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Groupe

CHI/HSS 01





La chimie au service de l’intégration
du Street Art en milieu urbain

Rapport final de Projet Scientifique Collectif






Louis CLAVIER Tuteurs : Mandana SAHEB
Louis JARDIN Etienne OLLION
Delphine MION
Rafael TEDESCHI Cadre militaire : LV SERE
Hugo THIERRY
Caroline VIBERT Coordinateur : Gilles FRISON


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Remerciements

Nous tenons tout d’abord à remercier notre tutrice Mandana Saheb qui nous a soutenu
tout au long de notre projet et nous a permis de créer un partenariat constructif et fécond
avec l’Institut national du patrimoine, ainsi que notre tuteur Etienne Ollion, qui nous a guidé
tout au long de notre étude sociologique. Il nous faut également remercier Maroussia
Duranton et Jane Echinard pour leur aide à la création de ce partenariat ainsi que les
nombreuses élèves et anciennes élèves de l’Inp avec qui nous avons eu le bonheur d’échanger.
Nous pensons particulièrement à Emily, Amandine, Laetitia et Marion pour les deux jours très
instructifs passés à réaliser des constats d’état sur des œuvres de Vitry-sur-Seine, ainsi qu’à
Lisa-Clémentine, Corinne, Isabelle et Daria pour les échanges au sujet de nos protocoles
expérimentaux.
Nous remercions également l’ensemble de notre encadrement à l’École
polytechnique qui a toujours été présent quand nous en avions besoin, Gilles Frison et Thomas
Séré. Nous voulons également remercier particulièrement le personnel de laboratoire de
l’école, Christophe Genty et Cindy Kaimakian, qui a toujours été disponible et motivé pour
nous aider. Merci par ailleurs à Sophie Drillières d’Omnova Solution qui nous a permis
d’obtenir des échantillons de base acrylique ainsi qu’à André Kastler pour les stabilisateurs de
BASF. N’oublions pas les conseils d’Alain Colombini qui nous ont été précieux tout au long de
nos recherches. Finalement nous remercions toutes les nombreuses personnes, scientifiques,
artistes et nous en oublions, qui ont bien voulu répondre à nos diverses questions ainsi que
les personnes qui nous ont apporté une aide logistique secourable.

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Sommaire

Introduction

I. Le street art : un mouvement protéiforme

I.1. Histoire et définition du street art


I.2. Diversité au sein du street art
I.3. Problématiques de conservation-restauration du street art

II. Etude des dégradations et recherche de leurs causes

II.1. Etude bibliographique et observations des dégradations


II.2. Etude sur le terrain : constats d’état
II.3. Modélisation en laboratoire et étude expérimentale

III. Elaboration d’un traitement de protection
III.1. Sélection d’un type de traitement
III.2. Choix d’un vernis de protection
III.3. Détermination des adjuvants

Conclusion

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Introduction

Alors que l’art contemporain souffre d’un certain désamour de la part du grand public
lui reprochant d’être élitiste, trop peu esthétique ou intellectualisé à outrance, le street art
connaît une popularité grandissante. Si cet anglicisme qui désigne l’ « art urbain » se retrouve
partout dans l’espace médiatique, il reste assez indéfini. Il faut entendre là un regroupement
de nombreux styles, mouvements, techniques et engagements qui ont pour seul
dénominateur commun leur expression dans l’espace public urbain. Cela inclut par
conséquent des artistes et des œuvres qui s’opposent en tout point c’est pourquoi il ne faut
pas le comprendre en tant que mouvement artistique unifié mais comme un phénomène
artistique qui renouvelle les possibilités techniques et d’expression.
Sa présence dans la pluprat des grandes villes à travers le monde depuis plus d’une
décennie laisse à penser qu’il va persister dans le temps. Cet art qui est né éphémère et l’était
par essence alors qu’il n’avait pas la reconnaissance d’aujourd’hui n’a jamais été envisagé
comme possible à conserver-restaurer jusqu’à récemment. En effet, la conservation-
restauration, qui désigne l’ensemble des techniques visant à sauvegarder le patrimoine
culturel matériel, est structurée autour de doctrines et de techniques qui ont été pensées
dans un monde de l’art qui est précisément celui remis en question par le street art. Cette
étude se propose de caractériser les problématiques éthiques et techniques dans un cas
particulier de conservation-restauration appliqué au street art et d’y apporter des éléments
de réponse.
Face à la complexité du sujet et à l’expertise technique nécessaire à cet objectif, un
partenariat a été mis en place avec l’Institut national du patrimoine (Inp). Ce travail a été
réalisé en collaboration avec des étudiantes de l’établissement, ce qui a permis de confronter
la vision purement scientifique des enjeux et des résultats expérimentaux aux contraintes
techniques et déontologiques de la conservation-restauration. Plus précisément, un premier
groupe d’étudiantes de l’Inp a réalisé différents prélèvements et analyses pour parvenir à un
constat d’état s’inscrivant dans la caractérisation des dégradations sur des œuvres déjà
existantes. Un deuxième groupe d’étudiantes a collaboré au travail de recherche et
d’élaboration d’un vernis dans le but de le poursuivre au sein d’un projet expérimental pour
évaluer son intérêt et ses applications concrètes en conservation-restauration. Au-delà de ces
réalisations, le partenariat a été l’occasion d’échanges et la confrontation de deux modes de
pensée qui a découlé sur un enrichissement mutuel et une remise en question constante des
deux côtés.
Comme explicité plus haut, les œuvres de street art n’ont pas été pensées pour durer
et cela peut ou non s’inscrire dans une démarche artistique. Il convient donc, avant de penser
à l’enjeu pratique, de s’intéresser à la notion même de conservation-restauration et de la
confronter à l’histoire et à la philosophie du street art pour comprendre comment la
démarche du conservateur-restaurateur peut s’inscrire dans la continuité de celle de l’artiste.
Pour comprendre ces enjeux complexes, la première partie porte sur une étude sociologique
réalisée auprès des acteurs concernés. Afin d’envisager l’élaboration d’un vernis, il a été
nécessaire de caractériser les dégradations et leurs sources, d’abord sur le terrain puis en
laboratoire. Cette caractérisation est explicitée dans la deuxième partie. Enfin la dernière
partie présente une étude permettant de proposer un vernis et s’intéresse plus
particulièrement à une formulation répondant aux exigences mises en exergue par le reste de
l’étude.

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I. Le street art : un mouvement protéiforme

Notre projet a pour perspective finale de proposer un outil supplémentaire permettant la


meilleure conservation des œuvres de street art. Il paraît dès lors nécessaire de définir les
problématiques qui sous-tendent ce mouvement artistique, ainsi que d’analyser les rôles et
opinions des différents acteurs en jeu. En effet, le street art semble s’affranchir des codes
jusqu’à lors inhérents à la pratique de la peinture ; la conservation-restauration de telles
œuvres est donc un défi aussi bien technique qu’éthique, dont il s’agit de circonscrire l’enjeu.
Face à la multitude des acteurs intervenant dans le processus de création de l’art
urbain, il est nécessaire de considérer le street art à travers leurs différents points de vue.
L’enjeu principal est de déterminer s’il existe une définition commune au street art ou s’il
s’établit une fracture entre les différents acteurs. Par extension, il s’agit donc de situer et de
justifier notre étude, la conservation des œuvres d’art urbain. La problématique qui en
découle est celle de l’éphémérité du street art : est-il justifié de conserver et restaurer une
œuvre créée dans un milieu où elle était destinée à une dégradation rapide ? La réponse n’est
pas unanime parmi les différents acteurs, et c’est pour mettre en place une solution
scientifique en toute connaissance de ces divergences que nous avons mené cette étude.
Afin de cerner le mouvement artistique dans sa diversité, nous avons donc rencontré
des acteurs variés intervenant à différents niveaux dans le rayonnement culturel du street art.
Nous avons pu nous entretenir avec des représentants des structures traditionnelles de la
culture aussi bien qu’avec des artistes et des conservateurs-restaurateurs. Philippe Moine,
adjoint au maire du XIIe arrondissement de Paris, en charge de la culture, a pu donner un
éclairage sur la vision du street art par les pouvoirs publics. Hugo Vitrani, commissaire
d’exposition au Palais de Tokyo, a notamment mis en lumière la diversité du mouvement et
les problématiques qui surgissent pour le présenter dans un musée. Luca Fiore, en tant que
street artiste travaillant aussi bien dans un cadre légal que dans une démarche de « vandale »,
nous a permis d’aborder le point de vue des artistes. Enfin, Cassandra Flahault a travaillé sur
le projet de restauration de la tour Keith Haring à l’hôpital Necker.
En nous appuyant notamment sur les propos recueillis lors de ces entretiens, nous
retracerons l’histoire du street art, puis nous nous attacherons à décrire la diversité du street
art. Enfin, nous nous questionnerons sur la possibilité d’une conservation-restauration du
street art.

