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SAINT THOMAS D’AQUIN


Docteur de l’Église

COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD


Scriptum super Sententiis
(1254-1256)

© Copyright, traduction et notes par Jacques MÉNARD 2010


Edition numérique http://docteurangelique.free.fr
Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin

LIVRE III – L’INCARNATION DU VERBE ET SES FRUITS

Le texte latin est en caractère 12, en bleu. En l'absence d'une édition critique du Commentaire
sur le livre des Sentences de Thomas d'Aquin, la présente traduction française est faite à partir
de l'édition électronique des Opera omnia de Thomas d'Aquin, réalisée par le professeur
Enrique Alarcon, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus
thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org

NOTE LIMINAIRE – Bien qu’il ait été rédigé sur une période de plusieurs années, le
Commentaire sur le livre des Sentences de Pierre Lombard témoigne du premier
enseignement de Thomas d’Aquin. Il a paru intéressant d’en donner une traduction française,
même si plusieurs opinions exprimées par l’auteur seront corrigées ou abandonnées dans des
œuvres ultérieures. Les lecteurs intéressés pourront ainsi étudier plus facilement comment la
pensée de Thomas d’Aquin a pu évoluer. Par ailleurs, le Commentaire contient aussi des
pages remarquables, que les lecteurs prendront intérêt à lire ou à relire en français. On se
rappellera enfin que le IVe livre des Sentences a fourni les matériaux du Supplément de la IIIa
Pars de la Somme de théologie, que Thomas d’Aquin a laissée inachevée au moment de sa
mort, en 1274 (la rédaction personnelle par Thomas d’Aquin se termine à III, q. 90, a. 4). On
trouvera une édition critique des Sentences sous le titre Sententiae, éd. I. Brady, Grottaferrata,
1971-1981. Il n’existe pas de traduction française de ce texte pourtant fondamental de la
théologie médiévale. Sur Pierre Lombard, on pourra voir la brève notice «Pierre Lombard»,
Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1185-1186 (bibl.), ainsi
que la notice «Pierre Lombard», Dictionnaire du Moyen Âge, Paris, 2002, p. 1106-1107
(bibl.). Pour tout ce qui concerne le contexte historique du Commentaire de Thomas d’Aquin
sur le Livre des Sentences, nous renvoyons à J.-P. TORRELL, Initiation à saint Thomas
d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Paris-Fribourg, 2002 (2e éd.), p. 53ss. (bibl.).

Version préliminaire : En effet, il reste :


1. à vérifier, à compléter et à uniformiser les citations bibliques (que j'ai laissées telles que les
éditeurs du texte latin les avait données);
2. à traduire les expositiones textus, lorsqu’existera une traduction française de référence des
Sentences de Pierre Lombard. Pour le moment, il n’est pas tenu compte du texte de Pierre
Lombard (expositio textus) présenté au début de chaque distinction. Il a paru préférable
d’attendre une traduction du Livre des Sentences de Pierre Lombard et, le temps venu, de
renvoyer à la traduction des textes correspondants pour chaque expositio textus.

Livre III___________________________________________________________________23
Prologue___________________________________________________________________________23
2

Distinction 1 – [L’incarnation, du point de vue de celui qui assume]_____________________25


Question 1 – [Était-il possible à Dieu de s’incarner ?]__________________________________________25
Prologue___________________________________________________________________________25
Article 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ?____________________________________________26
Article 2 – Était-il convenable que Dieu s’incarne ?_________________________________________32
Article 3 – Si l’homme n’avait pas péché, Dieu se serait-il incarné ?____________________________41
Article 4 – Convenait-il que Dieu reporte tellement son incarnation ?__________________________46
Question 2 – [Qui assume la chair ?]_______________________________________________________50
Prologue___________________________________________________________________________50
Article 1 – Une seule personne peut-elle assumer la chair sans une autre ?______________________51
Article 2 – Convenait-il davantage que le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit ?_______54
Article 3 – Le Père pouvait-il prendre chair, de même que le Saint-Esprit ?______________________58
Article 4 – Le Père, le Fils et le Saint-Esprit peuvent-ils assumer la même nature en nombre ?_______62
Article 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux natures humaines ?_____________________66
Explication du texte de Pierre Lombard – Dist. 1_____________________________________70
Distinction 2 – [L’incarnation, du point de vue de ce qui est assumé]_____________________72
Question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’assumée que les autres ?]________________72
Prologue___________________________________________________________________________72
Article 1 – La nature humaine peut-elle être assumée plutôt que les autres ?____________________74
Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle plus susceptible d’être assumée qu’une créature sans
raison ?]_________________________________________________________________________74
Sous-question 2 – [La nature angélique est-elle moins susceptible d’être assumée que la nature
humaine ?]______________________________________________________________________75
Sous-question 3 – [L’univers entier est-il plus susceptible d’être assumé que la nature humaine ?]_75
Réponse à la sous-question 1________________________________________________________76
Réponse à la sous-question 2________________________________________________________78
Réponse à la sous-question 3________________________________________________________79
Article 2 – Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine ?_______________________________80
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine chez tous les suppôts de la
nature humaine ?]________________________________________________________________80
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en quelqu’un engendré de la
descendance d’Adam ?]____________________________________________________________81
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu devait-il assumer la nature humaine en Adam lui-même ?]_____81
Réponse à la sous-question 1________________________________________________________82
Réponse à la sous-question 2________________________________________________________83
Réponse à la sous-question 3________________________________________________________84
Article 3 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?____________________________________85
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair humaine ?]__________________________85
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair, mais non pas l’âme ?]_________________85
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la forme du tout qui résulte de la composition des
parties ?]________________________________________________________________________86
Réponse à la sous-question 1________________________________________________________87
Réponse à la sous-question 2________________________________________________________90
Réponse à la sous-question 3________________________________________________________91
Question 2 – [L’ordre de l’assomption]_____________________________________________________92
Prologue___________________________________________________________________________92
Article 1 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?]___________________92
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme ?]__________92
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit ?]__________93
Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé le tout par l’intermédiaire des parties ?]_________94
Réponse à la sous-question 1________________________________________________________95
Réponse à la sous-question 2________________________________________________________97
Réponse à la sous-question 3________________________________________________________98
Article 2 – La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?_________________100
Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle assumée par l’intermédiaire de la grâce ?]_______100
Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit ?]____101
3

Sous-question 3 – [L’union joue-t-elle le rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la nature


divine ?]________________________________________________________________________101
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________102
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________104
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________104
Article 3 – La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?_______________________________105
Sous-question 1 – [La chair a-t-elle été conçue avant d’être assumée ?]_____________________105
Sous-question 2 – [La chair a-t-elle été assumée avant d’être animée ?]_____________________106
Sous-question 3 – [L’âme a-t-elle été assumée avant d’être unie au corps ?]_________________106
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________107
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________108
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________109
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 2________________________________109
Distinction 3 – [La qualité de ce qui a été assumé]____________________________________112
Question 1 – [La sanctification de la bienheureuse Vierge]_____________________________________112
Prologue__________________________________________________________________________112
Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que sa conception ne soit terminée ?
_________________________________________________________________________________113
Sous-question 1 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant que la conception de sa
chair ne soit terminée ?]___________________________________________________________113
Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant d’être animée ?]_______114
Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance ?]_________115
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________116
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________118
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________119
Article 2 – Par la sanctification dans le sein, la bienheureuse Vierge a-t-elle été entièrement purifiée du
péché originel ?____________________________________________________________________120
Sous-question 1 – [La mère de Dieu a-t-elle été entièrement purifiée du péché originel dans le
sein ?]_________________________________________________________________________120
Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-t-elle obtenu d’être exempte du péché actuel par la
sanctification dès le sein ?]_________________________________________________________120
Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge, par la seconde sanctification qui s’est réalisée par la
conception du Sauveur, a-t-elle obtenu d’être confirmée dans le bien ?]_____________________121
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________122
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________125
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________126
Question 2 – [La puissance génératrice de la bienheureuse Vierge ]______________________________128
Prologue__________________________________________________________________________128
Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle contribué activement à la conception du Christ ?_______128
Article 2 – La génération du Christ par une vierge est-elle naturelle ou miraculeuse ?_____________135
Question 3 – [L’Annonciation ]__________________________________________________________138
Prologue__________________________________________________________________________138
Article 1 – Convenait-il qu’une annonce de la conception du Sauveur soit faite à la Vierge ?________138
Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que la conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge ?]_138
Sous-question 2 – [L’annonciation a-t-elle eu lieu sous forme de vision corporelle ?]___________139
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________140
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________141
Sous-question 1 – [L’Annonciation devait-elle être faite par un ange ?]______________________142
Sous-question 2 – [L’ange de l’Annonciation faisait-il partie des ordres les plus élevés ?]________142
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________143
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________144
Explication du texte de Pierre Lombard (Questions 1, 2 et 3)__________________________145
Question 4 – [Questions sur la condition charnelle que le Christ a reçue de sa mère]________________146
Prologue__________________________________________________________________________146
Article 1 – La chair du Christ a-t-elle été exposée au péché chez les pères anciens ?______________147
4

Sous-question 1 – [Un descendant d’Abraham a-t-il été soumis à la dîme en lui ?]_____________155
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été soumis à la dîme en Abraham ?]______________________157
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________157
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________159
Question 5 – [La transmission de la chair du Christ depuis sa mère]_____________________________160
Prologue__________________________________________________________________________160
Article 1 – Le corps du Christ a-t-il été conçu à partir du sang très pur de la Vierge ?______________160
Article 2 – La conception du corps du Christ s’est-elle produite subitement ou successivement ?____163
Article 3 – La sanctification convient-elle au Christ, au sens où il avait besoin de sanctification ?____168
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 3_____________________________________171
Distinction 4 – [La cause efficiente de l’assomption]__________________________________172
Question 1 – [L’accomplissement de la conception du Christ doit-il être approprié au Saint-Esprit ?]___172
Prologue__________________________________________________________________________172
Article 1 – La réalisation de la conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?______174
Sous-question 1 – [Cette réalisation doit-elle être appropriée à une personne divine ?]_________174
Sous-question 2 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Père ?]_______________174
Sous-question 3 – [La conception du Christ doit-elle être attribuée au Fils ?]__________________175
Sous-question 4 – [La conception du Christ doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?]_________175
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________176
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________177
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________178
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________178
Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?______________179
Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?]_____179
Sous-question 2 – [Le Christ peut-il être appelé le Fils de la Trinité ?]_______________________180
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________181
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________183
Question 2 – [La conception du Christ par rapport à sa mère]___________________________________184
Prologue__________________________________________________________________________184
Article 1 – La bienherueuse Vierge peut-elle être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ ?______184
Article 2 – La bienheureuse Vierge doit-elle être appelée mère de Dieu ?______________________187
Question 3 – [La conception par rapport à la grâce du Christ]__________________________________189
Prologue__________________________________________________________________________189
Article 1 – Cette conception a-t-elle été précédée de mérites de la part des pères anciens ?_______189
Article 2 – La grâce est-elle naturelle à cet homme ?_______________________________________192
Sous-question 1 – [La grâce est-elle naturelle à cet homme ?]_____________________________192
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été corporellement rempli par la grâce divine ou par la divinité ?]
______________________________________________________________________________192
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________193
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________194
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 4_____________________________________194
Distinction 5 – [Ce qui assume et ce qui est assumé ont-ils raison de nature ou de personne ?]
______________________________________________________________________________196
Question 1 – [Qu’est-ce que l’union ?]____________________________________________________196
Prologue__________________________________________________________________________196
Article 1 – L’union est-elle quelque chose de créé ?________________________________________198
Sous-question 1 – [L’union est-elle une créature ?]______________________________________198
Sous-question 2 – [S’agit-il de la moindre des unions ? ]__________________________________198
Sous-question 3 – [L’union diffère-t-elle de l’assomption ?]_______________________________199
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________200
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________201
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________201
Article 4 – L’union s’est-elle réalisée dans la nature ?______________________________________202
Article 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la personne et le Christ était-il une seule personne ?_____207
5

Question 2 – [Convient-il à une personne divine d’assumer ?]__________________________________211


Prologue__________________________________________________________________________211
Article 1 – Convient-il à une personne divine d’assumer ?___________________________________211
Article 2 – Convient-il à la nature [divine] d’assumer ?_____________________________________214
Article 3 – Convient-il à la nature d’assumer, en mettant à part les personnes ?_________________215
Question 3 – [Ce qui est assumé]_________________________________________________________217
Prologue__________________________________________________________________________217
Article 1 – La nature humaine a-t-elle été assumée ?_______________________________________217
Article 2 – L’âme séparée est-elle une personne ?_________________________________________219
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 5_____________________________________222
Distinction 6 – [Les conditions du Dieu incarné]_____________________________________224
Question 1 – [Ce qui convient au Dieu incarné]_____________________________________________224
Prologue__________________________________________________________________________224
Article 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?________________________________________230
Sous-question 1 – [Y a-t-il deux hypostases dans le Christ ?]_______________________________230
Sous-question 2 – [Y a-t-il deux suppôts dans le Christ ?]_________________________________231
Sous-question 3 – [Y a-t-il deux individus dans le Christ ?]________________________________231
Sous-question 4 – Y a-t-il deux choses naturelles dans le Christ ?___________________________232
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________232
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________236
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________236
Il y a deux individus dans le Christ, mais qui ne subsistent pas par eux-mêmes. Le Christ lui-même
est un seul individu subsistant, comme on l’a dit._______________________________________236
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________237
Article 2 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé un homme ?_______________________________________237
Article 3 – Le mot « homme » indique-t-il seulement le composé de deux substances ?___________239
Question 2 – [La deuxième opinion]______________________________________________________241
Prologue__________________________________________________________________________241
Article 1 – Le Christ est-il deux réalités ?_________________________________________________241
Article 2 – N’y a-t-il qu’un seul être dans le Christ ?________________________________________246
Article 3 – La personne du Verbe est-elle composée après l’incarnation ?______________________249
Question 3 – [La troisième opinion]_______________________________________________________252
Prologue__________________________________________________________________________252
Article 1 – Dans le Christ, une composition a-t-elle eu lieu entre son âme et son corps ?___________252
Article 2 – La nature humaine est-elle unie au Verbe de manière accidentelle ?_________________254
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 6_____________________________________257
Distinction 7 – [Les expressions concernant l’union]__________________________________261
Question 1 – [Dans la proposition : « Dieu est homme », comment le verbe « est » exprime-t-il l’union ?]
___________________________________________________________________________________261
Prologue__________________________________________________________________________261
Article 1 – Cette formule : « Dieu est homme » est-elle vraie ?_______________________________264
Article 2 – Le Christ peut-il être appelé l’homme du Seigneur ( homo dominicus) ?_______________270
Question 2 – [Comment le participe «devenu » (factus) exprime-t-il l’union ?]_____________________272
Prologue__________________________________________________________________________272
Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Dieu est devenu homme ?» ?_____________________272
Article 2 – Cette proposition est-elle vraie : « L’homme est devenu Dieu » ?____________________275
Question 3 – [Les expressions de l’union selon le participe « prédestiné »]________________________278
Prologue__________________________________________________________________________278
Article 1 – L’homme Christ a-t-il été prédestiné à être Fils de Dieu ?___________________________278
Article 2 – Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?________________________________282
Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu était-il prédestiné à être homme ?]_______________________282
Sous-question 2 – [La proposition : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » est-elle
vraie ?_________________________________________________________________________282
Sous-question 3 – [Cette proposition est-elle vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout
simplement » ?__________________________________________________________________283
6

Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________283


Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________284
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________285
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 7_____________________________________286
Distinction 8 – [Les effets de l’union]______________________________________________286
Question 1 – [Qu’est-ce que la naissance ?]________________________________________________286
Prologue__________________________________________________________________________286
Article 1 – La naissance n’existe-t-elle que chez les vivants ?_________________________________287
Article 2 – La nature humaine est-elle née chez le Christ ?__________________________________291
Article 3 – La nature divine chez le Christ est-elle née de la Vierge ?___________________________293
Article 4 – Faut-il affirmer deux naissances du Christ ou une seule ?___________________________295
Sous-question 1 – [Faut-il affirmer deux naissances du Christ ?]____________________________295
Sous-question 2 – [Le Christ est-il né deux fois ?]_______________________________________295
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________296
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________297
Article 5 – Y a-t-il deux filiations chez le Christ ?___________________________________________297
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 8_____________________________________301
Distinction 9 – [La nature humaine et son union à la nature divine]_____________________302
Question 1 – [Qu’est-ce que la latrie ?]____________________________________________________302
Prologue__________________________________________________________________________302
Article 1 – Le culte de latrie est-il une vertu ou un don ?____________________________________302
Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il une vertu ?]___________________________________302
Sous-question 2 – [Le culte de latrie est-il une vertu générale ?]___________________________303
Sous-question 3 – [Le culte de latrie est-il une vertu théologale ?]__________________________304
Sous-question 4 – [À quelle vertu cardinale se ramène le culte de latrie ?]___________________304
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________305
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________307
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________309
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________309
Article 2 – Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?_____________________310
Sous-question 1 – [Le culte de latrie doit-il être manifesté à l’humanité du Christ ?]____________310
Sous-question 2 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté aux images du Christ ?]____________311
Sous-question 3 – [Un culte de latrie doit-il être rendu à la bienheureuse Vierge ?]____________312
Sous-question 4 – [Un culte de latrie doit-il être manifesté à la croix ?]______________________312
Sous-question 5 – [Un culte de latrie doit-il être rendu aux saints ?]________________________313
Sous-question 6 – [Peut-on manifester sans péché à une créature un culte de latrie ?]_________313
Sous-question 7 – [Si un culte de latrie est manifesté à une créature, est-il univoque par rapport à
celui qui est manifesté à Dieu ?]_____________________________________________________314
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________315
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________316
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________317
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________318
Réponse à la sous-question 5_______________________________________________________319
Réponse à la sous-question 6_______________________________________________________319
Réponse à la sous-question 7_______________________________________________________320
Article 3 – Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté ?
_________________________________________________________________________________321
Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il dû à Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse et de
sa bonté ?]_____________________________________________________________________321
Sous-question 2 – [Le même culte de latrie est-elle dû au Père et au Fils ?]___________________321
Sous-question 3 – [Le culte de latrie doit-elle être manifesté à Dieu par des rites corporels ?]____322
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________322
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________323
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________323
Question 2 – [Qu’est-ce que le culte de dulie ?]_____________________________________________324
7

Prologue__________________________________________________________________________324
Article 1 – Le culte de latrie et le culte de dulie sont-ils la même chose ?_______________________324
Article 2 – Le culte de dulie comporte-t-il diverses espèces ?________________________________326
Article 3 – Les pécheurs doivent-ils être honorés par un culte de dulie ?_______________________328
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 9_____________________________________330
Distinction 10 – [Ce qui convient à la personne du Christ en raison de sa nature humaine]_330
Question 1 – [Le Christ est-il Dieu en tant qu’homme ?]______________________________________330
Prologue__________________________________________________________________________331
Article 1 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?_______________________________________332
Sous-question 1 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il Dieu ?]_____________________________332
Sous-question 2 – [Est-il Dieu selon qu’il est cet homme ?]_______________________________333
Sous-question 3 – [Le Christ est-il prédestiné en tant qu’homme ?]_________________________334
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________334
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________336
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________337
Sous-question 1 – [Le Christ, selon qu’il est homme, est-il une personne ?]__________________338
Sous-question 2 – [Le Christ est-il un individu en tant qu’homme ?]________________________339
Sous-question 3 – [Le Christ, en tant qu’homme, est-il un suppôt ou une chose de la nature ?]___340
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________340
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________341
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________342
Question 2 – [La filiation par adoption]____________________________________________________343
Prologue__________________________________________________________________________343
Article 1 – Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?___________________________343
Sous-question 1 – [Convient-il à Dieu d’adopter quelqu’un comme un fils ?]__________________343
Sous-question 2 – [Adopter relève-il seulement de Dieu le Père ?]__________________________344
Sous-question 3 – [L’adoption ne se réalise-t-elle que par le Fils ?]_________________________344
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________345
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________346
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________346
Sous-question 1 – [Convient-il à toutes les créatures d’êtres adoptées ?]____________________347
Sous-question 2 – [Convient-il aux anges d’être adoptés ?]_______________________________347
Sous-question 3 – [Le Christ est-il un fils adoptif ?]______________________________________348
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________349
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________350
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________350
Question 3 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]_____________351
Article 1 – La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?_____________351
Sous-question 1 – [La prédestination du Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]___351
Sous-question 2 – [La prédestination du Christ est-elle conforme à notre prédestination ?]______352
Sous-question 3 – [La prédestination du Christ est-elle la cause efficiente de notre prédestination ?]
______________________________________________________________________________353
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________353
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________354
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________355
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 10____________________________________355
Distinction 11 – [L’attribution à Dieu de déficiences de la nature humaine]______________356
Question 1 – [Le Fils de Dieu est-il une créature ?]___________________________________________357
Prologue__________________________________________________________________________357
Article 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ?____________________________________________357
Article 2 – Le Christ est-il une créature ?_________________________________________________363
Article 3 –Le Christ, en tant qu’homme, est-il une créature ?________________________________366
Article 4 – Ce qui appartient à la nature humaine peut-il être dit du Fils de Dieu ?________________369
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 11____________________________________372
8

Distinction 12 – [Les carences qui découlent de la nature humaine]_____________________373


Prologue__________________________________________________________________________373
Question 1 – [Cet homme a-t-il commencé à exister ?]________________________________________375
Article 1 – Cette proposition est-elle vraie : « Cet homme a commencé à exister. »_______________375
Question 2 – [Le Christ pouvait-il pécher ?]________________________________________________379
Prologue__________________________________________________________________________379
Article 1 – Le Christ pouvait-il pécher ?__________________________________________________379
Article 2 – Le Christ avait-il la capacité de pécher ?________________________________________381
Question 3 – [Quel devait être le sexe du Christ ?]___________________________________________384
Prologue__________________________________________________________________________384
Article 1 – Le Christ devait-il assumer un sexe ?___________________________________________384
Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer un sexe ?]_________________________________384
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer le sexe féminin ?]___________________________385
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________385
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________386
Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer la chair à partir des sexes ?]___________________387
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer un corps issu d’un homme seulement ?]_________387
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________388
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________388
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 12____________________________________389
Distinction 13 – [Ce qui convient à l’incarnation selon les deux natures]_________________389
Question 1 – [Le Christ avait-il la grâce habituelle ?]_________________________________________389
Prologue__________________________________________________________________________389
Article 1 – Y avait-il dans le Christ une grâce habituelle perfectionnant son âme ?________________391
Article 2 – Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?_________________________________394
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il possédé la plénitude de la grâce ?]_______________________394
Sous-question 2 – [La grâce du Christ était-elle infinie ?]_________________________________395
Sous-question 3 – [Cette grâce pouvait-elle être augmentée ?]____________________________395
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________396
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________398
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________401
Question 2 – [La grâce de la tête]_________________________________________________________401
Prologue__________________________________________________________________________401
Article 1 – Le Christ est-il tête de l’Église en tant qu’homme ?_______________________________402
Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il la tête des anges ?_____________________________406
Sous-question 2 – [Le Christ est-il la tête de tous les hommes ?]___________________________407
Sous-question 3 – [Le Christ est-il la tête des âmes seulement ?]___________________________408
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________409
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________409
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________412
Question 3 – [La grâce d’union]__________________________________________________________413
Prologue__________________________________________________________________________413
Article 1 – La grâce d’union est-elle créée ?______________________________________________413
Article 2 – La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?____________________417
Sous-question 1 – [La grâce d’union est-elle la même chose que la grâce de la tête ?]__________417
Sous-question 2 – [La grâce de la tête est-elle la même que sa grâce indivuelle ?]_____________418
Sous-question 3 – [La grâce de la personne individuelle précède-t-elle la grâce d’union ?]_______418
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________419
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________420
La réponse à la deuxième question ressort clairement de ce qui a été dit.____________________420
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________420
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 13____________________________________421
Distinction 14 – [Les sciences du Christ]____________________________________________422
Question 1 – [La science du Christ]_______________________________________________________422
9

Prologue__________________________________________________________________________422
Article 1 – Existe-t-il une science chez le Christ ?__________________________________________424
Sous-question 1 – [Existe-t-il une science créée chez le Christ ?]___________________________424
Sous-question 2 – [La connaissance créée chez le Christ est-elle un habitus ou un acte ?]_______424
Sous-question 3 – [L’âme du Christ a-t-elle connu le Verbe grâce à un habitus ?]______________425
Sous-question 4 – [L’âme du Christ connaît-elle le Verbe et les choses dans le Verbe par le même
habitus ?]______________________________________________________________________426
Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle une autre science des choses, en plus de la science par
laquelle elle connaît les choses dans le Verbe ?]________________________________________427
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________428
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________429
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________432
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________433
Réponse à la sous-question 5_______________________________________________________434
Article 2 – L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?___________________________435
Sous-question 1 – [L’âme du Christ, en voyant le Verbe, le comprend-elle ?]_________________435
Sous-question 2 – [L’âme du Christ connaît-elle dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît ?]___436
Sous-question 3 – [L’âme du Christ connaît-elle toutes choses aussi clairement que Dieu ?]_____437
Sous-question 4 – [L’âme du Christ voit-elle d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe ?]
______________________________________________________________________________438
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________439
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________441
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________444
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________445
Article 3 – L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les choses
dans leur nature propre ?____________________________________________________________446
Sous-question 1 – [L’âme du Christ connait-elle tout de la connaissance par laquelle elle connaît les
choses dans leur nature propre ?]___________________________________________________446
Sous-question 2 – [Cette science du Christ est-elle inférieure à celle des anges ?]______________447
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il eu une science à caractère délibératif ?]___________________448
Sous-question 4 – [Cette connaissance était-elle divisée en plusieurs habitus ?]_______________448
Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle progressé dans cette science ?]__________________449
Sous-question 6 – [A-t-il reçu quelque chose des anges pour cette science ?]_________________449
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________450
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________452
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________453
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________454
Réponse à la sous-question 5_______________________________________________________455
Réponse à la sous-question 6_______________________________________________________456
Article 4 – L’âme du Christ était-elle toute-puissante et omnisciente ?_________________________457
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 14____________________________________460
Distinction 15 – [L’assomption des faiblesses de la nature humaine]____________________460
Question 1 – [Le Christ devait-il assumer la nature humaine avec ses faiblesses ?]__________________461
Prologue__________________________________________________________________________461
Article 1 – Le Christ devait-il prendre la nature humaine avec ses carences et ses faiblesses ?______463
Article 2 – Devait-il assumer toutes les carences, sauf le péché ?_____________________________465
Article 3 – A-t-il reçu ou contracté ces carences ?_________________________________________467
Question 2 – [Les passions de l’âme du Christ]______________________________________________470
Prologue__________________________________________________________________________470
Article 1 – [La passibilité chez le Christ]_________________________________________________470
Sous-question 1 – [Le corps est-il sujet à subir ?]________________________________________470
Sous-question 2 – [L’âme est-elle passible ?]___________________________________________470
Sous-question 3 – [L’âme du Christ peut-elle être passible ?]______________________________471
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________472
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________473
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________476
10

Article 2 – Le Christ a-t-il connu la tristesse ?_____________________________________________477


Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il connu la tristesse ?]___________________________________477
Sous-question 2 – [La colère a-t-elle existé chez le Christ ?]_______________________________477
Sous-question 3 – [La crainte a-t-elle existé chez le Christ ?]______________________________478
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________478
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________480
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________481
Article 3 – Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?_________________________481
Sous-question 1 – [Une véritable douleur sensible existait-elle chez le Christ ?]_______________481
Sous-question 2 – [La douleur est-elle parvenue jusqu’à la raison supérieure ?]_______________482
Sous-question 3 – [La douleur du Christ était-elle plus grande que toutes les douleurs ?]________483
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________485
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________486
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________490
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 15____________________________________492
Distinction 16 – [Les carences dans la nature humaine du Christ]______________________497
Question 1 – [Le caractère nécessaire de la mort]____________________________________________497
Prologue__________________________________________________________________________497
Article 1 – La nécessité de mourir pour l’homme vient-elle seulement du péché ?________________497
Article 2 – Était-il nécessaire que le Christ meure ?________________________________________500
Article 3 – La nécessité de mourir et de souffrir est-elle soumise chez le Christ à sa volonté humaine ?
_________________________________________________________________________________503
Question 2 – [L’état de la gloire lors de la transfiguration]_____________________________________506
Prologue__________________________________________________________________________506
Article 1 – L’éclat qui émanait du corps du Christ lors de la transfiguration était-il vrai ou était-il
imaginaire ?_______________________________________________________________________506
Article 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ?____________________________________________508
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 16____________________________________512
Distinction 17 – [La volonté du Christ]_____________________________________________512
Question unique – [Existait-il plusieurs volontés chez le Christ ?]_______________________________512
Prologue__________________________________________________________________________512
Article 1 – Existait-il chez le Christ une autre volonté que la volonté divine ?____________________513
Sous-question 1 – [Existait-il une seule volonté chez le Christ, la volonté divine ?]_____________513
Sous-question 2 – [Existe-t-il chez le Christ une volonté humaine autre que la volonté raisonnable ?]
______________________________________________________________________________514
Sous-question 3 – [Existait-il chez le Christ plusieurs volontés de la raison ?]_________________515
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________516
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________517
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________518
Article 2 – La volonté humaine chez le Christ a-t-elle toujours été conforme [à la volonté divine] du
point vue de ce qui était voulu ?_______________________________________________________520
Sous-question 1 – [La volonté humaine chez le Christ était-elle toujours conforme à la volonté
divine du point de vue de ce qui était voulu ?]_________________________________________520
Sous-question 2 – [La volonté de la sensualité était-elle contraire à la volonté de la raison chez le
Christ ?]________________________________________________________________________521
Sous-question 3 – [La volonté de la raison était-elle contraire à elle-même ?]_________________522
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________523
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________525
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________526
Article 3 – Était-il approprié pour le Christ de prier ?_______________________________________527
Sous-question 1 – [Était-il approprié pour le Christ de prier ?]_____________________________527
Sous-question 2 – [Convenait-il que le Christ prie pour lui-même, et non seulement pour les
autres ?]_______________________________________________________________________528
Sous-question 3 – [La prière par laquelle le Christ a prié pour lui-même était-elle un acte de la
sensualité ?]____________________________________________________________________528
11

Sous-question 4 – [Toutes les prières du Christ ont-elles été exaucées ?]____________________529


Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________530
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________531
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________532
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________533
Article 4 – Le Christ en tant qu’homme a-t-il douté ?_______________________________________534
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 17____________________________________536
Distinction 18 – [Le mérite du Christ]______________________________________________537
Prologue__________________________________________________________________________537
Article 1 – Existe-t-il chez le Christ une opération autre que l’opération divine ?_________________538
Article 2 – Le Christ pouvait-il mériter ?_________________________________________________542
Article 3 – Le Christ pouvait-il pu mériter dès l’instant de sa conception ?______________________545
Article 4 – Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?______________________________548
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il mérité l’immortalité pour lui-même ?]____________________549
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité l’impassibilité de son âme ?]______________________549
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il mérité d’être élevé ?]__________________________________550
Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il mérité la récompense substantielle de l’âme, la jouissance de
Dieu ?]_________________________________________________________________________551
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________551
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________553
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________554
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________556
Article 5 – Le Christ a-t-il mérité pour lui-même par la passion ?______________________________557
Article 6 – Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?________________________________________559
Sous-question 1 – [Le Christ pouvait-il mériter pour nous ?]_______________________________559
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte du Paradis ?]_______560
Sous-question 3 – [Le Christ nous a-t-il ouvert la porte du Paradis seulement par sa passion ?]___561
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________561
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________562
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________563
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 18____________________________________564
Distinction 19 – [La libération par la passion du Christ]______________________________565
Prologue__________________________________________________________________________565
Article 1 – Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?__________________________566
Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés du péché par la passion du Christ ?]________________566
Sous-question 2 – [Tous les péchés ont-ils été détruits par la mort du Christ ?]________________567
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________568
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________570
Article 2 – Sommes-nous libérés du Diable par la passion du Christ ?__________________________572
Article 3 – Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?_________________574
Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés de la peine éternelle par la passion du Christ ?]_______574
Sous-question 2 – [Le Christ nous a-t-il libérés de la peine temporelle ?]_____________________575
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________576
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________577
Article 4 – Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la libération mentionnée ?_____579
Sous-question 1 – [Le Christ doit-il être appelé le Rédempteur en raison de la raison de la libération
mentionnée ?]___________________________________________________________________579
Sous-question 2 – [Le Fils peut-il seul être appelé le Rédempteur ?]________________________580
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________581
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________582
Article 5 – Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?______________________________________582
Sous-question 1 – [Le Christ nous a-t-il réconciliés avec Dieu ?]____________________________582
Sous-question 2 – [Le Christ est-il médiateur selon sa nature humaine ?]____________________583
Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ d’être médiateur ?]___________________________583
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________584
12

Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________585


Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________586
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 19_______________________________587
Distinction 20 – [Les causes de la passion]__________________________________________588
Question unique – [La nature humaine peut-elle être restaurée ?]________________________________588
Prologue__________________________________________________________________________588
Article 1 – La nature humaine devait-elle être restaurée ?__________________________________589
Sous-question 1 – [La nature humaine devait-elle être restaurée ?]_________________________589
Sous-question 2 – [La nature humaine devait-elle être restaurée par la satisfaction ?]__________590
Sous-question 3 – [Était-il nécessaire que la nature humaine soit réparée de la manière dite ?]__591
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________592
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________593
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________594
1. Toute nécessité n’est pas coercitive, comme cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi la
conclusion du raisonnement est fausse.______________________________________________596
Article 2 – Une pure créature aurait-elle pu satisfaire pour la nature humaine ?_________________597
Article 3 – La satisfaction devait-elle être accomplie par la passion du Christ ?__________________599
Article 4 – Un autre mode de satisfaction était-il possible ?__________________________________602
Sous-question 1 – [Un autre mode de satisfaction était-il possible ?]________________________602
Sous-question 2 – [Une autre mode de satisfaction aurait-il été plus convenable ?]____________603
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________604
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________604
Article 5 – Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?_____________________________________605
Sous-question 1 – [Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la passion ?]___________________________605
Sous-question 2 – [La passion du Christ était-elle bonne ?]________________________________606
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________607
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________608
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 20_______________________________609
Distinction 21 – [La mort du Christ]_______________________________________________609
Question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’humanité dans la mort du Christ ?]________________609
Prologue__________________________________________________________________________609
Article 1 – La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?___________________610
Sous-question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée de la chair dans la mort du Christ ?]_________610
Sous-question 2 – [La divinité a-t-elle été séparée de l’âme dans la mort ?]__________________611
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________612
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________613
Article 2 – Le corps du Christ devait-il se dissoudre après la mort ?____________________________615
Article 3 – Doit-on dire que le Fils de Dieu est mort ?_______________________________________617
Question 2 – [La résurrection du Christ]___________________________________________________619
Prologue__________________________________________________________________________619
Article 1 – Était-il nécessaire que le Christ ressuscite ?_____________________________________619
Article 2 – Le Christ devait-il ressusciter le troisième jour ?__________________________________621
Article 3 – Le Christ devait-il prouver sa résurrection par des arguments ?______________________624
Article 4 – L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?_________________________628
Sous-question 1 – [L’argument tiré d’une apparition visible était-il approprié ?]_______________628
Sous-question 2 – [Le Christ devait-il se laisser palper par eux ?]___________________________629
Sous-question 3 – [Le Christ devait-il prouver sa résurrection par ses cicatrices ?]_____________630
Sous-question 4 – [Le Christ devait-il montrer sa résurrection en mangeant ?]________________630
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________631
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________633
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________634
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________635
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 21____________________________________636
13

Distinction 22 – [Les conséquences de la mort du Christ]______________________________636


Question 1 – [Le Christ était-il un homme pendant les trois jours de sa mort ?]_____________________636
Prologue__________________________________________________________________________636
Article 1 – Peut-on dire que le Christ était un homme pendant les trois jours où il a été dans le sépulcre
?________________________________________________________________________________637
Article 2 – Le Christ était-il partout comme homme ?______________________________________640
Question 2 – [La descente aux enfers]_____________________________________________________643
Prologue__________________________________________________________________________643
Article 1 – Le Christ est-il descendu aux enfers ?__________________________________________643
Sous-question 1 – [Le Christ est-il descendu aux enfers ?]________________________________643
Sous-question 2 – [Le Christ est-il descendu jusqu’à l’enfer des damnés ?]___________________644
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il prolongé son séjour dans les limbes ?]____________________645
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________646
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________647
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________647
Article 2 – Le Christ a-t-il illuminé le limbe des pères ?______________________________________648
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il illuminé les limbes des pères ?]__________________________648
Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il aussi arraché des âmes de l’enfer des damnés ?]____________649
Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient dans les limbes des enfants ?]_________650
Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il libéré ceux qui étaient au purgatoire ?]____________________650
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________651
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________651
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________652
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________653
Question 3 – [L’ascension du Christ]______________________________________________________654
Prologue__________________________________________________________________________654
Article 1 – Le Christ devait-il monter [au ciel] ?___________________________________________654
Article 2 – Le mouvement de l’ascension était-il violent ?___________________________________657
Sous-question 1 – [ ]______________________________________________________________657
Sous-question 2 – [L’ascension a-t-elle été un mouvement subit ?]_________________________658
Sous-question 3 – [L’ascension devait-elle avoir lieu aussitôt après la résurrection ?]___________659
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________660
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________661
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________662
Article 3 – Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?_______________________________662
Sous-question 1 – [Le Christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?]_____________________662
Sous-question 2 – [Le Christ est-il monté à la droite du Père ?]____________________________663
Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ de siéger à la droite du Père ?]__________________664
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________664
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________665
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________666
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 22_______________________________667
Distinction 23 – [Les facteurs de restauration chez le Christ]__________________________667
Question 1 – [Les habitus sont-ils nécessaires ?]_____________________________________________667
Prologue__________________________________________________________________________667
Article 1 – Avons-nous besoin d’habitus pour les actes humains ?____________________________669
Article 2 – Un habitus qui existe en nous peut-il être connu ?________________________________674
Article 3 – Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?______________________________678
Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des puissances ?]____________________678
Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles des passions ?]__________________________________679
Sous-question 3 – [Les vertus sont-elles des habitus ou des actes ?]________________________680
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________680
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________681
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________682
Article 4 – Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?_______________________683
Sous-question 1 – [Les habitus intellectuels peuvent-ils être appelés des vertus ?]_____________683
14

Sous-question 2 – [Les vertus morales sont-elles distinctes des vertus intellectuelles ?]_________684
Sous-question 3 – [Les vertus théologales doivent-elles être distinguées des vertus morales et des
vertus intellectuelles ?]____________________________________________________________685
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________686
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________687
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________689
Article 5 – N’existe-t-il que trois vertus théologales ?______________________________________691
Question 2 – [La foi]__________________________________________________________________693
Prologue__________________________________________________________________________693
Article 1 – La définition que donne l’Apôtre de la foi est-elle en tous points appropriée ?__________693
Article 2 – Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?________________697
Sous-question 1 – [Est-ce que croire consiste à « penser en donnant son assentiment » ?]______697
Sous-question 2 – [La foi comporte-t-elle un seul acte ?]_________________________________698
Sous-question 3 – [L’acte de foi est-il moins certain que l’acte de la science ?]________________699
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________699
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________703
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________704
Article 3 – La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?_________________________________________705
Sous-question 1 – [La foi a-t-elle la volonté comme sujet ?]_______________________________705
Sous-question 2 – [La foi relève-t-elle de l’intellect pratique ?]____________________________706
Sous-question 3 – [La foi est-elle une vertu intellectuelle ?]_______________________________707
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________708
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________708
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________710
Article 4 – La foi est-elle une vertu et est-elle un habitus ?__________________________________711
Sous-question 1 – [La foi est-elle une vertu ?]__________________________________________711
Sous-question 2 – [La foi est-elle une seule vertu ?]_____________________________________711
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________712
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________714
Article 5 – La foi est-elle antérieure aux autres vertus ?_____________________________________714
Question 3 – [La foi formée par la charité]_________________________________________________717
Prologue__________________________________________________________________________717
Article 1 – La charité est-elle la forme de la foi ?__________________________________________717
Sous-question 1 – [La charité est-elle la forme de la foi ?]________________________________717
Sous-question 2 – [La foi informe est-elle une vertu ?]___________________________________718
Sous-question 3 – [La foi formée et la foi informe sont-elles d’une espèce différente ?]_________719
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________719
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________721
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________722
Article 2 – La foi informe est-elle un don de Dieu ou un habitus acquis ?_______________________723
Article 3 – La foi informe existe-t-elle chez les démons ?____________________________________726
Sous-question 1 – [La foi informe existe-t-elle chez les démons ?]__________________________726
Sous-question 2 – [La foi informe demeure-t-elle chez les hérétiques ?]_____________________726
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________727
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________728
Article 4 – La foi informe est-il rejetée lorsque survient la charité ?___________________________728
Sous-question 1 – [La foi informe est-elle rejetée lorsque survient la charité ?]_______________728
Sous-question 2 – [L’habitus de la foi informe demeure-t-il quant à son acte ?]_______________729
Sous-question 3 – [La foi informe peut-elle devenir la foi formée ?]_________________________730
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________730
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________731
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________732
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 23_______________________________732
Distinction 24 – [L’objet de la foi]_________________________________________________733
Question 1 – [Quel est l’objet de la foi ?]__________________________________________________733
Prologue__________________________________________________________________________733
15

Article 1 – La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?______________________________________734


Sous-question 1 – [La Vérité incréée est-elle l’objet de la foi ?]____________________________734
Sous-question 2 – [La foi porte-t-elle sur une vérité complexe ?]___________________________735
Sous-question 3 – [La foi peut-elle porter sur quelque chose de faux ?]______________________736
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________736
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________738
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________739
Article 2 – La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?___________________________________________740
Sous-question 1 – [La foi porte-t-elle sur ce qui est vu ?]_________________________________740
Sous-question 2 – [La foi peut-elle porter sur ce qui est su ?]______________________________741
Sous-question 3 – [Ce sur quoi porte la foi est-il ignoré ?]________________________________742
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________743
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________744
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________745
Article 3 – Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?__________746
Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la science ?]
______________________________________________________________________________746
Sous-question 2 – [Croire ce que nous ne voyons pas est-il louable et méritoire ?]_____________747
Sous-question 3 – [La raison humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ?]____________________748
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________748
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________751
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________751
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 24_______________________________753
Distinction 25 – [La croissance de la foi chez le croyant]______________________________753
Question 1 – [Qu’est-ce qu’un article de foi ?]______________________________________________753
Prologue__________________________________________________________________________753
Article 1 – La définition de l’artile donnée par Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?________754
Sous-question 1 – [La définition de l’article donnée par Richard de Saint-Victor est-elle
appropriée ?]___________________________________________________________________754
Sous-question 2 – [Un article peut-il être formé et informe ?]_____________________________755
Sous-question 3 – [Les articles devaient-il être rassemblés dans un symbole ?]________________756
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________756
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________757
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________758
Article 2 – Les articles sont-ils distingués de manière appropriée dans le symbole ?______________759
Question 2 – [Le caractère explicite de la foi]_______________________________________________765
Prologue__________________________________________________________________________765
Article 1 – La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?_____________________________________765
Sous-question 1 – [La foi explicite est-elle nécessaire au salut ?]___________________________765
Sous-question 2 – [Tous sont-ils obligés d’avoir une foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi ?]
______________________________________________________________________________766
Sous-question 3 – [Les grands sont-ils davantage obligés que les petits ?]____________________767
Sous-question 4 – [Les petits ont-ils une foi implicite dans la foi des grands ?]________________767
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________768
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________769
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________770
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________771
Article 2 – La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?___________________________773
Sous-question 1 – [La foi a-t-elle progressé selon la succession des temps ?]_________________773
Sous-question 2 – [A-t-il toujours été nécessaire d’avoir une foi explicite dans le Rédempteur ?]_774
Sous-question 3 – [Était-il nécessaire de croire, à propos du Rédempteur, les articles que le Maître
indique dans le texte ?]____________________________________________________________775
Sous-question 4 – [Était-il nécessaire d’avoir une connaissance explicite de la Trinité ?]________776
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________776
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________779
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________780
16

Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________781


Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 25_______________________________782
Distinction 26 – [L’espérance]____________________________________________________783
Question 1 – [La nature de l’espérance]____________________________________________________783
Prologue__________________________________________________________________________783
Article 1 – L’espoir est-il une passion ?__________________________________________________784
Article 2 – L’espoir existe-t-il dans une autre puissance que le concupiscible ?___________________786
Article 3 – L’espoir est-il différent des autres passions, comme la crainte, etc. ?_________________792
Article 4 – L’espoir est-il une passion principale, ou l’amour, le désir, l’audace ou la pénitence ?____797
Article 5 – L’espoir peut-il exister dans la partie intellective ?________________________________800
Question 2 – [L’espérance comme vertu]__________________________________________________804
Prologue__________________________________________________________________________804
Article 1 – L’espérance est-elle une vertu ?______________________________________________804
Article 2 – L’espérance est-elle une vertu théologale ?_____________________________________807
Article 3 – L’espérance est-elle une vertu distincte des autres [vertus théologales] ?_____________811
Sous-question 1 – [L’espérance est-elle une vertu distincte des vertus théologales ?]__________811
Sous-question 2 – [L’espérance doit-elle être formée par la charité ?]_______________________812
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________812
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________813
Article 4 – L’acte de l’espérance comporte-il une certitude ?________________________________815
Article 5 – L’espérance existait-elle chez le Christ ?________________________________________818
Sous-question 1 – [L’espérance existait-elle chez le Christ ?]______________________________818
Sous-question 2 – [Les anges et les âmes des saints ont-ils l’espérance ?]____________________818
Sous-question 3 – [Les pères qui étaient dans les limbes avaient-ils l’espérance ?]_____________819
Sous-question 4 – [Les damnés et les démons ont-il l’espérance ?]_________________________819
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________819
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________820
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________820
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________821
Explication du texte de Pierre Lombard, Distinction 26_______________________________821
Distinction 27 – [La charité]______________________________________________________823
Question 1 – [Qu’est-ce que l’amour ?]____________________________________________________823
Prologue__________________________________________________________________________823
Article 1 – La définition que Denys donne de l’amour est-elle bonne en toutes ses parties ?________824
Article 2 – L’amour se trouve-t-il seulement dans le concupiscible ?___________________________830
Article 3 – L’amour est-il la première et la principale disposition affective de l’âme ?_____________835
Article 4 -- La connaissance est-elle plus élevée que l’amour ?_______________________________839
Question 2 – [La charité]_______________________________________________________________845
Prologue__________________________________________________________________________845
Article 1 – La charité est-elle la même chose que la concupiscence ou qu’est-ce que la charité ?____845
Article 2 – La charité est-elle une vertu ?________________________________________________850
Article 3 – Le sujet de la charité est-il la raison ?__________________________________________853
Article 4 – La charité est-elle une seule vertu ou plusieurs ?_________________________________857
Sous-question 1 – [La charité est-elle une seule vertu ?]__________________________________857
Sous-question 2 – [La charité est-elle distincte des autres vertus ?]_________________________857
Sous-question 3 – [La charité est-elle la forme des autres vertus ?]_________________________858
Sous-question 4 – [La charité peut-elle être informe ?]___________________________________859
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________860
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________860
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________862
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________866
Question 3 – [L’acte de la charité comme amour de Dieu]_____________________________________867
Prologue__________________________________________________________________________867
Article 1 – Dieu peut-il être aimé par nous par son essence dans l’état de cheminement ?_________867
Article 2 – Dieu peut-il être totalement aimé ?____________________________________________870
17

Article 3 – L’amour dont nous aimons Dieu a-t-il un mode ?_________________________________871


Article 4 – La manière d’aimer qui se trouve dans le commandement peut-elle être respectée en cours
de cheminement ?__________________________________________________________________873
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 27____________________________________875
Distinction 28 – [L’objet de la charité]_____________________________________________876
Question unique – [L’objet de la charité]___________________________________________________876
Prologue__________________________________________________________________________876
Article 1 – Les vertus doivent-elles être aimées par charité ?________________________________876
Article 2 – Les créatures sans raison doivent-elles être aimées par charité ?____________________879
Article 3 – Les anges doivent-ils être aimés par charité ?____________________________________881
Article 4 – Devons-nous avoir de la charité envers les méchants ?____________________________882
Article 5 – Les démons doivent-ils être aimés par charité ?__________________________________884
Article 6 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité ?__________________________________886
Article 7 – Devons-nous aimer nos corps par charité ?______________________________________888
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 28____________________________________890
Distinction 29 – [L’ordre de la charité]_____________________________________________891
Prologue__________________________________________________________________________891
Article 1 – Existe-t-il un ordre de la charité ?_____________________________________________892
Article 2 – L’ordre de la charité doit-il être envisagé selon la disposition affective ou selon l’effet ?__895
Article 3 – Dieu doit-il être aimé par charité plus que tout ?_________________________________897
Article 4 – Peut-on tenir compte d’une récompense en aimant Dieu ?_________________________901
Article 5 – L’homme doit-il s’aimer lui-même par charité davantage que son prochain ?___________904
Article 6 – L’homme doit-il aimer davantage par charité les étrangers que ses proches ?__________907
Article 7 – Le père doit-il être préféré aux fils ou aux bienfaiteurs ? Doit-on s’aimer davantage que son
épouse, ses frères ou sa mère ?_______________________________________________________911
Article 8 – Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière appropriée ?__________________915
Sous-question 1 – [Les degrés de la charité sont-ils distingués de manière inappropriée ?]_______915
Sous-question 2 – [Tous sont-ils tenus à une charité parfaite ?]____________________________916
Sous-question 3 – [Ceux qui ont une charité parfaite sont-ils tenus à tout ce qui relève de la
perfection ?]____________________________________________________________________917
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________918
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________919
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________920
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 29____________________________________921
Distinction 30 – [L’ordre de la charité du point de vue de l’efficacité du mérite]__________922
Prologue__________________________________________________________________________922
Article 1 – Tous sont-ils obligés d’aimer les ennemis ?______________________________________923
Article 2 – Tous sont-ils obligés de montrer à leurs ennemis des signes de la charité ?____________926
Article 3 – Y a-t-il plus de mérite à aimer un ami qu’un ennemi ?_____________________________929
Article 4 – Aimer son prochain est-il plus méritoire qu’aimer Dieu ?___________________________932
Article 5 – Le mérite consiste-t-il principalement dans la charité ?____________________________935
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 30____________________________________937
Distinction 31 – [La durée de la charité]____________________________________________938
Question 1 – [La charité peut-elle être perdue ?]_____________________________________________938
Prologue__________________________________________________________________________938
Article 1 – Celui qui possède la charité peut-elle la perdre ?_________________________________938
Article 2 – Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?_____________________________________943
Sous-question 1 – [Le livre de vie est-il quelque chose de créé ?]____________________________943
Sous-question 2 – [Le livre de vie concerne-t-il Dieu ?]____________________________________944
Sous-question 3 – [Ce qui y est inscrit peut-il en être effacé ?]_____________________________945
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________945
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________946
18

Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________947


Article 3 – N’importe quelle charité peut-elle résister à n’importe quelle tentation ?_____________948
Article 4 – L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?________________________951
Sous-question 1 – [L’homme se relève-t-il toujours avec une charité moindre ?]_______________951
Sous-question 2 – [Celui qui se relève a-t-il toujours une charité plus grande ?]________________952
Sous-question 3 – [La grâce après le péché est-il au moins aussi grande ?]___________________952
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________953
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________954
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________954
Question 2 – [La disparition de la charité en raison de la gloire]_________________________________955
Prologue__________________________________________________________________________955
Article 1 – La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?_______________________________________955
Sous-question 1 – [La foi sera-t-elle éliminée dans la patrie ?]_____________________________955
Sous-question 2 – [L’espérance sera-t-elle éliminée ?]____________________________________956
Sous-question 3 – [Quelque chose de la substance de l’habitus de la foi et de l’espérance demeurera-
t-il identique en nombre ?]_________________________________________________________957
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________958
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________959
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________960
Article 2 – La charité de la route sera-t-elle éliminée dans la patrie ?__________________________961
Article 3 – L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les saints qui
sont dans la patrie ?_________________________________________________________________963
Sous-question 1 – [L’ordre de l’amour, qui existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez les
saints qui sont dans la patrie ?]_____________________________________________________963
Sous-question 2 – [L’ordre de la charité existe-t-il chez eux entre soi et son prochain, et entre les
proches et les étrangers ?]_________________________________________________________964
Sous-question 3 – [Le Christ aimera-t-il davantage Pierre que Jean ?]_______________________964
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________965
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________965
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________966
Article 4 – La science que nous possédons maintenant disparaîtra-t-elle totalement ?____________967
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 31____________________________________971
Distinction 32 – [L’amour de Dieu]________________________________________________971
Question unique – [L’amour de Dieu pour ses créatures]______________________________________971
Prologue__________________________________________________________________________971
Article 1 – Convient-il à Dieu d’aimer sa créature ?________________________________________972
Article 2 – Dieu aime-t-il toutes les créatures ?___________________________________________974
Article 3 – Dieu a-t-il aimé les créatures éternellement ?____________________________________976
Article 4 – Dieu aime-t-il toutes choses également ?_______________________________________978
Article 5 – Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance [praescitum] que le pécheur prédestiné
[praedestinatum] ?_________________________________________________________________980
Sous-question 1 – [Dieu aime-t-il davantage le juste connu d’avance que le pécheur prédestiné ?]_980
Sous-question 2 – [Dieu aime-t-il davantage celui qui se repent que l’innocent ?]______________981
Sous-question 3 – [Dieu aime-t-il davantage l’homme que l’ange ?]_________________________981
Sous-question 4 – [Dieu aime-t-il davantage le genre humain que le Christ ?]_________________982
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________982
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________983
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________983
Réponse à la sous-question 4_______________________________________________________984
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 32____________________________________984
Distinction 33 – [Les vertus cardinales]____________________________________________984
Question 1 – [Comment les vertus morales se distinguent-elles ?]_______________________________984
Prologue__________________________________________________________________________984
Article 1 – Toutes les vertus morales sont-elles une seule vertu ?_____________________________985
Sous-question 1 – [Toutes les vertus sont-elles une seule vertu ?]___________________________985
19

Sous-question 2 – [Les autres vertus morales se distinguent-elles de la prudence ?]____________986


Sous-question 3 – [Les autres vertus morales se distinguent-elles des trois vertus indiquées dans le
texte ?]________________________________________________________________________987
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________988
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________990
Réponse à la sous-question 3_______________________________________________________991
Article 2 – Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?_________________________993
Sous-question 1 – [Les vertus morales existent-elles en nous naturellement ?]________________993
Sous-question 2 – [Les vertus peuvent-elles être acquises par nos actes ?]____________________994
Sous-question 3 – [Est-il nécessaire d’affirmer qu’il existe des vertus morales infuses ?]_________995
Sous-question 4 – [Les vertus infuses diffèrent-elles des vertus acquises selon l’espèce ?]________996
Réponse à la sous-question 1_______________________________________________________997
Réponse à la sous-question 2_______________________________________________________999
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1000
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1001
Sous-question 1 – [Les vertus morales consistent-elles dans un milieu ?]____________________1002
Sous-question 2 – [Existe-t-il un milieu objectif (medium rei) dans la justice ?]_______________1003
Sous-question 3 – [Existe-t-il un milieu dans les vertus intellectuelles ?]_____________________1004
Sous-question 4 – [Les vertus théologales ont-elles un milieu ?]___________________________1005
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1006
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1007
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1008
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1009
Article 4 – Les vertus morales demeurent-elles dans la patrie ?_____________________________1010
Question 2 – [Les vertus cardinales]_____________________________________________________1013
Prologue_________________________________________________________________________1013
Article 1 – Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?___________________________________1013
Sous-question 1 – [Doit-on appeler cardinales certaines vertus ?]__________________________1013
Sous-question 2 – [D’autres vertus devraient-elles être plutôt appelées cardinales ?]__________1014
Sous-question 3 – [Quel est le nombre des vertus cardinales ?]____________________________1014
Sous-question 4 – [D’autres vertus morales que celles mentionnées dans le texte devraient-elles
plutôt être cardinales ?]__________________________________________________________1015
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1016
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1018
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1019
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1020
Article 2 – La prudence a-t-elle une matière spéciale ?____________________________________1023
Sous-question 1 – [La prudence a-t-elle une matière spéciale ?]___________________________1023
Sous-question 2 – [Les passions sont-elles la matière de la tempérance et de la force ?]________1023
Sous-question 3 – [La justice porte-t-elle sur des opérations ?]____________________________1024
[2] [La justice] porte sur quelque chose qui n’est l’objet d’aucune autre vertu : le gain d’argent. Elle a
donc une matière spéciale.________________________________________________________1025
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1025
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1026
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1026
Article 3 – La prudence comporte-t-elle un acte de vertu distinct des autres ?__________________1027
Article 4 – Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?____________________________1031
Sous-question 1 – [Une puissance de l’âme est-elle le sujet d’une vertu ?]___________________1031
Sous-question 2 – [La tempérance et la force se trouvent-elles dans l’irascible et dans
leconcupiscible ?]_______________________________________________________________1031
Sous-question 3 – [La justice se trouve-t-elle aussi dans l’irascible et dans le concupiscible ?]____1033
Sous-question 4 – [La prudence se trouve-t-elle dans la raison ?]__________________________1034
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1034
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1035
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1037
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1039
20

Article 5 – Les autres vertus cardinales se ramènent-elles à la prudence comme à une vertu principale
ou à leur cause ?__________________________________________________________________1040
Question 3 – [Les parties des vertus cardinales]____________________________________________1044
Prologue_________________________________________________________________________1044
Article 1 – La mémoire du passé, l’intelligence du présent et la prévision de l’avenir sont-elles les
parties de la prudence, comme le dit Tullius [Cicéron] ?___________________________________1044
Sous-question 1 – [Les parties de la prudence sont-elles correctement attribuées par Tullius
[Cicéron] ?]____________________________________________________________________1044
Sous-question 2 – [Faut-il attribuer comme parties de la prudence la prévision, la précaution, la
circonspection et l’aptitude à apprendre ?]___________________________________________1044
Sous-question 3 – [L’eubulia, la synesis et le gnomen sont-ils des parties de la prudence ?______1045
Sous-question 4 – [Les dix parties de la prudence données par un philosophe grec sont-elles
correctes ?]____________________________________________________________________1045
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1046
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1048
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1049
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1050
Article 2 – La continence, la clémence et la modestie sont-elles des parties de la tempérance, comme
le dit Tullis [Cicéron] ?______________________________________________________________1053
Sous-question 1 – [Les parties de la prudence sont-elles bien présentées dans la Première
Rhétorique de Tullius [Cicéron] ?]___________________________________________________1053
Sous-question 2 – [La sobriété et la chasteté sont-elles des parties de la tempérance ?]________1054
Sous-question 3 – [Les sept parties de la tempérance présentées par un philosophe grec sont-elles
correctes ?]____________________________________________________________________1054
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1055
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1058
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1058
Article 3 – La magnificence, l’assurance, la patience et la persévérance sont-elles incorrectement
assignées par Tullius [Cicéron] comme parties de la force ?________________________________1060
Sous-question 1 – [Tullius [Cicéron] assigne-t-il incorrectement les parties de la force ?]________1060
Sous-question 2 – [Les sept parties de la force indiquées par Macrobe sont-elles correctes ?]____1060
Sous-question 3 – [Les cinq modes que le Philosophe associe à la force sont-ils corrects ?]______1061
Sous-question 4 – [Les sept choses associées à la force par un philosophe grec sont-elles correctes ?]
_____________________________________________________________________________1061
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1062
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1064
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1064
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1065
Article 4 – La religion, la piété, la gratitude, la vengeance, l’observance et la vérité sont-elles des
parties de la justice, comme le dit Tullius [Cicéron] ?____________________________________1067
Sous-question 1 – [Ces parties sont-elles attribuées de manière appropriée par Tullius [Cicéron] ?
_____________________________________________________________________________1067
Sous-question 2 – [Macrobe a-t-il bien indiqué les parties de la justice ?]____________________1068
Sous-question 3 – [Les cinq parties indiquées par certains sont-elles appropriées ?]___________1068
Sous-question 4 – [La division de la justice en libéralité et sévérité est-elle appropriée ?]_______1069
Sous-question 5 – [La division de la justice en justice légale et justice spéciale est-elle appropriée ?]
_____________________________________________________________________________1069
Sous-question 6 – [Ce que dit un philosophe à propos des composantes habituelles de la justice est-il
approprié ?]____________________________________________________________________1070
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1070
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1073
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1074
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1075
Réponse à la sous-question 5______________________________________________________1076
Réponse à la sous-question 6______________________________________________________1077
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 33___________________________________1079
21

Distinction 34 – [Les dons]______________________________________________________1079


Question 1 – [Les dons en général]______________________________________________________1079
Prologue_________________________________________________________________________1079
Article 1 – Les dons sont-ils des vertus ?________________________________________________1080
Article 2 – Doit-il y avoir plus que sept dons ?___________________________________________1085
Article 3 – Les dons demeurent-ils dans la patrie ?________________________________________1093
Article 4 – Les béatitudes correspondent-elles à chacun des dons ?__________________________1095
Article 5 – Les fruits correspondent-ils aux dons ?________________________________________1102
Article 6 – Les demandes correspondent-elles aux dons ?__________________________________1106
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34___________________________________1112
Question 2 – [Le don de crainte]________________________________________________________1112
Prologue_________________________________________________________________________1112
Article 1 – La définition de la crainte donnée par [Jean] Damascène est-elle bonne ?____________1113
Sous-question 1 – [[Jean] Damascène définit-il la crainte de manière appropriée ?]___________1113
Sous-question 2 –[Le Maître distingue-t-il mal les parties de la crainte ?]____________________1114
Sous-question 3 – [La crainte doit-elle être comptée parmi les dons ?]______________________1115
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1115
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1117
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1118
Article 4 – La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?____________________________________1119
Sous-question 1 – [La crainte servile vient-elle du Saint-Esprit ?]__________________________1119
Sous-question 2 – [L’usage de la crainte servile est-il bon ?]______________________________1120
Sous-question 3 – [La crainte servile disparaît-elle lorsque survient la charité ?]______________1120
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1121
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1123
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1124
Article 3 – La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?____________________1124
Sous-question 1 – [La crainte chaste est-elle la même chose que la crainte servile ?]___________1124
Sous-question 2 – [La crainte initiale diffère-t-elle de la crainte chaste par sa substance ?]______1125
Sous-question 3 – [La crainte chaste diminue-t-elle lorsque la charité augmente ?]____________1125
Sous-question 4 – [Lorsque surviendra la gloire, la crainte disparaîtra-t-elle ?]_______________1126
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1127
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1128
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1129
Réponse à la sous-question 4______________________________________________________1130
Question 3 – [Le don de force]__________________________________________________________1130
Prologue_________________________________________________________________________1130
Article 1 – La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?_________________1130
Sous-question 1 – [La force qui est un don diffère-t-elle de la force qui est une vertu ?]_________1131
Sous-question 2 – [Quel est l’acte de la force en cours de route ?]_________________________1131
Sous-question 3 – [Quel est l’acte de la force dans la patrie ?]____________________________1132
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1133
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1134
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1135
Article 2 – La piété est-elle un don ?___________________________________________________1136
Sous-question 1 – [La piété est-elle un don ?]_________________________________________1136
Sous-question 2 – [La piété qui existe sur la route a-t-elle un seul acte selon l’espèce ?]________1137
Sous-question 3 – [Quel est l’acte du don de piété dans la patrie ?]________________________1138
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1138
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1140
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1141
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 34___________________________________1141
Distinction 35 – [La vie active et la vie contemplative]_______________________________1142
Question 1 – [La vie active et la vie contemplative]_________________________________________1142
Prologue_________________________________________________________________________1142
22

Article 1 – La vie est-elle divisée de manière appropriée en active et contemplative ?____________1143


Article 2 – La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la [puissance] cognitive ?_1146
Sous-question 1 – [La vie contemplative consiste-t-elle seulement dans l’acte de la puissance
cognitive ?]____________________________________________________________________1146
Sous-question 2 – [La vie contemplative consiste-t-elle dans l’opération de la raison ?]________1147
Sous-question 3 – [Tout acte de l’intellect relève-t-il de la vie contemplative ?]_______________1148
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1149
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1150
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1151
Article 3 – La vie active consiste-t-elle seulement dans ce qui se rapporte à autrui ?_____________1152
Sous-question 1 – [La vie active consiste-t-elle principalement dans ce qui se rapporte à autrui ?]
_____________________________________________________________________________1152
Sous-question 2 – [La connaissance a-t-elle un rapport avec la vie active ?]__________________1153
Sous-question 3 – [La vie active peut-elle exister en même temps que la vie contemplative ?]___1154
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1155
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1156
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1157
Article 4 – La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?________________________1158
Sous-question 1 – [La vie active est-elle plus noble que la vie contemplative ?]_______________1158
Sous-question 2 – [La vie contemplative est-elle plus méritoire que la vie active ?]____________1159
Sous-question 3 – [La vie contemplative est-elle plus durable que la vie active ?]_____________1160
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1160
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1162
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1163
Question 2 – [Les dons qui perfectionnent dans les deux vies]_________________________________1163
Prologue_________________________________________________________________________1163
Article 1 – La sagesse est-elle un don ?_________________________________________________1164
Sous-question 1 – [La sagesse est-elle un don ?]_______________________________________1164
Sous-question 2 – [La sagesse porte-t-elle seulement sur les réalités divines ?]_______________1164
Sous-question 3 – [La sagesse se trouve-t-elle seulement dans l’intelligence ou plutôt dans
l’affectivité ?]__________________________________________________________________1165
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1165
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1166
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1167
Article 2 – L’intelligence est-elle un don ?_______________________________________________1168
Sous-question 1 – [L’intelligence est-elle un don ?]_____________________________________1168
Sous-question 2 – [Le don d’intelligence possède-t-il un acte en cours de route ?]_____________1169
Sous-question 3 – [L’intelligence se différencie-t-elle de la sagesse ?]_______________________1170
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1170
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1171
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1173
Article 2 – Le don de science porte-t-il seulement sur les réalités humaines ?__________________1173
Sous-question 1 – [Le don de science porte-t-il seulement sur des réalités humaines ?]_________1173
Sous-question 2 – [Le don de science est-il seulement pratique ou aussi spéculatif ?]__________1174
Sous-question 3 – [La science des réalités humaines peut-elle comporter une curiosité nuisible ?]
_____________________________________________________________________________1175
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1176
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1176
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1178
Article 4 – Le conseil est-il un don ?___________________________________________________1179
Sous-question 1 – [Le conseil est-il un don ?]__________________________________________1179
Sous-question 2 – [Le don de conseil diffère-t-il du don de science ?]_______________________1179
Sous-question 3 – [Le don de conseil aura-t-il un acte dans la patrie ?]_____________________1180
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1181
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1182
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1183
23

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 35___________________________________1183


Distinction 36 – [Les vertus sont-elles connexes ?]___________________________________1183
Question 1 – [Les vertus politiques sont-elles connexes ?]____________________________________1184
Prologue_________________________________________________________________________1184
Article 1 – Les vertus politiques sont-elles connexes ?_____________________________________1184
Article 2 – Les vertus gratuites sont-elles connexes ?______________________________________1189
Article 3 – Les dons sont-ils connexes ?________________________________________________1191
Article 4 – Les vertus sont-elles égales ?________________________________________________1193
Article 5 – Les vices sont-ils connexes ?________________________________________________1196
Article 6 – Le mode de la charité fait-il partie du commandement ?__________________________1198
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 36___________________________________1201
Distinction 37 – [Les commandements de la loi]____________________________________1202
Prologue_________________________________________________________________________1202
Article 1 – Était-il nécessaire de donner une loi écrite ?____________________________________1203
Article 3 – Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?_______1205
Sous-question 1 – [Les commandements du décalogue sont-ils présentés de manière appropriée ?]
_____________________________________________________________________________1206
Sous-question 2 – [Doit-il y avoir dix commandements de la loi ?]_________________________1206
Sous-question 3 – [Les commandements sont-ils mal ordonnés ?]_________________________1208
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1208
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1210
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1212
Article 3 – Tous les commandements de la loi sont-ils ordonnés à ces dix [commandements] ?____1213
Article 4 – Peut-il y avoir dispense des commandements du décalogue ?______________________1217
Article 5 – Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?___________________________1220
Sous-question 1 – [Était-il approprié d’ordonner l’observance du sabbat ?]__________________1220
Sous-question 2 – [Le commandement de l’observance du sabbat était-il simplement moral ?]__1221
Sous-question 3 – [Le commandement sur le sabbat devait-il cesser au temps de la grâce ?]____1222
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1223
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1224
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1225
Article 6 – Recevoir des intérêts est-il un péché ?________________________________________1226
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 37___________________________________1229
Distinction 38 – [Les commandements de la seconde table]___________________________1230
Prologue_________________________________________________________________________1230
Article 1 – La définition du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ?_______________1232
Article 2 – La division du mensonge donnée dans le texte est-elle appropriée ?_________________1234
Article 3 – Tout mensonge est-il un péché ?_____________________________________________1237
Article 4 – Tout mensonge est-il un péché mortel ?_______________________________________1240
Article 5 – Les degrés de mensonges sont-ils attribués de manière appropriée dans le texte ?_____1244
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 38___________________________________1246
Distinction 39 – [Le parjure]____________________________________________________1247
Prologue_________________________________________________________________________1247
Article 1 – Le serment consiste-t-il à prendre Dieu à témoin ?_______________________________1249
Article 2 – Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?__________________________1252
Sous-question 1 – [Le serment porte-t-il sur ce qui doit être désiré par soi ?]_________________1252
Sous-question 2 – [Est-il permis de faire serment ?]_____________________________________1252
Sous-question 3 – [La véracité, la justice et le jugement doivent-ils accompagner le serment ?]__1253
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1254
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1255
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1256
Article 4 – Un serment imprudent est-il obligatoire ?______________________________________1256
Sous-question 1 – [Un serment imprudent est-il obligatoire ?]____________________________1256
24

Sous-question 2 – [Le serment forcé est-il obligatoire ?]_________________________________1257


Sous-question 3 – [Le serment oblige-t-il selon l’intention de celui qui le reçoit ?]_____________1258
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1259
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1260
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1261
Sous-question 1 – [Tout parjure est-il un péché mortel ?]________________________________1264
Sous-question 2 – [Est-il permis de recevoir ou d’exiger un serment ?]______________________1264
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1265
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1266
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 39___________________________________1267
Distinction 40 – [Les commandemenets se rapportant à la convoitise du cœur]__________1267
Prologue_________________________________________________________________________1267
Article 1 – Est-ce que les deux commandements sur la convoitise sont distribués de manière
appropriée ?_____________________________________________________________________1268
Article 3 – La loi ancienne justifiait-elle ?_______________________________________________1270
Article 4 – La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens éternels ?
________________________________________________________________________________1273
Sous-question 1 – [La loi ancienne promettait-elle seulement des biens temporels ou aussi des biens
éternels ?]_____________________________________________________________________1273
Sous-question 2 – [La loi ancienne diffère-t-elle de la loi nouvelle par le principe de la crainte et de
l’amour ?]_____________________________________________________________________1274
Sous-question 3 – [La loi ancienne était-elle plus lourde que la loi nouvelle ?]________________1275
Réponse à la sous-question 1______________________________________________________1275
Réponse à la sous-question 2______________________________________________________1276
Réponse à la sous-question 3______________________________________________________1277
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 40______________________________________1278

Textum Parmae 1858 editum ac automato © Copyright, traduction et notes par Jacques
translatum a Roberto Busa SJ in taenias MÉNARD, 2010.
magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón
atque instruxit

LIBER 3 Livre III – [L’INCARNATION DU


VERBE ET SES FRUITS]

Prooemium Introduction générale


[7388] Super Sent., lib. 3 pr. Ad locum unde Les fleuves retournent à leur source pour couler
exeunt, flumina revertuntur ut iterum fluant. à nouveau, Qo 1, 7. Nous pouvons tirer deux
Eccle. 1, 7. Ex verbis istis duo possumus accipere, choses de ces paroles, dans lesquelles la matière
in quibus hujus tertii libri materia de ce troisième livre est comprise, à savoir, le
comprehenditur, scilicet divinae incarnationis mystère de l’incarnation divine et son fruit
mysterium, et ejus copiosum fructum. Mysterium abondant. Le mystère de l’incarnation est
incarnationis insinuatur in fluminum reversione, suggéré par le retour des fleuves, lorsqu’il est
cum dicitur: ad locum unde exeunt flumina dit : Les fleuves retournent à leur source. Mais le
revertuntur. Sed incarnationis fructus ostenditur fruit de l’incarnation est montré dans la reprise
in iterato fluxu, cum dicitur: ut iterum fluant. de l’écoulement, lorsqu’il est dit : Pour couler à
Flumina ista sunt naturales bonitates quas Deus nouveau. Ces fleuves sont les bontés naturelles
creaturis influit, ut esse, vivere, intelligere, et que Dieu met dans les créatures, telles que l’être,
hujusmodi: de quibus fluminibus potest intelligi la vie, l’intelligence et les choses de ce genre. On
25

quod dicitur Isaiae 41, 18: aperiam in supremis peut entendre de ces fleuves ce qui est dit en
montium flumina. Montes enim supremi sunt Is 41, 18 : Je ferai couler les fleuves au sommet
nobilissimae creaturae, in quibus praedicta des montagnes. En effet, les montagnes les plus
flumina aperiri dicuntur, quia in eis et élevées sont les créatures les plus nobles, chez
copiosissime recipiuntur, et sine imperfectione lesquelles on dit que les fleuves en question
ostenduntur. Sed locus unde ista flumina exeunt, coulent, parce qu’ils sont reçus avec la plus
est ipse Deus, de quo potest intelligi quod dicitur grande abondance et se manifestent sans
Isa. 53, 21: locus fluviorum rivi latissimi et imperfection. Mais le lieu qui est la source de ces
patentes; ac si diceret: in loco ortus fluviorum rivi fleuves est Dieu lui-même, dont on peut entendre
naturalium bonitatum eminenter inveniuntur; unde ce qui est dit en Is 53, 21 : La source des fleuves
dicit: latissimi, quantum ad perfectionem divinae a des rives très larges et bien dégagées, comme
bonitatis, secundum omnia attributa; et patentes, s’il disait : « Les rivages des biens naturels se
quantum ad communicationem indeficientem; trouvent surtout là où naissent les fleuves. »
quia ejus bonitas, ex qua omnia fluunt, nec C’est pourquoi il dit : Très larges, pour ce qui est
exhauriri nec concludi potest. Ista flumina in aliis de la perfection de la bonté divine, selon tous ses
creaturis inveniuntur distincta; sed in homine attributs, et : Bien dégagées, pour ce qui est
inveniuntur quodammodo aggregata: homo enim d’une communication sans faille, car sa bonté,
est quasi orizon et confinium spiritualis et qui est la source de toutes choses, ne peut être ni
corporalis naturae, ut quasi medium inter s’épuiser ni se terminer. Ces fleuves se trouvent
utrasque, bonitates participet et corporales et séparés chez les autres créatures, mais, chez
spirituales; unde et omnis creaturae nomine homo l’homme, ils se trouvent pour ainsi dire
intelligitur Marc. ult. ubi dicitur: praedicate rassemblés. En effet, l’homme, comme horizon
Evangelium omni creaturae; ut beatus Gregorius et frontière de la nature spirituelle et de la nature
exponit: et ideo quando humana natura per corporelle, participe aux bontés corporelles et
incarnationis mysterium Deo conjuncta est, omnia aux bontés spirituelles comme un intermédiaire
flumina naturalium bonitatum ad suum entre les deux. Aussi est-il question de l’homme
principium reflexa redierunt, ut possit dici quod lorsqu’on parle de toutes les créatures, en
legitur Josue 4, 17: reversae sunt aquae in alveum Mc 16 : Prêchez à toute créature, comme
suum, et fluebant sicut ante consueverant; unde et l’explique Grégoire. Ainsi, lorsque la nature
hic sequitur: ut iterum fluant: in quo notatur humaine a été unie à Dieu par le mystère de
incarnationis fructus: ipse enim Deus, qui l’incarnation, tous les fleuves des bontés
naturalia bona influxerat, reversis quodammodo naturelles sont-ils retournés vers leur origine, de
omnibus per assumptionem humanae naturae in sorte qu’on peut dire ce qu’on lit en Jos 4, 18 :
ipsum, non jam Deus tantummodo, sed Deus et Les eaux sont revenues dans leur lit et coulaient
homo hominibus fluenta gratiarum abundanter comme elles en avaient l’habitude. Aussi
influxit: quia de plenitudine ejus omnes conclut-on ici : Pour qu’ils coulent de nouveau,
accepimus, gratiam pro gratia: Joan. 1, 16. Et de par quoi est indiqué le fruit de l’incarnation. En
isto influxu legitur Eccli. 39, 27: benedictio illius effet, Dieu, qui avait mis dans la nature humaine
quasi fluvius inundabit. Et sic patet materia tertii des biens naturels, en les ramenant tous d’une
libri: in cujus prima parte agitur de incarnatione, certaine manière lorsqu’il a pris en lui la nature
in secunda de virtutibus et donis nobis per humaine, a communiqué une abondance de
Christum collatis. grâces aux hommes, non seulement en tant que
Dieu, mais en tant que Dieu et homme, car nous
avons tous reçu de sa plénitude, grâce sur grâce,
Jn 1, 16. On lit à propos d’une telle
communication en Si 39, 22 : Sa bénédiction
recouvrira tout comme un fleuve. Ainsi se
manifeste la matière du troisième livre : dans sa
première partie, il est question de l’incarnation ;
dans la seconde, des vertus et des dons qui nous
26

sont conférés par le Christ.

Distinctio 1 Distinction 1 – [L’incarnation, du point de


vue de celui qui assume]

Quaestio 1 Question 1 – [Était-il possible à Dieu de


s’incarner ?]
Prooemium Prologue
[7389] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé dans les deux livres
Magister in duobus praecedentibus libris précédents des réalités divines selon qu’elles
determinavit de rebus divinis secundum exitum a sortent de leur principe, le Maître commence à
principio, in hoc libro incipit determinare de rebus déterminer dans ce livre des choses qu’on
quae dicuntur divinae, secundum reditum in appelle divines, selon leur retour à leur fin, à
finem, scilicet Deum; unde dividitur haec pars in savoir, Dieu. Cette partie se divise donc en deux
duas partes: in prima determinat istum reditum in parties : dans la première, il détermine de ce
finem ex parte reducentium; in secunda quantum retour à la fin du point de vue de ce qui les
ad ea quae exiguntur ex parte reductorum, scilicet ramène; dans la seconde, selon ce qui est exigé
sacramenta, quae ad gratiam disponunt: et hoc in du point de vue de ce qui est ramené, à savoir,
4 libro. Prima dividitur in duas partes: in prima les sacrements, qui disposent à la grâce. C’est là
determinat de reducente effective, scilicet de Deo l’objet du livre IV. La première partie se divise
incarnato; in secunda de reducentibus formaliter, en deux parties : dans la première, il détermine
ut sunt virtutes et dona, 23 dist.: cum vero supra de ce qui ramène à titre de cause efficiente, à
perhibitum sit Christum plenum gratia fuisse, non savoir, Dieu incarné ; dans la seconde, de ce qui
est supervacuum inquirere, utrum fidem et spem, ramène par mode de forme, comme les vertus et
sicut caritatem habuerit. Prima dividitur in duas les dons, d. 23 : « Alors qu’il a été montré plus
partes: in prima determinat de divina incarnatione; haut que le Christ était rempli de grâce, il n’est
in secunda prosequitur conditiones ipsius Dei pas superflu de se demander s’il a eu la foi,
incarnati, dist. 6: ex praemissis autem emergit l’espérance et la charité. » La première [partie]
quaestio plurimum continens utilitatis. Prima est divisée en deux parties : dans la première, il
dividitur in tres partes: in prima determinat de détermine de l’incarnation divine ; dans la
incarnatione ex parte assumentis carnem, quis sit; seconde, il recherche les conditions du Dieu
in secunda ex parte assumpti, quid sit, dist. 2: et incarné lui-même, d. 6 : « De ce qui a été dit plus
quia in homine tota humana natura corrupta erat, haut, ressort une question qui est très utile. » La
totam assumpsit; in tertia ex parte utriusque, première [partie] est divisée en trois parties.
cujusmodi sit, dist. 5: praeterea inquiri oportet Dans la première, il détermine de celui qui
quid horum potius concedendum sit. Prima s’incarne du point de vue de celui qui prend
dividitur in tres partes: in prima ostendit per chair. Dans la deuxième, du point de vue de ce
auctoritatem apostoli, quae sit persona assumens, qui est assumé, d. 2 : « Et parce que, chez
quia filius; in secunda inquirit rationem, quare l’homme, toute la nature humaine avait été
potius filius quam alia persona, ibi: diligenter corrompue, il l’assume en entier. » Dans la
vero annotandum est, quare filius, non pater vel troisième, du point de vue de ce qui concerne les
spiritus sanctus, incarnatus est; in tertia excludit deux, d. 5 : « De plus, il faut se demander ce qui
objectionem, ibi: sed forte aliqui dicent. doit être plutôt concédé parmi ces choses. » La
Diligenter vero annotandum est et cetera. Hic première [partie] est divisée en trois parties.
assignat rationem quare persona filii carnem Dans la première, il montre, selon l’autorité de
assumpsit; et dividitur in duas partes: in prima l’Apôtre, quelle est la personne qui assume, le
dicit, quod magis congruum fuit filium incarnari Fils ; dans la deuxième, il cherche la raison pour
quam patrem aut spiritum sanctum; in secunda laquelle c’est le Fils plutôt qu’une autre
inquirit, utrum possibile fuerit patrem aut spiritum personne, à cet endroit : « Il faut relever avec
sanctum incarnari, ibi: si vero quaeritur, utrum soin pour quelle raison le Fils, et non le Père ou
27

pater vel spiritus sanctus incarnari potuerit, vel l’Esprit Saint, s’est incarné » ; dans la troisième,
etiam modo possit: sane responderi potest, et il écarte une objection, à cet endroit : « Mais
potuisse olim et posse nunc carnem sumere. Circa peut-être certains diront-ils… » « Il faut relever
primum assignat tres rationes, quare filius carnem avec soin, etc. » Ici, il donne la raison pour
assumpsit: quarum prima sumitur ex appropriato laquelle la personne du Fils a pris chair. Il y a
filii, quod est sapientia; secunda ex origine ipsius, deux parties : dans la première, il dit qu’il
quia est ab alio, ibi: ideo est filius; tertio ex convenait davantage que le Fils s’incarne, que le
proprio ipsius, quia filius est, ibi: quod ideo Père ou l’Esprit Saint ; dans la deuxième, il
factum est ut qui erat in divinitate Dei filius, in demande s’il aurait été possible que le Père ou
humanitate fieret hominis filius. Hic est duplex l’Esprit Saint s’incarnent, à cet endroit : « Mais
quaestio: prima de incarnatione: secunda de si on demande si le Père ou l’Esprit Saint pouvait
persona carnem assumente. Circa primum s’incarner ou même s’ils le peuvent maintenant,
quaeruntur quatuor: 1 utrum Deum incarnari fuerit on peut assurément répondre qu’ils pouvaient
possibile; 2 utrum fuerit congruum; 3 utrum autrefois et qu’ils peuvent maintenant prendre
incarnatio fuisset, si homo non peccasset; 4 de chair. » À propos du premier point, il donne trois
tempore incarnationis. raisons pour lesquelles le Fils a pris chair. La
première vient de ce qui est approprié au Fils, la
sagesse ; la deuxième, de son origine, car il vient
d’un autre, puisqu’il est le Fils, à cet endroit :
« C’est pourquoi il arriva que celui qui était Fils
de Dieu par sa divinité devint fils de l’homme
par son humanité. » Ici, il y a deux questions : la
première, à propos de l’incarnation ; la seconde,
à propos de la personne qui prend chair. À
propos de la première, quatre questions sont
posées : 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne ?
2 – Cela était-il convenable ? 3 – L’incarnation
aurait-elle eut lieu si l’homme n’avait pas
péché ? 4 – À propos du moment de
l’incarnation.

Articulus 1 [7390] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. Article 1 – Était-il possible que Dieu s’incarne
1 tit. Utrum Deum incarnari fuerit possibile ?
[7391] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il était impossible que Dieu
primum sic proceditur. Videtur quod impossibile prenne chair. En effet, tout ce qui peut être uni à
fuerit Deum assumere carnem. Omne enim quod quelque chose rend l’union possible. Or, tout ce
est alteri unibile, possibile est ad unionem. Sed qui est possible pour quelque chose est amené à
omne possibile ad aliquid, reducitur ad actum per l’acte par un mouvement ou une passion, et par
motum vel passionem, et ab aliquo alio primo un premier agent, puisque ce qui meut et ce qui
agente, cum non sit idem movens et motum, agens est mû, l’agent et le patient, ne sont pas la même
et patiens. Cum ergo impossibile sit Deum mutari chose. Puisqu’il est impossible que Dieu soit
vel pati, nec aliquid prius eo esse possit; videtur changé ou subisse, et qu’il ne peut exister
quod carni unibilis non fuerit. quelque chose qui lui soit antérieur, il semble
donc qu’il ne pouvait être uni à la chair.
[7392] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Ce qui est parfait dans l’être n’est pas uni à
Praeterea, illud quod est perfectum in esse, non quelque chose par une union essentielle. En
unitur alicui unione essentiali: unio enim effet, l’union essentielle vient de l’acte et de la
essentialis est ex actu et potentia, vel ex forma et puissance, ou de la forme et de la matière, dont
materia; quorum utrumque est imperfectum in chacun est imparfait dans l’être. Ce qui est
esse. Ergo quod omnibus modis perfectum est, parfait de toutes les manières ne peut donc
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nullo modo alteri uniri potest: quod enim aucunement être uni à autre chose. En effet, ce
perfectissimum est, additionem non recipit, cum qui est parfait au plus haut point ne reçoit pas
nihil sibi desit. Sed Deus est omnibus modis d’ajout, puisqu’il ne lui manque rien. Or, Dieu
perfectus, quia in se omnem perfectionem est parfait de toutes les manières, car il possède
praehabet, ut dicit Dionysius, et etiam déjà en lui-même toute perfection, comme le
philosophus, et Commentator ejus. Ergo ipse disent Denys, de même que le Philosophe et son
unibilis alteri non est. Commentateur. Il ne peut donc être uni à autre
chose.
[7393] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Il n’existe pas de proportion entre des choses
Praeterea, infinite distantium non est aliqua infiniment distantes. Or, l’union n’est pas
proportio. Quorum autem non est proportio, non possible entre des choses qui n’ont pas de
est possibilis unio; unde non quodlibet cuilibet proportion ; aussi n’importe quoi ne peut-il donc
uniri potest. Cum ergo Deus et creatura in être uni à n’importe quoi. Puisque Dieu et la
infinitum distent, videtur quod Deus creaturae créature sont infiniment distants, il semble donc
uniri non possit. que Dieu ne puisse s’unir à la créature.
[7394] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4 4. La distance est plus grande entre Dieu et la
Praeterea, major est distantia Dei et creaturae, créature qu’entre deux contraires, puisque les
quam duorum contrariorum; cum contraria in contraires ont le genre en commun, et que Dieu
genere conveniant, et Deus non contineatur in n’est pas contenu dans un genre. Or, deux
aliquo genere. Sed duo contraria non possunt contraires ne peuvent se trouver en même temps
simul esse in eodem. Ergo nec natura humana et dans la même chose. Ni la nature humaine ni la
divina possunt esse in una persona; et sic idem nature divine ne peuvent donc exister dans une
quod prius. seule personne. La conclusion est donc la même
que précédemment.
[7395] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Il est requis que la puissance divine n’ait ni un
Praeterea, ad infinitatem divinae potentiae corps, ni une puissance dans un corps, comme
exigitur quod neque sit corpus neque virtus in cela est démontré. Or, la puissance de Dieu ne
corpore, ut probatur. Sed potentia Dei nunquam peut jamais être finie. Dieu ne peut donc jamais
potest esse finita. Ergo nunquam potest Deus esse être un corps ou une puissance dans un corps.
corpus vel virtus in corpore. Sed esse incarnatum Or, être incarné, c’est être un corps ou une
est corpus, vel virtus in corpore. Ergo Deus non puissance dans un corps. Dieu ne peut donc
potest incarnari. s’incarner.
[7396] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Dieu peut faire plus que
contra est quod Deus plus potest facere quam l’homme ne peut dire. Lc 1, 37 : Aucune parole
homo potest dicere. Luc. 1, 37: non erit n’est impossible pour Dieu. Or, l’homme peut
impossibile apud Deum omne verbum. Sed hoc dire que Dieu prend la nature humaine : cela ne
homo potest dicere, scilicet Deum humanam comporte pas de contradiction, et ce qui est dit
naturam assumere; nec contradictionem implicat, n’introduit pas de carence en Dieu. À plus forte
nec aliquem defectum in Deo ponit hoc dictum. raison, Dieu peut donc faire cela.
Ergo Deus multo fortius hoc facere potest.
[7397] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] L’union est facile entre des choses qui ont
Praeterea, eorum quae habent similitudinem, une similitude. Or, l’homme a été créé à l’image
facilis est unio. Sed homo creatus est ad et à la ressemblance de Dieu, Gn 1. La nature
imaginem et similitudinem Dei: Genes. 1. Ergo humaine peut donc d’une certaine manière être
humana natura divinae aliquo modo unibilis est in unie à la nature divine dans une personne.
persona.
[7398] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Chez les créatures, la nature se divine selon
Praeterea, in creaturis secundum divisionem les suppôts. Or, en Dieu, il peut exister plusieurs
suppositorum dividitur natura. Sed in divinis personnes dans une seule nature. Pour la même
possunt esse plures personae in una natura. Ergo raison, il peut donc exister plusieurs natures dans
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et pari ratione possunt esse plures naturae in una une seule personne. La conclusion est ainsi la
persona; et sic idem quod prius. même que précédemment.
[7399] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 co. Réponse. L’union entre deux ou trois choses
Respondeo dicendum, quod unio aliquorum peut exister de trois façons. D’une manière,
duorum vel trium potest esse tripliciter. Uno parce que des choses ne sont unies entre elles
modo secundum quod aliqua non uniuntur ad que par l’union avec une autre chose. Mais, en
invicem nisi per conjunctionem eorum in aliquo sens inverse, certaines choses sont unies par leur
uno. Quaedam vero uniuntur e converso per union réciproque et avec une autre chose, qui est
conjunctionem eorum ad invicem, et aliquo uno, réalisée par leur union. Cependant, certaines
quod ex eorum conjunctione constituitur. choses [sont unies] par leur union réciproque,
Quaedam vero per conjunctionem eorum ad mais non avec une autre chose, car rien ne
invicem, sed non in aliquo uno, quia ex eorum résulte de leur union. Le premier mode se
conjunctione nihil resultat. Primum horum produit de quatre manières. En effet, soit que
contingit quatuor modis. Quia vel illud unum in cette chose unique en laquelle elles unies est
quo conjunguntur, est idem numero, sicut duo identique en nombre, comme les deux bras sont
brachia conjunguntur in uno pectore, vel duo rami unis à un seul torse ou comme deux branches qui
qui se non tangunt nisi in uno trunco: vel unum ne se touchent que par le tronc ; soit que cette
secundum speciem, sicut Socrates et Plato in chose est une selon l’espèce, comme Socrate et
homine: vel unum genere, sicut homo et asinus in Platon dans l’homme, ou une selon le genre,
animali: vel unum analogia sive proportione, sicut comme l’homme et l’âme dans l’animal ; soit
substantia et qualitas in ente: quia sicut se habet [qu’elle est] une par une analogie ou une
substantia ad esse sibi debitum, ita et qualitas ad proportion, comme la substance et la qualité dans
esse sui generis conveniens. Quae vero junguntur un être, car le rapport entre la substance et l’être
ad invicem, et in aliquo uno ex eorum qui lui est dû est le même qu’entre la qualité et
conjunctione constituto, sunt sicut materia et l’être qui lui convient selon son genre. Mais ce
forma: quia forma conjungitur materiae ut qui est uni réciproquement et avec une autre
perfectio ejus, et ambo conjunguntur in natura chose réalisée par leur union est comme la
communi: et simile est de partibus quantitativis matière et la forme, car la forme est unie à la
continuatis ad invicem, ita quod ex eis proveniat matière comme sa perfection, et les deux sont
aliquod totum, in quo duae partes conveniant. Ea unies dans une nature commune. De même en
vero quae uniuntur ad invicem et non in aliquo est-il des parties quantitatives continues les unes
uno, sunt sicut accidens et subjectum, ex quibus par rapport aux autres, de sorte qu’un tout
non efficitur unum per se, cujus subjectum et provient d’elles, dans lequel deux parties ont
accidens partes dici possint ut probatur in 8 quelque chose en commun. Mais les choses qui
Metaph. Et quia, ut dicit Hilarius 1 de Trin., sont unies les unes par rapport aux autres, mais
comparatio terrenorum ad Deum nulla est; nec non dans une autre, sont comme l’accident et le
exemplum sufficiens rebus divinis ratio humana sujet, par lesquels n’est pas réalisé quelque chose
praestabit; sciendum est, quod nullus istorum d’un par soi, dont le sujet et l’accident puissent
modorum competit ex toto ineffabili unioni qua être appelés les parties, comme cela est démontré
Deus homini unitus est; sed tamen aliqui istorum dans Métaphysique, VIII. Et parce que, ainsi que
modorum quantum ad aliquid repraesentant illum le dit Hilaire dans La Trinité, I, il n’y a aucune
modum unionis. Sciendum est ergo, quod medius comparaison entre les réalités terrestres et Dieu,
modus quo aliqua conjunguntur ad invicem, ut ex et que la raison n’apportera aucun exemple
eis aliquod tertium resultet, omnino non potest suffisant des réalités divines, il faut savoir
Deo convenire: quia duo quae conjunguntur qu’aucune de ces manières ne convient
secundum hunc modum, se habent ad tertium ut entièrement à l’union ineffable par laquelle Dieu
partes: ratio autem partis, sicut et imperfecti, est uni à l’homme. Cependant, certaines de ces
penitus a Deo removetur. Primum vero modum et manières représentent partiellement ce mode
tertium quantum ad aliquid possibile est Deo d’union. Il faut donc savoir que le mode
convenire. In incarnatione enim ex parte intermédiaire selon lequel certaines choses sont
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assumentis duo possunt considerari; scilicet unies réciproquement, de sorte qu’une troisième
persona et natura. Si autem consideremus chose en résulte, ne peut d’aucune manière
personam assumentem, sic conjungitur humanae convenir à Dieu, car les deux choses qui sont
naturae assumptae tertio modo conjunctionis: quia unies de cette manière se trouvent être des
persona divina fit persona hujus naturae humanae: parties de la troisième. Or, la raison de partie,
sed ex his duobus non resultat aliquod tertium, comme celle d’imparfait, est totalement écartée
sicut etiam in Socrate ex persona ejus et natura de Dieu. En effet, dans l’incarnation, deux
non fit aliquod tertium, sed persona ejus in choses peuvent être prises en compte du point de
humana natura subsistit. Si autem consideremus vue de celui qui assume : la personne et la
naturam assumentis, sic conjunctio ejus ad nature. Or, si nous considérons la personne qui
naturam humanam est secundum primum modum assume, elle est unie à la nature humaine
conjunctionis, inquantum duae naturae in una assumée selon le troisième mode d’union, car la
persona conveniunt, quae in naturalibus personne divine devient la personne de cette
proprietatibus nihilominus distinctae sunt. Et ideo nature humaine ; mais il ne résulte pas de ces
incarnatio insertioni comparatur: sicut enim in deux choses une troisième, comme une troisième
insertione in eodem trunco in quo erat unus ramus chose n’est pas réalisée chez Socrate par sa
per naturam, fit ramus alius per insertionem; ita in personne et sa nature, mais sa personne subsiste
eadem persona in qua naturaliter erat divina dans la nature humaine. Toutefois, si nous
natura, est per unionem humana natura. In uno considérons la nature de celui qui assume, son
autem genere vel specie Deum et creaturam union à la nature humaine se réalise selon le
convenire impossibile est; sed per analogiam premier mode d’union, dans la mesure où les
possibile est. Sed hoc ex tunc fuit ex quo deux natures se retrouvent dans une seule
creaturae esse coeperunt: et ideo de hoc non est ad personne, alors qu’elles sont néanmoins
praesens quaestio. distinctes par leurs propriétés naturelles. C’est
pourquoi l’incarnation est comparée à une
greffe : en effet, de même que, par la greffe à un
même tronc où se trouvait une branche par
nature, une autre branche apparaît par la greffe,
de même, dans la même personne où se trouvait
naturellement la nature divine, se trouve la
nature humaine par l’union. Or, il est impossible
que Dieu et la créature se retrouvent dans un seul
genre ou une seule espèce, mais cela est possible
par analogie. Mais cela a existé depuis le
moment où les créatures ont commencé à exister.
C’est pourquoi telle n’est pas présentement la
question.
[7400] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad [1] Il arrive parfois que, dans les choses
primum ergo dicendum, quod contingit aliquando relatives, on dise quelque chose de manière
in relativis aliquid relative dici, non quia ipsum relative, non pas parce que cela est mis en
referatur, sed quia alterum refertur ad ipsum, sicut rapport, mais parce que quelque chose d’autre est
scibile relative dicitur ad scientiam: et in talibus mis en rapport avec cela, comme ce qui est
aliquid incipit dici de novo quod prius non connaissable est mis en rapport avec la science.
dicebatur, nulla mutatione facta circa ipsum, sed Pour de telles choses, on commence à dire
circa alterum: nulla enim mutatione facta circa quelque chose qui n’était pas dit auparavant, sans
scibile, incipit esse a me scitum per mei mentionner la chose, mais son rapport à quelque
mutationem: et similiter dicitur res scibilis non chose d’autre. En effet, sans qu’aucun
per potentiam passivam quae sit in ipsa, sed per changement n’ait lieu dans ce qui peut être
potentiam quae est in sciente: et sic est in connu, cela commence à être connu par moi par
proposito. Non enim potest esse ut creator ad un changement de ma part. De même, une chose
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creaturam referatur nisi quia creatura ad ipsum est dite connaissable, non pas par une puissance
refertur, in qua relatio realiter existit, ut in 1 Lib. passive qui est en elle, mais par une puissance
dictum est, dist. 30; et ideo Deus dicitur uniri non qui se trouve dans celui qui connaît. Tel est le
per mutationem sui, sed ejus cui unitur: et cas ici. En effet, il ne peut arriver que le Créateur
similiter cum dicitur unibilis, hoc dicitur non per soit mis en rapport avec la créature que parce
potentiam aliquam passivam in Deo existentem, que la créature, chez qui la relation existe
sed per potentiam quae in creatura est ut uniri réellement, est mise en rapport avec lui, comme
possit. Vel potest dici, quod unibile non dicit on l’a dit dans le livre I, d. 30. C’est pourquoi on
potentiam passivam, sed activam. Sed haec dit que Dieu est uni, non par un changement de
responsio non congruit propter duo. Primo ex ipsa sa part, mais par un changement de la part de ce
significatione nominis: quia unibile significat qui est uni. De même, lorsqu’on dit qu’il peut
possibile uniri; unitivum vero potens unire. être uni, on le dit, non pas en raison d’une
Secundo, quia cujus est actio ejus est potentia: puissance passive existant en Dieu, mais d’une
unde cum haec actio quae est unire, conveniat puissance d’être unie qui existe dans la créature.
indifferenter toti Trinitati; et unibile si dicit Ou bien on peut dire que ce qui peut être dit ne
activam potentiam unionis, toti Trinitati signifie pas une puissance passive, mais active.
indifferenter conveniet, et non magis congruet Mais cette réponse ne convient pas pour deux
filio, ut in littera dicitur. raisons. Premièrement, en raison de la
signification même du mot, car ce qu’il est
possible d’unir signifie ce qui peut uni, mais ce
qui unit, ce qui peut unir. Deuxièmement, parce
que la puissance appartient à ce à quoi appartient
l’action. Ainsi, puisque cette action, qui consiste
à unir, convient de manière indifférenciée à la
Trinité, ce qui peut être uni, si on exprime par là
la puissance active d’unir, conviendra aussi de
manière indifférenciée à la Trinité, et ne
conviendra pas plutôt au Fils, comme on le dit
dans le texte.
[7401] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Ad [2] Ce qui est parfait en soi n’est pas uni à
secundum dicendum, quod illud quod est quelque chose d’autre pour acquérir une
perfectum in se, non unitur alteri ad acquirendum perfection, mais pour la communiquer. Ainsi,
aliquam perfectionem, sed ad communicandum: et Dieu a voulu être uni, non pas pour lui-même,
sic Deus homini uniri voluit non propter se, quia car sa perfection n’y trouve pas à s’accroître,
non habet quo crescat ejus perfectio, sed propter mais pour l’homme, au secours de qui il devait
hominem cui subveniendum erat: sicut etiam venir ; comme aussi Dieu existe en toutes choses
Deus est in omnibus per essentiam, praesentiam et par son essence, sa présence et sa puissance, en
potentiam, suam bonitatem in omnibus diffusant sa bonté en toutes choses, sans en être
diffundendo; ex quo tamen nihil sibi accrescit. en rien accru.
[7402] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Ad [3] On parle de proportion de deux manières.
tertium dicendum, quod proportio dicitur D’une manière, la proportion est la même chose
dupliciter. Uno modo idem est proportio quod qu’une mesure assurée entre deux quantités. Une
certitudo mensurationis duarum quantitatum: et telle proportion ne peut exister qu’entre deux
talis proportio non potest esse nisi duorum réalités finies, dont l’une dépasse selon quelque
finitorum, quorum unum excedit secundum chose de précis et de déterminé. D’une autre
aliquid certum et determinatum. Alio modo manière, on appelle proportion un rapport
dicitur proportio habitudo ordinis, sicut dicimus d’ordre, comme lorsque nous disons qu’il existe
esse proportionem inter materiam et formam, quia une proportion entre la matière et la forme, car
se habet in ordine, ut perficiatur materia per [la matière] est ordonnée à être perfectionnée par
formam, et hoc secundum proportionabilitatem la forme, et cela selon une certaine possibilité de
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quamdam: quia sicut forma potest dare esse, ita et proportion, car, de même que la forme peut
materia potest recipere idem esse: et hoc modo donner l’être, de même la matière peut-elle aussi
etiam movens et motum debent esse recevoir le même être. De cette manière, même
proportionabilia, et agens et patiens, ut scilicet ce qui meut et ce qui est mû doivent être
sicut agens potest imprimere aliquem effectum, susceptibles de proportion, ainsi que l’agent et le
ita patiens possit recipere eumdem. Nec oportet ut patient, de sorte que, de même que l’agent peut
commensuretur potentia passiva recipientis ad provoquer un certain effet, de même ce qui subit
potentiam activam agentis nec secundum peut-il recevoir ce même [effet]. Et il n’est pas
numerum (sicut unus artifex per artem suam nécessaire que la puissance passive de ce qui
potest in ligno inducere plures formas, ut formam reçoit soit égale à la puissance active de l’agent,
arcae, et formam serrae; sed lignum non potest ni selon le nombre (comme un artisan peut par
recipere nisi unam illarum) nec etiam secundum son art introduire plusieurs formes dans le bois,
intentionem: quia artifex per suam artem potest ainsi la forme d’une arche et la forme d’un
producere pulchram sculpturam, quam tamen charriot; mais le bois ne peut recevoir qu’une
lignum nodosum non potest recipere. Et ideo non seule d’entre elles), ni même selon l’intention,
est inconveniens ut hic modus proportionis inter car l’artisan peut par son art produire une belle
Deum et creaturam salvetur, quamvis in infinitum sculpture, que le bois plein de nœuds ne peut
distent: et ideo possibilis est unio utriusque. cependant recevoir. C’est pourquoi il n’est pas
inapproprié que ce mode de proportion entre
Dieu et la créature soit conservé, bien qu’il
existe une distance infinie entre eux. C’est la
raison pour laquelle l’union des deux est
possible.
[7403] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 4 Ad [4] Les contraires ne peuvent jamais être unis de
quartum dicendum, quod contraria nunquam manière à être présents dans la même chose sous
possunt uniri hoc modo quod insint eidem le même aspect. Aussi la créature n’est-elle pas
secundum idem; et sic etiam nec creatura creatori unie au créateur de cette manière, car, selon
unitur; quia secundum Damascenum, quod erat [Jean] Damascène, « ce qui ne pouvait être créé
increabile, mansit increabile; et quod erat creabile, demeure impossible à créer, et ce qui pouvait
mansit creabile. être créé, il demeure possible de le créer ».
[7404] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad [5] On parle de puissance dans un corps de
quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse plusieurs manières. D’une manière, parce qu’elle
virtus in corpore pluribus modis. Uno modo quia est la forme du corps et ne possède d’opération
est forma corporis, et non habet operationem nisi que par l’intermédiaire du corps. Les puissances
mediante corpore; et sic potentiae sensitivae, et sensibles, et celles qui leur sont inférieures en
quae infra eas sunt dignitate, dicuntur virtutes in dignité, sont appelées des puissances dans le
corpore. Alio modo potest dici virtus in corpore, corps. D’une autre manière, on parle de
quia est forma dans esse corpori, non tamen puissance dans le corps parce qu’elle est la forme
operans mediante corpore, quamvis indigeat qui donne son être au corps, mais qui n’agit
corpore ad suam operationem, per quod cependant pas par l’intermédiaire du corps, bien
repraesentatur sibi suum objectum: et hoc modo qu’elle ait besoin, pour son opération, du corps
intellectus possibilis est virtus in corpore. Alio qui lui présente son objet. C’est de cette manière
modo posset dici virtus in corpore quod est forma que l’intellect possible est une puissance dans le
corporis, quamvis non operetur mediante corpore, corps. D’une autre manière, on peut parler d’une
nec a corpore aliquid recipiat; sicut dixerunt de puissance dans le corps qui est la forme du corps,
animabus orbium, qui posuerunt caelos animatos bien qu’elle n’agisse pas par l’intermédiaire du
anima intellectuali tantum. Et patet, quia esse corps ni ne reçoive quelque chose du corps,
virtutem in corpore significat vel esse formam comme ceux qui affirmaient que le ciel était
corporis, vel etiam cum hoc dependere aliquo animé par une âme intellectuelle seulement
modo ejus operationem a corpore: quorum parlaient des âmes des sphères. Et cela est clair,
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neutrum de Deo dicimus, secundum quod car être une puissance dans un corps signifie soit
incarnatus est. Unde ad hoc quod ponamus eum être la forme du corps, soit que son opération
incarnatum, non oportet quod ponamus eum dépend d’une certaine manière du corps. Nous ne
virtutem in corpore, vel aliquo modo ad corpus disons aucune des deux choses de Dieu, en tant
finiri. qu’il s’est incarné. Aussi pour que nous
affirmions qu’il s’est incarné, il n’est pas
nécessaire que nous affirmions qu’il est une
puissance dans un corps ou qu’il est d’une
certaine manière limité à un corps.

Articulus 2 [7405] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. Article 2 – Était-il convenable que Dieu
2 tit. Utrum Deum incarnari fuerit congruum s’incarne ?
[7406] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il n’était pas convenable que
secundum sic proceditur. Videtur quod non fuerit Dieu s’incarne, même si cela était possible. En
congruum Deum incarnari, etsi fuerit possibile. effet, de même que la bonté s’oppose à la malice,
Sicut enim bonitati opponitur malitia, ita majestati de même la faiblesse s’oppose-t-elle à la majesté.
opponitur infirmitas. Sed summam bonitatem non Or, il ne convient pas que la plus grande bonté
decet assumere aliquam malitiam. Ergo summae assume la malice. Toute faiblesse était donc
majestati indecens est omnis infirmitas. Omnis inappropriée pour la plus haute majesté. Or, tout
autem sapiens vitat indecentiam. Ergo cum Deus sage évite ce qui n’est pas approprié. Puisque
sit sapientissimus, nullo modo nostram naturam, Dieu est le plus sage, il ne devait donc d’aucune
quae infirma est, assumere debuit. manière assumer notre nature qui est faible.
[7407] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Le péché de l’homme et le péché de l’ange
Praeterea, peccatum hominis et peccatum Angeli étaient du même genre, car les deux ont péché
fuerunt ejusdem generis, quia uterque per par orgueuil. Or, Dieu n’est pas venu au secours
superbiam peccavit. Sed Deus Angelorum peccato du péché des anges en prenant de quelque
non subvenit per alicujus naturae assumptionem. manière leur nature. Il ne devait donc pas venir
Ergo nec peccato hominis subvenire debuit per au secours du péché de l’homme par
incarnationem. l’incarnation.
[7408] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 3 3. La création répond à la recréation. Or, Dieu
Praeterea, creatio recreationi respondet. Sed Deus n’a assumé aucune créature pour la création de
ad creationem hominis nullam creaturam l’homme. Il ne convenait donc pas qu’il
assumpsit. Ergo nec ad ejus recreationem s’incarne pour sa recréation.
incarnari eum congruum fuit.
[7409] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Comme le dit le Ps 144, 9, sa miséricorde
Praeterea, ut in Psalm. 144, 9, dicitur, l’emporte sur toutes ses œuvres. Il convenait
miserationes ejus super omnia opera ejus. Ergo donc davantage que Dieu manifeste l’immensité
plus decuit quod Deus ostenderet immensitatem de sa miséricorde que la sévérité de sa justice.
suae misericordiae quam severitatem suae Or, il relève de la grandeur de sa miséricorde
justitiae. Sed ad magnitudinem misericordiae qu’il remette les péchés sans satisfaction ; aussi
pertinet ut peccata sine satisfactione remittantur: nous est-il ordonné par Dieu de remettre
unde et a Deo nobis praecipitur ut debitoribus gratuitement à nos débiteurs. Dieu devait donc
nostris gratis dimittamus. Ergo et Deus naturam réparer gratuitement la nature humaine, sans
humanam gratis reparare debuit, non expetendo exiger de satisfaction. Ainsi n’était-il pas
satisfactionem: et ita non fuit opportunum ut Deus opportun que Dieu devienne homme afin de
homo fieret ad satisfaciendum pro hominibus. satisfaire pour les hommes.
[7410] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Aucune cruauté ne doit être attribuée à Dieu,
Praeterea, nulla crudelitas Deo est attribuenda, car il est miséricordieux au plus haut point. Or,
quia summe est misericors. Sed exigere ab aliquo exiger de quelqu’un plus qu’il ne peut est cruel.
plus quam potest, est crudele. Ergo Deus non Dieu n’exige donc pas de l’homme une
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exigit satisfactionem ab homine quam homo non satisfaction que l’homme ne peut accomplir.
potest implere; et ita homo per se potest Ainsi, l’homme peut satisfaire par lui-même. Il
satisfacere: et sic non fuit necessarium quod Deus n’était donc pas nécessaire que Dieu s’incarne.
incarnaretur.
[7411] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 6 6. Quiconque peut satisfaire pour un péché plus
Praeterea, quicumque potest satisfacere pro majori grand peut satisfaire pour un plus petit. Or, un
peccato, potest satisfacere pro minori. Sed mortale péché mortel actuel est plus grand que le péché
peccatum actuale est majus quam originale, quia originel, car il comporte plus de volontaire.
habet plus de voluntario. Ergo cum homo possit Puisque l’homme peut satisfaire pour un péché
pro mortali satisfacere, potest pro originali multo mortel, il peut à bien plus forte raison satisfaire
fortius satisfacere; et sic idem quod prius. pour le péché originel. La conclusion est ainsi la
même que précédemment.
[7412] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 7 7. Chez le premier parent, le péché originel était
Praeterea, in primo parente idem fuit peccatum le même que le péché actuel. Or, il a lui-même
originale et actuale. Sed ipse per poenitentiam de satisfait par la pénitence pour le péché actuel. Il
peccato actuali satisfecit. Ergo et de originali pouvait donc satisfaire pour le péché originel. La
potuit satisfacere; et sic idem quod prius. conclusion est ainsi la même que précédemment.
[7413] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 8 8. Selon Denys, la loi de la divinité consiste à
Praeterea, secundum Dionysium, lex divinitatis ramener les dernières choses par les réalités
est ultima per media reducere. Sed homo per intermédiaires. Or, l’homme avait été rejeté loin
peccatum a Deo abjectus erat. Ergo cum natura de Dieu par le péché. Puisque la nature angélique
angelica inter naturam divinam et humanam sit est intermédiaire entre la nature divine et la
media, ut in 4 cap. Cael. Hierar. ostenditur, nature humaine, comme cela est montré dans La
videtur quod etsi homo sufficienter satisfacere hiérarchie céleste, IV, il semble donc que, même
non poterat, per Angelum hoc fieri debuerit, et si l’homme ne pouvait satisfaire suffisamment,
non per Deum incarnatum. cela devait être accompli par un ange, et non par
Dieu incarné.
[7414] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 9 9. Tout bien créé est fini. Or, le bien de toute la
Praeterea, quodlibet bonum creatum finitum est. nature humaine est créé. Mais Dieu peut faire
Sed bonum totius humanae naturae est creatum: quelque chose de plus grand que tout ce qui est
quolibet autem finito potest Deus facere aliquid fini. Dieu peut donc faire une créature dont la
majus. Ergo Deus potest facere unam creaturam, bonté l’emporterait sur la bonté de toute la nature
cujus bonitas praeponderet bonitati totius naturae humaine. Il pourrait donc compenser par elle la
humanae. Ergo per illam posset recompensari corruption de toute la nature humaine. Il semble
corruptio totius humanae naturae: et ita videtur ainsi qu’il n’était pas nécessaire que Dieu
quod non oportuit ad reparationem humani s’incarne pour restaurer le genre humain.
generis Deum incarnari.
[7415] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] il ne convenait pas que l’une des
contra, non erat conveniens ut una nobilissimarum créatures les plus nobles fut entièrement
creaturarum suo fine totaliter frustraretur. Sed dépossédée de sa fin. Or, la nature humaine fait
humana natura est inter nobilissimas naturas. Cum partie des natures les plus nobles. Puisqu’elle
ergo tota corrupta fuerit per peccatum in primo avait été tout entière corrompue par le péché
parente, et ita beatitudine privata, ad quam chez le premier parent et ainsi, privée de la
instituta erat, congruum fuit ipsam reparari. Sed béatitude pour laquelle elle avait été créée, il
reparatio humani generis non potest fieri nisi convenait qu’elle soit restaurée. Or, la
peccatum dimittatur; nec justum est ut peccatum restauration du genre humain ne peut être
sine satisfactione dimittatur. Ergo oportuit pro réalisée que si le péché est enlevé, et il n’est pas
peccato totius humanae naturae satisfieri. Sed juste que le péché soit enlevé sans satisfaction. Il
satisfactio decenter fieri non potest nisi ab eo qui fallait donc qu’il y ait satisfaction pour le péché
debet satisfacere et potest. Ergo sic debuit fieri. de toute la nature humaine. Or, la satisfaction ne
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Sed non debet nisi homo qui peccavit, et non peut être accomplie comme il convient que par
potest nisi Deus: quia quaelibet creatura totum celui qui doit et peut satisfaire. Elle devait donc
suum esse Deo debet, nedum ut pro alio être ainsi accomplie. Or, ne doit [satisfaire] que
satisfacere possit: et sic aliqua creatura pro l’homme qui a péché, et seul Dieu peut le faire,
homine non potest satisfacere, nec ipse pro se, car toute créature doit son être tout entier à Dieu,
cum peccato indignus reddatur. de sorte qu’elle peut encore bien moins satisfaire
pour quelqu’un d’autre. Ainsi, une créature ne
peut satisfaire pour l’homme, ni lui-même pour
lui-même, puisqu’il est rendu indigne par le
péché.
[7416] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Le bien d’aucune créature ne dépasse pas le
Praeterea, nullius creaturae bonum excedit bonum bien de la nature humaine, de sorte qu’il puisse
naturae humanae, ut recompensationem pro tota compenser pour la nature entière. Il était donc
natura possit facere. Ergo opportunum fuit ut opportun que Dieu devienne homme afin de
Deus homo fieret ad satisfaciendum pro homine. satisfaire pour l’homme.
[7417] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Il est dit en Sg 7, 30 : La sagesse l’emporte
Praeterea, Sap. 7, 30, dicitur: sapientia vincit sur la malice. Or, par la malice du Diable et de
malitiam. Sed per malitiam Diaboli et hominis l’homme, la nature humaine, qui est l’œuvre de
humana natura, quae opus est Dei, abjecta erat Dieu, avait été rejetée autant qu’elle pouvait
quantum dejici potuit in culpam et in miseriam. l’être dans la faute et la misère. Il convenait donc
Ergo decuit ut sapientia Dei ipsam exaltaret que la sagesse de Dieu l’élève autant qu’elle
quantum exaltari potuit. Ergo cum humana natura pouvait être élevée. Puisque la nature humaine
sit assumptibilis in unitatem divinae personae, ut peut être assumée dans l’unité d’une personne
prius dictum est, videtur congruum fuisse ut Deus divine, comme on l’a dit plus haut, il semble
humanam naturam assumeret. donc qu’il était convenable que Dieu assume la
nature humaine.
[7418] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 4 Item [4] Jc 4, 6 dit : Dieu résiste aux orgueilleux. Or,
Jacob. 4, 6: Deus superbis resistit. Sed per par l’orgueuil, le Diable, envieux de l’homme,
superbiam Diabolus homini invidens eum servum l’a rendu esclave et l’a détenu injustement
suum constituit, et injuste in servitute detinuit, comme esclave, alors qu’il a été créé pour le
cum ad servitium Dei creatus sit. Ergo decuit ut service de Dieu. Il convenait donc que le Dieu
summe potens Deus nequitiae Diaboli resisteret, tout-puissant résiste à la méchanceté du Diable,
ut non solum hominem de ejus potestate eriperet, de sorte que non seulement il arrache l’homme à
sed etiam e converso hominem dominum Diaboli son pouvoir, mais fasse de l’homme le maître du
constitueret. Sed cum nulla creatura sit superior Diable. Or, comme aucune créature n’est
angelica natura, quae est in Diabolo, hoc non supérieure à la nature angélique, qui existe chez
posset esse, nisi homo qui hoc faceret, Angelorum le Diable, cela ne pouvait se réaliser que si
dominus esset, quod soli Deo convenit. Ergo l’homme qui avait fait cela était le maître des
decuit ut Deus homo fieret, ut sic in nomine Jesu anges, ce qui ne convient qu’à Dieu. Il convenait
omne genu flectatur, caelestium, terrestrium, et donc que Dieu devienne homme, afin qu’ainsi au
Infernorum; Philip. 2, 10. nom de Jésus, tout genou soit fléchi, au ciel, sur
terre et dans les enfers, Ph 2, 10.
[7419] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 co. Réponse. On ne peut accéder à ce qui relève de
Respondeo dicendum, quod ad ea quae fidei sunt, la foi par un argument démonstratif, puisqu’on
ratio demonstrativa haberi non potest, cum fides dit de la foi qu’elle porte sur ce qui n’est pas
de non apparentibus esse dicatur Hebr. 11, et manifeste, He 11, surtout pour ce qui relève de
praecipue in illis quae ex mera Dei voluntate pure volonté de Dieu, comme c’est le cas de
proveniunt, cujusmodi est incarnatio; et ideo ad l’incarnation. Il ne peut donc y avoir d’argument
incarnationem probandam ratio demonstrativa démonstratif pour prouver l’incarnation, et pas
haberi non potest, nec etiam in contrarium quia davantage pour aller en sens contraire, car,
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cum demonstratio scire faciat, scientia autem non puisqu’une démonstration produit la science et
nisi verorum sit, oportet omne quod demonstratur que la science ne porte que sur ce qui est vrai, il
verum esse, et ejus contrarium falsum; et ideo est nécessaire que le contraire de tout ce qui est
sufficit defendere quod non est impossibile démontré vrai soit faux. Il suffit donc de
incarnationem esse, quod in 1 art. ex parte dictum défendre que l’existence de l’incarnation n’est
est, et ostendere aliquam congruentiam ad pas impossible, ce qu’on a dit en partie dans
incarnationem, quod ad hunc articulum pertinet. l’art. 1, et de montrer qu’il existe une certaine
Sciendum ergo, quod supposito lapsu humanae convenance pour l’incarnation, ce qui relève du
naturae, congruentia incarnationis apparet ex présent article. Il faut donc savoir qu’en
tribus: scilicet ex plenitudine divinae supposant la chute de la nature humaine, la
misericordiae, et ex immobilitate justitiae ipsius, convenance de l’incarnation se montre de trois
et ex decenti ordine sapientiae ejus. Quia igitur façons : à partir de la plénitude de la miséricorde
Deus summe bonus et misericors est, decuit ut divine ; à partir de l’immuabilité de sa justice ; et
nulli negaret hoc cujus capax erat. Ergo cum à partir de l’ordre qui convient à sa sagesse.
humana natura lapsa esset, et nihilominus Ainsi donc, parce que Dieu est bon et
reparabilis erat, decuit ut eam repararet. Quia miséricordieux au plus haut point, il convenait
etiam justitia ejus immutabilis est, cujus lege qu’il ne refuse à personne ce dont celui-ci est
sancitum est ut nunquam peccatum sine capable. Puisque la nature humaine était tombée
satisfactione dimittatur, decuit ut in humana et n’était pas moins susceptible de restauration, il
natura institueret eum qui satisfacere posset: quia convenait donc qu’il la restaure. Aussi, parce
hoc purus homo per se facere non poterat, ut qu’est immuable la justice de celui qui a établi
dicetur. Sed quia summe sapiens est, par une loi que le péché n’est jamais remis sans
convenientissimum modum reparationis debuit une satisfaction, il convenait qu’il établisse dans
adinvenire. Modus autem convenientissimus est ut la nature humaine celui qui pourrait satisfaire,
integre natura repararetur, et faciliter ad id quod car un simple homme ne pouvait réaliser cela par
amiserat, homo pervenire posset. Si autem lui-même, comme on le dira. Mais parce qu’il est
hominem per Angelum repararet, non integra sage au plus haut point, il devait trouver le
esset reparatio: quia semper homo Angelo salutis monde de restauration le plus convenable. Or, le
suae debitor esset; et ita ei in beatitudine mode le plus convenanble consiste en ce que la
adaequari non posset; quod tamen consecutus nature soit intégralement restaurée et que
fuisset si non peccasset, sicut et nunc l’homme puisse parvenir facilement à ce qu’il
consequuntur homines per gratiam reparationis, ut avait perdu. S’il restaurait l’homme par un ange,
sint sicut Angeli Dei in caelo, Matthaei 22. Et la restauration n’aurait pas été entière, car
ideo decuit ut non Angelus, sed ipse Deus l’homme serait toujours le débiteur de son salut à
hominem repararet. Similiter ut esset facilis un ange. Ainsi, il ne pourrait être son égal pour
modus ascendendi in Deum, decuit ut homo ex his la béatitude, ce qu’il aurait cependant obtenu s’il
quae sibi cognita sunt tam secundum intellectum n’avait pas péché, comme les hommes
quam affectum, in Deum consurgeret; et quia obtiennent maintenant par la grâce de la
homini connaturale est secundum statum restauration d’être comme les anges de Dieu
praesentis miseriae ut a visibilibus cognitionem dans le ciel, Mt 22. Aussi convenait-il que ce ne
accipiat, et circa ea afficiatur; ideo Deus soit pas un ange, mais Dieu lui-même qui
congruenter visibilis factus est, humanam naturam restaure l’homme. De même, pour que la
assumendo, ut ex visibilibus in invisibilium manière de monter vers Dieu soit facile, il
amorem et cognitionem rapiamur. convenait que l’homme s’élève vers Dieu à partir
de ce qui lui est connu, aussi bien selon
l’intellect que selon l’affectivité. Et parce qu’il
est connaturel à l’homme, dans l’état de sa
misère présente, de tirer la connaissance à partir
des réalités sensibles et que son affectivité se
porte vers elles, Dieu s’est donc convenablement
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rendu visible en prenant la nature humaine, afin


que nous soyons entraînés à l’amour et à la
connaissance des réalités invisibles à partir de
réalités visibles.
[7420] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. La faiblesse qui l’abaisse et d’une certaine
primum ergo dicendum, quod majestatem non manière l’obscurcit ne convenait pas à la
decuit infirmitas eam deprimens et quodammodo majesté. Mais telle ne fut pas celle dont on parle
involvens. Talis autem non fuit illa de qua sermo ici, et, par l’incarnation, la faiblesse de
est; nec per incarnationem infirmitas humanitatis l’humanité ne diminue pas la puissance de la
diminuit potentiam majestatis: quia duae naturae majesté, car les deux natures ont été unies en une
in una persona inconfuse et inalterabiliter sunt seule personne sans confusion et sans altération.
unitae. Nec est similis ratio de malitia et Le raisonnement n’est pas le même pour la
infirmitate: quia infirmitas de sui ratione non malice et la faiblesse, car la faiblesse ne prive
privat ordinem a fine; et ideo propter aliquem pas par sa raison même de l’ordre à la fin ; aussi
finem assumi potuit; sed malitia dicitur secundum pouvait-elle être assumée pour une certaine fin.
deordinationem a fine; et ita omnem congruitatem Mais on parle de malice pour un désordre par
tollit; unde omnino indecens fuisset ut summa rapport à la fin, et ainsi elle enlève toute
bonitas quocumque modo malitiam assumeret. convenance. Il aurait donc été tout à fait
inapproprié que la bonté suprême assume la
malice de quelque manière que ce soit.
[7421] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Il pouvait être rémédié au péché de l’homme,
secundum dicendum, quod peccatum hominis fuit mais non au péché de l’ange, et il y a à cela
remediabile, non autem peccatum Angeli; cujus plusieurs raisons. Premièrement, en vertu de la
ratio multipliciter assignatur. Primo ex virtute puissance naturelle des deux. En effet, l’ange
naturali utriusque: quia quantum ad cognitivam connaît selon une pleine lumière par un intellect
Angelus cognoscit in luce plena per intellectum déiforme, de sorte qu’il peut tout considérer sans
deiformem, ut possit totum considerare sine recherche ce qui se rapporte au choix d’une
inquisitione quod ad electionem alicujus rei certaine chose ; ainsi, il n’est pas excusé par
pertinet, ut sic per ignorantiam non excusetur, l’ignorance, comme l’homme qui connaît ce
sicut homo qui cognoscit quae agenda sunt qu’il faut faire en délibérant par la raison, qui est
deliberando per rationem, quae est quasi quaedam comme une ombre de l’intellect, ainsi que le dit
obumbratio intellectus, ut dicit Isaac in Lib. de Isaac dans le Livre sur les définitions. Mais, pour
definitionibus: quantum ad affectivam vero, quia ce qui est de l’affectivité, la volonté de l’ange ne
voluntas Angeli invertibilis est post electionem, peut être changée après le choix, puisqu’elle est
cum sit infra voluntatem divinam, quae est inférieure à la volonté divine, qui ne peut être
invertibilis ante et post, et supra voluntatem changée avant et après, et supérieure à la volonté
humanam, quae est vertibilis ante et post; ideo humaine, qui peut être changée avant et après.
Angelus malo quod appetiit peccando, C’est pourquoi, en péchant, l’ange adhère de
immobiliter inhaeret. Secunda ratio assignatur ex manière immuable au mal qu’il a désiré. La
natura utriusque: quia Angelorum natura non deuxième raison se prend de la nature des deux.
propagatur ex uno, ex quo vitium contrahat, sicut En effet, la nature des anges ne se transmet pas à
humana; et ideo nec per unum eam reparari partir d’un seul dont le vice est contracté, comme
congruit: et hoc est quod videtur apostolus dicere la nature humaine. C’est pourquoi il ne convenait
ad Rom. 5, 12: sicut per unum hominem peccatum pas qu’elle soit restaurée par un seul. C’est ce
in hunc mundum intravit, et per peccatum mors, et que semble dire l’Apôtre dans Rm 5, 12 : De
ita in omnes homines mors pertransiit, in quo même que par un seul homme, le péché est entré
omnes peccaverunt. Tertia ex peccato utriusque: dans ce monde, et par le péché, la mort, de
et quantum ad genus peccati; quia homo même la mort est-elle passée chez tous les
superbivit ex appetitu scientiae, cujus natura hommes, en quoi tous ont péché. La troisième
creata capax est; Angelus vero ex appetitu raison se prend du péché des deux. Pour le genre
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potentiae, quam natura creata non ita perfecte du péché, parce que l’homme s’est enorgueilli
potest recipere sicut scientiam; unde et animae par le désir de connaître, dont la nature créée est
Christi communicata est omniscientia, sed non capable, mais l’ange par le désir de puissance,
omnipotentia: et etiam quantum ad que la nature créée ne peut pas recevoir aussi
circumstantiam peccati: quia homo peccans et de parfaitement que la science. Ainsi l’omniscience
venia cogitavit, et in aliquo deceptus est, ut in 2 a-t-elle été communiquée à l’âme du Christ, mais
libro dicitur, dist. 4 in textu et dist. 22, quaest. 1, non la toute-puissance. Aussi, pour la
art. 2 et 3, non autem Angelus peccans; et circonstance du péché, car l’homme, en péchant,
similiter quantum ad occasionem peccati, quam a pensé au pardon et a été trompé sur ce point,
homo habuit, quia alio suggerente peccavit, non comme il a été dit dans le livre II, d. 4, dans le
autem Angelus. Quarta ex justitia divina: quia texte, et d. 22, q. 1, a. 2 et 3, mais ce ne fut pas le
omnes illi ad quos corruptio peccati primi hominis cas de l’ange lorsqu’il a péché. De même, pour
venire debebat, nondum erant in actu, sed in l’occasion de pécher qu’a eue l’homme, car il a
virtute tantum; et ideo non decebat ut priusquam péché à la suggestion d’un autre, mais non pas
essent, ultimam damnationem reciperent, sicut l’ange. La quatrième raison se prend de la justice
omnes Angeli actu existentes proprio arbitrio divine, car tous ceux que la corruption du péché
peccaverunt. Quinta ex misericordia divina: quia du premier homme devait atteindre n’existaient
tota natura humana lapsa erat in uno parente, non pas encore en acte, mais en puissance seulement.
autem tota natura angelica; et ideo magis indecens Aussi ne convenait-il pas qu’avant qu’ils
erat ut natura humana tota relinqueretur sub n’existent, ils reçoivent une ultime
damnatione quam natura angelica, quae non tota condamnation, comme tous les anges qui
corruerat. Sexta vero et praecipua est ex parte existaient en acte ont péché de leur propre
status utriusque: quia homo non peccavit in arbitre. La cinquième raison se prend de la
termino viae suae sicut Angelus, cui ad propriam miséricorde divine, car toute la nature humaine
electionem status viae finitus est; et hoc consonat était tombée en un seul parent, mais non pas
verbo Damasceni qui dicit, quod hoc est toute la nature angélique. Il était donc beaucoup
hominibus mors quod Angelis casus; et de hoc in moins approprié que la nature humaine soit
Lib. 2, dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est. abandonnée à la damnation, que la nature
angélique qui n’était pas tout entière tombée. La
sixième raison, et la principale, se prend de l’état
des deux, car l’homme n’a pas péché au terme de
son cheminement, comme l’ange, pour lequel
l’état de cheminement se limitait à son propre
choix. Et cela est conforme à la parole de [Jean]
Damascène, qui dit que « la mort est pour les
hommes ce que la chute est pour les anges ». On
a parlé de cela dans le livre II, d. 7, q. 1, a. 2.
[7422] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Dans la création, la créature se présente
tertium dicendum, quod in creatione se habet comme l’effet amené à l’être par la création.
creatura sicut effectus productus in esse per Aussi n’est-il pas nécessaire que l’action de la
creationem; et ideo non exigitur ut a creatura création provienne de quelque manière de la
aliquo modo operatio creationis exeat, sed quod créature, mais qu’elle se termine à elle. Mais,
ad eam terminetur; sed in recreatione creatura se dans la recréation, la créature se présente comme
habet ut satisfaciens, quod sine ejus operatione celle qui satisfait, ce qui ne peut se faire sans son
fieri non potest; et ideo quamvis creatio sit opus action. C’est pourquoi, bien que la création soit
Dei non per aliquam creaturam, tamen oportet l’œuvre de Dieu sans intervention d’une
quod recreatio per modum redemptionis facta, sit créature, il est cependant nécessaire que la
opus Dei naturam creatam assumentis. recréation, accomplie par mode de rédemption,
soit l’œuvre de Dieu qui assume une nature
créée.
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[7423] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Bien que Dieu soit miséricordieux au plus
quartum dicendum, quod quamvis Deus sit haut point, sa miséricorde ne s’oppose cependant
summe misericors, sua tamen misericordia nullo d’aucune manière à sa justice. En effet, la
modo justitiae suae obviat. Misericordia enim miséricorde qui écarte la justice doit plutôt être
quae justitiam tollit, magis stultitia quam virtus appelée une sottise qu’une vertu : elle ne
dici debet; et ita Deum non decet: propter quod convient donc pas à Dieu. C’est la raison pour
Deus misericordiam infinitam sic manifestare laquelle Dieu a voulu manifester sa miséricorde
voluit, ut in nullo ejus justitiae derogaretur; quod infinie de telle sorte qu’il ne soit d’aucune
factum est, dum pro nobis homo factus est, ut pro manière dérogé à sa justice, ce qui s’est réalisé
nobis satisfaceret: in quo etiam ejus abundantior lorsqu’il s’est fait homme pour nous afin de
misericordia ostensa est ad nos, quam si peccatum satisfaire pour nous. En cela, sa miséricorde
sine satisfactione dimisisset, inquantum naturam envers nous s’est aussi montrée plus abondante
nostram magis exaltavit, et pro nobis mortem que s’il avait remis le péché sans satisfaction,
pertulit. Nec tamen est simile de homine et de pour autant qu’il a davantage exalté notre nature
Deo, propter duo. Primo, quia ipse Deus est judex et a supporté la mort pour nous. Cependant, il
omnium, ad quem pertinet justitiae ordinem n’en va pas de même de l’homme et de Dieu
servare, non autem homo quilibet; unde et judex pour deux raisons. Premièrement, parce que Dieu
non debet proprio arbitrio peccata dimittere lui-même est le juge de tous, à qui il revient de
impunita. Secundo, quia cum Deus sit ipsa préserver l’ordre de la justice, mais ce n’est pas
bonitas, ex hoc ipso est aliquod malum quod le cas de l’homme. Aussi le juge ne doit-il pas
contra ipsum est; et ideo cum poena non debeatur laisser des péchés impunis de son propre arbitre.
actui nisi quia malus est; decet ut ipse se vindicet Deuxièmement, parce que Dieu étant la bonté
puniendo peccatum quod contra ipsum elle-même, quelque chose est mal du fait même
commissum est. Secus autem est de homine; unde que cela lui est contraire. C’est pourquoi, une
homo non debet punire quasi se vindicans, sed peine n’étant due pour un acte que parce que
quasi Deum vindicans, si hoc ex officio habet. celui-ci est mauvais, il convient qu’il se venge en
Unde dicitur Deut. 32, 35, secundum aliam punissant le péché qui a été commis contre lui.
litteram: mihi vindictam, et ego retribuam. Mais il en va autrement de l’homme. Aussi
l’homme ne doit-il pas punir comme s’il se
vengeant, mais en vengeant Dieu, s’il cela relève
de sa charge. Aussi est-il dit dans Dt 32, 35,
selon une autre version : À moi la vengeance :
c’est moi qui rends à chacun selon ses mérites !
[7424] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. La quantité du péché peut être mesurée de
quintum dicendum, quod quantitas peccati ex deux points de vue. Du point de vue de Dieu,
duobus potest pensari; scilicet ex parte Dei, in contre qui l’on pèche, et ainsi [le péché]
quem peccatur; et sic infinitatem quamdam habet, comporte une certaine infinité en tant qu’offense
prout offensa Dei est, quia quanto major est qui de Dieu, car plus celui qui est offensé est grand,
offenditur, tanto culpa est gravior: vel ex parte plus la faute est grave. Du point de vue du bien
boni quod corrumpitur per peccatum; et sic qui est corrompu par le péché : la quantité de la
quantitas culpae finita est, scilicet inquantum est faute est ainsi finie en tant que corruption de la
corruptio naturae; et ideo ad satisfactionem nature. C’est pourquoi, pour la satisfaction qui
debitam requiritur actio hominis quae est due, sont nécessaires une action de l’homme
proportionetur quantitati culpae, inquantum proportionnée à la quantité de la faute en tant
corruptio quaedam est; et gratia, cujus virtus qu’elle est une certaine corruption, et la grâce,
quodammodo infinita est, cum sufficiat ad dont la puissance est d’une certaine manière
merendum praemium infinitum, per quam infinie, puisqu’elle suffit pour mériter une
satisfactio proportionatur quantitati culpae, prout récompense infinie, et par laquelle la satisfaction
offensa Dei est; et ideo ex se non sufficit homo ad est proportionnée à la quantité de la faute en tant
satisfaciendum, quia ex se gratiam habere non qu’elle une offense à Dieu. Aussi l’homme ne
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potest. Nec tamen Deus crudelis est hanc suffi-il pas par lui-même pour satisfaire, car il ne
satisfactionem exigens: quia quamvis gratiam peut avoir la grâce par lui-même. Cependant,
habere non possit ex se, et ita nec satisfacere; Dieu n’est pas cruel en exigeant cette
potest tamen satisfacere per id quod Deus paratus satisfaction, car bien que [l’homme] ne puisse
est dare, scilicet per gratiam. avoir la grâce par lui-même et ne puisse pas ainsi
satisfaire, il peut cependant satisfaire par ce que
Dieu est disposé à donner : par la grâce.
[7425] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. La quantité du péché originel et du péché
sextum dicendum, quod quantitas originalis et mortel actuel peut être considérée de deux
actualis mortalis peccati potest dupliciter attendi: manières : du point de vue du principe, ou du
vel quantum ad principium, vel quantum ad point de vue du bien dont on est privé par les
bonum quod per utrumque privatur. Principium deux. Or, le principe du péché actuel est la
autem actualis peccati voluntas propria est; volonté propre ; mais le principe du péché
principium autem originalis in isto, est origo ejus originel chez quelqu’un est son origine viciée.
vitiata; unde originale quodammodo est Aussi le péché originel est-il d’une certaine
necessarium; sed actuale est omnino voluntarium: manière nécessaire, mais le péché actuel est-il
unde plus habet de ratione culpae et vituperabilis. entièrement volontaire ; celui-ci a donc
Bonum autem quod per actuale peccatum davantage le caractère de faute et est plus
corrumpitur, est bonum hujus personae, cui répréhensible. Mais le bien qui est corrompu par
praeponderat bonum totius naturae, quod per le péché actuel est le bien de telle personne, sur
originale corrumpitur; quia bonum gentis est quoi l’emporte le bien de toute la nature, qui est
divinius quam bonum unius hominis, ut dicitur 1 corrompu par le péché originel, car « le bien du
Ethic. Unde et originale pejus erit quam actuale, peuple est plus divin que le bien d’un seul
ut sic possit dici, quod actuale est major culpa, et homme », comme on le dit dans Éthique, I. Ainsi
originale majus malum. Actio autem le péché originel sera-t-il pire que le péché
satisfacientis, ut prius dictum est, proportionatur actuel, de sorte qu’on peut dire que le péché
quantitati culpae ex parte boni quod per culpam actuel est une plus grande faute, et le péché
corrumpitur: et cum omnis actio sit personae, quia originel un plus grand mal. Or, l’action de celui
actus singularium sunt, ideo ad satisfactionem pro qui satisfait, comme on l’a dit plus haut, est
actuali sufficit actus cujuscumque hominis cum proportionnée à la quantité de la faute du point
gratia divina; non autem ad satisfaciendum pro de vue du bien qui est corrompu par la faute.
originali peccato, nisi actio illius hominis plus Comme toute action est le fait de la personne,
valeret quam totum bonum humanae naturae: et parce que les actes portent sur des choses
hoc non posset esse, si esset purus homo; et ideo singulières, suffit donc pour la satisfaction l’acte
oportuit esse Deum et hominem qui pro originali de n’importe quel homme accompagné de la
satisfaceret. Vel dicendum secundum quosdam, grâce divine. Mais ce n’est pas le cas pour le
quod etiam pro actuali peccato non sufficit purus péché originel, à moins que l’action de cet
homo satisfacere, nisi praesupposita satisfactione homme ait plus de valeur que tout le bien de la
Christi, ex cujus passione etiam antiquorum nature humaine. Or, cela ne pourrait exister s’il
patrum satisfactio efficax fuit, qui in fide ejus s’agissait d’un pur homme. Il fallait donc que
salvabantur. celui qui satisferait pour le péché originel fût
Dieu et homme. Ou bien il faut dire, selon
certains, que, même pour le péché actuel, un pur
homme ne peut satisfaire que si l’on présuppose
la satisfaction du Christ, par la passion duquel
même la satisfaction des anciens pères, qui
étaient sauvés par la foi en lui, a été efficace.
[7426] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 7 Ad 7. Dans le péché du premier homme, la personne
septimum dicendum, quod in peccato primi corrompt la nature. Aussi ce péché peut-il être
hominis persona corrupit naturam: unde illud envisagé de deux manières : soit quant à la
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peccatum potest dupliciter considerari: vel corruption du bien personnel, et ainsi le premier
quantum ad corruptionem boni personalis; et sic homme a satisfait pour lui avec l’aide de la grâce
primus homo pro eo satisfecit adjutorio gratiae de Dieu ; soit pour autant qu’il a été une
Dei: vel inquantum fuit corruptio naturae, et sic corruption de la nature, et ainsi Adam n’a pu
pro eo Adam satisfacere non potuit, nec aliquis satisfaire pour lui, ni aucun des anciens pères, si
antiquorum patrum, nisi solum inquantum ce n’est dans la mesure où la corruption de la
corruptio naturae in personam redundabat: ex hac nature rejaillissait sur la personne. En effet, de ce
enim parte originale peccatum in antiquis patribus point de vue, le péché originel était acquitté chez
per fidem, decimas, circumcisionem et sacrificia les anciens pères par la foi, les dîmes, la
solvebatur: et ideo decedentes nondum ad circoncision et les sacrifices. C’est pourquoi,
visionem Dei admittebantur, nisi prius per lorsqu’ils mouraient, ils n’étaient pas encore
satisfactionem Christi, naturae corruptio admis à la vision de Dieu, à moins que n’ait
sanaretur. d’abord été guérie la corruption de la nature par
la satisfaction du Christ.
[7427] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 8 Ad 8. La restauration a été accomplie d’une certaine
octavum dicendum, quod ipsa reparatio humani manière par l’intermédiaire des anges. En effet,
generis aliquo modo mediantibus Angelis facta ceux-ci ont annoncé que le Seigneur allait naître,
est: ipsi enim nasciturum dominum comme il est dit dans Lc 1. Cependant, l’ange ne
annuntiaverunt, ut dicitur Luc. 1. Non tamen suffisait pas pour réaliser la restauration, car il ne
sufficiebat Angelus reparationem perficere, quia peut satisfaire pour toute la nature humaine. Il ne
satisfacere non poterat pro tota humana natura; le devait pas non plus, car lui-même n’avait pas
nec etiam debebat, quia ipse non peccaverat: et péché. Comme on l’a dit plus haut, dans le corps
ideo oportuit, ut dictum est Sup., in corp., quod de l’article, il fallait donc que la restauration du
per Deum hominem reparatio humani generis genre humain soit accomplie par un Dieu
compleretur. homme.
[7428] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 2 ad 9 Ad 9. Aucune créature, quelle que soit la bonté
nonum dicendum, quod nulla creatura, in qu’elle possède par la création, ne peut suffire à
quantacumque bonitate crearetur, potest sufficere la restauration de la corruption de la nature
ad reparationem corruptionis humanae naturae per humaine par mode de satisfaction. Une triple
modum satisfactionis: cujus ratio potest esse raison peut en être donnée. La première est que
triplex. Prima est, quia omnis creatura totum quod toute créature doit pour elle-même tout ce
potest, pro se Deo debet: unde non relinquitur sibi qu’elle peut ; il ne lui reste donc rien par quoi
ut pro alio satisfacere possit. Secunda, quia hoc elle puisse satisfaire pour une autre. La deuxième
requiritur in satisfactione, ut quod satisfaciens est que, pour la satisfaction, il est exigé que celui
reddit, praeponderet ei quod per culpam ablatum qui satisfait l’emporte sur ce qui a été enlevé par
est, vel saltem sit aequale illi. Quamvis autem la faute ou, tout au moins, lui soit égal. Or, bien
aliqua natura creata sit vel possit esse melior qu’une nature créée soit ou puisse être meilleure
natura humana; non tamen natura in aliqua que la nature humaine, la nature, considérée dans
persona creata considerata potest adaequare une personne créée, ne peut cependant pas égaler
bonitatem totius naturae humanae: bonum enim la bonté de toute la nature humaine. En effet, le
humanae naturae quodammodo infinitum est per bien de la nature humaine est d’une certaine
comparationem ad supposita, inquantum natura manière infini si on le compare aux suppôts,
humana in infinitum per generationem pour autant que la nature humaine peut se
communicabilis est; bonum autem cujuslibet communiquer à l’infini par la généréation ; mais
naturae creatae et in se infinitum est, et finitur le bien de n’importe quelle nature créée est infini
secundum quod consideratur in uno supposito en soi et fini selon qu’on le considère dans un
determinato: et ideo cum actus sint suppositorum, suppôt déterminé. Puisque les actes sont le fait
non potest esse ut operatio alicujus creaturae des suppôts, il ne peut donc arriver que l’action
valeat tantum quantum est totum bonum naturae d’une créature ait autant de valeur que tout le
humanae, ut possit esse digna satisfactio pro ejus bien de la nature humaine, de sorte qu’elle puisse
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reparatione. Tertia est, quia, ut in 2 Lib., dist. 19, être une digne satisfaction pour sa restauration.
quaest. 1, art. 4, dictum est, humana natura in La troisième raison est que, ainsi qu’on l’a dit
prima sua conditione accepit quaedam per quae dans le livre II, d. 19, q. 1, a. 4, la nature
supra statum suis principiis congruentem humaine a reçu, en sa condition première,
elevabatur, sicut immortalitatem quamdam, quae certaines choses par lesquelles elle était élevée
erat gratiae, non naturae, et alia hujusmodi sibi ex au-dessus de l’état qui convenait à ses principes,
pura liberalitate divina collata, quae per peccatum telles une certaine immortalité, qui était le fait de
amisit. Unde eam reparare erat ad gradum la grâce, et non de la nature, et d’autres choses
superiorem ipsam elevare, in quo prius condita de ce genre, qui lui ont été conférées par la pure
fuerat. Non est autem possibile elevare aliquam libéralité divine, et qu’elle a perdues par le
naturam ad gradum superiorem nisi ei qui naturas péché. Aussi, la restaurer consistait à l’élever au
condidit, et earum gradus ordinavit: et ideo soli degré supérieur dans lequel elle avait été d’abord
Deo possibile fuit naturam humanam reparare. créée. Or, il n’est possible d’élever une nature à
un degré supérieur que pour celui qui a créé les
natures et a ordonné leurs degrésm. Aussi était-il
possible à Dieu seul de restaurer la nature
humaine.

Articulus 3 [7429] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. Article 3 – Si l’homme n’avait pas péché, Dieu
3 tit. Utrum si homo non peccasset, Deus fuisset se serait-il incarné ?
incarnatus
[7430] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que si l’homme n’avait pas péché,
tertium sic proceditur. Videtur quod si homo non Dieu ne se serait pas incarné. En effet, comme il
peccasset, Deus incarnatus fuisset. Ut enim dicitur est dit dans Dt 32, 4 : Les œuvres de Dieu sont
Deuter. 32, 4, Dei perfecta sunt opera. Sed parfaites. Or, il ne peut exister de perfection que
perfectio non potest esse, nisi ultimum principio si ce qui vient en dernier est uni au principe, de
conjungatur, ut sic quasi quidam circulus sorte que le cercle soit ainsi fermé et qu’une
concludatur, et alterius additio fieri non possit. addition de quelque chose d’autre ne puisse être
Cum ergo ipse Deus sit primum, et homo sit faite. Puisque Dieu lui-même est ce qui est
ultima creaturarum, decuit ad perfectionem premier et que l’homme est la dernière des
universi ut, etiamsi homo non peccasset, Deus créatures, il convenait donc à la perfection de
homo fieret. l’univers que, même si l’homme n’avait pas
péché, Dieu devienne homme.
[7431] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 2 2. « L’humilité est une vertu parfaite », comme il
Praeterea, humilitas est perfecta virtus, ut dicitur est dit dans la Glose à propos de Mt 3 : Ainsi
in Glossa super Matth. 3, super illud: sic decet nos convient-il que nous accomplissions toute
implere omnem justitiam. Sed omnis perfectio justice. Or, toute perfection doit être attribuée à
Deo attribuenda est. Ergo ipse perfectissimam Dieu. Il possède donc l’humilité la plus parfaite.
humilitatem habet. Perfectissimus autem gradus Or, le degré le plus parfait de l’humilité consiste
humilitatis est ut aliquis se inferiori vel conjungat en ce que l’on s’unisse ou se soumette à un
vel subjiciat. Ergo decuisset ut Deus aliquam inférieur. Il aurait donc convenu que Dieu
creaturam assumeret, etiamsi homo non peccasset. assume une créature, même si l’homme n’avait
pas péché.
[7432] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Il est dit en Rm 1, 20 : Ce qui est invisible en
Item, Rom. 1, 20: invisibilia Dei, per ea quae Dieu se laisse voir par l’intelligence à travers ce
facta sunt, intellecta conspiciuntur. Sed potentia qui a été créé. Or, la puissance, la sagesse et la
et sapientia et bonitas Dei sunt infinita. Ergo bonté de Dieu sont infinies. Il convenait donc
decuit, etiamsi homo non peccasset, ut in aliquo que, même si l’homme n’avait pas péché, elles se
effectu manifestarentur. Sed potentia infinita non fussent manifestées par quelque effet. Or, la
manifestatur nisi per effectum infinitum, nec puissance infinie n’est manifestée que par un
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sapientia infinita nisi per decorem infinitum, nec effet infini, la sagesse infinie, par une beauté
bonitas infinita nisi per communicationem infinie, la bonté infinie, par une communication
infinitam. Cum ergo nulla creatura sit infinita, nec infinie. Puisque aucune créature n’est infinie,
in ea sit infinitus decor resultans ex forma et qu’il n’y a pas en elle une beauté infinie résultant
proportione partium, nec iterum aliqua creatura de sa forme et de la proportion de ses parties, et
communicationem boni infiniti recipiat; videtur qu’une créature ne reçoit pas la communication
quod etiam decuit, homine non peccante, uniri d’un bien infini, il semble donc qu’il convenait,
Deum homini, ut ex parte hominis ratio effectus même si l’homme n’avait pas péché, que Dieu
esset, et ex parte Dei infinitas, et ex conjunctione soit uni à un homme, pour que, du point de vue
divinae naturae ad creaturam infinitus decor de l’homme, un effet existe, et que, du point de
resplenderet, et infinitum bonum ipsi naturae vue de Dieu, existe l’infinité [de cet effet], que
humanae communicaretur, scilicet persona brille une beauté infinie par l’union de la nature
increata quae in ea subsisteret. divine à une créature, et qu’un bien infini soit
communiqué à la nature humaine elle-même, à
savoir, une personne incréée qui subsisterait en
elle.
[7433] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Par le péché, la capacité de la nature humaine
Item, per peccatum non est in aliquo capacitas n’est pas accrue chez quelqu’un. Or, après le
humanae naturae ampliata. Sed post peccatum péché, la nature humaine s’est trouvée capable
humana natura inventa est capax tanti boni ut a d’un si grand bien qu’elle a été assumée par Dieu
Deo assumeretur in unitatem personae. Ergo et dans l’unité de la personne. Elle était donc aussi
ante peccatum hujus dignitatis capax fuit. Sed ad capable de cette dignité avant le péché. Or, il
Deum, qui infinito amore diligit ea quae sunt, convient à Dieu, qui aime d’un amour infini ce
pertinet ut nullum bonum creaturae deneget cujus qui existe, qu’aucun bien dont une créature est
est capax. Ergo ipse humanam naturam capable ne lui soit refusé. Il aurait donc lui-
assumpsisset, etiamsi homo non peccasset. même assumé la nature humaine, même si
l’homme n’avait pas péché.
[7434] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Il ne faut pas croire que l’homme ait tiré
Item, non est credendum quod homo ex peccato quelque bien du péché. Or, la plus grande dignité
aliquod commodum reportaverit. Sed maxima pour la nature humaine consiste à être assumée
dignitas humanae naturae est in hoc quod dans l’unité d’une personne divine. L’homme
assumpta est in unitatem divinae personae. Ergo n’a donc pas obtenu cela par le péché. La
hoc per peccatum homo consecutus non est; et sic conclusion est ainsi la même que précédemment.
idem quod prius.
[7435] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 6 6. Puisque l’homme a été créé pour la béatitude,
Item, cum homo ad beatitudinem creatus sit, ante l’homme tout entier pouvait être rendu
peccatum totus homo beatificabilis erat. Sed bienheureux avant le péché. Or, la béatitude de
beatitudo hominis quantum ad partem sensitivam l’homme, pour ce qui est de sa partie sensible,
erit in aspectu humanitatis assumptae, quantum consistera à voir l’humanité assumée, mais, pour
vero ad partem intellectivam in contuitu deitatis ce qui est de sa partie intellective, à regarder la
assumentis: sic enim ingredietur homo et divinité qui assume. En effet, « c’est ainsi que
egredietur, ut Augustinus exponit, ut pascua l’homme entrera et sortira », comme Augustin
inveniat, Joan. 10. Ergo etiamsi homo non explique : pour y trouver la Pâque, Jn 10. Même
peccasset, humanitas a Deo assumpta fuisset. si l’homme n’avait pas péché, l’humanité aurait
donc été assumée par Dieu.
[7436] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 arg. 7 7. De plus, en expliquant ce qui est dit en Jon 1 :
Praeterea, Bernardus exponens id quod dicitur Si la tempête se lève à cause de moi, etc.,
Jonae 1: si propter me orta est tempestas etc., Bernard dit que « le Diable vit que la créature
dicit, quod Diabolus vidit rationalem creaturam raisonnable devait être assumée dans l’unité de
assumendam in unitatem personae filii Dei et la personne du Fils de Dieu et l’envia, et que
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invidit, et haec invidia fuit causa casus ejus, et cette envie fut la cause de sa chute et le poussa à
movens ipsum ad tentandum hominem. Si autem tenter l’homme ». Or, si l’incarnation n’avait eu
incarnatio non fuisset nisi homine peccante, non lieu qu’en raison du péché de l’homme, le Diable
instigasset Diabolus hominem ad peccandum: n’aurait pas incité l’homme à pécher, car il
quia per hoc promovisset eum ad bonum quod ei l’aurait ainsi amené au bien qu’il lui enviait.
invidebat. Ergo etiamsi homo non peccasset, Deus Même si l’homme n’avait pas péché, Dieu se
fuisset incarnatus. serait donc incarné.
[7437] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] dans le Livre sur les paroles de
contra, Augustinus in libro de verbis apostoli l’Apôtre, en expliquant Mt 18, 2 : Le Fils de
exponens illud Matth. 18, 2: venit filius hominis l’homme est venu chercher et sauver ce qui avait
quaerere et salvum facere quod perierat, dicit: si péri, Augutin dit : « Si l’homme n’avait pas
homo non peccasset, filius hominis non venisset. péché, le Fils de l’homme ne serait pas venu. »
Sed ibi dominus loquitur de adventu in carnem. Or, le Seigneur parle là de sa venue dans la chair.
Ergo si homo non peccasset, filius Dei non esset Si l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu ne
incarnatus. se serait pas incarné.
[7438] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] Il est dit en 1 Tm 1, 15 : Le Christ Jésus est
Item, 1 Tim., 1, 15: Christus Jesus venit in hunc venu dans ce monde pour sauver les pécheurs.
mundum peccatores salvos facere. Ubi Glossa Une glose d’Augustin dit en cet endroit qu’il
Augustini dicit, quod nulla causa fuit domino n’existait aucune raison de venir pour le
Christo veniendi, nisi peccatores salvos facere. Seigneur Christ, si ce n’est de sauver les
Tolle vulnera, tolle morbos, et nulla est causa pécheurs. « Enlève les blessures, enlève les
medicinae. Sed remota causa removetur effectus. maladies, et il n’existe aucune raison pour le
Ergo si peccatum non fuisset, filius Dei non remède. » Or, la cause enlevée, l’effet est enlevé.
fuisset incarnatus. S’il n’y avait pas eu de péché, le Fils de Dieu ne
se serait donc pas incarné.
[7439] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] L’apôtre dit en He 2, 14 : Les enfants
Praeterea, apostolus dicit Hebr. 2, 14: quia pueri avaient en commun le sang et la chair, et lui-
communicaverunt carni et sanguini, et ipse même avait cela en commun avec eux, afin que,
similiter communicavit eisdem, ut per mortem par la mort, il détruise celui qui avait pouvoir
destrueret eum qui habebat mortis imperium. Sed sur la mort. Or, la mort est entrée dans ce monde
mors per peccatum in hunc mundum intravit, par le péché, Rm 5. S’il n’y avait pas eu de
Rom. 5. Ergo si peccatum non fuisset, per péché, Dieu n’aurait donc pas partagé la chair et
incarnationem Deus carni et sanguini non le sang par l’incarnation.
communicasset.
[7440] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 s. c. 4 [4] Grégoire dit : « Il ne nous servait à rien qu’il
Praeterea, Gregorius dicit: nihil nobis nasci naquît, s’il cela n’avait servi à nous racheter. »
profuit, nisi redimi profuisset. Sed redemptio non Or, il n’y aurait pas eu de rédemption s’il n’y
fuisset, nisi peccati servitus fuisset. Ergo si avait pas eu la servitude du péché. S’il n’y avait
peccatum non fuisset, filius Dei temporaliter natus pas eu de péché, le Fils de Dieu ne serait donc
non fuisset. pas né dans le temps.
[7441] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 co. Réponse. Seul celui qui est né et a été offert
Respondeo dicendum, quod hujus quaestionis parce qu’il l’a voulu peut connaître la vérité sur
veritatem solus ille scire potest qui natus et cette question. En effet, ce qui dépend de la seule
oblatus est, quia voluit. Ea enim quae ex sola Dei volonté de Dieu nous est inconnu, sauf dans la
voluntate dependent, nobis ignota sunt, nisi mesure où cela vient à notre connaissance par les
inquantum nobis innotescunt per auctoritates autorités des saints, à qui Dieu a révélé sa
sanctorum, quibus Deus suam voluntatem volonté. Parce que, dans le canon de l’Écriture et
revelavit: et quia in canone Scripturae et dictis dans les paroles des saints, une seule cause est
sanctorum expositorum, haec sola assignatur donnée pour l’incarnation, à savoir, la
causa incarnationis, redemptio scilicet hominis a rédemption de l’homme de la servitude du péché,
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servitute peccati; ideo quidam probabiliter dicunt, certains affirment avec vraisemblance que si
quod si homo non peccasset, filius Dei homo non l’homme n’avait pas péché, le Fils de Dieu ne
fuisset: quod etiam ex verbis Leonis Papae in serait pas devenu homme. On tire aussi cela
sermone de Trinitate expresse habetur. Si enim, expressément des paroles de Léon, dans un
inquit, homo ad imaginem et similitudinem Dei sermon sur la Trinité : « En effet, si l’homme
factus, in suo honore mansisset, creator mundi créé à l’image et à la ressemblance de Dieu était
creatura non fieret, aut sempiternus demeuré à son rang, le Créateur du monde ne
temporalitatem subiret, aut aequalis Deo patri serait pas devenu une créature, l’Éternel ne se
Dei filius formam servi assumeret. Item serait pas soumis au temps, le Fils égal à Dieu, le
Augustinus in oratione ad beatam virginem: ut Père, n’aurait pas assumé la forme de l’esclave. »
quid enim nescium peccati pro peccatoribus De même, Augustin, dans une prière à la
pareres, si deesset qui peccasset ? Aut quid mater bienheureuse Vierge : « En effet, pourquoi
fieres salvatoris, si nulla esset indigentia salutis ? aurais-tu enfanté pour les pécheurs celui qui ne
Item super illud Matth. 1: ipse enim salvum faciet connaît pas le péché, s’il n’y avait pas eu de
populum suum, Augustinus: si homo non pécheur ? Pourquoi serais-tu devenue la mère du
peccasset, virgo non peperisset. Alii vero dicunt, Sauveur, s’il n’y avait aucun besoin de salut ? »
quod cum per incarnationem filii Dei non solum A propos de Mt 1 : Celui-ci sauvera son peuple,
liberatio a peccato, sed etiam humanae naturae Augustin dit aussi : « Si l’homme n’avait pas
exaltatio, et totius universi consummatio facta sit; péché, une vierge n’aurait pas enfanté. » Mais
etiam peccato non existente, propter has causas d’autres disent que puisque, par l’incarnation du
incarnatio fuisset: et hoc etiam probabiliter Fils de Dieu, non seulement la libération du
sustineri potest. péché, mais aussi l’exaltation de la nature
humaine et la consommation de tout l’univers
ont été réalisées, l’incarnation aurait eu lieu pour
ces raisons. Et cela aussi peut être soutenu avec
vraisemblance.
[7442] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. L’univers atteint sa perfection par l’union de
primum ergo dicendum, quod universum ce qui est dernier au principe premier.
perficitur in conjunctione ultimi ad principium Cependant, il n’est pas nécessaire que ce soit par
primum; non tamen oportet quod in conjunctione l’union qui consiste dans l’unité de la personne,
quae est in unitate personae, sed in conjunctione mais par l’union qui vient de l’ordre à la fin.
quae est per ordinem ad finem.
[7443] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Quelque chose est propre à la perfection de
secundum dicendum, quod aliquid pertinet ad l’homme, qui déroge tout à fait à la perfection de
perfectionem hominis quod omnino derogat Dieu. Aussi, bien que l’humilité soit une vertu
perfectioni Dei. Unde quamvis humilitas sit parfaite chez l’homme, il n’est donc pas
perfecta virtus in homine, non tamen oportet ut in nécessaire qu’on l’affirme en Dieu, si on entend
Deo ponatur, si proprie sumatur humilitas, quod humilité au sens propre, ce qui est clair par les
patet ex speciebus superbiae quae ei opponuntur, espèces d’orgueuil qui s’y opposent : la première
quarum prima est, cum bonum quod habet quis est que quelqu’un s’attribue le bien qui est dans
tribuit sibi: hoc quidem in homine vitium est, quia l’homme, car il n’a rien par lui-même ; mais, en
nihil habet a se; sed in Deo summae perfectionis Dieu, qui ne reçoit rien de l’extérieur, cela relève
est, qui nihil habet ab extrinseco. de la perfection la plus élevée.
[7444] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Dans la création de la plus petite créature, la
tertium dicendum, quod in productione minimae puissance, la sagesse et la bonté de Dieu sont
creaturae manifestatur infinita potentia, sapientia manifestées, car toute créature conduit à la
et bonitas Dei: quia quaelibet creatura ducit in connaissance de quelque chose de premier et
cognitionem alicujus primi et summi, quod est suprême, qui est infini en toute perfection. Et il
infinitum in omni perfectione. Nec oportet ut n’est pas nécessaire qu’une puissance infinie soit
potentia infinita per effectum infinitum manifestée par un effet infini, ni qu’une bonté
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manifestetur nec bonitas infinita per infinie [soit manifestée] par une communication
communicationem infinitam; sed sufficit ad infinie, mais, pour montrer une bonté infinie,
ostendendum bonitatem infinitam hoc quod suffit ce qui est accordé à chacun selon selon sa
unicuique juxta suam capacitatem largitur. capacité.
[7445] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. La capacité d’une créature peut s’entendre de
quartum dicendum, quod capacitas alicujus deux manières. Soit selon sa puissance naturelle,
creaturae potest intelligi dupliciter; vel secundum qui relève de sa raison séminale : ainsi, Dieu ne
potentiam naturalem, quae pertinet ad rationem laisse vide aucune capacité de la créature dans
seminalem; et sic nullam capacitatem creaturae son genre, bien que la capacité d’une créature
vacuam Deus dimittit in genere, quamvis particulière ne soit pas comblée en raison d’un
capacitas alicujus creaturae particularis non empêchement. Soit selon sa puissance
impleatur propter aliquod impedimentum: vel obédientielle, selon que n’importe quelle
secundum potentiam obedientiae, secundum quod créature possède en elle-même de pouvoir
quaelibet creatura habet ut ex ea possit fieri quod devenir ce que Dieu veut : de cette manière,
Deus vult; et hoc modo in natura humana est existe dans la nature humaine la capacité de la
capacitas hujus dignitatis, ut in unitatem divinae dignité qui consiste à être assumée dans l’unité
personae assumatur. Nec oportet quod omnem d’une personne divine. Et il n’est pas nécessaire
talem capacitatem adimpleat; sicut non oportet que [Dieu] comble une telle capacité, comme il
quod Deus faciat quidquid potest, sed quod n’est pas nécessaire que Dieu accomplisse tout
congruit ordini sapientiae ejus. ce qu’il peut, mais ce qui convient à l’ordre de sa
sagesse.
[7446] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Comme le dit l’Apôtre en Rm 5, 20 : Là où la
quintum dicendum, quod, sicut dicit apostolus faute a abondé, la grâce a surabondé. Il n’est
Rom. 5, 20, ubi abundavit delictum, donc pas inapproprié que Dieu tire un bien du
superabundavit et gratia. Unde non est péché, [bien] qui n’aurait pas existé sans le
inconveniens ut aliquod bonum Deus ex peccato péché, comme cela ressort pour plusieurs vertus,
eliciat quod sine peccato non fuisset, ut patet in comme la patience, la pénitence et les choses de
multis virtutibus, ut in patientia, poenitentia, et ce genre. Ainsi, même du péché de l’homme,
hujusmodi; et ita etiam ex peccato hominis hoc Dieu pouvait tirer le bien le plus grand que le
optimum Deus potuit elicere, ut Dei filius Fils soit incarné. Aussi Grégoire dit-il :
incarnaretur: propter quod dicit Gregorius: o felix «Bienheureuse faute, qui a mérité d’avoir
culpa, quae talem ac tantum meruit habere rédempteur si grand et d’une telle qualité ! »
redemptorem.
[7447] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 6 Ad 6. La béatitude de l’homme tout entier vient de la
sextum dicendum, quod beatitudo totius hominis divinité elle-même vers laquelle la puissance de
est ex ipsa divinitate in quam virtus intellectus l’intellect se porte de manière immédiate, à partir
immediate fertur, ex quo redundat gloria in de quoi la gloire rejaillit sur la parties inférieures
inferiores partes animae, et in ipsum corpus: in de l’âme et sur le corps lui-même, car, dans la
visione autem humanitatis Christi erit quoddam vision de l’humanité du Christ, il y aura un
gaudium accidentale, sicut etiam in victoria certaine joie accidentelle, comme dans la victoire
passionis ejus: et tamen constat apud omnes quod de sa passion. Cependant, il est clair pour tous
si homo non peccasset, Christus passus non que, si l’homme n’avait pas péché, le Christ
fuisset. n’aurait pas souffert.
[7448] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad 7 Ad 7. Si on affirme que le Diable a prévu qu’une
septimum dicendum, quod si etiam ponatur quod créature raisonnable serait assumée par le Fils de
Diabolus praeviderit rationalem creaturam a filio Dieu, il n’est cependant pas nécessaire qu’il ait
Dei assumendam, non tamen oportet quod prévu ce qui précédait cela, comme il a prévu,
praeviderit antecedentia ad ipsam; sicut etiam, ut ainsi que le dit Bernard, il a prévu qu’il serait le
ibidem Bernardus dicit, praevidit se futurum prince des méchants, ce qu’il a obtenu en vertu
principem malorum, quod per suum casum de sa chute ; cependant, il n’a pas prévu sa chute,
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consecutus est, et tamen suum casum non comme on l’a dit dans le livre II, d. 4.
praevidit, ut in 2 Lib. dist. 4 dictum est.
[7449] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 3 ad s. c. Ad [1-4] À ce qui est objecté en sens contraire, on
ea vero quae in contrarium objiciuntur, potest peut répondre, selon une autre opinion, que ces
responderi secundum aliam opinionem, quod autorités parlent de la venue dans une chair
auctoritates illae loquuntur de adventu in carnem passible pour racheter (en effet, il n’y aurait pas
passibilem ad redimendum (redemptio enim non eu de rédemption, si la servitude du péché
fuisset, nisi servitus peccati praecessisset) et non n’avait pas précédé), et non pas simplement de la
de adventu in carnem simpliciter. venue dans la chair.

Articulus 4 [7450] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. Article 4 – Convenait-il que Dieu reporte
4 tit. Utrum decuerit Deum tantum differre tellement son incarnation ?
incarnationem suam
[7451] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Fils de Dieu ne devait pas
quartum sic proceditur. Videtur quod filius Dei tellement reporter son incarnation. En effet, le
non debuerit suam incarnationem tantum differre. temps de l’incarnation est appelé un temps de
Tempus enim incarnationis dicitur tempus plénitude, Ga 4, 4 : Lorsque vint la plénitude des
plenitudinis: ad Galat. 4, 4: cum venit plenitudo temps, Dieu envoya son Fils. Or, la plénitude
temporis, misit Deus filium suum. Sed plenitudo comporte la perfection. Puisque la perfection de
perfectionem importat. Cum ergo perfectio l’univers a été achevée le septième jour, comme
universi consummata sit die septima, ut dicitur il est dit dans Gn 1, il semble donc que le Fils de
Gen. 1, videtur quod tunc debuit filius Dei Dieu devait s’incarner à ce moment.
incarnari.
[7452] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 2 2. L’amour cause le don et l’empressement dans
Item, amor causat donum, et celeritatem doni. Sed le don. Or, Dieu s’est incarné en raison de la plus
Deus ex maxima caritate incarnatus est. Ergo grande charité. Il semble donc qu’il ne devait pas
videtur quod non debuerit tantum incarnationem reporter aussi longtemps l’incarnation. La
differre. Prima probatur per id quod dicitur Prov. majeure est démontrée par de ce qui est dit en
3, 28: ne dicas amico tuo: vade et revertere, et Pr 3, 28 : Ne dis pas à ton ami : « Va et reviens ;
cras dabo, cum statim possis dare. Secundum per demain, je te donnerai », alors que tu peux
hoc quod dicitur Hier. 31, 3: in caritate perpetua donner immédiatement. La mineure [est
dilexi te; ideo attraxi te miserans. démontrée] par ce qui est dit dans Jr 31, 3 : Je
t’ai aimée d’une charité perpétuelle. Je t’ai donc
attirée par miséricorde.
[7453] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 3 3. Plus le remède est reporté, plus la maladie
Item, quanto plus differtur medicina, tanto gagne en danger. Or, le médecin sage évite le
periculosius invalescit morbus. Sed sapientis danger de la maladie. Il semble donc que le Fils
medici est ut morbi periculum evitet. Ergo videtur de Dieu devait rapprocher son incarnation.
quod incarnationem suam Dei filius accelerare
debuerit.
[7454] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 4 4. En 1 Tm 2, il est dit que Dieu veut que tous
Item, 1 Tim. 2, dicitur quod vult Deus omnes les hommes soient sauvés. Or, si le Christ s’était
homines salvos fieri. Sed si Christus ante incarné plus tôt, la chemin vers le salut aurait été
incarnatus fuisset, multis ad salutem magis via ouvert à un plus grand nombre, comme il est dit
patuisset, ut dicitur Matth. 11, 21: si in Tyro et en Mt 11, 21 : Si les prodiges qui ont été
Sidone factae fuissent virtutes quae factae sunt in accomplis chez toi l’avaient été à Tyr et à Sidon,
te, olim poenitentiam egissent. Ergo videtur quod elles auraient déjà fait pénitence. Il semble donc
Deus ante incarnari debuerit. que Dieu aurait dû s’incarner plus tôt.
[7455] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 arg. 5 5. Comme le dit Boèce dans le livre III de La
Praeterea, ut Boetius dicit in libro 3 de consolation, la nature commence par ce qui est
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consolatione, natura a perfectioribus initium plus parfait. Or, l’œuvre de Dieu n’est pas moins
sumit. Sed opus Dei non est minus ordinatum ordonnée que l’œuvre de la nature. Puisque
quam opus naturae. Cum ergo perfectissimum in l’incarnation est ce qu’il y a de plus parfait parmi
operibus Dei sit incarnatio, videtur quod circa les œuvres de Dieu, il semble donc que Dieu
principium Deus incarnari debuerit. aurait dû s’incarner vers le début.
[7456] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed Cependant, [1] la perfection de la grâce
contra, perfectio gratiae magis assimilatur ressemble davantage à perfection de la gloire
perfectioni gloriae quam perfectioni naturae. Sed qu’à la perfection de la nature. Or, la perfection
perfectio gratiae incarnationi debetur, ut dicit de la grâce est due à l’incarnation, comme le dit
Joan. 1, 17: gratia et veritas per Jesum Christum Jn 1, 17 : La grâce et la vérité sont apparues en
facta est. Cum ergo perfectio gloriae fini Jésus, le Christ. Puisque la perfection de la
saeculorum debeatur, perfectio vero naturae gloire est due à la fin des temps, mais la
principio, videtur quod versus finem saeculorum perfection de la nature au début, il semble donc
magis quam circa principium Deus incarnari que Dieu devait s’incarner plutôt vers la fin des
debuerit. temps que vers le début.
[7457] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] Augustin dit : « Il a été établi que les
Praeterea, Augustinus dicit: institutum est ut jam épouses déjà promises ne seraient pas livrées
pactae sponsae non statim tradantur, ne vilem immédiatement, afin que l’époux ne reçoive pas
habeat maritus datam, quam non suspiravit [une épouse] avilie, que n’attendait pas plus tard
sponsus dilatam. Sed hoc beneficium, scilicet l’époux . » Or, ce bienfait, l’incarnation, doit être
incarnationis, debet homo maxime carum habere. cher à l’homme au plus haut point. Il convenait
Ergo decuit ut humanum genus ipsum dilatum donc que le genre humain l’espère alors qu’il
suspiraret. était reporté.
[7458] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] La perfection est due à la fin. Or, le temps de
Praeterea, perfectio fini debetur. Sed tempus l’incarnation est un temps très parfait, car c’est
incarnationis est tempus perfectissimum: quia in alors que le Seigneur du temps est né ; c’est
eo dominus temporis natus est, unde etiam tempus pourquoi il est aussi appelé le temps de la
plenitudinis dicitur. Ergo videtur quod versus plénitude. Il semble donc qu’il devait s’incarner
finem temporis incarnari debuerit. vers la fin du temps.
[7459] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 co. Réponse. Le dispensateur des temps a choisi le
Respondeo dicendum, quod incarnationi tempus temps le plus approprié pour l’incarnation : en
congruissimum temporum dispensator elegit: effet, toute chose a son temps, comme on lit dans
omnia enim tempus habent, ut habetur Eccle. 3. Qo 3. Mais cette convenance ne peut être
Haec autem congruitas non plene a nobis potest pleinement connue par nous, du fait que nous ne
cognosci, quod non omnium temporum connaissons pas les proportions de tous les
proportiones cognoscimus; sed tamen possunt temps. Cependant, plusieurs raisons peuvent être
plures rationes congruitatis assignari quare hoc données de la convenance du moment que [le
tempus ad incarnationem elegerit. Prima, quia Seigneur] a choisi pour l’incarnation. La
homo per superbiam peccaverat; unde oportebat première est que l’homme avait péché par
quod per humilitatem repararetur; ad quam orgueuil ; aussi fallait-il qu’il soit restauré par
exigebatur ut defectum suum cognosceret in l’humilité. Pour celle-ci, il était requis qu’il
virtute, et in cognitione. Defectus autem connaisse sa carence en sa puissance et en sa
cognitionis innotuit homini tempore legis naturae, connaissance. Or, la carence de sa connaissance
quo tempore multi (lumine naturalis rationis non a été portée à la connaissance de l’homme au
obstante) in pessimos errores idolatriae prolapsi temps de la loi de la nature, un temps durant
sunt, et in nefandissima opera. Defectus autem lequel beaucoup sont tombés dans les pires
virtutis proprie innotuit homini tempore legis erreurs et dans les plus indicibles œuvres de
scriptae: quia tunc per legem eruditus, nondum l’idolatrie, malgré la lumière de la raison
tamen peccati jugum excutere potuit. Et ideo naturelle. Mais la carence de sa puissance a été
oportuit quod post ista duo tempora quasi portée à la connaissance de l’homme au temps de
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praeparatoria Deus homo fieret, ut in solo Deo la loi écrite, car, alors instruit par la loi, il n’a
spes salutis haberetur. Secunda ratio est, quia quand même pas pu secouer le joug du péché.
naturalis ordo est ut ab imperfecto ad perfectum C’est pourquoi il fallait qu’après ces deux temps
veniatur. Perfectissimum autem in operibus Dei pour ainsi dire préparatoires, Dieu devienne
est ipsa incarnatio, per quam creatura Deo unitur homme, afin qu’on place son espoir de salut en
in unitate personae; et ideo oportuit ut non in Dieu seul. La deuxième raison est que l’ordre
principio humani generis, sed postmodum versus naturel consiste à passer de ce qui est imparfait à
finem saeculorum compleretur, ut sic prius esset ce qui est parfait. Or, ce qu’il y a de plus parfait
quod animale, est, deinde quod spirituale est, 1 dans les œuvres de Dieu est l’incarnation elle-
Corinth. 15. Et hanc causam Augustinus assignat même, par laquelle la créature est unie à Dieu
in Lib. 83 quaestionum, quaest. 42, dicens: sicut dans l’unité de la personne ; c’est pourquoi il
absurdus esset qui juvenilem tantum vellet fallait qu’elle s’accomplisse non pas au début du
aetatem esse in homine; evacuaret enim genre humain, mais vers la fin des siècles, de
pulchritudines quae ceteris aetatibus suas vices sorte que vienne en premier ce qui est animal, et
atque ordines gerunt; sic absurdus est qui ipsi ensuite ce qui est spirituel, 1 Co 15. Augustin
universo humano generi unam aetatem desiderat; donne cette raison dans le Livre sur 83 questions,
nam et ipsum, tamquam unus homo, suas aetates q. 42, lorsqu’il dit : « De même que serait
agit; nec oportuit venire divinitus magistrum, absurde celui qui voudrait que seule la jeunesse
cujus imitatione in mores optimos formaretur, nisi existe chez l’homme (en effet, il écarterait les
in tempore juventutis. Et ideo apostolus ad Gal. 3, beautés qui en prennent la place et la suitte à
dicit, homines sub lege quasi sub paedagogo d’autres âges), de même est absurde celui qui
parvulos custoditos, donec veniret qui per désire un seul âge pour tout le genre humain, car
prophetas promissus erat. Tertia ratio est, quia il traverse lui-même ses âges comme un homme
distantia a principio facit debilitatem in effectu: unique, et il n’était pas nécessaire qu’un maître
unde et propter longe distare a principio, aliquae vienne de Dieu, à l’imitation duquel il ne serait
res perpetuum esse non possunt retinere, ut formé au meilleur comportement qu’à l’époque
maneant semper eaedem secundum numerum. de la jeunesse. » Aussi, dans Ga 3, l’Apôtre dit-il
Unde si hoc maximum remedium incarnationis in que les hommes qui étaient sous la loi étaient
principio saeculorum fuisset, procedente tempore, placés sous un pédagogue comme de petits
effectus ejus in homines minus carus fuisset, enfants, jusqu’à ce que vienne celui qui avait été
refrigescente caritate: et ideo a principio generis promis par les prophètes. La troisième raison est
humani indita est mentibus hominum lex que la distance par rapport au principe cause la
naturalis, per quam homines Deo subjecti essent: faiblesse dans l’effet ; aussi, parce qu’elles sont
postmodum vero invalescente consuetudine très éloignées du principe, certaines choses ne
peccatorum, lex naturalis adeo tenebrata est in peuvent-elles conserver l’être éternellement,
pluribus, ut jam non videretur ad regimen humani pour demeurer toujours identiques selon le
generis sufficere; et ideo tunc additum est aliud nombre. Si ce très grand remède de l’incarnation
remedium, scilicet vetus lex, et ea quae ad ipsam avait existé au début du temps, à mesure que le
pertinent: qua etiam processu temporis in temps passait, son effet aurait donc été moins
hominum cordibus debilitata, oportuit aliud précieux pour les hommes en raison du
perfectius remedium per incarnationem apponi refroidissement de la charité. C’est pourquoi, au
usque ad tempus illud, cum multorum caritas début du genre humain, la loi naturelle a été mise
refrigescet, et tunc succedet per secundum dans les esprits des hommes, par laquelle les
adventum visio fidei, et status gloriae statui hommes seraient soumis à Dieu ; mais, par la
praesentis Ecclesiae: et ideo dicit Dionysius, 3 suite, à mesure que se renforçait l’habitude de
cap. Caelest. Hierar., quod sicut se habet pécher, la loi naturelle fut tellement obscurcie
hierarchia legis ad nostram hierarchiam, ita se chez plusieurs qu’elle ne paraissait plus suffire
habet nostra ad caelestem. au gouvernement du genre humain. Un autre
remède fut donc alors ajouté : la loi ancienne et
ce qui s’y rapporte. À mesure qu’elle s’affaiblit
50

au cours du temps dans les cœurs des hommes, il


fallait donc qu’un autre remède soit apporté par
l’incarnation jusqu’au moment où la charité se
refroidirait : alors succéderaient la vision de la
foi par le second avènement et l’état de la gloire
pour l’état de l’Église présente. Aussi Denys dit-
il, dans La hiérarchie céleste, III, que « le
rapport entre la hiérarchie de la loi et notre
hiérarchie est le même que le rapport entre de
notre [hiérarchie] et la [hiérarchie] céleste ».
[7460] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Il existe une triple perfection : celle de la
primum ergo dicendum, quod est triplex perfectio, nature, celle de la grâce et celle de la gloire. Or,
scilicet naturae, gratiae, et gloriae. Perfectio la perfection de nature est celle qui existait au
autem naturae est quae fuit in principio début des siècles ; mais la perfection de la gloire
saeculorum; perfectio vero gloriae erit in fine existera à la fin des siècles. Et parce que la
saeculorum: et quia perfectio gratiae media est perfection de la grâce est intermédiaire entre les
inter utramque, ideo Christus, per quem gratia deux, le Christ, par qui grâce a été faite, est venu
facta est, circa medium saeculorum venit: unde vers le milieu des siècles. Aussi est-il dit dans
dicitur Habac. 3, 2: in medio annorum notum Ha 3, 2 : Tu nous le feras connaître au milieu
facies. des années.
[7461] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. L’amour uni au discernement ne fait pas
secundum dicendum, quod amor discretioni accélérer le don avant qu’il ne convienne à celui
conjunctus non facit accelerare donum, antequam à qui il est fait. Or, il ne convenait pas au genre
expediat ei cui datur. Non autem expediebat humain de recevoir ce don avant qu’il n’ait
humano generi hoc donum accipere, antequam appris par l’expérience à quel point il en avait
experimento disceret quantum eo indigebat, ut sic besoin, et qu’ainsi il lui accorde un plus grand
acceptum carius haberet. prix.
[7462] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. Il en va autrement de la maladie spirituelle et
tertium dicendum, quod aliter est in morbo de la maladie corporelle. En effet, pour guérir
spirituali quam corporali: ad sanationem enim une maladie corporelle, il n’est pas nécessaire
corporalis morbi non exigitur ut infirmus vim que le malade connaisse la puissance du remède
medicinae et periculum morbi cognoscat; quod et le danger de la maladie. Cependant, cela est au
tamen maxime est necessarium in morbi plus haut point nécessaire pour la guérison de la
spiritualis sanatione, quia per humilitatem et maladie spirituelle, car elle est guérie par
contritionem spiritus sanatur: et ideo quamvis l’humilité et la contrition de l’esprit. C’est
medicina corporalis non differatur, medicina pourquoi, bien que le remède corporel ne soit pas
tamen spiritualis differri potest. Nec tamen ita reporté, le remède spirituel peut cependant être
dilata est ut a principio penitus deesset: quia reporté. Toutefois, il n’a pas été reporté au point
quamdiu fuit morbus, fuit medicina morbi, ut de faire complètement défaut au début, car « tant
Hugo de s. Victore dicit, quamvis illa medicina qu’il y avait maladie, il y avait un remède pour la
non sit omnino sufficiens: sic enim et medicus maladie », comme le dit Hugues de Saint-Victor,
corporali aegroto praeparatoria quaedam bien que ce remède ne soit pas tout à fait
medicamenta praebet, antequam perfectam suffisant. Ainsi, le médecin donne au malade
medicinam det: et hic etiam fuit processus Dei in corporel des médicaments préparatoires, avant de
sanatione humani generis. donner un remède parfait. Tel fut aussi le
comportement de Dieu pour la guérison du genre
humain.
[7463] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. Personne de ceux qui avaient été éternellement
quartum dicendum, quod nullus eorum qui prédestinés n’a péri, même avant l’incarnation
praeordinati erant ab aeterno, etiam ante Christi du Christ, ni personne qui n’était pas prédestiné
51

incarnationem periit, nec etiam aliquis non n’aurait été sauvé, quel qu’ait été le moment de
praedestinatus, quandocumque incarnatio fuisset, l’incarnation. Toutefois, si un remède, destiné au
salvatus esset. Si tamen aliquod remedium prédestiné, avait été donné à celui qui n’était pas
praeberetur non praedestinato, quod praedestinato prédestiné, à savoir, la grâce finale, celui-ci aussi
datur, scilicet finalis gratia; ille etiam salvaretur. serait sauvé. Cependant, un tel antécédent est
Sed tamen hoc antecedens est incompossibile ei tout à fait impossible par rapport à celui qui
quod est eum non esse praedestinatum: unde sic consiste en ce qu’il ne soit pas prédestiné. Aussi
est vera ista: si Christus praedicasset alicui cette proposition est-elle vraie : si le Christ avait
praescito, ille poenitentiam egisset, sicut ista: si prêché à quelqu’un qui était prédestiné, celui-là
gratia sibi daretur, poenitentiam ageret. Sed aurait fait pénitence, comme est vraie celle-ci : si
utriusque antecedens est incompossibile la grâce lui était donnée, il ferait pénitence. Mais
praescientiae condemnationis: et ideo quaerere l’antécédent pour les deux choses est impossible
quare Christus illi non praedicavit, vel quare en raison de la prescience de la condamnation.
gratiam illi non apposuit, est idem quod quaerere C’est pourquoi se demander pour quelle raison le
praedestinationis causam, quae nulla est nisi Christ ne lui a pas prêché ou pourquoi il ne lui a
voluntas Dei. pas accordé la grâce est la même chose que
chercher la cause de la prédestination, qui est
nulle autre que la volonté de Dieu.
[7464] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Ce qui est parfait précède simplement ce qui
quintum dicendum, quod perfectum simpliciter est imparfait ; mais en considérant ce qui est
praecedit imperfectum; sed accipiendo perfectum parfait et ce qui est imparfait pour la même
et imperfectum circa idem, imperfectum praecedit chose, l’imparfait précède ce qui est parfait, car
perfectum: quia motus est de imperfecto ad le mouvement va de l’imparfait au parfait. Et
perfectum; et hoc fit aliquo perfecto agente, quod cela est le fait d’un agent parfait, qui doit exister
oportet prius esse: et ideo in humano genere prius antérieurement. C’est pourquoi, pour le genre
fuit adhibita imperfecta medicina quam perfecta humain, un remède imparfait fut d’abord
ab ipso perfecto Deo, qui est perfectionis proposé, plutôt qu’un remède parfait, par Dieu
princeps, ut dicit Dionysius. lui-même qui est parfait, qui est « au premier
rang de la perfection », comme le dit Denys.

Quaestio 2 Question 2 – [Qui assume la chair ?]

Prooemium Prologue
[7465] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur celui qui assume la
quaeritur de assumente carnem; et circa hoc chair. À ce propos, cinq questions sont posées :
quaeruntur quinque; 1 utrum una persona possit 1 – Une seule personne [divine] peut-elle
assumere carnem alia non assumente; 2 si sic, assumer la chair, sans qu’une autre ne l’assume ?
quare magis filius carnem assumpsit; 3 utrum 2 – Si c’est le cas, pourquoi le Fils a-t-il plutôt
pater vel spiritus sanctus potuerunt vel possint assumé la chair ? 3 – Le Père ou l’Esprit Saint
carnem assumere; 4 si sic, utrum potuerunt pouvaient-ils ou peuvent-ils assumer la chair ?
eamdem numero humanam naturam assumere; 5 4 – Si c’est le cas, pouvaient-ils assumer la
utrum una persona possit duas numero humanas même nature humaine numériquement distincte ?
naturas assumere. 5 – Une seule personne peut-elle assumer deux
natures humaines numériquement distinctes ?

Articulus 1 [7466] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. Article 1 – Une seule personne peut-elle
1 tit. Utrum una persona sine alia possit carnem assumer la chair sans une autre ?
assumere
[7467] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’une seule personne ne puisse
primum sic proceditur. Videtur quod una persona assumer la chair sans une autre. En effet, [Jean]
52

sine alia non possit carnem assumere. Damascène dit qu’« en Dieu, tout est un, sauf le
Damascenus enim dicit quod in divinis omnia fait de ne pas être engendré, la génération et la
sunt unum praeter ingenerationem, generationem, procession ». Or, l’incarnation n’est rien de cela.
et processionem. Sed incarnatio nullum horum L’incarnation est donc commune aux trois.
est. Ergo incarnatio communis est tribus.
[7468] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 2. De même qu’il n’existe qu’une seule essence
Item, sicut est una essentia trium personarum, ita pour les trois personnes, de même existe-t-il une
una operatio divina. Sed assumere carnem est seule opération divine. Or, assumer la chair est
quaedam operatio divina. Ergo est communis une opération divine. Elle est donc commune aux
tribus personis. trois personnes.
[7469] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 3 3. [Jean] Damascène dit que « toute la nature
Item, Damascenus dicit, quod tota natura divina in divine s’est incarnée dans l’une de ses trois
una suarum hypostasum incarnata est. Sed hypostases ». Or, tout ce qui est dit de la nature
quidquid dicitur de natura, commune est tribus. est commun aux trois. L’incarnation est donc
Ergo incarnatio communis est tribus personis. commune aux trois personnes.
[7470] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Pour tout ce qui est un selon une substance
Item, quaecumque sunt unum secundum simple, ce qui est un est uni à toutes les autres
substantiam simplicem, cuicumque unitur unum, choses. Or, les trois personnes sont une seule
et reliquum. Sed tres personae sunt unum réalité selon la substance, qui est commune et
secundum substantiam, quae est communis, et simple. Si le Fils est uni à la chair, il est donc
simplex. Ergo si carni unitur filius, necessario et nécessaire que le Père aussi soit uni à la chair.
carni unitur pater.
[7471] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 5 5. L’union qui se réalise par la grâce d’union est
Item, major est unio quae est per gratiam unionis plus grande que celle qui se réalise par la grâce
quam quae est per gratiam adoptionis. Sed in d’adoption. Or, par l’union par la grâce
unione per gratiam adoptionis non unitur menti d’adoption, une seule personne n’est pas unie à
una persona sine alia. Ergo nec una persona l’esprit sans une autre. Une seule personne n’a
assumpsit carnem sine alia. donc pas assumé la chair sans une autre.
[7472] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1 In Cependant, [1] il semble que Denys compte
contrarium videtur quod Dionysius ea quae ad parmi ce qui relève de la théologie « distincte »,
incarnationem pertinent, computat inter ea quae ce qui se rapporte à l’incarnation. Or, il s’agit de
sunt de discreta theologia. Haec autem sunt quae ce qui convient à une seule personne sans une
uni personae conveniunt sine alia. Ergo incarnatio autre. L’incarnation convient donc à une seule
convenit uni personae sine alia, et non omnibus. personne sans une autre, et non à toutes.
[7473] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] L’incarnation inclut dans sa signification une
Item, incarnatio includit in suo intellectu mission, comme il est dit dans le texte. Or, il ne
missionem, ut in littera dicitur. Sed ad hoc quod découle pas que toutes les personnes soient
una persona mittatur, non sequitur quod omnes envoyées pour qu’une seule personne soit
mittantur. Ergo una persona sine alia incarnari envoyée. Une seule personne sans une autre peut
potest. donc s’incarner.
[7474] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] Une distinction réelle et de raison est plus
Praeterea, major est distinctio rei et rationis quam grande qu’une distinction de raison seulement.
distinctio rationis tantum. Sed rationes diversarum Or, les raisons des diverses réalités en Dieu ne se
rerum in divinis non distinguuntur nisi ratione; distinguent que par la raison, mais les personnes
personae autem distinguuntur et re et ratione. sont distinctes réellement et selon la raison. La
Ergo major est distinctio personarum in Deo distinction entre les personnes en Dieu est donc
quam rationum idealium. Sed Deus per unam plus grande que celle des raisons idéales. Or,
rationem aliquid operatur quod non operatur per Dieu réalise par une seule raison ce qu’il ne
aliam: quia alia ratione facit hominem, et alia réalise pas par une autre, car « il crée l’homme
ratione facit equum, ut Augustinus ait. Ergo multo selon une raison, et il créé le cheval selon une
53

amplius una persona potest incarnari sine alia. autre raison », comme le dit Augustin. À bien
plus forte raison, donc, une seule personne peut-
elle s’incarner sans une autre.
[7475] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 co. Réponse. Bien que les trois personnes soient une
Respondeo dicendum, quod quamvis tres seule réalité selon l’essence, il n’est cependant
personae sint unum in essentia, non tamen oportet pas nécessaire que, si l’une est unie à la chair,
quod si una conjungitur carni, quod etiam alia. Ad une autre le soit aussi. Pour montrer cela, il faut
cujus evidentiam sciendum est, quod quando savoir que, lorsque certaines choses sont unies en
aliqua in aliquo conjunguntur, et in aliquo quelque chose et se distinguent par quelque
distinguuntur; tunc solum necessarium est ut chose d’autre, il est alors nécessaire qu’elles
simul conjungantur, quando conjunctio fit soient unies seulement lorsque l’union se réalise
secundum id in quo communicant, sive illud sit selon ce qu’elles ont en commun, qu’il s’agisse
idem numero, sive non; sicut patet quod homo et d’une seule réalité en nombre ou non. Cela
asinus communicant in animali: et ideo quidquid ressort dans le fait que l’homme et l’âne ont en
communicat cum asino in genere, communicat commun d’être des animaux : aussi tout ce qui
etiam cum homine; sed quia homo et asinus est commun à l’âne selon le genre est aussi
differentiis specificis distinguuntur, non oportet commun à l’homme; mais parce que l’homme et
quod quidquid convenit cum asino in differentia l’âne se distinguent selon des distinctions
specifica, conveniat cum homine similiter: et ita spécifiques, il n’est pas nécessaire que tout ce
etiam est in potentiis animae, quia omnes qui est commuun avec l’âne selon la différence
radicantur in essentia una numero: unde cum spécifique soit de même commun avec l’homme.
anima uniatur corpori dupliciter, et secundum De même aussi pour les puissances de l’âme :
essentiam, ut est forma ejus, et secundum toutes sont enracinées dans une seule essence
potentiam, ut est motor ipsius, vel operans per numériquement distincte. Aussi, comme l’âme
ipsum; necessarium est ut anima quae unitur est unie au corps de deux manières : selon
oculo, et quantum ad essentiam animae, l’essence pour en être la forme, et selon la
inquantum perficitur oculus in esse specifico, et puissance pour en être le moteur ou pour agir par
secundum rationem visivae potentiae, prout lui, il est nécessaire que l’âme, qui est unie à
efficitur instrumentum videndi, conjungatur etiam l’œil tant selon l’essence de l’âme, pour autant
linguae quantum ad essentiam animae, non que l’œil est perfectionné selon son être
quantum ad rationem potentiae ejusdem: eadem spécifique, qu’en tant que puissance de voir,
enim essentia animae quae est in oculo, est in pour autant que [l’œil] devient l’instrument de la
lingua; sed ibi secundum potentiam visivam, hic vision, soit aussi unie à la langue selon l’essence
secundum potentiam gustativam: et, quod plus est, de l’âme, mais non en raison de sa puissance. En
aliqua potentia est quae nulli parti corporis effet, c’est la même essence de l’âme qui se
conjungitur quantum ad rationem potentiae, ut trouve dans l’œil et qui se trouve dans la langue ;
intellectus, sed solum quantum ad rationem mais elle se trouve là selon la puissance de la
essentiae. Dico ergo, quod tres personae vision, et elle se trouve ici selon la puissance de
distinguuntur quidem in personalitate, sed goûter. Davantage encore, il existe une puissance
conveniunt in natura. Unde quidquid uniretur filio qui n’est unie à aucune partie du corps en raison
in natura, de necessitate uniretur patri; non autem de la puissance : l’intellect, mais seulement selon
oportet, si aliquid uniatur filio in persona, quod la raison de l’essence. Je dis donc que les trois
uniatur patri. Non enim ponimus incarnationem personnes sont distinctes selon la personnalité,
filii esse hoc modo, ut sit unio facta in natura, sed mais qu’elles ont en commun la nature. De sorte
solum in persona: et ideo non oportet quod que tout ce qui serait uni au Fils selon sa nature
ponamus patrem incarnatum, sicut non oportet serait nécessairement uni au Père ; mais il n’est
quod si potentia visiva sit actus corporis, pas nécessaire que, si quelque chose est uni au
intellectus sit actus corporis, quamvis conveniant Fils selon la personne, cela soit uni au Père. En
in una essentia animae. effet, nous n’affirmons pas que l’incarnation du
Fils se réalise de telle sorte que l’union se fasse
54

selon la nature, mais seulement selon la


personne. Il n’est donc pas nécessaire que nous
affirmions que le Père s’est incarné, comme il
n’est pas nécessaire que, si la puissance de voir
est un acte du corps, l’intellect soit un acte du
corps, bien qu’ils aient en commun une seule
essence de l’âme.
[7476] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. L’incarnation comporte en elle-même une de
primum ergo dicendum, quod incarnatio includit ces trois choses, car l’incarnation signifie l’union
in se unum illorum trium: quia incarnatio dicit dans la personne du Fils, dont la propriété
unionem in persona filii, cujus personalis personnelle est la génération.
proprietas est generatio.
[7477] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Le fait d’assumer comporte deux choses :
secundum dicendum, quod assumere duo l’action et le terme de l’union. En effet, assumer
importat, scilicet actionem et terminum unionis: (assumere) veut dire prendre en soi (ad se
dicitur enim assumere, quasi ad se sumere. sumere). Toute ce que ce mot comporte d’action
Quidquid ergo actionis importatur in hoc verbo, est donc commun aux trois. En effet, il est vrai
totum est commune tribus: verum enim est dicere, de dire que toute la Trinité a uni la nature
quod tota Trinitas univit humanam naturam filio humaine au Fils selon la personne. Mais le terme
in persona. Sed terminus unionis est solum de l’union est seulement la personne du Fils, et
persona filii, et non patris: et ideo filius carnem non celle du Père. Aussi le Fils a-t-il assumé la
assumpsit, et non pater nec spiritus sanctus. chair, mais non le Père ni le Saint-Esprit.
[7478] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. De soi, on ne parle pas d’incarnation pour la
tertium dicendum, quod de natura non dicitur nature, mais en raison de la personne, selon que
incarnatio secundum se, sed ratione personae, toute la nature divine s’est incarnée dans la seule
secundum quod tota natura divina incarnata est in personne du Fils. Il n’est donc pas nécessaire
una persona filii; et ideo non oportet quod qu’on dise des trois qu’ils se sont incarnés. En
incarnari de tribus dicatur: hoc enim est effet, cela est nécessaire pour ce qui est dit de la
necessarium in illis quae dicuntur de natura nature en raison de la nature elle-même, mais
ratione ipsius naturae, non de illis quae dicuntur non pour ce qui est dit de la nature en raison de
de natura ratione personae: et hoc propter la personne, et cela en raison de l’identité de
identitatem essentiae et personae; sicut essentia l’essence et de la personne. Ainsi, la personne du
divina est persona filii, non tamen persona patris Fils est l’essence divine, mais la personne du
est persona filii. Père n’est cependant pas la personne du Fils.
[7479] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Si l’union se réalisait dans la substance ou
quartum dicendum, quod si esset unio in dans la nature, il en découlerait que les trois
substantia vel natura, sequeretur quod tres personnes se seraient incarnées, si l’une s’était
personae essent incarnatae, si una incarnaretur; incarnée. Mais l’union ne s’est pas réalisée selon
nunc vero non est unio facta in natura, ut scilicet la nature, de sorte qu’une seule chose ait été
ex divina et humana fiat unum: sed in persona, ut réalisée à partir de la nature divine et de la nature
sit una persona in humanitate et divinitate humaine ; mais [elle s’est réalisée] selon la
subsistens: et ideo ratio non procedit, ut ex personne, de sorte qu’il y ait qu’une seule
praedictis patet. personne subsistant dans l’humanité et dans la
divinité. Aussi le raisonnement n’est-il pas
concluant, comme cela ressort de ce qui a été dit
plus haut.
[7480] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. Dans l’union qui se réalise par la grâce de
quintum dicendum, quod in unione quae est per l’adoption, on n’envisage que l’union par
gratiam adoptionis, consideratur unio per l’opération, car Dieu réalise un certain effet en
operationem tantum, quia scilicet Deus aliquem nous. Et parce que l’opération est commune aux
55

effectum in nobis operatur: et quia operatio est trois, il faut donc que cette union aussi soit
communis tribus, ideo oportet quod etiam unio commune, bien que, selon que cet effet est
illa communis sit; quamvis secundum quod ille approprié à l’une ou l’autre personne, on dise
effectus appropriatur uni personae vel alii, dicatur que le Fils ou l’Esprit Saint est envoyé dans
in mentem mitti filius vel spiritus sanctus. Sed in l’esprit. Mais, dans cette union singulière de la
hac singulari unione divinitatis ad humanitatem divinité et de l’humanité, on ne relève pas
non tantum notatur ex parte Dei operatio vel seulement une opération ou un effet de la part de
efficientia, sed etiam terminus, ut dictum est: et Dieu, mais aussi un terme, comme on l’a dit. Ce
ideo non est simile. n’est donc pas la même chose.
Articulus 2 [7481] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 Article 2 – Convenait-il davantage que le Fils
tit. Utrum magis fuerit conveniens filium s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-Esprit
incarnari vel patrem vel spiritum sanctum ?
[7482] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il ne convenait pas davantage que
secundum sic proceditur. Videtur quod non magis le Fils s’incarne, plutôt que le Père ou le Saint-
fuit conveniens filium incarnari quam patrem vel Esprit. En effet, de même que, dans le mystère
spiritum sanctum. Sicut enim in mysterio de l’incarnation, la sagesse a été manifestée par
incarnationis monstrata est sapientia in decentia ce qui convient à la réconciliation, de même
reconciliationis, ita etiam monstrata est potentia in aussi la puissance a-t-elle été manifestée par le
hoc quod in infinitum distantia conjuncta sunt, et fait que des réalités infiniment distantes ont été
etiam bonitas in hoc quod non despexit proprii réunies, et aussi la bonté, par le fait qu’« elle n’a
plasmatis infirmitatem, sicut dicit Damascenus. pas méprisé la faiblesse de sa propre créature »,
Sed sicut sapientia attribuitur filio, ita bonitas comme le dit [Jean] Damascène. Or, de même
spiritui sancto, et potentia patri. Ergo non decebat que la sagesse est attribuée au Fils, de même la
magis filium incarnari quam patrem vel spiritum bonté l’est-elle à l’Esprit Saint, et la puissance,
sanctum. au Père. Il ne convenait donc pas davantage que
le Fils s’incarne plutôt que le Père ou l’Esprit
Saint.
[7483] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 2. La victoire est attribuée à la puissance. Or, la
Item, victoria potentiae attribuitur. Sed per victoire a été remportée sur l’ennemi par
incarnationem secuta est de hoste victoria. Ergo l’incarnation. L’incarnation convenait donc
incarnatio magis decebat patrem, cui appropriatur davantage au Père, à qui la puissance est
potentia. appropriée.
[7484] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3 3. La recréation répond à la création. Or, la
Item, recreatio respondet creationi. Sed creatio création est appropriée au Père ; ainsi, lorsqu’il
appropriatur patri; unde cum dicitur Gen. 1: in est dit dans Gn 1 : Au commencement, Dieu créa
principio creavit Deus caelum et terram, Deus le ciel et la terre, on explique que le Dieu qui
creans exponitur pater. Ergo et incarnatio, per crée est le Père. L’incarnation, par laquelle la
quam recreatio facta est, patri potissime recréation a été accomplie, conviendra donc
conveniet. surtout au Père.
[7485] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 4 4. L’incarnation a été ordonnée à ce que nous
Item, incarnatio ordinata est ad hoc ut nos recevions l’adoption des fils, Ga 4. Or, adopter
adoptionem filiorum reciperemus, ad Gal. 4. Sed est le propre du Père. Il convenait donc que Père
adoptare, proprium patris est. Ergo patrem s’incarne.
decebat incarnari.
[7486] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 5 5. Il semble qu’il convenait davantage que le
Item, videtur quod magis congruum fuerit Saint-Esprit s’incarne. En effet, l’union entre des
spiritum sanctum incarnari. Eorum enim quae réalités plus rapprochées convient davantage. Or,
magis vicina sunt, decentior est conjunctio. Sed l’Esprit Saint est la personne qui est la plus
spiritus sanctus est persona magis nobis vicina, ut rapprochée de nous, comme le dit Augustin. Il
dicit Augustinus. Ergo spiritum sanctum magis convenait donc davantage que l’Esprit Saint
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decebat incarnari quam filium. s’incarne plutôt que le Fils.


[7487] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 6 6. L’incarnation est issue de la très grande
Praeterea, incarnatio processit ex maxima caritate charité que Dieu a eue à notre endroit. Or, la
Dei quam ad nos habuit. Sed caritas est proprie charité appartient en propre au Saint-Esprit, ou
spiritus sanctus; vel etiam appropriate, si encore, par appropriation, si elle est considérée
essentialiter sumatur. Ergo spiritum sanctum en son essence. Il convenait donc surtout que le
potissime decebat incarnari. Saint-Esprit s’incarne.
[7488] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] il existe dans notre esprit trois
contra, in mente nostra sunt tria, tres personas réalités, qui représentent les trois personnes :
repraesentantia: scilicet mens, quae repraesentat l’esprit, qui représente le Père ; la connaissance,
patrem; notitia, quae est verbum mentis qui est le verbe de l’esprit, représentant le Fils ;
repraesentans filium; et amor, qui repraesentat et l’amour, qui représente le Saint-Esprit. Or,
spiritum sanctum. Sed inter haec tria verbum parmi ces trois réalités, le verbe de l’esprit est le
mentis maxime est corporale, secundum quod per plus corporel, selon qu’il s’exprime
vocem exterius sonat. Ergo et incarnatio extérieurement par la parole. L’incarnation
convenientissime verbum aeternum decuit, quod convenait donc au plus haut point au Verbe
est ipse filius Dei. éternel, qui est lui-même le Fils de Dieu.
[7489] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] Ce qui est premier en tout genre est la cause
Item, secundum philosophum, id quod est primum de ce qui suit. Or, la filiation se trouve en
in unoquoque genere, est causa eorum quae sunt premier dans le Fils de Dieu, comme la paternité,
post. Sed filiatio primo in filio Dei invenitur sicut en Dieu, le Père, d’après lequel toute paternité au
et paternitas in Deo patre, ex quo omnis paternitas ciel et sur la terre est nommée, Ep 3. Le Fils de
in caelo et in terra nominatur, Ephes. 3. Ergo Dieu s’est donc incarné avec la plus grande
convenientissime filius Dei incarnatus est, ut per convenance, afin que, par lui, nous recevions
ipsum adoptionem filiorum Dei reciperemus. l’adoption des fils de Dieu.
[7490] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] L’union de la sagesse et de l’humilité
Praeterea, decentissima est conjunctio sapientiae convient au plus haut point ; aussi Pr 11, 2 dit-il :
et humilitatis; unde Prov. 11, 2: ubi humilitas, ibi Là où est l’humilité, là est la sagesse. Or, la
sapientia. Sed sapientia appropriatur filio. Ergo sagesse est appropriée au Fils. L’humilité de
ipsum maxime decuit humilitas incarnationis. l’incarnation lui convenait donc le plus.
[7491] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 co. Réponse. La convenance de l’incarnation du Fils
Respondeo dicendum, quod decentia incarnationis peut être envisagée selon ce qui lui est propre et
filii potest attendi et ex propriis, et ex appropriatis selon ce qui lui est appropié. Selon ce qui lui est
ejus. In propriis autem ipsius possunt considerari propre, on peut envisager quatre choses : le fait
quatuor, scilicet quod filius est, quod verbum est, qu’il est le Fils, qu’il est le Verbe, qu’il est
quod imago, quod media in Trinitate persona. l’Image et qu’il est une personne intermédiaire
Secundum autem quod imago, convenientiam dans la Trinité. Selon qu’il est l’Image, il a
habet cum eo qui reparandus erat, scilicet cum quelque chose en commun avec celui qui devait
homine, qui ad imaginem Dei factus est, Gen. 1; être restauré, l’homme, qui a été créé à l’image
unde decuit ut imago imaginem assumeret, de Dieu, Gn 1. Il convenait donc que l’Image
increata creatam. Secundum autem quod filius est, assume l’image, que [l’Image] incréée [assume
convenit ad modum reparationis, quae expleta est l’image] créée. Mais selon qu’il est le Fils, cela
per incarnationis et passionis mysteria: secundum convient au mode de la restauration, qui a été
enim quod ex alio est, quod quidem sibi et spiritui accomplie par les mystères de l’incarnation et de
sancto commune est, notatur auctoritas patris la passion. En effet, selon qu’il vient d’une autre
respectu ipsius: unde convenit sibi ad patrem, et chose, qui est commune à lui et au Saint-Esprit,
deprecatio, et satisfactio, et alia hujusmodi, quae l’autorité du Père sur lui est signalée. Ainsi lui
in patre auctoritatem demonstrant. Sed secundum convenaient la prière, la satisfaction et les autres
quod in filio intelligitur determinatus modus choses de ce genre à l’endroit du Père, qui
originis, convenit sibi nasci, ut qui in divinitate est montrent l’autorité chez le Père. Mais, selon
57

Dei filius, in humanitate sit virginis filius, ut non qu’on entend un mode déterminé d’origine chez
sint plures filii in Trinitate. Convenit etiam sibi, le Fils, il lui convenait de naître, de sorte que
inquantum filius naturalis est, ut per eum cujus est celui qui est Fils de Dieu par la divinité soit le
naturalis hereditas, alii in filios adoptentur, et fils de la Vierge par l’humanité ; ainsi n’y aura-t-
coheredes fiant. Sed inquantum verbum est, il pas plusieurs Fils dans la Trinité. Il lui
congruentiam habet ad officium praedicationis et convenait aussi, pour autant qu’il est Fils par
doctrinae: quia verbum manifestat dicentem, et nature, que, par celui qui possède l’héritage par
ipse manifestavit patrem, Joan. 17, 6: pater, nature, d’autres fils soient adoptés et deviennent
manifestavi nomen tuum hominibus. Inquantum cohéritiers. Mais, en tant qu’il est le Verbe, il a
vero est media in Trinitate persona, congruit ad quelque chose en commun avec la fonction de la
ultimum effectum, qui est reconciliatio hominis prédication et de l’enseignement, car la parole
ad Deum; decet enim ut qui est medius, etiam sit manifeste celui qui parle, et il a manifesté le
mediator. Inveniuntur etiam quatuor filio Père, Jn 17, 6 : Père, j’ai manifesté ton nom aux
appropriata: scilicet sapientia et virtus ab hommes. Mais, en tant qu’il est une personne
apostolo, 1 Corinth. 1, 24: Christum Dei virtutem intermédiaire, cela convenait à l’effet ultime, qui
et Dei sapientiam: aequalitas ab Augustino; est la réconciliation de l’homme avec Dieu. En
species et pulchritudo ab Hilario. Inquantum effet, il convient que celui qui est intermédiaire
autem sapientia est, congruit ad restaurationem: soit aussi le médiateur. On trouve aussi que
quia decet ut quae in sapientia facta sunt, per quatre choses sont appropriées au Fils : la
sapientiam restaurentur; et etiam servituti a qua sagesse et la puissance, par l’Apôtre, 1 Co 1, 24 :
homo liberandus erat, qui in eam seductus Le Christ, puissance et sagesse de Dieu ;
quodammodo devenerat: et ideo decebat ut per l’égalité par Augustin ; l’éclat et la beauté par
sapientiam a seductore liberaretur. Ipse etiam Hilaire. En tant qu’il est sagesse, il convenait à la
homo peccavit per appetitum scientiae: unde per restauration, car il convient que ce qui a été créé
sapientiam liberandus erat. Inquantum autem est avec sagesse soit restauré par la sagesse. Cela
virtus et brachium patris, congruit ad victoriam de convenait aussi à la servitude dont l’homme
hoste capiendam; Luc. 1, 51: fecit potentiam in devait être libéré, lui qui y était tombé par
brachio suo. Inquantum vero est aequalitas, séduction ; il convenait donc qu’il soit libéré du
congruit etiam morbo qui sanandus erat: uterque séducteur par la sagesse. L’homme lui-même
enim, scilicet homo et Diabolus, peccaverat, avait aussi péché par le désir de connaître ; aussi
appetendo aequalitatem; ille potentiae, iste devait-il être libéré par la sagesse. Mais en tant
scientiae. Inquantum vero species et pulchritudo qu’il est la puissance et le bras du Père, il
est, congruit reparationi, ut per ipsum deturpatio convenait pour remporter la victoire sur
imaginis per peccatum inducta amoveatur. Patri l’ennemi, Lc 1, 51 : Il a donné puissance à son
vero non convenit incarnatio, praecipue propter bras. En tant qu’il y a égalité, il convenait aussi
proprietatem innascibilitatis: non enim decet ut à la maladie qui devait être guérie. En effet, les
qui in deitate est pater, in humanitate sit filius: sic deux, l’homme et le Diable, avaient péché en
enim filius Dei patris esset nepos virginis, si ipsa désirant l’égalité, celui-ci, l’égalité de la
virgo mater esset Dei patris. Similiter etiam nec puissance, celui-là, l’égalité de la science. Mais,
spiritui sancto convenit, ne filii nomen in plures en tant qu’il est éclat et beauté, il convenait à la
personas transferatur. réparation, afin que, par lui, la distorsion de
l’image entraînée par le péché soit enlevée.
Toutefois, l’incarnation ne convenait pas au
Père, surtout en raison de la propriété d’une
impossible naissance. En effet, il ne convenait
pas que celui qui est Père par la divinité soit fils
par l’humanité, car le Fils de Dieu, le Père, serait
alors le neveu de la Vierge, si la Vierge elle-
même était la mère de Dieu, le Père. Cela ne
convient pas non plus au Saint-Esprit, de crainte
58

que le nom de fils ne soit conféré à plusieurs


personnes.
[7492] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. Dans l’incarnation, la sagesse, la puissance et
primum ergo dicendum, quod in incarnatione la bonté sont manifestées. C’est pourquoi
ostenduntur sapientia, potentia et bonitas; et ideo l’efficacité de l’incarnation est attribuée à toute
efficientia incarnationis toti Trinitati attribuitur; la Trinité. Cependant, il convenait que l’œuvre
sed tamen opus quod Deo incarnato debebatur, qui était due à Dieu incarné soit accomplie par le
per filium expleri decuit, rationibus dictis in Fils pour les raisons données dans le corps de cet
corpore hujus articuli: et ideo tota Trinitas carnem article. C’est pourquoi toute la Trinité a uni la
soli filio univit. chair au seul Fils.
[7493] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. Il ne revient pas à celui qui est puissant de
secundum dicendum, quod potentis non est ut per vaincre par sa puissance un moins puissant : en
potentiam minus potentem vincat: hoc enim effet, cela semble violent, et non pas louable ;
videtur violentum, et non laudabile, sed per mais [il lui revient de l’emporter] par la justice et
justitiam et sapientiam: et ideo per filium debuit la sagesse. Ainsi le Fils devait-il vaincre
pater hostem vincere. Vel dicendum, quod l’ennemi du Père. Ou bien il faut dire que, bien
quamvis potentia attribuatur patri, eo quod ipse que la puissance soit attribuée au Père, du fait
est principium totius deitatis, tamen filius etiam qu’il est le principe de toute la divinité, le Fils
dicitur virtus patris, per quam in creatura operatur: est cependant appelé la puissance du Père, par
unde et brachium patris dicitur, ut exponit laquelle il agit dans la créature. Aussi est-il
Gregorius illud Job 40: si habes brachium sicut appelé le bras du Père, comme Grégoire explique
Deus; et ideo decenter per filium Deus pater Jb 40 : Si tu as un bras comme Dieu. Aussi Dieu
Diabolum vicit. le Père a-t-il convenablement vaincu le Diable
par le Fils.
[7494] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. Trois œuvres sont appropriées aux trois
tertium dicendum, quod tria opera tribus personis personnes : la création, comme première, au
appropriantur: creatio, quasi prima, patri, qui est Père, qui est principe sans principe ; la
principium non de principio: glorificatio, quae est glorification, qui est la fin ultime, à l’Esprit Saint
ultimus finis, spiritui sancto, ratione bonitatis: en raison de sa bonté ; la recréation, qui est
recreatio, quae media est, filio, qui est media in intermédiaire, au Fils, qui est une personne
Trinitate persona. intermédiaire dans la Trinité.
[7495] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Bien qu’il revienne au Père d’adopter, il
quartum dicendum, quod quamvis patris sit convenait cependant qu’il nous adopte par le
adoptare, tamen decenter nos per filium adoptavit, Fils, à qui appartient l’héritage, afin qu’ainsi
cujus est hereditas; ut sic per verum heredem ipsa l’adoption elle-même soit reçue par le véritable
adoptatio acceptaretur, et firma ostenderetur; et ut héritier et que sa fermeté soit manifestée ; et afin
filii adoptivi haberent verum filium ducem, quem que les fils adoptifs aient comme chef le Fils
imitarentur illi quos praescivit conformes fieri véritable, qu’imitent ceux qu’il a prédestinés à
imagini filii sui, ut ipse sit primogenitus in multis devenir conformes à l’image de son Fils, de sorte
fratribus: Rom. 8. que celui-ci soit premier-né parmi de nombreux
frères, Rm 8.
[7496] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. On dit que l’Esprit Saint est la personne la
quintum dicendum, quod spiritus sanctus dicitur plus proche de nous en raison de la charité, par
persona maxime vicina nobis propter caritatem, laquelle tous les dons nous sont donnés ; mais le
per quam nobis omnia dona donantur; sed filius Fils est plus proche de nous pour ce qui convient
est magis nobis vicinus quantum ad congruentiam à l’incarnation, pour les raisons données.
incarnationis, rationibus dictis.
[7497] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 2 ad 6 Ad 6. La charité de Dieu est la cause de
sextum dicendum, quod caritas Dei est causa l’incarnation. Aussi la causalité de l’incarnation,
incarnationis: et ideo causalitas incarnationis, bien qu’elle soit commune aux trois personnes,
59

quamvis sit communis tribus personis, est-elle cependant appropriée au Saint-Esprit,


appropriatur tamen spiritui sancto, ut infra dicetur, comme on le dira plus loin, d. 4. Il ne découle
dist. 4: non tamen ex hoc sequitur quod spiritus toutefois pas de cela que le Saint-Esprit devait
sanctus debuerit incarnari. s’incarner.

Articulus 3 [7498] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. Article 3 – Le Père pouvait-il prendre chair,
3 tit. Utrum pater potuit carnem assumere, et de même que le Saint-Esprit ?
etiam spiritus sanctus
[7499] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Père ne pouvait pas prendre
tertium sic proceditur. Videtur quod pater carnem chair, car, ainsi que le dit Anselme, « ce qui
assumere non potuerit. Quia, ut dicit Anselmus, convient le moins est impossible à Dieu ». Or, si
minimum inconveniens est Deo impossibile. Sed le Père avait pris chair, il en découlerait quelque
si pater carnem assumeret, sequeretur chose qui ne convient pas, à savoir qu’il y aurait
inconveniens, ut scilicet essent in Trinitate plures plusieurs Fils dans la Trinité, ce qui mènerait à
filii, quod in confusionem quamdam vergeret une certaine confusion entre les personnes. Le
personarum. Ergo pater carnem assumere non Père ne pouvait donc pas prendre chair.
potuit.
[7500] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 2 Item 2. Des opposés ne peuvent être réunis dans une
opposita non possunt jungi in eodem, etiam per même chose, même par miracle. Or, chez le
miraculum. Sed in patre est quaedam proprietas, Père, il existe une propriété, qu’on appelle
quae dicitur innascibilitas, secundum quam dicitur l’impossibilité de naître, selon laquelle on dit
non esse ex alio, cui nascibilitas opponitur. Ergo qu’il ne vient pas d’un autre, ce à quoi s’oppose
non potuit pater de virgine nasci, quod diceretur, la possibilité de naître. Le Père ne pouvait donc
si carnem assumeret. pas naître de la Vierge, ce qu’on dirait, s’il avait
pris chair.
[7501] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 3 3. Comme il est dit dans le texte, la mission du
Item, ut in littera dicitur, filii missio, est ipsa Fils est l’incarnation elle-même. Or, il ne
incarnatio. Sed patri non convenit mitti, ut in convient pas au Père d’être envoyé, comme on
primo Lib. habitum est. Ergo nec incarnari potest l’a vu dans le livre I. Il ne peut donc pas non plus
s’incarner.
[7502] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 4 4. Il faut toujours attendre ce qui peut arriver de
Item, ab eo qui est infinitae misericordiae, semper mieux de celui qui a une miséricorde infinie. Or,
optima expectanda sunt quae contingere possunt. puisque le monde entier a été amélioré par
Sed cum totus mundus per incarnationem unius l’incarnation d’une seule personne, si le Père
personae melioratus sit, si etiam pater aussi s’incarnait, [le monde] serait encore bien
incarnaretur, multo amplius meliorabitur. Ergo si plus amélioré. S’il est possible au Père de
possibile est patrem incarnari, hoc expectandum s’incarner, il faut donc l’attendre, comme les
est, sicut et antiqui patres incarnationem filii anciens pères ont attendu l’incarnation du Fils,
expectaverunt: quod est omnino absurdum. ce qui est tout à fait absurde.
[7503] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 arg. 5 5. La puissance de Dieu n’est pas plus grande
Praeterea, non est major Dei potentia quam sua que sa volonté, puisque les deux sont infinies.
voluntas, cum utrumque sit infinitum. Sed pater Or, le Père n’a jamais voulu s’incarner. Il ne peut
nunquam voluit incarnari. Ergo nec incarnari donc pas non plus s’incarner.
potest.
[7504] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] comme le dit Anselme, « toute
contra, sicut dicit Anselmus, omnis necessitas et nécessité et toute impossibilité sont soumises à
impossibilitas Deo est subjecta. Sed ei nihil est Dieu ». Or, rien n’est impossible pour celui à qui
impossibile, cujus voluntati omnis impossibilitas toute impossibilité est soumise. Il n’est donc pas
subditur. Ergo patrem incarnari non est impossible pour le Père de s’incarner.
impossibile.
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[7505] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 2 [2] L’union de ce qui est également distant est
Item, eorum quae aeque distant, aeque possibilis également possible. Or, la nature humaine est
est conjunctio. Sed humana natura aequaliter également distante des trois personnes : en effet,
distat a tribus personis: distat enim a qualibet in elle est distante de chacune à l’infini. Si le Fils
infinitum. Ergo si potuit eam filius assumere, pouvait l’assumer, le Père aussi le peut donc.
potest et pater.
[7506] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 s. c. 3 [3] Toute dignité qui convient au Fils convient
Praeterea, quidquid dignitatis convenit filio, aussi au Père. Or, pouvoir prendre chair est une
convenit et patri. Sed posse assumere carnem est dignité pour le Fils. Il faut donc que cela soit
dignitatis in filio. Ergo et patri attribuendum est. aussi attribué au Père.
[7507] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 co. Répondre. Puisque, chez les agents par libre
Respondeo dicendum, quod cum in agentibus ex volonté, la mise en œuvre de la puissance suit le
libertate voluntatis, executio potentiae sequatur commandement de la volonté et l’ordre de la
imperium voluntatis et ordinem rationis, raison, il faut se demander, lorsque quelque
considerandum est, quando potentiae divinae chose est attribué à la puissance divine, si cela
aliquid ascribitur, utrum attribuatur potentiae est attribué à la puissance considérée en elle-
secundum se consideratae; tunc enim dicitur posse même – on dit alors que cela lui est possible par
illud de potentia absoluta: vel attribuatur sibi in sa puissance absolue –, ou si cela lui est attribué
ordine ad sapientiam et praescientiam et en rapport avec sa sagesse, sa prescience et sa
voluntatem ejus: tunc enim dicitur posse illud de volonté – on dit alors que cela lui est possible
potentia ordinata. Ipsi ergo potentiae absolutae, selon sa puissance ordonnée. Il faut donc
cum infinita sit, necesse est attribuere omne id attribuer à la puissance absolue, puisqu’elle est
quod in se est aliquid, et quod in defectum infinie, tout ce qui est quelque chose en soi et qui
potentiae non vergit. Dico autem in se aliquid ne tourne pas à la carence de la puissance. Je
esse: quia conjunctio affirmationis et negationis dis : « quelque chose qui est en soi », parce que
nihil est, nec aliquem intellectum generat quod l’union de l’affirmation et la négation n’est rien,
dicitur homo et non homo simul acceptum, quasi et le fait de dire en même temps homme et non
in vi unius dictionis: et ideo potentia Dei ad hoc homme n’engendre rien qui soit compris, comme
se non extendit, ut affirmatio et negatio sint simul: par la puissance d’une seule parole. Aussi la
et eadem ratio est de omnibus quae puissance de Dieu ne va-t-elle pas jusqu’à faire
contradictionem includunt. Dico autem in que l’affirmation et la négation existent en même
defectum potentiae vergere quae passionem temps. Et on fait le même raisonnement pour
potentiae important: ex defectu enim potentiae tout ce qui comporte une contradiction. Mais je
activae ad resistendum contingit quod aliquid vel dis: « tourner à la carence de la puissance », de
corrumpatur vel dividatur, vel aliquid hujusmodi; tout ce qui comporte une passion de la puissance.
unde et mollities impotentia naturalis dicitur En effet, il vient de l’incapacité de la puissance
propter facilem divisibilitatem; et ideo non active à résister, que quelque chose soit
dicimus Deum in natura divinitatis posse pati vel corrompu ou divisé, ou quelque chose de ce
mori, vel aliquid hujusmodi; sicut non dicimus genre. Aussi le fait d’être mou est-il appelé une
eum posse esse impotentem. Huic autem potentiae impuissance naturelle en raison de la possibilité
absolute consideratae quando attribuitur aliquid de le diviser facilement. C’est pourquoi nous ne
quod vult facere et sapientia sua habet ut faciat, disons pas que Dieu peut souffrir et mourir selon
tunc dicitur posse illud secundum potentiam la nature de la divinité, ou quelque de ce genre,
ordinatam; quando autem potentia se extendit comme nous ne disons pas qu’il est impuissant.
quantum in se est ad illud quod sibi attribuitur, Mais lorsqu’est attribué à cette puissance
quamvis non habeat ejus sapientia et voluntas ut envisagée de manière absolue quelque chose
ita fiat, tunc dicitur posse illud de potentia qu’elle veut faire et que sa sagesse entend faire,
absoluta tantum. Sed in his distinguendum est: alors on dit qu’elle peut faire cela selon sa
quia in his sunt quaedam quae habent aliquid in se puissance ordonnée ; mais lorsque la puissance
divinae sapientiae et bonitati repugnans s’étend autant qu’elle le peut à ce qui lui est
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inseparabiliter conjunctum, ut peccare, mentiri, et attribué, bien que sa sagesse et sa volonté ne


hujusmodi; et etiam ista dicimus Deum non posse: soient pas disposées à le faire, alors on dit
quaedam vero sunt quae de se non habent qu’elle peut faire cela par sa seule puissance
inconvenientiam ad divinam sapientiam, sed absolue. Mais il faut ici faire une distinction, car,
solum ad ordinem aliquem suae praescientiae, parmi ces choses, il y en a qui ont en elles-
quem Deus in rebus statuit vel praevidit, mêmes quelque chose qui répugne de manière
secundum suam voluntatem, ut quod caput inséparable à la sagesse et à la bonté divines,
hominis sit inferius; et haec Deus potest facere, comme pécher, mentir et les choses de ce genre.
quia potest statuere alium ordinem in rebus Même cela, nous disons que Dieu ne le peut pas.
secundum quem sit conveniens quod nunc Mais il y en a qui n’ont pas en elles-mêmes
secundum istum ordinem qui rebus inest, quelque chose qui ne convient pas à la sagesse
inconveniens videtur. Sic ergo in his quae divinae divine, mais seulement à un certain ordre de sa
potentiae attribui possunt, est quadruplex prescience, que Dieu a établi ou prévu selon sa
distinctio sive ordo. Quaedam enim nec ipsi volonté, par exemple, que la tête de l’homme soit
potentiae absolutae attribuuntur; unde simpliciter en bas. Cela, Dieu peut le faire, parce qu’il peut
dicendum est, Deum ea non posse, sicut pati, et établir un autre ordre dans les choses, selon
contradictoria simul esse. Quaedam vero ex se lequel serait convenable ce qui, maintenant,
sapientiae et bonitati ejus repugnant; et ista non selon l’ordre qui existe dans les choses, ne
dicimus Deum posse nisi sub conditione, scilicet semble pas convenir. Ainsi donc, parmi les
si vellet; non enim inconveniens est ut in choses qui peuvent être attribuées à la puissance
conditionali vera antecedens sit impossibile. divine, il existe une distinction ou un ordre
Quaedam vero de se repugnantiam non habent, quadruple. En effet, certaines choses ne sont
sed solum ab exteriori; et talia absolute même pas attribuées à la puissance absolue ;
concedendum est Deum posse de potentia aussi faut-il dire que Dieu ne les peut pas,
absoluta; nec sunt neganda nisi sub conditione, comme être passif et le fait que des
scilicet ut dicatur: non potest, si voluntati ejus contradictoires existent en même temps. Mais
repugnat. Quaedam vero sunt quae attribuuntur certaines choses répugnent à sa sagesse et à sa
potentiae, ita quod voluntati et sapientiae ejus bonté : nous ne disons pas que Dieu ne peut pas
congruunt; et haec simpliciter dicendum est Deum ces choses quà une condition : qu’il le veuille.
posse, et nullo modo ea non posse. Dicendum est En effet, il n’est pas inapproprié que, dans une
ergo, quod patrem incarnari, non est de illis quae proposition conditionnelle, la proposition vraie
potentiae Dei absolutae non subduntur; cum qui précède soit quelque chose d’impossible.
neque contradictionem implicet, neque defectum Mais certaines choses ne répugnent pas en soi,
aliquem incarnatio in persona incarnata ponat: est mais seulement en raison de quelque chose
enim eadem dignitas patris et filii, et ratio eadem d’extérieur. Il faut concéder de manière absolue
personalitatis in utroque: nec est etiam de illis que Dieu peut de telles choses par sa puissance
quae ex se inconvenientiam habent: sed est de illis absolue, et elles ne doivent être niées qu’à
quae habent inconvenientiam propter ordinem condition de dire qu’il ne les peut pas, si cela
alium a Dei sapientia institutum. Sed filium répugne à sa volonté. Mais certaines choses sont
incarnari est in quarto ordine. Et ideo simpliciter attribuées à sa puissance, de telle sorte qu’elles
concedendum est quod pater potuit carnem conviennent à sa volonté et à sa sagesse. Il faut
assumere, et similiter spiritus sanctus, loquendo dire que Dieu les peut tout simplement et qu’il
de potentia absoluta. ne les peut pas d’aucune manière. Il faut donc
dire que le fait pour le Père de s’incarner ne fait
pas partie des choses qui ne sont pas soumises à
la puissance absolue de Dieu, puisque cela ne
comporte pas de contradiction et que
l’incarnation ne montre aucune carence chez la
personne incarnée. En effet, la dignité du Père et
du Fils est la même, et la raison de personne est
62

la même chez les deux. Cela ne fait pas non plus


partie de ces choses qui comportent en elles-
mêmes quelque chose d’inapproprié, mais cela
fait partie des choses qui comportent quelque
chose d’inapproprié en raison d’un ordre établi
par la sagesse de Dieu. Mais que le Fils s’incarne
fait partie du quatrième ordre. C’est pourquoi il
faut simplemenet concéder que le Père pouvait
prendre chair, de même que le Saint-Esprit, si
l’on parle de leur puissance absolue.
[7508] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1. Il est impossible que Dieu fasse quelque chose
primum ergo dicendum, quod hoc est impossibile, et que cela soit inapproprié. Cependant, il peut
ut aliquid faciat Deus, et hoc sit inconveniens; sed faire que ce qui est maintenant inapproprié selon
tamen potest facere ut illud quod modo est un ordre devienne approprié selon un autre
inconveniens secundum unum ordinem, ordre : ainsi, il peut prendre chair en la formant
secundum alium ordinem fiat conveniens; sicut de la manière dont il a formé le corps de
potest carnem hoc modo formando assumere, l’homme à partir de la terre. En effet, le nom de
sicut corpus viri de terra formavit: sic enim filii Fils ne conviendrait pas ainsi au Père, pas plus
nomen patri non conveniret: nec etiam si pater que, si le Père était appelé Fils, cela répugnerait
filius diceretur, esset de se repugnantiam habens, de soi, puisque cela lui serait attribué selon
cum secundum diversas naturas haec sibi diverses natures.
attribuerentur.
[7509] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 2 Ad 2. Des contraires ne peuvent se trouver dans une
secundum dicendum, quod secundum idem non même chose sous le même aspect ; mais rien
possunt opposita eidem inesse; sed secundum n’empêche qu’ils s’y trouvent sous des aspects
diversa nihil prohibet. Unde quamvis patri différents. Bien que l’impossibilité de naître
conveniat innascibilitas secundum naturam convienne au Père selon la nature divine, il
divinam, posset tamen eidem inesse nativitas pourrait cependant se trouver en lui une
secundum naturam humanam; sicut filio naissance selon la nature humaine, de même que,
secundum naturam divinam inest quod sit pater selon la nature divine, il appartient au Fils d’être
virginis cujus secundum naturam humanam est le père de Vierge, dont il est le fils selon la
filius. nature humaine.
[7510] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. L’incarnation du Fils est appelée une mission
tertium dicendum, quod incarnatio filii dicitur parce que le Fils vient d’un autre. Mais si le Père
missio, quia filius ab alio est. Si autem pater s’incarnait, son incarnation ne pourrait s’appeler
incarnaretur, ejus incarnatio missio dici non une mission. De même, la manifestation de
posset: sicut ostensio spiritus sancti in columba, l’Esprit Saint dans une colombe est-elle appelée
missio visibilis ipsius dicitur; non autem ostensio sa mission visible, mais non la manifestation du
patris in sono vocis. Père dans le son de la voix.
[7511] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 4 Ad 4. Les trois personnes n’ont pas une plus grande
quartum dicendum, quod tres personae non sunt bonté qu’une seule. C’est pourquoi l’univers ne
majoris bonitatis quam una tantum; et ideo nihil gagnerait rien à l’incarnation des trois personnes,
plus universo accresceret per incarnationem plutôt qu’à l’incarnation d’une seule. Elle aurait
omnium personarum, quam de incarnatione unius donc été superflue. C’est pourquoi, bien qu’il
tantum; unde fuisset superfluum; et ideo quamvis soit possible que le Père s’incarne, il ne faut
sit possibile patrem incarnari, non tamen est cependant pas l’espérer.
expectandum.
[7512] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 3 ad 5 Ad 5. La puissance de Dieu n’est pas plus grande du
quintum dicendum, quod potentia Dei non est point de vue de son essence que du point de vue
major quantum ad essentiam quam voluntas; de sa volonté. Cependant, sa puissance s’étend à
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tamen ad plura objecta se extendit potentia quam plus de choses que sa volonté. Si Dieu ne veut
voluntas; unde non sequitur, si aliquid Deus non pas quelque pas quelque chose, il n’en découle
vult, quod illud absoluta potentia non possit. donc pas qu’il ne le puisse pas selon sa puissance
absolue.

Articulus 4 [7513] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. Article 4 – Le Père, le Fils et le Saint-Esprit


4 tit. Utrum pater et filius et spiritus sanctus possit peuvent-ils assumer la même nature en
eamdem numero naturam assumere nombre ?
[7514] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Père et le Saint-Esprit ne
quartum sic proceditur. Videtur quod pater et puissent assumer la même nature en nombre.
spiritus sanctus non possunt unam et eamdem Premièrement, du fait que Anselme dit, dans le
numero naturam assumere. Primo per hoc quod livre Sur l’incarnation du Verbe, que « plusieurs
dicit Anselmus in Lib. de incarnatione verbi, quod personnes ne peuvent assumer un seul et même
plures personae non possunt assumere unum homme ». Or, s’ils assumaient une seule nature,
eumdemque hominem. Sed si unam naturam un seul homme serait assumé par plusieurs
assumerent, unus homo assumptus esset a personnes. La première chose est donc
pluribus personis. Ergo primum est impossibile. impossible.
[7515] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 2 2. La prise d’une nature humaine a comme terme
Item, assumptio humanae naturae terminatur ad l’union. Or, [elle] ne [se termine] pas à l’union
aliquam unionem. Non autem ad unionem in selon la nature, car il faudrait soit qu’une autre
natura: quia oporteret vel alteram tantum chose seulement reste, comme cela ressort de
remanere, sicut patet in conjunctione cibi ad l’union de la nourriture et de celui qui est nourri,
cibatum; vel etiam neutrum, ut patet in soit qu’aucune des deux [ne restent], comme cela
conjunctione elementorum. In incarnatione vero ressort de l’union d’éléments. Or, « dans
utraque natura manet, ut Damascenus dicit, et sic l’incarnation, les deux natures demeurent »,
patet quod non potest esse unio in natura. Ergo comme le dit [Jean] Damascène, et ainsi il est
oportet quod terminetur ad unionem in persona. clair qu’il ne peut y avoir d’union selon la
Non ergo possunt esse plures personae unam nature. Il ne peut donc y avoir plusieurs
naturam assumentes. personnes qui assument une seule nature.
[7516] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 3 3. Comme le dit [Jean] Damascène, « dans
Praeterea, ut Damascenus dicit, in incarnatione l’incarnation, ce qui unit et ce qui est uni se
uniens et unitum communicant sibi sua idiomata, communiquent leurs idiomes, de sorte que tout
ut quidquid dicitur de filio hominis possit dici de ce qui est dit du fils de l’homme peut être dit du
filio Dei. Ergo si eadem natura humana a tribus Fils de Dieu ». Si la même nature humaine avait
personis assumpta esset, demonstrato illo homine, été assumée par les trois personnes, en montrant
possemus eum dicere filium Dei, et quidquid de cet homme, nous pourrions dire qu’il est le Fils
filio Dei dicitur; et e converso filium Dei esse de Dieu et tout ce qui est dit du Fils de Dieu ; en
hunc hominem, et natum de virgine, et hujusmodi sens inverse, [nous pourrions dire que] le Fils de
omnia. Sed stante eadem positione, possemus Dieu est cet homme, né de la Vierge, et toutes les
dicere, quod hic homo esset pater. Ergo esse choses de ce genre. Or, en maintenant la même
patrem, et quidquid est patris, posset praedicari de position, nous pourrions dire que cet homme est
filio Dei; quod manifeste confusionem induceret le Père. Être le Père et tout ce qui appartient au
personarum. Père pourrait donc être attribué au Fils de Dieu,
ce qui entraînerait manifestement la confusion
des personnes.
[7517] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 4 4. Les trois personnes se distinguent par leurs
Praeterea, tres personae distinguuntur relations. Ce qui est attribué à une personne en
relationibus. Ergo quod attribuitur alicui personae premier lieu et par soi en raison de ce qu’elle est
primo et per se ratione ejus quod ad alterum est, pour une autre ne peut donc d’aucune manière
nullo modo tribus personis potest esse commune. être commun aux trois personnes. Or, assumer la
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Sed humanam naturam assumere convenit filio nature humaine convient au Fils selon ce qu’il
secundum id quod ad alterum est: quia primo et est pour un autre, car cela convient en premier et
per se convenit personae, naturae autem prout est par soi à la personne, mais, à la nature, en tant
in persona. Ergo assumere hanc naturam non qu’elle se trouve dans la personne. Assumer cette
potest esse commune tribus personis. nature ne peut donc être commun aux trois
personnes.
[7518] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 5 5. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 8, q. 1, a.
Praeterea, ut in 1 Lib. dictum est, dist. 8, qu. 1, 1, toute quiddité ou nature qui n’est pas son
art. 1, omnis quidditas vel natura quae non est propre être se divise selon la division des
suum esse, dividitur secundum divisionem suppôts qui subsistent en elle, car elle a l’être
suppositorum in ea subsistentium, quia esse habet selon qu’il se trouve dans le suppôt. Or, la nature
secundum quod in supposito est. Sed humana humaine est une quiddité ou une nature qui n’est
natura est quidditas vel natura quae non est suum pas son propre être : en effet, cela appartient à
esse: hoc enim solius Dei est. Ergo oportet quod Dieu seul. Il faut donc qu’elle soit divisée selon
dividatur secundum esse ad divisionem l’être d’après la division des suppôts qui
suppositorum in ea subsistentium. Sed si tres subsistent en elle. Or, si les trois assumaient la
assumerent humanam naturam, essent tria nature humaine, il y aurait trois suppôts
supposita in humana natura subsistentia. Ergo subsistant dans la nature humaine. Il y aurait
essent tres humanae naturae: non ergo una donc trois natures. Il n’y a donc pas une seule
numero humana natura a tribus personis assumi nature humaine en nombre qui puisse être
potest. assumée par les trois personnes.
[7519] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 arg. 6 6. Si les trois personnes assumaient une seule
Praeterea, si tres personae unam naturam nature humaine, soit elles seraient un seul
humanam assumerent, aut essent unus homo, aut homme, soit elles en seraient plusieurs. Or, elles
plures. Sed non plures, quia non haberent nisi ne peuvent en être plusieurs, car elles n’auraient
unam animam et unum corpus. Ergo esset unus qu’une seule âme et un seul corps. Il y aurait
homo, et posset demonstrari: iste homo est pater donc un seul homme, et on pourrait démontrer
et filius et spiritus sanctus. Sed ille homo non que cet homme est le Père, le Fils et le Saint-
potest supponere nisi personam patris vel filii vel Esprit. Or, cet homme ne peut avoir comme
spiritus sancti. Ergo persona patris esset pater et suppôt que la personne du Père, du Fils et ou du
filius et spiritus sanctus, vel persona filii, vel Saint-Esprit. La personne du Père serait donc le
persona spiritus sancti; quod est impossibile. Ergo Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou la personne du
impossibile est talem assumptionem esse. Fils et la personne du Saint-Esprit, ce qui est
impossible. Il est donc impossible qu’une telle
prise [de la nature humaine] existe.
[7520] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed Cependant, [1] il convient à la nature humaine
contra, humanae naturae convenit esse de pouvoir être assumée du fait qu’elle est à
assumptibilem secundum quod est ad imaginem l’image de Dieu. Or, une même nature humaine
Dei. Sed eadem numero humana natura est ad identique en nombre est à l’image des trois
imaginem trium personarum. Ergo humana natura personnes. Une nature humaine identique en
eadem numero a tribus assumi potest. nombre peut donc être assumée par les trois
[personnes].
[7521] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 2 [2] La distance est plus grande entre les diverses
Praeterea, major est distantia diversarum puissances de l’âme (qui sont distinctes de
potentiarum animae ad invicem (quae etiam in manière absolue) qu’entre les personnes divines,
absolutis distinguuntur) quam divinarum qui se distinguent seulement par ce qu’elles sont
personarum quae distinguuntur solum in eo quod par rapport à une autre. Or, l’âme est unie au
ad alium est. Sed anima unitur eidem membro même membre selon diverses puissances, ce qui
secundum diversas potentias: quod patet, quia ressort du fait que les organes des autres sens
organa aliorum sensuum sunt etiam organa tactus, sont aussi les organes du toucher, qui est répandu
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qui per totum corpus diffunditur. Ergo et Deus dans tout le corps. Dieu peut donc être uni à
potest uniri homini, ita quod tres personae unam l’homme, de telle sorte que les trois personnes
naturam humanam assumant. assument une seule nature humaine.
[7522] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 s. c. 3 [3] L’union avec ce qui a davantage en commun
Praeterea, eorum quae magis conveniunt, facilior est plus facile. Or, la nature humaine assumée
est unio. Sed humana natura assumpta a filio non par le Fils n’a pas moins en commun avec le
minus convenit cum patre, sed etiam magis quam Père, mais plutôt davantage qu’une autre
aliqua alia. Ergo si pater potuit assumere aliam [nature]. Si le Père pouvait assumer une autre
humanam naturam, ut dictum est qu. 1, art. 2, nature humaine, comme on l’a dit à la q. 1, a. 2,
multo magis eamdem. il pouvait à bien plus forte raison assumer la
même.
[7523] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 co. Réponse. Il est impossible que les trois
Respondeo dicendum, quod tres personas divinas personnes divines assument une seule nature
assumere unam humanam naturam in unitate humaine dans l’unité d’une seule personne, car
unius personae, est impossibile, quia cela comporte une contradiction. En effet,
contradictionem implicat. Cum enim unio Dei et puisque l’union de Dieu et de l’homme ne peut
hominis non possit fieri in natura, ut infra, distin. se réaliser selon la nature, comme on le montrera
5, probabitur, oportet quod fiat in persona, ut plus loin, d. 5, il est nécessaire qu’elle se réalise
scilicet sit eadem personalitas assumentis et selon la personne, de sorte que la personnalité de
assumpti; unde ponere unam personam ex parte celui qui assume et de celui qui est assumé soit la
assumpti et tres ex parte assumentis est même. Aussi affirmer une seule personne du
incompossibile. Et non potest etiam similiter esse point de vue de celui qui est assumé et trois
una unitate unius hypostasis vel suppositi, ad [personnes] du point de vue de celui qui assume
minus quantum ad secundam opinionem, quae est-il impossible. Elle ne peut non plus être
ponitur infra dist. 6, quae ponit unionem non unique selon l’unité d’une seule hypostase ou
tantum in persona, sed etiam in supposito et suppôt, du moins, selon la seconde opinion,
hypostasi. Sed quod natura assumpta a tribus présentée plus loin, d. 6, qui affirme que l’union
personis sit una unitate singularis naturae, non est ne se réalise pas seulement selon la personne,
impossibile, loquendo de potentia absoluta; mais aussi selon le suppôt et l’hypostase. Mais il
quamvis non sit congruum secundum ordinem n’est pas impossible que la nature assumée par
divinae sapientiae; cum unius personae incarnatio les trois personnes soit une selon l’unité d’une
ad reparationem mille mundorum sufficiat. Dico seule nature, si l’on parle de puissance absolue,
autem unitatem singularis naturae, si assumeretur bien que cela ne soit pas approprié selon l’ordre
unum corpus et una anima sibi unita, ex quorum de la sagesse divine, puisque l’incarnation d’une
unione una humanitas resultaret, ut sic tres seule personne suffit à la restauration de mille
personae in una natura assumpta convenirent sicut mondes. Or, je parle de l’unité d’une seule
conveniunt in natura aeterna. Quidam vero e nature, si étaient assumés un seul corps et une
converso contrariam opinionem tenent; et seule âme qui lui est unie, dont résulterait une
secundum utramque potest ad objecta responderi. seule humanité par leur union, de sorte que les
trois personnes se trouveraient dans une seule
nature assumée, comme elles se trouvent dans
[leur] nature éternelle. Mais, en sens inverse,
certains soutiennent l’opinion contraire. Et l’on
peut répondre aux objections selon les deux
[opinions].
[7524] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 1 Ad 1. Anselme parle ici d’un seul homme pour une
primum ergo dicendum, quod Anselmus ibi seule personne humaine. En effet, cela est
accipit unum hominem, unam personam impossible par rapport à l’affirmation que les
humanam: hoc enim est incompossibile ei quod trois personnes assument.
ponitur tres personas assumentes esse.
66

[7525] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 2 Ad 2. Cette prise [de la nature humaine] aurait
secundum dicendum, quod assumptio illa comme terme quelque chose d’unique dans la
terminaretur ad aliquid unum in persona, non ita personne, non pas qu’elle serait unie seulement à
quod uni tantum personae uniretur, sed quia a une seule personne, mais parce qu’elle serait
qualibet trium personarum assumeretur in assumée dans l’unité de la personne par chacune
unitatem personae, ut non esset alia persona des trois personnes, de sorte qu’il n’y aurait pas
hominis assumpti a tribus personis patris et filii et une autre personne de l’homme, assumé comme
spiritus sancti, quasi homo per se, inquantum homme par soi, par les trois personnes du Père,
homo, sit persona; esset tamen alia persona patris, du Fils et du Saint-Esprit, en tant que l’homme
alia filii, alia spiritus sancti humanitatem eamdem est une personne. Cependant, ce serait une autre
assumentium. personne du Père, une autre du Fils et une autre
du Saint-Esprit qui assument la même humanité.
[7526] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 3 Ad 3. La communication des idiomes s’entend par
tertium dicendum, quod communicatio idiomatum rapport à une autre nature. Aussi, si on adoptait
intelligitur respectu alterius naturae; unde cette position, cet homme ne communiquerait
praedicta positione facta, hic homo non pas au Fils les idomes du Père, mais seulement
communicaret filio idiomata patris, sed solum les idiomes de la nature humaine.
idiomata humanae naturae.
[7527] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 4 Ad 4. Comme on l’a dit plus haut dans le livre I, il
quartum dicendum, quod, sicut supra in primo existe dans la divinité quelque chose de commun
libro dictum est, in divinis duplex est sous deux aspects : selon la réalité et selon la
communitas, rei et rationis. Communitate rei nihil raison. Il ne s’y trouve quelque chose de
est ibi commune nisi absolutum; sed communitate commun selon la réalité que ce qui est absolu.
rationis est ibi commune hoc nomen persona, vel Mais il s’y trouve quelque chose de commun
relatio: et ita per hunc modum communitatis selon la raison : les mots de « personne » ou de
potest communiter convenire patri et filio et « relation ». Et ainsi, selon cette manière d’être
spiritui sancto ut unusquisque eorum trahat en commun, il peut convenir au Père, au Fils et à
humanam naturam eamdem numero in unitatem l’Esprit Saint que chacun d’eux attire la même
personae suae. nature humaine dans l’unité de sa personne.
[7528] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 5 Ad 5. Les trois personnes ne se distinguent pas selon
quintum dicendum, quod tres personae non l’être ; bien plus, elles n’ont qu’un seul être, une
distinguuntur secundum esse; immo earum est seule vie et une seule intelligence, puisque l’être
unum esse, vivere et intelligere, cum esse non nisi ne relève que de l’essence. C’est pourquoi il ne
ad essentiam pertineat; et ideo non oporteret quod serait pas nécessaire que la nature humaine
natura humana a tribus personis assumpta assumée par les trois personnes soit multipliée
secundum esse multiplicaretur, sicut multiplicatur selon l’être, comme elle est multipliée dans trois
in tribus personis humanis, quarum non est unum personnes humaines, dont il n’y a pas un seul
esse. être.
[7529] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad 6 Ad 6. Puisque les termes substantifs tirent leur sens
sextum dicendum, quod cum termini substantivi ou leur sens multiple de l’unité ou de la pluralité
significentur vel consignificentur pluraliter ex de la forme désignée, les trois seraient appelés
unitate seu pluralitate formae signatae, dicerentur un seul homme, s’ils assumaient une seule nature
tres unus homo, si unam humanam naturam humaine, de même qu’on ne parle que d’un seul
assumpsissent, sicut propter unam naturam Dieu en raison de la nature divine. Et de même
divinam dicuntur unus Deus: et sicut dicitur tota qu’on dit que toute la Trinité est un seul vrai
Trinitas unus solus verus Deus, secundum Dieu, selon Augustin et Ba 3, 36 : Voici Dieu, et
Augustinum, et Baruch 3, 36: hic est Deus, et non on ne pensera pas qu’il en existe un autre que
aestimabitur alius ab illo; ita posset dici: iste lui, de même on pourrait dire : « Ce seul homme
solus homo, est pater et filius et spiritus sanctus; est le Père, le Fils et l’Esprit Saint. » Ce mot
et tunc iste terminus homo supponeret rem « homme » serait alors le suppôt réel de la nature
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humanae naturae sine distinctione trium humaine, sans distinction entre les trois
personarum, sicut iste terminus Deus supponit in personnes, comme le mot « Dieu » est, dans les
praedictis locutionibus rem naturae divinae expressions mentionnées, le suppôt de la réalité
indistincte; et haec est suppositio sua naturalis, et de la nature divine de manière indistincte. Tel est
quasi termini communis respectu trium le sens naturel et pour ainsi dire commun du mot
personarum; suppositio autem qua supponit pro par rapport aux trois personnes. Mais le sens
patre vel filio, est sibi accidentalis, et quasi selon lequel il signifie le Père ou le Fils lui est
termini discreti. accidentel et pour ainsi dire celui d’un mot
distinct.
[7530] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 4 ad s. c. Ad [1-3] Aux objections en sens contraire, on peut
ea quae in oppositum objiciuntur, secundum alios répondre, selon d’autres, que, de l’unité de
potest responderi, quod ad unitatem naturae nature, découlerait d’une certaine manière l’unité
sequeretur aliquo modo unitas suppositi de suppôt selon eux. Et cela ne peut pas être le
secundum eos; et hoc esse non potest, ut dictum cas, comme on l’a dit dans le corps de cet article.
est, in corpore hujus articuli.

Articulus 5 [7531] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. Article 5 – Une seule personne peut-elle
5 tit. Utrum una persona possit assumere duas assumer deux natures humaines ?
humanas naturas
[7532] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad
1. Il semble qu’une seule personne ne puisse
quintum sic proceditur. Videtur quod una persona assumer deux natures humaines. En effet, une
non possit duas humanas naturas assumere. nature commune n’est multipliée que par la
Natura enim communis non multiplicatur nisi pluralité des suppôts. Or, pour une seule
secundum pluralitatem suppositorum. Sed una personne, il n’existe qu’un seul suppôt, comme
persona est tantum unum suppositum, ut infra, cela ressortira plus loin, d. 6, q. 1, a. 1. Il ne peut
dist. 6, quaest. 1, art. 1, patebit. Ergo non potest in
donc y avoir une double nature de la même
una persona esse duplex natura ejusdem speciei. espèce dans une seule personne.
[7533] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 2 2. Si le Fils de Dieu assumait plusieurs natures
Item, si filius Dei assumeret plures humanas humaines, il serait appelé Jésus, selon une
naturas, vocaretur secundum unam naturam Jesus, nature, et selon l’autre, Pierre. La conséquence
et secundum aliam Petrus; inde sic. Supposito serait la suivante : en supposant le Fils de Dieu,
filio Dei, supponitur Jesus: et eadem ratione, on suppose Jésus ; pour la même raison, en
supposito filio Dei, supponitur Petrus. Ergo supposant le Fils de Dieu, on suppose Pierre.
supposito Jesu, supponitur Petrus: ergo haec est Donc, en supposant Jésus, on suppose Pierre, et
vera: Jesus est Petrus. Sed impossibile est quod cette proposition est vraie : « Jésus est Pierre. »
duorum hominum unus de alio praedicetur. Ergo Or, il est impossible que l’un soit prédiqué de
Jesus et Petrus non sunt duo homines. Sed l’autre pour deux hommes. Jésus et Pierre ne
impossibile est duas humanas naturas numero sont donc pas deux hommes. Or, il est
differentes esse nisi per hoc quod sunt in duobus impossible que deux natures humaines
hominibus. Ergo in Jesu et Petro non erunt duae différentes en nombre existent, si ce n’est parce
humanae naturae, sed una tantum: ergo ad hanc qu’elles existent dans deux hommes. En Jésus et
positionem quod filius Dei duas humanas naturas en Pierre, il n’y aurait donc pas deux natures
assumpserit, sequitur suum contrarium, scilicet humaines, mais une seule seulement. Son
quod sit una tantum natura humana assumpta: contraire découle donc de cette position que le
ergo positio illa est impossibilis. Fils de Dieu aurait assumé deux natures
humaines : il n’y aurait qu’une seule nature
humaine assumée. Cette position est donc
impossible.
[7534] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 3 3. Il existe une plus grande distance entre la
Praeterea, plus distat natura humana a divina nature humaine et la nature divine qu’entre une
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quam una humana natura ab alia. Sed quamvis nature humaine et une autre. Or, bien que le Fils
Dei filius subsistat in duabus naturis, divina de Dieu subsiste dans deux natures, la nature
scilicet et humana, non tamen duo, sed unus, et divine et la nature humaine, il n’est cependant
unum est. Ergo etsi subsisteret in duabus naturis pas deux, mais un seul, et il est une seule réalité.
humanis assumptis, non tamen duo homines dici Même s’il subsistait en deux natures humaines
posset; ergo nec essent duae humanae naturae; et assumées, il ne pourrait donc pas être appelé
sic idem quod prius. deux hommes. Il ne serait donc pas non deux
natures humaines. La conclusion est ainsi la
même que précédemment.
[7535] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 4 4. Si le Fils de Dieu avait assumé deux natures,
Praeterea, si filius Dei duas humanas naturas selon l’une des deux, il serait appelé Pierre, et
assumpsisset, secundum quarum unam diceretur selon l’autre, Jésus. Il faudrait que les mots « je
Petrus, et secundum aliam Jesus; oporteret quod suis », « tu es », « il est » soient prédiqués au
de Jesu et Petro hoc verbum sum, es, est, singulier de Jésus et de Pierre, car les deux ne
singulariter praedicaretur: quia utrumque esset seraient qu’un seul suppôt. Or, il est prédiqué du
unum suppositum. Sed de patre et filio praedicatur Père et du Fils au pluriel, comme cela ressort de
pluraliter, ut patet Joan. 10, 30: ego et pater unum Jn 10, 30 : Moi et le Père, nous sommes un. Il
sumus. Ergo major est unitas aliqua quam unitas existe donc une unité plus grande que l’unité des
trium personarum: quod est impossibile: ergo et trois personnes, ce qui est impossible. La
positio praedicta. position précédente [s’impose] donc.
[7536] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 arg. 5 5. On refuse cette proposition : « Le Fils de Dieu
Praeterea, negatur haec propositio: filius Dei a assumé un homme », pour qu’il ne semble pas
assumpsit hominem, ne videatur personam avoir assumé une personne. Or, de même que le
assumpsisse. Sed sicut filius Dei non assumpsit Fils de Dieu n’a pas assumé une personne, de
personam, ita filius Dei non est duae personae. même le Fils de Dieu n’est-il pas deux
Ergo nullo modo potest dici, quod filius Dei sit personnes. On ne peut donc dire d’aucune
duo homines. Hoc autem sequitur si duas manière que le Fils de Dieu est deux hommes.
humanas naturas assumpsit. Ergo est impossibile. Or, telle serait la conséquence s’il assumait deux
natures humaines. Cela est donc impossible.
[7537] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed Cependant, [1] tout ce que peut le Père, le Fils
contra, quidquid potest pater, potest filius. Sed le peut. Or, le Père peut assumer une autre nature
pater potest aliam humanam naturam assumere ab humaine que celle que le Fils a assumée. Le Fils
ea quam filius assumpsit. Ergo et filius potest peut donc assumer une autre nature humaine que
aliam assumere ab ea quam assumpsit. Ergo una celle qu’il a assumée. Une seule personne peut
persona potest plures assumere naturas. donc assumer plusieurs natures.
[7538] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 2 [2] L’union par laquelle le Fils de Dieu a
Praeterea, majoris bonitatis et dignitatis ostensiva assumé une nature humaine dans l’unité de sa
est unio qua filius Dei humanam naturam in personne manifeste davantage sa bonté et sa
unitatem personae assumpsit, quam illa qua dignité, que celle par laquelle il s’unit l’esprit de
mentem hominis per gratiam sibi unit. Sed haec l’homme par la grâce. Or, cette seconde union
secunda unio quae est per gratiam, non est filii ad par la grâce n’en est pas une avec un seul
unum tantum, sed ad multos, quia sapientia in seulement, mais avec plusieurs, car la sagesse
animas sanctas se transfert; Sap. 7. Cum ergo vient dans les âmes saintes, Sg 7. Puisque le bien
bonum sit diffusivum et communicativum, videtur se diffuse et se communique, il semble donc que
quod illa unio quae est in unitate personae, possit cette union dans l’unité de la personne puisse
esse in persona filii ad multas humanas naturas. exister dans la personne du Fils par rapport à
plusieurs natures humaines.
[7539] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 s. c. 3 [3] La puissance du Fils n’a été en rien diminuée
Praeterea, potentia filii per incarnationem in nullo par l’incarnation. Or, avant l’incarnation, le Fils
minorata est. Sed filius ante incarnationem poterat pouvait assumer une autre nature humaine que
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humanam naturam aliam ab ea quam assumpsit, celle qu’il a assumée. Il le peut donc maintenant.
assumere. Ergo et nunc potest: et sic idem quod La conclusion est ainsi la même que
prius. précédemment.
[7540] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 co. Réponse. Il est concédé par presque tous qu’une
Respondeo dicendum, quod hoc fere ab omnibus seule personne divine peut assumer plusieurs
conceditur, quod una persona divina potest plures natures humaines, et avec raison. En effet, il
humanas naturas assumere; et rationabiliter. Non n’est pas contraire à la raison d’une personne
est enim contra rationem divinae personae quod divine qu’elle subsiste dans plusieurs natures,
ipsa in pluribus naturis subsistat; alias non autrement l’union de la nature divine et de la
potuisset fieri unio divinae et humanae naturae in nature humaine n’aurait pu être réalisée dans la
una persona filii. Si autem esset contra rationem seule personne du Fils. Or, s’il était contraire à la
personae ut in pluribus quam in duabus naturis raison de personne qu’elle subsiste dans un plus
subsisteret, hoc non posset contingere nisi ita grand nombre de natures que deux, cela ne
quod tota facultas unius personae quae in pluribus pourrait se produire que si toute la capacité d’une
naturis subsisteret, per naturam secundam seule personne qui subsisterait dans plusieurs
advenientem terminaretur, et quodammodo natures était limitée par la deuxième nature qui
impleretur; quod est impossibile: quia natura survient et, d’une certaine manière, saturée, ce
assumpta adveniens nullo modo commensurabilis qui est impossible, car la nature assumée qui
est virtuti divinae personae, cum distet ab ea sicut survient n’a d’aucune manière la même mesure
finitum ab infinito. Unde sicut Deus potest semper que la puissance de la personne divine, puisqu’il
novas creaturas condere quia ejus potentia per existe entre elles la distance entre le fini et
creaturas non exhauritur; ita etiam filius potest, l’infini. De même donc que Dieu peut toujours
qualibet natura assumpta, iterum aliam assumere: crééer de nouvelles créatures, parce que sa
quia potestas assumendi per naturam assumptam puissance n’est pas épuisée par les créatures, de
non terminatur. même aussi le Fils peut-il, après avoir assumé
n’importe quelle nature, en assumer encore une
autre, car la pouvoir d’assumer n’est pas limité
par la nature assumée.
[7541] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 1 Ad 1. La nature tient de la même chose d’être
primum ergo dicendum, quod natura ab eodem individuée et d’être divisée. Puisque le principe
habet ut individuetur et dividatur: unde cum d’individuation est la matière envisagée, d’une
principium individuationis sit materia aliquo certaine manière, sous ses dimensions limitées,
modo sub dimensionibus terminatis considerata, la nature humaine est donc divisée et multiplieé
ex ejusdem divisione humana natura dividitur et par sa division. Aussi, s’il avait assumé deux
multiplicatur. Unde si assumpsisset duo corpora et corps et deux âmes, aurait-il assumé deux
duas animas, duas humanas naturas assumpsisset; natures humaines. Il n’en découlerait cependant
non tamen sequeretur quod essent duo supposita, pas qu’il y aurait deux suppôts ou deux
vel duae hypostases: non enim materia quolibet hypostases. En effet, la matière divisée de
modo divisa constituit diversitatem suppositorum, quelque manière que ce soit ne constitue pas la
sed solum quando utrobique invenitur esse diversité des suppôts, mais seulement lorsque se
discretum, et subsistens per se: unde non potest trouve dans les deux un être distinct et subsistant
dici, quod duae manus sunt duae hypostases; sed par lui-même. On ne peut donc dire que deux
conveniunt in eadem hypostasi hominis. Ita etiam mains sont deux hypostases, mais elles se
et duae humanae naturae, quia non haberent esse trouvent dans la même hypostase de l’homme.
discretum, sed unitum in una persona filii Dei, De même aussi, les deux natures humaines,
non esset naturarum illarum divisio secundum duo parce qu’elles n’auraient pas un être distinct,
supposita, sed solum per divisionem materiae. mais uni dans la seule personne du Fils de Dieu :
il n’y aurait pas de division de ces natures selon
deux suppôts, mais seulement selon la division
de la matière.
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[7542] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 2 Ad 2. En maintenant la position rappelée, Pierre et


secundum dicendum, quod stante praedicta Jésus ne sont pas deux suppôts, mais un seul, et
positione, Petrus et Jesus non sunt duo supposita, cette proposition est vraie : « Pierre est Jésus ».
sed unum; et haec est vera: Petrus est Jesus; et Cependant, Pierre et Jésus ne sont pas un seul
tamen Petrus et Jesus non sunt unus homo, sed homme, mais deux hommes. En effet, le
duo homines: singularitas enim et pluralitas singulier et le pluriel d’un terme substantif se
termini substantivi attenditur secundum unitatem prennent de l’unité ou de la pluralité de la nature
vel pluralitatem naturae signatae per terminum, et signifiée par le terme, et non selon l’unité ou la
non secundum unitatem vel pluralitatem pluralité des suppôts, car bien que le Père, le Fils
suppositorum: quamvis enim pater et filius et et le Saint-Esprit soient trois suppôts, ils sont
spiritus sanctus sint tria supposita, tamen propter cependant appelés un seul Dieu en raison de
unitatem divinae naturae, quam significat hoc l’unité de la nature divine que signifie ce nom de
nomen Deus, dicuntur unus Deus. Ita e contrario, Dieu. De même, en sens contraire, bien que
quamvis Jesus et Petrus essent unum suppositum, Jésus et Pierre soient un seul suppôt, on parlerait
tamen propter pluralitatem naturarum cependant de deux hommes en raison de la
assumptarum dicerentur duo homines; sed pluralité des natures assumées ; mais la diversité
diversitas naturarum, manente unitate suppositi, des natures, alors que demeure l’unité de suppôt,
non impediret quin de se invicem praedicarentur: n’empêcherait pas qu’ils soient prédiqués l’un de
quia identitas suppositi sufficeret ad veritatem l’autre, car l’identité de suppôt suffirait à la
praedicationis. vérité de l’attribution.
[7543] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 3 Ad 3. La nature humaine assumée a sous un aspect
tertium dicendum quod humana natura assumpta la raison d’accident, bien que, à parler
habet quantum ad aliquid rationem accidentis: simplement, l’union ne soit pas accidentelle,
quamvis, simpliciter loquendo, unio non sit comme cela ressortira plus loin, d. 6, q. 3, a. 2.
accidentalis, ut infra, dist. 6, quaest. 3, art. 2, C’est pourquoi, parce qu’il a assumé cette
patebit: et ideo propter assumptionem illius nature, le Fils de Dieu ne peut pas être dit deux,
naturae, Dei filius non potest dici duo, sicut nec comme Socrate non plus ne peut pas être dit
Socrates potest dici duo propter humanitatem et deux en raison de l’humanité et de la blancheur.
albedinem. Sed si filius Dei assumeret duas Mais si le Fils de Dieu assumait deux natures
humanas naturas, quamvis utraque illarum haberet humaines, bien que les deux auraient la raison
rationem accidentis in comparatione ad naturam d’accident si on les comparait à la nature divine,
divinam, tamen neutra haberet rationem accidentis aucune d’elles n’aurait cependant la raison
in comparatione ad alteram; et ita plures homines, d’accident si on la comparait à l’autre. Ainsi,
et non unus homo diceretur; sicut albus et musicus elles seraient appelées plusieurs hommes, et non
magis possunt dici duo, quam homo et albus. un seul homme, comme le blanc et le musicien
peuvent être davantage appelés deux, que
l’homme et le blanc.
[7544] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 4 Ad 4. De même que, pour les personnes divines, tout
quartum dicendum, quod sicut est in divinis ce qui se rapporte à l’essence leur est attribué au
personis quod propter unitatem essentiae et singulier, en raison de l’unité d’essence et de la
pluralitatem personarum, quidquid ibi praedicatur pluralité des personnes, comme lorsqu’on dit que
ad essentiam pertinens, praedicatur singulariter, ut le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais que ce
cum dicitur, pater et filius sunt unus Deus; quod qui se rapporte à la personne est attribué au
vero ad personam pertinet, pluraliter praedicatur, pluriel, comme le Père et le Fils sont des
ut pater et filius sunt personae: ita e contrario personnes ; de même, en sens contraire, en
esset hic: quia quidquid ad naturam pertinet, serait-il ici, car tout ce qui se rapporte à la nature
praedicaretur pluraliter; quod vero ad personam, serait attribué au pluriel, mais ce qui se rapporte
singulariter. Et quamvis summa sit unitas trium à la personne serait attribué au singulier. Et bien
personarum propter essentiae simplicitatem, non que l’unité des trois personnes soit la plus grande
est tamen inconveniens ut pater et filius ad en raison de la simplicité de leur essence, il n’est
71

invicem non habeant aliquam unitatem quae in cependant pas inapproprié que le Père et le Fils
creatura aliqua invenitur, scilicet personalem, cum n’aient pas une certaine unité qui se trouve chez
sint vere particulariter distincti. Tamen sciendum, une créature, à savoir, [l’unité] personnelle,
quod hoc verbum sum, es, est, non solum puisqu’ils sont en vérité distincts d’une manière
pluraliter praedicatur propter pluralitatem particulière. Il faut cependant savoir que ces
suppositorum realiter distinctorum, sed etiam paroles : « Je suis », « tu es », « il est » ne sont
propter pluralitatem suppositorum locutionis. pas seulement prédiquées au pluriel en raison de
Dicimus enim in divinis, quod persona et essentia la pluralité des suppôts réellement distincts, mais
sunt sic vel sic, quamvis persona et essentia ibi aussi en raison de la pluralité des suppôts dans
nullo modo realiter differant. Multo ergo magis l’expression. Nous disons en effet, pour les
praedicaretur hoc verbum sum, es, est, de Jesu et réalités divines, que la personne et l’essence sont
Petro pluraliter, cum differrent secundum rem telle ou telle chose, bien la personne et l’essence
propter diversitatem naturarum; quamvis non sint n’y diffèrent réellement d’aucune manière. À
diversa supposita. bien plus forte raison, ces mots : « Je suis », « tu
es », « il est » seraient-ils prédiqué de Jésus et de
Pierre au pluriel, puisqu’ils diffèrent réellement
selon la diversité des natures, bien qu’il n’y ait
pas des suppôts différents.
[7545] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. 2 a. 5 ad 5 Ad 5. Dans ce qui est prédiqué, le terme est pris
quintum dicendum, quod terminus in praedicato formellement, ce qui n’est pas nécessaire pour le
positus tenetur formaliter, quod non est terme auquel se termine l’acte d’un verbe. Aussi,
necessarium de termino ad quem terminatur actus lorsqu’on dit : « Le Fils de Dieu est deux
alicujus verbi; et ideo cum dicitur, Dei filius est hommes », cela comporte la pluralité des formes
duo homines, importatur pluralitas formarum seu ou des natures ; mais lorsqu’on dit : « Le Fils de
naturarum; cum autem dicitur, filius Dei Dieu a assumé un homme », le mot « homme »
assumpsit hominem, ly hominem non tenetur n’est pas pris formellement. Aussi vise-t-il plutôt
formaliter: unde magis stat pro supposito hominis le suppôt de l’homme que la nature du suppôt.
quam pro natura suppositi; et ideo non est simile. Ce n’est donc pas la même chose.

Expositio textus [7546] Super Sent., lib. 3 d. 1 q. Explication du texte de Pierre Lombard –
2 a. 5 expos. Plenitudo temporis. Sciendum, quod Dist. 1
tempus incarnationis dicitur tempus plenitudinis
multis de causis. Primo propter perfectionem
universi, quia tunc ad maximam completionem
universum venit quando omnes creaturae in
homine ad suum principium redierunt, humana
natura a Deo assumpta; sicut ponitur Ephes. 1, 10:
in dispensatione plenitudinis. Secundo propter
abundantiam gratiae quae tunc propalata est: Joan.
1, 16: de plenitudine ejus omnes accepimus.
Tertio propter adimpletionem legis: Matth. 5, 17:
non veni solvere legem, sed adimplere. Quarto
propter magnitudinem ejus quod in illo tempore
accidit: quia in illo tempore natus est dominus
temporis, et ita factum est aliquid majus tempore,
quod tempus implevit. Quinto, quia tempore illo
impletum est quod Deus ab aeterno praevidit, et
quod ante per suos prophetas praedixerat; Roman.
1. Factum de muliere. Contra. In symbolo dicitur:
genitum, non factum. Praeterea, mulier
72

corruptionem importat. Sed Christus de


incorruptissima virgine natus est. Ergo
inconvenienter dicitur: factum de muliere. Sed
dicendum ad primum, quod filius Dei secundum
divinam naturam nullo modo factus est, sed
genitus: sed secundum humanam naturam quam
assumpsit, creatura quaedam est. Non tamen
Christus potest dici proprie factus simpliciter
loquendo: sed dicitur filius Dei factus homo. Ad
secundum dicendum, quod mulier ponitur hic ad
designationem sexus, et non ad designandum
corruptionem; sicut costa assumpta de Adam
dicitur formata in mulierem, quamvis Eva tunc
virgo sit facta. Factum sub lege. Sed contra. 1
Tim. 1, 9: justo lex non est posita. Sed Christus
fuit justissimus. Ergo non est factus sub lege. Sed
dicendum, quod aliquid dicitur esse sub lege
tripliciter. Vel quantum ad motivum: et hoc modo
sunt sub lege quasi compressi et coacti illi qui
timore poenae quam lex infligit, praecepta legis
custodiunt: et hoc modo justus non est sub lege,
quia amore justitiae operatur, etiam si nulla sit
lex, ut dicitur Rom. 2. Alio modo dicitur quis sub
lege esse quantum ad causam: et sic omnes in
peccato nati sub lege sunt: quia propter peccatum
tollendum sacramenta legis instituta sunt. Alio
modo dicitur aliquis esse sub lege quantum ad
observationem legis; et hoc modo Christus factus
est sub lege: quia sacramenta et praecepta legis
implevit, non necessitate, sicut alii, sed sola
voluntate. Ut eos qui sub lege erant redimeret.
Contra, 1 Tim. 12, 4: qui vult omnes homines
salvos fieri: et ita non solum ad redimendum
Judaeos, qui erant sub lege, sed etiam ad
redimendum alios venit. Sed dicendum, quod
quamvis venerit ad redemptionem totius humani
generis, tamen quodam speciali modo operatus est
ad redemptionem filiorum Israel, quia eis
personaliter praedicavit; unde Matth. 15, 24: non
sum missus nisi ad oves quae perierunt domus
Israel: et per eos verbum vitae diffusum est inter
gentes; Isa. 27: qui egredientur impetu a Jacob, et
implebunt faciem orbis semine. Haec est mulier
evangelica, de qua Luc. 15. Sciendum, quod
divina sapientia mulier dicitur, non propter
fragilitatem, sed propter fecunditatem: Eccli. 24: a
generationibus meis adimplemini. Nec eamdem
Trinitatem in specie columbae descendisse super
Jesum. Sed contra. In illa columba nihil fuit quod
non toti Trinitati esset commune; cum non sit
73

assumpta in unitatem alicujus personae, quia eam


communi operatione tota Trinitas fecit; et in ea
tota Trinitas fuit, sicut in ceteris creaturis per
essentiam, praesentiam, et potentiam; et ita
videtur quod ad totam Trinitatem pertineat. Sed
dicendum, quod illa columba potest considerari
dupliciter. Vel inquantum est res quaedam, sive
fuerit animal, sive fuerit tantum similitudinem
animalis habens; et sic ad totam Trinitatem
pertinet, ut communis effectus; vel secundum
quod est signum; et hoc modo tantum ad spiritum
sanctum pertinet, cujus invisibilis missio per
adventum columbae designatur et de hac missione
visibili: et aliis dictum est in 1 Lib., dist. 16.

Distinctio 2 Distinction 2 – [L’incarnation, du point de


vue de ce qui est assumé]

Quaestio 1 Question 1 – [La nature humaine est-elle plus


susceptible d’assumée que les autres ?]
Prooemium Prologue
[7547] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de l’incarnation du point
determinavit de incarnatione ex parte assumentis, de vue de celui qui assume, [l’auteur] en
in ista parte determinat ex parte naturae détermine dans cette partie du point de vue de la
assumptae; et dividitur in tres partes: in prima nature assumée. Il y a trois parties : dans la
ostendit quid sit assumptum; in secunda quale première, il montre ce qui est assumé ; dans la
fuerit illud assumptum, dist. 3: quaeritur etiam de deuxième, la qualité de ce qui devait être
carne verbi, an priusquam conciperetur, obligata assumé, d. 3 : « On s’interroge à propos de la
fuerit peccato; in tertia ostendit quo agente id chair du Verbe, si, avant qu’elle soit conçue, elle
quod assumptum est, formatum sit, dist. 4: cum était liée par le péché » ; dans la troisième, il
vero incarnatio verbi operatio vere sit patris et montre par quel agent ce qui a été assumé a été
filii et spiritus sancti, investigatione dignum nobis formé, d. 4 : « Puisque, à la vérité, l’incarnation
videtur, quare in Scriptura spiritui sancto hoc du Verbe est véritablement l’opération du Père,
opus saepius tribuatur. Prima dividitur in duas du Fils et du Saint-Esprit, il nous semble digne
partes: in prima ostendit quid sit assumptum, quia de chercher pourquoi, dans l’Écriture, cette
humana natura integra, ex partibus suis, scilicet œuvre est attribuée le plus souvent à l’Esprit
corpore et anima constans; in secunda determinat Saint. » La première [partie] est divisée en deux
ordinem assumptionis, ibi: assumpsit ergo Dei parties : dans la première, il montre ce qui a été
filius carnem et animam. Prima dividitur in duas assumé, car il s’agit de la nature humaine dans
partes: in prima ostendit naturam humanam son entier, constituée de ses parties, à savoir, un
integram assumptam esse ratione suarum partium; corps et une âme ; dans la seconde, il détermine
in secunda, ratione naturalium proprietatum, ibi: de l’ordre selon lequel elle a été assumée, à cet
totam igitur hominis naturam (...) assumpsit Deus. endroit : « Le Fils de Dieu a donc assumé la
Circa primum tria facit: primo ostendit omnes chair et l’âme. » La première [partie] est divisée
partes humanae naturae assumptas esse per hoc en deux parties : dans la première, il montre que
quod humana natura assumpta est; secundo la nature humaine dans son entier a été assumée
ostendit quod per humanam naturam significentur en raison de ses parties ; dans la seconde, en
omnes partes ejus, scilicet anima et corpus, ibi: raison de ses propriétés naturelles, à cet endroit :
quod autem humanae naturae sive humanitatis « Dieu a donc assumé… la nature humaine dans
vocabulo anima et caro intelligi debeant, aperte son entier. » À propos du premier point, il fait
74

docet Hieronymus; tertio excludit quorumdam trois choses. Premièrement, il montre que toutes
errorem, ibi: errant igitur qui nomine humanitatis les parties de la nature humaine ont été assumées
non substantiam sed proprietatem quamdam a du fait que la nature humaine a été assumée.
qua homo nominatur significari contendunt. Deuxièmement, il montre que, par la nature
Assumpsit ergo Dei filius carnem et animam. Hic humaine, toutes ses parties, à savoir, l’âme et le
ostendit quomodo partes humanae naturae corps, sont signifiées, à cet endroit : « Jérôme
assumptae sunt; et dividitur in duas partes: in enseigne ouvertement que, par l’expression
prima inquirit ordinem naturae; in secunda nature humaine ou humanité, il faut entendre
inquirit ordinem temporis, ibi: si autem quaeritur l’âme et la chair. » Troisièmement, il écarte
utrum verbum carnem simul et animam l’erreur de certains, à cet endroit : « Ceux-là
assumpserit et cetera. Circa primum tria facit: donc se trompent qui, par le mot humanité,
primo ostendit ordinem naturae, ostendens carnem soutiennent que ce n’est pas la substance qui est
esse assumptam mediante anima; secundo signifiée, mais une propriété par laquelle
ostendit modum illius unionis esse l’homme est désigné. » « Le Fils de Dieu a
inexplicabilem, ibi: illa autem unio inexplicabilis assumé la chair et l’âme. » Ici, il montre
est adeo ut etiam Joannes ab utero sanctificatus comment les parties de la nature humaine ont été
se non esse dignum fateatur solvere corrigiam assumées, et cela se divise en deux parties : dans
calceamenti Jesu; tertio excludit quorumdam la première, il s’interroge sur l’ordre de nature ;
errorem, ibi: non sunt ergo audiendi qui non dans la seconde, il s’interroge sur l’ordre dans le
verum hominem filium Dei suscepisse dicunt. Hic temps, à cet endroit : « Mais si on se demande si
est duplex quaestio: prima de ipso assumpto; le Verbe a assumé la chair en même temps que
secunda de ordine assumptionis. Circa primum l’âme, etc. » À propos du premier point, il fait
quaeruntur tria: 1 utrum natura humana prae aliis trois choses. Premièrement, il montre l’ordre de
sit assumptibilis; 2 in quo assumi debuit; 3 quid in nature, en montrant que la chair a été assumée
humana natura assumi debuit. par l’intermédiaire de l’âme. Deuxièmement, il
montre que le mode de cette union est
inexplicable, à cet endroit : « Mais cette union
est inexplicable, au point où Jean lui-même,
sanctifié dès le sein, affirme qu’il n’est pas digne
de détacher la courroie de la sandale de Jésus. »
Troisièmement, il écarte l’erreur de certains, à
cet endroit : « Il ne faut pas écouter ceux qui
disent que le Fils de Dieu n’a pas assumé un
homme véritable. » Ici, il y a une double
question : la première, sur ce qui est assumé ; la
seconde, sur l’ordre selon lequel cela a été
assumé. À propos du premier point, trois
questions sont posées : 1 – La nature humaine
est-elle plus susceptible d’être assumée que les
autres ? 2 – En qui devait-elle être assumée ? 3 –
Que devait-il être assumé de la nature humaine ?

Articulus 1 [7548] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. Article 1 – La nature humaine peut-elle être
1 tit. Utrum natura humana sit prae aliis assumée plutôt que les autres ?
assumptibilis
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle
plus susceptible d’être assumée qu’une
créature sans raison ?]
[7549] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que la nature humaine ne soit pas
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod plus susceptible d’être assumée qu’une créature
75

humana natura non sit magis assumptibilis quam sans raison. En effet, comme le dit Augustin à
creatura irrationalis. Sicut enim dicit Augustinus Volusien, « pour les choses prodigieuses, toute la
ad Volusianum, in rebus mirabilibus tota ratio raison du fait est la puissance de celui qui les
facti est potentia facientis. Sed omnium réalise ». Or, parmi toutes les choses
mirabilium mirabilius est creaturam assumi in prodigieuses, la plus prodigieuse est qu’une
unitatem personae increatae. Ergo tota créature humaine soit assumée dans l’unité d’une
assumptibilitatis ratio est ex potentia ejus qui personne incréée. Toute la raison de ce qui peut
assumptionem facit. Sed cum illa potentia sit être assumé vient donc de la puissance de celui
infinita, ex parte ipsius aequaliter est humanam qui assume. Or, puisque cette puissance est
naturam, vel etiam irrationalem naturam infinie, de son point de vue, c’est la même chose
assumere. Ergo non magis dicenda est humana d’assumer une nature humaine ou une nature
natura assumptibilis quam natura irrationalis. sans raison. Il ne faut donc pas dire que la nature
humaine est plus susceptible d’être assumée
qu’une nature sans raison.
[7550] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. De même que, dans la nature humaine, existe
2 Praeterea, sicut in humana natura est similitudo une similitude de Dieu en raison de l’image, de
Dei ratione imaginis; ita in creatura irrationali est même, dans la créature sans raison, existe une
similitudo Dei ratione vestigii. Sed similitudo et similitude de Dieu en raison du vestige. Or, la
convenientia aliquorum ad invicem, est causa similitude et la communauté réciproque sont la
unibilitatis ipsorum. Ergo sicut humana natura cause de la possibilité d’union. De même que la
unibilis est Deo; ita et creatura irrationalis. nature humaine peut être unie à Dieu, de même,
donc, la créature sans raison.
[7551] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Ce en quoi sont le mieux représentées les
3 Praeterea, illud videtur esse simillimum alteri in propriétés d’une autre chose semble le plus
quo maxime proprietates alterius repraesentantur. semblable à cette autre chose. Or, comme le dit
Sed, sicut dicit Dionysius, in igne inter omnia Denys, « dans tout ce qui est corporel, les
corporalia magis divinae proprietates propriétés divines sont surtout représentées par le
repraesentantur: et idem dicit de radio solari. Ergo feu », et il dit la même chose du rayonnement
istae creaturae videntur Deo simillimae; et ita solaire. Ces créatures semblent donc les plus
etiam ei magis unibiles quam humana natura. semblables à Dieu, et ainsi peuvent davantage lui
être unies que la nature humaine.
[7552] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, une créature plus noble est capable
1 Sed contra, nobilioris doni nobilior creatura est d’un don plus noble. La créature inférieure n’est
capax. Ergo ad istud donum, quod est donc pas capable du don qui est le plus noble
nobilissimum inter dona nobilioris naturae, parmi les dons d’une nature plus noble. Or, la
inferior natura capacitatem non habet. Sed nature humaine est plus noble que la créature
humana natura est nobilior creatura irrationali. sans raison. Puisque, parmi toutes les choses qui
Cum ergo inter omnia quae humanae naturae sunt ont été données à la nature humaine, le fait pour
collata, assumptio ipsius in unitatem divinae celle-ci d’être assumée dans l’unité d’une
personae sit nobilissimum; videtur quod hujus personne divine est ce qu’il y a de plus noble, il
creatura irrationalis capax non sit, et ita non erit semble donc qu’une créature sans raison n’en
assumptibilis. soit pas capable, et qu’ainsi elle ne puisse pas
être assumée.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La nature angélique est-
elle moins susceptible d’être assumée que la
nature humaine ?]
[7553] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que la nature angélique ne soit pas
1 Ulterius. Videtur quod angelica natura non sit moins susceptible d’être assumée que la nature
minus assumptibilis quam natura humana. Deus humaine. En effet, Dieu a assumé la nature
enim propter suam misericordiam humanam humaine en raison de sa miséricorde, afin de
76

naturam assumpsit, ut humanae miseriae venir au secours de la misère humaine. Or, de


subveniret. Sed sicut est miseria in humana même qu’il existe de la misère dans la nature
natura, ita etiam in angelica. Cum ergo summa humaine, de même en existe-t-il dans la nature
misericordia sit omni miseriae subvenire, videtur angélique. Puisqu’il relève donc de la plus
quod angelica sit natura assumptibilis sicut et grande miséricorde de venir au secours de toute
humana. misère, il semble donc que la nature angélique
soit susceptible d’être assumée, comme la nature
humaine.
[7554] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Les réalités qui sont plus semblables
2 Praeterea, ea quae magis sunt similia, facilius s’unissent plus facilement. Or, la nature
uniuntur. Sed angelica est divinae similior quam angélique est plus semblable à la nature divine
natura humana, quia, ut dicit Gregorius, quanto in que la nature humaine, car, ainsi que le dit
Angelo natura est subtilior, eo magis imago Dei in Grégoire, « plus la nature de l’ange est subtile,
illo insinuatur expressa. Ergo angelica natura est plus l’image de Dieu est imprimée en elle ». La
magis assumptibilis quam humana. nature angélique est donc plus susceptible d’être
assumée que la nature humaine.
[7555] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, la nature humaine a été assumée
1 Sed contra, assumptio humanae naturae ideo pour remédier au péché de l’homme. Or, le
facta est, ut peccato hominis remedium praeberet. péché de l’ange est sans remède, comme on l’a
Sed peccatum Angeli est irremediabile, ut supra, dit plus haut, livre II, d. 7, q. 1, a. 2. La nature
Lib. 2, dist. 7, qu. 1, art. 2, dictum est. Ergo angélique n’est donc pas susceptible d’être
angelica natura non est assumptibilis. assumée.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’univers entier est-il plus
susceptible d’être assumé que la nature
humaine ?]
[7556] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’univers entier soit plus
1 Ulterius. Videtur quod totum universum sit susceptible d’être assumé que la nature humaine.
magis assumptibile quam humana natura. Effectus En effet, un effet universel ressemble au plus
enim universalis maxime causae universali haut point à une cause universelle. Or, l’univers
assimilatur. Sed universum est effectus universalis est l’effet universel de Dieu, qui est la cause
Dei qui universalis causa est. Ergo universum Deo universelle. L’univers est donc plus semblable à
magis assimilatur quam humana natura, quae est Dieu que la nature humaine, qui est un effet
quidam particularis effectus: et ita est magis particulier. Il est donc plus susceptible d’être
assumptibile. assumé.
[7557] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. La consommation de tout l’univers est
2 Praeterea, per assumptionem consummatio achevée par le fait qu’il est assumé. Or, l’univers
totius universi est perfecta. Sed magis esset serait plus parfait si toutes ses parties avaient été
universum perfectum si omnes partes ejus essent assumées. L’univers est donc plus susceptible
assumptae. Ergo universum est magis d’être assumé.
assumptibile.
[7558] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, quelque chose est susceptible d’être
1 Sed contra, ex hoc est aliquid assumptibile Deo assumé par Dieu du fait que cela est à l’image de
quod ad imaginem Dei est. Sed non potest dici Dieu. Or, on ne peut pas dire que tout l’univers
quod totum universum sit ad imaginem, nisi forte est à l’image [de Dieu], sauf peut-être en
poneretur universum animatum anima rationali, affirmant que l’univers est animé par une âme
sicut Platonici posuerunt, quod a fide alienum est. raisonnable, comme l’ont affirmé les
Ergo universum non est assumptibile. platoniciens, ce qui est étranger à la foi.
L’univers n’est donc pas susceptible d’être
assumé.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
77

[7559] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 co. On dit que quelque chose est susceptible d’être
Respondeo dicendum, quod assumptibile dicitur assumé du fait que cela peut être assumé. Or,
quod potest assumi. Cum autem dicitur, creatura lorsqu’on dit : « Une créature peut être
potest assumi, non signatur aliqua potentia activa assumée », on n’indique pas une puissance active
creaturae: quia sola potentia infinita hoc facere de la créature, car seule une puissance infinie a
potuit, ut in infinitum distantia conjungerentur in pu faire que des réalités infiniment distantes
unitatem personae. Similiter non signatur etiam soient unies dans l’unité d’une personne. On
potentia passiva naturalis creaturae, quia nulla n’indique pas non plus une puissance passive
potentia passiva naturalis est in natura cui non naturelle de la créature, car aucune puissance
respondeat potentia activa alicujus naturalis passive naturelle n’existe dans la nature, à
agentis. Unde relinquitur quod dicat in creatura laquelle ne corresponde la puissance active d’un
solam potentiam obedientiae, secundum quam de agent naturel. Il reste donc qu’on affirme dans la
creatura potest fieri quidquid Deus vult, sicut de créature seulement une puissance obédientelle,
ligno potest fieri vitulus, Deo operante. Haec selon laquelle Dieu peut faire de la créature tout
autem potentia obedientiae correspondet divinae ce qu’il veut, comme un veau peut être fait à
potentiae, secundum quod dicitur, quod ex partir du bois par l’action de Dieu. Or, cette
creatura potest fieri quod ex ea Deus facere puissance obédientielle correspond à la
potest. Sed potentia Dei dupliciter consideratur: puissance divine pout autant qu’on dit qu’il peut
vel ut absoluta, vel ut ordinata. Quod qualiter être fait de la créature ce que Dieu peut faire
intelligendum sit, ex dictis, 1 dist., qu. 2 art. 3, d’elle. Or, la puissance de Dieu est envisagée de
patet. Loquendo autem de potentia Dei absoluta, deux manières : en tant qu’elle est absolue, ou en
Deus potest assumere quamcumque creaturam tant qu’elle est ordonnée ; comment cela doit être
vult. Unde secundum hoc non est una creatura compris, on l’a dit à la d. 1, q. 2, a. 3. Pour parler
magis assumptibilis quam altera. Loquendo autem de la puissance absolue de Dieu, Dieu peut
de potentia ordinata, illam creaturam assumere assumer n’importe quelle créature qu’il veut. De
potest quam congruit eum assumere ex ordine ce point de vue, une créature n’est pas davantage
suae sapientiae. Unde illa creatura dicitur susceptible d’être assumée qu’une autre. Mais
assumptibilis in qua hujusmodi congruitas pour parler de sa puissance ordonnée, il peut
invenitur. Invenitur autem in humana natura assumer la créature qu’il lui convient d’assumer
congruitas prae aliis quantum ad tria, quae in selon l’ordre de sa sagesse. On dit donc qu’est
assumptione requiruntur. Primo quantum ad susceptible d’être assumée la créature chez
similitudinem unibilium: in humana enim natura laquelle cette convenance se trouve. Or, une
invenitur expressior similitudo divina quam in convenance préférentielle par rapport aux autres
aliqua creatura irrationali: quia homo secundum se trouve dans la nature humaine sous trois
quod habet mentem, ad imaginem Dei factus aspects, qui sont nécessaires pour qu’elle soit
dicitur; cum in creaturis irrationalibus non nisi assumée. Premièrement, pour ce qui est de la
similitudo vestigii inveniatur; et etiam quantum ad similitude de ce qui est susceptible d’être uni. En
quaedam in ea est divina similitudo magis quam effet, il existe dans la nature humaine une
in angelica natura, ut post dicetur. Secundo similitude divine plus expresse que dans une
quantum ad terminum assumptionis; terminatur créature sans raison, car on dit que l’homme a
enim assumptio ad unitatem personae; été créé à l’image de Dieu pour autant qu’il
personalitas autem non invenitur in irrationalibus possède un esprit, alors que, dans les créatures
naturis, cum persona sit rationalis naturae sans raison, on ne trouve que la similitude du
individua substantia, ut Boetius dicit. In Angelis vestige. Sous certains aspects même, une
vero est quidem persona, sed non secundum similitude avec Dieu existe en elle davantage que
originem distincta; cum unus Angelus ab alio non dans la créature angélique, comme on le dira
trahat originem. In humana vero natura est plus loin. Deuxièmement, pour ce qui est du
persona distincta etiam secundum originem; et terme. En effet, le terme de ce qui est assumé est
ideo convenientissime humana natura in unitatem l’unité de la personne. Or, on ne trouve pas de
divinae personae assumitur; quae distinguuntur personnalité dans les créatures sans raison,
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secundum relationem originis. Tertio quantum ad puisque « la personne est une substance
finem assumptionis. Si enim perfectio universi individuelle de nature raisonnable », comme le
dicatur assumptionis finis praecipuus, ut quidam dit Boèce. Cependant, la personne existe chez les
dicunt, nulla natura particularis assumi potuisset, anges, mais sans être distincte par l’origine,
per quam ita universum perfici posset sicut per puisqu’un ange ne tire pas son origine d’un
assumptionem humanae naturae: tum quia homo autre. Mais, dans la nature humaine, la personne
est ultima creaturarum, quasi ultimo creatus, cujus est aussi distincte par l’origine. C’est ainsi que la
natura assumpta, ultimum est conjunctum primo nature humaine est assumée dans l’unité d’une
principio per modum circuli, quae est figura personne divine avec la plus grande convenance,
perfecta ex eo quod additamentum non recipit: ces personnes divines se distinguant selon une
tum etiam quia in homine quodammodo omnes relation d’origine. Troisièmement, pour ce qui
naturae confluunt: quia cum omnibus creaturis est de la fin. En effet, si on dit que la perfection
aliquid commune habet, ut dicit Gregorius; unde de l’univers est la fin de l’assomption, comme le
homine unito, quodammodo omnis creatura unita disent certains, aucune nature particulière
est. Si vero finis assumptionis ponatur liberatio a n’aurait pu être assumée par laquelle l’univers
peccato, sic etiam sola humana natura congrue pourrait être ainsi perfectionné, comme c’est le
assumi potuit: quia in irrationali creatura cas par la nature humaine assumée, car l’homme
peccatum non erat; in angelica vero erat quidem est la dernière des créatures, comme si celui qui
peccatum, sed irremediabile, ut patet ex dictis in 1 a été créé en dernier lieu, et dont la nature a été
dist., qu. 1, art. 2; in homine vero erat assumée, était uni en dernier au principe premier
remediabile; et ideo solam humanam naturam à la manière d’un cercle, qui est la figure parfaite
congruum fuit assumere; et sic ea reparata, du fait qu’elle ne reçoit aucun ajout ; et aussi
creatura irrationalis, quae propter ipsius peccatum parce que toutes les natures se rencontrent d’une
quodammodo deteriorata dicitur, secundum quod certaine manière dans l’homme, car « il a
in usum hominis cedit, restaurata est. quelque chose en commun avec toutes les
créatures », comme le dit Grégoire. Aussi, une
fois l’homme uni, toutes les créatures sont-elles
unies d’une certaine manière. Mais si l’on dit
que la fin de l’union est la libération du péché,
alors seule la nature humaine pouvait être
convenablement unie, car il n’y avait pas de
péché chez la créature sans raison ; mais, chez la
créature angélique, le péché existait,
irrémédiable cependant, comme cela ressort de
ce qui a été dit dans la d. 1, q. 1, a. 2. Chez
l’homme, un remède pouvait toutefois lui être
apporté. C’est pourquoi il était convenable que
seule la nature humaine soit assumée ; celle-ci
restaurée, la créature sans raison a été restaurée,
dont on dit qu’elle a été détériorée d’une certaine
manière à cause du péché [de l’homme], pour
autant qu’elle est à l’usage de l’homme,.
[7560] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Dieu pouvait assumer une créature sans raison
Ad primam ergo quaestionem dicendum, quod en vertu de sa puissance absolue, et le fait que la
Deus de potentia absoluta creaturam irrationalem créature sans raison n’ait pas de personnalité
assumere potuit. Nec impedit quod creatura n’est pas un empêchement, car la personnalité
irrationalis personalitatem non habet: quia n’est pas due non plus par elle-même à la nature
personalitas non debetur etiam humanae naturae humaine assumée, comme cela ressortira à la
assumptae ratione sui, ut infra patebit, dist. 6, d. 6, q. 1, a. 1 et 2, mais en raison de celui qui
quaest. 1, art. 1 et 2, sed ratione assumentis; unde assume. Il n’y a donc là qu’une personnalité
79

non est ibi nisi personalitas increata. Et praeterea incréée. De plus, bien qu’on ne trouve pas de
quamvis in natura irrationali non inveniatur personne dans la créature sans raison, on trouve
persona, invenitur tamen in ea hypostasis et cependant en elle une hypostase et un suppôt. Or,
suppositum. Unio autem non tantum facta est in l’union ne s’est pas réalisée seulement dans la
persona, sed etiam in hypostasi et supposito. Sed personne, mais aussi dans l’hypostase et dans le
congruum non erat ut assumeretur, et praecipue suppôt. Mais il n’était pas convenanble qu’elle
quia natura assumpta maxime beatificatur, ut in soit assumée, surtout parce que la nature
Psalm. 64, 5, dicitur: beatus quem elegisti et assumée est rendue bienheureuse, ainsi qu’il est
assumpsisti; beatitudinis vero, quae in actu mentis dit en Ps 64, 5 : Bienheureux celui que tu as
consistit, creatura irrationalis particeps esse non choisi et assumé. Or, la créature sans raison ne
potest. Unde patet responsio ad primam peut participer à la béatitude, qui consiste dans
objectionem, quae procedit de potentia absoluta, un acte de l’esprit. La réponse à la première
et non de potentia ordinata. objection ressort ainsi : celle-ci vient de la
puissance absolue, et non de la puissance
ordonnée.
[7561] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. La similitude de l’image est nécessaire pour
Ad secundum dicendum, quod ad congruitatem qu’il soit convenable [à une créature] de pouvoir
assumptibilitatis requiritur similitudo imaginis, être assumée, car, par elle, la créature
quia per hanc creatura rationalis particeps est raisonnable participe à la béatitude divine. La
divinae beatitudinis. Unde ad hanc congruitatem similitude du vestige, telle qu’on la trouve chez
non sufficit similitudo vestigii, qualis in creaturis les créatures sans raison, ne suffit donc pas à
irrationalibus invenitur. cette convenance.
[7562] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Il existe une double similitude entre la
Ad tertium dicendum, quod duplex est similitudo créature et Dieu. L’une, selon une participation à
creaturae ad Deum. Una secundum une certaine bonté divine, comme tout participe à
participationem alicujus divinae bonitatis sicut ab la vie dont il vit. Ainsi, la créature raisonnable,
eo vivente omnia vitam participant: et sic creatura chez laquelle on trouve l’être, la vie et
rationalis in qua invenitur esse, vivere et l’intelligence, est-elle assimilée à Dieu au plus
intelligere, maxime Deo assimilatur; et haec haut point, et une telle similitude est nécessaire
similitudo requiritur ad assumptibilitatem. Alia pour qu’elle soit assumée. Mais il existe une
similitudo est secundum proportionem, ut si autre similitude selon la proportion, comme si
dicatur similitudo inter Deum et ignem, quia sicut l’on dit qu’il existe une similitude entre Dieu et
ignis consumit corpus, ita Deus consumit le feu, car de même que le feu consume un corps,
nequitiam; et haec similitudo requiritur in de même Dieu consume-t-il la méchanceté. Une
figurativis locutionibus, et appropriationibus: telle similitude est nécessaire dans les
quam Dionysius in secundo cap. Cael. Hierarch. expressions figurées et dans les appropriations ;
vocat dissimilem similitudinem: et de hac dans le deuxième chapitre de La hiérarchie
similitudine procedit objectio. céleste, Denys l’appelle une « similitude
dissemblable ». L’objection vient d’une telle
similitude.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7563] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Si l’on parle de sa puissance absolue, Dieu
Ad secundam quaestionem dicendum est, quod de pouvait assumer une nature angélique ; mais la
absoluta potentia loquendo, Deus potuit nature angélique ne possédait pas de convenance
angelicam naturam assumere; sed natura angelica à être assumée, surtout pour deux raisons :
non habebat aliquam congruentiam ut premièrement, parce qu’il ne pouvait être
assumeretur, praecipue propter duo. Primo, quia rémédié à son péché ; deuxièmement, parce qu’il
ejus peccatum non erat remediabile. Secundo, ne convient pas que Dieu enlève une perfection à
quia non decet ut aliquam perfectionem creaturae une créature en l’assumant. Or, la personnalité
Deus assumendo auferat. Personalitas autem est une perfection d’une créature. Mais si la
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quaedam perfectio creaturae est. Sed si natura nature assumée avait une personnalité propre
assumpta personalitatem propriam haberet post après avoir été assumée, il ne pourrait y avoir
assumptionem, non posset esse unio in persona, d’union dans la personne, car il y aurait deux
quia essent duae personae; unde oportet quod id personnes ; aussi faut-il que ce qui est assumé
quod assumptum est, personalitatem non habeat, n’ait pas de personnalité, alors qu’il en a une par
natum tamen habere. In angelica autem natura non nature. Or, chez la nature angélique, on ne trouve
invenitur potentia ad personalitatem sine actu, pas de puissance à une personnalité sans acte,
cum non per generationem procedat in esse; et puisqu’elle ne vient pas à l’être par généréation.
ideo non fuit congruum ut angelica natura C’est pourquoi il n’était pas convenable que la
assumeretur. nature angélique soit assumée.
[7564] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Lorsqu’on objecte que la nature angélique est
Ad primum ergo, cum opponitur quod angelica plus semblable à Dieu que la nature humaine, il
natura est Deo similior quam humana, dicendum faut dire que cela est vrai si la nature divine est
quod verum est, si natura divina in se absolute envisagée en elle-même de manière absolue.
consideretur; si autem consideretur secundum Mais si elle est envisagée selon qu’elle existe
quod est in personis per relationes originis dans des personnes distinctes par des relations
distinctis, sic magis convenit cum homine, ut d’origine, elle a alors plus en commun avec
dictum est. Similiter etiam si consideretur l’homme, comme on l’a dit. De même aussi, si
secundum quod est exemplar totius creaturae; in elle est envisagée selon qu’elle est le modèle de
homine enim invenitur similitudo cum qualibet toute créature : en effet, chez l’homme, on trouve
creatura, ut dictum est, non autem in Angelo. une similitude de toute créature, comme on l’a
Similiter etiam si consideretur inquantum dit, mais non chez l’ange. De même aussi, si elle
gubernat universum: sicut enim Deus totus est in est envisagée selon qu’elle gouverne l’univers :
qualibet parte universi per essentiam, en effet, de même que Dieu est tout entier en
praesentiam, et potentiam; sic et anima in qualibet toute partie de l’univers par son essence, par sa
parte corporis. présence et par sa puissance, de même l’âme
[l’est-elle] dans toutes les parties du corps.
[7565] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. La cause de la misère des anges, le péché, n’a
Ad secundum dicendum, quod causa miseriae pas de remède. C’est pourquoi leur misère ne
Angelorum, idest peccatum, remedium non habet; peut être convenablement secourue.
et ideo nec eorum miseriae congrue subveniri
potest.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7566] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Quelque chose peut convenir à un tout de deux
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod alicui manières : soit en raison d’une partie, comme on
toti potest convenire aliquid dupliciter: vel ratione dit d’un homme qu’il est blanc en raison de ses
partis, sicut homo dicitur canus propter capillos; cheveux ; soit en raison de lui-même, à savoir
vel ratione sui, quod scilicet ipsi toti primo qu’il convient d’abord au tout lui-même : comme
convenit; et hoc est, ut in 6 Physic. probatur, quod on le démontre dans Physique, VI, cela veut dire
convenit toti, et omnibus ejus partibus. Universum qu’il convient au tout et à toutes ses parties.
ergo potest assumi dupliciter: vel ratione partis; et L’univers peut donc être envisagé de deux
sic assumptibile fuit, et assumptum est humana manières : soit en raison d’une partie, et ainsi il
natura assumpta: vel ratione sui; et sic assumi non pouvait être assumé et il a été assumé dans la
potuit, quia non omnes partes ejus assumptibiles nature humaine assumée ; soit en raison de lui-
erant, ut ex dictis patet. même, et ainsi il ne pouvait être assumé, car
toutes ses parties ne pouvaient pas être assumées,
comme cela ressort de ce qui a été dit.
[7567] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Bien que Dieu soit une cause universelle, il est
Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, cependant simple au plus haut point. C’est
quod quamvis Deus sit causa universalis, est pourquoi l’effet commun uni, à savoir, la nature
81

tamen maxime simplex; et ideo cum eo magis humaine, a davantage en commun avec lui - en
convenit universalis effectus unitus, scilicet elle, toutes les natures se rencontrent d’une
humana natura, in qua omnes naturae certaine manière -, plutôt qu’un effet universel
congregantur quodammodo, quam effectus qui n’est pas simplement uni, comme l’est
universalis non simpliciter unitus, sicut est univers, dont les parties ne donnent pas un tout
universum, ex cujus partibus non efficitur unum simple, puisqu’elles demeurent distinctes en
simpliciter, cum remaneant distinctae in actu. acte.
[7568] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. Il ne convient pas que la même perfection
Ad secundum dicendum, quod non decet in existe dans toutes les parties de l’univers. C’est
omnibus partibus universi eamdem perfectionem pourquoi il était plus convenable que la
esse; et ideo magis congruum fuit ut una parte perfection rejaillisse sur tout l’univers à partir
universi assumpta, in totum universum perfectio d’une partie de l’univers assumée.
redundaret.
Articulus 2 [7569] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. Article 2 – Le Fils de Dieu devait-il assumer la
2 tit. Utrum filius Dei humanam naturam nature humaine ?
assumere debuit
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu devait-il
assumer la nature humaine chez tous les
suppôts de la nature humaine ?]
[7570] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Fils de Dieu devait assumer la
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius nature humaine dans tous les suppôts de la nature
Dei humanam naturam assumere debuit in humaine, car, ainsi que le dit [Jean] Damascène,
omnibus suppositis humanae naturae. Quia, ut « ce qui ne peut être assumé ne peut être guéri ».
Damascenus dicit, quod est inassumptibile est Or, la nature peut être guérie dans tous ses
incurabile. Sed humana natura curabilis est in suppôts. Elle devait donc être assumée dans tous
omnibus suis suppositis. Ergo in omnibus assumi les suppôts.
debuit.
[7571] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. « Le bien se diffuse et se communique lui-
2 Praeterea, bonum est diffusivum et même », comme cela ressort de Denys. Puisque
communicativum sui, ut ex Dionysio patet. Cum Dieu est bon au plus haut point et qu’il a surtout
ergo Deus sit summe bonus, et maxime in montré sa bonté dans l’incarnation, il semble
incarnatione suam bonitatem ostenderit, videtur donc qu’il devait assumer en tous ses suppôts la
quod naturam quae assumptibilis erat, nature qui pouvait être assumée.
communiter in omnibus suis suppositis assumere
debuerit.
[7572] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Le Christ est venu satisfaire pour le péché de
3 Praeterea, Christus venit ad satisfaciendum nature, qui est entré dans le monde par un seul
praecipue pro peccato naturae, quod per unum homme. Or, ce qui revient à la nature en elle-
hominem in mundum intravit. Sed id quod naturae même revient à tous ses suppôts d’une manière
secundum se debetur, debetur communiter et générale et égale. Le Fils de Dieu devait donc
aequaliter in omnibus suis suppositis. Ergo filius assumer la nature humaine en tous ses suppôts.
Dei naturam humanam in omnibus suis suppositis
assumere debuit.
[7573] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4. Cependant, le Fils de Dieu a assumé la chair
4 Sed contra, filius Dei ad hoc carnem assumpsit, afin qu’en satisfaisant pour nous, il soit le
ut pro nobis satisfaciendo principium humanae principe du salut des hommes. Puisque le
salutis esset. Cum ergo principium in quolibet principe en n’importe quel genre est unique, il
genere unum inveniatur, videtur quod in uno semble donc qu’il devait assumer la nature
tantum supposito humanam naturam assumere humaine en un seul suppôt.
debuit.
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Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu devait-il


assumer la nature humaine en quelqu’un
engendré de la descendance d’Adam ?]
[7574] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que [le Fils de Dieu] ne devait pas
1 Ulterius. Videtur quod non debuerit assumere assumer la nature humaine en quelqu’un
naturam humanam in aliquo ex stirpe Adae engendré de la descendance d’Adam. En effet,
generato. Sicut enim dicit apostolus ad Hebr. 7, comme l’a dit l’Apôtre en He 7, il convenait que
talis decebat ut nobis esset pontifex qui esset notre pontife soit séparé des pécheurs. Or, il
segregatus a peccatoribus. Sed magis esset serait davantage séparé des pécheurs s’il n’avait
segregatus a peccatoribus, si de stirpe peccatorum pas assumé la chair selon la descendance des
carnem non assumpsisset. Ergo non debuit pécheurs. Il ne devait donc pas assumer la chair
carnem assumere de stirpe Adae. selon la descendance d’Adam.
[7575] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. Le péché originel est un péché de nature, et
2 Praeterea, peccatum originale est peccatum non personnel, si ce n’est par accident. Il est
naturae, et non personae, nisi per accidens. Non donc seulement nécessaire pour la satisfaction
ergo requiritur ad satisfactionem, nisi quod aliquis que quelqu’un fasse partie de la nature humaine.
sit de humana natura. Sed si aliquis homo fieret Or, si un homme apparaissait sans être de la
non de stirpe Adae, constat quod ad humanam descendance d’Adam, il est clair qu’il
naturam pertineret. Ergo congrue pro natura appartiendrait à la nature humaine. Il pourrait
humana satisfacere posset. donc satisfaire adéquatement pour la nature
humaine.
[7576] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. Cependant, le remède doit être appliqué sur
3 Sed contra, medicina in loco vulneris debet la blessure. Or, la nature humaine n’a été viciée
apponi. Sed humana natura est vitiata tantum in que chez ceux qui descendent de la famille
his qui ex genere Adae descendunt, in quo omnes d’Adam, en qui tous meurent, 1 Co 15. La nature
moriuntur, 1 Corinth. 15. Ergo in aliquo ad ejus humaine devait donc être assumée par quelqu’un
stirpem pertinente, natura humana assumi debuit. qui appartenait à sa descendance.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu devait-il
assumer la nature humaine en Adam lui-
même ?]
[7577] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que [le Fils de Dieu] devait assumer
1 Ulterius. Videtur quod naturam humanam la nature humaine en Adam lui-même. En effet,
assumere debuit in ipso Adam. Assumptio enim l’assomption de la chair est ordonnée à la
carnis ad satisfactionem ordinatur. Sed decet ut satisfaction. Or, il convient que celui-là même
idem qui peccavit, satisfaciat. Ergo naturam qui a péché satisfasse. Il devait donc assumer la
humanam in ipso Adam assumere debuit. nature humaine en Adam lui-même.
[7578] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. La restauration de la nature humaine devait
2 Praeterea, talis debuit esse humanae naturae être telle que l’homme ne perde rien de sa
reparatio, ut nihil homini de sua dignitate periret. dignité. Or, en son premier état, Adam n’avait
Sed Adam in primo statu hoc habuit ut nullius besoin de l’aide de personne pour son salut. Or,
hominis auxilio ad suam salutem indigeret. Hoc cela ne lui est pas rendu, si la nature humaine est
autem non sibi restituitur, in alio homine humana assumée dans un autre homme, car il a besoin
natura assumpta: quia beneficio illius hominis d’un bienfait de cet homme pour son salut. Il ne
indiget ad suam salutem. Ergo non decuit convenait donc pas que la nature humaine soit
humanam naturam in alio quam in ipso Adam assumée dans un autre qu’Adam lui-même.
assumi.
[7579] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. Cependant, les contraires n’ont pas la même
3 Sed contra, contrariorum non est eadem causa. cause. Or, Adam a été la cause de la perte de la
Sed Adam causa fuit perditionis humanae naturae. nature humaine. Il ne convenait donc pas qu’il
Ergo non decuit ut ipse esset causa salutis soit la cause du salut de la nature humaine. Or,
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humanae naturae. Hoc autem contingeret, si cela serait arrivé si la nature humaine avait été
humana natura in ipso Adam assumpta esset. Ergo assumée en Adam lui-même. Cela ne convenait
hoc decens non fuit. donc pas.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7580] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Il ne convenait pas que [le Fils de Dieu] assume
Respondeo ad primam quaestionem dicendum, la nature humaine en tous ses suppôts, et cela
quod non fuit decens quod humanam naturam in pour quatre raisons. Premièrement, parce que
omnibus suis suppositis assumeret: et hoc propter tous les suppôts de la nature humaine ne seraient
quatuor rationes. Primo, quia omnia supposita pas ramenés à plus de trois suppôts. En effet,
humanae naturae non reducerentur ad plus quam puisque celui qui assume et celui qui est assumé
ad tria supposita. Cum enim assumens et sont unis dans un même suppôt, il ne pourrait y
assumptum uniantur in eodem supposito, non avoir plus de suppôts de la nature assumée que
possent esse plura supposita naturae assumptae de la nature de qui assume. Deuxièmement, en
quam naturae assumentis. Secundo propter finem raison de la fin de l’assomption. En effet, elle est
assumptionis: est enim ad reparationem humani ordonnée à la restauration du genre humain par
generis ordinata per modum cujusdam mode d’une médiation entre Dieu et l’homme.
mediationis inter Deum et hominem. Mediator Or, il convient que le médiateur qui cherche à
autem qui unitatem pacis facere intendit, unus établir l’unité de la paix soit unique.
congrue debet esse. Tertio propter unitatem ipsius Troisièmement, en raison de l’unité de celui-là
assumentis: sicut enim decuit ut divina natura même qui assume. En effet, de même qu’il
tantum in uno supposito incarnaretur, ita decuit ut convenait que la nature divine ne s’incarne que
una natura individua assumeretur: sic enim unius dans un seul suppôt, de même convenait-il que
ad unum decenter facta est conjunctio. Quarto assumée une seule nature individuelle : en effet,
propter dignitatem ipsius filii incarnati, ut sit ipse l’union s’est ainsi réalisée convenablement d’un
primogenitus in multis fratribus, Rom. 8, 29, in seul avec un seul. Quatrièmement, en raison de
spirituali generatione, sicut etiam est primogenitus la dignité du Fils incarné lui-même, afin qu’il
creaturae in rerum emanatione ab uno principio. soit le premier-né de nombreux frères, Rm 8, 29,
Haec autem primogenitura sibi non competeret, si en vue de la génération spirituelle, comme il est
plures numero humanae naturae assumptae essent. aussi le premier-né de la création par
l’émanation à partir d’un seul principe. Or, cette
aînesse ne lui appartiendrait pas si plusieurs
natures humaines individuelles avaient été
assumées.
[7581] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Par l’incarnation, la nature est assumée au
Ad primum ergo dicendum, quod per sens propre, comme cela ressortira plus loin ; au
incarnationem proprie assumitur natura, ut infra sens propre aussi et en premier lieu, le péché de
patebit: proprie etiam et primo curatur peccatum nature est guéri. Si donc une nature ne peut être
naturae. Unde si aliqua natura assumptibilis non assumée, elle ne peut être guérie. Cependant, il
est, curabilis non est. Non tamen oportet ut si haec n’est pas nécessaire que si telle nature
natura individua non assumitur, quod suppositum individuelle n’est pas assumée, le suppôt de cette
hujus naturae non curetur: quia per hoc quod nature ne soit pas guéri, car, par le fait que la
natura in aliquo individuo assumpta est, nature a été assumée dans un individu, la
praeparatur curatio omnibus qui similem naturam guérison est préparée pour tous ceux qui ont une
habent; sicut e contra per hoc quod una persona nature semblable ; de même, en sens contraire,
infecit naturam humanam quae in ipso erat, in par le fait qu’une seule personne a infecté la
omnes homines peccatum transmisit. nature humaine qui se trouvait en lui, a-t-elle
transmis le péché à tous les hommes.
[7582] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. De même que la bonté divine, qui se manifeste
Ad secundum dicendum, quod sicut bonitas par la création des choses, se communique à
divina, quae in creatione rerum se manifestat, toutes, mais non pas également, de même, en
84

omnibus se communicat, non tamen aequaliter; ita tant qu’elle se manifeste dans l’incarnation
etiam prout se in incarnatione manifestat, surtout par amour du genre humain, elle se
praecipue quantum ad dilectionem humani communique à tous, mais non pas de la même
generis, omnibus se communicat, non tamen manière et également, mais à l’un par la grâce de
eodem modo et aequaliter, sed uni per gratiam l’union, aux autres, qui ne s’opposent pas à la
unionis, aliis per gratiam adoptionis, qui gratiae grâce, par la grâce de l’adoption.
non repugnant.
[7583] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Quelque chose est dû à la nature humaine de
Ad tertium dicendum, quod aliquid debetur deux manières : soit comme quelque chose qui
humanae naturae dupliciter: vel ut sibi essentiale, lui est essentiel, et cela se trouve d’une manière
et hoc invenitur communiter in omnibus naturam générale chez tous ceux qui ont la nature
habentibus humanam; vel ut superadditum humaine ; soit comme quelque chose d’ajouté
essentialibus principiis, sive sit per gratiam aux principes essentiels, que cela soit reçu par la
acceptum, sive operibus acquisitum; et hoc non grâce, ou que ce soit acquis par des oeuvres ; et
invenitur communiter in omnibus naturam cela ne se trouve pas de manière générale chez
habentibus: unde ratio non procedit. tous ceux qui ont la nature humaine. Le
raisonnement n’est donc pas concluant.
[7584] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 4. Nous concédons le quatrième argument.
Quartum concedimus.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7585] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Il ne convenait pas que le Fils de Dieu assume
Ad secundam quaestionem dicendum, quod non une nature humaine venue d’ailleurs que de la
fuit decens ut aliunde quam de stirpe Adae, filius descendance d’Adam, surtout pour trois raisons.
Dei humanam naturam assumeret, praecipue Premièrement, pour respecter la justice de la
propter tria. Primo ad servandum justitiam satisfaction. En effet, s’il n’avait pas fait partie
satisfactionis. Si enim de genere Adae non fuisset, de la descendance d’Adam, il ne lui serait pas
ad eum non pertineret pro peccato Adae revenu de satisfaire pour le péché d’Adam.
satisfacere. Secundo ad perfectam reintegrationem Deuxièmement, pour un parfait rétablissement de
dignitatis Adae, qui hoc habuit ut ipse et suum la dignité d’Adam, qui était tel que lui-même et
genus nulla alia creatura indigeret, quasi sa descendance n’avaient besoin d’aucune autre
sustentante et salvante: et hoc generi ejus créature pour le soutenir et le sauver. Cela
redditum non fuisset, si redemptus fuisset per n’aurait pas été rendu à sa descendance s’il
aliquem qui ad genus ejus non pertineret. Tertio n’avait pas été racheté par quelqu’un qui
ad servandum dignitatem specialiter ipsius Adae, n’appartenait pas appartenu à sa descendance.
qui in hoc quodam modo imaginem Dei Troisièmement, pour respecter d’une manière
singulariter habuit, ut sicut Deus, cum sit ens particulière la dignité d’Adam lui-même, qui
primum, omnium entium principium est per possédait d’une manière singulière l’image de
creationem; ita etiam Adam, cum sit primus Dieu, de telle sorte que, comme Dieu, qui est
homo, est principium omnium hominum per l’être premier et le principe de tous les êtres par
generationem; quod sibi deperiret, si Christus non la création, Adam, qui est le premier homme,
de ejus genere homo fieret. soit le principe de tous les hommes par la
génération. Cela lui serait enlevé, si le Christ
n’était pas devenu homme par sa descendance.
[7586] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Il est vrai qu’il doit être séparé des pécheurs
Ad primum ergo quod objicitur, quod debet esse en tant qu’ils sont pécheurs, mais non en tant
segregatus a peccatoribus, dicendum, quod verum qu’ils sont hommes. En effet, il est venu détruire
est, inquantum peccatores sunt, non inquantum le péché et sauver la nature. Il les rejoignait donc
homines sunt: venit enim peccatum destruere et pour ce qui relève de la nature, mais il s’opposait
naturam salvare: unde convenientiam habuit in his à eux pour ce qui concerne le péché, car il n’a ni
quae ad naturam pertinent, sed contrarietatem in contracté ni commis le péché.
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his quae ad peccatum spectant: quia neque


contraxit neque commisit peccatum.
[7587] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. La nature humaine n’a été infectée par le
Ad secundum dicendum, quod natura humana non péché originel que selon qu’elle est tirée
fuit infecta originali peccato nisi secundum quod d’Adam. Si donc Dieu n’avait formé qu’un seul
ab Adam trahitur: unde si Deus unum hominem homme à partir du limon de la terre, il n’y aurait
de limo terrae formaret, peccatum originale in eo pas eu de péché originel en lui. La satisfaction
non esset; et ideo satisfactio de originali non pour le péché originel ne concernait donc pas
pertinebat indifferenter ad quemlibet hominem, n’importe quel homme de manière
sed ad quemlibet de genere Adae. indifférenciée, mais n’importe quel homme de la
descendance d’Adam.
[7588] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Nous concédons le troisième argument.
Tertium concedimus.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7589] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Il ne convenait d’aucune manière que le Fils de
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nullo Dieu assume la nature humaine en Adam lui-
modo fuit decens ut filius Dei in ipso Adam même pour deux raisons. Premièrement, parce
humanam naturam assumeret propter duo. Primo, que Adam était parfait achevé en propre
quia Adam propria personalitate perfectus fuit; personnalité ; il ne pouvait donc être assumé
unde in unitatem personae assumi non posset, nisi dans l’unité de la personne [du Fils de Dieu], à
illa personalitas destrueretur, quod non decebat, ut moins que cette personnalité ne soit détruite, ce
supra, art. 1, quaestiunc. 2, de Angelis dictum est. qui ne convenait pas, comme on l’a dit plus haut,
Secundo, quia cum per assumptionem fiat a. 1, q. 2, à propos des anges. Deuxièmement,
communicatio proprietatum, ut quidquid de parce que la communication des propriétés se
homine dicitur, de Deo dicatur; sequeretur ut réalisant par l’assomption, de sorte que tout ce
diceretur, quod Deus peccasset, quia Adam qui est dit de l’homme se dise de Dieu, il en
peccavit: quod est absurdum. découlerait qu’on dirait de Dieu qu’il a péché
parce que Adam a péché, ce qui est absurde.
[7590] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. Par le péché d’Adam, il y eut en lui une
Ad primum ergo dicendum, quod per peccatum infection personnelle et une infection de la
Adae fuit infectio personalis in ipso, et infectio nature créée en lui et de celle qui devait se
naturae creatae in ipso et propagandae ab ipso: et transmettre à partir de lui. Selon certains, il
pro infectione personali ipse gratia adjutus pouvait, avec l’aide de la grâce, satisfaire pour
satisfacere potuit secundum quosdam; sed l’infection personnelle ; mais il était nécessaire
requirebatur aliquis qui pro peccato naturae que quelqu’un satisfasse pour le péché de nature.
satisfaceret; et ideo non oportuit quod esset idem Il n’était donc pas nécessaire que celui-ci soit la
in persona cum Adam, sed idem in natura. même personne qu’Adam, mais qu’il lui soit
identique par la nature.
[7591] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Il n’est pas inapproprié qu’une personne perde
Ad secundum dicendum, quod non est quelque chose de sa dignité par sa faute ; mais il
inconveniens quod de dignitate illius personae est inapproprié que se perde quelque chose de la
aliquid pereat ex culpa sua; sed inconveniens est nature, que l’homme a corrompue en en faisant
ut aliquid naturae deperiret, quae cum bona esset, usage, alors qu’elle était bonne.
homo male utendo ipsam corrupit.
[7592] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Nous concédons le troisième argument.
Tertium concedimus.

Articulus 3 [7593] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. Article 3 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la
3 tit. Utrum filius Dei carnem humanam chair humaine ?
assumpserit
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Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il


assumé la chair humaine ?]
[7594] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Fils de Dieu n’ait pas assumé
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod filius la chair, Ga 5, 17 : Le désir de la chair va contre
Dei carnem non assumpserit. Galat. 5, 17: caro l’esprit. Or, il n’y a pas eu un tel combat chez le
concupiscit adversus spiritum. Sed in Christo talis Christ. Il n’a donc pas eu une chair véritable.
pugna non fuit. Ergo ipse veram carnem non
habuit.
[7595] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2. Dans la chair, il n’existe que la similitude du
2 Praeterea, in carne tantum est similitudo vestige. Or, la seule similitude du vestige ne
vestigii. Sed similitudo vestigii tantum non suffit pas pour que quelque chose puisse être
sufficit ad assumptibilitatem, ut supra, art. 1, in assumé, comme on l’a dit plus haut, a. 1, c. La
corp., dictum est. Ergo caro assumptibilis non chair ne pouvait donc être assumée.
fuit.
[7596] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3. La grâce d’union est plus grande que la grâce
3 Praeterea, major est gratia unionis quam gratia de la fruition. Or, la chair ne peut d’aucune
fruitionis. Sed caro nullo modo potest conjungi manière être unie à Dieu par la fruition. Elle ne
Deo per fruitionem. Ergo non potest conjungi per peut donc pas lui être unie par l’union.
unionem.
[7597] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. [4] Cependant, He 2, 16 dit : Il a pris la
4 Sed contra, ad Hebr. 2, 16: semen Abrahae semence d’Abraham, et Rm 1, 3 : Il est venu de
apprehendit; et Rom. 1, 3: factus est ei ex semine la descendance de David selon la chair. Or, la
David secundum carnem. Sed semen non pertinet semence ne se rapporte pas à l’âme, mais à la
ad animam, sed ad carnem. Ergo filius Dei in chair. Par la nature humaine, le Fils de Dieu n’a
humana natura non solum animam, sed etiam donc pas assumé seulement l’âme, mais aussi la
carnem assumpsit. chair.
[7598] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. [5] L’homme ne naît de l’homme que par la
5 Praeterea, homo non nascitur ex homine nisi per transmission de la chair. Or, le Christ n’est pas
traductionem carnis. Sed Christus non solum appelé seulement homme, mais aussi le Fils de
dicitur homo, immo etiam filius hominis, non nisi l’homme parce qu’il est né de la Vierge. Il a
quia de virgine natus est. Ergo assumpsit carnem donc assumé la chair dans la nature humaine.
in humana natura.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il
assumé la chair, mais non pas l’âme ?]
[7599] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il a assumé la chair, mais non pas
1 Ulterius. Videtur quod carnem assumpserit, et l’âme. Jn 1, 14 : Le verbe s’est fait chair. Or, ce
non animam. Joan. 1, 14: verbum caro factum est. n’est pas pas conversion en la chair, mais par le
Non autem per conversionem in carnem, sed per fait d’assumer la chair. Il semble donc n’avoir
assumptionem carnis. Ergo solam carnem assumé que la chair.
assumpsisse videtur.
[7600] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2. Le corps n’a besoin qu’une âme lui soit unie
2 Praeterea, corpus non indiget ut uniatur sibi que pour être vivifié par elle. Or, pour que le
anima, nisi ad hoc ut per ipsam vivificetur. Sed ad corps soit vivifié, il suffit que la principe de la
hoc quod corpus vivificetur, sufficit quod corpori vie soit uni au corps qui peut être vivifié.
vivificabili principium vitae uniatur. Cum ergo Puisque Dieu, qui est le principe de la vie, s’est
Deus, qui est principium vitae, corpus sibi uni un corps, il semble donc que l’union du
univerit, videtur quod unio corporis ad animam corps à l’âme aurait été superflue.
superflua fuisset.
[7601] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3. À supposer que quelque chose suffise comme
3 Praeterea, habito aliquo quod est sufficiens principe d’une opération, un autre principe n’est
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operationis principium, non requiritur ad eamdem pas nécessaire pour la même opération ; ainsi,
operationem aliud principium; sicut ad pour l’illumination de l’air, qui est illuminé par
illuminationem aeris, qui illuminatur lumine solis, la lumière du soleil, la lumière d’une chandelle
non requiritur lumen candelae. Sed Christus per n’est pas nécessaire. Or, le Christ, par l’intellect
intellectum divinum sibi unitum sufficienter divin qui lui était uni, pouvait connaître tout.
omnia cognoscere poterat. Ergo non requirebatur Une âme cognitive et intellectuelle n’était donc
anima cognoscitiva et intellectiva ad unionem pas nécessaire pour cette union.
illam.
[7602] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, [1] le Christ a soigné notre nature
1 Sed contra, Christus curavit naturam nostram du fait qu’il l’a assumée. Or, il est venu
per hoc quod eam assumpsit. Sed principaliter principalement pour soigner les âmes. Il a donc
venit ad curandum animas. Ergo animam assumé une âme.
assumpsit.
[7603] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. [2] La mort corporelle ne vient que de la
2 Praeterea, mors corporalis non est nisi per séparation du corps du principe de la vie. Si
separationem corporis a principio vitae. Si ergo in donc, dans le Christ, il n’y avait d’autre principe
Christo non fuisset aliud principium vitae quam de vie que la divinité elle-même, puisque la chair
ipsa deitas, cum caro a divinitate nunquam fuerit n’a jamais été séparée de la divinité, le Christ ne
separata, nunquam Christus fuisset mortuus: quod serait jamais mort, ce qui contredit expressément
expresse contradicit Scripturae. l’Écriture.
[7604] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. [3] S’il n’avait pas eu d’âme, il en découlerait
3 Praeterea, sequeretur quod Deus esset que Dieu serait le moteur immédiat du corps du
immediatus motor corporis Christi, si anima Christ. Ainsi, le Christ n’aurait jamais été fatigué
caruisset; et sic nunquam Christus fuisset fatigatus de la route, comme le dit Jn 4, puisque la fatigue
ex itinere, ut dicitur Joan. 4, cum fatigatio non ne vient que de la faiblesse de la puissance qui
accidat nisi ex debilitate virtutis moventis. meut.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il
assumé la forme du tout qui résulte de la
composition des parties ?]
[7605] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il n’ait pas assumé la forme du
1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit formam tout qui résulte de la composition des parties. En
totius ex compositione partium resultantem. effet, la forme du tout est celle dans laquelle les
Forma enim totius est illa in qua sicut in natura éléments particuliers se retrouvent comme dans
communi particularia conveniunt. Sed une nature commune. Or, [Jean] Damascène dit,
Damascenus dicit, et habetur in littera, quod in et on le lit dans le texte, que, dans notre Seigneur
domino nostro Jesu Christo non est communem Jésus, le Christ, il ne faut pas concevoir d’espèce
speciem accipere. Ergo in eo forma totius non commune. La forme du tout n’existait donc pas
fuit. en lui.
[7606] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2. Comme le dit Boèce, l’espèce est l’être entier
2 Praeterea, ut dicit Boetius, species est totum des individus. Or, il n’existait rien dans le Christ,
esse individuorum. Sed nihil in Christo fuit ex en raison de la chair et de l’âme, pour inclure
parte carnis et animae quod totum esse ipsius l’être entier du Christ lui-même, car il avait un
Christi concluderet: quia habuit esse divinum non être divin, mais non par l’âme ni par le corps.
per animam neque per corpus. Ergo cum forma Puisque la forme du tout est l’espèce en
totius sit species in potentia, videtur quod in puissance, il semble donc que la forme du tout ne
Christo forma totius non fuerit. se trouvait pas dans le Christ.
[7607] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3. Il est dit dans le texte que, par les mots
3 Praeterea, in littera dicitur, quod nomine « nature humaine », on entend le corps et l’âme,
humanae naturae corpus et anima intelligitur, cum lorsqu’on dit que le Christ a assumé la nature
dicitur, Christum humanam naturam assumpsisse. humaine. Or, il est clair que ni le corps ni l’âme
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Sed constat quod neque corpus neque anima est n’est la forme du tout, du moins selon l’opinion
forma totius, ad minus secundum opinionem commune. Il n’y avait donc pas de forme du tout
communiorem. Ergo in Christo forma totius non chez le Christ.
fuit.
[7608] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. Cependant, [1] la forme du tout dans les réalités
1 Sed contra, forma totius in rebus animatis animées résulte de l’union ou de l’association de
resultat ex unione vel conjunctione animae ad l’âme et du corps. Or, dans le Christ, l’âme a été
corpus. Sed in Christo anima fuit conjuncta unie au corps, autrement, ce corps n’aurait pas
corpori; alias corpus illud vivum non fuisset. Ergo été vivant. La forme du tout se trouvait donc
in Christo fuit forma totius. dans le Christ.
[7609] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. [2] Les hommes ont une espèce commune selon
2 Praeterea, homines conveniunt specie ad qu’ils se rejoignent dans la forme du tout. Or, le
invicem secundum convenientiam in forma totius. Christ avait la même espèce que les autres
Sed Christus fuit ejusdem speciei cum aliis hommes, autrement, il n’aurait pas satisfait pour
hominibus; alias pro hominibus non satisfecisset. les hommes. La forme du tout se trouvait donc
Ergo in Christo fuit forma totius. dans le Christ.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7610] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Selon le Philosophe, dans Métaphysique, VIII, la
Respondeo dicendum, quod, secundum définition a en commun avec le nombre que, de
philosophum 8 Metaph., definitio in hoc convenit même que, dans les nombres, un autre nombre
cum numero, quod sicut in numeris contingit quod vient de la soustraction ou de l’addition d’une
semper subtracta vel addita unitate, fit alius unité, de même, dans les définitions, si l’on
numerus; ita etiam in definitionibus, si addatur vel ajoute ou soustrait une différence, une autre
subtrahatur aliqua differentia, semper fit alia espèce apparaît toujours. Puisque toutes les
species. Cum ergo omnes differentiae sumantur différences viennent des principes essentiels, il
ex essentialibus principiis, oportet quod si homini est donc nécessaire que, si l’on soustrait de
subtrahatur aliquid de essentialibus ejus, non l’homme quelque chose qui lui est essentiel, la
remaneat eadem species. Cum ergo Christus fuerit même espèce ne demeure pas. Puisque le Christ
ejusdem speciei cum aliis hominibus; (alias enim a eu la même espèce que les autres hommes
verus homo non fuisset, sed aequivoce homo (autrement, il n’aurait pas été un homme
diceretur; nec pro hominibus satisfaceret véritable, mais on l’appellerait un homme de
congruenter): oportet quod omnia essentialia manière équivoque ; il n’aurait pas non plus
homini in Christo fuerint, et corpus et anima satisfait pour les hommes de manière
vegetabilis, sensibilis et rationalis, et ulterius appropriée), il est donc nécessaire que tout ce qui
forma totius resultans ex conjunctione corporis et essentiel à l’homme se soit trouvé chez le
animae, quae humanitas dicitur: et quia Christ : le corps, l’âme végétative, sensible et
proprietates naturales ex principiis essentialibus raisonnable, et aussi la forme du tout résultant de
causantur, oportet quod in ipso fuerint omnes l’union du corps et de l’âme, qu’on appelle
naturales proprietates speciem humanam « humanité ». Et parce que les propriétés
consequentes. De aliis autem quae per accidens naturelles sont causées par les principes
speciem humanam consequuntur, sive sint essentiels, il est nécessaire que se soient trouvées
defectus sive perfectiones, infra suo loco dicetur. en lui toutes les propriétés naturelles qui
Ad primam ergo quaestionem sciendum, quod découlent de l’espèce humaine. Pour ce qui est
circa hoc fuerunt duo errores. Unus fuit des autres choses qui découlent par accident de
Manichaeorum, qui dicebant, quod Christus l’espèce humaine, qu’il s’agisse de carences ou
verum corpus non habuit, sed tantum de perfections, il en sera question plus loin à leur
phantasticum. Et ratio hujus positionis videtur place. Pour ce qui est de la première question, il
fuisse, quia omnium visibilium auctorem faut donc savoir qu’à ce sujet, il y a eu deux
posuerunt Diabolum; et ideo nihil hujus secundum erreurs. L’une était celle des manichéens, qui
veritatem in Christo fuit, in quo princeps mundi disaient que le Christ n’avait pas un corps
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hujus nihil habuit, Joan. 14. Patet autem quod véritable, mais illusoire. La raison de cette
positio ista est falsa: et quantum ad radicem position semble avoir été qu’ils ont fait du
positionis: quia Deum creatorem omnium Diable l’auteur de toutes les réalités visibles.
visibilium et invisibilium, et fides tenet et ratio C’est pourquoi rien de cela ne se trouvait
demonstrat, cum a primo ente oporteat omnia véritablement chez le Christ, chez qui le Prince
entia esse, ut patet ex 2 Metaph.: et etiam in se de ce monde n’avait aucune part, Jn 14. Mais il
positio falsa est, quia veritatem humanitatis tollit, est clair que cette position est fausse. D’abord,
ut ex dictis patet: esset enim invenire aliquam pour ce qui est de la source de cette position, car
falsitatem vel simulationem in eo qui de se dicit la foi tient et la raison démontre que Dieu est le
Joan. 14, 6: ego sum via, veritas et vita. Alius créateur de toutes les choses visibles et
error fuit Marcionitarum, qui dicebant Christum invisibles, puisqu’il est nécessaire que tous les
corpus de virgine non assumpsisse, sed de caelo êtres reçoivent l’être du premier être, comme
apportasse: quod forte ortum habuit ex opinione cela ressort de Métaphysique, II. Cette position
Platonicorum, qui dicebant, animae corpus est aussi fausse en elle-même, car elle enlève la
terrestre omnino fugiendum esse, ut beatitudinem vérité de l’humanité, comme cela ressort de ce
consequatur. Non enim credebant posse fieri ut qui a été dit. En effet, elle reviendrait à trouver
anima corpori terrestri unita beata fieret. Ponebant une certaine fausseté ou simulation chez celui
tamen animas corporibus caelestibus unitas, ut qui dit de lui-même en Jn 14, 6 : Je suis le
soli, et stellis, et lunae, beatas fore, ut Augustinus chemin, la vérité et la vie. L’autre erreur était
recitat in libro 10 de Civ. Dei; et ideo animam celle des marcionites, qui disaient que le Christ
Christi, quae summe beata fuit, non terrestri, sed n’avait pas assumé un corps de la Vierge, mais
caelesti corpori unitam putaverunt. Sed haec l’avait emporté du ciel. Cela avait peut-être sa
etiam positio veritatem humanitatis tollit: quia source dans l’opinion des platoniciens, qui
quaelibet forma naturalis determinatam materiam disaient qu’il fallait fuir complètement le corps
requirit: et ideo anima humana non ex qualibet terrestre de l’âme afin de rechercher la béatitude.
materia quam perficit, hominem facit, sed En effet, ils ne croyaient pas que l’âme unie à un
inquantum est forma talis corporis, elementati corps terrestre puisse devenir bienheureuse. Ils
scilicet, et debita proportione complexionati. affirmaient cependant que les âmes unies aux
Unde si Christus corpus terrestre non habuit, corps célestes, comme le soleil, les étoiles et la
verus homo non fuit. His autem idem defectus lune, pouvaient devenir bienheureuses, comme le
contingit qui et antiquis philosophis, ut 1 de raconte Augustin dans le livre X de La cité de
anima dicitur, qui de anima dicentes nihil de Dieu. C’est pourquoi ils pensaient que l’âme du
corpore dixerunt, opinantes quamlibet animam Christ, qui était au plus haut point bienheureuse,
cuilibet corpori adaptari; quod esse non potest, était unie, non pas à un corps terrestre, mais à un
cum propriae formae respondeat propria materia, corps céleste. Mais cette position aussi enlève la
et unicuique agenti determinata instrumenta: et vérité de l’humanité, car toute forme naturelle
ideo fides Catholica, quae Christum verum requiert une matière déterminée. C’est pourquoi
hominem confitetur, eum habuisse corpus ex l’âme humaine réalise l’homme, non pas à partir
quatuor elementis compositum, sicut nos de n’importe quelle matière qu’elle perfectionne,
habemus, firmiter tenet. mais en tant qu’elle est la forme de tel corps, à
savoir, d’ [un corps] composé d’éléments et doté
d’une complexion adéquatement proportionnée.
Si le Christ n’a pas eu de corps terrestre, il
n’était donc pas un homme véritable. La même
carence se trouve ici que chez les philosophes
anciens, comme le dit Sur l’âme, qui, en parlant
de l’âme, n’ont rien dit du corps, étant d’opinion
que n’importe quelle âme peut s’adapter à
n’importe quel corps, ce qui ne peut être le cas,
puisque des formes propres correspondent à une
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matière propre, et à n’importe quel agent, ses


instruments déterminés. Aussi la foi catholique,
qui confesse que le Christ est un homme
véritable, tient-elle fermement qu’il a eu un
corps composé des quatre éléments, comme nous
en avons un.
[7611] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 1. La concupiscence de la chair contre l’esprit
Ad primum ergo dicendum, quod concupiscentia n’est pas causée par la nature même de la chair,
carnis contra spiritum non causatur ex ipsa carnis mais par sa corruption vicieuse, qui vient des
natura, sed ex vitiosa corruptione ejus, quae ex premiers parents, sans laquelle le Fils de Dieu a
peccato primi parentis provenit, sine qua filius assumé la vraie nature de la chair.
Dei veram carnis naturam assumpsit.
[7612] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 2. La similitude se prend de la forme. Or, la
Ad secundum dicendum, quod similitudo forme du corps humain est l’âme raisonnable, en
attenditur secundum formam. Corporis autem laquelle se trouve l’image de Dieu. Aussi ne
humani forma est anima rationalis, in qua imago trouve-t-on pas seulement la similitude du
Dei consistit; et ideo in corpore humano non vestige dans le corps humain, mais aussi la
tantum est similitudo vestigii, sed etiam similitude de l’image, pour autant qu’il a une
similitudo imaginis, inquantum animam habet. âme. En effet, le corps humain n’a pas un être
Non enim corpus humanum habet esse quoddam distinct de l’être que lui donne l’âme, comme s’il
distinctum ab esse quod dat sibi anima, quasi ab venait d’une autre forme, en vertu de laquelle
alia forma, per quam sit in eo similitudo vestigii existerait la similitude du vestige seulement,
tantum, sicut est in corporibus inanimatis: quia sic comme c’est le cas pour les corps inanimés, car
anima esset ens in subjecto, secundum quod alors l’âme serait un être dans un sujet, selon
subjectum nominat ens subsistens in actu; quod ad qu’on entend par « sujet » un être subsistant en
rationem accidentis pertinet, ut in 2 de anima dicit acte, ce qui relève de la raison d’accident,
Commentator. comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme,
II.
[7613] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 3. L’union de l’âme à Dieu par la fruition
Ad tertium dicendum, quod conjunctio animae ad consiste dans une opération de l’intellect et de la
Deum per fruitionem consistit in operatione volonté, à laquelle le corps ne prend aucune part,
intellectus et voluntatis, in qua corpus nullo modo car une telle opération s’accomplit sans organe
communicat, quia exercetur talis operatio sine corporel, comme cela est démontré dans Sur
organo corporali, ut probatur in 3 de anima et ideo l’âme, III. Aussi le corps ne peut-il d’aucune
per fruitionem nullo modo corpus Deo uniri manière être uni à Dieu par la fruition. Mais le
potest. Sed conjunctio unionis est ad esse in lien de l’union vise l’être dans une personne
persona una: corpus autem et anima in uno esse unique. Or, le corps et l’âme se rejoignent dans
communicant, quia anima est quod quid erat esse un même être puisque l’âme est ce qu’était l’être
hujusmodi corpori, ut in 2 de anima dicitur: et pour ce corps, comme il est dit dans Sur l’âme,
ideo per modum unionis in persona una corpus II. C’est pourquoi le corps peut être uni à Dieu
Deo conjungi potest. par mode d’union dans une seule personne.
[7614] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 4-5. Nous concédons le quatrième et le
Quartum et quintum concedimus. cinquième argument.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7615] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 co. À ce sujet aussi, il y a eu deux erreurs. L’une
Ad secundam quaestionem est sciendum, quod était celle d’Arius et d’Eunomius, qui disaient
circa hoc etiam fuerunt duo errores. Unus fuit Arii que le Fils de Dieu a assumé la chair sans l’âme,
et Eunomii, qui dicebant filium Dei carnem sine parce qu’ils étaient d’avis que la divinité vivifiait
anima assumpsisse: quia opinabantur divinitatem son corps sans l’âme. L’autre erreur était celle
sine anima corpus ejus vivificare. Alius fuit error d’Apollinaire, qui disait que, chez le Christ, le
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Apollinaris, qui dicebat in Christo corpus corps avait été animé par une âme à laquelle
animatum fuisse cum anima carente sensu et faisaient défaut le sens et l’intellect. Or, ces deux
intellectu. Uterque autem error et veritati erreurs dérogent à la vérité de l’humanité et à la
humanitatis derogat, et dignitati corporis Christi. dignité du corps du Christ. En effet, il ne peut se
Non enim potest esse ut materia in aliquo esse faire que la matière soit perfectionnée dans un
perficiatur, nisi per aliquid quod sit forma ejus: être, si ce n’est par sa forme. Puisque Dieu ne
unde cum Deus nullo modo forma corporis esse peut d’aucune manière être forme d’un corps
possit (quia oporteret eum esse partem, et non (car il faudrait qu’il soit une partie, et non ce
immaterialissimum), sequeretur quod corpus qu’il y a de plus immatériel), il en découlerait
Christi, si omnino careret anima, esset sicut que le corps du Christ, si l’âme lui faisait
corpus non vivum; et si careret anima sensibili et complètement défaut, serait comme un corps
rationali, esset sicut corpus plantae: unde esset sans vie. Et si lui faisait défait une âme sensible
multo minus nobile quam corpus nostrum. et raisonnable, il serait comme le corps d’une
Similiter etiam cum de ratione hominis sit plante. Il serait donc beaucoup moins noble que
rationalem animam habere, si ea Christus notre corps. De même, puisqu’il est de la raison
caruisset, verus homo non fuisset. Hoc autem de l’homme d’avoir une âme raisonnable, si
videtur eis contigisse ex hoc quod credebant celle-ci avait fait défaut au Christ, il n’aurait pas
animam corpori non uniri sicut formam, sed été un homme véritable. Or, cela semble venir de
magis sicut indumentum, ut Plato dicit, secundum ce qu’ils croyaient que l’âme n’était pas unie au
quod Gregorius Nissenus narrat: per quem corps comme sa forme, mais plutôt comme un
modum si Deus corpori uniretur, homo non vêtement, comme le dit Platon, d’après ce que
diceretur; praecipue si ponatur, ut quidam raconte Grégoire de Nysse. Si Dieu était uni à un
posuerunt, animam de substantia Dei esse: quae corps de cette manière, on ne dirait pas qu’il est
omnia manifestam falsitatem continent. Et ideo un homme, surtout si l’on affirme, comme
horum et aliorum praedictorum error excluditur in certains l’ont affirmé, que l’âme fait partie de la
Lib. Gennadii de ecclesiasticis dogmatibus, cap. substance de Dieu. Tout cela comporte une
2, sic: natus est Dei filius ex homine, non per fausseté manifeste. Aussi l’erreur de ceux-ci et
hominem, idest viri coitum, sicut Ebion dicit; sed des autres est-elle écartée dans le livre de
carnem de virgine trahens, non de caelo afferens, Gennade sur Les enseignements de l’Église, II :
sicut Marcion affirmat; neque in phantasia, idest « Le Fils de Dieu est né de l’homme, non pas par
absque carne, ut Valentinus dicebat; sed verum l’intervention d’un homme, à savoir, par l’union
corpus, non tantum carnem ex carne, ut sexuelle avec un homme, comme le dit Ébion,
Martianus dicit; sed verus Deus et verus homo, in mais en tirant sa chair de la Vierge, et sans
deitate verbum patris et Deus, in homine anima et l’apporter du ciel, comme l’affirme Marcion. [Sa
caro; non sine sensu et ratione, ut Apollinaris chair] n’est pas une illusion, c’est-à-dire sans
posuit; neque caro sine anima, ut Eunomius dixit; chair, comme le disait Valentin, mais il a un
neque sic natus de virgine, ut antequam de virgine corps véritable, et non seulement une chair venue
nasceretur, Deus non fuerit, sicut Antemon et de la chair, comme le disait Martien. Il est Dieu
Marcellus dixerunt. véritable et homme véritable, Verbe du Père dans
la divinité et Dieu, âme et chair dans l’homme. Il
n’est pas sans sensation ni raison, comme
l’affirmait Appollinaire, ni chair sans âme,
comme le disait Eunomius. Il n’est pas né de la
Vierge de telle sorte qu’il n’était pas Dieu avant
de naître de la Vierge, comme Antémon et
Marcel le disaient. »
[7616] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 1. Lorsqu’on dit : « Le Verbe s’est fait chair », la
Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, partie est prise pour le tout, à savoir, la chair
quod cum dicitur, verbum caro factum est, pour l’homme tout entier, comme l’âme est
sumitur pars pro toto, idest caro pro toto homine; parfois prise pour l’homme tout entier.
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sicut anima ponitur aliquando pro toto homine, Gn 46, 27 : Toutes les âmes de la maison de
Gen. 46, 27: omnes animae domus Jacob quae Jacob qui étaient entrées en Égypte étaient au
ingressae sunt in Aegyptum, fuere septuaginta. nombre de soixante-dix. Il a donc voulu parler de
Ideo autem carnem, quae inferior pars est, dicere la chair, qui est la partie inférieure, pour montrer
voluit, ut ostenderet per locum a minori nihil in a minori qu’il n’existe rien dans la nature de
hominis natura esse quod filius Dei non l’homme que le Fils de Dieu n’ait pas assumé.
assumpserit.
[7617] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 2. Pour que le corps soit vivifié, il faut que lui
Ad secundum dicendum, quod ad hoc quod soit joint le principe de vie par mode de forme,
corpus vivificetur, requiritur quod sibi afin que, par ces réalités, soit réalisée une seule
conjungatur principium vitae per modum formae, nature. Or, la divinité ne peut pas être la forme
ut ex eis efficiatur una natura communis. du corps : en effet, une nature commune ne
Divinitas autem forma corporis esse non potest: résulte pas de la divinité et du corps. Pour que le
non enim ex deitate et corpore una communis corps du Christ puisse être une seule réalité,
natura resultat: et ideo ad hoc ut corpus Christi l’âme, qui est sa forme, est donc nécessaire.
unum esse possit, requiritur anima quae sit ejus
forma.
[7618] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 3. Comme on le dit dans Sur l’âme, II, ce par
Ad tertium dicendum, quod, sicut in 2 de anima quoi quelque chose agit en premier est sa forme.
dicitur, illud quo aliquid operatur primo, est forma Puisque l’intellect divin ne peut être forme dans
ejus; unde cum intellectus divinus non possit esse l’humanité du Christ, il est donc nécessaire que
forma in humanitate Christi, oportet quod illud ce par quoi l’homme sent et comprend soit l’âme
quo homo sentit et intelligit, sit anima sensitiva et sensible et intellectuelle.
intellectiva.
[7619] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 2 ad s. Nous concédons les deux autres arguments en
c. Alia duo concedimus. sens contraire.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7620] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Certains ont affirmé que Dieu a assumé une âme
Ad tertiam quaestionem sciendum est, quod et un corps, mais non pas de telle sorte que, de
quidam posuerunt Deum assumpsisse animam et l’union des deux, résulterait une humanité. Cette
corpus, non ita quod ex eorum conjunctione opinion enlève semblablement la vérité et la
aliqua humanitas resultaret; et haec opinio dignité de l’humanité [du Christ]. En effet, le
similiter veritatem humanitatis tollit, et dignitatem Christ ne pouvait être un homme véritable et son
corporis Christi: non enim Christus verus homo corps ne pouvait être vivant, que si son âme était
esse potuit, nec corpus ejus vere vivum, nisi unie à son corps comme sa forme, de telle sorte
anima corpori unita fuisset ut forma ejus, ita quod qu’une seule réalité soit réalisée par eux. Mais
ex eis unum quid efficeretur. Sed de hac opinione on parlera de cette opinion plus loin, d. 3, q. 2,
infra dicetur, dist. 3, qu. 2, art. 2. Unde dicendum a. 2. De même que, dans le Christ, il y avait un
quod sicut in Christo verum corpus et vera anima corps véritable et une âme véritable, de même
fuit; ita et vera humanitas, id est natura humana, donc y avait-il une humanité véritable, c’est-à-
ex conjunctione utriusque resultans. dire une nature humaine qui résultait de l’union
des deux.
[7621] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 1. [Jean] Damascène veut dire que l’union ne
Ad primum circa hoc objectum dicendum, quod s’est pas réalisée dans une seule nature, comme
Damascenus dicere intendit, quod non est facta l’affirmaient les eutychiens. C’est pourquoi il
unio in una natura, ut Eutychiani posuerunt; et veut que, de l’union de la divinité à l’humanité,
ideo vult quod ex conjunctione divinitatis ad ne résulte pas une troisième nature commune car
humanitatem non resultet aliqua natura communis celle-ci ne serait ni la divinité ni l’humanité, de
tertia: quia illa nec esset divinitas nec humanitas, même que l’humanité n’est ni l’âme ni le corps.
sicut humanitas nec est anima neque corpus; unde Le Christ ne serait donc ni Dieu ni homme, mais
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Christus neque esset Deus neque homo, sed seulement le Christ. Mais il ne veut pas dire que,
tantum Christus. Non autem intendit, quod ex de l’union de l’âme au corps, ne résulte pas la
conjunctione animae ad corpus non resultet forma forme d’un tout, par laquelle il a une espèce
totius, per quam in specie cum aliis hominibus commune avec les autres hommes.
communicet.
[7622] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 2. La parole de Boèce est vraie pour tout
Ad secundum dicendum, quod verbum Boetii individu qui subsiste dans une seule nature
veritatem habet in quolibet individuo quod seulement, car l’espèce comprend tous les
subsistit in una natura tantum: quia species principes essentiels d’un individu subsistant dans
comprehendit omnia essentialia principia la nature de l’espèce. L’humanité comprend
subsistentis individui in natura speciei; et sic donc tous les [principes] essentiels du Christ,
etiam humanitas comprehendit omnia essentialia pour autant qu’il subsiste dans l’humanité. Mais
Christi, secundum quod in humanitate subsistit. cette personne a en propre de subsister dans deux
Sed illa persona hoc singulariter habet ut in natures. L’espèce humaine ne rassemble donc
duabus naturis subsistat; et ideo species humana pas tout ce qui convient à cette personne de
non colligit omnia quae illi personae essentialiter manière essentielle.
conveniunt.
[7623] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 3. Lorsqu’on dit que, par le mot « humanité », on
Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, nomine entend le corps et l’âme, il faut l’entendre d’un
humanitatis corpus et animam intelligi, point de vue matériel, comme dans le nom de
intelligendum est materialiter, sicut nomine totius « tout » les parties sont comprises. Mais [il ne
intelliguntur partes; et non quod totum proprie faut pas comprendre] qu’il y a deux parties au
loquendo sint suae partes, sed aliquid ex partibus sens propre, mais quelque chose constitué de
constitutum. deux parties.
[7624] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 1 a. 3 qc. 3 ad s. Nous concédons les deux autres arguments en
c. Alia duo concedimus. sens contraire.

Quaestio 2 Question 2 – [L’ordre de l’assomption]


Prooemium Prologue
[7625] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur l’ordre de
quaeritur de ordine assumptionis; et circa hoc l’assomption. À ce propos, trois questions sont
quaeruntur tria: 1 utrum unam partem humanae posées : 1 – [Le Fils de Dieu] a-t-il assumé une
naturae assumpserit mediante alia; 2 utrum partie de la nature humaine par l’intermédiaire
humanam naturam assumpserit mediante aliquo de l’autre ? 2 – A-t-il assumé la nature humaine
alio; 3 utrum omnes partes humanae naturae simul par l’intermédiaire de quelque chose d’autre ?
tempore assumpserit. 3 – A-t-il assumé toutes les parties de la nature
humaine en même temps ?

Articulus 1 [7626] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. Article 1 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé la
1 tit. Utrum assumpserit carnem mediante anima chair par l’intermédiaire de l’âme ?]
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu a-t-il
assumé la chair par l’intermédiaire de
l’âme ?]
[7627] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il n’ait pas assumé la chair par
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod carnem l’intermédiaire de l’âme. En effet, une fois
non assumpserit mediante anima. Remoto enim enlevé l’intermédiaire par lequel certaines choses
medio quo aliqua conjunguntur, extrema sont unies, les extrêmes sont séparés, comme
separantur, sicut patet in tabulis quae per clavum cela ressort pour les planches unies par un clou.
conjunguntur. Sed in morte Christi separata est Or, dans la mort du Christ, l’âme a été séparée de
anima a carne; nec tamen separata est deitas a la chair ; cependant, la divinité n’a pas été
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carne. Ergo anima non est medium quo deitas séparée de la chair. L’âme n’est donc pas
unitur carni. l’intermédiaire par lequel la divinité est unie à la
chair.
[7628] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2. L’un des extrêmes qui sont unis par un
2 Praeterea, unum extremorum quae conjunguntur intermédiaire est plus uni à l’intermédiaire qu’à
per medium, magis conjungitur medio quam alteri l’autre extrême. Or, la chair n’est pas plus unie à
extremo. Sed caro non magis conjungitur animae l’âme qu’à la divinité : en effet, la chair a été
quam deitati: est enim caro ab anima separata in séparée de l’âme dans la mort, mais non de la
morte, non tamen a deitate. Ergo divinitas non est divinité. La divinité n’est donc pas unie à la chair
unita carni mediante anima. par l’intermédiaire de l’âme.
[7629] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3. Dieu existe en chaque créature par son
3 Praeterea, Deus in qualibet creatura est essence, sa présence et sa puissance ; de même,
immediate per essentiam, praesentiam, et est-il uni de manière immédiate à l’âme sainte
potentiam: similiter etiam animae sanctae par la grâce. Puisque l’association par l’union est
conjungitur immediate per gratiam. Cum ergo plus grande que n’importe quelle de celles qui
major sit conjunctio unionis quam aliqua ont été mentionnées, il semble donc que tout ce
praedictarum, videtur quod quidquid assumitur ad qui assumé dans l’unité de la personne est uni à
unitatem personae, immediate divinitati Dieu de manière immédiate.
conjungatur.
[7630] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Augustin dit à Volusien: «Le
1 Sed contra, Augustinus ad Volusianum dicit: Fils de Dieu a assumé une âme raisonnable et,
filius Dei assumpsit animam rationalem, et per par l’intermédiaire de celle-ci, il s’est approprié
eam sibi corpus aptavit; et ita videtur quod un corps. » Il semble donc que le Fils de Dieu a
mediante anima filius Dei carnem assumpserit. assumé la chair par l’intermédiaire de l’âme.
[7631] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Les choses très distantes ne sont unies que
2 Praeterea, multum distantia non conjunguntur par un intermédiaire, qui est moins distant des
nisi per medium, quod minus distat ab extremis extrêmes que les extrêmes entre eux. Or, le corps
quam extrema ad invicem. Sed corpus plus distat est plus distant de la divinité que l’âme. Le corps
a deitate quam anima. Ergo corpus unitur deitati est donc uni à la divinité par l’intermédiaire de
mediante anima. l’âme.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il
assumé l’âme par l’intermédiaire de
l’esprit ?]
[7632] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il n’ait pas assumé l’âme par
1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit animam l’intermédiaire de l’esprit. En effet, il est
mediante spiritu. Impossibile enim est ut per idem impossible que quelque chose de supérieur et
medium uniatur aliquid superiori et inferiori; quia d’inférieur soit uni par le même intermédiaire,
illud quo unitur inferiori, est infra ipsum; illud car ce par quoi cela est uni à ce qui est inférieur
quo unitur superiori, est supra ipsum. Sed anima lui est inférieur, et ce par quoi il est uni à ce qui
mediante spiritu unitur corpori, quod est infra est supérieur lui est supérieur. Or, l’âme est unie
ipsum, ut quidam dicunt. Ergo non unitur Deo, au corps, qui lui est inférieur, par l’intermédiaire
qui est supra eam, mediante spiritu. de l’esprit, comme certains le disent. Elle n’est
donc pas unie à Dieu, qui lui est supérieur, par
l’intermédiaire de l’esprit.
[7633] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2. Il est nécessaire que l’intermédiaire diffère des
2 Praeterea, medium oportet differre ab extremis. extrêmes. Or, la mens, qui est appelée esprit par
Sed mens quae spiritus dicitur ab Augustino, non Augustin, n’est pas en dehors de l’âme ; bien
est extra essentiam animae, immo est id quod in plutôt, elle est ce qu’il y a de plus sublime dans
anima nostra est sublimius, in qua imago Dei notre âme, où se trouve l’image de Dieu, comme
invenitur, ut idem Augustinus dicit. Ergo non le dit le même Augustin. Il n’a donc pas assumé
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assumpsit animam mediante spiritu. l’âme par l’intermédiaire de l’esprit.


[7634] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3. L’esprit humain diffère de l’esprit angélique
3 Praeterea, spiritus humanus differt in hoc ab par le fait qu’il est aussi uni à la chair, ce qui ne
angelico quod est animae unitus et carni: quod convient pas à l’ange. Or, l’esprit angélique ne
Angelo non convenit. Sed spiritus angelicus non peut pas être assumé, comme on l’a dit plus haut,
est assumptibilis: ut supra dictum est, qu. 2, art. 1, q. 2, a. 1, qa 3. Que l’esprit humain puisse être
quaestiunc. 3. Ergo quod spiritus humanus sit assumé, c’est donc soit en raison de l’âme, soit
assumptibilis, est ex ratione animae, vel ex ratione en raison de la chair. Il a donc plutôt assumé
carnis. Ergo magis assumpsit spiritum mediante l’esprit par l’intermédiaire de la chair ou de
carne vel anima, quam e converso. l’âme, que l’inverse.
[7635] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] les réalités qui sont distantes
1 Sed contra, ea quae sunt distantia, per aliquid sont réunies par quelque chose qui est proche des
utrique proximum conjunguntur. Sed spiritus deux. Or, l’esprit est plus proche de Dieu par la
proximus est Deo per similitudinem imaginis, similitude de l’image, car Dieu lui-même est
quia et ipse Deus spiritus est, ut dicitur Joan. 4: esprit, comme il est dit en Jn 4 ; de même aussi,
similiter etiam cum anima convenit in hoc quod il a quelque chose en commun avec l’âme du fait
pars quaedam animae est. Ergo Deus animam qu’il est une partie de l’âme. Dieu a donc assumé
mediante spiritu assumpsit. l’âme par l’intermédiaire de l’esprit.
[7636] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. [2] De même que l’âme est supérieure au corps,
2 Praeterea, sicut anima corpore, ita aliis partibus de même l’esprit l’est-il aux autres parties de
animae spiritus superior est. Sed Deus assumpsit l’âme. Or, Dieu a assumé le corps par
corpus mediante anima. Ergo eadem ratione l’intermédiaire de l’âme. Pour la même raison, il
assumpsit animam mediante spiritu. a donc assumé l’âme par l’intermédiaire de
l’esprit.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Fils de Dieu a-t-il
assumé le tout par l’intermédiaire des
parties ?]
[7637] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il n’ait pas assumé le tout par
1 Ulterius. Videtur quod non assumpserit totum l’intermédiaire des parties. En effet, ce qui
mediantibus partibus. Illud enim quod convenit convient au tout en raison des parties ne convient
toti ratione partium, non solum convenit toti, sed pas seulement au tout, mais aussi aux parties. Or,
etiam partibus. Sed deitas non praedicatur de la divinité n’est pas prédiquée des parties de la
partibus humanae naturae (non enim dicimus nature humaine (en effet, nous ne disons pas que
quod anima sit Deus, vel quod corpus sit Deus): l’âme est Dieu, ou que le corps est Dieu), mais
praedicatur autem de toto cum dicimus Deum elle est prédiquée du tout, lorsque nous disons
hominem esse. Ergo cum per assumptionem que Dieu est homme. Puisque, par l’assomption
humanae naturae praedicetur Deus de homine, et e de la nature humaine, Dieu est prédiqué de
converso, videtur quod partes non assumpserit l’homme et inversement, il semble donc qu’il
nisi mediante toto. n’ait assumé les parties que par l’intermédiaire
du tout.
[7638] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2. Autre est la singularité de n’importe quelle
2 Praeterea, alia est singularitas uniuscujusque partie de l’homme, et la singularité d’une
partis hominis, et singularitas divinae personae personne divine ou son incommunicabilité, car il
vel incommunicabilitas, quia partes sunt plures, y a plusieurs parties, mais la personne qui
sed persona assumens una est. Est autem eadem assume est unique. Or, la singularité de la
singularitas personae assumentis et totius hominis, personne qui assume et celle de tout l’homme
quia eadem est hypostasis utriusque, ut dicit sont la même, car l’hypostase est la même pour
Damascenus. Ergo videtur quod partes non les deux, comme le dit [Jean] Damascène. Il
assumpserit nisi mediante toto. semble donc qu’il n’ait assumé les parties que
par l’intermédiaire du tout.
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[7639] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3. L’honneur de latrie est dû à la créature à
3 Praeterea, creaturae cui est unita divinitas laquelle est unie la divinité, comme on le dira
debetur honor latriae, ut infra dicetur, dist. 9, qu. plus loin, d. 9, q. 1, a. 2. Or, l’honneur de latrie
1, art. 2. Sed aliquibus partibus corporis Christi, si ne serait pas dû aux parties du corps du Christ, si
essent separatae, non deberetur honor latriae. Ergo elles étaient séparées. La divinité n’a donc pas
partibus separatis a toto non est unita divinitas. été unie aux parties séparées du tout. Elle n’a
Ergo non est unita partibus nisi mediante toto. donc été unie aux parties que par l’intermédiaire
du tout.
[7640] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4. Dans la mort du Christ, la divinité est restée
4 Sed contra, in morte Christi divinitas partibus unie aux parties de l’homme, à savoir, au corps
hominis, scilicet corpori et animae, unita mansit. et à l’âme. Or, le tout n’était pas constituté des
Sed tunc ex partibus, cum conjunctae non essent, parties, alors que celles-ci n’étaient pas unies. Il
totum non constabat. Ergo non assumpsit partes n’a donc pas assumé les parties par
mediante toto. l’intermédiaire du tout.
[7641] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 5. Tout ce qui convient à la partie et au tout
5 Praeterea, quidquid convenit parti et toti, per convient d’abord à la partie plutôt qu’au tout. Or,
prius convenit parti quam toti. Sed dicimus nous disons que la nature humaine a été
humanam naturam assumptam esse, et similiter assumée, de même que ses parties, à savoir,
partes ejus, scilicet animam et carnem. Ergo per l’âme et la chair. Il a donc d’abord assumé les
prius assumpsit partes quam totum; et ita non parties plutôt que le tout, et ainsi n’a-t-il pas
partes mediante toto assumpsit. assumé les parties par l’intermédiaire du tout.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7642] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Il existe un double intermédiaire : de convenance
Respondeo dicendum, quod est duplex medium, et de nécessité. L’intermédiaire de convenance
scilicet congruentiae, et necessitatis. Medium est celui qui réalise l’union appropriée des
congruentiae est quod facit ad decentem extrêmes, laquelle pourrait néanmoins exister
conjunctionem extremorum, quae tamen sans lui, comme la beauté contribue à l’union
nihilominus sine illo esse posset, sicut pulchritudo appropriée du mariage, mais si elle est en retirée,
facit ad decentem conjunctionem matrimonii, qua le mariage n’est pas dissous. Mais
tamen amissa, matrimonium non solvitur. l’intermédiaire nécessaire est celui sans lequel
Medium autem necessitatis est sine quo l’union des extrêmes ne peut exister, comme la
conjunctio extremorum esse non potest, sicut lumière est unie à l’air par l’intermédiaire du
lumen conjungitur aeri mediante diaphaneitate. diaphane. Cela se produit cependant de deux
Hoc tamen contingit dupliciter: quia vel est causa manières, car soit il est la cause de l’union, soit il
conjunctionis, vel est ad conjunctionem découle de l’union. L’intermédiaire est cause de
consequens. Conjunctionis causa est medium, l’union comme l’eau et l’air pour la vision, car
sicut aqua et aer in visu: quia per aerem redditur l’espèce est rendue visible à la vue elle-même
species visibilis ipsi visui. Consequens autem par l’air. Mais découle de l’union ce qui est
conjunctionem est quod ex conjunctorum causé par la disposition de ce qui est uni, comme
dispositione causatur, sicut aer vel aqua est l’air ou l’eau est l’intermédiaire du toucher.
medium in tactu: propter hoc oportet extremitates C’est la raison pour laquelle il est nécessaire que
corporum se tangentium humidas esse; et ita les extrémités des corps qui se touchent soient
oportet humiditatem aliquam intermediam esse. humides : ainsi est-il nécessaire qu’une humidité
Medium autem quod est causa conjunctionis, est soit intermédiaire. Or, l’intermédiaire qui est
duplex: quia vel conjungit effective, sicut homo cause de l’union est double : soit il unit
reconcilians inimicos, dicitur medius inter eos: vel effectivement, comme l’homme qui réconcilie
conjungit formaliter, sicut amor conjungit amicos, des ennemis est appelé un intermédiaire entre
ut medium quoddam inter eos. Sed utrumque eux ; soit il unit formellement, comme l’amour
horum adhuc dupliciter contingit: quia medium unit des amis en tant qu’il est un certain
necessitatis vel causa conjunctionis est in actu, ut intermédiaire entre eux. Mais ces deux choses se
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patet in vinculo quo aliqua colligantur, vel est produisent encore d’une double manière, car
causa conjungibilitatis, sicut siccitas in lignis l’intermédiaire nécessaire est soit la cause de
causat conjungibilitatem ad ignem. His igitur l’union dans l’acte, comme cela ressort pour le
visis, ad primam quaestionem dicendum, quod lien par lequel certaines choses sont attachées ;
anima est quodammodo medium quo corpus soit il est la cause du fait de pouvoir être uni,
divinitati unitur. Sed sciendum, quod si anima comme la sécheresse du bois cause sa capacité
comparetur ad unionem in actu, est medium d’être uni au feu. Après avoir vu cela, il faut
congruentiae tantum: non enim decet ut divinitas donc dire, à propos de la première question, que
corpori uniatur, nisi habeat animam: tum quia est l’âme est d’une certaine manière l’intermédiaire
Deo propinquior, tum quia pluribus modis est Deo par lequel la divinité est unie au corps. Mais il
unibilis quam corpus, quia etiam per gratiam et faut savoir que si l’âme est comparée à l’union
gloriam; tum etiam quia corpori unitur propter en acte, elle est un intermédiaire de convenance
reparationem animae. Si vero comparetur ad seulement. En effet, il ne sied pas que la divinité
unibilitatem, sic est medium necessitatis, sicut soit unie au corps s’il n’a pas d’âme, tant parce
causans formaliter unibilitatem in corpore; non que celle-ci est plus proche de Dieu, que parce
enim corpus est unibile servato ordine ad finem qu’elle peut être unie à Dieu de plus de manières
unionis (secundum quod creatura rationalis prae que le corps, car elle le peut aussi par la grâce et
aliis assumptibilis dicta est) nisi per hoc quod par la gloire ; soit aussi parce que [la divinité] est
particeps est imaginis Dei mediante anima; unde unie au corps en vue de la restauration de l’âme.
corpora inanimata unibilia non sunt. Mais si elle est comparée à la possibilité d’union,
elle est ainsi un intermédiaire nécessaire, en tant
qu’elle est cause formellement la possibilité
d’union dans le corps. En effet, en respectant
l’ordre, le corps ne peut être uni à la fin de
l’union (selon que la créature raisonnable a été
dite plus apte à être assumée que les autres), que
parce qu’il participe à l’image de Dieu par
l’intermédiaire de l’âme. C’est pourquoi les
corps inanimés ne sont pas susceptibles d’union.
[7643] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Si on enlève l’intermédiaire qui est cause de
Ad primum ergo dicendum, quod si tollatur l’union en acte, il est nécessaire que ce qui est
medium quod est causa conjunctionis in actu, uni soit dissous, de même que, si l’amour est
necesse est unita dissolvi, sicut subtracto amore, enlevé, les cœurs des hommes ne seront plus une
hominum corda ulterius unum non erunt: semper seule réalité : en effet, lorsque la cause est
enim ablata causa aufertur effectus. Subtracto enlevée, l’effet est toujours enlevé. Cependant, si
tamen medio congruentiae, quod ad decentiam on enlève l’intermédiaire de convenance, qui
unionis faciebat, non est necessarium unita donnait sa convenance à l’union, il n’est pas
dissolvi. Similiter autem non est necessarium ut si nécessaire que ce qui est uni soit dissous. De
tollatur medium, quod est causa conjungibilitatis, même n’est-il pas nécessaire qu’une fois enlevé
unio dissolvatur: potest enim esse ut causet l’intermédiaire qui est la cause de l’aptitude à
conjungibilitatem etiam postquam abscesserit, d’union, l’union soit dissoute : en effet, il peut
dummodo remaneat ordo et possibilitas ad ipsum, arriver qu’il cause l’aptitude à l’union même
quia forte conjunctio actualis medii non est causa après qu’il ait été écarté, pourvu que demeurent
conjungibilitatis ad extremum, sed potius l’ordre et la possibilité par rapport à lui, car peut-
conjungibilitas medii; sicut actualis consideratio être l’union actuelle avec l’intermédiaire n’est-
principiorum est medium quo habitus elle pas cause de l’aptitude à l’union avec un
conclusionum acquiritur; non tamen transeunte extrême, mais plutôt de l’aptitude à l’union avec
actuali consideratione principiorum, transit l’intermédiaire : ainsi, la considération actuelle
habitus conclusionis, eo quod adhuc manet des principes est l’intermédiaire par lequel
habilitas ad considerandum principia. Unde cum l’habitus des conclusions est acquis ; cependant,
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anima sit medium congruentiae, et causans l’habitus de la conclusion ne passe pas, alors que
unibilitatem in corpore, non oportet quod la considération actuelle des principes passe, du
abscedente anima conjunctio divinitatis ad carnem fait que demeure encore la capacité de considérer
dirimatur: quia adhuc remanet in corpore habilitas les principes. Puisque l’âme est un intermédiaire
et ordo ad animam, ratione cujus remanet in carne de convenance, qui cause la capacité d’union
convenientia unionis, et unibilitas ad divinitatem. dans le corps, il n’est donc pas nécessaire que,
lorsque l’âme se retire, l’union de la divinité
avec la chair soit abolie, car demeurent encore
dans le corps l’aptitude et l’ordre à l’âme, en
raison de quoi demeurent dans la chair la
convenance de l’union et la possibilité d’union
avec la divinité.
[7644] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Deux choses peuvent être plus unies que
Ad secundum dicendum, quod aliqua duo possunt d’autres de deux manières. Soit parce qu’elles
esse magis conjuncta quam alia, dupliciter. Vel sont unies d’un plus grand nombre de manières,
quia pluribus modis conjunguntur; et sic anima et ainsi l’âme est davantage unie à la chair que la
magis unitur carni quam deitas, quia anima est divinité, parce que l’âme est sa forme ; de cette
forma ejus; et hoc modo est medium formaliter manière, elle est l’intermédiaire qui cause
unibilitatem in ipso causans: vel quia fortiori formellement en lui la possibilité d’union. Soit
vinculo conjunguntur; et sic deitas magis unitur parce qu’elles sont unies par un lien plus fort, et
carni quam anima, quae unitur ei naturali unione, ainsi la divinité est davantage unie à la chair que
propter quod separabilis est; divinitas autem l’ame, qui lui est unie selon une union naturelle,
unitur carni per gratiam increatam, quae en raison de quoi elle peut en être séparée, alors
immutabilis est; et ideo illa unio nunquam que la divinité est unie à la chair par une grâce
separatur. incréée, qui est immuable. Aussi cette union
n’est-elle jamais séparée.
[7645] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 3. La créature est par elle-même capable de
Ad tertium dicendum, quod creatura ex seipsa recevoir l’influence divine en elle. Aussi n’a-t-
receptibilis est divini influxus in ipsam; et ideo elle pas besoin d’un intermédiaire qui la rende
non indiget medio quod faciat eam possibilem ad capable que Dieu existe en elle par son essence,
hoc quod Deus in ea sit per essentiam, sa présence et sa puissance ; elle n’a pas non plus
praesentiam et potentiam: neque etiam indiget besoin d’un intermédiaire de convenance, car il
medio congruentiae, quia decentissimum est ut convient au plus haut point que la créature ne
creatura a creatore non deseratur. Similiter etiam soit pas abandonnée par son Créateur. De même
anima secundum sui naturam capax est Dei; aussi, l’âme est-elle capable de Dieu par sa
corpus autem non est assumptibile per naturam nature. Mais le corps n’est pas susceptible d’ête
corporis, sed inquantum est perfectum anima assumé par la nature du corps, mais pour autant
rationali; et ideo non est simile. qu’il est perfectionné par l’âme raisonnable. Ce
n’est donc pas la même chose.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7646] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Selon Augustin, on parle de l’esprit de plusieurs
Ad secundam quaestionem dicendum, quod manières. D’une manière, un corps est lui-même
secundum Augustinum, spiritus multipliciter subtil, tel l’air. D’une autre manière, un corps est
dicitur. Uno modo ipsum corpus subtile, ut aer. entièrement soumis à l’âme, comme les corps
Alio modo corpus animae omnino subjectum, des saints lors de la résurrection, 1 Co 15. D’une
sicut corpora sanctorum in resurrectione, 1 troisième manière, n’importe quelle âme
Corinth. 15. Tertio modo quaelibet anima d’animaux sans raison. Si 3 : Qui sait… si
brutorum; Eccle. 3: quis novit (...) si spiritus l’esprit des animaux ne descend pas sous terre ?
jumentorum descendat deorsum ? Quarto virtus Quatrièment, la puissance imaginative,
imaginaria, 1 Corinth., 14, 15: psallam spiritu, 1 Co 14, 15 : Que je chante avec l’esprit, que je
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psallam mente. Quinto ipsa mens hominis vel chante avec l’intelligence. Cinquièmement,
Angeli, Ephes. 4, 23: renovamini spiritu mentis l’esprit même de l’homme ou de l’ange,
vestrae. Sexto ipsa divina substantia, Joan. 4, 24: Ep 4, 23 : Que votre esprit soit spirituellement
spiritus est Deus. Nunc autem loquimur de spiritu restauré. Sixièmement, la substance divine elle-
secundum quod pro mente ponitur. Unde même, Jn 4, 24 : Dieu est esprit. Mais ici, nous
dicendum, quod divinitas mediante spiritu parlons de l’esprit (spiritu) qui signifie l’âme
animam assumpsit, sicut anima mediante, corpus; (mente). Il faut donc dire que la divinité a
sicut enim corpus non est assumptibile nisi per assumé l’âme par l’intermédiaire de l’esprit,
hoc quod habet animam; ita anima non est comme elle a assumé le corps par l’intermédiaire
assumptibilis nisi per hoc quod mens in ea est, per de l’âme. En effet, de même que le corps n’est
quam imaginem Dei habet. susceptible d’être assumé que s’il a une âme, de
même l’âme n’est-elle susceptible d’être
assumée que s’il y a en elle un esprit, par lequel
elle possède l’image de Dieu.
[7647] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Cet argument vient du caractère équivoque
Ad primum ergo circa hoc objectum dicendum, d’esprit, comme cela ressort de ce qui a été dit.
quod ratio illa procedit ex aequivocatione spiritus,
ut ex dictis patet.
[7648] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Bien que l’esprit, c’est-à-dire la mens, ne soit
Ad secundum dicendum, quod quamvis spiritus, pas essentiellement différent de l’âme, si ce n’est
idest mens, non differat ab anima per essentiam, qu’il est appelé une puissance de l’âme, qui
nisi mens dicatur potentia animae, quae diffère essentiellement de l’âme d’une certaine
quodammodo ab anima per essentiam differt, manière comme la propriété de son sujet,
sicut proprietas a subjecto; tamen anima non ex cependant, l’âme n’est pas susceptible d’être
hoc quod est anima, assumptibilis est modo assumée de la manière dite du fait qu’elle est
praedicto, sed ex hoc quod mentem habet; et ideo âme, mais du fait qu’elle possède une mens.
mens est medium in anima assumptibilitatem Ainsi, la mens est-elle, à l’intérieur de l’âme, un
causans. intermédiaire qui cause l’aptitude à être assumée.
[7649] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Bien qu’une forme matérielle ne puisse exister
Ad tertium dicendum, quod quamvis forma sans la matière, la matière ne donne cependant
materialis non possit esse sine materia, tamen pas l’être à la forme, mais c’est l’inverse. De
materia non dat esse formae, sed e converso; ita même aussi, bien qu’un esprit qui n’est pas uni à
etiam quamvis spiritus carni non unitus la chair ne soit pas susceptible d’être assumé,
assumptibilis non sit, magis tamen spiritus causat l’esprit cause cependant davantage l’aptitude à
assumptibilitatem in corpore quam e converso. être assumé dans le corps que l’inverse.
[7650] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 2 ad s. Nous concédons les deux arguments en sens
c. Alia duo concedimus. contraire.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7651] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Selon l’origine, les parties sont antérieures au
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod partes tout en tant qu’elles le constituent ; mais, du
originaliter sunt priores toto, quasi constituentes point de vue de l’achèvement, le tout est
ipsum; totum autem completive est prius partibus, antérieur aux parties, car la raison de la nature
quia ratio naturae completae invenitur prius in achevée se trouve d’abord dans le tout lui-même
ipso toto, et ad partes ejus pervenit mediante toto, et elle parvient à ses parties par l’intermédiaire
inquantum ejus partes sunt; unde etiam sunt in du tout, pour autant qu’elles sont ses parties.
genere per reductionem. Et ideo dicendum est, Aussi sont-elles dans le [même] genre par
quod quodammodo mediantibus partibus réduction. Il faut donc dire que, d’une certaine
assumpsit totum, inquantum scilicet partes manière, il a assumé le tout par l’intermédiaire
originaliter humanam naturam constituebant, cui des parties, pour autant que les parties
per se assumptio debebatur; quodammodo autem constituaient à l’origine la nature humaine, à
100

partes mediante toto, inquantum ratio humanae laquelle est due le fait d’être assumée. Mais,
naturae, quae per se assumptibilis est, per prius d’une certaine manière, [il a assumé] les parties
invenitur in toto, et per hoc in partibus. par l’intermédiaire du tout, pour autant que la
raison de la nature humaine, qui est susceptible
d’être assumée par elle-même, se trouve d’abord
dans le tout, et dans les parties par
l’intermédiaire de celui-ci.
[7652] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Bien que Dieu ne soit pas prédiqué des parties
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis de de la nature humaine, ces parties causent
partibus humanae naturae Deus non praedicetur, cependant selon l’origine l’aptitude à être
tamen partes illae causant originaliter assumé dans le tout ; ainsi dit-on que l’homme
assumptibilitatem in toto; sicut homo dicitur est un animal, mais ni le corps ni l’âme ne sont
animal, non autem corpus vel anima dicitur appelés un animal, bien que le corps et l’âme
animal, quamvis ex corpore et anima causetur in causent en l’homme qu’il soit un animal.
homine quod animal sit.
[7653] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 2. Il existe une double singularité : la singularité
Ad secundum dicendum, quod est duplex de nature, comme cette humanité ; et la
singularitas: scilicet singularitas naturae, ut haec singularité de ce qui subsiste dans une nature,
humanitas; et singularitas subsistentis in natura, ut comme cet homme. Or, l’union n’a pas été
hic homo. Non autem est facta unio in réalisée dans la singularité de la nature, car les
singularitate naturae, quia naturae inalterabiliter natures sont unies d’une manière inaltérable ;
unitae sunt; sed est facta unio in singularitate mais l’union a été faite dans la singularité de la
personae subsistentis in natura, quia idem personne subsistant dans la nature, car le même
Christus in utraque natura subsistit. Singularitas Christ subsiste dans les deux natures. Mais la
autem partium, inquantum partes sunt, ad naturam singularité des parties, en tant qu’elles sont des
pertinet; et ideo non est eadem singularitas parties, relève de la nature. C’est pourquoi la
partium hominis et Dei; sed est eadem persona singularité des parties de l’homme et de Dieu
hominis et Dei: nec tamen sequitur quod partes n’est pas la même ; mais la personne de l’homme
non causent assumptibilitatem in toto. et de Dieu est la même. Il n’en découle
cependant pas que les parties ne causent pas
l’aptitude à être assumé dans le tout.
[7654] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Dans toutes les parties qui appartiennent à la
Ad tertium dicendum, quod in omnibus partibus vérité de la nature humaine, même dans celles
quae sunt de veritate humanae naturae, etiam qui sont séparées, demeure un ordre à la nature
separatis, manet ordo ad totam naturam; et ideo tout entière. C’est pourquoi l’aptitude à être
remanet in eis assumptibilitas, et per consequens assumé demeure en elles et, par conséquent,
unio, sicut in corpore Christi remansit anima l’union, comme l’âme séparée est demeurée dans
separata; unde et eis latria deberetur. Si autem le corps du Christ ; pour cette raison, la latrie
separarentur aliquae partes quae non essent de leur serait due. Mais si certaines parties qui
veritate humanae naturae, non remaneret in eis n’appartiendraient pas à la vérité de la nature
ordo ad naturam humanam, cui principaliter humaine étaient séparées, il ne resterait pas en
assumptio debetur; et ideo non remaneret unio, elles un ordre à la nature humaine, auquel le fait
nec debitum latriae. d’être d’assumé est principalement dû. Aussi
l’union ne demeurerait-elle pas ni la dette de la
latrie.
[7655] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4 4. De même que le corps demeure uni après
Ad quartum dicendum, quod sicut corpus remanet l’âme, bien qu’il soit uni par l’intermédiaire de
unitum post animam, quamvis mediante anima l’âme, parce que demeure dans le corps un ordre
uniatur, propter hoc quod remanet in corpore ordo à l’âme, de même demeure l’ordre des parties au
ad animam; ita etiam remanet ordo in partibus ad tout. Pour cette raison, une fois le tout dissous,
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totum; et propter hoc, dissoluto toto adhuc les parties demeurent encore unies.
remanent partes unitae.
[7656] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5 5. Bien que les parties soient antérieures au tout
Ad quintum dicendum, quod quamvis partes sint et causent le tout, il existe cependant quelque
priores toto et causent totum, tamen aliquid est chose qui ne convient aux parties que selon
quod non convenit partibus nisi in ordine ad l’ordre au tout, comme le fait qu’elles soient
totum, sicut quod ordinentur in praedicamento: ordonnées dans un prédicament. Aussi
unde ratio ex falsis procedit. l’argument vient-il de [prémisses] fausses.

Articulus 2 [7657] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. Article 2 – La nature humaine est-elle


2 tit. Utrum natura humana sit assumpta mediante assumée par l’intermédiaire de la grâce ?
gratia
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La nature humaine est-elle
assumée par l’intermédiaire de la grâce ?]
[7658] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que la nature humaine soit assumée
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod par l’intermédiaire de la grâce. En effet, comme
natura humana assumpta sit mediante gratia. Sicut le dit Augustin, « parmi les choses apparues dans
enim dicit Augustinus, in rebus per tempus exortis le temps, la plus grande grâce est que Dieu soit
summa gratia est quod Deus in unitate personae uni à un homme dans l’unité de la personne sans
homini nullis meritis praecedentibus copulatur. aucun mérite qui ait précédé ». Or, dans ce qui
Sed in his quae fiunt per gratiam gratia medium est réalisé par la grâce, la grâce joue le rôle
cadit. Ergo natura humana unitur divinitati d’intermédiaire. La nature humaine est donc unie
mediante gratia. à la divinité par l’intermédiaire de la grâce.
[7659] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2. L’union dans la personne est plus grande que
2 Praeterea, major est unio in persona quam unio l’union de l’âme bienheureuse à Dieu par la
animae beatae ad Deum per fruitionem. Sed fruition. Or, l’âme ne peut être unie à Dieu par
anima non potest uniri Deo per modum fruitionis mode de fruition que par l’intermédiaire de la
nisi mediante gratia. Ergo nec natura humana grâce. La nature humaine ne peut donc pas non
potest assumi in unitatem divinae personae nisi plus être assumée dans l’unité d’une personne
mediante gratia. divine sans l’intermédiaire de la grâce.
[7660] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3. La nature ne peut parvenir que par
3 Praeterea, in illud quod facultatem naturae l’intermédiaire de la grâce à ce qui dépasse la
excedit, natura non potest pervenire nisi mediante capacité de la nature. Or, être assumée dans
gratia. Sed assumi in unitatem divinae personae l’unité d’une personne divine dépasse au plus
est maxime excedens facultatem naturae. Ergo in haut point la capacité de la nature. La nature ne
hoc natura non potest pervenire, nisi per gratiam peut donc parvenir à cela que si elle est élevée
elevetur; et sic idem quod prius. par la grâce. La conclusion est ainsi la même que
précédemment.
[7661] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le corps humain n’est pas apte à
1 Sed contra, corpus humanum non est recevoir la grâce, et il est cependant assumé
susceptibile gratiae, et tamen assumptum est sicut comme l’âme. L’assomption de la nature
et anima. Ergo assumptio humanae naturae non humaine n’a donc pas été réalisée par
est facta mediante gratia. l’intermédiaire de la grâce.
[7662] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Dans ce qui est accompli miraculeusement,
2 Praeterea, in his quae miraculose fiunt, non un intermédiaire qui dispose n’est pas nécessaire.
requiritur aliquod medium disponens. Sed Or, l’assomption de la nature humaine a été
assumptio humanae naturae miraculose est facta. réalisée miraculeusement. Il n’était donc pas
Ergo non oportuit quod esset ibi gratia aliqua, nécessaire qu’il y ait là quelque grâce qui aurait
quasi disponens humanam naturam in unionem. disposé la nature humaine à l’union.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Fils de Dieu a-t-il
102

assumé la chair par l’intermédiaire du Saint-


Esprit ?]
[7663] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que le Fils de Dieu ait assumé la
1 Ulterius. Videtur quod filius Dei carnem chair par l’intermédiaire du Saint-Esprit. En
assumpsit mediante spiritu sancto. Verbum enim effet, le verbe créé n’est uni à la voix que par
creatum non unitur voci, nisi mediante spiritu. l’intermédiaire de l’esprit. Or, « de même que le
Sed sicut verbum mentis humanae unitur voci, ita verbe de l’esprit humain est uni à la voix, de
verbum divinum unitur carni, ut dicit Augustinus. même le Verbe divin est-il uni à la chair »,
Ergo illa unio facta est mediante spiritu sancto. comme le dit Augustin. Cette union a donc été
réalisée par la médiation du Saint-Esprit.
[7664] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2. Dans toute union qui est réalisée par une
2 Praeterea, in omni conjunctione quae fit per volonté gratuite, l’amour joue le rôle
gratuitam voluntatem, amor medium cadit. Sed d’intermédiaire. Or, l’union du Fils de Dieu à la
unio filii Dei ad humanam naturam est hujusmodi. nature humaine est de ce genre. En elle, l’Esprit
Ergo in ea spiritus sanctus, qui est amor, medium Saint, qui est amour, est donc un intermédiaire.
est.
[7665] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3. Selon Augustin et Hilaire, l’Esprit Saint est la
3 Praeterea, secundum Augustinum et Hilarium, plus proche de nous des trois personnes. Or, ce
inter tres personas spiritus sanctus est nobis qui est plus rapproché de quelqu’un est un
propinquior. Sed id quod alicui magis propinquat, intermédiaire par lequel il est uni à ce qui est
est medium quo magis distanti unitur. Ergo plus éloigné. L’Esprit Saint est donc un
spiritus sanctus est medium quo unitur humana intermédiaire par lequel la nature humaine est
natura divinae. unie à la nature divine.
[7666] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, l’intermédiaire est plus uni aux
1 Sed contra, medium magis unitur utrique deux extrêmes que les extrêmes entre eux. Or,
extremorum quam extrema ad invicem. Sed l’Esprit Saint n’est pas uni à l’humanité dans sa
spiritus sanctus non unitur humanitati in persona. personne. Il n’est donc pas l’intermédiaire de
Ergo non est medium unionis. l’union.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’union joue-t-elle le rôle
d’intermédiaire entre la nature humaine et la
nature divine ?]
[7667] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’union non plus ne joue pas le
1 Ulterius. Videtur quod nec unio cadat medium rôle d’intermédiaire entre la nature humaine et la
inter humanam naturam et divinam. Nullum enim nature divine. En effet, aucun accident ne joue le
accidens cadit medium in aliqua substantiali rôle d’intermédiaire dans une union substantielle.
unione. Sed unio, cum sit relatio, accidens Or, l’union, puisqu’elle est une relation, est un
quoddam est. Ergo cum unio divinitatis ad accident. Puisque l’union de la divinité à
humanitatem non sit accidentalis, sed in l’humanité n’est pas accidentelle, mais se réalise
substantia, quae hypostasis dicitur, videtur quod dans la substance, qu’on appelle hypostase, il
in illa unione medium cadere non possit. semble donc qu’elle ne puisse jouer le rôle
d’intermédiaire dans cette union.
[7668] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2. Si cette union est une réalité, elle est soit
2 Praeterea, si unio illa res aliqua est, aut est éternelle, soit tempoelle. Si elle est éternelle,
aeterna, aut temporalis. Si aeterna, cum puisque la composition ne peut se comprendre
compositionem non sit intelligere sine sans les composantes, comme le dit le
componentibus, ut dicit philosophus, oporteret Philosophe, il faudrait que l’homme ait été
quod homo ab aeterno Deo unitus fuisset. Si éternellement uni à Dieu. Si elle est temporelle,
temporalis, cum unio sit in utroque extremorum, puisque l’union existe dans les deux extrêmes, il
videtur quod aliquod temporale in Deo sit; quod semble que quelque chose de temporel existe en
est impossibile. Ergo unio non est aliqua res Dieu, ce qui est impossible. L’union n’est donc
103

cadens medium inter humanam naturam et pas une réalité qui joue le rôle d’intermédiaire
divinam. entre la nature humaine et la nature divine.
[7669] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3. De plus, si elle est temporelle, puisque toutes
3 Praeterea, si sit temporalis, cum omnia les réalités temporelles ont précédé dans les
temporalia praecesserint in operibus sex dierum, œuvres des six jours, il faut que cette union aussi
oportet quod et unio ista in operibus illis ait précédé parmi ces œuvres, ce qui ne semble
praecesserit, quod non videtur. Ergo unio non est pas être le cas. L’union n’est donc donc pas une
aliqua res temporalis quae medium inter réalité temporelle qui pourrait jouer le rôle
divinitatem et humanitatem cadere possit. d’intermédiaire entre la divinité et l’humanité.
[7670] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, la relation joue le rôle
1 Sed contra, relatio cadit medium inter extrema. d’intermédiaire entre des extrêmes. Or, l’union
Sed unio relatio quaedam est, qua humanitas et est une relation, en vertu de laquelle on dit que
divinitas uniri dicuntur. Ergo mediante unione, l’humanité et la divinité sont unies. La nature
humana natura divinae unita est. humaine a donc été unie à la nature divine par
l’intermédiaire de l’union.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7671] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 co. En supposant la distinction faite dans l’article
Respondeo, supposita distinctione in praedicto précédent, il faut savoir que, dans l’union de la
articulo praemissa, sciendum est, quod in unione nature humaine à la nature divine, rien ne peut
humanae naturae ad divinam nihil potest cadere jouer le rôle d’intermédiaire en causant l’union
medium formaliter unionem causans, cui per prius d’une manière formelle, et à quoi la nature
humana natura conjungatur quam divinae humaine serait uni avant de l’être à la personne
personae: sicut enim inter materiam et formam divine. En effet, de même qu’entre la matière et
nihil cadit medium in esse quod per prius sit in la forme, rien ne joue le rôle d’intermédiaire
materia quam forma substantialis; alias esse dans l’être, qui existerait dans la matière avant la
accidentale esset prius substantiali, quod est forme substantielle (autrement, un être accidentel
impossibile; ita etiam inter naturam et suppositum serait antérieur à l’être substantiel, ce qui est
non potest aliquid dicto modo medium cadere, impossible), de même aussi, entre la nature et le
cum utraque conjunctio sit ad esse substantiale. suppôt, rien ne peut jouer le rôle d’intermédiaire
Sed sicut adventum formae in materiam de la manière dite, puisque les deux unions
praecedunt ordine fiendi disponentia formaliter et existent en fonction d’un être substantiel. Mais,
materialiter, quibus materia redditur idonea ad de même que certaines choses, par lesquelles la
susceptionem formae; ita etiam in humana natura matière est rendue apte à recevoir la forme,
inveniuntur quaedam superaddita, quibus redditur disposent formellement et matériellement dans
decens ut assumatur a divina persona, ut scientiae l’ordre du devenir à l’arrivée de la forme dans la
et virtutes et hujusmodi: unde ista possunt matière, de même aussi, dans la nature humaine,
quodammodo dici medium congruentiae. Ad trouve-t-on certaines choses ajoutées, par
primam ergo quaestionem dicendum, quod sicut lesquelles elle est rendue apte à être assumée par
in 2 Sentent., 26 dist., Magister dicit, gratia une personne divine, telle les sciences et les
dupliciter dicitur: uno modo ipse Deus gratis dans, vertus, et les choses de ce genre. Ces choses
vel gratuita voluntas ejus; alio modo donum peuvent donc d’une certaine manière être
aliquod gratis datum. Primo ergo modo appelées un intermédiaire de convenance. Il faut
accipiendo gratiam, gratia est medium unionis donc répondre à la première question que, ainsi
quasi unionem efficaciter causans: quia gratuita que le dit le Maître dans le livre II des Sentences,
sua voluntate sine meritis praecedentibus carnem d. 26, on parle de grâce de deux manières : d’une
assumpsit. Secundo modo accipiendo gratiam, manière, comme de Dieu lui-même qui donne
non cadit ibi aliquod medium habituale donum, gratuitement, ou de sa volonté gratuite ; d’une
sicut unionem vel unibilitatem formaliter causans; autre manière, comme d’un don fait
sed solum est sicut medium congruitatis, sicut gratuitement. En prenant le premier sens de la
etiam scientia, et perfectio corporis, et hujusmodi, grâce, la grâce est l’intermédiaire de l’union en
104

quae decuit naturae assumptae non deesse. Nisi tant qu’elle cause efficacement l’union, car [le
forte gratia ipsa unio dicatur, quae est quoddam Fils de Dieu] a assumé la chair par sa volonté
donum gratiae gratis datum: quae quomodo sit gratuite, sans mérite antérieur [de la part de la
medium, post dicetur. nature humaine]. En prenant la grâce au second
sens, un don habituel ne joue pas là le rôle
d’intermédiaire, en tant qu’il cause l’union et la
capacité d’union de manière formelle, mais il est
seulement un intermédiaire de convenance,
comme aussi la science, la perfection du corps et
les choses de ce genre, dont il convenait que la
nature assumée ne soit pas privée. À moins que
l’on appelle grâce l’union elle-même, qui est un
don de grâce gratuitement donné. On dira plus
loin de quelle manière elle est un intermédiaire.
[7672] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Comme il s’en explique lui-même, cette
Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ipsemet se assomption relève de la plus grande grâce, car le
exponit, assumptio illa ad maximam gratiam si grand don d’être le Fils de Dieu a été donné à
pertinet: quia tam maximum donum collatum est un homme sans mérites antérieurs. La grâce
homini ut esset filius Dei nullis praecedentibus divine signifie donc la volonté divine qui réalise
meritis. Unde gratia divina ibi significat gratuitement l’union, et non un habitus par
voluntatem divinam, unionem gratis facientem, et l’intervention duquel l’union a été réalisée.
non habitum aliquem, quo interveniente unio
completa sit.
[7673] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 2. La jouissance (fruitio) exprime une certaine
Ad secundum dicendum, quod fruitio operationem opération. Ainsi, par la jouissance, l’âme est-elle
quamdam dicit: unde per fruitionem anima unitur unie à Dieu comme celui qui opère à l’objet
Deo, sicut operans operationis objecto. Hoc autem d’une opération. Or, il appartient à la raison
ad rationem perfectae operationis pertinet ut a d’opération parfaite d’être issue d’une puissance
potentia mediante habitu eliciatur; et ideo oportet par l’intermédiaire d’un habitus ; aussi est-il
quod unio fruitionis mediante habitu gratuito fiat. nécessaire que l’union par la jouissance se
Unio autem in persona est ad unum esse réalise par l’intermédiaire d’un habitus gratuit.
personale; habitus autem non potest esse Or, l’union à une personne [divine] est une union
principium personae subsistentis, sed est ad esse à son être personnel. Or, un habitus ne peut être
consequens; et ideo gratia non est medium in le principe d’une personne subsistante, mais il
unione personali, sicut unionem formaliter découle de l’être. C’est pourquoi la grâce n’est
causans. pas un intermédiaire dans l’union personnelle, en
tant que cause formelle de l’union.
[7674] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Bien qu’être assumée dans l’unité d’une
Ad tertium dicendum, quod quamvis assumi in personne divine dépasse la capacité de la nature
unitatem divinae personae sit supra facultatem humaine, il n’est cependant pas nécessaire que
humanae naturae, non tamen exigitur aliquid quelque chose élève formellement la nature
formaliter humanam naturam elevans ad talem humaine à une telle assomption, tant parce que,
assumptionem: tum quia quocumque addito, talis quoi qu’on ajoute, une telle nature serait
natura a persona divina in infinitum distaret: tum infiniment distante de la personne divine, que
quia cum assumi per se naturae conveniat; omnia parce que le fait d’être assumée convient par soi
autem accidentia praeter rationem naturae sint, à la nature [humaine]. Or, tous les accidents
ideo non poterit humana natura secundum id quod dépassent la raison de la nature. La nature
assumptibilis est, elevari per aliquod accidens humaine ne pourra donc pas, selon ce par quoi
additum ad hoc ut assumptibilior fiat: sed ad hoc elle peut être assumée, être élevée par un
quod assumatur, exigitur benignitas divina accident ajouté pour qu’elle devienne apte à être
105

humanam naturam ad tantam dignitatem gratis assumée. Mais, pour qu’elle soit assumée, est
elevans. nécessaire la bienveillance divine qui élève
gratuitement la nature humaine à une telle
dignité.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7675] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 co. 1. On ne peut dire que l’Esprit Saint est un
Ad secundam quaestionem dicendum, quod intermédiaire dans cette union, si ce n’est en tant
spiritus sanctus non potest dici in illa unione qu’il est cause efficiente de cette union. Bien
medium, nisi sicut unionem effective causans: qu’elle soit l’effet de la Trinité tout entière, elle
quae quamvis effectus totius Trinitatis sit, tamen est cependant appropriée à l’Esprit Saint, comme
spiritui sancto appropriatur, ut infra dicetur, dist. on le dira plus loin, d. 4, q. 1, a. 2, qa 1.
4, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 1.
[7676] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 2. Même le verbe créé n’est uni à la voix par
Ad primum ergo dicendum, quod etiam verbum l’intermédiaire de l’esprit qu’en tant
creatum voci non unitur mediante spiritu, nisi qu’intermédiaire qui réalise l’union, car, ainsi
sicut per medium effectivum unionis: quia, sicut que le dit le Philosophe, l’air respiré qui frappe
dicit philosophus, percussio respirati aeris ad la trachée est la cause de la voix. C’est de cette
arteriam est causa vocis: et per hunc etiam manière qu’est appropriée à l’Esprit Saint la
modum spiritui sancto appropriatur efficientia réalisation de la chair à laquelle le Verbe incréé
carnis, cui verbum increatum unitur. est uni.
[7677] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Ce qui est accompli par la volonté est aussi
Ad secundum dicendum, quod ea quae per accompli par l’intermédiaire de l’amour comme
voluntatem fiunt, etiam mediante amore fiunt, cause efficiente. De même en est-il pour l’union
sicut efficiente causa; et sic etiam est in praedicta dont il a été question.
unione.
[7678] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 3. On dit que l’Esprit Saint est plus proche de
Ad tertium dicendum, quod spiritus sanctus etiam nous pour autant que tous les dons nous sont
dicitur propinquior nobis, inquantum per ipsum donnés par lui, comme on l’a dit dans le livre I,
omnia dona nobis donantur, ut in 1 Lib., dist. 18, d. 18. Cela revient donc à la même chose que ce
dictum est; et sic in idem redit cum praedictis. qui précède.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7679] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Entre la nature humaine et la nature divine, il est
Ad tertiam quaestionem dicendum est, quod inter nécessaire qu’intervienne une union
humanam naturam et divinam necesse est cadere intermédiaire, non pas en tant que cause, mais en
unionem mediam, non sicut causam, sed sicut tant qu’effet découlant de l’union des natures.
effectum conjunctionem naturarum C’est en effet la nature de la relation d’avoir sa
consequentem. Est enim natura relationis ut in cause dans d’autres genres de choses, car elle
aliis rerum generibus causam habeat, quia possede la nature de l’être au plus faible degré,
minimum habet de natura entis, ut Commentator comme le dit le Commentateur dans
12 Metaph. dicit. Unde quamvis relatio per se non Métaphysique, XII. Bien que la relation ne
terminet motum, quia in ad aliquid non est motus, termine pas par elle-même le mouvement, car il
ut probatur in 5 Physic., tamen ex hoc quod motus n’y a pas de mouvement vers ce qui est relatif,
per se terminatur ad aliquod ens, de necessitate comme cela est démontré dans Physique, V,
consequitur relatio aliqua; sicut ex hoc quod toutefois, du fait que le mouvement se termine
motus alterationis terminatur ad albedinem, par soi à un être, il en découle nécessairement
consequitur relatio similitudinis ad omnia alba: une relation. Ainsi, du fait que le mouvement
similiter etiam ex hoc quod motus generationis d’altération se termine à la blancheur, il en
terminatur ad formam, consequitur haec relatio découle une relation de ressemblance avec tout
secundum quam materia sub forma esse dicitur; ce qui est blanc. De même aussi, du fait que le
ita etiam ex hoc quod motus assumptionis mouvement de la génération se termine à une
106

humanae naturae terminatur ad personam, forme, il en découle la relation selon laquelle on


consequitur haec relatio quae dicitur unio; unde dit que la matière a une forme. Et encore, de
unio est medium non sicut assumptionem causans, même que le mouvement d’assomption de la
sed potius sicut eam consequens; sicut etiam nature humaine se termine à la personne, il en
dictum est supra, quod aqua est medium in tactu découle cette relation qu’on appelle l’union.
ex hoc quod tangentia humectata sunt. L’union est donc intermédiaire, non pas en tant
qu’elle cause l’assomption, mais plutôt en tant
qu’elle en découle, comme on a dit plus haut que
l’eau est intermédiaire pour le toucher du fait que
ce qui est contact avec elle est humide.
[7680] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 1. Rien n’empêche qu’un accident soit
Ad primum ergo dicendum, quod nihil prohibet intermédiaire comme conséquence de l’union
accidens esse medium in conjunctione substantiali dans l’union substantielle. Il est cependant
sicut conjunctionem sequens; impossibile est impossible qu’il soit intermédiaire comme cause
tamen ut sit medium conjunctionem causans. de l’union.
[7681] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 2. L’union est une relation temporelle : elle se
Ad secundum dicendum, quod unio relatio trouve ainsi réellement dans la nature assumée
quaedam temporalis est: quae quidem realiter est elle-même, mais dans la personne qui assume
in ipsa natura assumpta, sed in persona assumente selon la raison seulement, comme c’est le cas des
secundum rationem tantum; sicut et de aliis autres relations temporelles attribuées à Dieu, tel
relationibus ex tempore de Deo dictis, ut dominus, Seigneur et les choses de ce genre, comme on l’a
et hujusmodi, in 1 Lib., dist. 30, dictum est. Et dit dans le livre I, d. 30. Cependant, de même
tamen sicut dominus realiter dicitur Deus, non que Dieu est appelé réellement Seigneur
propter relationem dominii realiter in ipso réellement, non pas en raison d’une relation de
existentem, sed propter potestatem coercendi souveraineté existant réellement en lui, mais en
creaturam, ex qua talis relatio causatur; ita etiam raison de son pouvoir de coercition sur la
dicitur realiter unitus, quia in eo realiter est créature, par lequel cette relation est causée, de
personalitas, ad quam unio terminatur. même aussi est-il dit uni parce qu’existe
réellement en lui une personnalité à laquelle se
termine l’union.
[7682] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Cette union a précédé les œuvres des six jours,
Ad tertium dicendum, quod unio illa praecessit in non pas dans une raison séminale, mais dans la
operibus sex dierum, non in ratione seminali, sed puissance obédientielle seulement, comme le fait
in potentia obedientiae tantum; sicut in costa qu’Ève pouvait naître se trouvait dans la côté
Adae fuit ut ex ea Eva nasci posset. d’Adam.
Articulus 3 [7683] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. Article 3 – La chair a-t-elle été conçue avant
3 tit. Utrum caro prius fuerit concepta quam d’être assumée ?
assumpta
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La chair a-t-elle été conçue
avant d’être assumée ?]
[7684] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble que la chair ait été conçue avant
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caro d’être assumée. En effet, ce qui n’existe pas ne
prius fuerit concepta quam assumeretur. Quod peut pas être assumé. Or, la chair devient un être
enim non est, non potest assumi. Sed caro per par la conception. La chair a donc été conçue
conceptionem efficitur ens. Caro ergo prius fuit avant d’être assumée.
concepta quam assumeretur.
[7685] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2. Le mouvement précède toujours dans le temps
2 Praeterea, motus semper praecedit tempore le terme du mouvement. Or, la conception de la
terminum motus. Sed conceptio carnis terminata chair s’est terminée à l’union, comme un
est ad unionem, sicut motus ad terminum. Ergo mouvement à son terme. La conception a donc
107

conceptio unionem praecessit. précédé l’union.


