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collection

LHeuze Plaisir

Romans Jeunesse

H RW
Éditions HRW
Groupe Educalivres inc
955, rue Bergar
Laval (Quebec) H7L 4Z6
Téléphone 1514)334-8466
Télécopieur (514) 334-8387

Déjà parus dans cette collection :
N° 1 Destination : nuit blanche
(Les aventures de Sophie et de Jean-Sébastien)

N° 2 Fichez-moi la paix !
N° 3 La Porte secrète
(Les aventures de Sophie et de Jean-Sébastien)

N° 4 La Vengeance
N° 5 En exil... chez mon père
N° 6 Josée l’imprévisible
N° 7 L île aux Épaves
(Les aventures de Sophie et de Jean-Sébastien)

N° 8 L Halloween, c’est plus que


du bonbon !
N° 9 La Folle d’Hiswock
(Les aventures de Sophie et de Jean-Sébastien)

N° 10 L Étranger du vieux manoir


N° 11 Le Spectre Van der Bruck
(Les aventures de Chang et de Marco)

N° 12 La Colonie du lac Perdu


(Les aventures de Chang et de Marco)

N° 13 Opération Windigo
N° 14 Alerte à la folie
N° 15 Le Dernier Vol de l’engoulevent
N° 16 L Étrange M. Saint-Jérôme
N° 17 Cauchemar sous la lune
N° 18 Le Vallon maudit
La Porte secrète

Francine Lemay
A Mérianne Labrie
La Porte secrète
Lemay, Francine
Collection L’Heure Plaisir

Directeur de la collection : Louis Martin


Illustrations de la couverture : Bruno St-Aubin

L'éditeur vous remercie de ne pas reproduire les pages de ce livre. Le


respect de cette recommandation encouragera les auteures et auteurs
1 à poursuivre leur œuvre. La présente publication n’apparaît pas au
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est donc illégal de reproduire une partie quelconque de ce matériel sans
l'autorisation de la maison d'édition. La reproduction de cette publication, par
n'importe quel procédé, sera considérée comme une violation du copyright.

Tous droits réservés


© 1992 Éditions HRW
ISBN : 0-03-927306-7
Dépôt légal - 1“ trimestre 1992 Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada 234567890 h 432109876
Table des chapitres
T

Chapitre 1
Le chat noir.1

Chapitre 2
Un bedeau inquiétant.11

Chapitre 3
Réfugiés dans le clocher.19

Chapitre 4
Des statues troublantes.27

Chapitre 5
Les voix mystérieuses.41

Chapitre 6
Des intrus dans l’église.51

Chapitre 7
Pris au piège.59
Chapitre 8
La porte secrète 67

Chapitre 9
Alerte générale.75

Chapitre 10
Le retour d’Adolphe.89

Chapitre 11
La sortie de l’église.97

Chapitre 12
Le grand projet.105
Liste des
personnages de ce récit

Au besoin, consulte cette liste pour


retracer l’identité d’un personnage.

Personnages principaux :
Douglas
O’Connor : un homme mystérieux
et défiguré, vivant en
ermite sur le bord du
fleuve.
Jean-
Sébastien : un jeune garçon âgé de
14 ans.
Le compagnon
d’aventures de Sophie.
Sophie : une jeune fille âgée de
13 ans.
La narratrice du récit.

Personnages secondaires :
Adolphe : le bedeau de l’église.
Lara : l’amie de Sophie.
Les deux voleurs.
Chapitre 1
Le chat noir

Cet été n’est pas un été comme les


autres. Grâce à Douglas O’Connor, nous
sommes plongés, Jean-Sébastien et moi,
dans un monde d’aventures.
Tous les jours, nous allons dans son
chalet situé sur le bord du fleuve. Jadis,
notre vieil ami irlandais a traversé tous
les océans et visité tous les pays. Nous
écoutons ses récits avec une attention
passionnée. Le rituel est toujours le
même. Après avoir dévoré un repas fru¬
gal, nous nous agitons sur nos chaises.
O’Connor semble apprécier ce moment
d’excitation.
- Que se passe-t-il les amis? de¬
mande-t-il toujours avec son accent
étranger. Pourquoi êtes-vous si nerveux?
Des drogués, voilà ce que nous som¬
mes devenus, Jean-Sébastien et moi.
Nous avons un besoin vital d’entendre
O’Connor raconter ses glorieux exploits.
Nous le suivons au cœur de ses plus
folles expéditions.
Le chien d’O’Connor a l’air aussi
captivé que nous par les histoires pitto¬
resques de l’ancien matelot. Odin salive
abondamment et remue la queue dès que
son maître commence son récit. Nul
doute possible, Odin est devenu, comme
nous, un assoiffé d’aventures.
Cet après-midi, je regarde O’Connor
en ressentant pour lui une immense
tendresse. Malgré ses traits difformes et
la longue cicatrice qui serpente son visa¬
ge, je le trouve séduisant. Depuis que j’ai
appris à le connaître, je ne vois plus sa
laideur.
En ce moment, Douglas O’Connor
arpente la pièce. Il tire sur sa longue pipe
en ébène qu’il a rapportée d’un voyage
au Cameroun. Ses cheveux roux ressem¬
blent aux flammes d’un feu de joie al-
lumé sur la grève.
O’Connor contemple les volutes de
fumée qui montent vers les poutres
noircies du plafond, puis il attaque son
récit. Aujourd’hui, il nous entraîne en
Italie. Absorbé par son histoire, O’Connor
semble avoir oublié le décor qui l’entoure.
On dirait qu’il n’entend plus les cris des
mouettes ni les éclats de voix des enfants
qui se chamaillent sur la plage. Notre
conteur jongle avec les mots. Au fur et à
mesure que son récit se développe, nous
oublions, Jean-Sébastien et moi, où nous
sommes et l’heure qu’il est.
- Ce jour-là, lance O’Connor, je suis
descendu dans les catacombes romaines.
J’avais vingt ans. À cette époque, je n’avais
pas encore connu ma femme Mary.
J’ignorais quel sort affreux l’attendait. Je
ne savais pas quelle me serait cruelle¬
ment enlevée un jour par un terrible in¬
cendie. J’étais jeune. Je voulais tout dé¬
couvrir. Tout connaître. Même les
catacombes.
O’Connor va s’asseoir dans son fau¬
teuil en cuir. Il se recueille pendant un
long moment.
- Je crois que cette aventure ne vous
intéressera pas, enchaîne-t-il en tirant sur
sa pipe. Je ferais mieux de me taire. Vous
êtes vraiment trop jeunes pour connaître
cet endroit terrifiant.
Je jette vers mon vieil ami un regard
outragé.
- Je veux savoir, dis-je. J’ai treize ans.
Je ne suis pas trop jeune. Vraiment,
O’Connor, je n’aime pas du tout me faire
prendre pour une fillette.
Jean-Sébastien a l’air aussi indigné que
moi par les propos de notre ami.
- C’est bon! lance O’Connor. Ne vous
emportez pas. J’efface tout ce que j’ai dit.
Vous n’êtes pas trop jeunes.
- Tu pourrais commencer par nous
dire ce que sont les «kataombes», mar¬
monne Jean-Sébastien. On ne sait même
pas ce que c’est.
O’Connor tire à nouveau sur sa pipe
tandis qu’Odin pose sur lui ses yeux
doux.
- Les catacombes sont des lieux sou¬
terrains qui servaient de refuge aux chré¬
tiens persécutés par les Romains, expli¬
que O’Connor d’une voix mystérieuse.
C’est là qu’ils pratiquaient clandestine¬
ment leur culte. C’est là qu’ils baptisaient
leurs enfants, célébraient leurs messes et
enterraient les dépouilles de leurs morts.
Je rêvais depuis toujours de visiter cet
endroit secret et ténébreux.
Je lève vers O’Connor un regard in¬
trigué. Jean-Sébastien, assis sur le divan,
semble aussi captivé que moi.
- Sitôt le bateau accosté, je me suis
précipité au cœur de la ville poursuit
O’Connor. J’étais seul. Mon cœur palpi¬
tait violemment dans ma poitrine. Je sa¬
vais au plus profond de moi que j’allais
vivre une aventure incroyable.
Je déambulais dans les rues de Rome
en imaginant tous les chrétiens que les
Romains donnaient en pâture aux ani¬
maux sauvages. Des frissons d’horreur
me parcouraient de la tête aux pieds. Je
suis finalement descendu dans les cata¬
combes en empruntant un long escalier
en pierre.
Pendant longtemps, je me suis pro¬
mené dans le réseau de galeries souter¬
raines creusées dans le roc. Je suis finale¬
ment arrivé dans une grande salle, au
plafond bas. Un faible rayon de lumière
parvenait jusqu a moi grâce à une ouver¬
ture pratiquée dans la roche poreuse. La
peur avançait vers moi et menaçait de
m’étreindre avec ses griffes acérées. Sur
les parois des murs, j’aperçus bientôt les
niches dans lesquelles on avait autrefois
enseveli les macchabées.
- As-tu vu les squelettes des morts?
dis-je, horrifiée.
- Non, bien sûr, répond Douglas
O’Connor. Les niches étaient fermées
avec des plaques de marbre sur lesquel¬
les étaient inscrits les noms des défunts.
Je n’ai pas vu les morts, mais il m’est
arrivé quelque chose de bien étrange.
Des années plus tard, je frissonne en y
repensant.
Tout en déambulant dans ces galeries
souterraines, j’éprouvais une émotion
bizarre. J’avais l’impression de ne pas être
seul à contempler les dessins de croix,
de colombes, de brebis et de pasteurs qui
se profilaient dans la lumière blafarde.
Soudain, j’entendis des bruits mystérieux
et insolites. Je me suis dit : «Eh bien!
mon vieux, tu perds la raison. Tu n’aurais
pas dû boire autant de whisky hier.»
J’avais beau me répéter cela, les clameurs
ne cessaient pas pour autant. Des voix
de femmes et des voix d’hommes mon-
taient vers moi. J’étais sûr, désormais,
que je ne rêvais pas.
Jean-Sébastien et moi retenons notre
souffle. Même Odin semble attendre
fébrilement la suite du récit.
- Qu’est-ce que c’était? demande
Jean-Sébastien.
- Je ne peux pas, même aujourd’hui,
donner une explication rationnelle de ce
phénomène pour le moins étrange. Je
peux seulement vous dire que j’ai eu, ce
jour-là, l’impression que les premiers
chrétiens étaient près de moi. Je sentais
leur présence tandis que leurs voix
chaudes et puissantes résonnaient dans
les catacombes.
Je serre la main de Jean-Sébastien dans
la mienne. Je suis à la fois fascinée et
bouleversée par le récit d’O’Connor.
- Est-ce qu’il y a, au village, un en¬
droit qui ressemble aux catacombes? dis-
je d’une voix tremblante.
- Notre village n’a jamais connu la
présence des premiers chrétiens, fait re¬
marquer O’Connor en souriant. Toute¬
fois, il y a bel et bien, dans le sous-sol de
l’église, un lieu où l’on entrepose les
morts dans des niches. On appelle cela
une crypte. C’est là qu’on enterre les
corps des prêtres et de tous les villageois
qui meurent pendant l’hiver. Le curé m’en
a parlé, mais je n’y suis jamais allé.
Juste au moment où O’Connor pro¬
nonce ces paroles, des cris sinistres tra¬
versent les portes closes du chalet.
- Peut-être est-ce un chrétien qui
vient d’être dévoré par un animal sau¬
vage, s’exclame Jean-Sébastien d’un ton
blagueur.
- Tu n’es pas drôle, dis-je en tendant
une oreille inquiète.
— Cessez de vous tourmenter, lance
O’Connor. Allons plutôt voir ce qui se
cache derrière cette porte-là.
Aussitôt qu’O’Connor ouvre la porte,
un chat noir bondit devant nous.
Odin jette à l’animal un regard chargé
d’hostilité. Le chat s’avance vers Jean-
Sébastien. Il le frôle et saute sur ses ge¬
noux osseux couverts d’ecchymoses.
- À qui peut-il bien appartenir? de¬
mande mon ami en se tournant vers
O’Connor.
- Je n’en ai aucune idée, répond ce
dernier. C’est la première fois que je le
vois rôder par ici. C’est sans doute un
chat abandonné.
- S’il n’appartient à personne, moi je
l’adopte, s’exclame Jean-Sébastien en ca¬
ressant la fourrure soyeuse de l’animal.
J’examine avec suspicion la bête qui
continue à pousser des miaulements
démoniaques. Je déclare d’un ton caté¬
gorique :
- Ce chat-là ne m’inspire pas con¬
fiance. J’ai l’impression qu’il va nous
porter malheur.
- Tu es trop superstitieuse, Sophie,
rétorque Jean-Sébastien. Tu dis cela uni¬
quement parce qu’il est noir.
- Non. Je dis cela parce que je le sens
profondément.
- Je vais l’adopter quand même, ré¬
pond mon ami.
Juste au moment où Jean-Sébastien
termine sa phrase, le tonnerre se fait
entendre. Des éclairs foudroyants déchi¬
rent le ciel.
- Il vaut mieux partir avant que la
pluie tombe, dis-je en me dirigeant vers
la porte.
- Attendez que l’orage passe, s’ex¬
clame O’Connor.
- Non. J’aime mieux partir tout de
suite.
- Moi aussi, approuve Jean-Sébastien
tout en déposant le chat noir dans un
panier.
- Alors faites attention à vous et au
revoir, lance O’Connor.
Je me précipite sur ma bicyclette
adossée à la galerie du chalet. Jean-
Sébastien fixe le panier à la selle de son
vélo tandis que l’animal continue de crier
comme un dément.
Dans ma tête, j’entends la voix de
mon amie Lara : «Ce chat-là est dange¬
reux, dit-elle. Laissez-le sur la grève.»
Mais je n’ai pas le temps de réagir.
Déjà Jean-Sébastien file à toute vitesse
sur la route.
Chapitre 2

