nom nous
a été donné par la sœur d’une dénommée Inès, hospitalisée en
Institution Psychiatrique et qui a été trouvée morte dans des
conditions très suspectes ; il semblerait bien qu’il s’agisse d’un
homicide. Votre numéro figure sur son portable et sa sœur nous
a confirmé que vous saviez d’autres choses. Je vous demanderai
de vous présenter au plus tôt, au 36 Quai des Orfèvres à Paris,
pour y être entendue.
– Oui, bien sûr. Quand le souhaitez-vous ? demanda Roxane.
– Le plus tôt sera le mieux. Nous vous attendons »
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Un déclic signifia alors la fin de la conversation. Roxane sentit


son estomac se tordre. « J’ai bien fait de partir » murmura-t-elle.

Dans la maison d’à côté tout semblait rentré dans l’ordre et


Gérald et Sylvain vaquaient à leurs occupations habituelles.
Si Sylvain ne s’était pas étonné du départ de Roxane, c’est qu’il
en était soulagé, à l’évidence !
« Cette fouineuse va partout et finira par nous attirer des en-
nuis », se dit-il. Lorsqu’il avait vu son dernier amant surgir et lui
faire déclaration et menaces parce qu’il ne voulait pas reprendre
sa relation avec lui, il ne s’était pas vraiment inquiété ! Pourtant il
aurait dû ! En effet le jeune homme était vraiment désespéré. Et
en constatant l’intransigeance et le cynisme de Sylvain, il parvint
au paroxysme de sa rage. Il menaça alors non seulement de tout
dire à Gérald, mais devint aussi très agressif, se jetant sur Sylvain
le griffant et lui envoyant une volée de coups de poings.

Sylvain semblait chétif et pourtant la peur pouvait décupler


ses forces et le rendre dangereux. D’ailleurs le détective privé en
avait fait les frais et l’avait payé de sa vie. « La frousse qu’il lui
avait faite » songeait-il encore. Aussi Sylvain récidiva t-il : pour
repousser l’attaque de son amant, il décrocha du mur un des
javelots africains qui faisait partie d’une des collections de Gé-
rald et le brandit menaçant et déterminé. Gaëtan aurait dû être
alerté par la lueur qui s’alluma dans les yeux de Sylvain. Pinçant
ses lèvres jusqu’à les transformer en une ligne blanche striant le
bas de son visage, les narines pincées et le regard haineux Sylvain
repoussa de la pointe du javelot, le jeune éphèbe jusqu’à blesser
sa pomme d’Adam. Reculant sous la douleur, Gaëtan s’approcha
dangereusement de la balustrade du balcon intérieur situé en
haut de la mezzanine du salon. Acculé contre, au lieu de s’affa-
ler et de se soumettre, il fit de grands moulinets avec ses bras,
inquiétant de plus belle le petit homme en face de lui. La haine
stigmatisa alors la face de Sylvain qui montra alors sa détermi-
nation d’en finir avec son amant en lui infligeant une poussée
violente et fatale avec le javelot. Là, il ne s’agissait plus d’une
simple menace ou d’un effleurement, la pointe du javelot péné-
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tra profondément dans l’épaule et le sang jaillit éclaboussant la


tapisserie. Gaëtan prit peur, eut un sursaut et pour échapper à
son agresseur grimpa sur la rampe du balcon intérieur. Le sif-
flement du javelot le terrifia. Afin d’éviter une nouvelle attaque
il se cabra brusquement mais déstabilisé bascula en arrière, au
risque de chuter. De sa main, il agrippa alors le lustre imposant
qui ornait le plafond. L’oscillation s’accentua et devint dange-
reuse, faisant tournoyer sur elle-même l’œuvre d’art. Médusé
Sylvain arrêta son élan. Mais Gaëtan au paroxysme du désespoir
et de la terreur, accrocha l’écharpe multicolore péruvienne dont
il ne se séparait jamais et qui encerclait son cou, autour d’un des
candélabres du lustre, hurlant à l’intention de Sylvain.
« Je vais sauter, je vais sauter, c’est toi qui l’aura voulu ! »
Et impulsivement il passa à l’acte et se précipita dans le vide.
L’écharpe résista, enserra sa gorge. L’homme suffoqua, se débat-
tit quelques instants et après quelques soubresauts s’immobilisa,
devenant le pendu inerte que Roxane avait aperçu.

Sylvain, dans la sidération, resta figé sur place.


Défiguré par la pendaison, le malheureux affichait un masque
terrible et insupportable à regarder !
Une porte claqua au rez de chaussée. Entendant Gérald péné-
trer par la porte fenêtre du jardin, Sylvain par peur d’être décou-
vert, ne réfléchit même pas. Il harponna le corps de Gaëtan à qui
désormais il ne pouvait plus rien arriver de pire. S’arqueboutant,
il le tira de toutes ses forces, l’attirant à lui afin de le décrocher
du lustre qui, lui-même semblait à la limite de la rupture ! Plus
Sylvain redoublait d’efforts pour l’amener vers lui, puis le corps
semblait résister et la chaîne du lustre grinçait de façon aussi
inquiétante que sinistre.
Enfin Sylvain eut gain de cause !
Si on peut s’exprimer ainsi... Il finit donc par « repêcher » le
pendu. Le lustre repartit dans une course folle, tournoyant sur
lui-même puis, au bout d’une dizaine de vas et vient successifs,
reprit sa place initiale au centre du plafond. Sylvain ruisselant de
sueur et de peur traîna le cadavre de Gaëtan jusqu’à son bureau
dont il ferma fébrilement la porte à clef.
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L ’énigme de la maison d’à côté

Son seul souci désormais était de donner le change à Gérald !


Il redescendit l’escalier pour aller à sa rencontre, tout en s’es-
suyant le front du revers de la main. Gérald leva alors la tête et le
voyant livide s’exclama :
« Que se passe-t-il ? J’ai entendu du bruit à l’étage ?
– Ah ! Mon pauvre si tu savais ! Si tu savais ! J’ai trébuché dans
l’escalier et j’ai raté une marche, Oh ciel, j’ai bien failli me rompre
le cou ! Je viens d’avoir la peur de ma vie ! J’ai vraiment cru ma
dernière heure arrivée ! lui répondit Sylvain tout en sanglotant.
– Là, là, calme-toi, tu n’as rien heureusement  ? Viens boire
un verre de notre chère liqueur préférée, ce délicieux cassis que
tu aimes tant, cela te fera du bien ! » Sylvain s’effondra sur le sofa
du salon pendant que Gérald allait chercher d’élégants verres en
cristal taillé. Il y versa avec délicatesse une dose généreuse. Les
rayons de soleil qui traversaient la pièce firent miroiter le grenat
du breuvage grâce aux facettes du cristal.

La paix revint peu à peu dans les lieux comme lentement les
couleurs au visage de Sylvain. Le chat noir du quartier vient grat-
ter à la porte réclamer sa pitance, Roxane n’étant pas là pour ce
cérémonial.

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L ’énigme de la maison d’à côté

36 Quai des Orfèvres

Après une nuit réparatrice chez une amie, Roxane s’apprêtait


à se rendre à la convocation du Quai des Orfèvres lorsqu’elle se
rappela « l’invitation » du rédacteur en chef du journal Le Monde.
« Au diable, la Maréchaussée, grommela t-elle entre ses dents,
Ce n’est pas elle qui va me nourrir! Alors allons d’abord cher-
cher du travail et voir ce que l’on va me proposer ? » Et derechef
elle se dirigea vers le Boulevard Blanqui, près du métro Glacière
où était situé le dit Journal. L’immeuble en verre agrémenté de
phrases sur la liberté de la presse, inscrites sur la façade lui laissa
une impression favorable. Elle en franchit le seuil et se dirigea
à l’accueil.
«  Bonjour, je me présente  : Roxane Emmerson, j’ai rendez-
vous avec le rédacteur en Chef. »
La réceptionniste montra un regard surpris, relevant d’une
façon fort comique un de ses sourcils. Remarquant sa mimique
perplexe, Roxane sortit la carte de visite que l’homme lui avait
confiée et la montra tel un laissez-passer. « Ah bon ! » grommela-
t-elle en décrochant le téléphone pour prévenir le rédacteur en
chef. Surtout qu’il ne se laissait pas facilement déranger celui-là !
Un « Oui, j’écoute » très sec retentit à son oreille.
« Bonjour Monsieur, excusez-moi de vous déranger, il y a une
certaine Roxane Emmerson à l’accueil qui dit avoir rendez-vous. »
et ajoutant presque à voix basse.
« Elle a votre carte de visite...
– Hum, ok ! Faites-la monter. Merci. »
Du bout du doigt, un ascenseur caché sur le côté fut indi-
qué à Roxane qui appuya sur la seule touche lumineuse visible. Il
déboucha dans le bureau même du rédacteur.
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« Ah, c’est vous, et son visage jusque-là sévère s’illumina avec


un grand sourire. Je n’aurai pas pensé vous voir arriver aussi rapi-
dement ! »
Roxane répondit à ce témoignage de sympathie tout en com-
mentant sa réflexion.
« Bah, si vous m’avez donné votre carte, c’est bien pour cela,
non ! Je vous l’ai dit je cherche du travail ! » L’homme sourit à
nouveau, décidément elle n’était pas ordinaire et ne se laissait pas
impressionner.
« Vous êtes journaliste, je crois ?
– Oui » Et elle sortit sa carte de presse.
« En plus je viens de découvrir un crime, deux même, et il y a
trois cadavres, d’ailleurs c’est pour cela que je suis partie ! Oh mais
quelle heure est-il, il faut que passe au Quai des Orfèvres. »
Interpellé en son for intérieur, l’homme se leva et prenant par
le bras Roxane lui dit en l’entraînant vers l’ascenseur...
« Il est presque midi, venez, allons déjeuner, vous me raconte-
rez tout cela. »
La réceptionniste à l’accueil stupéfaite vit sortir le patron te-
nant par bras, la jeune femme qu’elle venait d’annoncer.
«  Ce n’est vraiment pas dans ses habitudes.  » se dit-elle. Ils
sortirent et se dirigèrent vers le petit bistrot du coin, gargote de
tous les journalistes.
«  D’abord, ne vous inquiétez pas, j’ai du travail pour vous,
lui-dit-il.
– Oui, je sais, vous cherchez des pigistes.
– Certes, mais ce n’est pas pour vous, reprit-il. Votre carte de
presse montre que vous avez de l’expérience ; et puis je ne sais
pourquoi cette histoire que vous avez évoquée, m’intrigue au plus
haut point, alors racontez-moi ».
Roxane commença donc à lui narrer les faits dans les moindres
détails. Puis expliqua aussi comment elle était arrivée dans cette
localité, conséquence d’une histoire sentimentale malheureuse
qui avait remis sa qualité de vie en question. Elle avait fui, croyant
retrouver la paix, mais ses insomnies lui montraient bien que
quelque part il s’agissait d’un leurre et voilà qu’une autre histoire
la rattrapait ! Mais que lui avait-il pris de jouer au détective !
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L ’énigme de la maison d’à côté

« C’est plutôt votre métier qui vous a rattrapée », répondit en


souriant Ralph le rédacteur.
Roxane avait chaud à la tête et de légères gouttes de sueur per-
laient sur son front. Elle avait à peine touché à la salade norvé-
gienne qu’elle avait choisie, pêchant entre deux phrases quelques
bouts de saumon et les avalant avec une gorgée d’eau. Ralph vit
bien que l’émotion était à son comble et que la jeune femme n’al-
lait pas bien.
« Allez, essayez de terminer tranquillement ce déjeuner frugal,
puis je vous accompagnerai Quai des Orfèvres, nous en appren-
drons-plus ! Tranquillisez-vous, maintenant que vous avez retrou-
vez un job, votre enquête a du sens ! surenchérit-il gentiment. De
plus, mon instinct me dit que vous avez levé un lièvre et même si
ce n’est pas forcément le style du journal, une fois n’est pas cou-
tume, ça le fera bouger. », ajouta-t-il en éclatant de rire.
Ces paroles firent du bien à Roxane. Son visage reprit peu à
peu des couleurs et elle arriva même à terminer la tarte au citron
meringuée qu’il lui avait commandée. Enfin presque, elle mangea
l’intérieur mais laissa toute la croûte. Elle se fit la réflexion qu’elle
se comportait ainsi avec la vie !
Ralph revint avec deux cafés et voyant que la jeune femme
avait meilleure mine, lui tapota l’épaule l’incitant à se détendre.
« Tout va bien miss. » Puis voyant la croûte du gâteau, il sourit et
lui dit : « Vous, vous ne voulez que le meilleur de la vie, le plus
tendre et le plus savoureux ! » Roxane tordit un peu son nez car
elle était un tantinet vexée d’être découverte ainsi. Puis s’ébrouant
comme un jeune chien, elle prit l’initiative de se lever et se dirigea
vers le comptoir pour régler l’addition.
« C’est déjà réglé, Madame. » lui répondit-on.
Se retournant vers lui, elle ne sut que dire.
« Oh ! Vous ! Vous ! ». Il la prit de nouveau par le bras et héla
un taxi.

Arrivés au 36 Quai des Orfèvres, l’atmosphère était moins


festive qu’au bistrot, mais plus foklorique aussi. Une agitation
fébrile y régnait, les portes s’ouvrant et se fermant sans cesse lais-
sant émerger des hommes principalement, toujours pressés et en
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effervescence. Une seule femme était à l’accueil et leur indiqua


le bureau adéquat. Là un inspecteur les reçut, puis après qu’ils
eurent décliné leur identité, leur demanda de se séparer afin d’être
interrogé individuellement.
«  Mais j’accompagne Madame, je suis son employeur  ! dit
Ralph.
– Mais pas son avocat, donc vous attendrez-là », répondit l’ins-
pecteur. Ralph comprit à cet instant que l’affaire allait être plus
corsée que prévue et téléphona aussitôt à l’avocat du journal pour
lui demander conseil.
« Tu veux que je l’assiste ? répondit celui-ci.
– Et bien….mon instinct me dit que ce ne serait pas superflu !
– OK, j’arrive. »

C’est ainsi que Ralph qui ne la connaissait pas, entra dans la


vie de Roxane et ce qui plus est, par la porte du 36 Quai des
Orfèvres !

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L ’énigme de la maison d’à côté

Gérald part à Paris

Voyant Sylvain rasséréné, Gérald décida de reprendre ses


activités quotidiennes.
« Je vais aller à mes rendez-vous, mon Chou », dit-il, genti-
ment à son compagnon.
Gérald était commissaire-priseur à la salle des ventes de
Drouot et avait ce jour même, une vente de tableaux du dix-
huitième siècle à orchestrer et cela risquait d’être animé. Son
métier le passionnait et lui permettait aussi de supporter par-
fois les sautes d’humeur de Sylvain qui était, il faut le dire tout
de même très fantasque. Mais c’était aussi ce trait de caractère
qui avait séduit Gérald qui, à chaque fois était ému après une
crise de son ami exposant ainsi sa fragilité émotionnelle. Il
n’empêche que ces sorties professionnelles à Paris, non seule-
ment lui faisaient gagner confortablement sa vie mais consti-
tuaient aussi des bouffées d’oxygène et des espaces indispen-
sables de liberté pour lui.

« Oui, oui, va travailler. Je me sens bien maintenant. »


«  Que d’émotions en peu de temps  !  » se dit Sylvain. Il
était surtout très impatient que Gérald s’en aille afin de ne
plus l’avoir dans ses pieds. Il y avait le corps de l’autre dans le
bureau, et il ne savait pas encore comment s’en débarrasser !
L’enterrer lui-aussi eut été une solution, mais de plein jour
difficile de creuser car la terre était compacte et dure sauf sous
les rhododendrons. Et la place était prise ! Il fallait faire vite, le
temps était lui aussi contre lui et la journée s’annonçait plutôt
chaude. Il ne pourrait pas le garder longtemps ce cadavre dans
le bureau. Quant à mettre Gérald dans la confidence, il n’en
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L ’énigme de la maison d’à côté

était pas question, il faudrait tout lui raconter et cela ce serait


la fin de leur histoire. Tout, mais pas cela ! Donc il lui fallait
trouver une solution et de façon urgente. La soif le tenaillant
car l’angoisse avait asséché sa gorge, il descendit alors à la cui-
sine se prendre une bière fraîche. C’est en ouvrant la porte
du frigidaire que lui vint la solution. La fraîcheur et la vapeur
glacée du congélateur lui rappela celui du jardin. En attendant
de trouver mieux, il congèlerait le corps. La bière consommée,
il grimpa jusqu’au bureau, traîna le corps de Gaëtan jusqu’à
l’entrée de la salle de bain et l’installa dans la baignoire. Il le
dévêtit soigneusement, roula en boule ses vêtements afin de les
brûler, mettant tout de même de côté son écharpe péruvienne
comme souvenir, et partit chercher la tronçonneuse dans l’abri
de jardin.