[7686] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. Cependant, [1] la communication des idômes
1 Sed contra, sola unione communicatio existe seulement en vertu de l’union, de sorte
proprietatum efficitur, ut quod de homine dicitur, que ce qui est dit de l’homme est dit du Fils de
de filio Dei dicatur. Sed concipi proprie carnis est. Dieu. Or, être conçu relève au sens propre de la
Si ergo conceptio carnis unionem praecederet, chair. Si donc la conception de la chair avait
filius Dei de virgine conceptus non esset; quod est précédé l’union, le Fils de Dieu n’aurait pas été
contra symbolum. Ergo conceptio carnis unionem conçu par la Vierge, ce qui est contraire au
non praecessit. symbole. La conception de la chair n’a donc pas
précédé l’union.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La chair a-t-elle été
assumée avant d’être animée ?]
[7687] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble que la chair ait été assumée avant
1 Ulterius. Videtur quod caro prius fuerit d’être animée. En effet, ce qui est premier dans
assumpta quam animata. Quod enim est primum la séparation est dernier dans la composition. Or,
in resolutione, est ultimum in compositione. Sed l’âme a été séparée de la chair, alors que
anima separata est a carne, adhuc manente unione demeurait l’union de la chair à la divinité. La
carnis ad divinitatem. Ergo caro prius est chair a donc été assumée par la divinité avant
assumpta a divinitate quam animaretur. d’être animée.
[7688] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2. Puisque l’âme est une forme, elle demande
2 Praeterea, anima, cum sit forma, requirit une matière propre, à savoir un corps organique
propriam materiam, scilicet corpus organicum in dans lequel elle puisse exister. Or, cela se réalise
quo sit. Hoc autem fit per conceptionem carnis. par la conception de la chair. La conception
Ergo conceptio praecedit animationem. Sed précède donc l’animation. Or, la conception de la
conceptio carnis simul est cum ipsius chair se réalise en même temps que l’assomption
assumptione, ut probatum est. Ergo caro prius fuit elle-même, comme on l’a démontré. La chair a
assumpta quam animata anima rationali. donc été assumée avant d’être animée par une
âme raisonnable.
[7689] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, la chair est unie à la divinité par
1 Sed contra, caro unitur divinitati mediante l’intermédiaire de l’âme, comme on l’a vu. Or,
anima, ut supra habitum est. Sed extremum non un extrême n’est pas uni à un [autre] extrême
prius extremo conjungitur quam medio. Ergo caro avant d’être uni à l’intermédiaire. La chair n’a
non prius est divinitati unita quam animata. donc pas été unie à la divinité avant d’être
animée.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’âme a-t-elle été assumée
avant d’être unie au corps ?]
[7690] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’âme ait été assumée avant
1 Ulterius. Videtur quod anima sit prius assumpta d’être unie au corps. En effet, un extrême est
quam corpori conjuncta. Extremum enim prius d’abord uni à un intermédiaire avant de l’être à
conjungitur medio quam alteri extremorum. Sed un autre extrême. Or, la divinité est unie à la
divinitas unitur carni mediante anima. Ergo prius chair par l’intermédiaire de l’âme. Elle est donc
unitur animae quam carni. Sed simul divinitas et unie à l’âme avant la chair. Or, la divinité et
anima carni uniuntur. Ergo divinitas prius unitur l’âme sont unies à la chair en même temps. La
animae quam carni. divinité est donc unie à l’âme avant de l’être à la
chair.
[7691] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2. On dit que la personne du Christ est composée
2 Praeterea, persona Christi ex tribus substantiis de trois substances : la divinité, l’âme et la chair.
componi dicitur, scilicet ex divinitate, anima et La plus élevée d’entre elles est la divinité, la plus
carne: quorum supremum est deitas, et infimum infime est la chair, mais l’âme est intermédiaire.
est caro, anima autem est medium. Sed prius Or, la divinité existait avant d’être unie à l’âme
108

divinitas fuit quam animae et carni uniretur. Ergo et à la chair. Si l’intermédiaire a quelque chose
si medium cum extremis communicat, videtur en commun avec les extrêmes, il semble donc
quod anima sit posterior deitate, et prior carne. que l’âme soit postérieure à la divinité et
Sed simul anima creata est et assumpta. Ergo antérieure à la chair. Or, l’âme a été créée en
anima prius est assumpta quam carni uniatur. même temps qu’elle a été assumée. L’âme a
donc été assumée avant d’être unie à la chair.
[7692] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. Cependant, l’âme n’a pas été assumée avant
1 Sed contra, anima non est prius assumpta quam d’être créée, et elle n’a pas été créée avant d’être
creata; nec creata quam corpori infusa: quia infusée dans le corps, car elle est infusée dans le
creando corpori infunditur, et infundendo creatur. corps en étant créée, et elle est créée en étant
Ergo anima non est prius assumpta quam carni infusée. L’âme n’a donc pas été assumée avant
unita. d’être unie à la chair.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7693] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Aucune nature n’a l’être que dans son suppôt. En
Respondeo dicendum, quod nulla natura habet effet, l’humanité ne peut exister que dans un
esse nisi in supposito suo: non enim humanitas homme. Tout ce qui fait partie du genre de la
potest esse nisi in homine: unde quidquid est in substance existant par soi a donc raison
genere substantiae per se existens, rationem d’hypostase ou de suppôt. Et parce que « l’union
hypostasis habet, vel suppositi: et quia unio de la divinité et de l’humanité se réalise dans
divinitatis et humanitatis fit in hypostasi, ut dicit l’hypostase », comme le dit [Jean] Damascène, il
Damascenus, ideo non potest esse ut quod ne peut donc se faire que ce qui a été assumé ait
assumptum est, prius fuerit quam assumeretur: existé avant d’être assumé, sans affirmer que
nisi forte poneretur quod assumptio rationem l’assomption enlèverait la raison d’hypostase à la
hypostasis rei assumptae tolleret, quod est réalité assumée, ce qui est inapproprié. En effet,
inconveniens; hoc enim sine corruptione assumpti cela ne pourrait arriver sans corruption de ce qui
accidere non posset. Et ideo nullum horum trium est assumé. Aussi aucune de ces trois choses
est possibile: scilicet nec ut caro concepta prius n’est-elle possible : que la chair ait d’abord été
fuerit, et postmodum assumpta; nec ut anima prius conçue, puis assumée ; que l’âme ait d’abord été
creata, et postmodum assumpta; neque ut homo créée, et ensuite assumée ; que l’homme ait
prius ex suis partibus constitutus sit, et d’abord été constitué de ses parties, et ensuite
postmodum assumptus. Sicut autem ex dictis assumé. Or, comme il ressort de ce qui a été dit,
patet, corpus assumptibilitatem habet ab anima; le corps tient de l’âme son aptitude à être
similiter etiam partes essentiales assumé. De même aussi, les parties essentielles
assumptibilitatem habent ex ratione, cujus sunt tiennent leur aptitude à être assumées de la
partes naturae. Unde etiam utrumque horum est raison, dont elles sont naturellement les parties.
impossibile, ut scilicet anima prius sit creata et Aussi ces deux choses sont-elles aussi
assumpta, et postmodum corpori conjuncta; et impossibles : que l’âme ait été créée et assumée,
etiam quod caro prius sit concepta et assumpta, et et ensuite unie au corps ; que la chair ait été
postmodum animae unita: sed haec quatuor conçue et assumée, et ensuire unie à l’âme. Mais
necesse est simul fuisse, scilicet conceptionem ces quatre choses doivent s’être réalisées en
carnis, creationem animae, conjunctionem même temps : la conception de la chair, la
utriusque, et unionem ad deitatem. Unde patet création de l’âme, l’union des deux et l’union à
responsio ad primam quaestionem: non enim fuit la divinité. La réponse à la première question est
possibile quod caro prius fuerit concepta, et donc claire. En effet, il n’était pas possible que la
postmodum assumpta; quia si ante assumptionem chair soit d’abord conçue, et ensuite assumée,
concepta fuisset, propriam hypostasim habuisset; car si elle avait été conçue avant d’être assumée,
et tunc post assumptionem, vel mansisset illa elle aurait eu une hypostase propre ; et alors,
hypostasis, et sic non potuisset fieri unio in après l’assomption, soit cette hypostase serait
hypostasi; vel non mansisset, et hoc sine demeurée, et ainsi l’union dans l’hypostase
corruptione carnis prius conceptae accidere non n’aurait pas pu se réaliser ; soit elle ne serait pas
109

posset: ratio enim hypostasis non est accidentalis demeurée, et cela ne pourrait se produire sans la
rei, ut re eadem numero manente alia hypostasis corruption de la chair d’abord assumée : en effet,
esse possit. la raison d’hypostase n’appartient pas à une
réalité accidentelle, de sorte que, une chose
demeurant numériquement la même, il pourrait y
avoir une autre hypostase.
[7694] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 1. Bien que ce qui n’existe pas ne puisse être
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis illud assumé, il est cependant possible que, dans le
quod non est, non possit assumi, tamen possibile même instant où cela obtient l’être, cela soit
est ut in eodem instanti in quo esse habet, assumé, de sorte que l’être de la chose assumée
assumatur, ut sic esse rei assumptae non praecedat ne précède pas l’assomption dans le temps, mais
assumptionem tempore, sed natura. par nature.
[7695] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 2. Bien que le mouvement, selon son principe ou
Ad secundum dicendum, quod quamvis motus son milieu, ne puisse exister en même temps que
secundum principium sui vel medium, non possit ce à quoi se termine le mouvement, le point
esse simul cum eo ad quod motus terminatur, ultime du mouvement peut cependant exister en
tamen ultimum motus potest esse simul cum eo; même temps que lui, comme l’altération se
sicut alteratio terminatur ad generationem, ita termine à la génération, de sorte que, dans le
quod in eodem instanti in quo alteratio terminatur, même instant où l’altération se termine, la forme
forma substantialis introducitur: ita etiam in substantielle soit introduite. De même aussi,
eodem instanti in quo conceptio terminatur, dans le même instant où se termine la
quando caro primo concepta est, tunc assumi conception, la chair peut-elle être assumée au
potest. Et quia conceptio in instanti facta est, non premier instant où elle a d’abord été conçue. Et
differebat in ea primum medium et terminus: et parce que la conception s’est réalisée dans
ideo simpliciter loquendo conceptio simul fuit l’instant, il n’y avait pas de différence entre un
cum assumptione. premier intermédiaire et le terme. À parler
simplement, la conception s’est donc réalisée en
même temps que l’assomption.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7696] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 co. La réponse ressort aussi de ce qui a été dit. En
Ad secundam quaestionem patet etiam responsio effet, il n’est pas possible que la chair soit
ex praedictis. Non enim est possibile ut caro prius d’abord assumée, et ensuite animée, pour deux
assumpta sit, et postmodum animata, propter duo: raisons : parce qu’elle tient de l’âme son aptitude
tum quia assumptibilitatem habet ab anima, quam à être assumée, que l’âme ne peut lui donner
sibi anima conferre non potest antequam ei avant de lui être unie ; et parce que les parties
uniatur; tum etiam quia partes assumptibilitatem tiennent du tout leur aptitude à être assumées,
habent a toto, ut prius dictum est. comme on l’a dit antérieurement.
[7697] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 1. Le corps peut être assumé selon qu’il est
Ad primum ergo dicendum, quod corpus ordonné à l’âme et au tout ; il ne peut avoir cet
assumptibile est, secundum quod ordinem habet ordre qu’après avoir été uni à l’âme et être
ad animam et ad totum; quem ordinem habere non devenu une partie de la nature humaine.
potest nisi postquam animae unitum est, et actu Cependant, une fois l’âme séparée et le tout
pars humanae naturae effectum; et tamen separata dissous, cet ordre demeure encore dans le corps
anima et dissoluto toto, adhuc remanet ille ordo in par l’espérance de la résurrection, comme un
corpore secundum spem resurrectionis; sicut et habitus acquis, telle la vertu politique, est causé
habitus acquisitus, ut virtus politica, causatur per par une opération actuelle, et cependant,
actualem operationem, et tamen transeunte actuali l’opération actuelle passant, l’habitus demeure. Il
operatione remanet habitus. Unde patet quod est donc clair que le corps ne peut être assumé
corpus non potest assumi antequam animae avant d’être uni à l’âme ; cependant, si l’âme est
uniatur; et tamen si anima separaretur post séparée après l’union, la chair demeurera
110

unionem, remanebit caro nihilominus assumpta, et assumée et unie à la divinité.


divinitati unita.
[7698] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 2. La forme présuppose une matière propre et
Ad secundum dicendum, quod forma disposée, non pas selon un ordre temporel, mais
praesupponit materiam propriam et dispositam, selon un ordre de nature, car, dans le même
non ordine temporis, sed ordine naturae: quia in instant où une nécessité apparaît dans la matière,
eodem instanti in quo materiae fit necessitas, idest c’est-à-dire dans l’instant ultime de la
in ultimo instanti dispositionis, inducitur forma disposition, la forme substantielle est introduite.
substantialis: et ideo non oportet quod prius C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la
tempore caro sit concepta quam animae uniatur. chair soit d’abord conçue dans le temps avant
d’être unie à l’âme.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7699] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 co. La réponse ressort de ce qui a été dit. En effet,
Ad tertiam quaestionem patet responsio ex l’âme ne pouvait être assumée avant d’être unie à
praedictis. Non enim potuit anima prius assumi la chair, puisqu’elle est apte à être assumée par le
quam carni uniretur, cum assumptibilis sit per hoc fait qu’elle est une partie de la nature humaine.
quod est pars humanae naturae.
[7700] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 1. Un extrême n’est pas toujours d’abord uni
Ad primum ergo dicendum, quod extremum non dans le temps avec un intermédiaire avant de
semper prius tempore conjungitur medio quam l’être à l’autre extrême. En effet, l’air et la vue
alteri extremorum: simul enim tempore aer patitur subissent en même temps la couleur ; cependant,
a colore, et visus; sed tamen aer prius patitur l’air le subit en premier selon l’ordre temporel,
ordine naturae, quia passio aeris causat passionem car ce que subit l’air cause ce que subit la vision.
visus. Similiter etiam non est necessarium quod De même aussi, il n’est pas nécessaire que la
prius tempore deitas sit unita animae quam carni. divinité soit d’abord unie dans le temps à l’âme
plutôt qu’à la chair.
[7701] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 2. Bien que l’âme soit plus digne que le corps,
Ad secundum dicendum, quod anima quamvis sit elle est cependant la forme du corps. Or, il ne
dignior corpore, est tamen forma corporis. Formae revient pas à la forme de précéder la matière
autem non est ut tempore materiam praecedat, sed dans le temps, mais en dignité seulement. Or, la
dignitate tantum. Divinitas autem non unitur divinité n’est pas unie à la nature humaine en
humanae naturae ut forma. Unde non est similis tant que forme. Le raisonnement n’est donc pas
ratio utrobique. le même dans les deux cas.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 2
[7702] Super Sent., lib. 3 d. 2 q. 2 a. 3 qc. 3
expos. Quod autem humanae naturae sive
humanitatis vocabulo anima et caro intelligi
debeant, aperte docet Hieronymus. Non est
intelligendum per humanitatem anima et corpus,
quasi proprie dici possit, humanitas est anima et
corpus; sed sicut in toto intelliguntur partes, ut in
domo paries et tectum, quae tamen de toto non
praedicantur: unde etiam in auctoritate beati
Hieronymi subditur: humanitas, quae ex anima
continetur et corpore; non dicit: quae est anima et
corpus. Errant ergo qui nomine humanitatis non
substantiam, sed proprietatem quamdam a qua
homo nominatur, significari contendunt. Per hanc
111

proprietatem, quae ab eis humanitas dicitur, potest


intelligi forma consequens partium
compositionem, scilicet corporis et animae, in qua
sicut in natura communi omnia individua
communicant. Forte enim qui hoc posuerunt,
sapiebant opinionem Platonis, qui posuit formas
universales in actu habere esse in natura praeter
materiam. Sic enim secundum eum, ut
philosophus in 1 Metaph. dicit, forma hominis
erat sine carnibus et ossibus, et sine aliis partibus
ejus; et talem humanitatem sine corpore et anima
isti assumptam ponebant: et contra tales
Damascenus dicit in Lib. 3 cap. 11: neque eam
quae nuda contemplatione consideratur, naturam
assumpsit: non enim incarnatio esset, sed
deceptio et fictio incarnationis. Vel tangit, ut
quidam dicunt, opinionem eorum qui dicebant,
Christum, secundum quod est homo, non esse
quid, sed qualiter se habens: quod infra tangetur,
dist. 6. Quod evidenter idem Joannes ostendit.
Sciendum, quod Magister accipit verba Joannis
Damasceni, sed non sensum: inducit enim
Damascenus haec verba ad confutandum errorem
eorum qui dicebant in Christo unam tantum
naturam esse, quasi confectam ex divinitate et
humanitate, sicut una quaedam natura conficitur
ex anima et corpore; quae signatur cum dicitur
omnes homines esse ejusdem naturae: non ita
quod in quolibet eorum anima et corpus sint unius
naturae ad invicem comparata, sed quia ex his
duobus una natura conficitur, in qua omnes
conveniunt. Sed non ita est in Christo quod ex
humanitate et divinitate una communis natura
resultet, quae sit quasi communis species de
pluribus praedicata, quae divinitatem et
humanitatem simul habeant. Magister autem
assumit haec verba ad impugnandum positionem
eorum qui proprietatem quae humanitas dicitur,
assumptam dicebant. Humanitas enim si
consideretur ut communis, species est quae in
pluribus invenitur; secundum quem modum
omnium hominum dicitur una natura. Sic autem
communis species humanitatis in Christo non est:
non enim humanitas Christi est communis in actu,
sed est humanitas singularis. Neque enim factus
est, nec est, nec aliquando fiet alius. Videtur quod
haec probatio nulla sit: multae enim species sunt
quae non nisi de uno individuo praedicantur, ut
sol et luna. Sed dicendum ad hoc, quod secundum
intentionem Magistri facile est respondere. Omnis
112

enim species quae participatur a multis individuis,


praedicatur de omnibus eis: unde si species
humana, prout est communis, esset quid
subsistens praeter singularia, ipsa de omnibus
praedicaretur; unde si talem humanitatem Christus
assumpsisset, homo qui est Christus, de omnibus
hominibus praedicaretur. Secundum intentionem
vero Damasceni aliter est dicendum, quod omnis
natura communis inquantum hujusmodi, in multis
inveniri potest: sed si aliqua species sit quae in
uno tantum est individuo, hoc est propter aliquid
aliud, quod non est de intellectu illius naturae:
unde possibile est intelligere plures soles. Sed
singulare habet incommunicabilitatem per id quod
est de ratione ejus, scilicet per materiam, quae
esset pars definitionis ejus, si definiretur, ut ex 8
Metaph. patet. Unde non est possibile intelligi
hunc hominem de pluribus praedicari. Unde patet
quod illud quod nec actu nec intellectu de pluribus
dici potest, est singulare. Hujusmodi autem est
Christus: quare hoc nomen Christus non significat
unam naturam communem resultantem ex unione
divinitatis et humanitatis, sed unam hypostasim
subsistentem in utraque natura. Omnia quae in
nostra natura plantavit Deus, verbum assumpsit.
Intelligendum est de his quae sunt de ratione
humanae naturae sicut principia essentialia ipsius,
vel etiam ea quae ex principiis essentialibus
consequuntur ut naturales proprietates: unde non
est instantia de immortalitate, quae gratis primo
homini concessa est. Et tamen praedicant istum
visibilem solem radios suos per omnes faeces et
sordes corporum spargere, et eos mundos et
sinceros servare. Responsio, quare sol non
inficitur ex hoc quod radios suos per faeces
spargit, haec est: quia non communicat cum aliis
corporibus in materia, ut simul agens patiatur,
sicut ea quae in materia communicant, dum agunt,
patiuntur, ut in 1 de Gener. dicitur. Anima autem
communicat corpori in materia, non ex qua fit
anima, sed in qua fit; et ideo ex conjunctione ad
corpus inficitur. Divinitas autem non communicat
cum corpore neque in materia ex qua, cum
omnino sit immaterialis, neque sicut materia in
qua, cum non uniatur corpori sicut forma ejus.
 
Distinctio 3 Distinction 3 – [La qualité de ce qui a été
assumé]

Quaestio 1 Question 1 – [La sanctification de la


113

bienheureuse Vierge]
Prooemium Prologue
[7703] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 pr. Ostenso Après avoir montré ce que le Fils de Dieu a
quid filius Dei in humana natura, et quo ordine assumé dans la nature humaine et selon quel
assumpserit, hic ostendit quale sit quod ordre, ici, [le Maître] montre la qualité de ce qui
assumptum est; et dividitur in duas partes: in a été assumé. Il y a deux parties : dans la
prima parte determinat veritatem; in secunda première, il détermine de la vérité ; dans la
movet quasdam dubitationes circa veritatem seconde, il soulève certains doutes à propos de la
determinatam, ibi: cum autem illa caro, cujus vérité déterminée, à cet endroit : « Puisque cette
excellentia verbis explicari non valet, antequam chair, dont l’excellence ne peut être expliquée
esset verbo unita, obnoxia fuerit peccato in par des paroles, avant d’être unie au Verbe, a été
Maria, et in aliis a quibus propagatione traducta exposée au péché en Marie et chez les autres
est, non immerito videri potest in Abraham dont elle a été tirée par génération, il peut donc
peccato subjacuisse. Prima dividitur in duas sembler juste qu’elle ait été soumise au péché en
partes: in prima determinat conditionem carnis Abraham. » La première partie est divisée en
assumptae, quae fuit in ea per operationem deux parties : dans la première, il détermine de la
spiritus sancti; in secunda determinat conditionem condition de la chair assumée, qui se trouva en
matris de qua assumpta est, ibi: Mariam quoque [Marie] par l’opération de l’Esprit Saint ; dans la
totam spiritus sanctus in eam superveniens seconde, il détermine de la condition de la mère
purgavit. Circa primum duo facit: primo movet dont elle a été assumée, à cet endroit : « L’Esprit
quaestionem; secundo determinat eam, ibi: sane Saint a, par sa venue en elle, purifié Marie tout
dici potest. Mariam quoque totam spiritus sanctus entière. » À propos du premier point, il fait deux
(...) purgavit. Hic ostendit conditionem matris; et choses : premièrement, il soulève une question ;
circa hoc tria facit: primo determinat conditionem deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
ejus ante conceptionem carnis assumptae; « On peut dire correctement… » « L’Esprit Saint
secundo conditionem ipsius in ipsa conceptione, a, par sa venue en elle, purifié Marie tout
ibi: potentiam quoque generandi absque viri entière. » Ici, il montre la condition de la mère.
semine virgini praeparavit; tertio conditionem À ce propos, il fait trois choses. Premièrement, il
ejus post conceptionem, ibi: quod autem sacra détermine de sa condition avant la conception de
virgo ex tunc ab omni peccato immunis extiterit, la chair assumée ; deuxièmement, de sa
Augustinus evidenter ostendit. Circa secundum condition lors de sa conception même, à cet
duo facit: primo determinat quid collatum fuerit endroit : « Il a préparé pour la Vierge la capacité
beatae virgini in conceptione salvatoris; secundo d’engendrer sans la semence d’un homme » ;
ex dictis quamdam conclusionem elicit, ibi: ex his troisièmement, de sa condition après sa
perspicuum fit quod ante diximus. Hic est triplex conception, à cet endroit : « Augustin montre
quaestio: prima de sanctificatione beatae virginis. clairement que la Vierge sainte a été exempte de
Secunda de potentia generativa qua salvatorem tout péché à partir de ce moment. » À propos du
concepit. Tertia de Annuntiatione quae per deuxieme point, il fait deux choses :
Angelum facta est. De conditione enim carnis premièrement, il détermine de ce qui a été donné
assumptae in sequenti parte distinctionis à la bienheureuse Vierge dans la conception du
quaeretur. Circa primum quaeruntur duo: 1 de Sauveur ; deuxièmement, il tire une conclusion
tempore sanctificationis; 2 de effectu ipsius. De de ce qui a été dit, à cet endroit : « À partir de
sanctificatione enim aliorum quaestio pertinet ad cela, ce que nous avons dit plus haut devient
quartum librum dist. 6. manifeste. » Ici, il y a trois questions : la
première, sur la sanctification de la bienheureuse
Vierge ; la deuxième, sur la puissace génératrice
par laquelle elle a conçu le Sauveur ; la
troisième, sur l’Annonciation qui a été faite par
l’ange. En effet, on s’interrogera sur la condition
de la chair assumée dans la partie suivante. À
114

propos du premier point, deux questions sont


posées : 1 – Sur le moment de la sancntification ;
2 – Sur son effet. En effet, la question de la
sanctification des autres relève du livre IV, d. 6.

Articulus 1 [7704] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle été
1 tit. Utrum beata virgo fuerit ante sanctificata sanctifiée avant que sa conception ne soit
quam conceptio ejus finiretur terminée ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La bienheureuse Vierge a-
t-elle été sanctifiée avant que la conception de
sa chair ne soit terminée ?]
[7705] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que la bienheureuse Vierge n’ait pas
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod beata été sanctifiée avant que la conception de sa chair
virgo sanctificata fuerit antequam conceptio n’ait été terminée. En effet, comme le dit
carnis ejus finiretur. Sicut enim dicit apostolus l’Apôtre, Rm 11, 16 : Si la racine est sainte, le
Roman. 11, 16: si radix sancta, et rami. Sed rameau l’est aussi. Or, les parents se comparent
parentes comparantur ad prolem conceptam, sicut à la descendance conçue comme la racine aux
radix ad ramos. Ergo sanctificatis parentibus rameaux. La sanctification de la Vierge lui serait
virginis sanctificatio ad ipsam pervenisset. Sed si donc parvenue depuis ses parents sanctifiés. Or,
in parentibus sanctificata esset, sanctificatio si elle avait été sanctifiée dans ses parents, sa
conceptionem ejus praecessisset. Cum ergo sanctification aurait précédé sa conception.
credendum sit ei collatum esse quidquid conferri Puisqu’il faut croire que lui a été donné tout ce
potuit, videtur quod ante conceptionem qui pouvait être donné, il semble donc qu’elle ait
sanctificata sit. été sanctifiée avant sa conception.
[7706] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Le bien a une action plus efficace que le mal,
2 Praeterea, bonum est efficacius ad agendum puisque « le mal n’agit qu’en vertu du bien »,
quam malum, cum malum non agat nisi in virtute comme le dit Denys. Or, par le péché du premier
boni, ut dicit Dionysius. Sed per peccatum primi parent, l’infection du péché originel est passée
parentis infectio originalis peccati in omnes dans tous les hommes. À bien plus forte raison,
homines pertransit. Ergo multo fortius per la bienheureuse Vierge a donc pu être sanctifiée
sanctificationem parentum beata virgo sanctificari par la sanctification de ses parents. La
potuit; et sic idem quod prius. conclusion est ainsi la même que précédemment.
[7707] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Ce qui est méritoire ne s’oppose pas à la
3 Praeterea, id quod est meritorium, gratiae sanctification de la grâce. Or, l’acte matrimonial
sanctificationi non repugnat. Sed actus peut être méritoire. La bienheureuse Vierge a
matrimonialis meritorius esse potest. Ergo in ipso donc pu être sanctifiée par l’union charnelle
concubitu matrimoniali parentum beatae virginis même de ses parents.
ipsa sanctificari potuit.
[7708] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] ce qui n’existe pas ne peut pas
1 Sed contra, quod non est, non potest sanctificari. être sanctifié. Or, la bienheureuse Vierge
Sed beata virgo non fuit antequam conciperetur in n’existait pas avant d’avoir été conçue dans le
utero matris suae. Ergo non potuit ante sein de sa mère. Elle ne pouvait donc pas être
conceptionem sanctificari. sanctifiée avant d’avoir été conçue.
[7709] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Une conception et un enfantement uniques
2 Praeterea, unigenito Dei filio singularis étaient dus au Fils unique de Dieu. Or, la
conceptio et partus debebatur. Sed Christi conception du Christ par sa mère vierge a été
conceptio ex virgine matre fuit sine commixtione réalisée sans l’intervention d’un homme. Il ne
viri. Ergo non decuit ut mater ejus conciperetur convenait donc pas que sa mère n’ait été conçue
nisi per sexuum commixtionem. Sed post statum que par l’union des sexes. Or, après l’état de la
naturae corruptae non potuit esse commixtio nature corrompue, il ne pouvait y avoir d’union
115

sexuum sine libidine. Cum ergo libido illa quae des sexes sans dépravation. Puisque la
est filia peccati, ex peccato primorum parentum dépravation, qui est fille du péché et provient du
proveniens, sit causa originalis peccati in prole, ut péché des premiers parents, est la cause du péché
Augustinus dicit, videtur quod non potuit beata originel dans leur descendance, ainsi que le dit
virgo sanctificari nisi post conceptionem. Augustin, il semble donc que la bienheureuse
Vierge ne pouvait être sanctifiée qu’après sa
conception.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-
t-elle été sanctifiée avant d’être animée ?]
[7710] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’elle ait été sanctifiée avant d’être
1 Ulterius. Videtur quod ante animationem animée. En effet, Ambroise dit à propos de Jean-
sanctificata fuerit. Ambrosius enim dicit Lucae 1 Baptiste, Lc 1 : « L’esprit de vie n’était pas
de Joanne Baptista: nondum illi inerat spiritus encore en lui, et déjà l’Esprit de la grâce était en
vitae, et jam inerat spiritus gratiae. Sed spiritus lui. » Or, l’esprit de vie est l’âme. La grâce a
vitae anima est. Ergo in Joanne Baptista gratia donc précédé l’âme chez Jean-Baptiste. Or, ce
animam praevenit. Sed quod Joanni Baptistae qui a été accordé à Jean-Baptiste, on ne doit pas
concessum est, dubitari non debet beatae virgini douter que cela ait été accordé à la bienheureuse
concessum esse. Ergo et ipsa ante animationem Vierge. Elle aussi a donc été sanctifiée avant
sanctificata fuit. d’être animée.
[7711] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Il est dit en Jr 1, 5 : Je t’ai connu avant de te
2 Praeterea, Hierem. 1, 5, dicitur: ante quam te former dans le sein, et il ne parle pas là de la
formarem in utero, novi te: nec loquitur ibi de connaissance par laquelle [le Seigneur] connaît
notitia qua bonos et malos cognoscit: quia per hoc les bons et les méchants, car on ne montrerait
nulla praerogativa ostenderetur ipsius Hieremiae, ainsi aucune prérogative de Jérémie lui-même, à
ad quem dicta verba proferuntur. Ergo oportet qui les paroles rappelées sont adressées. Il faut
intelligi de notitia approbationis. Sed haec notitia donc l’entendre de la connaissance
est solum bonorum et habentium gratiam. Ergo d’approbation. Or, cette connaissance porte
Hieremias antequam formaretur, gratiam habuit: seulement sur les bons et sur ceux qui ont la
ergo et antequam animaretur: quia anima non grâce. Jérémie a donc eu la grâce avant d’être
infunditur nisi formato puerperio. Ergo multo formé, donc, avant d’être animé, car l’âme n’est
amplius ante animationem beata virgo sanctificata infusée qu’une fois le fœtus formé. À bien plus
fuit. forte raison, la bienheureuse Vierge a donc été
sanctifiée avant d’être animée.
[7712] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Dans son livre sur La conception de la Vierge,
3 Praeterea, Anselmus in libro de conceptu Anselme dit : « Il convenait que la conception de
virginali dicit: decebat ut illius hominis conceptio cet homme s’accomplisse chez la mère la plus
de matre purissima fieret, quae ea puritate niteret pure, qui brillait d’une pureté dont on ne peut
qua major sub Deo nequit intelligi. Sed major comprendre qu’il en existe de plus grande [parmi
puritas fuisset in ea, si anima ejus nunquam les êtres] soumis à Dieu. » Or, il aurait existé une
infectionem peccati originalis habuisset, quam si pureté plus grande en elle si son âme n’avait
ad aliquod tempus habuerit et postmodum jamais été infectée par le péché originel, plutôt
mundata fuerit. Ergo anima illa nunquam originali que de l’avoir pendant un certain temps et d’en
peccato infecta fuit. Aut igitur caro sanctificata être purifiée par la suite. Cette âme n’a donc
fuit ante animationem; vel saltem in ipso instanti jamais été infectée par le péché originel. Sa chair
infusionis anima gratiam suscepit per quam a donc été sanctifiée avant son animation, ou,
immunis a peccato originali esset. tout au moins, son âme a reçu, à l’instant même
de son infusion, la grâce par laquelle elle serait
exempte du péché originel.
[7713] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] il existe dans les parties de
1 Sed contra, in partibus hominis est talis ordo l’homme un ordre tel que l’âme est plus proche
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quod anima est Deo propinquior quam corpus. de Dieu que le corps. Or, la puissance d’un agent
Sed virtus alicujus agentis prius pervenit ad ea parvient d’abord à ce qui est plus proche de lui
quae sunt sibi propinquiora, et per ea ad magis et, par l’intermédiaire de ceci, à ce qui est plus
distantia. Ergo gratia sanctificationis a Deo venit distant. La grâce de la sanctification vient donc
ad corpus per animam: ergo antequam animaretur au corps par l’intermédiaire de l’âme. Elle ne
sanctificari non potuit. pouvait donc être sanctifiée avant d’avoir une
âme.
[7714] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Les contraires doivent exister à propos d’une
2 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. même chose. Or, la grâce de la sanctification
Sed gratia sanctificationis praecipue originali s’oppose surtout au péché originel. Puisqu’il ne
peccato opponitur. Cum ergo ante animationem in pouvait y avoir de péché originel dans la
prole peccatum originale esse non possit, quia descendance avant l’animation, car le sujet
proprium subjectum culpae est anima rationalis, propre de la faute est l’âme raisonnable, il
videtur quod ante animationem beata virgo semble donc que la bienheureuse Vierge n’ait
sanctificata non fuerit. pas été sanctifiée avant d’avoir une âme.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge a-
t-elle été sanctifiée avant sa naissance ?]
[7715] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que [la bienheureuse Vierge n’ait
1 Ulterius. Videtur, quod nec etiam ante pas été sanctifiée] non plus avant sa naissance.
nativitatem ex utero. Sicut enim dicit Augustinus En effet, comme le dit Augustin à Dardanus, « la
ad Dardanum, sanctificatio qua singuli efficimur sanctification par laquelle chacun de nous
templum Dei, non nisi renatorum est. Nemo devient le temple de Dieu n’est le fait que de
autem renascitur nisi prius nascatur. Ergo nullus ceux qui sont nés de nouveau ». Or, personne ne
habet gratiam antequam nascatur. Sed renaît s’il n’est d’abord né. Personne n’a donc la
sanctificatio est effectus gratiae. Ergo beata virgo grâce avant de naître. Or, la sanctification est
in utero matris sanctificata non fuit. l’effet de la grâce. La bienheureuse Vierge n’a
donc pas été sanctifiée dans le sein de sa mère.
[7716] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Si l’on dit qu’il y a une double naissance : la
2 Si dicatur quod est duplex nativitas, scilicet naissance dans le sein, qu’on appelle conception,
nativitas in utero, quae conceptio dicitur, et et la naissance hors du sein, qui est généralement
nativitas ex utero, quae communiter nativitas appelée naissance, et que sa naissance dans le
nominatur, et beatae virginis regenerationem sein a précédé la régénération sanctificatrice de
sanctificationis praecessit nativitas in utero, sed la bienheureuse Vierge, mais non sa naissance
non nativitas ex utero: contra. Dominus Joan. 3, 7, hors du sein, on objectera que le Seigneur, en
generationem spiritualem, quae est ex aqua et Jn 3, 7, appelle la seconde naissance une
spiritu, vocat secundam, dicens: oportet vos nasci génération spirituelle, réalisée par l’eau et
denuo. Sed si duae nativitates carnales l’Esprit, lorsqu’il dit : Il vous faut naître de
praecessissent, spiritualis non diceretur secunda, nouveau. Or, si deux naissances charnelles
sed tertia. Ergo non est duplex nativitas, ut dictum avaient précédé, on ne dirait pas que la naissance
est. spirituelle est la seconde, mais la troisième. Il
n’existe donc pas deux naissances, ainsi qu’on
l’a dit.
[7717] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Le bienheureux Jérôme dit : « Ne me crois pas
3 Praeterea, beatus Hieronymus dicit: non mihi si je te dis quelque chose qu’on ne peut trouver
credas si tibi aliquid dixero quod ex veteri vel dans l’Ancien et le Nouveau Testament. » Or,
novo testamento haberi non possit. Sed de rien n’est dit, dans l’Ancien et le Nouveau
sanctificatione beatae virginis in utero nihil dicitur Testament, de la sanctification de la
in veteri vel novo testamento. Ergo non est bienheureuse Vierge dans le sein. Il ne faut donc
credendum eam in utero sanctificatam fuisse. pas croire qu’elle a été sanctifiée dans le sein.
[7718] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, [1] l’Église ne célèbre
117

1 Sed contra, Ecclesia non solemnizat nisi pro solennellement que celui qui est saint. Or, elle
aliquo sancto. Solemnizat autem nativitatem célèbre solennellement la naissance de la
beatae virginis. Ergo beata virgo sancta nata fuit. bienheureuse Vierge. La bienheureuse Vierge est
Ergo antequam ex utero nasceretur, sanctificata donc née sainte. Avant qu’elle soit née hors du
fuit. sein, elle a donc été sanctifiée.
[7719] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. [2] Il est dit de Jean-Baptiste en Lc 1, 15 : Il
2 Praeterea, Lucae 1, 15, de Joanne Baptista sera rempli de l’Esprit Saint alors qu’il sera
dicitur: spiritu sancto replebitur adhuc ex utero dans le sein de sa mère. Or, la bienheureuse
matris suae. Sed plus gratiae collatum est beatae Vierge a reçu une plus grande grâce qu’un autre
virgini quam alicui sanctorum, ut in littera ex saint, comme on le dit dans le texte à partir de
verbis Augustini dicitur. Ergo beata virgo adhuc paroles d’Augustin. La bienheureuse Vierge a
in utero matris spiritu sancto repleta fuit: ergo et donc été remplie de l’Esprit Saint, alors qu’elle
sanctificata. était encore dans le sein de sa mère ; elle a donc
été sanctifiée.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7720] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Comme le dit Denys, « la sainteté est libre de
Respondeo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, toute impureté et elle est une pureté parfaite et
sanctitas est ab omni immunditia libera et perfecta immaculée ». Puisque être sanctifié, c’est
et immaculata munditia; unde cum sanctificari sit devenir saint, il est donc nécessaire que la
sanctum fieri, oportet quod sanctificatio sanctification comporte une purification de toute
emundationem ab immunditia spirituali ponat, impureté, au sens où nous parlons ici de
prout nunc de sanctificatione loquimur. sanctification. Or, la purification d’une souillure
Emundatio autem a spirituali macula, scilicet spirituelle, la faute, ne peut exister sans la grâce,
culpa, sine gratia esse non potest, sicut et tenebra comme les ténèbres ne sont fuies que par la
non nisi per lucem fugatur; unde sanctificatio lumière. Aussi la sanctification ne concerne-t-
tantum ad eos pertinet qui gratiae capaces sunt: et elle que ceux qui sont capables de la grâce. Et
quia proprium subjectum gratiae est rationalis parce que le sujet propre de la grâce est la nature
natura; ideo ante infusionem animae rationalis raisonnable, la bienheureuse Vierge ne pouvait
beata virgo sanctificari non potuit et cetera. Ad pas être sanctifiée avant l’infusion de son âme
primam ergo quaestionem dicendum, quod nullo raisonnable, etc. En ce qui concerne la première
modo in parentibus sanctificari potuit, neque question, il faut donc dire qu’elle ne pouvait
etiam in ipso actu conceptionis ejus. Conditio aucunement être sanctifiée en ses parents, ni
enim specialis personalis a parentibus in prolem même dans l’acte même de sa conception. En
non transit, nisi sit ad naturam corporalem effet, une condition personnelle spéciale n’est
pertinens; ut grammatica patris in filium non pas transmise à la descendance par les parents,
transit, quia perfectio personalis est. Unde et sauf si elle se rapporte à la nature corporelle ;
sanctificatio parentum in beatam virginem ainsi, la grammaire du père ne passe pas dans le
transfundi non potuit, nisi curatum esset in eis non fils, car c’est une perfection personnelle. Aussi la
solum id quod personae est, sed etiam id quod est sanctification de ses parents ne pouvait-elle être
naturae inquantum hujusmodi: quod quidem Deus infusée dans la bienheureuse Vierge, à moins que
facere potuit, sed non decuit. Perfecta enim n’ait été guéri en eux, non seulement ce qui
naturae curatio ad perfectionem gloriae pertinet; relève de la personne, mais aussi ce qui relève de
et ideo sic in statu viae parentes ejus curati non la nature en tant que telle, ce que Dieu pouvait
fuerunt ut prolem suam sine originali peccato faire, mais qui ne convenait pas. En effet, la
concipere possent; et ideo beata virgo in peccato guérison parfaite de la nature relève de la
originali fuit concepta, propter quod b. Bernardus perfection de la gloire ; c’est pourquoi ses
ad Lugdunenses scribit conceptionem illius parents n’ont pas été à ce point guéris qu’ils
celebrandam non esse, quamvis in quibusdam pouvaient concevoir leur descendance sans le
Ecclesiis ex devotione celebretur, non péché originel. Aussi la bienheureuse Vierge a-t-
considerando conceptionem, sed potius elle été conçue avec le péché originel, raison
118

sanctificationem: quae quando determinate fuerit, pour laquelle le bienheureux Bernard écrit aux
incertum est. Lyonnais que la conception de celle-ni ne doit
pas être célébrée, bien qu’elle ait été célébrée
dans certaines églises par dévotion, en ne prenant
pas en compte la conception, mais plutôt la
sanctification, dont il est incertain à quel moment
précis elle a été réalisée.
[7721] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Si la racine est sainte, en tant qu’elle est une
Ad primum ergo dicendum, quod si radix est racine, les rameaux aussi sont saints, car un
sancta, secundum id quod est radix, et rami sunt arbre bon ne peut produire des fruits mauvais,
sancti: quia non potest arbor bona fructus malos Mt 7, 18. Aussi l’Apôtre veut-il démontrer là que
facere, Matth. 7, 18; unde apostolus vult ibi si les pères anciens étaient alors saints par la foi
probare quod si antiqui patres sancti fuerunt per et l’espérance, le peuple, qui descend d’eux
fidem et spem, populus ex eis secundum carnem selon la chair, sera saint lorsque les cœurs des
descendens, sanctus erit, quando corda filiorum fils retourneront à leurs pères. Or, les parents de
convertentur ad patres. Parentes autem beatae la bienheureuse Vierge ont été sa racine par
virginis radix ejus fuerunt per actum naturae l’acte qui sert à la transmission de la nature. À
propagationi deservientem. Unde nisi natura in eis moins que la nature n’ait été sanctifiée chez eux,
sanctificata fuisset, non potuit ex eis sancta proles une descendance sainte ne pouvait donc être
concipi, sed vitiata propter vitium naturae in eis conçue à partir d’eux, mais [une descendance]
remanens. Non autem fuit in eis natura viciée en raison du vice de nature qui demeurait
sanctificata. en eux. Or, la nature n’a pas été sanctifiée chez
eux.
[7722] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. La grâce sanctifiante ne s’oppose pas tout à
Ad secundum dicendum, quod gratia sanctificans fait directement au péché originel, mais
non omnino directe opponitur peccato originali, seulement dans la mesure où le péché originel
sed solum prout peccatum originale personam infecte la personne : en effet, la grâce est une
inficit: est enim gratia perfectio personalis; perfection personnelle. Mais le péché originel est
peccatum vero originale directe est vitium directement un vice de nature. C’est pourquoi il
naturae; et ideo non oportet quod gratia n’est pas nécessaire que la grâce sanctifiante soit
sanctificans a parentibus traducatur, si peccatum transmise par les parents, alors que le péché
originale traducatur; sicut et originalis justitia, cui originel est transmis, de même que la justice
directe opponitur, traducta fuisset. originelle, à laquelle elle s’oppose directement,
aurait été transmise.
[7723] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. On croit que le rapport sexuel, par lequel la
Ad tertium dicendum, quod concubitus quo beata bienheureuse Vierge a été conçue, était
virgo concepta fuit, meritorius creditur, non per méritoire, non pas en raison de la grâce qui
gratiam omnino purgantem naturam, sed per purifie entièrement la nature, mais en raison de
gratiam perficientem personas parentum; et ideo la grâce qui perfectionne les personnes des
non oportuit quod in prole concepta, statim parents. C’est pourquoi il n’était pas nécessaire
sanctitas esset, non propter repugnantiam actus que la sainteté se trouve aussitôt dans la
matrimonii ad sanctitatem, sed propter descendance conçue, non pas en raison d’une
repugnantiam vitii naturae nondum curati. opposition de l’acte du mariage à la sainteté,
mais en raison de l’opposition d’un vice de
nature non encore guéri.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7724] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 co. La sanctification de la Vierge ne pouvait avoir
Ad secundam quaestionem dicendum, quod lieu convenablement avant l’infusion de l’âme,
sanctificatio beatae virginis non potuit esse car elle n’était pas encore capable de la grâce, ni
decenter ante infusionem animae, quia gratiae dans l’instant même de l’infusion, de sorte
119

capax nondum erat, sed nec etiam in ipso instanti qu’elle soit préservée par la grâce infusée en elle
infusionis, ut scilicet per gratiam tunc sibi d’encourir la faute originelle. En effet, le Christ
infusam conservaretur, ne culpam originalem seul dans le genre humain est tel qu’il n’a pas
incurreret. Christus enim hoc singulariter in besoin de rédemption, car il est notre tête, mais il
humano genere habet ut redemptione non egeat, convient à tous d’êtres rachetés par lui. Or, cela
quia caput nostrum est, sed omnibus convenit ne pourrait être le cas si une autre âme se
redimi per ipsum. Hoc autem esse non posset, si trouvait n’avoir jamais été infectée par la tache
alia anima inveniretur quae nunquam originali originelle. Aussi cela n’a-t-il été accordé ni à la
macula fuisset infecta; et ideo nec beatae virgini, bienheureuse Vierge, ni à quelqu’un d’autre, en
nec alicui praeter Christum hoc concessum est. dehors du Christ.
[7725] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Ces paroles sont dites de Jean-Baptiste au
Ad primum ergo dicendum, quod haec verba de moment où il s’est réjoui dans le sein de l’arrivée
Joanne Baptista dicuntur pro tempore illo quando de la mère de Dieu, ce qui se passa au sixième
ad ingressum matris Dei exultavit in utero, quod mois de sa conception, comme le montrent les
fuit in sexto mense a conceptione ejus, ut verba paroles de l’ange, Lc 1. Il est donc clair qu’il
Angeli ostendunt, Luc. 1; unde constat quod tunc avait alors une âme raisonnable. C’est pourquoi
animam rationalem habebat; et ideo vel per on n’entend pas par « l’esprit de vie » l’âme
spiritum vitae non intelligitur anima rationalis, raisonnable, mais la respiration de l’air extérieur,
sed respiratio exterioris aeris; vel dicitur spiritus ou bien on dit de « l’esprit de vie », si on
vitae si de anima intelligitur, nondum inesse, quia l’entend de l’âme, n’est pas encore en lui parce
nondum manifestabatur, per modum quo dicuntur qu’il n’a pas encore été manifesté, à la manière
res fieri quando innotescunt. dont on dit que des choses arrivent lorsqu’elles
sont connues.
[7726] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Il parle de la connaissance d’approbation, qui,
Ad secundum dicendum, quod loquitur de notitia bien qu’elle se trouve seulement chez ceux qui
approbationis, quae quamvis sit tantum habentium ont la grâce, ne leur appartient pas seulement
gratiam, non tamen est eorum solum quando lorsqu’ils ont la grâce, mais depuis l’éternité.
gratiam habent, sed ab aeterno; unde talis notitia Aussi une telle connaissance pouvait-elle
potuit esse Hieremiae ante ejus formationem: non appartenir à Jérémie avant qu’il ne soit formé,
tamen sanctificatio; quae tamen esse potuit ante mais non la sanctification, qui a cependant pu
egressionem ex utero; et ideo tempus notitiae et exister avant la sortie du sein. Aussi le Seigneur
sanctificationis distinguit dominus dicens: distingue-t-il le temps de la connaissance et [le
priusquam te formarem in utero, novi te; et temps] de la sanctification, en disant : Avant que
antequam exires de ventre, sanctificavi te. je ne t’aie formé dans le sein et avant que tu ne
sortes du ventre, je t’ai sanctifié.
[7727] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Cette pureté n’était due qu’à l’homme Dieu,
Ad tertium dicendum, quod haec puritas soli afin que, en tant qu’unique rédempteur du genre
homini Deo debebatur, ut ipse quasi unicus humain, il ne soit lié par aucune servitude du
redemptor humani generis nulla peccati servitute péché, lui à qui il revenait de racheter tous [les
teneretur, cui competebat omnes a peccato hommes] du péché. Aussi la Vierge mère ne
redimere; unde non hanc puritatem, sed sub hac devait-elle pas posséder cette pureté, mais la plus
maximam virgo mater ejus habere debuit. grande après celle-ci.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7728] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 co. La bienheureuse Vierge a été sanctifiée dès le
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod beata sein avant sa naissance, ce qui peut être tiré du
virgo ante nativitatem ex utero sanctificata fuit, fait qu’elle a été plus pure par rapport au péché
quod colligi potest ex hoc quod ipsa super omnes que tous les autres saints, comme on le lit dans le
alios sanctos a peccato purior fuit, ut ex hac littera texte, en tant que mère choisie par la sagesse
habetur, veluti divinae sapientiae mater electa, in divine, en laquelle elle n’encourt rien de souillé ,
quam nihil coinquinatum incurrit, ut dicitur Sap. comme il est dit dans Sg 7. Aussi, lorsqu’on
120

7. Unde cum haec puritas in quibusdam fuisse trouve qu’une telle pureté se trouvait chez
inveniatur ut ante nativitatem ex utero a peccato certains avant la naissance du sein, qu’ils étaient
mundarentur, sicut de Joanne Baptista, de quo purifiés du péché, comme c’est le cas de Jean-
legitur Luc. 1, 15: spiritu sancto replebitur adhuc Baptiste, dont il est dit en Lc 1, 15 : Il sera
ex utero matris suae; et de Hieremia, de quo rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère, et
dicitur Hierem. 1, 5: priusquam exires de ventre, de Jérémie, dont il est dit en Jr 1, 5 : Avant que
sanctificavi te; non est dubitandum hoc multo tu sois sorti du ventre, je t’ai sanctifié, il ne faut
excellentius matri Dei collatum fuisse. pas douter que cela ait été donné de manière plus
excellente à la mère de Dieu.
[7729] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. La parole d’Augustin doit s’entendre de la
Ad primum ergo dicendum, quod verbum régénération qui se réalise selon la loi commune,
Augustini intelligendum est de regeneratione quae qui est indiquée par ce qu’il dit : « … par
fit per legem communem, quod notatur in hoc laquelle nous devenons le temple de Dieu. » En
quod dicit: qua singuli efficimur templum Dei; effet, cette sanctification se réalise par les
haec enim sanctificatio fit per sacramenta, quae sacrements qui sont dispensés par les ministres
per ministros Ecclesiae dispensantur, quorum de l’Église, et à l’action desquels ceux qui sont
operationi qui in maternis uteris sunt, subjacere dans le sein maternel ne peuvent se soumettre.
non possunt. Sed Deus sacramentis gratiam non Or, Dieu n’a pas lié sa grâce aux sacrements.
alligavit; unde praeter hunc modum in maternis Aussi, en plus de cette manière, il en sanctifie
uteris aliquos quodam privilegio sanctificat. certains par privilège dans le sein maternel.
[7730] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. Si l’on prend la régénération qui se réalise
Ad secundum dicendum, quod si regeneratio quae selon la loi commune, il faut entendre de la
est per legem communem, sumatur, oportet naissance depuis le sein, qu’on appelle
verbum domini quod dicitur Joannis 3, 5: nisi quis simplement naissance, la parole du Seigneur, dite
renatus fuerit, intelligi de nativitate ex utero quae en Jn 3, 5 : À moins qu’il ne soit né de nouveau.
simpliciter nativitas dicitur, et hoc ipse textus C’est cela que ce texte semble signifier, lorsqu’il
sonare videtur, cum dicitur: ex aqua et spiritu. Si est dit : De l’eau et de l’Esprit. Mais si on
autem sumatur pro quacumque regeneratione l’entend de n’importe quelle régénération de la
gratiae, sic oportet intelligi de nativitate in utero. grâce, alors il faut l’entendre de la naissance
Non tamen oportet quod regeneratio spiritualis dans le sein. Toutefois, il n’est pas nécessaire
quae est per sacramenta, secunda dici non possit, que la régénération spirituelle qui se réalise par
quia illae duae in uno conveniunt, secundum quod les sacrements ne puisse être appelée la seconde,
contra tertiam dividuntur: utraque enim illarum pour autant qu’elle s’oppose à une troisième : en
naturalis est, haec vero spiritualis. effet, ces deux-là sont naturelles, mais celle-là
est spirituelle.
[7731] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Bien qu’on ne lise pas expressément, dans
Ad tertium dicendum, quod quamvis sanctificatio l’Écriture de l’Ancien et du Nouveau Testament,
beatae virginis in utero expresse in Scriptura que la sanctification de la bienheureuse Vierge
veteris et novi testamenti non legatur; tamen pro ait eu lieu dans le sein, on peut cependant le tenir
certo haberi potest ex his quae ibi leguntur. Si pour certain à partir de ce qu’on y lit. En effet, si
enim Joannes et Hieremias, qui Christum Jean et Jérémie, qui ont annoncé le Christ, ont
praenuntiaverunt, sanctificati sunt, multo magis été [ainsi] sanctifiés, à bien plus forte raison la
virgo quae Christum genuit. Vierge qui a engendré le Christ.

Articulus 2 [7732] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. Article 2 – Par la sanctification dans le sein, la
2 tit. Utrum beatissima virgo per sanctificationem bienheureuse Vierge a-t-elle été entièrement
in utero fuerit totaliter ab originali mundata purifiée du péché originel ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La mère de Dieu a-t-elle
été entièrement purifiée du péché originel
dans le sein ?]
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[7733] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que la mère de Dieu ait été
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod per entièrement purifiée du péché originel dès le
sanctificationem in utero Dei genitrix a peccato sein. En effet, une fois la souillure enlevée, la
originali totaliter mundata non sit. Remota enim culpabilité ne peut demeurer. Or, après avoir été
macula, reatus remanere non potest. Sed post été sanctifiée du péché originel, la culpabilité est
sanctificationem originalis peccati adhuc reatus encore demeurée en elle, car, si elle était morte
mansit in ea: quia si ante mortem Christi defuncta avant la mort du Christ, elle aurait été privée de
fuisset, divina visione caruisset. Ergo per la vision de Dieu. Elle n’a donc pas été libérée
sanctificationem a macula originali liberata non de la souillure originelle par la sanctification.
fuit.
[7734] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. Rien de ce qui meut à la vertu ne devait être
2 Praeterea, nihil quod ad virtutem promovet ei enlevé à celle à qui était due la perfection de la
subtrahendum fuit cui virtutis perfectio debebatur. vertu. Or, la convoitise pousse à la vertu ; aussi
Sed fomes ad virtutem promovet; unde et Paulo a-t-il été dit à Paul, qui demandait que l’aiguillon
petenti a se carnis stimulum amoveri, dictum est: de la chair lui soit enlevé : La vertu s’accomplit
virtus in infirmitate perficitur, 2 Cor., 12, 9. Ergo dans la faiblesse, 2 Co 12, 9. Puisque la plus
cum matrem Dei summa virtutis perfectio deceret, haute perfection de la vertu était due à la mère de
fomes ab ea per sanctificationem removeri non Dieu, la convoitise ne devait donc pas lui être
debuit. enlevée par la sanctification.
[7735] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Dans le texte, le Maître dit que la chair du
3 Praeterea, in littera Magister dicit, quod caro Christ, avant d’être conçue, était exposée au
Christi, antequam conciperetur, obnoxia fuit péché, comme le reste de la chair de la Vierge.
peccato, sicut et reliqua caro virginis. Sed caro Or, la chair n’est exposée au péché qu’en raison
non est peccato obnoxia nisi ratione fomitis. Ergo de la convoitise. La convoitise ne lui a donc pas
per sanctificationem in utero fomes ab ea remotus été enlevée par la sanctification dans le sein.
non fuit.
[7736] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 4. Quelque chose qui dépassait la loi commune
4 Sed contra, beatae virgini aliquid ultra legem devait être donné à la bienheureuse Vierge. Or,
communem conferendum fuit. Sed sanctificatio la sanctification qui se réalise selon la loi
quae fit per legem communem, aufert culpae commune enlève la souillure de la faute, alors
maculam, fomite remanente. Ergo in beata virgine que la convoitise demeure. Elle a donc
fomitem ex toto removit. entièrement enlevé la convoitise chez la
bienheureuse Vierge.
[7737] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 5. La corruption de la convoitise est la cause
5 Praeterea, corruptio fomitis est causa quare pour laquelle nous ne pouvons pas dire : « Nous
dicere non possumus: peccatum non habemus; n’avons pas de péché. » En effet, Adam pouvait
hoc enim Adam in primo statu dicere potuit. Sed, dire cela en son premier état. Mais, comme on le
ut ex littera habetur, beata virgo hoc dicere potuit. lit dans le texte, la bienheureuse Vierge ne
Ergo in ipsa fomes non fuit. pouvait dire cela. Il n’y a donc pas eu de
convoitise chez elle.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La bienheureuse Vierge a-
t-elle obtenu d’être exempte du péché actuel
par la sanctification dès le sein ?]
[7738] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que la bienheureuse Vierge n’ait pas
1 Ulterius. Videtur quod per sanctificationem in obtenu d’être exempte du péché actuel par la
utero, immunitatem a peccato actuali consecuta sanctification dès le sein. En effet, comme le dit
non sit. Sicut enim dicit Augustinus, Maria per Augustin, Marie, par laquelle a été accompli le
quam gestum est mysterium incarnationis mystère de l’incarnation du Sauveur, a douté lors
salvatoris, in morte domini dubitavit, non tamen de la mort du Seigneur, mais elle n’est pas
in dubitatione permansit. Sed dubitatio de fide demeurée dans le doute. Or, le doute en matière
122

peccatum est. Ergo non fuit a peccato omnino de foi est un péché. Elle n’a donc pas
immunis. entièrement exempte de péché.
[7739] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. Ambroise dit, à propos de ce passage de Lc 1 :
2 Praeterea, Ambrosius dicit super illud Luc. 1: L’Esprit Saint viendra sur toi : « L’Esprit Saint,
spiritus sanctus superveniet in te, spiritus sanctus en venant sur la Vierge, a chassé de son esprit
in virginem superveniens mentem ipsius ab omni toute souillure des vices. » Or, la souillure des
sorde vitiorum castificavit. Sed sordes vitiorum ex vices découle du péché. La bienheureuse Vierge
peccato consequuntur. Ergo beata virgo post a donc péché après la première sanctification.
primam sanctificationem peccavit.
[7740] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. Augustin dit dans le livre Sur la perfection de
3 Praeterea, Augustinus dicit in libro de la justice : « Être sans péché, cela ne peut être dit
perfectione justitiae: esse sine peccato, de solo en cette vie que du seul Fils unique. » Cela ne
unigenito in hac vita dici potest. Ergo de beata peut donc être dit de la bienheureuse Vierge.
virgine dici non potest.
[7741] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] Bernard, dans sa lettre 174 aux
1 Sed contra, Bernardus epistola 174 ad Lyonnais, dit : « Je pense que la grâce de la
Lugdunenses dicit. Puto quod copiosior gratia sanctification est descendue plus abondante sur
sanctificationis in ipsam descendit, quae non celle dont il a non seulement sanctifié l’origine,
solum ortum ejus sanctificavit, sed eam ab omni mais qu’il a gardée par la suite exempte de tout
peccato deinceps custodivit immunem. Ergo per péché. » Elle a donc obenu l’immunité de tout
primam sanctificationem immunitatem ab omni péché par la première sanctification.
peccato consecuta est.
[7742] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Il est dit en Sg 1, 4 : La sagesse n’entrera
2 Praeterea, sapientiae 1, 4, dicitur: in malevolam pas dans une âme malveillante, elle n’habitera
animam non introibit sapientia, nec habitabit in pas dans un corps soumis aux péchés. Or, la
corpore subdito peccatis. Sed Dei sapientia non Sagesse de Dieu est non seulement entrée dans
solum animam virginis intravit, sicut et de ceteris l’âme de la Vierge, comme il est dit des autres en
dicitur Sap. 7, 27: in animas sanctas se transfert; Sg 7, 27 : Elle se porte dans les âmes saintes,
sed et corpus ejus inhabitavit, carnem de ea mais elle a habité son corps en assumant d’elle
assumens. Ergo in ea nullum peccatum fuit: quod sa chair. Il n’y avait donc aucun péché en elle, ce
colligi potest ex eo quod dicitur Cant. 4, 7: tota qui peut être tiré de ce qui est dit dans Ct 4, 7 :
pulchra es, amica mea, et macula non est in te. Tu es toute belle, mon amie, et il n’y a pas de
souillure en toi.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La bienheureuse Vierge,
par la seconde sanctification qui s’est réalisée
par la conception du Sauveur, a-t-elle obtenu
d’être confirmée dans le bien ?]
[7743] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que, par la seconde sanctification qui
1 Ulterius. Videtur, quod per secundam s’est réalisée par la conception du Sauveur, [la
sanctificationem, quae in conceptione salvatoris bienheureuse Vierge] n’ait pas obtenu d’être
fuit, confirmationem in bono consecuta non fuerit. confirmée dans le bien. En effet, ce que
Quod enim quis jam habet adipisci ulterius non quelqu’un possède déjà ne peut pas être de
potest. Sed si beata virgo ex prima sanctificatione nouveau obtenu. Or, si la bienheureuse Vierge a
immunitatem a peccato habuit, ex tunc confirmata été exempte de péché en vertu de sa première
fuit: non enim certitudo impeccabilitatis habetur sanctification, elle a été alors confirmée : en
nisi per justitiam confirmatam. Ergo per effet, la certitude de l’impeccabilité ne vient que
secundam sanctificationem confirmationem d’une justice confirmée. Elle n’a donc pas
gratiae adepta non est. obtenu la confirmation de la grâce par sa seconde
sanctification.
[7744] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. On ne peut démontrer que le libre arbitre a été
123

2 Praeterea, in nullo qui purus viator fuerit confirmé dans la justice chez personne qui est
liberum arbitrium confirmatum ad justitiam simplement en route [viator]. En effet, la
comprobari potest: potentia enim peccandi et capacité de pécher et la capacité de mourir
potentia moriendi ex eodem passu currere semblent marcher du même pas, de sorte que la
videntur, ut non prius tollatur potentia peccandi capacité de pécher ne soit pas enlevée avant la
quam potentia moriendi. Sed beata virgo etiam capacité de mourir. Or, la bienheureuse Vierge,
postquam salvatorem concepit, ante mortem suam même après avoir conçu le Sauveur, a été pure
pura viatrix fuit. Ergo in ea confirmatio justitiae sur la route avant sa mort. La justice n’était donc
non fuit. pas confirmée en elle.
[7745] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. Il semble qu’elle n’ait pas non plus été alors
3 Item, videtur quod nec tunc penitus a fomite libérée de la convoitise. En effet, c’est un effet
liberata fuerit. Est enim unus effectus fomitis ut de la convoitise, que ceux qui sont affectés par la
infecti fomite originalem culpam in prolem convoitise transmettent la faute originelle à leur
generando transfundant. Sed si per impossibile descendance en l’engendrant. Or, si l’on affirme
ponatur beatam virginem alium post Christum ex par impossible que la bienheureuse Vierge a
carnali copula generasse, peccatum originale in engendré quelqu’un d’autre par l’union charnelle
illum transfudisset. Ergo in ea aliquo modo post après le Christ, elle lui aurait transmis le péché
secundam sanctificationem fomes remansit. Sed originel. La convoitise demeurait donc en elle
confirmatio unius oppositorum non potest d’une certaine manière après la seconde
contingere quamdiu aliquid de opposito remanet. sanctification. Or, la confirmation d’un des
Ergo beata virgo confirmata non fuit per contraires ne peut survenir aussi longtemps que
secundam sanctificationem. quelque chose du contraire demeure. La
bienheureuse Vierge n’a donc pas été confirmée
par sa seconde sanctification.
[7746] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] Ambroise dit, dans le Livre sur
1 Sed contra, Ambrosius dicit in Lib. de Virgin. la virginité de la bienheureuse Vierge : « Il était
beatae virginis: impossibile fuit uterum virginis, impossible que le sein de la Vierge, que le Fils
quem Dei filius inhabitando consecravit, alienae de Dieu a sanctifié en l’habitant, soit souillé par
copulae coitu incestari. Sed eadem ratione nec une autre union sexuelle. » Or, un autre péché ne
aliud peccatum in ea esse potuit. Ergo confirmata pouvait se trouver en elle pour la même raison.
fuit.
[7747] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Là où il y a plénitude de lumière, il ne reste
2 Praeterea, ubi est plenitudo lucis, habilitas ad pas de possibilité d’enténébrement. Or, par la
tenebram non remanet. Sed in conceptione Christi conception du Christ, la bienheureuse Vierge a
beata virgo tota lumine plena fuit, concipiens été complètement remplie de lumière, en
illum qui est splendor gloriae patris, Heb. 1; unde concevant celui qui est la splendeur de la gloire
dicitur Ezech. 44: ingressa est gloria domini du Père, He 1. Aussi est-il dit en Ez 44 : La
templum, et resplenduit. Ergo post illam gloire du Seigneur est entrée dans son temple et
sanctificationem confirmata fuit. y a resplendi. Elle a donc été confirmée après
cette sanctification.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7748] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 co. On reconnaît une double sanctification de la
Respondeo ad primam quaestionem dicendum, bienheureuse Vierge : la première, par laquelle
quod duplex sanctificatio beatae virginis esse elle a été sanctifiée dans le sein ; la seconde, par
dignoscitur: prima qua in utero sanctificata fuit; la conception du Sauveur. Parce qu’on appelle
secunda in conceptione salvatoris: et quia sanctification la purification de la faute, qui ne
sanctificatio emundationem a culpa dicit, quae peut exister sans la grâce, et qu’il revient à la
sine gratia esse non potest, gratiae autem est grâce de réaliser une certaine fermeté, l’effet de
firmitatem quamdam facere; ideo effectus la sanctification, d’une manière générale, est
sanctificationis in generali est duplex: scilicet double : purifier et confirmer. Et la seconde
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emundare, et confirmare: et quantum ad utrumque sanctification perfectionne la première sous les


secunda sanctificatio perfecit primam. In prima deux aspects. En effet, dans la première
enim, secundum quod ab omnibus communiter [sanctification], telle qu’elle est comprise par
tenetur, a peccato originali quantum ad maculam tous, [la bienheureuse Vierge] a été purifiée du
et reatum purgata fuit: sed de emundatione ejus a péché originel aussi bien pour ce qui est de la
fomite diversimode opinantur. Quidam enim souillure que pour ce qui est de la culpabilité ;
dicunt, quod per primam sanctificationem fomes mais, à propos de sa purification de la convoitise,
ex toto sublatus est: quibus contradicit quod in les opinions divergent. En effet, certains disent
littera ex verbis Damasceni dicitur, quod in que, par la première sanctification, la convoitise
secunda sanctificatione supervenit in eam spiritus a été entièrement enlevée ; à ceux-ci s’oppose ce
sanctus eam purgans: quod non potest intelligi qui est dit dans le texte à partir de paroles de
nisi de purgatione a fomite: quia peccatum actuale [Jean] Damascène, que, dans la seconde
non commiserat, ut dicit Augustinus. Et ideo alii sanctification, l’Esprit Saint est venu en elle pour
dicunt quod quantum ad aliquid purgata fuit a la purifier, ce qui ne peut s’entendre que de la
fomite in prima sanctificatione, et quantum ad purification de la convoitise, car elle n’avait pas
aliquid fomes remansit: quod etiam diversimode commis de péché actuel, comme le dit Augustin.
distinguitur. Quidam enim dicunt, quod subtractus C’est pourquoi d’autres disent qu’elle a été
fuit inquantum est inclinans ad malum; remansit partiellement purifiée de la convoitise lors de la
autem inquantum difficultatem est praebens ad première sanctification, et que la convoitise est
bonum: quos duos fomitis effectus apostolus notat demeurée partiellement, selon diverses
Roman. 7, 19, dicens: non enim quod volo bonum, distinctions. En effet, certains disent qu’elle a été
hoc ago; sed quod odi malum, hoc facio. Hoc enlevée dans la mesure où elle incline au mal,
autem non videtur posse stare: quia secundum mais qu’elle est demeurée dans la mesure où elle
idem ex quo est pronitas ad unum contrariorum, rend le bien difficile, les deux effets que l’Apôtre
est difficultas ad alterum; sive sit habitus aut indique dans Rm 7, 19 : Je ne fais pas le bien
forma aliqua, sicut gravitas trahit deorsum, et que je veux, mais je fais le mal que je hais. Mais
causat difficultatem in ascensu; sive etiam sit cela ne semble pas pouvoir se tenir, car
privatio sive defectus, sicut debilitas virtutis l’inclination à l’un des contraires est une
motivae facit pronitatem ad casum, et difficulté par rapport à l’autre, qu’il s’agisse
difficultatem in progressu. Unde non potest esse d’un habitus ou d’une forme quelconque, comme
ut fomes tollatur secundum quod inclinat ad la gravité attire vers le bas et cause la difficulté
malum, et remaneat secundum quod causat de monter ; ou qu’il s’agisse d’une privation ou
difficultatem ad bonum. Et ideo dicunt alii, quod d’une carence, comme la faiblesse de la
fomes est corruptio personae inquantum impellit puissance motrice incline à la chute et à la
ad malum, et inquantum facit difficultatem ad difficulté de progresser. Il ne peut donc se faire
bonum; et sic penitus in prima sanctificatione que la convoitise soit enlevée en tant qu’elle
subtractus est a beata virgine. Est etiam corruptio incline au mal, et qu’elle demeure en tant qu’elle
naturae, ratione cujus infectio originalis per actum cause une difficulté pour le bien. C’est pourquoi
naturae in prolem transit, et sic remansit post d’autres disent que la convoitisie est une
primam sanctificationem; sic tamen ab eo purgata corruption de la personne en tant qu’elle pousse
est in secunda, ut prolem sine omni originali au mal et en tant qu’elle rend le bien difficile ;
peccato conciperet. Hoc etiam non videtur esse elle a ainsi été totalement enlevée de la
conveniens: quia, sicut dictum est in 2 Lib., dist. bienheureuse Vierge lors de sa première
31, qu. 1, art. 2, corruptio originalis quantum ad id sanctification. Il existe aussi une corruption de la
quod culpae est, transit in prolem a patre; nature en raison de laquelle l’infection originelle
quantum vero ad id quod tantum poenae est, sicut est transmise à la descendance par un acte de la
sunt corporis passibilitates, transit in prolem a nature, et ainsi demeure après la première
matre, quae materiam ministrat. Unde non videtur sanctification ; cependant, elle a été à ce point
esse causa quare Christus conceptus sit sine purifiée dans la seconde [sanctification], qu’elle
originali, purgatio matris a fomite secundum quod allait concevoir une descendance sans aucun
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inficit naturam ejus; sed magis quia sine virili péché originel. Mais cela non plus ne semble pas
copula natus est: quam causam Anselmus assignat approprié, car, ainsi qu’on l’a dit dans le livre II,
in libro de conceptu virginali. Defectus autem d. 31, q. 1, a. 2, la corruption originelle, pour ce
poenales non necessitate sed voluntate assumpsit. qui est de la faute, est transmise à la descendance
Et praeterea, cum idem fomes sit per essentiam par le père ; mais, pour ce qui est de la peine,
qui est naturae et personae corruptio, si remanet telles les capacités de souffrir du corps, elle est
inquantum est corruptio naturae, non potest transmise à la descendance par la mère, qui
essentialiter tolli fomes personam corrumpens. fournit la matière. La purification de la
Unde relinquitur, ut alii dicunt, quod fomes per convoitise chez la mère, en tant qu’elle affecte sa
essentiam post primam sanctificationem nature, ne semble donc pas être la cause pour
remanserit, sed impeditus est per gratiam laquelle le Christ a été conçu sans le péché
sanctificantem ne in peccatum inclinaret aut a originel, mais plutôt le fait qu’il est né sans
bono retraheret; contingit enim habitum aliquando union avec un homme, cause que Anselme
ligari ne in actum exire possit, sicut scientia per indique dans le Livre sur la conception de la
ebrietatem, ut dicit philosophus. In secunda vero Vierge. Or, il n’a pas assumé par nécessité, mais
sanctificatione essentialiter fomes ille subtractus volontairement les carences qui ont caractère de
est. peines. De plus, puisque c’est essentiellement la
même convoitise qui est une corruption de la
nature et de la personne, la convoitise qui
corrompt la personne ne peut être enlevée selon
son essence. Il reste donc, comme d’autres le
disent, que la convoitise est demeurée en son
essence après la première sanctification, mais
que, par la grâce sanctifiante, elle a été empêchée
d’incliner au péché ou d’éloigner du bien. En
effet, il arrive parfois qu’un habitus soit lié, de
telle sorte qu’il ne puisse passer à l’acte, comme
c’est le cas de la science à cause de l’ébriété,
ainsi que le dit le Philosophe. Mais, lors de la
seconde sanctification, la convoitise a été
enlevée en son essence.
[7749] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Si la bienheureuse Vierge était morte avant la
Ad primum ergo dicendum, quod si beata virgo passion du Christ, elle n’aurait pas été admise à
ante passionem Christi defuncta fuisset, ad Dei la vision de Dieu, comme ne le sont pas les pères
visionem non admitteretur, sicut nec alii antiqui anciens. En effet, même si la culpabilité se
patres: quamvis enim in eis remotus esset reatus rapportant à la personne avait été écartée d’eux,
ad personam pertinens, remanebat tamen reatus la culpabilité de nature demeurait cependant,
naturae, qui per passionem Christi sublatus est. laquelle a été enlevée par la passion du Christ.
[7750] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. La convoitise ne pousse pas par elle-même au
Ad secundum dicendum, quod fomes non per se bien, mais par accident, pour autant qu’elle se
promovet in bonum, sed per accidens, inquantum trouve dans une nature corrompue : en effet,
est in natura corrupta: ex hoc enim quod inclinat parce qu’elle incline au mal (inclination de la
ad malum (quae quidem inclinatio personae personne qui est un mal mineur), elle présente
parvum malum est) occasionem praebet vitandi l’occasion d’éviter un très grand mal, l’orgueuil.
maximum malum, scilicet superbiam. Si tamen Cependant, si ce mal était évité autrement, il
hoc malum aliter vitaretur, simpliciter melius serait mieux que la convoitise n’existe tout
esset fomitem non esse: sicut comestio serpentis simplement pas, comme le fait d’être mangé par
per accidens juvat, inquantum aliquem a lepra un serpent aide par accident, pour autant qu’il
liberat, cujus tamen comestio homini sano libère quelqu’un de la lèpre ; le fait d’être ainsi
simpliciter vitanda est. Et ideo beatae virgini, mangé doit cependant être évité tout simplement.
126

quae simpliciter sanata fuit a peccato, fomes ad C’est pourquoi, si elle l’avait inclinée au mal, la
perfectionem virtutis non contulisset, si ad malum convoitise n’aurait pas conduit à la perfection de
eam inclinasset. la vertu la bienheureuse Vierge, qui a tout
simplement été guérie du péché,.
[7751] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. On dit que la chair de la Vierge avant la
Ad tertium dicendum, quod caro virginis ante conception a été exposée au péché en raison de
conceptionem dicitur fuisse peccato obnoxia la convoitise, qui demeurait en son essence, mais
propter fomitem, qui essentialiter remanebat; qu’elle a été empêchée, comme on l’a dit.
quamvis impeditus esset, ut dictum est.
[7752] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 4. Cette sanctification de la bienheureuse Vierge
Ad quartum dicendum, quod illa sanctificatio a été meilleure que les sanctifications des autres.
beatae virginis excellentior fuit sanctificationibus Cela apparaît de la manière suivante. Dans la
aliorum: quod sic patet. In sanctificatione enim sanctification qui se réalise selon la loi commune
quae fit per legem communem in sacramentis, dans les sacrements, la faute est enlevée, mais
tollitur culpa, sed remanet fomes inclinans ad l’aiguillon inclinant au péché mortel et véniel
peccatum mortale et veniale; sed in sanctificatis demeure. Mais, chez ceux qui sont sanctifiés dès
ex utero non manet fomes, secundum quod le sein, la convoitise ne demeure pas en tant
inclinans est ad mortale; sed tamen remanet qu’elle incline au péché mortel ; cependant,
inclinatio fomitis ad venialia, ut patet in Hieremia l’inclination de la convoitise aux péchés véniels
et Joanne Baptista, qui peccatum actuale demeure, comme cela ressort chez Jérémie et
habuerunt non mortale, sed veniale. Sed in beata Jean-Baptiste, qui ont eu le péché actuel, non pas
virgine inclinatio fomitis omnino sublata fuit, et mortel, mais véniel. Mais, chez la bienheureuse
quantum ad veniale, et quantum ad mortale: et Vierge, l’inclination de la convoitise a été
quod plus est (ut dicitur), gratia sanctificationis entièrement enlevée quant au péché véniel et
non tantum repressit in ipsa motus illicitos, sed quant au péché mortel ; qui plus est, ainsi qu’on
etiam in aliis efficaciam habuit; ita ut quamvis le dit, la grâce de la sanctification n’a pas
esset pulchra corpore, a nullo unquam concupisci seulement réprimé en elle les mouvements
potuit. illicites, mais a aussi eu une efficacité pour les
autres, de telle sorte que, même si elle était belle
de corps, elle ne pût jamais être désirée par
quelqu’un.
[7753] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5 5. Le fait de pécher nécessairement vient en nous
Ad quintum dicendum, quod necessitas peccandi de l’inclination de la convoitise, qui n’a pas
saltem venialiter provenit in nobis ex inclinatione existé chez la bienheureuse Vierge en raison
fomitis, quae in beata virgine non fuit fomite d’une convoitise liée, comme on l’a dit.
ligato, ut dictum est.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7754] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 co. De même que, lors de la première sanctification,
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut il y eut un début de correction, par l’enlèvement
in prima sanctificatione fuit quaedam inchoatio du péché originel quant à la faute et par
emendationis, remoto peccato originali quantum l’enchaînement de la convoitise, de même aussi,
ad culpam, et ligato fomite; ita etiam fuit il y eut un début d’affermissement, car, par la
quaedam inchoatio confirmationis: quia per grâce sanctifiante, elle a ensuite obtenu
gratiam sanctificantem immunitatem a peccato l’immunité du péché, immunité qui est causée
deinceps consecuta est: quae quidem immunitas a par trois choses : par l’enchaînement de la
tribus causabatur; scilicet ex ligatione fomitis, qui convoitise, qui ne l’incitait pas au mal ; par
ad malum non incitabat; ex inclinatione gratiae, l’inclination de la grâce, qui ordonnait au bien,
quae in bonum ordinabat, quamvis nondum per bien que, par elle, le libre arbitre n’était pas
eam liberum arbitrium esset in fine ultimo encore affermi dans la fin ultime, comme c’est le
stabilitum, sicut est in beatis, qui ad finem viae cas chez les bienheureux, qui sont parvenus à la
127

pervenerunt; et iterum ex conservatione divinae fin de leur vie ; et aussi par la préservation de la
providentiae, quae eam intactam custodivit ab providence divine, qui l’a gardée intacte de tout
omni peccato, sicut et in primo statu hominem ab péché, comme elle avait protégé l’homme de
omni nocivo protexisset. toute nuisance dans son premier état.
[7755] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Contre cette objection, il faut dire que le
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, doute, qui signale une faiblesse de la foi, ne peut
quod dubitatio, quae sonat infirmitatem fidei, sine exister sans péché. Un tel doute n’a pas existé
peccato esse non potest; nec talis dubitatio in chez la Vierge au moment de la passion, mais la
beata virgine fuit in tempore passionis; sed in ea foi la plus solide est demeurée chez elle, même si
remansit fides firmissima, etiam apostolis les apôtres doutaient. Mais il y eut chez elle un
dubitantibus. Sed fuit in ea quaedam dubitatio doute dû à l’étonnement, alors qu’elle voyait que
admirationis, dum considerabat eum quem tam celui qu’elle avait si dignement engendré était si
digne genuerat, sic ignominiose tractari. ignominieusement traité.
[7756] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Les souillures des vices, dont on dit que la
Ad secundum dicendum, quod sordes vitiorum, a bienheureuse Vierge a été purifiée lors de la
quibus in conceptione salvatoris beata virgo conception du Sauveur, n’étaient pas des péchés
castificata dicitur, non fuerunt aliqua peccata véniels, mais des restes du péché originel,
venialia, sed reliquiae quaedam originalis peccati, comme lorsque des dispositions demeurent après
sicut recedente habitu adhuc aliquae dispositiones la disparition d’un habitus. Ou bien il faut dire
manent. Vel dicendum, quod castificatio a que la purification des souillures des vices ne
sordibus vitiorum non intelligitur remotio s’entend pas de l’enlèvement de celles qui
existentium, sed impedimentum futurarum existent, mais de l’empêchement de souillures à
sordium. venir.
[7757] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. On dit qu’être sans péché est propre au Christ
Ad tertium dicendum, quod esse sine peccato parce qu’il n’a jamais été infecté ni par le péché
dicitur esse proprium Christo, quia ipse nunquam originel, ni par un péché actuel. Mais la Vierge,
nec actuali nec originali macula infectus est. Sed sa mère, a été infectée par le péché originel, dont
virgo mater ejus fuit quidem peccato originali elle a été purifiée avant de sortir du sein. Mais
infecta, a quo emundata fuit, antequam ex utero elle a été entièrement exempte de péché actuel.
nasceretur: sed a peccato actuali omnino immunis
fuit.
[7758] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 2 ad s. [1-2] Nous concédons les deux autres
c. Alia duo concedimus. objections.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7759] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Lors de la seconde sanctification, la purification
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in et l’affermissement dans le bien ont été d’une
secunda sanctificatione et emundatio et certaine manière consommés selon la perfection
confirmatio in bono quodammodo consummata de la route ; mais, lors de son assomption
est secundum perfectionem viae; sed in glorieuse, selon la perfection de la patrie. Cela
assumptione ejus gloriosa consummata est apparaît de la manière suivante. Lors de la
secundum perfectionem patriae; quod sic patet. In première sanctification, l’inclination de la
prima enim sanctificatione ablata fuit inclinatio convoitise a été enlevée, alors que demeurait son
fomitis remanente essentia ejus. In secunda vero essence. Mais, lors de la seconde, la convoitise
fuit extinctus ipse fomes per essentiam, elle-même a été éteinte en son essence, alors que
remanentibus adhuc poenalitatibus ex peccato demeuraient encore des peines causées par la
causatis, a quibus plene liberata fuit per gloriam péché, dont elle a été pleinement libérée par la
assumptionis. Similiter etiam est ex parte altera. gloire de l’assomption. Il en va de même d’un
In prima sanctificatione gratia collata fuit ad autre point de vue. Lors de la première
bonum efficaciter liberum arbitrium inclinans, sanctification, la grâce a été conférée pour
quamvis non esset sufficiens ad tollendum incliner efficacement le libre arbitre au bien, bien
128

flexibilitatem liberi arbitrii in malum, quam etiam qu’elle n’ait pas été suffisante pour enlever au
homo in primo statu habuit. In secunda vero libre arbitre la capacité de pencher vers le mal,
sanctificatione gratia superaddita fuit, quae ita [possibilité] que l’homme avait en son premier
potentiam liberi arbitrii impleret ut in contrarium état. Mais, lors de la seconde sanctification, une
flecti non posset, non quidem tollendo naturam grâce fut ajoutée, qui comblerait tellement la
libero arbitrio, sed defectum; sicut materia caeli puissance du libre arbitre, qu’il ne pourrait pas
ex eo quod subsistit formae quae omnem être incliné en sens contraire, sans enlever la
privationem ab ea excludit, non est in potentia ad nature du libre arbitre, mais sa carence, comme
corruptionem. Sed in tertia exaltatione ejus per la matière du ciel, du fait qu’elle est sous-jacente
gratiam perfectam in gloriam transeuntem fini à une forme qui écarte d’elle toute privation,
conjuncta est, ex quo perfecta immobilitas n’est pas en puissance à la corruption. Mais lors
causatur. de sa troisième exaltation, elle a été unie à sa fin
par une grâce parfaite qui se change en gloire, et
une parfaite immobilité est ainsi causée.
[7760] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. Lors de la première sanctification, elle a
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, obtenu d’être exempte de péché, non pas par une
quod in prima sanctificatione consecuta est grâce qui l’affermissait, mais par la ligature de la
immunitatem a peccato, non per gratiam convoitise qui incline au mal et par la protection
confirmantem, sed per ligationem fomitis ad de la providence divine, sans laquelle, même si
malum inclinantis, et per custodiam divinae la convoitise est entièrement éteinte, elle aurait
providentiae, sine qua, etiam fomite omnino pu pécher, comme Adam a péché, à moins
extincto, peccare potuisset, sicut et Adam qu’elle n’ait été consommée en grâce.
peccavit, nisi esset in ea gratia consummata.
[7761] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 2. La capacité de pécher est enlevée de deux
Ad secundum dicendum, quod potentia peccandi manières. Par le fait que le libre arbitre est uni à
aufertur dupliciter. Vel per hoc quod liberum la fin ultime qui le comble, de telle sorte qu’il
arbitrium ultimo fini conjungitur, qui ipsum n’y demeure aucune carence : cela est réalisé par
superimplet, ut nullus defectus in eo remaneat; et la gloire. Aussi, chez aucun simple voyageur, la
hoc fit per gloriam; unde in nullo puro viatore sic puissance de pécher n’est-elle ainsi enlevée, de
peccandi potentia solvitur, ut cum ablatione sorte qu’avec l’enlèvement de la capacité de
potentiae peccandi tollatur potentia moriendi, nisi pécher soit enlevée la capacité de mourir, sauf
in Christo, in quo dispensative remansit, ad opus chez le Christ, en qui elle demeure par
redemptionis complendum. Alio modo aufertur dispensation pour l’achèvement de l’œuvre de la
per hoc quod gratia tanta infunditur, quae omnem rédemption. Elle est enlevée d’une autre manière
defectum tollat; et sic in beata virgine, quando par le fait qu’une si grande grâce a été versée
concepit Dei filium, ablata est peccandi potentia, qu’elle enlève toute carence : c’est le cas chez la
quamvis in statu viae ipsa virgo remaneret. bienheureuse Vierge. Lorsque’elle a conçu le
Fils de Dieu, la capacité de pécher a été enlevée,
bien que la bienheureuse Vierge soit demeurée
dans l’état d’itinérance (in statu viae).
[7762] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Si, par impossible, on affirme que la
Ad tertium dicendum, quod si per impossibile bienheureuse Vierge, après la seconde
ponatur, beatam virginem post secundam sanctification, a conçu un autre fils par l’union
sanctificationem alium filium ex carnali copula charnelle, ce fils aurait eu le péché originel, non
concepisse, ille filius peccatum originale pas à partir de sa mère, mais à partir de son père.
habuisset, non ex parte matris, sed ex parte patris. Mais si on affirme que ce père a été également
Si vero ponatur illum patrem pari modo sanctifié comme la bienheureuse Vierge dans la
sanctificatum fuisse sicut beata virgo in seconde sanctification, ce fils n’aurait pas eu le
sanctificatione secunda, ille filius peccatum péché originel. Ou bien il faut dire, selon une
originale non habuisset. Vel dicendum secundum autre opinion, que la convoitise, selon qu’elle est
129

aliam opinionem, quod neque in secunda une infection de nature, n’a pas été enlevée chez
sanctificatione fomes remotus fuit a beata virgine la bienheureuse Vierge après la seconde
secundum quod est infectio naturae. Neque hoc sanctification,. Mais cela n’empêche pas son
prohibet confirmationem ejus in bono: fomes affermissement dans le bien : en effet, la
enim confirmationi opponitur secundum quod est convoitise s’oppose à l’affermissement du fait
vitium personae, ad concupiscentiam actualem qu’elle est un vice personnel qui incline à la
inclinans. concupiscence actuelle.

Quaestio 2 Question 2 – [La puissance génératrice de la


bienheureuse Vierge ]
Prooemium Prologue
[7763] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la puissance
quaeritur de potentia generativa beatae virginis; et génératrice de la bienheureuse Vierge. À ce
circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum aliquid ad propos, on soulève deux questions : 1 – A-t-elle
Christi conceptionem active operata sit; 2 utrum contribué activement à la conception du Christ ?
generatio filii ex ea sit naturalis, vel miraculosa. 2 – L’engendrement d’un fils par elle a-t-il été
naturel ou miraculeux ?

Articulus 1 [7764] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. Article 1 – La bienheureuse Vierge a-t-elle


1 tit. Utrum virgo aliquid active ad Christi contribué activement à la conception du
conceptionem operata fuerit Christ ?
[7765] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que la bienheureuse Vierge ait
primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo contribué activement à la conception du Christ.
aliquid active in conceptione Christi cooperata sit. En effet, une puissance purement passive n’est
Potentia enim pure passiva est receptiva tantum. que réceptive. Or, [Jean] Damascène dit, comme
Sed Damascenus dicit, ut in littera habetur, quod on le lit dans le texte, que non seulement le
non tantum dedit spiritus sanctus virgini Saint-Esprit a donné à la Vierge la capacité de
potentiam receptivam verbi, sed simul etiam recevoir le Verbe, mais aussi une capacité
generativam. Ergo oportet quod per potentiam d’engendrer. Il faut donc entendre par la capacité
generativam intelligatur virtus activa ipsius; et ita génératrice une puissance active de sa part. Ainsi
in conceptione Christi aliquid active operata est. a-t-elle contribué activement à la conception du
Christ.
[7766] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Ce qui est dit en Lc 1, 35 : La puissance du
Praeterea, hoc quod dicitur Luc. 1, 35: virtus Très-Haut te couvrira de son ombre, s’entend de
altissimi obumbrabit tibi, intelligitur quantum ad l’apport d’une puissance dépassant celle qu’elle
collationem alicujus virtutis supra eam quam possédait naturellement. Or, la bienheureuse
naturaliter habebat. Sed beata virgo naturaliter Vierge avait, comme les autres vierges, la
habuit, sicut et aliae virgines, potentiam generandi puissance d’engendrer par mode de passion ou
per modum passionis, seu receptionis. Ergo de réception. La puissance dont [Jean]
potentia quam sibi Damascenus per spiritum Damascène dit qu’elle a été préparée pour lui par
sanctum dicit praeparatam, est potentia activa; et le Saint-Esprit est donc une puissance active. La
sic idem quod prius. conclusion est ainsi la même que le
précédemment.
[7767] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 3. Augustin dit : « Le Christ est le fils de sa mère
Praeterea, dicit Augustinus: Christus secundum selon ce qu’il a reçu de sa mère. » Or, il est
hoc est filius matris quod accepit a matre. Sed appelé le fils de sa mère selon sa nature humaine.
dicitur filius matris secundum humanam naturam. Il a donc reçu de sa mère la nature humaine . Et
Ergo humanam naturam accepit a matre; et sic ainsi, la bienheureuse Vierge a donc réalisé
beata virgo aliquid in conceptione operata est. quelque chose lors de sa conception.
[7768] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 4 4. La bienheureuse Vierge a été la mère véritable
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Praeterea, beata virgo fuit vera mater Christi. Sed du Christ. Or, elle ne serait pas sa mère véritable
non esset vera mater ejus, si tantum materiam si elle n’avait apporté que la matière : en effet, la
ministrasset: non enim dicitur terra proprie mater terre n’est pas appelée au sens propre la mère de
hominis, quamvis limus, unde formatur homo, de l’homme, bien que le limon dont l’homme est
terra sumptus sit: nec similiter dici potest lignum formé ait été pris de la terre ; et le bois ne peut
mater scamni, eo quod de eo fit. Ergo beata virgo pas être non plus appelé la mère de l’escabeau du
non tantum ministravit materiam ad conceptionem fait que celui-ci est réalisé à partir de lui. La
Christi, sed aliquid active fecit. bienheureuse Vierge n’a donc pas apporté
seulement la matière dans la conception du
Christ, mais elle a réalisé quelque chose de
manière active.
[7769] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Dans Sur l’âme, II, le Commentateur affirme
Praeterea, Commentator, in 2 de anima, ponit une distinction entre les puissancee de l’âme : les
hanc distinctionem potentiarum animae: quod puissances de la partie nutritive sont toutes
potentiae nutritivae partis, omnes sunt activae; actives ; les puissances sensibles sont toutes
potentiae sensitivae, omnes sunt passivae; in passives ; mais, dans l’intellect, il y a quelque
intellectu autem est aliquid activum, ut intellectus chose d’actif, tel l’intellect agent, et quelque
agens, et aliquid passivum, ut intellectus chose de passif, tel l’intellect possible. Or, la
possibilis. Sed potentia generativa ad vegetabilem puissance génératrice relève de l’âme
animam pertinet; unde etiam plantis inest. Ergo végétative ; aussi est-elle présente dans les
est potentia activa. Cum ergo per potentiam plantes. Elle est donc une puissance active.
generativam mater filium concipiat, videtur quod Puisque la mère conçoit son fils par la puissance
aliquid active in conceptione agat; et sic idem génératrice, il semble donc qu’elle réalise
quod prius. activement quelque chose dans la conception. La
conclusion est ainsi la même que précédemment.
[7770] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 6 6. Un mouvement naturel est celui dont le
Praeterea, motus naturalis est cujus principium est principe est interne. Or, la génération du fils par
intra. Sed generatio filii ex matre, est naturalis. sa mère est naturelle. Dans la matière même que
Ergo in ipsa materia quam mater ministravit ad la mère apporte pour la formation du fœtus
formationem conceptus, est principium aliquod existe donc quelque chose qui coopère
active cooperans ad conceptionem; et sic idem activement à la conception. La conclusion est
quod prius. ainsi la même que précédemment.
[7771] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] La bienheureuse Vierge n’a été
contra, beata virgo non fuit nisi mater Christi. Sed que la mère du Christ. Or, il n’appartient à la
ad matrem non pertinet nisi ministrare materiam, mère que d’apporter la matière, et non pas de
non autem aliquid active operari, quod est patris. réaliser quelque chose activement, ce qui
Ergo beata virgo nihil active ad conceptionem appartient au père. La bienheureuse Vierge n’a
Christi operata est. Media probatur per hoc quod donc en rien contribué activement à la
philosophus dicit, 15 de animalibus: vir dat conception du Christ. La mineure est démontrée
animam, formam, et principium motus; femina dat par ce que le Philosophe dit, Sur les animaux,
corpus et materiam; sicut accidit in lacte XV : « L’homme donne l’âme, la forme et le
coagulato, quod corpus exit ex lacte, et principe du mouvement ; la femme donne le
coagulatio ex coagulo; et post pauca subdit: corps et la matière, comme il arrive dans le lait
manifestum est quod mas est operans, et femina coagulé : le corps vient du lait, et la coagulation,
patens; sicut erit scamnum ex carpentario et de la présure. » Peu après, il ajoute : « Il est clair
ligno. que le mâle est actif et la femme passive, comme
ce sera le cas de l’escabeau qui vient du
charpentier et du bois. »
[7772] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] Augustin dit, dans son Commentaire littéral
Praeterea, Augustinus dicit, 10 super Genesim ad de la Genèse, X : « Le Christ a reçu la substance
131

litteram: Christus visibilem carnis substantiam de visible de sa chair de la chair de la Vierge ; mais
carne virginis assumpsit; ratio vero conceptionis la raison de la conception ne vient pas d’une
non a virili semine, sed longe aliter, ac desuper semence virile, mais de bien autre chose : elle
venit. Sed virtus activa in conceptione dicitur ratio vient d’en haut. » Or, la raison de la conception
conceptionis. Ergo agens in conceptione Christi dans la conception est appelée la puissance
fuit tantum desuper, et non in beata virgine. active. L’agent dans la conception du Christ
venait donc uniquement d’en haut, et non de la
bienheureuse Vierge.
[7773] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] Anselme dit, dans le Livre sur la conception
Praeterea, Anselmus dicit in Lib. de conceptu de la Vierge : « Ce sujet n’est pas une nature
Virgin.: illud subjectum non creata natura, non créée, ni une volonté de la créature : une
voluntas creaturae, non ulli data potestas puissance donnée à personne ne le produit pas ni
producit aut seminat. Ergo in beata virgine non ne le sème. » Une puissance active pour produire
fuit naturaliter neque divino dono potentia activa le corps du Christ n’existait donc dans la
corpus Christi producens. bienheureuse Vierge ni naturellement ni par un
don de Dieu.
[7774] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 s. c. 4 [4] Aucune puissance créée n’agit d’un coup.
Praeterea, nulla virtus creata subito operatur. Sed Or, dans la conception du Christ, s’est réalisé
in conceptione Christi simul et subito factum est d’un coup et subitement tout ce qui y a été
quidquid ibi factum est de organizatione, réalisé : l’organisation, l’animation et les choses
animatione, et hujusmodi. Ergo non fuit active de ce genre. Cela n’a donc pas été activement
nisi per virtutem increatam. réalisé que par une puissance incréée.
[7775] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 co. Réponse. À ce sujet, il a existe diverses
Respondeo dicendum, quod circa hoc diversimode opinions. En effet, certains disent que, dans la
opinatum est. Quidam enim dicunt in conceptione conception du Christ, sa mère a activement
Christi matrem aliquid active operatam esse; contribué. Parmi eux, certains affirment que cela
quorum quidam hoc ponunt fuisse per naturalem a été d’une manière naturelle, mais d’autres par
modum, quidam vero per supernaturale donum. un don surnaturel. En effet, puisqu’on croit de la
Cum enim beata virgo vera mater Christi credatur, bienheureuse Vierge qu’elle est la mère véritable
oportet sibi attribuere totum illud quod matris est. du Christ, il est nécessaire de lui attribuer tout ce
Ad officium autem matris pertinere aestimant ut qui relève de la mère. Or, ils estiment que la
aliquod principium activum ad conceptionem fonction de la mère est d’apporter un principe
ministret, et non materiale tantum. Hoc tamen actif à la conception, et non pas seulement un
ponitur diversimode. Quidam enim in materia principe matériel. Cependant, on affirme cela de
quam mater ministrat, ponunt esse virtutem diverses manières. En effet, certains disent
activam principaliter: tum quia ex commixtione qu’une puissance active existe principalement
seminum conceptionem fieri ponunt; unde sicut dans la matière que la mère apporte, d’abord,
semen viri est activum in generatione, ita et parce qu’ils affirment que la conception arrive
semen mulieris, quamvis non sit in ea tanta par le mélange des semences : aussi, comme la
efficacia ad agendum: tum etiam quia ponunt semence de l’homme est active dans la
conceptam prolem sensificari et vegetari per génération, de même la semence de la femme,
animam matris, ut sic etiam principalior bien qu’il n’existe pas en elle une aussi grande
inveniatur in generatione mater quam pater. Hoc puissance active ; ensuite, parce qu’ils affirment
autem philosophus reprobat in 15 de animalibus. que la descendance engendrée tire sa capacité
In his enim quae habent vitam perfectam, sensible et végétative de l’âme de la mère, de
distinguuntur agens et patiens in generatione sorte que la mère est même plus importante que
propter perfectam generationem in eis. In plantis le père dans la génération. Mais le Philosophe
autem quae imperfectam vitam habent, est in réfute cela dans Sur les animaux, XV. En effet,
eodem utraque virtus, activa scilicet et passiva: chez ce qui a une vie parfaite, ce qui agit et ce
quamvis forte in una planta dominetur virtus qui subit est distinct dans la génération. Mais,
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activa, et in alia virtus passiva: propter quod dans les plantes, qui ont une vie imparfaite, les
dicitur etiam una planta masculina, et alia deux puissances, l’active et la passive, existent
feminina. Cum igitur impossibile sit illud quod est dans le même sujet, bien que, peut-être, la
determinatum ut patiens, habere virtutem activam puissance active l’emporte dans une plante, et la
respectu ejusdem, oportet quod femina non sit puissance passive dans une autre, raison pour
agens in conceptione, sed tantum patiens. Et ideo laquelle on parle aussi de plante mâle et de
alii dicunt, quod id quod mater ministrat, se habet plante femelle. Puisqu’il est impossible que ce
in generatione sicut materia naturalis. In materia qui est déterminé comme subissant ait une
autem naturali non est potentia passiva tantum puissance active par rapport à la même chose, il
(alias generatio esset violenta, et non naturalis), est donc nécessaire que la femelle n’ait pas de
sed oportet inesse materiae ipsam formam quae rôle actif dans la conception, mais seulement un
per generationem adducenda est, in potentia, et rôle passif. C’est pourquoi d’autres disent que ce
secundum esse incompletum; et ideo non habet que la mère apporte joue le rôle de matière
perfectam virtutem ad agendum, sed tantum naturelle dans la génération. Or, dans la matière
imperfectam; et ideo per se non potest agere nisi naturelle, il n’existe pas seulement une puissance
quodammodo excitetur ab agente exteriori, et sic passive (autrement, la génération serait violente,
ei cooperetur. Hoc autem non potest stare: quia et non naturelle), mais il est nécessaire qu’y
impossibile est idem esse alterans et alteratum; existe, en puissance et selon un être incomplet, la
unde non potest esse quod forma quae est in forme même de la matière qui doit être apportée
aliqua materia, agat in ipsam, sive sit perfecta, par la génération. C’est pourquoi elle n’a pas une
sive imperfecta: forma enim quae per se non capacité d’agir parfaite, mais seulement
existit, non agit, nec proprie patitur, sed imparfaite. Aussi ne peut-elle agir par elle-même
compositum agit ratione formae, et patitur ratione que si elle est d’une certaine manière excitée par
materiae; et ideo non est possibile quod illa forma un agent extérieur et coopère ainsi avec lui. Mais
imperfecta in agendo cooperetur agenti exteriori. cela ne peut être soutenu, car il est impossible
Praeterea agere sequitur ad esse perfectum, cum que la même chose en même temps altère et soit
unumquodque agat secundum quod est in actu; altérée. Il ne se peut donc pas que la forme qui
unde oportet quod forma imperfecte existens in existe dans une matière agisse sur elle, qu’elle
materia, prius perficiatur in esse per agens soit parfaite ou imparfaite. En effet, la forme qui
exterius quam detur sibi agere; unde non potest in n’existe pas par elle-même n’agit pas, ni ne subit
agendo cooperari ad generationem per quam au sens propre ; mais le composé agit en raison
forma in esse perfectum adducitur. Et praeterea, si de la forme, et il subit en raison de la matière.
esset de necessitate matris ut active ad C’est pourquoi il n’est pas possible que cette
generationem operaretur, beata virgo non posset forme imparfaite coopère à l’action d’un agent
dici mater. Cum enim conceptio illa tota sit simul extérieur. De plus, l’action découle d’un être
facta, non potuit per aliquam creatam activam parfait, puisque tout agit selon qu’il est en acte.
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virtutem fieri; unde beata virgo non potuit active Il faut donc que la forme qui existe
operari ad conceptionem; et sic non habuisset imparfaitement dans la matière soit d’abord
illud quod ad matrem pertinet; unde nec mater amenée à la perfection de l’être par un agent
esset. Nec potest dici quod cooperata sit ad extérieur avant qu’il ne lui soit donné d’agir ;
introductionem formae tantum, quae etiam elle ne peut donc pas coopérer activement à la
secundum naturam in instanti inducitur. Inducens génération par laquelle une forme est amenée à
enim formam est nobilius quam praeparans l’être parfait. De plus, si la mère agissait
materiam per alterationem; et sic spiritui sancto nécessairement d’une manière active en vue de
attribueretur id quod minus est, et virgini id quod la génération, la bienheureuse Vierge ne pourrait
dignius est. Et praeterea forma substantialis ad pas être appelée mère. En effet, puisque cette
quam terminatur conceptio, est anima, quae est conception a été réalisée tout entière
actus totius et omnium partium; unde remota ea, simultanément, elle ne pouvait être réalisée par
nec os nec caro dicitur nisi aequivoce. Ad animam une puissance créée. La bienheureuse Vierge ne
autem Christi constat nihil active beatam virginem pouvait donc pas agir activement en vue de la
cooperatam esse. Et ideo alii dicunt, quod beata conception. Et ainsi, elle n’aurait pas possédé ce
virgo habuit aliquid plus ex supernaturali virtute qui relève de la mère. Elle ne serait donc pas non
quam aliae matres: materia enim quae ab aliis plus mère. Et on ne peut pas dire qu’elle a
ministratur, non potest seipsam complete in actum coopéré seulement à l’introduction de la forme,
educere, nisi sit agens exterius: sed materia qui est aussi introduite dans l’instant selon la
corporis Christi, quam beata virgo ministravit, hoc nature. En effet, ce qui introduit la forme est plus
habuit ex dono divino, ut posset seipsam formare noble que ce qui prépare la matière par une
per virtutem superadditam naturae. Sed non altération. On attribuerait ainsi à l’Esprit Saint ce
poterat in instanti hoc fieri; et ideo, quia decebat qui est inférieur, et à la Vierge, ce qui est plus
conceptionem in instanti esse, praevenit spiritus digne. De plus, la forme substantielle à laquelle
sanctus, subito formationem corporis Christi se termine la conception est l’âme, qui est l’acte
complens, quae tamen aliter, licet successive, du tout et de toutes les parties ; aussi, si celle-ci
completa fuisset. Istud autem non videtur est enlevée, on ne parle de bouche ni de chair
conveniens. Primo, quia si illa virtus non que de manière équivoque. Or, il est clair que la
cooperata est ad formationem corporis Christi, bienheureuse Vierge n’a en rien coopéré à l’âme
frustra collata est: quod non contingit in operibus du Christ. C’est pourquoi d’autres disent que la
naturae, et multo minus in operibus miraculosis. bienheureuse Vierge possédait quelque chose de
Secundo, quia beata virgo non eligebatur ut esset plus que les autres mères par une puissance
simul pater et mater Christi, sed ut esset mater surnaturelle. En effet, elle ne peut amener elle-
tantum: unde non oportebat ut in materia quam même à l’acte la matière qui est apportée par les
virgo ministravit, conjungeretur hoc quod in aliis autres, à moins qu’il n’y ait un agent extérieur.
est ex parte patris et matris. Tertio, quia secundum Or, la matière du corps du Christ, que la
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activam vel passivam potentiam generandi nullus bienheureuse Vierge a apportée, elle avait par un
dicitur pater vel mater; sed secundum quod don de Dieu de pouvoir en donner elle-même la
potentia in actum procedit. Unde si in materia forme par une puissance ajoutée à la nature.
quam virgo ministravit, fuit potentia activa quae Mais cela ne pouvait se réaliser dans l’instant.
exigitur ad patrem et matrem sine hoc quod virtus Aussi, parce qu’il convenait que la conception se
illa operata sit, non diceretur neque pater neque réalise dans l’instant, l’Esprit Saint a-t-il pris les
mater, aut eadem ratione pater et mater, quod devants pour réaliser d’un coup la formation du
absurdum est: nisi forte sufficiat ad esse matrem corps du Christ, qui aurait néanmoins été
hoc solum quod materiam ministravit, quod non achevée autrement, bien que de manière
sufficit ad esse patrem, propter quod mater dicitur successsive. Mais cela ne semble pas approprié.
et non pater: et hoc quidem videtur esse secundum Premièrement, parce que si cette puissance n’a
intentionem philosophi, secundum quam pas coopéré à la formation du corps du Christ,
perfectissime salvatur virginitas matris et vera elle a été donnée en vain, ce qui n’arrive pas
maternitas; unde et fidei maxime consona est. dans les œuvres de la nature, et encore moins
Hanc igitur viam tenendo, dicendum videtur, quod dans les œuvres miraculeuses. Deuxièmement,
in conceptione prolis invenitur triplex actio. Una parce que la bienheureuse Vierge n’était pas
quae est principalis, scilicet formatio et choisie pour être en même temps le père et la
organizatio corporis; et respectu hujus actionis, mère du Christ, mais pour être sa mère
agens est tantum pater, mater vero solummodo seulement. Il ne fallait donc pas que, dans la
ministrat materiam. Alia actio est praecedens hanc matière que la Vierge apportait, soit uni ce qui
actionem, et praeparatoria ad ipsam; cum enim vient du père et de la mère dans les autres.
generatio naturalis sit ex determinata materia, eo Troisièmement, parce que personne n’est appelé
quod unusquisque actus in propria materia fit, père ou mère en vertu de la puissance active ou
sicut in 2 de anima dicit philosophus, oportet ut passive d’engendrer, mais selon que la puissance
formatio prolis fiat ex materia convenienti, et non passe à l’acte. Si donc, dans la matière que la
ex quacumque. Unde oportet esse aliquam Vierge apportait, existait la puissance active qui
virtutem agentem, per quam praeparetur materia est requise pour que le père et la mère exercent
ad conceptum. Sicut autem dicit philosophus, ars cette puissance, elle ne serait appelée ni père ni
quae operatur formam, principatur et imperat ei mère, ou, pour la même raison, père et mère, ce
quae praeparat materiam, sicut ars compaginans qui est absurde, à moins qu’il ne suffise pour être
navim ei quae complanat ligna; et ideo virtus quae mère que le fait d’avoir fourni la matière, ce qui
praeparat materiam ad conceptum est imperfecta ne suffit pas pour être père, raison pour laquelle
respectu ejus quae ex materia praeparata prolem elle est appelée mère, et non pas père. Telle
format. Haec autem virtus praeparans est matris, semble être l’intention du Philosophe, selon
quae imperfecta est respectu virtutis activae quae laquelle la virginité de la mère et la maternité
est in patre; unde dicit philosophus, quod mulier véritable sont sauvegardées. Aussi s’accorde-t-
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est sicut puer qui nondum potest generare. Tertia elle au plus haut point avec la foi. En demeurant
actio est concomitans, vel sequens actionem sur cette voie, il semble donc qu’il faille dire
principalem. Sicut enim locus facit ad bonitatem que, dans la conception d’une descendance, se
generationis; ita et bona dispositio matricis rencontre une triple action. L’une qui est
operatur ad bonam dispositionem prolis, quasi principale : la formation et l’organisation du
praebens fomentum: et hoc est quod dicit corps. Par rapport à cette action, l’agent est
Avicenna in cap. de diluviis: matrix non facit nisi seulement le père, mais la mère ne fait que
ad meliorationem concepti. Secundum hoc ergo fournir la matière. Une autre action précède cette
dico, quod in principali actione formationis action et la prépare. En effet, puisque la
corporis Christi nihil fuit ex parte beatae virginis génération naturelle porte sur une matière
quod esset activum; sed id quod beata virgo déterminée, comme le dit le Philosophe dans Sur
ministravit, se habuit materialiter tantum ad hanc l’âme, II, il faut que la formation de la
actionem; virtus autem divina fecit totum quod fit descendance se réalise à partir d’une matière
in aliis conceptionibus per virtutem seminis quod convenable, et non pas à partir de n’importe
est a patre; et ideo Damascenus divinam virtutem quelle matière. Il faut donc qu’il existe une
dicit quasi divinum semen, ut in littera habetur. In puissance active, par laquelle est préparée la
secunda vero et tertia actione beata virgo active matière en vue du fœtus, comme le
operata est, sicut aliae matres; unde et vere mater Philosophedit que l’art qui réalise la forme
fuit. ordonne et commande à celui qui prépare la
matière ; ainsi l’art qui assemble le navire
[commande-t-il] à celui qui aplanit le bois. Ainsi,
la puissance qui prépare la matière pour le fœtus
est-elle imparfaite par rapport à celle qui forme
la descendance à partir de la matière préparée.
Or, cette puissance qui prépare est celle de la
mère, qui est imparfaite par rapport à la vertu
active qui existe chez le père. Aussi le
Philosophe dit-il que la femme est comme un
enfant qui ne peut pas encore engendrer. La
troisième action est concomitante, ou elle
découle de l’action principale. En effet, de même
que le lieu contribue à la bonté de la génération,
de même la bonne disposition de la matrice
contribue-t-elle à la bonne disposition de la
descendance, en lui apportant la nourriture. C’est
ce que dit Avicenne dans le chapitre sur les
136

déluges : « La matrice ne contribue qu’à


l’amélioration du fœtus. » D’après cela, je dis
donc que, dans l’action principale de la
formation du corps du Christ, rien d’actif n’est
venu de la part de la bienheureuse Vierge ; mais
ce que la bienheureuse Vierge a apporté n’a joué
que le rôle de matière pour cette action. Mais la
puissance divine a réalisé tout ce qui est réalisé
dans les autres conceptions par la puissance de la
semence qui vient du père. C’est pourquoi [Jean]
Damascène dit de la puissance divine qu’elle est
comme une semence divine, ainsi qu’on le lit
dans le texte. Mais, dans la deuxième et la
troisième action, la bienheureuse Vierge a
contribué de manière active, comme les autres
mères. Aussi a-t-elle été véritablement mère.
[7776] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. Dans la conception du Christ, il y a eu un
primum ergo dicendum, quod in conceptione double miracle : l’un, qu’une femme conçoive
Christi fuit duplex miraculum; unum quod femina Dieu ; l’autre, qu’une vierge enfante un fils. Pour
concepit Deum, aliud quod virgo peperit filium. ce qui est du premier, la bienheureuse Vierge
Quantum ergo ad primum beata virgo se habebat n’avait par rapport à la conception qu’une
ad conceptionem secundum potentiam obedientiae puissance obédientielle, et encore beaucoup plus
tantum, et adhuc multo remotius quam costa viri, éloignée que la côte de l’homme dont serait
ut ex ea mulier formaretur. In talibus autem simul formée la femme. Or, dans de tels cas, l’acte et la
dantur actus et potentia ad actum, secundum quam puissance à l’acte, selon laquelle on pourrait dire
dici posset quod hoc est possibile. Sed quantum que cela est possible, sont donnés en même
ad secundum, habebat virgo potentiam passivam, temps. Mais, pour le second point, la Vierge
naturalem tamen, quae per agens naturale in avait une puissance passive, mais cependant
actum reduci posset. Unde quantum ad primum naturelle, qui pouvait être amenée à l’acte par un
dicit: potentiam acceptivam verbi Dei; quantum agent naturel. Aussi dit-il, en rapport avec le
vero ad secundum dicit: simul autem et premier point : « Une capacité de recevoir le
generativam. Utramque enim potentiam in actum Verbe de Dieu » ; mais, par rapport au second
reduxit spiritus sancti virtus. point, il dit : « En même temps qu’une capacité
génératrice. » En effet, la puissance de l’Esprit
Saint a amené à l’acte les deux puissances.
[7777] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. On peut entendre la puissance passive de deux
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secundum dicendum, quod potentia passiva potest manières : selon la substance de la puissance, et
accipi dupliciter: vel secundum substantiam ainsi la puissance avait existé antérieurement
potentiae; et sic potentia fuerat ante in beata chez la Vierge ; ou selon que la puissance est
virgine: vel secundum quod potentia passiva suae unie à son opération, et un patient ne reçoit cette
operationi conjungitur; et tale posse non habet capacité que de l’agent, comme nous disons que
patiens nisi ab agente; sicut dicimus, quod visibile ce qui est visible, en mouvant la vue, lui donne le
movendo visum, dat sibi posse videre in actu; et pouvoir de voir en acte. C’est de cette manière
per hunc modum potentiam generandi spiritus que l’Esprit Saint a donné à la Vierge le pouvoir
sanctus virgini dedit. d’engendrer.
[7778] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Le Christ a reçu sa nature humaine de sa mère,
tertium dicendum, quod Christus accepit mais non pas cependant comme d’un principe
humanam naturam a matre, non tamen sicut a actif, mais en tant qu’elle apportait la matière.
principio agente, sed sicut a materiam ministrante.
[7779] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Apporter simplement la matière pour la
quartum dicendum, quod praebere materiam génération ne fait pas la mère, mais apporter telle
simpliciter ad generationem alicujus non facit matière préparée de telle manière est ce qui fait
matrem, sed praebere talem materiam sic la mère. En effet, il n’existe pas dans le bois une
praeparatam, est id quod matrem facit. In ligno puissance naturelle à devenir un escabeau,
enim non est potentia naturalis ut ex eo fiat puisque cela n’est pas réalisé en acte par un
scamnum, cum per agens naturale in actum non agent naturel. De même, cela n’existe pas dans le
compleatur: similiter nec in limo terrae ut ex ea limon de terre pour réaliser l’homme. Aussi
fiat homo; unde quod inducitur, non est simile. n’est-ce pas la même chose pour ce qui est mis
de l’avant.
[7780] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. La puissance génératrice est active ; mais cette
quintum dicendum, quod potentia generativa puissance existe d’une manière parfaite chez
activa est; sed haec potentia est perfecte in viro l’homme (c’est pourquoi son action va jusqu’à la
(unde ejus actio se extendit usque ad formationem formation de ce qui est engendré). Mais, chez la
generati); in femina autem est imperfecta; unde femme, elle est imparfaite ; aussi son action ne
non extendit se ejus actio nisi ad praeparationem va-t-elle que jusqu’à la préparation de la matière.
materiae.
[7781] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 1 ad 6 Ad 6. Le principe de n’importe quel mouvement
sextum dicendum, quod cujuslibet motus naturalis naturel existe dans ce qui est mû, mais non pas
principium est in eo quod movetur, non tamen de la même manière, comme le dit le
eodem modo, ut in 2 Physic. dicit Commentator. Commentateur dans Physique, II. En effet, il
In quibusdam enim est principium activum, ut in s’agit pour certains choses d’un principe actif,
motu gravium et levium; in quibusdam vero comme dans le mouvement des choses lourdes et
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principium passivum, ut in generatione légères ; mais, pour certaines choses, il s’agit


simplicium corporum. Unde et philosophus d’un principe passif, comme dans la génération
naturam, quam principium motus in eo quod des corps simples. Aussi le Philosophe divise-t-il
movetur definit, statim subdividit in materiam et immédiatement en matière et forme la nature,
formam. Unde non oportet, quamvis generatio qu’il définit comme le principe du mouvement
perfecti animalis sit naturalis, quod in materia dans ce qui est mû. Bien que la génération d’un
quam femina ministrat, sit principium activum, animal parfait soit naturelle, il n’est donc pas
sed passivum tantum. nécessaire qu’existe un principe actif, mais
seulement [un principe] passif dans la matière
que la femelle apporte.
Articulus 2 [7782] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. Article 2 – La génération du Christ par une
2 tit. Utrum generatio Christi ex virgine sit vierge est-elle naturelle ou miraculeuse ?
naturalis vel miraculosa
[7783] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que la génération du Christ par une
secundum sic proceditur. Videtur, quod generatio vierge soit naturelle. En effet, la filiation découle
Christi ex virgine sit naturalis. Filiatio enim de la naissance. Or, « le Christ est appelé le fils
nativitatem consequitur. Sed Christus dicitur naturel de sa mère, comme [il est appelé] le Fils
naturalis filius matris, sicut et naturalis filius naturel de son Père », ainsi que le dit Augustin
patris, ut dicit Augustinus in Lib. de fide ad dans le Livre adressé à Pierre sur la foi. Il naît
Petrum. Ergo generatione naturali nascitur ex donc de sa mère selon une génération naturelle.
matre.
[7784] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 2 2. La puissance passive achevée par l’agent
Praeterea, virtus naturalis passiva completa ab aboutit naturellement à son opération, comme la
agente naturaliter exit in suam operationem, sicut vue mue par la couleur voit naturellement. Or,
visus motus a colore naturaliter videt. Sed in beata chez la bienheureuse Vierge, existait une
virgine fuit naturalis potentia ad generandum, puissance naturelle à engendrer, bien qu’elle ait
quamvis incompleta, ut ex dictis patet. Ergo été incomplète, comme cela ressort de ce qui a
postquam fuit perfecta virtute spiritus sancti, été dit. Après qu’elle a été achevée par la
naturaliter generavit. puissance de l’Esprit Saint, elle a donc engendré
naturellement.
[7785] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 3 3. Bien que la puissance de voir soit donnée
Praeterea, in illuminatione caeci quamvis potentia miraculeusement dans l’illumination de
visiva miraculose detur, tamen post acceptam l’aveugle, il voit cependant naturellement après
potentiam naturaliter videt. Sed spiritus sanctus l’avoir reçue. Or, l’Esprit Saint a donné à la
virgini potentiam generativam dedit. Ergo postea Vierge la puissance d’engendrer. Elle a donc
naturaliter generavit. engendré naturellement par la suite.
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[7786] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Si la génération du Christ par la Vierge était
Praeterea, si generatio Christi ex virgine esset miraculeuse, comme la formation de l’homme à
miraculosa, sicut formatio hominis de limo terrae; partir du limon de la terre, la matière que la
tunc ita se haberet materia quam virgo ministravit Vierge a apportée au Christ jouerait donc le
ad Christum, sicut limus de terra sumptus ad même rôle que le limon de la terre utilisé pour
Adam. Sed talis materia non sufficit ad rationem Adam. Or, une telle matière ne suffit pas à la
matris, ut prius dictum est. Ergo beata virgo non raison de mère, comme on l’a dit plus haut. La
esset vera mater Christi; quod dicere est bienheureuse Vierge ne serait donc pas la mère
haereticum. véritable du Christ, ce qu’il est hérétique de dire.
[7787] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 5 5. L’opération miraculeuse n’est pas le fait d’une
Praeterea, operatio miraculosa non est ab aliqua créature. Or, il est vrai de dire que la Vierge a
creatura. Sed vere dicitur quod virgo genuit engendré le Christ. Une telle génération n’est
Christum. Ergo generatio talis non est miraculosa. donc pas miraculeuse.
[7788] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] dans sa quatrième lettre à Gaïus,
contra, Dionysius dicit in epistola 4 ad Gajum, de Denys dit en parlant de Jésus : « Ce qui relève de
Jesu loquens: super homines, inquit, operatur ea l’homme est accompli d’une manière plus élevée
quae sunt hominis; et hoc monstrat virgo que les hommes. On montre ainsi que la Vierge a
supernaturaliter concipiens, et aqua instabilis, conçu de manière surnaturelle, et que l’eau
materialium et terrenorum pedum sustinens instable a soutenu le poids des pieds matériels et
gravitatem. Sed hoc quod fit supernaturaliter, terrestres. » Or, nous disons que ce qui est
dicimus esse miraculosum. Ergo conceptio Christi accompli surnaturellement est miraculeux. La
ex virgine miraculosa fuit. conception du Christ par la Vierge a donc été
miraculeuse.
[7789] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] Anselme dit, dans le Livre sur la conception
Praeterea, Anselmus dicit in Lib. de conceptu de la Vierge, XXII : « La puissance de l’Esprit
virginis, cap. 22: spiritus sanctus virtus altissimi Saint d’en haut a tiré de manière admirable un
de muliere virgine virum virginem mirabiliter homme vierge de la Vierge. » La génération du
propagavit. Ergo generatio Christi ex virgine Christ par la Vierge est donc miraculeuse.
miraculosa est.
[7790] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] De même qu’il est contraire à l’ordre de la
Praeterea, sicut est contra naturae ordinem ut nature qu’un aveugle voie, de même aussi l’est-il
caecus videat; ita etiam ut virgo manens virgo qu’une vierge enfante tout en demeurant vierge.
pariat. Sed illuminationem caecorum dicimus Or, nous disons que l’illumination des aveugles
miraculosam esse. Ergo et conceptio Christi ex est miraculeuse. La conception du Christ par la
virgine miraculosa est. Vierge est donc aussi miraculeuse.
[7791] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 co. Réponse. En plus de l’union des deux natures
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infinitae virtutis, potest ex utraque materia n’est pas naturellement proportionnée ; mais un
operari, naturali scilicet et non naturali; et ideo agent surnaturel, puisqu’il possède une puissance
duobus modis contingit esse miraculum. Uno infinie, peut agir à partir des deux matières, la
modo quando neque agens est naturale neque naturelle et celle qui n’est pas naturelle. Aussi un
materia naturaliter proportionata ad talem miracle peut-il exister de deux manières. D’une
formam, ut patet in formatione hominis de limo manière, lorsque ni l’agent n’est naturel, ni la
terrae. Alio modo quando materia est naturalis, matière n’est naturellemenet proportionnée à une
sed agens est supernaturale, ut quando aliquis telle forme, comme cela ressort dans la
miraculose a febre sanatur: corpus enim hominis formation de l’homme à partir du limon de la
est naturalis materia sanitatis, quae per terre. D’une autre manière, lorsque la matière est
supernaturale agens confertur ei. Et similiter fuit naturelle, mais que l’agent est surnaturel, comme
in conceptione hominis Christi. Materia enim lorsque quelqu’un est guéri de la fièvre
quam virgo ministravit, fuit materia ex qua miraculeusement : en effet, le corps de l’homme
naturaliter corpus hominis formari potuit; sed est naturellement la matière de la santé, qui lui
virtus formans fuit divina. Unde simpliciter est conférée par un agent surnaturel. De même
dicendum est, conceptionem illam miraculosam en a-t-il été pour la conception de l’homme
esse, naturalem vero secundum quid: et propter Christ. En effet, la matière que la Vierge a
hoc Christus dicitur naturalis filius virginis, quia apportée a été une matière dont le corps d’un
naturalem materiam ad ejus conceptum homme pouvait être formé ; mais la puissance
praeparavit. formatrice a été divine. Aussi faut-il dire qu’à
parler simplement, cette conception a été
miraculeuse, mais qu’à parler d’une manière
relative, elle a été naturelle. Pour cette raison, le
Christ peut être appelé le fils naturel de la
Vierge, car elle a préparé la matière naturelle de
son fœtus.
[7792] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 1 Inde 1. De là ressort la réponse à la première
patet responsio ad primum. objection.
[7793] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. Lorsque la puissance passive est achevée par
secundum dicendum, quod quando potentia l’action de l’agent naturel, l’opération qui en
passiva completur per operationem naturalis découle est alors naturelle. Mais tel n’est pas le
agentis, tunc operatio sequens est naturalis. Hoc cas ici. Aussi le raisonnement n’est-il pas
autem non fuit in proposito; et ideo ratio non concluant.
sequitur.
[7794] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. La puissance de voir est donnée à l’aveugle-né
tertium dicendum, quod caeco nato illuminato sans aucune disposition contraire à la vision ;
datur potentia visiva sine omni dispositione aussi l’opération ou la vision subséquente est-
contraria visioni; et ideo operatio seu visio elle naturelle. Mais la puissance d’engendrer a
sequens est naturalis. Sed potentia generandi data été donnée à la Vierge alors que demeurait sa
est virgini manente virginitate, quae est dispositio virginité, qui est une disposition contraire à la
contraria ad conceptum: et ideo sicut potentia conception. Aussi, de même que la puissance
miraculose data est, ita et actus sequens [lui] a été miraculeusement donnée, de même
miraculosus fuit. Vel dicendum, quod caeco l’acte qui en est découlé a-t-il été miraculeux. Ou
illuminato datur potentia passiva, cujus operatio bien il faut dire qu’a été donnée à l’aveugle
est per hoc quod movetur ab agente naturali, illuminé une puissance passive, dont l’action
scilicet colore; et ideo visio ipsa naturalis est. Sed vient de ce qu’elle est mue par un agent naturel,
virgini dicitur data potentia generativa per hoc la couleur ; c’est pourquoi la vision elle-même
quod mota est ejus potentia passiva ad est naturelle. Mais on dit que la puissance
generandum ab agente supernaturali; et ideo d’engendrer a été donnée à la Vierge par le fait
operatio sequens est miraculosa. que sa puissance passive a été mue à engendrer
141

par un agent surnaturel. Aussi l’opération


subséquente est-elle miraculeuse.
[7795] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. La formation de l’homme à partir du limon de
quartum dicendum, quod formatio hominis de la terre était miraculeuse quant à l’agent et quant
limo terrae fuit miraculosa quantum ad agens et à la matière. Cependant, la conception est
quantum ad materiam; sed conceptio est miraculeuse quant à l’agent, mais non pas quant
miraculosa quantum ad agens, et non quantum ad à la matière. Ce n’est donc pas la même chose
materiam; et ideo non est simile de utroque. dans les deux cas.
[7796] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. On dit que la bienheureuse Vierge a engendré
quintum dicendum, quod beata virgo dicitur le Christ, non pas en tant que principe actif
genuisse Christum, non sicut principium activum menant à la génération, mais en tant qu’elle a
ad generationem praebens, sed sicut ministrans apporté la matière naturelle. Il n’est donc pas
materiam naturalem; unde non est inconveniens inapproprié que cette génération ait été
quod generatio illa miraculosa fuerit. Operatio miraculeuse. Mais l’opération miraculeuse ne
vero miraculosa non est alicujus creaturae sicut relève pas d’une créature comme d’un agent ;
agentis, est tamen alicujus creaturae sicut elle relève cependant d’une créature comme de
materiae, ut patet ex eo quia miraculose ex aliqua sa matière, comme cela ressort du fait que Dieu
creata materia Deus quandoque aliquid facit. réalise parfois quelque chose miraculeusement à
partir d’une matière créée.

Quaestio 3 Question 3 – [L’Annonciation ]


Prooemium Prologue
[7797] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur l’Annonciation faite
quaeritur de Annuntiatione facta per Angelum ad par l’ange à la bienheureuse Vierge. À ce propos,
beatam virginem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 deux questions sont soulevées : 1 – Sur la
de convenientia Annuntiationis; 2 de convenientia convenance de l’Annonciation. 2 – Sur la
nuntii. convenance du messager.

Articulus 1 [7798] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. Article 1 – Convenait-il qu’une annonce de la


1 tit. Utrum conveniebat virgini salvatoris conception du Sauveur soit faite à la Vierge ?
conceptionem nuntiari
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Était-il nécessaire que la
conception du Sauveur soit annoncée à la
Vierge ?]
[7799] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il ait été nécessaire que la
1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod non conception du Sauveur soit annoncée à la Vierge.
oportebat virgini salvatoris annuntiari En effet, celle-ci avait la foi. Or, il a toujours
conceptionem. Ipsa enim fidem habebat. Sed relevé de la foi de croire à l’incarnation à venir.
semper ad fidem pertinuit credere incarnationem Il n’était donc pas nécessaire que celle-ci lui soit
futuram. Ergo non oportebat ulterius quod per encore manifestée sous forme d’annonce.
modum Annuntiationis sibi patefieret.
[7800] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2. Comme le dit Grégoire, la foi n’a pas de
2 Praeterea, sicut dicit Gregorius, fides non habet mérite pour celui à qui la raison humaine donne
meritum cui humana ratio praebet experimentum. une confirmation. Or, par l’échange entre l’ange
Sed in collocutione Angeli ad virginem quaedam et la Vierge, un certain raisonnement à caractère
persuasiva ratiocinatio facta est. Ergo meritum persuasif a été réalisé. Il a donc annulé ou
fidei in ipsa vel evacuavit vel diminuit, quod diminué en elle le mérite de la foi, ce qui semble
videtur inconveniens. inapproprié.
[7801] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3. Dans ce que Dieu accomplit dans l’homme
3 Praeterea, in his quae sine hominis arbitrio Deus sans la volonté de l’homme, un consentement
142

in homine complet, non requiritur aliquis n’est pas requis de la part de l’homme. Or, une
consensus ex parte hominis. Sed prophetia prophétie de prédestination fait partie de ce qui
praedestinationis est de his quae sine nostro est accompli sans notre volonté, comme on le lit
complentur arbitrio, ut habetur ex Hieronymo in chez Jérôme, dans sa glose sur Mt 1 : Voici
Glossa Matth. 1 super illud: ecce virgo in utero qu’une vierge portera, dont il dit qu’il s’agit de
habebit; cujusmodi dicit esse hanc prophetiam la prophétie de Is 7, 14 : Voici qu’une vierge
Isai. 7, 14: ecce virgo concipiet. Ergo non concevra. Un consentement n’était donc pas
requirebatur aliquis consensus ex parte virginis, requis de la part de la Vierge, raison pour
ratione cujus oporteret Annuntiationem fieri. laquelle il fallait qu’une annonce [lui] soit faite.
[7802] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le miracle accompli lors de la
1 Sed contra, majoris sapientiae ostensivum est conception du Christ par une vierge manifeste
miraculum factum in conceptione Christi ex une plus grande sagesse que lors de la
virgine quam in conceptione Joannis ex sterili. conception de Jean par une femme stérile. Or, la
Sed conceptio Joannis per Angelum praenuntiata conception de Jean a été annoncée à l’avance par
fuit, ne fortuito, sed ex Dei providentia accidere un ange, de sorte qu’on ne la croie pas fortuite,
putaretur. Ergo multo amplius conceptionem mais survenue par la providence de Dieu. À bien
Christi Annuntiatio praecedere debuit. plus forte raison, une annonce devait-elle donc
précéder la conception du Christ.
[7803] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Lors de la conception du Christ, s’est réalisé
2 Praeterea, in conceptione Christi est factum une sorte de mariage par l’union indivisible de la
quoddam matrimonium per indivisibilem nature divine et de la nature humaine. Or, dans le
conjunctionem divinae et humanae naturae. Sed in mariage, le consentement est requis : il est exigé
matrimonio requiritur consensus, qui per verba et confirmé par les paroles des messagers. Il
nuntiorum et requiritur et reconciliatur. Ergo et convenait donc que, par l’intermédiaire de son
decuit ut Deus per Angelum suum consensum ange, Dieu exige le consentement de la Vierge à
exquireret virginis, de qua humanam naturam ce qu’il assume la nature humaine.
assumeret.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’annonciation a-t-elle eu
lieu sous forme de vision corporelle ?]
[7804] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que l’Annonciation ait eu lieu sous
1 Ulterius. Videtur, quod Annuntiatio non fuerit forme de la vision corporelle. En effet, comme le
per modum corporalis visionis. Ut enim dicit dit Augustin, parmi les trois genres de visions :
Augustinus, inter tria visionis genera, quae sunt corporelle, spirituelle et intellectuelle, la vision
corporale, spirituale, et intellectuale, intellectualis intellectuelle l’emporte. Or, ce qu’il y a de plus
visio est praestantior. Sed quod dignius est, digne convient à la mère de Dieu.
matrem Dei magis decet. Ergo per intellectualem L’Annonciation a donc eu lieu sous forme de
visionem, et non per corporalem, facta est vision intellectuelle, et non pas corporelle.
Annuntiatio.
[7805] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2. Du fait qu’elles sont inhabituelles et
2 Praeterea, apparitiones corporales Angelorum étrangères au cours général de la nature, les
eo quod insolitae sunt, et praeter communem apparitions corporelles d’anges peuvent être
cursum naturae, inter signa et mirabilia computari comptées parmi les signes et les choses
possunt. Signa autem data sunt non fidelibus, sed étonnantes. Or, les signes n’ont pas été donnés
infidelibus, ut dicit apostolus, 1 Corinth., 14. Cum pour les croyants, mais pour les incroyants,
igitur beata virgo fidelissima fuerit, non videtur ad comme le dit l’Apôtre, 1 Co 14. Puisque la
eam apparitio corporalis Angeli fuisse facta. bienheureuse Vierge était croyante au plus haut
point, il ne semble donc pas que l’apparition
corporelle d’un ange lui ait été faite.
[7806] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, à propos de Lc 1 : Elle fut troublée
1 Sed contra, Luc. 1, super illud: quae cum en entendant cela, la Glose dit : « C’est le propre
143

audisset turbata est, dicit Glossa: trepidare des vierges de trembler, de craindre chaque fois
virginum est, et omnem viri ingressum pavere, qu’un homme approche et de redouter tout ce
omnesque viri affatus vereri. Non autem hoc que dit un homme. » Or, cela n’arrive pas aux
virginibus efficitur ex intellectuali consideratione vierges du fait d’une vision intellectuelle ou de
viri vel ex imaginatione, sed ex corporali aspectu. l’imagination, mais du fait de l’aspect corporel.
Ergo Angelus in corporali visione virgini apparuit L’ange est donc apparu sous forme de vision
et eam collocutus est. corporelle et lui a parlé.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7807] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Il convenait que sa conception soit annoncée à la
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, Vierge pour plusieurs raisons. Premièrement,
quod congruum fuit virgini suam conceptionem parce que l’esprit est plus proche de Dieu que le
annuntiari, multis de causis. Primo, quia cum corps, il ne convenait pas que la Sagesse de Dieu
mens Deo sit vicinior quam corpus, non decebat habite en son sein sans que son esprit brille de la
ut Dei sapientia ejus uterum inhabitaret sine hoc connaissance de la sagesse divine ; c’est
quod mens ejus cognitione summae sapientiae pourquoi il ne convenait pas qu’elle ignore ce
resplenderet; et ideo non decuit eam ignorare qui s’accomplissait en elle, mais il fallait que
quod in ea fiebat, sed oportuit hoc sibi annuntiari. cela lui soit annoncé. Deuxièmement, parce
Secundo, quia ipsa futura erat certissima testis qu’elle devait être un témoin très certain d’une
inusitatae conceptionis; unde oportuit quod de tam conception inhabituelle ; il fallait donc qu’elle
magno mysterio per Annuntiationem erudiretur. soit informée d’un si grand mystère par
Tertio, quia Deus non diligit coacta sed voluntaria l’Annonciation. Troisièmement, parce que Dieu
servitia, ut qui obsequuntur ex ipso ministerio n’aime pas qu’on l’honore de force, mais
mereantur. Unde cum beata virgo singulariter et volontairement, de sorte que ceux qui lui
excellenter in Dei ministerium eligeretur, quem in obéissent tirent un mérite de leur service.
utero portavit, lacte aluit, et brachiis bajulavit, Puisque la bienheureuse Vierge allait être choisie
decuit ut consensus ejus Angelo nuntiante d’une manière singulière et excellente pour le
requireretur, quem humiliter praebens, ad service de Dieu, qu’elle a porté en son sein, a
obsequium se sedulam et promptam obtulit nourri de son lait et a tenu dans ses bras, il
dicens: ecce ancilla domini. convenait donc que son consentement soit
demandé lors de l’annonce par un ange : en le
donnant humblement, elle s’est offerte avec
promptitude et empressement, en disant : Voici
la servante du Seigneur.
[7808] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Le moment de l’incarnation ne tombait pas
Ad primum ergo dicendum, quod non erat sous la foi de manière déterminée, ni par quelle
determinate sub fide cadens tempus incarnationis, vierge cela devait s’accomplir. Elle devait donc
et per quam virginem hoc esset implendum; unde être informée de cela par l’Annonciation. En
de hoc instruenda erat per Annuntiationem. effet, elle croyait très fermement en l’incarnation
Incarnationem enim futuram esse, quod à venir, qui tombait sous la foi des anciens.
antiquorum fidei subjacebat, firmissima fide
tenebat.
[7809] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Le discours de l’ange ne persuadait pas par un
Ad secundum dicendum, quod allocutio Angeli raisonnement humain, mais par la puissance
non ex humana ratione persuasit, sed ex divine, sur laquelle s’appuie la foi au plus haut
omnipotentia divina, cui fides maxime innititur: point. En effet, il disait : Rien ne sera impossible
dixit enim: non erit impossibile apud Deum omne à Dieu.
verbum.
[7810] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Ce sur quoi porte la prophétie de
Ad tertium dicendum, quod ea de quibus est prédestination s’accomplit sans notre libre
prophetia praedestinationis complentur sine nostro arbitre ; il n’est cependant pas nécessaire que
144

arbitrio causante; non tamen oportet quod sine cela soit sans le consentement de notre libre
arbitrio consentiente. arbitre.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7811] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 co. C’est d’une manière très appropriée que
Ad secundam quaestionem dicendum, quod l’Annonciation a été faite sous forme de vision
convenientissime per corporalem visionem corporelle. Premièrement, afin que
Annuntiatio facta est. Primo ut Annuntiatio esset l’Annonciation soit plus certaine. En effet, nous
certior. In his enim quae visibiliter cernimus nous trompons moins dans ce que nous
minus decipimur. Secundo, quia, ut dicit distinguons visiblement. Deuxièmement, parce
Dionysius in epistola 9 ad Titum, haec est causa que, comme le dit Denys dans sa lettre 9 à Tite,
quare nobis divina per corporales figuras « la raison pour laquelle les réalités divines nous
proponuntur, ut utraque vita hominis secundum sont proposées sous forme de figures corporelles
suam proprietatem divina cognitione illuminetur; est que la double vie de l’homme soit illuminée
sensitiva scilicet imaginatione figurarum; selon ce qui lui est propre par la connaissance
intellectiva vero contemplatione spiritualis divine : la [vie] sensitive, par la vision
veritatis. Similiter etiam decuit ut virginis imaginative des figures ; la vie intellectuelle, par
aspectus uterque suo modo nobilitaretur, interior la contemplation de la vérité spirituelle ». De
scilicet per revelationem tanti mysterii, et exterior même aussi, il convenait que le double regard de
per corporalem Angeli visionem. Tertio, quia la Vierge soit ennobli à sa manière : le regard
Annuntiatio debebat proportionari ei quod intérieur, par la révélation d’un si grand
annuntiabatur. Annuntiabatur autem visibilis mystère ; le regard extérieur, par la vision
missio filii Dei in mundum; unde decenter corporelle de l’ange. Troisièmement, parce que
Angelus nuntians corporali visione apparuit. l’Annonciation devait être proportionnée à ce qui
était annoncé. Or, c’était la mission visible du
Fils de Dieu dans le monde qui était annoncée.
Un ange est donc apparu de manière appropriée,
annonçant sous la forme d’une vision corporelle.
[7812] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Bien que la vision intellectuelle soit meilleure
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, que la vision corporelle, les deux ensemble sont
quod quamvis intellectualis visio sit melior cependant plus efficaces qu’une seule, en raison
corporali, tamen utraque simul efficacior invenitur de la connaturalité de la connaissance humaine
quam altera, propter connaturalitatem humanae par rapport au sens.
cognitionis ad sensum.
[7813] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 2. L’apparition corporelle à la Vierge n’a pas été
Ad secundum dicendum, quod corporalis faite pour l’affermissement de sa foi, mais en
apparitio ad virginem facta est, non propter vue de la signification du mystère ou en raison
confirmationem fidei, sed propter significationem de sa dignité, de sorte que les réalités divines lui
mysterii, vel propter dignitatem ipsius, ut sibi soient manifestées d’une manière unique.
singulari modo divina panderentur.
Articulus 2 [7814] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. Article 2 – L’Annonciation devait-elle être
2 tit. Utrum Annuntiatio debuit fieri per Angelum faite par un ange ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’Annonciation devait-elle
être faite par un ange ?]
[7815] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que l’Annonciation ne devait pas
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod être faite par un ange. En effet, la mission par
Annuntiatio per Angelum fieri non debuit. Missio laquelle le Fils est envoyé pour être un homme
enim qua filius mittitur ut sit homo, est est plus grande que celle par laquelle il est
excellentior ea qua mittitur ut sit cum homine, ex envoyé pour être avec l’homme, du point de vue
parte effectus. Sed missio qua mittitur in mentem de l’effet. Or, la mission par laquelle il est
ut sit cum homine, non completur mediante envoyé dans l’esprit pour être avec l’homme ne
145

Angelo, qui menti non illabitur, ut in 2 Lib., dist. se réalise pas par l’intermédiaire d’un ange, qui
11, art. 4, dictum est. Ergo nec quando missus est ne s’insinue pas dans l’esprit, comme on l’a dit
ut esset homo, oportuit per Annuntiationem dans le livre II, d. 11, a. 4. Il ne fallait donc pas
Angeli fieri. non plus qu’elle soit faite par l’Annonciation
lorsque qu’il a été envoyé pour être un homme.
[7816] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2. Un supérieur n’est pas informé par un
2 Praeterea, superior non instruitur per inferiorem. inférieur. Or, la bienheureuse Vierge était
Sed beata virgo fuit Angelis superior quia Deo supérieure aux anges parce qu’elle était plus
acceptior. Ergo non debuit sibi per Angelum agréable à Dieu. La conception du Christ ne
Christi conceptio nuntiari. devait donc pas lui être annoncée par un ange.
[7817] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3. L’ordre de la restauration doit correspondre à
3 Praeterea, ordo reparationis debet respondere l’ordre de la condition première. Or, dans la
ordini primae conditionis. Sed in prima conditione condition première, le commandement divin est
praeceptum divinum ad mulierem per virum venit. parvenu à la femme par l’homme. Sa conception
Ergo et per aliquem virum prophetam annuntiari d’un fils devait donc être annoncée à la Vierge
debuit virgini conceptio filii. par un prophète humain.
[7818] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] il est dit dans le texte : L’ange
1 Sed contra est quod dicitur in littera: missus est Gabriel fut envoyé.
Gabriel Angelus.
[7819] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Comme le montre Denys, les anges sont des
2 Praeterea, ut probat Dionysius, Angeli sunt intermédiaires entre Dieu et nous. Or, on
medii inter Deum et nos. Sed ab uno extremo in parvient d’un extrême à l’autre en passant par ce
aliud devenitur per medium. Ergo ea quae beatae qui est intermédiaire. Il convenait donc que ce
virgini divinitus nuntianda erant, per Angelum qui devait être annoncé à la bienheureuse Vierge
nuntiari decuit. lui soit annoncé par un ange.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’ange de l’Annonciation
faisait-il partie des ordres les plus élevés ?]
[7820] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que l’ange de l’Annonciation faisait
1 Ulterius. Videtur quod Angelus nuntians fuerit partie des ordres les plus élevés. En effet,
de supremis ordinibus. Dicit enim Gregorius in Grégoire dit dans une homélie sur les cent
Homil. de centum ovibus. Summum nuntium mitti brebis : « Il convenait que l’envoyé le plus élevé
decuit, qui summum omnium nuntiaret. Sed illi soit envoyé, lui qui devait annoncer ce qui était
qui sunt in ordine Seraphim, sunt summi inter le plus grand de tout. » Or, ceux qui font partie
Angelos. Ideo per aliquem eorum Annuntiatio des l’ordre des Séraphins sont les plus élevés
facta est. parmi les anges. L’Annonciation a donc été faite
par l’un d’entre eux.
[7821] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2. Jérôme dit que cette question porte sur les
2 Praeterea, Hieronymus dicit, quod ista est anges inférieurs qui ne connaissaient pas
quaestio inferiorum Angelorum mysterium pleinement le mystère de l’incarnation : elle
incarnationis non plene cognoscentium, quae apparaît dans Is 63 : Qui est celui-ci qui vient
ponitur Isai. 63, 1: quis est iste qui venit de d’Édom ? Or, le mystère de l’incarnation ne
Edom ? Sed non potuit nuntiari mysterium pouvait être annoncé que par ceux à qui il a été
incarnationis nisi per illos quibus plene revelatum pleinement révélé. L’Annonciation a donc été
est. Ergo Annuntiatio per aliquem de supremis faite par un des anges les plus élevés.
Angelis facta est.
[7822] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, l’Église chante le contraire : « Nous
1 Sed contra est quod Ecclesia cantat: Gabrielem savons que l’archange Gabriel a été informé par
Archangelus scimus divinitus te esse affatum. Dieu. » Or, l’ordre des archanges est l’avant-
Ordo autem Archangelorum est penultimus dernier de la hiérarchie céleste, comme cela
caelestis hierarchiae, ut patet ex Gregorio, et ex ressort de Grégoire et de Denys. L’ange qui
146

Dionysio. Ergo Angelus nuntians non fuit de annonce ne faisait donc pas partie des ordres les
supremis ordinibus. plus élevés.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7823] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 co. L’Annonciation a été faite par un ange : de
Respondeo dicendum, ad primum quaesitum, multiples raisons peuvent en être données.
quod Annuntiatio per Angelum facta est: cujus Premièrement, parce que, comme le dit Jérôme,
ratio multipliciter accipi potest. Primo, quia ut la virginité est connue des anges ; aussi
dicit Hieronymus, Angelis est cognata virginitas; convenait-il qu’un ange soit envoyé pour faire
unde decuit ut ad virginem nuntiandam Angelus l’annonce à une vierge. Deuxièmement, parce
mitteretur. Secundo, quia perditio humana initium que la perdition humaine a pris origine dans le
sumpsit ex hoc quod Diabolus mulierem allocutus fait que le Diable a parlé à la femme ; aussi Bède
est; unde dicit Beda: congruum apparet ad dit-il : « Il semble convenable qu’un ange parle à
humanae naturae reparationis exordium ut une vierge au début de la restauration de
Angelus virginem alloqueretur. Tertio, quia ille l’homme. » Troisièmement, parce que c’est le roi
annuntiabatur qui est rex hominum et Angelorum; des hommes et des anges qui était annoncé ; de
et ejus nativitas sicut in salutem hominum fuit, ita même que sa naissance avait pour but le salut
et in reparationem ruinae angelicae; et ideo decuit des hommes, de même était-elle pour la
ut tam homines quam Angeli huic mysterio restauration de la ruine des anges. Il convenait
ministerium exhiberent. donc que les hommes comme les anges soient au
service de ce mystère.
[7824] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Bien qu’un ange ne s’insinue pas dans l’esprit
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis quando lorsque le Fils est envoyé à l’esprit, il est
filius in mentem mittitur, Angelus in mentem non cependant au service du Fils qui vient, par la
illabatur; tamen filio venienti obsequitur préparation de l’esprit en le purifiant,
praeparans mentem purgando, illuminando, et l’illuminant et le perfectionnant pour recevoir la
perficiendo ad divinae sapientiae susceptionem. sagesse divine. Aussi, lorsque le Fils a été
Ita etiam et quando filius in carnem missus est, envoyé dans la chair, l’ange n’est-il pas venu
Angelus non venit ut carnem assumeret, sed ut pour prendre chair, mais pour informer la Vierge
virginem instrueret, de qua caro assumenda erat. dont il devait prendre chair.
[7825] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 Bien que la bienheureuse Vierge ait été
Ad secundum dicendum, quod quamvis beata supérieure aux anges du point de vue de la
virgo superior Angelis fuerit secundum prédestination divine, elle leur était cependant
acceptionem divinae praedestinationis, tamen eis inférieure par son état, car elle était dans l’état du
inferior erat quantum ad statum: quia ipsa in statu cheminement, alors que les anges sont dans l’état
viae erat, Angeli autem in statu patriae. Unde non de la patrie. Il n’est donc pas inapproprié qu’un
est inconveniens quod Angelus virginem ange ait informé la Vierge.
instrueret.
[7826] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Dans la condition primitive, la première
Ad tertium dicendum, quod in prima conditione femme n’a reçu le commandement divin que par
mulier prima non accepit divinum praeceptum nisi l’homme, qui était le principe de toute la
per illum virum qui erat principium totius carnalis génération charnelle. Il revient donc seulement à
generationis; unde hoc solum debetur homini l’homme Christ, qui est le principe de la
Christo, qui est spiritualis regenerationis régénération spirituelle, d’enseigner à sa mère,
principium, ut matrem doceat ex qua vita de laquelle la vie spirituelle est passée chez tous.
spiritualis in omnes quodammodo processit.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7827] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 co. L’ange qui a fait l’annonce ne faisait partie ni
Ad secundam quaestionem ergo dicendum est d’une hiérarchie suprême, ni d’une hiérarchie
quod Angelus nuntians non fuit de suprema nec intermédiaire, mais de la hiérarchie la plus
de media hierarchia, sed de infima; nec de primo basse ; et il ne faisait pas partie du premier ordre
147

ordine ejusdem hierarchiae, sed de medio, qui est de cette même hiérarchie, mais d’un ordre
ordo Archangelorum. Cujus ratio multiplex patet: intermédiaire, qui est l’ordre des archanges. Il y
primo, quia cum Christus nasceretur, ut a à cela plusieurs raisons. Premièrement, puisque
inordinationem quae in Angelis acciderat le Christ est né pour réparer le désordre qui
repararet, decuit ut in sua conceptione ordo ille s’était produit chez les anges, il convenait que,
caelestis hierarchiae maxime servaretur, ut scilicet lors de sa conception, l’ordre de la hiérarchie
supremi Angeli mediantibus infimis homines céleste soit respecté au mieux, à savoir que les
illuminarent. Secundo, ut tantum mysterium anges supérieurs illuminent les hommes par
incarnationis conveniens esset. Cum enim l’intermédiaire des anges les plus inférieurs.
inferiores Angeli agant secundum id quod a Deuxièmement, afin que le si grand mystère de
superioribus recipiunt, et non e converso, dum l’incarnation convienne. En effet, puisque les
inferiores Angeli nuntiant, Annuntiatio per anges inférieurs agissent selon ce qu’ils
superiores ad inferiores expletur: quod non esset, reçoivent des anges supérieurs, et non l’inverse,
si superiores immediate annuntiarent. Tertio, quia lorsque les anges inférieurs l’annoncent,
sic salvatur proprietas ordinum, sicut in 2, dist. 9, l’Annonciation est faite aux anges inférieurs par
art. 3 et 4 et 7, dictum est. Infima enim hierarchia l’intermédiaire des anges supérieurs, ce qui ne
officium habet dirigendi homines secundum serait pas le cas si les anges supérieurs
quamdam limitationem; vel unius provinciae sicut annonçaient de manière immédiate.
ordo principatuum; vel unius hominis, sicut Troisièmement, parce que ce qui est propre aux
ordines Angelorum et Archangelorum: sed ordres est ainsi respecté, comme on l’a dit dans
differunt: quia ad Angelos pertinet dirigere in le livre II, d. 9, aa. 3, 4 et 7. En effet, la
actibus alicujus hominis qui ad ipsum tantum hiérarchie la plus inférieure a la fonction de
pertinent; unde dicuntur minima nuntiare: ad diriger les hommes à l’intérieur de certaines
Archangelos vero pertinet dirigere in actibus limites : à l’intérieur d’une province, comme
alicujus hominis, qui tamen in totam l’ordre des principautés, ou à l’égard d’un
multitudinem redundant; unde et medii sunt inter homme, comme les ordres des anges et des
principatus et Angelos; quod et eorum nomen archanges. Mais ils sont différents, car il
ostendit; dicuntur enim Archangeli, quasi appartient aux anges de diriger les actes d’un
principes Angeli. Quia ergo consensus beatae homme qui le concernent lui seul - aussi dit-on
virginis, qui per Annuntiationem requirebatur, qu’ils annoncent les plus petites choses ; mais il
actus singularis personae erat in multitudinis appartient aux archanges de diriger les actes d’un
salutem redundans, immo totius humani generis, homme qui rejaillissent sur toute une multitude.
Angelus nuntians de ordine Archangelorum esse Aussi sont-ils intermédiaires entre les
debuit, et inter eos summus. principautés et les anges, ce que montre leur
nom. En effet, on les appelle archanges dans le
sens d’anges dirigeants. Parce que le
consentement de la bienheureuse Vierge, qui
était demandé par l’Annonciation, était l’acte
d’une seule personne rejaillissant sur le salut
d’une multitude, bien plus, de tout le genre
humain, l’ange qui annonçait devait donc faire
partie des archanges, et il devait être le premier
d’entre eux.
[7828] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Grégoire n’entend pas le plus élevé tout
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, simplement, mais le plus élevé parmi les anges,
quod Gregorius non intelligit summum selon que n’importe quel archange peut être
simpliciter, sed summum inter Angelos, appelé l’envoyé le plus élevé, ce qui ressort de ce
secundum quod quilibet Archangelus summus qui est dit auparavant : « Ils sont appelés
nuntius dici potest: quod patet ex hoc quod archanges au sens d’envoyés les plus élevés. »
praemittit: Archangeli dicuntur quasi summi
148

nuntii.
[7829] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Les anges inférieurs n’ignoraient pas
Ad secundum dicendum, quod Angeli inferiores complètement le mystère de l’incarnation ; mais
non penitus mysterium incarnationis ignoraverunt; parce qu’ils ne pouvaient saisir toute la
sed quia non totam profunditatem consilii divini profondeur du dessein de Dieu pour le salut du
super salutem humani generis capere poterant, genre humain, ils demandaient d’en être
inquirebant plenius edoceri, et de hoc in 2 Lib., davantage instruits. On a parlé plus longuement
dist. 11, plenius dictum est. de cela dans le livre II, d. 11.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard


(Questions 1, 2 et 3)
[7830] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 3 a. 2 qc. 2
expos. Virtus altissimi obumbrabit tibi. Virtus
altissimi, secundum expositionem Damasceni
sequentem intelligitur filius, de quo Corinth. 1,
dicitur: Christum Dei virtutem, et Dei sapientiam;
ut sic in verbis Angeli praenuntietur duarum
personarum adventus in virginem, scilicet spiritus
sancti ad purgandum et potentiam generativam
praestandum, et filii ad carnem assumendum:
propter quod dicit: obumbrabit tibi virtus. Virtus
enim altissimi per susceptionem nostrae
infirmitatis obumbrata est. Vel dicitur:
obumbrabit tibi, ad signandum extinctionem
omnimodam fomitis: quia per adventum filii in
ipsam omnes reliquiae fomitis ab ea extirpatae
sunt; et haec extirpatio obumbratio dicitur, sicut et
fomes incendium: umbra enim contra aestum
refrigerium praestat. Sicut divinum semen. Non
dicit simpliciter semen, ut caveret errorem
Apollinaristarum qui ponebant spiritum sanctum
in uterum virginis vere sicut semen venisse. In
hoc tamen similitudinem seminis habet quod sicut
semen est activum in generatione, ita et spiritus
sanctus in conceptione Christi, vel filius quem
virtutem altissimi dicit. Nostrae antiquae
aspersionis: non quantum ad vetustatem culpae,
sed poenae. Per spiritum sanctum creans. Contra,
creare est ex nihilo aliquid facere. Sed corpus
Christi de materia formatum est. Ergo non est per
spiritum sanctum in conceptione creatum. Sed
dicendum, quod creatio hic large accipitur pro
qualibet operatione supernaturali, quae ipsius
tantum Dei est. Si dixerimus quia peccatum non
habemus, nos ipsos seducimus. Videtur instantia
esse de puero baptizato, et de adulto, qui statim
vere confessus est. Sed dicendum, quod ad hoc ut
veritatem in omnibus habeat dictum apostoli,
dupliciter potest accipi. Uno modo ut per
peccatum non tantum intelligatur macula et reatus
149

peccati, sed etiam causa et sequela peccati. In


puero enim baptizato, et adulto poenitente manet
fomes incitans ad peccandum, et ulterius aliquae
dispositiones ex actuali peccato relictae; in
Christo autem neutrum horum fuit: caro enim ejus
sine corruptione fomitis concepta est; et cum
peccatum non fecerit, reliquiae peccati in eo non
fuerunt: similiter nec in beata virgine, quae
immunis a peccato actuali fuit; fomes autem etsi
essentialiter in ea remansit post primam
sanctificationem, tamen ut ligatus, et non ut
incitans ad peccatum, ut dictum est. Alio modo
potest verificari, ut intelligatur etiam de peccato
actuali quo ad reatum et maculam. Etsi enim
homo ad breve tempus sine actuali peccato esse
possit, non tantum diu sic perseverare potest, ut
saltem in veniale peccatum non cadat; ut sic hoc
verbum habemus non determinatum, sed
confusum praesens importet. In Christo vero et
matre ejus nullo modo peccatum actuale locum
habuit, nec mortale nec veniale.

Quaestio 4 Question 4 – [Questions sur la condition


charnelle que le Christ a reçue de sa mère]
Prooemium Prologue
[7831] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 pr. Postquam Après avoir montré la condition de la chair
ostendit Magister conditionem carnis assumptae, assumée et de la mère dont elle a été assumée, le
et matris de qua assumpta est, hic movet quasdam Maître soulève ici certains doutes sur ce qui a été
dubitationes circa determinata; et dividitur in duas déterminé. Il y a deux parties : dans la première,
partes: in prima movet dubitationem circa il soulève un doute à propos de la transmission
propagationem carnis Christi ex remotis de la chair du Christ depuis ses parents éloignés,
parentibus, scilicet Abraham et Adam; in secunda Abraham et Adam ; dans la seconde, il soulève
movet dubitationem circa conceptionem carnis un doute sur la conception de sa chair par sa
ejus in proxima matre, ibi: illi autem sententiae mère proche, en cet endroit : « Ce que dit
qua supra diximus, carnem verbi non ante fuisse Augustin semble s’opposer à la sentence que
conceptam quam assumptam, videtur obviare nous avons énoncée plus haut, que la chair du
quod Augustinus ait. Circa primum tria facit: Verbe n’a pas été conçue avant d’être assumée. »
primo movet dubitationem; secundo solvit eam, À propos du premier point, il fait trois choses :
ibi: quia ea decimatione sicut Abraham minor premièrement, il soulève le doute ;
Melchisedech ostenditur (...) ita et leviticus ordo; deuxièmement, il le résout, à cet endroit :
tertio ex solutione elicit quamdam conclusionem, « Parce que, par ce carnage, il est montré que
ibi: quocirca primitias nostrae massae recte Melchisédech est inférieur à Abraham…, de
assumpsisse dicitur Christus. Secunda dubitatio même en est-il de l’ordre lévitique » ;
dividitur in quaestionem et solutionem. Solutio troisièmement, il tire une conclusion de la
incipit ibi: sed alia ratio illius dicti extitit. Hic est solution, en cet endroit : « On dit donc
duplex quaestio. Prima de propagatione carnis correctement que le Christ a assumé les prémices
Christi ex antiquis patribus. Secunda de de notre affluence. » Le second doute se divise
propagatione ejus ex matre. Circa primum en une question et une solution. La solution
quaeruntur tria: 1 utrum caro Christi in antiquis débute en cet endroit : « Mais il existe une autre
patribus fuerit peccato obnoxia, vel ab alia eorum raison de ce qui a été dit. » Ici, il y a une double
150

carne secundum differentiam puritatis et question : la première, à propos de la


infectionis distincta; 2 utrum caro Christi fuerit in descendance de la chair du Christ des pères
antiquis patribus secundum quantitatem aliquid anciens ; la seconde, à propos de sa descendance
determinatum, et materialiter in eis existens; 3 de sa mère. À propos du premier point, trois
utrum Christus singulariter habeat inter filios questions sont posées : 1 – La chair du Christ a-
Abrahae ut in eo decimatus non sit. t-elle été exposée aux péchés chez les pères
anciens, ou était-elle distincte de leur chair selon
une différence de pureté et d’infection ? 2 – La
chair du Christ était-elle chez les pères anciens
quelque chose de déterminé selon la quantité, et
qui existait matériellement ? 3 – Le Christ a-t-il
été le seul parmi les fils d’Abraham à n’avoir pas
été soumis à la dîme en lui ?

Articulus 1 [7832] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. Article 1 – La chair du Christ a-t-elle été
1 tit. Utrum caro Christi in antiquis patribus fuerit exposée au péché chez les pères anciens ?
peccato obnoxia
[7833] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que la chair du Christ n’ait pas été
primum sic proceditur. Videtur quod caro Christi infectée dans les pères anciens. En effet, un
in antiquis patribus peccato infecta non fuerit. corps céleste n’est pas infecté ni altéré par son
Corpus enim caeleste non inficitur nec alteratur ex union avec un autre corps. Or, le corps du Christ
conjunctione ad aliud corpus. Sed corpus Christi était de nature céleste, ce qui ressort de ce qui est
naturae caelestis fuit: quod videtur ex hoc quod dit de lui en Jn 3, 31 : Lui qui est venu du ciel
dicitur de ipso Joan. 3, 31: qui de caelo venit pour tous. La chair du Christ ne pouvait donc
super omnes est. Ergo caro Christi in antiquis être infectée chez les pères anciens.
patribus infecta esse non potuit.
[7834] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 2 2. Il est dit dans le texte que le Christ a assumé
Praeterea, in littera dicitur, quod Christus les prémices de notre chair. Or, la chair humaine
primitias nostrae carnis assumpsit. Sed caro n’était pas infectée dans son premier état. Le
humana in primo statu infecta non fuit. Ergo Christ a donc assumé une chair qui n’avait
Christus assumpsit carnem nunquam prius jamais été infectée.
infectam.
[7835] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 3. Augustin dit que la nature humaine a toujours
Praeterea, Augustinus, dicit, quod natura humana eu un remède pour la blessure en même temps
semper habuit simul cum vulnere vulneris qu’une blessure. Or, ce qui est corrompu ne peut
medicinam. Sed quod est corruptum, non potest être un remède pour la corruption. Il y a donc
corruptionis esse medicina. Ergo in humana toujours eu dans la nature humaine quelque
natura semper fuit aliquid non corruptum vel chose qui n’était pas corrompu ou infecté, à
infectum, unde caro Christi formata est, quae partir de quoi la chair du Christ a été formée et
medicina facta est totius humani generis. est devenue un remèce pour tout le genre
humain.
[7836] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 4. Rien ne guérit de la corruption s’il n’y est pas
Praeterea, nihil sanatur a corruptione, nisi in eo resté quelque chose d’incorrompu, comme pour
aliquid incorruptum remanserit; sicut in la maladie d’un animal, si le cœur demeure sain,
aegritudine animalis, cum cor remaneat sanum, les membres qui était malades sont guéries par sa
ejus virtute membra prius aegra sanantur. Sed puissance. Or, la corruption du genre humain
corruptio humani generis sanabilis fuit. Ergo in pouvait être guérie. Il était donc resté quelque
humana natura aliquid incorruptum remanserat. chose d’incorrompu dans la nature humaine. Or,
Sed nihil est mundius in humana natura quam rien n’est plus pur dans la nature humaine que la
caro Christi. Ergo illud de quo formata est caro chair du Christ. Ce dont a été formée la chair du
151

Christi nunquam in patribus fuit infectum. Christ n’a donc jamais été infecté chez les pères.
[7837] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 5. Rien ne survient de souillé dans la sagesse
Praeterea, in divinam sapientiam nihil divine, comme il est dit en Sg 7. Or, le Christ est
coinquinatum incurrit, ut dicitur Sap. 7. Sed la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu,
Christus est Dei virtus, et Dei sapientia, ut dicitur comme il est dit en 1 Co 1. Sa chair n’a donc
1 Cor. 1. Ergo caro ejus nunquam coinquinata jamais été souillée.
fuit.
[7838] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] le Maître dit dans le texte que la
contra est quod Magister in littera dicit, carnem chair du Christ a été exposée au péché avant
Christi, priusquam assumeretur, peccato fuisse qu’elle ne soit assumée. Et on trouve la même
obnoxiam: et idem habetur ab Hugone de sancto chose chez Hugues de Saint-Victor dans le livre
Victore in Lib. de sacramentis. Sur les sacrements.
[7839] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 2 [2] La chair du Christ n’est venue d’Abraham
Praeterea, caro Christi non processit ab Abraham que par l’intermédiaire de la semence par
nisi per semen ex quo conceptus est Isaac. Sed laquelle Isaac a été conçu. Or, cette semence a
semen illud propter carnalem coitus été souillée par l’infection originelle en raison de
concupiscentiam pollutum est originali infectione. la concupiscence charnelle de l’union sexuelle.
Ergo caro Christi, antequam assumeretur, infecta La chair du Christ a donc été infectée par le
fuit peccato originali. péché originel avant d’être assumée.
[7840] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 s. c. 3 [3] La distinction de la qualité présuppose la
Praeterea, distinctio qualitatis praesupponit distinction de la nature sous-jacente, puisque les
distinctionem naturae subjectae; cum contraria contraires ne se trouvent pas ensemble dans la
non sint simul in eodem, nec ex eisdem principiis même chose, et qu’ils ne sont pas causés par les
causentur. Sed caro Christi non fuit distincta mêmes principes. Or, la chair du Christ n’était
secundum naturam a carne parentum, a quibus pas distincte par nature de la chair de ses parents,
propagata est. Ergo nec secundum qualitatem à partir de qui elle s’est transmise. [Elle n’était
puritatis et impuritatis; et sic idem quod prius. donc pas non plus distincte] selon la qualité de la
pureté et de l’impureté. La conclusion est ainsi la
même que précédemment.
[7841] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 co. Réponse. Il y a eu une double hérésie sur ce
Respondeo dicendum, quod circa hoc fuit duplex point. La première était celle de ceux qui disaient
haeresis. Una illorum qui dixerunt, corpus Christi que le corps du Christ n’a pas été formé de la
non esse formatum ex eodem ex quo alia caro même chose dont est formée une autre chair
hominum formatur; sed quod filius Dei corpus humaine, mais que le Fils de Dieu a traversé le
caeleste secum attulit, et hoc modo per uterum sein de la Vierge, en ne prenant rien d’elle. Cela
virginis transivit, nihil ex ea sumens. Hoc autem est hérétique pour deux raisons. Premièrement,
est haereticum dupliciter. Primo, quia derogat parce que cela s’écarte de la vérité de l’Écriture,
veritati Scripturae, quae Christum ex muliere qui dit que le Christ a été fait et est né d’une
factum et natum dicit; non enim ex ea factus femme. En effet, on ne dirait pas qu’il a été fait à
diceretur, nisi ex ea aliquid traxisset unde partir d’elle, à moins qu’il n’ait tiré d’elle
materialiter ejus caro fieret; et sic nec beata virgo quelque chose dont sa chair serait matériellement
mater Dei dici posset. Secundo, quia derogat faite. Et ainsi, la bienheureuse Vierge ne pourrait
veritati humanitatis Christi. Cum enim omnis pas non plus être appelée la mère de Dieu.
forma determinatam materiam requirat, si corpus Deuxièmement, parce que cela s’écarte de la
Christi formaretur ex materia alterius generis ab vérité de l’humanité du Christ. En effet, puisque
illa materia de qua formatur corpus alterius toute forme exige une matière déterminée, si le
hominis, non esset corpus ejusdem speciei cum corps du Christ était formé d’une matière d’un
corporibus aliorum hominum; et ita homo autre genre que la matière dont est formé le
aequivoce diceretur, cum sit essentialis pars corps d’un autre homme, son corps ne serait pas
hominis. Alius error fuit dicentium, quod caro de la même espèce que les corps des autres
152

Christi secundum quod in parentibus erat, infecta hommes. Ainsi, il serait appelé un homme de
non fuit. Dicunt enim, quod peccante Adam, Deus manière équivoque, puisque c’est une partie
conservavit in illo aliquid incorruptum et non essentielle de l’homme. L’autre erreur était celle
infectum, per quod humana natura sanari posset: de ceux qui disaient que la chair du Christ, selon
et hoc quidem transfusum est sine aliqua qu’elle existait chez les pères, n’a pas été
infectione usque ad beatam virginem, et exinde infectée. En effet, ils disent que, lorsque Adam a
formatum est corpus Christi. Hoc autem erroneum péché, Dieu a préservé en lui quelque chose
reputatur praecipue propter duo. Primo, quia d’incorrompu et de non infecté, par quoi la
secundum hanc positionem Christus non esset nature humaine pourrait être guérie ; cela s’est
vere filius virginis, nec vere ex stirpe alicujus transmis sans infection jusqu’à la bienheureuse
patrum progenitus, nisi solum ex Adam: illa enim Vierge, et le corps du Christ en a été formé. Or,
pars quae incorrupta in humana natura remansit in cela est estimé faux pour deux raisons.
hominibus aliis ab Adam, fuisset quasi extraneum Premièrement, parce que, selon cette position, le
ab eis, soli autem Adae connaturale quantum ad Christ ne serait pas le fils véritable de la Vierge
primum statum. Secundo, quia tollitur congruus et il ne serait pas vraiment engendré de la
satisfactionis ordo. Sicut enim non erat decens ut descendance d’un des pères, sauf Adam. En
pro Adam et ejus successione corrupta aliquis effet, cette partie qui est demeurée incorrompue
satisfaceret qui ex illo genere non esset; ita etiam dans la nature humaine chez d’autres hommes
non esset congruum ut naturam infectam qu’Adam, aurait été pour ainsi dire quelque
satisfaciendo sanaret Dei filius, nisi hoc ipsum chose d’extérieur à eux, et cela n’aurait été
quod prius infectum fuerat, assumpsisset. Et ideo connaturel qu’à Adam en son premier état.
dicendum est, quod caro Christi, secundum quod Deuxièmement, parce que l’ordre approprié de la
fuit in patribus, et etiam in ipsa beata virgine, satisfaction est enlevé. En effet, de même qu’il
peccato infecta fuit antequam assumeretur; sed in n’était pas convenable que quelqu’un qui ne
ipsa assumptione ab omni infectione peccati serait pas de sa descendance satisfasse pour
purgata est, ut secundum quod est actu caro Adam et pour sa descendance corrompue, de
Christi, in ea nihil maculae inveniatur. même aussi ne serait-il pas convenable que le
Fils de Dieu guérisse la nature infectée en
satisfaisant, s’il n’avait pas d’abord assumé cela
même qui avait été d’abord infecté. Il faut donc
dire que la chair du Christ, pour autant qu’elle
existait chez les pères et même chez la
bienheureuse Vierge elle-même, a été infectée
avant d’être assumée ; mais elle a été purifiée de
toute infection du péché par l’assomption elle-
même, de sorte qu’on ne trouve aucune souillure
dans ce qui est en acte la chair du Christ.
[7842] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1 Ad 1. On dit que le Christ est venu du ciel, non pas
primum ergo dicendum, quod Christus dicitur de en raison de la nature assumée, comme si son
caelo venisse, non ratione naturae assumptae, âme ou son corps avait été d’abord assumé dans
quasi anima vel corpus ejus prius in caelo fuerit le ciel et nous serait ensuite parvenu à travers le
assumpta, et postmodum per uterum virginis ad sein de la Vierge, mais en raison de la personne
nos pervenerit; sed quantum ad personam qui assume, dont on dit qu’elle est venu du ciel
assumentem, quae quidem de caelo ad nos venisse vers nous, non pas par un changemenet local,
dicitur, non loci mutatione, sed visibilis naturae mais par l’assomption d’une nature visible.
assumptione.
[7843] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad 2. On dit que le Christ a assumé les prémices de
secundum dicendum, quod Christus dicitur notre chair, non pas selon l’identité de la chose, à
primitias nostrae carnis assumpsisse, non savoir que la nature de la chair qu’il a assumée
secundum identitatem rei, ut scilicet natura carnis serait toujours demeurée dans la condition du
153

quam assumpsit, semper in conditione primi premier état, mais selon une similitude, car la
status remanserit, sed quantum ad similitudinem; chair assumée, en tant qu’elle est considérée
quia caro assumpta, prout consideratur actu caro comme la chair du Christ en acte, n’était pas
Christi, sine infectione culpae fuit, sicut et caro infectée par la faute, comme la chair du premier
primi hominis ante peccatum, ut Magister in homme avant le péché, ainsi que l’explique le
littera exponit. Maître dans le texte.
[7844] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad 3. La chair du Christ n’a pas existé en Abraham
tertium dicendum, quod caro Christi in Abraham comme un remède à la blessure en acte, mais
non fuit ut medicina vulneris in actu, sed solum in seulement en puissance, selon qu’à partir de lui,
potentia, secundum scilicet quod ex eo propagari la chair d’où est venu le remède de notre
poterat illa caro ex qua medicina nostri vulneris blessure pouvait se transmettre à partir de lui. Il
facta est: et ideo non oportet quod fuerit ibi actu n’est donc pas nécessaire qu’elle y ait existé en
sine infectione vulneris, sed solum in potentia acte sans l’infection de la blessure, mais
secundum ordinem quo caro Christi ex ea seulement en puissance, selon l’ordre par lequel
propaganda erat. la chair du Christ devait se transmettre à partir
d’elle.
[7845] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad 4. Quelque chose de corrompu peut être restauré
quartum dicendum, quod aliquod corruptum est de deux manières. Soit selon une puissance
reparabile dupliciter. Vel secundum potentiam passive seulement ; ainsi, il est nécessaire qu’y
passivam tantum; et sic oportet ut remaneat in eo reste quelque chose de non corrompu, c’est-à-
aliquid non corruptum, idest non per dire qui n’ait pas été anéanti par la corruption,
corruptionem annihilatum, sicut dicitur comme on dit qu’un contraire est corrompu par
contrarium corrumpi per adventum contrarii: l’apparition de son contraire. En effet, il est
oportet enim subjectum remanere cum nécessaire que demeure un sujet ayant la
possibilitate ad salutem quae recuperanda est. Vel possibilité du salut qui doit être retrouvé. Soit
secundum potentiam passivam et activam simul, une puissance passive et active en même temps,
sicut homo infirmus curabilis est quandoque comme un homme malade peut être parfois guéri
virtute activa naturae suae; et quia idem non par la puissance active de sa nature. Et parce
patitur a seipso, necesse est ut in eo quod sic qu’une chose ne subit pas ce qui vient d’elle-
reparabile est, sit aliqua pars non corrupta, nec même, il est nécessaire que chez ce qui peut être
corruptioni subjecta, sicut cor. Dicendum est ergo ainsi restauré, existe une partie non corrompue ni
quod humana natura non erat reparabilis nisi sujette à la corruption, comme le cœur. Il faut
secundum potentiam passivam tantum; et ideo donc dire que la nature humaine ne pouvait être
non oportuit quod in ipsa remaneret aliqua pars restaurée que selon sa puissance passive
corruptioni non subjecta; sed sufficit quod in ea seulement. Aussi n’était-il pas nécessaire que
remanserit id quod naturae est cum possibilitate demeure en elle une partie qui n’était pas
ad reparationem, subjectum tamen corruptioni. soumise à la corruption, mais il suffisait que
demeure en elle ce qui appartient à une nature
qui comporte une possibilité de restauration,
mais cependant sujet à la corruption.
[7846] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5 Ad 5. La chair du Christ, existant en acte comme
quintum dicendum, quod caro Christi actu chair du Christ, n’a été infectée d’aucune
existens caro Christi, nullo modo fuit infecta; ejus manière. En effet, sa purification d’une infection
enim emundatio a praecedenti infectione saltem antérieure ne précède l’assomption que selon
intellectu praecedit assumptionem; unde in l’intellect. Rien de souillé ne pouvait donc être
divinam sapientiam nihil inquinatum incurrere encouru par la sagesse divine.
potuit.
Articulus 2 [7847] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. Article 2 – La chair du Christ existait-elle
2 tit. Utrum caro Christi fuit in antiquis patribus chez les pères anciens selon une quantité
secundum quantitatem determinatam déterminée ?
154

[7848] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que la chair du Christ existait chez
secundum sic proceditur. Videtur, quod caro les pères anciens selon quelque chose
Christi fuerit in antiquis patribus secundum d’identifiable et de déterminé. En effet, comme
aliquid demonstrabile determinatum. Ut enim in Augustin le dit dans le texte, « la chair du Christ
littera ex Augustino habetur, caro Christi fuit in existait en Abraham selon une substance
Abraham secundum corpulentam substantiam. corporelle ». Or, une substance corporelle
Sed corpulenta substantia nominat aliquid désigne quelque chose de déterminé et
determinatum demonstrabile. Ergo per hunc d’identifiable. La chair du Christ a donc existé
modum fuit caro Christi in Abraham et in aliis. de cette manière chez Abraham et chez les
autres.
[7849] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 2 2. Dans la formation du corps du Christ, on
Praeterea, in formatione corporis Christi duo trouve deux choses : la raison de la formation,
inveniuntur: scilicet ratio formationis, quae est qui est le principe actif de la conception, et la
principium activum in conceptione, et materia de matière dont le corps du Christ a été formé. Or,
qua corpus Christi formatum est. Sed ratio la raison de la formation ne descend pas
formationis non descendit ab Adam, ut d’Adam, comme le dit Augustin, mais vient d’en
Augustinus dicit, sed desuper venit: quia quod in haut, car ce qui est apparu en elle vient de
ea natum est, de spiritu sancto est; Matth. 1, 20. l’Esprit Saint, Mt 1, 20. Si donc cette matière
Si ergo ista materia determinata in Adam vel déterminée n’a pas existé chez Adam ou
Abraham non fuerit, ullo modo corpus Christi ex Abraham, le corps du Christ ne vient d’aucune
primis parentibus non venit: quod est manière des premiers parents, ce qui est
inconveniens, quia non pertineret ad eum inapproprié, car il ne lui reviendrait pas de
satisfacere pro peccato Adae, sicut dictum est. satisfaire pour le péché d’Adam, comme on l’a
Ergo oportet carnem Christi fuisse in Abraham et dit. Il est donc nécessaire que la chair du Christ
Adam secundum materiam determinatam. ait existé chez Abraham et chez Adam selon une
matière déterminée.
[7850] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 3 3. Si la matière déterminée dont le corps du
Praeterea, si haec materia determinata ex qua Christ a été formé n’a pas existé chez Adam, ce
corpus Christi formatum est non fuit in Adam, ne peut être que parce qu’elle a été prise de la
hoc non potest esse, nisi quia ex alimento sumpta nourriture. Or, l’aliment extérieur vient de la
est. Alimentum autem extraneum est a natura nature humaine. La chair du Christ ne vient donc
humana. Ergo caro Christi non est vere de natura pas véritablement de la nature humaine, ce qui
humana: quod haereticum est. Videtur ergo quod est hérétique. Il semble donc que la matière de la
materia carnis Christi non sit ex superfluo chair du Christ ne soit pas venue du superflu de
alimenti sumpta, sed ex primis parentibus la nourriture, mais qu’elle est descendue des
descenderit. premiers parents.
[7851] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 4 4. Le caractère commun selon l’identité est plus
Praeterea, major est convenientia quae est grand pour une chose que selon la proportion
secundum identitatem rei quam quae est entre un principe et ce qui vient de ce principe.
secundum proportionem principii ad principiatum. Or, si la matière du corps du Christ est venu d’un
Sed si materia corporis Christi ex superfluo superflu de nourriture, elle a donc réellement été
alimenti sumpta est, realiter fuit quandoque à un certain moment la matière de la nourriture
materia cibi comesti. Non autem potest dici, quod mangée. Or, on ne peut dire qu’elle est
realiter fuerit in avo vel proavo; etsi forte dicatur, réellement venue d’un aïeul ou d’un ancêtre,
quod ibi fuerit sicut principiatum est virtute in suo même si l’on dit qu’elle s’y trouvait en puissance
principio. Ergo major esset convenientia carnis dans son principe, comme ce qui vient d’un
Christi ad animalia, quorum carnes in cibum principe. La chair du Christ a donc davantage en
sumptae sunt, quam ad Adam vel Abraham; quod commun avec les animaux, dont la chair a été
est inconveniens. Ergo idem quod prius. prise en nourriture, qu’avec Adam ou Abraham,
ce qui est inapproprié. La conclusion est ainsi la
155

même que précédemment.


[7852] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 5 5. Ce qui est pur en soi ne peut infecter autre
Praeterea, illud quod in se mundum est, non est chose par une infection contraire. Or, la
natum inficere aliud contraria infectione. Sed bienheureuse Vierge a été purifiée de l’infection
beata virgo mundata fuit per primam originelle par une première sanctification. La
sanctificationem ab originali infectione. Ergo nourriture qu’elle a prise n’a donc pas pu être
virtute animae ejus nutrimentum assumptum infici infectée par la puissance de son âme, et elle
non potuit, nec alias infectum erat tali infectione n’était pas infectée par une infection qui existe
quae extra humanam naturam non invenitur. Ergo en dehors de la nature humaine. La chair du
caro Christi non in beata virgine peccato Christ n’aurait donc pas été soumise au péché à
subjacuisset; quod est erroneum, ut dictum est. cause de la bienheureuse Vierge, comme on l’a
Ergo caro Christi ex superfluo alimenti non fuit dit. La chair du Christ n’est donc pas venue
materialiter; et sic idem quod prius. matériellement d’un superflu de nourriture. La
conclusion est ainsi la même que précédemment.
[7853] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] le Christ n’a pas existé chez ses
contra, Christus non aliquo modo fuit in parents autrement que les autres hommes n’y ont
parentibus quo alii homines ibi non fuerunt; sed e été ; mais, en sens inverse, les autres hommes s’y
converso alii homines aliquo modo ibi fuerunt sont trouvés d’une autre manière que le Christ.
quo Christus non fuit. Sed alii homines non Or, les autres hommes ne se sont pas trouvés
fuerunt in primis parentibus secundum materiam chez les premiers parents selon une matière
determinatam. Ergo nec Christus in eis hoc modo déterminée. Le Christ ne s’y est donc pas trouvé
fuit. Probatio mediae. Alii homines non de cette manière. Démonstration de la mineure.
descendunt a suis parentibus nisi mediante Les autres hommes ne descendent de leurs
semine. Semen autem, ut probat philosophus, non parents que par l’intermédiaire de la semence.
est aliquid decisum quod fuerit actu pars, sed est Or, la semence, comme le démontre le
superfluum alimenti, quod est potentia totum. Philosophe, n’est pas quelque chose de divisé
Ergo aliorum hominum materia non fuit qui serait une partie en acte, mais elle est un
determinate in Adam quasi actu pars ejus existens. superflu de nourriture, qui est le tout en
puissance. La matière des autres hommes ne
s’est donc pas trouvée chez Adam comme une de
ses parties existant en acte.
[7854] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 2 [2] Selon la nature, la génération est possible à
Praeterea, generatio secundum naturam in l’infini selon la nature, de la manière dont un
infinitum possibilis est secundum naturam, hoc homme est engendré par un homme. Si donc une
modo quod homo ex homine generetur. Si ergo matière déterminée est prise de laquelle toute
aliqua materia determinata sumatur ex qua omnis chair a été divisée, il est nécessaire que la
caro decisa sit, oportet quod infinitorum materia matière de réalités infinies se soit trouvée dans
in aliquo finito fuerit. Hoc autem est impossibile. quelque chose de fini. Or, cela est impossible. Il
Ergo impossibile est quod omnium hominum caro est donc impossible que la chair de tous les
et Christi fuerit in Adam secundum determinatam hommes et celle du Christ aient existé en Adam
vel signatam materiam. Quod autem impossibile selon une matière déterminée et bien marquée.
sit, sic probatur. Cujuslibet rei naturalis materia Que cela soit impossible, on le démontre de la
determinatam quantitatem exigit; non enim in manière suivante. La matière naturelle de
quacumque parva materia potest induci n’importe quelle chose exige une quantité
quaecumque forma. Sed infinita non possunt esse déterminée. En effet, n’importe quelle forme ne
in aliquo finito, nisi secundum quantitatem non peut pas être introduite dans n’importe quelle
determinatam accipiantur divisione facta, sed petite matière. Or, des infinis ne peuvent se
semper secundum eamdem proportionem, ut trouver dans quelque chose de fini, à moins de
scilicet totius sumatur dimidium, et dimidii les concevoir selon une quantité non déterminée,
dimidium, et sic in infinitum: sic enim secundum une fois la division faite, mais toujours selon la
156

eamdem proportionem secundo acceptum erit même proportion, de sorte que l’on prenne la
alterius quantitatis quam primo acceptum. Ergo moitié du tout, puis la moitié de la moitié, et
impossibile est quod infinitorum corporum ainsi de suite à l’infini. En effet, ce qui est pris
naturalium materia sumatur ex aliquo uno finito in en second lieu selon la même proportion aura
actu. une autre quantité que ce qui est pris en premier.
Il est donc impossible que la matière de corps
naturels infinis soit prise de quelque chose de
fini en acte.
[7855] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 3 [3] En toute génération, l’agent naturel
Praeterea, in omni generatione naturale agens univoque introduit sa forme dans une matière qui
univocum inducit formam suam in materiam quae n’avait pas été antérieuremenet soumise à une
prius tali formae subjecta non erat, sicut ignis in telle forme, comme le feu dans la matière de
materiam aeris, quae prius formae ignis subjecta l’air, qui n’avait pas été antérieurement soumise
non erat. Sed si materia ex qua ille homo formatur à la forme du feu. Or, si la matière dont cet
secundum aliquid signatum in Adam fuerit, et in homme est formé existait selon quelque chose de
ceteris parentibus; nunquam ejus materia fuisset déterminé en Adam et chez les autres parents, sa
humanae naturae non subjecta. Ergo iste modus matière n’aurait jamais été soumise à la nature
generationis non esset conveniens secundum viam humaine. Ce mode de génération n’aurait donc
generationis naturalis: et sic idem quod prius. rien de commun avec le mode de la génération
naturelle. La conclusion est ainsi la même que
précédemment.
[7856] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 co. Réponse. À ce propos, il existe deux opinions.
Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae Une opinion dit que la chair du Christ et de tous
opiniones. Una opinio dicit, quod caro Christi et les autres hommes se trouvait en Adam selon une
omnium aliorum hominum fuit in Adam matière déterminée à la manière dont une partie
secundum determinatam materiam hoc modo du corps d’Adam existait, avec laquelle les corps
quod aliqua pars corporis Adae fuit de qua per de tous les hommes ont été formés par une
multiplicationem quamdam omnium hominum certaine multiplication, ou sans mélange avec
corpora formata sunt, aut sine permixtione quelque chose d’étranger, comme certains le
alicujus extranei, ut quidam dicunt, aut permixto disent, ou par un mélange avec cette matière de
illi materiae aliquo quod ex alimento conversum quelque chose qui a été converti à partir de la
est: et de hoc qualiter improbabile videatur, in 2 nourriture. Comment cela semble improbable, on
Lib., dist. 30, qu. 2, art. 2 et 3, dictum est. Alia l’a dit dans le livre II, d. 30, q. 2, aa. 2 et 3.
opinio est (quae probabilior videtur), quod alii L’autre opinion (qui semble plus probable) dit
homines non fuerunt in primo parente nisi que les autres hommes n’existaient dans le
secundum materiam originalem; et Christus hoc premier parent que selon la matière originelle, et
modo in primis parentibus fuit. Sed in hoc differt, que le Christ a existé de cette manière dans les
quod alii homines fuerunt in primo parente premiers parents. Mais il diffère en cela que les
secundum rationem seminalem, Christus autem autres hommes se trouvaient dans le premier
non: quod sic videri potest. In his qui per parent selon une raison séminale, mais non pas le
concubitum generantur, duo concurrunt ad Christ, ce qu’on peut voir de cette manière. Chez
formationem corporis: scilicet principium ceux qui sont engendrés par une relation
activum, quod est in semine, quod ratio seminalis sexuelle, deux choses concourent à la formation
dicitur: aliud autem est materia ex qua corpus du corps : le principe actif, qui existe dans la
formatur, quam mater ministrat: utrumque autem semence, qu’on appelle la raison séminale ;
horum originaliter reducitur in primum parentem. l’autre chose est la matière de laquelle le corps
Quod enim in semine patris sit virtus activa ad est formé, que la mère fournit. Ces deux choses
conceptionem corporis humani, est per virtutem se sont retrouvées à l’origine chez le premier
naturae humanae, quam pater prolis procreandae a parent. En effet, qu’il existe une puissance active
suo patre accepit, et ille ab alio, et sic usque ad dans la semence du père pour la conception du
157

Adam. Et sic patet quod ratio seminalis eorum qui corps humain, cela existe par la puissance de la
sunt ex semine viri concepti, originaliter ab Adam nature humaine, que le père de la descendance à
descendit. Similiter etiam materia quam mater procréer a reçue de son père, et celui-ci d’un
ministrat, oportet quod sit praeparata per virtutem autre, et ainsi jusqu’à Adam. Il ressort ainsi que
generativam ejus: rei enim generatio naturalis la raison séminale de ceux qui ont été conçus par
requirit materiam propriam et determinatam: la semence d’un homme descend d’Adam. De
virtus autem generativa ipsius matris originaliter même, il est nécessaire que la matière fournie
ab Adam descendit, sicut et virtus generativa viri; par la mère soit préparée par sa puissance
et ideo illi qui ex mare et femina generantur, génératrice : en effet, la génération naturelle
descendunt originaliter ab Adam et secundum d’une chose exige une matière propre et
rationem seminalem, et secundum materiam: et déterminée. Or, la puissance génératrice de la
quia unus modus essendi in est secundum quod mère elle-même descend originellement
dicitur effectus esse in sua causa efficiente, ut d’Adam, comme la puissance génératrice de
dicitur 4 Phys.; ideo homines sic concepti l’homme. Ceux qui sont engendrés par un
dicuntur fuisse in Adam et secundum rationem homme et une femme descendent donc
seminalem, et secundum materiam originalem. In originellement d’Adam par une raison séminale
conceptione autem Christi virtus activa non fuit et par la matière. Parce qu’une manière d’exister
nisi spiritus sanctus; materia autem est per en quelque chose consiste à dire que cela existe
virginem ministrata debito modo praeparata. Unde dans sa cause efficiente, ainsi que le dit
patet quod originaliter materia corporis Christi Physique, IV, on dit que les hommes ainsi
descendit ab Adam, non autem ratio activa in engendrés existaient en Adam selon une raison
conceptione ejus ab Adam descendit originaliter; séminale et selon leur matière originelle. Or,
et ideo Christus fuit in Adam secundum materiam dans la conception du Christ, la puissance active
originalem, sed non secundum rationem n’existait que chez le Saint-Esprit ; mais la
seminalem. matière préparée de la manière appropriée a été
fournie par la Vierge. Aussi est-il clair que la
matière du corps du Christ descend d’Adam par
son origine, mais que la raison active dans sa
conception ne descend pas d’Adam par son
origine. Le Christ existait donc en Adam selon sa
matière originelle, mais non selon sa raison
séminale.
[7857] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 1 Ad 1. Lorsqu’on dit que le Christ existait en Adam
primum ergo dicendum, quod cum dicitur selon sa substance corporelle, il ne faut pas
Christus fuisse in Adam secundum corpulentam comprendre qu’il existait en Adam à la manière
substantiam, non est intelligendum quod in Adam d’une substance corporelle, mais que la
fuerit per modum corpulentae substantiae; sed substance corporelle du corps du Christ elle-
quia ipsa corpulenta substantia corporis Christi même se trouvait en Adam comme dans son
aliquo modo fuerit in Adam sicut in originali principe originel.
principio.
[7858] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 2 Ad 2. La matière du corps du Christ, mais non la
secundum dicendum, quod materia corporis raison de sa conception, se trouvait en Adam.
Christi, non autem ratio conceptionis ejus, fuit in Mais cette matière ne se trouvait cependant pas
Adam: non tamen materia illa fuit in Adam in en Adam en acte, comme une partie déterminée
actu, quasi aliqua determinata pars ejus, sed de lui, mais en puissance seulement, comme on
virtute tantum, sicut res dicitur esse in suo dit qu’une chose existe dans son principe
principio effectivo unius speciei. efficient de même espèce.
[7859] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 3 Ad 3. La matière du corps du Christ a été reçue de ce
tertium dicendum, quod materia corporis Christi qui a été converti en sang très pur de la Vierge à
assumpta est ex eo quod de cibis a beata virgine partir de la nourriture qu’elle a prise. Or, un
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sumptis in purissimos sanguines ejus conversum aliment, bien qu’il soit au départ extérieur et
est. Alimentum autem quamvis in principio sit dissemblable, devient finalement commun et
extraneum et dissimile, tamen in fine est semblable, comme il est dit dans Sur l’âme, II. Il
conveniens et simile, ut in 2 de anima dicitur; n’en découle donc pas que la matière du corps du
unde non sequitur quod materia corporis Christi Christ soit extérieure à la nature humaine.
sit extranea humanae naturae.
[7860] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 4 Ad 4. La similitude et le partage se prennent
quartum dicendum, quod similitudo et davantage de la forme que de la matière ; ainsi,
convenientia, magis attenditur secundum formam si le feu engendrait du feu à partir de l’air, le feu
quam materiam; ut si ignis generet ex aere ignem, engendré aurait plus en commun avec le feu qui
ignis generatus magis convenit cum igne engendre, puisqu’il a en commun avec lui la
generante, cum quo convenit secundum formam, forme, plutôt qu’avec l’air à partir duquel il a été
quam cum aere ex quo materialiter generatus est. matériellement engendré. De même aussi, la
Similiter etiam materia corporis Christi magis matière du corps du Christ a plus en commun
convenit cum beata virgine et aliis patribus, avec la bienheureuse Vierge et les autres pères,
quorum virtute effecta est propria materia corporis par la puissance desquels elle est devenue la
humani, quam cum rebus illis quae in cibum matière propre du corps humain, qu’avec les
sumptae sunt. choses prises comme nourriture.
[7861] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 2 ad 5 Ad 5. Comme on l’a dit, par la première
quintum dicendum, quod per primam santification, la bienheureuse Vierge a été
sanctificationem, ut supra dictum est, beata virgo purifiée de la convoitise, selon que celle-ci
a fomite mundata fuit secundum quod inclinat ad incline à des actes personnels, mais l’inclination
actus personales, non autem remota est illa selon laquelle la convoitise infecte la nature n’a
inclinatio secundum quam fomes est infectivus pas été enlevée. Cela a été réalisé par la seconde
naturae: sed hoc factum est per secundam sanctification, comme le disent certains. C’est
sanctificationem, ut quidam dicunt; et ideo illud pourquoi ce qui, chez la bienheureuse Vierge,
quod erat in beata virgine ut ordinatum ad était ordonné à la transmission de la nature était
propagationem naturae, peccato obnoxium erat; exposé au péché, bien que cela ait été purifié du
quamvis erat a peccato mundatum, secundum péché selon que cela concernait sa personne.
quod ad personam pertinebat.
Articulus 3 [7862] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. Article 3 – Le Christ est-il le seul à n’avoir
3 tit. Utrum solus Christus in Abraham non fuerit pas été soumis à la dîme en Abraham ?
decimatus
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Un descendant d’Abraham
a-t-il été soumis à la dîme en lui ?]
[7863] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’aucun descendant d’Abraham
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur, quod nullus n’ait été soumis à la dîme en lui, car, ainsi que le
qui de stirpe Abrahae descendit, in ipso decimatus dit Augustin, ce qui était imposé en lui était
sit. Quia, ut dicit Augustinus, quod in eo guéri. Or, personne ne peut être guéri ou
decimabatur, curabatur. Sed nullus in parentibus sanctifié en ses parents, comme on l’a dit plus
curari vel sanctificari potest, ut supra dictum est. haut. Personne ne pouvait donc être soumis à la
Ergo nullus in Abraham decimari potuit. dîme en Abraham.
[7864] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 2. De même qu’après l’époque d’Abraham, la
2 Praeterea, sicut post tempora Abrahae in illis circoncision pouvait guérir du péché originel,
qui ex ejus stirpe descenderunt, valuit circumcisio pour ceux qui descendaient de sa lignée, de
ad peccati originalis curationem; ita etiam ante même, avant son époque, la puissance des
ipsius tempora valuit ad idem virtus sacrificiorum, sacrifices, des dîmes et des offrandes pouvait la
decimarum, et oblationum, ut dicit Gregorius in même chose, comme le dit Grégoire dans ses
Moral. Sed quando Abraham circumcisus est, non Morales. Or, lorsque Abraham a été circoncis,
propter hoc aliquis de stirpe ejus descendens personne de sa lignée n’a pour autant été
159

circumcisus fuit: alias eos non oportuisset iterum circoncis, autrement il n’aurait pas été nécessaire
circumcidi. Ergo nec Abraham dante decimas, qu’ils soient de nouveau circoncis. Les fils
ejus filii decimati sunt. d’Abraham n’ont donc pas été soumis à la dîme
du fait qu’Abraham a payé la dîme.
[7865] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. 3. Être soumis à la dîme, c’est soit être obligé de
3 Praeterea, decimari aut est decimas dare, aut ad payer la dîme, soit être privé en partie de la
decimas obligari, aut decima parte privari, sicut dîme, comme on dit du grain dont une partie a
dicitur granum decimatum a quo jam decima pars déjà été offerte qu’il a été soumis à la dîme. Or,
ablata est. Sed primo modo non potest dici quod de la première manière, on ne peut dire que
aliquis in patre suo decimetur. Dare enim decimas quelqu’un a été soumis à la dîme en son père. En
est quidam actus personalis. Sed actus personales effet, payer la dîme est un acte personnel. Or, les
non transfunduntur a parentibus in filios, sicut nec actes personnels ne se transmettent pas des
peccata actualia. Ergo Abraham dante decimas, parents aux fils, pas davantage que les péchés
non propter hoc filius ejus decimatus est quasi actuels. Du fait qu’Abraham a payé la dîme, son
dans decimas. Similiter nec secundo modo. fils n’a donc pas été soumis à la dîme au sens où
Levitae enim et sacerdotes veteris legis ab il aurait payé la dîme. De même aussi, selon le
Abrahae stirpe descenderunt, qui tamen ad second sens. En effet, les lévites et les prêtres de
decimas dandum non obligabantur, sed eas a la loi ancienne descendaient de la lignée
populo accipiebant. Ergo nec sic omnes filii d’Abraham. Or, ils n’étaient pas tenus de payer
Abrahae praeter Christum in ipso decimati sunt, la dîme, mais la recevaient plutôt du peuple.
quasi ad decimas obligati. Similiter nec tertio Tous les fils d’Abraham, sauf le Christ n’ont
modo. Quia decimatio respicit id quod est in actu donc pas été soumis à la dîme en [Abraham], au
distinctum; unde triticum non potest esse sens où ils auraient été tenus [de payer] la dîme.
decimatum ex hoc quod semen decimatum fuit. De même encore, selon la troisième manière, car
Sed filii Abrahae non erant in eo actu distincti, le paiement de la dîme porte sur quelque chose
sed tantum virtute. Ergo nullo modo in eo qui est distinct en acte ; aussi le blé ne peut-il
decimari potuerunt. être soumis à la dîme du fait qu’une semence a
été soumise à la dîme. Or, les fils d’Abraham
n’étaient pas distincts en lui en acte, mais
seulement en puissance. Ils ne pouvaient donc
d’aucune manière être soumis à la dîme.
[7866] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. Cependant, [4] ce que dit l’Apôtre en He 7 va
4 Sed contra est, quod apostolus, ad Heb. 7, dicit, en sens contraire, et on le lit dans le texte à partir
et in littera ex verbis Augustini habetur. des paroles d’Augustin.
[7867] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 arg. [5] La dîme est un signe du service de Dieu,
5 Praeterea, decimatio quoddam signum servitutis puisqu’elle se rapporte à la latrie. Or, la
divinae est, cum ad latriam pertineat. Sed proles descendance est obligée au service en son
in parente ad servitutem obligatur: servi enim sunt parent : en effet, les fils sont des serfs, s’ils
filii, si ex servis parentibus nascantur. Ergo naissent de parents qui sont serfs. Les fils
Abraham dante decimas, filii ejus decimati sunt. d’Abraham ont donc été soumis à la dîme du fait
qu’Abraham a payé la dîme.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été soumis
à la dîme en Abraham ?]
[7868] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble que le Christ aussi ait été soumis à la
1 Ulterius. Videtur quod etiam Christus in dîme en Abraham. En effet, le Christ n’a de
Abraham decimatus sit. Christus enim non habet rapport avec Abraham que par l’intermédiaire de
habitudinem ad Abraham nisi mediante beata la bienheureuse Vierge. Or, la bienheureuse
virgine. Sed beata virgo fuit in Abraham Vierge a été soumise à la dîme en Abraham.
decimata. Ergo et Christus. Donc, le Christ aussi.
[7869] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 2. La dîme était appropriée pour les fils
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2 Praeterea, decimatio convenit filiis Abrahae ex d’Abraham en raison du péché originel, comme
eo, ut in littera habetur, ratione peccati originalis: le dit le texte, parce qu’ils devaient se propager à
quia per concupiscentiam ex eo propagandi erant. partir de lui par la concupiscence. Or, la chair du
Sed caro Christi in Abraham fuit peccato obnoxia, Christ a été exposée au péché en Abraham,
ut in littera dicitur. Ergo et in eo Christus comme le dit le texte. Le Christ a donc été
decimatus fuit. soumis à la dîme en lui.
[7870] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 arg. 3. La dîme est un acte qui a le sens d’une figure.
3 Praeterea, decimatio est quidam actus figuralis. Or, le Christ semble être figuré par la dîme,
Sed Christus videtur maxime per decimam surtout en raison de la perfection du Christ qui
figurari ratione perfectionis Christi, quae denario convient à l’argent. Le Christ a donc été surtout
competit. Ergo Christus praecipue in Abraham soumis à la dîme en Abraham.
fuit decimatus.
[7871] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, [1] en He 7, l’Apôtre place le
1 Sed contra, apostolus, Heb. 7, praefert sacerdoce du Christ au-dessus du sacerdoce
sacerdotium Christi sacerdotio Aaron per hoc d’Aaron du fait que Lévi, de la lignée de qui
quod levi ex cujus stirpe Aaron descendit, Aaron descendait, a été soumis à la dîme puisque
Abraham dante decimas decimatus est. Sed Abraham a été soumis à la dîme en payant la
Christus in hoc nihil amplius haberet quam Aaron, dîme. Or, le Christ n’aurait sur ce point rien de
si in Abraham similiter decimatus esset. Ergo plus que Aaron, s’il avait été soumis à la dîme de
nullo modo in eo decimatus fuit. la même manière en Abraham. Il n’a donc été
d’aucune manière soumis à la dîme en lui.
[7872] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 s. c. [2] Ce qui est multiplié miraculeusement, et non
2 Praeterea, quod multiplicatur miraculose, et non en vertu de la nature, ne peut être soumis à la
virtute naturae, non est decimabile, ut patet 4 dîme, comme cela ressort de 2 R 4, car Élisée n’a
regum 4: quia Elisaeus non praecepit viduae, ut de pas ordonné à la veuve de payer la dîme de
oleo quod miraculose multiplicatum erat, decimas l’huile qui avait été multipliée miraculeusement.
daret. Sed caro Christi ex Abraham miraculose Or, la chair du Christ s’est propagée
propagata est. Ergo Christus in Abraham miraculeusement depuis Abraham. Le Christ n’a
decimatus non fuit. donc pas été soumis à la dîme en Abraham.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7873] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 co. Ceux qui descendaient d’Abraham par l’union
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, sexuelle ont été soumis à la dîme. Or, le Christ
quod illi qui ex Abraham per concubitum n’a pas été soumis à la dîme en lui. La raison en
descenderunt, in Abraham decimati sunt; Christus est que la dîme n’était pas seulement un acte
autem in eo decimatus non est. Cujus ratio est, moral, mais aussi figuratif. En effet, elle est un
quia decimatio non tantum erat actus moralis, sed acte moral pour autant qu’une partie de la terre
etiam figuralis; est enim actus moralis secundum de ceux qui naissent et des autres était donnée
hoc quod pars quaedam terrae nascentium, et pour l’usage des ministres de Dieu et des
aliorum, in usum ministrorum Dei et pauperum pauvres, afin qu’il y ait à mangrer dans la maison
conferebatur, ut esset cibus in domo domini, ut du Seigneur, comme on lit en Ml 3. Mais elle est
habetur Malach. 3. Actus autem figuralis est un acte figuratif selon qu’elle figure une
secundum hoc quod figurat imperfectionem in eo imperfection chez celui qui donne la dîme, qui
qui decimas dat, qui perfectionem ab eo cui dat attend la perfection de celui à qui il donne. En
expectat. In numero enim denario est quaedam effet, dans le nombre dix, existe une certaine
perfectionis ratio, secundum quod limes quidam raison de perfection, selon qu’il est pour ainsi
est; unde novenarius imperfectionem signat, dire une limite. Le nombre neuf indique donc
secundum quod a denario deficit; et ideo qui une imperfection, pour autant qu’il n’atteint pas
decimas dat, in hoc quod novem sibi retinet, et le nombre dix. Celui qui paye la dîme confesse
decem alteri dat, confitetur se imperfectum esse, donc qu’il est imparfait et attend d’un autre la
et perfectionem ab altero expectare; et inde est perfection, du fait qu’il retient neuf [parts] pour
161

quod etiam decimatio quodammodo actus lui-même et donne à un autre la dixième. De là


sacramentalis erat, secundum quod dicta realis vient que la dîme était d’une certaine manière un
confessio ex fide mediatoris procedebat, per cujus acte sacramentel, selon que ladite confession
perfectionem ablata est humani generis réelle venait de la foi au Médiateur, par la
imperfectio quae erat per originale peccatum; hoc perfection de qui l’imperfection du genre
enim figurabat remedium quod contra originale humain, qui venait du péché originel, a été
peccatum praestabat per modum sacramenti. Illa enlevée. En effet, cela était la figure du remède
ergo decimatio qua Abraham decimas dedit qu’il apportait au péché originel sous forme de
ostendens se liberatore indigere, ad illos tantum sacrement. La dîme, par laquelle Abraham a
pertinet ex ejus stirpe descendentes qui payé la dîme pour montrer qu’il avait besoin
imperfectionem originalis peccati ex eo traxerunt, d’un libérateur, concerne donc seulement à ceux
ut similiter sicut ipse liberationem ab alio qui descendent de sa lignée, qui avaient reçu de
expectarent. Non autem originale peccatum ab eo lui l’imperfection du péché originel, afin que, de
traxerunt nisi qui per concubitum ex eo la même manière, ils attendent d’un autre la
descenderunt; solum enim hi naturam humanam libération comme il [l’a fait]. Or, n’ont reçu de
ab eo sicut a principio activo acceperunt. Unde et lui le péché originel que ceux qui sont issus de
in eo secundum rationem seminalem fuisse lui par l’union sexuelle. En effet, seuls ceux-là
dicuntur: et propter hoc etiam simul cum natura, ont reçu de lui la nature comme d’un principe
naturae vitium contraxerunt ab Adam vel actif. Aussi dit-on qu’ils existaient en lui selon
Abraham. Christus vero ab Adam vel Abraham une raison séminale. Pour cette raison, en même
non per concubitum descendens materiam temps que la nature, ils ont reçu d’Adam et
humanae naturae ab eis habuit, quae virtute d’Abraham un vice de nature. Mais le Christ, qui
spiritus sancti in humanam naturam formata est; ne descend pas d’Adam ou d’Abraham par
et ideo non contraxit originale peccatum; et ideo l’union sexuelle, a reçu d’eux la matière de la
non potuit figurari ut imperfectionem habens, et nature humaine, qui a reçu la forme de la nature
liberatore indigens; et propter hoc non est humaine par la puissance du Saint-Esprit. C’est
decimatus in Abraham. pourquoi il n’a pas contracté le péché originel. Il
ne pouvait donc être figuré comme imparfait et
ayant besoin d’un libérateur. Pour cette raison, il
n’a pas été soumis à la dîme en Abraham.
[7874] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 1 1. Dans la citation d’Augustin, lorsqu’il dit
Ad primum ergo dicendum, quod in verbo « était guéri », il ne désigne pas une guérison en
Augustini hoc quod dicit, curabatur, non designat acte, mais la nécessité d’une guérison. En effet,
curationem in actu; sed curationis necessitatem: ceux qui étaient en lui de manière à avoir besoin
qui enim sic in eo erant ut curatione indigerent, in d’une guérison ont été soumis à la dîme en lui.
eo decimati sunt.
[7875] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 2 2. On ne dit de personne qu’il est circoncis que
Ad secundum dicendum, quod nullus dicitur s’il supporte quelque chose en acte. Or, on dit
circumcidi nisi secundum quod actu aliquid que quelqu’un est soumis à la dîme selon une
patitur. Decimari autem dicitur aliquis etiam préfiguration. Il n’en va donc pas de même de la
secundum praefigurationem. Unde non est simile dîme et de la circoncision.
de decimatione et circumcisione.
[7876] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 3 3. Être soumis à la dîme ne s’entend d’aucune de
Ad tertium dicendum, quod decimari nullo horum ces manières ; mais être soumis à la dîme, selon
modorum accipitur: sed decimari nihil aliud est, que cela est entendu ici, n’est rien d’autre que de
prout hic accipitur, quam praefigurari liberatione préfigurer un besoin de libération. Or, était
indigere. Hoc autem praefigurabatur in Abraham préfiguré en Abraham, qui payait la dîme pour
dante decimas de omnibus qui peccatum originale tous ceux qui devaient recevoir de lui le péché
ab eo contracturi erant, sicut ipse a suis parentibus originel, comme lui-même l’avait reçu de ses
contraxerat, ut eadem ratione imperfectio parents, que l’imperfection, qui, pour la même
162

liberatione indigens in illis figuraretur qua in se raison, aurait besoin d’une libération, serait
esse per decimarum collationem confitebatur. figurée par celle par laquelle il confessait, par le
paiement de la dîme, qu’elle se trouvait en lui.
[7877] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 1 ad 4 4. Nous concédons le quatrième et le cinquième
Quartum et quintum concedimus. argument.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7878] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 co. Le Christ n’a été d’aucune manière soumis à la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod dîme en Abraham. La raison en ressort de ce qui
Christus nullo modo in Abraham decimatus fuit: a été dit.
cujus ratio patet ex praedictis.
[7879] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 1 1. À l’encontre de cette objection, il faut dire que
Ad primum ergo dicendum contra hoc objectum, le Christ ne descendait d’Abraham que par
quod quia Christus non descendit ab Abraham nisi l’intermédiaire de la bienheureuse Vierge. Il
mediante beata virgine; ideo sicut descendit a descendait donc d’Abraham comme il descendait
beata virgine, ita descendit ab Abraham; unde de la Vierge. Puisqu’il descendait de la Vierge
cum a beata virgine descenderit non per sans union sexuelle, il ne descendait donc pas
concubitum, nec ab Abraham per concubitum non plus d’Abraham par l’union sexuelle, bien
descendit; quamvis beata virgo ab Abraham per que la bienheureuse Vierge soit descendue
concubitum descenderit. Unde non sequitur quod d’Abraham par l’union sexuelle. Il n’en découle
si beata virgo in Abraham decimata fuit, in eo donc pas que si la bienheureuse Vierge a été
Christus decimatus fuerit. soumise à la dîme en Abraham, le Christ y fut
soumis en lui.
[7880] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 2 2. Ce qui est en puissance peut être préfiguré
Ad secundum dicendum, quod id quod est in comme pur ou comme impur. Or, être pur ou
potentia, potest praefigurari mundum vel impur ne convient qu’à une chose qui existe en
immundum. Esse autem mundum vel immundum acte. Parce que ce qui existait en acte en
non convenit nisi rei actu existenti. Quia ergo Abraham était entièrement soumis au péché, la
quod in Abraham actu erat, totum peccato chair du Christ a donc été exposée au péché en
subjacebat; ideo caro Christi in Abraham peccato Abraham. Mais parce que la chair du Christ ne
obnoxia fuit. Quia vero ex Abraham caro Christi s’est pas transmise à partir d’Abraham de telle
non sic propaganda erat ut ex eo infectionem sorte qu’elle contracte par lui l’infection
originalem contraheret; ideo in eo Christus originelle, on ne dit pas que le Christ a été
decimatus esse non dicitur; cum decimatio, soumis à la dîme en lui, puisque la soumission à
inquantum figurale quoddam est, referri possit la dîme, en tant qu’elle était quelque chose de
etiam ad illud quod virtute erat in Abraham. figuratif, peut se réferer à ce qui existait en
puissance en Abraham.
[7881] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad 3 3. On ne dit pas que la dîme qui est donnée à
Ad tertium dicendum, quod decima pars quae Deo Dieu est, au sens propre, une soumission à la
redditur, non dicitur proprie decimari; sed magis dîme, mais plutôt les neuf parties dont la dîme
novem partes, a quibus decima separatur; et ideo est séparée. C’est pourquoi on ne dit pas que le
Christus per decimam signatus decimari non Christ signalé par la dîme est soumis à la dîme,
dicitur, sed alii imperfectionem contrahentes per mais les autres qui contractent une imperfection
novenarium designati. et sont signalés par les neuf [parties].
[7882] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 4 a. 3 qc. 2 ad s. [4 et 5] Nous concédons les deux autres
c. Alia duo concedimus. arguments.

Quaestio 5 Question 5 – [La transmission de la chair du


Christ depuis sa mère]
Prooemium Prologue
[7883] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur la transmission de la
163

quaeritur de propagatione carnis Christi ex matre chair du Christ à partir de sa mère. À ce propos,
ejus; et circa hoc quaeruntur tria: 1 de materia ex trois questions sont posées : 1 – À propos de la
qua conceptum est corpus ejus; 2 de tempore matière dont le corps a été formé. 2 – À propos
conceptionis; 3 de sanctificatione concepti. du moment de la conception. 3 – À propos de la
sanctification de ce qui a été conçu.

Articulus 1 [7884] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. Article 1 – Le corps du Christ a-t-il été conçu
1 tit. Utrum corpus Christi fuerit ex purissimis à partir du sang très pur de la Vierge ?
virginis sanguinibus
[7885] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que le corps du Christ n’ait pas été
primum sic proceditur. Videtur, quod corpus conçu seulement à partir du sang très pur de la
Christi non fuerit formatum solum ex purissimis Vierge, comme le dit [Jean] Damascène. En
sanguinibus virginis, sicut Damascenus dicit. effet, les choses qui ont l’espèce en commun ont
Eorum enim quae specie conveniunt, est materia une matière de même nature, car la forme
ejusdem rationis: quia forma naturalis materiam naturelle exige une matière déterminée. Or, la
determinatam requirit. Sed aliorum hominum matière des autres hommes vient de ce qui est
materia est ex eo quod ex viro et muliere séparé de l’homme et de la femme. Puisque le
deciditur. Cum ergo Christus, inquantum homo, Christ, en tant qu’homme, avait la même espèce
fuerit ejusdem speciei cum aliis hominibus, que les autres hommes, il semble donc que son
videtur quod corpus ejus non solum ex corps n’ait pas été formé seulement à partir du
sanguinibus matris virginis formatum sit. sang très pur de la Vierge.
[7886] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 2 2. Il est dit en Rm 1, 2 : Issu de la lignée de
Praeterea, ad Rom. 1, 3, dicitur: factus est ei ex David selon la chair. Or, ce dont quelque chose
semine David secundum carnem. Sed id ex quo fit est fait est sa matière. La matière du corps du
aliquid, est materia ejus. Ergo materia corporis Christ n’est donc pas le sang, mais la semence.
Christi non est sanguis, sed semen.
[7887] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 3 3. Dans une collecte, on dit que « Dieu a voulu
Praeterea, in collecta dicitur, quod Deus verbum que son Verbe tire sa chair de la Vierge ». Or, le
suum de virgine carnem sumere voluit. Sed de illo corps du Christ a été formé de ce qu’il a tiré de la
corpus Christi formatum est quod de virgine Vierge. La matière du corps du Christ n’est donc
sumpsit. Ergo corporis Christi materia non est pas le sang, mais la chair.
sanguis, sed caro.
[7888] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 4 4. Comme il est dit dans Sur la génération, II,
Praeterea, ut in 2 de Generat. dicitur, quae magis « les choses qui ont davantage en commun se
conveniunt, facilius invicem transmutantur. Sed changent plus facilement l’une en l’autre ». Or,
magis convenit cum carne caro quam sanguis. la chair a plus en commun avec la chair que le
Ergo convenientius est dicere corpus Christi ex sang. Il est donc plus approprié de dire que le
carne virginis formatum esse quam ex ejus corps du Christ a été formé de la chair de la
sanguine. Vierge que de son sang.
[7889] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 5 5. La puissance génératrice n’agit qu’à partir
Praeterea, generativa non operatur nisi ex eo quod d’un reste de la puissance nutritive, puisque la
residuum est nutritivae virtuti; cum nutritiva puissance nutritive est au service de la puissance
generativae deserviat. Sanguis autem non est génératrice. Or, le sang n’est pas un reste de
residuum ab opere nutritivae; immo est quo l’action nutritive ; bien plutôt, il est ce dont la
nutritiva indiget in via existens ad nutriendum puissance nutritive a besoin, alors qu’elle se met
membra. Ergo sanguis non potest esse materia a à nourrir les membres. Le sang ne peut donc pas
virtute generativa ministrata ad conceptionem être la matière fournie par la puissance
prolis: et sic idem quod prius. génératrice en vue de la conception d’une
descendance. La conclusion est ainsi la même
que précédemment.
164

[7890] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que « la
contra est quod dicit Damascenus, quod divina Sagesse divine s’est unie à la chair à partir du
sapientia ex purissimis sanguinibus virginis sang très pur de la Vierge ».
carnem sibi copulavit.
[7891] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 s. c. 2 [2] Le corps du Christ n’a été formé que de la
Praeterea, corpus Christi non est formatum nisi ex matière que la Vierge a fournie, identique en
materia quam virgo ministravit, talem in natura nature à celle que les autres mères fournissent
qualem aliae matres ministrant ad conceptum pour concevoir une descendance. Or, ainsi qu’il
prolis. Sed, ut in 15 de animalibus dicitur, materia est dit dans Sur les animaux, XV, la matière dont
ex qua corpus conceptum formatur, quam mater le corps conçu a été formé et que fournit la mère
ministrat, est sanguis, qui menstruum dicitur. est le sang, appelé menstruation. Le corps du
Ergo et corpus Christi ex sanguine formatum est. Christ a donc été formé à partir du sang.
[7892] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 co. Réponse. Il existe plusieurs opinions à propos de
Respondeo dicendum, quod circa materiam de la matière dont le corps de l’homme a été formé.
qua corpus hominis formatum est, variae sunt En effet, certains disent que le corps humain est
opiniones. Quidam enim dicunt, quod corpus formé du mélange des semences, à savoir, celles
humanum formatur ex commixtione seminum, de la mère et du père en même temps, avec le
scilicet matris et patris simul, cum sanguine sang menstruel, de sorte que tout cela est la
menstruo; ita quod totum hoc sit materia corporis. matière du corps. Mais le Philosophe réfute cela
Hoc autem philosophus, in 15 de animalibus, de plusieurs manières dans Sur les animaux, XV,
multipliciter destruit, ostendens, quod id quod ex en disant que ce qui provient de l’homme n’est
viro descendit, non est materia humani corporis, pas la matière du corps humain, mais seulement
sed solum principium activum, et per rationem, et son principe, selon la raison et selon des
experimenta sensibilia, quae magis in rebus expériences sensibles, qui font plutôt foi dans les
naturalibus faciunt fidem: et hoc patet inspicienti choses naturelles. Cela ressort clairement pour
verba ejus. Similiter etiam ostendit quod semen celui qui lit ce qu’il dit. De même aussi, il
mulieris nihil facit ad generationem; unde etiam et montre que la semence de la femme ne contribue
quaedam mulieres concipiunt sine hoc quod en rien à la génération ; ainsi certaines femmes
seminent. Sed sanguis qui menstruum dicitur, est conçoivent sans fournir de semence. Mais le
in mulieribus loco seminis in viris. Et secundum sang qu’on appelle menstrue existe chez les
hanc philosophi opinionem convenientissime femmes à la place de la semence chez les
potest salvari partus virginis, si ad conceptionem hommes. Selon cette opinion du Philosophe, la
humani corporis non nisi sanguis mulieris conception de la Vierge peut être préservée de la
materialiter requiritur: non enim credendum est manière la plus appropriée, si le sang de la
quod materiae corporis Christi, quod sine semine femme n’est requis que matériellement pour la
viri conceptum est, aliquid defuerit quod conception du corps humain. En effet, on ne doit
materialiter ad formationem humani corporis pas croire que quelque chose de matériellement
requiratur. Constat etiam omnibus virginitatem nécessaire à la formation du corps humain ait fait
matris confitentibus, absque omni humano semine défaut à la matière du corps du Christ, qui a été
conceptionem illam peractam esse. Et ideo conçu sans la semence d’un homme. Il est clair
materia ex qua corpus formatur, et in Christo et in aussi, pour tous ceux qui confessent la virginité
aliis hominibus est sanguis per virtutem de la mère, que cette conception s’est réalisée
generativam matris praeparatus. Ille enim sanguis sans semence de l’homme. C’est pourquoi la
in mulieribus est sicut semen in viris; unde et in matière dont ce corps a été formé est le sang
eodem tempore hoc in viris et illud in mulieribus préparé par la puissance génératrice de la mère.
incipit, scilicet apud ortum pilorum, et aliorum En effet, ce sang, chez les femmes, est comme la
accidentium quae sunt signa pubertatis. Sed quia semence chez les hommes. Aussi celle-ci et
in muliere est calor generativae deserviens celui-là commencent-ils au même moment chez
diminutus respectu caloris viri, ideo non potest in les hommes et chez les femmes, à savoir, à la
mulieribus superfluum alimenti ad tantam naissance des poils et des autres accidents qui
165

digestionem perduci sicut in viris: propter quod sont les signes de la puberté. Mais parce que,
remanet in forma sanguinis, sicut deficiens a chez la femme, existe une chaleur déservant la
completa digestione seminis; unde accidit in puissance génératrice moindre que la chaleur de
aliquo multum coeunte ut sanguinem loco seminis l’homme, le superflu de nourriture ne peut être
emittat, ut in 15 de animalibus dicitur; quasi amené à une digestion aussi grande que chez les
natura non sufficiat ad tantum seminis hommes. C’est la raison pour laquelle il demeure
digerendum quantum incontinentia quaerit. à l’état de sang, auquel fait défaut la digestion
complète de la semence. Aussi arrive-t-il, chez
celui qui pratique beaucoup l’union sexuelle,
qu’il émette du sang à la place de la semence,
comme il est dit dans Sur les animaux, XV,
comme si la nature ne suffisait pas à digérer une
aussi grande quantité de semence que l’exige
l’incontinence.
[7893] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 1 Ad 1. Selon le Philosophe, dans Sur les animaux,
primum ergo dicendum, quod secundum XV et XVI, ce qui est émis par l’homme ne
philosophum in 15 et 16 de animalibus, illud quod devient pas matière dans la génération, mais
a viro emittitur, non efficitur materia in seulement [un principe] actif. Il reste donc que le
generatione, sed tantum activum; unde relinquitur corps humain est formé matériellemenet du seul
quod ex solo sanguine mulieris materialiter corpus sang de la femme, tant chez le Christ que chez
humanum formetur, tam in Christo quam in aliis les autres hommes.
hominibus.
[7894] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 2 Ad 2. On dit que le Christ est venu de la semence de
secundum dicendum, quod Christus ex semine David selon la chair, non pas comme d’une
David dicitur factus secundum carnem, non sicut matière immédiate, mais parce que la matière
ex immediata materia; sed quia materia ex qua dont le corps du Christ a été formé provient à
corpus Christi formatum est, originaliter ex l’origine de la semence de David.
semine David descendit.
[7895] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 3 Ad 3. L’assomption a deux termes : a quo et in
tertium dicendum, quod assumptio habet duos quem. On dit que le Verbe de Dieu a assumé la
terminos, scilicet a quo, et in quem. Dicitur ergo chair à partir de la Vierge, non pas du point de
Dei verbum ex virgine carnem assumpsisse, non vue du terme a quo, comme s’il avait d’abord
quantum ad terminum a quo, quasi prius esset in existé dans l’espèce de la chair avant qu’elle ne
specie carnis quam assumeretur; sed quantum ad soit assumée, mais du point de vue du terme ad
terminum ad quem: quia materia illa simul quem, car cette matière a été en même temps
assumpta est et in carnem formata. assumée et a reçu la forme de la chair.
[7896] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 4 Ad 4. Bien que la chair ait plus en commun avec la
quartum dicendum, quod quamvis caro cum carne chair selon la similitude de l’espèce, le sang,
magis conveniat secundum similitudinem speciei; dont est formé le corps, a cependant davantage
tamen sanguis, ex quo formatur corpus, magis en commun avec la chair et les autres parties du
convenit cum carne et reliquis partibus corporis corps selon la proportion entre la puissance et
secundum proportionem potentiae ad actum, l’acte, que la chair avec la chair. En effet, ce
quam caro cum carne; sanguis enim ille est sang n’est qu’une puissance, en tant que
potentia totum, secundum potentiam passivam, puissance passive, comme aussi la semence est
sicut et semen est potentia totum secundum entièrement puissance, en tant que puissance
potentiam activam; caro autem non est potentia active ; mais la chair n’est pas entièrement
totum, cum sit actu pars ultimum complementum puissance, puisqu’elle est en acte une partie
habens jam per ultimam digestionem. Haec autem possédant déjà un achèvement complet par une
convenientia praecipue requiritur ad hoc quod digestion ultime. Or, un tel caractère commun est
aliquid ex aliquo fiat: domus enim facilius nécessaire pour que quelque chose devienne à
166

construitur ex caemento et lapidibus specie partir d’une autre chose. En effet, une maison est
differentibus, quam ex alia domo ejusdem speciei; plus facilement construite de ciment et de pierres
ex qua domus construi non potest, nisi in lapides différents par l’espèce, qu’à partir d’une autre
resolvatur. maison de la même espèce, à partir de laquelle la
maison ne peut être construite que si elle est
ramenée aux pierres.
[7897] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 1 ad 5 Ad 5. Le sang, qui est présenté comme la matière du
quintum dicendum, quod sanguis qui humani corps humain, n’est pas absolument le même que
corporis materia ponitur, non est absolute talis celui qui est engendré par l’acte de la partie
qualis per actum nutritivae generatur ex cibo; sed nutritive ; mais ce qui reste de ce sang après
hoc quod de illo sanguine residuum est ab ultima l’ultime digestion nutritive est au service de la
digestione nutritiva, in feminis generativae [puissance] génératrice chez les femmes, qui le
ministrat, quae ipsum praeparat, ut sit debita prépare à être la matière appropriée du corps
materia corporis humani. humain.

Articulus 2 [7898] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. Article 2 – La conception du corps du Christ


2 tit. Utrum conceptio corporis Christi fuerit s’est-elle produite subitement ou
subito, vel successive successivement ?
[7899] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que la conception du corps du Christ
secundum sic proceditur. Videtur quod conceptio ne s’est pas produite subitement, mais qu’elle
corporis Christi non fuerit subito, sed successive s’est achevée successivement. Il est dit en He 2
completa. Heb. 2 dicitur, quia Christus debuit per que le Christ devait être en tout semblable à ses
omnia fratribus similari. Sed alii homines, qui frères. Or, les autres hommes, qui sont appelés là
fratres ejus dicuntur ibidem, successive ses frères, sont conçus successivement. La
concipiuntur. Ergo et Christi conceptio debuit conception du Christ devait donc se produire
esse successiva. successivement.
[7900] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 2 2. Le moment de la conception de n’importe
Praeterea, tempus generationis cujuslibet rei est quelle chose est déterminé selon son espèce,
determinatum secundum speciem suam, ut ex 2 de comme on peut le lire dans Sur la génération, II.
generatione haberi potest. Sed Christus fuit Or, le Christ faisait partie de la même espèce que
ejusdem speciei cum aliis hominibus. Ergo sicut les autres hommes. De même que la conception
aliorum hominum generatio determinato tempore des autres hommes se réalise à un moment
perficitur, ita et Christi. déterminé, de même aussi la conception du
Christ.
[7901] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 3 3. Comme on le dit dans Sur l’âme, II, une
Praeterea, ut in 2 de anima dicitur, cuicumque rei grandeur déterminée est due à chaque chose
naturali debetur determinata magnitudo. Sed naturelle. Or, le corps du Christ ne pouvait pas,
corpus Christi non potuit in principio conceptionis au début de sa conception, avoir la grandeur qui
suae habere tantam magnitudinem quantum est due à la nature humaine, autrement, il ne se
naturae hominis debetur: alias tempore illo non serait pas développé dans le sein de la Vierge, où
crevisset in utero virginis in quo alii crescunt, vel les autres se développent, ou bien il aurait été
minori tempore a virgine portatus esset quam alii porté moins longtemps que les autres hommes
homines portantur; quod non tenet Ecclesia. Ergo par la Vierge, ce que l’Église ne soutient pas. Au
in principio suae conceptionis nondum erat in début de sa conception, il ne faisait donc pas
specie humana, in qua fuit in termino partie de l’espèce humaine, dont il était au terme
conceptionis. Ergo principium conceptionis est de sa conception. Le début de la conception est
aliud a termino ejus. Omnis autem mutatio quae donc différent de son terme. Or, tout changement
habet prius et posterius, est successiva. Ergo qui comporte un avant et un après est successif.
conceptio Christi fuit successiva. La conception du Christ a donc été successive.
[7902] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 4 4. Le corps du Christ a été formé du sang de la
167

Praeterea, corpus Christi ex virginis sanguinibus Vierge. Donc, soit que le sang et la chair aient
formatum est. Aut ergo in eodem instanti fuit existé dans le même instant, et ainsi la même
sanguis et caro; et sic eadem materia simul erit matière se trouvera sous deux formes
sub duabus formis substantialibus disparatis, quod substantielles disparates, ce qui est impossible ;
est impossibile: aut in alio et in alio instanti. Sed soit [qu’ils aient existé] dans des instants
inter quaelibet instantia est tempus medium, ut in différents. Or, il existe un temps intermédiaire
6 Physic. probatur. Ergo conceptio Christi entre n’importe quels instants, comme cela est
tempore mensuratur, et non est subito peracta. démontré dans Physique, VI. La conception du
Christ est donc mesurée par le temps et elle n’a
pas été réalisée subitement.
[7903] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 arg. 5 5. Être conçu est un certain devenir, comme
Praeterea, concipi est quoddam fieri, sicut avoir été conçu est être devenu. Or, rien ne
conceptum est quoddam factum esse. Nihil autem survient en même temps chez ce qui devient et
in permanentibus simul fit et factum est: alias ce qui est devenu, autrement quelque chose serait
simul aliquid esset et non esset: quod enim fit in et ne serait pas en même temps. En effet, ce qui
permanentibus non est: quod autem factum est, devient dans les choses permanentes n’existe
jam est. Ergo in carne Christi non simul fuit pas, et ce qui est devenu existe déjà. Pour la
concipi et conceptum esse: et sic fuit ibi prioris et chair du Christ, être conçue et avoir été conçue
posterioris successio. n’ont donc pas existé en même temps, et ainsi il
y a eu là une succession entre ce qui est antérieur
et ce qui est postérieur.
[7904] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] le début de la conception ne
contra: conceptionis principium esse non potuit pouvait pas exister avant que le principe actif de
antequam conceptionis activum in virgine esset. la conception ait existé dans la Vierge. Or, le
Sed conceptionis activum fuit in ipsa divina principe actif de la conception se trouvait dans la
sapientia, quae ex sanguinibus virginis carnem sagesse divine elle-même, qui s’est uni la chair à
sibi copulavit, ut dicit Damascenus. Ergo non partir du sang de la Vierge, comme le dit [Jean]
potuit prius conceptio incipere quam in uterum Damascène. La conception n’a donc pas pu
virginis divina sapientia descendisset. Sed, sicut commencer avant que la sagesse divine soit
dicit Gregorius in Moral., spiritu adveniente, mox descendue dans le sein de la Vierge. Or, ainsi
verbum in utero, mox intrat verbum caro factum. que le dit Grégoire dans les Morales, « dès la
Ergo conceptio carnis incipere non potuit venue de l’Esprit, le Verbe se trouva aussitôt
antequam caro esset. Sed ad speciem carnis dans le sein, le Verbe devenu chair est aussitôt
terminata est conceptio. Ergo non prius incepit entré ». La conception de la chair ne pouvait
conceptio quam terminata esset; et ita sine donc pas commencer avant que n’existe la chair.
successione fuit. Or, la conception s’est terminée à l’espèce de la
chair. La conception n’a donc pas commencé
avant qu’elle ne se soit terminée. Elle s’est donc
réalisée sans succession.
[7905] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 s. c. 2 [2] La conception du Christ a été réalisée par la
Praeterea, conceptio Christi facta est virtute puissance divine, qui est infinie. Or, il revient à
divina, quae infinita est. Sed virtutis infinitae est une puissance infinie de réaliser d’un coup son
subito suum effectum producere. Ergo conceptio effet. La conception du Christ a donc été subite.
Christi subitanea fuit.
[7906] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 co. Réponse. Selon la foi, il est nécessaire
Respondeo dicendum, quod conceptio Christi d’affirmer que la conception du Christ a été
secundum fidem oportet quod subito facta réalisée subitement. En effet, la nature humaine a
ponatur: non enim humana natura prius assumpta d’abord été assumée avant d’être perfectionnée
fuit quam in sua specie perficeretur, cum partes dans son espèce, puisque ses parties ne peuvent
ejus non sint assumptibiles nisi ratione totius, ut être assumées qu’en raison du tout, comme cela
168

patet ex dictis in 2 dist., quaest. 2, art. 3, ressort de la d. 2, q. 2, a. 3, qa 1. Or, les
quaestiunc. 1. Proprietates autem et accidentia propriétés et les accidents de la nature humaine
humanae naturae non dicuntur de filio Dei ante ne sont pas attribués au Fils de Dieu avant
assumptionem. Ergo quidquid humanum de filio l’assomption. Tout ce qui est dit d’humain du
Dei dicitur, completionem humanae naturae non Fils de Dieu n’a donc pas précédé l’achèvement
praecessit. Conceptio autem de filio Dei dicitur, ut de la nature humaine. Or, la conception est
patet in symbolo: qui conceptus est de spiritu attribuée au Fils de Dieu, comme cela ressort du
sancto etc. ergo oportet ut conceptio in Christo symbole : « … qui a été conçu du Saint-Esprit,
non praecedat tempore completam naturam carnis etc. ». Il est donc nécessaire que la conception
ejus: et ita relinquitur quod simul concipiebatur et chez le Christ ne précède pas dans le temps la
concepta est: propter quod oportet illam nature achevée de sa chair. Il reste donc qu’elle
conceptionem subitaneam ponere, ita quod haec est conçue et a été conçue. Pour cette raison, il
in eodem instanti fuerunt, scilicet conversio est nécessaire d’affirmer que cette conception a
sanguinis illius materialis in carnem et alias partes été subite, de telle sorte que se sont réalisées
corporis Christi, et formatio membrorum dans le même instant la conversion de ce sang
organicorum et animatio corporis organici, et matériel en chair et dans les autres parties du
assumptio corporis animati in unitatem divinae corps du Chist, la formation des membres
personae. In aliis autem haec successive organiques, l’animation du corps organique et
contingunt, ita quod maris conceptio non l’assomption du corps animé dans l’unité de la
perficitur nisi usque ad quadragesimum diem, ut personne divine. Mais, chez les autres, ces
philosophus in 9 de animalibus dicit, feminae choses se produiseent successivement, de telle
autem usque ad nonagesimum. Sed in sorte que la conception du mâle n’est achevée
completione corporis masculi videtur Augustinus qu’au quarantième jour, comme le dit le
superaddere sex dies, qui sic distinguuntur, Philosophe dans Sur les animaux, IX, mais celle
secundum eum in epistola ad Hieronymum. de la femelle, pas avant le quatre-vingt dixième
Semen primis sex diebus quasi lactis habet jour. Mais, pour l’achèvement du corps du mâle,
similitudinem; novem diebus vertitur in Augustin semble ajouter six jours, qui se
sanguinem; deinde duodecim diebus solidatur; répartissent ainsi, d’après ce qu’il dit dans une
decem et octo diebus formatur usque ad perfecta lettre à Jérôme. Les six premiers jours, la
membrorum lineamenta; et hinc jam reliquo semence a pour ainsi dire l’apparence du lait ;
tempore usque ad tempus partus magnitudine après neuf jours, elle se transforme en sang ;
augetur; unde versus: sex in lacte dies, ter sunt in ensuite, après douze jours, elle se coagule ; après
sanguine terni, bis seni carnem, ter seni membra dix-huit jours, elle acquiert les contours parfaits
figurant. In Christi autem conceptione materia des membres ; à partir de là et pour le reste du
quam virgo ministravit, statim formam et figuram temps jusqu’au moment de la délivrance, elle
humani corporis accepit, et animam, et in augmente en grandeur. D’où vient le vers :
unitatem divinae personae assumpta est. « L’apparence du lait en six jours, trois fois trois
pour le sang, deux fois six pour la chair, trois
fois six pour l’apparition des membres. » Mais,
lors de la conception du Christ, la matière que la
Vierge a fournie a reçu aussitôt la forme et la
figure du corps humain et l’âme, et elle a été
assumée dans l’unité de la personne divine.
[7907] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 1 Ad 1. Le Christ devait devenir semblable en tout à
primum ergo dicendum, quod Christus per omnia ses frères pour ce qui était nécessaire à leur
fratribus assimilari debuit in his quae necessaria restauration. Or, ces choses sont celles en
erant ad eorum reparationem. Hujusmodi autem lesquelles consiste la vérité de la nature humaine,
sunt ea in quibus veritas humanae naturae à savoir, ses parties essentielles, ses propriétés
consistit, scilicet partes essentiales ejus, et naturelles et les passions par lesquelles l’œuvre
proprietates naturales, et passiones quibus opus de la rédemption devait se réaliser. Pour les
169

redemptionis explendum erat. In aliis autem autres choses, il devait dépasser [ses frères] en
excellere debuit ut hominum salvator. tant que Sauveur des hommes.
[7908] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 2 Ad 2. Le moment déterminé pour la génération pour
secundum dicendum, quod determinatum tempus une espèce ne découle pas de la vérité de
generationis alicui speciei debitum non sequitur l’espèce dans la chose engendrée, mais de la
veritatem speciei in re generata, sed virtutem puissance de celui qui engendre dans cette
generantis in specie illa; et ideo quamvis Christus espèce. Aussi, bien que le Christ ait été conçu
in veritatem humanae naturae conceptus fuit, quia selon la vérité de la nature humaine, parce que
tamen conceptio illa non est facta per actionem cette conception ne s’est cependant pas réalisée
alicujus virtutis humanae, ideo non oportet quod par l’action d’une puissance humaine, il n’est pas
idem tempus debeatur conceptioni Christi quod nécessaire que le même temps soit requis pour la
conceptionibus aliorum. conception du Christ que pour les conceptions
des autres.
[7909] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 3 Ad 3. La quantité déterminée d’une espèce n’est pas
tertium dicendum, quod quantitas determinata déterminée selon quelque chose d’indivisible,
alicujus speciei non est determinata secundum mais elle a une certaine latitude, car, dans
aliquid indivisibile; sed habet aliquam l’espèce humaine, on trouve une quantité plus ou
latitudinem: quia in specie humana invenitur moins grande, ainsi que chez le même individu à
major et minor quantitas, et in eodem individuo divers moments et en diverses conditions,
secundum diversa tempora, et in diversis, ut ad comme cela tombe sous le sens. Or, la plus petite
sensum patet. Minimum autem quantitatis in uno quantité chez un individu existe au premier
individuo est in primo instanti suae figurationis et instant de sa conformation et de son animation.
animationis; quae quantitas adeo parva est quod Cette quantité est si petite qu’elle dépasse à
parum excedit quantitatem formicae, ut dicit peine la quantité d’une fourmi. Le Philosophe dit
philosophus, quod in quadragesima die muliere qu’on a trouvé chez avorton, au quarantième jour
pariente abortum, inventum est corpus prolis de la grossesse d’une femme, que son corps
omnia membra distincta habere, quamvis in possédait tous les membres distincts, bien que,
quantitate esset sicut magna formica. Maxima en quantité, il ressemblât à une grosse fourni.
autem quantitas in aliquo individuo est in ultimo Mais la plus grande quantité d’un individu se
termino augmenti: et sicut maximum differt in trouve au terme ultime de sa croissance. Et de
diversis, ita etiam proportionaliter illud minimum. même que ce qu’il y a de plus grand est différent
Potuit ergo esse ut corpus Christi in primo instanti chez divers individus, de même ce qu’il y a de
conceptionis perfecte figuratum, haberet plus petit de manière proportionnelle. Il pouvait
quantitatem sufficientem suae speciei; minorem donc arriver que le corps du Christ, conformé au
tamen quam sibi deberetur in principio suae premier instant de sa conception, possède une
humanitatis si naturaliter conceptus esset, respectu quantité suffisante pour son espèce, mais plus
quantitatis quam habuit in completa aetate petite qu’il ne lui reviendrait au début de son
proportionaliter aliis hominibus; ita quod usque ad humanité, s’il avait été conçu naturellement, par
quadragesimum aut quadragesimum sextum diem rapport à la quantité qu’il avait à l’âge adulte
crescendo pervenerit usque ad quantitatem illam d’une manière proportionnelle aux autres
quae in eo debuit esse minima proportionaliter hommes. De telle sorte que jusqu’au
aliis hominibus; et deinceps crevit sicut et alii quarantième ou au quarantième-sixième jour, sa
homines crescunt; ita quod totum tempus quo in croissance serait parvenue à la quantité la plus
utero matris fuit, augmento corporis ejus servivit, petite qui devait lui revenir proportionnellement
quod in aliis servit conversioni, figurationi, aux autres hommes. Par la suite, il se développa
animationi, et augmento. comme les autres hommes se développent, de
telle sorte que tout le temps où il fut dans le sein
de sa mère servit à la croissance de son corps,
alors que [ce temps] sert aux autres à la
conversion, à la conformation, à l’animation et à
170

la croissance.
[7910] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 4 Ad 4. Cela est universellement vrai pour tous les
quartum dicendum, quod hoc est universaliter mouvements continus, qu’on ne peut saisir
verum in quolibet motu continuo, quod non est l’instant ultime dans lequel ce qui est mû est
accipere ultimum instans in quo id quod movetur distant du terme ad quem, bien qu’on puisse
distet a termino ad quem, quamvis posset accipi saisir le premier instant dans lequel il se trouve
primum instans in quo est in termino ad quem, ut dans le terme ad quem, comme cela ressort de
patet ex 8 Physic. Verbi gratia, si aliquid movetur Physique, VIII. Par exemple, si quelque chose
de nigredine in albedinem, in ultimo instanti est mû du noir au blanc, dans l’instant ultime du
temporis mensurantis motum illum albedo inest temps mesurant ce mouvement, la blancheur est
mobili: ultimus etenim terminus temporis présente dans le mobile. En effet, le terme ultime
respondet ultimo termino motus; sed in omni eo du temps correspond au terme ultime du
quod de dicto tempore accipitur ante ultimum mouvement. Or, pendant tout ce qu’on perçoit de
instans, mobile ab albedine distat. Non est autem ce temps avant l’instant ultime, le mobile est
accipere ante ultimum instans temporis, secundo distant de la blancheur. Mais on ne peut saisir,
ultimum instans; cum inter quaelibet duo instantia avant l’instant ultime du temps, l’avant-dernier
sit tempus medium, ut 6 physicorum probatur; instant ultime, puisque, entre deux instants, il
unde non est accipere instans in quo id quod fit existe un temps intermédiaire, comme cela est
album, sit non album. Et similiter est in démontré dans Physique, VI. Aussi ne peut-on
mutationibus, quae quamvis non sint motus, pas saisir l’instant dans lequel ce qui devient
tamen aliquem motum consequuntur; sicut blanc n’est pas blanc. Et de même en est-il dans
generatio sequitur alterationem, et illuminatio les changements qui, bien qu’ils ne soient pas
motum localem solis; non est enim accipere des mouvements, découlent cependant d’un
ultimum instans in quo id quod fit ignis sit non mouvement : c’est le cas de la génération qui
ignis; neque instans in quo aer qui illuminatur, sit découle d’une altération et de l’illumination [qui
tenebrosus: eo quod terminus a quo in istis découle] d’une mouvement local du soleil. En
mutationibus inest transmutato in toto tempore effet, on ne peut saisir l’instant ultime dans
mensurante motum, cui mutatio non conjungitur lequel ce qui devient feu n’est pas du feu, ni
sicut terminus, nisi in ultimo instanti illius l’instant dans lequel l’air qui est illuminé est
temporis. Dico ergo, quod conceptio Christi ténébreux. De telle sorte que le terme a quo,
quamvis non sit motus, quia successionem non dans ces mouvements, demeure dans ce qui est
habet; tamen conjungitur quidam motui locali, changé pendant tout le temps qui mesure le
saltem motui locali sanguinis materialis ad locum mouvement auquel le changement n’est pas uni
generationis, ubi undique congregatus est; et in comme un terme, sauf dans l’instant ultime de ce
ultimo termino illius motus materia illa fuit sub temps. Je dis donc que la conception du Christ,
specie corporis Christi; et sic est accipere primum bien qu’elle ne soit pas un mouvement,
instans in quo corpus Christi fuit; sed in toto puisqu’elle ne comporte pas de succession, est
tempore praecedenti hoc instans, erat sanguis; cependant unie à un mouvement local, du moins
unde non est accipere ultimum instans in quo àu mouvement local du sang matériel vers le lieu
sanguis erat, sed ultimum tempus. Tempus autem de la génération, où il a été recueilli de toutes
continuatur instanti sine hoc quod cadat aliquod parts. Au terme ultime de ce mouvement, cette
medium, sicut nec inter lineam et punctum matière avait l’apparence du corps du Christ.
necesse est medium cadere; unde forma sanguinis C’est ainsi qu’il faut concevoir le premier instant
et forma corporis Christi continue successerunt où le corps du Christ a existé. Mais, pendant tout
sibi in illa materia: neque oportet aliquod medium le temps précédant cet instant, c’était du sang.
tempus ponere, ut conceptio successiva judicetur. Aussi ne faut-il pas comprendre l’instant ultime
où le sang existait, mais le temps ultime. Or, le
temps est en continuité avec l’instant sans
qu’intervienne un intermédiaire, de même qu’il
n’est pas nécessaire qu’intervienne un
171

intermédiaire entre la ligne et le point. Aussi la


forme du sang et la forme du corps du Christ se
sont-elles succédé dans cette matière, et il n’est
pas nécessaire d’introduire un temps
intermédiaire pour que la conception soit estimée
successive.
[7911] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 2 ad 5 Ad 5. « Devenir » peut s’entendre de deux manières.
quintum dicendum, quod fieri dupliciter potest D’une manière, selon que cela se rapporte au
accipi. Uno modo secundum quod pertinet ad mouvement précédant l’être de la chose dont on
motum praecedentem esse rei quae fieri dicitur; et dit qu’elle devient : il est ainsi nécessaire que le
sic oportet quod fieri rei praecedat duratione devenir d’une chose précède dans la durée le fait
factum esse, ut objectio probat. Alio modo dicitur d’avoir été, comme le démontre l’objection.
fieri ipsa terminatio motus, esse inducentis; sicut D’une autre manière, on appelle « devenir » la
illuminari signatur per modum fieri, et hoc ipsum fin d’un mouvement qui entraîne l’être : ainsi, le
quod dicitur terminari; et hujusmodi fieri non fait d’être éclairé est signalé sous la forme d’un
praecessit tempore factum esse, nec differt ab eo devenir, ainsi que cela même dont on dit qu’il se
nisi ratione: hoc enim quod est esse illuminatum, termine. Un devenir de cette sorte n’a pas
si consideretur secundum se, signatur ut factum précédé dans le temps le fait d’être devenu, et il
esse, ut cum dicitur illuminatum; si autem ne diffère de lui que par la raison. En effet, le fait
consideretur prout est aliquid motus praecedentis, même d’être éclairé, s’il est envisagé en lui-
scilicet terminus, sic signatur ut in fieri, ut cum même, est signalé comme quelque chose qui est
dicitur illuminari: et ideo non est verum hoc devenu, comme lorsqu’on dit que cela est
dicere nisi in primo instanti in quo motus éclairé. Mais si on l’envisage comme quelque
praecedens terminatur; quamvis semper postea chose du mouvement précédent, comme un
verum sit dicere, hoc factum esse. Sic autem terme, il est alors signalé comme en devenir,
acceptum fieri non oportet quod sit non esse, sed comme lorsqu’on dit que cela s’éclaire. Aussi
quod sit nunc primo esse; et per hunc modum de n’est-il vrai de dire cela que pour le premier
Christo verum est dicere, simul concipi et instant où le mouvement qui précède se termine,
conceptum esse; unde non oportet quod conceptio bien qu’il soit toujours vrai par la suite de dire
fuerit successiva. que cela est devenu. Or, il n’est pas nécessaire
que le devenir ainsi conçu soit du non-être, mais
qu’il consiste maintenant à exister pour la
première fois. Il est ainsi vrai de dire du Christ
qu’il est conçu et qu’il a été conçu. Il n’est donc
pas nécessaire que sa conception ait été
successive.

Articulus 3 [7912] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. Article 3 – La sanctification convient-elle au


3 tit. Utrum Christo sanctificari conveniat, scilicet Christ, au sens où il avait besoin de
ut indigeret sanctificatione sanctification ?
[7913] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la sanctification ne convienne
tertium sic proceditur. Videtur, quod Christo pas au Christ, car, ainsi que le dit He 7, 26, il
sanctificari non conveniat. Quia, ut dicitur Hebr. convenait que nous ayons un grand-prêtre qui
7, 26: talis decebat ut esset pontifex nobis qui non n’avait pas besoin, comme un prêtre, d’offrir des
habet necessitatem, quemadmodum sacerdos, victimes d’abord pour lui-même, ensuite pour le
prius pro suis delictis hostias offerre, deinde pro peuple. Or, le Christ, de même qu’il est venu
populo. Sed Christus sicut venit orare et hostiam prier et offrir une victime pour le peuple, est
offerre pro populo; ita et sanctificare populum. aussi venu sanctifier le peuple. Il n’avait donc
Ergo nec indiguit ut ipse sanctificaretur. pas besoin d’être lui-même sanctifié.
[7914] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 2 2. En tout ordre, le premier moteur est immobile.
172

Praeterea, in quolibet ordine primum movens est Or, le Christ est le principe de toute la
immobile. Sed Christus est principium totius sanctification humaine. Lui-même n’a donc pas
humanae sanctificationis. Ergo ipse sanctificatus été sanctifié.
non est.
[7915] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 3 3. Tout ce qui devient, devient à partir de son
Praeterea, omne quod fit, fit ex contrario: contraire : en effet, les générations, selon le
generationes enim, secundum philosophum, ex Philosophe, se font à partir des contraires. Or, le
contrariis sunt. Sed Christus ab omni peccato, Christ a été exempt de tout péché, qui est le
quod sanctitati contrariatur, immunis fuit. Ergo contraire de la sainteté. On ne dit donc pas que le
Christus sanctificari non dicitur. Christ est sanctifié.
[7916] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 arg. 4 Si 4. Si l’on dit qu’avant d’avoir été assumée, sa
dicatur, quod caro ejus antequam esset assumpta, chair a été exposée au péché, comme le dit le
fuit obnoxia peccato, ut in littera dicitur, unde texte, on dit donc que le Christ est sanctifié en
ratione emundationis ejus Christus sanctificari raison de la purification [du péché]. En sens
dicitur: contra. Hoc nomen Christus est hypostasis contraire, le nom de Christ est celui d’une
in duabus naturis subsistentis. Ergo nihil potest hypostase qui subsiste en deux natures. Rien ne
dici de Christo quod unionem illam praecesserit. peut donc être dit du Christ, qui ait précédé cette
Sed infectio cui in patribus caro ejus obnoxia union. Or, l’infection à laquelle sa chair a été
fuerat, solum ante unionem fuit. Ergo ratione illa exposée dans les pères n’a existé qu’avant
non potest dici Christus sanctificatus. l’union. Pour cette raison, on ne peut donc dire
que le Christ a été sanctifié.
[7917] Super Sent., lib. 3, d. 3, q. 5, a. 3, s. c. 1 Cependant, [1] il est dit en Jn 10, 36 : Celui que
Sed contra est , quod dicitur Joann. 10, 36 : Quem le Père a sanctifié et envoyé dans le monde. Le
pater sanctificavit et misit in mundum. Ergo Christ a donc été sanctifié.
Christus sanctificatus est.
[7918] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 s. c. 2 [2] « Christ » veut dire oint. Or, l’onction
Praeterea, Christus dicitur unctus. Sed spiritualis spirituelle est la cause de la sainteté. On peut
unctio causa est sanctitatis. Ergo et sanctificatus donc dire qu’il a été sanctifié.
dici potest.
[7919] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 co. Réponse. Être sanctifié, c’est devenir saint. Or,
Respondeo dicendum, quod sanctificari est quelqu’un peut devenir saint de deux manières :
sanctum fieri. Potest autem aliquis sanctus fieri soit qu’il ait été saint [auparavant], soit qu’il
dupliciter: vel ex sancto, vel ex non sancto. Ex n’ait pas été saint. S’il était saint, [il peut être
sancto iterum dupliciter: vel ex minus sancto sanctifié] encore de deux manières. Soit qu’il
magis sanctum, ut dicitur Joan. 17, 17: pater devienne plus saint alors qu’il était moins saint,
sanctifica eos in veritate; apostoli enim tunc comme Jn 17, 17 dit : Père, sanctifie-les en
sancti erant: vel secundum continuationem vérité ; en effet, les apôtres étaient alors saints.
sanctitatis eadem quantitate servata, et hoc modo Soit que la sainteté se poursuive en conservant la
Christus potest esse sanctificatus, sicut ipse même quantité : le Christ peut être sanctifié de
ibidem, 20, dicit: ego pro eis sanctifico meipsum; cette manière, comme il le dit lui-même au
eo quod continuatio ratione successionis même endroit, 17, 20 : Je me sanctifie moi-même
quemdam modum sanctificationis habet. Sed hic pour eux, du fait que la continuation est un mode
modus loquendi non videtur consuetus; unde sic de sanctification en raison de la succession. Mais
de sanctificatione non loquimur. Ex non sancto cette manière de parler n’est pas coutumière ;
etiam dicitur aliquis sanctus fieri dupliciter; vel ex aussi ne parlons-nous pas ici de sanctification de
non sancto contrarie aut privative, sicut per cette manière. S’il n’était pas saint, on peut aussi
gratiam peccator sanctificari dicitur; et hoc modo dire que quelqu’un peut devenir saint de deux
Christus non potest dici esse sanctificatus, quia manières. Soit qu’il n’était pas saint en un sens
non potest accipi cum consistentia subjecti contraire ou privatif, comme on dit que le
defectus sanctitatis in eo fuisse: simul enim fuit pécheur est sanctifié par la grâce. On ne peut pas
173

homo et sanctus homo: vel ex non sancto dire que le Christ a été sanctifié de cette manière,
negative: et hoc adhuc distinguendum est: quia car on ne peut concevoir qu’ait existé en lui un
vel dicitur ex non sancto sanctus factus ratione manque de sainteté, compte tenu du sujet
creatae sanctitatis, quae hominis est; et sic dicitur subsistant. En effet, il était en même temps un
Christus sanctus factus, sicut et homo factus: aut homme et un homme saint. Soit qu’il n’était pas
ratione sanctitatis increatae; et sic dicitur sanctus saint négativement. Il faut encore faire ici une
factus per modum quo homo dicitur factus Deus; distinction. Soit il est devenu saint, alors qu’il ne
quae vel est falsa, vel minus proprietatis habens l’était pas, en raison d’une sainteté créée, ce qui
quam prima, scilicet, Deus factus est homo, ut est propre à l’homme : ainsi, on dit que le Christ
infra, distinct. 7, patebit: et ita concedi potest in est devenu saint, de même qu’il est devenu
aliquo sensu Christum sanctificatum esse. homme. Soit en raison d’une sainteté incréée : on
dit ainsi qu’il est devenu saint à la manière dont
on dit qu’un homme est devenu Dieu, ce qui est
faux ou est moins propre que la première
[formulation], à savoir, que Dieu est devenu
homme, comme cela ressortira plus loin, d. 7. On
peut donc ainsi concéder qu’en un sens, le Christ
a été sanctifié.
[7920] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 1 Ad 1. De même que le Christ n’avait pas besoin de
primum ergo dicendum, quod sicut Christus non prier ou d’offrir des victimes pour lui-même, de
indiguit ut pro se oraret, vel hostias offerret; ita même n’avait-il pas besoin d’être sanctifié de la
nec indiguit ut hoc modo sanctificaretur quo alios manière dont il était venu sanctifier les autres, à
sanctificare venerat, scilicet per purgationem savoir, par la purification des péchés. Toutefois,
peccatorum. Per hoc tamen non removetur quin cela n’empêche pas que toute la Trinité fasse de
ipse a tota Trinitate sanctus sit factus homo, cum lui un homme saint, alors qu’il n’était pas un
prius nec homo, nec sanctus homo fuerit. homme ni un homme saint antérieurement.
[7921] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 2 Ad 2. Il n’est pas nécessaire que le premier moteur
secundum dicendum, quod primum movens in dans un ordre de mobiles soit tout simplement
aliquo ordine mobilium non oportet esse immobile, mais qu’il soit immobile selon le
immobile simpliciter, sed immobile secundum même genre de mouvement ; ainsi, le ciel, qui
idem genus motus; sicut caelum quod est primum est le premier [agent] de l’altération est mû, mais
alterans, movetur quidem, sed non alteratur: non il n’est pas altéré : en effet, il n’est pas tout
enim est primum movens simpliciter. Similiter simplement le premier moteur. De même aussi,
etiam Christus, secundum quod homo, non est le Christ, en tant qu’homme, n’est pas tout
primum sanctificans simpliciter, sed Deus simplement la première [cause] de sanctification,
Trinitas; est autem primum sanctificans mais le Dieu Trinité. Mais [le Christ] est le
inquantum homo, per modum satisfacientis pro premier [agent] de sanctification en tant
peccato; et sic sanctificatus non est; aliquo tamen qu’homme par mode de satisfaction pour le
modo sanctificatus est. péché. Ainsi n’a-t-il pas été sanctifié. Cependant,
il a été sanctifié d’une certaine manière.
[7922] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 3 Ad 3. Il n’est pas nécessaire que tout ce qui devient
tertium dicendum, quod non oportet omne quod devienne à partir d’un contraire, mais seulement
fit, ex contrario fieri, sed solum quod fit per viam ce qui devient par voie de génération et
generationis et alterationis; oportet tamen omne d’altération. Il est cependant nécessaire que tout
quod fit, ex incontingenti fieri, ut in 1 Physic. ce qui devient devienne à partir de quelque chose
dicitur, idest quod non contingit simul inesse. Sic qui n’est pas contingent, comme il est dit dans
autem contingens non est solum contrarium vel Physique, I, c’est-à-dire, de quelque chose à quoi
privatio quae requirunt subjectum, sed etiam il n’arrive pas d’y être présent en même temps.
negatio, quae consistentiam subjecti non requirit: Ce qui arrive de cette manière n’est pas
et sic ex non sancto Christus factus est sanctus, ut seulement un contraire ou une privation, qui
174

dictum est. exigent un sujet, mais aussi une négation, qui


n’exige pas d’exister dans un sujet. Ainsi le
Christ est-il devenu saint à partir de quelqu’un
qui n’était pas saint, comme on l’a dit.
[7923] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 ad 4 4. Nous concédons la quatrième objection, car
Quartum concedimus: quia responsio illa non cette réponse n’a pas de valeur.
valet.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


3
[7924] Super Sent., lib. 3 d. 3 q. 5 a. 3 expos.
Obnoxia fuit peccato in Maria. Sed contra. Quod
non est, non potest esse peccato obnoxium. Sed
caro Christi non fuit nisi in ipso. Ergo falsum est
quod dicitur. Dicendum, quod quamvis caro
Christi actu non fuerit nisi in ipso, tamen
materialiter fuit in beata virgine et in aliis, sed
differenter: quia in beata virgine praeexistebat
materia illa essentialiter, sed in aliis prioribus
originaliter tantum, ut dictum est; et secundum
illum modum quo in unoquoque fuit, sic peccato
obnoxia erat. Ita et leviticus ordo. Videtur quod
ratio apostoli non valeat. Potest enim contingere
quod pater Papae alicui simplici sacerdoti decimas
solverit: nec propter hoc Papa sacerdote illo minor
esset; et sic non videtur sequi, si Abraham
Melchisedech decimas solverit, quod propter hoc
leviticus ordo Melchisedech minor fuerit. Sed
dicendum secundum quosdam, quod apostolus
procedit ex suppositione hujus quod Abraham tota
posteritate sua major fuerit; unde si Melchisedech
major fuerit quam Abraham, per consequens
major fuit quam levi vel Aaron. Sed quia haec
suppositio vel dubia est, vel falsa, saltem propter
beatam virginem; ideo melius dicendum, quod
apostolus non intendit probare quod Melchisedech
personaliter major fuerit quam Aaron, sed quod
sacerdotium Christi figuratum per sacerdotium
Melchisedech majus est quam sacerdotium Aaron.
Unde virtus rationis apostoli fundatur super
figuram. Figuravit enim Abraham decimas
Melchisedech dans, quod ipse cum tota sua
posteritate minor esset sacerdotio Christi per
Melchisedech figurati. Secundum rationem
seminalem erat. Semen, ut dicit philosophus 5
physicorum, est in genere causae efficientis; unde
illi dicuntur in Abraham secundum rationem
seminalem fuisse qui concepti sunt per virtutem
activam ex Abraham originaliter descendentem:
quod de Christo dici non potest, ut ex dictis patet.
175

Non eum mater concupiscentia, sed gratia


concepit. Istud potest intelligi dupliciter. Vel ita
quod concupiscentia et gratia sint nominativi
casus: sic enim concupiscentia dicitur mater
eorum qui per concupiscentiam nascuntur, et
gratia mater Christi, quia per gratiam natus est.
Vel potest intelligi quod sint ablativi casus, ut
intelligatur quod mater Christi non genuit eum per
concupiscentiam, sed per gratiam; et sic locutio
propria et plana est. Quia, ut dicunt physici, tot
diebus forma humani corporis perficitur. Hoc
potest aliter exponi quam Magister infra exponit,
ut intelligatur completio corporis humani non
solum quantum ad figuram, sed etiam quantum ad
debitam quantitatem, ut per hos quadraginta sex
dies totum tempus usque ad partum intelligatur:
quadraginta enim et sex si per senarium (qui
numerus est perfectus) multiplicentur, resultant
ducenti septuaginta et sex dies; et tot dies
computantur ab octavo Kalendas Aprilis, quando
Christus conceptus est, usque ad octavum
Kalendas Januarii, quando Christus natus est; et
hoc accipitur ab Augustino.

Distinctio 4 Distinction 4 – [La cause efficiente de


l’assomption]
Quaestio 1 Question 1 – [L’accomplissement de la
conception du Christ doit-il être approprié au
Saint-Esprit ?]
Prooemium Prologue
[7925] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de l’incarnation du point
determinavit de incarnatione ex parte assumpti, de vue de ce qui a été assumé et montré ce qui a
ostendens quid assumptum est, et cujus été assumé et quelle était sa condition avant
conditionis fuerit antequam assumeretur, in ista d’être assumé, [le Maître] détermine, dans cette
parte determinat de effectivo ipsius assumpti; et partie, de la cause efficiente de cela même qui
dividitur in duas partes: in prima ostendit quare est assumé. Cela se divise en deux parties : dans
efficientia naturae assumptae spiritui sancto la première, il montre pourquoi la réalisation de
appropriatur; in secunda movet quamdam la nature assumée est appropriée au Saint-Esprit ;
dubitationem ex dictis consequentem, ibi: sed non dans la seconde, il soulève un doute qui découle
est in hoc diutius immorandum. Circa primum tria de ce qui a été dit, à cet endroit : « Mais il ne
facit: primo movet quaestionem; secundo faut pas s’arrêter plus longtemps sur cela. » À
determinat eam, ibi: non enim ideo operatio propos du premier point, il fait trois choses :
incarnationis spiritui sancto saepius attribuitur, premièrement, il soulève la question ;
quod ipse solus eam fecerit; tertio confirmat per deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
auctoritatem, ibi: cum illam creaturam quam « En effet, l’opération de l’incarnation n’est pas
virgo concepit et peperit, quamvis ad solam attribuée d’habitudde à l’Esprit Saint au sens où
personam filii pertinentem tota Trinitas fecerit lui seul l’aurait accomplie » ; troisièmement, il
(...) cur in ea facienda spiritus sanctus solus confirme par une autorité, à cet endroit :
nominatus est ? Sed non est in hoc diutius « Puisque la Trinité entière a réalisé cette
immorandum. Hic determinat quamdam créature que la Vierge a conçue et enfantée, et
176

dubitationem ex praedictis ortam. Si enim qui se rapporte à la seule personne du Fils…,


Christus, inquantum homo, de spiritu sancto natus pourquoi l’Esprit Saint a-t-il été seul nommé
est, videtur quod spiritus sancti filius sit pour l’accomplir ? » « Mais il ne faut pas
inquantum homo. Circa hoc ergo duo facit: primo s’arrêter plus longtemps sur cela. » Il détermine
movet dubitationem; secundo determinat eam, ibi: ici d’un doute soulevé par ce qui a été dit
proinde cum fateamur, Christum natum de spiritu auparavant. En effet, si le Christ, en tant
sancto ex Maria virgine, quomodo non sit filius qu’homme, est né du Saint-Esprit, il semble que,
spiritus sancti, et sit filius virginis (...) explicare en tant qu’homme, il soit le Fils du Saint-Esprit.
difficile est. Circa quod duo facit: primo ostendit À ce propos, [le Maître] fait donc deux choses :
quod Christus non dicitur natus de spiritu sancto, premièrement, il soulève un doute ;
sicut de patre; secundo exponit qua ratione de deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
spiritu sancto natus dicatur, ibi: profecto modus « Aussi, lorsque nous disons que le Christ est né
iste quo natus est Christus de Maria virgine sicut du (de) Saint-Esprit et de (ex) la Vierge Marie,
filius, et de spiritu sancto non sicut filius, insinuat comment n’est-il pas le Fils de l’Esprit Saint et
nobis gratiam Dei. Circa hoc duo facit: primo est-il le fils de la Vierge ?... Il est difficile de
ostendit quod hoc dicitur ad signandum rationem l’expliquer. » À ce propos, il fait deux choses :
illius nativitatis, quia per gratiam est, ut ly de premièrement, il montre qu’on ne dit pas du
denotet quasi rationem operis. Secundo ostendit Christ qu’il est né de l’Esprit Saint, comme il
aliam rationem qua hoc dici possit, scilicet quia l’esst du Père ; deuxièmement, il explique pour
spiritus sanctus fecit Christum inquantum est quelle raison on dit qu’il est né du Saint-Esprit, à
homo, ut ly de denotet habitudinem causae cet endroit : « La manière dont il est né de la
efficientis, ibi: potest etiam dici Christus Vierge Marie comme fils, et de l’Esprit Saint,
secundum hominem ideo natus de spiritu sancto, mais non comme fils, nous suggère une grâce de
quia eum fecit. Circa quod iterum duo facit; primo Dieu. » À ce propos, il fait deux choses :
prosequitur rationem secundo assignatam; premièrement, il montre que cela est dit pour
secundo movet quamdam quaestionem circa indiquer la raison de cette naissance, car elle
verbum apostoli inductum, ibi: sed quaeri potest, vient de la grâce, de sorte que le de indique pour
cum nos salvatorem natum profiteamur, cur ainsi dire la raison de l’action ; deuxièmement, il
apostolus factum eum dicat ex semine David, et montre une autre raison pour laquelle on peut
alio loco factum ex muliere; cum aliud sit fieri, dire cela, à savoir que le Saint-Esprit a fait le
aliud nasci. Hic est triplex quaestio: prima de Christ en tant qu’homme, de sorte que le de
conceptione Christi in comparatione ad indique le rapport à la cause efficiente, à cet
efficientiam spiritus sancti; secunda de ipsa in endroit : « On peut aussi dire que le Christ en
comparatione ad matrem concipientem; tertia de tant qu’homme est né du Saint-Esprit, car celui-
ipsa per comparationem ad gratiam, per quam ci l’a fait. » À ce propos, il fait de nouveau deux
conceptio facta dicitur. Circa primum quaeruntur choses : premièrement, il élabore la raison
duo: 1 utrum efficientia conceptionis Christi indiquée en second lieu ; deuxièmement, il
spiritui sancto appropriari debeat; 2 utrum ratione soulève une question à propos d’une parole de
hujus efficientiae Christi secundum quod homo, l’Apôtre qui a été invoquée, à cet endroit :
spiritus sanctus possit dici pater. « Mais on peut se demander, puisque nous
confessons que le Sauveur est né, pourquoi
l’Apôtre dit qu’il est venu de la semence de
David et, en un autre endroit, qu’il est venu
d’une femme, puisque « être fait » et « naître »
sont des choses différentes. » Ici, il y a trois
questions. La première [porte] sur la conception
du Christ en rapport avec l’action efficiente du
Saint-Esprit ; la deuxième, sur [la conception du
Christ] en rapport avec sa mère qui le concevait ;
la troisième, sur [la conception du Christ] en
177

rapport avec la grâce par laquelle on dit que la


conception s’est réalisée. À propos du premier
point, il y a deux questions : 1 – La réalisation de
la conception du Christ doit-elle être appropriée
au Saint-Esprit ? 2 – Est-ce que, en raison de
cette réalisation, le Saint-Esprit peut être appelé
le Père du Christ en tant qu’homme ?

Articulus 1 [7926] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. Article 1 – La réalisation de la conception du


1 tit. Utrum efficientia conceptionis Christi debeat Christ doit-elle être appropriée au Saint-
appropriari alicui personae Esprit ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Cette réalisation doit-elle
être appropriée à une personne divine ?]
[7927] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que cette réalisation ne doive être
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulli appropriée à aucune personne [divine]. En effet,
personae efficientia illa appropriari debeat. l’action de Dieu est son essence. Or, l’essence
Operatio enim Dei est sua essentia. Sed essentia est commune aux trois personnes et ne peut être
est communis tribus personis, et nulli eorum appropriée à aucune d’entre elles. L’action
appropriabilis. Ergo nec operatio divina, qua divine par laquelle la conception de l’homme
conceptio hominis Christi perfecta est, alicui Christ a été accomplie ne doit donc pas non plus
personae debet appropriari. être appropriée à une personne [divine].
[7928] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. [Jean] Damascène dit, dans le premier chapire
2 Praeterea, Damascenus dicit 1 capitulo 3 libri, du livre III, que la bonté, la puissance, la justice
quod incarnatione manifestabantur simul bonitas, et la sagesse de Dieu étaient manifestées
potentia, justitia, et sapientia Dei. Sed sicut ensemble dans l’incarnation. Or, de même que la
bonitas appropriatur spiritui sancto, ita potentia bonté est appropriée au Saint-Esprit, de même, la
patri, et sapientia filio. Ergo efficientia carnis puissance l’est-elle au Père et la sagesse, au Fils.
assumptae non magis uni personae quam alteri La réalisation de la chair assumée ne doit donc
appropriari debet. pas être appropriée à une personne plutôt qu’à
une autre.
[7929] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Toute action divine procède de lui selon la
3 Sed contra, omnis operatio divina procedit ab eo nature d’un attribut, de même que l’action de la
secundum rationem alicujus attributi, sicut et créature procède d’elle selon sa forme. Or,
operatio creaturae procedit ab ea secundum suam chacun des attributs divins peut être approprié à
formam. Sed quodlibet divinorum attributorum est une personne divine. Toute action divine doit
alicui personae appropriabile. Ergo et quodlibet donc être appropriée à une personne comme à sa
divinum opus alicui personae appropriari debet cause efficiente ; il en va donc de même pour
sicut causae efficienti; et ita opus incarnationis. l’œuvre de l’incarnation.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La conception du Christ
doit-elle être appropriée au Père ?]
[7930] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que [la conception du Christ] doive
1 Ulterius. Videtur quod debeat appropriari patri: être appropriée au Père : en effet, c’est à lui que
ipsi enim attribuitur potentia. Potentia autem la puissance est attribuée. Or, la puissance active,
activa quae in solo Deo est, est principium qui existe en Dieu seul, est le principe de la
efficiendi. Ergo omnis efficientia patri praecipue réalisation. Toute réalisation doit donc être
appropriari debet. surtout appropriée au Père.
[7931] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Comme le dit le Maître plus haut, la mission
2 Praeterea, sicut supra Magister dicit, filii missio du Fils est son incarnation. Or, la mission
est ejus incarnatio. Sed aeterna missio filii proprie éternelle du Fils est attribuée en propre au Père.
attribuitur patri. Ergo et efficientia incarnationis La réalisation de l’incarnation doit donc être
178

debet patri attribui. attribuée au Père.


[7932] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Selon Origène, « de même que la génération
3 Sed contra, secundum Origenem, sicut generatio est accomplie éternellement par le Père sans
filii aeterna est a patre sine matre, ita generatio mère, de même sa génération temporelle
ejus temporalis est a matre sine patre. Hoc autem s’accomplit-elle par sa mère sans père ». Or, cela
non contingeret, si efficientia incarnationis patri ne se produirait pas si la réalisation de
attribuatur. Ergo non est sibi convenienter l’incarnation était attribuée au Père. Elle ne doit
attribuenda. pas lui être attribuée de manière appropriée.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La conception du Christ
doit-elle être attribuée au Fils ?]
[7933] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’elle doive être attribuée au Fils.
1 Ulterius. Videtur quod sit attribuenda filio. Sicut En effet, comme on l’a vu par les paroles de
enim ex verbis Damasceni, 3 dist., habitum est, [Jean] Damascène, « la sagesse divine, comme
divina sapientia, sicut divinum semen, ex une semence divine, s’est uni la chair à partir du
purissimis sanguinibus virginis sibi carnem sang très pur de la Vierge ». Or, comme le dit le
copulavit. Sed semen, ut dicit philosophus 2 Philosophe dans Physique, II, la semence est un
Physicor., est principium activum. Ergo efficientia principe actif. La réalisation de l’incarnation doit
incarnationis filio appropriari debet. donc être appropriée au Fils.
[7934] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Dans Sur la considération, V, Bernard dit que
2 Praeterea, Bernardus in 5 de Consid. dicit, quod « la sagesse de Dieu est cette femme de
Dei sapientia est illa mulier evangelica, quae l’évangile, qui a mêlé au ferment de la foi de la
fermento fidei gloriosae virginis tria sata glorieuse Vierge trois mesures, la nouvelle,
commiscuit, scilicet novum, antiquum, et l’ancienne et l’éternelle : la nouvelle, par la
aeternum: novum in creatione animae de nihilo: création de l’âme à partir de rien ; l’ancienne, par
antiquum in assumptione corporis de natura Adae: l’assomption du corps à partir de la nature
aeternum in unione deitatis. Sed sapientia d’Adam ; l’éternelle, par l’union à la divinité ».
attribuitur filio. Ergo efficientia incarnationis filio Or, la sagesse est attribuée au Fils. La réalisation
attribuenda est. de l’incarnation doit donc être attribuée au Fils.
[7935] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Il ne semble « pas approprié qu’une chose se
3 Sed contra, inconveniens videtur quod aliqua res réalise elle-même ou s’engendre elle-même »,
seipsam faciat, vel seipsam generet, ut dicit comme le dit Augustin. Or, les appropriations
Augustinus. Sed appropriationes secundum sont faites selon une certaine convenance [entre
rationem convenientiae fiunt. Cum ergo ipse filius une personne et une action]. Puisque le Fils lui-
factus sit homo, non debet sibi efficientia même s’est fait homme, la réalisation de
incarnationis appropriari, sed alteri personae. l’incarnation ne doit donc pas lui être appropriée,
mais à une autre personne.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [La conception du Christ
doit-elle être appropriée au Saint-Esprit ?]
[7936] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1. Il semble qu’elle ne doive pas être appropriée
1 Ulterius. Videtur quod non debet etiam au Saint-Esprit, de sorte qu’on dise qu’il a été
appropriari spiritui sancto, ut dicatur de spiritu conçu du Saint-Esprit. En effet, le Saint-Esprit
sancto conceptus. Spiritus enim sanctus caritas est charité et don de Dieu, comme on l’a vu dans
est, et donum Dei, ut in 1 Lib., dist. 1, habitum le livre I, d. 1. Or, il n’est pas convenable de dire
est. Sed non convenienter dicitur Christus que le Christ a été conçu de la charité ou du don
conceptus de caritate vel dono Dei. Ergo nec de de Dieu. On ne doit donc pas dire non plus qu’il
spiritu sancto conceptus dici debet. a été conçu du Saint-Esprit.
[7937] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2. Comme on l’a vu d’après les paroles
2 Praeterea, ut ex verbis Augustini habitum est 36 d’Augustin dans la d. 36 du livre I, cette
dist., 1 Lib., haec praepositio de denotat préposition « de » indique la consubstantialité ;
consubstantialitatem: unde non dicimus aliquid de aussi ne disons-nous qu’une chose vient d’une
179

aliquo fieri, nisi de ejus substantia sit: dicimus autre, que si elle vient de sa substance. En effet,
enim esse filium de patre; non autem caelum et nous disons que le fils vient du Père, mais non
terram de Deo. Sed Christus secundum hominem que le ciel et la terre viennent de Dieu. Or, le
non est consubstantialis spiritui sancto. Ergo non Christ en tant qu’homme n’est pas consubstantiel
debet dici de spiritu sancto natus. à l’Esprit-Saint. On ne doit donc pas dire qu’il
est né de l’Esprit Saint.
[7938] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. Cependant, [3] il est dit en Mt 1, 20 : Ce qui est
3 Sed contra est quod dicitur Matth. 1, 20: quod né en elle, vient du Saint-Esprit.
enim in ea natum est, de spiritu sancto est.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7939] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Comme le dit Denys dans Sur les noms divins, II,
Respondeo ad primam quaestionem dicendum, « tout nom désignant une opération de Dieu dans
quod, sicut dicit Dionysius, 2 cap. de Div. Nom., la créature convient à la Trinité entière ». Aussi,
omne nomen Dei operationem in creaturam en toute opération divine, ce qui est approprié
designans, convenit toti Trinitati: et ideo in aux trois personnes est manifesté, à savoir, la
qualibet operatione divina, appropriata trium sagesse, la puissance et la bonté, qui ont aussi été
personarum ostenduntur, scilicet sapientia, manifestées dans l’opération de l’incarnation,
potentia, et bonitas: quae etiam in operatione comme le dit [Jean] Damascène : la bonté, en
incarnationis ostensa sunt, ut Damascenus dicit: tant qu’elle n’a pas méprisé la faiblesse de sa
bonitas quidem, inquantum proprii plasmatis non propre œuvre ; la puissance, en tant qu’elle a uni
despexit infirmitatem; potentia vero, inquantum ce qui est le plus distant ; mais la sagesse, en tant
maxime distantia conjunxit; sapientia vero, qu’elle a trouvé le mode convenable de ce qui
inquantum convenientem modum invenit ejus paraissait impossible ; la justice aussi, du fait
quod impossibile videbatur: justitia etiam in eo qu’elle a restauré le salut du genre humain par
quod per modum satisfactionis salutem humani mode de satisfaction. Cependant, chaque
generis reparavit. Unaquaeque tamen operatio opération divine peut être appropriée à telle
divina huic personae magis quam illi est personne plutôt qu’à telle autre selon que se
appropriabilis, secundum quod in ea magis manifeste davantage en elle ce qui est approprié
manifestatur attributum quod illi personae à cette personne. Or, la bonté divine se manifeste
appropriatur. Bonitas autem divina secundum hoc dans l’action divine selon que, sans qu’elle en ait
in operatione Dei manifestatur quod sine sui besoin, elle communique ce qui lui appartient à
indigentia ea quae sunt sua, creaturae la créature. Et moins ce qui est communiqué est
communicat; et quanto ea quae communicantur, dû à la créature et, pour ainsi dire, est davantage
minus sunt creaturae debita, et quasi magis Deo propre à Dieu, plus la bonté de Dieu se
propria, tanto magis bonitas Dei ostenditur, sicut manifeste, comme c’est le cas de ce qui est
sunt ea quae gratis naturae superadduntur: et gratuitement ajouté à la nature. Pour cette raison,
propter hoc gratiae spiritui sancto attribuuntur, cui les grâces sont attribuées au Saint-Esprit, à qui la
bonitas appropriatur. Cum ergo hoc praecipue bonté est appropriée. Puisque surtout le fait
supra conditionem humanae naturae sit ut in qu’elle soit assumée dans l’unité d’une personne
unitatem divinae personae assumatur, hoc opus divine dépasse la condition de la nature humaine,
praecipue spiritui sancto appropriandum est. cette réalisation doit donc être surtout appropriée
au Saint-Esprit.
[7940] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Les attributs appropriés aux personnes
Ad primum ergo dicendum, quod attributa présupposent la raison de l’essence ; mais les
appropriata personis praesupponunt rationem opérations divines présupposent les attributs
essentiae; sed operationes divinae praesupponunt selon l’intellect. C’est pourquoi, en raison de
attributa secundum intellectum: et ideo propter l’appropriation des attributs, l’essence n’est pas
appropriationem attributorum, essentia non appropriée à une personne, mais l’opération, car
appropriatur alicui personae, sed operatio: quia le jugement sur cette dernière dépend d’un
judicium posterioris dependet a priori, et non e jugement antérieur, et non inversement.
180

converso.
[7941] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Bien que ces quatre choses soient manifestées
Ad secundum dicendum, quod quamvis illa dans l’incarnation, la bonté divine s’y manifeste
quatuor in incarnatione ostendantur, tamen surtout, comme cela ressort de ce qui a été dit.
praecipue manifestatur ibi bonitas divina, ut ex
dictis patet.
[7942] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Nous concédons le troisième argument.
Tertium concedimus.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7943] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Les actions divines dans lesquelles se manifeste
Ad secundam quaestionem dicendum videtur, surtout la puissance doivent être appropriées au
quod patri appropriandae sunt illae operationes Père : pour cette raison, l’œuvre de la création
divinae in quibus praecipue manifestatur potentia, est appropriée au Père. En effet, on relève la
propter quod opus creationis appropriatur patri. puissance du Père dans la production de l’effet,
Attenditur enim potentia patris operantis in mais sa bonté, dans le don libéral. Dans l’œuvre
productione effectus; bonitas autem in liberali de la création, les choses ont donc été amenées à
collatione. In opere ergo creationis res in esse l’être, mais il ne leur a pas été donné plus que ce
productae sunt, non autem tunc aliquid eis qu’exige la raison de leur nature, comme c’est le
collatum est supra id quod naturae ratio exigit, cas dans l’œuvre de la recréation, dans laquelle
sicut est in opere recreationis, in quo res non les choses ne sont pas entièrement tirées du non-
omnino ex non esse producuntur, sed aliquid être, mais quelque chose de supérieur à leur
supra earum conditionem eis confertur: et ideo ea condition leur est donné. Aussi ce qui se rapporte
quae ad recreationem pertinent, spiritui sancto à la recréation est-il approprié au Saint-Esprit, et
appropriantur, et non patri. non au Père.
[7944] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Contre cette objection, il faut dire que, bien
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum que la puissance désigne par elle-même un
est, quod quamvis potentia principium activum principe actif, dans les agents volontaires, c’est
per se nominet, tamen in agentibus per voluntatem la volonté qui commande ce qu’exécute la
voluntas est imperans quod potentia exequitur. puissance. Or, l’objet de la volonté est le bien.
Voluntatis autem objectum est bonum; et ideo C’est pourquoi la bonté est ce qui est principal
principale in operatione agentis per voluntatem est chez l’agent volontaire, et la puissance qui
bonitas, et quasi secundarium exequens est exécute, ce qui est pour ainsi dire secondaire,
potentia; et praecipue quando tota ratio effectus surtout lorsque toute la raison de l’effet est la
est bonitas agentis: et ideo hujusmodi opera bonté de l’agent. Les œuvres de ce genre sont
spiritui sancto appropriantur. donc appropriées au Saint-Esprit.
[7945] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Dans l’incarnation, il y a deux choses : la
Ad secundum dicendum, quod in incarnatione duo personne qui assume et la nature assumée. La
sunt, scilicet persona assumens, et natura mission désigne donc l’incarnation surtout du
assumpta. Missio igitur nominat incarnationem ex point de vue de la personne qui assume. Et parce
parte personae assumentis praecipue: et quia ad que seul le Père a autorité sur la personne du Fils
personam filii assumentem solus pater qui assume, la mission active est donc attribuée
auctoritatem habet, ideo missio activa patri au Père. Mais la conception ou la naissance
attribuitur. Conceptio autem vel nativitas temporelle désigne l’incarnation du point de vue
temporalis nominat incarnationem ex parte de la nature assumée, à qui il a été gratuitement
naturae assumptae, cui gratuito collatum est ut in donné d’être assumée dans l’unité de telle
unitatem talis personae assumeretur: et ideo personne. C’est pourquoi la réalisation de la
efficientia conceptionis non patri, sed spiritui conception est appropriée non pas au Père, mais
sancto appropriatur. à l’Esprit Saint.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[7946] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Comme le dit le Philosophe dans Métaphysique,
181

Ad tertiam quaestionem dicendum, quod sicut I, il appartient au sage d’ordonner. Les


dicit philosophus, 1 Metaph., sapientis est opérations divines qui se rapportent à
ordinare: unde illae operationes divinae quae ad l’imposition d’un ordre par Dieu, comme le
ordinationem Dei pertinent, sicut gubernatio, et gouvernement et les choses de ce genre, sont
hujusmodi, filio attribuuntur, cui sapientia donc attribuées au Fils, à qui la sagesse est
appropriatur. In opere autem incarnationis appropriée. Or, dans l’œuvre de l’incarnation, on
attenditur quaedam gratuita collatio, qua humanae remarque un don gratuit par lequel il a été donné
naturae datum est in unitatem divinae personae à la nature humaine d’être assumée dans l’unité
assumi, et omni gratia repleri, sicut primum, et d’une personne divine et d’être remplie de toute
executio illius doni, sicut secundum, quae ad grâce : en premier lieu, l’accomplissement de ce
ordinationem Dei pertinent: et ideo spiritui sancto don, en second lieu, ce qui se rapporte à
convenit esse factivum incarnationis; sed exequi l’imposition d’un ordre par Dieu. Aussi
mysterium incarnationis convenit filio. convient-il à l’Esprit Saint d’être la cause de
l’incarnation ; mais l’exécution du mystère de
l’incarnation convient-elle au Fils.
[7947] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Dans la conception naturelle de l’homme, la
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum semence a raison de [principe] actif et aussi
quod in naturali conceptione hominis, semen raison de terme, pour autant que la puissance qui
habet rationem activi, et iterum rationem termini, est dans la semence attire à elle-même ce par
inquantum virtus quae est in semine, attrahit sibi quoi elle se nourrit et progresse jusqu’à la
id unde nutriatur, et in quantitatem perfectam quantité parfaite. Pour ce qui est du premier
proficiat. Quantum ergo ad primum operatio aspect, l’opération de la semence est appropriée
seminis appropriatur spiritui sancto; sed quantum à l’Esprit-Saint ; mais, pour ce qui est du second,
ad secundum appropriatur filio, quia conceptio ad elle est appropriée au Fils, parce que la
hypostasim filii terminata est. conception se termine dans l’hypostase du Fils.
[7948] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. Le mélange de ces trois choses indique l’ordre
Ad secundum dicendum, quod commixtio illa de leur union ; en effet, il n’y a pas là un
illorum trium, ordinationem signat unionis véritable mélange. Or, une telle mise en ordre
ipsorum: non enim ibi proprie commixtio est. présuppose une acceptation divine, par laquelle il
Haec autem ordinatio praesupponit divinam a voulu faire à la créature le don d’être
acceptationem, qua hoc donum creaturae dare coordonnée à une personnelle éternelle par
voluit, ut per unionem personae aeternae l’union. Bien que le mélange puisse être attribué
coordinaretur: et ideo quamvis commixtio à la sagesse, l’incarnation elle-même doit donc
sapientiae possit attribui, tamen ipsa incarnatio être appropriée principalement à l’Esprit Saint.
principaliter spiritui sancto approprianda est.
[7949] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Nous concédons le troisième argument.
Tertium concedimus.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[7950] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Pour la raison déjà dite, la réalisation de
Ad quartam quaestionem dicendum, quod ratione l’incarnation est appropriée à l’Esprit Saint.
jam dicta efficientia incarnationis spiritui sancto Aussi peut-on dire que le Christ a été conçu du
appropriatur: et ideo potest dici Christus Saint-Esprit, soit que la préposition « de »
conceptus de spiritu sancto, sive haec praepositio exprime un rapport de cause efficiente, soit
de dicat causae efficientis habitudinem, sive etiam qu’elle désigne la raison de la réalisation. En
designet rationem faciendi: ipsa enim ratio effet, la raison de réaliser l’incarnation est la
faciendi incarnationem est bonitas spiritui sancto bonté appropriée à l’Esprit Saint.
appropriata.
[7951] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 1. Bien que l’Esprit Saint soit charité et don, il
Ad primum ergo contra hoc objectum dicendum, n’est cependant pas désigné comme personne
quod quamvis spiritus sanctus sit caritas et subsistante, à qui il revient d’agir, par les mots
182

donum, tamen nomine caritatis et doni non « charité » et « don ». Aussi ne peut-on pas dire
signatur ut persona subsistens, cujus est agere; et que le Christ a été conçu de la charité ou du don,
ideo non potest dici Christus conceptus de caritate si le « de » indique un rapport de cause
vel dono, si ly de dicat habitudinem causae efficiente, bien que, peut-être, on puisse le
efficientis: quamvis forte posset concedi concéder selon que le « de » indique la raison de
secundum quod ly de signat rationem faciendi. [la conception].
[7952] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 2. Au sens large, il est pris pour ex.
Ad secundum dicendum, quod de largo modo
accipitur pro ex.
[7953] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 3. Nous concédons le troisième argument.
Tertium concedimus.

Articulus 2 [7954] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme,


2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, peut-il être appelé le Fils du Saint-Esprit ?
possit dici filius spiritus sancti
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ, en tant
qu’homme, peut-il être appelé le Fils du
Saint-Esprit ?]
[7955] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme,
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod puisse être appelé le Fils du Saint-Esprit. En
Christus, secundum quod homo, possit dici filius effet, la nature que le Christ a assumée a été
spiritus sancti. Humanam enim naturam quam réalisée par toute la Trinité, sans différenciation
assumpsit Christus, tota per indifferentiam [des personnes]. Or, l’homme Christ Jésus est
Trinitas operata est. Sed homo Christus Jesus convenablement appelé le Fils de Dieu le Père. Il
convenienter dicitur filius Dei patris. Ergo etiam peut donc être aussi appelé le Fils du Saint-
potest dici filius spiritus sancti, vel totius Esprit ou de toute la Trinité.
Trinitatis.
[7956] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. Selon le Philosophe, dans le livre Sur l’âme,
2 Praeterea, secundum philosophum in 15 de XV, la mère fournit la matière dans la
Anim. Lib., in generatione humana materiam génération ; mais l’action vient de la semence du
ministrat mater; actio vero ex semine patris est. père. Or, toute action qu’accomplit la semence
Sed omnem actionem quam facit semen hominis du père humain dans la génération humaine,
patris in generatione humana, facit in conceptione l’Esprit Saint l’accomplit dans la conception du
Christi spiritus sanctus, et multo efficacius. Si Christ, et beaucoup plus efficacement. Si donc,
ergo ratione illarum actionum dicitur unus homo en raison de ces actions, un homme est appelé le
pater alterius, videtur quod spiritus sanctus dicitur père d’un autre, il semble que l’Esprit Saint soit
pater Christi secundum humanam naturam. appelé le père du Christ selon sa nature humaine.
[7957] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Un homme est appelé le père d’un homme
3 Praeterea, ex hoc homo dicitur pater hominis, parce qu’il l’a engendré de sa mère, semblable à
quia genuit eum ex matre similem in sua natura. sa nature. Or, il semble qu’on puisse dire que
Sed potest dici, ut videtur, quod spiritus sanctus l’Esprit Saint a engendré le Christ de la Vierge
genuit Christum ex Maria virgine, sicut etiam Marie, comme on dit aussi, dans la Glose à
dicitur in Glossa Matth. 3, quod Deus ex Sara propos de Mt 3, que Dieu a engendré un fils de
genuerit filium. Cum ergo Christus et spiritus Sara. Puisque le Christ et l’Esprit Saint ont la
sanctus sint ejusdem naturae, videtur quod spiritus même nature, il semble donc que l’Esprit Saint
sanctus possit dici pater Christi. puisse être appelé le père du Christ.
[7958] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. Cependant, [4] dans le texte, l’autorié
4 Sed contra est auctoritas Augustini in littera. d’Augustin va en sens contraire.
[7959] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. [5] Comme l’a dit le Maître plus haut, d. 1, le
5 Praeterea, sicut supra, 1 dist., dixit Magister, Fils, et non le Père ou l’Esprit Saint, a assumé la
183

ideo filius, et non pater aut spiritus sanctus, chair pour que le nom de Fils ne passe pas à une
assumpsit carnem, ne nomen filii transiret ad autre personne. Or, il n’y a pas moins
aliam personam. Sed non est minus inconveniens d’inconvénient à ce que le nom du Père passe à
quod nomen patris transeat ad aliam personam une autre personne que le nom du Fils. Le nom
quam nomen filii. Ergo nomen patris non debet du Père ne doit pas passer à la personne de
transire ad personam spiritus sancti, ut dicatur l’Esprit Saint, de sorte qu’il soit appelé le père
pater Christi. du Christ.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ peut-il être
appelé le Fils de la Trinité ?]
[7960] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que le Christ puisse être appelé le
1 Ulterius. Videtur quod possit Christus dici filius Fils de la Trinité. En effet, le Christ, en tant
Trinitatis. Christus enim, secundum quod homo, qu’homme, est une créature. Or, nous sommes
creatura est. Sed nos dicimur filii Trinitatis per appelés fils de la Trinité en vertu de la création,
creationem; Deut. 32, 6: numquid non ipse est Dt 32, 6 : N’est-il pas ton père ? En tant
pater tuus ? Ergo et Christus potest dici filius qu’homme, le Christ peut donc être appelé le Fils
Trinitatis, secundum quod homo. de la Trinité.
[7961] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. À propos de Rm 8, 29 : Afin qu’il soit le
2 Praeterea, Rom. 8, 29: ut sit ipse primogenitus premier-né de nombreux frères, la Glose dit :
in multis fratribus: Glossa: secundum humanam « Selon sa nature humaine, selon laquelle il a des
naturam, secundum quam fratres habet; frères ; selon la nature divine, il n’en a pas. » Or,
secundum autem divinam non habet. Sed fratres on appelle frères ceux qui naissent d’un même
dicuntur qui ex eodem patre nascuntur. Cum ergo père. Puisque le Père de ceux qui sont appelés
pater eorum qui dicuntur fratres Christi, sit tota frères du Christ est la Trinité entière, il semble
Trinitas, videtur quod etiam Christi hominis donc qu’elle soit aussi [Père] du Christ homme,
secundum humanam naturam. selon sa nature humaine.
[7962] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. La Trinité toute entière est appelée père de
3 Praeterea, cujuslibet gratiam habentis dicitur tous ceux qui ont la grâce, Jn 1 : Il leur a donné
pater tota Trinitas: Joan. 1: dedit eis potestatem le pouvoir de devenir fils de Dieu. Or, le Christ a
filios Dei fieri. Sed Christus plenissime habuit eu la grâce dans toute sa plénitude. En tant
gratiam. Ergo potest dici filius totius Trinitatis, qu’homme, il peut donc être appelé le fils de
inquantum est homo. toute la Trinité.
[7963] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] comme on le démontre plus loin,
1 Sed contra, sicut infra probatur, dist. 10, d. 10, le Christ n’est Fils que par nature. Or, il
Christus non est filius nisi naturalis. Sed naturalis n’est pas Fils par nature de la Trinité, mais
filius non est Trinitatis, sed patris tantum. Ergo seulement du Père. Le Christ ne peut donc être
Christus non potest dici filius Trinitatis. appelé Fils de la Trinité.
[7964] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Selon [Jean] Damascène, la filiation ne
2 Praeterea, secundum Damascenum, filiatio non détermine pas la nature, mais la personne. Or,
determinat naturam, sed personam. Sed in Christo dans le Christ, bien qu’il y ait deux natures, il
quamvis sint duae naturae, non est ibi nisi una n’y a qu’une seule personne éternelle. Puisqu’il
persona aeterna. Cum igitur secundum personam ne peut pas être appelé Fils de la Trinité selon sa
aeternam non possit dici filius Trinitatis, nullo personne éternelle, il ne peut donc d’aucune
modo potest dici filius Trinitatis. manière être appelé Fils de la Trinité.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[7965] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Selon ce que dit Augustin dans le texte, le Christ
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, n’est le Fils ni de l’Esprit Saint ni de la Trinité,
quod secundum Augustinum in littera, Christus mais seulement de Dieu, le Père. Mais cela est
non est filius neque spiritus sancti, neque nié par plusieurs pour différentes raisons.
Trinitatis, sed tantum Dei patris. Sed hoc diversa Certains le nient non pas comme étant tout
ratione a diversis negatur. Quidam negant hoc non simplement faux, mais comme étant formulé de
184

tamquam simpliciter falsum, sed tamquam manière inappropriée, comme prêtant occasion à
inconvenienter dictum, utpote praestans l’erreur, tant sur la génération éternelle du Fils,
occasionem errandi et circa aeternam où en découlerait une certaine confusion des
generationem filii, in qua sequeretur quaedam relations si on disait que le Fils est son propre
confusio relationum, si filius diceretur sui ipsius Fils et celui du Saint-Esprit, que sur sa
filius, et spiritus sancti; et circa generationem ejus génération temporelle, de crainte que s’il était
temporalem, ne videatur spiritus sanctus de sua appelé son Père, le Saint-Esprit ne semble avoir
substantia Christum genuisse secundum engendré de sa propre substance le Christ en tant
hominem, si pater ejus diceretur. Et sicut non qu’homme,. Et de même qu’il ne peut pas être
potest dici filius Trinitatis simpliciter, ita nec per appelé simplement le Fils de la Trinité, de même
creationem, ut evitetur error Arii, qui dixit ne le peut-il pas en raison de la création, afin que
Christum puram creaturam, neque per gratiam, ut soit évitée l’erreur d’Arius, qui disait que le
evitetur error Nestorii, qui dixit duas personas in Christ était une pure créature, ni en raison de la
Christo, et unionem divinitatis ad hominem grâce, afin que soit évitée l’erreur de Nestorius,
Christum esse tantum per gratiam, non in persona. qui disait que les deux personnes dans le Christ
Concedunt tamen aliqui quod potest dici iste et l’union de la divinité à l’homme Christ
homo filius Trinitatis per creationem, si ly iste n’existaient qu’en vertu de la grâce, et non dans
homo dicit suppositum, sive individuum hominis, la personne. Certains concèdent cependant que
non personam filii Dei. Nullo tamen modo filius cet homme peut être appelé le Fils de la Trinité
Dei potest dici filius Trinitatis propter en vertu de la création, si « cet homme » exprime
repugnantiam relationum. Concedunt etiam quod le suppôt ou l’individu humain, mais non la
quantum ad gratiam habitualem, per quam tota personne du Fils de Dieu. Le Fils de Dieu ne
Trinitas habitat in anima Christi, potest dici iste peut cependant aucunement être appelé le Fils de
homo filius Dei, etiam secundum quod homo, non la Trinité en raison de l’incompatibilité des
tamen Trinitatis: quia secundum hoc non habet relations. Ils concèdent aussi que, pour ce qui est
ipse comparationem ad relationes quibus de la grâce habituelle par laquelle la Trinité
distinguitur Trinitas; sed quantum ad gratiam entière habite dans l’âme du Christ, cet homme
unionis dicitur tantum filius patris naturalis. Sed peut être appelé fils de Dieu, même comme
haec opinio non est conveniens dictis Augustini, homme, mais non pas cependant [Fils] de la
qui simpliciter negat dici Christum esse filium Trinité, car ainsi il ne peut se comparer aux
Trinitatis, aut spiritus sancti. Non enim hoc potest relations par lesquelles se distingue la Trinité ;
esse ad vitandum confusionem relationum: cum mais, pour ce qui est de la grâce d’union, il est
enim confusio sit ex inordinata permixtione appelé seulement le Fils naturel du Père. Mais
aliquorum, nulla sequeretur confusio si secundum cette opinion n’est pas conforme aux paroles
diversas naturas oppositas relationes filio d’Augustin, qui nie simplement que le Christ soit
attribueremus, vel spiritui sancto ratione appelé Fils de la Trinité ou du Saint-Esprit. En
diversorum, cum etiam de filio ratione diversarum effet, cela ne peut être le cas afin d’éviter la
naturarum sine aliqua inconvenientia contraria confusion des relations : puisque la confusion
praedicentur, ut quod est passibilis, et vient du mélange désordonné de certaines
impassibilis; et etiam relationes oppositae, ut choses, aucune confusion n’en découlerait si
quod est minor et aequalis patri, et etiam major et nous attribuions au Fils des relations opposées
minor seipso. Neque etiam negant hoc ad selon les diverses natures, ou au Saint-Esprit en
evitandum errorem qui posset sequi: non enim raison de diverses choses, puisque des choses
magis patrocinatur errori Arii, si dicatur quod est contraires sont attribuées sans inconvénient au
filius Trinitatis per creationem, quam quod Fils en raison de ses diverses natures, comme le
dicatur, secundum quod homo, creatura; quod fait qu’il est passible et impassible, et même des
tamen conceditur. Et est simile de aliis erroribus. relations opposées, comme le fait qu’il est
Praeterea hoc quod conceditur iste homo filius inférieur et égal au Père, et aussi plus grand et
Trinitatis per creationem, secundum quod dicit inférieur à lui-même. Ils ne nient pas non plus
suppositum vel individuum hominis, non cela pour éviter l’erreur qui pourrait en
185

personam filii Dei, non convenit secundae découler : en effet, on n’encourage plus l’erreur
opinioni, quae infra ponitur, dist. 6, secundum d’Arius si l’on dit qu’il est le Fils de la Trinité en
quod ille homo non potest supponere nisi vertu de la création, que si l’on dit qu’il est une
suppositum aeternum. Similiter etiam quod créature en tant qu’il est homme, ce qui est
Christus per gratiam habitualem non comparetur cependant concédé. Et il en va de même des
ad relationes distinguentes personas, non videtur autres erreurs. De plus, le fait de concéder que
esse ratio quod non possit dici filius Trinitatis: cet homme est le Fils de la Trinité en vertu de la
quia nos dicimur per gratiam filii Trinitatis, et création, pour autant qu’on exprime le suppôt ou
tamen gratia quae in nobis est, est effectus l’homme individuel, et non la personne du Fils
essentiae divinae, non habens respectum ad de Dieu, n’est pas conforme à la seconde
distinctionem personarum. Et ideo dicendum opinion, qui sera présentée plus loin, d. 6, selon
aliter cum aliis, scilicet quod Augustinus hoc laquelle cet homme ne peut avoir qu’un suppôt
negat tamquam simpliciter falsum et impossibile. éternel. De même encore, le fait que le Christ ne
Filiatio enim est relatio consequens generationem; soit pas comparé par la grâce habituelle aux
generatio autem est via ad esse: esse autem est relations qui distinguent les personnes ne semble
quid suppositi a forma, sive a natura; unde cum pas être la raison qu’il ne puisse pas être appelé
filiatio secundum Damascenum sit determinativa le Fils de la Trinité, car nous-mêmes sommes
suppositi vel hypostasis, non potest aliquis dici appelés fils de la Trinité par la grâce, et
filius alicujus, nisi a quo accipit esse. Esse autem cependant la grâce qui est en nous est l’effet de
Christi est unum, ad minus quantum ad secundam l’essence divine, sans rapport avec la distinction
opinionem, ut infra, dist. 6, qu. 2, art. 2, dicetur: des personnes. Il faut donc parler autrement avec
hoc autem esse non habet Christus ab aliqua d’autres : Augustin nie cela comme étant
persona divina nisi a patre. Unde non potest dici simplement faux et impossible. En effet, la
filius nisi patris. Similiter etiam non potest dici filiation est une relation qui découle de la
quod sit filius Trinitatis per creationem vel génération. Or, la génération est le chemin vers
gratiam: quia quando in aliquo invenitur perfecta l’être. Mais l’être est le fait du suppôt par la
ratio alicujus nominis, nullo modo recipitur illud forme ou la nature. Puisque, selon [Jean]
nomen de eo cum determinatione diminuente, ut Damascène, la filiation détermine le suppôt ou
patet ex verbis Augustini in littera; sicut planta l’hypostase, quelqu’un ne peut être appelé le fils
dicitur vivens imperfectum propter animam d’un autre que s’il reçoit l’être de lui. Or, l’être
vegetabilem, quia non habet esse cum anima du Christ est unique, du moins selon la seconde
sensibili; animal autem quamvis habeat eamdem opinion, comme on le dira plus loin, d. 6, q. 2,
animam, non dicitur vivens imperfectum, quia a. 2. Or, le Christ ne tient cet être que d’une
habet eam cum anima sensibili. Christus autem seule personne divine, le Père. Il ne peut donc
habet veram rationem filiationis ad Deum. Unde être Fils que du Père. De même, on ne peut pas
non est dicendus filius per creationem neque per dire qu’il est le Fils de la Trinité par la création
gratiam: quia per hoc significatur filiatio ou par la grâce, car lorsqu’on trouve en quelque
imperfecta ad Deum, quae est secundum quid, et chose la raison parfaite d’un nom, ce nom n’est
non simpliciter. d’aucune manière reçu avec une détermination
diminutive, comme cela ressort des paroles
d’Augustin dans le texte. Ainsi, la plante est
appelé un vivant imparfait en raison de l’âme
végétative, parce qu’elle ne possède pas l’être
avec une âme sensible ; mais l’animal, bien qu’il
possède la même âme, n’est pas appelé un vivant
imparfait parce qu’il la possède avec une âme
sensible. Or, le Christ possède la raison véritable
de la filiation par rapport à Dieu. Il ne doit donc
pas être Fils en vertu de la création ni de la
grâce, car une filiation imparfaite, partielle et
186

non entière par rapport à Dieu est ainsi signifiée,


[7966] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Il ne faut pas dire que le Christ homme est le
Ad primum ergo dicendum, quod non est Fils du Père par création, ni en raison de la
dicendum, Christum hominem esse filium patris formation du corps du Christ, si ce n’est en tant
per creationem, neque ratione formationis que cette formation se termine à l’union
corporis Christi, nisi quatenus illa formatio personnelle, par laquelle cet homme est le Fils
terminatur ad unionem personalem, per quam iste naturel de Dieu, le Père.
homo est naturalis filius Dei patris.
[7967] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. L’Esprit Saint accomplit ces actions non par
Ad secundum dicendum, quod spiritus sanctus une semence séparée de lui, ce qui est propre au
facit illas actiones non mediante semine ex se père, mais comme un artisan qui agit sur une
deciso, quod ad patrem pertinet, sed quasi artifex matière extérieure.
operando in materiam exteriorem.
[7968] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. L’Esprit Saint n’a pas engendré le Christ de la
Ad tertium dicendum, quod spiritus sanctus non bienheureuse Vierge, car, selon [Jean]
genuit Christum de beata virgine: quia secundum Damascène, engendrer consiste à en produire un
Damascenum, generare est ex sua substantia autre à partir de sa propre substance. Et cette
alium producere: et Glossa illa sic exponenda est: glose doit être ainsi interprétée : il a engendré,
genuit, idest fecit ut nasceretur. Nec iterum c’est-à-dire qu’il a fait en sorte qu’il naisse. De
spiritus sanctus est similis Christo in natura illa plus, l’Esprit Saint n’est pas semblable au Christ
quam in utero virginis formavit; unde non potest selon la nature qu’il a formée dans le sein de la
spiritus sanctus dici pater Christi secundum Vierge. L’Esprit Saint ne peut donc pas être
humanitatem. appelé le père du Christ selon son humanité.
[7969] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 4. Nous concédons le quatrième et le cinquième
Quartum et quintum concedimus. argument.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[7970] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 co. La réponse à la deuxième question ressort
Ad secundam quaestionem patet responsio ex clairement de ce qui a été dit.
dictis.
[7971] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. La créature concerne aussi bien la nature que
Ad primum dicendum, quod creatura respicit le suppôt, mais la filiation ne concerne que le
communiter naturam et suppositum; filiatio autem suppôt. Aussi la nature humaine dans le Christ
respicit tantum suppositum; unde humana natura est-elle dite créée, mais non pas fille. C’est
in Christo dicitur creata, non autem filia; et ideo pourquoi, en tant qu’homme, il ne peut être
in quantum homo, non potest dici filius per appelé fils en vertu de la création ; mais il peut
creationem; potest autem dici creatura. cependant être appelé une créature.
[7972] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Le Christ est appelé premier-né d’un grand
Ad secundum dicendum, quod Christus dicitur nombre de frères selon sa nature humane, non
primogenitus in multis fratribus secundum pas comme fils de manière univoque par rapport
humanam naturam, non quasi univoce filius cum aux autres, mais par analogie, car il est le Fils
aliis, sed per analogiam: quia ipse est filius naturel en raison de l’union dans la personne,
naturalis propter unionem in persona, alii autem mais les autres sont fils adoptifis par
filii adoptivi per assimilationem ad Deum quae est l’assimilation avec Dieu qui se réalise par la
per gratiam; sicut etiam dicitur primogenitus grâce, comme il est appelé premier-né parmi les
creaturae inquantum, secundum Basilium, créatures pour autant que, selon Basile, il reçoit
accipere commune habet cum creatura. Unde non quelque chose de commun aux créatures. Il n’est
oportet quod ad eumdem patrem omnino donc pas nécessaire qu’ils se rapportent
referantur. entièrement au mère Père.
[7973] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Les autres sont appelés fils adoptifs, mais le
Ad tertium dicendum, quod alii dicuntur filii Christ est appelé le Fils naturel par la grâce
187

adoptivi, Christus autem dicitur per gratiam d’union. Mais, par la grâce habituelle, il ne peut
unionis filius naturalis; per gratiam autem être appelé fils adoptif, comme on le dira plus
habitualem non potest dici filius adoptivus, ut loin, d. 10, ni Fils naturel. Aussi ne peut-il être
dicetur infra, dist. 10, neque etiam naturalis; unde d’aucune manière appelé Fils par la grâce.
nullo modo potest dici filius per gratiam.
[7974] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 1 a. 2 qc. 2 ad s. Nous concédons les autres arguments.
c. Alia concedimus.

Quaestio 2 Question 2 – [La conception du Christ par


rapport à sa mère]
Prooemium Prologue
[7975] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur la conception du
quaeritur de conceptione Christi in comparatione Christ par rapport à la mère qui l’a conçu. À ce
ad matrem concipientem; et circa hoc quaeruntur propos, deux questions sont posées : 1 – La
duo: 1 utrum beata virgo possit dici mater hominis bienheureuse Vierge peut-elle être appelée mère
Jesu Christi; 2 utrum debeat dici mater Dei. de l’homme Jésus, le Christ ? 2 – Doit-elle être
appelée mère de Dieu ?

Articulus 1 [7976] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. Article 1 – La bienherueuse Vierge peut-elle


1 tit. Utrum beata virgo possit dici mater hominis être appelée mère de l’homme Jésus, le Christ
Christi Jesu ?
[7977] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne
primum sic proceditur. Videtur quod beata virgo puisse être appelée mère de cet homme. En effet,
non possit dici mater illius hominis. In dans la conception du Christ, la bienheureuse
conceptione enim Christi beata virgo ministravit Vierge n’a fourni que la matière, car l’Esprit
tantum materiam, quia totam actionem fecit Saint a accompli toute l’action. Or, quelqu’un ne
spiritus sanctus. Sed propter materiam non potest peut être appelé mère en raison de la matière,
aliquid dici mater, sicut arbor non est mater comme l’arbre n’est pas la mère de l’escabeau.
scamni. Ergo beata virgo non potest dici mater La bienheureuse Vierge ne peut donc pas être
illius hominis. appelée mère de cette homme.
[7978] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Il revient à la mère de séparer la semence pour
Praeterea, matris est decidere semen ad le fœtus. Or, la matière de la conception du
conceptum. Sed materia conceptionis Christi Christ n’a pas été séparée du reste de la chair de
separata est a reliqua carne virginis operatione la Vierge par l’opération du Saint-Esprit. Elle ne
spiritus sancti. Ergo non potest dici mater. peut donc pas être appelée sa mère.
[7979] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 3 3. De même que la chair du Christ a été formée
Praeterea, sicut caro Christi operatione spiritus par l’opération du Saint-Esprit de la chair prise
sancti formata est de materia sumpta a beata de la bienheureuse Vierge, de même Ève a-t-elle
virgine; ita Eva formata est operatione divina de été formée par l’opération divine de la matière
materia sumpta ab Adam. Sed Adam non potest prise d’Adam. Or, Adam ne peut pas être appelé
dici pater Evae, nec mater. Ergo nec beata virgo le père d’Ève ni sa mère. La bienheureuse Vierge
potest dici mater Christi. non plus ne peut donc être appelée la mère du
Christ.
[7980] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 4 4. L’Esprit-Saint a contribué beaucoup plus que
Praeterea, multo plus contulit ad conceptionem la bienheureuse Vierge à la conception du Christ,
Christi spiritus sanctus quam beata virgo: quia car l’agent est plus important que la matière dans
agens est praestantior in actione quam materia. l’action. Si l’Esprit Saint ne peut être appelé père
Ergo si spiritus sanctus non potest dici pater du Christ, la bienheureuse Vierge non plus ne
Christi, nec beata virgo potest dici mater ejus. peut donc être appelée sa mère.
[7981] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Comme on l’a dit, la filiation concerne
188

Praeterea, filiatio, ut dictum est, respicit l’hypostase. Or, l’hypostase dans le Christ est
hypostasim. Sed hypostasis in Christo est una unique et elle est éternelle : selon elle, le Christ
tantum, quae est aeterna, secundum quam ne vient pas de la bienheureuse Vierge. Il ne peut
Christus non est a beata virgine. Ergo nullo modo donc être aucunement appelé le fils de la
potest dici filius beatae virginis. bienheureuse Vierge.
[7982] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 6 6. Dans le Christ, il n’y a qu’un seul être du
Praeterea, in Christo est tantum unum esse ex point de vue de l’hypostase, dont découle la
parte hypostasis, quam consequitur filiatio. Sed filiation. Or, le Chrit ne tient pas cet être de sa
illud esse non habuit Christus a matre. Ergo non mère. Il ne peut donc pas être appelé son fils.
potest dici filius ejus.
[7983] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] l’autorité de l’évangile va en
Contra est auctoritas Evangelii, Matth. 1, 18: cum sens contraire, Mt 1, 18 : Alors que la mère de
esset desponsata mater Jesu Maria Joseph etc.; et Jésus, Marie, était fiancée à Joseph, etc., et en
in pluribus aliis locis. plusieurs autres endroits.
[7984] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] Comme on l’a dit plus haut, d. 3, la
Praeterea, sicut supra dictum est, dist. 3, beata bienheureuse Vierge a apporté à la génération du
virgo in generatione Christi contulit quidquid alia Christ tout ce qu’une autre femme doit apporter à
mulier conferre debet ad generationem filii sui. Si la génération de son fils. Si donc les autres
ergo aliae mulieres vere dicuntur matres, et beata femmes sont appelées véritablement mères, la
virgo vere potest dici mater Christi. bienheureuse Vierge aussi peut être la mère du
Christ.
[7985] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 co. Réponse. La bienheureuse Vierge peut vraiment
Respondeo dicendum, quod beata virgo vere être appelée mère du Christ, puisque tout ce qui
potest dici mater Christi, cum quidquid sit de est nécessaire à la génération du côté de la mère
necessitate generationis ex parte matris inveniatur se trouve dans la bienheureuse Vierge, surtout
in beata virgine; maxime secundum opinionem selon l’opinion d’Aristote, qui veut que la
Aristotelis, qui vult quod formatio et organizatio formation et l’organisation des corps ne se fasse
corporum non fiat per virtutem activam mulieris, pas par la puissance active de la femme, mais
sed solum per virtutem activam viri; et quod seulement par la puissance active de l’homme, et
semen mulieris non est de necessitate que la semence de la mère ne soit pas nécessaire
conceptionis, quia quandoque contingit à la conception, car il arrive parfois qu’une
impraegnari mulierem sine emissione seminis, per femme devienne enceinte sans émission de
hoc quod sanguinem menstruum ministrat, qui est sperme, du fait qu’elle fournit le sang menstruel,
materia conceptus. Et hoc consonat ei quod dicit qui est la matière du fœtus. Et ceci est en accord
Damascenus, quod ex purissimis sanguinibus avec ce que dit [Jean] Damascène, que le corps
virginis formatum est corpus Christi non du Christ a été formé du sang très pur de la
seminaliter, sed virtute divina. Sed huic verae Vierge, non pas par une semence, mais par la
maternitati derogatur per duos errores. Quorum puissance divine. Or, on s’écarte de cette
unus ponit Christum non veram carnem sed maternité véritable par deux erreurs. L’une
phantasticam assumpsisse, et beatam virginem affirme que le Christ n’a pas assumé une chair
non mulierem sed Angelum fuisse; unde nec vera véritable, mais imaginaire, et que la
mater esset. Alius vero ponit Christum non bienheureuse Vierge n’était pas une femme, mais
carnem naturae nostrae assumpsisse, sed un ange. Aussi ne pouvait-elle être une véritable
caelestem secum portasse; et secundum hoc beata mère. Mais l’autre erreur affirme que le Christ
virgo non vere mater ejus esset, quia quamvis in n’a pas assumé la chair de notre nature, mais a
ea natus esset, non tamen de ea. Hi autem errores apporté une chair céleste avec lui ; la
veram humanitatem Christi negant; unde a fide bienheureuse Vierge ne serait donc pas vraiment
Catholica sunt alieni. sa mère, car, bien qu’il soit né en elle, il n’est
cependant pas né d’elle. Mais ces erreurs nient
l’humanité véritable du Christ. Elles sont donc
189

étrangères à la foi catholique.


[7986] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. La bienheureuse Vierge n’a pas seulement
primum ergo dicendum, quod non solum apporté la matière à la conception du Christ,
materiam praestitit beata virgo ad conceptionem mais une matière appropriée pour produire
Christi, sed materiam convenientem ad quelque chose de semblable selon l’espèce, un
producendum aliquid simile in specie, et locum endroit approprié et une nourriture appropriée à
convenientem, et nutrimentum conveniens la conception du fœtus. Cela suffit à la raison de
conceptioni fetus: et hoc sufficit ad rationem mère.
matris.
[7987] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Selon le Philosophe, la semence de la femme
secundum dicendum, quod secundum n’est pas nécessaire à la génération, mais le sang
philosophum, semen mulieris non est de que la femme apporte pour la concepton. Celui-
necessitate generationis, sed sanguis quem femina ci est séparé chez les autres femmes par la
ministrat ad conceptionem: qui quidem in aliis puissance de la femme mue par l’homme, mais,
mulieribus separatur per virtutem mulieris motam chez la bienheureuse Vierge, par la puissance du
a viro; sed in beata virgine per virtutem spiritus Saint-Esprit. Et cela n’amoindrit pas la raison de
sancti. Nec hoc diminuit rationem matris, quia ista mère, car cette action est un préambule à la
actio est praeambula ad conceptionem. conception.
[7988] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Le père est le principe actif de la génération.
tertium dicendum, quod pater est principium Aussi ne suffit-il pas que le père fournisse la
activum in generatione; et ideo ad esse patrem matière, comme cela suffit pour être mère.
non sufficit quod materiam ministret, sicut sufficit
ad esse matrem.
[7989] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Bien que l’Esprit Saint ait fait davantage pour
quartum dicendum, quod licet spiritus sanctus la conception du Christ que la bienheureuse
plus fecerit active in conceptione Christi quam Vierge, il ne peut cependant pas être appelé père,
beata virgo, non tamen potest dici pater: quia non car on ne trouve pas en lui les conditions qui
inveniuntur in eo conditiones quae requiruntur ad sont requises pour la condition de père, comme
conditionem patris, sicut quod ex sua substantia et le fait qu’il produise à partir de sa substance un
similem sibi in specie filium producat, et alia fils semblable à lui selon l’espèce, et d’autres
hujusmodi. choses de ce genre.
[7990] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. La filiation concerne l’hypostase qui découle
quintum dicendum, quod filiatio respicit de la génération. Bien que l’hypostase du Fils de
hypostasim consequentem ad generationem. Dieu selon sa génération éternelle ne vienne pas
Quamvis ergo hypostasis filii Dei secundum de la Vierge, elle vient cependant d’elle selon sa
generationem ejus aeternam non sit a virgine, génération temporelle.
tamen secundum generationem ejus temporalem,
ex ea est.
[7991] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 1 ad 6 Ad 6. L’être de ce qui est engendré vient de l’agent.
sextum dicendum, quod esse geniti est ab agente; Or, la mère n’est pas l’agent dans la génération,
mater autem non est agens in generatione, sed mais le père. Il n’est donc pas nécessaire que
pater; unde non oportet quod esse filii sit a matre, l’être du fils vienne de la mère, mais du père.
sed a patre; et ideo philosophus dicit, quod in C’est pourquoi le Philosophe dit que, dans la
generatione mater dat corpus, et pater formam a génération, la mère donne le corps, et le père, la
qua est esse. forme dont vient l’être.

Articulus 2 [7992] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. Article 2 – La bienheureuse Vierge doit-elle


2 tit. Utrum debeat dici mater Dei être appelée mère de Dieu ?
[7993] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que la bienheureuse Vierge ne doive
secundum sic proceditur. Videtur, quod beata pas être appelée mère de Dieu. En effet, elle
190

virgo non debeat dici mater Dei. Non enim est n’est mère que pour autant qu’il a reçu d’elle
mater nisi secundum quod ab ea accepit esse. Sed l’être. Or, il n’a pas reçu d’elle sa divinité, mais
non accepit ab ea divinitatem, sed humanitatem. son humanité. Elle ne doit donc pas être appelée
Ergo non debet dici mater Dei, sed mater hominis. mère de Dieu, mais mère de l’homme.
[7994] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 2. En Dieu, il n’y a pas de différence entre Dieu
Praeterea, in Deo non differt Deus et deitas. Sed et la divinité. Or, elle ne peut être appelée mère
non potest dici mater deitatis. Ergo nec potest dici de la divinité. Elle ne peut donc pas être appelée
mater Dei. mère de Dieu.
[7995] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 3 3. Dieu est une réalité commune aux trois
Praeterea, Deus est commune tribus personis. Sed personnes. Or, la bienheureuse Vierge n’est pas
beata virgo non est mater patris neque spiritus la mère du Père ni du Saint-Esprit. Elle ne doit
sancti. Ergo non debet dici mater Dei. donc pas non plus être appelée mère de Dieu.
[7996] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4 4. De même que la Vierge en engendrant a
Praeterea, sicut naturam produxit assumptam produit la nature assumée, de même Dieu l’a-t-il
virgo generando, ita etiam produxit eam Deus produite en créant. Or, en raison de la nature
creando. Sed ratione naturae assumptae non assumée, nous ne disons pas que la Trinité est
dicimus Trinitatem creatricem Dei. Ergo nec créatrice de Dieu. Nous ne devons donc pas dire
debemus dicere virginem matrem Dei. que la Vierge est la mère de Dieu.
[7997] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 5 5. On doit davantage concéder ce qui est vrai par
Praeterea, magis debet concedi id quod est verum soi que ce qui est vrai par accident. Or, par ce
per se quam id quod est verum per accidens. Sed nom « Christ », est signifiée la nature humaine
in hoc nomine Christus importatur humana natura, que la Vierge a produite en engendrant, laquelle
quam generando virgo per se produxit, quae in n’est pas comprise dans le nom de « Dieu ». Elle
hoc nomine Deus non importatur. Ergo magis doit donc être plutôt appelée mère du Christ que
debet dici mater Christi quam mater Dei. mère de Dieu.
[7998] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] [Jean] Damascène dit : « Nous
contra, Damascenus, dicit: theotocon, idest Dei affirmons que la Vierge est vraiment et
genitricem, vere et principaliter virginem principalement théotokos, c’est-à-dire mère de
praedicamus. Dieu. »
[7999] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] Selon Augustin, « cette union a été telle
Praeterea, secundum Augustinum, talis fuit illa qu’elle a fait de Dieu un homme, et d’un homme,
unio quae Deum faceret hominem, et hominem Dieu ». Or, la Vierge a engendré l’homme. Elle a
Deum. Sed virgo genuit hominem. Ergo et genuit donc engendré Dieu. Elle est donc la mère de
Deum; ergo est mater Dei. Dieu.
[8000] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] En raison de l’union des natures en une seule
Praeterea, propter unionem naturarum in persona personne, nous disons vraiment que Dieu a
una, vere dicimus Deum passum, quamvis hoc souffert, bien que cela ait été selon la nature
fuerit secundum humanam naturam: et sic potest humaine. On peut ainsi dire que Dieu est
dici Deus vere ex virgine natus. Ergo etiam mater vraiment né de la Vierge. Elle peut donc être
Dei dici potest. aussi appelée mère de Dieu.
[8001] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 co. Réponse. L’humanité du Christ et la maternité
Respondeo dicendum, quod humanitas Christi et de la Vierge ont été à ce point unies, que celui
maternitas virginis adeo sibi connexa sunt, ut qui qui a erré à propos de l’une doit nécessairement
circa unum erraverit, oporteat etiam circa aliud errer à propos de l’autre. Ainsi, parce que
errare. Unde quia Nestorius circa humanitatem Nestorius errait à propos de l’humanité, en
errabat, aliam esse asserens in Christo humanitatis affirmant que la personne de l’humanité et celle
et divinitatis personam, oportebat quod diceret de la divinité dans le Christ étaient différentes, il
virginem non matrem Dei, sed hominis: quia était nécessaire qu’il dise que la Vierge n’était
secundum eum, Deus et homo non est unus pas la mère de Dieu, mais de l’homme, car, selon
Christus. Quidam vero moderni errantes dicunt, lui, Dieu et l’homme ne sont pas un seul Christ.
191

non posse virginem dici matrem Dei, ne mater Mais certains modernes se trompent en disant
patris et spiritus sancti intelligatur; concedunt que la Vierge ne peut pas être appelée la mère de
tamen eam esse matrem filii Dei. Sed hi trepidant Dieu, de crainte qu’on n’entende qu’elle est la
timore ubi non est timor: quia quamvis hoc nomen mère du Père et du Saint-Esprit ; ils concèdent
Deus commune sit tribus personis, potest tamen cependant qu’elle est la mère du Fils de Dieu.
reddere locutionem veram pro una persona, Mais ceux-ci tremblent de crainte alors qu’il n’y
secundum quod dicitur, Deus generat; sicut cum a pas de crainte, car, bien que le nom de Dieu
dicitur, homo currit, solo Petro currente. Unde soit commun aux trois personnes, on peut
simpliciter concedendum est virginem esse cependant rendre vraie la formulation pour une
matrem Dei, sicut confitemur Jesum esse verum personne, comme on dit que Dieu engendre ;
Deum. ainsi on dit que l’homme court, alors que seul
Pierre court. Il faut donc concéder tout
simplement que la Vierge est la mère de Dieu,
comme nous confesson que Jésus est vrai Dieu.
[8002] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. « Parce qu’une seule personne subsiste dans
primum ergo dicendum, quod quia una persona l’humanité et la divinité, les natures se
est quae subsistit in humanitate et divinitate; ideo communiquent donc leurs idiomes, c’est-à-dire
naturae communicant sibi sua idiomata, idest leurs propriétés », comme le dit [Jean]
proprietates, ut dicit Damascenus. Unde sicut Damascène. Ainsi, de même qu’on dit que les
dicuntur Judaei crucifixisse dominum gloriae, Juifs ont crucifié le Seigneur de gloire, bien que
quamvis non secundum quod est dominus gloriae; ce soit pas en tant que Seigneur de gloire, de
ita debet dici, virgo est mater Dei, quamvis eum même doit-on dire que la Vierge est la mère de
secundum divinitatem non genuerit. Dieu, bien qu’elle ne l’ait pas engendré selon sa
divinité.
[8003] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. Bien que la divinité et Dieu ne diffèrent pas en
secundum dicendum, quod quamvis deitas et réalité, ils diffèrent cependant selon la manière
Deus non differant re, differunt tamen secundum de signifier, car la divinité signale la nature
modum significandi: quia deitas signat divinam divine dans l’abstrait ; aussi ne peut-elle être le
naturam in abstracto; unde non potest supponere suppôt pour la personne. Mais parce que Dieu
pro persona; Deus autem quia signat naturam indique la nature divine de manière concrète,
divinam per modum concreti, idest habentem c’est-à-dire comme possédant la divinité, il peut
divinitatem, potest reddere locutionem veram pro rendre vraie la formulation pour le suppôt. Ainsi,
supposito; et ideo, quia beata virgo est mater filii parce que la bienheureuse Vierge est la mère du
Dei, potest dici mater Dei, non autem divinitatis. Fils de Dieu, elle peut être appelée la mère de
Dieu, mais non de la divinité.
[8004] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. Bien que « Dieu » soit commun aux trois
tertium dicendum, quod quamvis Deus sit [personnes], il peut cependant rendre vraie la
commune tribus, potest tamen reddere locutionem formulation pour l’une d’entre elles, comme on
veram pro uno eorum, ut dictum est; sicut cum l’a dit, comme lorsqu’on que Dieu engendre, il
dicitur, Deus generat, reddit locutionem veram rend vraie la formulation pour le Père.
pro patre.
[8005] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Nous ne disons pas que le Christ est tout
quartum dicendum, quod Christum non dicimus simplement une créature, comme cela ressortira
creaturam simpliciter, ut infra patebit; dicimus plus loin. Nous disons cependant tout
tamen simpliciter eum natum; et ideo nativitas simplement qu’il est né ; aussi la naissance peut-
potest transferri ad Deum, et non creatio. Et elle être reportée sur Dieu, mais non la création.
praeterea nasci non est contra rationem deitatis De plus, naître n’est pas contraire à la raison de
sicut creari. divinité, comme être créé.
[8006] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. La bienheureuse Vierge est vraiment la mère
quintum dicendum, quod beata virgo est vere du Christ ; nous ne disons cependant pas qu’elle
192

mater Christi, non tamen dicimus eam est christotokos, c’est-à-dire mère du Christ, car
christotocon, idest Christi genitricem: quia hoc ce nom a été inventé par Nestorius pour abolir le
nomen inventum est a Nestorio ad abolendum nom théotokos, et que nous ne devons pas avoir
nomen theotocon: cum haereticis autem nec les mêmes noms que les hérétiques, comme le dit
nomina debemus habere communia, ut dicit Jérôme à propos de Os 3.
Hieronymus super Oseae 3.

Quaestio 3 Question 3 – [La conception par rapport à la


grâce du Christ]
Prooemium Prologue
[8007] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur la conception par
quaeritur de conceptione in comparatione ad rapport à la grâce du Christ, par laquelle s’est
gratiam Christi, per quam facta est conceptio; et réalisée la conception. À ce propos, deux
circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum illam questions sont posées : 1 – Cette conception ou
conceptionem vel unionem aliqua merita union a-t-elle été précédée de mérites ? 2 – La
praecesserint; 2 utrum gratia sit illi homini grâce est-elle naturelle à cet homme ?
naturalis.

Articulus 1 [8008] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. Article 1 – Cette conception a-t-elle été
1 tit. Utrum illam conceptionem aliqua merita précédée de mérites de la part des pères
praecesserunt in antiquis patribus anciens ?
[8009] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que les pères anciens aient mérité
primum sic proceditur. Videtur, quod antiqui l’incarnation. Is 26, 8 : Nous avons été fidèles
patres incarnationem meruerunt. Isa. 26, 8: in sur les sentiers de tes jugements. Or, il revient au
semita judiciorum tuorum sustinuimus te. Sed ad jugement de rendre quelque chose pour des
judicium pertinet ut aliquid pro meritis reddatur. mérites. L’avènement du Fils de Dieu dans la
Ergo adventus filii Dei in carnem quem sancti chair que les saints pères attendaient devait donc
patres expectabant, eis pro meritis reddendus erat. leur être rendu pour leurs mérites.
[8010] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 2 2. À propos de Ps 32, 22 : Seigneur, que ta
Praeterea, Psalm. 32, 22: fiat misericordia tua, miséricorde soit sur nous ! la Glose dit : « Le
domine, super nos. Glossa: insinuatur desiderium désir de l’incarnation qu’avait le prophète et le
prophetae de incarnatione et meritum impletionis. mérite de son accomplissement sont suggérés. »
[8011] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 3 2. Celui qui mérite quelque chose mérite aussi ce
Praeterea, qui meretur aliquid, meretur et hoc sine sans quoi cela ne peut être obtenu, autrement, le
quo non potest illud haberi: alias meritum cassum mérite serait vain. Or, les saints pères méritaient
esset. Sed sancti patres merebantur vitam la vie éternelle, à laquelle ils ne pouvaient
aeternam, ad quam pervenire non poterant nisi parvenir que par la venue du Fils de Dieu. Ils
filio Dei veniente. Ergo merebantur ejus méritaient donc son incarnation.
incarnationem.
[8012] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 4 3. La prière qui est faite par quelqu’un pour lui-
Praeterea, oratio quae fit ab aliquo pure et même d’une manière pure et persévérante et qui
perseveranter, pro se, et ad salutem pertinens, se rapporte au salut mérite son accomplissement.
meretur sui impletionem. Sed sancti patres hoc Or, les saints père priaient de cette manière pour
modo orabant pro incarnatione, ut patet Isa. 64, 1: l’incarnation, comme cela ressort de Is 64, 1 :
utinam dirumperes caelos, et descenderes. Ergo Puisses-tu ouvrir les cieux et descendre ! Ils la
eam merebantur. méritaient donc.
[8013] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 5 4. Nous méritons la vie éternelle que nous
Praeterea, nos per fidem operantem per attendons par la foi agissant par l’amour. Or, les
dilectionem, quam habemus de vita aeterna quam anciens pères avaient de la même manière la foi
expectamus, meremur eam. Sed similiter antiqui agissant par l’amour envers l’incarnation. Ils la
193

patres habebant fidem per dilectionem operantem méritaient donc.


de incarnatione. Ergo eam merebantur.
[8014] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 6 5. Cela semble être le cas au moins pour la
Praeterea, hoc videtur ad minus de beata virgine bienheureuse Vierge, de laquelle on chante :
de qua cantatur: quae dominum omnium portare « Toi qui as mérité de porter le Seigneur. »
meruisti.
[8015] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 arg. 7 6. Bernard dit que « le ferment que la femme
Praeterea, Bernardus dicit, quod fermentum quod cache dans trois mesures de farine est la foi de la
mulier abscondit sub tribus farinae satis, est fides bienheureuse Vierge, qui a uni trois substances
beatae virginis, quae tres substantias in unam en une seule personne ». Or, elle n’a pu faire cela
personam conjunxit. Sed hoc non potuit facere que par mode de mérite. La bienheureuse Vierge
nisi per modum meriti. Ergo beata virgo meruit a donc mérité que l’incarnation se réalise par
incarnationem per eam fieri. elle.
[8016] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Tt 3, 4 dit : La bonté et
contra, ad Tit. 3, 4: apparuit benignitas et l’humanité de Dieu, notre Sauveur, ne viennent
humanitas salvatoris nostri Dei non ex operibus pas des œuvres de justice que nous avons
justitiae quae fecimus nos. Sed benignitatem accomplies. Or, l’Apôtre parle de la bonté
nominat apostolus ostensam in Christi manifestée dans l’incarnation du Christ. Elle ne
incarnatione. Ergo non est secundum merita. dépend donc pas des mérites.
[8017] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s. c. 2 [2] Ce que dit Augustin dans le texte va dans ce
Praeterea, ad hoc est quod Augustinus dicit in sens.
littera.
[8018] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 s. c. 3 [3] L’incarnation du Christ est un bienfait
Praeterea, incarnatio Christi est beneficium imparti à la nature entière. Or, le mérite d’aucun
impensum toti naturae. Sed meritum nullius homme, à part le mérite du Christ, ne s’étend à la
hominis praeter meritum Christi, extendit se ad nature entière. Les saints pères n’ont donc pas
totam naturam. Ergo sancti patres non meruerunt mérité l’incarnation.
incarnationem.
[8019] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 co. Réponse. Augustin semble vouloir dire, dans le
Respondeo dicendum, quod Augustinus videtur texte, qu’aucun mérite de la part de cet homme
intendere in littera quod nulla merita illius n’a précédé pour qu’il soit uni dans la personne
hominis praecesserint, ut filio Dei in persona du Fils de Dieu ; néanmoins, il est néanmoins
uniretur: nihilominus tamen verum est quod nulla vrai qu’aucun mérite, même de la part d’autres
merita etiam aliorum, filii Dei incarnationem personnes, n’a mérité l’incarnation du Fils de
meruerunt, proprie loquendo, propter tres rationes. Dieu au sens propre, pour trois raisons. La
Prima est quod meritum puri hominis non extendit première est que le mérite d’un pur homme ne
se ad totam naturam, sicut supra dictum est, dist. s’étend pas à la nature entière, comme on l’a dit
1, qu. 1, art. 2 ad 9; unde cum incarnatio sit plus haut, d’ 1, q. 1, a. 2, ad 9. Puisque
quoddam medicamentum totius naturae, non l’incarnation est un remède pour la nature
potest sub merito alicujus cadere. Secunda autem entière, elle ne peut donc tomber sous le mérite
ratio est, quia illud quod est principium merendi, de quelqu’un. La deuxième raison est que ce qui
non potest cadere sub merito; incarnatio autem est est le principe du mérite ne peut tomber sous le
quodammodo principium omnium humanorum mérite. Or, l’incarnation est, d’une certaine
meritorum: quia omnia nostra merita a Christo manière, le principe de tous les mérites humains,
efficaciam habent, per quem veritas et gratia facta car tous nos mérites tirent leur efficacité du
est. Tertia ratio est, quia meritum humanum non Christ, par lequel la vérité et la grâce se sont
se extendit ultra conditionem humanam, quae in accomplies. La troisième raison est que le mérite
hoc consistit ut quis mereatur aliquam divinitatis humain ne s’étend pas au dehors de la condition
et beatitudinis participationem. Sed quod tota humaine, qui consiste en ce que quelqu’un
plenitudo divinitatis habitet in homine, hoc mérite une certaine participation à la divinité et à
194

excedit et conditionem et meritum humanum. la béatitude. Or, que toute la plénitude de la


Unde nullo modo potest cadere sub merito, nisi divinité habite dans un homme, cela dépasse la
large meritum dicamus omnem praeparationem ad condition humaine et le mérite humain. Cela ne
aliquid habendum quod praecessit in humano peut donc aucunement tomber sous le mérite, à
genere. moins que nous n’appellions mérite toute
préparation pour obtenir quelque chose qui a
précédé dans le genre humain.
[8020] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. Par le jugemeent, quelque chose qui lui était
primum ergo dicendum, quod per judicium d’abord dû est rendu à quelqu’un. Or,
redditur aliquid alicui quod prius sibi debebatur. l’incarnation du Fils ne nous était pas due pour
Nobis autem non debebatur filii incarnatio quasi ainsi dire selon un mérite, mais selon une
ex merito, sed ex divina promissione; et quantum promesse divine. Sous cet aspect, la raison de
ad hoc salvatur ratio judicii. jugement est sauvegardée.
[8021] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. Cette glose parle du mérite de convenance, et
secundum dicendum, quod Glossa illa loquitur de non du mérite de ce qui est dû, qui est appelé
merito congrui, et non de merito condigni, quod mérite au sens propre. Ou bien il faut dire que
proprie dicitur meritum. Vel dicendum quod l’accomplissement de l’incarnation consiste dans
completio incarnationis consistit in ultimo effectu son effet ultime : la restauration ultime du genre
ejus, scilicet in ultima reparatione humani generis, humain, qui tombait d’une certaine manière sous
quae aliquo modo cadebat sub merito, maxime le mérite, surtout selon que le terme de la
secundum quod reparationis terminus consistit in restauration consiste dans l’atteinte de la vie
perventione ad vitam aeternam. éternelle.
[8022] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. Il existe certaines choses sans lesquelles la vie
tertium dicendum, quod aliqua sunt sine quibus éternelle ne peut être possédée et qui
vita aeterna haberi non potest, quae sunt l’accompagnent, comme la vision de Dieu et
concomitantia ipsam, sicut visio Dei, et l’impassibilité. Il est vrai de dire de ces choses
impassibilitas; et de his verum est quod meretur que celui qui mérite la vie éternelle les mérite.
ea qui meretur vitam aeternam. Quaedam vero Mais il existe d’autres choses qui conduisent à la
sunt quae sunt ducentia ad vitam aeternam sicut vie éternelle en tant qu’elles sont les principes du
principia merendi; et talia non cadunt sub merito, mérite. Ces choses ne tombent pas sous le
sicut gratia, et hujusmodi; et inter illa potest mérite, comme la grâce et les choses de ce genre.
computari incarnatio filii. Vel dicendum, quod Parmi elles, on peut compter l’incarnation du
sine incarnatione poterat perveniri ad vitam Fils. Ou bien il faut dire que, sans l’incarnation,
aeternam: quia fuit alius modus possibilis nostrae on pouvait parvenir à la vie éternelle, car il
salutis, ut dicunt sancti. existait un autre moyen possible pour notre salut,
comme le disent les saints.
[8023] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Ils ne demandaient pas l’incarnation, qu’ils
quartum dicendum, quod ipsi non petebant savaient devoir arriver sans aucun doute, mais ils
incarnationem, quam indubitanter credebant demandaient qu’elle soit accélérée. Ou bien il
futuram; sed petebant ejus accelerationem. Vel faut dire qu’ils ne la demandaient pas pour eux-
dicendum, quod non petebant pro se, quia non mêmes, car ils ne demandaient pas que quelque
petebant aliquid fiendum in ipsis petentibus. chose soit accompli pour ceux qui demandaient.
[8024] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 5 Ad 5. Bien que nous méritions la vie éternelle par la
quintum dicendum, quod quamvis mereamur foi agissant par l’amour, on ne doit cependant
vitam aeternam per fidem operantem per pas dire cela de l’incarnation, car la vie éternelle
dilectionem, non tamen oportet hoc dicere de est un bienfait accordé seulement à la personne
incarnatione: quia vita aeterna est beneficium qui la mérite, mais l’incarnation est un bienfait
praestitum tantum personae merentis, incarnatio accordé a la nature humaine tout entière.
autem beneficium praestitum toti humanae
naturae.
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[8025] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 6 Ad 6. La bienheureuse Vierge n’a pas mérité


sextum dicendum, quod beata virgo non meruit l’incarnation, mais, l’incarnation étant
incarnationem; sed praesupposita incarnatione présupposée, elle a mérité qu’elle s’accomplisse
meruit quod per eam fieret, non quidem merito par elle, non pas selon un mérite de ce qui est dû,
condigni, sed merito congrui, inquantum decebat mais selon un mérite de convenance, pour autant
quod mater Dei esset purissima et perfectissima qu’il convenait que la mère de Dieu soit la vierge
virgo. la plus pure et la plus parfaite.
[8026] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 1 ad 7 Et per 7. La solution des autres arguments ressort ainsi
hoc patet etiam solutio ad alia. clairement de cela.

Articulus 2 [8027] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. Article 2 – La grâce est-elle naturelle à cet
2 tit. Utrum gratia sit naturalis illi homini homme ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La grâce est-elle naturelle
à cet homme ?]
[8028] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que la grâce ne soit pas naturelle à
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod cet homme. En effet, la grâce et la nature se
gratia non sit illi homini naturalis. Gratia enim et distinguent comme des contraires. Or, l’un des
natura dividuntur ex opposito. Sed unum contraires ne désigne pas l’autre. La grâce ne
oppositorum non denominat aliud. Ergo gratia doit donc pas être appelée naturelle.
non debet dici naturalis.
[8029] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2. Est naturel ce qui est causé par les principes
2 Praeterea, naturale est quod ex principiis naturae de la nature, comme pour le feu d’être porté vers
causatur, sicut igni ferri sursum. Sed ex humana le haut. Or, la grâce n’est pas causée par la
natura non causatur gratia. Ergo non debet dici nature humaine. Elle ne doit donc pas être
naturalis. appelée naturelle.
[8030] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3. Le Christ a la même nature que les autres
3 Praeterea, Christus est ejusdem naturae cum hommes. Or, la grâce n’est pas naturelle aux
aliis hominibus. Sed aliis hominibus gratia non est autres hommes. Elle ne l’est donc pas pour lui
naturalis. Ergo nec sibi. non plus.
[8031] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 4. Nous ne méritons pas par ce qui est naturel.
4 Praeterea, per naturalia non meremur. Sed Or, le Christ a mérité par la grâce qu’il avait,
Christus meruit per gratiam quam habuit, ut infra comme on le dira plus loin, d. 18, aa. 2, 3, 4, 6.
dicetur, dist. 18, art. 2, 3, 4, 6. Ergo non fuit ei Elle ne lui était donc pas naturelle.
naturalis.
[8032] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, les causes prochaines des choses
1 Sed contra, causae proximae rerum naturalium naturelles sont naturelles. Or, le Christ est par
sunt naturales. Sed Christus per gratiam est grâce le Fils naturel. La grâce lui est donc
naturalis filius. Ergo gratia est ei naturalis. naturelle.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il été
corporellement rempli par la grâce divine ou
par la divinité ?]
[8033] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que le Christ n’ait pas été
1 Ulterius. Videtur quod Christus divina gratia vel corporellement rempli par la grâce ou par la
divinitate non sit repletus corporaliter, quod in divinité, comme il est dit dans le texte [du
littera dicitur. Omne enim quod est in aliquo Maître]. En effet, tout ce qui se trouve
corporaliter, est in eo per circumscriptionem. Sed corporellement dans quelqu’un est en lui de
divinitas non potest esse circumscripta. Ergo non manière circonscrite. Or, la divinité ne peut pas
potest habitare in Christo corporaliter. être circonscrite. Elle ne peut donc habiter
corporellement dans le Christ.
[8034] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2. Dieu est plus éloigné de la corporéité que
196

2 Praeterea, Deus magis elongatur a corporeitate l’ange, qui, par comparaison avec Dieu, est
quam Angelus, qui in comparatione Dei corporeus corporel, comme le dit [Jean] Damascène, Sur la
est, ut dicit Damascenus Lib. 1 de fide, cap. 3. foi, I, 3. Or, l’ange n’est pas corporellement dans
Sed Angelus non est in aliquo loco, vel corpore, un lieu ou dans un corps. Donc, encore bien
corporaliter. Ergo multo minus divinitas. moins la divinité.
[8035] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3. La divinité n’habite dans l’homme que par la
3 Praeterea, deitas in homine non habitat nisi per grâce. Or, la grâce n’habite pas dans un corps. La
gratiam. Sed gratia non est in corpore. Ergo deitas divinité ne peut donc pas habiter corporellement
non potest habitare in aliquo corporaliter. dans quelqu’un.
[8036] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, la divinité a été unie à la nature
1 Sed contra, divinitas juncta est toti humanae humaine tout entière. Or, le corps est une partie
naturae. Sed corpus est pars humanae naturae. de la nature humaine. Elle a donc été unie au
Ergo unita est corpori; ergo habitat in Christo corps. Elle habite donc dans le Christ, même
etiam corporaliter. corporellement.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8037] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Nous pouvons parler de la grâce du Christ de
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, deux manières : soit de la grâce d’union, soit de
quod de gratia Christi possumus loqui dupliciter: la grâce habituelle, par laquelle son âme a été
aut de gratia unionis, aut de gratia habituali, qua perfectionnée. Or, la grâce d’union est dite
anima ejus perfecta est. Gratia autem unionis naturelle pour le Christ parce qu’elle est
dicitur Christo naturalis, quia ordinatur ad ordonnée à l’union dans la personne divine ; en
unionem in personam divinam, secundum quod conséquence, cet homme est appelé le Fils
ille homo dicitur naturalis filius patris. Gratia vero naturel du Père. Mais la grâce habituelle peut
habitualis potest etiam dici Christo naturalis aussi être dite naturelle pour le Christ de deux
dupliciter. Uno modo quia ad modum manières. D’une manière, parce qu’elle se
proprietatum naturalium se habet, quae suum comporte à la manière des propriétés qui
subjectum inseparabiliter consequuntur. Alio découlent inséparablement de leur sujet. D’une
modo quia ex altera suarum naturarum causatur, autre manière, parce qu’elle est causée par l’une
scilicet ex divina natura, non autem ex humana. de ses deux natures, la nature divine, mais non
par sa nature humaine.
[8038] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 1. La grâce est appelée grâce quant à sa cause,
Ad primum ergo dicendum, quod gratia unionis car aucun mérite ne l’a précédée. Mais elle est
dicitur quidem gratia quantum ad causam, quia appelée naturelle quant à son effet, qui consiste à
eam nulla merita praecesserunt; sed dicitur être le Fils naturel, comme on l’a dit. Mais la
naturalis quantum ad effectum, quod est esse grâce habituelle est appelée grâce en raison de la
filium naturalem, ut dictum est. Gratia autem nature humaine, mais elle est appelée naturelle
habitualis dicitur gratia ratione humanae naturae; en raison de la nature divine, ou en raison de la
naturalis ratione divinae, vel ratione humanae nature humaine pour autant que celle-ci existe en
naturae inquantum inseparabiliter inest. lui de manière inséparable.
[8039] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 La solution des autres arguments ressort
Et per hoc patet solutio ad alia. clairement de cela.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8040] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 co. On dit que la plénitude de la divinité habite
Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum quod corporellement dans le Christ de trois manières.
plenitudo divinitatis dicitur corporaliter habitare Premièrement, parce que la divinité est unie non
in Christo tripliciter. Primo modo quia deitas non seulement à l’âme, mais aussi à la chair.
tantum animae, sed etiam carni unita est. Secundo Deuxièmement, par ressemblance avec les trois
per similitudinem ad tres dimensiones corporis, dimensions du corps, parce que la divinité existe
quia divinitas est tribus modis in Christo. Uno dans le Christ de trois manières : d’une manière
modo generali, sicut est in omnibus creaturis, per générale, comme elle existe dans toutes les
197

essentiam, praesentiam et potentiam; et in hoc créatures par son essence, par sa présence et par
consistit quasi longitudo. Alio modo speciali, sa puissance – il s’agit pour ainsi dire de la
prout est in sanctis per gratiam; per quam est longueur ; d’une manière spéciale, pour autant
latitudo caritatis. Tertio modo in proprio filio, qu’elle est présente dans les saints – il s’agit de
scilicet per unionem; in quo est sublimitas et la largeur de la charité ; de la troisième manière,
profundum. Tertio dicitur corporaliter habitare ad dans le Fils lui-même, c’est-à-dire par l’union –
similitudinem corporis, secundum quod dividitur il s’agit de la hauteur et de la profondeur.
contra umbram. In sacramentis enim veteris legis Troisièmement, on dit que [la divinité] habite
fuit quasi in umbris et signis, Heb. 10, 1: umbram corporellement par ressemblance avec un corps,
habens lex futurorum bonorum: in Christo autem selon qu’il s’oppose à l’ombre. En effet, il se
secundum rem et veritatem; unde Christus se trouvait dans les sacrements de la loi ancienne
habet ad illas figuras sicut corpus ad umbram. comme par des ombres et des signes, He 10, 1 :
La loi était comme l’ombre des biens à venir.
Mais, dans le Christ, elle existe en vérité et en
réalité. Aussi le Christ est-il, par rapport à ces
figures, comme le corps par rapport à l’ombre.
[8041] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Selon la première explication,
Ad primum ergo dicendum, quod corporaliter « corporellement » n’indique pas une manière
secundum primam expositionem non dicit modum d’exister dans le Christ pour la divinité, mais
existendi divinitatem in Christo, sed magis id cui plutôt ce à quoi la divinité est unie. Mais, selon
divinitas conjungitur; secundum autem alios les autres modes, le mot est employé par mode
modos est similitudinarie dictum. de similitude.
[8042] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Ainsi ressort la solution du deuxième
Unde patet solutio ad secundum. argument.
[8043] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Dieu se trouve chez les autres hommes saints
Ad tertium dicendum, quod in aliis hominibus par la grâce d’acceptation ou habituelle, qui se
sanctis est Deus per gratiam acceptationis, sive trouve seulement dans l’âme. Mais, dans le
habitualem, quae est tantum in anima; in Christo Christ, il se trouve par la grâce d’union, qui
autem est per gratiam unionis, quae est ad englobe l’âme et le corps.
animam et corpus.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


4
[8044] Super Sent., lib. 3 d. 4 q. 3 a. 2 qc. 2
expos. Uno nominato tres intelliguntur. Contra.
Dicimus filium Dei incarnatum, quod non
intelligitur de patre et spiritu sancto. Et dicendum,
quod hoc est intelligendum de his quae ad
essentiam pertinent: quorum si aliquid de una
tantum persona dicatur, oportet quod de alia
intelligatur. Non est autem concedendum,
quidquid de aliqua re nascitur, continuo ejusdem
rei filium nuncupandum. Sciendum est ergo, quod
haec praepositio ex denotat causam efficientem,
vel materialem. Ad hoc autem quod aliquid natum
ex aliquo materialiter, filiationis nomen accipiat,
oportet quod in similitudinem speciei producatur
cum eo ex quo nascitur, sicut filius matri; et ideo
capilli et lumbricus non dicuntur filii ejus ex quo
materialiter nascuntur. Ad hoc etiam quod aliquid
198

natum de alio active dicatur filius ejus, oportet


quod producatur de substantia agentis, et in
similitudinem ejusdem speciei, et quod non sit
agens instrumentale, sed principale. Primae autem
duae conditiones deficiunt in spiritu sancto; unde
Christus non potest dici filius ejus. Secunda autem
et tertia deficiunt in aqua: quia renatus
spiritualiter non assumit similitudinem aquae, sed
similitudinem Dei; et aqua est instrumentum
divinae virtutis operantis in eo: tamen Dionysius,
2 cap. Eccles. Hierarch., vocat aquam Baptismi
matrem filialitatis: sed non proprie dicitur.
Dicuntur filii Gehennae. Sciendum, quod hoc
dicitur secundum modum loquendi consuetum in
Scripturis, ut illud quod magnam habet
affinitatem ad alterum, filius ejus dicatur; sicut
Isai. 5, 1, dicitur: in cornu filio olei; idest in
monte, ubi abundat oleum; et similiter, 1 Reg. 26,
dixit David de Abner, quod filius mortis esset,
quia mortem valde merebatur. Conceptus et natus
de spiritu sancto. Quamvis utrumque horum
possit dici et de spiritu sancto et de matre; tamen
magis proprie dicitur conceptus de spiritu sancto,
quia conceptionem in instanti spiritus sanctus
operatus est; natus autem magis proprie dicitur de
matre, quae eum ex utero produxit: unde in
symbolo dicitur conceptus de spiritu sancto, natus
ex Maria virgine. Factum ex semine David:
Roman. 1. Contra. Damascenus, 3 Lib., cap. 2:
non seminaliter, sed conditive per spiritum
sanctum. Ad quod dicendum, quod Damascenus
loquitur quantum ad proximam Christi
generationem ex virgine; verbum autem apostoli
intelligendum est quantum ad remotos parentes,
ex quibus seminaliter mater Christi processit.
Cum aliud sit fieri, aliud nasci. Contra. Fieri
videtur esse commune ad omnem productionem,
qua aliquid incipit esse. Ad quod dicendum, quod
hoc est verum de facere, secundum quod
communiter sumitur: proprie tamen dicitur facere,
exercere aliquam actionem in exteriorem
materiam, secundum quod dicit philosophus in 6
Ethic., quod ars est recta ratio agibilium. Unde ad
ostendendum quod conceptio Christi est ex
principio agente extrinseco, non naturaliter
agente, sicut est in nostra conceptione, ideo dicit
apostolus eum factum; quamvis et natus et
conceptus dici possit quantum est ex parte matris.

Distinctio 5 Distinction 5 – [Ce qui assume et ce qui est


199

assumé ont-ils raison de nature ou de


personne ?]
Quaestio 1 Question 1 – [Qu’est-ce que l’union ?]
Prooemium Prologue
[8045] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé, à propos de l’incarnation,
determinavit Magister circa incarnationem ce qui assumait et ce qui était assumé, le Maître
divinam, quid sit assumens, et quid assumptum; détermine ici des deux en même temps pour ce
hic determinat de utroque simul cujusmodi sit qui est de leurs intentions : ce qui assume et ce
quantum ad intentiones eorum, utrum scilicet qui est assumé a-t-il raison de nature ou de
assumens et assumptum habeant rationem naturae personne ? Il y a trois parties. Dans la première,
vel personae; et dividitur in tres partes: in prima il soulève la question. Dans la deuxième, il en
movet quaestionem; in secunda determinat eam, détermine, à cet endroit : « Cette question ou la
ibi: haec inquisitio, sive quaerendi ratio, juxta raison de cette question est en partie implicite et
sacrarum auctoritatum testimonia, partim obscure selon les témoignages des saintes
implicita atque perplexa, partim vero explicita est autorités, et en partie explicite et manifeste. »
et aperta; in tertia movet quasdam dubitationes, Dans la troisième, il soulève certains doutes, à
ibi: sed quaeritur, utrum eadem divina natura cet endroit : « Mais on se demande si on doit dire
debeat dici caro facta sicut dicitur verbum factum que cette même nature divine s’est faite chair,
caro. Prima dividitur in duas: primo determinat comme on dit que le Verbe s’est fait chair. » La
quaestionem quantum ad id quod manifestat première partie se divise en deux : premièrement,
veritatem; secundo quantum ad id quod est magis il détermine de la question pour ce qui est de la
dubium in quaestione, ibi: de quarto vero mise en lumière de la vérité ; deuxièmement,
quaestionis articulo scrupulosa etiam inter doctos pour ce qui est plus douteux dans la question, à
quaestio est. Et haec pars dividitur in tres: in cet endroit : « À propos du quatrième élément de
prima ponit auctoritates ad utramque partem la question, les docteurs soulèvent une question
dubitationis; in secunda solvit, ibi: nos autem minutieuse. » Cette partie se divise en trois
omnis mendacii et contradictionis notam a sacris parties. Dans la première, il présente des
paginis secludere cupientes, orthodoxis patribus autorités pour les deux parties de la question.
(...) consentimus; in tertia solutionem per Dans la deuxième, il résout la question, à cet
auctoritates Damasceni confirmat, ibi: qui sensus endroit : « Mais nous, désireux d’écarter de la
ex verbis Joannis Damasceni confirmatur. Circa Sainte Écriture toute indication de mensonge et
primum tria facit: primo inducit auctoritatem ad de contradiction, nous donnons notre accord…
partem negativam, scilicet quod natura non aux pères orthodoxes. » Dans la troisième partie,
assumpsit naturam; secundo ad partem il confirme la solution par des autorités de [Jean]
affirmativam, ibi: cui videtur obviare quod Damascène, à cet endroit : « Ce sens est
Augustinus ait; tertio ex auctoritatibus inductis confirmé par les paroles de Jean Damascène. » À
colligit dubitationem, ibi: ex verbis autem propos du premier point, il fait trois choses.
Augustini (...) innui videtur, solum verbum Premièrement, il invoque une autorité pour la
carnem factum. Sed quaeritur utrum eadem divina partie négative, à savoir que la nature n’a pas
natura debeat dici caro facta sicut verbum dicitur assumé la nature ; deuxièmement, pour la partie
factum caro. Hic movet quasdam dubitationes positive, à cet endroit : « À cela semble
circa praedictam determinationem: et primo s’opposer ce que dit Augustin » ; troisièmement,
quantum ad hoc quod dixit naturam divinam il tire un doute des autorités invoquées, à cet
incarnatam; secundo quantum ad hoc quod dixit endroit : « Par les paroles d’Augustin…, on
personam non esse assumptam, ibi: ideo vero non semble suggérer que seul le Verbe s’est fait
personam hominis assumpsit, quia caro illa et chair. » « Mais on se demande si on doit dire que
anima illa non erant unita in unam personam cette même nature divine s’est faite chair,
quam assumpserit. Circa primum duo facit: primo comme on dit que le Verbe s’est fait chair. » Ici,
quaerit, utrum divina natura possit dici caro facta; il soulève quelques doutes à propos de la
secundo utrum possit dici facta homo, ibi: si détermination mentionnée : premièrement, parce
200

autem natura divina naturam hominis accepit, qu’il a dit que la nature divine s’est incarnée ;
quare non dicitur facta homo ? Ideo vero non deuxièmement, parce qu’il a dit que la personne
personam hominis assumpsit et cetera. Hic movet n’a pas été assumée, à cet endroit : « C’est
dubitationes circa hoc quod dictum est personam pourquoi il n’a pas vraiment assumé la personne
hominis non esse assumptam; et circa hoc duo d’un homme, car cette chair et cette âme
facit: primo assignat hujus dicti causam; secundo n’étaient pas unies dans la personne unique qu’il
objicit in contrarium, ibi: hic a quibusdam a assumée. » À propos du premier point, il fait
opponitur. Et dividitur haec pars in duas deux choses : premièrement, il se demande si on
objectiones, quas ponit; secunda incipit, ibi: aliter peut dire que la nature divine s’est faite chair ;
quoque nituntur probare, verbum Dei assumpsisse deuxièmement, si on peut dire qu’elle s’est faite
personam. Et utraque dividitur in objectionem et homme, à cet endroit : « Mais si la nanture
solutionem; prima solutio incipit ibi: quod ideo divine a reçu la nature de l’homme, pourquoi ne
non sequitur, quia anima non est persona, quando dit-on pas qu’elle s’est faite homme ? » « C’est
alii rei est unita personaliter; secunda ibi: quia pourquoi il n’a pas assumé la personne de
nefas est hoc dicere. Hic est triplex quaestio. l’homme, etc. » Ici, il soulève des doutes à
Prima est de unione. Secunda de assumente propos de ce qui a été dit, à savoir que la
unionem. Tertia de assumpto. Circa primum personne de l’homme n’a pas été assumée. À ce
quaeruntur tria: 1 quid sit unio; 2 utrum unio sit propos, il fait deux choses : premièrement, il
facta in natura; 3 utrum sit facta in persona. indique la cause de ce qui a été dit ;
deuxièmement, il fait une objection en sens
contraire, en cet endroit : « Ici, certains soulèvent
une objection. » Cette partie se divise en deux
objections qu’il présente ; la seconde commence
à cet endroit par : « Ils s’efforcent par ailleurs de
montrer que le Verbe de Dieu a assumé la
personne. » Les deux parties se divisent en
objection et réponse : la première réponse
commence à cet endroit : « Ce qui n’est pas
concluant, car l’âme n’est pas la personne
lorsqu’elle est unie personnellemenet à une autre
chose » ; la seconde [commence] à cet endroit :
« Parce qu’on ne doit pas dire… » Ici, il y a trois
questions. La première porte sur l’union. La
deuxième, sur celui qui assume l’union. La
troisième, sur ce qui est assumé. À propos du
premier point, trois questions sont posées : 1 –
Qu’est-ce que l’union ? 2 – L’union s’est-elle
réalisée dans la nature ? 3 – L’union s’est-elle
réalisée dans la personne ?

Articulus 1 [8046] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. Article 1 – L’union est-elle quelque chose de
1 tit. Utrum unio sit aliquid creatum créé ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’union est-elle une
créature ?]
[8047] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que l’union ne soit pas une créature.
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod unio En effet, l’union se trouve chez ce qui est appelé
non sit aliqua creatura. Unio enim est in eo quod un en raison d’elle. Or, on dit que la nature
per eam unum dicitur. Sed divina natura dicitur divine a été unie à la nature humaine. L’union se
unita humanae. Ergo unio est in divina natura. Sed trouve donc dans la nature divine. Or, il n’existe
nihil est in Deo creatum. Ergo unio non est aliquid rien de créé en Dieu. L’union n’est donc pas
201

creatum. quelque chose de créé.


[8048] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. L’union est une relation d’égalité. Or, les
2 Praeterea, unio est relativum aequiparantiae. relatifs de ce genre portent toujours sur les deux
Sed hujusmodi relativa similiter se habent ad extrêmes. Elle se trouve donc soit dans la nature
utrumque extremum. Ergo vel est in divina natura divine, soit dans la nature humaine : on a ainsi la
et humana; et sic idem quod prius: vel in neutra; même conclusion que précédemment ; ou elle ne
et sic nusquam est, et ita non esset creatura. se trouve en aucune : elle n’existe alors jamais,
et ainsi elle ne serait pas créée.
[8049] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. On n’affirme rien de créé de Dieu, sinon en
3 Praeterea, nihil creatum dicitur de Deo nisi vel tant qu’il est cause, comme lorsqu’on dit qu’il
per causam, ut cum dicitur aliquid scire, quia facit connaît quelque chose parce qu’il nous fait
nos scire; vel per assumptionem, ut cum dicitur connaître ; ou en vertu de l’assomption, comme
homo; vel per similitudinem, ut cum dicitur leo lorsqu’on l’appelle un homme ; ou par
vel agnus Dei. Sed cum dicitur divina natura unita ressemblance, comme lorsqu’on l’appelle un lion
humanae naturae, hoc non tantum per causam ou l’agneau de Dieu. Or, lorsqu’on dit que la
dicitur, quia sic pater diceretur unitus, quia hanc nature divine a été unie à la nature humaine, cela
facit unionem: nec per assumptionem; quia si n’est pas affirmé seulement selon la cause, car
assumpsit unionem, aliqua unio esset Dei ad ainsi on dirait que le Père est uni, puisqu’il
unionem, et sic in infinitum: nec iterum per réalise cette union ; ni en vertu de l’assomption,
similitudinem, quia tunc unio non diceretur car s’il assumait l’union, il existerait une union
secundum veritatem rei, sed secundum de Dieu à l’union, et ainsi à l’infini ; ni en vertu
metaphoram; et sic Deus homo diceretur d’une ressemblance, car on ne parlerait pas alors
metaphorice, sicut dicitur leo vel agnus. Ergo unio de l’union selon la vérité de la chose, mais selon
non est quid creatum. une métaphore ; ainsi Dieu serait appelé un
homme métaphoriquement, comme il est appelé
un lion ou un agneau. L’union n’est donc pas
quelque chose de créé.
[8050] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, tout ce qui existe sans être créé est
1 Sed contra, omne quod est et non est creatum, éternel. Or, l’union existe, car, en vertu d’elle,
est aeternum. Sed unio est, quia per eam deux natures sont unies dans une seule personne,
secundum rem unitae sunt duae naturae in una et cela n’existe pas depuis l’éternité, mais a
persona, et non est ab aeterno, sed in tempore commencé dans le temps. Cela est donc créé.
incepit. Ergo est creatum.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [S’agit-il de la moindre des
unions ? ]
[8051] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’elle soit la moindre des unions,
1 Ulterius. Videtur, quod sit minima unionum. car plus des choses unies sont distantes, moindre
Quia quanto unita magis distant, tanto est minor est l’union. Or, la nature divine et la nature
unio. Sed divina natura et humana quae dicuntur humaine, dont on dit qu’elles sont unies, sont au
unita, maxime distant. Ergo unio est minima. plus haut point distantes. L’union est donc la
moindre.
[8052] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Plus grande est la composition, plus petite est
2 Praeterea, quanto major est compositio, tanto l’union. Or, dans le Christ, existe la plus grande
minor unio. Sed in Christo est maxima composition, car, après la composition que la
compositio: quia post compositionem quam nature réalise dans l’homme, qui est la plus
natura facit in homine, quae est maxima inter grande de toutes les compositions naturelles, il y
omnes naturales compositiones, est ibi conjunctio a là l’union de la divinité et de l’humanité.
divinitatis et humanitatis. Ergo est ibi minima L’union est donc là la moindre.
unio.
[8053] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Ce qui est un sous tous les modes est plus un
202

3 Praeterea, quod est omnibus modis unum, est que ce qui est un d’une certaine manière, et non
magis unum quam quod est quodammodo unum, d’une autre. Or, certaines choses sont unies et
et quodammodo non. Sed quaedam sunt unita et dans la nature et dans la personne, comme les
in natura et in persona, sicut quatuor elementa in quatre éléments dans le corps humain. Puisque
corpore humano. Cum igitur in Christo facta sit l’union dans le Christ a été réalisée dans la
unio in persona, et non in natura, videtur quod ad personne, et non dans la nature, il semble donc
minus multae uniones sint majores ista unione. qu’il existe au moins plusieurs unions plus
grandes que cette union.
[8054] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, Bernard dit, dans le livre Sur la
1 Sed contra est, quod dicit Bernardus in libro de considération, que, « parmi toutes les unités, le
consideratione, quod inter omnes unitates arcem sommet est occupé par l’unité de la Trinité et,
tenet unitas Trinitatis, et post ipsam est unitas après elle, vient l’unité de dignité qui existe dans
dignativa quae est in Christo. Ergo videtur quod le Christ ». Il semble donc qu’après l’unité de la
post unitatem divinae naturae ista sit maxima. nature divine, celle-ci soit la plus grande.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’union diffère-t-elle de
l’assomption ?]
[8055] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’union ne diffère pas de
1 Ulterius. Videtur quod unio non differat ab l’assomption. En effet, l’assomption veut dire
assumptione. Assumptio enim dicitur quasi ad se prendre en soi. Or, tout ce qui est pris en soi est
sumptio. Sed quidquid ad se sumitur, aliquo modo uni d’une certaine manière à celui qui prend.
sumenti unitur. Ergo assumptio est idem quod L’assomption est donc la même chose que
unio. l’union.
[8056] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Elles diffèrent, car ce qui unit est ce qui est
2 Si dicatur, quod differunt, quia uniens est uni, mais ce qui assume n’est pas ce qui est
unitum, sed assumens non est assumptum; contra. assumé. Objection : ce qui unit est ce qui réalise
Uniens est agens unionem. Sed non omne agens l’union. Or, ce n’est pas tout ce qui réalise une
unionem est unitum, sicut patet de patre et spiritu union qui est uni, comme cela ressort pour le
sancto. Ergo illa differentia nulla est. Père et l’Esprit Saint. Cette différence est donc
nulle.
[8057] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Si on dit que l’assomption précède l’union, on
3 Si dicatur, quod assumptio praecedat unionem; objectera qu’avant la première, il ne peut exister
contra. Ante primum non potest esse aliquod quelque chose d’antérieur. Or, dans le premier
prius. Sed in primo instanti suae conceptionis fuit instant de sa conception, l’union a été réalisée
unio in Christo. Ergo assumptio non praecedit dans le Christ. L’assomption ne précède donc
unionem; et ita non videtur quod differant. pas l’union. Ainsi, il ne semble pas qu’elles
soient différentes.
[8058] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, on dit que la nature divine est unie à
1 Sed contra, divina natura dicitur unita humanae la nature humaine. Or, on ne dit pas qu’elle a été
naturae. Non autem dicitur assumpta. Ergo assumée. L’assomption et l’union diffèrent donc.
assumptio et unio differunt.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8059] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 co. L’union est une relation. Or, selon le Philosophe,
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, toute relation se fonde soit sur la quantité, pour
quod unio relatio quaedam est. Omnis autem autant qu’elle se ramène au genre de la quantité,
relatio, secundum philosophum, fundatur vel ou sur l’action ou la passion. Or, ce qui est un se
supra quantitatem, secundum quod reducitur ad ramène au genre de la quantité comme principe
genus quantitatis, aut supra actionem vel de la quanité discrète : sur elle sont fondées
passionem. Unum autem reducitur ad genus l’identité, pour autant que cela est un par la
quantitatis quasi principium quantitatis discretae; substance ; l’égalité, pour autant que cela est un
et supra ipsam fundatur identitas, secundum quod par la quantité ; la ressemblance, pour autant que
203

est unum in substantia; aequalitas, secundum cela est un par la qualité. Or, l’union est une
quod est unum in quantitate; similitudo, action ou une passion, par laquelle quelque chose
secundum quod est unum in qualitate. Unitio d’un est réalisé en quelque manière à partir de
autem est quaedam actio vel passio qua ex multis plusieurs choses ; cette relation qu’est l’union
efficitur aliquo modo unum; et hanc actionem découle donc de cette action. Or, certaines de ces
sequitur ista relatio quae est unio. Relationum relations viennent d’un mouvement des deux
autem tam harum quam illarum quaedam choses : il est alors nécessaire que ces relations
innascuntur ex motu utriusque: et tunc oportet existent réellement dans les deux extrêmes,
quod illae relationes sint realiter in utroque comme la paternité et [les relations] de ce genre ;
extremorum, sicut paternitas, et hujusmodi: mais certaines viennent du mouvement d’un
quaedam autem innascuntur ex motu unius sine seul, sans mouvement de l’autre, ce qui arrive
immutatione alterius, quod accidit in his quorum dans les choses dont l’une dépend de l’autre, et
unum dependet ad alterum, et non e converso, non inversement, comme la science par rapport à
sicut scientia ad scitum; et in talibus relatio est ce qui est su : dans ces cas, la relation est réelle
secundum rem in eo quod dependet ad alterum, in dans ce qui dépend de l’autre, mais elle est de
altero vero est secundum rationem tantum. Cum raison seulement chez l’autre. Puisque, dans
igitur in incarnatione non sit aliqua mutatio facta l’incarnation, aucun changement ne s’est produit
in natura divina, sed in humana quae tracta est ad dans la nature divine, mais [qu’il s’en est produit
unitatem in persona divina, erit haec relatio, un] dans la nature humaine qui a été attirée à
scilicet unio, secundum rem in natura humana, in l’unité dans la personne divine, cette relation,
divina autem secundum rationem tantum, l’union, sera réelle dans la nature humaine, selon
secundum quod dicit philosophus quod aliqua que le Philosophe dit que certains choses sont
sunt relativa, non quia ipsa referuntur, sed quia relatives, non parce qu’elles-mêmes se
alia referuntur ad ipsa. Unde unio secundum rem rapportent [à quelque chose d’autre], mais parce
creatura quaedam est. que d’autres choses se rapportent à elles. L’union
réelle est donc une créature.
[8060] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Cette union n’existe en Dieu que selon la
Ad primum ergo dicendum, quod unio illa est in raison seulement, et non en réalité.
Deo secundum rationem tantum, et non secundum
rem.
[8061] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. L’union est une relation d’égalité dans les
Ad secundum dicendum, quod unio est relatio choses créées, mais non entre le Créateur et la
aequiparantiae in rebus creatis, sed non in creatore créature, car ils se comportent pas de la même
et creatura: quia non eodem modo se habent in manière dans l’union, de même que « la
unione: sicut etiam similitudo non ordinatur in ressemblance en Dieu n’est pas ordonnée à la
Deo ad creaturam secundum aequiparantiam, sicut créature selon l’égalité », comme le dit Denys,
dicit Dionysius, quamvis in aliis sit relatio bien que, chez les autres, existe une relation
aequiparantiae. d’égalité.
[8062] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. L’union qui est attribuée à Dieu n’est ni
Ad tertium dicendum, quod unio quae de Deo créatrice ni une créature, car, en elle-même, elle
praedicatur non est neque creator neque creatura: n’est pas quelque chose de réel, mais de raison
quia prout in ipso est, non est aliquid secundum seulement. Cependant, un raisonnement n’est pas
rem, sed secundum rationem tantum. Non tamen faux parce qu’il se fonde sur la relation de la
ratio falsa est, quia fundatur super relationem créature au Créateur, comme c’est le cas des
creaturae ad creatorem: sicut etiam est de aliis autres relations qui sont affirmées de Dieu de
relativis quae ex tempore de Deo dicuntur, ut manière temporelle, comme Seigneur et les
dominus et hujusmodi. choses de ce genre.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8063] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Cette union peut être envisagée de deux
Ad secundam quaestionem dicendum, quod unio manières : du point de vue de ce en quoi se
204

ista potest dupliciter considerari: vel quantum ad réalise l’union, ou du point de vue des choses qui
id in quo fit unio, vel quantum ad ea quae sont unies. Si on l’envisage de la première
uniuntur. Si primo modo; cum unio fiat in persona manière, puisque l’union se réalise dans la
divina, quae est maxime unum et simplicissimum; personne divine, qui est au plus haut point
sic est maxima unio post unionem essentiae in quelque chose d’un et de très simple, elle est
tribus personis: quamvis enim persona sit ita ainsi l’union la plus grande, après l’union de
simplex et unum sicut essentia, tamen quaelibet l’essence dans les trois personnes. En effet, bien
trium personarum est idem re cum ipsa essentia, que la personne soit aussi simple et une que
in qua uniuntur; non autem utraque natura in l’essence, chacune des trois personnes est
Christo est idem re cum persona divina, quamvis cependant réellement la même chose que
altera natura, scilicet divina, sit omnino idem re l’essence elle-même dans laquelle elles sont
cum ipsa; et ita unio personarum in una essentia unies ; mais les deux natures dans le Christ ne
est major quam unio naturarum in una persona. Si sont pas réellement la même chose que la
secundo modo, sic non est maxima unio. Sed personne divine, bien que l’une des natures, la
prima consideratio est unionis secundum se, quia divine, soit tout à fait réellement la même chose
secundum id quod unum est; haec autem est que [la personne divine]. Ainsi, l’union des
consideratio unionis, non secundum quod unio. Et personnes dans une seule essence est plus grande
ideo dicendum, quod unio est maxima simpliciter, que l’union des natures dans une seule personne.
quamvis sit non maxima secundum quid. Si on envisage [cette union] de la seconde
manière, elle n’est pas alors l’union la plus
grande. Mais le premier point de vue porte sur
l’union en elle-même, car il porte sur ce qui est
un ; mais celui-ci porte sur l’union, mais non en
tant qu’elle est union. Il faut donc dire que
l’union est tout simplement la plus grande, bien
qu’elle ne soit pas la plus grande sous un aspect.
[8064] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 2 ad La réponse aux objections ressort ainsi
arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae clairement.
objiciuntur.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8065] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 co. La première différence entre l’assomption et
Ad tertiam quaestionem, dicendum, quod prima l’union est que l’assomption est une action ou
differentia assumptionis et unionis est quod une passion, mais que l’union est seulement une
assumptio est actio vel passio; unio autem est relation, bien que la réalisation de l’union soit
relatio tantum, quamvis unitio etiam sit actio. une action. La deuxième différence est qu’on
Secunda differentia est quia assumptio dicitur per parle d’assomption par rapport au terme dont est
comparationem ad terminum a quo separatur vel séparé ou reçu ce qui doit être uni, mais on parle
accipitur secundum quod uniendum est; sed unio d’union par rapport au terme ou à l’effet de
dicitur per comparationem ad terminum vel l’union, qui consiste à être un. De là vient la
effectum conjunctionis, qui est esse unum. Et inde troisième différence : que ce qui unit est ce qui
sumitur tertia differentia, quod uniens est unitum: est uni, car être uni signifie quelque chose qui est
quia unitum significatur secundum quod jam déjà devenu un, mais être assumé, quelque chose
factum est unum; assumptum autem secundum qui est en voie de l’être. Aussi ce qui assume
quod est in via ad hoc: et ideo assumens non est n’est-il pas ce qui est assumé. La quatrième
assumptum. Quarta differentia est, quia assumptio différence est que l’assomption détermine ce
determinat id ad quod fit conjunctio, secundum avec quoi se réalise l’union, selon que le mot
quod dicitur assumptio, quasi ad se sumptio: unio « assomption » signifie « prendre en soi » ; mais
autem non; et ideo quicumque facit ce n’est pas le cas de l’union. Ainsi on peut dire
conjunctionem, potest dici unire; non autem de quiconque réalise l’union qu’il unit ; mais on
potest dici assumere, nisi sibi conjungat; unde ne peut dire qu’il assume que s’il unit à lui-
205

pater univit humanam naturam cum divina, non même. Ainsi le Père a-t-il uni la nature humaine
autem assumpsit. Quinta differentia est quod unio, et la nature divine, mais il ne l’a pas assumée. La
quantum est de se, aequaliter respicit utrumque cinquième différence est que l’union, en elle-
extremorum; assumptio autem non, immo requirit même, concerne également les deux extrêmes,
esse fixum et stans in uno, ad quod aliud trahatur; mais non l’assomption ; bien plus, elle exige
et inde est quod natura divina potest dici unita in quelque chose de fixe et stable chez l’un, à quoi
persona humanae naturae, non autem potest dici l’autre est attiré. De là vient qu’on peut dire que
assumpta. la nature divine est unie à la nature humaine dans
la personne, mais non qu’elle a été assumée.
[8066] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Bien que l’assomption soit ordonnée à l’union,
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis elle n’inclut cependant pas dans sa signification
assumptio ordinetur ad unionem, non tamen le terme, qui consiste à devenir un, comme cela
includit in sua significatione terminum, qui est est inclus dans la signification de l’union.
fieri unum, sicut includitur in significatione
unionis.
[8067] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. Lorsqu’on dit que ce qui unit est ce qui est
Ad secundum dicendum, quod hoc quod dicitur, uni, il faut l’entendre de ce qui unit à soi-même
quod uniens est unitum, intelligendum est de eo et en soi-même ; mais le Père n’a pas uni à soi-
quod est uniens sibi, et in se: pater autem non même, ni la nature divine en elle-même, mais
univit sibi; nec divina natura univit in se, sed in dans la personne. On ne veut pas dire non plus
persona, nec humana natura signatur ut unitum in que la nature humaine est quelque chose d’uni
persona, sed homo. Et ideo neque pater est homo, dans la personne, mais que c’est le cas de
neque divina natura est humana. l’homme. Aussi le Père n’est-il pas homme, ni la
nature divine n’est-elle la nature humaine.
[8068] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Bien que, dans le Christ, l’assomption ne
Ad tertium dicendum, quod quamvis in Christo précède pas l’union dans le temps, elle la
assumptio non praecedat unionem tempore, précède cependant par nature et selon la manière
praecedit tamen natura, et secundum modum de comprendre.
intelligendi.

Articulus 2 [8069] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. Article 4 – L’union s’est-elle réalisée dans la
2 tit. Utrum unio sit facta in natura nature ?
[8070] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que l’union se soit réalisée dans la
secundum sic proceditur. Videtur quod unio sit nature. En effet, ce qui comporte deux natures
facta in natura. Quod enim constat ex duabus semble avoir une nature intermédiaire entre ces
naturis, videtur habere unam naturam mediam choses, comme quelque chose de mixte est fait
inter illa, sicut mixtum quod constat ex quatuor des quatre éléments. Or, le Christ comporte deux
elementis. Sed Christus constat ex duabus naturis, natures, selon Augustin qui dit qu’« il n’y a
secundum Augustinum, qui dicit, quod ex utraque qu’un seul Fils de Dieu et de l’homme constitué
substantia, scilicet divina et humana, est unus Dei des deux substances, à savoir la divine et
et hominis filius. Ergo videtur habere unam l’humaine ». Il semble donc posséder une seule
naturam ex utrisque compactam. nature composée des deux.
[8071] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Selon ce que nous disons ici, « la nature est
Praeterea, natura, secundum quod hic loquimur, tout ce qui donne forme selon une différence
est unumquodque informans specifica differentia, spécifique », comme le dit Boèce dans le livre
ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis. Sed Sur les deux natures. Or, le Philosophe dit
philosophus dicit, quod semper una differentia qu’une différence ajoutée change toujours
addita mutat speciem, sicut in numeris quaelibet l’espèce, comme une unité ajoutée dans les
unitas addita facit novam speciem numeri. Ergo nombres donne une nouvelle espèce de nombre.
humana natura addita divinae facit novam La nature humaine ajoutée à la nature divine
206

naturam secundum speciem. donne donc une nouvelle nature selon l’espèce.
[8072] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3 Si 3. Si on dit qu’une seule nature ne peut être
dicatur, quod non potest una natura constitui ex constituée des deux [natures], parce qu’il est
duabus, quia oportet utramque naturam servari in nécessaire que les deux natures soient préservées
incarnatione; contra. Anima et corpus constituunt dans l’incarnation, on objectera que l’âme et le
humanam naturam. Utrumque tamen, scilicet corps constituent la nature humaine. Cependant,
corpus et anima, intransmutatum permanet in sua les deux, le corps et l’âme, demeurent inchangés
natura. Ergo ex duabus naturis potest tertia dans leur nature. Une troisième nature peut donc
constitui, utraque remanente salva. être constituée de deux natures, les deux étant
préservées.
[8073] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Une propriété suit la nature de ce dont elle est
Praeterea, proprietas sequitur naturam ejus cujus la propriété. Or, on attribue les propriétés de la
est proprietas. Sed proprietates divinae naturae nature divine à cet homme : en effet, on dit que
dicuntur de illo homine: dicitur enim, quod ille cet homme a créé les étoiles ; en sens inverse, on
homo creavit stellas; et e converso dicitur, quod dit que le Fils de Dieu a souffert. Il semble donc
filius Dei est passus. Ergo videtur quod aliquid qu’il y ait quelque chose de la nature divine dans
divinae naturae est in humana natura, et aliquid la nature humaine, et quelque chose de la nature
humanae sit in divina; et sic videtur esse facta humaine dans la nature divine. Il semble ainsi
quaedam conjunctio naturarum in unam naturam. qu’une certaine union des natures se soit réalisée
dans une seule nature.
[8074] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Lorsque deux choses sont unies, dont l’une
Praeterea, quando aliqua duo conjunguntur dépasse de beaucoup l’autre, ce qui est dépassé
quorum unum multum superat alterum, hoc quod passe à la nature de ce qui dépasse, comme
superatur transit in naturam superantis, sicut si lorsqu’une goutte de vin est jetée dans mille
gutta vini in mille amphoras projiciatur aquae. amphores d’eau. Or, la nature divine dépasse
Sed natura divina in infinitum superat humanam. infiniment la nature humaine. La nature humaine
Ergo humana natura conjuncta divinae, tota unie à la nature divine est donc entièrement
convertitur in divinam. changée en la nature divine.
[8075] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 6 6. Cela semble être le cas du fait que les saints
Praeterea, hoc videtur per hoc quod caro Christi disent que la chair du Christ a été divinisée,
dicitur deificata a sanctis, sicut Damascenus comme le raconte [Jean] Damascène.
narrat.
[8076] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] la filiation exige une
contra, filiatio requirit similitudinem in natura. ressemblance de nature. Or, le Christ est appelé
Sed Christus dicitur filius Dei patris et virginis le Fils de Dieu le Père et de la Vierge, sa mère. Il
matris. Ergo est similis in natura utrique. Sed est donc semblable aux deux par nature. Or, la
virgo et Deus pater non communicant in aliqua Vierge et Dieu le Père n’ont pas de nature
natura. Ergo oportet Christum ponere duarum commune. Il faut donc affirmer deux natures
naturarum. dans le Christ.
[8077] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Nous parvenons à la connaissance d’une
Praeterea, per proprietates naturales in nature par les propriétés naturelles. Or, nous
cognitionem naturae devenimus. Sed in Christo trouvons dans le Christ les propriétés des deux
invenimus proprietates duarum naturarum, ut natures : l’humaine et la divine. Il est donc
humanae et divinae. Ergo oportet Christum nécessaire d’affirmer que le Christ possède deux
duarum naturarum ponere. natures.
[8078] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 co. Réponse. Pour éclairer cette question, il faut
Respondeo dicendum, quod ad hujus quaestionis savoir ce que signifie le mot « nature ». Le mot
evidentiam oportet scire, quid nomen naturae « nature » vient de « naître » : il s’agit de la
significet. Natura autem a nascendo nomen génération des vivants qui produisent des réalités
accepit; quae proprie dicitur generatio viventium semblables à partir de réalités semblables selon
207

ex similibus similia in specie producentium; unde l’espèce. En son sens premier, « nature » signifie
secundum primam sui institutionem natura donc la génération même des vivants, à savoir, la
significat generationem ipsam viventium, scilicet naissance. Le mot de « nature » a aussi été
nativitatem. Item translatum est nomen naturae ad reporté sur le principe actif de cette génération,
significandum principium activum illius car les puissances agissantes ont coutume d’être
generationis: quia virtutes agentes ex actibus nommées à partir de leurs actes. Le mot de
nominari consueverunt. Inde ulterius procedit « nature » a ainsi été amené à signifier le
nomen naturae ad significandum principium principe actif de tout mouvement naturel, à
activum cujuslibet motus naturalis: et ulterius ad signifier aussi le principe matériel de toute
significandum etiam principium materiale génération ; et, de plus, à signifier le principe
cujuslibet generationis: et inde etiam ad formel qui est le terme de la génération. Mais
significandum principium formale, quod est parce que la génération ne se termine pas
terminus generationis. Sed quia non solum seulement à la forme, mais à la substance
generatio terminatur ad formam, sed ad composée, [le mot « nature »] a été amené à
substantiam compositam; ideo translatum est ad signifier n’importe quelle substance, selon ce
significandum quamlibet substantiam, secundum que dit le Philosophe dans Métaphysique, V, et à
quod dicit philosophus in 5 Metaph., et ad signifier aussi n’importe quel être, comme le dit
significandum etiam quodlibet ens, sicut dicit Boèce. Or, au-delà des sens selon lesquels la
Boetius. Substantia autem, praeter significationes forme et la matière sont appelées une substance,
quibus forma vel materia dicitur substantia, on parle de « substance » de deux manières,
dicitur duobus modis, secundum philosophum 5 selon ce que dit le Philosophe dans
Metaph. Uno modo subjectum ipsum quod dicitur Métaphysique, V. D’une manière, [« substance »
hoc aliquid, et de altero non praedicatur, ut hic signifie] le sujet lui-même qui est appelé telle
homo, secundum quod substantia significatur chose et qui n’est pas attribué à quelque chose
nomine hypostasis; et secundum hanc d’autre, comme cet homme, selon que la
significationem substantia dicitur natura substance est signifiée par le nom « hypostase ».
secundum quod natura est quod agere vel pati En ce sens, « on appelle substance une nature,
potest, ut dicit Boetius in praedicto libro. Alio selon que la nature est ce qui peut agir ou
modo dicitur substantia quod quid erat esse, idest subir », comme le dit Boèce dans le livre
quidditas et essentia, quam significat definitio mentionné. D’une autre manière, on appelle
cujuslibet rei, prout significatur nomine usiae; et « substance » ce qui existe, c’est-à-dire la
sic etiam substantia dicitur natura, secundum quiddité et l’essence, que signifie la définition de
quod Boetius dicit, quod natura est unumquodque n’importe quelle chose, pour autant qu’elle est
informans specifica differentia: quia ultima signifiée par le mot ousia. Ainsi la nature est-elle
differentia est quae definitionem complet. Relictis appelée substance, comme Boèce dit que « la
ergo omnibus aliis significationibus naturae, nature est tout ce qui donne une forme par une
secundum hanc tantum significationem quaeritur, différence spécifique », car la différence ultime
utrum in Christo sit una natura vel plures. Si est celle qui complète la définition. En laissant
autem sit una tantum, vel altera earum tantum, vel donc de côté tous les autres sens de « nature »,
composita ex utrisque. Si altera earum tantum, on se demande, selon cette seule signification, si
hoc erit dupliciter. Uno modo nulla adjunctione il y a une seule ou plusieurs natures dans le
interveniente unius ad alteram; et sic si sit divina Christ. Mais s’il n’y en a qu’une seule, elle est
tantum, nihil novum accidit in hoc quod verbum ou bien l’une des deux, ou bien une qui est
caro factum est, et incarnatio nihil est. Si vero sit composée des deux autres. S’il n’y a qu’une des
humana tantum, non differt Christus ab aliis deux, ce sera de deux manières. D’une manière,
hominibus, et perit incarnatio. Alio modo altera sans qu’aucune union n’intervienne de l’une
naturarum transeunte in alteram; quod non potest avec l’autre. Si donc c’est la nature divine, rien
esse: quia quae non communicant in materia, non de nouveau ne se produit par le fait que le Verbe
possunt in invicem transire; divina autem natura est devenu chair, et l’incarnation n’est rien. Mais
penitus est immaterialis, nedum ut communicet si c’est seulement la nature humaine, le Christ ne
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humanae in materia. Praeterea si divina natura diffère pas des autres hommes, et l’incarnation
transiret in humanam, tolleretur simplicitas et disparaît. D’une autre manière, l’une des natures
immutabilitas divinae naturae; si vero humana passe dans l’autre. Cela ne peut avoir lieu, car là
verteretur in divinam, tolleretur veritas passionis,
où il n’y a pas de matière commune, une chose
et omnium quae corporaliter operatus est Christus. ne peut passer à une autre, ni inversement. Or, la
Si autem esset una natura composita ex duabus, nature divine est entièrement immatérielle, de
hoc posset esse dupliciter. Uno modo quia tertia sorte qu’elle n’a pas de matière commune avec la
natura componeretur ex duabus naturis non nature humaine. De plus, si la nature divine
manentibus, sicut ex quatuor elementis passait à la nature humaine, la simplicité et
componitur mixtum; et secundum hoc poneretur l’immuabilité de la nature divines seraient
divina natura passibilis et materialis, quia mixtioenlevées. Mais si la nature humaine passait à la
non est nisi eorum quae communicant in materia, nature divine, la vérité de la passion serait
et nata sunt agere et pati ad invicem; et tolleretur
enlevée et tout ce que le Christ a accompli
fides confitens Christum esse verum Deum et corporellement. Mais s’il n’y avait qu’une seule
verum hominem. Alio modo quod componeretur nature composée à partir des deux [natures], cela
ex duabus naturis manentibus: et hoc dupliciter. pourrait exister de deux manières. D’une
Uno modo secundum commensurationem vel manière, parce que la troisième nature serait
continuationis vel contiguationis; et secundum composée de deux natures qui ne demeurent pas,
hoc poneretur divina natura corporea: quia comme un corps mixte est composé des quatre
continuatio et contactus corporum est. Alio modo éléments. On affirmerait ainsi que la nature
secundum informationem, sicut ex anima et divine est passible et matérielle, car il n’existe de
corpore fit unum; et hoc etiam non potest esse: mélange qu’entre des choses qui ont une matière
quia per modum istum non fit unum ex duobus commune et qui peuvent agir et subir
actibus nec ex duabus potentiis, sed ex actu et réciproquement. Ainsi serait enlevée la foi qui
potentia, secundum philosophum: divina autem qui confesse que le Christ est vrai Dieu et vrai
natura et humana, utraque est ens actu. Praeterea homme. D’une autre manière, cela serait
divina natura non habet aliquid potentialitatis, nec
composé des deux natures qui demeurent, et
potest esse actus veniens in compositionem cela, de deux manières. D’une manière, selon la
alicujus, cum sit esse primum infinitum per se mesure de ce qui est continu ou contigu. On
subsistens. Patet igitur quod quocumque modo affirmerait ainsi que la nature divine est
ponatur una natura in Christo, sequitur error: et corporelle, car ce qui est continu suppose le
ideo Eutyches, qui hoc posuit, ut haereticus contact entre les corps. D’une autre manière,
condemnatus est. comme une seule chose est réalisée à partir de
l’âme et du corps. Cela ne peut pas non plus être
le cas, car, de cette manière, une seule chose
n’est pas constituée de deux actes ni de deux
puissances, mais d’un acte et d’une puissance,
selon le Philosophe. Or, la nature divine et la
nature humaine sont toutes les deux un être en
acte. De plus, la nature divine ne comporte
aucune puissance, et elle ne peut être un acte issu
de la composition de quelque chose, puisqu’elle
est l’être premier infini subsistant par soi. Il est
donc clair que de quelque manière qu’on affirme
une seule nature dans le Christ, en découle une
erreur. C’est pourquoi Eutychès a été condamné
comme hérétique.
[8079] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Quelque chose est composé de deux natures,
primum ergo dicendum, quod aliquid constat ex mais non comme le corps mixte [est composé]
duabus naturis, non tamen ex duabus sicut d’éléments, car, pour ces choses, il est nécessaire
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mixtum ex elementis: quia et in talibus oportet qu’il existe une nature intermédiaire constituée
quod sit media natura constituta ex duabus non de deux natures qui ne persistent pas. Or, le
manentibus. Christus autem constat ex duabus Christ existe en deux natures, de telle manière
naturis ita quod in duabus naturis salvatis qu’il subsiste dans deux natures qui persistent :
subsistit: est enim naturae divinae et humanae: et en effet, il est constitué de la nature divine et de
ideo ratio non sequitur. la nature humaine. Le raisonnement n’est donc
pas concluant.
[8080] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Comme le dit Avicenne, la différence désigne
secundum dicendum, quod, sicut dicit Avicenna, toute la nature de l’espèce, autrement elle ne
differentia nominat totam naturam speciei; alias serait pas attribuée à l’espèce ; cependant, elle ne
non praedicaretur de specie; sed non nominat ex la désigne pas en totalité, mais en partie, à savoir
toto, sed ex parte, scilicet formali principio: selon son principe formel : en effet,
dicitur enim rationale habens rationem. Genus « raisonnable » désigne celui qui possède la
autem e converso nominat totum ex principio raison. Mais, en sens inverse, le genre désigne le
materiali. Unde differentia non additur tout selon son principe matériel. Aussi la
differentiae per hoc quod natura additur naturae, différence n’est-elle pas ajoutée à la différence
sed per hoc quod ulterius principium formale comme une nature est ajoutée à une nature, mais
additur, sicut intellectivum supra sensitivum. comme un ultime principe formel est ajouté,
Talis autem additio non est in Christo: non enim ainsi « intelligent » [est-il ajouté] à « sensible ».
una natura additur alteri sicut formalis respectu Or, semblable ajout n’existe pas dans le Christ :
illius, ut dictum est. en effet, une nature n’est pas ajoutée à l’autre
comme son principe formel, comme on l’a dit.
[8081] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. L’âme et le corps, selon qu’ils sont des parties
tertium dicendum, quod anima et corpus de l’homme, ne sont pas deux natures au sens
secundum quod sunt partes hominis, proprie propre, au sens où nous parlons de nature dans le
loquendo, non sunt duae naturae, prout in cas présent ; mais les deux sont des parties d’une
proposito de natura loquimur; sed utrumque est nature, l’une comme forme, l’autre comme
pars naturae, alterum sicut forma, alterum autem matière. Il n’y a donc pas de problème.
sicut materia; unde non est instantia.
[8082] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Les propriétés de la nature humaine ne sont
quartum dicendum, quod proprietates humanae jamais attribuées à la nature divine, ni
naturae nunquam dicuntur de divina, nec e inversement, sauf selon une certaine
converso, nisi secundum quamdam participation ; mais les deux sont attribuées à
participationem; sed dicuntur utraeque de habente celui qui possède la nature divine ou la nature
naturam, vel humanam vel divinam, quae humaine, qui sont signifiées par le mot « Dieu »
significatur hoc nomine Deus, et hoc nomine et par le mot « homme ». En effet, c’est le même
homo: idem enim est qui utrasque naturas habet. qui possède les deux natures.
[8083] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Cet argument porte sur les choses qui ont une
quintum dicendum, quod ratio ista procedit in illis matière commune, et agissent et subissent
quae communicant in materia, et agunt et réciproquement. Il ne porte donc pas sur la
patiuntur ad invicem: et ideo non est ad question en cause.
propositum.
[8084] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. La chair est dite divinisée, non parce qu’elle
sextum dicendum, quod caro dicitur deificata, non est devenue la divinité elle-même, mais parce
quia sit facta ipsa divinitas, sed quia facta est Dei qu’elle est devenue la chair de Dieu, en
caro, et etiam quia abundantius dona divinitatis participant plus abondamment aux dons de la
participat ex hoc quod est unita divinitati, et quia divinité du fait qu’elle est unie à la divinité, et
est quasi instrumentum per quod divina virtus parce qu’elle est pour ainsi dire un instrument
salutem nostram operatur: tangendo enim par lequel la puissance divine réalise notre salut.
leprosum carne sanavit per divinitatis virtutem, et En effet, en touchant le lépreux, [le Christ] a
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moriendo carne mortem vicit per virtutem guéri par sa chair en vertu de la puissance de la
divinitatis. Virtus autem agentis aliquo modo est divinité, et, en mourant, il a vaincu par sa chair
in instrumento, quo mediante aliquid agit. en vertu de la puissance de la divinité. Or, la
puissance de l’agent se trouve d’une certaine
manière dans l’instrument par l’intermédiaire
duquel il réalise quelque chose.

