Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
AUREL
Dossiers sous le bras, elle traverse l’hôtel de Rennes-Métropole au pas de charge. L’agenda
de rentrée de la socialiste Nathalie Appéré, maire de Rennes depuis 2014 et présidente de la
plus grande agglomération bretonne, déborde. Ce jeudi après-midi 2 septembre :
visioconférence avec la ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, réunion de
travail avec les représentants du monde associatif, visite d’une nouvelle guinguette. Voilà qui
ressemble à une reprise presque normale, après « dix-huit mois de dingue », rythmés par la
pandémie. Dans l’intimité de son cabinet, Nathalie Appéré a pu exprimer sa fatigue, une usure
et parfois même un ras-le-bol. Comme tant d’autres maires.
Lorsque Le Monde l’a sollicitée pour revenir sur la difficulté de gérer une agglomération de
450 000 habitants en temps de Covid-19, la quadragénaire a, dans un premier temps, refusé
l’exercice. Trop peur que son témoignage soit perçu comme l’expression d’un coup de blues,
d’un aveu de faiblesse ou d’une lassitude, alors qu’elle dit « mesurer pleinement » la chance
de diriger la capitale bretonne. Peur aussi que la parole d’une élue ne soit pas comprise
comme celle d’un homme. « Les femmes essuient davantage de critiques. On assimile
certaines qualités et certains défauts aux femmes comme si on faisait de la politique avec ses
ovaires et pas avec son cerveau. Quand on est attaché à l’égalité, on ne peut pas nier les
discriminations liées au sexe ou au genre », insiste Nathalie Appéré.
La maire décrit des mois de tension et d’adrénaline où les questions, plus urgentes les unes
que les autres, ont afflué en permanence à la cellule de crise qu’elle pilotait avec une poignée
de fidèles collaborateurs : comment maintenir la collecte des déchets ? Quels dispositifs
mettre en place pour éviter l’isolement des plus fragiles ? La patinoire peut-elle servir de
morgue ? La régie municipale qui gère l’eau potable peut-elle flancher ? Le dernier décret
publié autorise-t-il la réouverture du bassin nordique, en extérieur ?
La maire de Rennes, Nathalie Appéré, dans son bureau à l’hôtel de ville, le 10 décembre
2019. DAMIEN MEYER / AFP
« Les prises de décision sont partagées avec mes proches, mais je suis seule à les assumer.
Dans ces moments rudes, je n’ai pas pris le temps de solliciter de psychologue. Sans doute
devrais-je utiliser cet outil… Je me suis contentée de coups de fil à d’autres élus qui
partagent les mêmes doutes et responsabilités. Certains étaient confrontés à davantage de
drames. Ça m’autorisait encore moins à me plaindre, relativise Mme Appéré. Mais finalement,
le plus difficile, c’est l’usure dans le temps. L’année dernière, il a fallu être à 100 % sur la
gestion quotidienne et à 100 % sur la pandémie, tout en veillant à ce que la “boutique” de
6 500 agents que je gère ne craque pas. »
Huit mois plus tard, désormais première adjointe chargée de la santé et des relations
internationales du maire (Parti socialiste, PS) Benoît Payan, avec qui elle a échangé son poste,
la docteure Rubirola lutte encore avec un genou récalcitrant et quelques semaines de
rééducation, mais apparaît sereine, enfin à l’aise dans sa fonction : « Je ne veux pas que les
Marseillais pensent que je les ai trahis. Si j’avais pu continuer physiquement, je l’aurais fait.
C’était très beau pour moi de diriger Marseille, parce que j’aime cette ville et sa population
plus que tout. »
Dans ce moment crucial, Michèle Rubirola regrette le manque de soutien de son parti,
EELV : « Pas un seul cadre, à part [l’ex-ministre du logement] Cécile Duflot et [le maire de
Grenoble] Eric Piolle, ne m’a appelé pour me dire : “Que peut-on faire pour
t’aider ?” » Aujourd’hui, l’expérience lui fait dire qu’« être maire d’une grande ville passe
par une préparation, un temps d’apprentissage, et nécessite un accompagnement fort d’un
parti ».
Les sièges des spectateurs du stade Vélodrome de Marseille transformé en centre de
vaccination contre le Covid-19, le 16 janvier 2021. CHRISTOPHE SIMON / AFP
De ses premiers mois de maire (PS) à la tête de Villeurbanne, ville de 150 000 habitants dans
le Rhône, Cédric Van Styvendael conserve, lui, l’impression d’une traversée de tunnel. Une
expérience grisante, mais parfois frustrante. Selon lui, la difficulté de la fonction réside
dans « le décalage entre ce qu’on attend de nous et le pouvoir qui est le nôtre ». « L’Etat
utilise beaucoup la figure populaire du maire, mais il ne lui donne pas les moyens qui vont
avec. Il faut un nouvel acte de décentralisation », estime-t-il.
S’il y a bien un maire qui s’est trouvé dans un maelström de polémiques ces derniers mois,
c’est l’écologiste Pierre Hurmic, élu à la surprise générale à Bordeaux, en juin 2020. Dès
sa conférence de presse de rentrée, en septembre 2020, il a mesuré le nouveau poids de ses
mots, en déclenchant une polémique, après avoir annoncé ne pas vouloir décorer sa ville
d’« arbres morts » pour Noël. Cette brève sortie est devenue « l’affaire du sapin de Noël » sur
toutes les ondes. Et Pierre Hurmic, le symbole d’une écologie punitive et aveuglée par
l’idéologie, selon ses détracteurs.
Lire le récit : Premiers pas et premières polémiques dans les nouvelles mairies
écologistes
L’événement a été éprouvant pour le nouveau maire. Aujourd’hui, il en parle comme d’un
apprentissage : « Parfois, il faut être un peu moins spontané et un peu plus langue de bois,
mais je ne veux pas changer ma nature. » L’exercice du pouvoir dans une grande cité ne se
pratique pas sans accrocs, qui forgent autant qu’ils usent.
Cet investissement « passionnant » mais « prenant » aura-t-il raison de ses ambitions pour un
nouveau mandat, en 2026 ? Pierre Hurmic élude : « Me représenter ? On dit que le premier
mandat sert à lancer des projets qui seront réalisés au deuxième. Ça m’incite à penser que
j’aurai peut-être cette curiosité, mais honnêtement je n’en sais rien. Je serai peut-être
épuisé. »