Et là commença l’apocalypse ! Pour éviter qu’il n’y eut du


sang partout, Sylvain enroula ou plutôt saucissonna le corps
dans du plastique qu’il avait trouvé dans la cabane. Puis il se
mit à l’œuvre, commençant par le bas, donc les pieds. Un bruit
sinistre se fit entendre et la lame dérapa sur les os qui cris-
saient : le sang se mit à gicler sous le plastique se déversant en
flaques rouges vif dans la baignoire. La bonde était ouverte,
mais le sang s’accumulait plus vite qu’il ne s’évacuait  ! Syl-
vain avait apporté une trentaine de sac destinés aux surgelés.
Quand le dernier craquement annonça la séparation des deux
pieds du corps, il se lava soigneusement les mains. Puis se pré-
cipitant dans la cabane au fond du jardin, ouvrit le congéla-
teur pour le vider intégralement et programma la puissance
de congélation maximum. Ensuite il revint dans la salle de
bain, enfouit prestement les pieds, dont le sang s’était en partie
écoulé le temps de l’aller et retour, dans un des sacs plastique,
le ferma et courut le déposer dans le congélateur. Il revint et
reprit sa macabre besogne. Comme la tête dépassait, il décida
de la supprimer. Là ce fut l’horreur : le sang jaillissait de par-
tout et les murs en étaient inondés. La lame dérapait sur le
plastique et ripait sur les os. Puis la tête tomba. Méthodique-
ment, sans état d’âme, Sylvain officiait, opérait les dents serrés
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L ’énigme de la maison d’à côté

avec détermination. Puis ce furent les épaules et les bras. Puis


les mains. Puis les jambes à l’articulation des genoux, puis le
bassin et l’articulation des cuisses. Trois heures avaient passées.
La baignoire était aux trois quart pleine de sang et Sylvain
tronçonnait, tronçonnait sans répit, uniquement animé par
l’idée de terminer sa macabre dissection. Sectionner ventre et
thorax amena des bruits infâmes et le sang devint rouge foncé !
Au fur et à mesure que Sylvain évacuait les parties du corps
de l’infortuné Gaëtan et allait les déposer dans le congélateur,
des viscères et des excréments remontaient à la surface du sang
accumulé. Il dut attendre encore une demi-heure pour que
le sang s’écoule par la bonde avant de rincer ce qui restait au
fond. A chaque tressaillement de la tronçonneuse qui peinait
de plus en plus, Sylvain maculé de sang aux pieds, tremblait à
l’idée qu’elle ne tombe en panne ! Il s’essuyait soigneusement
avec un grand drap de bain violet pour ne pas laisser de trace
chaque fois qu’il transportait de la baignoire au congélateur les
morceaux découpés. Celui-ci était presque plein quand la fin
de la sordide tâche fut terminée. Après ces dernières découpes,
il ramassa un magma infâme et sans nom de débris et viscères
diverses qu’il enfouit également dans un sac plus épais afin de
ne plus les voir. Le dernier paquet jeté dans le congélateur, il
en essuya soigneusement les bords pour qu’il n’y eut aucune
trace, remit un plastique plus épais par-dessus et ferma le cou-
vercle. Sylvain s’assura qu’aucune empreinte de pas, ni de sang
ne subsiste sur le sol, puis repartit dans un dernier voyage à la
salle de bain pour un grand nettoyage.
Il commença par essuyer le carrelage des murs avec une
éponge imbibée d’eau de javel. Ensuite il lava le sol puis la bai-
gnoire elle-même. Le chlore arrivait à peine à masquer l’odeur
douceâtre du sang qui imprégnait totalement la pièce jusqu’à
donner la nausée. Sylvain ouvrit en grand les deux petites
fenêtres de la salle de bains, se dépouilla de ses vêtement et
les déposa dans un sac en plastique. Puis à son tour il sauta
littéralement dans la baignoire afin de faire disparaitre cette
vision dantesque de boucherie infernale qu’il venait d’officier.
L’eau striait la sueur et le sang imprimés dans tous les pores de
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L ’énigme de la maison d’à côté

sa peau, le transformant en écorché exposé pour un cours de


sciences naturelles. Il se shampouina, se brossa, se récura de
fond en comble puis, prit une serviette propre et se sécha. Il
en saisit une autre indemne de tout contact et repassa soigneu-
sement sur tous les recoins, les aspérités et les bords de la salle
de bains. Il sortit alors à reculons du lieu redevenu immaculé
et impeccable comme si rien ne s’y était passé. C’est alors que
pris de crampes abdominales et de nausées, il se mit à vomir
arrivant de justesse dans les toilettes pour évacuer l’horreur.
Agenouillé, haletant, Sylvain rejetait vraiment tout ce qu’un
être humain était susceptible d’évacuer. Peu à peu les spasmes
s’espacèrent, se calmèrent, s’arrêtèrent, laissant le petit homme
affalé près du siège d’aisance. Puis il se releva lentement, ti-
tuba, tira la chasse deux fois encore et partit s’habiller dans
sa chambre. Mais il n’avait fini ! Il devait encore faire dispa-
raître les vêtements de Gaëtan et les siens, puis les serviettes et
les draps de bains maculés de sang. Il décida de les brûler et
pour ce faire choisit l’endroit habituel où ils faisaient en été le
barbecue et l’hiver brûler les feuilles mortes. Il prit quelques
brindilles, quelques revues, craqua une allumette et y jeta un
par un les effets et les serviettes et drap de bain. Cela prit du
temps d’autant plus qu’encore humides les tissus ne brûlaient
pas bien. Il alla alors prendre le jerrycan d’essence qui alimen-
tait la tondeuse et versa le liquide sur le feu afin d’accélérer
la combustion. Une flamme immense s’éleva puis s’atténua
jusqu’à laisser vivre une flambée classique détruisant jusqu’au
dernier brin de textile. Il vérifia aussi que le congélateur mar-
chait à puissance maximum et rentra dans la maison. Là, il
remonta à la salle de bains désormais asséchée et ventilée et y
diffusa un parfum d’intérieur pour y faire disparaître les der-
niers miasmes de l’abomination. C’est là qu’il s’aperçut dans
le miroir. Il s’était habillé de velours noir et avait autour du
cou, l’écharpe péruvienne qui avait appartenu à Gaëtan et sur-
tout qui l’avait étranglé. Le visage de Sylvain était sans émo-
tion, sans expression, tel un masque de cire. Il se mit au piano
et commença à jouer la marche nuptiale de Mendelssohn.

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L ’énigme de la maison d’a côté

Six heures s’étaient écoulées depuis le départ de Gérald. Six


heures de face à face avec l’atrocité, le sang et l’innommable
pour escamoter la mort. Lorsque Gérald rentra tout guilleret
de sa journée, empli des anecdotes qu’il allait pouvoir narrer à
son ami, il le trouva au piano dans un état second.
«  Quel artiste, quelle passion, quelle sensibilité  !  » pensa-
t-il en le regardant jouer. Une larme d’émotion perla sous sa
paupière gauche.

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L ’énigme de la maison d’à côté

Roxane en garde à vue

« Votre nom ?
– Emmerson.
– Prénom ?
– Roxane. »
A la Police Judiciaire, l’inspecteur commença le contrôle
d’identité de Roxane. Puis vinrent des questions plus personnelles,
pourquoi habitait-elle là. De quoi vivait-elle  ? Qui fréquentait-
elle ? Que savait-elle de ses voisins ? Quels rapports entretenait-
elle avec eux ? Pourquoi ne travaillait-elle pas jusque-là ? Etait-elle
souffrante ? Où était sa famille ? Puis vint la question importante.
Comment connaissait-elle la dénommée Inès ? A ce moment là,
le ton et les questions plutôt neutres de l’inspecteur se firent plus
précises, plus insidieuses, plus rapides, voire plus agressives se
coupant et s’entrecoupant sans cesse. Un autre officier de police
entra par une autre porte et le témoignage devint un véritable
interrogatoire sous le feu croisé des questions posées par les deux
policiers. Roxane avait la tête qui lui tournait et sentait l’entre-
tien devenir agressif. Elle répondait pourtant le plus calmement
et le plus tranquillement qu’elle pouvait, expliquant ce qu’elle
avait vu, ne s’étendant pas cependant sur son enquête personnelle
que personne n’aurait comprise ! La pierre d’achoppement était le
fait qu’elle n’ait pas aussitôt prévenu la police lorsqu’elle avait vu
l’homme dans la maison d’à côté essayer de s’introduire chez elle,
ainsi que d’avoir gardé les informations de la boite d’allumette
pour elle. Et puis qu’est-ce que c’était que cette histoire de pendu
et de fosse creusée la nuit sous les rhododendrons ? Tout fut à son
paroxysme lorsque l’on prit ses empreintes digitales et que l’on lui
intima l’ordre de se mettre de face et de profil pour une série de
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photos avec un numéro d’immatriculation, comme pour les cri-


minels. Roxane ne put qu’obtempérer, mais se rebiffa et réclama
le droit d’avoir un avocat.
« Cela tombe bien, vous allez être mise en garde à vue et n’avez
droit qu’à un coup de téléphone. Votre avocat peut-être ?» lui dit
de façon cynique le jeune inspecteur en face d’elle. Roxane serra
les dents pour ne pas éclater en sanglots et demanda d’appeler
Ralph son rédacteur au Journal. Au même moment, un avocat
surgit clamant à haute voix.
« Voyons, voyons, voyons cela, il paraît que vous faîtes des mi-
sères à ma cliente ? Je suis Maitre Speedermann, avocat à la cour,
ne vous gaussez pas il s’agit bien de mon nom ! Madame est ma
cliente, en tant que journaliste au journal Le Monde. »
Quelques mouches volèrent, le silence s’installa soudain, les
tensions s’apaisèrent aussitôt et les policiers se calmant, redevinrent
plus civils. S’adressant à Roxane, l’avocat lui prit la main tout en
lui disant de ne plus répondre aux questions, ajoutant que c’était à
lui d’y veiller, puis il demanda aussitôt la visite d’un médecin pour
sa cliente visiblement exténuée par l’interrogatoire.

« Elle est en garde à vue, lui dit-on.


– Ah oui, pour quel motif  ? Montrez-moi la décision de la
commission rogatoire et les date et heure auxquelles elle a été si-
gnée. De toutes façon je reste avec elle, jusqu’à ce qu’elle ait vu un
médecin. Madame, ne répondez plus à rien à personne !»

Ralph le rédacteur avait vu juste et avait fait ce qu’il fallait.


Mais pourquoi tant d’acharnement de la part de la police crimi-
nelle ? Roxane était pâle, bouleversée par ces événements qui la
dépassaient totalement et par les mesures prises à son encontre,
mesures qu’elles trouvaient inqualifiables. Certes elle avait voulu
jouer au détective, mais devant la tournure que prenaient les évé-
nements, elle s’était enfuie afin de prendre de la distance et les
bonnes décisions ! Il était bien évident qu’elle allait en parler à la
police ! Celle-ci l’avait devancée à cause de l’homicide d’Inès, mais
de là à la transformer elle, en criminelle, tout de même ils exagé-
raient. Et puis la brutalité de la méthode et des interrogatoires
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l’avait choquée profondément. Elle qui croyait dans la loi, et son


équité découvrait un aspect inconnu peu avenant de sa réalité.
Qui donc avait tué Inès ? Cette interrogation à peine venue à son
esprit déclencha en elle des frissons de peur hérissant tout son
corps.
« Si Inès a été tuée, moi aussi je pourrais bien être en danger !
Par le simple fait que je suis au courant de son histoire. »

Ralph, commençant à comprendre ce qui se passait, essaya


dans un premier temps de parlementer avec les inspecteurs afin de
pouvoir voir Roxane. Devant un refus catégorique, il dut encore
attendre et fut interrogé à son tour comme témoin. Toutes sortes
de questions formulées de façon fort désagréable et très limites
lui furent posées concernant ses rapports avec Roxane et le fait
qu’il l’avait accompagnée ! Manifestement la Police n’aimait pas
les journalistes. Ne pouvant rien retenir contre lui, il fut prié de
partir sans avoir obtenu bien sûr l’autorisation de voir la jeune
femme.
« Heureusement que je lui trouvé un avocat ! » se dit-il.

Néanmoins cette façon de procéder, lui parut inacceptable.


Aussi décida-t-il d’écrire un article sur les méthodes policières
visant à transformer les témoins en accusés sans preuve à l’appui !

Pendant ce temps Roxane reconduite en cellule attendait pa-


tiemment la fin de sa garde à vue. Elle suivit à la lettre les conseils
de son avocat et ne dit plus un mot. Le médecin requis constatant
sa pâleur demanda examens médicaux et levée de la garde à vue
pour raison de santé. Au moment où elle allait sortir de sa cel-
lule, une porte claqua avec fracas et trois policiers armés jusqu’aux
dents pénétrèrent dans la salle encadrant un colosse d’au moins un
mètre quatre quinze, blond, barbu au regard glacial. Le regard de
Roxane croisa à cet instant le sien et sans comprendre pourquoi, y
perçut comme une étincelle joyeuse contrastant avec sa première
impression. C’est alors qu’à une vitesse foudroyante, l’homme
plongea en avant et attrapant les jambes de Roxane la fit tomber
par terre. Puis se relevant aussi rapidement qu’il s’était précipité
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L ’énigme de la maison d’à côté

sur elle, il la saisit en otage enserrant son cou comme une tenaille,
un doigt sur la carotide prêt à s’enfoncer. La prise pouvait être
mortelle ! Les trois policiers n’eurent pas même le temps de dégai-
ner. A partir de cet instant, la balle fut dans le camp du prison-
nier ! Paralysée par la peur, Roxane suivait comme son ombre tous
les moindres mouvements que l’homme lui intimait d’effectuer.
Plaquée contre lui, elle étouffait à moitié mais ne bronchait pas.
Elle sentait bien que sa vie était là en suspens. C’était une sensa-
tion étrange qu’elle n’avait jamais éprouvée. Être vivant et rester
en vie, prenait alors tout son sens. Tout en l’entrainant avec lui,
l’homme reculait très lentement vers la porte d’où il avait surgi.
Pas un souffle, pas un bruit ne se faisait entendre dans la pièce ;
le seuil franchi, des sons fusèrent de toutes parts de l’autre côté de
la porte, pendant que bondissant tel un félin, l’homme s’enfuyait
à une vitesse à peine croyable. Il tenait Roxane à bout de bras,
l’utilisant comme un bouclier et elle se sentait ballottée comme
un fétu de paille pris au centre d’une tornade.

Au dehors le tonnerre se mit à gronder et des tonnes d’eau se


déversèrent sur la capitale. Même les intempéries étaient du côté
du fugitif. Étonnamment ils traversèrent la cour sans encombre,
puis se retrouvèrent en pleine rue devant le 36, le policier de garde
n’ayant pas même le temps de réaliser ce à quoi il assistait ! Les
voitures roulaient comme des fantômes, cinglées par les rafales
d’eau et de vent, leurs essuie-glaces balayant désespérément des
pare brises où la pluie déferlait par vagues incessantes. Le géant
blond tenant toujours Roxane, s’engouffra dans le premier véhi-
cule à sa portée, intimant au chauffeur médusé de lui céder la
place. Celui-ci éjecté quasiment, n’eut d’autre choix que d’obtem-
pérer.

C’est ainsi que Roxane se retrouva avec un évadé en cavale en


plein centre de Paris. L’homme traversa le Pont-Neuf, remonta
le Boulevard Saint-Michel, quasi à contre-sens, puis parvenu de-
vant le Luxembourg abandonna la voiture sur le premier passage
clouté qui se présenta. Il sortit alors mais ne se débarrassa pas de
Roxane pour autant. A deux, étonnamment on passe plus ina-
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perçus. La pluie tombait toujours faisant éclater sous leurs pas


des mini geysers de sable remplacés aussitôt par des flaques d’eau
ponctuant leur passage.
« T’habites où ? » demanda soudain l’homme ? Roxane éton-
née d’entendre sa voix, le regarda interloquée avant de balbutier.
« Euh, chez une amie…
– Mais où, où ? réitéra-t-il en la secouant.
– Rue de l’Ouest...
– Bon, allons-y ! » s’exclama-t-il, sans demander si c’était loin
ou près !
« C’est, c’est à Montparnasse, ajouta-t-elle.
– Je sais, » répondit-il, allons-y. »
Ils traversèrent le jardin du Luxembourg, bifurquèrent au ni-
veau du bassin central à la surface duquel les bateaux des enfants
pris par la tempête erraient au gré des rafales du vent, abandonnés
par leurs capitaines refugiés sous l’aile de leurs parents. Puis pre-
nant la sortie Rue Vavin, ils descendirent le Boulevard Montpar-
nasse, pour rejoindre l’avenue du Maine où commençait la rue de
l’Ouest.
«  C’est là  !  » dit Roxane désignant un immeuble au début
de la rue. Ils retrouvèrent donc dans l’appartement de l’amie de
Roxane. L’homme par le balcon terrasse surplombant la rue, jeta
un rapide coup d’œil pour s’assurer qu’ils n’avaient pas été suivis,
puis se posa enfin. Roxane poussa un soupir, soulagée que cette
course infernale soit stoppée tout au moins pour l’instant. Elle
retrouva son souffle.

Il se leva alors, chercha la salle de bain, et se plongea sous la


douche porte ouverte, en lui disant.
« Trouve-moi un rasoir et des ciseaux. » Roxane ne se posa pas
de question et obéit sans mot dire. Elle mit le tout sur le lavabo
et retourna au salon. La faim la tenaillant, elle alla jusqu’à la cui-
sine, ouvrit le frigidaire et en sortit une cuisse de poulet, une bar-
quette de taboulé et fromage qu’elle disposa sur la table avec deux
assiettes. Puis elle mit des spaghettis à cuire dans une casserole
d’eau. N’entendant plus couler la douche dans la salle de bains,
elle se dit qu’elle irait bien elle aussi se rafraîchir et se changer.
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C’est alors qu’il sortit, nu sans en être dérangé, transformé car rasé
les boucles de ses cheveux coupés, enfin quasi civilisé. Roxane se
leva, lui tendit une serviette, puis se dirigea vers la salle de bain.
« Je vais prendre une douche moi-aussi. »
Leurs regards se croisèrent, la lueur amusée revint dans le re-
gard de l’homme, qui lui dit alors :
« Je m’appelle Dave.
– Moi, c’est Roxane » marmonna-t-elle.
Elle ferma la porte. Sous la douche et dans sa tête les idées
bouillonnaient, qu’allait-elle dire à son amie Karen, qui lui prêtait
l’appartement pour quelques jours. Il fallait à tout prix l’éloigner
et la tenir loin de tout cela. Ne trouvant pas encore de réponse à
ses interrogations, une fois douchée, Roxane se changea, s’habilla
et ressortit si ce n’est rassérénée, tout au moins au sec et la faim
au ventre. Dave avait égoutté les spaghettis, trouvé de la sauce
tomate et avait commencé à manger.
« Viens manger, t’en veux ? » lui demanda t-il, lui montrant la
cuisse de poulet qu’il avait commencé à croquer.
« Oui, bien volontiers » répondit la jeune femme, spontanément.