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I.1. Histoire et définition du street art

La dichotomie entre graffiti et muralisme de l’Antiquité au milieu du XXe siècle

L’idée d’utiliser l’espace public comme moyen d’expression remonte à l’Antiquité. Dès
lors, deux pratiques ont coexisté jusqu’à l’époque contemporaine : le graffiti et le muralisme.
Le graffiti n’a pas de visée esthétique mais sert de vecteur à tout type de messages et n’a rien
d’officiel. Il est même souvent illégal. A l’extrême opposé, le muralisme est défini par un
objectif purement esthétique et est commandé aux artistes. Bien que certaines fresques
soient des œuvres d’art reconnues, elles ne sont pas porteuses de messages engagés car leur
objectif s’inscrit dans la durée et dans l’ornement.
Les prémices du street art contemporain peuvent être situés dans les années 1940,
lorsque les gangs latinos américains ont cherché à donner un aspect esthétique aux graffitis.
Cette pratique s’est répandu sur toute la côte Ouest comme une provocation face à l’autorité
et une délimitation de territoire sous le nom de « cholo writing ». Cette tendance
s’accompagne de la création de règles et de références connues seulement du cercle très
restreint des graffeurs. Ce qui rapproche ces graffitis d’une forme d’art est à la fois la
recherche d’une esthétique à travers des codes mais aussi la recherche de cohésion entre le
message et la forme adoptée pour le faire passer.




















Figure 1 : Détail de « cholo writing » - Photographie par Howard Gribble - environ 1970

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L’émergence du graffiti comme une forme d’art

Dans les années 1970, de nombreux crews de graffeurs émergent à New York. Cela
peut être attribué à la rencontre de différents facteurs. A cette époque la ville est au centre
de la lutte pour les droits civiques et la plupart des premiers graffeurs « artistiques » viennent
de gangs afro-américains. La démocratisation de la peinture aérosol dans les années 1960 leur
a donné un moyen d’expression1. Dès le début, le graffiti s’inscrit dans une volonté
d’émancipation comme le montre l’origine péjorative de ce terme utilisé par le New York
Times que les graffeurs ont repris à leur compte.
Rapidement, une émulation apparaît et la production se diversifie. Les graffeurs
s’inspirent alors techniquement, à cause de la nécessité de peindre rapidement, et
stylistiquement des gangs latinos. Même si le graffiti continue à porter un message puisqu’il
s’agit avant tout d’une écriture, il n’est plus le principal objectif du graffeur. La recherche de
la performance, en peignant à plusieurs, dans des endroits dangereux, ou du renouvellement,
notamment avec l’apparition de nouvelles typographies telles que « Bubble », prennent le pas
sur le message. L’Union of Graffiti Artists (UGA) est créée en 1972 et les artistes en faisant
partie exposent dans le prestigieux City College. Au cours des années suivantes des galeristes
d’art contemporain reconnus commencent à s’intéresser à ces artistes, comme Tony Shafrazi.
En 1983, le maire Michael R. Bloomberg lance une campagne de répression à
l’encontre des graffeurs en s’appuyant sur la théorie de la vitre brisée. L’Anti-graffiti Task
Force a procédé à 2800 arrestations depuis sa mise en place2. Les graffeurs délaissent alors le
métro pour les quartiers et se disséminent et le mouvement prend de l’ampleur dans les
autres villes américaines et européennes. La floraison de crews qui en résulte séduit des
artistes à la formation académique comme Keith Haring ou Kenny Scharf. La contrainte de
l’écriture disparaît pour laisser la place à une liberté totale. Cette disparition du message
textuel marque une rupture importante. Malgré l’absence de textualité il est impossible de
classer les œuvres de ces artistes comme du muralisme en raison de leur sens qui dépasse la
simple recherche d’esthétisme. C’est pourquoi on peut qualifier ce mouvement de « post-
graffiti ».












Figure 2 : Photographie de tags dans le métro new yorkais – 1971

1
Chang J., Can’t Stop Won’t Stop: A History of the Hip-Hop Generation, 2005
2
Hall A., The Mayor’s Anti-Graffiti Task Force, The New York Cooperator, 2005

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Le street art contemporain ou post-graffiti

Selon Hugo Vitrani, ce que l’on décrit aujourd’hui par le terme de Street Art est en
réalité la deuxième génération du post-graffiti. Cet art a hérité des valeurs du graffiti et se
définit fondamentalement par sa recherche de sens au-delà de l’œuvre et de la capacité de
compréhension du public. Depuis les années 1990, des crews sont apparus partout dans le
monde. Chacun a défini ses propres codes, souvent invisibles pour le grand public, ce qui a
engendré une si grande diversification de la production artistique qu’il devient très compliqué
de les regrouper dans un même mouvement. Il faut d’ailleurs noter qu’aucun artiste ne se
revendique du street art tant cet ensemble est inclusif et par conséquent indéfini. Nous
conserverons cependant cette appellation pour le reste de notre exposé tout en entendant
qu’elle n’inclut que l’art héritant du graffiti et de ses valeurs.
En raison du foisonnement incessant et très éclectique d’artistes depuis les années
1990, il serait illusoire de proposer un résumé concis de l’évolution récente du street art. On
peut cependant relever quelques évolutions de la perception de celui-ci par les autres acteurs
sociaux que les artistes.
La relation avec le grand public a beaucoup évolué avec la dernière génération
d’artistes. Comme expliqué plus haut, le graffiti n’a jamais eu pour objectif de toucher le grand
public. L’apparition d’œuvres à destination de celui-ci et la volonté de certains artistes de
rencontrer le public constitue un tournant. Cela a contribué à donner une image populaire au
street art et poussé nombre de figures publiques à s’en emparer. L’attrait touristique et
publicitaire pousse certaines institution, on peut citer la ville de Vitry ou le XIIIe
arrondissement de Paris, à tolérer voire à encourager les artistes. Il en découle une inquiétude
des street artistes qui voient dans ces initiatives une académisation du street art. Il en résulte
une dilution des messages qu’il véhiculait et donne l’impression aux néophytes de pouvoir
appréhender le street art. Le graffeur RCF1 s’est ainsi exprimé à ce sujet : « Le street art est
devenu un art officiel ! Le graffiti, c'était comme une secte, très codée. Les politiques qui ont
essayé de le récupérer, dès les années 90, s'y sont cassé les dents. Avec le street art, c'est plus
facile. ». Pourtant la quasi-totalité des œuvres n’est pas interprétable par le public. Leurs
valeurs résident en effet dans les codes maîtrisés seulement par les crews.
La popularité du street art a récemment connu un nouveau pic à travers les réseaux
sociaux où il s’est complètement démocratisé, s’éloignant un peu plus encore des codes
originels du mouvement post-graffiti. En particulier, lorsque ce sont des commandes
publiques, les œuvres sont massivement « consommées » sur Internet sans donner lieu à un
questionnement sur la démarche de l’artiste et son intention artistique voire militante.
Pourtant, dans le même temps, la répression contre les graffeurs illégaux s’est durcie comme
l’a montré le procès en 2005 de 56 d’entre eux accusés par différentes institutions (SNCF,
RATP…) de dégradation avec des dommages et intérêts de plusieurs millions d’euros.

Le paradoxe contemporain du street art est de comporter une diversité toujours plus
importante en terme de valeurs et de codes alors que, dans le même temps, un public de plus
en plus large se l’approprie. Cette appropriation donne lieu à des tensions profondes avec les
autres acteurs de l’espace public. La popularité actuelle du street art cache une
incompréhension entre les artistes et des acteurs publics qui pensent soutenir la création alors
qu’ils lui fixent des barrières et un public qui, malgré une apparente proximité, n’a pas les
outils pour appréhender cet art.

PSC CHI/HSS 01 8
I.2. Diversité au sein du street art

Il serait trompeur de vouloir définir le street art en cherchant à le résumer à un
mouvement uniformisé et homogène. Il ressort des différents entretiens que la seule manière
juste d’aborder le street art est d’adopter la singularité de chaque artiste et de l’inscrire dans
la diversité du mouvement artistique. Afin d'appréhender cette diversité, il est intéressant de
mentionner quelques exemples marquant d’approches artistiques diamétralement opposées.

Problématique de la légalité

La légalité est une question qui se pose à tous les street artistes. Luca Fiore met en
relief dans ses propos la frontière floue entre artiste légal et artiste illégal. Les artistes urbains
cumulent souvent une activité légale et une activité de « vandale ». Il est difficile dès lors de
savoir si les œuvres réalisées dans l’illégalité peuvent recevoir le même traitement que des
œuvres réalisées dans le respect de la loi, et ce pour un même artiste dont la qualité est
reconnue. L’artiste C215 est maintenant considéré comme académique par la communauté
des « vandales » ; il a investi légalement des espaces qu’ils avaient « conquis » à leurs risques
et périls. Ses fresques sont donc régulièrement recouvertes de graffitis qui sont interprétés
comme une marque de non-respect voire de « déclaration de guerre »3. Dans cette opposition,
il ne faut pas voir deux groupes distincts en conflit, mais une multitude de manières d’aborder
la question de la légalité de l’art. Si C215 est une figure de proue d’un street art académique,
allant jusqu’à exposer dans des galeries de manière traditionnelle, la communauté des
« vandales » ne doit pas être opposée à cette démarche comme un tout homogène. Hugo
Vitrani et Luca Fiore témoignent notamment de la volonté de nombreux street artistes de
vouloir rendre leur art accessible dans un cadre plus traditionnel, sans chercher à renier leur
démarche initiale. Il s’agit ici de renouveler la démarche artistique pour l’adapter à un
nouveau support, non urbain, sans chercher à singer les fresques de l’artiste en les
reproduisant sur toile dans un musée.