Un bedeau inquiétant

Nous escaladons la côte abrupte, puis


nous nous engageons sur la grande route
bordée d’arbres feuillus. Le tonnerre
continue toujours de gronder et les éclairs
de déchirer le firmament. Je pédale en
me sentant envahie par une exaltation
étrange. Je déchire l’espace. J’avance de
plus en plus vite. Le vent me bouscule. Il
me pousse à aller plus loin. Toujours
plus loin.
Devant moi, la mince silhouette de
mon compagnon se dessine sous un ciel
chargé de lourds et sombres nuages. Je le
regarde en éprouvant pour lui une af-
fection démesurée. Ce n’est pas possible
comme je peux aimer ce grand garçon
fiévreux et inquiet. Je l’aime pour sa force
et pour sa vulnérabilité. Je l’aime pour
tout ce qui palpite en lui. Nul orage,
nulle tempête ne parviendront jamais à
affaiblir mon sentiment.
Soudain le chat noir sort une tête
inquiétante du panier. Je repense à ce
qu’O’Connor a dit au sujet des catacom¬
bes. J’ai de plus en plus envie de visiter
ce lieu. Je ne sais pas pourquoi je suis
toujours attirée par ce qui est à la fois
mystérieux et terrifiant. Dans une autre
vie, j’ai sans doute été une aventurière
assoiffée d’actions bouleversantes.
Je conduis ma bicyclette en imagi¬
nant les galeries souterraines dont nous
a parlé O’Connor. Je me vois explorant
les catacombes en compagnie de Jean-
Sébastien. Mon imagination m’amène très
loin. Je n’entends pas le camion qui ap¬
proche. Un coup de klaxon tonitruant
interrompt brusquement ma rêverie. Je
perds l’équilibre et je me retrouve sou¬
dain étendue sur le bord de la route.
- Qu’est-ce qui se passe? demande
Jean-Sébastien en se penchant vers moi.
Tu n’as pas entendu le camion?
Je me relève et j’essuie la poussière
qui macule mes vêtements.
- Non, dis-je. J’étais dans la lune. Je
pensais aux catacombes. Cela m’obsé¬
dait. Je ne sais pas ce que je donnerais
pour visiter un tel lieu.
- Tu n’as aucune chance. Les cata¬
combes sont en Italie.
- Je le sais très bien. Mais O’Connor
nous a parlé d’une crypte située dans le
sous-sol de l’église. D’après ce qu’il en
disait, je trouve que cela ressemblait
drôlement aux catacombes romaines.
Je jette un regard fiévreux à Jean-
Sébastien.
- J’ai envie d’y aller, dis-je en caressant
le bras nu de mon ami.
- Moi, je n’ai pas tellement le goût. Je
pense qu’il vaudrait mieux rentrer à la
maison.
- Avoue que tu as peur.
- Pas du tout, rétorque Jean-Sébastien
en me lançant un regard outragé. Mais je
ne vois pas l’intérêt de visiter un tel en¬
droit.
- Très bien, j’irai toute seule.
- Fais pas l’idiote, Sophie. Tu sais que
je ne te laisserai jamais aller là-bas sans
moi. Je vais t’accompagner malgré tout.
- Courage,Jean-Sébastien! Suis-moi.
- Ce n’est pas tous les jours reposant
de sortir avec toi, opine Jean-Sébastien.
Tu as toujours des idées extravagantes.
- Depuis qu’O’Connor nous raconte
ses aventures, je ne sais pas ce qui se
passe, mais j’ai envie comme lui de tout
voir, de tout découvrir.
- Tu pourrais choisir de découvrir
autre chose que des catacombes.
- Tu ne te rends pas compte à quel
point ce lieu est phénoménal. C’est su¬
per. J’en ai la chair de poule rien que d’y
penser.
- Alors pourquoi veux-tu y aller si
cela te donne la chair de poule?
- J’aime sans doute avoir peur.
- Tu es vraiment une fille spéciale.
- Est-ce que tu aimes les filles spécia¬
les?
Pour toute réponse, Jean-Sébastien
dépose un baiser furtif sur ma bouche.
- Alors, allons-y, dis-je.
- Mais prends garde. Ce serait idiot
de te faire écraser parce que tu es bran¬
chée sur les catacombes.
- D’accord. Je vais faire de mon mieux
pour rester branchée sur la route.
Nous enfourchons nos bicyclettes et
repartons allègrement. Nous entrons
bientôt dans le village. À l’exception du
bossu Joachim qui déambule sur le trot¬
toir, les rues sont désertes. On dirait que
tous les habitants, terrorisés par l’orage
qui gronde, ont décidé de s’emmurer chez
eux. Joachim disparaît bientôt de notre
vue tandis que le ciel se déchaîne et
qu’une pluie torrentielle s’abat sur nous.
Nous déposons nos bicyclettes sur le
gazon et nous nous dirigeons vers une
porte située sur le côté gauche de l’église.
Nous pénétrons dans l’enceinte de
l’édifice avec ce maudit chat qui n’arrête
pas de miauler. Une forte odeur d’encens
flotte dans l’air. Je me sens envahie par
quelque chose d’innommable. Quelque
chose de sacré. J’ai l’impression que des
forces invisibles nous entourent. Il y a, à
l’intérieur de cette église, une atmosphère
étrange et mystérieuse.
Mes parents mettent rarement les
pieds ici. Ils ne pratiquent plus. Depuis
des années, ils ont jeté aux oubliettes
tout ce qui parle de Dieu. Ils ne veulent
plus rien savoir des bénitiers, des confes¬
sionnaux, enfin de tout ce qui se trouve
dans une église. S’ils me voyaient ici, ils
seraient étonnés. Ils ne comprendraient
pas que je sois attirée par un lieu comme
celui-ci.
Nous avançons, Jean-Sébastien et
moi, dans l’allée centrale de l’église. De
magnifiques peintures sont suspendues
sur les murs. Eartiste qui a peint ces
tableaux avait sûrement un talent fou. Je
m’attendris devant les personnages qui
ont été immortalisés sur les toiles.
Soudain, je m’immobilise devant un
tableau représentant un Christ au visage
blafard et aux yeux tournés vers le ciel.
On croirait qu’il va d’un instant à l’autre
descendre de sa croix et s’avancer vers
nous. Je ne sais pas ce qu’il pourrait nous
dire. J’ignore comment le Christ parlait
aux humains.
À la polyvalente, je suis des cours de
morale et non des cours de religion.
Aujourd’hui, je trouve cela dommage. Je
ne sais pas pourquoi, mais le Christ
commence de plus en plus à m’intriguer.
J’ai le pressentiment que ce type-là avait
un message important à révéler. Et puis,
je suis sûre qu’il devait aimer l’aventure
autant que moi. C’est déjà un bon point
pour lui. Je crois qu’on aurait pu être
copains tous les deux.
- À quoi penses-tu? murmure Jean-
Sébastien.
Je me tais. Je ne vais tout de même
pas lui avouer que j’aurais aimé vivre il y
a deux mille ans afin d’avoir le Christ
comme copain. Il y a des choses qui ne
se disent pas. Des choses secrètes qu’il
vaut mieux garder dans sa tête.
Des bruits de pas résonnent sur le
plancher en marbre. Nos regards se di¬
rigent vers la nef illuminée. Le bedeau
Adolphe surgit de la sacristie. Je n’aime
pas cet individu antipathique. Oh! mais
là pas du tout. Je suis allergique à sa
présence. Lorsque je le vois, j’ai envie de
me gratter partout. Notre bedeau, c’est
comme le chat noir, il porte malheur.
Heureusement qu’il ne nous a pas encore
vus. Je suis sûre qu’il nous ordonnerait
de déguerpir.
Soudain, le chat bondit hors de son
panier. Il file comme un flèche dans l’al¬
lée centrale. Nous courons derrière lui.
Le fugitif se faufile sous un banc. Il dresse
ses oreilles pointues et s’élance à nou¬
veau dans l’allée. Dès que nous croyons
l’attraper, il s’enfuit dans une autre direc¬
tion. Que veut-il? Pourquoi se sauve-t-il
toujours?
- J’en ai jusque-là de jouer à la ca¬
chette avec ce chat, lance Jean-Sébastien
d’un ton courroucé.
Adolphe avance vers nous en bran¬
dissant sa longue canne noire. Avec son
visage de loup, son regard d’aigle et sa
voix tonitruante, il n’a rien pour inspirer
confiance.
- Sortez d’ici, crie-t-il, et amenez vo¬
tre chat avec vous.
Le chat va droit vers une porte en¬
trebâillée qui donne sur un sombre por¬
tique. Nous nous engageons dans un
escalier étroit qui tourne sur lui-même.
J’hésite à le suivre. Je frémis. Dans quel
guêpier cette bête maléfique nous en-
traîne-t-elle? Et si Adolphe nous rejoint,
qu’adviendra-t-il de nous?
Chapitre 3
Réfugiés dans le clocher

Le chat poursuit son ascension. Nous


courons toujours derrière lui. Je suis fa¬
tiguée de gravir toutes ces marches. Il y
en a tant et tant. Où allons-nous ainsi?
J’ai le vertige.
Le félin a depuis longtemps disparu
de notre champ de vision. Jean-Sébastien
grimpe prestement l’escalier qui serpente.
Il n’a pas l’air du tout exténué. Je trouve
que son corps souple ressemble à celui
du chat.
Arrivés au sommet, nous nous heur¬
tons à une lourde porte en chêne. Le
chat s’immobilise sur le palier. Mécon-
tent, il jette un regard furieux vers l’obs¬
tacle qui l’empêche de poursuivre sa folle
expédition.
Je tourne la poignée et je m’aventure
sur une plate-forme inondée de pluie.
Devant moi, se dressent de lourdes clo¬
ches en bronze. Mon visage s’illumine.
J’ai toujours adoré les cloches. J’aime leur
son. Juste en écoutant leur carillon, je
peux savoir si l’on va célébrer un ma¬
riage ou une messe.
- Où sommes-nous? demande Jean-
Sébastien.
- Nous sommes dans le clocher, dis-
je en gambadant sur la plate-forme.
Je m’approche du garde-fou. Malgré
la pluie, je contemple avec des yeux
émerveillés le paysage qui s’étale devant
nous. Au-dessous de moi, les maisons
semblent minuscules. On dirait un décor
construit par un enfant.
- Le chat a bien fait de nous entraîner
ici, lance Jean-Sébastien.
- Oui, il a bien fait, dis-je. J’ai toujours
rêvé de monter dans le clocher.
J’exulte. Jean-Sébastien aussi. Peu
importe que le ciel se déchaîne. Peu im¬
porte qu’il pleuve à boire debout. Le pa-
norama est grandiose. J’ai l’impression
d’être un ange qui plane au-dessus de
notre village. J’oublie que le bedeau
Adolphe nous a peut-être suivis. Je me
sens légère. Je me laisse griser par ce
moment de plénitude et d’euphorie. J’ai
même envie de crier de joie tellement je
suis contente d’être venue ici.
Malgré les coups de tonnerre, Jean-
Sébastien a l’air aussi exalté et émerveillé
que moi. Sans me prévenir, il me prend
par la taille et me fait tournoyer sur la
plate-forme. Dans ses bras, je ne crains
plus rien. J’oublie tout. Mais soudain un
éclair terrible perce le ciel. Je m’éloigne
de mon ami. Je frissonne sous la pluie.
Une angoisse insupportable qui me
donne le vertige s’empare de moi. Quel¬
que chose d’affreux va se produire. Je ne
saurais trop dire ce que c’est.
- Je pense que quelqu’un monte l’es¬
calier, marmonne Jean-Sébastien.
- Vite! allons nous cacher. Ça doit
être le bedeau.
J’empoigne le chat qui pousse un
miaulement lugubre. Puis je me préci¬
pite avec Jean-Sébastien derrière les clo¬
ches. Nous nous accroupissons et nous
retenons notre souffle. Mes mains sont
moites. Des gouttes de sueur perlent sur
mon front. Je serre énergiquement la
main de Jean-Sébastien dans la mienne.
Nos yeux sont rivés sur la lourde porte.
Je suis sûre qu’Adolphe va apparaître
d’une minute à l’autre. Nous ne bou¬
geons plus. Le chat s’est immobilisé dans
mes bras. J’espère qu’il ne va pas miauler.
Soudain, la porte s’entrouvre.
- Où êtes-vous, petits sacripants?
hurle Adolphe d’une voix caverneuse.
Nos lèvres restent closes. Nous
n’osons même pas avaler notre salive.
Nous craignons que notre déglutition
n’ameute le bedeau de notre village.
- Allez! Sortez de votre cachette, s’ex¬
clame-t-il en brandissant sa longue canne
noire.
Le bedeau respire bruyamment. Il a
l’air complètement essoufflé. Le clocher
est tellement haut et les marches telle¬
ment nombreuses pour un homme de
son âge.
Je reluque son visage ténébreux
sillonné de rides profondes. Ses traits sont
durs et son regard hostile. Une peur in¬
tense m’inonde. Je sens que cet homme-
là est capable de tout s’il nous découvre.
La pluie me transit. Soudain, j’éprouve
une forte envie d’éternuer. Je ferme les
yeux. Non! Il ne faut surtout pas que
j’éternue. Le bedeau vêtu de noir nous
repérerait aussitôt.
Terrifié, Jean-Sébastien m’examine
comme si je m’apprêtais à faire exploser
une bombe atomique. Je pince le som¬
met de mon nez. Je ne veux surtout pas
commettre un acte irréparable. Mon en¬
vie d’éternuer s’évanouit bientôt. Sou¬
lagé, Jean-Sébastien jette vers moi un re¬
gard rempli de sollicitude.
Désireux de se protéger contre
l’averse, l’homme n’ose pas s’aventurer
sur la plate-forme. Il reste dans l’embra¬
sure de la porte. J’aperçois maintenant
ses grosses mains striées de veines
bleuâtres. Sa canne noire martèle le sol.
Cela m’effraie.
- Ils ne doivent pas être ici, dit-il
d’une voix furibonde. Je dois avoir des
troubles de vision. J’étais pourtant cer¬
tain qu’ils s’étaient aventurés dans le
clocher.
Les rafales de vent et de pluie font
clignoter ses petits yeux cruels. Le be-
deau semble s’interroger sur ses percep¬
tions visuelles. Au bout d’un long mo¬
ment, il rebrousse chemin. Le silence
revient. Je me tourne vers Jean-Sébastien
qui tend vers moi un visage crispé.
- On va redescendre maintenant,
murmure mon ami.
- Non. Pas tout de suite. Adolphe
n’est peut-être pas encore sorti de l’église.
Il vaut mieux rester encore un peu dans
le clocher. C’est plus prudent.
- Tu as sûrement raison.
Nous nous taisons et nous nous
blottissons l’un contre l’autre. La pluie
ruisselle sur nos corps à demi vêtus. Un
vent frais court sur nos membres. Nous
craignons de voir resurgir la silhouette
inquiétante d’Adolphe. Le moindre bruit
nous fait sursauter. Le temps passe et le
bedeau ne réapparaît toujours pas.
- J’ai eu vraiment très peur, dis-je à
Jean-Sébastien. As-tu entendu sa voix?
On dirait qu’elle provient d’une caverne.
- Arrête! fait-il. J’ai la chair de poule
lorsque je pense à ses yeux enfoncés dans
ses orbites et à son corps squelettique. Je
me demande pourquoi il est toujours
vêtu de noir.
- C’est peut-être un vampire, dis-je.
As-tu remarqué à quel point ses dents
sont longues et pointues?
- Ah! Sophie, tu as vraiment le tour
de tout dramatiser. Tu ferais certainement
une excellente romancière. Avec toi, le
monde se remplit de monstres. Les be¬
deaux se métamorphosent en vampires
et les chats en diables.
J’examine le félin juché sur le garde-
fou. Il me jette un regard incendiaire.
- Mon amie Lara m’a appris à écou¬
ter ma petite voix intérieure, dis-je. Je
me trompe rarement. Tu verras bientôt si
j’ai raison au sujet du chat et du bedeau
qui ressemble à Dracula.
Au moment où je prononce ces mots,
un éclair sinistre déchire le ciel.
- On ferait mieux de redescendre
maintenant, lance Jean-Sébastien. Sinon,
on va attraper un de ces rhumes carabinés.
- Mais que va-t-on faire si Adolphe
est encore là?
De toute façon, on n’a plus le choix.
Il faut absolument nous mettre à l’abri.
Jean-Sébastien s’empare du chat et le
dépose dans son panier. Une inquiétude
grandissante m’envahit.
Chapitre 4