Paradoxalement, tout semblait irréel mais naturel à la fois.


Dans un appartement qui ne leur appartenait pas se trouvaient
deux inconnus aux destins différents, fuyant chacun une partie de
leur existence où la justice des hommes n’avait rien compris. Pris
dans un engrenage inextricable auquel ils n’y comprenaient rien
et qui avaient fait d’eux les principaux suspects, la fuite voulue par
l’un et subie au début par l’autre n’avait paru que la seule planche
de salut... et à postériori la seule solution pour sortir du guêpier
où les circonstances les avaient jetés !

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Police et Avocat

Quant à Gérald et Sylvain, chacun de son côté s’interrogeait


sur la nécessité de faire disparaître définitivement les corps encom-
brants de leurs cadavres  ! En effet ils venaient d’apprendre aux
informations télévisées le rapt de leur voisine lors d’un interroga-
toire par la police judiciaire ! Que leur avait-elle dit et qu’avait-elle
donc vu ?

Sylvain fit le choix de se débarrasser des « morceaux » de Gaé-


tan, en les enterrant un par un dans différents endroits tout au-
tour de Paris. À chaque voyage il partait sous prétexte d’une pro-
menade avec un grand sac en plastique venant d’un quelconque
supermarché renfermant un peu du malheureux jeune homme.
Il trouvait alors un coin isolé de forêt, de campagne ou d’endroit
adéquat pour creuser un trou et y déposer après l’avoir débarrassé
du plastique dont il était soigneusement enveloppé, une fraction
de l’infortuné Gaétan. Quand la macabre tâche fut terminée après
quinze jours de déplacements quatre fois par semaine, Sylvain ins-
crivit en bon obsessionnel sur son carnet de bord, le chiffre vingt
avec la mention « terminé », signifiant que le corps découpé en
vingt morceaux avait enfin disparu du congélateur de l’abri de
jardin de la maison d’â côté !
Gérald lui aussi de son côté, décida aussi de déterrer le cadavre
du détective privé, et un soir où tous les voisins immédiats étaient
partis en week-end prolongé, il l’arrosa d’essence et le fir brûler ;
après s’y être repris plusieurs fois ! En effet bien que la nature ait
accompli une partie du travail, les os et les cheveux ayant du mal
à disparaître, il lui fallut pulvériser à coups de pioches, de bêches
et d’acide sulfurique les derniers reliquats. Tout cela au milieu
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d’une fumée noire et malodorante qui n’était pas sans rappeler


les camps d’extermination nazis. Il craignait que l’odeur infâme
dégagée n’attire l’attention comme cette colonne de fumée noire
s’élevant au milieu du jardin. Il prétexta avoir brûlé un vieux
pneumatique pour justifier l’odeur. Étonnamment, personne ne
s’en inquiéta. Puis il disposa dans la fosse enfin vide une couche
généreuse de chaux vive afin d’assainir l’endroit, y replaça en-
suite la terre de bruyère et le nouveau terreau afin d’y replanter
les rhododendrons qui attendaient patiemment dans la serre.
Ceux-ci prirent bien une teinte bizarre variant entre le kaki et
le jaune délavé pendant un certain temps, puis tout rentra dans
l’ordre et ils retrouvèrent leur rouge éclatant. Sylvain et Gérald
désormais soulagés, retrouvèrent sans état d’âme leur quiétude
d’antan ! Seuls un album de photos de jeunes hommes avec un
carnet de bord où étaient notifiées exploits sexuels et caractéris-
tiques anatomiques, avec le mot « terminé associé au chiffre 20,
demeurèrent dissimulés dans le bureau de Sylvain, ainsi qu’une
certaine écharpe péruvienne.

L’article virulent du rédacteur du Monde fit la une de la presse


et son vitriol entama l’image que les bons citoyens avaient de
leur police et de ses procédés d’investigation ! Une enquête fut
même ordonnée par le Ministre de L’Intérieur pour calmer les
esprits échauffés !

Pendant ce temps-là, l’avocat du journal élaborait la défense


d’une cliente fantôme et la presse se déchaînait en élucubrations
les plus délirantes possibles concernant la cavale de l’ennemi
devenu Numéro 1 et de la femme devenue otage ! Qu’étaient-ils
devenus ? Etait-elle toujours en vie ? Les hypothèses embrasaient
les esprits et stimulaient l’imagination des journaux à sensation
toujours friands de scandales. La police une fois encore
ridiculisée semblait inopérante. Enfin, mine de rien deux
cadavres ignorés avaient bel et bien disparu définitivement,
un couple d’homosexuels avait repris ses roucoulements, deux
fugitifs s’organisaient et faisaient connaissance et un troisième
cadavre attendait à la morgue !
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L ’énigme de la maison d’à côté

Car qui avait tué la pauvre Inès ? Après autopsie la conclusion


fut : assassinat par étouffement. La police fouillant dans son passé
découvrit son mariage avec Gérald et entreprit des recherches pour
le retrouver. Cela dit comme il avait passé dix ans de sa vie au Brésil,
comme travesti, il leur était difficile de dénicher un homme qui
s’était converti au sexe féminin. Mais Gérald un jour impliqué dans
une vente de faux tableau, s’embarqua comme clandestin à bord
d’un cargo et parvint après moult péripéties par se retrouver sur le
port du Havre donc de retour en France. Par je ne sais quelle soli-
darité avec sa sœur même décédée, Sofia la sœur jumelle d’Inès ne
souffla mot à la police de ce qu’elle savait de la nouvelle vie de Gé-
rald, pas plus que ne le fit leur fils Didier, mais peut-être pas pour
la même raison. En effet celui-ci s’apercevant que l’état de sa mère
s’aggravait chaque fois qu’elle faisait des séjours en HP, avait mené
sa petite enquête personnelle. Et lors d’une confidence d’Inès, un
soir de vague à l’âme il avait appris qu’une amitié s’était nouée entre
elle et une des infirmières du service de psychiatrie. Jusque-là, rien
d’extraordinaire sauf qu’il s’aperçut très vite que ce n’était ni inno-
cent, ni anodin, car celle-ci procurait à sa mère diverse drogues sus-
ceptibles de la soulager disait-elle ! Inès devint très vite dépendante
des médicaments censés l’aider et se trouva alors sous influence de
la dite infirmière qui savait lui soutirer autant d’argent que de confi-
dences. Celle-ci alla même plus loin et commença à faire « chanter »
Inès, lui demandant à chaque fois plus d’argent encore et mon-
nayant son silence pour garder le secret. Les sommes étaient deve-
nues astronomiques et Gérald interloqué par ses demandes d’argent
un jour n’accepta plus de les voir augmenter. Si bien qu’Inès en
manque et effrayée décida d’en parler à Didier afin de sortir de
l’impasse. Ce qui était au demeurant une fort bonne idée. Mais elle
eût aussi la fâcheuse initiative de menacer la fameuse infirmière de
tout révéler à son fils qui lui saurait y mettre bon ordre ! Didier se
doutait bien de quelque chose mais n’avait aucune preuve. Aussi
décida-t-il un jour de pénétrer en secret dans la chambre qu’occu-
pait la soignante à l’hôpital pendant qu’elle effectuait son service
de nuit. Se dissimulant en fin de journée après une visite rendue à
sa mère il se tapit au fond de la lingerie, puis en sortit une fois la
nuit tombée. Il retrouva avec sa lampe de poche le petit corridor
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L ’énigme de la maison d’à côté

amenant aux chambres de l’interne de garde et des infirmières de


nuit et se faufila jusqu’à la porte de la chambre qu’il avait identifiée
comme lieu des tractations entre sa mère et l’infirmière. Muni d’un
passe, il n’eut aucun mal à rentrer, la serrure étant basique et la
femme n’ayant pas lieu de se méfier et d’y ajouter un verrou supplé-
mentaire qui eut paru suspect à l’administration. La chambre était
meublée de façon sommaire d’un lit, d’une chaise, d’un bureau et
d’une sorte d’étagère faisant office de bibliothèque. Didier fouilla
méthodiquement les tiroirs du bureau qui n’étaient d’ailleurs pas
fermés à clef, rien d’intéressant ne s’y trouvait.
« Zut, j’ai fait chou blanc » se dit-il. Il s’approcha de l’étagère et
examina attentivement les livres un par un. Les titres ne l’avancèrent
guère. Arrivé à la troisième rangée, il vit caché dans un livre creux,
une sorte de tournevis, ou plutôt d’un outil y ressemblant mais
pouvant servir à faire pression pour soulever quelque chose. Didier
se demanda alors pourquoi dissimuler un outil pour le moins si
banal et surtout dans un livre semblable aux autres mais aménagé
en cachette ? Les autres ouvrages ne révélèrent rien de plus. Didier
se frotta pensivement le menton. Il s’apprêtait à rebrousser chemin
lorsque l’idée lui vint de déplacer l’étagère, au surcroît fort lourde
avec tous ces bouquins ! Il dut l’alléger de moitié pour réussir à la
bouger. Consultant son portable, il vit avec inquiétude que le temps
avait passé très vite et qu’il ne devrait plus trop s’attarder. C’est alors
que regardant le parquet sous l’étagère, il lui sembla apercevoir sur
une des lattes plus usée, une sorte d’encoche située à l’intersec-
tion. De jour son regard n’eut pas été accroché par ce détail, mais
le faisceau de lumière émise par la lampe torche s’infiltra dans la
dénivellation du parquet, la mettant en évidence. C’est alors qu’un
déclic se fit dans son esprit et qu’il songea au tournevis caché dans le
faux livre. Bousculant les livres épars parce que pressé par le temps,
Didier retrouva prestement le tournevis pied de biche, l’inséra dans
l’encoche de la latte du parquet qui se souleva comme par magie.
Glissé à l’intérieur dans une poche en plastique, divers documents
et photos apparaissaient en transparence. Il découvrit avec stupeur
au milieu d’une quinzaine de portraits de gens âgés ou hagards, la
photo de sa mère. Les clichés montraient aussi à l’évidence qu’il
s’agissait de pensionnaires de l’établissement psychiatrique. D’ail-
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leurs étaient annotés à l’envers de chaque photo le numéro de


chambre, les noms et les prénoms, la date de naissance mais aussi
les numéros de compte bancaire et la situation familiale de chacun.
Veuf ou veuves, sans famille ou avec parent éloigné, tous avaient
plus ou moins le même profil. Didier découvrit aussi des recon-
naissances de dette et des legs faits au nom de l’infirmière, ainsi que
des clefs et même quelques bijoux ! Rapidement il photographia
tout ce qu’il put trouver avec son portable, remit le tout soigneu-
sement dans le même ordre referma la latte de bois qui s’enclencha
facilement dans l’encoche en cliquant, emportant de nouveau son
secret sous la bibliothèque qu’il repoussa à la place exacte où elle
se trouvait précédemment. Il redisposa sur le bas de l’étagère les
derniers livres encore au sol, puis ressortit, effaçant soigneusement
toute trace de son passage. A peine eut-il tourné la clef dans la ser-
rure qu’il entendit des pas à l’étage. Didier eut juste le temps de se
dissimuler dans le creux d’une encoignure et vit alors l’infirmière
apparaître au fond du couloir et se diriger vers sa chambre. Dès
qu’elle eut refermé la porte, il se précipita dans l’escalier, à pas feu-
trés néanmoins et descendit le plus vite qu’il put.

« Ouf ! Je l’ai échappé belle ! A quelques secondes près, je me


faisais surprendre. » se dit-il. Une salve d’extrasystoles le fit sursau-
ter et rétrospectivement l’angoisse le saisit. Il avait vu juste, cette
femme était dangereuse. Le calme revint en lui et il se décida à
examiner les documents qu’il avait pu photographier. Pour mieux
voir il les imprima et commença à les étudier. Sans aucun doute
les noms correspondaient aux visages photographiés, ainsi qu’aux
reconnaissances de dettes ou aux legs octroyés. Cette femme met-
tait ces malheureux en dépendance, puis les faisaient chanter ou les
manipulaient. La photo de sa mère portait au verso tous les détails
de ses « transactions », plus une mention très spéciale mais très ex-
plicite : « A éliminer ». Didier en eu les larmes aux yeux et s’affaissa
sur la chaise où il était assis. Il reposa les documents sur le bureau
et se prenant la tête dans ses mains se mit à sangloter comme un
enfant !

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La confiance

Dave une fois rasé et douché était vraiment superbe et Roxane


ne pouvait qu’y être sensible. D’autant plus que la lueur glaciale
qu’elle avait découverte dans son regard avait totalement disparu
et fait place à un amusement évident et chaleureux.
« Mais qu’est-ce qui t’amuse tant ? » demanda-t-elle interlo-
quée à son interlocuteur.
« Oh ! Rien, si ce n’est ton appétit d’ogre ! On dirait que tu n’as
rien mangé depuis huit jours ! »
Elle haussa les sourcils et un peu vexée ajouta :
« Bah, c’est réactionnel, avec toutes ces émotions il faut que je
me calme.
– Tu te calmes en mangeant ? lui dit-il très sérieux tout à coup.
– Mais non, mais, mais bon comme je mange je ne parle pas et
cela m’évite de poser des questions. » Roxane commençait à être
agacée par cette situation, aussi haussa-t-elle les épaules et puis
toute peur l’ayant quittée, elle lui demanda en le regardant droit
dans les yeux :
«  Au fait, Toi qui es-tu ?
– Et bien au moins ça c’est direct ! s’exclama Dave, en éclatant
de rire. Bon, et bien pose-moi des questions. Mais pas sûr que je
réponde à toutes ! » ajouta-t-il avec un brin de malice.
Roxane le regarda intensément et se jeta à l’eau.
« Quelle est la raison de ton arrestation, car ton arrivée était
impressionnante !
– Écoute, je peux te donner ma version, mais ce n’est pas
certain qu’elle coïncide avec celle des flics, le mieux c’est que tu
ailles acheter le journal et à manger aussi et nous en parlerons.
Maintenant fais gaffe toi aussi, n’oublie pas que je t’ai kidnappée
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et que ta photo doit être en première page avec la mienne, alors


avant de sortir, fais un peu de camouflage.»
Roxane hocha la tête en signe d’acquiescement, releva ses
cheveux qu’elle dissimula sous un foulard noué revenant sous
le front. Elle ajouta deux grands anneaux dorés aux lobes de ses
oreilles, enfila un vieux jean un peu élimé, mis des sandales et un
chemisier à fleurs. La tenue lui donna un look un peu rétro et
Peace and Love des années soixante qui la rendit méconnaissable.
Elle y ajouta des lunettes de soleil aux verres ronds et vieillots qui
parachevèrent sa transformation. La jeune journaliste à l’aspect
classique, mais néanmoins moderne avait fait place à une nana
encore nostalgique des révoltes étudiantes de Mai 68. Elle fit un
petit signe de la main à Dave et sortit refermant tout doucement
la porte. Dave sut qu’elle avait compris.
Roxane dans l’ascenseur se dit qu’il l’avait laissée sortir sans
s’inquiéter de ce qu’elle pourrait tenter !
« C’est vrai, je pourrai aller au premier poste de police le dé-
noncer ! » se dit-elle.
Il lui avait fait confiance. Et il avait eu raison. Était-ce le syn-
drome de Stockholm ? Au premier kiosque elle acheta le journal
du jour et s’engouffra dans la superette du coin pour y faire des
emplettes. Puis chargée de deux gros sacs, revint au domicile de
Karen. Elle se sentit soulagée de rentrer car la peur d’être recon-
nue l’avait inquiétée bien plus qu’elle ne le supposait. Pourtant
elle n’était coupable de rien, bien que suspecte elle-aussi et victime
surtout de son imagination. Et voilà maintenant que de nouveau
elle « s’embarquait dans une nouvelle aventure et pas des moindres
à voir ce qu’en disait la presse ! »

Effectivement leurs deux portraits trônaient en première page


avec le titre accrocheur de «  Prise d’otage à la PJ par l’ennemi
Numéro 1 ». Durant dix secondes Roxane eut la tentation de ne
pas remonter et de se sauver en courant, car se faire complice de
quelqu’un fiché pour grand banditisme était vraiment plus qu’im-
prudent même si on aimait l’Aventure et les décharges d’adré-
naline. Puis, voyant que son soupir de soulagement concernait
plus son envie de revenir que celle de se sauver, elle rentra enfin
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et poussa la porte avec tranquillité. Les paquets étaient lourds,


Roxane sur le seuil, appela Dave.
« Dis, tu peux m’aider ? » et avec stupeur le vit prêt à dégainer
un revolver, contre un visiteur imprévu.
« Oh, oh, du calme, c’est moi ! » s’exclama Roxane le souffle
coupé par l’accueil. Le visage de Dave se détendit aussitôt. 
« Bon alors, tu as choisi, puisque te voici. Tu sais qui je suis .
– Bah non, pas vraiment. A vrai dire, je n’ai pas eu le temps de
lire, j’ai juste vu nos photos alors je me suis dépêchée.
– Tu es trop toi ! » et sur ces mots sans prévenir, Dave la soule-
vant de terre lui planta sur la joue un énorme baiser bien sonore.
Roxane que pas grand-chose n’avait déstabilisée jusque-là, fut
totalement déconcertée et piqua un fard comme une gamine de
quinze ans. Puis ils allèrent, comme si de rien n’était, ranger tous
deux les courses qu’elle avait ramenées.
« Dis-donc, il y a de quoi tenir un siège, mais tu sais on ne va
pas moisir ici, dès que ce sera un peu calmé, je vais partir. »
Le désappointement apparut alors sur le visage de Roxane, à
tel point que Dave se crut obligé de lui dire ;
« Écoute, lis quand même le journal car même s’ils exagèrent,
il y du vrai, tu sais. »
Roxane s’assit alors et commença sa lecture.

