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Cécile

LOMBART

L'Amitié d'une vie




© Cécile LOMBART, 2022

ISBN numérique : 979-10-405-1937-9

www.librinova.com
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Mamie « Chantilly »

Il est assez tôt, lorsque je me lève ce matin, les cheveux en pagaille. Je ne


travaille pas aujourd’hui, j’ai donc la journée devant moi et tout un tas
d’opportunités. Je dresse mentalement une liste de tâches à effectuer mais la
première impression que j’éprouve est l’appréhension. J’ai le sentiment que cette
journée va me sembler longue et solitaire. J’exerce le métier de caissière en
supermarché et bien que cela ne me passionne pas vraiment, il a au moins le
mérite de me faire sortir de chez moi et de rencontrer du monde. J’apprécie cette
agitation autour de moi, comme dans une fourmilière bien organisée. Surtout en
cette période où les préparatifs pour les fêtes de fin d’année commencent.
Je sors de mon lit, la tête un peu en vrac, et j’entends ce foutu matou qui
miaule derrière la porte de ma chambre… Je sais qu’il aimerait bien dormir avec
moi, me tenir compagnie sur ma couette ultra douillette, mais c’est hors de
question ! Je ne céderai pas. J’ai juste le temps de sortir de ma chambre, et le
voilà qu’il se frotte contre mes jambes, en demande de caresses. Qu’il est
mignon avec ces drôles de tâches tigrées éparpillées sur l’ensemble de son
corps ! J’ouvre la porte de la cuisine, donnant sur le jardin pour le faire sortir.
Brr ! Le temps est maussade et s’harmonise parfaitement avec mon humeur du
jour. Un café bien chaud me fera certainement du bien ! C’est une habitude que
j’ai prise et dont je ne sais plus me passer. Ce petit rituel m’est précieux et me
procure un sentiment de bien-être, la sensation que tout est possible et qu’une
belle journée m’attend. Les effluves puissantes du café me flattent les narines !
J’attrape mon livre, ma tasse à café brûlante, et m’installe dans mon vieux
fauteuil à bascule marron-grisâtre. Ce dernier est plus usé que jamais, mais pour
rien au monde je ne m’en séparerai ! Il est si confortable ! Et un peu moche
aussi, c’est vrai. Je me plonge tranquillement dans la lecture de mon roman,
commencé il y a deux jours. L’histoire me transporte immédiatement. Je ne
comprends pas que l’on puisse ne pas aimer lire. C’est tellement agréable de se
laisser emporter par les personnages et leurs aventures, leurs histoires d’amour…
Ce roman décrit l’histoire d’un homme à la recherche de la femme qu’il aime et
l’a laissé tomber sans explication. Il part alors à l’autre bout du monde pour la
retrouver. Vraiment captivant ! J’aime à croire que ce genre de choses arrivent
encore. Plus c’est triste, plus j’aime ça !
Je ferme les yeux et repense à tous ces moments forts vécus avec Martin.
Nous avions tout pour être heureux… Mais il a préféré le bonheur dans les bras
d’une autre. C’est très cliché, mais il est parti avec une femme rencontrée au
travail. Cela fait maintenant plusieurs années et je n’arrive toujours pas à
l’oublier. Quand on passe à côté du grand amour, enfin je le croyais, il est très
dur de s’en remettre. Depuis, je stagne, je vis ma vie sans rien en attendre. Mes
seuls moments de joie sont ceux que je partage avec Constance, ma meilleure
amie. Constance est aussi pétillante que dynamique. Avec elle, tout est simple et
fluide. Elle ne se prend pas la tête et m’apporte un soutien infaillible. Sans elle,
je ne serais pas là où j’en suis. Même si ce n’est pas la vie que j’avais imaginé, je
pense que je ne me débrouille pas si mal…
Bon, fini de rêvasser ! Je ne vais quand même pas rester à ne rien faire de la
journée. Je décide de partir faire une petite marche en forêt pour me remuer. Un
peu d’exercice ne me ferait pas de mal ! C’est ce que me dirait Constance en tout
cas ! D’autant plus que tout ce chocolat ingurgité chaque soir ne m’aide pas à
faire disparaître mes petits bourrelets disgracieux !
Je m’habille en vitesse, enfile un jogging et quitte ma jolie petite maison pour
une demi-heure de promenade. À cette période, les arbres sont magnifiques.
Toutes ces couleurs… du jaune, de l’orange, du rouge et encore quelques
touches de vert ! Et ce silence… C’est un émerveillement à chaque fois et cela
me donne la motivation pour continuer cette balade. J’habite un joli petit village
au cœur de la forêt de Compiègne qui rassemble très peu d’habitants et où tous
se connaissent. Des familles, le fermier du village, une petite école
abandonnée… Tout cela niché dans un magnifique écrin de verdure.
Ça grimpe dur ! Mes muscles me font souffrir comme à chaque fois que