Articulus 3 [8085] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. Article 3 – L’union s’est-elle réalisée dans la
3 tit. Utrum unio sit facta in persona, et si Christus personne et le Christ était-il une seule
est una persona personne ?
[8086] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il n’y ait pas une seule personne
tertium sic proceditur. Videtur quod in Christo dans le Christ, et ainsi que l’union ne se soit pas
non sit una tantum persona, et sic non sit unio réalisée dans la personne. En effet, aucune nature
facta in persona. Nulla enim natura invenitur sine ne se trouve sans ce qui découle de cette nature.
illis quae per se consequuntur ad naturam illam. Or, la personne découle par soi de la nature
Sed personalitas per se consequitur naturam humaine et de même en est-il de la nature divine.
humanam, et similiter divinam. Ergo utraque Les deux natures gardent donc leur personnalité.
natura tenet suam personalitatem.
[8087] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 2 2. La nature humaine est plus digne dans le
Praeterea, natura humana est dignior in Christo Christ qu’en Pierre. Or, la personnalité concerne
quam in Petro. Sed personalitas ad dignitatem la dignité ; ainsi ne trouve-t-on pas de personne
pertinet: unde in substantiis ignobilibus non dans les substances sans noblesse. Donc, de
invenitur persona. Ergo sicut humanitas Petri même que l’humanité de Pierre possède sa
habet suam personalitatem, ita et humanitas personnalité, de même aussi l’humanité du
Christi. Christ.
[8088] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Dans la personne, il ne semble exister que la
Praeterea, in persona non videtur aliquid esse nisi nature et ce qui distingue le suppôt de la nature
natura, et distinguentia suppositum naturae ab des autres suppôts. Or, les natures dans le Christ
aliis suppositis. Sed naturae in Christo sunt sont différentes et distincts les éléments
diversae, et distinctiva diversa, quia per relationes différents, car, par les relations éternelles, [le
aeternas distinguitur a patre et spiritu sancto; per Christ] se distingue du Père et du Saint-Esprit,
divisionem autem materiae et accidentium mais, par la division de la matière et des
distinguitur ab aliis hominibus. Ergo est ibi accidents, il se distingue des autres hommes. Il y
duplex personalitas. a donc là une double personnalité.
[8089] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Il y a plus en commun par la personne que par
Praeterea, major est convenientia in persona quam le genre ou l’espèce, car celle-là est ce qui rend
in genere vel specie: quia illa est in aliquo quod quelqu’un réellement unique, mais ceci n’est
secundum rem unum est, hoc autem est secundum unique que selon la raison. Or, en raison de la
rationem unum. Sed propter maximam distantiam très grande distance entre la nature divine et la
naturae divinae et humanae non potest esse earum nature humaine, elles ne peuvent avoir rien en
convenientia in genere vel in specie. Ergo multo commun selon le genre ou selon l’espèce. Elles
minus possunt convenire in una persona. peuvent donc encore beaucoup moins avoir en
commun une seule personne.
[8090] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Le Philosophe dit dans Métaphysique, V, que
Praeterea, philosophus dicit in 5 Metaph., quod ad « la diversité selon l’espèce découle de la
diversitatem in genere sequitur diversitas in diversité selon le genre, et que la diversité selon
specie, et ad hanc diversitas secundum numerum. le nombre découle de [la diversité selon
Sed in Christo invenitur diversitas secundum l’espèce] ». Or, dans le Christ, on trouve une
speciem: quia sunt diversae naturae secundum diversité selon l’espèce, car il existe des natures
illam acceptionem qua natura dicitur diverses, au sens où « nature » signifie tout ce
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unumquodque informans specifica differentia. qui confère une forme selon une différence
Ergo etiam secundum numerum differentia spécifique. On trouve donc aussi [en lui] une
invenitur. Sed ubi est eadem persona, est idem différence selon le nombre. Or, là où la personne
secundum numerum. Ergo in Christo non est una est la même, on a la même réalité selon le
persona. nombre. Il n’existe donc pas une seule personne
dans le Christ.
[8091] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 arg. 6 6. L’affinité entre la nature et la personne n’est
Praeterea, non est minor affinitas naturae ad pas moindre qu’entre la forme et la matière. Or,
personam quam formae ad materiam. Sed la diversité de la matière vient de la diversité des
secundum diversitatem formarum est diversitas formes, car l’acte propre se réalise dans une
materiae: quia proprius actus fit in propria matière propre. La diversité selon la personne se
materia. Ergo secundum diversitatem naturarum prend donc de la diffénce des natures, et ainsi la
est etiam diversitas in persona; et sic idem quod conclusion est la même que précédemment.
prius.
[8092] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] là où des choses diffèrent selon
contra, ea quae secundum personam differunt et la personne et selon la nature, ce qui est dit de
naturam, quod dicitur de uno, non dicitur de l’un n’est pas dit de l’autre. Or, dans l’Écriture,
altero. Sed ea quae sunt Dei, in Scripturis ce qui appartient à Dieu est attribué à l’homme,
attribuuntur homini: Psalmus 86, 5: homo natus Ps 86, 5 : Un homme est né en elle, et le Très-
est in ea, et ipse fundavit eam altissimus; et quae Haut l’a lui-même établie ; et ce qui appartient à
sunt hominis, attribuuntur Deo; 1 Corinth., 2, 8: l’homme est attribué à Dieu, 1 Co 2, 8 : Ils
nunquam dominum gloriae crucifixissent. Ergo n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire.
Deus et homo conveniunt in persona. Dieu et l’homme se rejoignent donc dans la
personne.
[8093] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] Ce qui convient au Fils, et non au Père, lui
Praeterea, quod attribuitur filio et non patri, convient selon ce par quoi il se distingue du
convenit ei secundum id in quo a patre Père. Or, l’union entendue au sens passif
distinguitur. Sed unio passive accepta convenit convient au Fils, et non au Père. Elle lui convient
filio, et non patri. Ergo convenit ei secundum id in donc selon ce par quoi il se distingue du Père.
quo a patre distinguitur. Sed hoc est in persona. Or, cela se trouve dans la personne. L’union s’est
Ergo unio facta est in persona. donc réalisée dans la personne.
[8094] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] Pour que soit réalisée la rédemption du genre
Praeterea, ad hoc quod fiat redemptio humani humain, il est nécessaire que celui qui accomplit
generis, oportet quod sit agens satisfactionem la satisfaction soit Dieu seul qui le peut et
unus Deus qui potest, et homo qui debet, ut patet l’homme qui le doit, comme cela ressort de ce
ex dictis in 1 dist., quaest. 1, art. 2. Sed nullo qui a été dit, d. 1, a. 2. Or, deux personnes ne
modo duae personae possunt esse unum agens. peuvent être un seul agent. S’il y a deux
Ergo si sunt duae personae, nondum facta est personnes, la satisfaction n’est donc pas
satisfactio; et ita adhuc sumus in servitute peccati, accomplie, et ainsi nous sommes encore dans
quod est contra sacram Scripturam novi l’esclavage du péché, ce qui va à l’encontre de la
testamenti. Sainte Écriture de la Nouvelle Alliance.
[8095] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 co. Réponse. Comme le dit Boèce, Nestorius, qui
Respondeo dicendum, quod Nestorius, qui ponit affirme deux personnes dans le Christ, s’est
duas in Christo personas, ex hoc deceptus fuit, ut trompé parce qu’il a cru que la personne est la
dicit Boetius, quia credidit idem esse personam et même chose que la nature. Puisqu’il y a deux
naturam; unde credidit, cum sint duae naturae in natures dans le Christ, il a donc cru qu’il y a
Christo, quod sint duae personae: et ex eodem deux personnes. Et l’erreur d’Eutychès, qui,
fonte processit error Eutychetis, qui cum audivit entendant qu’il y avait une seule personne dans
unam personam in Christo, aestimavit unam le Christ, a pensé qu’il n’y avait qu’une seule
naturam: et ex eodem fonte contra Trinitatem nature, est venue de la même source. Et l’erreur
212

processit error Arii et Sabellii. Sciendum est ergo, d’Arius et de Sabellius contre la Trinité est
quod in quibusdam differunt natura et persona venue de la même source. Il faut donc savoir que
secundum rem, in quibusdam vero secundum la personne et la nature diffèrent réellement par
rationem tantum. Natura enim, secundum quod certaines choses, et, par certaines, selon la raison
hic loquimur, est quidditas rei quam signat sua seulement. En effet, la nature, comme nous en
definitio; persona autem est hoc aliquid quod parlons ici, est la quiddité d’une chose, que sa
subsistit in natura illa. In simplicibus autem quae définition indique ; mais la personne est ce qui
carent materia, ut dicit Avicenna, ipsum simplex subsiste dans cette nature. Or, dans les choses
est sua quidditas; quidditas vero compositi non est simples, auxquelles la matière fait défaut,
ipsum compositum: humanitas enim non est comme le dit Avicenne, cela même qui est
homo. Cujus ratio est, quia in significatione simple est sa quiddité ; mais la quiddité de ce qui
humanitatis, sive quidditatis, sive naturae, est composé n’est pas le composé lui-même : en
continentur tantum essentialia principia hominis, effet, l’humanité n’est pas l’homme. La raison en
secundum quod homo est; non autem ea quae est que, dans la signification de l’humanité, de la
pertinent ad determinationem materiae, per quam quiddité ou de la nature, ne sont contenus que les
natura individuatur, quae tantum continentur in principes essentiels de l’homme, selon qu’il est
significatione Socratis, quia per ea Socrates est homme ; mais [n’est pas contenu] ce qui se
hic, et divisus ab aliis: et ideo, quia humanitas non rapporte à la détermination de la matière, par
includit in sua significatione totum quod est in re laquelle la nature est individuée, et qui est
subsistente in natura, cum sit quasi pars, non contenu seulement dans la signification de
praedicatur: et quia non subsistit nisi quod est Socrate, car, par cela, Socrate est cet individu-ci,
compositum, et pars habetur a suo toto, ideo divisé des autres. Parce que l’humanité n’inclut
anima non subsistit, sed Socrates, et ipse est pas dans sa signification le tout qui existe dans la
habens humanitatem. Homo autem significat chose qui subsiste dans la nature, puisqu’elle en
utrumque, et essentialia, et individuantia, sed est comme une partie, elle n’est donc pas
diversimode: quia significat essentialia attribuée [à l’individu] ; et parce que ne subsiste
determinate, individuantia vero indeterminate que ce qui est composé et que la partie vient du
haec vel illa: et ideo homo, cum sit totum, potest tout, l’âme ne subsiste donc pas, mais Socrate, et
praedicari de Socrate, et dicitur habens c’est lui qui possède l’humanité. Mais
humanitatem; sed quia esse indistinctum est « homme » signifie les deux : ce qui est essentiel
incompletum, quasi ens in potentia, ideo homo et ce qui est individuant, mais de manière
non subsistit, sed hic homo, cui convenit ratio différente, car il signifie ce qui est essentiel de
personae. Est ergo ratio personae quod sit manière déterminé, mais ce qui est individuant
subsistens distinctum et omnia comprehendens de manière indéterminée. C’est pourquoi
quae in re sunt; natura autem essentialia tantum « homme », puisqu’il est le tout, peut être
comprehendit. In simplicibus autem non differt re attribué à Socrate et on dit qu’il possède
natura et persona: quia natura non recipitur in l’humanité ; mais parce que l’être indistinct est
aliqua materia per quam individuetur, sed est per incomplet et comme un être en puissance,
se subsistens: tamen inquantum considerantur l’homme ne subsiste donc pas, mais cet homme,
essentialia rei, sic dicimus ibi naturam; inquantum à qui convient la notion de personne. La raison
autem invenitur ibi aliquid subsistens, sic dicimus de personne consiste donc en ce qu’elle est un
ibi personam. Patet igitur quod ex quo de ratione être subsistant distinct et qui comprend tout ce
personae est quod comprehendit omnia quae in re qui existe dans une chose ; mais la nature
sunt, si aliquid est extra illud quod comprehendit comprend seulement ce qui est essentiel. Or,
persona, hoc non est unitum rei, nisi forte dans les réalités simples, la nature ne diffère pas
secundum similitudinem in genere vel in specie de la personne, car la nature n’est pas reçue dans
vel accidente: et ideo, ut Boetius dicit, si non est une matière par laquelle elle est individuée, mais
una persona in Christo, nulla unio facta est elle subsiste par elle-même. Cependant, si l’on
divinitatis et humanitatis, nisi secundum envisage les principes essentiels de la chose,
similitudinem gratiae; quod etiam Nestorius nous disons qu’il y a là une nature ; mais, pour
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posuit: et hoc non est novum, nec Christo autant qu’on y trouve quelque chose qui subsiste,
proprium; neque per eum redemptio fieri nous disons alors qu’il y a là une personne. Il est
potuisset, nec ipse esset verus Deus, sed per donc clair que, parce qu’il fait partie de la raison
participationem, sicut alii sancti. Unde simpliciter de personne de comprendre tout ce qui existe
est concedendum, in Christo esse unam personam. dans une chose, s’il existe quelque chose en
dehors de ce que comprend la personne, cela
n’est pas uni à la chose, sinon peut-être par une
ressemblance selon le genre, l’espèce ou
l’accident. Aussi, comme le dit Boèce, s’il n’y a
pas une seule personne dans le Christ, aucune
union n’a été réalisée entre la divinité et
l’humanité, si ce n’est selon la ressemblance de
la grâce, ce que même Nestorius a affirmé. Cela
n’est ni nouveau ni propre au Christ, et la
rédemption n’aurait pu être accomplie par lui ; il
ne serait pas non plus vrai Dieu, mais [Dieu] par
participation, comme les autres saints. Il faut
donc tout simplement concéder qu’il n’existe
qu’une seule personne dans le Christ.
[8096] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. La nature humaine n’existe pas sans
primum ergo dicendum, quod humana natura in personnalité dans le Christ, mais elle existe dans
Christo non est sine personalitate, sed est in la seule personne du Verbe, avec la nature
persona una verbi cum natura divina. divine.
[8097] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. La nature du Christ est la plus noble parce
secundum dicendum, quod ex hoc natura Christi qu’elle existe dans la personne divine.
maxime nobilis est quod est in persona divina.
[8098] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Il fait partie de la notion de personne qu’elle
tertium dicendum, quod de ratione personae est comprenne tout ce qui est essentiel et les
quod comprehendat omnia essentialia, et propriétés individuantes unis ensemble. Il n’en
proprietates individuantes simul conjunctorum; découle donc pas que, s’il existe deux natures et
unde non sequitur quod si sint duae naturae et des propriétés différentes, elles appartiennent à
diversae proprietates, sint diversae personae. Si des personnes différentes. En effet, s’ils
enim essent naturae cum suis proprietatibus appartenaient à la nature avec ses propriétés
seorsum positae, utrinque esset totalitas, quam prises séparément, il y aurait une totalité de part
requirit ratio personae, non est autem nisi una et d’autre, ce qu’exige la notion de personne. Or,
totalitas, quando conjunguntur; et ideo est una il n’existe qu’une seule totalité, lorsqu’elles sont
persona. unies. C’est pourquoi il n’existe qu’une seule
personne.
[8099] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Les choses qui diffèrent par le genre et par
quartum dicendum, quod ea quae differunt genere l’espèce diffèrent en nombre selon l’essence ou
vel specie, differunt numero essentiae vel naturae; la nature ; mais il n’est pas nécessaire qu’elles
non autem oportet quod differant numero diffèrent en nombre selon le suppôt ou le sujet,
suppositi vel subjecti: quia ea quae secundum se car ce qui, envisagé en soi, relève de genres ou
considerata diversorum sunt generum vel d’espèces différents, peut être réuni dans un seul
specierum, in unum suppositum vel subjectum suppôt ou sujet, comme la chair et les os existent
congregari possunt; sicut caro et os ad dans le même sujet pour constituer un corps,
constituendum corpus, et albedo et longitudo in ainsi que la blancheur et la longueur. De la
eodem subjecto sunt; et similiter quamvis divina même manière, bien que la nature divine et la
natura et humana differant plus quam specie vel nature humaine diffèrent davantage que l’espèce
genere, in unam tamen personam uniri possunt. ou le genre, elles peuvent cependant être unies
214

dans une seule personne.


[8100] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Comme le dit Boèce, « l’espèce est l’être
quintum dicendum, quod, sicut dicit Boetius, entier des individus », de même que l’est le
species est totum esse individuorum, et etiam genre d’une certaine manière, comme le dit
genus aliquo modo, ut dicit Avicenna, secundum Avicenne, selon qu’elle signifie indistincte le
quod indistincte significat totum: et quia natura tout. Et parce que la nature humaine ne
humana non comprehendit totum esse Christi, comprend pas l’être entier du Christ, de même ne
ideo non habet in Christo naturam speciei; et ideo possède-t-elle pas chez le Christ la nature de
non sequitur quod in Christo sint diversae species. l’espèce. Il n’en découle qu’il existe chez le
Vel dicendum, quod illud philosophi est Christ diverses espèces. Ou bien il faut dire que
intelligendum quando naturae diversorum ce que dit le Philosophe doit s’entendre du cas
generum non conjunguntur: accidens enim et où les natures de divers genres ne sont pas
subjectum, quia conjunguntur (quamvis sint réunies : en effet, l’accident et le sujet, parce
diversa genere), non faciunt numerum. qu’ils sont réunis (bien qu’ils soient de genres
différents), ne font pas nombre.
[8101] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 1 a. 3 ad 6 Ad 6. La forme est unie à la matière en donnant
sextum dicendum, quod forma adunatur materiae forme à celle-ci. Aussi est-il nécessaire
informando eam; et ideo oportet quod ad diversas qu’existent diverses matières disposées à
formas diversae sint materiae dispositae; sed ad diverses formes. Mais seule leur union est
rationem personae requiritur tantum adunatio, nécessaire à la raison de personne, laquelle peut
quae potest esse etiam quantumcumque affecter n’importe quel nombre de choses
diversorum; et ideo non oportet quod diversae différentes. Il n’est donc pas nécessaire que des
naturae habeant diversas personas. natures différentes aient des personnes
différentes.

Quaestio 2 Question 2 – [Convient-il à une personne


divine d’assumer ?]
Prooemium Prologue
[8102] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur celui qui assume. À ce
quaeritur de assumente; et circa hoc quaeruntur propos, trois questions sont posées : 1 –
tria: 1 utrum assumere conveniat divinae Convient-il à une personne divine d’assumer ?
personae; 2 utrum naturae; 3 utrum naturae, 2 - Cela convient-il à la nature [divine] ? 3 –
remota persona. Cela convient-il à la nature [divine], en écartant
la personne [divine] ?

Articulus 1 [8103] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. Article 1 – Convient-il à une personne divine
1 tit. Utrum assumere conveniat divinae personae d’assumer ?
[8104] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il ne convienne pas à une
primum sic proceditur. Videtur, quod personae personne divine d’assumer. En effet, comme on
non conveniat assumere. Sicut enim dictum est, l’a dit, la personne signifie quelque chose de
persona significat aliquid completum et totum. complet et d’entier. Or, on ne peut faire d’ajout à
Sed ultima completione completo non potest fieri ce qui est achevé par un ultime achèvement. La
additio. Ergo persona non potest ad se aliquid personne ne peut donc pas assumer quelque
assumere. chose en elle-même.
[8105] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Ce qui est assumé par la participation à
Praeterea, quod assumitur per participationem quelque chose a quelque chose en commun avec
alicujus, aliquo modo communicat illud. Sed de cela. Or, l’incommunicabilité totale fait partie de
ratione personae est omnimoda la raison de personne. La personne ne peut donc
incommunicabilitas. Ergo non potest persona assumer en elle-même quelque chose pour le
assumere ad se aliquid in participationem sui. faire participer à elle.
215

[8106] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3 3. La personne, en tant qu’elle est le suppôt de la
Praeterea, persona, inquantum supponitur naturae, nature, a une certaine ressemblance avec la
habet aliquam similitudinem materiae, sicut matière, comme la nature a une certaine
natura habet similitudinem formae. Sed magis ressemblance avec la forme. Or, la matière est
elongatur a perfectione materia quam forma, quae plus éloignée de la perfection que la forme qui
est pars rei. Si ergo natura divina propter sui fait partie d’une chose. Si donc la nature divine,
perfectionem non potest esse forma alicujus rei, en raison de sa perfection, ne peut être la forme
multo minus persona divina poterit esse persona d’une chose, à bien moins forte raison une
alicujus alterius naturae. Ergo non potest persona personne divine pourra-t-elle être une personne
naturam assumere. d’une autre nature. Une personne [divine] ne
peut donc pas assumer une nature.
[8107] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4 4. La diversité de nature et de personne s’oppose
Praeterea, plus repugnat simplicitati diversitas davantage à la simplicité que la diversité de sujet
naturae et personae, quam diversitas subjecti et et d’accident, car, dans les substances simples
accidentis: quia in substantiis simplicibus creatis créées, selon Avicenne, la personne ne diffère
non differt secundum Avicennam persona a natura pas en réalité de la nature, bien que l’accident y
secundum rem, quamvis in eis differat accidens a diffère de la substance. Or, en raison de sa
substantia. Sed persona divina verbi non potest simplicité, la personne divine du Verbe ne peut
distingui propter suam simplicitatem proprietate être distinguée d’une propriété qui ne saurait être
quae non sit quod ipsa, nec potest esse subjectum qu’elle-même, et elle ne peut être le sujet d’un
alicujus accidentis. Ergo multo minus potest esse accident. Encore bien moins peut-elle donc être
suppositum extraneae naturae. le suppôt d’une nature étrangère.
[8108] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait
contra, Joan. 1, 14: verbum caro factum est; idest chair, c’est-à-dire qu’il est devenu homme. Or,
homo factus est. Sed non nisi per assumptionem. ce ne peut être que par assomption. Puisque
Cum ergo verbum sit nomen personale, oportet « Verbe » est un nom personnel, il faut donc dire
dicere quod persona assumat. qu’une personne [divine] assume.
[8109] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] L’assomption a comme terme l’union. Or,
Praeterea, assumptio terminatur ad unionem. Unio l’union se réalise dans la personne, comme on l’a
autem in persona est, ut probatum est in solutione montré dans la réponse de l’article précédent.
articuli praecedentis. Ergo persona assumens est; C’est donc la personne qui assume, puisque
cum assumptio, ut dictum est, dicat terminum in l’assomption, ainsi qu’on l’a dit, exprime le
quo fit unio. terme dans lequel l’union se réalise.
[8110] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 co. Réponse. Comme on l’a dit, la personne exige
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, l’achèvement. Or, dans l’union de certaines
persona requirit completionem. In conjunctione choses, il arrive que les deux choses soient
autem aliquorum aliquando ita est quod utrumque incomplètes, comme cela ressort pour l’union de
incompletum est, sicut patet in unione materiae et la matière et de la forme, dont les deux n’ont pas
formae, quorum utrumque non habet esse un être complet, et pour le mélange, lorsque les
completum, et in mixtione, quando utrumque deux corps mixtes sont en partie corrompus.
mixtorum partim corrumpitur; unde in talibus Dans de tels cas, l’achèvement qu’exige la
haec completio quam requirit persona, neutri personne ne revient à aucune des deux choses,
debetur, sed composito. Aliquando autem unum mais au composé. Mais, parfois, l’une des deux
praeexistit in se completum, et aliud additur et choses préexiste complète en elle-même, alors
completur per completionem ejus, sicut cibus qui que l’autre est ajoutée et devient complète par
adjungitur homini jam completo; unde completio l’achèvement de la chose, comme la nourriture
personalis non debetur cibo, sed homini; et hoc est ajoutée à un homme déjà achevé ; aussi
proprie dicitur assumi quod sic in personalitatem l’achèvement personnel n’est-il pas dû à la
alterius trahitur. Cum igitur divina natura et nourriture, mais à l’homme, et on parle d’être
humana quae conjunguntur, non se habeant assumé dans le cas où quelque chose est attiré
216

aequaliter ad perfectionem, sed divina natura dans la personnalité d’un autre. Puisque la nature
completionem habeat personalem in quo differt a divine et la nature humaine, qui sont unies, n’ont
forma, et in ea incorrupta permaneat, in quo pas le même rapport à la perfection, mais que la
differt ab his quae miscentur; oportet, si debeat nature divine a un achèvement personnel, ce par
fieri conjunctio, quod humana natura trahatur ad quoi elle diffère d’une forme, et demeure
divinam personam virtute divina: alias essent duae incorrompue en elle, ce par quoi elle diffère de
personae, et nulla conjunctio. Et ita concedendum ce qui est mélangé, il est donc nécessaire, si une
est, quod persona assumit. union doit être réalisée, que la nature humaine
soit attirée vers la personne divine par la
puissance divine, autrement, il y aurait deux
personnes et aucune union. Il faut donc concéder
que la personne [divine] assume.
[8111] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. La personne ne reçoit pas l’ajout de choses qui
primum ergo dicendum, quod persona non recipit la distinguent et qui l’achèvent dans son être de
additionem distinguentium ipsam, et complentium personne, par quoi on la dit achevée ; mais, pour
in esse personae, secundum quae completa esse les autres choses, qui ne causent pas la
dicitur; sed aliorum quae personalitatem non personnalité, il n’est pas inapproprié qu’elle
causant, non est inconveniens ut additionem reçoive un ajout, comme Socrate reçoit l’ajout de
recipiat: sicut Socrates recipit additionem la science, de la nourriture et des choses de ce
scientiae, nutrimenti, et hujusmodi; et tamen haec genre. Toutefois, ces choses n’en font pas un
non individuant ipsum. Ita etiam natura humana individu. De même aussi, la nature humaine qui
quae additur divinae personae, non causat est ajoutée à la personne divine ne cause-t-elle
personalitatem in ipsa, sed ad personalitatem ejus pas la personnalité en elle, mais elle est attirée
praeexistentem trahitur. vers sa personnalité qui préexistait.
[8112] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Une triple incommunicabilité fait partie de la
secundum dicendum, quod triplex raison de personne : celle de la partie, en tant
incommunicabilitas est de ratione personae: qu’elle est un être complet ;
scilicet partis, secundum quod est completum; et [l’incommunicabilité] de l’universel, en tant
universalis, secundum quod est subsistens; et qu’elle est un être subsistant ;
assumptibilis secundum quod id quod assumitur [l’incommunicabilité] de ce qui est apte à être
transit in personalitatem alterius et non habet assumé, en tant que ce qui est assumé passe dans
personalitatem propriam. Non est autem contra la personnalité d’un autre et n’a pas de
rationem personae communicabilitas assumentis. personnalité propre. Mais la communicabilité de
celui qui assume n’est pas contraire à la raison
de personne.
[8113] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. La personne divine n’est pas le suppôt de la
tertium dicendum, quod persona divina non nature humaine comme si elle lui était sous-
supponitur humanae naturae quasi sub ea posita, jacente, comme la matière est sous-jacente à la
sicut materia sub forma; sed quasi subsistens in forme, mais en tant qu’elle subsiste en elle en
ea, inquantum habet eam sibi unitam; unde non l’ayant unie à elle. Elle ne ressemble donc pas à
habet similitudinem materiae. la matière.
[8114] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Le sujet est sous-jacent à l’accident, ce qui ne
quartum dicendum, quod subjectum subjicitur peut convenir à la personne divine, puisqu’elle
accidenti, quod divinae personae convenire non ne comporte aucune potentialité. Mais on ne dit
potest, cum non habeat aliquid potentialitatis; sed pas qu’elle est sous-jacente à la nature humaine,
non dicitur supponi humanae naturae, quasi ei comme si elle lui était soumise, ainsi qu’on l’a
subjiciatur, ut dictum est. dit.

Articulus 2 [8115] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. Article 2 – Convient-il à la nature [divine]


2 tit. Utrum assumere conveniat naturae d’assumer ?
217

[8116] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il ne convienne pas à la nature
secundum sic proceditur. Videtur, quod naturae d’assumer. En effet, ce qui convient à la nature
non conveniat assumere. Quod enim convenit divine est commun aux trois personnes. Or,
naturae divinae, commune est tribus personis. Sed assumer ne convient pas au Père ni au Saint-
assumere non convenit patri et spiritui sancto. Esprit. Donc, ni à la nature divine.
Ergo nec divinae naturae.
[8117] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Les actes personnels ne sont pas attribués à la
Praeterea, actus personales non dicuntur de nature, comme le fait d’engendrer, ainsi qu’on
natura, sicut generare, ut dictum est, 5 dist. 1 libri. l’a dit à la d. 1, a. 5. Or, assumer convient en
Sed assumere proprie convenit personae. Ergo propre à la personne. La nature n’assume donc
natura non assumit. pas.
[8118] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 3 3. On dit que le Verbe s’est fait chair en tant
Praeterea, verbum, secundum hoc quod carnem qu’il a assumé la chair. Or, on ne dit pas que la
assumpsit, dicitur caro factum. Sed natura divina nature divine s’est faite chair. La nature divine
non dicitur caro facta. Ergo natura divina non n’a donc pas assumé.
assumpsit.
[8119] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 4 4. La communication des idiomes se réalise en
Praeterea, ratione assumptionis fit communicatio vertu de l’assomption. Or, ce qui appartient à la
idiomatum, ut dicit Damascenus. Sed ea quae sunt nature humaine n’est pas affirmé de la nature
naturae humanae, non dicuntur de divina: non divine : en effet, on ne dit pas qu’elle a souffert
enim dicitur passa vel mortua. Ergo ejus non est ou qu’elle est morte. Il ne lui appartient donc pas
assumere. d’assumer.
[8120] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 5 5. Assumer, c’est prendre en soi. Or, la nature
Praeterea, assumere est ad se sumere. Sed divina divine n’attire pas la nature humaine à elle-
natura non traxit naturam humanam ad se, quia même, car l’union ne s’est pas réalisée dans la
non est unio facta in natura divina. Ergo divina nature divine. On ne peut donc pas dire que la
natura non potest dici assumere. nature divine assume.
[8121] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed
Cependant, [1] les autorités invoquées dans le
contra sunt auctoritates quae jacent in littera. texte vont en sens contraire.
[8122] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] Dans le Christ, on peut dire de tout ce qui est
Praeterea, in Christo quidquid est unitum, potest uni qu’il l’assume ou que cela est assumé. Or, la
dici assumens vel assumptum. Sed divina natura nature divine est unie à la nature humaine.
est unita humanae. Ergo, cum non sit assumpta, Puisqu’elle n’a pas été assumée, on doit donc
debet dici assumens. dire qu’elle assume.
[8123] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 co. Réponse. On parle d’« assumer » de trois
Respondeo dicendum, quod assumere dicitur manières. Premièrement, d’une manière
tripliciter. Uno modo communiter pro sumere, et générale, au sens de « prendre » ; ainsi, la Trinité
sic tota Trinitas assumpsit humanam naturam entière assume la nature humaine pour le Fils.
filio. Secundo dicitur proprie quasi ad se: sumere Deuxièmement, « assumer » est employé au sens
ut sibi quocumque modo uniatur; et hoc modo propre d’« attirer à soi », quelle que soit la
natura divina in persona filii assumpsit humanam manière dont se fait l’union ; de cette manière, la
naturam. Tertio dicitur propriissime, quasi ad se, nature divine dans la personne du Fils a assumé
et in se sumere; et sic convenit tantum personae, la nature humaine. Troisièmement, au sens le
in qua facta est unio. plus propre pour « attirer à soi » et « prendre en
soi » ; de cette manière, cela ne convient qu’à la
personne en qui s’est réalisée l’union.
[8124] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. Cela est vrai pour ce qui convient à la nature
primum ergo dicendum, quod hoc verum est de en elle-même, et non en raison de telle ou telle
his quae conveniunt naturae secundum se, et non personne, comme le fait d’assumer.
ratione personae hujus vel illius, sicut assumere.
218

[8125] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. « Assumer », utilisé dans le troisième sens, est
secundum dicendum, quod assumere tertio modo propre à une personne, et ainsi il ne convient pas
dictum, est proprium personae, et sic non convenit à la nature.
naturae.
[8126] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. La nature divine assume la nature humaine et
tertium dicendum, quod natura divina assumit est unie à elle ; cependant, dans le mot de
humanam, et unitur ei: non tamen in nomine « nature », on ne comprend pas le suppôt,
naturae importatur suppositum, sicut in hoc comme dans le mot « Dieu » et « Verbe ». C’est
nomine Deus vel verbum; et ideo dicitur Deus vel pourquoi on dit que Dieu ou le Verbe s’est fait
verbum, caro, idest homo, factum, non per chair, c’est-à-dire homme, non pas par un
transmutationem naturae, sed per unionem in changement de nature, mais par une union dans
supposito; non autem potest dici de natura divina. le suppôt. Mais on ne peut dire cela de la nature
divine.
[8127] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. La communication des idiomes se fait en
quartum dicendum, quod communicatio raison de l’union dans le suppôt. Parce que le
idiomatum fit ratione unionis in supposito: et quia suppôt n’est pas indiqué par le mot « nature »,
suppositum non importatur nomine naturae, sicut comme par le mot « Dieu » ou « Fils », on ne
hoc nomine Deus vel filius; ideo non potest dici peut donc pas dire que la nature [divine] a
natura passa, sicut Deus passus: dicitur tamen souffert, comme Dieu a souffert. On dit
natura incarnata: quia per hoc non importatur cependant que la nature [divine] s’est incarnée
aliqua proprietas humanae naturae, sed sola unio parce qu’on n’indique pas par là une propriété de
ad ipsam. la nature humaine, mais seulement l’union à elle.
[8128] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. La nature divine attire à elle la nature
quintum dicendum, quod natura divina sumit humaine, c’est-à-dire qu’elle lui est unie, mais
humanam ad se, idest ut sibi uniatur; non tamen ut non au sens où l’union se réalise en elle.
in se unio fiat.

Articulus 3 [8129] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. Article 3 – Convient-il à la nature d’assumer,


3 tit. Utrum conveniat naturae, remotis personis en mettant à part les personnes ?
[8130] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nature ne puisse assumer, en
tertium sic proceditur. Videtur, quod natura, meettant à part les personnes. En effet, la nature
circumscriptis personis, assumere non possit. n’est sans les suppôts existe dans la simple
Natura enim sine suppositis est in nuda contemplation. Or, ce qui est simplement
contemplatione tantum. Sed quod est tantum in contemplé n’a pas d’être, et ce qui n’existe pas
contemplatione, non habet esse; et quod non est, n’agit pas. La nature sans les personnes ne
non agit. Ergo natura sine personis assumere non pourrait donc pas assumer.
posset.
[8131] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 2 2. Selon le Philosophe, les actions sont le fait des
Praeterea, secundum philosophum, actiones sunt individus ou des suppôts. Or, assumer est une
individuorum sive suppositorum. Sed assumere action. Puisque les suppôts de la nature divine
est actio quaedam. Cum igitur supposita divinae sont les personnes elles-mêmes, il semble donc
naturae sint ipsae personae, videtur quod natura que la nature ne puisse assumer sans les
sine personis assumere non possit. personnes.
[8132] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 3 3. On dit que le Fils est envoyé du fait qu’il
Praeterea, filius ex hoc quod assumit dicitur mitti. assume. Or, si les personnes n’étaient pas
Sed si non essent personae distinctae, non distinctes, la raison de mission ne persisterait
remaneret ratio missionis: quia mittitur qui ab alio pas, car est envoyé celui qui vient d’un autre,
est, secundum Augustinum. Ergo sine personis selon Augustin. Il ne pourrait donc y avoir
distinctis non posset esse assumptio. d’assomption sans les personnes distinctes.
[8133] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 arg. 4 4. Il est nécessaire que l’assomption ait comme
219

Praeterea, assumptio oportet quod terminetur ad terme une certaine union. Or, en mettant à part
aliquam unionem. Sed circumscriptis personis non les personnes, il ne resterait rien en quoi l’union
remaneret in quo fieret unio: quia in natura non se réaliserait, car elle ne peut se réaliser dans la
potest fieri. Ergo natura non potest sine personis nature. La nature ne peut donc assumer sans les
assumere. personnes.
[8134] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] En Lc 1, l’ange a montré que
contra, Angelus, Luc. 1, probavit incarnationem l’incarnation se réalisait par la toute-puissance de
per Dei omnipotentiam: quia non est impossibile Dieu, car aucune parole n’est impossible pour
apud Deum omne verbum. Sed circumscriptis Dieu. Or, si l’on met les personnes à part, la
personis, adhuc in essentia remaneret toute-puissance demeurerait encore dans
omnipotentia. Ergo adhuc in essentia poterat fieri l’essence [divine]. L’assomption pouvait donc
assumptio. encore se réaliser dans l’essence.
[8135] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 s. c. 2 [2] [Jean] Damascène dit qu’« en raison de sa
Praeterea, Damascenus dicit, quod propter philanthropie, c’est-à-dire de son amour des
philanthropiam, idest amorem hominum, filius hommes, le Fils de Dieu a reçu leur nature ». Or,
Dei naturam accepit. Sed circumscriptis personis si les personnes sont mises à part, il serait encore
adhuc conveniret Deo suam creaturam diligere. approprié que Dieu aime sa créature.
Ergo adhuc poterit esse assumptio. L’assomption pourrait donc encore exister.
[8136] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 co. Réponse. La mise à part d’une personne par
Respondeo dicendum, quod circumscriptio rapport à la nature divine peut s’entendre de
personae a natura divina potest dupliciter intelligi. deux manières. D’une manière, toute raison de
Uno modo quod circumscribatur omnis ratio personnalité est mise à part : ainsi, la nature elle-
personalitatis; et sic ipsa natura neque erit même ne subsistera pas en elle-même et elle ne
subsistens in se, neque erit in aliquo subsistente; se trouvera pas en quelque chose qui subsiste.
et sic non habebit esse in re, sed in intellectu; et Elle n’aura donc pas ainsi d’existence réelle,
sic non conveniet ei neque assumere, neque mais [une existence] dans l’intellect. Il ne sera
aliquid agere. Alio modo potest intelligi quod donc pas approprié ni qu’elle assume ni qu’elle
circumscribantur personae distinctae quas fides fasse quelque chose. D’une autre manière, on
ponit. Eis autem circumscriptis adhuc remaneret peut entendre que les personnes divines sont
divina natura subsistens, sicut Deum intelligunt mises à part selon les personnes distinctes que la
qui non habent fidem Trinitatis, sine hoc quod foi affirme. Or, celles-ci mises à part, la nature
intelligant ibi patrem vel filium vel spiritum divine demeurerait encore subsistante, comme
sanctum; unde adhuc remanebit ibi personalitas ceux qui n’ont pas la foi en la Trinité entendent
aliqua; et secundum hoc quaestio procedit de Dieu, sans entendre que s’y trouvent le Père, le
circumscriptione personarum distinctarum, quas Fils ou le Saint-Esprit. Il demeurera donc encore
fides supponit; et hoc modo dicendum, quod là une certaine personnalité. Sous cet aspect, la
circumscriptis personis, adhuc divinae naturae question vient de la mise à part des personnes
conveniet assumere. distinctes, telles que la foi les suppose. De cette
manière, il faut dire que, les personnes étant
mises à part, il serait encore approprié que la
nature divine assume.
[8137] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1-2 et 4. La réponse au premier, au deuxième et
primum ergo, secundum et quartum patet solutio: au quatrième argument ressort ainsi clairement,
quia procedunt secundum primum intellectum. car ils viennent de la première interprétation.
[8138] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. La mission ne fait pas nécessairement partie
tertium dicendum, quod missio non est de de l’incarnation, mais elle fait nécessairement
necessitate incarnationis simpliciter, sed de partie de l’incarnation du Fils. C’est ainsi que,
necessitate incarnationis filii; unde supra, distinct. plus haut, d. 1, le Maître dit que le Père pouvait
1, Magister dicit, quod pater potuit incarnari, qui s’incarner, alors qu’il ne peut être envoyé.
tamen non potest mitti.
220

Quaestio 3 Question 3 – [Ce qui est assumé]

Prooemium Prologue
[8139] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur ce qui est assumé. À
quaeritur de assumpto; et circa hoc quaeruntur ce propos, on pose trois questions : 1 – La nature
tria: 1 utrum natura humana sit assumpta; 2 utrum humaine a-t-elle été assumée ? 2 – L’âme est-elle
anima sit persona; 3 utrum persona hominis sit unehhh personne ? 3 – La personne de l’homme
assumpta. a-t-elle été assumée ?

Articulus 1 [8140] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. Article 1 – La nature humaine a-t-elle été
1 tit. Utrum humana natura sit assumpta assumée ?
[8141] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nature humaine n’ait pas été
primum sic proceditur. Videtur, quod humana assumée, car, selon Boèce, « la nature », comme
natura non sit assumpta. Quia, secundum nous en parlons ici, « est tout ce qui confère une
Boetium, natura, prout hic loquimur de ea, est forme par une différence spécifique ». Or, la
unumquodque informans specifica differentia. nature spécifique signifie la simple nature : en
Sed differentia specifica est naturam nudam effet, elle ne la signifie en tant qu’elle existe
significans: non enim significat eam ut in aliquo. dans quelque chose. Puisque, selon [Jean]
Cum ergo secundum Damascenum, non Damascène, Dieu n’a pas assumé la nature qui
assumpserit Deus naturam quae in nuda est existe dans la simple contemplation, il semble
contemplatione, videtur quod non assumpsit qu’il n’a pas assumé la nature.
naturam.
[8142] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 2 2. Il est nécessaire que ce qui est assumé
Praeterea, quod assumitur, oportet praeexistere. préexiste. Or, la nature humaine n’a pas
Sed humana natura non praeextitit unioni: quia préexisté à l’union, car la chair et la chair du
simul fuit caro, et Dei verbi caro. Ergo natura non Verbe de Dieu ont existé simultanément. La
assumitur. nature n’est donc pas assumée.
[8143] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 3 3. La nature est la même chose que l’essence. Or,
Praeterea, natura est idem quod essentia. Sed non on ne peut pas dire qu’il a assumé l’essence, car
potest dici, quod essentiam assumpserit: quia le mot « essence » vient d’« être », et être est le
essentia dicitur ab essendo; esse autem personae fait de la personne, qu’il n’a pas assumée. Il n’a
est, quam non assumpsit. Ergo nec naturam donc pas non plus assumé la nature.
assumpsit.
[8144] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 4 4. La nature humaine est l’humanité elle-même.
Praeterea, natura humana est ipsa humanitas. Sed Or, l’humanité ne peut exister sans l’homme.
humanitas non potest esse sine homine. Cum Puisque ce qui a été assumé n’était pas l’homme,
igitur id quod assumptum est, non fuerit homo, ut comme le dit le texte [du Maître], il semble donc
dicitur in littera, videtur quod nec humanitas, et que ce n’ait pas non plus été l’humanité. Ainsi, il
ita nec humana natura. n’a pas non plus assumé la nature humaine.
[8145] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 5 5. L’assomption a comme terme l’union. Or, la
Praeterea, assumptio terminatur ad unionem. Sed nature humaine n’a pas été unie, car celui qui
humana natura non est unita: quia uniens est unit est ce qui est uni. Or, la nature humaine
unitum; natura autem humana non est filius Dei. n’est pas le Fils de Dieu. La nature humaine n’a
Ergo natura humana non est assumpta. donc pas été assumée.
[8146] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur la
contra, Augustinus in Lib. de fide ad Petrum: foi adressé à Pierre : Dieu a reçu la nature
Deus humanam naturam in unitatem personae humaine dans l’unité de la personne.
accepit.
[8147] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2 [2] Dieu devient homme par l’assomption. Or, il
221

Praeterea, Deus per assumptionem fit homo. Sed n’existe pas d’homme dans lequel n’existe pas la
non est homo in quo non sit humana natura. Ergo nature humaine. Dieu a donc assumé la nature
Deus humanam naturam assumpsit. humaine.
[8148] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 3 [3] Ph 2, 7 dit : En prenant la forme de
Praeterea, Philip. 2, 7: formam servi accipiens, l’esclave, c’est-à-dire la nature [de l’esclave].
idest naturam.
[8149] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 co. Réponse. Quiconque confesse l’incarnation
Respondeo dicendum, quod quicumque confitetur affirme que la nature humaine a été assumée.
incarnationem, ponit humanam naturam Bien que, selon toutes les manières de parler de
assumptam: et quamvis secundum omnes modos la nature qui ont été exposées plus haut, on
quibus dicitur natura superius positos, possit dici puisse dire que la nature a été assumée, il n’est
natura assumpta, non oportet discurrere per pas nécessaire de discuter de chacune, puisque
singula, cum naturam omnes intelligant, qui tous ceux qui disent que la nature humaine a été
dicunt naturam humanam assumptam, secundum assumée l’entendent selon que la nature signifie
quod natura significat quidditatem. la quiddité.
[8150] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. De même que le genre est une intention que
primum ergo dicendum, quod sicut genus est l’intellect applique à une forme intelligée, de
quaedam intentio quam intellectus ponit circa même la différence l’est-elle, et tout ce qui
formam intellectam; ita etiam differentia, et signifie les intentions secondes. Toutefois, à
omnia quae significant secundas intentiones. cette intention intelligée correspond une nature
Tamen huic intentioni intellectae respondet natura qui existe dans les choses particulières, bien que,
quaedam quae est in particularibus; quamvis selon qu’elle existe dans les choses particulières,
secundum quod est in particularibus, non habeat elle n’ait pas la raison de genre ou d’espèce. Je
rationem generis vel speciei. Secundum hoc dico, dis ainsi que Boèce n’entend pas dire que la
quod Boetius non intendit dicere, quod differentia différence, selon que lui est appliquée l’intention
secundum quod accidit ei intentio differentiae, sit de la différence, est la nature, mais selon qu’elle
natura, sed quantum ad id quod est in re ipsa, existe dans la chose elle-même, c’est-à-dire la
scilicet quidditas rei quam differentia complet. quiddité de la chose que la différence complète.
[8151] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. Bien qu’elle ne préexiste pas dans le temps,
secundum dicendum, quod quamvis non elle préexiste cependant selon la manière
praeexistat tempore, praeexistit tamen secundum d’intelliger, et cela suffit.
modum intelligendi; et hoc sufficit.
[8152] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. Le rapport de l’essence à l’être ne consiste pas
tertium dicendum, quod essentia non habet se ad en ce qu’elle en découle, mais en ce qu’elle est
esse sicut consequens ipsum, sed sicut id per quod ce par quoi existe l’être, de même que la nature.
est esse, sicut et natura; unde similiter concedo Je concède donc aussi qu’il a assumé l’essence
quod assumpsit essentiam sicut assumpsit comme il assumé la nature, bien qu’il n’ait pas
naturam, quamvis non assumpserit suppositum. assumé le suppôt.
[8153] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Bien que l’humanité n’existe pas sans
quartum dicendum, quod quamvis humanitas non l’homme, elle est cependant naturellement
sit sine homine, tamen est prius naturaliter quam antérieure à l’homme, car c’est par elle qu’on dit
homo, quia per eam dicitur aliquis esse homo; que l’homme est. Il en va donc de même que
unde est eadem ratio sicut de essentia. pour l’essence.
[8154] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 1 ad 5 Ad 5. Bien que la nature humaine n’ait pas été unie,
quintum dicendum, quod quamvis natura humana c’est-à-dire qu’elle ne soit pas devenue une seule
non sit unita, idest facta unum simpliciter, cum chose avec la nature divine, elle lui a cependant
divina; est tamen ei unita in aliquo, id est in été unie en quelqu’un, à savoir dans la personne.
persona.

Articulus 2 [8155] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. Article 2 – L’âme séparée est-elle une
222

2 tit. Utrum anima separata sit persona personne ?


[8156] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que l’âme séparée soit une personne.
secundum sic proceditur. Videtur quod anima En effet, selon Boèce, « la personne est la
separata sit persona. Persona enim, secundum substance individuelle de nature raisonnable ».
Boetium, est rationalis naturae individua Or, cela convient à l’âme séparée. Elle est donc
substantia. Sed hoc convenit animae separatae. une personne.
Ergo est persona.
[8157] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 2 2. Ce par quoi toute chose est ce qu’elle est est
Praeterea, propter quod unumquodque tale, et encore davantage. Or, l’homme est appelé une
illud magis. Sed homo dicitur persona propter personne en raison de son âme ; aussi les réalités
animam: unde quae carent anima, non dicuntur à qui l’âme fait défaut ne sont-elles pas appelées
personae. Ergo anima separata est persona. des personnes. L’âme séparée est donc une
personne.
[8158] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 3 3. On concède que l’âme raisonnable est telle
Praeterea, conceditur quod anima rationalis est chose. Or, telle chose dans une nature
hoc aliquid. Sed hoc aliquid in natura rationali est raisonnable est une personne. L’âme séparée est
persona. Ergo anima separata est persona. donc une personne.
[8159] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 4 4. L’ange et l’âme séparée ne semblent diffèrer
Praeterea, Angelus et anima separata non videntur que par le fait que l’âme est apte à être unie. Or,
differre nisi per hoc quod anima est unibilis. Sed l’aptitude à l’union n’empêche pas la raison de
unibilitas non impedit rationem personae. Ergo personne. Puisque l’ange est une personne, l’âme
cum Angelus sit persona, etiam anima separata séparée aussi sera une personne. Démonstration
erit persona. Probatio mediae. Id quod potest fieri de la mineure. Ce qui peut être accompli par la
per divinam virtutem, non immutat aliquid de puissance divine n’enlève rien à la raison d’une
ratione rei; sicut quod Deus possit assumere chose, comme le fait pour Dieu de pouvoir
aliquem hominem, ut Petrum, non aufert Petro assumer un homme, ainsi Pierre, n’enlève pas à
rationem personalitatis. Sed anima separata non Pierre la raison de personnalité. Or, l’âme
potest uniri corpori nisi per resurrectionem, quae séparée ne peut être unie au corps que par la
non erit naturalis, sed per divinam virtutem résurrection, qui ne sera pas naturelle, mais sera
tantum. Ergo anima propter unibilitatem rationem accomplie par la puissance divine seulement. En
personae non amittit. raison de son aptitude à l’union, l’âme ne perd
donc pas la raison de personne.
[8160] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 arg. 5 5. Seule l’aptitude à l’union, par laquelle une
Praeterea, sola unibilitas qua aliquid potest uniri chose peut être unie à quelque chose de plus
nobiliori, tollit rationem personae; alias verbum noble, enlève la raison de personne, autrement le
non haberet ab aeterno rationem personae. Sed Verbe ne posséderait pas éternellement la raison
unibilitas quae est in anima separata, non est de personne. Or, l’aptitude à l’union qui existe
respectu alicujus dignioris, immo minus nobilis. dans l’âme séparée n’est pas en rapport avec
Ergo propter hoc non perdit rationem personae. quelque chose de plus digne, mais plutôt avec
quelque chose de moins noble. Elle ne perd donc
pas pour cela la raison de personne.
[8161] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] aucune forme n’est une
contra, nulla forma est persona. Sed anima est personne. Or, l’âme est une forme. Elle n’est
forma. Ergo non est persona. donc pas une personne.
[8162] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 s. c. 2 [2] La personne possède la raison d’achevé et de
Praeterea, persona habet rationem completi et tout. Or, l’âme est une partie. L’âme n’a donc
totius. Sed anima est pars. Ergo anima non habet pas la raison de personne.
rationem personae.
[8163] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 co. Réponse. Chez les anciens, une double opinion
Respondeo dicendum, quod de unione animae ad sur l’union de l’âme au corps a existé. L’une
223

corpus apud antiquos duplex fuit opinio. Una était que l’âme est unie au corps comme comme
quod anima unitur corpori sicut ens completum quelque chose de complet à une être complet, de
enti completo, ut esset in corpore sicut nauta in sorte qu’elle serait dans le corps comme un
navi: unde, sicut dicit Gregorius Nyssenus, Plato marin dans un navire. Comme le dit Grégoire de
posuit quod homo non est aliquid constitutum ex Nysse, Platon affirmait que l’homme n’est pas
corpore et anima, sed est anima corpore induta: et quelque chose qui est constitué d’un corps et
secundum hoc tota personalitas hominis d’une âme, mais qu’il est une âme revêtue d’un
consisteret in anima, adeo quod anima separata corps. Toute la personnalité de l’homme
posset dici homo vere, ut dicit Hugo de s. Victore: consisterait ainsi dans l’âme, au point où l’âme
et secundum hanc opinionem esset verum quod séparée pourrait être appelée véritablement un
Magister dicit, quod anima est persona quando est homme, comme le dit Hugues de Saint-Victor.
separata. Sed haec opinio non potest stare: quia Selon cette opinion, ce que dit le Maître serait
sic corpus animae accidentaliter adveniret: unde donc vrai : l’âme est une personne lorsqu’elle est
hoc nomen homo, de cujus intellectu est anima et séparée. Mais cette opinion ne peut être tenue,
corpus, non significaret unum per se, sed per car ainsi le corps adviendrait à l’âme de manière
accidens; et ita non esset in genere substantiae. accidentelle. Ce mot « homme », que l’on
Alia est opinio Aristotelis quam omnes moderni comprend être une âme et un corps, ne
sequuntur, quod anima unitur corpori sicut forma signifierait donc pas quelque chose d’un par soi,
materiae: unde anima est pars humanae naturae, et mais par accident. Il ne ferait donc pas partie du
non natura quaedam per se: et quia ratio partis genre de la substance. L’opinion d’Aristote,
contrariatur rationi personae, ut dictum est, ideo suivie par tous les modernes, est différente :
anima separata non potest dici persona: quia l’âme est unie au corps comme une forme à sa
quamvis separata non sit pars actu, tamen habet matière. L’âme est donc une partie de la nature
naturam ut sit pars. humaine, et non pas une nature par elle-même.
Et parce que la raison de partie s’oppose à la
raison de personne, comme on l’a dit, l’âme
séparée ne peut donc être appelée une personne,
car, bien que l’âme séparée ne soit pas une partie
en acte, elle est cependant une partie par nature.
[8164] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 1 Ad 1. À proprement parler, l’âme séparée n’est pas
primum ergo dicendum, quod anima separata, la substance d’une nature, mais elle est une
proprie loquendo, non est substantia alicujus partie d’une nature.
naturae, sed est pars naturae.
[8165] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 2 Ad 2. L’homme ne tient pas seulement de l’âme
secundum dicendum, quod non tantum ab anima d’être une personne, mais d’elle et du corps,
habet homo quod sit persona, sed ex ea et corpore; puisqu’il subsiste par les deux.
cum ex utrisque subsistat.
[8166] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 3 Ad 3. On dit que l’âme raisonnable est telle chose, à
tertium dicendum, quod anima rationalis dicitur la manière d’une être subsistant, même si elle a
hoc aliquid per modum quo esse subsistens est la nature de partie ; mais, il est requis pour la
hoc aliquid, etiam si habeat naturam partis; sed ad raison de personne qu’elle soit quelque chose
rationem personae exigitur ulterius quod sit totum d’entier et de complet.
et completum.
[8167] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 4 Ad 4. Bien que l’union de l’âme séparée à la chair
quartum dicendum, quod quamvis unio animae ne puisse être réalisée que par une puissance
separatae ad carnem non possit fieri nisi per surnaturelle, il existe cependant en elle une
virtutem supernaturalem, tamen in ea est naturalis aptitude naturelle à cela. Que l’union ne puisse
aptitudo ad hoc: et quod non potest unio compleri être réalisée par une puissance naturelle, cela
per virtutem naturalem, est ex defectu corporis, vient d’une carence du corps, et non d’une
non ex defectu animae. carence de l’âme.
224

[8168] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 2 ad 5 Ad 5. Bien que l’âme soit plus digne que le corps,
quintum dicendum, quod quamvis anima sit elle lui est cependant unie comme une partie de
dignior corpore, tamen unitur ei ut pars totius l’homme tout entier, ce qui est d’une certaine
hominis, quod quodammodo est dignius anima, manière plus digne que l’âme, pour autant que
inquantum est completius. cela est plus complet.
Articulus 3 [8169] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. Article 3 – La personne a-t-elle été assumée ?
3 tit. Utrum persona sit assumpta
[8170] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la personne de l’homme ait été
tertium sic proceditur. Videtur quod persona assumée. En effet, [Jean] Damascène dit que
hominis sit assumpta. Damascenus enim dicit, « Dieu a assumé la nature humaine dans quelque
quod Deus assumpsit humanam naturam in chose d’indivis » (atomo), c’est-à-dire dans un
atomo, idest in individuo. Sed humana natura in individu. Or, la nature humaine dans l’individu
individuo, est natura in persona. Ergo assumpsit est une nature dans une personne. Il a donc
naturam in persona. assumé la nature dans la personne.
[8171] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 2 2. Le Christ n’est semblable à sa mère que pour
Praeterea, Christus non est similis matri nisi in ce qu’il a reçu de sa mère. Or, il est semblable à
hoc quod accepit a matre. Sed est similis matri sa mère pour ce qui est de la personne ; c’est
quantum ad personam: unde dicit Cassianus, quod ainsi que Cassien dit que le Christ, en raison de
Christus propter personarum diversitatem reddidit la diversité des personnes, a manifesté une
utrique parenti similitudinem, scilicet patri et similitude à ses deux parents, à son Père et à sa
matri. Ergo assumpsit personam. mère. Il a donc assumé la personne.
[8172] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 3 3. À supposer que le Christ se sépare de ce qu’il
Praeterea, ponatur quod Christus deponat hoc a assumé, il est clair que Jésus sera un homme et
quod assumpsit: constat quod Jesus erit quidam une personne. Or, par la séparation, il n’a rien
homo, et persona. Sed ex separatione nihil reçu qu’il n’ait d’abord possédé, et il n’a rien
acquisitum est ei quod prius non haberet; nec reçu du point de vue de l’humanité que ce qui a
habuit aliquid ex parte humanitatis nisi été assumé. Il a donc assumé la personne.
assumptum. Ergo assumpsit personam.
[8173] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 arg. 4 4. N’est consumé que ce qui existe. Or, Innocent
Praeterea, non consumitur nisi quod est. Sed dicit IV dit dans une décrétale que « la personne a
Innocentius quartus in decretali, quod persona consumé la personne ». La nature humaine avait
consumpsit personam. Ergo natura humana habuit donc une personnalité propre. Or, ce n’était pas
personalitatem propriam. Sed non ante avant l’assomption, car elle n’existait pas
assumptionem, quia non fuit ante. Ergo in ipsa auparavant. Elle a donc eu une personnalité
assumptione habuit personalitatem propriam: ergo propre dans l’assomption même. La personne a
persona fuit assumpta. donc été assumée.
[8174] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Augustin dit que le Verbe n’a
contra, Augustinus dicit, quod verbum non accepit pas reçu la personne de l’homme, mais sa nature.
personam hominis, sed naturam.
[8175] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 s. c. 2 [2] Ce qui est assumé est uni d’une certaine
Praeterea, quod assumitur, aliquo modo unitur. manière. Or, la personne n’est pas unie à la
Sed persona non unitur personae: quia sic essent personne, car il y aurait ainsi deux personnes, ce
duae personae, quod esse non potest, ut supra qui ne peut être le cas, comme on l’a dit plus
dictum est, quaest. 1, art. 5: vel una composita ex haut, q. 1, a. 5 ; ou il y aurait une seule personne
duabus, quod etiam est impossibile, cum persona composée des deux, ce qui est aussi impossible,
pars esse non possit. Ergo persona non est puisque la personne ne peut être une partie. La
assumpta. personne n’a donc pas été assumée.
[8176] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 1,
Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum qa 3, ce qui assume n’est pas assumé. Si une
est, quaest. 1, art. 1, quaestiunc. 3, assumens non personne de Dieu avait assumé la personne d’un
225

est assumptum: unde si persona Dei assumpsisset homme, la personne ne Dieu ne serait pas la
personam hominis, persona Dei non esset persona personne de l’homme. Il y aurait donc ainsi deux
hominis; et sic essent duae personae, quod est personnes, ce qui est hérétique. On ne concède
haereticum: unde non conceditur quod persona sit donc pas que la personne a été assumée, et aussi
assumpta: et etiam quod assumitur, trahitur ad ce qui est assumé est attiré à quelque chose de
aliquod completius, ipsum incompletum existens, plus complet, alors qu’il est lui-même incomplet,
ut patet ex praedictis, et hoc est contra rationem comme cela ressort de ce qui a été dit. Et cela est
personae, quae maximam completionem importat. contraire à la raison de personne, qui est ce qu’il
y a de plus complet.
[8177] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 1 Ad 1. La nature humaine n’a pas préexisté à
primum ergo dicendum, quod humana natura non l’union ; mais, après avoir été unie, elle a existé
praeexistit ante unionem; sed postquam unita est, dans quelque chose d’indivis (atomo), la
fuit in atomo, vel persona verbi. personne du Verbe.
[8178] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 2 Ad 2. Ce qu’il dit : « En raison de la diversité des
secundum dicendum, quod hoc quod dicit: personnes », ne doit pas être mis en rapport avec
propter personarum diversitatem, non est le Christ, mais avec ses parents, car les
referendum ad Christum, sed ad parentes; quia personnes de son Père et de sa mère sont
diversae sunt personae patris et matris ejus. différentes.
[8179] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 3 Ad 3. La séparation confère à chacune des parties
tertium dicendum, quod separatio dat utrique une totalité et, dans les réalités continues, elle
partium totalitatem, et in continuis dat etiam donne même à chacune des deux l’être en acte. À
utrique esse in actu: unde supposito quod supposer qu’il se séparerait de l’homme, cet
hominem deponeret, subsisteret homo ille per se homme subsisterait par soi dans sa nature
in natura rationali, et ex hoc ipso acciperet raisonnable, et il recevrait de cela même la
rationem personae. raison de personne.
[8180] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 ad 4 Ad 4. Consumer veut dire, au sens propre, détruire
quartum dicendum, quod consumere dicitur ce qui existait. Ainsi, la personne consumerait
proprie destruere quod extitit; et secundum hoc une personne, si la personne du Verbe assumait
persona consumpsisset personam, si persona verbi un homme qui existait déjà. Mais on dit en un
assumpsisset hominem primo existentem. Sed sens impropre que ce qui est empêché d’être est
improprie dicitur etiam consumi quod impeditur consumé. Et parce que la personne divine, qui a
ne fiat. Et quia persona divina, quae assumpsit assumé la nature humaine, empêche que la
humanam naturam impedit quod natura humana nature humaine n’ait sa personnalité propre, on
habeat propriam personalitatem, ideo dicitur dit, bien qu’improprement, qu’elle a consumé la
consumpsisse personam, quamvis improprie: unde personne [humaine]. Il ne faut donc pas étendre
non est ex hoc extendendum. la portée de cela.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


5
[8181] Super Sent., lib. 3 d. 5 q. 3 a. 3 expos. Nec
divinitas (inquit) Christi, aliena est a natura
patris, nec humanitas a natura matris. Contra.
Christus communicat cum patre in una natura
numero, cum matre vero non. Ergo non est recta
similitudo. Dicendum, quod non oportet quod sit
similitudo quantum ad omnia, sed sufficit quod sit
quantum ad aliquid. Cum (inquit) de Christo
audis, quia in forma Dei erat, oportet agnoscere
firmissimeque tenere, in illo formae nomine
naturalem plenitudinem debere intelligi.
226

Sciendum, quod natura divina dicitur forma, non


quod sit actus alicujus naturae, sed quia non habet
partem sui naturam, nec aliquid potentialitatis in
ipsa est. Natura vero humana dicitur forma, non
quia comprehendit principia tantum formalia
(comprehendit enim et formam et materiam), sed
per modum quo quidditas compositi dicitur forma
totius. Solum verbum carnem Trinitas fecit. Pars
ponitur hic pro toto, quia caro pro homine: et
ponit infirmiorem, de qua minus videtur, ut totam
naturam nostram videatur assumpsisse, et etiam
defectus humanae naturae quos decuit. Omnem et
perfectam naturam divinitatis. Contra. Omnis
signum distributivum est. Sed natura divina est
indivisa. Dicendum, quod omnis ponitur pro toto,
secundum quod totum dicitur cui nihil deest, et
non ex parte illa quo totum comparatur ad partes,
quia natura divina non habet partes. Ideoque non
sic dicitur divina natura esse homo, sicut Dei
filius. Contra. De quocumque praedicatur filius
Dei, praedicatur homo. Sed natura divina est filius
Dei. Ergo est homo. Dicendum, quod differentia
est inter nomina substantiva et adjectiva.
Substantiva enim significant non tantum formam,
sed etiam suppositum formae, unde possunt
praedicari ratione utriusque; et quando
praedicantur ratione suppositi, dicitur praedicatio
per identitatem; quando autem ratione formae,
dicitur per denominationem, sive informationem:
et haec est magis propria praedicatio, quia termini
in praedicato tenentur formaliter. Adjectiva autem
tantum significant formam; et ideo non possunt
praedicari, nisi per informationem: unde haec est
falsa: essentia est generans; quamvis haec sit vera:
essentia est pater. Cum igitur dicitur, filius Dei est
homo, est praedicatio per informationem et
identitatem; cum vero dicitur: essentia divina est
homo, est praedicatio per identitatem, quia est
idem secundum rem cum supposito hominis; non
autem per informationem, quia natura divina non
significatur ut suppositum subsistens in humana
natura. Et ideo dicit Magister, quod non est una
vera sicut alia; sed nec tamen dicit eam simpliciter
esse falsam.

Distinctio 6 Distinction 6 – [Les conditions du Dieu


incarné]

Quaestio 1 Question 1 – [Ce qui convient au Dieu


incarné]
227

Prooemium Prologue
[8182] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de l’incarnation de Dieu,
Magister determinavit de incarnatione Dei, hic le Maître commence ici à déterminer des
determinare incipit conditiones Dei incarnati. conditions du Dieu incarné. Cette partie se divise
Dividitur autem haec pars in duas: in prima en deux parties : dans la permière, il détermine
determinat de his quae conveniunt Deo incarnato de ce qui convient au Dieu incarné en raison de
ratione unionis; in secunda de his quae pertinent l’union ; dans la seconde, de ce qui appartient à
ad naturam assumptam absolute, dist. 13, ibi: la nature assumée de manière absolue, d. 13, à
praeterea sciendum est. De his enim quae cet endroit : « De plus, il faut savoir… » De ce
absolute pertinent ad divinam naturam, qui appartient à la nature divine de manière
determinatum est in 1 Lib. Prima autem pars absolue, il a été déterminé dans le livre I. La
dividitur in duas: primo determinat de his quae première partie se divise en deux : premièrement,
dicuntur de Deo incarnato, exprimentia ipsam il détermine de ce qu’on dit du Dieu incarné, qui
unionem, sicut quod dicitur: Deus est homo, vel exprime l’union elle-même, comme lorsqu’on
factus est homo; in secunda determinat de his dit : « Dieu est homme » ou « [Dieu] s’est fait
quae conveniunt ei consequenter ad unionem, dist. homme » ; dans la seconde, il détermine de ce
8, ibi: post praedicta, inquiri debet, utrum de qui lui convient en conséquence de l’union, d. 8,
natura divina concedendum sit quod de virgine sit à cet endroit : « Après ce qui a été dit, on doit se
nata. Prima dividitur in tres partes: in prima demander si on doit concéder que la nature
movet quaestionem de locutionibus exprimentibus divine est née de la Vierge. » La première partie
unionem; in secunda ponit diversas opiniones de se divise en trois parties. Dans la première, il
modo unionis, ibi: alii enim dicunt; in tertia soulève une questions à propos des formules qui
ostendit quomodo intelliguntur diversimode expriment l’union. Dans la deuxième, il présente
praedictae locutiones secundum diversas diverses opinions à propos du mode de l’union, à
opiniones, dist. 7, ibi: secundum primam vero cet endroit : « En effet, d’autres disent… » Dans
dicitur Deus factus homo, et homo factus Deus. la troisième, il montre comment les formules
Alii enim dicunt in ipsa verbi incarnatione rappelées s’entendent de diverses manières selon
hominem quemdam ex anima rationali et humana les diverses opinions, d. 7, à cet endroit : « Selon
carne constitutum. Hic ponit opiniones, et la première opinion, on dit vraiment que Dieu
dividitur in tres partes secundum tres opiniones s’est fait homme et que l’homme est devenu
quas ponit; secunda incipit ibi: sunt autem alii qui Dieu. » « En effet, d’autres disent que, dans
istis in parte consentiunt; tertia ibi: sunt etiam alii l’incarnation même du Verbe, un homme a été
qui in incarnatione verbi non solum personam ex formé d’une âme raisonnable et d’une chair
naturis compositam negant, verum etiam humaine. » Ici, il présente les opinions, et cela se
hominem aliquem, sive etiam aliquam divise en trois parties selon les trois opinions
substantiam ibi ex anima et carne compositam vel qu’il présente. La deuxième partie début en cet
factam diffitentur. Quaelibet autem trium partium endroit : « Mais il y en d’autres qui sont
dividitur in duas partes, in opinionem et partiellement d’accord avec cela. » La troisième
confirmationem. Confirmatio primae opinionis partie [débute] à cet endroit : « Il y en a aussi
incipit ibi: et ne de suo sensu tantum loqui d’autres qui, dans l’incarnation du Verbe, non
putentur, hanc sententiam pluribus muniunt seulement nient que la personne est composée de
testimoniis; secunda autem ibi: de hoc Augustinus natures, mais qu’elle est aussi un homme, ou
in libro sententiarum prosperi ait. Confirmatio encore qui récusent qu’une substance y ait été
autem tertii ibi: ne autem et isti de suo sensu composée ou faite d’âme et de chair. » Chacune
influere videantur, testimoniis in medium de ces trois parties se divise en deux parties : une
productis quod dicunt confirmant. Ad evidentiam opinion et sa confirmation. La confirmation de la
autem eorum quae dicuntur, oportet primo tria première opinion débute à cet endroit : « De
videre. Primo in quo istae tres opiniones crainte qu’on ne croie qu’ils parlent selon leur
conveniant. Secundo in quo una harum opinionem propre opinion, ils appuient cette position sur
ab alia differat. Tertio quid unaquaeque ponat. In plusieurs témoignages. » La [confirmation] de la
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quo tres illae opiniones conveniant. Quantum ad deuxième opinion [début] à cet endroit : « À ce
primum sciendum, quod istae opiniones propos, dans le livre sur Les positions de
conveniunt in quatuor: primo, quia quaelibet Prospère, Augustin dit. » La confirmation de la
harum ponit unam personam in Christo, scilicet troisième [opinion débute] à cet endroit : « Mais
divinam, per quod recedunt ab haeresi Nestorii: de crainte que ceux-ci ne paraissent être portés
secundo ponunt in Christo duas naturas, et tres par leur propre opinion, ils confirment ce qu’ils
substantias, scilicet divinitatem, animam, et disent par des témoignages ouvertement
corpus, ex quibus duobus dicunt constare naturam invoqués. » Mais, pour mettre en lumière ce qui
humanam, et per hoc recedunt ab errore est dit, il faut d’abord voir trois choses.
Eutychetis, qui posuit unam naturam in Christo: Premièrement, [il faut voir] ce sur quoi ces trois
tertio has duas substantias in quibus humana opinions sont d’accord. Deuxièmement, en quoi
natura consistit, dicunt assumptas a verbo, per une de ces opinions diffère d’une autre.
quod recedunt ab errore Manichaei, qui negabat Troisièmement, ce qu’affirme chacune d’elles.
carnis assumptionem. Quarto, quod hoc quod En quoi ces trois opinions sont-elles d’accord ?
assumptum est, non praeexistit ante unionem À propos de ce premier point, il faut savoir que
tempore, sed natura solum; per quod evadunt ces opinions sont d’accord sur quatre points.
errorem quem tangit Damascenus dicentium, quod Premièrement, chacune d’elles affirme une seule
primo assumpserit intellectum, et ex tunc fuisse personne dans le Christ, à savoir, une personne
hominem; postea autem assumpsisse carnem in divine, par quoi elles s’éloignent de l’hérésie de
utero virginis: quod videtur esse error Origenis, Nestorius. Deuxièmement, elles affirment qu’il
qui ponebat animas creatas ante corpora. In quo existe deux natures et trois substances dans le
una harum opinionum ab alia differat. Quantum Christ : la divinité, l’âme et le corps, ces deux
vero ad secundum, scilicet differentiam harum derniers formant la nature humaine. En cela, ils
opinionum, sciendum est, quod cum in Christo s’éloignent de l’erreur d’Eutychès, qui affirmait
sint tres substantiae, invenitur duplex comparatio une seule nature dans le Christ. Troisièmement,
harum substantiarum: una animae et corporis ad ils disent que les deux substances en lesquelles
invicem, secundum quod in eis consistit humana consiste la nature humaine ont été assumées par
natura; altera vero harum duarum ad personam le Verbe, en quoi ils s’éloignent de l’erreur de
divinam, secundum quod illa assumpsit has duas. Mani, qui niait l’assomption de la chair.
Et quaelibet harum opinionum differt ab altera Quatrièmement, ils disent que ce qui a été
quantum ad utramque comparationem. Differt assumé n’a pas préexisté à l’union dans le temps,
autem tertia opinio a primis duabus quantum ad mais par nature seulement : en cela, ils
comparationem animae et corporis: quia primae échappent à l’erreur de ceux qui, selon [Jean]
duae opiniones ponunt aliquid compositum ex Damascène, disaient qu’il avait d’abord assumé
anima et corpore, quod est assumptum: tertia vero l’intellect, puis, à partir de là, qu’il était devenu
ponit has duas substantias esse divisas ad invicem, homme, et qu’ensuite, il aurait assumé la chair
et sine aliqua compositione a persona verbi dans le sein de la Vierge, ce qui semble être
assumptas esse; unde cum dicitur natura humana l’erreur d’Origène, qui affirmait que les âmes ont
assumpta a verbo, sumit naturam humanam été créées avant les corps. En quoi l’une de ces
materialiter, idest partes humanae naturae, sicut opinions diffère-t-elle d’une autre ? À propos de
partes domus dicuntur domus. Differt autem a la différence entre ces opinions, il faut savoir
primis duabus quantum ad comparationem harum que, puisqu’il existe trois substances dans le
duarum substantiarum ad tertiam: quia ponit has Christ, on trouve une double comparaison entre
duas substantias conjunctas verbo accidentaliter, ces substances : l’une, entre l’âme et le corps
sicut vestis conjungitur homini, et sicut Angelus réciproquement, selon que la nature humaine
assumit corpus, ut in eo videatur; primae vero consiste en eux ; l’autre, entre ces deux
duae opiniones dicunt, non accidentaliter sed [substances] et la personne divine, selon qu’elle
substantialiter quantum ad esse personale verbo a assumé ces deux [substances]. Et chacune de
conjunctas esse. Similiter etiam secunda opinio ces opinions diffère d’une autre selon les deux
differt a prima secundum has duas comparationes. comparaisons. Mais la troisième opinion diffère
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Quantum enim ad comparationem animae et des deux premières à propos de la comparaison


corporis differunt in hoc quod cum utraque ponit entre l’âme et le corps, car les deux premières
animam et corpus praeexistere secundum opinions affirment quelque chose de composé
intellectum ad unionem, et ex eis conjunctis effici d’âme et de corps, qui est assumé ; mais la
aliquod unum, non uniusmodi unum ex his troisième affirme que ces deux substances sont
conjunctis constitui dicit utraque: ex conjunctione divisées l’une de l’autre et qu’elles ont été
enim animae ad corpus resultat et hic homo et assumées par la personne du Verbe sans
humanitas. Et haec duo qualiter differant, patere composition. Aussi, lorsqu’on dit que la nature
potest ex praedictis in praecedenti dist.: quia hic humaine a été assumée par le Verbe, elle entend
homo dicit quid subsistens in natura humana, la nature humaine de manière matérielle, c’est-à-
humanitas autem colligit tantum ea in sua dire les parties de la nature humaine, comme les
significatione ex quibus homo habet quod sit parties d’une maison sont appelées une maison.
homo. Prima ergo opinio dicit, quod illud unum Mais elle diffère des deux premières [opinions] à
constitutum ex anima et corpore quod propos de la comparaison entre ces deux
praeintelligitur unioni et assumitur est hic homo. substances et la troisième, car elle affirme que
Secunda vero dicit quod hoc quod sit humanitas, ces deux substances sont unies au Verbe de
et hoc quod sit hic homo non habet ex manière accidentelle, comme un vêtement est uni
conjunctione animae ad corpus, sed ex à un homme, et comme un ange assume un
conjunctione utriusque ad divinam personam, corps, de sorte qu’on le voie en lui ; mais les
quae subsistit in eis. Differunt etiam quantum ad deux premières opinions disent qu’elles ont été
secundam comparationem utriusque substantiae unies au Verbe, non pas accidentellement mais
ad divinam personam. Nam secunda opinio dicit, substantiellement, selon l’être personnel. De
quod istae duae substantiae assumptae ita même aussi, la deuxième opinion diffère de la
conjunguntur divinae personae quod pertinent ad première selon ces deux comparaisons. En effet,
personalitatem ipsius: adeo quod sicut persona à propos de la comparaison entre l’âme et le
verbi ante incarnationem subsistebat in natura corps, elles diffèrent en ce que les deux affirment
divina; ita post incarnationem subsistit in humana que l’âme et le corps préexistent à l’union selon
et divina; et ideo ante incarnationem erat simplex, l’intellect et que, de ces deux unis, quelque chose
sed post est composita. Prima vero opinio dicit, d’unique est réalisé, mais elle affirme que
quod illa substantia composita ex anima et quelque chose d’unique n’est pas constitué d’une
corpore non pertinet ad personalitatem verbi; ita manière unique à partir de l’union de ceux-ci : en
quod in ea persona verbi subsistat; sed per effet, de l’union de l’âme et du corps, résultent
assumptionem factum est ut persona verbi esset cet homme et l’humanité. Comment ces deux
illa substantia composita ex anima et corpore, et e choses diffèrent, on peut le voir clairement par
converso; unde persona verbi sicut fuit simplex ce qui a été dit dans la distinction précédente, car
ante incarnationem, ita est et simplex post « cet homme » signifie quelque qui subsiste dans
incarnationem. Quid unaquaeque harum la nature humaine, mais « l’humanité » ne
opinionum ponat. Quantum ad tertium autem, regroupe dans sa signification que ce dont
scilicet ad positiones quas quaelibet opinio ponit, l’homme tient d’être homme. La première
sciendum est quod prima opinio ex hoc quod opinion dit donc que cette réalité unique
ponit duas substantias, scilicet animam et corpus, constituée d’une âme et d’un corps, dont on
secundum quod praeintelliguntur unioni, esse pense qu’elle précède l’union et qui est assumée,
conjunctas ad constituendum hominem, oportet est cet homme. Mais la deuxième affirme qu’elle
quod primo ponat hominem assumptum; secundo ne tient pas de l’union de l’âme et du corps
quod homo non significet nisi compositum ex d’être humanité et d’être cet homme, mais de
duabus substantiis, scilicet anima et corpore, non l’union des deux à la personne divine, qui
autem deitate. Et quia hic homo est suppositum subsiste en elles. Elles diffèrent aussi à propos de
vel hypostasis; ideo ponit tertio in Christo esse la comparaison des deux substances à la
duo supposita: unum creatum quod est homo, et personne divine, car la deuxième opinion dit que
alterum increatum, quod est filius Dei; et similiter ces deux substances assumées sont unies à la
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duas hypostases. Et quia suppositum praedicatur personne divine de telle manière qu’elles
in recto, non in obliquo, sicut natura (Socrates relèvent de sa personnalité, au point que, de
enim est suppositum humanae naturae); ideo même que la personne du Verbe, avant
quarto dicit, quod Christus est neutraliter duo; l’incarnation, subsistait dans la nature divine, de
unus tamen masculine, propter unitatem personae. même, après l’incarnation, elle subsiste dans la
Et quia dicit hominem assumptum, et filius Dei nature humaine et dans la nature divine. Ainsi,
est homo; ideo dicit quinto, quod assumens est avant l’incarnation, elle était simple, mais, après,
assumptum. Et quia in Christo dicit duo supposita; elles est composée. Mais la première opinion dit
ideo dicit sexto, quod supposito filio Dei non que cette substance composée de l’âme et du
supponitur hic homo, quamvis hic homo sit filius corps ne concerne pas la personnalité du Verbe,
Dei, sicut supposita essentia non supponitur pater, de telle sorte qu’elle subsiste dans cette personne
quamvis essentia sit pater. Et quia hic homo non du Verbe ; mais, par l’assomption, il est arrivé
supponit suppositum aeternum; ideo dicit septimo, que la personne du Verbe soit cette substance
quod sicut Deus factus est homo, ita homo factus composée d’âme et de corps, et inversement.
est Deus: quod non posset dici si supponeret Ainsi, la personne du Verbe, de même qu’elle
suppositum aeternum, quia suppositum aeternum était simple avant l’incarnation, de même était-
non incipit esse Deus. Et quia proprietates elle simple après l’incarnation. Qu’affirme
aeternae non determinant suppositum temporale, chacune de ces opinions ? À propos du troisième
nec e converso; ideo dicit octavo, quod omnia point, c’est-à-dire les positions que chaque
nomina adjectiva quae significant aliquid opinion soutient, il faut savoir que la première
aeternum, non possunt dici de filio virginis nisi opinion, du fait qu’elle affirme que deux
cum implicatione; ut si dicatur: filius virginis est substances, l’âme et le corps, ont préexisté à
aeternus; idest est ille qui est aeternus: et similiter l’union, doit d’abord affirmer qu’un homme a
adjectiva quae significant aliquod temporale, non été assumé ; deuxièmement, que « homme »
possunt dici proprie de filio Dei. Substantiva signifie seulement le composé de ces deux
autem hinc inde praedicantur propter unionem; substances, l’âme et le corps, et non avec la
sicut et adjectiva personalia non dicuntur de divinité. Et parce que cet homme est un suppôt
essentia, quamvis substantiva dicantur de ea. ou une hypostase, elle affirme donc, en troisième
Secunda vero opinio, quia ponit, quod humana lieu, qu’il existe deux suppôts dans le Christ :
natura, quae est assumptum, non significat quid l’un créé, qui est l’homme ; l’autre incréé, qui est
subsistens, sed potius in ea subsistit divina le Fils de Dieu, et semblablement, deux
persona per unionem; ideo primo dicit, hominem hypostases. Et parce que le suppôt est prédiqué
(quod significat per modum subsistentis), non directement, et non indirectement, comme la
esse assumptum, sed humanam naturam. Et quia nature (en effet, Socrate est le suppôt de la nature
hypostasis vel suppositum, dicit aliquid per se humaine), elle dit donc, en quatrième lieu, que le
subsistens, ideo secundo non ponit in Christo nisi Christ n’est pas deux au neutre, mais qu’il est un
unum suppositum vel hypostasim. Et per au masculin, en raison de l’unité de la personne.
consequens ponit tertio, quod Christus est unum Parce qu’elle dit qu’un homme a été assumé et
tantum, et non solum unus. Et quia humana natura que le Fils de Dieu est un homme, elle dit donc,
non substantificatur, ut subsistat, nisi per unionem en cinquième lieu, que celui qui assume est ce
ad divinam personam; ideo homo, qui significat qui est assumé. Et parce qu’elle affirme deux
per modum subsistentis, non solum dicit naturam suppôts dans le Christ, elle dit donc, en sixième
et corpus, sed etiam divinitatem. Et haec est lieu, que cet homme n’est pas le suppôt du
quarta positio. Et quia divina persona, quae ante suppôt qu’est le Fils de Dieu, bien que cet
incarnationem subsistebat in una natura, post homme soit le Fils de Dieu, comme le Père n’est
illam subsistit in duabus naturis et tribus pas le suppôt de l’essence, bien que l’essence
substantiis; ideo quinto dicit, quod persona verbi soit le Père. Et parce que cet homme n’est pas le
ante incarnationem fuit simplex, sed post suppôt d’un suppôt éternel, elle dit donc, en
incarnationem est composita. Et quia est unum septième lieu, que, de même que Dieu est devenu
suppositum quod subsistit in duabus naturis; ideo homme, de même l’homme est devenu Dieu : ce
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sexto ponit, quod de illo supposito proprie dici qui ne pourrait être affirmé s’il était le suppôt du
possunt adjectiva significantia proprietates suppôt éternel, car un suppôt éternel ne
utriusque naturae, sive denominetur per unam commence pas à être Dieu. Et parce que les
naturam, sive per aliam; unde secundum eos propriétés éternelles ne déterminent pas un
proprie dicitur: iste puer est aeternus; et Deus est suppôt temporel, ni inversement, [cette position]
passus. Tertia vero opinio, quia negat unionem dit donc, en huitième lieu, que tous les adjectifs
animae ad carnem in Christo, ideo primo ponit, qui signifient quelque chose d’éternel ne peuvent
quod homo non praedicat de Christo aliquid être affirmés du Fils de la Vierge que par
compositum ex anima et corpore, sed partes implication : ainsi, si l’on dit : « Le Fils de la
humanae naturae; ut sit sensus: homo est; idest Vierge est éternel », c’est-à-dire : « Celui qui est
habet animam et corpus sibi unita accidentaliter. éternel » ; de même, les adjectifs qui signifient
Et ideo ponit secundo, quod homo praedicatur de quelque chose de temporel ne peuvent-ils pas
Christo accidentaliter, non in quid, sed in être attribués en propre au Fils de Dieu. Mais les
quomodo se habens; ut cum dicitur homo indutus. substantifs sont ensuite prédiqués en raison de
Et ideo tertio ponit, quod duae substantiae non l’union, de la même manière dont les adjectifs
pertinent ad personalitatem filii Dei, sed personnels ne sont pas attribués à l’essence, bien
extrinsecus se habent ad ipsam. Et multa alia ex que les substantifs soient affirmés d’elle. Mais la
his opinionibus sequuntur, si quis radicem seconde opinion, parce qu’elle affirme que la
opinionum consideret. Ex praedictis autem patet nature humaine, qui est ce qui est assumé, ne
quod quaelibet harum duarum opinionum signifie pas quelque chose de subsistant, mais
convenit cum alia in aliquo in quo differt a tertia. plutôt que la personne divine subsiste en elle en
Primae enim duae opiniones conveniunt in hoc raison de l’union, affirme donc, en premier lieu,
quod utraque ponit, quod homo de Christo que l’homme (qui signifie quelque chose de
praedicatur in quid; in quo differunt a tertia quae subsistant) n’est pas assumé, mais la nature
hoc negat. Similiter tertia convenit cum secunda humaine. Et parce que l’hypostase ou le suppôt
in hoc quod in Christo non sunt duo supposita, signifie quelque chose de subsistant par soi, elle
quamvis differenter: quia secunda ponit, quod n’affirme en second lieu dans le Christ, qu’un
supponitur utrique naturae substantialiter; tertia seul suppôt ou hypostase. Par conséquent, en
vero quod divinae substantialiter, et humanae troisième lieu, elle affirme que le Christ est une
accidentaliter, sicut album et homo non est aliud seule réalité, et non pas seulement qu’il est
et aliud suppositum; sed idem quod supponit unique. Et parce que la nature humaine n’est pas
homo, copulat album: in quo differunt a prima, donnée comme une substance, de telle sorte
quae ponit in Christo duo supposita. Similiter qu’elle subsiste, si ce n’est par l’union à la
etiam prima et tertia conveniunt in hoc quod personne divine, le mot « homme », désignant
humana natura non pertinet ad personalitatem quelque chose qui subsiste, n’exprime pas
divinae personae, quamvis differenter: quia prima seulement la nature et le corps, mais aussi la
ponit, quod substantificatur per se; tertia autem divinité. Telle est la quatrième position. Et parce
quod nullo modo; unde utraque ponit, quod divina que la personne divine, qui subsistait en une
persona sicut fuit simplex ante incarnationem, ita seule nature avant l’incarnation, subsiste après
est simplex post incarnationem; in quo differunt a en deux natures et trois substances, [cette
secunda. His visis, circa veritatem harum opinion] affirme donc que la personne du Verbe
opinionum est triplex quaestio. Prima de his quae avant l’incarnation était simple, mais qu’elle est
dicit prima opinio. Secunda de his quae dicit composée après l’incarnation. Et parce qu’il n’y
secunda. Tertia de his quae dicit tertia. Circa a qu’un seul suppôt qui subsiste en deux natures,
primam quaestionem quaeruntur tria: 1 utrum in [cette opinion] affirme donc, en sixième lieu, que
Christo sint duae hypostases; 2 utrum homo sit les adjectifis signifiant des deux natures peuvent
assumptus; 3 utrum homo significet substantiam être attribués à ce suppôt, qu’ils tirent leurs noms
compositam ex duabus substantiis tantum. d’une seule nature ou de l’autre. Selon eux, on
peut donc dire au sens propre : « Cet enfant est
éternel » et « Dieu a souffert ». Mais la troisième
232

opinion, parce qu’elle nie l’union de l’âme à la


chair dans le Christ, affirme donc, en premier
lieu, que « homme » n’attribue pas au Christ un
composé d’âme et de corps, mais des parties de
la nature humaine ; le sens serait donc :
«L’homme existe », c’est-à-dire qu’il a une âme
et un corps qui lui sont unis accidentellement.
[Cette opinion] affirme en deuxième lieu que
« homme » est attribué au Christ de manière
accidentelle, n’indiquant pas ce qu’est [le
Christ], mais comment il est, comme lorsqu’on
dit d’un homme qu’il est habillé. C’est pourquoi
[cette opinion] affirme, en troisième lieu, que
deux substances n’appartiennent pas à la
personnalité du Fils de Dieu, mais ont un rapport
extrinsèque avec elle. Et beaucoup d’autres
choses découlent de ces opinions, si l’on
considère la racine des ces opinions. Or, il
ressort de ce qui a été dit que deux de ces
opinions ont quelque chose en commun avec
l’autre, par quoi elles diffèrent de la troisième.
En effet, les deux premières opinions se
rejoignent dans ce que les deux affirment :
« homme » est attribué au Christ selon
l’essence ; en cela, elles diffèrent de la troisième
qui nie cela. De même, la troisième rejoint la
deuxième sur le point qu’il n’y a pas deux
suppôts dans le Christ, bien que d’une manière
différente, car la deuxième affirme qu’il est le
suppôt des deux natures d’une manière
substantielle, mais la troisième qu’il l’est d’une
manière substantielle pour la nature divine et
d’une manière accidentelle pour la nature
humaine, comme blanc et homme ne sont pas
des suppôts différents, mais le même homme qui
est le suppôt est uni au blanc. En cela, elles
diffèrent de la première [opinion], qui affirme
deux suppôts dans le Christ. De même aussi, la
première et la troisième se rejoignent sur le point
que la nature humaine n’appartient pas à la
personnalité de la personne divine, bien que de
manière différente, car la première affirme
qu’elle est une substance par elle-même, mais la
troisième qu’elle ne l’est d’aucune manière. Les
deux affirment donc que la personne divine, de
même qu’elle était simple avant l’incarnation, de
même est-elle simple après l’incarnation. En
cela, elles diffèrent de la deuxième. Après avoir
vu cela, il y a trois questions portant sur la vérité
de ces opinions : la première porte sur ce que dit
233

la première opinion ; la deuxième, sur ce que dit


la deuxième ; la troisième, sur ce que dit la
troisième. À propos de la première [opinion],
trois questions sont posées : 1 – Y a-t-il deux
hypostases dans le Christ ? 2 – L’homme a-t-il
été assumé ? 3 – « Homme » signifie-t-il la
substance composée de deux substances
seulement ?

Articulus 1 [8183] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. Article 1 – Y a-t-il deux hypostases dans le
1 tit. Utrum in Christo sint duae hypostases Christ ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Y a-t-il deux hypostases
dans le Christ ?]
[8184] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il y ait deux hypostases dans le
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Christ. En effet, comme le dit Boèce, toute
Christo sint duae hypostases. Sicut enim dicit substance particulière peut être appelée une
Boetius, omnis substantia particularis secundum hypostase au sens propre du mot, bien que, selon
proprietatem vocabuli potest dici hypostasis, l’usage, le mot soit utilisé pour les substances
quamvis secundum usum dicatur tantum de plus nobles. Or, dans le Christ, il existe plusieurs
substantiis nobilioribus. Sed in Christo sunt plures substances, comme cela est est concédé par tous,
substantiae, sicut ab omnibus conceditur, et non et elles ne sont pas universelles, mais
sunt universales, sed particulares. Ergo in Christo particulières. Il existe donc plusieurs hypostases
sunt plures hypostases. dans le Christ.
[8185] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Le Christ, en tant qu’homme, est une
2 Praeterea, Christus, secundum quod est homo, hypostase du genre de la substance, car le genre
est hypostasis quaedam in genere substantiae: est attribué à tout ce à quoi est attribuée l’espèce.
quia de quocumque praedicatur species, et genus. Or, l’hypostase du Verbe ne fait pas partie du
Sed hypostasis verbi non est in genere substantiae. genre de la substance. Dans le Christ, il existe
Ergo in Christo est alia hypostasis praeter donc une autre hypostase en plus de l’hypostase
hypostasim verbi; et ita in Christo sunt duae du Verbe, et ainsi il existe deux hypostases dans
hypostases. le Christ.
[8186] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Le rapport de l’espèce au genre est le même
3 Praeterea, sicut se habet species ad genus, ita se que celui de l’hypostase à l’espèce. Or, une
habet hypostasis ad speciem. Sed una species non espèce ne peut se trouver dans divers genres non
potest esse in diversis generibus non subalternatis. subalternés [les uns autres autres]. Une seule
Ergo una hypostasis non potest esse in duabus hypostase ne peut donc se trouver dans deux
speciebus: ergo multo minus in natura humana et espèces. Encore bien moins, dans la nature
divina, quae plus quam specie differunt. humaine et la nature divine, qui diffèrent plus
que par l’espèce.
[8187] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que deux
1 Sed contra est quod dicit Damascenus duas natures ont été unies dans une seule hypostase.
naturas unitas esse in unam hypostasim.
[8188] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Selon Boèce, « la personne est une substance
2 Praeterea, secundum Boetium, persona est individuelle de nature raisonnable ». Or, selon le
rationalis naturae individua substantia. Hypostasis même, l’hypostase est une substance
autem, secundum eumdem, est individua individuelle. La personne n’ajoute donc à
substantia. Ergo persona non addit supra l’hypostase que le fait qu’elle est de nature
hypostasim nisi hoc quod est rationalis naturae: raisonnable ; l’hypostase de nature raisonnable
ergo hypostasis rationalis naturae est persona. est donc une personne. Or, la nature humaine et
Humana autem natura et divina utraque est la nature divine sont toutes deux raisonnables. Si
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rationalis. Si ergo sint duae hypostases harum donc il existe deux hypostases de ces deux
duarum naturarum, oportet diversas personas natures, il est nécessaire d’affirmer des
ponere; et sic esset error Nestorii. personnes diverses, ce qui serait l’erreur de
Nestorius.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Y a-t-il deux suppôts dans
le Christ ?]
[8189] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que ce soit le cas. En effet, le suppôt
1 Ulterius. Quaeritur, utrum in Christo sint duo exprime un rapport une nature commune. Or,
supposita. Videtur quod sic. Suppositum enim dans le Christ, il y a deux natures. Il y a donc
dicit respectum ad naturam communem. Sed in deux suppôts.
Christo sunt duae naturae. Ergo duo supposita.
[8190] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. « Suppôt » vient de « placé sous un autre ».
2 Praeterea, suppositum dicitur, quasi sub alio Or, il est inapproprié de dire que la personne
positum. Sed inconveniens est dicere, quod divina divine est placée sous la [personne] humaine. Il
persona ponatur sub humana. Ergo oportet aliud est donc nécessaire que le suppôt de la nature
esse humanae naturae suppositum quam persona humaine soit différent de la personne divine. Or,
divina. Sed persona divina est suppositum naturae la personne divine est le suppôt de la nature
divinae. Ergo in Christo sunt duo supposita. divine. Il y a donc dans le Christ deux suppôts.
[8191] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. L’union à autre chose n’enlève pas à une
3 Praeterea, unio ad alterum non tollit alicui chose la raison de suppôt, car même une partie,
rationem suppositi: quia etiam pars, ut manus, comme la main, est un suppôt pour une nature
alicui naturae communi supponitur, cum sit in commune, puisqu’elle fait partie de l’espèce de
specie manus. Sed nihil aliud potest impedire ne la main. Or, rien d’autre ne peut empêcher que la
humana natura in Christo habeat proprium nature humaine ait son propre suppôt dans le
suppositum, nisi unio. Ergo habet proprium Christ, sauf l’union. Elle a donc son propre
suppositum praeter suppositum divinae naturae; et suppôt en plus du suppôt de la nature divine. La
sic idem quod prius. conclusion est ainsi la même que précédemment.
[8192] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, ce qui est uni à quelque chose de
1 Sed contra, quod est unitum alteri digniori, non plus digne n’a pas raison de suppôt, autrement,
habet rationem suppositi: alias in Christo essent dans le Christ, il y aurait trois suppôts en raison
tria supposita secundum tres substantias, vel etiam de trois substances, ou même davantage en
plura secundum omnes partes corporis. Si ergo in raison de toutes les parties du corps. Si donc il y
Christo sunt duo supposita, non erit aliqua unio a deux suppôts dans le Christ, il n’y aura pas
divinitatis ad carnem. d’union de la divinité à la chair.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Y a-t-il deux individus
dans le Christ ?]
[8193] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il y ait deux individus dans le
1 Ulterius. Videtur quod in Christo sint duo Christ. En effet, comme le dit [Jean] Damascène,
individua. Sicut enim dicit Damascenus, filius Dei le Fils de Dieu a assumé la nature humaine dans
assumpsit humanam naturam in atomo, idest quelque chose d’indivis (atomo), c’est-à-dire
individuo. Sed quia natura assumpta est in dans un individu. Or, parce que la nature
Christo, dicimus duas naturas. Ergo et dicere [humaine] a été assumée dans le Christ, nous
possumus in Christo duo individua. parlons de deux natures. Nous pouvons donc dire
qu’il y a deux individus dans le Christ.
[8194] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Tout ce qui existe est soit universel, soit
2 Praeterea, omne quod est, aut est universale, aut particulier. Or, la nature humaine existe dans le
particulare. Sed humana natura est in Christo. Christ. Puisqu’elle n’est pas universelle, elle sera
Ergo cum non sit universalis, erit particularis. Sed donc particulière. Or, tout ce qui est particulier
omne particulare est individuum. Ergo sunt ibi est un individu. Il y a donc là deux individus.
duo individua.
235

[8195] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Selon Porphyre, ce sont les accidents
3 Praeterea, secundum Porphyrium, individuum rassemblés qui font l’individu. Or, les accidents
facit collectio accidentium. Sed accidentia de la nature humaine n’existent pas dans la
humanae naturae non sunt in persona divina, quae personne divine, qui ne peut être le sujet d’un
subjectum accidentis esse non potest. Ergo oportet accident. Il est donc nécessaire qu’il y ait là un
quod sit ibi aliquod individuum; et sic idem quod individu. La conclusion est ainsi la même que
prius. précédemment.
[8196] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, la personne n’est rien d’autre que
1 Sed contra, nihil est aliud persona quam l’individu de nature raisonnable. Or, dans le
individuum rationalis naturae. Sed in Christo non Christ, il ne peut y avoir deux personnes. Il n’y a
possunt esse duae personae. Ergo in Christo non donc pas deux individus dans le Christ.
sunt duo individua.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – Y a-t-il deux choses
naturelles dans le Christ ?
[8197] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1. Il semble qu’il y ait deux choses naturelles. En
1 Ulterius. Videtur quod sint ibi duae res naturae. effet, une chose naturelle est ce qui est constitué
Res enim naturae est quod constituitur per par la nature. Or, la personne divine n’est pas
naturam. Sed divina persona non constituitur per constituée par la nature humaine. La personne du
humanam naturam. Ergo persona verbi non est res Verbe n’est donc pas une chose de nature
humanae naturae in Christo. Ergo in Christo sunt humaine dans le Christ. Il existe donc dans le
duae res naturae. Christ deux choses naturelles.
[8198] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2. Une chose naturelle semble être la même
2 Praeterea, res naturae idem videtur esse quod chose que ce qui est naturel. Or, ce qui est
naturale. Sed naturale, ut dicitur 2 Physic., est naturel est une propriété causée par les principes
proprietas causata ex principiis naturae, vel de la nature ou un composé de principes naturels.
compositum ex principiis naturalibus. Sed Or, aucune de ces deux choses ne convient à la
neutrum istorum convenit divinae personae. Ergo personne divine. La personne divine n’est donc
persona divina non est res naturae humanae; et sic pas une chose de nature humaine. La conclusion
idem quod prius. est ainsi la même que précédemment.
[8199] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. Cependant, une chose de la nature est quelque
1 Sed contra, res naturae est completum chose de complet subsistant par nature. Or, rien
subsistens in natura. Sed nullum tale est de tel ne peut être assumé, bien que quelque
assumptibile, quamvis possit aliud assumi ad chose d’autre puisse être assumé par cela. Si
ipsum. Ergo si esset in Christo aliqua res naturae donc il y avait dans le Christ une chose de la
praeter divinam personam, non esset assumpta a nature en plus de la personne divine, elle ne
divina persona, et ita nec unita; et sic non esset in serait pas assumée par la personne divine, et
Christo. donc ne lui serait pas non plus unie. Elle ne se
trouverait donc pas dans le Christ.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8200] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Puisque tout particulier a un rapport avec la
Respondeo dicendum, quod cum omne particulare nature commune et ses propriétés, il peut être
habeat respectum ad naturam communem et ad désigné selon les deux rapports : parfois par un
proprietates, potest secundum utrumque nom de première imposition, parfois par uun
respectum nominari, tum per nomen primae nom de seconde intention. En effet, ce nom
impositionis, tum per nomen secundae intentionis. « réalité naturelle » est un nom de première
Hoc enim nomen res naturae est nomen primae imposition signifiant le particulier par rapport à
impositionis, significans particulare per respectum la nature commune ; mais le nom de « suppôt »
ad naturam communem; hoc vero nomen est un nom de seconde imposition signifiant le
suppositum est nomen secundae impositionis, rapport du particulier avec la nature commune,
significans ipsam habitudinem particularis ad pour autant qu’il subsiste en elle, mais
236

naturam communem, inquantum subsistit in ea; [signifiant] le particulier, pour autant qu’il est
particulare vero, inquantum exceditur ab ea. Sed dépassé par elle. Mais parce que les accidents
quia accidentia consequuntur naturam; ideo omne découlent de la nature, tout nom désignant un
nomen designans particulare secundum respectum particulier par rapport à ses propriétés le désigne
ad proprietates, designat etiam ipsum per aussi par rapport à une nature commune. Cela
respectum ad naturam communem. Hoc ergo peut donc se faire de deux manières : soit par un
potest fieri dupliciter: vel per nomen primae nom de première imposition, et ainsi il y a une
impositionis; et sic est hypostasis communiter in hypostase d’une manière générale dans toutes les
omnibus substantiis, persona vero in omnibus substances, mais une personne dans toutes [les
rationalibus; vel per nomen secundae substances] raisonnables ; soit par un nom de
impositionis, et sic est individuum inquantum est seconde imposition, et ainsi il y a un individu,
indivisum in se, singulare vero inquantum est pour autant qu’il est indivis en lui-même, mais
divisum ab aliis; unde singulare est idem quod un singulier, pour autant qu’il est divisé des
divisum. Est etiam alia differentia attendenda autres. Aussi « singulier » est-il la même chose
inter ista: quia quaedam istorum significant que « divis ». Il faut aussi prendre en compte une
communiter particulare in quolibet genere, sicut autre différence entre ces choses, car certaines
particulare, individuum, singulare; quaedam vero signifient d’une manière générale un particulier
tantum particulare in genere substantiae, sicut res dans n’importe quel genre, comme particulier,
naturae, suppositum, hypostasis, et persona. Quia individu, singulier ; mais certaines [signifient]
vero ratio substantiae est quod per se subsistat, seulement un particulier dans le genre de la
inde est quod nullum istorum dicitur nisi de re substance, comme réalité naturelle, suppôt,
completa per se subsistente: unde non dicuntur hypostase et personne. Mais parce que la raison
neque de parte neque de accidente, de quibus alia de substance consiste à subsister par soi, de là
dici possunt quae in omnibus generibus vient qu’aucun de ces termes n’est utilisé que
inveniuntur; quamvis enim haec albedo vel haec pour une chose complète subsistant par soi. Ils
manus dicatur individuum vel singulare, non ne sont donc attribués ni à une partie ni à un
tamen potest dici hypostasis, suppositum, vel res accident, dont d’autres choses peuvent être dites
naturae. Impossibile est autem, si ponantur duo qui se trouvent dans tous les genres. En effet,
quorum utrumque per se subsistat, quod unum sit bien que cette blancheur ou cette main exprime
alterum: quia secundum hoc quod numerantur, quelque chose d’individuel et de singulier, elles
differunt (cum differentia sit causa numeri); et ne peuvent cependant être appelées une
non praedicantur de se invicem, nisi secundum hypostase, un suppôt ou une réalité naturelle. Or,
quod unum sunt. Unde cum divina persona sit si l’on suppose deux choses dont chacune
quiddam per se subsistens, si etiam ponatur subsiste par soi, il est impossible que l’une soit
compositum ex anima et carne unum quid l’autre, car, selon qu’elles sont dénombrées, elles
completum subsistens, quod est homo, vel hic diffèrent (puisque la différence est la cause du
homo, impossibile est quod unum praedicetur de nombre) ; elles ne sont pas non plus prédiquées
altero, ut dicatur: filius Dei est hic homo. Et quia l’une de l’autre, sauf selon ce qu’elles ont de
prima opinio hoc ponit, ideo non tenetur modo ab commun. Puisque la personne divine est quelque
aliquo. Sed secundum hoc quod est compositum chose de subsistant par soi, si l’on suppose aussi
tantum ex anima et carne, non dicit esse quid un composé d’âme et de corps qui est quelque
subsistens, sed dicit esse humanam naturam, in chose de subsistant, qui est l’homme ou cet
qua divina persona subsistit. Et ideo secundum homme, il est impossible que l’un soit prédiqué
hanc opinionem dicendum est, quod omnia illa de l’autre, pour dire : « Le Fils de Dieu est cet
nomina quae significant particulare in quolibet homme. » Parce que la pemière opinion affirme
genere, possunt dici esse duo in Christo; sicut cela, elle n’est plus tenue par personne
enim haec manus dicitur individuum, vel maintenant. Mais, le fait que [l’homme] est
singulare, vel particulare; ita humana natura in seulement composé d’âme et de corps ne dit pas
Christo est individuum, singulare vel particulare. qu’il est un être subsistant, mais dit qu’il est une
Et cum natura humana non sit divina natura, nature humaine, dans laquelle subsiste une
237

neque divina persona, nihil prohibet dici in personne divine. Aussi, selon cette opinion, il
Christo duo individua vel duo singularia vel faut dire que tous les noms qui signifient quelque
particularia, aut etiam plura secundum numerum chose de particulier dans n’importe quel genre
partium corporis Christi, quarum quaelibet potest peuvent signifer qu’il y a deux choses dans le
dici individuum, nisi fiat vis in hoc quod in Christ. En effet, de même que cette main est
divinis non proprie inveniuntur hujusmodi appelée quelque chose d’individuel, de singulier
nomina. Haec tamen plura individua de Christo ou de particulier, de même la nature humaine
non praedicantur; quia de eo non praedicatur dans le Christ est-elle quelque chose
natura humana, neque partes ejus. Non autem d’individuel, de singulier ou de particulier. Et
contingit dicere in Christo esse duas hypostases, puisque la nature humaine ne se trouve pas dans
vel res naturae, vel supposita: natura enim la nature divine ni dans la personne divine, rien
humana in Christo non est res naturae vel n’empêche qu’on dise qu’il y ait dans le Christ
suppositum, sed ipsa natura: nulla enim natura deux individus, deux singuliers ou particuliers,
composita est res vel suppositum sui ipsius: ou encore davantage, selon le nombre des parties
similiter non est hypostasis, sed usia. Nihilominus du corps du Christ, qui toutes peuvent être
tamen sicut dicimus unionem factam in persona, appelées des individus, à moins qu’on ne fasse
sic dicimus in hypostasi, supposito, re naturae, valoir que, dans les choses divines, on ne trouve
individuo, singulari, vel particulari; quia quamvis pas ce genre de noms au sens propre. Cependant,
haec ultima tria possint dici de non per se ces nombreux individus ne sont pas prédiqués du
subsistentibus, nihilominus dicuntur etiam de per Christ, parce que la nature humaine ni ses parties
se subsistentibus: dicimus enim hypostasim esse ne sont pas prédiquées d’eux. Mais il ne peut
individuum; unde inquantum est unio facta in arriver qu’on dise qu’il y a deux hypostases,
hypostasi, est etiam facta in individuo: et sic deux réalités naturelles ou deux suppôts dans le
possumus dicere Christum unum individuum, et Christ : en effet, la nature humaine dans le Christ
tamen in eo duo vel plura individua, sicut etiam et n’est pas une réalité naturelle ou un suppôt, mais
de quolibet alio homine contingit: et eadem est la nature elle-même. Car aucune réalité
ratio de singulari et particulari. composée n’est une chose ou un suppôt d’elle-
même ; de même n’est-elle pas une hypostase ou
ousia. Néanmoins, comme nous disons que
l’union s’est réalisée dans la personne, de même
disons-nous qu’elle s’est réalisée dans une
hypostase, un suppôt, une réalité naturelle, un
individu, un singulier ou un particulier, car
même si ces trois derniers termes peuvent être
attribués à des choses qui ne subsistent pas par
soi, ils sont néanmoins attribués à des choses qui
subsistent par soi. Nous disons, en effet, que
l’hypostase est un individu. Pour autant que
l’union s’est réalisée dans l’hypostase, elle s’est
donc aussi réalisée dans un individu. Nous
pouvons ainsi dire que le Christ est un seul
individu, et qu’il existe cependant en lui
plusieurs individus, comme cela arrive pour
n’importe quel homme. Et le raisonnement est le
même pour le singulier et le particulier.
[8201] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. La substance, selon qu’elle est un genre, n’est
Ad primum ergo dicendum, quod substantia, pas prédiquée de la partie au sens propre. En
secundum quod est genus, non proprie praedicatur effet, si la main était une substance, puisqu’elle
de parte: manus enim si esset substantia, cum sit est animée, elle serait un animal, car rien n’est
animata, esset animal; nihil enim est in genere dans un genre, pour ainsi dire directement
238

quasi directe contentum sub ipso, nisi quod habet contenu en lui, que ce qui possède une nature
naturam aliquam complete: tamen dicitur manus complète. Toutefois, on dit que la main est une
esse substantia, secundum quod substantia substance selon que la substance se distingue de
dividitur contra accidens: et similiter dico de l’accident. Je dis la même chose de la nature
natura humana in Christo. Cum igitur dicitur, humaine du Christ. Lorsqu’on dit que toute
quod omnis substantia particularis est hypostasis, substance particulière est une hypostase, il faut
intelligendum est de illis quae directe recipiunt donc l’entendre de celles dont un genre est
praedicationem generis; et haec sunt quae prédiqué directement. Telles sont celles qui sont
significantur ut res completae per se subsistentes. signifiées comme des choses complètes
subsistant par elles-mêmes.
[8202] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. L’hypostase du Verbe, bien qu’elle ne soit pas
Ad secundum dicendum, quod hypostasis verbi, tout simplement dans le genre de la substance en
quamvis non sit in genere substantiae simpliciter, tant qu’hypostase du Verbe, est cependant dans
inquantum est hypostasis verbi; tamen inquantum le genre de la substance, comme dans l’espèce de
est hypostasis humanae naturae, est in genere l’homme, en tant qu’hypostase de la nature
substantiae, sicut in specie hominis: non enim humaine. En effet, l’hypostase n’est ordonnée à
hypostasis ordinatur ad genus vel speciem, nisi un genre ou à une espèce que par la nature
per naturam quam habet. qu’elle possède.
[8203] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Le genre est d’une certaine manière une partie
Ad tertium dicendum, quod genus quodammodo de l’espèce semblable à la matière. De même
est pars speciei similis materiae: unde sicut in que, dans une nature, n’est pas réalisé quelque
natura ex pluribus materiis sufficientibus non chose d’unique à partir de plusieurs matières
ordinatis non fit aliquid unum; ita etiam plura suffisantes non ordonnées, de même plusieurs
genera non possunt venire ad constitutionem genres ne peuvent-ils concourir à la constitution
unius speciei. Sed natura hypostasis non est pars: d’une seule espèce. Mais la nature de l’hypostase
unde non est similis ratio: dicitur enim hypostasis n’est pas une partie. Le raisonnement n’est donc
alicujus naturae, inquantum subsistit in ea. pas le même. En effet, on parle de l’hypostase
d’une nature pour autant qu’elle subsiste en elle.
[8204] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 1 ad s. [1-2] Nous concédons les arguments en sens
c. Et quae in contrarium objiciuntur, concedimus. contraire. Cependant, il faut savoir que la
Sciendum tamen est, quod prima opinio quamvis première opinion, bien qu’elle affirme deux
poneret duas hypostases, non tamen diversas hypostases, n’a cependant pas affirmé deux
personas posuit: ex hoc enim quod persona est personnes. En effet, du fait que la personne est
individuum rationalis naturae, quae est un individu de nature raisonnable, qui est la plus
completissima, et ubi stat tota intentio naturae, complète, et où réside toute l’intention de la
habet quod significet completissimum ultima nature, elle signifie ce qu’il y a de plus complet
completione, post quam non est alia: unde cum selon un achèvement ultime, après lequel il n’y
poneret hominem assumptum unum verbo, non en a pas d’autre. Aussi, lorsqu’elle affirmait
dabat ei rationem personae; dabat ei tamen qu’un seul homme a été assumé par le Verbe,
rationem hypostasis, inquantum erat subsistens: elle ne lui donnait pas la raison de personne ; elle
nec tamen ponebat quod homo ille uniretur lui donnait cependant la raison d’hypostase pour
divinae personae in accidente: quia sic non diceret autant qu’il était subsistant. Elle n’affirmait
quod praedicaret quid, sed quod esset cependant pas que cet homme était uni à la
accidentaliter unitum, sicut dicit tertia opinio; sed personne divine de manière accidentelle, car
ponebat quod persona verbi erat illa hypostasis; ainsi elle ne dirait pas qu’on en prédiquerait le
quod tamen non est intelligibile, ut duorum quid, mais qu’il [lui] serait uni accidentellement,
distinctorum unum de altero praedicetur, ut prius comme le dit la troisième opinion ; mais elle
dictum est. affirmait que la personne du Verbe était cette
hypostase. Il n’est cependant pas compréhensible
que l’une des deux choses distinctes soit
239

prédiquée de l’autre, comme on l’a dit plus haut.


Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8205] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Dans le Christ, il n’existe qu’un seul suppôt,
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in pour la raison déjà donnée, à moins qu’on parle
Christo tantum unum est suppositum ratione jam de suppôt du langage, car ainsi tout ce dont on
dicta; nisi dicatur suppositum locutionis: quia sic peut parler est un suppôt.
de quocumque potest fieri sermo est suppositum.
[8206] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Bien qu’il y ait là deux natures, il n’y a
Ad primum autem contra hoc objectum dicendum, cependant qu’une seule chose qui ait un rapport
quod quamvis sint ibi duae naturae, tamen est avec ces deux natures. Il n’y a donc là qu’un seul
unum habens respectum ad duas naturas: et ideo suppôt.
est ibi suppositum unum.
[8207] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Le suppôt ne comporte pas d’indignité ou de
Ad secundum dicendum, quod suppositum non potentialité sous-jacente (autrement on ne dirait
importat suppositionem indignitatis vel pas que les personnes [divines] sont des suppôts
potentialitatis (alias personae non dicerentur de la nature divine), mais seulement quelque
supposita divinae naturae), sed solum chose de commun, pour autant que la nature
suppositionem quantum ad communitatem, commune déborde en prédication le suppôt, en
inquantum natura communis excedit praedicatione acte ou en puissance.
suppositum vel actu vel potentia.
[8208] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Au sens propre, la partie n’a pas de genre ni
Ad tertium dicendum, quod pars, proprie, non d’espèce. Il ne lui convient donc pas d’être un
habet genus neque speciem: unde non convenit suppôt au sens propre et à parler simplement,
sibi proprie suppositum esse, loquendo sauf peut-être si l’on ajoute quelque chose,
simpliciter; nisi forte cum additione, ut dicatur comme si on dit : « Cette main », « le suppôt de
haec manus, suppositum manus: quamvis manus, la main », bien que la main, à parler proprement,
proprie loquendo, non sit genus neque species. ne soit pas un genre ni une espèce.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8209] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Il y a deux individus dans le Christ, mais qui
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in ne subsistent pas par eux-mêmes. Le Christ
Christo sunt duo individua, non tamen per se lui-même est un seul individu subsistant,
subsistentia; et ipse Christus est unum individuum comme on l’a dit.
subsistens, ut dictum est.
[8210] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. [Jean] Damascène veut dire qu’il a assumé
Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus une nature humaine particulière, qui n’est
intendit dicere, quod assumpsit humanam naturam cependant pas subsistante, mais que la personne
particularem, non autem subsistentem, sed quod divine subsiste en elle.
in ea divina persona subsistit.
[8211] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. La nature humaine est quelque chose de
Ad secundum dicendum, quod humana natura est particulier et d’individuel, mais non de
particulare et individuum; non tamen subsistens. subsistant.
[8212] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Bien que la nature divine soit quelque chose
Ad tertium dicendum, quod quamvis divina natura d’individuel dans le Christ, le Christ aussi est
sit quoddam individuum in Christo, tamen etiam cependant un individu de nature humaine. Il
Christus est individuum humanae naturae. Nec n’est toutefois pas nécessaire que les accidents
tamen oportet quod accidentia humanae naturae de la nature humaine soient présents dans la
insint divinae personae, nisi natura mediante. personne divine, sauf par l’intermédiaire de la
nature.
[8213] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 3 ad s. [1] Dans le Christ, il y a quelque chose
c. 1 Ad id quod in contrarium objicitur dicendum, d’individuel, qui n’est pas un individu de nature
240

quod in Christo est aliquod individuum, quod non raisonnable, mais la nature raisonnable
est rationalis naturae individuum, sed ipsa individuelle elle-même ou une de ses parties,
rationalis natura individua, vel pars ejus; sicut comme la main du Christ.
manus Christi.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[8214] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Dans le Christ, il n’y a pas deux réalités
Ad quartam quaestionem dicendum, quod in naturelles, mais il est lui-même une réalité
Christo non sunt duae res naturae; sed ipse est res comportant deux natures.
una duarum naturarum.
[8215] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 1. Bien que le Verbe ne soit pas constitué par la
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis nature humaine de telle sorte qu’il existe tout
verbum non sit constitutum per naturam humanam simplement, il est cependant constituté par la
ut sit simpliciter, tamen per naturam humanam nature humaine de telle sorte qu’il soit un
constituitur quod sit homo. homme.
[8216] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 2. À parler en soi, une réalité naturelle en est une
Ad secundum dicendum, quod res naturae, per se qui possède une nature ; mais que cela soit
loquendo est quod habet naturam; sed quod hoc composé, cela vient du fait que le composé de
sit compositum, accidit, inquantum ipsum matière et de forme, qui sont les principes de la
compositum ex materia et forma, quae sunt nature, n’est pas uni à quelque chose d’autre qui
principia naturae, non adjungitur alteri subsistenti est un subsistant simple. Mais s’il est uni à un
simplici; si autem alteri subsistenti conjungatur, autre subsistant qui est simple par soi, ce
quod est in se simplex, erit quidem illud simplex [subsistant] simple sera une chose subsistant
ut res subsistens in natura composita; non tamen dans une nature composée ; mais il ne sera un
erit compositum, nisi per modum qui infra composé que de la manière qui sera dite plus
dicetur; secundum quem secunda opinio ponit loin, selon laquelle la deuxième opinion affirme
personam verbi incarnati esse compositam. que la personne du Verbe incarné est composée.

Articulus 2 [8217] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. Article 2 – Le Fils de Dieu a-t-il assumé un
2 tit. Utrum filius Dei assumpserit hominem homme ?
[8218] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Fils de Dieu ait assumé un
secundum sic proceditur. Videtur quod filius Dei homme. Ps 44, 5 : Bienheureux celui que tu as
assumpserit hominem. Psalm. 44, 5: beatus quem choisi et assumé ! Et il parle du Christ homme.
elegisti et assumpsisti; et loquitur de Christo Un homme a donc été assumé.
homine. Ergo homo est assumptus.
[8219] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Si le Fils de Dieu est un homme, c’est soit un
Praeterea, si filius Dei est homo, aut homo quem homme qu’il a assumé, soit un homme qu’il n’a
assumpsit, aut homo quem non assumpsit. Si pas assumé. Si c’est un homme qu’il n’a pas
homo quem non assumpsit, ergo non magis potest assumé, ce ne pourra pas être davantage
dici homo qui est Jesus, quam homo qui est l’homme qu’on appelle Jésus, que l’homme qui
Petrus. Si autem homo quem assumpsit, ergo est Pierre. Mais si c’est un homme qu’il a
assumpsit hominem. assumé, il a donc assumé un homme.
[8220] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Le Fils de Dieu a assumé une âme et un corps
Praeterea, filius Dei assumpsit animam et corpus unis, car un corps qui n’est pas uni à l’âme est un
unita: quia corpus non unitum animae est corpus corps inanimé, qui ne peut est assumé, comme
inanimatum, quod non est assumptibile, ut in 2 on l’a dit dans la d. 2, q. 2, a. 1. Or, cette union
dist., quaest. 2, art. 1, dictum est. Unio autem illa n’est pas moins efficace chez l’homme Christ
non est minoris efficaciae in homine Christo que chez les autres hommes. Or, chez les autres
quam in aliis hominibus. Sed in aliis hominibus hommes, elle réalise non seulement l’humanité,
facit non solum humanitatem, sed etiam mais aussi l’homme. Elle réalise donc un homme
hominem. Ergo in Christo facit hominem. chez le Christ.
241

[8221] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Dans le Christ, il n’y a que celui qui assume et
Praeterea, in Christo non est nisi assumens et ce qui est assumé. Or, [le Christ] ne tient pas
assumptum. Sed non habet quod sit homo ex parte d’être un homme de celui qui assume, car il
assumentis: quia sic ab aeterno fuisset homo. Ergo aurait ainsi été un homme éternellement. Il le
habet ex parte assumpti; ergo homo est tient donc de ce qui a été assumé. Un homme a
assumptus. donc été assumé.
[8222] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Selon [Jean] Damascène, « le Christ a assumé
Praeterea, secundum Damascenum, Christus tout ce qu’il a implanté dans notre nature ». Or,
assumpsit quidquid in nostra natura plantavit. Sed ce qui a été uni par le corps et par l’âme réalise
id quod unitum est ex corpore et anima, facit un homme, puisque cela est fait de réalités
hominem, cum fit de naturalibus, quae Dei naturelles que le Verbe de Dieu a implantées
verbum in nostra natura plantavit. Hoc ergo dans notre nature. Cela a donc assumé l’homme,
assumpsit hominem; quia posita causa sufficienti car, si une fois donnée une cause suffisante, mée,
ponitur effectus. l’effet est donné.
[8223] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] celui qui assume n’est pas ce qui
contra, assumens non est assumptum. Sed Deus est assumé. Or, Dieu est homme. Il n’a donc pas
est homo. Ergo non assumpsit hominem. assumé un homme.
[8224] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 2. S’il a assumé l’homme, il est clair qu’il n’a
Praeterea, si assumpsit hominem, constat quod pas assumé l’homme universel. Il a donc assumé
non assumpsit hominem universalem. Ergo tel homme. Or, cet homme est une personne. Il a
assumpsit hunc hominem. Sed hic homo est donc assumé une personne, ce qui est faux. La
persona. Ergo assumpsit personam; quod falsum première proposition est donc aussi fausse.
est: ergo et primum.
[8225] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 co. Réponse. Ce qui est assumé précède l’union
Respondeo dicendum, quod id quod assumitur, selon l’intellect. Si donc on parle d’homme
secundum intellectum praecedit unionem. Si ergo assumé, il est nécessaire qu’on entende l’homme
dicatur homo assumptus, oportet quod intelligatur avant d’entendre qu’il a été assumé. Or,
homo antequam intelligatur assumptus. Homo l’homme particulier (car [le Fils de Dieu] n’a pas
autem particularis (quia universalem non assumé [l’homme] universel, puisqu’il n’existe
assumpsit, cum non habeat esse in rerum natura), pas dans la nature des choses) est quelque chose
est quid subsistens, habens esse completum. Quod de subsistant, qui possède un être complet. Du
autem habet esse completum in quo subsistit, non fait qu’il possède un être complet dans lequel il
potest uniri alteri nisi tribus modis: vel subsiste, il ne peut être uni à un autre que de trois
accidentaliter, ut tunica homini; et hunc modum manières : accidentellement, comme la tunique
unionis ponit tertia opinio: vel per modum l’est à l’homme, et c’est cette manière qu’affirme
aggregationis, sicut lapis lapidi in acervo: vel la troisième opinion ; par mode de
aliquo accidente, sicut homo unitur Deo per regroupement, comme la pierre [est unie] à la
amorem vel gratiam; et neutra harum est unio pierre dans un amas ; par un accident, comme
simpliciter, sed secundum quid: quarum primam l’homme est uni à Dieu par l’amour ou la grâce,
posuit Dioscorus, alteram Nestorius haeretici, ut et aucune de celles-ci n’est une union à parler
dicit Damascenus, 3 cap., 3 libri. Unde nullo simplement, mais une union relative (secundum
modo concedendum est, quod homo sit quid). Dioscore a affirmé la première, Nestorius
assumptus. Sciendum tamen, quod prima opinio a affirmé l’autre, tous deux hérétiques, comme le
nullum praedictorum modorum unionis ponebat, dit [Jean] Damascène, III, 3. On ne doit donc
unde non est haeretica; sed ponebat, quod erat aucunement concéder qu’un homme a été
facta unio secundum hoc quod persona verbi assumé. Il faut cependant savoir que la première
incepit esse illa substantia: quod quidem non est opinion n’affirmait aucun de ces modes d’union ;
intelligibile, ut duorum unum fiat alterum, nisi per elle n’est donc pas hérétique. Mais elle affirmait
conversionem unius ad alterum; immo que l’union avait été réalisée selon que la
impossibile est, ut prius dictum est; et ideo non personne du Verbe a commencé d’être cette
242

sustinetur. substance ; mais cela est impensable que, de


deux choses, l’une devienne l’autre, sauf par
conversion de l’une en l’autre. Bien plus, cela est
impossible, comme on l’a dit. Aussi ne le
soutient-on pas.
[8226] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Toutes les autorités qui disent qu’un homme a
primum ergo dicendum, quod omnes auctoritates été assumé doivent être interprétées dans le sens
quae dicunt hominem assumptum, exponi debent, où quelque chose de concret est affirmé à la
ut ponatur concretum pro abstracto, idest homo place de quelque chose d’abstrait, c’est-à-dire un
pro humana natura. homme à la place de la nature humaine.
[8227] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Le Christ est homme, non pas parce qu’il l’a
secundum dicendum, quod Christus est homo, non assumé, mais parce qu’il en a assumé la nature
quem assumpsit, sed cujus humanam naturam humaine.
assumpsit.
[8228] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Ce n’est pas en raison de l’inefficacité de
tertium dicendum, quod non est propter l’union de l’âme au corps que leur union, selon
inefficaciam unionis animae ad corpus quod qu’on l’entend avant l’union à la personne
eorum conjunctio, secundum quod praeintelligitur divine, ne réalise pas un homme, mais la nature
unioni ad divinam personam, non facit hominem, humaine dans le Christ ; mais cela vient de ce
sed humanam naturam in Christo; sed est ex hoc qu’elles n’ont pas été pas telles qu’elles ont
quod non fuerunt, ut conjuncta per se subsisterent, subsisté par leur union, mais que la personne
sed ut divina persona in eis subsisteret. divine a subsisté en eux.
[8229] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. « Homme » signifie la nature haumaine et joue
quartum dicendum, quod homo significat le rôle de suppôt pour le suppôt qui subsiste dans
humanam naturam, et supponit pro supposito cette nature : l’un d’eux se prend du point de vue
subsistente in natura illa: quorum unum est ex de ce qui est assumé, l’autre, de celui qui
parte assumpti, alterum ex parte assumentis. assume.
[8230] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Ce qui fait que le composé d’âme et de corps
quintum dicendum, quod hoc quod facit est un homme n’est pas de manière positive
conjunctum ex anima et corpore esse hominem, quelque chose de plus que l’âme, le corps et
non est praeter animam et corpus et unionem, l’union ; mais, du fait même que le composé
aliquid positive; sed ex hoc ipso quod ipsum d’âme et de corps n’est pas uni à quelque chose
compositum ex anima et corpore non adjungitur d’autre qui subsiste dans une nature composée, il
alteri subsistenti in natura composita, sequitur en découle que le composé est un homme. Si
quod conjunctum sit homo. Unde si Christus donc le Christ déposait la nature humaine qu’il a
humanam naturam quam assumpsit deponeret, ex assumée, ce composé des deux substances serait
hoc ipso esset homo illud conjunctum ex duabus un homme par le fait même.
substantiis.
Articulus 3 [8231] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. Article 3 – Le mot « homme » indique-t-il
3 tit. Utrum homo dicat ibi compositum ex duabus seulement le composé de deux substances ?
substantiis tantum
[8232] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’« homme » ne veuille dire que le
tertium sic proceditur. Videtur, quod homo non composé des deux substances. En effet,
dicat nisi compositum ex duabus substantiis. « homme » est prédiqué du Christ et de Pierre, et
Homo enim praedicatur de Christo et de Petro, et n’est pas employé de manière équivoque. Or,
non aequivoce dicitur. Sed cum dicitur de Petro, lorsqu’il est dit de Pierre, rien n’est prédiqué que
nihil praedicatur nisi compositum ex duabus le composé des deux natures ou substances.
naturis vel substantiis. Ergo et cum dicitur de Donc, aussi lorsqu’il est dit du Christ.
Christo.
[8233] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Dans le symbole d’Athanase, on dit : « De
243

Praeterea, in symbolo Athanasii dicitur: sicut même que l’âme raisonnable et la chair sont un
anima rationalis et caro unus est homo, ita Deus seul homme, de même Dieu et l’homme sont-ils
et homo unus est Christus. Sed anima non includit un seul Christ. » Or, l’âme n’inclut pas la chair
in sua significatione carnem, nec e converso. Ergo dans sa signification, ni inversement.
nec homo dicit divinitatem, nec e converso. « Homme » ne dit donc pas la divinité, ni
inversement.
[8234] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Il n’y a rien dans le Christ à part les trois
Praeterea, nihil est in Christo praeter tres substances. Si donc « homme » exprimait les
substantias. Si ergo homo diceret tres substantias, trois substances, le Christ serait seulement un
tunc Christus erit tantum homo, quod est falsum. homme, ce qui est faux.
[8235] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 4 4. On ne dit pas que le tout s’unit à la partie,
Praeterea, totum non dicitur uniri parti; sed pars mais que la partie [s’unit] au tout ou à une partie.
toti, vel parti. Si ergo homo diceret tres Si donc « homme » exprimait les trois
substantias, videretur quod non posset dici homo substances, il semblerait qu’on ne pourrait pas
uniri Dei filio. dire que l’homme est uni au Fils de Dieu.
[8236] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] l’homme est ce qui possède
contra, homo est habens humanitatem. Sed habens l’humanité. Or, celui qui possède l’humanité est
humanitatem est divina persona. Ergo cum la personne divine. Donc, avec l’humanité, qui
humanitate, quae continet duas substantias, hoc contient deux substances, ce mot « homme », dit
nomen homo, dictum de Christo, dicit etiam du Christ, dit aussi la personne divine. Il dit ainsi
divinam personam; et sic dicit tres substantias. les trois substances.
[8237] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] Tout prédicat substantiel contient d’une
Praeterea, omne praedicatum substantiale continet certaine manière son sujet. Or, ce mot
aliquo modo suum subjectum. Sed hoc nomen « homme » est prédiqué du Fils de Dieu d’une
homo praedicatur de filio Dei non accidentaliter. manière non accidentelle. Il contient donc la
Ergo continet personam filii Dei; et sic non dicit personne du Fils de Dieu, et ainsi il ne dit pas
tantum compositum ex duabus substantiis. seulement le composé de deux substances.
[8238] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 co. Réponse. En tout nom, il faut considérer deux
Respondeo dicendum, quod in quolibet nomine choses : ce à partir de quoi le nom est imposé,
est duo considerare: scilicet id a quo imponitur qu’on appelle la qualité du nom ; ce à quoi le
nomen, quod dicitur qualitas nominis; et id cui nom est imposé, qu’on appelle la substance du
imponitur, quod dicitur substantia nominis: et nom. On dit que le nom, à proprement parler,
nomen, proprie loquendo, dicitur significare signifie la forme ou la qualité à partir de laquelle
formam sive qualitatem, a qua imponitur nomen; le nom est imposé ; mais on dit qu’il joue le rôle
dicitur vero supponere pro eo cui imponitur. de suppôt pour ce à quoi il est imposé. La
Prima ergo opinio dicit, quod hoc nomen homo, première opinion dit donc que ce nom
quantum ad significatum et quantum ad « homme », quant à ce qui est signifié et quant
suppositum, non dicit nisi constitutum ex duabus au suppôt, n’exprime que le composé de deux
substantiis: quia hoc constitutum ex duabus substances, car ce composé de deux substances
substantiis est hypostasis subsistens, pro qua est une hypostase qui subsiste, pour laquelle peut
potest fieri suppositio hujus nominis homo. être faite la supposition de ce mot « homme ».
Secunda vero opinio dicit, quod constitutum ex Mais la deuxième opinion dit que le composé des
duabus substantiis tantum, non est hypostasis deux substances seulement n’est pas une
subsistens, sed natura, in qua subsistit verbum hypostase subsistante, mais une nature dans
Dei; unde non potest ponere, quod constitutum ex laquelle subsiste le Verbe de Dieu ; elle ne peut
duabus substantiis tantum sit suppositum cui donc pas affirmer que le composé des deux
nomen imponitur, sed forma a qua imponitur, substances seulement est le suppôt auquel le mot
scilicet humanitas: illud vero cui nomen est imposé, mais la forme à partir de laquelle il
imponitur, quod est subsistens in humana natura, est imposé, à savoir, l’humanité. Mais ce à quoi
est persona verbi; et ideo hoc nomen homo le mot est imposé, qui est ce qui subsiste dans la
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comprehendit tres substantias; sed duas ex parte nature humaine, est la personne du Verbe. Ce
significati, tertiam ex parte suppositi. mot « homme » comprend donc trois
substances : deux du point de vue de ce qui est
signifié, la troisième du point de vue du suppôt.
[8239] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. La diversité de supposition ne crée pas
primum ergo dicendum, quod diversitas d’équivoque, mais une diversité de signification.
suppositionis non facit aequivocationem; sed
diversitas significationis.
[8240] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Athanase comprend «homme» du point de vue
secundum dicendum, quod Athanasius accipit de la nature signifiée.
hominem ex parte naturae significatae.
[8241] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Les termes placés dans le prédicat sont pris
tertium dicendum, quod termini in praedicato formellement ; mais, [placés] dans le sujet, ils
positi tenentur formaliter, in subjecto vero sont pris matériellement. Aussi ce mot
materialiter; unde hoc nomen homo supponit « homme » suppose-t-il un suppôt éternel, qui
suppositum aeternum, quod subsistit in duabus subsiste en deux natures et en trois substances,
naturis et tribus substantiis; praedicat vero tantum mais il n’est le prédicat que de la nature
naturam humanam. Unde si diceretur quod est humaine. Aussi, si on disait qu’il est seulement
tantum homo, excluderetur omnis natura alia ab un homme, on exclurait donc toute autre nature
humana; et propter hoc non conceditur, quod sit que la nature humaine. Pour cette raison, on ne
homo tantum. concède pas qu’il est un homme seulement.
[8242] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. On dit que l’homme est uni en un sens propre
quartum dicendum, quod homo dicitur proprie et et simple au Fils de Dieu, car il signifie ce qui est
simpliciter unitus filio Dei: quia dicit id quod uni ou réuni, la nature humaine, qui est comme
unitur, seu conjungitur, scilicet humanam une partie de cette union, et ce en quoi est
naturam, quae est quasi pars in hac unione; et id réalisée l’union, à savoir, le suppôt unique.
in quo fit unio, scilicet suppositum unum.

Quaestio 2 Question 2 – [La deuxième opinion]


Prooemium Prologue
[8243] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la deuxième opinion.
quaeritur de his quae pertinent ad secundam À ce propos, trois questions sont posées : 1 – Le
opinionem; et circa hoc quaeruntur tria: 1 utrum Christ est-il une seule réalité ? 2 – Le Christ a-t-
Christus sit unum; 2 utrum habeat unum esse; 3 il un seul être ? 3 – La personne du Christ était-
utrum persona Christi post incarnationem fuerit elle composée après l’incarnation ?
composita.

Articulus 1 [8244] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. Article 1 – Le Christ est-il deux réalités ?
1 tit. Utrum Christus sit duo neutraliter
[8245] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
1. Il semble que le Christ soit deux réalités. En
primum sic proceditur. Videtur, quod Christus sit effet, Isidore dit, dans le livre Sur la Trinité :
duo neutraliter. Isidorus enim dicit in Lib. de « Le médiateur entre Dieu et les hommes,
Trinit.: mediator Dei et hominum, homo Jesus l’homme Jésus, le Christ, bien qu’il soit quelque
Christus, quamvis aliud sit de patre, aliud de chose une chose pour autant qu’il vient du Père
virgine, non tamen alius. Sed ubicumque est aliud et une autre chose pour autant qu’il vient de la
et aliud, ibi sunt duo. Ergo Christus est duo. Vierge, n’est cependant pas quelqu’un d’autre. »
Or, partout où l’on trouve des choses différentes,
il y a deux réalités. Le Christ est donc deux
réalités.
[8246] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Le Christ et une réalité selon une unité incréée
245

Praeterea, Christus est unum unitate increata, et et une réalité selon une unité créée. Or, l’unité
est unum unitate creata. Unitas autem creata non créée n’est pas l’unité incréée. Le Christ est donc
est unitas increata. Ergo Christus est duo. deux réalités.
[8247] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 3 3. De même que, dans la Trinité, existent trois
Praeterea, sicut in Trinitate sunt tres personae in personnes dans une seule essence, existent dans
una essentia; ita in Christo sunt duae naturae in le Christ deux natures dans une seule personne.
una persona. Sed propter unitatem naturae Or, en raison de l’unité de nature, on dit que le
dicuntur pater et filius unum, quamvis non unus. Père et le Fils sont une seule réalité, bien qu’ils
Ergo et propter unitatem personae Christus debet ne soient pas une seule personne. En raison de
dici unus, et non unum, sed duo propter l’unité de personne, on doit donc dire que le
dualitatem naturarum. Christ est une seule personne, et non pas une
seule réalité, mais deux réalités en raison de la
dualité des natures.
[8248] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Le Christ, en tant qu’il est Dieu, est quelque
Praeterea, Christus secundum quod est Deus, est chose qu’est son Père ; en tant qu’homme, il est
aliquid quod est pater; et secundum quod est quelque chose qu’est sa mère. Or, ce qu’est son
homo, est aliquid quod est mater. Sed hoc quod Père n’est pas ce qu’est sa mère. Le Christ est
est pater, non est hoc quod est mater. Ergo donc une chose et l’autre, et ainsi il est deux
Christus est aliquid et aliquid; et ita est duo. réalités.
[8249] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Le Christ est quelque chose de passible et
Praeterea, Christus est aliquid passibile et aliquid d’impassible. Or, le passible n’est pas
impassibile. Sed passibile non est impassibile. l’impassible. Le Christ est donc une chose et
Ergo Christus est aliquid et aliquid. Ergo non est l’autre. Il n’est donc pas une seule réalité.
unum.
[8250] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 6 6. Selon [Jean] Damascène, « le Christ est tout
Praeterea, secundum Damascenum, Christus totus entier partout, mais il n’y est cependant pas en
est ubique, non tamen totum. Sed est ubique totalité ». Or, il est partout en tant qu’il est Dieu.
secundum quod est Deus. Ergo Christus non est Le Christ n’est donc pas Dieu en totalité. Or, du
totum Deus. Sed ex hoc quod est Deus, est fait qu’il est Dieu, il est quelque chose. Il est
aliquid. Ergo est aliquid et aliquid; et sic idem donc deux réalités, et ainsi la conclusion est la
quod prius. même que précédemment.
[8251] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 arg. 7 7. Le Christ n’est pas seulement homme. Or, le
Praeterea, Christus non est tantum homo. Sed mot « homme » prédique de lui quelque chose
homo praedicat aliquid unum de ipso. Ergo d’unique. Le Christ n’est donc pas seulement
Christus non est tantum unum aliquid: ergo est une seule réalité. Il est donc deux réalités.
duo.
[8252] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] tout ce qui existe existe de telle
contra, quidquid est, ideo est, quia unum numero manière que cela est unique en nombre. Si donc
est. Si ergo Christus non est unum, nihil est; quod le Christ n’est pas une seule réalité, il n’est rien,
falsum est. ce qui est faux.
[8253] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] La nature humaine et la nature divine se
Praeterea, major est convenientia naturae rejoignent davantage dans le Christ que
humanae in Christo ad naturam divinam, quam l’accident dans un sujet. Or, l’accident ne fait
accidentis ad subjectum. Sed accidens cum qu’un en nombre avec le sujet. On ne dira donc
subjecto non facit numerum. Ergo nec ratione pas que le Christ est deux réalités en raison de sa
naturae humanae et divinae dicetur Christus esse nature humaine et de sa nature divine.
duo.
[8254] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] Des choses qui ne sont pas une seule réalité
Praeterea, ea quae non sunt unum, non possunt de ne peuvent être les prédicats l’une de l’autre. Or,
se invicem praedicari. Sed Deus praedicatur de Dieu est un prédicat de l’homme Christ, et
246

homine Christo, et e converso. Ergo Christus est inversement. Le Christ est donc une seule réalité.
unum.
[8255] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 co. Réponse. Aucun des deux genres [masculin et
Respondeo dicendum, quod neutrum genus est neutre] n’est sans forme et indistinct ; mais le
informe et indistinctum; masculinum vero est genre masculin a une forme et est déterminé.
formatum et determinatum; unde masculinum non Aussi le masculin n’est-il prédiqué de manière
praedicatur absolute nisi de re perfecta absolue que d’une réalité parfaite qui subsiste ;
subsistente; neutrum vero genus de re perfecta cependant, les deux genres ne sont pas prédiqués
subsistente, et de non perfecta; unde non potest d’une réalité parfaite subsistante et d’une réalité
dici, quod albedo vel humanitas Petri est aliquis, imparfaite. On ne peut donc dire que la
sed quod est aliquid; de Petro autem possumus blancheur et l’humanité de Pierre sont
dicere, quod est aliquis, et quod est aliquid. quelqu’un, mais qu’elle sont quelque chose ;
Similiter in Christo de persona potest dici est mais nous pouvons dire de Pierre qu’il est
aliquis, et est aliquid: de natura autem quod est quelqu’un et qu’il est quelque chose. De même,
aliquid, et non quod est aliquis. Secundum igitur dans le Christ, on peut dire de la personne
secundam opinionem, de qua agitur, illud aliquid qu’elle est quelqu’un et qu’elle est quelque
quod est natura assumpta, non praedicatur de chose ; mais [on peut dire] de la nature qu’elle
Christo: quia non habet rationem hominis, sed est quelque chose, et non qu’elle est quelqu’un.
humanitatis. Aliquid ergo, secundum quod Selon la deuxième opinion, dont il est question,
praedicatur de Christo, non significat tantum ce quelque chose qu’est la nature assumée n’est
naturam, sed suppositum naturae: et quia plurale pas prédiqué du Christ, car cela n’a pas la raison
est geminatum singulare, ideo Christus non posset d’homme, mais d’humanité. Donc, quelque
dici aliqua, nisi essent in eo duo supposita chose qui est prédiqué du Christ ne signifie pas
naturarum; quod negat secunda opinio, et similiter seulement la nature, mais le suppôt de la nature,
tertia; et ideo utraque opinio dicit, quod Christus et parce que le pluriel est un double singulier, le
est unum; sed secunda dicit, quod est unum per Christ ne pourrait être appelé diverses choses
se; tertia vero, quod est unum per accidens, sicut que si existaient en lui deux suppôts pour les
albus homo. Sed prima opinio dicit, quod natures, ce que nie la deuxième opinion, de
assumptum non tantum habet rationem même que la troisième. Les deux opinions disent
humanitatis, sed etiam hominis; et tamen non donc que le Christ est une seule réalité ; mais la
potest dici aliquis, quia est alteri digniori deuxième dit qu’il est une réalité par soi, alors
adjunctum, sed dicitur aliquid, et illud aliquid que la troisième dit qu’il est une seule réalité par
praedicatur de persona assumente; et ideo sequitur accident, comme un homme blanc. Cependant, la
quod Christus sit aliquis, scilicet assumens, et première opinion dit que ce qui est assumé n’a
aliquod, scilicet assumptum; et quod sit duo pas seulement la raison d’humanité, mais aussi
neutraliter, sed non masculine. d’homme. Cependant, cela ne peut être appelé
quelqu’un parce que cela est uni à un autre qui
est plus digne ; mais cela est appelé quelque
chose, et ce quelque chose est prédiqué de la
personne qui assume. Il en découle donc que le
Christ est quelqu’un, à savoir, celui qui assume,
et quelque chose, à savoir, ce qui est assumé, et
qu’il est double au neutre, mais non au masculin.
[8256] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. « Autre » est un partitif. Aussi quelque chose
primum ergo dicendum, quod aliud partitivum est; dont cela est séparé est-il nécessaire. Lorsqu’on
unde requiritur aliquod a quo dividatur. Cum dit que le Christ est une chose et une autre,
autem dicitur, Christus est aliud et aliud, cum puisque « autre » n’est pas seulement le prédicat
aliud non praedicet naturam tantum, sed de la nature, mais du suppôt de la nature (car la
suppositum naturae (quia humana natura de nature humaine n’est pas prédiquée du Christ), il
Christo non praedicatur), requiritur quod sit ibi est nécessaire qu’il y ait là quelque chose de
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aliquid distinctum vel divisum a supposito distinct ou de divisé du suppôt de la nature


humanae naturae, quod de Christo praedicetur. humaine, qui sera prédiqué du Christ. Or, cela ne
Hoc autem non potest esse secundum secundam peut être le cas selon la deuxième opinion, car le
opinionem: quia suppositum divinae naturae non suppôt de la nature divine n’est pas autre chose
est aliud a supposito humanae naturae; nec divina que le suppôt de la nature humaine ; et la nature
natura, quae de Christo praedicatur, est aliud a divine, qui est prédiquée du Christ, n’est pas
supposito ejus, nec per consequens a supposito autre chose que son suppôt, ni, par conséquent,
humanae naturae. Unde secundum hanc que le suppôt de la nature humaine. Selon cette
opinionem Christus non dicitur proprie aliud et opinion, on ne dit donc pas que le Christ est deux
aliud; sed exponendum est, alterius et alterius réalités, mais il faut expliquer qu’il a une double
naturae. Prima vero opinio, quae distinguit nature. Mais la première opinion, qui fait une
supposita naturarum, potest dicere quod Christus distinction entre les suppôts des natures, peut
est aliud et aliud. dire que le Christ est deux réalités.
[8257] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Comme on l’a dit dans le livre I, les termes
secundum dicendum, quod termini numerales, ut numériques sont communs pour la personne et la
in 1 dictum est, se habent communiter ad nature. Parlant de l’unité personnelle, il n’en
personam et naturam; unde loquendo de unitate existe qu’une seule dans le Christ, selon laquelle
personali, est tantum una in Christo, secundum on dit que le Christ est unique ; mais, parlant de
quam dicitur unus Christus; loquendo autem de l’unité naturelle, il existe une double unité. Il
unitate naturali, est duplex unitas. Non tamen n’en découle cependant pas que le Christ soit
sequitur quod Christus sit unum et unum: quia deux réalités, car l’unité qui est prédiquée du
unum quod de Christo praedicatur, non refertur Christ ne se rapporte pas seulement à la nature,
tantum ad naturam, sed ad suppositum naturae, mais au suppôt de la nature, qui n’est pas double.
quod non geminatur.
[8258] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. La nature divine est prédiquée directement des
tertium dicendum, quod natura divina praedicatur personnes en raison d’une identité réelle ; mais
in recto de personis propter identitatem rei; sed les deux natures qui existent dans le Christ ne
duae naturae quae sunt in Christo, non sont pas prédiquées de lui directement. En effet,
praedicantur de eo in recto: quamvis enim divina bien que la nature divine soit prédiquée de lui
natura praedicetur de eo in recto, non tamen directement, ce n’est pas le cas de la nature
humana, sicut nec de aliquo alio homine. Si autem humaine, ni d’un autre homme. Mais si les trois
tres personae differrent secundum rem a natura, personnes différaient en réalité de la nature, bien
quamvis esset una numero in eis, non tamen que celle-ci serait unique en nombre en elles, on
posset propter hoc dici, quod tres personae essent ne pourrait cependant pas dire que les trois
unum simpliciter; sed forte quod essent unus personnes sont simplement une seule réalité,
Deus; sicut multi homines dicuntur unus populus. mais qu’elles sont un seul Dieu, comme on dit
que plusieurs hommes sont un seul peuple.
[8259] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Lorsqu’on dit que le Christ est quelque chose
quartum dicendum, quod cum dicitur, Christus est qu’est sa mère, « quelque chose » n’est pas le
aliquid quod est mater, ly aliquid non praedicat prédicat de la seule nature, mais du suppôt de la
tantum naturam, sed suppositum naturae, ut patet nature, comme cela ressort de ce qui a été dit ;
ex praedictis; relativum autem refert suum mais le relatif se rapporte à son antécédent, non
antecedens, non gratia suppositi, sed gratia pas en raison du suppôt, mais en raison de la
naturae: mater enim non convenit cum filio in nature. En effet, la mère et le fils n’ont pas en
supposito, sed in natura: relativum autem non commun le suppôt, mais la nature ; mais le relatif
refert idem secundum suppositum, sed quandoque ne se rapporte pas à la même chose selon le
idem secundum naturam speciei. Cum vero suppôt, mais parfois à la même chose selon la
dicitur: est aliquid quod est pater, ly aliquid nature de l’espèce. Mais lorsqu’on dit : « Il est
praedicat naturam divinam: unde ex hoc sequitur quelque chose qu’est son Père », « quelque
quod humana natura non sit divina natura, non chose » est le prédicat de la nature divine. Il
248

autem quod Christus sit duo. découle donc de cela que la nature humaine n’est
pas la nature divine, mais non pas que le Christ
soit une double réalité.
[8260] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. Lorsqu’on dit : « Le Christ est quelque chose
quintum dicendum, quod cum dicitur, Christus est de passible », « quelque chose » n’est pas le
aliquid passibile, ly aliquid non praedicat prédicat de la nature, mais du suppôt de la nature
naturam, sed suppositum humanae naturae; quia humaine, car les propriétés de la nature sont
proprietates naturae denominative praedicantur de prédiquées du suppôt par dérivation (bien que la
supposito, quamvis natura de eo non praedicetur, nature ne soit pas prédiquée de lui), et aussi les
et etiam proprietates partium. Petrus enim propriétés des parties. En effet, Pierre, bien qu’il
quamvis non sit capillus, est tamen Crispus. Cum ne soit pas un cheveu, est cependant crépu. Mais
vero dicitur, Christus est aliquid impassibile, ly lorsqu’on dit: « Le Christ est quelque chose
aliquid praedicat suppositum divinae naturae, d’impassible», «quelque chose» est le prédicat
quod non est aliud quam suppositum humanae du suppôt de la nature divine, qui n’est pas autre
naturae; vel etiam divinam naturam, quae non est que le suppôt de la nature humaine ; ou encore,
aliud a suo supposito. Unde non sequitur quod sit [il est le suppôt] de la nature divine, qui n’est pas
ibi aliud et aliud: media enim falsa est quae dicit différente de son suppôt. Il n’en découle donc
quod aliquid passibile non est aliquid impassibile: pas qu’il y ait là des réalités différentes. En effet,
idem enim suppositum quod est passibile la mineure qui dit que quelque chose de passible
secundum unam naturam, est impassibile n’est pas quelque chose d’impassible est fausse :
secundum aliam. le même suppôt, qui est passible selon une
nature, est cependant impassible selon l’autre.
[8261] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 6 Ad 6. « Tout entier » (totus) se rapporte à la
sextum dicendum, quod totus refertur ad personne, mais « en totalité » (totum) se rapporte
personam, totum autem ad naturam. Totum à la nature. « En totalité », selon qu’on l’entend
autem, secundum quod hic sumitur, est cui nihil ici, signifie ce à quoi rien ne fait défaut ; parce
deest: et quia nihil deest de personalitate filii, que rien ne fait défaut à la personnalité du Fils,
quam significat nomen Christi, secundum quod que signifie le mot « Christ », selon qu’il est
est ubique, quia est persona aeterna; ideo dicitur partout puisqu’il est une personne éternelle, on
totus ubique. Deest autem aliquid de natura ei, dit donc qu’il est tout entier partout. Mais
secundum quod non est ubique; sed tamen illud quelque chose lui fait cependant défaut par
aliquid non praedicatur de Christo. Unde non nature selon qu’il n’est pas partout ; toutefois, ce
sequitur quod Christus sit aliquid et aliquid; sed quelque chose n’est pas prédiqué du Christ. Il
quod in eo sit aliquid et aliquid. n’en découle donc pas que le Christ soit deux
réalités, mais qu’existent en lui deux réalités.
[8262] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 1 ad 7 Ad 7. Les termes positifs de ce qui est prédiqué sont
septimum dicendum, quod termini in praedicato pris formellement ; aussi ne concède-t-on pas
positi tenentur formaliter: unde non conceditur que le Christ est seulement homme, car toute
ista, quod Christus sit tantum homo; quia autre nature serait exclue. Mais « quelque
excluderetur omnis alia natura. Ly aliquid autem, chose » et « un seul » ne déterminent pas une
et ly unum non determinant aliquam formam vel forme ou une nature, mais un suppôt déterminé,
naturam; sed determinatum suppositum, lorsqu’ils sont prédiqués du Christ. En effet, ils
secundum quod de Christo praedicantur: non enim ne déterminent que ce dont ils sont affirmés. Si
determinant nisi illud circa quod ponuntur. Unde l’on disait : « Le Christ n’est qu’une seule chose
si diceretur: Christus est tantum unum, vel tantum ou seulement telle chose », cela n’exclut pas une
aliquid, non excludit aliam naturam, sed aliud autre nature, mais un autre suppôt. Cette
suppositum: et ideo haec est vera: Christus est proposition : « Le Christ est seulement quelque
tantum aliquid unum; et est in processu illo chose d’unique », est donc vraie, et il en découle
fallacia consequentis, quia aliquid unum est un raisonnement faux, car ce quelque chose
superius ad hominem. Procedit ergo negative ab d’unique est supérieur à l’homme. Sous une
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inferiori ad superius, cum dictione exclusiva. forme exclusive, on raisonne donc négativement
de l’inférieur au supérieur.

Articulus 2 [8263] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. Article 2 – N’y a-t-il qu’un seul être dans le
2 tit. Utrum in Christo non sit tantum unum esse Christ ?
[8264] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que, dans le Christ, il n’y ait pas
secundum sic proceditur. Videtur quod in Christo seulement un seul être. En effet, toute forme
non sit tantum unum esse. Omnis enim forma substantielle donne l’être. Or, l’âme est une
substantialis dat esse. Sed anima est forma forme substantielle. Elle donne donc l’être. Or,
substantialis. Ergo dat esse. Sed non dat esse elle ne donne pas l’être de la personne divine, car
divinae personae, quia hoc est aeternum. Ergo dat celle-ci est éternelle. Elle donne donc un autre
aliud esse: ergo in Christo non tantum est unum être. Dans le Christ, il n’y a donc pas seulement
esse. un être.
[8265] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 2 2. L’être du Fils de Dieu et du Père est unique. Si
Praeterea, unum est esse filii Dei et patris. Si ergo donc il n’y a qu’un être de cet homme et du Fils
unum est esse hujus hominis et filii Dei, unum erit de Dieu, l’être de cet homme et de Dieu le Père
esse hujus hominis et Dei patris. Sed nulla est sera unique. Or, il n’existe pas d’union plus
major unio quam ea quae est aliquorum secundum grande que celle de certaines choses selon un
esse unum. Ergo humanitas est unita Deo patri. seul être. L’humanité est donc une avec Dieu, le
Père.
[8266] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 3 3. En Dieu, il n’y a qu’un être essentiel. Si donc
Praeterea, in divinis non est esse nisi essentiale. Si l’union de la nature humaine à la nature divine
ergo unio humanae naturae ad divinam facta est in s’est réalisée dans l’être du Fils de Dieu, elle
esse filii Dei, facta est in essentia: quod est s’est réalisée dans l’essence, ce qui est
impossibile. impossible.
[8267] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 4 4. La définition est un discours indiquant ce
Praeterea, definitio est oratio indicans quid est qu’est l’être. Or, « homme » est prédiqué du
esse. Sed homo secundum eamdem definitionem Christ et de Pierre selon la même définition.
praedicatur de Christo et de Petro. Ergo est idem L’être de l’humanité de cet homme est donc le
esse humanitas illius hominis cum esse Petri même que l’être de Pierre selon l’espèce. Or,
secundum speciem. Sed esse filii Dei non est selon l’espèce, l’être du Fils de Dieu n’est pas le
idem specie cum esse Petri. Ergo in Christo non même que l’être de Pierre. Dans le Christ, il n’y
est tantum unum esse. a donc pas un seul être.
[8268] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 arg. 5 5. De quoi qu’on puisse répondre à la question :
Praeterea, de quocumque responderi potest ad « Cela existe-t-il ?», cela a son être propre. Or,
quaestionem factam per an est, habet proprium cette question se pose non seulement pour la
esse. Sed haec quaestio fit non tantum de persona, personne, mais aussi pour la nature. L’être n’est
sed etiam de natura. Ergo esse non tantum est donc pas seulement celui de la personne, mais
personae, sed etiam naturae. In Christo autem sunt aussi celui de la nature. Or, il y a deux natures
duae naturae. Ergo in Christo sunt duo esse. dans le Christ. Il y a donc un double être dans le
Christ.
[8269] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] tout ce qui a l’être par soi
contra, omne quod habet per se esse, est subsiste. Si donc il y a un double être dans le
subsistens. Si ergo in Christo est duplex esse, sunt Christ, il y a deux réalités subsistantes, et donc
ibi duo subsistentia: ergo duae hypostases: quod deux hypostases, ce qui a été repoussé plus haut.
supra improbatum est.
[8270] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] De tout ce qui diffère selon l’être, rien n’est
Praeterea, quaecumque differunt secundum esse, prédiqué de l’autre. Or, Dieu est homme, et
unum eorum non praedicatur de altero. Sed Deus inversement. Il y a donc un seul être de Dieu et
est homo, et e converso. Ergo est esse unum Dei de l’homme.
250

et hominis.
[8271] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] Il n’y a qu’un seul être pour une seule
Praeterea, unius non est nisi unum esse. Sed réalité. Or, le Christ est une seule réalité, comme
Christus est unum, ut dictum est. Ergo habet on l’a dit. Il n’a donc qu’un seul être.
unum esse tantum.
[8272] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 co. Réponse. Selon le Philosophe, dans
Respondeo dicendum, quod secundum Métaphysique, V, « être » est employé de deux
philosophum 5 Metaph., esse duobus modis manières. D’une manière, selon qu’il signifie la
dicitur. Uno modo secundum quod significat vérité d’une proposition en tant que copule ;
veritatem propositionis, secundum quod est ainsi, comme le dit le Commentateur, ce qui
copula; et sic, ut Commentator ibidem dicit, ens existe (ens) est un prédicat accidentel. Cet être
est praedicatum accidentale; et hoc esse non est in n’existe pas dans la réalité, mais dans l’esprit,
re, sed in mente, quae conjungit praedicatum cum qui unit le prédicat et le sujet, comme le dit le
subjecto, ut dicit philosophus in 6 Metaph. Unde Philosope dans Métaphysique, VI. Il n’est donc
de hoc non est hic quaestio. Alio modo dicitur pas question de cela ici. D’une autre manière, on
esse, quod pertinet ad naturam rei, secundum parle de l’être qui concerne la nature d’une
quod dividitur secundum decem genera; et hoc chose, selon qu’il se divise en dix genres. Cet
quidem esse est in re, et est actus entis resultans être se trouve dans la réalité et il est un acte de ce
ex principiis rei, sicut lucere est actus lucentis. qui existe résultant des principes de la chose,
Aliquando tamen sumitur esse pro essentia, comme luire est l’acte de ce qui luit. Cependant,
secundum quam res est: quia per actus « être » est parfois pris pour l’essence selon
consueverunt significari eorum principia, ut laquelle une chose existe, car on a coutume de
potentiae vel habitus. Loquendo igitur de esse signifier les principes des choses, comme les
secundum quod est actus entis, sic dico, quod puissances ou les habitus, par les actes. Parlant
secundum secundam opinionem oportet ponere donc de l’être selon qu’il est l’acte de ce qui
tantum unum esse; secundum alias autem duas existe, je dis que, selon la deuxième opinion, il
oportet ponere duo esse. Ens enim subsistens, est faut affirmer qu’il n’y a qu’un être [dans le
quod habet esse tamquam ejus quod est, quamvis Christ], mais, selon les deux autres, il faut
sit naturae vel formae tamquam ejus quo est: unde affirmer qu’il y en a deux. En effet, l’être qui
nec natura rei nec partes ejus proprie dicuntur subsiste est ce qui possède l’être comme
esse, si esse praedicto modo accipiatur; similiter appartenant à ce qui est, bien qu’il appartienne à
autem nec accidentia, sed suppositum completum, la nature ou à la forme comme à ce par quoi cela
quod est secundum omnia illa. Unde etiam est. Aussi, au sens propre, ne dit-on ni de la
philosophus dicit in 2 Metaph., quod accidens nature d’une chose, ni de ses parties, ni des
magis proprie est entis quam ens. Prima ergo accidents qu’ils existent, si on entend être de la
opinio, quae ponit duo subsistentia, ponit duo esse manière dite, mais [on le dit] du suppôt complet,
substantialia; similiter tertia opinio, quia ponit qui est selon toutes ces choses. Aussi le
quod partes humanae naturae adveniunt divinae Philosophe dit-il, dans Métaphysique, II, que
personae accidentaliter, ponit duo esse, unum l’accident appartient plutôt à ce qui est qu’il
substantiale, et aliud accidentale; secunda vero n’est lui-même un être. La première opinion, qui
opinio, quia ponit unum subsistens, et ponit affirme deux [êtres] subsistants, et aussi la
humanitatem non accidentaliter advenire divinae troisième opinion, parce qu’elle affirme que les
personae, oportet quod ponat unum esse. parties de la nature humaine s’ajoutent à la
Impossibile est enim quod unum aliquid habeat personne divine de manière accidentelle,
duo esse substantialia; quia unum fundatur super affirment donc qu’il y a deux êtres : l’un
ens: unde si sint plura esse, secundum quae substantiel et l’autre accidentel. Mais la
aliquid dicitur ens simpliciter, impossibile est deuxième opnion, parce qu’elle affirme qu’il n’y
quod dicatur unum. Sed non est inconveniens a qu’un seul [être] subsistant et affirme aussi que
quod esse unius subsistentis sit per respectum ad l’humanité ne s’ajoute pas de manière
plura, sicut esse Petri est unum, habens tamen accidentelle à la personne divine, doit affirmer
251

respectum ad diversa principia constituentia qu’il n’y a qu’un seul être. En effet, il est
ipsum: et similiter suo modo unum esse Christi impossible qu’une chose ait deux êtres
habet duos respectus, unum ad naturam humanam, substantiels, car le fait d’être un se fonde sur
alterum ad divinam. l’être. Si donc il y a plusieurs êtres, selon
lesquels on dit que quelque chose est tout
simplement, il est impossible de dire que cela est
un. Mais il n’est pas inapproprié que l’être d’une
chose qui subsiste ait un rapport avec plusieurs
choses, comme l’être de Pierre est un, et
cependant il a un rapport avec plusieurs
principes qui le constituent. De même, à sa
manière, l’être unique du Christ a deux rapports :
l’un à sa nature humaine, l’autre à sa nature
divine.
[8273] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. La forme fait être, mais non de telle manière
primum ergo dicendum, quod forma facit esse; que cet être soit celui de la matière ou de la
non ita quod illud esse sit materiae aut formae, forme, mais de ce qui subsiste. Lorsqu’un
sed subsistentis. Quando ergo compositum ex composé de matière et de forme subsiste par soi,
materia et forma est per se subsistens, acquiritur il reçoit donc d’être un absolu par soi de la forme
ex forma illi composito esse absolutum per se; qui est composée avec lui ; mais lorsqu’il n’est
quando autem non est per se subsistens, non pas subsistant, l’être ne vient pas à ce composé
acquiritur per formam esse illi composito; sed par la forme, mais ce qui subsiste, et à quoi cela
subsistenti cui hoc adjungitur, acquiritur respectus est ajouté, acquiert un rapport selon l’être avec
secundum esse ad hoc quod ei additur: sicut si ce qui lui est ajouté. Ainsi, si nous affirmons
ponamus hominem nasci sine manu, et manum qu’un homme naît sans main et que la main est
per se separatim fieri, et postea ei miraculose produite séparément, et que, par la suite, elle lui
conjungi, constat quod forma manus causabit esse est miraculeusement unie, il est clair que la
manus per se subsistentis: sed postquam forme de la main causera l’être de la main qui
conjungitur homini, non acquiritur ex forma subsiste par soi. Mais, après qu’elle est unie à
manus aliquod esse manui, quia manus non habet l’homme, un être ne s’ajoute pas à la main, car la
esse proprium; sed acquiritur homini respectus ad main n’a pas d’être propre, mais l’homme
manum secundum suum esse. Ita etiam dico, quod acquiert un rapport à la main selon son être.
anima in Christo non acquirit proprium esse Ainsi, je dis aussi que l’âme chez le Christ ne
humanae naturae; sed filio Dei acquirit respectum reçoit pas l’être propre de la nature humaine ;
secundum suum esse ad naturam humanam, qui mais elle acquérir donne au Fils de Dieu un
tamen respectus non est aliquid secundum rem in rapport selon son être à la nature humaine,
divina persona, sed aliquid secundum rationem, ut rapport qui n’est cependant pas quelque chose de
dictum est de unione, supra, dist. 2, qu. 2, art. 2, réel dans la personne divine, mais quelque chose
quaestiunc. 3, ad 3. de raison, comme on l’a dit plus haut de l’union,
d. 2, q. 2, a. 2, qa 3, ad 3.
[8274] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. Il en va autrement de Dieu et de toutes les
secundum dicendum, quod aliud est de Deo et de autres choses, car, en Dieu, l’essence elle-même
omnibus aliis rebus: quia in Deo ipsa essentia subsiste ; aussi l’être lui revient-il par elle-même,
subsistens est, unde sibi secundum se debetur bien plus, elle est son être subsistant. Aussi
esse; immo ipsa est suum esse subsistens: unde l’essence ne diffère-t-elle pas en réalité de la
essentia a persona non differt secundum rem: et personne. L’être de l’essence est donc aussi
ideo esse essentiae est etiam personae; et tamen l’être de la personne, et cependant la personne et
persona et essentia ratione differunt. Quamvis l’essence diffèrent selon la raison. Bien que
ergo unum sit esse, potest tamen esse considerari l’être soit une seule réalité [en Dieu], il peut
vel prout est essentiae; et sic non unitur humanitas donc être considéré soit comme appartenant à
252

in esse divino, unde non unitur patri: vel potest l’essence, et ainsi l’humanité n’est pas unie à
considerari prout est personae; et sic unitur in esse l’être divin, elle n’est donc pas unie au Père ; soit
divino. il peut être considéré comme appartenant à la
personne, et ainsi [l’humanité] est-elle unie à
l’être divin.
[8275] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 3 Et per 3. La réponse au troisième argument est ainsi
hoc patet solutio ad tertium. claire.
[8276] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Le Philosophe parle là de l’être comme
quartum dicendum, quod philosophus accipit ibi essence ou quiddité, que la définition exprime.
esse pro essentia, vel quidditate, quam signat
definitio.
[8277] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Cette objection vient de l’être selon qu’il
quintum dicendum, quod illa objectio procedit de indique la vérité d’une proposition. En effet, il
esse secundum quod signat veritatem peut ainsi être employé non seulement pour ce
propositionis: sic enim potest dici non tantum de qui existe en réalité, mais pour ce qui existe dans
his quae sunt in re, sed de his quae sunt in l’intellect, à propos de quoi on peut parler.
intellectu: de quibus potest locutio formari.
Articulus 3 [8278] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. Article 3 – La personne du Verbe est-elle
3 tit. Utrum persona verbi post incarnationem sit composée après l’incarnation ?
composita
[8279] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la personne du Verbe ne soit pas
tertium sic proceditur. Videtur, quod persona composée après l’incarnation. En effet, tout
verbi post incarnationem non sit composita. Omne composé est meilleur que ses composants, car un
enim compositum est melius componentibus: quia bien ajouté à un bien donne un plus grand bien.
bonum additum bono facit magis bonum. Sed Or, il ne peut rien y avoir de meilleur que la
divinitate non potest esse aliquid melius. Ergo ex divinité. La divinité et l’humanité ne peuvent
divinitate et humanitate non potest fieri una donc pas donner une personne composée.
persona composita.
[8280] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 2 2. Dans le Christ, il n’y a qu’une personne
Praeterea, in Christo non est nisi persona aeterna. éternelle. Or, rien d’éternel n’est composé. La
Sed nullum aeternum est compositum. Ergo personne du Christ n’est donc aucunement
persona Christi nullo modo est composita. composée.
[8281] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 3 3. Il appartient à l’essence divine de ne pas être
Praeterea, ad simplicitatem divinae essentiae composée et de ne pas pouvoir être composée
pertinet quod non sit composita, nec alteri avec une autre. Or, la personne divine est égale
componibilis. Sed persona divina est aequalis en simplicité avec l’essence. On ne peut donc
simplicitatis cum essentia. Ergo nec in se potest pas dire qu’elle est composée ni qu’elle peut être
dici composita, nec alteri componibilis. composée avec une autre.
[8282] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 4 4. Comme le dit le Philosophe, la partie a raison
Praeterea, sicut dicit philosophus, pars habet de matière et d’imparfait. Or, toute imperfection
rationem materiae et imperfecti. Sed omnis et toute matérialité sont étrangères à la divinité.
imperfectio et materialitas a deitate est aliena. Elle ne peut donc être une partie de quelque
Ergo non potest esse pars alicujus. Sed omnis chose. Or, toute composition vient de parties. La
compositio est ex partibus. Ergo persona Christi personne du Christ ne peut donc être composée
non potest esse composita ex divinitate et de divinité et d’humanité.
humanitate.
[8283] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 5 Sed Cependant, [5] [Jean] Damascène dit en sens
contra est quod dicit Damascenus, duas naturas contraire qu’il y a deux natures unies l’une à
unitas invicem in unam compositam hypostasim l’autre dans une seule hypostase composée du
filii Dei. Fils de Dieu.
253

[8284] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 6 [6] À propos de Lv 5 : La dixième partie de
Praeterea, Levitici 5 super illud: decimam partem l’ephum, la Glose dit : « C’est-à-dire l’humanité
ephi, Glossa: idest Christi humanitatem; ephi du Christ : en effet, prendre trois mesures de
enim tres modios capiens significat Trinitatem. l’ephum signifie la Trinité. » L’humanité du
Ergo humanitas Christi est pars alicujus personae Christ est donc une partie d’une personne de la
in Trinitate. Trinité.
[8285] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 7 [7] Dans le symbole, Athanase dit : « De même
Praeterea, Athanasius in symbolo: sicut anima que l’âme raisonnable et la chair sont un seul
rationalis et caro unus est homo; ita Deus et homme, de même Dieu et l’homme sont un seul
homo unus est Christus. Sed anima rationalis et Christ. » Or, l’âme raisonnable et la chair sont
caro sunt partes hominis. Ergo Deus et homo sunt des parties de l’homme. Dieu et l’homme sont
partes Christi. donc des parties du Christ.
[8286] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 arg. 8 [8] Chaque tout est composé de parties. Or,
Praeterea, omne totum est compositum ex [Jean] Damascène dit que tout le Christ était en
partibus. Sed Damascenus dicit, quod Christus enfer, mais cependant pas en totalité ; de même,
totus fuit in Inferno, non tamen totum: et similiter il est n’est pas entier partout , mais tout [le
ubique est non totum, sed totus: quia non est Christ] y est, car il n’est pas partout seulement
ubique nisi secundum alteram naturam. Ergo duae selon l’autre nature. Les deux natures sont donc
naturae sunt partes personae Christi compositae des parties de la personne du Christ qui est
ex eis. composée d’elles.
[8287] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 co. Réponse. Deux choses se rapportent à la raison
Respondeo dicendum, quod ad rationem totius du tout. L’une, que l’être du tout composé se
pertinent duo. Unum scilicet quod esse totius rapporte à toutes les parties, car les parties n’ont
compositi pertinet ad omnes partes: quia partes pas d’être propre, mais elles existent par l’être du
non habent proprium esse, sed sunt per esse totius, tout, comme on l’a dit. L’autre est que les parties
ut dictum est. Aliud est quod partes componentes qui composent [le tout] causent l’être du tout.
causant esse totius. Secundum autem tertiam et Or, selon la troisième et la première opinion,
primam opinionem neutrum horum invenitur in aucune de ces deux choses ne se trouve dans le
Christo: quia opinio prima dicit, quod hic homo Christ, car la première opinion dit que cet
habet esse suum proprium; unde esse divinae homme a son être propre : l’être de la personne
personae ad ipsum non pertinet; similiter tertia divine ne le concerne donc pas. De même, la
opinio dicit, quod est esse superadditum ad esse troisième opinion dit qu’il y a un être ajouté à
divinae personae accidentaliter; unde anima et l’être de la personne divine de manière
corpus non dicuntur partes personae, sicut nec accidentelle ; aussi l’âme et le corps ne sont-ils
accidentia subjecti; unde neutra ponit personam pas appelés des parties de la personne, comme
verbi compositam. Sed secunda ponit unum esse les accidents du sujet ne le sont pas. Aucune des
in Christo; unde esse divinae personae pertinet ad deux positions n’affirme donc que la personne
utramque naturam. Non tamen illud esse causatur du Verbe est composée. Mais la deuxième
ex conjunctione naturarum, sicut esse compositi [opinion] affirme qu’il y a un seul être dans le
causatur ex conjunctione componentium. Unde Christ ; l’être de la personne divine se rapporte
secundum hanc opinionem persona Christi post donc aux deux natures. Cependant, cet être n’est
incarnationem potest dici aliquo modo composita, pas composé de l’union des natures, comme
inquantum ibi salvatur aliqua conditio compositi: l’être d’un composé est causé par l’union des
non tamen est ibi vera ratio compositionis, quia composants. Selon cette opinion, on peut donc
deficit ibi altera conditio; unde etiam non est in dire que la personne du Christ, après
usu modernorum hanc opinionem tenentium, quod l’incarnation, est composée d’une certaine
dicant personam compositam. Nec dicendum, manière, pour autant qu’y est préservée une
quod dicatur composita secundum expositionem condition du composé ; cependant, la raison de la
nominis quasi cum alio posita: quia sic prima composition n’existe pas là véritablement, car il
opinio et tertia ponerent personam compositam y manque une autre condition. Aussi la position
254

sicut et secunda. de ceux qui soutiennent que la personne est


composée n’est-elle plus en usage chez les
modernes. Il ne faut pas dire non plus qu’elle est
appelée composée, selon l’interprétation du mot,
au sens de « placée avec », car la première et la
troisième positions affirmeraient ainsi que la
personne est composée, comme la deuxième.
[8288] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1. Dans la personne composée, bien qu’il y ait
primum ergo dicendum, quod in persona davantage de biens que dans la personne simple,
composita quamvis sint plura bona quam in car il y a le bien incréé et le bien créé, la
persona simplici, quia est ibi bonum increatum et personne composée n’est cependant pas un bien
bonum creatum; tamen persona composita non est plus grand que la personne simple, car le rapport
majus bonum quam simplex: quia bonum creatum entre le bien créée et le bien incréé est celui du
se habet ad bonum increatum sicut punctus ad point à la ligne, puisqu’il n’y a aucune
lineam, cum nulla sit proportio unius ad alterum; proportion entre l’un et l’autre. De même qu’un
unde sicut lineae additum punctum, non facit point ajouté à la ligne ne donne pas quelque
majus; ita nec bonum creatum additum in persona chose de plus grand, de même le bien créé ajouté
bono increato facit melius: vel etiam quia tota au bien incréé dans la personne ne donne pas
ratio bonitatis omnium bonorum est in Deo; unde quelque chose de meilleur. Aussi, parce que
et ipse dicitur omne bonum; unde non potest sibi toute la raison de bonté de tous les biens existe
fieri additio alicujus boni quod in ipso non sit. en Dieu, il est appelé tout bien. On ne peut donc
lui ajouter un bien qui n’existe pas en lui.
[8289] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 2 Ad 2. On ne parle pas de personne composée au sens
secundum dicendum, quod persona non dicitur où son être serait constitué de plusieurs choses
composita quasi esse suum sit ex multis (en effet, cela va contre la raison de ce qui est
constitutum (hoc enim est contra rationem éternel), mais parce qu’il s’étend à plusieurs
aeterni), sed quia ad multa se extendit, quae choses, qui sont assumées dans son être.
assumuntur in illud esse.
[8290] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. Il fait partie de la raison de la plus grande
tertium dicendum, quod de ratione summae simplicité de n’être ni composée de parties, ni de
simplicitatis est quod nec sit composita ex pouvoir être composée d’autre chose comme
partibus nec componibilis alteri tamquam pars. d’une partie. Mais la personne n’est pas
Sic autem persona non est composita, quia neque composée de cette manière, car elle n’est pas une
est pars neque ex partibus constituta. partie et elle n’est pas constituée de parties.
[8291] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 4 Ad 4. Bien que la composition soit maintenue d’une
quartum dicendum, quod quamvis compositio certaine façon dans l’incarnation du Verbe, la
quantum ad aliquid salvetur in incarnatione verbi, raison de partie ne s’y trouve cependant
nullo tamen modo est ibi ratio partis. Divinitas aucunement. En effet, la divinité ne peut pas être
enim pars esse non potest, propter imperfectionem une partie, en raison de l’imperfection impliquée
quae est de ratione partis: humana autem natura dans la raison de partie. La nature humaine ne
similiter non potest esse pars, quia compartem peut donc pas être une partie, car elle n’est pas
non habet, vel etiam quia non causat esse accompagnée d’autres parties ou encore elle ne
personae quae dicitur composita. Et ideo Magister cause pas l’être de la personne qu’on dit
dicit in sequenti dist., quod inexplicabilis est illa composée. Aussi le Maître dit-il dans la
compositio quae non est partium. Ratio autem distinction suivante que la composition qui n’est
dicitur a magistris unio exigitiva: quia tot pas faite de parties est inexplicable. Mais la
comprehenduntur in persona quot exiguntur ad raison est appelée par les maîtres une union
opus redemptionis, ut sit Deus qui possit, et homo d’exigence, car autant de choses sont comprises
qui debeat satisfacere. dans la personne, qu’elles sont exigées pour
l’œuvre de la rédemption, de telle sorte qu’il y
255

ait Dieu qui puisse et l’homme qui doive


satisfaire.
[8292] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 5 Ad 5. [Jean] Damascène parle d’hypostase
quintum dicendum, quod Damascenus dicit composée pour autant qu’il s’y trouve quelque
compositam hypostasim, inquantum est ibi aliquid chose qui fait partie de la composition, et non
de ratione compositionis, non quod sit simpliciter parce qu’elle est tout simplement composée, au
composita quantum est ad perfectam rationem sens de la parfaite raison de composition.
compositionis.
[8293] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 6 Ad 6. Cette allégation vient de la ressemblance avec
sextum dicendum, quod allegatio illa sumitur le nombre, et non de la ressemblance entre le
quantum ad similitudinem numeri, non quantum tout et la partie.
ad similitudinem totius et partis.
[8294] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 7 Ad 7. Cette ressemblance porte sur une chose, et non
septimum dicendum, quod similitudo illa est sur tout, comme cela ressort de ce qui a été dit.
quantum ad aliquid, et non quantum ad omnia, ut
patet ex dictis.
[8295] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 2 a. 3 ad 8 Ad 8. Le tout, en plus d’être composé de parties,
ultimum dicendum, quod totum, praeter hoc quod comporte un autre aspect qui fait partie de sa
est compositum ex partibus, habet aliud de ratione raison : que rien ne lui manque de ce qu’il doit
sui, scilicet quod ei nihil deest eorum quae debet avoir. C’est en ce sens qu’il est utilisé par [Jean]
habere; et secundum hoc sumitur a Damasceno. Damascène.

Quaestio 3 Question 3 – [La troisième opinion]


Prooemium Prologue
[8296] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur ce qui se rapporte à la
quaeritur de his quae pertinent ad tertiam troisième opinion. À ce propos, deux questions
opinionem; et circa hoc quaeruntur duo: 1 utrum sont soulevées : 1 – Un composé a-t-il été formé
ex anima et corpore Christi fuerit aliquid de l’âme et du corps du Christ ? 2 – L’âme et le
compositum; 2 utrum anima et corpus fuerint corps ont-il été unis à la personne divine de
unita divinae personae accidentaliter. manière accidentelle ?

Articulus 1 [8297] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. Article 1 – Dans le Christ, une composition a-
1 tit. Utrum in Christo fuerit aliqua compositio t-elle eu lieu entre son âme et son corps ?
animae et corporis
[8298] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il n’y ait pas eu de composition
primum sic proceditur. Videtur quod non fuerit d’âme et de corps dans le Christ. En effet, plus
aliqua compositio animae et corporis in Christo. haut, à la d. 2, le Maître a démontré que, par
Supra enim, dist. 2, probavit Magister, quod l’expression « nature humaine », sont entendus
nomine humanae naturae intelligitur anima et l’âme et le corps, et qu’ils ne sont pas entendus
corpus; nec ita accipitur in Christo sicut in aliis. de la même manière pour le Christ et pour les
Cum ergo in aliis hominibus accipiatur humana autres. Puisque, chez les autres hommes, on
natura pro eo quod compositum est ex anima et entend « nature humaine » de ce qui est un
corpore; videtur quod in Christo accipiatur pro composé d’âme et de corps, il semble donc que,
partibus non compositis. chez le Christ, cela soit entendu de parties non
composées.
[8299] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 2 2. [Jean] Damascène dit que, dans le Seigneur
Praeterea, Damascenus dicit, quod in domino Jesu Jésus, il ne faut pas concevoir une spèce
non est communem speciem accipere. Sed ex commune. Or, la nature de l’espèce vient de
anima et corpore unitis consurgit natura speciei. l’union de l’âme et du corps. Il semble donc
Ergo videtur quod non fuerunt ad invicem unita in qu’ils n’ont pas été unis l’un à l’autre dans le
256

Christo. Christ.
[8300] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 3 3. Après l’ultime composition, il ne peut y avoir
Praeterea, post ultimam compositionem non d’autre composition. Or, la composition ultime
potest esse alia compositio. Sed ultima compositio dans la nature est celle de l’âme raisonnable au
in natura est animae rationalis ad corpus. Ergo si corps. Si cette union existait dans le Christ,
ista unio esset in Christo, non posset sequi unio ad l’union à la personne divine ne pourrait donc pas
divinam personam. suivre.
[8301] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 arg. 4 4. L’âme n’est unie au corps que pour le vivifier.
Praeterea, anima non conjungitur carni nisi ut Or, la chair pouvait être vivifiée par l’union à la
vivificet ipsam. Sed caro poterat vivificari ex vie elle-même, le Verbe. Il n’était donc pas
unione ad ipsam vitam, scilicet verbum. Ergo non nécessaire qu’elle soit unie à la chair.
oportuit quod carni uniretur.
[8302] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] « homme » est utilisé de
contra, homo univoce dicitur de Christo et aliis manière univoque pour le Christ et pour les
hominibus; alias non esset ejusdem speciei, nec autres hommes, autrement, ils ne seraient pas de
per eum deberet satisfieri pro peccatis humani la même espèce et il ne devrait pas satisfaire
generis. Sed de ratione hominis, secundum quod pour les péchés du genre humain. Or, selon
praedicatur de aliis, est compositio animae et qu’elle est prédiquée des autres, la raison
corporis. Ergo et in Christo fuit unio animae et d’homme est la composition de l’âme et du
carnis. corps. Il y a donc eu union de l’âme et du corps
dans le Christ.
[8303] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 s. c. 2 [2] Le corps n’est pas animé, à moins que l’âme
Praeterea, corpus non est animatum, nisi anima ne lui soit unie comme une forme. Si donc l’âme
conjungatur ei quasi forma. Si ergo anima non n’avait pas été unie au corps du Christ comme
fuisset unita corpori Christi quasi forma, fuisset une forme, ce corps aurait été inanimé, et ainsi il
corpus illud inanimatum; et ita non fuisset n’aurait pu être assumé.
assumptibile.
[8304] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 co. Réponse. L’union de l’âme à la chair constitue
Respondeo dicendum, quod unio animae ad la raison d’homme et de toutes ses parties. Si on
carnem constituit rationem hominis, et omnium enlève l’âme, on ne parle plus d’homme, ni
partium ejus; unde remota anima, non dicitur d’œil, ni de chair que de manière équivoque,
homo nec oculus nec caro nisi aequivoce, sicut comme dans le cas d’un homme peint. Si donc
homo pictus; et ideo si tollatur unio animae est enlevée l’union de l’âme du Christ à sa chair,
Christi ad carnem ejus, sequitur quod non sit il en découle qu’il n’est pas un homme véritable
homo verus, nec caro ejus vera; quod est contra et que sa chair n’est pas vraie, ce qui va à
articulum fidei; et ideo haec opinio tertia non l’encontre d’un article de foi. Aussi cette
solum est falsa, sed haeretica, et in Concilio troisième opinion est-elle non seulement fausse,
Ephesino sub Caelestino I Papa condemnata. mais hérétique, et a-t-elle été condamnée au
Tamen ista opinio videtur ex eodem fonte troisième concile d’Éphèse, sous le pape Célestin
processisse cum prima, scilicet ex hoc quod I. Cependant, cette opinion semble venir de la
credebant omne compositum ex anima et corpore même source que la première, du fait qu’on
habere rationem hominis; et ideo, quia prima croyait que tout composé d’âme et de corps avait
opinio posuit animam et corpus unita ad invicem, la raison d’homme. Parce que la première
esse assumpta, coacta fuit ponere hominem esse opinion affirmait que l’âme et le corps unis l’un
assumptum, et Christum esse duo. Haec autem à l’autre ont été assumés, elle a donc été forcée
opinio, ut hoc negaret, posuit animam et corpus d’affirmer que l’homme a été assumé et que le
esse assumpta non unita. Secunda vero utrumque Christ était deux réalités. Pour nier cela, cette
evitat, ut dictum est. opinion affirmait que l’âme et le corps ont été
assumés alors qu’ils n’étaient pas unis. Mais la
deuxième opinion évite les deux choses, comme
257

on l’a dit.
[8305] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. Ce n’était pas l’intention du Maître de dire
primum ergo dicendum, quod non fuit intentio que, par la nature humaine, étaient signifiés le
Magistri dicere, quod per humanam naturam in corps et l’âme non unis dans le Christ. En effet,
Christo significentur corpus et anima non unita; il n’indique pas de différence sur ce point, mais
non enim quantum ad hoc assignat differentiam, sur le point que la nature humaine apparaît chez
sed quantum ad hoc quod humana natura in aliis les autres à partir de tout ce qui se trouve de
consurgit ex omnibus quae substantialiter in ipsis manière substantielle en eux. Or, chez le Christ,
sunt: in Christo autem non, sed solum ex corpore ce n’est pas le cas, mais seulement à partir de ce
et anima. qui vient du corps et de l’âme.
[8306] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. [Jean] Damascène parle de l’union de la
secundum dicendum, quod Damascenus loquitur divinité à la nature humaine, à partir de laquelle
quantum ad unionem divinitatis ad humanam n’apparaît pas une troisième nature de l’espèce
naturam, ex qua non consurgit tertia natura speciei pour ce qui est de l’union de l’âme au corps.
quantum ad unionem animae ad corpus.
[8307] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. La composition d’âme raisonnable et de chair
tertium dicendum, quod compositio animae est ultime dans les œuvres de la nature ; mais la
rationalis ad carnem est ultima in operibus composition de l’humanité à la personne du
naturae; sed compositio humanitatis ad personam Verbe n’est pas réalisée par une opération de la
verbi non fit operatione naturae, sed virtute nature, mais par la puissance divine.
divina.
[8308] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Le Verbe vivifie la chair du Christ de manière
quartum dicendum, quod verbum vivificat carnem active, et non de manière formelle. Aussi l’âme,
Christi active, et non formaliter: et ideo requiritur qui vivifie de manière formelle, est-elle
anima, quae formaliter vivificet. nécessaire.

Articulus 2 [8309] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. Article 2 – La nature humaine est-elle unie au
2 tit. Utrum humana natura verbo accidentaliter Verbe de manière accidentelle ?
uniatur
[8310] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nature humaine soit unie au
secundum sic proceditur. Videtur quod humana Verbe de manière accidentelle. Ph 2, 7 : Il a été
natura accidentaliter verbo uniatur. Ad Philip. 2, reconnu comme homme à son vêtement. Puisque
7: habitu inventus ut homo. Ergo cum habitus sit le vêtement (habitus) est un genre de l’accident,
genus accidentis, videtur quod Deus fuerit homo il semble donc que Dieu ait été homme de
accidentaliter. manière accidentelle.
[8311] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 2 2. Tout ce qui arrive après l’être complet est un
Praeterea, omne quod advenit post esse accident. Or, la nature humaine survient chez le
completum, est accidens. Sed humana natura Fils de Dieu après son être complet. Elle survient
advenit filio Dei post esse completum ipsius. Ergo donc chez lui de manière accidentelle.
advenit ei accidentaliter.
[8312] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 3 3. Selon le Philosophe, on dit qu’être dans un
Praeterea, secundum philosophum, in subjecto sujet, c’est être dans un autre, mais non comme
dicitur esse quod est in aliquo non sicut pars. Sed une partie. Or, l’humanité du Christ n’existe pas
humanitas in Christo non est sicut pars, ut dictum comme une partie, comme on l’a dit. Elle existe
est. Ergo est in eo sicut in subjecto. Sed in donc en lui comme dans un sujet. Or, être dans
subjecto esse est proprium accidentis. Ergo unitur un sujet est propre à l’accident. Elle est donc
verbo accidentaliter. unie au Verbe de manière accidentelle.
[8313] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 arg. 4 4. Un accident est ce qui survient et disparaît
Praeterea, accidens est quod adest et abest praeter sans corruption du sujet. Or, c’est la manière
subjecti corruptionem. Sed humana natura hoc dont existe la nature humaine par rapport à la
258

modo se habet ad personam filii Dei. Ergo unitur personne du Fils de Dieu. Elle lui est donc unie
ei accidentaliter. de manière accidentelle.
[8314] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] une décrétale du pape Alexandre
contra est decretalis Alexandri Papae: cum va en sens contraire : « Puisque le Christ est
(inquit) Christus sit perfectus Deus et perfectus complètement Dieu et complètement homme, par
homo; qua temeritate audent quidam dicere, quod quelle témérité certains osent-ils dire que le
Christus, secundum quod homo, non est aliquid ? Christ, selon qu’il est homme, n’est pas quelque
Sed praedicatum accidentale non praedicat chose ? » Or, un prédicat accidentel ne prédique
aliquid, sed aliqualiter se habens. Ergo homo non pas quelque chose, mais comment est une chose.
est praedicatum accidentale. « Homme » n’est donc pas un prédicat
accidentel.
[8315] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s. c. 2 [2] Aristote dit, dans Physique, I : « Ce qui
Praeterea, Aristoteles in 1 Physic., dicit: quod existe vraiment (c’est-à-dire, la substance) ne
vere est, idest substantia, fit accidens nulli. Sed devient un accident pour rien. » Or, l’humanité
humanitas est substantia. Ergo non potest dici est une substance. Elle ne peut donc être appelée
accidens alicui. un accident pour rien.
[8316] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 s. c. 3 [3] S’il s’agit d’un accident (accidens), il est
Praeterea, si est accidens, oportet quod alicui nécesssaire qu’il survienne (accidat) à quelque
accidat. Non homini, quia per se convenit ei chose. Non pas à l’homme, car l’humanité lui
humanitas. Ergo accidit filio Dei; quod est contra convient par soi. Elle survient donc au Fils de
Boetium, qui dicit, quod in Deo non est aliquod Dieu, ce qui est contraire à Boèce, qui dit qu’en
accidens. Dieu, il n’y a pas d’accident.
[8317] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 co. Réponse. Bien que ce qui est un accident par soi
Respondeo dicendum, quod quamvis hoc quod est puisse être d’une certaine manière une substance
accidens in se, possit esse aliquo modo substantia pour quelque chose, comme la couleur pour la
alicui, ut color albedini; tamen quod est in se blancheur, cependant ce qui est en soi une
substantia, non potest esse accidens alicujus, substance ne peut être un accident pour quelque
quamvis conjunctio unius substantiae ad alteram chose, bien que l’union d’une substance à une
possit esse accidens, ut sic una substantia alteri autre puisse être un accident, de sorte qu’on dise
accidentaliter advenire dicatur, sicut vestis qu’une substance est survenue à quelque chose
homini. Sed hoc non potest esse nisi dupliciter: d’autre de manière accidentelle, comme un
vel quod conjungatur ei secundum contactum, vêtement à l’homme. Mais cela ne peut être le
sicut vestis homini, vel sicut dolium vino; aut cas que de deux manières : soit que cela lui est
sicut mobile motori, sicut Angelus conjungitur uni par contact, comme le vêtement pour
corpori quod assumit. Et cum contactus non sit l’homme, ou le tonneau pour le vin ; soit comme
nisi corporum, oportet dicere, quod humana un mobile à ce qui le meut : ainsi l’ange est-il
natura non potest advenire divinae personae nisi uni au corps qu’il assume. Puisqu’il n’y a de
sicut mobile motori, ut dicatur Christus hoc modo contact qu’entre des corps, il faut donc dire que
assumpsisse naturam humanam, sicut Angelus la nature humaine ne peut advenir à la personne
assumit corpus, ut oculis mortalium videatur, sicut divine que comme un mobile à ce qui le meut,
dicitur in littera; et sic spiritus sanctus visus est in pour dire que « le Christ a assumé la nature
columba. Haec autem assumptio non vere facit humaine comme l’ange a assumé un corps afin
praedicari assumptum de assumente, nec d’être visible aux yeux des mortels », comme on
proprietates assumpti vere transfert in le dit dans le texte. C’est ainsi que le Saint-Esprit
assumentem: non enim Angelus assumens corpus a été vu sous la forme d’une colombe. Or, une
ad hominis similitudinem, vere est homo, nec vere telle assomption ne permet pas que ce qui est
habet aliquas proprietates hominis; neque spiritus assumé soit prédiqué de ce qui l’assume, ni ne
sanctus potest dici minor seipso propter speciem reporte les propriétés de ce qui est assumé sur ce
columbae in qua apparuit, ut dicit Augustinus. qui les assume. En effet, « l’ange qui assume un
Unde patet quod haec opinio non potest dicere, corps à la ressemblance de l’homme n’est pas
259

quod filius Dei vere sit homo, vel vere sit passus: vraiment un homme et il n’a pas certaines
et ideo cum neget veritatem articulorum, qualités de l’homme ; l’Esprit-Saint non plus ne
condemnata est quasi haeretica. Tamen etiam peut être dit plus petit que lui-même en raison de
quantum ad hanc positionem procedit ab eodem la forme de la colombe sous laquelle il est
fonte cum prima, scilicet ex hoc quod humana apparu », comme le dit Augustin. Il est donc
natura non assumeretur ad esse divinae personae. clair que cette opinion ne peut dire que le Fils de
Unde prima opinio ponebat, quod assumptum Dieu est vraiment homme ou qu’il a vraiment
habebat esse per se, in quo subsistebat; haec souffert. Puisqu’elle nie la vérité de certains
autem tertia opinio ponit, quod non subsistit articles, elle a donc été condamnée comme
assumptum, neque persona in eo, sed est esse hérétique. Cependant, cette opinion procède de la
accidentale superadditum. même source que la première, à savoir que la
nature humaine ne serait pas assumée dans l’être
de la personne divine. Aussi la première opinion
affirmait-elle que ce qui est assumé avait un être
par soi dans lequel il subsistait ; mais cette
troisième opinion [dont il esst question] affirme
que ce qui est assumé ne subsiste pas, et que la
personne y subsiste, mais qu’elle est un être
accidentel ajouté.
[8318] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 1 Ad 1. La nature humaine dans le Christ a une
primum ergo dicendum, quod humana natura in certaine ressemblance avec l’accident, surtout
Christo habet aliquam similitudinem cum avec le vêtement, sous trois aspects.
accidente, et praecipue cum habitu, quantum ad Premièrement, parce qu’elle advient à la
tria. Primo, quia advenit personae divinae post personne divine après que son être est achevé,
esse completum, sicut habitus, et omnia alia comme le vêtement et tous les autres accidents.
accidentia. Secundo, quia est in se substantia, et Deuxièmement, parce qu’elle est une substance
advenit alteri, sicut vestis homini. Tertio, quia en soi et qu’elle advient à quelque chose d’autre,
melioratur ex unione ad verbum, et non mutat comme un vêtement à l’homme. Troisièmement,
verbum; sicut vestis formatur secundum formam parce qu’elle est améliorée par l’union au Verbe
vestientis, et non mutat vestientem. Unde antiqui et ne change pas le Verbe, comme le vêtement
dixerunt, quod vergit in accidens; et quidam prend la forme de celui qu’il revêt et ne change
propter hoc addiderunt, quod degenerat in pas celui qui le revêt. Aussi les anciens disaient-
accidens: quod tamen non ita proprie dicitur; quia ils que [la nature humaine du Christ] tend vers
natura humana in Christo non degenerat, immo l’accident. À cause de cela, certains ont ajouté
magis nobilitatur. qu’elle dégénère en accident, ce qui n’est
cependant pas dit en un sens aussi propre, car la
nature humaine dans le Christ ne dégénère pas,
mais elle est plutôt ennoblie.
[8319] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 2 Ad 2. Bien qu’elle advienne alors que l’être est
secundum dicendum, quod quamvis adveniat post complet, elle n’advient cependant pas de manière
esse completum, non tamen est accidentaliter accidentelle, car elle est attirée à l’union avec cet
adveniens: quia trahitur ad unionem in illo esse, être, comme le corps adviendra à l’âme lors de la
sicut corpus adveniet animae in resurrectione. résurrection.
[8320] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 3 Ad 3. Bien qu’elle ne puisse être appelée une partie
tertium dicendum, quod quamvis non proprie au sens propre, elle possède cependant quelque
possit dici pars, tamen aliquid habet de ratione chose de la raison de partie, ce que n’a pas
partis; quod non habet accidens, ut patet ex dictis. l’accident, comme cela ressort de ce qui a été dit.
[8321] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 ad 4 Ad 4. La réponse est la même que pour le deuxième
quartum dicendum sicut ad secundum. argument.
260

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


6
[8322] Super Sent., lib. 3 d. 6 q. 3 a. 2 expos.
Quaeritur, an his locutionibus, Deus factus est
homo etc (...) dicatur Deus factus esse aliquid.
Hic ponit tres quaestiones. Prima est, utrum homo
aliquid praedicet de Christo. Et secundum primam
et secundam opinionem praedicat aliquid, quia de
eo praedicatur in quid, quia est unio substantialis;
secundum vero tertiam opinionem non praedicat
aliquid, sed aliquo modo se habens. Secundam
quaestionem ponit ibi: et an ita conveniat dici:
utrum homo factus sit Deus, sicut Deus factus est
homo: quod prima opinio concedit; secunda et
tertia non, proprie loquendo, ut in sequenti dist.
patebit. Tertia quaestio est: si per hujusmodi
locutiones non dicitur Deus factus aliquid, quis
erit in his intellectus ? Et hanc ponit ibi: et si ex
his locutionibus non dicitur Deus factus esse
aliquid, vel esse aliquid, quae sit intelligentia
harum locutionum, et similium. Alii enim dicunt,
in ipsa verbi incarnatione hominem quemdam ex
anima rationali et humana carne constitutum. Hic
ponit positiones primae opinionis, non omnes, sed
quae sufficiunt ad intellectum ejus: et prima
positio est radix opinionis, scilicet quod anima et
corpus assumuntur unita (quod est contra tertiam),
non solum ad constituendam humanitatem, sed
etiam hominem (quod est contra secundam), et
hoc est quod dicit: hominem quemdam; et quod
ista unio animae ad carnem, ex qua constituitur
homo, praecedit unionem ad verbum secundum
intellectum; et hoc est quod dicit: et ille homo
coepit esse Deus; non autem tempore; et hoc est
quod dicit: in ipsa verbi incarnatione. Secundam
positionem ponit ibi: concedunt etiam hominem
illum assumptum a verbo, et unitum verbo; et hoc
est quod homo est assumptus, et quod assumens
est assumptum, quod notatur in hoc quod dicit:
tamen esse verbum; et quod per assumptionem
Deus factus est homo; unde dicit: et ea ratione
tradunt dictum esse Deum factum hominem.
Tertia est quod homo factus est Deus, et e
converso, ibi: unde vere dicitur: Deus factus est
homo, et homo factus est Deus. Quarta est quod
homo dicit compositum ex duabus substantiis, ibi:
cumque dicant illum hominem ex anima rationali
et humana carne subsistere, non tamen fatentur ex
duabus naturis esse compositum. Et ne de suo
tantum loqui putentur, hanc sententiam pluribus
261

muniunt testimoniis. Hic inducuntur auctoritates


ad probandum primam opinionem. Et sciendum,
quod quatuor probant per praedictas auctoritates.
Primum est, quod Christus est duo; quod probant
per primam auctoritatem, quae incipit ibi: cum
legitur, ex illo verbo, utrumque simul unam
personam. Item per secundam, quae incipit, ibi,
Jesus Christus, ex illo verbo, utraque substantia,
scilicet divina et humana, filius est unicus Dei
patris omnipotentis, ex illo, aliud propter verbum,
et aliud propter hominem. Item per quartam, quae
incipit ibi: agnoscamus geminam substantiam, ex
illo verbo, utrumque autem simul, non duo, sed
unus est Christus. Quod autem dicitur, utrumque
Christus, intelligendum est non proprie dici, sed
materialiter; sicut paries et tectum dicitur domus.
Quod vero dicit, aliud et aliud, intelligendum est,
alterius et alterius naturae. Secundum quod
probant, est quod homo factus est Deus: et hoc
probant per tertiam auctoritatem, quae incipit ibi:
quid natura humana in Christo homine meruit ?
Ex illo verbo, quibus mereretur iste homo una
fieri persona cum Deo. Item ex quinta, quae
incipit ibi: ille homo, ut a verbo patri coaeterno in
unitatem personae assumptus filius Dei unigenitus
esset, unde hoc meruit ? Ex illo verbo, ex quo ille
homo esse cepit. Item ex sexta, quae incipit ibi:
homo quicumque, ex illo verbo, homo ille ab
initio factus est Christus. Item ex septima, quae
incipit ibi, gratia Dei nobis in homine Christo
commendatur, ex illo verbo, una cum illo persona
filius Dei fieret; quod qualiter intelligendum sit, in
sequenti dist. dicetur. Tertium est, quod homo sit
assumptus; et hoc probant per auctoritatem
quintam, quae incipit ibi: ille homo ut a verbo
patri coaeterno in unitatem personae assumptus,
filius Dei unigenitus esset, unde hoc meruit ?
Quae expresse hoc dicit: et hoc in praecedenti
dist. solutum est: quia homo dicitur assumptus,
idest natura hominis. Quartum quod probant, est
quod homo constat ex duabus substantiis, per
octavam auctoritatem, quae incipit ibi: Christum
non ambigimus esse Deum verbum; quae expresse
hoc dicit; sed Hilarius loquitur quantum ad
formam significatam, non quantum ad
suppositum. Sunt autem alii. In hoc capite ponit
positiones secundae opinionis. Ponit ergo duas
positiones ejus, in quibus tota consistit: prima est,
quod assumptum est compositum ex anima et
corpore per modum naturae humanae, quod patet
262

ex hoc quod humanam naturam, ex qua, et divina


dicit Christum constare, statim exponit per
animam et corpus, ex quibus non constat natura
humana, nisi secundum quod sunt conjuncta ad
invicem; et quod hoc compositum sit homo, habet
ex unione ad divinam personam; unde dicit, quod
homo ille non tantum constat ex anima et corpore,
sed ex his et divinitate. Quod autem dicit: in parte
consentiunt, intendit quantum ad hoc quod
utraque ponit quod homo praedicat de Christo
quid, et quod anima et corpus sint unita ad
invicem. Secunda positio est, quod persona verbi
ante incarnationem fuit simplex, sed post est
composita. Et post hoc removet duo
inconvenientia quae videntur sequi: primum est
quod persona verbi sit alia quam primo: quod
removet ibi: nec est ideo alia persona quam prius;
secundum quod persona sit facta: quod removet
ibi: nec tamen persona illa debet dici facta
persona. De hoc Augustinus in Lib. sententiarum
prosperi ait. Hic ponit auctoritates probantes
secundam opinionem; et probant duo: scilicet
quod est una hypostasis, et quod persona post
incarnationem est composita, quod satis patet in
littera. Sunt etiam alii qui in incarnatione verbi
non solum personam ex naturis compositam
negant, verum etiam hominem aliquem, sive etiam
aliquam substantiam, ibi ex anima et carne
compositam vel factam diffitentur. Hic ponit
positiones tertiae opinionis; et ponit quatuor, in
quibus tota consistit: prima est, quod ex anima et
corpore non sit aliquid unum; et hoc ponitur
statim in principio; secunda, quod haec duo
adveniunt divinae personae accidentaliter, sicut
indumentum; et hoc ibi: sed sic illa duo, scilicet
animam et carnem, verbi personae vel naturae
unita esse ajunt, ut non ex illis duobus vel ex his
tribus, aliqua substantia vel persona fieret. Et
deinde removet duo inconvenientia. Unum quod
sequitur ex prima positione, scilicet quod Deus
non sit verus homo; et hoc ibi: qui ideo dicitur
verus factus homo, quia veritatem carnis et
animae accepit. Sed constat quod non potest
evitare: quia remota unione animae ad corpus, non
invenitur veritas carnis; et praeterea adhuc si sit
vera caro et vera anima, non erit verus homo, nisi
sint unita. Secundum est quod sequitur ex secunda
positione, scilicet, quod si anima et corpus
advenerint accidentaliter, non pertineant ad
singularitatem divinae personae; quod removet
263

ibi: quae duo etiam in singularitatem vel unitatem


suae personae accepisse legitur. Patet etiam quod
non potest hoc inconveniens evitare: quia non
sequitur: si non addit ad numerum personarum,
ergo pertinet ad singularitatem divinae personae:
sicut etiam columba in qua spiritus sanctus
apparuit, non auget numerum personarum, non
tamen pertinet ad singularitatem personae spiritus
sancti. Tertia positio est, quod persona verbi est
simplex post incarnationem sicut ante; in quo
convenit cum prima; et hoc ibi: et quia ipsa
persona verbi quae prius erat sine indumento,
assumptione indumenti non est divisa, vel mutata.
Quarta, quod homo de Deo non praedicat quid sed
habitum: et hoc ibi: qui secundum habitum Deum
hominem factum dicunt; et hoc probat ad
inconveniens ducendo, ibi: nam si essentialiter,
inquiunt illi, Deus esset homo, vel homo esse
Deus intelligeretur; tunc si Deus assumpsisset
hominem in sexu muliebri, et mulier essentialiter
Deus esset et e converso; quod tamen patet non
esse inconveniens. Ne autem et isti de suo sensu
influere videantur, testimoniis in medium
productis quod dicunt confirmant. Hic ponit
auctoritates probantes hanc tertiam opinionem:
primum quod probant, est quod persona ista non
fuit mutata per incarnationem, et quod humana
natura non auget numerum personarum; et hoc per
primam auctoritatem. Sed hoc non est contra
secundam opinionem, quae quamvis ponat
personam compositam, non tamen mutatam: nec
sufficit ad probandum quod anima et corpus non
pertineant ad singularitatem divinae personae,
quia non est auctus numerus personarum.
Secundum quod probant est, quod homo dicitur de
Deo secundum habitum; et hoc per secundam
auctoritatem, ibi: multis modis habitum dicimus,
quae expresse dicere hoc videtur. Item per
tertiam, quae incipit ibi: si quaeritur ipsa
incarnatio quomodo facta sit, ipsum verbum Dei
dico carnem factum, ex illo verbo, indutum. Item
ex quinta, sexta, et septima, quae Deum dicunt
suscepisse hominem, aut humanam naturam, ut
visibilis esset. Sed non oportet quod omne quod
suscipitur, sit accidens. Item ex ultima, quae
incipit ibi: quomodo Dei filius ex Maria est ? Ex
illo verbo: non fuit habitus ille tantum hominis;
idest puri hominis, sed ut hominis: quia purus
homo videbatur propter habitum. Sed omnia haec
per similitudinem dicuntur, et non per
264

proprietatem, sicut ex praedictis patet. Tertium


est, quod Christus dicatur homo, quia habuit
corpus et animam sibi unita, ex quarta auctoritate,
quae incipit ibi: Dei filius, cum sit Deus aeternus
et verus, pro nobis factus est homo verus et
plenus, ex illo verbo: in eo vero plenus. Sed haec
auctoritas non negat unionem animae et corporis,
immo magis ponit, per hoc quod dicit veram
naturam: non enim est natura humana nisi ex
compositione animae et corporis.

Distinctio 7 Distinction 7 – [Les expressions concernant


l’union]

Quaestio 1 Question 1 – [Dans la proposition : « Dieu est


homme », comment le verbe « est » exprime-t-
il l’union ?]
Prooemium Prologue
[8323] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 pr. Postquam Après avoir distingué trois opinions à propos de
distinxit Magister tres opiniones circa modum l’union, le Maître montre ici comment, selon
unionis, hic secundum eas ostendit qualiter elles, les expressions par lesquelles l’union est
locutiones quibus unio significatur, sunt signifiée doivent être comprises. Il y a deux
intelligendae; et dividitur in duas partes: in prima parties : dans la première, il les explique selon
exponit eas secundum singulas opiniones; in chacune des opinions ; dans la seconde, il laisse
secunda relinquit auditori judicium de dictis à l’auditeur le jugement sur ces opinions, à cet
opinionibus, ibi: satis diligenter juxta diversorum endroit : « Nous avons traité avec assez de soin
sententias supra positam absque assertione et la question formulée plus haut selon les diverses
praejudicio tractavimus quaestionem. Prima positions. » La première partie se divise en trois.
dividitur in tres partes: in prima exponit dictas Dans la peremière partie, il explique les
locutiones secundum primam opinionem; in expressions selon la première opinion. Dans la
secunda secundum secundam, ibi: in secunda vero deuxième, selon la deuxième, à cet endroit :
sententia hujus distinctionis talis videtur ratio; in « Mais, selon la deuxième position, la raison
tertia secundum tertiam, ibi: in hac igitur d’une telle distinction semble être la suivante. »
sententia sic dicitur Deus factus homo, quia Dans la troisième, selon la troisième [opinion], à
hominem accepit. Circa primum duo facit: primo cet endroit : « Selon cette position, on dit que
exponit propositiones dictas secundum primam Dieu est devenu homme parce qu’il a accueilli
opinionem; secundo objicit contra, ibi: huic autem l’homme. » À propos du premier point, il fait
sententiae opponitur. Exponit autem illas deux choses : premièrement, il explique les
propositiones in prima parte, in quibus fit mutua propositions en question selon la première
praedicatio Dei et hominis mediante hoc opinion ; deuxièmement, il soulève une
participio factus, quas primo exponit; et illas in objection, à cet endroit : « On objecte à cette
quibus fit praedicatio mediante hoc participio position… » Dans la première partie, il explique
praedestinatus, quas secundo exponit, ibi: et hoc les propositions dans lesquelles est faite une
gratia non natura. Objectionis autem solutionem prédication réciproque entre Dieu et l’homme au
ponit ibi: quod et illi concedunt. In secunda vero moyen du participe « devenu », en les présentant
sententia hujus distinctionis talis videtur ratio. tout d’abord ; puis, celles dans lesquelles est
Hic exponit eas quae sunt secundum secundam faite une prédication au moyen du participe
opinionem: et primo exponit propositiones; « prédestiné », qu’il expose en second lieu, à cet
secundo solvit quae videntur esse contra hanc endroit : « Et cela, par grâce, et non selon la
opinionem, ibi: determinant etiam auctoritates nature. » Il présente la réponse à l’objection à cet
265

quae primae conveniunt sententiae, et huic endroit : « Ce qu’ils concèdent... » « Mais, selon
videntur contradicere. Circa primum tria facit: la deuxième position, la raison d’une telle
primo exponit illas in quibus fit praedicatio distinction semble être la suivante » Ici, il
mediante hoc participio factus; secundo illas in présente les [propositions] conformes à la
quibus fit mediante hoc verbo est, ibi: variatur deuxième opinion. Premièrement, il présente les
autem intelligentia; tertio illas in quibus fit propositions ; deuxièmement, il répond à ce qui
praedicatio mediante hoc participio semble s’opposer à cette opinion, à cet endroit :
praedestinatus, ibi: isti dicunt Christum « Ils déterminent aussi des autorités qui sont
praedestinatum esse. Determinant etiam d’accord avec la première position et de celles
auctoritates quae primae conveniunt sententiae, et qui semblent la contredire. » À propos du
huic videntur contradicere. Hic solvit tria quae premier point, il fait trois choses. Premièrement,
videntur esse contra hanc secundam opinionem; et il présente celles dans lesquelles est faite une
tria facit circa hoc: primo solvit auctoritates quae prédication au moyen du participe « devenu » ;
videntur probare quod homo sit assumptus; deuxièmement, celles dans lesquelles elle est
secundo illas quae videntur probare quod Christus faite par l’intermédiaire du verbe « est », à cet
sit duo, ibi: sed his videntur adversari quae endroit : « Mais le sens varie… » ;
subditis continentur capitulis; tertio illas, quae troisièmement, celles dans lesquelles une
probant quod persona non sit composita, ibi: est prédication est faite au moyen du participe
autem et aliud quod huic sententiae plurimum « prédestiné », à cet endroit : « Ceux-ci disent
videtur obviare. Secunda pars dividitur in duas que le Christ a été prédestiné. » « Ils déterminent
partes: in prima solvit auctoritates quae dicunt aussi des autorités qui sont d’accord avec la
Christum esse aliud et aliud, ex quo sequitur première position et de celles qui semblent la
ipsum esse duo; in secunda solvit illas quae dicunt contredire. » Ici, il résout trois choses qui
Christum esse duo, vel utrumque duorum esse semblent aller contre la deuxième opinion. À ce
Christum, ibi: quod etiam dictum est, utrumque propos, il fait trois choses. Premièrement, il
est Christus, et una persona, movere potest résout les autorités qui semblent démontrer
lectorem. Circa primum tria facit: primo objicit; qu’un homme a été assumé. Deuxièmement,
secundo solvit, ibi: haec autem in hunc modum celles qui semblent démontrer que le Christ est
determinant; tertio solutionem confirmat, ibi: deux réalités, à cet endroit ; « Mais ce qui est
aperte enim Hilarius ait, et similiter dividitur pars contenu dans les chapitres suivants semble
secunda: quia primo objicit; secundo solvit, ibi: contredire cela. » Troisièmement, celles qui
sed haec omnia ex tali sensu dicta fore tradunt; démontrent que la personne n’est pas composée,
tertio solutionem confirmat, ibi: quia, ut ait à cet endroit : « Mais il y a quelque chose qui
Hieronymus, verbum est Deus, non caro semble s’opposer fortement à cette position. » La
assumpta. Est autem et aliud quod huic sententiae seconde partie est divisée en deux parties. Dans
plurimum videtur obviare. Hic objicit contra la première, il résout les autorités qui disent que
positionem personae: et primo objicit; secundo le Christ est une chose et une autre, d’où il
solvit, ibi: ad quod etiam illi dicunt. In hac igitur découle qu’il est deux réalités. Dans la seconde,
sententia sic dicitur Deus factus homo, quia il résout celles qui disent que le Christ est deux
hominem accepit. Hic exponit dictas propositiones choses ou que deux choses sont le Christ, à cet
secundum tertiam opinionem; et dividitur in duas endroit : « Ce qui a été dit, que les deux choses
partes: in prima exponit propositiones; in secunda sont le Christ et une seule personne, peut
infert corollarium ex dictis, ibi: et quia secundum ébranler le lecteur. » À propos du premier point,
habitum accipienda est incarnationis ratio; ideo il fait trois choses : premièrement, il soulève une
Deum humanatum, non hominem deificatum dici objection ; deuxièmement, il la résout, à cet
tradunt. Circa primum tria facit: primo exponit endroit : « Ils en déterminent de cette manière » ;
qualiter dicatur Deus factus homo; secundo troisièmement, il confirme la solution, à cet
quomodo dicatur Christus praedestinatus, ibi: endroit : « Hilaire dit ouvertement… ». La
secundum istos dicitur Christus, secundum quod seconde partie est divisée de la même manière :
homo, praedestinatus esse filius Dei; tertio premièrement, elle soulève une objection ;
266

quomodo dicatur minor seipso, ibi: hi etiam cum deuxièment, elle la résout, à cet endroit : « Mais
dicitur Christus minor patre, secundum quod ils disent que tout cela aura été dit dans un même
homo, secundum habitum hoc intelligunt dictum. sens» ; troisièmement, il confirme la solution, à
Et quia secundum habitum accipienda est cet endroit : « Comme le dit Jérôme, le Verbe est
incarnationis ratio; ideo Deum humanatum, non Dieu, non la chair assumée. » « Mais il y a
hominem deificatum dici tradunt. Hic concludit ex quelque chose qui semble s’opposer fortement à
dictis quod homo potest denominative praedicari cette position. » Ici, il soulève une objection
de Deo ut dicatur Deus humanatus, non autem contre l’affirmation de la personne :
Deus de homine; et circa hoc duo facit: primo premièrement, il soulève l’objection ;
ostendit quod non potest dici homo deificatus; deuxièment, il résout l’objection, à cet endroit :
secundo quod non potest dici homo dominicus, « Ceux-là disent aussi à ce sujet. » « Selon cette
ibi: et licet dicatur homo Deus, non tamen position, on dit que Dieu est devenu homme
congrue dicitur homo dominicus. Hic est quaestio parce qu’il a accueilli l’homme. » Ici, il présente
de locutionibus exprimentibus unionem: et primo les propositions en cause selon la troisième
quaeritur de locutionibus exprimentibus unionem opinion. Il y a deux parties : dans la première, il
per hoc verbum est simpliciter; secundo de his présente les propositions ; dans la seconde, il tire
quae exprimunt unionem cum hoc participio un corollaire de ce qui a été dit, à cet endroit :
factus; tertio de illis quae exprimunt unionem cum « Parce que la raison d’incarnation doit
hoc participio praedestinatus. Circa primum s’entendre selon le vêtement, ils enseignent
quaeruntur duo: 1 de hac: Deus est homo, et e qu’on doit dire que Dieu s’est humanisé, non que
converso; 2 de hac: Christus est homo dominicus. l’homme a été divinisé. » À propos du premier
point, il fait trois choses : premièrement, il
présente comment on dit que le Christ est devenu
homme ; deuxièmement, comment on dit que le
Christ a été prédestiné, à cet endroit : « Selon
eux, on dit que le Christ, en tant qu’homme, a été
prédestiné à être le Fils de Dieu » ;
troisièmement, comment on dit qu’il est inférieur
à lui-même, à cet endroit : « Ceux-là encore
comprennent que, lorsque le Christ est dit
inférieur à son Père, en tant qu’homme, cela a
été dit selon le vêtement. » « Parce que la raison
d’incarnation doit s’entendre selon le vêtement,
ils enseignent qu’on doit dire que Dieu s’est
humanisé, non que l’homme a été divinisé. » Ici,
il conclut de ce qui a été dit que « homme » peut
être prédiqué de Dieu comme un nominatif, de
sorte qu’on dit de Dieu qu’il s’est humanisé,
mais non que Dieu vient de l’homme. À ce
propos, il fait deux choses : premièrement, il
montre qu’on ne peut pas dire que l’homme a été
divinisé ; deuxièmement, que l’homme ne peut
pas être appelé « Seigneur », à cet endroit : « Et
bien que l’homme soit appelé Dieu, l’homme
n’est cependant pas appelé Seigneur. » Ici, il est
question des formules qui expriment l’union.
Premièrement, on s’interroge sur les formules
exprimant l’union par le mot « est » tout
simplement ; deuxièmement, sur celles qui
expriment l’union par le participe « devenu » ;
267

troisièmement, sur celles qui expriment l’union


par le participe « prédestiné ». À propos du
premier point, deux questions sont soulevées :
1 – À propos de cette [formule] : « Dieu est
homme », et inversement. 2 – À propos de cette
[formule] : « Le Christ est-il l’homme du
Seigneur (homo dominicus) ? »
 
Articulus 1 [8324] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. Article 1 – Cette formule : « Dieu est
1 tit. Utrum haec sit vera, Deus est homo homme » est-elle vraie ?
[8325] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que cette formule soit fausse :
primum sic proceditur. Videtur quod haec sit « Dieu est homme. » En effet, ce qui est uni dans
falsa, Deus est homo. Magis enim conveniunt la personne et dans une seule nature a plus en
quae uniuntur in personam et naturam unam, commun que ce qui est uni dans la personne, et
quam ea quae uniuntur in personam, et non in non dans une nature unique. Or, l’âme et le corps
naturam unam. Sed anima et corpus uniuntur in sont unis dans une nature et une personne
naturam et personam unam; Deus autem et homo uniques, mais Dieu et l’homme, dans la
in personam, et non in naturam. Cum ergo anima personne, et non dans la nature. Puisque l’âme ne
non possit praedicari de corpore, nec e converso, peut être prédiquée du corps, ni inversement, il
videtur quod Deus non possit praedicari de semble donc que Dieu ne puisse être prédiqué de
homine, nec e converso. l’homme, ni inversement.
[8326] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 2 2. L’unité des trois personnes dans la nature
Praeterea, major est unitas trium personarum in divine est plus grande que l’unité des deux
natura divina quam unitas duarum naturarum in natures dans la personne du Christ. Or, une
persona Christi. Sed una persona non praedicatur personne n’est pas prédiquée d’une autre.
de alia. Ergo nec homo praedicatur de Deo, nec e « Homme » n’est donc pas prédiqué de Dieu, ni
converso. inversement.
[8327] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Rien n’est prédiqué de manière univoque du
Praeterea, nihil praedicatur univoce de creatore et Créateur et de la créature. Or, « homme » est
creatura. Sed homo univoce praedicatur in Christo prédiqué de manière univoque du Christ et de
et in nobis. Ergo non praedicatur de Deo. nous. Il n’est donc pas prédiqué de Dieu.
[8328] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Tout ce qui est prédiqué de Dieu est soit
Praeterea, quidquid praedicatur de Deo, aut est absolu, soit relatif. Or, « homme » n’est pas un
absolutum, aut relativum. Sed homo non est relatif, car cela n’est pas dit en rapport avec
relativum, quia non dicitur ad aliquid; et praeterea quelqu’un ; de plus, cela est prédiqué selon deux
praedicat aliquid secundum duas opiniones: quod opinions : que cela ne convient pas à ce qui est
non convenit relativis, quae, secundum relatif, qui, selon Augustin, n’est pas attribué à
Augustinum non praedicant aliquid, sed ad quelque chose, mais à propos de quelque chose ;
aliquid: nec potest praedicari de Deo tamquam cela ne peut pas non plus être prédiqué de Dieu
absolutum; quia absoluta quae veniunt in divinam comme quelque chose d’absolu, car les absolus
praedicationem dicuntur de tribus personis; quod qui sont prédiqués de Dieu se disent des trois
non est de hoc nomine homo. Ergo non possumus personnes, ce qui n’est pas le cas du mot
dicere, quod Deus sit homo. « homme ». Nous ne pouvons donc pas dire que
Dieu est homme.
[8329] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Ce qui est prédiqué est prédiqué soit par soi,
Praeterea, quod praedicatur, aut praedicatur per soit par accident. Or, « homme » n’est pas
se, aut per accidens. Sed homo non praedicatur prédiqué par soi de Dieu, car il conviendrait ainsi
per se de Deo, quia sic conveniret omni supposito à tout suppôt de la nature divine ; il n’est pas non
divinae naturae; nec iterum praedicatur per plus prédiqué par accident, car rien n’advient à
accidens, quia Deo nihil accidit. Ergo homo nullo Dieu. « Homme » n’est donc prédiqué de Dieu
268

modo praedicatur de Deo. d’aucune manière.


[8330] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Toute prédication est faite soit en raison de
Praeterea, omnis praedicatio vel est per essentiam, l’essence, comme : «L’homme est un animal»,
sicut, homo est animal; vel per inhaerentiam, soit selon l’inhérence, comme : «L’homme est
sicut, homo est albus; vel per causalitatem, sicut blanc», soit selon la causalité, comme : « S’il fait
haec: si dies est, sol lucet super terram. Sed cum jour, le soleil luit sur la terre. » Mais lorsqu’on
dicitur: Deus est homo, non est praedicatio per dit : « Dieu est homme », ce n’est pas une
causam, ut sit sensus, Deus est causa hominis: prédication selon la cause, car on pourrait ainsi
quia sic posset dici: Deus est leo vel stella; nec est dire : « Dieu est un lion ou une étoile » ; ni une
praedicatio per inhaerentiam: quia humanitas non prédication selon l’inhérence, car l’humanité
accidentaliter inhaeret Deo, ut supra dictum est; n’inhère par à Dieu de manière accidentelle,
nec per essentiam, quia alia est essentia hominis comme on l’a dit plus haut ; ni selon l’essence,
et Dei. Ergo propositio est falsa. car l’essence de l’homme et celle de Dieu sont
différentes. La proposition est donc fausse.
[8331] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 7 7. Selon l’art du Philosophe, il existe quatre
Praeterea, secundum artem philosophi quatuor genres de prédicats : essentiel non convertible,
sunt genera praedicatorum; scilicet essentiale non comme le genre ; essentiel convertible, comme la
conversum, ut genus; et essentiale conversum, ut définition ; accidentel non convertible, comme
definitio; accidentale non conversum, ut accidens; l’accident ; accidentel convertible, comme ce qui
accidentale conversum, ut proprium. Sed nullo est propre. Or, l’homme n’est en rapport avec
istorum modorum se habet homo ad Deum, ut Dieu selon aucune de ces manières, comme cela
patet per se. Ergo nullo modo potest praedicari de ressort de soi. Il ne peut donc aucunement être
ipso. prédiqué de lui.
[8332] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 arg. 8 8. On dit qu’une proposition porte sur une
Praeterea, propositio dicitur esse in materia matière éloignée lorsque les formes signifiées
remota, quando formae significatae sunt diversae. sont diverses. Or, les formes signifiées par le
Sed formae significatae per hoc nomen Deus et nom « Dieu » et par le nom « homme » sont ce
per hoc nomen homo, sunt diversae maxima qu’il y a de plus divers. Cette proposition :
diversitate. Ergo haec propositio, Deus est homo, « Dieu est homme » porte donc sur une matière
est in materia remota: ergo est falsa: quia in éloignée ; elle est donc fausse, car, en matière
remota materia omnes affirmativae sunt falsae. éloignée, toutes les propositions affirmatives
sont fausses.
[8333] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] en sens contraire, Rm 9, 5 dit :
contra, Rom. 9, 5: quorum patres ex quibus est Leurs pères, dont est issu le Christ selon la
Christus secundum carnem, qui est Deus chair, qui est le Dieu béni dans les siècles. Or, le
benedictus in saecula. Sed Christus secundum Christ né selon la chair est un homme. Donc, cet
carnem natus, est homo quidam. Ergo homo est homme est Dieu.
Deus.
[8334] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Bernard dit dans Sur la considération, V :
Praeterea, Bernardus dicit, 5 de Consid.: tantam et « Cette personne en qui Dieu et l’homme sont un
expressam vim unionis in se praefert illa persona seul Christ met de l’avant une si grande et si
qua Deus et homo unus est Christus, ut si alterum expresse force d’union que, si tu affirmes l’un de
de altero praedices, non erres. Ergo Deus est l’autre, tu ne te tromperas pas. » Dieu est donc
homo, et e converso. homme, et inversement.
[8335] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Tout ce qui est identique à une seule et
Praeterea, quaecumque uni et eidem sunt eadem, même chose est réciproquement identique. Or, le
sibi invicem sunt eadem. Sed Christus est Deus, et Christ est Dieu et il est homme. Dieu est donc
ipsemet est homo. Ergo Deus est homo. homme.
[8336] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 s. c. 4 [4] Tout ce qui est un selon le suppôt est
Praeterea, quaecumque sunt unum secundum prédiqué réciproquement. Or, le suppôt de Dieu
269

suppositum, unum de altero praedicatur. Sed idem et de l’homme est le même, comme on l’a dit
est suppositum Dei et hominis, ut dictum est plus haut. Dieu est donc homme.
supra. Ergo Deus est homo.
[8337] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 co. Réponse. Cette proposition : « Dieu est
Respondeo dicendum, quod haec propositio, Deus homme », est concédée par tous, mais
est homo, ab omnibus conceditur, sed diversement. En effet, selon la troisième opinion,
diversimode a diversis. Secundum enim tertiam il s’agit d’une prédication par inhérence, comme
opinionem est praedicatio per inhaerentiam, sicut lorsqu’on dit : « L’homme est blanc », car elle
cum dicitur, homo est albus: quia ponit, quod affirme que la nature humaine est advenue à la
humana natura accidentaliter advenit divinae: et [nature] divine de manière accidentelle, et elle
adhuc est valde impropria ex duabus partibus. est aussi très impropre sous deux aspects.
Primo, quia partes humanae naturae vocat Premièrement, elle appelle « homme » les parties
hominem, scilicet corpus et animam; quod de la nature humaine, à savoir, le corps et l’âme,
improprie dicitur; non enim proprie dicitur quod ce qui est dit de manière impropre. En effet, on
partes sunt totum, sed quod totum est ex partibus: ne dit pas au sens propre que les parties sont le
unde non proprie potest dici, quod anima et tout, mais que le tout est composé de parties. On
corpus sint homo. Secundo, quia si etiam proprie ne peut donc pas dire au sens propre que l’âme et
hoc diceretur, tamen cum haec duo secundum le corps sont l’homme. Deuxièmement, même si
hanc opinionem adveniant filio Dei quasi habitus, cela était dit au sens propre, puisque, selon cette
non potest homo proprie praedicari de eo nisi opinion, ces deux choses adviennent au Fils de
denominative, sicut nec vestis de homine; sed Dieu comme un vêtement, « homme » ne peut
dicitur homo vestitus. Ita etiam haec opinio dicit, être prédiqué de lui au sens propre que d’une
quod dicitur homo, quia habet hominem, et partes manière descriptive, comme le vêtement ne le
humanae naturae: unde non proprie diceretur peut pas de l’homme ; mais on dit que l’homme
homo, sed humanatus, sicut homo vestitus non est vêtu. Cette opinion dit aussi qu’il est appelé
vestis dicitur. Unde est contra veritatem sacrae « homme » parce qu’il a un homme et les parties
Scripturae, et symboli, quae Deum hominem de la nature humaine ; aussi ne serait-il pas
factum dicit; et propter hoc est haeretica. appelé « homme » au sens propre, mais
Secundum vero primam opinionem, est « humanisé » (humanatus), comme on dit que
praedicatio per identitatem, non per l’homme est vêtu, mais non qu’il est vêtement.
informationem: Deus enim supponit suppositum Cela va donc à l’encontre de la vérité de la
aeternum: quod quidem non informatur per Sainte Écriture et du symbole, qui dit que Dieu
formam significatam per hoc nomen homo, sed est devenu homme ; pour cette raison, elle est
informatur per ipsum suppositum humanae hérétique. Mais, selon la première opinion, il
naturae, quod est aliud a supposito divinae s’agit d’une prédication selon l’identité, et non
naturae: et quia illa supposita sunt eadem persona, selon la forme : en effet, Dieu est un suppôt
ratione hujus identitatis potest fieri praedicatio de éternel, qui ne reçoit donc pas la forme signifiée
se invicem, ut sit sensus: Deus est homo; idest, par ce nom « homme », mais il reçoit la forme
ille, scilicet Christus, qui est homo; et est similis du suppôt de la nature humaine, qui est autre que
modus praedicandi, sicut cum dicitur: essentia est le suppôt de la nature divine. Et parce que ces
pater: quia essentia divina est eadem secundum suppôts sont la même personne, en raison de
rem cum supposito quod informatur paternitate; cette identité, une prédication réciproque peut
quamvis ipsa essentia paternitate non informetur. être faite, de sorte que le sens est : « Dieu est
Sed hoc non potest stare: quia hoc quod dicit, duo homme », c’est-à-dire, ce Christ, qui est homme.
supposita esse eamdem personam, non potest Il s’agit de la même manière de prédiquer que
intelligi nisi duobus modis. Primo, quod ex lorsqu’on dit : « L’essence est le Père », car
duobus suppositis constituatur una persona; et sic l’essence divine est en réalité identique au
neutrum illorum suppositorum esset illa persona: suppôt qui reçoit la forme de la paternité, bien
quia quod constituitur ex aliquibus, non que l’essence elle-même ne reçoive pas la forme
praedicatur de illis, ut dictum est dist. 6, quaest. 1, de la paternité. Mais cela n’est pas acceptable,
270

art. 1: unde expositiva istius, Deus est homo, car dire que deux suppôts sont la même personne
scilicet, ille qui est Deus est homo, erit falsa ne peut s’entendre que de deux manières.
quantum ad utramque partem: quia neque Deus Premièrement, une seule personne est constituée
esset illa persona, nec illa persona esset Deus. Sed des deux suppôts ; et ainsi aucun de ces suppôts
hoc non est intellectus ejus, quia non ponit ne serait cette personne, car ce qui est constitué
personam compositam sed simplicem. Alio modo de certaines choses n’est pas prédiqué d’elles,
potest intelligi ut suppositum divinae naturae sit comme on l’a dit à la d. 6, q. 1, a. 1. Aussi
illa persona simplex secundum rem, et illa l’interprétation de cette proposition : « Dieu est
persona simplex sit illud suppositum humanae homme », c’est-à-dire celui qui est Dieu est
naturae, quod ei advenit per assumptionem. Sed homme, sera fausse des deux côtés, car ni Dieu
hoc est omnino impossibile, cum implicet ne serait cette personne, ni cette personne ne
contradictionem, scilicet quod illud quod advenit, serait Dieu. Or, ce n’est pas être ce qu’elle veut
sit distinctum in sua singularitate, et sit idem illi dire, car elle n’affirme pas que la personne est
existenti cui advenit: idem enim est quod est composée, mais qu’elle est simple. D’une autre
secundum substantiam unum; unum autem est in manière, elle peut être comprise au sens où le
se indivisum, et ab aliis divisum: unde suppositum suppôt de la nature divine est en réalité cette
humanae naturae, quod advenit divinae personae, personne simple, et que cette personne simple est
esset distinctum a divina persona, inquantum est ce suppôt de la nature humaine, qui lui est
singulare, per se; et esset non distinctum, advenu par l’assomption. Or, cela est tout à fait
inquantum est idem ei: unde persona illa invenitur impossible, puisque cela implique une
habere identitatem cum uno suppositorum, scilicet contradiction, à savoir que ce qui est advenu est
cum supposito divinae naturae, non autem cum distinct dans sa singularité et est identique à
supposito humanae naturae: et propter hoc l’existant à qui cela est advenu : en effet, est
expositiva hujus locutionis, Deus est homo, identique ce qui est un selon la substance ; or, ce
scilicet, ille qui est Deus, est homo, est falsa qui est un est indivis en lui-même et est divisé
quantum ad alteram partem: quia ista persona non des autres. En conséquence, le suppôt de la
est homo, quamvis Deus sit illa persona; unde non nature humaine, qui est advenu à la personne
potest eam verificare. Et ideo sola opinio secunda divine, serait par soi distinct de la personne
vera est, quae verificat eam: potest enim ponere, divine en tant qu’il est singulier, et il n’en serait
quod cum dicitur, Deus est homo, est praedicatio pas distinct en tant qu’il lui est identique. Cette
per informationem essentialem, quia ly Deus personne se trouve donc être identique à l’un des
supponit suppositum personae filii; et hoc idem suppôts, à savoir, au suppôt divin, mais non avec
est suppositum humanae naturae per illam le suppôt de la nature humaine. Pour cette raison,
naturam informatum, secundum modum l’interprétation de cette formule : « Dieu est
intelligendi, inquantum subsistit in ea. Unde sicut homme », à savoir, celui qui est Dieu est
haec est vera et propria, Petrus est homo; ita et homme, est fausse pour la seconde partie, car
ista, Deus est homo. Est tamen in hoc differentia: cette personne n’est pas un homme, bien que
quia in ista, Petrus est homo, homo praedicatur Dieu soit cette personne. Cela ne peut donc la
inesse subjecto ratione suppositi, et ratione rendre vraie. C’est pourquoi seule la deuxième
formae importatae per subjectum; sed in hac, opinion est vraie, qui la rend vraie. En effet, elle
Deus est homo, praedicatum non inest subjecto peut affirmer que lorsqu’on dit : « Dieu est
ratione formae significatae per subjectum: non homme », il s’agit d’une prédication selon une
enim convenit ei ratione divinitatis, sed ratione forme essentielle, car « Dieu » joue le rôle de
suppositi. Hoc autem sufficit ad hoc quod sit vera: suppôt de la personne du Fils ; et cela même est
quia propositio non verificatur ratione formae le suppôt de la nature humaine qui a reçu la
significatae in supposito, sed ratione suppositi, forme de cette nature, en comprenant qu’il
sicut patet infra in respons. ad quintum. subsiste en elle. Aussi, de même que cette
proposition est vraie au sens propre : « Pierre est
homme », de même celle-ci : « Dieu est
homme. » Il y a cependant ici une différence,
271

car, dans celle-ci : « Pierre est homme »,


« homme » est prédiqué comme étant présent
dans le sujet en raison du suppôt et en raison de
la forme reçue par le sujet ; mais, dans celle-là :
« Dieu est homme », le prédicat n’est pas présent
dans le sujet en raison de la forme signifiée par
le sujet. En effet, il ne lui convient pas en raison
de la divinité, mais en raison du suppôt. Mais
cela suffit pour que cette proposition soit vraie,
car elle n’est pas rendue vraie en raison de la
forme signifiée dans le sujet, mais en raison su
suppôt, comme cela ressort plus loin dans le
réponse au cinquième argument.
[8338] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. De même que l’âme et le corps ne sont pas
primum ergo dicendum, quod sicut anima et prédiqués l’un de l’autre, de même non plus la
corpus non praedicantur de se invicem; sic nec nature divine et la nature humaine. Or, « Dieu »
divina natura et humana. Sed Deus et homo non et « homme » ne désignent pas seulement la
tantum naturam, sed etiam suppositum naturae nature, mais aussi le suppôt de la nature. C’est
designant: et ideo possunt praedicari de se pourquoi ils peuvent être prédiqués l’un de
invicem; sicut ex illa parte habens animam et l’autre, comme, par ailleurs, celui qui a une âme
habens corpus praedicantur de se invicem. et celui qui a un corps peuvent être prédiqués
l’un de l’autre.
[8339] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Selon que les personnes divines sont une seule
secundum dicendum, quod secundum hoc quod réalité, elles se prédiquent l’une de l’autre : en
personae divinae sunt unum, praedicantur de se effet, on dit que la nature du Père est la nature du
invicem: dicitur enim, quod natura patris est Fils. Mais parce qu’elles ne sont pas une seule
natura filii. Sed quia non sunt unum in persona, réalité selon la personne, les noms personnels ne
ideo nomina personalia de se invicem non sont donc pas prédiqués l’un de l’autre. De
praedicantur. Et similiter hic, quia naturae sunt même ici, parce que les natures sont différentes
diversae et persona eadem, nomina quae et que la personne est la même, les noms qui
significant vel supponunt personas, praedicantur signifient ou sont les sujets des personnes sont
de se invicem, non autem nomina quae significant prédiqués l’un de l’autre, mais non les noms qui
naturas tantum. signifient seulement les natures.
[8340] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. « Homme » est prédiqué de manière univoque
tertium dicendum, quod homo univoce de Dieu et des autres hommes. Lorsqu’on dit que
praedicatur de Deo et aliis hominibus. Quod rien n’est dit de manière univoque de Dieu et des
autem dicitur, quod nihil dicitur univoce de Deo créatures, il faut comprendre qu’il s’agit de ce
et creaturis, intelligendum est de illis quae qui est prédiqué de Dieu en tant qu’il est Dieu.
praedicantur de ipso inquantum est Deus.
[8341] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Lorsqu’on dit : « Dieu est homme »,
quartum dicendum, quod cum dicitur, Deus est « homme » est absolu pour ce qui est de la forme
homo, ly homo quantum ad formam significatam signifiée, mais il comporte une relation implicite
est absolutum, sed quantum ad suppositum habet pour ce qui est du suppôt. En effet, il joue le rôle
relationem implicitam: supponit enim pro persona de suppôt pour la personne du Fils de Dieu.
filii Dei.
[8342] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Lorsqu’on dit : « Dieu est homme », « Dieu »
quintum dicendum, quod cum dicitur, Deus est joue le rôle de suppôt pour la personne du Fils et
homo, Deus supponit personam filii, et significat signifie la divinité. Or, une proposition n’est pas
divinitatem. Propositio autem non verificatur vraie en raison de ce qui est signifié, mais en
ratione significati, sed ratione suppositi: et cum raison du suppôt et, lorsque ce suppôt subsiste
272

hoc suppositum sit subsistens in humana natura, dans la nature humaine, ce nom « homme » est
hoc nomen homo per se praedicatur de ipsa: unde prédiqué d’elle par soi. Aussi selon qu’elle est
secundum quod vera est, est per se praedicatio, vraie, elle est une prédication par soi, comme
sicut ista, Petrus est homo. Unde non sequitur celle-ci : « Pierre est homme. » Il n’en découle
quod possit praedicari de omnibus quibus inest donc pas qu’il puisse être prédiqué de tous ceux
forma significata per hoc nomen Deus; quia non chez qui se trouvent la forme signifiée par ce
est per se ex parte formae significatae; sed ex nom « Dieu », car, en lui-même, il ne signifie
parte suppositi. Et hoc est singulare in ista pas selon la forme signifiée, mais selon le
materia: quia nunquam alibi invenitur quod sit suppôt. Et cela est singulier en cette matière, car
suppositum unum essentialiter in duabus naturis on ne trouve jamais ailleurs qu’il existe un seul
subsistens: et ideo non potest dici quod sit per suppôt qui subsiste de manière essentielle en
accidens, sicut hoc album est homo; id enim quod deux natures. On ne peut donc dire que cela soit
est per se suppositum hominis non est pars par accident, comme : « Ce blanc est un
significationis hujus nominis album: album enim homme ». En effet, ce qui est par soi le suppôt de
solam qualitatem significat, cum nomen significet l’homme n’est pas une partie de la signification
unum: ex albedine autem et subjecto non fit unum de ce mot « blanc », car « blanc » signifie
simpliciter: unde hoc nomen album copulat suum seulement une qualité, alors que le nom signifie
subjectum quasi extrinsecum. Deus autem quelque chose d’un. Or, quelque chose d’un
importat suppositum divinae naturae, quod etiam n’est pas réalisé par la blancheur et par le sujet.
idem est humanae, non quasi extrinsecum, sed Aussi ce mot « blanc » est-il uni à son sujet
sicut clausum in significatione hujus nominis comme de l’extérieur. Or, « Dieu » implique le
homo; et ideo haec non est per accidens, Deus est suppôt de la nature divine, qui est le même que
homo; sed habet aliquid simile cum illis quae sunt celui de la nature humaine, non pas comme de
per accidens, inquantum praedicatum non inest l’extérieur, mais comme inclus dans la
subjecto ratione formae importatae per subjectum. signification de ce nom « homme ». Cette
proposition : « Dieu est homme » n’exprime
donc pas quelque chose d’accidentel, mais elle a
quelque chose de semblable avec celles qui
reposent sur un accident, pour autant que ce qui
est prédiqué n’est pas présent dans le sujet en
raison de la forme reçue par le sujet.
[8343] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Il s’agit d’une prédication selon l’essence, non
sextum dicendum, quod est praedicatio per pas que la divinité soit l’humanité, mais parce
essentiam, non quod divinitas sit humanitas, sed que le suppôt de la nature divine est
quia suppositum divinae naturae essentialiter est essentiellement le suppôt de la nature humaine.
suppositum humanae naturae: et hoc significat C’est ce que signifie la formule.
locutio.
[8344] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. Elle se ramène à un prédicat selon le genre,
septimum dicendum, quod reducitur ad comme celle-ci : « Pierre est homme », car la
praedicatum de genere, sicut ista, Petrus est raison de vérité est la même dans les deux.
homo; quia eadem est ratio veritatis in utraque.
[8345] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 1 ad 8 Ad 8. Ce n’est pas en matière éloignée, mais en
octavum dicendum, quod non est in materia matière naturelle, car la proposition est vraie non
remota, sed in materia naturali: quia propositio pas en raison de la nature, mais en raison du
verificatur non ratione naturae, sed ratione suppôt de la nature humaine. Et ce n’est pas la
suppositi humanae naturae. Nec est simile in hoc même chose dans ce cas et dans les autres, car,
et in aliis: quia in aliis ad diversitatem naturarum dans les autres, il résulte de la diversité des
sequitur diversitas in suppositis: unde si formae natures une diversité des suppôts. Si donc les
sunt diversae quae significantur per subjectum et formes signifiées par le sujet et le prédicat sont
praedicatum, supposita non possunt esse eadem. diverses, les suppôts ne peuvent être les mêmes.
273

In Christo autem sunt duae naturae et unum Mais, dans le Christ, il existe deux natures et un
suppositum. seul suppôt.

Articulus 2 [8346] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. Article 2 – Le Christ peut-il être appelé
2 tit. Utrum Christus possit dici homo dominicus l’homme du Seigneur ( homo dominicus) ?
[8347] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ puisse être appelé
secundum sic proceditur. Videtur quod Christus l’homme du Seigneur (homo dominicus). En
possit dici homo dominicus. Augustinus enim effet, Augustin dit dans le Livre sur 83
dicit in Lib. 83 qq.: monendum est ut illa bona questions : « Il faut avertir que sont attendus les
aeterna expectentur quae fuerunt in homine biens éternels qui se trouvaient dans l’homme du
dominico; et loquitur de Christo. Ergo potest dici Seigneur », et il parle du Christ. On peut donc
dominicus. l’appeler l’homme du Seigneur.
[8348] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 2 2. L’homme Jésus, le Christ, participe davantage
Praeterea, homo Christus Jesus est magis in à la bonté divine que les autres saints. Or, les
participatione divinae bonitatis quam alii sancti. autres saints sont appelés hommes du Seigneur
Sed alii sancti propter participationem divinae en raison de leur participation à la bonté divine,
bonitatis dicuntur dominici, ut patet per Glossam comme cela ressort de la Glose à propos de
1 Reg. 1: quis est homo, nisi homo dominicus ? 1 S 1 : « Qui est cet homme, sinon l’homme du
Ergo multo magis Christus potest dici homo Seigneur ? » À bien plus forte raison, le Christ
dominicus. peut-il donc être appelé l’homme du Seigneur.
[8349] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Comme « du Seigneur » (dominicus) vient de
Praeterea, sicut dominicus dicitur denominative a « Seigneur » (dominus), de même, « divin »
domino, ita divinus dicitur denominative a Deo. vient de « Dieu ». Or, Denys appelle
Sed Dionysius frequenter nominat Christum fréquemment le Christ « Jésus, le très divin ». Il
divinissimum Jesum. Ergo et potest dici ille peut donc être appelée [l’homme] du Seigneur.
dominicus.
[8350] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 4 4. De même que cette proposition est vraie :
Praeterea, sicut haec est vera, Deus est homo: ita « Dieu est homme », de même celle-ci : « Cet
haec, homo est Deus. Sed dicimus Deum homme est Dieu. » Or, nous parlons de Dieu fait
humanatum. Ergo possumus dicere hominem homme (humanatum). Nous pouvons donc dire
dominicum. que cet homme est l’homme du Seigneur.
[8351] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 arg. 5 5. La condition de servitude est davantage
Praeterea, conditio servitutis magis exprimitur exprimée par le mot « serviteur » que par le mot
nomine servi quam nomine dominici. Sed « du Seigneur ». Or, l’Apôtre a employé le mot
apostolus nomen servitutis in Christo ponit de servitude pour le Christ, Ph 2, 7 : Prenant la
Philipp. 2, 7, formam servi accipiens. Ergo etiam forme de serviteur. Nous pouvons donc dire
possumus dicere eum dominicum. aussi qu’il est « du Seigneur ».
[8352] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
Cependant, [1] ce qui est prédiqué de quelque
contra, quod praedicatur de aliquo essentialiter, chose de manière essentielle ne peut être
non potest de eo praedicari denominative. Sed prédiqué de lui par dérivation. Or, « Dieu » est
Deus praedicatur de homine Christo essentialiter: prédiqué de l’homme Christ de manière
quia haec est vera, hic homo est Deus. Ergo essentielle, car cette proposition est vraie : « Cet
videtur quod non debeat praedicari denominative. homme est Dieu. » Il semble donc qu’elle ne
doive pas être prédiquée par dérivation.
[8353] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] L’autorité d’Augustin rapportée dans le texte
Praeterea, ad idem est auctoritas Augustini in va dans le même sens.
littera posita.
[8354] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 co. Réponse. L’adjectif dominicus peut signifier
Respondeo dicendum, quod hoc adjectivum deux choses : premièrement, ce qui participe
dominicus potest duo importare: uno modo id d’une certaine manière au seigneur ;
274

quod habet aliquam participationem domini; alio deuxièmement, une chose qui appartient au
modo rem quae est domini sicut possessio; vel seigneur comme étant sa possession, comme son
sicut effectus, sicut dicuntur verba dominica; vel effet, comme on parle de « paroles du seigneur
sicut pars, sicut dicitur pes dominicus. Quantum (dominica) » ou comme une de ses parties,
ergo ad secundam opinionem pertinet, nullo modo comme on dit « le pied du seigneur ». Pour ce
ille homo potest dici homo dominicus: homo enim qui est de la deuxième opinion, cet homme ne
importat suppositum aeternum, cui essentialiter peut d’aucune manière être appelé l’homme du
natura dominii competit, non per participationem: Seigneur : en effet, « homme » implique un
nec est quasi possessio vel effectus vel pars suppôt éternel, à qui revient de manière
domini; sed est ipse dominus, quia dominus pater, essentielle la nature du pouvoir (dominium), et
dominus filius, dominus spiritus sanctus. Similiter non par participation. Il n’est pas non plus
etiam tertia opinio, cum ponit hominem quasi comme une possession, un effet ou une partie du
habitum Dei filio advenire, non potest ponere Seigneur, mais il est le Seigneur lui-même, car
quod homo denominetur per Deum, sed magis on apelle le Père Seigneur, le Fils Seigneur et
Deus per hominem: quia habitus denominat l’Esprit Seigneur. De même aussi, la troisième
habentem, et non convertitur. Tamen inquantum opinion, lorsqu’elle dit que l’homme survient
dominicum dicitur possessive, posset ponere quod comme un vêtement au Fils de Dieu, ne peut-elle
dicitur homo dominicus, sicut dicitur vestis affirmer que l’homme porte le nom de Dieu,
Socratica. Sed prima opinio posset ponere quod mais plutôt que Dieu porte le nom d’homme, car
diceretur homo dominicus etiam per le vêtement désigne celui qui le porte, et non
participationem, inquantum hoc nomine homo l’inverse. Cependant, dans la mesure où
non importatur suppositum aeternum secundum dominicus est utilisé en un sens possessif, on
eos. pourrait parler de l’homme du Seigneur (homo
dominicus), comme on parle du vêtement de
Socrate (vestis socratica). Mais la première
opinion pourrait parler de l’homme du Seigneur
même par participation, pour autant que, par ce
nom « homme », on ne désigne pas un suppôt
éternel selon eux.
[8355] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Augustin a rétracté cela, comme le Maître le
primum ergo dicendum, quod Augustinus illud dit dans le texte. Et lorsqu’il l’a dit, il n’entendait
retractavit sicut in littera ponit Magister; et cum pas employer dominicus en raison du suppôt,
dixit, non intellexit quasi diceretur dominicus mais en raison de la nature, qui se réalise par
ratione suppositi, sed ratione naturae, quae fit in participation au pouvoir seigneurial (dominium)
participatione dominii, sicut et divinitatis, per hoc comme à la divinité, du fait qu’il est assumé dans
quod assumitur in unitatem personae filii Dei, qui l’unité de la personne du Fils de Dieu, qui est
est Deus et dominus. Dieu et Seigneur.
[8356] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Cet homme ne participe pas, au sens propre, à
secundum dicendum, quod ille homo non la divinité ou au pouvoir seigneurial, mais il est
participat, proprie loquendo, divinitatem vel pleinement Dieu, car « homme » implique un
dominium; sed est plene dominus: quia homo suppôt éternel, comme on l’a dit. C’est pourquoi
importat suppositum aeternum, ut dictum est; et il n’en va pas de même de lui et des autres.
ideo non est similis ratio de ipso et de aliis.
[8357] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. On peut parler de divin pour quelque chose,
tertium dicendum, quod divinum potest dici même si cela a la pleine raison de la divinité (en
aliquid, etiam si habeat plenam divinitatis effet, nous parlons d’essence divine, de
rationem (dicimus enim divinam essentiam, personnes divines). C’est pourquoi cet homme,
divinas personas); et ideo hic homo, quia est parce qu’il est une personne divine, peut être
divina persona, potest etiam dici divinus. Sed aussi appelé divin. Mais dominicus ne se dit pas
dominicus non dicitur de illis qui habent plenam de choses qui ont la pleine raison du pouvoir
275

rationem dominii: non enim dicimus dominicas seigneurial (dominium) : en effet, nous ne
personas. parlons pas de personnes seigneuriales (personae
dominicae).
[8358] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Parce que la nature humaine dans le Christ
quartum dicendum, quod quia natura humana in possède une certaine ressemblance avec le
Christo habet quamdam similitudinem cum vêtement, comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 3,
habitu, ut prius dictum est, dist. 6, quaest. 3, art. 2 a. 2, ad 1, ce qui concerne la nature humaine se
ad 1; ideo ea quae pertinent ad humanam naturam, trouve être parfois prédiqué du Christ comme un
inveniuntur quandoque praedicari de Christo per vêtement, bien que ce ne soit pas en un sens
modum habitus, quamvis non ita proprie; et ideo aussi propre. C’est pourquoi Cassiodore ajoute :
Cassiodorus addit: ut ita dixerim. Non tamen est « Pour ainsi dire. » Cependant, il n’en va pas de
similis ratio ex alia parte: quia divina natura non même pour l’autre aspect, car la nature divine
habet similitudinem cum habitu. Vel dicendum, n’a pas de ressemblance à un vêtement. Ou bien
quod cum dicitur Deus humanatus, non sumitur il faut dire que, lorsqu’on dit que Dieu est
humanatus in vi nominis denominativi, sed in vi humanatus, humanatus n’est pas pris en vertu du
participii; unde tantum valet humanatus, quantum nom dont il procède, mais en vertu d’un
homo factus; et hoc patet per auctoritatem participe. Humanatus a donc la même valeur que
Damasceni positam in littera. « devenu homme ». Et cela ressort de l’autorité
de [Jean] Damascène invoquée dans le texte.
[8359] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. L’Apôtre ne dit pas que le Christ ou le Fils de
quintum dicendum, quod apostolus non dicit Dieu est un esclave, mais qu’il a pris la forme
Christum, vel filium Dei, esse servum, sed quod d’un esclave, car si « la nature humaine du
formam servi accepit, quia humana natura Christi Christ, si elle était séparée du Fils de Dieu par
si separaretur, ut dicit Damascenus, subtilibus des intelligences subtiles, comme le dit [Jean]
intelligentiis, a filio Dei, et serva est, et ignorans Damascène, serait esclave et ignorante ». Aussi
est; et ideo de natura bene potest dici hoc cet adjectif dominicus peut-il être correctement
adjectivum dominicus, ut dicatur dominica natura. dit de la nature, comme dans dominica natura.

Quaestio 2 Question 2 – [Comment le participe «devenu »


(factus) exprime-t-il l’union ?]

Prooemium Prologue
[8360] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur les expressions qui
quaeritur de locutionibus quae exprimunt expriment l’union en utilisant le participe
unionem per hoc participium factus; et quaeruntur « devenu ». Deux questions sont soulevées : 1 –
duo: 1 utrum Deus factus sit homo; 2 utrum homo Dieu est-il devenu homme ? 2 – L’homme est-il
factus sit Deus. devenu Dieu ?

Articulus 1 [8361] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. Article 1 – Cette proposition est-elle vraie :
1 tit. Utrum haec sit vera, Deus factus est homo « Dieu est devenu homme ?» ?
[8362] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que cette [proposition] soit fausse :
primum sic proceditur. Videtur, quod haec sit « Dieu est devenu homme ». En effet, être
falsa: Deus factus est homo. Mutari enim genus changé est un genre de devenir. Or, on ne peut
est ad fieri. Sed Deus nullo modo potest dici dire d’aucune manière que Dieu est changé. On
mutatus. Ergo non potest dici factus aliquid. ne peut donc pas dire qu’il est devenu quelque
chose.
[8363] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Être devenu est le terme du devenir, qui
Praeterea, factum esse, terminus est fieri, quod signifie être pour ce dont on dit qu’il est devenu.
significatur esse circa id quod factum dicitur. Sed Or, à propos de Dieu, dont on dit qu’il est
circa Deum, qui dicitur factus homo, non potest devenu homme, on ne peut affirmer aucun
276

poni aliquod fieri; suppositum enim factionis esse devenir : en effet, le sujet du devenir ne peut
non potest. Ergo haec est falsa: Deus factus est être. Cette proposition est donc fausse : « Dieu
homo. est devenu homme. »
[8364] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 3 3. Le terme du devenir est une perfection de ce
Praeterea, terminus factionis est perfectio ejus qui devient, car c’est la fin du devenir. Or,
quod fit, quia est finis factionis. Sed cum dicitur: lorsqu’on dit que Dieu est devenu homme, le
Deus factus est homo, terminus factionis terme du devenir impliqué par le participe est
importatae per participium est homo. Ergo l’homme. On signifie donc qu’être homme est
significatur quod esse hominem sit perfectio Dei, une perfection de Dieu, dont on dit qu’il est
qui factus homo dicitur. Hoc autem est devenu homme. Or, cela est impossible. Cette
impossibile. Ergo haec est falsa: Deus factus est [proposition] est donc fausse : « Dieu est devenu
homo. homme. »
[8365] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Par ce nom « homme », on ne peut entendre
Praeterea, in hoc nomine homo non possunt que deux choses : un suppôt de la nature et la
intelligi nisi duo, scilicet suppositum naturae, et nature humaine. Or, la proposition énoncée ne
natura humana. Sed dicta propositio non potest peut être vraie en raison de la nature, car Dieu
verificari ratione naturae, quia Deus nunquam fuit n’a jamais été et n’est pas la nature humaine.
neque est natura humana; similiter nec ex parte Elle ne peut pas non plus être vraie du point de
suppositi; quia hoc nomen homo, secundum quod vue du suppôt, car ce nom « homme », selon
de Christo praedicatur, non importat nisi qu’il est prédiqué du Christ, n’implique que le
suppositum aeternum filii; et semper verum fuit suppôt éternel du Fils, et il a toujours vrai de dire
dicere, quod Deus est persona filii. Ergo nullo que Dieu est la personne du Fils. L’expression
modo praedicta locutio verificari potest. déjà formulée ne peut donc être vraie d’aucune
manière.
[8366] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Homme n’est pas une condition qui diminue
Praeterea, homo non est conditio diminuens de en raison du devenir. Si donc Dieu est devenu
ratione factionis. Ergo si Deus factus est homo, homme, je peux en conclure que Dieu est
possum inferre quod Deus sit factus. Hoc autem devenu. Or, cela est faux. La conclusion est donc
est falsum. Ergo et primum. la même que pour le premier argument.
[8367] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Jn 1, 14 dit en sens contraire :
contra, Joan. 1, 14: verbum caro factum est. Le Verbe est devenu chair. Or, le Verbe est Dieu,
Verbum autem Deus est. Ergo Deus factus est Donc, Dieu est devenu chair, c’est-à-dire
caro, idest homo. homme.
[8368] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] Dans le symbole de Nicée, il est dit du Fils
Praeterea, in symbolo Nicaeno dicitur de filio, qu’il Dieu issu de Dieu, et qu’il est devenu
quod est Deus de Deo, et quod homo factus est. homme. Dieu est donc devenu homme.
Ergo Deus factus est homo.
[8369] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] De tout ce qui est et n’était pas
Praeterea, omne quod est et non fuit prius, dicitur antérieurement, on dit que cela est devenu. Or,
esse factum. Sed haec est vera, Deus est homo, ut cette [proposition] est vraie : « Dieu est
supra dictum est, et non fuit semper vera. Ergo homme », comme on l’a dit plus haut, et elle n’a
Deus factus est homo. pas toujours été vraie. Dieu est donc devenu
homme.
[8370] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 co. Réponse. Lorsqu’on dit : « Dieu est devenu
Respondeo dicendum, quod cum dicitur, Deus homme », le participe « devenu » peut avoir trois
factus est homo, hoc participium factus tripliciter sens dans cette formule. Premièrement, il peut se
potest se habere in ista locutione. Uno modo, ut rapporter à toute la proposition, d’où le sens :
feratur ad totam propositionem, ut sit sensus: « Il est arrivé que Dieu soit homme ». En ce
factum est quod Deus est homo; et sic est vera: sens, elle est vraie, bien que ce sens ne puisse
quamvis hic intellectus non possit haberi être tiré du sens propre de la formule, tant parce
277

secundum proprietatem locutionis: tum quia non qu’elle ne porte pas sur des choses qui entraînent
est de illis quae habent determinare une composition, comme le nécessaire et le
compositionem, sicut necessarium et contingens; contingent, que parce que, étant un adjectif de
tum etiam quia, cum sit adjectivum masculini genre masculin, il exige un substantif.
generis, requirit substantivum. Secundo, dictum Deuxièmement, le participe en question peut
participium potest determinare alterum extremum déterminer l’autre extrême d’une composition
compositionis absolute; et sic, sive determinet d’une manière absolue ; et ainsi, qu’il détermine
praedicatum sive subjectum, locutio est falsa. le prédicat ou le sujet, l’expression est fausse. En
Omnis enim determinatio potest praedicari de effet, toute détermination peut être prédiquée de
determinato. Haec autem falsa est, Deus factus ce qui est déterminé. Or, cette proposition est
est: et similiter illa: ille homo factus est, fausse : « Celui-ci est devenu Dieu », de même
demonstrato Christo, nisi aliud addatur: quia que celle-ci : « Celui-ci est devenu homme », en
supponit suppositum aeternum secundum montrant le Christ, à moins qu’on ajoute :
secundam opinionem. Tertio modo dictum « parce qu’il joue le rôle de suppôt éternel selon
participium potest determinare subjectum in la deuxième opinion ». Troisièmement, le
comparatione ad praedicatum; et sic locutio vera participe en question peut déterminer le sujet par
est secundum omnes opiniones. Et non obstat rapport au prédicat ; ainsi, la formule est vraie
quod videtur ponere fieri circa Deum: quia hoc selon toutes les opinions. Et le fait qu’on semble
fieri quod participium importat, non est nisi fieri affirmer un devenir à propos de Dieu n’a pas
rationis: dictum est enim supra, quod unio qua d’importance, car ce devenir qu’implique le
Deus dicitur esse homo, est quidem secundum participe n’est qu’un devenir de raison. En effet,
rem in humana natura, sed secundum rationem in on a dit plus haut que l’union par laquelle Dieu
Deo, sicut sunt aliae relationes quae ex tempore est appelé homme se trouve en réalité dans la
de Deo dicuntur. Et quia non dicitur factus homo nature humaine, mais en Dieu selon la raison,
nisi secundum quod relatio unionis de novo comme le sont les autres relations à caractère
advenit ei postquam non fuit; ideo, sicut relatio temporel qui sont attribuées à Dieu. Et parce
illa non ponit aliquam rem novam in Deo, sed qu’on ne dit : « est devenu homme », que parce
dicitur secundum rationem tantum intelligentis; que la relation d’union lui est advenue après
ita etiam et factus non importat circa Deum nisi n’avoir pas été, de même que cette relation
fieri rationis, sicut etiam cum dicitur Psal. 89, 1: n’affirme pas de réalité nouvelle en Dieu, mais
domine refugium factus es nobis. est exprimée seulement selon la raison de celui
qui intellige, de même « devenu » n’implique-t-il
pour Dieu qu’un devenir de raison, comme on dit
aussi dans le Ps 89, 1 : Seigneur, tu es devenu un
refuge pour nous !
[8371] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. « Être changé » se dit, à proprement parler, de
primum ergo dicendum, quod mutari proprie l’éloignement d’un terme a quo, mais
dicitur per remotionem a termino a quo; fieri « devenir », du rapprochement d’un terme. Parce
autem per accessum ad terminum. Quia igitur que rien ne s’éloigne de Dieu ni en réalité ni
nihil remotum est a Deo neque secundum rem selon la raison, mais que quelque chose lui arrive
neque secundum rationem; aliquid autem advenit selon la raison, même si ce n’est pas selon la
ei secundum rationem, etsi non secundum rem; réalité, on peut donc dire « devenir », mais non
ideo potest dici fieri sed non mutari; sicut etiam « être changé », de même que celui qui sait,
sciens quando considerat, non mutatur, proprie lorsqu’il considère, n’est pas changé à
loquendo, sed perficitur, ut dicit philosophus. proprement parler, mais est perfectionné, comme
le dit le Philosophe.
[8372] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Ce devenir relève n’est qu’un devenir de
secundum dicendum, quod illud fieri est tantum raison. Aussi n’est-il pas inapproprié qu’il soit
rationis; et ideo non est inconveniens quod circa affirmé de Dieu.
Deum ponatur.
278

[8373] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Ce raisonnement est concluant lorsqu’il y a un


tertium dicendum, quod objectio illa procedit devenir réel. En effet, il faut alors que quelque
quando est fieri reale; tunc enim oportet quod chose survienne réellement, et cela est, d’une
aliquid realiter adveniat; et hoc aliquo modo est certaine manière, une perfection de celui à qui
perfectio ejus cui advenit. Sic autem non est in cela survient. Mais il n’en est pas de même dans
proposito, ut dictum est. la question en cause, comme on l’a dit.
[8374] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. L’expression en cause est vraie en raison des
quartum dicendum, quod dicta locutio verificatur deux en même temps, à savoir, du suppôt et de la
ratione utriusque simul, scilicet suppositi et nature. En effet, bien que ce suppôt ait toujours
naturae: quamvis enim suppositum illud semper existé, il ne fut pas toujours le suppôt de la
fuerit, non tamen semper fuit suppositum nature humaine, selon qu’elle est signifiée par le
humanae naturae, secundum quod significatur hoc mot « homme ».
nomine homo.
[8375] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. La nature humaine a une ressemblance avec
quintum dicendum, quod humana natura habet l’accident dans le Christ, pour autant qu’elle
similitudinem cum accidente in Christo, arrive à la nature divine après son être complet.
inquantum advenit divinae naturae post esse En effet, on ne conclut pas de : « Pierre est
completum. Non enim sequitur: Petrus est factus devenu blanc », qu’il est devenu, parce qu’être
albus; ergo est factus; quia album diminuit de blanc est moins que le simple fait de devenir : en
ratione facti simpliciter: quod enim factum est, effet, ce qui est devenu, existe maintenant et
nunc est, et prius non fuit: non autem sequitur, si n’existait pas auparavant. Mais on ne conclut pas
prius non fuit albus, quod non fuerit simpliciter: du fait qu’il n’était pas blanc auparavant qu’il
quia album advenit post completum esse: et ita n’existait tout simplement pas, car le blanc est
non sequitur: Deus factus est homo; ergo Deus est survenu après l’être complet. Ainsi, on ne
factus simpliciter. conclut pas de : « Dieu est devenu homme », que
Dieu est tout simplement devenu.

Articulus 2 [8376] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. Article 2 – Cette proposition est-elle vraie :
2 tit. Utrum haec sit vera, homo factus est Deus « L’homme est devenu Dieu » ?
[8377] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que cette proposition ne soit pas
secundum sic proceditur. Videtur, quod haec non vraie : « L’homme est devenu Dieu. » En effet,
sit vera: homo factus est Deus. Dicit enim [Jean] Damascène dit, on le trouve dans le texte,
Damascenus, et habetur in littera, quod non que « nous ne disons pas que l’homme a été
dicimus hominem deificatum. Sed idem est dicere divinisé ». Or, c’est la même chose de dire que
hominem deificatum et factum Deum. Ergo homo l’homme a été divinisé et qu’il est devenu Dieu.
non est factus Deus. L’homme n’est donc pas devenu Dieu.
[8378] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Lorsqu’on dit : « L’homme est devenu Dieu »,
Praeterea, cum dicitur: homo factus est Deus, aut soit l’homme signifie la nature, soit la personne.
homo tenetur pro natura, aut pro persona. Si pro S’il signifie la nature, alors que la nature
natura, natura autem humana non est facta Deus, humaine n’est pas devenue Dieu, car elle n’est
quia nunquam est nec fuit Deus; ergo est falsa. Si pas et n’a jamais été Dieu, la proposition est
pro persona, persona autem filii Dei fuit semper donc fausse. S’il signifie la personne, alors que
Deus: ergo nullo modo haec est vera: homo factus la personne du Fils de Dieu a toujours été Dieu,
est Deus. cette proposition n’est donc vraie d’aucune
manière : « L’homme est devenu Dieu. »
[8379] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 3 3. Selon [Jean] Damascène, l’homme et Dieu
Praeterea, secundum Damascenum, homo et Deus s’échangent leurs idiomes, de sorte que tout ce
communicant sibi idiomata, ut quidquid dicitur de qui est de l’homme peut être dit du Fils de Dieu.
homine, possit dici de filio Dei. Sed haec est Or, cette proposition est fausse : « Le Fils de
falsa: filius Dei est factus Deus. Ergo haec est Dieu est devenu Dieu. » Cette proposition est
279

falsa: homo factus est Deus. donc fausse : « L’homme est devenu Dieu. »
[8380] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Puisque Dieu est devenu homme, je peux
Praeterea, quia Deus factus est homo, possum soutenir que Dieu est un homme depuis peu. Si
arguere, quod Deus est homo recens. Si ergo donc l’homme est devenu Dieu, l’homme sera
homo factus est Deus, homo erit recens Deus: Dieu depuis peu, ce qui va contre le Ps 80, 10 : Il
quod est contra Psalm. 80, 10: non erit in te Deus n’y aura pas de Dieu en toi depuis peu.
recens.
[8381] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 5 5. Ce dont on dit que quelque chose devient est
Praeterea, quod dicitur fieri aliquid, présupposé, selon l’intelligence, pour qu’on dise
praesupponitur secundum intellectum ad hoc quod que cela devient. Or, on n’entend pas que le
fieri dicitur. Sed Christus non prius intelligitur Christ ait été homme avant d’être Dieu. On ne
homo quam Deus. Ergo non potest dici, quod peut donc pas dire que « l’homme est devenu
homo factus sit Deus. Dieu ».
[8382] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 6 Sed Cependant, [6] Augustin dit : « L’union a été
contra, Augustinus: talis fuit unio quae hominem telle qu’elle a fait de l’homme un Dieu, et de
faceret Deum, et Deum hominem. Dieu un homme. »
[8383] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 7 [7] L’homme est Dieu et il n’a pas toujours été
Praeterea, homo est Deus, et non semper fuit Dieu. Il est donc devenu Dieu.
Deus. Ergo factus est Deus.
[8384] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 arg. 8 [8] Le devenir qui est impliqué par le participe
Praeterea, factio quae importatur per participium, n’est pas affirmé de Dieu en réalité, mais de la
secundum rem non ponitur in Deo, sed in humana nature humaine. Or, l’homme signifie la nature
natura. Sed homo significat humanam naturam. humaine. Puisque ce participe affirme du sujet de
Cum ergo hoc participium ponat rem suam circa qu’il est par rapport au prédicat, il semble donc
subjectum in comparatione ad praedicatum, que cette proposition soit plus vraie : « L’homme
videtur quod magis sit haec vera: homo factus est est devenu Dieu », que celle-ci : « Dieu est
Deus, quam haec: Deus factus est homo. devenu homme. »
[8385] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 co. Réponse. Cette proposition peut aussi s’entendre
Respondeo dicendum, quod haec propositio de trois façons, comme la précédente. Dans le
similiter tripliciter potest accipi sicut praecedens. premier sens, elle est vraie, comme la première
Et in primo sensu est vera, sicut et prima, et [opinion] et pour la même raison : en effet, de
eadem ratione: sicut enim factum est ut Deus sit même qu’il est arrivé que Dieu soit homme, de
homo, ita factum est ut homo sit Deus. In secundo même est-il arrivé que l’homme soit Dieu. Mais,
vero sensu est falsa, sicut et prima, et eadem dans le deuxième sens, elle est fausse, comme la
ratione: quia iidem sunt termini, sed conversim première [opinion] et pour la même raison, car
positi. In tertio autem sensu, secundum quod les termes sont les mêmes, mais inversés. Dans
determinat subjectum in comparatione ad la troisième sens, selon qu’elle détermine le sujet
praedicatum, diversimode judicatur a diversis par rapport au prédicat, elle est appréciée
opinionibus. Prima enim opinio, quia ponit quod différemment selon les diverses opinions. En
homo supponit suppositum creatum, dicit quod effet, la première opinion, parce qu’elle affirme
haec est vera, sicut et prima: quia sicut persona que l’homme joue le rôle de suppôt créé, dit que
divina non semper fuit illud suppositum, et modo cette proposition est vraie, comme la première
est illud suppositum; ita illud suppositum non opinion, car, de même que la personne divine ne
semper fuit persona divina, et modo est. Secunda fut pas toujours ce suppôt et est maintenant ce
autem opinio et tertia ponunt, quod homo, prout suppôt, de même ce suppôt n’a pas toujours été
de Christo praedicatur, non habet aliquod aliud la personne divine et l’est maintenant. Mais la
suppositum quam suppositum aeternum: sed deuxième et la troisième opinion affirment que
secunda dicit, quod homo supponit suppositum l’homme, en tant qu’il est prédiqué du Christ,
aeternum; tertia autem, quod homo copulat ipsum, n’a pas d’autre suppôt que le suppôt éternel ;
sicut termini accidentales: et quia illud mais la deuxième dit que l’homme joue le role
280

suppositum nunquam non fuit Deus, ideo haec est de suppôt éternel, alors que la troisième, que
falsa secundum hoc, homo factus est Deus: l’homme est uni à lui comme les termes
concedunt tamen eam in primo sensu, qui non est accidentels. Et parce que ce suppôt a toujours été
proprius sensus ejus. Ideo secundum has Dieu, cette proposition est donc fausse sous cette
opiniones magis est falsa quam alia: secundum forme : « L’homme est devenu Dieu » ;
autem primam simpliciter est vera. Quia tamen cependant, ils la concèdent selon le premier sens,
aliquo modo conceditur, respondendum est ad qui n’est pas son sens propre. C’est pourquoi,
utrasque objectiones. selon ces opinions, [cette proposition] est plus
fausse que l’autre ; mais selon la première
[opinion], elle est simplement vraie. Cependant,
parce qu’elle est concédée d’une certaine
manière, il faut répondre aux deux objections.
[8386] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. [Jean] Damascène s’exprime selon le caractère
primum ergo dicendum, quod Damascenus propre de la proposition, et ainsi elle est fausse.
loquitur secundum proprietatem propositionis, et
sic est falsa.
[8387] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. La première opinion dirait qu’il serait pris
secundum dicendum, quod prima opinio diceret, pour le suppôt, non pour la personne ; mais les
quod teneretur pro supposito, non pro persona; deux autres diraient qu’il n’est pas pris pour la
aliae vero duae dicerent, quod teneretur pro personne, mais qu’il ne détermine cependant pas
persona; quam tamen non determinat participium, le participe, mais toute l’expression, car il est
sed totam locutionem: quia factum est ut persona arrivé que la personne divine existant dans
divina in humanitate existens etiam esset Deus. l’humanité était aussi Dieu.
[8388] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. Cela doit s’entendre des choses qui ont une
tertium dicendum, quod hoc intelligendum est de nature en commun et ne s’opposent pas à une
illis quae conveniunt naturae secundum se, et non autre nature. Or, le fait qu’on dise qu’il est
habent repugnantiam ad alteram naturam. Quod devenu Dieu ne convient pas à la nature par soi,
autem dicitur factus Deus, non convenit naturae mais selon la raison d’union. Aussi ne peut-on
secundum se, sed ratione unionis; unde non conclure : « L’homme est devenu Dieu, donc le
sequitur: homo factus est Deus: ergo filius Dei Fils de Dieu est devenu Dieu », de même qu’on
factus est Deus; sicut non sequitur: homo unitus ne peut conclure : « L’homme a été uni à Dieu,
est Deo; ergo Deus unitus est Deo. donc Dieu a été uni à Dieu. »
[8389] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Cela ne découle pas de la formule : « Dieu est
quartum dicendum, quod non sequitur ex virtute devenu homme ; donc, il est homme depuis
locutionis. Deus factus est homo: ergo est homo peu », car si l’homme assumé ou la nature
recens: quia si homo assumptus secundum humaine, selon la première opinion, avait existé
primam opinionem, vel humana natura, ab aeterno depuis toujours, on le dirait néanmoins. Aussi,
fuisset, nihilominus diceretur: Deus factus est comme le dit le texte, il n’en découle pas que
homo. Unde, sicut in littera dicitur, non sequitur Dieu existe depuis peu, mais que Dieu existe
quod sit Deus recens; sed quod Deus sit recenter, depuis peu, que Dieu est depuis peu, c’est-à-dire
idest de novo: et hoc non est inconveniens d’une nouvelle manière. Or, cela ne convient pas
secundum primam opinionem. selon la première opinion.
[8390] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Pour ce qui est de la troisième manière de
quintum dicendum, quod quantum ad tertium comprendre la proposition en question, cet
intellectum propositionis praedictae, procedit illud argument est concluant. Ainsi, la première
argumentum: unde prima opinio, quae secundum opinion, qui concède la proposition selon cette
illum intellectum concedit propositionem, dicit, manière de comprendre, dit que l’homme est
quod homo praeintelligitur ad unionem, ut dictum présupposé intellectuellement à l’union, comme
est dist. 6, in Princ.: secundum autem primum on l’a dit à la d. 6, au début ; mais au premier
sensum, in quo concedit eam secunda opinio et sens où la deuxième et la troisième opinion la
281

tertia, non sequitur. concèdent, [l’argument] n’est pas concluant.


[8391] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 6 Ad 6. Ce que dit Augustin doit être compris de la
sextum dicendum, quod dictum Augustini première manière, car cette union a fait en sorte
intelligendum est secundum primum modum: quia que Dieu soit homme, et inversement.
illa unio fecit ut Deus esset homo, et e converso.
[8392] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 7 Ad 7. Lorsqu’on dit que l’homme n’a pas toujours
septimum dicendum, quod cum dicitur, homo non été Dieu, la négation peut nier toute la
semper fuit Deus, negatio potest negare totam proposition, avec le sens : « L’homme n’a pas
propositionem, ut sit sensus: homo non semper toujours été Dieu », c’est-à-dire qu’il n’a pas
fuit Deus, idest, non semper fuit verum dicere, toujours été vrai de dire que l’homme est Dieu ;
quod homo sit Deus: et secundum hoc sequitur de cette manière, découle la vérité de cette
veritas hujus propositionis secundum primum proposition selon le premier sens, à savoir qu’il
sensum, scilicet factum est ut homo esset Deus. est arrivé que l’homme soit Dieu. Ou bien elle
Vel potest negare praedicatum a subjecto, et sic peut nier le prédicat du sujet, et ainsi elle est
falsa est; quia in propositione illa subjicitur fausse, car, dans cette proposition, est sous-
suppositum aeternum, quod semper fuit Deus. jacent le suppôt éternel, qui a toujours été Dieu.
[8393] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 2 a. 2 ad 8 Ad 8. Le devenir est affirmé comme une réalité pour
octavum dicendum, quod factio ponitur secundum la nature humaine ; cependant, ce nom
rem circa naturam humanam: sed hoc nomen « homme » ne joue pas le rôle de suppôt pour la
homo non supponit naturam humanam, sed nature humaine, mais le suppôt éternel, à propos
suppositum aeternum; circa quod non ponitur duquel on n’affirme pas le devenir comme une
factio secundum rem, sed secundum rationem réalité, mais selon la raison seulement, non pas
tantum; non respectu Dei, quia semper ei infuit, par rapport à Dieu, car il y a toujours été présent,
sed respectu hominis; et ideo semper dicitur: Deus mais par rapport à l’homme. Aussi dit-on
factus est homo; sed non convertitur. toujours : « Dieu est devenu homme », mais non
l’inverse.

Quaestio 3 Question 3 – [Les expressions de l’union selon


le participe « prédestiné »]

Prooemium Prologue
[8394] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur les formules qui
quaeritur de locutionibus exprimentibus unionem expriment l’union par le participe « prédestiné ».
cum hoc participio praedestinatus; et circa hoc À ce propos, deux questions sont posées : 1 –
quaeruntur duo: 1 utrum hic homo sit Cet homme a-t-il été prédestiné à être le Fils de
praedestinatus esse filius Dei; 2 utrum filius Dei Dieu ? 2 – Le Fils de Dieu est-il prédestiné ?
sit praedestinatus.

Articulus 1 [8395] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 Article 1 – L’homme Christ a-t-il été
tit. Utrum homo Christus sit praedestinatus filius prédestiné à être Fils de Dieu ?
Dei
[8396] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que l’homme Christ n’ait pas été
primum sic proceditur. Videtur quod homo prédestiné à être Fils de Dieu, car, de même que
Christus non sit praedestinatus esse filius Dei. tout ce qui a toujours existé ne devient jamais, de
Quia sicut illud quod semper fuit, non fit, ita id même ce qui a toujours été n’est pas prédestiné,
quod semper fuit, non praedestinatur, quia puisque la prédestination implique une
praedestinatio importat antecessionem. Sed homo anticipation. Or, l’homme Christ est un suppôt
Christus supponit suppositum aeternum, quod éternel, qui a toujours été le Fils de Dieu. Donc,
semper fuit filius Dei. Ergo sicut ratione ista non de même qu’on ne peut pour cette raison dire
potest dici quod homo sit factus Deus; ita non que l’homme est devenu Dieu, de même ne peut-
282

potest dici quod sit praedestinatus filius Dei. on pas dire qu’il a été prédestiné à être le Fils de
Dieu.
[8397] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 2 2. L’homme ne comporte que la nature humaine
Praeterea, homo non importat nisi humanam et le suppôt éternel. Or, la nature humaine n’a
naturam et suppositum aeternum. Sed humana pas été prédestinée à être Fils [de Dieu], car elle
natura non est praedestinata esse filius, quia n’a jamais été, n’est pas et ne sera pas le Fils de
nunquam fuit nec est nec erit filius Dei: similiter Dieu ; de même, cette proposition est fausse :
haec est falsa: divina persona, quae est « La personne divine, qui est le suppôt éternel,
suppositum aeternum, est praedestinata esse filius est prédestinée à être le Fils de Dieu », car elle
Dei: quia naturaliter et ab aeterno hoc habet. Ergo possède cela naturellement et depuis toujours.
et haec est falsa: hic homo est praedestinatus filius Donc, cette proposition aussi est fausse : « Cet
Dei. homme a été prédestiné à être le Fils de Dieu. »
[8398] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 3 3. La prédestination précède ce sur quoi elle
Praeterea, praedestinatio praecedit illud respectu porte. Or, ce qui est éternel n’est pas précédé par
cujus est. Sed aeternum non praeceditur ab aliquo. quelque chose. Il ne peut donc pas y avoir de
Ergo non potest esse praedestinatio respectu prédestination à propos de ce qui est éternel. Un
aeterni. Sed filius Dei est aeternus. Ergo homo homme ne peut donc pas avoir été prédestiné à
non potest esse praedestinatus filius Dei. être le Fils de Dieu.
[8399] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 4 4. Tout ce qui est prédestiné a été prédestiné
Praeterea, quidquid est praedestinatum, ab aeterno depuis l’éternité. Si donc cet homme a été
fuit praedestinatum. Si ergo iste homo est prédestiné à être le Fils de Dieu ou le Christ en
praedestinatus esse filius Dei, vel Christus, tant qu’homme, il faut que cet homme ait été
secundum quod homo; oportet quod ab aeterno prédestiné depuis l’éternité. Donc, cet homme a
homo fuerit praedestinatus. Ergo ab aeterno fuit existé depuis l’éternité : en effet, « prédestiné »
homo: praedestinatus enim est participium est un participe passé, et ces participes ou verbes
praeteriti temporis; et hujusmodi participia vel limitent le substantif qui lui sont associés à jouer
verba restringunt nomen substantivum sibi le rôle de suppôt pour des choses passées.
adjunctum ad supponendum pro praeteritis.
[8400] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 arg. 5 5. La prédestination, même par son nom,
Praeterea, praedestinatio etiam secundum nomen comporte une orientation vers une fin. Or,
importat directionem in finem. Sed non potest quelque chose ne peut être dirigé vers une fin, au
aliquod dirigi in finem nisi ad minus secundum moins selon l’intelligence, à moins d’exister
intellectum sit ante finem illum. Cum igitur avant cette fin. Puisque, selon la deuxième
secundum secundam opinionem, etiam secundum opinion et même selon l’intelligence, on
intellectum, Christus non prius intelligatur homo n’entend pas que le Christ a été homme avant
quam filius Dei; videtur quod ille homo non possit d’être le Fils de Dieu, il semble donc qu’on ne
dici praedestinatus esse filius Dei. puisse dire que cet homme a été prédestiné à être
le Fils de Dieu.
[8401] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] Rm 1, 4 dit : Lui qui a été
contra, Rom. 1, 4: qui praedestinatus est filius Dei prédestiné à être le Fils de Dieu en puissance.
in virtute.
[8402] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 s. c. 2 [2] Le Christ est le Fils de Dieu par la grâce
Praeterea, Christus est filius Dei per gratiam d’union, et cela a été prévu depuis l’éternité et a
unionis, et hoc est praevisum ab aeterno, et a Deo été le dessein de Dieu. Le Christ a donc été
propositum. Ergo Christus est praedestinatus esse prédestiné à être le Fils de Dieu.
filius Dei.
[8403] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 co. Réponse. La prédestination entendue au sens
Respondeo dicendum, quod praedestinatio proprie propre comporte trois choses du point de vue de
accepta tria importat ex parte ejus qui dicitur celui dont on dit qu’il est prédestiné. L’une est
praedestinari. Unum est quod hoc ad quod que ce dont on dit que cela est prédestiné doit lui
283

praedestinari dicitur, aliquando sibi conveniat; convenir à un certain moment ; la deuxième est
secundum autem est quod conveniat sibi per que cela lui convienne par grâce ; la troisième est
gratiam; tertium vero est quod sequatur que cela découle de sa prédestination. En effet,
praedestinationem: ex hoc enim dicitur on parle de prédestiné du fait qu’il est prévu et
praedestinatus quod est praevisus et praeordinatus préordonné que cela possédera quelque chose par
habiturus aliquid per gratiam. Quantum ad grâce. Pour ce qui est du premier aspect, il est
primum ergo horum, manifeste in Christo clair que, chez le Christ, la prédestination
praedestinatio supposito convenit: quia hic homo convenait au suppôt, car cet homme est le Fils de
est filius Dei; sed hoc non invenitur in natura Dieu ; mais cela ne se trouve pas dans la nature
humana, quae nunquam fuit nec est nec erit filius humaine, qui n’a jamais été, n’est pas et ne sera
Dei: unde non proprie potest dici esse pas Fils de Dieu. Aussi ne peut-on pas dire au
praedestinatus filius Dei, sed ut assumatur a filio sens propre qu’elle a été prédestinée à être le Fils
Dei: hoc enim sibi convenit. Secundum autem de Dieu, mais à être assumée par le Fils de Dieu.
invenitur in Christo secundum secundam En effet, cela lui convient. Le second aspect se
opinionem et tertiam, non ratione suppositi, quod trouve chez le Christ selon la deuxième et la
naturaliter est filius Dei, sed ratione naturae troisième opinion, non pas en raison du suppôt,
assumptae, quae per gratiam unionis unitur filio qui est naturellement le Fils de Dieu, mais en
Dei: ex qua unione contingit hanc esse veram, raison de la nature assumée, qui est unie au Fils
homo est filius Dei. Sed secundum primam de Dieu par la grâce d’union. Par cette union, il
opinionem, etiam ratione suppositi: quia hoc quod se fait que cette proposition est vraie : « Cet
supponitur per hoc nomen homo, non habet per homme est Fils de Dieu. » Mais, selon la
naturam quod sit filius Dei, sed per gratiam première opinion, [cet aspect se trouve chez le
unionis, quia non est suppositum aeternum. Christ] même en raison du suppôt, car ce qui est
Similiter etiam tertium quantum ad primam signifié par ce nom « homme » n’est pas le Fils
opinionem convenit homini ratione suppositi de Dieu par nature, mais par la grâce d’union,
humanae naturae, quod quidem non fuit semper car ce n’est pas un suppôt éternel. De même
filius Dei; secundum autem secundam et tertiam aussi, pour ce qui est de la première opinion, le
opinionem non convenit homini ratione suppositi, troisième aspect convient à l’homme en raison
sed ratione naturae: quia suppositum illud semper du suppôt de la nature humaine, qui n’a pas
fuit filius Dei, sed non semper in humanitate toujours été le Fils de Dieu ; mais, selon la
existens fuit. Unde quantum ad duas ultimas deuxième et la troisième opinion, cela ne
conditiones magis propria est praedicta locutio convient pas à l’homme en raison du suppôt,
secundum primam opinionem quam secundum mais en raison de la nature, car ce suppôt a
alias, sed quantum ad primam conditionem est toujours été le Fils de Dieu, mais n’a pas
propria secundum alias, non autem secundum toujours existé dans l’humanité. Aussi, pour ce
primam, secundum quam, ut praedictum est, qui est des deux dernières conditions, la formule
quaest. 1, art. 1, non potest homo proprie en question est-elle plus propre selon la première
praedicari de Deo, vel e converso. opinion que selon les autres, mais, pour ce qui
est de la première condition, elle est propre selon
les autres [opinions], mais non selon la première,
selon laquelle, comme on l’a dit, q. 1, a. 1,
« homme » ne peut être au sens propre prédiqué
de Dieu, ni inversement.
[8404] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. La manière différente de les envisager ne
primum ergo dicendum, quod diversa consideratio change rien à ce qui existe dans la réalité, mais
nihil variat eorum quae sunt in re, variat autem ea elle change ce qui se rapporte à l’acte de l’âme.
quae pertinent ad actum animae. Hoc autem Or, ce participe « devenu » vient d’un acte qui
participium factus imponitur ab actu qui est in re. existe en réalité. Puisqu’il ne convient pas par
Ergo cum supposito aeterno secundum se non soi au suppôt divin d’être devenu Dieu, cela ne
conveniat quod sit factus Deus, neque conveniet lui conviendra pas non plus selon qu’il est
284

ei secundum quod consideratur subsistens in envisagé comme subsistant dans la nature


humana natura. Praedestinatus autem est humaine. Mais « prédestiné » est un participe qui
participium quod imponitur ab actu animae, est imposé à partir d’un acte de l’âme : la
scilicet praevidere, vel praeordinare: et ideo prévision ou l’ordonnancement préalable. Bien
quamvis supposito aeterno non conveniat qu’il ne convienne pas par soi au suppôt éternel
secundum se praedestinari esse filium Dei, d’être prédestiné à être le Fils de Dieu, cela lui
convenit tamen sibi secundum quod est humanae convient cependant selon qu’il est le suppôt de la
naturae suppositum; sicut si homo fiat albus, haec nature humaine, comme si un homme devient
est falsa, homo albus incipit esse homo; sed haec blanc, cette proposition est fausse : « L’homme
potest esse vera, homo albus incipit cogitari quod blanc commence à être homme » ; mais cette
sit homo. proposition peut être vraie : « On commence à
penser que l’homme blanc est un homme. »
[8405] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. Comme on l’a dit, la prédestination n’est pas
secundum dicendum, quod, sicut dictum est, le fait de la nature ni de la personne par elle-
praedestinatio non est naturae, neque personae même, mais de la personne en raison de la nature
secundum se, sed personae ratione naturae assumée.
assumptae.
[8406] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. Bien que le Fils de Dieu soit éternel, l’union
tertium dicendum, quod quamvis filius Dei sit au Fils de Dieu n’est cependant pas éternelle. De
aeternus, tamen unio ad filium Dei non est ce point de vue, l’homme peut être destiné à être
aeterna: et secundum hoc potest homo le Fils de Dieu, comme Pierre est prédestiné à
praedestinari esse filius Dei, sicut Petrus être uni au Dieu éternel par la grâce ou par la
praedestinatur ut conjungatur Deo aeterno per gloire.
gratiam vel gloriam.
[8407] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Pour une double raison, ce participe
quartum dicendum, quod duplici ratione hoc « prédestiné » ne force pas l’homme à être
participium praedestinatus non cogit hominem quelque chose de passé. Premièrement, parce
stare pro praeterito. Primo, quia licet secundum que, bien que le mot soit au passé, il inclut
vocem sit praeteriti temporis, tamen includit cependant un participe au futur. En effet, être
participium futuri temporis: praedestinatus enim prédestiné est la même chose qu’être connu
idem est quod praescitus habiturus aliquid per d’avance pour devoir posséder quelque chose par
gratiam. Secundo, quia pertinet ad actum animae, grâce. Deuxièmement, parce qu’il relève d’un
et ex hoc habet vim ampliandi ad quodlibet acte de l’âme et qu’il tient de là la capacité de
temporis; sicut cum dicitur, homo laudatur, potest s’étendre à n’importe quel temps, comme
intelligi de praesenti, praeterito, vel futuro: actus
lorsqu’on dit : « Un homme est louangé », on
enim animae se extendit etiam ad ea quae non peut l’entendre du présent, du passé ou du futur.
sunt. En effet, l’acte de l’âme s’étend à ce qui n’existe
pas.
[8408] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 1 ad 5 Ad 5. Bien que « homme » ne soit pas compris avant
quintum dicendum, quod licet homo non le Fils de Dieu en raison du suppôt, il est
praeintelligatur ad filium Dei ratione suppositi, cependant compris d’avance en raison de la
tamen praeintelligitur ratione naturae. nature.

Articulus 2 [8409] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. Article 2 – Le Fils de Dieu était-il prédestiné à
2 tit. Utrum filius Dei sit praedestinatus esse être homme ?
homo
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Fils de Dieu était-il
prédestiné à être homme ?]
[8410] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Fils de Dieu n’ait pas été
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod prédestiné à être homme. En effet, la
285

filius Dei non sit praedestinatus esse homo. prédestination précède ce qui est prédestiné. Or,
Praedestinatio enim praecedit praedestinatum. Sed rien ne précède le Fils de Dieu. Celui-ci n’a donc
filium Dei nihil praecedit. Ergo ipse non est pas été prédestiné à être homme.
praedestinatus esse homo.
[8411] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2. « Homme » ne se dit pas du Fils de Dieu et de
2 Praeterea, homo non dicitur aequivoce de filio Pierre de manière équivoque. Or, Pierre n’a pas
Dei et Petro. Sed Petrus non est praedestinatus été prédestiné à être homme. Donc, ni le Fils de
esse homo. Ergo nec filius Dei. Dieu.
[8412] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3. On dit de quelqu’un qu’il est prédestiné à
3 Praeterea, hoc dicitur alicui praedestinari quod quelque chose pour ce qui lui convient par grâce.
convenit ei per gratiam. Sed non est gratia filio Or, ce n’est pas une grâce pour le Fils de Dieu
Dei quod sit homo. Ergo filius Dei non est d’être homme. Le Fils de Dieu n’a donc pas été
praedestinatus esse homo. prédestiné à être homme.
[8413] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, tout ce qui est prévu et ordonné
1 Sed contra, omne quod est praevisum et depuis l’éternité est prédestiné. Or, il a été prévu
ordinatum ab aeterno est praedestinatum. Sed depuis l’éternité que le Fils de Dieu serait fils
filius Dei ab aeterno praevisus est esse filius d’homme. Il a donc été prédestiné à être fils
hominis. Ergo est praedestinatus esse filius d’homme.
hominis.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La proposition : « Le Fils
de Dieu a été prédestiné à être le Fils de
Dieu » est-elle vraie ?
[8414] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que la proposition : « Le Fils de
1 Ulterius. Videtur quod haec sit vera: filius Dei Dieu a été prédestiné à être le Fils de Dieu » soit
praedestinatus est esse filius Dei. Quaecumque vraie. En effet, tout ce qui est dit du fils de
enim praedicantur de filio hominis, praedicantur d’homme, est prédiqué du Fils de Dieu. Or, cette
de filio Dei. Sed haec est vera: filius hominis proposition est vraie : « Le fils d’homme a été
praedestinatus est esse filius Dei, ut dictum est. prédestiné à être le Fils de Dieu», comme on l’a
Ergo et haec: filius Dei praedestinatus est esse dit. Donc, celle-ci aussi : « Le Fils de Dieu a été
filius Dei. prédestiné à être le Fils de Dieu. »
[8415] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2. Le Fils de Dieu, en tant qu’il est homme, a été
2 Praeterea, filius Dei, inquantum est homo, prédestiné à être le Fils de Dieu. Or, les autres
praedestinatus est esse filius Dei. Sed alia quae choses qui sont prédiquées du Fils de Dieu en
praedicantur de filio Dei inquantum homo, tant qu’homme sont prédiquées de lui-même
praedicantur de ipso etiam sine reduplicatione; sans explicitation, comme : « Le Fils de Dieu, en
sicut filius Dei, inquantum homo, est mortuus; et tant qu’homme, est mort. » Cependant, cette
tamen haec conceditur: filius Dei est mortuus. proposition est concédée : « Le Fils de Dieu est
Ergo similiter haec debet concedi: filius Dei est mort. » De la même façon, cette proposition doit
praedestinatus esse filius Dei. donc être concédée : « Le Fils de Dieu a été
prédestiné à être le Fils de Dieu. »
[8416] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3. Pour la vérité d’une proposition, il n’est pas
3 Praeterea, ad veritatem locutionis non oportet nécessaire que le prédicat convienne par soi au
quod praedicatum per se subjecto conveniat, nisi sujet, à moins qu’il n’y ait explicitation du sujet.
circa subjectum reduplicatio ponatur. Sed Or, « avoir été prédestiné » convient d’une
praedestinatum esse aliquo modo convenit filio certaine manière au Fils de Dieu, car c’est en tant
Dei, quia inquantum homo. Ergo potest concedi qu’homme. On peut donc concéder simplement :
simpliciter: filius Dei est praedestinatus esse filius « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être le Fils de
Dei; quamvis non concedatur, quod filius Dei, Dieu », bien qu’on ne concède pas que le Fils de
inquantum filius Dei, est praedestinatus esse filius Dieu, en tant que Fils de Dieu, ait été prédestiné
Dei. à être le Fils de Dieu.
286

[8417] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, ce qui se trouve toujours dans
1 Sed contra, quod semper inest alicui, non quelque chose ne lui est pas prédestiné. Or, être
praedestinatur ei. Sed esse filium Dei ab aeterno Fils de Dieu depuis l’éternité convient depuis
convenit filio Dei. Ergo non praedestinatur ei; l’éternité au Fils de Dieu. Cela ne lui est donc
ergo haec est falsa: filius Dei est praedestinatus pas prédestiné. Donc, cette proposition est
esse filius Dei. fausse : « Le Fils de Dieu a été prédestiné à être
le Fils de Dieu. »
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Cette proposition est-elle
vraie : « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout
simplement » ?
[8418] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que cette proposition soit vraie :
1 Ulterius. Videtur, quod haec sit vera: filius Dei « Le Fils de Dieu a été prédestiné tout
praedestinatus est simpliciter. Sicut enim simplement. » En effet, de même que
praedestinatus importat effectum temporalem; ita « prédestiné » comporte un effet temporel, de
mittitur et datur. Sed conceditur quod filius Dei même est-il envoyé et donné. Or, on concède que
est missus et datus. Ergo etiam debet concedi le Fils de Dieu a été envoyé et donné. On doit
quod filius Dei est praedestinatus. donc aussi concéder que le Fils de Dieu a été
prédestiné.
[8419] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2. Chez les autres qui ont été prédestinés à la vie
2 Praeterea, in aliis qui sunt praedestinati ad vitam éternelle, il n’est pas nécessaire d’ajouter à quoi
aeternam, non oportet quod addatur ad quid ils ont été prédestinés, mais il suffit de dire qu’ils
praedestinati sunt; sed sufficit eos dicere esse ont été prédestinés. Or, le Fils de Dieu a été
praedestinatos. Sed filius Dei est praedestinatus prédestiné à être homme. On doit donc dire que
esse homo. Ergo filius Dei debet dici esse le Fils de Dieu a été prédestiné tout simplement.
praedestinatus simpliciter.
[8420] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3. Dans le Christ, il n’y a qu’un seul suppôt. Or,
3 Praeterea, in Christo non est nisi unum on peut dire simplement de ce suppôt qu’il a été
suppositum. Sed de illo supposito potest dici prédestiné : en effet, on dit que l’homme a été
simpliciter, quod sit praedestinatum: dicitur enim, prédestiné. Le Fils de Dieu peut donc être
quod homo est praedestinatus. Ergo potest filius prédestiné.
Dei esse praedestinatus.
[8421] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, ce qui est éternel n’est pas
1 Sed contra, aeternum non praedestinatur. Sed prédestiné. Or, le Fils de Dieu est éternel. Il n’a
filius Dei est aeternus. Ergo non est donc pas été prédestiné.
praedestinatus.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8422] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 co. La prédestination comporte un ordre à la fin (car
Respondeo, ad primam quaestionem dicendum, « prédestiner », c’est envoyer ou ordonner vers
quod praedestinatio importat ordinem ad finem quelques chose). Aussi, lorsqu’elle est employée
(quia praedestinare est mittere vel ordinare in simplement, l’entend-on de l’ordonnancement
aliquid); unde quando simpliciter ponitur, préalable à la fin ultime, qui consiste dans
intelligitur praeordinatio ad finem ultimum, qui l’union à Dieu par la grâce ou par la gloire, ou
est in conjunctione ad Deum per gratiam vel dans l’union dans la personne. Mais lorsqu’on y
gloriam, vel unionem in persona: sed quando ajoute quelque chose, elle comporte alors un
additur ei aliquid, tunc importat praeordinationem ordonnancement préalable seulement à ce qui lui
tantum in illud quod ei adjungitur; et per hunc est associé. De cette manière, on concède que le
modum conceditur quod filius Dei est Fils de Dieu a été prédestiné à être homme, car
praedestinatus esse homo, quia hoc ab aeterno cela a été préalablement ordonné depuis
praeordinatum est. l’éternité.
[8423] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 1. La prédestination n’est pas simplement une
287

Ad primum ergo dicendum, quod praedestinatio anticipation de celui qui est prédestiné, mais de
non importat antecessionem ad praedestinatum ce à quoi on dit qu’il a été prédestiné. Or, bien
simpliciter, sed in comparatione ad illud quod sibi que le Fils de Dieu existe depuis l’éternité, il n’a
praedestinari dicitur. Quamvis autem filius Dei sit cependant pas été homme depuis l’éternité.
ab aeterno, non tamen ab aeterno fuit homo.
[8424] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Le suppôt de Pierre n’a pas existé avant que
Ad secundum dicendum, quod suppositum Petri Pierre soit homme ; aussi ne peut-on dire qu’il a
non fuit antequam esset Petrus homo; et ideo non été prédestiné à être homme. Mais le suppôt du
potest dici quod sit praedestinatus esse homo: sed Fils de Dieu a existé avant d’être homme ; c’est
suppositum filii Dei fuit antequam ipse esset pourquoi le raisonnement n’est pas le même. De
homo; et ideo non est similis ratio. Et iterum plus, Pierre ne tient nullement de la grâce d’être
Petrus nullo modo habet esse homo per gratiam; homme, mais le Fils de Dieu tient de la grâce
filius autem Dei habet esse homo per gratiam d’union, non pas faite à lui-même, mais à sa
unionis, non quidem sibi factam, sed humanae nature humaine, d’être homme.
naturae.
[8425] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Bien que ce ne soit pas une grâce pour le Fils
Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit gratia de Dieu d’être homme, il tient cependant cela de
filio Dei quod sit homo, tamen hoc habet per la grâce d’union, par laquelle la nature humaine
gratiam unionis, per quam humana natura a été assumée dans l’unité de la nature divine.
assumpta est in unitatem divinae naturae.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8426] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Dans la Sainte Écriture, on dit parfois que
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in quelque chose devient lorsque cela est connu.
sacra Scriptura dicitur aliquando aliquid fieri, Être Fils de Dieu peut s’entendre soit selon la
quando innotescit. Hoc ergo quod est esse filium vérité de la chose, soit selon que cela est dévoilé,
Dei, potest accipi vel secundum rei veritatem, vel pour autant que cela est manifesté. Si on l’entend
secundum evidentiam, prout scilicet manifestatur. de la première manière, alors il est faux que le
Si primo modo, tunc falsum est quod filius Dei sit Fils de Dieu ait été prédestiné à être le Fils de
praedestinatus esse filius Dei, cum non ponatur in Dieu, puisque rien n’est affirmé dans la
locutione aliquid respectu cujus possit denotari proposition par rapport à quoi une anticipation
antecessio, quam importat praedestinatio. Si peut être indiquée, ce que comporte la
autem accipiatur secundo modo, sic Glossa super prédestination. Mais si on l’entend de la seconde
illud Rom. 1: qui praedestinatus est filius Dei in manière, alors la Glose sur Rm : Lui qui a été
virtute, concedit quod filius Dei praedestinatus sit prédestiné comme Fils de Dieu en puissance,
ut sit filius Dei, idest ut evidenter appareat; quod concède que le Fils de Dieu a été prédestiné à
fuit in resurrectione factum; unde et ipse tunc être le Fils de Dieu, c’est-à-dire à apparaître
dixit: data est mihi omnis potestas in caelo et in manifestement, ce qui a été accompli dans la
terra; et secundum hunc sensum est eadem ratio résurrection. Aussi lui-même a-t-il alors dit :
de ista sicut de praecedenti, qua dicitur: filius Dei Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la
praedestinatus est esse homo: quia praedestinatio terre. En ce sens, il en va de même que pour ce
simpliciter importat praeordinationem. Quantum qui précède, où l’on dit : « Le Fils de Dieu a été
ergo ad primum sensum haec est falsa: filius Dei prédestiné à être homme », car la prédestination
est praedestinatus esse filius Dei. comporte simplement un ordonnancement
préalable. Par rapport au premier sens, cette
proposition est fausse : « Le Fils de Dieu a été
prédestiné à être le Fils de Dieu. »
[8427] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Parmi ce qui est dit de l’homme, cela seul est
Ad primum ergo dicendum, quod eorum quae dit du Fils de Dieu qui ne s’oppose pas
dicuntur de homine, illa tantum dicuntur de filio intellectuellement au Fils de Dieu. Mais être
Dei quae non habent repugnantiam intellectuum prédestiné comporte une opposition, car le Fils
288

ad filium Dei. Sed praedestinatus habet de Dieu est éternel. Or, la prédestination
repugnantiam: quia filius Dei aeternus est; comporte une anticipation, qui n’est pas le fait de
praedestinatio autem importat antecessionem, ce qui est éternel.
quae non est respectu aeterni.
[8428] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Ce qui est prédiqué du Fils de Dieu en tant
Ad secundum dicendum, quod illa quae qu’il est homme ne comporte pas d’opposition
praedicantur de filio Dei inquantum est homo, non au Fils de Dieu. Le raisonnement n’est donc pas
habent aliquam repugnantiam ad filium Dei; et le même.
ideo non est similis ratio.
[8429] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Il faut dire la même chose pour le troisième
Et similiter dicendum est ad tertium. argument.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8430] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Cette proposition aussi est fausse : « Le Fils de
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod haec Dieu est prédestiné », puisqu’elle n’affirme pas
similiter est falsa: filius Dei est praedestinatus, quelque chose dont une anticipation puisse être
cum non ponatur aliquid respectu cujus possit indiquée. Mais cette proposition : « Le Fils de
antecessio denotari; sed haec: filius Dei est Dieu est prédestiné en tant qu’homme », est
praedestinatus inquantum est homo, est vera: quia vraie, car elle peut comporter une anticipation
potest importari antecessio respectu hominis par rapport à l’homme pour ce qui est de sa
quantum ad naturam. nature.
[8431] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 1. La mission ne comporte pas de temporalité
Ad primum ergo dicendum, quod missio non chez celui qui est envoyé, mais plutôt chez celui
importat temporalitatem in eo qui mitti dicitur, vers qui on dit qu’il est envoyé, chez qui il habite
sed magis in eo ad quem mitti dicitur, in quo per selon un nouvel effet. C’est ainsi qu’on dit d’une
novum effectum inhabitat; et ideo mitti dicitur personne divine qu’elle est envoyée. Mais être
persona divina. Sed praedestinatus ponit prédestiné affirme une postériorité par rapport à
posterioritatem respectu praedestinationis in eo la prédestination chez celui qui est prédestiné. Le
qui praedestinatur; et ideo non est similis ratio. raisonnement n’est donc pas le même.
[8432] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Chez les autres prédestinés, il peut exister une
Ad secundum dicendum, quod in aliis anticipation par rapport à ceux-là mêmes qu’on
praedestinatis potest antecessio importari respectu dit prédestinés, ce qui n’est pas le cas pour le
ipsorum qui praedestinati dicuntur; quod non est Fils de Dieu. Le raisonnement n’est donc pas le
de filio Dei; et ideo non est similis ratio. même.
[8433] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Bien qu’il n’y ait qu’un seul suppôt, celui-ci
Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit nisi est cependant le suppôt de deux natures, et
unum suppositum, tamen est duarum naturarum quelque chose peut lui convenir par rapport à une
suppositum; et potest sibi aliquid convenire nature, qui ne lui convient pas de manière
respectu unius naturae quod non convenit sibi absolue, comme le fait d’être une créature.
absolute, sicut esse creaturam.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


7
[8434] Super Sent., lib. 3 d. 7 q. 3 a. 2 qc. 3
expos. Factus est sine dubio id quod prius non
erat. Haec locutio est impropria; quia non potest
intelligi neque de natura, quia Deus non est factus
humana natura; neque de persona, sive de
supposito, quia illud suppositum semper fuit,
secundum secundam opinionem; unde exponenda
est: illud quod prius non erat, idest, habens
289

naturam quam prius non habebat. Quia Deus


assumpsit hominem, idest humanam naturam, ut
supra, dist. 5, glossavit; alias esset contra hanc
opinionem quae dicit, hominem non esse
assumptum, sed humanam naturam. Variatur
autem intelligentia, cum dicitur, Deus est homo, et
homo est Deus. Ratio variationis est quia divina
natura praedicatur de Christi persona, non autem
humana. Quod etiam dictum est utrumque est,
Christus, et una persona, movere potest lectorem.
Hoc positum est supra in illo capitulo: sed his
videntur adversari. Hic etiam cum dicitur, minor
est patre Christus secundum quod homo,
secundum habitum hoc intelligunt dictum. Ideo
hoc exponit secundum hanc opinionem, quia haec
opinio non potest hoc sustinere, cum supra dixerit
Augustinus in 1 Lib., quod spiritus sanctus non est
minor seipso propter columbam in qua visibiliter
apparuit. Hoc firmiter tenens quod Deus hominem
assumpsit. Exponendum est ut supra, ut homo
ponatur pro natura humana, sicut ipse docuit
supra, dist. 5, exponere.

Distinctio 8 Distinction 8 – [Les effets de l’union]

Quaestio 1 Question 1 – [Qu’est-ce que la naissance ?]


Prooemium Prologue
[8435] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de ce qui convient au
determinavit Magister de his quae conveniunt Deo Dieu incarné en tant que cela exprime l’union,
incarnato, quasi exprimentia unionem, hic ici, le Maître détermine de ce qui lui convient
determinat de his quae conveniunt ei consequentia comme découlant de l’union. Il y a deux parties :
unionem; et dividitur in duas partes: in prima dans la première, il détermine de ce qui convient
determinat de his quae conveniunt uni naturae ex à une nature en raison de son union à l’autre ;
unione ad alteram; in secunda de his quae dans la seconde, de ce qui convient à la personne
conveniunt personae ratione naturae assumptae, en raison de la nature assumée, d. 10, à cet
10 dist., ibi: solet autem a quibusdam inquiri endroit : « Certains ont coutume de demander si
utrum Christus secundum quod homo, sit persona, le Christ, en tant qu’homme, est une personne,
vel etiam sit aliquid. Prima dividitur in duas: in ou même s’il est quelque chose. » La première
prima determinat quid conveniat divinae naturae partie se divise en deux : dans la première, il
ex unione ad humanam; in secunda quid détermine de ce qui convient à la nature divine
conveniat humanae ex unione ad divinam, dist. 9, en raison de son union à la nature humaine ; dans
ibi: praeterea investigari oportet utrum caro la seconde, de ce qui convient à la nature
Christi et anima una eademque cum verbo debeat humaine en raison de son union à la nature
adoratione adorari. Prima dividitur in duas divine, d. 9, à cet endroit : « De plus, il faut se
partes: in prima inquirit, utrum divina natura demander si la chair et l’âme du Christ, une et la
debeat dici nata in Christo ex unione ad même que le Verbe, doit être adorée
humanam; in secunda quomodo Christus dicatur d’adoration. » La première partie se divise en
natus, ibi: quaeri etiam solet, utrum debeat dici deux : dans la première, il se demande si on doit
Christus bis genitus. Circa primum duo facit: dire que la nature divine est née chez le Christ en
primo movet quaestionem, et solvit; secundo raison de son union à la nature humaine ; dans la
290

objicit in contrarium, et solvit, ibi: videtur tamen seconde, comment on dit du Christ qu’il est né, à
posse probari quod sit nata de virgine. Hic cet endroit : « On a aussi coutume de se
quaeruntur quinque: 1 quid sit nativitas, et demander si l’on doit dire que le Christ est né
quorum proprie est nasci; 2 utrum humana natura deux fois. » À propos du premier point, [le
in Christo debeat dici nata; 3 utrum natura divina Maître] fait deux choses : premièrement, il
debeat dici nata de virgine; 4 de duplici Christi soulève une question et y répond ;
nativitate; 5 utrum sint in Christo duae filiationes. deuxièmement, il soulève une objection en sens
contraire et y répond, à cet endroit : « Il semble
cependant qu’on puisse démontrer qu’elle est née
de la Vierge. » Ici, cinq questions sont posées :
1 – Qu’est-ce que la naissance et à qui revient-il
de naître au sens propre ? 2 – Doit-on dire que la
nature humaine est née ? 3 – Doit-on dire que la
nature humaine chez le Christ est née ? 4 – À
propos de la double naissance du Christ. 5 – Y a-
t-il deux filiations chez le Christ ?

Articulus 1 [8436] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 Article 1 – La naissance n’existe-t-elle que


tit. Utrum solummodo in viventibus sit nativitas chez les vivants ?
[8437] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’on ne doive pas parler de
primum sic proceditur. Videtur quod non naissance seulement chez les vivants. En effet,
solummodo viventium debeat dici nativitas. être né semble être la même chose qu’avoir été
Natum enim idem videtur quod genitum. Sed engendré. Or, la génération se trouve dans tous
generatio invenitur in omnibus corporibus a lunari les corps inférieurs au globe lunaire, qui ne sont
globo inferius, quae non omnia vivunt. Ergo pas tous vivants. Il semble donc que la naissance
videtur quod non solum viventium sit nativitas. ne soit pas le fait des vivants seulement.
[8438] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Être issu (oriri) et naître (nasci) semblent être
Praeterea, idem videtur esse oriri et nasci. Sed la même chose. Or, nous disons de ce qui ne vit
dicimus ea oriri quae non vivunt; sicut dicimus pas que cela est issu, comme nous disons que le
quod sol oritur, et fons oritur. Ergo nativitas non soleil est issu (oritur) et que la fontaine est issue
solum in viventibus reperitur. (oritur). La naissance ne se trouve donc pas
seulement chez les vivants.
[8439] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Vivre est le fait des substances seulement. Or,
Praeterea, vivere substantiarum solum est. Sed naître ou être issu se trouve dans les accidents :
nasci, sive oriri, invenitur in accidentibus: dicimus en effet, nous disons que l’éclat est issu du soleil
enim splendorem oriri a sole, et calorem ab igne. et la chaleur, du feu. Naître n’est donc pas le fait
Ergo nasci non solum viventium est. des vivants seulement.
[8440] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 4. De plus, seulement ce qui n’est pas engendré
Praeterea, hoc solum est ingenitum quod non est n’est pas né. Or, on dit seulement de ce qui a
natum. Sed illa sola dicuntur ingenita quae semper toujours existé que cela n’a pas été engendré,
fuerunt, sicut philosophus ponit caelum comme le Philosophe affirme que le ciel n’a pas
ingenitum, quia secundum eum semper fuit. Ergo été engendré, car, selon lui, il a toujours existé.
solum illa non sunt nata; ergo quaecumque Seules ces choses ne sont donc pas nées. On dit
incipiunt esse, dicuntur nasci. donc que tout ce qui commence à exister naît.
[8441] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 5 Sed 5. Cependant, il semble que tous les vivants ne
contra, videtur quod non omnium viventium sit naissent pas. En effet, la naissance cause la
nasci. Nativitas enim causat filiationem. Sed filiation. Or, on ne trouve pas de filiation chez
filiatio non invenitur in plantis, quae tamen les plantes, qui cependant vivent. On ne trouve
vivunt. Ergo nec nativitas. donc pas non plus de naissance.
[8442] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Il est clair que les embryons vivent, mais on
291

Praeterea, constat quod embria vivunt; nec tamen ne dit cependant pas qu’ils sont nés. La
dicuntur nata. Ergo non omnium viventium est naissance n’est donc pas le fait de tous les
nativitas. vivants.
[8443] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 7 7. De plus, de même que les corps inanimés sont
Praeterea, sicut inanimata corpora generantur ex engendrés par une cause extrinsèque, de même
causa extrinseca; ita etiam animalia generata per aussi les animaux sont-ils engendrés par
putrefactionem. Sed inanimata non dicuntur putréfaction. Or, on ne dit pas des corps
proprie nasci ratione praedicta. Ergo nec animalia inanimés qu’ils naissent au sens propre, pour la
generata ex putrefactione. raison déjà donnée. [On ne le dit donc pas] non
plus des animaux engendrés par putréfaction.
[8444] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 8 8. L’Esprit Saint procède du Père comme un
Praeterea, spiritus sanctus procedit a patre ut vivant d’un vivant, mais on ne dit cependant pas
vivens a vivente; nec tamen nasci dicitur. Ergo qu’il est né. Toute apparition d’une chose
nec omnis processus rei viventis est nativitas. vivante n’est donc pas une naissance.
[8445] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 co. Réponse. La génération est commune à tous les
Respondeo dicendum, quod cum generatio sit corps corruptibles, mais il existe cependant un
communis omnibus corporibus corruptibilibus, mode spécial de génération chez les corps
tamen in corporibus animatis est specialis modus animés et, à cause de cela, ils possèdent, parmi
generationis; et propter hoc etiam habent d’autres puissances de l’âme, la puissance
specialiter inter alias vires animae vim génératrice. En effet, quelque chose se détache
generativam: in viventibus enim primo ex d’abord de ce qui engendre, qui suffit à la
generante deciditur aliquid quod est sufficiens ad génération pour ce qui est de son principe actif et
generationem quantum ad principium activum et passif, bien que, chez certaines choses, ce soit le
passivum; quamvis in quibusdam idem generans même engendrant qui fournisse les deux, comme
sit quod utrumque ministrat, sicut in plantis, quae chez les plantes, qui n’ont pas de sexe distinct.
non habent sexum distinctum. In quibusdam Mais, chez certaines choses, qui possèdent un
autem, scilicet quae habent sexum distinctum, a sexe distinct, le principe actif est fourni par le
mare ministratur principium activum, a femina mâle, et le principe matériel par la femelle, et,
principium materiale: et animalia in coitu, dans l’union sexuelle, les animaux sont comme
secundum philosophum, sunt quasi unum un seul engendrant, selon le Philosophe, ainsi
generans, sicut dicitur Genes. 11, 24: erunt duo in qu’il est dit en Gn 11, 24 : Ils seront deux en une
carne una. Et ideo sequitur secundum, scilicet seule chair. De là découle un second point : la
quod generatio est per modum exitus a generante, génération se produit par mode de sortie de
quod non est in generatione inanimatorum. l’engendrant, ce qui n’est pas le cas dans la
Tertium autem est quod generatum exiens a génération des corps inanimés. Le troisième
generante, in principio generationis adhaeret ei, et point est que l’engendré qui sort de l’engendrant
est in eo vel per contactum, vel per est rattaché à lui au début de la génération et
consolidationem, sicut dicit philosophus, ut patet qu’il existe en lui soit par contact, soit par
in fructibus, qui colligantur plantis; et de consolidation, comme le dit le Philosophe, ainsi
embrione, qui adhaeret secundum contactum que cela ressort pour les fruits, qui sont attachés
matrici. Et quantum ad tres has conditiones res aux plantes, et pour l’embryon, qui est attaché à
viva, inquantum generatur, habet tria nomina sibi la matrice par contact. Selon ces trois conditions,
propria. Secundum enim quod principia une chose vivante, en tant qu’elle est engendrée,
sufficientia suae generationi ministrantur a porte trois noms qui lui sont propres. En effet,
generante, dicitur gigni, vel genita esse; secundum selon que les principes suffisants à sa génération
autem quod generatur per modum exitus, dicitur sont fournis par l’engendrant, on dit qu’elle est
oriri; secundum autem quod generatur ut engendrée ou qu’elle a été engendrée. Mais selon
conjunctum generanti, dicitur nasci; sic enim qu’elle est engendrée par mode de sortie, on dit
generans et generatum est quasi res una; et ideo, qu’elle est issue. Mais selon qu’elle est
cum nomen naturae a nascendo sumatur, illa engendrée comme unie à l’engendrant, on dit
292

dicuntur esse per naturam quorum principium qu’elle naît. En effet, l’engendrant et l’engendré
intus est in ipsis. Et sic patet quod nasci proprie sont ainsi comme une seule chose. C’est
dicitur illud quod egreditur a generante pourquoi, le mot « nature » venant de « naîtr »,
conjunctum ei, habens ab ipso principia on dit qu’existe selon la nature ce dont le
sufficientia generationi. principe est intérieur. Il ressort ainsi qu’on parle
de naître au sens propre pour ce qui sort de
l’engendrant en lui étant uni et qui tient de lui les
principes qui suffisent à la génération.
[8446] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Engendré, selon que cela est la même chose
primum ergo dicendum, quod genitum, secundum que ce qui est né, ne vient pas de d’engendrer
quod est idem quod natum, non dicitur a (generando) mais d’enfanter (gignendo). Bien
generando, sed a gignendo; unde quamvis qu’on parle de corps engendrés pour les corps
inanimata proprie dicantur generata, non tamen inanimés, on ne dit cependant pas au sens propre
proprie dicuntur genita neque nata. qu’ils sont enfantés ni nés.
[8447] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. On dit que le soleil et la fontaine sont issus par
secundum dicendum, quod sol et aqua fontis ressemblance avec une naissance, pour autant
dicitur per similitudinem oriri, inquantum scilicet qu’ils passent de ce qui est caché à ce qui est
egreditur de occulto in manifestum. manifeste.
[8448] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. De même, les accidents, pour autant qu’ils
tertium dicendum, quod similiter accidentia existent en puissance dans les principes
inquantum sunt virtute in principiis essentialibus, essentiels, sont-ils causés par mode de sortie.
causantur per modum exitus; et ideo dicuntur oriri Aussi est-ce par ressemblance qu’on dit d’eux
per similitudinem, et possunt etiam dici nasci, qu’ils apparaissent et qu’on peut même dire
inquantum adhaerent subjecto quod est causa qu’ils naissent, pour autant qu’il sont attachés au
ipsorum. sujet qui est leur cause.
[8449] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Comme le dit [Jean] Damascène, ingennitum,
quartum dicendum, quod, sicut dicit Damascenus, avec deux « n » est la même chose qu’incréé ou
ingennitum per duplex n scriptum, est idem quod éternel, et c’est ainsi que l’entend le Philosophe ;
increatum, sive aeternum; et sic accipit mais ingenitum, avec un seul « n », est la même
philosophus; ingenitum autem per unum n chose que non engendré. C’est ainsi que nous en
scriptum idem est quod non generatum; et sic hic parlons ici.
loquimur.
[8450] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. La filiation exige plus que la naissance ou
quintum dicendum, quod ad filiationem requiritur l’apparition : ce qui sort de l’engendrant par la
plus quam ad nativitatem vel ortum, scilicet ut génération doit être achevé quant à l’espèce de
quod exit per generationem a generante, sit l’engendrant. Aussi les fruits des arbres, les œufs
completum in specie generantis; et ideo fructus des oiseaux, les cheveux et les choses de ce
arborum et ova avium et capilli et hujusmodi non genre n’ont-ils pas raison de filiation, bien qu’on
habent rationem filiationis, quamvis dicantur dise qu’ils naissent.
nasci.
[8451] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. L’engendré sort de l’engendrant de deux
sextum dicendum, quod genitum exit a generante manières. D’une manière, selon qu’il atteint un
dupliciter. Uno modo secundum quod procedit in être distinct de l’engendrant, mais cependant
esse distinctum a generante, clausum tamen infra enfermé dans les limites de l’engendrant. C’est
terminos generantis; et hoc proprie dicitur ce qu’on appelle la conception au sens propre.
conceptio. Alio modo secundum quod procedit in D’une autre manière, selon qu’il atteint un être
esse distinctum et manifestum. Et quia res distinct et manifeste. Et parce qu’une chose tire
nominatur secundum id quod apparet: ideo ille son nom de ce qui apparaît, ce mode de sortie
modus exeundi facit nativitatem secundum donne la naissance selon la manière commune de
communem usum loquendi, quamvis etiam parler, bien que le premier [mode] donne aussi
293

primus aliquo modo faciat nativitatem, secundum une naissance, selon qu’on parle d’une double
quod dicitur duplex nativitas, scilicet in utero, et naissance : à l’intérieur du sein et en dehors du
ex utero. Et quia in plantis simul aliquid procedit sein. Et parce que, dans les plantes, quelque
in esse distinctum et manifestum; ideo non chose atteint en même temps un être distinct et
proprie in eis est conceptio, sed nativitas; et ideo manifeste, c’est la raison pour laquelle il n’y a
etiam verbum secundum quod distinguitur in pas en elles de conception, mais une naissance.
intellectu, dicitur concipi; secundum autem quod C’est pourquoi aussi on dit que le verbe est
extra pronuntiatur, potest dici per similitudinem conçu, selon qu’il est distinct dans l’intellect ;
nasci. mais selon qu’il est prononcé à l’extérieur, on
peut parler de naître par ressemblance.
[8452] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. Chez les animaux engendrés par putréfaction,
septimum dicendum, quod in animalibus generatis la puissance du soleil et des autres corps célestes
ex putrefactione virtus solis et aliorum corporum remplace la puissance formatrice qui se trouve
caelestium supplet vicem virtutis formativae quae dans la semence dans la génération de ce qui naît
est in semine in generatione eorum quae ex d’une semence. Parce que les puissances de ces
semine nascuntur. Et quia hujusmodi virtutes corps célestes sont répandues sur tous les corps
corporum caelestium sunt per omnia inferiora inférieurs, le Philosophe dit donc que tous sont
corpora diffusae; ideo dicit philosophus, quod remplis des puissances de l’âme. De même que
omnia plena sunt virtutibus animae; et ideo sicut les animaux qui sont engendrés d’une semence
animalia quae generantur ex semine, se habent ad ont un rapport avec une femelle, de même ceux
feminam, ita ista se habent ad terram, quae sine qui sont engendrés sans semence ont-ils un
semine generantur; et sicut illa se habent ad rapport avec la terre, et de même que ceux-là ont
patrem, ita ista se habent ad corpora caelestia: un rapport avec un père, de même ceux-ci ont-ils
propter quod dixit quidam philosophus, quod sol un rapport avec les corps célestes. C’est la raison
est pater plantarum, terra vero mater. Unde patet pour laquelle un philosophe a dit que le soleil est
quod hujusmodi quae sine semine generantur, sive le père des plantes, mais la terre, leur mère. Il est
sint plantae, sive animalia, proprie dicuntur nasci, ainsi clair qu’on dit des corps qui sont engendrés
oriri et gigni. sans semence, que ce soient des plantes ou des
animaux, qu’ils naissent, sont issus et sont
engendrés.
[8453] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 1 ad 8 Ad 8. Bien que l’Esprit Saint procède vivant d’un
octavum dicendum, quod quamvis spiritus sanctus vivant, cela ne lui convient cependant pas en
procedat vivens ex vivente, non tamen hoc raison de sa procession. En effet, il procède en
convenit ei secundum rationem suae processionis: tant qu’amour. Or, l’amour, envisagé d’une
procedit enim ut amor; amor autem consideratus manière générale en tant qu’amour, n’est pas une
in genere inquantum amor, non habet quod sit res chose vivante, mais une opération ou une passion
viva, sed operatio vel passio rei viventis; habet d’une chose vivante. Cependant, il peut être une
tamen quod sit res viva et subsistens, inquantum réalité vivante et subsistante en tant qu’il est
est amor divinus; et ideo non dicitur nasci, ut in 1 l’Amour divin. Aussi ne dit-on pas qu’il est né,
Lib., dist. 13, qu. 1, art. 3, ad 3, dictum est. comme on l’a dit dans le livre I, d. 13, q. 1, a. 3,
ad 3.

Articulus 2 [8454] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. Article 2 – La nature humaine est-elle née
2 tit. Utrum humana natura sit nata in Christo chez le Christ ?
[8455] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nature humaine soit née chez
secundum sic proceditur. Videtur, quod humana le Christ. En effet, comme on l’a dit plus haut,
natura sit nata in Christo. Sicut enim supra dictum on dit de la personne ou du suppôt, et non de la
est, illa de persona vel supposito, et non de natura, nature, ce qui convient seulement à ce qui existe
dicuntur, quae per se existenti solum conveniunt, par soi, comme d’une hypostase, d’une chose
sicut hypostasis, res naturae, et hujusmodi. Sed naturelle et des choses de ce genre. Mais naître
294

nasci non est solum per se existentium, cum sit n’est pas seulement le fait de ce qui existe par
partium: supra enim, dist. 4, habitum est quod soi, puisque cela vaut aussi pour les parties. En
capillus nascitur. Ergo nasci non solum est effet, on a vu plus haut, d. 4, que le cheveu naît.
personae vel suppositi, sed etiam naturae. Naître n’est donc pas seulement le fait de la
personne ou du suppôt, mais aussi de la nature.
[8456] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Ce qui est visé par la nature qui engendre est
Praeterea, id quod est per se intentum a natura dit naître au sens le plus vrai. Mais la nature,
generante, verissime dicitur nasci. Sed natura bien qu’elle engendre tel homme, tend cependant
quamvis generet hunc hominem, intendit tamen à engendrer l’homme, comme le dit Avicenne.
hominem generare, ut dicit Avicenna. Homo Or, « homme » signifie la nature commune. Il
autem naturam communem significat. Ergo convient donc au plus haut point à la nature
naturae humanae maxime convenit nasci. humaine de naître.
[8457] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Selon le Philosophe, ce qui engendre et ce qui
Praeterea, secundum philosophum, idem specie est engendré est identique selon l’espèce. Or, il
est quod generat et quod generatur. Sed naturae revient à la nature d’engendrer. Il lui revient
est generare. Ergo ipsius est etiam generari sive donc d’être engendrée ou de naître.
nasci.
[8458] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 4 4. On dit que le Christ est né de la Vierge
Praeterea, Christus non dicitur natus de virgine, seulement pour ce qu’il a reçu de la Vierge. Or,
nisi secundum hoc quod de virgine accepit. Sed il n’a reçu que la nature humaine. C’est donc la
non accepit nisi humanam naturam. Ergo humana nature humaine qui est née de la Vierge.
natura dicitur nasci de virgine.
[8459] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 5 5. On dit de tout ce qui a commencé à exister à
Praeterea, omne quod coepit esse ex aliqua partir d’une matière que cela est engendré. Or, la
materia, dicitur generari. Sed humana natura in nature humaine chez le Christ a commencé à
Christo coepit esse ex aliqua materia. Ergo exister à partir d’une matière. C’est donc de la
humana natura in Christo dicitur nasci. nature humaine chez le Christ qu’on dit qu’elle
est née.
[8460] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] [Jean] Damascène dit que
contra est quod dicit Damascenus, quod nasci est « naître relève seulement de l’hypostase ». Cela
tantum hypostasis. Ergo non est naturae. ne relève donc pas de la nature.
[8461] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Le rapport entre la nature divine du Christ et
Praeterea, sicut se habet divina natura Christi ad sa génération éternelle est le même que celui de
aeternam ejus generationem; ita et humana natura la nature humaine et de sa [génération]
ad temporalem. Sed natura divina non est nata temporelle. Or, la nature divine n’est pas née par
aeterna generatione. Ergo nec humana temporali. une génération éternelle. Donc, ni la [nature]
humaine d’une [génération] temporelle.
[8462] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 co. Réponse. Naître est un certain devenir. Or, rien
Respondeo dicendum, quod nasci fieri quoddam ne devient que pour être. Selon que l’être
est; nihil autem fit nisi ut sit; unde secundum convient à quelqu’un, de même le devenir lui
quod alicui convenit esse, ita et convenit ei fieri. convient donc aussi. Or, exister est propre à ce
Esse autem proprie subsistentis est; unde dicitur qui subsiste ; c’est ainsi qu’on parle, à
proprie nasci et fieri. Forma autem et natura proprement parler, de naître et de devenir. Or, on
dicitur esse ex consequenti: non enim subsistit; dit que la forme et la nature sont par mode de
sed inquantum in ea suppositum subsistit, esse conséquence : en effet, elles ne subsistent pas.
dicitur; unde et ex consequenti convenit ei fieri Mais, pour autant que le suppôt subsiste en elles,
vel nasci; non quasi ipsa nascatur, sed quia per on dit qu’elles sont. Il leur convient donc de
generationem accipitur. Accidentia autem non devenir et de naître par mode de conséquence,
dicuntur esse nisi per accidens; unde et per non pas comme si elles naissaient elles-mêmes,
accidens fieri dicuntur. mais parce qu’elles sont reçues par la génération.
295

Or, on dit des accidents qu’ils existent par


accident seulement ; aussi dit-on qu’ils
deviennent par accident.
[8463] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Il existe une double partie. En effet, il y a une
primum ergo dicendum, quod est duplex pars. Est partie de la substance selon la quantité : elle
enim pars substantiae secundum quantitatem; et subsiste soit en puissance, comme dans ce qui est
hoc vel subsistit in potentia, ut in continuis: vel in continu, soit en acte, comme ce qui se rejoint par
actu, ut in his quae per tactum junguntur; unde contact. On peut donc dire de telles parties
tales partes possunt dici fieri vel nasci, et qu’elles deviennent ou naissent, surtout
praecipue quando adduntur toti praeexistenti; lorsqu’elles s’ajoutent à un tout préexistant.
secus autem esset, si generarentur generatione Cependant, il en serait autrement si elles étaient
totius: quia tunc totum diceretur fieri, et non ipsa. engendrées par la génération du tout, car alors on
Sunt etiam partes substantiae, in quas dividitur dirait que le tout devient, et non cette [partie]. Il
totum secundum rationem, sicut materia et forma: y a aussi les parties de la substance, entre
et hujusmodi, cum non subsistant neque in actu lesquelles le tout se divise selon la raison,
neque in potentia, non dicuntur per se fieri; nisi comme la matière et la forme. On ne dit pas de
forte forma sit subsistens, sicut est anima, quae celles-ci qu’elles deviennent par elles-mêmes,
dicitur fieri per creationem, praeter factionem qua puisqu’elles ne subsistent ni en acte ni en
fit compositum per generationem. Natura autem puissance, à moins que la forme ne soit
humana, quae ut pars significatur, non est nata subsistante, comme l’est l’âme, dont on dit
subsistere, cum non possit in rerum natura esse qu’elle est faite par création, en plus de la
nisi in atomo, idest in suo supposito; et ideo ipsa réalisation par laquelle le composé est fait par la
non potest dici nasci. génération. Or, la nature humaine, qui est
signifiée comme une partie, n’a pas par elle-
même de subsister, puisqu’elle ne peut exister
dans la nature des choses que dans quelque chose
d’indivis, à savoir, dans son suppôt. On ne peut
donc dire d’elle qu’elle naît.
[8464] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. « Homme » ne signifie pas seulement la
secundum dicendum, quod homo non significat nature, tel que nous l’entendons ici, comme cela
tantum naturam, prout hic loquimur, sicut patet ex ressort de ce qui a été dit dans la d. 5, q. 1, a. 3.
dictis in 5 dist., qu. 1, art. 3; et ideo non sequitur Le raisonnement n’est donc pas concluant. En
ratio. Non enim natura intendit naturam producere effet, la nature n’entend produire une nature que
nisi in supposito; et ideo non intendit generare dans un suppôt ; aussi n’entend-elle pas
humanitatem, sed hominem. engendrer l’humanité, mais un homme.
[8465] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. De même qu’exister relève du suppôt, de
tertium dicendum, quod sicut esse suppositi est, même aussi agir. Ainsi, de même qu’il relève de
ita et agere: et ideo sicut naturae est generare, non la nature d’engendrer, non pas parce qu’elle
quasi ipsa generet, sed quia virtute ejus fit engendre elle-même, mais parce que la
generatio; ita non est ipsius generari, quasi ipsa génération se réalise par sa puissance, de même
generetur, sed quia per generationem accipitur. ne relève-t-il pas d’elle d’être engendrée, comme
si elle était elle-même engendrée, mais parce
qu’elle est reçue par la génération.
[8466] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Comme on dit du Christ qu’il est homme en
quartum dicendum, quod sicut Christus dicitur raison de la nature humaine, alors que la nature
homo ratione humanae naturae, et tamen humana humaine n’est pas l’homme, de même dit-on
natura non est homo; ita etiam dicitur nasci qu’il est né en raison de la nature humaine qu’il a
ratione humanae naturae quam accepit a virgine, reçue de la Vierge. Cependant, la nature humaine
et tamen ipsa humana natura non generatur: sicut elle-même n’est pas engendrée : en effet, comme
enim dicit Dionysius, non oportet quod eodem le dit Denys, il n’est pas nécessaire que la cause
296

modo causa et causatum recipiant praedicationem et ce qui est causé reçoivent de la même façon la
alicujus generis vel speciei; sicut calor est quo prédication d’un genre ou d’une espèce, comme
aliquis dicitur calidus; et tamen ipse non est la chaleur est ce par quoi on dit que quelqu’un
calidus, sed calor. est chaud ; cependant, il n’est pas lui-même
chaud, mais la chaleur [l’est].
[8467] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Puisque exister n’est pas le fait de la nature
quintum dicendum, quod cum esse non sit naturae mais du suppôt, la nature humaine n’a pas
sed suppositi, humana natura proprie non coepit commencé à exister à proprement parler, mais le
esse, sed Christus coepit esse in humana natura; et Christ a commencé à exister dans la nature
sic per consequens natura coepit esse. humaine. Ainsi la nature a-t-elle commencé à
exister par mode de conséquence.

Articulus 3 [8468] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. Article 3 – La nature divine chez le Christ est-
3 tit. Utrum divina natura in Christo nata sit de elle née de la Vierge ?
virgine
[8469] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nature humaine chez le Christ
tertium sic proceditur. Videtur quod natura divina soit née de la Vierge. En effet, on ne dit du Fils
in Christo sit nata de virgine. Filius enim Dei non de Dieu qu’il est né de la Vierge que pour autant
dicitur natus de virgine, nisi inquantum est qu’il est incarné. Or, on dit de la nature divine
incarnatus. Sed natura divina dicitur incarnata, ut qu’elle est incarnée, comme on l’a dit plus haut,
supra, dist. 5, qu. 2, art. 2 ad 4, dictum est. Ergo d. 5, q. 2, a. 2, ad 4. Il faut donc dire qu’elle est
ipsa debet dici nata de virgine. née de la Vierge.
[8470] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2 2. On dit de tout ce qui est prédiqué directement
Praeterea, quidquid in recto praedicatur de Petro, de Pierre que cela est né, lorsque celui-ci est né.
dicitur nasci ipso nato: sequitur enim: Petrus est En effet, on enchaîne : Pierre est né ; donc,
natus: ergo homo, ergo animal, ergo substantia. l’homme, donc l’animal, donc la substance [sont
Sed natura divina in recto praedicatur de filio Dei. nés]. Or, la nature divine est prédiquée
Ergo cum filius Dei sit natus de virgine, etiam directement du Fils de Dieu. Puisque le Fils de
divina natura debet dici nata de virgine. Dieu est né de la Vierge, on doit donc aussi dire
que la nature divine est née de la Vierge.
[8471] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Dans le Fils de Dieu, on ne conçoit que
Praeterea, in filio Dei non est accipere nisi l’essence et la propriété. Or, il serait absurde de
essentiam et proprietatem. Sed absurdum esset dire qu’en raison de la propriété seulement, il est
dicere, quod ratione proprietatis tantum dicatur né de la Vierge, car cette propriété est la relation
natus de virgine: quia proprietas illa relatio est par laquelle il est en rapport avec le Père, qui
secundum quam ad patrem, qui generat sine engendre sans mère. Il est donc né en raison de
matre, refertur. Ergo est natus ratione divinae la nature divine. La conclusion est ainsi la même
naturae; et sic idem quod prius. que précédemment.
[8472] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Bernard dit que, « dans l’incarnation, la force
Praeterea, Bernardus dicit, quod in incarnatione s’est affaiblie ». Or, s’affaiblir est plus éloigné
est fortitudo infirmata. Sed infirmari magis est de la nature divine que naître. On peut donc aussi
remotum a natura divina quam nasci. Ergo etiam dire qu’elle est née.
potest dici nasci.
[8473] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed Cependant, [1] la nature divine a plus en
contra, natura divina magis convenit cum commun avec la génération éternelle du Christ
generatione Christi aeterna quam cum temporali. qu’avec sa [génération] temporelle. Or, celle-ci
Sed ipsa non est nata generatione aeterna, ut in 1 n’est pas née par une génération éternelle,
Lib., dist. 5, qu. 2, art. 3 ad 2, et 3, dictum est. comme on l’a dit dans le livre I, d. 5, q. 2, a. 3,
Ergo multo minus est nata generatione temporali. ad 3. Encore bien moins est-elle donc née par
une génération temporelle.
297

[8474] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] On ne dit pas au sens propre que la nature
Praeterea, humana natura non proprie dicitur nasci humaine naît par une génération humaine. Donc,
generatione humana. Ergo multo minus natura encore bien moins la nature divine.
divina.
[8475] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 co. Réponse. Bien qu’on ne dise pas qu’au sens
Respondeo dicendum, quod natura humana propre, la nature humaine est née de la Vierge
quamvis non dicatur proprie nasci in Christo de chez le Christ, parce que naître n’est pas le fait
virgine, eo quod nasci non est naturae sed de la nature mais de l’hypostase, cela a
hypostasis; tamen consequenter ad generationem cependant un rapport avec la génération par
se habet, quia est per generationem accepta. mode de conséquence, car [la nature] est reçue
Divina autem natura non est a Christo per par génération. Or, la nature divine n’est pas
temporalem generationem accepta; unde nullo reçue par le Christ en vertu d’une génération
modo debet dici nata de virgine, nec per se, nec temporelle. Aussi ne faut-il aucunement dire
per consequens, si natura proprie accipiatur, qu’elle est née de la Vierge , ni par soi, ni par
secundum quod pro essentia supponit. Tamen mode de conséquence, si on entend nature au
quia aliquando proprie trahitur ad supponendum sens propre, selon lequel elle signifie l’essence.
pro persona, sicut in 5 dist. 1 libri dictum est; ideo Cependant, parce qu’elle est parfois attirée au
etiam aliquando invenitur quod natura divina sit sens propre à signifier la personne, comme on l’a
nata, sicut patet in littera; unde exponendum est dit dans la d. 5 du livre I, on trouve donc parfois
sicut Magister exponit. que la nature divine est née, comme cela ressort
du texte. Aussi faut-il l’expliquer comme le
Maître l’explique.
[8476] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. Le Fils de Dieu s’est uni une nature humaine,
primum ergo dicendum, quod filius Dei univit sibi et en lui-même, car l’union se termine à la
humanam naturam, et in se: quia unio terminata personne. Mais il n’en va pas de même de la
est ad personam. Non autem ita est de divina nature divine, comme cela ressort de ce qui a été
natura, ut patet ex dictis supra, dist. 1, qu. 2, art. dit, d. 1, q. 2, a. 1. Ce n’est donc pas la même
1; unde non est simile. chose.
[8477] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. En tant que nature, la nature divine ne peut
secundum dicendum, quod natura divina non être prédiquée directement de la personne du Fils
habet inquantum est natura, quod praedicetur in de Dieu, mais [elle peut l’être] en raison de la
recto de persona filii Dei, sed ratione simplicitatis simplicité divine, qui ne permet pas de diversité
divinae, quae non permittit aliquam realem réelle en lui. la différence se trouve dans la
diversitatem in ipso; sed differentia est in modo manière de parler, qui fait que quelque chose est
significandi, qui facit quod aliquid de persona dit de la personne, qui ne peut être dit de la
dicatur quod de natura dici non potest. nature.
[8478] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Dans Fils de Dieu, on ne conçoit pas
tertium dicendum, quod in filio Dei non solum est seulement la nature et la propriété, mais aussi
accipere naturam et proprietatem, sed etiam l’hypostase ou la personne, bien que, en réalité,
hypostasim, sive personam; quamvis unum une de ces choses ne soit pas différente de
illorum ab altero secundum rem non differat; et l’autre. C’est en raison de l’hypostase qu’on dit
ratione hypostasis dicitur filius incarnatus, du Fils qu’il est incarné, pour autant qu’il s’est
inquantum sibi carnem sociavit in unitate associé la chair dans l’unité de sa personne.
personae.
[8479] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. On dit que la force s’est affaiblie, c’est-à-dire
quartum dicendum, quod fortitudo dicitur qu’elle a assumé la faiblesse. C’est donc une
infirmata, id est infirmitatem assumpsisse; et ideo manière de parler impropre, dont il ne faut pas
impropria est locutio, nec ad consequentiam tirer de conséquences.
trahenda.
298

Articulus 4 [8480] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. Article 4 – Faut-il affirmer deux naissances
4 tit. Utrum ponendae sint duae nativitates Christi du Christ ou une seule ?
vel una
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Faut-il affirmer deux
naissances du Christ ?]
[8481] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il ne faille pas affirmer deux
1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non naissances du Christ. En effet, naître n’est pas le
sint ponendae duae Christi nativitates. Nasci enim fait de la nature, mais de la personne. Or, chez le
non est naturae, sed personae. Sed in Christo est Christ, il n’y a qu’une seule personne. Il y a donc
tantum una persona. Ergo et una nativitas. une seule naissance.
[8482] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2. Puisque la naissance est une certaine
2 Praeterea, cum nativitas sit generatio quaedam, génération, on tend donc à l’être par la naissance.
per nativitatem aliquis ad esse tendit. Sed in Or, chez le Christ, il n’y a qu’un seul être. Il y a
Christo est tantum unum esse. Ergo tantum una donc une seule naissance.
nativitas.
[8483] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3. Ce qui n’a pas la même raison ne doit pas être
3 Praeterea, ea quae non sunt unius rationis, non compté ensemble, comme on ne dit pas que le
debent connumerari, sicut canis caelestis et chien céleste et le chien terrestre sont deux
terrestris non dicuntur duo canes. Sed generatio chiens. Or, la génération temporelle et la
Christi temporalis et aeterna non sunt unius génération éternelle du Christ n’ont pas la même
rationis. Ergo non debent dici duae nativitates. raison. Il ne faut donc pas parler de deux
naissances.
[8484] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. Cependant, personne n’est appelé le fils de
1 Sed contra, nullus dicitur filius alicujus nisi quelqu’un qu’en raison d’une naissance. Or, le
ratione alicujus nativitatis. Sed Christus dicitur Christ est appelé le Fils du Père et aussi de sa
filius patris, et etiam matris. Ergo utrumque est mère. Les deux choses existent donc [chacune]
secundum aliquam nativitatem, et non secundum en raison d’une naissance, et non en raison de la
eamdem; ergo in Christo sunt duae nativitates. même [naissance]. Chez le Christ, il y a donc
deux naissances.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ est-il né deux fois
?]
[8485] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’on ne doive pas dire que le Christ
1 Ulterius. Videtur quod Christus non debet dici est né deux fois. En effet, en raison de ce qui
bis natus. Ratione enim ejus quod advenit alicui arrive à quelqu’un après que son être est achevé,
post completum esse, non dicitur aliquis natus: on ne dit pas qu’il est né, comme on ne dit pas
sicut homo non dicitur nasci, quamvis capillus per qu’un homme est né, bien que sa chevelure
aliquam nativitatem adveniat. Sed humanitas survienne par une certaine naissance. Or,
Christi advenit filio Dei post completum esse. l’humanité du Christ survient au Fils de Dieu
Ergo propter hoc non debet dici ipse natus, quod après que son être est achevé. Pour cette raison,
humanam naturam acceperit. on ne doit donc pas dire qu’il est né parce qu’il a
reçu la nature humaine.
[8486] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2. L’adverbe « deux fois » comporte une
2 Praeterea, hoc adverbium bis importat succession d’actes. Or, la génération temporelle
successionem actuum. Sed generationi aeternae ne succède pas à la génération éternelle, car la
non succedit temporalis: quia aeterna semper est; [génération] éternelle existe toujours ; elle existe
unde est simul cum temporali. Ergo ratione donc toujours simultanément avec la
duplicis nativitatis non debet dici bis natus. [génération] temporelle. On ne doit donc pas dire
qu’il est né deux fois en raison d’une double
naissance.
[8487] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3. De plus, l’adverbe «deux fois» comporte une
299

3 Praeterea, hoc adverbium bis importat interruption ; ainsi, on ne dit pas que celui qui
interruptionem; unde qui tota die loquitur, non parle pendant toute une journée parle deux fois.
dicitur bis loqui. Sed aeterna generatio non habet Or, la génération éternelle ne comporte pas
interruptionem. Ergo ratione ejus non debet dici d’interruption. On ne doit donc pas dire qu’il est
bis natus. né deux fois en raison de celle-ci.
[8488] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. Cependant, l’adverbe « deux fois » compte un
1 Sed contra, hoc adverbium bis numerat actum acte auquel on ajoute. Or, il y a deux naissances
cui adjungitur. Sed duplex est Christi nativitas. chez le Christ. On doit donc dire qu’il est né
Ergo secundum eas debet dici bis natus. deux fois en fonction d’elles.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8489] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Le Christ a procédé du Père éternellement et de
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, sa mère temporellement, et les deux processions
quod Christus processit a patre aeternaliter, et a ont raison de naissance. En effet, selon la
matre temporaliter; et utraque processio habet procession éternelle, le Fils vient de la substance
rationem nativitatis. Secundum enim du Père et en sort comme une personne
processionem aeternam filius est de substantia distincte ; cependant, il est uni au Père en raison
patris, et exit ab eo in personam distinctam; et de l’indivision de la substance, car le Verbe
tamen est conjunctus patri propter indivisionem existe en Dieu. Ainsi ressort-il que les trois
substantiae, quia verbum apud Deum est; unde choses mentionnées plus haut, a. 1, et qui font
patet quod salvantur suo modo tria illa quae partie de la raison de naissance, sont-elles
dicebantur supra, art. 1, esse de ratione nativitatis; préservées. Pour cette raison, on dit qu’il est issu
et propter hoc dicitur oriri, et gigni, et nasci. Sed de, qu’il est engendré et qu’il naît. Mais sa
processio ejus temporalis, qua procedit a matre, procession temporelle, par laquelle il procède de
habet nativitatis rationem, sicut cujuslibet alterius sa mère, a raison de naissance, comme c’est le
qui ex sua matre nascitur. Unde sicut duae sunt cas de n’importe qui qui naît de sa mère.
ejus processiones, ut dictum est, in 1 libro, dist. Puisqu’il y a deux processions, comme on l’a dit,
14, qu. 1, art. 2, ita etiam sunt duae nativitates. livre I, d. 14, q. 1, a. 2, il y a donc aussi deux
naissances.
[8490] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 1. Bien que naître soit le fait de la personne, cela
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis nasci en est cependant le fait en raison de la nature.
sit personae, est tamen ejus ratione naturae; unde Aussi [le Christ] a-t-il eu deux naissances selon
secundum duas naturas quas per generationem les deux natures qu’il a reçues par génération.
accepit, habet duas nativitates.
[8491] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 2. Bien qu’il n’y ait qu’un seul être dans le
Ad secundum dicendum, quod quamvis in Christo Christ, cependant, selon celui-ci, il possède un
sit unum esse, tamen secundum illud habet rapport avec les deux natures, comme on l’a dit
respectum ad duas naturas, ut supra, dist. 6, qu. 2, plus haut, d. 6, q. 2, a. 2. Ainsi, la naissance est
art. 2, dictum est; et ita nativitas est duplex double selon le double rapport qu’acquiert la
secundum duplicem respectum qui acquiritur personne avec les deux natures reçues par
personae ad duas naturas acceptas per génération.
generationem.
[8492] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 3. Bien qu’il n’y ait pas une seule raison de la
Ad tertium dicendum, quod quamvis non sit una naissance éternelle et de la naissance temporelle,
ratio per univocationem aeternae et temporalis elles sont cependant une seule par analogie.
nativitatis, est tamen una per analogiam.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8493] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Puisque « deux fois » est un adverbe, cela
Ad secundam quaestionem dicendum, quod bis, affirme le nombre d’un acte. Puisque le
cum sit adverbium, ponit numerum circa actum. mouvement et l’acte sont comptés de trois
Cum autem motus et actus numerentur tripliciter: manières : selon le sujet, car il y a deux agents ;
300

scilicet ex subjecto, quia est alius et alius agens; et selon les termes, car il y a deux termes ; selon la
ex terminis, quia est aliud et aliud quod agitur; et mesure de l’acte, car on agit à tel et tel moment,
ex mensura actus, quia nunc et tunc agit: hoc cet adverbe « deux fois » ne comporte de nombre
adverbium bis non importat numerum, nisi qui que selon ce qui est causé par une mesure
causatur ex diversa mensura; unde non dicitur bis différente. Ainsi ne dit-on pas qu’on a lu deux
lectum esse, si duo legant, nec si duo libri simul fois si on lit deux choses, ni si deux livres sont
legantur; sed quando diversis horis legitur. Quia lus en même temps, mais lorsqu’on lit à des
autem in his quae aguntur in tempore non est alia heures différentes. Mais parce que, pour les
mensura nisi tempus, et hoc non est aliud et aliud, choses qui sont faites dans le temps, il n’existe
nisi quando discontinuatur; ideo bis dicitur factum pas d’autres mesure que le temps, et qu’il n’y a
esse, quando aliquid cum interruptione factum est. deux choses, sauf lorsqu’elles sont discontinues,
Aeternitas autem et tempus sunt diversae on dit que quelque chose a été fait deux fois
mensurae secundum diversam naturam, et non per lorsque quelque chose a été fait avec une
discontinuationem; unde quod fit in aeternitate et interruption. Or, l’éternité et le temps sont des
tempore, potest dici bis factum esse; quamvis id mesures différentes selon une nature différente,
quod aeternum est, non interrumpatur nec cesset. et non selon une discontinuité. On peut donc dire
que ce qui est fait dans l’éternité et dans le temps
a été fait deux fois, bien que ce qui est éternel ne
soit pas interrompu ni ne cesse.
[8494] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 1. Bien que la nature humaine survienne au Fils
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis de Dieu après que son être est achevé, le Fils de
humana natura adveniat filio Dei post esse Dieu subsiste cependant entièrement dans les
completum, tamen filius Dei totus subsistit in deux natures ; mais il n’en est pas de même pour
utraque natura: non autem ita est de toto homine la totalité de l’homme par rapport à la chevelure.
ad capillum; et ideo ratio non procedit. Le raisonnement n’est donc pas concluant.
[8495] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 2. Ce raisonnement vient de ce qui se fait dans le
Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit temps.
de his quae aguntur in tempore.
[8496] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 3. De même en est-il pour le troisième
Et similiter ad tertium; et ideo non sunt ad argumenet. Ils ne portent donc pas sur la
propositum. question en cause.

Articulus 5 [8497] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. Article 5 – Y a-t-il deux filiations chez le
5 tit. Utrum in Christo sint duae filiationes Christ ?
[8498] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il y ait deux filiations chez le
quintum sic proceditur. Videtur, quod in Christo Christ. En effet, si la cause est multipliée, l’effet
sint duae filiationes. Multiplicata enim causa, est multiplié. Or, la naissance est la cause de la
multiplicatur effectus. Sed nativitas est causa filiation. Puisqu’il y a deux naissances chez le
filiationis. Ergo cum in Christo sint duae Christ, il y aura donc aussi chez lui deux
nativitates, erunt in ipso duae filiationes. filiations.
[8499] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 2 2. Les choses relatives sont celles dont l’être
Praeterea, relativa sunt quorum esse est ad aliud consiste à exister par rapport à autre chose. Or,
se habere. Sed esse filiationis aeternae non est ad l’être de la filiation éternelle ne consiste pas à
matrem Christi se habere. Ergo per eam non exister par rapport à la mère du Christ. Il n’est
refertur ad matrem. Sed aliqua filiatione refertur donc pas en rapport avec sa mère par [cette
ad matrem. Ergo in Christo sunt duae filiationes. filiation]. Or, il est en rapport avec sa mère par
une certaine filiation. Il existe donc chez le
Christ deux filiations.
[8500] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 3 3. Les choses relatives s’affirment lorsqu’elles
Praeterea, relativa posita se ponunt, et interempta, existent, et elles s’effacent lorsqu’elles
301

se interimunt. Sed maternitate interempta a disparaissent. Or, si la maternité disparaît de la


virgine, non interimitur filiatio aeterna. Ergo Vierge, la filiation éternelle ne disparaît pas. Il
oportet ponere aliam filiationem, quae ponatur est donc nécessaire d’affirmer une autre filiation,
posita maternitate, et interimatur ea remota. qui existe lorsque la maternité existe, et qui
disparaît lorsque celle-ci est enlevée.
[8501] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 4 4. Un mouvement se diversifie par ses termes.
Praeterea, motus diversificatur per terminos. Sed Or, de même que le mouvement tire son espèce
sicut motus habet speciem a terminis, ita relatio. de ses termes, de même une relation. Puisque le
Ergo cum Christus sit filius patris et matris, Christ est le Fils de son Père et de sa mère, il est
oportet quod alia filiatione ad utrumque referatur. donc nécessaire qu’il soit en rapport avec les
deux selon une filiation différente.
[8502] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 5 5. Le Philosophe démontre que la science n’a pas
Praeterea, philosophus probat, quod scientia non de rapport avec celui qui connaît, car, puisqu’elle
refertur ad scientem: quia cum referatur ad scibile, est en rapport avec ce qui peut être connu et que
et hoc sit suum esse inquantum ad aliquid est, cela est son être en tant qu’elle est en rapport
oporteret, si diceretur ad scientem, quod haberet avec quelque chose, il faudrait qu’elle ait un
duplex esse. Si ergo filiatione refertur Christus ad double être, si elle était en rapport avec celui qui
patrem et matrem, oportet quod sint duae connaît. Si donc le Christ est en rapport avec son
filiationes secundum esse. Père et sa mère par la filiation, il est nécessaire
qu’il y ait deux filiations selon l’être.
[8503] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 arg. 6 6. Comme le Maître l’a dit, d. 1, le Père pourrait
Praeterea, sicut supra, dist. 1, Magister dixit, pater assumer la chair. Or, s’il avait assumé la chair de
posset carnem assumere. Sed si de virgine carnem la Vierge, il serait appelé le fils de la Vierge.
assumpsisset, filius virginis diceretur. Non autem Mais il n’aurait pas de rapport à la Vierge par
referretur ad virginem filiatione aeterna, quia eam une filiation éternelle, car il n’en a pas. Ce serait
non habet. Ergo filiatione temporali. Ergo eadem donc par une filiation temporelle. Il faudrait donc
ratione oportet in Christo ponere filiationem que, pour la même raison, on affirme du Christ
temporalem. une filiation temporelle.
[8504] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed Cependant, [1] la filiation est une propriété
contra, filiatio est proprietas personalis. Sed in personnelle. Or, dans le Christ, il n’y a qu’une
Christo est tantum una persona. Ergo tantum una seule personne. Il n’y a donc qu’une seule
filiatio. filiation.
[8505] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 2 [2] De même que le Christ est le fils de son Père
Praeterea, sicut Christus est filius patris et matris, et de sa mère, de même tout autre homme. Or, un
ita quilibet alius homo. Sed non alia filiatione homme n’est pas en rapport avec son père et sa
refertur homo ad patrem et matrem. Ergo nec in mère par une autre filiation. Il n’y a donc pas
Christo sunt duae filiationes. non plus deux filiations dans le Christ.
[8506] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 3 [3] Deux accidents ayant la même raison ne
Praeterea, duo accidentia ejusdem rationis non peuvent exister dans le même sujet : aussi est-ce
possunt esse in eodem subjecto: unde eadem par la même paternité qu’un homme est en
paternitate homo refertur ad multos filios. Sed rapport avec ses fils. Or, le suppôt de la filiation
suppositum filiationis in Christo est unum tantum. chez le Christ est unique. Il ne peut donc y avoir
Ergo in eo non possunt esse plures filiationes, sed chez lui plusieurs filiations, mais seulement une.
una tantum.
[8507] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 s. c. 4 [4] Tout continu est plus grand que ses parties.
Praeterea, quodlibet continuum est majus omnibus Or, en tout continu, il y a un nombre infini de
suis partibus. Sed in quolibet continuo sunt parties en puissance. Pour que quelque chose soit
infinitae partes in potentia. Ergo ad hoc quod en rapport avec diverses choses par des relations
aliquid referatur ad diversa per diversas différentes, il est donc nécessaire qu’existent des
relationes, oportet quod sint infinitae relationes in relations infinies dans un continu, ce qui est
302

aliquo continuo, quod est inconveniens; et iterum inapproprié. De plus, [il est nécessaire]
quod in quolibet continuo sint tot aequalitates qu’existent en tout continu autant d’égalités qu’il
quot rebus aequale est. est égal aux choses.
[8508] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 co. Réponse. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 26,
Respondeo dicendum, quod, sicut in 1 Lib. dist. q. 2, a. 2, la relation ne tient pas du fait qu’on la
26, qu. 2, art. 2, dictum est, relatio non habet ex définit par rapport à autre chose d’être quelque
hoc quod ad alterum dicitur, quod sit aliquid in chose dans la nature des choses, mais elle le tient
rerum natura; sed hoc habet ex eo quod du fait qu’elle cause une relation qui se trouve
relationem causat, quod est in re quae ad alterum dans ce qui cause la relation, ce qui existe dans
dicitur. Et quia ex eo res habet unitatem et la chose qui est en rapport avec quelque chose
multitudinem ex quo habet esse; ideo secundum d’autre. Et parce qu’une chose tire son unité et sa
id in quo relatio fundatur, judicandum de ea est, multitude de ce par quoi elle a l’être, il faut donc
utrum sit secundum rem una, vel plures. Sunt ergo juger si elle a une seule ou plusieurs [relations] à
quaedam relationes quae fundantur super partir de ce sur quoi la relation se fonde. Il y a
quantitatem, sicut aequalitas, quae fundatur super donc des relations qui se fondent sur la quantité,
unum in quantitate; et cum unitas quantitatis non comme l’égalité, qui se fonde sur ce qui est un
sit nisi una in re una, inde est quod per unam en quantité. Et parce qu’il n’y a qu’une seule
aequalitatem est res aequalis omnibus quibus unité de la quantité dans une chose unique, de là
dicitur aequalis. Aliae vero relationes fundantur vient que, par une seule égalité, une chose est
super actionem et passionem: et in istis égale à tout ce dont on dit qu’elle est égale. Mais
considerandum est, quod una passio respondet d’autres relations se fondent sur l’action et la
duabus actionibus, quando neutrum agens sufficit passion. Dans celles-ci, il fait considérer qu’une
per se ad actionem complendam, sicut est in eo seule passion correspond à deux actions, lorsque
qui una nativitate nascitur ex patre et matre; unde aucun des deux agents ne suffit par soi à
in patre et matre sunt duae relationes secundum accomplir l’action, comme c’est le cas chez celui
rem, sicut et duae actiones; sed in nato est una qui, par une seule naissance, naît de son père et
relatio secundum rem, secundum quam refertur ad de sa mère. Aussi, chez le père et chez la mère
patrem et ad matrem, sicut et passio una. Item existe-t-il deux relations réelles, comme il existe
considerandum est quod quaedam relationes non deux actions ; mais, chez celui qui est né, il
innascuntur ex actionibus secundum quod sunt in n’existe qu’une seule relation réelle, selon qu’il
actu, sed magis secundum quod fuerunt; sicut est en rapport avec son père et sa mère, de même
aliquis dicitur pater postquam ex actione est qu’une seule passion. De même faut-il
effectus consecutus; et tales relationes fundantur considérer que certaines relations ne proviennent
super id quod ex actione in agente relinquitur, pas des actions selon qu’elles existent en acte,
sive sit dispositio, sive habitus, sive aliquod jus mais plutôt selon qu’elles ont existé, comme
aut potestas, vel quidquid aliud est hujusmodi. quelqu’un est appelé père après qu’un effet a
Sed quia hoc quod relinquitur ex actionibus unius suivi l’action. Ces relations se fondent sur ce qui
speciei, non potest esse nisi unum; inde est quod reste de l’action dans l’agent, qu’il s’agisse
tales relationes etiam secundum rem non d’une disposition, d’un habitus, d’un droit ou
multiplicantur secundum diversas actiones, sed d’un pouvoir, ou de n’importe quoi de ce genre.
magis sunt unum secundum id quod ex actione Mais parce que ce qui est laissé par les actions
relinquitur: et propter hoc non sunt diversae d’une seule espèce ne peut être qu’un, de là vient
relationes secundum rem in patre uno qui generat aussi que de telles relations ne se multiplient pas
plures filios, nec in magistro uno qui docet plures en réalité selon les diverses actions, mais
discipulos. Si autem sint plures actiones qu’elles sont une seule chose selon ce qui est
secundum speciem, causant etiam plures laissé de l’action. Pour cette raison, il n’y a pas
relationes specie differentes. Unde cum Christus diverses relations réelles chez un père qui
non per unam generationem passivam se habeat engendre plusieurs fils, ni chez un seul maître
ad generationem activam patris et ad qui enseigne à plusieurs disciples. Mais s’il
generationem activam matris, sed per aliam et existe plusieurs actions selon l’espèce, elles
303

aliam; et hae duae generationes non sint unius causent aussi plusieurs relations différentes selon
generis, nedum unius speciei: nihil (ut videtur) l’espèce. Ainsi, puisque le Christ n’a pas un
impediret quin in Christo possent esse duae rapport avec la génération active de son Père et
filiationes secundum rem differentes, nisi avec la génération active de sa mère selon une
immediatum subjectum filiationis esset seule génération passive, mais selon deux
suppositum; quod quidem, secundum secundam [générations passives], et puisque ces deux
opinionem, non est nisi suppositum aeternum in générations ne sont ni du même genre ni de la
Christo. Et quia ex nullo temporali advenit rei même espèce, il semble que rien n’empêcherait
aeternae aliqua realis relatio, sed rationis tantum; qu’il puisse exister chez le Christ deux filiations
ideo filiatio quae consequitur Christum ex réellement différentes, que le fait pour le sujet
generatione temporali, non est realis, sed rationis immédiat de la filiation d’être le suppôt, lequel,
tantum; et tamen realiter filius est; sicut et Deus selon la deuxième opinion, n’est que le suppôt
realiter dominus ex hoc est quod creatura realiter éternel chez le Christ. Et parce qu’aucune
refertur ad ipsum. Unde concedo, quod in Christo relation réelle , mais de raison seulement,
non est nisi una filiatio realis, qua refertur ad n’advient à une réalité éternelle depuis une
patrem, et respectus quidam rationis quo refertur réalité temporelle, c’est pourquoi la filiation
ad matrem. Tamen prima opinio, quae ponit duo qu’obtient le Christ par sa génération temporelle
supposita, posset ponere duas filiationes; nec n’est pas réelle, mais de raison seulement.
tamen poneret duos filios masculine, sed duo filia Cependant, il est réellement fils, comme Dieu est
neutraliter, si Latine diceretur. réellement Seigneur du fait que la créature est
réellement en rapport avec lui. Je concède donc
que, chez le Christ, il n’existe qu’une seule
filiation réelle, par laquelle il est en rapport avec
son Père, et un rapport de raison par lequel il est
en rapport avec sa mère. Cependant, la première
opinion, qui affirme deux suppôts, pourrait
affirmer deux filiations, mais elle n’affirmerait
cependant pas deux fils au masculin, mais deux
fils au neutre, si elle était exprimée en latin.
[8509] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. La naissance temporelle ou la génération
primum ergo dicendum, quod nativitas passive du Christ est une relation qui se fonde en
temporalis, sive generatio passiva, Christi est réalité sur la nature humaine ; pour cette raison,
quaedam relatio quae secundum rem fundatur in on dit aussi qu’il est né, comme un homme. Mais
humana natura; et ex hoc nominatur natus, sicut et le sujet de la filiation ne peut être la nature,
homo: sed subjectum filiationis non potest esse puisqu’elle est le fait de ce qui possède une
natura, cum sit ejus quod habet complementum espèce achevée, ainsi qu’on l’a dit plus haut.
speciei, ut supra dictum est; et ideo duae Aussi deux naissances causent-elles deux
nativitates causant duas filiationes; sed unam filiations, mais une seule [filiation] réelle, et
tantum secundum rem, et aliam secundum l’autre selon la raison.
rationem.
[8510] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. Le Philosophe n’entend pas l’être selon qu’on
secundum dicendum, quod philosophus non parle de l’acte de ce qui est (actus entis) : en
accepit esse secundum quod dicitur actus entis effet, une relation ne tient pas son être de ce dont
(sic enim relatio non habet esse ex eo ad quod elle affirmée, mais de son sujet, comme tous les
dicitur, sed ex subjecto, sicut omnia alia autres accidents ; mais il entend l’être de la
accidentia), sed accipit esse pro quidditate, vel quiddité ou de la raison que signifie la définition.
ratione, quam significat definitio. Ratio autem Or, la raison de relation vient du rapport à une
relationis est ex respectu ad alterum. Unde ex hoc autre chose. Du fait donc que le Fils de Dieu est
quod filius Dei refertur ad matrem, non oportet en rapport avec sa mère, il n’est pas nécessaire
quod habeat aliam filiationem secundum rem, sed qu’il possède une autre relation réelle, mais un
304

alium respectum relationis. autre rapport de relation.


[8511] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. La maternité affirmée établit un autre rapport
tertium dicendum, quod maternitas posita ponit chez le Christ et, si on l’enlève, on enlève ce
alium respectum in Christo, et remota removet rapport ; mais il n’est pas nécessaire qu’elle
illum respectum; sed non oportet quod ponat affirme une autre filiation réelle.
aliam filiationem realem.
[8512] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. Tout mouvement est quelque chose de réel,
quartum dicendum, quod omnis motus est aliquid mais non pas toute relation. Bien que les rapports
secundum rem, non autem omnis relatio. Ergo de relation se mltiplient selon les termes, il n’est
quamvis ex terminis multiplicentur respectus cependant pas nécessaire que les relations réelles
relationis, non tamen oportet quod multiplicentur se multiplient, comme les mouvemments se
relationes secundum rem, sicut motus multiplient réellement selon la diversité des
multiplicantur secundum rem ex diversitate termes.
terminorum.
[8513] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 5 Ad 5. Le rapport de la science à celui qui connaît et
quintum dicendum, quod respectus scientiae ad à l’objet de la science ne relève pas de la même
scientem et ad scibile, non est unius rationis; sed raison ; mais le rapport à celui qui connaît existe
respectus ejus ad scientem inest ei ex hoc quod est chez lui du fait qu’elle est un accident, alors que
accidens; respectus autem ejus ad scibile inest ei son rapport à l’objet de la science lui vient de ce
ex hoc quod est scientia; unde si referretur, qu’elle est science. Si donc elle se rapportait aux
inquantum est scientia, ad utrumque, oportet quod deux en tant qu’elle est science, il faudrait qu’il y
essent respectus diversi secundum speciem. Sed ait des rapports différents selon l’espèce. Or, le
respectus filii ad patrem et ad matrem est ad rapport du Fils à son Père et à sa mère existe par
terminos unius rationis; unde non oportet quod sit rapport à des termes qui ont une seule raison. Il
diversa relatio secundum speciem, neque n’est donc pas nécessaire qu’existe une relation
secundum rem. différente selon l’espèce ni selon la réalité.
[8514] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 ad 6 Ad 6. Si le Père avait assumé la chair de la Vierge, il
sextum dicendum, quod si pater carnem serait le fils de la Vierge, non pas par une
assumpsisset de virgine, esset filius virginis, non filiation réelle, dont le suppôt éternel serait le
quidem per aliquam realem filiationem, cujus sujet, mais selon un rapport de raison seulement.
suppositum aeternum subjectum esset, sed per
respectum rationis tantum.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


8
[8515] Super Sent., lib. 3 d. 8 q. 1 a. 5 expos.
Hoc est Deum nasci de virgine, scilicet hominem
assumere. Verum est, si humana natura dicatur
homo; et si assumere dicatur ad se sumere, vel in
se, quod divinae naturae non convenit.

Distinctio 9 Distinction 9 – [La nature humaine et son


union à la nature divine]

Quaestio 1 Question 1 – [Qu’est-ce que la latrie ?]


Prooemium Prologue
[8516] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de ce qui convient à la
Magister determinavit quid conveniat naturae nature divine du fait de l’union à la nature
divinae ex unione ad humanam, hic determinat humaine, le Maître détermine ici de ce qui
quid conveniat humanae ex unione ad divinam, convient à la nature humaine du fait de son union
305

quod scilicet adoratur adoratione latriae. Dividitur à la nature divine, à savoir, qu’elle est adorée
autem haec pars in duas partes: in prima movet d’une adoration de latrie. Cette partie se divise
quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ideo en deux : dans la première, il soulève une
quibusdam videtur non illa adoratione quae latria question ; dans la seconde, il en détermine, à cet
dicitur, carnem Christi vel animam esse endroit : « C’est ainsi qu’il semble à certains que
adorandam. Et haec dividitur in duas partes la chair ou l’âme du Christ ne doive pas être
secundum quod duas opiniones ponit; secunda adorée selon l’adoration qu’on appelle latrie. »
incipit ibi: aliis autem placet Christi humanitatem Celle-ci se divise en deux parties, selon les deux
una adoratione cum verbo esse adorandam. Et opinions qu’elle présente ; la seconde commence
haec dividitur in tres: in prima ponit solutionem; à cet endroit : « D’autres acceptent que
in secunda respondet ad objectionem factam in l’humanité du Christ soit adorée comme le Verbe
contrarium, ibi: nec qui hoc facit, idolatriae reus selon une seule adoration. » Celle-ci se divise en
judicari potest; in tertia confirmat solutionem, ibi: trois parties : dans la première, il présente la
de hoc Joannes Damascenus ita ait. Hic est solution ; dans la deuxième, il répond à
duplex quaestio. Primo enim quaeritur de latria. l’objection soulevée en sens contraire, à cet
Secundo de dulia. Circa primum quaeruntur tria: 1 endroit : « Et celui qui fait cela ne doit pas être
quid sit latria; 2 cui debetur; et habito quod soli jugé coupable d’idolatrie » ; dans la troisième, il
Deo, quaeritur; 3 qualiter sit ei exhibenda. confirme la solution, à cet endroit : « À ce
propos, Jean Damascène parle ainsi. » Ici, il y a
deux questions. En effet, en premier lieu, on
s’interroge sur [le culte] de latrie ; en second
lieu, sur [le culte] de dulie. À propos du premier
point, trois questions sont posées : 1 – Qu’est-ce
que [le culte] de latrie ? 2 – À qui est-il dû, et
une fois reconnu qu’il est dû à Dieu seulement, 3
– On se demande comment il doit être
manifesté ?

Articulus 1 [8517] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. Article 1 – Le culte de latrie est-il une vertu
1 tit. Utrum latria sit virtus, vel donum ou un don ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il une
vertu ?]
[8518] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que le culte de latrie ne soit pas une
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod latria vertu. En effet, toute vertu existe dans la volonté
non sit virtus. Omnis enim virtus in libera libre. Or, la servitude s’oppose à la liberté.
voluntate consistit. Sed servitus libertati Puisque le culte de latrie est une servitude,
opponitur. Cum ergo latria sit servitus, ut dicitur comme il est dit dans le texte, il semble donc
in littera, videtur quod non sit virtus. qu’il ne soit pas une vertu.
[8519] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Toute vertu consiste principalement dans un
2 Praeterea, omnis virtus consistit principaliter in acte de la volonté. Or, le culte de latrie consiste
actu voluntatis. Sed latria consistit in actu dans un acte extérieur : l’offrande de sacrifices.
exteriori, scilicet in exhibitione sacrificiorum. Il semble donc qu’il ne soit pas une vertu.
Ergo videtur quod non sit virtus.
[8520] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Il relève du culte de latrie de manifester une
3 Praeterea, ad latriam pertinet reverentiam Deo révérence envers Dieu. Or, cela relève du don de
exhibere. Hoc autem ad donum timoris pertinet. crainte. Le culte de latrie est donc un don et non
Ergo latria est donum, et non virtus. une vertu.
[8521] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4. Le culte de latrie porte un autre nom : la piété,
4 Praeterea, latria dicitur alio nomine pietas, ut comme on le lit dans le texte. Or, la piété est un
habetur ex littera. Sed pietas est donum. Ergo don. Le culte de latrie n’est donc pas une vertu,
306

latria non est virtus, sed donum. mais un don.


[8522] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] être louable est propre à la vertu,
1 Sed contra, laudabile, secundum philosophum, selon le Philosophe. Or, l’acte de latrie est
est proprium virtutis. Sed actus latriae est maxime louable au plus haut point. La latrie est donc une
laudabilis. Ergo latria est virtus. vertu.
[8523] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Tout acte qui tombe sous un précepte de la
2 Praeterea, omnis actus qui cadit in praecepto loi est un acte de vertu, car « l’intention du
legis, est actus virtutis: quia intentio legislatoris législateur est d’inciter l’homme à la vertu »,
est inducere hominem ad virtutem, ut dicitur 2 comme il est dit dans Éthique, II. Or, l’acte de
Ethic. Sed actus latriae praecipitur per primum latrie est ordonné par le premier commandement.
mandatum. Ergo latria est virtus. La latrie est donc une vertu.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le culte de latrie est-il une
vertu générale ?]
[8524] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que [le culte de latrie] soit une vertu
1 Ulterius. Videtur quod sit virtus generalis. générale. En effet, Augustin dit : « Le vrai
Augustinus enim dicit: verum sacrificium est sacrifice est l’acte qui est fait afin que nous
omne opus quod geritur, ut sancta societate Deo soyons unis en une sainte société avec Dieu. »
jungamur. Sed hujusmodi est omne opus virtutis. Or, tout acte de vertu est de cette sorte. Tout acte
Ergo omne opus virtutis est verum sacrificium. de vertu est donc un sacrifice véritable. Or, offrir
Sed sacrificium Deo offerre proprie pertinet ad à Dieu un sacrifice relève à proprement parler du
latriam. Ergo ad ipsam pertinent omnes actus culte de latrie. Tous les actes des vertus relèvent
virtutum; et sic ipsa est virtus generalis. donc de clui, et ainsi il est une vertu générale.
[8525] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Dieu est servi par tout acte de vertu.
2 Praeterea, per omne opus virtutis Deo servitur Lc 17, 10 : Ainsi, vous, lorsque vous accomplirez
Luc. 17, 10: sic et vos, cum feceritis omnia quae tout ce qui vous est ordonné, dites : « Nous
praecepta sunt vobis, dicite: servi inutiles sumus. sommes des serviteurs inutiles. » Or, le culte de
Sed latria est servitus Deo debita. Ergo omne opus latrie est un service dû à Dieu. Tous les actes des
virtutum pertinet ad latriam; et sic idem quod vertus relèvent donc du culte de latrie. La
prius. conclusion est ainsi la même que précédemment.
[8526] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Quiconque fait quelque chose pour la gloire
3 Praeterea, quicumque facit aliquid ad gloriam d’un autre lui manifeste de la révérence. Or, en
alicujus, exhibet ei reverentiam. Sed apostolus, 1 1 Co 10, l’Apôtre enseigne de tout faire pour la
Corinth. 10, docet omnia in gloriam Dei facere. gloire de Dieu. La révérence envers Dieu est
Ergo per omnia opera virtutis recte facta exhibetur donc manifestée par tous les actes de vertu
Deo reverentia. Sed reverentiam Deo exhibere correctement accomplis. Or, manifester de la
pertinet ad latriam. Ergo ipsa est virtus generalis. révérence envers Dieu relève du culte de latrie.
Celle-ci est donc une vertu générale.
[8527] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] une vertu générale n’est pas
1 Sed contra, virtus generalis non praecipitur ordonnée par un précepte de la loi, mais par toute
speciali legis praecepto, sed tota lege, sicut patet la loi, comme cela ressort pour la justice légale.
de justitia legali. Sed latria praecipitur speciali Or, le culte de latrie est ordonné par un précepte
praecepto, scilicet per primum primae tabulae. particulier, le premier de la première table. Il est
Ergo est virtus specialis. donc une vertu spéciale.
[8528] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Une vertu spéciale s’oppose à un vice
2 Praeterea, vitio speciali opponitur virtus particulier ; ainsi le Philosophe démontre-t-il que
specialis; unde philosophus probat justitiam esse la justice est une vertu particulière parce qu’elle
specialem virtutem propter hoc quod ei opponitur s’oppose à l’avarice, qui est un vice particulier.
avaritia, quae est speciale vitium. Sed latriae Or, un vice particulier s’oppose au culte de
opponitur speciale vitium, scilicet idolatria. Ergo l’idolatrie. Il est donc une vertu particulière.
est specialis virtus.
307

Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le culte de latrie est-il une


vertu théologale ?]
[8529] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il soit une vertu théologale. En
1 Ulterius. Videtur quod sit virtus theologica. effet, Augustin dit dans l’Enchiridion : « Si on se
Augustinus enim dicit in Enchir.: si quaeratur demande comment un culte est rendu à Dieu,
quomodo colitur Deus, respondetur, fide spe, et qu’on réponde : par la foi, l’espérance et la
caritate. Sed latria dicitur cultus Dei, ut ex littera charité. » Or, « on appelle latrie le culte rendu à
habetur. Ergo latria est fides, spes, et caritas; quae Dieu », comme on le lit dans le texte. Le culte de
sunt virtutes theologicae. latrie est donc la foi, l’espérance et la charité, qui
sont des vertus théologales.
[8530] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Une vertu théologale est celle qui a Dieu pour
2 Praeterea, virtus theologica est quae habet objet, comme la foi par laquelle on croit en Dieu,
Deum pro objecto, sicut fides qua creditur Deus; et ainsi des autres. Or, le culte de latrie a Dieu
et sic de aliis. Sed latria habet Deum pro objecto, pour objet, car il lui rend un culte. Le culte de
quia ea colitur. Ergo latria est virtus theologica. latrie est donc une vertu théologale.
[8531] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Toute vertu cardinale garde le milieu entre le
3 Praeterea, omnis virtus cardinalis tenet medium superflu et le manque. Or, le culte de latrie n’est
inter superfluum et diminutum. Sed latria non est pas de cette sorte, car on ne peut pas trop rendre
hujusmodi; quia Deus non potest nimis coli. Ergo de culte à Dieu. Le culte de latrie n’est donc pas
latria non est virtus cardinalis, sed theologica. une vertu cardinale, mais théologale.
[8532] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, aucune vertu théologale ne possède
1 Sed contra, nulla virtus theologica habet actum d’acte extérieur. Or, l’acte du culte de latrie
exteriorem. Sed latriae actus est sacrificium consiste à offrir un sacrifice, qui est un acte
offerre, qui est actus exterior. Ergo non est virtus extérieur. Elle n’est donc pas une vertu
theologica. théologale.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [À quelle vertu cardinale se
ramène le culte de latrie ?]
[8533] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1. À quelle vertu cardinale se ramène [le culte de
1 Ulterius. Quaeritur, ad quam virtutem latrie]. Il semble que ce ne soit pas à la justice,
cardinalium reducatur; et videtur quod non ad dont il semble davantage relever. En effet, la
justitiam, de qua magis videtur. Justitia enim justice, selon qu’elle est une vertu particulière,
secundum quod est specialis virtus una de quatuor l’une des quatre vertus cardinales, consiste dans
cardinalibus, consistit, secundum philosophum, in les échanges de la vie active. Or, dans la vie
communicatione activae vitae. Sed in praesenti présente, il n’y a pas d’échanges avec Dieu.
vita non est nobis communicatio cum Deo: unde Ainsi est-t-il dit en Dn 10 : Les dieux mis à part,
dicitur Danielis cap. 10: exceptis diis, quorum non qui n’ont pas d’échanges avec les hommes. [Le
est cum hominibus conversatio. Ergo non potest culte de latrie] ne peut donc pas être une partie
esse species justitiae. de la justice.
[8534] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2. Selon le Philosophe, Éthique, V, il n’existe
2 Praeterea, secundum philosophum, 5 Ethic., non pas de justice au sens propre entre le seigneur et
est justitia proprie dicta inter dominum et servum: le serviteur, pas davantage entre quelqu’un et lui-
sicut nec alicujus ad se: quia servus quod est et même, car ce qu’est et ce que possède le
quod habet, domini est: similiter nec patris ad serviteur appartiennent au seigneur ; et pas
filium, qui est quasi pars ejus. Sed nos habemus davantage entre le père et le fils, qui est une
nos ad eum sicut servi ad dominum, et filii ad partie de lui. Or, nous sommes par rapport à
patrem. Ergo non est justitia nostri ad Deum; et ita [Dieu] comme des serviteurs par rapport à leur
latria non est pars justitiae. seigneur et des fils par rapport à leur père. Il
n’existe donc pas de justice entre nous et Dieu, et
ainsi la latrie n’est pas une partie de la justice.
[8535] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3. La justice consiste au sens propre dans
308

3 Praeterea, justitia proprie in aequalitate l’égalité, comme le dit le Philosophe dans


consistit, sicut dicit philosophus 5 Ethic. Sed non Éthique, V. Or, nous ne pouvons pas nous égaler
est possibile nos aequari Deo secundum opus à Dieu par un de nos actes. Il ne peut donc y
nostrum. Ergo non potest esse justitia nostri ad avoir de justice entre nous et Dieu. La
Deum; et sic idem quod prius. conclusion est ainsi la même que précédemment.
[8536] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. Cependant, [1] Tullius [Cicéron], dans la
1 Sed contra, Tullius in rhetorica, ponit Rhétorique, affirme que « la religion est une
religionem speciem justitiae. Sed religio, partie de la justice ». Or, la religion, selon qu’il
secundum quod ipse accipit, est idem quod latria: l’entend, est la même chose que le culte de latrie,
quia religio, secundum eum, est quae superiori car la religion, selon lui, est « celle qui rend un
cuidam naturae (quam divinam vocant) cultum culte et des cérémonies à une nature (qu’on
caeremoniamque affert. Ergo latria est species appelle divine) ». Le culte de latrie est donc une
justitiae. espèce de la justice.
[8537] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. [2] Rendre ce qu’on doit est un acte de justice.
2 Praeterea, reddere debitum, actus est justitiae. Or, la latrie est un culte dû à Dieu. Elle manifeste
Sed latria est cultus Deo debitus; unde exhibet donc à Dieu ce qui lui est dû. Le culte de latrie
Deo quod ei debetur. Ergo latria est pars justitiae. est donc une partie de la justice.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8538] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Lorsque quelque chose de commun se trouve
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, dans plusieurs choses, si on le trouve d’une
quod quando aliquid commune in multis manière particulière dans l’une d’elles, cela porte
invenitur, si in aliquo eorum secundum specialem un nom particulier, comme le nez courbe est
modum inveniatur, habet etiam nomen speciale, appelé camus. De même, alors qu’une
sicut nasus curvus dicitur simus. Similiter cum soumission peut être manifestée à plusieurs, elle
obsequium diversis possit exhiberi, speciali est due à Dieu d’une manière particulière et
quodam et supremo modo Deo debetur, quia in eo suprême, car la raison de majesté et de
est suprema ratio majestatis et dominii; et ideo seigneurie existe en lui d’une manière suprême.
servitium vel obsequium quod ei debetur, speciali Le service ou la soumission qui lui est dû porte
nomine nominatur et dicitur latria. Hoc autem donc un nom particulier : le culte de latrie. Or, ce
nomen tripliciter sumitur: quandoque enim pro eo nom a un triple sens. En effet, il s’entend parfois
quod Deo in obsequium exhibetur, sicut de ce qui est manifesté à Dieu comme une
sacrificium, genuflexiones, et hujusmodi; soumission : ainsi, le sacrifice, les génuflexions
quandoque autem pro ipsa exhibitione; quandoque et les choses de ce genre. Mais il s’entend parfois
vero pro habitu quo exhibetur obsequium; et de la manifestation elle-même. Parfois encore, [il
primo modo latria non est virtus, sed materia s’entend] de l’habitus par lequel la soumission
virtutis; secundo modo est actus virtutis; tertio est manifestée. Selon le premier sens, le culte de
modo est virtus; et nominatur haec virtus quatuor latrie n’est pas une vertu, mais la matière d’une
nominibus: dicitur enim pietas quantum ad vertu. Selon le deuxième sens, il est un acte de
effectum devotionis, quod primum occurrit. vertu. Selon le troisième sens, il est une vertu, et
Dicitur etiam theosebia, idest divinus cultus vel cette vertu porte quatre noms. En effet, elle est
eusebia, idest bonus cultus, quantum ad appelée « piété » du point de vue de l’effet de la
intentionem attentam; illud enim coli dicitur cui dévotion qui se présente en premier. Elle
studiose intenditur, sicut ager vel animus, vel s’appelle aussi theosebia, c’est-à-dire culte divin
quidquid aliud. Dicitur etiam latria, idest servitus, ou eusebia, c’est-à-dire culte bon, du point de
quantum ad opera quae exhibentur in vue de l’intention visée : en effet, on dit que
recognitionem dominii quod Deo competit ex jure quelque chose est traité avec soin (coli)
creationis. Dicitur etiam religio quantum ad lorsqu’on s’y adonne avec application, comme
determinationem operum ad quae homo se un champ ou un animal, ou n’importe quoi
obligando in cultum Dei determinat. Quibus d’autre. Elle s’appelle aussi « latrie », c’est-à-
tamen nominibus una et eadem virtus nominatur dire service, du point de vue des actes qui sont
309

secundum diversa quae ad ipsa concurrunt. manifestés en reconnaissance de la seigneurie


qui appartient à Dieu par droit de création. Elle
s’appelle encore « religion » du point de vue de
la détermination des actes auxquels l’homme
s’applique en s’obligeant au culte de Dieu. Une
seule et même vertu est cependant exprimée par
ces quatre noms, selon les diverses choses qui y
concourent.
[8539] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Selon le Philosophe, au début de la
Ad primum ergo dicendum, quod secundum Métaphysique, est libre celui qui est cause de lui-
philosophum in principio Metaph., liber est qui même ; aussi celui qui agit pour un autre est-il
sui causa est; unde servus dicitur qui causa appelé « serviteur », et ce qui est accompli pour
alterius est, et servitium quod causa alterius un autre, « service ». Mais on agit pour un autre
agitur. Sed alterius causa agi est dupliciter: vel de deux manières : soit à titre de fin, comme le
sicut finis, sicut servus non lucratur sibi sed serviteur ne gagne pas pour lui-même mais pour
domino: vel sicut moventis, sicut servus non le seigneur ; soit à titre de moteur, comme le
proprio motu, sed motus sicut instrumentum serviteur n’agit pas de sa propre initiative, mais
domini, operatur. Servitium ergo quantum ad hoc il est mû comme un instrument du maître. Le
secundum tollit libertatem voluntatis, et per service, en ce second sens, enlève donc la liberté
consequens virtutem; sed quantum ad primum de la volonté et, par conséquent, la vertu ; mais
non, quia homo potest propter alterum operari non au premier sens, parce qu’un homme peut
quod ei debet, etiam propria voluntate; et faire pour autre ce qu’il lui doit, même de sa
secundum hoc latria dicitur servitus. propre volonté. C’est en ce sens que le culte de
latrie est appelé un service.
[8540] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Bien que la vertu tienne son caractère de vertu
Ad secundum dicendum, quod quamvis virtus d’un acte intérieur, le choix, elle tient d’un acte
habeat quod sit virtus ex actu interiori, scilicet ex extérieur d’être une vertu déterminée, car notre
electione; tamen quod sit determinata virtus, habet choix est déterminé par l’acte extérieur qui est
ex actu exteriori: quia nostra electio determinatur choisi, selon lequel la vertu atteint son objet
per actum exteriorem qui elicitur, secundum quem propre ou sa matière, dont l’acte ou l’habitus
attingit virtus proprium objectum, vel materiam, reçoit son espèce. C’est pourquoi certaines
ex quo specificatur actus vel habitus; ideo virtutes vertus ont des actes extérieurs, et non seulement
quaedam habent actus exteriores, non solum intérieurs, comme cela est clair pour la force et la
interiores, sicut patet de fortitudine et justitia. justice.
[8541] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Révérer, en tant que tel, est un acte de crainte ;
Ad tertium dicendum, quod revereri, inquantum mais manifester de la révérence, en tant que cela
hujusmodi, est actus timoris; sed exhibere est dû à Dieu, relève au sens propre du culte de
reverentiam, inquantum est Deo debitum, est latrie. Il n’en découle donc pas que la latrie et le
proprie latriae; unde non sequitur idem esse don de crainte soient la même chose, de même
latriam et timoris donum; sicut etiam pugnare aussi que combattre fortement est un acte de la
viriliter est actus fortitudinis, inquantum force en tant que tel, mais combattre comme
hujusmodi; sed pugnare in acie regis inquantum soldat dans l’armée du roi lui est dû en raison du
miles, hoc debet ei propter feudum quod tenet ab fief tenu de lui, et cela est un acte de justice.
eo; et est actus justitiae.
[8542] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 4. La piété, en tant que don, consiste dans une
Ad quartum dicendum, quod pietas, inquantum est certaine bienveillance envers tous dépassant la
donum, consistit in quadam benevolentia supra mesure humaine ; mais la piété, selon qu’on
modum humanum ad omnes: sed pietas secundum l’entend ici, consiste dans une certaine dévotion
quod hic accipitur, consistit in quadam devotione envers Dieu, à qui le culte de latrie est manifesté.
ad Deum, cui latria exhibetur; et hoc infra in Cela deviendra plus clair plus loin, dans le traité
310

tractatu de donis melius patebit. sur les dons.


Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8543] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Une vertu est appelée générale de quatre
Ad secundam quaestionem dicendum, quod aliqua manières. D’une manière, parce qu’elle est
virtus dicitur generalis quatuor modis. Uno modo prédiquée de toute vertu, comme « la justice
quia praedicatur de qualibet virtute, sicut justitia légale, qui est convertible avec la vertu et est la
legalis, quae convertitur cum virtute, et est idem même chose par leur sujet, mais diffère selon la
subjecto, ratione differens, ut dicit philosophus: et raison », comme le dit le Philosophe. Une vertu
sic dicitur generalis quantum ad suam essentiam. est ainsi appelée générale quant à son essence.
Secundo modo dicitur generalis, inquantum ab ea D’une deuxième manière, une vertu est appelée
dependent aliae virtutes participantes ejus actum; générale dans la mesure où dépendent d’elle
et hoc modo prudentia generalis dicitur, quia ex d’autres vertus qui participent à son acte. De
ea omnes aliae virtutes morales rectitudinem cette manière, la prudence est appelée générale,
electionis participant, et sic actus ejus immiscetur car toutes les autres vertus morales participent à
actibus omnium aliarum virtutum: nihilominus la rectitude du choix, et ainsi son acte est mêlé
ipsa in se est specialis secundum quod habet aux actes de toutes les autres vertus ; toutefois,
specialem rationem objecti, scilicet eligibile ad elle est en elle-même une vertu particulière selon
opus. Tertio modo dicitur generalis, inquantum qu’elle possède une raison spéciale quant à son
operatur circa actus omnium virtutum, ita quod objet, à savoir, ce qui peut être choisi comme
omnes cedunt ei pro materia; sicut magnanimitas, action. D’une troisième manière, [une vertu] est
quae operatur magna in omnibus virtutibus, ut appelée générale dans la mesure où elle agit sur
dicitur 4 Eth.; et tamen in se specialis virtus est, les actes de toutes les vertus, de telle sorte que
quia rationem specialem objecti in omnibus toutes deviennent pour elle une matière. Ainsi,
attendit, scilicet dignum magno honore. Quarto « la magnanimité, qui fait de grandes choses en
dicitur aliqua virtus generalis, inquantum ad eam toutes les vertus », comme il est dit dans
concurrunt diversae virtutes, quia scilicet actus Éthique, IV. Cependant, elle est en elle-même
ejus praeexigit actus multarum virtutum; sicut une vertu particulière, car elle considère en
etiam ad magnanimitatem praeexiguntur aliae toutes [les vertus] la raison spéciale de son objet,
virtutes, quia nullus potest dignificari magnis nisi à savoir, ce qui est digne d’un grand honneur.
virtuosus sit. Prima ergo generalitas, est quasi Une vertu est appelée générale d’une quatrième
universalis; secunda quasi causae dantis esse; manière pour autant que diverses vertus y
tertia quasi moventis per imperium; quarta quasi concourent, car ses actes exigent au préalable des
totius integralis comprehendentis multa. Sic ergo actes de plusieurs vertus. Ainsi, d’autres vertus
dicendum est, quod latria in se considerata est sont exigées au préalable pour la magnanimité,
specialis virtus, quia habet specialem rationem car personne ne peut être louangé pour de
objecti et actus, scilicet ut exhibeatur aliquid Deo grandes choses à moins d’être vertueux. Le
in recognitionem servitutis, sicut feudatarius premier caractère général est donc pour ainsi dire
aliquid reddit domino suo in recognitionem universel ; le deuxième est celui d’une cause qui
dominii: unde actum et objectum habet formaliter donne l’être ; le troisième est celui de ce qui
unum et specialem quantum ad praedictam meut par mode de commandement ; le
rationem; quamvis materialiter sint multi actus et quatrième, celui d’un tout intégral qui comprend
multa objecta. Potest autem dici generalis plusieurs choses. Il faut donc dire que le culte de
quantum ad duos ultimos modos. Potest enim uti latrie, considéré en ;ui-même, est une vertu
actibus aliarum virtutum materialiter sub particulière, car il a une raison particulière pour
praedicta ratione proprii objecti; et iterum ad son objet et son acte, à savoir, une certaine
actum ejus praeexiguntur multae virtutes aliae, manifestation adressée à Dieu en reconnaissance
sicut fides quae ostendit cui exhibenda sit latria, et d’une servitude, comme un feudataire rend
caritas, quae afficit ad eum cui exhibenda est; et quelque chose à son seigneur en reconnaissance
sic possunt multae aliae concurrere. Quamvis de sa seigneurie. [Le culte de latrie] possède
autem utatur materialiter actibus aliarum virtutum donc formellement un seul acte et objet selon la
311

sub ratione proprii actus, tamen utitur quibusdam raison déjà mentionnée, bien que, du point de
actibus qui non sunt proprii alicujus alterius vue de la matière, il y ait plusieurs actes et
virtutis elicitive, sicut offerre sacrificia, facere plusieurs objets. Mais il peut être appelé général
protestationes, et hujusmodi: nisi forte sicut selon les deux derniers modes [de généralité]. En
imperantur a caritate et ostenduntur a fide, non effet, il peut utiliser comme son objet propre et à
autem eliciuntur; et isti videntur proprie actus esse titre de matière les actes d’autres vertus ; de plus,
latriae. plusieurs autres vertus sont exigées au préalable
pour son acte, comme la foi qui montre à qui il
doit être manifesté. Plusieurs autres [vertus]
peuvent ainsi y concourir. Mais, tout en utilisant
comme matière les actes d’autres vertus selon la
raison de son acte propre, [le culte de latrie]
utilise cependant certains actes qui ne relèvent
pas à proprement parler d’une autre vertu,
comme offrir des sacrifices, témoigner et les
choses de ce genre ; bien qu’ils soient
commandés par la charité et désignés par la foi,
ils n’en sont cependant pas issus. De tels actes
semblent être au sens propre les actes du culte de
latrie.
[8544] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Offrir des sacrifices fait seulement partie des
Ad primum ergo dicendum, quod offerre actes qui sont choisis par le culte de latrie. Aussi
sacrificia est tantum de illis quae pertinent ad ce qui est dit, que « tout acte par lequel nous
latriam elicitive; unde hoc quod dicitur, omne sommes unis à Dieu est un sacrifice », est-il dit
opus quo Deo jungimur, esse sacrificium, est métaphoriquement, pour autant que cela rend
metaphorice dictum; inquantum Deum placabilem Dieu favorable, raison pour laquelle le sacrifice
reddit, ad quod sacrificium offertur. est offert.
[8545] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Une chose est de servir Dieu, une autre,
Ad secundum dicendum, quod aliud est Deo manifester quelque chose en reconnaissance
servire, et aliud exhibere aliquid in recognitionem d’une servitude. En effet, la première chose est
servitutis: primum enim omnis virtutis commune commune à toute vertu ; la seconde chose est le
est; secundum autem proprium est latriae; unde propre du culte de latrie. Aussi le culte de latrie
latria includit servitium in ratione sui objecti; et inclut-il le service dans la raison de son objet.
propter hoc per se inest ei, et a serviendo Pour cette raison, il en fait partie par soi et son
nominatur: aliis autem virtutibus accidit, et non noom vient de « servir ». Mais il s’ajoute aux
pertinet ad proprias rationes ipsarum. autres vertus et ne relève pas de leurs raisons
propres.
[8546] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Selon que les actes des autres vertus sont
Ad tertium dicendum, quod secundum quod actus accomplis pour la gloire de Dieu, ils sont ainsi
aliarum virtutum in gloriam Dei fiunt, sic pris comme matière par le culte de latrie, comme
materialiter assumuntur a latria, ut dictum est. on l’a dit.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8547] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 co. On appelle au sens propre vertus théologales
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtutes celles qui ont Dieu pour objet et pour fin. Aussi
theologicae dicuntur proprie illae quae habent aucune vertu théologale n’a-t-elle au sens propre
Deum pro objecto et fine; unde nulla virtus un acte portant sur une chose créée : en effet, la
theologica habet actum circa rem creatam proprie charité n’aime que Dieu dans l’homme. Mais
loquendo: caritas enim nihil in homine diligit nisi l’objet sur lequel le culte de latrie agit est ce
Deum. Objectum autem circa quod agit latria est qu’il rend à Dieu à titre de reconnaissance d’une
id quod reddit Deo in recognitionem servitutis, servitude, ce qui n’est pas Dieu. Elle n’est donc
312

quod non est Deus; unde non est virtus theologica, pas une vertu théologale, mais se ramène aux
sed ad cardinales reducitur. vertus théologales.
[8548] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. On dit qu’un culte est rendu à Dieu par la foi,
Ad primum ergo dicendum, quod Deus dicitur l’espérance et la charité, non pas parce qu’un
coli fide, spe, et caritate, non quasi cultus eliciatur culte est choisi par ces vertus, mais parce que ces
his virtutibus, sed quia dictae virtutes ordinant ad vertus ordonnent au culte, ou encore parce que
cultum, vel etiam quia actus dictarum virtutum les actes de ces vertus deviennent matière du
materialiter cedunt in cultum modo praedicto. culte de la manière indiquée plus haut.
[8549] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. Lorsqu’on dit : « Je rends un culte ou j’adore
Ad secundum dicendum, quod cum dicitur, colo Dieu », bien que l’acte semble atteindre Dieu
vel adoro Deum, quamvis actus videatur transire comme objet, il atteint cependant une autre chose
in Deum sicut in objectum, transit tamen in rem chose comme objet et Dieu comme fin, car
aliam sicut in objectum, et in Deum sicut in rendre un culte à Dieu est manifester quelque
finem: quia colere Deum est aliquid exhibere Deo chose à Dieu comme attestation d’une servitude.
in protestationem servitutis.
[8550] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Le trop et le trop peu entre lesquels se situe le
Ad tertium dicendum, quod superfluum et milieu de la vertu morale ne se prend pas selon
diminutum, inter quae media virtus moralis, non une quantité absolue, mais par rapport à la raison
attenditur secundum quantitatem absolutam, sed droite, de sorte que quelque chose soit accompli
in comparatione ad rationem rectam; ut scilicet comme il se doit, compte tenu de toutes les
fiat aliquid, secundum quod debet quantum ad circonstances. Aussi arrive-t-il que, compte tenu
omnes circumstantias. Unde contingit quod d’une circonstance, une vertu se situe dans ce
quantum ad aliquam circumstantiam virtus aliqua qu’il y a de plus grand, comme la magnanimité,
ponit in maximo, sicut magnanimitas, quae est qui porte sur les plus grands honneurs, et la
circa maximos honores, et magnificentia, quae est magnificence, qui porte sur les plus grandes
circa maximos sumptus. Unde et in latria dépenses. Le superflu dans la latrie ne vient donc
superfluum est non quod Deus colatur nimis, sed pas de ce qu’un trop grand culte est rendu à
quantum ad has circumstantias; exhibere cultum Dieu, mais de ces circonstances : manifester un
latriae cui non debet cultus exhiberi, et sic est culte de latrie à qui ce culte ne doit pas être
idolatria; vel quando non debet, et sic est manifesté – il s’agit alors de l’idolatrie –, ou
superstitio, quae est religio supra modum lorsqu’il ne le doit pas – il s’agit alors de la
observata. superstition, qui une religion observée de
manière démesurée.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[8551] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 co. En tant que vertu particulière, la justice consiste
Ad quartam quaestionem dicendum, quod dans les biens par lesquels les hommes
secundum philosophum, justitia, secundum quod échangent entre eux en cette vie, comme
est specialis virtus, consistit in bonis quibus l’argent, les honneurs et les choses de ce genre,
homines sibi invicem communicant in vita ista, selon que quelqu’un peut échanger avec un autre
sicut sunt pecunia, honores, et hujusmodi, les choses de ce genre. Le juge établit en cela
secundum quod unus alteri hujusmodi une égalité selon la loi, de sorte que chacun ait
communicare potest: in quibus judex secundum ce qui lui est dû, ni plus ni moins. C’est dans
legem aequalitatem constituit, ut unusquisque cette égalité que consiste la justice. Aussi la
habeat quod sibi debetur, non plus nec minus: et justice ainsi entendue, comme il le dit lui-même,
in hac aequalitate consistit justitia; unde justitia ne porte-t-elle que sur ce qui doit être mesuré par
sic accepta, ut ipse dicit, non est nisi in illis qui cette même loi, être soumis au même dirigeant et
nati sunt regulari eadem lege, et sub eodem être dirigé avec égalité. Selon lui, une telle
principe esse, et aequaliter principari. Unde justice n’est donc pas celle du seigneur envers
secundum ipsum, talis justitia non est domini ad son serviteur, ni du père envers son fils, car le
servum, nec patris ad filium: quia servus et filius serviteur et le fils sont leur chose ; il n’y a donc
313

res eorum sunt; unde non est ad eos justitia, sicut pas de justice pour eux, comme il n’y en a pas
nec ad seipsum: tamen est ibi quidam modus envers soi-même. Cependant, il y là un certain
justitiae, secundum quod dominus reddit servo mode de justice selon que le seigneur rend à son
quod sibi debetur, vel e converso; quod appellatur serviteur ce qui lui est dû ou inversement, ce
justum dominatum: et hoc modo se habet ad qu’on appelle un juste exercice de la seigneurie.
justitiam latria, quia consistit in hoc quod reddit C’est de cette manière que la latrie relève de la
Deo quod sibi debetur; unde reducitur ad justitiam justice, car elle consiste à rendre à Dieu ce qui
non quasi species ad genus, sed sicut virtus lui est dû. Elle se ramène donc à la justice
annexa ad principalem, quae participat modum comme une espèce au genre, mais en tant que
principalis. vertu annexe d’une vertu principale et qui
participe au mode de la [vertu] principale.
[8552] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 1-2. Ainsi ressort la réponse aux deux premiers
Et per hoc patet responsio ad duo prima, quae arguments, qui se présentent de cette manière.
secundum istam viam procedunt.
[8553] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 3. Le mode de justice mentionné plus haut : celui
Ad tertium autem dicendum, quod praedictus du fils par rapport à son père et de l’homme par
modus justitiae, qui est filii ad patrem, et hominis rapport à Dieu, n’exige pas l’égalité pour être
ad Deum, non requirit aequalitatem ut exhibeatur manifesté conformément à la dignité de celui à
secundum dignitatem ejus cui exhibetur, sed qui il est manifesté, mais [il exige d’être
secundum possibilitatem reddentis; unde dicit manifesté] selon ce qui est possible à celui qui le
philosophus, quod non in omnibus reddendum est rend. Aussi le Philosophe dit-il qu’il n’est pas
quod est secundum dignitatem, quemadmodum in nécessaire de rendre en tout à la mesure de la
his qui ad deos et parentes honoribus: nullus enim dignité, lorsqu’il s’agit d’honorer les dieux et les
secundum dignitatem alteri retribuit. Secundum parents : en effet, personne ne rend [ici] à l’autre
potentiam autem famulans justus esse videtur. à la mesure de sa dignité. Mais le serviteur paraît
être juste selon ce qu’il peut.

Articulus 2 [8554] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. Article 2 – Le culte de latrie doit-il être
2 tit. Utrum humanitati Christi exhibenda sit latria manifesté à l’humanité du Christ ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le culte de latrie doit-il
être manifesté à l’humanité du Christ ?]
[8555] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le culte de latrie ne doive pas
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod être manifesté à l’humanité du Christ. En effet, il
humanitati Christi non sit latria exhibenda. Dicitur est dit dans la Glose sur Ps 98 : Adorez
enim in Glossa super illud Psalm. 98: adorate l’escabeau de ses pieds : « La chair du Christ ne
scabellum pedum ejus: caro Christi non est doit pas être adorée de cette adoration de latrie
adoranda illa adoratione latriae quae soli Deo qui est due à Dieu seul. »
debetur.
[8556] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. Ce qui se rapporte à la nature chez le Christ
2 Praeterea, ea quae ad naturam pertinent in est distinct. Or, la révérence n’est pas due
Christo distincta sunt. Sed reverentia non solum seulement à la personne, mais à la nature.
debetur personae. Sed naturae. Cum igitur natura Puisque la nature humaine est autre que la nature
humana sit alia a divina, alia sibi debetur divine, une autre révérence lui est donc due. Le
reverentia: ergo non debetur sibi latria, quae culte de latrie, qui est dû à Dieu seulement, ne lui
tantum Deo debetur. est donc pas dû.
[8557] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Comme on l’a dit, le culte de latrie est
3 Praeterea, sicut dictum est, latria exhibetur Deo, manifestée à Dieu en tant qu’il est Seigneur par
inquantum est ipse dominus per creationem. Sed la création. Or, créer ne convient pas à
creare non convenit humanitati Christi. Ergo non l’humanité du Christ. Le culte de latrie ne doit
est ei exhibenda latria. donc pas lui être manifesté.
314

[8558] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] « de même que l’âme
1 Sed contra, sicut anima rationalis et caro unus raisonnable et la chair sont un seul homme, de
est homo, ita Deus et homo unus est Christus. Sed même Dieu et l’homme sont-ils un seul Christ ».
eadem reverentia exhibetur animae hominis et Or, la même révérence est due à l’âme d’un
carni ejus. Ergo eadem reverentia exhibenda est homme et à sa chair. La même révérence doit
filio Dei et humanitati assumptae; et sic adoranda donc être manifestée au Fils de Dieu et à
est latria. l’humanité assumée. Ainsi doit-elle être adorée
par un culte de latrie.
[8559] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. [2] La même chose ressort des autorités et des
2 Praeterea, hoc idem patet per auctoritates et exemples donnés dans le texte.
exempla in littera posita.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Un culte de latrie doit-il
être manifesté aux images du Christ ?]
[8560] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’un culte de latrie ne doit pas non
1 Ulterius. Videtur, quod nec imaginibus Christi plus être rendu aux images du Christ. Ex 20, 4 :
sit exhibendus cultus latriae. Exod. 20, 4: non Tu ne te feras pas d’objet sculpté ni d’autre
facies tibi sculptile neque ullam similitudinem. ressemblance. Encore bien moins est-il permis
Ergo multo minus licet adorare imaginem Christi. d’adorer une image du Christ.
[8561] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. Les idolâtres ne sont tournés en dérision dans
2 Praeterea, de nullo alio irridentur in Scripturis les Écritures que parce qu’ils ont adoré les
idolatrae, nisi quia opera manuum suarum œuvres de leurs mains, alors qu’en les faisant, ils
adoraverunt, quibus ipsi facientes meliores erant. étaient meilleurs qu’elles. Or, les images que
Sed similiter imagines quas Ecclesia adorat, sunt l’Église adore sont aussi des œuvres de main
opera manuum hominum. Ergo videtur in similem d’homme. Il semble donc qu’elles tombent dans
derisionem incidere. la même dérision.
[8562] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. Il ne faut manifester dans le culte divin que ce
3 Praeterea, in cultu divino non sunt exhibenda qui a été déterminé par la loi de Dieu. Or, on ne
nisi ea quae per legem Dei determinantur. Sed trouve pas dans les Saintes Écritures qu’ait été
non invenitur in sacris Scripturis institutum de instituée l’adoration des images. Il semble donc
imaginum adoratione. Ergo videtur nimis pour le moins présomptueux d’avoir introduit
praesumptuosum fuisse imaginum adorationem l’adoration d’images.
inducere.
[8563] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] en tant que telle, l’image conduit
1 Sed contra, imago, inquantum hujusmodi, ducit à ce qui est représenté. Or, ce qui est représenté
in imaginatum. Sed imaginatum harum imaginum dans ces images que nous adorons est le Christ,
quas adoramus, est Christus, qui est adorandus qui doit être adoré d’une adoration de latrie.
adoratione latriae. Ergo et imago ejus. Donc, son image aussi.
[8564] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Basile dit que l’honneur de l’image se
2 Praeterea, Basilius dicit, quod honor imaginis ad rapporte au prototype, c’est-à-dire à la figure
prototypum refertur, idest ad principalem figuram, principale, c’est-à-dire à ce qui est représenté. Le
scilicet ad imaginatum. Ergo idem honor utrique même honneur doit donc être manifesté aux
exhibendus est, et sic idem quod prius. deux. La conclusion est ainsi la même que
précédemment.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Un culte de latrie doit-il
être rendu à la bienheureuse Vierge ?]
[8565] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’un culte de latrie doive être rendu
1 Ulterius. Videtur, quod beatae virgini sit latria à la bienheureuse Vierge, car [Jean] Damascène
exhibenda. Quia Damascenus dicit, quod honor dit que l’« honneur de la mère se rapporte au
matris refertur ad filium. Si ergo filius latria est Fils ». Si donc le Fils doit être adoré par latrie,
adorandus, similiter et mater. de même en est-il de la mère.
315

[8566] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. On chante d’elle : « Il fera aussi participer sa
2 Praeterea, de ipsa cantatur: secumque faciet mère avec lui au gouvernement du Père » ; tous
matrem participem patris imperii; et ab omnibus l’appellent aussi « maîtresse du monde » et
dicitur domina mundi, et regina Angelorum. Sed « reine des anges ». Or, le culte de latrie est
Deo exhibetur latria, inquantum est dominus et manifesté à Dieu en tant qu’il est Seigneur et
rex. Ergo et virgini matri oportet latriam exhiberi. Roi. Il faut donc aussi manifester un culte de
latrie à la Vierge Marie.
[8567] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. Augustin démontre que le corps de la Vierge
3 Praeterea, Augustinus probat quod corpus n’est pas devenu poussière parce qu’il est de la
virginis non est incineratum, quia est ejusdem même nature que le corps que le Fils a assumé
naturae cum corpore filii, quod ex suo sumptum d’elle. Si le corps du Fils doit être adoré d’une
est. Ergo si corpus filii est adorandum adoratione adoration de latrie, il semble donc que sa mère
latriae, videtur quod similiter mater. doive aussi l’être.
[8568] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] la bienheureuse Vierge est une
1 Sed contra, beata virgo est pura creatura. Sed simple créature. Or, le culte de latrie n’est dû
latria soli creatori debetur. Ergo ei non debetur qu’au seul Créateur. Le culte de latrie n’est donc
latria. pas dû [à la bienheureuse Vierge].
[8569] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Elle-même adore Dieu par latrie. Or, il ne
2 Praeterea, ipsa adorat Deum latria. Sed non est revient pas au même de manifester et de recevoir
ejusdem latriam exhibere et recipere; sicut nec un culte de latrie, de même que d’être créé et de
creari et creare. Ergo latria non est exhibenda créer. Un culte de latrie ne doit donc pas être
beatae virgini. manifesté à la bienheureuse Vierge.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Un culte de latrie doit-il
être manifesté à la croix ?]
[8570] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1. Il semble qu’un [culte de latrie] ne doive pas
1 Ulterius. Videtur, quod non sit exhibenda cruci. être manifesté à la croix. En effet, de même que
Sicut enim secundum humanitatem passus est in [le Christ] a souffert sur la croix selon son
cruce, ita secundum divinitatem caelum est sedes humanité, de même est-il assis au ciel selon sa
ejus. Sed caelum propter hoc non est adorandum divinité. Or, le ciel ne doit pas pour cela être
latria. Ergo multo minus crux, cum latria debeatur adoré par latrie. Donc, encore bien moins la
Christo ratione divinitatis, non ratione croix, puisque le culte de latrie est dû au Christ
humanitatis. en raison de sa divinité, non en raison de son
humanité.
[8571] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2. Une chose inanimé est moins digne que
2 Praeterea, res inanimata indignior est homine. l’homme. Or, l’honneur de latrie ne doit être
Sed honor latriae non est exhibendus ab homine manifesté par l’homme qu’à ce qui est au-dessus
nisi ei qui est supra hominem. Ergo crux non de l’homme. La croix ne doit donc pas être
debet latria adorari. adorée par latrie.
[8572] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3. La bienheureuse Vierge a une plus grande
3 Praeterea, majorem affinitatem habet ad affinité avec le Christ que sa croix. Or, la Vierge
Christum beata virgo quam crux ejus. Sed virgo ne doit pas être adorée par latrie.Donc, encore
non adoratur latria. Ergo multo minus crux. bien moins la croix.
[8573] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. Cependant, [1] les reliques des autres saints
1 Sed contra, reliquiae aliorum sanctorum doivent être honorées du même honneur que les
honorantur eodem honore quo ipsi sancti. Sed saints eux-mêmes. Or, la croix fait partie des
crux est de reliquiis Christi. Ergo est adoranda reliques du Christ. Elle doit donc être adorée par
latria sicut Christus. latrie, comme le Christ.
[8574] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. [2] La croix est l’image du Christ crucifié. Or,
2 Praeterea, crux est imago Christi crucifixi. Sed l’image du Christ crucifié doit être adorée par
imago crucifixi Christi est adoranda latria. Ergo et latrie. Donc, la croix aussi.
316

crux.
Quaestiuncula 5 Sous-question 5 – [Un culte de latrie doit-il
être rendu aux saints ?]
[8575] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 1. On se demande si l’honneur de latrie doit être
1 Ulterius. Quaeritur, utrum viris sanctis sit manifesté aux saints, et il semble que ce soit le
exibendus honor latriae, et videtur quod sic. Quia cas, car le culte de latrie est manifesté à Dieu en
latria exhibetur Deo ratione divinitatis. Sed sancti raison de sa divinité. Or, les saints sont appelés
participatione dicuntur dii. Ergo eis debet latria des dieux par participation. Un culte de latrie
exhiberi. doit donc leur être manifesté.
[8576] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 2. L’image imprimée par Dieu est plus noble que
2 Praeterea, imago impressa divinitus est nobilior celle réalisée par des hommes. Or, les images de
quam quae facta est humanitus. Sed imagines Dei Dieu faites par l’homme sont adorées par latrie.
quas homo fecit, adorantur latria. Ergo multo À bien plus forte raison, les saints en qui Dieu a
fortius viri sancti, in quibus Deus suam imaginem imprimé et rétabli son image.
impressit, et reformavit.
[8577] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 arg. 3. Comme on le lit en Gn 18, Abraham a adoré
3 Praeterea, Abraham, ut legitur Gen. 18, tres d’une adoration de latrie trois hommes qui
viros, qui Angeli erant, ut dicit Augustinus, étaient des anges, ainsi que le dit Augustin. Il
adoravit adoratione latriae. Ergo videtur quod et semble donc qu’un culte de latrie puisse être
aliis sanctis latria exhiberi possit. aussi manifesté à d’autres saints.
[8578] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 s. c. Cependant, [1] va en sens contraire ce qu’on lit
1 Sed contra est quod legitur Act. 14 de Paulo et en Ac 15 de Paul et de Barnabé, qui se sont
Barnaba: qui prohibuerunt illos qui eis sacrificare opposés à ceux qui voulaient leur offrir des
volebant: et in Esther 13, legitur de Mardochaeo sacrifices ; et en Est 13, on lit de Mardochée
quod noluit adorare Aman, ne honorem Dei qu’il ne voulait pas adorer Aman, de crainte de
videretur transferre ad homines. paraître reporter sur des hommes l’honneuer dû à
Dieu.
Quaestiuncula 6 Sous-question 6 – [Peut-on manifester sans
péché à une créature un culte de latrie ?]
[8579] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 1. Il semble qu’un culte de latrie puisse être
1 Ulterius. Videtur quod sine peccato alicui manifesté sans péché à une créature. En effet,
creaturae possit latria exhiberi. Legitur enim dans Ap 22, on lit, que Jean voulut adorer un
Apoc. ult., quod Joannes voluit Angelum adorare, ange et que celui-ci le lui interdit. Or, il ne le lui
et prohibitus est ab eo. Non autem prohibuisset, si aurait pas interdit si [Jean] avait voulu l’adorer
eum dulia adorare voluisset, quia haec Angelis par dulie, car celle-ci est due aux anges saints. Il
sanctis debetur. Ergo volebat eum adorare latria: voulait donc l’adorer par latrie, et ainsi cela peut
et ita hoc potest fieri sine peccato, ut videtur. être accompli sans péché, semble-t-il.
[8580] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 2. Une action est jugée d’après l’intention. Or,
2 Praeterea, opus secundum intentionem celui qui adore un ange, qui apparaît sous la
judicatur. Sed aliquis adorans Angelum, qui in figure du Christ, a une bonne intention, croyant
forma Christi apparet, habet intentionem bonam, que celui-ci est le Christ. Il ne pèche donc pas en
credens ipsum esse Christum. Ergo adorando non adorant.
peccat.
[8581] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 arg. 3. Quelqu’un adore une hostie non consacrée
3 Praeterea, aliquis adorat hostiam non d’une adoration de latrie, croyant qu’elle a été
consecratam adoratione latriae, credens ipsam consacrée, et il ne pèche pas, car l’ignorance du
esse consecratam; et non peccat, quia ignorantia fait l’excuse ; cependant, c’est de l’idolatrie, car
facti excusat eum; sed tamen idolatria est; quia une décrétale dit que « le prêtre qui ne consacre
decretalis dicit, quod sacerdos qui non consecrat, pas et fait semblant de consacrer rend le peuple
et fingit se consecrare, facit populum idolatrare. idolâtre ». Il semble donc que l’homme puisse
317

Ergo videtur quod homo possit creaturae latriam manifester sans péché un culte de latrie à une
exhibere sine peccato. créature.
[8582] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 s. c. Cependant, si quelqu’un manifestait à un autre
1 Sed contra, si aliquis hoc quod debet temporali ce qu’il doit à son seigneur temporel en
domino in recognitionem dominii, alteri reconnaissance de sa seigneurie, il serait
exhiberet, reus esset infidelitatis apud ipsum. Ergo coupable d’infidélité envers lui. À bien plus forte
multo amplius peccat, si cultum Deo debitum raison pèche-t-il, s’il rend à une créature le culte
creaturae impendat. dû à Dieu.
Quaestiuncula 7 Sous-question 7 – [Si un culte de latrie est
manifesté à une créature, est-il univoque par
rapport à celui qui est manifesté à Dieu ?]
[8583] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 arg. 1. Il semble que si un culte de latrie est manifesté
1 Ulterius. Videtur quod si creaturae exhibeatur, à une créature, il soit univoque par rapport à
univoce dicatur cum ea quae exhibetur Deo. celui qui est manifesté à Dieu. En effet, la
Materia enim non diversificat speciem. Sed cultus matière ne différencie pas l’espèce. Or, le culte
exhibitus Deo et creaturae non differt, ut videtur, manifesté à Dieu et à la créature ne diffèrent que
nisi materialiter. Ergo non differt secundum matériellement, semble-t-il. Il n’est donc pas
speciem, et ita dicitur univoce. différent par l’espèce, et ainsi il est univoque.
[8584] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 arg. 2. On parle de béatitude de manière univoque,
2 Praeterea, beatitudo univoce dicitur, quamvis a bien que certains la cherchent où elle est, en
quibusdam quaeratur ubi est, scilicet in Deo, a Dieu, et d’autres là où elle n’est pas, dans les
quibusdam ubi non est, scilicet in divitiis. Igitur richesses. De même parle-t-on de latrie de
similiter latria dicetur univoce, sive exhibeatur cui manière univoque, qu’elle soit manifestée à qui
est exhibenda, sive cui non est exhibenda. elle doit être manifestée ou à qui elle ne doit pas
l’être.
[8585] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 arg. 3. Tout culte rendu à Dieu est un culte de latrie.
3 Praeterea, omnis cultus Deo debitus est latria. Or, l’idolâtrie est un culte rendu à Dieu, mais
Sed idolatria est cultus Deo debitus, idolo manifesté à une idole. C’est donc un culte de
exhibitus. Ergo est latria; et sic idem quod prius. latrie. La conclusion est donc la même que
précédemment.
[8586] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 s. c. Cependant, [1] si on les considère de manière
1 Sed contra, idem univoce sumptum non potest univoque, la vertu ne peut pas être un vice. Or, le
esse virtus et vitium. Sed latria quae Deo culte de latrie qui est manifesté à Dieu est une
exhibetur, est virtus; quae autem creaturae, est vertu, mais celui qui est manifesté à une créature
vitium. Ergo non dicitur univoce. est un vice. On n’en parle donc pas de manière
univoque.
[8587] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 s. c. [2] On ne parle pas de manière univoque de
2 Praeterea, Deus non univoce dicitur de Deo vero Dieu et d’une idole. Or, [l’idolatrie et le culte de
et idolo. Sed uterque movetur ex divinitate ejus latriet] sont mus par la divinité de ce à quoi le
cui latriam exhibet. Ergo videtur quod nec latria culte de latrie est manifesté. Il semble donc
univoce dicatur. qu’on ne parle pas non plus de culte de latrie de
manière univoque.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8588] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Il existe une double manière d’honorer une
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, chose : en effet, une chose honorée pour elle-
quod duplex est modus quod aliquid honoratur: même et pour autre chose. Selon le Philosophe,
aliquid enim honoratur ratione sui, et ratione dans Éthique, I, la louange et l’honneur diffèrent
alterius. Secundum philosophum enim in 1 Ethic. en effet par le fait que la louange est due à
laus et honor in hoc differunt quod laus debetur quelqu’un en raison de la bonté qu’il possède par
alicui propter bonitatem quam habet ex ordine ad rapport à quelque chose d’autre, comme lorsqu’il
318

alterum, ut quando facit actum congruentem fini; pose un acte qui convient à la fin ; mais
honor autem debetur alicui propter bonitatem l’honneur est dû à quelqu’un en raison de la
quam habet secundum se. Unde, secundum ipsum, bonté qu’il possède en lui-même. Selon lui, la
laus debetur homini propter actus virtutum, qui louange est donc due à un homme en raison
ordinantur ad felicitatem; honor autem debetur d’actes vertueux qui sont ordonnés à la félicité,
Deo et divinis; unde sicut laus non debetur nisi mais l’honneur est dû à Dieu et aux réalités
actui, vel agenti qui est dominus actus, quasi per divines. Aussi, de même que la louange n’est due
electionem agens; ita etiam nec honor; quamvis qu’à un acte ou à un agent qui est maître de son
etiam honor ita debeatur actui sicut laus, sed acte, comme agent qui agit par choix, de même
magis agenti. Ergo ratione sui honoratur illud aussi est-ce le cas de l’honneur, bien que
cujus est per electionem agere, sed ratione alterius l’honneur soit aussi dû à un acte, comme la
honoratur quod de ratione honorati est; unde parti louange, mais plutôt à l’agent. On honore donc
hominis secundum se consideratae non debetur ce à quoi il appartient d’agir par choix, mais on
honor nisi ratione alterius. Id autem cujus est honore pour une autre raison que celle de celui
agere, persona est, vel suppositum: quia actus sunt qui est honoré. Aussi l’honneur n’est-il dû à une
individuorum. Unde quantum ad primum modum partie de l’homme, considérée en elle-même,
honoris non debetur humanitati Christi honor qu’en raison d’autre chose. Or, la personne ou le
separatim a persona divina; sed in ipsa et cum suppôt est ce à quoi il appartient d’agir, car les
ipsa adoratur, sicut manus cum homine; et ideo actes relèvent des individus. Aussi, selon le
secundum hoc debetur sibi honor latriae. premier mode d’honneur, l’honneur n’est-il pas
Quantum autem ad secundum modum honoris, dû à l’humanité du Christ séparément de la
qui partibus et etiam rebus inanimatis exhibetur, personne divine, mais elle est adorée en elle et
debetur sibi per se reverentia et honor; et ideo non avec elle, comme la main avec l’homme.
debetur sibi latria, sed dulia excellens, propter L’honneur de latrie lui est donc dû de cette
singularem modum dignitatis quem habet ex manière. Mais pour ce qui est du second mode
unione ad verbum. Patet ergo quod honor quo d’honneur, qui est aussi manifesté aux parties et
honoratur aliquid ratione sui, ad humanitatem aux choses inanimées, lui sont dus par eux-
Christi non pertinet ut per se consideratam, sed mêmes respect et honneur. Un culte de latrie ne
solum ut honoratur uno honore cum supposito in lui est donc pas dû, mais un culte de dulie de
quo est; et sic debetur ei latria; sed honor qui premier ordre, en raison du mode de dignité
debetur ei ratione alterius, pertinet ad eam etiam unique que [l’humanité du Christ] possède du
in se consideratam; et sic debetur ei dulia. Et quia fait de l’union au Verbe. Il est donc clair que
secundum primum modum magis proprie dicitur l’honneur dont est honorée une chose pour elle-
aliquid honorari quam secundum secundum même ne concerne pas l’humanité du Christ
modum; ideo magis proprie dicitur quod considérée en elle-même, mais qu’elle est
humanitas Christi adoretur latria quam dulia, et seulement honorée d’un seul honneur avec le
hoc secundum secundam opinionem; sed suppôt dans lequel elle se trouve ; ainsi lui est dû
secundum primam opinionem magis proprie un culte de latrie. Mais l’honneur qui lui est dû
diceretur, quod sit adoranda dulia; quia prima en raison d’autre chose concerne aussi
opinio ponit humanitati aliud suppositum agens [l’humanité du Christ] en tant qu’elle est
praeter suppositum aeternum, cui debetur latria. considérée en elle-même ; ainsi lui est dû un
culte de dulie. Et parce qu’on dit qu’une est
davantage honorée au sens prope selon le
premier mode que selon le second mode, on dit
donc en un sens plus propre que l’humanité du
Christ est adorée par latrie que par dulie, et cela,
selon la deuxième opinion ; mais, selon la
pemière opinion, on dirait en un sens plus propre
que [l’humanité du Christ] doit être adorée d’un
culte de dulie, car la première opinion affirme
319

pour l’humanité un autre suppôt agissant, en plus


du suppôt éternel, à qui un culte de latrie est dû.
[8589] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. L’humanité peut être considérée de deux
Ad primum ergo dicendum, quod humanitas manières. Soit on l’entend comme non unie au
potest considerari dupliciter. Vel prout intelligitur Verbe. Ainsi ne lui est pas dû un culte de latrie.
non conjuncta verbo; et sic non debetur sibi latria, Mais cette manière de l’entendre se trouve dans
sed haec consideratio est in intellectu tantum. Vel l’intellect seulement. Soit on l’entend comme
prout intelligitur unita verbo; et sic potest unie au Verbe : elle peut alors être honorée du
honorari honore uno cum verbo, et sic debetur ei même honneur que le Verbe. Ainsi lui est dû un
latria; vel alio, et sic debetur ei dulia: et sic culte de latrie. Ou autrement, et ainsi lui est dû
loquitur praedicta Glossa. un culte de dulie. C’est ainsi que s’exprime la
glose déjà mentionnée.
[8590] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. L’honneur n’est dû à quelqu’un en raison de
Ad secundum dicendum, quod honor non debetur lui-même que s’il s’agit d’une personne. Le
alicui ratione sui, nisi personae; unde ratio raisonnement repose donc sur de fausses
procedit ex falsis. prémisses.
[8591] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Bien que créer ne relève pas de l’humanité du
Ad tertium dicendum, quod quamvis creare non Christ, cela est cependant le fait que la personne
sit humanitatis Christi, est tamen personae verbi, du Verbe, avec laquelle elle est simultanément
cum qua simul adoratur. adorée.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8592] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 co. On peut envisager l’image de deux manières.
Ad secundam quaestionem dicendum, quod imago Soit selon qu’elle est une chose, et ainsi aucun
potest dupliciter considerari, vel secundum quod honneur ne lui est dû (comme il ne l’est pas à
est res quaedam, et sic nullus honor ei debetur une autre pierre ou à un autre bois). Soit en tant
(sicut nec alii lapidi vel ligno); vel secundum qu’image. Et parce que c’est le même
quod est imago. Et quia idem motus est in mouvement qui porte vers l’image en tant
imaginem inquantum est imago, et in imaginatum; qu’image et vers ce qui est représenté, un seul
ideo unus honor debetur imagini et ei cujus est honneur est donc dû à l’image et à ce dont elle
imago; et ideo cum Christus adoretur latria, est l’image. Puisque le Christ est adoré d’un
similiter et ejus imago. culte de latrie, de même en est-t-il aussi pour son
image.
[8593] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Avant l’incarnation du Christ, puisque Dieu
Ad primum ergo dicendum, quod ante est incorporel, on ne pouvait en proposer une
incarnationem Christi, cum Deus incorporeus image, comme il est dit en Is 40. Sous la loi
esset, non poterat ei imago poni, sicut dicitur Isai. ancienne, il a donc été défendu de faire des
40; et ideo prohibitum est in veteri lege ne images pour les adorer, surtout qu’on était enclin
imagines fierent ad adorandum; et praecipue quia à l’idolâtrie du fait que le monde entier
proni erant ad idolatriam ex hoc quod totus s’adonnait à l’idolâtrie. Mais après que Dieu est
mundus idolatriae insistebat. Sed postquam Deus devenu homme, une image peut en être donnée,
factus est homo, potest habere imaginem, cum puisqu’il a une figure corporelle en raison de
habeat ratione humanitatis assumptae, quae simul l’humanité assumée, laquelle est adorée en
cum eo adoratur, figuram corporalem; et ideo même temps que lui.
permissum est in nova lege imagines fieri.
[8594] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Les idolâtres croyaient qu’il existait dans les
Ad secundum dicendum, quod idolatrae credebant images elles-mêmes une puissance qui venait
in ipsis imaginibus aliquod numen esse, quod ex aux images en vertu des syllabes elles-mêmes
vi syllabarum ipsis imaginibus acquireretur, sub qui en accompagnaient la réalisation. Ainsi
quibus fiebant imagines; sicut Hermes dixit, quod Hermès disait-il qu’il avait été donné aux
datum hominibus erat facere deos, ut Augustinus hommes de faire des dieux, comme le raconte
320

narrat, de Civ. Dei. Unde deserviebant imaginibus Augustin dans La cité de Dieu. Aussi ne
non solum ut imaginibus, sed ut rebus, et servaient-ils pas les images seulement comme
praeterea non solum ut imaginibus Dei, sed ut des images, mais comme des réalités, et pas
imaginibus creaturarum, solis aut lunae. Unde seulement comme des images de Dieu, mais
patet quod non est simile. comme des images de créatures, du soleil et de la
lune. Il est donc clair que ce n’est pas la même
chose.
[8595] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Les apôtres ont transmis beaucoup de choses
Ad tertium dicendum, quod apostoli multa qui n’ont pas été écrites dans le canon, dont l’une
tradiderunt quae scripta non sunt in canone, inter est l’usage d’images. Aussi [Jean] Damascène
quae unum est de usu imaginum; unde dit-il que Luc a peint une image du Christ et de
Damascenus dicit, quod Lucas depinxit imaginem la bienheureuse Vierge, et que le Christ a envoyé
Christi et beatae virginis, et Christus suam son image à Abagar, comme on le dit dans
imaginem Abagaro regi direxit, ut dicitur in l’Histoire ecclésiastique. Il y avait trois raisons
ecclesiastica historia. Fuit autem triplex ratio d’établir des images dans l’Église.
institutionis imaginum in Ecclesia. Primo ad Premièrement, pour instruire les illettrés, qui
instructionem rudium, qui eis quasi quibusdam sont enseignés par elles comme par des livres.
libris edocentur. Secundo ut incarnationis Deuxièmement, pour que le mystère de
mysterium et sanctorum exempla magis in l’incarnation et les exemples des saints restent
memoria essent, dum quotidie oculis davantage en mémoire du fait que leur
repraesentantur. Tertio ad excitandum devotionis représentation tombe quotidiennement sous les
affectum qui ex visis efficacius incitatur quam ex yeux. Troisièmement, pour exciter un sentiment
auditis. de dévotion, qui est plus efficacement suscité par
ce qui est vu que par ce qui est entendu.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8596] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 co. 1. Puisque la bienheureuse Vierge est par elle-
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum même une personne agissante, un honneur lui est
beata virgo sit per se quaedam persona agens, ei dû pour elle-même. Aussi est-elle adorée selon
debetur honor per se: unde alia adoratione une autre adoration que son Fils. Elle ne peut
adoratur quam filius ejus; unde non potest adorari donc être adorée par latrie, mais par dulie. Mais
latria, sed dulia. Quia tamen non solum honoratur parce qu’elle n’est pas honorée seulement pour
ratione sui, sed etiam ratione filii, ut mater Dei; elle-même, mais aussi comme mère de Dieu en
ideo inquantum pertinet ad Christum, honoratur raison de son Fils, pour autant qu’elle est en
hyperdulia. rapport avec le Christ, elle est honorée par
hyperdulie.
[8597] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. L’honneur de la mère est en rapport avec son
Ad primum dicendum, quod honor matris refertur Fils, non pas comme avec un sujet, de sorte qu’il
ad filium, non sicut ad subjectum, scilicet ut sit n’y ait qu’un seul mouvement vers la mère et
unus motus in matrem et in filium, sicut est in vers le Fils, comme c’est le cas pour les images,
imaginibus, sed refertur in filium sicut in finem, mais elle est en rapport avec son Fils comme
quia propter filium mater honoratur. avec une fin, car la mère est à cause du Fils.
[8598] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Dieu est Seigneur et Roi en tant que Créateur ;
Ad secundum dicendum, quod Deus est dominus tooutefois, la Vierge n’est pas créatrice, mais
et rex quasi creator, sed virgo non est creatrix, sed pour ainsi dire mère du Créateur. Aussi n’est-il
quasi creatoris mater; unde non oportet quod latria pas nécessaire qu’elle soit adorée par latrie.
adoretur.
[8599] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. L’incorruption, qui s’oppose à la réduction en
Ad tertium dicendum, quod incorruptio quae cendres, est aussi due au Christ même en raison
opponitur incinerationi, debetur Christo etiam de la chair qu’il a assumée de la Vierge, mais
ratione carnis quam assumpsit de virgine, non non le culte de latrie. Le raisonnement n’est donc
321

autem latria; et ideo non est similis ratio. pas le même.


Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[8600] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 co. La croix du Christ, même celle à laquelle le
Ad quartam quaestionem dicendum, quod crux Christ a été suspendu, peut être envisagée de
Christi, etiam ipsa in qua Christus pependit, potest deux manières. Soit en tant qu’image du
dupliciter considerari; vel inquantum crucifixi Crucifié, et ainsi elle est adorée de la même
imago, et sic adoratur eadem adoratione sicut adoration que le Crucifié, à savoir, par latrie –
crucifixus, scilicet latria; unde eam alloquimur aussi nous adressons-nous à elle comme au
sicut crucifixum, dicentes: o crux ave spes unica: Crucifié : « Ô Croix, notre unique espérance,
vel inquantum est res quaedam, et sic cum non salut ! ». Soit en tant qu’elle est une chose, et
pertineat ad personam verbi sicut pars ejus, non ainsi, puisqu’elle n’appartient pas à la personne
potest eadem adoratione adorari cum verbo, sed du Verbe comme une de ses parties, elle ne peut
adoratur inquantum est res quaedam Christi être adorée de la même adoration que le Verbe ;
ratione ipsius, hyperdulia; sed aliae cruces non mais elle est adorée par hyperdulie en raison de
adorantur nisi ut imago; et ideo adorantur tantum lui, comme quelque chose du Christ. Mais les
latria. autres croix ne sont adorées qu’en tant
qu’images ; aussi sont-elles adorées par latrie
seulement.
[8601] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 1. Bien que le ciel soit le siège de Dieu, il n’est
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis caelum cependant pas uni à Dieu en sa personne, comme
sit sedes Dei, non tamen unitum est Deo in la chair du Christ ; aussi le ciel n’est-il adoré ni
persona, sicut caro Christi; unde caelum nec latria par latrie ni par hyperdulie, ni même par dulie,
nec hyperdulia honoratur, nec etiam dulia, cum puisqu’il n’est pas une chose vivante. Mais
non sit res viva; sed humanitas Christi vel latria l’humanité du Christ est adorée soit par latrie,
vel hyperdulia adoratur, et similiter ea quae ad soit par hyperdulie, de même que ce qui se
humanitatem Christi referuntur, ut crux, et vestis rapporte à l’humanité du Christ, comme la croix,
et hujusmodi. un vêtement et des choses de ce genre.
[8602] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 2. La croix, pour autant qu’elle est une chose
Ad secundum dicendum, quod crux, inquantum considérée en elle-même, est plus indigne que
est res quaedam in se considerata, est indignior l’homme, et elle n’est pas adorée pour elle-
homine, nec ratione sui adoratur; sed ratione même, mais en raison de quelqu’un d’autre qui a
alterius qui in ea crucifixus est. été crucifié sur elle.
[8603] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 3. Si on envisage l’honneur qui est manifesté à la
Ad tertium dicendum, quod si consideretur honor croix en tant qu’elle est une chose, il n’est pas
qui exhibetur cruci inquantum est res quaedam, aussi grand que celui qui est manifesté à la
ratione Christi, non est tantus quantus ille qui Vierge en raison du Christ. Mais un certain
exhibetur virgini; sed cruci exhibetur quidam honneur est manifesté à la croix en tant
honor, inquantum est imago, qui non exhibetur qu’image, [honneur] qui n’est pas manifesté à la
matri. mère.
Quaestiuncula 5 Réponse à la sous-question 5
[8604] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 co. Dieu est principe et fin de toutes choses. En tant
Ad quintam quaestionem dicendum, quod Deus que principe, nous l’adorons d’un culte de latrie ;
est principium et finis omnium; et inquantum est mais en tant que fin ultime, nous jouissons
principium, adoramus eum latria: inquantum vero (fruimur) de lui. Or, pour retourner à lui, nous
finis ultimus, fruimur eo. In redeundo autem ad sommes aidés par les autres créatures
ipsum juvamur per alias creaturas rationales, raisonnables, les anges et les hommes. C’est
scilicet Angelos et homines; et ideo, quamvis solo pourquoi, bien qu’on ne doive jouir (fruendum)
Deo fruendum sit, tamen possumus frui homine in que de Dieu seul, nous pouvons cependant jouir
Deo, sicut dicit apostolus, et Augustinus. Sed in (frui) d’un homme en Dieu, comme le disent
exeundo ab ipso sicut a principio creante, non l’Apôtre et Augustin. Mais, pour sortir de lui
322

juvamur per aliquam creaturam, quia immediate comme du principe créateur, nous ne sommes
creavit nos; et ideo honor latriae est sibi soli pas aidés par une créature, car il nous a créés de
exhibendus, non alicui in ipso, quantumcumque manière immédiate. Aussi l’honneur de latrie
sit in participatione suae bonitatis, nisi honoretur n’est-il dû qu’à lui, et non à quelqu’un en lui,
uno honore cum eo, sicut caro Christi, et aussi grande soit sa participation à sa bonté, à
imagines. moins d’être honoré d’un seul honneur avec lui,
comme la chair du Christ et les images.
[8605] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 1 1. Les saints ne deviennent pas par cette
Ad primum ergo dicendum, quod viri sancti per participation le premier principe de notre être.
participationem illam non efficiuntur primum Aussi le culte de latrie ne leur est-il pas dû.
principium nostri esse; et ideo non debetur eis
latria.
[8606] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 2 2. Les hommes sont des images de Dieu par une
Ad secundum dicendum, quod homines sunt participation à sa bonté, qui réalise une
imagines Dei per participationem suae bonitatis, ressemblance expresse, et cela donne à la chose
facientem expressam similitudinem, et hoc dat rei une bonté en soi. En raison de celle-ci, cette
bonitatem in se; et ideo ratione hujus est res ipsa réalité même doit donc être honorée. Mais les
secundum se honoranda. Sed imagines pictae non images peintes ne sont pas des images par une
sunt imagines per similitudinem in natura, sed per ressemblance de nature, mais parce qu’elles ont
institutionem ad significandum; unde et ex hoc été instituées pour signifier. Aussi n’ont-elles
non acquiritur eis nisi honor relatus ad alterum. acquis par là que l’honneur qui se rapporte à un
autre.
[8607] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 5 ad 3 3. Ces anges ne sont pas apparus à Abraham
Ad tertium dicendum, quod Angeli illi non dans leur propre nature, mais dans des corps
apparuerunt Abrahae in propria natura, sed in assumés pour ainsi dire comme des images.
quibusdam corporibus quasi imaginibus Aussi, pour autant qu’ils étaient des images
assumptis; unde inquantum erant imagines représentant la Trinité, pouvaient-ils être adorés
repraesentantes Trinitatem, poterant adorari latria; par latrie, mais non en tant qu’ils représentaient
non autem inquantum repraesentabant Angelos les anges eux-mêmes.
ipsos.
Quaestiuncula 6 Réponse à la sous-question 6
[8608] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 co. Puisqu’il ne faut pas manifester de culte de latrie
Ad sextam quaestionem dicendum, quod cum à une créature, s’il lui est manifesté, il est
creaturae non sit exhibenda latria, si exhibetur ei, manifesté à quelqu’un à qui il ne doit pas être
est exhiberi eam cui non est exhibenda: et hoc manifesté. Cela est un vice contraire au culte de
facit vitium contrarium latriae sicut superfluum latrie, comme quelque chose de superflu par
medio: unde sine peccato fieri non potest. rapport au milieu. Cela ne peut donc être fait
sans péché.
[8609] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 1 1. Jean voulait adorer l’ange d’uun culte de
Ad primum ergo dicendum, quod Joannes volebat dulie, mais il en fut empêché pour trois raisons.
adorare Angelum dulia, sed prohibitus fuit propter Premièrement, pour montrer la dignité de Jean
tria. Primo ad ostendendum dignitatem ipsius lui-même, qui est plus digne que beaucoup
Joannis, qui multis Angelis dignior fuit; secundo d’anges. Deuxièmement, pour éviter l’apparence
ad evitandum speciem idolatriae; tertio ad d’idolâtrie. Troisièmement, pour montrer
ostendendum exaltationem humanae naturae super l’exaltation de la nature humaine au-dessus des
Angelos in homine assumpto. anges dans l’homme assumé.
[8610] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 2 2. Celui qui adore une hostie non consacrée doit
Ad secundum dicendum, quod qui adorat hostiam l’adorer sous condition, à savoir qu’elle soit
non consecratam, adorare eam oportet cum consacrée. Il n’est cependant pas nécessaire que
conditione, scilicet si est consecrata. Non tamen cette condition soit tooujours explicite en acte,
323

oportet quod haec conditio semper sit actu mais il suffit qu’il la respecte de manière
explicita, sed sufficit quod habitu teneat illam; habituelle. Il ne pêche donc pas en l’adorant, car,
unde non peccat adorans eam, quia non adorat selon son intention, il n’adore pas une pure
puram creaturam, sed Christum secundum créature, mais le Christ. Mais, de son côté, le
intentionem suam. Sacerdos autem, quantum in se prêtre rend le peuple idolâtre, car il lui offre une
est, facit populum idolatrare, quia offert ei puram pure créature à adorer.
creaturam ad adorandum.
[8611] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 6 ad 3 3. Le Diable qui apparaît sous l’aspect du Christ
Ad tertium dicendum, quod non potest Diabolus ne peut pas être adoré sans péché, à moins que la
in specie Christi apparens sine peccato adorari, condition ne soit explicite en acte. En effet, la
nisi sit conditio actu explicita: non enim sufficit condition [posée de manière habituelle] ne suffit
solo habitu: quia ipsa novitas rei insolitae, pas, car la nouveauté même d’une chose insolite
considerationem et attentionem requirit; sicut exige considération et attention, comme il est dit
dicitur de beata virgine Luc. 1, quod cogitabat de la bienheureuse Vierge, Lc 1, qu’elle se
qualis esset illa salutatio. demandait quelle était cette salutation.
Quaestiuncula 7 Réponse à la sous-question 7
[8612] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 co. Chaque fois qu’un nom est donné à une chose,
Ad septimam quaestionem dicendum, quod en acte ou par accident, selon qu’il est déterminé
quandocumque aliquod nomen imponitur alicui à quelque chose d’unique, il ne peut être utilisé
actui vel accidenti secundum quod determinatur pour une autre chose qu’improprement ou
ad aliquod unum, non potest dici de alio nisi métaphoriquement, comme on parle de camus
improprie vel metaphorice: sicut simitas pour la courbure du nez. Ainsi ne peut-on dire
imponitur curvitati nasi; unde non potest dici, que la croix est camus ou que le bois est courbe,
quod crux sit simum, vel lignum quod est curvum, si ce n’est métaphoriquement. De même, puisque
nisi metaphorice. Similiter cum latria sit nomen le culte de latrie est un nom donné au service de
impositum servituti divinae, non potest Dieu, on ne peut parler de latrie pour n’importe
quaecumque alia servitus alteri exhibita dici latria quelle autre servitude que de manière impropre
nisi improprie vel metaphorice; unde latria non ou métaphorique. Aussi ne parle-t-on pas de
dicitur univoce de cultu Dei veri et de idolatria. latrie de manière univoque pour le culte du vrai
Dieu et pour l’idolâtrie.
[8613] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 ad 1 1. La matière qui fait partie de la raison de
Ad primum ergo dicendum, quod materia quae l’espèce différencie bien l’espèce et empêche le
includitur in ratione speciei, bene diversificat caractère univoque, comme cela ressort de
speciem, et impedit univocationem, sicut patet in l’exemple donné pour la courbure du nez. Ainsi
exemplo posito de curvitate nasi; et ita est in en est-il pour la question en cause.
proposito.
[8614] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 ad 2 2. Ce mot « béatitude » signifie une chose en vue
Ad secundum dicendum, quod hoc nomen de laquelle toutes les autres choses doivent être
beatitudo significat aliquid propter quod omnia choisies, et qui est choisie seulement pour elle-
alia sunt eligenda, et ipsum propter se tantum même parce qu’elle possède tout bien de manière
eligatur omnis boni sufficientiam habens, sine hoc suffisante, sans avoir de rapport avec une
quod concernat aliquam materiam; et ideo semper matière. Aussi [le mot] « béatitude » est-il
remanet beatitudo univoce dicta, quamvis in toujours utilisé de manière univoque, bien
diversis rebus quaeratur. Sed non est sic in qu’elle soit cherchée dans des choses différentes.
proposito, quia nomen latriae materiam concernit. Mais il n’en va de même pour ce qui est en
cause, car le mot « latrie » concerne une matière.
[8615] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 2 qc. 7 ad 3 3. Lorsqu’on dit que l’idolâtrie est le culte dû à
Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, quod Dieu manifesté à une idole, ce qu’on dit :
idolatria sit cultus Deo debitus idolo exhibitus, « manifesté à une idole », diminue la raison qui
hoc quod dicitur, idolo exhibitus, diminuit de précède. On ne conclut donc pas : « Donc, c’est
324

ratione praecedenti; unde non sequitur: ergo est un culte de latrie », comme le labourage est une
latria: sicut aratio dicitur scissio quae debetur séparation due à la terre. Mais si quelqu’un en
terrae: si quis autem vomere scindit aquam, illa vomissant sépare l’eau, cette séparation est due à
scissio est terrae debita, non tamen dicitur aratio la terre, mais elle n’est appelée « labourage » que
nisi aequivoce. de manière équivoque.

Articulus 3 [8616] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. Article 3 – Le culte de latrie est-il dû à Dieu
3 tit. Utrum latria debeatur Deo ratione potentiae, en raison de sa puissance, de sa sagesse et de
an sapientiae ac bonitatis sa bonté ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le culte de latrie est-il dû à
Dieu en raison de sa puissance, de sa sagesse
et de sa bonté ?]
[8617] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble que le culte de latrie soit dû à Dieu
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod latria en raison de sa puissance. En effet, la servitude
debeatur Deo ratione potentiae. Servitus enim est en rapport avec la seigneurie. Or, « Dieu est
dominium respicit. Sed Deus dicitur dominus appelé Seigneur en raison de sa capacité de
propter potentiam coercendi subditam creaturam, forcer la créature qui lui est soumise », comme le
ut dicit Boetius. Cum igitur latria sit servitus, dit Boèce. Puisque le culte de latrie est un
videtur quod debeatur Deo ratione potentiae. service, il semble donc qu’il soit dû à Dieu en
raison de sa puissance.
[8618] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2. Il semble que ce soit en raison de sa sagesse.
2 Item, videtur quod ratione sapientiae. Debetur En effet, le culte de latrie est dû à Dieu en tant
enim Deo latria inquantum est Deus. Sed Deus, qu’il est Dieu. Or, on parle de Dieu, selon [Jean]
secundum Damascenum, dicitur ex hoc quod Damascène, parce qu’Il voit tout, ce qui relève
omnia videt, quod ad sapientiam pertinet. Ergo de sa sagesse. Il semble donc que le culte de
videtur quod debeatur ei latria ratione sapientiae. latrie lui soit dû en raison de sa sagesse.
[8619] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3. Il semble que ce soit en raison de sa bonté, car
3 Item, videtur quod ratione bonitatis. Quia nous lui manifestons un culte de latrie pour
latriam ei exhibemus, inquantum ab ipso sumus. autant que nous existons par lui. Or, « nous
Sed quia bonus est, sumus, ut dicit Augustinus. existons parce qu’il est bon », comme le dit
Ergo latria debetur ei ratione bonitatis. Augustin. Le culte de latrie lui est donc dû en
raison de sa bonté.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le même culte de latrie
est-elle dû au Père et au Fils ?]
[8620] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’un autre culte de latrie soit dû au
1 Ulterius. Videtur quod alia latria debeatur patri Père et au Fils. En effet, la foi dirige le culte de
et alia filio. Latriam enim dirigit fides. Sed fides latrie. Or, la foi comporte un article différent
alium articulum habet de patre, et alium de filio. pour le Père et le Fils. Un autre culte de latrie
Ergo alia latria est utrique exhibenda. doit donc être manifesté aux deux.
[8621] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2. Comme on l’a dit, l’honneur est dû à la
2 Praeterea, honor, ut dictum est, debetur personne qui agit. Or, le Père et le Fils sont deux
personae agenti. Sed pater et filius sunt duae personnes. Un double honneur leur est donc dû.
personae. Ergo duplex honor eis debetur.
[8622] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3. Le même honneur est manifesté à l’humanité
3 Praeterea, humanitati Christi exhibetur unus du Christ qu’au Verbe. Or, cela ne peut se
honor qui et verbo. Sed non potest hoc intelligi, ut comprendre, semble-t-il, en raison de la nature,
videtur, ratione naturae: quia naturae distinctae car les natures [divine et humaine] sont
sunt. Ergo intelligitur ratione personae. Sed alia distinctes. Cela se comprend donc en raison de la
est persona patris, alia filii. Ergo et alius honor personne. Or, la personne du Père et celle du Fils
debetur utrisque. sont différentes. Un autre honneur est donc dû
325

aux deux.
[8623] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, si on écarte la distinction des
1 Sed contra, remota distinctione personarum, personnes, le culte de latrie est encore dû à Dieu.
adhuc debetur Deo latria. Ergo debetur ei ratione Il lui est donc dûe en raison de sa nature. Or, la
naturae. Sed natura est una. Ergo et latria est una. nature [divine] est unique. Le culte de latrie est
donc unique.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le culte de latrie doit-elle
être manifesté à Dieu par des rites
corporels ?]
[8624] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’on ne doive pas manifester à
1 Ulterius. Videtur quod non debeat Deo exhiberi Dieu un culte de latrie par des rites corporels. En
latria secundum aliquos corporales ritus. Sicut effet, l’Apôtre dit, Ga 4, que les hommes,
enim dicit apostolus ad Galat. 4, homines in veteri rendant un culte, alors qu’ils étaient dominés par
lege sub elementis hujus mundi servientes, erant les éléments de ce monde sous la loi ancienne,
quasi pueri sub paedagogo positi. Sed, sicut ipse étaient comme des enfants sous l’autorité d’un
dicit, veniente plenitudine temporis jam non pédagogue. Or, comme il le dit lui-même,
sumus sub paedagogo. Ergo non debemus Deo lorsque la plénitude du temps est venue, nous ne
latriam exhibere secundum corporales actus. sommes plus sous l’autorité d’un pédagogue.
Nous ne devons donc pas manifester à Dieu un
culte de latrie par des rites corporels.
[8625] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2. Il est dit en Jn 4, 24 : Dieu est esprit, et ceux
2 Praeterea, Joan. 4, 24, dicitur: spiritus est Deus; qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en
et eos qui adorant eum, in spiritu et veritate vérité. Il ne faut donc pas que nous l’adorions
oportet adorare. Ergo non oportet quod eum par des actes corporels, par des génuflexions ou
adoremus corporalibus actibus, vel genuflectendo des chants.
vel cantando.
[8626] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3. Dieu est partout. Nous ne devons donc pas
3 Praeterea, Deus ubique est. Ergo non magis l’adorer davantage vers l’orient que vers une
debemus ad orientem adorare quam ad aliam autre partie du monde.
partem.
[8627] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. Cependant, nous tenons notre esprit et notre
1 Sed contra, nos et spiritum et corpus habemus a corps de Dieu. Or, nous l’adorons selon ce que
Deo. Sed secundum hoc quod ab eo sumus eum nous tenons de lui. Nous devons donc l’adorer
adoramus. Ergo et spiritualiter et corporaliter eum spirituellement et corporellement.
debemus adorare.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8628] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Le culte de latrie témoigne du service que nous
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, devons à Dieu parce qu’Il nous a créés. Le culte
quod latria profitetur servitutem quam debemus de latrie lui est donc dû pour autant qu’il est le
Deo, quia fecit nos; unde debetur sibi latria Créateur, selon qu’il est la fin et l’origine
inquantum creator, secundum quod ipse est finis première de notre être. C’est ce que dit la Glose
et origo prima nostri esse; et hoc est quod dicit sur Ps 7 : Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai espéré :
Glossa super illud Psalm. 7: domine Deus meus, « Dieu, par la création, à qui un culte de latrie est
in te speravi: Deus per creationem, cui latria dû. » Et parce qu’il est le Créateur en tant qu’Il
debetur. Et quia ipse creator est, inquantum est bon, sage et puissant, et selon toutes les
bonus, sapiens et potens, et secundum omnia choses de ce genre, le culte de latrie lui est dû en
hujusmodi; ideo ratione omnium debetur sibi raison de toutes ces choses, et non pas selon
latria, et non secundum unum horum tantum. d’une de ces choses seulement.
[8629] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 ad La réponse aux objections est ainsi claire.
arg. Unde patet responsio ad objecta.
326

Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2


[8630] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont
Ad secundam quaestionem dicendum, quod quia un seul Créateur, un seul culte de latrie leur est
pater et filius et spiritus sanctus sunt unus creator, donc dû, puisque le culte de latrie est dû à Dieu
ideo debetur eis una latria; cum Deo debeatur en tant qu’Il est le Créateur.
latria inquantum creator.
[8631] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 1. La foi est due à Dieu en tant qu’il est une
Ad primum ergo dicendum, quod fides debetur réalité qui peut être objet de pensée. Parce que
Deo, inquantum est res cogitabilis: et quia tout ce qui est distinct en réalité peut être pensé à
quaecumque secundum rem distinguuntur, part, mais que l’inverse n’est pas vrai, des
possunt seorsim cogitari, sed non convertitur; ideo articles de foi différents portent sur les trois
tres personae, quae sunt tres res diversae, diversos personnes, qui sont trois réalités différentes ;
fidei articulos habent: sed omnes tres personae mais toutes les trois personnes sont un seul
sunt unus creator: unde et una latria eis debetur. Créateur. C’est pourquoi un seul culte de latrie
leur est dû.
[8632] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 2. La nature divine est subsistante en elle-même,
Ad secundum dicendum, quod natura divina est même en mettant à part les personnes distinctes
per se subsistens, etiam circumscriptis personis que suppose la foi. Aussi lui convient-il d’agir,
distinctis quas fides supponit; unde agere competit même en mettant à part la distinction des
ei et circumscripta distinctione personarum, et per personnes et, par conséquent, un culte de latrie
consequens latria. [lui convient-il].
[8633] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 3. Bien que les deux natures soient distinctes par
Ad tertium dicendum, quod quamvis duae naturae elles-mêmes, elles sont cependant unies dans la
sint distinctae secundum se, tamen sunt unitae in personne. Et parce qu’un seul honneur est dû à la
persona; et quia unus honor debetur divinae nature divine et aux personnes, par conséquent,
naturae et personae; ideo per consequens unus un seul honneur est dû à la nature divine et à la
honor debetur divinae naturae et humanae, cui nature humaine, à qui est dû le même honneur
debetur unus honor qui et personae divinae. qu’à la personne divine.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8634] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Il existe en nous un triple bien : spirituel,
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in nobis corporel et extérieur. Et parce que toutes ces
est triplex bonum; scilicet spirituale, corporale, et choses en nous viennent de Dieu, nous devons
extrinsecum; et quia haec omnia in nobis a Deo lui manifester le culte de latrie pour toutes ces
sunt, ideo secundum omnia debemus Deo latriam choses. Selon l’esprit, nous lui devons l’amour
exhibere: et secundum spiritum exhibemus ei qui convient ; selon le corps, des inclinations et
debitam dilectionem; secundum corpus des chants ; mais, selon les réalités extérieures,
prostrationes et cantus; secundum exteriora des sacrifices, des cierges et des choses de ce
autem, sacrificia, luminaria, et hujusmodi: quae genre, que nous n’offrons pas à Dieu en raison
Deo non propter ejus indigentiam exhibemus, sed de son indigence, mais en reconnaissance du fait
in recognitionem quod omnia ab ipso habemus: et que nous tenons tout de lui. Et de même que
sicut eum ex omnibus recognoscimus, ita etiam nous le reconnaissons pour tout, de même aussi
eum ex omnibus honoramus. l’honorons-nous pour tout.
[8635] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 1. Sous la loi ancienne, les réalités corporelles
Ad primum ergo dicendum, quod corporalia erant étaient purement corporelles, car elles ne
in veteri lege pure corporalia, quia gratiam non contenaient pas la grâce. Cependant, elles étaient
continebant; erant tamen signa spiritualium: sed des signes de réalités spirituelles. Toutefois, les
corporalia quae nos Deo exhibemus, non sunt réalités corporelles que nous présentons à Dieu
pure corporalia; sed sunt sacramenta continentia ne sont pas purement corporelles, mais sont des
gratiam, et sacramentalia. Unde non est simile de sacrements contenant la grâce et des
nova et veteri observantia. sacramentaux. Il n’en va donc pas de même de la
327

loi nouvelle et de la loi ancienne.


[8636] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 2. Bien que Dieu soit esprit, il est cependant le
Ad secundum dicendum, quod quamvis Deus sit Créateur du corps. Aussi devons-nous le servir
spiritus, est tamen creator corporis; et ideo principalement en esprit, mais, de manière
principaliter ei in spiritu servire debemus; secondaire, par le corps. C’est pourquoi nous
secundario autem in corpore; et ideo etiam prions aussi oralement, afin que non seulement
vocaliter oramus, ut sibi non solum spiritus, sed notre esprit, mais aussi notre langue de chair se
etiam lingua carnis obsequatur, ut nos ipsos et soumette, pour nous inciter nous-mêmes et les
alios ad laudem Dei excitemus. autres à la gloire de Dieu.
[8637] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 3. Bien que Dieu soit partout, il a cependant été
Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus ubique établi par l’Église que le sacrifice de la messe lui
sit, tamen institutum est ab Ecclesia ut sacrificium serait offert en direction de l’orient pour trois
Missae ei offeratur versus orientem, propter tria. raisons. Premièrement, pour signifier quelque
Primo propter significationem: quia a Deo est chose, car l’illumination de l’esprit nous vient de
nobis mentis illuminatio, sicut lumen corporale ab Dieu, comme la lumière corporelle de l’orient.
oriente. Secundo, quia est nobilior pars orbis; et Deuxièmement, parce que c’est la partie la plus
omne quod est nobilius apud nos, Deo debemus. noble du monde et que tout ce qui est plus noble
Tertio, propter opera quaedam notabilia ipsius in chez nous nous vient de Dieu. Troisièmement, en
oriente: quia ipse movet caelum, cujus motus ab raison de certaines de ses actions remarquables à
oriente incipit; ipse etiam Paradisum in oriente l’orient, car lui-même meut le ciel, dont le
constituit; ipse etiam ab oriente ad judicium mouvement commence à l’orient ; lui-même a
veniet, sicut ad orientem ascendit. aussi établi le Paradis à l’orient, et lui-même
viendra aussi de l’orient pour le jugement,
comme il est montré vers l’orient.

Quaestio 2 Question 2 – [Qu’est-ce que le culte de dulie ?]


Prooemium Prologue
[8638] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur [le culte] de dulie. À
quaeritur de dulia; et circa hoc quaeruntur tria: 1 ce propos, trois questions sont posées : 1 –
quid sit; 2 utrum habeat diversas species; 3 cui Qu’est-ce que [le culte de dulie] ? 2 – Comporte-
debeatur. t-il plusieurs espèces ? 3 – À qui est-il dû ?

Articulus 1 [8639] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. Article 1 – Le culte de latrie et le culte de


1 tit. Utrum latria et dulia sint idem dulie sont-ils la même chose ?
[8640] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que [le culte] de dulie soit la même
primum sic proceditur. Videtur, quod dulia sit chose que [le culte] de latrie. En effet, un seul
idem quod latria. Deo enim non debetur nisi unus honneur est dû à Dieu. Or, le culte de dulie et le
honor. Sed debetur ei dulia et latria, sicut dicit culte de latrie lui sont dus, comme le dit la Glose
Glossa super illud Psalm. 7: domine Deus meus, à propos de Ps 7 : Seigneur, mon Dieu, en toi j’ai
in te speravi. Dominus omnium per potentiam; cui espéré : « Le Seigneur de tout par sa puissance, à
debetur dulia: Deus omnium per creationem, cui qui est dû [le culte] de dulie ; le Seigneur de tout
debetur latria. Ergo dulia et latria sunt idem. par la création, à qui est dû [le culte] de latrie. »
Le culte de dulie et le culte de latrie sont donc la
même chose.
[8641] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 2 2. C’est par la même vertu de charité que nous
Praeterea, eadem virtus caritatis est qua diligitur aimons Dieu et le prochain. Or, par le culte de
Deus, et proximus. Sed latria honoratur Deus, latrie, Dieu est honoré et, par le culte de dulie, le
dulia proximus. Ergo est eadem virtus. prochain. Il s’agit donc de la même vertu.
[8642] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 3 3. La différence selon la matière ne différencie
Praeterea, differentia secundum materiam non pas l’espèce, comme il est dit dans
328

diversificat speciem, ut dicitur 10 Metaphys. Sed Métaphysique, X. Or, l’honneur qui est dû à
honor qui debetur Deo et proximo non differunt Dieu et au prochain ne diffèrent que par la
nisi secundum materiam. Ergo non sunt diversi in matière. Ils ne sont donc pas différents par
specie; et sic idem quod prius. l’espèce. La conclusion est ainsi la même que
précédemment.
[8643] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Le plus et le moins ne différencient pas
Praeterea, magis et minus non diversificant l’espèce. Donc, même si Dieu doit être
speciem. Ergo quamvis sit Deus magis davantage honoré que le prochain, il ne s’agit
honorandus quam proximus, non propter hoc sunt pas là d’espèces [d’honneur] différentes.
diversae species.
[8644] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed Cependant, [1] la science et la sagesse sont des
contra, sapientia et scientia sunt diversa dona: dons différents, car l’un porte sur les réalités
quia unum est de aeternis, alterum de éternelles, l’autre sur les réalités temporelles.
temporalibus. Ergo simili ratione latria et dulia Pour une raison semblable, le culte de latrie et le
sunt diversae virtutes. culte de dulie sont donc des vertus différentes.
[8645] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] Les habitus se distinguent par leurs actes, et
Praeterea, habitus distinguuntur per actus, et actus les actes par leurs objets. Or, le culte de dulie et
per objecta. Sed dulia et latria habent diversa le culte de latrie ont des objets différents. Ce sont
objecta. Ergo sunt diversae virtutes. donc des vertus différentes.
[8646] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 co. Réponse. L’honneur est dû à quelqu’un en
Respondeo dicendum, quod honor debetur alicui raison de l’excellence qui se trouve en lui. Or,
ratione excellentiae quae in ipso est. Non est l’excellence divine et l’excellence humaine n’ont
autem unius rationis excellentia divina et humana, pas la même raison ; c’est pourquoi l’honneur
et ideo non est honor unius rationis. Unde oportet n’a pas la même raison. Il est donc nécessaire
quod latria et dulia differant speciem. que le culte de latrie et le culte de dulie diffèrent
par l’espèce.
[8647] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. Au sens propre du terme, le culte de dulie
primum ergo dicendum, quod dulia, quantum ad exprime d’une manière générale un service, à qui
proprietatem vocabuli, dicit servitutem qu’il soit rendu. Et parce qu’un honneur ou un
communiter, cuicumque debeatur: et quia Deo service est dû à Dieu selon un mode plus parfait,
debetur honor vel servitus secundum modum le terme commun de « dulie » est réduit et est
perfectiorem; ideo nomen duliae commune d’une certaine manière approprié à l’honneur [dû
contrahitur et quodammodo appropriatur ad à] la créature, car il n’ajoute pas de différence à
honorem creaturae, quia non addit aliquam la dignité qui s’y rapporte au-delà de ce qui est
differentiam ad dignitatem pertinentem supra commun, comme le nom propre est tiré en
commune; sicut nomen proprium trahitur ad direction de ce qui est convertible avec lui de
conversum accidentale; conversum autem manière accidentelle, alors que ce qui est
essentiale proprio nomine dicitur definitio. Et quia convertible de manière essentielle selon le nom
in Deo est omnis ratio honoris qui invenitur in propreest appelé la définition. Et parce qu’existe
creatura, sed non convertitur; ideo latria debetur en Dieu toute la raison de l’honneur qui se
sibi secundum id quod est sibi proprium; dulia trouve dans la créature, mais non l’inverse, [le
autem secundum id quod est commune sibi et culte] de latrie lui est donc dû selon ce qui lui est
creaturae per analogiam. propre, mais [le culte] de dulie, selon ce qui est
commun à lui et à la créature par analogie.
[8648] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Parce qu’elle est une vertu théologale, l’objet
secundum dicendum, quod objectum caritatis, de la charité est la bonté divine, qui est la même,
cum sit virtus theologica, est bonitas divina, quae qu’elle soit envisagée en elle-même ou dans un
eadem est, sive in se, sive in altero consideretur; autre. C’est pourquoi l’amour de Dieu et celui du
et ideo dilectio Dei et proximi ad unam virtutem prochain relèvent d’une seule vertu. Mais
pertinent. Sed honor exhibetur excellentiae l’honneur est manifesté à l’excellence absolue,
329

absolutae, quae non est unius rationis in Deo et qui n’a pas la même raison en Dieu et dans les
creaturis, sed variatur. créatures, mais qui est différent.
[8649] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Ce n’est pas là seulement une différence
tertium dicendum, quod haec non est tantum matérielle, mais [une différence] formelle, car on
materialis differentia, sed formalis: quia alia ratio trouve une raison différente de révérence et
reverentiae et honoris invenitur in Deo et in d’honneur pour Dieu et pour l’homme. Une
homine, et ideo causatur diversitas secundum différence selon l’espèce est donc causée.
speciem.
[8650] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Le plus et le moins ne causent pas de
quartum dicendum, quod magis et minus non différence selon l’espèce, mais parfois en
causant diversitatem secundum speciem, sed découlent, lorsque le plus et le moins sont causés
aliquando consequuntur eam, quando scilicet par la différence de ce qui différencie l’espèce.
magis et minus causantur ex diversitate eorum
quae speciem diversificant.

Articulus 2 [8651] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. Article 2 – Le culte de dulie comporte-t-il


2 tit. Utrum dulia habeat diversas species diverses espèces ?
[8652] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le culte de dulie ne comporte
secundum sic proceditur. Videtur, quod dulia non pas diverses espèces. En effet, le culte de dulie
habeat diversas species. Dulia enim dividitur s’oppose au culte de latrie. Or, le culte de latrie
contra latriam. Sed latria non dividitur per ne se divise pas selon des espèces. Donc, ni le
species. Ergo nec dulia. culte de dulie.
[8653] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Le culte de dulie porte sur la bonté ou
Praeterea, dulia attendit bonitatem vel l’excellence créée. Or, cela se trouve pas d’une
excellentiam creatam. Sed hoc invenitur in manière générale en tout ce à quoi un culte de
omnibus communiter quibus debetur dulia. Ergo dulie est dû. Il ne comporte donc pas des espèces
non habet diversas species. différentes.
[8654] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 3 3. De même que le culte de dulie porte sur une
Praeterea, sicut dulia respicit debitum honoris; ita dette d’honneur, de même l’obéissance sur ce qui
obedientia debitum praecepti. Sed obedientia non est dû en vertu d’un commandement. Or,
differt specie secundum diversos quibus debetur. l’obéissance ne diffère pas par l’espèce selon les
Ergo nec dulia. différentes choses auxquelles elle est due. Donc,
ni le culte de dulie.
[8655] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Si le culte de dulie comportait des espèces
Praeterea, cum dulia debeatur diversis secundum différentes selon les différentes choses
infinitos gradus excellentiae, si secundum auxquelles il est dû, puisque celles-ci comportent
diversos quibus debetur, species diversas haberet, une infinité de degrés d’excellence, il y aurait
essent infinitae species duliae. Sed hoc est une infinité d’espèces de culte de dulie. Or, cela
impossibile. Ergo dulia non habet plures species. est impossible. Le culte de dulie ne comporte
donc pas plusieurs espèces.
[8656] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed Cependant, [1] le culte de dulie est dû à Dieu et
contra, dulia debetur Deo et creaturae, ut ex dictis, à la créature, comme cela ressort de ce qui a été
art. 1, patet. Sed non est eadem ratio honoris in dit, a. 1. Or, la raison de l’honneur n’est pas la
utroque. Ergo est ibi diversa species duliae. même chez les deux. Il y a donc là une espèce
différente de dulie.
[8657] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] Le culte de dulie est manifesté à des choses
Praeterea, dulia exhibetur rebus inanimatis, sicut inanimées, comme la croix, les reliques et même
cruci, et reliquiis, et etiam hominibus. Sed in his des hommes. Or, il y ne peut y avoir pour ceux-
non potest esse una ratio honoris. Ergo dulia habet ci la même raison d’honneur. Le culte de dulie
diversas species. comporte donc des espèces différentes.
330

[8658] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 co. Réponse. Les habitus se différencient par leurs
Respondeo dicendum, quod habitus actes, et les actes par leurs objets. Là où on
diversificantur per actus, et actus per objecta; trouve une raison différente pour l’objet, il faut
unde ubi invenitur diversa ratio objecti, oportet donc qu’il y ait des actes et des habitus différents
quod sint actus et habitus specie differentes. Cum par l’espèce. Puisque l’honneur est dû à
ergo honor debeatur alicui ratione excellentiae quelqu’un en raison de l’excellence qu’il
quam habet, et non sit ejusdem rationis excellentia possède, et que l’excellence n’a pas la même
in diversis; ideo oportet quod sit alia ratio honoris, raison dans les différentes choses, il faut donc
et alia virtus secundum speciem, quae diversos qu’il y ait une autre raison d’honneur et une
honores exhibet: non enim idem honor debetur vertu selon l’espèce, qui rendent des honneurs
patri, regi et magistro, et sic de aliis, ut dicit différents. En effet, le même honneur n’est pas
philosophus in 9 Ethic. Inter omnes autem alias dû au père, au roi et au maître, et ainsi de suite
rationes excellentiae illa est praecipua qua pour les autres choses, comme le dit le
creatura honoratur ratione unionis ad creatorem, Philosophe, dans Éthique, IX. Parmi toutes les
sicut humanitas Christi, et quae ad ipsam raisons d’excellence, la principale est celle par
pertinent; et ideo speciali nomine hyperdulia laquelle une créature est honorée en raison de
nominatur, quasi superdulia ad latriam accedens. l’union au Créateur, comme l’humanité du Christ
et ce qui s’y rapporte. Aussi est-elle désignée par
le mot particulier d’« hyperdulie », ou
« superdulie », qui s’approche du culte de latrie.
[8659] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. L’excellence du Créateur a une raison unique.
primum ergo dicendum, quod excellentia creatoris C’est pourquoi il n’existe qu’un seul culte de
est unius rationis; et ideo latria, quae hoc attendit, latrie, qui porte sur cela. Mais ce n’est pas la
est una tantum. Nec est simile de dulia, cum in même chose pour le culte de dulie, puisqu’il
creaturis sint diversae rationes excellentiae. existe diverses raisons d’excellence parmi les
créatures.
[8660] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. L’excellence créée ne comporte pas une raison
secundum dicendum, quod excellentia creata non unique par l’espèce, bien qu’elle soit unique par
est unius rationis in specie, licet sit una secundum le genre. Aussi même le culte de dulie se divise
genus; et ideo etiam dulia per species dividitur. par espèces.
[8661] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. L’obéissance a rapport au seigneur, selon que
tertium dicendum, quod obedientia respicit le serviteur est pour ainsi dire un instrument du
dominum, secundum hoc quod servus est quasi seigneur et est mû sur son ordre. Or, le culte de
instrumentum domini, et movetur ad imperium dulie ne porte pas sur une seule raison
ejus. Sed dulia non considerat rationem unam d’excellence, mais sur toutes.
excellentiae tantum, sed omnes.
[8662] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Les degrés d’excellence peuvent être
quartum dicendum, quod gradus excellentiae envisagés de deux manières : selon la quantité
possunt accipi dupliciter: vel secundum seulement, et ainsi ils sont infinis et ne
quantitatem tantum; et sic sunt infiniti, et non différencient pas l’espèce de dulie ; selon leur
diversificant speciem duliae; vel secundum raison, et ainsi ils les différencient et ne sont pas
rationem, et sic diversificant, et non sunt infiniti. infinis.

Articulus 3 [8663] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. Article 3 – Les pécheurs doivent-ils être
3 tit. Utrum peccatores debeant honorari dulia honorés par un culte de dulie ?
[8664] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que les pécheurs ne doivent pas être
tertium sic proceditur. Videtur, quod peccatores honorés par un culte de dulie. En effet,
non debeant honorari dulia. Honor enim duliae, ut « l’honneur de dulie, comme le dit le Philosophe,
dicit philosophus, est reverentia exhibita alicui in est une révérence manifestée à quelqu’un en
testimonium virtutis. Sed peccatores, etiam témoignage rendu à sa vertu ». Or, les pécheurs,
331

praelati, non habent virtutem. Ergo qui eos même les prélats, n’ont pas de vertu. Ceux qui
honorant, falsum testimonium perhibent, quod est les honorent rendent donc un faux témoignage,
peccatum. ce qui est un péché.
[8665] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 2 2. Dans le Pastoral, Grégoire dit : « On répand
Praeterea, Gregorius in Pastor. dicit, quod in fortement l’exemple de la faute lorsqu’un
exemplum culpae vehementer extenditur, quando pécheur est honoré par révérence pour son
pro reverentia ordinis peccator honoratur. Hoc ordre. » Or, cela ne doit pas être fait, de crainte
autem fieri non debet ut in exemplum culpa que la faute devienne un exemple. Un prélat
trahatur. Ergo neque praelatus peccator debet pécheur ne doit donc pas être honoré.
honorari.
[8666] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 3 3. Un bon sujet ressemble plus à Dieu qu’un
Praeterea, subditus bonus magis est Deo similis mauvais prélat. Or, un honneur n’est dû à un
quam praelatus malus. Sed honor non exhibetur homme que pour autant qu’il ressemble à Dieu,
homini, nisi inquantum habet Dei similitudinem: car « l’honneur n’est dû qu’aux réalités
quia rebus divinis tantum debetur honor, ut dicit divines », comme le dit le Philosophe. Un
philosophus. Ergo minus honorandus est praelatus mauvais prélat doit donc être moins honoré
malus quam subditus bonus. qu’un bon sujet.
[8667] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 4 Sed 4. Cependant, Abraham a honoré des pécheurs
contra est quod Abraham honoravit peccatores qui habitaient Sichem lorsqu’il voulut acheter
habitantes in Sichem, quando voluit emere une double caverne.
speluncam duplicem.
[8668] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 5 5. Il semble qu’un culte de dulie doive être rendu
Item, videtur quod Daemonibus dulia debeat aux démons, car « l’image de Dieu demeure en
exhiberi. Quia in eis manet divina imago: quia eux, puisque les biens naturels demeurent de la
bona naturalia eis data manent lucidissima, ut manière la plus manifeste », comme dit Denys.
dicit Dionysius. Sed ratione imaginis, homini Or, un culte de dulie est rendu à un homme en
dulia exhibetur. Ergo et Daemoni est exhibenda. raison de l’image [de Dieu]. Il doit donc aussi
être rendu au Démon.
[8669] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 6 6. Il semble qu’ [un culte de dulie doive être
Item, videtur quod irrationabilibus. Quia in eis est rendu] aux êtres non raisonnables, car il y a en
vestigium, quod est similitudo Dei, sicut imago, eux un vestige, qui est une ressemblance de
etsi non adeo expressa. Magis autem et minus non Dieu, comme l’image, bien qu’elle ne soit pas
diversificant speciem. Ergo debetur eis dulia. aussi expresse. Or, le plus et le moins ne
différencient pas l’espèce. Un culte de dulie leur
est donc dû.
[8670] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 arg. 7 Sed 7. Il semble qu’ [un culte de dulie ne doive pas
contra, videtur quod nec etiam hominibus bonis; non plus être rendu] aux hommes bons, car le
quia dulia servitus est. Sed non hominibus culte de dulie est un service. Or, nous ne sommes
servitutem debemus. Ergo nec duliam. pas dans un état de servitude par rapport aux
hommes. Donc, [à eux non plus n’est pas dû] un
culte de dulie.
[8671] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 co. Réponse. Le culte de dulie comporte la
Respondeo dicendum, quod dulia reverentiam et révérence et l’honneur qui peuvent être
honorem importat quae creaturae exhiberi potest. manifestés à une créature. Or, comme le dit le
Cum autem honor ut dicit philosophus, non Philosophe, puisque « l’honneur n’est dû qu’aux
debeatur nisi rebus divinis, non debetur proprie et réalités divines », il n’est dû, au sens propre et
directe nisi habenti gratiam et virtutem, quae directement, qu’à celui qui a la grâce et la vertu,
divinos facit. Sed habet aliquis virtutem qui rendent [les hommes] divins. Or, quelqu’un
multipliciter: vel sicut actu virtuosus; et huic possède la vertu de deux manières : soit il est
directe debetur et proprie et secundum se honor: vertueux en acte, et l’honneur lui est alors dû
332

vel sicut habens aptitudinem naturalem ad directement, au sens propre et en lui-même ; soit
virtutem; et sic cuilibet habenti imaginem est il possède une aptitude naturelle à la vertu, et
exhibendus honor, nisi sit confirmatus in malo, ainsi l’honneur doit être manifesté à quiconque
quia ligatus est in illo ordo ad virtutem: vel sicut possède l’image, à moins qu’il ne soit confirmé
ordinatus ad inducendum vel conservandum dans le mal, car l’ordre à la vertu a été lié en lui ;
virtutem; et sic debetur omnibus praelatis, qui ad soit il est ordonné à acquérir ou à conserver la
hoc ordinati sunt ut alios dirigant in virtutem. vertu, et ainsi [l’honneur] est dû à tous les
prélats, qui ont été ordonnés à diriger les autres
vers la vertu.
[8672] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1. Les pécheurs, bien qu’ils ne possèdent pas la
primum ergo dicendum, quod peccatores quamvis vertu en acte, y sont cependant habilités ; et les
non habeant virtutem in actu, tamen habent in prélats aussi la possèdent du fait qu’ils sont
habilitate; et praelati habent etiam in hoc quod ordonnés à la causer ou à la conserver.
sunt ordinati ad ipsam causandam, vel
conservandam.
[8673] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 2 Ad 2. Le culte de dulie ne doit pas être manifesté à
secundum dicendum, quod praelato, dum est in un prélat alors qu’il est en acte de péché, car
actu peccati, non debet exhiberi dulia, quia quelque chose de contraire à l’honneur apparaît
apparet in eo aliquid honori contrarium: sed ante en lui ; mais un culte de dulie doit lui être rendu
vel post sibi dulia debet exhiberi, quia nescitur in avant ou après, car on ne sait en quel état il est.
quo statu sit.
[8674] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. Une plus grande révérence est due en soi à un
tertium dicendum, quod subdito bono debetur sujet bon, mais, en raison de la fonction de
secundum se major reverentia; sed ratione prélat, un plus grand honneur est dû à un
praelationis debetur major malo praelato. Et est mauvais prélat. Il y a à cela trois raisons.
triplex ratio: primo, quia praelatus gerit vicem Premièrement, parce que le prélat tient la place
Dei, unde Deus in ipso honoratur; secundo, quia de Dieu, de sorte que Dieu est honoré en lui.
ipse est persona publica, et honoratur in ipso Deuxièmement, parce qu’il est un personnage
bonitas Ecclesiae vel reipublicae, quae est major public et qu’est honorée en lui la bonté de
quam merita unius singularis personae; tertio, l’Église ou de la chose publique, qui est plus
quia praelatio se habet ad virtutem sicut causa grande que les mérites d’une seule personne
efficiens in aliis virtutem; et dignius est alterius
particulière. Troisièmement, parce que le rapport
virtutis causam existere, inquantum hujusmodi, de la fonction de prélat à la vertu est celui d’une
quam virtuosum esse, ut dicit philosophus. cause efficiente par rapport aux autres vertus et
que, en tant que tel, « il est plus digne d’être
cause de la vertu d’un autre que d’être
vertueux », comme le dit le Philosophe.
[8675] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 4 4. Nous concédons le quatrième argument.
Quartum concedimus.
[8676] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 5 Ad 5. Chez les démons, l’aptitude naturelle à la
quintum dicendum, quod in Daemonibus est ligata vertu est liée. C’est pourquoi un culte de dulie ne
aptitudo naturalis ad virtutem; et ideo non debet doit pas leur être rendu.
eis dulia exhiberi.
[8677] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 6 Ad 6. La ressemblance du vestige ne confère pas
sextum dicendum, quod similitudo vestigii non d’aptitude à la vertu, comme la ressemblance de
ponit aptitudinem ad virtutem, sicut similitudo l’image. C’est pourquoi un culte de dulie ne doit
imaginis; et ideo dulia non debetur ei. pas lui être rendu.
[8678] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 ad 7 Ad 7. Nous ne servons pas les saints parce que nous
septimum dicendum, quod sanctis non servimus leur sommes soumis, mais selon un service de
quasi obnoxii eis, sed servitute reverentiae; quia révérence, car ils nous conduisent soit par
333

sunt nostri ductores vel per doctrinam, vel per l’enseignement, soit par l’administration, soit par
administrationem, vel per intercessionem et l’intercession et l’exemple. La raison de service
exemplum: et salvatur in hoc ratio servitutis est en cela sauvegardée du fait qu’il revient à un
quantum ad hoc quod est causa alterius agere, autre d’agir en tant que fin, mais non à ce qui
sicut finis; non autem sicut moventis per meut par coercition ou par commandement.
coactionem vel imperium.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


9
[8679] Super Sent., lib. 3 d. 9 q. 2 a. 3 expos. In
dilectione, sacrificii exhibitione, et reverentia.
Dilectio refertur ad honorem interiorem Deo
exhibitum; sacrificia ad bona exteriora quae in
ejus honorem assumuntur; reverentia, secundum
quod corpus nostrum ei in obsequium damus,
sicut in prostrationibus, et hujusmodi. Una
adoratione cum incontaminata carne ejus. Ergo
videtur quod filius sit magis adorandus quam
pater vel quam ipsemet ante incarnationem.
Dicendum, quod humanitas ejus non adoratur
latria nisi propter divinitatem: et ideo non facit
ipsum magis adorabilem, sed plura in ipso
adorari; quia hoc quod additur, ut supra dictum
est, non additur ad bonitatem divinam. Nemo
carnem ejus manducat, nisi prius adoret. Loquitur
de manducatione spirituali, quae sine reverentia
esse non potest: non autem de sacramentali, quia
potest aliquis irreverenter manducare. Vel
dicendum, quod loquitur quantum ad id quod
debet fieri secundum institutionem Ecclesiae,
quae prius proponit carnem Christi adorandam
quam tribuat manducandam; et non secundum
quod abusive potest fieri.

Distinctio 10 Distinction 10 – [Ce qui convient à la


personne du Christ en raison de sa nature
humaine]

Quaestio 1 Question 1 – [Le Christ est-il Dieu en tant


qu’homme ?]
Prooemium Prologue
[8680] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de ce qui convient ou ne
determinavit Magister, quid conveniat vel non convient pas à une nature du fait qu’elle est
conveniat uni naturae ex hoc quod est alteri associée à l’autre dans la personne du Christ, le
sociata in persona Christi, hic determinat quid Maître détermine ici de ce qui convient à la
conveniat ipsi personae Christi ratione humanae personne même du Christ en raison de sa nature
naturae. Quid enim sibi conveniat ratione divinae humaine. En effet, ce qui lui convient en raison
naturae, dictum est in 1 Lib. Dividitur autem haec de sa nature divine a été dit au livre I. Cette
pars in duas: primo quaerit, utrum conveniant partie se divise en deux : dans la première, il se
Christo ratione humanae naturae ea quae ad demande si ce qui semble appartenir à la dignité
334

dignitatem humanae naturae pertinere videntur; in de la nature humaine convient au Christ ; dans la
secunda de illis quaerit quae pertinent ad seconde, il s’interroge sur ce qui relève de sa
defectum, dist. 11, ibi: solet etiam quaeri, utrum carence, d. 11, à cet endroit : « On a aussi
debeat simpliciter dici atque concedi Christum l’habitude de se demander si l’on doit tout
esse factum, vel creatum, vel creaturam. Prima in simplement concéder que le Christ a été fait ou
duas: primo inquirit de illis quae pertinent ad créé, ou qu’il est une créature. » La première
dignitatem naturalem humanae naturae, sicut est partie se divise en deux : premièrement, il
personalitas; secundo de his quae pertinent ad s’interroge sur ce qui relève de la dignité de la
dignitatem gratiae, ibi: si vero quaeritur, an nature humaine, comme la personnalité ;
Christus sit adoptivus filius secundum quod homo, deuxièmement, sur ce qui relève de la dignité de
an alio modo, respondemus Christum non esse la grâce, à cet endroit : « Si on se demande si le
adoptivum filium aliquo modo. Circa primum duo Christ est un fils adoptif selon qu’il est homme
facit: primo movet quaestionem; secundo objicit ou autrement, nous répondons que le Christ n’est
ad utramque partem, et solvit, ibi: quod enim d’aucune manière un fils adoptif. » À propos du
persona sit, his edisserunt rationibus. Et haec pars premier point, il fait deux choses : premièrement,
dividitur in duas, secundum duas vias in quibus ad il soulève la question ; deuxièmement, il
propositam quaestionem argumentatur; secunda présente des objections des deux côtés et les
incipit ibi: sed adhuc aliter nituntur probare, résout, à cet endroit : « Qu’il soit une personne,
Christum secundum hominem esse personam. ils l’ont enseigné par ces raisons. » Et cette partie
Circa primum duo facit: primo ponit objectionem; se divise en deux, selon les deux façons
secundo solvit, ibi: propter haec inconvenientia. d’argumenter pour la question proposée ; la
Circa primum duo facit: primo objicit ad partem seconde commence à cet endroit : « Mais ils
affirmativam; secundo ad partem negativam, ibi: s’efforcent encore de démontrer que le Christ est
sed contra. Si secundum quod homo, persona est; une personne en tant qu’il est homme. » À
vel tertia in Trinitate persona, vel alia. Propter propos du premier point, il fait deux choses :
haec inconvenientia et alia quidam dicunt, premièrement, il présente une objection ;
Christum secundum hominem non esse personam. deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « En
Hic solvit; et circa hoc duo facit: primo respondet raison de ces inconvenances… » À propos du
ad quaestionem; secundo ad objectum, ibi: illud premier point, il fait deux choses : premièrement,
tamen non sequitur quod in argumento superiori il présente une objection à la partie affirmative ;
inductum est. Sed adhuc aliter nituntur probare deuxièmement, à la partie négative, à cet
Christum secundum hominem esse personam. Hic endroit : « En sens contraire, s’il est une
ponit aliam objectionem: et primo objicit; secundo personne en tant qu’homme, ou la troisième
solvit, ibi: ad quod dici potest. Si vero quaeritur, personne de la Trinité ou une autre… » « En
an Christus sit adoptivus filius secundum quod raison de ces inconvenances et d’autres, certains
homo, an alio modo; respondemus, Christum non disent que le Christ n’est pas une personne en
esse adoptivum filium aliquo modo. Hic inquirit tant qu’homme. » Ici, il résout. À ce propos, il
de illis quae pertinent ad dignitatem gratiae; et fait deux choses : premièrement, il répond à la
primo de filiatione secundum adoptionem; question ; deuxièmement, à l’objection, à cet
secundo de praedestinatione, ibi: deinde si endroit : « Cependant, ce qui a été invoqué dans
quaeritur. Circa primum duo facit: primo ostendit le raisonnement antérieur n’est pas concluant. »
quod Christus non sit filius adoptivus; secundo « Mais il s’efforcent encore de démontrer
objicit in contrarium, ibi: sed adhuc opponitur. Et autrement que le Christ est une personne en tant
circa hoc tria facit: primo ponit objectionem; qu’homme. » Ici, il présente une autre objection.
secundo solvit, ibi: ad hoc dici potest; tertio Premièrement, il présente l’objection ;
solutionis confirmationem quantum ad duo: primo deuxièment, il la résout, à cet endroit : « On peut
quantum ad hoc quod Christus est naturalis filius dire à ce propos… » « Mais si on se demande si
virginis, ibi: quod vero naturaliter sit hominis le Christ est un fils adoptif en tant qu’il est
filius, Augustinus ostendit; secundo quantum ad homme ou autrement, nous répondons que le
hoc quod non sit filius per adoptionem, ibi: quod Christ n’est un fils adoptif d’aucune manière. »
335

autem non sit filius adoptivus, et tamen gratia sit Ici, il s’interroge sur ce qui relève de la dignité
filius, ex subditis probatur testimoniis. Hic est de la grâce : premièrement, sur la filiation par
triplex quaestio. Prima quid conveniat Christo, adoption ; deuxièmement, par prédestination, à
secundum quod homo. Secunda de adoptione. cet endroit : « Ensuite, si on se demande… » À
Tertia de praedestinatione. Circa primum propos du premier point, il fait deux choses :
quaeruntur duo: 1 utrum Christus, secundum quod premièrement, il montre que le Christ n’est pas
homo, sit Deus; 2 utrum Christus, secundum quod un fils adoptif ; deuxièmement, il présente une
homo, sit persona. objection en sens contraire, à cet endroit : « Mais
on objecte encore… » À ce propos, il fait trois
choses : premièrement, il présente l’objection ;
deuxièmement, il la résout, à cet endroit : « À ce
sujet, on peut dire… » ; troisièmement, il
présente une confirmation de la solution sous
deux aspects : premièrement, à propos du fait
que le Christ est le fils naturel de la Vierge, à cet
endroit : « Mais qu’il soit un fils d’homme de
manière naturelle, Augustin le montre » ;
deuxièmement, à propos du fait qu’il n’est pas
fils par adoption, à cet endroit : « Mais qu’il ne
soit pas un fils adoptif et soit cependant fils par
grâce, on le montre par les témoignages qui
suivent. » Ici, il y a trois questions : la première,
qu’est-ce qui convient au Christ en tant
qu’homme ? ; la deuxième, à propos de
l’adoption ; la troisième, à propos de la
prédestination. À propos du premier point, deux
questions sont posées : 1 – Le Christ en tant
qu’homme est-il Dieu ? 2 – Le Christ en tant
qu’homme est-il une personne ?
Articulus 1 [8681] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. Article 1 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il
1 tit. Utrum Christus secundum quod homo, sit Dieu ?
Deus
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ, en tant
qu’homme, est-il Dieu ?]
[8682] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme,
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod soit Dieu. Ph 2, 9 : Il lui a donné un nom au-
Christus, secundum quod homo, sit Deus. Philip. dessus de tout nom. Glose : « En tant qu’homme,
2, 9: dedit illi nomen quod est super omne nomen. il a pris le nom de Dieu, non par usurpation,
Glossa: inquantum homo, assumpsit nomen Dei mais en vérité. » Or, il est vraiment désigné par
non usurpative, sed vere. Sed nomen quod habet le nom qu’il porte en vérité. On dit donc en
vere, vere dicitur de eo. Ergo vere dicitur quod vérité que le Christ, en tant qu’homme, est Dieu.
Christus, secundum quod homo, est Deus.
[8683] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Le Christ est Dieu par la grâce d’union. Or, la
2 Praeterea, Christus est Deus per gratiam grâce d’union ne lui convient que selon qu’il est
unionis. Sed gratia unionis non convenit ei nisi homme. Il est donc Dieu selon qu’il est homme.
secundum quod est homo. Ergo est Deus
secundum quod homo.
[8684] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Le Christ, selon qu’il est homme, remet les
3 Praeterea, Christus, secundum quod homo, péchés, comme cela ressort de Mt 9, 6 : Afin que
dimittit peccata, ut patet Matth. 9, 6: ut autem vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir
336

sciatis quia filius hominis habet potestatem in de remettre les péchés sur terre. Or, cela ne
terra dimittendi peccata. Sed hoc est tantum Dei, relève que de Dieu, comme il est dit en
ut dicitur Isaiae 43, 25: ego sum qui deleo Is 43, 25 : C’est moi qui détruis tes iniquités à
iniquitates tuas propter me. Ergo secundum quod cause de moi. Donc, selon qu’il est homme, il est
homo, est Deus. Dieu.
[8685] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le Christ, en tant qu’il est Dieu,
1 Sed contra, Christus, secundum quod Deus, fuit est éternel. Si donc, selon qu’il est homme, il est
ab aeterno. Si igitur secundum quod homo, est Dieu, il a existé depuis l’éternité selon qu’il est
Deus; secundum quod homo, fuit ab aeterno: quod homme, ce qui est faux.
falsum est.
[8686] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] « Dieu » et « homme » signifient des natures
2 Praeterea, Deus et homo significant naturas différentes. Or, en de telles choses, l’un d’eux ne
disparatas. Sed in talibus non potest unum eorum peut convenir à l’autre au sens de l’autre. Le
secundum alterum alicui convenire. Ergo Christus Christ n’est donc pas Dieu selon qu’il est
non est Deus secundum quod homo. homme.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Est-il Dieu selon qu’il est
cet homme ?]
[8687] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il ne soit pas Dieu selon qu’il est
1 Ulterius. Videtur quod non sit Deus, secundum cet homme. En effet, tout ce qui est prédiqué
quod iste homo. Omne enim quod praedicatur de d’un autre selon qu’il est quelque chose doit en
altero secundum quod aliquid, oportet quod sit être la définition ou une partie de la définition,
definitio, vel pars definitionis, aut per se accidens ou en être un accident par soi selon qu’il est
illius secundum quod praedicatur: sicut cum prédiqué, comme lorsqu’on dit : « Pierre, selon
dicitur: Petrus, secundum quod homo, est animal qu’il est un homme, est un animal raisonnable
rationale mortale, vel, secundum quod homo, est mortel » ou « selon qu’il est un homme, il est [un
risibile. Sed Deus nullo dictorum modorum se animal] risible ». Or, Dieu n’a aucun rapport de
habet ad istum hominem. Ergo haec est falsa: ce genre avec cet homme. Cette proposition est
Christus, secundum quod iste homo, est Deus. donc fausse : « Le Christ, selon qu’il est cet
homme, est Dieu. »
[8688] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Le Christ, selon qu’il est Dieu, n’a pas de
2 Praeterea, Christus, secundum quod Deus, caret mère. Si donc le Christ, selon qu’il est cet
matre. Si ergo Christus, secundum quod iste homme, est Dieu, selon qu’il est cet homme, il
homo, est Deus; secundum quod iste homo, caret n’a pas de mère, ce qui est faux.
matre: quod falsum est.
[8689] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. En écartant ce selon quoi une chose convient à
3 Praeterea, remoto eo secundum quod aliquid une autre, elle ne lui convient plus. Or, en
alicui convenit, ulterius non convenit ei. Sed écartant du Christ qu’il soit cet homme, il lui
remoto a Christo quod sit hic homo, adhuc convient encore d’être Dieu, car il est Dieu
convenit sibi esse Deum: quia ab aeterno fuit depuis l’éternité, mais il n’a pas été cet homme
Deus: non autem ab aeterno fuit hic homo. Ergo depuis l’éternité. Le Christ, selon qu’il est
Christus, secundum quod hic homo, non est Deus. homme, n’est donc pas Dieu.
[8690] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] comme on l’a dit à la d. 7, q. 1,
1 Sed contra, sicut supra, dist. 7, qu. 1, art. 1, a. 1, cette proposition : « Cet homme est Dieu »
dictum est, ista propositio: iste homo est Deus, n’est pas une prédication accidentelle, mais
non est praedicatio accidentalis, sed essentialis. essentielle. Or, un prédicat essentiel peut être
Sed praedicatum essentiale potest praedicari de prédiqué de n’importe quel sujet avec une
subjecto quocumque cum reduplicatione, sicut explicitation, comme : « Socrate, en tant qu’il est
Socrates in quantum est homo, est animal: quia homme, est un animal », parce que « animal » est
animal per se de homine praedicatur. Ergo haec prédiqué de l’homme par soi. Cette proposition
est vera: Christus, secundum quod est hic homo, est donc vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet
337

est Deus. homme, est donc Dieu. »


[8691] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Cet homme indique un suppôt éternel. Or,
2 Praeterea, hic homo demonstrat suppositum cette proposition est vraie : « Le Christ, selon
aeternum. Sed haec est vera: Christus, secundum qu’il est un suppôt éternel, est Dieu. » Donc,
quod est suppositum aeternum, est Deus. Ergo et cette proposition est vraie : « Le Christ, selon
haec est vera: Christus secundum quod hic homo, qu’il est cet homme, est Dieu. »
est Deus.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ est-il prédestiné
en tant qu’homme ?]
[8692] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que le Christ ne soit pas prédestiné
1 Ulterius. Videtur quod Christus non sit en tant qu’homme. En effet, ce qui convient à
praedestinatus secundum quod homo. Quod enim Pierre en tant qu’homme doit convenir à
convenit Petro secundum quod homo, oportet n’importe quel homme. Or, être prédestiné ne
quod cuilibet homini conveniat. Sed esse convient pas à n’importe quel homme. Cela ne
praedestinatum non convenit cuilibet homini. convient donc pas non plus au Christ en tant
Ergo nec convenit Christo secundum quod homo. qu’homme.
[8693] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. L’effet de la prédestination correspond
2 Praeterea, effectus praedestinationis conformiter exactement à la prédestination, autrement la
respondet praedestinationi: alias esset prédestination serait fausse. Or, puisque le Christ
praedestinatio falsa. Sed cum Christus sit a été prédestiné à être le Fils de Dieu, l’effet de
praedestinatus esse filius Dei, effectus hujus cette prédestination est qu’il est le Fils de Dieu.
praedestinationis est esse filius Dei. Si ergo Si donc le Christ, selon qu’il est homme, n’est
Christus, secundum quod homo, non est filius pas le Fils de Dieu, il n’est donc pas non plus
Dei, nec secundum quod homo, est prédestiné selon qu’il est homme.
praedestinatus.
[8694] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, le Christ est prédestiné, comme le
1 Sed contra, Christus est praedestinatus, ut dicit dit l’Apôtre en Rm 1. Or, ce n’est pas en tant
apostolus Rom. 1. Sed non secundum quod Deus, qu’il est Dieu, comme cela ressort de ce qui a été
ut patet ex dictis in 7 dist. Ergo secundum quod dit à la d. 7. C’est donc en tant qu’il est homme.
homo.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8695] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Ce qui est explicité dans une proposition par
Respondeo dicendum, quod id quod in aliqua rapport à ce que je dis est d’après cela ce par
propositione reduplicatur cum hoc quod dico, quoi le prédicat convient au sujet ; il faut donc
secundum quod, est illud per quod praedicatum que, d’une certaine manière, ce soit la même
convenit subjecto; unde oportet quod aliquo modo chose que le sujet et, d’une certaine manière la
sit idem cum subjecto, et aliquo modo idem cum même chose que le prédicat, comme le moyen
praedicato; sicut medius terminus in syllogismo terme, dans un syllogisme affirmatif se compare
affirmativo ad praedicatum quidem habet à ce qui en découle par soi (en effet, rien ne
comparationem sicut ad id quod per se convient à quelqu’un selon qu’il est animal que
consequitur ipsum (nihil enim convenit alicui ce qui convient par soi à l’animal selon
secundum quod est animal, nisi illud animali per n’importe quelle manière de parler par soi) ;
se conveniat secundum quemcumque modum mais [le moyen terme] se compare au sujet
dicendi per se); ad subjectum autem comparatur comme ce qui est inclus d’une certaine manière
sicut ad id quod aliquo modo includitur in dans le sujet. Or, sont inclus dans le sujet la
subjecto. Includitur autem in subjecto ipsa substance même du sujet, ses antécédents, en
substantia subjecti, et antecedentia, sicut causae, tant que causes, et ses conséquents, en tant
et consequentia, sicut accidentia. Substantia qu’accidents. Or, la substance du sujet est le
autem subjecti est et ipsum subjectum et natura sujet lui-même et sa nature. Et en raison de tout
ejus. Et ratione omnium istorum potest aliquid cela, une chose peut être attribuée au Christ et à
338

attribui Christo, et cuilibet homini. Si enim n’importe quel homme. En effet, si une chose est
aliquid attribuitur homini ratione principiorum attribuée à l’homme en raison des principes
praecedentium; sic dicimus quantum ad causam précédents, nous disons ainsi, du point de vue de
materialem, quod homo, secundum quod est la cause matérielle, que l’homme, en tant qu’il
compositum ex contrariis, est corruptibilis; est composé de contraire, est corruptible ; du
quantum ad causam formalem dicimus, quod point de vue de la cause formelle, nous disons
homo, secundum quod habet animam rationalem, que l’homme, en tant qu’il a une âme rasonnable,
est ad imaginem Dei; quantum vero ad causam est à l’image de Dieu ; du point de vue de la
efficientem dicimus quod Petrus, secundum quod cause efficiente, nous disons que Pierre, selon
natus de tali patre, est heres ejus. Quantum autem qu’il est né de tel père, est son héritier. Du point
ad causam finalem dicimus, quod homo, de vue de la cause finale, nous disons que
secundum quod est ad beatitudinem ordinatus, l’homme, selon qu’il est ordonné à la béatitude,
oportet quod sit immortalis quantum ad animam. doit être immortel quant à son âme. Mais si une
Si autem attribuatur alicui homini aliquid ratione chose est attribuée à un homme en raison des
accidentium, sic dicimus, quod homo, secundum accidents, nous disons que l’homme, selon qu’il
quod est coloratus, est visibilis; si autem est coloré, est visible ; mais si une chose lui est
attribuatur sibi aliquid ratione suppositi, sic attribuée en raison du suppôt, nous disons alors
dicimus, quod Socrates, secundum quod Socrates, que Socrate, en tant que Socrate, est un
est individuum: si autem ratione naturae, sic individu ; mais si c’est en raison de sa nature,
dicimus, quod homo, secundum quod homo, est nous disons alors que l’homme, selon qu’il est
animal. Secundum hoc ergo dicendum ad primam homme, est un animal. Compte tenu de cela, il
quaestionem, quod cum dicitur: Christus, faut répondre à la première question que,
secundum quod homo, est Deus, ly homo potest lorsqu’on dit que le Christ, selon qu’il est
replicari ratione naturae; et sic est falsa, quia homme, est Dieu, « homme » peut être explicité
naturae humanae non per se convenit, inquantum en raison de la nature. La proposition est ainsi
talis natura, ut divinae uniatur: si autem replicatur fausse, car il ne convient pas par soi à la nature
ratione suppositi (cum suppositum humanae humaine, en tant qu’elle est telle nature, d’être
naturae in Christo sit suppositum aeternum, cui unie à Dieu ; mais si elle est explicitée en raison
per se convenit esse Deum), erit vera. Quia tamen du suppôt (puisque le suppôt de la nature
hoc nomen homo non importat aliquod humaine chez le Christ est un suppôt éternel, à
suppositum determinatum humanae naturae, nisi qui il convient d’être par soi Dieu), elle sera
per demonstrationem adjunctam, et solum cuidam vraie. Cependant, parce que ce nom « homme »
determinato supposito humanae naturae convenit ne comporte pas de suppôt déterminé de la
per se esse Deum; ideo nisi aliquid aliud addatur, nature humaine, sauf par une indication ajoutée,
vel intelligatur, simpliciter non est concedendum, et qu’il ne convient qu’à un suppôt déterminé de
quod Christus, secundum quod homo, est Deus. la nature humaine d’être par soi Dieu, si rien
d’autre n’est ajouté ou entendu, il ne faut pas
concéder tout simplement que le Christ, selon
qu’il est homme, est Dieu.
[8696] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Comme on l’a dit plus haut, d. 5, l’assomption
Ad primum ergo dicendum, quod assumptio, ut est signifiée par mode de mouvement. Or, s’il ne
supra, dist. 5, dictum est, significatur per modum convient pas à une chose d’être mue vers
motus. Cui autem convenit per se moveri ad quelque chose, il ne lui convient pas d’être cette
aliquid, non convenit esse illud; sicut nigro chose ; ainsi, il convient à ce qui est noir d’être
convenit per se moveri ad albedinem, non tamen mû vers la blancheur, mais il ne lui convient
convenit ei per se esse album. Similiter assumere cependant pas d’être blanc par soi. De même,
nomen Dei, potest convenire Christo secundum prendre le nom de Dieu peut convenir au Christ
quod homo; et tamen esse Deum non convenit ei selon qu’il est homme ; cependant, être Dieu ne
secundum quod homo. lui convient pas selon qu’il est homme.
[8697] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Le nom de « Christ » signifie la personne en
339

Ad secundum dicendum, quod hoc nomen deux natures. Aussi ne lui convient-il pas d’être
Christus significat personam in duabus naturis; Dieu par grâce, mais depuis l’éternité. Mais qu’il
unde non convenit ei per gratiam quod sit Deus, soit en même temps Dieu et homme, cela résulte
sed ab aeterno; sed quod sit simul Deus et homo, de la grâce d’union. Ou bien il faut dire que bien
hoc est per gratiam unionis. Vel dicendum, quod que la grâce d’union rende un homme Dieu, la
quamvis gratia unionis faciat hominem Deum, grâce d’union et le fait d’être Dieu ne se
non tamen ad idem refertur gratia unionis et esse rapportent pas à la même chose, car être Dieu
Deum: quia esse Deum convenit huic homini convient à cet homme en raison de sa personne,
ratione personae, gratia autem fit ei ratione mais la grâce lui est donnée en raison de sa
naturae; unde secundum quod homo, habet nature. Aussi, selon qu’il est homme, possède-t-
gratiam unionis, si fiat reduplicatio ratione il la grâce d’union, s’il est explicité que c’est en
humanae naturae; non autem secundum quod raison de la nature humaine ; mais il n’est pas
homo, est Deus, sed secundum quod talis persona. Dieu selon qu’il est homme, mais selon qu’il est
telle personne.
[8698] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Remettre les péchés se réalise de deux
Ad tertium dicendum, quod dimittere peccata est manières : par autorité, et ainsi, comme cela
dupliciter: vel per auctoritatem; et sic, cum sit relève seulement de Dieu, cela ne relève pas du
solius Dei, non est Christi inquantum est homo, si Christ en tant qu’il est homme, si l’on explicite
fiat reduplicatio ratione naturae: vel per que c’est en raison de la nature ; soit par
ministerium; et sic convenit Christo etiam ratione ministère, et ainsi cela convient aussi au Christ
humanae naturae. en raison de sa nature humaine.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8699] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Pour qu’une prédication soit faite par soi, il n’est
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad pas nécessaire que le prédicat convienne par soi
hoc quod aliqua praedicatio sit per se, non oportet au sujet selon tout ce que comporte le nom du
quod praedicatum per se conveniat subjecto sujet, mais il suffit qu’une de ces choses lui
secundum omne quod in nomine subjecti convienne par soi. Ainsi, raisonner convient par
implicatur; sed sufficit si secundum aliquid eorum soi à l’homme, non pas en tant qu’il a un corps,
per se sibi conveniat; sicut ratiocinari per se mais en tant qu’il a une âme. Aussi cette
convenit homini, non inquantum habet corpus, sed [proposition] est-elle par soi : « L’homme
inquantum animam habet; unde haec est per se: raisonne. » Mais lorsqu’on dit : « Cet homme »,
homo ratiocinatur. Cum autem dicitur: iste homo, en montrant le Christ, le suppôt déterminé de la
demonstrato Christo, includitur ex vi nature humaine est inclus en vertu de
demonstrationis suppositum determinatum l’indication ; selon la deuxième opinion, il s’agit
humanae naturae, quod est suppositum aeternum, d’un suppôt éternel, à qui il convient par soi
secundum secundam opinionem; cui supposito per d’être Dieu. Aussi la proposition suivante est-
se convenit esse Deum; unde haec est per se elle par soi : « Cet homme est Dieu. » Et parce
secundum secundam opinionem: iste homo est qu’il est seulement requis pour la vérité de ces
Deus. Et quia ad veritatem hujusmodi locutionum formulations que le prédicat convienne par soi à
non exigitur nisi quod praedicatum per se ce qui est explicité, la proposition suivante est
conveniat ei quod replicatur; ideo haec est vera: donc vraie : « Le Christ, selon qu’il est cet
Christus secundum quod iste homo, est Deus. homme, est Dieu. »
[8700] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. De même qu’une chose fait partie de la
Ad primum ergo dicendum, quod sicut aliquid est définition de l’espèce sans faire partie de la
de definitione speciei quod non est de definitione définition du genre, de même une chose ferait
generis; ita aliquid esset de definitione individui, partie de la définition de l’individu, s’il était
si definiretur, quod non est de definitione speciei, défini, sans faire partie de la définition de
sicut pars materiae, ut dicit philosophus. Unde l’espèce, comme une partie de la matière, ainsi
licet Deus non sit pars definitionis hominis, esset que le dit le Philosophe. Bien que Dieu ne fasse
tamen pars definitionis hujus hominis Christi, si pas partie de la définition de l’homme, il ferait
340

definiri posset ratione personae verbi. Unde patet cependant partie de la définition de ce nom
quod est per se. « Christ », s’il pouvait être défini, en raison de la
personne du Verbe. Il est donc clair qu’il s’agit
[d’une prédication] par soi.
[8701] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Lorsqu’on dit : « Cet homme », on montre le
Ad secundum dicendum, quod cum dicitur, iste suppôt des deux natures, dont les deux ferait
homo, demonstratur suppositum duarum partie de sa définition, s’il pouvait être défini.
naturarum; quarum utraque caderet in definitione C’est pourquoi ce qui relève des deux natures lui
ejus, si definiri posset; et ideo ea quae sunt convient par soi. Ainsi, le Christ, selon qu’il est
utriusque naturae, per se ei conveniunt; et ideo cet homme, est Dieu, et selon qu’il est cet
Christus, secundum quod iste homo, est Deus; et homme, il est homme. Le raisonnement est le
secundum quod iste homo, est homo: et similis même pour ce qui découle des deux natures.
ratio est de illis quae consequuntur ad alteram Ainsi, selon qu’il est cet homme, il a une mère et
naturam; unde secundum quod iste homo, est une mère lui fait défaut, et une chose n’exclut
habens matrem, et carens matre: nec unum pas l’autre, puisqu’elles ne sont pas opposées,
excludit aliud, cum non sint opposita, quia non n’ayant en commun rien de semblable.
conveniunt secundum idem.
[8702] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Si on enlève du Christ tout ce qui est compris
Ad tertium dicendum, quod remoto a Christo toto lorsqu’on dit : « Cet homme », il ne lui
hoc quod importatur cum dicitur, iste homo, non conviendrait pas d’être Dieu, car la nature divine
conveniet ei esse Deum: quia includitur ibi natura et la nature humaine y sont incluses, comme on
divina et humana, ut dictum est. Sed remota l’a dit. Mais si on enlève une des deux, la nature
altera, scilicet humana natura, sequitur quod filius humaine, il en découle qu’on ne peut pas parler
Dei non possit dici iste homo. Ratione tamen de « cet homme » pour le Fils de Dieu.
illius, scilicet humanae naturae, non verificatur Cependant, en raison de celle-ci, la nature
praedicta locutio; et est simile sicut si dicatur: humaine, la formulation mentionnée n’est pas
Petrus, inquantum homo, sentit: quia remoto vraie. Et c’est la même chose si l’on dit :
rationali per intellectum, non erit homo, et « Pierre, en tant qu’homme, sent », car, si on
remanebit sentiens, ut dicitur in libro de causis. enlève le caractère raisonnable dû à l’intellect, il
ne sera pas un homme et continuera de sentir,
comme on le dit dans le Sur les causes.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8703] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Parce que la prédestination comporte une
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quia anticipation, elle comporte par conséquent un
praedestinatio importat antecessionem, ideo per accomplissement, car on dit de tout ce qui est,
consequens includit factionem: quia omne quod après n’avoir pas été, que cela est arrivé. Ainsi
est, postquam non fuit, dicitur factum: unde dit-on de quelqu’un qu’il est prédestiné pour
dicitur aliquis praedestinatus, inquantum autant qu’il a été prévu à son sujet qu’il
praevisus est fieri beatus. Omnia autem quae deviendrait bienheureux. Or, tout ce qui
actionem important et motum, conveniunt per se comporte une action et un mouvement convient
ei quod accedit ad terminum; cui tamen per se non par soi à ce qui atteint le terme ; cependant, il ne
convenit esse in termino; sicut moveri ad lui convient pas par soi de se trouver dans le
albedinem, per se convenit non albo, cui non terme, comme être mû vers la blancheur convient
convenit esse album. Praedestinatio autem quae par soi à ce qui n’est pas blanc, alors qu’il ne lui
de Christo dicitur, est respectu gratiae unionis, convient pas d’être blanc. Or, la prédestination
secundum quam factum est ut homo esset Deus; attribuée au Christ se réalise pour ce qui est de la
cujus factionis terminus est esse Deum. Accedens grâce d’union, du fait qu’il est arrivé qu’un
autem ad terminum est quod assumitur ad homme soit Dieu, le terme de cette action
unionem, scilicet humana natura; et ideo ratione consistant à être Dieu. Or, ce qui atteint le terme
humanae naturae convenit Christo esse est ce qui est assumé en vue de l’union, la nature
341

praedestinatum, non autem esse Deum; unde haec humaine. Aussi, en raison de la nature humaine,
est vera: Christus secundum quod homo, est convient-il au Christ d’avoir été prédestiné, mais
praedestinatus, haec autem est falsa: Christus non d’être Dieu. Ainsi, cette proposition est-elle
secundum quod homo, est Deus. vraie : « Le Christ, selon qu’il est homme, est
prédestiné », mais celle-ci est-elle fausse : « Le
Christ, selon qu’il est homme, est Dieu. »
[8704] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Ce raisonnement découle de ce qui convient à
Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa quelqu’un en raison de la nature humaine selon
procedit de illis quae conveniunt alicui ratione la raison de l’espèce. Or, être prédestiné convient
humanae naturae secundum rationem speciei. Sed au Christ en raison de la nature humaine
praedestinari convenit Christo ratione humanae individualisée en lui. L’objection ne porte donc
naturae particulatae in ipso. Unde objectio non est pas sur ce qui est en cause.
ad propositum.
[8705] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. L’effet de la prédestination correspond
Ad secundum dicendum, quod effectus exactement à la prédestination pour ce qui est
praedestinationis respondet praedestinationi l’objet de la prédestination, mais non pour ce qui
conformiter quantum ad id de quo est est des conditions de la prédestination, car la
praedestinatio, non autem quantum ad conditiones prédestination est éternelle, mais son effet est
praedestinationis: quia praedestinatio est aeterna, temporel. C’est cela qui est en cause, car le
effectus autem est temporalis; et sic est in Christ n’a pas été prédestiné pour être Fils de
proposito: quia Christus non est praedestinatus ut Dieu selon qu’il est homme, mais la
sit, secundum quod homo, filius Dei; sed ipsa prédestination elle-même lui convient selon qu’il
praedestinatio convenit ei secundum quod homo. est homme. Il est donc clair que les formules de
Unde patet quod hujusmodi locutiones sunt ce genre sont doubles du fait que leur contenu
duplices, ex hoc quod implicatio potest ferri ad peut porter sur le fait qu’il est prédestiné ou sur
hoc quod est praedestinatum, vel ad hoc quod est le fait qu’il est le Fils de Dieu, dont il y a
esse filium Dei, de quo est praedestinatio. prédestination.

Articulus 2 [8706] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. Article 2 – Le Christ, selon qu’il est homme,
2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, sit est-il une personne ?
persona
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ, selon qu’il est
homme, est-il une personne ?]
[8707] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ, selon qu’il est homme,
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod soit une personne. En effet, la personne, comme
Christus, secundum quod homo, sit persona. le dit Boèce, est « une substance individuelle de
Persona enim, ut dicit Boetius est rationalis nature raisonnable ». Or, le Christ, selon qu’il est
naturae individua substantia. Sed Christus, homme, est de cette sorte. Selon qu’il est
secundum quod homo, est hujusmodi. Ergo homme, il est donc une personne.
secundum quod homo est persona.
[8708] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. Ce qui convient à quelqu’un selon qu’il est
2 Praeterea, quod convenit alicui secundum quod homme convient à tout homme selon qu’il est
homo, convenit omni homini secundum quod est homme. Or, Pierre, selon qu’il est homme, est
homo. Sed Petrus, secundum quod est homo, est une personne. Donc, le Christ aussi.
persona. Ergo et Christus.
[8709] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Nous disons que le Christ, selon qu’il est
3 Praeterea, dicimus, quod Christus, secundum homme, a accompli quelque chose, comme le
quod homo, aliquid operatus est, sicut quod fait de manger ; de même, selon qu’il est Dieu,
comedit: et similiter secundum quod Deus; sicut comme le fait de ressusciter un mort. Mais il
quod mortuum suscitavit. Nec sequitur propter n’en découle pas que le Christ soit deux. De
342

hoc quod Christus sit duo. Ergo videtur similiter même, semble-t-il, si nous disons que le Christ,
quod si dicamus, Christum, secundum quod selon qu’il est homme, est une personne, et la
hominem, esse personam, et similiter secundum même chose selon qu’il est Dieu, il n’en découle
quod Deum, non sequitur ipsum esse duo; et ita pas qu’il soit deux. Il n’y a donc rien
nullum aliud inconveniens. d’inapproprié.
[8710] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] tout ce qui convient au Christ en
1 Sed contra, quidquid convenit Christo tant qu’homme a été assumé. Or, la personne n’a
secundum quod homo, hoc est assumptum. Sed pas été assumée, comme cela ressort de la d. 5,
persona non est assumpta, ut ex 5 dist., qu. 2, art. q. 2, a. 1. Le Christ n’est donc pas une personne
1, patet. Ergo Christus non est persona secundum selon qu’il est homme.
quod homo.
[8711] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Il est impossible que le même chose en
2 Praeterea, impossibile est quod idem numero nombre convienne à quelqu’un selon deux
conveniat alicui secundum duas diversas naturas. natures différentes. Or, il n’y a dans le Christ
Sed in Christo est tantum una persona. Ergo cum qu’une seule personne. Puisqu’il lui convient
secundum naturam divinam conveniat ei esse d’être une personne selon la nature divine, cela
personam, secundum naturam humanam non ne lui conviendra donc pas selon la nature
conveniet ei; et sic non erit persona inquantum est humaine. Ainsi, il ne sera pas une personne en
homo. tant qu’homme.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ est-il un individu
en tant qu’homme ?]
[8712] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que [le Christ] soit un individu en
1 Ulterius. Videtur quod sit, secundum quod tant qu’homme. En effet, selon qu’il est homme,
homo, individuum. Christus enim, secundum le Christ est quelque chose. Or, il n’est pas
quod homo, est aliquid. Sed non est aliquid quelque chose d’universel. Il est donc quelque
universale. Ergo est aliquid particulare: ergo chose de particulier. Donc, en tant qu’homme, il
secundum quod homo, est individuum. est un individu.
[8713] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. Dans l’individu, il n’y a rien que la nature de
2 Praeterea, in individuo nihil est nisi natura l’espèce et les accidents qui individuent celle-ci.
speciei, et accidentia individuantia ipsam. Sed Or, le Christ, en tant qu’homme, possède la
Christus, secundum quod homo, habet naturam nature humaine et les accidents qui individuent
humanam, et accidentia individuantia ipsam. Ergo celle-ci. En tant qu’homme, il est donc un
secundum quod homo, est individuum. individu.
[8714] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. Tout ce qui convient à la nature humaine
3 Praeterea, quidquid convenit naturae humanae, convient au Christ en tant qu’il est homme,
convenit Christo inquantum est homo, sicut esse comme le fait d’être passible et mortel. Or, la
passibile et mortale. Sed humana natura in Christo nature humaine dans le Christ est quelque chose
est quoddam individuum. Ergo Christus, d’individuel. Le Christ, en tant qu’homme, est
inquantum homo, est individuum. donc un individu.
[8715] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] l’individu dans le genre de la
1 Sed contra, individuum in genere rationalis nature raisonnable n’est rien d’autre qu’une
naturae nihil aliud est quam persona. Sed personne. Or, le Christ, en tant qu’homme, n’est
Christus, secundum quod homo, non est persona. pas une personne. Il n’est pas non plus un
Ergo nec individuum. individu.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ, en tant
qu’homme, est-il un suppôt ou une chose de la
nature ?]
[8716] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, ne
1 Ulterius. Videtur quod Christus, secundum quod soit pas un suppôt ou une chose de la nature. En
homo, sit suppositum, vel res naturae. Suppositum effet, quelqu’un est appelé un suppôt ou une
343

enim vel res naturae dicitur aliquis ex hoc quod chose de la nature du fait qu’il a la nature
habet naturam humanam. Sed Christus, secundum humaine. Or, le Christ, en tant qu’homme,
quod homo, habet humanam naturam. Ergo, possède une nature humaine. En tant qu’homme,
secundum quod homo, est suppositum, vel res il est donc un suppôt ou une chose de la nature.
naturae.
[8717] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. La nature humaine existe dans le Christ avec
2 Praeterea, humana natura ita vere est in Christo, autant de vérité que les accidents de la nature
sicut accidentia humanae naturae. Sed Christus, humaine. Or, le Christ, en tant qu’homme, est le
secundum quod homo, est subjectum accidentium sujet des accidents de la nature humaine. En tant
humanae naturae. Ergo et secundum quod homo, qu’homme, il est donc un suppôt ou une chose
est suppositum, vel res naturae. de la nature.
[8718] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. En tant qu’homme, le Christ est une chose. Or,
3 Praeterea, Christus, secundum quod homo, est il n’existe aucune chose qui n’ait pas de nature.
res quaedam. Sed non est res nullius naturae. Ergo En tant qu’homme, il est donc une chose de la
est, secundum quod homo, res naturae. nature.
[8719] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] un suppôt de nature humaine est
1 Sed contra, suppositum humanae naturae est la même chose qu’une hypostase ou une
idem quod hypostasis vel persona. Sed Christus, personne. Or, le Christ, en tant qu’homme, n’est
secundum quod homo, non est hypostasis vel pas une hypostase ou une personne. Il n’est donc
persona. Ergo nec suppositum, vel res naturae. pas un suppôt ou une chose de la nature.
[8720] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Il n’y a qu’un seul suppôt dans le Christ. Or,
2 Praeterea, in Christo est tantum unum le Christ, en tant que Dieu, est un suppôt. [Le
suppositum. Sed Christus, secundum quod Deus, Christ] n’est donc pas un suppôt en tant
est suppositum. Ergo non secundum quod homo, qu’homme.
est suppositum.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8721] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Dans le Christ, il n’y a qu’une seule personne,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, qui existe éternellemenet. Or, au sens propre,
quod in Christo non est nisi una persona, quae est rien d’éternel ne convient au Christ en tant
ab aeterno; nullum autem aeternum convenit qu’homme, comme cela ressort de ce qui a déjà
Christo secundum quod homo, proprie loquendo, été dit, d. 5, q. 1, a. 1. Aussi cette proposition
ut patet ex praedictis, dist. 5, quaest. 1, art. 1; n’est-elle pas vraie : « Le Christ, en tant
unde haec non est vera: Christus, secundum quod qu’homme, est une personne », à moins
homo, est persona; nisi replicetur suppositum d’expliciter le suppôt de l’homme pour dire :
hominis, ut dicatur: Christus, secundum quod iste « Le Christ, en tant qu’il est cet homme, est une
homo, est persona; hoc enim verum est. personne. » En effet, cela est vrai.
[8722] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Le Christ, en tant qu’homme, est une
Ad primum ergo dicendum, quod Christus, substance de nature raisonnable ; mais, en tant
secundum quod homo, est substantia rationalis qu’il est cet homme, il est une substance
naturae; sed secundum quod iste homo, est individuelle de nature raisonnable. Aussi est-il
individua substantia rationalis naturae; unde une personne selon qu’il est cet homme, de
secundum quod iste homo, est persona; sicut même que, selon qu’il est cet homme, il est Dieu.
secundum quod iste homo, est Deus.
[8723] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Pierre non plus n’est pas une personne en tant
Ad secundum dicendum, quod etiam nec Petrus, qu’homme, mais selon qu’il est cet homme, car
inquantum homo, est persona, sed secundum quod cette [proposition] n’est pas [une proposition]
iste homo: quia haec non est per se: homo est par soi : « L’homme est une personne », mais
persona; sed haec: iste homo est persona. celle-ci : « Cet homme est une personne. »
[8724] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Du fait que le Christ a agi en tant qu’homme
Ad tertium dicendum, quod ex hoc quod Christus et en tant que Dieu, découle que, dans le Christ,
344

operatus est secundum quod homo et secundum il y a deux opérations. De même, si le Christ était
quod Deus, sequitur quod in Christo sint duae une personne en tant qu’homme et [une autre
operationes; ita etiam si Christus esset persona personne] en tant que Dieu, il en découlerait
secundum quod homo et secundum quod Deus, qu’il y aurait en lui deux personnes.
sequeretur quod in ipso essent duae personae.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8725] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Comme on l’a dit plus haut, d. 6, q. 1, a. 1,
Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut l’individu se trouve dans les substances et dans
supra, dist. 6, quaest. 1, art. 1, dictum est, les accidents. Selon qu’il se trouve dans les
individuum invenitur in substantiis et substances, le fait qu’il soit subsistant fait partie
accidentibus. Secundum autem quod in substantiis de sa raison, mais non selon qu’il se trouve dans
est, habet de ratione sui quod sit subsistens: non les accidents. Et il se trouve des deux manières
autem secundum quod in accidentibus invenitur: chez le Christ, cependant, il n’est prédiqué que
et utroque modo invenitur in Christo; tamen altero d’une seule. En effet, la nature humaine chez le
tantum modo praedicatur. Humana enim natura in Christ est un individu, mais le Christ n’est pas
Christo est quoddam individuum; sed Christus cet individu, car il est un individu subsistant. En
non est illud individuum, sed est individuum entendant ainsi individu, selon qu’il est prédiqué
subsistens: et hoc modo accipiendo individuum, du Christ, il n’existe chez le Christ qu’un seul
secundum quod de Christo praedicatur, est in individu comme aussi une seule personne. De
Christo unum tantum individuum sicut et una même donc que le Christ n’est pas une personne
persona. Unde sicut Christus non est persona en tant qu’homme, de même n’est-il pas un
secundum quod homo, ita nec individuum. individu.
[8726] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Le Christ en tant qu’homme est une chose,
Ad primum ergo dicendum, quod Christus, mais il n’en découle pas : « Donc, en tant
secundum quod homo, est aliquid; non tamen qu’homme, il est quelque chose d’universel ou
sequitur: ergo secundum quod homo, est aliquid de particulier », car il se fait que l’homme est
universale vel particulare: quia homini accidit quelque chose d’universel ou de particulier.
esse universale vel particulare: unde haec est per Cette [proposition] est donc par accident :
accidens: homo est aliquid particulare; haec autem « L’homme est quelque chose de particulier » ;
per se: iste homo est aliquid particulare. Unde mais celle-ci est par soi : « Cet homme est
Christus non est aliquid particulare secundum quelque chose de particulier. » Le Christ n’est
quod homo, sed secundum quod iste homo. donc pas quelque chose de particulier en tant
qu’homme, mais selon qu’il est cet homme.
[8727] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Il fait partie de la raison d’indidivu, selon qu’il
Ad secundum dicendum, quod de ratione est prédiqué du Christ, qu’il soit subsistant par
individui, secundum quod de Christo praedicatur, soi, et cela ne convient pas au Christ selon qu’il
est quod sit per se subsistens; et hoc non convenit est homme, mais selon qu’il est cet homme.
Christo secundum quod homo, sed secundum Aussi n’est-il pas nécessaire qu’il soit un
quod hic homo: unde non oportet quod sit individu en tant qu’homme.
individuum secundum quod homo.
[8728] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Il n’est pas nécessaire que ce qui convient à la
Ad tertium dicendum, quod ea quae conveniunt nature humaine soit prédiqué du Christ de la
humanae naturae, non oportet quod eodem modo même manière qu’il l’est de la nature, car la
quo de natura praedicantur, de Christo nature elle-même n’est pas prédiquée de lui
praedicentur: quia ipsa natura de eo non directement et dans l’abstrait, mais de manière
praedicatur in recto et in abstracto; sed oblique vel oblique ou concrète. Aussi ne découle-t-il pas, si
concretive; unde non sequitur, si humana natura la nature humaine est un individu, que le Christ,
est individuum, quod Christus, secundum quod en tant qu’homme, soit un individu, mais qu’il
homo, sit individuum; sed quod habeat ait une nature individuelle.
individuam naturam.
345

Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3


[8729] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Dans les propositions par soi, il en va
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in différemment du côté du sujet et du côté du
propositionibus per se aliter est ex parte subjecti, prédicat, car, du côté du sujet, il suffit que le
et ex parte praedicati: quia ex parte subjecti prédicat convienne par soi au sujet selon une
sufficit quod secundum unum tantum eorum quae seule des choses contenues dans le sujet ; mais,
in subjecto continentur, praedicatum per se du côté du prédicat, il est nécessaire que tout ce
subjecto conveniat; ex parte autem praedicati qui se trouve dans le prédicat convienne par soi
oportet quod quidquid est in praedicato, per se au sujet. Aussi cette [proposition] n’est-elle pas
conveniat subjecto; unde haec non est per se: vraie : « L’homme est un animal blanc » ; mais
homo est animal album; haec autem est per se: celle-ci est par soi : « L’homme blanc est un
albus homo est animal. Secundum hoc dico, quod animal. » Compte tenu de cela, je dis que deux
in hoc quod dico, suppositum, vel res naturae, duo choses sont contenues dans ce que j’appelle le
importantur; scilicet respectus ad naturam suppôt ou une chose de la nature : un rapport à la
communem; et aliud subsistens, cui inest nature commune, et une autre chose qui subsiste,
respectus ille: quorum unum inest Christo dans laquelle se trouve ce rapport. Une de ces
secundum quod homo, scilicet respectus ad choses se trouve dans le Christ en tant
naturam communem; non autem alterum, ut patet qu’homme, le rapport à la nature commune, mais
ex praedictis, et ideo haec est falsa: Christus non pas l’autre, comme cela ressort de ce qui a
secundum quod homo, est suppositum, vel res déjà été dit. Aussi cette [proposition] est-elle
naturae; tamen magis accedit ad veritatem quam fausse : « Le Christ, en tant qu’homme, est un
aliqua praedictarum, inquantum ista nomina suppôt ou une chose de la nature » ; cependant,
imponuntur per respectum ad naturam elle s’approche davantage de la vérité que l’une
communem: unde si suppositum sumatur des précédentes, dans la mesure où ces noms se
adjective, est vera: Christus enim, secundum quod fondent sur le rapport à la nature commune.
homo, supponitur humanae naturae, vel est Aussi, si « suppôt » est pris comme un adjectif,
aliquod suppositum humanae naturae; et hoc [la proposition] est-elle vraie. En effet, le Christ,
etiam valet ad ea quae dicta sunt de persona et en tant qu’homme, est le sujet de la nature
individuo. humaine ou il est quelque chose qui sert de sujet
à la nature humaine. Cela vaut aussi pour ce qui
a été dit de la personne et de l’individu.
[8730] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. La réponse au premier argument ressort ainsi.
Et per hoc etiam patet solutio ad primum.
[8731] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Parce que les accidents n’appartiennent pas à
Ad secundum dicendum, quod quia accidentia l’être d’une chose selon sa nature commune,
non pertinent ad esse rei sicut natura communis, n’est donc inclus dans le nom du sujet que le
ideo in nomine subjecti non includitur nisi rapport à l’accident, mais non la raison de ce qui
respectus ad accidens; non autem ratio per se existe par soi selon ce qu’il signifie, mais comme
existentis, ut significatum ejus, sed sicut ce qui est présupposé. Il n’en va donc pas de
praesuppositum; et ideo non est similis ratio de même du sujet et du suppôt.
subjecto et supposito.
[8732] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Le Christ, en tant qu’homme, est une certaine
Ad tertium dicendum, quod Christus, secundum chose, et aussi en tant qu’homme, il a une
quod homo, est quaedam res, et etiam secundum certaine nature. Il n’en découle cependant pas
quod homo, est alicujus naturae; non tamen qu’il soit une chose de la nature en tant
sequitur quod sit res naturae secundum quod qu’homme, car il y a plus dans la signification
homo; quia plus est in significatione compositi du composé que dans les significations des
quam in significationibus componentium: quod et composantes, ce qui se produit dans celles-ci. De
in istis accidit; sicut non omnis arma gerens est la même manière, tous ceux qui portent des
armiger. armes ne sont pas des guerriers.
346

Quaestio 2 Question 2 – [La filiation par adoption]


Prooemium Prologue
[8733] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la filiation par
quaeritur de filiatione per adoptionem: et circa adoption. À ce propos, deux questions sont
hoc quaeruntur duo: 1 quaeritur de ea ex parte posées : 1 – On s’interroge à son sujet du point
adoptantis; 2 ex parte adoptati. de vue de celui qui adopte. 2 – Du point de vue
de celui qui est adopté.

Articulus 1 [8734] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. Article 1 – Convient-il à Dieu d’adopter


1 tit. Utrum Deo conveniat aliquem in filium quelqu’un comme un fils ?
adoptare
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Convient-il à Dieu
d’adopter quelqu’un comme un fils ?]
[8735] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo d’adopter quelqu’un comme un fils. En effet,
non competat aliquem in filium adoptare. Adoptio l’adoption comme fils ou neveu, ou ensuite, une
enim est alicujus extraneae personae in filium vel légitime assomption, porte sur une personne
nepotem, vel deinceps, legitima assumptio. Sed étrangère. Or, aucune personne n’est étrangère à
Deo non est aliqua persona extranea, quia omnes Dieu, car Il les a toutes créées. Il ne lui convient
ipse condidit. Ergo ei non competit adoptare. donc pas d’adopter.
[8736] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2. Chez nous, celui qui adopte n’est pas le
2 Praeterea, apud nos adoptans non est principium principe de l’être de celui qui est adopté. Or,
essendi adoptato. Sed Deus est omnibus Dieu est pour tous le principe de l’être. Il ne lui
principium essendi. Ergo non competit ei aliquem convient donc pas d’adopter quelqu’un.
adoptare.
[8737] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3. Celui qui a des fils naturels n’adopte
3 Praeterea, ille qui filios naturales habet, non quelqu’un que pour qu’il partage l’héritage avec
adoptat aliquem, nisi ut condividat hereditatem les fils naturels. Or, l’héritage de Dieu le Père est
cum filiis naturalibus. Sed hereditas Dei patris indivisible, car c’est lui-même. Puisqu’il a une
indivisibilis est, quia est ipsemet. Ergo cum ipse Fils naturel, il ne lui convient donc pas d’adopter
habeat naturalem filium, non competit ei aliquem quelqu’un.
adoptare.
[8738] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] l’adoption vient de la
1 Sed contra, adoptio contingit ex benignitate bienveillance de celui qui adopte à l’endroit de
adoptantis ad adoptatum. Sed Deus maxime celui qui est adopté. Or, Dieu aime les hommes
benignus et amator est hominum. Ergo ipsi au plus haut point et est bienveillant envers eux.
maxime competit adoptare. Il lui convient donc au plus haut point d’adopter.
[8739] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Quiconque fait de certains ses fils par grâce
2 Praeterea, quicumque facit aliquos filios per [les] adopte. Or, cela convient à Dieu. Jn 1, 12 :
gratiam, adoptat. Sed hoc Deo competit; Joan. 1, Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de
12: dedit eis potestatem filios Dei fieri. Ergo ipse Dieu. Il adopte donc.
adoptat.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Adopter relève-il
seulement de Dieu le Père ?]
[8740] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’adopter relève seulement de Dieu
1 Ulterius. Videtur quod adoptare sit tantum Dei le Père, car, selon le droit, il revient à celui qui
patris. Quia secundum leges, illius est adoptare peut engendrer des fils d’adopter. Or, à
cujus est filios generare. Sed solius patris in l’intérieur de la Trinité, il ne revient qu’au Père
Trinitate est filium generare naturalem. Ergo ejus d’engendrer un Fils naturel. Il relève donc
347

solius est filios adoptare. seulement de lui d’adopter des fils.


[8741] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2. Par l’adoption, nous devenons les frères du
2 Praeterea, per adoptionem efficimur fratres Christ. Rm 8, 29 : Afin qu’il soit lui-même le
Christi; Rom. 8, 29: ut sit ipse primogenitus in premier-né d’un grand nombre de frères. Or, le
multis fratribus. Sed Christus non est filius nisi Christ n’est le Fils que de Dieu le Père, comme
Dei patris, ut supra, dist. 3, quaest. 1, art. 2, on l’a dit plus haut, d. 3, q. 1, a. 2. Donc, par
dictum est. Ergo et nos per adoptionem solius l’adoption, nous sommes donc les fils du seul
patris filii sumus. Père.
[8742] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3. Comme on l’a dit plus haut, d. 1, q. 2, a. 2, le
3 Praeterea, sicut supra, dist. 1, quaest. 2, art. 2, Fils seul s’est incarné afin que le nom de fils
dictum est, ideo solus filius incarnatus est, ne passe à un autre. Or, il n’est pas plus inapproprié
nomen filii transiret ad alterum. Sed non est magis que le nom de fils passe à une autre personne que
inconveniens nomen filii transire ad aliam le nom de père. On ne doit donc pas dire
personam quam nomen patris. Ergo non debet dici qu’adopter ne relève que de Dieu le Père, de
adoptare nisi Deus pater, ne nomen patris ad sorte que le nom de Père ne passe pas à une autre
aliam personam transeat. personne.
[8743] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] tout nom dit de Dieu et
1 Sed contra, omne nomen effectum significans in signifiant un effet dans la créature est commun à
creatura, dictum de Deo, est commune toti la Trinité entière. Or, adopter comporte un effet
Trinitati. Sed adoptare importat effectum in dans la créature. Il convient donc à la Trinité
creatura. Ergo toti Trinitati competit. entière.
[8744] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Dieu est appelé notre Père pour autant que
2 Praeterea, secundum hoc quod adoptamur in nous sommes adoptés comme fils de Dieu. Or, la
filios Dei, Deus pater noster dicitur. Sed tota Trinité entière est appelée notre Père, comme on
Trinitas dicitur pater noster, sicut in 1 Lib., dist. l’a dit dans le livre I, d. 18. Il appartient donc à
18, dictum est. Ergo totius Trinitatis est adoptare. la Trinité entière d’adopter.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’adoption ne se réalise-t-
elle que par le Fils ?]
[8745] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’adoption ne se réalise que par
1 Ulterius. Videtur quod per filium tantum fiat le Fils, selon ce qui est dit en Ga 4, 4 : Dieu a
adoptio; per hoc quod dicitur ad Galat. 4, 4: misit envoyé son Fils, né d’une femme…, afin que
Deus filium suum factum ex muliere (...) ut nous recevions l’adoption des fils.
adoptionem filiorum reciperemus.
[8746] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2. Selon le Philosophe, Métaphysique, V, ce qui
2 Praeterea, secundum philosophum, 5 Metaph., est premier dans tous les genres est cause de ce
illud quod est primum in quolibet genere, est qui vient par la suite. Or, la filiation se trouve
causa eorum quae sunt post. Sed filiatio primo d’abord chez le Fils. Nous devenons donc tous
invenitur in filio. Ergo per ipsum omnes efficimur fils par [le Fils], comme nous devenons tous
filii, sicut per bonitatem filii Dei omnes efficimur bons par la bonté de Dieu. Ainsi, toute paternité
boni; et sic ex patre caelesti omnis paternitas in au ciel et sur la terre tire-t-elle son nom du Père
caelis et in terra nominatur: ad Ephes. 3. céleste, Ep 3.
[8747] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3. Mais il semble que [l’adoption] soit réalisée
3 Sed videtur quod fiat per spiritum sanctum: per par l’Esprit Saint, selon ce qui est dit dans
hoc quod dicitur Roman. 8, 15: accepistis Rm 8, 15 : Vous avez reçu l’Esprit d’adoption
spiritum adoptionis filiorum, in quo clamamus, des fils, par lequel nous crions : « Abba !»,
abba, pater. « Père !».
[8748] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 4. Nous devenons fils de Dieu par la charité,
4 Praeterea, per caritatem efficimur filii Dei: 1 Jn 3, 1 : Voyez quelle charité le Père nous a
Joan. 3, 1: videte qualem caritatem dedit nobis donnée pour que nous soyons appelés et soyons
pater, ut filii Dei nominemur et simus. Sed caritas fils de Dieu. Or, la charité est l’Esprit Saint.
348

est spiritus sanctus. Ergo per ipsum adoptamur. Nous sommes donc adoptés par lui.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8749] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 co. L’adoption est reportée sur les réalités divines à
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, partir d’une ressemblance avec les réalités
quod adoptatio transfertur ad divina ex humaines. En effet, on dit qu’un homme adopte
similitudine humanorum. Homo enim dicitur quelqu’un comme fils parce que, par
aliquem in filium adoptare, secundum quod ex bienveillance, il lui donne le droit de recevoir
gratia dat jus percipiendae hereditatis suae, cui per son héritage, qui ne lui revient pas par nature.
naturam non competit. Hereditas autem hominis Or, l’héritage d’un homme est ce par quoi un
dicitur illa qua homo dives est; id autem quo Deus homme est riche. Mais ce par quoi Dieu est riche
dives est, est perfruitio sui ipsius, quia ex hoc est la jouissance de lui-même, parce qu’il est
beatus est, et ita haec est hereditas ejus; unde ainsi bienheureux. Tel est donc son héritage.
inquantum hominibus, qui ex naturalibus ad illam Ainsi, pour autant que les hommes ne peuvent
fruitionem pervenire non possunt, dat gratiam per parvenir à cette jouissance par leurs [puissances]
quam homo illam beatitudinem meretur, ut sic ei naturelles, Dieu leur donne-t-il la grâce par
competat jus in hereditate illa, secundum hoc laquelle l’homme mérite cette béatitude, de sorte
dicitur aliquem in filium adoptare. que revienne [à l’homme] un droit à cet héritage.
De cette manière, on dit de Dieu qu’il adopte
quelqu’un comme un fils.
[8750] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Bien qu’aucune personne ne lui soit étrangère
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis nulla quant à l’être qu’elle tient de lui par
persona sit sibi extranea quantum ad esse quod ab participation, une personne lui est cependant
eo participat, est tamen sibi extranea aliqua étrangère pour ce qui est du droit de recevoir
persona quantum ad jus percipiendae hereditatis. l’héritage.
[8751] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Du fait même qu’un homme naît de
Ad secundum dicendum, quod ex hoc ipso quod quelqu’un, il possède un droit à l’héritage
aliquis homo ex alio nascitur, habet jus in paternel ; aussi n’est-il pas étranger, de sorte
hereditate paterna; unde non est extraneus, ut qu’il puisse être adopté. Mais du fait que
adoptari possit. Sed non ex hoc quod aliquis habet quelqu’un tient de Dieu l’être, le droit à
esse a Deo, competit sibi jus in hereditate caelesti; l’héritage céleste ne lui revient pas. C’est
et ideo potest qui habet esse a Deo per pourquoi celui qui tient de Dieu l’être en vertu
creationem, ab eo per gratiam in filium adoptari. de la création peut être adopté par lui comme fils
par grâce.
[8752] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Il arrive, pour l’adoption qui existe chez nous,
Ad tertium dicendum, quod accidit adoptioni quae que l’héritage soit divisé par elle, dans la mesure
est apud nos, ut per eam dividatur hereditas, où il ne peut être reçu par tous en même temps.
inquantum a multis simul tota haberi non potest. Or, l’héritage céleste est obtenu du Père qui
Sed hereditas caelestis tota simul habetur a patre adopte par tous en même temps et par tous les
adoptante, et ab omnibus filiis adoptatis; unde non fils adoptifs. Il n’y a donc pas là de division ni
est ibi divisio nec successio. de succession.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8753] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Il convient à la Trinité entière d’adopter, car il
Ad secundam quaestionem dicendum, quod n’existe qu’une seule opération de la Trinité
adoptare convenit toti Trinitati: quia una est entière, comme il n’existe qu’une seule essence.
operatio totius Trinitatis, sicut et una essentia; sed Cependant, [l’adoption] peut être appropriée au
tamen potest appropriari patri, inquantum habet Père pour autant qu’elle a une ressemblance avec
similitudinem cum proprio ejus. ce qui lui est propre.
[8754] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Bien qu’il appartienne au Père seul
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sit d’engendrer un Fils qui soit Dieu, cependant il
solius patris generare filium qui sit Deus, tamen appartient à la Trinité entière de donner
349

totius Trinitatis est producere filios per naissance à des fils par création. Il appartient
creationem; et ideo est etiam totius Trinitatis per donc aussi à la seule Trinité entière d’adopter des
gratiam filios adoptare. fils par grâce.
[8755] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Nous devenons les frères du Christ par
Ad secundum dicendum, quod ex adoptione quae l’adoption qui se réalise par la grâce, pour autant
est per gratiam, efficimur fratres Christi, que nous devenons les fils de Dieu le Père, mais
inquantum per hoc efficimur filii Dei patris; non non pour autant que nous devenons les fils du
autem inquantum efficimur filii Christi, vel Christ ou du Saint-Esprit.
spiritus sancti.
[8756] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 3. La filiation est la relation de celui qui vient
Ad tertium dicendum, quod filiatio est relatio ejus d’un principe ; mais la paternité est la relation de
quod est a principio; paternitas autem est relatio principe. Or, la Trinité entière est le principe de
principii. Tota autem Trinitas est principium la créature. Par rapport à la créature, le nom de
creaturae. Unde magis potest trahi nomen « paternité » peut donc davantage être attiré du
paternitatis ad alias personas respectu creaturae, côté des autres personnes, que le nom de
quam filiationis nomen. « filiation ».
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8757] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 co. La préposition « par » peut indiquer une double
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod haec cause : un agent intermédiaire, et ainsi nous
praepositio per potest denotare duplicem causam: avons été adoptés par Dieu le Père par
scilicet agentem mediam; et sic sumus adoptati a l’intermédiaire du Fils, pour parler par
Deo patre per filium, ut appropriate loquamur: appropriation, parce que, par lui, Dieu le Père a
quia per eum Deus pater multos filios in gloriam conduits un grand nombre de fils à la gloire,
adduxit, ut dicitur ad Hebr. 2, secundum quod comme il est dit dans He 2, en l’envoyant dans le
eum misit in mundum salvatorem. Potest etiam monde comme Sauveur. Elle peut aussi indiquer
notare formalem causam; et hoc dupliciter; vel la cause formelle, et cela, de deux façons :
inhaerentem, vel exemplarem. Si inhaerentem, sic inhérente ou exemplaire. S’il s’agit d’une cause
adoptati sumus per spiritum sanctum, cui inhérente, nous avons ainsi été adoptés par
appropriatur caritas, secundum quam formaliter l’Esprit Saint, à qui est appropriée la charité,
meremur. Ideo dicitur Ephes. 1, 13: signati estis selon laquelle nous méritons par mode de forme.
spiritu promissionis sancto, qui est pignus Aussi est-il dit dans Ep 1, 13 : Vous avez été
hereditatis nostrae. Si vero designat causam marqués par l’Esprit Saint de la promesse, qui
exemplarem formalem, sic sumus adoptati per est un gage de notre héritage. Mais si [la
filium; unde Rom. 8, 29: quos praescivit préposition « par » désigne une cause exemplaire
conformes fieri imaginis filii sui, ut sit ipse formelle, nous avons ainsi été adoptés par le Fils.
primogenitus in multis fratribus. Aussi est-il dit en Rm 8, 29 : Ceux qu’il a
connus d’avance pour qu’ils deviennent
conformes à l’image de son Fils, afin qu’il soit le
premier-né d’un grand nombre de frères.
[8758] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 1 qc. 3 ad La réponse aux objections est ainsi claire.
arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.
Articulus 2 [8759] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. Article 2 – Convient-il à toutes les créatures
2 tit. Utrum omnibus creaturis conveniat adoptari, d’être adoptées et [Dieu le Père] adopte-t-il les
et an homines ex ipsa creatione adoptet hommes du fait même de la création ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Convient-il à toutes les
créatures d’êtres adoptées ?]
[8760] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il convienne à toutes les créatures
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod d’être adoptées. En effet, Dieu est appelé notre
omnibus creaturis conveniat adoptari. Deus enim Père parce qu’il nous a créés, comme il est dit en
dicitur pater noster, quia creavit nos, sicut dicitur Dt 32, 6 : N’est-il pas ton père ? Or, il n’est pas
350

Deut. 32, 6: numquid non ipse est pater tuus ? Sed le père des créatures par sa nature, car ainsi il est
non est pater creaturarum per naturam, quia sic le Père du seul Christ. Il est donc père par
solius Christi pater est. Ergo est pater per adoption. Il convient donc à toutes les créatures
adoptionem; ergo omnibus creaturis convenit d’être adoptées.
adoptari.
[8761] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2. Du fait que Dieu crée, il assume cela en
2 Praeterea, ex hoc quod Deus aliquid creat, communiquant ses propres biens par sa pure
assumit illud in communicationem suorum bonté. Or, l’adoption ne semble être rien d’autre.
bonorum ex mera sua bonitate. Sed nihil aliud Il convient donc à toutes les créatures d’être
videtur esse adoptio. Ergo cuilibet creaturae adoptées.
convenit adoptari.
[8762] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3. Par la création même, Dieu imprime dans la
3 Praeterea, ex ipsa creatione Deus imprimit créature raisonnable son image, selon laquelle
rationali creaturae imaginem suam, secundum elle est appelée fils de Dieu. Or, il ne nous
quam dicitur filius Dei. Sed non adoptat nos nisi adopte que dans la mesure où il fait de nous ses
inquantum nos filios suos facit. Ergo ex ipsa fils. Il adopte donc au moins les hommes par la
creatione ad minus homines adoptat. création elle-même.
[8763] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, l’adoption des fils est réalisée par
1 Sed contra, sicut ex dictis patet, adoptio filiorum l’Esprit Saint. Or, l’Esprit Saint n’est pas donné
fit per spiritum sanctum. Sed non datur spiritus en raison de la création. Donc, l’adoption n’est
sanctus ratione creationis. Ergo nec adoptio est pas non plus donnée en raison de la création
ratione creationis tantum. seulement.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Convient-il aux anges
d’être adoptés ?]
[8764] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il ne convienne pas non plus aux
1 Ulterius. Videtur quod nec Angelis conveniat anges d’être adoptés, car il convient d’être
adoptari. Quia illi convenit adoptari qui non est in adopté à celui qui n’est pas dans la maison du
domo patrisfamilias, et in ipsam inducitur. Sed père de famille et y est introduit. Or, les anges
Angeli semper fuerunt in domo Dei, quia in caelo ont toujours été dans la maison de Dieu, car ils
Empyreo creati sunt. Ergo eis non convenit ont été créés dans le ciel empyrée. Il ne leur
adoptari. convient donc pas d’être adoptés.
[8765] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2. Comme il est dit dans le texte, nous sommes
2 Praeterea, sicut in littera dicitur, nos ideo filii appelées fils adoptifs parce que, nés fils de la
Dei adoptivi dicimur, quia cum nati fuerimus filii colère, nous sommes devenus par grâce fils de
irae, per gratiam facti sumus filii Dei. Sed Angeli Dieu. Or, les anges n’ont jamais été fils de la
nunquam fuerunt filii irae. Ergo nunquam fuerunt colère. Ils ont donc toujours été des fils, du
non filii, ad minus secundum illos qui dicunt, moins selon ceux qui disent que les anges ont été
quod Angeli fuerunt creati in gratia. Ergo Angelis créés dans la grâce. Il ne convient donc pas aux
non convenit adoptari. anges d’être adoptés.
[8766] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3. Il est dit en Ga 4, 4 : Dieu a envoyé son Fils…
3 Praeterea, Galat. 4, 4, dicitur: misit Deus filium afin que nous recevions l’adoption des fils. Or, le
suum (...) ut adoptionem filiorum reciperemus. Fils de Dieu n’a pas été envoyé aux anges, car il
Sed ad Angelos non fuit missus filius Dei: quia n’est pas devenu un ange, comme il est devenu
non est factus Angelus sicut est factus homo, un homme, manière selon laquelle il a été
secundum quem modum ad homines missus envoyé aux hommes. Il ne convient donc pas aux
dicitur. Ergo Angelis non convenit adoptare. anges d’être adoptés [corr. adoptare/adoptari].
[8767] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] par l’Esprit Saint qui est donné
1 Sed contra, per spiritum sanctum, qui hominibus aux hommes, on dit que des hommes qu’ils sont
datur, dicuntur homines adoptari, ut patet ex adoptés, comme cela ressort de ce qui a été dit.
dictis. Sed spiritus sanctus habitat in Angelis, Or, l’Esprit Saint habite dans les anges comme
351

sicut etiam in hominibus. Ergo Angeli, sicut et dans les hommes. Comme des hommes, on dit
homines, dicuntur adoptari. donc des anges qu’ils sont adoptés.
[8768] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Les anges sont appelés nos frères et nos
2 Praeterea, Angeli dicuntur fratres et consortes cohéritiers. Or, cela n’existe que parce qu’ils ont
nostri. Sed hoc non est nisi secundum quod ab été adoptés avec nous par le même Père et pour
eodem patre et ad eamdem hereditatem nobiscum le même héritage. Il leur convient donc d’être
sunt adoptati. Ergo eis convenit adoptari. adoptés.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ est-il un fils
adoptif ?]
[8769] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que le Christ aussi soit un fils
1 Ulterius. Videtur etiam quod Christus sit filius adoptif, car Hilaire dit : « La dignité du pouvoir
adoptivus. Quia Hilarius, dicit: potestatis dignitas n’est pas perdue lorsque l’humilité de la chair est
non amittitur dum carnis humilitas adoptatur; et adoptée », et il parle de l’humanité du Christ.
loquitur de humanitate Christi. Ergo Christus, Donc, le Christ, en tant qu’homme, est un fils
secundum quod homo, est filius adoptivus. adoptif.
[8770] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2. Il ne semble pas que quelque chose
2 Praeterea, non videtur sequi aliquod d’inapproprié découle du fait que nous disions
inconveniens, si dicamus Christum filium que le Christ est un fils adoptif. En effet, il n’en
adoptivum: neque enim sequitur quod fuerit filius découle pas non plus qu’il ait été un fils de la
irae, neque aliquando fuerit non filius: quia colère, ni qu’il y eut un temps où il n’était pas
Angeli nunquam filii irae fuerunt, et tamen Fils, car les anges n’ont jamais été des fils de la
dicuntur filii adoptivi. Ergo nihil prohibet colère, et cependant ils sont appelés fils adoptifs.
Christum dicere filium adoptivum. Rien n’empêche donc d’appeler le Christ un fils
adoptif.
[8771] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3. La dignité de fils adoptif est plus grande que
3 Praeterea, major est dignitas filii adoptivi quam celle de serviteur. Or, le Christ, en tant
servi. Sed Christus, secundum quod homo, dicitur qu’homme, est appelé serviteur, comme cela
servus, ut patet Philip. 2. Ergo multo fortius potest ressort de Ph 2. À bien plus forte raison donc,
dici filius adoptivus. peut-il être appelé un fils adoptif.
[8772] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 4. L’homme devient fils adoptif par l’habitation
4 Praeterea, per inhabitationem spiritus sancti en lui du Saint-Esprit. Or, l’Esprit Saint a reposé
homo efficitur filius adoptivus. Sed super sur le Christ, comme il est dit en Is 11. Il doit
Christum requievit spiritus sanctus, ut dicitur Isai. donc être lui-même appelé un fils adoptif.
11. Ergo ipse debet dici filius adoptivus.
[8773] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 5. Augustin dit : « Tout homme devient chrétien
5 Praeterea, Augustinus, dicit: ea gratia fit ab par grâce dès qu’il croit, selon la grâce par
initio fidei suae homo quicumque Christianus qua laquelle cet homme est devenu le Christ dès le
gratia ille homo ab initio suo factus est Christus. début. » Or, tout homme devient chrétien dès le
Sed quicumque homo fit ab initio Christianus fit départ par la grâce d’adoption. Cet homme est
per gratiam adoptionis. Ergo et ille homo factus donc devenu le Christ par la grâce d’adoption, et
est Christus per gratiam adoptionis, et ita est filius ainsi il est un fils adoptif.
adoptivus.
[8774] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] à propos de Rm 1 : Lui qui a été
1 Sed contra, super illo Rom. 1: qui prédestiné à être Fils de Dieu dans la puissance,
praedestinatus est filius Dei in virtute, dicit Ambroise dit : « J’ai tourné et retourné les
Ambrosius: volvi et revolvi Scripturas: Christum Écritures : je n’ai jamais trouvé que le Christ est
nunquam filium adoptivum inveni. Ergo non est un fils adoptif. » Il ne faut donc pas dire que [le
dicendus filius adoptivus. Christ] est un fils adoptif.
[8775] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Adopter appartient à la Trinité entière. Si
2 Praeterea, adoptare totius Trinitatis est. Si ergo donc le Christ était un fils adoptif, il serait le fils
352

Christus esset filius adoptivus, esset filius de la Trinité, ce qui ne peut être le cas, comme
Trinitatis, quod esse non potest, ut supra, dist. 4, on l’a dit plus haut, d. 4.
dictum est.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8776] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Comme on l’a dit plus haut, d. 8, il fait partie de
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, la raison de filiation qu’un fils soit produit à la
quod sicut supra, dist. 8, dictum est, de ratione ressemblance de l’espèce de celui qui engendre.
filiationis est ut filius producatur in similitudinem Or, l’homme, pour autant qu’il est produit avec
speciei ipsius generantis. Homo autem inquantum une participation à l’intelligence, est produit
per creationem producitur in participationem pour ainsi dire selon une ressemblance à l’espèce
intellectus, producitur quasi in similitudinem de Dieu lui-même, car la manière ultime pour la
speciei ipsius Dei: quia ultimum eorum secundum nature créée de participer à la ressemblance de la
quae natura creata participat similitudinem nature incréée est l’intellectualité. Aussi dit-on
naturae increatae, est intellectualitas; et ideo sola de la seule la créature raisonnable qu’elle est « à
rationalis creatura dicitur ad imaginem, ut in 2 l’image », comme on l’a dit dans le livre II,
Lib., dist. 16, dictum est, unde sola rationalis d. 16 ; donc, seule la créature raisonnable reçoit
creatura per creationem filiationis nomen le nom de fils en vertu de la création. Mais,
adipiscitur. Sed adoptio, ut dictum est, requirit ut comme on l’a dit, l’adoption exige qu’un droit à
adoptato jus acquiratur in hereditatem adoptantis. l’héritage de celui qui adopte soit acquis par
Hereditas autem ipsius Dei est ipsa sua beatitudo, celui qui est adopté. Or, l’héritage de Dieu lui-
cujus non est capax nisi rationalis creatura: nec même est sa béatitude elle-même, dont seule la
ipsi acquiritur ex ipsa creatione; sed ex dono créature raisonnable est capable, et il ne lui est
spiritus sancti, ut dictum est. Et ideo patet quod pas acquis par la création elle-même, mais par le
creatio irrationalibus creaturis nec adoptionem don du Saint-Esprit, comme on l’a dit. C’est
nec filiationem dat; creaturae autem rationali dat pourquoi il est clair que la création ne donne aux
quidem filiationem, sed non adoptionem. créatures sans raison ni l’adoption ni la filiation ;
mais elle donne assurément à la créature
raisonnable la filiation, mais non l’adoption.
[8777] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 1. La filiation par adoption ajoute à la filiation
Ad primum ergo dicendum, quod filiatio per par création, comme le parfait à ce qui est
adoptionem addit supra filiationem per moindre, et comme la grâce à la nature. Aussi
creationem sicut perfectum supra diminutum, et l’homme ne devient-il pas un fils naturel ni un
sicut gratia super naturam; unde per creationem fils adoptif par la création, mais il est seulement
homo non efficitur filius naturalis neque appelé fils en vertu de la création. Toutefois, les
adoptivus, sed tantum dicitur filius creatione; créatures sans raison ne le sont d’aucune
creaturae autem irrationales nullo modo. manière.
[8778] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 2. La communication de n’importe quel bien ne
Ad secundum dicendum, quod communicatio suffit pas à l’adoption, mais la communication
quorumcumque bonorum non sufficit ad de l’héritage. Aussi ne dit-on pas d’une créature
adoptionem; sed communicatio hereditatis; unde qu’elle est adoptée parce que certains biens lui
nec aliqua creatura dicitur adoptari ex hoc quod sont communiqués par Dieu, à moins que
sibi aliqua bona communicantur a Deo, nisi l’héritage qui est la béatitude divine ne lui soit
communicetur ei hereditas quae est divina communiqué.
beatitudo.
[8779] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 3. La réponse au troisième argument est la même
Ad tertium dicendum sicut ad primum. que pour le premier argument.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8780] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 co. De même que la jouissance bienheureuse (beata
Ad secundam quaestionem dicendum, quod beata fruitio) dépasse la nature humaine, de même
fruitio sicut excedit naturam humanam, ita et aussi [dépasse-t-elle] la nature angélique. De
353

naturam angelicam; unde sicut hoc homini datur même que cela est donné à l’homme par grâce, et
ex gratia, et non ex debito suae naturae; ita non parce que cela est dû à sa nature, de même
Angelo; et propter hoc sicut competit homini aussi, à l’ange. Pour cette raison, de même qu’il
adoptari; ita et Angelo. convient à l’homme d’être adopté, de même
aussi [cela convient-il] à l’ange.
[8781] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 1. La demeure de Dieu dans laquelle les fils
Ad primum ergo dicendum, quod domus Dei, adoptifs sont introduits ne s’appelle pas le ciel
inquantum filii adoptivi inducuntur, non dicitur empyrée, mais la béatitude divine elle-même,
caelum Empyreum, sed ipsa beatitudo divina, selon laquelle Dieu se repose en lui-même et fait
secundum quam Deus in semetipso quiescit, et se reposer les autres en lui. Ils n’ont pas toujours
facit alios in se quiescere; et in hac domo non été dans cette demeure, parce qu’ils n’ont pas été
semper fuerunt, quia non fuerunt creati beati. créés bienheureux.
[8782] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Il arrive pour l’adoption que celui qui est
Ad secundum dicendum, quod accidit adoptioni adopté ait été un fils de la colère ou qu’il n’ait
quod adoptatus fuerit filius irae, vel quod fuerit pas été un fils auparavant ; aussi cela est-il
prius tempore non filius; unde ponitur in littera signalé dans le texte plutôt pour éclairer
magis ad evidentiam adoptionis quam ad l’adoption que parce que cela est nécessaire.
necessitatem. Sed hoc est de necessitate Mais il est nécessaire pour l’adoption de n’avoir
adoptionis ut prius natura sit non filius quam pas été fils par nature avant d’être fils, afin que
filius, ut filiatio sibi ex natura sua non competat, la filiation ne convienne pas par sa nature, mais
sed ex gratia quacumque collata; et hoc bene par une grâce qui lui est conférée. Et on trouve
invenitur in Angelo. bien cela chez l’ange.
[8783] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Bien que la mission du Fils dans la chair n’ait
Ad tertium dicendum, quod quamvis missio filii pas été accomplie pour les anges, une mission
in carnem non fuerit facta ad Angelos; fuit tamen spirituelle leur a cependant été adressée, comme
facta ad eos missio quae est in mentem, ut in 1 on l’a dit dans le livre I, d. 3.
Lib., dist. 3, dictum est.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8784] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Il ne faut nullement dire que le Christ est fils par
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christus adoption, car il lui convient par sa nature, selon
nullo modo dicendus est filius adoptionis: quia ei qu’il naît éternellement du Père, d’avoir droit à
competit ex sua natura, secundum quam l’héritage paternel, puisque tout ce que le Père
aeternaliter a patre nascitur, habere jus in possède lui appartient, comme il est dit en Jn 16.
hereditate paterna: quia omnia quae habet pater, Il ne lui est donc pas acquis de pouvoir être
sua sunt, ut dicitur Joan. 16: unde hoc jus non appelé fils adoptif par une grâce ajoutée.
acquiritur ei per gratiam advenientem, ut possit
dici filius adoptivus.
[8785] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 1. L’humanité est adoptée, non pas dans la tête
Ad primum ergo dicendum, quod humanitas elle-même, mais dans ses membres. C’est ainsi
adoptatur non in ipso capite, sed in membris ejus; que doit être comprise la parole d’Hilaire. Ou
et sic intelligendum est verbum Hilarii. Vel bien il faut dire que, même si l’adoption peut est
dicendum, quod etsi adoptio aliquo modo possit dite d’une certaine manière d’une nature créée,
dici de natura creata, quae per gratiam trahitur in qui, par grâce, est attirée à la participation de la
participationem divinae bonitatis in unitate bonté divine dans l’unité de la personne divine, il
divinae personae; non tamen oportet quod n’est cependant pas nécessaire qu’elle convienne
supposito conveniat, cui naturaliter convenit esse au suppôt à qui il convient naturellement d’être
beatum. bienheureux.
[8786] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Une conclusion inappropriée découle du fait
Ad secundum dicendum, quod sequitur que le Christ, au moins par nature ou selon
inconveniens, quod Christus, ad minus natura vel l’intellect, ne serait pas d’abord le Fils avant
354

intellectu, esset prius non filius quam filius, sicut d’être le Fils, comme c’est le cas pour les anges.
est de Angelis: quod nullo modo stare potest Cela ne peut être soutenu selon la deuxième
quantum ad secundam opinionem, quae ponit, opinion, qui affirme qu’aucun suppôt n’est
quod nullum suppositum praeintelligitur unioni; intellectuellement présupposé à l’union ; et la
nec filiatio convenire potest nisi supposito filiation ne peut convenir qu’à un suppôt parfait.
perfecto.
[8787] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Lorsqu’il est appelé serviteur, le Christ
Ad tertium dicendum, quod Christus cum dicitur comprend seulement la sujétion. Le Christ, en
servus, importat subjectionem tantum; unde tant qu’homme, est donc appelé serviteur, selon
Christus, secundum quod homo, dicitur servus, qu’il est inférieur au Père. Mais il ne comprend
sicut minor patre: non autem importat pas l’acquisition par grâce de ce qui lui convient
acquisitionem per gratiam ejus quod ei convenit par nature, comme c’est le cas pour un fils
per naturam, sicut filius adoptivus; et ideo nomen adoptif. C’est pourquoi le mot « servitude » est
servitutis aliquo modo conceditur in Christo, non concédé pour le Christ d’une certaine manière,
autem nomen adoptionis. mais non le mot « adoption ».
[8788] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 4 4. Le droit à l’héritage céleste est acquis aux
Ad quartum dicendum, quod aliis hominibus per autres hommes par le Saint-Esprit qui habite en
spiritum sanctum inhabitantem acquiritur jus in eux, ce qui ne leur convient pas par nature,
hereditate caelesti de novo, quod eis non competit comme cela convient au Fils de Dieu. Aussi ne
per naturam, sicut filio Dei competit; unde per dit-on pas qu’il est adopté par le Saint-Esprit qui
spiritum sanctum inhabitantem non dicitur habite en lui.
adoptari.
[8789] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5 5. Il existe une ressemblance pour ce qui est de
Ad quintum dicendum, quod est similitudo la raison de grâce, car les deux existent sans
quantum ad rationem gratiae, quia utraque est sine mérites antérieurs, mais non pour ce qui est de
meritis praecedentibus, non autem quantum ad l’effet, car celle-ci est la grâce d’union, par
effectum: quia illa est gratia unionis, secundum laquelle il est établi comme Fils naturel ;
quam efficitur naturalis filius; sed gratia qua cependant, la grâce par laquelle l’homme devient
homo fit Christianus non facit filium naturalem, chrétien n’en fait pas un fils naturel, mais en fait
sed facit tantum adoptivum. seulement un fils adoptif.

Quaestio 3 Question 3 – [La prédestination du Christ


porte-t-elle sur la nature ou sur la personne ?]
Articulus 1 [8790] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. Article 1 – La prédestination du Christ porte-
1 tit. Utrum praedestinatio Christi sit de natura, an t-elle sur la nature ou sur la personne ?
de persona
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La prédestination du
Christ porte-t-elle sur la nature ou sur la
personne ?]
[8791] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1. Ensuite, on s’interroge sur la prédestination du
1 Deinde quaeritur de praedestinatione Christi. Et Christ, et il semble qu’elle ne porte pas sur la
videtur quod non sit de persona. Praedestinatio personne. En effet, [la prédestination] du Christ
enim Christi est ad filiationem, quia vise la filiation, car il a été prédestiné comme
praedestinatus est filius Dei in virtute; Rom. 1, 4. Fils de Dieu avec puissance, Rm 1, 4. Or, la
Sed filiatio non competit naturae. Ergo filiation ne convient pas à sa nature. La
praedestinatio non est de natura. prédestination ne porte donc pas sur la nature.
[8792] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2. Il semble qu’être prédestiné convient à celui à
2 Praeterea, ejus videtur praedestinari cujus est qui il appartient d’agir, car c’est à lui aussi qu’il
agere, quia ejus est etiam felicitari. Sed agere est appartient de devenir bienheureux. Or, agir est le
suppositi, et non naturae. Ergo praedestinatio non fait du suppôt, et non de la nature. La
355

est de natura. prédestination ne porte donc pas sur la nature.


[8793] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3. La nature humaine a la même raison chez le
3 Praeterea, humana natura est unius rationis in Christ et chez les autres hommes. Or, chez les
Christo et in aliis hominibus. Sed in aliis autres hommes, la prédestination ne porte pas sur
hominibus praedestinatio non est de natura. Ergo la nature. Donc, ni chez le Christ.
nec in Christo.
[8794] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] à propos de Rm 1, la Glose dit
1 Sed contra, Rom. 1, dicit Glossa, quod que « la prédestination porte d’une seule manière
praedestinatio est uno modo de eo quod non sur ce qui n’a pas toujours été ». Or, il n’y a rien
semper fuit. Sed nihil est in ipso Christo quod non chez le Christ qui n’ait toujours existé, sauf sa
semper fuerit, nisi humana natura. Ergo nature humaine. La prédestination porte donc sur
praedestinatio est de natura. la nature.
[8795] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Quelqu’un est prédestiné du fait que Dieu
2 Praeterea, ex hoc aliquis praedestinatur quod voit à l’avance qu’il doit être uni par la grâce
praevidetur Deo uniendus per gratiam unionis. d’union. Or, Dieu voit éternellement à l’avance
Sed humana natura ab aeterno est praevisa Deo que la nature humaine doit être unie par la grâce
unienda per gratiam unionis. Ergo humana natura d’union. La nature humaine a donc été
est praedestinata in Christo. prédestinée chez le Christ.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La prédestination du
Christ est-elle conforme à notre
prédestination ?]
[8796] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que la prédestination du Christ ne
1 Ulterius. Videtur, quod praedestinatio Christi soit pas conforme à notre prédestination, car,
non sit conformis praedestinationi nostrae. Quia, selon Augustin, « la prédestination par laquelle
secundum Augustinum, praedestinatio qua nos nous sommes prédestinés est le dessein d’avoir
praedestinamur, est propositum miserendi. Sed pitié ». Or, cela ne convient pas à la
hoc non competit praedestinationi Christi, quia prédestination du Christ, car il n’a jamais été
ipse nunquam fuit miser. Ergo praedestinatio sua misérable. Sa prédestination et la nôtre n’ont
et nostra non sunt unius rationis. donc pas la même raison.
[8797] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2. L’effet de la prédestination est la grâce. Or, la
2 Praeterea, effectus praedestinationis est gratia. grâce du Christ a une autre raison que notre
Sed gratia Christi est alterius rationis quam gratia grâce, car notre grâce n’en est pas une d’union
nostra: quia nostra gratia non est unionis in dans la personne, comme la sienne. Sa
persona, sicut sua. Ergo nec praedestinatio ejus et prédestination et la nôtre n’ont donc pas non plus
nostra sunt ejusdem rationis. la même raison.
[8798] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3. Les opérations diffèrent selon leurs termes.
3 Praeterea, operationes differunt penes terminos. Or, la filiation naturelle, qui est le terme de la
Sed filiatio naturalis, ad quam terminatur prédestination du Christ, n’a pas la même raison
praedestinatio Christi, non est unius rationis cum que la filiation par adoption, qui est le terme de
filiatione adoptionis, ad quam terminatur nostra notre prédestination. Ces prédestinations n’ont
praedestinatio. Ergo non sunt unius rationis donc pas la même raison.
praedestinationes.
[8799] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] une seule définition convient
1 Sed contra est quod utrique praedestinationi aux deux prédestinations : « La prédestination
competit una definitio, scilicet praedestinatio est est la préparation à la grâce dans le présent et à
praeparatio gratiae in praesenti, et gloriae in la gloire dans l’avenir. » Elles ont donc la même
futuro. Ergo sunt unius rationis. raison.
[8800] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. [2] À propos de Rm 1, la Glose dit que « le
2 Praeterea, Rom. 1 dicit Glossa, quod modèle le plus éclatant de notre prédestination a
praeclarissimum exemplar nostrae précédé chez le Christ ». Elles ont donc la même
356

praedestinationis praecessit in Christo. Ergo est raison, car le modèle et sa reproduction ont la
unius rationis: quia exemplar et exemplatum sunt même raison.
unius rationis.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La prédestination du
Christ est-elle la cause efficiente de notre
prédestination ?]
[8801] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que la prédestination [du Christ] soit
1 Ulterius. Videtur quod praedestinatio ejus sit la cause efficiente de notre prédestination.
causa efficiens nostrae praedestinationis. Ephes. Ep 1, 5 : Il nous a prédestinés à l’adoption des
1, 5, dicitur: praedestinavit nos in adoptionem fils par Jésus, le Christ. Or, « par » indique la
filiorum per Jesum Christum. Sed per denotat cause efficiente, lorsqu’on dit que le Père agit
causam efficientem, quando dicitur pater operari par le Fils. Sa prédestination est donc la cause
per filium. Ergo ejus praedestinatio est causa efficiente de notre prédestination.
efficiens nostrae praedestinationis.
[8802] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 2. Il semble qu’elle soit la cause exemplaire,
2 Item, videtur quod sit causa exemplaris, per selon ce qui est dit en Rm 8, 29 : Ceux qu’il a
illud quod dicitur Rom. 8, 29: quos praedestinavit prédestinés à devenir conformes à l’image de
conformes fieri imaginis filii sui. Sed imago ad son Fils. Or, l’image se réfère à l’exemplarité.
exemplaritatem pertinet. Ergo est causa Elle est donc la cause exemplaire de notre
exemplaris nostrae praedestinationis; sicut etiam prédestination, comme aussi sa résurrection l’est
sua resurrectio nostrae resurrectionis. de notre résurrection.
[8803] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 arg. 3. Il semble qu’elle soit la cause finale, car notre
3 Item, videtur quod finalis. Quia nostra prédestination semble avoir été ordonnée à
praedestinatio videtur esse ordinata ad l’achèvement du corps du Christ, comme cela
impletionem corporis Christi, ut patet Ephes. 4, ressort de Ep 4. Aussi semble-t-elle être la fin de
unde ipse videtur esse finis nostrae salutis. Ergo et notre salut. Sa prédestination est doncaussi [la
ejus praedestinatio nostrae praedestinationis. cause finale] de notre prédestination.
[8804] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, [1] ce qui est éternel n’a pas de
1 Sed contra, aeternum non habet causam. Sed cause. Or, notre prédestination est éternelle. Elle
praedestinatio nostra est aeterna. Ergo non habet n’a donc pas la prédestination du Christ comme
causam, Christi praedestinationem. cause.
[8805] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 s. c. [2] Le Christ n’a été prédestiné qu’en tant
2 Praeterea, Christus non est praedestinatus nisi qu’homme. Or, selon qu’il est homme, il n’est
secundum quod homo. Sed ipse, secundum quod pas notre cause, mais selon qu’il est Dieu. Sa
homo, non est causa nostri, sed secundum quod prédestination n’est donc pas la cause de notre
Deus. Ergo praedestinatio ejus non est causa prédestination.
praedestinationis nostrae.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8806] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 co. La prédestination s’entend en un sens général et
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, en un sens propre. Au sens général, elle signifie
quod praedestinatio accipitur communiter et toute prescience et toute disposition préalable. Il
proprie. Communiter pro praescientia et ressort ainsi que la prédestination peut avoir
praeordinatione cujuscumque; et sic patet quod comme objet la nature. Mais si elle est entendue
praedestinatio potest esse de natura. Secundum au sens propre, elle comporte l’ordre de celui qui
autem quod proprie accipitur importat ordinem est prédestiné à la grâce. Or, la grâce de la
praedestinati ad gratiam. Gratia autem creaturae créature réalise l’union à Dieu, qui existe de
facit unionem ad Deum: quae quidem duplex est: deux manières : par une opération, selon que
scilicet per operationem, secundum quam nos nous sommes unis à Dieu en vue de le connaître
unimur Deo cognoscendo et amando ipsum: et in et de l’aimer ; dans la personne, selon que la
persona; et secundum hoc humana natura fuit nature humaine a été unie à Dieu. Puisque la
357

unita Deo; et ideo, cum praedestinatio Christi prédestination du Christ est ordonnée à la grâce
ordinetur ad gratiam unionis in persona, potest d’union dans la personne, on peut donc dire que
dici, quod natura est praedestinata, vel persona la nature est prédestinée ou la personne en raison
ratione naturae. de la nature.
[8807] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 1. La prédestination du Christ a comme premier
Ad primum ergo dicendum, quod praedestinatio effet l’union elle-même. Puisqu’il s’agit de
Christi primum effectum habet ipsam unionem: l’union de la nature, on peut donc aussi dire
unde cum unio sit naturae, potest etiam dici qu’elle est prédestinée, bien que la filiation ne lui
praedestinata; quamvis sibi filiatio non conveniat, convienne pas, car la filiation n’est pas le
quia filiatio non est primus effectus premier effet de la prédestination, mais elle
praedestinationis, sed consequitur ad unionem. découle de l’union.
[8808] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Cet argument porte sur la félicité de la
Ad secundum dicendum, quod ratio illa procedit créature du fait qu’elle est unie à Dieu par une
de felicitate creaturae ex hoc quod Deo unitur per opération ; mais la nature elle-même est rendue
operationem; sed ipsa natura beatificatur ex hoc bienheureuse du fait qu’elle est unie à Dieu dans
quod Deo unitur in persona. la personne.
[8809] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Ainsi ressort aussi la réponse au troisième
Et per hoc etiam patet responsio ad tertium: quia argument, car la prédestination des autres
praedestinatio aliorum hominum non est ad hommes n’a pas comme fin l’union dans la
unionem in persona, sed ad unionem per personne, mais l’union par une opération.
operationem.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8810] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Plusieurs choses sont requises dans la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod multa prédestination, tant du côté de celui qui
requiruntur in praedestinatione et ex parte prédestine que du côté de celui qui est
praedestinantis, et ex parte praedestinati, et prédestiné, et du terme a quo comme du terme
secundum terminum a quo, et secundum ad quem, selon qu’on peut envisager une
terminum ad quem, secundum quod potest attendi différence entre la prédestination du Christ et la
diversitas inter praedestinationem Christi et nôtre. Du côté de celui qui prédestine, qui est
nostram. Ex parte autem praedestinantis, qui Deus Dieu, il n’existe pas de différence entre la
est, non est diversitas inter praedestinationem prédestination du Christ et la nôtre ; mais il
Christi et nostram; est autem differentia ex parte existe une différence du côté de celui qui est
praedestinati: quia in nobis est de persona, in prédestiné, car, pour nous, elle porte sur la
Christo autem de natura, ut dictum est. Similiter personne, mais chez le Christ, sur la nature,
est differentia ex parte termini a quo: quia in comme on l’a dit. De même existe-t-il une
nobis est ut liberemur a peccato, sicut dicit Glossa différence du côté du terme a quo, car, pour
super illud Rom. 8: quos praedestinavit, hos nous, elle existe pour que nous soyons libérés du
vocavit: in Christo autem non; quia neque péché, comme le dit la Glose sur Rm 8 : Ceux
contraxit, neque fecit peccatum. Sed neutra qu’il a prédestinés, il les a appelés ; mais, chez
istarum differentiarum diversificat rationem le Christ, ce n’est pas le cas, car il n’en a ni
praedestinationis; sed solum illa quae est contracté ni accompli. Mais aucune de ces
essentialis et specifica. Specifica autem differentia différences ne différencie la raison de
cujuslibet motus vel operationis, accipitur penes prédestination, mais seulement celle qui est
terminum ad quem. Illud autem ad quod est essentielle et spécifique. Or, la différence
praedestinatio, non est unius rationis in Christo et spécifique de tout mouvement ou de toute
in nobis: quia praedestinatio Christi est ad opération se prend du terme ad quem. Mais la fin
unionem in persona; praedestinatio autem nostra de la prédestination n’a pas la même raison chez
ad unionem per operationem, aut per habitum le Christ et chez nous, car la prédestination du
assimilantem; et haec duae uniones non sunt unius Christ a comme fin l’union dans la personne,
rationis, sed se habent secundum prius et mais notre prédestination, l’union par une
358

posterius, et perfectum et diminutum; et ideo opération ou par un habitus réalisant une


praedestinatio Christi et nostra non est unius ressemblance. Mais elles ont un rapport
rationis secundum univocationem, sed secundum d’antérieuriorité et de postériorité, de parfait et
analogiam. de moindre. C’est pourquoi la prédestination du
Christ et la nôtre n’ont pas une même raison par
univocité, mais par analogie.
[8811] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 2 ad Il est ainsi facile de répondre aux objections.
arg. Et per hoc facile est respondere ad objecta.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[8812] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 co. Dans la prédestination même, il existe deux
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in ipsa choses : l’une éternelle, à savoir, l’opération
praedestinatione duo sunt; unum aeternum, même de Dieu ; l’autre temporelle, à savoir,
scilicet ipsa Dei operatio; et aliud temporale, l’effet de la prédestination. Notre prédestination,
scilicet praedestinationis effectus. Praedestinatio du point de vue de ce qui est éternel en elle, n’a
ergo nostra quantum ad illud quod est aeternum in donc pas de cause ; mais, du point de vue de
ipsa, causam non habet; sed quantum ad effectum l’effet, elle peut avoir une cause, pour autant que
potest habere causam, inquantum scilicet ejus son effet est réalisé par l’intermédiaire de causes
effectus producitur mediantibus aliquibus causis créées. Sous cet aspect, la cause efficiente de
creatis: et secundum hoc praedestinationis nostrae notre prédestination est la prédestination du
causa efficiens est praedestinatio Christi Christ, en tant qu’il est le médiateur de notre
inquantum ipse est mediator nostrae salutis; et salut ; la cause formelle, pour autant que nous
formalis, in quantum in filios Dei ad imaginem sommes prédestinés à devenir des fils de Dieu à
ejus praedestinamur, et finalis, inquantum nostra son image ; et la cause finale, pour autant que
salus in ejus gloriam redundat. notre salut rejaillit sur sa gloire.
[8813] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3 ad La solution des objections ressort ainsi
arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. clairement.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


10
[8814] Super Sent., lib. 3 d. 10 q. 3 a. 1 qc. 3
expos. Christum secundum hominem non esse
personam, nec aliud. Primum horum conceditur
ab omni opinione; secundum autem non, sed a
tertia tantum; quia primae duae opiniones dicunt
quod secundum quod Christus est homo, est
aliquid. Hoc autem negare est error. Secundum
enim multiplicem habet rationem. Ista divisio
accipitur ex comparatione replicationis ad
subjectum propositionis: quia potest fieri
replicatio vel ejus quod antecedit subjectum, et sic
notat causam; vel ejus quod sequitur, et sic notat
habitum, aut quodcumque aliquid accidens; sed
specialiter nominat habitum propter rationem
tertiae opinionis: vel ipsius subjecti, et hoc vel
quantum ad naturam, et sic exprimit conditionem
naturae; vel quantum ad suppositum, et sic notat
unitatem personae in Christo. Illa tamen personae
descriptio non est data pro divinis personis.
Contra est quod directe ponit eam Boetius in
materia ista in Lib. de Duab. Nat. Dicendum,
359

quod Magister verum dicit, si capiantur stricte ea


quae in divisione ponuntur; sed Boetius large
accipit; et hoc patet in 1 Lib., dist. 25. Non autem
sic dicitur filius natura. Dicitur enim Deus natura
quasi formaliter; sed dicitur filius natura, non
formaliter, sed quantum ad modum originis, quia
per modum naturae procedit. Christus nunquam
fuit filius; nec prius tempore, sicut nos, nec prius
natura aut intellectu, sicut Angeli, si in gratia
creati sunt. Christum filium virginis esse natura et
gratia. Contra. Natura et gratia ex opposito
dividuntur. Ergo quod est per gratiam, non est per
naturam. Praeterea, Christus est filius matris, sicut
et quilibet alius homo. Sed alii homines non sunt
filii matrum suarum per gratiam. Ergo nec
Christus. Dicendum ad primum quod gratia
unionis non opponitur contra naturam: quia per
eam una persona fit duarum naturarum: et sic
quod inest per gratiam unionis, inest per
alterutram naturarum naturaliter. Ad secundum
dicendum, quod Christum, inquantum hominem
nasci ex matre, non fuit per gratiam, sed nasci
simul Deum et hominem; et hoc fuit per gratiam
unionis. Non talis hic filius. Ergo videtur quod
filiatio dicatur aequivoce. Dicendum, quod non
univoce, nec aequivoce, sed analogice, sicut et
alia quae dicuntur de Deo et creaturis. Origine,
non adoptione. Hoc dicitur contra Nestorium, qui
cum poneret in Christo duas personas, non potuit
ponere unionem nisi per gratiam: et sic sequeretur
quod persona hominis non sit filius Dei nisi per
gratiam habitualem adoptionis, sicut et nos.
Veritate, vel nuncupatione. Hoc dicitur contra
Sabellium, qui posuit distingui personas tantum
nominaliter. Nativitate, non creatione. Et hoc
dicitur contra Arium, qui dicebat filium Dei esse
creaturam.

Distinctio 11 Distinction 11 – [L’attribution à Dieu de


déficiences de la nature humaine]

Quaestio 1 Question 1 – [Le Fils de Dieu est-il une


créature ?]
Prooemium Prologue
[8815] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminée de la manière dont ce qui
determinavit Magister, qualiter ea quae sunt relève de la dignité de la nature humaine peut
dignitatis in humana natura, de Christo possunt être ou non attribué au Christ, le Maître
vel non possunt dici; hic determinat quomodo de détermine ici de la manière dont ce qui se
Deo dici possunt ea quae ad defectum naturae rapporte aux déficiences de la nature humaine
humanae pertinent; et dividitur in duas partes: in peut être attribué à Dieu. Cela se divise en deux
360

prima inquirit, utrum nomen creaturae quod de parties : dans la première, il se demande si la
humana natura dicitur, de Christo dici possit; in nom de créature qui est attribué à la nature
secunda, utrum illi defectus qui consequuntur humaine peut être attribué au Christ ; dans la
ipsam, inquantum creatura, vel alio modo ipsi seconde, si les déficiences qui en découlent en
convenire possint, dist. 12, ibi: post praedicta tant que créature ou d’une autre manière peuvent
quaeritur, utrum homo ille coeperit esse, vel lui convenir, d. 12, à cet endroit : « Après ce qui
semper fuerit. Prima in tres: in prima movet a été dit, on se demande si cet homme a
quaestionem; in secunda determinat eam, ibi: ad commencé à être ou a toujours existé. » La
quod potest dici; in tertia excludit objectiones première partie se divise en trois : dans la
quae contra solutionem fieri possunt, ibi: etsi ergo premièrement, il soulève une question ; dans la
Christus secundum hominem dicitur creatura, non deuxième, il en détermine, à cet endroit : « À
tamen simpliciter praedicandus est creatura. cela on peut répondre… » ; dans la troisième, il
Circa primum duo facit: primo determinat écarte les objections qui peuvent être soulevées
propositam quaestionem; secundo confirmat contre la réponse, à cet endroit : « Même si on
determinationem; et primo quantum ad hoc quod dit du Christ en tant qu’homme qu’il est une
Christus non possit simpliciter dici creatura, ibi: créature, on ne peut pas dire de lui tout
qui Christum vel Dei filium, non esse factum vel simplement qu’il est une créature. » À propos du
creatum, in Lib. 1 de Trin. ostendit; secundo premier point, il fait deux choses : premièrement,
quantum ad hoc quod possit dici creatura cum il détermine de la question mise de l’avant ;
determinatione, scilicet inquantum est homo, ibi: deuxièmement, il confirme la détermination.
sed addita determinatione recte dici potest. Hic Premièrement, que le Christ ne peut pas être
quaeruntur quatuor: 1 utrum filius Dei sit appelé tout simplement une créature, à cet
creatura; 2 utrum Christus, vel iste homo, possit endroit : « Que le Christ ou le Fils de Dieu n’ait
dici creatura; 3 utrum sit creatura, secundum quod pas été fait ou créé, il le montre dans le livre I
homo; 4 utrum omnia quae humanae naturae sur la Trinité. » Deuxièmement, qu’il peut être
conveniunt, de Christo possint praedicari. appelé une créature avec une précision, à savoir,
en tant qu’il est homme, à cet endroit : « Si l’on
ajoute la précision, on peut le dire
correctement. » Ici, quatre questions sont
posées : 1 – Le Fils de Dieu est-il une créature ?
2 – Le Christ ou cet homme peut-il être appelé
une créature ? 3 – Est-il une créature en tant qu’il
est homme ? 4 – Tout ce qui convient à la nature
humaine peut-il être attribué au Christ ?

Articulus 1 [8816] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. Article 1 – Le Fils de Dieu est-il une
1 tit. Utrum filius Dei sit creatura créature ?
[8817] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Fils de Dieu soit une créature.
primum sic proceditur. Videtur, quod filius Dei sit Si 24, 14 : Au commencement et avant les
creatura. Eccli. 24, 14: ab initio et ante saecula siècles, j’ai été créée, et il parle de la Sagesse
creata sum: et loquitur de divina sapientia. Sed divine. Or, le Fils de Dieu est la Sagesse de
filius Dei est Dei sapientia. Ergo ipse est creatura. Dieu. Il est donc une créature.
[8818] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Tout ce qui est soumis à Dieu ou moindre que
Praeterea, omne quod est subjectum Deo, vel lui est une créature. Or, le Fils de Dieu est de
minus eo, est creatura. Sed filius Dei est cette sorte, comme cela ressort de Jn 14, 28 : Le
hujusmodi, ut patet Joan. 14, 28: pater major me Père est plus grand que moi ; et en 1 Co 15, il est
est; et 1 Corinth. 15, dicitur quod filius erit dit que le Fils se soumettra au Père, qui lui a tout
subjectus patri, qui subjecit ei omnia. Ergo filius soumis. Le Fils de Dieu est donc une créature.
Dei est creatura.
[8819] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Les actions ont entre elles le même rapport
361

Praeterea, hoc modo se habent actiones ad que les termes des actions. Or, l’être, qui est le
invicem, sicut termini actionum. Sed esse, quod terme de la création, est antérieur à toute autre
est terminus creationis, est prius quacumque alia forme à laquelle se terminent les autres actions.
forma ad quam terminantur aliae actiones. Ergo La création est donc antérieure à toutes les autres
creatio est prior omnibus aliis actionibus vel actions ou réalisations. Or, ce qui vient après
productionibus. Sed posterius semper présuppose toujours ce qui est antérieur. Puisque
praesupponit prius. Cum ergo generatio conveniat la génération, selon laquelle on dit qu’il est né,
filio Dei, secundum quam dicitur natus, videtur convient au Fils de Dieu, il semble donc que la
quod etiam creatio conveniat ei, ut dicatur creatus. création lui convienne aussi, de sorte qu’on dise
de lui qu’il est créé.
[8820] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Comme le démontre Avicenne dans sa
Praeterea, ut probat Avicenna in sua Metaph., id Métaphysique, « ce dont l’essence est son être
cujus essentia est suum esse, est per se necesse doit nécessairement exister ». Or, ce qui est de
esse. Sed quod est hujusmodi, non habet esse ab cette sorte ne tient pas son existence d’un autre,
alio: quia hoc quod est necesse esse absolute, non car le fait qu’exister lui soit absolument
est propter aliquid aliud, ut etiam dicit nécessaire fait en sorte qu’il ne vient pas d’autre
philosophus in 5 Metaph. Ergo id cujus essentia chose, comme le dit aussi le Philosophe dans
est suum esse, non habet esse ab alio. Sed filius Métaphysique, V. Donc, ce dont l’essence est
habet esse ab alio. Ergo non est necesse esse; nec son propre être ne tient pas son existence d’un
sua essentia est suum esse. Ergo est creatura. autre. Or, le Fils tient son existence d’un autre. Il
n’existe donc pas nécessairement et son essence
n’est pas son être. Il est donc une créature.
[8821] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Tout ce dont l’existence a une cause est une
Praeterea, omne quod habet causam sui esse, est créature. Or, le Fils a une cause de son existence,
creatura. Sed filius habet causam sui esse: quia car le Père est cause du Fils, comme le dit [Jean]
pater est causa filii, ut dicit Chrysostomus, et Chrysostome et le concèdent tous les docteurs
omnes Graeci doctores concedunt. Ergo filius est grecs. Le Fils est donc une créature.
creatura.
[8822] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Tout ce qui est engendré est engendré afin
Praeterea, omne quod gignitur, ad hoc gignitur ut d’exister. Or, ce qui existe n’est pas engendré
sit. Sed quod est, non gignitur ad hoc quod sit, afin d’exister, car cela existe déjà. Tout ce qui
quia jam est. Ergo omne quod gignitur, antequam est engendré n’existe donc pas avant d’être
gignatur non est. Sed omne quod non fuit et engendré. Or, tout ce qui n’existait pas et existe
postea est, creatum est. Ergo filius, cum genitus par la suite a été créé. Puisqu’il est engendré, le
sit, creatus est. Fils a donc été créé.
[8823] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 7 7. Tout ce qui tient quelque chose d’un autre, ne
Praeterea, omne quod habet aliquid ab alio, in se possède pas cette chose considérée en elle-
consideratum non habet illud; et caret illo, si sibi même, et elle lui fait défaut, s’il est laissé à lui-
relinquatur. Sed filius habet esse ab alio. Ergo in même. Or, le Fils tient son existence d’un autre,
se consideratus non habet esse; et si sibi et s’il était laissé à lui-même, il n’existerait pas.
relinquatur, non esset. Sed haec est conditio Or, telle est la condition de la créature, dont on
creaturae, secundum quam dicitur vertibilis in dit qu’elle est susceptible de retourner au néant,
nihilum: quia omnia in nihilum reverterentur, nisi car tout retournerait au néant, si la main du
ea manus conditoris teneret. Ergo filius est Créateur ne le tenait pas. Le Fils est donc une
creatura. créature.
[8824] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] aucune créature n’est
Sed contra, nulla creatura est consubstantialis consubstantielle au Créateur. Or, le Fils est
creatori. Sed filius est consubstantialis patri, ut consubstantiel au Père, comme il est dit en
dicitur Joan. 10, 30: ego et pater unum sumus. Jn 10, 30 : Moi et le Père, nous sommes un. Le
Ergo filius non est creatura. Fils n’est donc pas une créature.
362

[8825] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Toute créature est soutenue par la puissance
Praeterea, omnis creatura portatur per potentiam du Créateur. Or, ce qui soutient tout n’est pas
creatoris. Sed id quod omnia portat non portatur. soutenu. Ce qui soutient tout n’est donc pas une
Ergo id quod omnia portat, non est creatura. Sed créature. Or, tel est le Fils, He 1, 3 : Lui qui
hoc est filius: Hebr. 1, 3: portans omnia verbo soutient tout par la parole de sa puissance. Le
virtutis suae. Ergo filius non est creatura. Fils n’est donc pas une créature.
[8826] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Il n’existe rien en Dieu qui soit créature. Or,
Praeterea, nihil est in Deo quod sit creatura. Sed le Fils existe en Dieu le Père, puisqu’il est son
filius est in Deo patre, cum sit verbum ejus, et Verbe et que tout verbe existe dans celui qui le
omne verbum est in dicente. Ergo filius non est dit. Le Fils n’est donc pas une créature.
creatura.
[8827] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 4 [4] Tout ce qui est nommé selon une
Praeterea, omne quod dicitur per similitudinem, ressemblance se ramène à ce qui est nommé de
reducitur ad id quod proprie dicitur. Sed homines manière propre. Or, les hommes sont appelés fils
dicuntur filii Dei per assimilationem ad unicum de Dieu par ressemblance au Fils unique,
filium; Roman. 8, 29: conformes fieri imaginis Rm 8, 29 : Pour être conformes à l’image de son
filii sui. Ergo ipse proprie filius dicitur. Sed nullus Fils. Il est donc appelé Fils au sens propre. Or,
dicitur proprie filius alicujus nisi habeat eamdem personne n’est appelé fils de quelqu’un au sens
naturam specie quam habet pater, et vere; ergo propre à moins d’avoir vraiment la même nature
filius est vere Deus. Sed nulla creatura est qu’a son père selon l’espèce. Le Fils est donc
hujusmodi. Ergo filius non est creatura. vraiment Dieu. Or, aucune créature n’est de cette
sorte. Le Fils n’est donc pas une créature.
[8828] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 co. Réponse. Le Fils procède du Père naturellement.
Respondeo dicendum, quod filius naturaliter a En effet, c’est ce qu’indique le mot « filiation »,
patre procedit: hoc enim ipsum nomen filiationis s’il s’agit d’une vraie filiation, ce qui doit exister
demonstrat, si vera filiatio sit: quod oportet au plus haut point dans cette filiation et cette
maxime esse in illa filiatione et paternitate, ex qua paternité à partir desquelles toute paternité et
omnis paternitas et filiatio in caelo et in terra toute filiation sont nommées au ciel et sur la
nominatur: ad Eph. 3. Maxime enim vera sunt terre, Ep 3. En effet, « est vrai au plus haut point
quae sunt causa esse veritatis in aliis, ut dicitur 2 ce qui est cause que cela soit vrai chez les
Metaph. Omne autem quod naturaliter procedit ab autres », comme il est dit dans Métaphysique, II.
altero, duo habet. Unum est quod aequatur ei a Or, tout ce qui procède naturellement d’un autre
quo procedit: quia natura non postponit facere a deux choses. L’une est qu’il est égal à celui
opus suum, nisi sit ex defectu agentis: qui quidem dont il procède, car la nature ne reporte pas
defectus est in eo, quod agens naturaliter non l’accomplissement de son œuvre, si ce n’est en
habet perfectam virtutem ad agendum; sicut pueri raison d’une carence de l’agent ; cette carence
ad generandum: vel in eo quod agit per est en lui parce que l’agent ne possède pas
transmutationem exterioris materiae, unde naturellement une puissance parfaite pour agir,
effectus non sequitur nisi in fine transmutationis, comme les enfants pour engendrer, ou elle se
et sic oportet quod duratione sequatur suam trouve chez celui qui agit par la transformation
causam agentem: quae longe sunt a Deo, cujus d’une matière extérieure, l’effet ne découlant
virtus non augetur, neque materiam ex qua qu’à la fin de la transformation. Il est ainsi
operetur requirit. Restat ergo quod omne nécessaire qu’il découle de sa cause efficiente
naturaliter a Deo procedit, coaeternum sit ei; et ita dans la durée. Cela est très éloigné de Dieu, dont
filius est ab aeterno. Aliud est quod oportet esse in la puissance n’est pas augmentée et qui ne
eo quod naturaliter procedit ab altero, quod sit requiert pas de matière pour agir. Il reste donc
simile ei a quo procedit; quia natura intendit sibi que tout ce qui procède de Dieu naturellement lui
simile producere inquantum potest; unde quod soit coéternel ; ainsi le Fils existe-t-il
aliquid naturaliter procedens non habeat éternellement. L’autre chose est que ce qui
perfectam similitudinem ejus a quo procedit, ressemble à ce dont cela procède soit présent
363

contingit vel ex defectu virtutis agentis, sicut in dans ce qui procède naturellement d’un autre, car
semine in quo debilitatur calor naturalis, unde non la nature vise à produire quelque chose qui lui
sufficit ad generandum masculum, sed feminam; est semblable autant que possible. Qu’une chose
vel ex defectu materiae, quae non potest recipere qui procède naturellement n’ait pas une parfaite
totam virtutem agentis, sicut accidit in partubus ressemblance avec ce dont elle procède, cela
monstruosis. Haec autem duo a Deo longe sunt, ut vient soit d’une carence de la puissance de
dictum est, unde oportet quod hoc quod naturaliter l’agent, comme dans la semence où la chaleur
a Deo procedit, perfectam similitudinem ad eum naturelle est affaiblie, de sorte qu’elle ne suffit
habeat. Perfecta autem similitudo esse non potest pas en engendrer un mâle, mais une femelle ; soit
ubi non est eadem natura secundum speciem. d’une carence de la matière, qui ne peut recevoir
Natura autem divina non potest esse eadem specie toute la puissance de l’agent, comme cela se
nisi sit eadem numero, cum omnino sit produit dans les naissances de monstres. Or, ces
immaterialis. Unde oportet quod filius qui deux choses sont très éloignées de Dieu, comme
naturaliter a Deo patre procedit, habeat eamdem on l’a dit. Aussi est-il nécessaire que ce qui
numero naturam cum ipso, et per consequens procède naturellement de Dieu ait une parfaite
idem esse; et ita omnibus modis ei erit aequalis. ressemblance avec lui. Or, il ne peut y avoir de
Et quia natura et esse Dei patris nullo modo parfaite ressemblance là où il n’y a pas une
dependet ad nihil, vel ad non esse, ut scilicet non même nature selon l’espèce. Mais la nature
esse praecedat eam tempore vel natura; ideo nec divine ne peut être de la même espèce que si elle
natura nec esse filii ad nihil aliquo modo est la même en nombre, puisqu’elle est
dependet. Ex quo patet quod filius nullo modo complètement immatérielle. Il est donc
potest esse creatura, neque secundum quod fides nécessaire que le Fils qui procède naturellement
de creatione loquitur, secundum quam ponimus de Dieu le Père ait la même nature que lui et, par
quod non esse duratione creaturam praecessit; nec conséquent, le même être. Ainsi lui sera-t-il égal
secundum quod quidam philosophi posuerunt de toutes les manières. Et parce que la nature et
creationem, dicentes illud creari quod esse habet l’être de Dieu le Père ne dépendent de rien ni du
post non esse, non tempore, sed natura: et hoc est néant, de sorte que le néant les précède dans le
cujus esse dependens est ad non esse, quia in se temps ou par nature, la nature et l’être du Fils
consideratum et sibi relictum non est, cum solum non plus ne dépendent de rien d’aucune manière.
ab altero esse habeat. Sed de hoc in 2 Lib., Il est ainsi clair que le Fils ne peut d’aucune
distinct. 2, dictum est plenius. manière être une créature, ni selon ce qu’affirme
la foi en la création, selon laquelle nous
affirmons que le néant a précédé la créature dans
la durée, ni selon ce que certains philosophes ont
affirmé de la création, en disant qu’est créé ce
qui possède l’être après le non-être, non pas dans
le temps, mais par nature. C’est là faire dépendre
l’être du non-être, car, considéré en soi et laissé à
soi-même, cela n’est pas, puisque cela tient l’être
d’un autre seulement.
[8829] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Ce verbe s’entend soit de la sagesse créée, à
primum ergo dicendum, quod istud verbum vel savoir, la nature angélique, qui existe avant le
intelligitur de sapientia creata, scilicet angelica temps des siècles, même si ce n’est pas par la
natura, quae est ante tempora saecularia, etsi non durée, cependant selon l’ordre de la nature ; soit
duratione, tamen ordine naturae; vel intelligitur de il s’entend du Fils de Dieu pour ce qui est de la
filio Dei quantum ad naturam assumptam, quae nature assumée, qui, même si elle n’a pas été
etsi ante saecula creata non fuerit, fuit tamen ab créée avant les siècles, a cependant été
aeterno praevisa creari. éternellement prévue.
[8830] Sper Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Comme l’enseigne Augustin dans Sur la
secundum dicendum, quod sicut Augustinus docet Trinité, I, tout ce qui semble affirmer une
364

in 1 de Trin., omnia quae minorationem aut infériorité ou un sujétion à propos du Fils de


subjectionem circa filium Dei ponere videntur, vel Dieu doit être rapporté à la nature assumée, selon
referenda sunt ad naturam assumptam secundum laquelle il est inférieur au Père, tout en
quam minor est patre, in forma Dei manens demeurant égal au Père quant à la nature divine,
aequalis patri, ut dicitur ad Philip. 2; vel comme il est dit dans Ph 2. Ou bien il faut le
referendum est ad commendationem principii, rapporter à la mise en évidence du principe,
secundum quod pater dicitur principium filii : et selon lequel on dit que le Père est le principe du
secundum hoc dicitur major, quamvis filius non Fils ; on dit ainsi qu’il est plus grand, bien que le
sit minor, ut dicit Hilarius. Fils ne soit pas inférieur, comme le dit Hilaire.
[8831] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Selon Basile, le Fils a en commun avec toutes
tertium dicendum, quod secundum Basilium, les créatures de recevoir du Père ; mais le
accipere a patre filius habet commune cum omni posséder par nature lui est propre. Aussi la
creatura; sed habere per naturam est sibi procession du Fils à partir du Père a quelque
proprium; unde processio filii a patre in aliquo chose en commun avec la procession qui se
convenit cum processione quae est in creaturis, réalise pour les créatures selon une communauté
communitate analogiae, et in aliquo differt. d’analogie, mais elle en diffère sur un point. Elle
Convenit quidem in respectu originis, qui est esse a commun ce qui concerne l’origine, qui consiste
ab aliquo; differt autem in hoc quod processio filii à exister par un autre ; mais elle diffère par le fait
a patre est per naturam; aliorum autem per que la procession du Fils se réalise par nature,
voluntatem. Ex hoc sequitur triplex differentia, ut mais celle des autres, par volonté. Il en découle
ex dictis patet. Prima, quod filius est une triple conséquence. La première est que le
consubstantialis patri; secunda, quod est Fils est consubstantiel au Père ; la deuxième est
coaeternus; tertia, quod esse suum nullo modo qu’il lui est coéternel ; la troisième est que son
dependet ad nihil: et haec sequitur ex prima. Unde existence ne dépend en rien du néant, et cette
considerandum est, quod omnia nomina vel verba dernière découle de la première. Il faut donc
quae important respectum originis absolute, considérer que tous les noms ou verbes qui
recipiuntur in processionem divinam, sicut comportent un rapport d’origine de manière
procedit, exit, est ab alio; illa autem quae absolue sont acceptés pour la procession divine :
important aliquid contrarium tribus praedictis, ainsi, il « procède », « vient de » ou « tient son
nullo modo dicuntur, sicut factus, quod repugnat être d’un autre » ; mais ceux qui comportent
consubstantialitati: quia facere dicitur proprie quelque chose de contraire aux trois
secundum operationem quam agens exercet in id [conséquences] mentionnées ne se disent
quod est extra: et similiter verbum incipiendi d’aucune manière [de la procession divine] :
repugnat coaeternitati, et similiter verbum creandi ainsi, « il a été fait », qui s’oppose à la
importat dependentiam ad non esse. Sed nativitas consubstantialité, car « faire » se dit au sens
ad respectum originis absolute addit aliquid magis propre de l’opération qu’un agent exerce sur ce
pertinens ad consubstantialitatem quam ad qui est extérieur ; de même, le verbe
differentiam substantiae: quia, sicut supra, dist. 8, « commence » s’oppose à la coéternité, et de
dictum est, nascitur proprie quod procedit même le verbe « créer » comporte une
conjunctum ei a quo procedit: et ideo omnia illa dépendance par rapport au non-être. Mais
quae pertinent ad generationem vivorum, quorum « naissance » ajoute de manière absolue quelque
est nasci, dicuntur in processione filii, sicut oriri chose qui concerne davantage la
et nasci, gigni et generari; et haec est causa quare consubstantialité que la différence de substance,
processio filii potuit habere nomen proprium, non car, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 8, naît au
autem processio spiritus sancti, qui non procedit sens propre ce qui procède en étant uni à ce dont
per modum nascentis. Unde generatio vel il procède. C’est pourquoi tout ce qui se rapporte
nativitas non transumitur ad divina secundum à génération des vivants, à qui il appartient de
quod praesupponit creationem, sed secundum naître, se dit de la procession du Fils, comme
quod importat consubstantialitatem. « être issu de » et « naître », « être enfanté » et
« être engendré ». Telle est la raison pour
365

laquelle la procession du Fils a pu porter une


nom propre, mais non la procession de l’Esprit
Saint, qui ne procède pas par mode de naissance.
Aussi la « génération » et la « naissance » ne
sont-elles pas reportées sur les réalités divines
selon qu’elles présupposent la création, mais
selon qu’elles comportent la consubstantialité.
[8832] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Cet argument découle de ce qui existe à partir
quartum dicendum, quod ratio illa sequitur de eo d’un autre et posséde une autre nature que lui,
quod est ab alio, habens aliam naturam ab ipso: car ainsi l’être n’est pas dû par la nature même
quia sic naturae ejus quod est ab alio, non debetur de ce qui vient de l’autre ; aussi [cette nature]
esse ex se ipsa; unde ipsa non est suum esse, ut n’est-elle pas son propre être, de sorte qu’il soit
habeat necessitatem essendi ex se. Sed filius est a nécessaire qu’elle existe par elle-même. Mais le
patre, habens eamdem numero naturam; unde Fils vient du Père en ayant la même nature en
sicut natura patris est suum esse, ac per hoc nombre. Aussi, de même que le Père est son
necesse esse; ita et natura filii: nec ejus esse est propre être et ainsi existe nécessairement, de
aliquo modo dependens ad nihil, sicut nec esse même aussi la nature du Fils. Et son être ne
patris. dépend aucunement du néant, pas davantage que
l’être du Père.
[8833] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. L’être du Fils n’est pas créé. Aussi le Fils n’a-
quintum dicendum, quod esse filii non est t-il pas une cause de son être et son être n’a-t-il
creatum: unde filius non habet causam sui esse; pas de principe. En effet, bien que, pour nous, le
nec suum esse habet principium: quamvis enim Fils lui-même ait un principe par lequel il existe,
secundum nos ipse filius habeat principium a quo il n’a cependant pas de cause, car, pour nous, le
est, non tamen causam: quia secundum nos nomen mot « principe » comporte une relation d’origine
principii importat relationem originis absolute; de manière absolue, mais le mot « cause »
nomen autem causae importat respectum originis comporte un rapport d’origine se référant à
per comparationem ad esse rei quod a causa l’existence d’une chose qui procède d’une cause.
procedit: unde terminus a quo, dicitur principium Ainsi le terme a quo est-il appelé le principe
motus, non tamen causa. Sed secundum Graecos d’un mouvement, mais non sa cause. Mais, selon
nomen causae importat simplicem formae les Grecs, le mot « cause » comporte une simple
originem, sicut nomen principii secundum nos. Et origine de la forme, comme le mot « principe »
quamvis dicamus patrem principium filii, non selon nous. Et bien que nous disions que le Père
tamen dicimus filium principiatum a patre; quia est principe du Fils, nous ne disons cependant
nomine principiati non utimur nisi in his quae sunt pas que le Fils dépende du principe qu’est le
constituta in esse per principium: unde linea non Père, car nous n’employons l’expression
dicitur esse principiatum puncti, sicut nec motus « dépendre du principe » que pour les choses qui
termini a quo; sed tamen dicitur esse a principio. sont amemnés à l’existence par un principe.
Ainsi on ne dit pas que la ligne dépend du
principe qu’est le point, pas davantage que le
mouvement [dépend] du principe qu’est le terme
a quo ; on dit cependant qu’ils viennent d’un
principe.
[8834] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Le Fils n’avait pas d’être avant d’être
sextum dicendum, quod filius non habuit esse engendré. Mais parce que sa génération est
antequam generaretur. Sed quia generatio ejus est éternelle, son être aussi est éternel.
aeterna, et esse ejus aeternum est.
[8835] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. De même que la créature ne tient son être que
septimum dicendum, quod sicut creatura non de Dieu, de même le Fils ne tient-il son être que
habet esse nisi a Deo, ita nec filius habet esse nisi du Père. Mais il y a la différence que la créature
366

a patre. Sed in hoc est differentia, quod creatura n’est pas la relation selon laquelle on dit qu’elle
non est illa relatio secundum quam dicitur esse a vient de Dieu, par laquelle elle a l’être. Elle peut
Deo, per quam habet esse; et ideo potest donc être considérée en elle-même, sans son
considerari in se, sine respectu ejus ad Deum; et rapport à Dieu. Ainsi voit-on qu’elle n’a pas
sic invenitur non habens esse. Sed filius Dei est d’être. Mais le Fils de Dieu est la relation même
ipsa relatio secundum quam habet esse a patre, et selon laquelle il tient son être du Père, et la
ipsa relatio est ipsum esse: et ideo non potest relation elle-même est son être. Aussi le Fils ne
filius considerari sine respectu ad patrem, ut peut-il être considéré sans rapport au Père, de
inveniatur in se non habens esse, vel potens in sorte qu’il se trouveerait sans possder l’être ou
nihilum decidere. poouvant tomber dans le néant.

Articulus 2 [8836] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. Article 2 – Le Christ est-il une créature ?
2 tit. Utrum Christus sit creatura
[8837] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ soit une créature. Le
secundum sic proceditur, videtur quod Christus sit pape Léon dit : « Nouvelle entente inouie ! Le
creatura. Leo Papa: nova et inaudita conventio: Dieu qui était et qui est devient une créature. »
Deus qui erat et qui est, fit creatura. Sed illud Or, ce que Dieu devient peut être attribué au
quod Deus fit, potest de Christo praedicari. Ergo Christ. Le Christ est donc une créature. [Jean]
Christus est creatura. Damascenus etiam dicit de Damascène dit aussi, à propos du Christ, qu’« il
Christo, quod non scandalizabitur ad nomen ne se scandalisera pas du nom de créature ».
creaturae.
[8838] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Ce dont on prédique ce qui est inférieur, [on
Praeterea, de quocumque praedicatur inferius, et prédique] aussi ce qui est supérieur. Or,
superius. Sed creatura est superius ad hominem. « créature » est quelque chose de supérieur à
Ergo cum homo praedicetur de Christo, creatura « homme ». Puisqu’on prédique « homme » du
de ipso praedicabitur. Christ, « créature » sera donc prédiqué de lui.
[8839] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Tout ce qui existe est soit créé, soit incréé. Si
Praeterea, omne quod est, vel est creatum vel donc le Christ est homme, il sera soit un homme
increatum. Si ergo Christus est homo, vel erit créé, soit un homme incréé. Or, l’homme incréé
homo creatus vel increatus. Sed non est homo n’existe pas, pas plus que l’homme éternel, car
increatus, sicut nec homo aeternus, quia omne tout ce qui est incréé est. Il est donc un homme
increatum est. Ergo est homo creatus: ergo est créé, et donc, il est une créature.
creatura.
[8840] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Ce qui convient à une partie est repris comme
Praeterea, id quod convenit parti, transumitur ad prédication du tout, comme on dit « homme » de
praedicationem totius; sicut homo dicitur Crispus Crispus à cause de ses cheveux. Or, la nature
propter capillos. Sed humana natura est quasi pars humaine est pour ainsi dire une partie d’une
personae compositae, pro qua supponit hoc personne composée, à laquelle est attribué ce
nomen Christus. Ergo cum humana natura sit nom « Christ ». Puisque la nature humaine est
creatura, Christus potest dici creatura. une créature, le Christ peut donc être appelé une
créature.
[8841] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 5 5. La partie principale de l’homme Christ est
Praeterea, principalior pars hominis Christi est plutôt son âme que son corps. Or, en raison du
anima quam corpus. Sed ratione corporis quod de corps qu’il qu’il a tiré de la Vierge, on dit tout
virgine traxit, simpliciter dicitur natus de virgine. simplement qu’il est né de la Vierge. En raison
Ergo ratione animae, quae creata est a Deo, debet de son âme, qui a été créée par Dieu, on doit
dici creatura. donc l’appeler une créature.
[8842] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 6 6. De même que le nom de « créature » s’oppose
Praeterea, sicut repugnat nomen creaturae filio au Fils incréé, de même le fait de naître dans le
increato; ita repugnat temporaliter nasci temps s’oppose-t-il à celui qui est né
367

aeternaliter nato. Sed tamen dicimus Christum éternellement. Cependant, nous disons que le
temporaliter natum. Ergo et simpliciter possumus Christ est né dans le temps. Nous pouvons donc
ipsum dicere creaturam. dire tout simplement qu’il est une créature.
[8843] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] on ne peut prédiquer
Sed contra, creatura non potest praedicari de « créature » d’une réalité éternelle. Or, « Christ »
aliquo aeterno. Sed Christus supponit suppositum est attribué à un suppôt éternel. On ne peut donc
aeternum. Ergo non potest dici creatura. dire qu’il est une créature.

[8844] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Il n’y a rien de créé dans le Christ, si ce n’est
Praeterea, in Christo nihil creatum est, nisi la nature humaine. Or, la nature humaine n’est
humana natura. Sed humana natura non pas prédiquée du Christ. On ne peut donc pas
praedicatur de Christo. Ergo Christus non potest dire que le Christ est une créature.
dici creatura.
[8845] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Toute créature raisonnable est fils de la
Praeterea, omnis creatura rationalis est filius Trinité en vertu de la création. Or, le Christ, s’il
Trinitatis per creationem. Sed Christus si est est une créature, est une créature raisonnable. Il
creatura, est creatura rationalis. Ergo est filius est donc fils de la Trinité en vertu de la création,
Trinitatis per creationem: quod supra improbatum ce qui a été rejeté plus haut, d. 4.
est, dist. 4.
[8846] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 co. Réponse. La création concerne au sens propre
Respondeo dicendum, quod creatio proprie l’être d’une chose. Aussi est-il dit dans le Livre
respicit esse rei: unde dicitur in Lib. de causis, sur les causes, que « l’être vient de la création,
quod esse est per creationem, alia vero per mais les autres choses, de la réception d’une
informationem. Esse autem simpliciter et per se forme ». Or, l’être est tout simplement et par soi
est suppositi subsistentis; alia vero dicuntur esse, le fait d’un suppôt subsistant ; on dit que les
inquantum suppositum in eis subsistit, vel autres choses sont pour autant que le suppôt
essentialiter, sicut materia et forma, et sic natura subsiste en elles, soit essentiellement, comme la
ipsa dicitur esse; vel accidentaliter, sicut matière et la forme, et ainsi on dit que la nature
accidentia dicuntur esse. Esse ergo dictum elle-même existe ; soit accidentellement, comme
simpliciter de supposito significat esse personale lorsqu’on dit que des accidents existent. L’être,
ipsius; esse vero, secundum quod convenit parti affirmé simplement d.un suppôt, signifie donc
vel accidenti, non dicitur simpliciter de supposito, son être personnel ; mais l’être, selon qu’il
sed suppositum dicitur esse in eo; unde cum dico: convient à une partie ou à un accident, n’est pas
Christus est, significatur esse ipsius, non autem attribué tout simplement au suppôt, mais on dit
esse ipsius naturae, vel accidentis, vel partis. Cum que le suppôt existe en eux. Ainsi, lorsque je
autem fiat unio naturarum in esse suppositi dis : « Le Christ est », cela signifie son être, mais
secundum secundam opinionem, esse, secundum non l’être de sa nature, d’un accident ou d’une
quod Christus simpliciter esse dicitur, est esse partie. Puisque l’union des natures se réalise
increatum; unde non potest dici creatura, non dans l’être du suppôt selon la deuxième opinion,
tantum ad evitandum errorem Arii, ut quidam l’être, selon lequel on dit que le Chrit est tout
dicunt, sed etiam ad vitandum falsitatem. Potest simplement, est un acte d’être incréé. On ne peut
tamen dici, quod aliquid creatum est in Christo, donc l’appeler une créature, non seulement pour
scilicet humana natura; quia esse quamvis sit éviter l’erreur d’Arius, comme le disent certains,
unum, tamen respectum habet ad naturam et ad mais aussi pour éviter une fausseté. On peut
partes ejus, secundum quas humana natura dicitur cependant dire qu’il existe quelque chose de créé
esse in Christo, vel partes aut accidentia ejus, ut dans le Christ : la nature humaine, car l’être, bien
supra, dist. 6, dictum est. Unde sicut esse aliquo qu’il soit unique, concerne cependant la nature et
modo ad naturam pertinet, et ad partes et les parties selon lesquelles on dit qu’existent
accidentia ejus, ita et creatio. dans le Christ une nature humaine, ses parties ou
ses accidents, comme on l’a dit plus haut, d. 6.
368

Comme l’être concerne d’une certaine manière la


nature, ses parties et ses accidents, de même en
est-il de la création.
[8847] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Ces paroles doivent s’entendre en y ajoutant
primum ergo dicendum, quod verba illa une précision, comme le dit le Maître dans le
intelligenda sunt cum determinatione, ut dicit texte, bien que cette précision soit laissée de côté
Magister in littera; quamvis illa determinatio pour cause de brièveté.
causa brevitatis intermittatur.
[8848] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. La créature n’est pas quelque chose de
secundum dicendum, quod creatura non est supérieur à l’homme, car la création concerne
superius ad hominem: quia creatio magis respicit davantage l’être que la nature. Or, l’être n’est pas
esse quam naturam. Esse autem non est genus, un genre et n’est invoqué dans la signification
nec inducitur in significatione alicujus generis, ut d’aucun genre, comme le dit Avicenne, puisque
dicit Avicenna, cum ea quae sunt in uno genere, ce qui existe dans un genre ne se rejoint pas dans
non conveniant in uno esse, sed in natura un seul être, mais dans une nature commune. Ou
communi. Vel dicendum, quod creatura non est bien il faut dire que la créature n’est pas quelque
superius ad hominem, significans quid est homo: chose de supérieur à l’homme, en parlant de ce
quia creatio non respicit naturam vel essentiam, qu’est l’homme, car la création ne concerne la
nisi mediante actu essendi; qui est primus nature ou l’essence qu’à travers l’être, qui est le
terminus creationis. Humana autem natura in premier terme de la création. Or, la nature
Christo non habet aliud esse perfectum, quod est humaine dans le Christ n’a pas d’autre être
esse hypostasis, quam esse divinae personae; et parfait, qui est l’être de l’hypostase, que l’être de
ideo, simpliciter loquendo, creatura dici non la personne divine. Ainsi, à parler tout
potest: quia intelligeretur quod esse perfectum simplement, il ne peut pas être appelé une
hypostasis Christi per creationem esset créature, car on comprendrait que l’être parfait
acquisitum. de l’hypostase du Christ serait obtenu par
création.
[8849] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Lorsqu’on dit : « Le Christ est un homme
tertium dicendum, quod cum dicitur, Christus est créé », on exprime deux choses. Ce participe
homo creatus, locutio est duplex: ex eo quod hoc « créé » peut déterminer le prédicat par rapport
participium creatus potest determinare au sujet : cette proposition peut alors être vraie,
praedicatum in comparatione ad subjectum, et sic comme celle-ci : « Le Christ est devenu un
potest esse vera, sicut et ista: Christus est factus homme. » Mais s’il détermine le sujet de
homo. Si autem determinat absolute praedicatum, manière absolue, alors la proposition est fausse,
tunc est falsa: quia in homine non intelligitur car, dans l’homme, on ne comprend pas
tantum natura, sed suppositum aeternum, cui non seulement la nature, mais le suppôt éternel,
convenit esse creatum: quod enim determinat auquel un être créé ne convient pas. En effet, ce
praedicatum in ordine ad subjectum, est que détermine un prédicat par rapport à un sujet
determinatio ipsius inquantum est praedicatum; est une détermination de lui-même en tant qu’il
unde oportet quod respiciat praedicatum est un prédicat. Il faut donc que cela concerne le
formaliter: quia termini in praedicato ponuntur prédicat de manière formelle, car les termes d’un
formaliter; determinatio autem quae determinat prédicat sont affirmés de manière formelle. Mais
absolute ponitur circa praedicatum sicut circa la détermination qui détermine de manière
subjectum quoddam; unde magis respicit absolue est affirmée du prédicat comme d’un
suppositum quam formam. Similiter etiam haec sujet ; elle concerne donc davantage le suppôt
est falsa: Christus est homo increatus: quia que la forme. De même aussi, cette proposition
privatio creationis ponitur circa praedicatum est fausse : « Le Christ est un homme incréé »,
ratione utriusque; et ideo utraque falsa est, nec car la privation de création est affirmée du
sibi contradicunt, sed haec est vera: Christus est prédicat en raison des deux ; aussi les deux sont-
homo qui non est creatus sed aeternus ex parte elles fausses et ne se contredisent pas ; mais la
369

deitatis, non tamen aeternus homo, ut aeternitas proposition suivante est vraie : « Le Christ est un
determinet praedicatum in ordine ad subjectum. homme qui n’est pas créé, mais qui est éternel en
raison de sa divinité ; mais il n’est pas un
homme éternel, pour autant que l’éternité
détermine le prédicat par rapport au sujet. »
[8850] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Le tout est désigné par ce qui est propre à la
quartum dicendum, quod totum denominatur a partie lorsque ce qui est propre ne peut
proprietate partis, quando illa proprietas nullo aucunement convenir à autre chose qu’à cette
modo nata est convenire nisi parti illi, sicut partie, comme le fait d’être crépus pour des
crispitudo capillis, et claudicatio pedi. Sed creatio cheveux et de boiter pour un pied. Mais la
non tantum naturae, sed etiam personae nata est création ne peut pas convenir seulement à la
convenire, et etiam personae et supposito magis nature, mais aussi à la personne, et même d’une
proprie; et ideo non potest dici de supposito quod manière plus propre à la personne et au suppôt.
sit creatum, quia natura est creata. C’est pourquoi on ne peut pas dire d’un suppôt
qu’il est créé parce que sa nature est créée.
[8851] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 5 Et 5. La réponse au cinquième argument ressort
per hoc patet solutio ad quintum: quia nasci de ainsi clairement, car naître d’une mère n’est une
matre non est natum convenire supposito hominis, naissance qui convient au suppôt de l’homme
nisi per hoc quod corpus traducit a matre; unde que par le fait qu’il tire son corps de sa mère.
non habet repugnantiam temporaliter nasci ad Ainsi le fait de naître temporellement ne
aeternaliter nasci: quia unum naturam humanam s’oppose pas au fait de naître éternellement, car
respicit, et alterum divinam: quarum habet unam une chose concerne la nature humaine et l’autre,
Christus a patre aeternaliter, alteram a matre la nature divine : le Christ tient l’une de son Père
temporaliter. Sed creatum et increatum utrumque éternellement, et l’autre, de sa mère
potest respicere suppositum ratione esse quod est temporellement. Or, ce qui est créé et ce qui est
suppositi. incréé peuvent tous deux concerner le suppôt en
raison de l’être qui est le fait du suppôt.
[8852] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 2 ad 6 6. Ainsi ressort la réponse au sixième argument.
Unde patet solutio ad sextum.

Articulus 3 [8853] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. Article 3 –Le Christ, en tant qu’homme, est-il
3 tit. Utrum Christus secundum quod homo, sit une créature ?
creatura
[8854] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ ne soit pas une créature
tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non selon qu’il est homme. En effet, tout ce qui est
possit dici creatura secundum quod homo. attribué à un autre selon ce qu’il est lui est
Quidquid enim praedicatur de altero secundum simplement attribué. Or, ce qui est attribué au
quod ipsum est, praedicatur de eo simpliciter. Sed Christ selon qu’il est un homme lui est attribué
quod praedicatur de Christo secundum quod selon ce qu’il est, car il est un homme par
homo, praedicatur de eo secundum quod ipsum essence. Puisque le fait d’être une créature ne lui
est, quia ipse est essentialiter homo. Ergo cum est pas attribué simplement, il ne peut donc lui
esse creaturam non praedicetur simpliciter, non être attribué en tant qu’il est homme.
potest praedicari de eo secundum quod homo.
[8855] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Être fils adoptif est plus grand qu’être une
Praeterea, magis est esse filium adoptivum quam créature. Or, on ne peut pas dire que le Christ, en
esse creaturam. Sed non potest dici quod Christus, tant qu’homme, est un fils adoptif. Donc, encore
secundum quod homo, sit filius adoptivus. Ergo bien moins qu’il est une créature selon qu’il est
multo minus potest dici quod, secundum quod homme.
homo, sit creatura.
[8856] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3 3. D’après ce que dit le Maître dans le texte, la
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Praeterea, secundum quod Magister dicit in littera, proposition suivante est figurée : « Le Christ est
haec est tropica locutio: Christus est creatura. une créature. » Si donc le Christ, en tant
Ergo si Christus, secundum quod homo, sit qu’homme, est une créature, cette proposition
creatura, et haec etiam erit impropria, Christus est aussi sera impropre : « Le Christ est un
homo, quod est falsum. homme », ce qui est faux.
[8857] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Rien n’est créé dans le Christ que la nature
Praeterea, nihil est creatum in Christo nisi humana humaine. Or, cette proposition est fausse : « Le
natura. Sed haec est falsa: Christus, secundum Christ, selon qu’il est homme, est la nature
quod homo est humana natura. Ergo et haec: humaine. » Donc, celle-ci aussi sera fausse : « Le
Christus secundum quod homo, est creatura. Christ, selon qu’il est homme, est une créature. »
[8858] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Le fait que le Christ soit homme et le fait qu’il
Praeterea, ista se compatiuntur, ut Christus sit soit Dieu sont compatibles. Donc, ce qui n’est
homo, et sit Deus. Ergo quod non compatitur pas compatible selon qu’il esst Dieu ne peut être
secum hoc quod est esse Deum, non potest attribué au Christ selon qu’il est homme, comme
praedicari de Christo secundum quod homo, sicut le fait que la divinité lui fasse défaut. Or, être
hoc quod est carere divinitate. Sed esse creaturam une créature n’est pas compatible avec le fait
non compatitur secum hoc quod est esse Deum. d’être Dieu. Le Christ n’est donc pas une
Ergo Christus non est creatura, secundum quod créature selon qu’il est homme.
homo.
[8859] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] tout ce qui n’est pas éternel est
Sed contra, omne quod non est aeternum, est créé. Or, le Christ en tant qu’homme n’est pas
creatum. Sed Christus, secundum quod homo, non éternel, de même qu’il n’est pas Dieu non plus.
est aeternus, sicut nec Deus. Ergo secundum quod Selon qu’il est homme, il est donc une créature.
homo, est creatura.
[8860] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 s. c. 2 2. Tout ce qui est devenu a été créé. Or, selon
Praeterea, omne quod factum est, creatum est. Sed qu’il est homme, le Christ est devenu. Il a donc
Christus secundum quod homo, est factus. Ergo été créé en tant qu’homme.
est creatus secundum quod homo.
[8861] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 s. c. 3 3. Toute condition d’une créature peut être
Praeterea, omnis conditio alicujus naturae potest attibuée à uune chose par un nom signifiant cette
praedicari de aliquo secundum nomen significans nature. Or, « homme » signifie la nature
naturam illam. Sed homo significat naturam humaine, dont la condition est d’être une
humanam, cujus conditio est quod sit creatura. créature. Le Christ peut donc être appelé une
Ergo Christus potest dici creatura secundum quod créature selon qu’il est homme.
homo.
[8862] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 co. Réponse. La nature humaine est comme une
Respondeo dicendum, quod humana natura se partie de la personne composée du Christ, bien
habet ad compositam personam Christi sicut pars; qu’elle ne puisse être appelée une partie au sens
quamvis proprie pars dici non possit, nec proprie propre, ni une personne composée, comme on l’a
persona composita, ut supra, dist. 6, qu. 2, art. 3, dit plus haut, d. 6, q. 2, a. 3. Or, une partie a
dictum est. Pars autem aliquando habet aliquam parfois une disposition par laquelle elle est
dispositionem quae nata est convenire toti; destinée à convenir au tout, mais parfois une
aliquando vero aliam quae non est nata convenire autre disposition qui n’est pas destinée à
toti: sicut albedo quae inest capillis, potest etiam convenir au tout. Ainsi, la blancheur des cheveux
toti convenire: crispitudo autem ita convenit peut aussi convenir à un tout, mais le fait pour
capillis quod nullo modo toti, vel alicui alteri les cheveux d’être crépus ne convient d’aucune
parti. Ergo secundum dispositiones illas quae manière au tout ou à une autre partie. Selon les
insunt tantum parti, denominatur totum simpliciter dispositions qui sont inhérentes seulement à une
et proprie per dispositionem partis, nullo addito; partie, le tout est donc désigné tout simplement
sicut homo dicitur Crispus; sed quantum ad illas et au sens propre par la disposition de la partie,
371

dispositiones quae natae sunt parti et toti sans aucun ajout, comme un homme est appelé
convenire, non denominatur totum a parte Crispus ; mais, selon les dispositions qui peuvent
simpliciter, sed addita parte, ut cum dicitur homo convenir à une partie et au tout, le tout n’est pas
albus secundum capillos; nec proprie, sed désigné par la partie tout simplement, mais en
figurative per sinecdochen. Unde patet quod cum ajoutant la partie, comme lorsqu’on dit qu’un
creatio naturae et personae nata sit convenire, homme est blanc par ses cheveux ; cependant, il
sicut et esse; utrique aliquo modo convenit: non ne l’est pas au sens propre, mais au sens figuré
tamen potest dici de Christo, quod sit creatura, par synecdoque. Puisque la création peut
quia humana natura creata est, nisi fiat additio, ut convenir à la nature et à la personne, de même
si dicatur: secundum hominem, vel secundum que l’être, elle convient donc aux deux d’une
quod homo; et tunc etiam tropica est et figurativa, certaine manière ; mais on ne peut cependant pas
ut dicit Magister, sicut et haec: Aethiops est albus dire du Chirst qu’il est une créature - car la
secundum dentem. nature humaine a été créée -, sans un ajout,
comme dire : « selon l’homme », ou « selon qu’il
est homme ». Et même alors, il s’agit d’une
expression figurée, comme celle-ci :
« L’Éthiopien est blanc par sa dent. »
[8863] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. Cet argument vaut pour ce qui est attribué au
primum ergo dicendum, quod illa ratio procedit in sens propre et par soi ; mais [l’attribution en
his quae praedicantur proprie et per se; sed haec cause] n’est pas une attribution au sens propre,
non est propria praedicatio, ut dictum est. comme on l’a dit.
[8864] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Être un fils adoptif ne peut convenir qu’à la
secundum dicendum, quod esse filium adoptivum, personne. C’est pourquoi on ne peut dire qu’il
nullo modo natum est convenire nisi personae; et est fils adoptif selon la nature humaine, comme
ideo non potest dici filius adoptivus secundum on dit qu’il est une créature, car le nom de
humanam naturam, sicut dicitur creatura: quia « créature » est adapté à la personne et à la
creaturae nomen et personae et naturae aptatur. nature.
[8865] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Lorsqu’il y a une attribution propre avec une
tertium dicendum, quod quando cum explicitation, le prédicat convient alors à ce qui
reduplicatione est propria praedicatio, tunc est explicité, comme : « Le Christ, en tant
praedicatum per se convenit ei quod replicatur: qu’homme, est un animal ». En effet, la
sicut Christus, secundum quod homo, est animal; proposition suivante est propre et par soi :
haec enim est per se et proprie: homo est animal; « L’homme est un animal » ; de même, le
et ideo simili modo praedicatum et reduplicatio de prédicat et ce qui est explicité sont-ils attribués
subjecto praedicatur. Haec autem reduplicatio non au sujet. Mais cette explicitation n’est pas par soi
est nota per se praedicationis: haec enim non est une note de l’attribution. En effet, la proposition
propria: hic homo, scilicet Christus, est creatura, suivante n’est pas propre : « Cet homme, à
nec etiam est per se, quia creatura non est superius savoir le Christ, est une créature » ; elle n’est pas
ad hominem, significans quid est homo, ut dictum non plus par soi, car la créature n’est pas quelque
est; et ideo non oportet quod si creatura improprie chose de supérieur à l’homme, signifiant ce
dicatur de Christo, etiam ipse improprie dicatur qu’est l’homme, comme on l’a dit. C’est
homo. pourquoi, si on dit de manière impropre que le
Christ est une créature, on dira aussi de manière
impropre qu’il est un homme.
[8866] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. La nature humaine n’est pas attribuée au
quartum dicendum, quod natura humana in Christ dans l’abstrait, mais ses conditions
abstracto non praedicatur de Christo secundum peuvent être attribuées au concret au Christ en
quod homo; sed conditiones ejus et in concreto tant qu’il est homme, soit au sens propre, soit au
possunt de Christo praedicari secundum quod sens impropre. Mais on parle de créature au
homo, vel proprie vel improprie. Creatura autem concret, car tout ce qui a été créé est créature.
372

in concretione dicitur, quia omne creatum est


creatura.
[8867] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Bien que ce qui convient à la partie puisse être
quintum dicendum, quod quamvis illud quod attribué d’une certaine manière au tout, il n’est
convenit parti, aliquo modo possit dici de toto, cependant pas nécessaire que ce qui est enlevé à
non tamen oportet ut quod removetur a parte, la partie soit enlevé au tout. Ainsi, bien que
removeatur a toto; unde quamvis Aethiops l’Éthiopien possède la blancheur par sa dent, on
secundum dentem habeat albedinem, non potest ne peut cependant pas dire que le noir lui fait
tamen dici quod sit carens nigredine: quia quod défaut, car ce qui ne lui convient pas selon une
non convenit sibi secundum unam partem, potest partie peut lui convenir selon une autre. De
sibi convenire secundum aliam; et similiter même, bien que le Christ soit une créature selon
quamvis Christus sit creatura, secundum quod qu’il est homme, on ne peut cependant pas dire
homo, non tamen potest dici quod, secundum que, selon qu’il est homme, la divinité lui fait
quod homo, careat divinitate quae sibi competit défaut, celle-ci lui convenant par une autre
per aliam naturam. nature.

Articulus 4 [8868] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 Article 4 – Ce qui appartient à la nature


a. 4 tit. Utrum ea quae sunt humanae naturae humaine peut-il être dit du Fils de Dieu ?
possint dici de filio Dei
[8869] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad 1. Il semble que ce qui appartient à la nature
quartum sic proceditur. Videtur, quod ea quae humaine ne puisse être dit du Fils de Dieu. En
sunt humanae naturae, non possint dici de filio effet, toute propriété ou accident de la nature
Dei. Omnis enim proprietas vel accidens naturae humaine est quelque chose de créé. Or, le Fils de
humanae, est quid creatum. Sed filius Dei non Dieu ne reçoit pas forme de quelque chose de
informatur aliquo creato. Ergo non potest créé. On ne peut donc attribuer au Fils de Dieu
praedicari de filio Dei aliquod accidens humanae un accident de la nature humaine.
naturae.
[8870] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Que les propriétés de la nature divine soient
Praeterea, quod proprietates divinae naturae dites du Fils de Dieu, cela vient de ce que le Fils
dicuntur de filio Dei, contingit ex hoc quod filius de Dieu est la nature divine. Or, le Fils de Dieu
Dei est natura divina. Sed filius Dei non est natura n’est pas la nature humaine. Les propriétés de la
humana. Ergo proprietates humanae naturae non nature humaine ne sont donc pas attribuées au
praedicantur de filio Dei. Fils de Dieu.
[8871] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 3. Il convient que la nature humaine soit assumée
Praeterea, humanae naturae convenit assumi a par le Fils de Dieu et il [lui] convient d’être unie
filio Dei, et homini convenit esse unitum. Sed hoc à l’homme. Or, cela ne convient pas au Fils de
non convenit filio Dei. Ergo non oportet quod ea Dieu. Il n’est donc pas nécessaire que ce qui
quae conveniunt naturae humanae, dicantur de convient à la nature humaine soit dit du Fils de
filio Dei. Dieu.
[8872] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 4 4. Cette proposition est vraie : « Cet homme est
Praeterea, haec est vera: iste homo est prédestiné. » Or, celle-ci est fausse : « Le Fils de
praedestinatus. Sed haec est falsa: filius Dei est Dieu est prédestiné. » La conclusion est donc la
praedestinatus. Ergo idem quod prius. même que précédemment.
[8873] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 5 5. Toute propriété de la nature humaine est
Praeterea, omnis proprietas humanae naturae est quelque chose de créé. Or, la créature n’est pas
quid creatum. Sed creatura non praedicatur de attribuée au Fils de Dieu. Donc, ni une propriété
filio Dei. Ergo nec proprietas humanae naturae. de la nature humaine.
[8874] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 6 6. Ce qui est attribué au Christ en tant qu’il est
Praeterea, ea quae praedicantur de Christo homme ne lui est pas attribué en tant qu’il est le
secundum quod homo, non praedicantur de ipso Fils de Dieu. Pour la même raison, il semble
373

secundum quod filius Dei. Ergo videtur eadem donc que ce qui est attribué à l’homme ne soit
ratione quod ea quae praedicantur de homine, non pas attribué au Fils de Dieu.
praedicentur de filio Dei.
[8875] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 7 7. Cependant, tout ce à quoi quelque chose est
Sed contra, de quocumque praedicatur aliquid, attribué se voit attribuer tout ce qui en découle,
praedicantur de eo omnia consequentia ad ipsum, même s’il s’agit d’une attribution accidentelle ;
etiamsi sit praedicatio accidentalis; sicut si homo ainsi, si un homme est blanc, il en découle qu’il
est albus, sequitur quod sit coloratus. Sed homo est coloré. Or, « homme » est attribué à Dieu.
praedicatur de Deo. Ergo quidquid praedicatur de Tout ce qui est attribué à l’homme est donc
homine, praedicatur de filio Dei. attribué au Fils de Dieu.
[8876] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 8 8. Tout ce qui découle de la nature est attribué
Praeterea, quaecumque consequuntur naturam, aux suppôts de cette nature. Or, le Fils de Dieu
praedicantur de suppositis naturae illius. Sed filius est un suppôt de la nature humaine. Tout ce qui
Dei est suppositum humanae naturae. Ergo découle de la nature humaine peut donc être
consequentia naturam humanam possunt attribué au Fils de Dieu.
praedicari de filio Dei.
[8877] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 9 9. Le Christ est une personne subsistant en deux
Praeterea, Christus est persona subsistens in natures : la divine et l’humaine. Or, tout ce qui
duabus naturis, divina et humana. Sed omnia quae donvient à la nature divine peut être attribué au
conveniunt divinae naturae, possunt praedicari de Christ. Donc, pour la même raison, tout ce qui
Christo. Ergo pari ratione omnia ea quae convient à la nature humaine.
conveniunt naturae humanae.
[8878] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 10 10. Rien ne s’oppose davantage à la nature
Praeterea, nihil magis repugnat divinae naturae divine que de mourir. Or, on dit que le Fils de
quam mori. Sed dicitur, quod filius Dei est Dieu est mort. Donc, toutes les autres choses qui
mortuus. Ergo et omnia alia possunt dici de filio conviennent à la nature humaine peuvent être
Dei quae conveniunt humanae naturae. attribuées au Fils de Dieu.
[8879] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 co. Réponse. La nature et le suppôt de la nature se
Respondeo dicendum, quod natura et suppositum différencient en réalité et selon la raison par
naturae in quibusdam differunt re et ratione, sicut certains aspects, comme c’est le cas pour les
in compositis; in quibusdam autem ratione et non composés, mais, selon d’autres aspects, selon la
re, sicut in divinis. Sed differentia quae est raison et non pas en réalité, comme c’est le cas
secundum rationem, est differentia oppositionis: pour les réalités divines. Or, la différence qui
quia natura et suppositum habent intentiones existe selon la raison est une différence
oppositas; et ideo ea quae pertinent ad rationem d’opposition, car la nature et le suppôt ont des
naturae, nullo modo praedicantur de supposito intentions opposées. Ce qui appartient à la raison
neque in abstracto neque in concreto, neque in de la nature n’est donc aucunement attribué au
divinis neque in humanis; sicut pater non dicitur suppôt ni abstraitement ni concrètement, ni pour
commune tribus, nec Petrus dicitur forma totius. les réalités divines ni pour les réalités humaines.
Differentia autem quae est secundum rem, non est Ainsi, on ne dit pas que le Père est quelque chose
oppositionis, sed est sicut principii formalis ad de commun au trois [personnes], et on ne dit pas
formatum; et ideo quae secundum rem ad naturam que Pierre est la forme du tout. Mais la
pertinent, possunt praedicari de supposito, sicut différence qui existe en réalité n’en est pas une
natura praedicatur, scilicet in concreto. Quia d’opposition, mais elle est pour ainsi dire celle
autem unio facta est in supposito, ut scilicet sit du principe formel par rapport à ce qui reçoit la
unum et idem suppositum divinae et humanae forme. Aussi ce qui appartient réellement à la
naturae; ideo de illo supposito possunt praedicari nature peut-il être attribué au suppôt, comme la
ea quae consequuntur secundum rem utramque nature est attribuée, à savoir, concrètement. Or,
naturam, sicut et ipsae naturae de ipso parce que l’union s’est réalisée dans le suppôt,
praedicantur: quia enim divina natura praedicatur de sorte que soit un et le même le suppôt de la
374

de filio Dei in concreto et in abstracto; ideo nature divine et de la nature humaine, ce qui
proprietates ejus possunt utroque modo praedicari découle réellement des deux natures peut donc
de ipso: quia vero humana natura praedicatur in être attribué à ce suppôt, de la même manière
concreto tantum; ideo humanae naturae que les natures elles-mêmes lui sont attribuées.
proprietates in concreto tantum praedicantur. Nec En effet, parce que la nature divine est attribuée
differt utrum fiat praedicatio de supposito au Fils de Dieu concrètement et abstraitement,
secundum nomen quod significat divinam ses propriétés peuvent donc lui être attribuées
naturam, ut verbum; vel humanam, ut Jesus, vel des deux manières. Mais parce que la nature
utrumque, sicut Christus; quia per omnia humaine est attribuée concrètement seulement,
supponitur idem suppositum: sed tamen hoc les propriétés de la nature humaine peuvent donc
suppositum non constituitur per naturam lui être attribuées concrètement seulement. Et
humanam, sed humana natura advenit ei jam ab cela ne fait pas de différence que l’attribution
aeterno praeexistenti in alia natura. Unde duo soit faite au suppôt selon le nom qui signifie la
singulariter inveniuntur in compositione humanae nature divine, comme le Verbe, ou la nature
naturae ad istud suppositum, scilicet quod unitur humaine, comme Jésus, ou les deux, comme le
ei, et quod se habet ad ipsum per modum partis, Christ, car le même suppôt est sous-jacent en
secundum quod istud suppositum in duabus tout. Cependant, ce suppôt n’est pas constitué
naturis subsistit; et ideo a praedicta generalitate par la nature humaine, mais la nature humaine se
excluduntur ea quae unionem important, et iterum joint à lui, qui préexiste éternellement dans une
ea quae nata sunt de se et personae et naturae autre nature. Aussi deux choses se trouvent-elles
convenire, quae non possunt praedicari de dans la composition de la nature humaine avec
supposito nisi cum additione, sicut ea quae sunt ce suppôt : le fait qu’elle est unie à lui, et le fait
partis de toto. que son rapport avec celui-ci est celui d’une
partie, selon que ce suppôt subsiste en deux
natures. Aussi sont exclues de l’ensemble qui
vient d’être rappelé les choses qui comportent
l’union, et aussi celles qui doivent par elles-
mêmes convenir à la personne et à la nature, qui
ne peuvent être attribuées au suppôt qu’avec un
ajout, comme celles qui appartiennent à la partie
d’un tout.
[8880] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Les propriétés créées sont attribuées au Fils de
primum ergo dicendum, quod proprietates creatae Dieu, non pas comme si la personne éternelle en
dicuntur de filio Dei, non quasi ipsa persona recevait la forme, mais parce que la nature
aeterna his informetur, sed quia natura assumpta assumée reçoit leur forme, comme les propriétés
informatur eis; sicut proprietates quibus qui donnent forme aux parties sont attribuées au
informantur partes, praedicantur de toto. tout.
[8881] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Ce raisonnement conclut que les propriétés de
secundum dicendum, quod illa ratio concludit, la nature humane ne sont pas attribuées au Christ
quod proprietates humanae naturae non dans l’abstrait, ce qui est vrai.
praedicantur in abstracto de Christo; quod et
verum est.
[8882] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. Le fait d’être assumées appartient aux choses
tertium dicendum, quod assumi est de illis quae qui comportent l’union. Aussi n’est-il pas
unionem important; et ideo non oportet quod nécessaire que cela soit dit du Fils de Dieu.
dicatur de filio Dei.
[8883] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. La prédestination du Christ porte sur l’union.
quartum dicendum, quod praedestinatio Christi est Aussi le fait qu’il soit prédestiné inclut-il l’union
respectu unionis; unde praedestinatus includit comme terme de la prédestination. C’est
unionem sicut terminum praedestinationis; et ideo pourquoi, de même qu’on parle d’homme qui est
375

sicut homo unitus dicitur, ita et praedestinatus uni, de même parle-t-on de prédestiné qui est
uniri; non autem filius Dei. Et praeterea uni, mais non du Fils de Dieu. De plus, le fait
praedestinatus includit factionem, ut patet ex d’être prédestiné inclut la création, comme cela
praedictis; unde sicut esse factum non dicitur de ressort de ce qui a été dit. De même que le fait
filio Dei absolute, ita nec esse praedestinatum. d’être créé n’est pas attribué au Fils de Dieu de
manière absolue, de même donc le fait qu’il soit
prédestiné.
[8884] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. De même que la nature humaine est une
quintum dicendum, quod sicut humana natura est créature et que, cependant, lorsqu’elle est
creatura, et tamen cum praedicetur de Christo in attribuée au Christ de manière concrète, il n’en
concreto, non sequitur quod Christus sit creatura; découle pas que le Christ soit une créature, de
ita etiam non sequitur propter hoc quod même il ne découle pas que, lorsque les
proprietates naturae humanae in concreto de propriétés de la nature humaine sont attribuées
Christo praedicentur, quod Christus sit creatura. concrètement au Christ, le Christ soit une
créature.
[8885] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 6 Ad 6. Pour qu’une proposition soit vraie, il suffit
sextum dicendum, quod ad veritatem que le prédicat convienne aux sujets de
propositionis sufficit quod praedicatum conveniat n’importe quelle manière. Mais pour qu’une
subjectis quocumque modo; sed ad hoc quod proposition soit [une proposition] par soi, il faut
propositio sit per se, oportet quod conveniat sibi qu’elle leur convienne en raison de la forme
ratione formae importatae per subjectum; unde amenée par le sujet. Ainsi, cette proposition est
haec est vera: Deus est passus; non tamen est per vraie : « Dieu a souffert » ; elle n’est cependant
se: et quia reduplicatio exigit locutionem per se pas [une proposition] par soi ; et parce que
veram; ideo non est similis ratio de l’explicitation exige une formulation qui soit
reduplicationibus et propositionibus quae sunt vraie par soi, le raisonnement n’est donc pas le
sine reduplicatione. même pour les explicitations et pour les
propositions qui sont sans implication.
[8886] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 7 Ad 7. Certaines choses découlent de la nature
septimum dicendum, quod aliqua consequuntur humaine, mais non selon qu’elle est attribuée au
humanam naturam, non secundum quod Fils de Dieu. Il n’est pas nécessaire qu’elles
praedicatur de filio Dei; et illa non oportet quod soient attribuées au Christ.
de Christo praedicentur.
[8887] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 ad 8 Et 8. La solution des arguments suivants ressort
ex dictis patet solutio ad consequentia. ainsi clairemenet de ce qui a été dit.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


11
[8888] Super Sent., lib. 3 d. 11 q. 1 a. 4 expos.
Omnia per ipsum facta sunt. Videtur hoc non esse
ad propositum: quia Augustinus intendit de filio
Dei, inquantum est filius Dei. Et dicendum, quod
quia non est in Christo aliud suppositum nisi
persona filii Dei; ideo sicut de filio Dei dici non
potest quod sit creatura; ita nec de Christo. Nam si
creatura esset, sibi mandaret praedicari
Evangelium. Videtur quod hoc non sequatur: quia
Angeli, et lapides sunt creaturae, quibus non est
Evangelium praedicandum. Dicendum, quod
intelligitur de creaturis quae sunt homines, quibus
est praedicandum Evangelium, vel ut emundentur,
376

vel ut perficiantur, vel ut conserventur. Christus


autem homo est. Vanitati subjecta. Intelligitur de
illa vanitate secundum quam omnia in nihil
tenderent, nisi manu omnipotenti continerentur.
Non unum de multis. Contra: Rom. 8, 20: ut sit
ipse primogenitus in multis fratribus. Et
dicendum, quod unus est de multis quantum ad
similitudinem filiationis, secundum quod etiam
dicitur primogenitus, sed non unum de multis,
proprietate nativitatis, secundum quod dicitur
unigenitus. In Deo creatura esse non potest.
Contra, Rom. 11, 36: in ipso sunt omnia.
Dicendum, quod sunt in ipso creaturae, non per
essentiam, sed sicut in causa, per similitudines
ideales, quae secundum quod in Deo sunt,
creaturae non sunt. Sed ex tropicis locutionibus
non est recta argumentationis processio. Cujus
ratio est, quia non sunt simpliciter verae, sed
secundum quid; unde etiam Dionysius dicit in
epistola ad Titum, quod symbolica theologia non
est argumentativa.
 
Distinctio 12 Distinction 12 – [Les carences qui découlent
de la nature humaine]
Prooemium Prologue
[8889] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 pr. Postquam Après avoir montré que le nom de créature n’est
ostendit Magister quod nomen creaturae non pas attribué au Christ de manière simple, mais
praedicatur de Christo simpliciter, sed cum avec une précision, le Maître s’interroge ici sur
determinatione, hic inquirit de defectibus qui les carences qui découlent de la nature humaine
consequuntur naturam humanam, secundum quod selon qu’elle est une créature. Il y a deux
creatura est; et dividitur in duas partes: primo parties : premièrement, il s’interroge sur la
inquirit de defectu qui communiter consequitur carence qui découle d’une manière générale de
omnem creaturam, scilicet incipere esse; secundo toute créature, à savoir qu’elle commence à
de defectibus qui consequuntur specialiter exister ; deuxièmement, sur les carences qui
humanam naturam, ibi: solet etiam quaeri, utrum découlent d’une manière particulière de la nature
alium hominem, vel aliunde hominem quam de humaine, à cet endroit : « On a aussi coutume de
genere illius Adae, Deus assumere potuerit. Circa demander si Dieu pouvait assumer un autre
primum tria facit: primo movet quaestionem; homme ou un homme venu d’ailleurs que de la
secundo objicit ad utramque partem, ibi: de hoc descendance de cet Adam. » À propos du
Augustinus inquit ita; tertio determinat eam, ibi: premier point, il fait trois choses : premièrement,
his autem auctoritatibus in nullo reluctantes, il soulève une question ; deuxièmement, il
dicimus, hominem illum, inquantum homo est, présente des objections pour les deux positions, à
esse coepisse. Solet etiam quaeri, utrum alium cet endroit : « À ce sujet, Augustin parle ainsi » ;
hominem (...) Deus assumere potuerit. Hic troisièmement, il détermine de cette [question [,
prosequitur de defectibus qui pertinent ad à cet endroit : « Sans nullement résister à ces
humanam naturam tantum; et dividitur in duas autorités, nous disons que cet homme, en tant
partes: primo inquirit de defectu culpae; secundo qu’il est homme, a commencé à exister. » « On a
de defectu naturae, qui est sexus femineus, ibi: aussi coutume de demander si Dieu pouvait… »
solet etiam quaeri, quamvis curiose, a nonnullis, Ici, il continue [à traiter] des carences qui
si Deus humanam naturam potuit assumere relèvent de la nature humaine seulement, et cela
377

secundum muliebrem sexum. Circa primum duo se divise en deux parties : premièrement, il
facit: primo quaerit de defectu culpae quantum ad s’interroge sur la carence de la faute ;
originem, scilicet utrum aliunde quam de deuxièmement, sur une carence de la nature, qui
peccatoribus carnem assumere potuisset; secundo est le sexe féminin, à cet endroit : « Certains ont
de defectu culpae quantum ad actum, utrum aussi coutume de se demander, bien que par
scilicet peccare potuisset, ibi: ideo non immerito curiosité, si Dieu pouvait assumer la nature
quaeritur utrum homo ille potuerit peccare. Et humaine selon le sexe féminin. » À propos du
circa hoc tria facit: primo movet quaestionem; premier point, il fait deux choses : premièrement,
secundo determinat, ibi: hic distinctione opus est; il s’interroge sur la carence de la faute quant à
tertio objicit contra determinationem, ibi: quidam son origine, à savoir s’il pouvait assumer la chair
tamen probare conantur eam, etiam unitam verbo, d’autres que de pécheurs ; deuxièmement, sur la
posse peccare: et primo objicit per rationem; carence de la faute quant à l’acte, à savoir s’il
secundo per auctoritatem, ibi: inducunt quoque pouvait pécher, à cet endroit : « C’est pourquoi
auctoritatem ad probandum idem, et utrumque on se demande non sans raison si cet homme
solvit, ut patet in littera. Solet etiam quaeri, pouvait pécher. » À ce propos, il fait trois
quamvis curiose, a nonnullis, si Deus humanam choses : premièrement, il soulève une question ;
naturam potuit assumere secundum muliebrem deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
sexum. Hic inquirit de defectu naturae, qui est « Ici, il faut faire une distinction » ;
sexus femineus: et primo movet quaestionem; troisièmement, il présente une objection contre la
secundo solvit, ibi: quidam arbitrantur eum détermination, à cet endroit : « Cependant,
potuisse assumere hominem in femineo sexu. Hic certains s’efforcent de démontrer que, même
quaeruntur tria. Primo de inceptione. Secundo de unie au Verbe, [la nature humaine] pouvait
potentia peccandi. Tertio de congruitate pécher. » Premièrement, il présente une
assumptionis respectu sexus feminei. De objection selon un raisonnement ;
congruitate tamen assumptionis respectu generis deuxièmement, selon une autorité, à cet endroit :
Adae, dist. 2, qu. 1, art. 2, dictum est. Circa « Certains invoquent aussi une autorité pour le
primum quaeruntur duo: 1 utrum iste homo, prouver » ; puis, il la résout, comme cela ressort
demonstrato Christo, incepit esse; 2 utrum incepit du texte. « Certains ont aussi coutume de se
esse Deus. demander, bien que par curiosité, si Dieu pouvait
assumer la nature humaine selon le sexe
féminin. » Ici, trois questions sont posées.
Premièrement, à propos du commencement [de
l’existence de cet homme]. Deuxièmement, de sa
capacité de pécher. Troisièmement, de la
convenance d’assumer le sexe féminin. On a
toutefois parlé de la convenance de l’assomption
par rapport à la descendance d’Adam à la d. 2,
q. 1, a. 2. À propos du premier point, deux
questions sont posées : 1 – Cet homme (en
montrant le Christ) a-t-il commencé à exister ?
2 – A-t-il commencé à être Dieu ?

Question 1 Question 1 – [Cet homme a-t-il commencé à


exister ?]

Articulus 1 [8890] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. Article 1 – Cette proposition est-elle vraie :
1 tit. Utrum haec sit vera: iste homo incepit esse « Cet homme a commencé à exister. »
[8891] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que cette proposition soit vraie :
primum sic proceditur. Videtur, quod haec sit « Cet homme a commencé à exister. » En effet,
vera: iste homo incepit esse. Omne enim quod tout ce qui n’a pas toujours existé a commencé à
378

non semper fuit, et est, incepit esse. Sed sicut dicit exister. Or, comme le dit Augustin dans le texte,
Augustinus in littera, mediator Dei et hominum, « le médiateur entre Dieu et les hommes,
homo Christus, non fuit prius quam mundus esset. l’homme Christ, n’existait pas avant que le
Ergo incepit esse. monde ne fût ». Il a donc commencé à exister.
[8892] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 « Cet » montre le suppôt des deux natures, de la
Praeterea, iste demonstrat suppositum utriusque divine et de l’humaine. Or, on peut dire, en
naturae, divinae scilicet et humanae. Sed ratione raison de la nature divine : « Cet homme a
divinae naturae potest dici: iste homo semper fuit. toujours existé. » Puisque commencer convient à
Ergo cum incipere conveniat humanae naturae, la nature humaine, comme être à la nature divine,
sicut etiam esse ab aeterno divinae, ratione on peut donc dire, en raison de la nature
humanae naturae potest dici: iste homo incepit humaine : « Cet homme a commencé à exister. »
esse.
[8893] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Avant que le monde ne soit créé, il était vrai
Praeterea, antequam mundus fieret, erat verum de dire : « Aucun homme n’existe. » Cette
dicere: nullus homo est. Ergo haec erat falsa: proposition était donc fausse : « Un homme
aliquis homo est, vel iste homo est. Nunc autem existe, ou cet homme existe. » Or, maintenant,
est vera. Ergo iste homo coepit esse. elle est vraie. Cet homme a donc commencé à
exister.
[8894] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Ce qui a commencé à exister selon une
Praeterea, quod incepit esse in aliqua specie, certaine espèce a commencé à exister tout
incepit esse simpliciter. Sed iste homo incepit esse simplement. Or, cet homme a commencé à
in specie humana. Ergo incepit esse simpliciter. exister selon l’espèce humaine. Il a donc
commencé à exister tout simplement.
[8895] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Naître temporellement, c’est passer du non-
Praeterea, nasci temporaliter, est mutari de non être à l’être. Or, cet homme est né dans le temps.
esse in esse. Sed iste homo est natus in tempore. Il est donc passé du non-être à l’être. Or, tout ce
Ergo est mutatus de non esse in esse. Sed omne qui est tel a commencé à être. Cet homme a donc
tale incepit esse. Ergo iste homo incepit esse. commencé à être.
[8896] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 6 6. « Cet homme » renvoie à une personne
Praeterea, iste homo supponit personam composée. Or, la personne composée n’a pas
compositam. Sed persona composita non fuit ab existé depuis l’éternité, car, lorsqu’il n’y a pas
aeterno: quia quando non est compositio, non composition, un composé ne peut être. Cet
potest esse aliquod compositum. Ergo iste homo homme n’a donc pas toujours été. Il a donc
non fuit semper; ergo incepit esse. commencé à être.
[8897] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 7 7. Cependant, rien d’éternel n’a commencé à
Sed contra, nullum aeternum incepit esse. Sed iste être. Or, cet homme renvoie à un suppôt éternel.
homo supponit suppositum aeternum. Ergo non Il n’a donc pas commencé à être.
incepit esse.
[8898] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 8 8. Tout ce qui a commencé à être est une
Praeterea, omne quod incepit esse, est creatura. créature. Or, cet homme n’est pas une créature,
Sed iste homo non est creatura, ut dictum est comme on l’a dit plus haut, d. 11, a. 3. Cet
supra, dist. 11, art. 3. Ergo iste homo non incepit homme n’a donc pas commencé à être.
esse.
[8899] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 9 9. En Jn 8, 58, cet homme dont nous parlons dit :
Praeterea, Joan. 8, 58, dicit ille homo de quo Avant qu’Abraham soit, je suis. Pour la même
loquimur: antequam Abraham fieret, ego sum; et raison, il aurait pu dire : « Avant que le monde
simili ratione potuisset vere dicere: antequam soit, je suis. » Or, rien de tel n’a commencé à
mundus fieret, ego sum. Sed nullum tale incepit être. Cet homme n’a donc pas commencé à être.
esse. Ergo iste homo non incepit esse.
[8900] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 co. Réponse. Certains font une distinction à
379

Respondeo dicendum, quod quidam distinguunt l’intérieur de cette proposition : « Cet homme a
istam: iste homo incepit esse, ex hoc quod commencé à être », du fait que le pronom « cet »
pronomen iste potest demonstrare personam verbi, peut indiquer la personne du Verbe ou un
vel singulare hominis: et primo modo est falsa, homme particulier. Dans le premier cas, elle est
secundo modo vera. Sed cum dicitur: iste homo, fausse ; dans le second, elle est vraie. Mais
hoc pronomen iste non potest demonstrare nisi id lorsqu’on dit : « Cet homme », ce pronom ne
quod supponitur per hoc nomen homo. peut indiquer que ce à quoi renvoie le nom
Suppositum autem per hoc nomen homo non est « homme ». Or, ce à quoi renvoie le nom
aliud quam persona verbi secundum secundam « homme » n’est rien d’autre que la personne du
opinionem; unde secundum eam non potest stare: Verbe, selon la deuxième opinion ; aussi, selon
quia quamvis ponat in Christo esse aliquid elle, [la proposition] ne peut-elle tenir, car, bien
singulare praeter personam verbi, scilicet qu’elle affirme qu’il existe dans le Christ
humanam naturam; tamen illud singulare non quelque chose de singulier en plus de la personne
supponitur per hoc nomen homo, nec praedicatur du Verbe, à savoir la nature humaine, cependant,
de Christo, sicut 6 dist., qu. 1, art. 1, dictum est; et cette réalité singulière n’est pas sous-jacente au
ideo patet quod ista distinctio est secundum nom « homme » et n’est pas attribuée au Christ,
primam opinionem bona. Et ideo hac omissa, comme on l’a dit à la d. 6, q. 1, a. 1. Il est donc
quidam dicunt, quod hoc verbum incipit potest clair que cette distinction est bonne selon la
notare inceptionem respectu suppositi simpliciter; première opinion. En omettant celle-ci, certains
et sic est falsa, quia suppositum illud est disent donc que le verbe « a commencé » peut
aeternum: vel respectu suppositi ratione formae indiquer un commencement en rapport avec le
significatae; et sic est vera; et ponunt exemplum suppôt simplement ; ainsi la proposition est-elle
de hac: scutum album incipit esse hodie, supposito fausse, car ce suppôt est éternel ; ou en rapport
quod scutum ab heri factum hodie dealbetur. Sed avec le suppôt en raison de la forme signifiée, et
hoc dictum non videtur habere efficaciam propter ainsi elles est vraie. Ils en donnent un exemple :
duo: primo, quia etsi humana natura habeat « Un bouclier blanc a commencé à exister
aliquid simile accidenti in Christo, tamen hoc aujourd’hui », en supposant qu’un bouclier
nomen homo non est adjectivum, sed d’hier est devenu blanc aujourd’hui. Or, cette
substantivum, etiamsi natura humana esset pure manière de parler ne semble pas correcte pour
accidentaliter adveniens; et in talibus plus facit deux raisons. Premièrement, parce que, même si
modus significandi quam proprietas rei la nature humaine avait quelque chose de
significatae: secundo, quia dato quod esset semblable à un accident chez le Christ, ce nom
adjectivum, oportet quod praedicatum conveniret « homme » n’est pas un adjectif, mais un
ei quod copulatur vel supponitur per nomen substantif, même si la nature humaine survenait
positum in subjecto, vel ratione alicujus quod in de manière purement accidentelle. Dans de tels
eo est. Illa autem praedicata quae nata sunt ipsi cas, la manière de signifier importe davantage
supposito convenire, non praedicantur simpliciter qu’une propriété de la chose signifiée.
de eo ratione alicujus quod in ipso est, neque Deuxièmement, parce que, en admettant que
secundum partem, neque secundum accidens aut [« homme »] soit un adjectif, il faut que le
naturam, nisi ei secundum se conveniat: quia tunc prédicat convienne à ce à quoi il est uni ou à ce à
sequeretur quod affirmatio et negatio verificentur quoi il renvoie par le nom qui joue le rôle de
de eodem, si ratione alicujus existentis in ipso sujet, ou en raison de quelque chose qui se
verificaretur quod ratione sui de eo vere negatur: trouve en lui. Or, les prédicats qui conviennent
et hoc patet in proposito. Ei enim quod supponitur par nature au suppôt ne lui sont pas simplement
cum dicitur: isti homini, convenit esse semper; attribués en raison de quelque chose qui se
unde de eo non potest verificari negatio, ut trouve en lui, ni selon une partie, ni selon un
dicatur, non fuit semper, simpliciter loquendo; et accident ou une nature, à moins que cela ne lui
per consequens nec aliquid quod negationem convienne de soi, car alors il en découlerait que
dictam implicet, sicut verbum incipiendi. Unde l’affirmation et la négation s’appliquent à la
dicendum est quod haec est simpliciter falsa: iste même chose, si, en raison de quelque chose qui
380

homo incepit esse; et est secundum quid vera, existe en elle, ce qui est nié d’elle en raison
scilicet cum determinatione humanae naturae; d’elle-même était vrai. Et cela est clair dans le
sicut et haec: iste homo est creatura, est falsa, nisi cas présent. En effet, on dit : « Il convient à cet
ei determinatio addatur; et tunc etiam est tropica, homme de toujours exister » pour ce qui est un.
ut supra dixit Magister. Unde hic non intendit eam La négation à ce sujet peut donc être vraie, en
distinguere tamquam multiplicem, sed dicere disant simplement : « Il n’a pas toujours été », à
quomodo potest esse vera et falsa. parler simplement. Par conséquent, [ne sera pas
non davantage vrai] quelque chose qui implique
la négation exprimée, comme le verbe
« commencer ». Il faut donc dire que la
proposition suivante est simplement fausse :
« Cet homme a commencé à être », et elle est
partiellement vraie avec la précision de la nature
humaine. De même, cette proposition est fausse :
« Cet homme est une créature », si on n’y ajoute
pas une précision. Aussi, [la proposition] figurée
l’est-elle aussi, comme le Maître l’a dit plus
haut. Aussi ne veut-il pas y faire une distinction
comme entre plusieurs [propositions], mais dire
comment elle peut être vraie ou fausse.
[8901] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Selon la règle donnée par le Maître dans la
primum ergo dicendum, quod secundum regulam distinction précédente, cette autorité doit
a Magistro praecedenti distinctione datam s’entendre avec une précision, bien que celle-ci
intelligenda est illa auctoritas cum determinatione, ne soit pas donnée pour cause de brièveté.
quamvis causa brevitatis non apponatur.
[8902] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Bien que ce suppôt soit le suppôt des deux
secundum dicendum, quod quamvis illud natures, il a cependant un rapport différent avec
suppositum sit utriusque naturae suppositum, la nature divine et avec la nature humaine, car il
tamen quantum ad aliqua se habet aliter ad est en réalité identique avec la nature divine et
naturam divinam quam ad humanam: quia est établi dans l’être par elle selon la manière de
idem re cum divina et constitutum in esse per comprendre. Aussi, autant qu’ait existé la nature
ipsam secundum modum intelligendi; unde divine, le suppôt lui-même a-t-il existé. Mais il
quandocumque fuit natura divina, fuit ipsum n’en va pas de même pour la nature humaine.
suppositum. Non autem ita se habet ad naturam C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il
humanam; et ideo non oportet quod incipiente commence lorsque commence la nature humaine.
humana natura, ipsum incipiat.
[8903] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Il aurait été vrai de dire depuis l’éternité : « Ce
tertium dicendum, quod ab aeterno verum fuisset n’est pas un homme », car le suppôt éternel
dicere: nullus homo est: quia suppositum n’était pas encore le suppôt de la nature
aeternum nondum erat suppositum humanae humaine. Aussi ne peut-il pas être placé dans la
naturae; unde non poterat sumi sub dicta distribution en question, comme il le peut
distributione, sicut nunc potest propter unionem. maintenant en raison de l’union. Bien qu’il n’ait
Unde quamvis ab aeterno non erat verum dicere: pas été vrai de dire depuis l’éternité : « L’homme
aliquis homo est aeternus; modo tamen est verum est éternel », il est cependant maintenant vrai de
dicere: aliquis, vel iste homo est ab aeterno. dire : « Quelqu’un ou cet homme existe depuis
l’éternité. »
[8904] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Naître temporellemenet d’une mère ne
quartum dicendum, quod nasci temporaliter ex convient par soi à un suppôt qu’en raison du
matre non est natum convenire supposito nisi corps, comme on l’a dit plus haut ; pour cette
ratione corporis, ut supra dictum est, et ideo raison, cela est donc simplement vrai du suppôt.
381

ratione ejus verificatur simpliciter de supposito. Mais commencer à être ne peut être vrai pour lui
Sed incipere esse non potest verificari de eo en raison du corps simplement, mais avec une
ratione corporis simpliciter, sed cum précision. C’est pourquoi cette proposition est
determinatione; et ideo haec est vera simpliciter: vraie simplement : « Cet homme est né
iste homo est natus temporaliter; non tamen ista: temporellement », cependant celle-ci ne l’est
iste homo incepit esse, sed est vera secundum pas : « Cet homme a commencé à être », mais
quid. elle est vraie sous un aspect.
[8905] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 2. Chez les autres suppôts, qui sont des suppôts
quintum dicendum, quod in aliis suppositis quae d’une seule nature seulement, il découle du fait
sunt supposita tantum unius naturae, sequitur qu’ils commencent à être dans une espèce, qu’ils
quod si incipiunt esse in aliqua specie, incipiunt commencent à être tout simplement. Mais il n’en
esse simpliciter; sed non est ita in proposito; unde va pas de même pour ce qui est en cause. Aussi
quantum ad hoc similitudinem habet humana la nature humaine chez le Christ a-t-elle sur ce
natura in Christo cum accidente; et ideo sicut non point une ressemblance avec un accident. Ainsi,
sequitur: iste homo incepit esse albus, ergo incepit de même que le raisonnement suivant n’est pas
esse; ita nec sequitur: iste incepit esse homo, ergo concluant : « Cet homme commence à être
incepit esse. blanc ; donc, il a commencé à être », de même
celui-ci n’est pas concluant : « Celui-ci a
commencé à être un homme ; donc, il a
commencé à être. »
[8906] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Parce que la composition n’a pas toujours
sextum dicendum, quod quia compositio non existé, cette proposition est donc fausse : « La
semper fuit, ideo haec est falsa: persona semper personne a toujours été composée » ; cependant,
fuit composita; sed tamen haec est vera: persona celle-ci est vraie : « La personne composée a
composita semper fuit: quia ad veritatem toujours existé », car il suffit pour la vérité de la
propositionis sufficit, quod praedicatum conveniat proposition que le prédicat convienne au sujet, et
subjecto; nec oportet quod conveniat ei ratione il n’est pas nécessaire qu’il lui convienne en
formae significatae vel appositae, nisi sit raison de la forme signifiée ou indiquée, à moins
praedicatio per se; et ideo, quia personae convenit qu’il ne s’agisse d’une attribution par soi. Aussi,
semper fuisse, quamvis non ratione parce qu’il convient à la personne d’avoir
compositionis; haec est simpliciter vera: persona toujours existé, bien que ce ne soit pas en raison
composita semper fuit. Sed ad veritatem de la composition, cette proposition est tout
propositionis exigitur quod totum quod est in simplement vraie : « La personne composée a
praedicato, conveniat subjecto; et ideo compositio toujours existé. » Mais il est requis pour la vérité
quam significat hoc nomen compositum non de la proposition que tout ce qui se trouve dans
convenit ab aeterno personae; et ideo haec est le prédicat convienne au sujet. C’est pourquoi la
falsa: persona ista semper fuit composita. composition que signifie ce mot « composé » ne
convient pas éternellement à la personne. C’esst
pourquoi cette proposition est fausse : « Cette
personne a toujours été composée. »
[8907] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. Il faut porter le même jugement sur cette
septimum dicendum, quod idem judicium est de proposition : « Un homme a commencé à être
ista: homo incepit esse Deus, et homo factus est Dieu » et sur : « Un homme est devenu Dieu. »
Deus; et eaedem rationes utrobique fieri possunt; Les mêmes raisonnements peuvent être faits dans
et ideo requiratur supra, dist. 7, quaest. 2, art. 2, les deux cas. Il faut donc se reporter à la d. 7,
ubi inquisitum est, utrum homo factus sit Deus. q. 2, a. 2, où l’on s’est demandé : « L’homme
est-il devenu Dieu ? »

Quaestio 2 Question 2 – [Le Christ pouvait-il pécher ?]


382

Prooemium Prologue
[8908] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la capacité de pécher.
quaeritur de potentia peccandi; et circa hoc duo À ce propos, deux questions sont posées : 1 –
quaeruntur: 1 utrum iste homo potuit peccare; 2 Cet homme pouvait-il pécher ? 2 – Avait-il la
utrum habuit potentiam peccandi. capacité de pécher ?

Articulus 1 [8909] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. Article 1 – Le Christ pouvait-il pécher ?


1 tit. Utrum Christus potuit peccare
[8910] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il pouvait pécher. En effet,
primum sic proceditur. Videtur, quod potuit Bernard dit que « le Fils de Dieu est descendu
peccare. Bernardus enim dicit quod tantum autant qu’il le pouvait, le péché excepté ». Or, à
descendit filius Dei, quantum descendere potuit propos du péché, le dernier degré est de pouvoir
praeter peccatum. Sed ultimus gradus circa pécher. Il pouvait donc pécher.
peccatum est posse peccare. Ergo ipse potuit
peccare.
[8911] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Aucune louange ne doit être soustraite au
Praeterea, nihil laudis Christo homini Christ homme. Or, il est dit pour la louange de
subtrahendum est. Sed in laudem viri justi dicitur l’homme juste, Si 31, 10 : Lui qui pouvait
Eccli. 31, 10: qui potuit transgredi, et non est transgresser, et n’a pas transgressé. Cela doit
transgressus. Ergo hoc Christo convenire debet. donc convenir au Christ.
[8912] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 3 3. De même que le péché requiert la volonté, de
Praeterea, sicut peccatum requirit voluntatem, ita même aussi le mérite [la requiert-il]. Or, selon
et meritum. Sed secundum Augustinum, nullus Augustin, « personne ne pèche pour ce qu’il ne
peccat in eo quod non potest vitare. Ergo etiam peut pas éviter ». Donc, personne ne mérite ou
nullus meretur vel laudatur de hoc quod dimittere n’est louangé pour ce qu’il ne peut pas écarter. Si
non potest. Si ergo Christus non potuit peccare, donc le Christ ne pouvait pas pécher, il ne doit
non est laudandus de hoc quod non peccavit. pas être louangé pour n’avoir pas péché.
[8913] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Le Philosophe dit que Dieu et l’homme
Praeterea, philosophus dicit, quod Deus et appliqué peuvent mal agir. Or, chez le Christ, on
studiosus potest prava agere. Sed in Christo non ne trouve pas de raison pour laquelle il ne
invenitur aliquid quare non potuerit peccare, nisi pouvait pas pécher, en dehors du fait qu’il était
quia Deus est, et quia bonus perfecte fuit. Ergo Dieu et qu’il était parfaitement bon. Il pouvait
potuit peccare. donc pécher.
[8914] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Il est dit du Christ en Jn 8, 55 : Si je dis que je
Praeterea, Joan. 8, 55, dicitur a Christo: si dixero ne le connais pas, je serai un menteur comme
quia non novi eum, ero similis vobis mendax. Sed vous. Or, il pouvait dire ces paroles sans rien
potuit illa verba dicere sine additione, sicut dixit ajouter, comme il les a dites en y ajoutant. Il
cum additione. Ergo potuit mentiri: ergo et pouvait donc mentir, et donc, pécher.
peccare.
[8915] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] à propos de He 2, 9 : Nous
Sed contra, Hebr. 2, 9: eum qui paulo minus quam voyons Jésus, devenu un peu moins qu’un
Angeli minoratus est, videmus Jesum (...) gloria et ange…couronné de gloire et d’honneur, la Glose
honore coronatum; dicit Glossa: quia natura dit : « Car Dieu seul est plus grand que la nature
humanae mentis, quam Deus assumpsit, et quae de l’esprit humain que Dieu a assumée et qui ne
nullo modo peccato depravari potuit, solus Deus pouvait d’aucune manière être déformée par le
major est. Sed quicumque potest peccare, mens péché. » Or, l’esprit de tous ceux qui peuvent
ejus potest peccato depravari. Ergo Christus non pécher peut être déformé par le péché. Le Christ
potuit peccare. ne pouvait donc pas pécher.
[8916] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] La perfection de la nature glorifiée est telle
Praeterea, haec est perfectio naturae glorificatae qu’elle ne peut pas pécher. Or, le Christ a été un
383

ut jam peccare non possit. Sed Christus ab instanti véritable comprehensor1 dès l’instant de sa
suae conceptionis fuit verus comprehensor. Ergo conception. Il ne pouvait donc pas pécher.
nunquam peccare potuit.
[8917] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] Tout ce que cet homme a fait, on peut dire
Praeterea, quidquid fecit ille homo, potest dici que Dieu l’a fait. Si donc cet homme avait péché,
Deus fecisse. Si ergo ille homo peccasset, il en découlerait que Dieu aurait péché, ce qui est
sequeretur quod Deus peccasset; quod est impossible. Donc, la conclusion est la même que
impossibile. Ergo et primum. la première.
[8918] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 co. Réponse. À parler simplement, le Christ ne
Respondeo dicendum, quod simpliciter loquendo, pouvait aucunement pécher. Aussi, [Jean]
Christus nullo modo peccare potuit; unde Damascène dit-il, dans le livre III, que le
Damascenus dicit in 3 Lib., quod impeccabilis est Seigneur Jésus ne pouvait pas pécher. En effet,
dominus Jesus. Potest enim considerari ut viator, on peut le considérer comme un viator ou
vel ut comprehensor, et ut Deus. Ut viator comme un comprehensor, et comme Dieu. En
quidem, dux videtur esse, dirigens nos secundum tant qu’il est un viator, il se présente comme le
viam rectam. In quolibet autem genere oportet chef qui nous dirige sur le droit chemin. Or, en
primum regulans torqueri non posse: quia alias tout genre, il est nécessaire que celui qui impose
esset error in omnibus quae ad ipsum regulantur; le premier une règle ne soit pas détourné, car,
et ideo ipse Christus tantam gloriae plenitudinem autrement, il y aurait erreur chez tous ceux qui
habuit, ut etiam inquantum viator peccare non sont réglés selon lui. Aussi le Christ lui-même a-
posset; unde etiam et illi qui proximi sibi fuerunt,t-il eu une telle plénitude de gloire que, même en
confirmati sunt, ut apostoli etiam viatores état de cheminement, il ne pouvait pécher. Ainsi,
existentes, mortaliter peccare non potuerint, ceux-là aussi qui étaient proches de lui ont-ils été
quamvis potuerint peccare venialiter. Secundum affermis, comme les apôtres qui, encore en état
vero quod fuit comprehensor, mens ejus totaliter de cheminement, ne pouvaient pas pécher
est conjuncta fini, ut agere non posset nisi mortellement, bien qu’ils aient pu pécher
secundum ordinem ad finem, sicut in 2 Lib., dist. véniellement. Mais, en tant que comprehensor,
7, de Angelis confirmatis dictum est. Secundum l’esprit [du Christ] était entièrement uni à la fin,
autem quod fuit Deus, et anima ejus et corpus de sorte qu’il ne pouvait agir que selon l’ordre à
fuerunt quasi organum deitatis, secundum quod, la fin, comme on l’a dit des anges affermis, dans
ut dicit Damascenus, deitas regebat animam, et le livre II, d. 7. Mais, selon que [le Christ] était
anima corpus; unde non poterat peccatum Dieu, son corps et son âme étaient pour ainsi dire
accidere, sicut nec Deus potest peccare. Tamen un instrument de la divinité, pour autant que la
sub conditione potest concedi quod peccare divinité dirigeait l’âme, et l’âme le corps, ainsi
potuit, scilicet si voluisset; quamvis hoc que le dit [Jean] Damascène ; aussi ne pouvait-il
antecedens sit impossibile; quia ad veritatem survenir de péché, comme Dieu ne peut pas
conditionalis non requiritur neque veritas pécher. Cependant, on peut concéder sous
antecedentis neque consequentis, sed necessaria condition qu’il pouvait pécher, à savoir, s’il
habitudo unius ad alterum. l’avait voulu, bien que cet antécédent soit
impossible, car, pour la vérité d’une
conditionnelle, ne sont exigées ni la vérité d’un
antécédent, ni celle d’un conséquent, mais un
rapport nécessaire entre l’une et l’autre.
[8919] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 1 Ad [1] De même que Dieu ne pouvait s’abaisser
primum ergo dicendum, quod sicut Deus non jusqu’à pécher et que le Christ n’a ainsi jamais
1
Comprehensor(es), qui n’a pas d’équivalent en français, pourrait être traduit par «bienheureux». En effet,
comprehensor(es) est un terme technique désignant ceux qui voient déjà Dieu selon son essence, l’«embrassent»,
l’« enserrent » ou le «comprennent» dans la béatitude éternelle. Par contre, on parlera de viator(es) pour désigner
la condition de ceux qui sont en route (in via) vers la béatitude dans la vie présente. Voir III, q. 15, a. 10, c :
Aliquis dicitur viator ex eo quod tendit in beatitudinem, comprehensor autem dicitur ex hoc quod jam
beatitudinem obtinet.
384

potuit descendere ad hoc quod peccaret; et ideo péché, de même aussi ne pouvait-il pas
Christus nunquam peccavit; ita etiam non potuit s’abaisser jusqu’à pouvoir pécher. Aussi le
descendere ad hoc quod peccare posset; et ideo Christ ne pouvait-il non plus jamais pécher. Et
etiam Christus nunquam peccare potuit; et etiam même si Dieu avait pu s’abaisser jusque-là, cela
si Deus ad hoc descendere potuisset, non tamen ne convenait cependant pas, car cela était plutôt
conveniebat: quia hoc magis impediebat finem un empêchement qu’une aide pour la fin de
incarnationis, secundum quam est dux et rex l’incarnation, selon laquelle il est le chef et le roi
nostrorum operum, quam juvaret. de nos actions.
[8920] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 2 Ad [2] Une chose peut se rapporter à la louange
secundum dicendum, quod aliquid potest pertinere d’un inférieur, qui, attribuée au supérieur, est
ad laudem inferioris, quod attributum superiori plutôt un motif de blâme, comme le dit Denys ;
magis est in vituperium, ut dicit Dionysius, sicut comme la rage est louable chez le chien, mais
furibundum laudabile est in cane, sed vituperabile blâmable chez l’homme. Aussi le Philosophe dit-
in homine. Unde etiam philosophus dicit, quod il encore que les louanges des hommes, reportées
laudes hominum translatae in deos, derisiones sur les dieux, paraissent des moqueries.
videntur. Tamen hoc quod posse peccare pertinet Toutefois, le fait que pouvoir pécher relève de la
ad laudem, est per accidens, inquantum ostendit, louange est accidentel, pour autant qu’il montre
opus quod laudatur, ex necessitate factum non que l’action louangée n’a pas été accomplie par
esse. Sed quamvis removeatur a Christo potentia nécessité. Mais bien que la capacité de pécher
peccandi, non tamen ponitur coactio, quae soit écartée du Christ, on n’affirme pas pour
voluntario contrariatur, et laudis rationem tollit. autant la coercition, qui s’oppose au volontaire et
enlève la raison de louanger.
[8921] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 3 Ad [3] L’impuissance due à la coercition, qui
tertium dicendum, quod impotentia coactionis, s’oppose au volontaire, enlève la raison de
quae opponitur voluntario, tollit rationem meriti et mérite et de démérite, mais non l’impuissance
demeriti, non impotentia quae est ex perfectione qui vient de la perfection dans la bonté ou la
in bonitate, vel malitia: quia hoc voluntarium non malice, car cela n’enlève pas le volontaire, mais
tollit, sed ponit voluntatem confirmatam ad unum. affirme que la volonté a été confirmée dans une
seule chose.
[8922] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 4 Ad [4] Comme le dit rabbi Moïse, la parole du
quartum dicendum, quod, sicut dicit Rabbi Philosophe doit se comprendre selon une
Moyses, verbum philosophi intelligendum est condition, à savoir qu’il aurait pu s’il l’avait
cum conditione, quia scilicet posset, si vellet. voulu.
[8923] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 1 ad 5 Ad [5] Le Christ aurait pu exprimer ces paroles, s’il
quintum dicendum, quod Christus potuisset, si l’avait voulu, mais il ne pouvait pas le vouloir.
voluisset, illa verba exprimere; sed velle non
potuit.
Articulus 2 [8924] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. Article 2 – Le Christ avait-il la capacité de
2 tit. Utrum Christus habuit potentiam peccandi pécher ?
[8925] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ n’avait pas la capacité
secundum sic proceditur. Videtur quod Christus de pécher. En effet, quelqu’un a une capacité
non habuit potentiam peccandi. Secundum enim selon n’importe quelle puissance. Or, le Christ
quamlibet potentiam est aliquis potens. Sed ne pouvait pas pécher. Il n’avait donc pas la
Christus non potuit peccare. Ergo non habuit capacité de pécher.
peccandi potentiam.
[8926] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 2 2. La capacité de pécher, selon Anselme, n’est
Praeterea, potentia peccandi, secundum pas la liberté de l’arbitre, ni une partie de la
Anselmum, non est libertas arbitrii, nec pars liberté, mais elle diminue la liberté. Or, chez le
libertatis, sed diminuit libertatem. Sed in Christo Christ, la liberté n’a pas été diminuée. Il n’avait
libertas non fuit diminuta. Ergo ipse non habuit donc pas la capacité de pécher.
385

potentiam peccandi.
[8927] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 3 3. La capacité de pécher est la racine du péché et
Praeterea, potentia peccandi est radix peccati, et son principe. Or, chez le Christ, il n’y avait pas
principium. Sed in Christo non fuit aliquod de principe ni de racine du péché. Il n’avait donc
principium et radix peccati. Ergo ipse non habuit pas la capacité de pécher.
potentiam peccandi.
[8928] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Le Christ, même en tant qu’homme, était au
Praeterea, Christus, etiam secundum quod homo, plus haut point semblable à Dieu. Or, Dieu ne
fuit maxime Deo similis. Sed Deus non potest peut pécher et n’a pas la capacité de pécher.
peccare, nec potentiam peccandi habet. Ergo nec Donc, ni le Christ en tant qu’homme.
Christus secundum quod homo.
[8929] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 5 5. Cependant, le Philosophe dit que les
Sed contra, philosophus dicit, quod potestates capacités de choses mauvaises doivent être
pravorum sunt eligendae. Sed omnia bona choisies. Or, le Christ a possédé tous les biens. Il
hominum Christus habuit. Ergo et potentiam avait donc aussi la capacité de pécher.
peccandi.
[8930] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 6 6. Comme le dit [Jean] Damascène, « le Fils de
Praeterea, sicut dicit Damascenus, filius Dei Dieu a assumé tout ce qu’il avait semé dans
assumpsit quidquid in nostra natura plantavit. notre nature ». Or, il avait semé en elle la
Plantavit autem in ea potentiam peccandi: quia capacité de pécher, car la capacité de pécher
potentia peccandi a Deo est, quamvis voluntas vient de Dieu, bien que la volonté de pécher ne
peccandi non sit ab eo. Ergo potentiam peccandi vienne pas de lui. Il avait donc la capacité de
habuit. pécher.
[8931] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 7 7. La capacité de pécher est la puissance par
Praeterea, potentia peccandi est potentia qua laquelle on pèche. Or, cela est le libre arbitre.
peccatur. Hoc autem est liberum arbitrium. Cum Puisque, en tant qu’homme, le Christ a possédé
igitur Christus habuerit liberum arbitrium le libre arbitre, comme le dit [Jean] Damascène,
secundum quod homo, ut dicit Damascenus, il est nécessaire qu’il ait eu la capacité de pécher.
oportet quod habuerit potentiam peccandi.
[8932] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 arg. 8 8. L’âme du Christ est une créature. Or, selon
Praeterea, anima Christi creatura est. Sed [Jean] Damascène, toute créature peut aller dans
secundum Damascenum, omnis creatura vertibilis un sens ou dans l’autre, soit selon son choix, soit
est vel secundum electionem vel secundum selon sa substance. L’âme du Christ peut donc
substantiam. Ergo anima Christi vertibilis est aller dans un sens ou dans l’autre par son choix,
secundum electionem, cum vim electivam habeat. puisqu’elle possède la capacité de choisir. Or, la
Sed vertibilitas electionis est potentia peccandi. possibilité d’aller dans un sens ou dans l’autre
Ergo Christus habuit potentiam peccandi. par le choix est la capacité de pécher. Le Christ a
donc eu la capacité de pécher.
[8933] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 co. Réponse. L’acte est en rapport avec la puissance
Respondeo dicendum, quod actus se habet ad de deux manières : parce que l’acte sort de la
potentiam dupliciter: quia actus egreditur a puissance, et aussi parce que la puissance reçoit
potentia, et iterum per actus specificatur potentia; son espèce de l’acte. C’est pourquoi lorsqu’on
et ideo cum dicitur potentia aliquid agendi, ut parle de la capacité de faire quelque chose,
potentia videndi, dupliciter potest intelligi: quia comme la capacité de voir, on peut l’entendre de
potest designari vel ordo potentiae ad actum, deux manières. Cela peut désigner l’ordre de la
secundum quod actus sumitur ut effectus puissance à l’acte, selon que l’acte est considéré
potentiae; vel designatur potentia ipsa specificata comme l’effet de la puissance. Ou bien cela
per actum, secundum quod actus sumitur loco désigne la puisssance elle-même qui reçoit son
differentiae. Et primo modo non potest dici quod espèce de l’acte, selon que l’acte est considéré à
ille qui habet visum impeditum, habeat potentiam la place de la différence [spécifique]. De la
386

videndi, sicut non potest dici quod possit videre. première manière, on ne peut dire que celui dont
Secundo modo potest dici quod habeat potentiam la vision est empêchée a la puissance de voir, pas
videndi, sicut quod habeat potentiam visivam. davantage qu’on peut dire qu’il peut voir. De la
Haec autem distinctio, ut ex dictis patet, habet seconde manière, on peut dire qu’il a la capacité
locum in illis actibus quibus specificantur de voir, de même qu’on peut dire qu’il a la
potentiae. Hujusmodi autem sunt actus ad quos puissance de voir. Or, cette distinction, comme
potentiae ordinantur. Sed liberum arbitrium non cela ressort de ce qui a été dit, a lieu pour les
ordinatur ad peccatum, immo peccatum incidit ex actes par lesquels les puissances reçoivent leur
defectu ejus; unde peccare non specificat espèce. Cependant, de tels actes sont les actes
potentiam liberi arbitrii; et ideo cum dicitur quod auxquels les puissances sont ordonnées.
aliquis habet potentiam peccandi, non intelligitur Toutefois, le libre arbitre n’est pas ordonné au
quod habeat liberum arbitrium, sed quod habeat péché, bien plus, on tombe dans le péché en
ipsum ordinatum ad peccandum, ita ut peccare raison d’une carence de sa part. Pécher ne
possit; et ideo sicut de Christo non dicitur quod confère donc pas son espèce à la puissance du
possit peccare, ita nec quod habeat potentiam libre arbitre. C’est pourquoi, lorsqu’on dit que
peccandi, proprie loquendo, et secundum se; sed quelqu’un a la capacité de pécher, on ne
potest concedi sub hoc sensu, ut dicatur habere comprend pas qu’il a le libre arbitre, mais que
potentiam peccandi, quia habet potentiam quae in celui-ci est en lui ordonné à pécher, de sorte qu’il
aliis est potentia peccandi. puisse pécher. De même qu’on ne dit pas du
Christ qu’il peut pécher, de même donc [ne dit-
on pas] qu’il a la capacité de pécher, à parler au
sens propre et de soi ; mais on peut concéder le
fait de dire qu’il a la capacité de pécher, parce
qu’il possède la capacité qui, chez les autres, est
la capacité de pécher.
[8934] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 1 Et 1-4. En adoptant cette approche, on répond
hoc modo sustinendo, facile respondetur ad facilement aux quatre premiers arguments.
primas quatuor rationes.
[8935] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Les capacités des méchants doivent être
quintum dicendum, quod potestates malorum sunt choisies par accident, non pas parce qu’elles
eligendae per accidens, non quia sunt malorum; appartiennent aux méchants, mais parce que les
sed quia eaedem sunt ad bona; magis autem essent mêmes puissances portent sur des biens. Mais
eligendae, si essent bonorum tantum. elles devraient être encore plus choisies si elles
portaient seulement sur des biens.
[8936] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 6 Ad 6. La puissance de pécher, en tant qu’elle est
sextum dicendum, quod potentia peccandi, puissance de pécher, ne vient pas de Dieu,
inquantum peccandi, non est a Deo, ut in 2 Lib., comme on l’a dit dans le livre II, dernière
dist. ultima, dictum est, sed inquantum ad distinction, mais en tant seulement qu’il y a un
subjectum potentiae tantum. sujet de cette puissance.
[8937] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 7 Ad 7. Comme cela ressort de ce qui a été dit, on ne
septimum dicendum, quod liberum arbitrium, ut peut dire simplement que le libre arbitre est une
ex dictis patet, non potest dici simpliciter potentia capacité de pécher que pour ceux qui peuvent
peccandi, nisi in his qui peccare possunt. pécher.
[8938] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 2 a. 2 ad 8 Ad 8. Cette capacité d’aller dans un sens ou dans
octavum dicendum, quod illa vertibilitas in l’autre chez le Christ est perfectionnée par la
Christo perficitur per gratiae plenitudinem; sicut plénitude de la grâce, comme la puissance de la
et potentia materiae terminatur per actum formae matière est achevée par l’acte d’une forme qui
totam potentialitatem materiae tollentis, ut patet in enlève toute la potentialité de la matière, ainsi
caelo. que cela ressort pour le ciel.
387

Quaestio 3 Question 3 – [Quel devait être le sexe du


Christ ?]
Prooemium Prologue
[8939] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la convenance du sexe
quaeritur de congruitate quantum ad sexum; et [du Christ]. À ce propos, deux questions sont
circa hoc quaeruntur duo: 1 in quo sexu humanam posées : 1 – Selon quel sexe [le Christ] devait-il
naturam assumere debuit; 2 de quo sexu, utrum assumer la nature humaine ? 2 – De quel sexe
scilicet de viro, vel de muliere. devait-il l’assumer : d’un homme ou d’une
femme ?

Articulus 1 [8940] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. Article 1 – Le Christ devait-il assumer un sexe
1 tit. Utrum Christus debuit aliquem sexum ?
accipere
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer
un sexe ?]
[8941] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il ne devait pas assumer de sexe,
1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod non car le corps même du Christ annonce le corps
debuerit aliquem sexum accipere. Quia ipsum mystique. Or, dans le corps mystique, qui est
corpus Christi verum praesignat corpus mysticum. l’Église, il n’y a pas de différence entre les
Sed in corpore mystico, quod est Ecclesia, non est sexes, car, comme le dit l’Apôtre, Ga 3, 28 :
differentia sexuum: quia, sicut dicit apostolus Dans le Christ, il n’y a pas d’homme ni de
Galat. 3, 28, in Christo non est masculus neque femme. Il ne devait donc pas assumer un sexe.
femina. Ergo nec ipse sexum assumere debuit.
[8942] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 2. Le sexe est ordonné à la génération charnelle.
2 Praeterea, sexus ordinatur ad generationem Or, le Christ n’était pas venu pour être le
carnalem. Sed Christus non venerat ut esset principe du genre humain par la génération
principium humani generis per generationem charnelle, mais par [la génération] spirituelle. Il
carnalem, sed spiritualem. Ergo sexum sumere ne devait donc pas assumer un sexe.
non debuit.
[8943] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 arg. 3. L’esprit créé est indifférent à un sexe ou à
3 Praeterea, spiritus creatus indifferenter se habet l’autre. Or, l’esprit incréé est plus éloigné de la
ad utrumque sexum. Sed plus distat spiritus différence des sexes que l’esprit créé. Dieu lui-
increatus a differentia sexuum quam spiritus même est donc indifférent à un sexe ou à l’autre.
creatus. Ergo ipse Deus se habet indifferenter ad Donc, soit il devait assumer les deux, soit aucun.
utrumque sexum. Ergo vel utrumque assumere
debuit, vel neutrum.
[8944] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le Christ devait être semblable à
1 Sed contra, Christus debuit fratribus assimilari ses frères par ses attributs naturels, comme le dit
quantum ad naturalia, ut dicitur Hebr. 2. Sed He 2. Or, le sexe fait partie des attributs naturels
sexus est de naturalibus hominis. Ergo debuit de l’homme. Il devait donc assumer un sexe.
sexum assumere.
[8945] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 s. c. [2] « Ce qui ne peut être assumé ne peut être
2 Praeterea, quod est inassumptibile, est guéri », comme le dit [Jean] Damascène. Or,
incurabile, ut dicit Damascenus. Sed sexus surtout le sexe, dans lequel règne le plus le péché
praecipue curatione indigebat, in quo maxime originel, avait besoin d’être guéri. [Le Christ]
peccatum originale regnat. Ergo debuit assumere devait donc assumer un sexe.
sexum.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer
le sexe féminin ?]
[8946] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il devait assumer le sexe féminin.
388

1 Ulterius. Videtur quod debuit assumere En effet, la restauration correspond à la chute.


femineum. Reparatio enim respondet ruinae. Sed Or, la première chute a été le fait de la femme.
prima ruina fuit per feminam. Ergo et principium Le principe de la restauration devait donc être
reparationis debuit esse per feminam. Hoc autem une femme. Or, tel est le Christ. Donc, etc.
est Christus. Ergo et cetera.
[8947] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 2. Le Christ a assumé les carences de notre
2 Praeterea, Christus assumpsit defectus naturae nature. Or, la fragilité du sexe féminin est une
nostrae. Sed fragilitas sexus feminei est quidam carence. Il devait donc l’assumer.
defectus. Ergo debuit ipsum assumere.
[8948] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 arg. 3. Il est dit dans un sermon sur les vierges :
3 Praeterea, dicitur in quodam sermone de « Plus le vase qui triomphe de l’ennemi est
virginibus: quanto infirmius vasculum quod faible, plus Dieu est loué. » Or, Dieu doit être
reportat ab hoste triumphum, tanto magis Deus loué au plus haut point par la victoire du Christ.
laudatur. Sed in victoria Christi est Deus maxime Il convenait donc qu’il assume le sexe le plus
laudandus. Ergo decuit quod sexum infirmiorem, faible, le sexe féminin.
scilicet femineum, assumeret.
[8949] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] le Christ était la tête de l’Église.
1 Sed contra, Christus fuit caput Ecclesiae. Sed Or, la femme n’est pas la tête de l’homme, mais
mulier non est caput viri, sed e converso, c’est l’inverse, selon l’Apôtre. Il ne devait donc
secundum apostolum. Ergo non debuit esse pas être une femme.
mulier.
[8950] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Jl 2 promettait que le Christ serait le docteur
2 Praeterea, Christus, ut esset doctor Ecclesiae, de l’Église. Or, il ne convient pas à la femme
promittitur Joel. 2. Sed mulieri non convenit d’enseigner dans l’Église, comme cela ressort de
docere in Ecclesia, ut patet 1 Corinth. 14. Ergo 1 Co 14. Le Christ ne devait donc pas assumer le
Christus non debuit sexum femineum assumere. sexe féminin.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8951] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Le Christ est venu restaurer la nature humaine,
Respondeo, ad primam quaestionem, quod qu’il a restaurée en l’assumant. Il fallait donc
Christus venit ad reparandam humanam naturam, qu’il assume tout ce qui découle de la nature
quam per assumptionem reparavit; et ideo oportuit humaine, c’est-à-dire toutes les propriétés et les
quod quidquid per se consequitur ad humanam parties de la nature humaine, parmi lesquelles se
naturam, assumeret, scilicet omnes proprietates et trouve aussi le sexe. Il convenait donc qu’il
partes humanae naturae, inter quas est etiam assume un sexe.
sexus; et ideo decuit quod sexum assumeret.
[8952] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1 1. On dit qu’il n’y a pas d’homme ni de femme
Ad primum ergo dicendum, quod in corpore dans le corps mystique, non pas parce qu’il n’y a
mystico dicitur non esse masculus aut femina, non pas de différence des sexes, mais parce que les
quia non sit differentia sexuum, sed quia deux sexes se rapportent indifféremment au
indifferenter se habet uterque sexus ad ipsum corps mystique, car le corps mystique n’est pas
corpus mysticum: quia corpus mysticum non est une personne, comme le Christ lui-même l’est.
una persona, sicut est ipse Christus; unde in eo Aussi les deux sexes ne pouvaient-ils se trouver
non potuit esse uterque sexus, quia hoc esset en lui, parce que cela serait monstrueux et non
monstruosum et innaturale. conforme à la nature.
[8953] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Il n’a pas assumé un sexe pour en faire usage,
Ad secundum dicendum, quod non assumpsit mais pour la perfection de sa nature, comme [le
sexum ad usum, sed ad perfectionem naturae; sexe] se trouvera chez les saints après la
sicut etiam erit in sanctis post resurrectionem, résurrection, alors qu’on n’épousera pas et qu’on
quando neque nubent neque nubentur. ne sera pas épousé.
[8954] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Il est égal quant à la puissance, mais non quant
389

Ad tertium dicendum, quod aequaliter se habet à la convenance.


quantum ad potentiam, sed non quantum ad
congruentiam.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8955] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Nous ne parlons pas ici de la puissance de Dieu,
Ad secundam quaestionem dicendum, quod non car celui-ci pouvait assumer le corps qu’il
loquimur hic de potentia Dei: quia ipse potuit voulait. Mais nous parlons de convenance, car le
assumere quale corpus voluit. De congruitate Christ est venu comme docteur, dirigeant et
autem loquendo, quia Christus venit ut doctor et défenseur du genre humain, ce qui ne convient
rector et propugnator humani generis, quae pas à la femme. Il ne lui convenait donc pas
mulieri non competunt; ideo nec competens fuit d’assumer le sexe féminin.
quod sexum femineum assumeret.
[8956] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1 1. La restauration doit correspondre à la chute
Ad primum ergo dicendum, quod reparatio debet par opposition. Ainsi, de même que le principe
respondere ruinae per oppositum: unde sicut de la perdition avait une nature plus fragile, de
principium perditionis fuit natura fragilior; ita même le principe de la restauration devait-il
principium reparationis debet esse natura fortior; avoir une nature plus forte, comme la guérison
sicut sanatio in corpore hominis est per virtutem dans le corps de l’homme se réalise par la
cordis quod habet fortiorem sanitatem. Vel puissance d’un cœur qui est en meilleure santé.
dicendum quod per mulierem non intravit in Ou bien il faut dire que le péché originel n’est
mundum peccatum originale, sed per virum, sicut pas entré dans le monde par la femme, mais par
in Lib. 2 dictum est, quamvis a muliere initium l’homme, comme on l’a dit dans le livre II, bien
habuit peccatum; ita etiam per virum habuit que le péché ait commencé avec la femme.
perfici opus salutis nostrae, quod aliquo modo L’œuvre de notre salut, amorcée d’une certaine
initiatum est per mulierem, scilicet beatam manière par une femme, la bienheureuse Vierge,
virginem. devait donc s’achever par un homme.
[8957] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Le Christ n’a pas assumé toutes les carences,
Ad secundum dicendum, quod Christus non mais celles qui convenaient à la fin de
assumpsit omnes defectus, sed illos qui l’assomption, c’est-à-dire à l’œuvre de la
conveniebant ad finem assumptionis, scilicet ad rédemption, comme on le dira plus loin.
opus redemptionis, ut infra dicetur.
[8958] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3 3. La louange de Dieu ne vient pas seulement de
Ad tertium dicendum, quod laus Dei non tantum la faiblesse du vainqueur, mais aussi de la
est ex infirmitate victoris, sed etiam ex grandeur de la victoire et de la convenance du
magnitudine victoriae, et congruentia pugnae, combat, en raison de quoi Dieu est loué au plus
secundum quae in victoria Christi Deus maxime haut point par la victoire du Christ.
laudatur.

Articulus 2 [8959] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. Article 2 – Le Christ devait-il assumer la


2 tit. Utrum debuerit carnem assumere ab utroque chair à partir des deux sexes ?
sexu
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ devait-il assumer
la chair à partir des sexes ?]
[8960] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que [le Christ] devait assumer la
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod chair à partir des deux sexes, car, comme le dit
debuit ab utroque sexu carnem assumere. Quia, ut l’Apôtre, He 2, 17 : Il devait ressembler en tout
dicit apostolus, Hebr. 2, 17, debuit per omnia à ses frères, surtout pour ce qui est des attributs
fratribus assimilari, et praecipue in naturalibus. naturels. Or, les autres hommes sont engendrés
Sed naturaliter alii homines generantur ab utroque naturellement par les deux sexes. Le Christ aussi
sexu. Ergo et Christus ab utroque sexu carnem devait donc assumer la chair à partir des deux
390

assumere debuit. sexes.


[8961] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2. Seul ce qui se rapporte au péché dans la nature
2 Praeterea, illa solum videntur in humana natura humaine semble être incompatible avec le Christ.
Christo repugnare quae ad peccatum pertinent. Or, l’union sexuelle peut exister sans aucun
Sed commixtio sexuum potest esse sine omni péché et sans aucune corruption, puisqu’elle
peccato, et sine omni corruptela, cum in Paradiso aurait été telle au Paradis avant le péché, selon
ante peccatum fuisset, secundum Augustinum. Augustin. [Le Christ] devait donc assumer la
Ergo debuit per commixtionem sexuum carnem chair par l’union sexuelle.
assumere.
[8962] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3. Le Christ est venu surtout pour enlever le
3 Praeterea, Christus praecipue venit ad tollendum péché originel. Or, le péché originel est transmis
originale peccatum. Sed per commixtionem par l’union sexuelle. [Le Christ] devait donc
sexuum traducitur originale. Ergo debuit per assumer la chair par l’union sexuelle.
commixtionem sexuum carnem assumere.
[8963] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Anselme dit qu’il convenait que
1 Sed contra, Anselmus dicit, quod decuit ut la mère du Christ tende à une pureté telle qu’on
mater Christi ea puritate niteret qua major sub ne puisse en comprendre de plus grande après
Deo non potest intelligi. Sed maxima puritas est Dieu. Or, la pureté la plus grande est la pureté
virginalis. Ergo de virgine nasci debuit; et ita non virginale. [Le Christ] devait donc naître d’une
per commixtionem sexuum. vierge, et non de l’union sexuelle.
[8964] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Il en découlerait que le Christ aurait deux
2 Praeterea, sequeretur quod Christus haberet pères, ce qu’on ne trouve jamais.
duos patres, quod nusquam invenitur.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ devait-il assumer
un corps issu d’un homme seulement ?]
[8965] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que [le Christ] devait assumer un
1 Ulterius. Videtur quod debuit assumere corpus corps issu d’un homme seulement, car la
de viro tantum. Quia reparatio debet respondere restauration doit correspondre à la création. Or,
conditioni. Sed in conditione humani generis est dans la création du genre humain, il y a quelque
aliquid formatum ex viro tantum. Ergo et sic chose qui est formé à partir de l’homme
debuit esse in reparatione. seulement. De même devait-il donc en être pour
la restauration.
[8966] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2. Celui qui engendre est semblable à celui qui
2 Praeterea, generans est simile generato. Sed est engendré. Or, le Christ devait être de sexe
Christus debuit esse masculini sexus. Ergo de masculin. Il devait donc assumer son corps à
masculo debuit ejus corpus assumi. partir d’un homme seulement.
[8967] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, le Christ est venu sauver les deux
1 Sed contra, Christus venit utrumque sexum sexes. Or, lui-même était un homme. Il devait
salvare. Sed ipse fuit vir. Ergo debuit ex muliere donc assumer sa chair à partir d’une femme.
carnem assumere.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[8968] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Il ne convenait pas du tout que [le Christ]
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, assume sa chair par l’union sexuelle.
quod nullo modo congruebat quod per Premièrement, en raison de la dignité de sa mère,
commixtionem sexuum carnem assumeret. Primo afin qu’elle soit la plus pure, et ainsi vierge.
propter dignitatem matris, ut purissima esset, et Deuxièmement, en raison de la dignité de son
ita virgo. Secundo propter dignitatem patris, ut Père, pour qu’il n’y ait pas un autre père de son
non esset alius pater sui filii. Tertio propter Fils. Troisièmement, en raison de la dignité de
dignitatem concepti: quia non decuit ut illa caro celui qui a été conçu, car il ne convenait pas que
formaretur nisi a spiritu sancto. Quarto propter cette chair soit formée par un autre que l’Esprit
391

unitatem personae, ad quam caro illa assumpta Saint. Quatrièmement, en raison de l’unité de sa
est. Unde decuit ut sicut per virtutem infinitam personne, pour laquelle cette chair a été assumée.
assumpta est; ita per virtutem infinitam Il convenait donc que, de même qu’elle a été
formaretur. Hoc autem esse non potuisset, si per assumée par une puissance infinie, de même elle
commixtionem sexus concepta fuisset: quia vel soit formée par une puissance infinie. Or, cela
semen viri fuisset ibi pro nihilo, vel fuisset agens n’aurait pu être le cas si elle avait été conçue par
in conceptione. l’union sexuelle, car soit la semence de l’homme
n’y aurait été pour rien, soit elle aurait été active
dans la conception.
[8969] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Il devait ressembler à ses frères pour ce qui ne
Ad primum ergo dicendum, quod debuit fratribus dérogeait pas à sa dignité ou à la perfection de la
assimilari in his quae non derogant dignitati ejus nature assumée, ou à ce qui contribue à l’œuvre
vel perfectioni naturae assumptae, vel quae de la rédemption. Mais cela n’est pas de cette
faciunt ad opus redemptionis. Sed hoc non est sorte.
hujusmodi.
[8970] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Bien qu’elle puisse être accomplie sans péché,
Ad secundum dicendum, quod commixtio l’union sexuelle ne peut cependant exister, dans
sexuum, quamvis possit fieri sine peccato, tamen l’état de la nature corrompue, sans une
non potest esse in statu naturae corruptae sine convoitise viciée, qui est principe de péché. Or,
vitiosa libidine, quae est principium peccati. le Christ n’était pas venu restaurer la nature pour
Christus autem non venerat reparare naturam tunc ce qui est de l’acte de la nature, car cela se fera
quantum ad actum naturae, quia hoc erit in lors de la résurrection glorieuse, mais pour ce qui
resurrectione gloriosa, sed quantum ad actum est de l’acte de la personne.
personae.
[8971] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 3. De même que le Christ a enlevé notre faute
Ad tertium dicendum, quod sicut Christus per par son innocence, de même la conception de
suam innocentiam culpam nostram abstulit; ita celui qui était venu enlever ce que la conception
purissimum oportuit esse ejus conceptum qui avait de vicié devait-elle être la plus pure.
conceptionis vitium tollere venerat.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[8972] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Il convenait qu’il assume sa chair d’une femme.
Ad secundam quaestionem dicendum, quod decuit Premièrement, afin que les deux sexes soient
ut de muliere carnem assumeret. Primo ut uterque glorifiés par l’incarnation du Christ, comme on
sexus glorificaretur Christi incarnatione, ut in l’a abordé dans l’objection. Deuxièmement, pour
objectione tactum est. Secundo ad completionem l’achèvement de l’univers, car la génération d’un
universi: quia generatio viri de muliere tantum homme à partir d’une femme seulement ne
nusquam fuerat; sed mulieris de viro fuerat, s’était jamais produite ; mais la génération d’une
scilicet in Eva, et viri de utroque, sicut in Abel, etfemme par un homme [seulement] s’était
aliis; et viri de neutro, sicut in Adam. Tertio, ut produite, à savoir, dans le cas d’Ève, et d’un
naturalem habitudinem haberet ad genus homme à partir des deux, à savoir, en Abel et
humanum: si enim ex viro fuisset non per chez les autres ; et la généréation d’un homme à
actionem viri, non esset filius ejus, nec naturalis partir d’aucun des deux, comme dans le cas
nepos Abrahae; sicut est naturalis filius virginis d’Adam. Troisièmement, afin que [le Christ] ait
ex hoc solo quod carnem ab ea sumpsit. un rapport naturel avec le genre humain. En
effet, s’il était venu d’un homme sans action de
l’homme, il ne serait pas son fils, ni le rejeton
naturel d’Abraham, comme il est le fils naturel
de la Vierge par le seul fait qu’il a reçu d’elle sa
chair.
[8973] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Il n’est pas nécessaire que la restauration soit
392

Ad primum ergo dicendum, quod non oportet en tout semblable à la création, mais pour autant
quod per omnia reparatio similis sit conditioni, qu’elle concerne la fin de la restauration.
sed quantum attinet ad finem reparationis.
[8974] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Il n’est pas nécessaire que celui qui engendre
Ad secundum dicendum, quod non oportet quod soit semblable par le sexe à celui qui est
in sexu generans assimiletur genito, sed in natura engendré, mais [qu’il lui ressemble] par la nature
speciei. de l’espèce.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


12
[8975] Super Sent., lib. 3 d. 12 q. 3 a. 2 qc. 2
expos. Hic distinctione opus est. Hoc non dicit
Magister, quia locutio sit simpliciter falsa, sed ut
ostendat quantum potest habere de veritate. An de
ea secundum quod potuit esse, et non unita verbo.
Patet quod hoc quod potuit esse aliter, non mutat
aliquid de veritate ejus quod est: nec ista
consideratio humanae naturae, ut non unitae, est
in re, sed in intellectu tantum. Quidam arbitrantur
eum potuisse assumere hominem in femineo sexu.
Hoc dicit sub dubitatione propter inconveniens ad
quod tertia opinio ducebat, ut supra, dist. 8,
habitum est. Et tamen simpliciter concedendum
est, quod potuit assumere sexum femineum de
potentia absoluta loquendo; quamvis non fuisset
ita congruum.

Distinctio 13 Distinction 13 – [Ce qui convient à


l’incarnation selon les deux natures]

Quaestio 1 Question 1 – [Le Christ avait-il la grâce


habituelle ?]
Prooemium Prologue
[8976] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de ce qui convient au
Magister determinavit de his quae conveniunt Deo Dieu incarné en raison de l’union, le Maître
incarnato ratione unionis, hic determinat ea quae détermine ici de ce qui découle chez lui selon
consequuntur ipsum secundum alteram l’une ou l’autre des natures. Et parce qu’on a
naturarum. Et quia de his quae conveniunt ei déterminé dans le livre I de ce qui lui convient en
ratione divinae naturae, quae in incarnatione raison de la nature divine, qui n’a pas été
minorata non est, determinatum est in primo Lib.; diminuée par l’incarnation, il reste à déterminer
restat ut hic determinetur de his quae conveniunt ici de ce qui convient au Christ selon la nature
Christo secundum naturam quae per qui a été élévée par l’incarnation. Or, cette partie
incarnationem est exaltata. Dividitur autem haec se divise en trois parties : dans la première, il
pars in tres partes: in prima determinat de his quae détermine de ce qu’il a assumé avec la nature
cum humana natura assumpsit; in secunda de his humaine ; dans la deuxième, de ce qu’il a réalisé
quae per naturam humanam operatus est, dist. 17: par la nature humaine, d. 17 : « Après ce qui a
post praedicta considerari oportet, utrum été dit, il faut se demander si le Christ a voulu ou
Christus aliquid voluerit vel oraverit quod factum a prié [pour quelque chose] qui ne s’est pas
non sit; in tertia de morte quam in humana natura réalisé » ; dans la troisième, [il détermine] de la
sustinuit, dist. 21: post praedicta considerandum mort qu’il a supportée en sa nature humaine,
393

est, utrum in morte Christi a verbo sit separata d. 21 : « Après ce qui a été dit, il faut se
anima, vel caro. Prima dividitur in duas partes: demander si l’âme ou la chair a été séparée du
primo determinat de perfectionibus cum humana Verbe dans la mort du Christ. » La première
natura assumptis, quantum ad earum partie se divise en deux parties : premièrement, il
plenitudinem; secundo per comparationem ad détermine des perfections assumées avec la
perfectionem divinae naturae, dist. 14, ibi: hic nature humaine, du point de vue de leur
quaeri opus est, cum anima Christi esset sapiens plénitude ; deuxièmement, par comparaison avec
sapientia gratuita (...) utrum habuerit sapientiam la perfection de la nature divine, d. 14, à cet
aequalem Deo. Prima in duas: primo determinat endroit : « Il fait se demander ici, puisque l’âme
plenitudinem perfectionis quantum ad gratiam du Christ était sage d’une sagesse gratuite…, si
affectus et scientiam intellectus, quam Christus elle avait une sagesse égale à Dieu. » La
accepit in instanti conceptionis; secundo objicit in première partie se divise en deux : premièrement,
contrarium, ibi: huic autem sententiae videtur il détermine de la plénitde de la perfection, reçue
obviare quod in Lucae Evangelio legitur. Et haec par le Christ à l’instant de sa conception, pour ce
dividitur in duas partes: in prima objicit in qui est de la grâce de la partie affective et de la
contrarium per auctoritates canonis; in secunda science de l’intellect, que le Christ a reçues à
per auctoritates sanctorum, ibi: alibi tamen l’instant de sa conception ; deuxièmement, il
scriptum reperitur quod secundum sensum présente une objection en sens contraire, à cet
hominis profecerit. Circa primum tria facit: primo endroit : « À cette position semble s’opposer ce
facit objectionem; secundo solvit eam, ibi: ad qu’on lit dans l’évangile de Luc. » Cette partie se
quod sane dici potest; tertio solutionem per divise en deux : dans la première, il présente une
auctoritatem confirmat et explanat, ibi: unde objection en sens contraire selon des autorités du
Gregorius in quadam homilia ait. Alibi tamen canon ; dans la seconde, selon des autorités des
scriptum est. Hic objicit per auctoritatem saints, à cet endroit : « Cependant, il est écrit
Ambrosii, et tria facit: primo ponit auctoritatem; ailleurs qu’il a progressé selon le jugement de
secundo exponit et ostendit quomodo proposita l’homme. » À propos du premier point, il fait
auctoritate partim aedificatur fides, partim potest trois choses : premièrement, il présente une
sumi errandi materia, ibi: sed verba Ambrosii pia objection ; deuxièmement, il la résoout, à cet
diligentia inspicienda sunt; tertio ostendit endroit : « À cela, on peut assurément
quomodo exponenda sit, ne error inde sequatur, répondre… » ; troisièment, il confirme et
ibi: sed ex qua causa illius dicti intelligentia (...) explique la solution par une autorité, à cet
assumenda est ? Hic incipit quaestio de gratia endroit : « Aussi Grégoire dit-il dans une
Christi, quia de scientia ejus in sequenti homélie… » « Cependant, il est écrit ailleurs… »
distinctione quaeretur; et quaeruntur tria. Primo Ici, il présente une objection qui vient d’une
de gratia ejus secundum quod est singularis homo. autorité d’Ambroise, et il fait trois choses :
Secundo de gratia, secundum quod est caput premièrement, il présente l’autorité ;
Ecclesiae. Tertio de gratia unionis. Circa primum deuxièmement, il explique et montre comment la
quaeruntur duo: 1 utrum in eo sit gratiam foi est partiellement édifiée par l’autorité
habitualem ponere, qua anima ejus perficiebatur, invoquée, et comment elle peut devenir matière à
quae dicitur singularis hominis; 2 de plenitudine erreur, à cet endroit : « Mais les paroles
illius gratiae. d’Ambroise doivent être examinées avec un soin
pieux » ; troisièmement, il montre qu’elle doit
être interprétée afin qu’il n’en découle pas une
erreur, à cet endroit : « Mais comment faut-il
interpréter cette parole ? » Ici débute la question
sur la grâce du Christ, car on examinera sa
science dans la distinction suivante. Trois
questions sont posées. Premièrement, à propos
de sa grâce en tant qu’homme particulier.
Deuxièmement, à propos de sa grâce en tant que
394

tête de l’Église. Troisièmement, à propos de la


grâce d’union. À propos du premier point, deux
questions sont posées : 1 – Faut-il affirmer en lui
la grâce habituelle, par laquelle son âme, dont on
dit qu’elle est celle d’un homme particulier, était
perfectionnée ? 2 – À propos de la plénitude de
cette grâce.

Articulus 1 [8977] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. Article 1 – Y avait-il dans le Christ une grâce
1 tit. Utrum in Christo fuerit gratia habitualis habituelle perfectionnant son âme ?
perficiens animam ejus
[8978] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que ladite grâce n’existait pas dans
primum sic proceditur. Videtur quod in Christo le Christ. En effet, le rapport entre la filiation par
gratia dicta non fuerit. Sicut enim se habet filiatio adoption et la filiation naturelle est le même que
adoptionis ad filiationem naturalem; ita se habet celui de la bonté gratuite par rapport à la bonté
bonitas gratuita ad bonitatem naturalem. Sed naturelle. Or, de même que le Christ a obtenu par
Christus, sicut ex unione habuit quod esset filius l’union d’être le Fils naturel, de même a-t-il eu
naturalis, ita habuit quod esset naturaliter bonus. d’être bon naturellement. De même qu’on
Ergo sicut non ponitur in eo filiatio adoptionis; ita n’affirme pas en lui de filiation par adoption, de
non debet poni bonitas gratuita. même ne doit-on donc pas affirmer une bonté
gratuite.
[8979] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 2. La grâce est donnée à l’homme pour qu’il soit
Praeterea, gratia datur hominibus ut assimilentur assimilé à Dieu. Or, le Christ n’a jamais été
Deo. Sed Christus nunquam fuit dissimilis Deo. dissemblable de Dieu. Il n’a donc jamais eu
Ergo gratia nunquam indiguit. besoin de la grâce.
[8980] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Là où existe la lumière du soleil, la lumière
Praeterea, ubi est lux solis, non indigetur lumine d’une bougie n’est pas nécessaire, car une
candelae: quia major lux offuscat minorem. Sed in lumière plus grande obscurcit une lumière plus
Christo fuit lux divinitatis, quasi lux solaris. Ergo faible. Or, la lumière de la divinité, qui est
non oportuit in eo ponere lumen gratiae. comme la lumière solaire, existait chez le Christ.
Il n’était donc pas nécessaire d’affirmer en lui la
lumière de la grâce.
[8981] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 4 4. [Jean] Damascène dit que, « de même que
Praeterea, Damascenus dicit, quod sicut anima l’âme dirige la chair et agit par elle comme par
regit carnem, et operatur per eam sicut per un instrument, de même la divinité dirigeait-elle
instrumentum, ita divinitas regebat animam l’âme du Christ ». Or, l’instrument n’a pas
Christi. Sed instrumentum non indiget aliquo besoin d’un habitus pour être dirigé dans
habitu quo regatur in opere, quia regitur per agens l’action, car il est dirigé par l’agent principal.
principale. Ergo et anima Christi non indigebat L’âme du Christ n’avait donc pas besoin d’un
habitu. habitus.
[8982] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 5 5. La grâce est donnée aux hommes pour que,
Praeterea, gratia ad hoc datur hominibus, ut per par elle, le péché soit évité et la gloire, obtenue.
eam peccatum vitetur, et gloria adipiscatur. Sed Or, du fait même que le Christ était Dieu, il était
ex hoc ipso quod Christus fuit Deus, habuit quod dans l’état de ne pouvoir pécher, comme on l’a
peccare non posset, ut in praecedenti distinctione dit dans la distinction précédente ; de plus, il
dictum est; et iterum habuit plenum jus in gloria possédait un plein droit à la gloire divine,
divina, ut dictum est distinct. 10. Ergo gratia non comme l’a dit à la distinction 10. Il n’avait donc
indiguit. pas besoin de la grâce.
[8983] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] de même que l’âme est la
Sed contra, sicut anima est perfectio corporis ita perfection du corps, de même la grâce est-elle la
395

gratia est perfectio animae. Sed non minus debuit perfection de l’âme. Or, [le Christ] ne devait pas
habere animam perfectam quam corpus avoir une âme moins parfaite qu’un corps parfait.
perfectum. Ergo sicut assumpsit corpus cum De même qu’il a assumé un corps avec une âme,
anima, ita assumere debuit animam cum gratia. de même devait-il donc assumer une âme avec la
grâce.
[8984] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Tout mérite vient de la grâce. Or, le Christ a
Praeterea, omne meritum est per gratiam. Sed mérité pour lui-même et pour nous, comme on le
Christus meruit sibi et nobis, ut infra, dist. 18, dira à la d. 18. Il avait donc la grâce.
dicetur. Ergo ipse habuit gratiam.
[8985] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Il est dit de lui dans le Ps 44, 3 : La grâce
Praeterea, de ipso in Psal. 44, 3, dicitur: diffusa s’est répandue sur tes lèvres, et au v. 8 : Il t’a
est gratia in labiis tuis; et vers. 8: unxit te oleo oint d’une huile d’allégresse. Tout cela montre
laetitiae: quae omnia gratiam in ipso ostendunt. en lui la grâce. Donc, lui aussi avait la grâce.
Ergo et ipse habuit gratiam.
[8986] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 co. Réponse. La grâce fait principalement deux
Respondeo dicendum, quod gratia principaliter choses dans l’âme. En effet, en premier lieu, elle
duo facit in anima. Primo enim perficit ipsam la perfectionne comme une forme dans
formaliter in esse spirituali, secundum quam Deo l’existence spirituelle, par laquelle elle est
similatur; unde et vita animae dicitur. Secundo rendue semblable à Dieu ; aussi est-elle appelée
perficit eam ad opus, secundum quod a gratia la vie de l’âme. Deuxièmement, elle la
emanant virtutes sicut vires ab essentia: quia non perfectionne en vue de l’action, selon que des
potest esse operatio perfecta, nisi progrediatur a vertus émanent de la grâce comme les puissances
potentia perfecta per habitum. Et propter haec duo [émanent] de l’essence, car il ne peut y avoir
oportet ponere gratiam in anima Christi: quia cum d’action parfaite si elle ne provient pas d’une
sit perfectissima in esse spirituali, oportet quod sit puissance perfectionnée par un habitus. Pour ces
aliquid perficiens illam formaliter in esse illo. deux raisons, il faut affirmer la grâce dans l’âme
Deitas autem non est formaliter, sed effective du Christ, car, puisqu’elle est la plus parfaite
perficiens ipsam; unde oportet aliam formam dans l’existence spirituelle, il est nécessaire qu’il
creatam in ipso ponere, qua formaliter perficiatur; y ait quelque chose qui la perfectionne comme
et haec est gratia. Similiter etiam cum alia sit ejus une forme dans cette existence. Or, la divinité ne
operatio secundum humanitatem et secundum la perfectionne pas comme une forme, mais elle
divinitatem, sicut et alia natura, oportet quod la perfectionne par mode d’efficience. Aussi est-
operatio ejus humana habeat habitum il nécessaire de placer une autre forme créée en
perficientem; alias esset imperfecta: et ideo in elle, par laquelle elle est perfectionnée. Telle est
Christo oportet ponere gratiam et virtutes. la grâce. De même aussi, puisque son action
selon l’humanité est différente de son action
selon la divinité, comme une autre nature, il est
nécessaire que son action humaine possède un
habitus qui la perfectionne, autrement elle serait
imparfaite. Aussi faut-il reconnaître dans le
Christ la grâce et les vertus.
[8987] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. La filiation se rapporte à la personne. Et parce
primum ergo dicendum, quod filiatio refertur ad que le fait d’être étranger à la gloire divine, que
personam; et quia extraneitas respectu divinae comporte le mot « adoption », ne convient
gloriae, quam nomen adoptionis importat, nullo d’aucune manière à cette personne, le mot
modo convenit personae illi, ideo nomen « adoption » n’est donc pas reconnu au Christ.
adoptionis de Christo non conceditur. Sed gratia Mais la grâce est une perfection de la nature,
est perfectio naturae, cum subjectum ejus sit puisque son sujet est l’âme qui est une partie de
anima quae est pars humanae naturae; ideo la nature humaine. Aussi, bien que la grâce
quamvis gratia importet aliquid etiam non comporte aussi quelque chose qui n’est pas
396

naturaliter inhaerens, tamen potest ratione inhérent naturellement, elle peut convenir au
humanae naturae Christo convenire. Christ en raison de la nature humaine.
[8988] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Il revient à la grâce de rendre semblable à
secundum dicendum, quod gratiae est facere Deo Dieu, et il n’est pas nécessaire qu’elle rende
similem: nec oportet ut de dissimili faciat semblable ce qui est dissemblable, mais
similem, sed de non simili similem: nec ita quod semblable ce qui n’est pas semblable. De même
semper negatio similitudinis similitudinem [n’est-il pas nécessaire] que la négation de la
tempore praecedat, sed natura; sicut potentia est ressemblance précède dans le temps la
ante actum, et sicut sol praecedit lucem suam. ressemblance, mais par nature, comme la
puissance existe avant l’acte, et comme le soleil
précède sa lumière.
[8989] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. La lumière du soleil et la lumière de la bougie
tertium dicendum, quod lux solis et lux candelae, illuminent toutes deux de manière active. La
utrumque est active illuminans; sed deitas et divinité et la grâce n’ont cependant pas le même
gratia non sic se habent; sed unum illuminat rapport, car l’une illumine activement et l’autre,
active, alterum formaliter; et ideo sicut solem et à la manière d’une forme. C’est pourquoi, de
lumen solis in aere necesse est esse simul, et même qu’il est nécessaire que le soleil et la
unum alterum efficit, et non offuscat; ita ex lumière du soleil soient dans l’air simultanément,
divinitate Christi sequitur ipsa gratia, et non et que l’un produise l’autre et ne l’obscurcisse
offuscatur. pas, de même la grâce elle-même découle-t-elle
de la divinité du Christ et n’est pas obscurcie.
[8990] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Comme le dit le Philosophe, il existe deux
quartum dicendum, quod sicut philosophus dicit, instruments : l’animé et l’inanimé, l’inanimé,
duplex est instrumentum, scilicet animatum et comme la scie, l’animé, comme le serviteur qui
inanimatum: inanimatum sicut securis; animatum est mû par le commandement du maître.
sicut servus qui movetur ad imperium domini. L’instrument inanimé est donc mû sans agir (on
Instrumentum ergo inanimatum ita agitur quod l’appelle inanimé par rapport à l’âme
non agit; et dicitur inanimatum anima rationali; et raisonnable). Aussi n’a-t-il pas besoin d’un
ideo non indiget habitu regente in operatione: sed habitus pour le diriger dans son opération. Mais
instrumentum animatum agit et agitur; unde sicut l’instrument animé agit et est mû. De même donc
servus indiget habitu ad hoc ut imperium domini que le serviteur a besoin d’un habitus pour
sui debito modo exequatur; ita etiam anima exécuter de manière appropriée le
Christi ad hoc quod perfecte divina operaretur. commandement du maître, de même aussi l’âme
du Christ [en a-t-elle besoin] pour accomplir
parfaitement les choses divines.
[8991] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Comme toute forme est ordonnée par elle-
quintum dicendum, quod sicut omnis forma est même à perfectionner (qu’elle rejette ce qui lui
per se ordinata ad perficiendum (quod autem est contraire relève d’elle par accident), de même
abjiciat contrarium, est ei per accidens); ita etiam en est-il aussi de la grâce par rapport au péché.
est de gratia respectu peccati. Unde quamvis Bien que le Christ n’ait jamais péché et n’aurait
Christus nunquam peccaverit, nec peccare pas pu pécher en vertu de l’union au Verbe,
potuisset, etiam si gratiam habitualem non même s’il n’avait pas eu la grâce habituelle, il
habuisset ex unione ad verbum, tamen gratia avait cependant besoin de la grâce comme
indiguit ad perfectionem, ut dictum est; et iterum, perfection, ainsi qu’on l’a dit. De plus, bien que,
quamvis ex hoc ipso quod Deus erat, sibi gloria du fait même qu’il était Dieu, la gloire lui était
debebatur, tamen oportuit quod esset aliquid due, il était cependant nécessaire qu’il existe
formaliter perficiens ipsam animam ad actus quelque chose qui perfectionne comme une
gloriae; et haec fuit gratia: quia gratia forme son âme elle-même en vue des actes de la
consummata in anima, est idem quod gloriae gloire. Telle était la grâce, car la grâce achevée
lumen, et etiam perficiens eam ad actus viae. dans l’âme est la même chose que la lumière de
397

la gloire, et elle la perfectionne aussi pour les


actes du cheminement.
Articulus 2 [8992] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. Article 2 – Le Christ a-t-il possédé la
2 tit. Utrum Christus habuerit gratiae plénitude de la grâce ?
plenitudinem
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il possédé la
plénitude de la grâce ?]
[8993] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ n’ait pas possédé la
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur, quod plénitude la grâce. En effet, le Christ n’a pas eu
Christus non habuit gratiae plenitudinem. Christus la foi ni l’espérance, comme on le précisera plus
enim non habuit fidem nec spem, sicut infra, dist. loin, d. 26, q. 2, a. 3 ; il n’a pas eu non plus la
26, qu. 2, art. 3, determinabitur: nec iterum pénitence, car il n’a jamais péché. Or, tout cela
poenitentiam, quia nunquam peccavit. Sed haec se rapporte à la grâce. Il n’a donc pas possédé la
omnia ad gratiam pertinent. Ergo ipse non habuit plénitude de la grâce.
gratiae plenitudinem.
[8994] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. Le Philosophe dit que les vertus morales
2 Praeterea, philosophus dicit, quod virtutes n’existent pas chez les dieux. Or, le Christ était
morales non sunt in diis. Sed Christus fuit verus vrai Dieu. Il n’a donc pas eu les vertus morales, à
Deus. Ergo non habuit virtutes morales, scilicet savoir, la tempérance, etc.
temperantiam et cetera.
[8995] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Les vertus sont ordonnées aux actes. Or, les
3 Praeterea, virtutes ordinantur ad actum. Sed actes de certaines vertus ne conviennent pas au
actus quarumdam virtutum Christo non Christ, comme la magnificence, qui consiste
conveniunt, sicut magnificentia, quae consistit in dans de grandes dépenses, puisqu’il s’est fait
magnis sumptibus, quia pauper pro nobis factus pauvre pour nous. Il n’a donc pas eu toutes les
est. Ergo non habuit omnes virtutes; et ita nec vertus morales, et donc non plus la plénitude de
gratiae plenitudinem. la grâce.
[8996] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Jn 1, 14 dit : Nous l’avons vu
1 Sed contra, Joan. 1, 14: vidimus eum plenum plein de grâce et de vérité.
gratiae et veritatis.
[8997] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. [2] La grâce a été plus grande chez le Christ que
2 Praeterea, major gratia fuit in Christo quam in chez un autre homme. Or, on lit de certains
aliquo alio homine. Sed de quibusdam aliis autres hommes qu’ils furent remplis de grâce,
legitur, quod fuerunt gratia pleni, sicut de matre comme c’est le cas de sa mère, Lc 1, et
ejus Luc. 1, et de Stephano Act. 6. Ergo multo d’Étienne, Ac 6. À bien plus forte raison, donc,
magis Christus habuit gratiae plenitudinem. le Christ a-t-il eu la plénitude de la grâce.
[8998] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. [3] On dit que le Saint-Esprit habite dans
3 Praeterea, spiritus sanctus in homine per gratiam l’homme par la grâce. Or, il est dit en Lc 3 que le
inhabitare dicitur. Sed Luc. 3 dicitur quod Christ revint du Jourdain rempli de l’Esprit
Christus plenus spiritu sancto regressus est a Saint. Il avait donc la plénitude la grâce.
Jordane. Ergo ipse habuit gratiae plenitudinem.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La grâce du Christ était-
elle infinie ?]
[8999] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que sa grâce ait été infinie. Il est dit
1 Ulterius. Videtur quod gratia ejus fuerit infinita. en Jn 3 que Dieu ne lui mesure pas l’Esprit Saint.
Joan. 3, dicitur quod non ad mensuram dat ei Or, tout ce qui est fini a une mesure. Puisqu’on
Deus spiritum sanctum. Sed omne finitum dit que les hommes reçoivent l’Esprit Saint par
mensuram habet. Ergo cum spiritus sanctus la grâce, il semble donc que sa grâce ait été
dicatur dari hominibus secundum quod gratiam infinie.
accipiunt, videtur quod gratia ejus fuerit infinita.
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[9000] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. On peut comprendre quelque chose de plus
2 Praeterea, omni finito potest aliquid majus grand, et Dieu peut faire quelque chose de plus
intelligi, et Deus aliquid majus facere. Sed in grand que tout ce qui est fini. Or, il est dit dans
littera dicitur, quod Deus illi majorem gratiam le texte que Dieu ne pouvait lui donner une plus
conferre non potuit, nec potest plenior intelligi. grande grâce, et qu’on ne peut en comprendre de
Ergo est infinita. plus grande. Elle est donc infinie.
[9001] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. Tout ce qui est fini, si on le prend plusieurs
3 Praeterea, omne finitum multoties sumptum, fois, est égal à une autre chose qui est finie ou la
aequatur alteri finito, vel excedit ipsum. Si ergo dépasse. Si la grâce du Christ était finie, la grâce
gratia Christi fuit finita, tunc gratia alterius d’un autre homme pourrait donc être augmentée
hominis posset tantum augeri quod aequaretur jusqu’à égaler la grâce du Christ ou à la
gratiae Christi, vel excederet ipsam; quod est dépasser, ce qui est inappropriée. La grâce du
inconveniens. Ergo gratia Christi est infinita. Christ est donc infinie.
[9002] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4. Un effet infini ne vient pas d’une cause finie.
4 Praeterea, a causa finita non est effectus Or, le mérite du Christ était infini puisqu’il a
infinitus. Sed meritum Christi fuit infinitum, quia suffi à la rédemption de tout le genre humain,
sufficiens ad redemptionem totius humani generis, qui est infini en puissance. Donc, la grâce aussi,
quod est infinitum potentia. Ergo et gratia, quae qui est la cause du mérite, était infinie,.
est causa meriti, fuit infinita.
[9003] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] rien de créé n’est infini. Or, la
1 Sed contra, nullum creatum est infinitum. Sed grâce du Christ était créée. Elle n’était donc pas
gratia Christi fuit creata. Ergo non fuit infinita. infinie.
[9004] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Rien n’est plus grand que l’infini. Si donc le
2 Praeterea, nullo infinito est aliquid majus. Si Christ, en tant qu’homme, avait eu une grâce
igitur Christus, secundum quod homo, habuisset infinie, en tant qu’homme, il n’aurait pas été
gratiam infinitam; secundum quod homo, non inférieur au Père, ce qui est contraire à la foi.
fuisset minor patre, quod est contra fidem.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Cette grâce pouvait-elle
être augmentée ?]
[9005] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que cette grâce ne pouvait pas être
1 Ulterius. Videtur quod gratia illa potuerit augmentée. En effet, une addition à tout ce qui
augmentari. Omni enim finito possibilis est est fini est possible. Si donc la grâce du Christ
additio. Si ergo gratia Christi finita fuit, quia était finie parce qu’elle était créée, une addition
creata est, potuit ei fieri additio; et ita potuit pouvait lui être faite. Elle pouvait ainsi être
augeri. augmentée.
[9006] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. Plus grande est la perfection ajoutée à une
2 Praeterea, quantumcumque additur intellectuali puissance intellectuelle, plus sa capacité est
naturae de perfectione, tanto magis augetur ejus augmentée. Ainsi, selon le Philosophe, Sur
capacitas; unde secundum philosophum in 3 de l’âme, III, plus l’intellect comprend des choses
anima, quanto intellectus magis intelligit difficiles, plus aussi il peut comprendre. Or, la
difficilia, plus etiam potest intelligere. Sed capacité d’une grâce plus grande rend possible
capacitas amplioris gratiae facit possibilitatem ad une augmentation. Donc, autant un homme a une
augmentum. Ergo quantumcumque homo habeat grâce parfaite, il reste une possibilité de
perfectam gratiam, remanet possibilitas ad l’augmenter. Et ainsi, il semble que le Christ
augmentum; et ita videtur quod Christus potuit pouvait croître en grâce.
proficere in gratia.
[9007] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. Une mission visible est le signe d’une mission
3 Praeterea, missio visibilis est signum missionis invisible. Or, une mission visible de l’Esprit
invisibilis. Sed ad Christum facta est visibilis Saint a été adressée au Christ en sa trentième
missio spiritus sancti in trigesimo anno, ut supra, année, Lc 3, comme on l’a dit plus haut. Une
399

Luc. 3. Ergo tunc fuit ei facta invisibilis missio mission invisible de l’Esprit Saint lui a donc
spiritus sancti. Sed spiritus sanctus non mittitur alors été faite. Or, l’Esprit Saint n’est envoyé
visibiliter ad aliquem nisi ratione novae gratiae visiblement à quelqu’un qu’en raison du don
datae, vel ratione augmenti gratiae. Ergo Christus d’une nouvelle grâce ou en raison de
crevit in gratia, cum primum gratiam habuerit. l’augmentation de la grâce. Le Christ a donc crû
en grâce, alors qu’il possédait auparavant la
grâce.
[9008] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4. De même qu’était nécessaire chez lui la
4 Praeterea, sicut requirebatur in ipso perfectio perfection de l’âme, de même la perfection du
animae, ita et perfectio corporis. Sed ipse crevit in corps. Or, il a crû dans la perfection de son
perfectione corporis. Ergo et crevit quantum ad corps. Il a donc crû en grâce, qui est la perfection
gratiam, quae est perfectio animae. de l’âme.
[9009] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] Jr 31, 32 dit en sens contraire :
1 Sed contra est quod dicit Hieremias 31, 22: La femme entourera l’homme. À cet endroit, les
mulier circumdabit virum: ubi dicunt sancti, quod saints disent que le Christ fut rempli de toute
Christus ab initio conceptionis fuit plenus omni grâce dès le début de sa conception. La grâce n’a
gratia. Ergo gratia non crevit in ipso. donc pas augmenté chez lui.
[9010] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Le Christ a été un parfait comprehensor dès
2 Praeterea, Christus fuit ab instanti conceptionis l’instant de sa conception. Or, les
suae perfectus comprehensor. Sed comprehensores sont dans un état, et non en
comprehensores sunt in statu, non in augmento accroissement de grâce. La grâce n’a donc pas
gratiae. Ergo gratia in ipso non crevit. augmenté chez lui.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9011] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 co. On dit que quelque chose est possédé pleinement
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, lorsque cela est possédé avec tous ses
quod illud plene haberi dicitur quod secundum différences, ses modes et ses effets. Sous cet
omnes differentias et modos et effectus suos aspect, le Christ a possédé la plénitude de la
habetur; et secundum hoc Christus plenitudinem grâce. Or, cette plénitude peut être envisagée
gratiae habuit. Haec autem plenitudo potest selon la raison de la cause finale, de la cause
attendi secundum rationem causae finalis, efficiente et de la cause formelle. La fin de la
efficientis et formalis. Finis autem gratiae est ut grâce est de nous unir à Dieu. Parce que le
conjungat nos Deo. Quia igitur Christus, Christ, en tant qu’homme, était uni à la divinité,
secundum quod homo, conjunctus fuit divinitati non seulement par la connaissance, l’amour et la
non solum per cognitionem, amorem et jouissance (fruitio), mais aussi par l’union dans
fruitionem, sed etiam per unionem in persona; sa personne, sa grâce a donc atteint sa fin de la
ideo gratia ipsius plenissime consecuta est finem manière la plus plénière. Telle est la plénitude de
suum. Et haec est plenitudo causae finalis. Item la cause finale. De même, nous voyons qu’une
videmus quod aliquid habet lucem corporalem chose possède la lumière corporelle pour luire
tantum ut luceat, sicut quidam vermes, et seulement, comme certains vers, les pourritures
putredines quercus, vel carbunculus; aliquid de chêne et le charbon, mais qu’une autre chose
autem ut alia illuminet, sicut lumen candelae; [la possède] pour éclairer d’autres choses,
aliquid autem ut omnis illuminatio ab eo sit, sicut comme la lumière de la bougie ; une autre
est de sole. Ita etiam est et de gratia Christi: quia encore, pour que tout éclairage vienne d’elle,
ipse habet gratiam per quam in se perfectus est, et comme c’est le cas du soleil. Il en est de même
ex ipso in alios redundat: et eorum in quos de la grâce du Christ, car il possède la grâce par
redundat, quosdam facit cooperatores Dei, ut et laquelle il est parfait en lui-même, et celle-ci
ipsi alios per ministerium ad gratiam inducant, ut rejaillit sur les autres à partir de lui. Parmi ceux
dicitur 1 Cor. 3: et iterum ex ipso in omnes sur lesquels elle rejaillit, il en rend certains
redundat, quia de plenitudine ejus omnes coopérateurs de Dieu, afin qu’eux-mêmes, par
accepimus; Joan. 1, 16. Et haec est plenitudo leur ministère, en conduisent d’autres à la grâce,
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causae efficientis. Similiter etiam aliqui formaliter comme il est dit en 1 Co 3 ; de plus, elle rejaillit
gratia perfecti sunt quantum ad omnes virtutes, et sur tous à partir de lui, car nous avons tous reçu
quantum ad expulsionem omnium peccatorum de sa plénitude, Jn 1, 16. Telle est la plénitude de
mortalium. Et haec est plenitudo sufficientiae, la cause efficiente. De même encore, certains ont
quae fuit in Stephano et aliis sanctis, secundum été perfectionnés par la grâce comme par une
quod aliquis impletur Deo, ita ut nihil in eo a Deo forme pour ce qui est de toutes les vertus et du
aversum maneat. In tota autem Ecclesia est rejet de tous les péchés mortels. Telle est la
plenitudo copiae: quia nulla gratiarum ei deest, plénitude de suffisance, qui existait chez Étienne
quin sit in aliquo membrorum suorum: de qua et d’autres saints, par laquelle quelqu’un est
plenitudine dicitur Ephes. 4, 16: ut impleret comblé par Dieu, de telle sorte qu’il ne reste en
omnia. Alicui etiam data est gratia quae non lui rien qui soit détourné de Dieu. Mais, dans
solum omnia mortalia, sed etiam venialia l’Église entière, il existe une plénitude
repelleret. Et haec est plenitudo specialis d’abondance, car aucune grâce ne lui fait défaut,
praerogativae, quae fuit in beata virgine, qui ne se trouve dans l’un de ses membres. Il est
secundum quam plena Deo fuit, ut nihil in ea esset question de cette plénitude dans Ep 4, 16 : Afin
quod ad Deum non ordinaretur. Sed Christo de remplir tout. La grâce a aussi été donnée à
ulterius data est gratia perficiens ipsum, non quelqu’un pour chasser non seulement tous les
solum quantum ad omnes virtutes, sed etiam péchés mortels, mais aussi les péchés véniels.
quantum ad omnes usus virtutum, et quantum ad C’est là une plénitude privilégiée, qui existait
omnes effectus gratiae gratis datae, et iterum ad chez la bienheureuse Vierge parce qu’elle était
omnis peccati remotionem, non solum actualis, remplie de Dieu, de telle sorte qu’il n’existait en
sed etiam originalis, et potentiae peccandi. Et elle rien qui ne fût ordonné à Dieu. Mais au
haec est plenitudo Christi singularis secundum Christ a été en plus donnée la grâce qui le
rationem causae formalis. Prima igitur plenitudo perfectionnait lui-même, non seulement pour
respicit gratiam unionis; secunda gratiam capitis; toutes les vertus, mais aussi pour tous les usages
tertia gratiam singularem ipsius. des vertus et pour tous les effets des charismes,
et aussi pour écarter tout péché, non seulement
actuel, mais encore originel, ainsi que la capacité
de pécher. Telle est la plénitude singulière du
Christ en raison de la cause formelle. La
première plénitude concerne donc la grâce
d’union ; la deuxième, la grâce de la tête ; la
troisième, sa grâce singulière.
[9012] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Ces vertus ont quelque chose de la perfection,,
Ad primum ergo dicendum, quod illae virtutes et cela se trouve surtout chez le Christ ; elles ont
habent aliquid perfectionis, et hoc in Christo aussi quelque chose de l’imperfection, et, sous
praecipue est; et aliquid imperfectionis, et cet aspect, elles ne conviennent pas au Christ.
secundum hoc Christo non conveniunt. Sed hoc Mais cela apparaîtra plus clairement plus loin.
infra melius patebit.
[9013] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Les vertus morales ne conviennent pas au
Ad secundum dicendum, quod virtutes morales Christ selon certains usages qui existent chez
Christo non conveniunt quantum ad usus quosdam nous, comme le fait que, par elles, les passions
qui in nobis sunt, sicut quod per eas domantur sont domptées, par lesquelles le désir de la chair
passiones quibus caro contra spiritum concupiscit, va à l’encontre de l’esprit, ce qui n’existait pas
quod in Christo non fuit; sed quantum ad alios chez le Christ. Mais, pour d’autres usages, qui
usus, secundum quos erunt in patria, plenissime existeront dans la patrie, elles existaient de la
fuerunt in Christo; et etiam quantum ad quosdam manière la plus complète chez le Christ, et aussi
usus viae, qui ejus perfectioni non derogabant, pour certaines usages en cours de cheminement,
inquantum erat viator et comprehensor. qui ne dérogeaient pas à sa perfection, dans la
pour autant qu’il était viator et comprehensor.
401

[9014] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Il n’est pas nécessaire pour la magnificence,
Ad tertium dicendum, quod non est de necessitate comme elle est comprise par le Philosophe,
magnificentiae, secundum quod a philosopho qu’un homme ait de grandes richesses, mais
accipitur, quod homo habeat multas divitias; sed qu’il soit ainsi disposé que, lorsque cela est
ut sit sic dispositus, quod quando oportet et decet, nécessaire et convient, il veuille les dispenser au
optime eas dispensare velit: et hoc in Christo mieux. Et cela existait parfaitement chez le
perfecte fuit. Christ.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9015] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 co. La grâce signifie un don gratuitement conféré à
Ad secundam quaestionem dicendum, quod gratia l’homme. Or, un tel don, créé et incréé, a été
dicitur donum gratis homini collatum. Donum conféré au Christ sans mérites préalables. Le don
autem hujusmodi Christo sine meritis incréé était l’Esprit Saint lui-même, car il a
praecedentibus collatum fuit, et creatum, et reposé dans son âme, comme le dit Is 2, ainsi que
increatum. Increatum fuit ipse spiritus sanctus, la personne même du Verbe, car il a été donné à
quia in ejus anima requievit, ut dicitur Isaiae 2: et la nature humaine que la personne du Verbe soit
ipsa persona verbi, quia datum est naturae sienne. Comme tel, un nom qui est au-dessus de
humanae ut persona verbi esset ejus; et secundum tout nom lui a été donné, Ph 2, et ainsi la grâce
hoc est datum ei nomen quod est super omne du Christ est simplement infinie. Mais le don
nomen, Philip. 2, et sic simpliciter gratia Christi créé qui est le sien est la grâce elle-même, par
est infinita. Creatum autem donum ejus est ipsa laquelle son âme est perfectionnée comme par
gratia, qua formaliter anima ejus perficiebatur: et une forme. Celle-ci était d’une certaine manière
haec quodam modo fuit finita, et quodam modo finie et d’une certaine manière infinie, car, selon
infinita: quia secundum essentiam finita fuit; sed son essence, elle était finie, mais on peut dire
tribus modis infinita dici potest. Uno modo ex qu’elle est infinie de trois manières. D’une
conjunctione ad divinitatem inquantum concurrit manière, en raison de l’union à la divinité, pour
ad eumdem actum cum ipsa, ut actus gratia illa autant qu’elle concourt au même acte que celle-
informatus non tantum sit actus hominis, sed ci, de sorte que l’acte qui a la forme de cette
etiam Dei. Secundo quantum ad rationem gratiae. grâce ne soit pas seulement l’acte d’un homme,
In his enim quae mole magna non sunt, non est mais aussi celui de Dieu. Deuxièmement, quant à
accipere finitum et infinitum secundum la raison de la grâce. En effet, pour ce qui n’a
numeralem vel dimensivam quantitatem, sed pas un grand poids, on ne considère pas le fini et
secundum aliquid quod est limitatum et non l’infini selon la quantité numérique ou
limitatum. Limitatur autem aliquid ex capacitate dimensionnelle, mais selon quelque chose qui est
recipientis; unde illud quod non habet esse limité et non limité. Or, une chose est limitée en
receptum in aliquo, sed subsistens, non habet esse raison de la capacité de ce qui reçoit. Aussi ce
limitatum, sed infinitum, sicut Deus. Si autem qui ne possède pas un être reçu dans quelque
esset aliqua forma simplex subsistens quae non chose, mais un être subsistant, n’a pas un être
esset suum esse, haberet quidem finitatem limité, mais infini, tel Dieu. Or, s’il existait une
quantum ad esse, quod esset particulatum ad forme simple subsistante qui ne fût pas son
formam illam; sed illa forma non esset limitata, propre être, elle aurait cependant une finitude
quia non esset in aliquo recepta; sicut si quant à son être, qui serait particulier à cette
intelligatur calor per se existens. Sed secundum forme ; mais cette forme ne serait pas limitée
hoc etiam formae universales intellectae habent parce qu’elle ne serait pas reçue par quelque
infinitatem. Sed si forma talis sit recepta in aliquo, chose, comme si on pensait à une chaleur qui
de necessitate limitata est quantum ad esse existerait par soi. Or, sous cet aspect, les formes
debitum illi formae, non solum quantum ad esse universelles intelligées possèdent une infinité.
simpliciter: quia non solum non habet Mais si une telle forme est reçue dans quelque
plenitudinem essendi simpliciter, sed totum esse, chose, elle est nécessairement limitée quant à
quod naturae illius est possibile fore. Sed l’être qui revient à cette forme, et non seulement
possibile est ut non sit limitata quantum ad quant à son être seulement, car elle ne possède
402

rationem illius formae, ut scilicet habeat illam pas simplement la plénitude de l’être, mais quant
formam secundum omnem modum completionis à tout l’être qui est possible à sa nature. Mais il
ipsius, ut nihil sibi desit de pertinentibus ad est possible qu’elle ne soit pas limitée quant à la
perfectionem illius formae; et hoc erit, si ex parte raison de cette forme, de sorte qu’elle possède
recipientis non sit defectus, vel ex parte agentis. cette forme selon sa mesure complète, rien ne lui
Et hoc modo dicitur gratia Christi infinita: quia manquant ainsi de ce qui appartient à la
quidquid ad gratiae perfectionem pertinere potest, perfection de cette forme. Cela sera le cas s’il
totum in Christo fuit. Tertio quantum ad effectus: n’y a pas de carence ni du côté de ce qui reçoit,
quia non limitatur ad aliquos determinatos ni du côté de ce qui agit. Or, on dit que la grâce
effectus, sed potest per gratiam infinitis operari du Christ est infinie de cette manière, car tout ce
redemptionem; sicut dicitur in Lib. de causis, qui peut appartenir à la perfection de la grâce
quod virtus intelligentiae est infinita inferius. Et existait en totalité chez le Christ. Troisièmement,
hic modus respicit gratiam capitis; secundus quant à l’effet, car il n’est pas limité à des effets
autem gratiam singularis hominis; sed primus déterminés, mais il peut par grâce réaliser la
gratiam unionis. rédemption pour un nombre infini [de
personnes], comme on dit dans le Livre sur les
causes que la puissance de l’intelligence est
infinie pour ce qui est inférieur. Ce mode
concerne la grâce de la tête ; le deuxième, la
grâce de l’homme considéré individuellement ;
mais le premier, la grâce d’union.
[9016] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Il semble que cette autorité s’entende du
Ad primum ergo dicendum, quod videtur intelligi deuxième mode indiqué. En effet, elle veut dire
illa auctoritas quantum ad secundum modum que, chez le Christ, la grâce n’est pas limitée à
dictum. Hoc enim intendit dicere, quod in Christo un mode de sa perfection, mais qu’elle les
non est gratia limitata quantum ad aliquem possède tous. Ou bien elle s’entend de la grâce
modum perfectionis ejus; sed habet ipsam d’union, par laquelle il est élevé au bien infini, à
quantum ad omnes. Vel intelligitur de gratia savoir à être le vrai Dieu.
unionis, per quam elevatur ad infinitum bonum,
scilicet ut sit verus Deus.
[9017] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Ces paroles doivent s’entendre selon la raison
Ad secundum dicendum, quod verba illa de la grâce, car tout ce qui se rapporte à la
intelligenda sunt quantum ad rationem gratiae: perfection de la grâce lui a été donné. Aussi Dieu
quia omne quod pertinet ad perfectionem gratiae, pourrait-il faire beaucoup d’autres choses, mais
collatum ei fuit. Unde multa alia posset Deus elles ne se rapporteraient pas à la raison de la
facere, sed non pertinerent ad rationem gratiae; grâce. Ainsi, il pourrait ajouter beaucoup
sicut posset homini multas alias perfectiones d’autres perfections naturelles et essentielles à
naturales et essentiales addere, sed haec non l’homme, mais celles-ci ne feraient pas partie de
essent de ratione hominis, et esset tunc alia la raison de l’homme : il s’agirait d’une autre
species et non homo. Vel dicendum, quod licet, espèce, et de non de l’homme. Ou bien il faut
quantum est in se, posset facere majorem gratiam, dire que même si, en lui-même, il pouvait
quantum ad essentiam, quam sit Christi; tamen réaliser une plus grande grâce que celle du Christ
nulla major posset esse, cujus capacitas creata sit quant à son essence, aucune ne pourrait être plus
capax; nec posset facere aliquam capacitatem grande que celle dont la capacité créée est
quae non esset creata. capable, et il ne pourrait réaliser une capacité qui
ne serait pas créée.
[9018] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Diverses quantités s’adaptent à diverses
Ad tertium dicendum, quod diversis speciebus espèces. Cela ressort pour les quantités
aptantur diversae quantitates: et hoc patet de dimensionnelles, car il existe une quantité
quantitatibus dimensivis: quia est aliqua quantitas déterminée pour l’homme, au-delà de laquelle on
403

determinata homini, ultra quam non invenitur ne trouve pas de quantité plus grande pour
aliqua quantitas hominis major; sed invenitur l’homme. Mais on trouve une quantité de l’arbre
quantitas arboris major illa, quae quamvis finita plus grande que celle-là ; bien qu’elle soit finie,
sit, nullo modo ad eam pertingere potest homo, l’homme ne peut d’aucune manière l’atteindre,
quantumcumque crescat. Similiter est in quelle que soit sa croissance. De même en est-il
quantitatibus virtualibus: quamvis enim caliditas pour les quantités virtuelles. En effet, bien que la
ignis non excedat in infinitum caliditatem aeris, chaleur du feu ne dépasse pas infiniment la
tamen est aliquis terminus caliditatis aeris, quem chaleur de l’air, il existe cependant un terme
non transgreditur manens aer; unde nullo modo pour la chaleur de l’air, que ne dépasse pas la
potest tantum intendi quod aequetur caliditati chaleur restante. Aussi ne peut-il tendre jusqu’à
ignis, nisi aer fiat ignis: et similiter est in omnibus égaler la chaleur du feu, à moins que l’air ne
qualitatibus quae consequuntur alias perfectiones, devienne feu. Et il en est de même de toutes les
vel disponunt ad eas: quia diversis perfectionibus qualités qui découlent des autres perfections ou y
secundum speciem respondent diversi gradus disposent, car divers degrés dans les perfections
perfectionum, vel dispositionum. Perfectio autem et les dispositions correspondent aux diverses
ad quam disponit gratia, est conjunctio ad Deum; perfections qui découlent de l’espèce. Or, la
et haec est multiplex: scilicet in aenigmate, et per perfection à laquelle dispose la grâce est l’union
speciem. Unde quantumcumque crescat gratia à Dieu, et celle-ci est multiple : en énigme et
viatoris, non potest esse similis gratiae face à face. Autant donc qu’augmente la grâce
comprehensoris secundum actum, quamvis virtute du viator, elle ne peut être semblable en acte à la
possit esse major; et eadem ratione, grâce du comprehensor, bien qu’elle puisse être
quantumcumque crescat gratia purae creaturae, plus grande en puissance. Pour la même raison,
non potest pervenire in gratiam creaturae autant qu’augmente la grâce d’une pure créature,
assumptae in unitatem personae, quae ad unionem elle ne peut parvenir à la grâce de la créature
disponit quodammodo, nisi et ipsa assumeretur. Et assumée dans l’unité de la personne (qui dispose
quia non est altior modus possibilis creaturae, quo d’une certaine manière à l’union), à moins d’être
conjungatur Deo, quam per unitatem personae; elle-même assumée. Et parce qu’il n’existe pas
ideo dictum est supra, quod capacitas creata non pour la créature de plus haut mode possible
potest ampliorem gratiam recipere. d’union à Dieu que par l’unité de la personne,
c’est la raison pour laquelle on a dit plus haut
qu’une capacité créée ne peut recevoir de grâce
plus grande.
[9019] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 4. L’infinité de l’efficacité qui se trouve dans le
Ad quartum dicendum, quod infinitas efficaciae mérite vient de ce qu’une personne divine
quae est in merito, contingit ex hoc quod ad concourt à cette action, car elle n’est pas
actionem illam concurrit divina persona, quia non seulement l’action d’un homme, mais de Dieu et
est tantum hominis actio, sed Dei et hominis; d’un homme. C’est ainsi que Denys appelle
secundum quod Dionysius actionem Christi l’action du Christ « divino-humaine »
nominat deivirilem. [théandrique].
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9020] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 co. L’augmentation ne convient pas à une chose
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod selon qu’elle a atteint le terme, mais selon
augmentum non competit rei secundum quod est qu’elle est en marche vers le terme, car, selon
in termino, sed secundum quod est in via ad que la chose a atteint le terme, tout ce que
terminum: quia secundum quod res est in termino, pouvait sa capacité est rempli par la fin qui la
tota potentialitas capacitatis ejus est impleta ex comble. Aussi n’y a-t-il plus rien qui puisse la
fine implente; et ideo non habet ulterius quo faire croître. Et parce que l’âme du Christ a été
crescat. Et quia anima Christi fuit ab initio unie à la fin ultime dès le début de sa conception,
conceptionis fini ultimo unita, non solum per non seulement par la jouissance parfaite, mais en
fruitionem perfectam, sed etiam communicando in étant jointe à la personne du Verbe, sa grâce ne
404

persona verbi; ideo gratia ejus crescere non potuit. peut donc augmenter.
[9021] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. Mathématiquement parlant, une addition peut
Ad primum ergo dicendum, quod cuilibet finito être faite à tout ce qui est fini, car la raison de
potest fieri additio, mathematice loquendo: quia quantité, que le mathématicien prend seule en
ratio quantitatis, quam solam mathematicus compte, n’interdit pas que quelque chose puisse
considerat, non prohibet quin possit infinito être ajouté à l’infini. Mais la forme naturelle
aliquid addi. Prohibet autem additionem talem qu’il considère empêche une telle addition.
forma quam considerat naturalis; et ideo Aussi, selon [la forme] naturelle, cela n’est pas
secundum naturalem non est verum, sed vrai, mais seulement selon l’imagination. De
secundum imaginationem tantum; et similiter est même en est-il pour ce qui est en cause, comme
in proposito, ut ex dictis patet, quia nec gratia cela ressort de ce qui a été dit, car la grâce ne
potest esse major quam comprehensoris, nec peut pas être plus grande que celle du
gloria major quam creaturae unitae Deo in comprehensor, ni la gloire plus grande que celle
persona. de la créature unie à Dieu dans la personne.
[9022] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Cela doit s’entendre de la capacité
Ad secundum dicendum, quod hoc intelligendum intellectuelle de la nature en ce qui concerne la
est de capacitate intellectualis naturae circa finem, fin, au-delà de laquelle aucune capacité d’une
ultra quam nulla capacitas alicujus rei extenditur; chose ne peut aller, comme l’intellect, dans l’état
sicut intellectus in statu viae, quantumcumque de cheminement, autant qu’il progresse, ne
proficiat, nunquam pervenit ad modum parvient jamais à la manière de comprendre qui
intelligendi qui erit in patria. existera dans la patrie.
[9023] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. La mission visible a été le signe de la mission
Ad tertium dicendum, quod missio visibilis invisible, qui n’a pas été faite alors, mais dès le
signum fuit invisibilis missionis, non tunc factae, début de la conception.
sed ab initio conceptionis.
[9024] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 4. Le Christ n’a pas assumé un corps glorieux, de
Ad quartum dicendum, quod Christus non sorte qu’il se serait trouvé dans sa perfection
assumpsit corpus gloriosum, ita quod esset in ultime ; il a cependant assumé une âme
ultima sui perfectione: accepit autem animam glorieuse. C’est pourquoi il a pu progresser selon
gloriosam; et ideo secundum corpus proficere son corps, mais non selon son âme.
potuit, non autem secundum animam.

Quaestio 2 Question 2 – [La grâce de la tête]


Prooemium Prologue
[9025] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la grâce de la tête. À
quaeritur de gratia capitis; et circa hoc quaeruntur ce propos, deux questions sont posées : 1 – Le
duo: 1 utrum Christus, secundum quod homo, Christ, en tant qu’homme, avait-il une grâce telle
habeat talem gratiam quod sit caput; 2 quorum sit qu’il était la tête ? 2 – De qui est-il la tête ?
caput.

Articulus 1 [9026] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. Article 1 – Le Christ est-il tête de l’Église en
1 tit. Utrum Christus sit caput Ecclesiae, tant qu’homme ?
secundum quod homo
[9027] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ ne soit pas tête de
primum sic proceditur. Videtur, quod Christus l’Église en tant qu’homme. En effet, l’esprit
non sit caput Ecclesiae secundum quod homo. A animal se répand dans les membres à partir de la
capite enim spiritus animalis ad membra tête. Or, l’Esprit Saint ne se répand pas dans
diffunditur. Sed spiritus sanctus non diffunditur in l’Église à partir du Christ en tant qu’homme,
Ecclesiam a Christo secundum quod homo, sed mais en tant que Dieu, car, ainsi que le dit
inquantum Deus: quia, ut dicit Augustinus, ipse Augustin, « il a reçu l’Esprit Saint en tant
405

accepit spiritum sanctum ut homo, et effudit ut qu’homme et l’a répandu en tant que Dieu ». Il
Deus. Ergo ipse non est caput ut homo, sed ut n’est donc pas tête en tant qu’homme, mais en
Deus. tant que Dieu.
[9028] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Le sens et le mouvement sont transmis depuis
Praeterea, sensus et motus traducuntur a capite in la tête vers les membres. Or, la grâce, qui donne
membra. Sed gratia, quae motum vitae facit in le mouvement de la vie dans le corps de l’Église,
corpore Ecclesiae, non est per traductionem ab n’est pas transmise de l’un à l’autre. Le Christ,
uno in alium. Ergo Christus, secundum quod en tant qu’homme, n’est donc pas la tête de
homo, non est caput Ecclesiae. l’Église.
[9029] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 3 3. La grâce est créée en nous par Dieu seul, car,
Praeterea, gratia a solo Deo creatur in nobis; quia, selon Augustin, « la nature de l’esprit humain est
secundum Augustinum, natura mentis humanae formée immédiatement par Dieu ». Or, la vie de
immediate a Deo formatur. Sed vita Ecclesiae est l’Église se réalise par la grâce. Puisqu’il est de la
per gratiam. Cum igitur de ratione capitis sit ut raison de la tête qu’elle vivifie les membres en
membra quantum ad aliquem actum vivificet, vue d’un acte, il semble donc que le Christ, en
videtur quod Christus, secundum quod homo, non tant qu’homme, ne puisse être appelé la tête de
possit dici caput Ecclesiae. l’Église.
[9030] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Il n’y a pas une autre tête de la tête. Or, la tête
Praeterea, capitis non est aliud caput. Sed caput du Christ est Dieu, 1 Co 11. Le Christ n’est donc
Christi est Deus; 1 Cor. 11. Ergo Christus non est pas tête.
caput.
[9031] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 5 5. La tête reçoit l’influence d’un autre membre,
Praeterea, caput recipit influentiam ab alio le cœur. Or, le Christ ne reçoit pas l’influence
membro, scilicet a corde. Sed Christus non recipit d’un autre membre de l’Église. Le Christ ne doit
influentiam ab alio membro Ecclesiae. Ergo donc pas être appelé tête.
Christus non debet dici caput.
[9032] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 arg. 6 6. La tête peut être appelé le membre de toute le
Praeterea, caput potest dici membrum totius corps et un comembre pour les autres membres.
corporis et commembrum aliis membris. Sed Or, semble-t-il, le Christ ne peut être appelé
Christus, ut videtur, non potest dici membrum membre de l’Église, car ainsi sa puissance aurait
Ecclesiae: quia sic virtus ejus partialitatem le caractère de partie par rapport à toute l’Église
haberet respectu totius Ecclesiae, et Ecclesia esset et l’Église serait plus parfaite que le Christ. Le
perfectior Christo. Ergo Christus non debet dici Christ ne doit donc pas être appelé tête.
caput.
[9033] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 1 Ad Cependant, [1] Ep 1 dit : Il l’a donné comme
oppositum est Eph. 1: ipsum dedit caput super tête à toute l’Église qui est son corps. Puisque
omnem Ecclesiam, quae est corpus ejus. Ergo l’Église est son corps selon sa nature humaine,
cum Ecclesia sit corpus ejus secundum humanam pour autant qu’elle le rejoint selon sa forme, il
naturam, prout sibi conformis est, videtur quod semble donc qu’il soit tête selon sa nature
ipse secundum humanam naturam sit caput. humaine.
[9034] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] On dit du roi qu’il est la tête du royaume, et
Praeterea, rex dicitur esse caput regni, et pontifex du pontife qu’il est la tête de l’Église qui lui a été
Ecclesiae sibi commissae. Sed Christus, confiée. Or, le Christ, en tant qu’homme, est roi
secundum quod homo, est rex et pontifex totius et pontife de tout le genre humain. En tant
humani generis. Ergo ipse, secundum quod homo, qu’homme, il est donc la tête.
est caput.
[9035] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] Ce qui est le plus digne dans chaque genre
Praeterea, illud quod est dignissimum in quolibet est appelé tête, comme le lion est la tête des
genere, dicitur caput, sicut leo est caput animaux. Or, le Christ, même selon sa nature
animalium. Sed Christus, etiam secundum humaine, l’emporte sur tous les hommes. Même
406

humanam naturam, praecellit omnes homines. comme homme, il est donc la tête de toute
Ergo etiam secundum quod homo, est caput totius l’Église.
Ecclesiae.
[9036] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 co. Réponse. Le Christ est appelé tête de l’Église
Respondeo dicendum, quod Christus dicitur caput par ressemblance avec le corps naturel. En effet,
Ecclesiae per similitudinem capitis naturalis. on trouve dans la tête naturelle trois conditions
Inveniuntur enim in capite naturali tres par rapport aux autres membres considérés un à
conditiones respectu aliorum membrorum un. La première est qu’elle les dépasse en dignité
singulariter. Prima est quod excellit ea dignitate in sur trois points : par son élévation, par la
tribus, scilicet in altitudine situs, in nobilitate noblesse de sa propre puissance (car les
propriae virtutis (quia scilicet nobiliores vires, puissances les plus nobles : l’imagination, la
scilicet imaginatio et memoria, et hujusmodi, mémoire et celles de ce genre, se situent dans la
habent locum in capite): et etiam in perfectione, tête) et aussi par sa perfection, car tous les sens
quia in capite congregantur omnes sensus, cum in sont regroupés dans la tête, alors qu’il n’y a que
aliis membris sit solus tactus. Secunda est quod a le toucher dans les autres membres. La deuxième
capite sunt omnes vires animales in aliis membris; [raison] est que les autres membres reçoivent de
et sic dicitur esse principium aliorum la tête toutes les puissances animales ; elle est
membrorum, dans aliis sensum et motum. Tertia ainsi appelée le principe des autres membres, qui
est quod dirigit omnia membra in suis actibus, donne aux autres sens et mouvement. La
propter imaginationem et sensus, qui in eo troisième [raison] est qu’elle dirige tous les
abundant formaliter. Habet autem quartam membres dans leurs actes en raison de
proprietatem communem cum aliis membris, quod l’imagination et du sens, qui abondent en elle à
est conformis cum eis in natura. Ratione ergo la manière d’une forme. Elle a encore une
primae proprietatis, scilicet perfectionis, omne quatrième propriété commune avec les autres
quod est perfectissimum in quacumque natura, membres, qui consiste à leur être conforme par la
dicitur caput, sicut leo in animalibus. Ratione nature. En raison de la première propriété, à
autem secundae, omne principium dicitur caput, savoir la perfection, tout ce qui est le plus parfait
sicut fons caput fluminum; et sicut dicitur caput dans n’importe quelle nature est appelé tête,
libri, vel caput viae. Ratione autem proprietatis comme le lion par rapport aux animaux. En
tertiae, omnis rector dicitur caput, sicut rex, dux, raison de la deuxième, tout principe est appelé
vel pontifex. Quantum igitur ad has tres tête, comme la source est la tête des rivières, et
proprietates capitis, potest Christus dici caput et comme on parle de la tête d’un livre ou de la tête
secundum humanam naturam, et secundum d’une route. Mais en raison de la troisième
divinam: quia secundum divinam naturam in eo propriété, tout dirigeant est appelé tête, comme
est plenitudo omnis deitatis, ut dicit apostolus le roi, le chef de guerre ou le pontife. Selon ces
Coloss. 1; unde est super omnes Deus benedictus trois propriétés de la tête, le Christ peut donc être
in saecula, Rom. 9: et similiter ab ipso, inquantum appelé tête tant selon sa nature humaine que
Deus, est nobis omnis spiritualis gratia. Item selon sa nature divine, car, selon sa nature
inquantum Deus, dirigit nos in seipsum. Sed etiam divine, existe en lui la plénitude de toute la
haec conveniunt ei secundum humanam naturam, divinité, comme le dit l’Apôtre en Col 1 ; aussi
quae in Christo dignissima est ratione altitudinis, est-il Dieu béni pour les siècles par-dessus tous,
quia est usque ad unionem in divina persona Rm 9. De même, toute grâce spirituelle nous
exaltata: ratione propriae operationis, quia vient de lui en tant qu’il est Dieu. De même, en
dignissimum actum habuit in Ecclesia, scilicet tant que Dieu, il nous dirige vers lui. Mais ces
redimere ipsam, et aedificare eam in sanguine choses lui conviennent aussi selon sa nature
suo: et etiam ratione perfectionis, quia omnis humaine, qui est chez le Christ la plus digne en
gratia in eo est, sicut omnes sensus in capite. raison de son élévation, car elle a été élevée
Similiter etiam dicitur caput ratione secundae jusqu’à l’union dans la personne divine ; en
proprietatis, quia per ipsum, sensum fidei et raison de son opération propre, car elle a exercé
motum caritatis accepimus, quia gratia et veritas l’acte le plus digne dans l’Église, en la rachetant
407

per Jesum Christum facta est; Joan. 1, 17: et et en l’édifiant dans son sang ; et aussi en raison
similiter direxit nos doctrina et exemplo: quia de sa perfection, car toute grâce se trouve en lui,
coepit Jesus facere et docere, Act. 1, 1. Sed comme tous les sens dans la tête. De même
quarta conditio Christo convenit secundum aussi, est-il appelé tête en raison de la deuxième
humanam naturam tantum; et haec complet in propriété, car nous recevons par lui le sens de la
ipso rationem capitis: quia Christus secundum foi et le mouvement de la charité, car la grâce et
humanam naturam habet perfectionem aliis la vérité sont apparues par Jésus, le Christ.
homogeneam, et est principium quasi univocum, Jn 1, 17 ; de même, il nous a dirigés par son
et est regula conformis, et unius generis. Unde enseignement et son exemple, car Jésus se mit à
communiter loquendo, Christus secundum quod agir et à enseigner, Ac 1, 1. Mais la quatrième
Deus, potest dici caput Ecclesiae simul cum patre condition convient au Christ selon sa nature
et spiritu sancto; sed proprie loquendo est caput humaine seulement, et elle achève en lui la
secundum humanam naturam. Et dicitur gratia raison de tête, car le Christ, selon sa nature
capitis, secundum quam praedictae proprietates ei humaine, possède une perfection homogène par
conveniunt praecipue secundum quod influit aliis rapport aux autres, et il est le principe pour ainsi
membris. dire univoque, la règle possédant la même forme,
et il est du même genre. Aussi, à parler de
manière générale, le Christ en tant que Dieu
peut-il être appelé tête de l’Église solidairement
avec le Père et l’Esprit Saint ; mais, à parler au
sens propre, il est tête selon sa nature humaine.
Et on parle de grâce de la tête selon que les
propriétés mentionnées lui conviennent
principalement selon qu’il influe sur les autres
membres.
[9037] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. Donner le Saint-Esprit s’accomplit de deux
primum ergo dicendum, quod dare spiritum manières : par autorité et par ministère. Par
sanctum contingit dupliciter: scilicet auctoritate et autorité, cela relève de Dieu seulement ; mais,
ministerio. Auctoritate quidem tantum Dei est; par ministère, on dit que les hommes aussi le
sed ministerio dicuntur etiam homines dare, donnent, pour autant qu’il est donné par Dieu à
inquantum scilicet per ministerium eorum datur a travers leur ministère, comme Paul le dit en
Deo, sicut dicit Paulus Galat. 3, 5: qui tradidit Ga 3, 5 : Lui qui vous a transmis l’Esprit, ainsi
vobis spiritum, ut supra in 1 Lib., dist. 15, que le Maître l’a dit dans le livre I, d. 15. De
Magister dixit: et hoc modo Christus, secundum cette manière, le Christ, en tant qu’homme,
quod homo, spiritum sanctum ministerio dare pouvait donner l’Esprit saint par ministère,
potuit, ut dicitur Rom. 15, 8: dico enim Christum comme il est dit en Rm 15, 8 : En effet, je dis que
Jesum ministrum fuisse circumcisionis. le Christ Jésus a été ministre de la circoncision.
[9038] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Du fait que nous avons tous reçu de la
secundum dicendum, quod in hoc quod de Christi plénitude du Christ, il existe quelque chose de
plenitudine omnes accepimus, est aliquid simile semblable à la transmission (traductio), bien que
traductioni, quamvis non sit proprie traductio. Est ce ne soit pas une transmission au sens propre. Il
igitur similitudo quantum ad ipsum spiritum existe donc une similitude pour ce qui est
sanctum increatum, qui idem numero est in capite l’Esprit Saint incréé, qui est le même en nombre
et in membris, et aliquo modo a capite ad membra dans la tête et dans les membres et, d’une
descendit, non divisus, sed unus. Est autem certaine manière, descend de la tête dans les
dissimilitudo quantum ad ipsum donum, membres sans être divisé, mais en [demeurant]
secundum quod spiritus sanctus in nobis inhabitat, un. Mais il y a une différence pour ce qui du don
quia istud non traducitur de subjecto in subjectum. lui-même, selon que l’Esprit saint habite en
nous, car celui-ci n’est pas transmis d’un sujet à
un autre.
408

[9039] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Dans une action, quelque chose peut servir
tertium dicendum, quod in aliqua actione potest d’intermédiaire de deux manières : pour la
aliquid esse medium dupliciter; scilicet quantum perfection et pour la disposition seulement,
ad perfectionem, et quantum ad dispositionem comme la nature est l’intermédiaire dans
tantum: sicut natura est medium in operatione qua l’opération par laquelle Dieu produit un animal
Deus producit animam sensibilem, quia ipsa sensible, car la perfection ultime elle-même se
perfectio ultima fit mediante natura; sed in réalise par l’intermédiaire de la nature ; mais,
operatione qua producit animam rationalem, dans l’opération par laquelle elle produit un
natura non est medium, nisi quantum ad animal raisonnable, la nature est n’est un
dispositionem. Similiter dico, quod Deus intermédiaire que pour la disposition. De même,
immediate format mentem nostram quantum ad je dis que Dieu donne forme de manière
ipsam perfectionem gratiae; et tamen potest ibi immédiate à notre esprit pour ce qui est de la
cadere medium disponens; et sic gratia fluit a Deo perfection de la grâce ; cependant, un
mediante homine Christo: ipse enim disposuit intermédiaire peut intervenir pour le disposer : la
totum humanum genus ad susceptionem gratiae; grâce coule ainsi depuis Dieu par l’intermédiaire
et hoc tripliciter. Uno modo secundum de l’homme Christ. En effet, il a disposé tout le
operationem nostram in ipsum: quia secundum genre humain à recevoir la grâce, et cela de trois
quod credimus ipsum Deum et hominem, façons. D’une façon, selon notre action dans sa
justificamur; Rom. 3, 25: quem posuit Deus direction, car, selon que nous croyons Dieu lui-
propitiatorem per fidem in sanguine ipsius. Alio même et l’homme, nous sommes justifiés,
modo per operationem ipsius in nos, inquantum Rm 3, 25 : Lui dont Dieu a fait un instrument de
scilicet obstaculum removet, pro peccatis totius propitiation par la foi dans son propre sang.
humani generis satisfaciendo; et etiam inquantum D’une autre façon, par son action sur nous, dans
nobis suis operibus gratiam et gloriam meruit; et la mesure où il enlève un obstacle en satisfaisant
inquantum pro nobis interpellat apud Deum. pour les péchés de tout le genre humain et aussi
Tertio modo ex ipsa ejus affinitate ad nos; quia ex parce qu’il nous a mérité la grâce et la gloire par
hoc ipso quod humanam naturam assumpsit, ses actes et qu’il intercède pour nous auprès de
humana natura est magis Deo accepta. Dieu. De la troisième façon, en raison de son
affinité avec nous, car, par le fait qu’il a assumé
la nature humaine, la nature humaine est plus
agréable à Dieu.
[9040] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Dieu est appelé la tête du Christ, non pas selon
quartum dicendum, quod caput Christi dicitur la raison complète de tête (en effet, il est sa tête
Deus, non secundum completam rationem capitis en tant qu’il est son principe ; or, il est son
(est enim caput ipsius secundum quod est principe selon la divinité et selon l’humanité),
principium ejus, principium autem ejus est mais en tant qu’il est son principe selon son
secundum divinitatem et secundum humanitatem); humanité ; ainsi, la quatrième condition de la tête
sed inquantum est principium ejus secundum fait défaut, la conformité par la nature. Mais en
humanitatem; et sic deficit quarta conditio capitis, tant qu’il est son principe selon la divinité, la
quae est conformitas in natura: inquantum autem première condition fait ainsi défaut, car il n’a pas
est principium ejus secundum divinitatem, sic ainsi une dignité plus grande.
deficit prima conditio, quia sic non habet majorem
dignitatem.
[9041] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. Le cœur est le principe des puissances vitales
quintum dicendum, quod cor est principium dans tout le corps et il est le premier principe de
virium vitalium in toto corpore, et est primum tous les membres pour leur être, comme le dit le
principium omnium membrorum quantum ad esse Philosophe. Mais la tête est le principe des
ut dicit philosophus: sed caput est principium puissances animales qui se rapportent au sens et
virium animalium quae pertinent ad sensum et ad au mouvement. Et parce que, lorsque nous
motum. Et quia cum dicimus Christum principium disons que le Christ est le principe des membres
409

esse membrorum Ecclesiae, non intendimus de l’Église, nous ne voulons pas parler de leur
quantum ad esse naturale, secundum quod sunt être naturel, selon qu’ils sont des hommes, mais
homines, sed quantum ad fidem et caritatem, per pour ce qui est de la foi et de la charité, par
quam Ecclesiae membra uniuntur; ideo lesquelles les membres de l’Église sont unis, on
accommodatius dicitur caput quam cor. dit donc de manière mieux accommodé qu’il est
la tête plutôt que le cœur.
[9042] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 1 ad 6 Ad 6. Par le mot « tête », on signifie le principe et
sextum dicendum, quod in nomine capitis l’origine d’une chose ; par le mot « membre »,
importatur principium et origo alicujus rei; in on signifie le caractère partiel, qui s’oppose à la
nomine autem membri importatur partialitas, quae raison d’origine première, car tout ce qui existe
repugnat rationi primae originis: quia in prima dans ce qui vient de l’origine première existe en
origine sunt omnia virtute quae inveniuntur in puissance dans cette origine. [Le Christ] ne peut
originatis; et ideo non potest dici membrum, quia donc pas être appelé « membre », car il ne reçoit
non recipit ab aliquo alio influentiam. Quia in d’influence de personne. Parce que, dans le corps
corpore naturali caput non solum influit aliis naturel, la tête non seulement influe sur les
membris, sed etiam ab aliis recipit, ut autres membres, mais reçoit aussi des autres,
nutrimentum, et alia obsequia; ideo et caput comme la nourriture et d’autres services, elle est
dicitur, et commembrum: sed Christus, secundum donc appelée tête et comembre. Mais le Christ,
quod homo, non recipit aliquid ab aliis membris en tant qu’homme, ne reçoit rien des autres
Ecclesiae, sed a solo Deo; unde non potest dici membres de l’Église, mais de Dieu seul. Il ne
commembrum, secundum quod caput Ecclesiae peut donc pas être appelé « comembre », selon
dicitur ipse secundum humanitatem. Potest autem qu’il est appelé tête de l’Église en vertu de son
dici membrum secundum humanitatem, secundum humanité. Il peut cependant être appelé membre
quod ipse est caput Ecclesiae secundum selon son humanité, selon qu’il est la tête de
divinitatem: et sic dicit apostolus, 1 Corinth. 12, l’Église en vertu de sa divinité. C’est ainsi que
26: vos estis corpus ejus et membrum de membro. parle l’Apôtre, 1 Co 12, 27 : Vous êtes son corps
et un membre du membre.