Figure 3 : Œuvres de C215 exposées dans le cadre de l’exposition « Douce France » - Galerie
Itinerrance© - 2014

3
Le Parisien, Street art : le graffeur C215 reproche à mairie de Vitry de ne pas s’investir, 2015,
<http://www.leparisien.fr/vitry-sur-seine-94400/street-art-le-graffeur-c215-reproche-a-la-mairie-de-vitry-de-
ne-pas-s-investir-26-02-2015-4560967.php> [Consulté le 30 Avril 2018]

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Relation au public et environnement du street art

Les street artistes diffèrent également dans la manière dont ils conçoivent leur public.
Obey a adopté une démarche engagée politiquement, généralement peu subversive, ayant
pour but de faire passer un message accessible à tous. Il est notamment connu pour sa
fresque « Liberté, Égalité, Fraternité » peinte en réaction aux attentats du 13 novembre 2015,
que l’on peut retrouver sur toile dans le bureau du Président de la République. A l’inverse de
cette forme d’institutionnalisation, le street artiste Azyle n’est connu de son public que par la
répression de son action dans le métro parisien. Ses œuvres, systématiquement effacées par
les services d’entretien de la RATP, incarnent l’éphémérité du street art, et ne sont pas
conçues pour être vues par un public.
Le street art reste résolument un art indissociable de la ville, en témoigne l’affaire des
fresques de Blu à Bologne. L’exposition « Street Art, Banksy & Co, l’art à l’état urbain »
organisée le Musée de l’histoire de Bologne, avait pour intention initiale « d’engager une
réflexion sur les modalités de protection, de conservation et d’accrochage en musée des
expériences urbaines » mais s’est rapidement traduite par un prélèvement des œuvres dans
la rue au motif de les sauver de la dégradation. Cette initiative, prise sans concertation avec
les artistes a été décrite par Blu comme « représentative d’une conception de l’espace urbain
que nous devons combattre, un modèle basé sur la thésaurisation privée qui transforme la vie
et la créativité en valeur marchande pour le bénéfice des quelques personnes habituelles ».
En réaction, Blu a effacé toutes ses œuvres présentes à Bologne, de peur qu’elles ne soient
récupérées par des élites ne comprenant pas sa démarche, ancrée dans l’environnement
urbain. L’incompréhension de la réflexion de Blu et la mercantilisation de son art a ainsi
conduit à la dénaturation de ses œuvres. Le street art de Blu est un « Art public » en tant qu’il
appartient à un espace où se décide le destin de la communauté. Ainsi, le street art échappe
en partie au marché de l’art, car la vente des peintures se restreint essentiellement aux
œuvres d’atelier des street artistes. La mercantilisation du street art devient plus dérangeante
dès lors qu’elle entraîne la découpe de pans de murs entiers dans le seul but de les faire entrer
sur le marché de l’art, comme on a pu le voir sur des fresques de Banksy en Territoires
palestiniens.
















Figure 4 : Fresque « Liberté, Égalité, Fraternité » de Obey dans le XIIIe arrondissement de
Paris et reproduction sur toile dans le bureau du Président de la République

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Les street art dans la ville

La plupart des villes à travers le monde optent pour des politiques répressives ayant
pour but d’effacer systématiquement les œuvres de street art. L’opinion des riverains n’est
pas uniforme, et si certains sont radicalement opposés à ce qu’ils considèrent comme du
vandalisme, une tendance favorable aux fresques urbaines est observée dans les villes
occidentales.
Le street art peut ainsi se construire en relation étroite avec les autorités publiques,
comme cela est le cas dans le 13e arrondissement de Paris, historiquement lieu central dans
la création artistique illégale. Pour Philippe Moine, elle constitue désormais un pan complet
du patrimoine du quartier et les pouvoir public constituent plus un médiateur entre
associations d’artistes et riverains qu’une force de répression. Ainsi, paradoxalement, les
pratiques illégales ne sont pas réprouvées par la mairie parce que la plupart des riverains sont
heureux et fier de vivre dans un lieu si actif culturellement. En outre cette pratique joue un
rôle d’intégration sociale et de pédagogie en faisant découvrir l’art à tous. Cette initiative est
à mettre en regard avec les politiques plus répressives menées par la plupart des mairies, qui
combattent explicitement le street art considéré comme du vandalisme.
Face au succès du street art, la mairie sous l’impulsion du maire M. Caumet a lancé en
2014 un grand projet de fresques sur les HLM est lancé. Des artistes reconnus mondialement
sont venus réaliser des œuvres visibles par tous et aux dimensions impressionnantes. Le rôle
de la mairie consiste alors à mettre en relation les bailleurs sociaux et une galerie privée
nommée Itinerrance©, chargée de choisir et de rémunérer les artistes. Si l’initiative fait plutôt
l’unanimité chez les habitants, elle est plus controversée chez les artistes. En effet, seuls les
artistes déjà reconnus, souvent grâce à des expositions dans un contexte académique, sont
susceptibles d’être choisis par la galerie pour des questions de rentabilité, tandis que la mairie
n’offre aucune possibilité aux petits artistes de s’exprimer alors que les demandes sont
nombreuses. Cela crée un gouffre entre les artistes reconnus par le marché de l’art capables
de donner un rayonnement universel au street art et les artistes anonymes qui font vivre la
culture au sein du quartier.
Les grandes fresques sont maintenant devenues un enjeu touristique et patrimonial
du quartier. Même si le street art a une vocation initialement éphémère, il est clair que ce
type d’œuvres comporte des enjeux de conservation importants. Si le caractère périssable des
fresques est revendiqué par le maire du XIIIe arrondissement Jérôme Coumet, il reconnaît
cependant que la renommée des artistes rendra nécessaire la restauration de ces œuvres4,
qui ont imprégné l’image touristique du quartier.

Ainsi, le street art ne présente pas d’unité en tant que mouvement artistique. La
diversité des démarches artistiques impose de construire avec les artistes la réflexion sur la
conservation-restauration de leurs œuvres. Il semble en ressortir qu’il n’est pas possible de
trouver une solution unique pour une conservation-restauration du street art.

4
20 minutes, Ne vous attachez pas aux fresques, elles pourraient disparaître, 2016,
<https://www.20minutes.fr/culture/1921571-20161018-attachez-fresques-elles-pourraient-disparaitre>

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I.3. Problématiques de conservation-restauration du street art

L’idée de conserver le street art se pose tout naturellement au regard de l’importance
sociale et artistique qu’il a acquis ces dernières décennies. Cependant la volonté incessante
des artistes de rompre avec le passé a fait émerger de nombreuses particularités qui peuvent
nécessiter un type de conservation-restauration particulier ou être en contradiction avec
l’idée de durer.

Aspect technique
En envisageant tout d’abord l’aspect technique de la conservation-restauration, il est
évident que de nombreuses difficultés se posent. La diversité des environnements et des
techniques employées, loin de se résumer à la peinture murale, oblige le conservateur-
restaurateur à une adaptabilité toute particulière. Face à l’étendue du sujet, la suite de cette
étude se restreindra à la peinture murale en aérosol qui constitue déjà un défi de taille.
Il semble évident que l’hostilité de l’environnement urbain met en péril les œuvres
notamment à cause de la pollution, des changements de température, de l’humidité ou
encore du vandalisme. Ces conditions sont relativement nouvelles pour des œuvres d’art, tout
comme le vecteur qu’est la peinture aérosol qui n’a pas forcément pour vocation de durer.
Cela constitue deux défis techniques majeurs pour le conservateur-restaurateur qui feront
l’objet des parties suivantes.

Vers d’autres formes de conservation


Au-delà de la complexité technique d’un tel projet, de nombreuses problématiques de
fond concernant les œuvres doivent être prises en considération. Malgré le choix déjà précis
de la peinture murale en aérosol, il est impossible de déceler une unité dans le mouvement
artistique du street art, comme le démontre le paragraphe précédent.
Le but premier de la conservation-restauration est de faire durer dans le temps une
œuvre. Si la valeur de l’œuvre se résume à sa physicalité, la mission du conservateur
restaurateur est clairement définie. Or, comme l’a montré le bref historique du mouvement,
une des caractéristiques majeures de celui-ci est de chercher la valeur artistique au-delà de la
couche picturale. Dans certains cas, elle n’a même pas pour objectif d’être visible. Le vecteur
de valeur devient dans ce genre de cas hautement immatériel. Selon Hugo Vitrani, certaines
initiatives cherchent par de nouveaux moyens à garder des traces de ce type de patrimoine,
c’est le cas du LASCO PROJECT au Palais de Tokyo. Des recueils de croquis préparatoires ou
d’entretiens permettent de saisir la démarche qui, comme expliqué plus haut, peut porter
autant de sens artistique que l’œuvre matérielle.

