20 -21 juin 2020
Alain Minc : « L’élection de 2022 sera la plus risquée »
Interview. L’économiste et homme d’influence publie son 40e livre dans lequel il fait un portrait
acéré des huit Présidents de la Ve. Il prévoit une situation politique inédite après l’élection de 2022.
Le président de la République
dispose de pouvoirs qui sont
sans équivalent dans d’autres
démocraties. La France est-elle
un cas à part ?
Oui, puisque le président français est
à la fois un chef d’État et un chef de
gouvernement. Cela dit, il y a deux
Constitutions françaises en une.
Quand la majorité parlementaire est
de la même couleur que le Président,
comme c’est le cas actuellement, ces
pouvoirs ne sont limités que par le
Conseil constitutionnel. L’autre cas,
qu’on a vécu à trois reprises, est celui
où l’Assemblée n’est pas du même
bord. C’est la cohabitation. Et il y a un
troisième cas de figure qui, à mon
avis, peut se produire en 2022.
« Une attente
disproportionnée »
Lequel ?
Si Emmanuel Macron est réélu, ce
que je souhaite, je ne crois pas une
seconde qu’il aura une majorité abso-
lue. Il ne sera pas non plus en situa-
tion de cohabitation dure avec l’oppo-
sition à laquelle il devrait céder le pou-
voir. Il sera dans un troisième cas
sans précédent : un président élu
obligé de constituer une coalition
gouvernementale. Je suis assez gour-
mand de découvrir ce fonctionne-
ment. Il faudra trouver un autre mot
que cohabitation pour décrire cette
convergence entre la majorité prési-
dentielle et une majorité parlementai-
re à bâtir.
Vous-dites que l’élection
présidentielle de 2022 est la plus
risquée depuis 1958. Pourquoi ?
N’oublions pas que, en 2017, Marine
Le Pen a augmenté son score de dou-
ze points entre les deux tours. Son
étiage risque de monter encore.
Ensuite, ce qui s’est passé en Italie,
c’est-à-dire la convergence entre les
populismes d’extrême gauche et
d’extrême droite, n’est pas impossi-
ble ici. Tout cela crée une situation
objectivement incandescente.
Qu’est-ce qui fait un bon
Président ? Doit-il être plutôt
normal ou jupitérien ?
Il faut une part d’anormalité pour bri-
guer ce job. Mais il faut qu’elle
demeure mesurée. Chez tous, elle l’a
été. Peut-être moins chez de Gaulle,
qui était un personnage un peu sur-
naturel. Un bon président, c’est quel-
qu’un qui, par moments – pas tout le
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Alain Minc : « Si Emmanuel Macron est réélu, je ne crois pas une seconde qu’il aura une majorité absolue comme en 2017. »
temps, il ne faut pas rêver –, arrive à
penser au pays plutôt qu’à sa propre
équation politique.
On vous présente comme
un visiteur du soir. Quel est ce rôle ?
Un roi a besoin de s’entourer d’interlo-
cuteurs qui sont sans arrière-pensée,
ce qui ne veut pas dire sans idées.
Les visiteurs du soir sont des gens
capables de parler librement au chef,
qui n’ont rien à attendre de lui parce
que leur vie est ailleurs. Ils lui permet-
tent d’avoir des palpeurs sur des
milieux différents et des idées ortho-
gonales par rapport au système. Un
visiteur du soir ne doit pas appartenir
au sérail politique.
Pourquoi la cote de confiance
des présidents de la République
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est-elle si friable ?
Il y a eu un très bon éditorial dans le
New York Times qui dit en substance
que Macron a bien géré la crise du
Covid, mais que les Français ne lui en
sont pas reconnaissants, car la Fran-
ce est comme ça. Dès que le Prési-
dent est élu, il devient presque natu-
rellement impopulaire. Le peuple
français est comme un dormeur qui a
du mal à dormir et qui passe son
temps à se retourner. La fonction, par
son côté monarchique, crée une
attente disproportionnée. Mais il faut
faire avec. C’est l’avantage de ces ins-
titutions. Elles ont permis à François
Hollande de gouverner jusqu’au der-
nier jour, malgré son impopularité.
Partagez-vous l’idée que la crise
sanitaire a souligné les faiblesses
Gagnez du temps :
abo.ouest-france.fr/FDM
| PHOTO : YANN CASTANIER, OUEST FRANCE
et les retards économiques de la
France ?