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Courrier anonyme

L’infirmière ne s’était aperçue de rien et ne vit pas plus Didier


dissimulé dans le recoin du mur. Elle repartit travailler, le char-
geur oublié du portable à la main. Les heures passèrent. Quinze
jours auparavant Inès était rentrée à l’institution où elle séjournait
souvent lorsqu’elle ne se sentait pas bien. Ce jour-là elle prit sans
regarder tous les médicaments posés sur sa table de nuit à côté du
verre d’eau et ne tarda pas à s’endormir rapidement. Si elle n’avait
pas été si préoccupée par sa visite à Gérald, elle aurait probable-
ment remarqué qu’il y avait une pilule bleue supplémentaire mais
elle ne la vit point. Une heure après environ, la porte s’entrouvrit
doucement, une lampe électrique balaya la chambre jusqu’au lit,
une ombre s’approcha. L’ombre saisit doucement l’oreiller sous la
tête d’Inès et le tira précautionneusement pour l’abattre brutale-
ment sur son visage en maintenant la pression tandis que l’infor-
tunée se débattait pour retrouver souffle et vie. Bras et jambes
s’agitèrent en tous sens, juste quelques râles traversèrent l’oreiller,
puis plus rien. Profondément assommée par les barbituriques,
Inès n’avait pas offert beaucoup de résistance ! L’ombre ressortit et
se profila sur le mur du couloir. Elle avait une carrure impression-
nante et portait une casquette. Au matin l’infirmière de la relève
constata le décès d’Inès mais voyant sa face violacée et l’oreiller par
terre, appela en urgence le médecin de garde qui prévint la police.

Didier était désormais intimement persuadé que l’infirmière


était l’assassin de sa mère. Mais comment le prouver ? Il décida
de refaire une nouvelle expédition comme la précédente, pendant
que l’infirmière était à son service. Il refit les mêmes gestes, sou-
leva à nouveau la latte de parquet après avoir déplacé l’étagère
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bibliothèque mais quelle ne fut pas sa surprise de constater que


l’excavation était vide ! Il trouva juste dans le tiroir du bureau une
petite annotation dans un banal carnet, le jour de la mort de sa
mère : « Doubler la dose. »
Un frisson le parcourut. Il fallait qu’il la dénonce. Il décida
d’écrire une lettre anonyme à la police et y joignit les photocopies
des clichés qu’il avait pris lui-même.

La police recherchait l’ennemi n°1, persuadé qu’il s’était débar-


rassé de son otage et avait pris la fuite au-delà-des frontières. Inter-
pol fut saisi bien entendu de l’affaire. Cela avait occasionné des
remous à tous les niveaux de la police judiciaire, du simple inspec-
teur au plus haut de la hiérarchie. De plus la presse se gaussait de
l’inefficacité de la police capable tout juste de mettre en garde à
vue une jeune journaliste plutôt que de transférer sans dommage
un homme dangereux ! L’article du rédacteur en chef du Monde
faisait boule de neige et une foule d’associations regroupant de
nombreux mécontents, victimes de bavures policières organi-
saient des manifestations revendicatives, dans tous les coins de la
capitale.

Un matin, le service chargé d’enquêter sur l’homicide d’Inès,


reçut un courrier anonyme dénonçant les agissements de l’infir-
mière. Une convocation lui fut aussitôt envoyée afin de l’interro-
ger et de trouver quelques éclaircissements à ce dossier qui piéti-
nait plus qu’il n’aurait fallu. Lorsqu’elle la reçut, un vent de pa-
nique la parcourut, mais comme elle avait fait disparaître tous les
documents compromettants de sa chambre d’infirmière comme
de son domicile, elle se dit que ce ne devait être qu’une enquête de
routine systématique pour tout le personnel médical.

Le couple Gérald et Sylvain vivait très sereinement, ils avaient


repris leurs habitudes et leurs rituels, ne disaient mot sur ce qui
s’était passé, comme si rien n’avait jamais existé. Seul un empla-
cement montrait que l’on avait fait du feu dans le jardin, mais
il est vrai que c’était aussi l’emplacement du barbecue ! Gérald
continuait de venir régulièrement deux fois par semaine à Paris
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pour ses activités de commissaire-priseur et Sylvain se plongeait


dans l’écriture de ses romans dont on ne voyait d’ailleurs jamais la
parution. En fait, dès que son ami tournait le dos, son addiction
pour Internet et les sites de rencontres le reprenait et il s’y adon-
nait encore plus assidument.
Quant à Roxane et Dave, contrairement aux supputations de
la police, ils vivaient toujours dans l’appartement de Karen l’amie
de Roxane, celle-ci étant en déplacement professionnel durant un
mois. Roxane, avait commencé à lire ce que l’on disait de Dave
dans le journal. Cela paraissait plutôt inquiétant car il était présen-
té comme un braqueur excessivement dangereux, ayant élaboré,
organisé et dirigé une trentaine de hold-up dans de petites succur-
sales bancaires et bijouteries de la Côte d’Azur. Dépeint comme
un homme violent, déterminé et sans scrupule on lui attribuait
aussi un certain nombre de victimes. Il s’échappait toujours on
ne savait comment, aussi bien des centrales de haute sécurité où il
était placé comme au cours de deux de ses procès où il était jugé.
D’ailleurs lors d’un transfert sur Paris, ne venait-il pas de récidi-
ver avec le rapt du quai des Orfèvres. Le pronostic quant au sort
de la femme kidnappée n’était pas bon et on ne lui donnait pas
cher de sa peau. Roxane sentit la chair de poule hérisser ses bras,
puis se dit qu’il avait bien pris le risque de la laisser sortir faire les
emplettes, donc... et cette dernière pensée la rassura un peu !
Il n’empêche que cela n’arrangeait en rien ses affaires. Ayant
acheté aussi le journal Le Monde, elle y découvrit également leurs
deux portraits d’ailleurs pas très flatteurs, ainsi que l’article viru-
lent que Ralph son rédacteur avait écrit, fustigeant jusqu’à l’ac-
cusation les services de police qui, disait-il, n’avaient pas hésité
à abuser de leurs pouvoirs envers une journaliste talentueuse et
innocente, dans le but de régler leurs comptes avec la presse qui
ne leur passait rien. Le mot talentueux la fit sourire, car il ne la
connaissait même pas, mais elle fut touchée par son investisse-
ment. « Encore un qui n’a froid aux yeux » se dit-elle. Comme
un sourire apparaissait sur ses lèvres, Dave lui demanda : «  Ce
que tu lis te fait rire ? » tout de même très surpris par la réaction
de Roxane. Celle-ci levant les yeux du journal le regarda plutôt
amusée par sa méprise ajoutant aussitôt :
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« Et si toi tu me donnais ta version des faits, cela serait bien,


non ? » Le regard de Dave s’adoucit aussitôt lorsqu’il la vit fris-
sonner tout à coup.
«  Bon, et bien on peut dire qu’au trois quart c’est exact,
de là à dire que je suis un tueur sanguinaire, ils délirent. Je
me défends voilà tout ! Disons que si on me cherche, on me
trouve, enfin pas géographiquement. » Et il se mit à éclater de
rire. Roxane sourit elle-aussi tout en pensant qu’il était tout de
même «  barjo  », mais bon, la situation étant ce qu’elle était,
il fallait faire avec. Et puis il était plutôt bel homme et elle se
rendit compte qu’elle n’était pas insensible à son charme. La
réciproque était également vrai, et Dave qui d’habitude n’était
ni sentimental ni romantique se sentit ému plus qu’il n’aurait
voulu l’être. Ce n’était pas qu’elle fut particulièrement jolie,
mais quelque chose de spécial émanait d’elle. Aussi eut-il envie
de la rassurer.
« Tu sais, ne t’inquiète pas, tu n’es pas en danger avec moi !
– Avec toi, non mais avec les autres, c’est une autre paire
de manches, s’exclama-t-elle spontanément, je ne sais pas du
tout comment on va s’en sortir ».
Dave fut stupéfait par le « on » prononcé, et ses yeux s’arron-
dirent.
« Mais t’es pas concernée ?
– Ca c’est ce que tu crois, mais maintenant nous sommes
dans la même galère, car moi aussi, la police m’impliquait dans
une affaire criminelle qui ne me concernait pas, si ce n’est que
j’avais été trop curieuse ! »

Venant juste d’apprendre l’existence de Sofia, sœur jumelle


d’Inès, la police se mit à chercher ses coordonnées. Ce fut chose
aisée que de les retrouver et elle fut bien sûr convoquée elle aus-
si. Ce fut ce jour-là également qu’ils découvrirent l’existence de
Didier, le fils d’Inès et de Gérald, qui habitait avec son compa-
gnon la maison d’à côté de Roxane. Le cercle semblait bouclé et
les enquêteurs se frottaient les mains, ayant de nouvelles pistes
pour leurs investigations.

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Gérald reçut donc une lettre à son tour, le convoquant au


36, Quai des Orfèvres à Paris. Ainsi un jour au moins, ce lieu
avait tour à tour reçu Roxane, le rédacteur en chef du Monde,
Dave, la sœur d’Inès, l’infirmière, Didier, Gérald, Sylvain
comme témoins ou criminels potentiels. Que sortirait-il donc
du chapeau de la PJ ? L’avenir le dirait. 
Ils n’en avaient pas beaucoup appris de Roxane, l’avocat du
Journal l’ayant incitée à se taire. Le rédacteur avait juste fait une
déposition. Dave était recherché et ils savaient qui il était et
n’avait aucun lien avec l’homicide d’Inès. Didier ne leur parla
pas de sa visite chez l’infirmière mais ne cacha pas qu’il avait
été voir Gérald qui était son père. Il fut bien obligé de parler
du détective mais dit qu’il n’avait pas reçu de lui de nouvelles,
ni de facture ce qui lui paraissait fort étrange. La sœur d’Inès à
moitié en pleurant raconta en long et en large la vie de sa sœur
ce qui malheureusement n’apporta aucun élément de plus.
L’infirmière fut considérée comme suspecte et durant l’enquête
fut assignée à résidence. Gérald vint à la convocation accom-
pagné de Sylvain qui fut interrogé à son tour. Rien ne parut
nouveau aux inspecteurs de la PJ  qui croyaient avoir trouvé
leur criminel pour leur victime, alors que trois autres cadavres
avaient incognitos disparu dans la nature ! Plus un ravisseur et
son otage. Les journaux faisaient des gorges chaudes de cette
cavale et la maison d’à côté commença à fortement intéresser
la presse locale du coin. C’est d’ailleurs à cause d’elle que la
rumeur arriva.

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Le syndrome de Stockolm

Non seulement Roxane n’avait pas peur de Dave, mais il lui


inspirait plutôt confiance. Elle éprouvait même un sentiment
étrange avec lui et se sentait paradoxalement en sécurité alors
que la situation qu’il lui faisait partager était aux antipodes de
la sérénité. D’origine norvégienne avec ses yeux clairs, il lui fai-
sait penser à un Viking et elle se plut à l’imaginer sillonner les
mers sur son Drakkar ! Mais surtout si son imaginaire lui jouait
des tours, c’était tout simplement qu’elle était sans s’en rendre
compte tombée amoureuse de lui. Quant à lui malgré ses airs
de macho, il ne semblait pas insensible à son charme non plus.
Pour eux le temps se serait arrêté si en ouvrant la télévision, il
avait vu annoncé aux infos, leur capture imminente.
« Le piège se resserre » disaient-ils. Certains les avaient vu
aux Pays-Bas, d’autres au Brésil mais d’autre affirmaient avoir
reconnu Roxane dans le quatorzième arrondissement et cette
dernière annonce n’amusa pas du tout Dave, qui s’écria aussi-
tôt.
«  Prends le minimum d’affaires et on se casse.
– Mais, mais quand ? balbutia Roxane.
– Le plus vite possible, sinon on va se faire piéger. »
Il téléphona de chez Karen à un des nombreux contacts
qu’il avait et donna rendez-vous devant la Place de Catalogne.
Roxane prépara quelques effets en un tour de main et se tenait
prête à partir près de la porte, lorsque lui caressant gentiment
la joue de la main, Dave ajouta : 
« Tu es libre, tu sais, tu es trop chouette pour que je te force
à me suivre ! Ma cavale va être galère comme à chaque fois et
puis une balle perdue est si vite arrivée. »
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Le nez de Roxane se mit à rougir et ses yeux s’embuèrent de


larmes. Il la prit contre lui et l’embrassa spontanément. Nouant
ses bras autour de son cou elle lui rendit avec passion son baiser.
« Non décidément, il faut que tu restes à Paris, d’ailleurs tu
me ralentirais, je te retrouverai ne t’inquiète pas ! De plus tu peux
m’aider et me faire gagner du temps. Va te balader vers Saint Mi-
chel et dis que je viens de te relâcher, mais tâche de paraître un peu
plus terrorisée que maintenant, lui dit-il en riant, n’oublie pas que
je suis l’ennemi Public Numéro Un. »
Il l’embrassa de nouveau et disparut aussitôt. Roxane se laissa
tomber sur un fauteuil, vraiment triste qu’il s’en soit allé et que
l’aventure se termine, mais elle savait bien au fond d’elle-même
que c’était bien mieux pour elle. Cependant de là à aller tout de
suite voir les flics pour qu’ils la malmènent à nouveau, elle n’était
pas pressée. Aussi se prépara-t-elle un bon sandwich et regarda
tout simplement... un film à la télé.
Elle finit par s’endormir devant et ne fut réveillée que par le
silence de la fin des programmes. Elle se dirigea vers la chambre
à coucher et tombant de sommeil s’endormit immédiatement.
Tant qu’il y eut de quoi manger, elle resta dans l’appartement et
passa donc quatre jours enfermée, à rêver et à continuer à se ca-
cher. Puis la faim faisant sortir le loup du bois, elle décida d’aller
près de la Fontaine Saint-Michel comme Dave lui avait suggéré,
de nouveau vêtue de façon classique et moderne à la fois. Une
fois sur place, elle s’assit sur le rebord du bassin et l’air hébété y
demeura deux bonnes heures. Ce fut la sirène d’un car de police
qui la sortit de sa torpeur. Soudain tout s’accéléra, elle fut entou-
rée, emmenée, questionnée, et ne supportant pas cette agitation
et cette pression après ce qu’elle venait de vivre, Roxane éclata en
sanglots. Dans le car qui la conduisait à l’hôpital, flanquée d’un
policier en civil, elle prit néanmoins son portable et appela l’avo-
cat du journal qui commençait sérieusement à s’inquiéter de son
silence. Un policier s’empara aussitôt de l’appareil, mais elle fut
plus rapide que lui et réussit à lui dire où ils l’emmenaient ! Par
contre elle n’eut pas le temps d’entendre le « J’arrive »  de l’avocat,
l’appareil lui ayant été arraché positivement de la main. Arrivée
à L’Hôtel Dieu, elle fut installée dans une chambre gardée par
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deux policiers, afin d’être mis en observation un jour ou deux.


Puis les interrogatoires recommencèrent ! Heureusement l’avocat
du Journal était là pour l’aider à répondre et aussi à se taire quand
c’était nécessaire.
« Où le malfaiteur l’avait-il emmenée ? Comment cela s’est-
il passé ? Pourquoi n’avait-elle pas prévenu ? Avait-elle subi des
violences ? Avait-il appelé des complices, et avait-elle vu d’autres
personnes ? Comment s’était-elle échappée ? Comment s’étaient-
ils alimentés ? » Les questions n’arrêtaient pas dans un tourbillon
infernal au point que Roxane saisie de vertiges, se mit à vomir.
Cela suffit, intervint le médecin appelé par l’avocat. Roxane était
si pâle, des gouttelettes de sueur perlaient sur son front, de grands
cernes creusaient ses yeux et des larmes coulaient sans cesse, si bien
que les interrogatoires furent enfin interrompus. Elle ne pouvait
plus émettre que des vomissements à défaut de paroles et mon-
trait un extrême épuisement ! Une infirmière prit sa tension : 8-5.
Immédiatement on la mit sous perfusion de glucose et au repos.
Roxane se sentait mal, perdue et si seule. Les quelques jours
passés avec Dave revenaient à sa mémoire et la sécurité qu’elle
avait ressentie avec lui contrastait violemment avec la peur et la
violence psychique qu’elle ressentait actuellement ! Aussi ferma-
t-elle les yeux pour s’isoler et surtout se protéger de cette agres-
sion inacceptable. Le monde des gens dits normaux et des services
chargés de veiller à la sécurité des citoyens avaient des règles plutôt
étranges et bien particulières ! Aucune éthique, ni respect de l’autre
qu’il fut homme ou femme. L’avocat arriva et la voyant dans cet
état, prit discrètement une photo puis alla déposer plainte devant
le procureur. Il appela ensuite Ralph le rédacteur en Chef pour lui
narrer la situation.
« C’est un scandale, dit celui-ci. Demain ils auront droit à la
première page ! » Effectivement, à la première heure du matin,
s’étalait en gros titre et en première page :
«  Abus des Services publics et méthodes policières inaccep-
tables. Dérapage à l’hôpital sous contrôle judiciaire... »
Suivait la photo de Roxane exsangue sur son lit d’hôpital, sui-
vie d’un article musclé sur les façons de procéder de la Police Judi-
ciaire.
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L ’énigme de la maison d’à côté

Informé aux aurores également dès parution de l’article, le Pré-


fet de Police passa un coup de fil et « un savon » au Directeur de
la PJ encore dans les bras de Morphée. Celui-ci bien sûr répercuta
la colère de sa hiérarchie sur tous ses divisionnaires qui à leur tour
firent de même jusqu’à l’échelon le plus bas de l’échelle. Les sanc-
tions suivirent les propos. Mais ce ne fut pas pour autant la paix
pour Roxane. Dans un autre coin de la France, à la lisière d’une
frontière un autre homme découvrait aussi la nouvelle réalité de
vie de Roxane. Dave en effet lut comme les autres la presse ce
matin-là et la rage envahit son cœur au même instant.
« Quelle bande de salauds ! » gronda-t-il.