Cas pour lesquels la conservation-restauration de la couche picturale fait sens



Dans le cadre de commandes publique, le street artiste conçoit sa démarche en accord
avec les pouvoirs publics. Il semble alors cohérent de conserver et de restaurer ces œuvres
qui ont été conçues pour la ville et pour ses habitants. La tour Keith Haring à l’hôpital Necker,
est un exemple d’œuvre ayant nécessité une conservation-restauration, dans la mesure où
l’intention de l’artiste n’était pas de voir son œuvre vieillir. La concertation avec l’artiste prime
désormais dans le street art afin de connaître l’intention de l’artiste, de peur de dénaturer sa
démarche.

PSC CHI/HSS 01 12
Conclusion

Le street art est un mouvement extrêmement diversifié, né en seulement trois


décennies. Sa complexité, ses paradoxes et ses contradictions internes en font un sujet qu’il
est indispensable d’étudier avant de proposer une conservation-restauration de celui-ci. En
effet l’enjeu de la conservation n’étant pas de conserver l’objet physique qu’est l’œuvre mais
bien ses valeurs, il faut saisir celles portées par chaque œuvre de street art pour comprendre
s’il y a intérêt ou non à la conservation-restauration de la couche picturale. Les divers
entretiens ont cependant permis de démontrer que dans certains cas précis la conservation-
restauration avait une vraie valeur ajoutée pour le street art. Il est intéressant de noter que
cette problématique semble déjà saisie par certains acteurs comme l’entreprise Golden©
proposant des vernis à l’intention des artistes de rue. L’étude sociologique présentée
concorde donc avec la demande de mise sur le marché de vernis destiné à la protection des
œuvres murales à la peinture aérosol.

Avant de tenter d’élaborer une formulation chimique, il faut saisir plus précisément
quelles sont les caractéristiques techniques qu’elle doit comporter. En particulier, il est
indispensable de cibler un facteur environnemental dégradant précis. L’étude qui suit cherche
à caractériser la dégradation engendrée sur une peinture précise par deux facteurs
environnementaux pour déterminer s’il est possible d’envisager une solution de protection à
partir de ses résultats.

PSC CHI/HSS 01 13
II. Etude des dégradations et recherche de leurs causes

II.1. Etude bibliographique et observations des dégradations

Les réalisations artistiques situées dans l’espace public, et notamment dans les XIIIe et
e
XX arrondissements de Paris ainsi qu’à Vitry-sur-Seine et ses environs, sont sujettes à de
nombreuses dégradations du fait de leur lieu d’exposition. En effet, dans la rue, les peintures
ne sont généralement pas protégées de la pluie, des variations de température et d’humidité,
ainsi que de la pollution urbaine, comme elles le seraient dans des musées. Il s’agit donc d’un
type d’œuvre dont il est nécessaire d’étudier les altérations comme un domaine à part entière.
Nous allons par la suite dresser un panorama des différentes causes et conséquences des
dégradations que l’on peut observer. Nous les regroupons par les formes macroscopiques
qu’elles peuvent prendre : modification chromatique, fractures et fissures dans la couche
picturale, encrassement et ajout à la couche picturale.

Changement dans la pigmentation

A l’œil nu, nous pouvons observer des changements d’une partie de la couleur d’un
aplat de peinture. Il faut bien sûr disposer d’une référence pour pouvoir le déterminer : pour
ce faire, nous disposons soit de témoignages de l’artiste, soit de photographies de l’œuvre
contemporaines à la création. C’est le cas pour l’œuvre de Keith Haring intitulée Tuttomondo,
pour laquelle l’atténuation des couleurs est nettement visible5. Les photographies suivantes,
bien que prises sous différentes conditions et sans échelle de couleur, mettent toutefois en
évidence un changement de couleur : les personnages bleu foncé et violets de la première
photographie apparaissent bleus et bleu clair dans la seconde.















Figure 5 : Tuttomondo, Keith Haring, Pise - Photographies prises en 1989 et vers 2015

5
Concas D., « Tuttomundo : the mural by Keith Haring in Pisa », Art d'Aujourd'hui, Patrimoine de Demain, actes
e
des 13 journées d'études de la SFIIC, Inp, 2009, p.303

PSC CHI/HSS 01 14
Le changement de couleur peut être dû à une solubilisation de la peinture dans l’eau.
Le ruissellement de l’eau emporte alors les couleurs entraînant coulures et affaiblissement
chromatique. Un autre éventualité est la présence de pigments métalliques qui perdent leur
couleur par hydrolyse6, et cet effet pourrait être exacerbé dans une eau de pluie qui est acide
et chargée en espèces alcalines.

C’est par exemple le cas pour la fresque de la rue Clisson à Paris, où l’on peut observer
des traînées verticales d’une couleur dans une autre. Dans ce cas, on peut imaginer que le
support lui-même est vecteur d’humidité - fuite dans l’immeuble qui traverse le mur par
exemple. La pluie pourrait être une autre explication dans le cas où la peinture est facilement
soluble dans l’eau. En effet, le temps d’exposition à l’humidité est plus court dans le cas de la
pluie - de l’ordre de la journée - que dans le cas d’une fuite - de l’ordre d’un mois.

50 cm

Figure 6 : Coulures marron dans la bande bleue, rue Clisson, Paris XIIIe - Archives personnelles
Un autre vecteur de changement de couleur est l’action du soleil, et plus
particulièrement du rayonnement UV (Ultra Violet) voire visible7. L’énergie apportée par le
rayonnement permet une transformation des différents constituants de la peinture au niveau
chimique, notamment la formation de radicaux libres8 qui réduisent d’autant mieux les autres
composants du milieu par réaction en chaîne. Ces transformations sont différentes suivant le
type de peinture utilisée, les produits chimiques qui les composent variant d’une peinture à
une autre. Les conséquences visibles du rayonnement sont un affadissement des couleurs ou
dans certains cas un jaunissement. On peut alors remarquer sur l’œuvre que les côtés moins
exposés au soleil sont moins dégradés.

6
Stoddart B., Colouration and Fading: How do Pigments Become Degraded or Altered by Light and their
Environment, NatSCA News, 2007, Issue 11, p.46
7
Féau E., Le Dantec N., Vade-mecum de la conservation préventive, Centre de recherche et de restauration des
musées de France, département Conservation préventive, 2013, 50 p.
8
De la Rie, E. R., Photochemical and thermal degradation of films of dammar resin, Studies in Conservation,
1988, 33-53

PSC CHI/HSS 01 15
Décollement d’une couche ou sous-couche

Les interactions entre support et peinture jouent beaucoup sur l’altération d’une
œuvre. Les exemples ci-dessous montrent des craquelures, fissures ou décollement d’une ou
plusieurs couches de peinture et de support. Ce problème mécanique peut provenir des
changements de température, sur l’échelle d’une année par exemple, de la qualité du support
ou encore du temps de séchage. Outre cela, des infiltrations d’eau ou une couche de peinture
appliquée sur une couche encore humide provoquent des craquelures. En effet, les peintures
aérosols sont souvent composées de peintures acryliques. Les polymères qui les composent
sont thermodurcissables et peuvent se rétracter en séchant, faisant ainsi mécaniquement
bouger des couches sous ou surjacentes9 . On observe notamment des fissures de l’ordre du
millimètre au centimètre.
On peut également observer des œuvres peintes sur des affiches décollées ou sur d’autres
couches de peinture qui se décollent avec le poids, sur un support métallique qui est amené
à rouiller. Outre cela, des infiltrations d’eau ou une couche de peinture appliquée sur une
couche encore humide provoquent des craquelures. Toutefois, ces problèmes sont
particulièrement complexes à étudier car ils sont particuliers au support et aux peintures
utilisés.




3 cm
















Figure 7 : Soulèvement de la couche picturale, rue Lesage, Paris XXe - Archives personnelles

9
Yoshizawa A., Daylight Fluorescent Pigments in Work of Art, Properties, History, and Fading

PSC CHI/HSS 01 16
Encrassement de l’œuvre

Nous pouvons observer in situ de nombreux autres types d’altérations dues à


l’environnement d’une œuvre : salissures, micro-organismes ou insectes, mousses, etc. Ces
altérations sont également dues à la nature de la peinture utilisée. En effet, les réactions
d’oxydoréduction liées au rayonnement solaire produisent des composés polaires parfois
solubles dans l’eau, ce qui encourage la création de moisissures10-11. Ces dégradations peuvent
aussi être volontaires, dans le cas des graffitis et du vandalisme. En particulier, les
dégradations deviennent irréversibles si le graffiti est soluble dans les mêmes produits que
l’œuvre elle-même, il sera alors impossible de le retirer sans abîmer l’œuvre. Encore une fois,
ces types de dégradations sont très particuliers et des solutions ont déjà été mises en place
pour tenter d’y remédier, sous la forme de vernis anti-graffitis par exemple, mais des
questions éthiques se posent. Ainsi, la réversibilité des traitements de protection n’est pas
assurée par la plupart des produits actuels. On observe régulièrement des problèmes de
compatibilité de ces vernis avec le support de la couche picturale, ce qui accélère le processus
de dégradation des œuvres.
In fine, les principales causes de dégradations sont les rayonnements lumineux,
l’humidité, les variations de température, ainsi que la nature des supports et des peintures.