Des statues troublantes

Prudemment, nous descendons l’es¬


calier tortueux et nous nous retrouvons
à l’intérieur de l’église. Nous marchons à
pas feutrés sur les dalles en marbre. À
chaque seconde, je crains de voir appa¬
raître le bedeau armé de sa lourde canne.
Mais l’église semble tout à fait déserte.
Un silence solennel nous enveloppe.
Rassurée, je me tourne vers Jean-
Sébastien.
- Allons dans le sous-sol, dis-je.
N’oublions pas notre projet de visiter la
crypte. Nous ne sommes pas venus ici
pour rien.
Le visage de mon ami est d’une pâ¬
leur étonnante.
- Tu es sûre, Sophie, de vouloir des¬
cendre au sous-sol? Je pense qu’il vau¬
drait mieux sortir d’ici et rentrer
sagement chez nous. Et puis, Adolphe
est peut-être toujours là.
- Je suis certaine qu’il n’est plus dans
l’église. Si tu as trop peur, va-t’en. Moi, je
suis bien décidée à continuer.
- Ça va, je te suis. Je ne suis pas un
lâche.
À l’extérieur de l’église, le tonnerre
gronde. Les éclairs illuminent les vitraux.
Bientôt la nuit va surgir.
- Il faut trouver quelque chose pour
nous aider à nous mouvoir dans l’obscu¬
rité, dis-je.
D’un pas allègre, je me dirige vers le
chœur. Je m’empare d’un chandelier en
or massif qui repose sur l’autel, puis je
rejoins Jean-Sébastien près de la balus¬
trade.
- Allons-y, dis-je en allumant les
chandelles.
Nous descendons un escalier en bois
et nous arrivons bientôt dans une salle
immense. Des bancs sont alignés près
des murs. La pièce est d’une humidité
saisissante. Un parfum âcre nous cha¬
touille les narines. J’aperçois bientôt une
porte monumentale. Lentrée de la crypte
se trouve peut-être derrière. Je tourne la
poignée en cuivre en tremblant.
Nous nous engageons bientôt dans
une pièce glaciale. Une forte odeur de
terre monte vers nous. Encombrée
d’outils, de balais, de seaux, de pelles, la
pièce est dans un désordre indescripti¬
ble. Mais ce qui me fascine le plus, ce
sont les statues. Il y en a de toutes les
formes et de toutes les couleurs. On di¬
rait une foule muette et immobile qui
attend notre venue afin de reprendre vie.
Les statues se dressent devant nos
yeux écarquillés. Certaines sont gigan¬
tesques et d’autres minuscules, mais la
plupart ont la taille d’un adulte normal.
Vêtues de longues tuniques blanches ou
pourpres, elles semblent sorties tout droit
d’une autre époque.
Jean-Sébastien se dirige vers un per¬
sonnage barbu aux yeux d’un bleu lim¬
pide. Fasciné, il contemple le bienheu¬
reux en plâtre, qui porte dans ses mains
un long bâton en or.
- Je connais ce type-là, dit-il, mais je
ne me rappelle pas où je l’ai vu.
Effarée, je me tourne vers Jean-
Sébastien. Moi aussi, j’ai l’impression que
les visages de certaines de ces statues ne
me sont pas étrangères. C’est fou, je le
sais, mais je ne peux m’empêcher
d’éprouver un sentiment de déjà vu.
- Je crois qu’elles vont toutes se
mettre à bouger, affirme Jean-Sébastien
en tremblant.
Je tressaute. Il me semble que les sta¬
tues se transforment peu à peu en êtres
humains. Autour de nous, les flammes
du chandelier projettent une lumière
vacillante. Mes mains sont moites et tout
mon corps ruisselle de sueurs froides.
Le chat bondit hors du panier. Il se
faufile entre les jambes des statues. Je
dépose le chandelier sur le sol et je me
mets à quatre pattes afin de capturer
l’animal indocile. Au-dessus de moi, tous
ces saints me donnent le vertige. J’ai peur.
J’essaie de me raisonner. Je me dis que
ces personnages ne peuvent ni parler, ni
faire le moindre mouvement. Je n’ai donc
pas à les craindre. Mon imagination est
trop féconde. Celle de Jean-Sébastien
aussi.
- Ne te sauve plus, dis-je en réussis¬
sant finalement à attraper l’animal.
Le chat m’examine avec son regard
énigmatique. Je sais très bien que je parle
dans le vide. Ce chat-là n’obéira jamais à
personne. Il n’en fera toujours qu’à sa
tête.
Soudain, un souffle glacial glisse sur
nos corps. Les chandelles s’éteignent. Le
chat lance un cri strident. Les ténèbres
nous enveloppent. Un bruit sourd me
fait sursauter. Stupéfaite, je prends con¬
science que la porte vient de se refermer.
Jean-Sébastien et moi n’osons plus parler
ni faire le moindre mouvement. Nous
sommes figés. Pétrifiés.
- Où es-tu, Jean-Sébastien? dis-je en
me retenant pour ne pas m’évanouir.
- Je suis ici, répond mon ami en me
tendant une main chaude et tremblante.
N’aie pas peur. C’est sûrement un courant
d’air.
Je ne réponds pas. J’aimerais croire
qu’un phénomène aussi rassurant qu’un
courant d’air puisse tout expliquer. Mais
je n’en suis pas du tout convaincue. Je
serais beaucoup plus portée à invoquer
le surnaturel.
- Il y a peut-être un fantôme ici, dis-
je en frémissant de tout mon corps.
- Ne va pas chercher midi à quatorze
heures. Il n’y a aucun fantôme dans ce
sous-sol. Je vais allumer les chandelles et
tu verras que j’ai raison.
Jean-Sébastien fanfaronne. Il essaie de
se montrer fort et rationnel, mais je suis
persuadée qu’il est aussi effrayé que moi.
- Flûte, marmonne-t-il. Je n’arrive pas
à trouver mon carnet d’allumettes. Je me
demande bien où je l’ai mis.
- Fouille dans la poche gauche de
ton pantalon. Je crois que c’est là que tu
l’as mis tout à l’heure. Fais vite. Je n’aime
pas du tout être plongée dans l’obscurité
la plus totale. Cela me donne la chair de
poule.
La pensée d’être emprisonnée à l’in¬
térieur de cette pièce lugubre m’horrifie.
Je recule de quelques pas. Un objet d’une
froideur cadavérique vient effleurer mon
cou. On dirait qu’une main glaciale
s’agrippe à moi. Un cri lancinant sort de
ma poitrine.
- Pourquoi cries-tu ainsi? hurle Jean-
Sébastien.
- J’ai senti une main sur mon cou.
C’était vraiment affreux comme sensa¬
tion. C’est peut-être un fantôme. Allume
vite. J’ai peur.
- Attends un instant. J’allume. Je
viens juste de trouver mon carnet d’al¬
lumettes.
Quelques secondes s’écoulent. Sou¬
dain, j’aperçois les flammes rassurantes
des chandelles. Une douce et bienfaisante
lumière envahit la pièce. Je me sens
apaisée. Toutefois, mon euphorie est de
courte durée. Autour de moi, les statues
me semblent de plus en plus étranges.
Sur leurs lèvres écarlates se glisse un
sourire troublant. Leurs mains rosées aux
ongles peints en rouge se tendent vers
moi. Que veulent-elles?
- Ce n’est pas un fantôme qui t’a tou¬
chée, s’exclame Jean-Sébastien d’un air
narquois. C’est seulement la statue qui
est derrière toi.
Je me retourne. Je me retrouve face à
face avec un barbu en plâtre aux yeux
d’un bleu délavé et au visage expressif.
Vaillamment, je touche la longue main
rosâtre tendue vers moi. Le contact avec
le plâtre me rassure.
- Les fantômes n’ont certainement
pas cette texture, lance Jean-Sébastien
d’une voix moqueuse.
- Arrête de me taquiner. Cela m’aga¬
ce. Un jour, tu verras bien que j’ai raison
de croire aux forces surnaturelles. En at¬
tendant, essayons d’ouvrir la porte. J’ai
de plus en plus envie de me voir ailleurs.
- C’est catastrophique, s’écrie Jean-
Sébastien au bout d’un moment. Elle re¬
fuse de s’ouvrir. Je ne sais vraiment pas
ce qui se passe. On dirait que quelqu’un
l’a verrouillée de l’extérieur.
Jean-Sébastien donne de violents
coups d’épaule sur la porte, qui refuse de
céder.
- Qu’allons-nous faire? dit-il d’une
voix tremblante.
- Examinons la pièce scrupuleuse¬
ment. Il y a peut-être une autre issue.
Nous scrutons les murs avec des yeux
de détective aux aguets. Il doit bien y
avoir dans cette pièce-là une ouverture
par où nous pourrons nous enfuir. Au
bout d’un certain moment, je commence
à désespérer. Je ne vois rien. Absolument
rien. Mais bientôt, j’entends la voix
triomphante de Jean-Sébastien.
- Eurêka! crie-t-il. Je viens de trou¬
ver une grille d’aération sur un mur. Elle
était dissimulée derrière une statue. Je
suis certain qu’il y a un passage derrière.
Nous allons bientôt être libres.
- C’est formidable! Vite! enlevons la
grille et espérons que tu ne t’es pas
trompé.
Juste au moment où nous nous ap¬
prêtons à arracher la grille, je sens un
frôlement sur ma cuisse gauche. Je tres¬
saille. Qui m’a frôlé ainsi? On aurait dit
que c’était la fourrure d’un animal à sang
chaud. C’est peut-être le chat. Mais non!
C’est impossible puisqu’il est près de la
porte d’entrée. Alors qu’est-ce que c’est?
Je baisse les yeux et j’aperçois soudain
une forme trapue recouverte de longs
poils noirs. Cette forme s’éloigne de moi.
Elle se faufile entre les jambes des statues
avant de s’immobiliser près d’une pelle
appuyée contre un mur. Je constate avec
effroi que cette forme possède une longue
queue étroite et de petits yeux sangui¬
nolents.
- C’est un rat, hurle Jean-Sébastien.
Recule-toi! Il peut être dangereux.
- Un rat! C’est tout à fait dégoûtant,
dis-je d’une voix horrifiée.
Jean-Sébastien s’empare de la pelle. Il
pousse un hurlement sauvage tout en se
précipitant sur la bête immonde.
- Je vais le tuer, crie-t-il d’une voix
fiévreuse. J’aurai sa peau avant qu’il
n’essaie de te mordre.
Je n’ai jamais vu Jean-Sébastien aussi
furieux et aussi déterminé à me protéger.
J’admire le guerrier qu’il est devenu. La
bête répugnante fixe mon ami avec des
yeux rougeâtres remplis de lueurs fa¬
rouches et démoniaques. Elle s’apprête à
bondir sur lui. Héroïquement, Jean-
Sébastien abaisse son arme sur le rat qui
esquive le coup. Mon compagnon
d’aventures répète son geste. Il s’élance
sur l’ennemi redoutable, qui lui échappe
à nouveau. Dans les yeux de Jean-
Sébastien, je peux lire une colère insen¬
sée mêlée à une frayeur sans bornes.
Le chat s’approche de la scène. Son
poil se hérisse. Son dos se cambre. Pres¬
tement, il bondit sur la bête ignoble qui
lui jette un regard furibond. Nous assis¬
tons, Jean-Sébastien et moi, à une bataille
acharnée. Des cris démentiels retentis¬
sent autour de nous.
Le rongeur est blessé. Le chat s’éloigne
momentanément de son adversaire. Jean-
Sébastien en profite pour asséner un
magistral coup de pelle sur la tête du rat.
Cette fois-ci, mon ami ne rate pas sa
cible. Le sang gicle sur la fourrure de
l’animal qui s’affaisse bientôt en pous¬
sant un hurlement épouvantable.
- Il est mort, s’exclame Jean-
Sébastien. Je te l’avais dit que j’aurais sa
peau.
Le chat vient flairer le cadavre qui
baigne dans une mare de sang. On dirait
qu’il est jaloux. Sans doute aurait-il aimé
terrasser lui-même cette proie.
- Maintenant, fuyons, dis-je en re¬
frénant une forte envie de vomir. Ne
perdons plus de temps.
Avec des gestes saccadés, je soulève
la grille poussiéreuse. Des toiles d’arai¬
gnées me voilent le regard. Je les écarte
du revers de la main et j’aperçois bientôt
l’entrée d’un conduit.
- Ce passage me semble vraiment très
étroit, marmonne Jean-Sébastien. Je ne
suis pas du tout certain qu’on puisse se
mouvoir là-dedans.
- Il faut quand même tenter notre
chance, dis-je. C’est notre seule issue. Je
vais servir d’éclaireur. Toi, suis-moi avec
le chat.
- D’accord, murmure Jean-Sébastien.
Je rampe dans le conduit en tenant
fermement le chandelier dans ma main
gauche. L’air circule difficilement dans
ce réduit insalubre envahi par les toiles
d’araignées.
Ce passage asphyxiant me rend
claustrophobe. Où conduit-il? Mène-t-il
d’ailleurs quelque part? J’essaie d’éloigner
la peur qui se colle à moi comme une
sangsue. Des pensées terrifiantes m’en¬
vahissent.
J’imagine qu’Adolphe est à la sortie
de ce tunnel infect. Je revois son nez
fourchu, son menton fuyant, son regard
hostile. Je frissonne en me disant que ce
bedeau est peut-être le fils de Satan, un
prince des ténèbres ou l’incarnation
même de la mort. Je sais, je sais, mon
imagination est trop fertile, mais qui peut
me reprocher d’être épouvantée par cet
homme vêtu de noir?
Je continue à ramper et à éloigner de
moi les toiles d’araignées qui obstruent
le passage. Mes genoux sont écorchés
par le ciment. Mes mains tremblent. La
sueur coule sur mon front. Mes cheveux
blonds tombent en désordre sur mon
visage crispé. J’espère de toutes mes for¬
ces qu’Adolphe ne nous attend pas à la
sortie.
Chapitre 5
Les voix mystérieuses