Articulus 2 [9043] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. Article 2 – Le Christ, en tant qu’homme, est-il
2 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, sit la tête des anges ?
caput Angelorum
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ, en tant
qu’homme, est-il la tête des anges ?]
[9044] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que, selon qu’il est homme, il ne soit
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod pas la tête des anges. En effet, le fait d’être
Christus, secundum quod homo, non sit caput conforme aux membres fait partie de la raison de
Angelorum. De ratione enim capitis est tête, comme on l’a dit. Or, le Christ n’est pas
conformitas ad membra, ut dictum est. Sed conforme aux anges par nature, car il n’a jamais
Christus non est conformis Angelis in natura: quia assumé les anges, comme il est dit en He 2. Il
nusquam Angelos apprehendit, ut dicitur Heb. 2. n’est donc pas tête des anges.
Ergo non est caput Angelorum.
[9045] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2. En He 2, le Christ est appelé tête des hommes
2 Praeterea, Christus dicitur Hebr. 2, caput selon qu’ils reçoivent une influence de lui. Or,
hominum, secundum quod ab ipso aliquam puisqu’ils sont bienheureux, les anges n’ont pas
influentiam recipiunt. Sed Angeli, cum sint beati, besoin d’une influence. Le Christ, en tant
non indigent ut eis aliquid influatur. Ergo qu’homme, n’est donc pas tête des anges.
Christus, secundum quod homo, non est caput
Angelorum.
[9046] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3. Comme on le dit dans le Livre sur le
3 Praeterea, sicut dicitur in Lib. de motu cordis, mouvement du cœur, les intelligences sont
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intelligentiae sunt receptivae earum capables de recevoir les illuminations qui


illuminationum quae sunt a Deo, prima viennent de Dieu selon une première réception,
receptione; animae autem secunda. Sed quod mais les âmes, selon une deuxième. Or, ce qui
recipit prima receptione, non recipit ab eo quod reçoit selon une première réception ne reçoit pas
recipit secunda receptione. Ergo Angeli, qui de lui ce qu’il reçoit selon une deuxième
intelligentiae dicuntur, non recipiunt ab aliqua réception. Les anges, qui sont appelés
anima; et ita nec a Christo secundum quod homo. « intelligences », ne reçoivent donc pas d’une
Ergo Christus, secundum quod homo, non est âme, et donc, ni du Christ en tant qu’homme. Le
caput Angelorum. Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête
des anges.
[9047] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] il est dit en Col 2, 10 : Lui qui
1 Sed contra, Coloss. 2, 10: qui est caput omnis est la tête de toutes les Principautés et
principatus et potestatis; et loquitur de Christo Puissances, et on parle du Christ en tant
secundum quod homo; et ita Christus, secundum qu’homme. Ainsi, le Christ, en tant qu’homme,
quod homo, est caput Angelorum. est-il la tête des anges.
[9048] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Denys dit que les Séraphins s’interrogent,
2 Praeterea, Dionysius dicit, quod Seraphim a apprennent et sont illuminés par le Christ Jésus.
Christo Jesu quaerunt, et discunt, et illuminantur. Il influe donc sur les anges, et ainsi il semble être
Ergo influit Angelis; et ita videtur esse caput leur tête.
eorum.
[9049] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. [3] Une seule Église a été constituée des anges
3 Praeterea, Ecclesia una est constituta ex Angelis et des hommes. Or, il n’existe pas deux têtes
et hominibus. Sed unius corporis non sunt duo pour un seul corps. Le Christ est donc aussi la
capita. Ergo Christus etiam est caput Angelorum. tête des anges.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ est-il la tête de
tous les hommes ?]
[9050] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il ne soit pas la tête de tous les
1 Ulterius. Videtur quod non sit caput omnium hommes. En effet, une seule tête se rapporte à un
hominum. Caput enim unum refertur ad unum seul corps. Or, tous les hommes ne se rejoignent
corpus. Sed omnes homines non conveniunt in pas dans une seule chose par le nombre, car eux-
aliquo uno secundum numerum, quia et ipsi mêmes sont différents ; et la foi, l’espérance et la
differunt; et fides et spes et caritas, qua charité, par lesquelles ils sont reliés entre eux,
connectuntur ad invicem, numero diversae sunt in sont différentes numériquement chez ceux qui
diversis. Ergo non est caput omnium hominum. sont différents. Il n’est donc pas la tête de tous
les hommes.
[9051] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2. Le corps véritable du Christ est la figure du
2 Praeterea, corpus Christi verum est figura corps mystique du Christ. Or, dans le corps
corporis Christi mystici. Sed in corpore vero non véritable, il n’y a pas de membre impur. Puisque
est aliquod membrum impurum. Ergo cum multi beaucoup d’hommes sont corrompus par des
homines sint corrupti per peccata, videtur quod péchés, il semble donc que leur tête ne soit pas le
eorum caput non sit Christus. Christ.
[9052] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3. Le corps véritable du Christ a été entièrement
3 Praeterea, corpus Christi verum totum fuit glorifié. Or, beaucoup se trouvent en grâce, qui
glorificatum. Sed sunt multi etiam existentes in ne seront jamais dans la gloire, parce qu’ils ne
gratia, qui nunquam erunt in gloria, quia non persévéreront pas. Le Christ n’est donc pas la
persistent. Ergo Christus non est caput omnium. tête de tous.
[9053] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 4. Puisqu’elle est le principe des membres, la tête
4 Praeterea, caput, cum sit principium ne suit pas les autres membres. Or, beaucoup de
membrorum, non sequitur alia membra. Sed multi saints ont précédé l’incarnation du Christ. Le
sancti praecesserunt Christi incarnationem. Ergo Christ, en tant qu’homme, n’est donc pas la tête
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Christus, secundum quod homo, non est caput de tous les hommes.
omnium hominum.
[9054] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 5. Le Christ a satisfait pour toute la nature
5 Sed contra, Christus satisfecit pro tota humana humaine. Or, tous les hommes se rejoignent dans
natura. Sed omnes homines communicant in la nature humaine. Le Christ influe donc sur
natura humana. Ergo Christus omnibus influit; et tous, et ainsi il semble qu’il soit la tête de tous.
ita videtur quod ipse sit caput omnium.
[9055] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 6. Nous ressusciterons tous par le Christ. Or, ce
6 Praeterea, per Christum omnes resurgemus. Sed ne serait pas le cas s’il n’était pas la tête de tous.
hoc non esset, nisi esset caput omnium. Ergo ipse Il est donc la tête de tous en tant qu’homme.
est omnium caput, secundum quod homo.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ est-il la tête des
âmes seulement ?]
[9056] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il soit la tête des âmes seulement,
1 Ulterius. Videtur quod sit caput tantum car il doit exister une continuité entre un membre
animarum. Quia capitis ad membrum oportet esse et la tête. Or, les corps des autres hommes ne
continuationem. Sed corpora aliorum hominum sont pas en continuité avec le corps du Christ. Il
non continuantur ad corpus Christi. Ergo et ipse n’est donc pas tête des hommes quant à leur
non est caput hominum quantum ad corpus, sed corps, mais quant à leurs âmes seulement.
quantum ad animas tantum.
[9057] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2. Il donne le sens spirituel selon qu’il est la tête.
2 Praeterea, ipse influit sensum spiritualem, Or, les corps ne sont pas capables de recevoir ce
secundum quod est caput. Sed hujusmodi sensus, sens. Le Christ, en tant qu’homme, n’est donc
non sunt susceptiva corpora. Ergo Christus, pas la tête des hommes quant à leurs corps, mais
secundum quod homo, non est caput hominum quant à leurs âmes seulement.
quantum ad corpus, sed quantum ad animas
tantum.
[9058] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3. Nous ne différons pas des animaux sans raison
3 Praeterea, secundum corpus non differimus a selon notre corps, mais seulement selon notre
brutis, sed solum secundum animam rationalem. âme raisonnable. Or, on ne dit pas que le Christ,
Sed Christus non dicitur caput irrationalium, en tant qu’homme, est la tête des êtres non-
secundum quod homo. Ergo ipse non est caput raisonnables. Il n’est donc pas notre tête quant à
nostrum quantum ad corpora. nos corps.
[9059] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] Ph 3, 21 dit : Il réformera notre
1 Sed contra, Philip. 3, 21: reformabit corpus corps de misère pour le conformer à son corps
humilitatis nostrae, configuratum corpori de gloire. Il exerce ainsi sur nous une influence
claritatis suae; et sic influit nobis quantum ad quant au corps. Il n’est donc pas seulement la
corpus. Ergo ipse non est tantum caput animarum. tête des âmes.
[9060] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Il est notre tête selon qu’il est conforme à
2 Praeterea, ipse est caput nostrum secundum notre nature. Or, la nature humaine ne consiste
quod est conformis nobis in natura. Sed humana pas seulement dans l’âme, mais dans l’âme et le
natura non consistit solum in anima, sed in anima corps en même temps. Le Christ est donc notre
et corpore simul. Ergo Christus est caput nostrum tête selon nos corps, et non pas selon nos âmes
secundum corpora, et non secundum animas seulement.
tantum.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9061] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Le Christ, selon qu’il est homme, est la tête des
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, anges; cependant, il ne l’est pas en un sens aussi
quod Christus, secundum quod homo, est caput propre, ni de la même manière que pour les
Angelorum; non tamen ita proprie, nec eodem hommes en raison de deux conditions.
412

modo sicut hominum, propter duas conditiones. Premièrement, en raison de sa conformité à notre
Primo quantum ad conformitatem naturae: quia nature, car il a une espèce commune avec les
cum hominibus convenit etiam secundum speciem hommes pour ce qui est de la nature ; il ne
in natura: cum Angelis autem non secundum rejoint cependant pas les anges selon l’espèce,
speciem, sed secundum genus intellectualis mais selon le genre de la nature intellectuelle.
naturae. Secundo quantum ad influentiam: quia Deuxièmement, en raison de son influence, car il
non influit Angelis removendo prohibens, aut n’influe pas sur les anges en enlevant un
merendo gratiam, aut orando pro eis, quia jam obstacle, en méritant la grâce ou en priant pour
beati sunt; sed in his quae ad actus hierarchicos eux, car ils sont déjà bienheureux, mais, pour ce
pertinent, secundum quod unus Angelus illuminat qui concerne les actes hiérarchiques, en faisant
alium, purgat, et perficit, ut in 2 Lib., dist. 6, en sorte qu’un ange en illumine, en purifie et en
dictum est; hoc enim multo eminentius a Christo perfectionne un autre, comme on l’a dit dans le
recipiunt. livre II, d. 6. En effet, ils reçoivent cela du Christ
d’une manière bien plus éminente.
[9062] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Bien qu’il ne leur soit pas conforme par la
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non sit nature de l’espèce, il leur est cependant
eis conformis in natura speciei, est tamen eis conforme par la nature du genre, comme on l’a
conformis in natura generis, ut dictum est. dit.
[9063] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 2. La béatitude des anges n’empêche pas que
Ad secundum dicendum, quod beatitudo l’un reçoive de l’autre ou même du Christ, mais
Angelorum non excludit quin unus ab alio elle exclut une indigence dans la réception, car
recipiat, vel etiam a Christo; sed excludit ce dont ils ont besoin leur est immédiatement
indigentiam recipiendi: quia praesto est eis omne accessible, de sorte qu’ils ne manquent de rien.
id quo indigent, ne alicujus rei penuriam
patiantur.
[9064] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Cela s’entend de la réception de ce qui est
Ad tertium dicendum, quod hoc intelligitur naturel ; cependant, l’âme du Christ, en tant
quantum ad receptionem naturalium; et tamen qu’elle était unie à Dieu, ne reçoit pas pas non
anima Christi, inquantum Deo unita fuit, etiam plus de lumière de la part des anges pour ce qui
quantum ad naturalia, lumen ab Angelis non est naturel, mais immédiatement de Dieu.
recipit, sed immediate a Deo.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9065] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Dans le corps naturel, on trouve une quadruple
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in union des membres entre eux. La première se
corpore naturali invenitur quadruplex unio réalise selon une conformité de nature, car tous
membrorum ad invicem. Prima est secundum les membres sont constitués des mêmes parties
conformitatem naturae, quia omnia membra semblables et ils ont le même caractère : ainsi, la
constant ex eisdem similibus partibus, et sunt main et le pied sont constitués de chair et d’os.
unius rationis, sicut manus et pes ex carne et osse; On dit ainsi que les membres sont une seule
et sic dicuntur membra unum genere vel specie. chose selon le genre ou l’espèce. La deuxième se
Secunda est per colligationem eorum ad invicem réalise par leur assemblage réciproque par les
per nervos et juncturas, et sic dicuntur unum nerfs et les articulations ; on dit ainsi qu’ils sont
continuatione. Tertia est, secundum quod une seule chose par mode de continuité. La
diffunditur vitalis spiritus et vires animae per troisième se réalise selon que l’esprit vital et les
totum corpus. Quarta est, secundum quod omnia puissances de l’âme sont répandus dans tout le
membra perficiuntur per animam, quae est una corps. La quatrième se réalise selon que tous les
numero in omnibus membris. Et hae quatuor membres sont perfectionnés par l’âme, qui est
uniones inveniuntur in corpore mystico. Prima est, unique dans tous les membres. Ces quatre unions
inquantum omnia membra ejus sunt unius naturae se trouvent dans le corps mystique. La première
vel specie vel genere. Secunda est, inquantum existe selon que tous ses membres ont une seule
413

colligata sunt ad invicem per fidem, quia sic nature par l’espèce ou par le genre. La deuxième
continuantur in uno credito. Tertia est, secundum existe pour autant qu’ils sont unis les uns aux
quod vivificantur per gratiam et caritatem. Quarta autres par la foi, parce qu’ainsi ils se rejoignent
est, secundum quod in eis est spiritus sanctus, qui dans un même objet de foi. La troisième existe
est ultima perfectio et principalis totius corporis selon qu’ils sont vivifiés par la grâce et la
mystici, quasi anima in corpore naturali. Prima charité. La quatrième existe selon que l’Esprit
autem dictarum unionum non est unio simpliciter: saint se trouve en eux, lui qui est la perfection
quia illud in quo est unio haec, non est unum ultime et principale de tout le corps mystique,
numero, sicut est in tribus sequentibus: quia per comme l’âme dans le corps naturel. La première
fidem et caritatem in uno credito et amato de ces unions n’est pas une union à parler
secundum numerum uniuntur: similiter spiritus simplement, car ce en quoi se réalise l’union
sanctus unus numero omnes replet. Homines n’est pas une seule chose en nombre, comme
igitur infideles non pertinent ad unionem corporis c’est le cas pour les trois suivantes, car ils sont
Ecclesiae, secundum quod est unum simpliciter; unis selon le nombre par la foi et la charité dans
et ideo respectu horum Christus caput non est nisi un seul objet de foi et d’amour ; de même,
in potentia, secundum scilicet quod sunt unibiles l’Esprit Saint, unique en nombre, les remplit
corpori. Homines autem fideles peccatores tous. Les infidèles n’appartiennent donc pas à
pertinent quidem aliquo modo ad unitatem l’union du corps de l’Église, selon qu’elle est
Ecclesiae inquantum continuantur ei per fidem, tout simplementune seule chose ; c’est pourquoi,
quae est unitas materialis; non tamen possunt dici par rapport à eux, le Christ n’est tête qu’en
membra proprie, nisi sicut membrum mortuum, puissance, selon qu’ils peuvent être unis au
scilicet aequivoce. Et quia unitas corporis ex corps. Mais les pécheurs appartiennent
membris consistit, ideo quidam dicunt, quod non cependant d’une certaine manière à l’unité de
pertinent ad unitatem corporis Ecclesiae, quamvis l’Église pour autant qu’ils sont en continuité
pertineant ad unitatem Ecclesiae; et sicut avec elle par la foi, qui est une unité selon la
operationes quae sunt ad alterum, possunt aliquo matière ; mais ils ne peuvent être appelés des
modo fieri per membra arida, ut percutere, vel membres au sens propre que comme un membre
aliquid hujusmodi, non tamen operationes quae mort, c’est-à-dire de manière équivoque. Et
sunt animae in membris; ita nec mali recipiunt parce que l’unité du corps est constitué des
spiritualis vitae operationes a spiritu sancto; sed membres, certains disent donc qu’ils
tamen spiritus sanctus per eos operatur n’appartiennent pas à l’unité du corps de
spiritualem vitam in aliis, secundum quod aliis l’Église, bien qu’ils appartiennent à l’unité de
sacramenta ministrant, vel alios docent. Sed l’Église. Et comme les opérations qui en
homines fideles in gratia existentes uniuntur concernent un autre peuvent être accomplies
secundum tertiam unionem, quae est formalis d’une certaine manière par des membres
respectu hujus secundae; et iterum secundum desséchés, comme frapper ou quelque chose de
quartam, quae est completiva totius. Et ideo ce genre, mais non pas cependant les opérations
horum proprie dicitur Christus caput. accomplies par l’âme dans les membres, ainsi les
méchants ne reçoivent-ils pas du Saint-Esprit les
opérations de la vie spirituelle. Toutefois,
l’Esprit Saint réalise par eux la vie spirituelle
chez d’autres, selon qu’ils administrent à
d’autres les sacrements ou leur enseignent. Mais
les fidèles se trouvant en grâce sont unis selon la
troisième union, qui a un caractère formel en
regard de la deuxième, et aussi selon la
quatrième, qui complète l’ensemble. Aussi le
Christ est-il appelé la tête de ceux-ci au sens
propre.
[9066] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 1. De même que, dans le corps naturel, les
414

Ad primum ergo dicendum, quod sicut in corpore puissances répandues dans tous les membres
naturali vires diffusae per omnia membra, diffèrent en nombre selon leur essence, mais se
differunt numero secundum essentiam, sed rejoignent dans une seule source en nombre et,
conveniunt in radice una secundum numerum, et en plus de cela, possèdent une seule forme
praeter hoc habent formam unam ultimam ultime en nombre, de même aussi tous les
numero; ita etiam omnia membra corporis mystici membres du corps mystique possèdent-ils
habent pro ultimo complemento spiritum sanctum, comme complément ultime l’Esprit Saint, qui est
qui est unus numero in omnibus: et ipsa caritas unique en nombre chez tous. Et la charité même,
diffusa in eis per spiritum sanctum, quamvis répandue en eux par l’Esprit Saint, bien qu’elle
differat in diversis secundum essentiam, convenit diffère en chacun selon l’essence, a cependant
tamen in una radice secundum numerum. Radix une seule racine en nombre. Or, la source d’une
autem operationis proprie est ipsum objectum, ex opération est, au sens propre, son objet, dont elle
quo speciem trahit: et ideo, inquantum est idem tire son espèce. C’est pourquoi, pour autant qu’il
numero amatum et creditum ab omnibus, y a un seul objet d’amour et de foi pour tous, la
secundum hoc unitur omnium fides et caritas in foi et la charité de tous est unifiée en une seule
una radice secundum numerum, non solum prima, source en nombre, non seulement dans la
quae est spiritus sanctus, sed etiam proxima, quae [source] première, qui est l’Esprit Saint, mais
est proprium objectum. dans la [source] rapprochée, qui est l’objet
propre.
[9067] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Ceux qui sont membres du corps mystique
Ad secundum dicendum, quod per corpus Christi sont signifiés par le corps véritable du Christ,
verum significantur ea quae sunt membra corporis mais non pas ceux qui [en] sont membres de
mystici; non autem ea quae sunt membra manière équivoque, c’est-à-dire seulement par
aequivoce, idest secundum similitudinem tantum une ressemblance et selon la position.
et situm.
[9068] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Un membre n’est pas jugé selon ce qu’il peut
Ad tertium dicendum, quod membrum non devenir, mais selon ce qu’il est. Aussi la main,
judicatur secundum id quod de eo fieri potest, sed avant d’être coupée, est-elle un membre, bien
secundum id quod est; unde manus, antequam qu’elle doive être coupée. De même, celui qui est
abscindatur, membrum est, quamvis sit futura en grâce est-il un membre, bien qu’il soit
abscindi: et similiter qui est in gratia, membrum retranché par la suite.
est, quamvis postea abscindatur.
[9069] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4 4. Bien que le Christ n’ait pas été réellement
Ad quartum dicendum, quod quamvis Christus incarné au temps des pères de l’Ancien
nondum fuisset incarnatus tempore patrum veteris Testament, l’incarnation existait cependant déjà
testamenti secundum rem, erat tamen jam dans le dessein de Dieu et dans leur foi, par
incarnatio ipsa in Dei ordinatione, et in fide laquelle ils étaient justifiés, car « les temps ont
ipsorum, secundum quam fidem justificabantur: changé, mais non la foi », comme le dit
quia tempora mutata sunt, et non fides, ut dicit Augustin. Cependant, l’influx n’était pas aussi
Augustinus. Sed tamen non fuit tanta influentia grand avant l’incarnation qu’il l’est maintenant,
ante incarnationem, quanta est modo: quia tunc car l’obstacle n’avait pas alors été enlevé ni les
non erat remotum obstaculum, nec sacramenta sacrements de la grâce, donnés, comme ils le
gratiae exhibita erant, sicut modo sunt. sont maintenant.
[9070] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5 5. Le Christ a satisfait pour toute la nature
Ad quintum dicendum, quod Christus satisfecit humaine de manière suffisante, mais non pas
pro tota humana natura sufficienter, non tamen cependant de manière effective, car tous ne
efficienter: quia non omnes illius satisfactionis deviennent pas participants de cette satisfaction,
participes fiunt; quod ex eorum importunitate est, en raison de leur obstination, et non de
non ex ipsius insufficientia satisfactionis. l’insuffisance de la satisfaction elle-même.
[9071] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 6 6. La résurrection pour la vie naturelle sera
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Ad sextum dicendum, quod resurrectio ad vitam commune à tous, mais non pour la vie de la
naturalem erit omnibus communis, non autem ad gloire, car les méchants n’ont eu qu’une
vitam gloriae: quia mali in vita naturali tantum conformité dans la vie naturelle avec les
conformitatem habuerunt cum membris Ecclesiae, membres de l’Église, mais non dans la vie de la
non autem in vita gratiae. Unde ex hoc non grâce. Il n’en découle donc pas qu’ils soient des
sequitur quod sint membra, proprie loquendo. membres, à parler au sens propre.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9072] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Le Christ est la tête des hommes pour les âmes et
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christus pour les corps, mais principalement pour les
est caput hominum quantum ad animas et âmes et secondairement pour les corps, tant en
quantum ad corpora; sed principaliter animarum raison de la conformité avec les membres, qui
et secundario corporum: tum ratione conformitatis s’est réalisée par l’assomption de la nature
ad membra, quae per assumptionem humanae humaine, car il a assumé le corps par
naturae est; quia corpus assumpsit anima l’intermédiaire de l’âme, qu’en raison de
mediante: tum etiam ratione spiritualis influentiae, l’influence spirituelle, qui est parvenue au corps
quae pervenit ad corpus mediante anima, par l’intermédiaire de l’âme, pour autant que son
inquantum corpus est instrumentum animae corps est l’instrument de l’âme qui opère selon la
secundum gratiam operantis: et ex hoc relinquitur grâce. Et un ordre à la résurrection glorieuse est
ordo in corpore ad gloriosam resurrectionem. ainsi laissé dans le corps.
[9073] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 1. Nos corps ont d’une certaine manière une
Ad primum ergo dicendum, quod corpora nostra continuité avec le corps du Christ, non pas selon
aliquo modo habent continuationem cum corpore la quantité ou selon la perfection naturelle, mais
Christi, non quidem secundum quantitatem, aut en tant que l’Esprit Saint habite en nous, lui qui
secundum perfectionem naturalem, sed inquantum se trouvait dans le Christ avec la plus grande
spiritus sanctus habitat in nobis, qui plenissime plénitude, 1 Co 6, 15 : Ne savez-vous pas que
fuit in Christo, 1 Corinth. 6, 15: nescitis quoniam vos membres sont le temple de l’Esprit Saint ?
membra vestra templum sunt spiritus sancti.
[9074] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Bien que le corps ne reçoive pas de manière
Ad secundum dicendum, quod quamvis corpus immédiate l’influx spirituel, il le reçoit
non recipiat influentiam spiritualem immediate, cependant par l’intermédiaire de l’âme, comme
recipit tamen mediante anima, ut dictum est. on l’a dit.
[9075] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Nous différons des animaux sans raison même
Ad tertium dicendum, quod etiam secundum par le corps, dans la mesure où nos corps sont
corpora a brutis differimus, inquantum corpora perfectionnés par une âme raisonnable, mais non
nostra sunt perfecta anima rationali, non autem les corps des animaux sans raison.
corpora brutorum.

Quaestio 3 Question 3 – [La grâce d’union]


Prooemium Prologue
[9076] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la grâce d’union. À ce
quaeritur de gratia unionis: et circa hoc propos, deux questions sont posées : 1 – La
quaeruntur duo: 1 utrum gratia unionis sit aliqua grâce d’union est-elle une grâce créée ? 2 – La
gratia creata; 2 de comparatione istius gratiae ad comparaison entre cette grâce et les autres grâces
alias Christi gratias. du Christ.

Articulus 1 [9077] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. Article 1 – La grâce d’union est-elle créée ?
1 tit. Utrum gratia unionis sit creata
[9078] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que la grâce d’union ne soit pas
primum sic proceditur. Videtur quod gratia créée. En effet, la grâce créée est la grâce
unionis non sit creata. Gratia enim creata, est habituelle. Or, les habitus sont ordonnés à
416

gratia habitualis. Sed habitus ordinatur ad l’opération. Puisque l’union dans la personne
operationem. Cum ergo unio in persona non sit n’est pas selon l’opération, mais selon l’être, il
secundum operationem, sed secundum esse, semble donc que la grâce d’union ne soit pas
videtur quod gratia unionis non sit gratia creata. créée.
[9079] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 2 2. Chacun de nous est uni à Dieu par la grâce
Praeterea, quilibet nostrum Deo unitur per gratiam créée. Si donc la grâce d’union chez le Christ
creatam. Si igitur gratia unionis in Christo fuisset était une grâce créée, il ne serait pas alors uni à
creata gratia, tunc non alio modo esset Deo unitus Dieu autrement que nous, et l’erreur de Nestorius
quam nos; et sic sequeretur error Nestorii. découlerait de cela.
[9080] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 3 3. L’union de l’humanité à la divinité se réalise
Praeterea, unio est humanitatis ad divinitatem selon le corps et l’âme. Or, le corps n’est pas
secundum corpus et animam. Sed corpus non est apte à recevoir la grâce créée. La grâce d’union
susceptivum creatae gratiae. Ergo gratia unionis n’est donc pas une grâce créée.
non est aliqua gratia creata.
[9081] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 4 4. Pour les choses qui sont réalisées par miracle,
Praeterea, in his quae fiunt per miraculum, non une disposition n’est pas requise de la part de ce
requiritur aliqua dispositio ex parte facti, sed qui est fait, mais cela vient entièrement de la
totum est ex parte infinitae virtutis agentis: ita puissance infinie qui agit ; ainsi, Dieu pouvait
Deus potuit de lapide sicut de aqua vinum facere. faire du vin à pasrtir d’une pierre comme à partir
Sed unio humanitatis ad divinitatem est maxime de l’eau. Or, l’union de l’humanité à la divinité
miraculosa. Ergo non requiritur aliqua gratia est miraculeuse au plus haut point. Une grâce
creata quae disponat ad hanc unionem. créée n’est donc pas nécessaire pour disposer à
cette union.
[9082] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 5 5. Entre la personne et la nature, n’intervient pas
Praeterea, inter personam et naturam non cadit d’accident intermédiaire, pas davantage qu’entre
aliquid accidens medium, sicut nec inter materiam la matière et la forme, car l’être substantiel vient
et formam: quia secundum formam substantialem de la forme substantielle et de la matière, que ne
et materiam est esse substantiale, quo non est précède pas un être accidentel. Or, l’union de la
prius aliquid esse accidentale. Sed unio humanae nature humaine à à Dieu est comme celle de la
naturae est ad Deum sicut naturae ad personam. nature à la personne. Aucun intermédiaire
Ergo non cadit aliquid medium. Sed gratia creata n’intervient donc. Or, la grâce est un accident.
est accidens. Ergo gratia unionis non est gratia La grâce d’union n’est donc pas une grâce créée.
creata.
[9083] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 6 Cependant, [6] Augustin dit que « tout ce qui
Sed contra, Augustinus dicit, quod quidquid convient au Fils de Dieu par nature convient au
convenit filio Dei per naturam, convenit filio fils de l’homme par grâce ». Or, être Dieu
hominis per gratiam. Sed esse Deum convenit convient au Fils de Dieu par nature. Cela ne
filio Dei per naturam. Ergo non convenit filio convient donc pas au fils de l’homme par grâce.
hominis per gratiam: et haec est gratia unionis, Et telle est la grâce d’union, qui n’a pas toujours
quae non semper fuit: ergo est gratia creata. existé. Elle est donc une grâce créée.
[9084] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 7 [7] L’union dans la personne est plus grande que
Praeterea, major est unio in persona quam per celle de la jouissance (fruitio). Or, la nature
fruitionem. Sed humana natura non potest exaltari humaine ne peut être élevée à l’union de la
ad unionem fruitionis nisi per gratiam habitualem. jouissance que par une grâce habituelle. Donc,
Ergo multo minus ad unionem in persona. encore bien moins à l’union dans la personne.
[9085] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 8 [8] Puisque [Dieu] se trouve en toute créature
Praeterea, cum sit in qualibet creatura per par son essence, sa présence et sa puissance, et
essentiam, praesentiam et potentiam, et in dans les âmes saintes par la grâce, soit il se
animabus sanctis per gratiam; aut in anima Christi trouve dans l’âme du Christ d’une autre manière,
est alio modo, aut non. Si non, ergo non est magis soit non. Si ne s’y trouve pas, [l’âme du Christ]
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assumpta a divina persona quam anima Petri. Si n’a pas été plus assumée par une personne divine
autem alio modo; sed Deus quantum in se est, que l’âme de Pierre. Mais si c’est d’une autre
habet se eodem modo ad omnia, sed res manière, Dieu, en tant qu’il existe en lui-même,
diversimode se habent ad ipsum, ut dicitur in libro a le même rapport avec toutes choses, mais les
de causis; et secundum hoc quod diversa choses ont un rapport différent avec lui, comme
diversimode se habent ad ipsum, secundum hoc on le dit dans le Livre sur les causes. Et selon
diversis diversimode ipse comparatur: ergo qu’elles ont un rapport différent avec lui, lui-
oportet quod in anima Christi sit aliqua alia même a un rapport différent [avec elles]. Il faut
dispositio per quam Deus est in eo per unionem: donc qu’il y ait dans l’âme du Christ une autre
ergo oportet ponere aliquam aliam gratiam disposition par laquelle Dieu est en lui par
creatam. l’union. Il est donc nécessaire d’affirmer une
autre grâce créée.
[9086] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 arg. 9 9. Lorsque l’Esprit Saint est donné aux hommes,
Praeterea, cum spiritus sanctus datur hominibus, on comprend qu’il y a un nouvel effet dans la
aliquis novus effectus in creatura intelligitur. Ergo créature. De même, selon que la personne du Fils
et similiter secundum quod persona filii carni est unie à la chair, il faut donc comprendre qu’il
unitur, oportet aliquem effectum de novo intelligi; existe un nouvel effet. Ainsi, il semble que la
et ita videtur quod gratia unionis sit quid creatum. grâce d’union soit quelque chose de créé.
[9087] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 co. Réponse. Comme le Maître l’a dit plus haut,
Respondeo dicendum, quod, sicut Magister dixit livre II, d. 26, la grâce s’entend de deux
supra, 2 Lib., dist. 26, gratia dicitur dupliciter. manières. D’une manière, la grâce qui donne
Uno modo gratia gratis dans, quod est ipsa gratuitement, qui est la volonté gratuite de Dieu,
gratuita Dei voluntas aliquid sine meritis dans. qui donne quelque chose sans aucun mérite.
Alio modo dicitur gratia donum aliquod gratis D’une autre manière, on parle de grâce pour le
datum. Secundum ergo primum modum, gratia don gratuitement donné. Selon la première
unionis dicitur ipsa divina voluntas, sine aliquibus manière, on appelle grâce d’union la volonté
meritis naturam humanam filio Dei uniens in divine elle-même, qui unit dans la personne du
persona; et sic gratia unionis est gratia increata. Si Fils de Dieu la nature humaine sans aucun
autem dicatur gratia donum aliquod gratis datum, mérite ; la grâce d’union est ainsi une grâce
sic gratia unionis potest intelligi dupliciter. Uno incréée. Mais si on appelle grâce un don donné
modo potest dici ipsa unio, quae est quid creatum, gratuitement, on peut ainsi parler de grâce
ut supra, dist. 5, artic. 1, dictum est. Alio modo d’union de deux manières. D’une manière, elle
potest intelligi gratia unionis, aliqua qualitas ad peut désigner l’union elle-même, qui est quelque
unionem disponens. Sed aliquid potest disponere chose de créé, comme on l’a dit plus haut,
ad aliquam perfectionem tripliciter. Uno modo ita d. 5, a. 1. D’une autre manière, on peut entendre
quod cadat medium inter subjectum et la grâce d’union d’une qualité qui dispose à
perfectionem illam, quasi stramentum perfectionis l’union. Or, quelque chose peut disposeer à une
illius, sicut diaphaneitas disponit ad lucem; et hoc perfection de trois manières. D’une manière, de
modo non potest aliquid naturam disponere ad telle sorte qu’intervienne un intermédiaire entre
unionem, quia natura unitur personae immediate le sujet et la perfection, comme une couverture
quantum ad esse. Alio modo disponit aliquid ad pour cette perfection : ainsi, le milieu diaphane
formam, sicut praeparando materiam ad dispose à la lumière. De cette manière, une chose
receptionem formae, ita quod praeexistat in de peut disposer la nature à l’union, car la nature
materia ante formam ordine fiendi, non ordine est unie de manière immédiate à la personne
essendi: sicut calor disponit ad formam ignis, non dans son être. D’une autre manière, une chose
quia medium cadit inter formam et materiam, sed dispose à la forme en préparant la matière à la
materia appropriatur ad formam ignis per réception de la forme, de sorte qu’elle préexiste
adventum caloris; et sic etiam non potest aliquid dans la matière avant la forme dans l’ordre du
disponere naturam ad unionem in persona: quia devenir, mais non dans l’ordre de l’être : ainsi, la
natura humana, secundum id quod est talis natura, chaleur dispose à la forme du feu, non pas parce
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assumptibilis est a divina persona. Tertio modo qu’un intermédiaire intervient entre la forme et
aliquid disponit aliud ad perfectionem aliquam, la matière, mais parce que la matière est disposée
sicut quod facit ad bonitatem et decentiam à la forme du feu par l’arrivée de la chaleur. De
perfectionis illius, sicut decor personae facit ad cette manière aussi, une chose ne peut disposer
dignitatem regiam, secundum quod dictum est: la nature à l’union dans la personne, car la nature
species Priami digna est imperio; et hoc modo humaine, selon ce qu’est une telle nature, peut
gratia unionis potest dici omne illud quod decet être assumée par une personne divine. D’une
naturam humanam Deo unitam sic ex parte troisième manière, une chose dispose quelque
corporis, sicut ex parte animae; et sic etiam gratia chose d’autre à une perfection, comme ce qui
unionis est quid creatum. Tamen sancti loquentes contribue à la bonté et à la convenance de cette
de gratia unionis, videntur intelligere secundum perfection ; ainsi la grâce de la personne
primum modum, prout gratia dicitur divina contribue à la dignité royale, selon l’adage :
voluntas gratis et sine meritis dans: et sic « L’aspect de Priam le rend digne du
secundum diversas vias, ad argumenta utriusque commandement. » De cette manière, on peut
partis oportet respondere. parler de grâce d’union pour tout ce qui convient
à la nature humaine unie à Dieu, de la part du
corps comme de la part de l’âme. De cette
manière encore, la grâce d’union est quelque
chose de créé. Toutefois, en parlant de la grâce
d’union, les saints semblent l’entendre de la
première manière, pour autant qu’est appelée
grâce la volonté divine qui donne gratuitement et
sans mérites. Selon les diverses approches, il faut
donc répondre aux arguments des deux parties.
[9088] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. La grâce créée dispose à l’opération comme
primum ergo dicendum, quod gratia creata un principe de l’opération, mais à l’union, non
disponit ad operationem sicut operationis pas comme un principe de l’union, mais comme
principium; sed ad unionem non quasi principium contribuant à la convenance de l’union.
unionis, sed sicut faciens ad congruentiam
unionis.
[9089] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. L’union de nous à Dieu se réalise par une
secundum dicendum, quod unio nostri ad Deum grâce habituelle créée comme par sa cause et
est per gratiam habitualem creatam sicut per comme ce en quoi consiste l’union, car l’âme est
causam, et sicut per id in quo est unio: quia in ipsa conformée et unie à Dieu par la similitude même
similitudine gratiae anima Deo conformatur et de la grâce. Mais si on dit que la grâce d’union
unitur. Sed si gratia unionis dicatur aliquid est quelque chose de créé, elle n’est pas ce en
creatum, ipsa non est id in quo est unio, cum unio quoi consiste l’union, puisque l’union se réalise
sit in persona, et non solum in aliqua similitudine: dans la personne, et non pas seulement par une
neque etiam facit unitatem, sed consequitur similitude ; elle ne réalise pas non plus l’unité,
unitatem in persona, secundum quod ipsa unio mais elle suit l’unité dans la personne, selon que
gratia unionis dicitur; vel est id quod naturam l’union elle-même est appelée grâce d’union ; ou
unitam decet, si gratia habitualis, gratia unionis bien elle est ce qui convient à la nature unie, si
dicatur; et ideo non est simile de Christo et de on dit que la grâce d’union est une grâce
nobis. habituelle. Il n’en va donc pas de même du
Christ et de nous.
[9090] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. Cette grâce habituelle rejaillit aussi d’une
tertium dicendum, quod gratia illa habitualis certaine manière sur le corps, selon qu’elle est
etiam quodammodo redundat in corpus, secundum une couverture pour l’âme, comme on l’a dit,
quod est stramentum animae, ut supra dictum est, q. 2, a. 2, qa 3. De même qu’après la mort, un
qu. 2, art. 2, quaestiunc. 3; unde sicut in corpore ordre à la résurrection et, au-delà, à la gloire
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perfecto anima rationali manet post mortem ordo demeure dans le corps perfectionné par l’âme
ad resurrectionem, et ulterius ad gloriam, si anima raisonnable, si l’âme qui était sa perfection
quae fuit ejus perfectio, gratiam habuit; ita etiam possédait la grâce, de même aussi le corps du
corpus Christi, inquantum est tali anima Christ, en tant qu’il est perfectionné par une telle
perfectum, habet quemdam ordinem ad unionem. âme, possède-t-il un certain ordre à l’union.
[9091] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Cet argument s’appuie sur la disposition selon
quartum dicendum, quod ratio illa procedit de la manière intermédiaire.
dispositione secundum medium modum.
[9092] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 5 Ad 5. Cet argument s’appuie sur le premier mode de
quintum dicendum, quod illa ratio procedit disposition, comme cela est évident par soi.
secundum primum modum dispositionis, ut per se
patet.
[9093] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 6 Ad 6. Lorsqu’on dit qu’être Dieu convient au fils de
sextum dicendum, quod cum dicitur, quod esse l’homme par la grâce d’union ou grâce à l’union,
Deum convenit filio hominis per gratiam unionis, on entend l’union elle-même gratuitement
vel gratia unionis, intelligitur ipsa unio gratis réalisée, qui n’a pas toujours existé et a été créée.
facta, quae non semper fuit, et creata est: vel Ou bien on entend la volonté gratuite de Dieu
intelligitur ipsa gratuita Dei voluntas, quae elle-même, qui a toujours existé en elle-même,
quidem in se semper fuit, sed effectus ejus non mais dont l’effet n’a pas toujours existé.
semper fuit.
[9094] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 7 Ad 7. L’union qui consiste dans la jouissance est une
septimum dicendum, quod unio quae est per union par une opération ; parce que la nature
fruitionem, est unio per operationem; et quia ad humaine n’est capable d’une opération parfaite
operationem perfectam non potest natura humana que par l’intermédiaire d’un habitus, il faut donc
nisi mediante aliquo habitu; ideo oportet ibi esse qu’il y ait là une grâce habituelle qui soit le
aliquam habitualem gratiam, quae sit principium principe de cette union. Mais l’union dans la
illius unionis; sed unio in persona, est unio ad personne est une union dans l’être. Or, entre la
esse: inter humanam autem naturam, et esse quod nature humaine et l’être qu’elle a dans la
habet in persona, non potest cadere medium, quod personne, un intermédiaire ne peut intervenir qui
sit principium illius esse; et ideo non potest ibi soit le principe de cet être. Aussi ne peut-il pas
esse alia gratia quae sit principium illius unionis, exister une autre grâce qui serait le principe de
vel sicut disponens, nisi per modum dictum in cette union ou y disposerait, si ce n’est de la
corp. art. manière dite dans le corps de l’article.
[9095] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 8 Ad 8. Le fait que Dieu existe d’une autre manière
octavum dicendum, quod hoc quod Deus est in dans l’âme du Christ ou dans la nature assumée
anima Christi, vel in natura assumpta alio modo que dans les autres créatures ne vient pas d’une
quam in aliis creaturis, non est per aliquam disposition qui surviendrait, mais de l’être même
dispositionem advenientem, sed per ipsum esse de la personne divine, qui est communiqué à la
personae divinae, quod communicatur naturae nature humaine.
humanae.
[9096] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 1 ad 9 Ad 9. On dit que l’Esprit Saint est donné de
nonum dicendum, quod spiritus sanctus dicitur nouveau, non pas selon un changement de sa
dari de novo, non secundum mutationem suam, part, mais selon un changement de la créature,
sed secundum mutationem creaturae, quae est in qui se réalise par la réception du don lui-même.
perceptione doni ipsius; et ita etiam filius Dei Ainsi dit-on que le Fils de Dieu est uni à la
dicitur uniri naturae humanae, non per nature humaine, non pas en vertu d’un
mutationem filii Dei, sed per mutationem changement du Fils de Dieu, mais en vertu d’un
humanae naturae, sive exaltationem ipsius non ad changement de la nature humaine, ou par son
aliquod donum creatum, sed ad ipsum esse élévation, non pas à quelque don créé, mais à
increatum divinae personae. l’être incréé même de la personne divine.
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Articulus 2 [9097] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. Article 2 – La grâce d’union est-elle la même
2 tit. Utrum gratia unionis sit idem quod gratia chose que la grâce de la tête ?
capitis
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La grâce d’union est-elle la
même chose que la grâce de la tête ?]
[9098] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que la grâce d’union soit la même
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod chose que la grâce de la tête. En effet, le Christ
gratia unionis sit idem quod gratia capitis. est appelé tête de l’Église selon que nous
Christus enim dicitur caput Ecclesiae, secundum recevons tous de sa plénitude. Or, sa plénitude
quod de ejus plenitudine omnes accepimus. Sed vient de ce qu’il est lui-même le Fils unique du
plenitudo ejus est secundum quod ipse est Père, comme il est dit en Jn 1. Puisque le Fils
unigenitus a patre, ut dicitur Joan. 1. Cum igitur unique vient du Père par la grâce d’union, il
unigenitus sit a patre per gratiam unionis, videtur semble donc que la grâce d’union soit la même
quod gratia unionis sit idem quod gratia capitis. chose que la grâce de la tête.
[9099] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 2. Le milieu a quelque chose en commun avec
2 Praeterea, medium communicat cum extremis. les extrêmes. Or, le Christ, en tant qu’il est la
Sed Christus, secundum quod caput est Ecclesiae, tête de l’Église, est l’intermédiaire entre Dieu et
medium est inter Deum et homines: quia caput les hommes, car la tête de l’homme est le Christ,
viri Christus, caput Christi Deus. Ergo est caput, et la tête du Christ est Dieu. Il est donc la tête en
secundum quod communicat cum utroque. Sed tant qu’il a quelque chose de commun avec les
hoc habet per gratiam unionis, per quam est Deus deux. Or, il a cela par la grâce d’union, par
et homo. Ergo gratia unionis est gratia capitis. laquelle il est Dieu et homme. La grâce d’union
est donc la grâce de la tête.
[9100] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 arg. 3. Le Christ est la tête de l’Église selon qu’il
3 Praeterea, Christus est caput Ecclesiae, dépasse les hommes. Or, il dépasse la nature
secundum quod homines excedit. Sed excedit humaine par la grâce d’union. Il est donc la tête
humanam naturam per gratiam unionis. Ergo est par la grâce d’union.
caput per gratiam unionis.
[9101] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] la grâce de la tête convient au
1 Sed contra, gratia capitis convenit Christo in Christ par rapport aux autres. Or, la grâce
comparatione ad alios: sed gratia unionis in seipso d’union [lui convient] en lui-même seulement.
tantum. Ergo una non est alia. L’une n’est donc pas l’autre.
[9102] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 s. c. [2] La grâce de la tête a été réalisée depuis la
2 Praeterea, gratia capitis operata est a création du monde, alors que les hommes ont
constitutione mundi, ex quo homines membra ejus commencé à être ses membres. Or, ce n’est pas
esse coeperunt, non autem gratia unionis. Ergo le cas de la grâce d’union. L’une n’est donc pas
una non est alia. l’autre.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La grâce de la tête est-elle
la même que sa grâce indivuelle ?]
[9103] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que la grâce de la tête soit la même
1 Ulterius. Videtur quod sit eadem gratia capitis, que sa grâce individuelle, car c’est par la même
et gratia singularis ipsius. Quia eadem scientia est science que quelqu’un connaît et en enseigne
qua quis est sciens, et alios docens; et secundum d’autres, et, selon le Philosophe, la vertu par
philosophum, eadem per essentiam est virtus qua laquelle quelqu’un est parfait en lui-même est
quis in se perfectus est, et justitia legalis qua essentiellement la même que la justice légale par
perficitur in ordine ad bonum commune. Ergo laquelle il est perfectionné en vue du bien
similiter eodem habitu Christus fuit in seipso commun. De même, le Christ était-il parfait en
perfectus, et in alios perfectionem influens. lui-même par le même habitus qu’il a donné aux
autrres la perfection.
421

[9104] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 2. La grâce est la vie de l’âme. Or, un seul sujet
2 Praeterea, gratia est vita animae. Sed unius possède une seule vie. La grâce est donc unique,
subjecti est una vita. Ergo et gratia una: et sic et ainsi la conclusion est la même que
idem quod prius. précédemment.
[9105] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 3. De même que la tête est comparée aux autres
3 Praeterea, sicut caput comparatur ad alia membres, de même les autres membres le sont-
membra, ita alia membra ad caput. Sed non ils à la tête. Or, on ne fait pas de distinction chez
distinguitur in membris Christi gratia per quam les membres du Christ entre la grâce par laquelle
perficiuntur in se, a gratia secundum quam sunt ils sont perfectionnés en eux-mêmes et la grâce
membra. Ergo nec in Christo debet distingui par laquelle ils sont des membres. On ne doit pas
gratia per quam est caput, a gratia singulari ipsius non plus faire de distinction chez le Christ entre
secundum quam perficitur in se. la grâce par laquelle il est la tête et sa grâce
individuelle, selon laquelle il est parfait en lui-
même.
[9106] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 4. Cependant, de même que le péché est entré
4 Sed contra, sicut per Adam intravit peccatum in dans le monde par Adam, de même la grâce et la
mundum; ita per Christum gratia et justitia; Rom. justice le sont-elles par le Christ, Rm 5. Or, chez
5. Sed in Adam distinguitur aliud peccatum Adam, on fait une distinction entre le péché
actuale, quod est singulare ipsius, aliud originale actuel, qui lui est propre, et le péché originel,
quod transfudit in posteros. Ergo in Christo debet qu’il a transmis aux autres. Il faut donc faire
alia et alia gratia distingui. chez le Christ une distinction entre l’une et
l’autre grâce.
[9107] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 arg. 5. Des habitus différents sont ordonnés à des
5 Praeterea, ad diversos actus diversi habitus actes différents. Or, c’est un acte de bien agir, et
ordinantur. Sed alius actus est bene operari, et un autre d’influer [sur les autres]. L’habitus de la
alius influere. Ergo et alius habitus gratiae; et sic grâce est donc différent, et ainsi la conclusion est
idem quod prius. la même que précédemment.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La grâce de la personne
individuelle précède-t-elle la grâce d’union ?]
[9108] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que la grâce de la personne
1 Ulterius. Videtur quod gratia singularis individuelle précède la grâce d’union, car la
personae praecedat gratiam unionis. Quia gratia grâce de la personne individuelle contribue à la
singularis personae facit ad congruitatem unionis. convenance de l’union. Or, on comprend que
Sed anima, quae facit ad congruitatem unionis l’âme, qui contribue à la convenance de l’union
corporis, prius intelligitur uniri corpori quam ipsa du corps, est d’abord unie au corps, avant que les
unita ad invicem intelligantur uniri divinae deux ne soient unis à la personne divine. Dans la
personae. Ergo similiter prius etiam secundum nature humaine, la grâce individuelle précède
intellectum est gratia singularis in natura humana donc la grâce d’union selon l’intellect.
quam gratia unionis.
[9109] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 2. Il semble que la grâce de la tête soit
2 Item, videtur quod sit prius gratia capitis. Quia antérieure, car on envisage d’abord quelque
prius consideratur aliquid in se perfectum quam chose comme parfait en soi avant [de
alteri perfectionem largiens. Sed gratia singularis l’envisager] comme donnant sa perfection à
est qua in se perfectus est; gratia autem capitis quelque chose d’autre. Or, la grâce individuelle
secundum quam perfectionem alteri largitur. Ergo est celle par laquelle il est parfait en lui-même,
gratia singularis est prior quam gratia capitis. mais la grâce de la tête, par laquelle il confère à
un autre sa perfection. La grâce individuelle est
donc antérieure à la grâce de la tête.
[9110] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 3. Il semble que la grâce d’union soit antérieure à
3 Item, videtur quod gratia unionis sit prior quam la grâce de la tête, car il est la tête parce qu’il
422

gratia capitis. Quia ex hoc est caput quod justifie. Or, il justifie par la foi en l’incarnation,
justificat. Sed per fidem incarnationis justificat, ut comme on l’a dit plus haut. L’incarnation
supra dictum est. Ergo incarnatio praecedit précède donc la grâce de la tête.
gratiam capitis.
[9111] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 4. Cependant, la grâce de la tête a agi avant
4 Sed contra, gratia capitis operata est ante l’incarnation, mais non la grâce d’union ni la
incarnationem; non autem gratia unionis, nec grâce de la personne individuelle. La grâce de la
gratia singularis personae. Ergo gratia capitis est tête est donc antérieure à ces deux autres.
prior illis duabus.
[9112] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 arg. 5. Il semble que la grâce d’union soit antérieure à
5 Item, videtur quod gratia unionis sit prior quam la grâce individuelle, car il était rempli de grâce
gratia singularis. Quia ex hoc quod fuit unigenitus et de vérité par le fait qu’il était le Fils unique du
a patre, fuit plenus gratia et veritate. Sed Père. Or, il a été le Fils unique du Père par la
unigenitus a patre fuit per gratiam unionis. Ergo grâce d’union. Il possédait donc la grâce de la
gratiam singularis personae habuit per gratiam personne individuelle en vertu de la grâce
unionis; et sic illa est prior. d’union ; celle-ci était donc antérieure.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9113] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 co. Si on appelle grâce d’union une grâce habituelle
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, qui dispose d’une certaine manière à l’union,
quod si gratia unionis dicatur gratia habitualis alors la grâce d’union, la grâce de la tête et la
quodammodo disponens ad unionem, sic eadem grâce individivuelle de cet homme sont
est per essentiam gratia unionis, capitis, et essentiellement les mêmes, et elles ne diffèrent
singularis illius hominis, solum ratione differens: que selon la raison, car, en tant qu’elle
quia inquantum perficiebat animam Christi ad perfectionnait l’âme du Christ en vue d’actes
actus meritorios, dicitur gratia illius singularis méritoires, elle est appelée la grâce de cet
hominis; inquantum vero tanta erat hujus gratiae homme individuel ; mais en tant que cette grâce
copia ut in alios redundare posset, dicitur gratia était d’une telle abondance qu’elle pouvait
capitis; inquantum vero gratiam tam plenam rejaillir sur d’autres, elle est appelée grâce de la
decebat inesse assumptae naturae, potest tête ; en tant qu’il convenait qu’une grâce aussi
quodammodo dici gratia unionis. Si vero gratia totale soit présente dans la nature assumée, elle
dicatur voluntas Dei gratuita, sic iterum constat peut d’une certaine manière être appelée grâce
quod est una. Aliis autem modis accipiendo d’union. Mais si on appelle grâce la volonté
gratiam unionis, constat quod per essentiam gratuite de Dieu, il est encore clair qu’elle est
differt, nisi quatenus intelligitur caput, ut Deus. unique. Cependant, en prenant la grâce d’union
selon les autres modes, il est clair qu’elle diffère
par essence, à moins qu’on ne donne à « tête » le
sens de Dieu.
[9114] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Bien qu’il ait la plénitude de la tête du fait
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ex hoc qu’il est Fils unique, l’union elle-même n’est
quod est unigenitus, habeat plenitudinem capitis, cependant pas cette plénitude.
non tamen ipsa unio est illa plenitudo.
[9115] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Dieu est appelé tête du Christ et le Christ, tête
Ad secundum dicendum, quod secundum aliam de l’homme pour une raison différente, comme
rationem Deus dicitur caput Christi, et Christus on l’a dit plus, q. 2, a. 1, ad 4. De plus, selon
viri, ut supra dictum est, qu. 2, art. 1, ad 4; et qu’il est homme, il est un intermédiaire et
praeterea ipse, secundum quod est homo, est éprouve la nature des extrêmes, en tant qu’il est
medium, et sapit naturam extremorum, inquantum plus semblable à Dieu que les autres hommes en
est Deo similior aliis hominibus per majorem raison de la grâce plus grande qu’il possède.
gratiam quam habet.
[9116] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Il ne dépasse pas seulement les autres hommes
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Ad tertium dicendum, quod non solum excedit en tant qu’il est Dieu, mais selon qu’il possède
alios homines secundum quod Deus, sed une plus grande grâce créée que tous les autres.
secundum quod pleniorem gratiam creatam
omnibus aliis habet.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9117] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 co. La réponse à la deuxième question ressort
Ad secundam quaestionem patet solutio ex dictis. clairement de ce qui a été dit.
[9118] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1 1. De même en est-il pour les deux premiers
Et similiter ad duo prima argumenta, quae arguments, qui reposent sur l’unité selon
procedunt de unitate secundum essentiam. l’essence.
[9119] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Bien que la grâce du membre comporte
Ad tertium dicendum, quod quamvis gratia diverses opérations, du fait qu’il est un membre,
membri habeat diversas operationes, non tamen une plénitude plus abondante n’est cependant pas
ex hoc quod est membrum, requiritur aliqua nécessaire à cause de cela. Aussi n’y a-t-il pas de
abundantior plenitudo; et ideo non distinguitur différence entre la grâce de membre et la grâce
gratia membri a gratia singulari. individuelle.
[9120] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 4 4. Un péché actuel d’Adam a été la cause [du
Ad quartum dicendum, quod peccatum actuale péché] originel en lui-même et chez les autres.
Adae fuit causa originalis in ipso et in aliis: et De plus, ces deux péchés ne portent pas sur la
iterum duo illa peccata non sunt respectu même chose, car l’un relève par soi de la nature
ejusdem; sed unum est per se naturae, alterum est et l’autre relève par soi de la personne, comme
per se personae, ut in 2 Lib., dist. 31, qu. 1, art. 1, on l’a dit dans le livre II, d. 31, q. 1, a. 1. Mais il
dictum est. Non sic autem est in proposito: quia n’en va pas de même dans la question en cause,
neutra gratia est causa alterius, et utraque respicit car aucune des deux grâces n’est la cause de
personam Christi mediante humana natura; et ideo l’autre et les deux concernent la personne du
non oportet quod differant per essentiam. Christ par l’intermédiaire de la nature humaine.
C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elles
soient différentes selon l’essence.
[9121] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 5 5. Il a mérité pour tous par ces actes et il a aussi
Ad quintum dicendum, quod secundum illos actus exercé une inflence sur les autres, car il a
cuilibet meruit, et etiam in alios influxit: quia satisfait pour les autres en méritant et il a mérité
merendo pro aliis satisfecit, et aliis gratiam la grâce pour les autres, selon qu’il est appelé
meruit, secundum quod caput nostrum dicitur. notre tête.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9122] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ces trois grâces sont attribuées au Christ selon
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod istae tres diverses manières de l’envisager. En effet, il peut
gratiae Christo attribuuntur secundum diversas être envisagé en soi ou par rapport aux autres. Si
ipsius considerationes. Potest enim considerari in on l’envisage en soi, c’est alors soit en tant que
se, vel in comparatione ad alios. Si in se Dieu, et ainsi lui est attribuée la grâce d’union ;
consideratur, sic vel inquantum Deus, et sic soit en tant qu’homme, et ainsi lui est attribuée
attribuitur ei gratia unionis; vel inquantum homo, une grâce individuelle. Mais si on l’envisage par
et sic attribuitur ei gratia singularis. Si autem in rapport aux autres, la grâce de la tête lui est alors
comparatione ad alios, sic attribuitur ei gratia attribuée. Et parce que quelqu’un est d’abord
capitis. Et quia prius consideratur aliquis in se envisagé en lui-même plutôt qu’en rapport avec
quam in comparatione ad alios, ideo gratia les autres, la grâce [qui lui vient] selon qu’il est
secundum quam est caput, sequitur alias duas tête découle des deux autres grâces. Et puisque
gratias. Et quia omnis gratia et perfectio que toute grâce et perfection de l’humanité lui
humanitatis ex hoc sibi debetur, quia Deo unitus sont ainsi dues, parce qu’il a été uni à Dieu dans
est homo ille in persona; ideo gratia unionis la personne, la grâce d’union précède donc la
praecedit, secundum ordinem naturae et grâce individuelle, selon l’ordre de la nature et
424

intellectus, gratiam singularem; quamvis simul in de l’intellect, bien que ces trois grâces existent
eodem tempore sint istae tres gratiae. simultanément dans le temps.
[9123] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1 1. L’âme parachève la raison de la nature
Ad primum ergo dicendum, quod anima complet humaine. C’est pourquoi l’union de l’âme à la
rationem humanae naturae; et ideo praeintelligitur chair est intelligée avant l’union de la nature
unio animae ad carnem, unioni humanae naturae humaine à la divinité, car il faut d’abord
ad deitatem: quia prius est considerare aliquid in envisager quelque chose en soi avant [de
se quam alteri unitum: sed gratia nihil facit ad l’envisager] comme quelque chose d’uni à une
rationem humanae naturae, quia inquantum autre chose. Mais la grâce n’intervient
hujusmodi assumptibilis est; et ideo non est aucunement dans la raison de la nature humaine,
simile. car, en tant que telle, elle peut être assumée. Ce
n’est donc pas la même chose.
[9124] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2 2-3. La réponse au deuxième et au troisième
Secundum et tertium patet. argument est claire.
[9125] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 4 4. Même chez les pères anciens, la grâce de la
Ad quartum dicendum, quod etiam in antiquis tête n’agissait que selon que la grâce d’union
patribus non operabatur gratia capitis, nisi était présupposée dans leur foi, car ils étaient
secundum quod praesupponebatur in fide ipsorum justifiés par leur foi en l’incarnation.
gratia unionis, quia per fidem incarnationis
justificabantur.
[9126] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 5 5. La réponse au cinquième argument est claire.
Quintum patet.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


13
[9127] Super Sent., lib. 3 d. 13 q. 3 a. 2 qc. 3
expos. In sanctis vero quasi solus tactus est. Hoc
videtur esse falsum: quia Origenes super Levit.
distinguit quinque sensus spirituales, dicens, quod
visus spiritualis est, ut videamus Deum; auditus
autem, ut audiamus qui loquitur; odoratus, per
quem odoramus bonum odorem Christi; gustus, ut
gustemus ejus dulcedinem; tactus, ut palpemus
cum Joanne verbum vitae. Haec autem omnia sunt
in omnibus sanctis. Ergo non solum habent
tactum. Dicendum, quod sensus spirituales
possunt distingui per similitudinem ad actus
sensuum corporalium; et sic sunt in omnibus
sanctis, ut dicit Origenes: vel per similitudinem ad
quasdam proprietates sensuum, secundum quod
tactus est necessarius, alii autem non: et sic, quia
in aliis sanctis sunt omnia quae sunt de necessitate
salutis, in Christo autem omnia simpliciter quae
pertinent ad perfectionem gratiae; ideo in Christo
dicuntur omnes sensus esse, in aliis autem solus
tactus. Quibus datus est spiritus ad mensuram.
Contra: Jac. 1, 5: qui dat omnibus affluenter, dicit
Glossa: omnia dat non in mensura: quia dona ejus
non sunt ad mensuram. Et dicendum, quod cum
mensura dari, potest accipi vel ex largitate dantis;
425

et sic nulli dat cum mensura, quia omnibus dat ex


largitate infinita: vel ex capacitate recipientis; et
sic dat cuilibet cum mensura, quia nulli dat ultra
quam capax sit, vel secundum rationem dati: et sic
Christo non dat cum mensura: quia gratia ejus,
quantum ad rationem gratiae, non est limitata; sed
aliis dat cum mensura, ut patet ex dictis. Non
secundum essentiam, sed secundum similitudinem.
Contra. Ergo pari ratione Petrus potest dici caput:
quia quilibet sanctus est alii similis in gratia.
Dicendum, quod sumitur ibi similitudo active,
inquantum scilicet Christus sibi alios assimilat in
gratia, ut dictum est, quod alii non convenit. Ut
quantum ad visum hominum et sui sensus
ostensionem Christus profecisse dicatur. Videtur
quod haec non fuit intentio Ambrosii: quia per
hoc nihil probaret: nam sic etiam Dei sapientia
proficit, secundum quod se magis ostendit.
Dicendum, quod quamvis Dei sapientia magis se
quam prius ostendit in aliquibus effectibus: tamen
ipsa semper creditur esse aequalis: quod non fuit
de sapientia Christi, qui videbatur quandoque
sapientior quam prius fuisset. Et ideo dicit duo: ad
visum hominum, et sensus ostensionem. Tamen
utrum aliquo alio modo profecerit in sapientia, in
sequenti distinctione dicetur.
 
Distinctio 14 Distinction 14 – [Les sciences du Christ]

Quaestio 1 Question 1 – [La science du Christ]


Prooemium Prologue
[9128] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de la plénitude de la
determinavit Magister de plenitudine perfectionis perfection du Christ pour ce qui est de la grâce et
Christi quantum ad gratiam et scientiam, hic de la science, il compare ici la perfection du
comparat perfectionem Christi secundum quod est Christ, selon qu’il est homme, à la perfection
homo, ad perfectionem divinam; et dividitur in divine. Il y a deux parties : premièrement, il
duas partes: primo comparat perfectionem animae compare la perfection de l’âme du Christ à la
Christi ad perfectionem divinam quantum ad perfection divine pour ce qui est de la science ;
scientiam; secundo quantum ad potentiam, ibi: si deuxièmement, pour ce qui est de la puissance, à
vero quaeritur, quare Deus non dederit ei cet endroit : « Mais si on demande pourquoi
potentiam faciendi omnia, ut scientiam; Dieu ne lui a pas donné la puissance de tout
responderi potest et cetera. Prima dividitur in faire, comme [il l’a fait] pour la science, on peut
duas: primo movet quaestionem; secundo répondre, etc. » La première partie se divise en
determinat eam, ibi: quibusdam placet quod nec deux : premièrement, il soulève une question ;
parem cum Deo habeat scientiam. Et haec pars deuxièmement, il en détermine à cet endroit :
dividitur in duas: primo ponit determinationem « Certains sont d’avis qu’il n’a pas une
aliorum; secundo determinationem suam, ibi: connaissance égale à Dieu. » Et cette partie se
quibus respondentes dicimus. Et circa hoc tria divise en deux : premièrement, il présente la
facit: primo respondet ad quaestionem, et solvit détermination d’autres ; deuxièmement, sa
rationes pro prima determinatione positas; détermination, à cet endroit : « Pour leur
426

secundo confirmat suam determinationem tum per répondre, nous disons… » À ce propos, il fait
rationem ab aliis inductam, quae est contra eos, trois choses. Premièrement, il répond à la
ibi: illud vero apostoli quod inducunt (...) pro question et résout les arguments présentés dans
nobis facit; tum etiam per auctoritatem, ibi: la première détermination. Deuxièmement, il
Fulgentius etiam in sermone quodam multa confirme sa détermination par un argument
inducit; tum ex ratione, ibi: quod etiam ex ratione invoqué par d’autres, mais qui leur est contraire,
ostendi potest; tertio docet evitare quoddam à cet endroit : « Ce passage de l’Apôtre qu’ils
inconveniens, ad quod illi inducebant, si anima invoquent… va dans notre sens » ; par une
Christi omnia sciret, ibi: ad id vero quod dicunt autorité, à cet endroit : « Fulgence invoque aussi
(...) respondemus. Si vero quaeritur, quare Deus plusieurs choses dans un sermon… » ; par un
non dederit ei potentiam faciendi omnia, ut raisonnement, à cet endroit : « Cela peut aussi
scientiam, responderi potest et cetera. Hic être démontré par la raison… » Troisièmement,
comparat animam Christi ad Deum secundum il enseigne comment éviter quelque chose
potentiam; et tria facit: primo determinat d’inapproprié à ce qu’ils invoquaient, si l’âme du
veritatem; secundo objicit in contrarium, ibi: sed Christ connaissait tout, à cet endroit : « Mais, à
si illa anima non habet tantam potentiam ce qu’ils disent, nous répondons… » « Mais si
quantam et Deus, quomodo (...) ergo intelligitur on demande pourquoi Dieu ne lui a pas donné la
illud Ambrosii ? Tertio solvit, ibi: ad quod puissance de tout faire, comme [il l’a fait] pour
dicimus. Hic quaeruntur quatuor: 1 quam la science, on peut répondre, etc. » Ici, il
scientiam habuit; et quia habuit divinam et compare l’âme du Christ à Dieu du point de vue
humanam, de divina in primo libro dictum est; de la puissance, et il fait trois choses.
propter hoc 2 quaeritur de perfectione humanae Premièrement, il détermine ce qui est vrai.
scientiae ipsius, qua videt verbum; 3 de Deuxièmement, il fait une objection en sens
perfectione scientiae ipsius, qua videt res in contraire, à cet endroit : « Mais si cette âme n’a
proprio genere; 4 de ipsius potentia. pas une puissance aussi grande que Dieu,
comment donc… se comprend ce passage
d’Ambroise ? » Troisièmement, il donne la
solution, à cet endroit ; « Nous répondons à
cela… » Ici, quatre questions sont posées : 1 –
Quelle connaissance [le Christ] a-t-il eue ? Parce
qu’il a eu une connaissance divine et une
connaissance humaine, et qu’il a été traité de la
connaissance divine dans le livre I, pour cette
raison, 2 – On s’interroge sur la perfection de sa
connaissance humaine, par laquelle il voit le
Verbe ; 3 – Sur la perfection de sa connaissance,
par laquelle il voit choses selon leur propre
genre ; 4 – Sur sa puissance.

Articulus 1 [9129] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. Article 1 – Existe-t-il une science chez le
1 tit. Utrum in Christo sit aliqua scientia creata Christ ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Existe-t-il une science créée
chez le Christ ?]
[9130] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il n’y ait pas de science créée
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in chez le Christ. En effet, là ou existe une
Christo non sit aliqua scientia creata. Ubi enim est connaissance parfaite, une connaissance
cognitio perfecta, non est opus cognitione imparfaite n’est pas nécessaire; ainsi, celui qui
imperfecta; sicut qui scit aliquid per sait quelque chose par une démonstration n’a pas
demonstrationem, non indiget scire illud per besoin de le savoir par un syllogisme dialectique.
syllogismum dialecticum. Sed omnis cognitio Or, toute connaissance créée est imparfaite en
427

creata, est imperfecta respectu scientiae divinae. regard de la science divine. Puisque la science
Ergo cum in Christo sit scientia Dei increata, incréée de Dieu existe chez le Christ, il ne
videtur quod non oportet ponere in ipso aliquam semble donc pas qu’il faille affirmer chez lui une
aliam scientiam. autre science.

[9131] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Un plus petit luminaire est obscurci par un
2 Praeterea luminare minus offuscatur per plus grand luminaire. Or, la science n’est pas
luminare majus. Sed scientia non solum se habet seulement une lumière, mais elle est comme un
ut lux, sed ut luminare illuminans. Ergo scientia luminaire qui illumine. Une science plus petite
minor offuscatur per scientiam majorem; et ita est donc obscurcie par une science plus grande,
scientia creata non debet esse in eodem cum et ainsi la science créée ne doit pas se trouver
scientia increata Dei. chez le même en même temps que la science
incréée de Dieu.
[9132] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Toute perfection est plus noble que ce qui est
3 Praeterea, omnis perfectio est nobilior perfectible. Or, toute science est une perfection
perfectibili. Sed omnis scientia est perfectio de celui qui connaît. Puisque rien de créé n’est
scientis. Cum igitur nihil creatum sit nobilius plus noble que l’âme du Christ, aucune science
anima Christi, nulla creata scientia est in eo. créée n’existe donc chez lui.
[9133] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] la nature sensible et [la nature
1 Sed contra, plus convenit natura sensitiva et intellectuelle] ont plus en commun chez
intellectiva in homine, quam natura divina et l’homme que la nature divine et la [nature]
humana in Christo. Sed cognitio intellectiva in humaine chez le Christ. Or, la connaissance
homine non excludit sensitivam, quae est minus intellectuelle chez l’homme n’exclut pas la
perfecta. Ergo nec divina cognitio in Christo connaissance sensible, qui est moins parfaite.
excludit humanam. Donc, la connaissance divine chez le Christ
n’exclut pas non plus la connaissance humaine.
[9134] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Il n’existe pas de substance sans opération,
2 Praeterea, non est substantia sine sua comme le disent [Jean] Damascène et le
operatione, ut dicit Damascenus, et philosophus. Philosophe. Or, il existe chez le Christ une
Sed in Christo est intellectus creatus, scilicet intelligence créée : l’âme raisonnable. Il existe
anima rationalis. Ergo et cognitio creata, quae est donc aussi une connaissance créée, qui est son
ejus operatio. opération.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La connaissance créée chez
le Christ est-elle un habitus ou un acte ?]
[9135] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que, s’il existe chez [le Christ] une
1 Ulterius. Videtur quod si est in eo aliqua connaissance créée, celle-ci ne soit pas un
cognitio creata, illa non sit habitus, sed actus habitus, mais un acte seulement. La Glose dit, à
tantum. Ad Hebr. 2, dicit Glossa quod natura propos de He 2, qu’il n’existe rien de plus élevé
mentis humanae in Christo nihil est altius vel ou de plus excellent que la nature de l’esprit
excellentius. Sed quaedam creaturae propter sui humain chez le Christ. Or, certaines créatures,
perfectionem non indigent aliquo habitu ad comme les anges, n’ont pas besoin d’habitus
cognoscendum, sicut Angeli; ut dicit maximus pour connaître en raison de leur perfection,
super Cael. Hierar. Dionysii. Ergo multo minus comme le dit Maxime à propos de La hiérarchie
anima Christi. céleste de Denys. Donc, encore bien moins l’âme
du Christ.
[9136] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. L’âme du Christ est plus noble que l’intellect
2 Praeterea, anima Christi est nobilior quam agent d’un autre homme. Or, l’intellect agent
intellectus agens alicujus alterius hominis. Sed n’exerce pas son opération grâce à un habitus.
intellectus agens non facit operationem suam Donc, l’âme du Christ non plus ne connaît pas
mediante habitu aliquo. Ergo nec anima Christi grâce à une science habituelle.
428

aliqua habituali scientia cognoscit.


[9137] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Les puissances naturelles ne passent pas à
3 Praeterea, vires naturales non exeunt in actum l’acte grâce à un habitus, comme cela est clair
mediante aliquo habitu, sicut patet in calore ignis; pour la chaleur du feu ; de même, Dieu non plus.
similiter nec Deus. Sed anima Christi magis Or, l’âme du Christ s’approche davantage de la
accedit ad Dei similitudinem quam aliqua res ressemblance avec Dieu qu’une chose créée. Elle
creata. Ergo et ipsa non habet operationem n’exerce donc pas son opération de connaissance
cognitionis mediante aliquo habitu. grâce à un habitus.
[9138] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] le Christ a assumé notre nature
1 Sed contra, Christus assumpsit integre naturam en totalité. Or, l’intellect possible fait partie de
nostram. Sed de integritate naturae est intellectus [notre] nature. Il a donc assumé l’intellect
possibilis. Ergo assumpsit intellectum possibilem. possible. Or, l’intellect possible n’intellige pas
Sed possibilis intellectus non intelligit perfecte parfaitement à moins d’être perfectionné par un
nisi perficiatur aliquo habitu. Ergo cum Christus habitus. Puisque le Christ a intelligé
perfecte intellexerit, in eo fuit habitualis scientia. parfaitement, il existait donc en lui une science
habituelle.
[9139] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Le Christ a vraiment dormi et il n’a alors
2 Praeterea, Christus vere dormivit; nec tunc rien perdu de ce qu’il connaissait. Puisque la
aliquid amisit eorum quae scivit. Cum ergo science de celui qui dort est une science à l’état
scientia dormientis sit scientia in habitu, videtur habituel, il semble donc que le Christ a eu une
quod Christus habuit habitualem scientiam. science habituelle.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’âme du Christ a-t-elle
connu le Verbe grâce à un habitus ?]
[9140] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’âme du Christ n’ait pas connu
1 Ulterius. Videtur quod anima Christi mediante le verbe grâce à un habitus. En effet, rien d’autre
aliquo habitu non cognoverit verbum. Ad n’est requis pour la connaissance que l’union de
cognitionem enim non requiritur aliud nisi ut ce qui peut être connu et de celui qui connaît. Or,
cognoscibile cognoscenti uniatur. Sed verbum le Verbe a été uni à l’âme du Christ sans
unitum est animae Christi non mediante aliquo intervention d’un habitus. Elle a donc connu le
habitu. Ergo cognovit verbum non per aliquem Verbe sans intervention d’un habitus.
habitum.
[9141] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. L’habitus de la science comporte des espèces,
2 Praeterea, habitus scientiae consistit ex qui sont des similitudes des choses connues. Or,
speciebus, quae sunt similitudines rerum l’âme du Christ ne voit pas le Verbe à travers
cognitarum. Sed anima Christi non videt verbum une espèce, mais par lui-même. Elle ne le
per aliquam similitudinem, sed per seipsum. Ergo connaît donc pas par une habitus créé.
non cognoscit ipsum per aliquem habitum
creatum.
[9142] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Ce pour quoi tout existe l’emporte [sur le
3 Praeterea, propter quod unumquodque, illud reste]. Donc, si l’âme du Christ connaît le Verbe
magis. Igitur si cognoscit anima Christi verbum par l’intermédiaire d’un habitus, cet habitus
mediante aliquo habitu, ille habitus, magis connaît davantage le Verbe et en sera plus
cognoscit verbum, et erit ei magis proximus quam rapproché que l’âme du Christ, ce qui est
anima Christi; quod est inconveniens. inapproprié.
[9143] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, [1] la gloire correspond à la grâce.
1 Sed contra, gloria correspondet gratiae. Sed in Or, chez le Christ, existait l’habitus de la grâce.
Christo fuit habitus gratiae. Ergo et habitus Donc aussi, l’habitus de la gloire. Or, « toute la
gloriae. Sed tota gloria consistit in visione verbi, gloire consiste dans la vision du Verbe », comme
ut dicit Augustinus. Ergo anima Christi aliquo le dit Augustin. L’âme du Christ connaît donc le
habitu cognoscit verbum. Verbe par un habitus.
429

[9144] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. [2] L’âme du Christ et notre âme sont de même
2 Praeterea, ejusdem naturae est anima Christi et nature. Or, notre âme ne peut parvenir à la vision
anima nostra. Sed anima nostra non potest de Dieu par sa capacité naturelle. Donc, ni l’âme
pertingere per naturalia sua ad videndum Deum. du Christ. Aussi est-il nécessaire qu’il s’y trouve
Ergo nec anima Christi; et ita oportet quod sit quelque chose ajouté à la nature, par quoi il voit
aliquid superadditum naturae, quo videt Deum; Dieu. [L’âme du Christ] voit donc grâce à un
ergo videt mediante aliquo habitu. habitus.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [L’âme du Christ connaît-
elle le Verbe et les choses dans le Verbe par le
même habitus ?]
[9145] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 1. Il semble qu’il faille affirmer un autre habitus
1 Ulterius. Videtur quod oporteat alium habitum de science par lequel [l’âme du Christ] connaît le
scientiae ponere, quo cognoscit verbum, et quo Verbe et par lequel elle connaît les choses dans
cognoscit res in verbo. Verbum enim repraesentat le Verbe. En effet, le Verbe représente les choses
res quae in eo cognoscuntur, sicut speculum qui sont connues en lui, comme un miroir les
species in eo resultantes. Sed qui videt speculum espèces qui ressortent en lui. Or, ne s’imprime
non tantum imprimitur in eo similitudo speculi, pas seulement en celui qui voit le miroir la
sed etiam rerum similitudines in speculo similitude du miroir, mais aussi les similitudes
resultantes. Ergo et in eo qui videt res in verbo, des choses qui ressortent dans le miroir. Il faut
oportet ponere alium habitum specierum rerum donc affirmer, chez celui qui voit les choses dans
visarum in verbo, et ipsius verbi. le Verbe, un autre habitus pour les choses vues
dans le Verbe et pour le Verbe lui-même.
[9146] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 2. Toute science se réalise par la ressemblance
2 Praeterea, omnis scientia est secundum entre celui qui connaît et la chose connue,
assimilationem scientis ad rem scitam, ut dicunt comme le disent les philosophes. Si donc
philosophi. Si igitur aliquis videt res alias in quelqu’un voit les autres choses dans le Verbe, il
verbo, oportet quod intellectus assimiletur illis faut que son intellect devienne semblable à ces
rebus; et sic cum habitus cognitivus consistat in choses, et ainsi, puisque l’habitus cognitif
praedicta assimilatione, quae est per species consiste dans l’assimiliation déjà mentionnée et
intellectuales, sequitur idem quod prius. qui se réalise par les espèces intellectuelles, il en
découle la même chose que précédemment.
[9147] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 arg. 3. Supposons que quelqu’un qui voit dans le
3 Praeterea, ponamus quod aliquis videns in Verbe cesse de voir le Verbe (comme cela est
verbo, desinat videre verbum (sicut Paulo contigit, arrivé à Pierre, ainsi qu’on le dit), il est clair que
ut dicitur): constat quod iste non obliviscitur celui-ci n’oublie pas ce qu’il a vu dans le Verbe.
eorum quae vidit in verbo. Ergo cognoscit ea non Il ne connaît donc pas ces choses dans le Verbe,
in verbo, quia non vidit verbum; ergo cognoscit ea puisqu’il ne voit pas le Verbe. Il les connaît donc
in speciebus propriis; et sic idem quod prius. par leurs propres espèces, et ainsi, la conclusion
est la même que précédemment.
[9148] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. Cependant, [1] là où une chose existe en raison
1 Sed contra, ubi unum propter alterum, ibi d’une autre, il n’y a qu’une seule chose, comme
tantum unum, ut dicit philosophus. Sed qui videt le dit le Philosophe. Or, celui qui voit les choses
res in verbo, non cognoscit eas nisi per verbum dans le Verbe ne les connaît que par la
cognitum. Ergo non est ibi nisi unus habitus. connaissance du Verbe. Il n’y a donc là qu’un
seul habitus.
[9149] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 s. c. [2] Là où il n’y a qu’un seul acte, il n’y a pas
2 Praeterea, ubi est unus actus, non sunt plures plusieurs habitus. Or, l’âme [du Christ] a connu
habitus. Sed eodem actu cognoscit anima verbum, par un même acte le Verbe et ce qu’elle voit dans
et ea quae videt in verbo. Ergo non est ibi le Verbe. Il n’y a donc pas là divers habitus.
quantum ad hoc diversus habitus.
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Quaestiuncula 5 Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle


une autre science des choses, en plus de la
science par laquelle elle connaît les choses
dans le Verbe ?]
[9150] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 1. Il semble que, en plus de la science par
1 Ulterius. Videtur quod praeter hanc scientiam laquelle elle connaît les choses dans le Verbe,
qua cognoscit res in verbo, non habeat aliam [l’âme du Christ] n’ait pas une autre science des
scientiam de rebus. Unius enim, et secundum choses. En effet, il n’existe qu’une seule
idem, et respectu ejusdem, est tantum una perfection pour ce qui est unique, selon la même
perfectio. Sed Christus secundum humanam chose et par rapport à la même chose. Or, le
naturam habet cognitionem in verbo de rebus Christ a, selon sa nature humaine, une
creatis. Ergo ipse secundum humanam naturam connaissance des choses créées dans le Verbe.
non habet earumdem rerum aliam cognitionem vel Selon sa nature humaine, il n’a donc pas une
scientiam. autre connaissance ou science des autres choses.
[9151] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 2. 1 Co 13, 10 dit : Lorsque ce qui est parfait
2 Praeterea, 1 Corinth. 13, 10: cum venerit quod sera venu, ce qui est partiel sera supprimé. Or,
perfectum est, evacuabitur quod ex parte est. Sed la connaisance par laquelle les choses sont
cognitio qua cognoscuntur res in verbo, est connues dans le Verbe est parfaite en regard d’un
perfecta respectu alterius modi cognitionis rerum. autre mode de connaissance des choses. Il
Ergo cum ipsa non est alia in Christo cognitio. n’existe donc pas, en plus de celle-ci, une autre
connaissance chez le Christ.
[9152] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 arg. 3. Parce que le Christ a la vision d’un
3 Praeterea, propter hoc quod Christus habet comprehensor, on n’affirme pas chez lui la foi,
visionem comprehensoris, non ponitur in eo fides, qui est la connaissance des réalités divines du
quae est viatoris cognitio divinorum. Sed scientia viator. Or, la science des choses dans le Verbe
rerum in verbo, est propria comprehensoris. Ergo est propre au comprehensor. Il ne faut donc pas
cum ea non oportet ponere aliam cognitionem affirmer en même temps une autre connaissance
quae competit viatoribus. qui convient aux viatores.
[9153] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. Cependant, [1] la connaissance du matin chez
1 Sed contra, cognitio matutina in Angelis, qua les anges, par laquelle ils connaissent les choses
cognoscunt res in verbo, non excludit dans le Verbe, n’exclut pas la connaissance du
vespertinam, qua cognoscunt res in propria natura. soir, par laquelle ils connaissent les choses dans
Sed anima Christi perfectior est in cognoscendo leur propre nature, Or, l’âme du Christ est plus
quam aliquis Angelus. Ergo et ipsa habet duas parfaite en connaissance qu’un ange. Elle a donc
cognitiones. deux connaissances.
[9154] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 s. c. [2] La connaissance sensible est plus éloignée
2 Praeterea, plus distat a perfectione cognitionis in de la perfection de la connaissance dans le
verbo cognitio sensitiva quam cognitio Verbe, que la connaissance intellectuelle selon
intellectiva in proprio genere. Sed cognitio in son genre propre. Or, la connaissance dans le
verbo non excludit in Christo sensitivam Verbe n’exclut pas chez le Christ la
cognitionem. Ergo multo minus cognitionem connaissance sensible. [L’âme du Christ] exclut
rerum in proprio genere. donc encore bien moins la connaissance des
choses selon son propre genre.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9155] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Puisqu’il existe dans le Christ une seule
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, personne et deux natures, il faut se demander si
quod cum in Christo sit una persona et duae ce qui est attribué au Christ relève de la raison de
naturae, considerandum est, utrum ea quae la personne ou de la raison de la nature. Si [cela
attribuuntur Christo, pertineant ad rationem relève] de la raison de la personne, il faut alors
personae, vel ad rationem naturae. Et si quidem ad affirmer que cela est unique chez le Christ,
431

rationem personae, sic oportet in Christo illud comme un seul être, un seul suppôt, une seule
tantum unum ponere, sicut unum tantum esse, hypostase, et ainsi des autres choses. Mais si
unum suppositum, unam hypostasim, et sic de [cela relève] de la nature, soit cela relève d’une
aliis. Si autem pertinet ad naturam; aut ad alteram des deux [natures], soit cela relève des deux. Si
tantum, aut ad utramque. Si ad alteram tantum, sic [cela relève] d’une des deux natures, cela est de
iterum est unum tantum, sicut una immensitas et nouveau unique, comme une seule immensité et
una anima. Si autem ad utramque, sic quia naturae une seule âme. Mais si [cela relève] des deux,
in Christo sunt integrae, oportet ponere talia esse parce que les natures chez les Christ sont
duo, sicut duas voluntates, duo libera arbitria. complètes, il faut affirmer que ces choses sont
Unde cum scientia pertineat ad divinam naturam doubles, comme deux volontés, deux libres
et humanam, oportet in Christo ponere duas arbitres. Puisque la science appartient à la nature
scientias, unam creatam, et aliam increatam. divine et à la nature humaine, il faut donc
affirmer chez le Christ deux sciences, l’une créée
et l’autre incréée.
[9156] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. La science fait partie des choses qui découlent
Ad primum ergo dicendum, quod scientia est de de la nature humaine selon l’âme, qui en est une
his quae consequuntur humanam naturam partie. Bien qu’il y ait chez le Christ une science
secundum animam, quae est pars ejus: unde licet divine, qui est la plus parfaite, la nature humaine
in Christo sit scientia divina, quae est n’est cependant pas perfectionnée par elle de
perfectissima; tamen ea non formaliter perficitur manière formelle. Aussi faut-il affirmer une
humana natura; et ideo oportet creatam connaissance ou une science créée en elle.
cognitionem vel scientiam in ea ponere.
[9157] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Divers luminaires peuvent par leurs rayons
Ad secundum dicendum, quod diversa luminaria donner forme aux mêmes choses et ils possèdent
per radios suos sunt nata informare easdem res, et la même raison en illuminant ; aussi l’effet du
sunt ejusdem rationis in illuminando; unde plus petit luminaire n’est-il pas perfectionné
effectus minoris lucis non perficitur, quia sensus parce que le sens est rempli de la plus grande
repletur luce majori. Sed scientia creata et increata lumière. Mais la science créée et la [science]
non sunt unius rationis, nec idem informant; et incréée n’ont pas la même raison et ne donnent
ideo non est simile. pas forme à la même chose. Il n’en va donc pas
de même.
[9158] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Rien n’empêche qu’une chose soit plus digne
Ad tertium dicendum, quod nihil prohibet aliquid qu’une autre chose sous un aspect, alors qu’elle
esse dignius alio secundum quid, quod est est simplement moins digne, comme la couleur
indignius simpliciter: sicut etiam color corporis du corps du Christ est plus digne sous un aspect
Christi secundum quid est dignior ipso corpore, que le corps lui-même pour autant qu’elle est par
inquantum se habet ad ipsum sicut actus ad rapport à lui comme l’acte par rapport à la
potentiam, cum sit forma accidentalis ipsius: puissance, puisqu’elle en est une forme
tamen corpus Christi est dignius simpliciter: et accidentelle. Cependant, le corps du Christ est
similiter se habet scientia creata ad animam simplement plus digne. De même en est-il pour
Christi. la science créée par rapport à l’âme du Christ.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9159] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Aucune puissance passive ne peut passer à l’acte
Ad secundam quaestionem dicendum, quod nulla à moins d’être achevée par la forme de ce qui est
potentia passiva potest in actum exire nisi actif, par laquelle elle passe à l’acte, car rien
completa per formam activi, per quam fit in actu: n’agit à moins d’être en acte. Or, les impressions
quia nihil operatur nisi secundum quod est in actu. des réalités actives peuvent se trouver dans des
Impressiones autem activorum possunt esse in réalités passives de deux manières. D’une
passivis dupliciter. Uno modo per modum manière, par mode de passion, lorsque la
passionis, dum scilicet potentia passiva est in puissance passive est en voie d’être changée ;
432

transmutari: alio modo per modum qualitatis et d’une autre manière, par mode de qualité ou de
formae, quando impressio activi jam facta est forme, lorsque l’impression de ce qui est actif est
connaturalis ipsi passivo; sicut etiam philosophus déjà devenue connaturelle à cela même qui est
in praedicamentis distinguit passionem, et passif, de la même manière que, dans les
passibilem qualitatem. Sensus autem potentia prédicaments, le Philosophe fait une distinction
passiva est: quia non potest esse in actu omnium entre la passion et la qualité sujette à la passion.
ad quae se extendit sua operatio per naturam Or, le sens est une puissance passive, car il ne
potentiae: non enim potest esse aliquid quod actu peut être en acte de tout ce à quoi s’étend son
habeat omnes colores: et sic patiendo a coloribus opération par la nature de sa puissance. En effet,
fit in actu, et eis assimilatur, et cognoscit eos. il ne peut être quelque chose qui aurait en acte
Similiter etiam intellectus est cognoscitivus toutes les couleurs ; ainsi, il passe à l’acte en
omnium entium: quia ens et verum convertuntur, subissant les couleurs, il leur est assimilé et il les
quod est objectum intellectus. Nulla autem connaît. De la même manière, l’intellect peut
creatura potest esse in actu totius entitatis, cum sit connaître tous les êtres, car l’être et la vérité, qui
ens finitum: hoc enim solius Dei est, qui est fons est l’objet de l’intellect, sont convertibles. Or,
omnium entium, omnia quodammodo in se aucune créature ne peut être en acte de la totalité
praehabens, ut dicit Dionysius; et ideo nulla de l’être, puisqu’elle est un être fini. En effet,
creatura potest intelligere sine aliquo intellectu, cela appartient à Dieu seul, qui est la source de
qui sit potentia passiva, idest receptiva: unde nec tous les êtres, qui, d’une certaine manière, les
sensus nec intellectus possibilis operari possunt, possède d’avance en lui-même, comme le dit
nisi per sua activa perficiantur vel moveantur. Sed Denys. Aussi aucune créature ne peut-elle
quia sensus non sentit nisi ad praesentiam intelliger sans un intellect qui soit une puissance
sensibilis, ideo ad ejus operationem perfectam passive, c’est-à-dire réceptive. C’est pourquoi ni
sufficit impressio sui activi per modum passionis le sens ni l’intellect possible ne peuvent agir que
tantum. In intellectu autem requiritur ad ejus s’ils sont perfectionnés ou mus par ce qui les
perfectionem quod impressio sui activi sit in eo active. Or, parce que le sens ne sent qu’en
non solum per modum passionis, sed etiam per présence du sensible, l’impression de ce qui
modum qualitatis et formae connaturalis l’active par mode de passion seulement suffit à
perfectae: et hanc formam habitum dicimus. Et son opération parfaite. Mais, dans le cas de
quia quod est naturale, firmiter manet; et in l’intellect, il est nécessaire pour sa perfection que
promptu est homini uti sua naturali virtute, et est l’impression de ce qui l’active soit en lui, non
eidem delectabile, quia est naturae conveniens; seulement par mode de passion, mais aussi par
ideo habitus est difficile mobilis, sicut scientia; et mode de qualité et de forme connaturelle
eo potest homo uti cum voluerit, et reddit parfaite, et c’est cette forme que nous appelons
operationem delectabilem. Sicut autem in sensu habitus. Et parce que ce qui est naturel demeure
visus est duplex activum: unum quasi primum fermement, que l’homme peut rapidement en
agens et movens, sicut lux; aliud quasi movens faire usage par sa puissance naturelle et que cela
motum, sicut color factus visibilis actu per lucem: lui est délectable, car cela convient à sa nature,
ita in intellectu est quasi primum agens lumen un habitus, comme la science, est donc
intellectus agentis; et quasi movens motum, difficilement changeable, l’homme peut en faire
species per ipsum facta actu intelligibilis; et ideo usage lorsqu’il le veut et il rend l’opération
habitus intellectivae partis conficitur ex lumine et délectable. Or, de même que, dans le sens, il
specie intelligibili eorum quae per speciem existe un double principe actif : l’un, comme
cognoscuntur. Quia igitur intellectus Christi premier agent et moteur, comme la lumière ;
perfectissimus fuit in cognoscendo, oportebat l’autre, comme moteur mû, comme la couleur
quod in Christo habitus esset quo cognosceret; ut rendue visible en acte par la lumière, de même,
sic impressio activi non solum esset in ipso per dans l’intellect, existe comme premier agent la
modum passionis, sed etiam per modum formae. lumière de l’intellect agent, et comme moteur
mû, l’espèce rendue par lui intelligible en acte.
C’est pourquoi l’habitus de la partie intellective
433

est réalisé par la lumière et par l’espèce


intelligible de ce qui est connu par l’espèce.
Donc, parce que l’intellect du Christ était le plus
parfait pour connaître, il fallait que, chez le
Christ, existe un habitus par lequel il connaîtrait,
de sorte que l’impression de ce qui l’activerait
n’existe pas seulement en lui par mode de
passion, mais aussi par mode de forme.
[9160] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Pour intelliger, l’homme a besoin de la
Ad primum ergo dicendum, quod homo indiget ad lumière intellectuelle tant pour la connaissance
intelligendum lumine intellectuali et in naturali des réalités naturelles, afin qu’elles deviennent
cognitione rerum naturalium, ut per ipsum fiant par elle intelligibles en acte, puisqu’elles sont
intelligibiles actu, cum sint intelligibiles in intelligibles en puissance, que pour la
potentia; et in cognitione supernaturali, ut per connaissance surnaturelle, de sorte que, par la
lumen infusum ad ea quae sunt supra se elevetur. lumière infuse, il soit élevé jusqu’aux réalités qui
Angelus autem non indiget lumine in cognitione lui sont supérieures. Or, l’ange n’a pas besoin de
naturali, quia non abstrahit a phantasmatibus lumière pour la connaissance naturelle, car il
species, sed habet eas innatas; indiget tamen eo in n’abstrait pas des espèces à partie des
cognitione supernaturali; unde dicitur Job 25, 3: phantasmes, mais il les possède à l’état inné ; il
numquid est numerus militum ejus, et super quem en a cependant besoin pour la connaissance
non fulget lumen illius ? Et ideo Angeli in surnaturelle. Aussi est-il dit en Jb 25, 3 : Ses
cognitione naturali non indigent habitu, secundum soldats ne sont-ils pas nombreux, et sa lumière
quod ad habitum requiritur lumen; exigitur autem ne brillera-t-elle pas sur lui ? C’est pourquoi les
secundum quod requiritur species rerum, propter anges n’ont pas besoin, pour leur connaissance
hoc quia habent esse limitatum: unde dicitur in naturelle, d’un habitus, pour autant que la
libro de causis, quod omnis intelligentia est plena lumière soit nécessaire à l’habitus, mais [un
formis. Anima autem Christi, quod sit superior habitus] est nécessaire pour autant que des
Angelis, non habet ex natura animae, quia sic espèces des choses sont nécessaires, parce qu’ils
quaelibet anima esset superior Angelo; sicut nec ont un être limité. Ainsi est-il dit dans le Livre
corpus ejus habet ex natura corporis quod sit sur les causes, que toute intelligence est remplie
nobilius nostris animabus; sed habet ex unione. de formes. Mais l’âme du Christ ne tient pas de
Unde omnia quae superadduntur a Deo in anima la nature de l’âme d’être supérieure aux anges,
Christi et in Angelis, sunt eminentius in anima car ainsi toute âme serait supérieure aux anges,
Christi quam in Angelis. pas davantage que son corps ne tient de la nature
du corps d’être plus noble que nos âmes, mais il
tient cela de l’union. Aussi tout ce qui est ajouté
par Dieu dans l’âme du Christ et chez les anges
est-il plus éminent dans l’âme du Christ que chez
les anges.
[9161] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. L’âme intellective se compare aux réalités
Ad secundum dicendum, quod anima intellectiva intelligibles de deux manières. D’une manière,
comparatur ad res intelligendas dupliciter. Uno comme les rendant intelligibles en acte, car
modo ut faciens eas intelligibiles actu: quia non toutes les réalités, selon qu’elles existent dans
omnes res, prout sunt in sua natura, sunt actu leur nature, ne sont pas intelligibles en acte, mais
intelligibiles; sed solum res immateriales; unde et seulement les réalités immatérielles. Aussi les
res materiales intelligibiles efficiuntur per hoc réalités matérielles sont-elles rendues
quod abstrahuntur a materia particulari et a intelligibles par le fait qu’elles sont abstraites de
conditionibus ejus, ut sic quodammodo intellectui, leur matière particulière et de leurs conditions,
qui immaterialis est, assimilentur. Alio modo afin d’être en quelque sorte rendues semblables à
comparatur ad res ut cognoscens eas; et secundum l’intellect, qui est immatériel. D’une autre
434

hoc oportet quod sit similis ipsis rebus, ut per manière, [l’âme intellective] se compare aux
propriam rationem cujuslibet rei de ea réalités selon qu’elle les connaît. De ce point de
determinatam cognitionem habeat. Ad hoc autem vue, il est nécessaire qu’elle soit semblable aux
quod aliquid assimilet sibi multa, sufficit quod réalités elles-mêmes, afin que, par la raison
habeat in actu illam solam formam secundum propre de chaque chose, elle en ait une
quam dicitur esse similitudo; sicut per calorem, connaissance déterminée. Or, pour qu’une chose
ignis multa sibi assimilat: sed ad hoc quod aliquid se rende semblables plusieurs réalités, il suffit
sit simile multis, oportet quod actu omnium qu’elle possède en acte cette seule forme selon
illorum multorum formas habeat; sicut si in laquelle on dit qu’elle y a ressemblance ; ainsi,
pariete sint diversarum rerum similitudines. Et par la chaleur, le feu se rend-il semblables
ideo anima intellectiva potest facere omnia plusieurs choses. Mais, pour qu’une chose soit
intelligibilia per unam naturam luminis quam actu semblable à plusieurs réalités, il est nécessaire
habet, sine hoc quod aliquid aliud ab alio recipiat; qu’elle possède en acte les formes de toutes ces
et ideo potentia quae haec efficit, est simpliciter réalités, comme si se trouvaient sur un mur les
activa, et dicitur intellectus agens, qui non ressemblances des différentes choses. C’est
operatur aliquo habitu mediante. Sed cum essentia pourquoi l’âme intellectuelle peut rendre
animae sit limitata, non potest per eam assimilari intelligibles toutes les réalités par la lumière
omnibus quidditatibus rerum intellectarum: unde d’une seule nature qu’elle possède en acte, sans
oportet quod ista assimilatio compleatur per hoc recevoir rien d’autre d’une autre réalité. Aussi la
quod aliquid aliunde recipit: et ideo potentia qua puissance qui réalise cela est-elle simplement
perficitur, quasi passiva est, secundum quod omne active : on l’appelle l’intellect agent, qui n’agit
recipere dicitur pati, et vocatur possibilis pas par l’intermédiaire d’un habitus. Cependant,
intellectus qui operatur aliquo habitu mediante. puisque l’essence de l’âme est limitée, elle ne
Quamvis autem possibilis intellectus in Christo sit peut être par elle rendue semblable à toutes les
nobilior simpliciter ex unione, quam intellectus quiddités des réalités intelligées. Il faut donc que
agens in nobis, tamen non est nobilior ex ratione cette assimilation soit réalisée par le fait qu’elle
potentiae; sicut nec sensus ejus nobilior est reçoit quelque chose d’ailleurs. Aussi la
intellectu nostro ex ratione potentiae. Unde non puissance par laquelle cela s’accomplit est-elle
sequitur quod si intellectus agens in nobis non est pour ainsi dire passive, selon que toute réception
subjectum alicujus habitus, nec possibilis implique une passivité : elle est appelée
intellectus in Christo. l’intellect possible, qui agit par l’intermédiaire
d’un habitus. Or, bien que l’intellect possible
chez le Christ soit simplement plus noble, en
raison de l’union, que l’intellect agent chez nous,
il n’est cependant pas plus noble en raison de sa
puissance, comme son sens n’est pas plus noble
que notre intellect en raison de sa puissance.
Aussi n’en découle-t-il pas que si l’intellect
agent chez nous n’est pas le sujet d’un habitus,
ce ne soit pas non plus le cas de l’intellect
possible chez le Christ.
[9162] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Les opérations des puissances naturelles
Ad tertium dicendum, quod potentiae naturales portent sur des choses déterminées ; aussi
operantur circa aliqua determinata: unde possunt peuvent-elles être simplement en acte selon leur
secundum naturam suam esse in actu simpliciter nature par rapport à ces choses. C’est pourquoi il
respectu illorum: et ideo non oportet quod eis n’est pas nécessaire que leur soit ajouté quelque
aliquid addatur ad producendum suum effectum. chose pour produire leur effet. Mais l’opération
Sed anima humana habet operationem circa ens de l’âme humaine porte simplement sur l’être.
simpliciter: et ideo, cum habeat possibilitatem in C’est pourquoi, puisqu’elle en a la possibilité par
suo esse, oportet quod ejus possibilitas perficiatur son être, il faut, pour qu’elle opère, que sa
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per aliquid additum, ad hoc quod operetur. possibilité soit réalisée par quelque chose
d’ajouté.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9163] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 co. L’habitus de la science vient de deux choses,
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod habitus comme on l’a dit : la lumière intellectuelle et une
scientiae ex duobus constat, ut dictum est, scilicet similitude de la chose connue. Or, dans la
ex lumine intellectuali, et ex similitudine rei connaissance par laquelle l’âme du Christ ou
cognitae. In cognitione autem qua anima Christi, n’importe quelle âme voit le Verbe par essence,
vel quaelibet anima, videt verbum per essentiam, il ne peut y avoir, pour ce qui est de l’espèce,
non potest esse habitus quantum ad speciem, quae d’habitus qui soit une similitude de ce qui est
sit similitudo cogniti: cum enim omne quod connu. En effet, puisque tout ce qui est reçu dans
recipitur in aliquo, sit in eo per modum une chose y est présent selon le mode de ce qui
recipientis, essentiae divinae similitudo non potest reçoit, une similitude de l’essence divine qui la
in aliqua creatura recipi, quae perfecte représente parfaitement ne peut être reçue dans
repraesentet ipsam, propter infinitam distantiam une créature, en raison de la distance infinie
creaturae ad Deum: et inde est quod illud quod est entre la créature et Dieu. De là vient que les
in Deo unum et simplex, creaturae diversis formis créatures représentent ce qui est unique et simple
et perfectionibus repraesentant, unaquaque earum en Dieu par diverses formes, dont aucune ne
deficiente a perfecta repraesentatione divinae représente parfaitement l’essence divine. Or, la
essentiae. Similitudo autem alicujus rei recepta in similitude d’une chose reçue par celui qui voit ne
vidente non facit eum videre rem illam, nisi lui permet pas de voir cette chose, à moins que
perfecte eam repraesentet; sicut similitudo coloris [la similitude] ne la représente parfaitement ;
in oculo existens, non facit videre lucem ainsi, la similitude de la couleur qui existe dans
perfectam, quia in colore non est nisi quaedam l’œil ne permet pas de voir la lumière parfaite,
obumbrata participatio lucis. Et ideo quicumque parce qu’il n’y a dans la couleur qu’une
intellectus cognosceret verbum per similitudinem participation obscurcie à la lumière. C’est
aliquam, non diceretur videre essentiam verbi. Et pourquoi on ne dirait pas que tout intellect qui
ita patet quod anima Christi et quaelibet alia connaîtrait le Verbe par une similitude voit
anima quae videt verbum per essentiam, non videt l’essence du Verbe. Il est ainsi clair que l’âme du
ipsum mediante aliqua similitudine. Similiter non Christ et toute autre âme qui voit le Verbe par
potest ex parte luminis in illa visione esse habitus essence ne le voient pas à travers une similitude.
quantum ad effectum lucis intellectualis, cujus est De même, du côté de la lumière, il ne peut y
intelligibilia facere in actu: quia res immateriales avoir dans cette vision un habitus pour ce qui est
secundum se sunt intelligibiles in actu: sed oportet de l’effet de la lumière intellectuelle, à qui il
quod sit ibi quantum ad alium effectum, qui est revient de rendre les choses intelligibles en acte,
perficere intellectum possibilem ad car les réalités immatérielles sont intelligibles en
cognoscendum; quod in nobis faciunt species acte par elles-mêmes ; mais il est nécessaire qu’il
illuminatae lumine intellectus agentis. Sed quia y en ait un pour ce qui est d’un autre effet, qui
illa visio excedit omnem facultatem naturae consiste à perfectionner l’intellect possible pour
creatae, ideo ad illam visionem non sufficit lumen qu’il connaisse, ce que réalisent en nous les
naturae, sed oportet ut superaddatur lumen espèces illuminées par la lumière de l’intellect
gloriae. agent. Cependant, parce que cette vision dépasse
toute faculté de la nature créée, la lumière de la
nature ne suffit donc pas pour cette vision, mais
il est nécessaire que soit ajoutée la lumière de la
gloire.
[9164] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Ce n’est pas la même union par laquelle le
Ad primum ergo dicendum, quod non eadem est Verbe est uni à l’âme du Christ dans la personne
unio qua unitur verbum animae Christi in persona, et par laquelle il lui est uni comme ce qui peut
et qua unitur ei ut visibile videnti: quia unitur être vu [est uni] à celui qui voit, car il est uni au
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corpori in persona, non tamen videtur a corpore. corps dans la personne, il n’est cependant pas vu
Et ideo licet in unione illa qua unitur anima verbo par le corps. Bien que, dans cette union par
in persona, non cadat aliquod medium; non tamen laquelle l’âme est unie au Verbe dans la
oportet quod in visione non cadat aliquod personne, n’intervienne aucun intermédiaire, il
medium: non quidem dico medium sicut in quo n’est donc pas nécessaire qu’intervienne un
videtur, ut speculum vel species; sed sicut sub quo intermédiaire dans la vision : je ne parle pas d’un
videtur, sicut lumen. intermédiaire dans lequel il est vu, comme un
miroir ou une espèce, mais par lequel il est vu,
telle la lumière.
[9165] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. L’habitus de science ne consiste pas seulement
Ad secundum dicendum, quod habitus scientiae dans des espèces, mais aussi dans une lumière,
non tantum consistit in speciebus, sed etiam in comme on l’a dit.
lumine, ut dictum est.
[9166] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Cette lumière n’est pas quelque chose de
Ad tertium dicendum, quod illud lumen non est subsistant, de sorte qu’elle puisse être unie au
quid subsistens, ut possit uniri verbo, quasi Verbe comme celui qui connaît [l’est] au Verbe.
cognoscens verbo; sed est illud quo assimilatur Mais elle est ce par quoi l’âme est rendue
anima verbo formaliter, ut possit in visionem semblable au Verbe de manière formelle, afin de
verbi; sicut in gratia est similitudo quaedam rendre possible la vision du Verbe. Ainsi, par la
animae ad Deum; et haec est nobilior anima grâce, existe une certaine similitude de l’âme
secundum quid, et non simpliciter, ut dictum est. avec Dieu, et celle-ci est plus noble que l’âme
sous un aspect, et non pas simplement, comme
on l’a dit.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[9167] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 co. Ce en quoi quelque chose est vu est la raison de
Ad quartam quaestionem dicendum, quod illud in connaître ce qui est vu en cela. Or, la raison de
quo aliquid videtur, est ratio cognoscendi illud connaître est la forme d’une chose en tant qu’elle
quod in eo videtur. Ratio autem cognoscendi est est connue, car, par elle, la connaissance se
forma rei inquantum est cognita, quia per eam fit réalise en acte. De même qu’il n’existe qu’un
cognitio in actu: unde sicut ex materia et forma seul être de la matière et de la forme, de même,
est unum esse; ita ratio cognoscendi et res cognita la raison de connaître et la chose connue sont-
sunt unum cognitum: et propter hoc utriusque, elles une seule chose connue. Aussi, en tant que
inquantum hujusmodi, est una cognitio secundum tel, n’existe-t-il qu’une seule connaissance des
habitum et secundum actum: et ita non est alius deux selon l’habitus et selon l’acte. Il n’existe
habitus quo cognoscitur verbum et ea quae in donc pas un autre habitus par lequel sont connus
verbo videntur; sicut nec alius habitus quo le Verbe et ce qui est vu dans le Verbe, comme il
cognoscitur medium demonstrationis et conclusio, n’y a pas un autre habitus par lequel la mineure
secundum quod medium ad conclusionem d’une démonstration et sa conclusion sont
ordinatur. connues, pour autant que la mineure est
ordonnée à la conclusion.
[9168] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 1 1. Lorsque des choses sont vues dans un miroir,
Ad primum ergo dicendum, quod quando videntur les espèces de ces choses ne sont pas imprimées
res in speculo, species istarum rerum non par les choses dans le sens, mais par le miroir.
imprimuntur a rebus in sensum, sed a speculo: Aussi toutes ces espèces sont-elles imprimées
unde imprimuntur omnes istae species in sensum, dans le sens en tant qu’elles sont incluses dans
ut conclusae in una specie speculi; non quia sit une seule espèce du miroir, et non parce qu’il y
alia species speculi et alia species rei visae in aurait une espèce du miroir et une autre espèce
speculo. Sed in visione verbi non imprimitur de la chose vue dans le miroir. Mais, dans la
aliqua similitudo a verbo in animam, per quam vision du Verbe, une similitude par laquelle elle
videatur, ut dictum est, sed ipsum per essentiam verrait n’est pas imprimée dans l’âme par le
437

suam animae unitur: et ideo in ipsa essentia verbi Verbe, comme on l’a dit, mais il est lui-même
videntur aliae res, quia essentia verbi habet uni à l’âme par son essence. Aussi les autres
rationem speciei quae fit in visu a speculo. réalités sont-elles vues dans l’essence du Verbe,
car l’essence du Verbe possède la raison de
l’espèce qui se réalise dans la vision à partir du
miroir.
[9169] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 2 2. L’âme est rendue semblable aux choses
Ad secundum dicendum, quod anima assimilatur qu’elle connaît dans le Verbe, non pas par des
rebus quas cognoscit in verbo, non per aliquas formes de ces choses imprimées dans l’âme,
formas illarum rerum impressarum in anima, sed mais par le fait que le Verbe lui-même devient
per hoc quod verbum ipsum efficitur ut forma comme une forme pour l’âme qui voit, pour
animae videnti, inquantum videtur ab ea, et ipsum autant qu’il est vu par elle et que le Verbe lui-
verbum est similitudo omnium illarum rerum. même est la similitude de toutes choses.
[9170] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 4 ad 3 3. De même que, lorsque les choses sensibles se
Ad tertium dicendum, quod sicut abeuntibus rebus retirent, demeurent leurs impressions, par
sensibilibus remanent impressiones rerum, lesquelles se réalise l’imagination, de même,
secundum quas est imaginatio; ita etiam abeunte lorsque le Verbe se retire, demeure en son âme
verbo, in ipso qui desinit videre verbum, remanet une impression venue du Verbe chez celui qui
impressio in anima ejus a verbo, per quam cesse de voir le Verbe. [Par cette impression],
cognoscuntur ea quae in verbo viderat per species sont connues les choses qu’il avait vues dans le
illarum rerum; et haec erit quasi reliquia Verbe par les espèces de ces choses. Ce seront
praeteritae visionis. comme des restes de la vision passée.
Quaestiuncula 5 Réponse à la sous-question 5
[9171] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 co. Selon le Philosophe, dans Sur l’âme, III,
Ad quintam quaestionem dicendum, quod l’intellect possible est en puissance de tous les
secundum philosophum in 3 de anima, intellectus intelligibles. Or, tout ce qui est en puissance par
possibilis est in potentia ad omnia intelligibilia; rapport à une forme demeure inachevé, à moins
omne autem quod est in potentia ad formam que cette forme n’apparaisse en lui. Puisque
aliquam, remanet imperfectum, nisi illa forma fiat l’intellect du Christ n’est pas imparfait, il est
in eo: unde cum intellectus Christi non sit donc nécessaire que les formes des choses par
imperfectus, oportet quod formae rerum ad quas rapport auxquelles l’intellect possible est en
intellectus possibilis est in potentia, sint puissance soient inscrites en lui. Mais, parce
descriptae in eo; sed secundum quod cognoscit qu’il connaît le Verbe, ne sont représentées en
verbum, non depingitur in eo neque similitudo lui ni une similitude du Verbe, ni les choses qui
verbi, neque res quae videntur in verbo, ut dictum sont vues dans le Verbe, comme on l’a dit. Il faut
est; unde oportet quod praeter visionem qua videt donc qu’en plus de la vision par laquelle il voit
res in verbo, habeat aliam scientiam de rebus, les choses dans le Verbe, il ait une autre
secundum quod cognoscit eas per proprias connaissance des choses, selon qu’il les connaît
similitudines in propria natura. Et sic habemus par leur propres similitudes dans leur propre
tres scientias Christi. Una est divina, quae est nature. Nous avons ainsi trois sciences dans le
increata. Alia qua cognoscit res in verbo, et Christ. L’une est divine, qui est incréée ; une
verbum ipsum, quae est scientia comprehensoris. autre, par laquelle il connaît les choses dans le
Tertia qua cognoscit res in propria natura, quae Verbe et le Verbe lui-même, qui est la science du
competit ei secundum quod est homo in solis comprehensor ; une troisième, par laquelle il
naturalibus consideratus. connaît les choses dans leur nature propre, et qui
lui convient selon qu’il est un homme envisagé
selon ses seules capacités naturelles.
[9172] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 1 1. Ces deux dernières sciences n’ont pas la
Ad primum ergo dicendum, quod istae duae même raison ni la même espèce. C’est pourquoi
scientiae ultimae non sunt unius rationis, nec il n’est pas inapproprité qu’elles existent chez le
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unius speciei; et ideo non est inconveniens quod même, mais non en raison de la même chose.
sint in eodem, non ratione ejusdem.
[9173] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 22. La parole de l’Apôtre doit s’entendre de ce qui
Ad secundum dicendum, quod verbum apostoli est parfait et imparfait dans la même espèce ;
intelligendum est de perfecto et imperfecto in cependant, il n’est pas inapproprié que, chez le
eadem specie: non tamen est inconveniens quod même, existent des perfections d’espèces
in eodem sint perfectiones diversarum specierum, différentes, dont l’une est plus grande que
quarum una sit major altera. Vel dicendum, quod l’autre. Ou bien il faut dire que la science des
scientia rerum in proprio genere non habet choses dans leur propre genre ne comporte pas
aliquam imperfectionem ex parte cognoscentis: d’imperfection du côté de celui qui connaît.
unde etiam in beatis est, quamvis sit inferior illa Aussi existe-t-elle, même chez les bienheureux,
scientia qua videntur res in verbo propter bien que cette science soit inférieure à celle par
ignobilius medium cognoscendi. Unde non est laquelle les choses sont vues dans le Verbe en
simile de fide, quae importat imperfectionem ex raison d’un moyen de connaissance moins noble.
parte credentis. Ce n’est donc pas la même chose pour la foi, qui
comporte une imperfection du côté de celui qui
croit.
[9174] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 1 qc. 5 ad 3 3. La réponse au troisième argument est ainsi
Et per hoc patet responsio ad tertium. claire.

Articulus 2 [9175] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. Article 2 – L’âme du Christ, en voyant le


2 tit. Utrum anima Christi videndo verbum Verbe, le comprend-elle ?
comprehendat ipsum
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’âme du Christ, en
voyant le Verbe, le comprend-elle ?]
[9176] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que l’âme du Christ, en voyant le
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christ, le comprenne. En effet, comme le dit
anima Christi verbum videndo comprehenderit. Isidore, « la Trinité est connue de Dieu seul et de
Sicut enim dicit Isidorus, Trinitas sibi soli nota l’homme assumé ». Or, la vision par laquelle
est, et homini assumpto. Sed visio qua Deus Dieu est vu convient à Dieu seul et à aucune
videtur, soli Deo est conveniens, et nulli alii purae simple créature, car il s’agit de la vision de
creaturae, quia est visio comprehensionis. Ergo compréhension. L’homme assumé comprend
homo assumptus comprehendit Trinitatem. dont la Trinité.
[9177] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. Il est plus grand d’être uni à Dieu pour ce qui
2 Praeterea, majus est uniri Deo quantum ad esse est de l’être de la personne que pour ce qui est de
personae quam quantum ad visionem. Sed, sicut la vision. Or, comme le dit [Jean] Damascène,
dicit Damascenus, tota divina natura unita est « la nature divine entière à été unie à la chair en
carni in persona filii. Ergo multo fortius tota la personne du Fils ». À bien plus forte raison,
divina natura unita est animae per modum donc, la nature divine entière a-t-elle été unie à
visibilis; et ita anima Christi comprehendit l’âme selon le mode de ce qui est visible. Ainsi,
deitatem verbi. l’âme du Christ comprend-elle la divinité du
Verbe.
[9178] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Le Verbe est simple et non divisible. Or, ce
3 Praeterea, verbum est simplex, non divisibile. qui est simple ne peut être saisi par quelqu’un
Sed simplex non potest ab aliquo capi quin sans être compris, car cela ne peut être en partie
comprehendatur: quia non potest esse partim intra à l’intérieur de celui qui saisit et en partie en
capientem et partim extra. Cum igitur anima dehors. Puisque l’âme du Christ saisit en voyant,
Christi verbum videndo capiat, videtur quod il semble donc qu’elle comprenne.
ipsum comprehendat.
[9179] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] selon Augustin, « est compris ce
439

1 Sed contra, secundum Augustinum, illud proprie dont les limites tombent sous le regard ». Or,
comprehenditur cujus fines conspiciuntur. Sed puisqu’il est infini, les limites du Verbe ne
verbi, cum sit infinitum, fines conspici non peuvent tomber sous le regard. Il ne peut donc
possunt. Ergo non potest comprehendi ab anima être compris par l’âme du Christ.
Christi.
[9180] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Aucune puissance d’une substance finie
2 Praeterea, nulla potentia substantiae finitae est n’est infinie. Or, l’âme du Christ, puisqu’elle est
infinita. Sed anima Christi, cum sit creata, est créée, est une substance finie. Toutes ses
substantia finita. Ergo omnis virtus ejus est finita; puissances sont donc finies, et donc leur
ergo et capacitas ejus. Sed capacitas finita non capacité. Or, une capacité finie ne comprend pas
comprehendit infinitum. Cum igitur verbum sit ce qui est infini. Puisque le Verbe est infini, il ne
infinitum, non potest comprehendi ab anima peut donc être compris par l’âme du Christ.
Christi.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’âme du Christ connaît-
elle dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît
?]
[9181] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que [l’âme du Christ] ne connaisse
1 Ulterius. Videtur quod in verbo non cognoscat pas dans le Verbe tout ce que le Verbe connaît.
omnia quae cognoscit verbum. Marci 13, 32: de Mc 13, 32 : Ce jour, personne ne le connaît, sauf
die illa nemo scit, neque filius, sed solus pater. le Père. Or, il ne parle pas du Fils selon sa nature
Sed non loquitur de filio secundum divinam divine, selon laquelle il possède la même
naturam, secundum quam habet eamdem connaissance que le Père. Il parle donc du Fils
scientiam cum patre. Ergo loquitur de filio selon sa nature humaine. Le Christ ne connaît
secundum humanam naturam; ergo Christus donc pas par son âme tout ce que Dieu connaît.
secundum animam non scit omnia quae scit Deus.
[9182] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. Dieu connaît les réalités infinies. Or, l’âme du
2 Praeterea, Deus scit infinita. Sed anima Christi, Christ, puisqu’elle est finie, ne peut comprendre
cum sit finita, non potest comprehendere infinita. les réalités infinies. Elle ne connaît donc pas tout
Ergo non omnia scit quae Deus scit. ce que Dieu connaît.
[9183] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. C’est en raison de l’infinité de la puissance
3 Praeterea, ex infinitate divinae potentiae est divine que celle-ci peut faire des réalités infinies.
quod potest infinita facere. Sed anima Christi non Or, l’âme du Christ ne comprend pas l’infinité de
comprehendit infinitatem divinae potentiae. Ergo la puissance divine. Elle ne comprend donc pas
non comprehendit omnia quae Deus potest facere. tout ce que Dieu peut faire. Or, Dieu connaît tout
Sed Deus scit omnia quae potest facere. Ergo ce qu’il peut faire. L’âme du Christ n’a donc pas
anima Christi non habet scientiam omnium quae la science de tout ce que Dieu sait.
scit Deus.
[9184] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 4. Plus un intellect est élevé, plus il peut
4 Praeterea, quanto aliquis intellectus est altior, connaître de choses à partir d’une seule ; pour
tanto potest ex uno plura cognoscere: et propter cette raison, le Livre des causes et Denys disent
hoc dicitur scientia superiorum esse universalior que la science des êtres supérieurs est plus
quam inferiorum in Lib. de causis et a Dionysio. universelle que celle des inférieurs. Or, l’intellect
Sed intellectus divinus est altior in infinitum divin est infiniment plus élevé que l’âme du
quam anima Christi. Ergo in infinitum plura Christ. Il peut donc à l’infini connaître davantage
potest ex seipso cognoscere quam anima Christi de choses par lui-même, que l’âme du Christ par
ex visione unius divinae essentiae. la vision de la seule essence divine.
[9185] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] à propos de Ap 5, 12 : L’agneau
1 Sed contra, Apoc. 5, 12: dignus est agnus qui qui a été tué est digne de recevoir la divinité et
occisus est accipere divinitatem et sapientiam; la sagesse, la Glose dit : « C’est-à-dire toute
Glossa: idest omnem cognitionem. Ergo cum connaissance. » Puisque l’agneau a été tué selon
440

agnus sit occisus secundum humanam naturam, sa nature humaine, il semble donc que le Christ
videtur quod Christus secundum humanam ait toute connaissance selon sa nature humaine.
naturam omnem cognitionem habeat.
[9186] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Il n’y aucun bien que l’âme du Christ
2 Praeterea, nullum bonum est quod anima Christi n’aime, car elle possède une charité parfaite. Or,
non amet, quia habet perfectam caritatem. Sed n’est aimé que ce qui est connu. Il n’existe donc
non amatur nisi cognitum. Ergo nullum bonum est aucun bien qu’elle ne connaisse. Or, tout ce qui
quod non cognoscat. Sed omne quod est, est, dans la mesure où cela est, est bon. Elle
inquantum est, bonum est. Ergo cognoscit omnia. connaît donc toutes choses.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’âme du Christ connaît-
elle toutes choses aussi clairement que Dieu ?]
[9187] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que [l’âme du Christ] connaisse
1 Ulterius. Videtur quod cognoscat omnia ita toutes choses aussi clairement que Dieu. En
limpide ut Deus. Limpiditas enim visionis effet, la clarté de la vision est empêchée par
impeditur per obscuritatem potentiae videntis, aut l’obscurité de la puissance de celui qui voit ou de
ipsius medii. Sed in potentia intellectiva Christi son moyen. Or, dans la puissance intellective du
non est aliqua obscuritas, cum ejus anima sit Christ, il n’y a pas d’obscurité, puisque son âme
speculum clarissimum et mundissimum; medium est un miroir très clair et très pur ; par ailleurs, le
autem est idem in quo videt Deus et ipsa anima moyen est le même par lequel Dieu voit et l’âme
Christi, scilicet ipsa essentia divina. Ergo anima du Christ [voit], à savoir, l’essence divine elle-
Christi non minus limpide videt quam Deus. même. L’âme du Christ ne voit donc pas moins
clairement que Dieu.
[9188] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. Si Dieu voit plus clairement que l’âme du
2 Praeterea, si Deus magis limpide videt quam Christ, sa clarté dépasse infiniment la clarté [de
anima Christi, limpiditas in infinitum l’âme du Christ]. Or, entre des choses infiniment
limpiditatem excedit. Sed inter infinite distantia distantes, il peut exister des intermédiaires à
possunt esse infinita media. Ergo possunt esse l’infini. Il peut donc exister des créatures en
infinitae creaturae magis limpide cognoscentes nombre infini qui connaissent plus clairement
quam anima Christi. que l’âme Christ.
[9189] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. Le manque de clarté dans la compréhension
3 Praeterea, limpiditatis defectus in intelligendo vient de ce que la puissance intellective n’a pas
contingit ex hoc quod virtus intellectiva non un pouvoir suffisant sur la chose à comprendre,
potest sufficienter supra rem intelligendam, sive soit que cela vienne de l’excellence de la chose à
contingat ex excellentia rei intelligendae, ad quam intelliger, que l’intellect ne rejoint pas, soit que
non pertingit intellectus; sive ex defectu ejus, quia cela vienne de sa carence, car l’intellect agent ne
intellectus agens non potest perfecte ei dare peut lui fournir parfaitement la raison de ce qui
rationem intelligibilis; sicut sunt ea quae non est intelligible ; c’est par exemple le cas de ce
habent esse perfectum, sicut tempus et motus. Sed qui n’a pas un être parfait, comme le temps et le
anima Christi sufficienter potest super omnem mouvement. Or, l’âme du Christ a un pouvoir
naturam creatam. Ergo omnia quae in verbo videt, suffisant sur toute nature créée. Tout ce qu’elle
videt in termino limpiditatis; ergo Deus non magis voit dans le Verbe, elle le voit donc jusqu’à la
limpide videt quam anima Christi. limite de la clarté. Dieu ne voit donc pas plus
clairement que l’âme du Christ.
[9190] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] plus la vue est précise, plus la
1 Sed contra, quanto visus est acutior, tanto visio vision est claire. Or, la vision divine est
limpidior. Sed visus divinus est in infinitum infiniment plus précise et puissante pour
acutior et potentior in intelligendo quam visus comprendre, que la vision de l’âme du Christ.
animae Christi. Ergo in infinitum limpidius videt. Elle voit donc infiniment plus clair.
[9191] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 s. c. [2] Une plus grande lumière produit une plus
2 Praeterea, major lux majorem visionis grande clarté de la vision. Or, la lumière incréée
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claritatem causat. Sed lux increata, qua videt par laquelle Dieu voit est infiniment plus grande
Deus, in infinitum est major quam lux creata que la lumière créée de l’intellect du Christ. Dieu
intellectus Christi. Ergo Deus in infinitum voit donc infiniment plus clair.
limpidius videt.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [L’âme du Christ voit-elle
d’un seul regard tout ce qu’elle connaît dans
le Verbe ?]
[9192] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 1. Il semble que l’âme du Christ ne voie pas d’un
1 Ulterius. Videtur quod anima Christi non uno seul regard tout ce qu’elle connaît dans le Verbe,
intuitu omnia videat quae in verbo cognoscit. car, ainsi que le dit le Philosophe, « nous savons
Quia, sicut dicit philosophus, scimus plura, plusieurs choses, mais nous en comprenons une
intelligimus vero unum. Sed non videt anima seule ». Or, l’âme du Christ ne voit certaines
Christi aliqua in verbo nisi intelligendo. Ergo non choses dans le Verbe qu’en les intelligeant. Elle
potest uno intuitu omnia videre. ne peut donc pas voir tout d’un seul regard.
[9193] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 2. L’âme du Christ voit dans le Verbe tout ce que
2 Praeterea, anima Christi in verbo videt omnia le Verbe voit. Or, le Verbe voit infiniment de
quae videt verbum. Sed verbum videt infinita. choses. L’âme du Christ aussi voit donc
Ergo et anima Christi videt infinita. Si igitur simul infiniment de choses. Si donc elle voyait en
actu omnia videret quae ibi videt, esset pertransire même temps en acte tout ce qu’elle y voit, elle
actu infinita; quod non contingit. passerait en acte à infiniment de choses, ce qui
n’est pas le cas.
[9194] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 3. La quantité de la puissance est proportionnée à
3 Praeterea, quantitas virtutis commensuratur l’opération. Or, l’âme du Christ est finie. Elle n’a
operationi. Sed anima Christi est finita. Ergo non donc pas une puissance portant sur une opération
potest in operationem infinitam, nec in infinitas infinie, ni sur des opérations infinies
operationes simul. Sed si omnia infinita videt simultanées. Or, si l’âme du Christ voit toutes les
simul anima Christi diversis operationibus réalités infinies simultanément par des
secundum diversa objecta, habet infinitas opérations différentes selon les différents objets,
operationes simul. Si autem una operatione, habet elle pose donc en même temps des opérations
infinitam operationem, quod est impossibile. Ergo infinies. Mais si elle le fait par une seule
non videt actu omnia simul quae videt in verbo. opération, elle a une opération infinie, ce qui est
impossible. Elle ne voit donc pas simultanément
en acte tout ce qu’elle voit dans le Verbe.
[9195] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 arg. 4. Les anges bienheureux ne voit pas
4 Praeterea, Angeli beati non vident simul actu simultanément en acte tout ce qu’ils voient dans
quidquid vident in verbo: unde et unus alium le Verbe ; c’est ainsi que l’un illumine l’autre.
illuminat. Sed visio qua anima Christi videt in Or, la vision par laquelle l’âme du Christ voit
verbo, est similis illi visioni. Ergo non omnia dans le Verbe est semblable à cette vision. Elle
simul videt in verbo. ne voit donc pas toutes choses simultanément
dans le Verbe.
[9196] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. Cependant, [1] le Philosophe dit que la félicité
1 Sed contra, philosophus dicit, quod felicitas non ne consiste pas dans un habitus, mais dans une
consistit in habitu, sed in operatione. Sed Christus opération. Or, le Christ est parfaitement heureux
est perfecte felix et beatus. Ergo est in actu et bienheureux. Il est donc en acte de tout ce
omnium eorum quae cognoscit. qu’il connaît.
[9197] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. [2] Tout ce qui est connu est connu soit par un
2 Praeterea, quaecumque cognoscuntur, habitus, soit par un acte. Or, le Christ ne voit pas
cognoscuntur vel habitu vel actu. Sed Christus par un habitus des espèces ce qu’il voit dans le
non videt per aliquem habitum specierum ea quae Verbe. Si donc il ne voit pas en acte, il ne
videt in verbo. Si ergo non videt actu, nullo modo connaît d’aucune manière, si ce n’est en
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cognoscit nisi in potentia. puissance.


[9198] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 s. c. [3] Tout ce qui est vu dans une seule espèce est
3 Praeterea, quaecumque videntur in una specie vu simultanément, comme un homme voit
simul videntur, sicut homo simul videt simultanément la quantité et la couleur. Or, tout
quantitatem et colorem. Sed omnia quae videt ce que voit l’âme du Christ dans le Verbe, elle le
anima Christi in verbo, videt in una essentia verbi voit dans la seule essence du Verbe comme dans
quasi in una specie. Ergo anima Christi omnia une seule espèce. L’âme du Christ voit donc tout
simul videt. simultanément.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9199] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Est compris au sens propre ce qui est atteint par
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, l’intellect selon toute la raison de ce qui peut en
quod illud proprie comprehenditur quod attingitur être connu : c’est ainsi que ses limites tombent
ab intellectu secundum totam rationem suae sous le regard, non pas celles de la réalité, car
cognoscibilitatis, et hoc est fines ejus conspici: ainsi Dieu ne se comprendrait pas puisqu’il n’a
non quidem rei, quia sic Deus seipsum non pas de limites, mais parce qu’il se connaît lui-
comprehenderet, quia fines non habet; sed quia même selon toute la raison de ce qui peut en être
secundum omnem rationem qua cognoscibilis est connu, on dit qu’il se comprend. Et parce que
seipsum cognoscit, ideo comprehendere seipsum tout est connaissable dans la mesure où cela est
dicitur. Et quia unumquodque est cognoscibile un être, la compréhension en cause survient donc
secundum quod est ens, ideo dicta comprehensio lorsque l’efficacité de l’intellect pour intelliger
contingit quando adaequatur ad essentiam rei est égale à l’essence de la chose. Or, comme
efficacia intellectus in intelligendo. Cum autem l’intellect comporte deux choses en intelligeant :
intellectus duo habeat in intelligendo, scilicet la lumière intellectuelle, par laquelle il peut
lumen intellectuale, quo intelligere potest, et intelliger, et une similitude de la chose intelligée,
similitudinem rei intellectae, qua sua intellectualis par laquelle son opération intellectuelle est
operatio determinatur ad hanc rem cognitam; déterminée à cette chose connue, tout ce qui en
quodcumque horum excedatur a re secundum cela est dépassé par la chose telle qu’elle est
quod est in suo esse, intellectus illam rem non dans son être, l’intellect ne le comprendra pas.
comprehendet. Sed in hoc differt. Quia si excedat En effet, si la chose dépasse la similitude de
res similitudinem intellectus, qua rem ipsam l’intellect, par laquelle il intellige la chose elle-
intelligit; tunc intellectus non attingit ad même, l’intellect n’atteint pas alors la vision de
videndum essentiam illius rei: quia ut dictum est, l’essence de cette chose, car, ainsi qu’on l’a dit,
per similitudinem illam intellectus determinatur l’intellect est déterminé à la chose connue par
ad rem cognitam; sicut si species intelligibilis cette similitude. Ainsi, si l’espèce intelligible
repraesentet hominem inquantum est sensibilis, et représente l’homme en tant qu’il est sensible, et
non inquantum est rationalis: tunc enim non non en tant qu’il est raisonnable, alors, l’essence
videtur essentia hominis: quocumque enim de l’homme n’est pas vue, puisque, en enlevant
subtracto de essentialibus rei, manet essentia des éléments essentiels de la chose, cela demeure
alterius speciei. Si autem res excedat lumen l’essence d’une autre espèce. Mais si la chose
intellectus, et non speciem; tunc videbitur quidem dépasse la lumière de l’intellect, et non pas
essentia rei, sed non modo perfecto ut l’espèce, on verra alors l’essence de la chose,
cognoscibilis est; eo quod, ut dictum est, ex mais non d’une manière aussi parfaite qu’elle
lumine intellectuali est efficacia intelligendi. Sed peut être connue, du fait que, ainsi qu’on l’a dit,
quia esse quod recipitur in creatura, deficit ab l’efficacité pour intelliger vient de la lumière
eminentia esse creatoris; ideo omnis intellectus intellectuelle. Or, parce que l’être qui est reçu
creatus cognoscens Deum per similitudinem dans la créature n’a pas l’éminence de l’être du
aliquam sive impressam, sive a rebus acceptam, Créateur, tout intellect créé qui connaît Dieu par
non videt essentiam Dei; sed ad hoc quod videat une similitude soit impresse, soit reçue des
Deum oportet quod ipsa Dei essentia conjungatur choses, ne voit pas l’essence de Dieu ; pour
intellectui ut forma qua cognoscit determinate: qu’elle voie Dieu, il faut que l’essence de Dieu
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quod est in omnibus beatis. Sed quia lumen elle-même soit unie à l’intellect comme une
intellectuale facit intelligentem simpliciter, ideo forme par laquelle il connaît de manière
oportet quod omnis intellectus intelligat per lumen déterminée, ce qui est le cas pour tous les
quod sit in ipso. Unde per lumen intellectuale bienheureux. Mais parce que c’est la lumière
quod est in intellectu creato receptum, quo Deum intellectuelle qui fait qu’on intellige tout
videt, deficit ab esse divino; et ideo quamvis simplement, il est donc nécessaire que tout
essentiam Dei videat, non tamen perfecto modo intellect intellige par la lumière qui est en lui.
videt; et propter hoc intellectui creato Aussi, par la lumière intellectuelle qui est reçue
communicari non potest quod Deum par un intellect créé et par laquelle il voit Dieu, il
comprehendat. n’est pas égal à l’être divin. C’est pourquoi, bien
qu’il voie l’essence de Dieu, il ne la voit
cependant pas d’une manière parfaite. Pour cette
raison, ce que Dieu comprend ne peut pas être
communiqué à un intellect créé.
[9200] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Isidore parle de la connaissance parfaite de la
Ad primum ergo dicendum, quod Isidorus Trinité. La Trinité a cette connaissance parfaite
loquitur de perfecta cognitione Trinitatis; quae d’elle-même, mais l’âme du Christ a d’elle une
Trinitas de seipsa perfectam cognitionem habet connaissance parfaite dans le genre de la
simpliciter; sed anima Christi habet de ea créature. Ou bien il faut dire qu’il ne parle pas de
cognitionem perfectam in genere creaturae. Vel la compréhension de la Trinité même en elle-
dicendum, quod non loquitur de comprehensione même, mais selon tout ce qu’elle connaît dans la
ipsius Trinitatis secundum se, sed quantum ad Trinité même, car l’âme du Christ connaît cela
omnia quae in seipsa Trinitas cognoscit: quia en elle, mais aucune autre créature. Ou bien, si
omnia illa cognoscit in ea anima Christi, non on l’entend de la compréhension de la Trinité en
autem aliqua alia creatura. Vel si intelligatur de elle-même, alors elle convient à l’homme
comprehensione Trinitatis in se; tunc homini assumé, non pas en raison de sa nature humaine,
assumpto convenit, non ratione naturae humanae, mais en raison de sa nature divine.
sed ratione divinae.
[9201] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Parce qu’il n’y a rien de la nature divine qui
Ad secundum dicendum, quod sicut nihil est de ne soit uni à la nature humaine dans la personne
divina natura quod non sit humanae naturae du Verbe, alors que la nature humaine n’est pas
unitum in persona verbi, non tamen humana égale à la nature divine, raison pour laquelle on
natura adaequatur divinae naturae, propter quod dit que la nature divine a été unie à la nature
divina natura tota dicitur unita humanae naturae, humaine dans sa totalité, et non enfermée dans la
non conclusa in humana natura; similiter quia nature humaine ; et parce qu’il n’y a rien de la
nihil est de natura verbi quod anima Christi non nature du Verbe que ne voie l’âme du Christ,
videat, nec tamen ei adaequatur, potest dici quod sans cependant lui être égale, on peut dire que
anima Christi totam naturam verbi videt, non l’âme du Christ voit toute la nature du Verbe,
tamen eam comprehendit, quia eam non totaliter sans cependant la comprendre, parce qu’elle ne
videt. Illud enim totaliter videtur cujus visibilitas la voit pas totalement. En effet, est vu totalement
non excedit modum videntis, ut scilicet videns ita ce dont la visibilité ne dépasse pas la mesure de
perfecte videat sicut res perfecte visibilis est. celui qui voit, de sorte que celui qui voit voie
Unde qui habet opinionem tantum de quo scientia aussi parfaitement que la chose est parfaitement
haberi potest, non totaliter cognoscit illud. Et ideo visible. Aussi celui qui n’a qu’une opinion de ce
nullus intellectus creatus potest essentiam Dei dont on peut avoir la science ne connaît pas cela
totaliter videre: quia ejus efficacia non est tanta in parfaitement. C’est pourquoi aucun intellect créé
intelligendo, quanta est veritas sive claritas ne peut voir totalement l’essence de Dieu, car
divinae essentiae, secundum quam visibilis est; son efficacité n’est pas aussi grande en
quod solius divini est intellectus; et ideo ipse intelligeant que la vérité ou la clarté de l’essence
solus seipsum totaliter cognoscit. divine, autant qu’elle puisse être vue, ce qui
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relève seulement de l’intellect divin. C’est


pourquoi il est le seul à se connaître totalement.
[9202] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. On ne nie pas que le Verbe soit compris par
Ad tertium dicendum, quod non negatur verbum l’âme du Christ parce qu’il en voit une partie et
ab anima Christi comprehendi quia partem ejus n’en voit pas une autre partie, mais parce qu’elle
videat et partem ejus non videat; sed quia non ita ne la voit pas aussi parfaitement qu’il est visible.
perfecte videt sicut visibile est; sicut etiam Ainsi, de deux qui savent une conclusion, l’un la
duorum qui unam conclusionem sciunt, unus sait parfaitement, non pas parce que l’autre en
perfecte scit, non quia alter conclusionis partem connaît une partie et en ignore une partie, mais
sciat et partem ignoret; sed quia unus scit per parce que l’un sait par un moyen plus efficace
medium efficacius quam alter. que l’autre.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9203] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Certains ont dit que tout intellect qui voit Dieu
Ad secundam quaestionem dicendum, quod voit tout ce que Dieu voit. Mais cela n’est pas
quidam dixerunt, omnem intellectum videntem nécessaire, car lorsque les choses sont vues par
Deum videre omnia quae videt Deus. Sed hoc non Dieu, Dieu est comme le moyen de connaître ces
est necessarium: quia cum res videntur in Deo, choses. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui
Deus est quasi medium cognoscendi illas res. Non connaît un moyen connaisse tout ce qui peut être
est autem necessarium quod qui cognoscit aliquod connu par ce moyen, à moins de connaître
medium, cognoscat omnia illa quae per medium pleinement ce moyen. C’est pourquoi Dieu
illud cognosci possunt, nisi plenarie medium illud, même, qui se comprend, connaît tout ce qui est
secundum totam virtutem suam, cognoscat: et en lui de quelque façon que ce soit, mais de
ideo ipse Deus, qui seipsum comprehendit, omnia manière différente. En effet, il sait d’une science
quae in eo sunt qualitercumque, cognoscit, sed de vision ce qui est, sera ou a été en tous les
diversimode. Quia ea quae sunt, erunt, vel fuerunt temps, car est vu ce qui a l’être en dehors de
secundum quodcumque tempus, scit scientia celui qui voit. Et bien que l’essence par laquelle
visionis: quia illud proprie videtur quod habet il voit soit unique, parce qu’il voit ces choses par
esse extra videntem. Et quamvis essentia, per des raisons idéales distinctes, il en a donc une
quam videt, sit una; tamen quia per distinctas connaissance distincte, alors qu’il connaît
rationes ideales ea videt, ideo distinctam chacune selon sa propre idée, comme le bien, ou
cognitionem de eis habet, dum unumquodque par l’idée de ce qui y est opposé, comme le mal.
cognoscit secundum propriam ideam, sicut Or, la distinction de ces raisons vient d’un
bonum; vel per oppositi ideam, sicut malum. rapport différent entre l’exemplaire, à savoir,
Distinctio autem harum rationum est ex diverso l’essence divine, et les choses vues. Mais ce qui
respectu exemplaris, scilicet divinae essentiae, ad n’est pas, n’a pas été et ne sera pas, mais aurait
res visas. Sed ea quae nec sunt nec fuerunt nec pu être, n’a pas été ou aurait pu être, puisque cela
erunt, et tamen potuissent esse vel fuisse vel n’existe pas en soi, ne comporte en soi aucune
futura esse, cum in seipsis non sint, nullam in distinction et n’existe que dans la puissance de
seipsis distinctionem habent, nec sunt nisi in Dieu, dans laquelle c’est une seule chose. Ces
potentia ipsius Dei, in qua unum sunt: unde non choses ne peuvent pas avoir de rapports
possunt esse respectus diversi secundum quos différents, selon lesquels se distinguent les
distinguantur rationes horum possibilium; et ideo raisons de ces possibles. C’est pourquoi Dieu ne
haec Deus non cognoscit per ideas distinctas, sed connaît pas ces choses par des idées distinctes,
per cognitionem suae potentiae, in qua sunt: et mais par la connaissance de sa puissance où elles
ideo dicitur haec cognoscere simplici intelligentia, se trouvent. On dit donc qu’il les connaît par
quia intelligentiae est concipere etiam ea quae non simple intelligence, car il relève de l’intelligence
sunt extra concipientem. Sed quia omne quod agit de concevoir même ce qui n’existe pas en dehors
aliquid vel potest agere, agit illud secundum quod de celui qui conçoit. Mais parce que tout ce qui
est ens actu; ideo impossibile est quod aliquis fait quelque chose ou peut faire quelque chose le
sciat omnia quae ex aliqua causa possunt produci, fait selon qu’il est en acte, il est donc impossible
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nisi comprehendat ejus entitatem. Et quia nullus que quelqu’un sache tout ce qui peut être produit
intellectus creatus comprehendit essentiam par une cause, à moins d’en comprendre l’entité.
divinam, ideo nullus creatus intellectus potest Et parce qu’aucun intellect créé ne comprend
scire omnia quae Deus potest facere: et haec sunt l’essence divine, aucun intellect créé ne peut
illa quae Deus scit simplici intelligentia. Sed ea savoir tout ce que Dieu peut faire. Telles sont les
quae sunt, fuerunt, vel erunt, deficiunt ab choses que Dieu sait par simple intelligence. Or,
infinitate divinae potentiae, quia plura facere l’infinité de la puissance divine fait défaut aux
posset; unde non prohibetur aliquis creatus choses qui sont, ont été ou seront ; il n’est donc
intellectus cognoscere ea omnia; sed unusquisque pas impossible qu’un intellect créé les connaisse
tanto plura eorum in verbo cognoscit, quanto toutes. Mais chacun en connaît d’autant plus
perfectius verbum intuetur. Et quia anima Christi dans le Verbe qu’il regardera le Verbe plus
perfectissime inter creaturas verbum intuetur, ad parfaitement. Et parce que l’âme du Christ,
terminum hujus cognitionis pervenit, scilicet quod parmi les créatures, regardera le Verbe de la
scit omnia quae fuerunt vel erunt, non solum manière la plus parfaite, elle parvient au terme
facta, sed cogitata vel dicta. Et quia comprehendit de cette connaissance : elle connaît tout ce qui a
quamlibet essentiam creatam, ideo scit omnia été ou sera, et non seulement ce qui a été, mais
quae sunt in potentia seminali creaturae ce qui a été pensé ou dit. Et parce qu’elle
cujuscumque, eo modo quo Deus scit quae sunt in comprend n’importe quelle essence créée, elle
potentia sua. Sic ergo dicendum est, quod videt in connaît donc tout ce qui existe dans la puissance
verbo omnia quae videt verbum scientia visionis. séminale de toute créature, à la manière dont
Dieu sait tout ce qui existe dans sa puissance. Il
faut donc dire que [l’âme du Christ] voit dans le
Verbe tout ce que le Verbe voit selon la science
de vision.
[9204] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. On dit que le Fils ne connaît pas parce qu’il ne
Ad primum ergo dicendum, quod dicitur filius nous fait pas savoir, du fait qu’il nous est
nescire, quia non facit nos scire, ex eo quod ad envoyé. De même, on ne dit pas que l’Esprit
nos mittitur. Similiter nec spiritus sanctus, sed Saint [connaît], mais que seul le Père connaît, car
solus pater scire dicitur, quia ipse non mittitur. il n’est pas lui-même envoyé. Ainsi la
Unde scientia patris intelligitur quantum ad hoc connaissance du Père s’entend-elle de ce qu’il
quod in se scit, a qua scientia non excluditur filius connaît en lui-même, connaissance dont ne sont
et spiritus sanctus; ut sic intelligatur de filio non pas écartés le Fils et le Saint-Esprit, de sorte que
solum inquantum homo, sed etiam inquantum cela s’entend du Fils, non seulement en tant qu’il
Deus. Vel potest intelligi de filio secundum est homme, mais aussi en tant qu’il est Dieu. Ou
humanam naturam secundum eumdem modum bien on peut l’entendre du Fils selon sa nature
loquendi. humaine, selon la même manière de parler.
[9205] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Dieu ne connaît pas les réalités infinies par sa
Ad secundum dicendum, quod Deus infinita non science de vision ; cependant, il les connaîtrait si
scit per visionis scientiam; sciret tamen si leur génération ne cessait jamais à l’avenir, ce
generatio in futurum nunquam cessaret, quod Deo qui est possible pour Dieu. Ceci étant acquis,
est possibile: et hac positione facta, anima Christi l’âme du Christ connaîtrait les réalités infinies
sciret infinita scientia visionis, ut quidam dicunt; par la science de vision, comme le disent
nunc autem scit infinita simplici intelligentia, certains ; mais, maintenant, il connaît les réalités
inquantum scit omnia quae fieri possunt per infinies par simple intelligence, dans la mesure
potentiam creaturae, quae infinita sunt, ad minus où il connaît tout ce qui être réalisé par la
secundum numerum. Nec hoc impeditur per hoc puissance de la créature, qui est infini, du moins,
quod est ejus substantia finita, propter duo. Primo, en nombre. Et cela n’est pas empêché par le fait
quia ista infinita quae sciret, si generatio semper que sa substance soit finie, pour deux raisons.
duratura esset, non cognosceret per infinita, sed Premièrement, parce ces réalités infinies qu’il
per unum, scilicet verbum. Nec tamen connaîtrait, si la génération durait toujours, il ne
446

comprehenderet illud verbum: quia ex illo uno les connnaîtrait pas par des réalités infinies, mais
possent adhuc multo plura educi; posset enim par une seule réalité, le Verbe. Cependant, il ne
aliquas alias species facere. Ea autem infinita comprendrait pas ce Verbe, car beaucoup plus de
quae sunt in potentia creaturarum, iterum choses pourraient encore en être tirées : en effet,
cognoscit comprehendendo ipsas creaturas, quae il pourrait faire d’autres espèces. Mais les infinis
infinitae non sunt. Virtus autem cognoscentis qui existent dans la puissance des créatures, il les
proportionatur medio cognoscendi magis quam connaît en comprenant ces créatures, qui ne sont
ipsis cognitis. Secundo, quia contingit aliquam pas infinies. Or, la puissance de celui qui connaît
virtutem limitatam esse quantum ad esse, sed non est proportionnée au moyen de connaître plus
quantum ad rationem illius virtutis; sicut supra, qu’à cela même qui est connu. Deuxièmement,
dist. 13, quaest. 1, art. 2, quaestiunc. 2, de gratia parce qu’il arrive qu’une puissance soit limitée
dictum est. Et quia ratio virtutis determinatur ad du point de vue de son être, mais non du point de
objectum, ideo contingit aliquam virtutem finitam vue de la raison de cette puissance, comme on l’a
quantum ad essentiam, posse in infinita objecta; dit plus haut à propos de la grâce, d. 13, q. 1,
sed non operari modo infinito: quia efficacia a. 2, qa 2. Et parce que la raison de la puissance
infinita in agendo non potest esse nisi ab essentia est déterminée par son objet, il arrive donc
infinita; cum unumquodque agat secundum quod qu’une puissance finie par son essence puisse se
est ens actu: sicut virtus solis est ad producendum porter sur des objets infinis, mais non pas agir
infinitas herbas, quia quantumcumque producat, d’une manière infinie, car l’efficacité infinie de
nunquam virtus sua exhauritur; non tamen agit l’action ne peut être le fait que d’une essence
efficacia infinita. Ita etiam anima Christi, quamvis infinie, puisque chaque chose agit selon qu’elle
finita sit in essentia, non tamen prohibetur quin est un être en acte. Ainsi, la puissance du soleil
infinita cognoscere possit; sed quod non possit est capable de produire une infinité de plantes,
cognoscere ea limpiditate infinita. car, autant qu’elle en produise, sa puissance n’est
jamais épuisée ; mais elle n’agit pas avec une
efficacité infinie. De même aussi, l’âme du
Christ, bien qu’elle ait une essence finie, n’est-
elle pas empêchée de pouvoir connaître des
réalités infinies, mais de pouvoir les connaître
avec une clarté infinie.
[9206] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Dieu peut faire beaucoup de choses qu’il ne
Ad tertium dicendum, quod Deus potest facere fera jamais ; Dieu connaît ces choses d’une
multa quae nunquam faciet: et illa scit Deus science de simple intelligence, mais non d’une
scientia simplicis notitiae, non autem scientia science de vision. Mais la science de l’âme du
visionis. Scientia autem animae Christi non Christ n’est pas égale, même par le nombre de
parificatur etiam in numero scitorum, scientiae choses connues, à la science divine de simple
divinae quae est simplicis notitiae, sed solum intelligence, mais seulement à sa science de
scientiae visionis, ut dictum est. vision, comme on l’a dit.
[9207] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4 4. Dieu sait par son essence ce que Dieu peut
Ad quartum dicendum, quod Deus scit ex ipsa sua faire, ce que ne sait pas l’âme du Christ. C’est
essentia quae potest Deus facere, quae tamen pourquoi Dieu en sait davantage sous cet aspect.
anima Christi non scit: et ideo quantum ad hoc De plus, cela se produit pour ce qu’une
Deus plura scit. Praeterea hoc habet locum in illis intelligence inférieure ne comprend pas. En effet,
quae minor intellectus non comprehendit. Si enim s’il comprend tout, l’intellect inférieur sait alors
omnia comprehendit, tunc omnia scit inferior tout de ce que sait [l’intellect] supérieur, mais
intellectus in illis quae superior, non tamen ita non pas aussi bien. Puisque l’âme du Christ
bene: et ideo cum anima Christi comprehendit comprend les créatures, elle sait donc tout ce qui
creaturas, scit omnia quae sunt in creatura vel actu existe dans la créature soit en acte, soit dans sa
vel potentia ipsius, non tamen ita limpide sicut puissance, mais non pas aussi clairement que
Deus. Dieu.
447

Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3


[9208] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 co. La clarté ou la limpidité de la vision vient de
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod claritas trois choses. Premièrement, de l’efficacité de la
vel limpiditas visionis contingit ex tribus. Primo puissance de la vision, car ceux qui ont une
ex efficacia virtutis visivae: quia qui sunt fortioris vision plus puissante voient avec plus de
visus, magis limpide vident. Secundo ex claritate limpidité. Deuxièmement, de la clarté de la
lucis sub qua claritate visibile videtur; sicut lumière par laquelle ce qui peut être vu est vu ;
clarius videtur aliquid in lumine solis quam in ainsi, quelque chose est vu plus clairement à la
lumine lunae. Tertio ex comparatione visibilis, vel lumière du soleil qu’à la lumière de la lune.
ejus in quo aliquid videtur, ad videntem: quia Troisièmement, de la comparaison entre ce qui
quod a remotiori videtur, minus clare videtur. Et peut être vu ou ce en quoi quelque chose est vu,
propter haec tria non potest anima Christi ita et celui qui voit, car ce qui est vu de loin est vu
limpide videre ea quae videt in verbo, sicut ipsum moins clairement. Pour ces trois raisons, l’âme
verbum. Primo, quia non habet tantum virtutem in du Christ ne peut voir aussi clairement que le
intelligendo; secundo, quia lumen sub quo videt, Verbe lui-même ce qu’elle voit dans le Verbe.
deficit a lumine increato; tertio quia essentia Premièrement, parce qu’elle n’a pas une aussi
divina, quae est exemplar rerum, in quo res grande puissance d’intellection ; deuxièmement,
videntur, est magis conjuncta Deo quam alicui parce que la lumière par laquelle elle voit n’est
creaturae, quia est idem secundum rem. pas égale à la lumière incréée ; troisièmement,
parce que l’essence divine, qui est le modèle de
toutes choses dans lequel les choses sont vues,
est plus unie à Dieu qu’une créature, car elle est
en réalité identique.
[9209] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. L’âme du Christ est un miroir très clair par
Ad primum ergo dicendum, quod anima Christi rapport aux créatures ; elle n’égale cependant pas
est speculum clarissimum respectu creaturarum; la clarté divine. Il ne découle pas de cela qu’il
non tamen pertingit ad claritatem divinam. Nec ex existe en elle quelque obscurité, comme du noir
hoc sequitur quod sit in eo aliqua obscuritas, sicut dans ce qui est moins blanc, mais une blancheur
nec in minus albo est aliqua nigredo, sed albedo moins intense.
minus intensa.
[9210] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Bien que la limpidité de la connaissance
Ad secundum dicendum, quod quamvis limpiditas divine dépasse infiniment la limpidité de la
cognitionis divinae in infinitum excedat connaissance de l’âme du Christ, il n’en découle
limpiditatem cognitionis animae Christi; non cependant pas qu’il puisse exister une autre
tamen sequitur quod possit esse alia creatura créature qui connaisse de manière plus limpide
limpidius cognoscens quam anima Christi: quia que l’âme du Christ, car elle atteint le degré
pervenit ad ultimum gradum creaturae possibilem, ultime possible pour une créature, comme on l’a
sicut supra dictum est de gratia ejus. dit plus haut à propos de sa grâce.
[9211] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. La limpidité de l’intelligence ne vient pas
Ad tertium dicendum, quod limpiditas intelligendi seulement de ce qui est intelligible, mais aussi de
non est tantum ex parte intelligibilis; sed etiam ex celui qui comprend. Bien qu’une chose soit
parte intelligentis. Unde quamvis aliqua res ab connue par l’âme du Christ selon tout ce en quoi
anima Christi sciatur secundum omnem suam elle peut être connue, elle est cependant mieux
cognoscibilitatem, tamen melius cognoscitur ab connue par Dieu lui-même pour ce qui est du
ipso Deo quantum ad modum intelligentis; eo mode de celui qui connaît, du fait qu’il intellige
quod minimum intelligibile intelligit claritate ce qui est le moins intelligible avec une clarté
infinita, sicut etiam rem parvam creat potentia infinie, comme il crée aussi une petite chose par
infinita. sa puissance infinie.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[9212] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 co. La raison que donnent les philosophes pour
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Ad quartam quaestionem dicendum, quod ratio expliquer que notre intellect ne peut intelliger
quam assignant philosophi, quare intellectus plusieurs choses en même temps est celle-ci : il
noster non potest simul plura intelligere, est haec, est nécessaire que l’intellect soit formé par
quia oportet quod intellectus figuretur specie rei l’espèce de la réalité intelligible. Or, il est
intelligibilis. Impossibile est autem quod simul impossible qu’il soit simultanément formé par
figuretur pluribus speciebus, sicut impossibile est plusieurs espèces, comme il est impossible qu’un
quod corpus simul figuretur pluribus figuris. Et corps prenne la forme de plusieurs figures. C’est
ideo si aliqua cognoscuntur per unam speciem, pourquoi, si certaines choses connues par une
illa nihil prohibet simul cognosci; sicut homo seule espèce, rien n’empêche que ces choses
intelligens quidditatem hominis, simul intelligit soient simultanément connues, comme un
animal et rationale: et propter hoc etiam homme qui intellige la quiddité de l’homme
intelligens propositionem, simul intelligit intellige simultanément « animal » et
praedicatum et subjectum, quia intelligit ea ut « raisonnable ». Pour la même raison, celui qui
unum. Et ideo, cum anima Christi intelligit omnia intellige une proposition intellige simultanément
quae sunt in uno, scilicet verbo, etiam simul et le prédicat et le sujet, car il les intellige comme
uno intuitu omnia cognoscit actu. Et similiter est une seule chose. Puisque l’âme du Christ
de aliis beatis quantum ad omnia quae in verbo intellige toutes les choses qui se trouvent dans
vident; secus autem est de illis quae vident per une seule, le Verbe, il connaît donc tout en acte
species diversas, quae simul videre non possunt. simultanément et d’un seul regard. De même en
est-il des bienheureux pour tout ce qu’ils voient
dans le Verbe. Mais il en va autrement de ceux
qui voient par des espèces différentes, qui ne
peuvent voir simultanément.
[9213] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1 1. Lorsque plusieurs choses sont intelligées dans
Ad primum ergo dicendum, quod quando plura une seule chose, toutes ces choses sont comme
intelliguntur in uno, omnia illa sunt ut unum un seul intelligible. Ainsi est sauvegardée la
intelligibile: et per hoc servatur verbum parole du Philosophe.
philosophi.
[9214] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2 2. Le Verbe ne voit pas des choses infinies par la
Ad secundum dicendum, quod verbum non videt science de vision, comme on l’a dit, et il est vrai
infinita per scientiam visionis, ut dictum est et de de celle-ci que l’âme du Christ voit tout ce que
hac verum est quod anima Christi videt voit le Verbe. Cependant, s’il voyait des choses
quaecumque videt verbum. Si tamen infinita infinies, en supposant que la génération durerait
videret, praedicta positione facta quod generatio toujours, il n’en découlerait pas qu’elle passerait
semper duraret, non sequeretur quod transiret in par des choses infinies, car elle ne les verrait pas
infinita: quia non videret ea pertranseundo de uno en passant de l’une à l’autre, mais aussi bien
in alius; sed in uno simplici tam Deus quam Dieu que l’âme du Christ [les verraient] dans une
anima Christi. seule réalité simple.
[9215] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3 3. Tout ce que voit l’âme du Christ dans le
Ad tertium dicendum, quod omnia quae anima Verbe, elle le voit par une seule opération ;
Christi videt in verbo, videt una operatione; non cependant, cette opération n’est pas infinie en
tamen illa operatio est infinita in se, sed elle-même, mais d’un point de vue matériel, car
materialiter, quia transit super infinita, praedicta elle passe par des choses infinies, en maintenant
positione stante de duratione mundi, sicut etiam la position à propos de la durée du monde,
dictum est de virtute intelligendi. comme on l’a aussi dit de la puissance
d’intellection.
[9216] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4 4. Un ange n’en éclaire pas un autre à propos de
Ad quartum dicendum, quod unus Angelus non ce qu’il voit dans le Verbe en étant éclairé, mais
illuminatur ab alio de his quae illuminatus videt in à propos de ce qu’il ne voit pas, que [l’ange]
verbo, sed de his quae non videt, quae superior supérieur voit soit dans le Verbe, soit par la
449

videt vel in verbo, vel in lumine alterius Angeli lumière d’un autre ange qui lui est plus
magis sibi proportionato, in quo sunt formae proportionnée, dans lequel existent des formes
magis particulares; sicut inferiores Angeli plus particulières. Ainsi, les anges sont illuminés
illuminantur a mediis de his quae ipsi in verbo par les anges intermédiaires à propos de qu’ils ne
non vident; medii autem vident vel in verbo, vel voient pas dans le Verbe, mais les anges
per illuminationem superiorum Angelorum. intermédiaires voient soit dans le Verbe, soit par
une illumination par des anges supérieurs.

Articulus 3 [9217] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. Article 3 – L’âme du Christ connait-elle tout
3 tit. Utrum anima Christi, secundum illam de la connaissance par laquelle elle connaît les
scientiam qua cognoscit res in propria natura, choses dans leur nature propre ?
cognoscat omnia
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’âme du Christ connait-
elle tout de la connaissance par laquelle elle
connaît les choses dans leur nature propre ?]
[9218] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble que l’âme du Christ connaît tout de
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod la connaissance par laquelle elle connaît les
secundum illam scientiam qua anima Christi scit choses dans leur nature propre. En effet, toute
res in propria natura, sciat omnia. Omnis enim puissance qui n’est pas amenée à l’acte est
potentia quae non est reducta ad actum, est imparfaite. Or, l’intellect possible de l’âme du
imperfecta. Sed intellectus possibilis animae Christ est en puissance à tous les intelligibles,
Christi est in potentia ad omnia intelligibilia: quia car il devient en quelque sorte toutes choses,
est quodammodo omnia fieri, ut dicit in 3 de comme on le dit dans Sur l’âme, III. Si [l’âme du
anima. Ergo si non omnia sciret per proprias Christ] ne connaissait pas toutes choses par leurs
similitudines, remaneret imperfectus. propres similitudes, elle demeurerait donc
imparfaite.
[9219] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2. La nature de l’intellect, par laquelle elle
2 Praeterea, haec est natura intellectus, per quam diffère du sens, est telle que plus l’intellect
differt a sensu, quod quanto intellectus plura et intellige de choses et des choses plus difficiles,
difficiliora intelligit, tanto magis potest alia plus il peut en intelliger de plus légères. Or, rien
leviora intelligere. Sed quod est hujusmodi, nihil n’empêche que ce qui est ainsi puisse tout saisir.
prohibet quin omnia capere posset. Ergo anima L’âme du Chrit connaît donc toutes choses selon
Christi etiam in propria natura omnia cognoscit. leur propre nature.
[9220] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3. Les choses opposées s’empêchent d’exister
3 Praeterea, magis impediunt se opposita, ut non simultanément davantage que toutes les autres
possint esse simul, quam quaelibet alia. Sed choses. Or, es espèces des choses opposées
species oppositorum non impediunt se quin sint n’empêchent pas qu’elles existent simultanément
simul in anima: quia simul homo habet scientiam dans l’âme, car l’homme possède en même
albi et nigri. Ergo multo minus aliquae aliae temps la connaissance du blanc et du noir.
species impediunt se invicem ut non possint esse Encore bien moins certaines autres espèces
simul; et sic idem quod prius. s’empêchent-elles donc d’exister simultanément.
La conclusion est ainsi la même que
précédemment.
[9221] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. Cependant, [1] tout ne peut être connu là où
1 Sed contra, non possunt omnia cognosci in quo tout n’existe pas. Or, tout ne peut exister dans un
non sunt omnia. Sed omnia non possunt esse in seul habitus créé. Puisque la connaissance que le
uno habitu creato. Ergo cum scientia quam habet Christ possède des choses selon leur nature
Christus de rebus in propria natura, sit per propre vient d’un habitus créé, il ne peut donc
aliquem habitum creatum, non potest per illam tout connaître par cette science.
scientiam omnia cognoscere.
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[9222] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. [2] Le Christ nous est conforme par cette
2 Praeterea, per illam scientiam Christus connaissance. Or, nous ne pouvons pas nous-
conformatur nobis. Sed nos non possumus scire mêmes connaître tout. Donc, ni le Christ ne
omnia. Ergo nec Christus secundum hanc connaît tout selon cette science.
scientiam scivit omnia.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Cette science du Christ est-
elle inférieure à celle des anges ?]
[9223] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble que cette science du Christ soit
1 Ulterius. Videtur quod hanc scientiam Christus inférieure à celle des anges, car plus un intellect
habuit minorem Angelis. Quia quanto intellectus est simple, plus grande est sa science. Or,
est simplicior, tanto ejus naturalis scientia est l’intellect angélique est plus simple que l’âme du
major. Sed intellectus angelicus est simplicior Christ, car l’intellect du Christ ne dépasse pas les
quam anima Christi: quia intellectus Christi non limites de la nature humaine, au-delà desquelles
excedit terminos humanae naturae, ultra quos est se trouve la simplicité de l’intellect angélique.
simplicitas intellectus angelici. Ergo intellectus L’intellect angélique possède donc une science
angelicus habet majorem scientiam quam est plus grande que la science naturelle de l’âme du
scientia naturalis animae Christi. Christ.
[9224] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2. Plus un intellect est proche de la matière, plus
2 Praeterea, quanto intellectus est magis il est faible pour connaître. Or, l’intellect du
propinquus materiae, tanto est debilior in Christ, puisqu’il est la forme du corps matériel
cognoscendo. Sed intellectus Christi, cum sit du Christ, est plus proche de la matière que
forma materialis corporis Christi, est magis [l’intellect] angélique. Il connaît donc plus
propinquus materiae quam angelicus. Ergo faiblement. La conclusion est ainsi la même que
debilius cognoscit; et sic idem quod prius. précédemment.
[9225] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3. Comme le dit Isaac, « la raison apparaît dans
3 Praeterea, sicut dicit Isaac, ratio oritur in umbra l’ombre de l’intelligence ». Or, il appelle
intelligentiae. Intelligentiam autem vocat « intelligence » celle des anges. Puisque le Christ
Angelum. Cum ergo Christus habeat intellectum possède une intelligence raisonnable, il semble
rationalem, videtur quod ejus scientia sit minor donc que sa science soit inférieure à celle des
quam Angelorum. anges.
[9226] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, [1] il est dit en He 2 que le Christ a
1 Sed contra, Hebr. 2 dicitur, quod Christus été inférieur aux anges seulement en raison de sa
minoratus est ab Angelis solum propter passion. Il possède donc une science plus
passionem. Ergo scientiam habet eis potiorem. puissante que la leur.
[9227] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. [2] Comme le dit Denys, « le Christ lui-même,
2 Praeterea, sicut dicit Dionysius, ipse Christus en tant qu’homme, enseigne aux anges ». Il a
secundum quod homo, docet Angelos. Ergo donc une science plus grande qu’eux.
majorem scientiam habet quam illi.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il eu une
science à caractère délibératif ?]
[9228] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1. Il semble que le Christ n’ait pas eu une
1 Ulterius. Videtur quod Christus non habuit science à caractère délibératif, car, ainsi que le
scientiam per modum collationis. Quia, sicut dicit dit [Jean] Damascène, « nous ne cherchons chez
Damascenus, in Christo non inquirimus consilium le Christ ni conseil ni choix ». Or, ceci relève de
neque electionem. Sed haec pertinent ad la délibération pratique. Pour la même raison, il
collationem practicam. Ergo eadem ratione non n’a pas existé en lui de délibération à propos de
fuit in eo collatio quantum ad speculativam. la science spéculative.
[9229] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2. Le discours de la raison est contraire au
2 Praeterea, discursus rationis opponitur caractère divin. Or, l’âme du Christ était tout
deiformitati. Sed anima Christi tota fuit deiformis. entière déiforme. Elle ne possède donc pas de
451

Ergo non habet scientiam collativam. science délibérative.


[9230] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3. « Le discours de la raison, comme le dit Isaac,
3 Praeterea, discursus rationis, ut dicit Isaac, provient de ce qu’elle possède une lumière
contingit ex hoc quod habet lumen obumbratum. ombragée. » Or, il n’y avait rien d’ombragé ni
Sed in anima Christi nulla fuit obumbratio nec aucune obscurité dans l’âme du Christ. Il n’avait
obscuritas. Ergo nec habuit scientiam per modum donc pas la science par mode de délibération.
collationis.
[9231] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. Cependant, [1] le Christ a assumé tous les
1 Sed contra, Christus assumpsit omnia naturalis éléments naturels (corr. naturalis/naturalia) qui
quae consequuntur naturam humanam. Ergo découlent de la nature humaine. Or, l’acte de la
assumpsit rationem. Sed rationis actus est raison consiste à rechercher et à délibérer. Il
inquirere et conferre. Ergo ipse habuit scientiam avait donc une science délibérative.
collativam.
[9232] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. [2] S’opposer et répondre appartiennent à la
2 Praeterea, opponere et respondere pertinent ad science délibérative. Or, le Christ a exercé la
scientiam collativam. Sed Christus exercuit fonction d’opposant et de répondant, comme il
officium opponentis et respondentis, ut dicitur est dit en Lc 2. Il avait donc une science
Luc. 2. Ergo ipse habuit scientiam collativam. délibérative.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Cette connaissance était-
elle divisée en plusieurs habitus ?]
[9233] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1. Il semble que cette connaissance ait été
1 Ulterius. Videtur quod per plures habitus haec divisée en plusieurs habitus, car sa connaissance
scientia divisa fuerit. Quia scientia sua fuit était univoque par rapport à notre connaissance.
univoca scientiae nostrae. Sed nostra scientia est Or, notre connaissance se porte par plusieurs
de omnibus quae Christus scivit, per plures habitus sur tout ce que le Christ a connu. Donc,
habitus. Ergo et scientia Christi. la connaissance du Christ aussi.
[9234] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2. Comme le dit le Philosophe, les sciences se
2 Praeterea, sicut dicit philosophus, scientiae divisent comme les réalités. Or, le Christ avait la
secantur sicut et res. Sed Christus habuit science de différentes choses. Il avait possédait
scientiam de diversis rebus. Ergo habuit diversos donc les divers habitus des sciences.
habitus scientiarum.
[9235] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3. Les sciences se divisent selon diverses raisons
3 Praeterea, scientiae dividuntur secundum de connaître. Or, en ce qui concerne cette
diversas rationes cognoscendi. Sed quantum ad science, il ne connaissait pas tout par une même
hanc scientiam pertinet, ipse non eadem specie espèce ou raison, mais par plusieurs. Il ne
sive ratione omnia cognovit, sed pluribus. Ergo possédait donc pas seulement un seul habitus de
non habuit unum tantum habitum scientiae, sed science, mais plusieurs.
plures.
[9236] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. Cependant, [1] la science du Christ était très
1 Sed contra, scientia Christi fuit perfectissima, parfaite. Or, plus une science est une, plus elle
sed scientia quanto magis est una, tanto magis est est parfaite, comme cela ressort de Denys et du
perfecta, ut patet per Dionysium, et per librum de Livre sur les causes. Il a donc tout connu par un
causis. Ergo magis scivit omnia per unum seul habitus.
habitum.
[9237] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. [2] La science qui dirige plusieurs arts ne se
2 Praeterea, scientia regitiva plurium artium non diversifie pas selon ces arts, mais elle est un seul
diversificatur per illas artes, sed est unus habitus; habitus, comme cela ressort des rapports entre [la
sicut patet de militari respectu omnium science] militaire et toutes les sciences qui lui
scientiarum quae sub ea sunt. Sed scientia Christi sont subordonnées. Or, la science du Christ était
fuit regitiva, et quasi architectonica, respectu rectrice et, pour ainsi dire, architectonique par
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omnium humanarum scientiarum. Ergo ipse per rapport à toutes les sciences. Il a donc connu tout
unum habitum omnia scivit quae ad hanc ce qui releve de cette science par un seul habitus.
scientiam pertinent.
Quaestiuncula 5 Sous-question 5 – [L’âme du Christ a-t-elle
progressé dans cette science ?]
[9238] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 1. Il semble qu’il n’ait pas progressé dans cette
1 Ulterius. Videtur quod in ista scientia profecerit. science. He 5, 8 : Il a appris l’obéissance par ce
Hebr. 5, 8: didicit ex iis quae passus est, qu’il a souffert. Or, apprendre, c’est progresser
obedientiam. Sed discere est in scientia proficere. dans la science. Il a donc progressé dans la
Ergo in scientia profecit. science.
[9239] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 2. Ne pas progresser là où quelqu’un peut
2 Praeterea, non proficere in his quae quis progresser est une grande carence. Or, en toute
proficere potest, est magnus defectus. Sed in omni science par laquelle quelqu’un ne connaît pas
scientia qua quis non omnia scit, potest proficere. tout, il peut progresser. Puisque le Christ n’aura
Ergo cum Christus secundum hanc scientiam non pas connu tout selon cette science, il semble
omnia sciverit, videtur quod potuerit proficere, et qu’il aura pu progresser, et ainsi qu’il aura
ita profecerit in ea. progressé en elle.
[9240] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 3. L’intellect agent abstrayait les espèces à partir
3 Praeterea, intellectus agens in ipso abstrahebat des phantasmes: tel est son acte, autrement, il
species a phantasmatibus; et hic est actus ejus, l’aurait assumé en vain. Or, l’espèce abstraite
alias frustra assumpsisset eum. Sed species des phantasmes est reçue dans l’intellect
abstracta a phantasmatibus recipitur in intellectu possible. Plusieurs espèces étaient donc toujours
possibili. Ergo semper in Christo plures species reçues chez les Christ par son intellect possible.
recipiebantur in intellectu possibili ejus. Ergo Il progressait donc dans la science.
proficiebat in scientia.
[9241] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 arg. 4. Cela ressort de l’autorité d’Augustin invoquée
4 Praeterea, hoc patet per auctoritatem Ambrosii plus haut.
superius inductam.
[9242] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 s. c. Cependant, [Jean] Damascène dit : « Ceux qui
1 Sed contra, Damascenus dicit: qui dicunt disent que le Christ a progressé en sagesse et en
Christum proficere sapientia et gratia, ut grâce, comme s’il recevait un ajout, ne vénèrent
additamentum suscipientem, non eam quae pas l’union qui est réalisée selon l’hypostase. »
secundum hypostasim est, unionem venerantur. Or, cette union doit être en tout vénérée. Nous ne
Sed illa unio omnino veneranda est. Ergo non devons donc pas dire qu’il a progressé en
debemus dicere, quod in scientia profecerit. science.
Quaestiuncula 6 Sous-question 6 – [A-t-il reçu quelque chose
des anges pour cette science ?]
[9243] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 1. Il semble qu’il n’ait rien reçu des anges pour
1 Ulterius. Videtur quod ab Angelis quantum ad cette science. En effet, Denys dit : « Nous
hanc scientiam accepit. Dionysius enim dicit: per voyons qu’il a été soumis par les anges aux lois
Angelos videmus eum sub paternis legibus ancestrales. » Or, ce qui est soumis reçoit
ordinatum. Sed quod ordinatur, aliquid ab quelque chose de celui qui soumet. Le Christ a
ordinante accipit. Ergo Christus aliquid ab donc reçu quelque chose des anges.
Angelis accepit.
[9244] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 2. Il est dit en Lc 22, 43 qu’un ange du Seigneur
2 Praeterea, Luc. 22, 43, dicitur, quod apparuit lui est apparu pour le réconforter. Or, celui qui
Angelus domini confortans eum. Sed confortatus est réconforté reçoit quelque chose de celui qui
accipit aliquid a confortante. Ergo et Christus ab réconforte. Le Christ aussi a donc reçu quelque
Angelo. chose d’un ange.
[9245] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 3. Pendant qu’il était sur la terre, le Christ a
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3 Praeterea, Christus, dum fuit in terra, voluit voulu être soumis aux ordonnances légales :
subdi legalibus ordinationibus, factus sub lege, soumis à la loi, Ga 4. Or, l’observance de la loi
Galat. 4. Sed legalis observantia est minoris est d’une moindre dignité que la hiérarchie
dignitatis quam caelestis hierarchia. Ergo et ordini céleste. Il devait donc être soumis à l’ordre de la
caelestis hierarchiae subdi debuit. Haec autem est hiérarchie céleste. Or, la loi de la hiérarchie
lex caelestis hierarchiae ut homines ab Angelis céleste est que les hommes reçoivent de la part
suscipiant, ut dicit Dionysius. Ergo ipse ab des anges, comme le dit Denys. Il a donc reçu de
Angelis suscepit. la part des anges.
[9246] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 arg. 4. Son corps a reçu l’influence des corps
4 Praeterea, corpus ejus impressionem suscepit a célestes. Pour la même raison, son âme en a-t-
corporibus caelestibus. Ergo pari ratione anima a elle reçu une des esprits célestes.
spiritibus caelestibus.
[9247] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 s. c. Cependant, [1] un supérieur n’a pas à recevoir
1 Sed contra, superioris non est ab inferiori d’un inférieur. Or, le Christ, même selon sa
recipere. Sed Christus etiam secundum humanam nature humaine, était supérieur aux anges et leur
naturam Angelis superior fuit, et caput, ut supra tête, comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 2, a. 2,
dictum est, dist. 13, quaest. 2, art. 2, quaestiunc. 2. qa 2. Il ne reçoit donc pas d’eux.
Ergo ab eis non recepit.
[9248] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 s. c. [2] Ce qui reçoit immédiatement du Verbe n’a
2 Praeterea, quod immediate accipit a verbo non pas nécessairement à recevoir de la part des
habet necesse ab Angelis accipere. Sed anima anges. Or, l’âme du Christ reçoit immédiatement
Christi immediate accipit a verbo sibi unito. Ergo du Verbe qui lui est uni. Elle ne reçoit donc pas
non recipit ab Angelis. de la part des anges.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9249] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 co. La connaissance des choses selon leur genre
Respondeo ad primam quaestionem dicendo, quod propre et la connaissance des choses dans le
cognitio rerum in proprio genere et cognitio rerum Verbe diffèrent non pas par les choses connues,
in verbo differunt, non quantum ad res cognitas, mais par le moyen de connaître, qui est ce en
sed quantum ad medium cognoscendi, quod est id quoi une chose est connue. En effet, la
in quo res cognoscitur: quia cognitio quae est connaissance des choses dans le Verbe a comme
rerum in verbo, habet medium cognoscendi ipsum moyen de connaître le Verbe lui-même ; mais la
verbum; cognitio autem rerum in proprio genere, connaissance des choses selon leur genre propre
habet medium cognoscendi rerum similitudines, a comme moyen de connaître des similitudes des
quae sunt in intellectu. Medium autem choses qui sont dans l’intellect. Or, le moyen de
cognoscendi, quod est lumen sub quo res videtur, connaître, qui est la lumière sous laquelle une
utrobique creatum est: hoc enim vel est lumen chose est vue, est créé dans les deux cas. En
naturale, sicut in his quae cognoscuntur per effet, il est soit la lumière naturelle, comme pour
rationem naturalem: vel lumen gratiae, sicut in his ce qui est connu par la raison naturelle, soit la
quae cognoscuntur per fidem et revelationem. lumière de la grâce, comme pour ce qui est
Christus autem perfectus fuit secundum animam, connu par la foi et la révélation. Or, le Christ
et secundum naturam, et secundum gratiam. Non était parfait dans son âme, tant selon la nature
autem perfectio animae quantum ad naturam esset que selon la grâce. Mais la perfection de l’âme
in ipso, nisi omnia cognosceret hoc genere n’existerait pas chez lui pour ce qui est de la
cognitionis quae per rationem naturalem cognosci nature, s’il ne connaissait pas tout ce qui peut
possunt; nec etiam esset perfectus in gratia, nisi être connu par le genre de connaissance qui se
omnia quae ad revelationem gratiae pertinent in réalise par la raison naturelle ; il ne serait pas
hominibus, sive in Angelis, cognovisset; et ideo non plus parfait en grâce, s’il n’avait connu tout
anima ejus hoc genere cognitionis omnia ce qui se rapporte à la révélation de la grâce pour
cognovit. Sed quia similitudo creata deficit a les hommes comme pour les anges. Aussi son
repraesentatione substantiae increatae, ideo hoc âme a-t-elle connu tout par ce genre de science.
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genere cognitionis non cognovit ipsam essentiam Or, parce qu’une similitude créée ne parvient pas
increatam; nec alia omnia quae ad perfectionem à représenter la substance incréée, il ne
intellectivae partis non pertinent, neque secundum connaissait donc pas, par ce genre de science,
naturam neque secundum gratiam, sicut sunt gesta l’essence incréée elle-même, ni toutes les autres
particularium hominum, et hujusmodi; quae choses qui ne sont pas en rapport avec la
tamen omnia cognovit in verbo. Et ideo perfection de la partie intellective, ni selon la
dicendum, quod hoc genere cognitionis non nature ni selon la grâce, tels les actes des
cognovit omnia simpliciter. hommes particuliers et les choses de ce genre,
qu’il a cependant connus dans le Verbe. Il faut
donc dire qu’il n’a pas simplement tout connu
par ce genre de science.
[9250] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 1. De ce raisonnement, on ne conclut pas qu’il
Ad primum ergo dicendum, quod ex hac ratione connaissait tout ce qui peut être connu par la
non concluditur nisi quod cognoverit omnia quae raison naturelle, car, de même que la matière
per rationem naturalem cognosci possunt: quia première n’est que naturellement en puissance
sicut materia prima est in naturali potentia tantum par rapport aux formes qui peuvent être
ad illas formas quae per agens naturale produci produites par un agent naturel (bien que Dieu
possunt, quamvis Deus alia ex materia illa facere puisse réaliser autre chose à partir de cette
possit; ita etiam intellectus possibilis est in matière première), de même aussi l’intellect
potentia naturali eorum tantum quae per lumen possible n’est-il naturellement en puissance que
intellectus agentis cognosci possunt: et si haec de ce qui peut être connu par la lumière de
tantum cognosceret, imperfectus non esset; sed l’intellect agent, et s’il ne connaissait que cela, il
Deus ex liberalitate sua infundit amplius lumen ne serait pas imparfait. Mais Dieu, en sa
gratiae, per quod etiam plura intellectus possibilis libéralité, a versé en plus la lumière de la grâce,
cognoscit. par laquelle l’intellect possible connaît aussi
davantage de choses.
[9251] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 2. Par ce que l’intellect intellige, sa capacité
Ad secundum dicendum, quod per ea quae n’est agrandie que par rapport aux intelligibles
intellectus intelligit, non ampliatur capacitas, nisi qui sont du même genre ; ainsi, aussi souvent
respectu eorum intelligibilium quae sunt ejusdem qu’un homme reçoive un enseignement dans les
generis; sicut quantumcumque homo sit instructus sciences physiques, il ne parvient jamais à la
in scientiis physicis, nunquam pervenit ad connaissance de ce qui relève de la foi ou de la
cognitionem eorum quae sunt fidei, vel prophétie, à moins qu’une lumière plus grande
prophetiae, nisi lumen amplius addatur; et ita ne soit ajoutée. Ainsi, aussi grande que devienne
quantumcumque amplietur capacitas ejus ad sa capacité de comprendre des choses dans son
intelligendum res in proprio genere, nunquam propre genre, il ne parviendra jamais à voir
perveniet ad videndum divinam essentiam, vel res l’essence divine ou certaines choses en elle.
aliquas in ea.
[9252] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 3. On ne nie pas que l’âme du Christ connaisse
Ad tertium dicendum, quod non negatur omnia tout par ce genre de connaissance, parce que les
cognoscere hujusmodi cognitionis genere anima espèces se contrarient l’une l’autre dans
Christi, quia species se invicem in intellectu l’intellect, mais parce que certaines choses qui
impediant; sed quia quaedam cognoscibilia peuvent être connues dépassent toute espèce
excedunt omnem speciem creatam, sicut essentia créée, comme l’essence divine, dont les
divina; quorumdam vero similitudines et similitudes et les connaissances ne relèvent pas
cognitiones non sunt de perfectione intellectus de la perfection de l’intellect humain.
humani.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9253] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Pour la connaissance intellectuelle, trois choses
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad sont requises : la puissance de l’intellect, la
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cognitionem intellectivam tria requiruntur; scilicet lumière par laquelle il intellige et une similitude
potentia intellectus, lumen quo intelligit, et d’une chose, par laquelle la connaissance d’une
similitudo rei per quam cognitio rei determinatur; chose est déterminée. Selon ces trois choses, une
et secundum haec tria potest aliqua cognitio esse connaissance peut être plus puissante de trois
altera potior tripliciter. Primo quantum ad manières. Premièrement, pour ce qui est de
efficaciam cognoscendi, sive certitudinem l’efficacité de la connaissance, ou de la certitude
cognitionis, sive limpiditatem, quod idem est, ou de la limpidité de la connaissance, ce qui est
quae ex ipso lumine consequitur; et sic cum la même chose, qui découlent de la lumière elle-
Christus abundanter lumen gratiae habuerit magis même : et ainsi, puisque le Christ a eu en
quam Angeli, habuit limpidiorem cognitionem abondance la lumière de la grâce plus que les
quam Angeli. Secundo potest esse aliqua cognitio anges, il a eu une connaissance plus limpide que
potior alia quantum ad similitudinem cognitorum, les anges. Deuxièmement, une connaissance peut
quae attenditur secundum species; et secundum être plus puissante qu’une autre pour ce qui est
hoc etiam Christus perfectiorem cognitionem de la similitude des choses connues, qui se prend
habuit quam Angeli: quia plurium species sibi des espèces : de cette manière, le Christ aussi a
infusae fuerunt quam Angelis concreatae et eu une connaissance plus parfaite que les anges,
infusae; unde etiam de his quae ad illuminationes car il a possédé un plus grand nombre d’espèces
hierarchicas pertinent, Christus Angelos infuses concréées et infuses que les anges ; aussi,
illuminavit, ut dicit Dionysius. Tertio potest esse même pour ce qui relève des illuminations
aliqua cognitio altera nobilior quantum ad genus hiérarchiques, le Christ a-t-il illuminé les anges,
cognitionis, quod consequitur naturam potentiae comme le dit Denys. Troisièmement, une
intellectivae; et quia Christus cognovit intellectu connaissance peut être plus noble qu’une autre
possibili, cujus est objectum phantasma, ideo pour ce qui est du genre de connaissance, ce qui
cognovit ea cum continuo et tempore, utens découle de la nature de la puissance intellective.
phantasmatibus quasi objectis intellectus, non Et parce que le Christ a connu par l’intellect
quidem sicut ab eis speciem accipiens, sed sicut possible, dont l’objet est le phantasme, il a donc
species circa ea ponens, sicut contingit in eo qui connu ces choses de manière continue et dans le
habet habitum, et actu aliqua considerat. Hoc temps, en recourant aux phantasmes comme
autem genere cognitionis Angeli non cognoscunt; objets de l’intellect, non pas en recevant d’eux
sed aliquo altiori secundum ordinem naturae, une espèce, mais en proposant des espèces à leur
scilicet sine continuo et tempore. sujet, comme cela se produit chez celui qui
possède un habitus et considère quelque chose en
acte. Or, les anges ne connaissent pas par ce
genre de connaissance, mais selon un genre plus
élevé dans l’ordre de nature, à savoir sans
continu et sans temps.
[9254] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 1. Cette connaissance n’a pas existé chez le
Ad primum ergo dicendum, quod ista cognitio Christ seulement selon la proportion de
non fuit solum in Christo secundum proportionem puissance qui revient à la nature humaine, mais
virtutis quae debetur humanae naturae; sed selon que la nature humaine a été perfectionnée
secundum quod humana natura perfecta est per par la grâce, qui était plus puissante chez le
gratiam, quae fuit potior in Christo quam in Christ que chez les anges. Il a donc eu une
Angelis; unde et perfectiorem scientiam habuit science simplement plus parfaite.
simpliciter.
[9255] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 2. Du fait que l’intellect possible est plus proche
Ad secundum dicendum, quod ex hoc quod de la matière, il n’a de déficience pour connaître
intellectus possibilis est propinquius materiae, non que pour ce qui est du genre de connaissance : en
habet defectum in cognoscendo, nisi quantum ad effet, parce que sa nature est telle qu’il est uni au
genus cognitionis; quia enim talis est natura ejus corps comme forme, il connaît donc par ce genre
ut corpori uniatur ut forma, ideo tali genere de connaissance, en utilisant des intruments du
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cognitionis cognoscit, utendo scilicet corporis corps. Mais la multitude des choses connues ne
instrumentis. Sed multitudo cognitorum non est vient pas de la nature de l’intellect possible, mais
ex natura intellectus possibilis, sed ex speciebus des espèces intelligibles ; cependant, la limpidité
intelligibilibus; limpiditas vero ex lumine vient de la lumière de l’intellect agent ou d’une
intellectus agentis, vel ex aliquo superiori lumine. lumière supérieure.
[9256] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 3. Ce caractère ombragé s’entend du fait qu’il
Ad tertium dicendum, quod obumbratio illa intellige de manière continue et dans le temps.
intelligitur quantum ad hoc quod intelligit cum
continuo et tempore.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9257] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Du fait que notre intellect reçoit à partir des
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ex hoc phantasmes, découle pour lui qu’il possède une
ipso quod intellectus noster accipit a science délibérative, pour autant qu’à partir de
phantasmatibus, sequitur in ipso quod scientiam plusieurs connaissance se réalise une seule
habeat collativam, inquantum ex multis sensibus mémoire, à partir de multiples mémoires une
fit una memoria, et ex multis memoriis unum seule expérience, et à partir de multiples
experimentum, et ex multis experimentis unum expériences un seul principe universel, à partir
universale principium, ex quo alia concludit; et sic duquel il conclut d’autres choses. C’est ainsi
acquirit scientiam, ut dicitur in 1 Metaph., et in qu’il acquiert la science, comme on le dit dans
fine posteriorum, Lib. 2, text. 37; unde secundum Métaphysique, I, et à la fin des Postérieurs
quod se habet intellectus ad phantasmata, [analytiques], II, texte 37. Aussi, selon le rapport
secundum hoc se habet ad collationem. Habet de l’intellect aux phantasmes, tel est son rapport
autem se ad phantasmata dupliciter. Uno modo avec le rapprochement. Or, son rapport aux
sicut accipiens a phantasmatibus scientiam, quod phantasmes est double. D’une manière, il reçoit
est in illis qui nondum scientiam habent, la connaissance à partir des phantasmes selon un
secundum motum qui est a rebus ad animam. Alio mouvement qui va des choses vers l’âme, ce qui
modo secundum motum qui est ab anima ad res, se produit chez ceux qui n’ont pas encore la
inquantum phantasmatibus utitur quasi exemplis, science. D’une autre manière, selon le
in quibus inspicit quod considerat, cujus tamen mouvement qui va de l’âme aux choses, pour
scientiam prius habebat in habitu. Similiter etiam autant qu’elle utilise des phantasmes comme des
est duplex collatio: una qua homo procedit ex exemples, dans lesquels elle observe ce qu’elle
notis ad inquisitionem ignoti; et talis collatio non regarde, dont elle avait cependant la science
fuit in Christo; alia secundum quam homo ea quae antérieurement. De même aussi, existe-t-il une
habitu tenet, in actum ducens, ex principiis double rapprochement. L’un, par lequel l’homme
considerat conclusiones sicut ex causis effectus; et procède de ce qu’il connaît vers la recherche de
talis collativa scientia fuit in Christo. ce qui est inconnu : un tel rapprochement
n’existait pas chez le Christ. L’autre, selon
lequel l’homme, en amenant à l’acte ce qu’il
possède par habitus, considère des conclusions à
partir des principes comme des effets à partir des
causes : une telle science comparative existait
chez le Christ.
[9258] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 1. [Jean] Damascène parle du premier mode de
Ad primum ergo dicendum, quod Damascenus rapprochement. Aussi ajoute-t-il : « En effet, il
loquitur quantum ad primum modum collationis; n’était pas ignorant. »
unde subdit: non enim habuit ignorantiam.
[9259] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 2. Le discours de la raison ne s’oppose pas à la
Ad secundum dicendum, quod discursus rationis déiformité qui vient de la grâce, mais à celle qui
non opponitur deiformitati quae est per gratiam, vient de l’ordre de la nature. En effet, Dieu ne
sed quae est per ordinem naturae. Deus enim non tire pas sa connaissance des phantasmes ; aussi
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accipit cognitionem a phantasmatibus; unde l’âme ne s’éloigne-t-elle pas de Dieu plus que de
anima recedit a Dei similitudine quantum ad hoc l’ange sur ce point, pour autant qu’elle est la
magis quam Angeli, inquantum est forma forme du corps.
corporis.
[9260] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 3. Comme on l’a dit, cette ombre est en rapport
Ad tertium dicendum, quod umbra illa, ut dictum avec le genre de connaissance, et non avec la
est, refertur ad genus cognitionis, non ad limpidité de la connaissance.
limpiditatem in cognoscendo.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[9261] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Par la limpidité de la connaissance, il arrive que
Ad quartam quaestionem dicendum, quod ex la science soit plus unie et plus simple, car plus
limpiditate cognitionis contingit quod scientia est l’intellect voit clairement, plus il peut connaître
magis unita et simplex: quia quanto limpidius de choses à partir d’un plus petit nombre [de
videt intellectus, tanto ex paucioribus potest choses]. Puisque l’âme du Christ a eu la
cognoscere plura. Unde cum anima Christi connaissance la plus limpide parmi toutes les
habuerit limpidissimam cognitionem inter omnes créatures, sa science était donc plus unie et [se
creaturas, scientia ejus fuit magis unita, et per réalisait] par des formes plus universelles que la
formas magis universales quam aliqua scientia science de la créature. Or, la division des habitus
creaturae. Divisio autem habituum in diversis pour la connaissance de diverses choses vient en
rebus cognoscendis contingit in nobis ex hoc quod nous de ce que les formes intelligibles en nous
formae intelligibiles in nobis sunt minime sont moins universelles ; il faut donc que nous
universales; unde oportet quod diversas res per connaissions diverses choses par diverses
diversas species cognoscamus; et diversae species espèces, et les diverses espèces selon leur genre
secundum genus faciunt diversos habitus donnent les divers habitus des sciences. Pour
scientiarum; et propter hoc Angeli qui habent cette raison, les anges, qui ont une science plus
scientiam magis universalem, utpote non universelle, parce qu’elle n’est pas tirée des
acceptam a rebus, non habent cognitionem de choses, n’ont pas une connaissance des choses
rebus per diversos habitus. Quia ergo anima par divers habitus. Donc, parce que l’âme du
Christi habuit scientiam magis universalem quam Christ possédait une science plus universelle
aliquis Angelus, ideo non habuit diversos habitus qu’un ange, il n’a pas eu divers habitus par
quibus cognosceret, sed uno habitu omnia lesquels il connaissait, mais il a tout connu de ce
cognovit quae ad hanc scientiam pertinent, qui se rapporte à cette science par un seul
quamvis diversis speciebus. habitus, bien que par diverses espèces.
[9262] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 1. La science du Christ, même celle des choses
Ad primum ergo dicendum, quod scientia Christi, selon leur genre propre, était beaucoup plus
etiam rerum in proprio genere, fuit multo altior élevée que notre science.
quam scientia nostra.
[9263] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2 2. Ce n’est pas n’importe quelle diversité des
Ad secundum dicendum, quod non omnis choses qui donne plusieurs sciences, mais la
diversitas rerum facit diversas scientias, sed diversité qui exige une raison différente de
diversitas quae requirit diversam rationem connaître, comme les choses naturelles se
cognoscendi, sicut naturalia distinguuntur a distinguent des réalités mathématiques. Or, la
mathematicis. Sed ratio cognoscendi in Christo raison de connaître chez le Christ était plus
fuit magis unibilis quam in nobis; et ideo per susceptible d’unité chez le Christ que chez nous.
unam rationem potuit plura cognoscere. C’est pourquoi il pouvait en connaître davantage
par une seule raison [de connaître].
[9264] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 3. Ce n’est pas n’importe quelle diversité des
Ad tertium dicendum, quod non quaelibet espèces qui donne un habitus différent
specierum diversitas facit habitum diversum (alias (autrement, il faudrait qu’il y ait autant de
oporteret quod quot sunt res, tot essent scientiae); sciences que de réalités), mais les diversités des
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sed diversitates specierum quae non reducuntur ad espèces qui ne se ramènent pas au même mode
eumdem modum cognitionis secundum genus; de connaissance selon leur genre. Une telle
quae quidem diversitas contingit ex hoc quod diversité se produit du fait que la lumière de
lumen intellectus nostri est particulatum et debile; notre intellect est divisé et faible. Chez le Christ,
et ideo in Christo non fuit talis divisio habituum, il n’y a donc pas eu une telle division d’habitus
propter luminis claritatem. en raison de la clarté de la lumière.
Quaestiuncula 5 Réponse à la sous-question 5
[9265] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 co. Puisque l’élévation de la science, comme on l’a
Ad quintam quaestionem dicendum, quod cum dit, vient de trois choses, la science du Christ n’a
eminentia scientiae, ut dictum est, consistat in donc jamais progressé pour ce qui est du genre
tribus, scientia Christi nunquam crevit quantum de la connaissance, car ce genre de connaissance
ad genus cognitionis; quia illud genus cognitionis découle de la nature humaine, qui est toujours
sequitur naturam humanam, quae in ipso semper demeuré en lui. Elle n’a pas non plus [progressé]
permansit; nec iterum quantum ad numerum du point de vue du nombre de choses connues,
scitorum, quia omnia scivit a primo instanti suae car il a tout connu de ce qui rapporte à cette
conceptionis quae ad hanc scientiam pertinent: science dès le premier instant de sa conception.
crevit autem quantum ad aliquem modum Mais il a progressé selon un certain mode de
certitudinis. Cum enim anima nostra secundum certitude. En effet, puisque notre âme est par
naturam sit media inter intellectum purum, qualis nature intermédiaire entre l’intellect pur, comme
est in Angelis, et sensus; dupliciter certificatur de c’est le cas chez les anges, et le sens, elle
aliquibus. Uno modo ex lumine intellectus, qualis acquiert une certitude sur certaines choses de
est certitudo in demonstrationibus illorum quae deux manières. D’une manière, par la lumière de
nunquam visa sunt: alio modo ex sensu, sicut cum l’intellect, comme c’est le cas de la certitude
aliquis est certus de his quae videt sensibiliter; et pour les démonstrations portant sur des choses
talis certitudo acquiritur alicui, etiam qui n’ont jamais été vues ; d’une autre manière,
quantumcumque per certissimam par le sens, comme lorsque quelqu’un est certain
demonstrationem aliquid sciat, quando videt de ce qu’il voit de manière sensible. Une telle
sensibiliter quod prius non viderat; unde anima certitude est acquise par quelqu’un, aussi
delectatur in visis etiam quae scivit; et haec certaine que soit la démonstration par laquelle il
vocatur certitudo experimentalis: et quantum ad connaît quelque chose, lorsqu’il voit de manière
hanc crevit scientia Christi, inquantum quotidie sensible ce qu’il n’avait pas vu antérieurement.
aliqua videbat sensibiliter quae prius non viderat; C’est ainsi que l’âme se délecte même des
non autem crevit quantum ad essentiam. choses vues qu’elle connaissait. Cette certitude
est appelée expérimentale. La science du Christ a
progressé selon cette [certitude], pour autant que,
chaque jour, il voyait de manière sensible des
choses qu’il n’avait pas vues antérieurement ;
mais elle n’a pas progressé selon son essence.
[9266] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 1 1. Apprendre ainsi doit être mis en rapport avec
Ad primum ergo dicendum, quod illud discere est l’expérience.
referendum ad experientiam.
[9267] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 2 2. L’âme du Christ, bien qu’elle n’ait pas tout
Ad secundum dicendum, quod anima Christi connu par ce genre de connaissance, ne pouvait
quamvis hoc genere cognitionis non omnia cependant pas progresser sur ce point, tant parce
scivisset, tamen non poterat quantum ad ea qu’il existe certaines choses de cette sorte qui ne
proficere: tum quia quaedam sunt quae hoc genere peuvent être connues par ce genre de
cognitionis cognosci non possunt, sicut essentia connaissance, comme l’essence de Dieu, que
Dei: tum quia quaedam contingentia singularia parce que certains contingents singuliers ne
non sunt de perfectione scientiae, ut dictum est. relèvent pas de la perfection de la science,
comme on l’a dit.
459

[9268] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 3 3. Chez le Christ, une espèce n’a pas été de
Ad tertium dicendum, quod per lumen intellectus nouveau reçue dans son intellect possible par la
agentis in Christo, non fuit aliqua species de novo lumière de l’intellect agent, mais il s’est de
recepta in intellectu possibili ejus; sed fuit facta nouveau tourné vers les espèces qui se trouvaient
conversio nova ad species quae erant in phantasia; dans l’imagination, comme c’est le cas de celui
sicut est in eo qui habet habitum sciendi eorum qui possède l’habitus de la science de ce qu’il
quae imaginatur vel videt. imagine ou voit.
[9269] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 5 ad 4 4. Ambroise entend le progrès de la science du
Ad quartum dicendum, quod Ambrosius intelligit Christ selon l’expérience obtenue par une
profectum scientiae Christi quantum ad nouvelle conversion vers un objet sensible
experientiam secundum novam conversionem ad présent, ou comme le Maître l’a déterminé.
sensibile praesens, vel sicut supra Magister
determinavit.
Quaestiuncula 6 Réponse à la sous-question 6
[9270] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 co. Selon l’enseignement de Denys, dans La
Ad sextam quaestionem dicendum, quod hiérarchie céleste, les anges de qui les autres
secundum doctrinam Dionysii, in Cael. Hier., reçoivent une connaissance sont remplis d’une
Angeli a quibus alii cognitionem accipiunt, lumière plus abondante, pour autant qu’ils
abundantiori lumine pleni sunt, quasi propinquius contemplent de plus près la clarté divine. En
divinam claritatem contemplantes. Oportet enim effet, il faut que celui qui reçoit soit en puissance
recipiens esse in potentia respectu ejus a quo par rapport à celui de qui il reçoit, et ainsi moins
recipit, et ita minus in actu ejus quod recipere en acte de ce qu’il doit recevoir. Puisque l’âme
debet. Unde cum anima Christi abundantius du Christ a eu une lumière intellectuelle plus
intellectuale lumen habuerit quam Angeli, ut patet abondante que les anges, comme cela ressort de
ex praedictis, constat etiam quod Christus mortale ce qui a été dit, il est aussi clair que le Christ,
corpus gerens, nihil cognitionis accepit ab alors qu’il avait un corps mortel, n’a rien reçu
Angelis; sed ipse non solum secundum deitatem, des anges en fait de connaissance ; mais lui-
sed etiam secundum animam omnes Angelos même, non seulement selon sa divinité, mais
illuminavit sicut etiam nunc illuminat. Non enim aussi selon son âme, a illuminé tous les anges,
minoris gloriae erat illa anima aut minoris comme il les illumine aussi maintenant. En effet,
cognitionis in statu illo quam modo sit, cum a cette âme n’avait pas une gloire moindre ou une
principio suae conceptionis perfectus moindre connaissance en cet état, qu’elle n’en a
comprehensor fuerit. maintenant, puisque, dès le début de sa
conception, elle a été un parfait comprehensor.
[9271] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 1 1. Comme Denys lui-même l’explique au même
Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ipsemet endroit, on dit que le Christ est ordonné par les
Dionysius se ibidem exponit, dicitur Christus per anges, non pas parce qu’il reçoit d’eux une
Angelos ordinatus, non quia ipse ab eis illumination, mais parce que les autres étaient
illuminationem accipit, sed quia de his quae ad enseignés par les anges sur ce qui le concernait
ipsum pertinebant circa ipsum gerenda, per et devait être accompli à son sujet, comme
Angelos alii instruebantur, sicut Joseph de fuga in Joseph à propos de la fuite en Égypte et du
Aegyptum, et de reditu de Aegypto, ut dicitur retour en Égypte, ainsi qu’il est dit en Mt 2. En
Matth. 2: ipse enim per se in his eos instruere non effet, lui-même ne voulait pas leur enseigner par
volebat; ut ab aliis pueris non differret, et ulterius lui-même à ce sujet afin de ne pas se différencier
ut veritas assumptae naturae probaretur. des autres enfants et pour que, par la suite, la
vérité de la nature assumée soit démontrée.
[9272] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 2 2. Bien que les anges n’aient pas illuminé le
Ad secundum dicendum, quod quamvis Angeli Christ, ils l’ont cependant servi, comme cela
Christum non illuminarent, tamen ei ressort de Mt 4 : un tel réconfort relevait de ce
ministraverunt, ut patet Matth. 4, et ad hoc service. En effet, il n’était pas réconforté par
460

ministerium illa confortatio pertinebat; non enim l’enseignement, mais de la manière dont un
confortabatur instruendo, sed eo modo quo ex homme est naturellement réconforté dans la
colloquio et praesentia amicorum et familiarium tristesse par la conversation et la présence d’amis
homo naturaliter confortatur in tristitiis, ut in hoc et de proches, et cela afin que la vérité de la
quoque veritas assumptae naturae appareret. nature assumée soit encore ainsi manifestée.
[9273] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 3 3. Dieu était venu nous libérer de la mort mais
Ad tertium dicendum, quod Deus venerat nos aussi du poids de la loi. C’est pourquoi, de même
liberare, sicut a morte, ita et a legis onere; et ideo qu’il a subi la mort pour nous, afin de nous
sicut mortem pro nobis subiit, ut nos a morte libérer de la mort, de même a-t-il reçu en lui-
liberaret, ita et legalia in seipso recepit ut eos qui même les [obligations] de la loi, afin de racheter
sub lege erant, redimeret; ad Gal. 4, 5. Non autem ceux qui étaient soumis à la loi, Ga 4, 5. Mais il
venit ut nos ab ordine caelestis hierarchiae n’était pas venu nous tirer de l’ordre de la
educeret; et ideo non est similis ratio. Et praeterea hiérarchie céleste. Le raisonnement n’est donc
Christus a legalibus nihil accepit secundum pas le même. De plus, le Christ n’a reçu aucune
animam; sed tantum in corpore ejus gerebantur prescription légale en son âme, mais elles étaient
exterius, sicut circumcisio, et hujusmodi; sed accomplies extérieurement seulement en son
leges caelestis hierarchiae ad animam pertinent: corps, comme la circoncision et les choses de ce
Christi autem anima non subjacebat alicui genre. Mais les lois de la hiérarchie céleste se
imperfectioni, sicut corpus subjacebat rapportent à l’âme. Or, l’âme du Christ n’était
passibilitati. soumise à aucune imperfection, comme son
corps était soumis à la passibilité.
[9274] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 3 qc. 6 ad 4 4. La solution du quatrième argument est ainsi
Et per hoc patet solutio ad quartum: quia enim claire. En effet, parce que son corps n’était pas
corpus ejus nondum erat glorificatum, poterat encore glorifié, il pouvait recevoir une certaine
aliquam impressionem a corporibus caelestibus impression des corps célestes. Mais l’âme, qui
accipere; anima autem quae glorificata erat et avait été glorifiée et élevée au-dessus des anges,
super Angelos exaltata, nihil poterat ab eis ne pouvait rien recevoir d’eux.
accipere.

Articulus 4 [9275] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. Article 4 – L’âme du Christ était-elle toute-
4 tit. Utrum anima Christi habuit omnipotentiam, puissante et omnisciente ?
sicut et omnium scientiam
[9276] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad 1. Il semble que l’âme du Christ était toute-
quartum sic proceditur. Videtur quod anima puissante et omnisciente. Premièrement, en
Christi habuit omnipotentiam, sicut et omnium raison de ce qui est dit en Mt 28, 18 : Toute
scientiam. Primo per hoc quod dicitur Matth. ult.; puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre,
18: data est mihi omnis potestas in caelo et in et il parle selon sa nature humaine. Il avait donc,
terra; et loquitur secundum humanam naturam. selon sa nature humaine, la toute-puissance.
Ergo secundum humanam naturam habuit
omnipotentiam.
[9277] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Le Christ était omniscient. Or, la science est
Praeterea, Christus habuit omnium scientiam. Sed pratique et spéculative. Il a donc eu une science
scientia est practica et speculativa. Ergo et ipse pratique pour tout. Or, la science pratique
habuit de omnibus rebus scientiam practicam. Sed consiste en ce que quelqu’un sache faire quelque
scientia practica est secundum quam aliquis scit chose et ait la capacité de le faire, car la science
facere aliquid, et potest facere: quia scientia pratique est cause des choses. L’âme du Christ a
practica est causa rerum. Ergo anima Christi donc eu la toute-puissance.
habuit omnipotentiam.
[9278] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 3 3. L’âme humaine est l’mage de la Trinité par sa
Praeterea, anima humana est imago Trinitatis per puissance, sa volonté et sa science. Or, l’âme du
461

potentiam, voluntatem, et scientiam. Sed anima Christ, du fait qu’elle était l’image de Dieu, était
Christi, inquantum fuit imago Dei, capax fuit capable de toute science. Pour la même raison,
omnis scientiae. Ergo pari ratione omnipotentiae. donc, de la toute-puissance.
[9279] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 4 4. De même que la puissance de Dieu est infinie,
Praeterea, sicut potentia Dei est infinita, ita et de même, sa science. Or, l’infinité de la science
scientia. Sed infinitas scientiae non prohibet quin n’empêche pas que la science de toutes choses
omnium scientia Christo communicata sit. Ergo ait été communiquée au Christ. Donc, l’infinité
nec infinitas potentiae prohibet quin sibi de la puissance n’empêche pas non plus que la
omnipotentia communicata sit. toute-puissance lui ait été communiquée.
[9280] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 arg. 5 5. De même qu’il existe dans l’âme humaine une
Praeterea, sicut in anima humana est possibilitas possibilité de tout recevoir par l’intellect
ad recipiendum omnia per intellectum possibilem, possible, par lequel elle peut devenir tout, de
quo est omnia fieri; ita est in ea possibilitas ad même existe-t-il en elle une possibilité de tout
faciendum omnia per intellectum agentem, quo faire par l’intellect agent, par qui elle peut tout
est omnia facere. Sed Christo est communicata faire. Or, la science de toutes choses a été
omnium scientia, inquantum anima ejus est communiquée au Christ, pour autant que son
receptiva omnium. Ergo similiter debuit sibi âme pouvait recevoir toutes choses. De la même
communicari omnipotentia. manière, la toute-puissance devait-elle lui être
communiquée.
[9281] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] la puissance a raison de
Sed contra, potentia habet rationem principii, ut principe, comme il est dit dans Métaphysique, V.
dicitur in 5 Metaph. Sed non potuit communicari Or, il ne pouvait être communiqué à l’âme du
animae Christi quod esset principium omnium: Christ qu’elle soit le principe de tout, car elle
quia sic esset primum principium, quod est solius serait ainsi le premier principe, ce qui appartient
Dei. Ergo non potuit communicari omnipotentia. à Dieu seul. La toute-puissance ne pouvait donc
pas lui être communiquée.
[9282] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] L’âme du Christ est maintenue dans l’être
Praeterea, per potentiam Dei, anima Christi par la puissance de Dieu. Or, il ne pouvait lui
conservatur in esse. Sed non potuit sibi être être communiqué qu’elle se maintienne elle-
communicari ut ipsa seipsam conservaret in esse: même dans l’être, car ainsi elle ne serait pas une
quia sic non esset creatura. Ergo non potuit sibi créature. La toute-puissance ne pouvait donc pas
omnipotentia communicari. lui être communiquée.
[9283] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] Une puissance active infinie n’est le fait
Praeterea, nullius substantiae finitae est virtus d’aucune substance finie. Or, l’âme du Christ est
activa infinita. Sed anima Christi est substantia une substance finie. Une puissance infinie, qui
finita. Ergo non potuit sibi communicari infinita est la toute-puissance, ne pouvait donc pas lui
potentia, quae est omnipotentia. être communiquée.
[9284] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 co. Réponse. Toute chose est active selon qu’elle est
Respondeo dicendum, quod unumquodque est un être en acte. Aussi, plus faiblement certaines
activum, secundum quod est ens actu; unde choses possèdent l’être, moins elles sont actives,
quanto aliqua habent deficientius esse, tanto comme cela ressort pour la matière première
minus sunt activa; sicut patet de materia prima in dans laquelle il n’y a pas de puissance active,
qua non est activa potentia, quia tenet ultimum puisqu’elle occupe le dernier degré des êtres. La
gradum in entibus; et ideo potentia activa puissance active est donc mesurée par l’essence.
commensuratur essentiae. Et propter hoc, sicut Pour cette raison, de même qu’il ne pouvait être
animae Christi non potuit communicari quod communiqué à l’âme du Christ d’avoir une
haberet infinitatem essentiae, ita nec omnipotentia essence infinie, de même la toute-puissance ne
sibi communicari potuit nec alicui creaturae pouvait pas lui être communiquée, et elle ne peut
communicari potest. Credo tamen quod omnis être communiquée à aucune créature. Cependant,
potentia quae alicui creaturae communicari potest, je crois que toute la puissance qui peut être
462

sibi communicata fuit multo abundantius, ut communiquée à une créature lui a été
scilicet materia elementaris magis obediret sibi ad communiquée de manière beaucoup plus
nutum quam activis qualitatibus, vel etiam virtuti abondante, de sorte que la matière élémentaire
caelesti: et quod magis potuisset movere caelum lui obéisse à volonté plus qu’aux qualités actives
quam aliquis Angelus; si tamen Angeli movent ou encore à une puissance céleste, et qu’il aurait
orbes. pu mouvoir le ciel plus facilement qu’un ange, à
supposer que les anges meuvent le monde.
[9285] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Toute puissance a été donnée éternellement au
primum ergo dicendum, quod omnis potentia data Christ pour ce qui est de sa personne, mais lors
est Christo quantum ad personam ab aeterno, sed de sa concpetion, pour ce qui est de la nature
quantum ad naturam humanam in ipsa humaine, non pas que sa nature humaine ou une
conceptione: non quod natura humana, vel aliqua de ses parties ait reçu la forme de la toute-
pars ejus, omnipotentia informaretur, ut puissance, de sorte qu’elle puisse être appelée
omnipotens dici possit: sed secundum modum quo toute-puissante, mais de la manière dont les
et alias proprietates communicant sibi naturae natures se communiquent par ailleurs leurs
propter unitatem hypostasis: tamen in propriétés en raison de l’unité de l’hypostase.
resurrectione manifestata est; et ideo tunc data Cependant, [sa toute-puissance] a été manifestée
dicitur, secundum illum modum loquendi quo res lors de la résurrection. C’est pourquoi on dit
dicitur fieri quando innotescit. qu’elle a été donnée, selon cette manière de
parler où l’on dit qu’elle « devient » lorsqu’elle
est connue.
[9286] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Le Christ eu la science de toutes choses, non
secundum dicendum, quod Christus habuit pas seulement spéculative, mais aussi pratique,
omnium rerum scientiam, non tantum non pas celle par laquelle il réaliserait les choses
speculativam, sed etiam practicam, non quidem elles-mêmes, mais il a su comment elles ont été
qua ipsas res faceret, sed scivit qualiter a Deo sunt faites par Dieu. Or, la science pratique, bien
factae. Scientia autem practica, quamvis sit qu’elle soit d’une certaine manière cause de
quodammodo causa operationis, inquantum dirigit l’opération pour autant qu’elle dirige l’opération,
in opere, non tamen est sufficienter causa: quia ab n’est cependant pas une cause suffisante, car une
ipsa non producitur res, nisi adsit potentia activa chose n’est produite par elle que si la puissance
rei: unde Christus habuit omnem scientiam active de la chose est présente. Le Christ a donc
practicam quidem, sed non practice, quia non eu toute la science pratique, mais non de manière
ordinavit ad opus. pratique, car elle n’ordonnait pas à la réalisation
d’une œuvre.
[9287] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. L’universalité des possibles pour Dieu se
tertium dicendum, quod universalitas possibilium mesure selon l’essence divine, car elle peut
Deo, commensuratur divinae essentiae: quia réaliser des choses infinies parce qu’elle a un
secundum hoc infinita potest, quia habet esse non être non limité. Mais l’universalité de ce qu’elle
limitatum. Sed universalitas eorum quae scit sait par la science de vision ne se mesure pas à
scientia visionis, non commensuratur essentiae son essence, même si le monde durait toujours
ejus, etiam si mundus duraret semper, per hunc comme il est maintenant, car elle pourrait faire
modum quo modo est: quia semper posset plura toujours plus de choses à chaque moment qu’au
facere secundum unumquodque tempus quam moment où elle les a faites, et davantage
quae fecit, et plures species, et plura rerum d’espèces, davantage de genres de choses et
genera, et plures mundos. Et ideo quamvis davantage de mondes. C’est pourquoi, bien que
omnium scientia qua Deus scit scientia visionis, la science par laquelle Dieu connaît par la
sit communicata animae Christi: non tamen science de vision ait été communiquée à l’âme
omnipotentia qua Deus potest facere, sibi du Christ, il ne pouvait cependant lui
communicari potuit, sicut nec essentia infinita. communiquer la toute-puissance par laquelle
Dieu peut réaliser, pas davantage que son
463

essence infinie.
[9288] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. Dans la toute-puissance, est compris tout ce à
quartum dicendum, quod in omnipotentia quoi s’étend la puissance divine en raison de
includuntur omnia ad quae divina potentia se l’infinité de son essence, selon laquelle elle peut
extendit ex infinitate suae essentiae, secundum réaliser des choses infinies de n’importe quelle
quam est activa infinitorum secundum quemlibet manière. Mais, dans la science de toutes choses,
modum; sed in scientia omnium, quae dicitur dont on dit qu’elle a été communiquée au Christ,
Christo communicata, non includuntur omnia n’est pas inclus tout ce que Dieu peut faire,
quae Deus potest facere, ut dictum est; et ideo comme on l’a dit. C’est pourquoi la toute-
omnipotentia communicari non potuit nisi habenti puissance ne pouvait être communiquée qu’à
essentiam infinitam, sicut nec scientia omnium celui qui a une essence infinie, comme ce n’était
simpliciter quae Deus potest facere, nisi pas non plus simplement le cas pour la science
comprehendenti essentiam infinitam, ut prius de tout ce que Dieu peut faire, sauf à celui qui
dictum est. comprend l’essence divine, comme on l’a dit
plus haut.
[9289] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. La puissance de l’intellect agent ne consiste
quintum dicendum, quod potentia intellectus pas à réaliser tout simplement, mais à faire que
agentis non est ut faciat omnia simpliciter, sed ut tout soit intelligible. L’argument porte donc à
faciat omnia esse intelligibilia; et ideo ratio non faux.
est ad propositum.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


14
[9290] Super Sent., lib. 3 d. 14 q. 1 a. 4 expos. In
nullo creatura creatori aequatur. Intelligendum
est quantum ad rationem rei habitae, et quantum
ad modum habendi: quia etsi aliquid idem
conveniat Deo et creaturae; non tamen secundum
eumdem modum, vel eamdem rationem. Nemo
novit quae sunt Dei nisi spiritus Dei. Non
excluduntur per hoc pater et filius, qui habent
eamdem cognitionem quam et spiritus sanctus.
Naturaliter capax est scientiae. Est enim facta
anima ad cognoscendum omnia, non autem ad
faciendum omnia.

Distinctio 15 Distinction 15 – [L’assomption des faiblesses


de la nature humaine]

Quaestio 1 Question 1 – [Le Christ devait-il assumer la


nature humaine avec ses faiblesses ?]
Prooemium Prologue
[9291] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de ce que le Christ a
Magister determinavit de his quae Christus cum assumé avec la nature humaine et qui concernait
natura humana assumpsit ad dignitatem sa dignité, le Maître détermine ici de ce qui a été
pertinentia, hic determinat de his assumptis quae assumé et qui concerne les carences [de celle-ci].
pertinent ad defectum; et dividitur in duas partes: Il y a deux parties : premièrement, il détermine
primo determinat de defectibus quos Christus cum des carences que le Christ a assumées avec la
humana natura assumpsit; secundo determinat nature humaine; deuxièmement, il détermne du
modum quo hujusmodi defectus in Christo mode selon lequel ces carences étaient présentes
464

fuerunt, dist. 16, ibi: hic oritur quaestio ex chez le Christ, d. 16, à cet endroit : « Une
praedictis ducens originem. Prima in duas: primo question vient de ce qui a été dit plus haut,
determinat veritatem, secundo excludit errorem, portant sur l’origine. » La première partie se
ibi: sed quia nonnulli de sensu in passione divise en deux : premièrement, il détermine de la
humanitatis Christi male sensisse inveniuntur (...) vérité; deuxièmement, il écarte une erreur, à cet
indubitabile faciamus quod supra diximus. Prima endroit : « Mais parce qu’il se trouve que
in duas: primo ostendit quos defectus cum certains ont eu une opinion mauvaise à propos de
humana natura assumpsit Christus; secundo la sensibilité durant la passion de l’humanité du
ostendit quae fuit causa assumptionis, ibi: hos Christ…, rendons indubitable ce que nous avons
autem defectus non conditionis suae necessitate, dit plus haut. » La première partie se divise en
sed miserationis voluntate suscepit. Prima iterum deux : premièrement, il montre quelles carences
in duas partes: primo ostendit quod Christus in le Christ a assumées avec la nature humaine;
natura nostra accepit defectus poenales, et non deuxièmement, il montre quelle a été la cause de
culpae; secundo ostendit quos de poenalibus cette assomption, à cet endroit : « Il a pris ces
defectibus non assumpsit, ibi: tradit auctoritas carences, non par une nécessité de sa condition,
quod dominus noster in se suscepit omnia mais par sa volonté de compatir. » La première
infirmitatis nostrae praeter peccatum. Circa quod partie se divise à nouveau en deux parties :
duo facit: primo ostendit quos defectus poenales premièrement, il montre que le Christ a pris dans
non suscepit ex parte animae; secundo quos notre nature les carences ayant caractère de
defectus corporales non suscepit, ibi: sunt enim peines, et non la faute; deuxièmement, il montre
plura aegritudinum genera, et corporis vitia, a quelles carences à caractère de peines il n’a pas
quibus omnino immunis extitit. Circa primum duo assumées, à cet endroit : « L’autorité enseigne
facit: primo ostendit quod Christus non suscepit que notre Seigneur a pris sur lui tout ce qui
ignorantiam, aut difficultatem ad bonum faisait partie de notre faiblesse, sauf le péché. »
faciendum; secundo ostendit quod haec non sunt À ce sujet, il fait deux choses : premièrement, il
culpa, sed poena, ibi: sed forte dicet aliquis illa montre quelles carences à caractère de peines il
esse peccatum. Sed quia nonnulli de sensu in n’a pas prises du point de vue de l’âme;
passione humanitatis Christi male sensisse deuxièmement, quelles carences corporelles il
inveniuntur (...) indubitabile faciamus quod supra n’a pas prises, à cet endroit : « Il existe plusieurs
diximus. Hic excludit errorem, et duo facit: primo genres de maladies et de déficiences corporels
objicit contra errantes; secundo solvit illa quae dont il a été complètement exempté. » À propos
pro se illi inducebant, ibi: quaedam tamen du premier point, il fait deux choses :
reperiuntur in sanctorum tractatibus quae premièrement, il montre que le Christ n’a pas
praemissis adversari videntur. Et haec dividitur in pris l’ignorance ou la difficulté à faire le bien;
duas: primo solvit objectiones de passionibus, deuxièmement, il montre que celles-ci ne sont
quas dixerant esse animae tantum, sicut tristitia, et pas des fautes, mais des peines, à cet endroit :
hujusmodi; secundo solvit de illis quae sunt « Mais peut-être quelqu’un dira-t-il que celles-ci
animae per corpus, sicut est dolor sensibilis, ibi: sont des péchés. » « Mais parce qu’il s’en trouve
verumtamen magis movent ac difficiliorem certains qui ont eu une opinion mauvaise à
afferunt quaestionem verba Hilarii. Circa primum propos de la sensibilité durant la passion de
tria facit: primo ponit objectionem; secundo l’humanité du Christ…, rendons indubitable ce
solvit, ibi: ne autem in sacris litteris aliqua que nous avons dit plus haut. » Ici, il écarte une
adversa diversitas esse putetur, harum erreur, et il fait deux choses : premièrement, il
auctoritatum verba in hunc modum accipienda présente une objection contre ceux qui se
dicimus; tertio solutionem confirmat, ibi: unde trompent; deuxièmement, il répond à ce qu’ils
Augustinus ex his causis volens assumi dictorum invoquaient en leur faveur, à cet endroit :
intelligentiam, dicit. Verumtamen magis movent « Cependant, on trouve certaines choses dans les
ac difficiliorem afferunt quaestionem verba traités des saints qui semblent s’opposer à ce qui
Hilarii. Haec pars etiam dividitur in duas: primo a été dit. » Cette partie est divisée en deux :
ponit objectionem; secundo solvit, ibi: sed si premièrement, il résout les objections à propos
465

excussa sensus et impietatis hebetudine, des passions dont ils disaient qu’elles étaient le
praemissis diligenter intendas (...) dictorum fait de l’âme seulement, comme la tristesse et
rationem, atque virtutem percipere utcumque celles de ce genre; deuxièmement, il résout [les
poteris. Hic est duplex quaestio. Primo de his objections] à propos de celles qui sont le fait de
defectibus in generali. Secundo specialiter de l’âme par l’intermédiaire du corps, comme la
passionibus animae. Circa primum quaeruntur douleur sensible, à cet endroit : « À la vérité, les
tria: 1 utrum Christus debuerit assumere naturam paroles d’Hilaire ébranlent davantage et
humanam cum hujusmodi infirmitatibus; 2 utrum soulèvent une question plus difficile. » À propos
omnes nostros defectus suscipere debuerit; 3 du premier point, il fait trois choses.
utrum hos defectus quos assumpsit, contraxerit. Premièrement, il présente l’objection.
Deuxièmement, il la résout, à cet endroit :
« Mais afin qu’on ne croie pas qu’il existe dans
les Saintes Écritures de différence contraire,
nous disons que les paroles de ces autorités
doivent s’entendre de cette manière. »
Troisièmement, il confirme la solution, à cet
endroit : « Aussi Augustin, voulant que l’on
comprenne de cette manière ce qui a été dit,
affirme-t-il… » « À la vérité, les paroles
d’Hilaire ébranlent davantage et soulèvent une
question plus difficile. » Cette partie se divise
aussi en deux : premièrement, il présente
l’objection; deuxièmement, il la résout, à cet
endroit : « Mais si, après avoir secoué un esprit
émoussé et l’impiété, tu portes une attention
appliquée à ce qui a été dit…, tu pourras saisir de
quelque manière la raison et la puissance de ce
qui a été dit. » Ici, il y a une double question :
premièrement, à propos des carences en général;
deuxièmement, à propos des passions de l’âme
d’une manière particulière. À propos du premier
point, trois questions sont posées : 1 – Le Christ
devait-il assumer la nature humaine avec des
faiblesses de ce genre ? 2 – Devait-il prendre
toutes nos carences ? 3 – A-t-il contracté toutes
les carences qu’il a assumées ?

Articulus 1 [9292] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. Article 1 – Le Christ devait-il prendre la


1 tit. Utrum Christus naturam humanam cum nature humaine avec ses carences et ses
defectibus et infirmitatibus accipere debuit faiblesses ?
[9293] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ ne devait pas assumer
primum sic proceditur. Videtur quod Christus la nature humaine avec les faiblesses de telles
humanam naturam cum infirmitatibus hujusmodi carences. En effet, par son incarnation, le Christ
defectuum suscipere non debuit. Christus enim a comblé les désirs des anciens pères. Is 61, 9
per suam incarnationem votis antiquorum patrum exprime ainsi le désir des anciens pères : Lève
satisfecit. Isaiae 61, 9, dicitur ad exprimendum toi! Lève-toi! Que le bras du Seigneur se revête
desiderium sanctorum patrum: consurge de force! Il ne devait donc pas venir revêtu de la
consurge: induere fortitudinem brachium domini. faiblesse de la chair.
Ergo non debuit venire indutus infirmitate carnis.
[9294] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Ces carences sont des peines. Or, la peine
466

Praeterea, hujusmodi defectus poenae sunt. Sed n’est juste que là où il y a faute. Puisqu’il était
poena non est justa nisi ubi culpa est. Cum igitur sans aucune faute, il semble donc qu’il ne devait
absque omni culpa fuerit, videtur quod poenales pas assumer les carences à caractère de peines.
defectus suscipere non debuit.
[9295] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Les contraires sont guéris par les contraires.
Praeterea, contraria contrariis curantur. Sed Or, le Christ était venu guérir nos faiblesses. Il
Christus venerat curare nostras infirmitates. Ergo devait donc en assumer les contraires : la force et
debuit contraria assumere, scilicet robur et la puissance.
fortitudinem.
[9296] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Il était venu pour vaincre le Diable. Or,
Praeterea, ipse venerat ad vincendum Diabolum. vaincre est l’œuvre de la force. Il ne devait donc
Sed vincere est opus fortitudinis. Ergo non debuit pas assumer la faiblesse.
assumere infirmitatem.
[9297] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 5 5. De même que la faute déroge à la justice, de
Praeterea, sicut culpa derogat justitiae, ita même la faiblesse déroge-t-elle à la puissance.
infirmitas derogat virtuti. Sed Christus non debuit Or, le Christ ne devait pas assumer la carence de
assumere defectus culpae, ne derogaretur divinae la faute pour ne pas déroger à la justice divine. Il
justitiae. Ergo similiter nec debuit suscipere ne devait donc pas non plus assumer les carences
infirmitates poenales, ne derogaretur divinae à caractère de peines pour ne pas déroger la
virtuti. puissance divine.
[9298] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Il était venu pour conduire les hommes à la
Praeterea, ipse venerat ad hoc quod homines in connaissance de Dieu. Or, il les éloignait plutôt
divinam cognitionem adduceret. Sed per de sa connaissance par ses carences, comme il
infirmitates magis a sui cognitione abducebat, ut est dit en Is 53, 2 : Nous l’avons vu… méprisé.
dicitur Isai. 53, 2: vidimus eum (...) despectum; et Puis il poursuit : Aussi ne l’avons-nous pas
sequitur: unde nec reputavimus eum. Ergo non respecté. Il ne devait donc pas assumer ces
debuit hujusmodi infirmitates assumere. faiblesses.
[9299] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] He 2, 18 dit : Du fait qu’il a
Sed contra, Hebr. 2, 18: in eo in quo passus est, et souffert et a été tenté, il est capable de venir en
tentatus, potens est et his qui tentantur, auxiliari. aide à ceux qui sont tentés. Or, le Christ était
Sed Christus ad auxiliandum hominibus venerat. venu pour aider les hommes. Il devait donc
Ergo debuit eorum defectus suscipere. assumer leurs faiblesses.
[9300] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Le Christ était venu racheter le genre
Praeterea, Christus venerat ad redimendum genus humain. Or, l’œuvre de la rédemption ne pouvait
humanum. Sed opus redemptionis congrue être convenablement accomplie que par la
compleri non poterat nisi per passionem, ut infra passion, comme on le dira plus loin. Il devait
dicetur. Ergo debuit defectus assumere, secundum donc assumer les carences selon lesquelles il
quos passibilis fuit. était susceptible de souffrir.
[9301] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Le Christ était venu pour être le médiateur
Praeterea, Christus ad hoc venerat ut esset entre nous et Dieu. Il devait donc être en
mediator inter nos et Deum. Ergo debuit communion avec les deux. Il était en communion
communicare cum utroque. Cum Deo avec Dieu par la justice. Il devait donc être en
communicavit in justitia. Ergo nobiscum debuit communion avec nous par la peine.
communicare in poena.
[9302] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 co. Réponse. Le Christ était venu pour ramener le
Respondeo dicendum, quod Christus ad hoc venit, genre humain à Dieu, dont il s’était éloigné par
ut humanum genus in Deum reduceret, a quo per le péché. C’est pourquoi, en tant que médiateur,
peccatum abductum erat. Et ideo sicut mediator, il a fait passer en nous ce qui appartient à Dieu :
ea quae Dei sunt, in nos transfundit, scilicet la grâce et la justice, et [il a] pour ainsi dire [fait
gratiam et justitiam; et ea quae nostra sunt, passer] en Dieu ce qui nous appartient; non pas
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quodammodo in Deum: non autem nostra quae a ce qui nous appartient sans que cela vienne de
nobis tantum sunt, non a Deo, scilicet peccata, Dieu : les péchés, car, par eux, nous ne sommes
quia per haec ad Deum non ordinamur, sed magis pas ordonnés à Dieu, mais nous sommes plutôt
deordinamur ab eo; sed ea quae a Deo in nobis détournés de lui; mais ce qui est en nous comme
sunt, quae omnia in se ordinata sunt, et ad ipsum venant de Dieu, qui, de soi, lui est entièrement
nos ordinantia. Et ideo ea quae fecit in nobis ordonné et nous ordonne à Dieu. Ainsi, ce que
Deus, transtulit in Deum, non quidem in naturam Dieu a fait en nous, [le Christ] l’a fait passer en
divinam, sed in personam ea assumendo. Fecit Dieu, en l’assumant, non pas dans la nature
autem Deus in nobis naturam, et perfectiones divine, mais dans sa personne. Or, Dieu a fait en
naturae, et defectus poenales, et etiam quosdam nous la nature, les perfections de la nature, les
naturales, sicut indigentiam cibi, quam etiam carences à caractère de peines et même certaines
homo in statu innocentiae habuisset: et ideo hos carences naturelles, comme le besoin de
defectus simul cum natura in sua persona nourriture, que l’homme aurait eu même dans
suscepit: haec enim in sua persona suscipere, est l’état d’innocence. C’est pourquoi [le Christ] a
ipsa Deo repraesentare ad placandum ipsum assumé dans sa personne ces carences en même
nobis. temps que la nature [humaine]. En effet, assumer
ces choses dans sa personne, c’est les présenter
de nouveau à Dieu afin de nous le rendre
favorable.
[9303] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Le désir des saints pères était qu’il vienne
primum ergo dicendum, quod desiderium dans la force spirituelle, celle de la grâce, de la
sanctorum patrum fuit ut veniret in fortitudine science et de la vertu, qui n’est pas empêchée par
spirituali, scilicet gratiae et scientiae et virtutis, les carences que le Christ a assumées.
quae per hos defectus quos Christus assumpsit
non impeditur.
[9304] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Bien que la faute n’ait pas précédé chez lui,
secundum dicendum, quod quamvis culpa non elle a cependant précédé dans la nature humaine
praecesserit in ipso, tamen praecessit in natura qu’il était venu réconcilier avec Dieu. C’est
humana, quam Deo reconciliare venerat; et ideo pourquoi, en tant qu’il est considéré comme
inquantum consideratur ut gerens vicem totius représentant toute la nature afin de satisfaire
naturae in satisfaciendo pro ipsa, quidquid in pour elle, tout ce qui se rapporte à la carence de
natura humana ad defectum pertinens, rationem la nature humaine et a raison de juste peine, il l’a
justae poenae habet, etiam in ipso habuit. aussi eu en lui-même.
[9305] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Une maladie est traitée au mieux par le
tertium dicendum, quod infirmitas curatur optime traitement de sa cause et, par conséquent, par les
per curationem suae causae, et per consequens per contraires de sa cause. Or, la cause de ces
contraria causae. Causa autem horum defectuum carences en nous est la faute. C’est pourquoi il
in nobis est culpa; et ideo per contraria culpae hos devait traiter ces carences par les contraires de la
defectus curare debuit, scilicet per gratiam et faute, c’est-à-dire par la grâce et par les vertus.
virtutes.
[9306] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Il était venu pour vaincre le fort par la justice
quartum dicendum, quod venerat vincere fortem en satisfaisant. C’est pourquoi il fallait qu’il ait
per justitiam, satisfaciendo; et ideo oportuit quod des carences selon lesquelles il satisferait. De
haberet defectus, secundum quod satisfaceret. Et plus, le Diable n’est pas vaincu par la force
praeterea per fortitudinem oppositam istis opposée à ces carences, mais par la force de la
defectibus non vincitur Diabolus, sed per vertu et de la grâce.
fortitudinem virtutis et gratiae.
[9307] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. La faute n’est pas incompatible avec Dieu
quintum dicendum, quod culpa non solum seulement parce qu’elle ne lui convient pas, mais
repugnat Deo, quia in ipsum non cadit, sed etiam aussi parce qu’elle sépare de lui, car elle est une
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quia ab ipso separat: quia est perversitas perversion de la volonté par laquelle l’âme est
voluntatis, secundum quam anima nata est Deo destinée à être unie à Dieu. Mais la maladie, bien
conjungi: sed infirmitas quamvis in Deum non qu’elle ne convienne pas à Dieu, ne sépare
cadat, tamen a Deo non separat; et ideo non est cependant pas de lui. Le raisonnement n’est donc
similis ratio. pas le même.
[9308] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Le Christ n’était pas venu se manifester selon
sextum dicendum, quod Christus non venerat sa nature humaine, mais selon [sa nature] divine.
manifestare se secundum humanam naturam, sed Aussi a-t-il dit : Je ne cherche donc pas ma
secundum divinam; unde dixit: ergo non quaero propre gloire, mais la gloire de Celui qui m’a
gloriam meam, sed ejus qui me misit. Gloriam envoyé. Or, il a davantage mis en lumière la
autem Dei magis clarificavit per assumptam gloire de Dieu par la faiblesse assumée, pour
infirmitatem, inquantum inventum est quod id autant qu’il s’est trouvé que ce qui est plus faible
quod est infirmius Dei, est potentius hominibus; 1 chez Dieu est plus puissant que les hommes,
Corinth. 1. 1 Co 1.

Articulus 2 [9309] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. Article 2 – Devait-il assumer toutes les
2 tit. Utrum omnes defectus praeter peccatum carences, sauf le péché ?
accipere debuit
[9310] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ devait assumer toutes
secundum sic proceditur. Videtur, quod Christus les carences, sauf le péché. Il est dit en He 2, 17 :
debuit omnes defectus praeter peccatum Il devait en tout être semblable à ses frères afin
assumere. Heb. 2, 17, dicitur, quod debuit per de devenir compatissant. Or, la miséricorde
omnia fratribus assimilari ut misericors fieret. concerne toute misère. Il devait donc assumer
Sed misericordia respicit omnem miseriam. Ergo toutes nos carences.
debuit omnes nostros defectus assumere.
[9311] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Comme le dit [Jean] Damascène, « ce qui ne
Praeterea, sicut dicit Damascenus, quod est peut pas être assumé ne peut pas être guéri ». Or,
inassumptibile, est incurabile. Sed ipse venerat il était venu guérir toutes nos carences. Il devait
omnes nostros defectus curare, ergo debuit omnes donc toutes les assumer.
suscipere.
[9312] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 3. L’humilité du Christ est manifestée par le fait
Praeterea, in susceptione nostrorum defectuum qu’il a assumé nos carences. Or, « il s’est
manifestatur Christi humilitas. Sed ipse humilié autant qu’il pouvait s’humilier », comme
humiliatus est quantumcumque humiliari potuit; le dit Bernard. Il devait donc assumer toutes nos
ut dicit Bernardus. Ergo ipse debuit omnes nostros carences.
defectus suscipere.
[9313] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Toutes les carences sont également dignes de
Praeterea, omnes defectus aequaliter dedecent Dei la majesté de Dieu. Si donc il en a assumé
majestatem. Si ergo aliquos suscepit, eadem certaines, il devait pour la même raison toutes les
ratione omnes suscipere debuit. assumer.
[9314] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Il a guéri notre nature par la grâce et par la
Praeterea, ipse curavit naturam nostram per faiblesse qu’il a assumée. Or, il a reçu toute
gratiam et infirmitatem quam accepit. Sed ipse grâce. Il devait donc assumer toute carence.
accepit omnem gratiam. Ergo omnem defectum
suscipere debuit.
[9315] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] le Christ, qui était venu guérir
Sed contra, Christus, qui totam humanam naturam toute la nature humaine, devait la posséder
curare venerat, debuit integram habere. Sed intégralement. Or, il existe certaines carences qui
quidam defectus sunt qui integritati naturae répugnent à l’intégrité de la nature, comme la
repugnant, sicut caecitas, et defectus membrorum. cécité et les difformités des membres. Il ne
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Ergo non omnes defectus debuit habere. devait donc pas posséder toutes les carences.
[9316] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Le Christ devait être parfait en grâce. Or, il
Praeterea, Christus debuit esse perfectus in gratia. existe certaines carences qui s’opposent à la
Sed quidam defectus sunt qui perfectioni gratiae perfection de la grâce, comme l’ignorance et la
repugnant, sicut ignorantia, et difficultas ad difficulté de faire le bien. Il ne devait donc pas
bonum. Ergo non omnes defectus habere debuit. posséder toutes les carences.
[9317] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Les contraires ne sont pas destinés à
Praeterea, contraria nata non sunt fieri in eodem. apparaître chez le même. Or, certaines carences
Sed quaedam infirmitates sunt sibi contrariae ex ont été causées chez lui par des causes
contrariis causis causatae. Ergo non potuit omnes contraires. Il ne pouvait donc pas posséder toutes
nostras infirmitates habere. nos carences.
[9318] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 co. Réponse. Comme le dit [Jean] Damascène, « le
Respondeo, dicendum, quod, sicut dicit Christ a possédé toutes les passions naturelles et
Damascenus, Christus habuit in se omnes qui n’avilissent pas ». Or, on appelle passions
naturales et indetractibiles passiones. Dicuntur naturelles toutes celles qui découlent
autem passiones naturales quaecumque universellement de la nature humaine, soit de la
universaliter humanam naturam consequuntur, condition de la nature, comme le besoin de
sive ex conditione naturae, sicut indigentia cibi et nourriture et de boisson, soit qu’elle cause ce qui
potus, sive quae pro peccato primi parentis in est arrivé à toute la nature en raison du péché du
totam naturam devenerunt ex principiis naturae premier parent, tels la faim, la soif, le labeur, la
sibi relictae causat, sicut fames, sitis, labor, dolori, douleur et les choses de ce genre. Les passions
et hujusmodi. Indetractibiles autem passiones sunt qui n’avilissent pas sont celles qui ne comportent
quae defectum gratiae non important, sicut pas un manque de grâce, comme le comportent
importat pronitas ad malum, et difficultas ad le penchant au mal, la difficulté de faire le bien
bonum, et hujusmodi, quae ex carentia gratiae vel et les choses de ce genre, qui surviennent en
perfectionis contingunt. Ex hoc enim laus Christi raison d’un manque de grâce ou de perfection.
minueretur, si perfectus in virtutibus non fuisset, En effet, la louange du Christ serait diminuée s’il
secundum quas est laus, et vituperium sive n’avait pas été parfait dans les vertus qui
detrectatio secundum earum opposita. Unde duo suscitent la louange, ainsi que le blâme ou le
genera defectuum non assumpsit, illa scilicet quae refus selon leurs contraires. Ainsi, il n’a pas
non universaliter humanam naturam assumé deux genres de carences : celles qui ne
consequuntur, sicut lepra, caecitas, febris, et découlent pas universellement de la nature
hujusmodi: contingunt enim ex particularibus humaine, comme la lèpre, la cécité, la fièvre et
corruptionibus in singulis personis; et hos les choses de ce genre – elles surviennent en
defectus assumere non debuit, quia ad curandum effet en raison de corruptions particulières chez
naturae morbum venit. Item illa non assumpsit des individus, et il ne devait pas assumer ces
quae ad imperfectionem gratiae pertinent, sicut carences parce qu’il était venu guérir une
ignorantiam, difficultatem ad bonum, et maladie de la nature. De même n’a-t-il pas
hujusmodi: quia ipse venerat ad hoc ut de assumé celles qui sont en rapport avec une
plenitudine suae gratiae omnes acciperemus. imperfection de la grâce, comme l’ignorance, la
difficulté à faire le bien et celles de ce genre, car
il était venu pour que nous recevions tous de la
plénitude de sa grâce.
[9319] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Il devait être semblable à ses frères pour ce
primum ergo dicendum, quod debuit fratribus qui était commun à tous ses frères et qui ne
assimilari quantum ad illa in quae omnes fratres relève pas d’un manque de grâce. En effet, il
conveniunt, quae ad defectum gratiae non n’était semblable à ses frères que pour la nature
pertinent: non enim fuit fratribus similis nisi in de l’espèce. C’est pourquoi il devait être
natura speciei; et ideo quantum ad actus et semblable à ses frères pour les actes et les
defectus qui consequuntur totam speciem, debuit carences qui découlent de l’espèce entière.
470

fratribus assimilari.
[9320] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. De même que Dieu a guéri tous [les hommes]
secundum dicendum, quod sicut Deus curavit du fait qu’il a assumé la nature que tous ont en
omnes in hoc quod assumpsit naturam, in qua commun, de même a-t-il guéri toutes les
omnes conveniunt; ita curavit omnes defectus in carences du fait qu’il a assumé les carences que
hoc quod assumpsit illos defectus in quibus tous en commun, dont les autres proviennent
omnes conveniunt, ex quibus quasi causis comme de causes primordiales. En effet, la
primordialibus alii oriuntur: ex passibilitate enim fièvre et toutes les choses de ce genre découlent
naturae quam assumpsit, sequitur febris, et omnia de la passibilité de la nature qu’il a assumée.
hujusmodi.
[9321] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Il devait s’humilier autant qu’il le pouvait
tertium dicendum, quod humiliari debuit décemment. Or, il n’était pas décent que celui
inquantum potuit decenter. Non autem fuit decens qui était venu apporter la grâce souffre d’un
ut qui venerat alios in gratiam adducere, defectum manque ou d’une imperfection de la grâce. De
vel imperfectionem gratiae pateretur; neque qui même, [il n’était pas convenable] que celui qui
naturam in aliis integrare venerat, ipse in his in était venu rétablir la nature chez les autres
quibus alii integri sunt, defectum pateretur. souffre lui-même d’une carence là où les autres
sont intacts.
[9322] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Bien que toutes les carences ne conviennent
quartum dicendum, quod quamvis omnes defectus pas également à la majesté divine du point de
aequaliter sint indecentes divinae majestati vue de leur nature, ce n’est cependant pas le cas
quantum ad suam naturam, non tamen quantum ad de la nature assumée, comme cela ressort de ce
naturam assumptam, ut patet ex dictis. qui a été dit.
[9323] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Certaines carences sont incompatibles avec la
quintum dicendum, quod aliqui defectus sunt qui plénitude de la grâce. Du fait qu’il possédait
plenitudini gratiae repugnant; et ideo ex hoc quod toute grâce, on doit donc plutôt conclure qu’il
habuit omnem gratiam, magis debet concludi n’a pas eu toutes les carences en plus de celles
quod non habuit omnes defectus quam quod qu’il a eues. Ou bien il faut dire que, parce qu’il
habuit. Vel dicendum, quod quia alios reintegrare était venu rétablir les autres, il devait être plus
venerat, debuit in perfectionibus potentior esse, puissant pour ce qui est des perfections, et non
non in defectibus, quia plus indiguisset ipse pour ce qui est des carences, car il aurait plutôt
reformari quam reformare; et ideo habuit omnem eu besoin de retrouver lui-même forme
gratiam, non tamen, omnem defectum. (reformari) que de redonner forme (reformare).
C’est pourquoi il a eu toute la grâce, mais non
toutes les carences.

Articulus 3 [9324] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. Article 3 – A-t-il reçu ou contracté ces
3 tit. Utrum hujusmodi defectus susceperit, vel carences ?
contraxerit
[9325] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il ait contracté ces carences. En
tertium sic proceditur. Videtur quod hujusmodi effet, est contracté au sens propre ce qui est tiré
defectus contraxerit. Illud enim proprie d’un autre. Or, il a reçu ces carences avec la
contrahitur quod cum alio trahitur. Sed ipse hos nature. Il les a donc contractés.
defectus cum natura traxit. Ergo eos contraxit.
[9326] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Est contracté au sens propre ce qu’on tient en
Praeterea, id quod ex ratione originis habetur, raison de son origine. Or, le Christ a eu ces
proprie contrahitur. Sed ex ratione suae originis carences en raison de son origine, car, en raison
Christus habuit hos defectus: quia ex ratione suae de son origine, il est né semblable à sa mère, qui
originis matri similis est natus, quae his defectibus a été soumise à ces carences. Il a donc contracté
subjacuit. Ergo ipse istos defectus contraxit. ces carences.
471

[9327] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Est contracté avec la nature ce qui est causé
Praeterea, illud cum natura contrahitur quod ex par les principes de la nature. Or, les carences
principiis naturae causatur. Sed hujusmodi comme la faim, la soif et celles de ce genre sont
defectus, ut fames, sitis, et hujusmodi, ex causées par les principes de la nature, car elles le
principiis naturae causantur: quia ex actibus sont par les actes de choses qui sont
contrariorum in invicem, ex quibus homo réciproquement contraires, dont l’homme est
naturaliter constat. Ergo hos defectus contraxit. composé. Il a donc contracté ces carences.
[9328] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Le verbe « contracter », tel que nous
Praeterea, verbum contrahendi, secundum quod l’employons ici, semble comporter une
hic loquimur, videtur traductionem importare. Sed transmission. Or, le Christ a reçu ces carences
Christus habuit hujusmodi defectus per par la transmission de son corps à partir d’un
traductionem corporis ex corpore, non ex corps, et non pas en raison de la condition de son
conditione animae. Ergo Christus hos defectus âme. Le Christ a donc contracté ces carences.
contraxit.
[9329] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 arg. 5 5. De même que la faute originelle est contractée
Praeterea, sicut culpa originalis contrahitur a à partir du père, de même ces peines sont-elles
patre, ita istae poenalitates contrahuntur ex matre, sontractées à partir de la mère, comme on l’a dit
sicut dictum est in 2 Lib. Sed Christus ex matre dans le livre II. Or, le Christ est né passibile en
passibilis natus est, quamvis non ex patre raison de sa mère, bien que ce ne soit pas en
peccatore. Ergo hujusmodi poenalitates contraxit. raison de son père pécheur. Il a donc contracté
ces peines.
[9330] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] ce qui est assumé
Sed contra, quod voluntarie assumitur, non volontairement n’est pas contracté. Or, le Christ
contrahitur. Sed Christus voluntarie assumpsit hos a assumé volontairement ces carences, comme la
defectus, sicut et ipsam naturam. Ergo non nature elle-même. Il ne les a donc pas
contraxit eos. contractées.
[9331] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] Noous disons que nous contractons ces
Praeterea, nos dicimur contrahere hos defectus carences parce qu’elles nous sont dues en raison
quia nobis debentur propter culpam originalem. de la faute originelle. Or, il n’y avait pas de faute
Sed in Christo culpa originalis non fuit. Ergo originelle chez le Christ. Le Christ n’a donc pas
Christus hos defectus non contraxit. contracté ces carences.
[9332] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 co. Réponse. À proprement parler, est contracté ce
Respondeo dicendum, quod illud proprie qui est nécessairement entraîné en même temps
contrahitur quod ex necessitate alio tracto trahitur; qu’une autre chose. Parce que nous tirons la
et quia ex hoc ipso quod humanam naturam nature humaine de nos parents en vertu d’une
trahimus ex parentibus per vitiatam originem, origine viciée, il en découle nécessairement que
sequitur de necessitate quod hos defectus nous avons ces carences. C’est pourquoi on dit
habeamus; ideo dicimur hos defectus contrahere. que nous contractons ces carences. Or, le Christ
Christus autem potuit humanam naturam sine his pouvait assumer la nature humaine sans ces
defectibus assumere, sicut cum defectibus carences, comme il l’a assumée avec ces
assumpsit; et ideo non fuerunt in eo ex hoc ipso carences. Aussi elles ne se trouvaient pas en lui
quod humanam naturam a parentibus traxit; sed du seul fait qu’il a tiré sa nature humaine de ses
sicut voluntarie assumpsit naturam humanam, ita parents, mais, de même qu’il a volontairement
et hos defectus: et propter hoc dicitur assumpsisse assumé la nature humaine, de même en a-t-il été
hos defectus, non contraxisse. pour ces carences. C’est la raison pour laquelle
on dit qu’il a assumé ces carences, mais ne les a
pas contractées.
[9333] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. La conjonction con [avec] n’exprime pas
primum ergo dicendum, quod haec conjunctio con seulement une simultanéité dans le temps
non solum notat simultatem temporis in hoc quod lorsqu’on dit que quelque chose a été contracté,
472

dicitur aliquid contrahi, sed ordinem necessariae mais un ordre par rapport à la provenance
consecutionis unius ad alterum. nécessaire d’une chose par rapport à une autre.
[9334] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. En tant que tel, ce qui est engendré est
secundum dicendum, quod generatum, inquantum semblable à ce qui l’engendre activement, car un
hujusmodi, assimilatur ei quod generat ipsum agent s’assimile le patient. Mais que, parfois, ce
active, quia agens similat sibi patiens; quod autem qui naît soit assimilé à sa mère, par laquelle cela
aliquando natus assimilatur matri, ex qua est engendré de manière matérielle, cela vient
generatur materialiter, est ex defectu virtutis d’une carence de la puissance active, qui ne peut
activae, quae non potest materiam contrahere ad attirer la matière à lui ressembler. Les
sui similitudinem; unde vincunt motus materiae, mouvements de matière l’emportent alors, et le
et assimilatur filius matri. Neutro istorum fils ressemble à sa mère. Il n’a été nécessaire
modorum fuit necessarium quod Christus matri d’aucune de ces manières que le Christ
assimilaretur: tum quia mater non fuit agens in ressemble à sa mère, tant parce que sa mère n’a
generatione, sed solum materiam ministravit: tum pas été un agent dans sa génération, mais n’a
quia non fuit aliquis defectus ex parte virtutis apporté que la matière, que parce qu’il n’y a eu
agentis, scilicet spiritus sancti; et ideo quod aucune carence du côté de la puissance active, le
assimilatus est matri in his defectibus, hoc fuit ex Saint-Esprit. C’est pourquoi il n’a été rendu
sola ejus voluntate. semblable à sa mère pour ces carences que par sa
seule volonté.
[9335] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Ces carences sont causées par les principes de
tertium dicendum, quod ex principiis naturae sibi la nature laissée à elle-même, c’est-à-dire privée
relictae, idest privatae illo dono gratiae quod du don de la grâce qui lui avait d’abord été
naturae primo conditae datum fuerat, ut in 2 Lib. accordé, comme on l’a dit dans le livre II. Mais
dictum est, hujusmodi defectus causantur. Sed le Christ pouvait assumer la nature humaine avec
Christus poterat naturam humanam accipere cum cette perfection que la nature humaine avait
illa perfectione quam gratis in sua conditione gratuitement reçue lors de son création. Aussi
natura humana acceperat; et ideo non de n’a-t-il pas nécessairement contracté [ces
necessitate contraxit, sed voluntarie assumpsit. carences], mais les a-t-il volontairement
assumées.
[9336] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Le verbe « contracter » ne comporte pas
quartum dicendum, quod verbum contrahendi non seulement la transmission, mais un ordre
solum importat traductionem, sed necessarium nécessaire à quelque chose d’autre qui est
ordinem ad aliud tractum, ut dictum est. contracté, comme on l’a dit.
[9337] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Cela est vrai pour ce qui naît selon la loi de la
quintum dicendum, quod illud habet veritatem in nature, mais le Christ n’est pas né ainsi de la
illis qui secundum legem naturae nascuntur; Vierge, mais d’une manière qui dépasse la
Christus autem non sic ex virgine natus est, sed nature. Aussi le raisonnement n’est-il pas
supra naturam; et ideo ratio non sequitur. concluant.

Quaestio 2 Question 2 – [Les passions de l’âme du


Christ]

Prooemium [9338] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 Prologue


pr. Deinde quaeritur de passionibus quas On s’interroge ensuite sur les passions que [le
assumpsit ex parte animae; et circa hoc Christ] a assumées dans son âme. À ce propos,
quaeruntur tria: 1 si anima Christi fuerit passibilis, trois questions sont posées : 1 – L’âme du Christ
et cujus proprie sit pati; 2 de passionibus était-elle sujette à la douleur et à qui revient-il de
animalibus quae consequuntur ex interiori souffrir au sens propre ? 2 – À propos des
apprehensione, ut tristitia, et hujusmodi; 3 de passions de l’âme qui découlent d’une perception
passionibus quae sunt secundum sensum intérieure, comme la tristesse et celles de ce
473

corporalem, sicut est dolor. genre. 3- À propos des passions reliées aux sens
corporels, comme la douleur.

Articulus 1 [9339] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. Article 1 – [La passibilité chez le Christ]
1 tit. Utrum corpus pati possit
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le corps est-il sujet à subir
?]
[9340] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que tout corps soit sujet à subir. En
1 Ad primum sic proceditur. Videtur, quod omne effet, tout ce qui est mû subit, car « le
corpus possit pati. Omne enim quod movetur, mouvement est passion chez ce qui est mû »,
patitur: quia motus in eo quod movetur est passio, comme il est dit dans Physique, III. Or, tout
ut dicitur in 3 Phys. Sed omne corpus movetur. corps est mû. Tout corps est donc sujet à subir.
Ergo omne corpus patitur.
[9341] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2. Tout ce qui reçoit subit, puisque subir (pati)
2 Praeterea, omne quod recipit, patitur, cum pati vient de patim, qui signifie recevoir. Or, les
dicatur a patim, quod est recipere. Sed corpora corps célestes reçoivent quelque chose :
caelestia aliquid recipiunt, scilicet illuminationem. l’illumination. Ils subissent donc. Donc, encore
Ergo patiuntur: ergo et alia multo magis quae sunt bien davantage les choses qui leur sont soumises.
sub eis.
[9342] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3. Tout ce qui est plus puissant est destiné à agir
3 Praeterea, omne quod est potentius, natum est sur ce qui est moins puissant. Or, il y a quelque
agere in minus potens. Sed omni corpore est chose de plus puissant que tout corps et que toute
aliquid potentius, et omni substantia creata. Ergo substance créée. Toute créature peut donc subir.
omnis creaturae est pati.
[9343] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] tout ce qui est passible est
1 Sed contra, omne passibile est corruptibile, quia corruptible, car « une passion plus intense
passio magis facta abjicit a substantia, ut dicitur dégrade une substance », comme il est dit dans
Topic., Lib. 6. Sed non omne corpus est Topiques, VI. Or, tout corps n’est pas
corruptibile. Ergo non omne corpus est passibile. corruptible. Tout corps n’est donc pas passible.
[9344] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Comme on le dit dans Sur la génération, I,
2 Praeterea, sicut dicitur in 1 de generatione, tout agent est contraire au patient. Or, tout corps
omne agens est contrarium patienti. Sed non omne n’a pas de contraire. Tout corps ne subit donc
corpus habet contrarium. Ergo non etiam omne pas.
patitur.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’âme est-elle passible ?]
[9345] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que non. De même qu’il revient à la
1 Ulterius. Quaeritur, utrum anima sit passibilis; forme d’agir, de même revient-il à la matière de
et videtur quod non. Sicut etiam formae est agere, subir. Or, l’âme n’est pas composée de matière,
ita materiae est pati. Sed anima non est composita comme on l’a dit dans le livre I, d. 8, q. 5, a. 2.
ex materia, ut in 1 Lib., distinct. 8, qu. 5, art. 2, Elle ne peut donc pas subir.
dictum est. Ergo non potest pati.
[9346] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 2. Si l’on dit qu’elle subir par accident suite à
2 Si dicatur, quod patitur per accidens ad une passion du corps, on répondra que le terme
passionem corporis; contra. Passionis terminus est de la passion est la corruption. Or, l’âme n’est
corruptio. Sed anima non corrumpitur corrupto pas corrompue lorsque le corps est corrompu.
corpore. Ergo etiam non patitur corpore patiente. Elle ne subit donc pas lorsque le corps subit.
[9347] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 3. L’âme est mue localement par accident selon
3 Praeterea, ex hoc anima movetur per accidens le mouvement du corps parce qu’elle se trouve
localiter ad motum corporis, quia est in loco dans le lieu du corps par accident. Or, elle ne
corporis per accidens. Sed nullo modo habet possède d’aucune manière une qualité corporelle,
474

qualitatem corpoream, neque per se neque per ni par soi ni par accident. Elle n’est donc altérée
accidens. Ergo nullo modo alteratur, corpore per d’aucune manière lorsque le corps est altéré par
accidens alterato. Sed passio proprie dicitur in accident. Or, la passion consiste au sens propre
motu alterationis, ut dicitur. Ergo anima non dans un mouvement d’altération, comme on le
patitur per accidens passo corpore. dit. L’âme ne subit donc pas par accident,
lorsque le corps subit.
[9348] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, lorsqu’un tout se meut, la partie est
1 Sed contra, ad motum totius, per accidens mue par accident. Or, l’âme est une partie d’un
movetur pars. Sed anima est pars totius compositi, tout composé qui est passible. Elle-même est
quod patitur. Ergo et ipsa aliquo modo patitur. donc passible d’une certaine manière.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’âme du Christ peut-elle
être passible ?]
[9349] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble que l’âme du Christ ne puisse être
1 Ulterius. Videtur quod anima Christi non possit passible, car rien n’est plus digne que l’âme du
pati. Quia nihil est dignius quam anima Christi. Christ. Or, l’agent est plus digne que ce qui
Sed agens est dignius patiente, secundum subit, selon Augustin. L’âme du Christ ne
Augustinum. Ergo anima Christi non fuit pouvait donc pas être passible.
passibilis.
[9350] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 2. La vertu apaise l’âme du tumulte des passions,
2 Praeterea, virtus reddit animam quietam a et plus la vertu est parfaite, moins les passions
passionum tumultibus; et quanto virtus est l’emportent sur l’âme. Or, la vertu la plus
perfectior, tanto passiones in animam minus parfaite existait chez le Christ. Il n’y avait donc
dominantur. Sed in Christo fuit perfectissima aucune passion dans son âme.
virtus. Ergo nullo modo fuit in anima ejus passio.
[9351] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 arg. 3. L’impassibilité fait partie de la béatitude; aussi
3 Praeterea, impassibilitas est de ratione est-elle mise parmi les dots du corps. Or, l’âme
beatitudinis; unde ponitur inter dotes corporis. du Christ était bienheureuse. Elle n’était donc
Sed anima Christi fuit beata. Ergo non fuit pas passible.
passibilis.
[9352] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, [1] Jean Damascène dit que, lorsque
1 Sed contra. Joannes Damascenus dicit, quod le corps est coupé, l’âme en souffre et est
anima corpori inciso compatitur et dolet; et hoc affligée; cela vient de ce qu’elle est unie à un
est, quia unitur corpori passibili. Sed anima corps passible. Or, l’âme du Christ était unie à
Christi conjuncta est corpori passibili. Ergo anima un corps passible. Son âme était donc passible,
ejus fuit passibilis: quia nihil compatitur quod non car rien ne compatit qui ne soit passible.
est passibile.
[9353] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. [2] Le Christ a assumé avec notre nature les
2 Praeterea, Christus assumpsit in natura nostra carences qui ne comportent pas d’imperfection
defectus qui totam naturam consequuntur, qui de la grâce. Or, la passibilité de l’âme en fait
imperfectionem gratiae non important. Sed partie. Le Christ a donc assumé une âme
passibilitas animae est hujusmodi. Ergo Christus passible.
passibilem animam assumpsit.
[9354] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 s. c. [3] Le Christ est venu guérir en nous plutôt les
3 Praeterea, Christus venit magis curare defectus carences de l’âme que les carences du corps. Or,
animae in nobis quam defectus corporis. Sed ipse il a lui-même assumé une nature passible afin
suscepit naturam passibilem, ut impassibilitatem d’obtenir pour nous l’impassibilité. Il a donc dû
nobis acquireret. Ergo debuit assumere animam assumer une âme passible afin que nous
passibilem, ut per hoc impassibilitatem animae recevions ainsi l’impassibilité de l’âme.
acciperemus.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
475

[9355] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Ainsi que le dit [Jean] Damascène, « la passion
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, est un mouvement exercé par une chose sur une
quod cum dicit Damascenus, quod passio est autre. Tout mouvement n’est donc pas une
motus ab uno in aliud, non quilibet motus est passion, mais seulement l’altération au sens
passio, sed solum alteratio, proprie loquendo, ut propre, comme le dit le Philosophe, car c’est
dicit philosophus: quia in hoc solo motu aliquid a seulement par ce mouvement que quelque chose
re abjicitur et aliquid imprimitur, quod est de est enlevé à une chose et que quelque chose y est
ratione passionis. Motus enim localis est empreint, ce qui fait partie de la raison de la
secundum id quod est extra rem, quod est locus; passion ». En effet, le mouvement local se réalise
motus autem augmenti est secundum hoc quod ex par quelque chose qui est extérieur à une chose,
eo quod jam est, scilicet nutrimento, producitur le lieu; le mouvement d’accroissement se réalise
augmentatum in majorem quantitatem. Ad hoc selon que, à partir de ce qui existe déjà, la
autem quod sit alteratio, requiritur ex parte alterati nourriture, est produite l’augmentation en une
quod sit res per se subsistens (aliter enim quantité plus grande. Mais pour qu’il y ait
subjectum motus esse non posset), et quod sit altération, il est nécessaire, du côté de ce qui est
corpus (quia solum tale movetur, ut in 5 Physic., altéré, qu’il s’agisse d’une chose qui subsiste par
text. 32, probatur), et ulterius quod habeat elle-même (en effet, il ne pourrait y avoir
naturam contrarietati subjectam, quia alteratio est autrement de sujet du mouvement), qui est un
motus inter contrarias qualitates. Ex parte vero corps (car seule une telle chose est mue, comme
terminorum alterationis requiritur quod una on le démontre dans Physique, V, text. 32) et
qualitate expulsa, alia introducatur: sic enim de qui, de plus, possède une nature sujette au
qualitate in qualitatem transitur. Sed ulterius ad contraire, car l’altération est un mouvement entre
rationem passionis requiritur quod qualitas des qualités contraires. Mais, du côté des termes
introducta sit extranea, et qualitas abjecta sit de l’altération, il est requis que, lorsqu’une
connaturalis: quod contingit ex hoc quod passio qualité est rejetée, une autre soit introduite : en
importat quamdam victoriam agentis super effet, c’est ainsi qu’on passe de qualité en
patiens: omne autem quod vincitur, quasi trahitur qualité. Mais, en plus, il est nécessaire à la raison
extra terminos proprios ad terminos alienos; et de passion que la qualité introduite vienne de
ideo alterationes quae contingunt praeter naturam l’extérieur et que la qualité rejetée soit
alterati, magis proprie dicuntur passiones, sicut connaturelle, ce qui se produit du fait que la
aegrotationes quam sanationes, sicut patet per passion comporte une certaine victoire de l’agent
Damascenum et per philosophum. Unde patet sur le patient. Or, tout ce qui est vaincu est
quod illorum corporum tantum est proprie pati comme tiré hors de ses termes propres vers des
quae possunt extra naturam suam trahi; et haec termes différents. C’est pourquoi les altérations
sunt corruptibilia. qui vont au-delà de la nature de ce qui est altéré
sont appelées des passions au sens propre,
comme les maladies plutôt que les guérisons,
comme cela ressort de [Jean] Damascène et du
Philosophe. Il est donc clair qu’il revient
seulement de subir au sens propre aux corps qui
peuvent être tirés hors de leur nature, et ceux-ci
sont corruptibles.
[9356] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Le fait d’être mû n’est pas une passion, si ce
Ad primum ergo dicendum, quod non omne n’est d’une manière générale et au sens large,
moveri est pati, nisi communiter et large comme tout fait d’être mû est une certaine
loquendo, sicut etiam omne moveri quoddam corruption, selon Augustin et selon le Philosphe,
corrumpi est, secundum Augustinum, et Physique, VIII.
secundum philosophum, 8 Physic.
[9357] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Par l’illumination, une qualité n’est pas
Ad secundum dicendum, quod in illuminatione rejetée, mais seulement reçue. Ce n’est donc pas
476

non abjicitur aliqua qualitas, sed tantum recipitur: une passion.


et ideo non est passio.
[9358] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Dieu, qui est supérieur à toute substance créée,
Ad tertium dicendum, quod Deus qui est superior influe sur les choses en vue de la perfection de
omni substantia creata, influit rebus ad leur nature. C’est pourquoi on ne dit pas qu’elles
perfectionem naturae ipsarum; et ideo secundum subissent au sens propre en recevant de lui, ni
quod ab ipso recipiunt, non dicuntur proprie pati; selon que les réalités corporelles reçoivent de
neque secundum quod corporalia a quibuscumque n’importe quelle réalité spirituelle.
spiritualibus recipiunt.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9359] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 co. À partir de ce qui a été dit, on peut facilement
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ex montrer comment il peut exister une passion
dictis de facili potest patere qualiter in anima dans l’âme, car, l’âme étant quelque chose
possit esse passio. Quia cum anima sit quid d’incorporel, elle ne connaît pas de passion au
incorporeum, sibi proprie non accidit pati, nisi sens propre, si ce n’est selon qu’elle est liée à un
secundum quod corpori applicatur. Applicatur corps. Or, elle est liée au corps selon son
autem corpori et secundum essentiam suam, essence, en tant qu’elle est une forme corporelle,
secundum quod est forma corporea, et secundum et selon l’opération des ses puissances, en tant
operationem suarum potentiarum, prout est motor qu’elle en est le moteur. Or, selon qu’elle est liée
ejus. Secundum autem quod applicatur corpori ut au corps comme sa forme, elle n’est pas
forma, sic non consideratur ut quid subsistens, sed considérée comme une réalité subsistante, mais
ut adveniens alteri: unde sic non patitur per se, sed comme survenant à quelque chose d’autre. Aussi
per accidens, sicut aliae formae moventur motis ne subit-elle pas par elle-même, mais par
subjectis compositis. In viribus autem animae accident, comme les autres formes sont mues
quantum ad operationem applicantur corpori lorsque leurs sujets composés sont mus. Mais ne
solum vires partis sensitivae et nutritivae. Sed sont liées aux puissances de l’âme pour leur
quia operatio virium nutritivae partis est in opération que les puissances de la partie sensible
movere, non in moveri; ideo secundum eas anima et de la partie nutritive. Mais parce que
non patitur, sed magis agit. Relinquitur ergo quod l’opération des puissances de la partie nutritive
pati sit proprie animae secundum partem consiste en ce qu’elle meuve, et non en ce
sensitivam, ut dicitur in 7 Phys. Sed quia qu’elle soit mue, l’âme ne subit donc pas à cause
hujusmodi vires non sunt subsistentes, sed formae d’elles, mais plutôt agit. Il reste donc que subir
organorum corporalium; ideo non dicuntur pati relève au sens propre de l’âme selon sa partie
per se, nec anima secundum eas, sed per accidens, sensible, comme on le dit dans Physique, VII.
inquantum compositum patitur, ut dicitur in 1 de Toutefois, parce que ces puissances ne sont pas
anima. Sed quia potentiae apprehensivae subsistantes, mais sont des formes des organes
sensitivae sunt tantum in recipiendo speciem, corporels, on ne dit donc pas qu’elles subissent
quae quidem non recipitur in sensu per modum par elles-mêmes, ni que l’âme subit à travers
rei, sed per modum intentionis; ideo in operatione elles, mais [qu’elle subit] par accident, pour
harum virium est quidem aliquo modo pati, autant que le composé subit, comme il est dit
quantum ad hoc quod sunt vires materiales, et dans Sur l’âme, I. Mais parce que les puissances
quantum ad hoc quod aliquid recipitur (et propter perceptives sensibles consistent seulement à
hoc dicitur in 2 de anima text. 52, quod sentire est recevoir une espèce, qui n’est cependant pas
quoddam pati). Sed quia sensus non movetur a reçue par le sens à la manière d’une chose, mais
sensibili secundum conditionem moventis, cum par mode d’intention, il existe donc une certaine
forma sensibilis non recipiatur in sensu secundum passion dans l’opération de ces puissances, pour
esse materiale prout est in sensibili, sed secundum autant qu’elles sont des puissances matérielles et
esse spirituale, quod est proprium sensui (unde pour autant que quelque chose est reçu (pour
non habet contrarietatem ad sensum, sed est cette raison, il est dit, dans Sur l’âme, II, text. 52,
perfectio ejus, nisi secundum quod excedit que « sentir est une certaine passion »).
477

proportionem sensus); ideo non proprie dicitur Cependant, parce que le sens n’est pas mû par
pati, nisi secundum quod excellentia sensibilium l’objet sensible selon la condition de ce qui
corrumpit sensum, aut debilitat. Relinquitur ergo meut, puisque la forme sensible n’est pas reçue
quod passio proprie dicatur secundum vires par le sens selon son être matériel, telle qu’elle
appetitivas sensitivas: quia hae vires et materiales existe dans le sensible, mais selon un être
sunt, et moventur a rebus secundum proprietatem spirituel qui est propre au sens (aussi ne
rei: quia non est appetitus intentionis, sed ipsius comporte-t-elle pas de contrariété par rapport au
rei; et secundum hoc habet res convenientiam ad sens, mais est-elle sa perfection, à moins qu’elle
animam, vel contrarietatem: et ideo dicit ne dépasse la proportion du sens), on ne parle
philosophus, quod passio est quam sequitur donc de passion au sens propre que si la
delectatio vel tristitia: et Remigius dicit, quod grandeur des réalités sensibles corrompt le sens
passio est motus animae per susceptionem boni ou l’affaiblit. Il reste donc qu’on parle de passion
vel mali. Sed quia accidit delectatio secundum pour les puissances appétitives sensibles, car ces
conjunctionem convenientis et connaturalis; ideo puissances sont à la fois matérielles et elles sont
adhuc magis proprie dicuntur passiones illae mues par les choses selon le caractère propre de
affectiones sensitivae ad quas sequitur tristitia, vel la chose, puisque l’appétit ne porte pas sur une
etiam quae sunt cum vehementia sive intention, mais sur la chose elle-même. C’est de
delectationis sive tristitiae, ut dicit philosophus 5 cette manière qu’une chose convient ou est
Metaphysic.; quia sic trahitur anima extra modum contraire à l’âme. C’est pourquoi le Philosophe
suum naturalem. Et sic loquimur hic de dit que « la passion est celle qui suit le plaisir ou
passionibus. Sed in viribus intellectivae partis, la tristesse. Et Rémi dit que « la passion est un
quamvis non sit proprie passio, quia immateriales mouvement de l’âme dû à la réception d’un bien
sunt; tamen ibi est aliquid de ratione passionis: ou d’un mal ». Or, parce que la délectation se
quia in apprehensione intellectus creati est produit par l’union de ce qui convient et est
receptio; et secundum hoc dicitur in 3 de anima connaturel, on parle donc encore plus
quod intelligere est pati quoddam. In appetitu proprement de passions pour les affections
autem intellectivo adhuc est plus de ratione sensibles dont découle la tristesse, ou encore qui
passionis: quia voluntas movetur a re secundum sont accompagnées par l’intensité de la
quod est bona vel mala, quae sunt conditiones rei; délectation ou de la tristesse, comme le dit le
intellectus autem movetur secundum Philosophe dans Métaphysique, V, car l’âme est
apprehensionem veri vel falsi; quae non sunt rei ainsi attirée hors de son mode naturel. C’est en
per se, sed secundum quod sunt in anima: quia ce sens que nous parlons ici de passions. Or, bien
bonum et malum sunt in rebus; verum et falsum qu’il n’y ait pas de passion au sens propre dans
sunt in anima, ut dicitur in 6 Metaph.; unde magis les puissance de la partie intellectuelle, car elles
recipit anima a re secundum affectum, et sont immatérielles, il s’y trouve cependant
vehementius movetur, quam secundum quelque chose de la nature de la passion, car il y
intellectum; sicut dicit Dionysius, 2 cap. de Div. a une réception dans la perception de l’intellect
Nom., quod Hierotheus patiendo didicit divina, créé. C’est ainsi qu’on dit, dans Sur l’âme, III,
idest ex affectu circa divina in intellectum qu’« intelliger, c’est subir d’une certaine
devenit. Et quia movetur affectus a re secundum manière ». Or, la raison de passion est encore
proprietatem rei quam res habet in se ipsa, ideo plus présente dans l’appétit intellectuel, car la
per hunc modum contingit quod res habeat volonté est mue par une chose selon qu’elle est
contrarietatem vel convenientiam ad animam; sed bonne ou mauvaise, qui sont des conditions de la
secundum quod apprehenditur ab intellectu, omnis chose; mais l’intellect est mû par l’appréhension
res habet convenientiam, inquantum du vrai ou du faux, qui ne sont pas des choses en
apprehenditur ut verum: et ideo in operatione soi, mais selon qu’elles existent dans l’âme. En
apprehensivae semper est delectatio; in operatione effet, « le bien et le mal se trouvent dans les
autem affectivae est delectatio et tristitia: et sic choses, mais le vrai et le faux se trouvent dans
etiam tristitia magis adhuc proprie dicitur passio, l’âme », comme on le dit dans Métaphysique, VI.
sicut in affectu sensibili dictum est, et similiter L’âme reçoit donc davantage d’une chose selon
478

accipitur hic passio. De passione autem animae l’affectivité et elle est mue par elle de manière
secundum quod ab igne infernali patitur, plus intense, que selon l’intellect. Denys dit
dicendum est in quarto libro: sic enim anima per ainsi, Les noms divins, II, que « Hiérothée a
se patitur. appris les réalités divines en les subissant »,
c’est-à-dire qu’il est parvenu à l’intelligence des
réalités divines à partir de l’affectivité. Et parce
que l’affectivité est mue par une chose selon ce
qui est propre à celle-ci en elle-même, il arrive
que, de cette manière, une chose convienne ou
soit contraire à l’âme; mais, selon qu’elle est
appréhendée par l’intellect, toute chose convient
[à l’âme], en tant qu’elle est appréhendée comme
vraie. C’est pourquoi, dans l’opération de la
[partie] connaissante, il existe toujours une
délectation; mais, dans l’opération de la [partie]
affective, existent la délectation et la tristesse.
Ainsi donc, la tristesse est appelée une passion
en un sens encore plus propre, comme on l’a dit
pour l’affectivité sensible; de même entend-on
ici la passion. Mais on parlera de la passion de
l’âme, par laquelle elle souffre du feu de l’enfer,
dans le livre IV. C’est ainsi que l’âme est
passible par elle-même.
[9360] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Ce raisonnement s’appuie sur la passion au
Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa sens propre, et il conclut que l’âme ne subit pas
procedit de passione proprie dicta; et concludit ce genre de passion par elle-même, mais par
quod anima hoc modo passionis non patitur per accident.
se, sed per accidens.
[9361] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Bien que l’âme ne soit pas simplement
Ad secundum dicendum, quod quamvis per corrompue dans sa substance par la corruption
corruptionem corporum, anima non corrumpatur des corps, la composition est cependant
simpliciter quantum ad substantiam; corrumpitur corrompue, selon laquelle elle est la forme du
tamen compositio, secundum quam actu est forma corps en acte. C’est aussi le cas des puissances
corporis; et etiam vires affixae organis, ut quidam liées à des organes, comme le disent certains.
dicunt.
[9362] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3 3. On dit que l’âme est dans un lieu par accident,
Ad tertium dicendum, quod anima dicitur esse in pour autant qu’elle est une partie du composé qui
loco per accidens, inquantum est pars compositi, est par soi dans un lieu. Elle est ainsi mue par
quod est in loco per se; et sic movetur per accident dans un lieu. Il en est de même pour la
accidens in loco: et sic etiam valetudo, quae est santé, qui est le fait du composé, mais de l’âme
compositi, est animae per accidens, inquantum est par accident, pour autant qu’elle en est une
pars ejus; et sic etiam per accidens patitur ad partie. C’est ainsi qu’elle subit par accident la
passionem corporis. passion du corps.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9363] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 co. L’âme du Christ était intermédiaire entre la
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod anima divinité et la chair. Parce que la béatitude était
Christi media fuit inter divinitatem et carnem. Et présente dans cette âme en raison de la divinité,
quia beatitudo inerat illi animae ex divinitate, alors que son corps était passible, la passibilité
corpus autem ejus erat passibile; ideo passibilitas était donc présente dans cette âme selon qu’elle
inerat illi animae ex parte illa qua conjungibilis pouvait être unie au corps, et la béatitude, selon
479

erat corpori; beatitudo autem ex parte illa qua qu’elle était unie à la divinité. Or, elle était unie
conjungebatur divinitati. Conjungebatur autem au corps de deux manières : selon l’essence, pour
corpori dupliciter: scilicet secundum essentiam, autant qu’elle est sa forme, et selon les
inquantum est forma et secundum potentias, non puissances, non pas selon toutes, mais selon
tamen omnes, sed quasdam; unde anima Christi certaines. Aussi l’âme du Christ souffrait-elle
secundum essentiam tota patiebatur ex laesi tout entière selon son essence en raison de la
corporis passione; sed quantum ad potentias souffrance du corps blessé; mais, pour ce qui est
patiebatur quidem passione imperfectionis, des puissances, elle souffrait d’une une passion
secundum operationes virium affixarum organis: d’imperfection, selon les opérations des
secundum alias vero vires, quibus anima puissances liées à des organes. Mais, selon les
convertebatur in Deum, qualiter pateretur, dicetur autres puissances, par lesquelles l’âme était
infra, 3 art. tournée vers Dieu, on dira plus loin, a. 3,
comment elle souffrait.
[9364] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Bien qu’il n’y ait rien de plus digne que l’âme
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis anima du Christ, il n’empêche qu’elle puisse par
Christi nihil sit dignius, non tamen impedit quin accident souffrir lorsqu’un autre souffre.
per accidens possit pati alio patiente.
[9365] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2 2. La vertu parfaite n’enlève pas complètement
Ad secundum dicendum, quod perfecta virtus les passions de l’âme, car elle les utilise même
omnino non tollit animales passiones, quia etiam parfois, comme « la force [recourt] à la colère »,
aliquando utitur eis, sicut fortitudo ira, ut dicit ainsi que le dit le Philosophe. [La vertu parfaite]
philosophus: sed facit ut nulla passio in eo surgat fait cependant qu’aucune passion ne surgisse en
quae rationem impediat. In Christo autem amplius lui pour empêcher la raison. Elle existait encore
fuit: quia enim fuit perfecta obedientia virium davantage chez le Christ : en effet, il y avait
inferiorum ad superiores; ideo nulla passio [chez lui] une parfaite obéissance des puissances
surgebat in eo nisi ex ordine rationis. inférieures aux puissances supérieures. Aussi
aucune passion ne surgissait-elle en lui que sur
ordre de la raison.
[9366] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3 3. L’âme du Christ avait les deux états : celui du
Ad tertium dicendum, quod anima Christi habuit viator et celui du comprehensor. Aussi, sous un
utrumque statum, scilicet viatoris, et aspect, était-elle bienheureuse, et, sous un autre,
comprehensoris; unde secundum aliquid fuit elle n’était pas bienheureuse. En effet, du point
beata, et secundum aliquid non fuit beata. Ex illa de vue où elle était destinée à être unie à un
enim parte qua nata est anima corpori conjungi, corps, elle n’était pas bienheureuse, autrement
non erat beatificata; alias ex anima in corpus l’éclat de la gloire serait descendu de l’âme vers
claritas gloriae descendisset, sicut erat in aliis le corps, comme c’était le cas pour les autres qui
glorificatis; et ideo ex parte ista poterat pati, et possédaient la gloire. Sous cet aspect, elle
habebat statum viatoris. Sed ex parte illa qua pouvait donc souffrir et était dans l’état de
conjungebatur verbo per fruitionem, erat viator. Mais, sous l’aspect où elle était unie au
glorificata, et habebat statum comprehensoris. Verbe par la jouissance (fruitio), elle était
glorifiée et elle était dans l’état de
comprehensor.

Articulus 2 [9367] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. Article 2 – Le Christ a-t-il connu la tristesse ?
2 tit. Utrum Christus tristitiam habuerit
Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il connu la
Quaestiuncula 1 tristesse ?]
[9368] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ n’ait pas connu la
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod tristesse. Is 42, 4 : Il ne sera ni triste, ni troublé.
Christus non habuerit tristitiam. Isa. 42, 4, dicitur
480

de eo: non erit tristis, neque turbulentus.


[9369] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2. Toute tristesse est un trouble de l’âme. Or, le
2 Praeterea, omnis tristitia est perturbatio sage ne connaît pas le trouble. La tristesse n’a
quaedam. Sed in sapientem non cadit perturbatio. donc pas non plus existé chez le Christ, qui était
Ergo neque in Christo, qui fuit maxime sapiens, sage au plus haut point. Sénèque démontre la
fuit tristitia. Secundam probat Seneca tripliciter. mineure de trois manières. Premièrement, ce qui
Primo sic. Fortius non perturbatur a debiliori. Sed est plus fort n’est pas troublé par ce qui est plus
virtus est fortior malitia. Ergo non perturbatur ab faible. Or, la vertu est plus forte que la malice.
ea; nec a virtute, quia virtus non est virtuti Elle n’est donc pas troublée par elle, ni par une
contraria: ergo nullo modo. Secundo sic. Nullus [autre] vertu, parce qu’une vertu n’est pas
perturbatur nisi de eo quod bonum suum perdit contraire à [une autre] vertu. Elle n’est donc
vel diminuit. Sed sapiens non perdit bona sua, nec troublé d’aucune manière. Deuxièmement,
ei possunt auferri, quae sunt bona animae, quia personne n’est troublé que par la perte ou la
bona corporis non reputat sua. Ergo non diminution de son bien. Or, le sage ne perd pas
perturbatur. Tertio sic. Quia fortuna nihil eripit ses biens, et ceux-ci ne peuvent pas lui être
nisi quod dedit. Sed non dedit virtutem. Ergo enlevés, puisqu’ils sont des biens de l’âme et
ipsam auferre non potest; et sic idem quod prius. qu’il ne considère pas comme siens les biens du
corps. Troisièmement, parce que la fortune
n’enlève que ce qu’elle a donné. Or, elle n’a pas
donné la vertu. Elle ne peut donc pas la retirer.
Et ainsi, la conclusion est la même que
précédemment.
[9370] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3. Le Philosophe dit : « Une même chose sans
3 Praeterea, philosophus: idem sine tristitia quam tristesse doit être choisie plutôt qu’avec
cum tristitia magis eligendum est. Sed Christus, tristesse. » Or, le Christ, puisqu’il était le plus
cum fuerit sapientissimus, optime scivit eligere. sage, a su choisir au mieux. Il n’a donc pas
Ergo non elegit aliquid pati cum tristitia. choisi de subir quelque chose avec tristesse.
[9371] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Mt 26, 38 dit en sens contraire :
1 Sed contra, Matth. 26, 38: tristis est anima mea Mon âme est triste jusqu’à la mort.
usque ad mortem.
[9372] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Pleurer est un signe de la tristesse. Or, le
2 Praeterea, fletus est signum tristitiae. Sed Christ a pleuré, Jn 11. Il a donc été triste.
Christus flevit: Joan. 11. Ergo ipse fuit tristis.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La colère a-t-elle existé
chez le Christ ?]
[9373] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que la colère n’ait pas existé chez le
1 Ulterius. Videtur quod in Christo non fuerit ira. Christ. En effet, la colère est un vice. Or, chez le
Ira enim vitium est. Sed in Christo nullum fuit Christ, il n’y avait aucun vice, mais la plus
vitium, sed summa mansuetudo; Matth. 11, 29: grande douceur, Mt 11, 29 : Apprenez de moi
discite a me, quia mitis sum et humilis corde. que je suis doux et humble de cœur. Il n’y avait
Ergo in Christo non fuit ira. donc pas de colère chez le Christ.
[9374] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2. Comme le dit Grégoire, « la colère aveugle le
2 Praeterea, sicut Gregorius dicit, ira per vitium regard de l’esprit par le vice, la colère trouble par
excaecat oculum mentis, ira per zelum turbat. Sed l’emportement ». Or, chez le Christ, le regard de
in Christo oculus mentis neque excaecatus neque l’esprit n’a été ni aveuglé ni troublé. Il n’y a
perturbatus fuit. Ergo in Christo non fuit ira. donc pas eu de colère chez le Christ.
[9375] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3. Selon le Philosophe et [Jean] Damascène, la
3 Praeterea, secundum philosophum, et colère est un désir de vengeance. Or, le Christ
Damascenum, ira est appetitus vindictae. Sed n’a rien fait par vengeance. Il n’y a donc pas eu
Christus non fecit aliquid ad vindictam. Ergo in de colère chez le Christ.
481

Christo non fuit ira.


[9376] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] chez le Christ, la colère a existé
1 Sed contra, in Christo fuit ira per zelum, ut patet en raison de la ferveur, Jn 2. La colère a donc
Joan. 2. Ergo in eo fuit ira. existé chez lui.
[9377] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Aucune vertu ni perfection d’une vertu n’a
2 Praeterea, nulla virtus defuit Christo, nec aliqua fait défaut au Christ. Or, la colère fait partie de la
virtutis perfectio. Sed de perfectione aliquarum perfection de certaines vertus, comme de la
virtutum est ira, sicut fortitudinis, ut dicitur in 3 force, ainsi qu’on le dit dans Éthique, III. La
Eth. Ergo in Christo fuit ira. colère a donc existé chez le Christ.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La crainte a-t-elle existé
chez le Christ ?]
[9378] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que la crainte n’ait pas existé chez le
1 Ulterius. Videtur quod in Christo non fuerit Christ. En effet, la crainte s’oppose au plus haut
timor. Timor enim maxime opponitur fortitudini. point à la force. Or, chez le Christ, la force la
Sed in Christo fuit perfectissima fortitudo. Ergo in plus parfaite a existé. Il n’y a donc eu chez lui
ipso non fuit aliquis timor. aucune crainte.
[9379] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 2. Augustin dit que le signe de la perfection est
2 Praeterea, Augustinus dicit, quod signum de vivre sans crainte. Or, le Christ était parfait au
perfectionis est absque timore esse. Sed Christus plus haut point. La passion de la crainte n’a donc
fuit perfectissimus. Ergo in eo non fuit passio pas existé chez lui.
timoris.
[9380] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 arg. 3. Si on dit que la crainte existait chez lui selon
3 Praeterea, si dicatur, quod timor inerat ei la sensualité, on objectera que la crainte porte sur
secundum sensualitatem; contra. Timor est de un mal futur. Or, la sensualité chez le Christ ne
futuro malo. Sed sensualitas in Christo non pouvait comprendre l’avenir. Il ne pouvait donc
poterat futurum comprehendere. Ergo in Christo exister de crainte chez le Christ, mais seulement
non poterat esse timor, sed tantum dolor de une douleur pour le présent.
praesenti.
[9381] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. Cependant, [1] Mc 14 dit en sens contraire :
1 Sed contra, Marc. 14: coepit Jesus pavere et Jésus se mit à ressentir effroi et angoisse.
taedere. Ergo et cetera.
[9382] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 s. c. [2] La douleur et la crainte se trouvent chez le
2 Praeterea, ejusdem est dolor et timor. Sed in même. Or, il y a eu une vraie douleur chez le
Christo fuit verus dolor. Ergo et verus timor. Christ. Il y a donc eu une crainte véritable.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9383] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 co. On s’interroge ici sur la tristesse qui est une
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, passion de l’âme en partie sensible. Il faut donc
quod hic quaeritur de tristitia secundum quod est dire que, parce que le Christ a assumé
passio animalis in parte sensitiva; et ideo volontairement notre nature afin de nous racheter
dicendum, quod quia Christus voluntarie par elle, il l’a assumée telle qu’elle devait être en
assumpsit naturam nostram, ut per eam nos regard de notre rédemption. Bien que, chez les
redimeret, ideo talem assumpsit qualem oportuit autres bienheureux, les puissances inférieures
esse ad finem redemptionis nostrae; unde quamvis soient aussi glorifiées par un certain
in aliis beatis per quamdam redundantiam ex rejaillissement de la glorification des puissances
glorificatione superiorum virium glorificentur supérieures, et que la gloire du corps provienne
etiam inferiores, et ex gloria animae descendat de la gloire de l’âme, cependant, chez le Christ,
gloria corporis; tamen in Christo non fuit sic: quia il n’en était pas ainsi : en effet, sa gloire, qui était
gloria ejus quae inerat ei secundum fruitionem en lui par la jouissance de Dieu (secundum
Dei, non impediebat passibilitatem animae ejus, fruitionem Dei), n’empêchait pas la passibilité de
secundum quod erat pars humanae naturae: et son âme, selon qu’elle était partie de la nature
482

similiter laetitia quae inerat in superiori parte per humaine. De la même façon, la joie qui se
fruitionem, non redundabat in inferiores; et ideo trouvait dans la partie supérieure par la
cum accidebat aliquid contrarium delectationi jouissance, ne rejaillissait pas sur les puissances
inferiorum partium, erat de eo tristitia; sed tamen inférieures. Aussi, lorsque survenait quelque
aliter in ipso et in nobis: quia in nobis inferiores chose de contraire à la délectation des parties
vires non sunt perfecte subjectae rationi; et ideo inférieures, il en résultait de la tristesse, mais
quandoque praeter ordinem rationis insurgunt in autrement chez lui et chez nous, car, chez nous,
nobis passiones tristitiae, quas quidem virtus les puissances inférieures ne sont pas
refrenat in virtuosis, sed in aliis etiam rationi parfaitement soumises à la raison. C’est
praevalent: sed in Christo nunquam surgebat pourquoi des passions de tristesse se lèvent
motus tristitiae nisi secundum dictamen superioris parfois en nous en dehors de l’ordre de la raison,
rationis, quando scilicet dictabat ratio quod que la vertu réfrènent chez les vertueux, mais qui
sensualitas tristaretur secundum convenientiam l’emportent aussi chez les autres. Mais, chez le
naturae suae; et ideo non fuit in eo tristitia Christ, jamais ne se levait un mouvement de
rationem pervertens, nec fuit necessaria, sed tristesse, si ce n’est selon l’ordre de la raison
voluntaria quodammodo. supérieure, alors que la raison ordonnait que la
sensualité soit attristée selon ce qui convenait à
sa nature. C’est pourquoi il n’y a pas eu chez lui
de tristesse qui troublait la raison, elle n’était pas
non plus nécessaire, mais [il y a eu une tristesse]
qui était pour ainsi dire volontaire.
[9384] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 1. Selon cette autorité d’Isaïe, une tristesse
Ad primum ergo dicendum, quod per illam empêchant la raison est écartée du Christ.
auctoritatem Isaiae excluditur a Christo tristitia
rationem impediens.
[9385] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Être troublé signifie être complètemenet
Ad secundum dicendum, quod perturbari dicitur bouleversé. Cela se produit lorsque le trouble de
ex toto turbari; et hoc est quando turbatio la partie inférieure atteint la partie supérieure, de
inferioris partis ad superiorem pervenit, ut ejus sorte que son ordre est bouleversé. Cela n’existe
ordo turbetur: et hoc non est in aliquo sapiente, pas chez le sage et n’a pas existé chez le Christ.
nec in Christo fuit; et sic concludunt rationes C’est aussi en ce sens que vont les arguments de
Senecae. Sénèque.
[9386] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Comme on le dit dans l’Éthique, VII, « toute
Ad tertium dicendum, quod omnis tristitia, ut tristesse, en tant que telle, doit en elle-même être
dicitur in 7 Ethic., inquantum in se est, fugienda fuie ». La tristesse peut cependant être choisie
est, inquantum hujusmodi: potest tamen eligi pour autant qu’elle ordonne à un bien, comme la
tristitia inquantum ad aliquod bonum ordinat, tristesse du pénitent [ordonne] au salut. De cette
sicut tristitia poenitentis ad salutem; et ita etiam manière aussi, le Christ a choisi la tristesse pour
Christus elegit tristitiam, inquantum utilis erat ad autant qu’elle était utile à la rédemption du genre
redemptionem humani generis. humain.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9387] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 co. On parle de colère de trois manières. En effet, on
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ira parle de colère pour l’habitus ou l’acte du vice
tripliciter dicitur. Quandoque enim ira ponitur pro qui est opposé à la douceur, et qu’on appelle
habitu vel actu vitii, quod opponitur irascibilité. Cela vient de ce que la vertu, comme
mansuetudini, quod irascibilitas dicitur: quod on le dit dans l’Éthique, II, s’oppose parfois
contingit ex hoc quod virtus, ut in 2 Ethic. dicitur, davantage à l’un des extrêmes, comme la
quandoque magis opponitur uni extremorum, sicut douceur [s’oppose] à un excès de colère, plutôt
mansuetudo superfluitati irae, magis quam qu’à une diminution. C’est pourquoi le vice
diminutioni; et ideo oppositum vitium nominatur opposé s’appelle la colère. Il n’y avait pas une
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ira: et sic ira non fuit in Christo. Alio modo telle colère chez le Christ. D’une autre manière,
dicitur ira voluntas vindicandi aliquod on parle de colère pour la volonté de venger un
malefactum; et sic ira non est passio, proprie tort. La colère n’est pas ainsi une passion au sens
loquendo, nec est in irascibili, sed in voluntate: et propre, et elle ne se situe pas dans l’irascible,
sic ira est in Deo et beatis, et in Christo fuit. mais dans la volonté. La colère existe sous cette
Tertio modo dicitur ira proprie quaedam passio forme en Dieu et chez les bienheureux, et elle
vis irascibilis, quae contingit ex hoc quod vis existait chez le Christ. Troisièmement, on parle
irascibilis tendit ad destructionem alicujus quod de colère au sens propre pour une passion de la
apprehenditur contrarium volito vel desiderato: et puissance irascible, qui survient lorsque la
si quidem sit ex ordine rationis insurgens, vel puissance irascible vise la destruction de quelque
ordinata ratione, sic dicitur ira per zelum, et sic chose qui est perçu comme contraire à ce qui est
fuit in Christo; si autem sit inordinata, sic erit ira voulu ou désiré. Si elle surgit d’un ordre de la
per vitium, quae in Christo nullo modo fuit. raison ou de la raison ordonnée, on parle alors
d’une colère due à la ferveur : elle a existé sous
cette forme chez le Christ. Mais si elle est
désordonnée, ce sera une colère due à un vice,
qui n’a aucunement existé chez le Christ.
[9388] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Ce raisonnement vient de la colère au premier
Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa sens. En effet, elle s’oppose ainsi à la douceur.
procedit de ira secundum primum modum Mais selon qu’elle est une passion, elle ne s’y
dicendi: sic enim opponitur mansuetudini: oppose pas : elle est plutôt la matière sur laquelle
secundum autem quod est passio, non opponitur, [elle s’exerce], car même le doux se met en
sed est materia ejus circa quam, quia etiam mitis colère lorsqu’il le faut.
irascitur quando oportet.
[9389] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 2. De même que, chez le Christ, la délectation de
Ad secundum dicendum, quod sicut in Christo la partie supérieure n’enlevait pas la tristesse de
delectatio superioris partis non tollebat tristitiam la partie sensible, de même aussi la colère de la
sensitivae partis; ita etiam et ira sensitivae partis partie sensible n’empêchait-elle pas l’usage de la
non impediebat in aliquo usum rationis: quia raison, car « lorsque la divinité permettait à
quando divinitas permittebat unicuique partium chaque partie de l’humanité du Christ de faire ce
humanitatis Christi agere quae sunt ei propria, ut qui lui était propre, comme le dit [Jean]
dicit Damascenus, una pars aliam non impediebat, Damascène, une partie n’empêchait pas l’autre,
sicut in nobis accidit quod una pars impedit aliam. comme il arrive chez nous qu’une partie en
empêche une autre ».
[9390] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 3. La colère désordonnée consiste dans la
Ad tertium dicendum, quod ira inordinata vengeance. Mais la colère ordonnée ordonne la
consistit in vindicta; sed ira ordinata vindictam ad vengeance à la justice, de sorte qu’elle ne
justitiam ordinat, ut scilicet vindictam non cherche pas la vengeance, mais la justice, et elle
quaerat, sed justitiam; et tantum puniat, quantum punit autant que l’ordre de la justice le permet.
justitiae ordo permittit.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9391] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 co. On parle aussi de crainte de multiples manières.
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod timor D’une manière, elle désigne l’habitus d’un don
etiam multipliciter dicitur. Uno modo nominat ou d’un vice qui s’oppose à la force : on
habitum vel doni vel vitii quod opponitur l’appelle alors timidité. Ainsi n’existait pas chez
fortitudini, et dicitur timiditas: et sic habitus doni le Christ l’habitus d’un don, pas plus que
fuit in Christo, non autem habitus vitii. Alio modo l’habitus d’un vice. D’une autre manière, elle est
sumitur pro actu vel vitii vel doni; et sic similiter prise pour l’acte d’un vice ou d’un don : il faut
dicendum ut prius. Alio modo dicitur quaedam ainsi parler comme pour le premier cas. D’une
passio in irascibili, quae consurgit ex hoc quod autre manière, elle désigne une passion de
484

appetitus sensitivus refugit aliquod nocivum l’irascible, qui provient de ce que l’appétit
apprehensum; et sic loquimur hic de timore. Unde sensible fuit une nuisance appréhendée : c’est
dicendum, quod hoc modo fuit timor in Christo ainsi que nous parlons de crainte. Il faut donc
per eumdem modum sicut et de tristitia et ira dire que la crainte existait de cette manière chez
dictum est, inquantum scilicet ex dictamine le Christ de la même manière qu’on l’a dit pour
rationis et deitatis adjunctae, appetitus sensibilis la tristesse et pour la colère, selon que l’appétit
refugiebat ea quae sunt sibi contraria. sensible fuyait ce qui lui était contraire sur un
ordre de la raison et de la divinité qui était unie.
[9392] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1 1. Ce raisonnement provient de la crainte en tant
Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa qu’elle est un vice, car la passion de crainte est la
procedit de timore secundum quod est vitium, matière sur laquelle s’exerce la force.
quia passio timoris est materia circa quam est
fortitudo.
[9393] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2 2. Toute crainte provient d’une certaine
Ad secundum dicendum, quod omnis timor ex imperfection, car le fait qu’une chose puisse faire
aliqua imperfectione est: quia ex imperfectione est tort à une autre vient d’une imperfection. Or, le
quod aliquid ab aliquo laedi possit. Christus Christ, bien qu’il ait été parfait au plus haut point
autem quamvis fuerit secundum animam en son âme, pouvait subir un tort en son corps.
perfectissimus, tamen laedi poterat ex parte De ce point de vue, celui-ci souffrait d’une
corporis; et ideo ex parte ista patiebatur imperfection et pouvait craindre.
imperfectionem, et timere poterat.
[9394] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3 3. Chez l’homme, l’appétit sensible est mû de
Ad tertium dicendum, quod in homine appetitus manière immédiate par une perception de
sensibilis movetur ex imaginationis sive l’imagination ou de l’estimative, mais, de
aestimationis apprehensione immediate; sed manière médiate, aussi par une perception de la
mediate etiam ex apprehensione rationis, raison, pour autant que sa conception s’imprime
inquantum ejus conceptio in imaginatione dans l’imagination. C’est pourquoi lorsque la
imprimitur; et ideo quando ratio in Christo raison chez le Christ prévoyait une blessure
praevidebat laesionem corporis, fiebat species corporelle, une image de ce qui blessait
laesivi in imaginatione, et appetitus sensibilis ad apparaissait dans l’imagination et l’appétit
timorem movebatur. sensible était mû à la crainte.

Articulus 3 [9395] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. Article 3 – Une véritable douleur sensible
3 tit. Utrum in Christo fuerit verus dolor in sensu existait-elle chez le Christ ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Une véritable douleur
sensible existait-elle chez le Christ ?]
[9396] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il n’y ait pas eu de véritable
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in douleur sensible chez le Christ. En effet, plus
Christo non fuerit verus dolor in sensu. une puissance résiste à ce qui blesse, plus la
Quantumcumque enim est vis resistens laesivo, douleur provenant de ce qui blesse est diminuée.
tantum dolor diminuitur ex laesione proveniens. Or, chez le Christ, existait une capacité infinie de
Sed in Christo fuit infinita vis ad resistendum résister à ce qui blessait, à savoir la puissance de
laesivo, scilicet virtus divinitatis. Ergo in eo dolor la divinité. Il ne pouvait donc pas y avoir de
esse non poterat. douleur chez lui.
[9397] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 2. La douleur ne porte pas sur une chose
2 Praeterea, dolor non est de re voluntaria. Sed volontaire. Or, le Christ a supporté
Christus voluntarie passionem sustinuit. Ergo in volontairement la passion. La douleur de la
eo dolor passionis non fuit. passion n’existait donc pas chez lui.
[9398] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 arg. 3. Le Christ voyait Dieu plus parfaitement que
3 Praeterea, Christus magis perfecte videbat Paul. Or, Paul, durant son rapt, ne ressentait pas
485

Deum quam Paulus. Sed Paulus in raptu propter ce qui se passait dans son corps en raison de la
visionem Dei non sentiebat ea quae in corpore vision de Dieu. Le Christ non plus n’avait donc
gerebantur. Ergo nec Christus dolorem habebat ex pas de douleur provenant d’une blessure du
corporis laesione. corps.
[9399] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Is 53, 4 dit : Il a vraiment
1 Sed contra, Isa. 53, 4: vere dolores nostros ipse supporté nos douleurs.
tulit.
[9400] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 s. c. [2] Pour la vérité de la douleur, ne sont requises
2 Praeterea, ad veritatem doloris non requiritur qu’une blessure et le sens. Or, le corps du Christ
nisi laesio et sensus. Sed corpus Christi laesum a été blessé et il a eu la sensation de la blessure.
fuit, et sensum laesionis habuit. Ergo fuit in eo Une véritable douleur existait donc chez lui.
verus dolor.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La douleur est-elle
parvenue jusqu’à la raison supérieure ?]
[9401] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble que la douleur ne soit pas parvenue
1 Ulterius. Videtur quod dolor usque ad jusqu’à la raison supérieure. En effet, juger de la
superiorem rationem non pervenerit. Judicare douleur n’est pas supporter la douleur. Or, chez
enim de dolore non est pati dolorem. Sed in les saints, il existe un jugement aussi élevé des
sanctis est tantum judicium de doloribus douleurs selon la raison, comme cela ressort de
secundum rationem, ut patet per Dionysium in Denys, dans sa lettre à Jean l’évangéliste.
epistola ad Joannem Evangelistam. Cum ergo Puisque le Christ était d’une sainteté parfaite, il
Christus in sanctitate perfectus fuerit, ipse n’a donc pas connu la douleur selon la partie
secundum superiorem partem rationis dolorem supérieure de la raison.
non habuit.
[9402] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 2. Selon le Philosophe, l’intellect n’est l’acte
2 Praeterea, secundum philosophum, intellectus d’aucune partie du corps. Or, la douleur de la
nullius partis corporis est actus. Sed dolor passion n’existe dans l’âme qu’en raison de son
passionis non est in anima nisi ex conjunctione ad union au corps. La douleur de la passion n’a
corpus. Ergo in parte intellectiva non fuit dolor donc pas existé dans la partie intellective.
passionis.
[9403] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 3. Selon le Philosophe, rien n’est contraire à la
3 Praeterea, secundum philosophum, delectationi délectation intellectuelle. Or, la douleur est
quae est secundum intellectum, non est aliquid contraire à la délectation. Elle n’existe donc pas
contrarium. Sed dolor est contrarius delectationi. dans la partie intellective.
Ergo non est in parte intellectiva.
[9404] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 4. L’âme est troublée lorsque la passion parvient
4 Praeterea, tunc anima perturbatur, quando usque jusqu’à la raison. Or, chez le Christ, n’existait
ad rationem pervenit passio. Sed in Christo nulla aucun trouble. La douleur ne parvenait donc pas
fuit perturbatio. Ergo dolor non pervenit usque ad jusqu’à la raison.
rationem.
[9405] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 arg. 5. Il est impossible que des contraires existent
5 Praeterea, impossibile est eidem secundum idem chez le même selon la même chose. Or, la
contraria inesse. Sed dolor est delectationi douleur est contraire à la délectation. Il est donc
contrarius. Ergo impossibile est quod secundum impossible qu’il ait souffert selon la partie
superiorem partem, qua gaudebat de Dei visione, supérieure par laquelle il se réjouissait de la
doleret. vision de Dieu.
[9406] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, [1] la liaison des puissances de
1 Sed contra, major est colligatio potentiarum l’âme l’une avec l’autre est plus grande que la
animae ad invicem quam membrorum. Sed uno liaison des membres. Or, si un membre souffre,
membro patiente alia compatiuntur; 1 Corinth. 12. les autres souffrent avec lui, 1 Co 12. Si une
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Ergo una potentia animae patiente, multo fortius puissance de l’âme souffre, à plus forte raison les
aliae compatiuntur. autres souffrent-elles.
[9407] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. [2] L’affinité des puissances de l’âme avec son
2 Praeterea, major est affinitas potentiarum essence est plus grande que celle de l’âme avec
animae ad essentiam quam animae ad corpus. Sed le corps. Or, l’âme compatit selon son essence
anima secundum essentiam suam compatitur lorsque le corps souffre. Toutes les puissances
patienti corpori. Ergo et omnes potentiae patiuntur souffrent donc en même temps que l’essence [de
simul cum essentia. l’âme].
[9408] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 s. c. [3] À propos de Ps 87, 4 : Mon âme est remplie
3 Praeterea, in Psalm. 87, 4: repleta est malis de maux, la Glose dit, en l’appliquant au Christ :
anima mea, dicit Glossa exponens de Christo: « C’est-à-dire, de douleurs. » La douleur était
idest doloribus. Ergo secundum omnes partes donc présente dans toutes les parties de l’âme.
animae dolor inerat.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La douleur du Christ était-
elle plus grande que toutes les douleurs ?]
[9409] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 1. Il semble que la douleur du Christ n’était pas
1 Ulterius. Videtur quod dolor Christi non fuerit plus grande que toutes les douleurs, car, plus la
major omnibus doloribus. Quia quanto poena est peine est aiguë et durable, plus la peine qui
acerbior et diuturnior, tanto poena ex dolore résulte de la douleur est grande. Or, certains
resultans est major. Sed aliqui sancti diuturniorem saints ont enduré une peine plus longue et plus
et acerbiorem poenam perpessi sunt, sicut patet de aiguë, comme cela ressort pour Laurent et
Laurentio et Vincentio. Ergo Christi dolor non fuit Vincent. La douleur du Christ n’a donc pas été la
maximus. plus grande.
[9410] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 2. Chez les autres saints, la douleur était
2 Praeterea, in aliis sanctis dolor mitigabatur ex diminuée par la contemplation et l’amour de
contemplatione divina et amore, sicut de Stephano Dieu, comme on chante à propos d’Étienne :
cantatur: lapides torrentis illi dulces fuerunt. Sed « Les pierres du torrent lui étaient douces. » Or,
in Christo fuit maxima caritas, et perfecta Dei chez le Christ, la charité était la plus grande,
contemplatio. Ergo dolor ejus maxime ainsi que la contemplation de Dieu. Sa douleur a
mitigabatur; et ita fuit minimus. donc été atténuée au plus haut point, et ainsi
était-elle la moins grande.
[9411] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 3. L’innocence de celui qui souffre diminue la
3 Praeterea, innocentia patientis minuit dolorem douleur de la peine; ainsi, les enfants qui sont
poenae; unde pueri qui sunt in Limbo, non dans les limbes ne sont pas affligés par le fait
affliguntur de carentia visionis divinae, quia eis que la vision de Dieu leur fait défaut, car cela ne
redditur non pro culpa quam ipsi commiserunt. leur est pas rendu en fonction d’une faute qu’ils
Sed Christus sine culpa passus est. Ergo videtur ont eux-mêmes commise. Or, le Christ a souffert
quod dolor suus fuit mitissimus. sans avoir commis de faute. Il semble donc que
sa douleur était la plus adoucie.
[9412] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 4. Plus grande est la compensation pour un bien
4 Praeterea, quanto major est recompensatio de enlevé, plus est léger le tort de l’enlèvement. Or,
bono amisso, tanto levius damnum amissionis le Christ avait la plus grande compensation de
portatur. Sed Christus habebat recompensationem l’enlèvement de la vie corporelle par la passion :
maximam de amissione corporalis vitae per le salut du genre humain. Cette douleur fut donc
passionem, scilicet salutem humani generis. Ergo la plus petite.
dolor ille fuit minimus.
[9413] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 5. Plus ce qui est enlevé est précieux, plus
5 Praeterea, quanto est pretiosius quod amittitur, grande est la douleur de sa perte. Or, Dieu, que
tanto est major dolor de amissione. Sed Deus, l’homme a perdu par le péché, est plus digne que
quem homo per peccatum amittit, est dignior la vie corporelle du Christ. La douleur de la perte
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quam vita corporalis Christi. Ergo dolor qui est de de Dieu est donc plus grande que la douleur du
amissione Dei, est major quam dolor Christi de Christ pour la perte de sa vie corporelle.
amissione vitae corporalis.
[9414] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 6. Plus une chose est disposée à souffrir, moins
6 Praeterea, quanto aliquid est magis dispositum elle souffre de la passion. Or, le corps du Christ
ad patiendum, tanto minus dolet de passione. Sed était davantage disposé à souffrir que le corps
Christi corpus magis fuit dispositum ad patiendum d’Adam. Adam aurait donc souffert davantage,
quam corpus Adae. Ergo Adam magis doluisset, s’il avait été blessé.
dato quod laesus fuisset.
[9415] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 arg. 7. Plus une nature est capable de perception, plus
7 Praeterea, quanto natura est perceptibilior, tanto grande est la douleur. Or, la nature de l’âme est
est major dolor. Sed natura animae perceptibilior plus capable de perception que la nature de
est quam natura cujuslibet corporis. Ergo dolor n’importe quel corps. La douleur de l’âme au
animae de passione Inferni, quam in seipsa patitur sujet de la passion de l’enfer, qui vient du feu
ab igne, est major quam dolor Christi. qu’elle souffre en elle-même, est donc plus
grande que la douleur du Christ.
[9416] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. Cependant, [1] Lm 1, 12 dit : Vous tous qui
1 Sed contra, Thren. 1, 12: o vos omnes qui passez, arrêtez-vous et voyez s’il existe une
transitis per viam, attendite et videte si est dolor douleur plus grande que la mienne! Comme s’il
sicut dolor meus; quasi diceret, non. Ergo dolor disait qu’il n’y en a pas. Sa douleur fut donc la
suus fuit maximus omnium dolorum. plus grande de toutes les douleurs.
[9417] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. [2] Le Christ avait une complexion admirable,
2 Praeterea, Christus fuit optime complexionatus; ce qui ressort du fait qu’il a eu l’âme la plus
quod patet ex hoc quia habuit nobilissimam noble, à laquelle correspond une égale
animam, cui respondet aequalitas complexionis in complexion du corps. Or, meilleure est la
corpore. Sed quanto homo habet meliorem complexion corporelle d’un homme, plus il
complexionem in corpore, tanto magis sentit ressent les blessures de son corps, car il possède
laesiones corporis, quia habet meliorem tactum. un meilleur toucher. Puisque la douleur est la
Cum igitur dolor sit sensus laesionis, videtur quod sensation d’un blessure, il semble donc que la
in Christo fuerit maximus dolor. plus grande douleur a existé chez le Christ.
[9418] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 s. c. [3] C’est le propre de l’homme vertueux
3 Praeterea, virtuosi hominis est suam vitam d’aimer sa propre vie. Aussi les pécheurs se
diligere; unde et peccatores seipsos odiunt haïssent-ils, dans la mesure où ils se suicident,
intantum quod seipsos interficiunt, ut probat comme le montre le Philosophe dans Éthique,
philosophus in 9 Ethic. Sed Christus fuit IX. Or, le Christ a été le plus vertueux. La
virtuosissimus. Ergo maxime suam vitam dilexit: douleur de perdre sa propre vie a donc été la plus
ergo dolor de amissione vitae suae fuit maximus. grande.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9419] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 co. De même que la délectation sensible est causée
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, par l’union avec ce qui convient selon le sens, de
quod sicut delectatio sensibilis causatur ex même la douleur sensible est-elle causée par
conjunctione convenientis secundum sensum; ita l’union de ce qui ne convient pas avec le sens.
dolor sensibilis causatur ex conjunctione ejus Or, parmi tous les autres sens, seul le toucher
quod non est conveniens sensui. Sed inter omnes discerne ce en quoi consiste la complexion du
alios sensus solus tactus est discretivus eorum ex corps. Aussi ce qui convient selon le toucher
quibus consistit temperamentum corporis: unde convient-il à la complexion même du corps. Pour
quod est conveniens secundum tactum, est cette raison, la délectation sensible complète
conveniens ipsi temperamento corporis; et propter n’existe-t-elle que dans la perception du toucher;
hoc completa delectatio sensibilis est in sola de même aussi, ce qui ne convient pas au toucher
perceptione tactus; et similiter illud quod est est-il contraire à la complexion du corps. C’est
488

inconveniens tactui, est contrarium temperamento pourquoi le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III,
corporis: et ideo dicit philosophus in 3 de anima, que « ce qui corrompt le toucher corrompt
quod corrumpentia tactum corrumpunt animal, l’animal, mais non ce qui corrompt l’ouïe, à
non autem corrumpentia auditum, nisi simul moins que le toucher aussi n’en soit par accident
contingat ex accidenti et tactum corrumpi; et ideo corrompu ». Aussi la douleur n’existe-t-elle que
in solo tactu est dolor, qui accidit ex laesione dans le toucher : elle provient d’une lésion de la
temperamenti ipsius corporis. Unde cum in complexion du corps lui-même. Puisque, chez le
corpore Christi fuerit vera laesio, quia fuit divisio Christ, a existé une blessure véritable, car il y eu
continui per clavos, et fuerit ibi verus tactus; de un déchirement du continu par des clous, et qu’il
necessitate oportet dicere, quod fuerit ibi verus y avait là un véritable toucher, il faut donc
dolor. Qualiter autem exponenda sint verba nécessairement dire qu’il y avait une douleur
Hilarii, in fine dicetur. véritable. Comment il faut interpréter les paroles
d’Hilaire, on le dira à la fin.
[9420] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1 1. Bien qu’ait existé dans le corps du Christ la
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in puissance de la divinité, infinie dans sa
corpore Christi esset vis deitatis, infinitam ad résistance à ce qui possède un pouvoir, elle ne
resistendum potestatem habens; non tamen résistait cependant pas, mais laissait la chair
resistebat, sed dimittebat carnem pati quidquid supporter tout ce qui lui est propre, comme le dit
proprium, ut dicit Damascenus: et ideo fuit ibi [Jean] Damascène. C’est pourquoi il y a eu là
laesio, et per consequens dolor. blessure et, par conséuent, douleur.
[9421] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2 2. La volonté de la raison n’exclut pas la douleur
Ad secundum dicendum, quod voluntas rationis du sens. Ainsi, on veut selon la raison être brûlé
non excludit dolorem sensus; sicut aliquis vult pour être guéri; cependant, on éprouve de la
secundum rationem comburi, ut sanetur, sed douleur sensible du fait de la combustion. De
tamen in combustione dolorem sensibilem même en était-il chez le Christ.
experitur; ita et fuit in Christo.
[9422] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3 3. Il ne peut exister une telle puissance de la
Ad tertium dicendum, quod non potest esse tanta contemplation qu’elle enlève la douleur sensible
vis contemplationis quod dolorem sensibilem ex qui vient d’une blessure du corps, si le corps est
laesione corporis tollat, si corpus laedatur, nisi per blessé, à moins que, par elle, les puissances
eam abstrahantur vires inferiores omnino a suis inférieures ne soient entièrement détournées de
actibus, per modum quo una potentia intense leurs actes, à la manière dont une puissance qui
operans abstrahit aliam a suo actu: et hoc modo agit intensément en détourne une autre à son
accidit in raptu Pauli. Sed in Christo una vis non acte. C’est ce qui est arrivé dans le rapt de Paul.
tollebat aliam a suo actu, nisi secundum quod Mais, chez le Christ, une puissance n’en écartait
ratio et deitas conjuncta ordinabat: et ideo pas une autre de son acte, si ce n’est selon que la
perfectio contemplationis dolorem sensibilem non raison et la divinité qui était unie l’ordonnaient.
tollebat. C’est pourquoi la perfection de la contemplation
n’écartait pas la douleur sensible.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9423] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 co. On trouve deux choses dans la douleur et dans la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in tristesse : la contrariété de ce qui contriste et la
dolore et tristitia duo inveniuntur; scilicet douleur de ce afflige celui qui est contristé et
contrarietas contristantis et dolorem inferentis ad souffre, et sa perception. Or, les deux diffèrent
contristatum et dolentem et perceptio ejus: et sur ces points de deux manières. Premièrement,
quantum ad haec duo tripliciter differunt. Primo quant à la contrariété. Dans la douleur, elle
quantum ad contrarietatem: quae quidem in dolore provient de la nature même de celui qui souffre,
attenditur quantum ad ipsam naturam dolentis, qui est corrompue par ce qui blesse; mais, dans
quae per laesivum corrumpitur; sed in tristitia la tristesse, elle se prend de la répugnance de
quantum ad repugnantiam appetitus ad aliquid l’appétit pour ce que quelqu’un déteste.
489

quod quis odit. Secundo quantum ad Deuxièmement, du point de vue de la perception.


perceptionem: quae quidem in dolore semper est Dans la douleur, elle provient toujours du sens
secundum sensum tactus, ut dictum est, in tristitia du toucher, comme on l’a dit; mais, dans la
autem secundum apprehensivam interiorem. tristesse, d’une perception intérieure.
Tertio quantum ad ordinem istorum duorum: quia Troisièmement, du point de vue de l’ordre entre
dolor incipit in laesione, et terminatur in les deux. La douleur commence par la blessure et
perceptione sensus, ibi enim completur ratio se termine dans la perception du sens : en effet,
doloris; sed ratio tristitiae incipit in c’est là que s’achève la raison de douleur. Mais
apprehensione, et terminatur in affectione; unde la raison de tristesse commence par une
dolor est in sensu sicut in subjecto, sed tristitia in perception et se termine dans l’affectivité : aussi
appetitu. Ex quo patet quod tristitia est passio la douleur se trouve-t-elle dans le sens comme
animalis, sed dolor est magis passio corporalis. dans son sujet, mais la tristesse se trouve-t-elle
Quandoque tamen tristitia, large loquendo, dolor dans l’appétit. Il ressort de cela que la tristesse
dicitur; unde Augustinus distinguit dolorem est une passion de l’âme, mais que la douleur est
animae secundum se, qui proprie dicitur tristitia, plutôt une passion corporelle. Parfois, cependant,
et dolorem animae per corpus, qui proprie dicitur la tristesse, entendue au sens large, est appelée
dolor. Loquendo igitur de dolore proprie dicto, sic une douleur. De là vient que Augustin fait une
quantum ad laesionem, quae est materiale in ipso, distinction entre la douleur de l’âme en soi,
se extendit in Christo ad omnes potentias animae, qu’on appelle tristesse au sens propre, et la
secundum quod in essentia animae radicantur, ad douleur de l’âme à travers le corps, qu’on
quam etiam laesio corporis pervenit, secundum appelle douleur au sens propre. Si donc on parle
quod est ejus forma; sed quantum ad de douleur au sens propre, du point vue de de la
perceptionem laesionis, quae est formale in blessure, qui a en elle le caractère de matière,
dolore, sic consistit in solo tactu, cujus est solus elle s’étend chez le Christ à toutes les puissances
percipere laesivum inquantum laedit, scilicet de l’âme, selon qu’elles sont enracinées dans
inquantum corporaliter conjungitur. Loquendo l’essence de l’âme, à laquelle parvient aussi la
autem de dolore secundum quod large etiam blessure du corps, selon qu’elle en est la forme.
tristitia dolor dicitur, sicut ex dictis patet, tristitia Mais, du point de vue de la perception de la
non potest esse in ratione sicut in subjecto, sed blessure, qui a le caractère de forme dans la
solum sicut in ostendente id quod est voluntati douleur, elle se trouve alors dans le seul toucher,
repugnans; nisi ratio accipiatur prout à qui seul il revient de percevoir ce qui blesse en
comprehendit vim apprehensivam et affectivam, tant que tel, à savoir, en tant que cela est uni
in qua est tristitia sicut in subjecto, quamvis non corporellement. Mais si on parle de douleur au
tristitia quae est passio, quae solum est in sens large où la tristesse est appelée une douleur,
sensitiva parte, ut prius dictum est. Nulla autem comme cela ressort de ce qui a été dit, la tristesse
virtus apprehensiva ostendit nisi suum objectum. ne peut exister dans la raison comme dans son
Objectum autem superioris rationis sunt bona sujet, mais seulement comme dans ce montre ce
aeterna, ex quibus nihil erat contrarium voluntati qui répugne à la volonté, à moins qu’on ne
Christi; unde in ratione superiori, secundum quod conçoive la raison comme comprenant la
ad objectum suum comparatur, non poterat esse puissance perceptive et la puissance affective,
tristitia in Christo; poterat autem esse quantum ad dans laquelle se trouve la tristesse comme dans
rationem inferiorem, cujus objectum sunt res son sujet, bien qu’il ne s’agisse pas de la tristesse
temporales; in quibus aliquid contrarium voluntati qui est une passion, qui réside seulement dans la
ejus aliquo modo accidere poterat, ut infra, dist. partie sensible, comme on l’a dit plus haut. Or,
17, qu. 1, art. 2, quaestiuncul. 2, patebit. Sic ipsa aucune puissance de perception ne montre autre
laesio erat contra aliquam voluntatem Christi, qua chose que son objet. Or, l’objet de la raison
naturaliter mortem refutabat, et similiter etiam supérieure, ce sont les biens éternels, dont aucun
mala humani generis ei displicebant; unde in n’était contraire à la volonté du Christ. Aussi ne
ratione inferiori poterat esse tristitia etiam pouvait-il y avoir de tristesse chez le Christ dans
secundum quod ad objecta sua comparatur. Et la raison supérieure, selon qu’on la compare à
490

quia unaquaeque potentia ad naturam pertinet son objet; mais il pouvait y en avoir pour ce qui
secundum quod in essentia animae radicatur, quae était de la raison inférieure, dont les réalités
est essentialis pars naturae totius, rationem autem temporelles sont l’objet, dans lesquelles quelque
potentiae habet secundum comparationem ad chose de contraire à sa volonté pouvait se
objecta; ideo dicitur a quibusdam, quod passio produire de quelque manière, comme cela
doloris perveniebat usque ad rationem ressortira plus loin, d. 17, q. 1, a. 2, qa 2. La
superiorem, inquantum est natura, secundum quod blessure elle-même allait donc à l’encontre de la
laesio corporis ad essentiam animae perveniebat; volonté du Christ, qui refusait naturellement la
et ulterius ad omnes potentias, secundum quod in mort, et de même, les maux du genre humain lui
essentia animae radicantur: non autem déplaisaient-ils. Aussi pouvait-il exister de la
perveniebat ad eam inquantum est ratio: quia tristesse dans sa raison inférieure, même si on la
secundum quod ad objectum suum comparatur, compare à ses propres objets. Et parce que
nullum detrimentum ex passione corporis chaque puissance se rapporte à la nature selon
sentiebat, cum in contemplatione divinorum non qu’elle est enracinée dans l’essence de l’âme, qui
impediretur. Et hoc etiam quidam aliis verbis est une partie essentielle de la nature du tout, elle
dicunt, scilicet quod patiebatur ut est natura a aussi raison de puissance selon qu’on la
corporis, non autem ut est principium humanorum compare avec ses objets. C’est pourquoi certains
actuum; et sic etiam dicunt quod inferior ratio disent que la passion de la douleur parvenait à la
compatiebatur et ut est natura, et ut est ratio. raison supérieure, en tant qu’elle est une nature,
Quamvis etiam aliter possit intelligi distinctio qua selon que la blessure du corps parvenait à
distinguitur ratio ut natura et ut ratio: quia ratio ut l’essence de l’âme; elle parvenait en plus à toutes
natura dicitur secundum quod judicat de eo quod les puissances, selon qu’elle sont enracinées dans
est secundum se bonum vel malum, naturae l’essence de l’âme. Mais elle ne parvenait pas
conveniens vel noxium; ratio autem ut ratio, jusqu’à elle selon qu’elle est raison, car, selon
secundum quod judicat de eo quod est bonum vel qu’on la compare à son objet, il ne ressentait
malum in ordine ad alterum. Contingit enim aucun tort par la passion du corps, puisqu’il
quandoque aliquid in se consideratum, esse n’était pas empêché de contempler les réalités
naturae noxium, quod tamen in ordine ad finem divines. C’est cela aussi que disent certains en
aliquem eligendum est, sicut ustionem quae est d’autres mots : [son âme] souffrait pour ce qui
propter sanitatem. Et sic etiam mors Christi erat est de la nature du corps, mais non en tant
quidem in se mala, inquantum erat nocumentum qu’elle est principe des actes humains. Et ainsi
naturae; in ordine autem ad finem redemptionis ils disent aussi que la raison inférieure
humani generis, erat optima: et sic etiam ratio compatissait en tant que nature et aussi en tant
inferior ut ratio non tristabatur de morte, sed que raison. Bien qu’on puisse comprendre
solum ut natura: et sic dicta distinctio erit de autrement la distinction selon laquelle on fait une
ratione secundum quod comparatur ad objectum. distinction entre la raison comme nature et
comme raison, car on dit que la raison est nature
selon qu’elle juge de ce qui bon ou mauvais en
soi, qui convient à la nature ou lui est nuisible;
mais on dit que la raison est raison selon qu’elle
juge de ce qui bon ou mauvais par rapport à autre
chose. Il arrive parfois en effet qu’une chose
considérée en elle-même soit nuisible à la nature,
alors qu’elle doit être choisie par rapport à une
fin, comme la brûlure qui est ordonnée à la santé.
De même, la mort du Christ, qui était mauvaise
en soi, en tant qu’elle était une nuisance pour la
nature, était ce qu’il y avait de meilleur par
rapport à la fin de la rédemption du genre
humain. Ainsi, la raison inférieure en tant que
491

raison n’était pas attristée par la mort, mais


seulement en tant que nature. La même
distinction sera faite pour la raison selon qu’elle
est comparée à son objet.
[9424] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1 1. L’intention de Denys était de dire que les
Ad primum ergo dicendum, quod intentio saints n’étaient d’aucune manière détournés de la
Dionysii fuit dicere, quod sancti nullo modo rectitude de la raison, pour ce qui est de la
quantum ad rationem moventur a rectitudine raison, ce qui est le propre de tous ceux qui sont
rationis, quod omnium virtuosorum est; et etiam a vertueux; ils n’étaient pas non [détournés] de la
tranquillitate mentis, quod perfectorum est; et tranquillité d’esprit, qui est le propre des parfaits.
ideo dicit eos quantum ad rationem non pati, non Il dit donc qu’ils ne souffrent pas pour ce qui est
quin experientia doloris aliquo modo usque ad de la raison, bien que ce ne soit pas sans que
rationem perveniat; et hanc experientiam judicium l’expérience de la douleur parvienne d’une
de passionibus nominat. certaine manière à la raison. C’est cette
expérience qu’il appelle « jugement sur les
passions ».
[9425] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2 2. L’intellect peut être envisagé de deux
Ad secundum dicendum, quod intellectus manières. Soit en tant qu’il est une puissance.
dupliciter potest considerari. Vel ut est potentia Ainsi, la puissance est déterminée à un acte, car,
quaedam; et sic potentia determinatur ad actum: l’intellect n’étant pas exercé par l’intermédiaire
quia cum operatio intellectus non exerceatur d’une organe corporel, on dit que l’intellect n’est
mediante aliquo organo corporali, dicitur, quod pas l’acte d’une partie du corps. Soit on peut
intellectus non est actus alicujus partis corporis. l’envisager en tant que cette puissance est
Vel potest considerari inquantum haec potentia enracinée dans l’essence de l’âme. Ainsi,
radicatur in essentia animae; et sic, cum anima puisque l’âme est par son essence forme du
secundum suam essentiam sit forma corporis; et corps, et que l’intellect et toutes les autres
intellectus et omnes aliae vires sunt actus puissances sont des actes du corps, elles
corporis, et per accidens ad passionem corporis supportent aussi par accident une passion du
patiuntur dupliciter, tum ex ordine rationis ad corps, tant en raison de l’ordre de la raison par
essentiam, tum ex ordine intellectus ad alias rapport à l’essence, qu’en raison de l’ordre de
potentias quae operantur per organum corporale, l’intellect par rapport aux autres puissances qui
ex quarum impedimento accidit impedimentum in agissent par l’intermédiaire d’un organe
operatione intellectus, sicut in phreneticis patet. corporel : par l’empêchement de celles-ci, un
empêchement survient dans l’opération de
l’intellect, comme cela est clair chez les fous.
[9426] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3 3. On parle de délectation de l’intellect de deux
Ad tertium dicendum, quod delectatio intellectus manières. D’une manière, il s’agit de l’intellect
dicitur dupliciter. Uno modo ita quod sit quant à son sujet et quant à son objet : c’est là la
intellectus quantum ad subjectum et quantum ad délectation par laquelle l’intellect se délecte dans
objectum; et haec est illa delectatio qua intellectus le fait d’intelliger. Et parce que les deux
delectatur in hoc quod intelligi. Et quia utrumque contraires sont intelligés selon qu’ils sont
contrariorum intelligitur secundum quod est intelligibles et une perfection de l’intellect, et
intelligibile et perfectio intellectus, nec aliquam qu’ils ne peuvent entraîner de blessure pour
laesionem intellectui afferre potest, sicut in sensu l’intellect, comme c’est le cas pour le sens, il n’y
accidit; ideo tali delectationi non est tristitia a donc pas de tristesse contraire à la délectation.
contraria. Alio modo delectatio intellectus dicitur D’une autre manière, on parle de délectation de
quantum ad subjectum, sed non quantum ad l’intellect par rapport à son sujet, mais non par
objectum: quia non delectatur per hoc quod rapport à son objet, car il ne se délecte pas du fait
intelligit, sed de aliquo delectabili apprehenso, qu’il intellige, mais de quelque chose de
quando scilicet intellectiva pars delectatur de délectable qu’il a perçu, alors que la partie
492

aliquo quod in ipsis rebus accidit consonum intellective se délecte d’une chose qui se trouve
voluntati; et sic haec delectatio non est de uno être en accord avec la volonté. Ainsi, cette
contrariorum secundum quod est in anima, délectation ne porte pas sur l’un des contraires
secundum quod non habet contrarium, quia selon qu’il existe dans l’âme et selon quoi il n’a
intentiones contrariorum in anima non sunt pas de contraire, car les intentions des contraires
contrariae, cum sint simul; sed secundum quod est dans l’âme ne sont pas contraires, puisqu’elles
in re, secundum quod habet contrarietatem; unde existent en même temps; mais selon qu’il existe
et tali delectationi rationis potest esse tristitia en réalité, selon quoi il comporte une contrariété.
contraria in parte intellectiva existens, sicut est in Aussi peut-il exister dans la partie intellective
Daemonibus, et animabus damnatorum. une tristesse contraire à une telle délectation de
la raison, comme c’est le cas chez les démons et
dans les âmes des damnés.
[9427] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 4 4. On dit qu’un homme est troublé lorsque la
Ad quartum dicendum quod homo dicitur passion atteint la raison pour modifier en elle son
perturbari, quando pervenit passio usque ad égalité, mais non lorsque l’expérience de la
rationem, immutans ipsam a sui aequabilitate; non douleur ou de la passion parvient jusqu’à la
autem quando pervenit experientia doloris vel raison.
passionis ad rationem.
[9428] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 5 5. La jouissance de la divinité et la joie qui en
Ad quintum dicendum, quod fruitio deitatis, et découle se trouvaient dans la partie supérieure de
gaudium consequens, erat in superiori parte la raison en rapport avec son objet; mais la
rationis in ordine ad suum objectum; dolor autem douleur ne parvenait pas jusqu’à la raison
non perveniebat ad superiorem rationem, ut supérieure, comme on l’a dit, si ce n’est selon
dictum est, nisi secundum quod fundatur in que celle-ci a son fondement dans l’essence de
essentia animae; sed in ratione inferiori et in l’âme. Mais il y avait de la tristesse et de la
sensualitate et in sensu erat tristitia et dolor, etiam douleur dans la raison inférieure, dans la
secundum comparationem ad objecta, inquantum sensualité et dans le sens, même par rapport à
secundum has potentias dolebat de poena leurs objets, dans la mesure où il souffrait selon
corporis, et aliis hujusmodi: qui tamen dolor erat ces puissances de la peine du corps et des autres
quodammodo materia gaudii fruitionis, inquantum choses du genre. Cependant, cette douleur était
gaudium illud se extendebat ad omnia illa quae matière à la joie de la jouissance (materia gaudii
apprehenduntur ut Deo placita. Et sic patet quod fruitionis), dans la mesure où cette joie s’étendait
dolor qui erat in anima Christi, nullo modo à tout ce qui était appréhendé comme agréable à
gaudium fruitionis impediebat, neque per modum Dieu. Il est ainsi clair que la douleur qui se
contrarietatis, neque per modum redundantiae. trouvait dans l’âme du Christ n’empêchait
Tristitia enim contrarium gaudium impedit, sicut aucunement la joie de la jouissance, ni par mode
quodlibet contrarium impeditur a suo contrario: de contrariété, ni par mode de rejaillissement. En
tristitia autem quae erat in anima Christi, nullo effet, la tristesse empêche la joie contraire,
modo gaudio fruitionis contraria erat: quod patet comme tout contraire empêche son contraire;
ex tribus. Primo, quia non inerat eidem secundum mais la tristesse qui se trouvait dans l’âme du
idem, sed vel in diversis potentiis erat, vel in Christ n’était aucunement contraire à la joie de la
eadem secundum diversam operationem; secundo, jouissance, ce qui ressort de trois manières.
quia non erat de eodem; tertio, quia unum erat Premièrement, parce qu’elle n’était pas en lui
materia alterius, sicut accidit in poenitente qui selon la même chose, mais se trouvait soit dans
dolet, et de dolore gaudet. Sed ulterius omnis d’autres puissances, soit dans la même selon une
tristitia, secundum philosophum in 7 Ethic., opération différente. Deuxièmement, parce
impedit omnem delectationem per quamdam qu’elle ne portait pas sur la même chose.
redundantiam, secundum quod nocumentum unius Troisièmement, parce qu’une chose était la
potentiae redundat in aliam. Talis autem matière de l’autre, comme chez le pénitent qui
redundantia, ut dictum est, non fuit in Christo, nisi est affligé et se réjouit de sa douleur. De plus,
493

quando ipse volebat; unde gaudium quod erat in selon le Philosophe, dans Éthique, VII, toute
superiori ratione per comparationem ad objectum, tristesse empêche toute délectation par un
non redundabat in vires inferiores, ut ab eis dolor rejaillissement, selon que la nuisance à une
et tristitia tollerentur; neque ulterius in corpus, ut puissance rejaillit sur une autre. Or, comme on
a laesione immune esset, nec per consequens in l’a dit, un tel rejaillissement n’existait pas chez
animam nec in potentias secundum quod in le Christ, si ce n’est lorsqu’il le voulait. Aussi la
essentia animae radicantur, prout laesio corporis joie qui se trouvant dans la raison supérieure par
ad essentiam animae et ad potentias in ea rapport à son objet ne rejaillissait-elle pas sur les
radicatas pertingit. puissances inférieures pour en enlever la douleur
et la tristesse, ni non plus sur le corps, pour qu’il
soit exempt de blessure, ni par conséquent sur
l’âme, ni sur ses puissances, selon qu’elles sont
enracinées dans l’essence de l’âme, dans la
mesure où la blessure du corps atteint l’essence
de l’âme et les puissances enracinées en elle.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9429] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 co. La grandeur de la douleur sensible du Christ peut
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod être envisagée sous trois aspects. Premièrement,
magnitudo doloris sensibilis Christi potest en raison de la nature même de la passion. Ainsi,
considerari ex tribus. Primo ex ipsa natura elle avait un caractère aigu, en raison de la
passionis; et sic habuit magnam acerbitatem: tum complexion de celui qui souffrait, qui était la
ex complexione patientis, quae erat plus équilibrée : son toucher était donc le
temperatissima; unde habebat optimum tactum, et meilleur et, par conséquent, il y avait en lui un
per consequens erat in eo vehemens sensus sensation aiguë de la blessure (en effet, la bonté
laesionis (bonitas enim tactus attestatur etiam du toucher est aussi attestée par la bonté de la
bonitati complexionis et bonitati mentis, ut dicitur complexion et la bonté de l’esprit, comme on le
in 2 de anima, text. 94): tum ex genere poenae, dit dans Sur l’âme, II, texte 94); en raison aussi
quia in locis maxime sensibilibus fuit laesus, du genre de la peine, car il fut blessé aux
scilicet in manibus et pedibus: tum etiam ex endroits le plus sensibles, les mains et les pieds;
multitudine passionum, quia per totum corpus en raison encore du grand nombre des blessures,
laesionem sustinuit. Secundo ex puritate doloris: car il a enduré des blessures sur tout le corps.
quia in aliis patientibus mitigatur dolor sensibilis Deuxièmement, en raison de la pureté de la
ex influxu superiorum virium in inferiores, douleur, car, chez les autres qui souffrent, la
propter contemplationem quae abstrahit inferiores douleur sensible est atténuée par l’influence des
vires aliqualiter a suis actibus, vel etiam propter puissances supérieures sur les puissances
complacentiam voluntatis ex amore ejus propter inférieures à cause de la contemplation qui
quod patitur. In Christo autem non fuit talis arrache dans une certaine mesure les puissances
habitudo potentiarum ad invicem, ut dictum est; inférieures à leurs actes ou même en raison de la
immo unicuique permittebatur agere quae propria volonté qui se complaît dans l’amour de ce pour
sibi erant, ut dicit Damascenus; et ideo dolor suus quoi on souffre. Mais, chez le Christ, un tel
fuit absque omni admixtione alicujus mitigantis. rapport des puissances entre elles n’existait pas,
Tertio ex voluntate patientis: quia enim voluntarie comme on l’a dit; bien plus, « il était permis à
patiebatur, ut satisfaceret pro peccato totius chaque [puissance] de faire ce qui lui était
humani generis, ideo dolorem excedentem omnes propre », comme le dit [Jean] Damascène. C’est
alios dolores assumpsit. Similiter etiam dolor pourquoi la douleur [du Christ] n’était pas
animalis, qui tristitia dicitur, qui erat in appetitu mélangée à quelque chose qui l’atténuait.
sensitivo, vel in ratione ut natura, ex his duobus Troisièmement, en raison de la volonté de celui
ultimis habebat magnitudinem; et tertio ex qui souffrait : en effet, parce qu’il souffrait
turpitudine mortis, et ex dilectione vitae volontairement afin de satisfaire pour le péché de
corporalis quae optima erat; et ex magnitudine tout le genre humain, il a assumé une douleur qui
494

eorum qui eum laedebant; et ex defectibus humani dépassait toutes les autres douleurs. De même
generis, quibus ex maxima caritate compatiebatur. aussi, la douleur de l’âme, qu’on appelle
tristesse, qui se trouvait dans l’appétit sensible
ou dans la raison comme nature, tirait son
ampleur des deux dernières choses. Et, en
troisième lieu, en raison du caractère honteux de
sa mort et de l’amour de la vie corporelle qui
était très grand, de la grandeur de ceux qui le
blessaient et des carences du genre humain, pour
lequel il avait de la compassion en vertu de la
plus grande charité.
[9430] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1 1. On peut trouver une souffrance d’un saint qui
Ad primum ergo dicendum, quod potest inveniri était plus douloureuse sous un aspect : par sa
passio alicujus sancti quae fuerit magis dolorosa durée ou par quelque chose du genre; mais non
quantum ad aliquid, vel quantum ad pas tout simplement, tout bien pesé.
diuturnitatem, vel aliquid hujusmodi; sed non
simpliciter, omnibus pensatis.
[9431] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2 2. Chez le Christ, la joie de la contemplation ne
Ad secundum dicendum, quod in Christo non rejaillissait pas sur le sens, comme cela se
refundebatur gaudium contemplationis in sensum, produit chez lez autres, ainsi qu’on l’a dit.
sicut in aliis accidit, ut dictum est.
[9432] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3 3. L’innocence de celui qui souffre diminue
Ad tertium dicendum, quod innocentia patientis effectivement la douleur quant à la quantité, car
minuit quidem dolorem secundum numerum, quia il ne souffre pas pour autant de choses que le
non dolet de tot, sicut peccator, qui dolet de poena pécheur, qui est affligé de la peine et de sa
et de laesa conscientia; sed addit dolorem conscience blessée; mais elle ajoute à la douleur
quantum ad intensionem poenae, per se loquendo, par l’intensité de la souffrance, à parler de soi, et
et inquantum apprehendit eam ut magis dans la mesure où il la perçoit davantage comme
indebitam. Sed pueri non affliguntur de carentia injuste. Mais les enfants ne sont pas affligés par
divinae visionis, quia non est carentia alicujus eis le défaut de vision divine, car ce n’est pas une
proportionati, ut in 2 Lib., dist. 33, qu. 2, art. 2, carence de quelque chose de proportionné [à la
dictum est, cum gratiam non habeant, nec ex eis nature], comme on l’a dit dans le livre II, d. 33,
fuit quod non habuerunt. q. 2, a. 2, puisqu’ils n’ont pas la grâce et que ce
n’est pas leur faute s’ils ne l’ont pas eue.
[9433] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 4 4. La récompense donne joie à la raison en tant
Ad quartum dicendum, quod recompensatio facit qu’elle est envisagée comme la raison qui perçoit
gaudium in ratione ut ratio considerata, quae ce mal en rapport avec un autre bien; et, en tant
apprehendit hoc malum in ordine ad aliud bonum; que sa joie se déverse sur les autres puissances,
et inquantum gaudium ejus refunditur in alias la douleur des autres puissances est atténuée.
vires, secundum hoc mitigatur dolor aliarum Mais, chez le Christ, tel n’a pas été le cas. Le
virium. In Christo autem hoc non fuit; et ideo non raisonnement n’est donc pas concluant.
sequitur.
[9434] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 5 5. De même que la joie du comprehensor
Ad quintum dicendum, quod sicut gaudium dépasse toute joie du viator, de même la douleur
comprehensoris superat omne gaudium viatoris; ou la tristesse du damné dépasse-t-elle toute
ita dolor vel tristitia damnati superat omnem douleur du viator. Puisque le Christ n’a assumé
dolorem viatoris; unde cum Christus non que la douleur du viator, la douleur du damné,
assumpserit nisi dolorem viatoris, dolor damnati, que ce soit celle de la peine du dam ou que ce
sive quem habet quantum ad poenam damni, sive soit celle de la peine du sens, est plus grande que
quem habet quantum ad poenam sensus, est major ne l’a été la douleur du Christ, car cette douleur
495

quam fuerit dolor Christi: quia ille dolor facit rend le damné misérable, ce qu’on ne peut dire
damnatum miserum, quod absit ut de Christo du Christ. Mais la douleur qu’un viator a de son
dicatur. Sed dolor quem habet aliquis viator de péché n’est pas aussi grande que la douleur du
peccato, non est tantus, quantus est dolor Christi: Christ, tant parce qu’elle est mitigée par
tum quia mitigatur ex spe veniae, tum quia non est l’espérance du pardon, que parce que parce que
tanta perceptibilitas dolentis, quamvis sit majus celui qui souffre n’a pas une aussi grande
bonum amissum. capacité de la percevoir, bien qu’il s’agisse de la
perte d’un plus grand bien.
[9435] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 6 6. Bien qu’ait existé chez le Christ une plus
Ad sextum dicendum, quod quamvis in Christo grande disposition à supporter que ce n’était le
fuerit major dispositio ad patiendum quam in cas chez Adam, il y avait cependant chez lui une
Adam fuisset, tamen in eo etiam fuit major sensus plus grande sensation de la blessure qu’il n’y en
laesionis quam in Adam fuisset, et ideo major aurait eu chez Adam. C’est pourquoi sa douleur
dolor. est plus grande.
[9436] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 7 7. Il faut donner ici la même réponse qu’au
Ad septimum dicendum sicut ad quintum. cinquième argument.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


15
[9437] Super Sent., lib. 3 d. 15 q. 2 a. 3 qc. 3
expos. Non sentit corpus, sed anima. Contra.
Sentire est conjuncti, secundum philosophum.
Ergo neque corporis neque animae, sed omnis.
Dicendum, quod eorum quae sunt conjuncti,
quaedam insunt toti ratione animae, ut sentire, et
hujusmodi; et haec attribuuntur animae eo modo
loquendi quo dicitur calor calefacere, quia est
principium calefaciendi: quaedam autem insunt
toti ratione corporis, ut dormire, et hujusmodi; et
haec attribuuntur corpori, et non animae.
Quaedam autem non per corpus, immo etiam sine
corpore sentit. Contra. In 1 de anima dicitur:
destructo corpore, anima non reminiscitur neque
amat; et est similis ratio de illis quae hic
inducuntur. Dicendum, quod amor, timor, et
hujusmodi, omnia aequivoce sumuntur:
quandoque enim nominant passionem proprie
dictam; et sic sunt in parte sensitiva; et ideo non
possunt esse sine corpore: quandoque autem
sumuntur pro actu voluntatis aliquid eligentis vel
repudiantis; et sic possunt esse sine corpore sicut
et voluntas. Suscepit nostram vetustatem; contra.
Simile non consumit suum simile. Ergo vetustas
vetustatem consumere non potuit. Dicendum,
quod duplex vetustas est; scilicet culpae, et
poenae, quae ad veterem hominem pertinent.
Vetustas ergo poenae non opponitur novitati
gratiae, immo materialiter se habet ad ipsam,
inquantum meritum consistit in poena decenter
tolerata; et ita vetustas poenae cum novitate
496

gratiae, opponitur vetustati culpae, et delet eam, et


per consequens vetustatem poenae quae ex
vetustate culpae causatur consumet in statu
gloriae; propter hoc simplex vetustas potuit delere
duplam, quod dupla vetustas non potuisset, quia
non habuisset novitatem adjunctam. Non enim
assumpsit ignorantiam. Contra. Damascenus:
naturam ignorantem et servilem accepit.
Praeterea, Leo Papa in Serm. 4 Epiphan.:
adoraverunt infantem in nullo ab aliis pueris
segregatum. Ergo ignorantem sicut alii.
Dicendum ad primum, quod ipsemet Damascenus
seipsum exponit: dicit enim naturam assumptam
ignorantem, si secundum intellectum separetur
assumptum ab assumente; idest, si consideretur
illa natura assumpta quasi non fuisset assumpta: et
tunc ignorans fuisset, sicut est in aliis hominibus.
Ad secundum dicendum, quod intelligitur
quantum ad corporalia, vel secundum
apparentiam. Numquid in eo essent defectus ?
Scilicet culpae: alias auctoritas non probaret
intentionem Magistri. Quos enim defectus habuit,
vel ad ostensionem verae humanitatis (...) vel ad
impletionem operis ad quod venerat (...) vel ab
immortalitatis desperatione erigendam spem
nostram (...) suscepit. Et videtur quod prima causa
non valeat: quia vera humanitas potuit esse sine
his defectibus, sicut fuit in primo statu, et erit in
ultimo. Item videtur quod nec secunda: quia opus
redemptionis, ad quod venerat, per mortem
implevit. Ergo non oportebat quod famem, sitim,
et alia hujusmodi assumeret. Item videtur quod
nec tertia: quia magis videtur desperationem
salutis inducere infirmitas ejus qui salvare
venerat. Ad primum ergo dicendum, quod veritas
humanitatis necessarium erat quod ostenderetur:
quia exigebatur ad redemptionem quod esset Deus
et homo: nec humanitas secundum statum primum
et ultimum erat nobis nota, sed secundum statum
secundum: et ideo oportuit quod assumeret
defectus qui nobis insunt secundum istum statum.
Ad secundum dicendum, quod alii defectus quos
assumpsit, fundantur super eamdem causam,
scilicet supra passibilitatem naturae: et ideo simul
cum defectibus quibus opus redemptionis
completum est illi assumpti fuerunt. Ad tertium
dicendum, quod infirmitas carnis desperationem
non inducit, propter divinitatis virtutem
adjunctam; sed magis spem erigit: quia sicut in
ipso, ita et in nobis infirmitas tolletur. Doles ergo,
497

domine Jesu, non tua, sed mea vulnera. Contra.


Etiam sua vulnera doluit; ut dictum est. Item
quaeritur, si sua et nostra vulnera doluit, quis
fuerit major dolor. Dicendum ad primum, quod
ratio ut ratio, non dolebat de suis vulneribus
propter bonum quod sequebatur: dolebat autem
sensualitas, et ratio considerata ut natura. Ad
secundum dicendum, quod non sunt unius rationis
dolor corporalis passionis Christi, et dolor
animalis, qui tristitia dicitur, secundum quem
nostris defectibus compatiebatur; et ideo non sunt
comparabiles. Si autem sumatur dolor passionis
animalis, tunc dicendum, quod fuit major dolor
compassionis quam passionis: quia caritas qua de
nostris malis dolebat, praeponderat aequalitati
complexionis suae, qua dolebat de passione sua:
et iterum pretiosior ei erat honor divinus, qui
laedebatur culpis nostris, quantum ex nobis erat,
quam sua vita corporalis: et etiam in hujus signum
illum dolorem sustinuit, ut istum tolleret. Aut
contristatur quis per passionem. Videtur quod in
Christo non fuit propassio. Matth. 7, dicit Glossa,
quod propassio est subitus motus cui non
consentitur. Hoc autem est veniale peccatum. Item
tristitia semper videtur esse passio, quia est in
genere passionis. Item videtur quod nunquam sit
passio, ut dicit Damascenus, sed passionis sensus.
Dicendum, quod passio importat immutationem
patientis. Non autem dicitur aliquis immutari
simpliciter, quando id quod est principale in ipso,
permanet immutatum: et ideo simpliciter
loquendo, quando ratio non immutatur a sui
aequalitate, vel aequitate, non dicitur passio, sed
propassio, quasi imperfecta passio: et hoc modo
fuit in Christo. Et ideo dicendum ad primum,
quod proprie loquendo, est immutatio inferioris
partis tantum; et quando talis immutatio in nobis
accidit, non praeordinatur a ratione: ideo Glossa
secundum statum potentiarum in nobis loquens,
dicit propassionem subitum motum. In Christo
autem aliter fuit, ut ex dictis patet. Nec tamen est
verum quod omnis subitus motus sensualitatis sit
peccatum veniale; sed tunc tantum quando est
tendens in illicitum, quod in Christo nullatenus
fuit. Ad secundum dicendum, quod dicitur non
esse passio, quia non est perfecta passio, quamvis
sit de genere passionis; sicut ea quae parva sunt,
quasi pro nihilo reputantur; sicut dicit
Damascenus, quod proprie passio est, quando
habet aliquam magnitudinem perceptibilem. Ad
498

tertium dicendum, quod Damascenus loquitur de


passionibus corporalibus, non animalibus.
Unigenitus Deus hominem verum secundum
similitudinem nostri hominis non deficiens a se
Deo assumpsit: in quo quamvis aut ictus
incideret, aut vulnus descenderet, aut nodi
concurrerent, aut suspensio elevaret, afferrent
quidem haec impetum passionis, non tamen
passionis dolorem inferrent. Verba haec Hilarii
videntur a Christo dolorem passionis et timorem
excludere: quae tripliciter solvuntur. Quidam
enim dicunt, Hilarium hoc retractasse: et hoc
dicebat Willelmus episcopus Parisiensis, quod
viderat epistolam retractationis, et fuerat sibi
scriptum a quodam qui eam legerat. Et hoc
videtur probabile ex his auctoritatibus quas in
littera Magister inducit: quarum una incipit, ibi:
interroga quid sit: alia est notula quae incipit ibi:
cum haec passionum genera; quibus expresse
dicit, humanitatem Christi his infirmitatibus
subjacuisse; quod tamen littera negat, ut videtur.
Alii dicunt, quod loquitur de Christo quantum ad
deitatem; quia disputat contra illos in his verbis
qui Dei filium creaturam dicebant. Sed huic non
consonant verba auctoritatis, quae faciunt
mentionem de Christi carne. Solutio autem
Magistri consistit in hoc quod simpliciter noluit
removere a Christo dolorem, sed tria quae sunt
circa dolorem. Primo dominium doloris; quod
patet ex hoc quod dicit: quam igitur infirmitatem
dominatam hujus corporis credis, cujus tantam
habuit natura virtutem ? Secundo meritum
doloris, quod patet ex hoc quod dicit: non tamen
vitiosa infirmitatis nostrae forma erat in corpore.
Tertio necessitatem doloris; quod patet ex hoc
quod dicit: videamus an ille ordo passionis
infirmitatem in domino doloris permittat intelligi.
Et secundum hoc solvuntur tria difficilia quae in
verbis ejus videntur esse. Primum est quod dicit:
poena in eo desaevit sine sensu poenae; et hoc
nominat supra naturam passionis, quae scilicet
sensum poenae infert, qui est dolor: quod non
potest intelligi de sensu exteriori, quia sic
poneretur corpus illud insensibile esse; sed oportet
quod intelligatur quantum ad sensum rationis, qui
non fuit immutatus per hujusmodi passiones a sua
aequalitate: et propter hoc dicitur, quod poena in
ipso dominium non habuit; vel etiam quod ipsum
verbum non est affectum hujusmodi passionibus
secundum secundam solutionem, ut videtur dicere
499

in notula affixa. Aliud difficile est quod dicit: non


habens naturam ad dolendum; et hoc dicitur, quia
non erat in natura illa ordo ad dolorem ex aliquo
merito peccati, sicut est in nobis: et per hunc
modum dixit supra, quod dominici corporis ista
est natura, ut feratur in undis; hoc enim non est
de natura corporis in se considerati, sed ex virtute
adjunctae divinitatis. Tertium difficile est quod
dicit: neque enim fieri potest ut timor ejus
significetur in verbis cujus fiducia contineatur in
factis; ubi videtur ab ipso excludere timorem, et
tristitiam consequenter. Sed vel hoc solvendum
est sicut in supra dicta auctoritate, scilicet quod
loquitur de timore prout est passio, et non prout
est propassio. Vel dicendum, quod excludit
necessitatem timoris. Habebat enim in ratione,
unde timorem et tristitiam a sensualitate
excluderet, si voluisset: quia, ut supra dictum est,
sensualitas nata est moveri ad tristitiam et
timorem, et ad opposita, non solum ex
apprehensione imaginationis, sed etiam ex
apprehensione rationis. Pati potuit, et passibilis
esse non potuit. Contra. Philosophus in Lib. de
Somn. et Vigil.: cujus est potentia, ejus est actus.
Ergo quod patitur, est passibile. Dicendum, quod
pati significat passionem per modum actus: unde
ad suppositum refertur, secundum quod
suppositum est cujuscumque naturae: et quia
passio inest sibi ratione humanae naturae, ideo
dicitur quod pati potuit. Passibile autem potentiam
significat ad patiendum ut informantem id de quo
dicitur: et quia verbum secundum se non
informatur potentia patiendi, ideo dicitur, quod
passibile esse non potuit, scilicet secundum se,
quamvis passibile fuerit ratione naturae
assumptae.

Distinctio 16 Distinction 16 – [Les carences dans la nature


humaine du Christ]

Quaestio 1 Question 1 – [Le caractère nécessaire de la


mort]
Prooemium Prologue
[9438] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé des carences que le Christ
determinavit Magister de defectibus quos Christus a assumées avec la nature [humaine], le Maître
cum natura assumpsit, hic inquirit per quem s’interroge ici sur la manière dont ces carences
modum illi defectus fuerunt in Christo, utrum existaient chez le Christ, à savoir, sur le caractère
scilicet in Christo fuerit necessitas patiendi vel nécessaire de sa souffrance ou de sa mort. Il y a
moriendi; et dividitur in duas partes: primo deux parties. Premièrement, il détermine de la
determinat quaestionem, ostendens quod Christus question en montrant que le Christ a assumé le
500

necessitatem moriendi assumpsit. Et quia caractère nécessaire de la mort. Et parce que le


necessitas moriendi ad secundum statum pertinet, caractère nécessaire de la mort appartient au
ideo gratia hujus, secundo ostendit quod Christus second état, celui de la grâce, il montre en
de singulis statibus aliquid accepit, ibi: et est hic second lieu que le Christ a assumé quelque chose
notandum. Circa primum tria facit: primo ponit de tous les états, à cet endroit : « Et il faut
dubitationem; secundo solvit, ibi: ad quod dici remarquer ici… » À propos du premier point, il
potest; tertio solutionem confirmat, ibi: unde fait trois choses. Premièrement, il soulève un
super epistolam ad Hebraeos auctoritas dicit et doute. Deuxièmement, il le résout, à cet endroit :
cetera. Hic oritur duplex quaestio: primo de « Sur cela, on peut dire… » Troisièmement, il
necessitate moriendi, quam Christus ex secundo confirme la solution, à cet endroit : « Aussi, à
statu assumpsit. Secundo de his quae Christus propos de l’épître au Hébreux, l’autorité dit,
habuit de ultimo statu. De immunitate enim etc… » Deux questions sont soulevées ici.
peccati, et de plenitudine gratiae, quae ad alios Premièrement, à propos du caractère nécessaire
status pertinet, supra dictum est. Circa primum de la mort, que le Christ a assumée en son
quaeruntur tria: 1 utrum necessitas moriendi sit second état. Deuxièmement, à propos de ce que
tantum ex peccato, vel etiam ex natura; 2 utrum in le Christ a possédé de l’état ultime. En effet, on a
Christo fuerit necessitas moriendi; 3 utrum illa parlé plus haut de l’exemption du péché et de la
necessitas fuerit sub voluntate humana. plénitude de la grâce, qui se rapportent aux
autres états. À propos du premier point, il pose
trois questions : 1 – La nécessité de mourir vient-
elle seulement du péché ou aussi de la nature ? 2
– Était-il nécessaire que le Christ meure ? 3 –
Cette nécessaité dépendait-elle de sa volonté
humaine ?

Articulus 1 [9439] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. Article 1 – La nécessité de mourir pour


1 tit. Utrum necessitas moriendi tantum sit homini l’homme vient-elle seulement du péché ?
ex peccato
[9440] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nécessité de mourir pour
primum sic proceditur. Videtur quod necessitas l’homme vienne seulement du péché. Rm 8, 10 :
moriendi sit tantum homini ex peccato. Rom. 8, Le corps est mort déjà en raison du péché, c’est-
10: corpus quidem mortuum est propter à-dire qu’il est soumis à la nécessité de mourir.
peccatum, id est necessitati mortis addictum. Donc…
Ergo.
[9441] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Pour la nature humaine, la mort a découlé de
Praeterea, in humana natura est mors consecuta la faute. Rm 5, 12 : La mort [est venue] du
culpam; Rom. 5, 12: per peccatum mors. Sed péché. Or, la nécessité du péché a été introduite
necessitas peccati inducta est homini per dans l’homme par le péché seulement. Donc
peccatum tantum. Ergo et necessitas moriendi. aussi, la nécessité de la mort.
[9442] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 3. La matière doit être par nature proportionnée à
Praeterea, materia debet esse secundum naturam la forme. Or, la forme du corps humain, l’âme
proportionata formae. Sed forma corporis humani, raisonnable, est incorruptible. Donc aussi, le
anima scilicet rationalis, est incorruptibilis. Ergo corps humain. La nécessité de mourir ne vient
et ipsum corpus humanum: ergo necessitas donc pas de la nature, mais du péché.
moriendi non est ex natura, sed ex peccato.
[9443] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Le corps humain est parvenu au plus haut
Praeterea, corpus humanum maxime ad point à l’égalité du mélange, comme l’enseignent
aequalitatem commixtionis pervenit, sicut les philosophes. Or, là où existe l’égalité du
philosophi tradunt. Sed ubi est aequalitas mélange, un contraire ne peut agir dans le sens
commixtionis, unum contrarium, cum non de la corruption de ce qui est mélangé, puisqu’il
501

praedominetur alteri, non potest agere ad ne l’emporte pas sur un autre. Le corps de
corruptionem mixti. Ergo corpus hominis per l’homme est donc incorruptible par nature. La
naturam est incorruptibile; et sic idem quod prius. conclusion est donc la même que précédemment.
[9444] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 5 5. La peine n’est donnée qu’en raison du péché.
Praeterea, poena non est inducta nisi propter Or, la mort et la nécessité de mourir sont une
peccatum. Sed mors et necessitas moriendi peine, car tout ce qui provoque la terreur a le
quaedam poena est: quia omne terribile poenale caractère de peine. Or, le terme de ce qui
est, finis autem terribilium mors, ut dicitur in 3 provoque la terreur est la mort, comme on le dit
Ethic. Ergo sunt tantum ex peccato. dans Éthique, III. [La mort et la nécessité de
mourir] viennent donc seulement du péché.
[9445] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] tout composé de contraires est
Sed contra, omne compositum ex contrariis est nécessairement destiné par nature à la
secundum naturam necessitatem habens ad corruption. Or, le corps humain est de cette sorte.
corruptionem. Sed corpus humanum est Il doit donc nécessairement mourir par nature.
hujusmodi. Ergo ex natura habet necessitatem
moriendi.
[9446] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Comme on le démontre dans Sur le ciel et le
Praeterea, sicut probatur in 1 Cael. et Mun., monde, I, ce qui est sujet à la génération est sujet
generabile naturaliter est corruptibile, et à la corruption et comporte la nécessité de la
corruptionis necessitatem habens. Sed corpus corruption. Or, le corps humain est engendré par
humanum est generatum per naturam. Ergo nature. Il doit donc par nature nécessairement se
naturaliter est necessitatem corruptionis habens. corrompre.
[9447] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Les éléments qui se trouvent dans le corps
Praeterea, elementa quae sunt in corpore humano, humain sont de la même espèce que les autres
sunt ejusdem speciei cum aliis elementorum parties des éléments. Or, les éléments qui entrent
partibus. Sed elementa in commixtionem aliorum dans la composition des autres corps sont
corporum venientia, sunt de necessitate naturellement corruptibles. Donc aussi, les
corruptibilia secundum naturam. Ergo et elementa éléments qui se trouvent dans le corps humain.
quae sunt in corpore humano. Sed corruptis Or, lorsque les composantes se corrompent, le
componentibus corrumpitur compositum. Ergo composé se corrompt. Le corps de l’homme doit
corpus hominis secundum naturam habet donc nécessairement mourir par nature.
necessitatem moriendi.
[9448] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 co. Réponse. La nécessité de mourir vient à
Respondeo dicendum, quod necessitas moriendi l’homme en partie de la nature et en partie du
partim homini est ex natura, partim ex peccato. Ex péché. De la nature, parce que le corps de
natura quidem, quia corpus hominis compositum l’homme est composé de contraires, qui sont
est ex contrariis, quae nata sunt agere et pati ad destinés à agir et à subir réciproquement, ce dont
invicem, ex quo accidit dissolutio compositi. Sed provient la dissolution du composé. Cependant,
tamen in statu innocentiae donum quoddam a Deo dans l’état d’innocence, existait dans l’âme un
gratis datum animae inerat, ut ipsa praeter modum don gratuit donné par Dieu, faisant en sorte que,
aliarum formarum, secundum modum suum vitam par-delà le mode des autres formes, il apporterait
indeficientem corpori largiretur, sicut ipsa au corps une vie durable selon son mode,
incorruptibilis est, et non secundum modum puisque [l’âme] est elle-même incorruptible, et
corporis corruptibilem, quamdiu ipsa manebat non selon le mode corruptible du corps, et cela,
Deo subdita, et corpus ei omnino subdebatur, nec aussi longtemps qu’elle demeurerait soumise à
aliqua dispositio in corpore accidere poterat quae Dieu et que le corps lui serait entièrement
vivificationem animae impediret. Sed propter soumis, et que ne pourrait survenir dans le corps
peccatum istud donum ablatum est; et ideo relicta une disposition qui empêcherait qu’il ne soit
est humana natura, ut dicit Dionysius in Eccl. vivifié par l’âme. Or, à cause de ce péché, ce don
Hier., in statu qui debetur ei ex natura suorum a été enlevé. Comme le dit Denys dans La
502

principiorum, secundum quod dictum est ei, Gen. hiérarchie ecclésiastique, la nature humaine a
3, 19: terra es, et in terram ibis. Et ideo post donc été laissée dans l’état qui lui était dû selon
peccatum, necessitas moriendi inest homini ex la nature de ses principes, selon qu’il lui a été dit,
peccato, sicut ex removente prohibens, quod erat Gn 3, 19 : Tu es terre, et tu retourneras à la
gratia innocentiae; ex natura autem materiae, sicut terre. C’est pourquoi, après le péché, la nécessité
ex eo quod per se necessitatem mortis inducit. de mourir existe pour l’homme en raison du
péché, comme si un empêchement était enlevé,
qui était la grâce de l’innocence; et en raison de
la nature de la matière, comme ce qui de soi
entraîne nécessairement la mort.
[9449] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. On dit cela pour autant que, par le péché, ce
primum ergo dicendum, quod hoc dicitur, qui empêchait la mort a été enlevé.
inquantum per peccatum prohibens mortem
remotum est.
[9450] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Le péché n’est pas dans l’homme en raison
secundum dicendum, quod peccatum non inest d’un de ses principes naturels, bien plus, il est
homini ex aliquo principiorum naturalium, immo contraire à la nature de la raison. Il n’en va donc
est contra naturam rationis; unde non est simile de pas de même pour le péché et pour la mort, qui
peccato et morte, quae ex principio materiali découle d’un principe matériel.
consequitur.
[9451] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. La matière doit être proportionnée à la forme,
tertium dicendum, quod materia debet esse non pas pour qu’elle ait les conditions de la
proportionata formae, non ut habeat conditiones forme, mais pour qu’elle soit disposée à recevoir
formae, sed ut sit disposita ad recipiendum la forme selon son mode. Si l’âme de l’homme
formam secundum modum suum: unde non est immortelle, il n’est donc pas nécessaire que
oportet si anima hominis est immortalis, quod le corps lui aussi soit immortel selon sa nature.
etiam corpus secundum naturam sit immortale.
[9452] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Il est impossible qu’un mélange parvienne à
quartum dicendum, quod impossibile est quod une telle égalité que l’un des contraires ne
complexio perveniat ad tantam aequalitatem, quin prédomine pas, car, autrement, il ne se ferait pas
alterum contrariorum praedominetur: quia alias de mélange si un élément dominant n’agissait
non fieret mixtio, nisi unum in alterum ageret pas sur un autre pour le ramener au milieu, alors
dominans ad medium reducendo, altero resistente; que l’autre résiste. Il est surtout nécessaire pour
et praecipue hoc oportet in corpore humano quod le corps humain que la chaleur l’emporte en
calor dominetur propter operationes animae, quae raison des opérations de l’âme, qui ont besoin de
indigent calore sicut instrumento, ut dicitur in 2 la chaleur comme d’un instrument, comme on le
de anima. dit dans Sur l’âme, II.
[9453] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. On dit que la mort ou la nécessité de mourir
quintum dicendum, quod mors, vel necessitas est une peine par comparaison avec l’état
moriendi, dicitur esse poena per comparationem d’innocence, où existait pour lui la possibilité de
ad statum innocentiae, in quo inerat ei posse non ne pas mourir. Cependant, si, au début de la
mori. Si tamen in principio conditionis naturae condition de la nature humaine, le don de la
humanae, dictum donum gratiae humanae naturae grâce en question n’avait pas été fait à la nature
non fuisset collatum, necessitas quidem moriendi humaine, la nécessité de mourir aurait existé,
fuisset, sed tamquam naturalis defectus, non mais comme une carence naturelle, et non
poena, ut supra probavit Magister ex verbis comme une peine, comme l’a montré plus haut le
Augustini in praecedenti distinctione. Et ideo, Maître par les paroles d’Augustin, dans la
quia philosophi illud donum non cognoverunt, distinction précédente. Parce que les philosophes
dixit Seneca, quod mors est hominis natura, non n’ont pas connu ce don, c’est pourquoi Sénèque
poena. a dit que la mort est la nature de l’homme, et non
503

une peine.

Articulus 2 [9454] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. Article 2 – Était-il nécessaire que le Christ
2 tit. Utrum in Christo fuit necessitas moriendi meure ?
[9455] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’il n’ait pas été nécessaire de
secundum sic proceditur. Videtur quod in Christo mourir pour le Christ. En effet, la nécessité
non fuerit necessitas moriendi. Necessitas enim comporte une coercition. Or, ce qui est au
coactionem importat. Sed quod est in potestate pouvoir de quelqu’un n’est pas forcé. Puisque le
alicujus constitutum non est coactum. Cum igitur Christ dit de lui-même, Jn 10, 18 : J’ai le
Christus de seipso dicat, Joan. 10, 18: potestatem pouvoir de déposer mon âme, il semble donc
habeo ponendi animam meam; non fuit in eo, ut qu’il n’existait pas en lui de nécessité de mourir.
videtur, necessitas moriendi.
[9456] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Le Christ est mort parce qu’il l’a voulu,
Praeterea, Christus mortuus est quia voluit, ut comme il est dit en Is 43. Or, il n’existait pas en
dicitur Isai. 43. Sed non fuit in eo necessitas lui de nécessité de vouloir. Donc, ni de nécessité
volendi. Ergo nec necessitas moriendi. de mourir.
[9457] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 3 3. La nécessité de mourir vient du péché. Rm 8 :
Praeterea, necessitas moriendi venit ex peccato. Le corps est mort en raison du péché. Glose :
Rom. 8: corpus quidem mortuum est propter « C’est-à dire qu’il a été soumis à la nécessité de
peccatum; Glossa: idest, necessitati mortis la mort. » Or, il n’y avait pas de péché chez le
addictum. Sed in Christo non fuit peccatum. Ergo Christ. Donc, ni de nécessité de mourir.
nec necessitas moriendi.
[9458] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Le Maître a dit plus haut, dans la distinction
Praeterea, supra dixit Magister, in praecedenti précédente, que Hilaire a écarté chez le Christ la
distinctione, quod Hilarius a Christo necessitatem nécessité de souffrir. Or, la mort découle de la
dolendi removit. Sed dolorem passionis secuta est douleur de la passion. Il n’y avait donc pas non
mors. Ergo nec in eo fuit necessitas moriendi. plus chez lui de nécessité de mourir.
[9459] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Ce qui est plus puissant ne souffre pas
Praeterea, potentius non de necessitate ab aliquo nécessairement de la part de ce qui est moins
minus potente patitur. Sed Christus fuit potentior puissant. Or, le Christ était plus puissant que
quolibet alio passionem vel mortem inducente. n’importe qui d’autre qui entraînait la souffrance
Ergo ipse non habuit necessitatem moriendi, vel ou la mort. Il n’y avait donc pas chez lui de
patiendi. nécessité de mourir ou de souffrir.
[9460] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] Rm 8, 3 dit : Dieu a envoyé son
Sed contra, Rom. 8, 3: Deus misit filium suum in Fils semblable à la chair de péché. Or, la
similitudinem carnis peccati. Sed conditio carnis condition de la « chair de péché » est qu’elle
peccati est quod habeat necessitatem moriendi, meurt nécessairement, ce qui n’est cependant pas
quae tamen peccatum non est. Ergo fuit in carne un péché. [La nécessité de mourir] ne se trouvait
Christi. donc pas dans la chair du Christ.
[9461] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] He 2 dit qu’il est devenu semblable à ses
Praeterea, Hebr. 2, dicitur, quod ipse in passione frères par la souffrance, c’est-à-dire aux autres
assimilatus est fratribus, idest aliis hominibus. Sed hommes. Or, la mère, de laquelle le Christ a
mater, de qua Christus carnem sumpsit, et alii assumé sa chair, et les autres hommes meurent et
homines habent necessitatem moriendi et patiendi. souffrent nécessairement. Une telle nécessité se
Ergo etiam in Christo talis necessitas fuit. trouvait donc aussi chez le Christ.
[9462] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] La nécessité de mourir ou de souffrir est une
Praeterea, necessitas moriendi vel patiendi est carence qui suit toute la nature humaine, et elle
defectus totam humanam naturam consequens, n’est pas une faute comportant une diminution
nec est culpa diminutionem gratiae importans, de la grâce, car elle est le fait du corps
quia est tantum ex parte corporis. Sed omnes tales seulement. Or, [le Christ] a assumé toutes ces
504

defectus assumpsit, ut supra, dictum est. Ergo carences, comme on l’a dit plus haut. Il a donc
assumpsit necessitatem moriendi. assumé la nécessité de mourir.
[9463] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 co. Réponse. Selon le Philosophe, être nécessaire
Respondeo dicendum, quod secundum est la même chose que ne pas être impossible
philosophum, necessarium idem est quod d’être; ainsi, la nécessité exclut la puissance à
impossibile non esse; unde necessitas excludit des choses opposées. Or, cette puissance pour
potentiam ad oppositum. Haec autem potentia ad des choses opposées est exclue de trois manières.
oppositum excluditur triplici ratione. Primo ex Premièrement, par le fait qu’une telle puissance
hoc quod talis potentia repugnat naturae illius rei, répugne à la nature de cette chose, comme la
sicut potentia deficiendi repugnat naturae divinae; puissance de cesser répugne à la nature divine.
et ideo dicimus Deum necessario aeternum: et C’est pourquoi nous disons que Dieu et
haec est necessitas absoluta. Secundo excluditur nécessairement éternel. Une telle nécessaité est
ex aliquo impediente; et sic est necessitas absolue. Deuxièmement, [cette puissance pour
coactionis. Tertio quia hoc cujus dicitur esse des choses opposées] est exclue par quelque
potentia, repugnat fini intento, sicut non curari chose qui l’empêche : il s’agit alors d’une
repugnat ei quod est sanari: unde dicimus, quod nécessité par coercition. Troisièmement, parce
non potest non curari, si debeat sanari: et haec est que ce dont on dit que c’est la puissance répugne
necessitas ex conditione finis. Necessitas autem à la fin visée, comme ne pas être soigné répugne
patiendi vel moriendi, dupliciter potest attribui au fait d’être guéri. Nous disons ainsi qu’il ne
Christo. Quia potest removere potentiam non peut pas ne pas être soigné, s’il doit être guéri.
moriendi a natura humana; et sic vere ei Cette nécessité vient de la condition de la fin. Or,
attribuitur: quia natura humana, quantum ad la nécessité de souffrir et de mourir peut être
statum suae passibilitatis, in quo statu Christus attribuée au Christ de deux manières. En effet,
eam assumpsit, non habet potentiam non elle peut enlever la puissance de ne pas mourir
moriendi; unde in Christo quantum ad humanam de la nature humaine : de cette manière, elle lui
naturam fuit necessitas moriendi. Item potest est attribuée avec vérité, car la nature humaine,
removere potentiam non moriendi a Christo pour ce qui est de son état de passibilité, dans
ratione personae; et sic ei falso attribuitur, quia lequel le Christ l’a assumée, n’a pas la puissance
virtus divinitatis Christi repellere poterat omne de ne pas mourir. Aussi la nécessité de mourir
inducens mortem vel passionem. Erat tamen in existait-elle chez le Christ pour ce qui est de sa
Christo necessitas patiendi, etiam ratione nature humaine. [La nécessité de souffrir et de
personae, ex conditione finis, scilicet si humanum mourir] peut aussi enlever au Christ la puissance
genus redimendo liberare vellet; et ideo quidam de ne pas mourir en raison de sa personne : elle
dicunt Christum habuisse necessitatem patiendi, est ainsi faussement attribuée au Christ, car la
attendentes naturam humanam; quidam vero puissance de la divinité du Christ pouvait enlever
dicunt non habuisse talem necessitatem, nisi ex tout ce qui entraîne la mort et la souffrance.
conditione finis, attendentes personam divinam. Cependant, il existait chez le Christ une nécessité
Sed quia mors inest Christo ratione humanae de souffrir, même en raison de sa personne, selon
naturae, ideo sicut simpliciter concedimus quod la condition de la fin, à savoir s’il voulait libérer
Christus mortuus est, ita similiter concedere le genre humain en le rachetant. C’est pourquoi
possumus simpliciter quod necessitatem moriendi certains disent que le Christ devait
habuit, non solum ex causa finali, sed etiam nécessairement souffrir, en prenant en compte sa
necessitatem absolutam, ut moreretur, etiam si nature humaine; mais d’autres disent qu’il ne le
non occideretur, ut quidam dicunt. Unde devait pas nécessairement, si ce n’est selon la
Augustinus: si non occisus fuisset, naturali morte condition de la fin, en prenant en compte sa
dissolutus fuisset; et idem opus redemptionis personne divine. Mais parce que la mort est
fuisset, quod per passionem fecit: et cum hoc présente chez le Christ en raison de sa nature
necessitatem coactionis habuit quantum ad humaine, de même que concédons simplement
mortem violentam quam sustinuit. qu’il était nécessaire qu’il meure, de même nous
pouvons concéder simplement qu’il lui était
505

nécessaire de mourir, non seulement en raison de


la cause finale, mais aussi par une nécessité
absolue, même s’il n’avait pas été tué, comme
certains le disent. Aussi Augustin dit-il : « S’il
n’avait pas été tué, il serait disparu de mort
naturelle. » Et l’œuvre de la rédemption aurait
été la même que celle qu’il a accomplie par la
passion. Il était ainsi nécessaire qu’il supporte
une nécessité de coercition quant à la mort
violente qu’il a supportée.
[9464] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Comme le dit le Maître plus loin, d. 21, le
primum ergo dicendum, quod, sicut infra, 21 dist.; Christ a dit cela du pouvoir de la divinité qui
dicit Magister, hoc Christus dixit de potestate in demeurait en lui.
se manentis divinitatis.
[9465] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Lorsqu’on dit que le Christ est mort parce
secundum dicendum, quod cum dicitur: Christus qu’il l’a voulu, « parce que » peut exprimer la
mortuus est, quia voluit, ly quia potest dicere cause, et cela, soit par rapport à la mort d’une
causam: et hoc vel respectu mortis absolute, et sic manière absolue – il faut alors le mettre en
referendum est ad voluntatem divinitatis; vel rapport avec la volonté de la divinité; soit par
respectu mortis violenter illatae, et sic potest rapport à la mort donnée de manière violente – et
referri ad voluntatem humanam, per quam ainsi, cela peut être mis en rapport avec la
voluntarie se obtulit persecutoribus. Potest etiam volonté humaine, par laquelle il s’est lui-même
dicere concomitantiam; et sic refertur etiam ad volontairement offert aux persécuteurs. [« Parce
voluntatem humanam, per quam mortem que »] peut aussi exprimer la concomitance : il
acceptavit: et hoc excludit necessitatem moriendi, est alors mis en rapport avec la volonté humaine
quia hoc idem accidit in Petro, et in aliis sanctis. par laquelle il a accepté la mort. Et cela exclut la
nécessité de mourir, car la même chose est
arrivée à Pierre et aux autres saints.
[9466] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. La nécessité de mourir ne vient pas à la nature
tertium dicendum, quod necessitas moriendi non humaine du péché seulement, mais elle aurait pu
solum venit in humanam naturam ex peccato, sed exister aussi dans la nature humaine d’une autre
etiam alias potuisset esse in humana natura, ut manière, comme on l’a dit plus haut. C’est
supra dictum est: et ideo Christus potuit hunc pourquoi le Christ a pu assumer sans péché cette
defectum assumere sine peccato, et alios carence et les autres de ce genre.
hujusmodi.
[9467] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Plus haut, le Maître a voulu exclure chez le
quartum dicendum, quod Magister voluit supra Christ la nécessité de souffrir en raison de sa
excludere a Christo necessitatem patiendi ratione personne.
personae.
[9468] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Le clou et la lance ont été plus puissants que le
quintum dicendum, quod corpore Christi fuit corps du Christ d’une certaine manière, pour
secundum quid potentior clavus et lancea: autant que le clou était dur, ce qui relève de sa
inquantum scilicet clavus fuit durus, quod pertinet puissance naturelle, et que la chair du Christ était
ad potentiam naturalem; et caro Christi mollis, tendre, ce qui relève de son impuissance
quod pertinet ad naturalem impotentiam, naturelle, selon le Philosophe dans Les
secundum philosophum in praedicamentis. prédicaments.
Articulus 3 [9469] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. Article 3 – La nécessité de mourir et de
3 tit. Utrum necessitas moriendi vel patiendi souffrir est-elle soumise chez le Christ à sa
subsit in Christo voluntati humanae volonté humaine ?
[9470] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la nécessité de souffrir et de
506

tertium sic proceditur. Videtur quod necessitas mourir ait été soumise chez le Christ à sa volonté
patiendi vel moriendi subfuerit in Christo humaine. En effet, rien ne suit une volonté
voluntati humanae. Nihil enim sequitur ad antécédente, que si cela est soumis à la volonté.
voluntatem praecedentem, nisi quod voluntati Or, [Jean] Damascène dit, dans le livre III de Sur
subest. Sed Damascenus dicit in 3 Lib. de fide, la foi, que ce qui était naturel chez le Christ
quod naturalia in Christo sequebantur ad suivait sa volonté. Si la nécessité de mourir était
voluntatem. Ergo si necessitas moriendi fuit in d’une certaine manière naturelle chez le Christ,
Christo aliquo modo naturalis, suberat voluntati elle était donc soumise à la volonté du Christ.
Christi.
[9471] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 2. De même que les puissances inférieures sont
Praeterea, sicut inferiores vires sunt sub ratione, soumises à la raison, de même le corps l’est-il à
ita corpus est sub anima. Sed inferiores vires in l’âme. Or, les puissances inférieures chez le
Christo obediebant et omnino subjiciebantur Christ obéissaient et étaient entièrement
voluntati rationis. Ergo et corpus quantum ad soumises à la volonté de la raison. Le corps aussi
omnia quae in ipso accidere poterant, subdebatur était donc soumis à la volonté de l’âme pour tout
voluntati animae. ce qui pouvait se produire en lui.
[9472] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Avicenne dit que la matière obéit davantage à
Praeterea, Avicenna dicit, quod animae alicujus l’âme d’un homme spirituel qu’aux agents
spiritualis viri magis obedit materia quam contraires dans la nature. Or, l’âme du Christ
contrariis agentibus in natura. Sed anima Christi était au plus haut point spirituelle. Puisque la
maxime fuit spiritualis. Ergo cum mors in corpore mort est survenue dans son corps par un agent
ejus acciderit ex aliquo agente contrario, videtur contraire, il semble donc que sa volonté humaine
quod voluntas ejus humana poterat repellere pouvait repousser la mort entraînée par ces
mortem in illis passionibus inductam. souffrances.
[9473] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Par sa volonté humaine, [le Christ] conférait à
Praeterea, ex voluntate sua humana per gratiam d’autres la santé en raison de la grâce de la santé,
sanitatis, quam abundantissime habuit, aliis qu’il possédait avec la plus grande abondance,
sanitatem conferebat, sicut Matth. 8, 3, dicit ainsi qu’il le dit au lépreux en Mt 8, 3 : Je le
leproso: volo; mundare. Sed non minus poterat in veux : sois purifié! Or, il n’avait pas moins de
corpus proprium quam in alienum. Ergo et poterat pouvoir sur son propre corps que sur un autre
secundum humanam suam voluntatem praeservare corps. Selon sa nature humaine, il pouvait donc
corpus a laesione et morte. préserver son corps de la blessure et de la mort.
[9474] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Une puissance plus grande existait dans l’âme
Praeterea, major virtus fuit in anima Christi quam du Christ que dans n’importe quelle créature. Or,
in qualibet alia creatura. Sed aliqua virtus une certaine puissance de la créature peut
creaturae potest praeservare corpus a morte, sicut préserver le corps de la mort, comme l’arbre de
lignum vitae. Ergo multo fortius poterat hoc vie. À bien plus forte raison, l’âme du Christ le
anima Christi. pouvait-elle donc.
[9475] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 6 6. Par la puissance de la contemplation, Moïse a
Praeterea, Moyses ex vi contemplationis divinae jeûné quarante jours, pendant lesquels il semble
jejunavit quadraginta diebus, quibus, ut videtur, que son corps était préservé de la destruction par
conservabatur corpus a consumptione ex virtute la puissance de l’âme. Or, chez le Christ, l’âme
animae. Sed in Christo fuit anima multo potentior était beaucoup plus puissante que chez Moïse,
quam in Moyse: quia amplioris gloriae prae car il a possédé une gloire plus grande que
Moyse habitus est, ut dicitur Heb. 3. Ergo ejus Moïse, comme il est dit dans He 3. Son âme
anima poterat conservare corpus immune ab omni pouvait donc garder son corps exempt de toute
corruptione. corruption.
[9476] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] le corps humain n’est
Sed contra, corpus humanum non praeservatur entièrement préservé de la mort que par la grâce
omnino a morte, nisi per gratiam innocentiae, de l’innocence, comme dans le premier état, ou
507

sicut in primo statu, vel per gloriam, sicut in par la gloire, dans l’état ultime. Or, Dieu seul
ultimo statu. Sed utrumque istorum dare solius peut donner ces deux choses. L’âme du Chrit ne
Dei est. Ergo anima Christi corpus suum non pouvait donc pas préserver son corps de la
poterat a corruptione praeservare; et ita necessitas corruption. Ainsi, la nécessité de mourir ne lui
moriendi sibi non subdebatur. était donc pas soumise.
[9477] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] Selon la nature, ce qui est corruptible ne peut
Praeterea, secundum naturam corruptibile non être rendu incorruptible. Or, l’âme du Christ
potest fieri incorruptibile. Sed anima Christi non n’avait pas pouvoir sur ce qui dépasse la nature.
poterat in ea quae sunt supra naturam. Ergo cum Puisque son corps était corruptible, [son âme] ne
corpus suum esset corruptibile, non poterat eam a pouvait donc pas le préserver de la corruption.
corruptione praeservare.
[9478] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] Faire des miracles est un signe de toute-
Praeterea, facere miracula est signum puissance. Or, l’âme du Christ n’avait pas la
omnipotentiae. Sed anima Christi non habuit toute-puissance. Elle ne pouvait donc pas par sa
omnipotentiam. Ergo non potuit propria virtute propre puissance faire un miracle. Or, qu’un
aliquod miraculum facere. Sed quod corpus corps corruptible ne soit pas corrompu est le plus
corruptibile non corrumpatur, est maximum grand des miracles. Cela n’était donc pas soumis
miraculum. Ergo hoc non subjacebat voluntati à la volonté de l’âme du Christ.
animae Christi.
[9479] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 co. Réponse. Il appartient à celui-là seul qui a établi
Respondeo dicendum, quod ejus solius est et ordonné la nature – ce que Dieu seul a fait - de
immutare legem et cursum naturae impositum, qui changer la loi et le cours imposés à la nature.
naturam instituit et ordinavit; quod solus Deus C’est pourquoi ni une puissance corporelle, ni
fecit: et ideo neque aliqua virtus corporalis, nec [une puissance] spirituelle, que ce soit celle de
spiritualis, aut animae aut Angeli, nec etiam l’âme ou de l’ange, ni même celle de l’âme de
animae Christi, potuit ad immutationem legis Christ n’avaient pouvoir sur le changement de la
naturae impositae divinitus, nisi per modum loi divinement imposée à la nature, si ce n’est
orationis aut intercessionis; et ideo hoc fuit pas mode de prière ou d’intercession. C’était
signum deitatis Christi, quod imperando signa donc un signe de la divinité du Christ qu’il
perficiebat, et non orando, sicut alii sancti. Et ideo
accomplissait des signes en commandant, et non
cum secundum legem et cursum naturae mors en priant, comme les autres saints. Puisque,
Christi corpus consequeretur, ut dictum est, et ut selon la loi et le cours de la nature, la mort
dicit Magister in littera; dicendum, quod découlerait du corps du Christ, comme on l’a dit,
necessitas moriendi in Christo non subdebatur et comme le dit le Maître dans le texte, il faut
voluntati ejus humanae, sed solum divinae, ut una donc dire que la nécessité de mourir chez le
opinio dicit. Christ n’était pas soumise à sa volonté humaine,
mais seulement à [sa volonté] divine, comme le
dit une opinion.
[9480] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. La parole de [Jean] Damascène doit s’entendre
primum ergo dicendum, quod verbum Damasceni de la volonté divine qui appartenant à cette
est intelligendum de voluntate divina, quae fuit personne.
illius personae.
[9481] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Les puissances sensibles obéissent
secundum dicendum, quod sensibiles vires natae naturellement à la raison, et plus parfaite sera la
sunt obedire rationi; et quanto ratio magis fuerit puissance de la raison, plus elles lui obéiront.
virtute perfecta, tanto magis sibi obediet. Et quia Parce que le Christ avait ainsi la puissance la
Christus perfectissimam virtutem habuit; ideo plus parfaite, les puissances de ce genre lui
hujusmodi vires omnino sibi subdebantur étaient entièrement soumises pour ce qui est de
quantum ad rationem. Sed vires naturales vel la raison. Mais les puissances naturelles, celles
animae vegetabilis, vel etiam corporis, non sunt de l’âme végétative et aussi celles du corps,
508

natae obedire rationi; et ideo non est similis ratio. n’obéissent pas naturellement à la raison. Le
raisonnement n’est donc pas le même.
[9482] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Avicenne affirme que le monde a été créé par
tertium dicendum, quod Avicenna ponit, quod Dieu par l’intermédiaire des anges. Il affirme
mundus factus est a Deo mediantibus Angelis; donc que la matière obéit à un esprit angélique
unde ponit quod spiritui angelico materia obedit au moindre signe et, par conséquent, à l’âme,
ad nutum, et per consequens animae inquantum pour autant qu’elle ressemble aux anges. Mais
Angelis assimilatur. Haec autem repugnant fidei, cela est contraire à la foi et aux affirmations des
et dictis aliorum philosophorum, qui dicunt, quod autres philosophes, qui disent que les anges ne
Angeli non possunt in haec inferiora effectum peuvent réaliser aucun effet sur ces réalités
aliquem nisi mediante motu caeli: quod etiam inférieures que par l’intermédiaire du
repugnat fidei quantum ad aliqua quae possunt mouvement du ciel, ce qui s’oppose aussi à la foi
Angeli facere utendo virtutibus rerum naturalium pour certaines choses que les anges peuvent
in movendo inferiora, ut patet ex 2 Lib. dist. 8, qu. accomplir en utilisant les puissances de choses
2, art. 5. Unde in hoc non est standum auctoritati naturelles pour mouvoir les choses inférieures,
Avicennae. comme cela ressort du livre II, d. 8, q. 2, a. 5.
Sur ce point, il ne faut donc pas s’appuyer sur
l’autorité d’Avicenne.
[9483] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Le Christ ne pouvait aussi accomplir les
quartum dicendum, quod Christus etiam miracula miracles de la santé en vertu de son humanité,
sanitatis non poterat facere virtute humanitatis, mais en vertu de la divinité qui lui est unie.
sed divinitatis sibi conjunctae.
[9484] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. L’arbre de vie ne pouvait pas conférer
quintum dicendum, quod lignum vitae non poterat l’immortalité à titre principal; mais il enlevait
immortalitatem conferre principaliter; sed quelque chose dont pouvait découler la
removebat quoddam ex quo sequitur corruptio, corruption, à savoir le caractère extérieur de la
scilicet extraneitatem a cibo assumpto, ut in 2 nourriture prise, comme on l’a dit dans le livre
Lib., dist. 19, dictum est. II, d. 19.
[9485] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 1 a. 3 ad 6 Ad 6. Bien que Moïse n’ait pas été affligé par son
sextum dicendum, quod quamvis Moyses non jeûne de quarante jours, parce que ses puissances
affligeretur ex jejunio quadraginta dierum, quia sensibles avaient été suspendues en raison de la
vires sensibiles suspensae erant propter contemplation de Dieu, la chaleur naturelle
contemplationem Dei; tamen calor naturalis agissait cependant et une déperdition se
agebat, et fiebat deperditio, quamvis non tanta; produisait, bien qu’elle ne fût pas aussi grande,
quia quando vires intellectivae vehementer car lorsque les puissances intellectuelles
contemplantur, etiam vires naturales in suis contemplent avec intensité, les actes des
actibus impediuntur. Vel si nulla fiebat puissances naturelles sont aussi empêchés. Ou
consumptio, hoc non fuit nisi virtute divina per bien, si aucune déperdition ne se produisait, cela
miraculum. n’était dû qu’à un miracle de la puissance divine.

Quaestio 2 Question 2 – [L’état de la gloire lors de la


transfiguration]
Prooemium Prologue
[9486] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 pr. Deinde On se demande ensuite si [le Christ] pouvait
quaeritur, utrum cum necessitate moriendi potuit avoir ce qui concerne l’état de la gloire en même
habere ea quae pertinent ad statum gloriae. Et temps que la nécessité de mourir. Parce qu’on a
quia supra dictum est de his quae pertinent ad parlé plus haut de ce qui concerne la gloire de
gloriam animae; ideo quaeritur de his quae l’âme, on s’interroge donc sur ce qui concerne
pertinent ad statum gloriae corporis, quam in l’état de la gloire du corps, qu’il a montrée lors
transfiguratione ostendit Matth. 17; et circa hoc de la tranfiguration, Mt 17. À ce propos deux
509

quaeruntur duo: 1 utrum illa claritas fuerit vera questions sont posées : 1 – Cet éclat était-il vrai
vel imaginaria; 2 utrum fuerit gloriosa. ou imaginaire ? 2 – Cet éclat était-il celui de la
gloire ?

Articulus 1 [9487] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. Article 1 – L’éclat qui émanait du corps du
1 tit. Utrum claritas quae fuit in Christi corpore in Christ lors de la transfiguration était-il vrai
transfiguratione, fuerit vera, et utrum fuerit ou était-il imaginaire ?
imaginaria
[9488] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que cet éclat n’était pas vrai. En
primum sic proceditur. Videtur quod illa claritas effet, on dit qu’une chose est transfigurée en
non fuerit vera. In illud enim dicitur aliquid quelque chose qui n’est pas en elle selon la vérité
transfigurari quod non secundum veritatem ei de la chose, comme il est dit en 2 Co 11, que
inest, sicut dicitur 2 Corinth. 11, quod Angelus l’ange de Satan se transfigure en ange de
Satanae transfigurat se in Angelum lucis. Sed lumière. Or, on dit que le Christ a été transfiguré
Christus dicitur transfiguratus, secundum quod parce qu’il a montré cet éclat, comme cela
illam claritatem demonstravit, ut patet Matth. 17. ressort de Mt 17. Cet éclat n’était donc pas
Ergo claritas illa non secundum veritatem ei véritablement présent en lui.
inerat.
[9489] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Lc 9 : Ils ne goûteront pas la mort avant que
Praeterea, Luc. 9: non gustabunt mortem nisi ne vienne le règne de Dieu. Glose de Bède :
videant regnum Dei. Glossa Bedae: idest « C’est-à-dire la glorification du corps selon une
glorificationem corporis in imaginaria représentation imaginaire de la béatitude
repraesentatione futurae beatitudinis. Sed quod future. » Or, ce qui est imaginaire n’est pas vrai.
est imaginarium, non est verum. Ergo illa claritas Cet éclat n’était donc pas véritablement présent
non secundum veritatem ei inerat. en lui.
[9490] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 3 3. Il est impossible que le même corps soit en
Praeterea, impossibile est quod idem corpus sit même temps opaque et lumineux. Or, selon la
simul opacum et lucidum. Sed secundum vérité de la chose, le corps du Christ était
veritatem rei corpus. Christi opacum erat. Ergo opaque. La clarté n’était donc pas présente en lui
claritas non inerat ei secundum rei veritatem. selon la vérité de la chose.
[9491] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 4 4. L’éclat sensible corrompt la vue au plus haut
Praeterea, claritas sensibilis maxime corrumpit point. Or, cet éclat était le plus grand, car, à
visum. Sed claritas illa fuit maxima: quia super propos de Mt 17 : Son visage replendissait
illud Matth. 17: resplenduit facies ejus sicut sol, comme le soleil, une glose de Jérôme dit : « Dieu
dicit Glossa Hieronymi: Deus non potest in hac ne peut pas faire en cette vie quelque chose
vita tam clarum quid facere. Cum ergo oculi d’aussi éclatant. » Puisque les yeux des apôtres
apostolorum non fuerint laesi in visione illius n’ont pas été blessés par la vision de cet éclat,
claritatis, non fuit illa claritas sensibilis, sed cet éclat n’était donc pas sensible, mais
solum imaginaria. seulement imaginaire.
[9492] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Les témoins de la transfiguration se
Praeterea, testes transfigurationis transfigurationi conforment à la transfiguration. Or, à propos de
conformantur. Sed super illud Lucae 9: Lc 9 : Moîse et Élie apparurent, la Glose dit :
apparuerunt Moyses et Elias, dicit Glossa: « Il faut savoir que ce ne sont pas les corps, mais
sciendum est, non corpora vel animas Moysi et les âmes de Moïse et d’Élie qui sont apparues,
Eliae ibi apparuisse; sed ex subjecta creatura illa mais que ces corps ont été formés par une
corpora fuisse formata. Potest etiam credi ut créature sous-jacente. » On peut aussi croire que
angelico ministerio hoc factum esset, ut Angeli le fait que des anges ont assumé leurs personnes
eorum personas assumerent. Ergo nec ipsa claritas a été accompli par le ministère angélique. L’éclat
secundum quam fuit facta transfiguratio, fuit vera, même par lequel la transfiguration a été réalisée
sed imaginaria. ne fut donc pas non plus vrai, mais imaginaire.
510

[9493] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin dit, et on l’a vu plus
Sed contra, Augustinus dicit, et supra habitum est, haut, à la distinction précédente, que « si une
dist. praeced., quod si unum eorum quae seule chose qui est dite dans l’évangile à propos
Evangelium de Christo dicit, verum non fuit, nec du Christ n’était pas vraie, il ne faut pas dire non
alia oportet dicere vera fuisse. Si ergo non fuit plus que les autres étaient vraies ». Si donc ce
vera claritas, cum Evangelium hoc dicat, n’était pas un éclat véritable, puisque l’évangile
relinquitur quod non vere comederit, nec vere le dit, il reste qu’il n’a pas mangé vraiment et
passus sit; quod est haereticum. qu’il n’a pas vraiment souffert, ce qui est
hérétique.
[9494] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] Dans les actions de la Vérité, il ne faut pas
Praeterea, in operibus veritatis non est credendum croire que quelque chose de faux et qui relève de
aliquid false et praestigiose factum. Sed si illa l’artifice ait été accompli. Or, si cet éclat n’était
claritas non fuisset vera, fuisset quoddam pas vrai, il y eut un artifice qui trompait les yeux.
praestigium illudens oculos. Ergo nullo modo hoc Il ne faut donc dire cela d’aucune manière.
dicendum est.
[9496] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 co. Répondre. Cet éclat était sensible, selon la
Respondeo dicendum, quod claritas illa fuit vérité qui existait dans le corps du Christ, afin de
sensibilis, secundum veritatem in corpore Christi montrer l’éclat qu’il avait promis chez les saints
existens, ad ostensionem claritatis quam après la résurrection à venir, en disant : Ils
promiserat in sanctis post resurrectionem futuram, brilleront comme le soleil dans le royaume de
dicens: fulgebunt justi tamquam sol in regno leur Père, Mt 13, 43.
patris eorum; Matth. 13, 43.
[9497] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. On parle de figure de deux manières. D’une
primum ergo dicendum, quod figura dupliciter manière, on parle de la qualité résultant de
dicitur. Uno modo dicitur qualitas resultans ex délimitation de la quantité. On ne dit pas que le
terminatione quantitatis; et sic non dicitur Christ a été ainsi transfiguré, car ces
Christus transfiguratus, quia eadem lineamenta délimitations du corps existaient chez lui. Et
corporis in ipso erant. Et quia figura alicujus rei parce qu’on dit que la figure d’une chose est le
signum ipsius ponitur, sicut patet de imaginibus, signe d’une chose, comme cela ressort pour les
quae praecipue fiunt secundum repraesentationem images, qui sont faites principalemenet selon la
figurae; inde translatum est nomen figurae ut représentation de la figure, le nom de « figure » a
ponatur pro quodlibet signo, quod instituitur ad été transposé pour désigner un signe établi pour
aliquid significandum, secundum assimilationem signifier quelque chose en raison de sa
ad aliud. Hoc autem potest fieri et de eo quod est ressemblance avec une autre chose. Or, cela peut
in rei veritate, sicut una res est imago vel figura être fait soit en raison de ce qui existe dans la
alterius, et de eo quod est in imaginatione tantum. vérité de la chose, comme une chose est l’image
Dicitur autem Christus figuratus quia claritatem ou la figure d’une autre, soit [en raison] de ce qui
sibi veraciter inhaerentem assumpsit ad tempus, in existe dans l’imagination seulement. Or, on dit
figuram futurae claritatis quae erit in sanctis. que le Christ a été transfiguré parce qu’il a
véritablement assumé pour un temps la clarté qui
se trouve en lui et qui existera chez les saints.
[9498] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Bède appelle imaginaire, non pas seulement ce
secundum dicendum, quod Beda dicit qui n’existe que dans l’imagination, mais ce qui
imaginarium non quod est tantum in est l’image et la figure d’autre chose.
imaginatione, sed quod est imago et figura
alterius.
[9499] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Il n’est pas inapproprié que ce qui est en soi
tertium dicendum, quod non est inconveniens id opaque à l’intérieur ait de l’éclat en surface ou
quod est in se opacum in intrinsecis, habere en extension, comme le cuivre poli; ou par
claritatem in superficie, vel extensione, sicut aes quelque chose d’extrinsèque qui y est ajouté,
511

politum; vel ex aliquo extrinseco superinducto, comme par le reflet du soleil ou de quelque
sicut ex reverberatione solis, vel alicujus chose de ce genre. L’éclat se trouvait ainsi chez
hujusmodi: et sic fuit claritas in Christo, non le Christ, non pas comme le reflet d’un corps très
quidem superinducta ex aliquo corpore brillant, mais par Dieu d’une manière
superlucenti, sed miraculose ab ipso Deo. miraculeuse.
[9500] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Cet éclat était semblable à l’éclat du corps
quartum dicendum, quod claritas illa erat similis glorieux, qui ne corrompt pas la vue, mais la
gloriosi corporis claritati, quae visum non charme. Aussi Ap 21 le compare-t-elle à l’éclat
corrumpit, sed demulcet. Unde Apoc. 21, du jaspe, qui charme la vue et la délecte. Cela se
comparatur claritati jaspidis, quae visum produit parce qu’il est d’un autre genre que cet
demulcet, et delectat. Et hoc quidem contingit, éclat naturel. En effet, il provient de l’éclat
quia est alterius generis quam ista claritas spirituel de l’âme, qui ne corrompt pas la
naturalis: provenit enim ex claritate spirituali proportion qui existe entre l’œil et la puissance
animae, quae quidem non corrumpit proportionem de l’âme, mais la renforce plutôt. C’est pourquoi
oculi ad vim animae, sed magis confortat. Unde ce que dit Jérôme, que Dieu ne pourrait en cette
hoc quod dicit Hieronymus, quod Deus non posset vie faire quelque chose d’aussi éclatant, doit
in hac vita tam clarum quid facere, intelligendum s’entendre au sens où on a dit que l’éclat de cette
est ideo dictum esse, quia claritas hujus vitae, vie, c’est-à-dire naturel, ne peut être comparé à
scilicet naturalis, non est proportionabilis claritati l’éclat de la patrie, mais relève d’un autre genre.
patriae, sed alterius generis existens.
[9501] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. Cette glose a été soulignée par les maîtres. Il
quintum dicendum, quod illa Glossa punctata est a faut donc dire que les deux sont vraiment
magistris; unde dicendum, quod uterque illorum apparus, mais Élie, dans son âme et dans son
vere ibi apparuit; sed Elias in anima et corpore, corps, alors que Moïse l’a été dans son âme
Moyses autem in anima tantum; quae apparere seulement, qui pouvait apparaître soit dans un
potuit vel per aliquod corpus assumptum, sicut corps assumé, comme apparaissent les anges,
Angeli apparent, vel quia est potens, maxime Deo soit parce que, sur l’ordre de Dieu, il pouvait
ordinante, facere aliquam in oculis speciem, illum faire apparaître dans les yeux une image
hominem cujus est anima, repraesentantem. représentant l’homme dont c’était l’âme.