Pour mener à bien une étude de dégradations et les reproduire en laboratoire, il est
donc nécessaire dans un premier temps de restreindre le champ d’étude. Le choix de se
concentrer uniquement sur la couche picturale permet donc de réduire le nombre de
paramètres de l’étude. Les causes de dégradation de la couche picturale sont alors
essentiellement le rayonnement du soleil, les variations de température et une exposition plus
ou moins prolongée à l’humidité.

10
De la Rie, E. R., Photochemical and thermal degradation of films of dammar resin, Studies in Conservation,
1988, 33-53
11
Féau E., Le Dantec N., Vade-mecum de la conservation préventive, Centre de recherche et de restauration
des musées de France, département Conservation préventive, 2013, 50 p.

PSC CHI/HSS 01 17
II.2. Etude sur le terrain : constats d’état

Afin de reproduire une expérience de dégradation dans les conditions les plus proche
de la réalité possibles, il est nécessaire d’étudier au préalable une œuvre de street art plus en
détails. Le constat d’état est une méthode utilisée en conservation-restauration afin de
comprendre a posteriori et à partir de l’œuvre comment elle a été réalisée ainsi que de dresser
un bilan des dégradations auxquelles elle a été soumise et leurs possibles causes.




















Figure 8 : Fresque par Luca Fiore, rue Champollion, Vitry-sur-Seine - Archives personnelles

Le choix de l’œuvre de Luca Fiore située sur le mur d’expression de la rue Champollion
de Vitry-sur-Seine est adaptée dans la mesure où nos analyses peuvent être affinées par
l’artiste avec qui nous sommes en contact. Cette fresque, réalisée en octobre 2017, mesure
14 m de longueur pour 2,10 m de hauteur. Elle ne présente pas de dégradations remarquables,
étant assez récente. Nous noterons toutefois la présence de fissures et lacunes dues à une
dégradation du support.
L’étude du support a montré qu’il s’agissait d’un mur plan, lisse, en mortier ou en
béton. Ce mur a été en partie recouvert d’une sous-couche de peinture blanche appliquée au
rouleau. Cette sous-couche est caractérisée par l’artiste comme une peinture achetée en
grande surface pour une utilisation extérieure ou intérieure. La couche picturale a été
appliquée à la bombe, en une ou plusieurs couches selon les zones, à l’aide de bombes de
peintures de la marque allemande Belton©.

PSC CHI/HSS 01 18
Solubilité
Une étude de solubilité de plusieurs zones de la couche picturale dans différents vernis
permet d’obtenir des renseignements sur la nature des peintures utilisées, notamment sur la
base dans laquelle on ajoute pigments et additifs pour conférer à la peinture ses
caractéristiques.


Légende :



Test de solubilité



Prélèvement
d’échantillon



Eau white spirit acétone éthanol isopropanol

Noir non soluble non soluble soluble soluble soluble

Gris non soluble non soluble soluble soluble soluble

Orange non soluble soluble soluble soluble soluble

Rose non soluble non soluble non soluble soluble soluble

Rouge non soluble non soluble soluble soluble non soluble



Figure 9 : Description des tests de solubilité et prélèvements sur la fresque de Luca Fiore

Un pigment soluble dans l’eau contient des composants polaires, on peut en déduire
que les composants présents dans les peintures testées sont apolaires et probablement
organiques. L’acétone est un solvant habituel des peintures notamment acryliques, il n’est
donc pas étonnant que les pigments soient majoritairement solubles dans ce solvant.
L’éthanol est un solvant pour les molécules organiques, et en particulier les polymères.
En conclusion, l’analyse nous donne des critères sur la composition de la base, ainsi
que des pistes pour une restauration d’une telle œuvre. En effet, il sera nécessaire d’utiliser
un solvant capable de solubiliser les impuretés sans solubiliser les peintures, afin de nettoyer
la surface de la fresque. De plus, dans le but de l’élaboration d’un vernis de protection de cette
fresque, il faudra s’assurer que le vernis soit retirable sans endommager la couche picturale.
Ainsi, le traitement doit être soluble dans un solvant ne solubilisant pas la couche picturale,
afin de respecter le principe de réversibilité.

PSC CHI/HSS 01 19
Coupe stratigraphique

L’analyse d’une coupe stratigraphique de micro-prélèvements permet de révéler la


présence de sous-couches, l’épaisseur de couches appliquées, ainsi que d’obtenir des
caractéristiques supplémentaires sur la peinture.



Figure 10 : Prélèvement dans la fresque de la rue Champollion, mise en résine, photographie
au microscope optique - grossissement x50 - lumière polarisée, réalisé à l’Inp

On peut observer :

• Une couche orange qui correspond à la peinture visible à la surface de la fresque, de
granulométrie fine, d’une épaisseur de 35 µm en moyenne. Les tâches noires
pourraient correspondre à la migration du pigment noir sous-jacent.
• Une couche noire
• Une couche blanche d’une épaisseur de 50 µm en moyenne. On observe la présence
de gros grains, correspondant sans doute à un additif
• La couche de support, ici du béton.

Contexte particulier de la dépigmentation due au rayonnement

Luca Fiore est également l’auteur de la fresque réalisée le 11 octobre 2014 pour la
Halle Barbusse à Ivry-sur-Seine. Le pigment orange fluo de cette fresque a été dégradé : on
peut en effet remarquer une forte différence d’intensité de couleur entre les photographies
prises au moment de la création et les photographies actuelles. De plus, il est possible
d’affirmer que la cause de cette dégradation est bien les rayonnements du soleil, car on
observe une différence de coloration entre zones en fonction de leur exposition : la
photographie du poteau montre que la face exposée au soleil du Sud est bien plus dégradée
que la face Nord, cachée de plus par l’ombre du bâtiment.

PSC CHI/HSS 01 20















Figure 11 : Image satellite du marché Barbusse et vue du marché Barbusse - Flèche blanche
sur le plan - Archives personnelles - 2017











Figure 12 : Vues du marché Barbusse à la création de l’œuvre en 2014 et en 2017 - Flèche
bleue sur le plan - Archives de l’artiste et archives personnelles
On peut à nouveau étudier la solubilité de ce pigment orange fluo dans différents solvants :

eau white spirit acétone éthanol isopropanol

Orange fluo non soluble non soluble non soluble non soluble non soluble

Figure 13 : Description des tests de solubilité sur la fresque du marché Barbusse

PSC CHI/HSS 01 21
Ces résultats montrent en particulier qu’il est peu probable que l’eau soit responsable
de ces dégradations, car la peinture n’y est pas soluble. Cela conforte l’idée selon laquelle
l’altération est due au rayonnement du soleil. Une analyse plus précise d’un échantillon
prélevé dans cette peinture révèle la présence de deux sous-couches de peinture. La couche
picturale orange fluo semble être composée de pigments fixés sur des grains transparents de
8 µm de diamètre en moyenne. Enfin, placée sous rayonnement UV, la couche picturale
s’altère, diffusant davantage les rayonnements UV au lieu de les absorber. Nous pouvons faire
l’hypothèse que la partie UV du rayonnement du soleil est en partie responsable de cette
dégradation.




























Figure 14 : Coupe stratigraphique observée au microscope optique en lumière polarisée,
grossissement x50 et x200 puis en grossissement x200 sous rayonnement UV-B2A -
Observations réalisées au laboratoire de l’Inp

PSC CHI/HSS 01 22
II.3. Modélisation en laboratoire et étude expérimentale
Approche théorique
Notre étude concerne essentiellement la dégradation par la lumière car, comme nous
le verrons plus tard, les dégradations que nous avons obtenues sont dues par l’exposition aux
UV-visibles. Cette exposition aux rayonnements UV, mais surtout à la lumière visible12, en
présence d’oxygène provoque en effet l'apparition de radicaux13. Ce sont ces radicaux qui vont
ensuite attaquer les chaînes polymères des peintures et les dégrader de proche en proche de
façon catalytique, ce qui provoque la destruction des pigments ou alors la destruction de la
matrice contenant ces pigments. Cette réaction peut être catalysée par des particules
métalliques telles que les pigments. Des mécanismes précis ont été établis mais ceux-ci sont
spécifiques et nécessitent de connaître la nature chimique de la peinture.

Les dégradations par la pollution peuvent également intervenir directement sur la
peinture en modifiant le pH, ce qui favorise la réaction de dégradation. Lors de nos
expériences, dans lesquelles l’action du support est absente car remplacé par une lame de
verre, nous n’avons pas observé de telles dégradations. Il semblerait donc que ces
dégradations concernent essentiellement le support de la couche picturale.

Elaboration du protocole
Le principe du protocole est de soumettre la peinture à différentes conditions
environnementales. Les paragraphes précédents nous renseignent sur les causes significatives
de dégradations : eau, rayonnement, chaleur. Les autres causes pourraient également être
étudiées dans un projet à plus long terme. La contribution du support est également écartée
de l’expérience car elle est à la fois complexe et très singulière à chaque œuvre. La peinture
est donc échantillonnée sur un matériau inerte : des lamelles de verre.