Au bout d’un long moment, j’aper¬


çois une grille qui ferme l’embouchure
du conduit. Vais-je pouvoir l’enlever?
L’idée de passer le reste de ma vie
dans ce passage obscur ne me réjouit pas
du tout. Je n’ai pas envie d’agoniser ici
après avoir connu la faim, la soif et le
désespoir.
Violemment, avec ma main droite, je
pousse sur la grille. Mais elle ne bouge
pas. Je continue à m’acharner. Je refuse
de lâcher prise. Je veux à tout prix vain¬
cre cet obstacle. Finalement, après maints
efforts, la grille s’écroule. Une douce lu-
mière bleutée attire mon attention. Je
jette un regard inquiet dans la pièce qui
se dessine devant moi. Il n’y a personne.
Adolphe n’est pas là. C’est tout ce que je
voulais.
J’extirpe mon corps endolori de cet
étroit passage et j’aboutis bientôt dans
une salle au plafond très bas, éclairée par
la lumière discrète d’un lampion.
- Hourra! dis-je. C’est bon de se re¬
trouver à l’extérieur de ce nid d’araignées.
- Ouais! répond Jean-Sébastien tout
en dégageant péniblement son corps du
conduit. J’ai eu peur d’être poursuivi par
un autre rat. Tu te rends compte? Si nous
en avions eu un à nos trousses, nous
n’aurions jamais pu nous défendre.
Nous essuyons nos vêtements recou¬
verts de poussière, puis nous explorons
la salle obscure. Une lourde porte en
chêne se profile devant nous. Les murs
sont tapissés de plaques de marbre sur
lesquelles des noms sont gravés.
- Où sommes-nous? demande Jean-
Sébastien en s’approchant de moi.
- Nul doute possible, dis-je. Nous
voilà dans la crypte que nous a décrite
O’Connor. C’est ici qu’on entrepose les
corps des curés et ceux des paroissiens
décédés durant l’hiver.
Ce lieu me déçoit. En dehors des
plaques de marbre et des noms gravés,
cette pièce n’a rien de spectaculaire.
— C’est seulement pour voir cela que
nous sommes venus ici, laisse tomber
Jean-Sébastien d’un ton désappointé. Je
m’attendais à quelque chose de plus
phénoménal.
- Moi aussi, dis-je en arpentant la
pièce pour la dixième fois. Il n’y a rien
d’intéressant à voir ici.
Nous nous apprêtons à ouvrir la porte
lorsque brusquement nous entendons
des cris étranges. Qu’est-ce que ça peut
bien être? Je me le demande anxieuse¬
ment. On dirait, ma foi, oui, on dirait les
clameurs d’une foule. Des bribes de con¬
versation montent vers moi, mais je n’ar¬
rive pas à déchiffrer les mots, je crois
qu’on parle en italien, mais je n’en suis
pas certaine.
Soudain, je repense à ce qu’O’Connor
disait. Lui aussi a entendu les clameurs
de la foule. C’était en Italie, il y a long¬
temps, mais le phénomène auditif reste
le même. Comme O’Connor avant moi,
je doute de mes perceptions. J’essaie de
me persuader que ces cris et ces conver¬
sations n’ont rien de réel. Je dois délirer.
Je me bouche les oreilles et je ferme les
yeux.
-Je veux absolument sortir d’ici,
s’exclame Jean-Sébastien.
J’ouvre les paupières et je regarde le
visage de mon ami. Il est livide.
- As-tu entendu quelque chose? dis-
je d’une voix brisée.
- Oui. On aurait dit les cris d’une
foule. Mais cela s’est arrêté.
Nous tendons une oreille attentive.
Le silence est revenu. C’est un silence
oppressant qui nous donne le vertige.
J’ai l’impression qu’il y a quelque chose
qui se cache derrière ce silence. Quelque
chose qui attend de se manifester à
nouveau.
- Si c’est un rêve, nous sommes deux
à avoir le même, dis-je.
- C’est étrange, tout cela. Vraiment
étrange. D’autant plus que notre ami
O’Connor a déjà vécu une telle expé¬
rience avant nous.
Nous cherchons une explication lo¬
gique à ce que nous venons de vivre.
Mais nous savons très bien que nous
n’en trouverons sans doute jamais. Je
tremble. Le monde est vraiment bizarre
et mystérieux. Je tiens très fort le chan¬
delier dans mes mains. Les flammes qui
vacillent sous mes yeux me rassurent
pendant un moment.
- Nous nous interrogerons plus tard,
dis-je.
Pour la dernière fois, je contemple les
plaques de marbre et les noms qui y sont
gravés : Albert, Josépha, Oscar. J’apporte
ces noms dans ma tête. Je sais que je ne
les oublierai jamais.
- Dépêchons-nous, marmonne Jean-
Sébastien. J’ai peur d’entendre à nouveau
les clameurs de la foule.
Nous nous éloignons de la pièce en
poussant de profonds soupirs de soula¬
gement. Laffreux chat noir s’est endormi
dans son panier en osier.
Nous ouvrons la porte de chêne et
nous empruntons l’escalier qui conduit
au premier étage. Les marches gémissent
sous nos pas. On dirait que des dizaines
de fantômes déambulent près de nous.
La pâle lumière des chandelles n’arrive
pas à atténuer mon angoisse. Heureuse-
ment, nous arrivons bientôt dans la nef.
Dehors, la nuit est tombée depuis long¬
temps. h église baigne dans une obscu¬
rité totale.
- Sortons vite de cette église, dis-je.
Nos parents doivent être morts d’in¬
quiétude.
- Nous n’aurions jamais dû entrer ici.
- Cessons de parler et fuyons le plus
vite possible.
Je me précipite avec Jean-Sébastien
vers l’imposante porte située au fond de
l’édifice. Je tourne la poignée mais la porte
refuse de s’ouvrir.
- Qu’est-ce qui se passe? demande
Jean-Sébastien en voyant mon air affolé.
- Je n’arrive pas à ouvrir la porte. Le
bedeau l’a probablement verrouillée. Il
craint sans doute que des voleurs ne
dévalisent l’église.
- Mais il n’y a rien à voler ici.
- Tu oublies les ciboires, les ostensoirs
et tous les tableaux qui sont accrochés
aux murs.
- Ah! oui, c’est vrai. Tout cela doit
valoir une fortune.
Jean-Sébastien jette un regard anxieux
autour de lui.
- Comment allons-nous faire pour
sortir? demande-t-il dune voix inquiète.
- Essayons de trouver une autre is¬
sue. Viens! Suis-moi!
Nous nous élançons vers les autres
portes. Nous découvrons toutefois
qu’elles sont toutes verrouillées. Qu’al¬
lons-nous faire? Nous n’avons pas du
tout envie de passer la nuit dans cette
église.
J’observe les statues muettes. Brus¬
quement, je m’immobilise. Mes traits se
crispent. Tout mon être se tend comme
un arc.
- Pourquoi fais-tu cette tête-là? de¬
mande Jean-Sébastien.
- On dirait que les statues veulent
nous mettre en garde. J’ai le pressenti¬
ment que nous sommes en danger.
- Cesse de dire des bêtises. Tu as
vraiment trop d’imagination.
- Mais non, ce n’est pas mon imagi¬
nation qui me fait parler. Je t’assure.
- Arrête de me faire peur et viens
plutôt avec moi dans la sacristie. Il y a
peut-être une issue par là.
Quelques instants plus tard, nous en¬
trons dans la sacristie. Une table immense
se dresse au milieu de la pièce. Des ar¬
moires en chêne sont adossées contre les
murs. Les fenêtres sont grillagées. Nous
découvrons avec tristesse qu’il n’y a
aucune autre sortie.
Jean-Sébastien se précipite vers une
armoire située près du lavabo. Il ouvre la
porte. Des ostensoirs, des calices et des
ciboires anciens surgissent devant nos
yeux éblouis.
- Youpi! lance bientôt Jean-Sébastien.
On va pouvoir se mettre quelque chose
sous la dent. Regarde ce que j’ai trouvé.
On dirait du papier troué.
- Ce sont des retailles d’hosties. Papa
en mangeait lorsqu’il était petit.
- Si ton père en mangeait lorsqu’il
était petit, on peut bien faire comme lui.
On n’en mourra pas.
Jean-Sébastien avale gloutonnement
les retailles qui fondent dans sa bouche.
Moi, j’hésite. Je ne sais pas si j’ai vraiment
le droit de manger de ce pain-là.
Plongée dans mes réflexions, je n’ai
pas vu sortir le chat du panier. Horrifiée,
je l’aperçois maintenant sur la table. Il a
renversé la carafe de vin. En ce moment,
il s’apprête à lécher le liquide rouge ren-
versé sur la nappe d’un blanc immaculé.
J’empoigne le chat et je l’éloigne du pré¬
cieux alcool. Je me tourne vers Jean-
Sébastien. Son visage est pétrifié.
- Qu’est-ce qui se passe? dis-je en
touchant son bras.
- Chut! J’entends comme un bruit
de serrure au loin.
- Je te l’ai dit tout à l’heure que nous
étions en danger, mais tu ne m’as pas
crue.
- Ne parle plus chuchote Jean-
Sébastien. Allons plutôt voir ce qui se
passe.
Je souffle sur les chandelles. Nous
voilà plongés dans une noirceur angois¬
sante.
Chapitre 6

Des intrus dans l’église

Silencieusement, nous sortons de la


sacristie. En tâtonnant dans l’obscurité,
nous arrivons bientôt dans le choeur. Le
chat s’est endormi dans son panier en
osier. Un silence oppressant nous enve¬
loppe. Aurions-nous, Jean-Sébastien et
moi, inventé l’existence de ces bruits
troublants? Nos imaginations trop ferti¬
les les auraient-elles créés de toutes piè¬
ces? Serions-nous victimes d’hallucina¬
tions?
- Écoute, s’écrie Jean-Sébastien. On
dirait que cela vient de la porte située
près de l’escalier qui conduit au sous-sol.
- Tu as raison. Quelqu’un essaie d’en¬
trer ici.
- C’est peut-être Adolphe ou le curé.
Je tends l’oreille. Derrière la porte,
l’inconnu s’acharne toujours à faire
tourner la clé dans la serrure. J’avale
difficilement ma salive. Dans quelques
instants, il surgira près de nous. Je me
demande qui cela peut être. Le curé ou
le bedeau n’éprouveraient pas autant de
difficulté à pénétrer dans l’église. D’ail¬
leurs, que viendraient-ils faire ici à une
heure aussi tardive?
- Viens, dis-je. On va aller se cacher
quelque part.
- Où?
- Dans un confessionnal, dis-je après
avoir réfléchi quelques secondes. Person¬
ne ne peut imaginer que quelqu’un puisse
se cacher dans un tel lieu. Allons-y!
Jean-Sébastien court devant moi.
Nous dégringolons les marches du choeur
et nous nous précipitons dans une allée
latérale. Juste comme la porte de l’église
s’entrouvre, nous nous glissons dans le
réduit poussiéreux. Je me blottis dans un
coin. Le confessionnal est plongé dans
l’obscurité. J’écarte délicatement le rideau
de velours qui recouvre la fenêtre. Sou¬
dain, j’aperçois deux inconnus qui mar¬
chent à pas feutrés dans l’allée centrale.
L’un d’eux tient dans ses mains une lampe
de poche qui diffuse une lumière jau¬
nâtre. L’autre porte une boîte en métal
au contenu énigmatique.
— Laisse-moi voir, murmure Jean-
Sébastien.
Je me pousse un peu afin de permet¬
tre à mon ami d’observer la scène qui se
déroule dans l’enceinte de l’église. Au
bout d’un bref moment, Jean-Sébastien
se rassoit dans son coin. Je regagne mon
poste d’observation.
Les deux hommes se rapprochent de
plus en plus de notre confessionnal.
Grâce à la lumière que projette leur lampe
de poche, je peux les examiner plus at¬
tentivement. L’un d’eux est trapu. Une
fine moustache se profile au-dessus de
ses lèvres pulpeuses. Sa mâchoire est car¬
rée. Son nez énorme saille comme un
promontoire au milieu de sa figure. Ses
cheveux longs et crépus retombent lour¬
dement sur ses épaules. Il n’a pas plus de
vingt ans. Son comparse a environ le
même âge. Il est maigre et très grand. Ses
yeux sont perçants. Sa bouche est mince
et ses traits semblent avoir été coupés au
scalpel.
Soudain, l’homme trapu sort un
couteau de son coffre. Mon cœur bondit.
Que veut-il faire avec cette arme qui scin¬
tille dans la pénombre?
Le confessionnal est minuscule et
nauséabond. Autour de nous, cela sent
la poussière et la sueur. Comment l’abbé
Dubois fait-il pour passer des heures dans
ce réduit? Je revois les longs poils qui
sortent de son nez et de ses oreilles.
Pauvre curé! Comment peut-il supporter
de rester prisonnier dans cette cage fétide
qui sent le dessous de pieds.
Les intrus avancent vers nous. Mon
cœur bat la chamade. En ce moment,
j’aimerais me retrouver dans ma vieille
maison de pierre aux plafonds trop bas.
Je voudrais me recroqueviller dans le fau¬
teuil vieux rose du salon. Écouter les
roucoulements de ma tourterelle Aglaé.
Me chamailler avec mon frère Arthur.
Entendre les accords du violon pleur¬
nichard de ma sœur Valérie. Répondre
aux critiques de maman sur ma façon de
m’asseoir. Regarder, avec papa, un vieux
film de Walt Disney qui repasse pour la
vingtième fois à la télé. Tout plutôt que
de sentir la présence de ces hommes au
regard lugubre. À l’extérieur de notre re¬
fuge malodorant, les deux individus ba¬
vardent en pointant du doigt les tableaux.
- Ces toiles-là valent une fortune,
s’exclame l’un d’eux.
- Mettons-nous vite au travail, ré¬
pond son acolyte.
Je regarde les hommes puis, la lame
brillante de leur couteau. Soudain, je
comprends qu’ils sont venus ici pour
s’emparer des toiles. Au bout d’un mo¬
ment, l’un d’eux découpe les contours
d’un tableau. Son comparse jette un re¬
gard craintif autour de lui. On dirait qu’il
se sent espionné. Pendant quelques se¬
condes, il scrute attentivement le con¬
fessionnal où nous nous sommes réfugiés
Jean-Sébastien, le chat et moi. Je crains
qu’il n’ait flairé notre présence. Mais non,
je me trompe. Déjà, il se tourne vers son
compagnon.
- Qu’est-ce que nous allons faire avec
les cadres? demande l’homme trapu.
- Je te l’ai dit tout à l’heure. On les
laisse ici. Les cadres sont beaucoup trop
lourds et ils ne valent pas grand-chose.
Lorsque tu auras terminé ton boulot,
j’enroulerai toutes les toiles. Fais bien
attention de ne pas les abîmer.
- O.K., répond l’homme maigrichon.
Je contemple la scène de vandalisme
avec des yeux agrandis par l’effroi. Autour
de moi, l’air circule à peine. J’étouffe.
L homme nerveux et maigrichon a main¬
tenant découpé toutes les toiles. Il pousse
un grand soupir et se dirige vers l’autel,
où il s’empare d’un crucifix en or serti de
pierres précieuses.
- Sortons vite de l’église, lance l’autre
cambrioleur en refermant bruyamment
son coffre à outils.
Les bras chargés de toiles, les voleurs
se dirigent vers la porte qu’ils ont ouverte
quelques instants auparavant. Juste au
moment où ils atteignent la sortie, le
chat noir pousse un long miaulement
strident qui réveillerait un mort. Les
cambrioleurs s’immobilisent. Ils écoutent
attentivement et cherchent à savoir d’où
proviennent les cris.
- Qu’est-ce que c’est? demande l’un
des voleurs. On dirait qu’il y a quelqu’un
ici.
Mes mains tremblent. J’essaie de re¬
fréner l’angoisse qui m’assaille, mais je
n’y arrive pas. Devant moi, le couteau
des cambrioleurs continue à briller dans
l’obscurité. Je me retiens pour ne pas
hurler. Nul doute possible, ils vont
bientôt nous découvrir et nous faire dis¬
paraître. Nous sommes pris au piège.
Comment allons-nous sortir de cette
impasse?
Les voleurs reviennent sur leurs pas.
Ils avancent vers le confessionnal où nous
nous terrons, Jean-Sébastien et moi. Lo¬
vés dans cette cage minuscule, nous
ressemblons à deux bêtes traquées.
Jean-Sébastien serre le chat contre sa
poitrine. Je jette un regard horrifié à
l’extérieur de notre réduit. Sans pronon¬
cer un seul mot, les malfaiteurs se rap¬
prochent de notre confessionnal. Leurs
pas résonnent dans le silence magistral
de l’église.
Je serre la main de Jean-Sébastien très
fort dans la mienne. Sa peau moite me
fait comprendre à quel point il est terro¬
risé. Le souvenir de la lame brillante du
couteau l’obsède sûrement. Cette lame
doit être terriblement froide pour une
peau nue et sans défense.
Je pense à O’Connor. Je l’appelle du
plus profond de mon être. Oh! si seule¬
ment il pouvait entendre mon appel au
secours.
Les cambrioleurs ne sont plus qu’à
quelques mètres du confessionnal. Je
crois que je vais perdre conscience. Lun
des voleurs vient de poser sa main sur la
poignée de la porte. Nous sommes per¬
dus. Il n’y a plus rien à faire.