Un nouvel événement se surajouta à l’actualité du jour, la mai-


son de Roxane avait été cambriolée. On ne savait pas exactement
quand. Toujours est-il que ce fut le facteur qui s’en aperçut en
déposant le courrier. Le rideau d’une des fenêtres pendait lamen-
tablement au dehors et un des volets semblait à l’évidence frac-
turé ! Convoqués à Paris pour l’homicide d’Inés, Gérald et Sylvain
étaient absents eux aussi. La gendarmerie débarqua alors pour
constater l’effraction et compte tenu du contexte, la balistique
entra elle-aussi en action. En effet on trouva des traces de balles
contre le mur de la maison d’en face. Sauf qu’il s’agissait d’impacts
de la dernière guerre que les précédents propriétaires n’avaient pas
voulu effacer au nom du souvenir et de la mémoire de ceux qui
avaient combattu pour la libération de la France. Mais du coup,
tout fut passé au peigne fin, maison comme jardin et sous le bar-
becue on préleva des échantillons de cendres où l’on découvrit des
particules d’ossements humains. La terre fraîchement remuée sous
les rhododendrons attira l’attention, d’autant plus qu’un léger sil-
lon amenait directement à l’abri de jardin, Tout fut exploré, et le
congélateur aussi même vide, fut analysé. Et là aussi des traces
d’ADN furent relevées. La maison de Roxane fut mise sous scellés
et une commission rogatoire fut demandée pour faire de même
pour la maison d’à côté. Des journalistes prirent des photos qui
de local passèrent à l’échelon national pour finir aux actualités
télévisées. C’est ainsi que Gérald et Sylvain apprirent la nouvelle !
Étant donné ce qui s’était vécu dans cette maison, ils se sentirent
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paniqués à l’idée de ce qui allait arriver. En même temps, pas de


corps pas de délit ! Eux pouvaient n’être concernés en rien par
cette histoire. Sylvain se sentait mal à l’idée que Gérald apprenne
tout ce qu’il y avait sur son ordinateur, car bien évidemment ses
petits secrets allaient être découverts ! Qu’il ait vu Gérald enterrer
puis déterrer le corps du cambrioleur pour enfin le brûler le pré-
occupait moins que ses frasques sur les sites et puis il faut dire qu’il
y avait l’épisode Gaëtan, et... mais bon le corps avait bel et bien
disparu lui-aussi. Alors pas de victime pas d’assassin ! En plus si le
premier était un accident de légitime défense, le second était un
suicide. Et s’ils n’en avaient pas parlé à la police, la raison en était
leurs petites cachotteries personnelles pour préserver leur couple.
Sauf que fouinant partout l’engrenage policier s’était mis en route
et allait bientôt découvrir le pot aux roses.

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Sylvain et Gérald en garde à vue

Ordre fut alors donné de perquisitionner dans la maison d’à


côté. Et là les laboratoires de police s’en donnèrent à cœur joie.
Bien sûr furent découverts les petits secrets de Sylvain ainsi que
ses préservatifs dissimulés sous la poutre ! Mais la description de
ses activités sado-masochistes avec les commentaires accompa-
gnant les photos interpellèrent la police d’autant plus qu’une des
photos montrait un homme dont on avait signalé la disparition
un mois auparavant : un certain Gaëtan... De plus, son portrait
le montrait avec une écharpe très particulière, écharpe que l’on
venait de retrouver dans les effets de Sylvain. Celui-ci du stade
de témoin se retrouva alors en garde à vue, comme suspect. Les
laboratoires découvrirent aussi des traces microscopiques de
sang dans la maison, dans la salle de bain, dans l’escalier et sur la
balustrade. Les mêmes que l’on avait trouvé dans l’abri de jardin
et dans le congélateur. Restait à savoir ce qu’était devenu le corps
de l’infortuné Gaëtan et les inspecteurs étaient bien décidés à
cuisiner Sylvain pour lui en faire dire plus !

Sylvain transpirait, tremblait, pleurnichait, suppliait, en ba-


vait presque. Mais il n’avouait pas, ne racontait rien de plus que
oui, il avait eu Gaëtan comme amant, oui il l’avait bien reçu
dans la maison, il s’était même blessé en jouant avec le javelot
et cela expliquait peut-être les traces de sang, mais il n’avait plus
jamais eu de ses nouvelles et n’en savait pas plus. Sylvain sous
ses dehors chétifs et fragiles, possédait une volonté de fer et ne
cédait pas un pouce de terrain. « Pas de corps, pas d’assassin »,
se répétait-il en boucle dans sa tête. Et il tenait bon et n’avouait
pas.
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« Ne le dites pas à Gérald, je vous en supplie, il va rompre,


il va rompre avec moi quand il saura que j’ai eu des amants ! »
Et il pleurnichait de plus belle, théâtralisant à l’extrême. De plus
c’était vrai qu’il aimait Gérald et ne voulait pas le perdre, mais le
secret avait été découvert, alors ! Qu’avait-il de plus à perdre sinon
la liberté, car on ne le croirait jamais s’il disait que Gaëtan s’était
suicidé et pourtant c’était la vérité même si lui Sylvain l’y avait
bien poussé ! Donc malgré la pression faisant monter son hysté-
rie, ses larmes et les bousculades, les inspecteurs n’en obtenaient
rien. Pas d’aveu, toujours la même version : Sylvain n’avouait pas.
Épuisés ils durent, les quarante-huit heures écoulées, le relâcher
l’assignant seulement à résidence pour investigation éventuelle
supplémentaire.

Ils passèrent à Gérald et lui déballèrent tout ! Gérald fut effon-


dré mais la perspective de la prison, l’incita lui-aussi à garder le
silence. Il ne souffla mot pour le cambrioleur, qui en fait n’avait
été qu’un détective intrusif. Le problème est que les laboratoires
avaient trouvé deux sortes d’ADN et que les traces ne coïncidaient
pas ! Personne n’y comprenait plus rien. La police découvrit éga-
lement les frasques de Gérald lors de ses petits séjours à Paris. Le
fait qu’il eut été marié à Inès et qu’un fils naquit de cette union ne
constituait pas un délit. Mais ils en parlèrent à nouveau à Sylvain,
espérant que pour se venger il « cracherait le morceau ». Sylvain
pleura, tempêta, se révolta mais n’ajouta rien à l’ancienne version.
Ils ne purent donc pas inculper Gérald, ni même le mettre en
garde à vue. Ses alibis étaient solides. Leur maison ayant été pas-
sée au peigne fin, ils purent y retourner habiter et s’y retrouvèrent
face à face. Se doutant que des micros y avaient été installés, ils
évitèrent de parler de tout ce qui n’avait pas été dit et de ce qui s’y
était passé réellement, jouant une comédie digne des plus grands
maîtres du suspense, afin de rouler la police. Bien sûr ils se firent
pour le spectacle, quelques crises de jalousie quant à leurs secrets
personnels désormais dévoilés puis retombèrent dans les bras l’un
de l’autre, en se pardonnant mutuellement. La police finit par lais-
ser tomber et débrancha les écoutes. Gérald et Sylvain se parlaient
de tout cela seulement en forêt étant ainsi certains de ne pas être
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espionnés. Ils avaient tenu bon tous les deux, grâce à leur phrase
clef  : «  Pas de corps, pas d’assassin  » et «  Ne jamais avouer  !  »
D’ailleurs n’étaient-ils pas innocents tous les deux ! Enfin pas tout
à fait. Mais bon, c’est ce qu’ils se disaient.
Donc d’un côté il y avait deux disparitions sans cadavre et de
l’autre un cadavre sans assassin.
En effet si l’infirmière avait été interpellée pour chantage, abus
de faiblesse et manipulation de stupéfiants envers Inès, elle ne
fut pas inculpée pour son assassinat, étant avec le médecin et une
autre infirmière à l’heure du meurtre. Par contre elle fut incarcérée
pour une douzaine d’autres homicides et escroqueries de malades
qu’elle avait euthanasiés pour son seul profit. Inès était bien sur
la liste mais quelqu’un d’autre l’avait précédé, lui coupant l’herbe
sous le pied... Hum, pourrait-on dire !
Mais qui était donc l’assassin d’Inès ?
La police pataugeait toujours, mais ne lâchait pas prise pour
autant.

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La vente

Roxane se sentait mieux et sortit de l’hôpital, toujours encadrée


de policiers qui la questionnèrent de nouveau mais avec moult
précautions étant donné les remous que la presse avait engendrés.
Des associations s’étaient constituées par solidarité avec elle et
venaient l’assister tant sur le plan personnel que juridique. De
plus, à haut niveau, ordre avait donné de ne plus faire de vagues.
Tout cela fit qu’elle fut relâchée et bien sûr disculpée. Elle n’était
pas seule lors de la mort d’Inès, donc l’instruction la concernant
comme suspect éventuel fut fermée. Quant au lien avec Dave, elle
fut reconnue comme victime d’un rapt et ce fut tout. Il ne lui fut
pas faite pour autant d’excuses pour la brutalité de son interpel-
lation, aussi décida-t-elle d’écrire un livre romançant cet épisode
de sa vie. Ralph l’ayant pris en amitié, non seulement lui conserva
son poste, mais lui facilita son projet d’écriture. Ils se voyaient
souvent, pour le travail. Puis leur relation évolua et peu à peu
l’amitié fit place à un je ne sais quoi de plus subtil que d’aucuns
parfois appellent les sentiments. Elle retourna dans sa demeure
mais ne vit plus du même œil la maison d’à côté d’autant plus que
grâce à des indiscrétions elle avait eu le récapitulatif de la vie per-
sonnelle et des agissements de ses voisins. Avec ce à quoi elle avait
assisté et qu’elle n’avait jamais révélé à qui que ce soit si ce n’était à
Dave, elle se dit qu’elle avait là matière à écriture. Elle décida alors
de vendre son ancien havre de paix qui était devenu cauchemar-
desque et en tira d’ailleurs un bon prix, la publicité involontaire
dont elle avait fait l’objet ayant fait monter les enchères  ! Elle
décida de s’installer à Paris, non plus dans l’appartement de son
amie Karen rentrée de sa mission, un peu effarée par les événe-
ments vécus par son amie et ayant eu droit elle-aussi à une inves-
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tigation policière pour l’avoir hébergée. Roxane choisit donc un


charmant deux pièces, rue de la Gaité, avec terrasse et lampadaire
pour peaufiner ses articles et son nouveau roman.

Dave avait disparu une fois de plus et bien que recherché,


continuait sa cavale. Il n’avait pas oublié Roxane et y songeait
parfois avec un peu de nostalgie. Didier avait repris contact avec
son père Gérald et était accueilli chaleureusement par le couple
à nouveau réconcilié, mais ignorait toujours qui avait lâchement
assassiné sa mère sans défense. Certes celle-ci avec les somnifères
en plus déposés sur sa table de nuit avait été inscrite sur la liste
des prochaines victimes de l’infirmière. Mais ce n’était pas elle
qui l’avait étouffée ! Alors qui était l’assassin. Didier lui non plus
n’avait pas révélé à la police son incursion dans la chambre de
l’infirmière et son envoi anonyme des documents. Pourquoi, il
n’avait jamais su pourquoi ! Pas plus qu’il ne le raconta à son père
ou à Gérald, ni à qui que ce soit. Pourtant un jour, le hasard qui
n’existe pas, fit croiser son chemin avec celui de Roxane. Le jour
même où elle faisait son déménagement et allait remettre les clefs
à l’agent immobilier chargé de la vente de son bien. Elle allait
monter dans sa voiture pour rentrer sur Paris. Lui sortait de chez
son père dans la maison d’à côté. Le voyant emprunter la route
qui menait à la gare, elle lui proposa de l’accompagner et décou-
vrit ainsi son identité.
« Vous tenez à prendre le train ? lui demanda-t-elle gentiment,
car je vais à Paris, nous pouvons faire route ensemble, cela me
tiendra compagnie. Je vais déposer mes clefs à l’agence, car je ne
reviendrai plus ici ! »
Didier la regarda et instinctivement compris un peu sa nostal-
gie. Il monta en souriant opinant de la tête. L’image de sa mère
fragile qui pourtant avait bien su le guider, revint à sa mémoire
et durant le chemin sans savoir pourquoi non plus, il raconta à
Roxane ce qu’il avait vécu, ses recherches avec le détective, sa dis-
parition et aussi pour la première parla de ce qu’il avait trouvé
sous la latte de parquet, derrière l’étagère bibliothèque de l’infir-
mière. Roxane le déposa à Paris, puis rentra chez elle.

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Elle s’installa comme à son habitude sur son lit quand elle rédi-
geait ses articles et poursuivit son écriture toute la nuit. Son livre
prenait enfin tout son sens. Il devenait plus qu’un roman, qu’une
enquête, qu’un vécu, il était un véritable témoignage de vie pou-
vant servir à ceux qui aurait envie de le lire. Elle sourit, ne s’aper-
cevant pas du temps qui passait. La nuit tomba, elle écrivit encore
jusqu’à l’aube du matin et là se glissa épuisée dans ses draps. Elle
dormit une heure, tirée du sommeil par le chant des oiseaux que
reproduisait la sonnerie de son réveil. Elle eut la tentation de pré-
venir la rédaction qu’elle n’irait pas travailler et de se recoucher,
mais elle y renonça. Elle se souvint de ses nuits d’insomnie quand
elle n’allait pas bien près de la maison d’à côté, puis alla se dou-
cher pour se revigorer et prit son métro à Edgar Quinet pour
descendre à Glacière en face du Journal. Ralph l’accueillit avec un
grand sourire.
« Nous dînons ensemble ce soir ?
– Non, demain si tu veux bien, j’ai écrit toute la nuit, ce soir
je récupère. »
Il sourit et se dit en lui-même que Roxane n’était vraiment pas
une femme ordinaire.

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Le roman de Roxane

Dans un bureau de la Police Judiciaire, un nouvel inspec-


teur venait d’être nommé. Voulant faire du zèle il reprit les
dossiers qui n’étaient pas classés, mais mis dans un placard car
non résolus. Prenant le dossier de l’homicide d’Inès, il com-
mença à relire minutieusement les rapports et reprit la genèse.
Il prit un stylo et son bloc de papier et se mit à chercher. Il
écrivit au centre le prénom d’Inès et traça tout autour des
flèches avec au bout des noms ayant un lien de près ou de loin
avec elle. Son fils Didier, Samuel Hash le détective, Gérald son
ex-mari, Sofia sa sœur jumelle, Roxane la voisine de son mari,
Sylvain le compagnon de Gérald, l’infirmière. Six flèches pour
six personnes. Tous les alibis avaient-ils été vérifiés ? Quel pou-
vait-être le mobile de l’assassin ? Elle avait dérangé quelqu’un
au point d’être supprimée  ! L’infirmière, suspect Numéro 1,
qui avait certainement l’intention, de tuer Inès, avait néan-
moins été disculpée, trois personnes répondant de sa présence
à l’heure exacte du meurtre. Le fils d’Inès, Didier n’avait aucun
motif et était en province ce jour-là. Sa sœur jumelle, Sofia
fut exclue elle-aussi. Restaient Roxane, Sylvain et Gérald le
mari. Roxane savait sûrement des choses sur ses voisins, mais
n’avait appris l’existence d’Inès que lorsqu’elle avait téléphoné
à sa sœur jumelle. Mais comment l’avait-elle eu ce numéro
de téléphone, au fait ? Ah oui, elle avait déclaré avoir trouvé
une boite d’allumette tombée au pied de sa glycine quand un
homme avait voulu s’introduire chez elle par la fenêtre ? Cette
boîte serait tombée de sa poche  ? Mais qui était cet homme
qu’elle avait cru apercevoir chez ses voisins et pourquoi venait-
il s’introduire chez elle et surtout pourquoi avait-il ce numéro
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de téléphone dans la poche ? Avait-on montré des photos au


café d’où venait la boite d’allumette ? Y avait-on pensé ? Rien
de tel n’était évoqué, donc tout était à revérifier. Cela dit, ne
la connaissant pas auparavant, Roxane n’avait aucun motif
d’assassiner Inès et d’ailleurs elle se trouvait ailleurs à l’heure
dite et ce fut vérifié. Restaient donc le détective, Samuel Hash
qui avait disparu lui aussi, ainsi que Sylvain et aussi Gérald
qui ignorait tout du passé de son compagnon. Sylvain ayant
toujours pensé qu’Inès était la sœur de Gérald et non son ex-
femme, chez lui le mobile n’existait donc pas. De plus ce soir-
là, il était seul à la maison car Gérald dormait à Paris, il en
avait profité pour avoir un rendez-vous avec un de ses amants
qui avait d’ailleurs confirmé les faits. Restait donc Gérald, qui
lui ne voulait pas que Sylvain connaisse la vérité mais tue-t-
on pour cela  ! Il avait déclaré dormir à l’hôtel ce soir-là. Sa
présence y avait été bien confirmée mais à l’heure du crime,
le veilleur de nuit avait-il vraiment vu les personnes sortir, ne
s’était-il pas endormi ou absenté un moment ne serait-ce que
pour aller aux toilettes  ? L’alibi de Gérald, censé être au lit,
n’avait été vérifié par personne à cette heure de la nuit ? Mais
en même temps pourquoi après tant d’années, Inès aurait-elle
représenté un danger si grand pour lui au point qu’il veuille
l’assassiner ? Enfin, il restait aussi l’hypothèse plausible du geste
gratuit et insensé d’un inconnu dément se trouvant parmi les
patients ou le personnel de l’institution, ayant sous l’emprise
d’une pulsion, décidé de tuer le premier ou la première venue ?
Le jeune inspecteur resta donc ce jour-là avec ses pensées et sa
liste, qui tout compte fait s’était réduite à trois noms : l’incon-
nu dément, le détective Samuel Hash et Gérald. Il se dit que le
premier étant quasi impossible à vérifier sauf en cas de récidive
sur quelqu’un d’autre, il l’élimina de la liste.