Nombre Traitement Paramètres Schéma


d’échantillons

3 Témoins : à l’abri de la
lumière et de l’humidité

3 Rayonnement UV et visible Suntest en continu


80°C

3 Eau type eau de pluie Plongés 2 fois par jour


Séchage à l’étuve 50°C

3 Eau type eau de pluie Plongés 2 fois par jour


Rayonnement UV et visible 80°C

Figure 15 : Description du protocole expérimental

12
Senders D., Kirby J., A comparison of light-accelerated ageing regims in some galleries and museums
13
Allen N.S., Action of light on Dyed and Pigmented polymers

PSC CHI/HSS 01 23
L’eau de pluie est reproduite en laboratoire à partir de l’analyse chimique de la
composition d’une eau de pluie parisienne. Le rayonnement UV-visible est obtenu par un
dispositif appelé Suntest. Il s’agit d’un appareil d’émission lumineuse en lumière visible et UV,
il permet également de chauffer l’échantillon. Les paramètres de puissance de rayonnement
et de température sont fixés à 0.6 W.m-2 et 80°C.

cations Concentration en mol.L-1 anions Concentration en mol.L-1

Na+ 1,20x10-4 HCO3- 3,98×10-6

NH4+ 6,75×10-5 Cl- 1,29×10-4

Ca2+ 5,90×10-5 NO3- 4,80×10-5

SO42- 3,55×10-5


Figure 16 : Composition type d'une eau de pluie parisienne, issue de mesures effectuées au
LISA (Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques)

L’expérience a été calibrée par une phase pré-expérimentale. Un test de contrôle à donc
été réalisé avec des échantillons de peinture acrylique sur lamelles de verre ainsi que des
échantillons de cette même peinture sur un support béton avec une sous-couche de peinture
à l’eau. Le but de ce protocole est de déterminer si les observations sur lamelles de verre ne
diffèrent pas des observations sur les échantillons plus proches des conditions réelles de
l’œuvre d’art. Aucune différence, toutes choses égales par ailleurs, n’a été observée. Cela
permet de conclure quand à la cohérence d’utiliser un support de type lamelles de verre.

Première expérience : dégradation de la bombe de type Montana©


Le choix a été fait de travailler sur la dégradation d’une peinture orange fluo comme
celle utilisée sur le marché Barbusse. En effet, celle-ci présentait d’importantes dégradations
sur les parties exposées à la lumière. Cependant l’artiste Luca Fiore n’a pas pu nous informer
sur la marque de la bombe utilisée et les différentes analyses de solubilité et de stratification
n’ont pas été concluants. Notre première expérience a donc été réalisée sur une bombe de la
marque Montana© car il s’agit de la marque la plus communément utilisée par les graffeurs,
l’autre marque possible étant la peinture Belton©.

L’expérience a utilisé 18 échantillons: 4 proches de la réalité artistique à base de
mortier recouvert d’une sous couche blanche (peinture blanche satin pour mur et plafond
Renaulac©) volontairement de mauvaise qualité et inadapté car c’est sur ce type de couche
qu’avait travaillé Luca Fiore. Ces 5 premiers échantillons étaient présents dans un but plus
qualitatif que quantitatif.

Le verre a été rayé sur certains échantillons avant d’appliquer la peinture afin
d’augmenter l’adhérence de la peinture au support.

PSC CHI/HSS 01 24
Un cache a été posé sur la bordure extérieure des échantillons passant au Suntest pour
protéger des radiations lumineuses et mettre en évidence les évolutions de chromatisme. Un
cercle chromatique est présent sur les photographies afin de servir de témoin et d’éliminer
les points aberrants en cas de trop grande variation des couleurs de référence. Les
photographies ont été prises dans les mêmes conditions d’éclairement et avec le même
appareil photographique à chaque prise. La simulation d’eau de pluie a pour but de
représenter à la fois les effets de la pluie et les variations brusque de température et
d’humidité, par l’étuve ou le Suntest.

Numéro Nature du verre Exposition au Exposition à l’eau


Suntest

3-7 Rayé Oui Non

10 Lisse Oui Non

4 Rayé Non Oui

11-12 Lisse Non Oui

1-2 Rayé Oui Oui

8-9 Lisse Oui Oui

5-6 Rayé Non Non

13 Lisse Non Non



















Figure 17 : Description des échantillons et photographie des échantillons après expérience

PSC CHI/HSS 01 25
L’analyse des photographies, prises deux fois par jour pendant une semaine a été faite
en utilisant Adobe Photoshop©. L’analyse du chromatisme est réalisée à l’aide du codage
Teinte-Saturation-Luminosité.


Evolution de la teinte des échantillons en fonction du temps
Teinte (U. A.)
35

30

25

20

15

10

0
0 10 20 30 40 50 60 70 80
T Témoin T Suntest et eau T Suntest T Eau Temps (h)


Saturation (%) Evolution de la saturation des échantillonsen fonction du


temps
100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0
0 10 20 30 40 50 60 70 80
Temps (h)
S Témoin S Suntest et eau S Suntest S Eau

PSC CHI/HSS 01 26
Evolution de la luminosité des échantillons en fonction du
temps
Luminosité (%) 100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
0 10 20 30 40 50 60 70 80
Temps (h)
L Témoin L Suntest et eau L Suntest L Eau


Figure 18 : Graphiques décrivant l’évolution des paramètres Teinte-Saturation-Luminosité
des échantillons

Les dégradations ne sont pas visibles à l’œil nu, ce qui est un prérequis pour parler de
dégradations d’après les critères utilisés dans la conservation-restauration. Il ne semble pas
non plus y avoir de différence entre les différents échantillons, ce qui explique l’impossibilité
de déceler une tendance sur les graphiques. De plus, on ne peut pas conclure de façon
quantitative sur l'existence de dégradation chimique significative, les graphiques ne
présentant aucune corrélation entre exposition à une source de dégradation et variation des
paramètres chromatiques. Nous avons donc décidé de tester la dégradation de la bombe
Belton© qui est l’autre bombe pouvant être utilisée par l’artiste.

PSC CHI/HSS 01 27
Deuxième expérience : dégradation de la bombe de type Belton©
Cette expérience a été réalisée sous les mêmes conditions que la précédente.

Numéro Exposition au rayonnement Exposition à l’eau

1-2-3-13-14-15 Non Non

4-5-6 Non Oui

7-8-9 Oui Non

10-11-12 Oui Oui


























Figure 19 : Description des échantillons et photographie des échantillons après expérience

PSC CHI/HSS 01 28
Evolution de la teinte des échantillons en fonction du temps
Teinte (U. A.)
35

30

25

20

15

10

0
0 10 20 30 40 50 60 70 80
T Témoin T Suntest et eau T Suntest T Eau Temps (h)


Evolution de la saturation des échantillons en fonction du


temps
Saturation (%)

100

95

90

85

80

75

70
0 10 20 30 40 50 60 70 80
Temps (h)

S Témoin S Suntest et eau S Suntest S Eau




PSC CHI/HSS 01 29
Evolution de la luminosité des échantillons en fonction du
Luminosité (%)
100
temps
90

80

70

60

50

40

30

20

10
Temps (h)
0
0 10 20 30 40 50 60 70 80

L Témoin L Suntest et eau L Suntest L Eau




Figure 20 : Graphiques décrivant l’évolution des paramètres Teinte-Saturation-Luminosité
des échantillons

Cette expérience avec la Belton©, a effectivement produit des dégradations
significatives à l’œil nu. Nous pouvons également remarquer que les dégradations obtenues
ont des caractéristiques semblables à celle du marché Barbusse, ce qui pourrait confirmer
l’utilisation de la Belton© sur cet ouvrage. L’action de l’irradiation semble être l’unique cause
de dégradation observable avec notre protocole. Les changements observés sont une baisse
de la saturation et une augmentation de la teinte. Concrètement les échantillons jaunissent
et avec des couleurs plus fades ce qui correspond à nos observations sur d’autres œuvres de
street art et est constaté par d’autres sources bibliographique14-15.

14
Flahault. C., Dossier Palette : Une évolution dans une œuvre Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2016

15
Vade Mecum de la Conservation préventive, C2RMF,
<http://c2rmf.fr/sites/c2rmf.fr/files/vade_mecum_conservprev.pdf> [Consulté le 18 avril 2018]

PSC CHI/HSS 01 30

Résultats généraux et conclusion

Il y a effectivement une très grande différence de dégradation entre la peinture


Montana© et la Belton©, cependant nous n’avons pas pu avoir accès à la formulation des
différentes bombes donc il nous est impossible de comprendre de façon plus spécifique
l’origine de cette différence. Les résultats de dégradation obtenus sont cohérents d’un point
de vue empirique mais également d’un point de vue théorique : la dégradation du pigment
par les rayonnements implique effectivement une baisse de sa proportion et donc de la
saturation.