58
Chapitre 7

Pris au piège

La porte du confessionnal s’entrouvre.


Les malfaiteurs braquent sur nous la lu¬
mière de leur lampe de poche. Blottis
l’un contre l’autre, nous n’osons plus faire
le moindre geste. Nous sommes pétrifiés.
Des cris d’effroi restent prisonniers à
l’intérieur de nos gorges.
Comment exprimer l’horreur qui
nous envahit? Comment décrire cette
sensation d’être piégés, acculés au pied
du mur?
Aveuglée par le faisceau lumineux, je
réussis toutefois à entrevoir les traits d’un
homme costaud, au nez protubérant et
aux lèvres charnues. Il se tourne vers
son compagnon et s’écrie :
- Qu’est-ce qu’ils font ici?
-Je ne sais pas, répond son com¬
parse aux yeux perçants et au corps
squelettique.
- J’avais raison de me sentir espionné,
continue l’autre voleur à la forte corpu¬
lence.
Le chat noir pousse des miaulements
sauvages qui retentissent dans l’église si¬
lencieuse. Il examine d’un oeil féroce nos
assaillants. Le combat sanglant qu’il a
mené contre le rat semble vouloir resur¬
gir dans sa mémoire. Il arrondit le dos et
s’apprête à bondir sur les intrus.
- C’est son cri perçant qui nous a
alertés, s’exclame l’homme maigrichon
en pointant du doigt la bête.
- Remets-le dans son panier, ordonne
son partenaire. Je n’aime pas les chats,
surtout les chats noirs.
Lhomme squelettique empoigne l’ani¬
mal. Le félin sort ses griffes et, d’un coup
de patte, il lacère le bras du bandit qui
pousse un cri de douleur et laisse tom¬
ber son couteau.
Le chat se libère de son assaillant. Il
saute prestement sur le sol et s’enfuit à
toute vitesse dans l’allée. Hébétés, les
malfaiteurs fixent avec des yeux égarés
le fuyard qui disparaît bientôt dans
l’obscurité. Jean-Sébastien profite de cet
instant d’inattention pour s’emparer de
l’arme et la dissimuler dans la poche de
son pantalon.
Il faut vite nous évader. Nous n’avons
plus de temps à perdre. Je regarde Jean-
Sébastien en essayant de lui communi¬
quer mon intention. Il me jette un regard
complice. Il semble m’avoir comprise.
D’un même élan, nous bondissons hors
du confessionnal et nous nous précipi¬
tons dans l’allée.
- Rattrapons-les, tonne l’un des vo¬
leurs.
- Ils ne doivent surtout pas nous
échapper, renchérit l’autre.
Les voix des malfaiteurs résonnent
dans l’église déserte. Nous fonçons, Jean-
Sébastien et moi, vers la porte par laquelle
les cambrioleurs sont entrés. Mon cœur
galope dans ma poitrine. On dirait un
cheval fou.
Devant moi, Jean-Sébastien file
comme une flèche. Le corps souple et
félin de mon compagnon déchire l’es¬
pace. Au bout de l’allée, je sens soudain
une main virile s’agripper à ma gorge.
Cette fois-ci, je suis sûre que cette main
n’a rien de fantomatique ni de surnatu¬
rel. La douleur me fige sur place.
- Où vas-tu comme cela, petite? de¬
mande mon assaillant d’une voix reten¬
tissante. Tu n’espères tout de même pas
que je vais te laisser partir. Je n’ai pas du
tout envie que tu ailles nous dénoncer à
la police.
Le cambrioleur me serre violemment
les poignets. La douleur qui m’accable
est insupportable. Jean-Sébastien pousse
un long cri plaintif. Il vient tout juste
d’être capturé par l’autre bandit. Il se
tortille entre les bras puissants de son
adversaire. On dirait un poisson empri¬
sonné dans un filet.
- Lâchez-moi! vocifère-t-il. Lâchez-
moi!
Le voleur se moque des supplications
de Jean-Sébastien. Il resserre davantage
son étreinte.
- Il faut les ligoter, dit-il, sinon ils
s’évaderont à nouveau.
- Ouais! répond son compagnon. Fi-
celons-les comme des saucissons, puis
enfermons-les dans un endroit d’où ils
ne pourront plus s’enfuir.
I! homme au regard perçant sort de
son coffre à outils deux vieilles cordes
effilochées. Il ligote Jean-Sébastien puis
il se tourne vers moi et s’écrie d’un air
sadique :
- C’est maintenant ton tour, fillette.
Tandis qu’il m’attache les poignets, je
me débats avec frénésie.
- Où allons-nous les séquestrer? de¬
mande le colosse.
- Il y a une crypte dans le sous-sol,
répond le maigrichon. C’est un endroit
rêvé pour enfermer ces petits importuns.
U autre brigand esquisse un sourire
cruel, puis il éclate d’un rire satanique.
- Cela ne me dérange pas qu’ils nous
dénoncent aux morts, s’exclame-t-il.
Je frémis. Nous voilà désormais pri¬
sonniers de ces truands sans scrupule.
La pensée d’être enfermée dans la crypte
m’horrifie. Je jette un regard impuissant
à Jean-Sébastien qui a cessé de se débat¬
tre. Mon ami semble aussi effrayé que
moi.
- Et maintenant, au sous-sol! or-
donne l’homme costaud. Dépêchons!
Bousculés par les bandits, nous dé¬
gringolons l’escalier en bois. La lampe de
poche éclaire notre parcours. Le colosse
me pousse dans le dos. Il sent l’ail. Son
haleine putride me soulève le cœur.
Nous arrivons bientôt dans le sous-
sol humide. J’aperçois les bancs alignés
contre les murs. Je me laisse envahir par
l’odeur d’encens qui flotte dans la grande
salle. Le géant se tourne vers son compa¬
gnon.
- La crypte est juste derrière cette
porte, lance-t-il. Ouvrons-la et débarras¬
sons-nous au plus vite de ces garnements.
Je sens de douloureuses contractions
à l’estcmac. Mes jambes flageolent. Nous
pénétrons dans la crypte faiblement
éclairée par la lumière des lampions.
Brutalement, les forbans nous jettent sur
le sol glacial. Je n’ai jamais été bousculée
et violentée de ma vie. Les manières de
ces brutes m’indignent. J’ai l’impression
que mon corps ne m’appartient plus. Il
est devenu une chose que l’on manipule.
Un objet insignifiant ballotté entre des
mains sans pitié. Physiquement, je suis
anéantie. Toutefois, une énergie extraor-
dinaire continue d’alimenter mon cer¬
veau. Mon esprit est souverain. Jamais
on ne pourra le ligoter et l’asservir. Je
jette aux malfaiteurs un regard rempli de
défi.
- Laissons-les pourrir ici, lance
l’homme costaud.
La peur me transit. Les criminels
s’éloignent et la porte se referme
bruyamment. Un cliquetis de clés ré¬
sonne dans la serrure, puis un lourd si¬
lence s’abat sur nous.
Chapitre 8
La porte secrète

La lueur des lampions projette des


formes étranges sur les murs. Le visage
de Jean-Sébastien exprime une angoisse
intense.
- Ils ont verrouillé la porte de l’exté¬
rieur, marmonne-t-il. Comment se fait-il
qu’ils aient en leur possession toutes les
clés de l’église?
- Quelqu’un leur a peut-être donné
le trousseau du curé.
- Comment allons-nous sortir d’ici?
lance Jean-Sébastien d’un ton désespéré.
Mes lèvres restent closes. J’essaie de
trouver une solution. Toutefois mes pen-
sées demeurent confuses. Je regarde les
plaques sur lesquelles sont gravés les
noms des défunts. Je frémis de tous mes
membres.
Je regrette tellement d’être entrée dans
cette église. Pourquoi suis-je aussi cu¬
rieuse et aussi téméraire? J’aurais pu re¬
tourner à la maison après notre visite
chez O’Connor. Mais non! Il fallait abso¬
lument que je visite la crypte. Il n’y a pas
plus entêtée que moi. «Ta curiosité et
ton entêtement te perdront», répète sou¬
vent mon père.
Je tourne des yeux larmoyants vers
Jean-Sébastien.
- Je n’aurais pas dû t’entraîner dans
cette aventure, dis-je d’une voix éteinte.
- Ce n’est pas le moment de te tour¬
menter avec des regrets et des remords,
rétorque mon ami.
Jean-Sébastien n’a pas tort. Je ne vais
quand même pas me torturer inutile¬
ment. La culpabilité ne sert à rien. Le
passé est passé. On ne peut refaire ce qui
a été fait.
Je ferme les yeux. Je me vois encore
dans le chalet d’O’Connor. Par la fenêtre
ouverte, j’aperçois les voiliers qui voguent