Articulus 2 [9502] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. Article 2 – Cet éclat était-il celui de la gloire ?
2 tit. Utrum claritas illa fuerit gloriosa
[9503] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que cet éclat n’était pas celui de la
secundum sic proceditur. Videtur quod claritas gloire. À propos de Mt 17 : Il fut transfiguré,
illa non fuit gloriosa. Matth. 17 super illud: etc., une glose de Bède dit : « Dans son corps
transfiguratus est et cetera. Glossa Bedae dicit: in mortel, il montre non pas l’immortalité, mais un
corpore mortali ostendit non immortalitatem, sed éclat semblable à l’immortalité future. » Or,
claritatem similem futurae immortalitati. Sed l’éclat de la gloire est l’éclat de l’immortalité.
claritas gloriosa est claritas immortalitatis. Ergo Cet éclat ne fut donc pas celui de la gloire.
illa claritas non fuit gloriosa.
[9504] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Le même ne peut pas être sujet de la peine et
Praeterea, idem non potest esse subjectum de la gloire. Or, le corps du Christ était sujet à
poenalitatis et gloriae. Sed corpus Christi erat des peines. Il ne pouvait donc pas y avoir en lui
subjectum poenalitatibus. Ergo non poterat in eo d’éclat glorieux.
esse claritas gloriosa.
[9505] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 3 Si 3. Cet éclat rejaillissait depuis la gloire de l’âme.
dicatur, quod claritas illa redundabat ex gloria Par contre, 2 Co 3, l’éclat du visage de Moïse
animae; contra, 2 Corinth. 3, tanta erat claritas in était tel qu’il ne pouvait être regardé sans être
facie Moysi, quod non poterat inspici nisi voilé. Et à propos de Mt 1 : Il ne la connut pas
velaretur; et Matth. 1, super illud: non jusqu’à ce qu’elle eut enfanté, la Glose dit :
512

cognoscebat eam donec peperit, dicit Glossa: « Joseph ne pouvait regarder Marie face à face,
Joseph Mariam facie ad faciem videre non elle que l’Esprit Saint avait remplie. » Or, Marie
poterat, quam spiritus sanctus repleverat. Sed et Moïse n’avaient pas une âme glorifiée. Il n’est
Maria et Moyses non habebant animam donc pas vrai que cet éclat provenait de la
glorificatam. Ergo non est verum quod illa claritas glorification de l’âme.
ex glorificatione animae processit.
[9506] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Le corps glorieux n’est pas seulement éclatant,
Praeterea, proprietas corporis gloriosi non solum mais aussi agile, impassible et subtil. Si donc il
est claritas, sed etiam agilitas et impassibilitas et avait assumé l’éclat qui est une propriété du
subtilitas. Si igitur claritatem assumpsisset, quae corps glorieux, il aurait dû aussi assumer les
est gloriosi corporis proprietas, debuisset etiam autres propriétés.
alias proprietates assumere.
[9507] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 5 5. L’éclat de la gloire n’est pas vu pas un œil non
Praeterea, claritas gloriosa non videtur ab oculo glorifié. Or, les yeux des apôtres, qui ont vu
non glorificato. Sed oculi apostolorum, qui l’éclat du Christ, n’étaient pas glorifiés. Cet éclat
viderunt Christi claritatem, non erant glorificati. n’était donc pas l’éclat de la gloire.
Ergo illa claritas non fuit gloriosa.
[9508] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 6 6. L’éclat de la gloire n’est pas naturel au corps.
Praeterea, claritas gloriosa non est corpori Or, cet éclat était naturel au corps du Christ, ce
naturalis. Sed claritas illa fuit corpori Christi qui ressort des paroles d’Hilaire déjà invoquées,
naturalis; quod patet per verba Hilarii lorsqu’il dit : « Si la nature du corps du Christ est
superinducta, ubi dicit: si domini corporis solum telle que, par sa puissance, il est porté par ce qui
ista natura sit ut sua virtute feratur in humidis, et est humide, se dépose sur ce qui est liquide et
sistat in liquidis, et extructa transcurrat: quid per traverse ce qui est construit, que penserons-nous
naturam humani corporis carnem ex spiritu de la chair conçue du Saint-Esprit selon la nature
sancto conceptam judicamus ? Et Glossa, Matth. du corps humain ? » Et la Glose dit, à propos de
17, dicit: speciem quam habebat per naturam Mt 17 : « Il montre l’aspect qu’il avait par
ostendit, non amittens carnem, quam assumpserat nature, sans écarter la chair qu’il avait
voluntate. Ergo claritas illa non fuit gloriosa. volontairement assumée. » Cet éclat n’était donc
pas celui de la gloire.
[9509] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 arg. 7 7. Cet éclat ne se trouvait pas seulement dans le
Praeterea, claritas illa non solum fuit in corpore corps du Christ, mais aussi dans ses vétements,
Christi, sed etiam in vestibus ejus, ut patet ex comme cela ressort du texte de l’évangile. Or, il
textu Evangelii. Sed in vestimentis non potest esse ne peut y avoir d’éclat de la gloire dans les
gloriosa claritas. Ergo nec in corpore Christi tunc vêtements. Il n’y en avait donc pas non plus dans
fuit. le corps du Christ.
[9510] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] à propos de Ph 3 : Configuré au
Sed contra, Philip. 3, super illud: configuratum corps de gloire, la Glose dit : « Nous serons
corpori claritatis, dicit Glossa: assimilabimur rendus semblables à l’éclat qu’il eut lors de la
claritati quam habuit in transfiguratione. Sed transfiguration. » Or, nous serons rendus
assimilabimur claritati gloriosae. Ergo tunc habuit semblables à l’éclat de la gloire. Il a donc eu
claritatem gloriosam. l’éclat de la gloire.
[9511] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] À propos de Mt 17, la Glose dit qu’il est
Praeterea, Matth. 17, dicit Glossa, quod apparuit apparu dans la gloire qu’il aura, une fois que le
in ea claritate quam habebit, peracto judicio. Sed jugement aura eu lieu. Or, il aura alors l’éclat de
tunc habebit claritatem gloriae. Ergo et in ea tunc la gloire. Il est donc alors apparu dans cet éclat.
apparuit.
[9512] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] L’éclat qui n’est pas celui de la gloire ne
Praeterea, claritas non gloriosa non ostendit montre pas la glorie de la résurrection. Or, le
gloriam resurrectionis. Sed ad hoc Christus Christ a été transfiguré afin de montrer la gloire
513

transfiguratus est ut gloriam resurrectionis de la résurrection, comme on l’a dit. C’était donc
ostenderet, ut dictum est. Ergo erat claritas l’éclat de la gloire.
gloriosa.
[9513] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 co. Réponse. Hugues de Saint-Victor dit que le
Respondeo dicendum, quod Hugo de sancto Christ a assumé toutes les propriétés ou dots du
Victore dicit, quod Christus assumpsit omnes corps glorifié, alors qu’il avait encore un corps
proprietates seu dotes corporis glorificati adhuc passible, bien que, chez les Christ, elles n’aient
corpus passibile gerens, quamvis in Christo non pas eu le caractère de dot. Ainsi, [il a assumé] la
proprie habebant rationem dotis; sicut subtilitatem subtilité lors de la nativité, lorsqu’il est sorti du
in nativitate, quando egressus est de utero sein virginal, les portes de la pudeur demeurant
virginali, claustris pudoris manentibus clausis; closes; [il a assumé] l’agilité lorsqu’il a marché
agilitatem autem, quando super undas maris sur les eaux de la mer; mais [il a assumé] l’éclat
ambulavit; claritatem autem in transfiguratione; dans la transfiguration; et [il a assumé]
impassibilitatem in coena, quando corpus suum ad l’impassibilité lors de la cène, lorsqu’il a donné
edendum discipulis sine hoc quod divideretur aux disciples son corps à manger, sans qu’il soit
dedit. Et hoc quidem non potest intelligi quantum divisé. Et cela ne peut s’entendre des qualités
ad ipsas qualitates sive habitus gloriosi corporis, mêmes ou habitus du corps glorieux, car elles
quia contrariantur conditionibus et proprietatibus sont contraires aux conditions et propriétés du
corporis passibilis. Christus autem semper ante corps passible. Or, le Christ a toujours eu un
resurrectionem corpus passibile habuit. Nec hoc corps passible avant la résurrection. Et le fait que
quod corpus ejus a discipulis edentibus non son corps n’était pas divisé entre les disciples qui
dividebatur, fuit propter impassibilitatem; sed mangeaient n’était pas dû à l’impassibilité, mais
quia non in propria specie comedebatur, sed in au fait qu’il n’était pas mangé selon sa propre
specie panis in qua fiebat fractio. Unde cum espèce, mais sous l’espèce du pain qui était
contraria non sint simul in eodem, non poterat rompu. Puisque les contraires n’existent pas dans
tunc habere qualitates corporis gloriosi; sed actus la même chose, il ne pouvait donc pas avoir là
illarum proprietatum fuerunt in eo non quidem les qualités du corps glorieux. Mais les actes de
procedentes ex aliquo inhaerente, sed ces propriétés existaient en lui, non pas comme
supernaturaliter divino miraculo, ut dicit s’ils provenaient de quelque chose d’inhérent,
Dionysius in epistola 4 ad Cajum: super hominem mais de manière surnaturelle par un miracle
operatur ea quae sunt hominis: et hoc monstrat divin, comme le dit Denys, dans sa quatrième
virgo supernaturaliter concipiens, et aqua lettre à Caïus : « Il accomplit par-delà l’homme
instabilis materialium et terrenorum pedum ce qui est propre à l’homme, et la Vierge le
sustinens gravitatem. Dicendum ergo, quod ille montre en concevant surnaturellement, ainsi que
fulgor non fuit proveniens ex aliqua proprietate l’eau instable soutenant le poids de pieds
corporis gloriosi existente in corpore Christi, sed matériels et terrestres. » Il faut donc dire que ce
fuit miraculose et divinitus inductus in corpore resplendissement ne provenait pas d’une
Christi. Fuit tamen ille fulgor ejusdem generis propriété du corps glorieux existant dans le corps
cum fulgore corporum glorificatorum, non tamen du Christ, mais il fut miraculeusement et
ita perfectus; sicut caritas viae assimilatur caritati divinement introduit dans le corps du Christ.
patriae. In Moyse autem fuit claritas similis Cependant, ce resplendissement était du même
claritati patriae sicut fides visioni, non ejusdem genre que le resplendissement des corps
generis; et ideo aspectum intuentium offendebat; glorifiés, mais pas aussi parfait, comme la
quod non fuit de claritate Christi. Et hujus ratio charité du cheminement ressemble à la charité de
est, quia anima Christi glorificata erat, non autem la patrie. Mais, chez Moïse, existait un éclat
anima Moysi; unde et corpori ejus poterat semblable à l’éclat de la patrie comme la foi l’est
convenienter attribui claritas gloriosa; non autem à la vision, mais qui n’était pas du même genre.
corpori Moysi, ne prius esset gloria in corpore Aussi offensait-il le regard de ceux qui
quam in anima. regardaient, ce qui n’était pas le cas de l’éclat du
Christ. La raison en est que l’âme du Christ avait
514

été glorifiée, mais non l’âme de Moïse. Aussi


l’éclat de la gloire pouvait-il être
convenablement attribué à son corps, mais non
au corps de Moïse, de sorte que la gloire ne se
trouve pas d’abord dans le corps avant de l’être
dans l’âme.
[9514] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. On peut conclure de cette glose que l’habitus
primum ergo dicendum, quod ex Glossa ista de l’éclat n’était pas le même que celui des corps
habetur, quod non fuerit habitus claritatis sicut in immortels, mais qu’il était un acte de
corporibus immortalibus, sed fuit actus splendoris resplendissement semblable en raison d’un
similis ex divino miraculo. miracle divin.
[9515] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 2 Per 2. La réponse au deuxième argument est ainsi
quod patet etiam solutio ad secundum. claire.
[9516] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. Il ne pouvait se faire que l’éclat soit dans le
tertium dicendum, quod non potest esse quod corps en raison de la gloire de l’âme, car l’âme
claritas fuerit in corpore ex gloria animae: quia du Christ, qui est la forme du corps, était encore
anima Christi adhuc erat passibilis ex illo passible sous cet aspect. Aussi ne communiquait-
respectu, quod est forma corporis: unde gloriam in elle pas la gloire au corps, comme on l’a dit.
corpus non transfundebat, ut dictum est.
[9517] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Le Christ manifeste aussi l’acte des autres
quartum dicendum, quod etiam actum aliarum dots, mais autrement, comme on l’a dit.
dotium Christus ostendit, sed aliter, ut dictum est. Cependant, on ne dit pas qu’il a été transfiguré
Sed tamen secundum illa non dicitur selon elles parce que les autres dots ne
transfiguratus: quia aliae dotes non pertinent ad concernent pas l’aspect selon lequel nous
aspectum, secundum quem praecipue de figura jugeons principalement de la figure de
alicujus judicamus, sicut claritas, per quam quelqu’un, comme l’éclat par laquel une chose
aliquid in seipso videtur. est vue en elle-même.
[9518] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Cela s’applique au corps glorieux qui ne veut
quintum dicendum, quod hoc intelligitur quando pas se montrer.
corpus gloriosum non vult se ostendere.
[9519] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 6 Ad 6. On dit que cet éclat lui était naturel pour
sextum dicendum, quod illa claritas dicitur sibi autant que ce corps était ordonné à posséder cet
fuisse naturalis, inquantum corpus illud ordinatum éclat, comme on dit que ses puissances sont
erat ad illam claritatem habendam, sicut virtutes naturelles à l’âme. Ou bien, pour autant qu’il
dicuntur animae naturales; vel inquantum erat était conforme à l’éclat de l’âme, ou en raison de
conformis claritati animae; vel ratione divinitatis. la divinité.
[9520] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 ad 7 Ad 7. Le resplendissement qui provenait du corps
septimum dicendum, quod in vestibus erat affectait les vêtements.
splendor ex claritate corporis procedens.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


16
[9521] Super Sent., lib. 3 d. 16 q. 2 a. 2 expos.
Sicut aliis hominibus. Similitudo attenditur
inquantum aliis hominibus necessitas moriendi
inest natura, non inquantum est ex peccato. Sunt
enim quatuor status hominis. Contra. Boetius
assignat tres. Dicendum, quod Boetius assignat
status humanae naturae quantum ad conditiones
corporis principaliter: quod quidem in primo statu
515

erat animale, in secundo corruptibile, in tertio


spirituale. Magister autem assignat principaliter
quatuor status quantum ad conditiones animae, ut
patet. Immunitatem peccati. Non quantum ad
potentiam peccandi, sed quantum ad actum.
Boetius vero dicit, quod de primo statu accepit ea
quae ad vitam animalem pertinent, scilicet,
comedere, dormire, et hujusmodi.

Distinctio 17 Distinction 17 – [La volonté du Christ]

Quaestio 1 Question unique – [Existait-il plusieurs


volontés chez le Christ ?]
Prooemium Prologue
[9522] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de ce que le Christ a
Magister determinavit de his quae Christus cum assumé avec la nature humaine, le Maître
natura humana assumpsit, hic determinat de his détermine ici de ce qu’il a fait par sa nature
quae per humanam naturam fecit. Operis autem humaine. Or, la volonté est le principe de l’acte
humani voluntas principium est, sine quo opus humain, sans lequel un acte n’est ni méritoire ni
nec meritorium nec laudabile est; et ideo dividitur louable. C’est pourquoi cette partie est divisée en
haec pars in duas partes: primo determinat de deux : premièrement, il détermine de la volonté
voluntate Christi; secundo de merito ejus quod ex du Christ; deuxièmement, de son mérite qui
voluntate processit, 18 dist., ibi: de merito quoque procède de sa volonté, d. 18, à cet endroit : « Il
Christi praetermittendum non est. Prima in duas: ne faut pas négliger le mérite du Christ. » La
primo determinat de voluntate Christi; secundo première partie se divise en deux : premièrement,
removet quaedam dubia quae ex dictis oriri il détermine de la volonté du Christ;
possent, ibi: ceterum non parum nos movent verba deuxièmement, il écarte certains doutes qui
Ambrosii. Prima in tres: primo ponit dubitationem peuvent venir de ce qui a été dit, à cet endroit :
de efficacia voluntatis Christi, et orationis, quae « Au reste, les paroles d’Ambroise ne nous
est signum voluntatis; secundo solvit, émeuvent pas peu. » La première partie se divise
distinguendo voluntatem Christi, ibi: quocirca en trois : premièrement, il présente un doute sur
ambigendum non est diversas in Christo fuisse l’efficacité de la volonté du Christ et aussi de sa
voluntates; in tertia solutionem confirmat, prière, qui est le signe de sa volonté;
ostendens diversas voluntates esse in Christo, ibi: deuxièmement, il le résout en faisant une
ex affectu ergo humano, quem de virgine traxit, distinction dans la volonté du Christ, à cet
volebat non mori. Ceterum non parum nos movent endroit : « À ce propos, on ne peut douter qu’il y
verba Ambrosii. Hic removet quaedam quae ait eu diverses volontés chez le Christ »; dans la
possent esse ex dictis dubia: et primo removet troisième partie, il confirme sa solution en
dubium quod oritur ex dictis Ambrosii; secundo montrant qu’il existe diverses volontés chez le
dubium quod oritur ex dictis Hilarii, ibi: illud Christ, à cet endroit : « Par le sentiment humain
etiam non est ignorandum quod Hilarius asserere qu’il tenait de la Vierge, il ne voulait pas
videtur Christum non sibi, sed suis orasse, cum mourir. » « Au reste, les paroles d’Ambroise ne
dixit: transfer a me calicem hunc. Hic quaeruntur nous émeuvent pas peu. » Ici, il écarte certaines
quatuor: 1 de pluralitate voluntatum Christi; 2 de choses douteuses qu’on pourrait tirer de ce qui a
conformitate vel contrarietate earum ad invicem; été dit. Premièrement, il écarte un doute qui
3 de oratione, quae voluntatem exprimit; 4 de pourrait naître des paroles d’Ambroise;
dubitatione quam ponit Ambrosius in Christo deuxièmement, un doute qui naît des paroles
quantum ad aliquam voluntatem Christi. d’Hilaire, à cet endroit : « Il ne faut pas aussi
ignorer que Hilaire semble affirmer que le Christ
n’a pas prié pour lui-même, mais pour les siens,
516

lorsqu’il dit : ‘Éloigne de moi ce calice.’ » Ici,


quatre questions sont posées : 1 – Sur la pluralité
des volontés du Christ. 2 – Sur la conformité ou
l’opposition de l’une à l’autre. 3 – Sur la prière,
qui exprime la volonté. 4 – Sur la doute qu’émet
Ambroise chez le Christ à propos d’une volonté
du Christ.

Articulus 1 [9523] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. Article 1 – Existait-il chez le Christ une autre
1 tit. Utrum in Christo fuerit voluntas alia quam volonté que la volonté divine ?
divina
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Existait-il une seule volonté
chez le Christ, la volonté divine ?]
[9524] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il n’existe chez le Christ qu’une
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in seule volonté, la volonté divine. En effet,
Christo non sit nisi una voluntas, scilicet divina. vouloir, puisqu’il s’agit d’un acte, est le fait de la
Velle enim, cum sit agere, personae est. Sed in personne. Or, chez le Christ, il n’existe qu’une
Christo est tantum una persona, scilicet divina. seule personne, la personne divine. Donc aussi,
Ergo et tantum una voluntas, scilicet divina. une seule volonté, la volonté divine.
[9525] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Il appartient à la volonté de diriger, et non
2 Praeterea, voluntatis est ducere, et non duci. Sed d’être dirigée. Or, chez le Christ, l’affectivité
in Christo affectus humanus divina voluntate humaine était dirigé par la volonté divine, qui
ducebatur, quae eo sicut ministro utebatur, ut dicit l’utilisait comme un ministre, ainsi que le dit
Damascenus. Ergo affectus humanus non debet [Jean] Dasmascène. L’affectivité humaine ne
dici voluntas in Christo. doit donc pas être appelée volonté chez le Christ.
[9526] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. Plus un homme est saint, plus sa volonté est
3 Praeterea, quanto aliquis homo est magis unie à Dieu, car celui qui adhère à Dieu est un
sanctus, tanto sua voluntas magis unitur divinae: seul esprit, 1 Co 6, 17. Or, le Christ a été
quia qui adhaeret Deo, unus spiritus est. 1 Cor., 6, l’homme le plus saint. Sa volonté humaine était
17. Sed Christus homo fuit sanctissimus. Ergo donc parfaitement une avec la volonté divine.
voluntas sua humana fuit perfecte una cum
voluntate divina.
[9527] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le Christ a assumé notre volonté
1 Sed contra, Christus assumpsit naturam nostram pour la guérir, car ce qui ne peut être assumé est
ut eam curaret: quia quod inassumptibile est, incurable, comme le dit [Jean] Damascène. Or,
incurabile est, ut dicit Damascenus. Sed voluntas notre volonté, par laquelle le péché était entré
nostra, per quam peccatum intraverat, maxime [dans le monde], avait au plus haut point besoin
curatione indigebat. Ergo ipsam assumpsit; ergo de guérison. Il l’a donc assumée. Il existe donc
est in Christo aliqua voluntas praeter voluntatem chez le Christ une volonté autre que la volonté
divinam. divine.
[9528] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Le rapport entre l’unité de volonté et l’unité
2 Praeterea, sicut se habet unitas voluntatis ad de nature est le même que celui de la pluralité à
unitatem naturae, ita se habet pluralitas ad la pluralité. Or, chez les trois personnes, il
pluralitatem. Sed in tribus personis est una n’existe qu’une seule volonté parce qu’il n’existe
voluntas, quia est una natura. Ergo et in Christo qu’une seule nature. Il existe donc plusieurs
sunt plures voluntates, quia sunt plures naturae, volontés chez le Christ, parce qu’il existe en lui
quamvis sit una persona. plusieurs natures, bien qu’il n’existe qu’une
seule personne.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Existe-t-il chez le Christ
une volonté humaine autre que la volonté
517

raisonnable ?]
[9529] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il n’existe pas chez le Christ une
1 Ulterius. Videtur quod in Christo non sit aliqua volonté humaine autre que la volonté
voluntas humana praeter voluntatem rationis. raisonnable, car, ainsi que le dit [Jean]
Quia, sicut dicit Damascenus in 3 Lib., voluntas Damascène dans le livre III, « la volonté suit la
naturam sequitur. Sed in Christo sunt tantum duae nature ». Or, chez le Christ, il n’existe que deux
naturae. Ergo et tantum duae voluntates. Ergo non natures. Il existe donc aussi seulement deux
est tertia praeter voluntatem divinam et rationis. natures. Il n’en existe donc pas une troisième en
plus de la volonté divine et de la volonté de la
raison.
[9530] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. De même que la raison est une puissance de
2 Praeterea, sicut ratio est alia virtus apprehensiva perception autre que la perception sensible, de
a sensitiva apprehensione, ita sensus interior a même le sens intérieur est-il différent du sens
sensu exteriori. Sed non est alia voluntas extérieur. Or, il n’existe pas une autre volonté
consequens apprehensionem sensus exterioris ab découlant de la perception du sens extérieur,
ea quae consequitur apprehensionem sensus différente de celle qui découle de la perception
interioris. Ergo non oportet ponere aliam du sens intérieur. Il n’est donc pas nécessaire
voluntatem quae consequatur apprehensionem d’affirmer une autre volonté qui découle de la
rationis, et sensitivae partis. perception de la raison et de celle de la partie
sensible.
[9531] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III, et aussi
3 Praeterea, philosophus dicit in 3 de Anim., et [Jean] Damascène, que la volonté n’existe que
Damascenus, quod voluntas solum in ratione est, dans la raison, mais que seuls existent le désir et
in sensibilis autem desiderium et animus, idest la passion dans [la partie] sensible, à savoir,
irascibilis et concupiscibilis. Sed sensualitas est a l’irascible et le concupiscible. Or, la sensualité
ratione discreta, ut patet dist. 24 2 Lib. Ergo non est distincte de la raison, comme cela ressort du
est aliqua voluntas sensualitatis. livre II, d. 24. Il n’existe donc pas une volonté de
la sensualité.
[9532] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4. La sensualité est signifiée par le serpent : elle
4 Praeterea, sensualitas significatur per est le siège du premier mouvement du péché. Or,
serpentem, in qua est primus motus peccati. Sed chez le Christ, il n’y a rien qui ressemble au
in Christo non est aliquid serpentinum, nec serpent, ni aucun péché. Chez lui, il n’y a donc
aliquod peccatum. Ergo in ipso non est voluntas pas de volonté de la sensualité.
sensualitatis.
[9533] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5. Les mouvement de la sensualité sont soudains.
5 Praeterea, motus sensualitatis sunt subiti. Sed in Or, chez le Christ, il n’y a rien de soudain, car
Christo non est aliquid subitum, quia totum ab tout a été vu d’avance par lui. Il n’y a donc pas
ipso fuit praevisum. Ergo in ipso non fuit voluntas de volonté de la sensualité chez lui.
sensualitatis.
[9534] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] la sensualité est l’intermédiaire
1 Sed contra, sensualitas est medium inter corpus entre le corps et la raison. Or, si on affirme les
et rationem. Sed positis extremis ponitur medium. extrêmes, on affirme ce qui est intermédiaire.
Cum igitur in Christo fuerit corpus humanum et Puisque, chez le Christ, existaient un corps
anima rationalis, oportet quod in ipso fuerit humain et une âme raisonnable, il est donc
sensualitas. nécessaire qu’ait existé chez lui la sensualité.
[9535] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] Le Philosophe dit, dans Sur l’âme, II : « De
2 Praeterea, philosophus dicit in 2 de anima: sicut même que le trigone s’inscrit dans le tétragone et
trigonum in tetragono, et tetragonum in le tétragone, dans le pentagone, de même la
pentagono, sic nutritivum in sensitivo, et fonction nutritive, à l’intérieur de la fonction
sensitivum in intellectivo. Sed in Christo fuit sensible, et la fonction sensible s’inscrivent-elles
518

anima intellectiva. Ergo in Christo fuit sensitiva à l’intérieur de la fonction intellective. » Or, chez
quantum ad omnes sui partes: ergo et voluntas le Christ, existait une âme intellective. Il existait
sensualitatis, quae est pars sensitivae. donc chez le Christ une [âme] sensible avec
toutes ses parties. Il existait donc en lui une
volonté de la sensualité, qui est une partie de [la
partie] sensible.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Existait-il chez le Christ
plusieurs volontés de la raison ?]
[9536] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il y ait chez le Christ plusieurs
1 Ulterius. Videtur quod in Christo sint plures volontés raisonnables, car [Jean] Damascène,
voluntates rationis. Quia Damascenus in 2 Lib., dans le livre II, distingue deux volontés de la
distinguit duas voluntates rationis, scilicet raison, à savoir, la thelesis, qui est la volonté
thelesin, quae est voluntas naturalis. Et bulesin, naturelle, et la boulèsis, qui est la volonté
quae est voluntas rationalis. Sed nihil eorum quae raisonnable. Or, rien de ce qui concerne la
ad perfectionem humanae naturae pertinent, perfection de la nature humaine n’a fait défaut au
Christo defuit. Ergo in Christo fuit duplex rationis Christ. Il existait donc une double volonté de la
voluntas. raison chez le Christ.
[9537] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Le péché réside à proprement parler dans la
2 Praeterea, peccatum proprie est in voluntate. volonté. Or, on dit parfois qu’il réside dans la
Dicitur autem esse aliquando in superiori ratione, raison supérieure, et parfois dans la raison
aliquando autem in inferiori. Ergo utrique rationi inférieure. Sa propre volonté correspond donc
respondet sua voluntas, quas oportet in Christo aux deux raisons, qu’il est nécessaire d’affirmer
ponere. chez le Christ.
[9538] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Dans Éthique, VI, le Philosophe affirme
3 Praeterea, philosophus in 6 Ethic. ponit diversas plusieurs puissances d’appréhension dans la
potentias apprehensivas in parte intellectiva; partie intellective : la scientifique, qui connaît les
scilicet scientificum, quod cognoscit necessaria, et réalités nécessaires, et la raisonnable ou celle qui
ratiocinativum, sive opinativum, per quod opine, par laquelle nous comprenons les réalités
comprehendimus contingentia operabilia a nobis. contingentes qui peuvent être faites par nous. Or,
Sed apprehensionem sequitur suus appetitus. Ergo son appétit découle de l’appréhension. Il existe
in parte intellectiva sunt plures voluntates. donc plusieurs volontés dans la partie
intellective.
[9539] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4. Toute vertu humaine réside dans la raison,
4 Praeterea, omnis virtus humana est in ratione, ex dont l’homme tient d’être homme. Or, les
qua habet homo quod sit homo. Sed dicitur a maîtres disent qu’il existe un irascible humain et
magistris quod est quaedam irascibilis et un concupiscible humain. Il faut donc les situer
concupiscibilis humana. Ergo oportet eas ponere dans la raison. Or, ceux-ci se rapportent à la
in ratione. Sed haec pertinent ad voluntatem. Ergo volonté. Il existe donc plusieurs volontés dans la
in ratione sunt plures voluntates. raison.
[9540] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 5. Dans la partie intellective, existent le libre
5 Praeterea, in parte intellectiva est liberum arbitre, qui choisit ce qui se rapporte à la fin, et
arbitrium, quod est electivum eorum quae sunt ad la volonté, qui porte sur la fin, comme on le dit
finem, et voluntas, quae est finis, ut dicitur in 3 dans Éthique, III. Or, aucun des deux n’a fait
Ethic. Neutrum autem horum defuit Christo. Ergo défaut au Christ. La conclusion est donc la même
idem quod prius. que précédemment.
[9541] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 6. Hugues de Saint-Victor affirme chez le Christ,
6 Praeterea, Hugo de sancto Victore ponit in en plus de la volonté de la sensualité, de [la
Christo praeter voluntatem sensualitatis et volonté] de la raison et de la volonté divine, la
rationis, et divinam, voluntatem pietatis. Pietas volonté de la piété. Or, la piété se situe dans la
autem in ratione est. Ergo videtur quod sint plures raison. Il semble donc qu’il y ait plusieurs
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voluntates in ratione. volontés dans la raison.


[9542] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, [1] dans Sur l’âme, III, le
1 Sed contra est quod philosophus in 3 de anima Philosophe ne fait pas de distinction dans la
voluntatem rationis non distinguit, sicut distinguit volonté de la raison, comme il fait une
appetitum partis sensitivae. distinction pour la partie sensible.
[9543] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. [2] L’homme est appelé un microcosme parce
2 Praeterea, homo dicitur minor mundus, quia qu’il ressemble à l’univers. Or, dans l’univers, il
assimilatur universo. Sed in universo est tantum n’existe qu’un premier moteur, Donc aussi, chez
unus primus motor. Ergo et in homine. Sed l’homme. Or, le premier moteur est la volonté de
primus motor est voluntas rationis quae movet la raison, qui meut toutes les autres puissances,
omnes alias vires secundum Anselmum. Ergo selon Anselme. Il faut donc affirmer une seule
oportet ponere unam tantum voluntatem rationis volonté de la raison chez le Christ et chez tous
in Christo, et in omnibus aliis hominibus. les autres hommes.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9544] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 co. La volonté découle de la nature humaine, ce que
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, [Jean] Damascène démontre par cinq arguments
quod voluntas consequitur naturam humanam: dans le livre III. Premièrement, parce que toute
quod quidem Damascenus in 3 Lib., probat nature possède un mouvement qui lui est propre.
quinque rationibus. Primo, quia quaelibet natura Or, le mouvement propre de la nature
habet motum proprium: motus autem rationalis raisonnable consiste en ce qu’elle tende
naturae proprius est ut libere in aliquid tendat, librement vers quelque chose, ce qui est le
quod voluntatis est. Secundo, quia nullus addiscit propre de la volonté. Deuxièmement, parce que
velle, sicut nec alia naturalia. Tertio, quia natura personne n’apprend à vouloir, pas plus que les
in homine non ducit sicut in aliis, sed ducitur; autres choses naturelles. Troisièmement, parce
unde oportet homini libertatem inesse in suo que la nature chez l’homme ne dirige pas,
motu: et hoc est voluntatis. Quarto, quia homo comme chez les autres choses, mais qu’elle est
secundum suam naturam ad imaginem Dei factus mue; il est donc nécessaire que la liberté soit
est: consistit autem imago in memoria, présente dans son mouvement chez l’homme, ce
intelligentia, et voluntate. Quinto, quia invenitur qui est la volonté. Quatrièmement, parce que,
in omnibus habentibus naturam; unde Christus selon sa nature, l’homme a été créé à l’image de
cum naturam nostram integram assumpserit (alias Dieu; or, l’image consiste dans la mémoire,
non esset verus homo), constat quod voluntatem l’intelligence et la volonté. Cinquièmement,
assumpsit; et ita in Christo est voluntas humana et parce qu’elle se trouve dans tous ceux qui
divina: non quidem componentes unam possèdent la nature [humaine]; puisque le Christ
voluntatem, sicut Eutyches dixit, quia tunc neutra a assumé intégralement notre nature (autrement,
esset in eo; sed utraque distincta manens in ipso; il ne serait un homme véritable), il est donc clair
et sic in Christo sunt duae voluntates. qu’il a assumé la volonté. Ainsi, il existe chez le
Christ une volonté humaine et une volonté
divine, qui ne composent pas une seule volonté,
comme l’a dit Eutychès - car alors aucune des
deux n’existerait chez lui -, mais les deux
demeurent distinctes chez lui. Il existe ainsi chez
le Christ deux volontés.
[9545] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Bien que vouloir relève de la personne, cela
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis velle vient cependant d’une puissance naturelle, qui
sit personae, tamen hoc est per potentiam est le principe de cet acte. C’est pourquoi, parce
naturalem, quae est principium illius actus: et que deux natures existent chez le Christ, il existe
ideo, quia in Christo sunt duae naturae, sunt duae deux volontés. Cependant, il n’y en a qu’un seul
voluntates; tamen est unus volens propter qui veut en raison de l’unité de la personne.
unitatem personae.
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[9546] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. La volonté divine ne conduit pas la volonté
Ad secundum dicendum, quod voluntas divina humaine en la forçant, mais en la dirigeant, et
non ducit affectum humanum cogendo ipsum, sed cela n’exclut pas le caractère volontaire.
dirigendo; et hoc non excludit rationem
voluntatis.
[9547] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. On parle de volonté de trois manières. Parfois,
Ad tertium dicendum, quod voluntas dicitur tribus [on parle] de la puissance même de vouloir;
modis. Aliquando ipsa potentia volendi; aliquando parfois, de l’acte de vouloir; mais parfois, de ce
ipse actus volendi; aliquando autem ipsum qui est voulu. Sous ce dernier aspect, la volonté
volitum; et quantum ad hoc unitur voluntas sancti d’un saint homme est unie à la volonté de Dieu,
hominis voluntati Dei, non autem quantum ad duo mais non sous les deux premiers.
prima.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9548] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Tout ce qui fait partie de la perfection de la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in nature humaine existait chez le Christ. Or, de
Christo fuerunt omnia quae sunt de perfectione même que la volonté de la raison fait partie de la
humanae naturae. Sicut autem de perfectione perfection de la nature humaine, pour autant que
humanae naturae, inquantum homo est homo, est l’homme est homme, de même, l’appétit sensible
rationis voluntas; ita de perfectione hominis, fait-il partie de la perfection de l’homme, pour
inquantum animal, est appetitus sensibilis; et ideo autant qu’il est animal. Il faut donc affirmer chez
oportet appetitum sensitivae partis in Christo le Christ l’appétit de la partie sensible. Mais cet
ponere. Sed iste appetitus in aliis animalibus non appétit, chez les autres animaux, n’a pas raison
habet rationem voluntatis, quia aguntur instinctu de volonté, car « ils sont mus par un instinct de
naturae potius quam agant, ut dicit Damascenus, la nature plutôt qu’ils n’agissent », comme le dit
et ita non habent liberum motum, quem voluntas [Jean] Damascène; ainsi, ils n’ont pas de
requirit. Tamen appetitus sensibilis potest in mouvement libre, ce qu’exige la volonté.
homine dici voluntas, inquantum est obediens Cependant, l’appétit sensible peut être appelé
rationi, ut dicitur in 1 Ethic.; et ideo participat volonté chez l’homme pour autant qu’il obéit à la
aliqualiter libertatem voluntatis, sicut et raison, comme on le dit dans Éthique, I. Il
rectitudinem rationis, ut possit dici voluntas participe ainsi d’une certaine manière à la liberté
participative, sicut dicitur ratio per de la volonté, de même qu’à la rectitude de la
participationem. Et ita in Christo quantum ad raison, de sorte qu’on peut l’appeler volonté par
humanam naturam dicimus duas voluntates, participation, comme on l’appelle raison par
scilicet sensualitatis et rationis. participation. Ainsi, nous parlons de deux
volontés chez le Christ selon la nature humaine :
celle de la sensualité et celle de la raison.
[9549] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Chez le Christ, il existe deux natures
Ad primum ergo dicendum, quod in Christo sunt complètes, dont l’une n’est pas une partie de
duae naturae integrae, quarum una non est pars l’autre, et dont la personne est immédiatement
alterius, ex quibus immediate persona composée. Cependant, l’une des natures, la
componitur; sed tamen altera naturarum, scilicet nature humaine, est divisée en plusieurs natures
humana, dividitur in multas partiales naturas, sicut partielles, comme la nature du corps et celle de
in naturam corporis et animae, in sensitivam et l’âme, celle de la partie sensible et celle de la
rationalem; et secundum hoc etiam voluntas partie rationnelle. Sous cet aspect aussi, la
humana dividitur in duas voluntates. volonté humaine est divisée en deux volontés.
[9550] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. De même que l’appétit de la raison ne suit pas
Ad secundum dicendum, quod sicut appetitus n’importe quelle saisie de la raison, mais celle où
rationis non sequitur quamlibet apprehensionem quelque chose est saisi comme bon, de même
rationis, sed quando aliquid apprehenditur ut aussi l’appétit sensible ne s’éveille-t-il que
bonum, ita et appetitus sensibilis non surgit nisi lorsqu’une chose est saisie comme bonne. Or,
521

quando apprehenditur ut conveniens. Hoc autem cela n’est pas le fait du sens extérieur, qui saisit
non fit per exteriorem sensum, qui apprehendit les formes sensibles, mais de l’estimation, qui
formas sensibiles; sed per aestimationem, quae saisit le caractère convenable et nuisible, que le
apprehendit rationem convenientis et nocivi quam sens extérieur ne saisit pas. C’est pourquoi, dans
sensus exterior non apprehendit; et ideo in parte la partie sensible, il n’existe qu’un appétit selon
sensitiva non est nisi unus appetitus secundum le genre; il se divise cependant comme en des
genus; qui tamen dividitur, sicut in species, in espèces en irascible et en concupiscible, dont les
irascibilem et concupiscibilem, quarum utraque deux sont comptés sous la sensualité.
sub sensualitate computatur.
[9551] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. La volonté par essence existe dans la raison
Ad tertium dicendum, quod voluntas per par essence, et la volonté par participation existe
essentiam, est in ratione per essentiam; et voluntas dans la raison par participation.
participative, est in ratione per participationem.
[9552] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 4. La sensualité est appelée un serpent en tant
Ad quartum dicendum, quod sensualitas dicitur qu’elle est principe de péché, non selon la nature
serpens, et principium peccati, non quantum ad de la puissance que le Christ a assumée, mais
naturam potentiae, quam Christus assumpsit, sed selon la corruption de la convoitise
quantum ad corruptionem fomitis, quae in Christo (corruptionem fomitis)2, qui n’existait pas chez le
non fuit. Christ.
[9553] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 5. Chez le Christ, survient quelque chose
Ad quintum dicendum, quod in Christo aliquid d’imprévu à partir du sens intérieur ou du sens
accidit non praevisum a sensu interiori vel extérieur, bien que cela ait été prévu par lui par
exteriori, quamvis praevisum ab eo per rationem, la raison ou par la science divine. C’est
vel per scientiam divinam: et ideo in ipso motus pourquoi, dans le mouvement même de la
sensualitatis fuit quidem subitus respectu sensus, sensualité, il fut soudain par rapport au sens,
sed non respectu rationis vel divinitatis. mais non par rapport à la raison ou la divinité.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9554] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 co. La distinction entre les puissances s’envisage
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod selon diverses raisons. Or, l’objet de la volonté
distinctio potentiarum attenditur secundum est le bien selon la raison de bien. Puisque cette
diversas rationes: objectum autem voluntatis est raison est commune à toutes les choses, il ne
bonum secundum rationem boni; unde cum ista peut arriver que des distinctions existent dans
ratio sit communis omnibus, non potest esse quod l’appétit de la raison selon diverses puissances.
appetitus rationis secundum diversas potentias C’est pourquoi, chez le Christ et chez les autres
distinguatur; et ideo in Christo et in aliis hommes, il n’existe qu’une seule puissance de la
hominibus est tantum una potentia voluntatis. volonté. Mais il peut exister divers rapports de
Possunt autem esse diversi respectus illius cette volonté, selon lesquels on trouve parfois
voluntatis, secundum quos invenitur aliquando des distinctions à l’intérieur de la volonté de la
distingui voluntas rationis. Magister autem raison. Or, le Maître, en s’en tenant à la nature
attendens ad naturam potentiae, voluntatem de la puissance, ne fait pas de distinctions dans la
rationis in Christo non distinguit. volonté de la raison chez le Christ.
[9555] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. La thélésis, selon [Jean] Damascène, est la
Ad primum ergo dicendum, quod thelesis volonté naturelle, qui est mue selon le mode de
2
Je traduis fomes par « convoitise » pour bien montrer qu’elle est comme une distorsion de l’appétit sensible et
de la concupiscence, comme une « concupiscence désordonnée ». Fomes : « Une inclination de l’appétit sensible
à ce qui est contre la raison fait partie de la nature de la convoitise (fomes). » Ad rationem autem fomitis pertinet
inclinatio sensualis appetitus in id quod est contra rationem (Somme de théologie, III, q. 15, a. 2, c.). « La
convoitise (fomes) n’est rien d’autre qu’une concupiscence désordonnée de l’appétit sensible à l’état habituel…
Il est de la nature même de la convoitise qu’elle incline au mal ou rende le bien difficile  ». Ad rationem ipsam
fomitis pertinet quod inclinet ad malum vel difficultatem facit in bono (Somme de théologie, III, q. 27, a. 3, c.).
Voir aussi Sent. III, d. 17, q. 1, a. 2, qa 2, ad 2.
522

secundum Damascenum est voluntas naturalis, la nature vers quelque chose selon la bonté
quae scilicet in modum naturae movetur in aliquid absolue qui y est envisagée. Mais la boulèsis est
secundum bonitatem absolutam in eo l’appétit raisonnable, qui est mû vers un bien en
consideratam; bulesis autem est appetitus raison de quelque chose d’autre. Le Maître
rationalis, qui movetur in aliquod bonum ex exprime ces deux choses sous d’autres mots : la
ordine alterius: et haec duo a Magistro aliis volonté comme nature et la volonté comme
nominibus dicuntur voluntas ut natura, et voluntas raison. Mais la puissance de la volonté n’est pas
ut ratio: secundum quae tamen non diversificatur diversifiée par elles, car cette diversité vient du
potentia voluntatis: quia diversitas ista est ex eo fait qu’elle est mue vers quelque chose sans
quod movemur in aliquid sine collatione, vel cum rapprochement ou avec un rapprochement. Or, le
collatione. Conferre autem non est per se rapprochement n’est pas par soi le fait de la
voluntatis, sed rationis. Unde illa divisio volonté, mais de la raison. Cette division de la
voluntatis non est per essentialia, sed per volonté n’est donc pas faite selon quelque chose
accidentalia: et propter hoc non sunt diversae d’essentiel, mais selon quelque chose
potentiae, sed una differens secundum respectum d’accidentel. Pour cette raison, elles ne sont pas
ipsius ad apprehensionem praecedentem, quae des puissances différentes, mais une seule
potest esse cum collatione, vel sine collatione. [puissance] différant selon son rapport à une
Tamen utraque istarum in Christo fuit, scilicet compréhension antérieure, qui peut se réaliser
voluntas ut natura, quae est thelesis et voluntas ut avec ou sans rapprochement. Cependant, ces
ratio, quae est bulesis. deux choses existaient chez le Christ : la volonté
comme nature, qui est la thélésis, et la volonté
comme raison, qui est la boulèsis.
[9556] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. On dit que le péché se situe dans la raison, non
Ad secundum dicendum, quod peccatum dicitur pas parce qu’il s’accomplit en elle, mais dans la
esse in ratione, non quia in ipsa completur, sed in volonté qui découle de la raison. Or, la raison
voluntate consequente rationem. Ratio autem supérieure et la raison inférieure ne sont pas des
superior et inferior non sunt diversae potentiae: puissances différentes, parce qu’elles ne se
quia non distinguuntur secundum rationem distinguent pas selon la raison de leur objet,
objecti, ut in 2, dist. 24, quaest. 2, art. 2, dictum comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 2, a. 2.
est; sed illa distinctio est rationis secundum Mais cette distinction est une distinction de
ordinem ad habitus diversos, secundum quod ex raison selon le rapport à des habitus différents,
diversis mediis ad idem procedit, scilicet en tant qu’elle accède à la même chose par des
rationibus temporalibus et aeternis. Medium moyens différents, à savoir, les raisons
autem ex quo proceditur ad aliquid, pertinet ad temporelles et les raisons éternelles. Or, le
rationem, non ad voluntatem: unde quamvis in moyen par lequel on accède à une chose relève
ratione faciat aliquam diversitatem vel de la raison, et non de la volonté; bien qu’il
distinctionem, saltem per officia, in voluntate réalise une certaine diversité ou distinction dans
nullam distinctionem causat. la raison, du moins pour ce qui est des fonctions,
il ne cause aucune distinction dans la volonté.
[9557] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. L’objet de l’intellect est le vrai, dont les
Ad tertium dicendum, quod objectum intellectus différences sont le nécessaire et le contingent.
est verum, cujus differentiae sunt necessarium et Mais il n’existe pas de différences du bien en
contingens; non autem sunt differentiae boni tant que tel, qui est l’objet de l’appétit. Aussi le
inquantum hujusmodi, quod est objectum nécessaire et le contingent peuvent-ils plutôt
appetitus: et ideo necessarium et contingens magis apporter une diversité dans l’intellect que dans la
possunt diversificare intellectum quam volonté.
voluntatem.
[9558] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 4. L’objet de l’appétit sensible n’est pas le bien
Ad quartum dicendum, quod objectum appetitus tout simplement, mais un bien particulier. Parce
sensibilis non est bonum simpliciter, sed est que ce qui est délectable et ce qui est difficile ont
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bonum particulare: et quia aliam rationem des raisons différentes comme biens particuliers,
particularis boni habet delectabile et arduum; ideo l’appétit sensible se divise donc selon ces deux
penes has duas rationes boni dividitur appetitus raisons de bien, mais non l’appétit raisonnable,
sensibilis, et non rationalis, qui habet pro objecto qui a comme objet le bien tout simplement.
bonum simpliciter; unde irascibilis et Aussi l’irascible et le concupiscible ne sont-ils
concupiscibilis, non sunt humanae per essentiam, pas humains par essence, mais par participation.
sed per participationem.
[9559] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 5 5. La volonté qui porte sur la fin et le libre
Ad quintum dicendum, quod voluntas quae est arbitre ne sont pas des puissances différentes,
finis, et liberum arbitrium, non sunt diversae comme on l’a dit dans le livre II, d. 24, q. 1, a. 3;
potentiae, sicut in 2 Lib., dist. 24, quaest. 1, art. 3, mais la boulèsis et la thélésis diffèrent parce
dictum est; sed differunt bulesis et thelesis, quia qu’il relève du libre arbitre de choisir quelque
ad liberum arbitrium pertinet eligere aliquid in chose en vue de la fin, alors que la volonté porte
ordine ad finem, voluntas autem est de fine sur la fin de manière absolue. À partir de ce qui a
absolute. Ex his quae dicta sunt, potest videri été dit, on peut voir comment la volonté se
quomodo voluntas in Christo distinguatur. distingue chez le Christ. En effet, une volonté
Voluntas enim aliqua, vel attribuitur sibi ratione [lui] est attribuée soit en raison de sa personne,
personae suae, vel ratione membrorum, quorum soit en raison de [ses] membres, dont il inclut la
personam in se transfert. Si autem ratione personne en lui. Si c’est en raison de sa
personae suae, aut secundum divinam naturam, personne, c’est soit selon la nature divine, soit
aut secundum humanam. Si secundum humanam, selon la nature humaine. Si c’est selon la nature
aut sensualitatis aut rationis. Si rationis, aut humaine, c’est soit selon la sensualité, soit selon
secundum absolutam, aut secundum collativam. la raison. Si c’est selon la raison, c’est soit selon
la raison absolue, soit selon la raison qui réalise
des rapprochements.
[9560] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 6 6. La volonté de la piété est la volonté comme
Ad sextum dicendum, quod voluntas pietatis est nature, pour autant qu’elle fuit ce qui est nuisible
voluntas ut natura, inquantum refugit ea quae sunt à soi-même ou aux autres, sans prendre en
nociva sibi, vel aliis, non considerato ordine compte l’ordre des choses par rapport à la fin.
rerum ad finem.

Articulus 2 [9561] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. Article 2 – La volonté humaine chez le Christ
2 tit. Utrum voluntas humana in Christo divinae a-t-elle toujours été conforme [à la volonté
voluntati semper conformis fuerit in volito divine] du point vue de ce qui était voulu ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La volonté humaine chez le
Christ était-elle toujours conforme à la
volonté divine du point de vue de ce qui était
voulu ?]
[9562] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1. Il semble que la volonté humaine chez le
1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Christ était toujours conforme à la volonté divine
voluntas humana in Christo semper divinae du point de vue de ce qui était voulu. En effet,
voluntati conformabatur in volito. Quanto enim plus est grande la conformité de la volonté
est major conformitas humanae ad divinam, tanto humaine à la volonté divine, plus est grande la
est major rectitudo voluntatis, quae in hoc rectitude de la volonté qui consiste en cela,
consistit, sicut patet per Glossam super illud comme cela ressort de la Glose sur Ps 32 : La
Psalm. 32: rectos decet collaudatio. Sed Christus louange convient à ceux qui sont droits. Or, le
habuit rectissimam voluntatem. Ergo Christ avait la volonté la plus droite. Il se
conformabatur divinae voluntati etiam quantum conformait donc aussi à la volonté divine du
ad volita. point de vue de ce qui était voulu.
[9563] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2. La volonté des bienheureux se conforme à
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2 Praeterea, voluntas beatorum conformatur Deo Dieu du point de vue de ce qui est voulu, car ils
quantum ad volita: quia omnia habent quae ont tout ce qu’ils veulent. Or, le Christ était un
volunt. Sed Christus fuit verus comprehensor. véritable comprehensor. Du point de ce qui était
Ergo quantum ad volitum divinae voluntati ejus voulu, sa volonté était donc conforme à la
voluntas conformis erat. volonté divine.
[9564] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 3. Il nous est permis de vouloir autre chose que
3 Praeterea, ex hoc licet nobis aliud velle quam ce que Dieu veut parce que nous ne savons pas
Deus vult, quia nescimus quid Deus velit in ce que Dieu veut dans certains cas. Or, le Christ
aliquibus. Sed Christus sciebat in omnibus quid savait ce que Dieu voulait en tout. Il conformait
Deus vellet. Ergo quantum ad omnia volita donc en tout sa volonté humaine à la volonté
voluntatem humanam divinae conformabat. divine.
[9565] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le Christ a pleuré sur le
1 Sed contra, Christus flevit de destructione destruction de Jérusalem. Il voulait donc qu’elle
Hierusalem. Ergo volebat eam non destrui. Sed ne soit pas détruite. Or, Dieu voulait qu’elle soit
Deus volebat eam destrui. Ergo voluit aliquid détruite. Il a donc voulu quelque chose que Dieu
quod Deus non voluit. que Dieu ne voulait pas.
[9566] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. [2] Lui-même a dit en Lc 22, 42 : Non pas ma
2 Praeterea, ipse dixit Luc. 22, 42: non mea volonté, mais que la tienne s’accomplisse! Il
voluntas, sed tua fiat. Ergo volebat secundum voulait donc quelque chose selon sa volonté
voluntatem humanam aliquid quod non volebat humaine, qu’il ne voulait pas selon la volonté
secundum divinam. divine.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La volonté de la sensualité
était-elle contraire à la volonté de la raison
chez le Christ ?]
[9567] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1. Il semble que la volonté de la sensualité soit
1 Ulterius. Videtur quod voluntas sensualitatis sit contraire à la volonté de la raison chez le Christ.
contraria voluntati rationis in Christo. Sicut enim En effet, comme le dit Augustin dans le livre Sur
dicit Augustinus in Lib. de Trinit., voluntatum la Trinité, « l’opposition des volontés vient de
contrarietas est ex contrarietate volitorum, non ex l’opposition de ce qui est voulu, non de
contrarietate naturarum, ut Manichaei dicunt. Sed l’opposition des natures, comme le disent les
volita sensualitatis et rationis in Christo fuerunt manichéens ». Or, ce qui est voulu par la
contraria: quia sensualitas refutabat mortem, sensualité et par la raison chez le Christ est
quam ratio eligebat. Ergo contrariabatur voluntas opposé, car la sensualité refusait la mort, que la
sensualitatis voluntati rationis in Christo. raison choisissait. La volonté de la sensualité
s’opposait donc à la volonté de la raison chez le
Christ.
[9568] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 2. Comme le dit [Jean] Damascène, « chez le
2 Praeterea, sicut dicit Damascenus, in Christo Christ, il était permis à chaque puissance d’agir
unicuique potentiae permittebatur agere quod erat selon ce qui lui était propre et naturel ». Or, il est
sibi proprium et naturale. Sed naturale est naturel à l’appétit de la sensualité de désirer ce
appetitui sensualitatis ut appetat hoc quod est qui est délectable selon le sens. Il désirait donc
delectabile secundum sensum. Ergo hoc appetebat cela chez le Christ. Or, un combat de la
in Christo. Sed ex hoc est pugna sensualitatis sensualité contre la raison (pugna sensualitatis
contra rationem in nobis quod sensualitas appetit contra rationem) existe chez nous du fait que la
delectabilia secundum sensum. Ergo in Christo sensualité désire des choses délectables selon le
hujusmodi pugna fuit. sens. Un tel combat existait donc chez le Christ.
[9569] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 3. Tous ceux qui sont affligés par ce en quoi un
3 Praeterea, quicumque affligitur in hoc in quo autre se délecte possèdent une volonté qui lui est
alius delectatur, habet contrariam voluntatem illi. opposée. Or, la volonté de la raison du Christ se
Sed voluntas rationis Christi delectabatur in délectait dans le jeûne, comme dans un acte de
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jejunio, sicut in opere virtutis, in quo sensualitas vertu, ce par quoi la sensualité était affligée
affligebatur, quia esuriit, ut dicitur Matth. 4. Ergo parce qu’elle avait faim, comme on le dit dans
sensualitas rationi contrariabatur in Christo. Mt 4. La sensualité s’opposait donc à la raison
chez le Christ.
[9570] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. Cependant, [1] le premier mouvement, qui est
1 Sed contra, in rebellione sensualitatis ad un péché véniel, consiste dans la rébellion de la
rationem consistit primus motus, qui est peccatum sensualité (in rebellione sensualitatis) contre la
veniale. Sed in Christo non fuit aliquod peccatum. raison. Or, chez le Christ, il n’y avait aucun
Ergo non fuit in Christo contrarietas sensualitatis péché. Chez le Christ, il n’y avait donc pas
ad rationem. d’opposition de la sensualité à la raison.
[9571] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. [2] Augustin dit à propos de la Genèse : « Tous
2 Praeterea, Augustinus super Gen., dicit: omne les animaux se trouvaient avec Noé dans l’arche
animal fuit in arca Noe, quia omnes motus fuerunt parce que tous les mouvements du péché se
peccati in Christo. Sed hoc non contingit in illis in trouvaient chez le Christ. » Or, cela ne se produit
quibus est pugna sensualitatis contra rationem. pas chez ceux où il n’existe pas de combat de la
Ergo in Christo talis pugna non fuit. sensualité contre la raison. Il n’y eut donc pas un
tel combat chez le Christ.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La volonté de la raison
était-elle contraire à elle-même ?]
[9572] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 1. Il semble que la volonté de la raison était
1 Ulterius. Videtur quod voluntas rationis erat sibi contraire à elle-même. Or, la volonté de la raison
contraria. Medium enim communicat cum utroque était l’intermédiaire, chez le Christ, entre la
extremorum. Sed voluntas rationis media erat in volonté divine et la sensualité. Elle se conformait
Christo inter voluntatem divinam et sensualitatem. donc aux deux. Or, la sensualité voulait le
Ergo conformabatur utrique. Sed sensualitas contraire de ce que Dieu voulait. La volonté de la
volebat contrarium ejus quod Deus volebat. Ergo raison voulait donc des choses contraires.
voluntas rationis volebat contraria.
[9573] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 2. La volonté comme nature veut ce qui est
2 Praeterea, voluntas ut natura vult illud quod est ordonné à la conservation de la nature. Or, la
ad conservationem naturae. Sed voluntas ut ratio volonté comme raison chez le Christ voulait la
in Christo volebat mortem, et alia hujusmodi quae mort et d’autres choses de ce genre, qui
ad corruptionem naturae pertinent. Ergo in concernent la corruption de la nature. Il existait
voluntate rationis erat contrarietas in Christo. donc une opposition à l’intérieur de la volonté de
la raison chez le Christ.
[9574] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 3. Il ne peut exister de choses contraires chez le
3 Sed contra, contraria non possunt esse in eodem même. Or, la volonté de la raison n’est qu’une
simul. Sed voluntas rationis est tantum una seule puissance, comme on l’a dit à l’article
potentia, ut dictum est, art. praec. Ergo non potest précédent. Il ne peut donc exister d’opposition à
esse in ea aliqua contrarietas. l’intérieur d’elle.
[9575] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 4. La volonté suit la compréhension de la raison.
4 Praeterea, voluntas sequitur apprehensionem Or, il n’y avait pas d’opposition à l’intérieur de
rationis. Sed in ratione Christi non fuit aliqua la raison du Christ, mais elle était déterminée à
contrarietas, sed fuit determinata ad unum. Ergo une seule chose. Donc, ni à l’intérieur de sa
nec in voluntate. volonté.
[9576] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 arg. 5. Comme le dit Augustin dans le livre des
5 Praeterea, sicut dicit Augustinus in Lib. Confessions, la contrariété à l’intérieur de la
Confess., contrarietas voluntatis causatur ex volonté est causée par l’imperfection de la
imperfectione voluntatis: quia voluntas non est volonté, car il n’y a de volonté parfaite ni de ceci
perfecta neque istius neque illius. Sed in Christo ni de cela. Or, chez le Christ, il n’existait pas de
non fuit voluntas imperfecta. Ergo voluntas volonté imparfaite. La volonté de la raison ne
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rationis non contrariabatur sibi. s’opposait donc pas à elle-même.


Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9577] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Puisque la volonté suit la raison, la démarche de
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, la volonté est proportionnée à la démarche de la
quod cum voluntas sequatur rationem, processus raison. Or, la raison possède un principe connu
voluntatis proportionatur processui rationis. Ratio par lui-même, auquel elle ramène ce dont elle
autem habet aliquod principium per se notum, ad cherche la connaissance en l’y ramenant, et
quod resolvendo, reducit illud cujus cognitionem lorsqu’elle a pu l’y ramener, elle possède la
quaerit: et quando ad illud reducere potuerit, habet certitude à propos de cette chose et juge qu’il en
certitudinem de re, et sententiat quod ita est; sed est ainsi. Mais avant de pouvoir la ramener à ce
antequam ad illud principium reducere possit, principe, elle est mue par des vraisemblances : si
movetur aliquibus verisimilitudinibus: et si elle est retenue par ces raisonnements comme
quidem rationibus illis detineatur tamquam certis, s’ils étaient certains, elle se trompe et erre; mais
decipitur et errat; si autem illis non detineatur, si elle n’est pas retenue par eux, elle a alors une
tunc habet opinionem unius partis cum formidine opinion à propos d’un aspect, en en craignant un
alterius. Finis autem, ut dicit philosophus, 7 autre. Or, comme le dit le Philosophe dans
Ethic., se habet in voluntariis sicut principium in Éthique, VII, la fin joue, pour les choses
speculativis: unde quando voluntas reducit aliquid volontaires, le rôle du principe pour les choses
consiliabile in finem in quo totaliter quiescit, spéculatives. Lorsque la volonté ramène ce qui
sententialiter acceptat illud; si autem reducat in est l’objet du conseil à la fin dans laquelle elle se
finem in quo non totaliter quiescit, trepidat inter repose entièrement, elle l’accepte par mode de
utrumque. Sed si consideretur hoc quod est ad jugement; mais si elle le ramène à une fin dans
finem sine ordine ad finem, movetur voluntas in laquelle elle ne se repose pas entièrement, elle
ipsum secundum bonitatem vel malitiam, quam in s’affole des deux côtés. Mais si ce qui est
eo absolute inveniet. Sed quia voluntas non sistit ordonné à la fin est envisagé sans ordre à la fin,
in motu quem habet circa hujusmodi, cum non la volonté est mue vers cela selon sa bonté ou sa
feratur in ipsum sicut in finem; ideo non sententiat malice, qu’elle trouvera en cela de manière
finaliter secundum praedictum motum suum de absolue. Mais parce que la volonté ne s’arrête
illo, quousque finem in quem illud ordinat, non pas dans le mouvement qu’elle a vers les choses
consideret: unde voluntas non simpliciter vult de ce genre, puisqu’elle n’y est pas portée
illud; sed vellet, si nil inveniretur repugnans. comme vers la fin, elle n’en décide donc pas de
Voluntas autem ut natura movetur in aliquid, ut manière définitive selon le mouvement
dictum est, absolute: unde si per rationem non mentionné, jusqu’à ce qu’elle ne considère plus
ordinetur in aliquid aliud, acceptabit illud la fin vers laquelle elle l’ordonne; la volonté ne
absolute, et erit illius tamquam finis; si autem veut donc pas cela tout simplement, mais elle le
ordinet in finem, non acceptabit aliquid absolute, voudrait si rien ne s’y opposait. Or, la volonté
quousque perveniat ad considerationem finis, comme nature est mue vers quelque chose de
quod facit voluntas ut ratio. Patet igitur quod manière absolue, comme on l’a dit; si donc elle
voluntas ut natura imperfecte vult aliquid, et sub n’est pas ordonnée vers quelque chose d’autre
conditione, nisi feratur in ipsum sicut in finem; par la raison, elle l’acceptera de manière absolue
sed eorum quae ordinantur ad finem, habet et cela sera comme sa fin; mais si elle l’ordonne
voluntas ut ratio ultimum judicium et perfectum. vers la fin, elle ne l’acceptera pas de manière
His visis, potest patere, qualiter voluntas rationis, absolue avant de parvenir à considération de la
divinae voluntati in Christo conformatur in volito; fin, ce que fait la volonté comme raison. Il est
quia voluntas ut natura nunquam in Christo donc clair que la volonté comme nature veut
movebatur in aliquid sicut in finem, nisi quod quelque chose de manière imparfaite et sous
Deus vult. Et cum voluntas ut ratio nunquam condition, à moins d’y être portée pour ainsi dire
moveatur in aliquid nisi ex ratione finis, patet vers la fin; mais la volonté comme raison porte
quod etiam voluntas ut ratio conformabatur un jugement dernier et parfait sur ce qui est
divinae voluntati in volito; sed voluntas ut natura, ordonné à la fin. Après avoir vu cela, il peut
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mota in aliquid non sicut in finem (quod quidem apparaître comment, chez le Christ, la volonté de
non eodem modo se habet in bonitate et malitia la raison se conforme à la volonté divine pour ce
secundum se consideratum, et in ordine ad finem), qu’elle veut, car la volonté comme nature n’était
non conformabatur divinae voluntati in volito: jamais mue chez le Christ vers quelque chose
quia Christus volebat non pati, Deus autem comme fin, à moins que Dieu ne le veuille.
volebat eum mori; mors autem secundum se mala Puisque la volonté comme raison n’était jamais
erat, sed relata ad finem, bona. Hoc autem, ut mue vers quelque chose qu’en raison de la fin, il
dictum est, non est perfecte velle aliquid, sed sub est donc clair que même la volonté comme
conditione: unde a magistris velleitas appellatur. raison se conformait à la volonté divine pour ce
Patet igitur quod secundum voluntatem rationis qu’elle voulait; mais la volonté comme nature,
conformabatur divinae voluntati in volito mue vers quelque chose comme vers une fin – ce
quantum ad omne quod perfecte et absolute qui n’a pas le même caractère de bien ou de mal
volebat, non autem quantum ad id quod volebat considéré en soi que ce qui est ordonné à une fin
imperfecte. Similiter etiam nec voluntas -, ne se conformait pas à la volonté divine pour
sensualitatis conformabatur divinae voluntati in ce qu’elle voulait, car le Christ voulait ne pas
volito in his quae erant nociva naturae: quia souffrir, mais Dieu voulait qu’il meure. Or, en
sensualitatis non est ordinare ad finem, ex quo illa elle-même, la mort était mauvaise, mais, par
habebant quod essent bona, et Deo accepta: tamen rapport à la fin, elle était bonne. Cependant,
sensualitatis voluntas et rationis conformabatur comme on l’a dit, c’est là ne pas vouloir quelque
divinae voluntati in actu volendi, quamvis non in chose de manière parfaite, mais sous condition.
volito; quia quamvis Deus non vellet hoc quod Aussi des maîtres l’appellent-ils velléité. Il est
sensualitas vel voluntas ut natura volebat in donc clair que, selon la volonté de la raison, [le
Christo, volebat tamen illum actum utriusque, Christ] se conformait à la volonté divine pour ce
inquantum, secundum Damascenum, permittebat qu’il voulait en tout ce qu’il voulait de manière
unicuique partium animae pati et agere quod sibi parfaite et absolue, mais non pour ce qu’il
erat naturale et proprium, quantum expediebat ad voulait de manière imparfaite. De même aussi, la
finem redemptionis, et ostensionem veritatis volonté de la sensualité ne se conformait-elle pas
naturae. à la volonté divine pour ce qu’elle voulait parmi
les choses qui étaient nuisibles à la nature, car il
ne relève pas de la sensualité d’ordonner à une
fin par laquelle elles seraient bonnes et agréables
à Dieu. Cependant, la volonté de la sensualité et
de la raison se conformaient à la volonté divine
dans l’acte de vouloir, bien que non pour ce qui
était voulu, car, bien que Dieu ne voulût pas ce
que voulait la sensualité ou la volonté comme
nature chez le Christ, ìl voulait cependant l’acte
des deux, pour autant que, selon [Jean]
Damascène, il permettait à chacune des parties
de l’âme de subir et de faire ce qui lui était
naturel et propre, dans la mesure où cela
convenait à la fin de la rédemption et à la
manifestation de la vérité de la nature.
[9578] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 1. La conformité qui se trouve dans l’acte de
Ad primum ergo dicendum, quod conformitas vouloir ne réalise pas la rectitude de la volonté,
quae est in volitione, non facit rectitudinem car quelqu’un peut en péchant vouloir ce que
voluntatis: quia aliquis potest peccando velle illud Dieu veut et mérite par le fait de ne pas le
volitum quod vult Deus, et meretur in hoc quod vouloir, comme on l’a dit à la fin du livre I,
illud non vult, ut in fine 1 Lib., distinct. 48, d. 48. Mais la rectitude de la volonté est causée
dictum est. Sed rectitudo voluntatis causatur ex par la conformité dans la manière de vouloir, à
528

conformitate in modo volendi, ut scilicet velit ex savoir, de vouloir par charité comme le fait Dieu,
caritate sicut Deus; et iterum in causa finali, ut et donc en fonction de la cause finale, de manière
propter idem velit; et iterum in causa efficiente, ut à vouloir en vue de la même chose, et donc de la
scilicet Deus velit ipsum velle, ut dictum est. cause efficiente, à savoir que Dieu veuille qu’il
veuille, comme on l’a dit.
[9579] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 2. Chez les bienheureux, qui ne que
Ad secundum dicendum, quod in beatis, qui sunt comprehensores, alors qu’ils seront dotés de
solum comprehensores, quando erunt dotati l’impassibilité, rien ne surviendra pour blesser la
impassibilitate, nihil eis quantum ad sensitivam partie sensible; c’est pourquoi il n’y aura rien en
partem laesivum occurret: et ideo non erit aliquid eux qui mettra leur sensualité en désaccord avec
in quo eorum sensualitas a divina voluntate la volonté divine. Mais il en était autrement chez
discordet. Secus autem fuit in Christo, qui simul le Christ, qui était en même temps bienheureux
beatus et passibilis fuit. Et similiter nec voluntas et passible. De même en sera-t-il pour la volonté
ut natura, quantum ad ea quae ad ipsos pertinent, comme nature, pour ce qui les concerne, car ils
quia ab omni malo liberati erunt. Sed mala ont été libérés de tout mal. Mais ils voudront que
damnatorum vellent imperfecte modo praedicto, les maux des damnés n’existent pas de la
scilicet voluntate conditionata, non esse; in quo manière dite plus haut, en quoi, bien qu’ils ne se
etiam, quamvis non conformentur quantum ad conforment pas à la volonté divine conséquente
volitum divinae voluntati consequenti, pour ce qui est voulu, ils se conforment
conformantur tamen divinae voluntati antecedenti, cependant à la volonté divine antécédente, qui
quae vult omnes homines salvos fieri: et quantum veut que tous les hommes soient sauvés. Sur ce
ad hoc est similitudo inter voluntatem hominis point, il existe une ressemblance entre la volonté
Christi et voluntatem beatorum. de l’homme Christ et la volonté des bienheureux.
[9580] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 3. Bien que le Christ ait su ce que Dieu voulait
Ad tertium dicendum, quod quamvis Christus en toutes choses, il ne saisissait cependant pas la
sciret quid Deus vellet in quolibet, non tamen volonté divine par toutes ses puissances, ni la
qualibet sua vi apprehendebat divinam raison pour laquelle Dieu voulait cela en regard
voluntatem, nec rationem quare Deus id vellet d’une fin. Il n’était donc pas nécessaire que
secundum ordinem ad finem aliquem: et ideo non chacune de ses puissances se conforme à la
oportebat quod quaelibet vis ejus conformaretur volonté divine pour ce qui était voulu.
divinae voluntati in volito.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9581] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Le combat ou l’opposition entre la sensualité et
Ad secundam quaestionem dicendum, quod pugna la raison est causée chez nous par trois choses.
sive contrarietas sensualitatis ad rationem, Premièrement, par la diversité de ce qui est
causatur in nobis ex tribus. Primo ex diversitate voulu; deuxièmement, parce que la sensualité est
volitorum; secundo, quia sensualitas in suum portée vers ce qu’elle veut de manière effrénée et
volitum effrenate et sine regimine rationis fertur; sans direction de la raison; troisièmement, par le
tertio ex hoc quod sensualitas effrenata tendens in fait que la sensualité effrénée tendant vers ce
suum volitum, retardat motum rationis, et impedit qu’elle veut retarde le mouvement de la raison et
vel in toto vel in parte: et haec duo ultima in l’empêche en totalité ou en partie. Ces deux
Christo non fuerunt, quia nunquam motus derniers aspects n’existaient pas chez le Christ,
sensualitatis in aliquid ferebatur nisi car jamais un mouvement de la sensualité ne fut
praeordinaretur a ratione: et sic quamvis voluntas porté [chez lui] vers quelque chose sans avoir
rationis non vellet illud volitum in quod d’abord été ordonné par la raison, et ainsi, bien
sensualitas tendebat, volebat tamen quod que la volonté de la raison n’ait pas voulu ce vers
sensualitas in id tenderet, sicut dictum est de quoi la sensualité tendait, elle voulait cependant
voluntate divina et humana. Similiter nec motus que la sensualité y tende, comme on l’a dit de la
sensualitatis impediebat motum rationis, quia non volonté divine et de la volonté humaine. De
erat violenta refusio in Christo de potentia in même, le mouvement de la sensualité
529

potentiam. n’empêchait pas le mouvement de la raison, car


il n’existait pas chez le Christ de débordement
violent d’une puissance sur une autre puissance.
[9582] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1 1. Les contraires sont destinés à porter sur la
Ad primum ergo dicendum, quod contraria nata même chose; bien que le mouvement de la
sunt fieri circa idem: unde quamvis motus sensualité et de la raison tendent vers des
sensualitatis et rationis in contraria tendant, non contraires, ils ne sont cependant contraires que
tamen sunt contrarii, nisi quatenus ex sensualitate pour autant qu’un empêchement rejaillise sur la
redundat in rationem aliquod impedimentum, vel raison à partir de la sensualité, ou pour ce qui est
quantum ad actum quo regit alias potentias, et hoc de l’acte par lequel elle dirige les autres
est quando effrenate sensualitas in suum objectum puissances - et cela se produit lorsque la
fertur; vel quantum ad proprium actum rationis, et sensualité est portée vers son objet de manière
hoc est quando sensualitas extinguit vel retardat effrénée, ou pour ce qui est de l’acte propre de la
motum rationis: quae duo in Christo non fuerunt, raison; et cela se produit lorque la sensualité
sicut in nobis sunt; et ideo nulla fuit in Christo éteint ou retarde le mouvement de la raison. Ces
pugna vel contrarietas sensualitatis ad rationem. deux choses n’éxistaient pas chez le Christ,
comme elles existent chez nous. C’est pourquoi
il n’y avait pas chez le Christ de combat ou
d’opposition entre la sensualité et la raison.
[9583] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2 2. Il est naturel pour la sensualité d’être portée
Ad secundum dicendum, quod naturale est vers ce qui est délectable pour le sens sous la
sensualitati humanae quod feratur in delectabile direction de la raison; mais qu’elle y soit portée
sensus secundum regimen rationis; sed quod de manière immodérée, c’est le fait de la
immoderate feratur, hoc facit corruptio fomitis; et convoitise. De là vient un péché véniel dans la
hinc est peccatum veniale in sensualitate. sensualité.
[9584] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3 3. Ce raisonnement démontre seulement la
Ad tertium dicendum, quod illa ratio probat diversité de ce qui est voulu.
diversitatem volitorum tantum.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9585] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Selon la volonté de la raison, le Christ voulait
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod diverses choses, non pas d’une seule manière,
secundum voluntatem rationis, Christus diversa mais l’une de manière absolue, et l’autre de
volebat, non tamen uno modo, sed alterum manière conditionnelle et imparfaite. Aussi
absolute, alterum autem sub conditione, et n’existait-il pas d’opposition dans sa volonté, car
imperfecte; et ideo non erat contrarietas in l’opposition à l’état habituel ou en acte vient de
voluntate: quia contrarietas in habitu vel in actu la raison contraire de l’objet. Or, la raison selon
est ex contraria ratione objecti: ratio autem laquelle la volonté comme raison voulait l’un des
secundum quam unum contrariorum volebat contraires et la volonté comme nature en voulait
voluntas ut ratio, et alterum volebat ut natura, non un autre n’a pas un caractère contraire : en effet,
habet contrarietatem: quod enim aliquid ex ordine le fait qu’une chose comporte une bonté par
ad finem bonitatem habeat, quod sine illo ordine l’ordre à la fin, alors qu’elle serait mauvaise en
in se malum esset, non habet aliquam elle-même sans cet ordre, ne comporte pas le
repugnantiam, secundum quam, ut dictum est, in caractère opposé selon lequel, comme on l’a dit,
diversa ferantur voluntas ut ratio, et voluntas ut la volonté comme raison et la volonté comme
natura. nature sont portées vers des choses différentes.
[9586] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1 1. La réponse aux deux premiers arguments, qui
Unde patet responsio ad duas primas rationes, concluent à partir de la diversité de ce qui est
quae concludunt diversitatem volitorum. voulu, est ainsi claire
[9587] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3 3. De même en est-il pour le troisième, qui
Et similiter ad tertiam, quae est ad oppositum, conclut à partir de l’opposition entre les
530

quae concludit de contrarietate voluntatis. volontés.


[9588] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4 4. De même que, chez le Christ, la raison était
Ad quartum dicendum, quod sicut in Christo erat déterminée à une seule chose, pour ce qui est du
ratio determinata ad unum, quantum ad ultimum jugement ultime, de même aussi la volonté était-
judicium, ita et voluntas erat determinata tantum elle déterminée seulement à une seule chose,
ad unum, quantum ad ultimum consensum et pour ce qui est du consentement ultime et absolu.
absolutum: tamen in ratione erat apprehensio Cependant, il existait dans la raison une saisie de
diversarum et contrariarum rationum circa raisons différentes ou contraires à propos de la
eamdem rem diversimode consideratam: et sic même chose envisagée de diverses manières. Il
etiam erat de motu voluntatis. en allait aussi de même pour le mouvement de la
volonté.
[9589] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 5 5. Augustin parle de la volonté qui tend vers
Ad quintum dicendum, quod Augustinus loquitur deux choses pour ce qui est du consentement
quando voluntas tendit in duo quantum ad ultime et absolu, ce qui n’existait pas chez le
ultimum et absolutum consensum, quod in Christo Christ.
non fuit.

Articulus 3 [9590] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. Article 3 – Était-il approprié pour le Christ de
3 tit. Utrum Christo fuerit conveniens orare prier ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Était-il approprié pour le
Christ de prier ?]
[9591] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il n’ait pas été approprié pour le
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod orare Christ de prier, car, ainsi que le dit [Jean]
non fuerit competens Christo. Quia, sicut dicit Damascène, « la prière est une élévation de
Damascenus, oratio est ascensus intellectus in l’intellect vers Dieu ». Or, s’élever vers Dieu,
Deum. Sed ascendere in Deum, cum sit distantis a puisque c’est le fait de celui qui est éloigné de
Deo, non competit intellectui Christi, qui semper Dieu, n’est pas approprié à l’intellect du Christ,
Deo conjunctus erat. Ergo Christo non competit qui avait toujours été uni à Dieu. Il ne convient
orare. donc pas que le Christ prie.
[9592] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2. Personne ne se demande quelque chose à lui-
2 Praeterea, nullus petit aliquid a seipso. Sed, même. Or, comme le dit [Jean] Damascène, « la
sicut Damascenus dicit, oratio est petitio prière consiste à demander à Dieu ce qui
decentium a Deo. Cum ergo Christus sit Deus, et convient ». Puisque le Christ est Dieu et qu’il
non sit alius Deus praeter eum, orare non pertinet n’existe pas d’autre Dieu que lui, il ne lui
ad ipsum. convient donc pas de prier.
[9593] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3. La prière est une manifestation de sa volonté,
3 Praeterea, oratio est expressio voluntatis, quia car elle porte sur une chose que quelqu’un veut
est de eo quod quis absolute vult; alias est fictio. absolument, autrement, elle est une feinte. Or, le
Sed Christus quidquid absolute volebat, hoc Christ savait que Dieu voulait tout ce qu’il
sciebat Deum velle. Ergo non oportebat quod de voulait de manière absolue. Il n’était donc pas
hoc ipso rogaret. nécessaire qu’il le lui demande.
[9594] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. Cependant, [1] prier est le fait de celui qui ne
1 Sed contra, ejus qui non potest omnia de se est peut pas tout par lui-même. Or, le Christ, en tant
orare. Sed Christus, secundum quod homo, omnia qu’homme, ne pouvait pas tout, comme on l’a dit
non poterat, ut supra, dist. 14, quaest. 1, art. 4, plus haut, d. 14, q. 1, a. 4. Il lui revient donc de
dictum est. Ergo ejus, secundum quod homo, est prier en tant qu’homme.
orare.
[9595] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. [2] La fonction du pontife est d’adresser des
2 Praeterea, officium pontificis est preces ad prières à Dieu. Or, le Christ est pontife, comme
Deum fundere. Sed Christus est pontifex, ut il est dit dans He 2. Il lui revient donc de prier.
531

dicitur Hebr. 2. Ergo ejus est orare.


Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Convenait-il que le Christ
prie pour lui-même, et non seulement pour les
autres ?]
[9596] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il ne revient pas [au Christ] de
1 Ulterius. Videtur quod non sit ejus orare pro se, prier pour lui-même, mais seulement pour les
sed tantum pro aliis: officium enim sacerdotis est autres. En effet, la fonction du prêtre consiste à
eodem modo orare et hostias offerre. Sed Christus prier de la même manière qu’il offre des
obtulit hostiam non pro se, sed pro aliis, ut dicitur victimes. Or, le Christ a offert une victime, non
Hebr. 7. Ergo nec pro se oravit. pour lui-même, mais pour les autres, comme on
le dit dans He 7. Il n’a donc pas prié pour lui-
même.
[9597] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2. En tout genre de moteurs, il faut en arriver à
2 Praeterea, in quolibet genere moventium est un premier moteur qui n’est pas mû selon ce
devenire ad primum movens quod non movetur mouvement, comme ce qui altère se ramène à un
secundum illum motum, sicut alterantia premier altérant qui n’est pas altéré. Or, le Christ
reducuntur ad primum alterans non alteratum. Sed est le premier parmi ceux qui prient. Il prie donc
Christus est primus inter orantes. Ergo ipse est sans prier pour lui-même.
orans, et pro eo non oratur.
[9598] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3. Aucun sage ne demande le contraire de ce
3 Praeterea, nullus sapiens orat contrarium ejus qu’il veut. Or, chez le Christ, rien n’arrivait que
quod vult. Sed in Christo nihil accidebat nisi quod ce qu’il voulait. Il ne priait donc pas pour lui-
ipse volebat. Ergo ipse non pro se oravit. même.
[9599] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, [1] la prière est faite non seulement
1 Sed contra, oratio fit non tantum contra contre la maladie de la faute, mais aussi contre la
infirmitatem culpae, sed etiam contra infirmitatem maladie de la peine. Or, le Christ était entouré
poenae. Sed Christus circumdatus erat infirmitate par la maladie de la peine, bien qu’il ne l’ait pas
poenae, quamvis non infirmitate culpae. Ergo pro été par la maladie de la faute. Il pouvait donc
se orare poterat. prier pour lui-même.
[9600] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. [2] Par la prière, on mérite pour soi-même. Or,
2 Praeterea, per orationem aliquis sibi meretur. le Christ a mérité pour lui-même l’éclat de son
Sed Christus sibi meruit claritatem corporis. Ergo corps. Le Christ pouvait donc prier pour lui-
Christus pro se orare potuit. même.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La prière par laquelle le
Christ a prié pour lui-même était-elle un acte
de la sensualité ?]
[9601] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1. Il semble que la prière par laquelle il a prié
1 Ulterius. Videtur quod oratio qua pro se oravit, pour lui-même était un acte de la sensualité. En
fuit actus sensualitatis. Ejus enim est orare, cujus effet, il revient de prier à ce qui veut. Or, seule la
est velle. Sed non mori in Christo absolute non sensualité chez le Christ ne voulait absolument
volebat nisi sensualitas. Ergo oratio qua mortem pas mourir. La prière par laquelle il demande
petebat a se excludi, erat actus sensualitatis. d’être exempté de la mort était donc un acte de la
sensualité.
[9602] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 2. Le Maître dit dans le texte qu’il priait pour
2 Praeterea, Magister dicit in littera, quod ex que le calice s’éloigne par l’affectivité humaine
affectu humano quem ex virgine contraxit calicem qu’il avait reçue de la Vierge. Or, il n’a pas reçu
transire orabat. Sed affectum rationis non traxit ex de la Vierge l’affectivité de la raison, car l’âme
virgine: quia anima rationalis fit per creationem, raisonnable apparaît par création, et non par
et non ex traduce. Ergo hoc oravit per affectum transmission. Il n’a donc pas prié par l’affectivité
sensualitatis. de la sensualité.
532

[9603] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 3. Les lionceaux demandent à Dieu leur
3 Praeterea, catuli leonum quaerunt a Deo escam nourriture et les petits des corbeaux font appel à
sibi, et pulli corvorum invocant eum, ut dicitur in lui, comme il est dit dans Ps 103 et 146. Or, il
Psalm. 103 et 146. Sed in eis non est nisi affectus n’existe chez eux que l’affectivité de la
sensualitatis. Ergo et Christus orare potuit per sensualité. Le Christ pouvait donc prier par sa
sensualitatem tantum. sensualité seulement.
[9604] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. Cependant, [1] il appartient de prier à celui qui
1 Sed contra, ejus est orare, cujus est Deum connaît Dieu. Or, cela relève seulement de la
cognoscere. Hoc autem est tantum rationis. Ergo raison. Chez le Christ, il relève donc seulement
rationis est tantum orare in Christo. de la raison de prier.
[9605] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. [2] La prière relève de la vie contemplative. Or,
2 Praeterea, oratio ad vitam contemplativam la vie contemplative n’a rien de commun avec la
pertinet. Sed vita contemplativa non habet sensualité. La prière du Christ n’était donc pas
aliquam communitatem cum sensualitate. Ergo un acte de sensualité.
oratio Christi non fuit actus sensualitatis.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Toutes les prières du
Christ ont-elles été exaucées ?]
[9606] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 1. Il semble que toutes les prières du Christ
1 Ulterius. Videtur quod non omnis Christi oratio n’aient pas été exaucées, d’après ce qui est dit en
fuit exaudita, per id quod dicitur in Psalm. 21, 3: Ps 21, 3 : Je crierai tout le jour, et tu n’écouteras
clamabo per diem, et non exaudies, quod Glossa pas! que la Glose interprète du Christ.
exponit de Christo.
[9607] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 2. [Le Christ] a prié pour que ses disciples, ainsi
2 Praeterea, oravit ut discipuli servarentur a malo, que tous ceux qui devaient croire en lui grâce à
ut patet Joan. 17, et omnes qui credituri erant per leur parole, soient protégés du mal, comme cela
verbum eorum in ipsum. Hoc autem non fuit ressort de Jn 17, Or, cela ne s’est réalisé ni pour
impletum nec quantum ad ipsos apostolos, nec les apôtres eux-mêmes, ni pour les autres
quantum ad alios credentes; nec de malo culpae, croyants, que ce soit pour le mal de faute ou pour
nec de malo poenae. Ergo non omnis Christi le mal de peine. Toutes les prières du Christ ne
oratio fuit exaudita. sont donc pas exaucées.
[9608] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 3. Comme il est dit en Lc 23, [le Christ] a prié
3 Praeterea, ut dicitur Lucae 23, oravit pro pour ceux qui le crucifiaient afin que le péché ne
crucifixoribus, ut peccatum eis non imputaretur, leur en soit pas imputé, mais qu’il leur soit
sed ut parceretur. Sed non omnibus remissum fuit épargné. Or, ce péché n’a pas été remis à tous,
illud peccatum: quia non omnes conversi sunt ad car tous ne se sont pas convertis à la foi, sans
fidem, sine qua non est peccatorum remissio. laquelle il n’y a pas de rémission des péchés. Sa
Ergo sua oratio non fuit exaudita. prière n’a donc pas été exaucée.
[9609] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 arg. 4. [Le Christ] a prié pour que le calice s’éloigne
4 Praeterea, oravit ut calix ab eo transferretur, ut de lui, comme cela ressort de Mt 26. Or, cela ne
patet Matth. 26. Hoc autem non fuit factum. Ergo s’est pas réalisé. Donc, etc.
et cetera.
[9610] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. Cependant, [1] He 5, 7 dit : Il a été exaucé en
1 Sed contra, Heb. 5, 7: exauditus est pro sua raison de sa piété.
reverentia.
[9611] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. [2] Sa prière n’a pas été moins efficace que celle
2 Praeterea, oratio sua non fuit minus efficax des autres saints. Or, il a lui-même dit aux autres
quam aliorum sanctorum. Sed aliis sanctis ipse saints : Demandez et vous recevrez! Jn 16, 24. Il
dicit: petite et accipietis; Joan. 16, 24. Ergo et ipse a donc lui-même reçu ce qu’il a demandé.
quod petiit accepit.
[9612] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 s. c. [3] Jn 11, 42 dit : Je savais que tu m’écoutes
533

3 Praeterea, Joan. 11, 42: ego autem sciebam quia toujours.


semper me audis.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9613] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Il ne convient pas au Christ, en tant qu’il est
Respondeo ad primam quaestionem dicendum, Dieu, de prier ni d’obéir, ni de rien faire qui ait
quod Christo, secundum quod Deus, non competit l’apparence d’un abaissemenet, ni ce qui relève
orare nec obedire, nec aliquid quod minorationem de la diversité de volonté. Mais, selon qu’il est
sonat, aut quod ad diversitatem voluntatis homme, il lui convient de prier pour trois
pertinet: sed secundum quod homo, competit sibi raisons, comme le dit [Jean] Damascène.
orare propter tria, ut dicit Damascenus. Primo Premièrement, afin de suggérer la vérité de sa
propter veritatem humanae naturae insinuandam, nature humaine, selon laquelle il est inférieur au
secundum quam minor est patre, et obediens ei, et Père, lui obéit et le prie. Deuxièmement, pour
orans ipsum. Secundo ad exemplum orandi nobis nous donner l’exemple de la prière, car toutes ses
praebendum: quia omnis ejus actio, nostra est actions sont pour nous un enseignement,
instructio; cum sit nobis datus quasi exemplum puisqu’il nous a été donné comme exemple de
virtutis. Tertio ad ostendendum quod a Deo vertu. Troisièmement, pour montrer qu’il était
venerat, et sibi contrarius non erat, dum eum venu de Dieu et qu’il ne lui était pas opposé,
orando principium recognoscebat. puisqu’il le reconnaissait comme principe en le
priant.
[9614] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 1. S’élever, c’est au sens propre tendre vers
Ad primum ergo dicendum, quod ascendere est quelque chose qui était au-dessus de soi. Or,
proprie tendere in aliquid quod supra ipsum erat. l’intellect du Christ ne tend pas vers quelque
Intellectus autem Christi non tendit in aliquid chose qui lui serait supérieur en vue de le
quod supra ipsum esset quantum ad contempler, car, tout ce qu’on a contemplé de
contemplationem, quia quidquid de Deo unquam Dieu, il l’a contemplé dès le premier instant de
contemplatus est, hoc contemplatus est a primo sa conception. C’est ainsi que [Jean] Damacène
instanti conceptionis; et secundum hoc dicit dit que l’intellect du Christ n’avait pas besoin
Damascenus, quod intellectus Christi ascensione d’élévation vers Dieu; cependant, la puissance
quae est in Deum non indigebat: sed tamen divine qu’il implorait en priant était au-dessus de
potentia divina, quam orando implorabat, supra lui. En s’élevant ainsi, il priait Dieu.
ipsum erat; et sic ascendens in Deum orabat.
[9615] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 2. Chez les autres hommes, il existe une seule
Ad secundum dicendum, quod in aliis hominibus volonté intellectuelle à qui il revient de prier; elle
est una intellectualis voluntas cujus est orare, quae possède aussi le pouvoir de commander aux
habet etiam imperium super alias vires in ipsis autres puissances qui existent chez eux. C’est
existentes; et ideo ejus non est orare, sed imperare pourquoi il ne lui revient pas de prier, mais de
respectu eorum quae per ipsos fieri possunt. Sed commander à propos de ce qui peut être
non omnia quae erant in Christo, erant subjecta accompli par eux. Or, tout ce qui existait chez le
rationi, et voluntati rationis, sed aliquid supra Christ n’était pas soumis à la raison et à la
ipsam, scilicet deitas: unde sicut in aliis volonté de la raison, mais il existait quelque
hominibus ratio et voluntas imperant aliis viribus; chose de supérieur à la raison, la divinité. De
ita in Christo orabant deitatem. même que, chez les autres hommes, la raison et
la volonté commandent aux autres puissances, de
même, chez le Christ, elles priaient la divinité.
[9616] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 3. Le Christ a prié pour que ce qu’il voulait de
Ad tertium dicendum, quod aliquid oravit manière absolue par la volonté de la raison
Christus quod absolute fieri rationis voluntate s’accomplisse, bien que ce ne soit pas toutes
volebat, quamvis non omnia, ut dicetur: et choses, comme on le dira. Et bien qu’il ait su que
quamvis sciret hoc esse in Dei voluntate, cela était la volonté de Dieu, il priait néanmoins
nihilominus orabat quia sciebat Deum velle hoc parce qu’il savait que Dieu voulait que cela
534

impleri per suam orationem; sicut etiam Deus vult s’accomplisse par sa prière, comme Dieu veut
aliquem salvare orationibus alicujus sancti; unde que quelqu’un soit sauvé par les prières d’un
non est superfluum quod ille sanctus pro eo orat. saint. Ainsi n’est-il pas superflu que ce saint prie
pour lui.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9617] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 co. La prière vise toujours à combler une carence.
Ad secundam quaestionem dicendum, quod oratio Or, le Christ ne souffrait d’aucune carence pour
semper est ad supplendum aliquem defectum. ce qui était des biens spirituels, car il était
Christus autem non patiebatur aliquem defectum bienheureux; mais il souffrait d’une carence pour
quantum ad bona spiritualia, quia beatus erat; autant qu’il était passible dans son âme et dans
patiebatur autem defectum, inquantum passibilis son corps. Aussi toute prière du Christ, qui avait
erat in anima et in corpore: unde omnis oratio pour objet les biens spirituels, n’était-elle pas
Christi quae erat pro bonis spiritualibus, non erat pour lui-même, mais pour les autres, comme
pro se, sed pro aliis; sicut illud: ut sint unum in celle-ci : Afin qu’ils soient un comme nous-
nobis sicut et nos unum sumus, Joan. 17: sed mêmes nous sommes un! Jn 17. Mais il priait
oratio quae erat pro his quae pertinent ad corpus, aussi pour ce qui se rapportait [à son] corps,
etiam erat ipsi pro seipso, sicut patet per illud comme cela ressort de Ps 40, 11 : Ressuscite-
Psal. 40, 11: resuscita me, et retribuam eis; quae moi, et je les récompenserai, prière qui, même si
quidem oratio, etsi sit pro se, idest ut ipse elle le concerne, à savoir, qu’il ressuscite,
resuscitaretur; tamen est pro aliis, inquantum ad concerne cependant aussi les autres, pour autant
aliorum salutem tendit: quia resurrexit propter qu’elle tend au salut des autres, car il est
justificationem nostram, Rom. 4, 25, et ressuscité pour notre justification, Rm 4, 25, et
instructionem, quia ejus exemplo ab ipso Deo pour notre enseignement, car nous devons
petere debemus. demander à Dieu selon son exemple.

[9618] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 1. La prière est faite pour l’enlèvement de
Ad primum ergo dicendum, quod oratio effunditur n’importe quelle carence; mais la victime est
pro quolibet defectu amovendo; sed hostia offerte principalement pour le péché, afin que
praecipue contra peccatum offertur, ut per eam Dieu, apaisé par elle, accorde quelque chose. Or,
Deus placatus, aliquid concedat. Christus autem le Christ, bien qu’il ait eu la carence de la peine,
quamvis aliquem defectum poenae habuerit; non n’a cependant pas eu la carence de la faute. Il a
tamen habuit defectum culpae; et ideo pro se donc prié pour lui-même, mais il ne s’est pas
oravit, non autem pro se hostiam obtulit. offert comme victime pour lui-même.
[9619] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 2. Prier sans prier pour soi-même est le fait du
Ad secundum dicendum, quod orans pro quo non Christ lui-même, selon qu’il est bienheureux,
oratur, est ipse Christus, secundum quod beatus, mais non selon ce qui relève de l’état de viator.
non autem secundum ea quae ad statum viatoris
pertinent.
[9620] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3
3. Chez le Christ, il n’y avait rien qu’il ne voulût
Ad tertium dicendum, quod in Christo non erat pas, de manière absolue et tout simplement, voir
aliquid quod voluntate rationis absolute et exister chez lui selon la volonté de sa raison; il
simpliciter non vellet tunc esse in se; erat tamen existait cependant chez lui une passibilité dont il
in ipso passibilitas, quam volebat, peracto voulait qu’une fois accomplie l’œuvre de la
redemptionis opere, per gloriam resurrectionis a rédemption, elle lui soit enlevée par la gloire de
se removere; et erat in eo aliquid, scilicet passio la résurrection. Et il y avait chez lui quelque
imminens, quam volebat etiam tunc non inesse chose, à savoir, la passion imminente, dont il
voluntate sensualitatis, et rationis ut naturae. voulait qu’elle ne l’affecte pas, selon la volonté
de sa sensualité et de sa raison comme nature.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9621] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 co. On parle d’acte de la sensualité de deux
535

Ad tertiam quaestionem dicendum, quod actus manières. D’une manière, [d’un acte] de la
sensualitatis dicitur dupliciter. Uno modo sensualité comme principe provoquant l’acte : la
sensualitatis sicut principii elicientis actum: et sic prière ne peut ainsi être un acte de la sensualité
oratio non potest esse actus sensualitatis in chez le Christ, comme le montrent les arguments
Christo, ut probant rationes secundo inductae. invoqués en second lieu. D’une autre manière,
Alio modo dicitur sensualitatis ut objecti, idest de [on parle d’un acte] de la sensualité du point de
eo quod sensualitas volebat: et sic erat aliqua ejus vue de l’objet, c’est-à-dire de ce que la sensualité
oratio sensualitatis: quia ratio orans, erat quasi voulait : il existait ainsi [chez lui] une prière de
advocatus sensualitatis, proponens Deo appetitum la sensualité, car la raison qui priait était comme
sensualitatis. Hoc autem non faciebat quasi ratio l’avocate de la sensualité, proposant à Dieu ce
vellet hoc quod pro sensualitate petebat; sed ut que désirait la sensualité. Mais il ne faisait pas
doceret omnem hominis voluntatem Deo cela comme si la raison voulait ce qu’elle
subdendam esse, et in omnibus necessitatibus ad demandait pour la sensualité, mais pour
eum recurrendum; unde subdit: non mea voluntas, enseigner que toute volonté de l’homme doit être
sed tua fiat; Luc. 22, 42. soumise à Dieu et qu’il faut recourir à lui pour
tous nos besoins. Aussi ajoute-t-il : Non pas ma
volonté, mais que ta volonté s’accomplisse!
Lc 22, 42.
[9622] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 1. Lorsque quelqu’un prie pour ses propres
Ad primum ergo dicendum, quod quando aliquis besoins, la raison ne demande que ce qu’elle
orat propter suam utilitatem, ratio non petit nisi veut; c’est pourquoi il appartient de prier à celui
hoc quod vult; et ideo tunc cujus est orare ejus est à qui il appartient de vouloir. Mais le Christ ne
velle. Sed Christus hoc non petebat propter suam demandait pas cela pour sa propre utilité, à
utilitatem, ut scilicet ipse effectum hujus savoir pour que lui-même obtienne l’effet de
petitionis consequeretur, sed propter utilitatem cette demande, mais pour l’utilité des autres,
aliorum, ut dictum est; et ideo ratio non petebat comme on l’a dit. C’est pourquoi la raison ne
hoc, secundum quod ipsa volebat, sed secundum demandait pas cela selon ce qu’elle-même
quod sensualitas appetebat. voulait, mais selon ce que désirait la sensualité.
[9623] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2 2. Il a prié par sensualité, bien que la sensualité
Ad secundum dicendum, quod ex sensualitate n’ait pas prié, car l’appétit de la sensualité était
oravit, quamvis sensualitas non oraret: quia la cause pour laquelle il proposait une prière.
appetitus sensualitatis erat causa quare orationem
proponebat.
[9624] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3 3. Cette recherche et cette demande ne désignent
Ad tertium dicendum, quod illud quaerere et pas une prière proprement dite, mais la
invocare non designat orationem proprie dictam, disposition, qui existe en elles comme chez
sed ordinationem quae est in his, sicut et in toutes les autres créatures, à recevoir de Dieu ce
omnibus aliis creaturis, ad recipiendum a Deo ea qui concerne la conservation de soi.
quae ad conservationem sui pertinent.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[9625] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Toute prière que le Christ a offerte avec
Ad quartam quaestionem dicendum, quod omnis l’intention d’être lui-même exaucé a été exaucée.
oratio quam Christus obtulit hac intentione, ut Mais puisque quelqu’un n’a pas l’intention
ipsam impetraret, fuit exaudita. Sed cum aliquis d’obtenir ce qu’il ne veut pas de manière
impetrare non intendat quod absolute non vult; absolue, seule a été exaucée la prière du Christ
haec sola oratio Christi exaudita fuit quae erat de pour ce que le Christ voulait de manière absolue.
eo quod Christus absolute voluit. Hoc autem Or, on dit de ce à quoi s’arrête son consentement
dicitur aliquis simpliciter et absolute velle in quo ultime, que quelqu’un veut quelque chose tout
ultimus ejus consensus stat. Ultimus autem simplement et de manière absolue Or, le
consensus est secundum supremam partem consentement ultime est celui qui relève de la
536

appetitus in homine. Appetitus autem rationis est partie la plus élevée de l’appétit chez l’homme.
supra appetitum sensus, et in appetitu rationis est Or, l’appétit de la raison est plus élevé que
supremum quod in finem tendit, vel in aliquid l’appétit du sens et, dans l’appétit de la raison,
conjunctum fini. Et ideo hoc solum Christus est plus élevé ce qui tend vers la fin ou vers
absolute voluit quod secundum rationem voluit ut quelque chose qui est uni à la fin. C’est pourquoi
finem, et ut in ordine ad finem; et omnis talis sua le Christ a voulu de manière absolue ce qu’il a
oratio fuit exaudita. Quod autem secundum voulu comme fin et selon l’ordre à la fin selon la
sensualitatem voluit, absolute non voluit; et ideo raison : toute prière de ce genre de sa part a été
ratio non hoc, orando proposuit ut impetraret. Nec exaucée. Mais ce qu’il a voulu selon sa
tamen fuit simulatio, quia appetitum sensualitatis sensualité, il ne l’a pas voulu de manière
exprimebat ratione jam dicta: similiter quod absolue : c’est pourquoi la raison n’a pas
volebat ratio ut natura, si in eo non sicut in fine proposé cela pour l’obtenir. Ce ne fut cependant
quiescebat, non simpliciter volebat, ut prius pas une simulation, car il exprimait l’appétit de
dictum est; et ideo etiam haec non hoc proposuit la sensualité pour la raison déjà mentionnée. De
orando ut impetraret; et propter hoc hujusmodi même, ce que voulait la raison comme nature, si
orationes non fuerunt exauditae. elle ne s’y reposait pas comme dans la fin, elle
ne le voulait pas tout simplement, comme on l’a
dit plus haut. Il n’a donc pas proposé cela en
priant afin de l’obtenir. Pour cette raison, les
prières de ce genre n’ont pas été exaucées.
[9626] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1 1. Le Christ a dit cela en la personne de l’Église,
Ad primum ergo dicendum, quod hoc dixit comme le dit la Glose. Ou bien il parle de la
Christus in persona Ecclesiae, ut dicit Glossa. Vel prière qui exprime la volonté de la sensualité ou
loquitur de oratione exprimente voluntatem d’une velléité de la raison comme nature.
sensualitatis, aut velleitatem rationis ut naturam.
[9627] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 22. La volonté de la raison comme nature porte
Ad secundum dicendum, quod voluntas rationis ut sur ce qui est bon en soi, sans prendre en compte
natura, est de eo quod habet in se bonitatem, non son ordre à autre chose; aussi une telle volonté
considerato ordine ejus ad aliud; unde voluntas chez le Christ avait-elle comme objet le salut de
talis in Christo fuit de salute omnium hominum, tous les hommes, telle que la volonté en existait
sicut voluntas fuit in Deo; sed secundum hanc en Dieu. Mais on ne dit pas que quelqu’un veut
simpliciter et absolute non dicitur aliquis velle. tout simplement et de manière absolue selon
Hanc autem voluntatem Hugo de sancto Victore [une telle volonté]. Or, c’est cette volonté que
dicit voluntatem pietatis. Sed voluntas ut ratio, est Hugues de Saint-Victor appelle « volonté de la
de eo quod habet bonitatem etiam in ordine ad piété ». Mais la volonté comme raison porte sur
aliud; et secundum hanc voluntatem non volebat ce qui est bon même par rapport à autre chose.
Christus omnes salvari, sicut nec Deus voluntate Selon une telle volonté, le Christ ne voulait pas
consequente; et secundum hanc dicitur aliquis que tous soient sauvés, comme Dieu ne le veut
simpliciter et absolute velle; et ideo oratio Christi pas d’une volonté conséquente. Selon une telle
quae fuit secundum hanc voluntatem, fuit volonté, on dit que quelqu’un veut tout
exaudita; non autem quae fuit secundum primam; simplement et de manière absolue. C’est
et ideo dicit Hieronymus, quod Christus exauditus pourquoi la prière du Christ, faite selon cette
est pro praedestinatis, non autem pro non volonté, a été exaucée, mais non celle qui a été
praedestinatis. faite selon la première [volonté]. Aussi Jérôme
dit-il que le Christ a été exaucé pour ce qui est
des prédestinés, mais non pour ceux qui ne sont
pas prédestinés.
[9628] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3 3.Il faut répondre de la même manière au
Et similiter dicendum est ad tertium. troisième argument.
[9629] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 4 4. Dans cette prière, la raison a exprimé un
537

Ad quartum dicendum, quod in illa oratione ratio mouvement de la sensualité, et non son propre
expressit motum sensualitatis, et non suum; unde mouvement. Aussi ne voulait-elle pas tout
illud quod orabat, non simpliciter voluit. simplement ce pour quoi elle priait.

Articulus 4 [9630] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. Article 4 – Le Christ en tant qu’homme a-t-il
4 tit. Utrum Christus, secundum quod homo, douté ?
dubitaverit
[9631] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ, en tant qu’homme, ait
quartum sic proceditur. Videtur quod Christus, douté, selon ce que dit Ambroise dans le texte,
secundum quod homo, dubitavit, per hoc quod qu’« il doutait en tant qu’homme ».
dicit Ambrosius in littera, quod ut homo
dubitabat.
[9632] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Quiconque ne connaît pas tout peut douter. Or,
Praeterea, quicumque nescit omnia, potest le Christ n’a pas connu tout selon une certaine
dubitare. Sed Christus secundum aliquam science, comme on l’a dit plus haut, d. 14, q. 1,
scientiam nescivit omnia, ut supra, distinct. 14, a. 3. Il pouvait donc douter selon cette [science].
quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo secundum illam
potuit dubitare.
[9633] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 3 3. Partout où il y a crainte, il y a doute. Or, chez
Praeterea, ubicumque est timor, ibi est dubitatio. le Christ, une véritable crainte a existé, comme
Sed in Christo fuit verus timor, ut supra dictum on l’a dit plus haut, d. 15, q. 2, a. 2. Le doute
est, dist. 15, qu. 2, art. 2. Ergo in Christo fuit existait donc chez le Christ.
dubitatio.
[9634] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 4 Si 4. Si l’on dit qu’il doutait selon la sensualité et
dicatur, quod dubitabat secundum sensualitatem et non selon la raison, on objectera que la
non secundum rationem; contra. Sensualitas sensualité suit la perception de la partie sensible.
sequitur apprehensionem sensitivae partis. Sed Or, le sens ne connaissait pas à l’avance un
futurum periculum, de quo erat passio, non danger futur, ce dont il s’agissait pour la passion.
praesciebat sensus. Ergo sensualitas de ipso non La sensualité n’en doutait donc pas, mais la
dubitabat, sed ratio. raison.
[9635] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 5 Si 5. Si l’on dit que la sensualité doutait en raison
dicatur, quod sensualitas dubitabat ex de la perception de la raison ou de la science de
apprehensione rationis vel ex scientia deitatis; la divinité, on objectera que le Christ n’a pas
contra. Christus, non praescivit magis tunc sibi alors davantage connu à l’avance sa passion à
futuram passionem quam a principio. Sed a venir qu’au départ. Or, la sensualité ne s’agitait
principio sensualitas in ipso non trepidabat. Ergo pas chez lui depuis le début. Donc, alors non
nec tunc. plus.
[9636] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] douter est le fait de celui qui
Sed contra, dubitare est ignorantis. Sed in Christo ignore. Or, chez le Christ, il n’y avait pas
non fuit ignorantia, sicut supra dictum est. Ergo d’ignorance, comme on l’a dit plus haut, Donc,
nec dubitatio. pas de doute non plus.
[9637] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] Le doute lie la raison, de sorte qu’elle ne
Praeterea, dubitatio ligat rationem ne possit peut pas aller de l’avant, comme il est dit dans
procedere, sicut dicitur in 3 Metaph. Sed in Métaphysique, III. Or, chez le Christ, la raison
Christo non fuit ratio ligata. Ergo non fuit in ipso n’a pas été liée. Il n’existait donc pas chez lui de
dubitatio rationis. doute de la raison.
[9638] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] Là où existe la plus grande sécurité, il n’y a
Praeterea, ubi est summa securitas, ibi non est aucun doute. Or, chez le Christ, existait la plus
aliqua dubitatio. Sed in Christo fuit summa grande sécurité. Ps 26, 3 : Si des armées campent
securitas. Psal. 26, 3: si consistant adversum me contre moi, mon cœur ne craindra pas. Il
538

castra, non timebit cor meum. Ergo in ipso non n’existait donc pas de doute chez lui.
fuit dubitatio.
[9639] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 co. Réponse. On peut parler de doute de deux
Respondeo dicendum, quod dubitatio dupliciter manières. En effet, il signifie, premièrement et
dicitur. Primo enim et principaliter significat de manière principale, un mouvement de la
motum rationis super utraque parte contradictionis raison à propos des deux parties d’une
cum formidine determinandi. Iterum secundo contradiction, accompagné de la crainte de
translatum fuit hoc nomen ad significandum trancher. En second lieu, ce mot en est venu à
formidinem affectus in aggrediendo vel signifier une crainte de l’affectivité d’affronter
sustinendo aliquod terribile. Primo autem modo ou de supporter quelque chose de terrible. Selon
dicta dubitatio contingit ex defectu medii le premier sens, le doute en question vient du
sufficientis ad veritatem inveniendam; et ideo manque d’une mineure suffisante pour trouver la
contingit ex defectu scientiae; et propter hoc in vérité; elle vient donc d’un manque de science
Christo non fuit. Secundo autem modo dicta et, pour cette raison, elle n’existait par chez le
contingit ex infirmitate ejus quod laesivum Christ. Mais, selon le deuxième sens, [le doute]
imminens evadendi facultatem non videt. Et quia en question vient de la faiblesse de celui qui ne
Christus habebat infirmitatem in carne, ut supra voit pas de possibilité d’éviter ce qui peut blesser
dictum est, et laesivum mortis imminens, de manière imminente. Et parce que le Christ
sensualitas trepidabat; ideo erat talis dubitatio in avait une faiblesse en sa chair, comme on l’a dit
Christo quantum ad sensualitatem, quamvis esset plus haut, et qu’il y avait quelque chose pouvant
summa securitas quantum ad rationem, quae entraîner la mort de manière imminente, sa
auxilium divinum imminere videbat, quod sensualité tremblait; il existait donc un tel doute
sensualitas apprehendere non poterat. chez le Christ pour ce qui était de sa sensualité,
bien que la plus grande sécurité ait existé pour ce
qui était de sa raison, qui voyait que le secours
divin était tout proche, ce que sa sensualité ne
pouvait pas percevoir.
[9640] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Ambroise parle de la crainte de la sensualité;
primum ergo dicendum, quod Ambrosius loquitur lorsque [le Christ] l’exprimait, il semblait aux
quantum ad sensualitatis timorem; quem dum hommes qu’il doutait selon sa raison.
ostendit, videbatur hominibus dubitare etiam
quantum ad rationem.
[9641] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Toute ignorance ne cause pas le doute, mais
secundum dicendum, quod non omnis nescientia [c’est le cas] lorsque quelqu’un ne peut pas voir
dubitationem causat, sed quando aliquis rationem la raison de ce qu’il cherche et dont des
ejus quod quaerit, et de quo contraria apparent, contraires se présentent. Aussi, chez le Christ, un
videre non potest; et ideo in Christo non fuit talis tel doute n’a-t-il pas existé.
dubitatio.
[9642] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. Le doute, en tant qu’il est considéré comme
tertium dicendum, quod dubitatio pro ut pro une crainte, existait chez le Christ pour ce qui est
timore ponitur, in Christo fuit quantum ad de sa sensualité.
sensualitatem.
[9643] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. La sensualité est mue aussi par ce que la
quartum dicendum, quod sensualitas movetur raison perçoit, car des formes particulières sont
etiam ex his quae ratio apprehendit: quia formées par l’imagination; à partir d’elles, la
formantur formae particulares in imaginatione, ex sensualité est naturellement destinée à être mue.
quibus sensualitas nata est moveri.
[9644] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Bien que la mort ait été prévue dès le début de
quintum dicendum, quod quamvis mors a sa conception, elle n’était cependant pas prévue
principio conceptionis esset praevisa, non tamen comme imminente. Elle ne suscitait donc pas de
539

praevidebatur ut imminens; et ideo dubitationem doute, mais seulement lorsque qu’elle devenait
non faciebat, sed solum quando jam imminebat. toute proche.
[9645] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 ad s. c. Nous concédons les autres arguments, car ils
Alia concedimus: quia procedunt de rationis sont issus du doute de la raison.
dubitatione.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


17
[9646] Super Sent., lib. 3 d. 17 q. 1 a. 4 expos.
Anima per aurem audit; idest est principium
audiendi homini per aurem. Sicut in viris sanctis
fuit. Videtur quod magis fuit in impiis, quia
seipsos interficiunt suorum peccatorum pondere
afflicti, ut dicitur in 9 Ethic. Dicendum, quod
voluntas sensualitatis semper refugit mortem,
similiter voluntas rationis ut natura; sed voluntas
rationis ut ratio quandoque appetit mortem; et hoc
dupliciter: vel propter amorem futurae vitae, et
hoc est in sanctis; vel propter remorsum laesae
conscientiae; et hoc fit in peccatoribus. Pius
mentis affectus quo vellet mori. Contra. 2 Corinth.
5, 4: nolumus expoliari, sed supervestiri.
Dicendum, quod pius affectus bonorum refugit
vestitum corporis quantum ad corruptionem, sed
amat quantum ad naturam. Vel dicendum, quod
non vult expoliari propter se, sed ut cum Christo
sit; cum quo si esse posset non expoliatus, sed
supervestitus, melius vellet. Sed quia modum
gessit dubitantis. Contra est quod supra dixit
Augustinus, dist. 15, quia eadem ratione omnia
quae de Christo dicuntur, non fuerunt vera.
Dicendum, quod erat vera dubitatio quantum ad
sensualitatem quae faciebat apparere dubitationem
in ratione, in qua dubitatio non erat. Intende,
lector, his verbis pia diligentia. Verba Hilarii sunt
exponenda secundum quod ratio pro se, non pro
sensualitate proponebat: sic enim non pro se, sed
pro suis orabat. Secundum autem quod pro
sensualitate proponebat, sic orabat pro se, ut jam
dictum est.
 
Distinctio 18 Distinction 18 – [Le mérite du Christ]
Prooemium Prologue
[9647] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de la volonté du Christ,
determinavit Magister de voluntate Christi, quae qui est le principe du mérite, le Maître détermine
est principium merendi, hic determinat de merito ici du mérite lui-même. Cette partie se divise en
ipsius. Dividitur autem haec pars in duas: primo deux : premièrement, il détermine du mérite du
determinat de merito ipsius Christi secundum Christ lui-même selon qu’il est ordonné à
quod ordinatur ad consecutionem boni; secundo l’obtention d’un bien; deuxièmement, selon qu’il
secundum quod ordinatur ad remotionem mali, est ordonné à l’enlèvement d’un mal, d. 19, à cet
540

dist. 19, ibi: nunc igitur quaeramus, quomodo per endroit : « Cherchons maintenant comment, par
mortem ipsius a Diabolo et a peccato et a poena sa mort, nous avons été rachetés du Diable, du
redempti sumus. Prima adhuc dividitur in duas: péché et de la peine. » La première partie se
primo determinat de merito Christi, secundum divise à nouveau en deux : premièrement, il
quod sibi aliquid meruit; secundo de merito ipsius détermine du mérite du Christ, selon qu’il a
pro ut nobis meruit, ibi: ad quid ergo pati voluit ? mérité quelque chose pour lui-même;
Prima in duas: primo ostendit quid sibi meruit; deuxièmement, de son mérite selon qu’il a mérité
secundo inquirit, utrum hoc sine merito habere pour nous, à cet endroit : « Pourquoi donc a-t-il
potuisset, ibi: si vero quaeritur, utrum Christus et voulu souffrir ? » La première partie [se divise]
cetera. Prima in duas: primo ostendit quid sibi en deux : premièrement, il montre ce qu’il a
meruit in seipso; secundo quid meruit in aliis, ibi: mérité pour lui-même; deuxièmement, il
nec tantum gloriam impassibilitatis et demande s’il pouvait obtenir cela sans mérite, à
immortalitatis meruit, sed etiam meruit donari cet endroit : « Mais si on se demande si le Christ,
sibi nomen quod est super omne nomen. Prima in etc. » La première partie [se divise] en deux :
duas: primo ostendit quomodo Christus sibi premièrement, il montre ce qu’il a mérité pour
meruit glorificationem corporis, et lui-même en lui-même; deuxièmement, ce qu’il a
impassibilitatem animae et corporis in instanti mérité par rapport aux autres, à cet endroit : « Il
suae conceptionis; secundo ostendit quomodo hoc n’a pas seulement mérité la gloire de
meruit per passionem, ibi: nec solum hoc meruit l’impassibilité et de l’immortalité, mais il a aussi
Christus. Circa primum duo facit: primo mérité qu’un nom plus élevé que tout nom lui
determinat veritatem; secundo movet quamdam soit donné. » La première partie [se divise] en
dubitationem, ibi: utrum autem anima sit facta deux : premièrement, il montre comment le
impassibilis, quando caro facta est immortalis (...) Christ a mérité pour lui-même la glorification de
de auctoritate certum nobis non est. Ad quid son corps et l’impassibilité de son âme et de son
igitur voluit pati et mori ? Hic ostendit quid nobis corps à l’instant de sa conception;
meruit per passionem; circa quod duo facit: primo deuxièmement, il montre comment il a mérité
enumerat utilitates quae nobis ex passione Christi cela par la passion, à cet endroit : « Le Christ n’a
proveniunt; secundo prosequitur unam, quae pas mérité seulement cela. » À propos du
pertinet ad consecutionem boni, ibi: decreverat premier point, il fait deux choses : premièrement,
Deus in mysterio. Hic quaeruntur sex: 1 utrum in il détermine de la vérité; deuxièmement, il
Christo sit aliqua operatio praeter divinam; 2 soulève un doute, à cet endroit : « Que son âme
utrum per illam potuit mereri; 3 utrum ab instanti ait été créée impassible, alors que sa chair a été
conceptionis meruit; 4 quid sibi meruit; 5 utrum créée immortelle…, cela n’est pas certain pour
per passionem mereri potuit; 6 utrum nobis meruit nous par voie d’autorité. » « Pourquoi donc a-t-il
apertionem januae. voulu souffrir et mourir ? » Il montre ici ce qu’il
nous a mérité par la passion. À ce propos, il fait
deux choses : premièrement, il énumère les
avantages qui nous viennent de la passion du
Christ; deuxièmement, il en examine plus
attentivement un qui concerne l’obtention d’un
bien, à cet endroit : « Dieu avait décrété en
mystère… » Il pose ici six questions : 1 – Existe-
t-il chez le Christ une opération autre que
l’opération divine ? 2 – A-t-il pu mériter par
celle-là ? 3 – A-t-il mérité dès l’instant de sa
conception ? 4 – Qu’a-t-il mérité pour lui-
même ? 5 – A-t-il pu mériter par la passion ? 6 –
A-t-il mérité pour nous l’ouverture de la porte
[du ciel] ?
541

Articulus 1 [9648] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. Article 1 – Existe-t-il chez le Christ une
1 tit. Utrum in Christo sit aliqua operatio praeter opération autre que l’opération divine ?
divinam
[9649] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad 1. Il semble que, chez le Christ, il n’y ait qu’une
primum sic proceditur. Videtur quod in Christo sit seule action. En effet, Denys appelle l’opération
tantum una actio. Dionysius enim actionem du Christ « théandrique », c’est-à-dire divino-
Christi nominat theandricam, idest deivirilem. humaine. Or, cela signifie non pas des actions
Hoc autem non diversas actiones, sed unam différentes, mais une seule action. Chez le
significat. Ergo in Christo est tantum una actio Christ, il n’existe donc qu’une seule action de la
divinitatis et humanitatis. divinité et de l’humanité.
[9650] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Comme le dit le Philosophe, les actions sont le
Praeterea, actiones, ut dicit philosophus, fait des suppôts singuliers. Or, chez le Christ, il
suppositorum singularium sunt. Sed in Christo est n’existe qu’un seul suppôt. Il n’existe donc
tantum unum suppositum. Ergo tantum una actio. qu’une seule action.
[9651] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 3 3. L’action est le fait de ce qui est. Or, chez le
Praeterea, cujus est esse, ejus est agere. Sed in Christ, il n’y a qu’un seul acte d’être en raison de
Christo propter unitatem hypostasis est tantum l’unité d’hypostase. Il n’y a donc qu’une seule
unum esse. Ergo tantum una actio. action.
[9652] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Il n’existe qu’une seule action de l’instrument
Praeterea, instrumenti et principalis agentis est de l’agent principal. Or, ainsi que le dit [Jean]
tantum una actio. Sed, sicut dicit Damascenus, Damascène, la chair est l’instrument de la
caro est instrumentum divinitatis. Ergo est una divinité. Il n’y a donc qu’une seule action du
actio Christi secundum divinitatem et Christ selon sa divinité et son humanité.
humanitatem.
[9653] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Là où il y a un même agent, il y a la même
Praeterea, ubi est idem activum, est eadem actio: action, car les actions se diversifient selon leurs
quia actiones diversificantur penes terminos. Sed termes. Or, chez le Christ, la même action est
in Christo est idem opus operatum divinitatis et accomplie par la divinité et l’humanité, comme
humanitatis: sicut mundatio leprosi, quem la guérison d’un lépreux, que la divinité à purifié
divinitas tactu corporali mundavit, ut dicitur par un contact corporel, comme il est dit en Mt 8.
Matth. 8. Ergo in ipso est tantum una actio. Il n’y a donc qu’une seule action chez lui.
[9654] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] le rapport de l’unité d’action à
Sed contra, sicut se habet unitas actionis ad l’unité de la nature est le même que celui de la
unitatem naturae, ita pluralitas ad pluralitatem. pluralité à la pluralité. Or, chez les personnes
Sed in divinis personis propter unitatem naturae divines, il n’existe qu’une seule action en raison
est una actio. Ergo et in persona Christi propter de l’unité de nature. Donc, dans la personne du
diversitatem naturarum est diversa actio. Christ aussi, il existe une action différente selon
la diversité des natures.
[9655] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] La nature divine et la nature humaine sont
Praeterea, magis distant divina natura et humana plus éloignées chez le Christ que les diverses
in Christo, quam diversae potentiae animae in puissances de l’âme chez le Christ. Or, il existe
Christo. Sed diversarum potentiarum in Christo des actions différentes pour les diverses
sunt diversae actiones. Ergo multo fortius duarum puissances chez le Christ. À bien plus forte
naturarum sunt diversae actiones. raison, les actions des diverses natures sont-elles
différentes.
[9656] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] L’action de la nature divine est l’essence
Praeterea, actio divinae naturae est ipsa divina divine elle-même et elle est éternelle. Or, l’acte
essentia, et est aeterna. Actio autem humanae de la nature humaine est chez lui un accident et
naturae in ipso est accidens, et aliquid tempore quelque chose de mesuré par le temps. Il existe
mensuratum. Ergo sunt duae actiones in Christo. donc deux actions chez le Christ.
542

[9657] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 co. Réponse. Certains ont nié qu’il y ait deux
Respondeo dicendum, quod quidam negaverunt in actions dans le Christ et, pour affirmer cela, des
Christo duas esse actiones; et ad hoc ponendum gens différents étaient mus par différentes
diversi diversis rationibus moti sunt. Quidam raisons. En effet, certains eutychiens disaient
enim Eutychiani dicebant in Christo unam tantum que, chez le Christ, il n’existait qu’une seule
naturam esse, compositam ex divina et humana; et nature composée de la [nature] humaine et de la
ideo sequebatur quod etiam Christus haberet [nature] humaine; il en découlait donc que le
unam tantum actionem compositam. Sed ex hoc Christ aussi avait une seule action composée.
sequitur quod sua actio non fuerit neque divina Mais il découle de cela que son action n’était ni
neque humana, neque nobis neque patri divine ni humaine, et qu’elle n’était conforme ni
conformis; et ita frustratur opus redemptionis, ad à nous ni au Père. Ainsi se trouvait faussée
quod exigitur divina actio, et humana. Unde hoc l’œuvre de la rédemption, pour laquelle une
est haereticum, sicut et primum, ut dicitur dist., 5,
action divine et une action humaine sont
qu. 1, art. 1. Alii vero negaverunt duas actiones in
requises. Cela est donc hérétique, comme le
Christo, dicentes in comparatione ad divinam, premier point, ainsi qu’on le dit à la d. 5, q. 1,
humanam operationem non esse dicendam a. 1. Mais d’autres ont nié l’existence de deux
actionem, sed potius passionem: quod refellit actions chez le Christ en disant qu’en regard de
Damascenus. Quia si propterea humana operatio l’action divine, l’action humaine ne doit pas être
Christi non est dicenda actio, quia divina est actio,
appelée une action, mais plutôt une passion, ce
eadem ratione quia natura divina est bona, natura que repousse [Jean] Damascène, car si l’action
humana non esset bona: non enim oportet, si humaine du Christ ne peut pas être appelée une
divina natura excedit humanam in bonitate, quod action parce qu’elle est une action divine, pour la
propter hoc humana sit mala aut non bona. Alii même raison que la nature divine est bonne, la
vero viderunt quod actio dependet a natura, quae nature humaine ne serait pas bonne. En effet, il
est principium actionis, et a persona quae agit; n’est pas nécessaire que, parce que la nature
ideo voluerunt in Christo non esse dicendum divine dépasse en bonté la nature humaine, la
unam actionem, ne unitatem naturae ponere nature humaine soit mauvaise ou non bonne.
videantur; similiter nec esse plures, ne videantur Mais d’autres ont vu que l’action dépend de la
ponere personarum pluralitatem. Sed ex hoc nature, qui est le principe de l’action, et de la
sequitur, ut dicit Damascenus, quod Christus non personne qui agit. Ils ont donc voulu qu’on ne
sit neque unius neque duarum naturarum, quod est dise pas qu’il y a une seule action chez le Christ,
absurdum. Et dicendum propter hoc, quod de crainte d’affirmer l’unité de nature; de même,
simpliciter in Christo oportet concedere duas [ils ont voulu] qu’il n’y en ait pas plusieurs, de
actiones: quia ad diversitatem causarum sequitur crainte d’affirmer la pluralité des personnes.
diversitas in effectibus. Causa autem actionis est Mais il découle de cela, comme le dit [Jean]
species, ut dicitur in 3 Physic.: quia unumquodque Damascène, que le Christ n’a ni une seule ni
agit ratione alicujus formae quam habet; et ideo deux natures, ce qui est absurde. Aussi faut-il
ubi sunt diversae formae, sunt etiam diversae dire, pour cette raison, qu’il faut reconnaître tout
actiones; sicut ignis desiccat et calefacit per simplement deux actions chez le Christ, car la
caliditatem et siccitatem; et homo audit et videt diversité des effets découle de la diversité des
per visum et auditum. Et similiter Christus rationecauses. Or, la cause de l’action est l’espèce,
diversarum naturarum habet diversas actiones. comme il est dit dans Physique, III, car tout agit
en raison d’une forme qu’il possède. Aussi, là où
existent des formes diverses, existent aussi
diverses actions, comme le feu dessèche et
réchauffe par la chaleur et la sécheresse, et
l’homme entend et voit par vue et par l’ouïe. De
même, en raison de ses natures différentes, le
Christ a-t-il des actions diverses.
[9658] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Denys appelle l’action du Christ
543

primum ergo dicendum, quod actionem Christi « théandrique », non pas parce qu’elle est tout
dicit Dionysius deivirilem, non quia sit simpliciter simplement une seule action de la divinité et de
una actio deitatis et humanitatis in Christo; sed l’humanité chez le Christ, mais parce que les
quia actiones duarum naturarum quantum ad tria actions des deux natures sont unies sous trois
uniuntur. Primo quantum ad ipsum suppositum aspects. Premièrement, quant au suppôt lui-
agens actionem divinam et humanam, quod est même qui accomplit l’action divine et l’action
unum. Secundo quantum ad unum effectum, qui humaine, qui est un. Deuxièmement, quant à
dicitur opus operatum, vel apotelesma secundum l’effet unique, qui est appelé l’action accomplie
Damascenum, sicut mundatio leprosi. Tertio ou apotelesma, selon [Jean] Damascène, comme
quantum ad hoc quod humana actio ipsius Christi la purification du lépreux. Troisièmement, quant
participabat aliquid de perfectione divinae au fait que l’action humaine du Christ participait
naturae, sicut intellectus ejus aliis eminentius de quelque manière à la perfection de la nature
intelligebat ex virtute divini intellectus sibi in divine, comme son intellect avait une
persona conjuncti; quamvis divina actio in nullo intelligence plus élevée en vertu de l’intellect
infirmaretur ex consortio humanae. divin qui lui était uni dans la personne, bien que
l’action divine n’ait été en rien affaiblie par son
association à l’action humaine.
[9659] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Bien que l’action soit le fait du suppôt, la
secundum dicendum, quod quamvis agere sit forme ou la nature est cependant le principe ou la
suppositi, tamen forma sive natura est principium cause de l’action chez le suppôt, comme des
vel causa agendi in supposito, sicut et aliarum autres propriétés qui existent dans le suppôt.
proprietatum in supposito existentium; unde sicut Comme le même suppôt est le sujet des diverses
idem suppositum est subjectum diversarum propriétés en raison des divers principes causant
proprietatum propter diversa ejus principia ces propriétés, le même suppôt a donc diverses
causantia illas proprietates; ita idem suppositum actions en raison des diverses formes ou natures.
habet diversas actiones propter diversas formas
sive naturas.
[9660] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. L’unité d’une chose découle de son acte
tertium dicendum, quod unitas rei consequitur d’être. Aussi le fait d’être et celui d’être un, qui
esse suum: unde eodem modo praedicatur de re est convertible avec l’être, sont-ils prédiqués de
ens, et unum, quod convertitur cum ente. Non la même manière. Or, une chose ne tient pas son
autem ex actione sua habet res unitatem: et ideo unité de son action. C’est pourquoi il ne peut
non potest esse quod sit suppositum unum, et esse arriver qu’un suppôt soit un et que son acte
ejus non sit unum; potest autem esse quod sit d’être ne soit pas pas un; mais il peut arriver
suppositum unum, et actio ejus non sit una. qu’il y ait un seul suppôt et que son action ne
soit pas une.
[9661] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. L’action d’un agent principal et d’un
quartum dicendum, quod non potest esse eadem instrument ne peut être une en nombre parce que
actio numero per essentiam, principalis agentis et le même accident ne se trouve dans divers sujets;
instrumenti, quia idem accidens non est in diversis mais elle peut être dite une de manière relative,
subjectis; sed dicitur una secundum quid, pour autant que l’instrument n’agit que s’il est
inquantum scilicet instrumentum non agit nisi mû par l’agent principal et agit par la puissance
motum a principali agente, et agit in virtute de l’agent principal. De cette manière, il existe
principalis agentis: et hoc modo in ipsa actione dans l’action même de l’humanité du Christ une
humanitatis Christi est aliqua virtus, inquantum certaine puissance, dans la mesure où l’humanité
ipsa humanitas est instrumentum deitatis. elle-même est l’instrument de la divinité.
[9662] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. L’unité de l’action dépend non seulement du
quintum dicendum, quod actionis unitas non terme, mais aussi de plusieurs autres causes. Il
solum dependet ex termino, sed etiam ex multis n’est donc pas nécessaire, si ce qui est actif est la
aliis causis; et ideo non oportet, si sit idem même chose, que ce soit la même action. Or, il
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activum, quod sit eadem actio. Contingit autem arrive qu’une même chose active résulte de
quod idem activum ex diversis actionibus causatur diverses actions de quatre manières. D’une
quadrupliciter. Uno modo quando unus agens non manière, lorsqu’un seul agent ne suffit pas à
est sufficiens ad complendum effectum, sed multi accomplir l’effet, mais que plusieurs en même
simul; sicut multi simul trahunt navem, quam temps [suffisent], comme lorsque plusieurs tirent
nullus per se trahere posset; et tunc omnes illi sunt un navire que personne ne pourrait seul tirer.
quasi unus agens non simpliciter, sed unitate Tous ceux-là sont alors comme un seul agent,
aggregationis; et similiter actio eorum non est una non pas de manière simple, mais selon une unité
simpliciter, sed quasi una congregata ex multis. d’association; de même, leur action n’est pas
Alio modo quando unus agens potest perficere unique tout simplement, mais comme associée à
effectum, sed non simul una operatione, sed partir de plusieurs. D’une autre manière,
multis operationibus successivis; sicut est in lorsqu’un seul agent peut réaliser l’effet, mais
generatione habituum acquisitorum; et tunc ultima pas en même temps par une seule opération,
complens effectum agit in virtute omnium mais par plusieurs opérations successives,
praecedentium disponentium ad illum effectum. comme c’est le cas pour la génération des
Et his duobus modis non fuerunt in Christo plures habitus acquis. Alors, la dernière [opération] qui
actiones ad unum effectum. Tertio modo quando réalise l’effet agit en vertu de toutes les
effectus non est unus simpliciter, sed unus [opérations] précédentes disposant à cet effet.
subjecto, sicut vulnus adustum, et ideo actiones Selon ces deux modes, il n’a pas exissté chez le
causantes sunt diversae simpliciter, conveniunt Christ plusieurs actions en vue d’un seul effet.
tamen in supposito, scilicet incisio et adustio; et a D’une troisième manière, lorsque l’effet n’est
diversis formis per essentiam causantur, scilicet pas simplement unique, mais unique par son
ab acumine ferri, et a caliditate. Quarto modo, sujet, comme une blessure brûlée. Ainsi les
quando duae actiones sunt diversorum agentium actions qui causent sont simplement différentes,
ordinatorum, quorum unum movet aliud, et unum mais elles se rejoignent dans le suppôt, telles une
est instrumentum alterius. Et hi duo ultimi modi coupure et une brûlure; et elles sont causées par
sunt in Christo, secundum quod diversae ejus des formes essentiellement différentes, à savoir,
actiones ad idem opus operatum terminabantur. la pointe du fer et la chaleur. D’une quatrième
manière, lorsque deux actions relèvent de divers
agents ordonnés, dont l’un meut l’autre et l’un
est l’instrument de l’autre. Ces deux derniers
modes existent chez le Christ, selon que ses
diverses actions se terminaient à la réalisation de
la même œuvre.

Articulus 2 [9663] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. Article 2 – Le Christ pouvait-il mériter ?


2 tit. Utrum Christus potuerit mereri
[9664] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ n’a pas mérité. En
secundum sic proceditur. Videtur quod Christus effet, le Christ a toujours été un comprehensor.
non meruerit. Christus enim semper fuit Or, il n’appartient pas de mériter au
comprehensor. Sed comprehensoris qui est in comprehensor qui se trouve au terme, car le
termino, non est mereri: quia meritum est via ad mérite existe sur le chemin vers le terme. Le
terminum. Ergo Christus non meruit. Christ n’a donc pas mérité.
[9665] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Le mérite et la récompense ne peuvent pas être
Praeterea, non potest esse idem meritum et la même chose, pas plus que la cause et ce qui
praemium, sicut nec causa et causatum. Sed actus est causé. Or, l’acte d’une charité parfaite est une
caritatis perfectae est praemium, quia est ipsa récompense, car il est la jouissance (fruitio) elle-
fruitio. Ergo cum in Christo fuerit caritas même. Puisqu’une charité consommée a existé
consummata, per ipsam mereri non potuit; et ita chez le Christ,, il ne pouvait donc pas mériter par
nullo modo merebatur, cum omnis meriti elle. Et ainsi, il ne méritait d’aucune manière,
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principium sit caritas. puisque le principe de tout mérite est la charité.


[9666] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 3 3. L’âme du Christ a été bienheureuse dès le
Praeterea, anima Christi a principio suae début de sa conception, comme elle l’est
conceptionis fuit beata, sicut modo est. Sed modo maintenant. Or, maintenant, elle ne mérite pas.
non meretur. Ergo nec unquam mereri potuit. Elle n’a donc jamais pu mériter.
[9667] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Quiconque mérite progresse en méritant pour
Praeterea, quicumque meretur, merendo proficit ce qui est le principe du mérite, car la charité est
quantum ad illud quod est merendi principium: augmentée par le mérite. Or, la charité du Christ
quia caritas per meritum augetur. Sed Christi ne pouvait être augmentée et il ne pouvait pas
caritas augeri non potuit, nec ipse in spiritualibus faire de progrès pour ce qui est des biens
bonis proficere. Ergo ipse non merebatur. spirituels. Il ne méritait donc pas.
[9668] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Nous ne méritons pas par les [biens] naturels
Praeterea, naturalibus non meremur, propter hoc parce qu’ils sont déterminés à une seule chose.
quod sunt determinata ad unum. Sed liberum Or, le libre arbitre chez le Christ était déterminé
arbitrium in Christo erat determinatum ad bonum. à une seule chose. Il ne pouvait donc pas mériter
Ergo ipse per liberum arbitrium mereri non potuit; par son libre arbitre, et ainsi [il ne le pouvait]
et ita nullo modo, cum omne meritum sit ex libero d’aucune manière, puisque tout mérite vient du
arbitrio. libre arbitre.
[9669] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 6 6. Personne ne mérite ce qui lui appartient; pour
Praeterea, nullus meretur id quod suum est: et cette raison, chez les hommes, les fils ne
propter hoc apud homines filii non merentur a méritent pas de leurs pères, mais les serviteurs,
patribus, sed servi, quia ea quae patris sunt, car ce qui appartient au père revient au fils par
hereditario jure competunt filio. Sed omnia quae droit d’héritage. Or, tout ce qui appartient au
patris sunt, Christi sunt, ut dicitur Matth. 12, et Père appartient au Christ, comme il est dit en
Joan. 16. Ergo ipse apud patrem non merebatur. Mt 12 et Jn 16. Il ne méritait donc pas de la part
du Père.
[9670] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 7 7. Personne ne mérite de lui-même. Or,
Praeterea, nullus meretur a seipso. Sed quicumque quiconque mérite mérite quelque chose du Fils
meretur, meretur aliquid a filio Dei. Cum ergo de Dieu. Puisque le Christ est le Fils de Dieu, il
Christus sit filius Dei, ipse nullo modo mereri ne pouvait donc aucunement mériter.
poterat.
[9671] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] à propos de Ps 15 : Protège-moi,
Sed contra, super illud Psal. 15: conserva me Seigneur, car j’ai espéré en toi, la Glose dit, en
domine, quoniam speravi in te, Glossa: ecce parlant du Christ : « Voici le mérite par lequel il
meritum quo servari debet; et loquitur de Christo. doit être préservé! » Le Christ a donc mérité
Ergo Christus aliquid meruit. quelque chose.
[9672] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Tout viator possédant la charité mérite. Or,
Praeterea, omnis viator habens caritatem meretur. tel était le Christ. Donc…
Sed Christus fuit hujusmodi. Ergo.
[9673] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Partout où il y a une difficulté dans l’acte
Praeterea, ubicumque est difficultas in operatione des vertus, là est le mérite. Or, le Christ a connu
virtutum, ibi est meritum. Sed Christus habuit des difficultés pour les actes vertueux, non pas
difficultatem in operibus virtuosis, non quidem ex du côté de l’âme, mais du côté du corps, qui était
parte animae, sed ex parte corporis, quod affligé. Il méritait donc.
affligebatur. Ergo ipse merebatur.
[9674] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 co. Réponse. Dans le cas de la justice, deux
Respondeo dicendum, quod in justitia duae personnes sont nécessaires, à savoir, celui qui
personae requiruntur, scilicet faciens justitiam, et rend la justice et celui qui subit la justice. Or,
patiens justitiam. Facientis autem justitiam, l’action de celui qui rend la justice : rendre à
reddere unicuique quod suum est, actio est chacun ce qui lui appartient, lui est propre; mais
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propria; patientis autem justitiam actio propria est l’action propre de celui qui subit la justice est de
facere sibi debitum quod est ei per justitiam faire en sorte que ce qui lui est dû lui soit rendu
reddendum: et hoc proprie mereri est; unde et id par la justice. Et c’est là mériter au sens propre.
quod secundum justitiam redditur, merces dicitur. Aussi ce qui est rendu selon la justice est-il
Sed quia justitia reddit unicuique quod ei debetur appelé une récompense. Mais parce que la justice
et in bonis et in malis; bona autem simpliciter sunt rend à chacun ce qui lui est dû en bien et en mal,
ea quae ad vitam aeternam pertinent, et mala et que les biens sont simplement ce qui a trait à
simpliciter ea quae ad miseriam aeternam la vie éternelle et les maux, simplement ce qui a
pertinent; inde est quod secundum theologos trait à la misère éternelle, de là vient que, selon
meritum proprie dicitur respectu horum; quamvis les théologiens, on parle de mérite au sens propre
magis proprie respectu bonorum dicatur meritum, à leur sujet, bien que, en un sens plus propre, on
demeritum vero respectu malorum. Ad hoc igitur parle de mérite pour les biens, mais de démérite
quod aliquis mereatur, tria necessaria sunt: scilicet pour les maux. Pour que quelqu’un mérite, trois
agens qui meretur, actio per quam meretur, et choses sont donc nécessaires : un agent qui
merces quam meretur. Et ideo ad meritum tria mérite, une action par laquelle il mérite et la
requiruntur. Primum est secundum récompense qu’il mérite. Trois choses sont donc
comparationem merentis ad mercedem, ut scilicet nécessaires pour le mérite. La première tient aux
ille qui meretur, sit in statu acquirendi mercedem: rapports entre celui qui mérite et la récompense :
et propter hoc illi qui sunt omnino in termino, celui qui mérite doit être en état d’acquérir la
nihil merentur, quia nihil acquirere possunt. récompense; pour cette raison, ceux qui sont tout
Secundum est ex comparatione agentis ad à fait au terme ne méritent rien parce qu’ils ne
actionem, ut scilicet sit dominus suae actionis: peuvent rien acquérir. La deuxième vient du
alias per actionem suam non dignificatur ad rapport entre l’agent et l’action : il doit être
aliquid habendum, nec laudatur; et ideo ea quae maître de son action, autrement il n’est pas rendu
agunt per necessitatem naturae, vel etiam per digne par son action de posséder quelque chose
violentiam, non merentur. Tertium est secundum et il n’est pas loué. C’est pourquoi ce qui agit par
comparationem actionis ad mercedem, ut scilicet nécessité naturelle ou même par violence ne
aequiparetur mercedi: non quidem secundum mérite pas. La troisième chose tient au rapport
aequalitatem quantitatis, quia hoc requiritur in entre l’action et la récompense : elle doit
justitia commutativa, quae consistit in équivaloir à la récompense, non pas selon une
emptionibus et venditionibus; sed secundum égalité quantitative, car cela est exigé par la
aequalitatem proportionis, quae requiritur in justice commutative qui porte sur les achats et
justitia distributiva, secundum quam Deus aeterna les ventes, mais selon une égalité
praemia partitur. Actio autem proportionata ad proportionnelle, qui est exigée pour la justice
vitam aeternam est actio ex caritate facta: et ideo distributive, selon laquelle Dieu octroie des
per eam ex condigno meretur quis ea quae ad récompenses éternelles. Or, l’action
vitam aeternam pertinent: opera autem bona quae proportionnée à la vie éternelle est l’action
non sunt ex caritate facta, deficiunt ab ista accomplie par charité. Aussi mérite-t-on par elle
proportione; et ideo per ea ex condigno non en justice (ex condigno) ce qui se rapporte à la
meretur quis vitam aeternam, sed improprie vie éternelle. Or, les actes bons qui ne sont pas
dicitur aliquis mereri, secundum quod habent accomplis par charité sont dépourvus de cette
aliquam similitudinem cum operatione informata proportion. C’est pourquoi on ne mérite pas en
a caritate. Et si quidem sit similitudo illa in justice (ex condigno) la vie éternelle en les
substantia actus et in intentione, ut cum aliquis accomplissant, mais on dit en un sens impropre
existens in mortali peccato dat eleemosynam qu’on mérite selon qu’ils ont une certaine
propter Deum; dicitur meritum congrui: si vero ressemblance avec l’action à laquelle la charité
sit, similitudo in substantia actus, et non in donne forme. Si cette ressemblance se trouve
intentione; sic dicitur meritum interpretatum, sicut dans la substance de l’acte et dans l’intention,
cum quis dat pauperi eleemosynam propter comme lorsque quelqu’un se trouvant dans le
inanem gloriam. Et haec tria in Christo péché mortel donne une aumône à cause de
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reperiuntur: ipse enim quamvis quantum ad Dieu, le mérite est appelé de convenance (ex
aliquid in termino perfectionis fuerit, scilicet congruo); mais si la ressemblance se trouve dans
quantum ad operationes animae, quibus erat la substance de l’acte, mais non dans l’intention,
beatus et comprehensor; tamen quantum ad on parle de mérite par interprétation (meritum
aliquid defectum patiebatur eorum quae ad interpretatum), comme lorsque quelqu’un donne
gloriam pertinent, inquantum scilicet erat une aumône à un pauvre par vaine gloire. Or, ces
passibilis anima et corpore, et inquantum erat trois choses se trouvent chez le Christ. En effet,
corpore mortalis: et ideo secundum hoc erat viator bien qu’il ait été à la limite de la perfection sous
in statu acquirendi. Similiter et omnis actus ejus un aspect : les opérations de l’âme par lesquelles
informatus erat caritate: et iterum actus sui il était bienheureux et comprehensor, cependant,
dominus erat per libertatem voluntatis; et ideo sous un [autre] aspect, il lui manquait ce qui est
omni actu suo meruit. se rapporte à la gloire, pour autant qu’il était
passible dans son âme et dans son corps et pour
autant qu’il avait un corps mortel. Aussi, sous
cet aspect, était-il un viator en état d’acquérir.
De même, tous ses actes avaient la forme de la
charité et il était aussi maître de lui-même par la
liberté de sa volonté. Aussi a-t-il mérité par tous
ses actes.
[9675] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Bien qu’il ait été comprehensor sous un
primum ergo dicendum, quod quamvis esset aspect, il était aussi viator sous un [autre] aspect.
comprehensor quantum ad aliquid, erat etiam Il pouvait ainsi mériter.
viator quantum ad aliquid; et sic mereri potuit.
[9676] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Le mérite et la récompense ne peuvent pas être
secundum dicendum, quod idem non potest esse la même chose par rapport à la même chose et
meritum et praemium respectu ejusdem et selon la même chose. Aussi le mouvement même
secundum idem; unde ipse motus caritatis hominis de la charité de l’homme Christ, en quoi consiste
Christi, in quo consistit praemium ejus quantum sa récompense quant à la béatitude de l’âme,
ad beatitudinem animae, potest esse meritum peut-il être un mérite par rapport à la béatitude
respectu beatitudinis corporis: quod in aliis beatis du corps, ce qui ne se produit pas chez les autres
non contingit, quia non sunt in statu acquirendi bienheureux parce qu’ils ne sont pas en état
secundum aliquid sui: et ideo nec sibi nec aliis d’acquérir selon quelque chose d’eux-mêmes.
merentur: quia quod impetrant modo nobis, Aussi ne méritent-ils ni pour eux-mêmes ni pour
contingit ex hoc quod prius dum viverent, les autres, car ce qu’ils obtiennent maintenant
meruerunt ut hoc impetrarent. pour nous vient de ce que, alors qu’ils vivaient,
ils ont mérité de l’obtenir.
[9677] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Le Christ n’est maintenant que comprehensor;
tertium dicendum, quod Christus est modo tantum mais alors, il était à la fois viator et
comprehensor; tunc autem erat et viator et comprehensor. Il pouvait donc alors mériter,
comprehensor: et ideo tunc mereri potuit, nunc mais pas maintenant.
autem non.
[9678] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Celui qui mérite ne doit pas nécessairement
quartum dicendum, quod ille qui meretur, non progresser pour ce qui se rapporte à la raison du
oportet quod proficiat quantum ad rationem mérite : en effet, cela lui vient de ce que la racine
merendi: hoc enim accidit sibi ex hoc quod radix du mérite, la charité, ne se trouve pas dans son
merendi, scilicet caritas, non est in ipsius merito: mérite. Mais il est nécessaire que tous ceux qui
sed oportet quod omnis qui meretur, proficiat méritent progressent quant à la récompense
quantum ad mercedem quam meretur, ut scilicet qu’ils méritent, à savoir qu’il se la rendent due
eam sibi debitam faciat vel simpliciter, vel tout simplement ou d’une manière selon laquelle
quantum ad aliquem modum quo sibi prius debita elle ne leur était pas due antérieurement.
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non erat.
[9679] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Le libre arbitre du Christ n’était pas déterminé
quintum dicendum, quod liberum arbitrium à une seule chose numériquement, mais à une
Christi non erat determinatum ad unum secundum seule chose selon le genre, à savoir, le bien,
numerum, sed ad unum secundum genus, scilicet parce qu’il ne pouvait être porté vers le mal.
ad bonum, quia in malum non potest; sed tamen Cependant, il pouvait faire ou ne pas faire cela,
hoc potest facere et non facere; et hoc non et cela n’exclut pas la liberté de l’arbitre, car
excludit libertatem arbitrii, quia posse peccare « pécher n’est pas la liberté de l’arbitre ni une
non est libertas arbitrii nec pars libertatis, ut dicit partie de la liberté », comme le dit Anselme.
Anselmus. Et haec quidem determinatio ex Cette détermination vient de la perfection du
perfectione liberi arbitrii contingit secundum quod libre arbitre selon que, par l’habitus de la grâce
per habitum gratiae et gloriae terminatur in eo ad ou de la gloire, il se termine en ce à quoi il est
quod est naturaliter ordinatum, scilicet in bono: naturellement ordonné, à savoir, le bien, car le
quia liberum arbitrium, quamvis in nobis se libre arbitre, bien qu’il puisse chez nous aller
habeat ad bonum et ad malum, non tamen est vers le bien ou vers le mal, n’existe pas pour le
propter malum, sed propter bonum. Vel mal, mais pour le bien. Ou bien il faut dire que
dicendum, quod si etiam esset determinatum ad s’il était aussi déterminé à une seule chose
unum numero, sicut ad diligendum Deum (quod numériquement, comme aimer Dieu (ce qu’il ne
non facere non potest), tamen ex hoc non amittit peut pas ne pas faire), il ne perd cependant pas
libertatem, aut rationem laudis sive meriti: quia in par là sa liberté ou la raison de la louange ou du
illud non coacte, sed sponte tendit; et ita est actus mérite, car il y tend, non pas par coercition, mais
sui dominus. spontanément. Et ainsi, il agit en tant que maître
de soi.
[9680] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. Le Christ ne mérite pas selon sa divinité, selon
sextum dicendum, quod Christus non meretur laquelle il possède tout ce qui lui appartient;
secundum divinitatem, secundum quam habet mais il mérite selon son humanité, par laquelle il
quod omnia sunt sua; sed meretur secundum ne possède pas tout ce qui lui appartient.
humanitatem, ex qua non habet quod omnia sunt
sua.
[9681] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 2 ad 7 Et 7. La réponse au septième argument est ainsi
per hoc patet solutio ad septimum: quia a filio Dei claire, car nous méritons par le Fils de Dieu en
meremur ratione divinitatis suae, ex qua parte ipse raison de sa divinité, par laquelle lui-même ne
non merebatur. méritait pas.

Articulus 3 [9682] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. Article 3 – Le Christ pouvait-il pu mériter dès
3 tit. Utrum Christus ab instanti suae conceptionis l’instant de sa conception ?
potuerit mereri
[9683] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ ne pouvait pas mériter
tertium sic proceditur. Videtur quod Christus non dès l’instant de sa conception. En effet, personne
potuerit mereri in instanti suae conceptionis. ne mérite qu’en agissant. Or, l’être d’une chose
Nullus enim meretur nisi agendo. Sed prius est précède son action. Au premier instant de sa
esse rei quam ejus agere. Ergo in primo instanti conception, alors que le Christ a d’abord eu
conceptionis quando Christus primo habuit esse l’être selon sa nature humaine, il ne pouvait donc
secundum humanam naturam, non potuit mereri. pas mériter.
[9684] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 2 2. L’acte méritoire est accompli délibérément,
Praeterea, opus meritorium cum deliberatione est, puisqu’il vient du choix du libre arbitre, qui suit
cum sit ex electione liberi arbitrii, quae sequitur le conseil. Or, la délibération, puisqu’elle est un
consilium. Sed deliberatio, cum sit quidam motus, mouvement, exige du temps. Au premier instant
requirit tempus. Ergo in primo instanti de sa conception, il ne pouvait donc pas mériter.
conceptionis mereri non potuit.
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[9685] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Tout ce que le Christ a eu au premier instant
Praeterea, quidquid Christus habuit in primo de sa conception, il l’a reçu d’un autre, et non de
instanti suae conceptionis, habuit ab alio, non a lui-même. Or, il a lui-même été la cause de son
se. Sed meriti sui ipse causa fuit. Igitur in primo mérite. Il n’a donc pas mérité dès le premier
instanti conceptionis non meruit. instant de sa conception.
[9686] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 4. De même que le mérite vient du libre arbitre,
Praeterea, sicut meritum est per liberum arbitrium, de même aussi le péché. Or, le Diable n’a pas pu
ita et peccatum. Sed Diabolus non potuit peccare pécher dès le premier instant de sa création.
in primo instanti suae creationis. Ergo nec anima Donc, ni l’âme du Christ n’a-t-elle pu pécher dès
Christi in primo instanti creationis suae potuit le premier instant de sa création. Or, le premier
mereri. Sed primum instans conceptionis fuit instant de sa conception fut le premier instant de
primum instans creationis animae. Ergo in illo la création de son àme. Il n’a donc pas pu mériter
instanti mereri non potuit. en cet instant.
[9687] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Le Christ était semblable aux autres enfants
Praeterea, Christus quantum ad corpus, in pueritia pour son corps durant son enfance. Or, les autres
erat similis aliis pueris. Sed alii pueri propter enfants, en raison de la faiblesse des organes
imbecillitatem organorum corporalium non habent corporels, n’ont pas une imagination parfaite ni
perfectam imaginationem, nec usum liberi arbitrii. l’usage du libre arbitre. Par conséquent, ni le
Per consequens ergo nec Christus: et ita tunc, ut Christ, et ainsi, il semble qu’il ne pouvait pas
videtur, mereri non potuit. alors mériter.
[9688] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] le Christ a été un homme dès le
Sed contra, Christus in primo instanti suae premier instant de sa conception. Je 31, 22 : Le
conceptionis fuit vir. Hierem. 31, 22: novum faciet Seigneur fera du nouveau sur la terre : la femme
dominus super terram: femina circumdabit virum. entourera l’homme! Or, il relève de l’homme
Sed perfecti viri est mereri. Ergo Christus in parfait de mériter. Le Christ pouvait donc mériter
primo instanti suae conceptionis potuit mereri. dès le premier instant de sa conception.
[9689] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] L’âme perfectionnée selon la première et la
Praeterea, perfectior est anima perfecta prima et seconde perfection est plus parfaite que l’âme
secunda perfectione, quam perfecta solum parfaite seulement selon la première perfection.
perfectione prima. Sed Christo non accrevit aliqua Or, une perfection spirituelle ne s’est pas ajoutée
spiritualis perfectio. Ergo cum operatio sit au Christ. Puisque l’opération est une perfection
perfectio secunda, et habitus perfectio prima; seconde et l’habitus une perfection première,
quandocumque habuit habitum virtutis, habuit chaque fois qu’il a possédé l’habitus d’une vertu,
actum ejus. Sed actu virtutis merebatur. Ergo il en possédait donc l’acte. Or, c’est par un acte
Christus in instanti conceptionis merebatur. de vertu qu’on mérite. Le Christ méritait donc
dès l’instant de sa conception.
[9690] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 co. Réponse. Nous devons attribuer au Christ, selon
Respondeo dicendum, quod Christo debemus son âme, toute la perfection spirituelle qui peut
attribuere secundum animam, omnem lui être attribuée. Puisqu’il est possible qu’il ait
perfectionem spiritualem quae sibi potest attribui; accompli, dès le premier instant de sa
unde, cum possibile sit ipsum in primo instanti conception, un acte méritoire, il faut donc dire
suae conceptionis actum meritorium perfecisse, que le Christ a mérité dès le premier instant de sa
dicendum est, Christum in primo instanti suae conception. En effet, qu’une chose ne puisse
conceptionis meruisse. Quod enim aliqua res in exercer son action dès le premier instant où elle
primo instanti in quo est non possit suam existe, cela ne peut arriver que de trois façons.
actionem habere, non potest contingere nisi tribus Premièrement, [cela peut arriver] parce qu’il lui
modis. Primo ex hoc quod deest sibi aliqua manque une perfection qui est requise pour agir,
perfectio quae requiritur ad agendum; sicut comme le petit chien ne peut voir dès le premier
catulus in primo instanti suae nativitatis non instant de sa naissance parce qu’il n’a pas un
potest videre, quia non habet organum videndi organe parfait pour voir. D’une autre façon, en
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completum. Alio modo propter aliquod impediens raison d’un empêchement extérieur, comme
extrinsecum; sicut aqua generata in aliquo loco l’eau engendrée dans un endroit fermé est
concluso impeditur ut non possit proprio motu empêchée de se mouvoir selon son propre
moveri. Tertio ex natura operationis quae mouvement. Troisièmement, en raison de la
successionem habet; et tunc in primo instanti quo nature de l’opération qui possède une succession;
res est, incipit illam actionem, non tamen illa actioalors, dès le premier instant où la chose existe,
est in illo instanti, sed in tempore; sicut patet quod
elle commence cette action; cependant, cette
primum instans in quo ignis est ignis, quod est action n’existe pas dans cet instant, mais dans le
ultimum instans suae generationis, est primum temps, comme il est clair que le premier instant
instans motus sui sursum; sed tamen motus ejus où le feu existe est l’instant ultime de sa
non est in illo instanti, quia motus successivorum généréation et le premier instant de son
est. Constat autem quod in Christo non deficiebat mouvement vers le haut; cependant, son
aliqua perfectio ex parte ipsius agentis, quae est mouvement ne se réalise pas dans cet instant, car
necessaria ad meritorium actum; et iterum nihil le mouvement est le fait des réalités successives.
erat quod impedire posset; ipse etiam motus Or, il est clair que, chez le Christ, ne manquait,
caritatis, quo movebatur, indivisibilis erat, non du point de vue de l’agent, aucune perfection qui
successivus; et ideo in ipso instanti conceptionis est nécessaire à l’acte méritoire. De plus, il
mereri potuit. Quidam autem dicunt, quod in ipso n’existait rien qui pût l’empêcher. Le
instanti conceptionis non meruit quantum ad usum mouvement de charité par lequel il était mû était
virtutum; sed solum habuit meritum in radice, aussi indivisible, et non successif. C’est
scilicet in habitu caritatis et aliarum virtutum ex pourquoi il a pu mériter dès l’instant de sa
quibus dignus fuit gloria; sed quantum ad usum conception. Mais certains disent qu’il n’a pas
virtutum non meruit in ipso instanti, sed post mérité dès l’instant de sa conception pour ce qui
ipsum instans. Et ad hoc moventur rationibus est de l’usage des vertus, mais qu’il n’eut de
inductis in objiciendo. Sed prima opinio magis mérite que dans sa racine, à savoir, par l’habitus
mihi placet, et secundum eam respondendum est de la charité et des autres vertus par lesquels il
ad argumenta in contrarium facta. était digne de la gloire; toutefois, pour ce qui
était de l’usage des vertus, il n’a pas mérité dès
le premier instant, mais après ce même instant. Il
sont amenés à cette position par les arguments
invoqués dans les objections. Mais la première
opinion me plaît davantage, et, dans sa foulée, il
faut répondre aux arguments invoqués en sens
contraire.
[9691] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. L’être est antérieur à l’action naturelle, mais
primum ergo dicendum, quod esse est prius quam non pas nécessairement dans le temps.
agere natura, non tempore de necessitate.
[9692] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Comme le dit le Philosophe, la délibération et
secundum dicendum, quod deliberatio et le conseil ne portent pas sur ce qui se rapporte à
consilium, ut dicit philosophus, non sunt de his la fin, lorsque ce qui convient à la fin visée n’est
quae sunt ad finem, quando non est certum quae pas certain. Or, par l’intention même de la fin, on
expediant ad finem intentum. In ipsa autem mérite. Aussi la délibération n’est-elle pas
intentione finis aliquis meretur; unde non exigitur nécessaire au mérite, même chez les autres
deliberatio ad meritum, etiam in aliis hominibus, hommes, pour ce qui est du désir de la fin. De
quantum ad appetitum finis. Et praeterea in plus, chez le Christ, la délibération n’était pas
Christo non exigebatur deliberatio etiam quantum requise non plus pour ce qui est en rapport avec
ad ea quae sunt ad finem, quia de his certus erat. la fin, parce qu’il en était certain.
[9693] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Ce que le Christ a eu dès le premier instant de
tertium dicendum, quod illud quod Christus sa conception, le mérite, et a reçu d’un autre,
habuit in primo instanti suae conceptionis, scilicet pour autant que la grâce est requise, il l’a par lui-
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meritum, et ab alio habuit, inquantum scilicet même, pour autant que le mérite procède du libre
exigitur gratia, et a seipso habuit, inquantum arbitre. En effet, il n’est pas toujours nécessaire
meritum procedit ex libero arbitrio. Non enim que la cause précède dans le temps ce qui est
semper necessarium est ut causa causatum causé, mais il suffit parfois qu’elle précède par
praecedat tempore, sed quandoque sufficit quod nature.
praecedat natura.
[9694] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Le mouvement de la volonté vers une fin
quartum dicendum, quod motus voluntatis in bonne lui est naturel. Aussi peut-elle avoir dès le
finem bonum, est sibi naturalis; unde in primo premier instant de sa création un mouvement
instanti creationis suae potest habere motum in vers la fin bonne, parce que nous n’avons pas
bonum finem, quia ad finem naturaliter besoin de délibération pour désirer une fin
desideratum appetendum non indigemus naturellement désirée; et il peut y avoir mérite en
deliberatione; et in hoc potest esse meritum. Sed cela. Mais le péché survient du fait que la
peccatum contingit ex hoc quod voluntas movetur volonté est mue vers quelque chose qui ne
in aliquid quod non competit fini naturaliter convient pas à la fin naturellement désirée. Il est
desiderato; unde oportet quod contingat ex falsa donc nécessaire qu’il survienne du fait d’un faux
collatione illius ad finem: et ideo requiritur ad rapprochement entre cela et la fin. C’est
peccatum collatio ejus quod habet apparentem pourquoi est nécessaire au péché un
bonitatem ad id quod est per se bonum naturaliter rapprochement entre ce qui a l’apparence de la
desideratum. Unde in primo instanti creationis bonté et ce qui est en soi le bien naturellement
non potest mens peccare. désiré. Aussi l’esprit ne peut-il pécher dès le
premier instant de sa création.
[9695] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Le Christ ne possédait pas la science reçue des
quintum dicendum, quod Christus non habebat a sens, mais [une science] infuse. Ainsi l’habitus
sensibus acceptam scientiam, sed infusam; et ita de la science parfaite pouvait-il exister en même
habitus scientiae perfectae poterat esse etiam cum temps que la faiblesse des organes. De plus, on a
infirmitate organorum; et iterum dictum est, quod dit que la faiblesse du corps ne rejaillissait pas
infirmitas corporis in ipso non refundebatur in sur l’esprit, comme la gloire de l’esprit
mentem, sicut nec mentis gloria corporis n’enlevait pas non plus la faiblesse du corps.
infirmitatem tollebat: et ideo imperfectio L’imperfection des organes corporels n’enlevait
organorum corporalium, usum rationis non donc pas chez lui l’usage de la raison.
tollebat in ipso.

Articulus 4 [9696] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. Article 4 – Le Christ a-t-il mérité


4 tit. Utrum Christus meruit sibi immortalitatem l’immortalité pour lui-même ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il mérité
l’immortalité pour lui-même ?]
[9697] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité
1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod l’immortalité pour lui-même. En effet, mériter
Christus non meruerit sibi immortalitatem est le fait d’un étranger, à qui n’est due la
corporis. Mereri enim est extranei, cui non récompense qu’en vertu du mérite, de la même
debetur merces nisi per meritum; sicut et adoptari façon qu’être adopté est le fait d’un étranger, à
est extranei, cui non debetur hereditas nisi per qui n’est dû l’héritage que par l’adoption. Or, on
adoptionem. Sed Christus ad bona patris, quae ne dit pas que le Christ a été adopté comme un
sunt sua, non dicitur adoptari quasi extraneus. étranger en vue des biens du Père qui lui
Ergo eadem ratione nec immortalitatem, vel appartiennent. Pour la même raison, n’a-t-il pas
aliquid hujusmodi, meruit. mérité l’immortalité ou quelque chose de ce
genre.
[9698] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2. La récompense est plus digne que le mérite.
2 Praeterea, praemium est dignius merito. Sed Or, le mouvement bon de l’âme du Christ, par
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bonus motus animae Christi quo merebatur, est lequel il méritait, est plus digne que n’importe
dignior quolibet corporali. Ergo non merebatur quelle réalité corporelle. Il n’a donc pas mérité
immortalitatem corporis. l’immortalité de son corps.
[9699] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3. Le Christ n’était pas débiteur de la mort, car il
3 Praeterea, Christus non erat debitor mortis: quia n’avait pas de péché, qui rend débiteur de la
non habebat peccatum, quod mortis debitores mort. Puisque personne ne mérite d’éviter un
facit. Ergo cum nullus mereatur illud malum mal dont il n’est pas débiteur, il semble donc
evitare cujus non est debitor, videtur quod ipse qu’il n’a pas lui-même mérité l’immortalité.
immortalitatem non meruit.
[9700] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. Cependant, [1] il est dit dans le texte que l’éclat
1 Sed contra est quod in littera dicitur, quod du corps est la récompense de l’humiliation. Or,
claritas corporis est praemium humiliationis. Sed l’immortalité du corps relève de l’éclat du corps.
immortalitas corporis ad claritatem corporis Il a donc aussi mérité l’immortalité.
pertinet. Ergo etiam immortalitatem meruit.
[9701] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. [2] Aucune créature ne possède sans mérite les
2 Praeterea, bona gloriae nulla creatura habet sine biens de la gloire. Or, l’immortalité relève de la
merito. Sed immortalitas pertinet ad gloriam. Ergo gloire. Le Christ l’a donc méritée.
ipsam Christus meruit.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité
l’impassibilité de son âme ?]
[9702] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité
1 Ulterius. Videtur quod impassibilitatem animae l’impassibilité de son âme. En effet, ce qui nous
Christus non meruerit. Id enim quod nobis est est naturel, nous ne le méritons pas. Or, l’âme est
naturale, non meremur. Sed anima secundum impassible par sa nature. Il n’a donc pas mérité
suam naturam est impassibilis. Ergo l’impassibilité de son âme.
impassibilitatem non meruit.
[9703] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2. Tout ce qui existe dans quelque chose par
2 Praeterea, omne quod inest alicui per accidens, accident n’y existe plus par le fait même que
ex hoc ipso quod accidens removetur, ei non inest. l’accident est enlevé. Or, l’âme souffre, de même
Sed anima patitur, sicut et movetur, per accidens, qu’elle est mue, par accident, à savoir, en raison
scilicet per corpus. Ergo ex hoc ipso quod du corps. Par le fait même qu’elle est séparée du
separatur a corpore, fit impassibilis. Sed Christus corps, elle devient donc impassible. Or, le Christ
non meruit animam a corpore separari: quia n’a pas mérité que son âme soit séparée de son
meritum mortis peccatum est, ut dicitur Rom. 6. corps, car la mort est le salaire du péché, comme
Ergo non meruit impassibilitatem animae. il est dit en Rm 6. Il n’a donc pas mérité
l’impassibilité de son âme.
[9704] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3. L’impassibilité de l’âme relève de la béatitude
3 Praeterea, impassibilitas animae pertinet ad de l’âme, comme l’impassibilité du corps [relève
beatitudinem animae, sicut impassibilitas corporis de] la béatitude du corps. Or, l’âme du Christ a
ad beatitudinem corporis. Sed anima Christi a été bienheureuse dès le début. Il n’a donc pas
principio fuit beata. Ergo impassibilitatem animae mérité l’impassibilité de son âme.
non meruit.
[9705] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. Cependant, [1] l’âme du Christ a été impassible
1 Sed contra, anima Christi post resurrectionem après la résurrection. Or, elle était passible
fuit impassibilis. Sed ante fuit passibilis. Ergo auparavant. De même qu’il a mérité la gloire de
sicut gloriam resurrectionis, ita et animae la résurrection, de même a-t-il aussi mérité
impassibilitatem meruit. l’impassibilité de son âme.
[9706] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. [2] Les âmes des damnés sont passibles, car ils
2 Praeterea, animae damnatorum sunt passibiles, n’ont pas mérité l’impassibilité. Puisque l’âme
quia impassibilitatem non meruerunt. Ergo cum du Christ n’était pas passible après la
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anima Christi non fuerit passibilis post résurrection, il semble donc qu’il ait mérité
resurrectionem, videtur quod impassibilitatem l’impassibilité.
meruerit.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il mérité
d’être élevé ?]
[9707] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 1. Il semble que [le Christ] n’ait pas mérité d’être
1 Ulterius. Videtur quod non meruerit élevé, car, par le fait même que la nature
exaltationem. Quia ex hoc ipso quod humana humaine a été assumée, elle a été élevée et le
natura assumpta fuit, exaltata est, et nomen nom de la divinité lui est due. Or, il n’a pas
divinitatis sibi debetur. Sed assumptionem non mérité d’assumer, comme on l’a dit plus haut,
meruit, ut supra, dist. 4, dictum est. Ergo nec d. 4. Il n’a pas non plus mérité d’être élevé.
exaltationem.
[9708] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 2. Le nom qui est au-dessus de tout nom est le
2 Praeterea, nomen quod est super omne nomen, nom devant lequel tout genou fléchit. Or, tel est
est nomen in quo flectitur omne genu. Sed hoc est le nom de Jésus, comme il est dit en Ph 2.
nomen Jesus, ut dicitur Philip. 2. Cum ergo hoc Puisqu’il n’a pas mérité ce nom, il semble donc
nomen non meruerit, sed ante conceptionem sibi qu’il n’ait pas mérité le nom qui est au-dessus de
impositum fuerit; videtur quod non meruerit tout nom.
nomen quod est super omne nomen.
[9709] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 3. Si l’on dit qu’il a mérité pour ce qui est de la
3 Si dicatur, quod meruit quantum ad manifestation, on opposera que cela était
manifestationem; contra. Hoc etiam ante manifeste aussi auparavant; c’est ainsi que le
manifestum erat; unde Daemones ante eum démons l’ont confessé auparavant et que des
confessi fuerunt, et pueri et prophetae enfants et des prophètes l’ont prédit. Il n’a donc
praedixerunt. Ergo hoc ipse non meruit. pas lui-même mérité.
[9710] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 arg. 4. Le mérite est ordonné à la récompense. Or,
4 Praeterea, meritum ordinatur ad praemium. Sed faire quelque chose à cause de l’opinion des
facere aliquid propter aestimationem hominum hommes relève de la vaine gloire, qui n’existait
pertinet ad vanam gloriam, quae in ipso non fuit. pas chez [le Christ]. Il n’a donc pas mérité d’être
Ergo exaltationem quantum ad manifestationem élevé pour être manifesté aux hommes.
hominum non meruit.
[9711] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. Cependant, [1] on lit en Lc 14, 2 : Celui qui
1 Sed contra, Luc. 14, 2: qui se humiliat, s’humilie sera élevé. Or, le Christ s’est humilié.
exaltabitur. Sed Christus se humiliavit. Ergo Il a donc mérité d’être élevé.
exaltari meruit.
[9712] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 s. c. [2] [Le Christ] s’est rendu digne de l’élévation
2 Praeterea, ipse fecit se dignum tali exaltatione qui consiste dans la manifestation aux hommes
quae est in manifestatione ad homines per ea quae par ce qu’il a fait. Il a donc lui-même mérité
gessit. Ergo meruit ipse hanc exaltationem. cette élévation.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il mérité la
récompense substantielle de l’âme, la
jouissance de Dieu ?]
[9713] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 1. Il semble que [le Christ] ait mérité la
1 Ulterius. Videtur quod etiam praemium récompense substantielle de l’âme, la jouissance
substantiale animae, scilicet fruitionem divinam, de Dieu. En effet, plus une récompense est
ipse meruit. Majoris enim meriti majus est grande, plus le mérite est grand. Or, le mérite du
praemium. Sed meritum Christi fuit majus Christ a été plus grand que les mérites de tous les
omnium sanctorum meritis. Ergo et major fuit saints. La récompense qu’il a méritée a donc été
merces quam meruit. Nihil autem majus cadit sub plus grande. Or, rien ne tombe sous le mérite que
merito quam fruitio Dei, quam sancti merentur. la jouissance de Dieu que les saints méritent. Il
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Ergo ipse etiam meruit ipsam. l’a donc lui-même méritée.


[9714] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 2. Il est plus glorieux d’avoir quelque chose par
2 Praeterea, gloriosius est aliquid per seipsum soi-même que de tout avoir par un autre. Or, ce
habere quam ab alio habere omnia. Sed quod quis que quelqu’un mérite, il le possède d’une
meretur, quodammodo habet per seipsum. Cum certaine manière par lui-même. Puisque le Christ
igitur Christus fruitionem divinam gloriosissime possédait la jouissance de Dieu de la manière la
habuerit, videtur quod eam meruerit. plus glorieuse, il semble donc qu’il l’ait méritée.
[9715] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 arg. 3. Selon ceux qui affirment que les anges ont été
3 Praeterea, secundum illos qui ponunt Angelos in créés avec leurs seules propriétés naturelles, le
solis naturalibus creatos, simul in eis fuit meritum mérite et la récompense existaient en eux en
et praemium. Sed nihil prohibet Christum même temps. Or, rien n’empêche que le Christ
meruisse fruitionem divinam, nisi quia ab initio ait mérité la jouissance de Dieu, si ce n’est qu’il
suae conceptionis eam habuit. Ergo videtur quod l’ait possédée dès le commencement de sa
in ipso instanti suae conceptionis mereri potuerit conception. Il semble donc qu’il ait pu mériter à
ut simul in eo esset meritum et praemium. l’instant même de sa conception qu’existent en
même temps en lui le mérite et la récompense.
[9716] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. Cependant, [1] personne ne mérite alors qu’il
1 Sed contra, nullus meretur secundum quod est est comprehensor. Or, le Christ était
comprehensor. Sed Christus quantum ad comprehensor pour ce qui est de la jouissance
fruitionem erat comprehensor. Ergo nunquam (quantum ad fruitionem). Il n’a donc jamais
fruitionem meruit. mérité la jouissance [de Dieu].
[9717] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 s. c. [2] La jouissance lui était due du fait même que
2 Praeterea, ex hoc ipso quod intellectus ejus erat son intelligence était unie à Dieu en sa personne.
Deo conjunctus in persona, sibi debebatur fruitio. Or, il n’a pas mérité l’union. Donc, la jouissance
Sed unionem non meruit. Ergo nec fruitionem. non plus.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9718] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Comme on l’a dit plus haut, le mérite est en lui-
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, même une opération de celui qui est soumis à la
quod, sicut praedictum est, meritum secundum se, justice, selon laquelle il fait sien ce qui doit lui
est operatio ejus qui justitiam patitur, secundum être rendu. Or, on ne donne pas à quelqu’un ce
quam facit suum id quod sibi reddendum est. Non qu’il possède de la même manière dont il le
autem datur aliquid alicui qui habet illud eo modo possède, et on ne fait pas sien ce qui est sien de
quo habet, nec aliquis facit suum quod suum est la manière dont cela est sien. Aussi, pour le
eo modo quo suum est; unde ad meritum, mérite, selon que les théologiens en parlent et
secundum quod theologi de ipso loquuntur, in pour ce qui est bien tout simplement, y a-t-il
ordine ad ea quae sunt bona simpliciter, quatuor quatre exigences pour ce dont on dit que
requiruntur quantum ad id quod aliquis mereri quelqu’un le mérite. La première est que cela
dicitur. Primum est quod illud sit de pertinentibus porte sur ce qui se rapporte à la béatitude. La
ad beatitudinem. Secundum est quod illud sit non deuxième est que l’on ne possède pas ce qui doit
habitum quod per meritum acquiritur reddendum être acquis par la mérite comme devant être
justitia mediante. Tertium est quod illud sit non rendu par l’intervention de la justice.
debitum quod merendo quis sibi debitum facit. Troisièmement, que ne soit pas dû ce que l’on
Quartum, quod id quod quis mereri dicitur, rend dû à soi-même en le méritant.
sequatur ad minus ordine naturae ad ipsum Quatrièmement, que ce dont on dit que
meritum: et ideo gratia quae est merendi quelqu’un le mérite découle, au moins selon un
principium, et alia naturalia quae exiguntur ad ordre de nature, du mérite lui-même. Aussi, la
meritum, sub merito non cadunt. Haec autem grâce, qui est le principe du mérite, et les autres
quatuor in Christi immortalitate inveniuntur. Quia réalités naturelles, qui sont requises pour le
est de his quae pertinent ad beatitudinem corporis. mérite, ne tombent-elles pas sous le mérite. Or,
Item non fuit ab eo semper habitum, quia a ces quatre choses se trouvent dans l’immortalité
555

principio mortale corpus assumpsit. Item non fuit du Christ, car elle fait partie de ce qui se rapporte
sibi debitum ratione naturae, quamvis esset sibi à la béatitude du corps. De même, ne l’a-t-il pas
debitum ratione personae. Item immortalitas non toujours eue, car, au départ, il a assumé un corps
exigitur ad merendum. Et propter hoc mortel. De même, elle ne lui était pas due en
immortalitatem meruit. raison de la nature, bien qu’elle lui ait été due en
raison de sa personne. De même, l’immortalité
n’est pas nécessaire pour mériter. Pour ces
raisons, il a mérité l’immortalité.
[9719] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 1. Bien que l’immortalité et tous les autres biens
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis qui sont au pouvoir du Père aient été au pouvoir
immortalitas, et omnia alia bona quae sunt in du Fils pour ce qui est de la personne divine, ils
potestate patris, essent in potestate filii quantum ne l’étaient cependant pour ce qui est était de sa
ad divinam personam, non tamen ratione humanae nature humaine. Aussi, en méritant, rendons-
naturae; unde nos merendo facimus nobis debitum nous dû pour nous ce qui n’était dû ni à la nature
de eo quod non erat debitum neque naturae neque ni à la personne; mais le Christ en méritant a
personae; Christus autem fecit merendo debitum rendu dû à la nature ce qui n’était pas dû à la
naturae de non debito naturae, quamvis esset nature, bien que cela ait été dû à la personne. Et
debitum personae. Nec est simile de adoptione: il n’en va pas de même de l’adoption, car
quia adoptio respicit personam, sicut et filiatio; l’adoption concerne la personne, comme la
meritum autem in operatione consistit, quae filiation; mais le mérite consiste dans une
variatur secundum varietatem naturae, ut prius opération, qui varie selon la variété de la nature,
dictum est. comme on l’a dit antérieurement.
[9720] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 2. Bien que l’acte de l’esprit par lequel le Christ
Ad secundum dicendum, quod quamvis actus méritait soit simplement quelque chose de
mentis, quo Christus merebatur, sit simpliciter meilleur que l’immortalité du corps, celle-ci est
melius quam immortalitas corporis; tamen illa est cependant meilleure pour ce qui est de l’état,
melior quantum ad statum, inquantum scilicet pour autant qu’elle relève de l’état de la
pertinet ad statum beatitudinis; actus vero mentis, béatitude; mais l’acte de l’esprit, selon que le
secundum quod in eo consistit meritum, pertinet mérite consiste en lui, relève de l’état du viator.
ad statum viatoris. Vel dicendum, quod hoc habet Ou bien il faut dire que cela est vrai pour la
veritatem in praemio substantiali animae, et non récompense substantielle de l’âme, mais non
in aliis. pour les autres.
[9721] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 3. Le Christ, bien qu’il n’ait pas dû mourir à
Ad tertium dicendum, quod Christus quamvis non cause du péché, le devait cependant en raison des
haberet necessitatem moriendi ex peccato, principes naturels, comme on l’a dit plus haut,
habebat tamen ex principiis naturalibus, ut supra, d. 16, q. 1, a. 2. Aussi l’immortalité n’était-elle
dist. 16, qu. 1, art. 2 dictum est; et ideo humanae pas due à la nature humaine chez le Christ. Ou
naturae in Christo immortalitas non erat debita. bien il faut dire que la privation de la faute, bien
Vel dicendum, quod privatio culpae quamvis qu’elle enlève le mérite de la mort, ne donne
auferat meritum mortis, non tamen dat cependant pas l’immortalité par laquelle il est
immortalitatem qua impossibile est mori, qualis impossible de mourir, comme l’est l’immortalité
est immortalitas quam meruit Christus; sicut patet que le Christ a méritée, ainsi que cela ressort
in Adam quantum ad primum statum, in quo non chez Adam en son premier état, où l’immortalité
erat praedicta immortalitas. en question n’existait pas.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9722] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 co. On dit de l’âme qu’elle est passible de deux
Ad secundam quaestionem dicendum, quod anima manières. En premier lieu, selon la justice
dupliciter dicitur passibilis. Uno modo secundum divine; ainsi, elle souffre dans l’enfer par le feu
justitiam divinam, sicut patitur in Inferno ab igne corporel. Ce mode est commun à l’âme et à
corporali; et hic est communis animae et omni toutes les créature spirituelles envisagées
556

spiritui creato in suis tantum naturalibus seulement selon leurs propriétés naturelles. En
considerato. Alio modo dicitur anima passibilis second lieu, on dit que l’âme est passible selon
secundum naturam; et hoc vel per accidens ex sa nature, et cela, soit par accident en raison de la
passione corporis, ut supra, dist. 15, qu. 2, art. 3, passion du corps, comme on a dit plus haut,
dictum est, quod laesio corporis ad animam d. 15, q. 2, a. 3, qu’une blessure du corps atteint
pertingit quodammodo, inquantum est forma ejus; l’âme d’une certaine manière, pour autant qu’elle
vel per operationem propriam; sive illa sit en est la forme, soit par sa propre opération, que
communis animae et corpori, sicut in celle-ci soit commune à l’âme et au corps,
delectationibus et tristitiis, quae sunt secundum comme les plaisirs et les tristesses de la partie
partem sensitivam; sive sit propria ipsi animae, sensible, ou qu’elle soit propre à l’âme elle-
sicut in delectationibus et tristitiis intellectivae même, comme les plaisirs et les tristesses de la
partis. Quia autem anima secundum suam partie intellectuelle. Or, parce que l’âme est par
naturam est forma corporis, formae autem est ut sa nature forme du corps, et qu’il revient à la
sit materiae proportionata; ideo in ipsa natura forme d’être proportionnée à la matière, il fait
animae etiam sine corpore existentis, est ut sit donc partie de la nature de l’âme, même
nata pati ad passionem corporis, quamvis non lorsqu’elle existe sans le corps, d’être destinée à
patiatur actu sine corpore quantum ad illas souffrir lorsque le corps souffre, bien qu’elle ne
passiones quae naturaliter ei inesse possunt vel ex souffre pas en acte sans le corps pour les
corpore vel cum corpore. Haec autem aptitudo passions qui peuvent exister en elle et viennent
non tollitur per id per quod natura per gratiam du corps ou sont associées au corps. Or, une telle
reformatur: quamvis enim homo reformetur capacité n’est pas enlevée par le fait que la
quantum ad actus personales per gratiam, non nature retrouve sa forme par la grâce (per id
tamen reformatur quantum ad naturam nisi per quod natura per gratiam reformatur). En effet,
gloriam, quae omnes defectus naturae tollit: cujus bien que l’homme retrouve sa forme
signum est quod reformati per gratiam, in actu (reformetur) par la grâce pour ce qui est des
naturali defectum patiuntur, quia in originali actes personnels, il ne retrouve cependant sa
peccato generant. Unde oportet quod istam forme que par la gloire pour ce qui est de sa
aptitudinem naturalem ab anima habitus gloriae nature, [gloire] qui enlève toutes les carences de
tollat, per quem anima perficitur non solum in la nature. Le signe en est que ceux qui ont
potentiis quantum ad actus personales, sed retrouvé leur forme par la grâce supportent une
inquantum est natura quaedam: unde ex ipsa carence dans un acte naturel, car ils engendrent
glorificata in corpus gloria transfunditur. Per dans le péché originel. Il faut donc que l’habitus
habitum etiam gloriae excluditur et tristitia de la gloire enlève de l’âme cette disposition
intellectivae partis, et iterum possibilitas naturelle par laquelle l’âme est perfectionnée,
peccandi, per quam est possibilitas ad passionem non seulement dans ses puissances pour ce qui
ex justitia divina. Unde constat quod est des actes personnels, mais pour autant qu’elle
impassibilitas animae ad gloriam pertinet; et quod est une certaine nature. C’est ainsi qu’elle-même
Christus gloriam animae, inquantum est natura étant glorifiée, elle transmet la gloire au corps.
corporis, non habuit a principio suae conceptionis, Par l’habitus de la gloire, sont aussi écartées la
quia corpus passibile fuit: quamvis haberet tristesse de la partie intellectuelle et aussi la
animam gloriosam quantum ad operationes quibus possibilité de pécher, dont provient la possibilité
Deo fruebatur. Ideo sicut meruit immortalitatem de souffrir en vertu de la justice divine. Il est
corporis, ita etiam meruit impassibilitatem donc clair que l’impassibilité de l’âme relève de
animae. la gloire et que le Christ n’a pas possédé dès le
début de sa conception la gloire de l’âme, en tant
qu’elle est par nature celle du corps, car son
corps était passible, bien qu’il ait possédé une
âme glorieuse pour ce qui est des opérations par
lesquelles elle jouissait de Dieu. C’est pourquoi
il a mérité l’impassibilité de l’âme comme il a
557

mérité l’immortalité du corps.


[9723] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1 1. Selon sa nature, l’âme est impassible, de sorte
Ad primum ergo dicendum, quod anima qu’elle ne peut souffrir sans le corps pour les
secundum suam naturam est impassibilis, ut pati passions au sens propre dont nous parlons.
non possit, quantum ad passiones proprie dictas Cependant, elle est passible selon sa nature,
de quibus loquimur, sine corpore; est tamen c’est-à-dire qu’elle peut subir ces passions dans
secundum naturam suam passibilis, idest potens le corps et par le corps. Aussi cette détermination
pati has passiones in corpore, et per corpus. Unde par la nature peut déterminer la passibilité soit
haec determinatio per naturam potest determinare selon la puissance, et ainsi il s’agit d’une
passibilitatem vel quantum ad potentiam, et sic proposition fausse, soit selon l’acte, et ainsi elle
falsa est propositio; vel quantum ad actum; et sic est vraie, car ce qui peut subir est passible.
vera est, quia passibile est potens pati.
[9724] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 2. Bien que la passion existe dans l’âme par
Ad secundum dicendum, quod quamvis per accident, la capacité de subir n’existe cependant
accidens inesset animae passio, non tamen per pas par accident lorsque [l’âme] est unie au
accidens aptitudo ad patiendum simul cum corps. Bien que la passion soit écartée selon
corpore: et ideo quamvis ea separata a corpore, l’acte lorsque [l’âme] est séparée du corps, la
tollatur passio secundum actum, non tamen capacité de subir n’est cependant pas enlevée.
tollitur aptitudo patiendi. Unde si iterum corpori Aussi, si elle était de nouveau unie au corps, elle
uniretur, non faceret conjunctum sibi corpus ne rendrait pas impassible le corps qui lui est
impassibile, sed in eo per accidens pateretur, sicut uni, mais elle souffrirait en lui par accident,
et prius, nisi quando glorificata est: tunc enim si comme autrefois, à moins qu’elle ne soit
corpori unitur, corpus impassibile facit. glorifiée. En effet, si elle est alors unie au corps,
elle rend le corps impassible.
[9725] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 3. L’impassibilité de l’âme relève de la béatitude
Ad tertium dicendum, quod impassibilitas animae de l’âme, en tant qu’elle est nature et forme du
pertinet ad beatitudinem animae, inquantum corps. Et l’âme du Christ n’a pas possédé une
natura et forma corporis: et talem beatitudinem telle béatitude dès le début de sa conception,
anima Christi non habuit a principio suae mais la béatitude qui consiste dans l’acte de
conceptionis, sed beatitudinem quae consistit in jouissance.
actu fruitionis.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9726] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, on
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut trouve dans la félicité quelque chose qui lui est
dicit philosophus in 1 Ethic., in felicitate aliquid essentiel, comme les vertus qui rendent
invenitur essentiale ipsius, sicut virtutes quae l’opération parfaite, et quelque chose qui la rend
faciunt operationem perfectam; aliquid autem meilleure, comme les richesses, les amis et les
quod facit ad bene esse felicitatis, sicut divitiae, et choses de ce genre. Je dis de même que certaines
amici, et hujusmodi. Similiter dico, quod aliqua choses font partie de la substance de la béatitude,
sunt quae sunt de substantia beatitudinis, sicut comme les dots de l’âme et du corps, mais
dotes animae et corporis; aliquid autem quod est certaines choses qui la rendent meilleure, comme
de bene esse ipsius, sicut manifestatio beatitudinis la manifestation de la béatitude aux autres - en
ad alios, in quo etiam gloria consistit, quia gloria quoi consiste aussi la gloire, car la gloire est
est clara cum laude notitia: Glossa Rom. ult.: sicut « une manifestation éclatante accompagnée de
etiam philosophus dicit, quod de bene esse ipsius louanges ». La Glose sur Rm 16 dit : « Comme
felicitatis est ut felix etiam post mortem vivat in le dit aussi le Philosophe, il fait partie d’une
memoriis hominum. Quia ergo in Christo debuit félicité meilleure que le bienheureux vive même
esse completissima beatitudo, ideo non solum in après sa mort dans la mémoire des hommes. »
seipso beatificatus est, sed ad perfectionem suae Parce que la béatitude la plus complète devait
beatitudinis etiam sua beatitudo aliis ostensa fuit: exister chez le Christ, il n’a donc pas été rendu
558

et secundum hoc dicitur exaltationem meruisse: bienheureux seulement en lui-même, mais sa


quae quidem exaltatio in tribus consistit; scilicet béatitude a aussi été montrée aux autres pour la
in notitia cordis, secundum quod dicitur accepisse perfection de sa béatitude. On dit ainsi qu’il a
nomen super omne nomen, quia nomen de re mérité d’être élevé, élévation qui consiste en
notitiam facit: item in reverentia corporis, trois choses : dans la connaissance du cœur,
quantum ad genuflexionem: item in confessione selon qu’on dit de lui qu’il a reçu un nom au-
oris; et hoc est quod dicit apostolus: et omnis dessus de tout nom, car le nom fait connaître une
lingua confiteatur quia dominus Jesus Christus in chose; dans le respect du corps, pour ce qui est
gloria est Dei patris. de la génuflexion; et dans la confession par la
bouche, et c’est ce que dit l’Apôtre : Que toute
langue confesse que le Seigneur Jésus, le Christ,
est dans la gloire de Dieu le Père.
[9727] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1 1. Bien qu’il ait été exalté dès le début de sa
Ad primum ergo dicendum, quod quamvis fuerit conception, son exaltation n’était cependant pas
exaltatus ab initio suae conceptionis, non tamen manifeste et, dans l’Écriture, on dit qu’une chose
sua exaltatio fuit tunc manifesta: et res in sacra apparaît lorsqu’elle est connue.
Scriptura tunc fieri dicitur, quando innotescit.
[9728] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2 2. On parle de nom au-dessus de tout nom soit en
Ad secundum dicendum, quod nomen super omne raison de celui par qui il est donné: ainsi en est-il
nomen dicitur esse vel quantum ad id a quo pour le nom de Jésus ou de Christ, parce que les
imponitur; et sic est nomen Jesus vel Christus, deux ont été donnés en raison de l’union de la
quia utrumque imponitur ex unione humanae nature humaine à la nature divine, car on dit qu’il
naturae ad divinam: quia secundum hoc unctus a été oint selon qu’il a été uni à Dieu. Sous cet
dicitur quod Deo est unitus; et secundum hoc aspect aussi, il peut sauver des péchés. [On parle
etiam a peccatis salvos facere potest: vel quantum aussi de nom au-dessus de tout nom] en raison
ad id cui nomen imponitur; et sic hoc nomen Deus de ce pour quoi le nom a été imposé, et ainsi le
est super omne nomen, quia imponitur sibi nom de Dieu est au-dessus de tout nom parce
secundum divinam naturam. Et haec omnia qu’il lui a été donné selon la nature divine. Et
quamvis fuerint in eo secundum rei veritatem a même si tout cela était vraiment présent en lui
principio conceptionis, non tamen erant in notitia dès le début de sa conception, cela n’était pas
hominum. connu des hommes.
[9729] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3 3. Avant la résurrection, l’exaltation du Christ
Ad tertium dicendum, quod ante resurrectionem était manifeste non pas à tous, mais à un petit
erat quidem manifesta Christi exaltatio non nombre, et à certains aussi, non pas de manière
omnibus, sed paucis: et quibusdam etiam non per certaine, mais selon une conjecture, tels les
certitudinem, sed per quamdam conjecturam, sicut démons et certains juifs. Mais, après la
Daemonibus, et aliquibus Judaeis: sed post résurrection, son élévation fut connue de tout le
resurrectionem suam altitudo illius toti mundo monde par la certitude de la foi.
innotuit per certitudinem fidei.
[9730] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4 4. Le mérite n’existe en vue de la récompense
Ad quartum dicendum, quod meritum non fit que pour ce à quoi il est principalement ordonné.
propter praemium, nisi ad quod ordinatur Or, cela est ce qui fait partie de la substance de la
principaliter: hoc autem est illud quod est de béatitude. Aussi, même si l’honneur civil est ce
substantia beatitudinis. Unde etiam quamvis par quoi la vertu civile est récompensée, les
honor civilis sit quo praemiatur virtus civilis; citoyens n’accomplissent cependant pas les actes
tamen cives propter illum honorem non operantur des vertus en vue de cet honneur, mais pour le
virtutis opera, sed propter bonum ipsius virtutis. bien de la vertu elle-même.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[9731] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 co. La gloire de l’âme consiste en ce que l’âme est
Ad quartam quaestionem dicendum, quod gloria unie à Dieu lui-même par la vision et l’amour.
559

animae consistit in hoc quod anima ipsi Deo Parce que l’union ultérieure présuppose l’union
unitur per visionem et amorem; et quia posterior antérieure, comme le fait que Dieu est dans les
unio praesupponit priorem, sicut hoc quod Deus saints par la grâce présuppose qu’il est en tout
est in sanctis per gratiam, praesupponit hoc quod par son essence, sa présence et sa puissance,
in omnibus est per essentiam, praesentiam, et pour la même raison, l’union qui se réalise dans
potentiam; ideo eadem ratione unio quae est in la personne, qui est l’union ultime et la plus
persona, quae est ultima et completissima, complète, présuppose toute autre union à Dieu.
praesupponit omnem aliam unionem ad Deum: Par le fait même que l’âme du Christ était unie à
unde ex hoc ipso quod anima Christi erat Deo in Dieu dans la personne unie, l’union par la
persona conjuncta, debebatur sibi fruitionis unio, jouissance lui était donc due, et elle ne lui est pas
et non per operationem aliquam ei facta debita: et devenue due par une opération. Parce que le
ideo, quia meritum consistit in operatione quae mérite consiste dans une action qui nous rend
facit nobis aliquid debitum, Christus fruitionem quelque chose dû, le Christ n’a donc pas mérité
non meruit. Secus autem est de gloria corporis: la jouissance. Mais il en va autrement de la
quia de gloria corporis non consistit in unione ad gloire du corps, car la gloire du corps ne consiste
Deum; unde sine ea corpus divinitati unitum esse pas dans l’union à Dieu. Le corps a donc pu être
potuit, et fuit dispensative propter opus uni à la divinité sans elle, et cela a existé par
redemptionis implendum. Et propter hoc mode de dispensation en vue d’accomplir
fruitionem, in qua consistit gloria animae, l’œuvre de la rédemption. Pour cette raison, le
Christus semper habuit, et ipsam non meruit, sicut Christ a toujours eu la jouissance en laquelle
meruit gloriam corporis. consiste la gloire de l’âme, et il ne l’a pas
méritée, comme il a mérité la gloire du corps.
[9732] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 1 1. Le fait que le Christ n’ait pas mérité pour lui-
Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod même la béatitude qui consiste dans la
Christus sibi beatitudinem quae est in fruitione jouissance ne venait pas de l’insuffisance du
non meruit, non fuit ex insufficientia meriti, sed mérite, mais de la perfection de celui qui
ex perfectione merentis. méritait.
[9733] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 2 2. Le Christ possédait davantage par lui-même ce
Ad secundum dicendum, quod Christus magis qu’il possédait par l’union que ce qu’on acquiert
habuit ex seipso quod ex unione habuit quam par l’opération, car il possédait cela
aliquis habeat id quod ex operatione acquirit: quia naturellement. C’est pourquoi il possédait aussi
habuit illud naturaliter; et ideo etiam gloriosius la gloire de manière plus glorieuse qu’un autre.
habuit fruitionem quam aliquis alius.
[9734] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 4 qc. 4 ad 3 3. Selon cette opinion, les anges n’ont pas
Ad tertium dicendum, quod secundum illam toujours possédé la béatitude, et il n’y avait pas
opinionem, Angeli non semper habuerunt chez eux de raison qu’elle leur soit due. Ils ont
beatitudinem, nec iterum aliquid erat in eis unde donc pu mériter en même temps qu’ils ont reçu
eis deberetur; et ideo mereri potuerunt simul la grâce, comme on l’a dit dans le livre II, d. 5,
quando acceperunt gratiam, ut in 2 Lib., dist. 5, q. 2, a. 2. Mais il n’en va pas de même du Christ,
quaest. 2, art. 2, dictum est. Non est autem ita de qui a toujours été bienheureux en son âme et à
Christo, qui semper beatus secundum animam qui la gloire était due en raison même de l’union.
fuit, et cui ex ipsa unione debebatur gloria.

Articulus 5 [9735] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. Article 5 – Le Christ a-t-il mérité pour lui-
5 tit. Utrum Christus meruerit sibi per passionem même par la passion ?
[9736] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad 1. Il semble que le Christ n’ait pas mérité pour
quintum sic proceditur. Videtur quod Christus per lui-même par la passion. En effet, mériter, c’est
passionem non meruerit sibi. Mereri enim est faire en sorte qu’une chose nous soit due. Or,
aliquid sibi debitum facere. Sed qui sibi semel celui qui a une fois fait en sorte qu’une chose lui
aliquid debitum fecit, puta emendo, non ulterius soit due, par exemple, en l’achetant, n’achète
560

emit illud. Ergo et qui meruit aliquid semel, plus cette chose. Celui qui a mérité une chose
ulterius non potest mereri illud. Sed Christus ab une fois ne peut donc plus la mériter. Or, le
instanti conceptionis meruit sibi ea quae dicta Christ a mérité pour lui-même ce qu’on a dit dès
sunt. Ergo per passionem nihil sibi meruit. l’instant de sa conception.
[9737] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 2 2. Le mérite rend dû ce qui n’était pas dû ou fait
Praeterea, meritum facit vel de non debito de ce qui était dû quelque chose qui est dû
debitum, vel de debito magis debitum. Sed ea encore davantage. Or, ce que le Christ a mérité
quae Christus meruit, non fuerunt sibi magis ne lui était pas davantage dû par la passion
debita per passionem quam ante: quia per primum qu’antérieurement, car cela lui est devenu dû
meritum fuerunt sibi facta sufficienter debita. d’une manière suffisante par son premier mérite.
Ergo per passionem sibi Christus nihil meruit. Le Christ ne s’est donc rien mérité par sa
passion.
[9738] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 3 3. La passion a eu lieu dans le corps du Christ.
Praeterea, passio in corpore Christi fuit. Sed Or, le mérite ne se trouve que dans l’âme. Le
meritum non est nisi in anima. Ergo per Christ ne s’est donc rien mérité par sa passion.
passionem Christus nihil sibi meruit.
[9739] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 4 4. Le principe du mérite est en nous, car le
Praeterea, meriti principium est in nobis: quia volontaire est ce dont le principe est intérieur,
voluntarium est cujus principium est intra, ut comme il est dit dans Éthique, III. Or, le principe
dicitur in 3 Ethic. Sed principium passionis non de la passion n’est pas dans celui qui la subit,
est in patiente, sed in agente. Ergo Christus per mais dans l’agent. Le Christ n’a donc pas mérité
passionem non meruit. par sa passion.
[9740] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 5 5. Tout mérite consiste dans la charité. Or,
Praeterea, omne meritum consistit in caritate. Sed supporter des souffrances de manière louable
pati passiones laudabiliter, non est opus caritatis, n’est pas un acte de charité, mais de patience ou
sed patientiae, vel fortitudinis. Ergo Christus per de force. Le Christ n’a donc pas mérité par sa
passionem non meruit. passion.
[9741] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] il est dit dans le texte que la
Sed contra est quod dicitur in littera, quod passio passion mérite l’éclat.
claritatis est meritum.
[9742] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 s. c. 2 [2] Nous méritons par les actes des vertus. Or, le
Praeterea, actibus virtutum meremur. Sed Christus Christ a souffert par la plus grande charité,
est passus ex maxima caritate; Joan. 15, 13: Jn 15, 13 : Personne n’a un plus grand amour. Il
majorem hac dilectionem nemo habet. Ergo ipse a donc mérité par sa passion.
per suam passionem meruit.
[9743] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 s. c. 3 [3] Sa passion a été plus grande que les passions
Praeterea, passio sua major fuit aliorum des autres saints, comme on l’a dit plus haut,
sanctorum passionibus, ut supra, distinct. 15, qu. d. 15, q. 2, a. 3. Or, les autres saints ont mérité
2, art. 3, quaestiunc. 3, dictum est. Sed alii sancti par leurs passions. Le Christ aussi a donc mérité
suis passionibus meruerunt. Ergo et Christus per par sa passion.
suam passionem meruit.
[9744] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 co. Réponse. Comme on l’a dit, mériter c’est faire
Respondeo dicendum, quod mereri, sicut dictum en sorte qu’une chose nous devienne due. Or,
est, est facere aliquid sibi debitum. Hoc autem cela se produit de trois manières. Premièrement,
contingit tribus modis. Uno modo quando aliquis lorsque quelqu’un fait en sorte que ce qui n’est
facit de non debito debitum; sicut aliquis primo pas dû devienne dû, comme lorsque quelqu’un
motu caritatis meretur vitam aeternam, faciens mérite la vie éternelle par le premier mouvement
eam debitam sibi, quae prius ei debita non erat. de charité en faisant en sorte qu’elle lui devienne
Alio modo quod erat minus debitum faciendo sibi due, alors qu’elle ne lui était pas due
magis debitum: quod contingit in eo in quo caritas antérieurement. Deuxièmement, en faisant en
561

augetur. Tertio contingit, quando aliquid quod est sorte que ce qui était moins dû devienne
uno modo debitum sibi, facit alio modo debitum davantage dû, ce qui se produit chez celui dont la
sibi; sicut puer baptizatus, cui debetur vita aeterna charité est augmentée. Troisièmement, cela se
ex habitu gratiae in Baptismo infusae, quando produit lorsqu’une chose qui nous est due d’une
usum liberi arbitrii habere incipit, facit sibi manière nous devient due d’une autre manière,
debitam eam ex actu. Primo igitur modo Christus comme l’enfant baptisé, à qui la vie éternelle est
meruit in primo instanti suae conceptionis due par l’habitus de la grâce infuse lors du
claritatem corporis: quae quidem non erat ei baptême, fait en sorte qu’elle lui devienne due en
debita neque ex conditione naturae in se acte, lorsqu’il commence à avoir l’usage de son
consideratae, neque consequebatur ex necessitate libre arbitre. De la première manière, le Christ a
unionis, sicut gloria fruitionis, ut dictum est. donc mérité l’éclat de son corps dès le premier
Secundo autem modo Christus mereri non potuit, instant de sa conception; celui-ci ne lui était dû
quia caritas non est augmentata in Christo. Tertio ni en raison d’une condition de la nature
modo meruit in omnibus actibus suis post primum considérée en elle-même, il ne découlait pas non
instans suae conceptionis: quia fecit sibi debitum plus nécessairement de l’union, comme la gloire
aliquibus actibus quod prius ex aliis actibus de la jouissance , ainsi qu’on l’a dit. De la
debebatur. Actus autem quo quis meretur, est ille deuxième manière, le Christ n’a pas pu mériter
cujus agens est dominus, ut supra dictum est, et parce que la charité n’a pas été augmentée chez
qui est proportionatus mercedi. Est autem homo le Christ. De la troisième manière, il a mérité par
dominus suorum actuum per voluntatem; quam tous ses actes après le premier instant de sa
quia caritas perficit in ordine ad finem ultimum, conception, car il a fait en sorte que lui soit dû
ideo actum fini proportionatum facit, scilicet pour certains actes ce qui lui était dû auparavant
beatitudini quae proprie merces est nostrorum par d’autres actes. Or, l’acte par lequel
meritorum; et ideo omnis actus voluntarius quelqu’un mérite est, comme on l’a dit plus haut,
caritate informatus, est meritorius. Cum igitur celui dont l’agent est maître, et qui est
Christus passionem suam voluntarie sustinuerit proportionné à la récompense. Or, l’homme est
(oblatus enim est quia ipse voluit, Isai. 53), et maître de ses actes par sa volonté. Parce que la
voluntas ista caritate fuerit informata, non est charité perfectionne celle-ci par rapport à la fin
dubium quod per suam passionem meruerit. ultime, elle rend donc son acte proportionné à la
fin, c’est-à-dire à la béatitude qui est au sens
propre la récompense de nos actes. C’est
pourquoi tout acte volontaire qui a reçu la forme
de la charité est méritoire. Puisque le Christ a
supporté volontairement sa passion (en effet, il
s’est offert parce qu’il l’a voulu, Is 53), et que
cette volonté a reçu la forme de la charité, il n’y
a pas de doute qu’il a mérité par sa passion.
[9745] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. Le but principal de l’achat est de posséder la
primum ergo dicendum, quod emptio est chose qui est achetée. Aussi, une fois qu’elle a
principaliter propter habendam rem quae emitur: été achetée, elle n’est plus achetée. Mais l’action
et ideo postquam semel empta est, ulterius non par laquelle on mérite n’a pas comme but
emitur: sed actio qua quis meretur non est principal l’obtention de la récompense, mais le
principaliter propter praemium consequendum, bien de la charité. Aussi l’homme qui a la charité
sed propter bonum caritatis. Unde homo habens agirait-il, même s’il n’obtenait aucune
caritatem etiam operaretur, si nulla retributio récompense. C’est pourquoi, même après avoir
sequeretur; unde etiam postquam meruit aliquid mérité quelque chose, il agit, et ce qui lui était
operatur; et id quod sibi primo uno modo d’abord dû d’une manière lui est dû d’une autre
debebatur, postea alio modo sibi debetur. manière par la suite.
[9746] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. Il n’est pas nécessaire qu’il fasse en sorte
secundum dicendum, quod non oportet quod qu’une chose lui soit davantage due, car il s’agit
562

faciat sibi magis debitum, quia hoc est secundum de l’intensité de la charité, qui est la racine du
intensionem caritatis, quae est radix merendi; sed mérite. Toutefois, il fait en sorte que cette chose
facit sibi pluribus modis debitum. lui soit due de plusieurs manières.
[9747] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. Bien que la passion se trouve dans le corps, la
tertium dicendum, quod quamvis passio sit in volonté qui accepte la passion se trouvait dans
corpore, tamen voluntas acceptans passionem fuit l’âme.
in anima.
[9748] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. La passion en tant que passion n’est pas
quartum dicendum, quod passio, inquantum méritoire, car son principe se trouve alors à
passio, non est meritoria, quia sic principium ejus l’extérieur; mais elle est méritoire pour autant
est extra: sed est meritoria inquantum est qu’elle est acceptée par la volonté. En effet, elle
acceptata per voluntatem: sic enim est voluntaria, est ainsi volontaire et son principe se trouve à
et principium ejus est intra. Acceptatur autem l’intérieur. Or, la passion est acceptée par la
passio a voluntate dupliciter: vel sicut volonté de deux manières : soit comme une
voluntarium absolute, sicut in Christo, qui se chose volontaire de manière absolue, comme
voluntarie obtulit passioni, ut nostrae chez le Christ, qui s’est volontairement offert à
redemptionis opus expleretur: vel sicut la passion afin d’accomplir l’œuvre de notre
voluntarium mixtum, sicut quando aliquis etsi rédemption; soit comme une chose volontaire
vellet non pati, tamen magis vult sustinere mixte, comme lorsque quelqu’un, même s’il ne
passionem quam aliquid contra Deum faciat. voulait pas souffrir, veut cependant souffrir une
passion plutôt que de faire quelque chose de
contraire à Dieu.
[9749] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 5 ad 5 Ad 5. Bien que le mérite se trouve dans la charité
quintum dicendum, quod quamvis meritum sit in comme en sa racine, nous ne méritons cependant
caritate sicut in radice, non tamen meremur sola pas par la seule charité, mais aussi par les autres
caritate, sed etiam aliis virtutibus, inquantum vertus, pour autant que leurs actes sont
earum actus sunt a caritate imperati. commandés par la charité.

Articulus 6 [9750] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. Article 6 – Le Christ pouvait-il mériter pour
6 tit. Utrum Christus potuerit nobis mereri nous ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ pouvait-il
mériter pour nous ?]
[9751] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ ne pouvait pas mériter
1 Ad sextum sic proceditur. Videtur quod Christus pour nous. En effet, de même que la louange
nobis mereri non potuit. Sicut enim laus requirit exige le caractère volontaire, de même aussi le
voluntarium, ita et meritum. Sed propter hoc quod mérite. Or, du fait que la louange exige le
laus requirit voluntarium in laudato, ideo unus caractère volontaire chez celui qui est louangé,
non laudatur propter actum alterius. Ergo similiter l’un n’est pas louangé pour l’acte d’un autre. De
nec unus alteri mereri potest: et sic Christus nihil la même manière, l’un ne peut-il mériter pour un
nobis meruit. autre, et ainsi, le Christ n’a rien mérité pous
nous.
[9752] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 2. Il est dit dans Ez 18, 4 : Celui qui aura péché,
2 Praeterea, Ezech. 18, 4, dicitur: anima quae c’est lui qui mourra. Pour la même raison, c’est
peccaverit, ipsa morietur. Ergo eadem ratione celui qui agit qui sera récompensé. Il semble
anima quae operatur, ipsa praemiabitur; et ita ainsi que le Christ n’a pas pu mériter pour nous.
videtur quod Christus nobis mereri non potuit.
[9753] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 arg. 3. Le Christ n’a pas mérité en tant qu’il est Dieu,
3 Praeterea, Christus non meruit secundum quod mais en tant qu’il est un homme possédant la
Deus, sed secundum quod homo habens caritatem. charité. Or, quelqu’un qui a la charité ne mérite
Sed unus habens caritatem non meretur alteri nisi pour une autre que par un mérite de convenance
563

ex congruo, quod non est per se loquendo (ex congruo), qui n’est pas un mérite à parler en
meritum. Ergo et cetera. soi. Donc, etc.
[9754] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 s. c. Cependant, [1] le Christ, en tant qu’homme, est
1 Sed contra, Christus, secundum quod homo, est notre tête. Il a donc exercé une influence sur
caput nostrum. Ergo nobis aliquid influit. Sed non nous, mais seulement par le mérite. Le Christ a
nisi meritorie. Ergo Christus nobis aliquid meruit. donc mérité quelque chose pour nous.
[9755] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 s. c. [2] Personne ne parvient à la gloire que par le
2 Praeterea, nullus pervenit ad gloriam sine mérite. Or, les enfants baptisés parviennent à la
merito. Sed pueri baptizati pervenient ad gloriam. gloire. Puisqu’il n’y parviennent pas par leur
Ergo cum non perveniant per meritum proprium, propre mérite, ils y parviendront donc par le
pervenient per meritum Christi; et ita Christus mérite du Christ. Le Christ a donc mérité
nobis aliquid meruit. quelque chose pour nous.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il mérité pour
nous l’ouverture de la porte du Paradis ?]
[9756] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 1. Il semble que [le Christ] ne nous ait pas mérité
1 Ulterius. Videtur quod non meruit nobis januae l’ouverture de la porte [du Paradis], car Énoch et
apertionem. Quia Enoch et Elias ante Christi Élie sont entrés au Paradis avant l’incarnation du
incarnationem in Paradisum introierunt. Ergo ante Christ. La porte était donc ouverte avant le
Christum janua erat aperta. Christ.
[9757] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 2. Quiconque mérite le Paradis mérite aussi
2 Praeterea, quicumque meretur Paradisum, l’ouverture de la porte du Paradis. Or, les pères
meretur etiam apertionem januae Paradisi. Sed anciens ont mérité le Paradis, puisqu’ils avaient
antiqui patres meruerunt Paradisum, cum haberent une charité aussi parfaite que nous et ont tout fait
caritatem ita perfectam sicut et nos, et cum en vue du Paradis. Ils ont donc mérité
propter Paradisum omnia operarentur. Ergo l’ouverture de la porte du Paradis.
meruerunt apertionem januae Paradisi.
[9758] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 arg. 3. Une fois donnée une cause suffisante, rien
3 Praeterea, posita causa sufficienti non requiritur d’autre n’est requis pour l’effet. Si donc le Christ
aliquid aliud ad effectum. Si ergo Christus a suffisamment mérité pour nous l’ouverture de
sufficienter meruit nobis apertionem januae la porte du Paradis, il semble qu’il ne nous faille
Paradisi, videtur quod non oporteat nos aliquid pas faire autre chose en vue du Paradis, ce qui
propter Paradisum operari; quod est falsum. Ergo est faux. C’est donc la même conclusion que
et primum. pour le premier argument.
[9759] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 s. c. Cependant, [1] personne n’est entré au Paradis
1 Sed contra, ante Christum nullus in Paradisum avant le Christ, car les saints pères descendaient
intravit, quia sancti patres ad Limbum dans les limbes. Or, après, les hommes sont
descendebant. Sed postea homines in Paradisum entrés au Paradis, comme il est dit en Lc 23 :
intraverunt, sicut dicitur Luc. 23: hodie mecum Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. Le
eris in Paradiso. Ergo Paradisi apertionem Christ a donc mérité l’ouverture du Paradis.
Christus meruit.
[9760] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 s. c. [2] Après le péché d’Adam, la porte du Paradis
2 Praeterea, per peccatum Adae clausa est janua a été fermée, comme cela ressort de Gn 3. Or, le
Paradisi, ut patet Gen. 3. Sed Christus pro peccato Christ a satisfait pour le péché d’Adam. Il a donc
Adae satisfecit. Ergo ipse apertionem januae mérité pour nous l’ouverture de la porte [du
nobis meruit. Paradis].
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ nous a-t-il ouvert
la porte du Paradis seulement par sa
passion ?]
[9761] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 1. Il semble que [le Christ] ne nous ait pas ouvert
1 Ulterius. Videtur quod non tantum per la porte [du Paradis] seulement par sa passion.
564

passionem apertionem januae nobis meruit. En effet, sa charité n’était pas plus grande dans
Caritas enim ejus in passione non fuit major quam sa passion qu’antérieurement. Si il a mérité par
ante. Si ergo per passionem meruit, etiam ante la passion, il a donc aussi mérité antérieurement.
meruit.
[9762] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 2. Lors du baptême [par Jean-Baptiste], les cieux
2 Praeterea, in Baptismo caeli aperti sunt super se sont ouverts sur lui. Or, le baptême a précédé
eum. Sed Baptismus passionem praecessit. Ergo la passion. Il nous a donc mérité l’ouverture du
ante passionem caeli apertionem nobis meruit. ciel avant sa passion.
[9763] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 arg. 3. Il semble [qu’il nous ait ouvert la porte du
3 Praeterea, videtur quod per ascensionem; per id Paradis] par son ascension, selon ce qui est dit en
quod dicitur Mich. 2, 13: ascendet pandens iter Mi 2, 13 : Il montera en montrant le chemin
ante eos. devant eux.
[9764] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 s. c. Cependant, [1] le Christ nous a ouvert la porte
1 Sed contra, Christus satisfaciendo, nobis januam en satisfaisant. Or, il a satisfait par sa passion. Il
aperuit. Sed satisfecit per passionem. Ergo per a donc mérité l’ouverture de la porte par sa
passionem januae apertionem meruit. passion.
[9765] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 s. c. [2] La fermeture de la porte était un décret qui
2 Praeterea, clausio januae fuit decretum quod nous était contraire. Or, le Christ l’a écarté en le
erat contrarium nobis. Sed hoc tulit Christus de fixant sur le croix, Col 2. Il a donc mérité pour
medio affigens illud cruci; Coloss. 2. Ergo per nous l’ouverture de la porte par sa passion.
passionem januae apertionem nobis meruit.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9766] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 co. Comme le dit [Jean] Damascène, « la chair et
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, l’âme du Christ étaient comme l’instrument de la
quod, sicut dicit Damascenus, caro Christi et divinité ». Ainsi, bien que l’opération de Dieu et
anima erat quasi instrumentum deitatis, unde de l’homme ait été différente, l’opération
quamvis esset alia operatio Dei et hominis, tamen humaine avait cependant en elle-même la
operatio humana habebat in se vim divinitatis puissance de la divinité, comme un instrument
sicut instrumentum agit vi principalis agentis: et agit par la puissance de l’agent principal. Pour
propter hoc dicit Damascenus quod ea quae cette raison, [Jean] Damascène dit que « ce qui
hominis sunt, supra hominem agebat; unde et relève de l’homme agissait en dépassant
actio Christi meritoria, quamvis esset actio l’homme ». Ainsi l’action méritoire du Christ,
humana, tamen agebat in virtute divina: et ideo bien qu’elle ait été une action humaine, agissait
erat potestas ei supra totam naturam, quod non cependant avec une puissance divine. Sa
poterat esse de aliqua operatione puri hominis, puissance dépassait donc la nature entière, ce qui
quia homo singularis est minus dignus quam ne pouvait être le cas de l’opération d’un pur
natura communis: quia divinius est bonum gentis homme, parce qu’un homme considéré
quam bonum unius hominis. Et quia omnes individuellement est moins digne que la nature
homines sunt unus homo in natura communi, ut commune, puisque le bien du peuple est plus
dicit Porphyrius, inde est quod meritum Christi, divin que le bien d’un seul homme. Et parce que
quod ad naturam se extendebat, etiam ad singulos « tous les hommes sont un seul homme par leur
se extendere poterat; et ita aliis mereri potuit. nature commune », comme le dit Porphyre, de là
vient que le mérite du Christ, qui s’étendait à la
nature, pouvait aussi s’étendre à chacun et ainsi
pouvait mériter pour les autres.
[9767] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 1 1. On dit que le Christ mérite pour un autre de
Ad primum ergo dicendum, quod Christum mereri deux manières. Soit qu’il mérite à la place d’un
pro alio dicitur dupliciter. Aut ita quod ipse autre, c’est-à-dire selon qu’il appartient à un
mereatur loco alterius, idest quod pertinet ad autre de mériter : ainsi le Christ n’a-t-il pas
alium ut mereatur; et sic Christus pro aliis non mérité pour les autres, parce qu’il faut que le
565

meruit: quia meritum oportet quod procedat ex mérite procède de la volonté de celui qui mérite,
voluntate merentis, ut objectio procedebat. Aut ita comme l’objection l’affirmait. Soit qu’il mérite
quod ipse aliquid alteri mereatur quod sub merito lui-même pour un autre ce qui ne tombe pas sous
illius non cadit; et sic Christus aliis meruit ea quae le mérite de celui-ci : ainsi le Christ a mérité
ipsi sibi mereri non potuerunt. pour les autres ce qu’ils ne pouvaient pas mériter
pour eux-mêmes.
[9768] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 2 2. Les membres et la tête appartiennent à la
Ad secundum dicendum, quod membra et caput même personne. Puisque le Christ était notre tête
ad eamdem personam pertinent; unde cum en raison de sa divinité et de la plénitude de sa
Christus fuerit caput nostrum propter divinitatem, grâce qui rejaillissait sur les autres, et que nous
et plenitudinem gratiae in alios redundantem, nos sommes ses membres, son mérite ne nous est pas
autem simus membra ejus; meritum suum non est étranger, mais rejaillit sur nous en raison de
extraneum a nobis, sed in nos redundat propter l’unité du corps mystique.
unitatem corporis mystici.
[9769] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 1 ad 3 3. Le Christ faisait ce qui relève de l’homme en
Ad tertium dicendum, quod Christus ea quae sunt dépassant l’homme, comme on l’a dit.
hominis agebat supra hominem, ut dictum est.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9770] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 co. De même que la fermeture de la porte est un
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut obstacle empêchant d’entrer dans la maison, de
clausio januae est obstaculum prohibens ab même dit-on par similitude que la porte du
ingressu domus; ita per similitudinem dicitur Paradis a été fermée, pour autant qu’il y a un
janua Paradisi clausa, inquantum est aliquod obstacle qui empêche l’entrée au Paradis. Or, il
obstaculum prohibens ab introitu Paradisi. peut y avoir un obstacle de deux manières : l’un,
Obstaculum autem potest esse duplex: unum ex du côté de la personne, qui provient du péché
parte personae, quod est per peccatum actuale; actuel; l’autre, du côté de la nature, qui vient du
aliud ex parte naturae, quod est per peccatum péché originel. Le premier obstacle n’est pas
originale. Primum quidem obstaculum non est commun à tous, mais aux pécheurs seulement;
commune omnibus, sed tantum peccatoribus; sed mais le second obstacle est commun à tous, et cet
secundum obstaculum est omnibus commune; et obstacle ne peut être enlevé que par celui dont
hoc quidem obstaculum auferri non potuit nisi per l’opération pouvait s’exercer sur la nature
eum cujus operatio in totam naturam potuit, entière, le Christ. C’est pourquoi celui-ci nous a
scilicet Christum: et ideo ipse nobis quantum ad mérité sous cet aspect l’ouverture de la porte, qui
hoc apertionem januae meruit, quae per peccatum avait été fermée à toute la nature viciée par le
primi hominis toti vitiatae naturae clausa erat. péché du premier homme.
[9771] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 1 1. Il existe un double Paradis : céleste, qui est la
Ad primum ergo dicendum, quod est duplex vision de Dieu, et terrestre. Or, par le péché du
Paradisus; scilicet caelestis, quae est ipsa visio premier homme, la porte du Paradis terrestre a
Dei, et terrestris. Per peccatum autem primi été fermée comme un signe que la porte du
hominis clausa fuit janua Paradisi terrestris in Paradis céleste était fermée à la nature humaine.
signum quod humanae naturae claudebatur ostium Énoch et Élie, bien qu’ils soient entrés dans le
Paradisi caelestis. Enoch ergo et Elias, quamvis Paradis terrestre avant la passion, n’étaient
Paradisum terrestrem ante passionem ingressi sint, cependant pas entrés au Paradis céleste. C’est de
non tamen Paradisum caelestem, de cujus janua la porte de celui-ci que nous parlons ici.
hic loquitur.
[9772] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 2 2. Les pères anciens ont mérité l’entrée au
Ad secundum dicendum, quod antiqui patres Paradis pour ce qui est de la personne, comme
meruerunt introitum Paradisi quantum ad id quod c’est aussi notre cas; cependant, ils ne pouvaient
personae est, sicut et nos; tamen quod mériter que soit enlevé l’empêchement qui venait
removeretur impedimentum, quod erat ex parte de la nature. Aussi la porte demeurait-elle
566

naturae, mereri non potuerunt; et ideo semper toujours fermée pour eux.
remanebat eis janua clausa.
[9773] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 2 ad 3 3. Bien qu’ait été enlevé par le Christ
Ad tertium dicendum, quod quamvis remotum sit l’empêchement qui venait de la nature, il est
impedimentum quod erat ex parte naturae, per cependant nécessaire que, par l’acte méritoire, le
Christum; tamen oportet quod per actum Paradis devienne dû pour l’homme pour ce qui
meritorium efficiatur homini Paradisus debitus est de la personne. Il est donc nécessaire que
quantum ad id quod est personae: et ideo oportet l’homme agisse de manière à mériter d’entrer au
quod homo agat ad hoc ut Paradisum intrare Paradis.
mereatur.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9774] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 co. Comme on l’a dit, l’obstacle qui fermait la porte
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod du Paradis était le péché qui affectait la nature
obstaculum quod januam Paradisi claudebat, ut entière. Parce que le péché est enlevé par la
dictum est, fuit peccatum totam naturam inficiens: satisfaction, la satisfaction non plus ne pouvait
et quia peccatum per satisfactionem tollitur, neque être accomplie de manière adéquate que par la
satisfactio potuit congrue aliter fieri nisi per passion du Christ, comme on le dira plus loin.
passionem Christi, ut infra dicetur: ideo per C’est pourquoi la porte ne nous a été ouverte que
passionem ipsius tantum aperta est nobis janua, et par sa passion, et non par ce qu’il avait fait
non per alia quae prius operatus est. Tamen per antérieurement. Toutefois, par ce qu’il a fait
alia quae prius operatus est meruit nobis antérieurement, il a mérité notre conversion à lui,
conversionem ad ipsum, inquantum meruit se pour autant qu’il a mérité de nous être manifesté,
nobis manifestari; per quam nos proficimus, et dont nous qui tirons bénéfice, et non lui.
non ipse.
[9775] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 1 1. Le mérite de la satisfaction ne consiste pas
Ad primum ergo dicendum, quod meritum seulement dans la charité, mais exige la passion
satisfactionis non consistit tantum in caritate, sed du Christ, comme on le dira plus loin. Or, il était
requirit passionem Christi, ut infra dicetur. Per nécessaire que la porte nous soit ouverte par la
satisfactionem autem oportebat nobis januam satisfaction.
aperiri.
[9776] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 2 2. Lors du baptême, les cieux se sont ouverts
Ad secundum dicendum, quod in Baptismo aperti parce que le baptême est ce par quoi nous
sunt caeli, quia Baptismus est id per quod devenons participants de la passion du Christ,
efficimur participes passionis Christi, consepulti ensevelis que nous sommes avec lui dans la
cum ipso in mortem; Rom. 6; unde Baptismus non mort, Rm 6. Le baptême n’ouvre donc la porte
aperit januam nisi supposita passione. qu’en supposant la passion.
[9777] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3 ad 3 3. L’ascension n’a pas ouvert la porte pour ce qui
Ad tertium dicendum, quod ascensio non aperuit est essentiel dans le Paradis, la vision de Dieu
januam quantum ad id quod est essentiale in (car, même avant l’ascension, les saints tirés des
Paradiso, scilicet visionem Dei (quia etiam ante limbes ont vu Dieu), mais pour ce qui d’un lieu
ascensionem Deum viderunt sancti educti de qui convienne aux bienheureux.
Limbo); sed quantum ad locum congruentem
beatis.
Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.
18
[9778] Super Sent., lib. 3 d. 18 q. 1 a. 6 qc. 3
expos. Ut amota ignea rhomphaea: quae quidem
posita in Paradiso terrestri significabat
impedimentum quod prohibebat ingressum
Paradisi caelestis. Sed vel mox post carnis
567

separationem anima impassibilitate donata est.


Hoc probabilius est: quia etiam aliae animae
sanctorum, quae nihil purgabile habent, mox post
separationem a corpore impassibiles fiunt. In qua
forma crucifixus est, in ea exaltatus est; contra.
Exaltatio est usque ad aequalitatem patris, quod
non convenit sibi secundum humanam naturam, in
qua crucifixus est. Dicendum, quod exaltatio
potest dupliciter intelligi: aut quantum ad
cognitionem nostram; et sic debetur personae
ratione utriusque naturae: aut quantum ad rem; et
sic cum exaltatio duo importet, terminum ad
quem, et motum ad ipsum; terminus convenit
personae, secundum quod dicitur exaltari usque
ad aequalitatem patris; naturae autem assumptae,
secundum quod dicitur exaltari ad potiora bona
patris; motus autem convenit tantum naturae: et
ideo exaltatio convenit personae ratione naturae.
Non est autem inventus inter homines aliquis qui
id posset implere. Quia meritum unius puri
hominis non poterat in totam naturam. Vix
unicuique sua sufficiebat virtus: quia justitiae
nostrae imperfectionem habent admixtam; et ideo
vix valent quantum ad personale meritum; nullo
autem modo ad merendum pro tota natura.
Impleto autem Dei decreto aperire valuit.
Decretum dicitur Dei praeceptum, quod Adam
transgressus est, quod Christus obediendo
implevit. Vel decretum dicitur sententia mortis,
quam in Adam tulit; et hoc etiam decretum
Christus implevit quando mortem sustinuit.
Chirographum autem dicitur memoria
praevaricationis Adae, sive reatus ipsius, quod
Christus pro nobis satisfaciendo delevit. Tantum
enim fuit peccatum nostrum ut salvari non
possemus, nisi unigenitus Dei filius pro nobis
mereretur. De hoc infra, dist. 20, quaere.

Distinctio 19 Distinction 19 – [La libération par la passion


du Christ]
Prooemium Prologue
[9779] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé du mérite du Christ selon
determinavit Magister de merito Christi secundum qu’il est ordonné à obtenir un bien pour lui-
quod ordinatur ad bonum consequendum sibi et même et pour nous, le Maître détermine ici de
nobis, hic determinat de merito ipsius secundum son mérite selon qu’il est ordonné à l’enlèvement
quod ordinatur ad remotionem mali in nobis: ipse du mal en nous : en effet, lui-même n’a pas été
enim in se nec subjectus est culpae neque debitor soumis à la faute et n’est pas débiteur de la
est poenae. Dividitur autem in duas partes: in peine. Cela se divise en deux parties : dans la
prima ostendit quomodo per passionem Christi première, il montre comment nous sommes
liberamur a malis; in secunda de causa passionis libérés des maux par la passsion du Christ; dans
568

Christi, dist. 20: si vero quaeritur. Prima in duas: la seconde, il est question de la cause de la
primo ostendit quomodo per meritum passionis passion du Christ, d. 20 : « Mais si on
Christi sumus liberati a malo; secundo determinat s’interroge… » La première partie se divise en
de his quae dicuntur de Christo ratione hujus deux : premièrement, il montre comment nous
liberationis, ibi: unde ipse vere dicitur mundi sommes libérés du mal par la passion du Christ;
redemptor. Prima in duas: primo ostendit deuxièmement, il détermine de ce qui est dit du
quomodo per passionem Christi liberati sumus a Christ en raison de cette libération, à cet endroit :
malo culpae, et a potestate instigantis ad culpam, « Aussi est-il appelé le rédempteur du monde. »
scilicet Daemonis; secundo ostendit quomodo per La première partie se divise en deux :
dictam passionem sumus liberati a malo poenae, premièrement, il montre comment, par la passion
ibi: a poena redemit. Circa primum duo facit: du Christ, nous sommes libérés du mal de la
primo ponit intentum; secundo exequitur faute et du pouvoir qui incite à la faute, le
propositum, ibi: sed quomodo a peccatis per ejus Démon; deuxièmement, il montre comment nous
mortem soluti sumus ? Circa quod duo facit: sommes libérés du mal de la peine, à cet endroit :
primo prosequitur modum quo per Christi « Il a racheté de la peine… » À propos du
passionem et mortem liberati sumus a peccato; premier point, il fait deux choses : premièrement,
secundo quomodo liberati sumus a potestate il présente ce qu’il a en vue; deuxièmement, il le
Diaboli, ibi: a Diabolo liberamur. Circa quod tria met en œuvre, à cet endroit : « Mais comment
facit: primo ostendit quantum ad quid liberati sommes-nous libérés des péchés par sa mort ? »
sumus a potestate Diaboli; secundo exponit À ce propos, il fait deux choses : premièrement,
modum liberationis, ibi: unde Augustinus causam il élabore le mode selon lequel nous sommes
et modum nostrae redemptionis insinuans ait; libérés du péché par la passion et la mort du
tertio quod hoc fieri non poterat nisi per Deum et Christ; deuxièmement, comment nous sommes
hominem, ibi: factus est igitur homo mortalis. Et libérés du pouvoir du Diable, à cet endroit :
a poena redemit. Hic ostendit quomodo sumus « Nous sommes libérés du Diable. » À ce
liberati a poena per Christi passionem; circa quod propos, il fait trois choses : premièrement, il
duo facit: primo ostendit a qua poena nos montre comment nous sommes libérés du
liberavit; secundo modum liberationis, ibi: pouvoir du Diable; deuxièmement, il explique le
peccata quoque nostra, idest poenam peccatorum mode de la libération, à cet endroit : « Aussi
nostrorum, dicitur in corpore suo super lignum Augustin dit-il en suggérant la cause et le mode
portasse. Unde ipse vere mediator dicitur. Hic de notre rédemption… »; troisièmement, [il
determinat de his quae dicuntur de Christo ratione montre] que cela ne pouvait être réalisé que par
dictae liberationis: et circa hoc duo facit: primo Dieu et un homme, à cet endroit : « Il est donc
ostendit quare dicatur redemptor; secundo quare devenu un homme mortel. » « Il a racheté de la
dicatur mediator, ibi: qui solus dicitur mediator. peine. » Il montre ici comment nous avons été
Circa quod tria facit: primo ostendit rationem libérés de la peine par la passion du Christ. À ce
quare dicitur mediator; secundo ostendit quod ipse propos, il fait deux choses : premièrement, il
solus est mediator, non pater vel spiritus sanctus, montre de quelle peine il nous a libérés;
ibi: sed cum peccata deleat non solus filius, sed et deuxièmement, [il montre] le mode de la
pater et spiritus sanctus (...) quare solus filius libération, à cet endroit : « On dit qu’il a porté
dicitur mediator ? Tertio ostendit secundum quam nos péchés, c’est-à-dire la peine de nos péchés,
naturam ipse sit mediator, ibi: unde et mediator en son corps sur la croix. » « Aussi est-il
dicitur secundum humanitatem. Hic quaeruntur vraiment appelé le médiateur. » Il détermine ici
quinque: 1 utrum per passionem Christi simus de ce qu’on dit du Christ en raison de ladite
liberati a peccato; 2 utrum per ipsum simus libération. À ce propos, il fait deux choses :
liberati a potestate Diaboli; 3 utrum per ipsum premièrement, il montre pourquoi il est appelé le
simus liberati a poena; 4 utrum ratione illius rédempteur; deuxièmement, pourquoi il est
liberationis, Christus dicendus sit redemptor; 5 appelé médiateur, à cet endroit : « Lui qui est
utrum eadem ratione sit mediator. appelé le seul médiateur. » À ce propos, il fait
trois choses : premièrement, il montre la raison
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pour laquelle il est appelé médiateur;


deuxièmement, il montre que lui seul est le
médiateur, et non le Père ni le Saint-Esprit, à cet
endroit : « Mais puisque non seulement le Fils
détruit nos péchés, mais aussi le Père et le Saint-
Esprit…, pourquoi seul le Fils est-il appelé
médiateur ? »; troisièmement, il montre selon
quelle nature il est médiateur, à cet endroit :
« Aussi est-il appelé médiateur selon son
humanité. » Ici, cinq questions sont posées : 1 –
Sommes-nous libérés du péché par la passion du
Christ ? 2 – Sommes-nous libérés par lui du
pouvoir du Diable ? 3 – Sommes-nous libérés
par lui de la peine ? 4 – Le Christ doit-il être
appelé rédempteur en raison de cette libération ?
5 – Est-il médiateur pour la même raison ?
Articulus 1 [9780] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. Article 1 – Sommes-nous libérés du péché par
1 tit. Utrum per passionem Christi simus liberati a la passion du Christ ?
peccato
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés du
péché par la passion du Christ ?]
[9781] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que nous ne soyons pas libérés du
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod per péché par la passion du Christ. En effet, le Christ
passionem Christi non simus liberati a peccato. n’a pas souffert selon sa nature divine, mais
Christus enim non est passus secundum divinam selon sa nature humaine. Or, détruire les péchés
naturam, sed secundum humanam. Sed peccata relève de Dieu seul, comme cela ressort de Is 43,
delere solius est Dei, ut patet Isai. 43, quia ipsius car lui seul peut donner la grâce par laquelle les
solius est gratiam dare, per quam delentur péchés sont détruits. Nos péchés ne pouvaient
peccata. Ergo per passionem Christi, peccata donc pas être détruits par la passion du Christ.
nostra deleri non potuerunt.
[9782] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Ce qui est corporel ne peut agir sur ce qui est
2 Praeterea, corporale non potest agere in spirituel. Or, la passion du Christ était quelque
spirituale. Sed passio Christi fuit quoddam chose de corporel. Elle ne pouvait donc pas agir
corporale. Ergo non potuit agere in animas nostras sur nos âmes pour détruire les péchés.
ad delenda peccata.
[9783] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. La libération du péché s’appelle la
3 Praeterea, liberatio a peccato dicitur esse justification. Or, celle-ci est attribuée à la
justificatio. Sed haec attribuitur resurrectioni: résurrection : En effet, il est ressuscité pour notre
resurrexit enim propter justificationem nostram; justification, Rm 4. La libération du péché ne
Rom. 4. Ergo liberatio a peccato non debet doit donc pas être attribuée à la passion, mais à
attribui passioni, sed resurrectioni. la résurrection.
[9784] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4. De même que la passion du Christ excite en
4 Praeterea, sicut passio Christi excitat in nobis nous la charité, de même aussi les autres
caritatem, ita et alia beneficia Dei: quia ipse nobis bienfaits de Dieu, car il nous a lui-même accordé
temporalia et spiritualia bona tribuit. Similiter les bienfaits temporels et spirituels. De même
etiam sanctorum exempla nos ad caritatem aussi, les exemples des saints nous incitent-ils à
excitant. Et tamen non dicitur quod per omnia la charité. Cependant, on ne dit pas que nous
beneficia Dei a peccato liberemur. Ergo neque sommes libérés du péché par tous les bienfaits de
debet dici quod per passionem liberemur a Dieu. On ne doit donc pas non plus dire que nous
peccato quia nos ad caritatem excitat, ut dicit sommes libérés du péché par la passion parce
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Magister. qu’elle nous incite à la charité, comme le dit le


Maître.
[9785] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 5. De même que nous avons foi en la passion, de
5 Praeterea, sicut habemus fidem de passione, sic même avons-nous foi en la création du monde;
etiam habemus fidem de creatione mundi; et cependant, on ne dit pas que nous sommes
tamen non dicitur quod per bona creationis a purifiés du péché par les biens de la création,
peccato mundemur, quamvis fides corda purificet, bien que la foi purifie les cœurs, Ac 15. Il ne
ut dicitur Act. 15. Ergo videtur quod nec etiam semble donc pas que, pour cette même raison, on
ista ratione dicendum sit quod per passionem a doive dire que nous sommes libérés des péchés
peccatis liberati simus, ut dicit Magister. par la passion, comme le dit le Maître.
[9786] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Ap 1, 5 dit : Il nous a lavés de
1 Sed contra, Apoc. 1, 5: lavit nos a peccatis nos péchés dans son sang. Or, le sang est
nostris in sanguine suo. Sanguinem autem in répandu dans la passion. Il nous a donc libérés
passione fudit. Ergo per passionem a peccatis nos des péchés par sa passion.
liberavit.
[9787] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Le signe correspond à ce qui est signifié. Or,
2 Praeterea, signum respondet signato. Sed ritus le rite de la loi ancienne est un signe et une
veteris legis fuit signum et figura Christi. Cum figure du Christ. Puisque, sous la loi ancienne, il
igitur in veteri lege non fuerit sine sanguinis n’y avait pas de rémission sans effusion de sang,
effusione remissio, ut dicitur Hebr. 9, nec comme le dit He 9, la rémission des péchés n’est
peccatorum remissio fit nisi per sanguinis Christi pas non plus réalisée sans effusion de sang.
effusionem.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Tous les péchés ont-ils été
détruits par la mort du Christ ?]
[9788] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que tous les péchés n’aient pas été
1 Ulterius. Videtur quod non omnia peccata per détruits par la mort du Christ. En effet, personne
Christi mortem deleta sint. Nullus enim damnatur n’est damné que pour le péché. Or, beaucoup
nisi pro peccato. Sed multi post Christi passionem sont damnés après la passion du Christ. Il n’a
damnantur. Ergo non quidquid culparum erat, donc pas détruit tout ce qui se rattachait aux
delevit. fautes.
[9789] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. Ce qui a été détruit une fois ne peut être à
2 Praeterea, quod semel deletum est, ulterius nouveau détruit. Or, les péchés des pères qui ont
deleri non potest. Sed peccata praecedentium précédé avaient été détruits, tant les péchés
patrum deleta erant et quantum ad actualia per actuels par la pénitence, que le péché originel par
poenitentiam, et quantum ad originale per la circoncision. Tous les péchés du genre humain
circumcisionem. Ergo per passionem Christi non n’ont donc pas été détruits par la passion du
omnia peccata humani generis deleta sunt. Christ.
[9790] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Le péché ne peut être détruit avant d’être
3 Praeterea, peccatum non potest deleri antequam commis, car alors il ne serait jamais commis. Or,
fiat, quia tunc nunquam fieret. Sed multa peccata beaucoup de péchés ont été commis après la
facta sunt post Christi passionem. Ergo non omnia passion du Christ. Il n’a donc pas détruit tous les
peccata delevit. péchés.
[9791] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 4. La pénitence, le baptême et toutes les actions
4 Praeterea, poenitentia et Baptismus et alia bona bonnes nous sont prescrits en vue de la rémission
opera nobis indicuntur ad peccatorum des péchés. Or, ce ne serait pas le cas si tous les
remissionem. Hoc autem non esset, si omnia péchés avaient été détruits par la mort du Christ.
peccata per mortem Christi deleta essent. Ergo Il semble donc qu’il n’aient pas tous été détruits.
videtur quod non omnia deleta fuerunt.
[9792] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 5. Une parmi des choses égales n’en détruit pas
5 Praeterea, eorum quae sunt aequalia, unum non une autre. Or, autant la passion du Christ était un
571

destruit alterum. Sed quantum bonum fuit passio bien du point de vue de celui qui la subissait,
Christi ex parte patientis, tantum malum fuit autant était-elle cause de chute du point de vue
occasio ipsius ex parte occidentium: quia de ceux qui tuaient, car Dieu était tué, lui qui
occidebatur Deus, qui erat infinitum bonum. Ergo était le bien infini. Il semble donc que ce péché
videtur quod illud peccatum per Christi mortem ne pouvait être expié par la mort du Christ.
expiari non potuit.
[9793] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] Col 2, 13 dit : Il nous a ramenés
1 Sed contra, Coloss. 2, 13: vivificavit nos cum à la vie avec lui, en nous pardonnant toutes nos
illo, donans nobis omnia delicta. Sed donare fautes. Or, pardonner les fautes, c’est remettre
delicta est remittere peccata. Ergo per Christum les péchés. Tous les péchés ont donc été remis
omnia peccata sunt dimissa. par le Christ.
[9794] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] En elle-même, la passion du Christ a un
2 Praeterea, passio Christi, quantum in se est, rapport égal avec tous les péchés qui doivent être
aequaliter se habet ad omnia peccata delenda. Si détruits. Si donc elle n’a pas détruit certains
ergo aliqua peccata non delevit, nulla delevit: péchés, elle n’en a détruit aucun, ce qui est
quod est absurdum. absurde.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9795] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 co. On parle de détruire le péché de deux manières.
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, Premièrement, d’une manière formelle, comme
quod delere peccatum dicitur dupliciter. Uno on dit de la blancheur qu’elle détruit le noir du
modo formaliter, sicut albedo dicitur delere fait qu’elle apparaît dans un sujet; il revient ainsi
nigredinem per hoc quod advenit in subjecto; et à la grâce de détruire le péché. Deuxièmement,
sic gratiae est delere peccatum. Alio modo dicitur d’une manière efficiente, et cela se produit de
effective; et hoc contingit tripliciter, secundum trois manières, selon les trois genres de cause
tria genera causae efficientis. Dicitur enim causa efficiente. En effet, on appelle cause efficiente
efficiens, uno modo perficiens effectum, et hoc celle qui réalise un effet. Tel est l’agent principal
est principale agens inducens formam; et sic solus qui amène une forme : seul Dieu détruit ainsi le
Deus peccatum delet, quia ipse solus gratiam péché, car lui seul infuse la grâce. D’une autre
infundit. Alio modo dicitur efficiens disponens manière, on parle de cause efficiente pour celle
materiam ad recipiendum formam: et sic dicitur qui dispose la matière à recevoir la forme : on dit
peccatum delere ille, qui meretur peccati ainsi de celui qui mérite la destruction du péché
deletionem: quia ex merito efficitur aliquis dignus qu’il détruit le péché parce que, par le mérite,
quasi materia disposita ad recipiendum gratiam, quelqu’un est rendu digne de recevoir comme
per quam peccata deleantur. Hoc autem contingit une matière disposée la grâce par laquelle les
dupliciter: vel sufficienter, vel insufficienter. péchés sont détruits. Or, cela se produit de deux
Sufficienter quidem disposita est materia, quando manières : suffisante ou insuffisante. La matière
fit necessitas ad formam: et similiter aliquis est suffisamment disposée lorsque apparaît la
sufficienter per meritum disponitur ad aliquid, nécessité de la forme; de la même manière,
quando illud efficitur sibi debitum; et hoc est quelqu’un est suffisamment disposé à quelque
meritum condigni; et sic nullus homo neque sibi chose par le mérite lorsque cela lui devient dû :
neque alteri potest mereri gratiam vel peccati c’est là mériter en justice (meritum condigni).
deletionem. Non sibi, quia antequam gratiam Aucun homme ne peut ainsi mériter la grâce ou
habeat, non est in statu merendi, ut patet ex dictis: la destruction du péché ni pour lui-même ni pour
aliis non, quia actio unius non potest sufficienter un autre. Ni pour lui-même, car, avant qu’il n’ait
transire in alterum, nisi inquantum habet aliquam la grâce, il n’est pas en état de mériter, comme
communitatem cum illo, quae potest esse vel per cela ressort de ce qui a été dit; ni pour les autres,
communionem in natura, vel per conjunctionem parce que l’action d’un seul ne peut passer de
affectus. Sed prima conjunctio est essentialis, manière suffisante dans un autre, à moins qu’il
secunda autem accidentalis. Purus autem homo n’ait quelque chose en commun avec lui, soit par
non potest in naturam, quia, ut supra dictum est, une nature commune, soit par une union
572

dist., 18, qu. 2, art. 6, quaestiunc. 1, est inferior affective. Or, la première union est essentielle,
quam natura; et ideo non potest actio ejus in alium mais la seconde, accidentelle. Un pur homme n’a
hominem transire secundum quod conjungitur ei pas pouvoir sur la nature, car, ainsi qu’on l’a dit
in natura, sed solum quantum ad conjunctionem plus haut, d. 18, q. 2, a. 6, qa 1, il est inférieur à
affectus, quae est conjunctio accidentalis; et la nature; aussi son action ne peut-elle passer
propter hoc non potest alteri sufficienter mereri, dans un autre homme selon qu’il lui est uni par
sed ex congruo. Solus autem Christus aliis potest la nature, mais seulement selon une union
sufficienter mereri: quia potest in naturam, affective, qui est une union accidentelle. Pour
inquantum Deus est, et caritas sua quodammodo cette raison, il ne peut mériter suffisamment pour
est infinita, sicut et gratia, ut supra dictum est, un autre, mais [mériter] par convenance (ex
dist. 13, qu. 1, art. 2, quaestiunc. 2. In hoc autem congruo). Or, seul le Christ peut mériter
pro tota natura meruit, in quo debitum naturae, suffisamment pour les autres, car il peut agir sur
scilicet mortis, quae pro peccato ei debebatur, la nature en tant que Dieu, et sa charité est d’une
exsolvit ipse peccatum non habens; ut sic non pro certaine manière infinie, comme sa grâce,
se mortem solvere teneretur, sed pro natura comme on l’a dit plus haut, d. 13, q. 1, a. 2, qa 2.
solveret; unde satisfaciendo pro tota natura, Or, il a mérité pour toute la nature du fait que lui
sufficienter meruit peccatorum remissionem aliis qui n’avait pas de péché a acquitté la dette de la
qui peccata habebant. Tertio modo dicitur agens nature, c’est-à-dire la mort, qui lui était due en
instrumentale; et hoc modo sacramenta delent raison du péché, de telle sorte que, n’étant pas
peccata, quia sunt instrumenta divinae tenu d’acquitter la mort pour lui-même, il l’a
misericordiae salvantis. acquittée pour toute la nature. En satisfaisant
pour toute la nature, il a donc mérité
suffisamment la rémission des péchés pour les
autres qui avaient des péchés. Troisièmement, on
parle d’agent instrumental. De cette manière, les
sacrements détruisent les péchés parce qu’ils
sont des instruments de la miséricorde divine
salvatrice.
[9796] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. Le Christ dépassait l’homme pour ce qui
Ad primum ergo dicendum, quod ea quae hominis faisait partie de l’homme parce que son action
erant, Christus supra hominem faciebat, possédait une puissance en vertu de son
secundum quod ejus actio habebat virtutem ex association avec Dieu, comme on l’a dit plus
divino consortio, ut supra dictum est; et ideo haut. Même si sa passion lui est arrivée en tant
quamvis passio ejus esset secundum quod homo, qu’homme, il a cependant détruit les péchés par
tamen per passionem peccata delevit, sicut per sa passion, comme il a purifié le lépreux par un
contactum corporalem leprosum mundavit. contact corporel.
[9797] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Bien que la passion se soit réalisée dans le
Ad secundum dicendum, quod quamvis passio corps, il relevait cependant de l’esprit d’accepter
esset in corpore, tamen erat in spiritu acceptare la passion. Par sa passion, il a donc mérité la
passionem; et ideo per passionem meruit purification de nos esprits.
nostrorum spirituum emundationem.
[9798] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 3. Le Christ a la même nature que nous. Aussi
Ad tertium dicendum, quod Christus est unius son action sur nous est-elle d’une certaine
naturae nobiscum; unde ejus actio in nos est manière univoque, c’est-à-dire qu’elle a une
aliquo modo univoca, idest similitudinem habens ressemblance avec son effet. Or, bien que les
cum effectu. Quamvis autem in justificatione péchés soient détruits par la justification, la
peccata deleantur, tamen justificatio nominat justification désigne cependant le changement de
illam mutationem de culpa in gratiam secundum la faute à la grâce selon le terme ad quem, mais
terminum ad quem; peccati autem deletio la destruction du péché selon le terme a quo.
secundum terminum a quo: et ideo attribuitur C’est pourquoi la destruction du péché est
573

peccati deletio morti, quae vitam passibilem, vitae attribuée à la mort, qui a enlevé au Christ la vie
peccatrici similem in poena, a Christo ademit; passible, semblable à [la vie] péchéresse pour la
justificatio autem resurrectioni, per quam nova peine; mais la justification [a été attribuée] à la
vita in Christo inchoata est; et hoc est quod résurrection, par laquelle une vie nouvelle a
apostolus dicit, Rom. 4, 25, quod resurrexit commencé pour le Christ. C’est là ce que
propter justificationem nostram, et traditus est l’Apôtre dit, Rm 4, 25 : Il a ressuscité pour notre
propter delicta nostra. justification, et il a été livré à cause de nos
fautes.
[9799] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 4. En tant qu’il a influé sur nous par son mérite,
Ad quartum dicendum, quod Christus, inquantum le Christ est appelé notre tête, comme on l’a dit
nobis influxit per meritum, dicitur caput nostrum, plus haut, d. 13, q. 2, a. 1. Or, l’influx n’est pas
ut supra, dist. 13, qu. 2, art. 1, dictum est. Ex reçu par les membres séparés, mais par les
capite autem non recipitur influxus in membris membres unis à la tête, aussi suffisante que soit
divisis, sed in membris conjunctis capiti, la tête pour influer. Bien que le mérite du Christ
quantumcumque caput ex se sufficiens sit ad soit suffisant pour détruire les péchés, est requis
influendum. Unde quamvis meritum Christi sit ce qui relie la tête pour l’efficacité de la
sufficiens ad delendum peccata, tamen ad destruction. Or, telles sont la foi et la charité.
efficientiam deletionis requiruntur ea quae capiti C’est pourquoi le Maître indique la foi en la
conjungunt. Hujusmodi autem sunt fides et passion et la charité comme causes de l’efficacité
caritas. Et ideo Magister assignat fidem passionis, de la destruction de la fauteé. Mais il indique la
et caritatem quasi causas efficientiae deletionis cause de la suffisance lorsqu’il dit que la mort du
culpae; causam tamen sufficientiae assignat in hoc Christ est un vrai sacrifice par lequel les péchés
quod dicit, quod mors Christi est verum sont détruits. Bien que la charité soit stimulée
sacrificium, per quod peccata delentur. Unde par les autres bienfaits de Dieu et par les
quamvis ex aliis divinis beneficiis et sanctorum exemples des saints, elle ne relie cependant pas à
exemplis caritas excitetur, non tamen conjungit un mérite suffisant pour détruire la faute pour
merito sufficienti ad culpae deletionem inquantum autant qu’elle est strimulée par eux, mais pour
ex eis excitatur, sed inquantum excitatur ex autant qu’elle est stimulée par la passion du
passione Christi. Christ.
[9800] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5 5. Il faut répondre de la même manière à propos
Similiter dicendum ad quintum de fide. de la foi.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9801] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Pour qu’une chose puisse produire un effet sur
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad une autre, deux choses sont nécessaires : l’une,
hoc quod aliquid in alterum effectum inducere du point de vue de l’agent, à savoir qu’il ait une
possit, duo requiruntur: unum ex parte agentis, puissance suffisante pour entraîner cet effet;
scilicet quod habeat virtutem sufficientem ad l’autre, du point de vue de ce qui reçoit, à savoir
inducendum illum effectum; alterum ex parte qu’il soit disposé à recevoir l’action. Or, la
recipientis, ut scilicet dispositum sit ad suffisance du Christ qui nous a mérité la
suscipiendum actionem. Christi autem qui nobis destruction des péchés vient de deux choses : de
meruit deletionem peccatorum, invenitur l’action en laquelle consiste le mérite, qui agit
sufficientia ad delendum omnia peccata nostra ex comme une action divine du fait qu’elle est
duobus: scilicet ex actione, in qua meritum l’action de Dieu et de l’homme, comme on l’a
consistit, quae agit ut divina, eo quod est actio Dei dit; et du fait qu’elle a une efficacité infinie pour
et hominis, ut dictum est; et ex hoc habet mériter, et, de plus, du fait que la passion a
infinitam in merendo efficaciam; et iterum ex eo emporté l’âme unie à Dieu, qui avait aussi une
quod passio abstulit, scilicet animam Deo unitam, valeur infinie par son union à Dieu. De là vient
quae etiam habebat infinitum valorem ex hoc l’efficacité infinie de la satisfaction. Mais, de
quod est Deo unita; et ex hoc est infinita efficacia notre point de vue, il est nécessaire que nous
in satisfaciendo. Ex parte autem nostra requiritur nous préparions à recevoir l’effet du mérite du
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ut nos praeparemus ad meriti Christi effectum in Christ par la foi de l’ntelligence et la charité de
nobis suscipiendum per fidem intellectus, et l’affectivité, et par l’imitation de son action, ce
caritatem affectus, et per imitationem operis, quod qui ne se produit pas chez tous. C’est pourquoi,
quidem non contingit in omnibus; et ideo quo ad pour ce qui est de la suffisance de la satisfaction
sufficientiam satisfactionis et meriti, omnia et du mérite, tous les péchés ont été détruits par
peccata per Christi passionem deleta sunt, non la passion du Christ, mais non pour ce qui est de
autem quantum ad efficientiam. l’efficacité.
[9802] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. Chez ceux qui sont damnés, il existe un
Ad primum ergo dicendum, quod in illis qui manque de disposition à recevoir l’effet du
damnantur, est indispositio ad recipiendum mérite du Christ. De là vient que leurs péchés ne
effectum meriti Christi; unde ex hoc contingit sont pas détruits, et non de l’insuffisance du
quod eorum peccata non delentur, non ex mérite de la passion du Christ.
insufficientia meriti passionis Christi.
[9803] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Même chez les saints qui ont précédé
Ad secundum dicendum, quod etiam in sanctis qui l’incarnation, la passion du Christ a été efficace
fuerunt ante incarnationem, habuit effectum pour autant qu’ils ont eu la foi en sa passion, par
passio Christi, inquantum fidem habebant laquelle ils étaient justifiés. Mais parce que la
passionis ipsius, per quam justificabantur. Quia passion n’existait pas encore en réalité, mais
autem passio nondum erat in rerum natura, sed in dans leur foi, pour autant qu’ils croyaient à
fide eorum, inquantum personali actione in l’action personnelle chez le Christ, cette
Christum credebant: ideo illa justificatio qua per justification, par laquelle ils étaient justifiés par
fidem passionis Christi justificabantur, non se la foi en la passion du Christ, ne s’étendait qu’à
extendebat nisi ad removendum personale l’enlèvement de l’empêchement personnel, mais
impedimentum, non autem ad removendum non à l’enlèvement de l’empêchement de nature.
impedimentum naturae: et propter hoc ipsi Pour cette raison, ils étaient purifiés, mais ils
quidem a peccato mundabantur, sed Paradisi n’entraient pas par la porte du paradis, car
januam non intrabant, quia nondum erat amotum l’empêchement de nature n’était pas encore
impedimentum naturae. enlevé.
[9804] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. La passion du Christ, du point de vue de sa
Ad tertium dicendum, quod passio Christi suffisance, peut détruire les péchés même avant
quantum ad sufficientiam potest delere peccata qu’ils ne soient commis; mais l’efficacité de la
etiam antequam fiant; sed efficientia deletionis destruction ne se réalise qu’après que quelqu’un
non est nisi postquam aliquis a peccato commisso s’est détourné du péché commis, comme un
avertitur; sicut medicina sufficiens ad sanandum remède suffisant pour guérir est parfois préparé
paratur interdum antequam aliquis infirmetur; sed avant que quelqu’un soit malade, mais il n’est
non sanatur per ipsam actu, nisi postquam guéri par lui en acte qu’après être devenu
infirmus fuerit. malade.
[9805] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4 4. Le baptême, la pénitence et les autres
Ad quartum dicendum, quod Baptismus, sacrements sont nécessaires pour la destruction
poenitentia, et alia sacramenta exiguntur ad des péchés comme des agents instrumentaux de
deletionem peccatorum, sicut instrumentaliter la destruction de la faute, Ils agissent donc par la
agentia ad deletionem culpae: unde agunt in puissance de la passion du Seigneur et versent
virtute passionis dominicae, et ipsam passionis d’une certane manière en nous la puissance de la
virtutem in nos quodammodo transfundunt. passion.
[9806] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5 5. Bien que celui qui était tué ait été Dieu, ceux
Ad quintum dicendum, quod quamvis ille qui qui le tuaient ne savaient pas qu’il était Dieu, car
occidebatur, esset Deus, non tamen cognoscebant s’ils l’avaient su, jamais ils n’auraient crucifié le
occisores ipsum esse Deum: quia si cognovissent, Seigneur de gloire, 1 Co 2, 8. Leur péché est
nunquam dominum gloriae crucifixissent: 1 donc diminué par l’ignorance, bien qu’il ne soit
Corinth. 2, 8; unde eorum peccatum ex ignorantia pas entièrement excusé. Et bien que leur péché et
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minuitur, quamvis non ex toto excusetur. Et etiam le mérite du Christ soient égaux d’un certain
quamvis habeant aequalitatem, eorum peccatum et point de vue, à savoir, pour ce qui est de l’objet
meritum Christi, secundum quid, scilicet quantum de l’acte, parce qu’ils n’ont pas méchamment
ad objectum actus: quia vitam corporalem, quam éteint la vie corporelle que le Christ donnait par
Christus caritative dedit, illi nequiter extinxerunt: charité, ils n’ont cependant pas une égalité pour
non tamen habent aequalitatem quantum ad ce qui est de la manière, car la charité qui livrait
modum: quia multo major fuit caritas ex parte son âme était bien plus grande du côté du Christ,
Christi animam ponentis, quam nequitia ex parte que la méchanceté du côté de ceux qui
illorum qui illam animam nequiter extorserunt: et arrachaient cette âme avec méchanceté. De plus,
iterum bonum est efficacius quam malum, quod « le bien est plus efficace que le mal, qui n’agit
non nisi virtute boni agit, ut dicit Dionysius. que par la puissance du bien », comme le dit
Denys.

Articulus 2 [9807] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. Article 2 – Sommes-nous libérés du Diable


2 tit. Utrum simus liberati a Diabolo per par la passion du Christ ?
passionem Christi
[9808] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble que nous ne soyons pas libérés du
secundum sic proceditur. Videtur quod per Christi Diable par la passion du Christ. En effet, la
passionem non simus liberati a Diabolo. Libertas liberté de l’homme consiste en ce qu’il ne puisse
enim hominis in hoc consistit quod cogi non être forcé. Or, de même que maintenant le libre
potest. Sed sicut nunc liberum arbitrium cogi non arbitre ne peut pas être forcé par le Diable, de
potest a Diabolo, ita nec ante Christi passionem. même non plus avant la passion du Christ. La
Ergo passio Christi non liberavit nos a potestate passion du Christ ne nous a donc pas libérés du
Daemonis. pouvoir du Diable.
[9809] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Le Diable n’avait pas pouvoir sur les biens de
Praeterea, Diabolus non habuit potestatem in res Job lui-même, ni sur sa chair, avant de l’avoir
ipsius Job, neque in carnem ejus, nisi cum accepit reçu de Dieu. Or, maintenant, par un pouvoir
eam a Deo. Sed modo etiam accepta potestate a aussi reçu de Dieu, il peut affliger les hommes
Deo, potest homines affligere in rebus et in dans leur biens et dans leurs personnes. Nous ne
personis. Ergo in nullo sumus modo magis liberi sommes donc en rien plus libres de son pouvoir
ab ejus potestate quam ante. qu’antérieurement.
[9810] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Avant la passion du Christ, le Démon ne
Praeterea, ante passionem Christi, Daemon aliter nuisait pas autrement aux hommes qu’en les
non nocebat hominibus, nisi tentando quantum ad tentant dans leur âme et en les tourmentant dans
animam, et vexando quantum ad corpora. Sed hoc leurs corps. Or, il fait encore cela tous les jours.
etiam quotidie facit. Ergo in nullo ejus virtus est Sa puissance n’a donc pas été diminuée.
diminuta.
[9811] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Sont à proprement parler détenus au pouvoir
Praeterea, illi proprie sub Diaboli servitute du Diable ceux qui lui accordent un culte de
detinentur qui ipsi servitutem latriae impendunt. latrie. Or, il y a encore aujourd’hui beaucoup
Sed adhuc hodie sunt idolatrae multi. Ergo d’idolâtres. Le genre humain n’a donc pas été
humanum genus non est liberatum a servitute libéré de la servitude du Diable.
Diaboli.
[9812] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 5 5. L’Apôtre dit, 1 Tm 3, 1 : Dans les derniers
Praeterea, apostolus dicit, 2 Tim. 3, 1, quod in jours, se présenteront des moments dangereux et
novissimis diebus instabunt tempora periculosa, les hommes s’aimeront eux-mêmes; et aussi, au
et erunt homines seipsos amantes; et etiam temps de l’Antéchrist, il l’emportera davantage
tempore Antichristi magis praevalebit quam qu’il ne l’a jamais fait. Il semble donc que la
nunquam fecerit. Ergo videtur quod per puissance du Démon n’ait pas été anéantie.
passionem Christi non sit virtus Daemonis
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extincta.
[9813] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] alors que la passion était
Sed contra, Joan. 12, 31, instante passione dixit imminente, le Seigneur a dit : Le prince de ce
dominus: princeps mundi hujus ejicietur foras. monde sera jeté dehors! Par la passion du Christ,
Ergo per passionem Christi principatus sui il a donc perdu la puissance par laquelle il
dominium amisit. dominait.
[9814] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Il appartient au vainqueur d’écarter son
Praeterea, victoris est adversarium a potestate adversaire du pouvoir. Or, le Christ a été
dominii ejicere. Sed Christus per passionem victor victorieux par sa passion. Ap 5, 5 : Le lion de la
fuit: Apoc. 5, 5: vicit leo de tribu Juda. Ergo tribu de Juda l’a emporté. Il a donc arraché le
potestatem Daemonibus abstulit. pouvoir du Diable.
[9815] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Le Diable l’emporte sur l’homme par le
Praeterea, Diabolus per peccatum homini péché. Or, le Christ a libéré les hommes du
dominatur. Sed Christus per passionem homines a péché par sa passion. Il les a donc [libérés] aussi
peccato liberavit. Ergo et a potestate Daemonis. de son pouvoir.
[9816] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 co. Réponse. Le pouvoir du Démon consiste en
Respondeo dicendum, quod potestas Daemonis in deux choses : à combatre et à retenir les vaincus.
duobus consistit, scilicet in impugnando, et Or, du fait que quelqu’un est assailli, il n’est pas
detinendo devictos. Ex eo autem quod quis encore devenu esclave, mais [il l’est devenu] en
impugnatur, nondum servus factus est, sed ex eo étant vaincu, comme cela ressort de 2 P 2, 19.
quod victus est, ut patet 2 Petr., 2, 19. Devicerat Or, le Diable avait vaincu tout le genre humain
autem Diabolus totum humanum genus in primis dans les premiers parents et ils les dominait,
parentibus, et eis dominabatur, dum eos ad hoc alors qu’il les avait conduits, comme il le
secundum suum votum deduxerat ut nullus voulait, à ce que personne n’entrerait par la porte
Paradisi januam introiret: devincit etiam du Paradis; il l’emporte aussi sur chacun en
unumquemque singulariter, dum eum ad particulier lorsqu’il l’incline au péché, car celui
peccatum inclinat, quia qui facit peccatum, servus qui commet le péché est l’esclave du péché,
est peccati; Joan. 8, 34. Potestatem igitur Diaboli Jn 8, 34. Le Christ a donc écarté entièrement par
qua victos detinet, Christus per passionem ex toto sa passion, pour ce qui est de sa suffisance, le
amovit quantum ad sufficientiam, licet non pouvoir par lequel le Diable retient les vaincus,
quantum ad efficientiam nisi in illis qui vim bien que, du point de vue de l’efficacité, chez
passionis suscipiunt per fidem, caritatem, et ceux-là seulement qui reçoivent la puissance de
sacramenta: et per hoc dicitur dominium Diaboli la passion par la foi, la charité et les sacrements.
evacuasse. Sed potestatem qua impugnat, non ex En ce sens, on dit qu’il a anéanti le pouvoir du
toto evacuavit, sed debilitavit, dum ipsum hostem Diable. Mais il n’a pas entièrement anéanti le
vicit, et hominibus auxilia multa ad resistendum pouvoir par lequel [celui-ci] assaille; il l’a
tribuit, sicut sacramenta, gratiam abundantiorem, cependant affaibli lorsqu’il a vaincu l’ennemi et
et alia hujusmodi. a donné aux hommes beaucoup de secours pour
résister, comme les sacrements, une grâce plus
abondante et les autres choses de ce genre.
[9817] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Bien qu’il n’ait pas pu forcer le libre arbitre
primum igitur dicendum, quod quamvis ante avant la passion, comme il ne le peut pas
passionem Christi non posset cogere liberum maintenant, il pouvait cependant l’incliner
arbitrium, sicut nec modo, tamen poterat magis davantage, pour autant que l’homme était plus
inclinare, inquantum homo erat debilior ad faible pour résister.
resistendum.
[9818] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Le fait qu’il afflige les hommes dans leurs
secundum dicendum, quod hoc quod homines in biens et dans leurs personnes vient soit de ce que
rebus et personis affligit, vel est ex merito culpae leur faute a mérité, soit de la mise à l’épreuve
ipsorum, vel ad probationem justorum, et des justes et de l’exercice de leur patience; et
577

exercitium patientiae ipsorum; et non est ex cela ne vient pas de l’insuffisance de la passion
insufficientia passionis Christi. du Christ.
[9819] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Bien qu’il tente maintenant comme
tertium dicendum, quod quamvis modo tentet auparavant, il ne l’emporte cependant pas aussi
sicut et ante, non tamen ita de facili superat, facilement, dans la mesure où l’homme a
inquantum homo plura remedia habet. plusieurs remèdes.
[9820] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Le fait que les idolâtres demeurent encore
quartum dicendum, quod hoc quod idolatrae sous la servitude du Démon se produit parce
adhuc manent sub servitute Daemonis, contingit qu’ils négligent de recevoir les secours qui
ex hoc quod auxilia quae sunt ex passione Christi, viennent de la passion du Christ.
accipere negligunt.
[9821] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. La multitude des maux des derniers temps ne
quintum dicendum, quod multitudo malorum qui viendra pas du fait que la puissance de la passion
erunt in ultimis temporibus, non erit ex hoc quod du Christ fait défaut, mais parce que ceux qui ont
virtus passionis Christi deficiat, sed quia été armés par la passion du Christ rejetteront leur
armaturam Dei qua armati sunt per passionem armure ou la mépriseront, car la charité de
Christi abjicient, vel contemnent: quia refrigescet beaucoup se refroidira, Mt 24, 12. Il n’est donc
caritas multorum; Matth. 24, 12; et ideo non est pas étonnant qu’ils soient défaits.
mirum, si devincantur.
Articulus 3 [9822] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. Article 3 – Sommes-nous libérés de la peine
3 tit. Utrum per passionem Christi a poena aeterna éternelle par la passion du Christ ?
liberati sumus
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Sommes-nous libérés de la
peine éternelle par la passion du Christ ?]
[9823] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1. Il semble que nous ne soyons pas libérés de la
1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per peine éternelle par la passion du Christ. En effet,
passionem Christi non sumus liberati a poena la peine éternelle est la peine de l’enfer. Or, il
aeterna. Poena enim aeterna est poena Inferni. Sed n’y a pas de rédemption dans l’enfer. La passion
in Inferno nulla est redemptio. Igitur a poena du Christ ne nous libère donc pas de la peine
aeterna Christi passio non liberat. éternelle.
[9824] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2. Si le Christ n’avait pas souffert, personne ne
2 Praeterea, si Christus non fuisset passus, nullus serait allé en enfer que ceux qui auraient péché
in Infernum ivisset, nisi peccasset mortaliter. Sed mortellement. Or, maintenant aussi, après que le
nunc etiam Christo passo, solum mortaliter Christ a souffert, seuls ceux qui pèchent
peccantes in Infernum vadunt. Ergo Christi passio mortellement vont en enfer. La passion du Christ
non liberavit nos a poena aeterna. ne nous donc pas libérés de la peine éternelle.
[9825] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3. Une peine qui peut se terminer n’était pas
3 Praeterea, poena quae finiri potest, aeterna non éternelle. Or, la peine par laquelle le Christ a
fuit. Sed poena a qua Christus homines liberavit, libéré les hommes s’est terminée. Elle n’a donc
finita est. Ergo a poena aeterna non liberavit. pas libéré d’une peine éternelle.
[9826] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] le péché est la cause de la mort
c. 1 Sed contra, peccatum est causa mortis éternelle. Or, le Christ a libéré du péché. Donc
aeternae. Sed Christus liberavit a peccato. Ergo et aussi, de la peine éternelle.
a poena aeterna.
[9827] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. [2] Za 9, 11 : Par le sang de l’Alliance, tu as
2 Praeterea, Zach. 9, 11: tu autem in sanguine tiré les vaincus de l’étang où il n’y avait point
testamenti eduxisti vinctos de lacu in quo non est d’eau.
aqua.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ nous a-t-il libérés
de la peine temporelle ?]
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[9828] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’il ne nous ait pas libéré de la
1 Ulterius. Videtur quod non liberavit nos a poena peine temporelle, car une peine temporelle est
temporali. Quia adhuc pro peccatis poena encore imposée aux pénitents. Nous n’avons
temporalis injungitur poenitentibus. Ergo ab ea donc pas été libérés d’elle par le Christ.
per Christum non sumus liberati.
[9829] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2. 1 P 2, 21 dit : Le Christ a souffert pour nous,
2 Praeterea, 1 Petr., 2, 21: Christus passus est pro en vous laissant un exemple pour que vous
nobis, vobis relinquens exemplum, ut sequamini suiviez ses traces. Or, cela n’existe que par la
vestigia ejus. Hoc autem non est nisi patiendo. patience. Par sa passion, le Christ nous a donc
Ergo Christus per suam passionem nos obligavit obligés à supporter la peine temporelle, plutôt
ad patiendum poenam temporalem, magis quam qu’il ne nous en a libérés.
ab ea liberavit.
[9830] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3. Nous sommes libérés de toute peine
3 Praeterea, per resurrectionem mortuorum temporelle par la résurrection des morts. Or,
liberamur ab omni poena temporali. Sed etiam si même si le Christ n’avait pas souffert, les morts
Christus non fuisset passus, mortui resurgerent: auraient ressuscité, car la résurrection des morts
quia resurrectio mortuorum est articulus fidei. est un article de foi. La passion du Christ ne nous
Ergo passio Christi non liberat nos a poena libère donc pas de la peine temporelle.
temporali.
[9831] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 4. Une fois mise en place une cause suffisante,
4 Praeterea, posita causa sufficienti ponitur l’effet suit. Or, la peine temporelle demeure
effectus. Sed adhuc in illis qui vim passionis encore pour ceux qui se soustraient de toutes les
Christi omnibus modis in se excipiunt, manet manières à la puissance de la passion du Christ.
poena temporalis. Ergo passio Christi non liberat La passion du Christ ne libère donc pas de la
a poena temporali. peine temporelle.
[9832] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. Cependant, [1] la peine temporelle est remise
1 Sed contra, per claves Ecclesiae remittitur poena par les clés de l’Église. Or, les clés de l’Église
temporalis. Sed claves Ecclesiae virtutem habent tirent leur puissance de la passion du Christ. La
a passione Christi. Ergo per passionem Christi peine temporelle est donc enlevée par la passion
tollitur poena temporalis. du Christ.
[9833] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. [2] Dieu ne punit pas deux fois pour la même
2 Praeterea, Deus non punit bis in idipsum: Naum, chose, Ne 1. Or, Dieu a fait porter au Christ les
1. Sed Deus posuit in Christo iniquitates omnium fautes de nous tous, alors qu’il a porté nos
nostrum, dum ipse dolores nostros portavit; Isai. douleurs, Is 53. Il nous a donc libérés de la peine
53. Ergo nos a poena temporali per suam temporelle par sa passion.
passionem liberavit.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9834] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Réponse. On parle de peine éternelle par
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, opposition à la vie éternelle; la peine par laquelle
quod poena aeterna dicitur per oppositum ad on est privé de la vie éternelle est donc appelée
vitam aeternam; unde poena per quam vita aeterna la peine éternelle. Or, l’homme peut perdre la vie
privantur, dicitur poena aeterna. Homo autem éternelle de deux manières : par le péché de
vitam aeternam amittere potest dupliciter: scilicet nature, c’est-à-dire originel, dont la peine est la
per peccatum naturae, scilicet originale, cujus carence de la vision de Dieu; et par le péché
poena est carentia visionis divinae, et per personnel actuel, c’est-à-dire mortel. Tous ont
peccatum personale actuale, scilicet mortale. donc encouru une peine éternelle selon qu’elle
Poenam igitur aeternam, secundum quod ex découle du péché originel; mais certains, selon la
originali consequitur, omnes incurrerunt: sed culpabilité seulement, comme c’est le cas de
quidam secundum reatum tantum, sicut qui adhuc ceux qui vivaient dans la chair, et d’autres par
vivebant in carne: quidam autem secundum l’expérience de cette peine, comme ceux qui sont
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experientiam illius poenae, sicut qui jam mortui déjà morts. De même aussi, tous n’ont pas
erant. Similiter etiam poenam aeternam quae encouru la peine éternelle qui est due au péché
debetur peccato actuali, non omnes incurrerunt; actuel, mais certains, selon la culpabilité
sed quidam, vel quantum ad reatum tantum, sicut seulement, comme ceux qui vivent dans le péché
existentes in mortali, vel quantum ad mortel, ou par l’expérience, comme les damnés.
experientiam, sicut damnati. Christus igitur per Par sa passion, le Christ a donc absous de deux
passionem suam a poena aeterna quae debetur manières la peine éternelle qui est due au péché
originali, quod omnes contrahunt, dupliciter originel que tous contractent : en enlevant le
absolvit: scilicet auferendo reatum quantum ad péché chez ceux qui devenaient participants de
illos qui participes efficiebantur redemptionis sa rédemption et étaient encore vivants; et en
ejus, et adhuc vivebant; et auferendo poenam enlevant la peine chez ceux qui étaient morts,
quantum ad illos qui mortui erant: ab omnibus chez tous, cependant, d’une manière suffisante,
quidem quantum ad sufficientiam; sed quantum mais par mode d’efficacité chez ceux où il ne
ad efficientiam ab illis in quibus nullum s’en trouvait aucun. Mais il absout de la peine
inveniebatur. Sed a poena debita mortali actuali due pour le péché mortel actuel de deux
dupliciter absolvit: uno modo, praebendo manières. D’une manière, en portant secours
auxilium, ne aliquis reatum illum incurreret; alio pour que personne n’encoure ce péché; d’une
modo, praebendo etiam medicamenta quibus autre manière, en fournissant les remèdes par
reatus posset auferri ab illis qui in se vim lesquels le péché pourrait être enlevé de ceux qui
passionis ejus receperunt. Sed quod a poena illa n’ont pas reçu la puissance de sa passion. Mais il
jam actualiter suscepta aliquis liberetur esse non ne pourrait libérer quelqu’un de cette peine déjà
potest: quia non est in statu viatoris, ut gratiam et effectivement reçue, car celui-ci n’est pas dans
caritatem suscipere possit, per quam vis passionis l’état de viator pour pouvoir recevoir la grâce et
Christi in homines transfunditur. la charité, par lesquelles la puissance de la
passion du Christ est versée dans les hommes.
[9835] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 1. On ne parle pas de peine éternelle seulement
Ad primum ergo dicendum, quod poena aeterna pour la peine de l’enfer, dans lequel se trouvent
non solum dicitur poena Inferni, in qua sunt les damnés et pour laquelle il ne peut y avoir de
damnati, a qua non potest esse redemptio (quia illi rédemption (car ceux-là n’ont pas la grâce et ne
nec gratiam habent nec gratiae capaces sunt, ut sont pas capables de grâce, de sorte que la
possit eis continuari passio Christi), sed dicitur passion du Christ ne peut être en contact avec
poena aeterna etiam Limbi, in quo erant sancti eux), mais on parle aussi de la peine éternelle des
patres, a qua poterat esse redemptio propter limbes, où se trouvaient les saints pères et dont il
gratiam et caritatem quae in illis sanctis erat per peut y avoir rédemption par la grâce et la charité
quam eis Christi passio continuabatur. qui existaient chez ces saints, grâce auxquelles
ils étaient en contact avec la passion du Christ.
[9836] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 2. Bien que ceux qui pêchent mortellement après
Ad secundum dicendum, quod quamvis illi qui la passion du Christ aillent en enfer, la passion
peccant mortaliter post passionem Christi, in du Christ pouvait cependant les préserver du
Infernum vadunt, tamen passio Christi poterat eos péché et même guérir en eux la blessure du
praeservare a peccato, et etiam sanare vulnus péché. En elle-même, elle libère donc de la peine
peccati in ipsis; et ideo quantum in se est, a poena de l’enfer.
infernali liberat.
[9837] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 3. On dit que la peine de l’enfer est éternelle
Ad tertium dicendum, quod poena Inferni dicitur parce que celui qui y est puni n’a pas la capacité
aeterna, tum quia in eo qui punitur, non est virtus de se libérer de cette peine et parce qu’il n’existe
ad liberandum se a poena illa: tum quia non est pas de disposition pour que la puissance
dispositio, ut virtus liberans in eo effectum habere libératrice puisse avoir un effet en lui. Aussi
possit; et ideo nullo modo terminari potest. Sed [cette peine] ne peut-elle se terminer d’aucune
poena Limbi erat aeterna inquantum deficiebat in manière. Mais la peine des limbes était éternelle
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punito virtus ad liberandum; unde in aeternum dans la mesure où il manquait chez celui qui est
durasset, nisi liberatio affuisset; quamvis esset puni la capacité de se libérer. Aussi aurait-elle
dispositio ad recipiendum effectum liberantis, et duré éternellement, s’il n’y avait pas eu de
ideo terminari poterat. Sed poena Purgatorii libération, bien qu’une disposition à recevoir
neutro modo est aeterna: quia per virtutem gratiae, l’effet de celui qui libérait ait existé. Elle pouvait
quam ille qui punitur, habet, poena illa purgat, et donc se terminer. Mais la peine du purgatoire
terminatur purgatione completa. n’est éternelle d’aucune de ces manières, car, par
la puissance de la grâce que possède celui qui est
puni, cette peine purifie et se termine par une
purification complète.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9838] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 co. La peine temporelle est celle par laquelle on est
Ad secundam quaestionem dicendum, quod poena privé d’un bien temporel, car le bien temporel
temporalis dicitur per quam privatur aliquod n’est pas destiné à demeurer pour toujours. Or,
bonum temporale: quia bonum temporale non est cette peine temporelle chez l’homme est double.
natum manere semper. Haec autem temporalis L’une est celle qui se trouve dans toute la nature
poena in homine est duplex. Quaedam quae humaine, comme la nécessité de mourir, la
universaliter invenitur in tota humana natura, sicut passibilité, l’insoumission de la chair à l’esprit et
necessitas moriendi, passibilitas, inobedientia celles de ce genre. Cette peine de la nature
carnis ad spiritum, et hujusmodi: et haec quidem humaine est due en raison du péché originel;
poena naturae humanae debetur ex originali néanmoins, [les peines] de ce genre découlent
peccato: nihilominus hujusmodi ex principiis des principes de la nature déchue de la grâce de
naturae consequuntur gratia innocentiae l’innocence. Le Christ a donc écarté ces peines
destitutae. Has igitur poenas per suam passionis pour tous de manière suffisante par la peine de sa
poenam Christus ab omnibus sufficienter exclusit, passion, bien que non pour tous de manière
quamvis non efficaciter ab omnibus, scilicet illis efficace, à savoir, chez ceux qui ne participent
qui ejus passionis participes non sunt; nec tamen pas à sa passion. Cependant, [il ne les a pas
ita quod statim post passionem ab omnibus écartées] de telle sorte qu’elles soient
auferantur, vel ita quod auferantur ab illis qui immédiatement enlevées pour tous, ni de telle
sacramenta passionis ejus percipiunt, statim post sorte qu’elles soient enlevées de ceux qui
perceptionem sacramenti: sed in fine mundi ab reçoivent les sacrements de sa passion, aussitôt
omnibus sanctis simul auferentur: quia istae après la réception du sacrement; mais elles
poenae debentur naturae, in qua omnes sunt seront enlevées pour tous les saints à la fin du
unum; unde tunc non solum hominum, sed totius monde, car ces peines sont dues à la nature, dans
mundi natura reparabitur per resurrectionem: quia laquelle tous sont unis. Aussi, non seulement la
et ipsa creatura liberabitur a servitute nature des hommes, mais la nature du monde
corruptionis in libertatem gloriae filiorum Dei: entier seront-elles restaurées par la résurrection,
Rom. 8, 21. Aliae autem poenae sunt quae car la création même sera libérée de la servitude
aliquibus hominibus specialiter infliguntur; et hae de la corruption en vue de la liberté de la gloire
poenae dupliciter ad eos comparantur. Uno modo des fils de Dieu, Rm 8, 21. Il existe d’autres
ut vindicantes culpam, secundum quod culpa facit peines par lesquelles certains hommes sont
debitum hujus poenae: et hoc modo Christus affligés de manière particulière, et ces peines
omnes istas poenas sua morte quantum ad sont en rapport avec eux de deux manières.
sufficientiam abstulit, removendo causam. Sed ad D’une manière, en tant qu’elles tirent vengeance
hoc quod aliquis his poenis quantum ad de la faute, selon que la faute crée la dette de
efficaciam liberetur, exigitur quod passionis cette peine. Ainsi, le Christ a enlevé toutes ces
Christi particeps fiat; quod quidem contingit peines par sa mort d’une manière suffisante en
dupliciter. Primo quidem per sacramentum en enlevant la cause. Mais pour que quelqu’un
passionis, scilicet Baptismum, in quo soit libéré de manière efficace de ces peines, il
consepelimur Christo in mortem, ut dicitur Rom. est requis qu’il devienne participant de la passion
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6, in quo divina virtus quae inefficaciam nescit, du Christ, ce qui se produit de deux manières.
operatur salutem; et ideo omnis talis poena in Premièrement, par le sacrement de la passion, le
Baptismo tollitur. Secundo aliquis fit particeps baptême, par lequel nous sommes ensevelis avec
Christi per realem conformitatem ad ipsum, le Christ dans la mort, comme il est dit dans
scilicet inquantum Christo patiente patimur, quod Rm 6, dans lequel la puissance divine, qui ne
quidem fit per poenitentiam. Et quia haec connaît pas l’inefficacité, réalise le salut. C’est
conformatio fit per nostram operationem, ideo pourquoi toute peine de ce genre est enlevée par
contingit quod est imperfecta, et perfecta. Et le baptême. Deuxièmement, quelqu’un devient
quando quidem est perfecta conformatio participant du Christ par sa conformité réelle à
secundum proportionem ad reatum culpae, tunc lui, pour autant que nous souffrons avec le Christ
poena totaliter tollitur, sive hoc sit in contritione souffrant, ce qui se réalise par la pénitence. Et
tantum, sive etiam sit in aliis partibus parce que cette conformité se réalise par notre
poenitentiae. Quando autem non est perfecta opération, il arrive qu’elle soit imparfaite et
conformatio, tunc adhuc manet obligatio ad parfaite. Lorsque la conformité est parfaite selon
aliquam poenam vel hic vel in Purgatorio. Non la proportion de la culpabilité de la faute, alors la
tamen oportet quod sit conformatio ad passionem peine est entièrement enlevée, soit par la
Christi secundum experientiam tantae poenae ad contrition seulement, soit aussi par les autres
quantam aliquis obligatur ex culpa: quia passio parties de la pénitence. Mais lorsque la
capitis in membra redundat; et tanto plus, quanto conformité n’est pas parfaite, il reste alors
est ei aliquis per caritatem magis conjunctus; unde l’obligation d’une peine soit ici, soit au
ex vi passionis Christi diminuitur quantitas purgatoire. Il n’est cependant pas nécessaire
debitae poenae; et secundum hoc dicitur has qu’il y ait conformité à la passion du Christ par
poenas auferre, inquantum eas diminuit. Alio l’expérience d’une peine égale à celle à laquelle
modo dictae poenae comparantur ad eos quibus on est obligé en raison de la faute, car la passion
infliguntur, ut medicinae: quia poenae sunt de la tête rejaillit sur les membres, et dans une
quaedam medicinae, ut dicitur 2 Ethic., vel sibi, mesure d’autant plus grande qu’on lui est
inquantum scilicet praeservant a culpa, seu ad davantage uni par la charité. Par la puissance de
virtutem promovent; vel aliis, inquantum scilicet la passion du Christ, la quantité de la peine due
est aliis exemplum, ut unus pro aliis aliqualiter est donc diminuée; sous cet aspect, on dit qu’elle
satisfaciat: et hoc modo per passionem Christi enlève ces peines dans la mesure où elle les
poena temporalis non est neque totaliter ablata, diminue. D’une autre manière, les peines
neque diminuta, sed magis augmentata caritate indiquées se comparent à ceux à qui elles sont
crescente, quantum ad praesentem statum, in quo infligées comme des remèdes, car, ainsi que le
et peccare possumus, et proficere nobis et aliis; dit Éthique, II, les peines sont des remèdes soit
sed in futuro, quando erit terminus viae, omnino pour soi-même, pour autant qu’elles préservent
poena tolletur per virtutem passionis Christi. de la faute ou poussent à la vertu, soit pour les
autres, pour autant qu’elles sont un exemple pour
les autres, de sorte qu’un seul satisfasse d’une
certaine manière pour les autres. De cette
manière, la peine temporelle n’est ni totalement
enlevée ni diminuée par la passion du Christ,
mais elle est plutôt augmentée alors qu’augmente
la charité, dans l’état présent où nous pouvons
pécher et progresser pour nous-mêmes et pour
les autres; mais, à l’avenir, alors que ce sera le
terme de la vie, la peine sera entièrement enlevée
par la puissance de la passion du Christ.
[9839] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 1. La peine temporelle est imposée soit comme
Ad primum ergo dicendum, quod poena une satisfaction, et cela, pour que quelqu’un se
temporalis injungitur vel ut satisfactoria; et hoc conforme à la passion du Christ par l’imitation –
582

sive ut aliquis passionis Christi per imitationem aussi, là où existe une conformité par le
conformetur, unde ubi est conformitas per sacrement de baptême, une peine satisfactoire
sacramentum Baptismi, non injungitur aliqua n’est pas imposée -; ou encore, elle est imposée
poena satisfactoria: vel etiam injungitur ut comme un remède qui préserve ou incite, et non
medicina praeservans vel promovens, et non parce qu’elle est due.
tamquam debita.
[9840] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 2. La réponse au deuxième argument est ainsi
Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. claire.
[9841] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 3. De même que la causalité de la justification
Ad tertium dicendum, quod sicut causalitas est attribuée à la résurrection pour ce qui est du
justificationis attribuitur resurrectioni quantum ad terme ad quem, et à la passion pour ce qui est du
terminum ad quem, passioni autem quantum ad terme a quo, de même la causalité de la
terminum a quo; ita glorificationis causalitas glorification est-elle attribuée à la résurrection
attribuitur resurrectioni quantum ad gloriam quae pour ce qui est de la gloire qui sera donnée, mais
dabitur, sed passioni quantum ad poenalitates à la passion pour ce qui est des peines qui sont
quae tolluntur. enlevées.
[9842] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 4 4. Pour les causes qui agissent en étant
Ad quartum dicendum, quod in causis quae agunt ordonnées par la sagesse, il n’est pas nécessaire
ex ordinatione sapientiae, non est necessarium qu’une fois la cause donnée, l’effet en découle
quod posita causa statim ponatur effectus; sed immédiatement, mais l’effet est donné lorsque
tunc effectus ponitur, quando sapientiae ordo l’ordre de la sagesse l’exige. C’est ainsi que la
requirit; et taliter agit passio Christi. passion du Christ agit.

Articulus 4 [9843] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. Article 4 – Le Christ doit-il être appelé le
4 tit. Utrum Christus debeat dici redemptor Rédempteur en raison de la libération
ratione praedictae liberationis mentionnée ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ doit-il être
appelé le Rédempteur en raison de la raison
de la libération mentionnée ?]
[9844] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’il ne faille pas appeler le Christ le
1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ratione Rédempteur en raison de la libération
praedictae liberationis Christus non debeat dici mentionnée. En effet, la rédemption signifie un
redemptor. Redemptio enim emptionem significat nouvel achat. Or, le Christ ne nous pas déjà
iteratam. Sed Christus nos nunquam alias emerat. achetés. Il ne faut donc pas dire qu’il nous
Ergo nec redimere dicendus est ex hoc quod nos rachète du fait qu’il nous a libérés.
liberavit.
[9845] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2. Personne n’achète ce qui lui appartient, si ce
2 Praeterea, nullus quod suum est emit, nisi forte n’est en acquittant un prix à celui qui le détenait
solvendo pretium ei qui injuste detinebat. Sed injustement. Or, le Diable nous détenait
Diabolus injuste nos detinebat; ei autem Christus injustement, mais le Christ ne lui a pas acquitté
proprii sanguinis pretium non solvit. Ergo nullo le prix de son propre sang. Il ne nous a donc
modo nos redemit. rachetés d’aucune manière.
[9846] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3. Il n’est pas nécessaire que quelqu’un achète ce
3 Praeterea, ab eo qui aliquid usurpavit, non qui lui appartient à celui qui a usurpé quelque
oportet quod suum est emere, sed violenter chose, mais de le lui enlever par la violence, si
auferre, si facultas adsit. Sed Christo nos liberandi cela est possible. Or, la possibilité de nous
de potestate Diaboli facultas non defuit. Ergo non libérer du pouvoir du Diable n’a pas manqué au
liberavit nos per modum emptionis. Christ. Il ne nous a donc pas libérés par mode
d’achat.
[9847] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. Cependant, [1] il est dit du Christ en Ap 5, 9 :
583

1 Sed contra, Apocal., 5, 9, dicitur de Christo: Tu nous a rachetés à Dieu par ton sang. Il est
redemisti nos Deo in sanguine tuo. Ergo ipse est donc le Rédempteur.
redemptor.
[9848] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. [2] Partout où il y a échange, il semble qu’il y
2 Praeterea, ubicumque est aliqua commutatio, ibi ait achat. Or, il y a eu un échange dans la passion
videtur emptio. Sed in passione Christi fuit du Christ, car il a reçu la mort et il a
quaedam commutatio: quia accepit mortem, et généreusement accordé la vie. Il y a donc eu
largitus est vitam. Ergo fuit ibi emptio. achat.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Fils peut-il seul être
appelé le Rédempteur ?]
[9849] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1. Il semble que le Fils ne doive pas seul être
1 Ulterius. Videtur quod non solus filius sit appelé le Rédempteur. En effet, il revient de
dicendus redemptor. Ejus enim est redimere cujus racheter à celui à qui il revient de payer le prix.
est pretium dare. Sed Deus pater dedit nobis Or, Dieu le Père nous a donné son Fils comme
filium in pretium redemptionis: Galat. 4, 4: misit prix de la rédemption. Ga 4, 4 : Dieu a envoyé
Deus filium suum (...) factum sub lege, ut eos qui son Fils…, soumis à la loi afin de racheter ceux
sub lege erant redimeret. Ergo Deus pater qui étaient soumis à la loi. Dieu le Père a donc
redemit. racheté.
[9850] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2. Il revient à celui à qui il revient de vaincre
2 Praeterea, ejus est redimere ab hoste cujus est l’ennemi de racheter à l’ennemi. Or, le Christ a
hostem vincere. Sed Christus per potentiam quam vaincu l’ennemi qui nous détenait par la
habet simul cum patre, hostem, qui nos detinebat puissance qu’il a en commun avec le Père. Le
vicit. Ergo pater nos redemit. Père nous a donc rachetés.
[9851] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3. Tout mot signifiant un effet chez la créature
3 Praeterea, omne nomen significans effectum in est commun à la Trinité entière. Or,
creatura, est commune toti Trinitati. Sed « rédempteur » est de cette sosrte. Donc, etc.
redemptor est hujusmodi. Ergo et cetera.
[9852] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. Cependant, [1] nous avons été rachetés par la
1 Sed contra, redempti sumus per passionem passion du Christ, 1 P 1, 18 : Vous avez été
Christi: 1 Petr. 1, 18: redempti estis pretioso rachetés par la sang précieux de l’Agneau. Or,
sanguine agni. Sed solus filius passus est. Ergo seul le Fils a souffert. Seul le Fils nous a donc
solus filius nos redemit. rachetés.
[9853] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. [2] Il s’est incarné pour nous racheter. Or, seul
2 Praeterea, ad hoc incarnatus est, ut nos le Fils s’est incarné. Il est donc le Rédempteur.
redimeret. Solus autem filius incarnatus est. Ergo
ipse est redemptor.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9854] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Par le péché du premier parent, tout le genre
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, humain était devenu étranger à Dieu, comme il
quod per peccatum primi parentis totum est dit dans Ep 2, non pas au pouvoir de Dieu,
humanum genus alienatum erat a Deo, ut dicitur mais à la vision de la face de Dieu, à laquelle les
Ephes. 2, non quidem a potestate Dei, sed a fils et les serviteurs sont admis. De plus, nous
visione faciei Dei, ad quam filii et domestici étions passés au pouvoir du Diable usurpateur, à
admittuntur; et iterum in potestatem Diaboli qui l’homme s’était soumis en lui consentant,
usurpantis deveneramus, cui consentiendo homo pour autant que cela relevait de lui et même s’il
se subdiderat, quantum in ipso erat, quamvis de ne le pouvait pas en droit, car [l’homme] ne lui
jure non posset: quia suus non erat, sed alterius. appartenait pas, mais [il appartenait] à un autre.
Et ideo per suam passionem Christus duo fecit: C’est pourquoi le Christ a fait deux choses par sa
liberavit enim nos a potestate hostis, vincendo passion. En effet, il nous a libérés du pouvoir de
ipsum per contraria eorum quibus hominem l’ennemi en l’emportant sur lui par le contraire
584

vicerat, scilicet humilitatem, obedientiam, et de ce par quoi il avait vaincu l’homme, à savoir,
austeritatem poenae, quae delectationi cibi vetiti l’humilité, l’obéissance et la rigueur de la peine,
opponitur: et iterum, satisfaciendo pro culpa, Deo qui s’opposait au plaisir de la nourriture
conjunxit, et domesticos Dei et filios fecit. Unde défendue. De plus, en satisfaisant pour la faute, il
ista liberatio duas rationes habuit emptionis: a uni à Dieu les serviteurs et en a fait des fils.
inquantum enim a potestate Diaboli eripuit, Aussi cette rédemption possédait-elle deux
dicitur nos redemisse, sicut rex regnum raisons d’achat. En effet, on dit qu’il nous a
occupatum ab adversario, per laborem certaminis rachetés pour autant qu’il nous a arrachés àu
redimit; inquantum vero Deum nobis placavit, pouvoir du Diable, comme le roi rachète par
dicitur nos redemisse, sicut pretium solvens suae l’effort du combat son royaume occupé par un
satisfactionis pro nobis, ut a poena et a peccato adversaire. Mais, pour autant qu’il nous a rendu
liberemur. Dieu favorable, on dit qu’il nous a rachetés parce
qu’il a acquitté pour nous le prix de sa
satisfaction afin que nous soyons libérés de la
peine et du péché.
[9855] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 1. La répétiton impliquée par la préposition ne se
Ad primum ergo dicendum, quod iteratio rapporte pas à l’acte de l’achat, comme si nous
importata per praepositionem, non refertur ad avions été rachetés de nouveau, mais au terme de
actum emptionis, quasi alias empti fuerimus; sed l’acte, car autrement nous lui avions appartenu
ad terminum actus, quia alias sui fueramus in dans l’état d’innocence. En effet, acheter, c’est
statu innocentiae. Emere enim est aliquid suum rendre quelque chose sien. Ou bien il faut dire
facere. Vel dicendum, quod dicitur redemptio qu’on parle de récemption par rapport à la vente
habito respectu ad illam venditionem qua nos par laquelle nous nous étions vendus au Diable
Diabolo per consensum peccati vendideramus; a en lui consentant. Par rapport à cette vente,
qua venditione haec emptio secunda est. l’achat présent est le deuxième.
[9856] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 2. Il a offert le prix de son sang non pas au
Ad secundum dicendum, quod pretium sanguinis Diable, mais à Dieu, afin de satisfaire pour nous.
sui non Diabolo, sed Deo obtulit, ut pro nobis Mais il nous a arrachés au Diable par la victoire
satisfaceret. A Diabolo autem nos per victoriam de sa passion, comme on l’a dit.
suae passionis eripuit, ut dictum est.
[9857] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 3. Bien que le Diable se soit emparé de nous
Ad tertium dicendum, quod quamvis Diabolus nos injustement, nous sommes cependant tombés en
injuste usurpaverit, nos tamen in ejus potestatem son pouvoir par le fait que nous avons été
devenimus ex quo ab eo victi sumus: et ideo vaincus par lui. Il fallait donc aussi qu’il soit
oportuit etiam ut ipse vinceretur per contraria vaincu par le contraire de ce par quoi il nous a
eorum quibus vicit: non enim violenter vicit, sed vaincus : en effet, il n’a pas vaincu par la
ad peccatum fraudulenter inducens. violence, mais en incitant au péché
trompeusement.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9858] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 co. L’effet de la rédemption peut être attribué à la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod cause prochaine et à la cause éloignée. S’il est
effectus redemptionis potest attribui causae attribué à la cause prochaine, le Christ nous a
proximae, et causae remotae. Si attribuatur causae ainsi rachetés par ce qu’il a fait et supporté dans
proximae, sic Christus nos redimit per ea quae in la nature humaine; il a satisfait par cela auprès
humana natura fecit et sustinuit; quibus et patri du Père pour tous les hommes et il a vaincu
satisfecit pro omnibus hominibus, et hostem vicit, l’ennemi, en résistant à ses tentations. Mais si on
ejus tentationibus resistendo. Si autem referatur s’en reporte à la cause première et éloignée,
ad causam primam et remotam, sic attribuitur toti [l’effet de la rédemption] est ainsi attribué à la
Trinitati, inquantum tota Trinitas acceptavit Trinité entière, pour autant que la Trinité entière
nostram redemptionem, et filium dedit nobis a accepté notre rédemption et nous a donné le
585

redemptorem, inquantum per virtutem divinitatis Fils comme rédempteur, dans la mesure où la
habuit passio efficaciam ad satisfaciendum pro passion a eu par la puissance de la divinité une
toto genere humano. Sed quia ille proprie dicitur efficacité pour satisfaire pour tout le genre
emere qui emptionis pretium solvit, magis quam humain. Mais parce que celui-là est dit acheter
ille qui emptorem mittit; ideo proprie loquendo qui acquitte le prix de l’achat, plutôt que celui
dicitur Christus tantum redemptor; quamvis etiam qui envoie l’acheteur, à proprement parler, le
tota Trinitas possit dici redemptor. Christ seul est appelé rédempteur, bien que la
Trinité entière puisse être appelée rédemptrice.
[9859] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 4 qc. 2 ad La réponse aux arguments des deux parties est
arg. Et per hoc patet solutio ad utramque partem. ainsi claire.

Articulus 5 [9860] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. Article 5 – Le Christ nous a-t-il réconciliés
5 tit. Utrum Christus reconciliaverit nos Deo avec Dieu ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ nous a-t-il
réconciliés avec Dieu ?]
[9861] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1. Il semble que le Christ ne nous ait pas
1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod réconciliés avec Dieu, ce qui est la fonction d’un
Christus non reconciliaverit nos Deo; quod médiateur. En effet, personne ne se réconcilie
mediatoris est officium. Nullus enim reconciliatur avec celui qui l’aime, mais avec celui qui le hait.
diligenti, sed odienti. Sed Deus pater nos Or, Dieu le Père nous aimait, car il aime tout ce
diligebat: quia ipse diligit omnia quae sunt, et qui existe et il ne hait rien de ce qu’il a fait,
nihil odit eorum quae fecit; Sapient. 11. Ergo Sg 11. Le Christ ne nous a donc pas réconciliés
Christus nos ei non reconciliavit. avec lui.
[9862] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2. Jn 3, 16 : Dieu a tellement aimé le monde qu’il
2 Praeterea, Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum, lui a donné son Fils unique. L’amour du Père est
ut filium suum unigenitum daret. Ergo magis amor donc davantage cause de la passion que le
patris est causa passionis quam e converso: et ita contraire. Il semble ainsi que nous n’ayons pas
videtur quod per mortem Christi non simus Deo été réconciliés avec Dieu.
reconciliati.
[9863] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3. Il est dit en Mt 22, qu’un roi, dont les ouvriers
3 Praeterea, Matth. 22, dicitur, quod homo rex, de la vigne avaient tué le fils, est venu abattre
cujus filium cultores vineae occiderant, veniens ces homicides; par cet homme, Dieu le Père est
perdidit homicidas illos: et per illum hominem signifié, dont le Fils a été tué. Par la mort du
significatur Deus pater, cujus filius occisus est. Christ, les inimitiés ont donc été plutôt
Ergo per mortem Christi sunt inimicitiae magis augmentées qu’enlevées.
auctae quam ablatae.
[9864] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Rm 5, 10 : Alors que nous étions
1 Sed contra, Rom. 5, 10: cum inimici essemus, ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu
reconciliati sumus Deo per mortem filii ejus. par la mort de son Fils.
[9865] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. [2] Nous sommes réconciliés avec Dieu par la
2 Praeterea, per satisfactionem Deo satisfaction. Or, le Christ a satisfait pour nous
reconciliamur. Sed Christus per passionem suam par sa passion. Il nous a donc réconciliés avec
pro nobis satisfecit. Ergo nos Deo reconciliavit. Dieu.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ est-il médiateur
selon sa nature humaine ?]
[9866] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1. Il semble que [le Christ] ne soit pas médiateur
1 Ulterius. Videtur quod ipse non sit mediator selon sa nature humaine. En effet, l’extrême et
secundum humanam naturam. Non enim est idem l’intermédiaire ne sont pas la même chose. Or, la
extremum et medium. Sed humana natura est nature humaine est le point extrême de cette
extremum istius reconciliationis quae fit hominis réconciliation qui est réalisée entre l’homme et
586

ad Deum. Secundum ergo quod homo, Christus Dieu. Selon qu’il est homme, le Christ n’est
non est mediator. donc pas médiateur.
[9867] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2. L’intermédiaire est composé des extrêmes. Or,
2 Praeterea, medium compositum est ex extremis. le composé de nature humaine et de nature
Sed compositum ex humana natura et divina non divine chez le Christ n’est rien d’autre que la
est in Christo nisi persona. Ergo non ratione personne. Ce n’est donc pas en raison de sa
humanae naturae, sed ratione compositae nature humaine, mais en raison de sa personne
personae est mediator. composée qu’il est médiateur.
[9868] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3. [Le Christ] est médiateur selon qu’il nous a
3 Praeterea, secundum hoc est mediator secundum unis à Dieu. Or, il n’aurait pas pu nous unir à
quod nos Deo conjunxit. Sed non potuisset nos Dieu si ce n’est en tant qu’il est Dieu. Il est donc
Deo conjungere, nisi inquantum est Deus. Ergo médiateur en tant qu’il est Dieu.
secundum quod Deus, est mediator.
[9869] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. Cependant, [1] le médiateur n’est pas une seule
1 Sed contra, mediator non est unum cum his inter chose avec ceux entre qui il exerce sa médiation.
quos mediat. Sed Christus, secundum quod Deus, Or, le Christ, selon qu’il est Dieu, est un avec le
est unum cum patre, Joan. 11. Ergo secundum Père, Jn 11. Selon qu’il est Dieu, il n’est donc
quod Deus, non est mediator. pas médiateur.
[9870] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. [2] [Le Christ] est médiateur selon qu’il est
2 Praeterea, secundum hoc est mediator secundum rédempteur. Or, il nous a rachetés selon sa nature
quod est redemptor. Sed redemit nos secundum humaine. Il est donc médiateur selon elle.
humanam naturam. Ergo et secundum ipsam est
mediator.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ
d’être médiateur ?]
[9871] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il ne convienne pas au seul Christ
1 Ulterius. Videtur quod non soli Christo convenit d’être médiateur. En effet, est médiateur celui
esse mediatorem. Ille enim est mediator qui inter qui fait la paix entre nous et Dieu. Or, celui-là est
nos et Deum pacem facit. Hic autem est spiritus l’Esprit Saint, qui est amour, par lequel Dieu
sanctus, qui est amor, quo Deus nos diligit, et in nous aime et par lequel nous-mêmes aimons
quo nos Deum diligimus, quantum ad caritatis Dieu par le don de la charité, par lequel il nous
donum, in quo ipse nobis datur. Ergo videtur quod est lui-même donné. Il semble donc que l’Esprit
spiritus sanctus debeat dici mediator. Saint doive être appelé médiateur.
[9872] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 2. L’intermédaire est ce qui a quelque chose en
2 Praeterea, medium est quod convenit cum commun avec les extrêmes. Or, les démons ont
extremis. Sed Daemones conveniunt cum Deo in quelque chose en commun avec Dieu du fait
hoc quod sunt immortales, nobiscum autem in hoc qu’ils sont immortels, mais avec nous du fait
quod sunt miseri. Ergo Daemones sunt qu’ils sont misérables. Les démons sont donc des
mediatores, non solum Christus. médiateurs, et non seulement le Christ.
[9873] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 3. Les anges bienheureux ont aussi quelque
3 Praeterea, Angeli beati conveniunt etiam chose en commun avec nous et avec Dieu : avec
nobiscum, et cum Deo: cum Deo quidem, Dieu, pour autant qu’ils sont immortels et
inquantum sunt immortales et beati; nobiscum bienheureux; mais avec nous, pour autant qu’ils
vero, inquantum sunt creaturae. Ergo et ipsi sunt sont des créatures. Ils sont donc des médiateurs.
mediatores.
[9874] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 4. Denys démontre que les illuminations divines
4 Praeterea, Dionysius probat, quod divinae ne sont portées jusqu’à nous que par
illuminationes non deferuntur ad nos nisi l’intermédiaire des anges. Ils sont donc des
mediantibus Angelis. Ergo ipsi sunt mediatores. médiateurs.
[9875] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 arg. 5. Le prêtre est un intermédiaire entre Dieu et le
587

5 Praeterea, sacerdos est medium inter Deum et peuple; de même, les autres saints, pour autant
populum; et similiter alii sancti; inquantum pro qu’ils intercèdent pour les pécheurs. Le Christ
peccatoribus intercedunt. Ergo non solum n’est donc pas seul médiateur.
Christus est mediator.
[9876] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. Cependant, [1] la fonction du médiateur est de
1 Sed contra, officium mediatoris est reconciliare réconcilier ceux qui ont un désaccord. Or, seul le
discordes. Sed solus Christus solvit inimicitias Christ a délié les inimités qui existaient entre
quae erant inter nos et Deum; Coloss. 1. Ergo ipse nous et Dieu, Col 1. Il est donc seul médiateur.
solus est mediator.
[9877] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 s. c. [2] On l’appelle médiateur parce qu’il a satisfait
2 Praeterea, ex hoc dicitur mediator, quia pro pour nous. Or, seul le Christ a satisfait pour la
nobis satisfecit. Sed solus Christus pro humana nature humaine. Il est donc seul médiateur.
natura satisfecit. Ergo ipse solus est mediator.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9878] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 co. L’amour de Dieu pour nous se manifeste par son
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, effet. En effet, puisque lui-même, pour ce qui le
quod dilectio Dei ad nos secundum effectum concerne, a un égal rapport avec tous, on dit
indicatur. Cum enim ipse, quantum in se est, ad qu’il en aime certains selon qu’il les fait
omnes aequaliter se habeat, secundum hoc aliquos participer à sa bonté. Or, la participation ultime
dicitur diligere secundum quod eos suae bonitatis et la plus complète à sa bonté consiste dans la
participes facit. Ultima autem et completissima vision de son essence, selon laquelle nous vivons
participatio suae bonitatis consistit in visione avec lui amicalement comme des amis, puisque
essentiae ipsius, secundum quam ei convivimus la béatitude consiste dans cette douceur. Aussi
socialiter, quasi amici, cum in ea suavitate dit-on qu’il aime tout simplement ceux qu’il
beatitudo consistat. Unde illos dicitur simpliciter admet à cette vision, soit en réalité, soit selon la
diligere quos admittit ad dictam visionem vel cause, comme cela ressort chez ceux auxquels il
secundum rem, vel secundum causam, sicut patet a donné l’Esprit Saint comme gage de cette
in illis quibus dedit spiritum sanctum quasi pignus vision. Par le péché, l’homme avait donc été
illius visionis. Ab hac igitur participatione divinae écarté d’une telle participation à la bonté divine,
bonitatis, scilicet a visione essentiae ipsius, homo à savoir, de la vision de son essence; on disait
per peccatum amotus erat; et secundum hoc homo donc que l’homme était ainsi privé de l’amour de
dicebatur privatus Dei dilectione. Et ideo Dieu. C’est pourquoi, dans la mesure où le
inquantum Christus per passionem suam Christ, en satisfaisant pour nous par sa passion, a
satisfaciens pro nobis, ad visionem Dei homines obtenu que les hommes soient admis à la vision
admitti impetravit, secundum hoc dicitur nos Deo de Dieu, dans la même mesure dit-on qu’il nous
reconciliasse. réconciliés avec Dieu,.
[9879] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 1. Il aime toutes les créatures dans une certaine
Ad primum ergo dicendum, quod omnes creaturas mesure, selon laquelle il leur communique sa
diligit quantum ad aliquem modum, quo bonté. Mais on dit qu’il aime tout somplement
communicat eis bonitatem suam; sed illas dicitur celles à qui il communique de pouvoir le voir
simpliciter diligere quibus seipsum videndum lui-même, Jn 14, 21 : Moi, je l’aimerai, et je me
communicat. Joan. 14, 21: ego diligam eum, et manifesterai moi-même à lui.
manifestabo ei me ipsum.
[9880] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 2. Comme on dit que Dieu aime les créatures,
Ad secundum dicendum, quod sicut Deus dicitur alors qu’elles existent déjà, dans la mesure où il
diligere creaturas quando jam sunt, inquantum eis leur communique en acte sa bonté, et qu’il les a
actu suam bonitatem communicat, quas antequam aimées avant qu’elles n’existent selon son propos
essent, dilexit secundum propositum de leur communiquer sa bonté, ainsi dit-on aussi
communicandi eis suam bonitatem; ita etiam que Dieu a aimé les hommes selon son propos de
dicitur Deus homines dilexisse secundum communiquer ou de concéder aux hommes sa
588

propositum communicandi vel concedendi vision, amour par lequel il a donné son Fils.
hominibus suam visionem, ex qua dilectione Mais, par la mort de son Fils, il les a aimés en les
filium dedit. Sed per mortem filii dilexit eos quasi admettant effectivement à cette vision, en
actualiter ad visionem sui admittens, remoto enlevant l’obstacle qui s’opposait à la vision de
impedimento quod eos a visione Dei impediebat. Dieu.
[9881] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 3. Du point de vue de ceux qui ont tué le Christ,
Ad tertium dicendum, quod ex parte illorum qui il n’existait rien qui pouvait provoquer la
occiderunt Christum, non fuit aliquid quod miséricorde, mais plutôt la colère; mais, du point
misericordiam provocaret, sed magis iram; sed ex de vue du Christ, qui a supporté la mort pour
parte Christi qui pro nobis mortem sustinuit, fuit nous, existait une charité sans mesure, qui a fait
immensa caritas, quae fecit passionem ex parte que Dieu a accepté la passion en raison de sa
patientiae Deo acceptam: et sic per ipsam sumus patience. C’est ainsi que nous avons été
reconciliati. réconciliés par elle.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9882] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Dans l’intermédiaire, il faut considérer deux
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in choses : la raison pour laquelle il est appelé
medio est duo considerare, scilicet rationem quare intermédiaire et l’acte de l’intermédiaire. Or, une
dicatur medium, et actum medii. Dicitur autem chose est appelée intermédiaire du fait qu’elle se
aliquid medium ex hoc quod est inter extrema. situe entre des extrêmes. Mais l’acte de
Actus autem medii est extrema conjungere. l’intermédaire est d’unir les extrêmes. On
Mediator igitur dicitur aliquis ex hoc quod actum appelle donc intermédiaire celui qui exerce l’acte
medii exercet conjungendo disjunctos. Non potest de l’intermédiaire en unissant ceux qui sont
autem actum medii exercere nisi aliquo modo désunis. Mais il ne peut exercer l’acte de
natura medii in ipso inveniatur, ut scilicet sit inter l’intermédiaire que si la nature de l’intermédaire
extrema. Esse autem inter extrema convenit se trouve en lui de quelque manière, à savoir
quantum ad duo; scilicet quantum ad hoc quod qu’il se situe entre les extrêmes. Or, se trouver
medium participat utrumque extremorum; et entre des extrêmes convient de deux manières :
secundum ordinem, inquantum est sub primo, et selon que l’intermédiaire participe aux deux
supra ultimum: et hoc exigitur ad rationem medii extrêmes, et selon l’ordre par lequel il se situe
proprie dicti: quia medium dicitur secundum en-dessous du premier et au-dessus du dernier;
respectum ad primum et ultimum, quae ordinem cela est requis pour la raison d’intermédiaire au
dicunt. Christo autem secundum humanam sens propre, car on l’appelle intermédiaire selon
naturam haec tria conveniunt. Ipse enim son rapport au premier et au dernier, qui
secundum humanam naturam pro hominibus expriment un ordre. Or, ces trois choses
satisfaciens, homines Deo conjunxit: ipse etiam conviennent au Christ selon sa nature humaine.
ab utroque extremorum aliquid participat, En effet, en satisfaisant pour les hommes selon
inquantum homo; a Deo quidem beatitudinem, ab sa nature humaine, il a uni les hommes à Dieu. Il
hominibus autem infirmitatem: ipse etiam participe aussi à quelque chose des deux
inquantum homo, supra homines fuit per extrêmes en tant qu’homme : à la béatitude de la
plenitudinem gratiarum, et unionem; et infra part de Dieu, à la faiblesse de la part des
Deum propter naturam creatam assumptam. Et hommes. En tant qu’homme, il était aussi
ideo, proprie loquendo, ratione humanae naturae supérieur aux hommes par la plénitude des
est mediator. Ratione autem compositae personae grâces et par l’union, et inférieur à Dieu, en
potest etiam dici mediator quantum ad duas raison de la nature humaine assumée. C’est
dictarum conditionum, scilicet inquantum pourquoi, au sens propre, il est médiateur en
conjunxit homines Deo, et inquantum utrique raison de la nature humaine. Mais, en raison de
extremorum communicat in natura plenarie, non la personne composée, on peut aussi dire qu’il
participative; sed tertia conditio deficit, quia est médiateur selon deux des conditions
secundum personam non fuit minor patre. Sed mentionnées : en tant qu’il a uni les hommes à
quantum ad divinam naturam nullo modo Dieu, et en tant qu’il possède pleinement, et non
589

competit sibi ratio mediatoris: quia secundum par mode de participation, la nature des deux
divinam naturam, neque est inter extrema extrêmes; mais la troisième condition fait défaut,
participative, neque secundum ordinem, neque car il n’était pas inférieur au Père par sa
iterum conjungit ut causa proxima, sed ut causa personne. Mais, selon sa nature divine, la raison
prima, ut dictum est. de médiateur ne lui convient d’aucune manière,
car, selon la nature divine, il ne se situe pas entre
les extrêmes par mode de participation, ni selon
un ordre; de plus, il n’unit pas en tant que cause
prochaine, mais en tant que cause première,
comme on l’a dit.
[9883] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 1. La nature humaine, telle qu’elle existe chez le
Ad primum ergo dicendum, quod humana natura Christ, n’est pas un extrême, car elle n’a pas
prout est in Christo, non est extremum, quia ipsa besoin de réconciliation, puisqu’elle n’a pas de
non eget reconciliatione, cum in ipsa peccatum péché.
non sit.
[9884] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2 2. La réponse à cet argument est claire d’après ce
Ad secundum patet solutio per id quod dictum est. qui a été dit.
[9885] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3 3. Bien qu’il n’aurait pu nous unir à Dieu si Dieu
Ad tertium dicendum, quod quamvis nos Deo n’avait pas existé, puisque sa nature humaine
conjungere non potuisset nisi Deus fuisset, quia avait une plus grande efficacité par la nature
humana natura ex divina sibi conjuncta in persona divine qui lui était unie, il n’a cependant
majorem efficaciam habebat, tamen manifesté la satisfaction, par laquelle nous avons
satisfactionem, qua Deo reconciliati et conjuncti été réconciliés et unis à Dieu, que par sa nature
sumus, non exhibuit nisi per humanam naturam; humaine. C’est la raison pour laquelle elle est
et ideo secundum ipsam est proxima causa par elle-même la cause rapprochée de l’union.
conjunctionis.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9886] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 co. 1. Pour ce qui est de la réconciliation par laquelle
Ad secundam quaestionem dicendum, quod la nature humaine a été réconciliée avec Dieu,
quantum ad hanc reconciliationem qua humana seul le Christ est médiateur, car c’est en lui seul
natura reconciliata est Deo, solus Christus est qu’on trouve les conditions indiquées pour le
mediator: quia in ipso solo est reperire médiateur.
conditiones mediatoris praedictas.
[9887] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 1 2. Bien qu’il unisse en tant que cause première,
Ad primum ergo dicendum, quod spiritus sanctus l’Esprit Saint n’est cependant pas un
quamvis conjungat sicut causa prima, non tamen intermédiaire entre des extrêmes, ni celui qui
est medium inter extrema, nec conjungens unit de manière rapprochée. C’est pourquoi il
proximum: et ideo non est, proprie loquendo, n’est pas à proprement parler médiateur.
mediator.
[9888] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 2 2. Les démons ont en commun avec Dieu
Ad secundum dicendum, quod Daemones l’immortalité, mais avec nous les misères. Aussi
communicant cum Deo in immortalitate, s’interposent-ils comme intermédiaires pour
nobiscum autem in miseriis; unde ad hoc se nous conduire à l’immortalité et à la misère
medios interponunt ut nos ad immortalitatem et éternelle; ils réalisent cela, non pas en nous
aeternam miseriam adducant; et hoc faciunt, a unissant à Dieu, mais en nous en séparant. Et
Deo nos sejungendo, et non conjungendo. Et quia parce qu’en s’éloignant de ce qui est unique et
recedendo ab uno primo invenitur multitudo; ideo premier, on trouve la multitude, ils ne sont donc
ipsi non sunt unus, sed plures medii; non pas un seul, mais plusieurs intermédiaires; ils ne
mediatores, sed separatores. Christus autem cum sont pas des médiateurs, mais des séparateurs.
Deo habuit communem beatitudinem, nobiscum Mais le Christ, en ayant en commun avec Dieu la
590

autem mortalitatem; et ideo ad beatitudinem nos béatitude, mais avec nous la mortalité, nous
ducit aeternam, mortalitate quam habuit ad conduit à la béatitude éternelle, alors que la
tempus consumpta; et hoc est quod dicit mortalité qu’il avait a été consommée au
Augustinus 9 de Civ. Dei. moment voulu. C’est ce que dit Augustin dans
La cité de Dieu, IX.
[9889] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 3 3. Les anges sont bienheureux et immortels.
Ad tertium dicendum, quod Angeli sunt beati et Aussi n’ont-ils pas en commun avec nous ce qui
immortales: unde non conveniunt nobiscum in doit nous être enlevé par l’acte du médiateur. En
hoc quod a nobis amovendum est per actum effet, le médiateur n’est pas donné pour faire en
mediatoris; non enim ad hoc datur mediator, ut sorte que nous ne soyons pas des créatures. C’est
faciat nos non esse creaturas. Et ideo quamvis pourquoi, bien qu’ils aient en commun avec nous
conveniant nobiscum in hoc quod sunt creaturae, d’être des créatures, la raison de médiateur ne
non tamen competit eis ratio mediatoris. leur convient pas.
[9890] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 4 4. Le fait que les anges nous éloignent de Dieu
Ad quartum dicendum, quod illud quod Angeli en tant qu’intermédiaires entre nous et Dieu n’est
nobis a Deo deferunt, quasi medii inter nos et pas ce par quoi nous sommes unis à Dieu, car la
Deum, non est hoc per quod Deo conjungimur: grâce ne nous vient pas des anges, ni la
quia gratia non est nobis ab Angelis, nec satisfaction. Mais cette transfusion présuppose
satisfactio; sed illa transfusio conjunctionem l’union ou la prépare. C’est pourquoi ils ne sont
praesupponit vel eam praeparat; et ideo ipsi non pas médiateurs, mais leur fonction découle de la
sunt mediatores, sed eorum officium sequitur vel fonction de médiateur ou y dispose. Aussi sont-
disponit ad officium mediatoris; et ideo ipsi sunt ils les ministres du médiateur.
ministri mediatoris.
[9891] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3 ad 5 5. L’un des saints ne peut pas être médiateur
Ad quintum dicendum, quod aliquis sanctorum pour unir toute la nature humaine à Dieu, bien
non potest esse mediator, conjungens totam qu’une personne particulière puisse unir à Dieu,
humanam naturam Deo, quamvis unam specialem non pas en lui méritant la grâce en justice (ex
personam Deo possit conjungere, non quidem condigno), comme le Christ l’a fait, mais
merendo ei gratiam ex condigno, sicut Christus seulement par convenance (ex congruo), en
fecit, sed ex congruo tantum inducendo ad l’incitant au bien.
bonum.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 19
[9892] Super Sent., lib. 3 d. 19 q. 1 a. 5 qc. 3
expos. Morte quippe sua uno verissimo sacrificio
quidquid culparum erat (...) Christus extinxit. Hic
est tertius modus quo per passionem a peccatis
liberamur: duo enim prius positi pertinent ad
efficientiam justificationis ex parte nostra: hic
autem pertinet ad sufficientiam ex parte sua: quia
sua satisfactio fuit sicut quoddam sacrificium ad
delendum omnia peccata, quantum in se est,
sufficiens. Culparum chyrographa.
Chyrographum dicitur a chyros, quod est manus et
graphos, quod est Scriptura; quasi manualis
Scriptura, quae memoriam debitorum facit, et
obligationem ad solvendum. Dicuntur autem
chyrographa nostrorum peccatorum per mortem
Christi deleta, inquantum memoria nostrorum
591

delictorum amota est, secundum quod Deus


eorum non recordatur ad puniendum, vel
inquantum obligatio poenae, sive reatus amotus
est. In Baptismo penitus laxatur. Contra.
Requiritur gemitus interior. Dicendum, quod non
requiritur inquantum est poena, sed inquantum
consequitur ex displicentia veteris vitae; cujus si
non poeniteat, non potest novam vitam inchoare,
sed victus abscedit. Implevit illa sacramenta.
Sacramentum hic dicitur, non sacrum signum,
sicut Baptismus, et hujusmodi, sed sacrum
secretum, sicut passio, incarnatio, et hujusmodi. Si
ergo Christus secundum vos, o haeretici, unam
tantum habet naturam, unde medius erit ? Haec
sunt verba Vigilii, qui ponit Christum mediatorem
ratione personae compositae, ut dictum est.
Possumus tamen dicere, quod si haberet humanam
naturam tantum, secundum illam non esset
sufficiens mediator: quia non haberet unde
satisfaceret pro tota natura humana, sicut nec alii
qui sunt puri homines.

Distinctio 20 Distinction 20 – [Les causes de la passion]

Question unique – [La nature humaine peut-


elle être restaurée ?]
Prooemium Prologue
[9893] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé comment nous sommes
determinavit Magister quomodo per passionem libérés du mal par la passion du Christ, le Maître
Christi liberamur a malis, hic determinat de causis détermine ici des causes de la passion. Cela se
passionis. Dividitur autem in duas partes: primo divise en deux parties : premièrement, il signale
assignat passionis congruentiae causam; secundo la cause de la convenance de la passion;
determinat de causa ipsius efficiente, ibi: Christus deuxièmement, il détermine de sa cause
ergo est sacerdos, idemque hostia et pretium efficiente, à cet endroit : « Le Christ est donc
nostrae reconciliationis. Prima in duas: in prima prêtre et aussi victime et prix de notre
assignat causam congruentiae ex utilitate nostra; réconciliation. » La première partie se divise en
in secunda ex decentia justitiae ipsius, ibi: est et deux : dans la première, il signale la cause de la
alia ratio. Et circa hoc tria facit: primo assignat convenance en regard de ce qui nous est utile;
congruentiam passionis ex justitia Dei; secundo dans la seconde, en raison de la convenance de
prosequitur justitiae ordinem, ibi: sed qua sa propre justice, à cet endroit : « Il y a aussi une
justitia ? Jesu Christi; tertio ostendit quod, etiam autre raison… » À ce propos, il fait trois choses.
isto ordine praetermisso, nulli injuria fieret; ut sic Premièrement, il indique la convenance de la
justitiae processus commendabilior appareat passion du point de vue de la justice de Dieu;
inquantum non fuit necessarius, ibi: si enim tres deuxièmement, il décrit l’ordre de la justice, à
illi in causam venirent, scilicet Deus, Diabolus, et cet endroit : « Mais selon quelle justice ? Celle
homo; Diabolus et homo quid adversus Deum de Jésus, le Christ »; troisièmement, il montre
dicerent non haberent. Christus ergo est sacerdos, que, même en outrepassant cet ordre, aucun tort
idemque hostia et pretium nostrae ne serait fait, de sorte que le déroulement de la
reconciliationis. Hic determinat de causa justice apparaisse plus louable parce qu’il n’était
efficiente passionis: et primo quantum ad ipsam pas nécessaire, à cet endroit : « En effet, si ces
592

operationem causae efficientis; secundo quantum trois entraient en procès : Dieu, le Diable et
ad opus operatum, ibi: passio ergo Christi et opus l’homme, le Diable et l’homme n’auraient rien à
dicitur Judaeorum (...) et opus Dei. Et circa hoc redire contre Dieu. » « Le Christ est donc prêtre
duo facit: primo ostendit quomodo opus operatum et aussi victime et prix de notre réconciliation. »
ex diversis causis processit; secundo inquirit [Le Maître] détermine ici de la cause efficiente
utrum ipsum opus operatum sit licitum, vel de la passion. Premièrement, quant à l’action
malum, ibi: cum autem passio Christi opus Dei même de la cause efficiente; deuxièmement,
sit, et ideo bonum est, eamdemque operati sint quant à l’œuvre accomplie, à cet endroit : « On
Judas et Judaei; quaeritur, an concedendum sit dit donc que la passion du Christ est à la fois
eos operatos ibi esse bonum. Hic quaeruntur l’œuvre des Juifs… et l’œuvre de Dieu. » À ce
quinque: 1 de reparabilitate humanae naturae; 2 propos, il fait deux choses : premièrement, il
an alius quam Christus potuit satisfacere pro montre comment l’œuvre accomplie vient de
humana natura; tertio utrum satisfactio diverses causes; deuxièmement, il se demande si
convenienter facta sit per Christi passionem; 4 cette œuvre accomplie est permise ou mauvaise,
utrum potuit humanum genus alio modo liberari; à cet endroit : « Puisque la passion du Christ est
5 de passione Christi per comparationem ad l’œuvre de Dieu, et donc bonne, et que Judas et
causam efficientem. les Juifs ont accompli la même œuvre, on se
demande s’il faut concéder que ce qu’ils ont fait
là est bon. » Cinq questions sont soulevées ici : 1
– La possibilité de restaurer la nature humaine. 2
– Un autre que le Christ pouvait-il satisfaire pour
la nature humaine ?; 3 – La satisfaction a-t-elle
été convenablement accomplie par la passion du
Christ ? 4 – Le genre humaine pouvait-il être
libéré d’une autre manière ? 5 – La passion du
Christ dans son rapport à sa cause efficiente.
Articulus 1 [9894] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. Article 1 – La nature humaine devait-elle être
1 tit. Utrum humana natura fuerit reparanda restaurée ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La nature humaine devait-
elle être restaurée ?]
[9895] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1. Il semble que la nature humaine ne devait pas
1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod être restaurée. En effet, le péché de l’homme
humana natura non fuerit reparanda. Peccatum n’était pas plus grave que le péché de l’ange. Or,
enim hominis non fuit gravius quam peccatum après le péché de l’ange, ses biens naturels sont
Angeli. Sed post peccatum Angeli, bona naturalia restés intacts, comme le dit Denys. Chez
ipsius integra remanserunt, ut dicit Dionysius. l’homme, la nature est donc demeurée intacte et
Ergo in homine natura integra permansit, et ita ainsi elle n’avait pas besoin d’être restaurée.
reparatione non indiguit.
[9896] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2. Ce qui découle de la nature humaine se trouve
2 Praeterea, id quod consequitur humanam chez tous ceux qui ont la nature humaine. Or,
naturam, invenitur in omnibus habentibus tous les hommes ne devaient pas être restaurés,
humanam naturam. Sed non omnes homines erant puisqu’il était prévu que beaucoup seraient
reparandi, cum multi fuerint praevisi damnati. damnés. Une restauration n’est donc pas due à la
Ergo naturae humanae reparatio non debetur. nature humaine.
[9897] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3. La nature angélique n’est pas moins précieuse
3 Praeterea, natura angelica non est minus que la nature humaine. Or, la nature angélique
pretiosa quam natura humana. Sed natura angelica n’a pas été restaurée après le péché. La nature
post peccatum reparata non fuit. Ergo nec humana humaine ne devait donc pas non plus être
natura reparanda erat. restaurée.
[9898] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4. Par son péché, le premier homme a mérité que
593

4 Praeterea, primus homo per peccatum meruit ut lui-même et sa postérité soient éternellement
ipse et sua posteritas in aeternum a divina visione séparés de la vision de Dieu. Or, il convient à la
separaretur. Sed ad justitiam Dei pertinet ut reddat justice de Dieu de rendre à chacun selon ses
unicuique secundum sua merita. Ergo hoc reddere mérites. Elle ne devait donc pas rendre de telle
debuit, ut in aeternum excluderetur humana natura manière que la nature humaine et le genre
et humanum genus a divina visione; et sic reparari humain soient exclus de la vision de Dieu. La
non debuit humana natura. nature humaine ne devait donc pas être ainsi
restaurée.
[9899] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. Cependant, [1] il ne convient pas à la sagesse
1 Sed contra, non decet divinam sapientiam ut divine qu’une créature soit privée de sa fin, car
aliqua creatura suo fine frustretur: quia tunc vane alors elle aurait été créée en vain. Or, la fin pour
facta esset. Sed finis ad quem facta est humana laquelle la nature humaine a été créée est de voir
natura, est ut videat Deum, et fruatur eo. Cum Dieu et d’en jouir. Puisqu’elle n’aurait pu
igitur ad hunc finem pervenire non potuisset nisi parvenir à cette fin que si elle était réparée, car
reparata fuisset, quia per peccatum primi hominis elle a été détournée de cette fin par le péché du
ab hoc fine deordinata fuit, congruum fuit ut premier homme, il était convenable qu’elle soit
repararetur. restaurée.
[9900] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 s. c. [2] Il n’est pas convenable qu’une perfection
2 Praeterea, non est decens ut aliqua perfectio fasse défaut à l’univers. Or, une créature
universo deesset. Sed de perfectione universi est raisonnable bienheureuse, composée d’âme et de
creatura rationalis beata, composita ex anima et corps, fait partie de la perfection de l’univers. Il
corpore. Ergo congruum fuit ad perfectionem était donc convenable pour la perfection de
universi quod natura talis, scilicet humana, l’univers qu’une telle nature, la nature humaine,
repararetur ad beatitudinem, a qua per peccatum soit restaurée en vue de la béatitude dont elle
abducta erat. avait été chassée par le péché.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La nature humaine devait-
elle être restaurée par la satisfaction ?]
[9901] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1. Il semble que [la nature humaine] ne devait
1 Ulterius. Videtur quod non debuerit per pas être restaurée par la satisfaction. En effet,
satisfactionem reparari. Per eadem enim res une chose est restaurée par cela même dont elle
reparatur per quae constituitur. Sed humana est constituée. Or, la nature humaine a été établie
natura instituta fuit solo verbo Dei: quia dixit, et par la seule parole de Dieu, puisqu’il dit, et cela
facta sunt. Ergo solo verbo debuit reparari, et fut. Elle devait donc être restaurée par la seule
mandato; et non per aliquam satisfactionem parole et un commandement, et non par la
creaturae. satisfaction d’une créature.
[9902] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 2. De même que, dans l’œuvre de la création, la
2 Praeterea, sicut in opere conditionis maxime puissance est au plus haut point manifestée, de
manifestatur potentia, ita in opere reparationis même, dans l’œuvre de la restauration, la
maxime manifestatur divina misericordia. Sed miséricorde divine est au plus haut point
majoris misericordiae est peccatum absque omni manifestée. Or, c’est le propre d’une plus grande
poena satisfactionis dimittere quam satisfactionem miséricorde de remettre le péché sans aucune
requirere. Ergo absque omni satisfactione debuit peine satisfactoire, plutôt que d’exiger une
humana natura reparari. satisfaction. La nature humaine devait donc être
restaurée sans aucune satisfaction.
[9903] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 3. Il revient de satisfaire à celui qui a commis le
3 Praeterea, ejus est pro peccato satisfacere cujus péché. Or, la nature humaine n’a pas été
est peccatum facere. Sed humana natura non est corrompue par un acte que la nature a fait, mais
corrupta per actum quem natura fecit, sed per par un acte qu’une personne a fait. Une
actum quem fecit persona. Ergo satisfactio aliqua satisfaction ne doit donc pas être exigée pour la
non debet exigi pro natura, sed solum pro persona. nature, mais seulement pour une personne.
594

[9904] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. Cependant, [1] la faute reçoit son ordre de la
1 Sed contra, culpa ordinatur per poenam. Sed si peine. Or, si le péché était remis sans aucune
peccatum remitteretur absque omni satisfactione, satisfaction, la faute resterait sans peine. Il
remaneret culpa sine poena. Ergo remaneret resterait donc quelque chose de désordonné dans
aliquid inordinatum in universo, quod est l’univers, ce qui est inapproprié.
inconveniens.
[9905] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. [2] La satisfaction est un remède pour le péché.
2 Praeterea, satisfactio est medicina peccati. Sed Or, écarter une maladie sans [y apporter] de
dimittere morbum absque medicina, non est remède n’est pas le propre d’un médecin sage.
sapientis medici. Ergo non decuit Deum naturam Dieu ne devait donc pas restaurer la nature
humanam sine satisfactione reparare. humaine sans satisfaction.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Était-il nécessaire que la
nature humaine soit réparée de la manière
dite ?]
[9906] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que la
1 Ulterius. Videtur quod non fuerit necessarium nature humaine soit restaurée de la manière dite.
naturam humanam reparari modo dicto. Solus En effet, seul Dieu peut restaurer la nature
enim Deus naturam reparare potest. Sed in Deum humaine. Or, Dieu n’est pas soumis à la
non cadit necessitas, sicut nec coactio. Ergo non nécessité, pas davantage qu’à la coercition. Il
fuit necessarium naturam humanam reparari modo n’était donc pas nécessaire que la nature
dicto. humaine soit réparée de la manière dite.
[9907] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 2. Plus une chose est nécessaire, moins elle est
2 Praeterea, quanto aliquid est magis necessarium, volontaire, et moins elle est volontaire, moins
tanto est minus voluntarium; et quanto est minus elle digne d’action de grâce. Or, l’œuvre de la
voluntarium, tanto est minus gratiarum actione restauration humaine est au plus haut point digne
dignum. Sed opus reparationis humanae est que nous en rendions grâce à Dieu. Elle n’est
maxime dignum unde gratias Deo agamus. Ergo donc aucunement nécessaire.
nullo modo est necessarium.
[9908] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 3. Il convient à la miséricorde de Dieu de punir
3 Praeterea, ad misericordiam Dei pertinet ut le péché moins qu’il ne le mérite, en réduisant
peccatum citra condignum puniat, aliquid de quelque chose de la peine due pour le péché. Or,
poena peccato debita diminuens. Sed per quam il peut remettre toute la peine pour la même
rationem dimittit partem, per eamdem potest raison qu’il en remet une partie. Il n’est donc pas
dimittere totam. Ergo non est necessarium quod nécessaire qu’il restaure la nature humaine par la
per satisfactionem humanam naturam reparaverit. satisfaction.
[9909] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 arg. 4. Le dons gratuitement donnés le sont pour la
4 Praeterea, eadem ratione dona gratis dantur, et même raison que les dettes sont gratuitement
debita gratis remittuntur; unde sicut judex non remises; de même donc qu’un ne peut donner
potest rem unius alteri dare, ita non potest une chose qui appartient à quelqu’un d’autre, il
offensam alteri factam sine poena dimittere. ne peut remettre sans peine une offense faite à
Princeps autem cujus sunt omnia, potest poenas quelqu’un d’autre. Or, le dirigeant à qui tout
relaxare. Sed Deus gratis dat dona hominibus, nec appartient peut annuler les peines. Or, Dieu,
ex hoc sequitur aliqua inordinatio. Ergo et potest donne gratuitement des dons aux hommes et il
poenas debitas dimittere, praecipue cum poena ex n’en découle pas un désordre. Il peut donc
hoc debeatur, quia per culpam ipse offenditur. remettre les peines dues, surtout lorsque la peine
est due parce qu’il est lui-même offensé par la
faute.
[9910] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. Cependant, [1] il est impossible que quelque
1 Sed contra, impossibile est aliquid esse frustra chose soit fait en vain par le Créateur sage, tout-
factum a sapiente et omnipotente et optimo puissant et très bon. Or, si la nature humaine
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artifice. Sed si natura humana non repararetur, n’était pas restaurée, elle aurait été créée en vain.
esset frustra facta. Ergo necesse est eam reparari. Il est donc nécessaire qu’elle soit restaurée.
[9911] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 s. c. [2] Il est impossible qu’il y ait quelque chose de
2 Praeterea, impossibile est aliquid esse désordonné dans l’univers. Or, si une peine de
inordinatum in universo. Sed si culpae humanae satisfaction ou de condamnation n’était pas
naturae non adhiberetur poena vel satisfactionis donnée pour la faute de la nature humaine, il y
vel condemnationis, esset aliquid inordinatum in aurait quelque chose de désordonné dans
universo. Ergo necessarium est, si a damnatione l’univers. Si la nature humaine est restaurée de la
humana natura reparatur, quod hoc fiat per damantion, il est donc nécessaire que cela soit
modum satisfactionis, cum culpa per poenam fait par mode de satisfaction, puisque la faute est
ordinetur. ordonnée par la peine.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9912] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Il était au plus haut point convenable que la
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, nature humaine soit restaurée par là où elle est
quod congruentissimum fuit humanam naturam, tombée. En effet, cela était convenable pour ce
ex quo lapsa fuit, reparari. Fuit enim conveniens qui est de Dieu, car la miséricorde, la puissance
quantum ad ipsum Deum: quia in hoc et la sagesse de Dieu sont par là manifestées. La
manifestatur misericordia Dei, potentia, et miséricorde ou la bonté, parce qu’il n’a pas
sapientia. Misericordia quidem sive bonitas, quia méprisé la faiblesse de sa propre créature; mais
proprii plasmatis non despexit infirmitatem: sa puissance, dans la mesure où il a lui-même
potentia vero inquantum ipse omnium nostrorum vaincu les carences de nous tous par sa
defectum sua virtute vicit: sapientia autem puissance; sa sagesse enfin, pour autant qu’il se
inquantum nihil frustra fecisse invenitur. trouve à n’avoir rien fait en vain. Cela est aussi
Conveniens etiam fuit quantum ad humanam convenable pour ce qui est de la nature humaine,
naturam, quia generaliter lapsa erat. Similiter car elle elle était universellement tombée. De
etiam ex perfectione universi, quod totum même aussi, pour ce qui est de la perfection de
quodammodo ad salutem hominis ordinatur. l’univers, qui est d’une certaine manière
entièrement ordonné au salut de l’homme.
[9913] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 1. On parle de naturel de deux manières.
Ad primum ergo dicendum, quod naturale D’abord, pour ce qui découle des principes de
dupliciter dicitur. Uno modo id quod consequitur l’espèce : et cela n’est pas changé par le péché ni
ex principiis speciei; et hoc non mutatur per chez l’homme, ni chez le démon, pas davantage
peccatum nec in homine nec in Daemone, sicut que l’espèce. Ensuite, on appelle naturel ce à
nec species. Alio modo dicitur naturale id ad quod quoi la nature est ordonnée : sous cet aspect, ce
natura est ordinata: et quantum ad hoc, naturale qui est naturel est enlevé par le péché dans la
per peccatum tollitur, inquantum aufertur mesure où est enlevée la béatitude à laquelle la
beatitudo ad quam natura ordinata est, et nature a été ordonnée et l’aptitude à celle-ci est
diminuitur habilitas ad ipsam: et sic natura réduite. Et ainsi la nature avait-elle été
corrupta erat, quia non poterat perduci ad corrompue, car elle ne pouvait être conduite à la
beatitudinem ab aliquo illius naturae corruptae, béatitude par quelqu’un de cette nature
nisi natura reparata esset. corrompue, à moins que la nature ait été
restaurée.
[9914] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 2. Le fait que tous les hommes ne soient pas
Ad secundum dicendum, quod hoc quod omnes restaurés ne vient pas de l’insuffisance du
homines non reparantur, non est ex insufficientia remède qui restaure, puisqu’il est suffisant en
medicinae reparantis, cum sit sufficiens, quantum lui-même pour restaurer tous ceux qui ont la
in se est, ad reparandum omnes qui naturam nature humaine ou peuvent l’avoir; mais cela
humanam habent, vel habere possunt; sed ex vient de la carence de ceux qui empêchent l’effet
defectu eorum qui reparationis effectum in seipsis de la restauration en eux-mêmes, comme la
impediunt; sicut etiam carentia visus, qui carence de la vue, qui découle de la nature
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humanam naturam consequitur, causatur in caecis humaine, est causée chez les aveuglés nés par
natis ex defectu materiae. une carence de la matière.
[9915] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 2. La nature de l’ange n’était pas entièrement
Ad tertium dicendum, quod natura Angeli non déchue; de plus, l’ange qui péchait était
tota corruerat; et iterum Angelus peccans, statim immédiatement confirmé dans le mal, mais non
in malo confirmatus fuit, non autem homo; et ideo l’homme. C’est pourquoi la nature humaine
natura humana reparari debuit, non autem natura devait être restaurée, mais non la nature
angelica. De hoc etiam sunt plura notata supra. angélique. À ce sujet, on a indiqué plusieurs
choses plus haut.
[9916] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 4. On peut appeler éternelle l’exclusion de la
Ad quartum dicendum, quod exclusio a visione vision de Dieu de deux manières. Soit parce que,
Dei potest dici aeterna propter duo. Aut quia in eo chez celui qui est exclu, n’existe pas la capacité
qui excluditur, non est virtus ad finiendum istam de mettre un terme à cette exclusion, ni de
exclusionem, neque dispositio ad recipiendum disposition à recevoir l’effet de quelqu’un qui y
effectum alicujus terminantis; et sic efficitur met un terme : ainsi est-elle rendue éternelle
aeterna in obstinatis qui sunt in Inferno, unde ipsi chez ceux qui sont obstinés dans l’enfer; ils ne
nunquam reparabuntur. Aut dicitur aeterna, quia seront donc jamais restaurés. Soit elle est appelée
non est virtus in excluso, ad terminandum éternelle parce que n’existe pas chez celui qui est
exclusionem, quamvis sit in eo dispositio ad exclu la capacité de mettre un terme à
recipiendum effectum alicujus terminantis; et sic l’exclusion, bien qu’existe chez lui une
homo per peccatum etiam actuale mortale meretur disposition à recevoir l’effet de celui qui y met
exclusionem aeternam, quamdiu est in vita ista; un terme : ainsi l’homme, même par le péché
sed quando transit a vita ista, si sine gratia transit, mortel actuel, mérite l’exclusion éternelle aussi
efficitur aeterna secundum primum modum. longtemps qu’il est dans cette vie; mais lorsqu’il
quitte cette vie, s’il quitte sans la grâce,
[l’exclusion] devient éternelle de la première
manière.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9917] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Il était aussi convenable que la nature humaine
Ad secundam quaestionem dicendum, quod soit restaurée par la satisfaction. Premièrement,
congruum etiam fuit quod natura humana per du point de vue de Dieu, parce que la justice
satisfactionem repararetur. Primo ex parte Dei, divine se manifeste par le fait que la faute est
quia in hoc divina justitia manifestatur, quod dissoute par la peine. Deuxièmement, du point
culpa per poenam diluitur. Secundo ex parte de vue de l’homme, qui, en satisfaisant, est plus
hominis, qui satisfaciens, perfectius integratur: parfaitement rétabli : en effet, il n’aurait pas une
non enim tantae gloriae esset post peccatum, gloire aussi grande après le péché que celle qui
quantae erat in statu innocentiae, si non plenarie existait dans l’état d’innocence, s’il n’avait pas
satisfecisset: quia magis est homini gloriosum ut pleinement satisfait, car il est plus glorieux pour
peccatum commissum satisfaciendo plenarie l’homme de se purifier du péché commis par la
expurget, quam si sine satisfactione dimitteretur; satisfaction, que si celui-ci était remis sans
sicut etiam magis homini gloriosum est quod satisfaction, de même qu’il est plus glorieux
vitam aeternam ex meritis habeat, quam si sine pour l’homme d’obtenir la vie éternelle par des
meritis ad eam perveniret: quia quod quis meretur, mérites, que d’y parvenir sans mérites, car ce que
quodammodo ex se habet, inquantum illud meruit. quelqu’un mérite, il l’obtient en quelque sorte de
Similiter satisfactio facit ut satisfaciens sit lui-même, pour autant qu’il a mérité cela. De
quodammodo causa suae purgationis. Tertio etiam même, la satisfaction fait en sorte que celui qui
ex parte universi, ut scilicet culpa per poenam satisfait est en quelque manière cause de sa
satisfactionis ordinetur; et sic nihil inordinatum in purification. Troisièmement, du point de vue de
universo remaneat. l’univers, de telle sorte que la faute soit ordonnée
par la peine satisfactoire, et ainsi, que rien ne
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demeure désordonné dans l’univers.


[9918] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1 1. L’être d’une chose précède son opération.
Ad primum ergo dicendum, quod esse rei C’est pourquoi il ne peut arriver que quelqu’un
praecedit operari ipsius; et ideo non potest esse soit établi dans l’être par sa propre opération, ni
quod aliquis per suam operationem in esse qu’il soit d’une certaine manière cause de lui-
constituatur, nec quod sit aliquo modo causa sui même. Mais de même que l’homme est cause de
ipsius; sed sicut homo est causa suae corruptionis sa corruption en péchant, de même est-il
peccando, ita et decens est ut sit quodammodo convenable qu’il soit d’une certaine manière
causa suae purgationis satisfaciendo. cause de sa purification en satisfaisant.
[9919] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2 2. Par le fait que Dieu a voulu que l’homme soit
Ad secundum dicendum, quod in hoc quod Deus restauré par la satisfaction, sa miséricorde est
per satisfactionem hominem reparari voluit, manifestée au plus haut point, car il n’a pas
maxime manifestatur ejus misericordia: quia non voulu seulement en enlever la faute, mais aussi
tantum culpam ab eo voluit removere, sed etiam ramener intégralement la nature humaine à sa
ad pristinam dignitatem humanam naturam dignité première, dignité qui demeure pour
integraliter reducere: quae quidem dignitas toujours dans la nature, alors que la peine passe
perpetuo in natura manet, sed poena ad modicum en peu de temps. Aussi la miséricorde est-elle
transit; unde magis manifestatur misericordia in davantage manifestée par le fait de le conduire à
perducendo ad aeternam dignitatem, quam in une dignité éternelle, que de lui remettre une
dimittendo temporalem culpam. faute temporelle.
[9920] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3 3. Il ne revient pas à la nature d’agir, si elle est
Ad tertium dicendum, quod naturae, prout envisagée dans sa nudité; mais il revient d’agir à
consideratur in nuda contemplatione, non est la personne qui subsiste dans une nature. De
agere; sed agere est personae subsistentis in même donc que le péché de nature a été entraîné
natura. Sicut igitur peccatum naturae inductum est par l’action personnelle de celui qui a péché, de
ex actione personae peccantis, ita oportet quod même il est nécessaire que l’acte d’une personne
actus personae satisfacientis, pro natura qui satisfait satisfasse pour la nature.
satisfaciat.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[9921] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 co. La restauration de la nature humaine a été
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod reparatio réalisée par Dieu. Aussi peut-elle être envisagée
humanae naturae a Deo facta est; unde potest de deux manières : du point de vue de Dieu, et
dupliciter considerari: scilicet ex parte Dei, et ex du point de vue de la nature même qui doit être
parte ipsius naturae reparandae. Ex parte autem restaurée. Or, du point de vue de Dieu, on peut
Dei potest attendi triplex necessitas. Una est envisager une triple nécessité. L’une est la
necessitas coactionis: et haec respectu nullius nécessité de coercition : celle-ci ne peut être
potest Deo attribui, quia non potest in eo aliquid d’aucune manière attribuée à Dieu, car il ne peut
violentum esse, neque extra naturam, cum sit exister en lui rien de violent ni d’extérieur à sa
immutabilis, ut dicit philosophus. Alia necessitas nature, puisqu’il est immuable, comme le dit le
est absoluta; et haec quidem cadit in Deo respectu Philosophe. Une autre nécessité est absolue. Une
illorum quae in ipso sunt, quae scilicet naturam telle nécessité se rencontre en Dieu par rapport à
suam consequuntur, quia impossibile est ea aliter ce qui existe en lui et qui découle de sa nature,
se habere, sicut necessarium est Deum esse, vel car il est impossible que cela existe autrement :
esse bonum, et alia hujusmodi: sed haec ainsi, il est nécessaire que Dieu existe ou qu’il
necessitas non est Dei respectu alicujus effectus: soit bon, et les autres choses de ce genre. Mais
quia non agit ex necessitate naturae, sed ex une telle nécessité n’existe pas en Dieu par
libertate voluntatis. Tertia necessitas est ex rapport à l’un de ses effets, car il n’agit pas par
suppositione, non quidem finis, quia non est nécessité de nature, mais par la liberté de sa
dubium quin Deus ad aliquem finem posset volonté. Une troisième nécessité est celle qui
inducere multis aliis viis etiam quam illis quae vient d’une supposition, non pas [d’une
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modo determinatae sunt ad finem aliquem; sed ex supposition] de la fin, car il n’est pas douteux
suppositione alicujus quod est in ipso, scilicet que Dieu pourrait conduire à une fin par d’autres
praescientiae, vel voluntatis, quae mutari non moyens que ceux qui sont maintenant déterminés
possunt: secundum quem modum dicitur, quod en vue d’une certaine fin, mais de la supposition
necessarium est praedestinatum salvari; et haec de quelque chose qui existe en lui-même, à
dicitur necessitas immutabilitatis a quibusdam; et savoir, sa prescience ou sa volonté, qui ne
per hunc modum necessarium fuit ex parte Dei peuvent être changées : de cette manière, on dit
humanam naturam separari, quia ipse praeviderat qu’il est nécessaire que celui qui est prédestiné
et ordinaverat reparandam. Sed haec necessitas, ut soit sauvé. Cette nécessité est appelée par
dictum est, est necessitas conditionis, non certains nécessité par immutabilité. De cette
absoluta; sive consequentiae, non consequentis. Et manière, il était nécessaire, du point de vue de
similiter ex parte hominis potest considerari Dieu, que la nature humaine soit restaurée, car il
triplex necessitas. Una necessitas absoluta, quae avait prévu et ordonné qu’elle devait être
est respectu eorum quae naturaliter homini insunt, restaurée. Mais, comme on l’a dit, cette nécessité
sicut hominem necessarium est esse risibilem, et est une nécessité conditionnelle, et non absolue,
alia hujusmodi: et sic non est necessarium ou encore une nécessité selon la conséquence, et
humanam naturam reparari, quia reparatio non non selon le conséquent. De même, du point de
sequitur ex principiis naturalibus. Alia est vue de l’homme, on peut envisager une triple
necessitas coactionis; et haec quidem est respectu nécessité. Une nécessité absolue, qui porte sur ce
eorum quae homo majori virtute coactus facit, et qui existe naturellement dans l’homme : ainsi, il
involuntarius simpliciter, vel secundum quid: et est nécessaire que l’homme soit capable de rire,
talis necessitas non fuit in natura humana respectu et les autres choses de ce genre. De cette
reparationis, quia Deus ad virtutem non cogit. manière, il n’est pas nécessaire que la nature
Tertia vero necessitas est ex suppositione finis, humaine soit restaurée, car la restauration ne
sicut necessarium est homini habere navem, si découle pas des principes naturels. Une autre
debet ire ultra mare; et hac necessitate nécessit est [la nécessité] de coercition : celle-ci
necessarium fuit humanam naturam reparari, si existe pour les choses que l’homme réalise par
scilicet ad visionem Dei admitti debuit. une puissance plus grande et de manière
involontaire, que ce soit simplement ou
relativement. Une telle nécessité n’existait pas
dans la nature humaine en regard de la
restauration, parce que Dieu ne force pas à la
vertu. Mais la troisième nécessité est celle qui
vient de la supposition d’une fin : ainsi, il est
nécessaire que l’homme ait un navire, s’il doit
aller outre-mer. Et, selon une telle nécessité, il
était nécessaire que la nature humaine soit
restaurée, si elle devait être admise à la vision de
Dieu.
[9922] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1 1. Toute nécessité n’est pas coercitive, comme
Ad primum ergo dicendum, quod non omnis cela ressort de ce qui a été dit. C’est pourquoi
necessitas est coactionis, ut patet ex dictis; et ideo la conclusion du raisonnement est fausse.
in processu est fallacia consequentis.
[9923] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2 2. La nécessité qui vient d’une supposition de la
Ad secundum dicendum, quod necessitas quae est volonté qui veut de manière immuable ne
ex suppositione voluntatis, immutabiliter aliquid diminue pas le caractère du volontaire, mais elle
volentis, non minuit rationem voluntarii: sed l’augmente plutôt, dans la mesure où elle adhère
auget tanto magis, quanto ponitur firmius plus fermement à ce qui est voulu, de telle sorte
inhaerens volito, ut moveri non possit. qu’elle ne peut être mue.
[9924] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3 3. Pour ce qui est de la puissance de Dieu, Dieu
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Ad tertium dicendum, quod quantum est de pourrait remettre le péché sans aucune peine, et
potentia Dei, Deus posset peccatum absque omni il ne serait pas injuste s’il faisait cela; mais, du
poena dimittere, nec injustus esset, si hoc faceret: point de celui qui a péché, selon l’ordre que Dieu
sed quantum est ex parte illius qui peccavit, a maintenant établi pour les choses, le péché ne
secundum ordinem quem nunc Deus imposuit peut être remis convenablement sans peine. Et il
rebus, non potest peccatum congrue sine poena n’en découle pas, si une partie de la peine est
dimitti. Nec sequitur, si congrue pars poenae remise de manière convenable, que la totalité de
dimittitur, quod etiam congrue tota dimittatur, la peine soit remise convenablement, pour deux
propter duo. Primo, quia effectus habet aliquid et raisons. Premièrement, parce que l’effet reçoit
ab agente et a recipiente; unde sicut in collatione quelque chose de l’agent et de ce qui reçoit.
divinorum donorum, donum ex parte dantis elevat Comme dans l’octroi des dons divins, le don, du
recipientem supra statum suum, ex parte autem point de vue de celui qui donne, élève celui qui
recipientis est infra modum quo Deus influit; ita reçoit au-dessus de son état, mais, du point de
in remissione peccatorum oportet quod sit aliquid vue de celui qui reçoit, il est inférieur à la
ex parte misericordiae remittentis, ut aliquid de manière dont Dieu le donne, de même, pour la
poena debita dimittatur, et aliquid ex parte rémission des péchés, il est nécessaire qu’il
recipientis, ut scilicet in aliquo puniatur. Secundo, existe quelque chose du point de vue de la
quia remissio poenae quae fit aliis hominibus, miséricorde qui remet, et quelque chose du point
praecipue poenae satisfactoriae, fundatur supra de vue de celui qui reçoit, à savoir qu’il puni par
virtutem satisfactoriam Christi, quae quelque chose. Deuxièmement, parce que la
superabundavit ad amovendas omnes poenas rémission de la peine accordée aux hommes,
quantum in se fuit; unde oportet quod particulata principalement de la peine satisfactoire, s’appuie
satisfactio fundetur supra satisfactionem Christi sur la puissance satisfactoire du Christ, qui a
condignam, sicut imperfectum in quolibet genere surabondé en elle-même pour enlever toutes les
oritur ex perfecto. peines. Il est donc nécessaire qu’une satisfaction
particulière se fonde sur la juste satisfaction du
Christ, comme ce qui est imparfait dans
n’importe quel genre vient de ce qui est parfait.
[9925] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4 3. Chez celui à qui Dieu donne ses dons
Ad quartum dicendum, quod in eo cui Deus dat gratuitement, il n’existe rien qui s’oppose à ces
sua dona gratis, non est aliquid quod donis illis dons et qui rende la collation des dons
repugnet, faciens collationem donorum inappropriée; mais chez celui qui a péché, il
indecentem; sed in eo qui peccavit, est aliquod existe quelque chose qui s’oppose à l’impunité.
quod repugnat impunitati; et ideo ex parte C’est pourquoi ce n’est pas la même chose du
creaturae non est simile. point de vue de la créature.

Articulus 2 [9926] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. Article 2 – Une pure créature aurait-elle pu
2 tit. Utrum aliqua pura creatura potuerit satisfaire pour la nature humaine ?
satisfacere pro humana natura
[9927] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad 1. Il semble qu’une pure créature pouvait
secundum sic proceditur. Videtur, quod aliqua satisfaire pour la nature humaine. En effet, de
pura creatura satisfacere poterat pro humana même qu’une satisfaction est due pour un péché,
natura. Sicut enim pro peccato debetur satisfactio, de même une action de grâce est-elle due pour
ita pro beneficio debetur gratiarum actio. Sed un bienfait. Or, l’action de grâce, autant que
sufficit Deo gratiarum actio quantum homo potest l’homme puisse la rendre, suffit pour Dieu,
sibi reddere, etiam si non sit suis beneficiis même si elle n’est pas égale à ses bienfaits, car,
aequalis: quia, ut dicit philosophus, secundum ainsi que le dit le Philosophe, « l’homme qui sert
potentiam famulans homo diis et patribus, videtur les dieux et les ancêtres autant qu’il le peut
justus esse, quamvis ad aequalia non possit. Ergo semble juste, même s’il ne peut le faire selon
videtur quod similiter sit sufficiens satisfactio l’égalité ». Il semble donc que soit de même
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quam homo potest reddere ad expiandum suffisante la saitsfaction que l’homme peut
peccatum. rendre en vue d’expier le péché.
[9928] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Le bien est plus puissant pour agir que le mal,
Praeterea, bonum est potentius ad agendum quam car « le mal agit en vertu du bien », comme le dit
malum: quia malum agit virtute boni, ut dicit Denys. Or, une seule pure créature a pu infecter
Dionysius. Sed una pura creatura potuit per actum toute la nature humaine. À bien plus forte raison,
malum totam humanam naturam inficere. Ergo une pure créature peut donc par un seul acte bon
multo fortius potest per unum bonum actum pro satisfaire pour toute la nature humaine.
tota humana natura satisfacere pura creatura.
[9929] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Ce semble être une grande cruauté pour un
Praeterea, magnae crudelitatis videtur esse in seigneur ou pour un juge d’exiger de quelqu’un
domino vel judice, exigere ab aliquo plus quam plus qu’il ne peut. Or, la cruauté est très éloignée
possit. Sed a Deo longe est omnis crudelitas. Ergo de Dieu. Il n’exige donc pas de quelqu’un plus
non exigit ab aliquo plus quam possit. Ergo qu’il ne peut. Un pur homme pouvait donc
satisfactionem quam Deus ab homine requirebat, accomplir la satisfaction que Dieu exigeait de
purus homo facere poterat. l’homme.
[9930] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4 4. La nature n’est restaurée que chez les
Praeterea, natura non reparatur nisi in individuis, individus, comme on l’a dit plus haut. Or, un
ut supra dictum est. Sed unus homo est ita bonus seul homme est aussi bon que la nature humaine
sicut humana natura quae est in ipso. Ergo unus qui se trouve en lui. Un seul homme pouvait
homo satisfacere poterat pro natura humana quae donc satisfaire pour la nature humaine qui se
est in ipso, et omnes pro humana natura in trouve en lui, et tous pour la nature humaine qui
omnibus individuis existente. existe chez tous les individus.
[9931] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 5 5. La nature angélique est supérieure à la nature
Praeterea, natura angelica est supra humanam. humaine. Mais ce qui est meilleur peut être
Sed quod melius est, potest accipi pro accepté en compensation pour ce qui est moins
recompensatione minus boni. Ergo Angelus bon. L’ange pouvait donc satisfaire pour la
poterat pro humana natura satisfacere. nature humaine.
[9932] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] seul pouvait restaurer celui qui
Sed contra, ille solus reparare potuit qui potuit avait créé. Or, seul Dieu pouvait créer la nature
condere. Sed solus Deus humanam naturam humaine. Seul, il pouvait donc la restaurer. Pour
condere potuit: ergo ipse solus potuit reparare. que quelqu’un restaure la nature en satisfaisant,
Ergo ad hoc quod naturam aliquis satisfaciendo il fallait donc qu’il soit Dieu.
repararet, oportuit quod esset Deus.
[9933] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Dès l’instant de sa création, l’homme avait
Praeterea, homo in instanti suae conditionis tantae une telle dignité qu’il n’était débiteur d’aucune
erat dignitatis quod nulli creaturae debitor erat créature pour sa béatitude. Or, il est débiteur et
ratione suae beatitudinis. Sed est debitor et redevable de sa béatitude à celui qui l’a rétabli
obnoxius ratione suae beatitudinis ei qui ipsum ad dans la béatitude. Si donc la restauration avait
beatitudinem reparavit. Ergo si per aliquam puram été accomplie par une pure créature, l’homme
creaturam facta esset reparatio, non esset homo n’aurait pas été rendu à sa dignité première.
redditus pristinae dignitati.
[9934] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Personne ne peut rendre à un autre ce qu’il
Praeterea, nullus pro alio reddere potest quod pro doit pour lui-même. Or, toute créature doit à
se ipso debet. Sed quaelibet creatura totum quod Dieu tout ce qu’elle est. Aucune pure créature ne
est, Deo debet. Ergo nulla pura creatura potest pro peut donc satisfaire suffisamment pour une autre.
alia sufficienter satisfacere.
[9935] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 co. Réponse. Comme on l’a dit, il fallait qu’une
Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, juste satisfaction soit accomplie pour la nature
oportebat quod pro peccato humanae naturae humaine, tant parce que l’homme ne serait pas
601

fieret condigna satisfactio: tum quia aliter homo autrement rétabli dans sa dignité première, que
non restitueretur pristinae dignitati: tum quia est parce qu’il est convenable qu’il existe un
conveniens esse unum primum in genere premier parfait dans le genre de la satisfaction,
satisfactionis perfectum, supra quod omnes aliae sur lequel toutes les autres satisfactions seraient
imperfectae satisfactiones fundentur. Ad hoc fondées. Or, pour que la satisfaction soit juste, il
autem quod satisfactio esset condigna, oportebat fallait qu’elle possède une puissance infinie, car
quod haberet virtutem infinitam: quia peccatum le péché pour lequel la satisfaction était
pro quo fiebat satisfactio, infinitatem quamdam accomplie avait une certaine infinité sous trois
habebat ex tribus. Primo ex infinitate divinae aspects. Premièrement, en raison de l’infinité de
majestatis, inquantum offensa fuerat per la majesté divine, dans la mesure où l’offense
contemptum inobedientiae: quanto enim major est avait été faite par le mépris de la désobéissance.
in quem peccatur, tanto est gravior culpa. En effet, plus est grand celui contre qui l’on
Secundo ex bono quod per peccatum auferebatur, pèche, plus la faute est grave. Deuxièmement, en
quod est infinitum, idest ipse Deus, cujus raison du bien qui est infini et qui était enlevé
participatione fiunt homines beati. Tertio ex ipsa par le péché, à savoir, Dieu, par la participation à
natura quae corrupta erat, quae quidem qui les hommes sont rendus bienheureux.
infinitatem quamdam habet, inquantum in ea Troisièmement, en raison de la nature elle-même
possunt supposita in infinitum multiplicari. Actio qui avait été corrompue, qui possède une certaine
autem purae creaturae non potest habere infinitam infinité dans la mesure où les suppôts peuvent
efficaciam: et ideo nulla pura creatura poterat être multipliés en elle à l’infini. Or, l’action
sufficienter satisfactionem facere. d’une pure créature ne peut avoir une efficacité
infinie. C’est pourquoi aucune simple créature ne
pouvait accomplir une satisfaction suffisante.
[9936] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Il est impossible que l’homme soit amené au
primum ergo dicendum, quod impossibile est ut point de ne pas être toujours débiteur envers
homo ad hoc perducatur ut semper Deo debitor Dieu d’une action de grâce, dans la mesure où il
non sit gratiarum actionis, quasi ab eo habens tient de lui tout ce qu’il est. C’est pourquoi il
totum quod est: ideo non exigitur in gratiarum n’est pas requis pour l’action de grâce qu’elle
actione ut sit aequivalens donis perceptis. Sed soit équivalente aux dons reçus. Mais il est
possibile est hominem esse in tanta dignitate, possible que l’homme ait une dignité telle que
quanta fuit in statu innocentiae: et ideo ad celle qui existait dans l’état d’innocence. C’est
perfectam reparationem, per quam totum reparatur pourquoi, pour la restauration parfaite par
quod reparari potest, exigitur quod satisfactio sit laquelle est restauré tout ce qui peut être
aequivalens culpae. restauré, il est requis que la satisfaction soit
équivalente à la faute.
[9937] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. En comparant le bien et le mal qui
secundum dicendum, quod comparando bonum et correspondent proportionnellement à leurs effets,
malum ad effectus ejus proportionabiliter le bien est plus puissant que le mal, car le bien
respondentes, bonum potentius est quam malum: agit par sa propre puissance, alors que le mal
quia bonum agit virtute sua, malum autem non n’agit que par la puissance du bien. Cependant,
nisi per virtutem boni. Sed tamen homo potest l’homme peut plus facilement accomplir un acte
facilius in actum malum quam in actum perfecte mauvais qu’un acte parfaitement bon, car plus de
bonum: quia plura requiruntur ad bonum quam ad choses sont nécessaires pour le bien que pour le
malum, quod ex uno singulari defectu contingit. mal, qui survient en raison d’une seule carence
Et ideo purus homo potuit in actum malum qui particulière. C’est pourquoi un pur homme
erat proportionatus ad corrumpendum totam pouvait accomplir un acte mauvais qui était
humanam naturam; non autem potuit in actum susceptible de corrompre toute la nature
bonum ita perfecte quod esset proportionatus ad humaine, mais il ne pouvait pas accomplir aussi
reparationem. parfaitement un acte bon, qui serait proportionné
à la restauration.
602

[9938] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Ce serait de la cruauté pour un maître d’exiger


tertium dicendum, quod esset crudelitas in plus que [le serviteur] ne peut, à moins que ne
domino exigere plus quam possit, nisi cum hoc soit donné en même temps au serviteur ce par
etiam servo detur unde solvere possit quod quoi il puisse acquitter ce qui est exigé. Aussi sa
exigitur; unde in hoc maxime ejus misericordia miséricorde est-elle louée au plus haut point du
commendatur quod ab homine perfectam fait qu’il exige de l’homme une parfaite
satisfactionem exigit, ut perfecte reparetur: et quia satisfaction, de sorte qu’il soit parfaitement
hoc per se non poterat, ei filium suum, qui posset, restauré, et parce que ce que celui-ci ne pouvait
dedit. pas accomplir, son Fils, qui le pouvait, le lui
donnerait.
[9939] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Bien que la nature n’ait pas été pas corrompue
quartum dicendum, quod quamvis natura non sit et n’ait pas besoin d’être restaurée, si ce n’est
corrupta, nec reparatione indigens, nisi secundum qu’elle se trouve dans la personne, une certaine
quod est in persona; tamen aliqua corruptio corruption revient cependant à la nature, non pas
debetur naturae, non secundum quod est selon qu’elle est déterminée dans cette personne,
determinata in hac persona, sed secundum hoc mais selon qu’elle se trouve chez tous ceux qui
quod est in omnibus illis qui per vitiatam ont reçu d’Adam la nature humaine par une
originem ab Adam humanam naturam acceperunt; origine viciée. Aussi un seul homme ne peut-il
unde pro ista communi corruptione non potest satisfaire pour cette corruption commune, ni tous
unus solus satisfacere, nec etiam simul omnes: ensemble, car la nature dépasse même tous ceux
quia natura excedit etiam illos omnes qui naturam qui possèdent la nature humaine, puisqu’elle
humanam habent, cum ad plures se extendere peut s’étendre à un plus grand nombre.
possit.
[9940] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Bien que l’ange soit supérieur à l’homme
quintum dicendum, quod Angelus quamvis sit quant à sa nature, il ne l’est pas quant à la gloire,
homine superior quantum ad naturam, non tamen par laquelle nous serons égaux aux anges. C’est
quantum ad gloriam, in qua aequales Angelis pourquoi l’ange ne peut rétablir la nature
erimus: et ideo Angelus ad gloriam non potest humaine dans la gloire, et même, puisqu’il est
humanam naturam reparare: et etiam, cum sit une créature, tout ce qu’il peut, il le doit à Dieu.
creatura, quidquid potest, Deo debet.
Articulus 3 [9941] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. Article 3 – La satisfaction devait-elle être
3 tit. Utrum debuerit fieri satisfactio per accomplie par la passion du Christ ?
passionem Christi
[9942] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad 1. Il semble que la satisfaction ne devait pas être
tertium sic proceditur. Videtur quod satisfactio accomplie par la passion du Christ. En effet, un
non debuit fieri per passionem Christi. Minus péché moindre n’est pas expié par un plus grand,
enim peccatum non expiatur per majus, sed magis mais plutôt aggravé. Or, le péché de ceux qui ont
aggravatur. Sed majus fuit peccatum occidentium tué le Christ était plus grand que le fait de
Christum quam comestio pomi vetiti, qua natura manger un fruit défendu, par quoi la nature
humana corrupta est. Ergo corruptio humanae humaine a été corrompue. La corruption de la
naturae non potest expiari per passionem Christi. nature humaine ne peut donc être expiée par la
passion du Christ.
[9943] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Rien de corporel n’a la même valeur qu’une
Praeterea, nihil corporale est aequivalens rei réalité spirituelle. Or, la vie du Christ, que celui-
spirituali. Sed vita Christi, quam per passionem ci a donnée par sa passion, était la vie corporelle.
Christus dedit, fuit vita corporalis. Ergo non fuit Elle ne suffisait donc pas à compenser la vie
sufficiens ad recompensandum vitam spiritualem, spirituelle, qui avait été perdue par le péché.
quae per peccatum amissa erat.
[9944] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Le péché du premier homme, par lequel la
Praeterea, peccatum primi hominis, per quod nature humaine a été corrompue, était un péché
603

natura humana corrupta est, fuit peccatum d’orgueuil, comme on l’a dit dans le livre II,
superbiae, ut in 2 Lib., distinct. 22, quaest. 1, art. d. 22, q. 1, a. 1. Or, l’humilité du Christ a été
1, dictum est. Sed major fuit humilitas Christi in plus grande, dans l’assomption de la nature
assumptione humanae naturae, quando exinanivit humaine, que l’orgueuil d’Adam, alors qu’il
semetipsum, formam servi accipiens, quam s’est dépouillé de lui-même en prenant la forme
superbia Adae. Ergo ex ipsa assumptione de l’esclave. Par l’assomption même de la nature
humanae naturae sufficienter fuit satisfactum pro humaine, la satisfaction pour le péché de
peccato hominis, et ita non fuit conveniens quod l’homme était donc suffisante, et ainsi il ne
Christus pateretur. convenait pas que le Christ souffre.
[9945] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Bernard dit qu’une goutte du sang du Christ
Praeterea, Bernardus dicit, quod una gutta était un prix suffisant pour notre rédemption. Or,
sanguinis Christi fuit sufficiens pretium nostrae un peu de sang du Christ a été versé lors de sa
redemptionis. Sed aliquid de sanguine Christi circoncision. Il n’était donc pas nécessaire qu’il
effusum est in circumcisione. Ergo non oportebat souffre davantage.
quod ulterius pateretur.
[9946] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 5 5. La contrition en nous qui péchons peut être
Praeterea, tanta potest esse contritio in nobis assez grande pour que la totalité du péché soit
peccantibus quod totum peccatum dimittatur et remise quant à la peine et quant à la faute. Or,
quantum ad poenam, et quantum ad culpam. Sed chez le Christ, la charité la plus parfaite a existé
in Christo ab instanti suae conceptionis fuit dès l’instant de sa conception, [charité] qui
perfectissima caritas, quae contritioni vim tribuit donne à la contrition la capacité de purifier du
expurgandi peccatum. Ergo Christus ab instanti péché. Le Christ a donc satisfait suffisamment
suae conceptionis sufficienter satisfecit pro pour tous nos péchés dès l’instant de sa
omnibus peccatis nostris; et ita non oportuit quod conception; ainsi, il n’était pas nécessaire qu’il
per passionem mortis satisfaceret. satisfasse en supportant la mort.
[9947] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 arg. 6 6. La peine, par laquelle quelqu’un est puni,
Praeterea, poena, qua quis punitur, quantitatem reçoit une quantité, pour ce qui est de sa capacité
accipit, quantum ad virtutem satisfaciendi, ex de satisfaire, par la condition de celui qui la
conditione patientis. Sed Christus, inquantum supporte. Or, le Christ, en tant qu’il est Dieu et
Deus est et homo, habet infinitam dignitatem. homme, possède une dignité infinie. Toute peine
Ergo quaelibet poena quam sustinuit, scilicet qu’il a endurée : la faim, la fatigue et les choses
fames, fatigatio, et hujusmodi, fuit sufficiens ad de ce genre, suffisait donc à satisfaire pour tout
satisfaciendum pro toto humano genere: ergo non le genre humaine. Il n’était donc pas nécessaire
oportuit quod mortem pateretur. qu’il supporte la mort.
[9948] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] He 2, 10 dit : Il convenait…
Sed contra, Hebr. 2, 10: decebat eum (...) per qu’il atteigne sa perfection par la passion.
passionem consummari.
[9949] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] L’homme était débiteur de la mort. S’il
Praeterea, homo erat debitor mortis. Ergo si devait satisfaire pour les autres en compensant, il
debuit pro aliis satisfacere recompensando, fallait que [le Christ] acquitte la mort qu’il ne
oportuit quod ipse mortem, quam non debebat, devait pas.
exsolveret.
[9950] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] Le Christ ne devait pas seulement vaincre
Praeterea, Christus non solum debuit hostem l’ennemi, mais aussi nous donner l’exemple de la
vincere, sed etiam exemplum vincendi nobis dare. victoire. Il devait donc se montrer vainqueur
Ergo debuit in difficillimis victor existere. Sed dans les choses les plus difficiles. Or, supporter
difficillimum est mortem sustinere. Ergo debuit la mort est ce qu’il y a de plus difficile. Il devait
per passionem mortis nos liberare. donc nous libérer en supportant la mort.
[9951] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 co. Réponse. La satisfaction du Christ n’était pas
Respondeo dicendum, quod Christi satisfactio fuit uniquement pour un seul homme, mais pour
604

non pro uno homine tantum, sed pro tota humana toute la nature humaine. Elle devait donc
natura; unde duas conditiones concernere debuit: comporter deux conditions : être d’une certaine
ut esset universalis respectu omnium manière universelle par rapport à toutes les
satisfactionum quodammodo, et ut esset satisfactions, et être le modèle de toutes les
exemplaris omnium satisfactionum particularium. satisfactions particulières. Or, elle n’était pas
Universalis autem erat non per praedicationem de universelle par attribution à plusieurs, comme si
multis, quasi per multas particulares satisfactiones elle était multipliée par plusieurs satisfactions
multiplicata, sed habens virtutem respectu particulières, mais en tant qu’elle possédait une
omnium; unde non oportebat quod ipse omnes puissance par rapport à tous. Aussi n’était-il pas
poenas quae ex peccato quocumque modo nécessaire qu’il assume en lui-même toutes les
consequi possent, assumeret in seipso; sed illam peines qui pourraient découler du péché de
ad quam omnes ordinantur, et quae continet in se quelque façon, mais celle à laquelle toutes sont
virtute omnes poenas, quamvis non actu. Finis ordonnées et qui contient en elle-même en
autem omnium terribilium est mors, ut dicit puissance toutes les peines, bien que non en acte.
philosophus, 3 Ethic.; et ideo per passionem Or, la fin de tout ce qui est à craindre est la mort,
mortis debuit satisfacere. Inquantum vero fuit comme le dit le Philosophe, Éthique, III. Aussi
exemplaris respectu nostrarum satisfactionum, devait-il satisfaire en supportant la mort. Mais,
debuit habere magnitudinem excedentem omnes en tant qu’il était le modèle de nos satisfactions,
alias satisfactiones, quia exemplar debet esse [la satisfaction du Christ] devait avoir une
praestantius exemplato; et ideo secundum ampleur qui dépassait toutes les autres
maximam poenarum debuit satisfacere, scilicet satisfactions, car le modèle doit l’emporter sur ce
mortem. qui le reproduit. C’est pourquoi il devait
satisfaire selon la plus grande des peines, la
mort.
[9952] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. La passion du Christ n’était pas satisfactoire
primum ergo dicendum, quod passio Christi non du point de vue de ceux qui ont tué le Christ,
fuit satisfactoria ex parte occidentium Christum, mais du point de vue de ce que lui-même
sed ex parte ipsius patientis, qui ex maxima supportait, lui qui a voulu souffrir par la plus
caritate pati voluit; et secundum hoc fuit Deo grande charité. Sous cet aspect, elle fut agréée
accepta. par Dieu.
[9953] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. La vie corporelle du Christ avait une certaine
secundum dicendum, quod vita corporalis Christi valeur infinie du fait qu’elle était unie à la
habebat quemdam infinitum valorem ex divinitate divinité, pour autant qu’elle n’était pas la vie
conjuncta, inquantum non erat vita puri hominis, d’un pur homme, mais de Dieu et de l’homme.
sed Dei et hominis: et ideo poterat esse sufficiens La compensation de la vie spirituelle pouvait
recompensatio vitae spiritualis, et praecipue donc être suffisante, surtout en raison de la
ratione caritatis eximiae ex qua offerebatur. charité éminente par laquelle elle était offerte.
[9954] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Dans le péché d’Adam, il n’y avait pas
tertium dicendum, quod in peccato Adae non seulement de l’orgueuil, mais du plaisir. Aussi,
solum fuit superbia, sed delectatio: et ideo in pour la satisfaction, ne devait-il pas y avoir
satisfactione non solum debuit esse humilitas, seulement de l’humilité, ce qui a été réalisé par
quod in incarnatione factum est, sed etiam l’incarnation, mais aussi une douleur aiguë, qui
acerbitas doloris, quod in passione accidit. se produisit dans la passion.
[9955] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Bien qu’une goutte de sang, qu’il a versée lors
quartum dicendum, quod quamvis gutta sanguinis de la circoncision, était suffisante pour toute la
quam in circumcisione fudit, esset sufficiens ad satisfaction, en prenant en considération la
omnem satisfactionem, considerata conditione condition de la personne, elle ne l’était
personae, non tamen quantum ad genus poenae: cependant pas pour ce qui était du genre de
quia pro morte ad quam humanum genus peine, car, pour la mort à laquelle le genre
obligatum erat, oportebat quod mortem humain avait été obligé, il fallait qu’il acquitte la
605

exsolveret. mort.
[9956] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. La contrition ne tient pas sa puissance
quintum dicendum, quod contritio non tantum seulement de la charité, mais aussi de la douleur.
habet vim ex caritate, sed etiam ex dolore; et ideo Aussi, en raison de la charité, détruit-elle la
ratione caritatis delet culpam, ratione autem faute, mais, en raison de la douleur, est-elle
doloris computatur in satisfactionem poenae. comptée comme satisfaction de la peine.
[9957] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 3 ad 6 Ad 6. Les autres peines que le Christ a supportées,
sextum dicendum, quod aliae poenae quas bien qu’elles aient été suffisantes comme
Christus sustinuit, quamvis sufficientes essent ad satisfaction pour la nature humaine, si l’on prend
satisfaciendum pro humana natura, considerata en compte la condition de celui qui souffrait, [ne
conditione patientis, non tamen considerato l’était] cependant pas, si l’on prend en compte le
genere poenae: quia in poenis illis non genre de la peine, car, dans ces peines, n’étaient
continebantur omnes aliae poenae, sicut in pas contenues toutes les autres peines, comme
passione mortis continentur. elles sont contenues dans la passion de la mort.
Articulus 4 [9958] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. Article 4 – Un autre mode de satisfaction
4 tit. Utrum fuerit possibilis alius modus était-il possible ?
satisfaciendi
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Un autre mode de
satisfaction était-il possible ?]
[9959] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 1. Il semble qu’un autre mode [de satisfaction]
1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod alius n’était pas possible. À propos de He 2, 10 : Il
modus non fuerit possibilis. Hebr. 2, 10: decebat convenait qu’il atteigne la perfection… par la
eum per passionem (...) consummari; dicit Glossa: passion, la Glose dit : « À moins que le Christ ne
nisi Christus pateretur, homo non redimeretur. meure, l’homme ne serait pas racheté. »
[9960] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 2. Anselme dit dans le livre Pourquoi Dieu s’est-
2 Praeterea, Anselmus in Lib. cur Deus homo: il fait homme ? : « Le calice ne pouvait pas
non potuit transire calix, nisi biberet; non quia passer sans qu’il le boive : non qu’il n’ait pu
mortem vitare nequiverit, sed quia aliter mundus éviter la mort, mais parce que le monde ne
salvari non posset. Ergo videtur quod alius modus pouvait pas être sauvé autrement. » Il semble
possibilis non fuit. donc qu’un autre mode n’était pas possible.
[9961] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 3. La plus petite inconvenance est impossible
3 Praeterea, minimum inconveniens est Deo pour Dieu. Or, il ne convenait pas de remettre le
impossibile. Sed inconveniens est peccatum péché sans une juste satisfaction, comme on l’a
dimittere sine debita satisfactione, ut dictum est. dit. Puisqu’une juste satisfaction ne pouvait
Cum igitur debita satisfactio non potuerit esse nisi exister sans ce mode, il semble donc qu’un autre
per modum istum, videtur quod alius modus mode n’était pas possible.
possibilis non fuit.
[9962] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 arg. 4. Quelque chose de faux ne peut être objet de la
4 Praeterea, fidei non potest subesse falsum. Sed foi. Or, les pères anciens ont cru que le Christ
antiqui patres crediderunt Christum passurum. devait souffrir. Il ne pouvait donc en être
Ergo non potuit aliter esse. autrement.
[9963] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Grégoire dit, dans les Morales,
1 Sed contra, Gregorius, 20 Lib. Moral.: qui fecit XX : « Celui qui nous a créés de rien, pouvait
nos de nihilo, revocare etiam sine morte et aussi nous rappeler sans sa mort et sa passion. »
passione sua nos potuit.
[9964] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 s. c. [2] Lc 1, 37 dit : Rien de ce que Dieu dit n’est
2 Praeterea, Luc. 1, 37: non erit impossibile apud impossible. Il aurait donc pu nous libérer de
Deum omne verbum. Ergo quocumque alio modo n’importe quelle autre façon.
potuisset nos liberare.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Une autre mode de
606

satisfaction aurait-il été plus convenable ?]


[9965] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 1. Il semble qu’un autre mode aurait été plus
1 Ulterius. Videtur quod alius modus fuisset convenable. En effet, si le Christ avait subi une
convenientior. Si enim Christus mortem subiisset mort naturelle, le genre humain aurait été quand
naturalem, nihilominus genus humanum même racheté, car il aurait acquitté une mort
redemptum fuisset: quia mortem solvisset quam qu’il ne devait pas. Or, cela aurait pu être sans
non debebat. Sed hoc fuisset sine peccato alicujus. péché de la part d’un autre. Il semble donc que
Ergo videtur quod hic fuisset modus ce mode aurait été plus convenable, car une
convenientior: quia unumquodque tanto est chose est d’autant plus convenable que moins
convenientius, quanto ad ipsum pauciora d’inconvénients en découlent.
inconvenientia sequuntur.
[9966] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 2. Le Diable nous avait injustement assaillis,
2 Praeterea, Diabolus nos omnino injuste alors qu’il n’avait aucun droit sur nous. Or, rien
invaserat, nec aliquod jus in nobis habebat. Sed n’est plus approprié que la force soit repoussée
nihil est convenientius quam quod vis vi par la force. Le mode le plus convenable aurait
repellatur. Ergo convenientissimus modus fuisset donc été qu’il nous arrache au pouvoir du Diable
ut per potentiam nos eriperet a potestate Diaboli, par sa puissance, et non en nous rachetant.
non redimendo.
[9967] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 3. Il était venu libérer l’homme du pouvoir du
3 Praeterea, ipse venerat a Daemonis potestate Démon, et non du pouvoir de l’homme. Il aurait
hominem liberare, non autem a potestate hominis. donc été plus approprié que le Démon souffre
Ergo convenientius fuisset quod a Daemone plutôt qu’un homme.
passus fuisset, quam ab homine.
[9968] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 arg. 4. Le Christ était venu pour attirer les hommes à
4 Praeterea, Christus ad hoc venit ut homines ad lui. Or, un plus grand nombre l’aurait suivi s’il
se traheret. Sed plures eum sequerentur, si per avait marché sur un chemin de plaisirs, que ce
viam deliciarum incessisset, quam quod per viam n’a été le cas du chemin de la passion, par lequel
passionis de hoc mundo exivit. Ergo videtur quod il est sorti de ce monde. Il semble donc que ce
ille fuisset convenientior modus. mode aurait été plus approprié.
[9969] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. Cependant, [1] à propos de Ps 21 : Et non pour
1 Sed contra, super illud Psalm. 21: et non ad ma folie, la Glose dit : « Il n’y avait pas de mode
insipientiam mihi, dicit Glossa: nullus plus approprié pour notre rédemption que
convenientior modus nostrae redemptionis fuit, l’homme, qui était tombé par orgueuil, se relève
quam quod homo, qui per superbiam ceciderat, par l’humilité. »
per humilitatem resurgeret.
[9970] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 s. c. [2] Le plus grand apporte ce qu’il y a de
2 Praeterea, optimi est optima adducere. Si igitur meilleur. Si donc Dieu est le meilleur, il a choisi
Deus est optimus, modum optimum nostrae le meilleur mode pour notre libération.
liberationis elegit.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9971] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Du point de vue de Dieu, un autre mode de notre
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, libération était possible, car sa puissance n’était
quod quantum ex parte Dei est, fuit alius modus pas limitée au mode qui été avait choisi comme
nostrae liberationis possibilis, quia ejus potentia le plus approprié. Cependant, il n’aurait pas eu le
limitata non est, quem si elegisset, caractère d’une rédemption, mais d’une
convenientissimus fuisset: non tamen habuisset libération seulement, car la libération ne serait
rationem redemptionis, sed liberationis tantum, pas réalisée par l’acquittement d’un prix. Mais,
quia liberatio non fuisset facta per solutionem du point de vue de l’homme, n’était pas possible
pretii. Ex parte autem hominis non fuit alius un autre mode que celui que Dieu lui a donné,
modus possibilis nisi quem Deus ei dedit: quia per car il ne pouvait satisfaire par lui-même, mais
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se satisfacere non poterat, sed solum divino seulement par un don de Dieu. Mais, de notre
munere. Sed ex parte nostra simul et Dei fuit point de vue en même temps que de celui de
quidem alius modus possibilis, sed nullus ita Dieu, un autre mode était possible, mais aucun
conveniens. qui ne fût aussi approprié.
[9972] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1 1. Si l’homme avait été libéré d’une autre
Ad primum ergo dicendum, quod si homo alio manière, il n’aurait pas été racheté, car la
modo liberaretur, non redimeretur: quia redemptio rédemption comporte une satisfaction suffisante.
sufficientem satisfactionem importat. Sed tamen Cependant, il pouvait être libéré d’une autre
alio modo liberari potuit. manière.
[9973] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2 2. Anselme parle de notre point de vue, en
Ad secundum dicendum, quod Anselmus loquitur supposant une disposition de Dieu.
quantum est ex parte nostra, supposita Dei
ordinatione.
[9974] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3 3. Bien qu’il soit inapproprié de notre point de
Ad tertium dicendum, quod quamvis sit vue, selon la manière dont Dieu a disposé les
inconveniens ex parte nostra secundum ordinem choses, que le péché soit remis sans satisfaction,
quem Deus rebus posuit, ut peccatum sine s’il l’avait fait, cela aurait été ce qui était le plus
satisfactione dimittatur; tamen si ipse faceret, approprié, car, en même temps qu’il ferait cela, il
convenientissimum esset, quia ipse simul cum hoc donnerait une convenance à la chose.
faceret, aliquam convenientiam in re poneret.
[9975] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4 4. La foi des anciens portait sur la passion à
Ad quartum dicendum, quod fides antiquorum fuit venir du Christ, en supposant que cela arriverait
de passione Christi futura, praesupposita Dei par une disposition de Dieu. La passion du Christ
ordinatione quod ita fieret; ex cujus suppositione, est nécessaire selon une telle supposition,
passio Christi necessitatem habet, ut dictum est. comme on l’a dit.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9976] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 co. De notre point de vue, il ne pouvait exister un
Ad secundam quaestionem dicendum, quod mode plus convenable. Cependant, Dieu ne perd
quantum est ex parte nostra, convenientior modus pas le pouvoir par lequel il aurait pu avoir mis en
esse non potuit. Sed tamen Deo non aufertur œuvre un mode plus convenable, lui dont la
potentia, quin potuisset alium modum puissance n’a pas été limitée. Mais cela serait
convenientiorem fecisse, cujus potentia limitata conforme à un autre ordre imposé aux choses.
non est. Sed hoc esset secundum alium ordinem
rebus impositum.
[9977] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 11. Le Christ devait satisfaire d’une manière
Ad primum ergo dicendum, quod Christus pro suffisante pour tous les péchés, non seulement
omnibus peccatis quantum ad sufficientiam debuit pour le péché originel, mais aussi pour le péché
satisfacere, non solum pro originali, sed etiam pro actuel, pour lequel une peine de mort violente est
actuali, pro quo infligitur violenta mors; et ideo, infligé. Pour que sa satisfaction couvre tous [les
ut sua satisfactio omnem comprehenderet, decens péchés], il convenait donc qu’il meure de la mort
fuit ut morte turpissima quantum ad genus mortis la plus honteuse, pour ce qui est du genre de
moreretur, ut sic non solum sub Angelis mort, afin qu’il ne descende pas seulement au-
descenderet per mortem, sed etiam sub hominibus dessous des anges par la mort, mais aussi au-
per genus mortis, quantum ad acerbitatem simul et dessous des hommes par le genre de mort, par sa
turpitudinem. Nec peccatum aliorum aliquid de cruauté comme par son ignominie. Et le péché
convenientia satisfactionis adimit: quia satisfactio des autres n’enlève rien à la convenance de la
non est ex passione ex parte infligentium satisfaction, car la satisfaction ne vient pas de la
passionem, sed ex parte patientis. souffrance de ceux qui infligent la douleur, mais
de celle de celui qui l’endure.
[9978] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2 2. Bien que le Diable [nous] ait détenus de
608

Ad secundum dicendum, quod quamvis Diabolus manière injuste, nous étions cependant justement
nos injuste detineret, tamen nos juste ab ipso détenus par lui, en supportant sa tyrannie en
detinebamur, ejus tyrannidem propter nostram raison de notre faute. De notre point de vue, il
culpam patientes; unde ex parte nostra fuit était donc convenable de nous arracher à lui en
congruum ut satisfaciendo nos eriperet; ut non satisfaisant, afin que [le Christ] non seulement
solum ipse juste nos liberaret, quod esset si nous libère justement, ce qui serait le cas s’il
violentia uteretur, sed etiam nos juste liberaremur. faisait usage de la violence, mais aussi que nous
soyons libérés justement.
[9979] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3 3. De même que le péché de l’homme a été
Ad tertium dicendum, quod sicut peccatum commis par l’homme à l’instigation du Diable,
hominis fuit commissum ab homine, instigante de même aussi convenait-il, pour que le remède
Diabolo; ita etiam conveniens fuit, ut medicina corresponde à la maladie, que le Christ soit tué
morbo responderet, quod Christus occideretur ab par l’homme sous la persuasion du Diable.
homine suadente Diabolo.
[9980] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4 4. La satisfaction doit avoir le caractère de peine.
Ad quartum dicendum, quod satisfactio debet esse C’est pourquoi, afin qu’il satisfasse pour nous, il
poenalis; et ideo, ut pro nobis satisfaceret, fallait qu’il supporte des peines en ce monde et
oportuit quod in hoc mundo poenas sustineret, et ne fasse pas usage des plaisirs. Ou bien il faut
non deliciis uteretur. Vel dicendum, quod Christus dire que le Christ est venu pour nous détourner
ad hoc venit ut a terrenis bonis, pro quibus des biens terrestres, par lesquels les hommes
homines a Deo recesserant, ad caelestia nos s’étaient éloignés de Dieu, [en nous tournant]
revocaret; et ideo decuit ut terrena bona abjiceret, vers les biens célestes. C’est pourquoi il
quatenus ea contemnendi nobis exemplum daret. convenait qu’il rejette les biens terrestres afin de
nous donner l’exemple de les mépriser.