Ce qui est vrai, c’est que l’Allemagne
a eu une plus grande capacité de
réaction parce qu’elle a eu des excé-
dents budgétaires, alors que nous
avons vécu de façon désordonnée
depuis plus de trente ans. Mais, si on
regarde à long terme, nous avons une
démographie qui a été excellente et
qui reste correcte, contrairement aux
Allemands. L’apogée de la puissance
industrielle allemande est derrière
nous, car ses spécialisations seront
bientôt attaquées par les Chinois. Le
roi de la machine-outil ne le sera pas
éternellement.
Vous avez inventé le terme de
« mondialisation heureuse ».
La crise ne doit-elle pas nous
✂
Repères
Ses dates clés
amener à revoir ce modèle ?
Il y a plusieurs mondialisations.
D’abord, la mondialisation numéri-
que : la crise du Covid a montré son
intensité et elle s’est accrue. Ensuite,
la mondialisation financière : person-
ne n’a mis en cause la libre circulation
des mouvements de capitaux à tra-
vers le monde. Et puis, il y a la mon-
dialisation des biens et des produits.
Celle-là sera écornée un peu à la mar-
ge, au nom d’une rectification de cer- e
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( | PHOTO : YANN CASTANIER, OUEST-FRANCE
tains enjeux stratégiques. Dans cinq 1949. Naissance à Paris.
ans, 80 % du paracétamol ne viendra 1968. Diplômé de l’École nationale
pas d’Inde et de Chine. Mais ça n’est supérieure des mines de Paris.
que cela. Quant à la mondialisation 1971. Diplômé de l’Institut d’études
heureuse, allez demander à un Chi- politiques de Paris.
nois ce qu’il en pense. 1975. Major de sa promotion à l’Ena.
Intègre l’Inspection générale des
Et si on le demande à un Français ? finances.
Il vous dira qu’elle n’a pas été heureu- 1979. Directeur financier de Saint-Go-
se parce qu’il ne mesure pas qu’il la
vit tous les jours quand il fait ses cour-
bain.
1981. Vote pour François Mitterrand à
ses. L’amélioration du pouvoir l’élection présidentielle.
d’achat se fait moins par la hausse 1986. Administrateur-directeur géné-
des salaires que par la baisse des ral de Cerus, holding financière de
prix. Or, pour une bonne part, la bais- l’homme d’affaires italien Carlo De
se des prix, c’est la mondialisation. Benedetti en France.
1991. Fonde sa société, AM conseil.
1994. Président du conseil de sur-
veillance de la SA Le Monde, jus-
« Un engrenage qu’en 2008.
2012. Président du conseil d’adminis-
parti de Chine » tration de Sanef (Société des Auto-
routes du Nord et de l’Est de la Fran-
ce).
Les médecins ont-ils pris le pouvoir
sur les politiques pendant la crise ? Son rapport à l’Ouest
Nous avons donné aux impératifs « J’ai passé un nombre incalculable
sanitaires un ascendant absolu sur de mes vacances à La Baule (Loire-
les autres impératifs économiques, Atlantique). Je vais continuer cette
sociaux et sociétaux. Je l’ai regretté. année après l’avoir vécu enfant,
Le paroxysme a été atteint quand le adulte, père et désormais grand-pè-
président du Conseil scientifique a dit re, et je continuerai comme arrière-
qu’il faudrait confiner 18 millions de grand-père. » Ce qui lui plaît dans la
Français pour six, douze ou dix- station balnéaire ? « Le club de ten-
huit mois. Nous avons été embar- nis. »
qués dans une espèce d’engrenage
parti de Chine qui nous a emmenés
beaucoup trop loin. Le prix que nous Son coup de cœur
payons va être très élevé pendant plu- « Le livre très épais que je suis en train
sieurs années. de lire et qui est la publication dans la
collection Bouquins de la correspon-
La crise de 2020 sera-t-elle dance de Napoléon. À chaque fois,
comparable à 2008 ? on redécouvre que ce type est un
Elle est d’une nature différente. Ce génie, avec tous les excès d’un génie,
n’est pas une crise financière, puis- et qu’il a un coaching extraordinaire. »
que le système économique n’est
pas menacé dans son identité. Mais
le fait est que nous avons tous perdu
12 % de notre richesse. Il nous faudra
trois ou quatre ans pour nous en
remettre.
Recueilli par
Thierry RICHARD.
Mes présidents, éditions Grasset,
208 pages. | PHOTO : YANN CASTANIER, OUEST FRANCE
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