61
sur le fleuve. On dirait de grands oiseaux
multicolores aux ailes déployées.
Lara marche sur la grève. Sa longue
chevelure rousse flotte au vent. Mon amie
prophétesse tourne un visage rayonnant
vers moi et me lance : «N’aie pas peur,
Sophie. Il y a une solution à tout. Mais ce
n’est pas en gardant les yeux fermés que
tu la trouveras.»
J’ouvre les paupières et je fixe Jean-
Sébastien assis sur le sol.
- À quoi penses-tu? demande-t-il.
- À Lara. J’aimerais savoir pourquoi
je pense toujours à elle lorsque je suis en
danger. Lara est peut-être mon ange
gardien. Qui sait?
- Ton amie est trop mystérieuse pour
moi. J’éprouve de la difficulté à com¬
prendre les filles, mais avec Lara c’est
encore pire.
Jean-Sébastien est tellement terre à
terre. C’est normal que la personnalité
complexe de mon amie le déconcerte.
- Si seulement je pouvais attraper le
couteau que j’ai glissé dans ma poche,
grogne mon compagnon.
- Attends! Je vais t’aider.
Je rampe vers Jean-Sébastien. Après
plusieurs tentatives, je réussis à m’empa¬
rer de l’objet. Je le tiens fermement tan¬
dis que mon ami tend vers moi ses mains
liées. Il frotte énergiquement la corde sur
la lame acérée du couteau. Au bout de
maints efforts, j’entends un profond
soupir de soulagement. Jean-Sébastien a
réussi à couper ses liens. Il me libère et
m’enlace tendrement.
- Nous devons sortir d’ici, dis-je en
me blottissant dans ses bras. Il faut dé¬
foncer la porte.
— Oui, mais comment?
- Dans la pièce aux statues, il y a des
outils qui peuvent nous être utiles. Re¬
tournons là-bas!
- Tu n’as quand même pas envie de
ramper à nouveau dans ce conduit
dégueulasse rempli de toiles d’araignées.
- As-tu une meilleure solution?
- Non, mais je n’ai pas du tout envie
de me glisser une fois de plus dans ce
passage infect, répond Jean-Sébastien.
Brusquement, au moment où nous
nous y attendions le moins, de nouvelles
clameurs se font entendre. Le visage de
Jean-Sébastien devient livide. Ses traits
se crispent. Sa bouche s’entrouvre comme
celle d’un poisson qui viendrait de se
cogner contre la vitre d’un aquarium.
- Ah non! lance-t-il d’une voix terri¬
fiée. Cela recommence. J’ai l’impression
de vivre un cauchemar...
- Moi aussi.
- Sommes-nous en train de devenir
fous?
- Je ne pense pas. Les voix me sem¬
blent bien réelles.
- Je ne comprends pas ce qui se passe
ici, marmonne Jean-Sébastien. Il doit
pourtant y avoir une explication ration¬
nelle à ce phénomène. Mon père répète
toujours qu’on peut tout expliquer d’une
manière scientifique. J’aimerais bien qu’il
soit ici en ce moment. Je suis sûr qu’il
trouverait une réponse à cette énigme.
Les clameurs sont de plus en plus
puissantes. Jean-Sébastien me regarde
d’un air halluciné. Il panique.
- Sortons d’ici, murmure-t-il. Allons
dans la pièce aux statues. Là-bas, nous
serons à l’abri de ces voix troublantes.
C’est étrange, mais je ne partage plus
l’angoisse de Jean-Sébastien. Je ne suis
plus du tout effrayée. Ma peur s’est éva¬
nouie comme par enchantement.
J’éprouve même une curiosité inexplica¬
ble. Je tends une oreille attentive. J’essaie
de déchiffrer les mots qui montent vers
moi.
- Vite Sophie! lance Jean-Sébastien.
Entre dans le conduit. Je ne peux plus
supporter ce tumulte d’outre-tombe.
- Attends une minute. J’aimerais
rester ici encore pendant quelques ins¬
tants. J’aimerais comprendre ce que di¬
sent ces voix. Tout cela commence à me
fasciner.
- Tu es folle! rétorque mon compa¬
gnon. Folle à lier! Allez cesse de faire
l’idiote et suis-moi. Je ne veux pas rester
une seconde de plus dans cette pièce
infernale.
Cédant aux appels effarés de mon
ami, j’étouffe ma curiosité et la fascina¬
tion qu’exercent sur moi les clameurs. Je
pénètre dans le conduit. Jean-Sébastien
me suit. Je l’entends haleter bruyamment.
Je rampe dans le passage exigu. Nous
nous enfonçons dans un monde de ténè¬
bres. Un monde terrifiant qui me fait
regretter la crypte que nous venons juste
de quitter.
J’éprouve un vif soulagement lorsque
nous arrivons enfin à l’extrémité du pas¬
sage. Dès qu’il entre dans la pièce, Jean-
Sébastien fait craquer une allumette. Des
statues inquiétantes se dressent dans la
lumière chancelante. J’ai la vague im¬
pression qu’elles attendaient impatiem¬
ment notre retour. Le bienheureux, qui
tient à la main un long bâton en or semble
même esquisser un sourire de bienvenue.
Jean-Sébastien se précipite sur une
pelle adossée au mur, tandis que je fais
craquer une autre allumette.
- Je vais tenter de forcer cette maudite
porte avec la pelle, hurle-t-il d’une voix
hystérique. Eclaire-moi.
- Ne panique pas, Jean-Sébastien, dis-
je d’un ton paisible et enveloppant.
- Comment peux-tu rester aussi
calme?
J’examine les statues immobiles dans
la pénombre. C’est étrange, mais elles ne
me font plus peur. Je ne sais pas comment
expliquer ma réaction. Je me sens apai¬
sée. Lau-delà ne m’effraie plus. J’ai l’im¬
pression d’avoir entrouvert à l’intérieur
de moi, une porte secrète. Une porte qui
donne sur un monde inconnu, situé hors
du temps et de l’espace. Je sens, au plus
profond de moi, que le danger est passé.
Jean-Sébastien s’acharne sur la porte
en chêne. Au bout d’un long moment,
elle finit par céder. Mon ami l’ouvre d’un
geste triomphant.
- Viens! clame Jean-Sébastien. Viens!
Sortons vite!
Nous avançons à tâtons vers l’escalier
conduisant au rez-de-chaussée.
Chapitre 9

Alerte générale

Remontée dans le chœur de l’église,


je m’empare d’un chandelier qui trône
sur l’autel. Nous nous laissons guider
par la lumière des cierges pour rejoindre
la porte par où les voleurs sont entrés.
- Ils l’ont fermée à clé, maugrée Jean-
Sébastien.
Je brandis le lourd chandelier en or
massif au-dessus de mes bras. J’aperçois
les cadres éparpillés sur le plancher en
marbre. Une violente colère m’envahit.
- Il faut absolument signaler notre
présence aux gens de l’extérieur, dis-je.
- Mais comment va-t-on faire? Tou-
tes les portes sont fermées et il n’y a pas
de téléphone ici.
- Il faut faire quelque chose de spec¬
taculaire qui attirera l’attention des villa¬
geois.
- Oui, mais quoi? As-tu une idée?
- On pourrait, par exemple, allumer
tous les lustres. Il doit y avoir quelqu’un
au village qui ne dort pas. Il trouvera
anormal que l’église soit éclairée à une
heure aussi tardive et il ira avertir le curé.
- Ton idée a de l’allure. Mais com¬
ment vas-tu allumer l’église?
- Tout à l’heure, j’ai vu un panneau
de commande dans la sacristie.
- Brillant, très brillant comme idée,
s’exclame Jean-Sébastien de sa voix che¬
vrotante. Je dirais même que ton idée est
lumineuse.
Nous nous dirigeons vers l’autel que
nous contournons. Sur le mur, nous dé¬
couvrons bientôt une boîte rectangulaire.
Juste avant d’appuyer sur les boutons,
j’hésite. La peur s’empare de moi. Est-ce
la bonne boîte? Si je me trompais, quel¬
que chose de terrible pourrait se pro¬
duire. J’écoute ma petite voix intérieure.
Elle me pousse à agir. J’enfonce tous les
boutons du panneau. Brusquement, la
sacristie s’illumine. Jean-Sébastien dépose
le panier et le chat sur la table, puis il
applaudit bruyamment.
- Bravo! lance-t-il. Bravo!
- Maintenant, allons voir si nous
avons réussi à éclairer les autres parties
de l’église.
- D’accord.
Nous sortons de la sacristie et nous
entrons dans le chœur. Devant l’autel,
un spectacle féerique nous éblouit.
I!église scintille de mille feux. On se croi¬
rait dans un vaisseau gigantesque vo¬
guant sur un océan calme. Au plafond,
des centaines d’étoiles dorées brillent
dans un ciel d’azur.
Nous baignons dans une lumière
rayonnante. Après tout ce temps passé
dans la pénombre, j’ai le sentiment de
m’aventurer dans un monde merveilleux.
Un monde éclatant. Un monde où la
clarté nous aveugle.
Une joie intense me soulève. Je pense
à papa qui a toujours adoré les feux
d’artifice et la lumière. Je cours dans l’allée
en chantant. En ce moment, je ne crains
plus ni les morts, ni les sépultures, ni les
cambrioleurs, ni les longs couteaux qui
brillent dans la pénombre. Je ne crains
plus rien. J’exulte.
- C’est magnifique, dis-je.
- Ouais! On se croirait dans un ba¬
teau de croisière comme on en voit sur le
fleuve au mois de juillet ou d’août.
- Les bateaux vont toujours quelque
part. Je ne sais pas où nous mènera celui-
ci.
- Les églises sont bien ancrées dans
le sol, fait remarquer Jean-Sébastien. Je
pense qu’on n’ira pas bien loin.
- Je m’en fous. Je n’ai plus peur. Je
suis sûre que cette lumière nous libérera
de tout ce qui est dangereux et oppres¬
sant.
- Ne parle pas trop vite, Sophie. On
ne sait jamais. Adolphe est peut-être tapi
dans l’ombre.
- Tu as, toi aussi, une imagination
trop féconde.
- Je ne sais pas, fait Jean-Sébastien en
me prenant pas la taille et en m’embras¬
sant fougueusement. Je sais seulement
que je t’aime, Sophie. Je t’aime pour tes
idées folles, pour ta tête de cochon, pour
ton courage, pour ton joli visage et pour
tes longues jambes.
Je souris à Jean-Sébastien. Ses paroles
m’ensorcellent. C’est fou comme je peux
avoir besoin de compliments. Besoin de
paroles de tendresse. Les mots d’amour
m’envoûtent, me grandissent. J’ai l’im¬
pression, grâce à eux, de défoncer le ciel
et d’atteindre les étoiles.
Dans cette église illuminée de mille
feux étincelants, je perds peu à peu toute
notion du temps. Je me blottis contre le
corps souple de Jean-Sébastien. Je respire
son odeur et je bascule dans une sorte de
paradis situé hors du temps et de l’espace.
Je n’ai que treize ans, mais déjà je
sens que la vie est pleine d’ombres et de
lumières. Pleine de souffrances et de joies.
Pleine de contradictions et d’oppositions.
Tout à l’heure, dans les catacombes, j’étais
si près de la mort. Et maintenant, me
voilà projetée dans un grand courant
d’énergie. Un courant si fort, si puissant
qu’il m’en donne le vertige. C’est fou,
mais j’ai même envie de pleurer tellement
je sens la vie et le désir vibrer en moi.
C’est si bon de se sentir vivante.
D’étreindre le présent dans ses mains. De
palper et de caresser la joue du garçon
que l’on aime. De sentir sa présence,
chaude et réconfortante.
Je ne sais pas si tous les êtres sont
aussi excessifs que moi. Je n’ai que treize
ans. Je commence seulement à découvrir
le monde et à me révéler à moi-même.
Ce n’est pas facile d’avoir une sensibilité
comme la mienne. Mais je ne crois pas
que je voudrais changer. Je n’ai pas envie
de demi-teintes. Pas envie d’une vie fade,
tiède et insipide. Je veux explorer les
extrêmes. Pleurer. Crier. Rire. Tendre les
mains vers la lumière. Descendre vers les
ténèbres puis remonter jusqu’au soleil.
- Je pense que personne n’a vu que
l’église était illuminée, dis-je au bout d’un
long moment. Il faut trouver une autre
solution. Si l’on faisait de la musique.
Une musique si forte, si éclatante qu’elle
réveillerait même les morts.
Je regarde l’orgue qui se dresse en
haut du jubé.
- Où vas-tu? demande Jean-Sébastien
en courant derrière moi.
- Je vais jouer de l’orgue.
- Mais tu es folle. Comment peux-tu
penser à faire de la musique en un mo¬
ment pareil?
- Justement, il n’y a pas de meilleur
moment. On nous entendra sûrement à
l’extérieur. Je ne suis pas une virtuose,
mais je me débrouille très bien.
Nous escaladons les escaliers et nous
arrivons bientôt au jubé. J’enfonce les
pédales de l’orgue tout en appuyant en
même temps sur les touches du clavier.
Une musique solennelle retentit bientôt
dans toute l’église. Assise sur un banc de
bois, je joue sans me lasser. Jean-
Sébastien est près de moi. Des sons gra¬
ves et pénétrants s’élèvent autour de
nous. Je ne vois plus le temps passer.
J’oublie que des voleurs viennent de cam¬
brioler les tableaux. J’oublie même que
nous sommes emprisonnés dans cette
église immense.
Mon imagination s’enflamme sous
l’effet enivrant de la musique. Je rêve que
Jean-Sébastien est devenu un ange. Il
m’entoure les épaules avec ses longues
ailes blanches. Il m’entraîne avec lui dans
un grand tourbillon de poésie. Nous
flottons dans un univers où la beauté
règne en maître. Un univers rempli de
musique et de lumière.
- Arrête de jouer, s’exclame Jean-
Sébastien. Tu me casses les oreilles. Je
n’ai jamais entendu quelqu’un jouer aussi
mal de l’orgue. D’ailleurs, ce que tu fais
ne sert à rien. Personne ne t’a entendue,
sauf moi.
Jean-Sébastien est un champion dans
l’art de me faire retomber dans la réalité.
Je n’aime pas le voir défaire mes rêves
comme s’il s’agissait de vulgaires châ¬
teaux de cartes.
Je reluque ma montre-bracelet. Jean-
Sébastien a raison. Nous avons allumé
les lustres à minuit et il va bientôt être
minuit et demi. Qu’allons-nous faire? Il
faut à tout prix que nous trouvions une
autre solution. Je me creuse la tête afin
de faire surgir une autre idée.
- C’est normal que l’on n’ait pas en¬
tendu l’orgue, mais si nous faisons son¬
ner les cloches, quelqu’un nous enten¬
dra sûrement, dis-je. Le curé ne pourra
plus continuer à dormir si toutes les clo¬
ches retentissent en même temps.
- Ouais, lance Jean-Sébastien. Mais
où peut-on faire sonner les cloches?
- Tu en as de drôles de questions. Où
peut-on faire sonner les cloches ailleurs
que dans le clocher? On n’a qu’à remon-
ter là-haut. Viens! Suis-moi.
Pour la seconde fois, nous grimpons
dans le clocher. Nous arrivons sur la
plate-forme entourée d’un garde-fou.
I! orage est passé et le ciel est maintenant
rempli d’étoiles scintillantes. La lune est
pleine. Elle répand une lumière blanche
et froide autour de nous.
Notre village semble tout à fait en¬
dormi. Pelotonné sur lui-même, il res¬
semble à un gros chat inconscient de
tout. Les lumières pâlottes des réverbères
jettent une clarté diffuse sur les maisons
entourées de galeries.
Une brise tiède nous effleure. Des
odeurs de fleurs sauvages et de foin coupé
nous rappellent la présence d’une terre
chaude et parfumée. Les effluves qui
montent vers moi me donnent des ailes.
J’oublie les parfums d’encens et de
poussière qui nous ont poursuivis dans
l’église. Ces odeurs trop sacrées et trop
lourdes s’évanouissent comme par en¬
chantement.
- Allons-y, dis-je à Jean-Sébastien.
Nous allons essayer de réveiller tous les
habitants de notre village.
- Si l’on réussit à en réveiller quel-
ques-uns, ce sera déjà pas mal.
- Moi, je veux qu’ils s’éveillent tous
sans exception. Tu vas voir, nous allons
faire un remue-ménage du tonnerre. On
parlera de nous dans vingt ans. Nous
entrerons dans la légende.
Chez nous, ce n’est pas bien difficile
d’entrer dans la légende. Ici, les habitants
transforment la moindre anecdote en
épopée. Et si quelqu’un a le bonheur ou
le malheur d’être mêlé à cette anecdote,
il est sûr de devenir célèbre pour long¬
temps.
- Les gens du village aiment le
grandiose, dis-je à mon ami. Avec nous,
ils vont être comblés. Les cloches vont
retentir tellement fort que même les va¬
ches dans les champs vont attraper la
danse de Saint-Guy.
- Le curé va être en colère, mar¬
monne Jean-Sébastien d’une voix pleine
d’appréhension.
- Au contraire, le curé va être en¬
chanté. Si nous agissons vite, les policiers
vont peut-être rattraper les voleurs.
Jean-Sébastien essaie de faire balancer
une cloche avec ses mains. L’imposante
masse en bronze reste immobile.
- On n’y arrivera jamais, hurle-t-il.
— Regarde. Il y a une corde qui sem¬
ble plonger jusqu’en bas. Elle sert sans
doute à faire sonner les cloches. Redes¬
cendons.
Nous nous précipitons au rez-de-
chaussée. Dans un des portiques, nous
apercevons une corde qui descend du
plafond. De tout notre poids, nous nous
suspendons au cordage. Bientôt, nous
nous sentons soulevés au-dessus du sol.
L’impression est étrange. Au bout de
quelques instants, nous atterrissons à
nouveau sur le plancher. Avec nos pieds,
nous donnons des poussées violentes qui
nous font rebondir dans les airs. Ce
balancement énergique entre ciel et terre
me remplit de joie.
- Je vole, s’écrie Jean-Sébastien. J’ai
une peur bleue.
- Pourvu que ta peur ne devienne
pas rouge, ça ira.
- Comment fais-tu pour blaguer dans
un moment pareil?
- Je ne sais pas. Je suppose que le fait
d’avoir peur me donne parfois de l’hu¬
mour.
Nous entendons bientôt les cloches
carillonner. Faiblement d’abord, puis avec
de plus en plus de force et d’éclat. Dans
le village endormi, les maisons doivent
s’illuminer peu à peu. Les villageois ré¬
veillés par le carillon joyeux délaissent
leur lit douillet.
En ce moment, mon père et ma mère
regardent probablement l’église tout illu¬
minée par la fenêtre de leur chambre.
S’imaginent-ils que je suis l’auteur de ce
carillonnement nocturne? Je ne le crois
pas. Pourtant, ils devraient savoir que je
suis capable de tout. Je suis sûre, en tout
cas, que Douglas O’Connor n’a eu aucun
mal à deviner notre présence ici. L’an¬
cien matelot sait depuis longtemps que
je suis prête à bien des choses pour me
sortir d’une situation pénible.
- J’ai le vertige et mes mains sont
pleines d’ampoules, clameJean-Sébastien
d’une voix plaintive.
- Je crois que nous avons suffisam¬
ment ameuté le village. Ouais! on va
arrêter.
Nous essayons d’interrompre notre
va-et-vient. Mais nous sommes emportés
par le mouvement des cloches.
- Lâche la corde, dis-je.
N’écoutant que son courage, mon ami
saute. Il atterrit lourdement sur le sol en
poussant des petits cris de stupeur. Je
l’imite et je me retrouve aussitôt près de
son grand corps tremblotant. Jean-
Sébastien m’embrasse passionnément.
Lorsque nous venons de relever un défi,
mon ami semble toujours rempli d’une
fougue intarissable. Je ne sais pas pour¬
quoi.
Épuisée, je me relève. J’espère seule¬
ment qu’après tous ces efforts, quelqu’un
viendra à notre secours. Soudain, je vois
apparaître la silhouette inquiétante du
chat noir. Je frémis. Le retour de cet
animal ne présage rien de bon.
Chapitre 10