Articulus 5 [9981] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. Article 5 – Dieu le Père a-t-il livré son Fils à la
5 tit. Utrum Deus pater filium tradiderit ad passion ?
passionem
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Dieu le Père a-t-il livré son
Fils à la passion ?]
[9982] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 1. Il semble que Dieu le Père n’ait pas livré son
1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Deus Fils à la passion. En effet, la cruauté la plus
pater filium non tradiderit ad passionem. Maxima grande consiste à livrer son fils innocent. Or, le
enim crudelitas est filium innocentem tradere. Sed Christ était innocent au plus haut point. Puisqu’il
Christus fuit innocentissimus. Cum ergo n’y a pas de cruauté en Dieu, il semble donc
crudelitas non sit in Deo, videtur quod ipse qu’il n’ait pas livré le Christ à la passion.
Christum ad passionem non tradiderit.
[9983] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 2. Si le Père a livré le Christ à la passion, ce
2 Praeterea, si pater Christum in mortem tradidit, n’était que parce que le Christ est mort par
hoc non fuit nisi quia Christus ex obedientia ad obéissance à son Père. Or, quiconque fait
patrem mortuus est. Sed quicumque facit aliquid quelque chose par obéissance le fait par
ex obedientia, facit ex debito. Ergo Christus obligation. Le Christ était donc débiteur de la
debitor mortis fuit, et sic non fuit mors ejus Deo mort, et ainsi sa mort n’a pas été la plus agréable
gratissima: debitum enim diminuit de gratitudine à Dieu. En effet, le caractère de dette diminue le
actus. caractère agréable d’un acte.
[9984] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 3. Si le Père a livré son Fils, c’est qu’il voulait
3 Praeterea, si pater tradidit filium, ergo voluit qu’il meure. Or, les Juifs aussi ont voulu cela. Ils
eum mori. Sed hoc etiam voluerunt Judaei. Ergo ont donc conformé leur volonté à la volonté
conformaverunt voluntatem suam voluntati divine, et ainsi ils n’ont pas péché.
divinae, et ita non peccaverunt.
609

[9985] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 arg. 4. Le Philosophe dit que parvenir à une fin
4 Praeterea, philosophus dicit, quod pervenire ad bonne par des moyens mauvais est le fait d’un
bonum finem per mala media, est mali mauvais conseiller. Or, le conseil divin est le
consiliatoris. Sed consilium divinum est optimum. meilleur. Si le Christ était mort par le conseil de
Ergo si ex consilio voluntatis patris Christus esset la volonté du Père, ce conseil n’aurait pas été
mortuus, non esset hoc consilium expletum accompli par l’intermédiaire d’actions mauvaises
mediantibus malis actibus Judaeorum; quod des Juifs. Le Père n’a donc pas livré son Fils à la
tamen falsum est. Ergo pater filium ad passionem passion.
non tradidit.
[9986] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. Cependant, [1] Rm 8, 32 dit : Il n’a pas épargné
1 Sed contra, Rom. 8, 32: proprio filio suo non son propre Fils, etc.
pepercit et cetera.
[9987] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 s. c. [2] Toute peine vient de Dieu. Or, la passion du
2 Praeterea, omnis poena est a Deo. Sed passio Christ a été une peine. Elle venait donc de Dieu.
Christi quaedam poena fuit. Ergo fuit a Deo.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La passion du Christ était-
elle bonne ?]
[9988] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 1. Il semble que la passion du Christ n’ait pas été
1 Ulterius. Videtur quod passio Christi non fuerit bonne, car, selon Boèce, ce dont la génération est
bona. Quia secundum Boetium, cujus generatio bonne, la corruption est mauvaise. Or, la
est bona, corruptio est mala. Sed generatio Christi génération du Christ était la meilleure. La
fuit optima. Ergo passio mortis ipsius fuit passion de sa mort était donc la plus mauvaise.
pessima.
[9989] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 2. Tout ce qui est injuste est mauvais. Or, le
2 Praeterea, omne injustum est malum. Sed Christ a injustement souffert, 1 P 2, 23 : Il s’est
Christus injuste passus est; 1 Petr. 2, 23: tradebat livré à celui qui le jugeait injustement. Cette
autem judicanti se injuste. Ergo illa passio Christi passion était donc mauvaise.
fuit mala.
[9990] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 arg. 3. De même que, dans les choses naturelles, la
3 Praeterea, sicut eadem materia non potest esse même matière ne peut exister sous des formes
in naturalibus sub contrariis formis, ita unus actus contraires, de même un seul acte ne peut, en
in moralibus non potest esse bonus et malus. Sed domaine moral, être bon et mauvais. Or, la
opus Judaeorum, ut dicitur in littera, fuit passio passion du Christ a été l’action des Juifs, comme
Christi. Ergo cum opus Judaeorum fuerit malum, le dit le texte. Puisque l’action des Juifs était
passio Christi non potest dici bona. mauvaise, on ne peut donc dire que la passion du
Christ était bonne.
[9991] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. Cependant, [1] rien n’est agréable à Dieu si cela
1 Sed contra, nihil est Deo acceptum nisi bonum. n’est pas bon. Or, la mort du Christ a été ce qu’il
Sed mors Christi fuit Deo acceptissima: quia ipse y avait de plus agréable à Dieu, car il s’est livré
tradidit semetipsum pro nobis oblationem et lui-même comme offrande et comme victime à
hostiam Deo in odorem suavitatis: Ephes. 5, 2. Dieu avec une odeur suave, Ep 5, 2. La passion
Ergo passio Christi fuit bona. du Christ était donc bonne.
[9992] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 s. c. [2] Tout ce qui vient de la charité est bon. Or, le
2 Praeterea, omne quod est ex caritate, est bonum. Christ est mort et a souffert par la plus grande
Sed Christus ex maxima caritate fuit mortuus et charité. Sa passion était donc la meilleure.
passus. Ergo passio sua fuit optima.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[9993] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 co. Dans la passion du Christ, il faut considérer trois
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, choses. L’une, du point de vue de celui qui
quod in passione Christi fuit tria considerare. souffrait, car il a volontairement souffert par
610

Unum ex parte patientis, quia scilicet voluntarie charité. Une autre, du point de vue de ceux qui le
passus est ex caritate. Aliud autem ex parte tuaient, qui l’ont tué par une volonté injuste. La
occidentium, qui ex iniqua voluntate eum troisième, du point de vue de ceux pour qui il a
occiderunt. Tertium est ex parte ipsorum pro souffert, à savoir, l’effet du salut pour tout le
quibus passus est, scilicet effectus salutis in toto genre humaine. Dieu le Père, bien plus, la Trinité
humano genere. Et secundum hoc tripliciter Deus entière l’a ainsi livré de trois manières. D’une
pater, immo tota Trinitas, eum tradidit. Uno manière, en décidant à l’avance sa passion en
modo, praeordinando passionem ejus ad salutem vue du salut du genre humain. Deuxièmement,
humani generis. Secundo, Christo homini en donnant au Christ homme la volonté et la
voluntatem dando, et caritatem, ex qua pati voluit. charité par lesquelles il a voulu souffrir.
Tertio, dando potestatem, et non cohibendo Troisièmement, en donnant la capacité à la
voluntatem occidentium, sicut dicitur Joan. 19, volonté de ceux qui tuaient et en ne la retenant
11: non haberes in me potestatem, nisi data tibi pas, comme il est dit en Jn 19, 11 : Tu n’aurais
fuisset desuper. pas pouvoir sur moi s’il ne t’était donné d’en
haut.
[9994] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 1 1. Dieu n’a pas livré le Christ à la mort comme
Ad primum ergo dicendum, quod Deus pater non s’il le forçait à mourir, mais en lui donnant la
tradidit Christum in mortem, quasi cogendo ipsum volonté bonne par laquelle il voudrait mourir.
mori, sed dando ei voluntatem bonam qua mori C’est pourquoi il n’en découle pas qu’il y ait de
vellet; et ideo non sequitur quod fuerit aliqua la cruauté en Dieu.
crudelitas in Deo.
[9995] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 2 2. Le Christ n’était pas débiteur de la mort par
Ad secundum dicendum, quod Christus non fuit nécessité, mais par la charité envers les hommes,
debitor mortis ex necessitate, sed ex caritate ad par laquelle il a voulu le salut de l’homme, et par
homines, qua hominis salutem voluit, et ex la charité envers Dieu, par laquelle il a voulu
caritate ad Deum qua ejus voluntatem implere accomplir sa volonté, comme le dit Mt 26, 39 :
voluit, sicut dixit Matth. 26, 39: non sicut ego Non pas comme je veux, mais comme tu veux.
volo, sed sicut tu; et hoc debitum non diminuit Aussi cette dette n’a-t-elle en rien diminué le
aliquid de gratitudine actus. caractère agréable de d’acte.
[9996] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 3 3. La conformité de la volonté humaine à la
Ad tertium dicendum, quod conformitas volonté divine ne consiste pas seulement à
voluntatis humanae ad divinam, non est vouloir ce que Dieu veut, mais à le vouloir de la
simpliciter in volendo quod Deus vult, sed in même manière, c’est-à-dire par charité, comme
volendo eodem modo, idest ex caritate, sicut Deus Dieu veut, ou en vue de la même fin; ou bien, à
vult, vel ad eumdem finem; vel in volendo id vouloir ce que Dieu veut que nous voulions. De
quod Deus vult nos velle; et hoc modo Judaei cette manière, les Juifs n’ont pas conformé leur
voluntatem suam divinae non conformaverunt: volonté à la volonté divine, car ils ont tué le
quia Christum ex nequitia occiderunt ad Christ injustement pour empêcher le salut qu’ils
impediendam salutem, quam ex ejus praedicatione voyaient se réaliser par sa prédication.
sequi videbant.
[9997] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 1 ad 4 4. Accomplir quelque chose de mauvais pour
Ad quartum dicendum, quod facere aliquod obtenir une fin bonne relève d’un mauvais
malum propter bonum finem consequendum, est conseiller; mais faire usage de la méchanceté des
mali consiliatoris; sed uti malitia aliorum, quam autres, qu’on n’accomplit pas soi-même, en vue
ipse non facit, ad bonum finem, hoc est summae d’une fin bonne, relève de la plus grande
sapientiae. sagesse.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[9998] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Le jugement absolu porte sur une chose
Ad secundam quaestionem dicendum, quod lorsqu’elle est envisagée selon qu’elle existe en
judicium absolutum est de re, quando consideratur acte dans la nature des choses : c’est le cas
611

ipsa secundum quod est actu in rerum natura lorsqu’elle est envisagée selon toutes les
existens; et hoc est quando consideratur cum circonstances qui lui appartiennent. Mais
omnibus circumstantiis quae sunt in ipsa. Sed lorsqu’une chose est considérée selon un aspect
quando consideratur res secundum aliquid quod in qui existe dans la chose, sans envisager les
re est sine consideratione aliorum; illud judicium autres, ce jugement ne porte pas sur la chose
non est de re simpliciter, sed secundum quid. Si simplement, mais sous un aspect. Si donc la
igitur consideretur passio secundum quod est in passion est envisagée selon qu’elle existe chez
patiente cum omnibus quae circumstant, scilicet celui qui la supporte, avec tout ce qui l’entoure, à
caritate Christi, et efficacia ipsius, sic est dicenda savoir, la charité du Christ et son efficacité, elle
simpliciter bona. Si autem consideretur secundum peut ainsi être appelée bonne simplement. Mais
quod est passio tantum, scilicet inquantum adimit si elle est envisagée selon qu’elle est une passion
vitam, nihil aliud considerando; sic est malum in seulement, c’est-à-dire selon qu’elle enlève la
genere mali naturae; unde dicenda est bona vie, en n’envisageant rien d’autre, elle est alors
simpliciter, et mala secundum quid. un mal du genre du mal de nature. Ainsi doit-elle
être appelée bonne simplement, et mauvaise sous
un aspect.
[9999] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1 1. La passion du Christ, selon qu’elle entraîne
Ad primum ergo dicendum, quod passio Christi, une corruption, est ainsi mauvaise : c’est là
inquantum est corruptionis inductiva, sic est mala; l’envisager sous un aspect. Mais en tant qu’elle
et hoc est considerare ipsam secundum quid: sed est une passion voulue et ordonnée au salut de
inquantum est passio volita, et ad humanam l’homme, elle est ainsi très bonne.
salutem ordinata, sic est optima.
[10000] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2. Elle a été donnée injustement du point de vue
2 Ad secundum dicendum, quod injuste illata est de ceux qui tuaient; mais, du point de vue de
ex parte occidentium: sed ex parte ipsius patientis celui qui la supportait, elle vient de la volonté la
ex justissima voluntate procedit. plus juste.
[10001] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3. L’action réalisatrice (opus operans) de la part
3 Ad tertium dicendum, quod opus operans des Juifs est simplement un mal; mais la passion,
Judaeorum est malum simpliciter; sed passio, qui est l’acte réalisé (opus operatum) est
quae est opus operatum, est quidem simpliciter simplement bonne, selon qu’elle se trouve chez
bona, secundum quod est in patiente; quamvis celui qui subit, bien qu’elle puisse être appelée
possit dici mala secundum quid secundum quod mauvaise sous un aspect, selon qu’elle se trouve
est in actione illorum sicut in causa, et secundum dans leur action comme dans sa cause et selon
quod est corruptiva naturae; et ita non est ponere qu’elle entraîne une corruption de la nature. Ce
contraria circa idem. n’est donc pas affirmer des contraires à propos
de la même chose.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 20
[10002] Super Sent., lib. 3 d. 20 q. 1 a. 5 qc. 2
expos. Quia sic justitia superatus est Diabolus,
non potentia. Contra. Justitia Dei non potest esse
sine potentia, nec e converso. Dicendum, quod
intelligendum est: non potentia tantum. Sed si
etiam potentia tantum Diabolum superasset, adhuc
esset justitia ex parte nostra. Peccantem peccati
auctor illico invasit. Contra. Magis peccavit
Diabolus quam homo. Ergo magis debuit ipse
invadi quam homo. Dicendum, quod ambos
invasit sententia judicis secundum culpae modum,
612

sed hominem invasit et peccati auctor; tum quia


homo illi se subdidit, tum quia homo ex ordine
naturae sub Angelis erat; unde etiam homini ad
exercitium datur. Praedestinatis tantum effecit
salutem. Contra. Aliqui etiam non praedestinati
gratiam accipiunt. Dicendum, quod loquitur de
salute finali, per quam homo ab omni malo
liberatur. Hic distinguendum est: quia potest
intelligi de opere operante; et sic malum operati
sunt: vel de opere operato; et sic bonum operati
sunt.

Distinction 21 – [La mort du Christ]


Quaestio 1 Question 1 – [La divinité a-t-elle été séparée
de l’humanité dans la mort du Christ ?]

Prooemium Prologue
[10003] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 pr. Après avoir déterminé de ce que le Christ a
Postquam determinavit Magister de his quae assumé avec la nature humaine : la grâce, la
Christus cum humana natura assumpsit, scilicet science et les carences, et de ce qu’il a accompli
gratia et scientia et defectibus, et de his quae per par la nature humaine : les mérites, le Maître
humanam naturam operatus est, scilicet de détermine ici de la mort qu’il a supportée dans sa
meritis; hic determinat de morte quam in humana nature humaine. Cette partie se divise en deux :
natura sustinuit. Dividitur autem haec pars in premièrement, il détermine de ce qui se rapporte
duas: primo determinat ea quae ad mortem Christi à la mort du Christ; deuxièmement, de ce qui
pertinent; secundo ea quae ad mortem Christi découle de la mort du Christ, d. 22, à cet
consequuntur, dist. 22, ibi: hic quaeritur, utrum in endroit : « Ici, on se demande si, pendant ces
illo triduo mortis Christus fuerit homo. Prima trois jours de sa mort, le Christ était un
dividitur in duas: primo inquirit utrum mors fuerit homme. » La première partie se divise en deux :
in Christo secundum separationem deitatis a premièrement, [on se demande] si la mort s’est
carne; secundo, supposito quod non, ostenditur réalisée chez le Christ par la séparation de la
qua ratione Christus dicatur mortuus, ibi: divinité de la chair; deuxièmement, en supposant
recedente vero anima, mortua est Christi caro. que non, il montre pour quelle raison on dit que
Circa primum duo facit: primo movet le Christ est mort, à cet endroit : « Lorsque l’âme
quaestionem; secundo determinat eam, ibi: s’est retirée, la chair du Christ est morte. » À
quidam putaverunt tunc carnem sicut ab anima, propos du premier point, il fait deux choses :
ita a divinitate in morte fuisse divisam. Et circa premièrement, il soulève une question;
hoc duo facit: primo excludit errorem; secundo deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
veritatem confirmat, ibi: sicut Augustinus super « Certains ont pensé qu’alors, de même que la
Joan (...) ait. Circa primum duo facit: primo chair fut divisée de l’âme, de même la divinité le
excludit probationem erroris sumptam ex ratione fut-elle. » À ce propos, il fait deux choses :
et auctoritate Augustini; secundo probationem premièrement, il écarte l’erreur; deuxièmement,
sumptam ex auctoritate Athanasii, ibi: alii quoque il confirme la vérité, à cet endroit : « Comme le
auctoritati innituntur. Circa primum tria facit: dit Augustin en commentant Jean… » À propos
primo ponit rationem ipsorum; secundo du premier point, il fait deux choses :
auctoritatem quae videtur pro eis facere, ibi: huic premièrement, il écarte la démonstration de
suae probabilitati addunt auctoritatis l’erreur tirée d’un raisonnement et de l’autorité
testimonium; tertio solvit, ibi: quibus d’Augustin; deuxièmement, la démonstration
respondemus. Alii quoque auctoritati innituntur. tirée de l’autorité d’Athanase, à cet endroit :
Hic tria facit: primo ponit objectionem ex « D’autres s’appuient aussi sur une autorité… »
613

auctoritate Athanasii; secundo ostendit quod illa À propos du premier point, il fait trois choses :
auctoritas non facit pro eis, ibi: quibus premièrement, il présente leur raisonnement;
respondemus; tertio auctoritatem Athanasii deuxièmement, l’autorité qui semble être en leur
exponit, ibi: sciendum est igitur. Hic est duplex faveur, à cet endroit : « À leur démonstration, ils
quaestio. Prima de morte Christi. Secunda de ajoutent le témoignage d’une autorité »;
resurrectione ejus. Circa primum quaeruntur tria: troisièmement, il la résout, à cet endroit : « Nous
1 utrum in morte Christi fuerit separata deitas ab leur répondons… » « D’autres s’appuient aussi
humanitate; 2 utrum corpus Christi fuerit sur une autorité… » Ici, il fait trois choses :
dissolutum, vel incineratum; 3 utrum debeat premièrement, il présente l’objection tirée de
simpliciter concedi quod Christus, vel filius Dei, l’autorité d’Athanase; deuxièmement, il montre
sit mortuus. que cette autorité ne leur est pas favorable, à cet
endroit : « Nous leur répondons… »;
troisièmement, il explique l’autorité d’Athanase,
à cet endroit : « Il faut donc savoir… » Ici, il y a
une double question : la première, sur la mort du
Christ; la seconde, sur sa résurrection. À propos
du premier point, il pose trois questions : 1 – La
divinité a-t-elle été séparée de l’humanité dans la
mort du Christ ? 2 – Le corps du Christ a-t-il été
dissous ou transformé en cendres ? 3 – Faut-il
concéder simplement que le Christ ou le Fils de
Dieu est mort ?

Articulus 1 [10004] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 Article 1 – La divinité a-t-elle été séparée de la
a. 1 tit. Utrum in morte Christi deitas a carne chair dans la mort du Christ ?
separata sit
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La divinité a-t-elle été
séparée de la chair dans la mort du Christ ?]
[10005] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 1. Il semble que la divinité ait été séparée de la
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in chair dans la mort du Christ. En effet, si on
morte Christi deitas a carne separata sit. Remoto enlève le milieu, les extrêmes qui sont unis par le
enim medio separantur extrema quae per medium milieu sont séparés. Or, comme on l’a dit dans la
conjunguntur. Sed, sicut in 2 dist., quaest. 2, art. d. 2, q. 2, a. 2, qa 1, la divinité était unie à la
2, quaestiunc. 1, dictum est, divinitas chair par l’intermédiaire de l’âme. Si l’âme est
conjungebatur carni mediante anima. Ergo séparée de la chair, la divinité est donc aussi
separata anima a carne, separatur etiam divinitas. séparée.
[10006] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 2. Comme on l’a dit dans la d. 2, q. 1, a. 3, qa 2,
arg. 2 Praeterea, sicut in 2 dist., qu. 1, art. 3, un corps insensible ne peut être assumé. Or, si
quaestiunc. 2, dictum est, corpus insensibile non l’âme est séparée, la chair demeure un corps
est assumptibile. Sed separata anima, caro insensible. Elle ne pouvait donc pas demeurer
remanet quoddam corpus insensibile. Ergo non unie à la divinité, puisque rien ne peut être uni
potuit remanere deitati unita, cum nihil possit esse qui ne puisse être assumé.
unitum quod non est assumptibile.
[10007] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 3. Aucune chose qui a la vie en elle-même n’est
arg. 3 Praeterea, nulla res est mortua quae habet in morte. Or, si la divinité n’avait pas été séparée
se vitam. Sed si deitas in morte a carne separata de la chair par la mort, elle aurait eu en elle-
non fuisset, habuisset in se vitam, quae etiam est même la vie qui est une source de vie
fons indeficiens vitae. Ergo mortua non fuisset. intarissable. Elle ne serait donc pas morte.
[10008] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 4. L’union de la nature humaine à la nature
arg. 4 Praeterea, unio humanae naturae ad divine se réalise par une grâce. Or, le corps n’est
614

divinam est per gratiam. Sed corpus non est capax apte à la grâce que par l’intermédiaire de l’âme.
gratiae nisi mediante anima. Ergo corpus, separata Si l’âme est séparée, le corps ne peut donc pas
anima, non potest remanere deitati unitum. demeurer uni à la divinité.
[10009] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 s. Cependant, [1] on dit que le Fils a reposé au
c. 1 Sed contra, filius dicitur jacuisse in sepulcro: sépulcre, autrement, la foi ne porterait pas sur ce
alias de hoc non esset fides, quae habet objectum point, elle qui a pour objet la Vérité incréée. Or,
veritatem increatam. Sed hoc non dicitur nisi quia on ne dit cela que parce que le corps était dans le
corpus in sepulcro fuit. Ergo deitas a corpore sépulcre. La divinité n’a donc pas été séparée du
separata non fuit. corps.
[10010] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 s. [2] Le pape Léon dit : « L’union de Dieu et de
c. 2 Praeterea, Leo Papa dicit: tanta fuit unio Dei l’homme était si grande qu’elle ne pouvait être
et hominis, ut nec supplicio posset diminui, nec diminuée par le supplice ni séparée par la mort. »
morte distingui. Sed supplicium pati et mori Or, subir un supplice et mourir sont le fait du
corporis est. Ergo corpus in morte a divinitate non corps. Le corps n’a donc pas été séparé de la
est separatum. divinité dans la mort.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La divinité a-t-elle été
séparée de l’âme dans la mort ?]
[10011] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 1. Il semble que la divinité ait été séparée de
arg. 1 Ulterius. Videtur quod deitas sit separata ab l’âme. En effet, comme il est dit dans le texte, les
anima. Utraque enim mors, ut dicitur in littera, deux morts : celle par laquelle le corps est
scilicet qua separatur corpus ab anima, et qua séparée de l’âme et celle par laquelle l’âme est
separatur anima a Deo, Diaboli suasu homini séparée de Dieu, ont été absorbées par l’homme
propinata est. Sed Christus in se accepit mortem, à l’incitation du Diable. Or, le Christ a accepté
qua separatur corpus ab anima, ut a nobis pour lui-même la mort par laquelle le corps est
excluderet quod suasu Daemonis in nobis devenit. séparé de l’âme afin d’écarter ce qui nous et
Ergo simpliciter debuit pati mortem, quae est arrivé à l’instigation du Démon. Il devait donc
separatio animae a deitate. tout simplement subir la mort qui est la
séparation de l’âme et de la divinité.
[10012] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 2. Quiconque remet une chose la sépare de lui-
arg. 2 Praeterea, quicumque deponit aliquid, illud même. Or, le Fils de Dieu dit de lui-même,
a se separat. Sed filius Dei dicit de seipso, Joan. Jn 10, 10 : Je remets mon âme. Il l’a donc
10, 10: ego pono animam meam. Ergo eam a se séparée de lui-même.
separavit.
[10013] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 3. Comme on l’a dit plus haut, d. 5, q. 1, a. 1,
arg. 3 Praeterea, sicut supra, dist. 5, qu. 1, art. 1, qa 3, ce qui unit est ce qui est uni, comme Dieu
quaestiunc. 3, dictum est, uniens est unitum sicut est homme en raison de l’union. Si donc l’âme
ratione unionis Deus est homo. Si igitur anima était unie à Dieu après la mort, on pourrait dire
esset Deo unita post mortem; posset dici, quod que Dieu était l’âme.
Deus esset anima.
[10014] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 4. « La communication des idiômes existe en
arg. 4 Praeterea, ratione unionis Dei ad hominem raison de l’union de Dieu à l’homme », comme
est communicatio idiomatum, ut dicit le dit [Jean] Damascène. Or, les idômes de l’âme
Damascenus. Sed animae idiomata non dicuntur ne sont pas affirmés du Fils de Dieu : en effet, on
de filio Dei: non enim potest dici, quod filius Dei ne peut pas dire que le Fils de Dieu est la forme
sit forma corporis. Ergo non remanet post mortem du corps. L’âme ne demeure donc pas unie au
anima verbo unita. Verbe après la mort.
[10015] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 5. Si le Verbe était uni à l’âme et au corps,
arg. 5 Praeterea, si esset verbum unitum animae et puisque ceux-ci sont réciproquement divisés, il
corpori, cum illa sint ad invicem divisa, essent existerait deux unions du Verbe à ces deux
duae uniones verbi ad illa duo. Sed ante mortem choses. Or, avant la mort, il n’existait qu’une
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erat tantum una unio. Ergo aliqua unio facta est de seule union. Une union a donc de nouveau été
novo in morte Christi; quod est inconveniens. réalisée dans la mort du Christ, ce qui est
inapproprié.
[10016] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 6. L’âme et le corps séparés étaient deux réalités.
arg. 6 Praeterea, anima et corpus separata fuerunt Si donc le Verbe demeurait uni aux deux, il
duo quaedam. Si ergo verbum utrique unitum semble qu’il existait deux ou trois Christ dans la
remansit, videtur quod fuerunt duo vel tria mort, car ce qui unit est ce qui est uni.
Christus in morte: quia uniens est unitum.
[10017] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] l’union de l’âme à Dieu par
c. 1 Sed contra, major est conjunctio animae ad l’union dans la personne est plus grande que
Deum per unionem in persona quam quae est per celle qui se réalise par la jouissance (fruitionem).
fruitionem. Sed anima Deo conjuncta per Or, l’âme unie à Dieu par la jouissance n’est
fruitionem, nunquam ab ipso separatur. Ergo jamais séparée de lui. Encore bien moins a-t-elle
multo minus conjuncta ei per unionem in persona. donc été unie à lui par l’union dans la personne.
[10018] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. [2] On dit que le Fils de Dieu est descendu aux
c. 2 Praeterea, filius Dei dicitur descendisse ad enfers. Or, cela ne convient qu’en raison de
Inferos. Sed hoc non convenit sibi nisi ratione l’âme. Le Fils de Dieu avait donc une âme qui
animae. Ergo filius Dei post mortem habuit lui était unie après la mort.
animam sibi unitam.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10019] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Le corps du Christ n’a pas été séparé de la
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, divinité dans la mort. On peut en donner trois
quod corpus Christi in morte non fuit separatum a raisons. Premièrement, du point de vue de Dieu :
deitate: cujus ratio ex tribus accipi potest. Primo puisqu’il est immuable, il confère l’immuabilité
ex parte Dei: quia cum sit immutabilis, ei quod à ce qui lui a été uni, de sorte que cela adhère à
perfecte sibi conjunctum est incommutabilitatem lui de manière immuable. Deuxièmement, du
praestat, ut scilicet immutabiliter ei adhaereat. point de vue de celui qui est assumé, car il ne
Secundo ex parte ipsius assumpti: quia per devait pas perdre sa dignité, mais plutôt être
mortem, quam ex obedientia patris sustinuit, non glorifié par la mort qu’il a supportée par
debuit suam dignitatem amittere, sed magis obéissance au Père. Troisièmement, en raison de
clarificari. Tertio ex fine assumptionis: quia ea la fin de l’assomption, car ce qui lui est arrivé
quae post mortem ipsius circa ipsum acta sunt, après sa mort ne nous aurait pas été salutaire si la
salutaria nobis non fuissent, nisi deitas adjuncta divinité n’y avait pas été unie.
esset.
[10020] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1. Comme on l’a dit plus haut, d. 2, q. 2, a. 1,
1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut supra, qa 1, par rapport à la possibilité d’union au
dist. 2, qu. 2, art. 1, quaestiunc. 1, dictum est, corps, l’âme est un intermédiaire nécessaire, car
anima quantum ad unibilitatem corporis, est le corps ne serait pas apte à l’union s’il n’était
medium necessitatis: quia corpus non esset unibile pas animé. Mais, pour ce qui est de l’union en
nisi inquantum est animatum: sed quantum ad acte, elle est un intermédiaire de convenance :
unionem in actu, est medium congruentiae, quo une fois celui-ci enlevé, l’union n’est pas
remoto, non necessario unio tollitur, ut supra, dist. nécessairement enlevée, comme on l’a dit plus
2, dictum est; et ideo, quia separata anima a haut, d. 2. Une fois l’âme séparée du corps,
corpore, adhuc remansit in corpore ordo ad demeure donc dans le corps un ordre à l’âme, et
animam, et unibile remansit et unitum. ce qui peut être uni et ce qui est uni demeurent.
[10021] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2. Bien que cela serait insensible en acte, y
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esset demeurerait cependant un ordre à l’âme humaine
actu insensibile, tamen hoc habebat supra alia par-delà les autres corps insensibles.
corpora insensibilia quod inerat ei ordo ad
animam humanam.
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[10022] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3. La divinité ne peut pas être forme du corps.
3 Ad tertium dicendum, quod deitas non potest Mais pour que le corps soit vivant, il est
esse forma corporis. Ad hoc autem quod corpus nécessaire qu’il y ait quelque chose qui le vivifie
sit vivum, oportet quod sit aliquid vivificans à la manière d’une forme.
formaliter.
[10023] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4. Le corps n’est pas apte à recevoir la grâce
4 Ad quartum dicendum, quod corpus non est habituelle, car celle-ci est ordonnée aux actes
susceptivum gratiae habitualis: quia illa ordinatur spirituels, qui ne peuvent être communiqués au
ad actus spirituales, qui non possunt corpori corps. Or, cette grâce est un intermédiaire de
communicari. Haec autem gratia est medium convenance pour l’union du point de vue de
congruentiae ad unionem ex parte animae. Sed l’âme. Mais la grâce d’union, qui est l’union
gratia unionis, quae est ipsa unio gratis facta, elle-même gratuitement réalisée, peut exister
potest esse in corpore: quia ista gratia ordinat ad dans le corps, car cette grâce ordonne à exister
esse in persona divina, cujus particeps est corpus, dans la personne divine, ce à quoi le corps
sicut et anima; ideo etiam corpus potest remanere participe comme l’âme. Aussi le corps peut-il
unitum, anima separata; in quo etiam manet demeurer uni, alors que l’âme est séparée; en lui
aliquis ordo ad gloriam ex eo quod fuit demeure aussi un ordre à la gloire du fait qu’il a
instrumentum animae habentis gratiam, ut dictum été l’instrument de l’âme qui possédait la grâce,
est; ut sic etiam habitualis gratia quodammodo in ainsi qu’on l’a dit, de sorte que la grâce
corpus redundet, ut supra, dist. 13, dictum est. habituelle rejaillit ainsi d’une certaine manière
sur le corps, ainsi qu’on l’a dit plus haut, d. 13.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10024] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Pour les mêmes raisons, l’âme n’a pas été
Ad secundam quaestionem dicendum, quod séparée du Verbe dans la mort du Christ,
propter easdem rationes anima a verbo in morte d’autant plus que l’âme est unie au Verbe de
Christi separata non fuit, et adhuc amplius, manière plus immédiate et d’un plus grand
inquantum anima immediatius et pluribus modis nombre de manières que le corps.
verbo unitur quam corpus.
[10025] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1. La mort de l’âme vient de la sépartion de
1 Ad primum ergo dicendum, quod mors animae l’âme et de Dieu par le péché, contrairement à
est secundum separationem animae a Deo per l’union qui se réalise par la charité. Il ne
peccatum, opposita conjunctioni quae est per convenait pas que le Christ assume cette mort,
caritatem; quam mortem Christum assumere non pas plus que le péché, comme on l’a dit plus
decuit sicut nec peccatum, ut supra, dist. 15, qu. 1, haut, d. 15, q. 1, a. 1. Ce raisonnement porte
art. 1, dictum est; et ideo haec ratio non est ad donc à faux, car même s’il y avait une séparation
propositum: quia etiam si esset separatio perfecta complète de l’ame et du Verbe pour ce qui est de
animae a verbo quantum ad conjunctionem quae l’union qui existe dans la personne, l’âme ne
est in persona, adhuc anima non esset mortua sed serait pas encore morte mais vivante, dans la
viva, inquantum remaneret Deo per caritatem mesure où elle demeurerait unie à Dieu par la
conjuncta. charité.
[10026] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2. On dit que le Fils dépose son âme, non pas de
2 Ad secundum dicendum, quod filius Dei dicitur lui-même, mais de la chair, dont elle a été
animam ponere, non quidem a se, sed a carne, a séparée par la mort.
qua in morte separata fuit.
[10027] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3. L’âme ne désigne pas la personne, mais une
3 Ad tertium dicendum, quod anima non nominat partie de la nature. L’âme n’est donc pas unie au
personam, sed partem naturae; unde anima non est Verbe comme ce en quoi l’union s’est réalisée,
unita verbo sicut importans id in quo facta est comme c’est le cas pour le mot homme. C’est
unio, sicut est de hoc nomine homo; et ideo non pourquoi on ne peut dire que le Fils de Dieu est
potest dici quod filius Dei sit anima, sicut potest l’âme, comme on peut dire qu’il est homme,
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dici quod sit homo, secundum quod est habens selon qu’il a une âme.
animam.
[10028] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4. De même que ce qu’on dit de la nature
4 Ad quartum dicendum, quod sicut ea quae humaine selon la raison de nature ne peut être
dicuntur de natura humana secundum rationem prédiqué du Fils de Dieu, comme le fait qu’elle
naturae non possunt praedicari de filio Dei, ut soit commune au Christ et aux autres hommes,
quod dicitur esse communis Christo et aliis de même aussi ce qui est prédiqué de l’âme du
hominibus; ita etiam ea quae praedicantur de Christ, en tant qu’elle est une partie de la nature,
anima Christi inquantum est pars naturae, non ne peut-il être prédiqué du Fils de Dieu, comme
possunt dici de filio Dei, sicut quod est forma, vel le fait d’être forme ou quelque chose de ce genre.
aliquid hujusmodi. Ea autem quae praedicantur de Mais ce qui est attribué [à l’âme] en tant qu’elle
ipsa inquantum est quid subsistens, possunt de quelque chose de subsistant peut être prédiqué
filio Dei praedicari, sicut quod descendit ad du Fils de Dieu, comme le fait de descendre aux
Inferos, et alia hujusmodi. enfers et les autres choses de ce genre.
[10029] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5. Comme on l’a dit plus haut, d. 8, q. 1, a. 5, les
5 Ad quintum dicendum, quod, sicut supra, dist. relations réelles se multitplient selon la
8, quaest. 1, art. 5, dictum est, relationes multiplication de ce sur quoi se fondent les
secundum rem multiplicantur secundum relations (corr. elationes/relationes). Aussi
multiplicationem illorum supra quae fundantur arrive-t-il que la relation soit une du point de vue
elationes; unde contingit quod relatio ex parte d’un des extrêmes, alors qu’elle est multiple du
unius extremi est una, quae ex parte alterius point de vue de l’autre, comme dans le cas de
multiplicatur, sicut de illo qui una paternitate ad celui qui, par une seule paternité, est en rapport
multos filios refertur, qui ad ipsum multis avec plusieurs fils, qui sont en rapport avec lui
filiationibus referuntur. Ita etiam est hoc: quia ex par plusieurs filiations. De même en est-il dans
parte ipsius filii Dei est una tantum, quamvis non le cas présent, car, du point de vue du Fils de
sit ex parte ipsius relatio realis, sed rationis Dieu lui-même, il n’existe qu’une seule relation,
tantum; ex parte autem assumptorum, quae divisa bien qu’elle n’en soit pas une réelle de sa part,
sunt, sunt duae uniones in actu post mortem; ante mais une relation de raison seulement. Mais, du
autem erat una in actu, et multae in potentia: unde point de vue de ce qui est assumé, qui est divisé,
non oportet quod aliqua unio fiat ibi de novo, il existe deux unions en acte après la mort; avant,
sicut nec in divisione continui fit aliquid de novo, il n’y en avait qu’une seule en acte et plusieurs
inquantum id quod prius erat multa potentia, en puissance. Aussi n’est-il pas nécessaire
unum autem actu, fit actu plura. qu’une union y soit de nouveau réalisée, comme,
dans la division du continu, on ne fait pas non
plus quelque chose de nouveau, dans la mesure
où ce qui était plusieurs choses en puissance,
mais une seule chose en acte, devient plusieurs
choses en acte.
[10030] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 6. De même que la nature humaine n’est pas
6 Ad sextum dicendum, quod sicut humana natura l’hypostase dans le Christ, bien qu’on puisse en
non est hypostasis in Christo, quamvis possit dici parler au singulier et comme quelque chose
singulare et individuum, ut supra, dist. 6, qu. 1, d’individuel, comme on l’a dit plus haut, d. 6,
art. 1, dictum est; ita etiam anima et corpus non q. 1, a. 1, de même aussi l’âme et le corps ne
sunt duae completae hypostases, sed unitae uni sont-ils pas deux hypostases complètes, mais
hypostasi filii Dei; quamvis possint dici duo unies dans la seule hypostase du Fils de Dieu,
singularia, vel duo individua. Sed non sequitur ex bien qu’on puisse parler de deux choses au
hoc quod Christus sit duo: quia neutrum illorum singulier ou de deux choses individuelles. Mais
de Christo praedicatur, vel de filio Dei. il n’en découle pas que le Christ soit deux, car
aucune de ces deux choses n’est prédiquée du
Christ ou du Fils de Dieu.
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Articulus 2 [10031] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 Article 2 – Le corps du Christ devait-il se


a. 2 tit. Utrum corpus Christi post mortem dissoudre après la mort ?
debuerit dissolvi
[10032] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que le corps du Christ devait se
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod corpus dissoudre ou se transformer en cendres après la
Christi post mortem debuit dissolvi, sive mort. He 2, 17 dit : Le Christ devait être en tout
incinerari. Hebr. 2, 17, dicitur: Christus debuit per semblable à ses frères. Or, les autres hommes,
omnia fratribus assimilari. Sed alii homines, qui qui sont appelés les frères du Christ, se
dicuntur fratres Christi, secundum corpus transforment en cendres selon leur corps. Le
incinerantur. Ergo et corpus Christi incinerari corps du Christ devait donc se transformer en
debuit. cendres.
[10033] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 2. De même que la séparation de l’âme de la
Praeterea, sicut separatio animae a carne fuit chair fut infligée à l’homme à cause du péché du
inflicta homini propter peccatum primi parentis, premier parent, de même aussi la transformation
ita etiam incineratio: quia dicitur Genes. 3, 19: en cendres, car il est dit en Gn 3, 19 : Tu es terre,
terra es, et in terram ibis. Sed Christus pro nobis et tu retourneras à la terre. Or, le Christ a
sustinuit mortem, ut debitum naturae solveret. supporté la mort pour nous, afin d’acquitter la
Ergo similiter corpus ejus incinerari debuit. dette de la nature. De la même manière, son
corps devait-il donc se transformer en cendres.
[10034] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 3. L’humilité mérite l’élévation, Ph 2. Or, le
Praeterea, humilitas est meritum exaltationis, corps du Christ devait être élevé au plus haut
Philipp. 2. Sed corpus Christi fuit maxime point. Il devait donc être humilié jusqu’à la
exaltandum. Ergo debuit usque ad incinerationem transformation en cendres.
humiliari.
[10035] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Tout composé de contraires est naturellement
Praeterea, omne compositum ex contrariis, susceptible de se dissoudre dans les contraires.
naturaliter est dissolubile in contraria. Sed corpus Or, le corps du Christ était composé de
Christi fuit ex contrariis compositum, quia fuit contraires, car il avait la même nature que nos
ejusdem naturae cujus sunt corpora nostra. Ergo corps. Puisque la transformation en cendres n’est
cum incineratio nihil aliud sit quam resolutio rien d’autre que la dissolution du corps dans les
corporis in contraria ex quibus constituitur, contraires dont il est composé, il semble donc
videtur quod corpus Christi incinerari debuit. que le corps du Christ devait être transformé en
cendres.
[10036] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 5. L’âme ne se retire pas du corps aussi
Praeterea, anima non recedit a corpore quamdiu in longtemps que demeure dans le corps l’égalité de
corpore manet aequalitas complexionis, quae sa complexion, qui est nécessaire comme
requiritur ut dispositio in corpore animato: quia disposition dans le corps animé, car la matière
per hanc dispositionem materia fit necessaria ad devient nécessaire à telle forme par cette
talem formam. Sed in morte Christi anima recessit disposition. Or, dans la mort du Christ, l’âme
a corpore. Ergo in corpore non remansit illa s’est retirée du corps. Cette égalité n’est donc
aequalitas quae exigitur ad corpoream pas demeurée dans le corps, elle qui est requise
animationem. Sed ablata aequalitate pour l’animation corporelle. Or, une fois enlevée
complexionis, unum contrarium superat aliud, et l’égalité de la complexion, un contraire
sic sequitur corporis dissolutio et incineratio. Ergo l’emporte sur l’autre, et la dissolution du corps et
corpus Christi fuit corruptum et incineratum. sa transformation en cendres en découlent. Le
corps du Christ a donc été corrompu et
transformé en cendres.
[10037] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] le Ps 15, 10 dit : Tu ne
Sed contra, Psalm. 15, 10: non dabis sanctum permettras pas que ton saint voie la corruption.
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tuum videre corruptionem. Hoc autem non potest Or, cela ne peut s’entendre de la corruption de la
intelligi de corruptione mortis, quia ipse mortuus mort, car il est mort. Cela s’entend donc de la
fuit. Ergo intelligitur de corruptione corruption de la transformation en poussière.
incinerationis.
[10038] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] La transformation en cendres n’est due au
Praeterea, corpori non debetur incineratio nisi corps qu’en raison de la corruption de la
propter corruptionem fomitis. Sed in Christo convoitise. Or, chez le Christ, la corruption de la
nunquam fuit corruptio fomitis: quia natus et convoitise n’a jamais existé, car il est né et a été
conceptus fuit sine originali. Ergo corpus Christi conçu sans le péché originel. Le corps du Christ
non debuit incinerari. ne devait donc pas se transformer en cendres.
[10039] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 3 3. L’âme unie au corps le préserve de la
Praeterea, anima conjuncta corpori ipsum servat transformation en cendres. Or, la puissance
ab incineratione. Sed virtus divina est major quam divine est plus grande que la puissance de l’âme.
virtus animae. Ergo cum corpori sit conjuncta Puisque la divinité est unie au corps, il semble
deitas, videtur quod non debuit incinerari. donc qu’il ne devait pas être transformé en
cendres.
[10040] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 co. Réponse. La mort, la transformation en cendres
Respondeo dicendum, quod mors et incineratio et et les carences de cette sorte sont des peines du
hujusmodi defectus sunt poenae originalis peccati: péché originel. Or, chez le Christ, le péché
in Christo autem nunquam fuit originale: unde originel n’a jamais existé. Le Christ n’a donc pas
Christus non contraxit hujusmodi defectus ex contracté nécessairement ces carences par son
necessitate suae originis, quia sine originali origine, car il a été conçu sans le péché originel.
conceptus fuit. Nec in eo fuerunt quia ipse esset Elles ne se trouvaient pas non plus chez lui parce
debitor eorum, quia peccatum in eo nunquam fuit: qu’il aurait été leur débiteur, car il n’y a jamais
sed voluntarie defectus humanae naturae eu de péché en lui, mais il a assumé
assumpsit ad complendum opus nostrae volontairement les carences de la nature humaine
redemptionis et ut in his nobis mereretur. Unde pour accomplir l’œuvre de notre dédemption et
cum opus redemptionis esset in passione pour mériter par elles. Puisque l’œuvre de la
completum, quia dixit: consummatum est, Joan. rédemption avait été achevée par la passion, car
19, 30, et corpus sine anima non est in statu il a dit : Tout est consommé, Jn 19, 30, et que le
merendi, ideo corpus ejus incineratum non fuit. corps sans âme n’est pas en état de mériter, son
corps ne s’est donc pas transformé en cendres.
[10041] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Cette ressemblance s’entend de ce qui
primum ergo dicendum, quod assimilatio illa constitue la vérité de la nature et pour ce qui
intelligitur quantum ad illa quae sunt de veritate concerne l’œuvre de la rédemption.
naturae, et quantum ad ea quae pertinent ad opus
redemptionis.
[10042] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Par la passion, à cause de laquelle l’âme a été
secundum dicendum, quod per passionem, qua séparée de la chair, il nous a enlevé la mort et
separata est anima a carne, removit a nobis toutes les autres carences de la nature humaine,
mortem, et omnes alios defectus humanae naturae, pour ce qui est de la suffisance de la cause. Il
quantum ad sufficientiam causae; et ideo non n’était donc pas nécessaire que, pour enlever la
oportuit quod ad removendum incinerationem transformation en cendres, son corps soit
corpus ejus incineraretur. transformé en cendres.
[10043] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Cette humilité était nécessaire avant l’œuvre
tertium dicendum, quod humilitas illa fuit de la rédemption et lorsque le Christ était en état
necessaria ante opus redemptionis, et quando de mériter, mais non après, comme on l’a dit.
Christus erat in statu merendi, non autem post, ut
dictum est.
[10044] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Le composé de contraires se dissout
620

quartum dicendum, quod compositum ex nécessairement en eux, à moins que quelque


contrariis, necessario in ipsa resolvitur, nisi sit chose l’en empêche. Or, chez le Christ, quelque
aliquid prohibens. In Christo autem erat aliquid chose l’empêchait, la puissance de la divinité, et
prohibens, scilicet virtus divinitatis, et puritas a la pureté par rapport à la corruption de la
corruptione fomitis. convoitise.
[10045] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Bien que cette modération de la complexion,
quintum dicendum, quod quamvis illa temperies qui est une nécessité pour la forme de l’âme, ait
complexionis, quae est necessitas ad formam été enlevée par la mort, la dissolution et la
animae, fuerit amota in morte; non tamen inde putréfaction du corps n’en sont cependant pas
secuta est dissolutio et putrefactio corporis, découlées pour la raison déjà indiquée.
ratione praedicta.

Articulus 3 [10046] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 Article 3 – Doit-on dire que le Fils de Dieu est
a. 3 tit. Utrum filius Dei debeat dici mortuus mort ?
[10047] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble qu’on ne doive pas dire que le Christ
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus, ou le Fils de Dieu est mort. En effet, ce qui
vel filius Dei, non debeat dici mortuus. Ea enim répugne aux intelligences dans le cas du Fils de
quae habent repugnantiam intellectuum ad filium Dieu n’est pas prédiqué de lui. Or, puisque le
Dei, de eo non praedicantur. Sed cum Dei filius Fils de Dieu est la vie, comme il est dit en Jn 14,
sit vita, sicut dicitur Joan. 14, mortuum esse habet cela s’oppose à l’intelligence qu’il soit mort. On
repugnantiam intellectus cum ipso. Ergo non ne doit donc pas dire qu’il est mort.
debet dici quod sit mortuus.
[10048] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Être créé convient à une chose selon qu’elle
Praeterea, esse creatum convenit alicui, secundum vient de Dieu; mais être corrompue [lui
quod est a Deo; sed corrumpi, secundum quod est convient] selon qu’elle vient du néant. Les
ex nihilo. Ergo magis pertinent ad defectum choses qui impliquent la corruption concernent
creaturae ea quae corruptionem important, quam donc davantage la carence de la nature, que le
nomen creaturae. Sed nomen creaturae non dicitur nom de créature. Or, on ne parle pas de créature
de Christo, ut supra, dist. 11, dictum est. Ergo pour le Christ, comme on l’a dit plus haut, d. 11.
multo minus potest dici quod sit mortuus. Encore bien moins peut-on dire qu’il est mort.
[10049] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Le Fils de Dieu est l’essence divine. Or, on ne
Praeterea, filius Dei est divina essentia. Sed non peut dire que l’essence divine est morte. On ne
potest dici quod divina essentia sit mortua. Ergo doit donc pas dire que le Fils de Dieu est mort.
non debet dici, quod filius Dei sit mortuus.
[10050] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Les contraires ne sont pas vrais pour une
Praeterea, contradictoria non sunt vera de eodem. même chose. Or, on dit avec vérité du Fils de
Sed de filio Dei vere dicitur quod est immortalis, Dieu qu’il est immortel et, par conséquent, qu’il
et per consequens non est mortuus. Ergo non n’est pas mort. On ne peut donc pas dire qu’il
potest dici quod fuerit mortuus. était mort.
[10051] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Ce qui est le propre de la partie n’est pas
Praeterea, illud quod est partis, non praedicatur de prédiqué du tout. Or, mourir est le propre du
toto. Sed mori est corporis, a quo anima separatur. corps dont l’âme est séparée. Il semble donc
Ergo videtur quod Christus non possit dici qu’on ne puisse dire que le Christ est mort.
mortuus.
[10052] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] ce qui est dit dans le symbole va
Sed contra est quod dicitur in symbolo: crucifixus, en sens contraire : « Il a été crucifié, est mort et a
mortuus, et sepultus. été enseveli. »
[10053] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] On ne dit d’aucun homme qu’il est mort que
Praeterea, nullus homo dicitur mortuus nisi ex eo parce que son âme a été séparée de son corps.
quod anima ejus a corpore separata est. Sed anima Or, l’âme du Christ a été séparée de son corps. Il
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Christi est a corpore separata. Ergo ipse est est donc mort.
mortuus.
[10054] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] Comme on l’a dit plus haut, la rédemption
Praeterea, sicut supra dictum est, redemptio non ne pouvait être accomplie de manière appropriée
potuit convenienter fieri nisi per mortem filii Dei. que par la mort du Fils de Dieu. S’il n’est pas
Ergo si ipse non est mortuus, videtur quod non mort, il semble donc que nous ne soyons pas
simus adhuc redempti; quod est haereticum. encore rachetés, ce qui est hérétique.
[10055] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 11,
Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 11, q. 1, a. 4, ce qui est propre à la nature seulement
quaest. 1, art. 4, dictum est, ea quae solum ad peut être affirmé du Christ simplement et sans
naturam pertinent, simpliciter et sine précision. Or, la mort la mort se réalise en nous
determinatione de Christo dici possunt. Mors par la séparation de l’âme du corps et la passion,
autem in nobis est secundum separationem selon la blessure du corps, ou encore selon un
animae a corpore, et passio est secundum changement de l’âme, lesquels sont des parties
laesionem corporis, vel etiam secundum de la nature humaine. Il faut donc simplement
immutationem animae, quae sunt partes humanae concéder que le Christ est mort et a souffert.
naturae: et ideo simpliciter concedendum est quod
Christus mortuus est et passus.
[10056] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. Il n’y a là rien d’incompréhensible, car la
primum ergo dicendum, quod non est ibi aliqua mort, puisqu’elle est une condition de la nature,
repugnantia intellectuum, quia mors, cum sit se rapporte à la nature humaine. Elle ne s’oppose
conditio naturae, refertur ad humanam; unde non donc pas à la vie divine.
opponitur divinae vitae.
[10057] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Le nom de créature ne se rapporte pas
secundum dicendum, quod nomen creaturae non davantage à la nature qu’à la personne. Aussi ne
magis se habet ad naturam quam ad personam; et peut-il être simplement dit en raison de la nature,
ideo non potest dici simpliciter ratione naturae, comme on l’a dit plus haut, surtout que la
sicut supra dictum est; praecipue cum creatio création concerne l’être, qui semble davantage se
respiciat esse, quod magis videtur pertinere ad rapporter au suppôt qu’à la nature. Qu’il se
suppositum quam ad naturam: et ideo quod magis rapporte plus ou moins à une carence, cela n’est
vel minus ad defectum pertineat, non facit ad donc pas à propos.
propositum.
[10058] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. L’union ne s’est pas réalisée dans la nature
tertium dicendum, quod unio non est facta in mais dans la personne. Ce qui appartient à la
natura, sed in persona; et ideo ea quae sunt nature peut donc être prédiqué de la personne,
naturae, possunt praedicari de persona, non autem mais non de l’autre nature.
de alia natura.
[10059] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Cette proposition est tout simplement vraie :
quartum dicendum, quod haec est simpliciter vera, « Le Fils de Dieu ou le Christ est immortel. » De
filius Dei, vel Christus est immortalis; et similiter, même : « Le Fils de Dieu est mort », car ce qui
filius Dei est mortuus: quia ea quae sunt utriusque appartient aux deux natures peut être affirmé de
naturae, possunt affirmari de persona. Sed tamen la personne. Cependant, cette proposition : « Le
haec, Christus non est mortuus, est vera secundum Christ n’est pas mort », est vraie sous un aspect
quid, et falsa simpliciter: quia ad veritatem et fausse simplement, car, pour la vérité d’une
affirmativae sufficit quod secundum aliquam proposition affirmative, il suffit que ce qui est dit
naturam conveniat quod de persona dicitur, sed ad de la personne convienne selon une nature, mais,
veritatem negativae oportet quod secundum pour la vérité d’une proposition négative, il est
neutram conveniat; unde haec est falsa nécessaire que cela ne convienne selon aucune
simpliciter, Christus non est animal, et vera des deux. Aussi cette proposition est-elle fausse
secundum quid, scilicet secundum divinam. Non simplement : « Le Christ n’est pas un animal »,
622

est autem inconveniens quod unum et elle est vraie sous un aspect, à savoir, selon sa
contradictoriorum dicatur de aliquo simpliciter, et nature divine. Mais il n’est pas inapproprié que
alterum secundum quid. l’une des contradictoires soit dite de quelqu’un
simplement, et une l’autre sous un autre aspect.
[10060] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Ce qui convient et est destiné à convenir à la
quintum dicendum, quod ea quae sunt partis partie seulement se dit du tout en raison de la
tantum, et parti nata convenire, dicuntur de toto partie; ainsi, on dit d’un homme qu’il est crépu
ratione partis; sicut homo dicitur Crispus propter en raison de ses cheveux. La mort, qui est une
capillos: et ita mors, quae est conditio corporis, de condition du corps, peut donc être prédiquée de
persona potest praedicari. Tamen sciendum est, la personne. Il faut cependant savoir que, de
quod sicut generari est compositi, ita et corrumpi; même que la génération est le fait du composé,
quamvis subjectum generationis et corruptionis sit de même en est-il de la corruption, bien que le
materia. sujet de la génération et de la corruption soit la
matière.

Quaestio 2 Question 2 – [La résurrection du Christ]


Prooemium Prologue
[10061] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la résurrection du
quaeritur de resurrectione Christi; et circa hoc Christ. À ce sujet, quatre questions sont posées :
quaeruntur quatuor: 1 de necessitate 1 – La nécessité de la résurrection. 2 – Le
resurrectionis; 2 de tempore; 3 de argumentis moment [de la résurrection]. 3 – Les arguments
resurrectionis in communi; 4 de eis in speciali. en faveur de la résurrection d’une manière
générale. 4 – Ces arguments d’une manière
particulière.

Articulus 1 [10062] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 Article 1 – Était-il nécessaire que le Christ
a. 1 tit. Utrum necesse fuerit Christum resurgere ressuscite ?
[10063] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que le
Ad primum sic proceditur. Videtur quod non Christ ressuscite, car, ainsi que le dit [Jean]
fuerit necessarium Christum resurgere. Quia, sicut Damascène, « la résurrection est le fait de celui
dicit Damascenus, resurrectio est ejus quod qui a péri et s’est dissous, et qui se lève de
cecidit et dissolutum est, iterata surrectio. Sed nouveau ». Or, le Christ n’a pas péri par le péché
Christus non cecidit per peccatum, nec ejus et son corps ne s’est pas dissous. La résurrection
corpus dissolutum est. Ergo non debetur ei ne lui est donc pas due.
resurrectio.
[10064] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Augustin dit que « la résurrection des âmes se
Praeterea, Augustinus dicit, quod per verbum Dei réalise par la parole de Dieu, et que la
fit resurrectio animarum, per verbum incarnatum résurrection des corps se réalise par le Verbe
fit resurrectio corporum. Sed verbum caro factum incarné ». Or, le Verbe s’est fait chair par
est in incarnatione. Ergo non fuit necessaria l’incarnation. La résurrection n’était donc pas
resurrectio neque ad resurrectionem corporum, nécessaire, ni pour la résurrection des corps, ni
neque ad resurrectionem animarum. pour la résurrection des âmes.
[10065] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 3. Après la consommation ultime, rien n’est
Praeterea, post ultimam consummationem non est nécessaire. Or, la consommation ultime s’est
aliquid necessarium. Sed ultima consummatio réalisée par la passion, car il a alors dit : [Tout]
facta est in passione: quia tunc dixit: est consommé, Jn 19, 30. Il n’était donc pas
consummatum est; Joan. 19, 30. Ergo non oportuit nécessaire qu’il ressuscite par la suite.
quod postea resurgeret.
[10066] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Le Christ a assumé la nature humaine afin de
Praeterea, ad hoc Christus humanam naturam la restaurer. Or, la pleine restauration a été
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assumpsit, ut ipsam restauraret. Sed plena réalisée dans la passion, car la porte [du ciel] a
restauratio facta est in passione; quia et janua été ouverte et nous avons été libérés du péché, de
aperta est, et liberati sumus a peccato, poena, et la peine et de la servitude du Diable. Il n’était
servitute Diaboli. Ergo non oportuit ut iterato donc pas nécessaire qu’il assume de nouveau son
corpus assumeret. corps.
[10067] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] 1 Co 15, 17 dit : Si le Christ
Sed contra, 1 Corinth. 15, 17: si Christus non n’est pas ressuscité, notre foi est vain. Or, sans
resurrexit, inanis est fides nostra. Sed sine fide la foi, nous ne sommes pas justifiés. Il était donc
non justificamur. Ergo necessarium fuit Christum nécessaire que le Christ ressuscite.
resurgere.
[10068] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] Grégoire dit que [le Christ] a restauré notre
Praeterea, Gregorius dicit quod vitam nostram vie en ressuscitant. Il était donc nécessaire que le
resurgendo reparavit. Ergo necessarium fuit quod Christ ressuscite.
Christus resurgeret.
[10069] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 co. Réponse. La nécessité de la résurrection se
Respondeo dicendum, quod necessitas manifeste de trois manières. Premièrement, en
resurrectionis Christi ex tribus apparet. Primo ex raison de la condition même de la nature
ipsa conditione naturae assumptae. Anima enim et assumée. En effet, l’âme et le corps sont les
corpus sunt partes humanae naturae: omnis autem parties de la nature humaine. Or, toute partie est
pars est imperfecta respectu totius, ut patet per imparfaite en regard du tout, comme cela ressort
philosophum in 3 Physic., unde nec corpori sine de ce que dit le Philosophe dans Physique, III.
anima, nec animae sine corpore inest omnis Toute la perfection qu’ils sont destinés à avoir
perfectio quam nata sunt habere. Et quia naturae n’existe donc pas dans l’âme sans le corps, ni
assumptae debebatur omnis perfectio quam dans le corps sans l’âme. Et parce que toute
contingit in natura reperire, ideo ei debebatur perfection qu’il arrive de trouver dans la nature
quod corpus animae semper esset conjunctum. était due à la nature assumée, il lui était donc dû
Quod autem ad tempus separata fuerunt, hoc fuit que le corps soit toujours uni à l’âme. Or, qu’ils
propter necessitatem nostrae redemptionis. aient été séparés pour un temps, c’était en raison
Secundo ex merito passionis ejus: quia ex de ce qui était nécessaire à notre rédemption.
humilitate passionis meruit gloriam resurrectionis. Deuxièmement, en raison du mérite de sa
Tertio ex parte nostra, ut scilicet in capite gloriosa passion, car il a mérité la gloire de la résurrection
resurrectio inchoaretur, quae in membris futura par l’humilité de la passion. Troisièmement, de
erat. Et iterum ut illis qui sunt in patria, non solum notre point de vue, afin que la résurrection
sit gloria de visione divinitatis, sed etiam de glorieuse qui doit exister dans les membres soit
visione humanitatis glorificatae in Christo amorcée dans la tête. De plus, afin que ceux qui
quantum ad corpus et quantum ad animam. sont dans la patrie n’aient pas seulement la gloire
par la vision de la divinité, mais aussi par la
vision de l’humanité glorifiée dans le Christ en
son corps et en son âme.
[10070] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. Cette définition de la résurrection est celle
primum igitur dicendum, quod illa definitio est qu’on trouve pour les autres hommes; mais la
resurrectionis secundum quod in aliis hominibus résurrection du Christ peut être ainsi définie au
invenitur; sed resurrectio Christi potest sic proprie sens propre : « La résurrection est l’union
definiri: resurrectio est corporis facti renouvelée à l’âme du corps rendu
incorruptibilis ad animam iterata unio. Vel potest incorruptible ». Ou bien on peut dire que, bien
dici, quod quamvis Christus non ceciderit per que le Christ n’ait pas péri par le péché, il a
peccatum, cecidit tamen a vita naturae per cependant péri selon la vie de la nature par la
mortem; et corpus quamvis non sit dissolutum per mort, et que, bien que son corps n’ait pas été
incinerationem, est tamen facta dissolutio corporis dissous par la transformation en cendres, une
et animae. dissolution du corps et de l’âme s’est cependant
624

réalisée.
[10071] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. Le Verbe fait chair n’est pas une disposition
secundum dicendum, quod verbum caro factum, prochaine à notre résurrection, mais le Verbe fait
non est proxima dispositio ad resurrectionem chair et ressuscité de la mort.
nostram, sed verbum caro factum, et a morte
resurgens.
[10072] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. Dans la mort du Christ, s’est réalisée la
tertium dicendum, quod in morte Christi facta est consommation de tout ce qui était exigé pour la
consummatio omnium eorum quae exigebantur ad satisfaction, laquelle ne s’est pas réalisée par la
satisfactionem; quae quidem per resurrectionem résurrection, mais plutôt le commencement
non est facta, sed magis novae vitae inchoatio. d’une vie nouvelle.
[10073] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Bien que le Christ ait assumé notre nature
quartum dicendum, quod quamvis Christus pour la restaurer, il n’en découle cependant pas
naturam nostram ad hoc assumpsit ut eam que, une fois la nature restaurée, il doive la
repararet; non tamen sequitur quod, reparata rejeter ou rejeter une de ses parties, mais plutôt
natura, debeat eam vel aliquam ejus partem les garder éternellement, comme une
abjicere, sed magis perpetuo tenere, sicut perpetua réintégration éternelle s’est réalisée dans la
est reintegratio facta in natura. Vel dicendum, nature. Ou bien il faut dire que, bien que, par la
quod quamvis per passionem proprie loquendo sit passion au sens propre, ait été réalisée la
facta reparatio quantum ad amotionem mali, restauration pour l’enlèvement du mal, il fallait
tamen per resurrectionem oportuit quod cependant que, par la résurrection, elle soit
consummaretur quantum ad perfectionem in bono. consommée pour la perfection dans la bien.

Articulus 2 [10074] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 Article 2 – Le Christ devait-il ressusciter le


a. 2 tit. Utrum Christus debuerit tertia die troisième jour ?
resurgere
[10075] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 1 1. Il semble que le Christ ne devait pas
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ressusciter le troisième jour. En effet, il revient à
Christus non debuit tertia die resurgere. Caput la tête de se conformer aux membres dans leur
enim est conforme membris in natura. Sed per nature. Or, par la résurrection, la nature est
resurrectionem natura reparatur quantum ad restaurée pour ce qui est de la passibilité et de la
passibilitatem et mortalitatem. Ergo Christus mortalité. Le Christ devait donc ressusciter en
debuit simul cum aliis resurgere, et non tertia die. même temps que les autres, et non pas le
troisième jour.
[10076] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Comme le dit la Glose sur He 11, «la
Praeterea, ut dicit Glossa Hebr. 11, ad hoc est résurrection de tous a été reportée à la fin du
dilata resurrectio omnium in finem mundi, ut monde pour que la joie de ceux qui
simul resurgentibus sit majus gaudium. Sed de ressusciteront ensemble soit plus grande ». Or,
resurrectione nullius sancti est tantum gaudium on ne se réjouit de la résurrection d’aucun saint
sicut de resurrectione Christi. Ergo etiam ipse autant que de la résurrection du Christ. Il devait
debuit usque ad finem mundi suam donc lui aussi reporter sa résurrection jusqu’à la
resurrectionem differre, et non tertia die resurgere. fin du monde, et ne pas ressusciter le troisième
jour.
[10077] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 3. La séparation de l’âme du corps chez le Christ
Praeterea, separatio animae a corpore in Christo ne s’est réalisée que pour la rédemption de la
non fuit facta nisi propter redemptionem humanae nature humaine. Or, à l’instant de la mort, la
naturae. Sed in instanti mortis, redemptio soluto rédemption a été achevée par l’acquittement du
pretio completa est. Ergo debuit statim resurgere. prix. Il devait donc ressusciter immédiatement.
[10078] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Il devait être davantage accorder au Christ
Praeterea, plus conferendum fuit Christo quam qu’à un autre. Or, certains hommes qui se
625

alicui alteri homini. Sed quidam homines qui vivi trouveront vivants à la fin du monde
invenientur in fine mundi, statim post mortem ressusciteront immédiatement après leur mort.
resurgent. Ergo multo magis Christus resurgere Encore bien davantage, le Christ devait-il
debuit statim, et non in tertium diem ressusciter aussitôt, et ne pas reporter sa
resurrectionem differre. résurrection au troisième jour.
[10079] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 5 5. En Mt 12, 40, le Seigneur dit : Comme Jonas
Praeterea, Matth. 12, 40, dominus dicit: sicut fuit s’est trouvé dans le ventre de la baleine…, ainsi
Jonas in ventre ceti (...) sic erit filius hominis in le Fils de l’homme sera-t-il au cœur de la terre.
corde terrae. Sed non fuit in corde terrae nisi Or, il n’a été au cœur de la terre qu’aussi
quamdiu fuit mortuus. Ergo tribus diebus et tribus longtemps qu’il a été mort. Il a donc été mort
noctibus mortuus fuit. Ergo non resurrexit tertia trois jours et trois nuits. Il n’est donc pas
die, sed magis quarta vel quinta. ressuscité le troisième jour, mais plutôt le
quatrième ou le cinquième.
[10080] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 6 6. La nuit s’oppose au jour. Or, Grégoire semble
Praeterea, nox contra diem dividitur. Sed dire, dans son homélie de Pâques, que « le Christ
Gregorius videtur dicere in Homil. Paschae, est ressuscité de nuit, comme Samson a emporté
Christum de nocte resurrexisse, sicut Samson de de nuit les portes de Gaza ». Le Christ n’est donc
nocte portas Gazae tulit. Ergo Christus non pas ressuscité le troisième jour, mais bien plutôt
resurrexit tertia die, immo magis secunda nocte. la deuxième nuit.
[10081] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il
Sed contra, in symbolo dicitur: resurrexit tertia est ressuscité le troisième jour selon les
die secundum Scripturas. Écritures. »
[10082] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] À propos de Rm 6, la Glose dit : « Il a
Praeterea, Rom. 6, dicit Glossa: quievit in reposé au tombeau un jour et deux nuits, son
sepulcro una die et duabus noctibus: quia unicité a consommé notre double vétusté. » Il est
nostram duplicem vetustatem sua simpla donc ressuscité le troisième jour.
consumpsit. Ergo tertia die resurrexit.
[10083] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] Il était approprié que la vérité de sa mort
Praeterea, conveniens erat ut veritas mortis nobis nous soit manifestée. Or, toute parole s’appuie
manifestaretur. Sed in ore duorum vel trium sur le témoignage de deux ou de trois,
testium stat omne verbum; 2 Corinth., 13, 1. Ergo 2 Co 13, 1. Il était donc approprié qu’il
conveniens fuit ut tertia die resurgeret. ressuscite le troisième jour.
[10084] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 co. Réponse. Comme on l’a dit, le Christ n’a pas
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, supporté la mort parce qu’il avait une dette
Christus non sustinuit mortem quia debitor mortis envers la mort, mais afin de détruire notre mort
esset, sed ut mortem nostram sua morte par sa mort. Or, pour détruire notre mort, deux
destrueret. Ad hoc autem quod mors nostra choses étaient nécessaires : l’une, que celui qui
destrueretur, duo requirebantur: unum scilicet ut n’était pas débiteur de la mort acquitte la mort
ipse non debitor mortis mortem quam nos que nous devions; l’autre, que nous connaissions
debebamus, pro nobis solveret; aliud est ut nos la puissance de sa mort et que la puissance de sa
virtutem mortis ipsius cognosceremus, et per mort ait son effet en nous par la foi. Il n’était
fidem mortis virtus mortis in nobis effectum donc nécessaire que la mort le retienne qu’aussi
haberet. Unde non oportuit quod morte detineretur longtemps que cela convenait pour montrer la
nisi quantum congruebat ad ostendendam mortis vérité de sa mort, qui a été suffisamment et
veritatem: quae sufficienter manifestata fuit et adéquatement manifestée par le fait qu’il est
congruenter per hoc quod tertia die resurrexit: tum ressuscité le troisième jour, parce qu’il a détruit
quia sua morte duas nostras mortes destruxit, ut nos deux morts par sa mort, comme la Glose
tangit Glossa inducta: tum quia confirmatio, quae invoquée le suggère; parce que la confirmation
fit per testes, ternario testium approbatur: tum qui vient de trois témoins, est approuvée par le
quia perfectio in ternario consistit, ut dicitur in 1 nombre de trois témoins; et parce que la
626

de caelo et mundo. Alias etiam congruentias non perfection consiste dans le nombre trois, comme
difficile est assignare. il est dit dans Sur le ciel et le monde, I. Il n’est
difficile d’indiquer encore d’autres convenances.
[10085] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. Les autres hommes étaient débiteurs de la
primum ergo dicendum, quod alii homines mort et la mort n’existait pas exigée chez eux par
debitores mortis erant, et mors in eis non fuit ex la fin, mais par l’exigence de la faute. Mais il
necessitate finis, sed ex necessitate culpae; non n’en est pas de même chez le Christ. Aussi
autem sic est in Christo; et ideo non oportuit quod n’était-il pas nécessaire que la résurrection du
Christi resurrectio usque in finem mundi Christ soit reportée jusqu’à la fin du monde. Ou
differretur. Vel dicendum, quod illud quod est bien il faut dire que ce qui est dernier dans
ultimum in operatione, oportet esse primum in l’action doit être premier dans l’intention. Aussi
intentione; unde oportet quod resurrectionem, faut-il que nous ayons d’abord l’intention de la
quam in fine mundi consequemur, primo résurrection, que nous obtenons à la fin du
intendamus. Intentio autem et dirigitur et excitatur monde. Or, l’intention est dirigée, stimulée et
et roboratur ex inspectione alicujus exemplaris, in renforcée par la vue d’un modèle, chez qui la fin
quo finis secundum rem praecedat; unde sicut précède réellement. De même donc que
intentio nostra qua intendimus in gloriam animae, l’intention par laquelle nous tendons vers la
excitatur ex inspectione divinae gloriae, quae est gloire de l’âme est stimulée par la vue de la
exemplar nostrae futurae beatitudinis; ita oportuit gloire divine, qui est le modèle de notre
quod gloria resurrectionis in aliquo exemplari béatitude future, de même fallait-il que la gloire
nobis proponeretur, ad cujus conformitatem de la résurrection nous soit proposée dans un
tenderemus; et hoc est resurrectio Christi: unde modèle auquel nous essaierions à nous
dicitur Philip. 3, 21: reformabit corpus humilitatis conformer. Telle est la résurrection du Christ.
nostrae configuratum corpori claritatis suae. Aussi est-il dit en Ph 3, 21 : Il restaurera notre
corps humilié configuré à son corps glorifié.
[10086] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. La joie de la résurrection meut en tant que
secundum dicendum, quod gaudium de modèle par lequel nous sommes orientés vers la
resurrectione Christi movet ut exemplar ex quo fin; mais il n’en va pas de même des autres
dirigimur in finem; non autem ita est de aliis saints. Ce n’est donc pas la même chose pour le
sanctis; et ideo non est simile de Christo et de Christ et pour ceux-ci.
illis.
[10087] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. Non seulement fallait-il que la rédemption soit
tertium dicendum, quod non solum oportebat accomplie par la mort, mais pour que nous
quod per mortem fieret redemptio; sed ad hoc participions à la rédemption, il fallait que la
quod redemptionis ejus participes essemus, mérité de la mort nous soit montré. Ce n’aurait
oportuit ut veritas mortis nobis ostenderetur; et pas été le cas s’il était ressuscité immédiatement
hoc non fuisset, si statim post mortem après la mort.
resurrexisset.
[10088] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. La connaissance de la mort des autres hommes
quartum dicendum, quod mortis aliorum ne nous est pas nécessaire pour le salut, comme
hominum cognitio non est nobis necessaria ad la foi en la mort du Christ. Aussi la résurrection
salutem, sicut fides de morte Christi; et ideo n’est-elle pas semblable chez lui et chez ceux qui
resurrectio non est similis de ipso et de illis qui seront trouvés vivants à la fin du monde.
vivi invenientur in fine mundi.
[10089] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Comme on l’a dit dans le livre I, d. 13,
quintum dicendum, quod dies, ut in 1 Lib., dist. « jour » s’entend de diverses manières. En effet,
13, dictum est, diversis modis accipitur. il est parfois utilisé pour le jour naturel, qui
Aliquando enim pro die naturali, quae continet comporte une durée de vingt-quatre heures; ainsi
spatium viginti quatuor horarum; unde includit inclut-il le jour et le nuit. Mais parfois il est
diem et noctem; aliquando autem pro die utilisé pour un jour artificiel, et ainsi le Christ a
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artificiali: et sic Christus fuit mortuus una die été mort une journée complète : le jour du
integra, scilicet die sabbati, et duabus integris sabbat, et deux nuits complètes : la nuit
noctibus, scilicet praecedente diem sabbati, et précédant le jour du sabbat et la suivante, et plus
sequenti, et adhuc plus per quamdam partem encore par une partie du vendredi. Ainsi
sextae feriae; et sic loquitur Glossa Rom. 6. Si s’exprime la Glose sur Rm 6. Mais si nous
autem loquamur de die naturali, sic accipiendo parlons du jour naturel, en prenant ainsi la partie
partem pro toto, fuit mortuus tribus diebus et pour le tout, il a été mort trois jours et trois nuits.
tribus noctibus. Illa enim pars diei passionis En effet, la partie du jour de la passion à partir de
Christi a nona et deinceps computatur pro tota die la neuvième et par la suite est comptée pour un
naturali cujus est pars: unde computatur pro una jour artificiel et pour une nuit. De même, la nuit
die artificiali, et pro una nocte. Similiter nox post après le sabbat est-elle comptée pour tout le jour
sabbatum computatur pro tota die naturali naturel suivant; ainsi est-elle comptée pour un
sequente; et sic computatur pro una die, et una jour et une nuit artificiels. Si on leur joint un jour
nocte artificiali: quibus si conjungatur una dies complet, le jour du sabbat, et une nuit complète,
integra, scilicet dies sabbati, et una nox integra, la nuit précédente, on trouve que le Christ a été
scilicet nox praecedens; invenitur quod Christus mort trois jours et trois nuits.
fuit mortuus tribus diebus et tribus noctibus.
[10090] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 2 ad 6 Ad 6. On croit que le Christ est ressuscité au
sextum dicendum, quod Christus creditur crépuscule, alors qu’il y avait encore de la
resurrexisse in crepusculo quando adhuc est lux lumière mêlée aux ténèbres. C’est pourquoi on
tenebris permixta; et ideo aliquando dicitur dit parfois qu’il est ressuscité le jour, et parfois
resurrexisse in die, et aliquando in nocte. la nuit.

Articulus 3 [10091] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 Article 3 – Le Christ devait-il prouver sa


a. 3 tit. Utrum Christus debuerit probare résurrection par des arguments ?
resurrectionem suam argumentis
[10092] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 1 1. Il semble que le Christ ne devait pas prouver
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Christus sa résurrection par des arguments. En effet,
resurrectionem suam argumentis probare non Ambroise dit : « Écarte les arguments là où la foi
debuit. Ambrosius enim dicit: tolle argumenta ubi est recherchée. » Or, la foi en la résurrection est
fides quaeritur. Sed de resurrectione quaeritur recherchée. Il ne faut donc pas présenter
fides. Ergo argumenta fieri ad resurrectionem non d’arguments pour la résurrection.
debent.
[10093] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 2 2. Ces arguments étaient ou n’étaient pas
Praeterea, aut argumenta illa fuerunt sufficientia suffisants pour prouver la résurrection. S’ils ne
ad probandum resurrectionem, aut non. Si non, l’étaient pas, il semble qu’il revient à
hoc videtur in imperfectionem inducentis l’imperfection de celui qui invoque les
argumenta redundare. Si autem fuerunt arguments de se répéter. Mais s’ils étaient
sufficientia, et argumentum sufficiens facit suffisants, un argument suffisant donne une
scientiam vel agnitionem, quae non stat simul science ou une connaissance qui ne cohabitent
cum fide, quae est de non apparentibus; videtur pas avec la foi, qui porte ce qui n’est pas évident.
quod evacuaverunt fidem, et abstulerunt meritum Il semble donc qu’on ait vidé la foi et qu’on en
ejus. ait enlevé le mérite.
[10094] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 3 3. Le rapport entre la foi et la résurrection est le
Praeterea, sicut est fides de resurrectione, ita et de même que celui entre la foi et les autres articles.
aliis articulis. Sed ad alios articulos non induxit Or, il n’a pas invoqué d’autres arguments pour
aliqua argumenta probantia. Ergo neque ad prouver les autres articles. Il ne devait donc pas
resurrectionem inducere debuit. en invoquer pour la résurrection.
[10095] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 4 4. Les arguments dont semble découler un
Praeterea, argumenta ex quibus contrarium contraire confondent plutôt l’intellect qu’ils ne
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videtur sequi, potius confundunt intellectum quam l’éclairent. Or, dans les arguments montrés par le
elucidant. Sed in argumentis a Christo ostensis Christ, des contraires étaient pour ainsi dire
quasi contraria innuebantur: per hoc enim quod suggérés. En effet, par le fait de manger, il
comedit, ostendebat in se animalem vitam; per montrait qu’il existait une vie animale en lui;
hoc autem quod januis clausis intravit, ostendit mais par le fait qu’il est entré alors que les portes
spiritualem vitam. Ergo videtur quod argumenta étaient fermées, il montrait une vie spirituelle. Il
incongruenter adducta fuerint. semble donc que les arguments aient été
invoqués de manière inappropriée.
[10096] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 arg. 5 5. De même que la subtilité fait partie de la
Praeterea, sicut subtilitas est de gloria gloire de la résurrection, de même en est-il de
resurrectionis; ita et claritas. Sed Christus gloriam l’éclat. Or, le Christ a prouvé sa résurrection
resurrectionis solum per subtilitatem probavit seulement par la subtilité, lorsqu’il est entré chez
quando intravit ad discipulos januis clausis. Ergo les disciples alors que les portes étaient fermées.
videtur quod insufficienter ostenderit. Il semble donc qu’il l’ait insuffisamment
manifestée.
[10097] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] il est dit dans Ac 1, 3: Il se
Sed contra est quod dicitur Actor. 1, 3: praebuit manifesta comme vivant après sa passion par de
seipsum vivum post passionem suam in multis multiples arguments.
argumentis.
[10098] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 2 [2] Les apôtres devaient être les témoins de la
Praeterea, apostoli, debebant esse testes résurrection. Or, personne ne peut être un témoin
resurrectionis. Sed nullus potest esse testis qualifié de ce dont il n’est pas certain par la vue
idoneus eorum de quibus certitudinem per visum et par l’ouïe. Il semble donc qu’il ait dû leur
et auditum non habet. Ergo videtur quod ipse eis fournir des arguments par lesquels ils seraient
argumenta praebere debuit, quibus certificarentur assurés de sa résurrection.
de sua resurrectione.
[10099] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 s. c. 3 [3] Il était plus nécessaire que les apôtres aient
Praeterea, magis necessarium erat quod apostoli foi dans la résurrection que les autres, car
haberent fidem de resurrectione quam alii c’étaient eux qui devaient prêcher la foi. Or, la
homines: quia ipsi erant qui fidem praedicare foi en la résurrection du Christ a été donnée à
debebant. Sed aliis hominibus facta est fides de d’autres hommes par les arguments des miracles.
resurrectione Christi per argumenta miraculorum: Mc 16, 20 : …confirmant la parole par les
Marc. ultim., 20: sermonem confirmante signes suivants. Une certaine foi en la
sequentibus signis. Ergo apostolis per argumenta résurrection devait donc être donnée par des
aliqua fides de resurrectione fieri debuit. arguments.
[10100] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 co. Réponse. Comme le dit Denys, « la lumière
Respondeo dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, divine n’est reçue en nous que selon notre
lumen divinum non recipitur in nobis nisi proportion ». Or, la foi est causée en nous par
secundum nostram proportionem; fides autem l’influence de la la lumière divine. Il est donc
causatur in nobis ex influentia divini luminis; et nécessaire que cette lumière divine soit reçue en
ideo oportet quod istud divinum lumen secundum nous selon notre proportion. Or, notre
nostram proportionem in nobis recipiatur. connaissance prend naissance naturellement dans
Cognitio autem nostra naturaliter ex sensu oritur, le sens et se prolonge dans les principes de la
et per principia rationis procedit; unde licet illa raison. Bien que ce que la foi tient soit plus élevé
quae fides tenet, sint supra rationem et sensum, que la raison et que le sens, pour autant que cela
inquantum sunt fidei subjecta, ratione cujus est objet de la foi - raison pour laquelle il est
exigitur ad eorum cognitionem quod infundatur nécessaire que, pour le connaître, soit versée une
altius lumen, fidei scilicet; tamen ex parte nostra lumière plus élevée, celle de la foi -, certaines
fuerunt aliqua adminicula fidei exhibenda. appuis de la foi étaient cependant nécessaires de
Attenditur autem triplex gradus in credendo. notre point de vue. Or, on peut observer trois
629

Primus est ut aliquis rationem transcendens his degrés dans la foi. Le premier est que quelqu’un
quae non videntur nec sensu nec ratione, assentire soit disposé à donner son assentiment à ce qui
paratus sit; et sic adminiculantur fidei miracula, dépasse la raison et n’est vu ni par le sens ni par
quae ex eo quod humana ratione non la raison; ainsi viennent en aide à la foi les
comprehenduntur, ostendunt aliquid supra miracles, qui, par le fait qu’ils ne sont pas
rationem esse ei incomprehensibile. Secundus compris par la raison humaine, montrent qu’il
gradus est ut homini ea quae credenda sunt, existe quelque chose de plus élevé que la raison
determinentur. Et quia fides non innititur nisi et qui lui est incompréhensible. Le deuxième
veritati primae, inde est quod quantum ad hoc degré consiste en ce que ce qui doit être cru soit
adminiculatur fidei auctoritas, per quam précisé à l’homme. Et parce que la foi ne
ostenditur divinitus esse dictum. Tertius gradus s’appuie que sur la Vérité première, de là vient
est ut fidem quam habet, aliis testificetur; et que, sur ce point, l’autorité par laquelle il est
quantum ad hoc requiritur sensibilis cognitio montré que cela a été divinement dit vient en
eorum quae testificanda sunt; alias non esset aide à la foi. Le troisième degré consiste en ce
idoneum testimonium. Primum gradum ascendunt que celui qui possède la foi en témoigne devant
qui de novo ad fidem convertuntur; et ideo signa d’autres. Sous cet aspect, une connaissance
infidelibus data sunt, 1 Corinth. 14. Secundum sensible de ce dont on doit témoigner est
autem gradum ascendunt qui in fide instruendi nécessaire, autrement il n’y aurait pas de
sunt; et ideo eis ex auctoritate fides confirmatur. témoignage adéquat. Ceux qui se convertissent
Sed apostoli testes fuerunt fidei; et ideo prius initialement à la foi montent le premier degré,
inducti sunt ad credendum per miracula, sicut 1 Co 14. Ceux qui doivent être instruits de la foi
dicitur Joan. 2, 11: hoc fecit initium signorum montent le deuxième degré; aussi la foi leur est-
Jesus in Cana Galileae; postea instructi sunt per elle confirmée par l’autorité. Mais les apôtres ont
auctoritatem, ut patet in discipulis euntibus in été les témoins de la foi. C’est pourquoi ils ont
Emaus, Luc. ult., et deinde per visibiles d’abord incités à croire par des miracles, comme
apparitiones idonei testes effecti sunt; 1 Joan. 1, 3:
il est dit en Jn 2, 11 : Jésus commença ainsi ses
quod vidimus et audivimus. Sed quia ad signes à Cana en Galilée; par la suite, ils furent
resurrectionem, cum sit quaedam mutatio, exigitur instruits par l’autorité, comme cela ressort chez
quod idem sit quod de uno extremo ad aliud les disciples qui allaient à Emmaüs, Lc 24, et
transivit, ideo dominus duo per apparitiones ensuite ils ont été rendus des témoins adéquats
probare voluit, idest identitatem resurgentis, et par des apparitions visibles, 1 Jn 1, 3 : Ce que
conditionem resurrectionis. Conditionem autem nous avons vu et entendu... Mais parce qu’il est
resurrectionis probavit quantum ad tria: scilicet nécessaire pour la résurrection, qui comporte un
quantum ad veritatem vitae per hoc quod cum eis changement, que ce soit la même chose qui soit
comitatus est; similiter quantum ad veritatem passée d’un extrême à l’autre, le Seigneur a
corporis per hoc quod eis se palpabilem praebuit: voulu prouver deux choses par ses apparitions :
et quantum ad gloriam per hoc quod januis clausis l’identité de celui qui était ressuscité et la
intravit. Identitatem etiam probavit et quantum ad condition de la résurrection. Or, il a prouvé la
naturam per hoc quod comedit, et quantum ad condition de la résurrection sous trois aspects :
personam per hoc quod se eis visibilem praebuit pour ce qui est de la vérité de la vie, en les
in eadem effigie in qua prius eum soliti erant accompagnant; pour ce qui est de la vérité de son
videre, et quantum ad accidentia per hoc quod eis corps, en se prêtant à leur toucher; pour ce qui
cicatrices ostendit. est de la gloire, en entrant alors que les portes
étaient closes. Il a aussi prouvé son identité, pour
ce qui est de la nature, en mangeant; pour ce qui
est de sa personne, en se rendant visible pour eux
sous la même forme sous laquelle ils étaient
habitués à le voir; et pour ce qui est des
accidents, en leur montrant ses cicatrices.
[10101] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1. L’intention d’Ambroise est de dire que la foi
630

primum ergo dicendum, quod intentio Ambrosii ne donne pas ou refuse son assentiment à cause
est dicere, quod fides non assentit alicui vel des arguments, mais en raison de la Vérité
dissentit propter argumenta, sed propter veritatem première, mais non pas sans que puissent être
primam; non autem quin possint induci invoqués des arguments qui aident à croire.
adminiculantia fidei argumenta.
[10102] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 2 Ad 2. Ces arguments prouvaient suffisamment la
secundum dicendum, quod argumenta illa démonstration pour laquelle ils étaient invoqués,
sufficienter probabant illud ad quod probandum comme qu’on l’a dit. Mais la foi n’a pas comme
inducebantur, ut dictum est. Sed fides non est objet direct ce qui était prouvé, mais la divinité,
directe de illo quod probabatur sicut de objecto, qui ne peut être prouvée à l’homme in via. Aussi
sed de divinitate, quae probari non potest homini Thomas, de qui il est dit, Jn 20, 29 : Parce que tu
in via: unde Thomas, de quo dictum est, Joan. 20, as vu, tu as cru, a-t-il vu l’homme et a-t-il
29, quia vidisti, credidisti: vidit hominem, et confessé Dieu. Pour cette raison, ces arguments
Deum confessus est; et propter hoc argumenta illa se déroulaient en supposant la foi, à savoir, que
ex suppositione fidei procedebant, quod scilicet cet homme, dans lequel la vérité de la nature ou
homo ille, in quo naturae veritas, vel aliquid quelque chose de ce genre était montré, était
hujusmodi ostendebatur, esset Deus; unde non Dieu. Aussi n’étaient enlevés ni le mérite ni la
tollebatur neque meritum neque ratio fidei. raison de la foi.
[10103] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. Certains articles de foi portent sur la divinité
tertium dicendum, quod articuli fidei quidam sunt seulement : ceux-ci ne peuvent pas être prouvés
de divinitate tantum; et isti non possunt ad sensum au sens que par des miracles ou par des autorités.
probari, sed vel per miracula, vel per auctoritates; C’est ainsi qu’ils ont été prouvés. Mais certains
et sic probata sunt. Quidam autem sunt de portent sur l’humanité unie à la divinité : ceux-là
humanitate unita divinitati; et isti etiam ad sensum sont tous prouvés aux sens. Mais parce que la
omnes probati sunt. Sed quia passio et ascensio in passion et l’ascension ont été vues en elles-
seipsa visa est, resurrectio autem non; ideo signa mêmes, alors que la résurrection ne l’a pas été, il
resurrectionis visibiliter ostendi oportuit, ex était nécessaire que des signes de la résurrection
quibus conferendo ad veritatem resurrectionis soient visiblement montrés, par lesquels on
perveniretur: et propter hoc ista probatio dicta est parviendrait à la vérité de la résurrection en les
argumentativa, non autem probatio ascensionis rassemblant. Pour cette raison, cette
vel passionis. démonstration est appelée argumentative, mais
non la preuve de l’ascension et de la passion.
[10104] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 4 Ad 4. Il n’y avait pas de contraires dans les
quartum dicendum, quod non erant in argumentis arguments, car le fait de manger se rapportait à la
aliquae contrarietates: quia comestio referebatur nature, et le fait d’entrer, alors que les portes
ad naturam, et introire januis clausis referebatur étaient fermées, [se rapportait] à la gloire. Ils ne
ad gloriam; et non erat respectu ejusdem. portaient donc pas sur la même chose.
[10105] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 3 ad 5 Ad 5. On trouve l’éclat et l’impassibilité dans
quintum dicendum, quod in aliis corporibus etiam d’autres corps, comme dans les corps célestes;
secundum naturam invenitur claritas et mais la subtilité ne se trouve dans aucun corps
impassibilitas, sicut in corporibus caelestibus; sed naturel. L’agilité ne peut être montrée de
subtilitas in nullo naturali corpore invenitur. manière visible, car le sens porte sur des choses
Agilitas autem ostendi visibiliter non potest: quia particulières; or, l’agilité consiste en ce qu’on
sensus particularium est; agilitas autem est ut puisse se mouvoir à partir de n’importe où. De
possit undecumque velit moveri; et praeterea loca plus, des lieux très distants ne peuvent pas être
multum distantia videri non possunt; et iterum vus, et encore, parce que quelque chose de
quia simile agilitati in radio solis invenitur. Unde semblable à l’agilité se trouve dans le rayon du
dicendum, quod discipulis euntibus in Emaus soleil. Il faut donc dire qu’il a démontré son
agilitatem demonstravit in hoc quod ab oculis agilité aux disciples qui se rendaient à Emmaüs
eorum statim evanuit; Luc. ult. par le fait qu’il disparut aussitôt à leurs yeux,
631

Lc 24.

Articulus 4 [10106] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 Article 4 – L’argument tiré d’une apparition
a. 4 tit. Utrum argumentum sumptum ex visibili visible était-il approprié ?
apparitione fuerit conveniens
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’argument tiré d’une
apparition visible était-il approprié ?]
[10107] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 1. Il semble que l’argument tiré d’une apparition
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod visible ne soit pas approprié, car, pour la vérité
argumentum sumptum ex visibili apparitione non de la résurrection, il est nécessaire que le vrai
fuit conveniens. Quia ad veritatem resurrectionis corps humain soit ressuscité. Or, les anges, qui
exigitur quod sit verum corpus humanum quod n’ont pas de vrais corps humains, sont apparus à
resurgit. Sed Angeli, qui non habent vera corpora plusieurs dans l’Ancien Testament. La vérité de
humana, apparuerunt multis in veteri testamento. la résurrection n’est donc pas montrée par une
Ergo per apparitionem visibilem non ostenditur apparition visible.
veritas resurrectionis.
[10108] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 2. Tout corps est vu selon la forme qu’il possède.
arg. 2 Praeterea, omne corpus videtur secundum Or, la forme du corps du Christ est la forme
formam quam habet. Sed forma corporis Christi glorieuse. Si donc il leur est apparu, ils l’ont vu
est forma gloriosa. Si ergo apparuit eis, in forma en sa forme glorieuse. Or, l’éclat du corps
gloriosa ipsum viderunt. Sed claritas gloriosi glorieux n’est pas proportionné a l’œil non
corporis non est proportionata oculo non glorifié, puisque son éclat dépasse l’éclat du
glorificato, cum sit major claritate solis. Ergo soleil. Le Christ ne pouvait donc pas être vu.
Christus a discipulis videri non potuit.
[10109] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 3. Les disciples qui allaient à Emmaüs l’ont vu
arg. 3 Praeterea, discipuli euntes in Emaus, sous la forme d’un pèlerin. Soit cette forme était
viderunt eum in effigie peregrini. Aut ergo illa en lui selon la vérité, soit elle était seulement
effigies inerat ei secundum veritatem, aut erat dans les yeux de ceux qui le voyaient. Si elle se
tantum in oculis videntium. Si erat in corpore trouvait dans le corps du Christ, puisqu’elle était
Christi, cum in eo esset effigies propria, tunc duae pour lui une forme propre, deux formes se
effigies erant simul in uno corpore, quod est trouvaient donc simultanément dans un même
impossibile. Si autem erat tantum in oculis corps, ce qui est impossible. Mais si elle se
videntium, ergo erat praestigiosa apparitio. Sed ea trouvait seulement dans les yeux de ceux qui le
quae praestigiose apparent, non demonstrant voyaient, il s’agissait donc d’une apparition
veritatem rei. Ergo per hoc non poterat trompeuse. Or, les apparitions trompeuses ne
demonstrari veritas resurrectionis. démontrent pas la vérité d’une chose. La vérité
de la résurrection ne pouvait donc pas être
démontrée par cela.
[10110] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 s. Cependant, [1] parmi tous les sens, la plus
c. 1 Sed contra, inter omnes sensus majorem grande certitude vient de la vue, comme il est dit
certitudinem facit visus, ut dicitur in 1 Metaph. dans Métaphysique, I. Or, les apôtres, qui étaient
Sed apostoli, qui erant testes resurrectionis, les témoins de la résurrection, devaient posséder
debebant habere certissimam fidem de une foi très certaine en la résurrection. On devait
resurrectione. Ergo debuit eis fieri argumentum ex donc leur présenter un argument à partir de la
visu. vue.
[10111] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 s. [2] Cela ressort de ce qui est dit en 1 Jn 1, 3 : Ce
c. 2 Praeterea, hoc patet per id quod dicitur 1 que nous avons vu et entendu, nous vous
Joan., 1, 3: quod vidimus et audivimus l’annonçons.
annuntiamus vobis.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ devait-il se
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laisser palper par eux ?]


[10112] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 1. Il semble qu’il ne devait pas se laisser palper
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuit seipsis par eux. En effet, « ce qu’on peut toucher est
palpabilem exhibere. Palpabile enim incorruptibili contraire à ce qui est incorruptible », comme le
contrarium est, ut dicit Gregorius. Sed contraria dit Grégoire. Or, les contraires ne peuvent pas
non possunt esse in eodem. Cum ergo corpus exister dans une même chose. Puisque le corps
Christi esset incorruptibile, videtur quod non du Christ était incorruptible, il semble donc qu’il
debuerit ipsum palpabile exhibere. ne devait pas se laisser toucher par eux.
[10113] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 2. Les différences tangibles sont le chaud et le
arg. 2 Praeterea, differentiae tangibiles sunt froid et leurs contraires. Or, ces réalités
calidum et frigidum, et hujusmodi contraria. Sed contraires ne se trouveront pas dans les corps
in glorificatis corporibus non erunt hujusmodi glorieux, comme on dit, ni même dans les
contrarietates, ut dicitur, nec etiam in elementis éléments après la rénovation du monde. Le corps
post mundi innovationem. Ergo corpus Christi du Christ ne pouvait donc pas être touché.
palpari non potuit.
[10114] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 3. Seul est palpable ce qui résiste au toucher et à
arg. 3 Praeterea, hoc solum palpabile est quod est quoi le toucher résiste; ainsi, l’air, bien qu’il soit
resistens tactui, et cui tactus resistit; unde aer tangible, n’est cependant pas palpable. Or, un
quamvis sit tangibilis, non tamen est palpabilis. autre corps ne résistait pas au corps du Christ,
Sed corpori Christi non resistebat aliud corpus, puisqu’il était entré alors que les portes étaient
quia januis clausis intravit. Ergo palpari non closes. Il ne pouvait donc pas être palpé.
potuit.
[10115] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 4. L’esprit d’un ange ou du Démon pourrait
arg. 4 Praeterea, spiritus Angeli vel Daemonis assumer un corps solide qui pourrait être palpé.
posset assumere corpus solidum quod palpari La vérité d’un corps n’est donc pas suffisamment
posset. Ergo per palpationem non sufficienter prouvée par la palpation.
probatur veritas corporis.
[10116] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 5. Les autres sens sont plus spirituels que le
arg. 5 Praeterea, alii sensus sunt magis spirituales toucher. Il devait donc prouver la vérité de la
quam tactus. Ergo magis per eos debuit veritatem résurrection par eux plutôt que par le toucher.
resurrectionis probare quam per tactum.
[10117] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 s. Cependant, [1] Lc 24, 39 dit : Palpez et voyez,
c. 1 Sed contra, Luc. ult., 39: palpate et videte; car un esprit n’a pas de chair ni d’os, comme
quia spiritus carnem et ossa non habet, sicut me vous voyez que j’en ai.
videtis habere.
[10118] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 s. [2] Parmi les autres sens, l’homme a comme
c. 2 Praeterea, inter alios sensus homo sens le plus certain le toucher, comme il est dit
certissimum habet tactum, ut dicitur in 2 de dans Sur l’âme, II. Puisque la connaissance de la
anima. Cum igitur cognitio resurrectionis debuerit résurrection devait être très certaine pour les
esse certissima in apostolis, per tactum debuit eis apôtres, elle devait donc leur être montrée par le
ostendi. toucher.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ devait-il prouver
sa résurrection par ses cicatrices ?]
[10119] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 1. Il semble que [le Christ] ne devait pas prouver
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuerit per sa résurrection par ses cicatrices, car, par sa
cicatrices suam resurrectionem probare. Quia per résurrection, le Christ a mis en évidence notre
suam resurrectionem Christus nostram résurrection. Or, toute corruption est enlevée de
demonstravit. Sed a resurgentibus omnis corruptio ceux qui ressuscitent. Puisqu’une cicatrice est
removebitur. Cum igitur cicatrix sit quaedam une corruption, il semble donc que le Christ ne
corruptio, videtur quod Christus per cicatrices devait pas prouver sa résurrection par ses
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suam resurrectionem probare non debuit. cicatrices.


[10120] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 2. L’état de ceux qui ressuscitent est un état
arg. 2 Praeterea, status resurgentium est status d’immuabilité. Le Christ ne devait donc montrer
immutabilis. Ergo Christus in seipso non debuit en lui-même que ce qui devait toujours exister à
demonstrare nisi quod semper in se futurum erat. l’avenir. Or, les cicatrices ne devaient pas
Sed cicatrices non semper in Christo debebant demeurer pour toujours, car [Jean] Damascène
remanere: quia dicit Damascenus, quod tantum dit qu’elles ne se trouvaient chez le Christ que
secundum dispensationem in Christo fuerunt. selon l’économie (dispensatio). Il ne devait donc
Ergo cicatrices ostendere non debuit. pas montrer ses cicatrices.
[10121] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 3. Jérôme dit à Marcella que celui qui ne croit
arg. 3 Praeterea, Hieronymus dicit ad Marcellam, pas à sa résurrection ne mérite pas de toucher le
quod non meretur tangere Christum qui Christ; c’est pour cela qu’il a été dit à Madeleine,
resurrectionem ejus non credit; propter quod Jn 20, 17 : Ne me touche pas! Or, Thomas ne
dictum est Magdalenae, Joan. 20, 17: noli me croyait pas à la résurrection. Le Christ ne devait
tangere. Sed Thomas resurrectionem non donc pas lui donner à palper ses cicatrices.
credebat. Ergo Christus cicatrices vulnerum ei
palpabiles exhibere non debuit.
[10122] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 s. Cependant, [1] le pape Léon dit : « Qui doute
c. 1 Sed contra, Leo Papa: quis dubitet a mortuis que le Sauveur est revenu des morts, lui dont
rediisse salvatorem, cujus praesentiam agnovit l’œil a reconnu la présence, la main a touché,
oculus, attrectavit manus, digitus perscrutatus que le doigt a palpé ? » Puisqu’il devait enlever
est ? Ergo cum omnem dubitationem suae tout doute à propos de sa résurrection, il semble
resurrectionis auferre debuerit, videtur quod donc qu’il devait donner ses cicatrices à scruter
cicatrices digito perscrutandas praebere debuit. avec le doigt.
[10123] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 s. [2] Il convient que le vainqueur possède et
c. 2 Praeterea, decet victorem insignia suae montre les insignes de sa victoire. Or, comme le
victoriae et habere et ostendere. Sed, sicut dicit dit Augustin dans le livre sur La cité de Dieu,
Augustinus in Lib. de civitate Dei, cicatrices « les cicatrices des blessures du Christ étaient
vulnerum Christi fuerunt victoriae suae indicia. des signes de sa victoire ». Il convenait donc
Ergo decuit ut eas haberet, et ostenderet. qu’il les possède et les montre.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Le Christ devait-il montrer
sa résurrection en mangeant ?]
[10124] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 1. Il semble que [le Christ] ne devait pas montrer
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debuit per sa résurrection en mangeant. En effet, manger se
manducationem suam resurrectionem ostendere. rapporte à la vie animale. Or, par la résurrection,
Comestio enim spectat ad vitam animalem. Sed on ne passe pas à la vie animale, comme le
per resurrectionem non transitur ad vitam disent les Sarrasins et les Juifs. Le Christ ne
animalem, ut dicunt Saraceni et Judaei. Ergo devait donc pas prouver [sa résurrection] en
Christus per comestionem resurrectionem probare mangeant.
non debuit.
[10125] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 2. La nourriture mangée se transforme dans le
arg. 2 Praeterea, cibus comestus convertitur in corps de celui qui mange. Or, rien ne pouvait
corpus comedentis. Sed in corpus Christi non être changé en corps du Christ, car il se trouvait
potuit aliquid converti: quia jam erat extra statum déjà en dehors de l’état de génération et de
generationis et corruptionis. Ergo videtur quod corruption. Il semble donc qu’il ne devait pas
comedere non debuit. manger.
[10126] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 3. Les anges qui sont apparus à Abraham ont
arg. 3 Praeterea, Angeli qui apparuerunt Abrahae, mangé; cependant, il n’y avait pas de vérité de la
manducaverunt; nec tamen in eis fuit veritas nature humaine en eux. [Le Christ] ne devait
humanae naturae. Ergo per comestionem veram donc pas prouver la vraie résurrection de sa
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resurrectionem humanae naturae probare non nature humaine en mangeant.


debuit.
[10127] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 s. Cependant, [1] Ac 10, 40 dit : Il s’est fait
c. 1 Sed contra, Act. 10, 40: dedit eum notum fieri connaître, non pas à tout le peuple, mais à nous,
non omni populo, sed nobis, qui manducavimus et qui avons mangé et bu avec lui après qu’il fut
bibimus cum eo, postquam resurrexit a mortuis; et ressuscité des morts. Par cela, Pierre a témoigné
per hoc testificatus est Petrus resurrectionem. de la résurrection. Il devait donc présenter cet
Ergo et hoc argumentum debuit exhibere suae argument de sa résurrection.
resurrectionis.
[10128] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 s. [2] La vérité de l’incarnation est prouvée par ce
c. 2 Praeterea, veritas incarnationis probatur per id qui est la plus petite partie de l’homme, la chair.
quod est infimum in partibus hominis, scilicet per Aussi est-il dit en Jn 1, 14 : Le Verbe s’est fait
carnem; unde dictum est Joan. 1, 14: verbum caro chair. La vérité de la nature humaine devait donc
factum est. Ergo etiam veritas naturae humanae aussi être prouvée chez le Christ par ce qui est la
debuit probari in Christo per id quod est infimum plus petite parmi les œuvres de l’âme. Or, telles
in operibus animae. Hae autem sunt operationes sont les opérations de l’âme végétative, dont la
vegetabilis animae; quarum prima in animalibus première, chez le animaux, est le fait de manger.
est comestio. Ergo per hoc veritatem Il devait donc prouver par cela la vérité de la
resurrectionis probare debuit. résurrection.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10129] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Pour la vérité de la résurrection, il est requis que
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, le même en nombre ressuscite. Or,
quod ad veritatem resurrectionis exigitur quod l’individuation, selon laquelle une chose est la
idem numero resurgat. Individuatio autem, même en nombre, est manifestée par divers
secundum quam est aliquid unum numero, ex accidents, dont l’assemblage ne se trouve pas
diversis accidentibus manifestatur, quorum chez un autre. Et parce que, comme le dit le
collectio in alio non invenitur: et quia visus, ut Philosophe au début de Métaphysique, la vue
dicit philosophus in principio Metaph., plures nous montre plusieurs différences des choses, le
nobis rerum differentias ostendit, ideo quod sit fait qu’une chose soit identique en nombre n’est
idem numero, nunquam melius quam per visum jamais mieux manifesté que par la vue. C’est
manifestatur; et ideo visibilis apparitio fuit unum pourquoi l’apparition visible a été l’un des
de argumentis resurrectionis. arguments de la résurrection.
[10130] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1. L’apparition visible n’était pas invoquée pour
1 Ad primum ergo dicendum, quod apparitio prouver la vérité de la chair (car cela était prouvé
visibilis non inducebatur ad probandum veritatem par d’autres arguments), mais pour prouver
carnis (quia hoc per alia argumenta probabatur), l’identité du suppôt, en supposant la vérité du
sed ad probandum identitatem suppositi, supposita corps.
veritate corporis.
[10131] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2. Selon l’opinion de Prévostin, qui semble plus
2 Ad secundum dicendum, quod secundum probable, le corps glorifié se trouve
opinionem Praepositini, quae probabilior videtur, complètement au pouvoir de l’âme pour ses
corpus glorificatum, est omnino in potestate actions. Mais le fait qu’il soit visible semble
animae quantum ad omnes actiones ejus; visibile venir de qu’il agit sur la vision. C’est pourquoi il
autem videtur secundum quod agit in visum; et disait qu’il est au pouvoir du corps glorieux
ideo dicebat, quod in potestate corporis gloriosi d’être vu ou de ne pas être vu, et, de plus,
est quod videatur vel non videatur; et iterum lorsqu’il est vu, d’être vu sous la forme de la
quando videtur, quod videatur sub forma gloriae, gloire ou non. En effet, puisque la forme
vel non. Cum enim sit in eo forma naturalis naturelle du corps et la forme de la gloire
corporis, et forma gloriae; potest secundum unam existent chez lui, il peut ne changer la vue que
tantum immutare visum, vel secundum utramque; selon l’une [des formes] ou selon les deux, et
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et immutare visum secundum formam gloriae changer la vue sous la forme de la gloire selon la
secundum proportionem visus; ut non proportion de la vue, de sorte que celle-ci ne soit
corrumpatur, sed delectetur, sicut ex visibili pas corrompue, mais délectée, comme par une
proportionato. Alii vero dicunt quod non potest chose visible proportionnée. Mais d’autres disent
videri nisi per miraculum. Sed primum est qu’il ne peut être vu que par miracle. Mais la
probabilius. première position est plus probable.
[10132] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3. Le Christ a montré à ses disciples la forme
3 Ad tertium dicendum, quod discipulis Christus naturelle de son corps, selon laquelle il est d’une
formam naturalem sui corporis ostendit, qua est certaine manière un corps coloré, et non la forme
quodammodo corpus coloratum, et non formam de l’éclat de la gloire. Le fait qu’ils ne l’aient pas
claritatis gloriae. Quod autem ipsi eum non reconnu venait de leur disposition intérieure, car
cognoverunt, fuit ex interiori eorum dispositione, ils ne croyaient pas qu’il était ressuscité. Aussi
quia eum resurrexisse non credebant; unde non ne s’appliquaient-ils pas à interroger leurs
ponebant se ad perquirendum judicia propria, propres jugements, par lesquels ils pouvaient le
quibus possent ipsum cognoscere: sicut etiam connaître, comme cela arriverait si nous voyions
accideret, si videremus aliquem quem mortuum quelqu’un que nous aurions cru mort, aussi
crederemus, quamvis notus fuisset nobis; et connu nous ait-il été, et surtout si nous le
maxime si videremus illum in alio habitu. Unde voyions habillé autrement. Aussi dès qu’il leur
quam cito eis ostendit signum fractionis panis eut montré le signe de la fraction du pain qui lui
speciale sibi, cognoverunt eum propter specialem était particulier, l’ont-ils reconnu à la manière
modum frangendi: quia, ut dicitur, sua fractio erat particulière de rompre, car, ainsi qu’on le dit, sa
similis incisioni cultelli. Et hac infidelitate vel manière de rompre était semblable à la coupure
dubitatione tenebantur oculi eorum ne eum d’un couteau. À cause de cette infidélité ou de ce
cognoscerent; et ista detentio dicitur aorasia, de doute, leurs yeux étaient empêchés de le
qua dicitur in Glossa, Gen. 19, non quod esset connaître : cet empêchement est appelé aorasia,
aliquod impedimentum ex parte visus corporalis dont il est question dans la Glose sur Gn 19, et
in discipulis sicut potuit esse in Sodomitis. Vel non pas qu’il y ait eu un empêchement du point
potest dici quod quamvis visui repraesentaretur de vue de la vision corporelle chez les disciples,
propria species, in qua soliti erant eum videre; comme cela pouvait être le cas pour les gens de
tamen virtute divina impediebantur vires Sodome. Ou bien on peut dire que bien que sa
interiores, ne sequerentur judicium de persona illa forme habituelle ait été représentée à la vue, les
quae esset; et sic ea quae exterius agebantur, puissances intérieures étaient cependant
conformabantur his quae interius contingebant in empêchées de suivre le jugement sur l’identité de
ipsis, ut praesentem haberent, et non cette personne. Ainsi, ce qui se passait
cognoscerent: quia amabant, sed dubitabant, ut extérieurement se conformait à ce qui arrivait
dicit Gregorius. intérieurement chez eux, de sorte qu’ils le
voyaient comme présent, mais ne le
reconnaissaient pas, parce qu’« ils aimaient, mais
doutaient », comme le dit Grégoire.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10133] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 co. En raison de l’emportement de l’imagination, il
Ad secundam quaestionem dicendum, quod arrive parfois que ce que l’imagination saisit
propter vehementiam imaginationis contingit semble être présent à la vue, non seulement
aliquando quod illud quod imaginatio lorsqu’on dort, mais aussi à l’état de veille. De
apprehendit, videtur esse praesens in visu, non même, il arrive qu’en raison du contraste de
solum in dormiendo, sed etiam in vigilando. certains corps, il semble y avoir une forme
Similiter etiam contingit quod ex oppositione ressemblant à des hommes ou à d’autres
aliquorum corporum videtur aliqua effigies, ac si animaux. De plus, les apparitions visibles de
esset hominum, vel aliorum animalium. Iterum démons et même d’anges ont coutume de se
etiam apparitiones visibiles Daemonum et etiam réaliser sous forme de corps aériens serrés, de
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Angelorum consueverunt fieri per corpora aerea sorte que, dès qu’ils s’envolent, ils se dissolvent.
inspissata; unde statim cum volunt, dissolvuntur. C’est pourquoi le Seigneur, afin de montrer la
Et ideo dominus ad ostendendum veritatem vérité de la résurrection, a ajouté la palpation à la
resurrectionis, palpationem visui adjunxit, ut vue afin d’écarter la vision provoquée par le
excluderetur visio per immutationem visus ab changement de la vue par l’imagination, la vision
imaginatione, et visio umbrarum, et visio d’ombres et la vision d’esprits qui se
spirituum apparentium. manifestent.
[10134] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1. Tout corps tangible est par nature corruptible.
1 Ad primum dicendum, quod omne corpus Aussi, selon les philosophes, le ciel est-il visible,
tangibile est per naturam corruptibile; unde mais il n’est pas tangible. Mais ce qui est par
secundum philosophos caelum est visibile, sed nature corruptible peut être incorruptible en vertu
non tangibile. Sed quod est per naturam de la gloire. Bien que ce qui est corruptible et ce
corruptibile, potest esse per gloriam qui est incorruptible soient simplement des
incorruptibile. Unde quamvis corruptibile et contraires – raison pour laquelle Grégoire dit
incorruptibile sint contraria simpliciter propter qu’il a montré en soi deux contraires -, ce qui est
quod dicit Gregorius, quod ostendit in se duo corruptible par nature et incorruptible par grâce
contraria; tamen corruptibile per naturam et ne sont pas des contraires. De même que le corps
incorruptibile per gratiam non sunt contraria. glorieux a le pouvoir d’être vu ou de ne pas être
Unde sicut corpus gloriosum habet in potestate vu, de même donc a-t-il le pouvoir de pouvoir
sua quod possit videri et non videri; ita habet in être palpé et de ne pas être palpé, et les deux sans
potestate quod possit palpari et non palpari, et miracle : il est palpé selon la nature du corps,
utrumque sine miraculo: sed palpatur per naturam mais il n’est pas palpable pour autant que le
corporis; non palpabile autem est, inquantum corps est l’instrument de l’âme glorieuse.
corpus est instrumentum animae gloriosae.
[10135] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2. La palpation ne relève pas du sens du toucher
2 Ad secundum dicendum, quod palpatio non en tant qu’il peut distinguer le chaud et le froid et
pertinet ad sensum tactus inquantum est les contraires de ce genre, mais en tant qu’il peut
discretivus calidi et frigidi, et hujusmodi distinguer les corps solides qui ont le pouvoir
contrariorum; sed inquantum est discretivus naturel de résister à celui qui les divise. Cette
corporum solidorum quae habent potentiam solidité existe dans les corps glorieux, même si
naturalem resistendi dividenti; et haec quidem ces qualités ne sont pas contraires. Ou bien il
soliditas est in corporibus gloriosis, etsi non sint faut dire que ces qualités existent dans le corps
qualitates illae contrariae. Vel dicendum, quod glorieux et existeront dans les éléments quant à
qualitates illae sunt in corpore glorioso, et erunt in leur substance, mais non quant à l’action par
elementis quantum ad substantiam, sed non laquelle ils agissent l’un sur l’autre. En effet, ils
quantum ad actionem, qua unum agat in alterum: seront retenus d’agir par la forme de la gloire,
continebuntur enim per formam gloriae ne agant, comme le composé est empêché par la forme
sicut continentur per formam naturalem ne naturelle de se dissoudre.
dissolvant conjunctum.
[10136] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3. Bien qu’aucun corps non glorieux ne puisse
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis glorioso résister à un corps glorieux, le glorieux peut
corpori nullum corpus non gloriosum possit cependant résister à n’importe quel autre corps;
resistere; tamen corpus gloriosum potest resistere sous cet aspect, il peut être palpé quand il le
cuilibet alteri corpori; et secundum hoc potest veut.
palpari quando vult.
[10137] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4. Bien qu’un esprit puisse recevoir un corps
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis spiritus solide, il ne peut cependant pas assumer un corps
possit corpus solidum accipere; non tamen potest solide, dans lequel se manifestent toutes les
assumere corpus solidum, in quo appareant omnes opérations de la vie, comme elles se
operationes vitae, sicut perfecte in Christi corpore manifestaient dans le corps du Christ, car
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apparebant: quia opus artis non potest esse simile l’œuvre de l’art ne peut être semblable à
operationi naturae. Unde quamvis statim non l’opération de la nature. Bien que la supercherie
perciperetur deceptio, si Christus corpus solidum n’aurait pas été immédiatement perçue si le
assumpsisset, tamen ex longa mora, qualem Christ avait assumé un corps solide, à la longue
contraxit Christus cum discipulis, non potuisset il n’aurait pas pu cacher à ses disciples celui
latere: quia illa quae fiunt per artem Daemonis qu’il avait pris, car ce qui est réalisé par l’art du
praeter viam naturae, non sunt diuturna. Diable en dehors de la voie de la nature ne dure
pas longtemps.
[10138] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 5. Par le toucher, nous connaissons le chaud et le
5 Ad quintum dicendum, quod per tactum froid, le dur et le mou, et les qualités de ce genre,
cognoscimus calidum et frigidum, durum et dont le corps est naturellement constitué. C’est
molle, et hujusmodi qualitates, ex quibus pourquoi, bien que le toucher soit le moins
naturaliter constituitur corpus; et ideo quamvis spirituel des sens, la vérité de la nature
tactus sit minus spiritualis inter alios sensus, ressuscitée peut cependant être plus sûrement
tamen per eum veritas naturae resurgentis certius prouvée par lui.
probari potuit.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10139] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 co. Les cicatrices étaient les signes de la mort du
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod Christ. Aussi était-il montré par cet accident que
cicatrices signa erant mortis Christi: unde celui qui était ressucité était le même que celui
secundum hoc accidens ostendebatur quod ille qui était mort.
idem qui mortuus fuerat resurrexit.
[10140] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1. Selon Augustin, La cité de Dieu, XXII, « ces
1 Ad primum ergo dicendum, quod secundum cicatrices des blessures demeurent chez les
Augustinum, 22 de Civ. Dei, hujusmodi cicatrices vainqueurs et sont demeurées chez le Christ
vulnerum remanent in victoribus, et in Christo comme un ornement, comme les insignes de sa
remanserunt ad decorem quasi insignia victoriae victoire, et non pas parce qu’une corruption ou
suae, et non quod aliqua corruptio vel defectus ex une carence s’est trouvée en lui en raison de ces
istis cicatricibus in eis sit. Unde etsi aliquibus cicatrices. Même si certains membres ont été
sanctis sunt amputata aliqua membra, non oportet amputés à des saints, il n’est donc pas nécessaire
quod sine illis resurgant, sed quod in loco qu’ils ressuscitent sans eux, mais qu’à l’endroit
incisionis aliquod vestigium ad decorem gloriae de l’incision, un vestige demeure comme un
remaneat. ornement glorieux.
[10141] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2. Il semble plus probable que ces cicatrices
2 Ad secundum dicendum, quod cicatrices istae, demeureront toujours dans le corps du Christ
ut probabilius videtur, semper in corpore Christi comme un ornement. On dit qu’elles ont été
remanebunt ad decorem. Quod autem dicuntur assumées selon une dispensation, non pas parce
dispensative assumptae, hoc est, non quia ad qu’elles ont été assumées temporairement, mais
tempus assumptae sunt, sed quia non est de parce que ce n’est pas une nécessité de la matière
necessitate materiae quod in Christo remaneant, qu’elles demeurent chez le Christ, comme cela
sicut in nobis accidit, sed propter aliquem finem: arrive chez nous, mais en raison d’une fin : chez
in omnibus quidem victoribus propter decorem, in tous les vainqueurs, comme un ornement, mais
Christo autem propter hoc et propter alia quatuor. chez le Christ, pour cette raison et pour quatre
Primo ut veritatem resurrectionis astrueret; autres. Premièrement, pour affirmer la vérité de
secundo ut eas patris ejus aspectui praesentaret, la résurrection; deuxièmement, pour les présenter
pro nobis implorans; tertio ut nobis suae à la vue de son Père en implorant pour nous;
misericordiae et caritatis monstraret indicia; troisièmement, pour nous montrer des signes de
quarto ut in judicio per eas impiis ostenderet sa miséricorde et de sa charité; quatrièmement,
quam juste damnentur. afin que, lors du jugement, il les montre aux
impies à quel point ils sont justement damnés.
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[10142] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3. Thomas a cru à la seule vue des blessures.
3 Ad tertium dicendum, quod Thomas ad solum Aussi lui a-t-il été dit, Jn 20, 29 : Tu as cru parce
aspectum vulnerum credidit; unde dictum est ei, que tu m’as vu. Cependant, il l’a touché pour
Joan. 20, 29: quia vidisti me, credidisti. Sed tamen écarter de nous tout doute, car il était un futur
tetigit eum, ut a nobis omnem dubitationem témoin de la résurrection. Aussi le pape Léon
excluderet: quia testis erat futurae resurrectionis; dit-il : « Il aurait suffi pour sa propre foi qu’il ait
unde Leo Papa dicit: suffecerat ad fidem propriam vu; mais il a agi pour nous en touchant ce qu’il
quod viderat; sed nobis operatus est, ut tangeret voyait. » Mais la glorieuse Madeleine n’était pas
quod videbat. Gloriosa autem Magdalena non choisie comme témoin de la résurrection pour le
eligebatur ut testis resurrectionis in populis: quia peuple, car il ne convient pas qu’une femme
non decet mulierem docere in Ecclesia, 1 Corinth. enseigne dans l’Église, 1 Co 14. Aussi ne lui a-t-
14, et ideo non est permissa tangere. il pas été permis de toucher.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[10143] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 co. En mangeant, il a montré que la vraie nature
Ad quartam quaestionem dicendum, quod per humaine était demeurée par les actes de cette vie
comestionem ostendit veram remansisse naturam qui sont les plus infimes, comme on l’a dit plus
humanam ex illis vitae operibus quae infima sunt, haut.
ut prius dictum est.
[10144] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1. La vérité de la résurrection était plus difficile à
1 Ad primum igitur dicendum, quod magis croire que la gloire du ressuscité, en supposant sa
difficile erat ad credendum veritas resurrectionis résurrection. Aussi des arguments ont-ils été
quam gloria resurgentis resurrectione supposita; et présentés surtout pour prouver la vérité de la
ideo maxime facta sunt argumenta ad probandum nature humaine qui demeure dans l’état de la
veritatem naturae humanae quae manet in statu gloire pour toutes les puissances et tous les
gloriae quantum ad omnes potentias et membra, ut membres, de sorte que la nature soit complète,
sit natura integra, quamvis non remaneant omnes bien que ne demeurent pas tous les usages des
usus potentiarum et membrorum, quia non inest puissances et des membres, car cela n’est pas
necessitas. Et ideo ista comestio non fuit nécessaire. C’est pourquoi le fait de manger
necessitatis, sicut est in animali vita, sed magis n’était pas nécessaire, comme il l’est pour la vie
fuit potestatis, idest naturalis potentiae ostensiva. animale, mais il fut plutôt la manifestation d’une
capacité, à savoir qu’il manifestait une puissance
naturelle.
[10145] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2. C’était là une manducation sous l’aspect de
2 Ad secundum dicendum quod fuit ibi comestio division de la nourriture et de passage par la
quantum ad divisionem cibi, et quantum ad ventre, mais non sous l’aspect de conversion en
trajectionem in ventrem, non autem quantum ad humeurs. Cependant, comme le dit Augustin,
conversionem in humores. Cibus autem ille, ut « cette nourriture a été changée en nature
dicit Augustinus, in spiritualem naturam spirituelle », c’est-à-dire qu’elle s’est
conversus est, idest in vaporem resolutus, sicut transformée en vapeur, comme l’eau par le rayon
aqua per radium solis. du soleil.
[10146] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3. Chez les anges, il n’y a pas de manducation
3 Ad tertium dicendum, quod in Angelis non est pour manifester une puissance nutritive naturelle,
comestio ad ostendendum potentiam naturalem car ils ne la possèdent pas, comme le Christ l’a
nutritivam, quia eam non habent, sicut Christus possédée. Ce n’est donc pas la même chose. Bien
eam habuit; et ideo non est simile. Et quamvis qu’un seul de ces arguments n’aurait pas suffi en
unum istorum argumentorum ex se non sufficeret, lui-même, tous pris ensemble donnaient une
tamen omnia simul certitudinem faciebant; et ideo certitude. C’est pourquoi les arguments ont été
etiam argumenta multiplicata sunt. multipliés.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


639

21
[10147] Super Sent., lib. 3 d. 21 q. 2 a. 4 qc. 4
expos. Nemo tollit eam a me. Contra. Ergo
Christus non fuit per violentiam crucifigentium
occisus. Dicendum, quod illi quantum in eis erat,
violentiam intulerunt; quamvis Christo violentia
inferri non potuit ex parte personae, sed solum ex
parte corporis humani. Item, homo in illo mutatus
est, ut melior fieret quam erat. Contra. Naturae
manserunt utrinque in unitate. Dicendum, quod
humana natura in Christo per hoc quod est
assumpta in unitatem divinae personae, non est
mutata a sua naturali conditione; sed accepit
ampliorem perfectionem, secundum quam facta
est melior.

Distinctio 22 Distinction 22 – [Les conséquences de la mort


du Christ]

Quaestio 1 Question 1 – [Le Christ était-il un homme


pendant les trois jours de sa mort ?]
Prooemium Prologue
[10148] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 pr. Après avoir déterminé de ce qui se rapporte à la
Postquam determinavit Magister de his quae mort du Christ, à savoir, selon quelle raison on
pertinent ad mortem Christi, scilicet secundum dit qu’il est mort, le Maître détermine ici de ce
quam rationem dicatur mortuus, hic determinat ea qui découle de la mort du Christ. Cela se divise
quae consequuntur ad mortem Christi. Dividitur en deux parties : dans la première, il détermine
autem in duas partes: in prima determinat de de la mort du Christ comparée à son humanité de
morte Christi per comparationem ad ejus manière absolue; deuxièmement, comparée au
humanitatem absolute; secundo per lieu, en cet endroit : « Ici, on se demande si le
comparationem ad locum; ibi: hic quaeritur si Christ était un homme quelque part, alors qu’il
Christus in morte alicubi erat homo. Circa était mort. » À propos du premier point, il fait
primum tria facit: primo movet quaestionem, trois choses. Premièrement, il soulève une
utrum Christus in triduo fuerit homo; secundo question : le Christ était-il un homme pendant les
ponit aliorum opinionem, ibi: quod non videtur trois jours [de sa mort] ? Deuxièmement, il
quibusdam; tertio ponit opinionem suam, ibi: présente l’opinion des autres, à cet endroit : « Il
quibus respondemus. Hic quaeritur, si Christus in ne semble pas à certains… » Troisièmement, il
morte alicubi erat homo. Hic inquirit de morte per présente son opinion, à cet endroit : « Nous
comparationem ad locum in quo erat; et duo facit: répondons à cela... » « Ici, on se demande si le
primo ostendit quod erat secundum humanitatem Christ était un homme quelque part, alors qu’il
in sepulcro et in Inferno, et secundum divinitatem était mort. » Il s’interroge ici sur la mort
ubique. Secundo inquirit, utrum de illo homine comparée au lieu où [le Christ] se trouvait, et il
possit praedicari esse ubique, ibi: solet etiam fait deux choses : premièrement, il montre qu’il
quaeri, si congruenter dici possit filius hominis se trouvait dans le sépulcre et en enfer selon son
(...) ubique esse. Circa primum duo facit: primo humanité, et partout selon sa divinité;
ostendit quod Christus erat in diversis locis deuxièmement, il demande s’il est possible
secundum diversa; secundo inquirit, utrum fuerit d’affirmer que cet homme est partout, à cet
in illis locis totus, ibi: et utique totus eodem endroit : « On a aussi coutume de demander si
tempore erat in Inferno, in caelo totus, ubique on peut affirmer de manière appropriée que le
totus. Hic est triplex quaestio. Prima de morte Fils de l’homme… est partout. » À propos du
640

Christi per comparationem ad ejus humanitatem. premier point, il fait deux choses : premièrement,
Secunda de descensu ad Inferos. Tertia de il montre que le Christ se trouvait dans divers
ascensione ejus in caelum. Circa primum lieux sous divers aspects; deuxièmement, il
quaeruntur duo: 1 utrum Christus in illo triduo demande s’il se trouve tout entier dans ces lieux,
mortis fuerit homo; 2 utrum fuerit ubique homo à cet endroit : « Assurément, il se trouvait en
tunc, vel etiam ante, vel nunc. même temps tout entier en enfer, tout entier dans
le ciel, tout entier partout. » Il y a ici trois
questions. La première porte sur la mort du
Christ comparée à son humanité. La deuxième,
sur sa descente aux enfers. La troisième, sur son
ascension au ciel. À propos du premier point,
deux questions sont posées : 1 – Le Christ était-il
un homme pendant les trois jours de sa mort ? 2
– Était-il partout un homme alors, auparavant ou
maintenant ?

Articulus 1 [10149] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 Article 1 – Peut-on dire que le Christ était un
a. 1 tit. Utrum Christus in triduo quo jacuit in homme pendant les trois jours où il a été dans
sepulcro, potuerit dici homo le sépulcre ?
[10150] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble que le Christ était un homme
Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus pendant ces trois jours. En effet, le fait d’être
in illo triduo fuerit homo. Rationale enim est raisonnable est la différence qui complète
differentia completiva hominis. Sed Christus l’homme. Or, on pouvait dire que le Christ était
poterat dici rationalis in illo triduo propter raisonnable pendant ces trois jours en raison de
animam rationalem sibi unitam. Ergo poterat dici l’âme raisonnable qui lui était unie. On pouvait
homo. donc l’appeler un homme.
[10151] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Toute personne subsistant dans la nature
Praeterea, omnis persona subsistens in natura humaine peut être appelée un homme. Or, la
humana potest dici homo. Sed persona filii Dei personne du Fils de Dieu subsistait dans la
subsistebat in natura humana, quia habebat omnes nature humaine, car il avait toutes les parties de
partes humanae naturae sibi unitas. Ergo poterat la nature humaine qui lui étaient unies. On
dici homo. pouvait donc l’appeler un homme.
[10152] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Pour que quelqu’un soit appelé un homme, il
Praeterea, ad hoc quod aliquis dicatur homo faut que l’âme et le corps lui soient unis. Or,
oportet quod anima et corpus sint sibi unita. Sed pendant ces trois jours, l’âme et le corps était
in illo triduo anima et corpus erant unita in unam unis dans la seule hypostase du Fils de Dieu. On
hypostasim filii Dei. Ergo poterat dici homo. pouvait donc l’appeler un homme.
[10153] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Tout prêtre est un homme. Or, le Christ était
Praeterea, omnis sacerdos est homo. Christus in prêtre pendant ces trois jours, car il lui a été dit,
illo triduo fuit sacerdos: quia dictum est ei, Psalm. Ps 109, 4 : Tu es prêtre pour l’éternité. Le Christ
109, 4: tu es sacerdos in aeternum. Ergo Christus était donc un homme pendant ces trois jours.
in illo triduo erat homo.
[10154] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Puisque « toutes choses désirent exister »,
Praeterea, cum omnia esse desiderent, ut comme le dit le Philosophe dans Sur la
philosophus dicit in 2 de generatione, nullus génération, II, personne ne désire ne pas exister,
desiderat non esse, sed semper verius esse. Sed mais exister avec toujours plus de vérité. Or, les
sancti desiderant mori, ut patet Philipp. 1, 23: saints désirent mourir, comme cela ressort de
cupio dissolvi, et esse cum Christo. Ergo per Ph 1, 23 : Je désire disparaître et être avec le
mortem non desinunt esse id quod fuerant, sed Christ. Ils ne cessent donc pas d’être ce qu’ils
verius esse incipiunt; et ita post mortem possunt étaient, mais commencent à exister avec plus de
641

dici homines. vérité. Ainsi peuvent-ils être appelés des


hommes après la mort.
[10155] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Pierre est le nom d’un individu de nature
Praeterea, Petrus est nomen cujusdam singularis humaine. Or, après la mort, nous invoquons
in natura humana. Sed post mortem Petri Pierre en lui disant : « Saint Pierre, priez pous
invocamus eum dicentes: sancte Petre, ora pro nous. » On peut donc l’appeler un homme après
nobis. Ergo post mortem potest dici homo; et sic la mort. Ainsi, il semble que, pour le Christ, on
videtur quod eadem ratione Christus. puisse aussi le faire pour la même raison.
[10156] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 7 7. Le Philosophe dit dans Éthique, IX, que
Praeterea, philosophus dicit in 9 Ethic., quod l’homme est son intellect. Or, l’intellect de
homo est intellectus suus. Sed intellectus hominis l’homme demeure après la mort. On peut donc
manet post mortem. Ergo potest post mortem dici l’appeler un homme après la mort.
homo.
[10157] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] la partie n’est pas prédiquée du
Sed contra, pars non praedicatur de toto, nec e tout, ni le contraire. Or, après la mort du Christ,
contra. Sed post mortem Christi manserunt tantum seules des parties de la nature humaine
partes humanae naturae. Ergo ratione illarum demeuraient. Le Christ ne pouvait donc être
partium Christus non poterat dici homo. appelé un homme en raison de ces parties.
[10158] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] « Homme » est le nom d’une espèce. Or, les
Praeterea, homo est nomen speciei. Sed species et espèces et les genres se prennent de la forme du
genera sumuntur a forma totius; forma autem tout, mais la forme du tout résulte de la
totius resultat ex compositione partium. Cum ergo composition des parties. Puisque l’âme et le
anima et corpus non fuerint in illo triduo ad corps n’étaient pas réciproquement composés
invicem composita, Christus non poterat dici pendant ces trois jours, le Christ ne pouvait donc
homo. pas être appelé un homme.
[10159] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Le vivant est supérieur à l’homme, comme le
Praeterea, vivum est superius ad hominem, ut dit le livre Sur les causes, mais le mort est le
dicitur in Lib. de causis, mortuum autem contraire du vivant. Or, le Christ était mort. Il
opponitur vivo. Sed Christus erat mortuus. Ergo n’était donc pas un homme.
non erat homo.
[10160] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 co. Réponse. C’était l’opinion du Maître, et aussi
Respondeo dicendum, quod opinio fuit Magistri, celle de Hugues de Saint-Victor, que le Christ
et etiam Hugonis de sancto Victore, quod Christus était un homme pendant ces trois jours; mais ils
in illo triduo fuit homo; sed ad hoc movebantur étaient conduits à cela par diverses approches.
diversis viis. Hugo enim dicebat, quod tota En effet, Hugues disait que toute la personnalité
personalitas hominis est in anima, et in ipsa erat de l’homme se trouvait dans l’âme et que celle-ci
homo proprie loquendo: et ideo anima post était l’homme à proprement parler. Aussi, après
mortem potest dici homo non solum in Christo, la mort, on peut parler d’hommes non seulement
sed etiam in aliis hominibus. Haec autem positio pour le Christ, mais aussi pour les autres
non potest esse vera: quia postquam aliquid est hommes. Mais cette position ne peut pas être
completum in specie sua et personalitate, non vraie, car, après qu’une chose est achevée dans
potest ei advenire aliquid, ut componat cum eo son espèce et sa personnalité, il ne peut lui
naturam aliquam; sed vel adjungitur ei in persona, advenir quelque chose qui compose avec cela
et non in natura, quod est singulare in Christo; vel une nature, mais soit cela lui est ajouté dans la
adjungitur ei accidentaliter. Unde ex hac positione personne, et non dans la nature, ce qui est unique
sequitur quod vel ex anima et corpore non au Christ; soit cela lui est ajouté
efficiatur una natura; et sic anima non erit forma accidentellement. Aussi découle-t-il de cette
corporis, nec vivificabit corpus formaliter: vel position soit qu’une seule nature n’est pas
iterum quod anima adjungatur corpori réalisée par l’âme et par le coprs, et ainsi l’âme
accidentaliter, ut nauta navi, vel homo vestimento, ne sera pas la forme du corps et ne vivifiera pas
642

sicut dicebant antiqui philosophi; quorum Plato, le corps à la manière d’une forme; soit que l’âme
ut Gregorius Nyssenus narrat, dicebat, quod homo est unie au corps accidentellement, comme le
non est aliquid compositum ex anima et corpore; marin à un bateau ou l’homme à un vêtement,
sed est anima utens corpore. Et quia haec ainsi que le disaient des philosophes anciens,
inconvenientia sunt; ideo Magister non voluit parmi lesquels, comme le raconte Grégoire de
quod alii post mortem essent homines, sed solum Nysse, Platon disait que l’homme n’est pas un
hoc voluit de Christo: quia etiam post mortem composé d’âme et de corps, mais qu’il est une
anima et corpus aliquo modo manent unita in âme qui fait usage d’un corps. Parce que cela est
Christo, inquantum utrumque manet unitum inapproprié, le Maître ne voulait donc pas que
verbo. Sed haec etiam positio non potest stare, si les autres soient des hommes après la mort, mais
proprie accipiatur hoc nomen homo, propter duas il voulait cela seulement pour le Christ, car,
rationes. Primo, quia ad hoc quod sit homo, même après la mort, les deux [l’âme et le corps]
oportet quod sint anima et corpus conjuncta ad demeurent d’une certaine manière unis dans le
constituendum naturam unam; quod fit per hoc Christ, pour autant que les deux demeurent unis
quod informatur anima; quod in illo triduo non au Verbe. Mais cette position ne peut pas non
fuit. Secundo, quia recedente anima, illa caro non plus être tenue, si l’on prend ce mot « homme »
dicebatur nisi aequivoce caro; unde nec illud au sens propre, pour deux raisons. Premièrement,
corpus erat humanum corpus, nisi aequivoce. Et pour qu’il y ait un homme, il faut que l’âme et le
ideo omnes moderni tenent, quod Christus in corps soient unis pour constituer la nature
triduo non fuerit homo. Sciendum tamen, quod humaine, ce qui se réalise par le fait qu’il reçoit
Magister non voluit quod Christus in triduo illo sa forme de l’âme, ce qui n’était pas le cas
diceretur homo, nisi aequivoce; unde dicit, quod durant ces trois jours. Deuxièmement, parce que,
non secundum eamdem rationem dicebatur homo si l’âme se retire, cette chair n’était appelée chair
post mortem, sicut ante, vel sicut alii homines: et que de manière équivoque; aussi ce corps n’était-
secundum hoc ex opinione Magistri non sequitur il un corps humain que de manière équivoque.
aliquod inconveniens secundum rem: quia Ainsi tous les modernes soutiennent-ils que le
secundum philosophum, 4 Metaph., non est Christ n’était pas un homme pendant ces trois
inconveniens ut quod nos dicimus hominem alii jours. Il faut cependant savoir que le Maître ne
dicant non hominem quantum ad convenientiam voulait pas que le Christ soit appelé un homme
nominis; sed solum est improprietas in modo pendant ces trois jours, si ce n’est de manière
loquendi: quia non est in usu hujus nominis homo équivoque. Aussi dit-il qu’il n’était pas appelé
quod significet corpus et animam divisam. un homme, après la mort, selon la même raison
qu’avant, ou comme les autres hommes. De ce
point de vue, il ne découle en réalité de l’opinion
du Maître rien d’inapproprié, car, selon le
Philosophe, Métaphysique, IV, il n’y a pas
d’inconvénient à ce que ce que nous appelons un
homme, d’autres l’appellent un non-homme,
selon la propriété du terme, mais il n’y a quelque
chose d’impropre que dans la manière de parler,
car il n’est pas usuel pour ce mot « homme » de
signifier un corps et une âme divisée.
[10161] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Raisonnable, en tant que différence, appartient
primum ergo dicendum, quod rationale secundum au composé lui-même, comme le dit Avicenne,
quod est differentia, est ipsius compositi, ut dicit bien que cela vienne de l’âme. C’est pourquoi,
Avicenna, quamvis sumatur ab anima: et ideo post après la mort, de même qu’il n’y avait pas
mortem sicut non erat homo, ita non erat d’homme, de même n’y avait-il pas de
rationale, secundum quod rationale nominat raisonnable, selon que « raisonnable » désigne la
differentiam hominis, sed solum secundum quod différence de l’homme, mais seulement
nominat potentiam animae. seulement qu’il désigne une puissance de l’âme.
643

[10162] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Il ne subsistait pas dans la nature humaine, car
secundum dicendum, quod non subsistebat in toutes les parties de la nature humaine ne s’y
natura humana, quia non erant omnes partes trouvaient pas. En effet, il n’était de la chair et
humanae naturae: non enim erat caro et os, nisi des os que de manière équivoque, comme on l’a
aequivoce, ut dictum est: et iterum non erat unio dit. De nouveau, il n’y avait pas d’union de
animae ad corpus. l’âme au corps.
[10163] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Pour qu’il soit un homme, il ne faut pas
tertium dicendum, quod ad hoc quod sit homo, seulement que l’âme et le corps soient unis dans
non solum oportet quod anima et corpus uniantur la personne, mais aussi constituent une seule
in persona, sed etiam ad constitutionem unius nature.
naturae.
[10164] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Le Christ est appelé prêtre pour l’éternité
quartum dicendum, quod Christus dicitur sacerdos parce qu’un autre sacerdoce ne succède pas à son
in aeternum, quia ejus sacerdotio aliud sacerdoce. Ou bien il faut dire que le Christ,
sacerdotium non succedit. Vel aliter dicendum, ainsi que le dit He 9, 11, était le grand-prêtre des
quod Christus, ut dicitur Heb. 9, erat assistens biens spirituels à venir; ainsi ce sacerdoce est-il
pontifex futurorum bonorum spiritualium; et ideo aussi celui de l’âme du Christ séparée du corps.
illud sacerdotium est etiam animae Christi
separatae a corpore.
[10165] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Paul désirait exister avec plus de vérité pour
quintum dicendum, quod Paulus desiderabat ce qui est de l’âme, ce qui était plus noble, que
verius esse quantum ad animam, quod erat d’exister dans son corps mortel.
nobilius, quam esse in mortali corpore.
[10166] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Ces manières de parler sont des synecdoques,
sextum dicendum, quod illae locutiones sunt car le tout est pris pour la partie.
synecdochicae, quia ponitur totum pro parte.
[10167] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. Le Philosophe parle au figuré, et non au sens
septimum dicendum, quod philosophus loquitur propre. Aussi dit-il que l’homme est appelé
figurative, et non proprie: unde ipse dicit, quod ita intellect comme le roi, la cité, car le tout qui se
homo dicitur intellectus sicut civitas rex, quia trouve dans la cité dépend de la volonté du roi.
totum quod est in civitate, dependet ex voluntate
regis.

Articulus 2 [10168] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 Article 2 – Le Christ était-il partout comme
a. 2 tit. Utrum Christus ubique fuerit homo homme ?
[10169] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que le Christ ait été partout en tant
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod qu’homme. En effet, selon [Jean] Damascène,
Christus ubique fuerit homo. Secundum les natures se communiquent leurs idiomes. Or,
Damascenum enim, naturae communicant sibi sua le Christ est partout comme Dieu. Il est donc
idiomata. Sed Christus ubique est Deus. Ergo partout comme homme.
ubique est homo.
[10170] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Pour tout ce qui est un selon le suppôt, partout
Praeterea, quaecumque sunt unum supposito, où se trouve une [des composantes], se trouve
ubicumque est unum, est aliud. Sed homo et filius l’autre. Or, l’homme et le Fils de Dieu sont une
Dei sunt idem supposito. Ergo cum filius Dei sit même chose selon le suppôt. Puisque le Fils de
ubique, ubique etiam erit homo. Dieu est partout, l’homme aussi sera donc
partout.
[10171] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 3 3. De même que Pierre est un homme véritable,
Praeterea, sicut Petrus vere est homo, ita et de même aussi le Christ. Or, partout où est
Christus. Sed ubicumque est Petrus, ibi est homo. Pierre, là est un homme. Partout où se trouve le
644

Ergo ubicumque est Christus, ibi est homo. Sed Christ, l’homme se trouve donc. Or, le Christ est
Christus est ubique. Ergo ubique est homo. partout. L’homme est donc aussi partout.
[10172] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Tout ce qui existe est soit un homme, soit un
Praeterea, omne quod est, aut est homo, aut non non-homme. Si donc le Christ n’est pas partout
homo. Si ergo Christus non est ubique homo, erit un homme, il sera partout un non-homme, ce qui
alicubi non homo: quod est falsum. est faux.
[10173] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Être partout n’est pas plus éloigné des
Praeterea, esse ubique, non magis est remotum a créatures que l’éternité. Or, nous disons que cet
creaturis quam aeternitas. Sed dicimus, quod iste homme a existé depuis l’éternité. Nous pouvons
homo fuit ab aeterno. Ergo similiter dicere donc dire de la même façon que l’homme est
possumus, quod est ubique homo. partout
[10174] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 6 6. On parle de la totalité d’une chose par rapport
Praeterea, totalitas rei dicitur respectu illorum ex à tout ce dont cette chose est composée. Or, on
quibus res componitur. Sed totus Christus dicitur dit du Christ tout entier qu’il est partout, comme
esse ubique, ut dicitur in littera; et ut Damascenus il est dit dans le texte et comme le dit [Jean]
dicit. Cum igitur totus ad personam pertineat, et Damascène. Puisque « tout » se rapporte à la
persona sit composita ex divinitate et humanitate, personne et que la personne est composée de la
videtur quod humanitas Christi sit ubique, et sic divinité et de l’humanité, il semble donc que
ubique est homo. l’humanité du Christ soit partout, et donc qu’il
soit partout comme homme.
[10175] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] l’humanité du Christ ne consiste
Sed contra, humanitas Christi non consistit nisi in que dans l’âme et le corps. Or, ni le corps du
anima et carne. Sed neque corpus Christi neque Christ, ni son âme ne sont partout. Lui-même
anima sunt ubique. Ergo ipse secundum n’est donc pas partout selon son humanité.
humanitatem non est ubique.
[10176] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Tout ce qui est mû d’un lieu à un autre lieu
Praeterea omne quod movetur de loco ad locum, possède un lieu déterminé, et n’est pas partout.
habet locum determinatum, et non est ubique. Sed Or, le Christ, selon qu’il était homme, se
Christus, secundum quod homo, movebatur de déplaçait d’un lieu à un autre. Il n’était donc pas
loco ad locum. Ergo non erat ubique. partout.
[10177] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Être partout appartient à Dieu seul. Or, rien
Praeterea, esse ubique solius est Dei. Sed nullum de tel ne convenait au Christ selon qu’il était
tale convenit Christo secundum quod homo. Ergo homme. Il n’est donc pas partout selon qu’il est
non est ubique secundum quod homo. homme.
[10178] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 co. Réponse. La nature humaine du Christ n’est pas
Respondeo dicendum, quod humana natura partout, ni lorsque l’âme et le corps étaient
Christi non est ubique, neque quando anima et divisés, ni lorsqu’ils étaient unis; mais cette
corpus fuerunt divisa, neque quando sunt personne est partout en raison d’elle-même et en
conjuncta; sed persona illa ratione sui et ratione raison de sa nature divine. Comme on l’a dit plus
divinae naturae est ubique. Ad veritatem autem haut, pour qu’une proposition soit vraie, il n’est
locutionis, ut supra dictum est, non exigitur quod pas requis que le prédicat convienne au sujet
praedicatum secundum se totum conveniat selon tout ce qu’il est, mais il suffit qu’il lui
subjecto; sufficit autem quod conveniat ei ratione convienne en raison du suppôt. Parce que
suppositi. Et ideo, quia homo signat suppositum « homme » désigne le suppôt de la nature
humanae naturae, et ipsam naturam humanam, humaine et la nature humaine elle-même, de là
inde est quod haec est falsa: Christus est homo vient que cette proposition est fausse : « Le
ubique; quia non convenit sibi ubique habere Christ est un homme partout », car il ne lui
humanitatem. Adverbium autem ubique convient pas d’avoir partout l’humanité. Or,
determinat esse hominem in praedicato positum l’adverbe « partout », mis comme prédicat,
ad id totum quod in homine importatur, et magis détermine « homme » par rapport au tout qui est
645

etiam quantum ad naturam, secundum quod indiqué par « homme », et plutôt selon la nature,
termini in praedicato positi tenentur formaliter. selon que les termes mis dans le prédicat sont
Sed haec est vera: iste homo est ubique: quia esse entendus en un sens formel. Mais cette
ubique convenit personae. Haec autem, Christus proposition est vraie : « Cet homme est
secundum quod homo, est ubique, potest esse vera partout », car être partout convient à la personne.
et falsa: secundum quod enim potest importare Mais celle-ci : « Le Christ, en tant qu’homme,
conditionem naturae, sic est falsa; sed unitatem est partout », peut être vraie ou fausse : en effet,
suppositi, et sic est vera. selon qu’elle peut indiquer la condition de la
nature, elle est fausse; mais [selon qu’elle peut
indiquer] l’unité du suppôt, elle est vraie.
[10179] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. La communication des idomes se réalise du
primum ergo dicendum, quod communicatio fait que les natures sont unies dans la personne
idiomatum fit secundum quod naturae uniuntur in ou dans le suppôt. Il faut donc que cette
persona, vel in supposito; et ideo oportet quod ista communication soit envisagée selon qu’un mot
communicatio attendatur secundum quod nomen signifiant les deux natures est mis comme sujet,
significans utramque naturam, in subjecto ponitur, et non selon qu’il est mis comme prédicat. En
et non secundum quod ponitur in praedicato; non effet, on ne peut conclure : « Il est devenu
enim sequitur: factus est homo; ergo est factus homme, donc il est devenu Dieu »; de même, on
Deus; et similiter non sequitur: est ubique Deus; ne peut conclure : « Dieu est partout, donc
ergo est ubique homo. l’homme est partout. »
[10180] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Partout où est Dieu, cet homme est dans ce
secundum dicendum, quod ubicumque est Deus, lieu; mais la nature humaine n’y est cependant
hic homo est in illo loco; non est tamen ibi pas. Il n’est donc pas nécessaire que l’homme y
humana natura; et ideo non oportet quod ibi sit soit.
homo.
[10181] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Pierre ne possède que la nature humaine; c’est
tertium dicendum, quod Petrus non habet nisi pourquoi partout où il se trouve, il est nécessaire
humanam naturam: et ideo ubicumque ipse est, que s’y trouve cette nature. Mais le Christ a
oportet quod sit illa natura. Sed Christus habet plusieurs natures. C’est pourquoi il n’est pas
plures naturas: et ideo non oportet quod nécessaire que partout où il est, il y ait les deux
ubicumque est, ibi habeat utramque naturam; sicut natures, comme il n’est pas nécessaire que
non oportet quod ubicumque est totum, ibi sint partout où se trouve un tout, s’y trouvent toutes
omnes partes ejus; sed in uno loco secundum ses parties, mais il est dans un lieu par la main et
manum, et in alio secundum pedem. dans un autre par le pied.
[10182] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Lorsqu’on dit que le Fils de l’homme n’est pas
quartum dicendum, quod cum dicitur, filius Dei partout en tant qu’homme, l’expression « n’est
non est ubique homo, locutio non verificatur pas » est vraie selon que la négation porte de
secundum quod negatio absolute fertur ad manière absolue sur l’homme; mais selon qu’elle
hominem, sed secundum quod fertur ad hominem porte sur l’homme associé à « être partout ».
cum hoc quod est esse ubique; sed quando additur Mais lorsqu’elle s’y ajoute par composition, la
sibi per compositionem, negatio non fertur extra négation ne va pas au-delà de ce terme. C’est
terminum illum; et ideo removet humanitatem pourquoi elle écarte l’humanité de manière
absolute, et non respectu ejus quod dicitur ubique absolue, et non par rapport au fait de dire qu’elle
vel alicubi; et propter hoc haec est falsa: Christus est partout ou quelque part. Pour cette raison,
alicubi est non homo; sed haec est vera: non est cette proposition est fausse : « Le Christ est
ubique homo. partout, mais non en tant qu’homme »; mais
celle-ci est vraie : « Il n’est pas partout en tant
qu’homme. »
[10183] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Il en va de même que pour « éternel ». En
quintum dicendum, quod similiter est de hoc sicut effet, cette proposition est vraie : « Cet homme a
646

de aeterno: haec enim est vera, iste homo fuit ab existé depuis l’éternité »; mais celle-ci est
aeterno; sed haec est falsa: Christus fuit ab fausse : « Le Christ a été un homme de toute
aeterno homo, sicut et de ubique dictum est. éternité », comme on l’a dit pour le fait d’être
partout.
[10184] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. On ne dit pas qu’au sens propre, la personne
sextum dicendum, quod persona non proprie est composée des natures, comme on l’a dit plus;
dicitur composita ex naturis, ut supra dictum est; « tout » ne porte donc pas sur la personne, au
unde totus non fertur ad personam, secundum sens où un tout comporte des parties, mais au
quod totum dicitur quod habet partes, sed sens où un tout est dit parfait, à quoi rien ne
secundum quod totum dicitur perfectum, cui nihil manque. De cette manière, on dit de ce qui est
deest: et secundum hoc dicitur totus ubique, quia « tout entier » qu’il se trouve partout parce que
nihil deest sibi de sua personalitate, secundum rien ne manque à sa personnalité, selon laquelle
quod est ubique: totus enim cum sit masculini il est partout : en effet, « tout », lorsqu’il est de
generis, ad personam pertinet. Deest ei autem genre masculin, se rapporte à la personne. Mais
aliquid de his quae ad humanam naturam il lui manque quelque chose de ce qui se rapporte
pertinent secundum quod est ubique: quia à la nature humaine, selon qu’elle est partout, car
secundum humanam naturam non est ubique; et il n’est pas partout selon sa nature humaine.
ideo dicitur quod non est totum ubique: quia C’est pourquoi on dit qu’il n’est pas en totalité
totum cum sit neutrius generis, ad naturam partout, car « tout », lorsqu’il est de genre neutre,
pertinet. se rapporte à la nature.

Quaestio 2 Question 2 – [La descente aux enfers]


Prooemium Prologue
[10185] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la descente du Christ
quaeritur de descensu Christi ad Inferos; et circa aux enfers. À ce propos, deux questions sont
hoc quaeruntur duo: 1 de descensu Christi ad posées : 1 – Sur la descente du Christ aux enfers;
Inferos; 2 de effectu quem ibi fecit. 2 – Sur ce qu’il y a fait.

Articulus 1 [10186] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 Article 1 – Le Christ est-il descendu aux
a. 1 tit. Utrum Christus ad Inferos descenderit enfers ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ est-il descendu
aux enfers ?]
[10187] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 1. Il semble que le Christ ne devait pas descendre
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aux enfers. En effet, comme Augustin le dit à
Christus ad Infernum non debuit descendere. Dardanus, « le mot ‘enfer’ dans l’Écriture est
Sicut enim dicit Augustinus ad Dardanum, nomen toujours pris en mal ».Or, ce qui est toujours pris
Inferni in Scriptura semper in malo accipitur. Sed en mal ne convient pas au Christ. Donc, ni
id quod semper in malo accipitur, Christo non descendre aux enfers.
competit. Ergo nec descendere ad Infernum.
[10188] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 2. Le Christ n’est descendu dans le monde que
arg. 2 Praeterea, Christus non descendit in pour libérer le monde. Or, par la passion, il a
mundum, nisi ut mundum liberaret. Sed per libéré non seulement ceux qui étaient dans le
passionem non solum liberavit eos qui in mundo monde, mais aussi ceux qui étaient retenus en
erant, sed etiam eos qui in Inferno detinebantur, enfer, en acquittant le prix du péché pour lequel
soluto pretio pro peccato, pro quo detinebantur. ils étaient retenus. Il semble donc qu’il ne devait
Ergo videtur quod ad Infernum descendere non pas descendre aux enfers.
debuit.
[10189] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 3. Descendre aux enfers comporte la peine de la
arg. 3 Praeterea, descendere ad Infernum importat damnation pour le péché. Or, chez le Christ, il
poenam damnationis pro peccato. Sed in Christo n’y avait pas de péché. Aucune damnation ne lui
647

nullum peccatum fuit. Ergo nec aliqua damnatio convient donc. Il ne devait donc pas descendre
sibi competit. Ergo ad Infernum descendere non en enfer.
debuit.
[10190] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 s. Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il
c. 1 Sed contra est quod dicitur in symbolo: est descendu aux enfers. »
descendit ad Inferos.
[10191] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 s. [2] Il est dit dans Ac 2, 24 : Lui que Dieu a
c. 2 Praeterea, Act. 2, 24: quem Deus suscitavit relevé en le délivrant des douleurs de l’enfer. Il
solutis doloribus Inferni. Ergo videtur quod in semble donc qu’il était en enfer.
Inferno fuerit.

Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ est-il descendu


jusqu’à l’enfer des damnés ?]
[10192] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 1. Il semble qu’il soit descendu jusqu’à l’enfer
arg. 1 Ulterius. Videtur quod descenderit usque ad des damnés. En effet, par sa mort, il a non
Infernum damnatorum. Ipse enim sua morte seulement libéré le genre humain du péché
humanum genus non solum liberavit a peccato originel, mais aussi du [péché] actuel. Or, l’enfer
originali, sed etiam ab actuali. Sed Infernus des damnés est un lieu de peine répondant au
damnatorum est locus poenalis respondens péché actuel, comme les limbes des pères sont le
peccato actuali, sicut Limbus patrum locus lieu qui est dû pour le péché originel. Il semble
debitus pro peccato originali. Ergo videtur quod donc que [le Christ] devait descendre aussi dans
etiam in illum Infernum descendere debuerit, sicut cet enfer, comme il est descendu aux limbes.
in Limbum descendit.
[10193] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 2. L’ascension du Christ répond à sa descente,
arg. 2 Praeterea, Christi ascensio respondet suo car celui qui est monté est le même que celui qui
descensui, quia qui ascendit ipse est et qui est descendu, Ep 4. Or, il est lui-même monté
descendit, Eph. 4. Sed ipse ascendit super omnes au-delà de tous les cieux. Il devait donc
caelos. Ergo debuit etiam usque ad inferiorem descendre jusqu’à l’enfer inférieur.
Infernum descendere.
[10194] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 3. Il est dit dans Si 24, 45 : Je pénétrerai dans
arg. 3 Praeterea, Eccli. 24, 45, dicitur: penetrabo toutes les régions inférieures de la terre et je
omnes inferiores partes terrae et inspiciam omnes regarderai tous ceux qui dorment. Or, les
dormientes. Sed inferiores partes terrae sunt régions inférieures de la terre sont l’enfer des
Infernus damnatorum, in quo aliqui de damnés, où se trouvent certains de ceux qui
dormientibus, idest mortuis, sunt. Ergo videtur dorment, c’est-à-dire les morts. Il semble donc
quod ipse in illum Infernum descenderit. qu’il soit lui-même descendu dans cet enfer.
[10195] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] il est dit en Lc 16, 26 : Entre
c. 1 Sed contra, Luc. 16, 26, dicitur: inter nos et vous et nous, un grand abîme a été établi, de
vos chaos magnum firmatum est, ut illi qui volunt sorte que ceux qui veulent passer de là à nous ne
illuc ex nobis transire, non possint. Sed illud le puissent pas. Or, ce grand abîme avait été
chaos magis erat firmatum inter Christum, qui jam plutôt établi entre le Christ, qui était déjà
erat comprehensor, et damnatos, quam inter comprehensor, et les damnés, qu’entre les saints
sanctos qui erant in Limbo expectantes qui étaient dans les limbes à attendre la béatitude
beatitudinem, et illos qui erant in Inferno. Ergo et ceux qui étaient en enfer. Le Christ n’est donc
Christus ad illos non descendit. pas descendu dans ces [enfers].
[10196] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 s. [2] De même que le ciel empyrée est le lieu de
c. 2 Praeterea, sicut caelum Empyreum est locus la gloire éternelle, de même l’enfer est-il le lieu
aeternae gloriae, ita Infernus est locus aeternae de la misère éternelle. Or, aucun damné ne peut
miseriae. Sed nullus damnatus potest esse in caelo se trouver dans le ciel empyrée. Il ne convient
Empyreo. Ergo nulli beato competit esse in donc à aucun bienheureux de se trouver en enfer,
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Inferno; et sic nec Christo. et donc, ni au Christ.


Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il prolongé
son séjour dans les limbes ?]
[10197] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 1. Il semble que [le Christ] n’ait pas prolongé
arg. 1 Ulterius. Videtur quod in Limbo ullam son séjour dans les limbes. En effet, il est
moram non traxerit. Ad hoc enim descendit in descendi en enfer pour libérer les saints qui y
Infernum, ut sanctos, qui ibi detinebantur, étaient retenus. Or, il a libéré les saints dès sa
liberaret. Sed statim illuc descendens sanctos descente. Il semble donc qu’il ne devait pas y
liberavit. Ergo videtur quod moram illic trahere prolonger son séjour.
non debuit.
[10198] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 2. De même que, par le péché, on est exclu du
arg. 2 Praeterea, sicut per peccatum aliquis a caelo ciel, de même, par la purification du péché, est-
excluditur, ita per emundationem a peccato aliquis on libéré de l’enfer. Or, le Diable est tombé du
ab Inferno liberatur. Sed Diabolus, statim ut ciel dès qu’il a péché. Il semble donc que les
peccavit, de caelo cecidit. Ergo videtur quod saints soient tirés de l’enfer dès qu’ils ont été
sancti statim ut mundati fuerunt a peccato, de purifiés du péché, et ainsi le Christ en est-il
Inferno educti sint, et ita etiam Christus statim aussitôt sorti.
exivit.
[10199] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 3. L’âme du Christ ne pouvait pas se trouver en
arg. 3 Praeterea, anima Christi non potuit esse plusieurs endroits. Or, le Christ était au Paradis
simul in diversis locis. Sed Christus in die mortis le jour de sa mort, car, suspendu à la croix, il dit
suae fuit in Paradiso: quia pendens in cruce latroni au voleur : Aujourd’hui tu seras avec moi au
dixit: hodie mecum eris in Paradiso. Ergo videtur Paradis. Il semble donc que, ce jour-là, il était
quod illa eadem die de Inferno exierit. sorti de l’enfer.
[10200] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 s. Cependant, [1] il est dit dans Ac 2, 24 : Lui que
c. 1 Sed contra, Act. 2, 24: quem Deus suscitavit Dieu a relevé en le délivrant des douleurs de
solutis doloribus Inferni. Ergo videtur quod in l’enfer. Il semble donc qu’il ait été en enfer
Inferno fuerit usque ad horam resurrectionis suae. jusqu’à l’heure de sa résurrection.
[10201] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 s. [2] Le lieu de l’âme séparée est l’enfer ou le
c. 2 Praeterea, locus animae separatae est Infernus ciel. Or, l’âme du Christ n’est pas montée au ciel
vel caelum. Sed anima Christi ante diem avant le jour de l’ascension, et ainsi il n’était pas
ascensionis, in caelum non ascendit, et ita ante au ciel avant l’ascension. Il est donc resté dans
resurrectionem in caelo non fuit. Ergo mansit in l’enfer jusqu’au jour de la résurrection.
Inferno usque ad diem resurrectionis.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10202] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Pour nous libérer de toutes nos carences, le
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, Christ a voulu prendre sur lui toutes les carences
quod Christus, ut nos ab omnibus defectibus qui étaient d’une manière générale celles de tous
liberaret, in se nostros defectus qui universaliter et qui ne relevaient pas de la carence de la grâce.
omnium erant, et in defectum gratiae non Or, avant la passion du Christ, il était commun à
vergebant, accipere voluit. Hoc autem erat tous les hommes de descendre en enfer pour la
omnibus hominibus commune ante passionem dette du péché originel. Mais, le mot « enfer »
Christi quod pro debito originalis peccati ad comporte deux choses : le lieu et la peine, soit
Infernum descendebant. Sed in nomine Inferni celle du dam, soit celle du sens, c’est-à-dire celle
duo importantur, scilicet locus, et poena vel qui causait une affliction. Or, la peine du dam,
damni, vel sensus, scilicet afflictiva. Poena autem c’est-à-dire la carence de la vision de Dieu,
damni, scilicet carentia divinae visionis, vergebat relevait de la carence de la grâce, car la grâce
in defectum gratiae, quia scilicet non poterat in eis consommée ne pouvait exister en eux, à savoir la
esse gratia consummata, scilicet gloria. Similiter gloire. De même, la peine du sens n’est pas
etiam poena sensus post hanc vitam non est satisfactoire après cette vie, car ceux-là ne sont
649

satisfactoria, quia illi non sunt in statu merendi; pas en état de mériter; mais elle est une peine de
sed est vel purgativa vel damnativa. Purgatio purification ou de damnation. Or, la purification
autem debetur alicui impuritati et damnatio est due pour une impureté et la damnation est
debetur peccato mortali; unde etiam poena sensus due pour le péché mortel; aussi même la peine
post hanc vitam in defectum gratiae vergit. Et du sens relève-t-elle de la carence de la grâce
ideo Christo fuit competens in Infernum après cette vie. C’est pourquoi il convenait que
descendere, secundum quod Infernus importat le Christ descende en enfer, selon que l’enfer
locum, non autem secundum quod importat comporte un lieu, mais non selon qu’il comporte
poenam. une peine.
[10203] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1. Le mot « enfer », selon qu’il comporte un lieu,
1 Ad primum ergo dicendum, quod nomen Inferni ne signale pas un mal seulement, et ainsi il peut
secundum quod importat locum, non sonat in convenir au Christ; mais selon qu’il comporte la
malum tantum, et sic potest competere Christo: peine du dam ou du sens, il ne peut convenir au
secundum autem quod importat poenam damni Christ, car il indique ainsi le mal de la faute. Ou
vel sensus, sic Christo competere non potest, quia bien il faut dire que « descendre en enfer »
sic sonat etiam in malum culpae. Vel dicendum, signifie être entraîné au mal, comme sous le
quod descendere ad Infernum, quasi sub potestate pouvoir des [puissances] infernales; mais
infernalium deduci, in malum sonat; sed « descendre en enfer » pour que lui-même
descendere in Infernum ad expoliandum ipsum dépouille à la manière d’un seigneur indique la
per modum domini, sonat in maximam plus grande dignité, et cela convient ainsi au
dignitatem; et sic Christo competit. Christ.
[10204] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2. Le prix avait été acquitté par sa passion. Ainsi
2 Ad secundum dicendum, quod per passionem l’empêchement par lequel les saints étaient
ejus solutum erat pretium, unde amotum erat empêchés de voir Dieu avait-il été enlevé; c’est
impedimentum quo sancti prohibebantur a visione pourquoi ils ont aussitôt vu Dieu. Il fallait
Dei, et ideo statim Deum viderunt; sed tamen cependant qu’il descende en enfer au sens local
oportuit quod in Infernum localiter descenderet afin de les libérer du lieu de la peine et de
quantum ad liberationem eorum a loco poenali, et prendre à nouveau sur lui toutes les carences.
iterum ut in se omnes defectus acciperet.
[10205] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3. Selon que le mot « enfer » comporte la peine
3 Ad tertium dicendum, quod secundum quod du sens et celle du dam, on ne dit pas que le
nomen Inferni importat poenam sensus vel damni, Christ est descendu en enfer, mais selon que [le
sic Christus non dicitur in Infernum descendisse; mot] déigne seulement un lieu.
sed secundum quod tantum locum nominat.
Réponse à la sous-question 2
Quaestiuncula 2 [10206] Super Sent., lib. 3 d. 22 Il existe un quadruple enfer. L’un est l’enfer des
q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad secundam quaestionem damnés, dans lequel se trouvent les ténèbres pour
dicendum, quod quadruplex est Infernus. Unus est ce qui est de la carence de la vision de Dieu et
Infernus damnatorum, in quo sunt tenebrae et pour ce qui est de la carence de la grâce, et il
quantum ad carentiam divinae visionis, et existe là une peine sensible; cet enfer est l’enfer
quantum ad carentiam gratiae, et est ibi poena des damnés. Un autre enfer se trouve au-dessus
sensibilis; et hic Infernus est locus damnatorum. de celui-ci, dans lequel existent les ténèbres en
Alius est Infernus supra istum, in quo sunt raison de la carence de la vision de Dieu et en
tenebrae et propter carentiam divinae visionis, et raison de la carence de la grâce, mais il n’y a pas
propter carentiam gratiae, sed non est ibi poena là de peine sensible. On l’appelle le limbe des
sensibilis; et dicitur Limbus puerorum. Alius enfants. Un autre existe au-dessus de celui-ci,
supra hunc est, in quo sunt tenebrae quantum ad dans lequel existent les ténèbres pour ce qui est
carentiam divinae visionis, sed non quantum ad de la carence de la vision de Dieu, mais non pour
carentiam gratiae, sed est ibi poena sensus; et ce qui est de la carence de la grâce, mais il y a là
dicitur Purgatorium. Alius magis supra est, in quo une peine du sens. On l’appelle le purgatoire.
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est tenebra quantum ad carentiam divinae L’autre se trouve bien au-dessus : en lui, existent
visionis, sed non quantum ad carentiam gratiae, les ténèbres pour ce qui est de la carence de la
neque est ibi poena sensibilis; et hic est Infernus vision de Dieu, mais non pour ce qui est de la
sanctorum patrum; et in hunc tantum Christus carence de la grâce, et il n’y a pas là de peine
descendit quantum ad locum, sed non quantum ad sensible. Celui-ci est l’enfer des saints pères. Le
tenebrarum experientiam. Christ n’est descendu que dans celui-ci pour ce
qui est du lieu, mais non pour ce qui est de
l’expérience des ténèbres.
[10207] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1. Le Christ a libéré du péché mortel par sa
1 Ad primum ergo dicendum, quod Christus passion ceux qui sont en route, de sorte qu’ils ne
liberavit sua passione a peccato mortali eos qui in le commettent pas ou soient absous d’un [péché]
via sunt, ut vel non committant, vel a commisso commis, s’ils le veulent; mais [il n’a pas libéré]
absolvantur, si velint; non autem eos qui jam cum ceux qui étaient déjà morts avec un péché mortel
mortali peccato decesserunt, quibus debetur ille et à qui est dû cet enfer des damnés.
Infernus damnatorum.
[10208] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2. L’ascension convenait au Christ en raison de
2 Ad secundum dicendum, quod ascensio congruit lui-même. Parce qu’il est lui-même le Très-Haut,
Christo ratione sui: et ideo quia ipse est il devait monter au-dessus de tous les cieux.
altissimus, super omnes caelos ascendere debuit: Mais il ne lui convient de descendre que pour
sed descendere non competit sibi nisi pro nobis; nous. C’est pourquoi il est descendu dans la
ideo tantum descendit quantum expediebat mesure où cela convenait à notre libération, et
nostrae liberationi, et non sub omnibus non pas au plus profond de tous [les enfers].
simpliciter.
[10209] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3. On appelle aussi « parties inférieures de la
3 Ad tertium dicendum, quod inferiores partes terre » les endroits où se trouvaient les saints
terrae dicuntur etiam illa loca in quibus sancti pères. On disait de ceux qui y étaient confinés
patres erant; et qui ibi continebantur, dormientes qu’ils étaient endormis en raison de l’espérance
dicebantur, propter spem gloriosae resurrectionis; de la résurrection glorieuse, mais non de ceux
non autem illi qui damnati erant in Inferno. qui étaient damnés en enfer.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10210] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Puisque l’âme et le corps sont sujets à une
Ad tertiam quaestionem dicendum; quod cum proportion, l’âme devait rester en enfer aussi
anima et corpus sint proportionabilia, tantum longtemps que le corps dans le sépulcre, afin
debuit anima stare in Inferno quantum corpus in qu’il soit rendu semblable à ses frères par les
sepulcro, ut per utrumque fratribus suis deux et que, lors de la résurrection, il commence
similaretur, et ut in resurrectione novam vitam une nouvelle vie, aussi bien pour la libération
inchoaret et quantum ad animarum liberationem, des âmes que pour la résurrection des corps
et quantum ad corporum resurrectionem, in suo commencée dans son propre corps.
corpore inchoatam.
[10211] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1. Le Christ a voulu nous libérer en portant en lui
1 Ad primum ergo dicendum, quod liberare nos carences. C’est pourquoi, aussi longtemps
Christus nos voluit, defectus nostros in se qu’il a été mort, il a voulu être en enfer par son
portando; et ideo quamdiu mortuus fuit, voluit âme comme il était par son corps dans le
secundum animam in Inferno esse, sicut sépulcre.
secundum corpus in sepulcro.
[10212] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2. Il est arrivé par une disposition [de Dieu] que
2 Ad secundum dicendum, quod dispensative le Christ soit mort aussi longtemps afin de
factum est ut Christus tamdiu mortuus esset, ut manifester la vérité de sa mort. Et son âme a dû
veritas mortis ostenderetur; et tamdiu debuit être en enfer et son corps au sépulcre aussi
anima ejus esse in Inferno, et corpus in sepulcro, longtemps qu’il a été mort, comme ce fut le cas
651

quamdiu mortuus fuit, sicut et de aliis ante ejus des autres avant sa résurrection.
resurrectionem fuit.
[10213] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3. Il existe un triple Paradis. L’un est le Paradis
3 Ad tertium dicendum, quod Paradisus est terrestre, dans lequel Adam a été placé. L’autre
triplex. Unus Paradisus terrestris, in quo Adam est [le Paradis] corporel céleste, c’est-à-dire le
positus est; alius corporalis caelestis, scilicet ciel empyrée. L’autre est spirituel, à savoir, la
caelum Empyreum; alius spiritualis, scilicet gloria gloire provenant de la vision de Dieu. C’est de ce
de visione Dei; et de isto Paradiso intelligitur Paradis que le Seigneur a parlé au voleur, car,
quod dominus latroni dixit: quia statim peracta aussitôt la passion accomplie, le voleur et tous
passione et ipse latro et omnes qui in Limbo ceux qui étaient dans les limbes des pères ont vu
patrum erant Deum per essentiam viderunt. Dieu par son essence.

Articulus 2 [10214] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 Article 2 – Le Christ a-t-il illuminé le limbe
a. 2 tit. Utrum Christus Limbum patrum des pères ?
illuminaverit
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ a-t-il illuminé les
limbes des pères ?]
[10215] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 1. Il semble que le Christ n’ait pas illuminé les
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod limbes des pères. En effet, il semble être de
Christus Limbum patrum non illuminaverit. De l’essence de l’enfer qu’il soit ténèbres, comme
ratione enim Inferni videtur esse tenebra, sicut de de l’essence du Paradis qu’il soit lumière. Il n’est
ratione Paradisi lux. Ergo Inferno non competit donc pas approprié que l’enfer soit illuminé.
illuminari.
[10216] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 2. Si un lieu est éclairé, tous ceux qui sont dans
arg. 2 Praeterea, si locus aliquis illuminatur, ce lieu perçoivent la lumière. Or, certains se
omnes qui sunt in loco illo lumen percipiunt. Sed trouvaient en enfer qui ne devaient pas percevoir
aliqui erant in Inferno qui non debebant percipere la lumière du Christ, tels les démons. Il semble
lumen Christi, sicut Daemones. Igitur videtur donc qu’il n’ait pas éclairé cet endroit.
quod illum locum non illuminaverit.
[10217] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 3. Il est dit dans le Ps 106, 14 : Il les a menés
arg. 3 Praeterea, in Psalm. 106, 14, dicitur: eduxit hors des ténèbres et de l’ombre de la mort. Or, si
eos de tenebris et umbra mortis. Sed si Christus le Christ avait éclairé cet endroit, il n’y aurait pas
locum illum illuminasset, tenebrae ibi non eu de ténèbres. Le Christ n’a donc pas éclairé cet
fuissent. Ergo Christus locum illum non endroit.
illuminavit.
[10218] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. Cependant, [1] [Jean] Damascène dit : « L’âme
c. 1 Sed contra, Damascenus dicit: descendit ad divinisée est descendue en enfer afin que, de
Infernum anima deificata, ut quemadmodum his même que le Soleil de justice s’est levé pour
qui in terra sunt, ortus est sol justitiae, ita et his ceux qui sont sur la terre, de même reluise-t-il
qui in Inferno et tenebris et umbra mortis sedent, pour ceux qui sont en enfer, dans les ténèbres et
superlucescat. à l’ombre de la mort. »
[10219] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 s. [2] Ambroise dit : « Dans l’enfer, il répandait la
c. 2 Praeterea, Ambrosius dicit: in Inferno lumen lumière de la vie éternelle. »
vitae fundebat aeternae.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ a-t-il aussi
arraché des âmes de l’enfer des damnés ?]
[10220] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 1. Il semble que le Christ ait aussi arraché des
arg. 1 Ulterius. Videtur quod Christus animas âmes de l’enfer des damnés. En effet, lui-même a
extraxerit etiam de Inferno damnatorum. Ipse dit : Tu as arraché mon âme à l’enfer inférieur,
enim dixit: eruisti animam meam ex Inferno et en Jb 17, 16 : Mes os descendront au plus
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inferiori, et Job 17, 16: in profundissimum profond de l’enfer. Or, il s’avère que le plus
Infernum descendent ossa mea. Sed profond de l’enfer dans lequel Job est descendu
profundissimum Inferni in quod descendit Job, et et dont il a été ramené était l’enfer inférieur, et
de quo fuit eductus, constat quod fuit Infernus l’enfer inférieur est l’enfer des damnés. [Le
inferior: et Infernus inferior est Infernus Christ] a donc ramené de l’enfer des âmes des
damnatorum. Ergo animas eduxit de Inferno damnés.
damnatorum.
[10221] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 2. À propos de Za 9, 11 : Toi aussi, par le sang
arg. 2 Praeterea, Zachar. 9, 11: tu quoque in de ton alliance, tu as arraché tes captifs de la
sanguine testamenti tui emisisti vinctos tuos de fosse où il n’y a pas d’eau, la Glose dit : « Parmi
lacu in quo non est aqua; dicit Glossa: eos qui les détenus captifs dans les prisons où aucune
tenebantur vincti in carceribus, ubi nulla miséricorde ne les rafraîchissait, tu as libéré ceux
misericordia eos refrigerabat, quam dives ille que ce riche demandait. » Or, ceux-là étaient des
petebat, tu liberasti. Sed tales erant damnati in damnés en effer. Ceux-ci ont donc été libérés.
Inferno. Ergo ipsi fuerunt liberati.
[10222] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 3. Il est dit dans Sg 7, 30 : La sagesse l’emporte
arg. 3 Praeterea, Sapient. 7, 30, dicitur: sapientia sur la malice. Or, tel ne serait pas le cas si tous
vincit malitiam. Sed hoc non esset, si non omnes ceux qui étaient descendus en enfer à cause de
qui per malitiam in Infernum descenderant, per leur malice étaient libérés par la Sagesse, qui est
sapientiam, quae Christus est, liberati sunt. Ergo le Christ. Tous sont donc libérés, même parmi
omnes sunt liberati, etiam de Inferno les damnés de l’enfer.
damnatorum.
[10223] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 4. Is 24, 22 dit : Ils seront rassemblés en un seul
arg. 4 Praeterea, Isai. 24, 22: congregabuntur fagot dans une fosse et ils seront enfermés en
congregatione unius fascis in lacum, et prison, et longtemps après, ils seront visités. Et il
claudentur in carcere, et post multos dies parle là des damnés, ce qui ressort du fait qu’il a
visitabuntur; et loquitur ibi de damnatis, quod lui-même parlé plus haut de la milice du ciel. Il
patet per hoc quod ipse praemisit de militia caeli. semble donc que même les damnés ont été
Ergo videtur quod etiam damnati per Christum visités et libérés.
visitati et liberati sunt.
[10224] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 s. Cependant, [1] Is 66, 24 dit : Leur feu ne
c. 1 Sed contra, Isai. ult., 24: ignis eorum non s’éteindra pas.
extinguetur.
[10225] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 s. [2] Il n’y a pas de rédemption en enfer. Certains
c. 2 Praeterea, in Inferno nulla est redemptio. n’en ont donc pas été libérés.
Ergo inde aliqui liberati non sunt.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ a-t-il libéré ceux
qui étaient dans les limbes des enfants ?]
[10226] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 1. Il semble qu’il ait libéré ceux qui étaient dans
arg. 1 Ulterius. Videtur quod liberaverit illos qui les limbes des enfants, car ceux-ci n’étaient
erant in Limbo puerorum. Quia ipsi non détenus qu’en raison du péché originel, comme
detinebantur nisi pro peccato originali sicut patres les saints pères. Or, ces derniers ont été ramenés.
sancti. Sed illi sunt educti. Ergo et pueri. Donc, les enfants aussi.
[10227] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 2. Il n’y a de péché chez eux qu’à cause d’un
arg. 2 Praeterea, in eis non est peccatum nisi per autre. Ils devaient donc être libérés par un autre.
alium. Ergo per alium liberari debuerunt.
[10228] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 3. L’impuissance mérite la plus grande
arg. 3 Praeterea, impotentia maximam meretur indulgence. Or, les enfants ne pouvaient pas
indulgentiam. Sed pueri non potuerunt peccatum éviter le péché originel. Eux surtout devaient
originale vitare. Ergo ipsi maxime debuerunt donc obtenir miséricorde.
653

consequi liberationem.
[10229] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] personne n’est libéré par le
c. 1 Sed contra, nullus liberatur per Christum nisi Christ qu’un membre du Christ. Or, les enfants
membrum Christi. Sed pueri nunquam fuerunt n’ont jamais été un membre du Christ, ni par le
membrum Christi neque per sacramentum fidei, sacrement de la foi, ni par la foi. Ils n’ont donc
neque per fidem. Ergo per Christum non sunt pas été libérés par le Christ.
liberati.
[10230] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 s. [2] Après cette vie, la grâce n’est donnée qu’à
c. 2 Praeterea, post hanc vitam non datur gratia celui qui la possède. Or, les enfants n’avaient pas
alicui, nisi habenti. Sed pueri non habuerunt la grâce lorsqu’ils sont morts. Elle ne peut donc
gratiam cum decesserunt. Ergo non potest eis dari pas leur être donnée après la vie. Ainsi, ils ne
post vitam; et ita non possunt educi ad gloriam. peuvent être conduits à la gloire.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Le Christ a-t-il libéré ceux
qui étaient au purgatoire ?]
[10231] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 1. Il semble qu’il ait libéré ceux qui étaient au
arg. 1 Ulterius. Videtur quod liberaverit illos qui purgatoire, car l’empêchement du péché originel
erant in Purgatorio. Quia majus erat était plus grand que celui qui péché véniel. Or, il
impedimentum peccati originalis quam peccati a libéré de l’empêchement du péché originel en
venialis. Sed ab impedimento peccati originalis arrachant aux limbes. À bien plus forte raison
liberavit trahens de Limbo. Ergo multo fortius ab [les a-t-il arrachés] à l’empêchement du péché
impedimento peccati venialis; et ita videtur quod véniel. Ainsi, il semble qu’il ait ramené les âmes
a Purgatorio animas eduxerit. du purgatoire.
[10232] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 2. La passion du Christ n’a pas une efficacité
arg. 2 Praeterea, passio Christi non minorem moindre que le sacrement de la passion. Or, par
habet efficaciam quam sacramentum passionis. le sacrement de la passion du Christ, le baptême,
Sed per sacramentum passionis Christi, scilicet on est libéré de toute peine qui est due au
per Baptismum, aliquis liberatur ab omni poena purgatoire. Il semble donc que, par la passion du
quae debetur in Purgatorio. Ergo videtur quod Christ, ceux qui s’y trouvaient aient été bien
multo amplius per passionem Christi illi qui ibi davantage libérés.
erant, liberati sunt.
[10233] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 3. Le Christ a totalement guéri ce qu’il a guéri en
arg. 3 Praeterea, Christus quod curavit in hac vita, cette vie. Or, le Christ a guéri de la dette du
totaliter curavit. Sed illos qui erant in Purgatorio, péché originel ceux qui se trouvaient au
curavit Christus a reatu originalis. Ergo similiter purgatire. De même donc a-t-il guéri de la dette
curavit a reatu peccati venialis; et ita videtur quod du péché véniel. Il semble ainsi qu’il les a libérés
a Purgatorio eos liberavit. du purgatoire.
[10234] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 s. Cependant, [1] la passion du Christ a
c. 1 Sed contra, passio Christi aequalem habet maintenant une puissance égale à celle qu’elle
virtutem nunc quam tunc habuit. Sed nunc virtute avait alors. Or, maintenant, tous ceux qui sont au
passionis non liberantur omnes qui sunt in purgatoire ne sont pas libérés par la puissance de
Purgatorio. Ergo nec tunc. la passion. Donc, ce n’était pas alors non plus le
cas.
[10235] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 s. [2] Celui qui a commis un péché par lui-même
c. 2 Praeterea, peccati quod quis per se commisit, doit par lui-même subir une purification. Or,
per se debet purgationem pati. Sed poenam l’homme supporte la peine du purgatoire pour les
Purgatorii sustinet homo pro peccatis quae ex péchés qu’il a lui-même commis. Il doit donc
seipso commisit. Ergo per poenam quam ipse être purifié par une peine qu’il supporte lui-
sustinet, purgari debet, et non per poenam tantum même, et non par la seule peine du Christ.
Christi.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
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[10236] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Puisque les ténèbres extérieures de l’enfer
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, correspondent aux ténèbres intérieures, raison
quod cum tenebrae exteriores Inferni tenebris pour laquelle le Christ a écarté des pères qui se
interioribus respondeant; ex quo Christus a trouvaient dans les limbes toutes les ténèbres
patribus qui erant in Limbo, omnes tenebras intérieures par la manifestation de sa divinité, il
interiores expulerat per demonstrationem suae convenait aussi que, par la présence de son
deitatis, congruum etiam fuit per praesentiam suae humanité quant à l’âme, il écarte d’eux les
humanitatis quantum ad animam etiam tenebras ténèbres extérieures en éclairant l’endroit.
exteriores ab eis excludere, locum illuminando.
[10237] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1. Cet enfer devait être quitté, car, après ce
1 Ad primum ergo dicendum, quod jam ille moment, personne n’est descendu dans ces
Infernus evacuandus erat, quia post tempus illud limbes. Il convenait donc que quelque chose de
nullus ad illum Limbum descendit: et ideo decens contraire à l’essence de l’enfer se réalise en lui.
fuit ut aliquid in eo fieret quod est contra rationem
Inferni.
[10238] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2. De même que la peine qui consiste dans le feu
2 Ad secundum dicendum, quod sicut poena, quae de l’enfer, en tant que celui-ci agit comme
est ignis Inferni, inquantum agit ut instrumentum instrument de la justice divine, n’afflige que
divinae justitiae, non affligit nisi illos qui habent ceux qui ont la dette de la peine, même si
reatum poenae, etiam si aliquis alius ibi esset; ita quelqu’un d’autre se trouvait là, de même cette
lux illa ut instrumentum divinae misericordiae lumière, en agissant comme instrument de la
agens, illos tantum illuminabat exterius qui miséricorde divine, éclairait-elle à l’extérieur
interius illuminati erant. seulement ceux qui avaient été éclairés à
l’intérieur.
[10239] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3. Il les a ramenés des ténèbres lorsqu’il les a
3 Ad tertium dicendum, quod eduxit eos de illuminés. En les ramenant de cet endroit, on dit
tenebris dum eos illuminavit: et educens eos de qu’il les a ramenés des ténèbres que cet endroit
loco illo dicitur de tenebris eduxisse, quas locus possédait auparavant par nature.
ille de sui natura prius habuerat.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10240] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 co. La peine ne peut être enlevée alors que la faute
Ad secundam quaestionem dicendum, quod poena demeure. Or, ceux qui ont été damnés dans
non potest tolli manente culpa: illi autem qui sunt l’enfer sont obstinés dans la méchanceté, tels les
damnati in Inferno, sunt obstinati in malitia, sicut démons. C’est pourquoi ils ne pouvaient être
Daemones; et ideo de poena illi liberari non libérés de cette peine, et cela n’était pas dû à
potuerunt: et hoc non fuit ex insufficientia l’insuffisance de celui qui libérait, mais à leur
liberantis, sed ex indispositione ipsorum. absence de disposition.
[10241] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1. On appelle limbes des pères l’enfer inférieur,
1 Ad primum ergo dicendum, quod Limbus non pas tout simplement, mais par rapport à cette
patrum dicitur Infernus inferior, non simpliciter, habitation d’où l’âme de David ou encore celle
sed respectu hujus habitationis, de quo anima du Christ a été ramenée. De même encore, cet
David, vel etiam Christi educta fuit. Similiter endroit peut être appelé le plus profond de
etiam ille locus potest dici profundissimum l’enfer par mode de comparaison, de sorte que
Inferni comparative, ut profundum sit respectu l’air embrumé du ciel, où résident les démons,
caeli aer caliginosus, in quo sunt Daemones, est ce qui est profond, l’endroit où nous
profundius locus habitationis nostrae, demeurons est ce qui est plus profond, mais les
profundissimum autem Limbus patrum, de quo limbes des pères, ce qui est le plus profond, d’où
Job liberatus fuit. Job a été libéré.
[10242] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2. Cette glose est impropre. En effet, elle parle
2 Ad secundum dicendum, quod Glossa illa est de l’enfer en un sens général, selon qu’il inclut
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impropria: loquitur enim de Inferno communiter, toutes les distinctions précédentes sur l’enfer.
secundum quod comprehendit omnes praedictas Elle attribue donc quelque chose à l’enfer en
distinctiones Inferni; unde Inferno aliquid attribuit raison d’une seule partie, et quelque chose en
ratione unius partis, aliquid ratione alterius. Quod raison d’une autre partie. Ce qui est dit :
autem dicitur: nulla eos misericordia refrigerabat, « Aucune miséricorde ne les rafraîchissait »,
intelligitur quantum ad eos qui erant in alia parte s’entend de ceux qui étaient dans une autre partie
Inferni: vel dicitur de misericordia omnino de l’enfer. Ou bien on parle de la miséricorde qui
absolvente, quam etiam dives magis desiderabat, absout tout, que même le riche désirait
quamvis aliam peteret. davantage, bien qu’il en ait demandé une autre.
[10243] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3. En elle-même, la sagesse l’emporte sur toute
3 Ad tertium dicendum, quod quantum in se est, méchanceté. Mais le fait que celle-ci ne soit pas
sapientia omnem malitiam vincit; sed quod in vaincue chez certains vient de leur manque de
aliquibus non vincitur, est ex eorum disposition.
indispositione.
[10244] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4. Il parle de la visite qui surviendra lors de la
4 Ad quartum dicendum, quod loquitur de résurrection générale, alors qu’ils seront tirés de
visitatione quae erit in generali resurrectione, l’enfer pour y être à nouveau enfermés pour
quando educentur de Inferno, iterum in perpetuum l’éternité.
includendi.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10245] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 co. La rédemption du Christ n’a eu lieu que pour
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ceux qui étaient membres du Christ. Puisque les
redemptio Christi non habuit locum nisi in illis enfants qui étaient aux limbes n’ont jamais été
qui fuerunt membra Christi: unde cum pueri qui membres du Christ, ni par leur foi propre, ni par
erant in Limbo, nunquam fuerint membra Christi le sacrement de la foi (qui est maintenant le
neque per propriam fidem, neque per fidei baptême, mais qui était alors la circoncision ou
sacramentum (quod nunc est Baptismus, tunc le sacrifice), il est clair qu’ils n’ont pas été
autem erat circumcisio, vel sacrificium), constat libérés.
quod ipsi liberati non fuerunt.
[10246] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1. Chez les pères, il y avait une grâce qui
1 Ad primum ergo dicendum, quod in patribus n’existait pas chez les enfants, par laquelle les
erat gratia, quae non erat in pueris, per quam pères étaient membres du Christ. C’est pourquoi
patres erant membra Christi; et ideo effectum ils ont reçu l’effet de la rédemption, ce qui n’a
redemptionis perceperunt, quod non fuit de pueris. pas été le cas des enfants.
[10247] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2. Le péché des enfants pouvait être expié par un
2 Ad secundum dicendum, quod puerorum autre pour ce qui est du genre du péché.
peccatum, quamvis esset per alium expiabile, Cependant, ils n’avaient pas en eux-même la foi
quantum ad genus peccati, non tamen habebant in ni la charité, par lesquelles ils auraient été unis à
se fidem et caritatem, per quam conjungerentur celui par lequel ils auraient pu être libérés pour
illi per quem potuissent liberari quantum ad genus ce qui est du genre du péché.
peccati.
[10248] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3. Bien que, pour ce qui était du genre du péché,
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis quantum leur péché pouvait être pardonné, cependant, en
ad genus peccati esset eorum peccatum raison de leur disposition, ils ne pouvaient pas
propitiabile, tamen ex dispositione eorum, participer au pardon, comme cela apparaît pour
propitiationis participes esse non potuerunt; sicut le péché véniel chez ceux qui ont péché
etiam patet de veniali in illis qui mortaliter mortellement.
peccaverunt.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[10249] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 co. Bien que cela n’ait pas été déterminé par les
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Ad quartam quaestionem dicendum, quod saints, on peut cependant dire que ceux qui
quamvis hoc non inveniatur determinatum a étaient au purgatoire n’ont pas été libérés. En
sanctis, potest tamen dici, quod illi qui erant in effet, puisque la peine du purgatoire est due pour
Purgatorio, non fuerunt liberati: quia cum poena le péché actuel, il faut qu’il soit expié par un acte
Purgatorii debeatur peccato actuali; oportet quod propre, par la passion de celui qui a péché ou par
expietur per proprium actum, vel passionem illius celle d’une personne particulière qui agissait
qui peccavit, vel alterius specialis personae pour lui. Or, dans le purgatoire, la faute ne peut
agentis pro ipso. In Purgatorio autem non potest être expié par un acte méritoire, car on n’est pas
culpa expiari per aliquem actum meritorium, quia en état de mériter. Il faut donc que leur faute soit
non sunt in statu merendi: unde oportet quod expiée par une peine qu’ils supportent eux-
expietur eorum culpa per poenam, quam ipsi mêmes, à moins qu’ils ne soient libérés par les
sustineant, nisi per suffragia eorum qui sunt in suffrages de ceux qui sont en état de mériter. Or,
statu merendi, liberentur. Passio autem Christi la passion du Christ enlève de manière
immediate removet impedimentum ex peccato immédiate l’empêchement qui vient du péché
originali proveniens, quod ex altero contractum originel, qui a été contracté d’un autre. Mais
est; sed ad removendum poenam debitam actuali pour enlever la peine due pour un péché actuel
peccato, quod quisque ex seipso commisit, que quelqu’un a commis par lui-même, son
pertingit ejus efficacia mediante aliquo efficacité l’atteint par l’intermédiaire d’un
sacramento circa personam exhibito, aut aliquo sacrement donné à la personne, ou par un acte de
actu ipsius personae, vel alterius ad ipsam relato; cette personne même ou d’une autre qui est en
et ideo non decebat ut per solam Christi rapport avec elle. Il ne convenait donc pas qu’ils
passionem a Purgatorio liberarentur. Nisi dicatur, soient libérés du purgatoire par la seule passion
quod in vita sua hoc meruerunt ut per passionem du Christ, à moins de dire qu’ils ont mérité
Christi liberarentur. Vel hoc ex speciali gratia fuit pendant leur vie d’être libérés par la passion du
quod illi qui in Purgatorio inventi fuerunt, absoluti Christ. Ou bien cela venait d’une grâce
sint per passionem Christi; quamvis nunc illi qui particulière, que ceux qui se trouvaient au
sunt in Purgatorio, non consequantur effectum purgatoire ont été absous par la passion du
plenae liberationis ex sola passione Christi. Christ, bien que, maintenant, ceux qui se
trouvent au purgatoire, n’obtiennent pas l’effet
d’une pleine libération par la seule passion du
Christ.
[10250] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1. Bien que l’empêchement du péché originel
1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis soit plus grave, il peut cependant être absous par
impedimentum peccati originalis sit gravius, un autre en totalité, ce qui n’est pas le cas de
tamen est solubile per alium totaliter, quod non l’empêchement du péché véniel pour la raison
est de impedimento venialis peccati ratione déjà donnée.
praedicta.
[10251] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2. La peine n’est jamais remise en vertu de la
2 Ad secundum dicendum, quod poena nunquam passion du Christ, que pour autant que l’on est
dimittitur virtute passionis Christi, nisi inquantum conformé à la passion, ce qui peut se faire de
aliquis passioni conformatur: quod potest esse trois manières. Première manière :
tripliciter. Uno modo sacramentaliter, sicut fit in sacramentellement, comme cela se réalise par le
Baptismo; alio modo per meritum dilectionis, et baptême. Deuxième manière : par le mérite de
fidei ex passione surgentis; tertio modo per l’amour et de la foi en vertu de la passion de
poenae similitudinem. Primi autem duo modi non celui qui ressuscite. Troisièmement : par la
possunt esse in Purgatorio, quia non sunt in statu ressemblance de la peine. Les deux premières
recipiendi sacramentum, neque in statu merendi: manières ne peuvent exister dans le purgatoire,
unde oportet, si passio a veniali eos liberet, quod car on n’y est pas en état de recevoir un
conformentur Christo passo per poenae sacrement, ni en état de mériter. Si la passion les
passionem. libère du péché véniel, il faut donc qu’ils soient
657

conformés au Christ souffrant par la souffrance


de la peine.
[10252] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3. Tout ce qui pouvait être guéri par un autre
3 Ad tertium dicendum, quod quidquid erat in eis chez eux, il l’a entièrement guéri; mais la peine
curabile per alium, totum curavit; sed poena qui purifie ne pouvait pas être entièrement
purgans non erat eis per alium totaliter remise par un autre, comme on l’a dit.
remissibilis, ut dictum est.
[10253] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 2 a. 2 qc. 4 ad La réponse aux objections en sens contraire
s. c. Ad ea quae objiciuntur in oppositum, patet ressort de ce qui a été dit.
solutio ex dictis.

Quaestio 3 Question 3 – [L’ascension du Christ]


Prooemium Prologue

[10254] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur l’ascension du Christ.
quaeritur de ascensione Christi; et circa hoc À ce sujet, trois questions sont posées : 1 – Le
quaeruntur tria: 1 utrum Christus ascenderit; 2 de Christ est-il monté [au ciel] ? 2 – Le mode de
modo ascensionis; 3 de termino ipsius. l’ascension. 3 – Le terme de l’ascension.

Articulus 1 [10255] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 Article 1 – Le Christ devait-il monter [au ciel]
a. 1 tit. Utrum Christus debuerit ascendere ?
[10256] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 1 1. Il semble que le Christ ne soit pas monté [au
Ad primum sic proceditur. Videtur quod Christus ciel]. En effet, tout mouvement, puisqu’il est un
non ascenderit. Omnis enim motus, cum sit exitus passage de la puissance à l’acte, est l’acte de ce
de potentia ad actum, est actus imperfecti, et est qui est imparfait et il existe en raison d’une
propter indigentiam. Sed ascensio motus est. Cum indigence. Or, l’ascension est un mouvement.
igitur in Christo jam glorificato totaliter per Puisque, chez le Christ déjà entièrement glorifié
resurrectionem non fuerit aliqua imperfectio, vel par la résurrection, il n’existait aucune
indigentia, videtur quod ipse non ascenderit. imperfection ni indigence, il semble donc qu’il
ne soit pas monté [au ciel].
[10257] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 2 2. Chez le Christ, il n’existe que deux natures: la
Praeterea, in Christo non est nisi duplex natura, divine et l’humaine. Or, selon sa nature divine, il
scilicet divina, et humana. Sed secundum divinam ne convient pas au Christ de monter, ni
naturam Christo non competit ascendere neque localement, puisque, en tant qu’il est Dieu, il est
localiter, cum ipse, secundum quod Deus, sit partout, ni selon sa divinité, puisque la divinité
ubique; neque secundum divinitatem, cum ne peut progresser; [cela ne lui convient pas non
divinitas proficere non possit; neque iterum plus] selon sa nature humaine par le lieu, car il
secundum humanam secundum locum; quia ipse n’est pas descendu du ciel. Or, il est dit en
de caelo non descendit, dicitur autem Joan. 3, 13: Jn 3, 13 : Personne ne monte au ciel que celui
nemo ascendit in caelum, nisi qui descendit de qui est descendu du ciel, ni non plus selon la
caelo; neque iterum secundum dignitatem, quia dignité, car sa gloire n’a pas augmenté après sa
gloria sua post resurrectionem gloriosam non résurrection glorieuse. Il semble donc que le
crevit. Ergo videtur quod Christus nullo modo Christ ne soit monté [au ciel] d’aucune manière.
ascenderit.
[10258] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 3 3. Il convient aux autres saints de monter au ciel
Praeterea, aliis sanctis competit ascendere ad empyrée, car, par ce lieu qui convient à leur
caelum Empyreum: quia per locum illum gloire, leur joie est accrue. Or, la joie de l’âme
congruentem suae gloriae augetur suum gaudium. du Christ ne pouvait s’accroître d’aucune
Sed gaudium animae Christi non potuit aliquo manière, comme non plus sa grâce ni sa gloire. Il
modo crescere, sicut nec gratia, vel gloria. Ergo semble donc qu’il ne soit pas monté [au ciel].
658

videtur quod ipse non ascenderit.


[10259] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 4 4. Tout ce que le Christ a fait pour nous dans la
Praeterea, omne quod Christus in carne assumpta chair devait tourner à notre utilité. Or, par
propter nos fecit, in nostram utilitatem cedere l’ascension, rien ne nous a été ajouté, car,
debuit. Sed per ascensionem nihil nobis accrevit: auparavant, par la passion et la descente aux
quia ante per passionem et descensum ad Inferos enfers, tout empêchement a été enlevé et la porte
omne impedimentum remotum fuit, et janua per [du ciel] a été ouverte par la passion; de même
passionem aperta est, et similiter per Baptismum, en a-t-il été par le baptême, alors que les cieux
quando caeli aperti sunt. Ergo non fuit ont été ouverts. Il n’était donc pas nécessaire que
necessarium quod Christus ascenderet. le Christ monte [au ciel].
[10260] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 arg. 5 5. Toute action du Christ est ordonnée à notre
Praeterea, omnis actio Christi ad nostram salutem salut. Or, sa présence corporelle serait plus
ordinatur. Sed magis esset ad salutem nostram favorable à notre salut que son absence. Il
ejus praesentia corporalis quam ejus absentia. semble donc qu’il ne devait pas se séparer de
Ergo videtur quod a nobis per ascensionem nous par l’ascension.
discedere non debuit.
[10261] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] il est dit dans le symbole : « Il
Sed contra est quod in symbolo dicitur: ascendit est monté au ciel. »
ad caelos.
[10262] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 s. c. 2 [2] Au corps le plus noble est dû le lieu le plus
Praeterea, corpori nobilissimo debetur locus noble. Or, le ciel empyrée est le plus noble des
nobilissimus. Sed caelum Empyreum est locorum lieux. Le corps du Christ, qui est le plus noble,
nobilissimus. Ergo corpus Christi, quod est devait donc monter jusqu’à ce lieu.
nobilissimum, ad locum illum ascendere debuit.
[10263] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 s. c. 3 [3] Chez le Christ, la gloire de la résurrection
Praeterea, in Christo praemonstrata est gloria qui est promise à ses membres a été manifestée
resurrectionis, quae membris ejus promittitur. Sed par anticipation. Or, un lieu céleste, dont Lucifer
promittitur etiam membris Christi locus caelestis, est tombé, est aussi promis aux membres du
unde Lucifer cecidit. Ergo videtur quod ipse prius Christ. Il semble donc qu’il devait d’abord
ascendere debuit pandens iter ante eos, ut dicitur monter, en leur ouvrant la voie, comme il est dit
Michaeae 2, 13. dans Mi 2, 13.
[10264] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 co. Réponse. Monter au ciel était convenable pour
Respondeo dicendum, quod ascendere in caelum le Christ et pour nous. Pour le Christ, parce que
fuit congruum et ipsi Christo, et nobis. Christo tout ce qui se rapporte à la gloire lui était dû;
quidem, quoniam ei omne quod ad gloriam puisque le ciel empyrée est un lieu convenable
pertinet, debebatur; unde cum caelum Empyreum pour la gloire et comme une récompense
sit locus congruus gloriae, et aliquod quasi accidentelle, il était donc dû aussi au Christ qu’il
praemium accidentale, Christo etiam debebatur ut monte vers ce lieu. Mais, pour nous, cela était
ad locum illum ascenderet. Nobis autem convenable pour trois raisons. Premièrement,
congruum fuit quantum ad tria. Primo ut nos quasi afin qu’il nous introduise en la possession
in corporalem possessionem induceret caeli, quam corporelle du ciel, qu’il avait achetée au prix de
nobis pretio sui sanguinis emerat. Secundo ut son sang. Deuxièmement, afin d’élever notre
spem nostram ad caelum erigeret: quia dum espérance vers le ciel, car, « en introduisant la
humanam conditionem sideribus importavit, condition humaine parmi les astres, il a démontré
credentibus caelum posse patere monstravit, ut que le ciel pouvait être ouvert », comme le dit
dicit Augustinus. Tertio ut jam Christum non Augustin. Troisièmement, afin que, ne
secundum carnem cognoscentes, spiritualiter connaissant pas le Christ selon la chair, nous lui
tantum ipsi conjungamur; et sic idonei efficiamur soyons unis spirituellement seulement et qu’ainsi
ad accipienda dona spiritus sancti, secundum nous devenions aptes à recevoir les dons de
quod dictum est, Eph. 4, 8: ascendit in altum, l’Esprit Saint, selon ce qui a été dit en Ep 4, 8 : Il
659

dedit dona hominibus. est monté dans les hauteurs, il a donné des dons
aux hommes.
[10265] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. Comme le dit le Philosophe, le mouvement
primum ergo dicendum, quod motus localis, ut local ne change rien d’intrinsèque à une chose,
dicit philosophus, non mutat aliquid de eo quod mais il concerne seulement ce qui lui est
est intra rem, sed solum est secundum id quod est extérieur. Le mouvement local ne représente
extra; unde motus localis non ponit exitum de donc pas un passage de la puissance à l’acte
potentia ad actum aliquem intraneum rei, sed ad intrinsèque à la chose; pour cette raison, n’est
actum extrinsecum; et propter hoc non ponitur per pas affirmée par le mouvement local une
motum localem aliqua imperfectio per hoc quod imperfection selon ce qui doit être intrinsèque à
desit aliquid eorum quae debent inesse; sed ponit la chose, mais il affirme une imperfection sous
imperfectionem secundum quid per hoc quod dum un aspect, selon que, lorsque la chose est dans ce
est in loco isto non est in alio. Similiter dicendum lieu, elle n’est pas dans un autre. De même faut-
est, quod ascensio Christi non fuit propter aliquam il dire que l’ascension du Christ n’était pas due à
indigentiam, qua indigeret ipse ex parte sua une indigence en vertu de laquelle il aurait eu
aliquid in seipso habere, sed propter nostram besoin pour sa part de posséder quelque chose en
indigentiam, et ut esset in loco sibi convenienti, in lui-même, mais en raison de notre indigence, et
quo nondum erat. afin d’être dans un lieu qui lui convenait, alors
qu’il n’y était pas encore.
[10266] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. « Monter » et « descendre » peuvent être
secundum dicendum, quod ascendere et employés au sens propre : ils signifient alors un
descendere possunt dici proprie, et sic significant mouvement local. Ils ne conviennent donc pas au
motum localem; unde non conveniunt Christo Christ selon sa nature divine, mais selon sa
secundum divinam naturam, sed secundum nature humaine, selon qu’il est descendu aux
humanam, secundum quam descendit ad Inferos enfers et est monté localement dans les cieux. On
et ascendit localiter ad caelos. Dicitur etiam dit aussi métaphoriquement qu’il est descendu
metaphorice descendisse secundum divinam selon sa nature divine, pour autant qu’il s’est
naturam inquantum se exinanivit formam servi abaissé en prenant la forme de l’esclave, Ph 2, et
accipiens, Philip. 2, et inquantum per novum pour autant que, par un effet nouveau, il était sur
effectum fuit in terris, secundum quem ibi ante la terre, alors qu’il n’y était pas auparavant; et
non fuerat: ascendisse autem quantum ad notitiam [on dit] qu’il est monté du point de vue de la
aliorum. Similiter quantum ad humanam naturam connaissance des autres. De même, il est monté
ascendit, secundum quod exaltatus est ad gloriam selon sa nature humaine, selon qu’il a été élevé à
resurrectionis, et notitiam populorum; descendit la gloire de la résurrection et porté à la
autem secundum passionis ignominiam. Quod connaissance des peuples; mais il est descendu
autem dicitur, nemo ascendit, nisi qui descendit, selon l’ignominie de la passion. Ce qui est dit :
ad personam referendum est, cui secundum Personne ne monte que celui qui est descendu,
naturam unam convenit descendere de caelo, doit être mis en rapport avec la personne, à qui il
scilicet secundum divinam, inquantum sibi convient selon une nature , la nature divine, de
carnem in persona copulavit; et secundum aliam, descendre du ciel, pour autant qu’il s’est uni la
scilicet humanam, ascendere. chair dans sa personne; et selon une autre, la
nature humaine, [il convient] de monter.
[10267] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. Par l’ascension, ne s’est pas ajoutée au Christ
tertium dicendum, quod Christo in ascensione non une joie, ni selon l’intensité, ni selon le nombre
accrevit aliquod gaudium neque quantum ad de choses dont il se réjouissait, car il a eu une
intensionem, neque quantum ad numerum eorum joie parfaite dès l’instant de sa conception. Mais
de quibus gaudendum erat: quia perfectum s’est ajoutée à lui une nouvelle manière de se
gaudium de omnibus ab instanti suae conceptionis réjouir, car ce dont il se réjouissait d’abord
habuit: sed accrevit sibi novus modus gaudendi: comme à venir, il s’en réjouissait alors comme
quia de illo de quo prius gaudebat ut de futuro, présent.
660

tunc gaudebat ut de praesenti.


[10268] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Par la passion du Christ, tous les
quartum dicendum, quod per passionem Christi empêchements ont été écartés de nous et tous les
omnia impedimenta fuerunt a nobis amota et biens ont été donnés pour ce qui est du mérite,
omnia bona data quantum ad meritum, quia car, par la passion, le Christ nous a mérité ce
scilicet per passionem Christus nobis meruit dont il a été question; mais il fallait que nous
praedicta; sed oportuit ut per effectum in illa bona entrions effectivement dans ces biens, comme
per eum induceremur, quasi in corporalem par une possession corporelle de ce qu’il avait
possessionem eorum quae jam nobis emerat. déjà acheté. Or, les dons de la gloire consistent
Dona autem gloriae in tribus consistunt. Primo in en trois choses. Premièrement, dans la vision de
visione divina, quae est beatitudo animae; et hoc Dieu, qui est la béatitude de l’âme. Il a
per effectum contulit descendendo ad Inferos. effectivement apporté cela en descendant aux
Secundum est gloria corporis; et hoc inchoavit in enfers. Deuxièmement, la gloire du corps : il a
sua resurrectione. Tertium est locus congruus; et amorcé cela par sa résurrection. Troisièmement,
hoc praestitit in sua ascensione. In Baptismo un lieu adéquat : il a fourni cela par son
autem caeli aperti sunt in signum quod per ascension. Mais, par le baptême, les cieux se
Baptismum, quem tunc inchoabat, in quo passio sont ouverts comme signe que, par le baptême,
ejus operatur, plenarie caeli aditus pateret nobis. qu’il commençait alors et dans lequel sa passion
agit, l’accès au ciel nous était pleinement ouvert.
[10269] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 1 ad 5 Ad 5. La présence corporelle du Christ pouvait être
quintum dicendum, quod corporalis praesentia nuisible sous deux aspects. Premièrement, pour
Christi in duobus poterat esse nociva. Primo ce qui est de la foi, car, « en le voyant sous une
quantum ad fidem: quia videntes eum in forma in forme qui était inférieure au Père, on ne l’aurait
qua erat minor patre, non ita de facili crederent pas cru aussi facilement égal au Père », comme
eum aequalem patri, ut dicit Glossa super le dit la Glose à propos de Jean. Deuxièmement,
Joannem. Secundo quantum ad dilectionem: quia pour ce qui est de l’amour, car nous ne
eum non solum spiritualiter, sed etiam carnaliter l’aimerions pas seulement spirituellement, mais
diligeremus conversantes cum ipso corporaliter; et aussi charnellement en entretenant avec lui des
hoc est de imperfectione dilectionis. rapports corporels, et cela est une imperfection
de l’amour.

Articulus 2 [10270] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 Article 2 – Le mouvement de l’ascension était-


a. 2 tit. Utrum motus ascensionis fuerit violentus il violent ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [ ]
[10271] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 1. Il semble que le mouvement de l’ascension ait
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod été violent. Ac 1 : Ayant levé les mains, il fut
motus ascensionis fuerit violentus. Act. 1: elevatis emporté vers le ciel. Or, ainsi que le dit
manibus ferebatur in caelum. Sed latio, ut dicitur Physique, VII, l’action d’emporter est une espèce
7 Physic., est species motus violenti. Ergo de mouvement violent. L’ascension [du Christ] a
ascensio sua fuit violentus motus. donc été un mouvement violent
[10272] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 2. Puisque le corps du Christ était solide, la terre
arg. 2 Praeterea, in corpore suo, cum esset l’emportait chez lui. Or, tout ce qui est tel est mû
solidum, dominabatur terra. Sed omne tale vers le bas et, vers le haut, par violence. Cette
naturaliter movetur deorsum, et per violentiam ascension a donc été violente.
sursum. Ergo illa ascensio erat violenta.
[10273] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 3. Tout mouvement naturel est causé par le
arg. 3 Praeterea, omnis motus naturalis causatur mouvement du ciel. Or, le ciel n’exerçait aucune
ex motu caeli. Sed caelum non habebat aliquam causalité sur le corps du Christ. Ce mouvement
causalitatem supra corpus Christi. Ergo motus ille n’était donc pas naturel.
non erat naturalis.
661

[10274] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 4. Tout mouvement vers un lieu étranger à un
arg. 4 Praeterea, omnis motus qui est in locum mobile est un mouvement non naturel. Or,
peregrinum mobili, est motus innaturalis. Sed l’ascension du Christ était de cette sorte, car
ascensio Christi fuit hujusmodi: quia dicit Grégoire dit à ce sujet : « L’homme qui part à
Gregorius, super illud: homo quidam peregre l’étranger : la chair est amenée à se déplacer vers
proficiscens: caro ad peregrinandum ducitur, l’étranger, alors qu’elle est placée au ciel par le
dum per redemptorem in caelo collocatur. Ergo Rédempteur. » Cette ascension a donc été un
illa ascensio fuit motus violentus. mouvement violent.
[10275] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 s. Cependant, [1] tout mouvement violent entraîne
c. 1 Sed contra, omnis motus violentus inducit une lassitude. Or, l’ascension du Christ n’était
lassitudinem. Sed ascensio Christi non fuit talis. pas telle. Elle n’a donc pas été un mouvement
Ergo non fuit motus violentus. violent.
[10276] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 s. [2] Aucun mouvement violent n’est capable de
c. 2 Praeterea, nullus motus violentus est propria mouvoir par sa propre puissance. Or, le Christ
virtute mobilis. Sed Christus propria virtute est monté par sa propre puissance, comme cela
ascendit, ut patet Isai. 63, 1: gradiens in ressort de Is 63, 1 : Montant par la grandeur de
multitudine fortitudinis suae. Ergo ascensio ejus sa force. Son ascension n’a donc pas été
non fuit motus violentus. violente.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’ascension a-t-elle été un
mouvement subit ?]
[10277] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 1. Il semble que le mouvement ait été subit, car
arg. 1 Ulterius. Videtur quod ascensionis motus Augustin dit, dans les Questions sur la
fuerit subitus. Quia Augustinus dicit in résurrection, que « les moouvements des corps
quaestionibus de resurrectione, quod tales sunt glorieux sont comme les mouvements d’un
motus corporum glorificatorum, sicut motus radii rayon du soleil ». Or, les mouvements du rayon
solis. Sed motus radii est in instanti. Ergo et se produisent dans l’instant. Donc aussi le
motus corporis Christi gloriosi. mouvement du corps du Christ glorieux.
[10278] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 2. Le corps du Christ glorieux était entièrement
arg. 2 Praeterea, corpus Christi gloriosum, soumis à la volonté de l’esprit. Or, la volonté
omnino erat subjectum voluntati spiritus. Sed peut être instantanément mue d’un lieu à un
voluntas in instanti potest moveri de loco ad autre. Donc aussi le corps glorifié du Christ.
locum. Ergo et corpus Christi glorificatum.
[10279] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 3. La puissance du corps du Christ glorifié est
arg. 3 Praeterea, potentia corporis Christi sans proportion par rapport à la puissance d’un
glorificati est improportionabilis potentiae corps mobile non glorifié. Or, la proportion du
alicujus corporis mobilis non glorificati. Sed temps dans lequel se réalise le mouvement est
secundum proportionem virtutis moventis est proportionnelle à la puissance de celui qui meut,
proportio temporis in quo fit motus: quia major car une plus grande puissance meut dans un
virtus in minori tempore movet. Ergo si aliqua temps moindre. Si donc une puissance meut dans
virtus movet in tanto tempore, virtus corporis un temps déterminé, la puissance du corps du
Christi glorificati movebit in instanti ipsum Christ glorifié mouvra son propre corps dans
corpus, quod instans tempori non proportionatur. l’instant, instant qui n’a pas de proportion par
rapport au temps.
[10280] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 s. Cependant, [1] puisqu’il est divisible, le corps
c. 1 Sed contra, corpus Christi, cum sit divisibile, du Christ possède une partie après l’autre. Or, là
habet partem post partem. Sed ubi est una pars, ibi où se trouve une partie, là ne s’en trouve pas une
non est alia. Ergo oportet quod parti succedat autre. Il faut donc qu’une partie succède à une
pars: ergo motus ille non est subito. partie. Ce mouvement n’est pas donc subit.
[10281] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 s. [2] Un mouvement subit ne peut pas être perçu.
c. 2 Praeterea, motus subitaneus non potest Or, les apôtres ont vu l’ascension du Christ. Elle
662

percipi. Sed apostoli viderunt Christi ne fut donc pas subite.


ascensionem. Ergo non fuit subita.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’ascension devait-elle
avoir lieu aussitôt après la résurrection ?]
[10282] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 1. Il semble que [le Christ] devait monter [au
arg. 1 Ulterius. Videtur quod statim post ciel] aussitôt après la résurrection, car son
resurrectionem ascendere debuerit. Quia ascensio ascension est le modèle des autres saints. Or, les
sua est exemplar aliorum sanctorum. Sed alii autres saints monteront après la résurrection des
sancti post resurrectionem corporum futuram corps à venir. Le Christ le devait donc.
ascendent. Ergo et Christus debuit.
[10283] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 2. De même que [le Christ] devait prouver la
arg. 2 Praeterea, sicut debuit probari veritas vérité de la résurrection, de même devait-il
resurrectionis, ita debuit probari veritas mortis. prouver la vérité de sa mort. Or, pour prouver la
Sed ipse ut probaret veritatem mortis, distulit vérité de sa mort, il a reporté la résurrection
resurrectionem usque in tertium diem. Ergo jusqu’au troisième jour. De la même manière, il
similiter debuit ascendere tertia die post devait donc monter [au ciel] le troisième jour
resurrectionem. après sa résurrection.
[10284] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 3. Il n’existe pas d’autre lieu des âmes que
arg. 3 Praeterea, non est aliquis locus animarum l’enfer ou le ciel. Or, les âmes des saints pères
nisi Infernus vel caelum. Sed animae sanctorum qui étaient dans les limbes ont été tirées de
patrum qui erant in Limbo, Christo resurgente l’enfer lorsque le Christ est ressuscité. Ils sont
eductae sunt de Inferno. Ergo statim ascenderunt donc aussitôt montés au ciel. Or, personne ne
in caelum. Sed nullus debuit in caelum ascendere devait monter au ciel avant le Christ, comme
ante Christum, sicut nullus ante ipsum resurgere. personne ne devait ressusciter avant lui. Le
Ergo et Christus statim post resurrectionem debuit Christ devait donc aussi monter immédiatement
ascendere. [au ciel] après la résurrection.
[10285] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] Ac 1, 3 dit : Il se montra vivant
c. 1 Sed contra, Act. 1, 3: praebuit seipsum vivum pendant quarante jours.
per dies quadraginta.
[10286] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 s. [2] Les consolations divines dépassent les
c. 2 Praeterea, consolationes divinae excedunt tribulations humaines. Or, les apôtres ont connu
tribulationem humanam. Sed apostoli fuerunt in l’angoisse après la mort du Christ pendant trois
angustia post mortem Christi per tres dies. Ergo jours. À bien plus forte raison, devaient-ils être
multo amplius debuerunt esse in gaudio propter dans la joie en raison de sa résurrection.
ipsius resurrectionem.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10287] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 co. On appelle mouvement naturel celui dont le
Respondeo dicendum, quod motus naturalis principe est la nature. Or, on parle de nature de
dicitur cujus principium est natura. Natura autem deux manières : à propos de la forme qui est le
dicitur dupliciter: scilicet de forma quae est principe actif du mouvement, et à propos de la
principium activum motus, et de materia quae est matière qui est le principe passif. On parle ainsi
principium passivum. Secundum hoc igitur dicitur de mouvement naturel de deux manières.
aliquis motus dupliciter naturalis. Uno modo quia Premièrement, parce qu’il existe un principe
in eo quod movetur est principium activum actif de mouvement dans ce qui est mû : ainsi,
motus; et sic corpora gravia et levia moventur les corps lourds et légers sont-ils mus
naturaliter. Alio modo quia in eo quod movetur, naturellement. Deuxièmement, parce que, dans
est dispositio naturalis, per quam aliquid est ce qui est mû, existe une disposition naturelle,
mobile ab aliquo movente; et hoc contingit selon laquelle une chose peut être mue par
dupliciter. Quia vel inest ista aptitudo ad hoc quod quelque chose qui la meut. Cela se produit de
moveatur ab illo movente cum inclinatione ad deux manières. Soit cette aptitude est inhérente à
663

contrarium motum, sicut est in corpore animalis; ce que cette chose soit mue par ce qui la meut
et tunc motus ille dicitur violentus quantum ad selon une inclination au mouvement contraire,
naturam corporis, inquantum est corpus; naturalis comme c’est le cas dans le corps de l’animal :
autem quantum ad naturam corporis, inquantum alors, on dit que ce mouvement est violent pour
est animatum, ut dicit philosophus. Aut non est ce qui est de la nature du corps en tant qu’il est
aptitudo ad contrarium inclinans, sicut patet in corps, mais naturel pour ce qui est de la nature
motu caelestium, quae moventur a substantia du corps en tant qu’il est animé, comme le dit le
separata, et tamen dicuntur moveri naturaliter, ut Philosophe. Soit il n’existe pas d’aptitude
dicit Commentator in 1 caeli et Mund. Hoc modo inclinant en sens contraire, comme c’est le cas
motus ascensionis Christi fuit naturalis: quia cum pour le mouvement des corps célestes, qui sont
corpus glorificatum sit omnino subjectum animae, mus par une substance séparée, mais dont on dit
non potest esse aliqua inclinatio ad contrarium cependant qu’ils sont mus naturellement, comme
ejus quod anima vult; unde removetur in eo le dit le Commentateur dans Sur le ciel et le
inclinatio gravitatis et levitatis repugnans monde, I. Le mouvement de l’ascension du
voluntati, sicut inclinatio calidi et frigidi, quae est Christ fut ainsi naturel, car, le corps glorifié étant
ad mutuam corruptionem. Quidam autem dicunt, entièrement soumis à l’âme, il ne peut exister
quod fuit etiam motus naturalis ex hoc quod d’inclination en sens contraire de ce que l’âme
principium activum fuit in corporis natura, sicut in veut. Ainsi est enlevée en lui l’inclination à la
motu gravium et levium: quia in corpore gravité et à la légèreté qui s’oppose à la volonté,
glorificato regnat natura caeli Empyrei, quae est de même que l’inclination au chaud et au froid,
de compositione corporis humani: quod est qui va vers la corruption mutuelle. Mais certains
impossibile. Quia si aliquid de caelo Empyreo disent que le mouvement [d’ascension] était
esset pars corporis nostri, oporteret quod esset naturel du fait qu’il existait un principe actif dans
commixtum elementis; alias esset distinctum ab la nature du corps, comme dans le mouvement
eis, et non esset pars, quia non esset unum, nisi des corps lourds et légers, car, dans le corps
aggregatione. Praeterea, si esset pars, non glorifié, règne la nature du ciel empyrée, qui
inclinaret ad motum rectum sed ad nullum: quia vient de la composition du corps humain, ce qui
de natura caeli Empyrei non est quod moveatur est impossible. En effet, si quelque chose venant
nisi ad motum circularem qui est naturalis quintae du ciel empyrée était une partie de notre corps, il
essentiae. faudrait que cela soit mêlé aux éléments,
autrement cela serait distinct d’eux et n’en serait
pas une partie, car cela ne serait une seule chose
que par agrégation. De plus, si cela était une
partie, elle n’inclinerait pas à un mouvement en
ligne droite, mais à aucun [mouvement], car il
est de la nature du ciel empyrée de n’être mû
qu’à un mouvement circulaire qui est naturel à la
quinte essence.
[10288] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 1. Il était porté par des anges, non pas en raison
1 Ad primum ergo dicendum, quod ferebatur de la nécessité d’une aide, mais en hommage à sa
quidem ab Angelis in obsequium dignitatis, non in dignité, comme les rois et les évêques sont
adjutorium necessitatis; sicut reges etiam feruntur portés. Il n’en découle donc pas que cela était un
et episcopi: unde non sequitur quod fuerit motus mouvement violent.
violentus.
[10289] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 2. Ce mouvement n’est pas naturel au corps en
2 Ad secundum dicendum, quod motus ille non tant que corps, mais en tant qu’il est un
est naturalis corpori inquantum corpus, sed instrument de l’âme glorifiée par laquelle était
inquantum instrumentum animae glorificatae, per enlevée à ses actions et à ses mouvements
quam tollebatur inclinatio qualitatum l’inclination des qualités contraires.
contrariarum ad actiones et motus suos.
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[10290] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 3. Cela s’entend des corps pendant qu’ils sont
3 Ad tertium dicendum, quod hoc intelligitur de dans un état de génération et de corruption, et
corporibus quamdiu sunt in statu generationis et non des corps glorieux.
corruptionis, et non de corporibus gloriosis.
[10291] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 1 ad 4. Ce lieu est étranger à la chair en tant qu’elle
4 Ad quartum dicendum, quod ille locus est est chair, mais non en tant qu’elle est
peregrinus carni inquantum est caro, non autem l’instrument de l’âme glorieuse.
inquantum est instrumentum animae gloriosae.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10292] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 co. Il est plus facile de soutenir l’opinion qui affirme
Ad secundam quaestionem dicendum, quod illa que le corps du Christ, lors de l’ascension, était
opinio est facilior ad sustinendum quae ponit, mû selon un temps perceptible, mais selon sa
quod corpus Christi in ascensione movebatur volonté. Toutefois, il pouvait être mû selon un
tempore perceptibili, sua quidem voluntate; sed temps imperceptible, mais non dans l’instant, car
poterat moveri tempore imperceptibili, non autem il fallait que le corps du Christ en ascension
in instanti: quia oportebat quod corpus Christi in passe par des intermédiaires, puisqu’il était
ascensione transiret per media, cum per suam déterminé à un lieu par sa substance et qu’il est
substantiam determinaretur ad locum, et impossible qu’il soit en plusieurs endroits en
impossibile est quod sit in diversis locis simul; et même temps. Ainsi fallait-il qu’il se trouve en
ita oportebat quod in mediis locis esset in diversis divers lieux à divers instants; il fallait donc que
instantibus, et sic oportebat motum illum esse ce mouvement soit successif.
successivum.
[10293] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 1. La ressemblance se prend du point de vue de
1 Ad primum ergo dicendum, quod similitudo la possibilité de percevoir, et non du point de vue
attenditur quantum ad perceptibilitatem, et non du genre du mouvement, car le mouvement du
quantum ad genus motus: quia motus radii non est rayon n’est pas un mouvement d’altération,
motus alterationis, ut dicitur in Lib. de sensu et comme il est dit dans le livre Sur le sens et ce qui
sensato; unde potest esse subitus: motus autem est senti. Il peut donc être subit. Or, le
glorificatorum corporum est motus localis; et ideo mouvement des corps glorifiés est un
oportet quod sit successivus. mouvement local. C’est pourquoi il faut qu’il
soit successif.
[10294] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 2. Bien que le corps soit soumis à l’esprit, il ne
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis corpus peut cependant se faire que le corps soit converti
sit subjectum spiritui, tamen esse non potest ut en la nature de l’esprit.
corpus ad naturam spiritus convertatur.
[10295] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 2 ad 3. Cet argument vient de la puissance qui meut
3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de par nécessité de nature, mais non de la puissance
virtute movente ex necessitate naturae, non autem qui meut par volonté, qui meut selon que l’exige
de virtute movente per voluntatem, quae movet le mobile.
secundum exigentiam mobilis.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10296] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 co. Ce qui a été accompli à propos du Christ a été
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ea quae accompli selon une certaine disposition, en
circa Christum acta sunt, dispensative facta sunt raison d’une certaine utilité. Pour montrer la
propter aliquam utilitatem; et ideo ad vérité de sa résurrection, il fallait donc qu’il ne
ostendendum veritatem suae resurrectionis monte pas [au ciel] aussitôt après la résurrection,
oportuit quod non statim post resurrectionem mais qu’il vive pendant un temps avec les
ascenderet, sed diu cum apostolis conversaretur, apôtres, afin que tout doute soit écarté par sa
ut ex magna familiaritate omnis dubitatio grande intimité, car s’il était apparu une seule
tolleretur: quia si tantum apparuisset semel, fois, cela aurait pu ressembler à une illusion;
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potuisset videri esse aliqua illusio; et ideo pluries aussi leur est-il apparu souvent pendant ces
in illis quadraginta diebus illis apparuit. Fuit etiam quarante jours. L’ascension a aussi été reportée
dilata ascensio ad consolationem apostolorum, qui pour la consolation des apôtres, qui ont été
de morte contristati fuerunt; et ideo dicit Glossa attristés par sa mort. C’est pourquoi la Glose sur
Act. 1, quod sicut quadraginta horae fuerunt Ac 1 dit que, « de même que la mort du Christ a
mortis Christi, ita quadraginta diebus cum eis duré quarante heures, de même a-t-il vécu avec
conversatus est post resurrectionem, quia eux pendant quarante jours après la résurrection,
consolatio divina excedit tristitiam humanam. car la consolation divine dépasse la tristesse
humaine ».
[10297] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 1. Il ne sera pas nécessaire de prouver la
1 Ad primum ergo dicendum, quod aliorum résurrection des autres saints, car elle sera
sanctorum non oportebit resurrectionem probare, manifeste pour tous. Il n’est donc pas nécessaire
quia omnibus manifesta erit: et ideo non oportet qu’elle soit différée.
quod differatur.
[10298] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 2. On pouvait douter davantage de la résurrection
2 Ad secundum dicendum, quod major poterat que de la mort. C’est pourquoi il fallait qu’elle
esse dubitatio de resurrectione quam de morte; et soit confirmée pendant un temps plus long.
ideo oportuit quod longiori tempore
confirmaretur.
[10299] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 2 qc. 3 ad 3. Entre-temps, les âmes des saints étaient avec
3 Ad tertium dicendum, quod interim animae le Christ pour se réjouir de sa présence
sanctorum erant cum Christo, ut de ejus corporali corporelle; ou bien elles étaient au Paradis
praesentia gauderent; vel erant in Paradiso terrestre, bien que ce lieu n’ait pas été à
terrestri, quamvis locus ille non sit proprie locus proprement parler un lieu pour les esprits, mais
spirituum; sed erant ibi dispensative ad tempus. elles s’y trouvaient selon une certaine disposition
pour un temps.

Articulus 3 [10300] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 Article 3 – Le Christ est-il monté au-dessus de
a. 3 tit. Utrum Christus ascenderit super omnes tous les cieux ?
caelos
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le Christ est-il monté au-
dessus de tous les cieux ?]
[10301] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 1. Il semble que le Christ ne soit pas monté au-
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod dessus de tous les cieux. En effet, le corps du
Christus non ascenderit supra omnes caelos. Christ se trouve nécessairement dans un lieu. Or,
Corpus enim Christi necessario est in loco. Sed en dehors de tous les cieux, il n’y a pas de lieu,
extra omnes caelos non est locus, secundum selon le Philosophe, Sur le ciel et le monde, I. Il
philosophum, 1 caeli et mundi. Ergo supra omnes ne pouvait donc pas monter au-dessus de tous les
caelos ascendere non potuit. cieux.
[10302] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 2. Deux corps ne peuvent se trouver dans un
arg. 2 Praeterea, duo corpora non possunt esse in même lieu. Puisqu’il ne peut y avoir de
eodem loco. Cum igitur non possit fieri motus de mouvement d’un extrême à l’autre qu’en passant
extremo in extremum nisi per medium, videtur par un intermédiaire, il semble donc qu’il ne
quod supra omnes caelos ascendere non potuit pouvait monter au-dessus de tous les cieux que si
nisi caelum divideretur, quod est impossibile. le ciel était divisé, ce qui est impossible.
[10303] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 3. Le ciel empyrée est le lieu des esprits. Or, les
arg. 3 Praeterea, caelum Empyreum est locus lieux varient selon les diverses choses. Donc, ni
spirituum. Sed diversorum diversa sunt loca. Ergo le corps du Christ ni un autre corps n’est donc
nec corpus Christi nec aliud corpus caelum monté au ciel empyrée, qui est le ciel ultime.
Empyreum ascendit, quod est caelum ultimum.
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[10304] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 s. Cependant, à propos de He 7, 26 : Devenu plus
c. 1 Sed contra, Hebr. 7, 26: excelsior caelis élevé que les cieux, la Glose dit : « Par le lieu et
factus. Praeterea, Ephes. 4, 8: ascendens in altum; par la dignité. »
Glossa: loco et dignitate.

Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le Christ est-il monté à la


droite du Père ?]
[10305] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 1. Il semble qu’il ne soit pas monté à la droite du
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non ascenderit ad Père. En effet, la droite et la gauche sont des
dexteram patris. Dextera enim vel sinistra sunt différences de site ou de position. Or, Dieu, qui
differentiae situs vel positionis. Sed Deus, cum sit est spirituel au plus haut point, n’a pas de site. Il
summe spiritualis, non habet situm. Ergo non n’a donc pas de droite ni de gauche.
habet dexteram et sinistram.
[10306] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 2. Le Fils lui-même est appelé la droite du Père.
arg. 2 Praeterea, metaphorice filius ipse dicitur Ps : Ta main a détruit l’ennemi. Or, cette
dextera patris, Psal.: manus tua confregit préposition « à » indique une distinction, car les
inimicum. Sed haec praepositio ad denotat prépositions sont transitives. Puisque le Fils ne
distinctionem, quia praepositiones transitivae se distingue pas de lui-même, il semble donc
sunt. Cum ergo filius a seipso non distinguatur, qu’il ne lui convienne pas de siéger à la droite du
videtur quod ei non conveniat ad dexteram patris Père.
sedere.
[10307] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 3. Il est dit dans Pr 3, 16 : À sa droite se trouve
arg. 3 Praeterea, Proverb. 3, 16, dicitur: in dextera la longueur des jours, et à sa gauche, les
ejus longitudo dierum, et in sinistra illius divitiae richesses et la gloire. Or, le Christ possède la
et gloria. Sed omnium bonorum patris Christus plénitude de tous les biens du Père. Il ne faut
habet plenitudinem. Ergo non magis debet dici donc pas dire qu’il siège à la droite plutôt qu’à la
sedere ad dexteram quam sinistram. gauche.
[10308] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 4. Il est dit [du Fils] qu’il est dans le sein du
arg. 4 Praeterea, ipse dicitur esse in sinu patris, Père, Jn 1. Il n’est donc pas à sa droite.
Joan. 1. Ergo non est ad dexteram.
[10309] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] He 1, 7 dit : Il siège à la droite
c. 1 Sed contra, Heb. 1, 7: sedet ad dexteram de la majesté dans les hauteurs.
majestatis in excelsis.
[10310] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 s. [2] Il est dit dans le symbole : « Il est monté aux
c. 2 Praeterea, in symbolo dicitur: ascendit ad cieux et il est assis à la droite de Dieu, le Père
caelos, sedet ad dexteram Dei patris tout-puissant. »
omnipotentis.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Convient-il au seul Christ
de siéger à la droite du Père ?]
[10311] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 1. Il semble qu’il ne convienne pas au seul Christ
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non soli Christo de siéger à la droite du Père. Ep 2, 6 : Il nous a
conveniat ad dexteram patris sedere. Ad Eph. 2, 6: fait asseoir avec le Christ dans les cieux. Si le
consedere nos fecit in Christo in caelestibus. Si Christ siège à la droite, il nous fera donc siéger à
ergo Christus sedet ad dexteram, et nos ad la droite.
dexteram sedere faciet.
[10312] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 2. À propos de Ep 1, 20 : L’établissant à la
arg. 2 Praeterea, Ephes. 1, 20: constituens illum droite, la Glose dit : « C’est-à-dire dans la
ad dexteram, Glossa: idest aeternam béatitude éternelle. » Or, la béatitude éternelle
beatitudinem. Sed omnibus sanctis communicatur est communiquée à tous les saints. Il convient
aeterna beatitudo. Ergo omnibus sanctis convenit donc à tous les saints de siéger à la droite, et non
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ad dexteram sedere, et non soli Christo. pas au seul Christ.


[10313] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 3. Il convient à la bienheureuse Vierge de jouir
arg. 3 Praeterea, beatae virgini convenit esse in de meilleurs dons de Dieu, elle qui a été élevée
potioribus donis Dei, quae est super omnes choros au-dessus des chœurs des anges. Aussi dit-on,
Angelorum exaltata; unde et in Psal. 44, 10, a dans Ps 44, 10, qu’elle siège à la droite : La reine
dextris stare dicitur: astitit regina a dextris tuis. est assise à ta droite. Il ne convient donc pas au
Ergo non soli Christo convenit sedere ad seul Christ de siéger à la droite.
dexteram.
[10314] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 4. La droite du Père est l’égalité avec le Père. Or,
arg. 4 Praeterea, dextera patris est aequalitas l’Esprit Saint est égal au Père comme au Fils. Il
patris. Sed spiritus sanctus est aequalis patri, sicut lui convient donc de siéger à la droite.
filius. Ergo sibi convenit sedere ad dexteram.
[10315] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 s. Cependant, [1] Siéger à la droite convient au
c. 1 Sed contra, sedere ad dexteram convenit Christ selon sa nature humaine et sa nature
Christo secundum humanam naturam et divinam. divine. Or, la nature divine et la nature humaine
Sed in nullo alio invenitur natura divina et ne se trouvent en aucun autre simultanément.
humana simul. Ergo nulli alii convenit sicut Cela ne convient donc à aucun autre qu’au
Christo. Christ.
[10316] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 s. [2] L’égalité se trouve chez le Christ par
c. 2 Praeterea, aequalitas est in filio, ut dicit appropriation, comme le dit Augustin. Or, la
Augustinus per appropriationem. Sed dextera droite comporte une égalité. Il semble donc que
importat aequalitatem. Ergo videtur quod sedere siéger à la droite convienne au seul Fils.
ad dexteram soli filio conveniat.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10317] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Le terme de l’ascension du Christ est un lieu et
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, une dignité, non pas qu’il les ait alors reçus pour
quod terminus ascensionis Christi est et locus et la première fois, mais ils furent alors connus.
dignitas, non quam tunc de novo acceperit, sed Selon que le terme est un lieu, il a ainsi été élevé
quae tunc innotuit. Secundum autem quod jusqu’au lieu corporel le plus élevé, non pas qu’il
terminus est locus, sic est exaltatus usque ad ne puisse en être déplacé, mais le lieu le plus
supremum locorum corporalium; non quod non élevé lui est dû par convenance partout où il est.
possit inde moveri, sed secundum congruentiam Or, il a été élevé en acte à ce qui lui est dû par
debetur sibi altissimus locus etiam ubicumque sit; convenance. C’est alors qu’il fut élevé en acte.
sed ad id quod sibi secundum congruentiam
debetur, tunc fuit actu exaltatus.
[10318] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1. On ne dit pas qu’il est monté au-dessus des
1 Ad primum ergo dicendum, quod non dicitur cieux parce qu’il se trouve en dehors du ciel
ascendisse super caelos quia extra caelum empyrée, mais parce qu’il est monté jusqu’à la
Empyreum sit, sed quia in altissimam partem caeli partie la plus élevée du ciel empyrée.
Empyrei ascendit.
[10319] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2. Bien qu’il ne fasse pas partie de la nature d’un
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis de corps qu’il puisse être dans le même lieu qu’un
natura corporis non sit quod possit esse in eodem autre corps, Dieu peut cependant réaliser cela par
loco cum alio corpore, tamen potest hoc Deus miracle, « comme il a aussi fait que le corps du
facere per miraculum; sicut etiam fecit corpus Christ sorte du sein fermé de la Vierge », comme
Christi de clauso virginali utero exire, ut dicit le dit Grégoire.
Gregorius.
[10320] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3. Bien que la nature corporelle soit en deça de la
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis natura nature de l’esprit, la nature du corps Christ
corporalis sit citra naturam spiritus, tamen natura dépasse cependant tous les esprits en tant qu’elle
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corporis Christi transcendit omnes spiritus, est unie à la divinité, ce qui est une union plus
inquantum est divinitati unita, quae est major et grande et plus digne que celle qui se réalise par
dignior unio quam ea quae est per fruitionem: et la jouissance (fruitio). C’est pourquoi un lieu
ideo altior locus debetur corpori Christi quam plus élevé est dû au corps du Christ qu’aux
etiam ipsis spiritibus creatis. Unde Glossa Hebr. esprits créés. Aussi, à propos de He 7 : Il est
7, super illud: excelsior caelis factus est, dicit: devenu plus élevé que les cieux, la Glose dit :
idest omni rationali creatura. « C’est-à-dire que toute créature raisonnable. »
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10321] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 co. La droite est la partie la plus noble du corps;
Ad secundam quaestionem dicendum, quod aussi celui qui siège à la droite d’un autre lui est-
dextera est nobilior pars corporis; unde qui alteri il uni de la manière la plus noble. Or, la manière
ad dexteram sedet, nobilissimo modo ei la plus noble dont quelqu’un est uni au Père est
conjungitur. Nobilissimus autem modus soit la plus noble tout simplement, et ainsi elle
secundum quem aliquis patri conjungitur, vel est consiste à lui être égal : cela convient au Fils
nobilissimus simpliciter, et sic est esse aequalem selon sa nature divine; soit la plus noble selon
sibi, et hoc convenit filio secundum divinam qui est possible à une créature : cela consiste à
naturam: vel est nobilissimus quantum possibile lui être uni dans la personne de son Fils. Il
est creaturae; et hoc est conjungi ei in unione convient ainsi au Chrit de siéger à la droite selon
personae filii ejus; et sic sedere ad dexteram sa nature humaine : en effet, le fait d’être assis
convenit Christo secundum humanam naturam: signifie la stabilité de cette union.
significat enim sessio firmitatem illius
conjunctionis.
[10322] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1. On ne parle pas de droite au sens propre, mais
1 Ad primum ergo dicendum, quod non dicitur au sens métaphorique.
proprie dextera, sed metaphorice.
[10323] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2. Il n’est pas inapproprié que le Fils soit appelé
2 Ad secundum dicendum, quod non est la droite et qu’il siège à la droite selon des
inconveniens quod filius dicatur dextera et sedere images différentes, car les deux sont employés
ad dexteram secundum diversas similitudines: métaphoriquement. En effet, il est appelé sa
quia metaphorice utrumque dicitur. Dextera enim droite selon que le Père agit par lui; mais on dit
dicitur secundum quod per ipsum pater operatur: qu’il siège à la droite pour la raison déjà donnée.
sed sedere ad dexteram dicitur ratione jam dicta.
[10324] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3. Bien que les biens les plus grands et les plus
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sint Christi petits du Père appartiennent au Christ, celui-ci a
et majora et minora bona patris, tamen ipse in cependant été placé parmi les plus grands. Aussi
majoribus est collocatus; et ideo dicitur ad dit-on qu’il siège à la droite.
dexteram sedere.
[10325] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 4. On dit que le Christ siège dans le sein du Père
4 Ad quartum dicendum, quod Christus en tant qu’il est issu du Père par génération : par
inquantum exit a patre per generationem, dicitur cela est signifiée la puissance génératrice; mais,
in sinu patris sedere, per quod significatur en tant qu’il est égal au Père et règne avec lui, on
generativa potentia; sed inquantum est aequalis dit qu’il siège à sa droite.
patri, et ei conregnat, dicitur sedere ad dexteram
ejus.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10326] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 co. Il ne convient à aucune créature d’être égale au
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nulli Père, ni d’être unie à son Fils dans l’unité de sa
creaturae convenit esse aequalem patri, neque personne, selon quoi on dit que le Christ siège à
conjungi filio ejus in unitate personae, secundum sa droite. Cela ne convient donc à aucune
quod dicitur Christus ad dexteram sedere; et ideo créature.
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nulli creaturae convenit.


[10327] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 1. Il nous a fait asseoir avec lui pour autant qu’il
1 Ad primum ergo dicendum, quod fecit nos nous a établis dans la gloire et nous a donné un
consedere inquantum nos gloria stabilivit, et pouvoir judiciaire, mais non celui de nous
judiciariam potestatem dedit; non autem sedere ad asseoir à la droite. Ou bien il faut dire qu’il nous
dexteram. Vel dicendum, quod nos consedere a aussi fait asseoir à la droite, non pas en nous-
fecit etiam ad dexteram, sed non in nobis, sed in mêmes, mais dans le Christ, pour autant qu’il a
Christo, inquantum ipse est unius naturae une seule nature avec nous, laquelle, telle qu’elle
nobiscum, quam, prout est in Christo, ad dexteram existe chez le Christ, il a placée à la droite du
patris collocavit. Père.
[10328] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 2. Ce n’est pas n’importe quelle béatitude qui
2 Ad secundum dicendum, quod non quaelibet peut être appelée la droite, mais celle qui est due
beatitudo potest dici dextera simpliciter, sed quae à cette nature assumée. Ou bien, si toute
debetur illi naturae assumptae: vel si quaelibet béatitude est appelée la droite, ce ne sera pas
beatitudo dicatur dextera, hoc non erit secundum selon le meilleur mode possible à la créature,
excellentissimum modum possibilem creaturae, mais selon celui qui est possible à la créature non
sed possibilem creaturae non unitae; et hoc est unie; c’est là une manière relative.
secundum quid.
[10329] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 3. Bien que la bienheureuse Vierge ait été élevée
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis beata virgo au-dessus des anges, elle n’a cependant pas été
sit super Angelos exaltata, non est tamen exaltata élevée jusqu’à l’égalité avec Dieu ou à l’union
usque ad aequalitatem Dei, vel unionem in dans la personne. Aussi ne dit-on pas qu’elle
persona: et ideo non dicitur sedere ad dexteram, siège à la droite, mais qu’elle se tient à la droite,
sed astare dextris, inquantum honor filii aliquo pour autant que l’honneur du Fils rejaillit d’une
modo participative, non plenarie, redundat in certaine manière sur elle par participation, mais
ipsam, inquantum dicitur mater Dei, sed non non de manière plénière, pour autant qu’elle est
Deus. appelée la mère de Dieu, mais non pas Dieu.
[10330] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3 ad 4. On peut dire que l’Esprit Saint est assis à la
4 Ad quartum dicendum, quod spiritus sanctus droite du Père pour autant qu’il est véritablement
potest dici sedere ad dexteram patris, inquantum égal au Père; mais l’égalité ne lui est pas
est aequalis patri secundum veritatem; sed non appropriée : elle l’est plutôt au Fils. C’est
appropriatur ei aequalitas, sed filio: et ideo nec pourquoi le fait de siéger à droite [ne lui est pas
sessio dexterae. non plus approprié].

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 22
[10331] Super Sent., lib. 3 d. 22 q. 3 a. 3 qc. 3
expos. Fidei argumentum a philosophicis
argumentis est liberum: quia per ea nec probari
nec improbari potest. Et ipse forte ante mortem
hoc etiam modo erat homo, et post resurrectionem
fuit. Hoc dicit propter tertiam opinionem, quae
nondum erat suo tempore damnata, quae dicebat,
quod etiam ante mortem erat hoc modo homo.
Quia una eademque unione, quantum ex parte
ipsius assumentis, non quantum ex parte
assumptorum. Ad quod dicimus. Hoc dicit, non
quia praemissae locutiones sint simpliciter
concedendae, sed ut ostendat quam causam
veritatis habeant. Nemo ascendit in caelum, nisi
670

qui descendit de caelo. Ergo alii homines in


caelum non ascendunt. Dicendum, quod alii non
propria virtute scandunt, quod est ascendere. Vel
loquitur de caelo sanctae Trinitatis, ad quod
ascendit ratione divinae naturae. Vel dicendum,
quod loquitur secundum quod caput et membra
sunt una persona. Haec de corrigia calceamenti
dominici sufficiant, ne ossa regis Idumaeae
consumantur usque in cinerem. Calceamentum est
humanitas tegens pedem, scilicet verbum, quo
quasi omnia portantur, Heb. 2. Corrigia ipsa est
unio. Rex Idumaeae, Christus, qui communicavit
carni et sanguini; Hebr. 2. Idumaea enim
sanguinea interpretatur. Ossa ejus sunt fortiora et
difficiliora ad intelligendum de mysteriis
humanitatis ejus, quae non sunt igne curiosi studii
usque ad minima inquirenda, quod est ossa in
pulverem redigere; sed sunt silentio honoranda,
quasi intellectum excedentia. Et sumitur de Amos
2.

Distinctio 23 Distinction 23 – [Les facteurs de restauration


chez le Christ]
 
Quaestio 1 Question 1 – [Les habitus sont-ils
nécessaires ?]
Prooemium Prologue
[10332] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 pr. Après avoir déterminé de ce qui concerne le
Postquam determinavit Magister de his quae ad Christ et par quoi il nous a restaurés de manière
Christum pertinent, quibus nos effective reparavit, efficiente, le Maître commence ici à déterminer
hic incipit determinare de reparantibus formaliter, de ce qui restaure par mode de forme : ce sont
quae sunt habitus gratuiti animam informantes. les habitus gratuits qui donnent forme à l’âme.
Dividitur autem haec pars in duas; in prima Cette partie se divise en deux : dans la première,
determinat de ipsis habitibus gratuitis; in secunda il détermine des habitus gratuits; dans la
de praeceptis quibus ipsi habitus in suos actus seconde, des commandements par lesquels les
diriguntur, dist. 37, ibi: sed jam distributio habitus eux-mêmes sont dirigés dans leurs actes,
Decalogi, quae in duobus mandatis completur, d. 37, à cet endroit : « Mais il faut déjà
consideranda est. Prima dividitur in duas partes: considérer la répartition du décalogue, qui
in prima determinat de ipsis habitibus secundum s’accomplit en deux commandements. » La
se per singula; in secunda determinat première partie se divise en deux parties : dans la
connexionem eorum ad invicem, 36 dist., ibi: première, il détermine des habitus en eux-mêmes
solet etiam quaeri, utrum virtutes ita sint sibi en particulier; dans la seconde, il détermine de
conjunctae, ut separatim non possint possideri. leur connexion entre eux, d. 36, à cet endroit :
Prima in duas: in prima determinat de habitibus « On a aussi l’habitude de se demander si les
virtutum; in secunda de donis, 34 distinct., ibi: vertus sont à ce point unies entre elles qu’elle ne
nunc de septem donis spiritus sancti agendum est. peuvent être possédées séparément. » La
Prima dividitur in duas partes: in prima première partie se divise en deux parties : dans la
determinat de virtutibus theologicis; in secunda de pemière, il détermine des habitus des vertus;
virtutibus cardinalibus, 33 dist., ibi: post dans la seconde, des dons, d. 35, à cet endroit :
praedicta, de quatuor virtutibus quae principales « Il faut maintenant traiter des sept dons du
671

vel cardinales vocantur, disserendum est. Prima Saint-Esprit. » La première partie se divise en
dividitur in tres partes: in prima determinat de deux : dans la première, il détermine des vertus
fide; in secunda de spe, 26 dist., ibi: est autem théologales; dans la seconde, des vertus
spes virtus qua spiritualia et aeterna bona cardinales, d. 33, à cet endroit : « Après ce qui a
sperantur; in tertia de caritate, 27 distinct., ibi: été dit, il faut traiter des quatre vertus qui sont
cum autem Christus fidem et spem non habuerit, appelées principales ou cardinales. » La première
dilectionem tamen habuit. Prima in tres: in prima partie se divise en trois parties. Dans la première,
determinat de fide secundum se; in secunda de il détermine de la foi; dans la deuxième, de
fide per comparationem ad ea quae creduntur, 24 l’espérance, d. 26, à cet endroit : « L’espérance
dist.: hic quaeritur, si fides tantum de non visis est une vertu par laquelle sont espérés les biens
est, quomodo veritas apostolis ait: nunc dico spirituels et éternels »; dans la troisième, de la
vobis priusquam fiat, ut cum factum fuerit, charité, d. 27, à cet endroit : « Alors que le
credatis ? In tertia de ipsa per comparationem ad Christ n’avait pas la foi et l’espérance, il a
eos qui credunt, 25 dist., ibi: praedictis cependant eu l’amour. » La première partie se
adjiciendum est de sufficientia fidei ad salutem. divise en trois. Dans la première, il détermine de
Circa primum duo facit: primo continuat se ad la foi en elle-même; dans la deuxième, de la foi
praecedentia; secundo prosequitur propositum, par comparaison avec ce qui est cru, d. 24 : « On
ibi: fides est virtus qua creduntur quae non se demande ici, si la foi porte seulement sur ce
videntur. Et haec pars dividitur in duas partes, qui n’est pas vu, comment la Vérité a dit aux
secundum quod duas definitiones fidei ponit; apôtres : « Je vous le dis maintenant avant que
secunda incipit ibi: notandum quoque est, quod cela n’arrive pour que vous croyiez lorsque cela
fides de non apparentibus tantum est. Circa se sera produit »; dans la troisième, de [la foi]
primum tria facit: primo definit fidem; secundo par comparaison avec ceux qui croient, d. 25, à
exponit definitionem quantum ad hanc particulam, cet endroit : « Il faut ajouter à ce qui a été dit la
quae non videntur, ibi: quod tamen non de suffisance de la foi pour le salut. » À propos du
omnibus quae non videntur, accipiendum est; premier point, il fait deux choses : premièrement,
quantum autem ad hanc particulam, virtus, ibi: il s’attache à ce qui précède; deuxièmement, il
accipitur autem fides tribus modis; quantum vero poursuit son propos, à cet endroit : « La foi est la
ad hanc particulam, qua creduntur, ibi: aliud est vertu par laquelle est cru ce qui n’est pas vu. »
credere in Deum: tertio manifestantur quaedam Cette partie est divisée en deux parties, selon
quae possunt esse dubia ex praedictis, quae duo qu’il présente deux définitions de la foi; la
sunt; primum ibi: si vero quaeritur; secundum ibi: seconde commence à cet endroit : « Il faut aussi
cumque diversis modis dicatur fides, sciendum est remarquer que la foi porte seulement sur ce qui
tamen unam esse fidem. Notandum quoque est. n’est pas apparent. » À propos du premier point,
Hic ponit aliam definitionem fidei; et circa hoc il fait trois choses. Premièrement, il définit la foi.
tria facit; primo venatur definitionem; secundo Deuxièmement, il explique cette partie de la
definit, ibi: ait enim apostolus; tertio movet définition : « …qui n’est pas vu », à cet endroit :
quamdam quaestionem circa praedictam « Il ne faut pas comprendre cela de tout ce qui
definitionem, ibi: si vero quaeritur. Hic est triplex n’est pas vu. » [Il explique] cette partie : « …une
quaestio: prima de virtutibus in generali; secunda vertu », à cet endroit : « La foi s’entend de trois
de fide communiter; tertia de formatione et manières. » [Il explique] cette partie : « …par
informitate fidei. Circa primum quaeruntur laquelle est cru », à cet endroit : « Autre chose
quinque; 1 de necessitate habituum; 2 quomodo est croire en Dieu. » Troisièmement, certaines
habitus qui sunt in nobis cognoscamus; 3 utrum choses sont expliquées qui peuvent être
virtutes sint habitus: 4 de divisione virtutum in douteuses selon ce qui précède. Il y en a deux : la
intellectuales, morales, et theologicas; 5 de première, en cet endroit : « Mais si on
numero virtutum theologicarum. demande… »; la deuxième : « Puisqu’on parle
de foi de diverses manières, il faut cependant
savoir qu’il n’existe qu’une seule foi. » « Il faut
aussi remarquer… » Il présente ici une autre
672

définition de la foi. À ce propos, il fait trois


choses. Premièrement, il recherche la définition.
Deuxièmement, il définit, à cet endroit : « En
effet, l’Apôtre dit… » Troisièmement, il soulève
une question à propos de cette définition, à cet
endroit : « Mais si on demande… » Il y a ici trois
questions : la première, sur les vertus en général;
la deuxième, sur la foi d’une manière générale;
la troisième, sur la formation et l’absence de
forme de la foi. À propos du premier point, cinq
questions sont posées : 1 – Sur la nécessité des
habitus. 2 – Comment connaissons-nous les
habitus qui sont en nous ? 3 – Les vertus sont-
elles des habitus ? 4 – Sur la division des vertus
en intellectuelles, morales et théologales. 5 – Sur
le nombre des vertus théologales.

Articulus 1 [10333] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 Article 1 – Avons-nous besoin d’habitus pour
a. 1 tit. Utrum indigeamus habitibus in les actes humains ?
operationibus humanis
[10334] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 1 1.Il semble que nous n’ayons pas besoin
Ad primum sic proceditur. Videtur quod habitibus d’habitus pour les actes humains. En effet, les
non indigeamus in operibus humanis. Potentiae puissances rationnelles, qui sont celles de
enim rationales, quae sunt hominis inquantum l’homme en tant qu’homme, sont plus nobles
homo, sunt nobiliores potentiis naturalibus. Sed que les puissances naturelles. Or, les puissances
potentiae naturales non indigent habitibus ad suos naturelles n’ont pas besoin d’habitus pour
actus producendos. Ergo nec potentiae rationales produire leurs actes. Donc, ni les puissances
humanae. rationnelles humaines.
[10335] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Les puissances sont par elles-mêmes
Praeterea, potentiae per se ordinantur ad actum ordonnées à leur acte propre, et non par accident.
proprium, et non per accidens. Sed habitus sunt Or, les habitus sont des accidents. [Les
accidentia. Ergo non ordinantur ad suos actus puissances] ne sont donc pas ordonnées à leurs
proprios mediantibus habitibus. actes par l’intermédiaire d’habitus.
[10336] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Rien n’est aussi facile que ce qui relève de la
Praeterea, nihil est tam facile quam id quod in seule volonté. Or, les actes moraux tout au moins
sola voluntate consistit. Sed actus morales ad relèvent de la seule volonté. Puisque l’habitus
minus in sola voluntate consistunt. Cum igitur donne une facilité pour agir, il semble donc
habitus ponat facilitatem operationis, videtur quod qu’au moins pour les actes indiqués, nous
saltem ad dictos actus habitibus non indigeamus. n’ayons pas besoin d’habitus.
[10337] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 4 4. La difficulté contribue au mérite. Or, l’habitus
Praeterea, difficultas cooperatur ad meritum. Sed enlève la difficulté. Il ne faut donc pas que nous
habitus tollit difficultatem. Ergo ad actus illos soient donnés des habitus pour les actes par
quibus meremur, non sunt dandi nobis habitus. lesquels nous méritons.
[10338] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 5 5. La science, qui est un habitus, ne semble être
Praeterea, scientia quae est habitus, nihil aliud rien d’autre que la génération d’espèces
videtur esse quam generatio specierum intelligibles. Or, les espèces ne se trouvent pas
intelligibilium. Sed species non sunt in parte dans la partie affective, mais dans la partie
affectiva, sed in intellectiva tantum. Ergo ad intellective seulement. Au moins pour la partie
minus in parte affectiva habitibus non indigemus. affective, nous n’avons donc pas besoin
d’habitus.
673

[10339] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin dit dans le livre Sur le
Sed contra, Augustinus dicit in libro de bono bien conjugal : « L’habitus est ce par quoi on
conjugali: habitus est quo quis agit cum tempus agit lorsque le temps se présente. » Et le
affuerit; et Commentator dicit in 3 de anima, quod Commentateur dit, dans Sur l’âme, III, que
habitus est quo quis agit cum voluerit: et quasi in « l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit
idem redit. Sed hoc valde necessarium est homini. lorsqu’il le veut », ce qui revient presque au
Ergo indigemus habitibus. même. Or, cela est très nécessaire à l’homme.
Nous avons donc besoin d’habitus.
[10340] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Pour poser une bonne action, il faut que nous
Praeterea, ad hoc quod bonum opus operemur, prenions plaisir à l’acte lui-même, car « personne
oportet quod in ipso opere delectemur, quia nullus n’est juste qui ne se réjouit pas d’une action
est justus, qui non gaudeat justa operatione, ut juste », comme le dit le Philosophe, Éthique, I.
dicit philosophus 1 Ethic. Sed delectationem in Or, l’habitus donne plaisir à agir, car il faut voir
opere facit habitus: quia signum oportet accipere le signe d’un habitus dans le plaisir de celui qui
habitus fientem in opere delectationem, ut dicitur agit, comme il est dit dans Éthique, II. Nous
2 Ethic. Ergo habitibus indigemus. avons donc besoin d’habitus.
[10341] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] La bonté de l’homme consiste dans ses
Praeterea, bonitas hominis in bonis operationibus actions bonnes; aussi est-il louangé à cause
consistit: unde ex eis laudatur. Sed impossibile est d’elles. Or, il est impossible de toujours agir,
semper agere, ut dicitur in Lib. de Somn. et Vigil., comme il est dit dans le livre Sur le sommeil et la
nec sufficit ad laudem quod actus sit tantum in veille, et il ne suffit pas, pour être louangé, que
potentia: quia quod est in potentia bonum, non est l’acte soit seulement en puissance, car ce qui est
bonum simpliciter, sed secundum quid. Ergo bon en puissance n’est pas bon de manière
indigemus habitibus. absolue, mais relative. Nous avons donc besoin
d’habitus.
[10342] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 4 [4] Il est parfois nécessaire d’agir sans
Praeterea, oportet quandoque ex impraemeditato préméditation. Or, cela ne se produit que chez
bene agere. Sed hoc non contingit nisi in eo qui celui qui a un habitus, comme le dit le
habet habitum, sicut de forti dicit philosophus in 3 Philosophe dans Éthique, III, en parlant du fort.
Ethicor. Ergo indigemus habitibus. Nous avons donc besoin d’habitus.
[10343] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 co. Réponse. Dans tout ce qui a une règle et une
Respondeo dicendum, quod in omnibus quae mesure, la bonté et la rectitude consistent dans la
habent regulam et mensuram, eorum bonitas et conformité à sa règle ou à sa mesure, mais la
rectitudo consistit in conformitate ad suam malice, dans le fait que cela n’est pas en
regulam vel mensuram; malitia autem, secundum harmonie avec elles. Or, la première mesure et
quod ab ea discordant. Prima autem mensura et règle de tout est la sagesse divine. Aussi « la
regula omnium est divina sapientia; unde bonitas bonté et la rectitude ou vertu de toutes choses
et rectitudo sive virtus uniuscujusque consistit consistent à atteindre ce à quoi elles sont
secundum quod attingit ad hoc quod ex sapientia ordonnées par la sagesse divine », comme le dit
divina ordinatur, ut dicit Anselmus; et similiter est Anselme. De même en est-il aussi pour les règles
etiam de aliis secundis regulis, quod in de deuxième degré : c’est dans sa conformité à
conformitate ad ipsas bonitas et rectitudo elles que la bonté et la rectitude de ce qui est
regulatorum consistit. Sunt autem quaedam réglé consistent. Or, certaines puissances sont
potentiae limitatae ad determinatas actiones vel limitées à des actions ou à des passions
passiones; et secundum quod illas implent, déterminées : selon qu’elles les accomplissent,
regulae suae conformantur, quia per divinam elles se conforment à leur règle, car elles ont été
sapientiam ad talia sunt ordinatae. Et quia naturae ordonnées à cela par la sagesse divine. Et parce
inclinatio semper est ad unum, ideo tales potentiae que l’inclination de la nature tend toujours vers
ex ipsa natura potentiae rectitudinem sufficienter une seule chose, de telles puissances peuvent
habere possunt et bonitatem; malitia autem in eis donc, par la nature même de la puissance, avoir
674

contingit ex defectu potentiae. Potentiae vero une rectitude et une bonté suffisantes; mais la
altiores et universaliores, cujusmodi sunt malice en elles vient d’une carence de la
potentiae rationales, non sunt limitatae ad aliquid puissance. Toutefois, les puissances plus élevées
unum vel objectum vel modum operandi: quia et plus universelles, comme le sont les
secundum diversa et diversimode rectitudinem puissances rationnelles, ne sont pas limitées à un
habere possunt: et ideo ex natura potentiae non seul objet ou à une seule manière d’agir, car elles
potuerunt determinari ad rectum et bonum peuvent tirer leur rectitude de diverses choses et
ipsarum; sed oportet quod rectificentur, de diverses manières. C’est pourquoi, par la
rectitudinem a sua regula recipientes. Hoc autem nature de la puissance, elles n’ont pu être
contingit dupliciter. Uno modo ut recipiatur per déterminées à ce qui est droit et bon pour elles,
modum passionis, sicut in hoc ipso quod regulata mais il est nécessaire qu’elles soient redressées
potentia a regulante movetur. Sed quia in hoc en recevant leur rectitude de leur règle. Or, cela
quod aliquid patiatur et nihil ad actum conferat, se produit de deux manières. D’une manière, que
violentiae definitio consistit, ut patet in 3 Ethic., cela soit reçu par mode de passion, comme par le
violentia autem et difficultatem et tristitiam habet, fait même que la puissance réglée est mue par
ut dicitur in 5 Metaph.; ideo praedicta receptio celui qui règle. Mais parce que la définition de la
rectitudinis non sufficit ad perfectam violence consiste dans le fait que quelque chose
rectificationem potentiae regulatae. Oportet ergo subit et n’apporte rien à un acte, comme cela
ut alio modo recipiatur, scilicet per modum ressort d’Éthique, III, et que la violence
qualitatis inhaerentis, ut rectitudo regulae comporte difficulté et tristesse, comme il est dit
efficiatur forma potentiae regulatae: sic enim dans Métaphysique, V, la réception de la
faciliter et delectabiliter quod rectum est, rectitude mentionnée ne suffit donc pas au
operabitur sicut id quod est conveniens suae redressement parfait d’une puissance réglée. Il
formae: et haec quidem qualitas, sive forma, dum est donc nécessaire qu’elle soit reçue d’une autre
adhuc est imperfecta, dispositio dicitur; cum manière : par mode de qualité inhérente, de sorte
autem jam consummata est, et quasi in naturam que la rectitude de la règle devienne la forme de
versa, habitus nominatur, qui, ut ex 2 Ethic., et 5 la puissance réglée. En effet, ce qui est droit sera
Metaphys., accipitur, est secundum quem nos ainsi accompli facilement et de manière
habemus ad aliquid bene vel male. Et inde est délectable, comme ce qui convient à sa forme.
quod in praedicamentis dicitur dispositio facile Or, cette qualité ou forme, lorsqu’elle est encore
mobilis, et habitus difficile mobilis: quia quod imparfaite, est appelée une disposition; mais
naturale est non cito transmutatur. Inde est etiam lorsqu’elle a été achevée et est devenue comme
quod habitus ad unum inclinant, sicut et natura, ut une nature, elle est appelée un habitus, qui, ainsi
dicitur 5 Ethic. Et propter hoc, signum generati qu’on l’apprend d’Éthique, II et de
habitus est delectatio in opere facta, ut dicitur in 2 Métaphysique, V, est ce d’après quoi nous nous
Ethic., quia quod est naturae conveniens, agissons bien ou mal. De là vient que, dans les
delectabile est et facile. Et propter hoc habitus a prédicaments, on dit que la disposition est
Commentatore in 3 de anima definitur, quod est facilement mobile et l’habitus difficilement
quo quis agit cum voluerit, quasi in promptu mobile, car ce qui est naturel n’est pas
habens quod operandum est. Et ideo habitus facilement changé. De là vient aussi que les
possessioni comparatur in 1 Ethic., secundum habitus inclinent à une seule chose, comme la
quam res possessa ad nutum habetur; operatio nature, ainsi qu’on le dit dans Éthique, V. Pour
vero usui. Patet ergo quod potentiae naturales, cette raison, le signe qu’un habitus a été
quia sunt ex seipsis determinatae ad unum, engendré est le plaisir de l’action accomplie,
habitibus non indigent. Similiter etiam nec comme il est dit dans Éthique, II, car ce qui
apprehensivae sensitivae, quia habent convient à la nature est délectable et facile. C’est
determinatum modum operandi, a quo non pourquoi l’habitus est défini par le
deficiunt nisi per potentiae defectum. Similiter Commentateur, dans Sur l’âme, III : ce par
etiam nec voluntas humana, secundum quod est quoi quelqu’un agit lorsqu’il le veut, en sachant
naturaliter determinata ad ultimum finem, et ad immédiatement ce qu’il doit faire. C’est
675

bonum, secundum quod est objectum ejus. pourquoi aussi l’habitus est comparé à la
Similiter etiam nec intellectus agens, qui habet propriété, dans Éthique, I, selon laquelle on
determinatam actionem, scilicet facere dispose à volonté de la chose possédée; mais
intelligibilia in actu; sicut lux facere visibilia in l’action est comparée à l’usage. Il est donc clair
actu. Similiter etiam nec in ipso Deo est aliquis que les puissances naturelles, parce qu’elles sont
habitus, cum ipse sit prima regula ab alio non par elles-mêmes déterminées à une seule chose,
regulata: unde essentialiter bonus est, et non per n’ont pas besoin d’habitus. Les [puissances] de
participationem rectitudinis ab alio; nec malum in connaissance sensible n’en ont pas non plus
ipso incidere potest. Sed intellectus possibilis qui besoin, parce qu’elles ont une manière
de se est indeterminatus, sicut materia prima, déterminée d’agir, dont elles ne s’écartent qu’en
habitu indiget, quo participet rectitudinem suae raison d’une carence de la puissance. La volonté
regulae: et naturali quantum ad ea quae ex naturali humaine n’en a pas non plus besoin, selon
lumine intellectus agentis, qui est ejus regula, qu’elle est naturellement déterminée à une fin
statim determinantur, sicut sunt principia prima; ultime et au bien, qui est son objet. L’intellect
et acquisito, quantum ad ea quae ex his principiis agent n’en a pas non plus besoin, lui qui a une
educi possunt; et infuso, quo participat action déterminée : faire passeer à l’acte ce qui
rectitudinem primae regulae in his quae est intelligible, comme la lumière fait passer à
intellectum agentem excedunt. Similiter etiam in l’acte ce qui est visible. De même aussi n’y a-t-il
voluntate quantum ad illa ad quae ex natura non pas d’habitus en Dieu, puisqu’il est lui-même la
determinatur, et in irascibili et in concupiscibili, première règle non réglée par un autre; aussi est-
indigemus habitibus, secundum quod participant il essentiellement bon, et non pas par
rectitudinem rationis, quae est eorum regula, vel participation à la rectitude d’un autre, et le mal
rectitudinem primae mensurae in his quae ne peut-il survenir en lui. Mais l’intellect
humanam naturam excedunt, quantum ad habitus possible, qui est indéterminé en soi, comme la
infusos. Et similiter in corpore animato est habitus matière première, a besoin d’un habitus, par
sanitatis, prout participat ab anima dispositionem, lequel il participe à la rectitude de sa règle : d’un
qua potest suum opus recte perficere: quia oculus [habitus] naturel, pour ce qui est immédiatement
sanus dicitur qui opus oculi recte perficere potest, déterminé par la lumière naturelle de l’intellect
ut dicitur 10 de animalibus. Unde patet quod agent qui est sa règle, comme le sont les
hujusmodi qualitates, quas habitus dicimus, in premiers principes; d’un [habitus] acquis pour ce
rebus animatis inveniuntur, et praecipue in qui peut être tiré des principes; et d’un habitus
habentibus electionem, ut dicitur in 5 Metaph. infus, par lequel il participe à la rectitude de la
première règle pour ce qui dépasse l’intellect
agent. De même, avons-nous besoin d’habitus
dans la volonté pour ce qui n’est pas déterminé
par la volonté, ainsi que dans l’irascible et le
concupiscible, selon qu’ils participent à la
rectitude de la raison, qui est leur règle, ou, pour
les habitus infus, à la rectitude de la première
mesure pour ce qui dépasse la nature humaine.
De même, l’habitus de la santé existe-t-il dans le
corps animé dans la mesure où il participe à la
disposition de l’âme par laquelle il peut
accomplir correctement son œuvre, car « on
appelle un œil sain celui qui peut accomplir
parfaitement l’action de l’œil », comme on le dit
dans Sur les animaux, X. Il est donc clair que ces
qualités, que nous appelons habitus, se trouvent
chez les choses animées et, principalement, chez
celles qui exercent un choix, comme il est dit
676

dans Métaphysique, V.
[10344] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Les puissances naturelles sont déterminées par
primum ergo dicendum, quod potentiae naturales elles-mêmes à une seule chose. C’est pourquoi
sunt determinatae ex seipsis ad unum, et ideo non elles n’ont pas besoin d’habitus qui les
indigent aliquibus habitibus determinantibus: nec déterminent; et cela n’est pas dû à leur dignité,
facit hoc dignitas, sed indignitas earum, mais à leur indignité, pour autant qu’elles portent
inquantum ad pauciora se extendunt. sur moins de choses.
[10345] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Une chose peut être par elle-même ordonnée à
secundum dicendum, quod ad actum proprium per son acte propre par l’intermédiaire d’un accident,
se rei potest res ipsa ordinari mediante aliquo non pas externe, mais qui découle des principes
accidente, non quidem extraneo, sed quod de la chose, car, parmi les accidents, l’un est plus
consequitur ex principiis rei: quia inter accidentia proche de la substance qu’un autre, comme la
propinquius est substantiae unum quam aliud, qualité plutôt que l’action. C’est pourquoi le feu
sicut qualitas quam actio; et ideo ignis mediante réchauffe par l’intermédiaire de la chaleur. De
calore calefacit. Et similiter erit in proposito, quia même en sera-t-il pour ce qui est en cause, car
virtutes conformantur principiis naturalibus. les vertus se conforment aux principes naturels.
[10346] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Bien que produire tel acte soit au pouvoir de la
tertium dicendum, quod quamvis producere talem volonté, cela ne relève cependant pas de la seule
actum sit in potestate voluntatis, tamen non est in volonté, mais aussi des puissances inférieures,
voluntate tantum, sed etiam in inferioribus d’où peuvent venir une résistance et une
viribus, ex quibus potest accidere repugnantia et difficulté. C’est pourquoi nous avons besoin
difficultas; et ideo indigemus habitibus, quibus d’habitus par lesquels toute difficulté est
omnis difficultas tollatur. enlevée.
[10347] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Comme il est dit dans Métaphysique, II, la
quartum dicendum, quod sicut dicitur in 2 difficulté peut venir de nous et des choses; de
Metaph., difficultas potest esse ex nobis, et ex même en est-il pour la facilité. La facilité qui
rebus, et similiter facilitas. Facilitas ergo quae est vient de la nature des actes qui n’ont pas
ex ratione actuum qui non sunt magni ponderis, beaucoup d’importance diminue par elle-même
diminuit, quantum in se est, rationem meriti; sed la raison de mérite. Mais la facilité qui vient de
facilitas quae est ex promptitudine operantis, l’empressement de celui qui agit ne diminue pas
meritum non diminuit respectu praemii le mérite par rapport à la récompense essentielle,
essentialis, sed auget: quia quanto majori caritate mais l’augmente, car plus grande est la charité
facit, tanto facilius tolerat, et magis meretur. Et par laquelle on agit, plus facilement supporte-t-
similiter quanto delectabilius operatur propter on, et plus on mérite. De même, plus on agit
habitum virtutis, tanto actus ejus est delectabilior, avec plaisir en raison de l’habitus de la vertu,
et magis meritorius. plus son acte est délectable et plus il est
méritoire.
[10348] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Les perfections sont proportionnées à ce
quintum dicendum, quod perfectiones qu’elles doivent perfectionner, car l’acte propre
proportionantur suis perfectibilibus; quia proprius se trouve dans une puissance propre, comme il
actus est in propria potentia, ut dicitur 2 de anima; est dit dans Sur l’âme, II. C’est pourquoi il n’est
et ideo non oportet quod habitus cognitivae et pas nécessaire que les habitus de la partie
affectivae partis sint unius modi, sicut nec ipsae cognitive et de la partie affective soient d’une
potentiae quae eis perficiuntur. seule sorte, comme ne le sont pas les puissances
qui sont perfectionnées par eux.

Articulus 2 [10349] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 Article 2 – Un habitus qui existe en nous peut-
a. 2 tit. Utrum habitus in nobis existens cognosci il être connu ?
possit
[10350] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble qu’un habitus qui existe en nous ne
677

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod habitus puisse être connu. En effet, parmi les autres
in nobis existens cognosci non possit. Inter alios habitus, la charité est le principal. Or, celui qui a
enim habitus praecipuus est caritas. Sed habens la charité ne sait pas qu’il l’a, car personne ne
caritatem nescit se habere eam: quia nemo scit, an sait s’il est digne d’amour ou de haine, Si 9, 1.
amore vel odio dignus sit, ut dicitur Eccle. 9, 1. On ne peut donc connaître les autres habitus.
Ergo nec alios habitus potest quis cognoscere.
[10351] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Les habitus des vertus sont plus spirituels que
Praeterea, magis sunt spirituales habitus virtutum même les anges, car eux-mêmes deviennent
quam etiam Angeli: quia ipsi per habitus virtutum spirituels par les habitus des vertus. Or, nous ne
spirituales efficiuntur. Sed Angelos in via pouvons pas connaître les anges dans leur
cognoscere non possumus quantum ad eorum essence alors que nous sommes en route. Donc,
essentiam. Ergo nec habitus virtutum. ni les habitus des vertus.
[10352] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 3 Si 3. Les habitus sont connus par leur présence dans
dicatur, quod habitus cognoscuntur per hoc quod l’âme, mais non les anges. En sens contraire : les
sunt praesentes in anima, non autem Angeli: habitus des vertus ne sont pas présents dans
contra; per essentiam suam praesentialiter non l’intellect par leur essence, mais dans
sunt in intellectu, sed in affectu, habitus virtutum. l’affectivité. Or, il ne relève pas de l’affectivité
Sed affectus non est cognoscere. Ergo hujusmodi de connaître. Les habitus de ce genre ne peuvent
habitus cognosci non possunt per praesentiam. donc être connus par leur présence.
[10353] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Plusieurs ont des vertus dont ils ne
Praeterea, multi sunt qui habent virtutes, et de eis connaissent rien: en effet, ils ne savent pas ce
nihil cognoscunt: nesciunt enim quid sit virtus. qu’est une vertu. De même, certains qui n’ont
Quidam etiam non habentes virtutem sciunt multa pas de vertu en connaissent beaucoup sur elles.
de eis. Ergo non cognoscuntur per sui Elles ne sont donc pas connues par leur présence.
praesentiam.
[10354] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 5 Si 5. [Les habitus] sont connus par le fait qu’il en
dicatur, quod cognoscuntur per hoc quod habent existe une similitude dans l’intellect. En sens
sui similitudinem in intellectu: contra; similitudo contraire : la similitude qui se trouve dans
quae est in intellectu, fundatur in similitudine l’intellect s’appuie sur la similitude qui se trouve
quae est in imaginatione vel sensu: quia dans l’imagination ou dans le sens, car l’âme
nequaquam sine phantasmate intelligit anima, ut n’intellige jamais sans fantasme, comme il est dit
dicitur in 5 de anima. Sed hujusmodi habitus non dans Sur l’âme, V. Or, il n’existe de similitude
habent similitudinem in imaginatione vel sensu. de ce genre d’habitus dans l’imagination ou dans
Ergo non possunt cognosci per suam le sens. Ils ne peuvent donc pas être connus par
similitudinem. leur similitude.
[10355] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 6 6. Les similitudes des choses sont plus
Praeterea, similitudines rerum sunt magis spirituelles que les choses dont elles sont
spirituales quam res a quibus abstrahuntur. Sed ea abstraites. Or, les choses qui sont dans l’intellect
quae sunt in intellectu, non sunt magis spiritualia ne sont pas plus spirituelles que celles qui sont
quam ea quae sunt in affectu. Ergo ab habitibus dans l’affectivité. L’intellect n’abstrait donc pas
existentibus in affectu non abstrahit intellectus des habitus qui existent dans l’affectivité des
similitudines, ut per eas cognoscat; et sic habitus similitudes par lesquelles il peut connaître.
illos nullo modo cognoscit. Ainsi, il ne connaît aucunement ces habitus.
[10356] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin dit dans le texte que
Sed contra Augustinus dicit in littera, quod fidem « chacun voit que la foi elle-même existe dans
ipsam quisque videt esse in corde suo, si credit. son cœur s’il croit ». Pour la même raison, voit-il
Ergo eadem ratione et alios habitus. les autres habitus.
[10357] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 2 2. Le Philosophe dit, dans les Postérieurs
Praeterea, philosophus dicit in Lib. 2 Posterior., [Analytiques], qu’il est inapproprié que nous
quod inconveniens est nos habere habitus ayons les habitus des principes et qu’ils nous
678

principiorum, et nos latere. Ergo eadem ratione et soient cachés. Il en va donc de même pour les
alios habitus. autres habitus.
[10358] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 3 3. Tout ce dont le signe peut être perçu est
Praeterea, omne illud cujus est accipere signum, connaissable. Or, on peut percevoir le signe des
est cognoscibile. Sed habituum est accipere habitus chez celui qui trouve plaisir à agir,
signum fientem in opere delectationem, ut dicitur comme il est dit dans Éthique, II. Les habitus
in 2 Ethic. Ergo habitus cognosci possunt. peuvent donc être connus.
[10359] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 co. Réponse. Une chose peut être connue de deux
Respondeo dicendum, quod aliqua res potest manières : d’une manière, selon ce qu’elle est;
cognosci dupliciter. Uno modo secundum id quod d’une autre manière, selon ce qui en découle. Or,
est; alio modo quantum ad ea quae ipsam la connaissance d’une chose selon ce qu’elle est
consequuntur. Cognitio autem de re secundum id peut être obtenue de deux manières : lorsqu’en
quod est, potest dupliciter haberi; scilicet dum est connue la quiddité et [lorsqu’en est connue]
cognoscitur quid est, et an est. Quid autem res est, l’existence. Or, on connaît ce qu’est une chose
cognoscitur, dum ipsius quidditas lorsque sa quiddité est comprise. Le sens ne la
comprehenditur: quam quidem non comprehendit comprend pas, mais [il comprend] seulement les
sensus, sed solum accidentia sensibilia; nec accidents sensibles. L’imagination non plus ne
imaginatio, sed solum imagines corporum; sed est [la comprend pas], mais [elle comprend]
proprium objectum intellectus, ut dicitur in 3 de seulement les images des corps. Mais cela est
anima; et ideo Augustinus dicit, quod intellectus l’objet propre de l’intellect, comme il est dit dans
cognoscit res per essentiam suam, quia objectum Sur l’âme, III. C’est pourquoi Augustin dit que
ejus est ipsa essentia rei. Essentiam autem alicujus l’intellect connaît les choses par leur essence
rei, intellectus noster tripliciter comprehendit. parce que son objet est l’essence même d’une
Uno modo comprehendit essentias rerum quae chose. Or, notre intellect comprend l’essence
cadunt in sensu, abstrahendo ab omnibus d’une chose de trois manières. D’une manière, il
individuantibus, sub quibus cadebat in sensu et in comprend les essences des choses qui tombent
imaginatione; et sic remanebit pura essentia rei, sous le sens en abstrayant de tout ce qui
puta hominis, quae consistit in his quae sunt l’individualise et selon quoi elle tombe sous le
hominis inquantum est homo. Alio modo sens et sous l’imagination. Ainsi demeurera
essentias rerum quas non videmus, cognoscimus l’essence pure d’une chose, par exemple, celle de
per causas vel effectus eis proportionatos, l’homme, qui consiste dans ce qui appartient à
cadentes in sensu. Si autem effectus non fuerint l’homme en tant qu’il est homme. D’une autre
proportionati causae, non facient causam manière, nous connaissons les essences des
cognoscere quid est, sed quia est tantum, sicut choses que nous ne voyons pas par les causes et
patet de Deo. Tertio modo cognoscit essentias par les effets qui leur sont proportionnés et qui
artificialium nunquam visorum, investigando ex tombent sous le sens. Mais si les effets ne sont
proportione finis ea quae exiguntur ad illud pas proportionnés à la cause, ils ne feront pas
artificiatum. Similiter an res sit, tripliciter connaître de la cause ce qu’elle est, mais
cognoscit. Uno modo quia cadit sub sensu. Alio seulement qu’elle existe, comme cela ressort
modo ex causis et effectibus rerum cadentibus sub pour Dieu. D’une troisième manière, [notre
sensu, sicut ignem ex fumo perpendimus. Tertio intellect] connaît les essences des œuvres d’art
modo cognoscit aliquid in seipso esse ex qui n’ont jamais été vues en recherchant, par la
inclinatione quam habet ad aliquos actus: quam proportion à la fin, ce qui est requis pour cette
quidem inclinationem cognoscit ex hoc quod œuvre d’art. De même, [notre intellect] connaît-il
super actus suos reflectitur, dum cognoscit se l’existence d’une chose de trois manières. D’une
operari. Loquendo autem de cognitione habituum, manière, parce qu’elle tombe sous le sens. D’une
qua cognoscuntur quid sint, eorum cognitio ex autre manière, à partir des causes et des effets
duobus ultimis modis commiscetur: quia habitus des choses, qui tombent sous le sens, comme
ipsos per actus cognoscimus, sicut causam per nous estimons qu’il existe du feu à partir de la
effectum. Et quia nos sumus causa actuum, ideo fumée. De la troisième manière, [notre intellect]
679

actus cognoscimus per actum rationis connaît que quelque chose existe en soi-même
investigantis quid sit necessarium in actu illo ex par l’inclination qu’on a à certains actes; et il
proportione objecti boni et finis, sicut dictum est connaît cette inclination par le fait qu’il réfléchit
de artificialibus. Similiter cognitio qua sur ses actes, alors qu’il sait qu’il agit. Pour
cognoscitur an habitus sint, ex duobus ultimis parler de la connaissance des habitus, par
modis est: quia enim cognoscere quid est, est laquelle il est connu qu’ils existent, leur
principium ad sciendum quia est; ideo aliquis connaissance est un mélange des deux derniers
praedicto modo cognoscendo quid sit aliquis modes, car nous connaissons les habitus par
habitus, ex hoc quod videt talem actum exire leurs actes, comme [nous connaissons] la cause
qualis requiritur ad illum habitum, cognoscit quod par l’effet. Et parce que nous sommes la cause
ille habitus est in aliquo, etiam si ipse illum des actes, nous connaissons donc les actes par
habitum non habeat; sed ille qui habet habitum, l’acte de la raison qui recherche ce qui est
praeter hunc modum, tertio modo cognoscit se nécessaire pour cet acte comparé à l’objet bon et
habere habitum, inquantum percipit inclinationem à la fin, comme on l’a dit pour les œuvres d’art.
sui ad actum, secundum quam se habet aliqualiter De même, la connaissance par laquelle on sait
ad actum illum. Et hoc quidem cognoscit homo qu’il existe un habitus vient des deux derniers
per modum reflexionis, inquantum scilicet modes. En effet, parce que la connaissance de la
cognoscit se operari quae operatur. Et ideo dicit quiddité est le principe de la connaissance de son
Augustinus, quod hujusmodi habitus existence, en connaissant la quiddité d’un
cognoscuntur per suam potentiam quantum ad habitus, on voit quel acte est requis pour cet
hunc modum. Ea vero quae consequuntur ad habitus, on sait que cet habitus se trouve chez
habitus, idest proprietates et accidentia ipsorum, quelqu’un, même si on n’a pas soi-même cet
cognoscuntur partim ex cognitione naturae habitus. Mais celui qui possède l’habitus, en plus
habituum, secundum quod cognitio quid est, est de cette manière, sait de la troisième manière
principium ad cognoscendum quia est; partim qu’il a l’habitus, pour autant qu’il perçoit son
vero ex eorum actibus, secundum quod inclination à l’acte avec lequel il est en rapport
conditiones causarum in effectibus d’une certaine manière. L’homme connaît cela
repraesentantur. par mode de réflexion, pour autant qu’il sait qu’il
accomplit ce qu’il accomplit. C’est pourquoi
Augustin dit que ces habitus sont connus de cette
manière par leur puissance. Mais ce qui découle
des habitus, leurs propriétés et leurs accidents,
est connu en partie par la connaissance de la
nature des habitus, selon que la connaissance de
leur quiddité est le principe de la connaissance
de leur existence; mais en partie par leurs actes,
selon que les conditions des causes sont
représentées dans les effets.
[10360] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. La quiddité de la charité peut tout à fait être
primum ergo dicendum, quod caritas bene potest connue du fait que l’homme sait ce qui est requis
cognosci quid est ex hoc quod homo scit quid pour l’acte de la charité par la raison éclairée par
requiritur ad actum caritatis ratione instructa l’autorité et par la foi. Mais ni celui qui la
auctoritate et fide; sed an sit caritas, non potest possède ni un autre ne peuvent savoir avec
certitudinaliter cognosci neque ab habente, neque certitude si la charité existe. En effet, puisqu’est
ab alio: quia cum ad actum caritatis requiratur requis pour l’acte de charité ce qui le rend
aliquid per quod sit meritorius vitae aeternae; an méritoire de la vie éternelle, on ne peut voir avec
hoc sit in actu, videri non potest pro certo; sed ex certitude que cela existe en acte; mais, à partir de
aliquibus signis et de se et de alio potest aliquis certains signes, quelqu’un peut conjecturer de
conjecturare quod caritatem habeat. soi-même et d’un autre qu’ils ont la charité.
[10361] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Nous ne comprenons pas maintenant l’essence
680

secundum dicendum, quod Angelorum essentiam des anges parce que nous les connaissons par
non comprehendimus nunc, quia cognoscimus eos l’acte de notre intelligence, qui n’est pas
per actum nostri intellectus, qui non est proportionné à l’acte de leur intellect, puisqu’ils
proportionatus actui intellectus ipsorum, cum connaissent d’une manière beaucoup plus élevée.
multo altiori modo cognoscant; sed actus nostri Mais nos actes sont proportionnés aux habitus
sunt proportionati habitibus ex quibus educuntur. dont ils sont tirés.
[10362] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. La réflexion de l’âme sur elle-même ou sur ce
tertium dicendum, quod animam reflecti per qui relève d’elle se produit de deux manières.
cognitionem supra seipsam, vel supra ea quae D’une manière, selon que la puissance cognitive
ipsius sunt, contingit dupliciter. Uno modo connaît sa propre nature ou celle de ce qui se
secundum quod potentia cognoscitiva cognoscit trouve en elle : cela n’est le fait que de l’intellect
naturam sui, vel eorum quae in ipsa sunt; et hoc à qui il appartient de connaître les quiddités des
est tantum intellectus cujus est quidditates rerum choses. Or, comme on le dit dans Sur l’âme, III,
cognoscere. Intellectus autem, ut dicitur in 3 de l’intellect se connaît, ainsi que les autres choses,
anima, sicut alia, cognoscit seipsum, quia scilicet non pas par une espèce de lui-même, mais [par
per speciem non quidem sui, sed objecti, quae est une espèce] de l’objet, qui est sa forme. Par elle,
forma ejus; ex qua cognoscit actus sui naturam, et il connaît la nature de son acte, et à partir de la
ex natura actus naturam potentiae cognoscentis, et nature de son acte, la nature de la puissance qui
ex natura potentiae naturam essentiae, et per connaît, et à partir de la nature de la puissance, la
consequens aliarum potentiarum: non quod habeat nature de l’essence, et, par conséquent, celle des
de omnibus his diversas similitudines, sed quia in autres puissances. Non pas qu’il ait diverses
objecto suo non solum cognoscit rationem veri, similitudes de toutes ces choses, mais parce que,
secundum quam est ejus objectum, sed omnem dans son objet, il ne connaît pas seulement la
rationem quae est in eo, unde et rationem boni: et raison de ce qui est vrai, selon que cela est son
ideo consequenter per illam eamdem speciem objet, mais toute raison qui se trouve en lui, et
cognoscit actum voluntatis et naturam voluntatis, donc la raison de bien. C’est pourquoi il connaît
et similiter etiam alias potentias animae et actus en conséquence par cette même espèce l’acte de
earum. Alio modo anima reflectitur super actus la volonté et la nature de la volonté, et, de la
suos cognoscendo illos actus esse. Hoc autem non même manière, les autres puissances de l’âme et
potest esse ita quod aliqua potentia utens organo leurs actes. D’une autre manière, l’âme réfléchit
corporali reflectatur super proprium actum, quia sur ses actes en connaissant l’existence de ces
oportet quod instrumentum quo cognoscit se actes. Or, il ne peut arriver qu’une puissance qui
cognoscere, caderet medium inter ipsam utilise un organe corporel réfléchisse sur son
potentiam et instrumentum quo primo propre acte, car il faut que l’instrument par
cognoscebat. Sed una potentia utens organo lequel elle connaît qu’elle connaît soit
corporali potest cognoscere actum alterius intermédiaire entre la puissance elle-même et
potentiae, inquantum impressio inferioris l’instrument par lequel elle connaissait en
potentiae redundat in superiorem, sicut sensu premier lieu. Mais une puissance utilisant un
communi cognoscimus visum videre. Intellectus organe corporel peut connaître l’acte d’une autre
autem cum sit potentia non utens organo puissance pour autant que l’impression d’une
corporali, potest cognoscere actum suum, puissance inférieure rejaillit sur une puissance
secundum quod patitur quodammodo ab objecto, supérieure, comme nous connaissons par le sens
et informatur per speciem objecti: sed actum commun que la vue voit. Or, l’intellect, étant une
voluntatis percipit per redundantiam motus puissance qui n’utilise pas d’organe corporel,
voluntatis in intellectu ex hoc quod colligantur in peut connaître son acte selon qu’il subit d’une
una essentia animae, et secundum quod voluntas certaine manière son objet et reçoit une forme
quodammodo movet intellectum, dum intelligo, par l’espèce de l’objet. Mais il perçoit l’acte de
quia volo; et intellectus voluntatem, dum volo la volonté par un rejaillissement du mouvement
aliquid, quia intelligo illud esse bonum. Et ita in de la volonté sur l’intellect du fait qu’ils sont
hoc quod cognoscit intellectus actum voluntatis, reliés dans une seule essence de l’âme, et selon
681

potest cognoscere habitum in voluntate que la volonté meut l’intellect d’une certaine
existentem. manière, alors que j’intellige parce que je le
veux, et que l’intellect [meut] la volonté, alors
que je veux quelque chose parce que je
comprends que cela est bon. Et ainsi, du fait que
l’intellect connaît l’acte de la volonté, il peut
connaître l’habitus qui existe dans la volonté.
[10363] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Ceux qui n’ont pas la vertu possèdent certains
quartum dicendum, quod illi qui non habent principes par lesquels ils peuvent connaître la
virtutem, habent apud se aliqua principia ex nature des vertus de la manière dite, et savoir que
quibus possunt cognoscere naturam virtutum les vertus n’existent pas en eux, mais chez
modo praedicto, et esse virtutes non in se, sed in d’autres, lorsqu’ils voient que certains
aliis, dum vident aliquos operari tales actus quales accomplissent les actes qui sont ceux des vertus
sunt virtutum, et eo modo quo debent virtuosi et de la manière dont ceux qui sont vertueux
operari. doivent les accomplir.
[10364] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Comme on l’a dit, toute connaissance par
quintum dicendum, quod, sicut dictum est, tota laquelle l’intellect connaît ce qui se trouve dans
cognitio qua cognoscit intellectus ea quae sunt in l’âme se fonde sur le fait qu’elle connaît son
anima, fundatur super hoc quod cognoscit objet, qu’elle en a un fantasme qui lui
objectum suum, quod habet phantasma sibi correspond. En effet, il n’est pas nécessaire que
correspondens: non enim oportet quod solum in la connaissance s’arrête aux fantasmes, mais que
phantasmatibus cognitio stet; sed quod ex sa connaissance s’amorce dans les fantasmes et
phantasmatibus sua cognitio oriatur, et quod qu’elle délaisse l’imagination pour certaines
imaginationem in aliquibus relinquat. choses.
[10365] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. Il ne connaît pas la volonté et ce qui s’y
sextum dicendum, quod non cognoscit voluntatem rapporte par une similitude qui en est abstraite,
et ea quae ad ipsam pertinent, per aliquam mais seulement par une similitude de son objet,
similitudinem ab eis abstractam, sed solum per comme on l’a dit.
similitudinem objecti sui, ut dictum est.

Articulus 3 [10366] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 Article 3 – Les vertus sont-elles des habitus ou
a. 3 tit. Utrum virtutes sint habitus, vel potentiae des puissances ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Les vertus sont-elles des
habitus ou des puissances ?]
[10367] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 1. Il semble que les vertus ne soient pas des
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod habitus, mais des puissances. En effet, aucune
virtutes non sint habitus, sed potentiae. Nulla chose n’a l’être par un habitus, mais par une
enim res habet esse per habitum, sed per puissance naturelle. Or, toutes les choses ont la
potentiam naturalem. Sed omnes res habent puissance d’être soit pour toujours, soit pour un
virtutem essendi vel semper, vel determinato temps déterminé, comme il est dit dans Sur le
tempore, ut dicitur in 1 Cael. et Mun. Ergo virtus ciel et le monde, I. La vertu n’est donc pas un
non est habitus. habitus.
[10368] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 2. Il existe une proportion entre les puissances de
arg. 2 Praeterea, eadem est proportio potentiarum l’âme et leurs actes, et les puissances naturelles
animae ad suos actus, et potentiarum naturalium et les leurs, car, dans les deux cas, la puissance
ad suos: quia utrobique potentia est principium est le principe de l’acte. Or, les puissances
actus. Sed ipsae potentiae naturales virtutes naturelles elles-mêmes sont appelées des
dicuntur. Ergo et virtutes sunt ipsae potentiae. « vertus » (virtutes). Les vertus sont donc les
puissances elles-mêmes.
[10369] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 3. Le mot « vertu » vient de vis [puissance]. Or,
682

arg. 3 Praeterea, nomen virtutis a vi sumitur. Sed les puissances de l’âme sont appelées des vires
potentiae animae dicuntur vires. Ergo ipsaemet [vertus, puissances]. Elles sont donc elles-mêmes
sunt virtutes. des vertus.
[10370] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] nous sommes louangés pour des
c. 1 Sed contra, ex virtutibus laudamur, non tamen vertus, mais non pour des puissances. En effet,
ex potentiis; non enim laudatur quis quod potest on ne louange pas quelqu’un parce qu’il peut
ab ira abstinere, sed quod moderate abstineat. s’abstenir de colère, mais parce qu’il s’en
Ergo virtutes non sunt potentiae. abstient avec modération. Les vertus ne sont
donc pas des puissances.
[10371] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 s. [2] Les puissances viennent de la nature et sont
c. 2 Praeterea, potentiae sunt a natura, et omnibus communes à tous, ce qui n’est pas le cas des
communes; quod de virtutibus non contingit. vertus. Donc, etc.
Ergo, et cetera.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Les vertus sont-elles des
passions ?]
[10372] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 1. Il semble que les vertus soient des passions.
arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes sint En effet, l’intermédiaire et les extrêmes
passiones. Medium enim et extrema sunt unjus appartiennent au même genre. Or, certaines
generis. Sed quaedam virtutes sunt medium in vertus sont un milieu dans les passions, comme il
passionibus, ut in 2 Ethic. dicitur. Ergo ad minus est dit dans Éthique, II. Au moins celles-là sont
illae sunt passiones. donc des passions.
[10373] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 2. Pouvoir être louangée est une propriété de la
arg. 2 Praeterea, laudabile est proprietas virtutis. vertu. Or, certaines passions sont louables,
Sed quaedam passiones sunt laudabiles, sicut comme la retenue, la pénitence et celles de cette
verecundia, poenitentia et hujusmodi. Ergo ad sorte. Au moins certaines passions sont donc des
minus aliquae passiones sunt virtutes. vertus.
[10374] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 3. Les contraires se situent dans le même genre.
arg. 3 Praeterea, contraria sunt in eodem genere. Or, certaines passions, comme les premiers
Sed quaedam passiones, sicut primi motus, sunt mouvements, sont des péchés. Certaines passions
peccata. Ergo et aliquae passiones sunt virtutes. sont donc des vertus.
[10375] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 s. Cependant, le volontaire, dont le principe se
c. 1 Sed contra, in omnibus virtutibus requiritur trouve en nous, est nécessaire pour toutes les
voluntarium, cujus principium est in nobis, ut vertus, comme on le dit dans Éthique, III. Or, le
dicitur in 3 Ethic. Sed principium passionum non principe des passions ne se trouve pas en nous.
est in nobis. Ergo virtutes non sunt passiones. Sed Les vertus ne sont donc pas des passions. Or,
secundum virtutes dicimur boni, non autem nous sommes appelés bons en raison des vertus,
secundum passiones: non enim qui irascitur, sed et non en raison des passions : en effet, on ne
qui recte irascitur, laudatur. Ergo et cetera. loue pas celui qui se met en colère, mais qui se
met en colère correctement. Donc, etc.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Les vertus sont-elles des
habitus ou des actes ?]
[10376] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 1. Il semble que les vertus ne soient pas des
arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes non sint habitus, mais des actes. En effet, nous méritons
habitus, sed actus. Solis enim virtutibus meremur. par les seules vertus. Or, nous ne méritons que
Sed non meremur nisi actibus: non enim optimi et par des actes : en effet, ce ne sont pas les
fortissimi coronantur, sed agonizantes qui meilleurs ni les plus forts qui sont couronnés,
vincunt, ut dicitur in 1 Ethicor. Ergo virtutes sunt mais les combattants qui l’emportent, comme on
actus. le dit dans Éthique, I. Les vertus sont donc des
actes.
[10377] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 2. La vertu est le point ultime d’une puissance,
683

arg. 2 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut comme on le dit dans Sur le ciel et le monde, I.
dicitur in 1 Cael. et Mund. Sed ultima perfectio Or, la perfection ultime d’une puissance est
potentiae est actus. Ergo virtus est actus. l’acte. La vertu est donc un acte.
[10378] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 3. De même que nous ne sommes pas louangés
arg. 3 Praeterea, sicut non laudamur ex hoc quod parce que nous pouvons nous mettre en colère ou
sumus potentes irasci vel non irasci; ita nec ex ne pas nous mettre en colère, de même ne le
hoc solo quod sumus ad hoc habiles vel ad illud. sommes-nous pas du seul faut que nous sommes
Sed ex dicta ratione philosophus probat in 2 capables de ceci ou de cela. Or, dans Éthique, II,
Ethic., quod potentiae non sunt virtutes. Ergo le Philosophe prouve par cette raison que les
neque habitus virtutes dici possunt eadem ratione; puissances ne sont pas des vertus. Les habitus ne
et sic relinquitur quod sint actus. peuvent donc pas être appelés des vertus pour la
même raison. Il reste donc qu’elles sont des
actes.
[10379] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 s. Cependant, [1] va en sens contraire ce que dit le
c. 1 Sed contra est quod dicit philosophus in 2 Philosophe, Éthique, II, que « la vertu est un
Ethic., quod virtus est habitus voluntarius. habitus volontaire ».
[10380] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 s. [2] Augustin dit que Dieu seul réalise les vertus
c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod virtutes in en nous. Or, nous sommes aussi causes de nos
nobis solus Deus operatur. Sed nostrorum actuum actes. Les vertus ne sont donc pas des actes.
etiam nos causa sumus. Ergo virtutes non sunt
actus.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10381] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Le mot « vertu », selon son premier sens, semble
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, signifier une certaine violence; ainsi, dans Sur le
quod nomen virtutis, secundum sui primam ciel et le monde, III, on dit que le mouvement
impositionem, videtur in quamdam violentiam accidentel, c’est-à-dire violent, est celui qui vient
sonare; unde in 3 caeli et Mund. dicitur, quod d’une puissance [a virtute], c’est-à-dire de la
motus accidentalis, idest violentus, est qui est a violence, et non pas de l’aide de la nature. Or,
virtute, idest a violentia, non cum auxilio naturae. comme une chose ne peut faire violence à une
Sed quia non potest aliquid alteri violentiam autre que par une puissance parfaite, selon
inferre nisi per potentiam perfectam, secundum laquelle elle agit et ne subit pas, le mot « vertu »
quam agat et non patiatur; inde tractum est nomen a donc été amené à signifier toute puissance
virtutis ad significandum omnem potentiam parfaite, par laquelle on peut soit subsister en
perfectam, sive qua potest aliquid in seipso soi-même, soit agir. Ainsi est-il dit dans Sur le
subsistere, sive qua potest operari: et sic dicitur in ciel et le monde, I, que la vertu est « le point
1 Cael. et Mund. quod virtus est ultimum ultime d’une puissance », car la perfection d’une
potentiae: quia perfectio potentiae mensuratur ex puissance se mesure par le point ultime et le plus
ultimo et maximo quod quis potest. Et quia grand que quelqu’un puisse atteindre. Et parce
malum in actu contingit ex defectu potentiae que le mal dans un acte vient de la carence de la
agentis, ideo ad perfectionem potentiae exigitur puissance d’un agent, il est donc requis pour la
quod bene operetur in suo genere: et propter hoc perfection d’une puissance qu’elle agisse bien
in 2 Ethic. dicitur, quod virtus est quae bonum dans son genre. Pour cette raison, dans Éthique,
facit habentem, et opus ejus bonum reddit; et in 6 II, il est dit que « la vertu est ce qui rend bon
Physicor. dicitur quod virtus est dispositio perfecti celui qui la possède et qui rend son acte bon ».
ad optimum, eorum scilicet ad quae potentia se Et, dans Physique, VI, on dit que la vertu est « la
extendit. Et quia de virtutibus humanis loquimur; disposition de ce qui est parfait à ce qui est le
ideo virtus humana erit quae perficiet humanam meilleur de ce sur quoi porte une puissance ». Et
potentiam ad actum bonum et optimum. Cum parce que nous parlons des vertus humaines, la
autem homo ex hoc sit homo quod habet rationem vertu humaine sera donc celle qui perfectionnera
et intellectum, illae potentiae humanae sunt quae une puissance humaine en vue d’un acte bon et
684

aliqualiter rationales sunt, vel per essentiam, sicut le meilleur. Or, puisque l’homme est homme du
quae sunt in parte intellectiva, vel per fait qu’il possède la raison et l’intellect, les
participationem, sicut quae sunt in parte sensitiva puissances humaines sont celles qui sont
rationi obedientes. Hae autem potentiae, ut prius raisonnables d’une certaine manière, soit par
dictum est, ex natura potentiae non possunt esse essence, comme ce qui se trouve dans la partie
determinatae ad actus bonos, nec perfecte intellective, soit par participation, comme celles
determinantur nisi per habitus: unde virtutes qui se trouvent dans la partie sensible et
humanae, de quibus loquimur, non sunt potentiae, obéissent à la raison. Or, ces puissances, comme
sed habitus. on l’a dit plus haut, ne peuvent être déterminées
à des actes bons par la nature de la puissance, et
elles n’y sont parfaitement déterminées que par
des habitus. Les vertus humaines dont nous
parlons ne sont donc pas des puissances, mais
des habitus.
[10382] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1. La puissance naturelle par laquelle quelqu’un
1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia peut exister a été déterminée à une seule chose :
naturalis qua quis potest esse, determinata est ad exister. Sa perfection, selon sa nature même de
unum, scilicet ad esse: ideo ipsius perfectio puissance, peut donc exister. Ainsi, la puissance
secundum ipsam naturam potentiae esse potest; et elle-même est-elle appelée une vertu (virtus). Il
ideo ipsa potentia virtus dicitur. Et similiter faut parler de la même façon des puissances
dicendum est de aliis potentiis naturalibus. Secus naturelles. Mais il en va autrement pour les
autem est de potentiis rationalibus, quae ad puissances raisonnables, qui portent sur un très
plurima se extendunt. grand nombre de choses.
[10383] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2. La réponse au deuxième argument est ainsi
2 Et per hoc patet responsio ad secundum. claire.
[10384] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3. La force [vis] s’entend de tout ce qui est
3 Ad tertium dicendum, quod vis accipitur pro principe d’une opération parfaite, ce que
omni eo quod est principium operationis comporte le mot « vertu ». Aussi les puissances
perfectae, quod importat nomen virtutis: unde de l’âme pêuvent-elles être appelées des
potentiae animae magis possunt dici vires quam « forces » plutôt que des « vertus », surtout
virtutes, et illae praecipue quae habent ordinem ad celles qui sont ordonnées aux actes qui sont
actus qui exercentur per corporalia instrumenta. exercés par des instruments corporels.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10385] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 co. La raison de passion s’oppose à la raison de
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ratio vertu, car la vertu indique la perfection d’une
passionis contrariatur rationi virtutis: quia virtus puissance, comme on l’a dit. Or, toute passion
in perfectionem potentiae sonat, ut dictum est. vient du fait que ce qui subit est vaincu par un
Omnis autem passio contingit ex hoc quod agent et est entraîné à l’intérieur de ses
passum vincitur ab agente, et trahitur ad terminos frontières. Aussi la vertu ne peut-elle pas être
ejus: unde passio virtus dici non potest. Sed in hoc appelée une passion. Mais la perfection d’une
perfectio potentiae consistit quod non permittit se puissance consiste en ce qu’elle ne permet pas
trahi ad aliud nisi secundum quod ei congruit: qu’elle soit entraînée à autre chose que ce qui lui
unde virtutis est potentiam continere, ne per convient. Il revient donc à la vertu de contenir
passiones immoderate distrahatur: et ideo virtus une puissance afin qu’elle ne soit pas entraînée
non est passio, sed passionum ordinatrix. par des passions de manière immodérée. La vertu
n’est donc pas une passion, mais l’ordonnatrice
des passions.
[10386] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1. La vertu est appelée un milieu des passions au
1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus dicitur sens actif pour autant qu’elle ramène les passions
medium in passionibus active, inquantum à un milieu. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle
685

passiones ad medium reducit: unde non oportet fasse partie du genre des passions.
quod sit in genere passionum.
[10387] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2. Le caractère louable n’est pas dû seulement à
2 Ad secundum dicendum, quod laudabile non ce qui a la pleine raison de vertu, mais aussi à ce
solum debetur ei quod habet plenam rationem qui participe à quelque chose de la vertu. Ainsi
virtutis, sed etiam ei quod participat aliquid les actes qui précèdent la vertu sont-ils louangés,
virtutis; sicut laudantur actus virtutem s’ils sont ordonnés. De cette manière, la retenue,
praecedentes, si sint ordinati: et hoc modo la miséricorde et les passions de ce genre sont-
verecundia, misericordia, et hujusmodi passiones, elles louangées pour autant qu’elles découlent
laudantur, inquantum ex bona voluntate d’une volonté bonne, qui évite ce qui est honteux
consequuntur, quae turpia vitat, et aliorum mala et considère comme siens les maux des autres.
quasi sua reputat. Bona autem voluntas est eorum Or, la volonté bonne porte sur ce qui est exigé
quae ad virtutem exiguntur. pour la vertu.
[10388] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3. Le péché signale une carence de la puissance
3 Ad tertium dicendum, quod peccatum sonat in agissante. Aussi la passion peut-elle être
defectum potentiae operantis: unde passio magis davantage un péché que la vertu. Cependant, elle
potest esse peccatum quam virtus: nec tamen ne peut avoir la pleine raison de péché pour
plenam rationem peccati habere potest, inquantum autant qu’elle ne procède pas d’un choix. Ainsi
non ex electione procedit: unde primi motus non les premiers mouvements ne sont pas des péchés
sunt peccata mortalia, quae directe virtutibus mortels, qui s’opposent directement aux vertus,
opponuntur, sed venialia; non tamen ut habitus, mais des péchés véniels, non pas cependant en
sed ut actus. tant qu’habitus, mais en tant qu’actes.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10389] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Au sens propre, l’aptitude (virtus) inclut le
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod virtus rapport à quelque chose dont elle est le principe,
proprie loquendo includit respectum ad aliquid comme le fait de courir ou d’exister. Et parce
cujus principium sit, sicut currendi, vel essendi. Et que l’acte en tant que tel, puisqu’il est ce qui est
quia actus, inquantum hujusmodi, cum sit ultime, n’est pas ordonné à quelque chose
ultimum, non ordinatur ad aliquid sicut effectus; comme à un effet, l’acte ne peut être appelé
ideo actus virtus dici non potest, nisi eo modo vertu, si ce n’est pour dire que les habitus sont
loquendi, quo habitus per actus nominantur, sicut désignés par les actes, comme les causes par les
causae per effectus: et de hoc in 2 Lib., dist. 27, effets. On a traité plus longuement de cette
quaest. 1, art. 1, plenius dictum est. question dans le livre II, d. 27, q. 1, a. 1.
[10390] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1. Nous méritons par les habitus et par les actes,
1 Ad primum ergo dicendum, quod meremur et mais par les actes comme par des instruments du
habitibus et actibus; sed actibus quasi instrumentis mérite, car les mérites sont essentiellement des
merendi, quia merita essentialiter sunt actus: actes; mais [nous méritons] par les habitus
habitibus autem quasi principiis meritorum; et sic comme par des principes des mérites. Ainsi dit-
virtutibus mereri dicimur. on que nous méritons par les vertus.
[10391] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2. On appelle vertu le point ultime d’une
2 Ad secundum dicendum, quod virtus dicitur puissance à l’intérieur du même genre, qui est le
ultimum potentiae in eodem genere, quod est genre du principe par rapport à ce dont elle est
genus principii respectu ejus cujus dicitur potentia appelée la puissance ou la vertu. Mais l’acte est
vel virtus; sed actus est ultimum extra genus illud: le point ultime en dehors de ce genre. Il n’est
et ideo non oportet quod actus sit virtus. donc pas nécessaire que l’acte soit une vertu.
[10392] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3. Les habitus sont déterminés à des actes
3 Ad tertium dicendum, quod habitus sunt louables, mais non les puissances, qui portent sur
determinati ad actus laudabiles, potentiae autem des choses contraires, comme il est dit dans
non, sed sunt contrariorum, ut dicitur in 5 Ethic.; Éthique, V. C’est pourquoi il n’en va pas de
et ideo non est eadem ratio de potentiis et même des puissances et des habitus.
686

habitibus.

Articulus 4 [10393] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 Article 4 – Les habitus intellectuels peuvent-
a. 4 tit. Utrum habitus intellectuales possint dici ils être appelés des vertus ?
virtutes
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Les habitus intellectuels
peuvent-ils être appelés des vertus ?]
[10394] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 1. Il semble que les habitus intellectuels ne
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod puissent pas être appelés des vertus. En effet,
habitus intellectuales non possint dici virtutes. comme il est dit dans Éthique, II, « la vertu est
Virtus enim, ut dicitur 2 Ethic., est habitus un habitus volontaire et elle agit sur les voluptés
voluntarius, et circa voluptates et tristitias et les tristesses des meilleurs ». Or, cela n’est pas
optimorum operativa. Sed hoc habitibus le fait des habitus intellectuels. Ils ne sont donc
intellectualibus non competit. Ergo non sunt pas des vertus.
virtutes.
[10395] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 2. Le Philosophe oppose la science à la vertu,
arg. 2 Praeterea, philosophus dividit scientiam comme des genres différents qui ne sont pas
contra virtutem, quasi diversa genera non subordonnés. Or, l’un de ces genres n’est pas
subalternatim posita. Sed talium generum unum prédiqué de l’autre. La science n’est donc pas
non praedicatur de alio. Ergo scientia non est une vertu et, pour la même raison, les autres
virtus, et eadem ratione neque alii habitus habitus cognitifs.
cognitivi.
[10396] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 3. On parle de vertu par rapport au bien, car « la
arg. 3 Praeterea, virtus dicitur per ordinem ad vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et
bonum, quia virtus est quae bonum facit rend son action bonne », comme on l’a abordé
habentem, et opus ejus bonum reddit, ut plus haut. Or, les habitus cognitifs, surtout
praetactum est. Sed habitus cognitivi, et praecipue spéculatifs, ne sont pas ordonnés au bien, mais
speculativi, non ordinantur ad bonum sed ad au vrai, comme on le dit dans Éthique, II. Les
verum, ut dicitur in 2 Ethic. Ergo praedicti habitus habitus mentionnés ne sont donc pas des vertus.
non sunt virtutes.
[10397] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 4. Les vertus sont ordonnées à l’action, car c’est
arg. 4 Praeterea, virtutes ordinantur ad elle qui rend l’action bonne, comme on l’a dit.
operandum, quia ipsa est quae opus bonum reddit, Or, les habitus en question ne sont pas ordonnés
ut dictum est. Sed praedicti habitus non ordinantur à agir, mais à connaître. Ils ne sont donc pas des
ad operandum, sed ad cognoscendum. Ergo non vertus.
sunt virtutes.
[10398] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 s. Cependant, [1] la vie contemplative est plus
c. 1 Sed contra, vita contemplativa est nobilior noble que la vie active. Si donc les habitus
quam activa. Si ergo habitus morales qui moraux qui perfectionnent pour la vie active sont
perficiunt in vita activa, dicuntur virtutes, multo appelés des vertus, à bien plus forte raison les
fortius habitus intellectuales, qui perficiunt in habitus intellectuels, qui perfectionnent pour la
contemplativa, virtutes dici debent. vie contemplative, peuvent-ils être appelés des
vertus.
[10399] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 s. [2] La raison pour laquelle on [l’attribue] à tout
c. 2 Praeterea, propter quod unumquodque, et vaut encore davantage pour [ce dont on parle].
illud magis. Sed secundum philosophum in 6 Eth. Or, selon le Philosophe, Éthique, VI, la
temperantia, fortitudo, et hujusmodi, non possunt tempérance, la force et les habitus de ce genre ne
proprie dici virtutes, nisi in intellectu accipiantur. peuvent, au sens propre, être appelées des vertus,
Ergo intellectuales habitus debent dici virtutes. que s’ils sont reçus dans l’intellect. Les habitus
intellectuels doivent donc être appelés des
687

vertus.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Les vertus morales sont-
elles distinctes des vertus intellectuelles ?]
[10400] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 1. Il semble que les vertus morales ne se
arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes morales ab distinguent pas des vertus intellectuelles. En
intellectualibus non distinguantur. Morales enim effet, les vertus morales tirent leur nom de mos
virtutes a more dicuntur: qui videtur idem quod [comportement], qui semble être la même chose
consuetudo, vel parum differre, ut dicitur in 2 que l’habitude ou en différer peu, comme on le
Ethic. Sed consuetudo facit facilitatem, ut dicit dit dans Éthique, II. Or, l’habitude donne de la
Victorinus; et hoc patet tam in agendis quam in facilité, comme le dit Victorin, et cela ressort
considerandis. Ergo virtutes morales ab pour ce qui doit être fait comme pour ce qui doit
intellectualibus distingui non debent. être considéré. Les vertus morales ne doivent
donc pas être distinguées des vertus
intellectuelles.
[10401] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 2. Ne relève de la science morale que ce qui est
arg. 2 Praeterea, ad scientiam moralem nihil moral. Or, les vertus intellectuelles en relèvent;
pertinet nisi morale. Sed ad eam pertinent virtutes le Philosophe en détermine dans Éthique, VI.
intellectuales, de quibus philosophus, in 6 Les vertus intellectuelles sont donc des [vertus]
Ethicorum, determinat. Ergo intellectuales virtutes morales.
sunt morales.
[10402] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 3. La prudence est placée parmi les vertus
arg. 3 Praeterea, prudentia inter intellectuales intellectuelles; elle est aussi énumérée parmi les
ponitur: numeratur etiam et ipsa inter morales, vertus morales, puisqu’elle est une des quatre
cum sit una de quatuor cardinalibus. Ergo idem vertus cardinales. La conclusion est donc la
quod prius. même que précédemment.
[10403] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 4. Toute vertu morale consiste dans un milieu.
arg. 4 Praeterea, omnis virtus moralis consistit in Or, le milieu est déterminé selon la raison droite,
medio. Sed medium determinatur secundum comme il est dit dans Éthique, II. Puisque celle-
rationem rectam, ut dicitur 2 Ethic. Cum ergo per ci est rendue droite par des vertus intellectuelles,
intellectuales virtutes rectificetur, videtur quod il semble donc que les vertus intellectuelles
ipsae intellectuales virtutes sint morales. elles-mêmes soient des vertus morales.
[10404] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 s. Cependant, [1] en sens contraire, le Philosophe
c. 1 Sed contra est quod philosophus morales distingue les vertus morales et les vertus
contra intellectuales dividit. intellectuelles.
[10405] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 s. [2] Les perfections de perfectibles différents
c. 2 Praeterea, diversorum perfectibilium diversae sont différentes. Or, les vertus intellectuelles
sunt perfectiones. Sed virtutes intellectuales perfectionnent ce qui est raisonnable par essence,
perficiunt rationale per essentiam, virtutes autem mais les vertus morales, ce qui est raisonnable
morales rationale per participationem. Ergo dictae par participation. Les vertus indiquées sont donc
virtutes ad invicem distinguuntur. distinctes les unes des autres.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Les vertus théologales
doivent-elles être distinguées des vertus
morales et des vertus intellectuelles ?]
[10406] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 1. Il semble que les vertus théologales doivent
arg. 1 Ulterius. Videtur quod virtutes theologicae être distinguées [des vertus intellectuelles et des
non debeant distingui ab utrisque. Ad ea enim ad vertus morales]. En effet, il n’est pas besoin d’un
quae potentia est naturaliter determinata, non habitus ajouté pour ce qui est déterminé par la
indiget aliquo habitu superinducto. Sed cognitio nature. Or, « la connaissance de Dieu est
Dei omnibus naturaliter est inserta, ut dicit naturellement donnée à tous », comme le dit
Damascenus; et similiter desiderium summi boni, [Jean] Damascène; de même en est-il du désir du
688

ut dicit Boetius 4 de Consolat. Ergo non Bien suprême, comme le dit Boèce dans La
indigemus aliquibus virtutibus quae Deum consolation, IV. Nous n’avons donc pas besoin
habeant pro objecto, quod dicitur ad virtutes de vertus qui ont Dieu comme objet, ce qu’ont
theologicas pertinere. dit relever des vertus théologales.
[10407] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 2. De même que nous mettons la jouissance de
arg. 2 Praeterea, sicut nos ponimus fruitionem Dieu comme fin de tous les actes humains, de
divinam finem omnium actuum humanorum, ita même les philosophes mettent-ils la félicité. Or,
philosophi posuerunt felicitatem. Sed ipsi non ils n’ont pas mis de vertus qui auraient la félicité
posuerunt aliquas virtutes quae haberent pour objet. Nous n’avons donc pas besoin de
felicitatem pro objecto. Ergo nec nos indigemus vertus qui auraient Dieu pour objet.
aliquibus virtutibus quae Deum habeant pro
objecto.
[10408] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 3. La connaissance des principes et la
arg. 3 Praeterea, ad eumdem habitum pertinet connaissance de ce qui vient des principes
cognoscere principia, et quae ex principiis relèvent du même habitus. Or, la fin est le
cognoscuntur. Sed finis est principium in principe pour les actions qui doivent être posées,
operabilibus, ut dicit philosophus in 7 Ethic., et 2 comme le dit le Philosophe dans Éthique, VII et
Physic. Ergo virtutes theologicae quae habent dans Physique, II. Les vertus théologales qui ont
finem pro objecto, non debent distingui a la fin comme objet ne doivent donc pas être
cardinalibus, quae dirigunt nos in his quae sunt ad distinguées des vertus cardinales, qui nous
finem. dirigent pour ce qui est ordonné à la fin.
[10409] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 4. Les perfections sont proportionnées à ce qui
arg. 4 Praeterea, perfectiones perfectibilibus peut être perfectionné. Or, chez nous, il n’existe
proportionantur. Sed in nobis non est aliqua de puissance perfectible par une vertu humaine
potentia perfectibilis per virtutem humanam nisi que ce qui est raisonnable par essence, qui est
rationale per essentiam, quod perficitur virtute perfectionné par la vertu intellectuelle, et ce qui
intellectuali, et rationale per participationem, est raisonnable par participation, qui est
quod perficitur virtute morali. Ergo nec potest perfectionné par la vertu morale. Il ne peut donc
esse aliud genus virtutum praeter duo praedicta y avoir un autre genre de vertus en plus des deux
genera. genres mentionnées plus haut.
[10410] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 s. Cependant, [1] l’Apôtre affirme en sens
c. 1 Sed contra est quod apostolus, 1 Corinth., 13, contraire, en 1 Co 13, ces vertus : la foi,
ponit has virtutes, fidem, spem et caritatem, quae l’espérance et la charité, qui ne sont ni
nec sunt intellectuales nec morales, ut patet intellectuelles ni morales, comme cela ressort en
discurrendo per singulas virtutes quae a sanctis et parcourant chacune des vertus qui sont
philosophis numerantur. Ergo oportet ponere énumérées par les saints et les philosophes. Il
tertium genus virtutum quae theologicae dicuntur. faut donc affirmer un troisième genre de vertus
qu’on appelle théologales.
[10411] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 s. [2] Dieu est plus éloigné des créatures que
c. 2 Praeterea, magis distat Deus a creaturis quam n’importe quelle créature par rapport à une autre.
quaevis creaturae ab invicem. Sed diversitas Or, la diversité entre les créatures exige une
aliquarum creaturarum requirit diversitatem diversité d’habitus. Les vertus qui ont Dieu pour
habituum. Ergo virtutes quae habent Deum pro objet sont donc distinctes des autres.
objecto, ab aliis distinguuntur.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10412] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 co. Comme cela ressort de ce qui a été dit, la vertu
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, est un habitus qui perfectionne une puissance
quod, sicut ex praedictis patet, virtus est habitus humaine en vue d’une action bonne. Or, il arrive
perficiens potentiam humanam ad bonum actum. qu’un acte est dit bon de deux manières : d’une
Contingit autem aliquem actum dici bonum manière, formellement et par soi; d’une autre
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dupliciter: uno modo formaliter et per se; alio manière, matériellemenet et par accident. En
modo materialiter et per accidens. Quia enim effet, parce qu’un acte reçoit sa forme de son
actus a proprio objecto formam recipit, ille actus objet propre, l’acte dont l’objet est le bien selon
formaliter dicitur bonus cujus objectum est bonum la raison de bien est appelé bon formellement; et
secundum rationem boni: et quia bonum est parce que le bien est l’objet de la volonté, l’acte
objectum voluntatis, ideo per modum istum actus bon de cette manière ne peut être appelé qu’un
bonus dici non potest nisi actus voluntatis, aut acte de la volonté ou de la partie appétitive. Mais
appetitivae partis. Materialiter autem actus dicitur un acte est appelé bon matériellement lorsqu’il
bonus qui congruit potentiae operanti, quamvis convient à la puissance qui agit, bien que son
ejus objectum non sit bonum sub ratione boni, objet ne soit pas le bien selon la raison de bien,
sicut cum quis recte intelligit, et oculus clare comme lorsque quelqu’un intellige correctement
videt. Et inde est quod voluntas imperat actus et que l’œil voit clairement. De là vient que la
aliarum potentiarum, inquantum actus earum volonté commande les actes des autres
materialiter se habent ad rationem boni, quod est puissances pour autant que leur actes jouent le
voluntatis objectum: et secundum hoc aliquid de rôle de matière selon la raison de bien, qui est
formali bonitate voluntatis pervenit ad alios actus l’objet de la volonté. Sous cet aspect quelque
qui a voluntate imperantur, secundum quam chose de la bonté formelle parvient aux actes qui
laudabiles et meritorii sunt; ut cum quis ex recta sont commandés par la volonté, par laquelle ils
intentione considerat vel ambulat. Tamen ista sont louables et méritoires, comme lorsque
bonitas est praeter propriam rationem actus quelqu’un considère ou marche avec une
secundum suam speciem. Contingit enim actum intention droite. Cependant, il arrive que l’acte
alicujus potentiae non appetitivae esse bonum d’une puissance non appétitive soit quelque
bonitate voluntatis, non autem bonitate sui chose de bien par la bonté de la volonté, mais
generis: sicut cum quis propter Deum ambulat non par la bonté de son genre, comme lorsque
claudicando, vel ex bona intentione considerat ea quelqu’un marche en boîtant pour Dieu ou
in quibus hebes est. Sic ergo virtus potest dici considère avec une intention bonne ce en quoi il
dupliciter. Uno modo habitus perficiens ad actum est obtus. On peut donc parler de vertu de deux
bonum potentiae humanae, sive sit bonus manières. D’une manière, pour l’habitus qui
materialiter, sive formaliter; et sic habitus perfectionne en vue de l’acte bon d’une
intellectuales et speculativi virtutes dici possunt, puissance humaine, qu’il soit bon matériellement
quibus intellectus et ratio ad verum determinantur, ou formellement. De cette manière, les habitus
cujus consideratio bonus actus ipsorum est; et sic intellectuels et spéculatifs peuvent être appelés
loquitur philosophus in Ethic. de virtute. Alio des vertus, par lesquelles l’intellect et la raison
modo potest dici virtus magis stricte, et secundum sont déterminés au vrai et dont la considération
quod est in usu loquendi, habitus perficiens ad est leur acte bon. C’est ainsi que le Philosophe
actum qui est bonus non solum materialiter, sed parle de la vertu dans Éthique. D’une autre
etiam formaliter: et sic solum habitus respicientes manière, on peut parler de vertu en un sens plus
appetitivam partem virtutes dici possunt, non strict et selon la façon usuelle d’en parler, pour
autem intellectuales, et specialiter speculativi. l’habitus qui perfectionne en vue d’un acte qui
est bon non seulement matériellement, mais
aussi formellement. C’est seulement en ce sens
qu’on peut appeler des vertus les actes qui
concernent la partie appétitive, mais non les
[habitus] intellectuels, en particulier, les
[habitus] spéculatifs.
[10413] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1. Ces paroles s’entendent de la vertu morale,
1 Ad primum ergo dicendum, quod illa verba dont le Philosophe traite à cet endroit, et qui est
intelliguntur de virtute morali, de qua philosophus appelée une vertu selon la seconde manière. Il
ibi agit, quae secundo modo dicitur virtus; et sic entend aussi vertu en ce sens dans Topiques, IV.
etiam accipit virtutem in 4 Topic.
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[10414] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2. La réponse au deuxième argument ressort de


2 Ex quo patet solutio ad secundum. cela.
[10415] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3. La vertu elle-même est matériellement le bien
3 Ad tertium dicendum, quod ipsa virtus est de l’intellect puisqu’elle est sa fin : en effet, la
materialiter bonum intellectus, cum sit finis ejus: fin a raison de bien, comme il est dit dans
finis enim habet rationem boni, ut dicitur 3 Métaphysique, III.
Metaph.
[10416] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4. La considération du vrai est une opération de
4 Ad quartum dicendum, quod consideratio veri l’intellect à la laquelle la vertu intellectuelle est
est quaedam operatio intellectus, ad quam virtus ordonnée; mais les habitus qui sont appelés
intellectualis ordinatur: sed habitus qui operativi opératifs sont en plus ordonnés à une opération
dicuntur, ordinantur ulterius ad exteriorem extérieure qu’on appelle réalisation (factio),
operationem quae dicitur factio, secundum quod selon qu’elle passe dans une matière extérieure
transit in exteriorem materiam transmutandam, ut pour la transformer, comme cela ressort dans les
patet in operibus mechanicis: et dicitur actio, réalisations mécaniques. Et elle est appelée
secundum quod sistit in operante, prout ejus action (actio), selon qu’elle réside dans le sujet
operationes et passiones modificantur, quod agissant, pour autant que ses opérations et
contingit in operibus virtutum moralium; et ideo passions sont modifiées, ce qui se produit dans
prudentia, quae in eis dirigit, dicitur in 6 Ethic., les actes des vertus morales. C’est pourquoi la
recta ratio agibilium; ars vero mechanica recta prudence, qui dirige en cette matière, est appelée
ratio factibilium. la raison droite des actions à poser (agibilia),
dans Éthique, VI, mais l’art mécanique est
appelé la raison des réalisations à faire
(factibilia).
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10417] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 co. On parle de mos de deux manières. D’une
Ad secundam quaestionem dicendum, quod mos manière, c’est la même chose que la coutume
dicitur dupliciter. Uno modo idem est quod (consuetudo). Or, la coutume comporte une
consuetudo. Consuetudo autem importat certaine fréquence pour ce que nous devons faire
quamdam frequentiam circa ea quae facere vel ou ne pas faire. En effet, les réalités naturelles ou
non facere in nobis est. Naturalia enim, vel quae celles qui sont toujours réalisées ne sont pas
semper fiunt, consueta non dicuntur: sed per appelées coutumières; mais il arrive que nous
voluntatem contingit aliquid in nobis facere vel réalisions ou non quelque chose volontairement.
non facere. Inde tractum est nomen moris ad De là, le mot mos a été amené à signifier des
significandum actus voluntarios, vel appetitivae actes volontaires ou [des actes] de la partie
partis, secundum inclinationem appetitus ad appétitive, selon l’inclination de l’appétit à des
hujusmodi actus: quae quidem inclinatio actes de ce genre. Cette inclination vient parfois
quandoque est ex natura, quandoque ex de la nature, parfois de la coutume et parfois du
consuetudine, quandoque ex infusione. Unde et caractère infus. Ainsi appelle-t-on habitudes des
dicuntur mores animalium ea quae proveniunt in animaux ce qui provient chez eux des passions
ipsis ex passionibus appetitivae partis, sicut quod de la partie appétitive, comme le fait qu’ils
solicitantur circa filios, et quod repugnant, et s’occupent de leurs petits, qu’ils se battent, et les
hujusmodi: sicut patet in 9 de animalibus quamvis choses de ce genre, comme cela ressort dans Sur
in eis dicantur mores magis secundum les animaux, IX, bien qu’on parle dans leur cas
similitudinem quam secundum proprietatem: quia d’habitudes plutôt par ressemblance qu’en un
non agunt quasi dominium suorum actuum sens propre, car ils n’agissent pas en tant qu’ils
habentia, sed magis a natura aguntur, ut dicit ont la maîtrise de leurs actes, mais plutôt en tant
Damascenus. Et sic etiam apud Graecos hoc qu’ils sont mus par la nature, comme le dit
nomen ethos dupliciter sumitur: et secundum [Jean] Damascène. Aussi, chez les Grecs, le mot
quod importat diuturnitatem quamdam, dicitur éthos a-t-il deux sens et, selon qu’il comporte
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febris Ethica: secundum autem quod importat une certaine durée, la fièvre est appelé éthique;
morem secundo modo acceptum, dicitur scientia mais, selon qu’il désigne les mœurs entendues
Ethica, quam nos moralem dicimus. Sic ergo dans le second sens, il signifie la science éthique,
loquendo de more actus, ita se habet ad hoc quod que nous appelons morale. Parlant ainsi de
sit moralis, sicut se habet ad voluntatem et l’habitude d’un acte, elle a avec son caractère
appetitum. Sunt enim aliqui actus a parte moral le même rapport qu’avec la volonté et
appetitiva eliciti, sicut velle, eligere, l’appétit. En effet, il existe des actes qui sont
concupiscere, et hujusmodi; et tales actus issus de la partie appétitive, comme vouloir,
essentialiter morales sunt. Alii vero sunt actus a choisir, désirer et ceux de ce genre : ces actes
parte appetitiva non eliciti, sed imperati, sicut sont moraux de manière essentielle. Mais il
ambulare, considerare et hujusmodi; et isti non existe d’autres actes qui ne sont pas issus de la
sunt morales quantum ad speciem suam, sed partie appétitive, mais qui sont commandés,
solum quantum ad usum eorum, prout imperantur comme marcher, considérer et ceux de ce genre :
a voluntate; et ita virtutes, quae perficiunt ceux-ci ne sont pas moraux selon leur espèce
appetitivam partem, proprie dicuntur morales. même, mais seulement selon leur usage, pour
Virtutes autem perficientes intellectivam, autant qu’ils sont commandés par la volonté.
perficiunt eam ad actus perfectos in genere Ainsi, les vertus qui perfectionnent la partie
cognitionis, non autem secundum ordinem ad appétitive sont-elles appelées morales au sens
imperium voluntatis. Per scientiam enim non fit ut propre. Mais les vertus perfectionnent la [partie]
aliquis recta intentione consideret sed ut verum in intellective en vue d’actes parfaits dans le genre
singulis videatur ei: et ideo virtutes morales ab de la connaissance, mais non selon leur ordre par
intellectualibus distinguuntur. rapport au commandement de la volonté. En
effet, la science ne fait pas en sorte que
quelqu’un considère avec une intention droite,
mais qu’il voie en chaque chose ce qui est vrai.
C’est ainsi que les vertus morales se distinguent
des vertus intellectuelles.
[10418] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1. La solution ressort du sens équivoque de mos.
1 Ad primum ergo patet solutio ex aequivocatione
moris.
[10419] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2. Les vertus intellectuelles ne se rapportent pas
2 Ad secundum dicendum, quod virtutes à la science éthique comme s’il s’agissait par
intellectuales non pertinent ad scientiam Ethicam essence de vertus morales, mais en tant que leur
quasi sint essentialiter morales, sed inquantum usage est moral, ce qui est ordonné par la
earum usus moralis est, quod a voluntate volonté.
imperatur.
[10420] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3. Comme le dit le Commentateur dans Éthique,
3 Ad tertium dicendum, quod, sicut Commentator VI, la prudence est intermédiaire entre les
dicit in 6 Ethic., prudentia media est inter morales [vertus] morales et les vertus intellectuelles. En
et intellectuales: est enim essentialiter effet, elle est essentiellement intellectuelle,
intellectualis, cum sit habitus cognitivus, et puisqu’elle est un habitus cognitif et qu’elle
rationem perficiens; sed est moralis quantum ad parfait la raison; mais elle morale par sa matière,
materiam, inquantum est directiva moralium dans la mesure où elle dirige les vertus morales,
virtutum, cum sit recta ratio agibilium, sicut puisqu’elle est la droite raison des actions à
dictum est. poser, comme on l’a dit.
[10421] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 4. Le milieu est déterminé par une vertu
4 Ad quartum dicendum, quod medium intellectuelle et morale selon la prudence, mais
determinatur per virtutem intellectualem et de manière différente, car la prudence détermine
moralem secundum prudentiam, sed diversimode: le milieu en dirigeant et en montrant, mais la
quia prudentia determinat medium per modum vertu morale, en exécutant et en inclinant vers le
692

dirigentis et ostendentis; sed virtus moralis per milieu. Aussi Tullius [Cicéron] dit-il qu’elle agit
modum exequentis et inclinantis in medium. Unde par mode de nature et, en cela, Socrate a manqué
dicit Tullius, quod operatur per modum naturae: et en ne distinguant pas les [vertus] morales des
in hoc defecit Socrates, morales ab [vertus] intellectuelles : en effet, il affirmait que
intellectualibus non distinguens: posuit enim toutes les vertus étaient des sciences, comme on
omnes virtutes esse scientias quasdam, ut dicitur le dit dans Éthique, VI.
in 6 Ethic.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10422] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 co. Chez tout ce qui agit en vue d’une fin, il est
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod in nécessaire qu’existe une inclination à la fin et
omnibus quae agunt propter finem oportet esse une certaine amorce de la fin, autrement cela
inclinationem ad finem, et quamdam n’agirait jamais en vue d’une fin. Or, la fin à
inchoationem finis: alias nunquam operarentur laquelle la générosité divine a ordonné ou
propter finem. Finis autem ad quem divina prédestiné l’homme : la jouissance de lui-même,
largitas hominem ordinavit vel praedestinavit, est entièrement supérieure à la capacité de la
scilicet fruitio sui ipsius, est omnino supra nature créée, car l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a
facultatem naturae creatae elevatus: quia nec pas entendu, ni le cœur de l’homme ne s’est
oculus vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis élevé jusqu’à ce que Dieu a préparé pour ceux
ascendit, quae praeparavit Deus diligentibus se, qui l’aiment, 1 Co 2, 9. Aussi l’homme ne
ut dicitur 1 Corinth., 2, 9. Unde per naturalia possède-t-il pas par ce qui lui est naturel une
tantum homo non habet sufficienter inclinationem inclination suffisante à cette fin. C’est pourquoi
ad illum finem; et ideo oportet quod superaddatur il est nécessaire que soit ajouté à l’homme
homini aliquid per quod habeat inclinationem in quelque chose qui l’incline à cette fin, comme il
finem illum, sicut per naturalia habet possède par ce qui lui est naturel une inclination
inclinationem in finem sibi connaturalem: et ista à la fin qui lui est connaturelle. Les réalités ainsi
superaddita dicuntur virtutes theologicae ex ajoutées sont appelées vertus théologales pour
tribus. Primo quantum ad objectum: quia cum trois raisons. Premièrement, en raison de leur
finis ad quem ordinati sumus, sit ipse Deus, objet, car, puisque la fin à laquelle nous avons
inclinatio quae praeexigitur, consistit in été ordonnés est Dieu lui-même, l’inclination qui
operatione quae est circa ipsum Deum. Secundo est prérequise consiste dans une opération qui
quantum ad causam: quia sicut ille finis est a Deo porte sur Dieu lui-même. Deuxièmement, en
nobis ordinatus non per naturam nostram, ita raison de leur cause, car, de même que cette fin
inclinationem in finem operatur in nobis solus n’a pas été ordonnée pour nous par Dieu par
Deus: et sic dicuntur virtutes theologicae, quasi a notre nature, de même seul Dieu accomplit-il en
solo Deo in nobis creatae. Tertio quantum ad nous l’inclination à la fin. Ainsi parle-t-on de
cognitionem, inclinatio in finem non potest per vertus théologales comme si elles étaient créées
naturalem rationem cognosci, sed per en nous par Dieu seul. Troisièmement, pour ce
revelationem divinam: et ideo dicuntur qui est de la connaissance, l’inclination à la fin
theologicae, quia divino sermone sunt nobis ne peut être connue par la raison naturelle, mais
manifestatae: unde philosophi nihil de eis par la révélation divine. Elles sont donc appelées
cognoverunt. théologales parce qu’elles nous ont été
manifestées par la parole divine. Aussi les
philosophes n’en ont-ils rien connu.
[10423] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1. Bien que l’homme soit naturellement ordonné
1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis à Dieu par la connaissance comme par
homo naturaliter ordinetur ad Deum et per l’affection, pour autant qu’il participe à lui
cognitionem et per affectionem, inquantum est naturellement, toutefois, parce qu’il existe une
naturaliter ejus particeps, tamen quia est quaedam participation à lui qui dépasse la nature, on
ejus participatio supra naturam, ideo quaeritur recherche une connaissance et un amour qui
quaedam cognitio et affectio supra naturam: et ad dépassent la nature. C’est pour ceux-ci que les
693

hanc exiguntur virtutes theologicae. vertus théologales sont exigées.


[10424] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2. La félicité que les philosophes ont affirmée est
2 Ad secundum dicendum, quod felicitas illa celle à laquelle l’homme peut parvenir par ses
quam philosophi posuerunt, est ad quam per vires forces naturelles. C’est pourquoi il a par lui-
naturales homo pervenire potest; et ideo ex seipso même une inclination naturelle à cette fin et
habet inclinationem naturalem in finem illum: pourquoi des vertus inclinant à une telle fin ne
unde non praeexiguntur aliquae virtutes sont pas prérequises, mais seulement [des vertus]
inclinantes in finem, sed solum dirigentes in qui dirigent les actions qui sont ordonnées à cette
operibus quae sunt ad finem. Non sic autem est in fin. Mais il n’en va pas de même dans la
proposito. question en cause.
[10425] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3. Les principes naturels sont connus par un
3 Ad tertium dicendum, quod principia autre habitus que les conclusions, à savoir, par
speculativa cognoscuntur per alium habitum l’intelligence, alors que les conclusions [sont
naturalem quam conclusiones, scilicet per connues] par la science. Mais un habitus naturel
intellectum; conclusiones vero per scientiam. Sed ne précède pas dans l’affectivité, mais, par la
in affectu non praecedit aliquis habitus naturalis, nature même de la puissance, existe une
sed ex ipsa natura potentiae est inclinatio ad finem inclination à la fin ultime proportionnée à la
ultimum naturae proportionatum, ut dictum est. nature, comme on l’a dit. Mais pour une fin qui
Sed ad finem supra naturam elevatum oportet dépasse la nature, il est nécessaire qu’un habitus
habitum gratuitum praecedere alios habitus et in gratuit précède les autres habitus tant dans la
intellectuali, ut fidem, et in affectu, ut caritatem et partie intellectuelle, telle la foi, que dans la partie
spem ad quam naturalis inclinatio non pertingit. affective, telles la charité et l’espérance, que
n’atteint pas l’inclination naturelle.
[10426] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4. Les habitus ne se distinguent pas seulement
4 Ad quartum dicendum, quod non solum habitus par leurs sujets, mais aussi selon leurs objets.
distinguuntur ex subjectis, sed etiam ex objectis. Les vertus morales et intellectuelles se
Virtutes ergo morales et intellectuales distinguent donc les unes des autres du point de
distinguuntur ab invicem ex parte subjecti, ut vue de leur sujet, comme on l’a dit; mais les
dictum est; sed virtutes theologicae distinguuntur vertus théologales se distinguent des deux du
ab utrisque ex parte objecti, quod est supra point de vue de leur objet, qui dépasse la
naturale posse utriusque partis. Unde capacité naturelle des deux parties. Aussi l’une
theologicarum virtutum aliqua respicit des vertus théologales concerne-t-elle la
cognitionem, sicut fides, et habet communionem connaissance, telle la foi, et elle a quelque chose
quamdam cum intellectualibus virtutibus; et en commun avec les vertus intellectuelles; et une
aliqua respicit affectionem, sicut caritas, et habet autre concerne l’affectivité, telle la charité, qui a
communionem cum moralibus. quelque chose en commun avec les [vertus]
morales.

Articulus 5 [10427] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 Article 5 – N’existe-t-il que trois vertus
a. 5 tit. Utrum virtutes theologicae sint tantum tres théologales ?
[10428] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 1 1. Il semble qu’il existe plus que trois vertus
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod sint théologales, car, ainsi qu’on l’a dit, la vertu
plures virtutes theologicae quam tres. Quia virtus théologale a Dieu comme objet. Or, la crainte de
theologica, ut dictum est, habet Deum pro objecto. Dieu a Dieu comme objet. Elle est donc une
Sed timor Dei habet Deum pro objecto. Ergo est vertu théologale.
virtus theologica.
[10429] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 2 2. La sagesse porte sur les réalités divines, mais
Praeterea, sapientia est de divinis, scientia autem la science sur les créatures. La sagesse est donc
de creaturis. Ergo sapientia etiam est virtus aussi une vertu théologale.
theologica.
694

[10430] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 3 3. La latrie rend un culte à Dieu. Or, rendre un
Praeterea, latria colit Deum. Sed colere Deum culte à Dieu a Dieu comme objet. La latrie est
habet Deum pro objecto. Ergo latria est virtus donc une vertu théologale.
theologica.
[10431] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 4 4. La foi a comme objet Dieu en tant qu’il est la
Praeterea, fides habet Deum pro objecto, vérité première; l’espérance, en tant qu’il est la
inquantum est prima veritas; spes vero, inquantum suprême générosité ou majesté; mais la charité,
est summa largitas vel majestas; caritas autem, en tant qu’il est la bonté suprême. Puisqu’il
inquantum est summa bonitas. Cum ergo sint existe plus d’attributs en Dieu, il semble donc
plura attributa in Deo, videtur quod sint etiam qu’il existe un plus grand nombre de vertus
plures virtutes theologicae. théologales.
[10432] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 5 5. Il semble qu’il n’y ait que deux [vertus
Sed contra, videtur quod sint tantum duae. Quia théologales], car, pour l’opération portant sur la
ad operationem finis non praeexigitur nisi fin, ne sont prérequis que la connaissance de la
cognitio finis, quod facit fides; et desiderium fin, que donne la foi, et le désir de la fin, que
finis, quod facit caritas. Ergo videtur quod sint donne la charité. Il semble donc qu’il n’existe
tantum duae virtutes theologicae. que deux vertus théologales.
[10433] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 arg. 6 6. Il semble qu’il n’existe qu’une seule [vertu
Item, videtur quod sola una. Quia sola caritas théologale], car seule la charité atteint Dieu. Or,
Deum attingit. Sed omnis virtus attingit suum toute vertu atteint son objet. Donc, seule la
objectum. Ergo sola caritas habet Deum pro charité a Dieu comme objet, et ainsi seule doit-
objecto, et ita sola debet dici virtus theologica. elle être appelée une vertu théologale.
[10434] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 s. c. 1Cependant, [1] il semble qu’il en existe trois,
Item, videtur quod tres; per hoc quod dicitur 1 selon ce que dit 1 Co 13, 13 : Maintenant
Corinth. 13, 13: nunc autem manent fides, spes, demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces
caritas, tria haec. trois choses.
[10435] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 s. c. 2 [2] Par les vertus théologales, nous sommes
Praeterea, per virtutes theologicas conformamur rendus conformes à la Trinité. Il doit donc en
Trinitati. Ergo debent esse tres. exister trois.
[10436] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 co. Réponse. Comme on l’a dit, les vertus
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, théologales créent en nous une inclination vers la
virtutes theologicae faciunt in nobis inclinationem fin : Dieu. Or, en tout ce qui agit en vue d’une
in finem, scilicet in Deum. In omni autem agente fin, et qui agit par la volonté, deux choses sont
propter finem, quod agit per voluntatem, duo prérequises qui concernent la fin, avant qu’on
praeexiguntur quae circa finem habet, antequam agisse en vue de la fin : la connaissance de la fin
ad finem operetur; scilicet cognitio finis, et et l’intention de parvenir à la fin. Or, pour tendre
intentio perveniendi ad finem. Ad hoc autem quod vers la fin, deux choses sont prérequises : la
finem intendat, duo requiruntur; scilicet possibilité de la fin, car rien n’est mû vers
possibilitas finis, quia nihil movetur ad l’impossible; et sa bonté, car l’intention ne porte
impossibile; et bonitas ejus, quia intentio non est que sur ce qui est bon. C’est pourquoi la foi est
nisi boni; et ideo requiritur fides, quae facit finem
requise, qui rend la fin connue, ainsi que
cognitum, et spes, secundum quam inest fiducia l’espérance, par laquelle existe en soi la
de consecutione finis ultimi, quasi de re possibili confiance d’atteindre la fin ultime, comme une
sibi; et caritas, per quam finis reputatur bonum chose qui nous est possible. La charité est aussi
ipsi intendenti, inquantum facit quod homo [requise], par laquelle la fin est considérée
afficiatur ad finem; alias nunquam tenderet in comme bonne pour celui qui y tend, dans la
ipsum. mesure où elle fait en sorte que l’homme soit
affectivement porté (afficiatur) vers la fin,
autrement il ne tendrait jamais vers elle.
[10437] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. La crainte n’exprime pas un mouvement vers
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primum ergo dicendum, quod timor non dicit Dieu, mais plutôt le fait de le fuir, pour autant
motum in Deum, sed magis fugam ab ipso, que l’homme, par la considération de sa majesté,
inquantum homo ex ipsius majestatis se replie vers sa propre petitesse. Aussi
consideratione per reverentiam resilit in propriam n’exprime-t-elle pas quelque chose qui est
parvitatem: et ideo non dicit aliquid quod prérequis au mouvement vers la fin.
praeexigatur ad motum in finem.
[10438] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. La sagesse porte sur les réalités divines dans
secundum dicendum, quod sapientia est de divinis l’état de cheminement, selon la raison des
in statu viae per rationem creaturarum ex quibus créatures à partir desquelles nous connaissons le
creatorem cognoscimus; unde non est circa Deum Créateur. Elle ne porte donc pas sur Dieu selon
secundum id quod in seipso est ut finis supra qu’il est en lui-même la fin qui dépasse la
posse naturae elevatus, sicut fides. capacité de la nature, comme le fait la foi.
[10439] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. La latrie n’a pas Dieu comme objet, mais ce
tertium dicendum, quod latria non habet Deum qui est manifesté à Dieu comme une dette envers
pro objecto, sed id quod Deo exhibet tamquam Dieu; cependant, elle a Dieu comme fin
debitum Deo: Deum autem habet pro fine rapprochée. Elle n’est donc pas une vertu
proximo; unde non est virtus theologica, sed théologale, mais une [vertu] cardinale.
cardinalis.
[10440] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. Les vertus théologales ne se distinguent pas
quartum dicendum, quod virtutes theologicae non selon les attributs divins, mais selon ce qui est
distinguuntur penes attributa divina, sed penes ea requis chez celui qui agit en vue de la fin avant
quae exiguntur in eo qui operatur propter finem, qu’il n’agisse en vue de la fin.
antequam propter finem operetur.
[10441] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 5 Ad 5. La connaissance et l’amour de la fin ne
quintum dicendum, quod cognitio et affectio finis suffisent pas pour que l’homme commence à agir
non sufficiunt ad hoc quod homo incipiat operari en vue de la fin, à moins qu’il n’ait confiance
propter finem, nisi habeat fiduciam de d’obtenir la fin, car autrement il ne
consecutione finis: quia alias nunquam inciperet commencerait jamais à agir, surtout lorsque la
operari; et praecipue quando finis est elevatus fin dépasse la nature de celui qui agit.
supra naturam operantis.
[10442] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 1 a. 5 ad 6 Ad 6. La charité unit en quelque sorte réellement à
sextum dicendum, quod caritas conjungit Dieu, et ainsi elle l’atteint réellement, ce que ne
quodammodo realiter Deo, et sic attingit ipsum font pas la foi et l’espérance. Et cela n’est pas
realiter; quod non facit fides et spes. Nec hoc requis pour une action qui porte sur Dieu, mais
requiritur ad operationem quae est circa Deum, [il est requis] que celui qui agit soit uni à lui en
sed quod operans uniatur ei quasi objecto tant qu’objet de l’opération, comme la vue l’est à
operationis, sicut visus visibili etiam distanti. ce qui est visible, même si cela est éloigné.

Quaestio 2 Question 2 – [La foi]


Prooemium Prologue
[10443] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la foi. À ce sujet, cinq
quaeritur specialiter de fide; et circa hoc questions sont posées : 1 – Qu’est-ce que la foi ?
quaeruntur quinque: 1 quid sit fides, 2 de ejus 2 – À propos de son acte. 3 – À propos de son
actu; 3 de subjecto; 4 utrum sit virtus; 5 de ordine sujet. 4 – Est-elle une vertu ? 5 – À propos de
ejus ad alias virtutes. son rapport avec les autres vertus.

Articulus 1 [10444] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 Article 1 – La définition que donne l’Apôtre
a. 1 tit. Utrum definitio apostoli quam ponit de de la foi est-elle en tous points appropriée ?
fide, sit conveniens secundum omnem partem
[10445] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 1 1. L’Apôtre dit en He 11, 1 : La foi est la
696

Ad primum sic proceditur. Apostolus Hebr. 11, 1, substance des réalités espérées, la preuve de ce
dicit, quod fides est substantia sperandarum qui n’est pas visible, et il semble qu’il définisse
rerum, argumentum non apparentium; et videtur la foi de manière inappropriée. En effet, aucun
quod inconvenienter definiat fidem. Nullus enim habitus n’est une substance. Or, la foi est un
habitus est substantia. Fides est habitus. Ergo non habitus. Elle n’est donc pas une substance.
est substantia.
[10446] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 2 2. La définition doit être donnée à partir de
Praeterea, definitio debet dari ex prioribus, et ex choses qui précèdent et de choses qui existent
his quae per se sunt. Sed objectum per se fidei par elles-mêmes. Or, l’objet par soi de la foi
non est res speranda, sed res credenda, et spes est n’est pas une réalité espérée, mais une réalité à
posterior fide. Ergo debuit dicere, rerum croire, et l’espérance vient après la foi. Il devait
credendarum, non, sperandarum. donc dire : « des choses à croire », et non : des
réalités espérées.
[10447] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 3 3. De même que l’espérance suit la foi, de même
Praeterea, sicut ad fidem sequitur spes, ita et aussi la charité, car la charité est plus rapprochée
caritas: quia caritas est magis propinqua fini quam de la fin que l’espérance. Il devait donc dire :
spes. Ergo debuit dicere, quod est substantia « qui est la substance des choses aimées », plutôt
diligendarum rerum magis quam sperandarum. que : des réalités espérées.
[10448] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 4 4. La foi porte sur ce qui dépasse la raison. Or, la
Praeterea, fides est de his quae sunt supra preuve est un acte de la raison. La foi n’est donc
rationem. Sed argumentum est actus rationis. Ergo pas une preuve.
fides non est argumentum.
[10449] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 5 5. La même chose ne doit pas être placée dans
Praeterea, idem non debet poni in diversis des genres différents. Or, la preuve est d’un autre
generibus. Sed argumentum est aliud genus quam genre que la substance. [Paul] définit donc mal
substantia. Ergo male definit per utrumque. les deux.
[10450] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 6 6. Ce qui est vrai, mais n’est pas manifeste, est
Praeterea, ea quae sunt vera et non apparentia, douteux. Or, ce qui n’est pas manifeste peut être
sunt dubia. Sed non apparentia possunt esse vera quelque chose de vrai mais d’ignoré. Puisque la
ignota. Ergo cum fides sit cognitio quaedam, foi est une connaissance, il semble donc qu’il
videtur quod magis debuit dicere, dubiorum, devait plutôt dire : « de ce qui est douteux »,
quam, non apparentium. que : de ce qui n’est pas visible.
[10451] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 7 7. La connaissance précède l’affectivité. Or, ce
Praeterea, cognitio praecedit affectionem. Sed hoc qu’il dit : la preuve de ce qui n’est pas visible, se
quod dicit, argumentum non apparentium, rapporte à la connaissance; mais ce qu’il dit : la
pertinet ad cognitionem; quod autem dicit, substance des réalités espérées, se rapporte à
substantia rerum sperandarum, pertinet ad l’affectivité. Il a donc mal ordonné les parties de
affectionem. Ergo male ordinavit partes la définition.
definitionis.
[10452] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 arg. 8 8. Il n’existe qu’une seule définition, comme un
Praeterea, unius rei est una definitio sicut unum seul être, pour une seule réalité. Or, plusieurs
esse. Sed de fide dantur multae aliae definitiones. autres définitions sont données de la foi. Celle-ci
Ergo haec non videtur esse sufficiens. ne semble donc pas suffisante.
[10453] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 co. Réponse. Cette attribution de l’Apôtre est
Respondeo dicendum, quod dicta assignatio correcte et elle est une définition propre de la foi,
apostoli est recta et propria definitio fidei du point de vue de ce qui est requis pour une
quantum ad ea quae exiguntur ad definitionem, définition, bien qu’elle ne soit pas conforme à la
quamvis non quantum ad modum definitionis, manière de définir que des auteurs, et même des
quam auctores, et etiam philosophi, neglexerunt, philosophes, ont négligée, de même qu’ils
sicut etiam et formam syllogismi praetermittunt négligent la forme du syllogisme en exprimant
697

ponentes ea ex quibus syllogismus formari potest. ce dont un syllogisme peut être formé. Or,
Habitus autem quilibet per actum cognoscitur, et chaque habitus est connu par son acte, et l’acte
actus ex objecto specificatur, et ex fine bonitatem est spécifié par son objet et reçoit sa bonté de sa
habet; et ideo apostolus definit fidem per duo, fin. C’est pourquoi l’Apôtre définit la foi par
scilicet per comparationem ad objectum, quod est deux choses : par rapport à son objet, qui est une
res non apparens, scilicet secundum naturalem réalité non manifeste selon la connaissance
cognitionem; et per comparationem ad finem, in naturelle; et par rapport à la fin, lorsqu’il dit : la
hoc quod dicit: substantia rerum sperandarum. substance des réalités espérées. En effet, bien
Quamvis enim idem sit objectum et finis fidei, que l’objet et la fin de la foi soient la même
non tamen secundum eamdem rationem: est enim chose, ce n’est cependant pas selon la même
Deus objectum ejus, inquantum est prima veritas raison. En effet, Dieu est son objet en tant que
supra posse naturale intellectus nostri elevata; et Vérité première dépassant la capacité de notre
sic dicitur non apparens; est vero finis ejus, intellect : ainsi est-il appelé non manifeste. Mais
secundum quod est quodammodo bonum sua il est sa fin selon qu’il est en quelque sorte un
altitudine facultatem humanam excedens, sed sua bien qui dépasse par son élévation la capacité
liberalitate seipsum communicabilem praebens; et humaine, mais qui se donne lui-même par sa
hoc dicitur res speranda. libéralité : et cela est appelé une réalité espérée.
[10454] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. La foi est appelée substance, non pas parce
primum ergo dicendum, quod fides dicitur qu’elle est dans le genre de la substance, mais
substantia, non quia sit in genere substantiae, sed parce qu’elle possède une propriété de la
quia quamdam proprietatem habet substantiae: substance. En effet, de même que la substance
sicut enim substantia est fundamentum et basis est le fondement et la base de tous les autres
omnium aliorum entium, ita fides est êtres, de même la foi est-elle le fondement de
fundamentum totius spiritualis aedificii. Et per tout l’édifice spirituel. De cette manière, on dit
hunc modum dicitur etiam quod lux est hypostasis aussi que la lumière est l’« hypostase » de la
coloris, quia in natura lucis omnes colores couleur, parce que, dans la nature, toutes les
fundantur. couleurs se fondent sur la nature de la lumière.
[10455] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. En parlant de réalités espérées, il n’entend pas
secundum dicendum, quod in hoc quod dicit, exprimer l’objet de la foi, mais sa fin. Or, la fin
rerum sperandarum, non intendit ponere ultime de la foi, bien qu’elle soit la Vérité elle-
objectum fidei, sed finem. Finis autem fidei même, dont la vision remplace la foi, n’exprime
ultimus quamvis sit ipsa veritas, cujus visio pro pas la véritable raison de la fin. Cependant,
fide redditur, non tamen verum dicit rationem puisque l’espérance désigne un mouvement
finis. Sed cum spes designet quemdam motum tendant vers la fin, la réalité espérée comporte le
tendentis in finem, res speranda importat terme de ce mouvement, et ainsi comporte la
terminum illius motus, et ita importat rationem raison de la fin. Or, la fin, du point de vue de
finis. Finis autem quantum ad intentionem prius l’intention, est ce qu’il y a de premier dans tous
est in omnibus habitibus qui ad voluntatem les habitus qui se rapportent à la volonté, bien
pertinent, quamvis sit posterius in adeptione. qu’elle soit ce qui vient après dans l’obtention
[de la fin].
[10456] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. L’amour porte également sur une chose déjà
tertium dicendum, quod amor est communiter et obtenue et sur une chose à posséder; mais
rei jam adeptae et rei adipiscendae; spes autem est l’espérance ne porte que sur une chose à obtenir,
tantum rei adipiscendae: quia illud quod videt car ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer ?
quis, quid sperat ? Roman. 8, 24. Unde cum fides Rm 8, 24. Puisque la foi porte sur des réalités qui
sit de non visis, res speranda importat relationem ne sont pas vues, la réalité espérée comporte
ad finem proprium, secundum statum in quo est donc un rapport à sa fin propre, selon l’état où se
fides, non autem res diligenda; et ideo magis dicit, trouve la foi, mais non à une chose à aimer. C’est
rerum sperandarum quam, diligendarum: quia pourquoi [Paul] dit plutôt : des réalités espérées,
definitio ex propriis debet dari. que « des réalités à aimer », car une définition
698

doit être donnée à partir de ce qui est propre.


[10457] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. Un raisonnement est à proprement parler une
quartum dicendum, quod argumentum proprie démarche de la raison à partir de réalités
dicitur processus rationis de notis ad ignota connues, en vue de mettre en lumière des réalités
manifestanda, secundum quod dicit Boetius, quod ignorées; ainsi Boèce dit-il que la raison d’une
est ratio rei dubiae faciens fidem. Et quia tota vis chose douteuse donne la foi. Et parce que toute
argumenti consistit in medio termino, ex quo ad la force d’un argument consiste dans le moyen
ignotorum probationem proceditur; ideo dicitur terme, à partir duquel on avance vers la preuve
ipsum medium argumentum, sive sit signum, sive de choses ignorées, le moyen terme est lui-même
causa, sive effectus. Et quia in medio termino, vel appelé une preuve, qu’il s’agisse d’un signe,
in principio ex quo argumentando proceditur, d’une cause ou d’un effet. Et parce que toute la
continetur virtute totus processus argumentationis; démarche d’une argumentation est contenue en
ideo tractum est nomen argumenti ad hoc quod puissance dans le moyen terme ou dans le
quaelibet brevis praelibatio futurae narrationis principe à partir duquel on progresse dans le
dicatur argumentum, sicut in epistolis Pauli raisonnement, le mot « preuve » a été amené à
singulis praemittuntur argumenta. Et quia désigner toute anticipation d’un discours à venir,
principium vel medium dicitur argumentum comme dans chaque épître de Paul des
inquantum habet virtutem manifestandi arguments sont placés au début. Et parce que le
conclusionem, et haec virtus inest ei ex lumine principe ou le moyen terme est appelé une
intellectus agentis, cujus est instrumentum, quia preuve pour autant qu’il a la capacité de mettre
omnia quae arguuntur, a lumine manifestantur, ut en lumière une conclusion, et que cette capacité
dicitur Ephes. 5; ideo ipsum lumen quo lui est inhérente en vertu de la lumière de
manifestantur principia, sicut principiis l’intellect agent dont il est l’instrument, car tout
manifestantur conclusiones, potest dici ce qui est objet de démonstration est éclairé par
argumentum ipsorum principiorum. Et his tribus la lumière, comme il est dit dans Ep 5, la lumière
ultimis modis potest dici fides argumentum. même par laquelle les principes sont éclairés, de
Primo inquantum ipsa fides est manifestativa même que les conclusions sont mises en lumière
alterius, sive inquantum unus articulus manifestat par les principes, peut être appelées une preuve
alium, sicut resurrectio Christi resurrectionem des principes eux-mêmes. Or, la foi peut être
futuram; sive inquantum ex ipsis articulis appelée une preuve de ces trois dernières
quaedam alia in theologia syllogizantur; sive manières. Premièrement, pour autant que la foi
inquantum fides unius hominis confirmat fidem éclaire autre chose, soit qu’un article en éclaire
alterius. Secundo potest dici argumentum, un autre, comme la résurrection du Christ
inquantum est praelibatio futurae visionis, in qua [éclaire] la résurrection future, soit qu’à partir
veritas plenarie cognoscitur. Tertio inquantum des articles eux-mêmes, certaines autres choses
lumen infusum, quod est habitus fidei, manifestat font l’objet de syllogismes en théologie, soit que
articulos, sicut lumen intellectus agentis la foi d’un homme confirme la foi d’un autre.
manifestat principia naturaliter nota. Sed esse Deuxièmement, elle peut être appelée une preuve
argumentum secundum primum modum accidit en tant qu’elle est une anticipation de la vision à
fidei; et ideo in definitione fidei ponitur venir, dans laquelle la vérité est connue d’une
argumentum secundum alterum duorum modorum manière plénière. Troisièmement, en tant que la
ultimorum. lumière infuse, qui est l’habitus de la foi, éclaire
les articles, comme la lumière de l’intellect agent
éclaire les principes naturellement connus. Mais
il arrive que la foi soit une preuve de la première
manière; c’est pourquoi, dans la définition de la
foi, le mot « preuve » est mis selon l’une ou
l’autre des deux dernières manières.
[10458] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. « Preuve » et « substance » ne sont pas mis
quintum dicendum, quod argumentum et dans la définition de la foi en tant que genres,
699

substantia non ponuntur in definitione fidei sicut mais en tant qu’actes, de même qu’on a coutume
genera, sed quasi actus, sicut consuetum est quod de définir les habitus par leur acte, parce qu’ils
habitus definiuntur per actus, quia ex eis sont connus par eux. L’un de ces actes comporte
cognoscuntur; et illorum actuum unus importat le rapport de la foi à son objet, l’autre son
comparationem fidei ab objectum, alius rapport à la fin ultime, comme on l’a dit.
comparationem ejus ad finem ultimum, ut dictum
est.
[10459] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 6 Ad 6. Le doute enlève la fermeté de l’adhésion, ce
sextum dicendum, quod dubietas tollit firmitatem que n’enlève pas le fait de dire qu’une chose
adhaesionis, quod non tollit hoc quod dicitur non n’est pas manifeste; mais cela enlève seulement
apparens; sed tollit tantum visionem rei creditae; la vision de la réalité crue. On ne pouvait donc
et ideo non potuit dici, dubiorum, quia fides habet pas dire : « [la preuve] des choses douteuses »,
firmam adhaesionem; sed dicitur, non car la foi comporte une adhésion ferme, mais on
apparentium, quia non habet plenam visionem. dit : de ce qui n’est pas visible, parce que [la foi]
n’a pas la pleine vision.
[10460] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 7 Ad 7. La connaissance de la foi procède de la
septimum dicendum, quod cognitio fidei ex volonté, car personne ne croit à moins de le
voluntate procedit: quia nullus credit nisi volens; vouloir. Il n’est donc pas étonnant que, dans la
et ideo non est mirum, si in definitione fidei ea définition de la foi, ce qui se rapporte à
quae ad affectionem pertinent, his quae pertinent l’affectivité soit placé avant ce qui se rapporte à
ad cognitionem, praeponuntur. la connaissance.
[10461] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 1 ad 8 Ad 8. Si on donnait une définition d’une chose qui
octavum dicendum, quod si definitio de re aliqua comporterait tous les principes de la choses, il
daretur quae complete comprehenderet omnia n’y aurait qu’une seule définition d’une chose.
principia rei, non esset unius rei nisi una definitio. Mais parce que, dans certaines définitions, on
Sed quia in quibusdam definitionibus ponuntur met certains principes sans les autres, il arrive
quaedam principia sine aliis, ideo contingit variari que les définitions d’une seule et même chose
definitiones de una et eadem re. Definitio autem diffèrent. Or, la définition de la foi donnée par
fidei data ab apostolo comprehendit omnia l’Apôtre comporte tous les principes de la foi, à
principia fidei, ex quibus habitus consueverunt partir desquels les habitus ont coutume d’être
definiri, scilicet finem, objectum, et actum; ex définis : la fin, l’objet et l’acte. À partir d’eux,
quibus etiam intelligitur genus et subjectum: quia on comprend aussi le genre et l’acte, car, par la
ex actu cognoscitur quae potentia sit subjectum connaissance de l’acte, on sait quelle puissance
fidei; et iterum ex actu cognoscitur habitus, quod est le sujet de la foi. De plus, à partir de l’acte,
est genus fidei remotum; et ex fine cognoscitur on connaît l’habitus, qui est le genre éloigné de
virtus, quod est genus proximum. Et hoc etiam la foi, et à partir de la fin, on connaît la vertu, qui
ponit Damascenus dicens, quod fides est rerum en est le genre rapproché. C’est aussi ce
quae sperantur, hypostasis, rerum quae non qu’exprime [Jean] Damscène lorsqu’il dit : « La
videntur, redargutio; et addit quoddam accidens foi est l’hypostase de ce qu’on espère, la preuve
fidei, scilicet certitudinem, subdens: injudicabilis de ce qui n’est pas visible », et il ajoute un
species, et certa, et quae comprehendi non potest, accident de la foi, la certitude, en disant plus
eorum quae a Deo nobis annuntiata sunt, et loin : « … la représentation indiscutable et
petitionum nostrarum fruitionis, idest certaine, qui ne peut être comprise, de ce qui
adimpletionis. Facit enim fides certitudinem et de nous a été annoncé par Dieu et de
credendis, secundum quod est argumentum, et de l’aboutissement de nos demandes», c’est-à-dire
adipiscendis, secundum quod est substantia rerum de [leur. En effet, la foi donne la certitude de ce
sperandarum. Dionysius autem in libro de Divin. qui doit être cru, selon qu’elle est une preuve, et
Nom., definit fidem dicens: fides est manens de ce qui doit être obtenu, selon qu’elle est la
credentium collocatio, quae justos collocat in substance des réalités espérées. Mais Denys,
virtute, et hoc est idem quod apostolus dicit: dans le livre sur Les noms divins, définit la foi en
700

substantia rerum sperandarum. Augustinus autem disant : « La foi est l’établissement durable des
dicit, quod fides est virtus qua creduntur quae croyants, qui établit les justes dans la vertu », et
non videntur; et hoc est idem quod dicit apostolus: cela est la même chose que ce que l’Apôtre dit :
argumentum non apparentium; et in idem redit La substance des réalités espérées. Mais
quod Damascenus dicit, quod fides est non Augustin dit que la foi est « la vertu par laquelle
inquisitivus consensus: quia per hoc quod dicit, est cru ce qui n’est pas vu ». Cela est la même
non inquisitivus, ostendit quod ea quae fidei sunt, chose que ce dit l’Apôtre : La preuve de ce qui
non sunt pervia rationi inquirenti. Hugo autem de n’est pas visible. Et cela revient à la même chose
sancto Victore definit fidem per aliquod ejus que ce que dit [Jean] Damascène, que la foi est
accidens, scilicet certitudinem, dicens, quod fides « un consentement sans recherche », car lorsqu’il
est certitudo quaedam animi de absentibus supra dit : « sans recherche », il montre que ce qui
opinionem et infra scientiam constituta. Et hoc relève de la foi n’est pas accessible à la raison
etiam accidens fidei potest haberi ex definitione qui recherche. Mais Hugues de Saint-Victor
apostoli ex hoc quod fides est argumentum non définit la foi par un de ses accidents : la
apparentium: argumentum enim importat certitude, lorsqu’il dit que la foi est « une
certitudinem; unde ponit scientiam supra certitude de l’esprit à propos de réalités absentes,
opinionem: non apparentium vero importat supérieure à l’opinion et inférieure à la science ».
absentiam cognoscibilis, per quod ponitur fides Cet accident de la foi peut être aussi tiré de la
sub scientia. Unde patet quod definitio apostoli définition de l’Apôtre du fait que la foi est la
includit omnes alias definitiones de fide datas. preuve de ce qui n’est pas visible. En effet, la
preuve comporte la certitude. Ainsi place-t-il la
science au-dessus de l’opinion, mais ce qui n’est
pas visible comporte l’absence de ce qui ne peut
être connu, par quoi la foi est ainsi placée en-
dessous de la science. Il est donc clair que la
définition de l’Apôtre inclut toutes les autres
définitions données pour la foi.

Articulus 2 [10462] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 Article 2 – Est-ce que croire consiste à
a. 2 tit. Utrum credere sit cum assensu cogitare « penser en donnant son assentiment » ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Est-ce que croire consiste à
« penser en donnant son assentiment » ?]
[10463] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 1. Il semble que croire consiste à « penser en
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod donnant son assentiment », comme le dit
credere non sit cum assensione cogitare, ut dicit Augustin. En effet, donner son assentiment
Augustinus. Assentire enim voluntatis esse semble relever de la volonté, comme donner son
videtur, sicut consentire. Sed credere ad consentement. Or, croire relève de la
cognitionem pertinet. Ergo credere non est connaissance. Croire, ce n’est donc pas donner
assentire. son assentiment.
[10464] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 2. Penser comporte une recherche, car penser
arg. 2 Praeterea, cogitare inquisitionem importat; (cogitare), c’est remuer (coagitare). Or, « la foi,
quia cogitare est simul coagitare. Sed fides, ut comme le dit [Jean] Damascène, est un
dicit Damascenus, est non inquisitivus consensus. consentement sans recherche ». Croire, qui est
Ergo credere, quod est actus fidei, magis est l’acte de la foi, c’est donc donner son
assentire sine cogitatione, quam cum cogitatione. assentiment sans réflexion, plutôt qu’avec
réflexion.
[10465] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 3. Penser est l’acte de la puissance cogitative, qui
arg. 3 Praeterea, cogitare est actus cogitativae est placée par les philosophes dans la partie
potentiae, quae ponitur a philosophis in parte sensible, puisqu’elle possède un organe
sensitiva, cum habeat organum determinatum. Sed déterminé. Or, seule l’intelligence perçoit ce qui
701

ea quae sunt fidei, solus intellectus percipit. Ergo relève de la foi. Croire ne comporte donc pas de
credere non habet cogitationem adjunctam. réflexion associée.
[10466] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 4. Si croire consiste à penser en donnant son
arg. 4 Praeterea, si credere est cum assensione assentiment, c’est ainsi savoir et les choses de ce
cogitare, est scire, et hujusmodi. Ergo scire est genre. Donc, savoir est la même chose que
idem quod credere; quod falsum est. croire, ce qui est faux.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi comporte-t-elle un
seul acte ?]
[10467] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 1. Il semble que multiplier l’acte de croire, selon
arg. 1 Ulterius. Videtur quod inconvenienter qu’il est l’acte de la foi, est inapproprié. En effet,
multiplicetur credere, secundum quod est actus un seul habitus a un seul acte, par lequel les
fidei. Unius enim habitus unus est actus, ex quo habitus sont distingués. Or, la foi est un seul
habitus per actus discernuntur. Sed fides est unus habitus. Il faut donc lui assigner un seul acte.
habitus. Ergo tantum unus actus debet assignari.
[10468] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 2. Du fait que quelque chose est démontré, il n’y
arg. 2 Praeterea, de eo quod demonstratur, non est a pas foi, mais science, car ce qui est démontré
fides, sed scientia: quia quod demonstratur, non n’est pas invisible. Or, le fait que Dieu existe est
est non apparens. Sed Deum esse, demonstrative prouvé de manière démonstrative, même par les
probatur etiam a philosophis. Ergo actus fidei non philosophes. L’acte de foi ne consiste donc pas à
est credere Deum esse. croire que Dieu existe.
[10469] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 3. Le fidèle se distingue de l’infidèle par l’acte
arg. 3 Praeterea, in actu fidei discernitur fidelis ab de la foi. Or, personne n’est à ce point infidèle au
infideli. Sed nullus est ita infidelis quin credat point de croire que Dieu ne dit pas seulement la
quod Deus non loquitur nisi verum. Ergo credere vérité. Croire que ce que Dieu dit est vrai n’est
vera esse quae Deus loquitur, non est actus fidei; donc pas un acte de foi, mais plutôt croire que ce
sed magis credere vera esse quae nuntius Dei que le messager de Dieu dit est vrai. Ainsi, l’acte
loquitur: et sic credere homini magis est actus de foi consiste plutôt à croire un homme qu’à
fidei quam credere Deo. croire en Dieu.
[10470] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 4. La foi et la charité sont des vertus distinctes.
arg. 4 Praeterea, fides et caritas sunt virtutes Or, aimer Dieu est un acte de charité. Aimer en
distinctae. Sed amare Deum est actus caritatis. croyant n’est donc pas un acte de foi.
Ergo credendo amare non est actus fidei.
[10471] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 5. Par le fait que l’homme aime Dieu, il tend
arg. 5 Praeterea, per hoc quod homo Deum amat, vers lui et adhère à lui, et il est incorporé à ses
in eum tendit et adhaeret ei, et membris ejus membres. Il semble donc que cette inculcation de
incorporatur. Ergo videtur quod superflue ponatur paroles soit superflue.
ista verborum inculcatio.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’acte de foi est-il moins
certain que l’acte de la science ?]
[10472] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 1. Il semble que l’acte de foi a une certitude
arg. 1 Ulterius. Videtur quod actus fidei habeat moindre que l’acte de la science, car, ainsi que le
minorem certitudinem quam actus scientiae. Quia, dit Hugues de Saint-Victore, « la foi est une
ut dicit Hugo de sancto Victore, fides est certitudo certitude de l’esprit à propos de réalités absentes,
de absentibus, infra scientiam, et supra inférieure à la science et supérieure à l’opinion ».
opinionem. Ergo sicut fides est certior quam De même que la foi est plus certaine que
opinio, ita est minus certa quam scientia. l’opinion, de même donc est-elle moins certaine
que la science.
[10473] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 2. Est plus certain ce qui n’est pas mêlé de doute,
arg. 2 Praeterea, certius est quod est dubitationi comme est plus blanc ce qui n’est pas mélangé
impermixtius, sicut albius est quod est nigro avec le noir. Or, ce qui est connu par la science
702

impermixtius. Sed ea quae sunt scita, nullo modo ne peut comporter aucun doute, mais ce qui est
possunt habere dubitationem; ea autem quae sunt cru peut comporter un mouvement de doute, la
credita, possunt habere aliquem motum foi étant sauve. La foi ne comporte donc pas la
dubitationis salva fide. Ergo fides non habet même certitude que la science.
tantam certitudinem sicut scientia.
[10474] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 3. Toute certitude de notre pensée provient de la
arg. 3 Praeterea, omnis certitudo nostrae vision du sens ou de la vision de l’intellect. Or,
cognitionis procedit ex visione sensus, vel ex la foi porte sur ce qui n’est vu ni par le sens ni
visione intellectus. Sed fides est de his quae non par l’intellect. La foi ne comporte donc pas de
videntur a sensu neque intellectu. Ergo fides non certitude, semble-t-il.
habet aliquam certitudinem, ut videtur.
[10475] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] Augustin dit que « rien n’est
c. 1 Sed contra, Augustinus dicit, quod nihil est plus certain pour l’homme que sa foi ».
certius homini sua fide.
[10476] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 s. [2] Plus la raison qui donne la foi est ferme, plus
c. 2 Praeterea, quanto ratio quae facit fidem, la foi est certaine. Or, la raison humaine produit
firmior est, tanto fides est certior. Sed scientiam la science, qui est infiniment inférieure à la
facit ratio humana, quae in infinitum deficit a raison divine qui donne la foi. La foi est donc
ratione divina, quae fidem facit. Ergo fides est bien plus certaine que la science.
multo certior quam scientia.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10477] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme, III,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, l’opération de l’intellect est double. L’une
quod, sicut dicit philosophus in 3 de anima, comprend les quiddités simples des choses : cette
duplex est operatio intellectus. Una quae opération est appelée par les philosophes la
comprehendit quidditates simplices rerum; et haec « formation » ou la « simple intelligence »; à
operatio vocatur a philosophis formatio vel cette intelligence correspond un mot simple
simplex intelligentia; et huic intellectui respondet signifiant cette simple intelligence. De même
vox incomplexa significans hunc intellectum: que, dans un mot simple, on ne trouve pas de
unde sicut in voce incomplexa non invenitur vérité ou de fausseté, de même donc [n’en
veritas et falsitas, ita nec in hac operatione trouve-t-on pas] dans cette opération de
intellectus: et ideo sicut vox incomplexa propter l’intellect. De même donc qu’on ne concède pas
hoc quod non est in ea veritas et falsitas, non ni ne nie un mot simple parce qu’il n’y a pas en
conceditur nec negatur; ita secundum hanc lui de vérité ni de fausseté, de même l’intellect
operationem intellectus non assentit vel dissentit: ne donne-t-il pas son assentiment ou son
et propter hoc in hac operatione non potest opposition selon cette opération de l’intellect.
inveniri fides, cujus est assentire; sed in alia Pour cette raison, on ne peut pas trouver de foi, à
operatione, qua intellectus componit et dividit, in laquelle il revient de donner son assentiment,
qua jam invenitur verum et falsum, sicut in dans cette opération, mais dans une autre
enuntiatione: et propter hoc intellectus in hac sua opération, par laquelle l’intellect compose et
operatione assentit vel dissentit, sicut et enuntiatio divise, et dans laquelle se trouve déjà du vrai et
conceditur aut negatur: et ideo in hac operatione du faux, comme dans l’énonciation. Pour cette
invenitur fides, quae habet assensum. Cum autem raison, l’intellect donne son assentiment ou
ab assentiendo sententia dicatur, quae, ut dicit s’oppose par cette opération, comme une
Isaac, est determinata acceptio alterius partis énonciation est aussi concédée ou repoussée.
contradictionis; oportet quod qui assentit, C’est pourquoi la foi, qui comporte un
intellectum ad alteram partem contradictionis assentiment, se trouve dans cette opération.
determinet. Quod quidem contingit tripliciter, Comme, en se référant à l’assentiment
secundum triplicem nostri intellectus (assentiendo), on parle d’une position
considerationem. Potest enim intellectus noster (sententia), qui est l’acceptation déterminée
703

considerari uno modo secundum se; et sic d’une des parties de la contradiction, il faut donc
determinatur ex praesentia intelligibilis, sicut que celui donne son assentiment détermine son
materia determinatur ex praesentia formae: et hoc intellect à l’une des parties de la contradiction.
quidem contingit in his quae statim lumine Or, cela se produit de trois manières, selon une
intellectus agentis intelligibilia fiunt, sicut sunt triple considération de notre intellect. En effet,
prima principia, quorum est intellectus: et notre intellect peut être considéré en premier lieu
similiter determinatur judicium sensitivae partis en lui-même; ainsi, il est déterminé par la
ex hoc quod sensibile subjacet sensibus, quorum présence de l’intelligible, comme la matière est
principalior et certior est visus; et ideo praedicta déterminée par la présence de la forme. Cela se
cognitio intellectus vocatur visio. Alio modo produit pour ce qui devient immédiatement
potest considerari intellectus noster secundum intelligible par la lumière de l’intellect agent,
ordinem ad rationem, quae ad intellectum comme c’est le cas des premiers principes, sur
terminatur, dum resolvendo conclusiones in lesquels porte l’acte appelé « simple
principia per se nota, earum certitudinem efficit: intelligence » (intellectus). De même, le
et hoc est assensus scientiae. Tertio modo jugement de la partie sensible est-il déterminé
consideratur intellectus in ordine ad voluntatem; par le fait que l’objet sensible est soumis aux
quae quidem omnes vires animae ad actus suos sens, dont le principal et le plus certain est la
movet: et haec quidem voluntas determinat vue. Aussi la connaissance de l’intellect
intellectum ad aliquid quod neque per seipsum mentionnée plus haut [la simple intelligence] est-
videtur, neque ad ea quae per se videntur, resolvi elle appelée « vision ». En deuxième lieu, notre
posse determinat, ex hoc quod dignum reputat illi intellect peut être considéré selon son rapport à
esse adhaerendum propter aliquam rationem, qua la raison, qui a comme terme l’acte de simple
bonum videtur ei illi rei adhaerere; quamvis illa intelligence, lorsque, en ramenant des
ratio ad intellectum terminandum non sufficiat conclusions à des principes connus par eux-
propter imbecillitatem intellectus, qui non videt mêmes, il en donne la certitude. C’est là
per se hoc cui assentiendum ratio judicat; neque l’assentiment de la science. En troisième lieu,
ipsum ad principia per se nota resolvere valet: et l’intellect est considéré dans son rapport avec la
hoc assentire proprie vocatur credere. Unde et volonté, qui meut toutes les puissances de l’âme
fides captivare dicitur intellectum, inquantum non à leurs actes. Cette volonté détermine l’intellect à
secundum proprium motum ad aliquid quelque chose qui n’est pas vu par soi et elle ne
determinatur, sed secundum imperium voluntatis: détermine pas que cela peut se ramener à ce qui
et sic in credente ratio per se intellectum non est vu par soi, du fait qu’elle estime qu’il est
terminat, sed mediante voluntate. Quando vero digne d’adhérer pour une autre raison pour
ratio quae movet ad alteram partem, neque sufficit laquelle il lui semble bon d’adhérer à cette
ad intellectum terminandum, quia non resolvit chose, bien que cette raison ne suffise pas à
conclusiones in principia per se nota; neque réaliser la simple intelligence en raison de la
sufficit ad voluntatem terminandum, ut bonum faiblesse de l’intellect, qui ne voit pas par lui-
videatur illi parti adhaerere: tunc homo opinatur même ce à quoi la raison juge devoir donner son
illud cui adhaeret, et non terminatur intellectus ad assentiment. Elle ne peut pas non plus le ramener
unum, quia semper remanet motus ad contrarium: à des principes connus par eux-mêmes. C’est cet
accipit enim unam partem cum formidine alterius; assentiment qui est appelé au sens propre croire.
et ideo opinans non assentit. Quando vero homo Aussi dit-on que la foi rend l’intelligence
non habet rationem ad alteram partem magis captive, pour autant que celle-ci n’est pas
quam ad alteram; vel quia ad neutram habet, quod déterminée à quelque chose selon son propre
nescientis est; vel quia ad utramque habet, sed mouvement, mais selon le commandement de la
aequalem, quod dubitantis est: tunc nullo modo volonté. Ainsi, chez le croyant, la raison n’a-t-
assentit, cum nullo modo determinetur ejus elle pas comme terme quelque chose de compris
judicium, sed aequaliter se habeat ad diversas. par soi, mais par l’intermédiaire de la volonté.
Patet ergo ex praedictis, quod cum assensione Mais lorsque la raison qui meut à l’une des
cogitare separat credentem ab omnibus aliis. Cum parties ne suffit pas à parfaire l’acte de
704

enim cogitatio discursum rationis importet, comprendre, parce qu’elle ne ramène pas des
intelligens assensum sine cogitatione habet: quia conclusions aux principes connus par eux-
intellectus principiorum est, quae quisque statim mêmes; lorsqu’elle ne suffit pas non plus à
probat audita, secundum Boetium in Lib. de parfaire la volonté de sorte qu’il paraisse bon
hebdomadibus. Sciens autem et assensum et d’adhérer à cette partie, alors l’homme a une
cogitationem habet; sed non cogitationem cum opinion sur ce à quoi il adhère et son intelligence
assensu, sed cogitationem ante assensum: quia n’a pas comme terme quelque chose d’unique,
ratio ad intellectum resolvendo perducit, ut car le mouvement vers ce qui est contraire
dictum est; credens autem habet assensum simul demeure toujours : en effet, il accepte une partie
et cogitationem; quia intellectus ad principia per en craignant l’autre. C’est pourquoi en ayant
se nota non perducitur: unde, quantum est in se, une opinion, il ne donne pas son assentiment.
adhuc habet motum ad diversa, sed ab extrinseco Mais lorsqu’un homme n’a pas de raison d’aller
determinatur ad unum, scilicet ex voluntate. dans un sens plutôt que dans l’autre, soit parce
Opinans autem habet cogitationem sine assensu qu’il n’en a aucune, ce qui est le cas de
perfecto; sed habet aliquid assensus, inquantum l’ignorant, soit parce qu’il en a pour les deux,
adhaeret uni magis quam alii. Dubitans autem mais égale, ce qui est le cas de celui qui doute,
nihil habet de assensu, sed habet cogitationem. alors il ne donne son assentiment d’aucune
Nesciens autem neque assensum neque manière, puisque son jugement n’est aucunement
cogitationem habet. déterminé, mais il se trouve devant des [raisons]
diverses. Il est donc clair que penser en donnant
son assentiment sépare le croyant de tous les
autres. En effet, puisque la pensée comporte une
démarche de la raison, celui qui intellige
(intelligens) a un assentiment sans réflexion, car
l’intelligence des principes est celle par laquelle
n’importe qui fait aussitôt la preuve de ce qu’il a
entendu, selon Boèce dans le Livre sur les
semaines. Mais celui qui sait (sciens) a
l’assentiment et la pensée, non pas une réflexion
avec assentiment, mais une réflexion antérieure à
l’assentiment, car la raison conduit à ramener
[les conclusions aux premiers principes], comme
on l’a dit. Mais le croyant (credens) a en même
temps l’assentiment et la réflexion, car la raison
n’est pas amenée à des principes connus par eux-
mêmes. Par elle-même, elle conserve donc un
mouvement vers différentes choses, mais elle est
déterminée de l’extérieur à une seule par la
volonté. Celui qui opine (opinans) a la réflexion
sans un assentiment parfait; mais il a quelque
chose de l’assentiment pour autant qu’il adhère
davantage à l’une [des parties] qu’à l’autre. Mais
celui qui doute (dubitans) n’a rien de
l’assentiment, mais il a la réflexion. Cependant,
l’ignorant (nesciens) n’a ni l’assentiment ni la
réflexion.
[10478] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1. Parce que le sens n’a pas de rapport avec
1 Ad primum ergo dicendum, quod quia sensus plusieurs choses, mais reçoit une seule chose de
non habet se ad multa, sed determinate unum manière déterminée, puisqu’il n’établit pas de
accipit, quia non confert; ideo determinatio rapport, la détermination d’une puissance, même
705

potentiae, etiam superioris, a sensu denominatur, supérieure, est nommée d’après le sens, mais de
sed differenter: quia determinatio cogitationis ad manière différente, car la détermination de la
aliquid, dicitur assensus, quia aliquid non réflexion à quelque chose s’appelle assentiment,
praecedit; determinatio autem voluntatis ad unum, parce que rien ne précède; mais la détermination
dicitur consensus, quia cogitationem de la volonté à une seule chose s’appelle le
praesupponit, cum qua simul sentit, dum in illud consentement parce qu’elle présuppose la
tendit quod ratio bonum esse judicat. Et ideo pensée, avec laquelle elle est d’accord (con-
consentire dicitur voluntatis, sed assentire sensus), lorsqu’elle tend vers ce que la raison
intellectus. juge être bon. C’est pourquoi on parle de
consentement pour la volonté, mais
d’assentiment pour l’intelligence.
[10479] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2. Par ce que dit [Jean] Damascène, que « la foi
2 Ad secundum dicendum, quod per hoc quod est un consentement sans recherche », la
dicit Damascenus, quod fides est non inquisitivus recherche de la raison qui s’achève dans
assensus, excluditur inquisitio rationis intellectum l’intellect est écartée, mais non une recherche qui
terminantis, non inquisitio voluntatem inclinans: incline la volonté. Par le fait même que
et ex hoc ipso quod intellectus terminatus non est, l’intellect n’a pas atteint son terme, il demeure
remanet motus intellectui, inquantum naturaliter un mouvement dans l’intellect, pour autant qu’il
tendit in sui determinationem. Unde fides consistit tend naturellement vers sa détermination. La foi
media inter duas cogitationes: quarum una se tient donc entre deux réflexions : l’une incline
voluntatem inclinat ad credendum, et haec la volonté à croire, et celle-ci précède la foi; mais
praecedit fidem; illa vero tendit ad intellectum l’autre tend à l’intelligence de ce qu’elle croit
eorum quae jam credit: et haec est simul cum déjà, et celle-ci accompagne l’assentiment de la
assensu fidei; unde dicitur Isaiae 7, 9: si non foi. Aussi est-il dit en Is 7, 9 : Si vous ne croyez
credideritis, non intelligetis. pas, vous ne comprendrez pas.
[10480] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3. La puissance qui est appelée « cogitative » par
3 Ad tertium dicendum, quod illa potentia quae a les philosophes se situe aux confins de la partie
philosophis dicitur cogitativa, est in confinio sensible et de la partie intellective, là où la partie
sensitivae et intellectivae partis, ubi pars sensitiva sensible est en contact avec la partie intellective.
intellectivam attingit. Habet enim aliquid a parte En effet, elle a quelque chose de la partie
sensitiva, scilicet quod consideret formas sensible : le fait de considérer des formes
particulares; et habet aliquid ab intellectiva, particulières; et elle a quelque chose de la partie
scilicet quod conferat; unde et in solis hominibus intellective : le fait de mettre en rapport. Aussi se
est. Et quia pars sensitiva notior est quam trouve-t-elle seulement chez les hommes. Et
intellectiva, ideo sicut determinatio intellectivae parce que la partie sensible est plus connue que
partis a sensu denominatur, ut dictum est, ita la partie intellective, puisque la détermination de
collatio omnis intellectus a cogitatione nominatur. la partie intellective tire son nom du sens,
comme on l’a dit, de même la mise en rapport
par tout intellect est-elle appelée « cogitation ».
[10481] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4. Il ressort déjà de ce qui a été dit que cette
4 Ad quartum dicendum, quod jam patet ex dictis attribution convient au seul croyant.
quod illa assignatio soli credenti convenit.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10482] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Comme cela ressort de ce qui a été dit, l’acte du
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut croyant dépend de trois choses : la simple
ex praedictis patet, actus credentis ex tribus intelligence, qui a son terme dans quelque chose
dependet, scilicet ex intellectu, qui terminatur ad d’un; la volonté, qui détermine l’intellect par son
unum; ex voluntate, quae determinat intellectum commandement; et la raison, qui incline la
per suum imperium; et ex ratione, quae inclinat volonté. Conformément à cela, trois actes sont
voluntatem: et secundum hoc tres actus assignés à la foi. En effet, du fait que la simple
706

assignantur fidei. Ex hoc enim quod intellectus intelligence a son terme dans quelque chose
terminatur ad unum, actus fidei est credere Deum, d’un, l’acte de foi consiste à croire Dieu, car
quia objectum fidei est Deus secundum quod in se l’objet de la foi est Dieu selon qu’il est considéré
consideratur, vel aliquid circa ipsum, vel ab ipso. en lui-même ou quelque chose qui le concerne
Ex hoc vero quod intellectus determinatur a ou qui vient de lui. Mais du fait que l’intellect est
voluntate, secundum hoc actus fidei est credere in déterminé par la volonté, l’acte de foi consiste à
Deum, idest amando in eum tendere: est enim croire en Dieu, c’est-à-dire, en aimant, à tendre
voluntatis amare. Secundum autem quod ratio vers lui : en effet, il relève de la volonté d’aimer.
voluntatem inclinat ad actus fidei, est credere Mais selon que la raison incline la volonté à des
Deo: ratio enim qua voluntas inclinatur ad actes de foi, [l’acte de foi] consiste à croire à
assentiendum his quae non videt, est quia Deus ea Dieu : en effet, la raison par laquelle la volonté
dicit: sicut homo in his quae non videt, credit est inclinée à donner son assentiment à ce qu’elle
testimonio alicujus boni viri qui videt ea quae ipse ne voit pas est que Dieu l’a dit, comme l’homme,
non videt. pour ce qu’il ne voit pas, croit au témoignage
d’un homme bon qui voit ce qu’il ne voit pas lui-
même.
[10483] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1. Par tout ce qui a été dit, un seul acte de foi
1 Ad primum ergo dicendum, quod per omnia complet a été désigné; mais, selon les divers
praedicta non nominatur nisi unus completus aspects qui se trouvent dans la foi, elle est
actus fidei; sed ex diversis quae in fide désignée de diverses manières : en effet, dans
inveniuntur diversimode nominatur: illo enim actu l’acte par lequel elle croit en Dieu, elle croit à
quo credit in Deum, credit Deo, et credit Deum. Dieu et elle croit Dieu.
[10484] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2. Bien qu’on puisse simplement démontrer que
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Deum Dieu existe, on ne peut cependant démontrer que
esse, simpliciter possit demonstrari; tamen Deum Dieu est trine et un et les autres choses de ce
esse trinum et unum, et alia hujusmodi, quae fides genre, que la foi croit à propos de Dieu, aspects
in Deo credit, non possunt demonstrari; secundum selon lesquels l’acte de foi croit à Dieu.
quae est actus fidei credere Deum.
[10485] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3. Le fidèle croit à l’homme non pas en tant
3 Ad tertium dicendum, quod fidelis credit homini qu’homme, mais en tant que Dieu parle en lui, ce
non inquantum homo, sed inquantum Deus in eo qu’il peut conclure de diverses preuves. Mais
loquitur, quod ex certis experimentis colligere l’infidèle ne croit pas à Dieu qui parle dans
potest: infidelis autem non credit Deo in homine l’homme.
loquenti.
[10486] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4. Aimer est simplement un acte de charité; mais
4 Ad quartum dicendum, quod amare simpliciter croire en aimant est un acte de la foi mue à son
est actus caritatis: sed amando credere est actus acte par la charité.
fidei per caritatem motae ad actum suum.
[10487] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 5. Ces quatre choses concernent la foi dans son
5 Ad quintum dicendum, quod illa quatuor rapport avec la volonté, comme on l’a dit. Or, la
pertinent ad fidem secundum ordinem ad volonté porte sur la fin. Aussi ces quatre choses
voluntatem, ut dictum est; voluntas autem est se distinguent-elles selon ce qui est requis pour
finis; et ideo ista quatuor distinguuntur secundum l’obtention de la fin. En effet, est d’abord exigée,
ea quae exiguntur ad consecutionem finis. en premier lieu, l’affection de la fin : à cela se
Praeexigitur enim primo affectio ad finem; et ad rapporte le fait d’aimer en croyant, Or, à partir
hoc pertinet credendo amare. Ex amore autem et de l’amour et du désir de la fin, on commence à
desiderio finis aliquis in finem incipit moveri; et être mû vers la fin : à cela se rapporte le fait
ad hoc pertinet credendo in eum ire. Motus autem d’aller vers lui en croyant. Or, le mouvement
ad finem perducit ad hoc quod aliquis fini vers la fin conduit à ce que l’on soit uni à la fin :
conjungatur; et ad hoc pertinet credendo ei à cela se rapporte le fait d’adhérer à lui en
707

adhaerere. Ex conjunctione autem ad finem croyant. Or, a partir de l’union à la fin, on est
aliquis in participationem perfectionum finis amené à participer aux perfections de la fin : et à
perducitur; et ad hoc pertinet credendo membris cela se rapporte le fait d’être incorporé à ses
ejus incorporari. membres en croyant.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10488] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 co. La certitude n’est rien d’autre que la
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod certitudo détermination de l’intellect à une seule chose.
nihil aliud est quam determinatio intellectus ad Or, la certitude est d’autant plus grande qu’est
unum. Tanto autem major est certitudo, quanto est plus fort ce qui cause la détermination.
fortius quod determinationem causat. Cependant, l’intellect est déterminé à une seule
Determinatur autem intellectus ad unum chose de trois manières, comme on l’a dit. En
tripliciter, ut dictum est. In intellectu enim effet, dans la simple intelligence, la
principiorum causatur determinatio ex hoc quod détermination des principes est causée par le fait
aliquid per lumen intellectus sufficienter inspici que quelque chose peut être suffisamment
per ipsum potest. In scientia vero conclusionum regardé par lui à la lumière de l’intellect. Mais,
causatur determinatio ex hoc quod conclusio dans la science, la détermination des conclusions
secundum actum rationis in principia per se visa est causée par le fait qu’une conclusion se
resolvitur: in fide vero ex hoc quod voluntas ramène, selon l’acte de la raison, aux principes
intellectui imperat. Sed quia voluntas hoc modo vus en eux-mêmes. Mais, dans la foi, [la
non determinat intellectum ut faciat inspici quae détermination est causée] par le fait que la
creduntur, sicut inspiciuntur principia per se nota, volonté commande à la raison. Toutefois, parce
vel quae in ipsa resolvuntur; sed hoc modo ut que la volonté ne détermine pas l’intellect en lui
intellectus firmiter adhaereat; ideo certitudo quae faisant observer ce qui est cru, comme sont
est in scientia et intellectu, est ex ipsa evidentia regardés les principes connus par soi ou ce qui
eorum quae certa esse dicuntur; certitudo autem est ramené à eux, de manière à ce que l’intellect
fidei est ex firma adhaesione ad id quod creditur. adhère solidement, c’est la raison pour laquelle
In his ergo quae per fidem credimus, ratio la certitude qui existe dans la science et dans la
voluntatem inclinans, ut dictum est, est ipsa simple intelligence vient de l’évidence même de
veritas prima, sive Deus, cui creditur, quae habet ce qu’on dit être certain, mais la certitude de la
majorem firmitatem quam lumen intellectus foi vient de la ferme adhésion à ce qui est cru.
humani, in quo conspiciuntur principia, vel ratio Dans ce que nous croyons par la foi, la raison
humana, secundum quam conclusiones in inclinant la volonté, comme on l’a dit, est la
principia resolvuntur; et ideo fides habet majorem Vérité première elle-même, Dieu, à qui l’on
certitudinem quantum ad firmitatem adhaesionis, croit, qui a une solidité plus grande que la
quam sit certitudo scientiae vel intellectus: lumière de l’intellect humain, par lequel les
quamvis in scientia et intellectu sit major principes sont regardés, ou la raison humaine,
evidentia eorum quibus assentitur. selon que les conclusions sont ramenées aux
principes. C’est pourquoi la foi possède une plus
grande certitude, pour ce qui est de la solidité de
l’adhésion, que la certitude de la science ou de la
simple intelligence, bien que, dans la science et
dans la simple intelligence, existe une plus
grande évidence de ce à quoi l’on donne son
assentiment.
[10489] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1. On dit que la certitude de la foi est
1 Ad primum ergo dicendum, quod certitudo fidei intermédiaire entre la certitude de la science et
dicitur media inter certitudinem scientiae et celle de l’opinion, non pas selon l’intensité, à la
opinionis non intensive per modum quantitatis manière d’une quantité continue, mais selon
continuae, sed extensive per modum numeri. l’étendue, à la manière d’un nombre. En effet, la
Certitudo enim scientiae consistit in duobus, certitude de la science consiste en deux choses :
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scilicet in evidentia, et firmitate adhaesionis. l’évidence et la solidité de l’adhésion. Mais la


Certitudo autem fidei consistit in uno tantum, certitude de la foi consiste dans une seule chose :
scilicet in firmitate adhaesionis. Certitudo vero la solidité de l’adhésion. Mais la certitude de
opinionis in neutro. Quamvis certitudo fidei, de l’opinion [ne consiste] en aucune des deux
qua loquimur, quantum ad illud unum sit choses. Bien que la certitude la foi dont nous
vehementior quam certitudo scientiae quantum ad parlons soit plus intense sous ce seul aspect que
illa duo. Vel dicendum, quod loquitur de fide quae la certitude de la science sous les deux aspects.
est opinio firmata rationibus, non autem de fide Ou bien il faut dire qu’on parle de la foi qui est
infusa. une opinion confirmée appuyée sur des
arguments, mais non de la foi infuse.
[10490] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2. Le croyant connaît un mouvement de doute du
2 Ad secundum dicendum, quod credenti accidit fait que son intellect n’atteint pas son terme dans
aliquis motus dubitationis ex hoc quod intellectus la vision de son objet intelligible, comme c’est le
ejus non est secundum se terminatus in sui cas pour la science et pour la simple intelligence,
intelligibilis visione, sicut est in scientia et mais seulement par le commandement de la
intellectu, sed solum ex imperio voluntatis; et ideo volonté. C’est pourquoi, sur ce point, celui qui
sciens quantum ad id non recedit a dubietate sait ne s’éloigne pas du doute plus que celui qui
magis quam credens; sed credens secundum croit; mais le croyant s’éloigne davantage de
firmitatem adhaesionis magis recedit quam sciens celui qui sait, selon ces deux choses, par la
secundum illa duo. solidité de son adhésion.
[10491] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3. Cet argument vient de quelque chose
3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa ex d’insuffisant, comme on l’a dit.
insufficienti procedit, ut dictum est.