Il lui fallait remontrer les photos de chacun au café restau-


rant d’où venait la boîte d’allumettes, pour voir si le soi-disant
cambrioleur était aussi le détective et dans le cas affirmatif quel
motif aurait-il pu avoir ? On ne fait pas disparaître l’élément
principal de son enquête, cela paraissait absurde ! Et de plus
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pourquoi avait-il disparu ? Etait-ce parce qu’il était l’assassin


ou était-il une victime lui- aussi ? Restait enfin Gérald ! Et à
l’évidence son dossier méritait d’être approfondi. Sur ces der-
nières réflexions, le jeune inspecteur bailla et constatant qu’il
avait faim alla derechef déjeuner.

Roxane continuait d’écrire le roman de sa mésaventure et


avançait un peu plus chaque jour ses écritures. Si bien qu’en trois
mois elle put inscrire le mot fin, au terme de son manuscrit. Res-
tait à trouver l’éditeur  ? Mais Ralph avait quelques relations et
cela l’aida grandement pour publier son livre. La publicité que
lui avait faite involontairement la police par l’intermédiaire de la
presse à faits divers, lui facilita les choses et son roman se vendit
à de nombreux exemplaires. Un jour, un de ceux-ci tomba sous
les mains du jeune inspecteur. Un autre exemplaire fut également
oublié par un touriste dans le hall d’un hôtel au Brésil où juste-
mentséjournait Dave. Alors qu’il le feuilletait machinalement, son
attention fut attirée par la couverture avec la photo de Roxane.
Il décida alors de la contacter. Ce n’était guère prudent mais les
risques ayant toujours fait partie de sa vie, il n’hésita pas un ins-
tant. Pourtant après avoir séjourné à Belem, où personne n’aimait
trop flâner la nuit, tant l’insécurité était quasi totale, Dave avait
trouvé un endroit plus que sécurisé. Personne n’aurait eu l’idée de
le chercher dans ce delta de l’Amazone où l’eau roulait ses torrents
de boue, rendant l’eau quasi marron : l’île de Marajo, dont l’accès
était un vrai parcours du combattant à tout humain venu sans y
être invité. Dave y avait ses contacts et s’y sentait chez lui. Ici rien
ne le menaçait, car si quelque chose d’anormal arrivait, il en était
aussitôt prévenu quelque que soit l’endroit où il puisse se trou-
ver. C’était presque idyllique, mais bien sûr au bout de quelques
temps où il resta pour se faire oublier, Dave commença à s’en-
nuyer et c’est justement à cette période qu’il retrouva le livre de
Roxane oublié par un touriste alors qu’il séjournait à Rio durant le
carnaval. A ce moment de l’année, recherché ou pas par Interpol,
chacun pouvait se transformer en danseur de samba et devenir
méconnaissable. En cette période de fête, la police ne se risquait
jamais à contrôler l’identité des gens, tant la foule pouvait, sans
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prévenir, devenir menaçante si on l’irritait quelque peu. Ainsi tout


en dansant au son de la samba, l’intrus se trouvait vite poussé et
englouti et le lendemain on ne retrouvait qu’un cadavre de plus,
« victime » du carnaval de Rio !

Mais Dave se mit à penser jour et nuit à Roxane et commença


à élaborer un plan pour la revoir rapidement.

C’est ainsi qu’un matin, en ouvrant son courrier, Roxane eut la


surprise de trouver un billet aller-retour pour Rio. Aucune expli-
cation n’y était jointe, mais elle comprit immédiatement. Elle ne
savait pas par quel moyen Dave l’avait retrouvée mais son instinct
lui disait que c’était lui. Aussi impulsive qu’avant, elle prévint
Ralph qu’il lui fallait partir quelques jours et lui promit de donner
des nouvelles. Habitué au caractère fantasque de Roxane qui par
ailleurs rendait toujours scrupuleusement un travail impeccable
en temps et en heure, Ralph sourit intérieurement et ne s’en in-
quiéta pas plus que cela. Malgré sa fantaisie, il savait que la jeune
femme avait les pieds sur terre et rebondissait toujours quelles que
soient les situations.

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L’île de Marajo

Aussi Roxane boucla-t-elle un sac de voyage en un temps


record et fut prête pour le jour J. Elle prit une navette pour
Roissy et s’envola pour Rio. Pourtant l’avion n’était pas son
moyen de transport préféré, mais elle connaissait le Brésil pour
y être allée plusieurs fois lorsqu’elle habitait la Guyane et qu’elle
y faisait un reportage sur les îles du Salut et les derniers Indiens
Oyapock restés sur le bord du Maroni. Installée dans le village
de Malavate situé au bord du fleuve Maroni, elle partagea pen-
dant six mois la vie frugale mais oh combien authentique de ces
indiens si réservés et touchants à la fois.
Le vol se déroula sans turbulence, « ce serait pour après » se
dit-elle au fond d’elle. Arrivée enfin à Rio après douze heures
de vol, elle descendit la passerelle les jambes ankylosées par le
long voyage, ne sachant pas même qui serait à l’aéroport pour
l’accueillir. Elle s’installa à proximité de ce qui pouvait corres-
pondre au point rencontre des voyageurs, avala une boisson
fraîche dans une bouteille bien fermée afin de ne pas mal com-
mencer le séjour, trouva des tortillas à déguster puis s’assit tran-
quillement avec son sac de voyage bien serré entre les jambes afin
qu’il ne lui soit pas dérobé ! Ses yeux scrutaient la foule bigarrée
pour y détecter celui ou celle qui pourrait venir à sa rencontre.
Une bonne demi-heure passa et ses paupières commençaient
à s’alourdir avec la chaleur ambiante et la fatigue du voyage,
quand une petite main la tira par le coude pour lui montrer
le chemin. Roxane se remit sur pied difficilement puis suivit
l’enfant guide sans se poser de question. Pourtant cela ne lui
ressemblait pas. Mais elle avait l’impression d’évoluer dans une
irréalité nécessaire à la bonne marche de la rencontre. L’enfant la
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laissa devant une vieille voiture toute cabossée et disparut aussi


vite qu’il était apparu. Un homme hirsute en émergea et lui fit
signe de monter. Roxane hésita un instant, se demandant si elle
n’allait pas devenir le prochain otage emmené par des guérille-
ros dans la forêt amazonienne, puis se décida et s’installa dans
la guimbarde. Ils roulèrent sans une seule parole durant deux
heures et demie, en somme le temps de parcourir les vingt et un
kilomètres qui séparaient l’aéroport Carlos Jobim du centre de
Rio. Tout ce temps, sans boire ni manger ! Puis ils s’arrêtèrent
devant une sorte de posada à trois grilles verrouillées. Un autre
homme attendait et lui fit signe d’entrer. Derrière elle les grilles
se refermèrent une à une soigneusement. Elle se trouva dans la
pénombre d’une salle confortable aux banquettes accueillantes,
aux fenêtres protégées, elles aussi par des grilles, des volets ta-
misant le soleil. Elle ne vit alors que le ventilateur géant fixé en
haut d’un plafond décoré de perroquets et de fleurs exotiques,
qui brassait un air chaud néanmoins plus agréable que l’atmos-
phère. Plusieurs colonnes entourées de verdure agrémentaient
la salle où un jet d’eau jaillissait d’une fontaine située en plein
centre. Avant de choisir la place qui lui permettrait de voir qui
entrait et sortait, Roxane s’appuya légèrement contre une des
colonnes la plus proche, lorsqu’elle entendit une voix familière
derrière elle.
« Alors, ma douce te voilà enfin, tu es toujours aussi belle. »
Se retournant d’un coup elle vit Dave devant elle et se jeta
à son cou. Il la souleva comme une enfant, la serra contre lui,
puis l’embrassa passionnément.
« Tu vois, j’ai su te retrouver. Et toi tu n’as jamais douté ! »
s’exclama-t-il en même temps. Roxane éclata de rire et de pleurs
également tant la tension était forte et le bonheur extrême.

Quelle joie d’être là ! Immédiatement le sentiment de sécu-


rité qu’elle avait ressenti lors de sa fuite dans Paris, se réinstalla ;
elle lui sourit malicieusement en lui disant  « J’ai faim et soif et
j’ai même sommeil. » Il éclata de rire, claqua des doigts et leur
furent apportées tapas, fruits et boissons. Dave répéta aussi la
même phrase qu’à Paris.
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« On dirait que tu n’as pas mangé depuis huit jours !


– Oh oui, j’ai très faim, » répondit-elle en hochant la tête. La
scène semblait irréelle et sortie des archives d’une cinémathèque
des temps anciens. Une odeur épicée mélangée de cannelle flottait
dans la grande salle, envoyée en vagues par les pales du ventilateur.
Une fois qu’elle eut repris son souffle et qu’elle se fut restaurée,
Dave lui prit gentiment le menton en lui disant :
« Tu sais ma douce, il nous faut repartir il n’est pas bon pour
moi de rester à Rio. » Roxane sortit des nuages où elle venait de
s’installer et se remit sur pied, prête pour l’aventure. Ils sortirent
alors par une porte de derrière, Dave tenant Roxane par une main
derrière lui, ayant l’autre posée sur la crosse du revolver qu’il te-
nait prêt à dégainer au cas où il serait attaqué, puis il fit signe au
chauffeur de démarrer. Voyant que le moteur tournait sans que le
véhicule explose, il poussa alors Roxane à l’intérieur et s’installa à
son tour. « Démarre et ne t’arrête plus ! » intima-t-il à l’homme.
Roxane sut alors que tout pouvait arriver. Dans ces favelas qui
pour lui représentaient pourtant l’endroit le plus sûr, tout pouvait
basculer en l’espace de quelques secondes ! Pour quelques pesos ou
une dose de drogue, n’importe qui était prêt à dénoncer sa mère, sa
sœur ou son meilleur ami. Il fallait vérifier jusqu’au moindre détail
si l’on voulait rester en vie : ton chauffeur pouvait te poignarder,
ta voiture pouvait exploser alors que tu ne t’étais absenté qu’un
court instant et le moindre embouteillage représentait un danger
potentiel où une bande pouvait surgir et t’égorger séance tenante.
Dave dont la tête était mise à prix était une cible tentante ! Mais sa
réputation le faisait craindre également, aussi était-il devenu une
légende vivante et cela le protégeait parfois.

Tel un fauve aux aguets, les pupilles rétrécies il visualisait tout.


Un léger filet de sueur glissait le long de sa tempe jusqu’à être ab-
sorbé par le foulard nouée autour de son cou. Une de ses oreilles
était incrustée d’une opale devenant blanc laiteux, bleue ou verte
en fonction des changements de température et de l’intensité de la
lumière. Ses lèvres pourtant pulpeuses étaient devenues avec la ten-
sion, une mince ligne blanche. Il avait exposé sa vie pour venir la
chercher ! Roxane l’avait compris. Tout se passa bien sur le chemin
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L ’énigme de la maison d’à côté

emprunté dont il changea à trois reprises l’itinéraire, puis sortis


de Rio, ils parvinrent jusqu’à une sorte de piste d’atterrissage de
fortune où un quadrimoteur un peu archaïque les attendait. Dave
fit un signe et les moteurs vrombirent. Ils montèrent à bord et
une fois seulement qu’ils eurent décollé, Dave se détendit un peu.
« Direction Belem, ordonna-t-il au pilote. Tu as fait le plein de
kérosène ? » L’autre hocha la tête affirmativement.

Deux mille trois cent trente-neuf kilomètres séparaient Rio de


Belem. Le temps passa, la forêt au-dessous d’eux avait repris ses
droits et seule la canopée étendait ses espaces. Soudain sans pré-
venir la ville de Belem tout en longueur avec ses tours immenses,
apparut surprenante, surgissant tel un songe. L’avion atterrit après
quelques pourparlers pour l’approche. Ils prirent ensuite une vieille
voiture taxi, achetèrent quelques fruits à une échoppe ambulante
et se firent déposer au port. L’eau marron du delta de l’Amazone
miroitait sous un ciel bleu azur. « En route pour l’île de Marajo »
annonça alors Dave.

Marajo : son nom signifiait en dialecte local « bouclier de la


mer ». Mais cette île était bien plus qu’une terre face à la mer ! En
effet c’était une terre contre le temps. Là pas de montre, ni d’hor-
loge, personne ne savait quelle était l’heure exacte, cela n’avait au-
cune importance ! Une légende améridienne racontait que les dieux
l’avaient placée à l’entrée de l’Amazone pour protéger le fleuve des
caprices de la mer. Elle était occupée autrefois par les Indiens Ma-
rajolara constituant une civilisation mystérieuse à la réputation ter-
rifiante. Dave habitait désormais le village de Camara, non loin de
Sabaterra, une des quatre villes les plus importantes de l’ile. Dans
un coin du port de Belem à l’embouchure des fleuves Amazone et
Tacachas, il fallait alors s’armer de patience avant de pouvoir mon-
ter sur le ferry bleu et blanc et qu’il veuille bien larguer les amarres
pour une traversée de trois, quatre heures, en fonction des marées.
Ils montèrent à bord, une sirène annonça alors le départ, puis peu
à peu le port de Belem avec son marché de poissons, disparut dans
la brume. Pas un mot, ne fut prononcé jusqu’à l’arrivée sur l’ile.
Parvenus à l’embarcadère, Dave sauta à terre, galamment tendit
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la main à Roxane et lui sourit enfin. « Viens ici, nous sommes en


sécurité. » Il passa un coup de fil et donna ses instructions. Savou-
rant une bière achetée au bar du coin, il attendit patiemment que
la jeep réclamée arrive. Le chauffeur en descendit sans couper le
moteur. Dave sortit de sa poche une liasse de billets et lui paya
son dû. Puis il le remercia, l’homme s’éloigna tranquillement et
Dave se mit au volant, Roxane à ses côtés. Ils s’enfoncèrent à l’inté-
rieur des terres par une piste chaotique, sous une chaleur intense et
humide. Il faisait environ trente degrés et on pouvait apprécier le
degré d’humidité à environ cent pour cent ! Ils s’enfoncèrent dans
la forêt pour arriver après quarante minutes jusqu’à un nouveau
débarcadère plus rustique cette fois où une pirogue les attendait.
Dave connaissait par cœur le chemin par le Rio Camar, un des
bras de l’Amazone vers le Sud. Plus la pirogue avançait, plus la
civilisation s’éloignait. Derrière des palmiers et des héveas appelés
« arbres qui pleurent », par les autochtones, d’immenses prairies
s’étendaient où paissaient des chevaux et des buffles. Il y avait de
la mangrove partout et au détour d’un chemin d’eau, apparut une
superbe maison en bois. Ils descendirent alors et arrivèrent dans
une palmeraie d’où émergeait cette grande maison sur pilotis. A
la saison des pluies de Janvier à Juin, les plaines étaient inondées
et se trouvaient sous un mètre d’eau se transformant en marécage.
De nombreux oiseaux migrateurs venus d’Amérique du Nord,
venaient se ravitailler dans ces eaux peu profondes. Un faucon prit
son envol à leur passage, tandis que de loin un macaque les regar-
dait passer. Au loin les cris des singes hurleurs venaient rompre
ce calme très relatif, égayé par des dizaines d’ibis rouges. Roxane
aperçut près de la maison des gardes qui patrouillaient armés
jusqu’aux dents. «  Nous sommes arrivés, ma douce  » prononça
enfin Dave. Roxane poussa un soupir de soulagement et comprit
pourquoi là il était à l’abri. La maison était impressionnante et une
foule de choses restaient à découvrir mais Roxane épuisée n’avait
plus qu’une envie : se doucher, se restaurer et dormir. Un repas
les attendait constitué d’un rôti de buffle à l’ananas, d’une purée
de potiron, de farine de manioc et de crème d’avocat au lait de
coco ; puis Roxane découvrit sa chambre et se précipita sur le lit.
Avant de sombrer dans le sommeil, lui vint juste à l’esprit qu’elle se
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L ’énigme de la maison d’à côté

trouvait au bout du monde ! Elle dormit d’un sommeil sans rêves


durant plus de douze heures. Lorsqu’elle s’éveilla, une tasse de thé
et des fruits étaient déposés tout à côté du lit. Elle était seule et se
sentit bien, réalisant soudain que pour que cet état soit possible,
il suffisait de se trouver au bon endroit, au bon moment et avec
la bonne personne. Elle vit son sac de voyage déposé sur une table
et commença à déballer le peu d’affaires qu’elle avait emmenées.
Un ara vint se percher sur la balustrade de bois de la véranda. Le
bruissement de ses ailes doux et silencieux contrasta avec le cri qu’il
poussa lorsqu’il arriva. Roxane à cet instant perçut le paradoxe de
l’île où elle se trouvait comme celui de Dave…

Mais faisant confiance à son instinct, elle décida aussi de ne


plus se poser de question pour le moment du moins. Des per-
roquets verts et jaunes volaient de branche en branche. Le chant
d’un toucan invisible perché sur la cime d’un arbre résonna agréa-
blement. Des singes écureuils se balançaient. La végétation était
dense. A la tombée du jour, Roxane découvrit des marmottes
géantes jaillissant de points d’eau à proximité. Un paresseux tout
gris mettant un temps infini pour passer d’une branche à l’autre,
la regarda impassible.

Puis la nuit tomba. Dave n’était pas encore rentré ! Les bruits
de la forêt se faisaient mystérieux. Des dizaines de points rouges
lumineux apparaissaient dans les faisceaux des lampes entourant
la maison : c’étaient les yeux des caïmans installés en bande sur le
rivage. Sans doute dans l’eau chaude, des piranhas guettaient aussi
leur proie, sans oublier quelques boas enroulés sur une branche
qui digéraient la leur. Roxane n’était pas effrayée pour autant, la
Guyane lui ayant déjà offert toutes ces sensations, agrémentées du
son de cristal des appels des crapauds à la tombée de la nuit et des
milliers de petites lumières que les lucioles produisaient en volant.
Elle retrouvait donc quelque chose de l’ordre du familier et cela la
ravissait. Par contre Dave lui manquait. Elle trouva tout de même
qu’il tardait à rentrer.