Le retour d’Adolphe

Nous entrons dans le chœur quel¬


ques minutes plus tard. Bientôt, nous
entendons un bruit de clé dans une des
portes situées à distance.
- J’espère que ce ne sont pas encore
les bandits, chuchote Jean-Sébastien.
- Ne dis pas de sottises. Les cambrio¬
leurs ne reviennent jamais sur les lieux
du crime. Ce doit être le curé.
Brusquement, la porte s’ouvre avec
fracas. À mon grand étonnement, j’aper¬
çois Adolphe. J’ai envie de hurler d’ef¬
froi.
- Cachons-nous, dis-je à Jean-
Sébastien. Adolphe vient d’entrer. J’es¬
père qu’il ne nous a pas aperçus.
Nous nous dissimulons sous un banc.
Nous n’osons plus faire le moindre
mouvement. La peur nous paralyse. Jean-
Sébastien tremble de tout son corps. Le
chat jette vers nous un regard insondable.
Ses dents minuscules scintillent dans la
lumière. Il déplie son corps souple et
bondit dans l’allée en poussant de longs
miaulements plaintifs. Il s’élance en di¬
rection de l’homme au visage terrifiant.
Maudit chat! Faux jeton! Bête sournoise!
Traître! Abruti! Jamais nous n’aurions
dû l’amener avec nous. C’est vrai que les
chats noirs portent malheur.
Le chat zigzague dans l’allée centrale.
Il court comme un fou. Son comporte¬
ment m’enrage. Il se dirige ensuite tout
droit vers le bedeau. Cet homme est si
louche. Je me demande pourquoi le curé
a engagé un tel individu pour travailler
dans son église. Cette question me trotte
dans la tête.
Décidément, le regard fuyant et la
physionomie lugubre d’Adolphe me dé¬
plaisent au plus haut point. Je me de¬
mande s’il ne serait pas de connivence
avec les cambrioleurs. Mais non! C’est
impossible. Absurde même. Un bedeau,
normalement, ne s’associe pas avec des
voleurs d’objets sacrés. Mon imagination
est trop fertile. J’invente toujours des
scénarios invraisemblables. Pourtant,
même si j’essaie de me raisonner, je ne
parviens pas à m’enlever de la tête que ce
bedeau n’est pas innocent.
Le chat vient frôler le pantalon de
l’homme à la canne. Celui-ci découvre sa
présence. Le chat pousse un long
miaulement perçant, puis il s’éloigne de
l’homme habillé de noir. Vite comme
l’éclair, il file vers nous. On dirait qu’il
veut absolument que le nouvel arrivant
nous repère. Je tressaute. Je sais que nous
sommes pris au piège. D’un instant à
l’autre, le bedeau va nous attraper.
Je ne me trompais pas. Au bout de
quelques instants, l’affreux personnage
fonce vers nous.
- Petits sacripants, lance-t-il. Sortez
de là. Je vous ai reconnus. Vous étiez
dans l’église cet après-midi. J’ai même
été dans le clocher en m’imaginant que
vous seriez-là. Je me suis esquinté à
monter toutes ces marches pour vous
ordonner de déguerpir immédiatement.
Vous n’avez pas honte de donner autant
de tracas à un pauvre bedeau vieillis¬
sant?
Adolphe jette un regard furtif autour
de lui. Il n’a pas du tout l’air surpris de
voir les cadres qui jonchent le sol. Il ne
semble aucunement scandalisé ni en co¬
lère. Sans crier gare, il lève vers nous sa
canne sombre. Nous tremblons de peur.
Juste au moment où nous allons pous¬
ser des cris d’effroi, nous apercevons la
silhouette imposante de Douglas
O’Connor. Près de lui, Odin jappe en
laissant traîner sa longue queue rousse
entre ses jambes. O’Connor, prestement,
s’empare de la canne vengeresse qu'Adol¬
phe s’apprête à abaisser sur nous.
- Arrêtez, crie-t-il au bedeau. Vous
n’allez quand même pas violenter ces
pauvres enfants. Avez-vous perdu la tête?
- Regardez ce que ces garnements ont
fait, s’exclame Adolphe. Ils ont saccagé
l’église. Ils ont volé tous les tableaux.
- Allez raconter cela à d’autres, rétor¬
que O’Connor. Il n’y a pas plus honnêtes
que Sophie et Jean-Sébastien.
Bouleversé par la présence de notre
sauveur, Adolphe déguerpit en prétextant
qu’il va avertir la police. Je le regarde
s’éloigner d’un pas craintif. Je me de¬
mande pourquoi O’Connor l’effraie
autant. Sent-il que notre vieil ami a le
pouvoir de détecter les traîtres et les
imposteurs?
Je m’élance dans les bras d’O’Connor.
Je m’empresse de lui raconter le drame
que nous venons de vivre.
- On a vu les voleurs, dis-je d’une
voix bouleversée. Ils nous ont attrapés et
enfermés dans la crypte.
- Mes pauvres enfants, s’exclame
O’Connor. En entendant les cloches
sonner, j’ai eu l’intuition que vous étiez
en danger. Après votre départ, j’ai pensé
que Sophie mijotait quelque chose dans
sa petite tête d’aventurière. Je n’ignorais
pas qu’elle avait été impressionnée par
l’histoire des catacombes romaines. Je la
connais bien. J’étais même à peu près
certain qu’elle irait visiter le sous-sol de
cette église. Je ne me trompais pas.
- Et pourquoi n’êtes-vous pas parti
tout de suite à notre recherche? demande
Jean-Sébastien.
- À mon avis, il n’y a pas de mal à
avoir l’esprit aventurier. Il n’y a pas de loi
qui interdise la visite des cryptes. Je vou¬
lais que vous viviez seuls votre épopée.
Je ne pouvais imaginer que cela vous
entraînerait aussi loin.
- Nous non plus, dis-je en me blot¬
tissant dans les bras de notre vieil ami.
On ne savait pas qu’on serait pris au
piège dans l’église et qu’on serait témoins
d’un vol.
Douglas O’Connor examine attenti¬
vement les cadres vides éparpillés dans
l’enceinte de l’église.
- Mes pauvres amis, dit-il d’une voix
enveloppante. Vous avez dû avoir terri¬
blement peur.
- Oh! oui, répond Jean-Sébastien.
Surtout lorsque le chat a miaulé et que
les cambrioleurs ont ouvert la porte du
confessionnal.
- Moi, ce qui m’a fait le plus peur,
dis-je, c’est ce qui s’est passé dans le sous-
sol. Tu ne devineras jamais, O’Connor.
Personne d’autre que toi ne nous croirait.
Je décris à O’Connor ce qui nous est
arrivé dans la crypte. Je lui raconte
comment nous avons été stupéfaits
d’entendre des clameurs insolites.
- Comment peut-on expliquer ce
phénomène? dis-je.
- Je ne sais vraiment pas, répond
O’Connor. On ne peut pas répondre à
tout. On ne peut pas tout expliquer.
1! univers est rempli d’énigmes insolu¬
bles. Il s’y passe des phénomènes étran¬
ges. On doit apprendre à vivre avec le
mystère et avec l’inconnu. D’ailleurs, sans
mystère, je crois que la vie serait bien
monotone et bien fade.
- C’est ce que je crois moi aussi, dis-
je.
O’Connor me soulève au-dessus de
ses bras.
- Dorénavant, dit-il, c’est vous qui
aurez un tas d’histoires à raconter. Lors¬
que vous viendrez au chalet, je devrai
me taire.
- Ah! non, dis-je. J’aime tellement tes
histoires.
- C’est bon. Je vais vous raconter
d’autres aventures. Mais avant, vous allez
me promettre de me faire le récit de tout
ce qui s’est passé dans l’église. Je veux
tout savoir. Absolument tout.
- D’accord, disons-nous en choeur
Jean-Sébastien et moi.
Soudain, les cris stridents d’une si¬
rène déchirent la nuit. Nous nous taisons
et nous examinons la porte devant nous.
Je suis sûre que quelqu’un va l’ouvrir
d’un instant à l’autre. Ce sera peut-être
Adolphe, ce bedeau sinistre. Qui sait?

