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C’est une rentrée étrange que ce mois de septembre qui n’en finit pas de s’étaler.
Un été indien qui semble ne pas vouloir tourner la page. Alors que l’automne a
officiellement commencé, rien n’est encore vraiment calé, c’est comme si on
n’arrivait pas à reprendre, comme si on était encore en train d’essayer de
retrouver un rythme. Est-ce d’avoir davantage coupé cet été, soulagés de
pouvoir enfin sortir et en profiter après avoir été privés de printemps ? Est-ce
une manière de courir après le temps perdu pendant le confinement, ces deux
mois qui ne seront jamais récupérés ? Ou est-ce de devoir faire face à tous les
dossiers qui se sont accumulés pendant la crise, reportés pour l’« après » ? Y
aura-t-il seulement un après ?
Je suis retournée à Paris récemment, pour la première fois depuis des mois. Dans
le petit TER qui me menait de Die à Valence (Drôme), un siège sur deux était
condamné. Une fois installée, je me suis trouvée comme une idiote, masquée, à
ne pas savoir quoi faire de mon sandwich. Quand on n’habite pas en ville, quand
on n’est pas salarié, le port du masque n’est pas encore un réflexe. Je n’avais pas
encore vu les foules urbaines par temps de Covid ni expérimenté ce que ça
supposait. Mais, tant qu’on longeait la vallée de la Drôme, la beauté du paysage
offert aux yeux compensait l’étrangeté du trajet.
Dans les rues de Paris, j’ai été frappée par le contraste entre les files de piétons
privés d’expression, uniformisés par le masque, et les terrasses joyeuses et
bruyantes des cafés. Une fois de plus saisie par l’absurdité de voir se côtoyer
dans le même espace deux règles différentes (le virus est-il plus actif quand on
marche dans la rue qu’assis à la terrasse d’un café ?). Heureuse de voir des
personnes revivre normalement le temps d’un verre et toujours surprise de les
voir se masquer avant de se lever. La terrasse de café est probablement ce qui
me manque le plus de la vie parisienne. Ce jour-là, elle m’a semblé
symptomatique, un îlot animé au milieu d’individus désincarnés.
Une amie parisienne, urbaine jusqu’au bout des ongles, m’a confirmé
récemment ce sentiment d’une ambiance délétère et pénible. Elle m’a dit son
impression d’évoluer dans un mauvais film d’anticipation à croiser ces visages
masqués, suivant des règles absurdes, comme ayant abdiqué tout esprit critique
et toute volonté. Énervée et humiliée d’être obligée de porter un masque dans un
parc où il n’y a que des arbres autour d’elle. Triste de ressentir toute la
différence entre le Paris de nos jeunes années et ce que nos enfants voient
désormais au quotidien, qu’elle a qualifié de « monde de zombis ». Elle m’a
encore raconté son trajet quotidien, qui la fait passer devant un laboratoire avec
« une queue de 12 kilomètres », puis devant un camp de migrants installé en
bord de périphérique. Avant de soupirer en concluant qu’il va nous falloir être «
agiles ».
Dans ce chaos, chacun compose comme il peut. Certains ont juste envie que tout
redevienne comme avant, ne veulent plus entendre parler du virus, saturés de la
longue litanie des cas qui nous sont rappelés sur toutes les ondes
quotidiennement. Eux estiment qu’ils en ont suffisamment soupé. Matraqués à
longueur de temps de messages sur les gestes barrière et la distanciation, ils
coupent la radio et évitent le sujet. D’autres s’inquiètent qu’on finisse masqués
jusqu’à la fin de nos jours et que les mesures sécuritaires soient là pour durer.
Certains plaident pour la responsabilité et la liberté : que les personnes fragiles
se masquent, que celles qui toussent aillent se faire tester et qu’on laisse les
autres vivre en paix. Certains s’embrassent fougueusement, quand d’autres
redoutent même d’être frôlés. Chacun cherche une logique, sa logique dans tout
ce merdier. Et tout le monde peine à la trouver. Un jour, les enfants sont
contaminateurs, le lendemain, ils ne le sont plus. On ne risque rien en plein air,
puis il faut porter le masque dans la rue. La priorité est de tester mais les délais
n’ont jamais été aussi longs — et pour cause, il n’y a plus aucun sens des
priorités. On réclame des tests avant embauche qui ne servent à rien, chacun
pouvant être contaminé le lendemain. Et personne ne sait plus à quoi
ressemblera ce lendemain.
Quel futur au temps disparu ?
Ce n’est pas la conséquence la moins curieuse du Covid que de nous avoir volé
la notion du temps. Le confinement a mis le printemps entre parenthèses. La
permanence du virus ampute le futur. L’incertitude quant aux mesures sanitaires
et économiques rend très difficile de planifier des événements, de se projeter
dans les semaines et mois qui viennent, de savoir comment nous vivrons à Noël.
C’est vrai pour les jeunes, qui sortent de leurs études en plein ralentissement
économique. Des restaurants, des librairies ou des festivals qui ignorent quel
sera leur sort. C’est le cas de tous les commerces et des salariés des secteurs
touchés de plein fouet, des chercheurs d’emploi à qui on impose le test… Tous
suspendus à un coton-tige. Tous coincés dans le présent.