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La maison d’à côté

Le jeune inspecteur de la PJ était retourné au café restaurant


du village où résidait Roxane, pour y montrer au serveur les pho-
tos des protagonistes de cette affaire qui semblait close... Ou tout
au moins qui était en suspens ! Le serveur à chaque cliché secouait
négativement la tête. Soudain il s’arrêta sur la photo du détective
qui avait disparu. Oui, celui-là, il l’avait vu, il s’en souvenait car
il lui avait demandé quelque chose de spécial. Appeler à sa place
un numéro de téléphone sous prétexte qu’il avait du mal à parler.
« Le dit numéro était inscrit sur la boite d’allumette du res-
taurant et je l’ai composé. En entendant la voix d’une femme, je
lui ai tendu le combiné et me suis dit qu’il avait peur que le mari
décroche et reconnaisse sa voix, encore une histoire d’adultère ! ça
m’a fait sourire, mais en fait, il a tout de suite raccroché et remis
la boîte d’allumettes dans sa poche. Mais c’est lui, oui, c’est bien
l’homme que j’ai vu ! »
L’inspecteur eut un petit sourire de satisfaction, un élément
nouveau venait de s’ajouter, le dit cambrioleur que Roxane avait
vu chez le couple homo et qui avait voulu s’introduire chez elle
était donc le détective Samuel Hash qui avait disparu, mais pour-
quoi ? Cela serait à « creuser », se dit-il. D’ailleurs ce mot familier
le fit penser au jardin terrasse mentionné avec cette plate-bande
de rhododendrons dont la terre avait été retournée. Il repensa au
livre de Roxane qu’il avait lu d’une traite et se rappela qu’elle par-
lait d’un trou creusé sous des rhododendrons une nuit de pleine
lune. Il décida alors, comme la maison de Roxane avait été ven-
due, d’aller voir les nouveaux propriétaires pour mieux situer les
lieux, le roman à la main ! L’inspecteur s’avérait être plus malin
que ses collègues ou tout au moins plus curieux. Notre Sherlock
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Homes en herbe se présenta donc au domicile de ceux-ci un beau


dimanche après-midi. Ils jardinaient justement dans le jardin-ter-
rasse, après un barbecue partagé avec Gérald et Sylvain. Notre
couple avait fait tout suite fait amis-amis, avec les nouveaux pro-
priétaires et repris les habitudes instituées par Roxane. Ils venaient
de rentrer chez eux faire leur sieste, mais leurs nouveaux voisins
avaient l’âme bucolique et avaient préféré quant à eux flâner dans
le jardin.

« Bonjour, puis-je vous déranger ? Je me présente : Inspecteur


Mac Gregor de la Police Judiciaire .
– Oh, bonjour, entrez-donc » répondirent fort affables les nou-
veaux propriétaires de la maison de Roxane.
« Voulez-vous un café ? Il fait si bon aujourd’hui.
– Oui, très volontiers  » répondit l’inspecteur, amusé par le
couple qui s’agitait devant lui. Il était habitué aux effets para-
doxaux que produisait toujours sur les gens, une carte de police !
Mais là c’était fort comique. La femme petite, plutôt replète tour-
nait sur elle-même les joues roses de plaisir et de curiosité, tel un
culbuto en folie. L’homme au contraire, grand et filiforme s’était
figé telle une statue de pierre, un râteau à la main qu’il tournait en
permanence telle une majorette une soirée de gala!
« Alors, quoi de nouveau dit la femme. Est-ce qu’on l’a retrou-
vée ?»
Mac Gregor ne répondit pas mais s’approchant du massif de
fleurs décrites dans le roman, comprit mieux ce qui s’était passé.
Effectivement c’était bien le seul endroit du jardin à pouvoir être
transformé en tombe ou en cachette !
«  Ils sont superbes non, ces rhododendrons, quelle couleur
flamboyante ! s’exclama la femme, vraiment flamboyante ! Ah !
Oui, flamboyante... Son mari la voyant en difficulté vint à sa res-
cousse et posant son râteau comme un sceptre, demanda avec un
apparent détachement.
« Que pouvons-nous faire pour vous ?
– A vrai dire, je cherche à comprendre et si ce n’est pas trop
vous demander, me serait-il possible de me rendre dans la chambre
à coucher de l’ancienne propriétaire ?
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L ’énigme de la maison d’à côté

– Oui bien sûr, mais c’est devenu aussi la nôtre », renchérit-


elle.
L’inspecteur monta à l’étage, guidée par Madame, arriva dans
la chambre et en ouvrit la fenêtre. Justement par chance la fenêtre
de la maison d’à côté était ouverte et Mac Gregor put profiter de
la vue plongeante chez les voisins. Il vit aussi le lustre et imagina
la scène décrite dans le roman. Tout était vraisemblable, même
plus, c’était criant de vérité. Roxane avait vu tout ce qu’elle dé-
crivait dans son roman et du coup Gérald et Sylvain devenaient
très suspects. Il voulut convoquer Roxane mais il lui fut répondu
qu’elle était partie en mission en Amérique du Sud. Donc la voir
fut différé ! Mac Gregor remercia chaleureusement les nouveaux
propriétaires. Puis décida d’aller trouver le couple de la maison d’à
côté. Ce fut Sylvain qui répondit.
« Police Judiciaire » annonça Mac Gregor tout en déclina la
suite de son identité.
« Oh lala, voilà que cela recommence, mais on vous a déjà tout
dit ! » s’exclama en minaudant Sylvain.
« Chéri, tu peux venir, la police veut nous parler... » Gérald
descendit l’escalier, un air peu avenant sur le visage.
« Bonjour, que voulez-vous ? »
Comme Mac Gregor exhibait sa carte avec ostentation devant
l’évidente mauvaise volonté de Gérald à répondre, celui-ci n’eut
pas d’autre choix que de faire contre mauvaise fortune, bon cœur.
Aussi avec un sourire qui ressemblait plutôt à une grimace, propo-
sa-t-il un rafraîchissement que l’inspecteur refusa civilement sous
prétexte qu’il était en service. Il fut donc introduit bon gré, mal
gré dans le salon et commença à poser ses questions.
« Vous savez, vous êtes nouveau, mais ici tout a été déjà passé
au crible et on a rien trouvé ! » s’exclama Sylvain interrompant
Mac Gregor. Agacé l’inspecteur sentit la moutarde lui monter au
nez. Et ignorant volontairement Sylvain qui commençait à l’in-
disposer sérieusement, il se tourna vers Gérald, lui demanda de
détailler en détails la journée précédant le meurtre, ainsi que sa
soirée à l’hôtel le jour de l’homicide. Il revenait sur tous les détails
et posait des questions d’abord banales puis de plus en plus insi-
dieuses et précises.
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L ’énigme de la maison d’à côté

« A quelle heure était-il rentré ? Comment était-il habillé ?


Qu’avait-il fait avant de se coucher ? Quelle tenue avait-il choi-
sie  ? Avait-il pris sa douche avant de se brosser les dents ou
le contraire  ? Quel parfum aimait-il  ? Et ce jour-là était-ce le
même ? Combien de temps avait duré la douche et le film qu’il
avait dit regarder avant de s’endormir ? Quel en était le titre et
l’histoire  ? Quel moment avait-il préféré  ? S’était-il levé pour
éteindre la télévision ou avait-il utilisé la télécommande ? A quel
moment, après le film, pendant le film ou bien plus tard ? Peut-
être s’était-il endormi devant l’écran ? Se levait-il fréquemment
la nuit ? Avait-il des problèmes de prostate ? Était-insomniaque ?
Prenait-il des somnifères pour dormir ? Si oui, lesquels et com-
bien et qui lui prescrivait ? Depuis quand connaissait-il Sylvain
et où l’avait-il connu ? Pourquoi n’avoir rien dit de l’existence
d’Inès et de Didier à son compagnon ? Pourquoi Inès était-elle
venue et combien de temps était-elle restée ? A quel restaurant
était-il allé avant de la raccompagner à la gare et qu’avait-il man-
gé ?
Les questions fusaient et ne s’arrêtaient plus, s’entrecoupant
en permanence et l’inspecteur voyait bien que Gérald se sentait
mal à l’aise. Surtout lorsque répondant à la question de celui-ci
sur le bien-fondé de ce nouvel interrogatoire, il évoqua le fait de
la comparaison des réponses actuelles avec celles de la dernière
fois. Plus il demandait de précisions à Gérald, plus l’autre sem-
blait troublé surtout sous le regard de Sylvain qui se grattant le
nez, le regardait bizarrement. Jamais au Quai des Orfèvres, ne
lui avaient été posées autant de questions de cette façon quasi
obsessionnelle  ! Gérald s’en demandait la raison, surtout plu-
sieurs mois après l’enquête initiale. Il se leva plusieurs fois pour
aller aux toilettes et Mac Gregor voyait son comportement se
modifier peu à peu. Pourtant il était sur son territoire, confor-
tablement installé chez lui, certes les questions étaient nom-
breuses, répétitives et parfois intrusives, mais étaient toujours
formulées sur le même ton monocorde et courtois afin de ne pas
agresser l’interlocuteur. Au bout de trois-quarts d’heure, Mac
Gregor s’arrêta soudain pour poser la question finale. « Avez-
vous pris une assurance vie ? et pour qui ? Et d’autres personnes
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en ont-ils fait une en votre faveur ? » Déstabilisé, Gérald parut


troublé.
« Euh, non je n’en ai pas.
– En êtes-vous certain ? Et vous, en avez-vous une. » demanda-
t-il à Sylvain en se tournant vers lui ; puis il jeta un coup d’œil vers
Gérald qu’il surprit s’essuyer les mains sur son pantalon.
« Mais si Chéri, rappelle-toi, tu en avais pris une pour moi, car
je n’avais pas de travail, mais c’était avant que l’on se pacse.
– Ah oui ! J’avais complètement oublié ! » répondit Gérald.
Alors Mac Gregor recommença ses questions.
«  De quelle compagnie d’assurance s’agissait-il  ? Quelle en
était la date précise, la police existait-elle toujours ou l’avait-il
résiliée ? » Une fois les éléments inscrits sur son carnet, il ferma
celui-ci, se leva brusquement, jeta de loin un coup circulaire sur
les lieux, ne pouvant demander de les visiter car il n’avait pas de
mandat de perquisition, puis prit congé aussitôt, les remerciant et
s’excusant d’avoir interrompu quelque peu leur journée. Gérald
était décomposé et transpirait plus qu’il n’aurait fallu, car la tem-
pérature était clémente certes mais non pas oppressante et bien
sûr cela interpella le jeune inspecteur. Il lui faudrait vérifier tout
et faire la synthèse.

Il repartit tranquillement. Dans le salon, Sylvain ventilait avec


un éventail, Gérald allongé sur la banquette afin qu’il se remette
de ses émotions.
« Mais enfin, panique pas, ne te mets pas dans tous tes états, ils
n’ont rien trouvé, tu sais bien et ce n’est pas ce petit micheton de
flic qui fait du zèle qui peut trouver les corps ! Parce qu’il n’y plus
de corps ! » s’exclama-t-il en gloussant de rire.

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Passion à Marajo

Dave arriva enfin. Exténuée par le décalage horaire, Roxane


avait renoncé à l’attendre et s’était endormie. Il entrouvrit la
moustiquaire, sourit tendrement et lui fit un léger baiser. Puis
épuisé aussi de sa journée, il alla se coucher. Par délicatesse,
il avait décidé de donner une chambre personnelle à Roxane.
L’avenir dirait par la suite s’ils feraient chambre commune, se
dit-il amusé. Dave était préoccupé, non pas d’être repéré car
c’était une véritable expédition pour arriver jusqu’ici et il avait
mis en place de nombreux postes de sécurité chargés de l’aler-
ter en cas d’éléments inhabituels ou suspects. Non, il s’agissait
d’autre chose à régler. En effet depuis qu’il était dans l’île, bien-
sûr sa présence avait dérangé un des chefs qui voyait d’un mau-
vais œil l’influence que Dave pouvait avoir. Pourtant celui-ci
n’intervenait jamais dans les conflits locaux et ne se mêlait sur-
tout pas des trafics qui se faisaient sur l’île. Mais par contre sur
les terres qu’il avait achetées, il faisait régner une discipline de fer
où tout passait par lui. Et le chef local jaloux prenait ombrage
de cette perte de territoire et transgressait en permanence en
essayant d’acheter les hommes qu’employaient Dave. De là à le
dénoncer, il n’y avait qu’un pas ! Et s’il était rentré si tard, c’est
qu’il avait décidé de régler ce problème et quand Dave pensait
ainsi c’était généralement de solutions définitives qu’il s’agissait !
Et c’était ce qui s’était passé ; l’autre ne voulant rien entendre,
un combat singulier avait eu lieu selon les règles et les rites de
l’île et les marécages avaient englouti le vaincu. La population
de l’île mal recensée ne s’apercevrait même pas de l’absence d’un
individu. Les nombreux caïmans feraient les fossoyeurs. Mais
qui allait prendre la suite du chef belliqueux, y aurait-il une
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vengeance ? Dave savait qu’il allait falloir redoubler de vigilance


durant ces prochaines semaines.

Roxane enfin réveillée le trouva dans ses pensées quand elle se


leva. Elle sauta à son cou.
« Je me suis inquiétée, hier soir comme tu n’arrivais pas », lui
dit-elle tendrement.
« Rassure-toi ; cela ne se reproduira pas de sitôt. » Et ils retrou-
vèrent leur complicité et la complétude d’un bonheur présent et
immédiat.
«Je vais te faire découvrir l’île, cet après-midi, si tu veux » lui
proposa-t-il. Mais en fait, le programme fut différent et c’est dans
les bras l’un de l’autre qu’ils passèrent la journée. Les jours et les
nuits se succédaient faciles, voluptueuses et le temps s’arrêta. Il
en était toujours ainsi dans l’île de Marajo. Roxane ne comptait
pas même les jours. Ralph commençait à s’inquiéter de ne pas
avoir de nouvelles et l’inspecteur se demandait aussi ce que pou-
vait signifier le silence de Roxane à sa convocation. Il appela son
rédacteur en chef qui dans le but de protéger Roxane, répondit à
Mac Gregor que la mission avait été prolongée. En fait il se sentit
beaucoup plus inquiet qu’il ne voulait bien se l’avouer. Roxane
elle, se trouvait à des milliers d’années-lumière de ces préoccupa-
tions, tout à la découverte d’un bonheur sans limite même sans
lendemain. Seul importait le présent. La magie de l’île opérait.
Après quinze jours d’étreintes ininterrompues où ils ne quittèrent
pas la maison, Dave l’emmena enfin découvrir les paysages, les
coutumes, les villages et les villes de cette île aussi grande que la
Suisse, mesurant cinquante-cinq mille mètres carré où vivaient
cinq cents mille habitants et quatre cents mille buffles !

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L ’énigme de la maison d’à côté

Sylvain

L’inspecteur Mac Gregor avait repris son enquête et comparait


les anciennes réponses des interrogatoires avec les plus récentes.
Grâce au roman de Roxane et à ses observations, il reliait de plus
en plus ce qui s’était passé les derniers mois dans deux affaires
apparemment sans lien avec le meurtre d’Inès. Il s’agissait de deux
disparitions non élucidées encore aujourd’hui, celle du détective
Samuel Hash et celle de Gaëtan, l’ex amant de Sylvain. Leurs dos-
siers avaient été classés car leur corps n’ayant pas été retrouvés,
on aurait pu penser qu’ils pouvaient être ailleurs et bien en vie.
Or Didier et Sylvain les connaissaient et là était bien le lien en
rapport avec l’homicide d’Inès. De plus Mac Gregor avait com-
paré les résultats du laboratoire avec des traces de sang trouvées
dans la maison et dans le congélateur du jardin. Aussi envoya-
t-il comme pièce à conviction afin de la faire analyser elle-aussi,
l’écharpe péruvienne que possédait Sylvain et que l’on avait vue
autour du cou de Gaëtan. Celui-ci se rebella, refusa, prétextant
qu’il s’agissait d’un précieux souvenir, mais il n’eut pas d’autre
choix que d’obéir aux instances de la loi. Une perquisition fut
ordonnée au domicile du détective où des vêtements et une brosse
à cheveux furent envoyés également au même laboratoire. Ainsi,
put-on faire la comparaison entre l’ADN des disparus et celui des
traces de sang. Il demanda aussi en complément une analyse de
sang de Gérald et Sylvain, ainsi que de Didier, de l’infirmière et
même de Sofia, la sœur d’Inès. Seule manqua à l’appel Roxane. Il
se dit que ce serait pour plus tard. Quelques temps après il reçut
tous ces résultats et put les comparer entre eux.

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Une évidence s’imposa : l’ADN trouvé dans les traces micros-


copiques de sang dans le jardin, le congélateur et la maison d’à
côté de celle de Roxane correspondaient à celui des disparus !

Donc les deux affaires étaient liées et il était probable que


les corps des disparus avaient transité dans les lieux où les traces
avaient été décelées. Sylvain fut convoqué de nouveau au 36 Quai
des Orfèvres et une interpellation pour assassinat fut lancée contre
lui. Il retourna en garde à vue. Puis ce fut le tour de Gérald d’être
convoqué mais lui pour son manque d’alibi. Cependant cela ne
faisait pas avancer pour autant l’enquête pour le meurtre d’Inès.