j’attaque cette montée. Il est bientôt onze heures et demie, l’heure idéale pour
m’arrêter et faire une pause bien méritée chez ma gentille complice du village.
Hortense a quatre-vingt-un ans, mais garde une forme olympique pour son
âge. Je me fais un devoir de lui rendre visite régulièrement afin de m’assurer que
tout va bien. Je lui apporte aussi quelques courses car ici, pour s’approvisionner,
ce n’est pas simple ! Elle m’accueille toujours les bras grands ouverts, trop
heureuse d’avoir quelqu’un à qui parler. Sa maison aux volets rouges, tout en
pierre, est vraiment charmante et se situe près de l’église. On dirait un magasin
de brocante où tous les objets renferment un secret bien gardé.
J’entre sans frapper. J’en ai pris l’habitude, sa porte est toujours ouverte.
— Hortense ! c’est moi, Agathe !
— Ah salut ma choupette ! me crie-t-elle au loin. Viens donc, je suis dans le
salon.
J’enlève mes baskets, traverse la cuisine, et descends les quelques marches
d’escalier qui mènent au salon. Assise près de la cheminée, un châle sur ses
épaules, Hortense est concentrée sur son tricot, ses lunettes en écailles posées sur
le bout de son nez. Il y a quelques mois, elle s’est mise en tête de me
confectionner une grande couverture composée d’une multitude de petites
« mosaïques » de couleurs différentes. Je dois dire que le résultat est pour
l’instant difficile à imaginer.
— Je me demandais quand tu montrerais le bout de ton nez… Comment vas-
tu ma choupette ?
— Plutôt bien. Et vous ? Votre rhume est passé ?
— Mais oui, ne t’inquiète pas pour moi, va ! Je suis solide comme un roc…
— Humm ! Montrez-moi un peu cette couverture ?
Hortense se lève avec plaisir pour me dévoiler le fruit de son travail. Elle
rassemble les losanges multicolores sur la table en merisier de la salle à manger.
Je lui souris et la félicite pour ce travail minutieux. C’est incroyable, quelle
patience ! J’ai un peu honte car j’imagine toutes ces heures passées uniquement
dans le but de me faire plaisir. Mais après tout, je sais parfaitement que cela lui
fait plaisir. D’ailleurs, elle a insisté pour réaliser cet ouvrage qu’elle souhaite
m’offrir en guise de souvenir.
— Et maintenant, que dirais-tu d’un petit café pour te réchauffer ?
— Je croyais que vous ne me le proposeriez jamais !
Nous nous installons dans la cuisine et papotons de tout et de rien. Hortense
me fait rire avec ses cheveux « chantilly » et ses tenues improbables. On ne peut
pas dire qu’elle soit très douée en association de couleurs. Il paraît qu’il ne faut
pas en mettre plus de trois dans une tenue, mais ma mamie de cœur n’a jamais
dû en entendre parler ! Son excentricité et son dynamisme me donnent du baume
au cœur. Je ne sais pas comment elle peut rester aussi positive ! Son mari étant
décédé, elle vit seule depuis plus de vingt ans. Elle me raconte souvent des
anecdotes de sa vie passée avec lui. Son Jean ! Il était tout pour elle. Son
ancrage, sa force. Sans lui, elle répète souvent que son existence a perdu de sa
saveur. D’autant plus qu’Hortense n’a jamais connu la joie d’être maman. Je
m’identifie beaucoup à elle, car moi aussi, je ressens ce vide depuis que Martin
m’a quitté. Cette solitude qui m’accompagne est presque devenue une amie. Elle
fait partie de moi. Même si on ne peut pas dire que ma vie soit triste, je sais que
je ne suis plus tout à fait la même. Une page s’est refermée, et avec elle, l’espoir
d’être un jour vraiment heureuse et épanouie. L’amour, c’est fini pour moi ! Je
ne suis plus prête à faire confiance en qui que ce soit. Quelque chose s’est brisé.
Habituellement, je manque plutôt de confiance en moi, aussi cette épreuve ne
m’a pas aidé !
Je quitte Hortense en lui promettant de revenir la voir bientôt. Elle en profite
d’ailleurs pour me demander, comme à chaque fois, de passer la semaine
prochaine au club de tricot du mardi soir. Toutes les semaines, en effet, quelques
dames du village se réunissent dans la grande salle des fêtes. C’est un moment
très attendu pour elles. Chacune amène des friandises, des gâteaux, des
chocolats, du café, et les voilà parties pour deux heures de discussions animées.
De temps en temps, lorsque je le peux, je m’invite à cette assemblée. Surtout
pour faire plaisir à Hortense. Je vois bien que lorsqu’elle me voit, ses yeux
pétillent différemment. Je ne peux jamais repartir de ce comité entièrement
féminin, sans que l’une d’entre elles ne tente de me faire apprendre le b.a.-ba du
tricot. Mais plus nulle que moi, tu meurs ! Je n’ai aucune patience ni aucune
envie non plus de les imiter.
Une drôle de cliente