9i
Chapitre 11
La sortie de l’église

Bientôt des policiers armés surgissent


dans l’église et se dirigent vers nous. Lun
d’eux, un homme de forte carrure, aux
traits sévères, sort son calepin. Il nous
pose, à Jean-Sébastien et à moi, une série
de questions concernant les vandales.
Mon ami et moi tentons de décrire le
plus minutieusement possible les traits
des bandits. Nous parlons de leurs vête¬
ments, de leur physionomie et du timbre
de leur voix. Nous indiquons la cachette
qui nous servait d’observatoire. Nous
essayons de ne rien omettre. Le policier
prend en note toute notre déposition.
- Si jamais on les retrouve, on vous
appellera, lance finalement le policier
d’une voix glaciale. Vous viendrez les
identifier.
Tandis que le policier nous parle,
Douglas O’Connor nous regarde avec son
air paternel et sécurisant. Quand je pense
que j’ai déjà eu peur de lui! Je me gifle¬
rais. Tout cela, c’est du passé mainte¬
nant. Depuis l’hiver dernier, je ne le vois
plus de la même façon. O’Connor s’est
transformé en un homme généreux et
attachant. Il est pour moi plus solide que
le roc. Plus fort que la nature qui se
déchaîne et plus enivrant qu’une fleur
qui pousse au soleil.
O’Connor nous comprend, Jean-
Sébastien et moi. Il sait que nous avons
besoin de nous aventurer au cœur du
mystère et que nous voulons aller au-
delà de nous-mêmes en affrontant le dan¬
ger. Je sais qu’il est là. Qu’il sera toujours
là. Même s’il mourait un jour, O’Connor
ne cessera pas d’exister. Il ne disparaîtra
jamais de nos vies. Il restera planté dans
nos têtes, comme un grand arbre plein
de racines. Un grand arbre immortel que
rien ne pourra abattre. Même pas la mort.
Juste au moment où j’embrasse
O’Connor sur la joue, un homme s’ap¬
proche de nous. Je reconnais le curé de
notre village à son regard pacifique et à
ses traits remplis de douceur. Je souris
en apercevant les poils folâtres qui sor¬
tent de ses oreilles en choux-fleurs et de
son nez aquilin.
- Je viens de croiser les policiers, dit-
il en s’adressant à Jean-Sébastien et à
moi. Il m’ont raconté ce qui s’est passé.
Je vous félicite d’avoir fait sonner les
cloches. Grâce à vous, les policiers ont
des chances d’attraper les voleurs. On ne
sait jamais, ces derniers rôdent peut-être
encore aux alentours.
J’aime notre curé aux cheveux gri¬
sonnants, aux yeux d’un bleu clair et au
visage rayonnant de lumière. C’est un
peu grâce à lui si O’Connor a été réhabi¬
lité aux yeux des villageois. Je n’oublierai
jamais la fête qu’il a organisée en son
honneur pour le remercier de nous avoir
abrités dans la tempête, Jean-Sébastien
et moi. Ce curé-là est vraiment un chic
type. Je ne pourrais en dire autant
d’Adolphe qui vient de surgir à nouveau
dans l’église. Décidément, sa tête de hi-
bou ne me revient pas.
- Allez! s’exclame O’Connor en se
tournant vers Jean-Sébastien et moi. Il
serait temps de sortir d’ici.
- Les enfants ont peut-être tellement
aimé l’église qu’ils veulent y vivre tou¬
jours, lance le curé d’un ton moqueur.
- Ah non!, rétorque Jean-Sébastien.
J’ai envie de respirer autre chose que
l’odeur de l’encens.
- Et nous voudrions connaître
d’autres aventures. Je suis un peu fati¬
guée d’espionner les voleurs et de faire
sonner les cloches, dis-je.
- Sophie a une âme d’aventurière, af¬
firme O’Connor, mais je crois qu’elle ne
voudrait pas revivre deux fois la même
aventure.
- C’est exact, dis-je.
Avec O’Connor, nous nous dirigeons
vers l’extérieur. Juste avant de refermer
la porte derrière moi, j’examine une sta¬
tue près de la balustrade. C’est un Christ
en plâtre qui porte dans ses mains un
long bâton en or. Pendant une fraction
de seconde, j’ai l’impression que la statue
bouge. Je ferme les yeux. Je ne veux pas
chercher à comprendre ce qui vient d’ar-
river. «On doit apprendre à vivre avec le
mystère et l’inconnu», a dit O’Connor. Je
crois qu’il a raison.
La foule est rassemblée sur le parvis
de l’église. Tous les villageois sont venus
voir ce qui se passe.
Je regarde les hommes et les femmes
qui font partie de mon existence quoti¬
dienne. Chez nous, les êtres sont diffé¬
rents les uns des autres. Ils ont tous une
personnalité bien particulière. On croi¬
rait voir défiler les personnages d’un ro¬
man. Il y a le bossu chétif, l’idiot bavard,
l’artiste famélique, la commère bedon¬
nante, le curé rêveur et le boulanger co¬
lérique. Ils sont tous là, cette nuit, avec
leur visage tourné vers nous.
Ils jacassent comme des pies. Si je
partais un jour du village, je crois que je
tramerais tous ces gens-là avec moi. On
ne peut oublier la grosse Hortense, ni
Joachim le bossu, ni Marie-Louise
Letendre, cette folle de soixante-dix ans
qui traîne ses poupées dans son carrosse.
Je respire l’air frais et parfumé de la
nuit. Je me sens bien encadrée par
O’Connor et par Jean-Sébastien. Mais le
chat! Où est donc ce maudit chat? Je le
cherche partout. Soudain, je le vois dis¬
paraître entre les jambes de Marie-Louise.
Il se faufile sous le carrosse rempli de
poupées, puis il s’évanouit dans la nuit.
«Qu’il s’en aille», dis-je enfin soulagée
de ne plus avoir à trimballer ce maudit
chat partout.
Bientôt les gens de mon village en¬
tourent O’Connor. Notre vieil ami est
devenu populaire auprès d’eux. Dire
qu’autrefois tout le monde en avait peur.
Maintenant, personne n’oserait le crain¬
dre. On le respecte depuis l’hiver der¬
nier. Partout où il va, notre ami irlandais
est accueilli cordialement. Personne ne
s’attaque plus à la réputation de l’ancien
marin. Les langues de vipères se sont
tues. C’est la tête haute qu’O’Connor ar¬
pente, aujourd’hui, les rues de notre vil-
lage.
J’aperçois bientôt mon amie Lara. Elle
avance vers moi avec ses longs cheveux
roux qui descendent lourdement sur ses
épaules. Elle est flamboyante cette nuit.
Lara est de plus en plus jolie. Elle s’est
fait opérer au mois de mars dernier. Sa
tête n’oscille plus de droite et de gauche.
Depuis quelque temps, elle semble avoir
oublié le terrible accident qui l’a rendue
infirme si longtemps. Elle a jeté aux
oubliettes l’image du tracteur qui l’a traî¬
née sur la route pendant de longues mi¬
nutes. C’est une fille neuve qui se tient
devant moi.
- J’ai senti que tu étais en danger,
s’exclame Lara.
- Oui, mais maintenant, je suis sau¬
vée, dis-je.
Oui, je suis sauvée. Le chat noir s’est
éloigné. Il ne nous portera plus malheur
à Jean-Sébastien et à moi.
Demain, j’irai me promener sur le
bord du fleuve avec Lara. Nous parle¬
rons des garçons. Je ne sais pas si je me
trompe, mais j’ai l’impression que Lara
est amoureuse. Il y a dans son regard
une lumière d’une telle intensité. Je pense
que c’est comme cela qu’on reconnaît les
amoureux.
Soudain j’aperçois mes parents. Mon
père et ma mère se jettent sur moi et
m’embrassent affectueusement. Le soleil
va se lever dans quelques heures. Je me
sens envahie par une joie souveraine.
Chapitre 12

Le grand projet

Les policiers ont arrêté les voleurs de


tableaux. Ce matin, nous nous sommes
rendus, Jean-Sébastien et moi, au com¬
missariat de police afin d’identifier les
criminels. Lorsque nous avons aperçu
les cambrioleurs, nous nous sommes sen¬
tis sur le point de nous évanouir.
Séparés de nous par une vitre opa¬
que, l’homme trapu et son acolyte ne
pouvaient nous voir. Même si nous étions
invisibles pour eux, nous nous sentions
mal à l’aise. La proximité des voleurs
nous faisait revivre notre nuit passée dans
l’église. Je me revoyais avec Jean-
Sébastien dans le confessionnal minus¬
cule et nauséabond. Je repensais au cou¬
teau qui brillait dans la pénombre. Bref,
je revivais la scène du vol dans ses moin¬
dres détails.
Tout en parlant avec les policiers, je
ressentais une sorte de vertige. Soudain,
j’aperçus Adolphe derrière la vitre. Il ve¬
nait juste d’entrer dans la pièce.
- Votre bedeau est mêlé à toute cette
histoire de cambriolage, a déclaré le poli¬
cier assis juste en face de moi. C’est
Adolphe qui a donné la clé aux cambrio¬
leurs. Le curé ne comprend pas com¬
ment il a pu faire confiance à un tel
criminel. Moi non plus, d’ailleurs.
Lorsque le policier a prononcé ces
paroles, je suis restée estomaquée. Un
large sourire est venu s’épanouir sur mes
lèvres. Ainsi donc je ne m’étais pas trom¬
pée. Mon intuition était bonne. Je pour¬
rais faire une détective formidable. Pour¬
quoi pas?
- On a retrouvé les tableaux dans l’ap¬
partement des voleurs, a continué le po¬
licier en se tournant vers nous. Mainte¬
nant, vous n’avez plus à vous en faire
avec cette histoire-là. Les criminels vont
bientôt être sous les verrous et vous n’en¬
tendrez plus jamais parler d’eux.
C’est vrai. Toute cette histoire-là est
finie. Terminée. Je me le dis et me le
répète tout en dévalant à vélo la côte
abrupte qui conduit au chalet d’O’Con-
nor.
Devant moi, le fleuve s’étale à perte
de vue. On dirait que des milliers de
soleils s’éparpillent à la surface de l’eau.
Des voiliers multicolores et des paque¬
bots gigantesques fendent l’écume. Jean-
Sébastien file à la vitesse de l’éclair sur la
route. Son vélo me devance de plusieurs
mètres.
Les chalets ont été repeints à neuf. Ils
n’ont plus leur aspect délabré de l’an
passé. Même le chalet d’O’Connor a pris
une autre allure. O’Connor l’a restauré la
semaine dernière. Je ne sais pas ce qui se
passe, mais on dirait qu’O’Connor a ra¬
jeuni. Il est survolté. On ne le reconnaît
plus. Je pense qu’il prépare quelque
chose. Mais qu’est-ce qu’il peut bien tra¬
mer? Cela, je l’ignore.
Nous arrivons au chalet de notre ami.
Odin accourt vers nous en aboyant. Je
descends de ma bicyclette et je me pen-
che pour caresser la fourrure rousse du
brave chien. Lui non plus n’a pas l’air
dans son état normal. Il y a dans ses
yeux quelque chose de trop lumineux,
de trop étincelant. On dirait qu’O’Connor
lui a confié un secret. Le pauvre Odin a
du mal à garder tout cela pour lui. Si
Odin pouvait parler, je suis sûre qu’il
serait facile de le pousser à faire des con¬
fidences.
- Qu’est-ce qu’il y a? demande Jean-
Sébastien en montant l’escalier. Je n’ai
jamais vu Odin aussi nerveux.
- Salut les amis, s’écrie O’Connor en
ouvrant la porte de son chalet. Entrez
donc.
Nous suivons O’Connor qui fume son
étemelle pipe.
- Alors, demande-t-il en nous ver¬
sant du jus, comment cela s’est-il passé
au commissariat?
- On a arrêté les voleurs, dis-je. Nous
avons aussi appris que le bedeau est mêlé
à toute cette histoire-là. C’est lui qui a
donné la clé aux cambrioleurs.
- Ton flair ne t’a pas trompé, lance
O’Connor. Tu ferais une excellente dé¬
tective. Mais je me demande si tu pour-
rais deviner ce qui se trame dans ma
vieille tête de marin.
- J’en étais sûre. Je savais que tu mi¬
jotais quelque chose. Mais quoi? Je ne le
sais pas. Je donne ma langue au chat.
- Et toi, Jean-Sébastien? interroge
O’Connor.
- Oh! moi, je n’ai jamais eu beau¬
coup d’intuition. Je ne m’appelle pas
Sophie. J’ai seulement remarqué qu’Odin
n’avait pas l’air normal.
O’Connor s’assoit dans son fauteuil
en cuir noir. Il se tait et tire sur sa pipe.
Longuement. Patiemment. Il s’amuse à
faire durer le suspense le plus longtemps
possible. Ses cheveux roux forment une
auréole au-dessus de son crâne. Un sou¬
rire énigmatique se dessine sur ses lèvres
tordues. Dans ses yeux verts jaillissent
des étincelles de joie. O’Connor déguste
voluptueusement notre attente.
- Parle, Douglas, vas-tu enfin nous
révéler ce qu’il y a? dis-je.
- Est-ce que cela nous concerne? de¬
mande Jean-Sébastien en essuyant le jus
qui ruisselle aux commissures de ses lè¬
vres.
- Mais bien sûr que cela vous con-
cerne, répond O’Connor. Ce que je vais
vous dire va vous enchanter.
- Alors, arrête de nous tourmenter,
dis-je. Parle et cesse de tourner autour
du pot.
- Eh bien, continue O’Connor, j’ai
reçu la semaine dernière une lettre
d’Irlande.
- C’est cela, ton secret? s’exclame
Jean-Sébastien d’une voix désappointée.
- Non, mais laisse-moi poursuivre,
rétorque O’Connor. Tu es toujours trop
pressé de tout savoir. J’ai donc reçu une
lettre d’Irlande, continue O’Connor. Dans
cette lettre, on me disait que mon oncle
Peter venait de mourir. Je ne sais pas si je
vous ai déjà parlé de lui. C’était un vieil
énergumène. Il était propriétaire d’une
usine en Irlande. Lorsque j’étais enfant,
il me vouait une véritable adoration. Il
m’a même dit un jour qu’il me léguerait
son héritage. Je n’ai jamais pris cette pro¬
messe au sérieux. Mais je me trompais.
J’aurais dû me souvenir que l’oncle Peter
n’a toujours eu qu’une seule parole.
C’était un homme d’honneur. Il a tou¬
jours tenu ses promesses.
- Et alors? dis-je d’un ton plein de
curiosité.
- Alors, l’oncle Peter m’a légué son
héritage. Me voilà maintenant riche! s’ex¬
clame O’Connor. Mais attendez, je ne
vous ai pas tout raconté. Je vous ai dit
tout à l’heure que cela vous concernait.
Etre riche, vous savez, les enfants c’est
inutile si l’on n’a pas de but. Mais grâce à
vous, je sais très bien comment utiliser
cet argent qui me tombe du ciel.
- Qu’est-ce que tu vas en faire? de¬
mande Jean-Sébastien.
- Cet héritage va me permettre de
partir à l’aventure avec vous deux. J’ai
déjà parlé à vos parents. Ils sont d’accord
pour que je vous amène avec moi en
voyage. Je ne voulais pas vous en parler
avant d’avoir obtenu leur consentement.
Jean-Sébastien et moi hurlons de joie.
Jamais la vie ne m’a paru aussi belle et
aussi fantastique. Je me touche afin de
voir si je ne rêve pas.
— Non, tu ne rêves pas Sophie, lance
O’Connor. Nous partirons bientôt sur un
bateau que j’irai acheter avec vous.
Je jette un regard fiévreux sur le pay¬
sage qui se dessine derrière la fenêtre. Le
fleuve s’étale devant moi. Au loin, j’aper-
çois un paquebot gigantesque et une
multitude de voiliers aux couleurs de
l’arc-en-ciel. Dans quelques semaines,
nous voguerons sur le fleuve. Nous irons
loin. Tout droit vers l’océan.
- Voulez-vous aller en Italie visiter
les catacombes romaines? demande
O’Connor d’un ton espiègle.
- Ah non! lance Jean-Sébastien.
- Et toi, Sophie?
- Non. J’en ai assez de voir des tom¬
beaux. J’ai plutôt envie de connaître ce
qui se passe du côté des vivants. J’ai be¬
soin de lumière.
Je contemple le fleuve majestueux.
Oui, en ce moment j’ai besoin de lu¬
mière. De beaucoup de lumière.

Fin
Le récit troublant
d'un vieux marin
pousse Sophie et
Jean-Sébastien
à s'aventurer dans
l’église de leur
village. Ils veulent
visiter la crypte, une '
chapelle souterraine
servant de tombeau.

Leur curiosité les


amène jusque dans
une pièce remplie de
statues d'apparence
mystérieuse. Sou¬
dain, la porte se
referme et nos deux
héros sont plongés
dans une noirceur
totale.

3 peur, l'étrangeté
et l'inexplicable
tendent Sophie et
0039273067 Jean-Sébastien
11/14/2016 14:19-3 Jerrière La Porte
secrète...

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