Sylvain fut mis dans une cellule à l’isolement et passa pratique-


ment quarante-huit heures sans manger et sans boire. Les inter-
rogatoires reprirent avec trois policiers cette fois-ci. Un devant,
un sur le côté, un derrière. Sylvain était coriace et niait tout d’un
bloc.
« Je n’ai pas tué Gaëtan, il avait été mon amant, mais voilà
tout ! » Il se défendait comme un beau diable et ce fut la fatigue, le
temps et l’évocation du javelot qui eurent raison de sa résistance.
« Mais, parle, raconte-nous, ce sang sur la pointe du javelot
et puis sur la moquette, dans la salle de bain, dans les escaliers et
l’abri de jardin n’est pas venu par hasard. Tu vas prendre perpette,
il vaut mieux que tu t’expliques ! Avoue, tu te sentiras mieux ! Ce
sera terminé. » Exténué, harcelé de tous côtés, il ne supporta pas
qu’on l’accusa d’avoir tué son amant avec le javelot.
« Nonnnnn, c’est faux, je l’ai juste égratigné, il a basculé s’est
penché au balcon, puis il m’a regardé, a compris que je ne vou-
lais plus de lui et a sauté. J’ai rien pu faire, il s’est tué tout seul,
l’écharpe s’est enroulée et l’a étranglé ! C’est pas moi, pas moi,
pas moi. ! Sylvain hoquetait de toutes ces tensions accumulées.
Tout en pleurant, il raconta tout du début à la fin, la rencontre
l’excitation, les plaisirs interdits, la rupture, le chantage de son
amant, sa venue, l’accident, le suicide, la pendaison, le corps qu’il
avait traîné enfin l’enfer dans la salle de bain et le congélateur !
L’homme, écroulé sur le bureau, répétait en boucle. « Dites rien
à Gérald, il n’a jamais rien su, dites rien, dites rien... Surtout ne
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dites rien ! » La police le crut. Il put manger et boire, se doucher.


Puis plus un seul mot ne sortit de sa bouche. Devant sa pâleur et
son air hébété et hagard, un médecin fut appelé et on le transporta
à l’hôtel Dieu sous surveillance policière bien sûr.

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Reconstitution

Puis ce fut le tour de Gérald convoqué lui aussi. Il arriva frais et


dispos, ayant effacé tout stress de la veille. Il semblait même souriant
et confiant.
« J’ai rendez-vous avec l’inspecteur Mac Gregor » demanda-t-il
avec un grand sourire, quelque peu équivoque. Il lui fut demandé
d’attendre dans une petite pièce sans fenêtre à côté du bureau. Les
minutes passaient, les heures aussi ; Gérald attendait encore et encore.
En fait le conditionnement avait déjà commencé ! Puis après quatre
heures d’attente, il fut introduit dans le bureau de l’inspecteur qui
n’était pas encore là. Il dut donc encore patienter. Mac Gregor arriva
sévère, semblant préoccupé.
« Bonjour Monsieur, nous avons un souci quant à votre déclara-
tion, pourrions-nous la refaire ? » demanda l’inspecteur. En fait, il ne
pouvait pas même être question de refuser et la formule n’était que
de pure politesse.
« Donc reprenons ! »
Furent reformulées sous un mode différent les mêmes questions
posées à Gérald dans la maison d’à côté. Puis Mac Gregor compara
les réponses, prit son temps, fit sembla d’hésiter et fit un coup de
bluff.
« Ce qui nous ennuie c’est la déclaration du veilleur de nuit qui
nous dit vous avoir vu sortir durant la nuit ! Alors que vous nous aviez
déclaré le contraire. Alors à moins que vous ne soyez somnambule,
dit-il avec un petit rire de gorge. Il va bien falloir expliquer cela.
– Oh, le gardien s’est sûrement trompé !
– Non, sincèrement je ne crois pas et puis il vous a formellement
reconnu sur les photos et sans hésitation ! Donc quelle est votre ver-
sion ? »
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L ’énigme de la maison d’à côté

Gérald se passa à plusieurs reprises la main dans les cheveux,


assez nerveusement comme pour réfléchir.
« Je ne me souviens pas, attendez oui, je dormais profondé-
ment et quelque chose, un bruit je ne sais lequel m’a réveillé, au
bout de vingt minutes ne retrouvant pas le sommeil, j’ai dû aller
faire un petit tour, puis je suis rentré et me suis recouché. J’avais
complètement oublié, c’est curieux la mémoire ! » dit-il, d’un air
mi contrit, mi surpris.
Mac Gregor voyant que le bluff marchait, poussa un peu plus
loin.
« Vous n’étiez pas vêtu de la même façon, je crois ? »
A sa grande surprise, Gérald opina de la tête.
« Oui c’est vrai, j’ai eu peur d’avoir froid, j’ai mis ma gabardine
et une casquette sur la tête.
– Et quelle heure était-il ?
– Aucune idée, deux, trois heures du matin.
– Le gardien a noté, il dit entre trois et quatre heures du matin !
– Peut-être, franchement je ne sais plus !
– Donc vous reconnaissez être sorti ?
– Oui, maintenant je m’en souviens.
– Et à ces heures là ?
– Sans doute, si on m’a vu…. »
De plus en plus nerveux, Gérald humectait ses lèvres à plu-
sieurs reprises. Il lui fut demandé de signer cette nouvelle déclara-
tion, ce qu’il fit très mal à l’aise.
« Je, je peux partir.
– Oui, bien sûr » déclara Mac Gregor impassible.

« Dis-donc, quel coup de bluff ! » S’exclama son confrère. 


« Oui, mais les deux interrogatoires étant contradictoires, on
peut rouvrir l’enquête ! Ce type n’est pas clair. »
Donc à l’heure présumée du meurtre d’Inès, Gérald se pro-
menait. Son alibi ne tenait plus la route. Reprenant le dossier de
la mort d’Inès, Mac Gregor reprit toutes déclarations concernant
les témoignages autour de l’heure du crime. Dans deux des rap-
ports au moins était mentionnée avoir été aperçue une ombre
masculine à carrure confortable avec un couvre-chef, passant très
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rapidement dans le couloir du service où était hospitalisée Inès.


Cet élément fut noté dans la déposition de l’infirmière lorsqu’elle
était en garde à vue, mais fut aussi confirmé par l’agent de sécurité
qui passait chaque nuit faire sa ronde. Lui devant pointer l’heure
exacte de ses passages avait même été plus précis. A trois heures
quarante-cinq, il avait vu la même ombre, mais n’avait pas eu le
temps de l’intercepter, pour demander ses papiers. Il ne pouvait
s’agir d’un médecin en service, étant donnée la casquette sur la
tête.
L’idée chemina dans le cerveau de l’inspecteur qui décida de
demander de faire une reconstitution de cette nuit-là. L’autorisa-
tion fut donnée puisque l’enquête était rouverte. Le personnel de
l’hôpital fut convoqué, avec bien sûr l’infirmière inculpée pour
les autres homicides, l’agent de sécurité également, le médecin
de garde. Un mannequin dans la chambre d’Inès remplaça
l’infortunée victime. Gérald fut aussi convoqué pas seulement
pour y assister mais aussi pour passer dans le couloir où avait
été aperçue l’ombre masculine au chapeau. Il lui fut demandé
d’apporter sa gabardine et son couvre-chef et la reconstitution eut
lieu. L’infirmière et l’agent de sécurité furent formels, cela corres-
pondait tout à fait à ce qu’ils avaient vu !

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Disparition

De témoin, Gérald passa à l’état de suspect. Une garde à vue


à son encontre fut de nouveau requise et tout recommença : le
scénario, le décor, les trois policiers, les pressions succédant à la
compréhension, puis repartant vers des incitations pour se libérer
d’un poids trop lourd à porter. Astucieusement lui furent évoqués
l’oppressant secret à porter vis-à-vis de Sylvain, la responsabilité
de ce fils, les frais et la peur permanente devant la fragilité d’Inès
mais surtout que le pot aux roses soit découvert ! Une policière
plus âgée fut même requise et adjointe à l’équipe pour jouer la
compréhension psychologique et aussi le rôle de tampon entre
Gérald et ceux qui l’interrogeaient. Gérald demanda aussitôt
l’aide d’un avocat pour se défendre.
« Mais pour l’instant on ne vous accuse de rien ! » lui fut-il
rétorqué. Mais il voyait bien que l’étau se resserrait, et qu’il lui
faudrait bientôt de l’aide. Son visage marqué par la fatigue et ses
gestes saccadés et ses tremblements en étaient la preuve. Mais il
tenait le coup et soutenait son innocence, n’y étant pour rien se-
lon lui. C’est alors qu’après avoir enquêté sur les diverses polices
d’assurance, on s’aperçut que sur la tête de Gérard, se cumulait
plusieurs contrats dont il était le seul bénéficiaire en cas de décès
de ceux qui avaient souscrits les assurances.

Soudain, un événement imprévisible arriva, et le fait invo-


lontairement cité en présence de Gérald, fut comme une bombe
pour lui. Le corps d’Inès avait disparu, on ne le retrouvait plus
à la Morgue  ! Il avait été volé. Ce fut paradoxalement le choc
provoqué par cette nouvelle qui le fit s’effondrer et ce , bien avant
l’arrivée de son avocat.
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Il avoua tout. Mais commença par un autre cadavre. Celui du


détective Samuel Hash, qui pénétrant par effraction chez eux, fut
pris pour un cambrioleur par Sylvain qui se sentant agressé s’em-
para d’une hache et l’occit en état de légitime défense ! L’homme
en fait cherchait à s’échapper mais de menaçant devint menacé et
perdit la vie pour un malentendu malheureux.

Sylvain ayant tellement peur qu’on ne le croie pas, le supplia


de l’aider à se débarrasser du corps et comme tout compte fait cela
arrangeait bien Gérald qui ainsi n’entendrait plus parler de Sa-
muel Hash, ni de ses enquêtes, il fut décidé par les deux compères
d’enterrer le corps sous les rhododendrons du jardin terrasse.

Mac Gregor jubila, cela aussi était inscrit dans le roman de


Roxane !
Mais lorsque la police commença à se manifester, Gérald déci-
da avec Sylvain de déterrer le corps du détective et de le brûler afin
qu’on ne le retrouve pas. Et ce, à l’endroit du barbecue.
Puis Gérald parla de son crime. Il n’en pouvait plus, Inès le
menaçait de parler à Didier de tout, de divulguer son secret à
Sylvain, il lui fallait de plus en plus d’argent pour ses soins, son
infirmière, elle craquait, devenait hystérique. Lui qui gérait tout,
ne savait plus que faire ! Comme il n’arrivait pas à trouver le som-
meil ce fameux soir à Paris ; il décida de faire un tour, le froid
le fit se couvrir et même prendre sa casquette. Il marcha dans la
nuit, les idées tournaient dans sa tête, puis ses pas machinalement
l’amenèrent devant l’institution où était hospitalisée Inès. Voyant
la porte s’entrouvrir pour laisser passer une infirmière, il courut
derrière et se faufila discrètement. Ayant l’argent d’Inès dans la
poche intérieure de sa gabardine, il se dit qu’il allait le lui donner
et essayer aussi de la raisonner. Il se dirigea donc vers sa chambre
qu’il connaissait bien, ouvrit la porte et la vit pleurant de dos.
Cinq cachets étaient déposés sur la table de nuit. Il entendit du
bruit et sortit aussi pour ne pas se faire surprendre. Il vit alors par
la porte, entrouverte, l’infirmière de nuit amener la tisane et dire
à Inès de prendre ses cachets. Elle y ajouta aussi quelques paroles
de réconfort.
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« Vous verrez, bientôt vous serez tranquille et libérée de tout ! »


Elle ajouta alors en plus une autre pilule bleue. Inès docile-
ment avala le tout et s’allongea. Gérald se cacha quand sortit
l’infirmière. C’est là qu’elle vit sans doute son ombre sur le mur.
Elle ne s’attarda pas et passa aux autres chambres. Vingt minutes
s’écoulèrent avant qu’elle ne s’éloigne. Gérald rentra de nouveau
dans la chambre d’Inès bien décidé à lui parler et à lui dire qu’il
ne donnerait plus autant d’argent.

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Chacun est à sa place

C’est alors qu’il la vit, petite chose recroquevillée, la bouche


ouverte ronflant bruyamment, elle était pâle et défaite et était
devenue une étrangère pour lui, quelqu’un qui le gênait. Com-
ment l’idée lui vint, il n’en savait rien. Soudain il saisit l’oreiller et
voulut faire taire des ronflements, enfin faire tout cesser en fait ! Il
prit le deuxième oreiller posé sur le fauteuil et le jeta sur le visage
d’Inès en appuyant de toutes ses forces. Elle se débattit peu et pas
longtemps. Le reste on le connait. Il s’enfuit en vitesse. Le gar-
dien de sécurité allait passer. Ils faillirent se croiser ! Puis Gérald
retourna à son hôtel et étonnamment s’endormit.
Il se mit à pleurer doucement, prit le stylo qu’on lui tendit et
signa ses aveux. L’avocat arriva à ce moment, mais c’était déjà trop
tard Gérald avait parlé et il avait signé.

Le lendemain matin on vint chercher Sylvain pour l’incarcérer


pour homicide involontaire. Gérald le fut aussi pour crime cra-
puleux, car il avait de plus touché les assurances. Après cinq ans
de préventive, et beaucoup d’effets de manches des avocats, les
Assises condamnèrent à vingt ans de réclusion le couple infernal.
La presse se déchaîna. L’inspecteur Mac Gregor eut une promo-
tion et monta en grade avec les félicitations du Préfet, il ne dit à
personne que sa fameuse intuition n’avait été en fait que le roman
écrit par Roxane.
Mais au fait qu’était-elle devenue ? Après deux mois d’idylle et
d’Amérique du Sud, il lui fallut partir de l’île et revenir à la civili-
sation Le bonheur n’a qu’un temps. Elle embrassa Dave qui resta
dans son cœur et dans ses souvenirs. Il la guida et la raccompagna
jusqu’à Rio, où elle reprit l’avion. Ils s’aimaient mais se quittèrent,
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L ’énigme de la maison d’à côté

reprenant leur chemin chacun de son côté. Ainsi va le destin. Le


décalage horaire estompa le chagrin de la séparation. Elle reprit sa
vie, ses habitudes, et la vie la reprit elle-aussi. Un matin, Ralph la
vit revenir au journal, il lui ouvrit les bras, soulagé qu’elle soit là.
La PJ ayant apprit son retour, Roxane fut convoquée. Mac Gre-
gor était là, il ne l’ennuya pas. Il l’informa seulement du sort des
occupants de la Maison d’à côté, puis lui dit en partant.
«  J’ai lu votre roman, il m’a beaucoup aidé.  » Il sourit, elle
aussi.
Roxane reprit la plume dans sa rue de la Gaité, écrivit un nou-
veau roman, mais en changea les noms, les villes et le pays.
Dave jusqu’à aujourd’hui est toujours en liberté. Sa cavale
continue. N’aimant que l’immédiat, la presse l’a oublié. Interpol
guette toujours et tend d’autres filets. Mais il est très malin ou a
une bonne étoile. Parfois scrutant les cieux, il songe à Roxane et elle
de son côté a des pensées pour lui. Leurs inconscients sans doute
à jamais les unissent. Elle vit avec Ralph, mais bien à sa manière.
Chacun a son logis ou plutôt sa tanière. Elle écrira longtemps.

La seule ombre au tableau d’honneur de Mac Gregor, fut qu’il


ne sut jamais qui vola le pauvre corps d’Inès. Aucune piste, ni
indice firent trouver le coupable. Une erreur de casting, peut-être,
mais Dieu que c’est macabre !
Mais un jour qualifié d’heureux, il fut enfin retrouvé ce corps,
indemne de toute mutilation. On l’avait respecté. Il fut incinéré
en présence de sa soeur Sofia, de Didier son fils mais aussi de
Roxane. Son âme enfin en paix, ses cendres s’envolèrent vers des
cieux plus cléments où règnent d’autres dieux, où la miséricorde
a ses priorités.
Gérald et Sylvain se font d’autres amis dans leur autre univers
de bosses et de chaos, ils s’écrivent encore mais ne se pardonnent
guère leurs secrets divulgués et leur bonheur raté.

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L ’énigme de la maison d’a côté

Épilogue

La maison d’à côté a été rachetée par un couple hôtelier qui


a su négocier pour y ajouter aussi celle de Roxane. Désormais
aujourd’hui les voyageurs entendent l’histoire des deux mai-
sons, l’énigme de la première désormais résolue. Les romans de
Roxane sont proposés ici à tous les voyageurs qui aiment l’aven-
ture. Dans la bibliothèque, près de la cheminée ils deviennent
précieux lors des journées pluvieuses. L’hôtelier astucieux a bien
compris tout cela et fait la promotion d’une époque lointaine
où toute la transgression pouvait se conjuguer avec Bonheur-
Passion, au milieu de l’humour et des heurts de la vie qui, si on
sait la prendre, cicatrise nos dépits en comblant nos envies.
Beaucoup d’années passèrent. Roxane n’était plus.
Un jour, un voyageur un peu âgé c’est vrai, s’arrêta prendre
une chambre dans cet hôtel de charme. Ne cherchant surtout
pas à renouer le passé, il vécut le présent dans son éternité. Il
avait tout compris. Son prénom était Dave.

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Table des matières

Prologue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Une matinée d’été . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Nuit de pleine lune. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Inès et Gaëtan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Départ du Trio. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Roxane espionne ses voisins. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
L’abri de jardin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Découverte macabre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Souvenirs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
La chute. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
36 Quai des Orfèvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Gérald part à Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Roxane en garde à vue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Police et Avocat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
La confiance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Courrier anonyme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Le syndrome de Stockolm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Sylvain et Gérald en garde à vue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
La vente. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Le roman de Roxane. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
L’île de Marajo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
La maison d’à côté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
Passion à Marajo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Sylvain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Reconstitution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Disparition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Chacun est à sa place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Épilogue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127

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Cet ouvrage a été imprimé en U.E.
Dépôt légal : 2016
ISBN :

Maquette : Adiktion Studio

Adiktion Studio, Quartier di Campredi, A Casabianca - 20 218 Moltifao


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