Le lendemain est pour moi une journée bien chargée, au contraire de la veille.
Il n’est plus question de repos, mais de courage ! ! Je me lève donc aux aurores
avant de rejoindre mes collègues et mon poste de travail. Le magasin ouvre ses
portes à dix heures le samedi mais nous devons nous présenter avant l’ouverture,
afin de recueillir les consignes du jour. Je m’installe à ma caisse et attends les
premiers clients. Ils s’enchaînent à la vitesse de l’éclair… Je n’ai pas le temps de
souffler ! Il y a ceux qui souhaitent s’y prendre à l’avance pour trouver les
bonnes affaires du siècle pour leurs cadeaux de noël, et ceux qui ont leurs
habitudes avec leur caissière préférée !
— Bonjour Constance ! Comment ça va aujourd’hui ? me lance Madame
Diva.
Madame Diva est une cliente habituée qui vient tous les samedis à la même
heure et qui, comme son nom l’indique, ne se prend pas pour n’importe qui.
Mais je l’aime bien, elle me fait rire. Elle a toujours plein de choses à raconter et
souvent plein de cancans et rumeurs en tous genres ! Cela pimente un peu ma
journée.
— Très bien, merci et vous ?
— Est-ce que vous voulez connaître la meilleure du jour ? Pff, j’imagine que
oui bien sûr ! Eh bien voilà… Je viens de surprendre Norbert le chef poissonnier
en train d’embrasser la petite « Lily » dans le rayon animalerie ! ! Ah mon Dieu,
je n’en crois pas mes yeux !
— Non ! ! ! ce n’est pas vrai ? vous avez dû mal regarder…
— Je suis sûre à cent pour cent de ce que j’avance. Non mais quand même, ils
ont vingt ans d’écart ces deux-là !
Il n’en fallait pas plus pour Madame Diva, qui s’en va heureuse de sa nouvelle
trouvaille à répandre comme une traînée de poussières.
De loin, j’aperçois l’œil insistant d’Eliott, l’agent de sécurité, qui s’approche
un peu de ma caisse tout en gardant un air très professionnel. Je sais qu’il
aimerait bien m’inviter à boire un verre, par l’intermédiaire de ma collègue
Cynthia. Mais cela ne me tente pas du tout ! Pourtant Eliott est très gentil et
même plutôt beau garçon. Mais je me garde bien de lui envoyer des signes
encourageants. Cynthia, qui a à peu près mon âge, use de stratagèmes peu subtils
dans le but de me jeter dans ses bras. Elle ne comprend pas que je veuille rester
célibataire et essaye par tous les moyens de me caser. D’ailleurs, je reçois un
SMS de sa part :
— REGAARDE vers ta droite AGAATTTHHEEE !
Comme si je n’avais rien vu ! Je lui réponds :
— Laisse-moi travailler s’il-te-plaît !
Elle semble avoir compris et me laisse tranquille. Quand je reçois de nouveau
un message, je ne le consulte pas immédiatement. Je suis quand même censée
travailler ! J’ai bien trop peur d’oublier de passer un article ou même de me
tromper dans l’encaissement. Une heure plus tard, je prends ma pause très
attendue et sors prendre l’air devant l’entrée du magasin. C’est là que nous nous
retrouvons entre collègues pour boire un café ou fumer une cigarette. Tout ce
monde et ces bruits m’ont donné mal à la tête ! Je m’assois sur le banc, serrée
comme un saucisson avec ma grosse doudoune sur le dos et je les écoute se
plaindre de nos conditions de travail. Un bon moyen pour se détendre ! Ah !
J’avais complètement oublié de regarder le message sur mon téléphone. Je le
sors de ma poche et souris en voyant le nom de Constance qui s’affiche.
— Salut ma super copine hyper chouette ! Comment vas-tu ? Pas trop dur le
boulot ? Moi, j’en peux plus ! Besoin d’une pause… Que dirais-tu d’un resto
entre filles ce soir ? …. 19H30 ?
Je l’appelle aussitôt :
— Hello ! ! ! Comment ça va ?
— Bien et toi ? Enfin bien… c’est vite dit ! Entre les enfants et le boulot, je
suis épuisée. J’espère que c’est bon pour toi ce soir, j’ai vraiment trop envie de te
voir ? me supplie-t-elle.
— Évidemment, c’est d’accord ! Tu veux que je passe te chercher ?
— Oui viens à la maison vers dix-neuf heures. Je pourrais te montrer la
nouvelle robe que je me suis achetée. Et puis les garçons ont envie de te voir…
— Ok, à tout à l’heure ma belle !
— Bisous, bisous.
Et voilà une belle soirée qui s’annonce… J’aurais assez de temps pour rentrer
chez moi et me pomponner avant de la rejoindre.

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