Le pH aurait dû avoir une influence sur la dégradation de la peinture en elle-même par
son action sur les radicaux16. Cependant notre mode d’application reposant sur des chocs
d’humidité a fait que la peinture n’a été exposé que très rapidement à un pH faible donc nous
ne pouvons pas conclure sur les effets du pH sur les peintures fluo dans le cadre de notre
expérience.
Bien que la pollution et l’humidité soient une cause de dégradation théorique nos
expériences n’ont pas donné de résultats concluants. L’influence de la température sur la
peinture semble être négligeable sur les durées considérées. Ainsi ces deux expériences nous
ont donc permis de sélectionner un paramètre clé dans une expérience reproductible. En effet
les rayonnements UV-visibles restent les seuls facteurs de dégradation effectifs sans présence
du support, dans les conditions de notre expérience. Nous avons isolé un paramètre,
l'exposition UV-visible, et une évolution de paramètres observables, la baisse de la saturation
et l’augmentation de la teinte.
Finalement cette série d'expérience a permis de sélectionner un paramètre clé dans la
dégradation, de caractériser les conséquences de ce type de variation et enfin de mettre au
point une méthode reproductible permettant d’obtenir une dégradation contrôlée. Ainsi nous
avons pu travailler sur les moyens de lutter contre ce type de dégradation en ayant une
expérience test reproductible que les élèves de l’Inp pourront utiliser.

16
Allen N.S., Action of light on Dyed and Pigmented polymers

PSC CHI/HSS 01 31
III. Elaboration d’un traitement de protection

III.1. Sélection d’un type de traitement

La conservation-restauration de l’art urbain étant un domaine émergent, les cas
concrets de restauration d’œuvres d’art sont rares. On peut trouver toutefois des exemples
de nettoyage de salissures et de graffitis par gel17, de pose de plaques de plexiglas18,
d’utilisation de consolidant19 ou encore de vernis 20.

L’utilisation d’un vernis n’est pas la panacée en matière de conservation en général,
comme le souligne René de la Rie, enseignant-chercheur à l’université d’Amsterdam et
spécialiste des vernis pour toiles. Tout d’abord, un vernis a une incidence esthétique puisqu’il
modifie l’aspect visuel d’une œuvre : son application provoque une saturation des couleurs
qui augmente les contrastes. Cet effet n’entre pas forcément dans le rendu que l’artiste
voulait pour son œuvre. De surcroît, à défaut de la protéger, un vernis peut entraîner
l’altération chimique d’une peinture.
Si l’utilisation de vernis est à limiter au maximum en ce qui concerne la conservation-
restauration des œuvres conservées en intérieur, où il est préférable sans doute de jouer sur
des paramètres contrôlables tels que l’humidité, la température, l’exposition à la lumière, on
peut en revanche plus légitimement justifier son application en extérieur. Les conditions
d’exposition, une fois que l’emplacement de l’œuvre a été choisi, sont agressives et
incontrôlables. L’ajout de plaques de plexiglas ou d’auvents altère encore plus le visuel global
de l’œuvre et son déplacement pose des problèmes importants tant techniques que éthiques.
En outre, un vernis permet de toucher plusieurs acteurs : artiste, commanditaire en accord
avec l’artiste, conservateur-restaurateur. Il peut être utilisé à différents stades de la vie d’une
œuvre d’art : par mesure de prévention après un constat de détérioration de l’œuvre, au cours
d’un travail de restauration, juste à l’issue du processus de création ou même pendant la
création afin d’être au service d’une démarche artistique.

17
Titlow, J.P., Kensington: Graffiti to Be Removed from Shepard Fairey Mural, 2011, [en ligne]. Disponible sur :
<https://philadelphianeighborhoods.com/2011/02/24/kensington-graffiti-to-be-removed-from-shepard-fairey-
mural/> [Consulté le 7 avril 2018]

18
Fissurier Y., Angleterre : un graffiti de Banksy crée l'effervescence à Folkestone, 2014, [en ligne]. Disponible
sur : <https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/2014/10/01/angleterre-un-graffiti-de-banksy-
cree-l-effervescence-folkestone-562408.html> [Consulté le 7 avril 2018]

19
Massari , Chapter 12 : A case in study in Rome, In : PONS, Mercedes Sánchez, SHANK, Will, LOPEZ, Laura
Fuster, Conservation Issues in Modern and Contemporary Murals, 2015

20
Golden M., Mural Paints: Current And Future Formulations, 2003, [en ligne]. Disponible sur :
<http://www.getty.edu/conservation/publications_resources/pdf_publications/pdf/golden.pdf > [Consulté le
23 janvier 2018]

PSC CHI/HSS 01 32

En s’appuyant sur des recherches bibliographiques et un cahier des charges conçu par
les élèves de l’Inp, nous avons défini quelles seraient les caractéristiques d’un vernis idéal pour
notre application :

Physico-chimie :

- Résistance (UV, humidité, attaques biologiques, pollution)
- Adhérence
- Absence de contamination du support
- Porosité suffisante pour drainer l’humidité montant du mur

Esthétique :

- Transparence
- Brillance optimale

Usage :

- Application facile même sur de grandes surfaces
- Séchage rapide
- Accessibilité financière
- Toxicité minimale

Déontologie :

- Réversibilité

III.2. Choix d’un vernis de protection

Le vernis se définit comme une préparation susceptible de donner par application en


couches minces, un film adhérent, dur et translucide21. Il s’agit principalement de matériaux
composés de très longues molécules auxquelles sont mélangés des adjuvants. A l’origine, les
vernis utilisés étaient naturels (cire d’abeille, résine d’arbre telle que le dammar). L’utilisation
de résines synthétiques s’est répandue au XXe siècle avec les dérivés du pétrole tels que la
paraffine et le développement des polymères synthétiques.


Quelle base polymère ?

Les polymères sont de longues chaînes de petites sous-unités moléculaires (de l’ordre
de plusieurs dizaines jusqu’à plusieurs milliers).
La maîtrise de la synthèse de ces derniers a rendu possible le contrôle de certaines propriétés
extrêmement importantes.

21
Horie V., Materials for conservation : Organic consolidants, adhesives and coatings, 2010

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- Le poids moléculaire, qui permet notamment de quantifier la longueur de la molécule
ou degré de polymérisation
- La résistance mécanique : résistance aux rayures, module d’Young
- La température de transition vitreuse, qui correspond à la température à partir de
laquelle le polymère devient ductile. Si elle est en dessous de la température
ambiante, le polymère va fixer la poussière. Si elle est trop haute, le polymère risque
d’être trop rigide et donc de craqueler.
- La réticulation, c’est-à-dire la formation de liens covalents entre les macromolécules.
Elle provoque une rigidification du film et une baisse de solubilité.
- La solubilité, qui est essentielle si l’on veut pouvoir retirer le vernis dans un souci de
réversibilité.
- Les propriétés optiques : indice de réfraction, couleur, brillance
- La stabilité, soit la conservation de toutes les propriétés évoquées dans le temps et
sous sollicitations diverses.

On trouve les polymères commerciaux sous plusieurs formes : solide, en solution et en
émulsion, en fonction du mode de polymérisation qui y a conduit. Les émulsions impliquent
le contrôle d’un paramètre supplémentaire, la température minimum de formation de film,
qui contrôle la fluidité des particules de polymère, afin que celles-ci s’assemblent
correctement pour former une couche homogène. Le taux d’évaporation du solvant est
également un critère important lors de la conception d’une résine polymère. Le séchage d’un
solvant est en effet un phénomène assez complexe. On aurait tendance à choisir le meilleur
solvant possible, c’est-à-dire celui qui va le mieux solubiliser le polymère, pour que celui-ci ne
précipite pas avant application. Cependant, plus le solvant a d’affinité avec la matrice, plus il
y restera longtemps, s’évaporant sur des échelles de temps pouvant aller jusqu’à plusieurs
années, et donc modifiant les propriétés du film. Il y a donc un équilibre à trouver.


Il existe de nombreux types de polymères que l’on classe en groupes en fonction des
molécules dont ils dérivent. Les tests pour évaluer leurs propriétés ont été standardisées par
des organismes tels que l’American Society for Testing Material (ASTM), le British Standard
Institute et l’International Organisation for Standardization (ISO). Par ailleurs, la classification
de Feller permet de classer les matériaux à destination de la conservation-restauration en
fonction de leur durée de vie. Ces tests ne prennent toutefois pas en compte les évolutions
des interactions entre l’objet et le vernis, problème beaucoup plus complexe et à multiples
variables, et par conséquent difficile à standardiser. Elles ne sont abordées que
sporadiquement dans des études menées par des conservateurs-restaurateurs.


Voici quelques types de polymères couramment utilisés comme vernis en
conservation, avec leurs avantages et inconvénients principaux22.

22
Epley B., Painting Conservation Catalog : III The History of synthetic varnishes, 1996,
[en ligne]. Disponible sur :
<http://www.conservationwiki.com/wiki/III._The_History_of_Synthetic_Resin_Varnishes > [Consulté en avril
2018]

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Type de vernis Formule de base Avantages Inconvénients

Polyacétates de Pas de réticulation Légère oxydation


vinyle Degré de Basse température
polymérisation de transition vitreuse
facilement Hygroscopique
contrôlable

Poly(mét)acryliques Résistance au Réticulation à la


jaunissement lumière
Solubilité dans les
hydrocarbures
Flexibilité
Haute température
de transition vitreuse

Polycétones Faible viscosité en Oxydation


solution photochimique
cyclohexanone Propriétés
mécaniques
intéressantes


Oligomères Solubles dans les
solvants
Résines aldéhyde, aliphatiques, moins
hydrocarbures agressifs pour les
hydrogénés peintures
Résistance à la
dégradation auto-
oxydative
Réticulation
n’entraînant pas des
problèmes de
solubilité

Dérivés cellulosiques Haute température Problèmes de


de transition vitreuse solubilité et de
Acétate, nitrate de (pour le nitrate) stabilité
cellulose, Sodium
carboxyméthylcellul
ose

PSC CHI/HSS 01 35
C’est finalement un vernis acrylique qui nous a paru le plus judicieux pour un usage sur
des peintures murales. Il est en effet très stable car peu sujet à l’oxydation. Il est en outre
semi-perméable. Sa température de transition est facilement modulable en synthétisant des
copolymères, c’est-à-dire des polymères comportant plusieurs sous-unités différentes en
proportions variables. Les films obtenus peuvent donc être à la fois relativement souples et
ne pas fixer la poussière malgré une large gamme de températures en extérieur. On peut
également y ajouter de l’oxygène pour faire varier la polarité et la solubilité. La réticulation à
la lumière peut être contrée en utilisant en copolymères des acryliques fluorés qui sont encore
plus stables23 .
Cependant, la plupart des peintures utilisées étant acryliques, l’utilisation d’un vernis
de même nature pose un problème d’irréversibilité quand il est utilisé en conservation-
restauration. On peut donc penser à appliquer d’abord une sous-couche de polyvinylacétate,
un des polymères les plus résistants au vieillissement UV, retirable des peintures plus de 30 à
40 ans après la pose.

Le moyen d’application le plus approprié est sans doute l’émulsion en bombes. Leur
utilisation est en effet déjà familière des artistes et adaptée à la protection d’œuvres
éventuellement peu accessibles - murs hauts, dans des lieux passants -, de grande surface et
qu’on ne peut ramener dans un atelier de conservateur-restaurateur.

III.3. Détermination des adjuvants et élaboration d’un vernis test

Actuellement, une grande variété d’adjuvants est disponible. Ils sont ajoutés en
concentrations très basses (normalement, entre 0.5 et 3 % du poids de la résine) pour mitiger
les processus de dégradation24.

Hindered Amine Light Stabilizers (HALS)

Les amines secondaires et tertiaires utilisées telles quelles en tant que stabilisateurs
sont connues en anglais par l’acronyme HALS (Hindered Amine Light Stabilizers). A cause de
leur efficacité en tant que capteurs de radicaux libres en présence de lumière, les HALS sont
utilisés conjointement avec les antioxydants phénoliques comme stabilisateurs pour les vernis
utilisés dans le cadre de la conservation-restauration de peintures. En revanche, le mécanisme
de stabilisation est assez complexe et n’est pas complètement connu.

Les HALS ne sont pas en général consommés par la réaction de stabilisation. Ils sont
donc idéaux pour les situations dans lesquelles les adjuvants doivent rester actifs pour une
durée indéterminée. Toutefois, les amines tertiaires sont transformées lors de la réaction
d'oxydation en différentes espèces chimiques (par exemple, le radical nitroxyle NO·, qui n’est
plus un stabilisateur). Ainsi, elles sont moins stables et moins utilisées.

23
Feller R. L., Problems in the investigation of picture varnishes, On picture varnishes and their solvents. Case
Western Reserve University., 1972, pp. 117-168
24
De la Rie E.R., McGlinchey C.W., New synthetic resins for picture varnishes, Cleaning retouching and
coatings: Technology and practice for easel paintings and polychrome sculpture. Preprints of the contributions
to the Brussels Congress, 1990, London: International Institute for Conservation of Historic and Artistic Works,
pp. 168–73.

PSC CHI/HSS 01 36
Pour résumer, les HALS réagissent de deux manières différentes. Tout d’abord ils
réagissent avec les radicaux libres présents dans les impuretés des liants polymères pour
former un amino-ether. Dans un deuxième temps, ce dernier réagit pour former des radicaux
peroxyde. Cette dernière réaction régénère le radical nitroxyle, comme indiqué par le schéma
ci-dessous.



Figure 21 : Mécanisme réactionnel des HALS : formation du radical nitroxyle, piégeage du
radical libre et élimination du radical peroxyle


Absorbants UV

Les Absorbants UV sont des adjuvants aussi connus sous le nom d’inhibiteurs d’UV. Il
s’agit d’un type particulier d’oxydants.

Quand ils sont ajoutés sur des acryliques stables (comme par exemple le Paraloid® B-
72), les absorbants UV n’interagissent normalement qu’avec les UV et pas avec la matrice
polymérique. En revanche, ils ont un comportement synergique quand ils sont utilisés en
présence des HALS. En effet, les absorbants UV rendent les HALS encore plus stabilisateurs et
les HALS rendent les absorbants UV moins volatiles et moins vulnérables à des interactions
avec groupes carboxyliques.

Cependant, ils peuvent interagir avec des impuretés de polymères ou espèces
oxydantes présentes dans les matrices, en les consommant. Pour cela, ils devraient être
utilisés dans des polymères qui ne contiennent que quelques sites oxydants et impuretés. De
plus, leur durabilité de long terme peut diminuer avec l’utilisation d’autres types de produit.

Antioxydants phénoliques

Historiquement, ce dernier type de stabilisateur a été utilisé comme stabilisateur
thermique car protecteur contre l'auto-oxydation induite par des températures élevées. En
général, son comportement en présence de lumière n’est pas satisfaisant du fait de sa faible
photostabilité. Leur usage n’est donc pas pertinent dans le cadre d’une exposition aux
dégradations à cause de la lumière.



PSC CHI/HSS 01 37
Elaboration d’un vernis test

Il est à noter qu’il existe déjà sur le marché quelques rares vernis à destination des
peintures murales en extérieur, mais leur utilisation n’est pas du tout répandue chez les street
artistes ; leur coût est assez conséquent et la plupart des artistes ne se placent pas dans un
paradigme de pérennité de leurs œuvres. En outre, en raison des secrets de fabrication
industrielle, les conservateurs-restaurateurs ne peuvent souvent pas savoir ce qui y est
contenu ce qui pose des problèmes déontologiques notamment vis à vis de la réversibilité. Les
vernis de restauration, souvent utilisés de longue date et dont la fiabilité et l’irréversibilité est
donc mieux assurée, ont eux aussi un coût très élevé.

Nous avons décidé d’élaborer un vernis test, afin de proposer une base de réflexion
pour la conception d’un vernis en s’intéressant plus particulièrement à la protection contre la
lumière et aux problématiques de coût. Ce vernis pourrait s’adresser à tous les types d’acteurs
et en particulier aux conservateurs-restaurateurs s’il était combiné à une sous-couche de
polyvinylacétate.

Plusieurs produits vont être testés pour élaborer un vernis réunissant le plus de
propriétés requises, en se concentrant plus précisément sur la résistance et la protection
contre la lumière :

● Base acrylique pure (Omnova solution) X 50-259 et X50-260
● Anti UV (BASF) Tinuvins® 400 et 384-2
● HALS (BASF) Tinuvins® 123 et 292


Ce vernis sera ensuite testé dans le cadre d’un projet mené par des élèves de l’Inp pour
étudier la protection des peintures murales par différents vernis.

L’utilisation d’un vernis pour protéger les œuvres de street art est finalement difficile
déontologiquement parce qu’elle peut altérer une peinture visuellement et chimiquement.
Mais c’est aussi un défi technique car un tel vernis doit répondre à un grand nombre de
contraintes dues aux conditions de son utilisation et à l’exposition des œuvres.

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Conclusion

Cette étude a permis d’entrevoir que la complexité inhérente à la conservation-
restauration des œuvres d’art est exacerbée par les spécificités du street art. En effet, la
confrontation des points de vue des différents acteurs de l’espace public a montré que ce qui
fait la valeur artistique, économique et patrimoniale d’une œuvre de street art est loin de se
résumer à sa matérialité voire même implique sa destruction. Le travail préalable à la
conservation-restauration ne peut donc se passer d’une concertation avec l’artiste et d’une
prise en compte de l’espace public pour ne pas entrer en conflit avec la démarche artistique.

Les observations et analyses effectuées in situ, grâce à la collaboration d’étudiantes
en conservation-restauration, ont démontré que l’exposition particulière des œuvres aux
facteurs environnementaux était particulièrement problématique dans le cas du street art.
L’influence du facteur particulier que représente la lumière a ensuite pu être mise en évidence
en laboratoire. Cela a démontré l’intérêt du développement de vernis anti-UV à destination
des artistes et des conservateurs-restaurateurs. Une recherche bibliographique approfondie
a permis d’élaborer un vernis dont les performances vont pouvoir être évaluées selon les
modalités et le protocole mis en place lors de la caractérisation des dégradations en
laboratoire.

Cependant le traitement du vaste sujet de la dégradation du street art et de la création
d’un vernis ne peut pas être achevé avec un seul projet. C’est pour cela que la collaboration
avec l’Inp se révèle cruciale car les élèves de cette école, à travers un Projet d'Étude
EXpérimentale (PEEX), vont travailler sur la comparaison de vernis protecteur aux
rayonnement UV-visibles, dont notre vernis. Ceci prolongera notre projet en utilisant nos
recherches, réflexions et expériences afin que l’ensemble des groupes impliqués puisse avoir
une vision la plus globale possible sur un sujet vaste mais passionnant.

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