Articulus 3 [10492] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 Article 3 – La foi a-t-elle la volonté comme
a. 3 tit. Utrum fides sit in voluntate sicut in sujet ?
subjecto
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi a-t-elle la volonté
comme sujet ?]
[10493] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 1. Il semble que la foi n’ait pas la volonté
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod comme sujet, car, selon Hugues de Saint-Victor,
fides sit in voluntate sicut in subjecto. Quia, « la foi trouve sa matière dans l’intellect, mais sa
secundum Hugonem de Sanct. Vict., fides habet substance dans l’affectivité ». Or, le sujet d’un
in cogitatione materiam, sed in affectu accident est là où se trouve son essence, qui est
substantiam. Sed illud est subjectum accidentis appelée sa substance. La foi se trouve donc dans
ubi est sua essentia quae substantia dicitur. Ergo l’affectivité comme dans son sujet.
fides est in affectu sicut in subjecto.
[10494] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 2. De même que la certitude de la science se
arg. 2 Praeterea, sicut certitudo scientiae est ex trouve dans l’intellect, de même la certitude de la
intellectu, ita certitudo fidei est ex voluntate: quia foi se trouve-t-elle dans la volonté, car
credere non potest homo, nisi velit, ut dicit « l’homme ne peut croire que s’il le veut »,
Augustinus. Sed subjectum scientiae est comme le dit Augustin. Or, le sujet de la science
intellectus. Ergo eadem ratione subjectum fidei est l’intellect. Pour la même raison, le sujet de la
est voluntas. foi est donc la volonté.
[10495] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 3. Le mérite se trouve dans la volonté. Or, l’acte
arg. 3 Praeterea, meritum in voluntate consistit. de foi est méritoire. Il est donc un acte de la
Sed actus fidei est meritorius. Ergo est actus volonté.
voluntatis.
[10496] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 4. De plus, les contraires concernent la même
arg. 4 Praeterea, opposita sunt circa idem. Sed chose. Or, l’infidélité se trouve dans la volonté,
709

infidelitas est in voluntate, quia secundum quod car, selon qu’elle se trouve dans l’intellect, elle
est in intellectu, habet ignorantiam, quae non est comporte une ignorance, qui n’est pas un péché,
peccatum, sed excusat. Ergo fides est in voluntate. mais qui l’excuse. La foi se trouve donc dans la
volonté.
[10497] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] l’objet d’un habitus coïncide
c. 1 Sed contra, objectum habitus concordat avec l’objet de la puissance qui est son sujet. Or,
objecto potentiae, quae est ejus subjectum. Sed l’objet de la foi est le vrai, qui est l’objet de
objectum fidei est verum, quod est objectum l’intellect, mais non le bien, qui est l’objet de la
intellectus; non autem bonum quod est objectum volonté. Le sujet de la foi n’est donc pas la
voluntatis. Ergo subjectum fidei non est voluntas volonté, mais l’intellect.
sed intellectus.
[10498] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 s. [2] La foi concerne la même puissance que ce
c. 2 Praeterea, ad eamdem vim pertinet fides et id qui succède à la foi dans la gloire. Or, ce qui
quod fidei succedit in gloria. Sed id quod fidei succède à la foi, la vision, se rapporte à
succedit, scilicet visio, pertinet ad intellectum. l’intellect. Donc, la foi aussi.
Ergo et fides.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi relève-t-elle de
l’intellect pratique ?]
[10499] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 1. Il semble que [la foi] relève de l’intellect
arg. 1 Ulterius. Videtur quod pertineat ad pratique. En effet, ainsi que le dit le Philosophe
intellectum practicum. Sicut enim dicit dans Sur l’âme, III, l’intellect spéculatif ne dit
philosophus in 3 de anima, intellectus rien à propos de ce qui doit être fui ou aimé. Or,
speculativus nihil dicit de fugiendo vel amabili. par la foi, nous sommes instruits de ce que nous
Sed per fidem instruimur quid vitare debeamus. devons éviter. La foi se trouve donc dans
Ergo fides est in intellectu practico. l’intellect pratique.
[10500] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 2. L’intellect spéculatif correspond
arg. 2 Praeterea, intellectus speculativus proportionnellement à l’imagination, comme
proportionaliter respondet imaginationi, sicut l’intellect pratique [correspond] à l’estimative,
intellectus practicus aestimationi, quae est in parte qui se trouve dans la partie sensible. Or,
sensitiva. Sed imaginatio non facit confidentiam l’imagination ne suscite pas la confiance et la
et terrorem, ut dicitur in 2 de anima, immo per terreur, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, II, bien
eam nos habemus ad terribilia ac si essemus in plus, nous regardons ce qui est objet de terreur
pictura considerantes. Ergo nec intellectus comme si nous étions devant une peinture. Donc,
speculativus. Sed fides est principium spei et facit l’intellect spéculatif [ne suscite pas la confiance
tremorem: quia Daemones credunt et ni la terreur]. Or, la foi est principe d’espérance
contremiscunt, ut dicitur Jacob. 1. Ergo fides non et fait trembler, car les démons croient et
est in intellectu speculativo. tremblent, ainsi qu’il est dit en Jc 1. La foi ne se
trouve donc pas dans l’intellect spéculatif.
[10501] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 3. L’intellect spéculatif ne se mêle pas à a
arg. 3 Praeterea, intellectus speculativus non volonté, mais l’intellect pratique [le fait]. Or, la
permiscetur voluntati, sed practicus. Fides autem foi se trouve dans l’intellect et dans la volonté,
consistit in intellectu et voluntate, ut dictum est. comme on l’a dit. Son sujet n’est donc pas
Ergo subjectum ejus non est intellectus l’intellect spéculatif, mais l’intellect pratique.
speculativus sed practicus.
[10502] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] l’intellect pratique porte sur des
c. 1 Sed contra, intellectus practicus est choses contingentes qui peuvent être accomplies
contingentium operabilium a nobis. Sed fides est par nous. Or, la foi porte sur des réalités
aeternorum. Ergo fides non est in intellectu éternelles. La foi ne se trouve donc pas dans
practico. l’intellect pratique.
[10503] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 s. [2] La connaissance pratique est cause de ce qui
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c. 2 Praeterea, cognitio practica est causa est connu. Or, la foi n’est pas cause de ce qui est
cognitorum. Sed fides non est causa rerum quae cru. Elle ne se trouve donc pas dans l’intellect
creduntur. Ergo non est in intellectu practico. pratique.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La foi est-elle une vertu
intellectuelle ?]
[10504] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 1. Il semble que [la foi] soit une vertu
arg. 1 Ulterius. Videtur quod sit virtus intellectuelle. En effet, une vertu intellectuelle
intellectualis. Virtus enim intellectualis est quae est celle qui a l’intellect comme sujet. Or, le
habet pro subjecto intellectum. Sed fidei sujet de la foi est l’intellect. Elle est donc une
subjectum est intellectus. Ergo est virtus vertu intellectuelle.
intellectualis.
[10505] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 2. Les articles de foi, sur lesquels porte la foi,
arg. 2 Praeterea, articuli fidei, quorum est fides, sont comme les principes dans les autres
sunt sicut principia in aliis scientiis, ex quibus sciences : la théologie avance à partir d’eux. Or,
procedit theologia. Sed intellectus principiorum l’intelligence des principes est une vertu
est virtus intellectualis, ut patet per philosophum intellectuelle, comme cela ressort de ce que dit le
in 6 Ethic. Ergo et fides articulorum est virtus Philosophe dans Éthique, VI. La foi qui porte sur
intellectualis. les articles [de foi] est donc une vertu
intellectuelle.
[10506] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 3. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI,
arg. 3 Praeterea, virtus intellectualis, ut dicit une vertu intellectuelle est celle par laquelle on
philosophus in 6 Ethic., est per quam non dicitur ne dit que ce qui est vrai. Or, ce qui est faux ne
nisi verum. Sed fidei falsum subesse non potest. peut pas relever de la foi. La foi est donc une
Ergo fides est virtus intellectualis. vertu intellectuelle.
[10507] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 s. Cependant, [1] le Philosophe dit en sens
c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 6 inverse, dans Éthique, VI, que le soupçon n’est
Ethic., quod suspicio non est virtus intellectualis, pas une vertu intellectuelle, pas plus que
sicut nec opinio; et eadem ratione nec fides, quae l’opinion. Pour la même raison, la foi non plus,
est ex eorum genere. qui fait partie de leur genre.
[10508] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 s. [2] La vertu est le point ultime d’une puissance,
c. 2 Praeterea, virtus est ultimum in re de potentia, comme il est dit dans Sur le ciel et le monde, I.
ut dicitur in 1 de caelo et Mun. Sed fides non Or, la foi ne fait pas de l’intellect sa réalité
ponit intellectum in ultimum sui, quia per ipsam ultime, car l’intellect n’aboutit pas par elle à la
intellectus non terminatur in aliqua visione. Ergo vision. La foi n’est donc pas une vertu
fides non est virtus intellectualis. intellectuelle.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10509] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 co. La volonté implique un acte de l’intellect,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, comme un acte de l’irascible et du concupiscible.
quod voluntas importat actum intellectus sicut et Or, pour que l’acte de l’irascible et du
actum irascibilis et concupiscibilis. Ad hoc autem concupiscible soit parfait, il est nécessaire
quod actus irascibilis et concupiscibilis sit qu’existe non seulement un habitus dans la
perfectus, oportet quod non solum sit aliquis volonté ou dans la raison qui commande, mais
habitus in voluntate vel ratione imperante, sed aussi qu’existe un habitus dans l’irascible et le
etiam quod sit aliquis habitus in irascibili et concupiscible qui exécutent, afin qu’ils exécutent
concupiscibili exequente, ut faciliter actum facilement l’acte. Il est donc nécessaire qu’existe
exequatur; unde et oportet aliquem habitum esse dans l’intellect un habitus pour que celui-ci
in intellectu ad hoc quod voluntati faciliter obéisse facilement à la volonté pour ce qui
obediat in his quae sunt supra rationem; et hoc est dépasse la raison. C’est là l’habitus de la foi. Le
habitus fidei; et ideo subjectum fidei est sujet de la foi est donc l’intellect.
intellectus.
711

[10510] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1. « Substance » ne signifie pas là « essence »,


1 Ad primum ergo dicendum, quod substantia non mais forme. Or, la forme de la foi est d’une
sumitur ibi pro essentia, sed pro forma. Fidei certaine manière la charité, comme cela
autem forma quodammodo est caritas, ut infra ressortira plus loin, laquelle se trouve dans la
patebit, quae in voluntate est. volonté.
[10511] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2. La science et la simple intelligence obtiennent
2 Ad secundum dicendum, quod scientia et leur certitude par ce qui se rapporte à la
intellectus habent certitudinem per id quod ad connaissance : l’évidence de ce à quoi elles
cognitionem pertinet, scilicet evidentiam ejus cui donnent leur assentiment. Mais la foi tient sa
assentitur; fides autem habet certitudinem ab eo certitude de ce qui se trouve hors du genre de la
quod est extra genus cognitionis, in genere connaissance, et qui se trouve dans le genre de
affectionis existens; et ideo scientia et intellectus l’affectivité. C’est pourquoi la science et la
est sicut in subjecto in eo a quo habet simple intelligence se trouvent dans ce dont elles
certitudinem, non autem fides. tiennent leur certitude comme dans leur sujet,
mais non la foi.
[10512] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3. Le mérite se trouve dans la volonté comme
3 Ad tertium dicendum, quod meritum consistit in dans sa cause, pour autant qu’elle suscite
voluntate sicut in causa, inquantum ipsa semper toujours un acte méritoire; mais il ne se trouve
importat actum meritorium; non autem semper in pas toujours en elle comme dans son sujet, car
ipsa est sicut in subjecto: quia actus meritorius l’acte méritoire est parfois issu d’autres
quandoque elicitur ab aliis potentiis. puissances.
[10513] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 4. L’infidélité se trouve aussi dans l’intellect
4 Ad quartum dicendum, quod infidelitas est comme dans son sujet; mais l’acte déméritoire se
etiam in intellectu sicut in subjecto; in voluntate trouve dans la volonté comme celle qui
autem sicut in imperante infidelitatis actum ut est, commande l’acte d’infidélité.
actus infidelitatis demeritorius.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10514] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 co. L’intellect spéculatif et l’intellect pratique
Ad secundam quaestionem dicendum, quod diffèrent en ce que l’intellect spéculatif considère
intellectus speculativus et practicus in hoc le vrai de manière absolue, mais l’intellect
differunt quod intellectus speculativus considerat pratique considère le vrai en rapport avec une
verum absolute, practicus autem considerat verum œuvre. Or, il arrive parfois que le vrai qui était
in ordine ad opus. Contingit autem quandoque considéré en soi ne puisse être considéré comme
quod verum ipsum quod in se considerabatur, non règle d’une œuvre, comme cela se produit en
potest considerari ut regula operis, sicut accidit in mathématique et dans ce qui est séparé du
mathematicis, et in his quae a motu separata sunt; mouvement. La considération de ce vrai se
unde hujusmodi veri consideratio est tantum in trouve donc seulement dans l’intellect spéculatif.
intellectu speculativo. Quandoque autem verum Mais parfois le vrai qui est considéré dans une
quod in re consideratur, potest ut regula operis chose peut être considéré comme règle de
considerari: et tunc intellectus speculativus fit l’œuvre : l’intellect spéculatif devient alors
practicus per extensionem ad opus. Hoc autem pratique en allant jusqu’à l’œuvre. Or, cela se
contingit dupliciter. Quia aliquando illud verum produit de deux manières. Parce que ce vrai peut
quod utroque modo potest considerari, non habet parfois être considéré des deux façons, il n’est
magnam utilitatem, nisi inquantum ordinatur ad d’une grande utilité que s’il est ordonné à
opus: quia cum sit contingens, non habet fixam l’œuvre, car, s’il est contingent, il ne comporte
veritatem: sicut est consideratio de operibus pas de vérité fixe, comme c’est le cas des actes
virtutum; et tunc talis consideratio, quamvis possit des vertus. Une telle considération, bien qu’elle
esse et speculativi et practici intellectus, tamen puisse relever de l’intellect spéculatif ou de
principaliter est practici intellectus. Aliquando l’intellect pratique, relève principalement de
vero illius veri consideratio habet in se dignitatem l’intellect pratique. Mais parfois la considération
712

quamdam, etiam si nunquam ad opus ordinetur, de ce vrai a en elle-même une certaine dignité,
sicut accidit in consideratione divinorum, quorum même si elle n’est jamais ordonnée à une œuvre,
cognitio dirigit in opere; et tamen visio Dei est comme cela se produit pour la considération des
ultimus finis operis; et tunc illa consideratio réalités divines, dont la connaissance dirige
principaliter est in intellectu speculativo, et l’action; et cependant la vision de Dieu est la fin
secundario in practico. Cum ergo fidei objectum ultime de l’action. Cette considération se trouve
proprium sit veritas prima, quae, inquantum est alors principalement dans l’intellect spéculatif et
finis operis, regulat in opere: fides principaliter secondairement dans l’intellect pratique. Puisque
erit in intellectu speculativo, et secundario in l’objet propre de la foi est la Vérité première qui,
practico: quia intellectus speculativus et practicus en tant qu’elle est la fin de l’action, joue le rôle
non sunt diversae potentiae, sed differunt fine, ut de règle pour l’action, la foi se trouvera donc
dicitur in 2 Metaphys., et 3 de anima, inquantum principalement dans l’intellect spéculatif et
practicus ordinatur ad opus, speculativus autem ad secondairement dans l’intellect pratique, car
veritatis inspectionem tantum. l’intellect spéculatif et l’intellect pratique ne sont
pas des puissances différentes, mais ils diffèrent
par leur fin, comme il dit dans Métaphysique, II,
et dans Sur l’âme, III, pour autant que l’intellect
pratique est ordonné à l’action, mais l’intellect
spéculatif à l’observation de la vérité seulement.
[10515] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1. La foi incline à agir et à fuir pour autant que
1 Ad primum ergo dicendum, quod fides inclinat cette vérité qui peut être considérée en elle-
ad operandum et fugiendum, inquantum illud même est prise comme règle de l’action.
verum quod in se considerari potest, accipitur ut
regula operis.
[10516] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2. Pour autant que la vérité que considère la foi
2 Ad secundum dicendum, quod inquantum est prise comme appropriée ou contraire, la foi
verum quod fides considerat, accipitur ut entraîne ainsi le tremblement, l’espérance ou
conveniens vel contrarium, secundum hoc fides quelque chose de ce genre.
inducit vel tremorem vel spem vel aliquid
hujusmodi.
[10517] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3. L’union de l’intellect à la volonté ne fait pas
3 Ad tertium dicendum, quod conjunctio l’intellect pratique, mais sa mise en rapport avec
intellectus ad voluntatem non facit intellectum une action, car la volonté est commune à
practicum, sed ordinatio ejus ad opus: quia l’intellect spéculatif et à l’intellect pratique. En
voluntas communis est et speculativo et practico: effet, la volonté porte sur la fin, mais la fin se
voluntas enim est finis; sed finis invenitur in rencontre dans l’intellect spéculatif et dans
speculativo et practico intellectu. l’intellect pratique.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10518] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Puisque la vertu établit la puissance en son point
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod cum ultime par rapport à son acte, il ne suffit pas pour
virtus ponat potentiam in ultimo quantum ad la raison de vertu que la puissance soit établie
actum, non sufficit ad rationem virtutis quod par son acte au point ultime par rapport à son
potentia per actum ponatur in ultimo quantum ad objet, mais il est nécessaire qu’elle soit établie en
objectum, sed oportet quod ponatur in ultimo son point ultime par rapport à sa manière d’agir,
quantum ad modum agendi, ut scilicet actus sit de sorte que l’acte soit bon non seulement parce
bonus non solum ex eo quod bonum est quod fit, que ce qui est accompli est bon, mais la manière
sed eo quod bene fit, sicut patet in virtutibus dont cela est accompli, comme cela ressort dans
moralibus. Bonum autem intellectus est verum, les vertus morales. Or, le bien de l’intellect est le
quod est finis et perfectio ejus. Unde non sufficit vrai, qui est sa fin et sa perfection. Il ne suffit
ad rationem virtutis intellectualis quod per eam donc pas pour la raison de vertu intellectuelle
713

cognoscatur verum; sed oportet quod actus quo que le vrai soit connu par elle, mais il est
verum consideratur, sit perfectus etiam ex modo, nécessaire que l’acte qui considère le vrai soit
ut bene quis intelligat. Bene autem operari parfait aussi par sa manière, de sorte que l’on
intellectum, non contingit ex hoc quod ex bona intellige bien. Or, la bonne opération de
voluntate ejus operatio procedit, ut dictum est; sed l’intellect ne vient pas du fait que son opération
efficacia intellectus ad objectum proprium vienne d’une volonté bonne, comme on l’a dit,
conspiciendum vel in se vel per resolutionem ad mais de l’efficacité de l’intellect pour regarder
id quod in se conspicitur. Fides autem per actum son objet propre en lui-même ou en le ramenant
suum ponit intellectum in ultimo quantum ad à ce qui est regardé en soi. Or, la foi place par
objectum, inquantum facit assentire primae son acte l’intellect en son point ultime du point
veritati; non autem quantum ad modum proprium de vue de son objet, pour autant qu’elle réalise
ipsius intellectus: quia intellectus noster non est un assentiment à la Vérité première, mais non
per fidem tantae efficaciae, ut id quod credit, quant à la manière qui est propre à l’intellect, car
inspicere per se possit, vel ad ea quae inspicit notre intellect n’a pas par la foi un telle efficacité
reducere; et ideo fides non est virtus intellectualis. qu’il puisse observer ce qu’il croit en soi ou
ramener [ce qu’il observe] à ce qu’il observe.
Aussi la foi n’est-elle pas une vertu
intellectuelle.
[10519] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 1. Ce n’est pas n’importe quel habitus qui a
1 Ad primum ergo dicendum, quod non omnis l’intellect pour sujet et qui peut être appelé une
habitus qui habet pro subjecto intellectum potest vertu intellectuelle, à moins qu’il ne perfectionne
dici virtus intellectualis, nisi perficiat intellectum l’intellect quant à son objeet et quant à au mode
et quantum ad objectum et quantum ad modum de son acte.
actus.
[10520] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 2. Pour voir les principes des autres sciences, la
2 Ad secundum dicendum, quod ad principia lumière de l’intellect agent suffit. C’est pourquoi
aliarum scientiarum videnda sufficit lumen l’habitus qui porte sur ces principes est une
intellectus agentis; et ideo habitus illorum vertu. Mais pour la vision des articles [de foi], ne
principiorum est virtus; sed ad visionem suffisent ni la lumière de l’intellect agent, ni
articulorum neque lumen intellectus agentis celle de la lumière de la foi. C’est pourquoi [la
sufficit, neque lumen fidei; et ideo non est virtus foi] n’est pas une vertu intellectuelle.
intellectualis.
[10521] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 3 qc. 3 ad 3. Le fait que la foi n’erre pas, mais dit toujours
3 Ad tertium dicendum, quod hoc quod fides non ce qui est vrai ne vient pas du mode parfait
errat, sed semper verum dicit, non est ex perfecto d’intelliger, mais plutôt de quelque chose d’autre
modo intelligendi, sed magis ex alio quod est qui est extrinsèque à l’intellect : de la raison
extra intellectum, scilicet ex infallibili ratione, infaillible qui dirige la volonté.
quae dirigit voluntatem.

Articulus 4 [10522] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 Article 4 – La foi est-elle une vertu et est-elle
a. 4 tit. Utrum fides sit virtus, et utrum sit habitus un habitus ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi est-elle une vertu ?]
[10523] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 1. Il semble que la foi ne soit aucunement une
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod vertu. En effet, aucune vertu, à part une vertu
fides nullo modo sit virtus. Nulla enim virtus intellectuelle, n’a le vrai comme objet, et elle
praeter intellectualem habet verum pro objecto, n’elle pas un habitus cognitif, mais un habitus
nec est habitus cognitivus, sed operativus. Sed opératoire. Or, la foi est un habitus cognitif et
fides est habitus cognitivus, et habet verum pro elle a le vrai comme objet. Puisqu’elle n’est pas
objecto. Ergo cum non sit virtus intellectualis, une vertu intellectuelle, il semble donc qu’elle ne
videtur quod nullo modo possit dici virtus. puisse aucunement être appelée une vertu.
714

[10524] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 2. On parle de croire d’une manière univoque
arg. 2 Praeterea, credere videtur univoce dici, lorsqu’on dit que nous croyons les autres. Or, la
secundum quod dicimur aliis credere. Sed fides foi aux autres n’est pas une vertu. Donc, ni la foi
aliorum non est virtus. Ergo nec fides articulorum. aux articles [de foi].
[10525] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 3. Tout ce qui va contre la raison est blâmable,
arg. 3 Praeterea, omne quod est contra rationem, car le mal pour l’homme consiste à être contraire
est vituperabile: quia malum hominis est contra à la raison, comme le dit Denys. Puisqu’elle fait
rationem esse, ut dicit Dionysius. Sed fides cum renoncer la raison, la foi semble donc être
faciat abnegare rationem, videtur contra rationem contraire à la raison. Croire est donc blâmable.
esse. Ergo credere est vituperabile; ergo fides non La foi n’est donc pas une vertu.
est virtus.
[10526] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 4. De même que, par la foi, nous connaissons ce
arg. 4 Praeterea, sicut per fidem cognoscimus ea qui dépasse la raison, de même en est-il pour la
quae sunt supra rationem, ita et per prophetiam. prophétie. Or, la prophétie n’est pas appelée une
Sed prophetia non dicitur virtus. Ergo nec fides. vertu. Donc, ni la foi.
[10527] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 5. On dit qu’en Dieu se trouvent les vertus qui
arg. 5 Praeterea, in Deo dicuntur esse virtutes ont caractère de modèles. Or, la foi n’a pas son
exemplares. Sed fides non habet exemplar in Deo. modèle en Dieu. La foi n’est donc pas une vertu.
Ergo fides non est virtus.
[10528] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. Cependant, [1] rien ne justifie à part la vertu.
c. 1 Sed contra, nihil justificat nisi virtus. Sed Or, la foi justifie, Rm 5, 1 : Justifiés donc par la
fides justificat; Rom. 5, 1: justificati ergo ex fide. foi. La foi est donc une vertu.
Ergo fides est virtus.
[10529] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. [2] La vie spirituelle se réalise par la vertu. Or,
c. 2 Praeterea, vita spiritualis est per virtutem. Est la vie spirituelle existe par la foi, comme il est
autem vita spiritualis per fidem, ut dicitur Rom. 1 dit dans Rm 1 et 2. La foi est donc une vertu.
et 2. Ergo fides est virtus.
[10530] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 s. [3] Nous devenons fils de Dieu par les vertus.
c. 3 Praeterea, per virtutes efficimur filii Dei. Hoc Or, cela se réalise par la foi, Jn 1, 12 : Il a donné
autem fit per fidem; Joan. 1, 12: dedit eis de pouvoir devenir fils de Dieu à ceux qui
potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in croient en son nom. La foi est donc une vertu.
nomine ejus. Ergo fides est virtus.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi est-elle une seule
vertu ?]
[10531] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 1. Il semble que la foi ne soit pas une seule vertu.
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides non sit una En effet, certains articles portent sur des réalités
virtus. Quidam enim articuli fidei sunt de aeternis, éternelles, tels ceux qui se rapportent à la Trinité
ut qui pertinent ad Trinitatem personarum; des personnes, mais certains sur des réalités
quidam vero de temporalibus, sicut qui pertinent temporelles, tels ceux qui se rapportent à
ad incarnationem Christi. Sed scientia et sapientia l’incarnation du Christ. Or, la science et la
sunt diversa dona per hoc quod sunt de sagesse sont des dons différents par le fait
temporalibus et aeternis. Ergo fides non est una qu’elles portent [respectivement] sur des réalités
virtus. temporelles et sur des réalités éternelles. La foi
n’est donc pas une seule vertu.
[10532] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 2. L’espérance et la crainte diffèrent par le fait
arg. 2 Praeterea, spes et timor differunt per hoc que l’espérance porte sur les biens futurs, mais la
quod spes est de bonis futuris, timor vero de crainte sur les maux. Or, la foi porte sur les deux,
malis. Sed fides est de utrisque, quia est de car elle porte sur les supplices et sur les
suppliciis et praemiis. Ergo fides non est una récompenses. La foi n’est donc pas une seule
virtus. vertu.
715

[10533] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 3. Beaucoup de choses qui font partie de la
arg. 3 Praeterea, ad fidem pertinent multa quae philosophie morale se rapportent à la foi, comme
sunt moralis philosophiae, sicut fornicationem le fait que la fornication est un péché mortel; et à
esse mortale peccatum; et quae sunt naturalis, la philosophie naturelle, comme le fait que le
sicut mundum non esse aeternum; et quae sunt monde n’est pas éternel; et à la philosophie
philosophiae primae, sicut Deum habere curam de première, comme le fait que Dieu prend soin des
actibus humanis. Ergo videtur quod fides non sit actes humains. Il semble donc que la foi ne soit
unus habitus. pas un seul habitus.
[10534] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 s. Cependant, [1] Ep 4, 5 dit : Il n’y a qu’une seule
c. 1 Sed contra, Ephes. 4, 5: una fides. foi.
[10535] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 s. [2] « De même que la prudence dirige
c. 2 Praeterea, sicut prudentia dirigit intentionem l’intention en matière politique, de même la foi
in politicis, ita fides in gratuitis, ut dicit pour les réalités gratuites », comme le dit
Augustinus. Sed prudentia est una, quamvis in Augustin. Or, la prudence est une, bien qu’elle
diversis intentionem dirigat. Ergo et fides. dirige l’intention en diverses matières. Donc
aussi, la foi.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10536] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Comme on l’a dit dit plus haut, puisqu’il revient
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, à la vertu de rendre l’action bonne, l’opération
quod, sicut supra dictum est, cum virtutis sit peut être appelée bonne soit formellement, pour
reddere opus bonum, operatio potest dici bona vel autant qu’elle est issue d’une puissance qui est
formaliter, inquantum procedit ex potentia quae mue vers le bien selon la raison de bien, soit
movetur in bonum secundum rationem boni, vel matériellement, selon qu’elle est appropriée et
materialiter, secundum quod est congruus et connaturelle à une puissance. L’acte de foi est
connaturalis potentiae. Et utroque modo actus bon des deux manières, car il convient à
fidei est bonus; quia et congruit intellectui l’intellect pour autant que celui-ci porte sur ce
inquantum est verorum; et iterum procedit a qui est vrai, et il est issu de la volonté qui
voluntate imperante, quae movetur in bonum commande, qui meut vers le bien comme vers
quasi in objectum. Ex parte autem intellectus, son objet. Mais, du point de vue de l’intellect,
quamvis habeat bonitatem ratione objecti, non bien que [l’acte de foi] soit bon en raison de son
tamen habet perfectionem, quia deficit modus, ut objet, il n’atteint cependant pas la perfection, car
dictum est, eo quod non habeat conspicuam la manière est déficiente, comme on l’a dit, du
veritatem, cui adhaeret. Sed ex parte voluntatis fait qu’il n’y a pas de vérité manifeste à laquelle
potest habere perfectionem; inquantum voluntas il adhére. Mais, du point de vue de la volonté,
perfecta in appetitu boni firmitatem et [l’acte de foi] peut atteindre la perfection, pour
certitudinem facit in fide: et ideo Bernardus dicit, autant que la volonté parfaite dans l’appétit du
quod fides est voluntaria quaedam et certa bien produit dans la foi la fermeté et la certitude.
praelibatio nondum propalatae veritatis. Unde C’est pourquoi Bernard dit que la foi est « une
patet quod fides est virtus, non quidem anticipation volontaire et certaine d’une vérité
intellectualis, sed eo modo quo communiter qui n’est pas encore manifestée ». Il est donc
loquimur de virtute, quae producit actum bonum clair que la foi est une vertu, non pas
ex bonitate voluntatis procedentem. Nec tamen est intellectuelle, mais au sens général où nous
virtus moralis: quia non est ordinativa appetitus parlons de la vertu qui produit un acte bon
sensibilis, ut consistat circa delectationes et provenant de la bonté de la volonté. Elle n’est
tristitias et operationes, sicut circa materiam et cependant pas une vertu morale, car elle
objectum: sed est virtus theologica; quod quidem n’ordonne pas l’appétit sensible, de sorte qu’elle
genus philosophi non cognoverunt. porte sur les plaisirs, les tristesses et les actes
comme sur sa matière et son objet. Mais [la foi]
est une vertu théologale, un genre que les
philosophes n’ont pas connu.
716

[10537] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1. La première proposition est vraie pour les
1 Ad primum ergo dicendum, quod prima vertus que les philosophes ont connues, eux qui,
propositio habet veritatem de virtutibus quas en plus des vertus intellectuelles, n’ont pas
philosophi cognoverunt, qui praeter intellectuales, affirmé d’autres vertus que les vertus morales.
nullas virtutes nisi morales posuerunt.
[10538] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2. La raison qui incline la volonté à croire les
2 Ad secundum dicendum, quod ratio inclinans articles est la Vérité première elle-même, qui est
voluntatem ad credendum articulos, est ipsa infaillible. Mais la raison qui incline la volonté à
veritas prima, quae est infallibilis; sed ratio quae croire d’autres choses est soit un signe faillible,
inclinat voluntatem ad credendum alia, est vel soit ce que dit quelqu’un qui sait, qui peut se
aliquod signum fallibile, vel dictum alicujus tromper et tromper. C’est pourquoi la volonté ne
scientis, qui et falli et fallere potest: unde voluntas donne pas une vérité infaillible à l’intellect qui
non dat infallibilem veritatem intellectui credenti croit les autres choses croyables, comme elle
alia credibilia, sicut dat infallibilem veritatem donne une vérité infaillible en croyant aux
credendi articulos fidei: et propter hoc haec fides articles. Pour cette raison, cette foi, et non une
est virtus et non alia. autre, est une vertu.
[10539] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3. La foi n’est pas contraire à la raison, mais elle
3 Ad tertium dicendum, quod fides non est contra dépasse la raison. C’est pourquoi on ne dit pas
rationem, sed supra rationem: et ideo non dicitur qu’elle renonce à la raison comme si elle
abnegare rationem quasi rationem veram détruisait la raison vraie, mais comme si elle la
destruens, sed quasi eam captivans in obsequium rendait captive pour obéir au Christ, comme le
Christi, ut dicit apostolus 2 Corinth. 10. dit l’Apôtre, 2 Co 10.
[10540] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 4. La prophétie ne peut être une vertu d’aucune
4 Ad quartum dicendum, quod prophetia nullo façon : ni une vertu intellectuelle, puisque
modo potest esse virtus: neque intellectualis, cum l’opération de l’intellect n’est pas perfectionnée
non perficiatur per eam operatio intellectus par elle selon le mode connaturel à l’intellect, car
secundum modum intellectui connaturalem: quia ce qui est révélé par la prophétie ne peut être
ea quae per prophetiam revelantur, non possunt ramené aux principes naturellement connus; elle
resolvi ad principia naturaliter cognita: neque est n’est pas non plus une vertu théologale,
virtus theologica, quia non habet Deum pro puisqu’elle n’a pas Dieu pour objet, mais des
objecto, sed res temporales: neque iterum actus réalités temporelles. Il n’y a pas non plus dans la
intellectus per prophetam a voluntate imperatur. prophétie d’acte de l’intellect commandé par la
volonté.
[10541] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 5. La foi a un modèle en Dieu selon ce qui est
5 Ad quintum dicendum, quod fides habet parfait en elle : la connaissance et la certitude;
exemplar in Deo quantum ad id quod perfectionis mais non selon ce qui est imparfait. En cela, elle
in ipsa est, scilicet cognitionem et certitudinem, n’a pas raison de vertu.
sed non quantum ad id quod est imperfectionis: ex
hoc enim non habet rationem virtutis.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10542] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Un habitus tire sa multiplicité et son unité de son
Ad secundam quaestionem dicendum, quod objet. Or, l’objet de la foi est la Vérité première,
habitus multitudinem et unitatem habet ex qui est simple et invariable. C’est pourquoi on
objecto. Objectum autem fidei est veritas prima, trouve une double unité dans la foi. En effet, du
quae est simplex et invariabilis. Et ideo in fide fait que ce sur quoi s’appuie la foi est unique et
invenitur duplex unitas: ex hoc enim quod unum simple, l’habitus de la foi chez celui qui le
et simplex est cui fides innititur, habitus fidei in possède n’est pas divisé en plusieurs habitus;
habente non dividitur in plures habitus: ex hoc mais du fait que c’est la Vérité, elle a le pouvoir
autem quod veritas est, habet potentiam uniendi d’unir ceux qui ont la foi dans la similitude
diversos habentes fidem in similitudinem unius d’une seule foi, qui se prend de l’identité de ce
717

fidei, quae attenditur secundum idem creditum: qui est cru, car, ainsi que le dit Denys, « la vérité
quia, sicut dicit Dionysius, veritas habet vim a la capacité de rassembler et d’unir »; en sens
colligendi et uniendi, e contrario error et contraire, l’erreur et l’ignorance sont facteurs de
ignorantia divisiva sunt. division.
[10543] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1. La foi ne porte pas sur quelque chose de
1 Ad primum ergo dicendum, quod fides non est temporel comme sur son objet; mais, dans la
de aliquo temporali sicut de objecto; sed mesure où elle se rapporte à la Vérité éternelle,
inquantum pertinet ad veritatem aeternam, quae qui est l’objet de la foi, [cette chose temporelle]
est objectum fidei, sic cadit sub fide; sicut fides relève de la foi. Ainsi, la foi croit à la passion
credit passionem, inquantum Deus passus est. pour autant que Dieu a souffert.
[10544] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2. L’espérance et la crainte concernent
2 Ad secundum dicendum, quod spes et timor ad l’affectivité, dont l’objet propre est le bien et le
affectum pertinent, cujus proprium objectum est mal en tant que tels. C’est pourquoi elles se
bonum et malum, inquantum hujusmodi: et ideo diversifient selon la différence entre le bien et le
diversificantur secundum differentiam boni et mal. Mais le bien et le mal ne diffèrent pas selon
mali. Sed bonum et malum non differunt in la raison de vrai. C’est pourquoi la foi, dont
ratione veri. Et ideo fides, cujus objectum est l’objet est le vrai, ne se diversifie pas par le fait
verum, non distinguitur ex hoc quod aliquo modo qu’elle porte d’une certaine manière sur ce qui
est de bonis et malis. est bon et sur ce qui est mauvais.
[10545] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3. La foi considère toutes ces différentes choses
3 Ad tertium dicendum, quod fides considerat selon une seule raison : selon qu’elles se fondent
omnia illa diversa sub una ratione, scilicet sur la Vérité première. C’est pourquoi la foi ne
secundum quod innituntur veritati primae: et ideo se diversifie pas selon elles, bien que diverses
fides non diversificatur penes ea, quamvis sint sciences existent à leur propos, qui les
diversae scientiae de eis, quae ea considerant considèrent selon leurs raisons propres, qui sont
rationibus propriis, quae diversae sunt. diverses.

Articulus 5 [10546] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 Article 5 – La foi est-elle antérieure aux
a. 5 tit. Utrum fides sit prior aliis virtutibus autres vertus ?
[10547] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 1 1. Il semble que la foi ne soit pas antérieure aux
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod fides autres vertus. En effet, toutes les vertus sont
non sit prior aliis virtutibus. Omnes enim virtutes infusées simultanément. Or, une chose ne vient
simul infunduntur. Sed eorum quae sunt simul, pas après l’autre pour les choses qui sont
unum non est post alterum. Ergo fides non est simultanées. La foi n’est donc pas antérieure aux
prior aliis virtutibus. autres vertus.
[10548] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 2 2. Le fondement est la première partie d’un
Praeterea, fundamentum est prima pars aedificii. édifice. Or, à propos de Lc 1 : Je le dis à vous,
Sed super illud Luc. 11: dico vobis amicis meis, mes amis, afin que vous ne soyez pas terrorisés,
ne terreamini, dicit Glossa: fortitudo est la Glose dit : « La force est le fondement de la
fundamentum fidei; et Bernardus dicit, quod in foi », et Bernard dit que les autres vertus sont
humilitate fundantur aliae virtutes. Et similiter fondées sur l’humilité. De même, la crainte
timor videtur esse fundamentum: quia dicitur, semble être le fondement, car il est dit,
Psalm. 110, 2: initium sapientiae timor domini. Ps 110, 2 : Le commencement de la sagesse est
Ergo videtur quod fides non sit prima. la crainte du Seigneur. Il semble donc que la foi
ne vienne pas en premier.
[10549] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 3 3. Comme on l’a dit, les vertus théologales
Praeterea, virtutes theologicae, ut prius dictum existent pour que se réalise une certaine
est, ad hoc sunt ut fiat quaedam hominis ordinatio orientation de l’homme vers sa fin. Or,
ad finem. Sed spes et caritas propinquiores sunt l’espérance et la charité, parce qu’elles ont
fini quam fides, quia habent finem pro objecto sub comme objet la fin en tant que fin, sont plus
718

ratione finis. Ergo fide priores sunt. rapprochées de la fin que la foi. Elles sont donc
antérieures à la foi.
[10550] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 4 4. À propos de Ps 36 : N’imitez pas, etc., la
Praeterea, super Psalm. 36, noli aemulari etc., Glose dit que « l’espérance introduit à la foi ».
dicit Glossa, quod spes introducit ad fidem. Ergo L’espérance est donc antérieure à la foi.
spes est prior fide.
[10551] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 5 5. L’ordre des habitus suit l’ordre des
Praeterea, secundum ordinem potentiarum est puissances. Or, la foi se trouve dans l’intellect en
ordo habituum. Sed fides est in intellectu, tant que celui-ci est mû par la volonté, comme
secundum quod est motus a voluntate, ut patet ex cela ressort de ce qui a été dit. Puisque la charité
praedictis. Cum ergo caritas sit in voluntate, se trouve dans la volonté, il semble donc que la
videtur quod caritas sit prior fide; et sic fides non charité soit antérieure à la foi, et ainsi la foi ne
est prima. vient pas en premier.
[10552] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 arg. 6 6. La foi se trouve principalement dans l’intellect
Praeterea, fides est principaliter in intellectu spéculatif. Or, la vie spéculative suit la vie
speculativo. Sed speculativa vita sequitur activam: active, car personne ne parvient au loisir de la
quia nullus pervenit ad contemplativae otium, nisi vie contemplative si son esprit n’a pas d’abord
prius depuretur mens per exercitium activae. Ergo été purifié par l’exercice de la vie active. Les
virtutes morales, quae pertinent ad vitam activam, vertus morales, qui se rapportent à la vie active,
sunt priores fide. sont donc antérieures à la foi.
[10553] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] la connaissance précède
Sed contra, cognitio praecedit affectionem: quia l’affectivité, « car rien n’est aimé qui ne soit
nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus. connu », comme le dit Augustin. Or, la foi se
Sed fides est in cognitione, ceterae autem virtutes trouve dans la connaissance, mais les autres
in affectione consistunt. Ergo fides aliis prior est. vertus se trouvent dans l’affectivité. La foi est
donc antérieure aux autres [vertus].
[10554] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 s. c. 2 [2] Pour toutes les vertus, l’intention droite est
Praeterea, in omnibus virtutibus requiritur recta requise. Or, « la foi dirige l’intention », comme
intentio. Sed fides intentionem dirigit, ut dicit le dit Augustin. La foi est donc antérieure aux
Augustinus. Ergo fides est ante alias virtutes. autres vertus.
[10555] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 s. c. 3 [3] L’homme approche de Dieu par toutes les
Praeterea, per omnes virtutes homo accedit ad vertus. Or, il faut que celui qui approche de Dieu
Deum. Sed accedentem ad Deum oportet credere, ait la foi, comme le dit He 11. La foi est donc
ut dicitur Heb. 11. Ergo fides est ante alias antérieure aux autres vertus.
virtutes.
[10556] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 co. Réponse. On peut dire qu’une chose est
Respondeo dicendum, quod aliquid potest dici antérieure à une autre dans le temps et par
prius altero et tempore et natura. Tempore quidem nature. Dans le temps, toutes les vertus sont
omnes virtutes sunt simul, quia simul divinitus simultanées, car elles sont toutes infusées par
infunduntur; sed secundum naturam ordo virtutum Dieu. Mais, par nature, l’ordre des vertus doit
pensandus est ex actibus, sicut et ordo être évalué selon les actes, comme l’ordre des
potentiarum, quae simul in anima concreantur. puissances, qui sont concréées dans l’âme. Or,
Actus autem fidei consistit in cognitione veri, l’acte de la foi consiste dans la connaissance du
quam praesupponit affectio boni, quae exigitur in vrai, présupposée pas l’amour du bien, est requis
omnibus aliis virtutibus; et ideo fides, quantum ad pour toutes les autres vertus. C’est pourquoi la
id quod fidei est, prior est omnibus aliis virtutibus foi, pour ce qui relève de la foi, est antérieure à
secundum naturam. toutes les autres vertus par nature.
[10557] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 1 Ad 1. Cette objection vient de l’ordre dans le temps.
primum ergo dicendum, quod objectio illa
procedit de ordine temporis.
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[10558] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 2 Ad 2. On parle métaphoriquement de fondement


secundum dicendum, quod fundamentum dicitur pour les réalités spirituelles, par ressemblance
in spiritualibus metaphorice ad similitudinem avec un fondement matériel. Or, cette
fundamenti materialis. Potest autem ista ressemblance peut s’entendre de deux choses :
similitudo attendi quantum ad duo: scilicet de l’ordre, car le fondement précède les autres
quantum ad ordinem, quia fundamentum praecedit parties; et aussi de la puissance du fondement,
alias partes; et etiam quantum ad virtutem car le fondement supporte tout l’édifice. Et les
fundamenti, quia fundamentum totum aedificium deux choses se trouvent dans la foi par
sustentat: quorum utrumque per similitudinem in ressemblance, car elle est naturellement
fide invenitur: quia ipsa omnibus aliis naturaliter antérieure à toutes les autres [vertus] et les autres
prior est, et aliae in ipsa firmantur: quia sine ipsa, s’appuient sur elle, car, sans elle, il est
impossibile est placere Deo, Hebr. 11. Fortitudo impossible de plaire à Dieu, He 11. Or, la force
autem dicitur fundamentum quantum ad alterum, est appelée un fondement pour autre chose : en
inquantum scilicet spirituale aedificium contra tant qu’elle rend l’édifice spirituel solide contre
adversa firmum reddit; humilitas contra prospera, ce qui s’y oppose; l’humilité, contre la
quae sunt occasio culpae; sed timor contra ipsam prospérité, qui est une occasion de faute; mais la
culpam, quia timor domini expellit peccatum, crainte, contre la faute elle-même, car la crainte
Eccli., 1, 27; unde timor praecedit alia quae ad du Seigneur chasse le péché, Si 1, 27. La crainte
affectionem pertinent, cum caritatem introducat, précède donc les autres choses qui se rapportent
ut dicit Augustinus. à l’affectivité, puisqu’elle introduit la charité,
comme le dit Augustin.
[10559] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 3 Ad 3. L’espérance et la charité sont plus rapprochées
tertium dicendum, quod spes et caritas sunt de la fin quant à son obtention, car la charité
propinquiores fini quantum ad consecutionem, atteint d’une certaine manière la fin. Elles ne
quia caritas quodammodo attingit finem; unde ex tiennent donc pas de cela d’être par nature
hoc non habent quod sint secundum naturam prius antérieures à la foi, mais elles la suivent, car elle
fide; sed consequuntur eam, quia eis finem leur montre la fin.
ostendit.
[10560] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 4 Ad 4. De même que la fin est antérieure dans
quartum dicendum, quod sicut finis est prior in l’intention, mais postérieure dans la réalité, de
intentione, et posterior in esse; ita quanto aliquid même, plus une chose est rapprochée de la fin,
est propinquius fini, est prius in proposito, plus elle est antérieure dans l’intention, bien
quamvis sit posterius in esse vel tempore vel qu’elle soit postérieure dans la réalité, soit dans
natura; et ideo spes, secundum quod magis le temps, soit par nature. C’est pourquoi
propinquat ad consecutionem finis quam fides, l’espérance, selon qu’elle s’approche davantage
praecedit fidem in proposito, sed non in esse: et de l’obtention de la fin que la foi, précède la foi
secundum hoc dicitur spes introducere ad fidem, dans l’intention, mais non dans la réalité. De
non quae jam sit, sed quae proponitur futura: sicut cette manière, on dit que l’espérance introduit à
cum alicui proponuntur aeterna bona, primo vult la foi, non pas qu’elle existe déjà, mais en tant
ea, secundo vult eis inhaerere per amorem, et qu’elle est proposée comme à venir. Ainsi,
tertio vult sperare ea, et quarto vult credere ea, utlorsque les biens éternels sont proposés à
credens possit jam sperare et amare et habere: quelqu’un, d’abord, il les veut; deuxièmement, il
unde in essendo fides prior est. veut adhérer à eux par l’amour; troisièmement, il
veut les espérer; et quatrièmement, il veut les
croire afin, qu’en croyant, il puisse déjà les
espérer, les aimer et les posséder. Ainsi la foi
est-elle antérieure dans l’ordre de l’être.
[10561] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 5 Ad 5. Bien que la foi présuppose la volonté, elle ne
quintum dicendum, quod quamvis fides présuppose cependant pas une volonté qui aime
praesupponat voluntatem, non tamen praesupponit déjà, mais qui a l’intention d’amer, pour autant
720

voluntatem jam amantem, sed amare intendentem, qu’il y a foi, car l’affectivité ne peut être affermi
inquantum est fides: quia non potest affectus in par l’amour si l’intellect n’est pas affermi par
aliquo firmari per amorem in quo intellectus non l’assentiment, de même qu’elle ne peut aussi
est firmatus per assensum; sicut etiam non potest tendre par le désir vers quelque chose que
tendere in aliquod per desiderium quod prius l’intellect n’appréhende pas d’abord. C’est
intellectus non apprehendit. Unde iste est naturalis pourquoi l’ordre naturel des actes est le suivant :
ordo actuum, quod prius apprehenditur Deus, Dieu est d’abord appréhendé, ce qui relève de la
quod pertinet ad cogitationem praecedentem réflexion précédant la foi; ensuite, on veut
fidem, deinde aliquis vult ad eum pervenire, parvenir jusqu’à lui; ensuite, on veut l’aimer et
deinde amare vult, et sic deinceps, ut dictum est ainsi de suite, comme on l’a dit antérieurement.
prius.
[10562] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 2 a. 5 ad 6 Ad 6. La foi ne se rapporte pas seulement à la vie
sextum dicendum, quod fides non pertinet tantum contemplative; bien plus, elle est le principe de
ad vitam contemplativam; immo est principium et la vie active comme de la vie contemplative,
activae et contemplativae, inquantum ostendit pour autant qu’elle montre la fin des deux.
finem utriusque.

Quaestio 3 Question 3 – [La foi formée par la charité]


Prooemium Prologue
[10563] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la formation de la foi.
quaeritur de formatione fidei; et circa hoc À ce propos, quatre questions sont posées : 1 –
quaeruntur quatuor: 1 utrum fides per caritatem La charité est-elle la forme de la foi ? 2 – La foi
formetur; 2 utrum fides informis sit donum Dei; 3 informe est-elle un don de Dieu ? 3 – Existe-t-
utrum sit in Daemonibus; 4 utrum remaneat elle chez les démons ? 4 –Demeure-t-elle lorsque
caritate adveniente. survient la charité ?

Articulus 1 [10564] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 Article 1 – La charité est-elle la forme de la foi
a. 1 tit. Utrum fides formetur per caritatem ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La charité est-elle la forme
de la foi ?]
[10565] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 1. Il semble que la foi ne reçoive pas sa forme de
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod la charité. En effet, il appartient à la forme de
fides non formetur per caritatem. Formae enim est précéder, puisqu’elle est le principe d’une chose.
praecedere, cum sit principium rei. Sed caritas est Or, la charité est postérieure à la foi, comme on
posterior fide, ut dictum est. Ergo fides non l’a dit. La foi ne reçoit donc pas sa forme de la
formatur per caritatem. charité.
[10566] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 2. Toute chose tire son espèce de sa forme
arg. 2 Praeterea, omnis res habet speciem a propre. Or, la foi diffère de la charité selon son
propria forma. Sed fides secundum suam speciem espèce. La charité n’est donc pas la forme de la
differt a caritate. Ergo caritas non est forma fidei. foi.
[10567] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 3. Il n’y a pas de formes différentes pour une
arg. 3 Praeterea, unius rei non sunt diversae seule chose. Or, la grâce est la forme de la foi.
formae. Sed fides formatur per gratiam. Ergo non La charité n’est donc pas la forme de la foi.
formatur per caritatem.
[10568] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 s. Cependant, [1] la foi sans la charité ne peut
c. 1 Sed contra, fides sine caritate non potest produire un acte méritoire, qu’elle produit si la
elicere actum meritorium, quem caritate veniente charité survient. La charité donne donc une
elicit. Ergo caritas dat fidei aliquam vim; et ita certaine force à la foi. Il semble ainsi qu’elle la
videtur eam aliquo modo formare. forme d’une certaine manière.
[10569] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 s. [2] La forme d’une chose est sa beauté. Or, pour
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c. 2 Praeterea, forma rei est decor ejus. Sed fides que Dieu l’accepte, la foi devient belle par la
fit decora, ut Deus eam acceptet, per caritatem. charité. La charité forme donc la foi.
Ergo caritas format fidem.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi informe est-elle une
vertu ?]
[10570] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 1. Il semble que la foi informe ne soit pas une
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides informis sit vertu, car Augustin dit, dans Livre sur la
virtus. Quia dicit Augustinus in Lib. de vera véritable innocence, que « les autres vertus
Innoc., quod ceterae virtutes praeter caritatem peuvent se trouver chez les bons et les méchants
possunt inesse bonis et malis. Ergo fides, sans la charité ». La foi, en tant qu’elle est une
secundum quod est virtus, potest esse in malis. vertu, peut donc se trouver chez les méchants.
Sed fides quae est in malis, est informis. Ergo Or, la foi qui se trouve chez les méchants est
fides informis est virtus. informe. La foi informe est donc une vertu.
[10571] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 2. La vertu porte sur des choses difficiles; elle
arg. 2 Praeterea, virtus est circa difficilia, et ex tire de là sa louange, comme le dit le Philosophe.
hoc habet laudem, ut dicit philosophus. Sed Or, il est très difficile de croire les articles de foi;
difficillimum est credere articulos fidei; unde aussi Augustin dit-il, et on le voit dans la
Augustinus dicit et habetur in sequenti distinction suivante, que la louange de la foi
distinctione, quod laus fidei est credere quae non consiste à croire ce qu’elle ne voit pas. Il semble
videt. Ergo videtur quod fides informis, quae donc que la foi informe, qui croit tous les
omnes articulos credit, sit virtus. articles, soit une vertu.
[10572] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 3. Rien ne s’oppose à un vice si ce n’est une
arg. 3 Praeterea, nihil opponitur vitio, nisi sit vertu ou un vice. Or, la foi informe s’oppose au
virtus, aut vitium. Sed infidelitatis vitio opponitur vice d’infidélité. Puisque la foi informe n’est pas
fides informis. Cum ergo fides informis non sit un vice, il semble donc qu’elle soit une vertu.
vitium, videtur quod sit virtus.
[10573] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] la foi informe est morte, comme
c. 1 Sed contra, fides informis est mortua, ut il est dit en Jc 1, 17. Or, rien de mort n’a raison
dicitur Jacob. 1. Sed nihil mortuum habet de vertu. La foi informe n’est donc pas une
rationem virtutis. Ergo fides informis non est vertu.
virtus.
[10574] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 s. [2] « Personne n’utilise mal une vertu », comme
c. 2 Praeterea, virtute nullus male utitur, ut dicit le dit Augustin. Or, on peut mal utiliser la foi
Augustinus. Sed fide informi aliquis male utitur. informe. La foi informe n’est donc pas une vertu.
Ergo fides informis non est virtus.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La foi formée et la foi
informe sont-elles d’une espèce différente ?]
[10575] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 1. Il semble que la foi formée et la foi informe
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides formata et diffèrent par l’espèce, car, ainsi que le dit le
informis differant specie. Quia, ut dicit Philosophe dans Métaphysique, V, tout ce qui
philosophus 5 Metaph., quaecumque differunt diffère par le genre diffère aussi par l’espèce. Or,
genere, differunt et specie. Sed fides formata et la foi formée et la foi informe diffèrent par le
informis differunt genere: quia fides formata est genre, car la foi formée est une vertu, mais non
virtus, non autem fides informis. Ergo fides la foi informe. La foi formée et la foi informe
formata et informis differunt specie. diffèrent donc pas l’espèce.
[10576] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 2. L’espèce d’une chose vient de sa forme. Or, la
arg. 2 Praeterea, species rei est de forma sua. Sed forme de la foi est la charité. La foi informe n’est
fidei forma est caritas. Ergo fides informis non est donc pas de la même espèce que la foi formée.
illius speciei cujus est fides formata.
[10577] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 3. L’acte d’une espèce est le même que la forme
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arg. 3 Praeterea, ejusdem formae secundum d’une même espèce. Or, l’acte de la foi formée
speciem est idem actus secundum speciem. Sed consiste à croire en Dieu, mais non celui de la foi
fidei formatae actus est credere in Deum, non informe. La foi formée et la foi informe diffèrent
autem fidei informis. Ergo fides formata et donc par l’espèce.
informis differunt specie.
[10578] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 s. Cependant, [1] les habitus se diversifient par
c. 1 Sed contra, habitus diversificantur ex actibus leurs actes et leurs objets. Or, la foi informe et la
et objectis. Sed fides informis et formata non foi formée ne diffèrent pas selon l’objet propre
differunt quantum ad objectum proprium fidei, de la foi, qui est la Vérité unique. La foi formée
quod est veritas una. Ergo fides formata et et la foi informe ne diffèrent donc pas par
informis non differunt specie. l’espèce.
[10579] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 s. [2] Ce qui est extérieur à l’essence ne change
c. 2 Praeterea, illud quod est extra essentiam rei, pas l’espèce, comme la lumière qui survient dans
non variat speciem, sicut lumen adveniens aeri in l’air pour un corps lumineux. Or, la charité est
corpore lucenti. Sed caritas est habitus separatus a par essence un habitus distinct de la foi. La foi
fide per essentiam. Ergo fides formata caritate non formée par la charité ne diffère donc pas de la foi
differt specie a fide informi. informe par l’espèce.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10580] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Dans les agents ordonnés, les fins des agents
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, secondaires sont ordonnés à la fin du premier
quod in agentibus ordinatis fines agentium agent, de même que tout l’univers est ordonné au
secundorum ordinantur ad finem agentis primi bien premier, qui est Dieu, comme le dit le
sicut totum universum ordinatur ad primum Philosophe, et que l’armée [est ordonnée] au
bonum, quod est Deus, ut dicit philosophus, sicut bien de celui qui la dirige. L’action de l’agent
exercitus ad bonum ducis; et ideo actio primi premier est donc à la fois antérieure et
agentis est et prior et posterior. Prior in movendo: postérieure. Antérieure pour mouvoir, car les
quia actiones omnium secundorum agentium actions de tous les agents secondaires sont
fundantur super actionem primi agentis, quae cum fondées sur l’action de l’agent premier, unique et
sit una, communiter omnes firmans, specificatur les affermissant toutes, dont l’effet est spécifié
ejus effectus in hoc et in illo secundum en telle ou telle chose selon ce qu’elle le requiert.
exigentiam illius; sicut uno praecepto ducis Ainsi, sous le commandement d’un seul qui
praecipientis bellum unus accipit gladium, alius commande une guerre, l’un reçoit une épée,
parat equum, et sic de aliis. Est autem posterior in l’autre prépare le cheval, et ainsi pour les autres.
utendo aliorum actibus ad finem proprium; et sic Mais il est postérieur en utilisant les actes des
omnes actiones aliorum agentium modificantur autres en vue de sa fin propre : ainsi, toutes les
per actionem primi agentis. Cum ergo in viribus actions des autres agents sont modifiées par
animae voluntas habeat locum primi motoris, l’action de l’agent premier. Puisque, parmi les
actus ejus est prior quodammodo actibus aliarum puissances de l’âme, la volonté tient lieu de
virium, inquantum imperat eos secundum premier moteur, son acte est d’une certaine
intentionem finis ultimi, et utitur eis in manière antérieur aux actes des autres
consecutione ejusdem. Et ideo vires motae a puissances, pour autant qu’elle les commande en
voluntate, duo ab ea recipiunt. Primo formam vue de la fin ultime et les utilise pour son
aliquam ipsius secundum quod omne movens et obtention. C’est pourquoi les puissances mues
agens imprimit suam similitudinem in motis et par la volonté en reçoivent deux choses.
patientibus ab eo. Haec autem forma vel est Premièrement, une certaine forme venue d’elle,
secundum formam ipsius voluntatis, secundum selon que tout ce qui meut et tout agent imprime
quod omnes vires motae a voluntate libertatem ab sa ressemblance dans ce qui est mû et subit son
ea participant; vel est secundum habitum action. Or, cette forme reproduit la forme de la
perficientem voluntatem, qui est caritas; et sic volonté elle-même selon que toutes les
omnes habitus qui sunt in viribus motis a puissances mues par la volonté participent par
723

voluntate perfecta, participant formam caritatis. elle à la liberté ; ou bien est reproduit l’habitus
Haec tamen forma quam a voluntate vires motae qui perfectionne la volonté, qui est la charité.
participant, est omnibus communis; unde praeter Ainsi tous les habitus qui se trouvent dans les
eam habitus, qui sunt perfectiones earum, habent puissances mues par une volonté parfaite
speciales formas, secundum quod congruit participent à la forme de la charité. Cependant,
potentiae quam perficiunt, per comparationem ad cette forme, à laquelle les puissances mues par la
actus et objecta. Secundo recipiunt a voluntate volonté participent, est commune à toutes. Aussi,
consummationem in fine; et sic caritas dicitur en plus d’elle, les habitus, qui sont leur
finis aliarum virtutum, inquantum per eam fini perfection, reçoivent-ils des formes spéciales,
ultimo conjunguntur. Quia ergo fides, ut dictum comme il convient à la puissance qu’ils
est, est in intellectu secundum quod movetur a perfectionnent, en rapport avec leurs actes et
voluntate; ideo per caritatem, quae est perfectio leurs objets. Deuxièmement, ils reçoivent de la
voluntatis, formatur forma communis sibi et aliis volonté leur achèvement dans la fin. Ainsi la
virtutibus; tamen praeter eam habet formam charité est-elle appelée la fin des autres vertus
specialem ex ratione proprii objecti, et potentiae pour autant qu’elles sont unies par elle à la fin
in qua est: et similiter consummationem per ultime. Parce que, ainsi qu’on l’a dit, la foi se
caritatem recipit. trouve dans l’intellect selon qu’il est mû par la
volonté, une forme commune à elle et autres
vertus est donc formée par la charité, qui est la
perfection de la volonté; cependant, en plus
d’elle, elle possède une forme spéciale en raison
de son objet propre et de la puissance dans
laquelle elle se trouve; de même reçoit-elle son
achèvement par la charité.
[10581] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1. La foi précède simplement la charité, car le
1 Ad primum ergo dicendum, quod fides vouloir, qui est prérequis à la foi, peut exister
simpliciter caritatem praecedit: quia velle, quod sans la charité. Mais la foi formée suit la charité.
ad fidem exigitur, sine caritate esse potest: sed
fides formata caritatem sequitur.
[10582] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 2. Toutes les vertus se rejoignent dans la fin.
2 Ad secundum dicendum, quod omnes virtutes Aussi leurs actes ne diffèrent-ils pas selon le
conveniunt in fine; unde earum actus non mode qu’elles reçoivent par leur rapport à la fin,
differunt secundum modum illum quem recipiunt mode que leur donne la charité, mais selon le
ex ordine ad finem, quem modum dat eis caritas, mode qu’elles ont par la nature de la puissance et
sed secundum modum quem habent ex natura par son objet propre. C’est pourquoi la foi est
potentiae et objecto proprio; et ideo secundum aussi distincte de la charité selon cette forme.
hanc etiam formam distinguitur a caritate fides; et Elle n’est donc pas formée par elle.
secundum hanc non formatur ab ea.
[10583] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 3. La foi reçoit sa forme de la grâce par
3 Ad tertium dicendum, quod fides formatur a l’intermédiaire de la charité, car, dans la mesure
gratia mediante caritate: quia inquantum actus où l’acte de foi vient de la charité, il est ainsi
fidei est ex caritate, secundum hoc est Deo agréable à Dieu.
acceptus.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10584] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 co. Il relève de la vertu de rendre un acte parfait. Or,
Ad secundam quaestionem dicendum, quod l’acte d’une puissance mue par une autre
virtutis est facere actum perfectum. Actus autem puissance ne peut être parfait que si la puissance
potentiae motae ab alia potentia non potest esse supérieure est parfaite en raison d’un habitus, de
perfectus nisi et superior potentia sit perfecta per sorte qu’elle ne soit pas déficiente dans sa
habitum, ut non deficiat in dirigendo vel direction et son mouvement, et que [la
724

movendo, et inferior, ut non deficiat in puissance] inférieure ne soit pas déficiente dans
exequendo; sicut patet in actu concupiscibilis, qui l’exécution, comme cela ressort dans l’acte du
ad hoc quod sit perfectus, requiritur quod concupiscible, qui, pour être parfait, exige que le
concupiscibilis sit perfecta per habitum concupiscible soit perfectionné par l’habitus de
temperantiae et ratio per habitum prudentiae: la tempérance et la raison, par l’habitus de
quod si desit prudentia in ratione, prudence – si la prudence fait défaut dans la
quantumcumque sit dispositio in concupiscibili ad raison, quelle que soit la disposition du
actum temperantiae, virtutis rationem non habebit, concupiscible par rapport à l’acte de la
ut dicit philosophus. Quia ergo credere est actus tempérance, elle n’aura pas raison de vertu,
intellectus, secundum quod est motus a voluntate; comme le dit le Philosophe. Parce que croire est
ad hoc quod iste actus perfectus sit, oportet quod un acte de l’intellect selon qu’il est mû par la
intellectus perfectus sit per lumen fidei, et volonté, pour que cet acte soit parfait, il est
voluntas sit perfecta per habitum caritatis; et ideo nécessaire que l’intellect soit perfectionné par la
informis fides non habet actum perfectum, et ideo lumière de la foi et que la volonté soit
non potest esse virtus. perfectionnée par l’habitus de la charité. C’est
pourquoi la foi informe n’a pas un acte parfait, et
c’est pourquoi elle ne peut pas être une vertu.
[10585] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 1. Augustin entend au sens large le mot « vertu »
1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus de toute disposition qui incline à un acte par
large accipit nomen virtutis pro quacumque lequel on fait le bien.
dispositione inclinante ad actum quo bonum
agitur.
[10586] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 2. Pour qu’il y ait vertu, il n’est pas seulement
2 Ad secundum dicendum, quod ad hoc quod sit nécessaire que l’homme accomplisse ce qui
virtus non solum oportet quod homo faciat ea relève de la vertu, de sorte qu’il fasse ce qui est
quae sunt virtutis, ut quod faciat justa vel fortia, juste ou fort, mais qu’il l’accomplisse de la
sed quod faciat eo modo quo virtuosus facit; manière dont il est vertueux, bien que, d’une
quamvis etiam aliquo modo ex hoc quod facit ea certaine manière, par le fait qu’il accomplit ce
quae virtutis sunt, laudari possit. Hic autem qui relève de la vertu, il puisse être loué. Or,
modus, ut ex dictis patet, deficit in actu fidei cette manière, comme on l’a dit, manque à l’acte
informis; et ideo non est virtus. de la foi informe. C’est pourquoi elle n’est pas
une vertu.
[10587] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 2 ad 3. La disposition à la vertu s’oppose aussi au
3 Ad tertium dicendum, quod etiam dispositio ad vice. Aussi n’est-il pas nécessaire que la foi
virtutem opponitur vitio; unde non oportet quod informe, qui s’oppose à l’infidélité, soit une
fides informis quae infidelitati opponitur, sit vertu.
virtus.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10588] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 co. La différence entre les habtus doit être évaluée
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod en fonction de leurs actes. Or, il se fait que
differentia habituum pensanda est ex actibus. certains habitus peuvent être envisagés de deux
Contingit autem aliquos actus dupliciter manières : selon leur espèce naturelle et selon
considerari: vel secundum speciem naturae, vel leur espèce morale. Parfois, ils se rejoignent dans
secundum speciem moris: et quandoque l’une des espèces mentionnées et diffèrent selon
conveniunt secundum speciem quantum ad unum l’autre, comme tuer un homme nuisible et un
dictorum, et differunt secundum aliud; sicut innocent ne diffèrent pas par leur espèce
occidere nocentem et innocentem non differunt naturelle, mais par leur espèce morale, car l’un
secundum speciem naturae, sed secundum est l’acte d’un vice, l’homicide, et l’autre est
speciem moris: quia unum est actus vitii, scilicet l’acte d’une vertu, la justice. Mais tuer un voleur
homicidii, alterum actus virtutis, sive justitiae: sed et libérer un innocent sont des actes différents
725

occidere latronem et liberare innocentem, sunt selon leur espèce naturelle et se rejoignent selon
actus diversi secundum speciem naturae, et leur espèce morale, car ils sont des actes de
conveniunt secundum speciem moris, quia sunt justice. Si donc les actes de la foi formée et de la
actus justitiae. Si ergo actus fidei formatae et foi informe sont envisagés selon leur espèce
informis considerentur secundum speciem naturelle, ils ont ainsi la même espèce, car un
naturae, sic sunt idem specie, quia speciem acte tire son espèce naturelle de son objet propre.
naturalem habet actus ex objecto proprio. Si Mais s’ils sont envisagés selon leur être moral,
autem considerentur secundum esse moris, tunc alors ils diffèrent comme un acte complet et un
differunt secundum completum et incompletum in acte incomplet dans une même espèce, comme
eadem specie; sicut actus quo facit justa non ut l’acte par lequel on accomplit ce qui est juste
justus, et quo facit justa ut justus. Et similiter sans être juste, et par lequel on accomplit ce qui
fides formata et informis in specie naturae sunt est juste en tant que juste. De même, la foi
penitus idem; sed in specie moris differunt, non formée et la foi informe sont-elles tout à fait les
quasi in diversis speciebus existentes, sed sicut mêmes selon leur espèce naturelle, mais elles
perfectum et imperfectum in eadem specie, sicut diffèrent selon leur espèce morale, non pas parce
dispositio et habitus virtutis. qu’elles se trouvent dans des espèces différentes,
mais comme ce qui parfait et ce qui est imparfait
dans la même espèce, comme une disposition et
l’habitus d’une vertu.
[10589] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 1. La vertu est le genre de la foi selon son être
1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus est moral; la foi informe ne lui est cependant pas
genus fidei secundum esse moris; a quo tamen entièrement étrangère, mais elle est comme
non penitus fides informis est aliena, sed est sicut quelque chose d’imparfait dans ce genre.
imperfectum in illo genere.
[10590] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 2. La vertu tire son espèce naturelle de la forme
2 Ad secundum dicendum, quod a forma quam qu’elle possède en raison de sa puissance et de
habet virtus ex ratione potentiae et objecti proprii, son objet propres; mais elle tire son espèce
habet speciem naturae; sed speciem moris habet a morale de la forme qu’elle possède en raison de
forma quam habet a potentia movente et dirigente: la puissance qui la meut et la dirige. C’est
et ideo non sequitur quod differant specie, nisi pourquoi il n’en découle pas qu’elles diffèrent
sicut dictum est. selon l’espèce, si ce n’est selon ce qu’on a dit.
[10591] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 1 qc. 3 ad 3. Comme on l’a dit plus haut, un seul acte en
3 Ad tertium dicendum, quod, sicut supra dictum nombre est ainsi désigné selon divers aspects.
est, per illa tria unus numero actus designatur Aussi existe-t-il dans l’acte de la foi formée
quantum ad diversa: unde aliquid est in actu fidei quelque chose qui n’existe pas dans l’acte de la
formatae quod non est in actu fidei informis; non foi informe; il n’est cependant pas entièrement
tamen est penitus alius. différent.

Articulus 2 [10592] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 Article 2 – La foi informe est-elle un don de
a. 2 tit. Utrum fides informis sit donum Dei, vel Dieu ou un habitus acquis ?
habitus acquisitus
[10593] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 1 1. Il semble que la foi informe ne soit pas un don
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod fides de Dieu, mais un habitus acquis. En effet,
informis non sit donum Dei, sed habitus Augustin dit que « la foi est acquise, nourrie et
acquisitus. Augustinus enim dicit, quod per défendue par la science ». Or, aucun habitus
scientiam fides acquiritur, nutritur, et defenditur. acquis par une science n’est un don de Dieu en
Sed nullus habitus acquisitus per scientiam tant qu’habitus infus. La foi informe n’est donc
aliquam est donum Dei, quasi habitus infusus. pas un habitus infus.
Ergo fides informis non est habitus infusus.
[10594] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 2 2. Il est dit en Rm 10, 17, que la foi vient de de
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Praeterea, Rom. 11 dicitur, quod fides ex auditu ce qu’on entend, et en Jn 20, 29, il est dit à
est; et Joan. 20, 29, dicitur Thomae: quia vidisti Thomas : Parce que tu m’as vu, tu as cru, et en
me, credidisti; et Joan. 4, 16: voca virum tuum; Jn 4, 16 : Appelle ton mari…; la Glose dit :
Glossa, intellectum ad credendum; et Augustinus « L’intelligence en vue de croire. » Et Augustin
dicit, quod nullus credit nisi volens. Ex quibus dit que « personne ne croit que celui qui le
omnibus habetur quod fides est ex aliquo quod in veut ». Par tout cela, on voit que la foi vient de
nobis est. Sed omne tale est habitus acquisitus. quelque chose qui est en nous. Or, tout ce qui est
Ergo fides est habitus acquisitus. tel est un habitus acquis. La foi est donc un
habitus acquis.
[10595] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 3 3. Les philosophes ont cru que Dieu était tout-
Praeterea, philosophi crediderunt Deum puissant. Or, il n’avaient pas d’habitus infus.
omnipotentem. Sed non habuerunt habitum
infusum.
[10596] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 4 4. L’habitus suffit par lui-même à mouvoir une
Praeterea, habitus per seipsum est sufficiens ad puissance à l’acte. Or, le croyant ne peut
movendum potentiam in actum. Sed in actum parvenir à l’acte de foi que s’il est instruit. La foi
fidei homo fidelis non potest, nisi instruatur. Ergo est donc un habitus acquis.
fides est habitus acquisitus.
[10597] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 5 5. Les œuvres de Dieu sont parfaites, Dt 33, 4.
Praeterea, Dei perfecta sunt opera; Deuteron. 33, Or, la foi informe est quelque chose d’imparfait.
4. Sed fides informis est quid imperfectum. Ergo Elle ne vient donc pas de Dieu.
non est a Deo.
[10598] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 arg. 6 6. On ne dit pas que l’action du péché vient de
Praeterea, actio peccati non dicitur esse a Deo, Dieu en raison de la difformité qui lui est
propter deformitatem quam habet annexam, quae associée, qui ne vient pas de Dieu. Or, par le fait
a Deo non est. Sed ex hoc ipso quod fides même que la foi est informe, elle a une certaine
informis est, habet quamdam deformitatem. Ergo difformité. La foi informe ne vient donc pas de
fides informis non est a Deo. Dieu.
[10599] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] à propos de 1 Co 13, 2 : Même si
Sed contra, 1 Corinth. 13, 2: si habuero omnem je possédais la plénitude de la foi, la Glose dit
fidem, dicit Glossa, quod fides quae est sine que la foi qui existe sans la charité est un don de
caritate, donum Dei est: quia etiam in malis sunt Dieu, car, même chez les méchants, il existe bien
multa dona Dei. Ergo informis fides est a Deo des dons de Dieu. La foi informe est donc
infusa. infusée par Dieu.
[10600] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 s. c. 2 [2] Personne ne peut accomplir ce qui dépasse la
Praeterea, nullus potest in his quae sunt supra nature, que par un don de Dieu. Or, celui qui a
naturam, nisi per aliquid divinitus datum. Sed une foi informe donne son assentiment à ce qui
aliquis habens fidem informem assentit his quae dépasse la nature. Il est donc nécéssaire que cela
sunt supra naturam. Ergo oportet quod hoc fiat per se réalise par quelque chose qui est infusé par
aliquid divinitus infusum. Dieu.
[10601] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 s. c. 3 [3] La foi porte sur des choses plus élevées que
Praeterea, altiora sunt ea de quibus est fides, quam la prophétie. Or, la prophétie ne peut exister sans
ea de quibus est prophetia. Sed prophetia non lumière infuse, chez les méchants comme chez
potest esse sine lumine infuso, sicut in bonis, les bons. Donc, encore bien moins la foi.
similiter in malis. Ergo multo minus fides.
[10602] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut, les
Respondeo dicendum, quod sicut supra dictum habitus sont nécessaires pour que les puissances
est, habitus ad hoc sunt necessarii, ut potentiae qui ne sont pas déterminées par nature à un acte
quae per naturam non sunt determinatae ad actum parfait soient déterminées par un habitus. Or, il
perfectum, determinentur per habitum. Contingit arrive parfois qu’une puissance inférieure ne soit
727

autem quandoque quod inferior potentia non est pas déterminée à cet acte parfait, mais qu’une
determinata ad actum illum perfectum, sed puissance supérieure y soit déterminé : ainsi, la
superior potentia determinatur ad ipsum; sicut puissance concupiscible n’est pas déterminée par
concupiscibilis non est determinata ad tenendum sa propre nature à garder le milieu dans le plaisir,
medium in delectatione ex propria natura, sed mais la raison y est déterminée par nature. C’est
ratio determinatur per naturam suam ad illud; et pourquoi l’habitus de la tempérance est acquis
ideo habitus temperantiae acquiritur in par le concupiscible en vertu d’une puissance
concupiscibili ex vi superioris potentiae. Nulla supérieure. Or, aucune puissance n’est
autem potentia secundum suam naturam déterminée par sa nature à ce qui dépasse la
determinatur ad illa quae sunt supra naturam nature de notre raison, sur quoi porte la foi. C’est
rationis nostrae, quorum est fides; et ideo ad hunc pourquoi nous avons besoin pour cet acte d’un
actum indigemus habitu, qui non est acquisitus: habitus qui n’est pas acquis et qui nous aide pour
qui quidem in duobus nos adjuvat: in hoc scilicet deux choses : contre l’endurcissement, pour que
quod intellectum facit facilem ad credendum l’intellect puisse facilement croire ce qui doit
credenda, contra duritiem, et discretum ad être cru; et contre l’erreur, pour qu’il discerne
refutandum non credenda, contra errorem. afin de repousser ce qui ne doit pas être cru.
[10603] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 1 Ad 1. L’habitus infus est semblable à un habitus
primum ergo dicendum, quod habitus infusus inné, car de même que l’habitus naturel est
similis est habitui innato: quia sicut naturalis donné par la création, de même [l’habitus] infus
habitus datur in creatione, ita infusus in est-il donné par la restauration. Or, l’habitus
reparatione. Naturalis autem habitus, sicut naturel, telle l’intelligence des principes, a
intellectus principiorum, indiget ut cognitio besoin que la connaissance soit déterminée par le
determinetur per sensum, quo acquisitus non sens, ce dont l’habitus acquis n’a pas besoin, car,
indiget: quia dum acquiritur, per actum lorsqu’il est acquis, il reçoit une détermination
determinationem recipit. Et similiter oportet quod par son acte. De même est-il nécessaire que
fidei habitus determinationem recipiat ex parte l’habitus de foi reçoive une détermination de
nostra: et quantum ad istam determinationem notre part. Pour ce qui est de cette détermination,
dicitur fides acquiri per scientiam theologiae, on dit que la foi est acquise par la science de la
quae articulos distinguit; sicut habitus théologie, qui distingue les articles, comme on
principiorum dicitur acquiri per sensum quantum dit que l’habitus des principes est acquis par le
ad distinctionem principiorum, non quantum ad sens pour ce qui est de la distinction des
lumen quo principia cognoscuntur. principes, et non pour ce qui est de la lumière par
laquelle les principes sont connus.
[10604] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 2 Ad 2. Dans la foi, on relève quatre choses : ce qui
secundum dicendum, quod in fide quatuor doit être cru; la raison déterminant la volonté à
considerantur; scilicet ipsum quod credendum est, croire; la volonté commandant à l’intelligence;
ratio voluntatem determinans ad credendum, l’intellect qui s’exécute. Ainsi dit-on que la foi,
voluntas intellectui imperans, intellectus pour ce qui est de sa détermination et pour ce qui
exequens: et secundum hoc fides quantum ad ejus est de son acte, qui est en nous, bien qu’elle soit
determinationem, et quantum ad ejus actum qui in un habitus infus, vient de quatre choses qui sont
nobis est, quamvis habitus sit infusus, dicitur esse en nous. Quant à ce qui doit être cru, on dit que
ex quatuor quae in nobis sunt. Quia quantum ad [la foi] vient de ce qu’on entend, car la
ipsum credendum dicitur esse ex auditu: quia détermination de ce qui doit être cru se produit
determinatio credendorum fit in nobis per en nous par une parole intérieure, par laquelle
locutionem interiorem qua Deus nobis loquitur, Dieu nous parle, ou par une parole extérieure.
vel vocem exteriorem. Quantum vero ad rationem, Quant à la raison, qui pousse la volonté à croire,
quae inducit voluntatem ad credendum, dicitur on dit qu’elle vient de la vision de quelque chose
esse ex visione alicujus quod ostendit Deum esse qui montre que c’est Dieu qui parle en celui qui
qui loquitur in eo qui fidem annuntiat. Quantum annonce la foi. Mais, pour ce qui est du
vero ad imperium voluntatis dicitur fides esse ex commandement de la volonté, on dit que la foi
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voluntate. Quantum autem ad executionem vient de la volonté. Pour ce qui est de l’intellect
intellectus, dicitur esse actus fidei ex intellectu. qui s’exécute, on dit que l’acte de foi vient de
l’intelligence.
[10605] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 3 Ad 3. À proprement parler, les philosophes n’ont pas
tertium dicendum, quod philosophi, proprie cru au Dieu tout-puissant, mais ils l’ont connu
loquendo, non crediderunt Deum omnipotentem, par science, car ils ont démontré cela de manière
sed sciverunt: quia demonstrative illud démonstrative. Mais si certains ont cru cela sans
probaverunt. Sed si aliqui illud sine démonstration, ils n’ont pas cru à cela comme si
demonstratione crediderunt, non crediderunt illud Dieu disait cela, mais par un signe selon lequel
quasi Deo dicenti hoc, sed alicui signo ex quo ils l’ont conjecturé.
illud conjecturati sunt.
[10606] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 4 Ad 4. L’habitus infus de la foi ne peut passer à l’acte
quartum dicendum, quod non potest habitus que si la foi est déterminée par Dieu par
infusus fidei in actum exire, nisi fides révélation ou par l’homme par l’enseignement.
determinetur vel a Deo per revelationem, vel ab Et il en va de même de l’habitus des principes.
homine per doctrinam: et simile est de habitu
principiorum.
[10607] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 5 Ad 5. La perfection des œuvres divines vient de lui-
quintum dicendum, quod perfectio divinorum même. Mais qu’il y ait quelque imperfection
operum est ex ipso; sed quod sit in eis aliqua chez les autres, cela vient de ce qui reçoit.
imperfectio, hoc accidit ex parte recipientis.
[10608] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 2 ad 6 Ad 6. Dans l’acte du péché, il n’y a pas seulement
sextum dicendum, quod in actu peccati non solum l’absence d’une circonstance qui est due, mais il
est defectus debitae circumstantiae, sed est ibi y là la présence d’une circonstance qui est indue.
positio indebitae; et ideo non tantum est L’acte n’est donc pas seulement imparfait, mais
imperfectus, sed est etiam malus; et ideo il est aussi mauvais. C’est pourquoi on ne dit pas
peccatum non dicitur a Deo esse. Sed in actu fidei que le péché vient de Dieu. Mais, dans l’acte de
informis est defectus alicujus quod debet esse; la foi informe, il y a absence de quelque chose
non autem est ibi positio alicujus quod esse non qui doit y être, mais il n’y a pas présence de ce
debeat; et ideo actus ille est imperfectus, non qui ne doit pas être. C’est pourquoi cet acte est
autem malus; et propter hoc a Deo est actus, non imparfait, mais il n’est pas mauvais. Pour cette
autem defectus. raison, il est réalisé par Dieu, mais non la
carence.

Articulus 3 [10609] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 Article 3 – La foi informe existe-t-elle chez les
a. 3 tit. Utrum fides informis sit in Daemonibus démons ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi informe existe-t-elle
chez les démons ?]
[10610] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 1. Il semble que la foi informe n’existe pas chez
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod les démons. En effet, la vision de la foi se réalise
fides informis non sit in Daemonibus. Visio enim dans un miroir et en énigme, comme il est dit
fidei est in speculo et in aenigmate, ut dicitur 1 dans 1 Co 13, 12. Or, la connaissance en énigme
Corinth. 13. Sed aenigmatica et specularis et dans un miroir vient en nous de ce que nous
cognitio est in nobis ex hoc quod per sensum recevons naturellement notre connaissance des
naturaliter cognitionem accipimus; quod non est sens, ce qui n’est pas le cas chez les démons. Il
in Daemonibus. Ergo in eis non potest esse fides ne peut donc exister de foi informe chez eux.
informis.
[10611] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 2. La foi informe est un don gratuit, comme on
arg. 2 Praeterea, fides informis est donum l’a dit. Or, après le péché, aucun don gratuit n’a
gratuitum, ut dictum est. Sed post peccatum, été infusé chez l’ange; avant cependant, la foi
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Angelo non est infusum aliquod donum n’existait pas chez eux, mais la vision. Il n’ont
gratuitum; ante autem in eis fides non erat, sed donc pas la foi informe.
visio. Ergo non habent fidem informem.
[10612] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 3. L’acte de foi vient de la volonté. Or, aucun
arg. 3 Praeterea, actus fidei ex voluntate est. Sed acte provenant de la volonté délibérée des
nullus actus Daemonum ex voluntate deliberata démons n’est bon, comme on l’a dit dans le livre
procedens, bonus est, ut in 2 Lib., dist. 7, dictum II, d. 7. Puisque l’acte de foi informe est bon, il
est. Ergo cum actus fidei informis sit bonus, semble donc qu’ils n’aient pas la foi informe.
videtur quod non habeant fidem informem.
[10613] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] Jc 11, 19 dit : Les démons
c. 1 Sed contra Jacob. 11, 19: Daemones credunt, croient et tremblent.
et contremiscunt.
[10614] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 s. [2] À propos de Rm 1 : De la foi à la foi, la
c. 2 Praeterea, Rom. 1, super illud: ex fide in Glose dit : « La foi informe est celle des
fidem, dicit Glossa: fides informis Daemonum est. démons. »
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi informe demeure-t-
elle chez les hérétiques ?]
[10615] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 1. Il semble que la foi informe demeure chez les
arg. 1 Ulterius. Videtur quod in haereticis maneat hérétiques. En effet, ils croient au Dieu trine et
fides informis. Ipsi enim credunt Deum trinum et unique, et que Dieu est devenu homme. Or, ce
unum, et Deum factum hominem. Sed haec sunt sont des réalités qui dépassent la nature. Puisque
supra naturam. Cum ergo ea quae sunt supra ce qui dépasse la nature ne peut être cru sans
naturam, non possint credi sine habitu fidei l’habitus de foi infus, il semble donc que la foi
infuso, videtur quod in eis maneat fides infusa. infuse demeure chez eux.
[10616] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 2. Dans les sciences, l’habitus par rapport aux
arg. 2 Praeterea, in scientiis ita est quod qui autres objets de la science demeure chez celui
obliviscitur unum scibilium quae pertinent ad qui oublie un des objets qui relèvent d’une
unam scientiam, adhuc manet habitus quantum ad science. Or, la foi est un habitus en rapport avec
alia scibilia. Sed fides est habitus articulorum. les articles [de foi]. Si un hérétique refuse un
Ergo si aliquis haereticus discredit unum seul article, la foi demeure donc encore en lui
articulum, adhuc manet fides in eo quantum ad pour ce qui est d’un autre article.
alium articulum.
[10617] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 3. La foi informe est le principe de la crainte
arg. 3 Praeterea, fides informis est principium servile, qui existe chez les démons ou les
timoris servilis, qui est in Daemonibus vel hérétiques. La foi informe existe donc chez eux.
haereticis. Ergo fides informis est in eis.
[10618] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] tout habitus infus est chassé par
c. 1 Sed contra, omnis habitus infusus expellitur un acte contraire, comme cela ressort en le
per actum contrarium, sicut patet inducendo in concluant à partir d’autres cas. Or, l’hérétique
aliis. Sed haereticus habet actum oppositum fidei. pose un acte contraire à la foi. L’habitus de foi
Ergo habitus fidei in eo non manet. ne demeure donc pas chez lui.
[10619] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 s. [2] Il serait en même temps fidèle et infidèle, ce
c. 2 Praeterea, esset simul fidelis et infidelis quod qui est impossible.
est impossibile.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10620] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 co. Il fait partie de la raison de la foi que le croyant
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, donne son assentiment à certaines choses qu’il
quod de ratione fidei est quod credens assentiat ne voit pas par elles-mêmes et qu’il ne peut pas
aliquibus quae non videt nec secundum se, nec non plus ramener à ce qu’il voit; mais il est
resolvere ea potest ad ea quae videt, sed inclinatur enclin à croire pour une raison qui suffit à
730

ad credendum ex aliqua ratione quae sufficit ad déterminer son assentiment à ce qui est cru, bien
determinandum assensum in id quod creditur, qu’elle ne suffise pas à mener à la vision de ce
quamvis non sufficiat ad inducendum ad visionem qui est cru. Or, la raison qui conduit à croire peut
ejus quod creditur. Ratio autem haec inducens ad être prise d’une chose créée, comme lorsque, par
credendum potest sumi vel ex aliquo creato, sicut un signe, nous sommes amenés à croire quelque
quando per aliquod signum inducimur ad aliquod chose, ou [elle peut être prise] de Dieu ou
credendum vel de Deo vel de aliis rebus; vel d’autres réalités; ou bien elle est prise de la
sumitur ab ipsa veritate increata, sicut credimus Vérité incréée elle-même, comme nous croyons
aliqua quae nobis divinitus dicta sunt per à certaines choses qui nous ont été dites par Dieu
ministros. Et primo modo dicta fides cogit par l’intermédiaire de ses ministres. De la
intellectum ad credendum per hoc quod non première manière, la foi force l’intelligence à
apparet aliquid contrarium; sed secundo modo croire du fait que ne se présente rien de
intellectus non cogitur, sed ex voluntate contraire; mais, de la seconde manière, l’intellect
inclinatur. Et primo modo est fides in n’est pas forcé, mais il est incliné par la volonté.
Daemonibus, inquantum ex ipsa naturali Selon la première manière, la foi existe chez les
cognitione simul, et ex miraculis quae vident démons, dans la mesure où ils voient d’une
supra naturam esse multo subtilius quam nos, manière bien plus raffinée que nous que cela
coguntur ad credendum ea quae naturalem dépasse la nature, et où ils sont forcés à croire ce
ipsorum cognitionem excedunt, non autem qui dépasse leur connaissance naturelle. Mais [la
secundo modo. foi n’existe pas chez eux] de la seconde manière.
[10621] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 1. Bien qu’il n’y ait pas dans l’intelligence du
1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in Démon l’obscurité qui existe chez nous en raison
intellectu Daemonis non sit obscuritas quae est in des sens, il existe cependant une obscurité du fait
nobis ex sensu, est tamen obscuritas alia per hoc qu’il ne peuvent atteindre par une connaissance
quod non possunt per cognitionem surnaturelle la vision de la vérité, qu’ils sont
supernaturalem ad visionem veritatis pertingere, forcés de croire par certains signes.
quam credere per aliqua signa compelluntur.
[10622] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 2. La foi qui existe en eux n’est pas un habitus
2 Ad secundum dicendum, quod fides quae est in infus, mais vient de la connaissance naturelle.
eis non est habitus infusus, sed ex naturali
cognitione procedit.
[10623] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 1 ad 3. Chez eux, l’intelligence est forcée de donner
3 Ad tertium dicendum, quod in eis intellectus son assentiment. Il ne vient donc pas entièrement
cogitur ad assentiendum; unde non omnino ex de la volonté libre.
libera voluntate procedit.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10624] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 co. Comme on l’a dit plus haut, l’habitus infus de la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut foi nous aide pour deux choses : pour que nous
supra dictum est, fidei habitus infusus in duobus croyions ce qui doit être cru et pour que nous ne
nos adjuvat, scilicet ut credamus quae credenda donnions en rien notre assentiment à ce qui ne
sunt, et ut eis quae non sunt credenda, nullo modo doit pas être cru. Or, l’homme peut faire la
assentiamus. Primum autem homo potest ex ipsa première chose par son propre jugement sans
aestimatione sine habitu infuso; sed secundum, habitus infus; mais la seconde chose, à savoir
scilicet ut discrete in haec et non in illa inclinetur, juger d’incliner à juste titre vers ceci et non vers
est ex habitu infuso tantum; quae quidem discretio cela, ne vient que de l’habitus infus. Ce jugement
est secundum quam non credimus omni spiritui: consiste à ne pas croire tout esprit. Parce qu’il ne
quae quia in haeretico non est, constat quod se trouve pas chez l’hérétique, il est clair que
habitus fidei in ipso non manet. Et si aliqua l’habitus de foi ne demeure pas chez lui. Et s’il
credenda credat, hoc est ex ratione humana: si croit certaines choses qui doivent être crues, cela
enim habitu fidei ad haec credenda inclinaretur, vient de la raison humaine. En effet, s’il était
731

contraria fidei refutaret, sicut omnis habitus enclin à croire ce qui doit être cru par l’habitus
renititur eis quae contra illum habitum sunt. de foi, il repousserait ce qui est contraire à la foi,
comme tout habitus résiste à ce qui contraire à
cet habitus.
[10625] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 1. Bien qu’ils croient certaines choses qui
1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis dépassent la nature, ils ne croient cependant pas
credant aliquid quod est supra naturam, non tamen cela par un habitus infus, par lequel ils sont
credunt illud per habitum infusum quo dirigantur, dirigés, mais par un jugement humain.
sed per aestimationem humanam.
[10626] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 2. L’habitus de la science incline aux objets de
2 Ad secundum dicendum, quod habitus scientiae connaissance par mode de raisonnement; c’est
inclinat ad scibilia per modum rationis; et ideo pourquoi celui qui possède l’habitus de la
potest habens habitum scientiae aliqua ignorare science peut ignorer certaines choses qui se
quae ad illum habitum pertinent. Sed habitus fidei rapportent à cet habitus. Or, l’habitus de la foi,
cum non rationi innitatur, inclinat per modum puisqu’il ne repose pas sur la raison, incline par
naturae, sicut et habitus moralium virtutum, et mode de nature comme les habitus des vertus
sicut habitus principiorum; et ideo quamdiu morales et comme l’habitus des principes. C’est
manet, nihil contra fidem credit. pourquoi, aussi longtemps qu’il demeure, il ne
croit rien de contraire à la foi.
[10627] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 3 qc. 2 ad 3. Par ce jugement humain, est aussi causée en
3 Ad tertium dicendum, quod ex illa aestimatione eux la crainte servile, comme chez les démons.
humana etiam in eis timor servilis causatur sicut
in Daemonibus.

Articulus 4 [10628] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 Article 4 – La foi informe est-il rejetée lorsque
a. 4 tit. Utrum fides informis evacuetur adveniente survient la charité ?
caritate
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi informe est-elle
rejetée lorsque survient la charité ?]
[10629] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 1. Il semble que la foi informe soit rejetée
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod lorsque survient la charité. 1 Co 13, 10 : Lorsque
fides informis evacuetur caritate adveniente. 1 surviendra ce qui est parfait, ce qui était
Corinth. 13, 10: cum venerit quod perfectum est, imparfait sera rejeté, comme lorsque surviendra
evacuabitur quod ex parte est, sicut veniente la vision, la foi sera rejetée. Or, la foi informe est
visione evacuabitur fides. Sed fides informis est imparfaite par rapport à la foi formée. La foi
imperfecta respectu fidei formatae. Ergo fides informe est donc écartée lorsque la foi formée
informis tollitur adveniente formata. survient.
[10630] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 2. La foi informe est le principe de la crainte
arg. 2 Praeterea, fides informis est principium servile. Or, lorsque survient la charité, la crainte
timoris servilis. Sed adveniente caritate tollitur servile est écartée. Donc aussi, la foi informe.
timor servilis. Ergo et fides informis.
[10631] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 3. Lorsque survient la grâce, elle n’a pas une
arg. 3 Praeterea, gratia adveniens non habet efficacité moindre chez le fidèle que chez
minorem efficaciam in fideli quam in infideli. Sed l’infidèle. Or, chez l’infidèle, elle cause la
in infideli totum fidei habitum causat. Ergo et in totalité de l’habitus de la foi. Donc, chez le fidèle
fideli qui habet fidem formatam. Sed fides aussi qui a une foi formée. Or, la foi formée et la
formata et informis sunt unius speciei, ut patet ex foi informe appartiennent à une seule espèce,
dictis. Ergo cum duae formae unius speciei non comme cela ressort de ce qui a été dit. Puisque
possint simul esse in eodem subjecto, oportet deux formes d’une seule espèce ne peuvent
quod adveniente caritate et gratia, fides informis exister en même temps dans le même sujet, il est
732

tollatur. donc nécessaire que, lorsque surviennent la


charité et la grâce, la foi informe soit écartée.
[10632] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 s. Cependant, [1] les dons infus sont plus durables
c. 1 Sed contra, dona infusa sunt permanentiora que les [habitus] acquis. Or, lorsque survient la
quam acquisita. Sed gratia adveniens non tollit grâce, elle n’enlève pas les habitus acquis.
habitus acquisitos. Ergo multo minus tollit Encore bien moins n’enlève-t-elle donc pas
habitum infusum fidei. l’habitus infus de la foi.
[10633] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 s. [2] Rien n’est corrompu que par son contraire.
c. 2 Praeterea, nihil corrumpitur nisi a suo Or, la foi informe n’est pas le contraire de la
contrario. Sed fides informis non contrariatur grâce, car les habitus bons ne sont pas contraires
gratiae: quia habitus boni non sunt contrarii ad les uns aux autres, mais seuls les mauvais ou un
invicem, sed solum mali, seu bonus malo. Ergo [habitus] bon sont contraires au mal. La foi
fides informis non tollitur secundum habitum informe n’est donc pas enlevée en tant
adveniente caritate. qu’habitus lorsque survient la charité.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’habitus de la foi informe
demeure-t-il quant à son acte ?]
[10634] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 1. Il semble que, même s’il demeure quant à
arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiamsi maneat l’habitus, il ne demeure pas quant à son acte. En
quantum ad habitum, non maneat quantum ad effet, même si quelque chose de bon est
actum. Per actum enim fidei informis etsi aliquid accompli par l’acte de la foi informe, ce n’est
fiat quod est bonum, non tamen aliquid bene. Sed cependant pas bien accompli. Or, par l’acte de la
per actum fidei formatae aliquid bene fit. Ergo foi formée, quelque chose est bien accompli. La
fides informis non manet quantum ad actum suum foi informe ne demeure donc pas quant à son
adveniente caritate. acte lorsque survient la charité.
[10635] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 2. La lumière plus faible n’éclaire pas en
arg. 2 Praeterea, lumen minus non illuminat présence d’une lumière plus grande. Or, la foi
praesente majore lumine. Sed fides informis est informe est une lumière moindre que la charité.
minus lumen quam caritas. Ergo praesente caritate En présence de la charité, l’acte de la foi informe
actus fidei informis non manet. ne demeure donc pas.
[10636] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 3. Tous les vertueux agissent du mieux qu’ils le
arg. 3 Praeterea, unusquisque virtuosus operatur peuvent, comme la nature. Or, l’acte de la foi
quanto melius potest, sicut et natura. Sed actus formée qu’accomplit le vertueux qui possède la
fidei formatae quem virtuosus habens caritatem charité est meilleur que l’acte de la foi informe.
exercet, melior est actu fidei informis. Ergo in eo L’acte de la foi informe est donc inutile chez lui,
actus fidei informis vacat; sicut ille qui potest comme celui qui peut connaître quelque chose
aliquid per syllogismum demonstrativum par un syllogisme démonstratif ne s’occupe pas
cognoscere, non curat per syllogismum de le considérer par un syllogisme dialectique.
dialecticum illud considerare.
[10637] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 s. Cependant, [1] dans les réalités morales,
c. 1 Sed contra, in moralibus multo minus est quelque chose est encore bien moins inutile que
aliquid frustra quam in naturalibus, et praecipue dans les choses naturelles, surtout pour ce qui
quantum ad habitus infusos. Sed habitus sine actu concerne les habitus infus. Or, un habitus sans
frustra est, cum actus sit finis ejus, sicut et acte est inutile, puisque l’acte est sa fin, comme
potentiae. Ergo non est habitus fidei sine actu. il est celui de la puissance. Il n’y a donc pas
d’habitus de foi sans acte.
[10638] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 s. [2] L’acte de la foi informe consiste à croire à
c. 2 Praeterea, actus fidei informis est credere Deo Dieu ou Dieu. Or, cela demeure lorsque survient
vel Deum. Sed haec manet adveniente caritate. la charité. L’acte de la foi informe n’est donc pas
Ergo actus fidei informis non evacuatur. rejeté.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La foi informe peut-elle
733

devenir la foi formée ?]


[10639] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 1. Il semble que la informe ne puisse pas devenir
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides informis non la foi formée. En effet, la foi informe est une foi
possit fieri fides formata. Fides enim informis morte, comme il est dit en Jc 2. Or, une œuvre
mortua est, ut dicitur Jac. 2. Sed opus mortuum morte n’est pas ramenée à la vie. La foi informe
non vivificatur. Ergo nec fides informis n’est donc pas non plus ramenée à la vie par la
vivificatur per formam caritatis. foi formée.
[10640] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 2. La foi est un accident. Or, les accidents,
arg. 2 Praeterea, fides est accidens. Sed comme le dit Boèce, ne peuvent être changés. Il
accidentia, ut dicit Boetius, variari non possunt. semble donc que la même foi qui était informe
Ergo videtur quod illa eadem fides quae fuit ne puisse devenir formée.
informis, non possit fieri formata.
[10641] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 3. Un seul accident ne provient pas de deux
arg. 3 Praeterea, ex duobus accidentibus non fit accidents. Or, la grâce qui survient est un seul
unum. Sed gratia adveniens est unum accidens. accident. Elle ne donne donc pas forme à la foi
Ergo ipsa non format fidem informem prius, sed qui était d’abord informe, mais elle cause un
novum habitum fidei formatae causat. nouvel habitus de foi formée.
[10642] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 s. Cependant, [1] la nature agit toujours par le
c. 1 Sed contra, natura semper operatur via chemin le plus court. Il en va donc de même de
brevissima. Ergo similiter et gratia. Sed haec via la grâce. Or, c’est un chemin plus court que
est magis brevis, ut habitus prius informis l’habitus d’abord informe soit formé, plutôt que
formetur, quam novus habitus infundatur. Ergo l’infusion d’un nouvel habitus. Donc, la foi qui
illa fides quae prius erat informis, informatur. était d’abord informe est formée.
[10643] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 s. [2] L’habitus infus a plus en commun avec la
c. 2 Praeterea, habitus infusus plus convenit cum grâce qu’avec une puissance naturelle. Or, une
gratia quam potentia naturalis. Sed potentia puissance naturelle imparfaite et informe est
naturalis imperfecta et informis per gratiam formée par la grâce qui survient. À bien plus
advenientem formatur. Ergo multo fortius habitus forte raison donc, l’habitus de la foi informe.
fidei informis.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10644] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 co.
Si on enlève ce qui ne se rapporte pas à l’espèce
Respondeo ad primam quaestionem dicendum, d’une chose, il n’est pas nécessaire que la
quod remoto eo quod non pertinet ad speciem rei, substance de la chose soit écartée : ainsi, si les
non oportet quod substantia rei tollatur; sicut si abténèbres sont enlevées de l’air, l’air continue de
aere tollatur tenebra, adhuc manet aer. Informitas demeurer. Or, le caractère informe de la foi ne se
autem fidei non pertinet ad speciem fidei: quia rapporte pas à l’espèce de la foi, car l’espèce de
species fidei est per modum quem habet ex natura la foi existe selon le mode qu’elle tient de la
potentiae, in qua est sicut in subjecto per nature de la puissance, dans laquelle elle existe
relationem ad suum objectum. Dicitur autem comme dans son sujet en rapport avec son objet.
formata et informis per relationem ad aliquid Or, on parle de foi informe et de foi formée par
extrinsecum, scilicet ad voluntatem, ut dictum est; rapport à quelque chose d’extrinsèque, à savoir à
sicut aer formatur lumine per oppositionem la volonté, comme on l’a dit, de même que l’air
corporis luminosi; et ideo patet quod informitas est formé par la lumière par opposition au corps
non pertinet ad speciem fidei. Cum ergo caritas lumineux. C’est pourquoi il est clair que le
adveniens non tollat nisi informitatem a fide, caractère informe ne se rapporte pas à l’espèce
constat quod substantia habitus fidei adhuc manet. de la foi. Puisque la charité qui survient n’enlève
que le caractère informe de la foi, il est donc
clair que la substance de l’habitus de la foi
continue de demeurer.
[10645] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 1. L’imperfection de la foi par rapport à la vision
734

1 Ad primum ergo dicendum, quod imperfectio se trouve dans la genre de la connaissance. C’est
quam habet fides respectu visionis, est secundum pourquoi elle se rapporte à l’espèce de la foi.
genus cognitionis; et ideo pertinet ad speciem Pour cette raison, la vision qui survient rejette la
fidei; et propter hoc visio adveniens fidem foi. Mais il n’en va pas de même dans la
evacuat; non autem ita est in proposito, ut dictum question en cause, comme on l’a dit.
est.
[10646] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 2. Même la crainte servile n’est pas écartée quant
2 Ad secundum dicendum, quod etiam timor à l’habitus, mais quant au caractère servile.
servilis non tollitur quantum ad habitum, sed
quantum ad servilitatem.
[10647] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 1 ad 3. La grâce chez celui qui a la foi ne cause pas
3 Ad tertium dicendum, quod gratia in habente un autre habitus de foi, et cela ne vient pas de
fidem non causat alium habitum fidei: et hoc non l’inefficacité de la grâce, mais cela vient du
est per inefficaciam gratiae, sed accidit ex parte sujet, qui ne peut recevoir ce qu’il possède déjà.
subjecti, quod non potest recipere id quod jam
habet.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10648] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 co. De même que demeure l’habitus de la foi
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut informe sans le caractère informe, de même
manet habitus fidei informis sine informitate, ita [demeure] l’acte sans le caractère informe, car
et actus sine informitate: quia habitus est quo quis « l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit,
agit, cum tempus affuerit, ut dicit Augustinus. lorsque c’est le temps », comme le dit Augustin.
[10649] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 1. Ce que quelqu’un accomplit de bien par la foi
1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod informe se rapporte à la substance de l’habitus;
aliquis per fidem informem faciat bonum, pertinet c’est pourquoi cela demeure. Mais ce qu’il
ad substantiam habitus; et ideo hoc manet: sed n’accomplit pas bien se rapporte au caractère
quod faciat non bene, hoc pertinet ad informe; c’est pourquoi cela ne demeure pas.
informitatem, et ideo non manet.
[10650] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 2. La lumière de la foi informe et de la charité ne
2 Ad secundum dicendum, quod lumen fidei sont pas d’une seule raison. Aussi l’une
informis et caritatis non sunt unius rationis: et n’obscurcit-elle pas l’autre, mais la perfectionne,
ideo unum non offuscat aliud, sed perficit illud, puisqu’elle joue le rôle de matière par rapport à
cum unum sit materiale respectu alterius. l’autre.
[10651] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 2 ad 3. L’acte de la foi informe est en état de carence
3 Ad tertium dicendum, quod actus fidei informis par rapport à l’acte de la foi formée en raison de
deficit ab actu fidei formatae ratione informitatis, son caractère informe; sous cet aspect, il ne
et secundum hoc non manet. demeure pas.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10652] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 co. 1. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI,
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut il existe chez l’homme, avant que n’existe
dicit philosophus in 6 Ethic., in homine ante complètement une vertu morale, une inclination
completum esse virtutis moralis, existit quaedam naturelle à cette vertu, qu’on appelle une
naturalis inclinatio ad virtutem illam, quae dicitur puissance naturelle (virtus naturalis). C’est celle-
virtus naturalis; et haec eadem virtutis rationem là même qui reçoit la raison de vertu selon
sumit, secundum quod a superiori potentia, qu’elle est perfectionnée par une puissance
scilicet ratione, perfectionem accipit; et similiter supérieure, à savoir, la raison. De même, la foi
fides informis praeexistit in intellectu ante informe préexiste-t-elle dans l’intelligence avant
completum esse virtutis; sed rationem virtutis l’être complet de cette vertu; mais elle reçoit la
accipit ex perfectione superioris potentiae, scilicet raison de vertu de la perfection d’une puissance
voluntatis: unde una et eadem fides quae prius supérieure, à savoir, la volonté. Aussi l’unique et
735

erat informis, postea fit formata. Nec est alia fides la même foi, qui était d’abord informe, devient-
quae advenit: quia fides formata et informis non elle par la suite formée. Et ce n’est pas une autre
differunt specie, ut ex dictis patet. Duae autem foi qui survient, car la foi formée et la foi
formae unius speciei simul esse non possunt: quia informe ne diffèrent pas selon l’espèce, comme
formae diversificantur secundum numerum ex cela ressort de ce qui a été dit. Or, deux formes
diversitate materiae vel subjecti. d’une seule espèce ne peuvent exister
simultanément, car les formes se diversifient
selon le nombre par la diversité de leur matière
ou de leur sujet.
[10653] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 1. L’œuvre morte passe, et la même en nombre
1 Ad primum ergo dicendum, quod opus mortuum ne peut être reprise; c’est pourquoi elle ne peut
transit, et non potest idem numero iterum sumi, et être ramenée à la vie. Mais l’habitus informe
ideo vivificari non potest; sed habitus informis demeure : il peut donc être formé.
manet, et ideo formari potest.
[10654] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 2. L’accident ne change pas comme sujet du
2 Ad secundum dicendum, quod accidens non changement, mais parce que le sujet du
variatur quasi subjectum variationis, sed quia changement est disposé de manière différente,
secundum ipsum, subjectum diversimode se comme cela ressort dans l’intensification et la
habet, quod subjectum variationis est, sicut patet diminution de la chaleur.
in intensione et remissione caloris.
[10655] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3 ad 3. Un seul accident n’est pas réalisé par la grâce
3 Ad tertium dicendum, quod ex gratia et fide non et par la foi, mais le mode de la charité participe
fit unum accidens; sed modus caritatis participatur à la perfection de la foi, comme le mode de la
ad perfectionem fidei, sicut modus prudentiae prudence participe à la perfection de la vertu
participatur ad perfectionem virtutis moralis: et morale. On dit donc que la charité qui survient
ideo caritas adveniens dicitur formare fidem donne forme à la foi préexistante.
praeexistentem.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 23
[10656] Super Sent., lib. 3 d. 23 q. 3 a. 4 qc. 3
expos. Accipitur autem fides tribus modis. Fides
proprie dicitur ex hoc quod aliquis assentit eis
quae non videt. Hoc autem contingit dupliciter.
Uno modo secundum quod homo inducitur per
rationem humanam: et sic dicitur fides opinio
vehemens. Et adhuc magis extenso nomine omnis
certitudo quae fit per rationem humanam, etiamsi
ad visionem inducat, dicitur fides, secundum quod
argumentum dicitur ratio rei dubiae faciens fidem.
Dicitur autem et veracitas hominis fides,
inquantum est causa quod credat quis etiam de his
quae non videt; et sic dicit Tullius, quod fides est
fundamentum justitiae, fidem pro fidelitate
accipiens. Et ulterius ipsa conscientia secundum
quam aliquis hanc veracitatem tenet, dicitur fides.
Rom. 14, 23: omne quod non est ex fide, Glossa:
idest ex conscientia. Alio modo secundum quod
homo inducitur per rationem divinam: et sic
dicitur fides ipse habitus quo creditur, sive sit
736

formatus sive informis, et actus, et objectum, et


sacramentum, inquantum est causa et signum
hujus fidei, et quaelibet certitudo quae habetur de
divinis, extenso nomine dicitur fides etiamsi
videantur. Non sicut corpora. Sciendum, quod hic
Augustinus experimentalem cognitionem quam
quis habet de fide sua separat a quatuor generibus
visionum: scilicet a visione exteriori, per hoc
quod dicit: sicut corpora; et a visione
imaginationis quae ex ipsa relinquitur, in hoc
quod dicit: et per ipsorum imaginationem; et a
visione imaginativae, quae ex diversis imaginibus
rerum visarum format aliquam rem nunquam
visam, in hoc quod dicit: non sicut ea quae non
videmus; et a visione intellectuali eorum quae sunt
extra nos, per hoc quod dixit: nec sicut hominem.
Quid est fides nisi credere quod non vides ? Hic
definit habitum fidei per actum proprium.

Distinctio 24 Distinction 24 – [L’objet de la foi]

Quaestio 1 Question 1 – [Quel est l’objet de la foi ?]


Prooemium Prologue
[10657] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 pr. Après avoir déterminé de la substance de la foi,
Postquam determinavit Magister de fide le Maître en détermine par rapport à son objet.
secundum suam substantiam, hic determinat de ea Cette partie est introduite à cause de la définition
in comparatione ad suum objectum; et donnée par l’Apôtre, selon laquelle il dit que la
introducitur pars ista occasione definitionis fidei foi est la preuve de ce qui n’est pas visible. Cette
ab apostolo datae, qua fidem argumentum non partie se divise en deux : dans la première, il se
apparentium dicit. Dividitur autem pars haec in demande si la foi porte sur ce qui n’est pas vu;
duas: in prima inquirit, utrum fides sit de non dans la seconde, si elle porte sur ce qui n’est pas
visis; in secunda utrum sit de incognitis, ibi: post connu, à cet endroit : « Après cela, on a coutume
haec quaeri solet. Circa primum duo facit: primo de s’interroger… » À propos du premier point, il
ostendit fidem, proprie loquendo, esse de non fait deux choses : premièrement, il montre qu’à
visis; secundo removet quamdam instantiam quae proprement parler, la foi porte sur ce qui n’est
fieri posset, ibi: si vero quaeritur, utrum Petrus pas vu; deuxièmement, il écarte la question
fidem passionis habuerit (...) dicimus eum fidem insistante qu’on pourrait poser, à cet endroit :
passionis habuisse. Hic quaeruntur tria: 1 quid sit « Mais si l’on demande si Pierre a eu foi en la
objectum fidei; 2 qualiter se habeat ad passion…, nous disons qu’il a eu foi en la
cognitionem nostram; 3 de merito et laude fidei. passion. » Ici, trois questions sont posées : 1 –
Quel est l’objet de la foi ? 2 – Quel rapport a-t-
elle avec notre connaissance ? 3 – À propos du
mérite et de la louange de la foi.

Articulus 1 [10658] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 Article 1 – La Vérité incréée est-elle l’objet de
a. 1 tit. Utrum veritas increata sit objectum fidei la foi ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La Vérité incréée est-elle
l’objet de la foi ?]
[10659] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 1. Il semble que la Vérité incréée ne soit pas
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod l’objet de la foi. En effet, la foi porte sur ce qui
737

veritas increata non sit objectum fidei. Fides enim est contenu dans le symbole, qui est un recueil de
est de his quae sub symbolo continentur, quod est ce qui doit être cru. Or, dans le symbole, sont
collectio credendorum. Sed in symbolo contenues certaines choses qui se rapportent à la
continentur quaedam quae ad creaturam pertinent, créature, comme la passion et les choses de ce
sicut passio, et hujusmodi. Ergo objectum fidei genre. L’objet de la foi n’est donc pas la Vérité
non est veritas increata. incréée.
[10660] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 2. Comme le dit Augustin, « on intruit de la foi
arg. 2 Praeterea, fides, ut Augustinus dicit, per par la Sainte Écriture ». Or, beaucoup de choses
sanctam Scripturam instruitur. Sed in ea multa de portant sur les créatures sont contenues en celle-
creaturis continentur. Ergo fidei objectum non est ci. L’objet de la foi n’est donc pas seulement la
tantum veritas increata. Vérité incréée.
[10661] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 3. La foi a son origine dans la révélation
arg. 3 Praeterea, fides a prophetica revelatione prophétique. Or, la prophétie porte sur des
initium sumpsit. Sed prophetia est de rebus réalités créées, puisqu’elle contient des
creatis, cum contineat differentias temporis, différences de temps auxquelles la créature est
quibus creatura subjacet. Ergo et fides. soumise. Donc, la foi aussi.
[10662] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 4. Une forme universelle n’est pas un principe
arg. 4 Praeterea, forma universalis non est d’opération, car elle est éloignée du mouvement.
principium operandi, quia est a motu remota; unde La raison universelle, qui porte sur les raisons
ratio universalis, quae est formarum universalium, universelles, ne meut donc pas, comme cela
non movet, sicut patet per philosophum in 3 de ressort de ce que dit le Philosophe dans Sur
anima. Sed veritas prima est magis a materia et l’âme, III. Or, la Vérité première est plus
motu remota quam aliqua forma universalis. Cum éloignée de la matière et du mouvement qu’une
ergo fides sit operativus habitus quodammodo, forme universelle. Puisque la foi est d’une
quia per dilectionem operatur, ut dicitur Galat. 4, certaine manière un habitus opératif, car elle agit
videtur quod objectum fidei non possit esse par l’amour, comme il est dit en Ga 4, il semble
veritas prima. donc que l’objet de la foi ne puisse être la Vérité
première.
[10663] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 5. Comme on l’a dit plus haut, les vertus
arg. 5 Praeterea, virtutes theologicae, ut supra théologales nous ordonnent à la fin. Or, notre fin
dictum est, ordinant nos in finem. Sed finis noster n’est pas seulement Dieu, mais aussi la gloire
non tantum est Deus, sed etiam gloria creata. Ergo créée. La foi porte donc aussi sur la vérité créée.
et fides etiam circa veritatem creatam est.
[10664] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. Cependant, [1] Denys dit que la foi divine porte
c. 1 Sed contra est quod dicit Dionysius, quod sur la Vérité simple et éternelle. Or, c’est là la
divina fides est circa simplicem et semper Vérité incréée. L’objet de la foi est donc le Vrai
existentem veritatem. Hoc autem est veritas incréé.
increata. Ergo objectum fidei est verum
increatum.
[10665] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 s. [2] Une chose est nommée à partir de ce dont
c. 2 Praeterea, ab eodem res denominatur a quo elle reçoit son espèce. Or, les habitus reçoivent
recipit speciem. Sed habitus speciem recipiunt ab leur espèce de leur objet. Puisque la foi est
objecto. Cum ergo fides dicatur a Deo virtus appelée par Dieu une vertu théologale, il semble
theologica, videtur quod objectum proprium ejus donc que son objet propre soit la Vérité incréée.
est veritas increata.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi porte-t-elle sur une
vérité complexe ?]
[10666] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 1. Il semble que la foi ne porte pas sur une vérité
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides non sit circa complexe, car, ainsi qu’on l’a dit, l’objet de la
verum complexum. Quia, ut dictum est, objectum foi est la Vérité simple. Or, il n’y a pas de
738

fidei est simplex veritas. Sed in simplici non cadit complexité dans quelque chose de simple. Elle
aliqua complexio. Ergo non est circa verum ne porte donc pas sur une vérité complexe.
complexum.
[10667] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 2. La vision succède à la foi. Or, la vision de la
arg. 2 Praeterea, fidei succedit visio. Sed visio patrie portera sur quelque chose de non
patriae erit de incomplexo. Ergo et fides. complexe. Donc, la foi aussi.
[10668] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 3. La foi est formée par la charité. Or, la charité a
arg. 3 Praeterea, fides formatur caritate. Sed comme objet un bien non complexe. La foi a
caritas habet pro objecto bonum incomplexum. donc [comme objet] le vrai non complexe.
Ergo et fides verum incomplexum.
[10669] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 4. Comme le dit le Philosophe dans Sur l’âme,
arg. 4 Praeterea, sicut dicit philosophus in 3 de III, le temps intervient dans la composition des
anima, in compositione intellectuum cadit tempus. intellects. Or, il ne semble pas que le temps fasse
Sed de substantia fidei non videtur esse tempus; partie de la substance de la foi, autrement
alioquin nullus fuisset tempore nativitatis Christi personne n’aurait été croyant au temps de la
fidelis, nisi qui credidisset eum tunc nasci. Ergo naissance du Christ que celui qui aurait cru qu’il
fides non est circa verum complexum. naissait alors. La foi ne porte donc pas sur le vrai
complexe.
[10670] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 5. La foi est toujours la même. Or, les énoncés
arg. 5 Praeterea, fides eadem est semper. Sed ne demeurent pas toujours les mêmes, car nous
enuntiabilia non manent eadem: quia nos croyons que le Christ est né, alors que les pères
credimus Christum natum, quem patres croyaient qu’il devait naître. La foi ne porte donc
crediderunt nasciturum. Ergo fides non est pas sur des énoncés.
enuntiabilium.
[10671] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] la foi est intermédiaire entre
c. 1 Sed contra, fides est media inter opinionem et l’opinion et la science. Or, tant la science que
scientiam. Sed tam scientia quam opinio est l’opinion portent sur des énoncés. Donc, la foi
enuntiabilium. Ergo et fides. aussi.
[10672] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 s. [2] C’est par la foi que le croyant diffère de
c. 2 Praeterea, per fidem differt fidelis ab infideli. l’incroyant. Or, il ne diffère pas par quelque
Non autem differt per incomplexum: quia Judaeus chose qui n’est pas complexe, car le Juif a cru à
credit adventum Christi sicut et nos; sed in hoc l’avènement du Christ comme nous; mais nous
distinguimur, quia nos credimus eum venisse, nous distinguons parce que nous croyons qu’il
quem ipsi expectant venturum. Ergo fides est de est venu, alors qu’ils attendent sa venue. La foi
complexis. porte donc sur des réalités complexes.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La foi peut-elle porter sur
quelque chose de faux ?]
[10673] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 1. Il semble que la foi puisse porter sur quelque
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fidei possit subesse chose de faux. En effet, tout contingent vrai peut
falsum. Omne enim verum contingens potest esse être faux. Or, la foi porte sur un contingent vrai,
falsum. Sed fidei subest aliquod verum la passion du Christ, car elle a été volontaire et
contingens, scilicet passio Christi, quia fuit elle dépendait tant du libre arbitre du Christ que
voluntaria, et ex libero arbitrio tam Christi quam de celui des Juifs. La foi peut donc porter sur
Judaeorum dependens. Ergo fidei potest subesse quelque chose de faux.
falsum.
[10674] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 2. Avant la passion du Christ, après que
arg. 2 Praeterea, in tempore ante passionem Abraham eut cru que à la passion future du
Christi postquam credidit Abraham Christi Christ, il est clair qu’il était possible pour Dieu
passionem futuram, constat quod possibile fuit de libérer le genre humain d’une autre manière.
tunc Deo alio modo humanum genus liberare: Si cela avait été le cas, la foi d’Abraham aurait
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quod si fuisset, fides Abrahae falsificata fuisset. été fausse. La foi peut donc porter sur quelque
Ergo fidei potest subesse falsum. chose de faux.
[10675] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 3. L’espérance peut porter sur quelque chose de
arg. 3 Praeterea, spei potest subesse falsum: quia faux, car quelqu’un espère obtenir la vie
aliquis sperat se habiturum vitam aeternam qui éternelle, alors qu’il ne l’obtiendra pas. De
nunquam habebit: et similiter caritati: quia aliquis même pour la charité, car quelqu’un promet par
promittit aliquid ex caritate quod non faciet, sicut charité quelque chose qu’il ne fera pas, comme
de apostolo patet 1 Cor. 1. Ergo et fidei. cela ressort de 1 Co 1. C’est donc aussi le cas de
la foi.
[10676] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 4. La latrie est dirigée par la foi. Or, quelqu’un
arg. 4 Praeterea, latria per fidem dirigitur. Sed in peut se tromper dans l’acte de latrie, comme
actu latriae aliquis potest errare, sicut qui credit celui qui croit qu’une hostie non consacrée est
esse hostiam consecratam quae non est consacrée et l’adore. La foi peut donc porter sur
consecrata, et eam adorat. Ergo et fidei potest quelque chose de faux.
subesse falsum.
[10677] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 s. Cependant, [1] la foi est plus certaine que la
c. 1 Sed contra, fides est certior quam scientia, ut science, comme on l’a dit plus haut. Or, le faux
supra dictum est. Sed scientiae non subest falsum. n’est pas objet de science. Donc, encore bien
Ergo multo minus fidei. moins de la foi.
[10678] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 s. [2] Aucune vertu ne produit un acte mauvais,
c. 2 Praeterea, per nullam virtutem producitur car « le bon usage d’une puissance est un acte de
actus malus: quia bonus usus potentiae est actus vertu », comme le dit Augustin. Or, avoir une
virtutis, ut dicit Augustinus. Sed opinari falsum fausse opinion est un mauvais usage de
est malus usus intellectus. Cum ergo fides sit l’intelligence. Puisque la foi est une vertu, il
virtus, non contingit fidei subesse falsum. n’arrive donc pas que la foi porte sur quelque
chose de faux.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10679] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Dans l’objet d’une puissance, on peut considérer
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, trois choses : ce qui se trouve formellement dans
quod in objecto alicujus potentiae contingit tria l’objet, ce qui est matériel et ce qui est
considerare: scilicet id quod est formale in accidentel, comme cela est clair pour l’objet de
objecto, et id quod est materiale, et id quod est la vue : la lumière, qui rend la couleur visible en
accidentale; sicut patet in objecto visus: quia acte, est ce qui est formel en elle; la couleur elle-
formale in ipso est lumen, quod facit colorem même, qui est visible en puissance, est ce qui est
visibilem actu; materiale vero ipse color, qui est matériel; mais la quantité et les autres choses de
potentia visibilis; accidentale vero, sicut quantitas ce genre, qui accompagnent la couleur, sont ce
et alia hujusmodi, quae colorem comitantur. Et qui est accidentel. Et parce que toute chose agit
quia unumquodque agit secundum quod est in selon qu’elle est en acte et par sa forme, mais
actu et per suam formam, objectum autem est que l’objet est actif pour les puissances passives,
activum in virtutibus passivis; ideo ratio objecti, la raison d’objet, à laquelle la puissance passive
ad quam proportionatur potentia passiva, est id est proportionnée, est ce qui est formel dans
quod est formale in objecto; et secundum hoc l’objet. Ainsi se différencient les puissances et
diversificantur potentiae et habitus, qui ex ratione les habitus, qui reçoivent leur espèce de la raison
objecti speciem recipiunt: et haec tria est invenire de l’objet. On trouve aussi ces trois choses dans
in objecto fidei. Cum enim fides non assentiat l’objet de la foi. En effet, puisque la foi ne donne
alicui, nisi propter veritatem primam credibilem, son assentiment à quelque chose qu’en raison de
non habet quod sit actu credibile nisi ex veritate la Vérité première qui est crédible, et que cela
prima, sicut color est visibilis ex luce; et ideo n’est objet de la foi en acte qu’en vertu de la
veritas prima est formale in objecto fidei, et a qua Vérité première, comme la couleur est visible par
est tota ratio objecti. Quidquid autem est illud la lumière, la Vérité première est donc ce qui est
740

quod de Deo creditur, sicut est passum esse, vel formel dans l’objet de la foi et toute la raison de
aliquid hujusmodi, hoc est materiale in objecto l’objet vient d’elle. Or, tout ce que l’on croit à
fidei; ea autem quae ex istis credibilibus propos de Dieu, comme le fait qu’il a souffert ou
consequuntur, sunt quasi accidentaliter. Et ideo quelque chose de ce genre, cela est matériel dans
concedendum est, quod objectum fidei, proprie l’objet de la foi; mais ce qui découle de ces
loquendo, est veritas prima. objets de foi joue pour ainsi dire le rôle
d’accidents. Il faut donc concéder que l’objet de
la foi est à proprement parler la Vérité première.
[10680] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1. La passion et les autres choses de ce genre, qui
1 Ad primum ergo dicendum, quod passio, et alia sont contenues dans le symbole, jouent le rôle de
hujusmodi quae continentur in symbolo, se habent matière par rapport à l’objet de la foi.
materialiter ad objectum fidei.
[10681] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2. Dans la Sainte Écriture, la foi est enseignée
2 Ad secundum dicendum, quod in sacra Scriptura quant aux réalités essentielles de la foi, comme
instruitur fides quantum ad essentialia fidei, sicut ce qui est dit de Dieu en elle, et quant aux choses
sunt quae de Deo in ipsa dicuntur, et quantum ad accidentelles, comme les actions des pères et les
accidentalia, sicut sunt gesta patrum, et alia autres choses de ce genre, qui relèvent de la foi
hujusmodi, quae ad fidem pertinent, inquantum pour autant qu’elles sont inspirées et dites par
sunt divinitus inspirata et dicta. Dieu.
[10682] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3. Bien que la prophétie et la foi portent sur la
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis prophetia même chose, par exemple, la passion du Christ,
et fides sunt de eodem, sicut de passione Christi, [elles ne le font] cependant pas sous le même
non tamen secundum idem: quia fides formaliter aspect, car la foi envisage formellement la
respicit passionem ex parte illa qua subest aliquid passion selon que quelque chose d’éternel en fait
aeternum, scilicet inquantum Deus est passus; hoc partie, à savoir, que Dieu a souffert, mais elle
autem quod temporale est, respicit materialiter: envisage matériellement ce qui est temporel.
sed prophetia e contrario. Mais la prophétie fait le contraire.
[10683] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4. Les formes universelles ne meuvent pas selon
4 Ad quartum dicendum, quod formae universales qu’elles sont envisagées dans leur universalité,
non movent secundum quod in sua universalitate mais selon qu’elles sont appliquées à quelque
considerantur, sed secundum quod applicantur ad chose de particulier. De même, la Vérité
aliquid particulare: et similiter prima veritas première meut-elle à agir pour autant qu’elle est
movet ad operandum, inquantum applicatur ad appliquée à tel ou tel individu, comme
hunc vel ad illum, sicut dum consideratur quod est lorsqu’elle est considérée comme la fin à
finis ad quem iste vel ille pervenire potest. Vel laquelle tel ou tel peut parvenir. Ou bien il faut
dicendum, quod formae universales non sunt dire que les formes universelles ne subsistent pas
subsistentes in rerum natura; et ideo ad dans la nature des choses. C’est pourquoi elles
operationem vel ad actionem se habere non ne peuvent avoir de rapport avec une opération
possunt neque sicut principium neque sicut ou une action ni comme principe, ni comme
terminus; et ideo non est similis ratio de Deo, qui terme. Le raisonnement n’est donc pas le même
in seipso subsistit. pour Dieu, qui subsiste en lui-même.
[10684] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5. La béatitude créée consiste dans notre
5 Ad quintum dicendum, quod beatitudo creata opération par rapport à Dieu. Or, l’opération est
consistit in operatione nostra ad Deum; operatio connue par son objet. Aussi la foi porte-t-elle
autem ex objecto cognoscitur; unde principaliter principalement sur Dieu lui-même et
est fides de ipso Deo, et secundario de beatitudine secondairement sur la béatitude créée.
creata.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10685] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Comme le dit Augustin, « croire, c’est donner
Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut son assentiment en retournant dans son esprit ».
741

dicit Augustinus, credere est cum assensione Or, quelqu’un ne peut donner son assentiment
cogitare; assentire autem non potest aliquis nisi ei qu’à ce qui est vrai, mais la vérité ne consiste
quod verum est; veritas autem non consistit nisi in que dans l’assemblage de pensées ou de paroles.
complexione vel intellectuum vel vocum; ideo Il faut donc que l’objet de la foi soit quelque
objectum fidei oportet quod sit verum chose de vrai qui est complexe. Cela ressort du
complexum. Et hoc patet per hoc quod quidam fait que certains philosophes ont appelé « foi »
philosophi illam operationem intellectus qua cette opération de l’intellect par laquelle il
componit et dividit, appellaverunt fidem. Unde illi compose et divise. Aussi ceux qui ont dit que
qui dixerunt, quod fidei objectum est l’objet de la foi est quelque chose qui n’est pas
incomplexum, propriam vocem ignoraverunt. complexe ont-ils ignoré cela même dont ils
Quod enim dicitur, credo incarnationem, non parlaient. En effet, lorsque je dis : « Je crois dans
potest intelligi in formando conceptionem l’incarnation », cela ne peut se comprendre en
incarnationis: quia sic quilibet qui intelligit quid formant le concept de l’incarnation, car alors
significatur per nomen, crederet incarnationem. tous ceux qui comprennent ce qui est signifié par
Unde sensus est: credo incarnationem esse, vel ce mot croiraient à l’incarnation. Le sens est
fuisse. Patet ergo quod fidei inquantum est fides, donc : « Je crois que l’incarnation existe ou a
convenit circa verum complexum esse: convenit existé. » Il est donc clair qu’il est approprié que
etiam sibi ex ipsa ratione objecti proprii, quod est la foi en tant que foi porte sur quelque chose de
veritas prima, de qua non potest sciri quod est, ut vrai qui est complexe. Cela lui convient aussi
intellectus in ejus cognitione utatur formatione; selon la raison même de son objet propre, qui est
sed cognoscitur quia est, quod fit per intellectum la Vérité première, dont on ne peut savoir ce
componentem et dividentem. qu’elle est, de sorte que l’intellect utilise une
formation pour la connaître; mais on sait qu’elle
existe, ce qui se réalise par l’intellect qui
compose et divise.
[10686] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1. Bien que la Vérité première soit simple en
1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis elle-même, on y trouve cependant beaucoup de
veritas prima sit simplex secundum rem, tamen in choses selon la raison, pour autant que l’intellect
ea inveniuntur multa secundum rationem, prout forme diverses conceptions à son sujet. Il peut
intellectus diversas conceptiones de ipsa format: aussi composer et diviser ces diverses
et secundum hoc etiam illas diversas conceptiones conceptions, et former une énonciation à propos
potest componere et dividere, et enuntiationem de de Dieu.
Deo formare.
[10687] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2. L’opération de l’intellect qui compose et
2 Ad secundum dicendum, quod operatio divise se ramène à l’opération par laquelle il
intellectus componentis et dividentis resolvitur ad considère quelque chose qui n’est pas complexe,
operationem ejus qua respicit aliquod car ce qu’est l’essence est le principe de la
incomplexum: quia quod quid est, est principium démonstration de sa simple existence et du fait
demonstrandi an est simpliciter, et quia est: et que cela existe. C’est pourquoi ce qui succède à
ideo etiam illud quod fidei succedit, in quo fides la foi et en quoi la foi sera consommée sera la
consummabitur, erit visio incomplexi. vision de quelque chose qui n’est pas complexe.
[10688] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3. L’objet de la charité est le bien, qui existe
3 Ad tertium dicendum, quod objectum caritatis dans les choses, selon le Philosophe dans
est bonum, quod, secundum philosophum in 6 Métaphysique, VI. Mais l’objet de la foi est le
Metaph., est in rebus: objectum autem fidei est vrai, qui se réalise par une opération de l’âme. Et
verum, quod completur per operationem animae. parce que la composition et la division, qui se
Et quia compositio et divisio, quae est in trouvent dans ce qui peut faire l’objet d’énoncés,
enuntiabilibus, non est nisi per animam; ideo n’existent que par l’âme, ce qui est complexe est
complexum est objectum fidei, quamvis donc objet de la foi, bien que ce qui n’est pas
incomplexum sit objectum caritatis. complexe soit l’objet de la charité.
742

[10689] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 4. Un temps déterminé fait partie de ce qui se
4 Ad quartum dicendum, quod tempus rapporte accidentellement à la foi, comme il se
determinatum, est de his quae accidentaliter se rapporte accidentellement au prédicat et au sujet
habent ad fidem, sicut etiam se habet par lesquels l’intellect compose et divise. Or, ce
accidentaliter ad praedicatum et ad subjectum, qui se rapporte accidentellement à la foi n’est pas
quae intellectus componit et dividit. Ea autem nécessaire au salut, sauf après que cela a été
quae se habent accidentaliter ad fidem, non sunt déterminé par la prédication et l’enseignement.
de necessitate salutis, nisi postquam determinata
sunt per praedicationem et doctrinam.
[10690] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 5. Parmi ceux qui ont soutenu que la foi porte sur
5 Ad quintum dicendum, quod sustinentium fidem quelque chose de vrai qui est complexe, certains
esse circa verum complexum, quidam dixerunt, ont dit qu’il s’agit du même énoncé qui varie
quod est idem enuntiabile, quod secundum tria selon les temps, ce qui a été condamné dans le
tempora variatur: quod in 1 libro improbatum est, livre I, d. 24. À cause de cela, d’autres ont dit
distinct. 24. Et propter hoc alii dixerunt, quod que les articles de foi ne sont pas la même chose
articuli fidei non sunt idem quantum ad essentiam, selon l’essence, mais selon leur utilité. Cela non
sed quantum ad utilitatem: quod etiam non bene plus n’a pas été formulé correctement, car ainsi
dictum est: quia sic fides non esset eadem la foi ne serait pas la même simplement, mais de
simpliciter, sed secundum quid. Et ideo dicendum manière relative. Il faut donc dire que, dans
est, quod in ipso articulo qui est objectum fidei l’article même qui est un objet complexe de la
complexum, est aliquid materiale, scilicet ipsa foi, il y a quelque chose de matériel, la passion
passio; et aliquid formale, scilicet res divina; et elle-même; quelque chose de formel, la réalité
aliquid accidentale, scilicet ipsum tempus: unde divine, et quelque chose d’accidentel, le temps
fides variatur non quantum ad essentiam, sed lui-même. La foi ne varie donc pas selon son
quantum ad accidens. essence, mais selon quelque chose d’accidentel.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10691] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 co. La foi s’appuie sur la Vérité première. Comme
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fides celle-ci est infaillible, la foi ne peut donc porter
innititur veritati primae; unde cum illa sit sur quelque chose de faux.
infallibilis, fidei non potest subesse falsum.
[10692] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1. Le contingent ne peut être objet de la foi que
1 Ad primum ergo dicendum, quod contingens dans la mesure où il est soumis à la prescience de
non potest esse objectum fidei nisi secundum Dieu et selon qu’il comporte une nécessité par
quod stat sub divina praescientia, et secundum mode de conséquence, et tombe ainsi sous la foi.
hoc habet necessitatem consequentiae, et sic cadit Puisque la prescience [divine] ne peut se
sub fide; unde sicut praescientia non potest falli, tromper, la foi ne le peut donc pas non plus.
ita nec fides.
[10693] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2. Après le temps d’Abraham, Dieu pouvait
2 Ad secundum dicendum, quod post tempus libérer le genre humain d’une autre manière que
Abrahae Deus potuit alio modo genus humanum par la passion du Christ, si l’on parle de
liberare quam per passionem Christi, loquendo de puissance absolue, mais non pas selon que celle-
potentia absoluta, sed non secundum quod ci est envisagée dans son rapport à la prescience.
consideratur in ordine ad praescientiam: non enim En effet, Dieu ne peut pas faire que quelque
potest Deus ut aliquid ab eo praescitum sit, et chose soit connu par lui et ne se réalise pas par la
postmodum non fiat, sicut non potest falli vel suite, de même qu’il ne peut se tromper ni
mutari; et sic fides Abrahae fuerat de passione changer. Et ainsi, la foi d’Abraham portait sur la
Christi, secundum quod subsistit divinae passion du Christ, selon qu’elle est soumise à la
praescientiae. prescience divine.
[10694] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3. L’espérance ne tend vers la béatitude qu’en
3 Ad tertium dicendum, quod spes non tendit in supposant les mérites, autrement elle serait de la
743

beatitudinem nisi ex suppositione meritorum: présomption, et non de l’espérance. Si, en


alias esset praesumptio, et non spes. Unde si l’absence de mérites, celui-ci ne parvient pas à la
deficientibus meritis iste ad beatitudinem non béatitude comme il l’espérait, l’espérance n’est
pervenit ut speravit, spes non decipitur; et pas trompée. De même aussi, la charité n’est pas
similiter nec caritas decipitur: quia semper vult id trompée, car elle veut toujours ce qui plaît à
quod Deo placitum est. Unde si aliquis postea Dieu. Si quelqu’un découvre par la suite que ce
comperiat non esse Deo placitum quod prius qu’il estimait plaire à Dieu ne lui plaisait pas, le
placitum aestimabat, aestimatio humana fallitur, jugement humain se trompe, mais non la charité.
non caritas.
[10695] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4. La foi ne porte sur telle hostie que si elle est
4 Ad quartum dicendum, quod fides non est de correctement consacrée. Mais le fait que telle
hac hostia nisi rite consecrata; sed quod haec hostie soit correctement consacrée relève d’un
hostia sit rite consecrata, hoc est humanae jugement humain. De ce point, il peut se
aestimationis; et ex hac parte potest accidere error produire une erreur dans la latrie.
in latria.

Articulus 2 [10696] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 Article 2 – La foi porte-t-elle sur ce qui est
a. 2 tit. Utrum fides possit esse de visis vu ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi porte-t-elle sur ce
qui est vu ?]
[10697] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 1. Il semble que la foi porte sur ce qui est vu.
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod 1 Co 13, 12 : Nous voyons maintenant dans un
fides sit de visis; 1 Corinth. 13, 12: videmus nunc miroir et en énigme, et il parle ici de la foi. La
per speculum in aenigmate; et loquitur ibi de fide; foi est donc une vision. Ce qui est cru est donc
ideo fides est visio. Ergo credita sunt visa. vu.
[10698] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 2. La lumière de la foi se rapporte aux articles
arg. 2 Praeterea, lumen fidei se habet ad articulos [de la foi] comme la lumière naturelle aux
sicut lumen naturale ad principia naturaliter principes naturellement connus. Or, la lumière
cognita. Sed lumen naturale facit videre principia naturelle fait voir les principes connus par eux-
per se nota. Ergo et lumen fidei facit videre mêmes. La lumière de la foi fait donc aussi voir
articulos. les articles.
[10699] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 3. Intelliger, c’est voir. Or, il est nécessaire que
arg. 3 Praeterea, intelligere, videre est. Sed celui qui entend comprenne ce qui est dit pour
oportet eum qui audit intelligere quae dicuntur, ad qu’il croie. La foi, qui vient de ce qu’on entend,
hoc quod credat. Ergo fides, quae ex auditu est, de porte donc sur ce qui est vu.
visis est.
[10700] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 4. La prophétie est la cause de la vision. Or, la
arg. 4 Praeterea, prophetia visionis causa est. Sed foi et la prophétie ont quelque chose en commun,
fides et prophetia in idem concurrunt, ut supra comme on l’a dit plus haut. La foi porte donc sur
dictum est. Ergo fides de visis est. ce qui est vu.
[10701] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 5. Ce qui est matériel dans l’objet de foi est une
arg. 5 Praeterea, id quod est materiale in objecto réalité créée, comme on l’a dit. Or, cette réalité
fidei, est res creata, ut dictum est. Sed res illa créée est soumise à la vision humaine, même
creata visui humano subjacet etiam sensibili, sicut sensible, comme la passion. Puisque la foi porte
passio. Ergo cum fides sit de toto objecto suo, sur l’ensemble de son objet, la foi porte donc sur
fides de visis erit. ce qui est vu.
[10702] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. Cependant, [1] He 11, 1 dit : La foi est la
c. 1 Sed contra, Hebr. 11, 1: fides est argumentum preuve de ce qui n’est pas visible. Elle ne porte
non apparentium. Ergo non est de visis. donc pas sur ce qui est vu.
[10703] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. [2] Dieu, personne ne l’a vu, Jn 1, 18. Or, la foi
744

c. 2 Praeterea, Deum nemo vidit unquam; Joan. 1, porte au sens propre sur Dieu. La foi porte donc
18. Sed fides proprie est de Deo. Ergo fides est de sur ce qui n’est pas vu.
non visis.
[10704] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 s. [3] « La foi engendre l’espérance », dit la Glose
c. 3 Praeterea, fides gignit spem: Glossa Matth. 1. sur Mt 1. Or, l’espérance porte sur ce qui n’est
Sed spes est de non visis, Roman. 8. Ergo et fides. pas vu, Rm 8. Donc, la foi aussi.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La foi peut-elle porter sur
ce qui est su ?]
[10705] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 1. Il semble que la foi puisse porter sur ce qui est
arg. 1 Ulterius. Videtur quod fides possit esse de su. En effet, on croit que Dieu existe. Or, cela est
scitis. Deum enim esse, est creditum. Sed hoc est su, car cela a été prouvé de manière
scitum, quia demonstrative probatum est. Ergo démonstrative. La foi porte donc sur ce qui est
fides est de scitis. su.
[10706] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 2. Une des choses qui engendre la science est
arg. 2 Praeterea, unum de generantibus scientiam l’enseignement. Or, la foi dépend de
est doctrina. Sed fides, quantum ad distinctionem l’enseignement, pour ce qui est de la distinction
credendorum, est per doctrinam, quia fides ex entre les choses à croire, car la foi vient de ce
auditu est: Rom. 10. Ergo fides est de scitis. qu’on a entendu, Rm 10. La foi porte donc sur ce
qui est su.
[10707] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 3. Tout ce dont on a un argument probant est su.
arg. 3 Praeterea, omne illud ad quod habetur ratio Or, il peut y avoir un argument probant pour ce
probans, est scitum. Sed ad ea quae sunt fidei, qui relève de la foi. 1 P 3, 15 : Toujours prêts à
potest haberi ratio probans: 1 Petr. 3, 15: parati rendre compte de ce qui est en nous par la foi et
semper ad reddendum rationem de ea quae in l’espérance. Et le Commentateur dit, à propos
nobis est fide et spe; et Commentator super 1 cap. des Noms divins, chap. 1, que « la raison précède
de Divin. Nom. dicit, quod ratio est prior l’autorité ». Et Richard de Saint-Victor dit que
auctoritate; et Richardus de sancto Victore dicit, « la raison ne manque pas de démontrer toute
quod ad nullam veritatem probandam deficit ratio. vérité ». La foi porte donc sur ce qui est su.
Ergo fides est de scitis.
[10708] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 4. Toute démonstration convainquant l’intellect
arg. 4 Praeterea, omnis probatio convincens de donner son assentiment est science. Or, pour
intellectum ad assentiendum, facit scientiam. Sed donner son assentiment à ce qui relève de la foi,
ad assentiendum his quae sunt fidei, convincitur l’intellect est convaincu par des miracles, comme
intellectus per miracula, sicut supra dictum est de on l’a dit plus haut à propos des démons. La foi
Daemonibus. Ergo fides est de scitis. porte donc sur ce qui est su.
[10709] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. Cependant, [1] la science est causée par
c. 1 Sed contra, scientia ex intellectu principiorum l’intelligence des principes. Or, nous ne pouvons
causatur. Sed de his quae fides credit non comprendre ce que la foi croit aussi longtemps
possumus habere intellectum fide manente, que demeure la foi, c’est-à-dire dans l’état du
scilicet in statu viae. Ergo fides non potest esse de cheminement. La foi ne peut donc porter sur ce
scitis. qui est su.
[10710] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. [2] La science est l’effet de la raison, Or, ce qui
c. 2 Praeterea, scientia est effectus rationis. Sed ea relève de la foi dépasse la raison. Il ne peut donc
de quibus est fides, sunt supra rationem. Ergo de pas y avoir de science de ce sur quoi porte la foi.
his quae sunt fidei, non potest esse scientia.
[10711] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 s. [3] Dieu, personne ne l’a vu, Jn 1, 18. Or, la foi
c. 3 Praeterea, Deum nemo vidit unquam; Joan. 1, porte au sens propre sur Dieu. Elle porte donc
18. Sed fides proprie de Deo est. Ergo est de non sur ce qui n’est pas vu, etc.
visis et cetera.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Ce sur quoi porte la foi est-
745

il ignoré ?]
[10712] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 1. Il semble que ce sur quoi porte la foi soit
arg. 1 Ulterius. Videtur quod ea de quibus est ignoré, car, selon Grégoire, « ce qui est visible
fides, sint ignota. Quia secundum Gregorium, n’est pas objet de foi, mais de connaissance ».
apparentia non habent fidem, sed agnitionem. Sed Or, ce qui n’est pas objet de connaissance est
ea quae non habent agnitionem, sunt ignota. Ergo ignoré. Ce qui relève de la foi est donc ignoré.
ea quae fidem habent ignota sunt.
[10713] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 2. 1 Co 2, 9 : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas
arg. 2 Praeterea, 1 Corinth. 2, 9: oculus non vidit entendu et rien n’est monté dans le cœur de
et auris non audivit, et in cor hominis non l’homme de ce que Dieu a préparé pour ceux qui
ascendit, quae praeparavit Deus diligentibus se. l’aiment. Or, tout ce qui est connu monte dans le
Sed quaecumque cognoscuntur, in cor ascendunt. cœur. La foi qui porte sur ce qui a été dit plus
Ergo fides, quae est de praedictis, est de ignotis. haut porte donc sur ce qui est ignoré.
[10714] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 3. Toute notre connaissance prend son origine
arg. 3 Praeterea, omnis nostra cognitio habet dans le sens, selon les philosophes. Or, ce qui
ortum a sensu, secundum philosophos. Sed ea relève de la foi ne peut aucunement être ramené
quae cadunt sub fide, nullo modo possunt reduci à la connaissance sensible. On n’en a donc
ad cognitionem sensibilem. Ergo de eis non est aucune connaissance.
cognitio aliqua.
[10715] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 4. Tout ce qui est connu est présent d’une
arg. 4 Praeterea, omne quod cognoscitur, est certaine manière à celui qui connaît. Or, « la foi,
praesens aliquo modo cognoscenti. Sed fides, ut comme le dit Augustin, porte sur des réalités qui
dicit Augustinus, est de absentibus. Ergo ea quae sont absentes ». Ce qui relève de la foi est donc
sunt fidei, sunt ignota. ignoré.
[10716] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] tout habitus qui existe dans une
c. 1 Sed contra, omnis habitus in potentia puissance cognitive fait connaître son objet. Or,
cognitiva existens facit cognoscere suum la foi se trouve dans une puissance cognitive
objectum. Sed fides est in cognitiva potentia comme dans son sujet, comme on l’a dit plus
existens sicut in subjecto, ut prius dictum est, dist. haut, d. 23, q. 1, a. 3. Ce qui relève de la foi est
23, qu. 1, art., 3. Ergo ea quae sunt fidei aliquo donc connu d’une certaine manière.
modo cognoscuntur.
[10717] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 s. [2] L’infidélité est une ignorance, comme cela
c. 2 Praeterea, infidelitas est ignorantia, ut patet 1 ressort de 1 Tm 1, 13 : J’ai obtenu miséricorde,
Tim. 1, 13: misericordiam consecutus sum, quia car j’ai agi par ignorance à cause de mon
ignorans feci in incredulitate mea. Ergo fides est incrédulité. La foi est donc une connaissance, et
cognitio; et ita credita sunt cognita. ainsi ce qui est cru est connu,
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10718] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 co. À proprement parler, la vision est un acte du sens
Respondeo dicendum, ad primam quaestionem, de la vue, mais, en raison de la noblesse de ce
quod visio, proprie loquendo, est actus sensus sens, le mot « vision » a été transféré aux actes
visus, sed propter nobilitatem istius sensus d’autres puissances cognitives à cause d’une
translatum est nomen visionis ad actus aliarum ressemblance avec le sens de la vue. La
potentiarum cognitivarum secundum ressemblance peut donc être envisagée quant au
similitudinem ad sensum visus. Potest ergo genre de connaissance seulement. Ainsi, au sens
attendi similitudo quantum ad genus cognitionis large, toute connaissance est-elle appelée vision
tantum; et sic largo modo, improprie omnis et, de ce point de vue, la foi porte sur ce qui est
cognitio visio dicetur; et secundum hoc fides est vu de quelque manière, comme le dit le Maître,
de visis utcumque, sicut Magister dicit, non non pas d’une vision extérieure, mais intérieure.
quidem visu exteriori, sed interiori. Potest etiam On peut aussi considérer cette ressemblance, non
ulterius attendi haec similitudo non solum seulement quant au genre de connaissance, mais
746

quantum ad genus cognitionis, sed etiam quantum aussi quant au mode de connaissance. Or, le
ad modum cognoscendi. Modus autem quo sensus mode selon lequel le sens voit consiste en ce que
videt, est inquantum species visibilis in actu per l’espèce visible en acte est formée par la lumière
lumen formatur in visu; unde transferendo nomen dans la vision. A ussi, en transférant le mot
visionis ad intellectum, proprie intelligendo, « vision » à l’intellect, en l’entendant au sens
videmus quando per lumen intellectuale ipsa propre, nous voyons lorsque, par la lumière
forma intellectualis fit in intellectu nostro; sive intellectuelle, la forme intellectuelle elle-même
illud lumen sit naturale; sicut cum intelligimus apparaît dans notre intellect, soit que cette
quidditatem hominis, aut alicujus hujusmodi; sive lumière soit naturelle, comme lorsque nous
sit supernaturale, sicut quo Deum in patria intelligeons la quiddité de l’homme ou quelque
videbimus. Et ulterius videri per intellectum chose de ce genre, soit qu’elle soit surnaturelle,
dicuntur illa complexa quorum cognitio ex comme celle par laquelle nous verrons Dieu dans
praedicta visione consurgit; sicut per lumen la patrie. De plus, on dit qu’on voit par
naturale videmus principia prima quae l’intelligence les réalités compexes dont la
cognoscimus statim, ut terminos; sive per lumen connaissance provient de la vision susdite,
supernaturale, sicut est visio prophetiae. Et comme lorsque nous voyons par la lumière
ulterius etiam ea quae in ista principia resolvere naturelle les principes premiers que nous
possumus per rationem dicuntur videri, sicut ea connaissons immédiatement comme des termes,
quae scimus demonstrative probata. Et secundum soit par la lumière surnaturelle, comme la vision
hoc patet quod fides non potest esse de visis: quia de la prophétie. Encore plus, nous disons que
forma illa intelligibilis quae principaliter est nous voyons ce que nous pouvons ramener à ces
objectum fidei, idest Deus, formationem principes par la raison, comme ce que nous
intellectus nostri subterfugit, et non est ei pervius savons comme étant prouvé de manière
in statu viae, ut dicit Augustinus. Nec iterum ea démonstrative. Il ressort ainsi que la foi ne peut
quae sunt fidei, ad principia visa reducere porter sur ce qui est vu, car la forme intelligible
possumus demonstrando. qui est principalement l’objet de la foi, Dieu,
échappe à la formation de notre intellect et ne lui
est pas accessible dans l’état du cheminement,
comme le dit Augustin. Nous ne pouvons pas
non plus ramener par démonstration à des
principes vus ce qui relève de la foi.
[10719] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1. La vision est entendue là au sens large selon le
1 Ad primum ergo dicendum, quod visio accipitur premier mode.
ibi large secundum primum modum.
[10720] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2. Les termes des principes naturellement connus
2 Ad secundum dicendum, quod termini sont compréhensibles par notre intelligence.
principiorum naturaliter notorum sunt C’est pourquoi la connaissance qui provient de
comprehensibiles nostro intellectui: ideo cognitio ces principes est une vision. Mais il n’en va pas
quae consurgit de illis principiis, est visio: sed de même des termes des articles. Aussi, à
non est ita de terminis articulorum. Unde in l’avenir, lorsque Dieu sera vu par son essence,
futuro, quando Deus videbitur per essentiam, les articles seront-ils connus et vus par eux-
articuli erunt ita per se noti et visi, sicut modo mêmes à la manière des principes d’une
principia demonstrationis. démonstration.
[10721] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3. L’intelligence, par laquelle nous intelligeons
3 Ad tertium dicendum, quod praecedit ce qui est signifié par un mot, précède, et non pas
intellectus, quo intelligimus quid significatur per celle par laquelle nous intelligeons ce qu’est la
nomen, et non quo intelligimus quid sit res ipsa: chose elle-même, car les noms sont donnés à
quia nomina ex effectibus imponuntur. partir des effets.
[10722] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4. La prophétie porte sur quelque chose de
4 Ad quartum dicendum, quod prophetia respicit temporel comme son objet propre, qui peut peut
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temporale quasi proprium objectum, quod être compris par l’intelligence. C’est pourquoi la
intellectu comprehendi potest; et ideo prophetia prophétie est appelée une vision.
est visio.
[10723] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5. La foi ne porte sur ce qui est matériel dans
5 Ad quintum dicendum, quod de eo quod est l’objet de foi, l’incarnation, que pour autant que
materiale in objecto fidei, scilicet incarnatio, non cela dépend de ce qui y est formel, comme la
est fides, nisi secundum quod stat sub illo formali; vision ne porte sur la couleur que pour autant
sicut visus non est de colore nisi secundum quod qu’elle est exposée à la lumière. Et ainsi elle ne
stat sub lumine; et sic non cadit sub visu tombe pas sous la vision corporelle ni sous [la
corporali, nec intellectuali. vision] intellectuelle.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10724] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Comme on l’a dit, la foi se compare à quelque
Ad secundam quaestionem dicendum, quod fides, chose de deux manières : par soi et par accident.
ut dictum est, comparatur ad aliquid dupliciter, Ce qui concerne par soi la foi la concerne
scilicet per se et per accidens. Et quod per se toujours et partout; c’est pourquoi ce qui
pertinet ad fidem, pertinet ad eam semper et concerne la foi en raison de tel ou tel aspect ne
ubique; ideo quod pertinet ad fidem ratione hujus concerne pas la foi par soi, mais par accident. Ce
vel illius, non est fidei per se, sed per accidens. qui dépasse simplement l’intellect humain à
Ergo quod simpliciter humanum intellectum propos de Dieu et qui nous est révélé par Dieu
excedit ad Deum pertinens, nobis divinitus concerne la foi par soi; mais ce qui dépasse
revelatum, per se ad fidem pertinet; quod autem l’intellect de tel ou tel homme, mais non de tous,
excedit intellectum hujus vel illius, et non omnis ne concerne pas la foi par soi, mais par accident.
hominis, non per se sed per accidens ad fidem Or, ce qui dépasse tout intellect humain ne peut
pertinet. Ea autem quae omnem humanum pas être prouvé par une démonstration, car la
intellectum excedunt non possunt per démonstration se fonde sur l’intelligence des
demonstrationem probari: quia demonstratio in principes. Aussi les choses de ce genre ne
intellectu principiorum fundatur; et ideo peuvent-elles être sues, mais certaines qui
hujusmodi non possunt esse scita, sed quaedam précèdent la foi, sur lesquelles la foi ne porte que
quae sunt praecedentia ad fidem, quorum non est par accident, dans la mesure où elles dépassent
fides nisi per accidens, inquantum scilicet l’intelligence de tel homme, et non pas
excedunt intellectum illius hominis, et non simplement de l’homme, peuvent-elles être
hominis simpliciter, possunt demonstrari et sciri; démontrées et sues, par exemple, le fait que Dieu
sicut hoc quod est Deum esse: quod quidem est existe : cela est cru par celui dont l’intelligence
creditum quantum ad eum cujus intellectus ad de parvient pas à la démonstration, car la foi en
demonstrationem non attingit: quia fides, quantum elle-même incline suffisamment à tout ce qui
in se est, ad omnia quae fidem concomitantur vel accompagne, suit ou précède la foi.
sequuntur vel praecedunt sufficienter inclinat.
[10725] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1. La solution du premier argument est ainsi
1 Et per hoc patet solutio ad primum. claire.
[10726] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2. La foi est déterminée par l’écoute de
2 Ad secundum dicendum, quod fides l’enseignement qui propose ce qu’il faut éviter et
determinatur per auditum doctrinae proponentis ce qu’il faut soutenir, mais qui ne prouve pas ce
quid evitandum sit et quid tenendum sit, sed non qui est proposé. Un tel enseignement ne donne
probantis propositum; et ideo scientiam talis donc pas la science.
doctrina non facit.
[10727] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3. La raison humaine précède l’autorité humaine
3 Ad tertium dicendum, quod ratio humana et la raison divine précède l’autorité divine, sur
praecedit auctoritatem humanam, et ratio divina laquelle s’appuie la foi. Notre foi a donc, avec la
praecedit auctoritatem divinam, cui fides innititur; raison divine par laquelle elle connaît Dieu, le
unde fides nostra ita se habet ad rationem divinam même rapport que la foi de celui qui suppose les
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qua Deus cognoscit, sicut se habet fides illius qui principes d’une science subalterne avec la
supponit principia subalternatae scientiae ad science subalternante, qui les a prouvés par sa
scientiam subalternantem, quae per propriam propre raison. Aussi l’Apôtre n’avertit-il pas de
rationem illa probavit. Unde apostolus non monet faire appel à la raison humaine pour prouver la
humanam rationem inducere ad probandum foi, mais à la raison divine afin de montrer ce
fidem, sed divinam, ut ostendatur quod Deus que Dieu a dit. Mais [on doit faire appel à la
dixit; humanam autem ad defendendum, ut per raison] humaine pour la défendre, afin de
eam ostendatur quod ea quae fides praesupponit, montrer par celle-ci que ce que la foi présuppose
non sunt impossibilia; non ita autem quod n’est pas impossible, mais non que ce qui
sufficienter per rationem humanam ea quae fidei concerne la foi peut être suffisamment prouvé
sunt, probari possint. Et ideo verbum Richardi par la raison humaine. Aussi la parole de Richard
intelligendum est de probatione non sufficienti, doit-elle s’entendre d’une preuve qui n’est pas
sed aliquo modo persuadenti. suffisante, mais qui persuade d’une certaine
manière.
[10728] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4. Les arguments qui forcent à croire, comme les
4 Ad quartum dicendum, quod argumenta quae miracles, ne prouvent pas la foi en elle-même,
cogunt ad fidem, sicut miracula, non probant mais ils prouvent la vérité de celui qui annonce
fidem per se, sed probant veritatem annuntiantis la foi. C’est pourquoi ils ne donnent pas la
fidem: et ideo de his quae fidei sunt, scientiam science de ce qui relève de la foi.
non faciunt.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10729] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Pour la parfaite raison de la connaissance
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ad intellectuelle, trois choses sont requises.
perfectam rationem cognitionis intellectivae tria Premièrement, que ce qui est connu soit proposé
requiruntur. Primo quod id quod cognoscitur, à l’intelligence; deuxièmement, que
intellectui proponatur; secundo quod intellectus l’intelligence y adhère; troisièmement, qu’elle
illis adhaereat; tertio quod ea videat. Ea ergo quae les voie. Ce qui relève de la foi est donc proposé
fidei sunt, intellectui proponuntur non quidem in à l’intelligence non pas en soi, mais par certaines
seipsis, sed quibusdam verbis quae ad eorum paroles qui ne suffisent pas à l’exprimer et par
expressionem non sufficiunt, et quibusdam certaines ressemblances qui ne parviennent pas à
similitudinibus ab eorum repraesentatione le représenter. C’est pourquoi on dit que cela est
deficientibus; et ideo dicuntur cognosci in connu dans un miroir et en énigme. Pour cette
speculo, et in aenigmate. Et propter hoc non raison, cela n’est pas vu au sens propre, mais
videtur, proprie loquendo, sed tamen intellectus l’intelligence y donne cependant son
assentit eis: et propter hoc imperfecte assentiment. Cela est donc imparfaitement
cognoscuntur, nec omnino ignorantur. connu, mais n’est pas totalement ignoré.
[10730] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1. Grégoire parle d’une connaissance parfaite qui
1 Ad primum ergo dicendum, quod Gregorius comporte la vision.
loquitur de agnitione perfecta, quae visionem
includit.
[10731] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2. Monte dans le cœur ce qui peut être formé par
2 Ad secundum dicendum, quod in cor ascendit l’opération du cœur. C’est cela qui est vu. De
quod per operationem cordis formari potest; et cette manière, ne monte pas dans le cœur de
hoc est quod videtur: et per istum modum quae l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui
praeparavit Deus diligentibus se, in cor hominis l’aiment.
non ascendunt.
[10732] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3. La connaissance de la foi prend son origine
3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fidei ortum dans le sens pour autant qu’il a connu les
habet a sensu, inquantum significationes significations des mots qui sont proposés aux
nominum, quae proponuntur sensibus, cognovit; sens. Mais ceux-ci sont impuissants à représenter
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sed haec deficiunt a repraesentatione ejus circa ce sur quoi la foi porte au sens propre. C’est
quod est fides proprie; ideo fides non habet pourquoi la foi n’a pas une connaissance
cognitionem perfectam. parfaite.
[10733] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4. On appelle « présent » ce dont l’essence est
4 Ad quartum dicendum, quod illud proprie présentée à l’intelligence ou au sens. Parce que
dicitur praesens cujus essentia intellectui vel cela donne la vision, Augustin dit donc que « ce
sensui praesentatur: et quia hoc facit visionem, qui est présent est vu, mais ce qui est cru est
ideo dicit Augustinus, quod videntur praesentia, absent ». Pour cette raison aussi, la foi est
sed creduntur absentia: et propter hoc etiam fides assimilée à l’ouïe, car celle-ci porte sur ce qui est
assimilatur auditui, quia de absentibus est, sicut absent; ainsi nous connaissons par l’ouïe ce qui
auditu cognoscimus quae, cum sint absentia, nobis nous est raconté, alors que cela est absent.
recitantur.

Articulus 3 [10734] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 Article 3 – Est-il nécessaire que l’homme croie
a. 3 tit. Utrum necessarium sit homini credere quelque chose dont il n’a pas la science ?
aliquid cujus non habet scientiam
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Est-il nécessaire que
l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la
science ?]
[10735] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire que
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non l’homme croie quelque chose dont il n’a pas la
sit necessarium quod homo credat aliquid cujus science ni la vision, et qui dépasse la raison
non habet scientiam neque visionem, super naturelle. En effet, on ne prend parfaitement soin
naturalem rationem existens. Nulli enim rei d’une chose que si on lui donne ce par quoi elle
perfecte providetur, nisi sibi conferantur ea per peut parvenir à sa fin. Or, la providence divine a
quae potest in finem suum devenire. Sed humanae suffisamment pris soin de la nature humaine lors
naturae in sua creatione sufficienter divina de sa création. Elle lui a donc attribué ce par
providentia providit. Ergo ei tribuit ea per quae quoi elle pourrait tendre vers sa fin; et ainsi, il
possit in finem suum tendere; et ita videtur quod semble que la raison naturelle ordonne
ratio naturalis sufficienter hominem in finem suffisamment l’homme vers sa fin. Il n’est donc
ordinet; et ita non oportet quod aliqua supra pas nécessaire qu’il croie certaines choses qui
rationem credat. dépassent la raison.
[10736] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 2. La fin ultime de notre vie est Dieu, pour
arg. 2 Praeterea, ultimus finis nostrae vitae est autant qu’il est le Bien suprême. Or, qu’il existe
Deus, inquantum est summum bonum. Sed aliquid un Bien suprême, cela est démontré par la raison
esse summum bonum, est probatum per rationem naturelle. Il n’était donc pas nécessaire de croire
naturalem. Ergo non oportuit aliquid aliud credere à quelque chose d’autre qui dépasse la raison
supra rationem naturalem ad ordinationem naturelle pour ordonner l’homme vers sa fin.
hominis in finem.
[10737] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 3. La sagesse divine dépasse infiniment notre
arg. 3 Praeterea, sapientia divina in infinitum raison. Il existe donc dans la sagesse divine une
nostram rationem excedit. Ergo infinita sunt in infinité de choses qui dépassent notre raison. Or,
sapientia Dei quae nostram rationem excedunt. nous ne pouvons connaître toutes ces choses.
Sed non de omnibus illis possumus habere Pour la même raison, ne pouvons-nous pas avoir
cognitionem. Ergo pari ratione nec de aliquibus la connaissance de certaines choses qui
quae supra rationem sunt: quia de similibus est dépassent la raison, car le même jugement est
idem judicium. porté sur des choses semblables.
[10738] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] là où il existe une vie plus
c. 1 Sed contra, ubi est altior vita, debet esse altior élevée, il doit exister une opération plus élevée
operatio vitae. Sed vita gratiae est altior quam vita de la vie. Or, la vie de la grâce est plus élevée
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naturae. Ergo et cognitio gratiae debet excedere que la vie de la nature. La connaissance de la
cognitionem naturae, cum cognitio sit operatio grâce doit donc dépasser la connaissance de la
vitae. nature, puisque la connaissance est une opération
de la vie.
[10739] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 s. [2] La foi est la substance des choses espérées,
c. 2 Praeterea, fides est substantia sperandarum He 11, 1. Or, ce que nous espérons dépasse la
rerum, Hebr. 11, 1. Sed ea quae speramus, sunt raison, car l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas
supra rationem: quia oculus non vidit nec auris entendu et n’est pas monté dans le cœur de
audivit nec in cor hominis ascendit quae l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui
praeparavit Deus iis qui diligunt illum; 1 Corinth. l’aiment, 1 Co 2, 9. La foi aussi doit donc porter
2, 9. Ergo et fides debet esse de his quae sunt sur des choses qui dépassent la raison.
supra rationem.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Croire ce que nous ne
voyons pas est-il louable et méritoire ?]
[10740] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 1. Il semble que croire ce que nous ne voyons
arg. 1 Ulterius. Videtur quod credere his quae non pas ne soit ni louable ni méritoire, car celui qui
videmus, non sit laudabile neque meritorium. croit rapidement a un cœur léger, comme il est
Quia qui cito credit levis est corde, ut dicitur dit dans Si 19, 4. Or, celui qui croit ce qu’il ne
Eccli. 19, 4. Sed qui credit his quae nullo modo voit aucunement croit trop rapidement. Il doit
videt, nimis cito credit. Ergo magis est être blâmé plutôt que loué.
vituperandus quam laudandus.
[10741] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 2. Renoncer à la raison, qui est ce qu’il y a de
arg. 2 Praeterea, abnegare rationem, quae est plus noble en nous, est répréhensible. Or, celui
nobilissimum eorum quae in nobis sunt, est qui croit ce qui n’est pas conforme à la raison,
vituperabile. Sed qui credit ea quae non sunt renonce à la raison. Il mérite donc d’être blâmé.
rationi consona, rationem abnegat. Ergo est
vituperabilis.
[10742] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 3. La discrétion est ce qui rend louable toute
arg. 3 Praeterea, discretio est illa quae facit omne action de l’homme. Or, puisque notre discrétion
opus hominis laudabile. Sed cum omnis nostra vient entièrement de la raison, nous n’avons pas
discretio sit per rationem, in his quae praeter ce par quoi nous exerçons notre discrétion dans
rationem sunt, non habemus aliquid quo les choses qui dépassent la raison. Croire cela
discernamus. Ergo hoc credere non est laudabile: n’est donc pas louable, car on peut ainsi croire
quia ita potest aliquis credere falsis sicut veris. des faussetés comme des vérités.
[10743] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] Jn 20, 29 dit : Bienheureux ceux
c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 20, 29: beati qui n’ont pas vu et qui ont cru!
qui non viderunt, et crediderunt.
[10744] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 s. [2] Tout acte de vertu est méritoire et louable en
c. 2 Praeterea, omnis actus virtutis est meritorius lui-même. Or, croire ce qu’on ne voit pas est un
et laudabilis, quantum est in se. Sed credere quae acte de foi, qui est une vertu. Cela est donc
non videntur, est actus fidei, quae est virtus. Ergo louable et méritoire.
est laudabile et meritorium.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La raison humaine
diminue-t-elle le mérite de la foi ?]
[10745] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 1. Il semble que la raison humaine diminue le
arg. 1 Ulterius. Videtur quod ratio humana mérite de la foi. En effet, la raison qui prouve
diminuat meritum fidei. Ratio enim sufficienter suffisamment enlèverait totalement le mérite de
probans, totaliter meritum fidei evacuaret: quia, ut la foi, car, ainsi que le dit Grégoire, « la foi, à
dicit Gregorius: fides non habet meritum cui laquelle la raison fournit une preuve, n’a pas de
humana ratio praebet experimentum. Ergo ratio mérite, ». La raison qui persuade d’une certaine
751

aliqualiter persuadens, meritum fidei diminuit. manière diminue donc le mérite de la foi.
[10746] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 2. Ce qui entraîne la corruption de la foi diminue
arg. 2 Praeterea, illud quod inducit ad le mérite de la foi. Or, « les arguments et les
corruptionem fidei, diminuit meritum fidei. Sed disputes entraînent la corruption de la foi »,
rationes et disputationes inducunt corruptionem comme dit Averroès dans Physique, III, du fait
fidei, ut dicit Averroes in 3 Physic., ex hoc quod que l’homme entend d’autres choses et, de ce
homo audit alia, et ex hoc minus adhaeret his quae fait, adhère moins à ce qu’il avait coutume
consuevit audire, et dubitare incipit. Ergo videtur d’écouter et se met à douter. Il semble donc que
quod ratio humana meritum fidei diminuat. la raison humaine diminue le mérite de la foi.
[10747] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 3. L’action qui est accomplie purement pour
arg. 3 Praeterea, opus quod pure propter Deum fit, Dieu est plus méritoire que lorsqu’une autre
magis est meritorium quam quando cum hoc fine chose temporelle y est mêlée. Pour la même
admiscetur aliquid aliud temporale. Ergo pari raison, la raison mêlée à la foi diminue le mérite
ratione humana ratio fidei admixta meritum fidei de la foi.
diminuit.
[10748] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 s. Cependant, [1] la foi est mise en lumière par les
c. 1 Sed contra, per rationes humanas fides raisons humaines. Or, la vie éternelle est promise
elucidatur. Sed elucidantibus vita aeterna à ceux qui mettent en lumière, comme cela
promittitur; ut patet Eccli. 24, 31: qui elucidant ressort de Si 24, 31 : Ceux qui m’éclairent
me, vitam aeternam habebunt; quod non esset, si auront la vie éternelle, ce qui ne serait pas le cas
per elucidationem meritum fidei diminueretur. si le mérite de la foi était diminué par la mise en
Ergo videtur quod ratio humana meritum fidei lumière. Il semble donc que la raison humaine ne
non diminuit. diminue pas le mérite de la foi.
[10749] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 s. [2] Plus une vertu est proche de la fin, plus elle
c. 2 Praeterea, quanto virtus est magis propinqua est méritoire. Or, la fin de la foi est l’intelligence
fini, tanto est magis meritoria. Sed finis fidei, est de la vérité, dont l’homme se rapproche par des
intelligentia veritatis, ad quam homo propinquat raisons humaines. La raison humaine ne diminue
per rationes humanas. Ergo ratio humana fidei donc pas le mérite de la foi, mais l’augmente.
meritum non diminuit, sed auget.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10750] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Dans la foi, il y a des choses qui dépassent
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, simplement la raison humaine, et des choses qui
quod in fide sunt quaedam quae sunt supra dépassent la raison humaine d’un individu, bien
rationem humanam simpliciter, de quibus qu’elles ne dépassent pas la raison de tous les
essentialiter est fides; et quaedam quae sunt supra hommes. Il était nécessaire que la foi soit donnée
rationem humanam alicujus, quamvis non supra pour les deux. En effet, parce que Dieu a préparé
rationem cujuslibet hominis; et ad utraque à l’homme une fin qui est supérieure à la nature
necessarium fuit dari fidem. Quia enim homini de l’homme, la pleine participation à sa
Deus providit finem qui est supra naturam béatitude, il est nécessaire que celui qui tend vers
hominis, scilicet plenam participationem suae cette fin, s’il agit par libre arbitre, connaisse cette
beatitudinis; oportet autem eum qui in finem fin, par la considération de laquelle il est dirigé
tendit, si libero arbitrio agat, cognoscere finem ex vers ce qui est ordonné à cette fin. Il fallait donc
cujus consideratione dirigitur in his quae sunt ad que l’homme ait la connaissance d’une chose qui
finem; ideo oportuit ut homo alicujus rei dépasse sa connaissance naturelle : cette
cognitionem haberet quae naturalem cognitionem connaissance est donnée par la grâce de la foi.
ejus excedit: quae quidem cognitio homini datur Or, de même que, pour la grâce qui perfectionne
per gratiam fidei. Sicut autem est in gratia l’affectivité, la nature est présupposée,
perficiente affectum quod praesupponit naturam, puisqu’elle la perfectionne, de même la
quia eam perficit; ita et fidei substernitur naturalis connaissance naturelle, que présuppose la foi,
cognitio, quam fides praesupponit, et ratio probare est-elle sous-jacente à la foi et la raison peut-elle
752

potest; sicut Deum esse, et Deum esse unum, démontrer le fait que Dieu existe, qu’il est
incorporeum, intelligentem, et alia hujusmodi: et unique, incorporel, intelligent et d’autres choses
ad hoc etiam sufficienter fides inclinat, ut qui de ce genre. À cela aussi la foi incline
rationem ad hoc habere non potest, fide eis suffisamment, afin que celui qui ne peut en saisir
assentiat. Quod quidem necessarium fuit propter la raison y donne son assentiment par la foi. Or,
quinque, ut dicit Rabbi Moyses in prima parte, cela était nécessaire pour cinq raisons, comme le
capit. 33. Primo propter altitudinem materiae dit rabbi Moïse dans la première partie, c. 33.
secundum elevationem a sensibus, quibus vita Premièrement, en raison de l’élévation de la
nostra connutritur; unde non est facile sensum et matière par rapport aux sens, par lesquels notre
imaginationem deserere; quod tamen est vie est entretenue; ainsi il n’est pas facile de
necessarium in cognitione divinorum et délaisser le sens et l’imagination, ce qui est
spiritualium, ut dicit Boetius. Secundo, quia cependant nécessaire pour la connaissance des
quamvis intellectus hominis naturaliter ordinatus réalités divines et spirituelles, comme le dit
sit ad divina cognoscenda, non tamen potest in Boèce. Deuxièmement, parce que, bien que
actum exire per seipsum. Et quia cuilibet non l’intelligence de l’homme soit naturellement
potest adesse doctor paratus, ideo Deus lumen ordonnée à la connaissance des réalités divines,
fidei providit, quod mentem ad hujusmodi elevet. elle ne peut cependant passer à l’acte par elle-
Tertio, quia ad cognitionem divinorum per viam même. Parce que chacun ne peut compter sur la
rationis multa praeexiguntur, cum fere tota présence d’un docteur bien disposé, Dieu a donc
philosophia ad cognitionem divinorum ordinetur: donné la lumière de la foi qui élève l’esprit
quae quidem non possunt nisi pauci cognoscere; jusqu’aux réalités de ce genre. Troisièmement,
et ideo oportuit fidem esse ut omnes aliquam parce que beaucoup de choses sont prérequises à
cognitionem haberent de divinis. Quarto, quia la connaissance des réalités divines par la voie de
quidam naturaliter sunt hebetes, et tamen la raison, puisque presque toute la philosophie
cognitione divinorum indigent qua in vita est ordonnée à la connaissance des réalités
dirigantur. Quinto, quia homines occupantur circa divines. Or, un petit nombre seulement peut
necessaria vitae, et retrahuntur a diligenti connaître cela. C’est pourquoi il fallait que la foi
consideratione divinorum. existe afin que tous aient une certaine
connaissance des réalités divines.
Quatrièmement, parce que certains sont
naturellement obtus et ont cependant besoin de la
connaissance des réalités divines par laquelle ils
sont dirigés dans la vie. Cinquièmement, parce
que les hommes sont occupés par ce qui est
nécessaire à la vie et sont retenus de la
considération attentive des réalités divines.
[10751] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1. La fin de la vie humaine est la connaissance
1 Ad primum ergo dicendum, quod finis humanae de Dieu, même selon les philosophes qui place la
vitae est cognitio Dei, etiam secundum félicité ultime dans l’acte de la sagesse par la
philosophos qui ponunt felicitatem ultimam in connaissance de ce qui est le plus noble des
actu sapientiae secundum cognitionem nobilissimi intelligibles. Or, une certaine connaissance de
intelligibilis. Cognitio autem Dei quaedam excedit Dieu dépasse notre nature, comme la vision qui
nostram naturam, sicut visio quae est per se réalise par son essence, et nous ne pouvions
essentiam; et ad istum finem non potuit être suffisamment équipés pour cette fin par
sufficienter nobis provideri per nostra naturalia; et notre capacité naturelle. Aussi la foi à ce qui
ideo necessaria fuit fides eorum quae essentialiter relève essentiellement de la foi était-elle
ad fidem pertinent. Alia autem cognitio Dei est nécessaire. Mais une autre connaissance de Dieu
commensurata nostrae naturae, scilicet illa quam est à la mesure de notre nature : celle que nous
de Deo habere possumus per rationem naturalem. pouvons avoir de Dieu par la raison naturelle.
Sed quia haec habetur in ultimo humanae vitae, Or, parce que celle-ci n’est obtenue qu’au terme
753

cum sit finis; et oportet humanam vitam regulari de la vie humaine, puisqu’elle en est la fin, et
ex cognitione Dei, sicut ea quae sunt ad finem ex parce qu’il est nécessaire que la vie humaine soit
cognitione finis: ideo etiam per naturam hominis réglée par la connaissance de Dieu, comme ce
non potuit sufficienter provideri etiam quantum ad qui est ordonné à une fin par la connaissance de
hanc cognitionem Dei. Unde oportuit quod per la fin, la nature de l’homme ne pouvait donc pas
fidem a principio cognita fierent, ad quae ratio non plus suffisamment assurer cette
nondum poterat pervenire; et hoc quantum ad ea connaissance de Dieu. Il fallait donc que, dès le
quae ad finem praeexiguntur. début, soit connu par la foi ce que ne pouvait
atteindre la raison, et cela, pour ce qui est
prérequis à ce qui est ordonné à la fin.
[10752] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2. Comme le dit Denys, « le bien se répand par
2 Ad secundum dicendum, quod bonum, ut dicit lui-même », de sorte que là où est connue une
Dionysius, est sui diffusivum; unde ubi autre raison de diffusion, est connue une autre
cognoscitur alia ratio diffusionis, cognoscitur alia raison de bien. Le Bien suprême peut donc être
ratio bonitatis. Per rationem ergo naturalem potest connu par la raison naturelle selon qu’il se
cognosci summum bonum, secundum quod diffuse par une communication naturelle, mais
diffundit se communicatione naturali, non autem non selon qu’il se diffuse par une
secundum quod diffundit se communicatione communication surnaturelle. Selon cette raison,
supernaturali; et secundum hanc rationem le Bien suprême est la fin de notre vie, ce dont il
summum bonum est finis nostrae vitae: de quo faut en avoir la foi, puisque la raison ne peut y
oportet haberi fidem, cum ratio in illud non possit. accéder.
[10753] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3. Ce qui est ordonné à la fin doit être
3 Ad tertium dicendum, quod ea quae sunt ad proportionné à la fin. Puisque la fin ultime de la
finem, debent proportionari fini: unde cum finis vie humaine dépasse la capacité de la nature et,
vitae humanae ultimus sit supra facultatem par conséquent, de la raison, qui juge de ce qui
naturae, et per consequens rationis, quae ratio ex se rapporte à la fin à partir de la fin, il est
his quae sunt ad finem, de fine conjectat; oportet nécessaire que même ce qui est ordonné à cette
quod etiam illa quae sunt ordinata ad finem illum, fin dépasse la capacité de la nature humaine et la
supra facultatem humanae naturae sint et supra raison. Ainsi, tout ce qui dépasse la raison dans
rationem; et ita non omnia quae in divina la sagesse divine ne relève pas de la foi, mais
sapientia supra rationem sunt ad fidem pertinent, seulement la connaissance de la fin surnaturelle
sed solum cognitio finis supernaturalis, et eorum et de ce par quoi nous sommes surnaturellement
quibus in finem illum supernaturaliter ordinamur. ordonnés à cette fin.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10754] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, I, la
Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut louange se prend par rapport à quelque chose de
philosophus dicit 1 Ethic., laus proprie secundum plus digne, comme nous voyons que l’acte du
respectum ad alterum quod dignius est attenditur; concupiscible est loué pour autant qu’il se
sicut videmus quod actus concupiscibilis laudatur comporte de manière ordonnée par rapport à la
inquantum ordinate se habet ad rationem; actus raison; l’acte de la raison l’est pour autant qu’il
vero rationis inquantum ordinate se habet ad se comporte de manière ordonnée par rapport à
intellectum, quo dirigitur; et actus etiam la simple intelligence, par laquelle il est dirigé; et
supremarum potentiarum secundum quod même l’acte des puissances supérieures, selon
convenienter se habent ad finem. Et propter hoc qu’elles ont un rapport approprié avec la fin.
illa quae sunt optima, non laudantur, sed Pour cette raison, ce qu’il y a de meilleuer n’est-
honorantur. Et quia virtus est dispositio perfecti il pas loué, mais honoré. Et parce que « la vertu
ad optimum, ut dicitur in 7 Physic.; ideo proprie est la disposition de ce qui est parfait à ce qui est
actus virtutis laudabilis est. Nostra autem naturalis le meilleur », ainsi qu’il est dit dans Physique,
cognitio se habet ad divinam sicut ad superiorem; VII, l’acte de vertu est au sens propre louable.
et ideo cum ratio nostra divinae consentit, actus Or, notre connaissance se rapporte à [la
754

laudabilis est, sicut cum irascibilis subditur connaissance] divine comme une [connaissance]
rationi; et ideo credere veritati primae in his quae supérieure; c’est pourquoi, lorsque notre raison
non videntur, laudabile est, et opus meritorium, et consent à la [raison] divine, est-ce un acte
opus virtutis. louable, comme lorsque l’irascible est soumis à
la raison. Ainsi, croire à la Vérité première pour
ce que l’on ne voit pas est-il louable, un acte
méritoire et un acte vertueux.
[10755] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1. Croire à un homme sans raison probable, c’est
1 Ad primum ergo dicendum, quod credere croire trop rapidement, car la connaissance d’un
homini absque ratione probabili est nimis cito homme n’est pas naturellement ordonnée à la
credere: quia cognitio unius hominis non est connaissance d’un autre [homme] d’une manière
naturaliter ordinata ad cognitionem alterius, ut per telle qu’elle soit déterminée par celle-ci. Mais
ipsam reguletur. Sed hoc modo ordinata est ad elle a été ordonnée de cette manière à la Vérité
veritatem primam. première.
[10756] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2. Lorsqu’il croit, l’homme ne renonce pas à sa
2 Ad secundum dicendum, quod homo dum raison, comme s’il agissait à l’encontre de celle-
credit, rationem non abnegat, quasi contra eam ci, mais il la dépasse en s’appuyant sur
faciens; sed eam transcendit, altiori dirigenti quelqu’un de plus grand qui la dirige : la Vérité
innixus, scilicet veritati primae: quia ea quae fidei première, car ce qui relève de la foi, même si
sunt, etsi supra rationem sint, tamen non sunt cela dépasse la raison, n’est cependant pas
contra rationem. Ea autem quae supra hominem contraire à la raison. Or, rechercher ce qui
sunt quaerere, non est vituperabile sed laudabile: dépasse l’homme n’est pas blâmable mais
quia homo debet se erigere ad divina, louable, car l’homme doit s’élever jusqu’aux
quantumcumque potest, ut dicit philosophus. réalités divines, autant qu’il le peut, comme le dit
le Philosophe.
[10757] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3. L’homme juge de ce qui doit être cru par la
3 Ad tertium dicendum, quod discretionem lumière de la foi comme il juge des esprits par un
credendorum habet homo per lumen fidei, sicut charisme. L’homme qui possède la lumière de la
discretionem spirituum per aliquam gratiam gratis foi ne consent donc pas à ce qui est contraire à la
datam; unde homo lumen fidei habens non foi, à moins d’abandonner l’inclination de la foi
consentit his quae sunt contra fidem, nisi par sa faute.
inclinationem fidei derelinquat ex sua culpa.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10758] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 co. La quantité du mérite peut être évaluée de deux
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quantitas points de vue : du point de vue de l’acte et du
meriti ex duobus potest attendi; scilicet ex parte point de vue de celui qui agit. Il faut donc que
operis et ex parte operantis. Opus quidem oportet l’acte soit vertueux. Et parce que la vertu porte
ut sit virtuosum. Et quia virtus est circa difficile et sur ce qui est difficile et bon, il est nécessaire
bonum, oportet quod habeat difficultatem et que cela comporte une difficulté et une bonté en
bonitatem quantum in se est; et ideo quod addit ad soi-même. C’est pourquoi ce qui ajoute à l’une
alterum eorum addit ad meritum, quantum est ex de ces deux choses ajoute au mérite du point de
parte operis. Ex parte vero operantis requiritur vue de l’acte. Mais du point de vue de celui qui
voluntas; unde quanto magis quis voluntate facit, agit, est requise la volonté. Plus quelqu’un agit
tanto magis meretur; et semper quantitas meriti par volonté, plus donc il mérite. Et la quantité du
attenditur secundum radicem caritatis. Haec mérite est toujours évaluée selon sa racine : la
autem quantitas est quasi formale respectu charité. Or, cette quantité joue pour ainsi dire le
alterius; unde secundum eam certius est judicium rôle de forme par rapport à l’autre; aussi le
de quantitate meriti. Ratio ergo naturalis jugement sur la quantité du mérite est-il plus sûr
dupliciter potest induci in his quae fidei sunt: vel selon elle. La raison naturelle peut donc être
cum ratio inducitur secundum fidem, vel contra invoquée de deux manières dans ce qui relève de
755

fidem. Ratio autem inducta contra fidem addit la foi : soit la raison est invoquée selon la foi;
difficultatem actus quantum in se est; unde soit [elle l’est] contre la foi. Or, un raisonnement
manente eadem voluntate credendi magis meretur invoqué contre la foi ajoute en soi une difficulté
qui credit ad quod videt multas rationes naturales à l’acte. Si la même volonté de croire demeure,
in contrarium, quam qui eas non videt: sicut qui celui qui croit, alors qu’il voit de multiples
cum tentatur vehementius de luxuria, si resistit raisons naturelles contraires, mérite donc
aequali voluntate, plus meretur. Ratio autem quae davantage que celui qui ne les voit pas, comme
secundum fidem inducitur non facit videri id quod celui qui est fortement tenté par la luxure mérite
creditur; et ideo difficultatem operis, quantum in davantage, s’il résiste. Mais la raison qui est
se est, non diminuit; sed quantum in se est, facit invoquée selon la foi ne fait pas en sorte que ce
voluntatem magis promptam ad credendum; et ex qui est cru soit vu. Aussi la difficulté de l’acte,
ista parte potest augere meritum fidei, sicut considéré en lui-même, ne diminue-t-elle pas,
habitus virtutis qui inclinat ad actum in se mais, en soi, elle rend la volonté plus disposée à
difficilem, quem facilem reddit operanti. Unde croire et, de ce point de vue, elle peut accroître le
patet quod tam causa rationalis pro fide inducta, mérite de la foi, comme l’habitus de la vertu, qui
quam contra fidem, quantum in se est, meritum incline à un acte difficile en lui-même, qu’il rend
fidei auget, quamvis possit etiam diminuere cependant facile pour celui qui agit. Il est donc
utrumque ex defectu credentis. clair que tant la cause rationnelle invoquée en
faveur de la foi que contre la foi accroît en soi le
mérite de la foi, bien qu’elle puisse aussi
diminuer les deux en raison d’une carence de
celui qui croit.
[10759] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1. La raison qui fournit une preuve suffisante de
1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio praebens la foi donne la vision; c’est pourquoi elle
sufficienter experimentum fidei facit visionem; et supprime la difficulté de croire. Mais on ne peut
ideo difficultatem credendi evacuat. Sed talis ratio avoir une telle raison à propos de ce qui relève
de his quae per se ad fidem pertinent, haberi non par soi de la foi.
potest.
[10760] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2. La foi est corrompue par les disputes chez
2 Ad secundum dicendum, quod ex celui qui n’a pas une foi solide, et par sa faute.
disputationibus corrumpitur fides in eo qui fidem
firmam non habet, ex culpa ipsius.
[10761] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3. La raison humaine invoquée ne fait pas en
3 Ad tertium dicendum, quod ratio humana sorte que l’homme ne croie pas purement à cause
adducta non facit ut homo non pure propter Deum de Dieu; si elle était enlevée, il croirait quand
credat, qua remota nihilominus crederet; unde même. En soi, elle ne diminue donc pas le
quantum in se est, non diminuit meritum nisi ex mérite, sauf par la faute de celui qui croit.
culpa credentis.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 24
[10762] Super Sent., lib. 3 d. 24 q. 1 a. 3 qc. 3
expos. Quae non proprie dicitur fides, sed veritas.
Contra. Hic dividit fidem contra veritatem. Ergo
fides veritatem non habet. Dicendum, quod hic
accipit veritatem manifestam quae fidei succedit.
Ex fide verborum. Contra. Nunc etiam non
credimus tantum verbis: quia cum apud diversas
gentes sint diversa verba, esset diversa fides. Et
dicendum, quod non dicitur esse fides verborum
756

ut eorum in quae credatur; sed quia ea quae


credenda sunt, nobis per verba proponuntur,
insufficienter nobis res creditas ostendentia. Cum
fides sit ex auditu. Contra. Auditus interior a visu
non differt. Dicendum, quod utrumque dicitur in
intellectu per similitudinem; unde proprie de illis
rebus intellectus visio habetur quarum formae se
ei offerunt, sed auditus de illis quae non videt.
Alia sunt quae nisi intelligamus non credimus,
sicut principia naturaliter cognita: alia quae nisi
credamus, non intelligemus, sicut ea quae supra
rationem sunt: et accipit hic credere communiter
pro omni assensu. Nisi aliquid intelligat, scilicet
quod significatur per nomen.
 
Distinctio 25 Distinction 25 – [La croissance de la foi chez
le croyant]

Quaestio 1 Question 1 – [Qu’est-ce qu’un article de foi ?]


Prooemium Prologue
[10763] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 pr. Après avoir déterminé de l’essence et de l’objet
Postquam Magister determinavit de fide quantum de la foi, le Maître en détermine ici par rapport à
ad suam essentiam, quae per definitionem celui qui la possède en raison de sa quantité,
cognoscitur, et de objecto fidei; hic determinat de selon laquelle elle augmente chez celui qui
ipsa per comparationem ad habentem ratione possède la foi. Cette partie se divise en deux :
quantitatis, secundum quam crescit in habente dans la première, il détermine de la foi dans son
fidem. Dividitur autem haec pars in duas: in prima rapport avec les croyants selon la quantité
determinat de fide prout comparatur ad credentes qu’elle possède en raison du nombre des objets
secundum quantitatem quam habet ex numero de la foi; dans la seconde, selon la quantité
credibilium; in secunda secundum quantitatem qu’elle possède par l’intensité de l’habitus, à cet
quam habet ex intensione habitus, ibi: illud etiam endroit : « Cela ne doit pas non plus être
non est praetermittendum. Circa primum tria omis... » À propos du premier point, il fait trois
facit: primo ostendit quod fides sufficiens ad choses. Premièrement, il montre que la foi
salutem, se extendit ad cognitionem deitatis; suffisante pour le salut va jusqu’à la
secundo quod se extendit ad cognitionem connaissance de la divinité; deuxièmement,
redemptoris, ibi: sed quaeritur, utrum hoc credere qu’elle va jusqu’à la connaissance du
ante adventum et ante legem ad salutem Rédempteur, à cet endroit : « Mais on se
suffecerit; tertio ostendit ad quos articulos demande si le fait de croire avant l’avènement et
redemptoris fides se extendit, ibi: sed quaeritur, avant la loi aura suffi au salut »; troisièmement,
cum sine fide mediatoris antiquis non fuerit salus, il montre sur quels articles portant sur le
sicut nec modernis, utrum oportuerit illos credere Rédempteur la foi porte, à cet endroit : « Mais on
omnia illa de mediatore quae nos credimus. Sed se demande, étant donné qu’il n’y avait pas de
quaeritur, utrum hoc credere ante adventum et salut pour les anciens comme pour les modernes
ante legem ad salutem suffecerit. Hic duo facit: sans la foi au Médiateur, s’il était nécessaire
primo ostendit propositum; secundo removet qu’ils croient tout ce que nous croyons du
quamdam quaestionem ex dictis, ibi: quid ergo Médiateur. » « Mais on se demande si le fait de
dicetur de illis simplicibus quibus non erat croire avant l’avènement et avant la loi aura suffi
revelatum mysterium incarnationis ? Sed au salut. » Ici, [le Maître] fait deux choses :
quaeritur, cum sine fide mediatoris antiquis non premièrement, il montre son propos;
fuerit salus et cetera. Hic etiam duo facit: primo deuxièmement, il écarte une question venant de
757

ostendit propositum; secundo movet quaestionem, ce qui a été dit, à cet endroit : « Que dira-t-on de
ibi: solet etiam quaeri de Cornelio. Illud etiam ces gens non instruits à qui le mystère de
praetermittendum non est. Hic ostendit quod fides l’incarnantion n’avait pas été révélé ? » « Mais
secundum quantitatem quam habet ex intensione on se demande si, étant donné qu’il n’y avait pas
habitus, aequatur spei, caritati, et operationi; et de salut pour les anciens, etc.… » [Le Mâitre]
circa hoc duo facit: primo ostendit propositum; fait encore ici deux choses : premièrement, il
secundo solvit dubitationem, ibi: huic vero quod monre son propos; deuxièmement, il soulève une
hic et superius dictum est (...) videtur obviare question, à cet endroit : « On a aussi coutume de
quod ait apostolus. Hic est duplex quaestio. Prima se demander à propos de Corneille… » « Cela ne
de definitione articulorum. Secunda de explicita doit pas non plus être omis. » Il montre ici que la
eorum cognitione. Circa primum quaeruntur duo: foi, selon la quantité qu’elle possède en raison de
1 de articulo secundum se; 2 de distinctione l’intensité de l’habitus, est égale à l’espérance, à
articulorum ad invicem. la charité et à l’acte. À ce propos, il fait deux
choses : premièrement, il montre son propos;
deuxièmement, il résout un doute, à cet endroit :
« À ce qui a été dit ici et plus haut…, semble
s’opposer ce que l’Apôtre dit… » Il y a ici deux
questions : la première, à propos de la définition
des articles; la seconde, à propos de leur
connaissance explicite. À propos de la première
[question], deux questions sont posées : 1 – À
propos de l’article en lui-même. 2 – À propos de
la distinction des articles les uns par rapport aux
autres.

Articulus 1 [10764] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 Article 1 – La définition de l’artile donnée par
a. 1 tit. Utrum definitio Richardi de s. Victore de Richard de Saint-Victor est-elle appropriée ?
articulo sit competens
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La définition de l’article
donnée par Richard de Saint-Victor est-elle
appropriée ?]
[10765] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 1. La définition donnée par Richard de Saint-
arg. 1 Ad primum sic proceditur, et exponitur Victor est la suivante : « Un article est une vérité
definitio Richardi de sancto Victore, quae talis indivisible à propos de Dieu, qui nous contraint
est: articulus est indivisibilis veritas de Deo, (arctans/articulus) à croire. » Or, il semble
arctans nos ad credendum. Videtur autem quod qu’elle soit inappropriée, car une vérité
sit incompetens. Quia indivisibilis veritas est indivisible est une vérité non complexe. Or, la
veritas incomplexi. Sed fides est de complexi, ut foi porte sur quelque chose de complexe, comme
supra dictum est. Ergo articulus fidei non est on l’a dit plus haut. L’article de foi n’est donc
indivisibilis veritas. pas une vérité indivisible.
[10766] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 2. Parmi les articles de foi, s’en trouvent certains
arg. 2 Praeterea, inter articulos fidei ponuntur qui ne se rapportent à Dieu qu’en tant que cause,
aliqua quae non pertinent ad Deum nisi sicut ad comme la résurrection de la chair. Mais cela ne
causam, sicut carnis resurrectio. Sed hoc non suffit pas pour dire que cette vérité vient de
sufficit ad hoc quod dicatur veritas esse de Deo: Dieu, car toute vérité vient de Dieu, mais toute
quia sic omnis veritas a Deo est; non tamen omnis vérité ne concerne cependant pas un article de
veritas ad articulum fidei pertinet. Ergo videtur foi. Il semble donc qu’on dise de manière
quod inconvenienter dicatur de Deo. inappropriée qu’il vient de Dieu.
[10767] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 3. La contrainte comporte une nécessité. Or, la
arg. 3 Praeterea, arctatio necessitatem importat. foi est volontaire, car « personne ne croit que s’il
758

Sed fides voluntaria est: quia nullus credit nisi le veut », comme le dit Augustin. Il s’exprime
volens, ut dicit Augustinus. Ergo male dicit, quod donc mal en disant : « qui nous contraint à
est arctans ad credendum. croire ».
[10768] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 4. Une autre définition [de la foi] est donnée par
arg. 4 Item, ponitur alia definitio Isidori: articulus Isidore : « Un article est la perception de la
est perceptio divinae veritatis tendens in ipsam. Vérité divine tendant vers celle-ci », car la
Quia perceptio divinae veritatis est etiam per perception de la Vérité divine se réalise aussi par
rationem naturalem, sicut quod scimus Deum la raison naturelle, comme nous savons que Dieu
esse; et tamen de hoc non est articulus. Ergo male existe, et il n’y a cependant pas d’article à ce
definit articulum. sujet. Il définit donc mal l’article.
[10769] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 5. On objecte la définition de Hugues de Saint-
arg. 5 Item, objicitur de definitione Hugonis de Victor : « L’article est la nature avec la grâce »,
sancto Victore: articulus est natura cum gratia. car un article est la réalité crue. Or, la nature
Quia articulus est res credita. Sed natura cum avec la grâce est celui qui croit. Puisque le
gratia est credens. Ergo, cum credens non sit croyant n’est pas ce qui est cru, l’article est donc
creditum, articulus male definitur. mal défini.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Un article peut-il être
formé et informe ?]
[10770] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 1. Il semble qu’un article puisse être appelé
arg. 1 Ulterius. Videtur quod articulus possit dici formé et informe. En effet, l’objet est
formatus et informis. Objectum enim proportionné à l’habitus. Or, l’objet de la foi est
proportionatur habitui. Sed fidei objectum est un article. Puisque la foi est formée et informe, il
articulus. Cum ergo fides sit formata et informis, semble donc que les articles le soient aussi.
videtur quod etiam articuli.
[10771] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 2. Tendre vers Dieu est un acte de la foi formée.
arg. 2 Praeterea, tendere in Deum est actus fidei Or, il revient à un article de tendre vers Dieu,
formatae. Sed articuli est tendere in Deum, ut comme cela ressort de l’autre définition donnée.
patet per alteram definitionum assignatarum. Ergo L’article peut donc être informe et formé.
articulus potest esse informis, et formatus.
[10772] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 3. Un article est : « Je crois en Dieu. » Or, il
arg. 3 Praeterea, unus articulus est: credo in s’agit d’un acte de la foi formée. L’article est
Deum. Sed hic est actus fidei formatae. Ergo donc aussi formé et informe.
articulus est etiam formatus et informis.
[10773] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] le pécheur et le juste ne diffèrent
c. 1 Sed contra, in articulis fidei non differt pas par les articles de foi. Or, ils diffèrent par
peccator et justus. Differt autem secundum leur caractère formé ou informe. Le caractère
formationem et informitatem. Ergo formatio et formé et informe n’appartiennent donc pas aux
informitas non pertinent ad articulos. articles.
[10774] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 s. [2] Il n’est pas au pouvoir de l’homme de
c. 2 Praeterea, mutare articulos non est in changer les articles. Or, le caractère informe est
potestate hominis. Sed informitas est in potestate au pouvoir de l’homme, dans la mesure où il est
hominis, inquantum ex peccato causatur. Ergo causé par le péché. Le caractère informe n’est
informitas non consideratur circa articulum. donc pris en compte à propos de l’article.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Les articles devaient-il être
rassemblés dans un symbole ?]
[10775] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 1. Il semble que les articles ne devaient pas être
arg. 1 Ulterius. Videtur quod articuli non rassemblés dans un symbole, car toute la foi est
debuerunt colligi in symbolo. Quia tota fides suffisamment enseignée par la Sainte Écriture. Il
sufficienter per sacram Scripturam instruitur. Ergo était donc superflu d’établir un symbole.
superfluum fuit symbolum condere.
759

[10776] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 2. Le symbole est proposé comme la règle de foi,
arg. 2 Praeterea, symbolum proponitur ut regula dont l’acte consiste à donner son assentiment,
fidei, cujus actus est assentire. Sed, sicut dicit Or, comme le dit Augustin dans sa lettre 19 à
Augustinus in epistola 19 ad Hieronymum, solis Jérôme, « il faut manifester aux seuls apôtres et
apostolis et prophetis est hic honor exhibendus, ut prophètes l’honneur de croire que tout ce qu’ils
quaecumque dixerunt, haec ipsa vera esse ont dit est vrai ». D’autres symboles ne devaient
credantur. Ergo post symbolum apostolorum non donc pas être faits après le symbole des apôtres.
debuerunt alia symbola fieri.
[10777] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 3. On se demande pourquoi les symboles des
arg. 3 Praeterea, quaeritur, quare symbolum apôtres et de Nicée sont divisés en trois parties
apostolorum et Nicaenum dividitur in tres partes selon les trois personnes, alors que le symbole
secundum tres personas; symbolum autem d’Athanase est divisé selon la divinité et
Athanasii secundum divinitatem et humanitatem l’humanité.
partitur.
[10778] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 4. On se demande pourquoi on dit que le
arg. 4 Praeterea, quaeritur, quare symbolum symbole des apôtres est dit à voix basse à prime
apostolorum dicitur submisse in prima et et a complies, mais les deux autres à haute voix,
completorio; alia vero duo alte, unum post l’un après l’évangile et l’autre à prime.
Evangelium, alterum in prima.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10779] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 co. « Article » est un mot grec : il comporte
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, l’indivision. Aussi les membres qui ne sont pas
quod articulus nomen Graecum est; et importat divisés en d’autres membres sont-ils appelés des
indivisionem; unde membra quae non dividuntur articles. De cette manière, les conclusions qui
in alia membra, dicuntur articuli: et secundum sont recherchées dans une science ou dans un
istum modum conclusiones quae inquiruntur in traité sont-elles appelées des articles, car à partir
aliqua scientia vel aliquo tractatu, dicuntur d’elles, comme de principes indivisibles,
articuli: quia ex eis, sicut ex quibusdam principiis provient la collection qui réalise le traité. Ainsi,
indivisibilibus, consurgit collectio quae tractatum dans les jugements, ce qui a été prouvé ou doit
perficit: et sic in judiciis ea quae per testes être prouvé par des témoins est-il appelé
probata sunt vel probanda, dicuntur articuli. Fides « articles ». Or, la foi ne recherche pas, mais elle
autem non inquirit sed supponit ea quae sunt fidei suppose ce qui relève de la foi en vertu du
ex testimonio Dei ea dicentis: unde illud quod témoignage de Dieu qui le dit. Aussi ce qui
habet specialem difficultatem in fide, et cujus comporte une difficulté particulière dans la foi et
suppositio non dependet ab alio supposito, proprie dont la supposition ne dépend pas de quelque
dicitur articulus fidei. Et ideo in definitione autre supposition, est-il appelé un article de foi.
praedicta Richardus secutus est et proprietatem C’est pourquoi, dans la définition susdite,
nominis, dicens, quod est indivisibilis veritas, et Richard s’est conformé au caractère propre du
etymologiam, secundum quod sonat in lingua mot, en disant : « Il est une vérité indivisible »,
Latina, dicens quod arctat nos ad credendum. et à l’étymologie, selon son sens latin, en disant :
« Qui nous force à croire. »
[10780] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1. Pour les réalités non complexes, il n’y a à
1 Ad primum ergo dicendum, quod in proprement parler pas de vérité, si ce n’est de
incomplexis, per se loquendo, non est veritas nisi manière équivoque. Aussi faut-il entendre
aequivoce: unde indivisibile intelligendum est non indivisible non pas simplement, mais à
simpliciter, sed in genere complexorum. l’intérieur du genre des choses complexes.
[10781] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2. On dit que les articles de foi portent sur Dieu
2 Ad secundum dicendum, quod articuli fidei soit parce qu’ils concernent la nature divine, soit
dicuntur esse de Deo, aut quia pertinent ad parce qu’ [ils concernent] la personne (en elle-
divinam naturam, aut quia ad personam (sive même ou en raison de la nature assumée) ou son
760

ratione sui, sive ratione naturae assumptae), aut effet propre, qui ne peut être réalisé par une
effectus proprius ejus, qui non potest fieri aliqua puissance créée et n’est pas perçu par la raison
virtute creata, nec percipitur ratione humana: et humaine. Ainsi cesse l’objection.
ideo objectio cessat.
[10782] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3. On dit qu’un article force (articulus/arctare) à
3 Ad tertium dicendum, quod articulus dicitur croire, non pas par une nécessité coercitive, mais
arctare ad credendum non de necessitate par une nécessité tirée de la fin, car, sans la foi
coactionis, sed de necessitate finis: quia sine fide aux articles, il ne peut y avoir de salut.
articulorum non potest esse salus.
[10783] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4. La perception de la Vérité divine, qui est
4 Ad quartum dicendum, quod perceptio divinae réalisée par la raison naturelle, tend à
veritatis quae fit per rationem naturalem, tendit, l’intelligence des principes, comme à ce sur quoi
sicut in id cui innititur, in intellectum elle s’appuie. Mais la perception de la Vérité
principiorum; sed perceptio divinae veritatis quae divine qui est un article tend à la Vérité
est articulus, tendit in primam veritatem non première, non seulement comme à une fin ou à
solum sicut in finem, vel objectum, sed sicut in id un objet, mais comme comme à ce à quoi elle se
in quod resolvitur sicut in causam suae ramène comme à la cause de sa croyance.
credulitatis.
[10784] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 5. Hugues n’entend pas définir l’article, mais
5 Ad quintum dicendum, quod Hugo non intendit montrer ce sur quoi porte la foi, car elle porte sur
definire articulum, sed ostendere quae sunt ea de les œuvres de la création, par lesquelles la nature
quibus est fides: quia est de operibus conditionis, a été établie, et sur les œuvres de la restauration,
quibus instituta est natura, et de operibus par lesquelles la grâce de Dieu a été conférée.
reparationis, quibus collata est gratia Dei.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10785] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 co. L’article désigne ce qui doit être cru comme
Ad secundam quaestionem dicendum, quod objet de la foi. Or, une disposition différente de
articulus nominat id quod credendum est quasi celui qui agit ne change en rien l’objet de
objectum fidei. Diversa autem dispositio operantis l’action, et l’objet n’est pas nommé à partir de la
nihil variat in objecto operationis; nec objectum disposition de celui qui agit, mais c’est plutôt
denominatur ex dispositione operantis, sed magis l’inverse : ainsi la couleur n’est pas nommée
e converso; sicut color non denominatur ex d’après la disposition de celui qui voit, selon que
diversa dispositione videntis, secundum quod l’un a des yeux chassieux et l’autre, des yeux
quidam habent lippos oculos, et quidam claros: clairs. Comme le caractère formé et informe de
unde cum formatio fidei et informitas ad la foi concerne une disposition du croyant, et ne
dispositionem credentis pertineant, nec etiam vient pas de ce qui est propre à l’intelligence
secundum id quod est proprium intellectus in quo dans laquelle se trouve la foi, mais de sa relation
est fides, sed secundum relationem ejus ad à la volonté, où se trouve la charité, on ne peut
voluntatem, in qua est caritas, non potest proprie donc dire à propre parler qu’un article soit formé
dici, quod articulus sit formatus vel informis. ou informe.
[10786] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1. L’objet est proportionné à l’habitus pour ce
1 Ad primum ergo dicendum, quod objectum qui concerne la nature de l’habitus, et non pour
proportionatur habitui in his quae ad naturam ce qui survient en raison des dispositions de
habitus pertinent, non in his quae accidunt ex celui qui possède l’habitus.
dispositione habentis habitum.
[10787] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2. Cette définition de l’article est donnée à partir
2 Ad secundum dicendum, quod illa definitio est de l’acte de foi. Ainsi dit-il : « Une perception de
data de articulo per actum fidei; unde dicit: la Vérité divine. » C’est pourquoi on y trouve ce
perceptio divinae veritatis; et ideo ex parte actus qui appartient à la foi formée, mais non du point
accidit ibi id quod est fidei formatae, non ex parte de vue de son objet.
761

objecti.
[10788] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3. Il faut dire la même chose pour le troisième
3 Et similiter dicendum ad tertium. argument.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10789] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Le mot « symbole » comporte ressemblance et
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod nomen rassemblement. Aussi le nom de symbole est-il
symboli similitudinem et collectionem importat; donné à quatre rassemblements. Premièrement,
unde a quatuor collectionibus nomen symboli au rassemblement d’un grand nombre d’hommes
imponitur. Primo a collectione multorum dans une seule foi. Deuxièmement, au
hominum in unam fidem. Secundo a collectione rassemblement de ceux qui prêchent la foi, car
praedicantium fidem: quia omnes apostoli collecti tous les apôtres rassemblés ont produit cette
hanc regulam fidei ediderunt, unusquisque quod rêgle de la foi, chacun lui apportant ce qui lui
suum est apponens. Tertio, quia ex diversis locis était propre. Troisièmement, parce que ce qui
sacrae Scripturae colliguntur ea quae credenda doit être cru a été rassemblé à partir de
sunt, ut in promptu habeantur. Quarto omnia nombreux endroits de la Sainte Écriture, afin
beneficia divinitus collata ibi colliguntur; unde d’être facilement accessible. Quatrièmement,
Dionysius, dicit, quod religionis symbolum tous les bienfaits accordés par Dieu y sont
congruentius potest appellari hierarchia rassemblés. Aussi Denys dit-il que « le symbole
eucharistica, quasi bona gratia. de la religion peut être appelé une hiérarchie
eucharistique, une ‘bonne grâce’ ».
[10790] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1. Il fallait que ce qui était transmis dans
1 Ad primum ergo dicendum, quod oportuit ea plusieurs endroits de la Sainte Écriture soit
quae in diversis locis sacrae Scripturae tradita rassemblé en un seul endroit afin que la foi soit
sunt, in unum colligi locum, ut fides magis in commodément accessible.
promptu haberetur.
[10791] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2. Les pères qui ont formulé d’autres symboles
2 Ad secundum dicendum, quod patres qui alia après les apôtres n’y ont rien mis d’eux-mêmes,
symbola post apostolos ediderunt, nihil de suo mais ils ont extrait des Saintes Écritures ce qu’ils
apposuerunt; sed ex sacris Scripturis ea quae ont ajouté. Et parce qu’il y a certaines choses
addiderunt, exceperunt. Et quia quaedam difficilia difficiles dans ce symbole des apôtres, on a donc
sunt in illo symbolo apostolorum, ideo ad ejus formulé pour l’expliquer le symbole de Nicée,
explanationem editum est symbolum Nicaenum, qui expose plus explicitement la foi pour certains
quod diffusius fidem quantum ad aliquos articulos articles. Et parce que certaines choses étaient
prosequitur. Et quia quaedam implicite implicitement contenues dans ces symboles,
continebantur in illis symbolis, quae oportebat qu’il fallait expliciter à cause des hérésies qui
propter insurgentes haereses explicari; ideo surgissaient, on a ajouté le symbole d’Athanase,
additum est symbolum Athanasii, qui specialiter qui s’est opposé d’une manière particulière aux
contra haereticos se opposuit. hérétiques.
[10792] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3. Parce que, à l’époque d’Athanase, des hérésies
3 Ad tertium dicendum, quod quia tempore se sont élevées contre la personne du Fils pour ce
Athanasii specialiter haereses insurrexerunt contra qui concerne ses deux natures, ce symbole se
personam filii quantum ad utramque naturam, divise donc en deux parties selon les deux
ideo secundum duas naturas symbolum illud in natures. Mais les autres symboles, qui n’ont pas
duas partes dividitur. Alia autem symbola, quae été faits selon leur intention principale contre les
non sunt ex principali intentione contra haereticos hérétiques, mais pour diffuser ou éclairer
facta, sed ad doctrinam fidei propalandam vel l’enseignement de la foi, sont donc divisés selon
elucidandam, dividuntur in tres personas, in les trois personnes, sur lesquelles se fonde
quibus principaliter nostra fides fundatur. principalement notre foi.
[10793] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 4. Le symbole des apôtres a été formulé alors
4 Ad quartum dicendum, quod symbolum que la foi n’avait pas encore été diffusée; aussi
762

apostolorum fuit editum quando fides nondum est-il dit dans le secret. Et parce qu’il a été
erat propalata, et ideo in occulto dicitur. Et quia formulé pour proposer l’enseignement de la foi,
editum fuit ad proponendum fidei doctrinam, ideo c’est pourquoi il est dit tous les jours à prime et à
quotidie dicitur et in prima et in completorio, complies, pour ainsi dire au début du jour et de
quasi in principio diei et noctis, in signum quod la nuit, comme signe que toutes nos actions
omnis nostra operatio a fine debet accipere doivent s’amorcer à partir de la fin et parce que
initium: et quia per ipsam contra adversa et in nous sommes protégés par elle dans l’adversité
prosperis protegimur. Alia autem symbola edita comme dans la prospérité. Mais les autres
fuerunt tempore fidei jam propalatae; et ideo symboles ont été formulés au moment où la foi
publice cantantur. Et quia non ad proponendum avait déjà été diffusée; aussi sont-ils chantés
fidem, sed ad defendendum vel elucidandum edita publiquement. Et parce qu’ils n’ont pas été
fuerunt; ideo non in singulis diebus dicuntur, sed formulés pour proposer la foi, mais pour la
in illis in quibus homines maxime ad Ecclesiam défendre ou l’élucider, ils ne sont donc pas dits
venire consueverunt, et in illis in quibus fit aliqua tous les jours, mais les jours l’on a surtout
solemnizatio de illis quae ad articulos pertinent. coutume de venir à l’église et où est faite une
Et quia symbolum Nicaenum editum est ad certaine célébration solennelle de ce qui
manifestationem fidei, ideo dicitur statim post concerne les articles. Et parce que le symbole de
Evangelium, quasi expositio ipsius. Symbolum Nicée a été formulé pour manifester la foi, c’est
autem Athanasii quod contra haereticos editum pourquoi il est dit aussitôt après l’évangile,
est, in prima dicitur, quasi jam pulsis comme son explication. Mais le symbole
haereticorum tenebris. d’Athanase, qui a été formulé contre les
hérétiques, est dit à prime, comme si déjà étaient
repoussées les ténèbres des hérétiques.

Articulus 2 [10794] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 Article 2 – Les articles sont-ils distingués de
a. 2 tit. Utrum articuli convenienter distinguantur manière appropriée dans le symbole ?
in symbolo
[10795] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que les articles soient distingués de
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod manière inappropriée dans le symbole. En effet,
inconvenienter articuli distinguantur in symbolo. les trois personnes sont égales. Or, les articles se
Tres enim personae sunt aequales. Sed articuli rapportant à la personne du Fils et du Saint-
pertinentes ad personam filii et spiritus sancti Esprit sont plus nombreux. Il devrait donc y en
ponuntur plures. Ergo similiter debent poni plures avoir plus qui se rapportent à la personne du
pertinentes ad personam patris. Père.
[10796] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Que Dieu soit unique, on peut le prouver par
Praeterea, Deum esse unum, est probabile per une démonstration; de même en est-il pour le fait
demonstrationem, et similiter Deum esse que Dieu soit le créateur des choses. Aussi
creatorem rerum; unde etiam quidam philosophi, certains philosophes, comme Avicenne, mus par
ut Avicenna, demonstratione moti hoc concedunt. une démonstration, le concèdent-ils. Or, les
Sed articuli qui essentialiter ad fidem pertinent articles qui relèvent essentiellement de la foi ne
non possunt per demonstrationem probari, ut ex peuvent être prouvés par une démonstration,
dictis patet. Ergo inconvenienter ponuntur in comme cela ressort de ce qui a été dit. Ils sont
symbolis pro articulis. donc mis de manière inappropriée comme des
articles dans les symboles.
[10797] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3 3. De même que la puissance est appropriée au
Praeterea, sicut potentia appropriatur patri, ita Père, de même la sagesse au Fils. De même donc
sapientia filio. Ergo sicut fit mentio in symbolo de qu’il est fait mention de la toute-puissance dans
omnipotentia, ita debet mentio fieri de sapientia, le symbole, de même doit-il être fait mention de
et aliis etiam attributis. la sagesse, et aussi des autres attributs.
[10798] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Dans le symbole, la foi doit être exposée pour
763

Praeterea, in symbolo debet exponi fides quantum tous les croyants. Or, il ne convient pas à tous les
ad omnes credentes. Sed non omnibus credentibus croyants de croire en Dieu (credere in Deum),
convenit credere in Deum, sed tantum habentibus mais seulement à ceux qui ont une foi formée. Il
fidem formatam. Ergo videtur quod male dictum semble donc que ce soit une mauvaise
sit: credo in unum Deum; et quod habens fidem formulation : « Je crois en un seul Dieu. » Et
informem, hoc dicens peccet mentiendo. celui qui possède une foi informe pèche par
mensonge en disant cela.
[10799] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Lorsqu’on dit croire en Dieu (credere in
Praeterea, cum dicitur credere in Deum, Deum), on désigne la fin de la foi. Or, seul Dieu
designatur finis fidei. Sed solus Deus est finis est la fin de la foi. Puisque quelque chose de
fidei. Ergo cum in symbolo contineatur aliquid purement créé est contenu dans le symbole,
quod est pure creatum, sicut Ecclesia Catholica, comme l’Église catholique, il semble donc que
videtur quod inconvenienter ponatur iste modus cette manière de parler soit utilisée de manière
loquendi. inappropriée.
[10800] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 6 6. De même que le sacrement de l’incarnation a
Praeterea, sicut incarnationis sacramentum incepit débuté par la conception et s’est terminé par la
in conceptione, et terminatum est in nativitate; ita naissance, de même le mystère de la passion a-t-
et mysterium passionis incepit in passione, et il débuté par la passion et s’est-il terminé par la
terminatum est in sepultura. Sed assignatur alius sépulture. Or, un autre article est attribué à la
articulus de conceptione et nativitate. Ergo et alius conception et à la naissance. Un autre article doit
articulus debet assignari de passione et sepultura. donc être attribué à la passion et à sépulture.
[10801] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 7 7. De même qu’une œuvre est appropriée au Père
Praeterea, sicut patri appropriatur aliquod opus, et et au Saint-Esprit, de même l’est-elle au Fils. De
spiritui sancto; ita et filio. Ergo sicut cum fide de même donc qu’une œuvre divine est associée à la
patre ponitur aliquod opus divinum, sicut creatio, foi au Père, telle la création, et l’œuvre de la
et cum articulo spiritus sancti opus remissionis rémission des péchés, à l’article sur le Saint-
peccatorum; ita et cum articulis filii deberet Esprit, de même aussi une œuvre divine devrait-
aliquod opus divinum poni. elle être associée aux articles sur le Fils.
[10802] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 8 8. Dans le symbole de Nicée, aucune mention
Praeterea, in Nicaeno symbolo nulla fit mentio de n’est faite de la descente aux enfers. Il semble
descensu ad Inferos. Ergo videtur insufficienter donc qu’il contienne les articles de manière
articulos continere. insuffisante.
[10803] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 9 9. On se demande pourquoi on ne dit pas
Praeterea, quaeritur quare in Nicaeno symbolo « créateur » (creatorem), mais « artisan »
dicitur, non creatorem, sed factorem. (factorem) dans le symbole de Nicée.
[10804] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 10 10. La foi au corps du Christ dans le sacrement
Praeterea, fides de corpore Christi in sacramento de l’autel comporte une très grande difficulté.
altaris maximam difficultatem habet. Cum ergo in Puisqu’il n’en est rien dit dans aucun des
nullo symbolorum de hoc dicatur aliquid, videtur symboles, il semble donc que la foi y soit
quod insufficienter in eis fides tradatur. insuffisamment transmise.
[10805] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 co. Réponse. Les articles de foi se distinguent de
Respondeo dicendum, quod articuli fidei deux manières : premièrement, par les objets
distinguuntur dupliciter. Uno modo quantum ad mêmes de la foi, et ainsi il y en a quatorze;
ipsa credibilia; et sic sunt quatuordecim: alio deuxièmement, par ceux qui ont fait une
modo quantum ad ipsos qui articulos distinxerunt; distinction entre les articles, et ainsi il y en a
et sic sunt duodecim secundum numerum douze selon le nombre des douze apôtres. Or,
duodecim apostolorum. Quia autem articulus est parce qu’un article est une vérité à propos de
veritas de Deo, hoc contingit esse dupliciter: quia Dieu, cela se produit de deux manières : soit il
aut est de ipso Deo tantum, aut de Deo ratione porte sur Dieu seulement, soit il porte sur Dieu
naturae assumptae. Si primo modo, contingit esse en raison de la nature assumée. Si c’est de la
764

tripliciter: quia aut est de eo ratione naturae, aut première manière, cela peut se produire de trois
ratione personarum, aut ratione effectus proprii. Si manières : soit il porte sur [Dieu] en raison de sa
ratione naturae, sic habemus primum articulum: nature, soit en raison des personnes, soit en
credo in unum Deum. Si ratione personae, aut raison de son effet propre. Si c’est en raison de
ratione personae patris, et sic habemus secundum: sa nature, nous avons ainsi le premier article :
patrem omnipotentem; aut ratione filii, et sic « Je crois en un seul Dieu.» Si c’est en raison de
habemus tertium: et in Jesum Christum filium la personne, c’est soit en raison de la personne
ejus; aut ratione personae spiritus sancti, et sic du Père, et ainsi nous avons le deuxième
habemus quartum: credo in spiritum sanctum. Si [article] : « Le Père tout-puissant »; soit en
ratione effectus, aut pertinet ad conditionem raison [de la personne] du Fils, et ainsi nous
naturae, et sic est quintus: creatorem caeli et avons le troisième [article] : « Et en Jésus, le
terrae; aut ad bonum gratiae, et sic habemus Christ, son Fils »; soit en raison de la personne
sextum: sanctam Ecclesiam Catholicam, de l’Esprit Saint, et ainsi nous avons le
sanctorum communionem, remissionem quatrième [article] : « Je crois au Saint-Esprit. »
peccatorum; aut de perfectione gloriae, et sic Si c’est en raison de l’effet, soit il se rapporte à
habemus septimum: carnis resurrectionem, vitam la création de la nature, et ainsi nous avons le
aeternam. Quidam autem aliter distinguunt hos cinquième [article] : « Créateur du ciel et de la
tres articulos: quia opus creationis includunt in terre »; soit au bien de la grâce, et ainsi nous
primo articulo, qui pertinet ad veritatem essentiae; avons le sixième [article] : « À la sainte Église
et ultimum opus dividunt in duos articulos, catholique, à la communion des saints, à la
scilicet carnis resurrectionem, unum articulum rémission des péchés »; soit à la perfection de la
dicentes, et vitam aeternam alium. Sed prima gloire, et ainsi nous avons le septième [article] :
distinctio melior videtur: quia apostolus expresse « À la résurrection de la chair, à la vie
ponit unum articulum de creatione, Hebr. 11, 3: éternelle. » Mais certains distinguent ces trois
fide credimus aptata esse saecula verbo Dei. Et articles d’une autre manière, car ils incluent
iterum completio vitae aeternae et gloriae includit l’œuvre de la création dans le premier article, qui
conjunctionem animae et corporis. Item se rapporte à la vérité de l’essence; et ils divisent
sciendum, quod opus creationis conjungitur la dernière œuvre en deux articles, en disant
articulo de persona patris, quia pertinet ad que : « À la résurrection de la chair» est un
potentiam, quae appropriatur patri. Duo autem article et que : « À la vie éternelle » en est un
alia opera adjunguntur articulis de spiritu sancto: autre. Mais la première distinction semble
unde sibi appropriatur unio Ecclesiae, quae meilleure, car l’apôtre fait expressément de la
importatur per hoc quod dicitur: sanctam création un article, He 11, 3 : Nous croyons par
Ecclesiam Catholicam, remissionem peccatorum: la foi que les siècles ont été disposés par la
et communicatio bonorum operum quae est per parole de Dieu. De plus, l’accomplissement de la
caritatem, ut bonum unius alteri prosit. Articuli vie éternelle et de la gloire inclut l’union de
autem pertinentes ad naturam assumptam sunt l’âme et du corps. Il faut aussi savoir que
etiam septem. Primus pertinet ad conceptionem: l’œuvre de la création est associée à l’article sur
qui conceptus est de spiritu sancto. Secundus ad la personne du Père parce qu’elle relève de la
nativitatem: natus ex Maria. Tertius ad puissance, qui est appropriée au Père. Mais les
passionem: passus sub Pontio Pilato, crucifixus, deux autres œuvres sont associées aux articles
mortuus, et sepultus. Quartus ad descensum ad sur l’Esprit Saint. Ainsi l’union de l’Église lui
Inferos: descendit ad Inferna. Quintus ad est appropriée, signalée lorsqu’on dit : « À la
resurrectionem: tertio die resurrexit a mortuis. sainte Église catholique, à la rémission des
Sextus ad ascensionem: ascendit in caelos, sedet péchés », et la communication des œuvres
ad dexteram Dei patris. Septimus ad adventum ad bonnes, qui se réalise par la charité, de sorte que
judicium: inde venturus est judicare vivos et le bien de l’un soit utile à un autre. Mais les
mortuos. Horum autem articulorum tres Petrus in articles se rapportant à la nature assumée sont
unum complexus est, scilicet articulum de unitate aussi au nombre de sept. Le premier se rapporte
essentiae, de omnipotentia patris, et de opere à la conception : « Qui a été conçu du Saint-
765

creationis, ideo quia opus creationis propter Esprit »; le deuxième à la naissance : « Est né de
potentiam quam indicat, patri appropriatur qui est Marie »; le troisième à la passion : « A souffert
etiam fons totius deitatis; et ideo competit Petro, sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été
quod est caput apostolorum, sicut pater Trinitatis. enseveli »; le quatrième à la descente aux
Posuit autem Joannes articulum de persona filii. enfers : « Est descendu aux enfers »; le
Articulum autem de conceptione et nativitate cinquième, à la résurrection : « Le troisième jour
conjunxit in unum Jacobus Zebedaei. Articulum est ressuscité des morts »; le sixième à
autem de passione posuit Andreas. Descensum ad l’ascension : « Est monté aux cieux, est assis à la
Inferos posuit Philippus. Resurrectionem Thomas. droite de Dieu, le Père »; le septième à sa venue
Ascensionem Bartholomeus. Adventum ad pour le jugement : « D’où il viendra juger les
judicium Matthaeus. Articulum de spiritus sancti vivants et les morts. » Or, Pierre a regroupé trois
persona Jacobus Alphaei. Opus gratiae diviserunt de ces articles en un seul : l’article sur l’unité
duo apostoli. Nam Simon posuit effectum gratiae d’essence, sur la toute-puissance du Père et sur
in consecutione boni, scilicet: sanctam Ecclesiam l’œuvre de la création. Ainsi, parce que l’œuvre
Catholicam, sanctorum communionem; Judas de la création, en raison de la puissance qu’elle
Jacobi quantum ad remotionem mali, scilicet signale, est appropriée au Père, qui est aussi la
peccatorum remissionem. Effectum gloriae posuit source de toute la divinité, cela convenait aussi à
Matthias, vel iterum Thomas, ut quidam dicunt. Pierre, qui est la tête des apôtres, comme le Père
Alii autem aliter praedictos articulos attribuunt l’est de la Trinité. Jean a formulé l’article sur la
apostolis. Sed in hoc non est magna vis. personne du Fils. Jacques, [le fils] de Zébédée, a
réuni en un seul l’article sur la conception et sur
la naissance. André a formulé l’article sur la
passion, Thomas, celui sur la résurrection,
Bartholomée, celui sur l’ascension, Matthieu,
celui sur la venue [pour le jugement]. Jacques,
[fils] d’Alphée, [a formulé] l’article sur l’Esprit
Saint. Deux apôtres se sont répartis l’œuvre de la
grâce, car Simon a formulé l’effet de la grâce par
l’obtention d’un bien : « À la sainte Église
catholique, à la communion des saints », et Jude,
[fils] de Jacques, par l’enlèvement du mal, « la
rémission des péchés ». Matthias a formulé
l’effet de la gloire, ou à nouveau Thomas,
comme certains le disent. Mais d’autres
attribuent différemment aux apôtres les articles
en question. Mais cela n’a pas beaucoup de
poids.
[10806] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Le Père n’a pas été envoyé comme les autres
primum ergo dicendum, quod pater non est missus personnes. Aussi, en raison de l’effet de la
sicut aliae personae; et ideo eis propter effectum mission, un plus grand nombre d’articles leur
missionis plures articuli appropriantur quam patri. est-il attribué qu’au Père.
[10807] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Que Dieu existe simplement n’est pas un
secundum dicendum, quod Deum esse simpliciter, article, mais que Dieu existe tel que la foi le
non est articulus; sed Deum esse sicut fides suppose, c’est-à-dire en tant qu’il prend soin de
supponit, scilicet habentem curam de omnibus, tout, récompense et en punisse, comme cela
remunerantem, et punientem, ut patet per ressort de ce que dit l’Apôtre en He 11, car il
apostolum Hebr. 11: quia sic determinat, quia est, détermine ainsi qu’il existe et qu’il est
et quia remunerator est. Similiter Deum esse rémunérateur. De même, les philosophes n’ont
creatorem non cognoverunt philosophi, sicut fides pas connu le fait que Dieu est créateur, comme la
ponit, ut scilicet postquam non fuerunt, in esse foi l’affirme, c’est-à-dire qu’après n’avoir pas
766

producta sint; sed secundum alium modum été, les choses aient été amenées à l’être; mais ils
accipiunt creationem, ut in Lib. 2, dist. 1 dictum conçoivent la création d’une autre manière,
est. comme on l’a dit dans le livre II, d. 1.
[10808] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Tous les articles, surtout ceux qui se
tertium dicendum, quod omnes articuli, praecipue rapportent àux œuvres divines, sont prouvés par
qui pertinent ad opera divina, probantur per la toute-puissance de Dieu, comme l’ange
omnipotentiam Dei, sicut et Angelus probavit prouve l’incarnation en venant vers la Vierge,
incarnationem, veniens ad virginem, Lucae 1, 37: Lc 1, 37 : Car aucune parole n’est impossible à
quia non erit impossibile apud Deum omne Dieu. C’est pourquoi la toute-puissance est
verbum; et ideo ponitur praecipue omnipotentia principalement donnée comme la racine de la foi.
quasi radix fidei.
[10809] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Dans le symbole, une règle de foi nous est
quartum dicendum, quod in symbolo proponitur proposée, à laquelle tous doivent adhérer. Or, ils
nobis regula fidei, ad quam omnes debent ne doivent pas adhérer seulement à un acte de foi
pertingere. Non autem debent pertingere solum ad informe, mais aussi à un acte de foi formée.
actum fidei informis, sed etiam ad actum fidei C’est pourquoi un acte de foi formée se trouve
formatae, et ideo ponitur in symbolis actus fidei dans les symboles. Néanmoins, celui qui a une
formatae. Nihilominus habens fidem informem, foi informe et qui récite le symbole ne pèche pas,
dicens symbolum, non peccat: quia hoc dicit in car il le fait en la personne de l’Église.
persona Ecclesiae.
[10810] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Le pape Léon dit qu’on ne doit pas ajouter la
quintum dicendum, quod Leo Papa dicit, quod préposition « en », pour dire : « Et en une seule
non debet ibi addi haec praepositio in, ut dicatur: sainte [Église] catholique, etc. », mais on doit
et in unam sanctam Catholicam etc., sed debet dire : « À une seule sainte [Église], etc. » Mais
dici: et unam sanctam et cetera. Anselmus vero Anselme dit qu’on peut dire : « en une seule »,
dicit, quod potest dici, in unam, inquantum in isto dans la mesure où on entend sous cet effet la
effectu intelligitur veritas increata, scilicet ut sit
Vérité incréée, de sorte que le sens soit : « En
sensus in unam sanctam, idest in spiritum sanctum une seule sainte », c’est-à-dire : « Dans l’Esprit
unientem Ecclesiam. Saint qui unit l’Église. »
[10811] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. Comme on l’a dit, l’article est une vérité
sextum dicendum, quod, sicut dictum est, indivisible dépassant la raison, et là où se
articulus est indivisibilis veritas supra rationem présentent des difficultés distinctes, pour
existens: et ubi occurrunt diversae difficultates, lesquelles ce qui est dit dépasse la raison, il est
quibus hoc quod dicitur, est supra rationem, nécessaire de formuler des articles différents. Or,
oportet ponere diversos articulos. Ponere autem affirmer que Dieu a été enseveli ne comporte pas
Deum sepultum, non habet aliam difficultatem, une autre difficulté qu’affirmer qu’il a souffert
quam ponere eum passum vel mortuum; et ideo ou qu’il est mort; c’est pourquoi tout cela est
totum hoc comprehenditur sub uno articulo. Sed compris sous un seul article. Mais la naissance
nativitas habet aliam difficultatem praeter comporte une autre difficulté que la difficulté de
difficultatem conceptionis: quia in conceptione est la conception, car, pour la conception, la
difficultas ex hoc quod Deus homo factus est, et difficulté vient de ce que Dieu s’est fait homme
quod est facta conceptio sine virili semine: in et que la conception s’est accomplie sans
nativitate autem ex hoc quod clauso virginis utero semence d’homme; mais, pour la naissance, [elle
exivit: et ideo sunt duo articuli. vient] de ce qu’il est sorti alors que le sein de la
Vierge était fermé. C’est pourquoi ce sont deux
articles.
[10812] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 7 Ad 7. Du point de vue de la puissance du Fils,
septimum dicendum, quod ex parte potentiae filii l’œuvre qu’il a accompli dans la nature assumée
ponitur opus quod in natura assumpta operatus est est affirmée en sept articles, comme on l’a dit.
quantum ad septem articulos, ut dictum est.
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[10813] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 8 Ad 8. Comme le dit Innocent III, le symbole de


octavum dicendum, quod, sicut dicit Innocentius Nicée a été principalement formulé contre Arius,
tertius, Nicaena synodus praecipue congregata fuit qui niait que le Fils est vrai Dieu. C’est pourquoi
contra Arium, qui negabat filium esse verum la descente aux enfers a été supprimée, par
Deum; et ideo descensus ad Inferos suppressus laquelle on semblait le plus déroger à la divinité
fuit, in quo maxime videbatur derogari divinitati du Fils. Ou bien il faut dire que parce que ce
filii. Vel dicendum, quod quia illud symbolum symbole a été publié afin de manifester la foi
editum est ad manifestandum fidem contra contre des hérétiques, et qu’aucune erreur n’était
haereticos; nullus autem error acciderat de survenue à propos de la descente aux enfers, on
descensu ad Inferos: ideo illum articulum n’a pas pris soin d’expliciter cet article, mais on
explicare non curaverunt, sed implicite posuerunt l’a placé implicitement sous l’article concernant
in articulo de resurrectione, in quo intelligitur la résurrection, dans lequel on comprend le terme
terminus a quo resurrexit: sicut in articulo d’où il est ressuscité, comme sous l’article de la
conceptionis implicite tradiderunt articulum conception, on a implicitement transmis l’article
nativitatis, quia non fuerat de nativitate aliquis sur la naissance parce qu’il n’y avait pas d’erreur
specialis error. particulière à propos de la naissance.
[10814] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 9 Ad 9. Parce que certains philosophes ont affirmé que
nonum dicendum, quod quia quidam philosophi le monde a été créé par Dieu et qu’il a cependant
posuerunt mundum creatum a Deo et tamen ab toujours existé, comme le dit Augustin, le
aeterno fuisse, ut Augustinus dicit; ideo symbole de Nicée, qui a été particulièrement
symbolum Nicaenum, quod specialiter ad formulé pour supprimeer des erreurs, a donc
evacuandos errores editum fuit, posuit factorem, affirmé que [Dieu est] l’« artisan » (factorem), ce
quod magis ostendit initium durationis mundi, et qui montre davantage le commencement de la
quod est a Deo agente per voluntatem, non per durée du monde et qu’il existe par Dieu qui agit
necessitatem naturae. selon sa volonté, et non par une nécessité de
nature.
[10815] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 1 a. 2 ad 10 10. La foi concernant le corps du Christ, tous les
Ad decimum dicendum, quod fides de corpore sacrements, les clés et toutes les choses de ce
Christi et de omnibus sacramentis et de clavibus genre est comprise dans l’article qui porte sur
et de omnibus hujusmodi includitur in articulo qui l’effet de la grâce, qui est : « À la sainte Église
est de effectu gratiae, qui est: sanctam Ecclesiam catholique. » C’est pourquoi on a ajouté au
Catholicam; et ideo in Nicaeno symbolo additum concile de Nicée : « Je confesse un seul
est: confiteor unum Baptisma. Quidam tamen baptême. » Cependant, certains disent qu’elle se
dicunt, quod reducitur ad articulum de passione. ramène à l’article sur la passion. Mais la
Sed primum est probabilius. première réponse est plus probable.

Quaestio 2 Question 2 – [Le caractère explicite de la foi]


Prooemium Prologue
[10816] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur le caractère explicite
quaeritur de explicatione fidei; et circa hoc de la foi. À ce propos, deux questions sont
quaeruntur duo: 1 de necessitate explicationis; 2 posées : 1 – Sur la nécessité du caractère
quantum ad quae oportet esse fidem explicitam. explicite. 2 – Sur l’objet du caractère explicite de
la foi.

Articulus 1 [10817] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 Article 1 – La foi explicite est-elle nécessaire
a. 1 tit. Utrum explicatio fidei sit de necessitate au salut ?
salutis
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi explicite est-elle
nécessaire au salut ?]
[10818] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire au salut
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arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod que la foi soit explicite. En effet, la grâce et le
fidem esse explicitam non sit de necessitate libre arbitre suffisent au salut. Or, pour
salutis. Ad salutem enim sufficit gratia et liberum l’explicitation de la foi, l’habitus infus gratuit de
arbitrium. Sed ad explicationem fidei non sufficit la foi ne suffit pas, ni même le libre arbitre formé
habitus gratuitus fidei infusus, nec etiam liberum par la grâce, mais il est nécessaire que survienne
arbitrium gratia informatum; sed oportet quod un enseignement déterminé de la foi, car la foi
veniat doctrina fidei determinans, quia fides ex vient de ce qu’on écoute, Rm 10. L’explicitation
auditu est, Rom. 10. Ergo explicatio fidei non est de la foi n’est donc pas nécessaire au salut.
de necessitate salutis.
[10819] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 2. Personne n’est condamné pour ce qu’il ne peut
arg. 2 Praeterea, nullus damnatur ex hoc quod éviter. Or, celui qui est né dans les forêts ou
vitare non potest. Sed aliquis natus in silvis, vel parmi les infidèles ne peut avoir une
inter infideles, non potest distincte de fidei connaissance précise des articles de la foi, car il
articulis cognitionem habere: quia doctor fidei n’y a pas de docteur de la foi et il n’a jamais
non adest, nec unquam de fide audivit mentionem. entendu parler de la foi. Celui-là n’est donc pas
Ergo iste non damnatur; et tamen non habet fidem condamné, et pourtant il n’a pas une foi
explicitam: ergo videtur quod explicatio fidei non explicite. Il semble donc que l’explicitation de la
sit de necessitate salutis. foi ne soit pas nécessaire au salut.
[10820] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 3. Une connaissance explicite des articles de la
arg. 3 Praeterea, explicita cognitio de articulis foi ne peut exister que chez celui qui possède
fidei non potest esse nisi in eo qui habet usum l’usage du libre arbitre. Or, beaucoup sont
liberi arbitrii. Sed multi salvantur qui usum liberi sauvés sans avoir l’usage du libre arbitre, tels les
arbitrii non habent, sicut pueri baptizati et enfants baptisés et les monstres. L’explicitation
moriones. Ergo explicatio fidei non est de de la foi n’est donc pas nécessaire au salut.
necessitate salutis.
[10821] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 4. Il ne faut pas proposer de subtilités aux gens
arg. 4 Praeterea, simplicibus non sunt proponenda sans instruction, comme cela ressort de ce que
subtilia, sicut patet per apostolum 1 Corinth. 3. dit l’Apôtre, 1 Co 3. Or, rien n’est plus subtil que
Sed nihil est subtilius his quae supra rationem ce qui se rapporte à la foi. Il ne faut donc pas
sunt, qualia sunt ea quae ad fidem pertinent. Ergo expliciter la foi pour les gens sans instruction, et
simplicibus non est explicanda fides, et tamen ipsi ils sont pourtant sauvés. L’explicitation de la foi
salvantur; ergo explicatio fidei non est de n’est donc pas nécessaire au salut.
necessitate salutis.
[10822] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 s.
Cependant, [1] He 11 dit : Il est nécessaire pour
c. 1 Sed contra, Heb. 11, accedentem ad Deum celui qui s’approche de Dieu de croire que Dieu
oportet credere quia est, et quia diligentibus se existe et qu’il récompense ceux qui l’aiment. Or,
remunerator est. Sed accedere ad Deum est de s’approcher de Dieu est nécessaire au salut.
necessitate salutis. Ergo et habere fidem Avoir une foi explicite en certaines choses [est
explicitam quantum ad aliqua. donc aussi nécessaire au salut].
[10823] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 s.
[2] Personne n’est sauvé sans espérance. Or, il
c. 2 Praeterea, nullus sine spe salvatur. Sed ad est nécessaire à l’espérance que soit présente une
spem oportet adesse explicitam cognitionem connaissance explicite de ce qui est espéré, car la
rerum quae sperantur: quia fides est substantia foi est la substance de ce qu’on espère, He 11.
sperandarum rerum, Hebr. 11. Ergo habere fidem Avoir une foi explicite en certaines choses est
explicite de aliquibus est de necessitate salutis. donc nécessaire au salut.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Tous sont-ils obligés
d’avoir une foi explicite en tout ce qui se
rapporte à la foi ?]
[10824] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 1. Il semble que tous soient obligés d’avoir une
arg. 1 Ulterius. Videtur quod quilibet teneatur foi explicite en tout ce qui se rapporte à la foi. En
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habere fidem explicitam de omnibus quae ad effet, tous les articles de la foi se rapportent
fidem pertinent. Omnes enim articuli fidei également à la foi. Si donc il faut avoir une
aequaliter ad fidem pertinent. Si ergo de aliquibus connaissance explicite de certaines choses, pour
oportet habere cognitionem explicitam, pari la même raison [il faut en avoir une] de toutes.
ratione de omnibus.
[10825] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 2. Selon ce qui est connu dans l’universel, un
arg. 2 Praeterea, secundum id quod in universali homme ne se distingue pas d’un autre, car la
scitur, non distinguitur unus homo ab alio: quia connaissance des principes universels est inné à
cognitio universalium principiorum omnibus tous les hommes. Or, avoir une foi implicite en
hominibus est innata. Sed habere fidem implicite un article, c’est avoir une foi en cet article dans
de aliquo articulo, est habere fidem in universali l’universel. Du fait qu’il a seulement une foi
de illo articulo. Ergo per hoc quod habet fidem implicite en un article, il ne diffère donc pas d’un
tantum implicitam de aliquo articulo, non differt non croyant pour ce qui est de cet article. Il est
quantum ad illum articulum a non credente: ergo donc nécessaire d’avoir une foi explicite en tous
oportet habere fidem explicitam de omnibus les articles.
articulis.
[10826] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 3. De même que les péchés mortels sont évités
arg. 3 Praeterea, sicut per praecepta legis vitantur par les commandements de la loi, de même les
peccata mortalia, ita per articulos vitantur errores erreurs des hérésies sont-elles évitées par les
haeresum. Sed aliquis ita tenetur servare articles. Or, on est obligé de respecter les
praecepta legis ut omnia peccata vitet. Ergo et ita commandements de la loi afin d’éviter tous les
tenetur cognoscere articulos fidei ut omnes errores péchés. On est donc ainsi obligé de connaître les
et haereses vitet. Sed hoc non potest facere nisi articles de foi afin d’éviter toutes les erreurs et
qui habet fidem explicitam de omnibus articulis: hérésies. Or, seul celui qui a une foi explicite en
quia qui scit aliquid implicite et in universali, tous les articles de foi peut faire cela, car celui
potest errare in particulari. Ergo habere fidem qui sait quelque chose implicitement et dans
explicitam de omnibus articulis, est de necessitate l’universel peut errer dans le particulier. Avoir
salutis. une foi explicite en tous les articles est donc
nécessaire au salut.
[10827] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] une connaissance explicite des
c. 1 Sed contra, explicita cognitio de articulis fidei articles de foi ne s’obtient que par l’étude. Or,
non habetur nisi per studium. Sed studere non est étudier n’est pas nécessaire au salut. La
de necessitate salutis. Ergo explicita cognitio de connaissance explicite de tous les articles de foi
omnibus articulis fidei non est de necessitate n’est donc pas nécessaire au salut.
salutis.
[10828] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 s. [2] Si c’était le cas, il y en aurait peu qui
c. 2 Praeterea, secundum hoc pauci essent qui auraient la foi, puisqu’on en trouve à peine un
haberent fidem, cum vix inveniatur aliquis qui qui puisse expliciter les articles pour tout ce qui
possit explicare articulos quantum ad omnia quae est implicitement contenu dans les articles.
in articulis implicite continentur.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Les grands sont-ils
davantage obligés que les petits ?]
[10829] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 1. Il semble que les grands (majores) ne soient
arg. 1 Ulterius. Videtur quod majores non magis pas davantage obligés que les petits (minores),
teneantur quam minores. Quia homines simplices car les gens sans instruction sont examinés sur
examinantur de difficilibus articulis, et damnantur les articles difficiles et les hérétiques sont
haeretici, si male respondeant. Hoc autem non condamnés s’ils répondent mal. Or, tel ne serait
esset, nisi illos scire tenerentur. Ergo minores non pas le cas, s’ils n’étaient pas obligés de les
minus tenentur scire quam majores. connaître. Les petits ne sont donc pas moins
obligés que les grands.
770

[10830] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 2. Personne n’est obligé à plus qu’un autre, à
arg. 2 Praeterea, nullus tenetur ad plura quam moins qu’il ne s’y soit obligé. Or, les grands ne
alius, nisi inquantum ad illa se obligavit. Sed se sont pas obligés à connaître les articles de
majores non obligaverunt se ad articulos sciendos manière explicite, semble-t-il. Ils ne sont donc
explicite, ut videtur. Ergo non magis tenentur pas davantage obligés que les petits.
quam minores.
[10831] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 3. Les grands semblent être ceux qui en
arg. 3 Praeterea, videntur majores illi qui magis connaissent davantage. Si donc ils s’étaient
sciunt. Si ergo ad plura credenda obligarentur, obligés à croire plus de choses, il semble qu’ils
videtur quod ex sua scientia incommodum encourraient un désavantage en raison de leur
reportarent. science.
[10832] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 s. Cependant, [1] les grands doivent enseigner aux
c. 1 Sed contra, majores debent docere fidem petits. Or, celui qui enseigne doit avoir une
minoribus. Sed qui docet, debet plenius scire. connaissance plus complète. Ils sont donc tenus
Ergo tenentur magis explicite scire quam minores. de connaître plus explicitement que les petits.
[10833] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 s. [2] On exige davantage de celui à qui on a
c. 2 Praeterea, ei cui plus est commissum, plus davantage confié. Or, davantage a été confié aux
exigetur ab eo. Sed majoribus plus commissum grands qu’aux petits. Il sera donc davantage
est quam minoribus. Ergo plus ab eis exigetur de exigé d’eux à propos de la connaissance de la
fidei cognitione. foi.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Les petits ont-ils une foi
implicite dans la foi des grands ?]
[10834] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 1. Il semble que les petits n’aient pas une foi foi
arg. 1 Ulterius. Videtur quod minores non habeant implicite dans la foi des grands. En effet, il en est
fidem implicitam in fide majorum. Sicut enim est de la foi implicite et explicite comme de la
fides implicita et explicita, ita et scientia. Sed science. Or, on a une science implicite, non pas
scientiam habet quis implicitam, non in aliquo en quelqu’un connaît, mais en ce qui est
sciente, sed in universali rei scibilis. Ergo nec universel dans un objet de connaissance. L’un
fidem habet unus implicitam in fide alterius. n’a donc pas une foi implicite dans la foi d’un
autre.
[10835] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 2. Ce en quoi la connaissance est implicite chez
arg. 2 Praeterea, illud in quo implicatur cognitio quelqu’un qui a une connaissance implicite est la
alicujus habentis cognitionem implicitam, est règle de sa connaissance. Or, la règle de notre foi
regula suae cognitionis. Sed regula nostrae fidei n’est pas la connaissance humaine, qui peut être
non est cognitio humana, quae potest decipi, sed prise en défaut, mais la connaissance divine, qui
cognitio divina, quae falli non potest. Ergo videtur ne peut errer. Il semble donc qu’un homme ne
quod homo non debeat habere fidem implicitam doive pas avoir une foi implicite dans la foi d’un
in fide alterius hominis, sed in cognitione Dei. autre homme, mais dans la connaissance de
Dieu.
[10836] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 3. Personne ne pèche s’il se conforme à sa règle.
arg. 3 Praeterea, nullus peccat si se conformet Or, les grands sont les prélats ou même les
suae regulae. Sed majores sunt praelati vel etiam docteurs. Si donc les gens sans instruction
doctores. Si ergo simplices debent habere doivent avoir une foi implicite dans la foi des
implicitam fidem in fide majorum, non peccaret grands, quelqu’un qui est sans instruction ne
aliquis simplex dicens aliquid contra fidem, si ab pécherait pas en disant quelque chose de
aliquo magistro vel praelato praedicaretur: quod contraire à la foi, si cela était prêché par un
falsum videtur. maître ou un prélat, ce qui semble faux.
[10837] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 4. Ce en quoi la connaissance de quelqu’un est
arg. 4 Praeterea, illud in quo implicatur cognitio implicite doit être reconnu, comme celui qui
alicujus, oportet esse notum; sicut qui habet possède la science implicite d’une chose
771

scientiam alicujus particularis implicitam in particulière par des principes universels doit
universalibus principiis, oportet quod illa connaître ces principes. Un homme ne doit donc
principia cognoscat. Ergo homo non debet habere pas avoir de foi implicite dans la connaissance
implicitam fidem in cognitione alterius hominis. d’un autre homme.
[10838] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 s. Cependant, [1] tous ceux qui apprennent ont
c. 1 Sed contra, omnis addiscens habet fidem une foi implicite dans la connaissance de celui
implicitam in cognitione docentis; quia, secundum qui enseigne, car, selon le Philosophe, « il est
philosophum, oportet credere addiscentem. Sed nécessaire que celui qui apprend croie ». Or, les
majores positi sunt ad docendum fidem grands ont été établis afin d’enseigner la foi aux
minoribus. Ergo minores debent habere fidem petits. Les petits doivent donc avoir une foi
implicitam in cognitione majorum. implicite dans la connaissance des grands.
[10839] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 s. [2] Cela ressort de l’autorité invoquée dans le
c. 2 Praeterea, hoc patet per auctoritatem texte.
inductam in littera.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10840] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 co. On parvient au salut de deux manières. En effet,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, certains n’y parviennent pas par leur propre
quod ad salutem aliquis dupliciter pervenit. mérite, mais par le mérite d’un autre, comme les
Quidam enim non perveniunt merito proprio, sed enfants et les idiots baptisés, en faveur de qui le
merito alieno, sicut pueri et stulti baptizati, quibus mérite du Christ intervient, auquel ils participent
suffragatur meritum Christi, cujus facti sunt par la réception du sacrement, car ils ne peuvent
participes in perceptione sacramenti: quia avoir de mérite propre, puisqu’ils n’ont pas
meritum proprium habere non possunt, cum non l’usage du libre arbitre, qui est requis pour le
habeant usum liberi arbitrii, quod exigitur ad mérite. Mais tous ceux qui possèdent l’usage du
meritum. Quicumque autem usum liberi arbitrii libre arbitre sont obligés d’ajouter aux mérites du
habent, tenentur ad merita Christi et meritum Christ leur mérite propre. Or, le mérite consiste
proprium addere. Meritum autem consistit in actu dans l’acte des vertus. Il est donc nécessaire pour
virtutum; unde ad salutem ipsorum oportet quod leur salut qu’existent l’acte et l’habitus des
sit et actus et habitus virtutum. Actus autem vertus. Mais l’acte de toutes les vertus dépend de
omnium virtutum dependet ab actu fidei, quae l’acte de la foi, qui dirige l’intention. Aussi, chez
intentionem dirigit: unde in omni qui habet tous ceux qui possèdent le libre arbitre, est-il
liberum arbitrium exigitur ad salutem ejus quod requis pour leur salut qu’ils aient l’acte de la foi,
habeat actum fidei, et non solum habitum. Fides et non seulement l’habitus. Or, la foi ne peut
autem non potest exire in actum, nisi aliquid passer à l’acte qu’en connaissant quelque chose
determinate et explicite cognoscendo quod ad qui se rapporte à la foi de manière déterminée et
fidem pertineat; et ideo omni ei qui habet usum explicite. C’est pourquoi, pour tous ceux qui ont
liberi arbitrii, habere fidem explicitam quantum l’usage du libre arbitre, il est nécessaire au salut
ad aliquid, est de necessitate salutis. d’avoir une foi explicite en quelque chose.
[10841] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1. Pour ce qui est nécessaire au salut, Dieu ne
1 Ad primum ergo dicendum, quod in his quae fait et n’a jamais fait défaut à l’homme qui
sunt necessaria ad salutem, nunquam Deus homini cherche son salut, à moins que celui-ci ne reste
quaerenti suam salutem deest vel defuit, nisi ex avec sa faute. Aussi l’explicitation de ce qui est
culpa sua remaneat; unde explicatio eorum quae nécessaire au salut serait-elle divinement assurée
sunt de necessitate salutis vel divinitus homini soit par un prédicateur de la foi, comme cela
provideretur per praedicatorem fidei, sicut patet ressort pour Corneille, Ac 10, soit par une
de Cornelio, Act. 10; vel per revelationem: qua révélation. En supposant celle-ci, il est au
supposita, in potestate liberi arbitrii est ut in pouvoir du libre arbitre de passer à l’acte de la
actum fidei exeat. foi.
[10842] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2. Si celui-là accomplissait ce qui est en son
2 Ad secundum dicendum, quod si talis faceret pouvoir pour la recherche du salut, Dieu
772

quod in se est de quaerendo salutem, Deus illi pourvoirait à son salut selon l’une des manières
aliquo dictorum modorum provideret de salute indiquées.
sua.
[10843] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3. La réponse au troisième argument ressort de
3 Ad tertium patet solutio per ea quae dicta sunt. ce qui a été dit.
[10844] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4. Ce qui dépasse la raison et relève de la foi
4 Ad quartum dicendum, quod ea quae sunt supra n’est pas proposé aux gens sans instruction en
rationem ad fidem pertinentia, non proponuntur discutant des réalités elles-mêmes, mais selon
hominibus simplicibus ita quod res ipsa l’énigme des mots auxquels ils donnent leur
discutiatur, sed in verborum aenigmate, quibus assentiment. C’est pourquoi on dit qu’il s’agit
assentiant; et ideo dicitur esse fides verborum, ut d’une foi dans les mots, comme on l’a dit plus
supra, distinct. praecedenti, dictum est. haut à la distinction précédente.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10845] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 co. L’acte de la foi est nécessaire au salut parce qu’il
Ad secundam quaestionem dicendum, quod actus dirige l’intention de tous les actes des autres
fidei ad hoc est necessarius ad salutem, quia vertus. C’est pourquoi il est nécessaire pour
intentionem dirigit in omnibus actibus aliarum chacun d’avoir une foi explicite dans la mesure
virtutum; et ideo tantum oportet habere unicuique qui suffit à se diriger vers la fin ultime. Aussi
de fide explicita, quantum sufficit ad dirigendum n’est-il pas nécessaire qu’on connaisse
ipsum in finem ultimum. Unde non est de explicitement tous les articles de foi, car on peut
necessitate salutis ut homo omnes articulos fidei avoir une intention droite vers la fin sans
explicite cognoscat: quia sine aliquorum l’explicitation de certains [articles].
explicatione potest homo habere rectam
intentionem in finem.
[10846] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1. La réponse au premier argument est claire, car
1 Et per hoc patet responsio ad primum: quia non il n’en va pas de même pour tous les articles.
est eadem ratio de omnibus articulis.
[10847] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2. Les principes universels, dans lesquels est
2 Ad secundum dicendum, quod principia enveloppée la connaissance des conclusions
universalia, in quibus implicatur cognitio particulières, sont connus de l’homme par une
particularium conclusionum, sunt homini nota per lumière naturelle. C’est pourquoi un homme ne
lumen naturale; et ideo quantum ad implicitam se distingue pas d’un autre pour ce qui est de la
cognitionem scientiae non distinguitur unus homo connaissance implicite de la science. Mais la
ab altero. Sed lumen fidei, secundum quod lumière de la foi, par laquelle on a une
habetur cognitio implicita, est lumen infusum, connaissance implicite, est une lumière infuse,
quod uni infunditur, et alii non; et ideo non est qui est infusée chez l’un, et non chez l’autre.
similis ratio. C’est pourquoi le raisonnement n’est pas le
même.
[10848] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3. Nous sommes obligés aux commandements
3 Ad tertium dicendum, quod ad praecepta négatifs toujours et en tout temps; ainsi sont
negativa tenemur semper et ad semper; et per hoc suffisamment évités les péchés de transgression.
vitantur sufficienter peccata transgressionis. Sed Mais l’homme est toujours obligé aux
ad praecepta affirmativa tenetur homo semper, commandements affirmatifs, non pas en tout
sed non ad semper, sed loco et tempore temps, mais en un lieu et à un moment
determinato. Praecepta autem affirmativa sunt de déterminés. Or, les commandements affirmatifs
actibus virtutum. Ergo ad actum virtutis semper portent sur les actes des vertus. Un homme n’est
exercendum homo non tenetur, nec quantum ad donc pas obligé de toujours accomplir un acte de
omnes modos quibus potest ille exerceri; sed vertu, ni selon toutes les manières selon
sufficit quod homo tempore debito operetur; et lesquelles celui-ci peut être accompli; mais il
ideo etiam non oportet quod homo habeat suffit qu’il l’accomplisse au moment dû. Il n’est
773

explicitam cognitionem de omnibus articulis fidei, donc pas non plus nécessaire qu’un homme ait
sed de aliquibus qui sunt necessarii secundum une connaissance explicite de tous les articles de
tempus illud; et per hoc sufficienter vitantur foi, mais de certains qui sont nécessaire à ce
omnes errores et dubitationes: quia sicut habitus moment-là. Ainsi sont suffisamment évités
temperantiae inclinat ad resistendum luxuriae, ita toutes les erreurs et tous les doutes, car, de même
habitus fidei inclinat ad resistendum omnibus que l’habitus de tempérance incline à résister à la
quae sunt contra fidem. Unde in tempore quando luxure, de même l’habitus de la foi incline à
emergit necessitas explicite cognoscendi vel résister à tout ce qui est contraire à la foi. Ainsi,
propter doctrinam contrariam quae imminet, vel au moment où apparaît la nécessité de connaître
propter motum dubium qui insurgit, tunc homo explicitement, soit en raison d’un enseignement
fidelis ex inclinatione fidei non consentit his quae contraire menaçant, soit en raison d’un
sunt contra fidem, sed differt assensum, quousque mouvement de doute qui survient, alors le
plenius instruatur. croyant, en vertu de l’inclination de la foi, ne
consent pas à ce qui est contraire à la foi, mais il
reporte son assentiment jusqu’à ce qu’il soit
mieux renseigné.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10849] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 co. L’explicitation des articles de la foi se produit de
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod explicare deux manières. Premièrement, pour ce qui
articulos fidei contingit dupliciter. Uno modo concerne la substance des articles eux-mêmes,
quantum ad ipsorum articulorum substantiam, selon qu’on connaît distinctement les articles
secundum quod ipsos articulos distincte scit. Alio eux-mêmes. Deuxièmement, pour ce qui est
modo quantum ad ea quae in articulis continentur contenu implicitement dans les articles, ce qui se
implicite: quod quidem contingit dum homo scit produit lorsque l’homme connaît ce qui découle
ea quae articulis consequuntur, et vim veritatis des articles et la force de la vérité de ces articles,
ipsorum articulorum, per quam possunt defendi ab par laquelle ils peuvent être défendus de toute
omni impugnatione. Ad primam quidem attaque. À la première explicitation, sont tenus
explicationem totaliter tenentur omnes qui habent tous ceux qui ont la fonction d’enseigner la foi,
officium docendi fidem sive ex gradu dignitatis, soit en raison du degré de leur dignité, comme
sicut sacerdotes; sive ex revelatione, sicut les prêtres, soit en raison d’une révélation,
prophetae; sive ex ministerio, sicut doctores et comme les prophètes, soit en raison d’un
praedicatores: non autem alii, quibus non ministère, comme les docteurs et les
incumbit officium docendi fidem: quia cum ipsi prédicateurs. Mais les autres [n’y sont pas tenus],
non habeant nisi seipsos regulare, sufficit eis illos à qui n’incombe pas la fonction d’enseigner la
articulos cognoscere per quos possint propriam foi, car, n’ayant qu’eux-mêmes à diriger, il leur
intentionem dirigere in finem ultimum. Ad suffit de connaître les articles par lesquels ils
secundam autem explicationem articulorum non peuvent diriger leur propre intention vers la fin
tenetur aliquis totaliter ut sciat omnia explicare ultime. Quant à la seconde explicitation, on n’est
quae in articulis de salute continentur: quia hoc pas tenu de connaître entièrement tout ce qui est
non potest esse nisi in patria, ubi ipsa articulorum contenu dans les articles à propos du salut, car
veritas plene videbitur: sed unusquisque, cui cela ne peut être le cas que dans la patrie, où la
incumbit officium instruendi alios de fide, qui pleine vérité même de ces articles sera vue; mais
dicuntur majores, tenetur tantum scire de ista chacun, à qui il incombe d’en instruire d’autres
explicatione, quantum pertinet ad suum officium. dans la foi et qui sont appelés les « grands »
Sed ad hanc explicationem minores, quibus (majores), est obligé de connaître une telle
officium docendi non incumbit, non tenentur. explicitation dans la mesure seulement où cela
relève de sa fonction. Mais les « petits »
(minores), à qui n’incombe pas la fonction
d’enseigner, n’y sont pas tenus.
[10850] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1. Les gens non instruits ne sont pas condamnés
774

1 Ad primum ergo dicendum, quod non comme hérétiques parce qu’ils ne connaissant
condemnantur simplices pro haereticis, quia pas les articles, mais parce qu’ils défendent avec
nesciunt articulos: sed quia pertinaciter defendunt entêtement ce qui est contraire aux articles, ce
ea quae sunt contraria articulis; quod non facerent, qu’ils ne feraient pas s’ils n’avaient pas une foi
nisi per haeresim fidem corruptam haberent. corrompue par l’hérésie.
[10851] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2. Par le fait même que quelqu’un assume une
2 Ad secundum dicendum, quod hoc ipso quod fonction d’enseignement, il est obligé de
aliquis docendi officium assumit, obligatur ad connaître ce qu’il doit enseigner.
sciendum ea quae docere debet.
[10852] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3. On n’appelle pas « grands » ceux qui
3 Ad tertium dicendum, quod majores non connaissent davantage, mais ceux à qui incombe
dicuntur qui magis sciunt, sed quibus incumbit la fonction d’enseigner la foi. Parfois, sous la
officium docendi fidem; qui quandoque peccatis pression des péchés, ils connaissant moins; à eux
exigentibus minus sciunt, quibus dicitur Oseae 4, Osée dit, 4, 6 : Parce que tu as rejeté la science,
6: quia scientiam repulisti, repellam te et ego, ne je te rejetterai, moi aussi, de sorte que tu
sacerdotio fungaris mihi. Nec tamen ex scientia n’exerceras pas le sacerdoce. Toutefois, la
quae ab eis exigitur, aliquod incommodum science qui est exigée d’eux ne comporte aucun
reportant, quia habere scientiam eis est tort, car, pour eux, avoir la science est un
honorificum. honneur.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[10853] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Ceux à qui incombe la fonction d’enseigner la
Ad quartam quaestionem dicendum, quod illi foi sont des intermédiaires entre Dieu et les
quibus incumbit officium docendi fidem, sunt hommes. Aussi, par rapport à Dieu, ils sont des
medii inter Deum et homines; unde respectu Dei hommes, et, par rapport aux hommes, ils sont
sunt homines, et respectu hominum sunt dii, des dieux, pour autant qu’ils participent à la
inquantum divinae cognitionis participes sunt per connaissance divine par la connaissance des
scientiam Scripturarum, vel per revelationem, ut Écritures ou par révélation, comme le dit
dicitur Joan. 10, 35: illos dixit deos ad quos sermo Jn 10, 35 : [La loi] a appelé ‘dieux’ ceux à qui la
Dei factus est. Et ideo oportet quod minores, qui parole de Dieu a été adressée. C’est pourquoi il
ab eis de fide doceri debent, habeant fidem est nécessaire que les petits, qui doivent être
implicitam in fide illorum, non inquantum enseignés par eux à propos de la foi, aient une
homines sunt, sed inquantum sunt participatione foi implicite dans leur foi, non pas en tant qu’ils
dii. sont des hommes, mais en tant qu’ils sont des
dieux par participation.
[10854] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1. Une connaissance déterminée des principes de
1 Ad primum ergo dicendum, quod determinata la démonsration est acquise par les sens; aussi
cognitio principiorum demonstrationis ex sensu n’avons-nous pas besoin d’enseignement pour
acquiritur; unde ad eorum determinationem leur détermination. Par ces principes, l’homme
doctrina non indigemus: et in his principiis homo possède dès le départ une science implicite de
habet a principio implicitam scientiam omnium tout ce qui en découle. Néanmoins, il a une
quae sequuntur; habet nihilominus scientiam science implicite dans la connaissance d’un autre
implicitam in cognitione alterius scientis, qui sait, pour autant qu’il lui est nécessaire de
inquantum oportet eum per doctrinam scientiam recevoir la science par l’enseignement, car il faut
accipere: quia oportet addiscentem credere. Et que celui qui apprend croie. Aussi n’en va-t-il
ideo non est simile de scientia et fide: quia non pas de même de la science et de la foi, car il
sunt nobis innata aliqua principia naturalia ad n’existe pas en nous de principes naturels innés
quae possint reduci articuli fidei; sed tota auxquels pourraient être ramenés les articles de
determinatio fidei est in nobis per doctrinam; et foi, mais toute la détermination de la foi nous
ideo oportet in cognitione hominis habere fidem vient par l’enseignement. C’est pourquoi il est
implicitam. nécessaire d’avoir une foi implicite dans la
775

connaissance de l’homme.
[10855] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2. De même que, dans les choses qui meuvent,
2 Ad secundum dicendum, quod sicut in on trouve un premier moteur, qui meut sans être
moventibus invenitur primum movens, quod est mû, et un deuxième moteur, qui meut et est mû,
movens non motum; et secundum movens, quod après quoi vient ce qui est mû seulement, de
est movens et motum, post quod est id quod est même aussi dans ce qui joue le rôle de règles,
motum tantum; ita etiam est in regulantibus, quod qui est quelque chose qui règle et n’est
est aliquid quod est regulans et nullo modo aucunement réglé – telle est la raison de règle
regulatum; et haec est ratio primae regulae, et tale première, qui est Dieu; et il y a aussi quelque
est Deus: est et regulans regulatum, et talis regula chose qui règle et est réglé, et une telle règle de
humanae fidei est homo divinus: sicut etiam la foi humaine est un homme divin. Aussi le
philosophus dicit in 3 Ethic., quod virtuosus est Philosophe dit-il dans Éthique, III, que le
mensura omnium humanorum actuum; regulatum vertueux est la mesure de tous les actes humains.
autem tantum sunt ipsi minores. Mais les petits eux-mêmes sont seulement
quelque chose de réglé.
[10856] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3. De même que l’homme doit obéir à un
3 Ad tertium dicendum, quod sicut homo debet pouvoir inférieur seulement pour ce qui ne
obedire inferiori potestati in his tantum in quibus s’oppose pas à un pouvoir supérieur, de même
non repugnat potestas superior; ita etiam debet aussi l’homme doit-il se mesurer en tout à sa
homo se primae regulae in omnibus manière à la règle première; mais l’homme doit
commensurare secundum suum modum; secundae se mesurer à la règle seconde pour ce qui n’est
autem regulae debet se homo commensurare in pas en désaccord avec la règle première, car pour
his in quibus non discordat a prima regula: quia in ce qui est en désaccord, [la règle seconde] n’est
his in quibus discordat, jam non est regula; et déjà plus une règle. C’est pourquoi il ne faut pas
propter hoc praelato contra fidem praedicanti non donner son assentiment à un prélat qui prêche
est assentiendum, quia in hoc discordat a prima contre la foi, car il est par là en désaccord avec la
regula. Nec per ignorantiam subditus excusatur a règle première. Et le sujet n’est pas totalement
toto: quia habitus fidei facit inclinationem ad excusé par l’ignorance, car l’habitus de la foi
contrarium, cum necessario doceat de omnibus incline en sens contraire, puisqu’il enseigne
quae pertinent ad salutem, 1 Joan. 1. Unde si nécessairement tout ce qui concerne le salut,
homo non sit facilis nimis ad credendum omni 1 Jn 1. Si donc un homme ne croit pas trop
spiritui, quando aliquid insolitum praedicatur, non facilement en tout esprit, lorsque quelque chose
assentiet, sed aliunde requiret, vel Deo se d’insolite est prêché, il ne donnera pas son
committet in ejus secreta supra suum modum non assentiment, mais s’informera par ailleurs ou
se ingerendo. s’en remettra en secret à Dieu, en ne se mêlant
pas de ce qui le dépasse.
[10857] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4. Il a été donné aux hommes de faire des
4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc datum est miracles afin de montrer que Dieu parle par eux.
hominibus facere miracula, ut ostendatur quod Et il n’est pas nécessaire que quelqu’un engage
Deus per illos loquitur. Nec oportet quod in tali sa foi par rapport à un homme qui a une
homine revelationem habente aliquis suam fidem révélation, jusqu’à ce qu’un tel homme vienne à
implicet, quousque talis homo ad ejus notitiam sa connaissance, soit divinement, soit par la
deveniat vel divinitus, vel per famam humanam. renommée humaine.

Articulus 2 [10858] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 Article 2 – La foi a-t-elle progressé selon la
a. 2 tit. Utrum per successionem temporum fides succession des temps ?
profecerit
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi a-t-elle progressé
selon la succession des temps ?]
[10859] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 1. Il semble que la foi n’ait pas progressé selon
776

arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod la succesion des temps pour ce qui doit être cru
per successionem temporum fides non profecerit explicitement. En effet, comme le dit le texte,
quantum ad ea quae explicite sunt credenda. Fides « la foi est proportionnée à la charité ». Or, la
enim, ut dicitur in littera, caritati proportionatur. charité est identique et égale en tous les temps.
Sed caritas est eadem et aequalis per omnia Donc aussi la foi.
tempora. Ergo et fides.
[10860] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 2. Le fait que la connaissance humaine ait
arg. 2 Praeterea, quod in scientiis crevit humana progressé dans les sciences vient de
cognitio, hoc est propter imperfectionem eorum l’imperfection de ceux qui ont imparfaitement
qui primitus artes adinvenerunt imperfecte, ut découvert les arts, comme le dit l’Elenchus, II.
dicitur in 2 Elench. Sed fidei doctrina non habet Or, l’enseignement de la foi n’a pas son principe
principium ab inventione humana, sed ab dans ce que l’homme trouve, mais dans
inspiratione Dei, in quo non cadit aliqua l’inspiration de Dieu, chez qui n’existe aucune
imperfectio. Ergo non debuit per incrementa imperfection. [La foi] ne devait donc pas
temporum proficere. progresser selon l’avancée des temps.
[10861] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 3. La foi demeure toujours la même quant à sa
arg. 3 Praeterea, fides quantum ad substantiam substance. Si donc la connaissance de la foi
semper eadem manet. Si ergo cognitio fidei progresse selon les divers temps, il est nécessaire
secundum diversa tempora proficit, oportet quod qu’y soit présent en un premier moment, du
in primo tempore habeatur, saltem implicite moins implicitement, ce qui est aussi connu
tantum, quod in sequenti etiam explicite explicitement par la suite. Or, c’est le propre des
cognoscitur. Sed minorum est habere fidem in petits d’avoir foi en la connaissance des grands.
cognitione majorum. Ergo quandocumque fides À chaque fois que la foi dans un article a été
fuit implicita alicujus articuli in aliquo homine, implicite chez un homme, une foi explicite dans
fuit ejusdem articuli fides explicita in aliquo alio le même article a donc existé chez un autre
homine. Hoc autem secundum omne tempus homme. Or, cela convient à tous les temps que
convenit, quod aliqui articuli a quibusdam certains articles soient connus par certains
implicite, et ab aliquibus explicite cognoscantur. implicitement, et par certains explicitement. La
Ergo fides non crevit per successionem foi n’a donc pas progressé selon la succession
temporum. des temps.
[10862] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 4. L’article est une vérité indivisible. Or, ce qui
arg. 4 Praeterea, articulus est indivisibilis veritas. est indivisible ne peut être divisé davantage.
Sed quod est indivisibile, non potest ulterius Puisque la foi a toujours été contenue dans
distingui. Ergo cum semper fuerit fides contenta certains articles, il semble donc qu’elle ne
sub aliquibus articulis, videtur quod non potuerit pouvait être davantage divisée, de sorte que les
magis distingui, ut articuli explicite articles seraient connus explicitement.
cognoscerentur.
[10863] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 5. On voit ainsi que, même maintenant, les
arg. 5 Praeterea, per hoc videtur quod etiam modo articles pourraient être multipliés pour la même
eadem ratione possent articuli multiplicari per raison que pour la succession des temps, ce qui
successionem temporum; quod falsum esse semble faux.
videtur.
[10864] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 s. Cependant, [1] le Seigneur dit à Moïse dans
c. 1 Sed contra, Exod. 6, 2, dominus dixit ad Ex 6, 2 : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu
Moysem: ego sum Deus Abraham, Deus Isaac, et d’Isacc et le Dieu de Jacob, et je ne leur ai pas
Deus Jacob; et nomen meum Adonai non manifesté mon nom : Adonaï. Quelque chose a
manifestavi eis. Ergo Moysi fuit aliquid revelatum donc été révélé à Moïse à propos de Dieu, qui
de Deo quod patribus revelatum non fuerat. n’avait pas été révélé aux pères. De même,
Similiter etiam David dicit, Psalm. 118, 10: super David dit, Ps 118, 10 : J’ai compris plus que les
senes intellexi; et Petrus suo tempore completum anciens. Et Pierre affirme que s’est accompli en
777

asserit, Act. 11, 17, quod dicitur Joelis 2: son temps, Ac 11, 17, ce qui est dit en Jl 2 : Je
effundam de spiritu meo. verserai mon Esprit.
[10865] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 s. [2] Grégoire dit que, selon la succession des
c. 2 Praeterea, Gregorius dicit, quod per temps, l’augmentation de la connaissance de
successiones temporum crevit divinae cognitionis Dieu s’est accrue.
augmentum.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [A-t-il toujours été
nécessaire d’avoir une foi explicite dans le
Rédempteur ?]
[10866] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 1. Il semble qu’il n’ait pas toujours été
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oportuit semper nécessaire d’avoir une foi explicite dans le
habere fidem explicitam de redemptore. Non enim Rédempteur. En effet, les hommes n’ont pas
cognoverunt homines de eo per fidem quod connu par la foi celui que les anges ont ignoré,
Angeli ignoraverunt: quia cognitio fidei per car la connaissance de la foi par la révélation qui
revelationem quae est a Deo, est mediantibus vient de Dieu se réalise par l’intermédiaire des
Angelis, ut dicit Dionysius, 4 cap. Cael. Hier. Sed anges, comme le dit Denys, La hiérarchie
Angeli mysterium redemptionis non cognoverunt; céleste, IV. Or, les anges n’ont pas connu le
unde apostolus dicit Ephes. 3, quod erat mystère de la rédemption. Aussi l’Apôtre dit-il,
absconditum in Deo. Ergo nec homines de eo Ep 3, que cela était caché en Dieu. Les hommes
fidem explicitam habuerunt. non plus n’en ont donc pas eu une foi explicite.
[10867] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 2. Adam n’a pas connu d’avance sa chute. Or,
arg. 2 Praeterea, Adam suum casum non s’il n’avait pas péché, il n’y aurait pas eu de
praescivit. Sed si non peccasset, humana rédemption humaine. L’homme n’a donc pas
redemptio non fuisset. Ergo homo non semper toujours connu le mystère de la rédemption
explicite cognovit mysterium redemptionis humaine.
humanae.
[10868] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 3. Comme le dit Denys, plusieurs parmi les
arg. 3 Praeterea, sicut dicit Dionysius, multi etiam Gentils ont été sauvés avant la venue du Christ.
de gentilibus ante Christi adventum salvati sunt. Or, ceux-là n’avaient pas la foi explicite en la
Sed illi non habebant fidem explicitam de rédemption, car la révélation ne leur avait pas été
redemptione, quia eis revelatio non fuerat facta; faite, Ps 147, 20 : Il n’a pas traité ainsi toutes les
Psalm. 147, 20: non fecit taliter omni nationi. Nec nations. Ils n’avaient pas non plus une foi
iterum in fide Judaeorum suam fidem implicitam implicite dans la foi des Juifs. La foi au
habebant. Ergo fides redemptoris non fuit Rédempteur n’a donc pas été nécessaire au salut
necessaria ad salutem secundum omne tempus. en tout temps.
[10869] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 4. La venue du Rédempteur n’est pas soumise à
arg. 4 Praeterea, adventus redemptoris non est de un commandement de la loi naturelle. Or, ceux
dictamine legis naturalis. Sed qui erant in lege qui étaient sous la loi naturelle étaient sauvés en
naturali, salvabantur implentes ea quae erant de accomplissant ce qui relevait d’un
dictamine legis naturalis, sicut tempore legis commandement de la loi naturelle, comme c’est
scriptae est de his quae dictat lex scripta. Ergo le cas de ce que commande la loi écrite au temps
non fuit semper necessarium habere fidem de la loi écrite,. Il n’a donc pas toujours été
explicitam de redemptore. nécessaire d’avoir une foi explicite dans le
Rédempteur.
[10870] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 s. Cependant, [1] le Christ est la tête de toute
c. 1 Sed contra, Christus est caput totius l’Église. Or, personne n’est sauvé en dehors de
Ecclesiae. Nullus autem salvatus est extra l’Église. Personne n’a donc été sauvé sans être
Ecclesiam. Ergo nullus salvatus est qui non est membre du Christ ou sans l’avoir été. Or,
membrum Christi vel non fuit. Sed nullus fuit personne n’a été membre du Christ sans avoir
membrum Christi qui in Christum non credidit. cru au Christ. Personne n’a donc jamais été
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Ergo nullus salvatus est unquam sine fide Christi. sauvé sans la foi au Christ.
[10871] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 s. [2] De même que le Créateur est le principe de
c. 2 Praeterea, sicut creator est principium essendi l’être pour la nature créée, de même le
in natura condita, ita etiam redemptor est Rédempteur est-il aussi le principe de la
principium reparationis naturae lapsae. Sed nullus restauration pour la nature déchue. Or, personne
potest salvari sine reparatione, sicut nec esse sine ne peut être sauvé sans la restauration, comme il
esse naturali. Cum ergo fides de creatore semper ne peut exister sans l’acte naturel d’être. Puisque
fuerit necessaria ad salutem, pari ratione et fides la foi au Créateur a toujours été nécessaire au
redemptoris semper fuit necessaria ad salutem salut, pour la même raison la foi au Rédempteur
post casum hominis. a donc toujours été nécessaire au salut après la
chute de l’homme.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Était-il nécessaire de
croire, à propos du Rédempteur, les articles
que le Maître indique dans le texte ?]
[10872] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 1. Il semble qu’il n’ait pas toujours été
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oportuit istos nécessaire de croire, à propos du Rédempteur,
articulos de redemptore credere quos Magister les articles que le Maître indique dans le texte,
tangit in littera. Quia Joannes Baptista inter car Jean-Baptiste comptait parmi les « grands »,
majores fuit, qui tenebantur habere fidem qui étaient tenus d’avoir une foi explicite en ce
explicitam secundum illud tempus. Sed ipse temps. Or, lui-même a douté de la mort du
dubitavit de morte Christi, ut dicit Magister in Christ, comme le dit le Maître dans le texte. Il ne
littera. Ergo non videtur quod de morte Christi semble donc pas que les pères anciens aient eu
habuerint fidem explicitam antiqui patres. une foi explicite dans la mort du Christ.
[10873] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 2. La conception a précédé la naissance. Or, il
arg. 2 Praeterea, conceptio nativitatem praecedit. n’est pas dit qu’il leur était nécessaire d’avoir
Sed non dicitur quod necessarium fuerit eos une foi explicite en la conception. Il n’était donc
habere explicitam fidem de conceptione. Ergo nec pas nécessaire qu’ils aient une foi explicite en la
fuit necessarium quod haberent explicitam fidem naissance.
de nativitate.
[10874] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 3. De même que la résurrection du Christ est la
arg. 3 Praeterea, sicut resurrectio Christi est causa cause de notre résurrection, de même son
nostrae resurrectionis, ita ascensio causa nostrae ascension est-elle la cause de notre ascension.
ascensionis. Sed salus nostra consistit in Or, notre salut consiste dans la résurrection des
resurrectione corporum, et in ascensione ad locum corps et dans l’ascension vers le lieu de la gloire.
gloriae. Ergo necessarium fuit credere Il était donc nécessaire de croire en l’ascension,
ascensionem, sicut et resurrectionem. comme en la résurrection.
[10875] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 4. Par sa descente aux enfers, [le Christ] nous a
arg. 4 Praeterea, per descensum ad Inferos nos ab retirés de l’enfer. Or, cela est nécessaire au salut.
Inferis retraxit. Hoc autem est necessarium ad Il est donc aussi [nécessaire] de croire que le
salutem. Ergo et credere Christum ad Inferos Christ est descendu aux enfers.
descendisse.
[10876] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 5. Le salut des hommes pouvait exister sans que
arg. 5 Praeterea, salus hominum esse poterat sine le Christ vienne pour le jugement, car, par cela,
hoc quod Christus ad judicium veniret: quia per le Christ n’a rien mérité pour nous. Il semble
hoc nihil nobis Christus meretur. Ergo videtur donc qu’il n’était pas nécessaire de croire que le
quod non fuerit necessarium credere Christum Christ viendra pour le jugement.
venturum ad judicium.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Était-il nécessaire d’avoir
une connaissance explicite de la Trinité ?]
[10877] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire d’avoir
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arg. 1 Ulterius. Videtur quod non fuerit une connaissance explicite de la Trinité, car il est
necessarium habere cognitionem Trinitatis dit en He 11, 6 qu’il est nécessaire de croire à
explicitam. Quia Hebr. 11, 6, dicitur, quod de Deo propos de Dieu qu’il existe et qu’il est le
oportet credere quia est, et inquirentibus se rémunérateur de ceux qui le cherchent. Il semble
remunerator sit. Ergo videtur quod non oportuit donc qu’il n’était pas nécessaire de connaître la
cognoscere distinctionem personarum. distinction des personnes.
[10878] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 2. La connaissance de la foi est nécessaire dans
arg. 2 Praeterea, cognitio fidei est necessaria la mesure où elle nous dirige vers la fin. Or,
inquantum nos in finem dirigit. Sed Deus est finis Dieu est notre fin, pour autant qu’il est le bien
noster, inquantum est summum bonum, quod ad suprême, ce qui relève de son essence. Il semble
essentiam pertinet. Ergo videtur quod sufficiebat donc qu’il suffisait de croire aux [attributs]
de Deo credere essentialia. essentiels à propos de Dieu.
[10879] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 3. La Sainte Écriture est la règle de la foi. Or,
arg. 3 Praeterea, sacra Scriptura est regula fidei. dans l’Écriture de l’Ancien Testament, il n’est
Sed in Scriptura veteris testamenti non fuit mentio pas fait expressément mention de la Trinité. Il
expressa facta de Trinitate. Ergo non erat n’était donc pas nécessaire d’y croire.
necessaria ad credendum.
[10880] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 s. Cependant, [1] la connaissance du Christ
c. 1 Sed contra, magis est salutifera cognitio de comme Dieu est plus salutaire que [sa
Christo inquantum est Deus quam inquantum est connaissance] comme homme. Or, il était
homo. Sed necessarium fuit habere cognitionem nécessaire d’avoir connaissance de son
de humanitate ipsius. Ergo multo fortius de humanité. À bien plus forte raison, donc, de sa
deitate. Sed secundum quod est in sua deitate, est divinité. Or, selon sa divinité, il est le Fils du
filius patris. Ergo necessarium fuit habere Père. Il était donc nécessaire d’avoir une
cognitionem de patre et filio. connaissance du Père et du Fils.
[10881] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 s. [2] La mission des personnes divines a toujours
c. 2 Praeterea, missio divinarum personarum été nécesssaire pour le salut. Or, Augustin dit
semper fuit de necessitate salutis. Sed Augustinus qu’« être envoyé, c’est être connu comme étant
dicit, quod mitti est cognosci quod ab alio sit. d’un autre ». Il a donc toujours été nécessaire de
Ergo semper fuit necessarium cognoscere in Deo connaître de Dieu qu’il existe en lui quelqu’un
quod sit ibi aliquis ab alio; et ita cognoscere qui vient d’un autre, et ainsi de connaître la
Trinitatem per fidem. Trinité par la foi.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[10882] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 co. La foi est une certaine connaissance. Or, la
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quantité d’une connaissance vient de deux
quod fides cognitio quaedam est. Quantitas autem choses : des objets et de l’efficacité de l’acte
cognitionis dupliciter attenditur: scilicet portant sur l’objet. Mais parce qu’un habitus
secundum objecta, et secundum efficaciam actus reçoit son espèce de son objet, la première
circa objectum. Quia autem habitus specificatur quantité est donc essentielle à l’habitus, et la
ex objecto, ideo prima quantitas est habitui grandeur de la foi, qui vient de la quantité des
essentialis; et secundum hanc attenditur articles, est envisagée selon elle. C’est pourquoi
magnitudo fidei, quae est secundum articulorum quantité de la foi n’augmente pas et ne diminue
quantitatem; et ideo secundum hanc quantitatem pas selon cette quantité, puisqu’elle demeure
fides non crescit nec deficit, cum semper eadem toujours la même. Mais l’efficacité d’une action
maneat. Efficacia autem in agendo, est ex vient de la condition de l’agent. Du point de vue
conditione agentis; et ideo quantum ad alias tres des trois autres grandeurs, la foi peut donc
magnitudines potest fides proficere, ipsa manente croître, alors qu’elle demeure la même selon les
eadem secundum diversas hominum conditiones. diverses conditions des hommes. Or, on trouve
In actu autem fidei tria inveniuntur, secundum dans l’acte de la foi trois choses selon lesquelles
quae potest quantitas efficaciae fidei attendi; duo la quantité de l’efficacité de la foi peut être
780

secundum naturam propriam: scilicet cogitare, et envisagée. Deux [viennent] de sa nature propre :
secundum hoc dicitur fides magna, cognitione; et penser, et, de ce point de vue, on dit que la foi
assentire, et secundum hoc dicitur fides magna, est grande par la connaissance; et donner son
constantia, quia assensus certitudinem et assentiment, et, de ce point de vue, on dit que la
determinationem importat, ut supra, dist. 23, art. 2 foi est grande par sa constance, car l’assentiment
in corp. et ad 1, dictum est: tertium autem est in comporte la certitude et la détermination, comme
actu fidei secundum quod informatur caritate; et on l’a dit plus haut, d. 23, a. 2, c et ad 1. La
secundum hoc dicitur fides magna, devotione. Sed troisième existe dans l’acte de foi selon que
quia certitudo fidei est ex voluntate determinante celle-ci reçoit sa forme de la charité : de ce point
intellectum ad unum, et similiter formatio ex de vue, on dit que la foi est grande par son
caritate, quae est in voluntate; voluntas autem est attachement. Mais parce que la certitude de la foi
domina sui actus etiam secundum quodcumque vient de la volonté qui détermine l’intellect à une
tempus; ideo per se loquendo magnitudinis fidei seule chose et que sa forme vient également de la
quae est secundum constantiam et devotionem, charité, qui se trouve dans la volonté, et que la
attenditur profectus secundum promptitudinem volonté est aussi maîtresse de son acte en tout
voluntatis quae est ex gratia, non ex successione temps, à proprement parler, le progrès de la
temporum nisi per accidens, inquantum in aliquo grandeur de la foi qui vient de la constance et de
tempore sit plenior influentia gratiae quam in alio l’attachement s’envisage selon la promptitude de
quantum ad communem statum, quamvis non la volonté qui vient de la grâce, et non de la
quantum ad omnes personas. Sed cogitare ad succession des temps, si ce n’est par accident,
intellectum pertinet, cujus virtutes experimento pour autant que, en un certain temps, l’influence
indigent et tempore, ut dicitur 2 Ethic.; et ideo de la grâce a été plus complète que dans un autre
quantitas fidei quae est secundum cognitionem pour ce qui est de l’état général, bien que ce n’ait
articulorum, per se loquendo, crescit secundum pas été le cas pour toutes les personnes. Mais
diversitatem temporis. penser relève de l’intellect, dont les puissances
ont besoin de l’expérience et du temps, ainsi
qu’il est dit dans Éthique, II. C’est pourquoi, à
proprement parler, la quantité de la foi
considérée selon la connaissance des articles
croît selon la diversité du temps.
[10883] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1. La charité se trouve dans la volonté. Or, ce qui
1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas in se rapporte à la volonté n’a pas besoin
voluntate est. Ea autem quae ad voluntatem d’expérience et de temps, comme ce qui se
pertinent, non indigent experimento et tempore, trouve dans l’intelligence, où réside la foi, si ce
sicut ea quae sunt in intellectu, in quo est fides, n’est dans la mesure où un habitus est acquis par
nisi quatenus oportet quod per exercitium l’exercice. À proprement parler, la croissance de
acquiratur habitus, quod de caritate non est. Et la charité n’est pas envisagée selon les divers
ideo profectus caritatis, proprie loquendo, non temps, sauf par accident, pour autant qu’au
attenditur secundum diversa tempora, nisi per temps de la rédemption, la grâce à été versée
accidens, inquantum tempore redemptionis plus abondamment pour ce qui est de l’état
plenior infunditur gratia quantum ad communem général, mais non pour toutes les personnes en
statum, non autem quantum ad omnes singulares particulier.
personas.
[10884] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2. Le fait que les sciences aient progressé selon
2 Ad secundum dicendum, quod hoc quod la succession des temps ne vient pas seulement
scientiae profecerunt per successionem temporum de l’imperfection de ce qui a été trouvé, mais
non tantum est ex imperfectione inventorum, sed aussi de l’impuissance de ceux qui apprennent,
etiam ex impotentia addiscentium, qui a principio qui ne peuvent tout saisir dès le début. Il arrive
totum capere non possunt; et ita in his quae fidei ainsi, pour ce qui relève de la foi, qu’il était
sunt accidit quod oportuit paulatim humanum nécessaire pour l’intelligence humaine de
781

intellectum assuefieri ad ea quae fidei sunt; s’habituer peu à peu à ce qui relève de la foi.
propter quod dominus discipulis dixit Joan. 16, Pour cette raison, le Seigneur a dit à ses
12: multa habeo vobis dicere; sed non potestis disciples, Jn 16, 12 : J’ai beaucoup de choses à
portare modo. vous dire; mais vous ne pouvez pas les porter
maintenant.
[10885] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3. Ceux qui ont reçu immédiatement de Dieu la
3 Ad tertium dicendum, quod illi qui immediate a connaissance de la foi n’avaient pas une foi
Deo fidei cognitionem receperunt, quantum ad ea implicite dans la foi d’un autre homme pour ce
quae eis non explicabantur, non habebant fidem qui n’était pas explicite, mais dans la
implicitam in fide alterius hominis, sed in connaissance de Dieu lui-même, à qui ils
cognitione ipsius Dei, cui reponebant id quod de ramenaient ce qui leur avait été révélé des secrets
secretis divinae sapientiae eis fuerat revelatum. de la Sagesse divine.
[10886] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4. On dit que l’article est une vérité indivisible
4 Ad quartum dicendum, quod articulus dicitur pour ce qui est explicité en acte dans l’article;
indivisibilis veritas quantum ad id quod actu mais il est divisible pour ce qui est contenu en
explicatur in articulo; sed est divisibilis quantum puissance dans l’article, selon que celui qui dit
ad ea quae potentia continentur in articulo, une seule chose en dit d’une certaine manière
secundum quod qui dicit unum, quodammodo plusieurs. Telles sont les choses qui précèdent
dicit multa: et haec sunt ea quae praecedunt ad l’article et en découlent. Sous cet aspect, l’article
articulum, et consequuntur ad ipsum: et quantum de foi peut être explicité et divisé.
ad hoc potest explicari et dividi articulus fidei.
[10887] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5. Ce qui est contenu dans un article peut être
5 Ad quintum dicendum, quod aliquid quod in explicité de deux manières. Premièrement, selon
articulo continetur, explicari potest dupliciter. qu’un article est parfois contenu dans un autre,
Uno modo secundum quod unus articulus ou deux [articles] dans un qui leur est commun,
continetur quandoque in alio, vel duo in uno comme la résurrection des morts est d’une
communi; sicut resurrectio mortuorum continetur certaine manière contenue dans la résurrection
quodammodo in resurrectione Christi; et passio et du Christ, et la passion et l’incarnation dans cet
incarnatio in hoc communi quod est mysterium [article] commun qu’est le mystère de la
redemptionis: et sic fides implicita explicatur in rédemption. Ainsi la foi implicite est-elle
articulis fidei determinatis; et haec explicatio explicitée dans des articles de foi déterminés.
completa est per Christum: unde ejus doctrinae Une telle explicitation a été achevée par le
quantum ad essentialia fidei nec addere nec Christ. Aussi n’est-il permis de rien ajouter ni de
diminuere licet, ut dicitur Apocal. ult. Sed ante rien enlever à son enseignement pour ce qui
Christi adventum non erat completa; unde etiam concerne l’essentiel de la foi, ainsi qu’il est dit
quantum ad majores crescebat secundum diversa dans Ap 22. Mais, avant la venue du Christ, elle
tempora. Alio modo id quod in articulo n’était pas achevée. Aussi croissait-elle-même
continetur, non est articulus, sed aliquid chez les grands selon les divers temps.
concomitans articulum; et quantum ad hoc potest Deuxièmement, ce qui est contenu dans un
fides quotidie explicari, et per studium sanctorum article n’est pas l’article, mais quelque chose qui
magis et magis explicata fuit. accompagne l’article; de ce point de vue, la foi
peut être quotidiennement explicitée et elle a été
de plus en plus explicitée par l’étude des saints.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[10888] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Le rapport du genre humain à la foi au
Ad secundam quaestionem dicendum, quod ad Rédempteur est triple selon les divers temps. En
fidem redemptoris tripliciter se habet humanum effet, dans le premier état avant le péché, il
genus secundum diversa tempora. In primo enim n’était pas nécessaire qu’un homme ait une foi
statu ante peccatum non oportebat ab aliquo explicite au Rédempteur, car l’esclavage n’avait
homine haberi fidem explicitam de redemptore, pas encore été introduit; mais il suffisait d’avoir
782

quia nondum servitus erat inducta; sed sufficiebat une foi implicite dans la connaissance de Dieu, à
habere fidem implicitam in cognitione Dei, ut savoir que l’homme croie que Dieu prendrait
scilicet homo crederet quod Deus ei provideret in soin de lui pour ce qui serait nécessaire au salut.
eis quae essent necessaria ad salutem. In secundo Mais, dans le deuxième état, après le péché et
autem statu post peccatum ante adventum Christi avant la venue du Christ, certains avaient une foi
quidam habebant fidem explicitam de redemptore, explicite dans le Rédempteur, à qui la révélation
quibus revelatio facta erat, qui majores [en] avait été faite : on les appelait les grands.
dicebantur: quidam autem, ut minores, fidem Mais certains, comme les petits, avaient une foi
implicitam habebant in fide majorum; unde eis implicite dans la foi des grands. Aussi le mystère
sacramentum redemptionis sub signis (sacramentum) de la Rédemption leur était-il
sacrificiorum proponebatur. In tertio autem statu proposé par les signes des sacrifices. Dans le
post adventum Christi, quia jam mysterium troisième état, après la venue du Christ, parce
redemptionis impletum est corporaliter et que le mystère de la Rédemption a déjà été
visibiliter, et praedicatum, omnes tenentur ad accompli corporellement et visiblement et qu’il a
explicite credendum: et si aliquis instructorem été prêché, tous sont obligés de croire
non haberet, Deus illi revelaret, nisi ex culpa sua explicitemenet, et si quelqu’un n’avait pas de
removeret. maître, Dieu lui ferait révélation, à moins que
celui-ci ne l’écarte par sa faute.
[10889] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1. Comme le dit Denys, La hiérarchie céleste,
1 Ad primum ergo dicendum, quod Angeli IV, les anges ont été informés du mystère de
primitus mysterium incarnationis sunt edocti l’incarnation avant les hommes, quant à sa
quam homines, ut dicit Dionysius, 4 cap. Caelest. substance qu’on devait croire, mais non quant à
Hierar., quantum ad ipsam substantiam ejus quod toutes les circonstances des articles, qu’ils ont
credendum est, quamvis non quantum ad omnes par la suite connues alors que les choses
circumstantias articulorum, quas postea rebus survenaient. On a parlé plus longuement de cela
evenientibus cognoverunt. Et de hoc plenius dans le livre II, d. 11.
dictum est in 2 Lib., dist. 11.
[10890] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2. Les autorités invoquées dans le texte parlent
2 Ad secundum dicendum, quod auctoritates de [l’état] consécutif au péché, soit avant la loi,
inductae in littera loquuntur post peccatum, sive soit après.
ante legem, sive post.
[10891] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3. Bien qu’une loi n’ait pas été donnée par Dieu
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliis aux autres nations d’une manière générale,
gentibus non esset data lex divinitus communiter comme elle l’a été aux Juifs, dont le Christ
omnibus sicut Judaeis, ex quibus nasciturus erat devait naître, et qu’ainsi il était nécessaire que la
Christus, et sic oportebat in eis potius fidem foi soit vigoureuse chez eux, des révélations ont
vigere; tamen multis etiam gentilibus revelationes cependant aussi été faites par des anges aux
per Angelos factae sunt etiam de Christo, sicut païens à propos du Christ, comme cela ressort
patet de Sybilla, quae de Christo expresse pour la Sibylle, qui a prophétisé de manière
prophetavit. In historiis Romanis etiam legitur, expresse à propos du Christ. On lit aussi dans
quod temporibus Constantini imperatoris l’histoire des Romains qu’au temps de
inventum fuit in Graecia quoddam corpus in l’empereur Constantin, on a découvert en Grèce
sepulcro quodam habens laminam auream supra dans un sépulcre un corps portant une plaque
pectus, in qua scriptum erat: Christus nascetur ex d’or sur la poitrine, sur laquelle avait été écrit :
virgine et credo in eum. O sol, sub Irenes et « Le Christ naîtra d’une vierge et je crois en lui.
Constantini temporibus iterum me videbis. Illi Ô Soleil, aux temps d’Irène et de Constantin, tu
etiam quibus specialis revelatio facta non fuerat, me verras de nouveau! » Ceux-là aussi à qui une
salvari poterant, etiam si nihil de lege Moysi révélation spéciale n’avait pas été faite pouvaient
audissent, neque aliquid de ea scirent, quia lex illa être sauvés, même s’ils n’avaient rien entendu de
non erat omnibus data, sed tantum Judaeis; unde la loi de Moïse et n’en savaient rien, car cette loi
783

alii non peccabant si legis observantias non n’avait pas été donnée à tous, mais seulement
servarent. Secus autem est de lege Christi, quae aux Juifs; aussi les autres ne péchaient-ils pas
omnibus pronuntiata est. Salvabantur tamen fide s’ils n’accomplissaient pas les observances de la
implicita redemptoris, implicando fidem suam in loi. Mais il en va autrement de la loi du Christ,
cognitione Dei, vel eorum qui a Deo docti erant, qui a été annoncée à tous. Ils seront cependant
indeterminate, quicumque illi essent; sicut sauvés par une foi implicite au Rédempteur, en
majores Judaeorum quantum ad ea quae eis plaçant leur foi dans la connaissance de Dieu ou
nondum fuerant revelata, dum contrarium de ceux qui ont été instruits par Dieu de manière
pertinaciter non tenerent contra praedicantem indéterminée, quels qu’ils aient été : ainsi les
fidem. grands parmi les Juifs, quant à ce qui n’avaient
pas encore été révélé, pourvu qu’ils ne
s’opposent pas de manière entêtée à celui qui
prêche la foi.
[10892] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 4. Bien que la nature ne suffirait pas par elle-
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad même à la connaissance du Rédempteur, elle
cognitionem redemptoris non sufficeret natura per suffisait cependant avec la loi écrite au temps de
se, sufficiebat tamen cum lege scripta tempore la loi, mais, avant la loi, avec l’aide de la grâce.
legis; ante legem vero adjuta per gratiam.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[10893] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 co. Une foi explicite est nécessaire afin qu’elle
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod fides dirige l’intention vers la fin ultime. Parce que
explicita ad hoc necessaria est quod in finem l’homme avait été détourné de cette fin par le
ultimum intentionem dirigat. Et quia per péché et ne pouvait y être ramené que par le
peccatum homo ab illo fine abductus fuerat, et médiateur entre Dieu et les hommes, le Seigneur
non poterat reduci nisi per mediatorem Dei et Jésus, le Christ, après le péché, il était donc
hominum dominum Jesum Christum; ideo post nécessaire d’avoir une connaissance explicite du
peccatum oportuit haberi cognitionem explicitam Rédempteur, surtout pour ce par quoi il nous a
de redemptore, et praecipue quantum ad ea quibus ramenés à la fin après avoir vaincu l’ennemi par
nos in finem reduxit victo hoste a quo captivi lequel nous étions détenus captifs. Pour qu’il
detinebamur. Ad hoc autem quod nos in finem nous ramène à la fin, quatre choses étaient
reduceret, quatuor requirebantur. Primum est requises. Premièrement, que notre défenseur soit
quod propugnator noster institueretur; quod établi, ce qui a été réalisé par sa naissance.
factum est in nativitate. Secundum est quod Deuxièmement, qu’il combatte pour nous, ce qui
propugnaret; quod factum est in passione. Tertium a été réalisé par la passion. Troisièmement, qu’il
est quod vinceret; quod factum est in l’emporte, ce qui a été réalisé par sa résurrection,
resurrectione, quando aeternitatis aditum devicta alors qu’il a rendu ouvert l’accès à l’éternité
morte reseravit. Quarto quod victoriae suae omnes après avoir vaincu la mort. Quatrièmement, qu’il
suos participes faceret; et hoc erit in judicio, fasse participer tous les siens à sa victoire : cela
quando bonis bona et malis mala reddet. Et ideo se réalisera par le jugement, alors qu’il rendra le
ista praecipue requirebantur ut de redemptore bien aux bons et le mal aux méchants. C’est
explicite scirentur. Tamen possibile est quod pourquoi il était nécessaire que ces choses
secundum diversa tempora horum distinctio et surtout soient connues à propos du Rédempteur.
explicatio ante Christi adventum creverit, ut Cependant, il est possible que, selon les divers
quanto adventui salvatoris viciniores existerent, temps, leur distinction et leur explicitation aient
tanto sacramenta salutis plenius perceperint, ut augmenté avant la venue du Christ, de sorte que
dicit Gregorius. Et secundum hoc utraque opinio « plus on était proche de la venue du Sauveur,
in littera potest habere veritatem: prima quantum plus les sacrements du salut étaient pleinement
ad propinquos, secunda quantum ad remotos. reçus », comme le dit Grégoire. La double
opinion exprimée dans le texte peut donc ainsi
être vraie : la première, pour ceux qui étaient
784

proches; la seconde, pour ceux qui étaient


éloignés.
[10894] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1. Jean-Baptiste a connu avec le plus de
1 Ad primum ergo dicendum, quod Joannes plénitude ces articles; aussi n’en doutait-il pas.
Baptista hos articulos plenissime scivit; unde de Mais il a pu douter sans préjudice pour son salut
his non dubitavit. Potuit autem dubitare sine d’un autre article alors implicite de la passion : la
praejudicio salutis de alio articulo passionis descente aux enfers, mais sans entêtement, ce qui
implicito tunc temporis, scilicet de descensu ad ressort du fait qu’il cherchait à être enseigné. Ou
Inferos, non pertinaciter; quod patet, quia doceri bien il faut dire, comme d’autres le disent, qu’il
quaerebat. Vel dicendum, ut alii dicunt, quod ipse n’a pas douté, mais a semblé douter dans la
non dubitavit, sed quasi dubitasse visus est mesure où il s’est enquis non pas pour lui, mais
inquantum quaesivit non propter se, sed propter pour instruire ses disciples. Ou bien ce fut un
suos discipulos instruendos. Vel fuit dubitatio non doute dû non pas à l’ignorance, mais à
ignorantiae, sed admirationis et pietatis. l’admiration et à la piété.
[10895] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2. L’article sur la conception était implicitement
2 Ad secundum dicendum, quod articulus contenu dans l’article sur la naissance pour
conceptionis implicite continebatur in articulo autant qu’elle conduit à la naissance. Mais
nativitatis in quantum est via ad nativitatem; l’article sur la descente aux enfers [était
articulus autem de descensu ad Inferos, in articulo implicitement contenu] dans l’article sur la
de passione; articulus autem de ascensione, in passion, et l’article sur l’ascension, dans l’article
articulo de resurrectione, quia ibi terminatur sur la résurrection, car là se termine la victoire
victoria resurgentis. du Ressuscité.
[10896] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3-4. La réponse au troisième et au quatrième
3 Unde patet responsio ad tertium et quartum. arguments ressort d’elle-même.
[10897] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 5. Le Christ ne nous méritera rien par le
5 Ad quintum dicendum, quod in judicio Christus jugement, mais il rendra ce qu’il a préalablement
nihil nobis merebitur; sed id quod prius meruit, mérité.
reddet.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[10898] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 co.Par la mission des personnes divines en nous,
Ad quartam quaestionem dicendum, quod per l’homme est conduit a sa fin ultime, non
missiones divinarum personarum in nos, homo in seulement après le péché, mais aussi avant le
finem ultimum ducitur non solum post peccatum, péché. C’est pourquoi une connaissance explicite
sed etiam ante peccatum; et ideo explicita de la Trinité était nécessaire, non seulement
cognitio de Trinitate fuit necessaria non solum après le péché, mais aussi avant le péché.
post peccatum, sed etiam ante peccatum. Non Cependant, non pas de la même manière avant la
tamen eodem modo ante adventum Christi et post: venue du Christ et après, car, avant la venue du
quia ante adventum soli majores de hoc fidem Christ, seuls les grands en ont eu une foi
explicitam habuerunt: post incarnationem vero explicite; mais, après l’incarnation, tous sont
omnes fidem explicitam de tribus personis habere obligés d’avoir une foi explicite aux trois
tenentur, sicut et de mysterio incarnationis, quod personnes, comme au mystère de l’incarnation,
cognosci non potest, nisi cognoscatur personarum qui ne peut être connu que si la distinction entre
distinctio: et quia sacramenta salutis cum les trois personnes est connue, et parce que les
invocatione Trinitatis conferuntur. sacrements du salut sont conférés avec une
invocation de la Trinité.
[10899] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 1. L’Apôtre a affirmé ce que tout homme devait
1 Ad primum ergo dicendum, quod apostolus croire explicitement en tout état, mais il ne
posuit illa quae oportuit credi explicite a quolibet s’agissait pas de la connaissance de la Trinité.
homine in quocumque statu: hoc autem non fuit
cognitio Trinitatis.
785

[10900] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 2. Pour diriger vers la fin, il faut non seulement
2 Ad secundum dicendum, quod ad dirigendum in connaître la fin, mais aussi ce sans quoi on ne
finem non solum oportet cognoscere finem, sed peut aller vers la fin. C’est pourquoi il était
etiam ea sine quibus in finem iri non potest; et nécessaire d’avoir une connaissance explicite de
ideo oportuit habere cognitionem explicitam de la foi en la Trinité, car, sans la mission [des
fide Trinitatis, quia sine earum missione in finem personnes divines], on ne peut atteindre la fin de
beatitudinis veniri non potest. la béatitude.
[10901] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4 ad 3. Parce qu’il n’était pas nécessaire que tous le
3 Ad tertium dicendum, quod quia non erat connaissent, le mystère de la Trinité n’a donc pas
necessarium ut explicite omnes cognoscerent, été présenté ouvertement dans l’Ancien
ideo non fuit positum mysterium Trinitatis Testament, mais de manière voilée afin que les
manifeste in veteri testamento, sed velate ut sages puissent le saisir.
sapientes capere possent.
Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,
Distinction 25
[10902] Super Sent., lib. 3 d. 25 q. 2 a. 2 qc. 4
expos. Sicut in Ecclesia aliqui sunt minus
capaces. Contra. Modo non sufficit ad salutem ut
etiam explicite mysterium incarnationis credatur.
Dicendum, quod est similitudo non quantum ad
omnia, sed quantum ad quaedam de articulis: quia
nesciunt eos distinguere, quamvis explicite
cognoscant illud quod in articulis continetur.
Tenentur autem explicite articulos scire de quibus
Ecclesia solemnizat, et facit continuam
mentionem, sicut de Trinitate. Credunt hoc quod
ignorant. Hoc est contra illud quod superius
dictum est, quod fides non est de ignotis.
Dicendum, quod sicut implicite creditur, ita et
implicite cognoscitur. Dicitur autem ignorari quod
nescitur explicite. Solet etiam quaeri de fide
Cornelii. Sciendum, quod Cornelius habebat
fidem explicitam de mysterio incarnationis,
quamvis suffecisset ei ad salutem, etiamsi de hoc
fidem implicitam habuisset: sed non habebat
fidem distinctam de tempore incarnationis; et
ideo, quia hoc jam incipiebat esse necessarium ad
salutem, missus fuit Petrus ad eum instruendum.
Illud etiam non est praetermittendum, quod fides,
spes, caritas, et operatio secundum aliquid
aequalia sunt in praesenti. De hac aequalitate
habituum, et operatione dicitur infra, distinct. 36.
Hic tamen sciendum est quod operationem hic
videtur nominare virtutes regulantes in opere
exteriori, sicut sunt virtutes cardinales, quae etiam
habent actus interiores, secundum quas oportet
istam aequalitatem attendi. Vel si loquitur de
operibus exterioribus, attendenda est aequalitas
quantum ad formationem operis magis quam
secundum quantitatem actus: quia interdum
786

aliquis ex majori caritate facit opera ex suo genere


minora quam alius majora. Non ideo post fidem et
spem ponitur, quod ex eis oriatur. Contra, Matth.
1, 2: Abraham genuit Isaac, Isaac Jacob; idest,
fides spem, spes caritatem. Dicendum, quod
intelligitur quantum ad actus non quantum ad
habitus. Non quod fides et spes causa vel tempore
praecedant. Contra. Aliquis habet fidem qui non
habet caritatem, sicut qui ficte accedit ad
Baptismum fidem tantum habens. Dicendum,
quod loquitur de fide et spe secundum quod est
virtus.

Distinctio 26 Distinction 26 – [L’espérance]

Quaestio 1 Question 1 – [La nature de l’espérance]


Prooemium Prologue
[10903] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 pr. Après avoir déterminé de la foi, le Maître
Postquam Magister determinavit de fide, hic détermine ici de l’espérance. Cela se divise en
secundo determinat de spe; et dividitur in duas deux parties : dans la première, il détermine de
partes: in prima determinat de spe; in secunda l’espérance; dans la seconde, il montre chez qui
ostendit in quibus spes invenitur, ibi: post hoc se trouve l’espérance, à cet endroit : « Après
superest investigare, utrum fides et spes in cela, il reste à rechercher si la foi et l’espérance
Christo fuerint. Circa primum duo facit: primo existaient chez le Christ. » À propos du premier
determinat de spe secundum se; secundo de spe point, il fait deux choses : premièrement, il
per comparationem ad fidem, ibi: et sicut fides, ita détermine de l’espérance en elle-même;
et spes est de invisibilibus. Et circa hoc duo facit; deuxièmement, de l’espérance par comparaison
primo ostendit convenientiam inter fidem et spem; avec la foi, à cet endroit : « Comme la foi,
secundo differentiam, ibi: distinguitur tamen fides l’espérance aussi porte sur des réalités
a spe. Post hoc superest investigare, utrum fides invisibles. » À ce sujet, il fait deux choses :
et spes in Christo fuerint. Hic ostendit, quorum sit premièrement, il montre ce qu’il y a de commun
habere fidem; et circa hoc duo facit: primo entre la foi et l’espérance; deuxièmement, leur
inquirit, utrum in Christo fuerit fides vel spes: différence, à cet endroit : « Cependant, la foi se
secundo utrum in antiquis patribus in Limbo distingue de l’espérance. » « Après cela, il reste
existentibus, ibi: de antiquis vero patribus (...) à rechercher si la foi et l’espérance existaient
non incongrue dici potest, quod fidem et spem chez le Christ. » Ici, il montre à qui il appartient
virtutem habuerint. Hic quaeruntur duo. Primo de d’avoir la foi. À ce propos, il fait deux choses :
spe secundum quod est passio. Secundo de ipsa premièrement, il se demande si la foi et
secundum quod est virtus. Circa primum l’espérance existaient chez le Christ;
quaeruntur quinque: 1 utrum spes sit passio; 2 in deuxièmement, si elle a existé chez les pères
quo sit; 3 de differentia ejus ad alias passiones; 4 anciens qui se trouvent dans les limbes, à cet
utrum sit una de quatuor passionibus endroit : « À propos des pères anciens…, on peut
principalibus; 5 utrum possit esse in parte dire sans inconvenance qu’ils ont eu la vertu de
intellectiva. foi et d’espérance. » Ici, deux questions sont
posées. Premièrement, à propos de l’espoir qui
est une passion. Deuxièmement, à propos de
l’espérance qui est une vertu. À propos du
premier point, cinq questions sont posées : 1 –
L’espoir est-il une passion ? 2 – En qui réside
l’espoir ? 3 – Comment il se diversifie des autres
787

passions. 4 – Est-il l’une des quatre passions


principales ? 5 – Peut-il se trouver dans la partie
intellective ?

Articulus 1 [10904] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 Article 1 – L’espoir est-il une passion ?
a. 1 tit. Utrum spes sit passio
[10905] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble que l’espoir ne soit pas une passion.
Ad primum sic proceditur. Videtur quod spes non En effet, l’espoir est une attente. Or, l’attente
sit passio. Spes enim est expectatio. Sed indique une immobilité. Puisque toute passion
expectatio dicit immobilitatem. Cum ergo omnis consiste dans un mouvement, il semble donc que
passio in motu consistat, videtur quod spes non sit l’espoir ne soit pas une passion.
passio.
[10906] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Les contraires se trouvent dans le même genre.
Praeterea, opposita sunt in eodem genere. Sed Or, dans Physique, VII, le Philosophe distingue
philosophus, 7 Physicor., dividit spem contra l’espoir de la mémoire, en distinguant les actions
memoriam, dividens actiones utriusque ad des deux les unes des autres. Puisque la mémoire
invicem. Cum ergo memoria non sit passio, nec n’est pas une passion, l’espoir non plus ne sera
spes passio erit. pas une passion.
[10907] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Attendre (expectare) vient de regarder
Praeterea, expectare a spectando dicitur. Spectare (spectare). Or, regarder, c’est voir. Puisque voir
autem est videre. Cum ergo videre non sit passio n’est pas une passion animale, au sens propre où
animalis, secundum quod proprie loquimur de nous parlons des passions de l’âme, il semble
passionibus animae; videtur quod spes, quae est donc que l’espoir, qui est une attente, ne soit pas
expectatio, non sit passio. une passion.
[10908] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Une passion de l’âme se trouve dans la partie
Praeterea, passio animae in parte sensitiva est, ut sensible, comme le dit le Philosophe dans
dicit philosophus in 7 Physic. Sed spes, cum sit de Physique, VII. Or, l’espoir, puisqu’il porte sur un
futuro bono, non potest esse in parte sensitiva: bien futur, ne peut se trouver dans la partie
quia sensus est praesentium tantum. Ergo spes sensible, car le sens ne porte que sur ce qui est
non est passio. présent. L’espoir n’est donc pas une passion.
[10909] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Rien ne subit que par la présence d’un agent.
Praeterea, nihil patitur nisi ex praesentia agentis. Or, l’espoir ne porte pas sur des réalités
Sed spes non est de praesentibus, sed de futuris. présentes, mais sur des réalités à venir. Il n’est
Ergo non est passio. donc pas une passion.
[10910] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] l’espoir s’oppose à la crainte.
Sed contra, spes contra timorem dividitur. Sed Or, la crainte est une passion. Donc, l’espoir
timor est passio. Ergo et spes. aussi.
[10911] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] L’espoir relève de la puissance appétitive,
Praeterea, spes ad appetitivam potentiam pertinet: car il a le bien comme objet. Or, le mouvement
quia habet bonum pro objecto. Sed motus de la partie appétitive s’appelle une passion de
appetitivae partis dicitur passio animae: quia ad l’âme, car il en découle une délectation et une
eum sequitur delectatio et tristitia, quod proprium tristesse, ce qui est le propre des passions,
est passionum, ut dicitur in 2 Ethic. Ergo ut prius. comme il est dit dans Éthique, II. La conclusion
est donc la même que précédemment.
[10912] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Le présent et le passé ne diversifient pas un
Praeterea, praesens et praeteritum non genre. Or, la joie, qui porte sur un bien présent,
diversificant genus. Sed gaudium, quod est de fait partie du genre de la passion. Donc, l’espoir
praesenti bono, est in genere passionis. Ergo et aussi, qui porte sur un bien futur.
spes, quae est de bono futuro.
[10913] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut à la d. 15,
788

Respondeo dicendum, quod, sicut prius, dist. 15, bien que toutes les opérations des puissances de
dictum est, quamvis omnis operatio potentiarum l’âme, qui sont amenées à l’acte par leurs objets,
animae, quae per sua objecta in actum reducuntur, tels l’intellect possible, le sens et l’appétit,
sicut intellectus possibilis, sensus, et appetitus, puissent être appelées des passions, cependant, à
possint dici passiones, tamen proprie loquendo proprement parler, la passion se trouve dans les
passio est in operationibus appetitus sensitivae opérations de la partie sensible, selon ce que dit
partis, secundum quod Damascenus dicit in 2 [Jean] Damascène dans le livre II, que « la
libro, quod passio est motus appetitivae virtutis passion est un mouvement de la puissance
sensibilis, qui est ex imaginatione boni vel mali. appétitive sensible, qui vient de la représentation
Spes autem dicit extensionem appetitus in illud du bien ou du mal ». Or, l’espoir désigne un élan
quod appetibile est. Invenitur autem non solum in de l’appétit vers ce qui est désirable. Mais il se
hominibus, sed etiam in aliis animalibus: quod rencontre non seulement chez les hommes, mais
patet, quia inveniuntur animalia operari propter aussi chez les autres animaux : cela ressort du
aliquod bonum futurum aestimatum possibile, fait qu’on trouve que les animaux agissent en
sicut aves faciunt nidum propter filiorum vue d’un certain bien futur estimé possible,
educationem: nec propter finem aliquid facerent comme les oiseaux font un nid pour l’éducation
nisi in finem illum quasi eis possibilem tenderent: de leur progéniture; ils ne feraient rien en vue
quia naturalis appetitus non est impossibilium. d’une fin s’ils ne tendaient vers cette fin comme
Similiter etiam patet quod unum animal possible pour eux, car l’appétit naturel ne porte
aggreditur aliud non nisi ex spe victoriae. Patet pas sur des choses impossibles. De même aussi,
ergo quod spes sit in appetitu sensitivae partis, il est clair qu’un animal n’en attaque pas un autre
quae nobis et brutis communis est; et ita sequitur sans espoir d’une victoire. Il est donc clair que
quod sit passio. l’espoir se trouve dans l’appétit de la partie
sensible. Il en découle donc qu’il est une passion.
[10914] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Il existe un double mouvement de la partie
primum ergo dicendum, quod appetitivae partis appétitive : la poursuite et la fuite. Or, l’objet de
duplex est motus: scilicet prosecutio et fuga. l’espoir, qui est un bien difficile et ardu, est
Objectum autem spei, quod est bonum difficile et naturellement destiné à pousser à la poursuite en
arduum, ratione suae bonitatis natum est movere raison de sa bonté, mais, en raison de sa
ad prosecutionem: sed ratione suae difficultatis difficulté, il est destiné à pousser à la fuite.
natum est movere ad fugam. Hic tamen motus Cependant, ce mouvement est retenu par
retardatur per spem: et ideo spes importat motum l’espoir. Ainsi, l’espoir comporte un premier
primum, in quo salvatur ratio passionis, tamen mouvement, par lequel la raison de passion est
cum quiete privante secundum motum, qui est sauve; il comporte cependant un repos qui le
fuga. prive d’un second mouvement, qui est la fuite.
[10915] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. L’espoir se distingue de la mémoire non par
secundum dicendum, quod dividitur spes contra son essence, mais par le mouvement affectif qui
memoriam non quantum ad essentiam suam, sed est commun à la mémoire et à l’espoir : le
quantum ad affectum, qui est communis plaisir. Il n’en découle donc pas qu’il se
memoriae et spei, scilicet delectatio; unde non rejoignent dans un genre.
sequitur quod in genere conveniant.
[10916] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Les noms sont fréquemmenet donnés à des
tertium dicendum, quod frequenter nomina réalités occultes à partir de signes, comme les
imponuntur rebus occultis, ex suis signis, sicut différences essentielles sont nommées à partir
essentiales differentiae ex accidentibus des accidents. Or, le signe de quelqu’un qui se
nominantur. Signum autem alicujus quiescentis repose, en même temps que son appétit tend vers
cum extensione appetitus in aliquid desideratum quelque chose de désiré, est habituellement qu’il
solet esse quod frequenter visum dirigit in illud, ut dirige fréquemment le regard vers cela, pour voir
videat si ex aliqua parte ad ipsum accedat; et ideo si cela s’approche de lui de quelque manière.
dispositio praedicta quietis cum motu dicitur C’est pourquoi cette disposition du repos
789

expectatio. accompagné d’un mouvement est appelée une


attente.
[10917] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. De même que les animaux connaissent la
quartum dicendum, quod sicut animalia raison de ce qui convient et de ce qui est
cognoscunt rationem convenientis et nocivi non nuisible, non par une recherche de la raison,
per inquisitionem rationis, ut homo, sed per comme l’homme, mais par un instinct de la
instinctum naturae, qui dicitur aestimatio; ita nature, qu’on appelle l’estimation, de même
etiam cognoscunt aliquid quod futurum est, sine connaissent-ils quelque chose qui est à venir sans
hoc quod cognoscant rationem futuri, non connaître la raison de ce qui est à venir, sans
conferendo praesens ad futurum, sed ex instinctu mettre en rapport le présent et le futur, mais par
naturali, secundum quod aguntur ad aliquid un instinct naturel, par lequel ils sont mus à
agendum vel ex impulsu naturae interioris vel accomplir quelque chose, soit par l’impulsion de
exterioris; sicut quando agunt aliquid ad leur nature intérieure, soit [par l’impulsion de la
praecavendum de futuris quae dependent ex motu nature] extérieure. Ainsi ils font quelque chose
caeli, quasi ex eo impulsa: unde ex eorum afin d’éviter des réalités à venir qui dépendent du
operibus homines possunt aliquid scire de mouvement du ciel, comme s’ils étaient poussés
hujusmodi futuris, sicut nautae praesciunt par cela. Aussi les hommes peuvent-ils
tempestatem futuram ex motu delphinorum ad apprendre par leurs actions les choses à venir de
superficiem aquae descendentium; et formicae ce genre, comme les marins apprennent d’avance
veniente pluvia reponunt granum in cavernis. qu’une tempête s’en vient par le mouvement des
dauphins qui nagent à la surface de l’eau, et [par]
les fourmis qui déposent du grain dans des
cavernes lorsque s’en vient la pluie.
[10918] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Ce qui est à venir dans la réalité peut être
quintum dicendum, quod id quod est futurum présent par l’imagination. Et parce que « le bien
secundum rem, potest esse praesens in tend naturellement à mouvoir l’appétit selon
imaginatione. Et quia bonum est natum movere qu’il est imaginé ou compris », ainsi qu’il est dit
appetitum secundum quod est imaginatum vel dans Sur l’âme, III, une passion peut donc
intellectum, ut dicitur in 3 de anima, ideo ex tali découler dans l’appétit du fait d’une telle
praesentia potest sequi passio in appetitu. présence.

Articulus 2 [10919] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 Article 2 – L’espoir existe-t-il dans une autre
a. 2 tit. Utrum spes sit in alia vi quam in puissance que le concupiscible ?
concupiscibili
[10920] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que l’espoir n’existe dans aucune
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spes autre puissance que le concupiscible. En effet, ce
non sit in alia vi quam in concupiscibili. Arduum qui est pénible ou difficile n’ajoute pas quelque
enim vel difficile non addit aliquam rationem raison de désirable au-delà du bien, car ce qui est
appetibilis supra bonum: quia difficile magis difficile a davantage raison de ce qui doit être fui
habet rationem fugibilis quam appetibilis. que de ce qui doit être désiré. Or, ce qui est
Arduum autem non differt a bono non arduo nisi pénible ne diffère d’un bien qui n’est pas pénible
secundum magis et minus. Sed vis concupiscibilis qu’en plus ou en moins. Or, la puissance
est boni quod desideratur. Cum ergo objectum concupiscible porte sur le bien qui est désiré.
spei sit bonum arduum vel difficile, videtur quod Puisque l’objet de l’espoir est un bien ardu ou
spes sit in concupiscibili. difficile, il semble donc que l’espoir se trouve
dans le concupiscible.
[10921] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2 2. De même que la volonté porte sur le bien
Praeterea, sicut voluntas est boni appetibilis in désirable dans la partie intellective, de même le
parte intellectiva, ita concupiscibilis in parte concupiscible [le fait-il] dans la partie sensible.
sensitiva. Sed in parte intellectiva omne quod ad Or, pour la partie intellective, tout ce qui se
790

appetitum pertinet, est voluntas. Ergo et in parte rapporte à l’appétit est la volonté. Pour la partie
sensitiva omne quod ad appetitum pertinet, est vis sensible aussi, tout ce qui se rapporte à l’appétit
concupiscibilis; et ita, cum spes ad appetitum est donc la puissance concupiscible. Ainsi,
pertineat, ut dictum est, videtur quod sit in puisque l’espoir se rapporte à l’appétit, comme
concupiscibili. on l’a dit, il semble donc qu’il se trouve dans le
concupiscible.
[10922] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 3 3. La joie et le plaisir se trouvent dans le
Praeterea, gaudium et delectatio in concupiscibili concupiscible. Or, c’est l’espoir qui donne la
sunt. Sed spes facit gaudium; Rom. 12, 12: spe joie, Rm 12, 12 : [Nous] réjouissant dans
gaudentes; et delectationem, ut dicit philosophus l’espérance, ainsi que le plaisir, comme le dit le
in 7 Physic. Ergo spes est in concupiscibili. Philosophe dans Physique, VII. L’espoir se
trouve donc dans le concupiscible.
[10923] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Le présent et le futur ne diversifient pas la
Praeterea, praesens et futurum non diversificant puissance appétitive, puisqu’ils surviennent à
appetitivam potentiam, cum accidant appetibili l’appétit en tant que tels. Or, la joie et l’espoir ne
inquantum hujusmodi. Sed gaudium et spes non diffèrent que selon que la joie porte sur un bien
differunt nisi secundum id quod gaudium est de présent, mais l’espoir sur un bien futur. Puisque
bono praesenti, spes autem de bono futuro. Ergo la joie se trouve dans le concupiscible, l’espoir
cum gaudium sit in concupiscibili, et spes in aussi s’y trouvera donc.
eodem erit.
[10924] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Il revient à la même chose d’être mue vers un
Praeterea, ejusdem est moveri ad terminum, et in terme et de se reposer dans le terme. Or, l’espoir
termino quiescere. Sed spes importat motum in comporte un mouvement vers un terme; lorsque
aliquem terminum, in quem cum aliquis devenerit, quelqu’un y parvient, il se réjouit. Puisque se
gaudet. Cum ergo gaudere sit concupiscibilis, et réjouir relève du concupiscible, espérer aussi
sperare erit concupiscibilis. relèvera donc du concupiscible.
[10925] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] à parler en soi, le concupiscible
Sed contra, concupiscibilis, per se loquendo, non n’est pas ordonné à ce qui est pénible, mais c’est
ordinatur ad arduum, sed magis irascibilis. Cum plutôt le fait de l’irascible. Puisque l’objet de
ergo objectum spei sit arduum, oportet quod spes l’espoir est quelque chose de pénible, il est donc
non sit in concupiscibili, sed in irascibili. nécessaire que l’espoir ne soit pas dans le
concupiscible, mais dans l’irascible.
[10926] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Le sujet de contraires est une même chose.
Praeterea, idem est subjectum contrariorum. Sed Or, la crainte s’oppose à l’espoir. Puisque la
spei opponitur timor. Cum ergo timor sit in crainte se trouve dans l’irascible, et non dans le
irascibili, non in concupiscibili, sicut et audacia, concupiscible, comme l’audace qui s’oppose à la
quae iterum timori opponitur; videtur quod spes crainte, il semble donc que l’espoir se trouve
etiam sit in irascibili. dans l’irascible.
[10927] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] « La colère ne peut exister sans espoir »,
Praeterea, ira sine spe esse non potest, ut dicit comme le dit Avicenne dans Les réalités
Avicenna in 6 de naturalibus; unde ex offensa illa naturelles, VI; aussi n’y a-t-il pas de colère à
de cujus vindicta non est spes (sicut cum quis a propos de l’offense dont on n’espère pas tirer
rege offenditur) non est ira, sed odium magis, vel vengeance (comme lorsque quelqu’un est
timor. Ergo cum ira non sit in concupiscibili, nec offensé par le roi), mais plutôt de la haine ou de
spes. la crainte. Puisque la colère ne se trouve pas dans
le concupiscible, l’espoir non plus.
[10928] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 co. Réponse. À parler en soi, les puissances passives
Respondeo dicendum, quod potentiae passivae varient selon qu’elles sont destinées à être mues
variantur, secundum quod sunt natae moveri a par diverses réalités actives. Or, l’objet propre
diversis activis, per se loquendo. Proprium autem qui meut la puissance appétitive est le bien
791

motivum appetitivae virtutis est bonum perçu. Il faut donc que, selon les diverses
apprehensum; unde oportet quod secundum puissances qui perçoivent, existent des appétits
diversas virtutes apprehendentes sint etiam diversi différents : l’appétit de la raison, qui porte sur le
appetitus: scilicet appetitus rationis, qui est de bien appréhendé par la raison et l’intellect –
bono apprehenso secundum rationem vel aussi porte-t-il sur le bien appréhendé
intellectum, unde est de bono apprehenso simplement et de manière universelle; et l’appétit
simpliciter et in universali: et appetitus sensitivus, sensible, qui porte sur le bien appréhendé par les
qui est de bono apprehenso secundum vires puissances sensibles – aussi porte-il sur un bien
sensitivas, unde est de bono particulari, et ut nunc. particulier et actuel. Or, parce qu’une puissance
Sed quia potentia passiva non extendit se ad plura passive ne s’étend pas à plus de choses que ce
quam virtus sui activi, secundum quod dicit qui meut la puissance, selon ce que dit le
Commentator in 9 Metaphysic., quod nulla Commentateur dans Métaphysique, IX, qu’il
potentia passiva est in natura, cui non respondeat n’existe dans la nature aucune puissance passive
sua potentia activa naturalis; ideo appetitus à laquelle ne corresponde sa puissance active
sensitivus ad illa tantum bona se extendit ad quae naturelle, l’appétit sensible s’étend donc
se extendit apprehensio sensitiva. Quia autem, ut seulement aux biens auxquels s’étend la
dicit Dionysius, 7 capit. de Divin. Nomin., divina perception sensible. Puisque, comme Denys le
sapientia conjungit fines primorum principiis dit dans Les noms divins, VII, la sagesse divine a
secundorum, quia omnis natura inferior in sui uni les fins des premières choses aux principes
supremo attingit ad infimum naturae superioris, des choses secondes – car toute nature inférieure
secundum quod participat aliquid de natura atteint par ce qu’il y a de supérieur en elle ce qui
superioris, quamvis deficienter; ideo tam in est inférieur dans la nature supérieure, bien que
apprehensione quam in appetitu sensitivo de manière déficiente -, il se trouve donc, tant
invenitur aliquid in quo sensitivum rationem dans la perception que dans l’appétit sensible,
attingit. Quod enim animal imaginetur formas quelque chose par quoi ce qui est sensible atteint
apprehensas per sensum, hoc est de natura la raison. En effet, le fait que l’animal imagine
sensitivae apprehensionis secundum se: sed quod des formes appréhendées par le sens vient de la
apprehendat illas intentiones quae non cadunt sub nature de la perception sensible en elle-même;
sensu, sicut amicitiam, odium, et hujusmodi, hoc mais qu’il appréhende les intentions qui ne
est sensitivae partis secundum quod attingit tombent pas sous le sens, comme l’amitié, la
rationem. Unde pars illa in hominibus, in quibus haine et les choses de ce genre, cela vient de la
est perfectior propter conjunctionem ad animam partie sensible selon qu’elle est en contact avec
rationalem, dicitur ratio particularis, quia confert la raison. Chez les hommes, cette partie, qui est
de intentionibus particularibus; in aliis autem plus parfaite en raison de l’union à l’âme
animalibus, quia non confert, sed ex instinctu raisonnable, est appelée raison particulière, parce
naturali habet hujusmodi intentiones qu’elle traite des intentions particulières; mais,
apprehendere, non dicitur ratio, sed aestimatio. chez les autres animaux, parce qu’elle ne les
Similiter etiam ex parte appetitus, quod animal traite pas, mais est en mesure d’appréhender les
appetat ea quae sunt convenientia sensui, intentions de ce genre par un instinct naturel, elle
delectationem facientia, secundum naturam n’est pas appelée raison, mais estimative. Il en va
sensitivam est, et pertinet ad vim aussi de même du côté de l’appétit : c’est par sa
concupiscibilem; sed quod tendat in aliquod nature sensible que l’animal désire ce qui
bonum quod non facit delectationem in sensu, sed convient au sens et produit du plaisir, et cela
magis natum est facere tristitiam ratione suae relève de la puissance concupiscible; mais qu’il
difficultatis, sicut quod animal appetat pugnam tende à un bien qui ne produit pas de plaisir dans
cum alio animali, vel aggredi aliam quamcumque le sens, mais qui, par sa nature, produit plutôt de
difficultatem, hoc est in appetitu sensitivo la tristesse en raison de sa difficulté, comme le
secundum quod natura sensitiva attingit fait pour un animal de désirer se battre avec un
intellectivam; et hoc pertinet ad irascibilem. Et autre animal ou de s’attaquer à n’importe quelle
ideo sicut aestimatio est alia vis quam imaginatio, autre difficulté, cela revient à l’appétit sensible
792

ita irascibilis est alia vis quam concupiscibilis. selon que la nature sensible est en contact avec la
Objectum enim concupiscibilis est bonum quod [nature] intellective, et cela relève de l’irascible.
natum est facere delectationem in sensu: Puisque l’estimative est une autre puissance que
irascibilis autem bonum quod difficultatem habet. l’imagination, de même donc l’irascible est-il
Et quia quod est difficile, non est appetibile une autre puissance que le concupiscible. En
inquantum hujusmodi, sed vel in ordine ad aliud effet, l’objet du concupiscible est le bien qui, par
delectabile, vel ratione bonitatis quae difficultati sa nature, produit une délectation dans le sens,
admiscetur; conferre autem unum ad aliud, et mais celui qui l’irascible est le bien qui comporte
discernere intentionem difficultatis et bonitatis in une difficulté. Et parce que ce qui est difficile
uno et eodem, est rationis: ideo proprie istud n’est pas désirable en tant que tel, mais par
bonum appetere est rationalis appetitus: sed rapport à quelque chose d’autre qui est désirable
convenit sensitivae, secundum quod attingit per ou en raison d’une bonté qui est mêlée à la
quamdam imperfectam participationem ad difficulté, rapprocher une chose de l’autre et
rationalem, non quidem conferendo vel discerner l’intention de la difficulté et de la bonté
discernendo, sed naturali instinctu movendo se in dans une seule et même chose relève de la
illud, sicut dictum est de aestimatione. Et per hoc raison. C’est pourquoi désirer ce bien relève à
patet etiam quod irascibilis est altior quam proprement parler de l’appétit de la raison. Mais
concupiscibilis, et propinquior rationi; et ideo cela convient à la partie sensible selon qu’elle
incontinens propter concupiscentiam, qui nulla parvient à une certaine participation à la partie
lege utitur, magis est turpis quam iracundus, qui raisonnable, non pas en comparant ou en
utitur legibus, sed perversis, ut dicitur in 7 Ethic. discernant, mais en s’y portant par un instinct
Unde etiam vitia quae sunt in concupiscibili, sunt naturel, comme on l’a dit de l’estimative. De cela
majoris infamiae quam ea quae sunt in irascibili. ressort que l’irascible est plus élevé que le
Ex his ergo jam planum est videre quae passio sit concupiscible et plus proche de la raison. C’est
in irascibili, et quae in concupiscibili. Omnis enim pourquoi l’incontinent par concupiscence, qui ne
passio de cujus intellectu est appetitus in bonum recourt à aucune loi, est plus repoussant que le
vel conveniens simpliciter, est in concupiscibili, coléreux, qui recourt à des lois, mais qui sont
sicut amor et delectatio et hujusmodi, et eorum perverses, comme il est dit dans Éthique, VII.
opposita. Omnis autem passio de cujus intellectu Aussi les vices qui se trouvent dans le
est appetitus in bonum cum circumstantia concupiscible sont-ils plus honteux que ceux qui
difficultatis, est in irascibili: et hujusmodi sunt se trouvent dans l’irascible. Par cela, on peut
omnia illa quae important bonum vel malum cum donc clairement voir quelle passion se trouve
determinatione alicujus quantitatis, sicut ira, quae dans l’irascible, et laquelle se trouve dans
non ex qualibet laesione consurgit, sed ex ea l’irascible. En effet, toute passion où l’on saisit
quam potest aliquis vindicare, et tamen non habet l’appétit d’un bien ou de ce qui convient
in promptu vindictam. Timor etiam non est de simplement se trouve dans le concupiscible, tels
quolibet malo, sed de malo cui non potest resisti, l’amour, le plaisir, et celles de ce genre, et leurs
vel difficulter resistitur. Spes autem importat contraires. Mais toute passion dont on comprend
motum appetitus in aliquod bonum qu’elle est l’appétit d’un bien associé à une
commensuratum appetenti: non enim est de bono difficulté se trouve dans l’irascible : telles sont
tanto ad quod nullo modo possit perveniri, nec celles qui comportent un bien ou un mal
iterum de tam parvo quod pro nihilo habeatur; sed déterminé par une certaine quantité, comme la
de eo quod est possibile haberi, et tamen est colère, qui n’est pas issue de n’importe quelle
difficile ad habendum, propter quod dicitur blessure, mais de celle que quelqu’un peut
arduum. Unde patet quod spes, secundum quod venger, alors qu’il ne peut la venger facilement.
est passio, est in irascibili. De même, la crainte ne vient pas de n’importe
quel mal, mais d’un mal auquel on ne peut
résister ou auquel on résiste difficilement. Mais
l’espoir comporte un mouvement de l’appétit
vers un bien proportionné à celui qui le désire.
793

En effet, elle ne porte pas seulement sur un bien


auquel on ne peut parvenir d’aucune manière, ni
sur un bien si petit qu’il ne peut être tenu pour
rien, mais sur celui qu’il est possible de
posséder, mais qu’il est difficile de posséder, ce
pour quoi on le dit ardu. Il est donc clair que
l’espoir, selon qu’il est une passion, se trouve
dans l’irascible.
[10929] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. La difficulté ou le caractère ardu ajoute une
primum ergo dicendum, quod difficile vel arduum raison particulière de bonté : un certain caractère
addit quamdam specialem rationem bonitatis, précieux, par le fait même qu’on ne l’atteint pas
scilicet pretiositatem quamdam, ex hoc ipso quod facilement, comme tout ce qu’on appelle rare et
non de facili habetur, sicut dicitur omne rarum, cher.
carum.
[10930] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. La nature raisonnable peut par elle-même
secundum dicendum, quod natura rationalis ex mettre rapprocher et discerner; aussi le bien qui
seipsa conferre habet et discernere; unde bonum est désirable par lui-même ou qui a besoin d’être
quod est ex seipso appetibile, vel quod indiget comparé et jugé pour être désiré meut-il l’appétit
collatione et discretione ad hoc quod appetatur, raisonnable selon la nature de la perception
secundum naturam rationalis apprehensionis raisonnable. C’est pourquoi l’appétit raisonnable
appetitum rationalem movet; et ideo ex hoc non n’est pas par là diversifié, mais il est appelé
diversificatur appetitus rationalis, sed dicitur volonté d’une manière universelle. Mais il n’en
voluntas universaliter. Non sic autem est de va pas de même pour l’appétit sensible, comme
appetitu sensitivo, ut patet ex dictis. cela ressort de ce qui a été dit.
[10931] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. Pour autant que l’espoir porte sur ce qui est
tertium dicendum, quod in quantum spes est de difficile et ardu, il ne donne pas de plaisir, mais
difficili et arduo non delectat, sed magis affligit, plutôt de l’affliction, puisque, par là même, il est
cum ex hoc ipso sit distans; sed inquantum est de éloigné. Mais pour autant qu’il porte sur un bien
bono possibili acquiri, sic facit delectationem: qu’il est possible d’acquérir, il provoque ainsi le
quia sicut quod est in potentia, jam habet plaisir, car de même que ce qui est en puissance
inchoationem sui esse; ita quod apprehenditur ut possède déjà une amorce de son être, de même
possibile adipisci, apprehenditur ut jam ce qui est appréhendé comme possible à acquérir
quodammodo praesens: et ideo spes est-il appréhendé comme étant présent d’une
delectationem facit; et haec delectatio non est in certaine manière. Aussi l’espoir provoque-t-il un
concupiscibili, sed in irascibili. Quaelibet enim plaisir, et ce plaisir ne se trouve pas dans le
potentia appetit sibi conveniens, et de eo concupiscible, mais dans l’irascible. En effet,
delectatur, ut infra, dicetur. Bonum autem arduum toute puissance désire ce qui lui convient et s’en
ex hoc ipso quod est possibile adipisci est délecte, comme on le dira plus loin. Or, le bien
conveniens irascibili; unde in ipsum tendit. ardu, du fait même qu’il est possible de
l’acquérir, convient à l’irascible. Aussi celui-ci
tend-il vers lui.
[10932] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. L’objet de l’irascible est le bien difficile. Or,
quartum dicendum, quod objectum irascibilis est ce qui est déjà possédé n’est plus difficile, mais
bonum difficile: quod autem habetur, jam non est seulement lorsqu’il n’est pas possédé. Aussi
difficile, sed tantum dum non habetur; et ideo non toutes les passions de l’irascible ne portent-elles
omnes passiones irascibilis sunt futuri, sicut timor pas sur le futur, comme la crainte et l’espoir.
et spes.
[10933] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. L’objet de l’irascible est le bien difficile, qui
quintum dicendum, quod objectum irascibilis est parfois tient sa bonté de son ordre à quelque
bonum difficile, quod quandoque habet bonitatem chose d’autre. Ainsi y a-t-il deux termes dans
794

ex ordine ad aliud. Unde in actu vel motu l’acte ou le mouvement de l’irascible. Le premier
irascibilis est duplex terminus. Primus est est prochain, selon qu’il se termine à son objet
proximus, secundum quod terminatur in objectum propre, comme lorsqu’il remporte la victoire. Et
proprium, ut quando consequitur victoriam. Et parce que l’objet propre de l’irascible comporte
quia proprium objectum irascibilis habet une difficulté, il n’est donc pas délectable en lui-
difficultatem, ideo non est delectabile alicui même pour quelqu’un, mais il est délectable pour
simpliciter, sed est delectabile ei secundum hanc lui selon la puissance dont l’acte est parfait par le
vim, cujus actus est perfectus per hoc quod fait qu’il atteint son objet propre, qui est déjà
pertingit ad objectum proprium, quod jam obtenu, comme lorsque quelqu’un tire plaisir du
consecutum est; sicut quando aliquis delectatur de fait de vaincre, bien qu’il supporte simplement
hoc quod vincit, quamvis simpliciter sensibilem une douleur sensible en raison de ses blessures et
dolorem de vulneribus sustineat, et de fatigatione soit triste en raison de la fatigue. C’est pourquoi
tristitiam habeat; et ideo haec delectatio non est un tel plaisir ne relève pas du concupiscible,
concupiscibilis, sed est proprie irascibilis, sicut mais relève à proprement parler de l’irascible,
delectatio quae est propria in actu videndi est comme le plaisir qui est propre à l’acte de voir
propria ipsius visus. Secundus terminus est est propre à la vue elle-même. Le second terme
ultimus finis, in quem objectum proprium est la fin ultime, à laquelle l’objet propre est
ordinatum est. Hoc autem est aliquid quod ordonné. Or, c’est là quelque chose qui convient
secundum seipsum est conveniens et delectabile, et donne plaisir par soi, comme le fait pour un
sicut quod animal postquam vincit aliud animal, animal, après qu’il l’a emporté sur un autre
utitur ad libitum propria voluntate; et haec animal, de faire usage de sa propre volonté
delectatio pertinet ad concupiscibilem. Irascibilis quand il le veut. Une telle délectation relève du
enim ad conservationem concupiscibilis ordinatur, concupiscible. En effet, l’irascible est ordonné à
ut scilicet propter difficultatem intervenientem la conservation du concupiscible, à savoir qu’en
delectatio conveniens non praetermittatur. Et ideo raison d’une difficulté qui survient, on ne laisse
dicit Damascenus, quod ira est audax pas échapper une délectation appropriée. C’est
concupiscentiae vindex; et propter hoc etiam dicit pourquoi [Jean] Damascène dit que « la colère
philosophus in 6 de animalibus, quod animalia est l’audacieuse vengeresse de la
pugnant ad invicem propter cibum et propter concupiscence »; pour cette raison aussi, le
coitum: quia circa has delectationes praecipue est Philosophe dit, dans Sur les animaux, VI, que
concupiscibilis. « les animaux se battent pour la nourriture et le
rapport sexuel, car le concupiscible porte
principalement sur ces délectations ».
Articulus 3 [10934] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 Article 3 – L’espoir est-il différent des autres
a. 3 tit. Utrum spes differat ab aliis passionibus, passions, comme la crainte, etc. ?
scilicet timore et cetera
[10935] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble que l’espoir ne diffère par des autres
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod spes non passions. En effet, l’espoir comporte une attente.
differat ab aliis passionibus. Spes enim importat Or, tout mouvement de l’appétit semble être une
expectationem. Sed omnis motus appetitus videtur attente, qui n’exprime rien d’autre que le fait de
esse expectatio, quae nihil aliud dicit quam se projeter vers un bien. L’espoir ne se distingue
protensionem in aliquod bonum. Ergo spes non donc pas des autres passions qui relèvent de
distinguitur ab aliis passionibus quae ad appetitum l’appétit.
pertinent.
[10936] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Le bien attendu est l’objet de l’espérance, qui
Praeterea, expectatum bonum est objectum spei, est une attente. Or, « le bien attendu constitue la
quae est expectatio. Sed expectatum bonum concupiscence », comme le dit [Jean]
concupiscentiam constituit, ut dicit Damascenus 2 Damascène dans le livre II. La concupiscence est
Lib. Ergo concupiscentia est idem quod spes. donc la même chose que l’espoir.
[10937] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Le même mouvement vient d’un terme et va
795

Praeterea, idem motus est a termino et in vers un terme. Or, la crainte exprime le
terminum. Sed timor dicit motum appetitus a mouvement de l’appétit qui s’éloigne d’un mal,
malo, spes autem dicit motum ejusdem in bonum. mais l’espoir exprime le mouvement du même
Ergo idem est timor et spes. appétit vers un bien. La crainte est donc la même
chose que l’espoir.
[10938] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Le rapport entre le blanc et le noir et la vue est
Praeterea, sicut se habet album et nigrum ad le même que celui du bien et du mal avec
visum; ita se habet bonum et malum ad appetitum. l’appétit. Or, le blanc et le noir ne diversifient ni
Sed album et nigrum non diversificant neque la puissance visuelle ni ses passions. Le bien et
potentiam visivam neque passiones ejus. Ergo nec le mal non plus ne diversifient donc pas les
bonum et malum diversificant passiones passions de l’appétit. Et ainsi, la crainte et
appetitus; et ita timor et spes non sunt diversae l’espoir ne sont pas des passions différentes, bien
passiones, quamvis sint de bono et malo. qu’ils portent sur le bien et le mal.
[10939] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Comme on l’a dit dans le corps de l’article
Praeterea, spes, ut dictum est, art. praec. in corp., précédent, l’espoir exprime le fait pour l’appétit
dicit protensionem appetitus in aliquod arduum. de se projeter vers quelque chose d’ardu. Or, la
Sed hoc idem invenitur in audacia, confidentia, même chose se trouve dans l’audace, dans la
sive fiducia, et ira. Ergo omnia ista sunt idem confiance ou l’assurance, et dans la colère.
quod spes. Toutes ces choses sont donc identiques à
l’espoir.
[10940] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] les choses dont les définitions
Sed contra, quorum definitiones sunt diversae, et sont différentes sont différentes. Or, la définition
ipsa differunt. Sed definitio spei non convenit aliis de l’espoir ne convient pas aux autres passions.
passionibus. Ergo et spes ab aliis passionibus L’espoir se distingue donc aussi des autres
distinguitur. passions.
[10941] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] L’une ne peut exister sans l’autre parmi
Praeterea, quaecumque sunt idem, unum non toutes les choses qui sont identiques. Or, l’espoir
potest esse sine altero. Sed spes potest esse sine peut exister sans les autres [passions]. L’espoir
aliis. Ergo spes ab aliis differt. diffère donc des autres.
[10942] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] Les mouvements se différencient par leurs
Praeterea, motus differunt penes terminos. Sed termes. Or, le terme ou l’objet de l’espérance
non est idem terminus seu objectum spei, et n’est pas le même que celui des autres passions,
aliarum passionum: quia speratum bonum est car le bien espéré est l’objet de l’espoir, mais
objectum spei; non autem, per se loquendo, non celui des autres passions à proprement
aliarum passionum. Ergo spes differt ab aliis parler. L’espoir diffère donc des autres passions.
passionibus.
[10943] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 co. Réponse. Les passions de l’âme dont nous
Respondeo dicendum, quod passiones animae, de parlons se distinguent premièrement par le fait
quibus loquimur, primo distinguuntur ex hoc quod que certaines comportent le bien et le mal de
quaedam important bonum et malum absolute; et manière absolue : celles-ci relèvent du
hae pertinent ad concupiscibilem: quaedam vero concupiscible; mais certaines comportent une
important aliquam mensuram boni vel mali, ut ex certaine mesure de bien ou de mal, comme cela
praedictis patet; et hae pertinent ad irascibilem. ressort de ce qui a été dit plus haut : celles-ci
Passionum ergo in concupiscibili existentium relèvent de l’irascible. Parmi les passions qui se
quaedam important habitudinem concupiscibilis trouvent dans le concupiscible, certaines
ad suum objectum; quaedam vero motum ipsius comportent donc un rapport entre le
respectu objecti; quaedam vero impressionem concupiscible et son objet; mais certaines, un
relictam in ipsa ex praesentia objecti. Cum autem mouvement de celui-ci vers son objet, et
objectum appetitus sit bonum vel malum, certaines, l’empreinte laissée en lui par la
quodlibet istorum per haec duo dividitur. Amor présence de l’objet. Or, puisque l’objet de
796

enim importat habitudinem concupiscibilis ad l’appétit est le bien ou le mal, chacun d’eux se
bonum; odium vero ad malum: quia amor amatum distingue par ces deux choses. En effet, l’amour
ponit connaturale, et quasi unum amanti; cujus comporte un rapport entre le concupiscible et le
contrarium facit odium. Et quia haec habitudo bien; mais la haine, avec le mal, car l’amour rend
perficitur ex praesentia objecti, ideo amor ce qui est aimé connaturel et comme un avec
secundum perfectam sui rationem est habiti, ut celui qui aime; la haine produit le contraire. Et
dicit Augustinus. Motus autem concupiscibilis in parce que ce rapport se réalise par la présence de
bonum, dicitur desiderium: in malum autem est l’objet, « l’amour, selon sa parfaite raison, a
innominatus, sed dicatur fuga. Impressio vero donc pour objet ce qui est possédé », comme le
relicta in concupiscibili ex praesentia boni, dicitur dit Augustin. Mais le mouvement du
delectatio vel gaudium; sed praesentia mali dicitur concupiscible vers le bien est appelé le désir;
tristitia vel dolor. Qualiter autem tristitia et dolor vers le mal, il ne porte pas de nom, mais
differant, supra, distinct. 15, dictum est. Eodem appelons-le la fuite. L’empreinte laissée dans le
etiam modo differunt delectatio sensibilis et concupiscible par la présence du bien est appelée
gaudium. Laetitia autem dicit effectum gaudii in délectation ou joie; mais, par la présence du mal,
dilatatione cordis; unde dicitur laetitia quasi elle est appelée tristesse ou douleur. Comment la
latitia: exultatio autem effectum ipsius in signis tristesse et la douleur diffèrent, on l’a dit plus
exterioribus, inquantum gaudium interius ad haut, d. 15. De la même manière aussi diffèrent
exteriora prorumpens, quodammodo exilit. Quia la délectation sensible et la joie. L’allégresse
autem irascibilis propter concupiscibilem est exprime l’effet de la joie par la dilatation du
animalibus data, ut non deficiat in suo actu; ideo cœur; on parle donc de l’allégresse (laetitia)
passiones irascibilis ex passionibus comme d’une largeur (latitia). L’exultation
concupiscibilis originem habent. Adjuvat autem (exultatio) est son effet dans des signes
concupiscibilem irascibilis et in bono et malo. In extérieurs, pour autant que la joie, jaillissant de
bono quidem, ut delectabile concupiscibili l’intérieur vers l’extérieur, s’élance vers le
conveniens non obstante difficultate prosequatur: dehors (exilit). Mais parce que l’irascible a été
in malo autem, ut nocivum difficile repellat. donné aux animaux en fonction du
Passio ergo irascibilis vel oritur ex passione concupiscible, afin que celui-ci ne fasse pas
concupiscibilis, quam facit apprehensio défaut dans son acte, les passions de l’irascible
appetibilis, vel quam facit praesentia ipsius. Si tirent leur origine des passions du concupiscible.
primo modo, vel respectu boni, et hoc vel Or, l’irascible vient en aide au concupisicible
possibilis consequi, in quod tendendum est, et sic pour le bien et pour le mal. Pour le bien, afin que
est spes; vel non possibilis, quod dimittendum est, ce qui est délectable et convient au concupiscible
et sic est desperatio: aut respectu mali, et hoc vel soit poursuivi malgré la difficulté; pour le mal,
possibilis repelli, cui resistendum est, et sic est afin qu’il repousse ce qui est nuisible et difficile.
audacia; vel non possibilis repelli, quod Une passion de l’irascible vient donc d’une
fugiendum est, et sic est timor. Si autem ex passion du concupiscible, que suscite la
praescientia appetibilis, hoc non potest esse perception de ce qui est désirable, ou que suscite
respectu boni: quia ex quo concupiscibilis suo sa présence. Si c’est de la première manière, [elle
delectabili fruitur, non indiget irascibili, quia non porte] sur le bien : celui-ci peut être poursuivi et
habet difficultatem in illo; sed est respectu mali il faut tendre vers lui, et l’on a alors l’espoir; ou
quod repellendum est et difficultatem habens; et il n’est pas possible et doit être écarté, et l’on a
sic causatur ira, si est possibile repelli: alias alors le désespoir. Ou bien elle porte sur le mal,
passio in concupiscibili sistit. Et ideo ira non qu’il lui est possible de repousser et auquel il
habet passionem contrariam, neque secundum faut résister, et l’on a alors l’audace; ou il ne lui
contrarietatem boni vel mali, sicut gaudium et est pas possible de le repousseer et il doit être
tristitia, quae contrarietas est propria passionum fui, et l’on a alors la crainte. Mais si cela vient
concupiscibilis, neque secundum contrarietatem d’une prescience de ce qui est désirable, cela ne
possibilis et non possibilis, sicut spes et peut porter sur un bien, car du fait que le
desperatio, quae contrarietas est propria concupiscible jouit de ce qui lui est délectable, il
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passionum irascibilis. Sciendum tamen, quod ira n’a pas besoin de l’irascible, puisqu’il n’y
causatur non solum ex re inconvenienti praesente, rencontre pas de difficulté; on a ainsi la colère,
sicut cum quis irascitur de vulneratione, sed etiam s’il est possible de le repousser; autrement, la
ex inconvenienti aliquando praesente, sicut cum passion s’arrête au concupiscible. C’est pourquoi
quis irascitur ex injuriis illatis; et etiam ex la colère n’a pas de passion contraire, ni selon le
apprehensione habiti inconvenientis; et ideo ira caractère contraire du bien ou du mal, comme la
causatur ex dolore quantum ad primum, et ex joie et la tristesse - un tel caractère contraire est
tristitia, ut dicit Damascenus, quantum ad propre aux passions du concupiscible -, ni selon
secundum. Sic ergo passiones animae per le caractère contraire de ce qui est possible et
essentiales differentias dividuntur. Inveniuntur non possible, comme l’espoir et le désespoir – un
etiam diversificari nomina passionum per tel caractère contraire est propre aux passions de
differentias accidentales: quae quidem accidunt l’irascible. Il faut cependant savoir que la colère
vel ipsi passioni, ut intentio ejus; vel ex objecto. est causée non seulement par une chose présente
Si primo modo, sic concupiscentia dicit qui ne convient pas, comme lorsque quelqu’un
intensionem desiderii: zelus intensionem amoris, se met en colère pour une blessure, mais aussi
non patiens consortium in amato: abominatio par une chose qui ne convient pas et est parfois
intensionem odii: exultatio intensionem gaudii, ut présente, comme lorsque quelqu’un se met en
in signo exteriori prorumpat generaliter; et colère en raison de blessures infligées, et aussi
similiter hilaritas quantum ad signum quod en raison de la perception de ce qu’on a et qui ne
ostenditur in facie; et jucunditas quantum ad signa convient pas. C’est pourquoi la colère est causée
quae ostenduntur etiam in actibus; accidia autem par la douleur dans le premier cas, et par la
intensionem tristitiae, intantum ut immobilitet tristesse dans le second, ainsi que le dit [Jean]
hominem, actionem retardans; unde dicitur a Damascène. Les passions de l’âme se divisent
Damasceno, quod est tristitia aggravans, idest donc selon leurs différences essentielles. On
immobilitans, vel achos, inquantum prohibet trouve aussi que les noms des passions se
locutionem: quia, ut dicit Damascenus, est vocem diversifient selon leurs différences essentielles,
auferens: praesumptio autem intensionem spei: qui surviennent soit à la passion elle-même, telle
audacia autem excessum confidentiae in son intensité, soit en raison de son objet. S’il
aggrediendo terribilia; furor autem intensionem s’agit de la première manière, la concupiscence
irae. Cum autem objectum proprium et per se indique ainsi l’intensité du désir; l’ardeur,
istarum passionum sit bonum vel malum l’intensité de l’amour, qui ne souffre pas le
apparens: ea quae accidentaliter se habent ad haec partage de l’aimé; l’abomination, l’intensité de la
faciunt accidentalem differentiam in passionibus haine; l’exultation, l’intensité de la joie, de sorte
ex parte objecti: sicut tristitia quae est de malo qu’elle jaillit comme un signe extérieur d’une
quod est apparens malum tristanti; hoc autem manière générale; de même, l’hilarité, du point
accidit esse bonum vel malum alteri. Si ergo de vue du signe qui se manifeste sur le visage, et
tristitia sit de malo quod est malum alteri, et per la gaieté, du point de vue des signes qui se
hoc apprehenditur malum ipsi tristanti, sic est manifestent aussi dans les actes. Mais le dégoût
misericordia. Si autem sit bonum alteri, et per hoc (accidia/acedia) [manifeste] l’intensité de la
apprehenditur ut malum proprium, sic est invidia, tristesse, au point où elle immobilise un homme
quae est tristitia de prosperitate bonorum, vel en retardant son action; aussi est-elle appelée par
Nemesis, quae est tristitia de prosperitate [Jean] Damascène une tristesse écrasante, c’est-
malorum, ut dicitur 2 Ethic. Similiter etiam timor à-dire immobilisante ou achos, dans la mesure
distinguitur: quia malo difficili superanti où elle empêche de parler, car, ainsi que le dit
facultatem timentis accidit aliquid dupliciter: vel [Jean] Damascène, « elle enlève la voix »; mais
ex parte ipsius mali, vel ex parte timentis. Primo la présomption [indique] l’intensité de l’espoir,
modo accidit sibi turpitudo; et hoc vel in se, et sic alors que l’audace [indique] l’excès de confiance
est verecundia quae est de turpi actu; vel in dans l’attaque de réalités épouvantables; la
opinione, et sic est erubescentia, quae est timor de fureur, l’intensité de la colère. Mais lorsque
convicio, ut dicit Damascenus: vel verecundia de l’objet propre et par soi de ces passions est un
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turpitudine culpae, erubescentia de turpitudine bien ou un mal apparent, ce qui se rapporte à


poenae. Ex parte autem timentis sumuntur ceux-ci donnent aux passions une différence
accidentales differentiae timoris hoc modo: quia accidentelle du point de vue de l’objet, comme la
terribile vel excedit facultatem timentis in agendo, tristesse qui porte sur un mal qui est un mal
et sic est segnities, vel ignavia, quae est timor apparent pour celui qui s’attriste : il arrive que
futurae operationis, ut dicit Damascenus; vel in cela soit un bien ou un mal pour quelqu’un
cognoscendo, et hoc tripliciter: vel propter d’autre. Si donc la tristesse porte sur un mal qui
cognoscibilis altitudinem, et sic est admiratio est un mal pour un autre et que cela est perçu
quae est timor ex magna imaginatione; vel propter comme un mal pour celui qui s’attriste, on a
ejus inconsuetudinem, et sic est stupor, qui est alors la miséricorde. Mais s’il s’agit d’un bien
timor ex inassueta imaginatione; vel propter pour un autre et que cela est perçu comme son
incertitudinem, et sic est agonia, quae est timor propre mal, on a alors l’envie, qui est une
infortunii; et hoc idem dicitur trepidatio vel tristesse devant la prospérité des bons, ou la
dubitatio. Sic ergo patet quomodo spes ab aliis nemesis, qui est une tristesse devant la prospérité
passionibus differat, et quomodo etiam omnes des méchants, comme le dit Éthique, II. De
aliae passiones ab invicem distinguantur. même aussi y a-t-il une distinction à l’intérieur
de la crainte, car quelque chose est associé de
deux manières à un mal difficile qui dépasse la
capacité de celui qui craint : soit du point de vue
du mal lui-même, soit du point de vue de celui
qui craint. Dans le premier cas, l’infamie lui est
associée en soi, et l’on a ainsi la honte qui porte
sur un acte infâme; ou par l’opinion, et l’on a
ainsi « la gêne, qui est la crainte de la raillerie »,
comme le dit [Jean] Damascène; ou l’embarras à
propos du caractère infâme de la faute et la honte
à propos du caractère infâme de la peine. Du
point de vue de celui qui craint, les différences
accidentelles de la crainte sont envisagées de
cette manière : soit ce qui est terrible dépasse la
capacité d’agir de celui qui craint, et on a la
lâcheté ou la faiblesse, qui est une crainte de
l’action à venir, comme le dit [Jean] Damascène;
soit [sa capacité] de connaître, et cela de trois
manières. Soit en raison de l’élévation de ce qui
peut être connu : on a ainsi l’étonnement, qui est
une crainte venant d’une grande imagination;
soit en raison de son caractère inusité : on a ainsi
la stupéfaction, qui est la crainte venant d’une
représentation imaginative inhabituelle; soit en
raison de l’incertitude : on a ainsi l’angoisse, qui
est la crainte d’un malheur. On appelle la même
chose épouvante ou doute. La manière dont
l’espoir diffère des autres passions et aussi la
manière dont toutes les autres passions se
distinguent les unes des autres sont ainsi claires.
[10944] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. Comme on l’a dit plus haut, à l’a. 1 de cette
primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum question, ad 1 et ad 3, attendre comporte le fait
est, art. 1 hujus quaest. ad 1 et 3, expectare pour l’appétit de se projeter vers quelque chose,
importat protensionem appetitus in aliquid cum accompagné d’une pause qui empêche la fuite ou
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quiete privante fugam vel recessum. Haec autem le retrait. Cette pause vient de la difficulté de ce
quies contingit ex difficultate ejus in quod motus vers quoi tend le mouvement de l’appétit, mais
appetitus tendit, sed non in promptu est ut qui n’est pas à portée d’être obtenu; ce qui est à
habeatur: quod enim in promptu est, sine mora la portée est obtenu sans délai. Et parce que le
acquiritur. Et quia bonum cum difficultate, bien difficile est à proprement parler l’objet de
proprie est objectum irascibilis, ideo expectare l’irascible, attendre relève donc à proprement
proprie ad irascibilem pertinet tendentem in parler de l’irascible qui tend vers un bien. Il se
aliquod bonum. Habet autem se ad spem sicut rapporte à l’espérance comme ce qui est général
commune ad proprium, inquantum spes addit à ce qui est propre, pour autant que l’espérance
certitudinem circa expectationem. ajoute la certitude à l’attente.
[10945] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. [Jean] Damascène parle au sens large : en
secundum dicendum, quod Damascenus loquitur effet, il considère le bien attendu comme un bien
large: accipit enim expectatum bonum pro bono qui n’est pas encore possédé, ce qui est
quod nondum habetur, quod quidem commune est effectivement commun à la concupiscence et à
concupiscentiae et spei. l’espérance.
[10946] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Les mouvements depuis un terme et vers un
tertium dicendum, quod motus a termino et in terme sont parfois contraires, parfois identiques
terminum quandoque sunt contrarii, quandoque et parfois disparates. En effet, si les termes a quo
idem, quandoque disparati. Si enim termini a quo et ad quem sont contraires, le mouvement est
et ad quem sunt contrarii, sic motus est contrarius, ainsi contraire, comme le passage de la noirceur
sicut a nigredine in albedinem. Si autem sit idem à la blancheur. Mais si les terme a quo et in
terminus a quo et in quem, sic motus sunt idem, quem sont identiques, les mouvements sont alors
sicut motus ab albedine et in albedinem. Si autem identiques, comme le mouvement de la
sint diversi, non contrarii, sic motus sunt diversi blancheur à la blancheur. Mais si [les termes]
disparati, sicut motus ab albedine et ad calorem. sont divers mais non pas contraires, alors les
His modis ultimis spes et timor se habent: quia mouvements sont divers et disparates, comme le
contrarietas quae attenditur in irascibili, est mouvement depuis la blancheur et vers la
secundum facile et difficile, sive possibile et chaleur. L’espoir et la crainte se comportent de
impossibile; non autem circa bonum et malum, ces dernières façons, car la contrariété qui est
quia circa hoc est concupiscibilis. Unde si prise en compte dans l’irascible est celle qui
consideretur propria ratio obiecti irascibilis, sic existe entre le facile et le difficile, ou entre le
timor contrariatur spei: quia timor est a difficili, possible et l’impossible, mais non entre le bien et
ad quod est spes. Si autem consideretur ratio le mal, car c’est le concupiscible qui porte sur
difficilis, sic sunt disparata: quia timor a difficili cela. Si donc on envisage la raison propre de
est in genere malorum; spes autem a difficili in l’irascible, la crainte est ainsi contraire à l’espoir,
genere bonorum. car la crainte porte sur ce qui vient de quelque
chose de difficile, alors que l’espoir se dirige
vers lui. Mais si on envisage la raison de ce qui
est difficile, alors ils sont disparates, car la
crainte qui vient de ce qui est difficile fait partie
du genre des maux, mais l’espoir qui vient de ce
qui est difficile fait partie du genre des biens.
[10947] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Les passions des puissances cognitives
quartum dicendum, quod passiones cognitivarum viennent des choses selon un être spirituel. Parce
virtutum sunt a rebus secundum esse spirituale. Et que, selon cet être, les contraires n’ont pas de
quia secundum hoc esse non habent contraria caractère contraire, les passions contraires ne
contrarietatem, ideo non causantur contrariae sont donc pas causées par des contraires dans les
passiones ex contrariis in potentiis cognitivis. Sed puissances cognitives. Mais les passions de
passiones appetitivae sunt ex rebus secundum l’appétit viennent des choses selon leur être
suum esse naturale: quia appetitus est de bono et naturel, car l’appétit porte sur le bien et le mal,
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malo, quae sunt in rebus, ut dicit philosophus in 6 qui existent dans les choses, comme le dit le
Metaph.; et ideo cum secundum esse naturale Philosophe dans Métaphysique, VI. C’est
contrarietatem habeant, contrarias passiones pourquoi elles causent des passions contraires
causant. parce qu’elles ont un caractère contraire selon
leur être naturel.
[10948] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Puisque ce qui est ardu ou difficile est l’objet
quintum dicendum, quod cum arduum sive propre de l’irascible, les différences qui créent
difficile sit proprium objectum irascibilis, des oppositions entre les passions de l’irascible
differentiae facientes oppositiones in passionibus sont ce qui est difficile dépassant la capacité ou
irascibilis sunt difficile facultatem superans, vel ne la dépassant pas; et les deux sont soit un bien,
non superans; et utrumque est vel bonum vel soit un mal. L’assurance ou la confiance
malum. Fiducia ergo, seu confidentia, importat comporte donc un mouvement de l’irascible vers
motum irascibilis, in id quod aestimatur ut ce qui est estimé ne pas dépasser la capacité, ce
facultatem non excedens, quod quidem specialiter que comportent spécialement l’espoir à propos
circa bona importat spes, circa mala autem des biens, et l’audace à propos des maux, sauf
audacia, nisi quod audacia excessum importat que l’audace comporte parfois un excès, ce qui la
quandoque, unde in malum quandoque accipitur. fait parfois considérer comme un mal. Mais le
Motus autem appetitus in id quod aestimatur ut mouvement de l’appétit vers ce qui est estimé
superans facultatem sive in bonum sive in malum, dépasser la capacité soit en bien soit en mal est le
est diffidentia. In bonum autem specialiter est manque de confiance (diffidentia); en bien d’une
desperatio, in malum autem timor. Ira autem est manière particulière, ce sera le désespoir; en mal,
passio composita ex audacia vel dolore, et spe, ut la crainte. Mais la colère est une passion
ex dictis patere potest. composée d’audace ou de douleur et d’espoir,
comme cela peut ressortir de ce qui a été dit.

Articulus 4 [10949] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 Article 4 – L’espoir est-il une passion
a. 4 tit. Utrum spes sit principalis passio, vel principale, ou l’amour, le désir, l’audace ou la
amor, vel desiderium, vel audacia, vel poenitentia pénitence ?
[10950] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble que l’espoir ne soit pas une passion
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod spes non principale. En effet, l’amour modifie l’affectivité
sit principalis passio. Amor enim vehementius avec plus de force que l’espoir; aussi fait-il sortir
affectionem immutat quam spes; unde hominem l’homme de lui-même, comme le dit Denys, Les
extra se facit, ut dicit Dionysius, 4 cap. de Div. noms divins, IV. Or, l’amour n’est pas donné
Nom. Sed amor non ponitur una de principalibus comme l’une des passions principales. Donc, ni
passionibus. Ergo neque spes. l’espoir.
[10951] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Désirer avec concupiscence porte sur un bien
Praeterea, concupiscere est de futuro bono, sicut futur, comme aussi l’espoir. Or, la
et spes. Sed concupiscentia, vel desiderium, non concupiscence ou le désir n’est pas donné
ponitur passio principalis. Ergo nec spes. comme une passion principale. Donc, ni l’espoir.
[10952] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 3 3. La dénomination se fait toujours à partir de ce
Praeterea, denominatio semper fit a principaliori. qui est principal. Or, l’irascible tire son nom de
Sed irascibilis denominatur ab ira. Ergo est la colère. Elle vient donc avant l’espoir, qui se
principalior spe, quae est in irascibili. trouve dans l’irascible.
[10953] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 4 4. L’objet de l’irascible est une chose difficile et
Praeterea, objectum irascibilis est difficile et ardue. Or, l’audace tend davantage ou pas moins
arduum. Sed audacia tendit in arduum magis que l’espoir vers ce qui est ardu. L’audace vient
quam spes, vel non minus. Ergo audacia est magis donc avant l’espoir.
principalis quam spes.
[10954] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 arg. 5 5. De même que l’espoir porte sur le futur, de
Praeterea, sicut spes est de futuro, ita poenitentia même la pénitence porte-t-elle sur le passé. Or,
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est de praeterito. Sed praeteritum est certius quam le passé est plus sûr que le futur. Puisque la
futurum. Cum ergo poenitentia non ponatur pénitence n’est pas donnée comme une passion
principalis passio, nec spes principalis passio principale, l’espoir non plus ne doit pas être
debet poni. donné comme une passion principale.
[10955] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] Boèce dit dans le livre Sur la
Sed contra est quod Boetius in Lib. de Consolat., consolation : « Suscite la joie, suscite la crainte;
dicit: gaudia pelle, pelle timorem; spemque donne espoir au fuyard et qu’il n’y ait pas de
fugato, nec dolor adsit: et ita spes connumeratur douleur! » Ainsi l’espoir est-il compté parmi les
aliis principalibus passionibus. passions principales.
[10956] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] L’espoir est opposé d’une certaine manière à
Praeterea, spes opponitur quodammodo timori. la crainte. Or, la crainte est une passion
Sed timor est principalis. Ergo et spes. principale. Donc, l’espoir aussi.
[10957] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] La passion qui se trouve dans le
Praeterea, passio quae est in concupiscibili de concupiscible et qui porte sur un bien est une
bono, est principalis, sicut gaudium. Ergo eadem passion principale, telle la joie. Donc, pour la
ratione passio quae est de bono in irascibili, est même raison, la passion qui porte sur le bien qui
principalis. Haec autem est spes. Ergo spes est se trouve dans l’irascible est-elle aussi
principalis passio. principale. Or, tel est l’espoir. L’espoir est donc
une passion principale.
[10958] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 co. Réponse. Le caractère principal d’une passion
Respondeo dicendum, quod principalitas tient à deux choses : l’une vient de l’objet, à
passionis in duobus consistit: quorum unum est ex savoir que la passion suive la raison et la
parte objecti, ut scilicet passio sequatur secundum convenance de l’objet, de sorte qu’elle recherche
rationem et aptitudinem objecti, scilicet ut bonum le bien et fuie le mal; la seconde vient de la
prosequatur et malum fugiat; secundum est ex passion elle-même, à savoir que ce mouvement
parte ipsius passionis, ut scilicet motus ille soit aussi parfait que possible dans ce genre.
perfectus sit quantum possibile est secundum C’est pourquoi il n’y a que deux passions
genus illud. Et ideo in concupiscibili sunt duae principales dans le concupiscible : la joie et la
principales passiones tantum, scilicet, gaudium et tristesse, car le mouvement du concupiscible se
tristitia: quia motus concupiscibilis terminatur in termine dans la chose même qui est unie, et qui
ipsa re conjuncta, quae facit gaudium et tristitiam; donne la joie et la tristesse. De plus, le bien, par
et iterum bonum de sua ratione natum est facere sa raison, est destiné à donner la joie pour autant
gaudium, inquantum est conveniens; et tristitiam, qu’il convient, et la tristesse pour autant qu’il est
inquantum nocivum est. In irascibili etiam sunt nuisible. Dans l’irascible aussi il n’y a que deux
tantum duae, scilicet timor et spes; quia in his passions principales : la crainte et l’espoir, car le
perficitur motus irascibilis quantum est possibile mouvement de l’irascible atteint en eux sa
in genere illo, unde non important motum perfection autant qu’il est possible dans ce genre;
perfectum simpliciter; sed inquantum possibile est il ne comporte donc pas un mouvement parfait
in genere irascibilis: quia motus irascibilis, simplement, mais autant qu’il est possible dans
inquantum hujusmodi, non perficitur ad praesens, le genre de l’irascible, car le mouvement de
ut prius dictum est, art. praec., sicut l’irascible, en tant que tel, n’atteint pas sa
concupiscibilis; sed perficitur in certitudine perfection dans le présent comme le
inclinationis respectu sui objecti. Unde timor et concupiscible, ainsi qu’on l’a dit à l’article
spes habent quamdam certam inclinationem ad précédent, mais il atteint sa perfection dans la
objectum suum: timor ad non posse fugere certitude de l’inclination à son objet. La crainte
malum, spes ad posse consequi bonum; unde et l’espoir ont donc une certaine inclination vers
confidentia non dicitur principalis passio, quae leur objet : la crainte, vers le fait de ne pouvoir
habeat certitudinem, nec importat. Similiter etiam obtenir un bien; l’espoir, vers le fait de pouvoir
timor consequitur ex malo inquantum est malum, obtenir un bien. Aussi la confiance n’est-elle pas
quia de natura sui habet ut fugiatur; spes autem ex appelée une passion principale, qui aurait une
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ratione boni inquantum est bonum, quia de natura certitude, et elle ne la dénote pas. De même, la
sui habet ut expectetur. Et ideo consuevit numerus crainte découle du mal en tant que mal, car il est
principalium passionum hoc modo accipi. Quia de sa nature qu’il soit fui. Mais l’espoir
aut sunt de praesenti, in quo perficitur motus [découle] de la raison du bien en tant que bien,
concupiscibilis; aut de futuro in quo consistit car il est de sa nature qu’il soit attendu. C’est
motus irascibilis, inquantum est de difficili. Si pourquoi on a coutume de comprendre le nombre
primo modo, aut de bono, et sic est gaudium; aut des passions principales de cette manière. Soit
de malo, et sic est tristitia. Si secundo modo, aut elles portent sur le présent, dans lequel
de bono, et sic est spes; aut de malo, et sic est s’accomplit le mouvement du concupiscible; soit
timor. sur le futur, dans lequel consiste le mouvement
de l’irascible, pour autant qu’il porte sur ce qui
est difficile. Dans le premier cas, soit [elles
portent] sur le bien : on a alors la joie; soit sur le
mal : on a ainsi la tristesse. Dans le second cas,
soit sur le bien : on a ainsi l’espoir; soit sur le
mal : on a ainsi la crainte.
[10959] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. L’amour n’indique pas le terme du
primum ergo dicendum, quod amor non dicit mouvement du concupiscible puisqu’il ne
terminum in motu concupiscibilis, cum non découle pas de l’union avec la chose, comme la
sequatur ex conjunctione rei, sicut delectatio vel délectation ou la joie.
gaudium.
[10960] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Un mouvement du concupiscible peut se
secundum dicendum, quod motus concupiscibilis terminer par la suite pour ce qui est du futur.
potest ulterius terminari quantum ad futurum; et C’est pourquoi la concupiscence et le désir ne
ideo concupiscentia et desiderium non sunt sont pas des passions principales, mais le
passiones principales: motus autem irascibilis mouvement de l’irascible non plus; aussi se
non; et ideo in futuro terminatur; et propter hoc termine-t-il dans le futur. Pour cette raison,
spes et timor sunt principales passiones. l’espoir et la crainte sont des passions
principales.
[10961] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. La puissance où réside l’espoir tire son nom
tertium dicendum, quod potentia in qua est spes, de la colère parce qu’elle est ce qu’il y a d’ultime
denominatur ab ira, quia est ultimum in dans ses passions. Or, les dénominations ont
passionibus ejus: denominatio autem consuevit coutume d’être faites à partir de ce qui est ultime
fieri ab his quae sunt ultima in re. Non tamen est dans un chose. Elle n’est cependant pas
principalis, quia habet motum in nocivum, non principale parce qu’elle a un mouvement contre
quidem fugiendum, quod est de ratione mali et ce qui nuit, non pas pour fuir ce qui a caractère
nocivi, sed aggrediendum. de mal et de nuisible, mais pour s’y attaquer.
[10962] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. Il faut dire la même chose de l’audace : la
quartum similiter dicendum est de audacia, quod crainte qui comporte la fuite découle de la raison
timor qui fugam importat, consequitur ex ratione de mal, qui de soi est motif de fuite, mais non
mali, quod de se est fugibile, non autem d’attaque, ce que fait l’audace. C’est pourquoi
aggressibile, quod audacia facit; et ideo non est elle n’est pas une passion principale.
principalis passio.
[10963] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. La pénitence est comprise sous la tristesse. Il
quintum dicendum, quod poenitentia continetur faut donc savoir que toutes les passions
sub tristitia. Unde sciendum est, quod omnes mentionnées se ramènent à ces passions
praedictae passiones ad has principales passiones principales, soit comme une espèce à un genre,
reducuntur vel sicut species ad genus, sicut comme l’étonnement à la crainte, soit comme ce
admiratio ad timorem; vel sicut imperfectum ad qui est imparfait à ce qui est parfait, comme la
perfectum, sicut concupiscentia ad gaudium; vel concupiscence à la joie, soit comme un effet à sa
803

sicut effectus ad causam, et participans ad cause et ce qui participe à ce qui est participé,
participatum, sicut audacia et ira ad spem: quia comme l’audace et la colère à l’espoir, car
spes tendit in bonum arduum, quod de se est tale l’espoir tend vers un bien ardu, qui de soi est tel
ut in illud debeat tendi; audacia autem et ira qu’on doive y tendre; mais l’audace et la colère
tendunt in arduum nocivum repellendum; quod tendent vers un bien ardu nuisible qu’il faut
quidem non est tale ut in ipsum tendi debeat, sed repousser : il n’est toutefois pas tel qu’on doive y
magis ut fugiatur; tendunt tamen in ipsum tendre, mais plutôt qu’on doive le fuir.
inquantum participat aliquid de ratione boni, quod Cependant, elles tendent à la même chose pour
est victoria ipsius; et ideo etiam spes participatur autant que celle-ci participe à la raison de bien,
quodammodo in audacia et ira, sicut quod est per qui est sa victoire. Aussi y a-t-il d’une certaine
se, in eo quod est per accidens. manière participation à l’espoir dans l’audace et
la colère, comme ce qui existe par soi dans ce
qui existe par accident.

Articulus 5 [10964] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 Article 5 – L’espoir peut-il exister dans la
a. 5 tit. Utrum spes possit esse in parte intellectiva partie intellective ?
[10965] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 1 1. Il semble que l’espoir ne puisse exister dans la
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod spes non partie intellective, car « les passions se trouvent
possit esse in parte intellectiva. Quia passiones seulement dans la partie sensible », comme le dit
sunt tantum in parte sensitiva, ut dicit philosophus le Philosophe dans Physique, VII. Or, l’espoir
7 Physic. Sed spes est passio. Ergo est in parte est une passion. Elle se trouve donc dans la
sensitiva. partie sensible.
[10966] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 2 2. Ce qui se trouve dans la partie intellective fait
Praeterea, ea quae sunt in parte intellectiva, sunt partie de l’âme même en elle-même, sans qu’elle
ipsius animae secundum se sine hoc quod rejoigne le corps. Or, l’espoir ne fait pas partie
communicat corpori. Spes vero non est ipsius de l’âme en elle-même, mais dans son union
animae secundum se, sed cum conjunctione avec le corps, pour la même raison que la joie et
corporis, eadem ratione qua gaudium et amor, ut l’amour, ainsi qu’il est dit dans Sur l’âme, I.
dicitur in 1 de anima. Ergo spes non est in parte l’espoir ne se trouve donc pas dans la partie
intellectiva. intellective.
[10967] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 3 3. Le sujet de l’espoir est l’irascible. Or,
Praeterea, subjectum spei est irascibilis. Sed l’irascible ne se trouve pas dans la partie
irascibilis non est in parte intellectiva, sed in intellective, mais dans la partie sensible, qui est
sensitiva, quae animus dicitur in 3 de anima. Cum appelée animus dans Sur l’âme, III. Puisque la
ergo passio non excedat subjectum suum, nec spes passion ne dépasse pas son sujet, l’espoir ne se
erit in rationali. trouvera donc pas dans la partie rationnelle.
[10968] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 4 4. Ainsi que le dit le Philosophe dans Livre sur
Praeterea, sicut dicit philosophus in Lib. de la mémoire, « la mémoire ne se trouve pas dans
Memor., memoria non est in parte intellectiva: la partie intellective, car elle concerne une
quia concernit determinatam temporis différence déterminée du temps », à savoir le
differentiam, scilicet praeteritum. Sed sicut passé. Or, de même que la mémoire concerne le
memoria concernit praeteritum, ita spes concernit passé, de même l’espoir concerne-t-il le futur.
futurum. Ergo spes non potest esse in parte L’espoir ne peut donc pas se trouver dans la
intellectiva. partie intellective.
[10969] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 arg. 5 5. Dans la partie intellective, il n’y a pas de
Praeterea, in parte intellectiva non sunt contrariae passions contraires, car rien n’est contraire à la
passiones: quia delectationi quae est secundum délectation qui vient de l’intellect, comme le dit
intellectum, nihil est contrarium, ut dicit le Philosophe, Topiques, I. Puisque l’espoir est
philosophus 1 Topic. Cum ergo spes sit passio une passion qui est contraire à la crainte et au
contrarietatem habens ad timorem et désespoir, il semble qu’il ne puisse se trouver
804

desperationem, videtur quod non possit esse in dans la partie intellective.


parte intellectiva.
[10970] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] tout ce qu’on trouve de commun
Sed contra, quidquid invenitur communiter in Deo entre Dieu et nous dans les opérations de l’âme
et in nobis de operibus animae, ad partem se rapporte à la partie intellective, qui seule est
intellectivam pertinet, quae solum est immatérielle et est en cela semblable à Dieu. Or,
immaterialis, et in hoc Deo similis. Sed delectatio la délectation ne convient pas à nous seuls, mais
convenit non solum nobis, sed etiam Deo, ut aussi à Dieu, comme on le dit dans Éthique, VII,
dicitur in 7 Ethic., quia ipse simplici operatione car il se réjouit par une opération simple. La
gaudet. Ergo delectatio est in nobis etiam in parte délectation existe donc aussi en nous dans la
intellectiva; et ita eadem ratione spes, quae est de partie intellective, et ainsi, pour la même raison,
delectatione futura. l’espoir, qui porte sur une délectation future.
[10971] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 s. c. 2 [2] Tout qui ce dure en nous après la séparation
Praeterea, quidquid permanet in nobis post de l’âme et du corps se rapporte à la partie
separationem animae a corpore, hoc ad partem intellective, car elle seule peut être séparée, selon
intellectivam pertinet, quae sola est separabilis, le Philosophe. Or, l’espoir est de cette sorte, car
secundum philosophum. Sed spes est hujusmodi: il se trouvait chez les pères qui étaient dans les
quia erat in illis patribus qui in Limbo erant, ut limbes, comme le dit le texte. L’espoir se trouve
dicitur in littera. Ergo spes est in parte intellectiva. donc dans la partie intellective.
[10972] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 s. c. 3 [3] La passion se rapporte à la puissance à
Praeterea, ad quamcumque potentiam pertinet laquelle se rapporte l’objet de la passion. Or,
objectum passionis, et passio. Sed objectum spei l’objet de l’espoir est un bien ardu, qui peut aussi
est arduum bonum, quod etiam ad intellectivam concerner la partie intellective. L’espoir peut
partem pertinere potest. Ergo spes potest esse in donc exister dans la partie intellective.
parte intellectiva.
[10973] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 co. Réponse. Les opérations sensibles nous sont
Respondeo dicendum, quod operationes sensitivae mieux connues que les opérations de la partie
sunt nobis magis notae quam operationes partis intellective, car notre connaissance commence
intellectivae: quia cognitio nostra incipit a sensu, par le sens et se termine dans l’intelligence. Et
et terminatur ad intellectum. Et quia ex notioribus parce que ce qui est moins connu est connu à
minus nota cognoscuntur, nomina autem ad partir de ce qui est plus connu, et que les noms
innotescendum rebus imponuntur; ideo nomina sont donnés aux choses pour les faire connaître,
operationum sensitivae partis transferuntur ad les noms des opérations sensibles sont transférés
operationes intellectivae partis, et ulterius ex aux opérations de la partie intellective, bien plus,
humanis in divina. Et hoc patet in apprehensivis des [opérations] humaines aux [opérations]
operationibus: quia illud quod certitudinaliter divines. Et cela est manifeste pour les opérations
quasi praesens tenemus per intellectum, dicimur de perception, car ce que nous considérons par
sentire, vel videre; et imaginari dicimur, cum l’intelligence comme présent de manière
quidditatem rei intellectu concipimus; et sic de certaine, nous disons que nous le sentons ou le
aliis: quamvis ista diversimode intelligantur, cum voyons; et nous disons que nous imaginons
dicuntur de apprehensione sensitiva quae lorsque nous concevons la quiddité d’une chose
apprehendit materialiter et in particulari; et de par l’intellect, et ainsi de suite. Cela est
intellectiva, quae apprehendit immaterialiter et in cependant compris de manière différente lorsque
universali. Et ideo etiam imponitur nomen cela est dit de la perception sensible qui perçoit
intellectivae operationi, per quod discernitur a de manière matérielle et particulière, et de la
sensitiva, sicut intelligere et scire, et hujusmodi. perception intellectuelle, qui perçoit de manière
Similiter nomina operationum appetitivae immatérielle et universelle. C’est pourquoi aussi
sensibilis partis transferuntur in operationes nous donnons un nom à l’opération
appetitivae intellectivae partis: tamen in sensitiva intellectuelle, par lequel elle est distinguée de
parte sunt per modum materialis passionis, in l’opération sensible, comme intelliger et savoir,
805

parte autem intellectiva per modum simplicis et [les noms] de ce genre. De même, les noms
actus non materialiter; et ideo etiam aliqua des opérations de la partie appétitive sensible
nomina imponuntur appetitui intellectivo, quae sont-ils transférés aux opérations de la partie
ipsum distinguunt ab aliis, sicut velle, eligere, et appétitive intellectuelle; cependant, dans la partie
hujusmodi. Sic ergo spes in parte sensitiva sensible, elles existent par mode de passion
nominat quamdam passionem materialem, sed in matérielle, mais, dans la partie intellectuelle, par
parte intellectiva simplicem operationem mode d’acte simple et de manière non matérielle.
voluntatis immaterialiter tendentis in aliquod C’est pourquoi certains noms sont aussi donnés à
arduum. l’appétit intellectuel, qui le distinguent des
autres, tels vouloir, choisir et ceux de ce genre.
Ainsi donc, l’espoir de la partie sensible désigne
une passion matérielle, mais, dans la partie
intellectuelle, une opération simple de la volonté
tendant de manière immatérielle à quelque chose
d’ardu.
[10974] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. L’espoir, selon qu’il existe dans l’appétit
primum ergo dicendum, quod spes, secundum rationnel, c’est-à-dire la volonté, n’est pas une
quod est in appetitu rationali, scilicet voluntate, passion à proprement parler, comme cela ressort
non est passio proprie loquendo, ut patet ex his de ce qui a été dit à la d. 15, q. 2, a. 1, c.
quae dicta sunt 15 dist., quaest. 2, art. 1, in corp.
[10975] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. Le Philosophe en parle là selon qu’il s’agit de
secundum dicendum, quod philosophus loquitur passions de la partie sensible : elles ont ainsi
ibi de istis secundum quod sunt passiones matériellement besoin du corps. Ou bien, [il en
sensitivae partis, et ita indigent corpore parle] selon qu’elles se trouvent dans la partie
materialiter: vel secundum quod sunt in parte intellective, qui a besoin du corps pour autant
intellectiva, quae indiget corpore, inquantum qu’elle reçoit des sens ou des puissances
accipit a sensibus, vel a sensitivis potentiis, sensibles, pour ce qui est de l’état de
quantum ad statum viae. cheminement (statum viae).
[10976] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. Certains distinguent l’irascible humain de
tertium dicendum, quod quidam distinguunt l’irascible de l’animal sans raison; de même
irascibilem humanam et brutalem, similiter et font-ils pour le concupiscible. Ils disent que ceux
concupiscibilem; et dicunt, quod brutalis est in de l’animal sans raison se trouvent dans la partie
parte sensitiva, humana autem in parte sensible, mais que ceux de l’homme [se
intellectiva. Sed hoc non est verum: quia appetitus trouvent] dans la partie intellectuelle. Mais cela
rationalis non dividitur per irascibilem et n’est pas vrai, car l’appétit rationnel ne se divise
concupiscibilem, ut prius dictum est art. 2: unde pas en irascible et concupiscible, comme on l’a
irascibilis dicitur humana non per essentiam, sed dit plus haut, a. 2. Aussi l’irascible est-il appelé
per participationem, sicut dicit philosophus in 1 humain non pas par essence, mais par
Ethic., et etiam Damascenus in 2 Lib. Unde quod participation, comme le dit le Philosophe dans
objicitur quod spes in irascibili est; verum est de Éthique, I, et aussi [Jean] Damascène, dans le
spe secundum quod est passio. livre II. L’objection que l’espoir se trouve dans
l’irascible est donc vraie de l’espoir selon qu’il
est une passion.
[10977] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. La saisie intellectuelle se réalise selon le
quartum dicendum, quod intellectiva apprehensio mouvement des choses vers l’âme; parce qu’est
est secundum motum a rebus in animam; et quia reçu dans l’âme intellectuelle quelque chose qui
in anima intellectiva recipitur aliquid abstractum est abstrait de toutes ses conditions matérielles
ab omnibus conditionibus materialibus individuantes, aucune saisie intellectuelle ne
individuantibus, ideo nulla apprehensio concerne donc un temps de manière déterminée,
intellectiva concernit aliquod tempus determinate, bien que cela puisse exister en n’importe quel
806

quamvis possit esse de quolibet tempore: unde temps. Ainsi, la composition et la division
componendo et dividendo implicat tempus, ut impliquent le temps, comme on le dit dans Sur
dicitur in 3 de anima: et ideo etiam memoria cum l’âme, III. Puisque la mémoire est elle aussi une
sit pars imaginis quae est in parte intellectiva, est partie de l’image qui se trouve dans la partie
omnium temporum, ut dictum est in 1 Lib., dist. 3. intellectuelle, elle est donc de tous les temps,
Operatio autem appetitus est secundum motum ab comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. Or,
anima in res; et ideo quia res per se cadunt sub hic l’opération de l’appétit se réalise par un
et nunc, ideo et operatio intellectivi appetitus mouvement de l’âme vers les choses. Parce que
potest aliquod tempus concernere. les choses existent par elles-mêmes ici et
maintenant, l’opération de l’appétit intellectuel
peut donc concerner un temps.
[10978] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 1 a. 5 ad 5 Ad 5. Comme on l’a dit plus haut, la délectation
quintum dicendum, quod delectatio, ut prius vient de deux choses. Premièrement, de l’acte
dictum est, ex duobus consurgit. Uno modo ex lui-même qui convient à la puissance : de cette
ipso actu qui est conveniens potentiae; et hoc manière, il n’existe rien de contraire à la
modo delectationi intellectus non est aliquid délectation de l’intellect. En effet, puisque
contrarium. Cum enim intelligibile omnino l’intelligible est reçu dans l’intellect de manière
immaterialiter in intellectu recipiatur, non potest tout à fait immatérielle, il ne peut provoquer une
aliquam laesionem intellectui inferre, sicut blessure dans l’intellect, comme un objet
sensibile excellens, quod corrumpit sensum. Et sensible très puissant, qui corrompt le sens. C’est
ideo omnis actus intellectus est conveniens pourquoi tout acte de l’intellect convient à
intellectui, et delectabilis, quidquid sit illud quod l’intellect et est délectable, quel qu’en soit
intelligitur; et sic delectationi intellectus non est l’objet. Il n’y a ainsi rien qui soit contraire à la
aliquid contrarium. Alio modo consurgit délectation de l’intellect. D’une autre manière, la
delectatio ex conjunctione rei convenientis, circa délectation provient de l’union avec la chose qui
quam est operatio. Et quia id quod apprehenditur, convient et sur laquelle porte l’opération. Parce
potest esse conveniens intelligenti, vel que ce qui est saisi peut convenir à l’intellect ou
inconveniens, inquantum est res quaedam, licet ne pas lui convenir, pour autant que c’est une
inquantum intellectum, semper sit conveniens; certaine chose, bien que, pour autant que cela est
ideo ex parte ista delectationi quae est in parte intelligé, cela convienne toujours, de ce point de
intellectiva, potest esse tristitia contraria, non vue, il peut exister une tristesse, mais qui n’est
quae sit passio, ut dictum est. pas une passion, comme on l’a dit, contraire à la
délectation qui existe dans la partie intellectuelle

Quaestio 2 Question 2 – [L’espérance comme vertu]


Prooemium Prologue
[10979] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 pr. Deinde On s’interroge eensuite sur l’espérance en tant
quaeritur de spe secundum quod est virtus; et que vertu. À ce propos, cinq questions sont
circa hoc quaeruntur quinque: 1 utrum spes sit posées : 1 – L’espérance est-elle une vertu ? 2 –
virtus; 2 utrum sit theologica; 3 quomodo se Est-elle une vertu théologale ? 3 – Quel rapport
habeat ad alias virtutes theologicas; 4 de a-t-elle avec les autres vertus théologales ? 4 – À
certitudine ipsius; 5 quorum sit habere spem. propos de sa certitude. 5 – À qui revient-il
d’espérer ?

Articulus 1 [10980] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 Article 1 – L’espérance est-elle une vertu ?
a. 1 tit. Utrum spes sit virtus
[10981] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 1 1. Il semble que l’espérance ne soit pas une
Ad primum sic proceditur. Videtur quod spes non vertu. En effet, l’espérance se distingue de la
sit virtus. Spes enim dividitur contra timorem, crainte, de la joie et de la tristesse. Or, aucune de
gaudium, et tristitiam. Sed nullum istorum ponitur celles-ci n’est placée dans le genre de la vertu;
807

in genere virtutis; quinimmo tristitia ponitur in bien plus la tristesse est placée dans le genre du
genere vitii, quantum ad accidiam et invidiam: vice, pour ce qui est de l’acédie et de l’envie;
ponitur etiam inter sacramenta quantum ad elle est placée aussi parmi les sacrements, pour
poenitentiam; gaudium autem in genere fructus, ut ce qui est de la pénitence. Mais la joie [est]
patet Gal. 5; timor autem in genere doni, ut dicitur placée dans le genre du fruit, comme cela ressort
Isa. 11. Ergo neque spes debet esse virtus. de Ga 5, et la crainte, dans le genre du don,
comme il est dit en Is 11. L’espérance ne doit
donc pas non plus être une vertu.
[10982] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 2 2. De même que les vertus infuses sont
Praeterea, sicut virtutes infusae ordinantur ad ordonnées à quelque chose d’ardu, qui est la vie
aliquod arduum, quod est vita aeterna; ita et éternelle, de même aussi les vertus acquises
virtutes acquisitae ad aliquod arduum, quod est [sont-elles ordonnées] à quelque chose de
felicitas civilis, vel contemplativa. Sed philosophi difficile, qui est la félicité civile ou
tractantes de virtutibus acquisitis, non posuerunt contemplative. Or, les philosophes qui traitent
spem esse virtutem. Ergo apud theologos spes non des vertus acquises n’ont pas affirmé que
debet poni virtus. l’espérance est une vertu. L’espérance ne doit
donc pas être donnée comme une vertu chez les
théologiens.
[10983] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 3 3. Aucune vertu ne provient de mérites, car
Praeterea, nulla virtus provenit ex meritis: quia « Dieu réalise en nous la vertu sans nous »,
virtutem Deus operatur in nobis sine nobis, ut comme le dit Augustin. Or, l’espérance provient
Augustinus ait. Sed spes provenit ex meritis, ut in de mérites, comme il est dit dans le texte.
littera dicitur. Ergo spes non est virtus. L’espérance n’est donc pas une vertu.
[10984] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Aucune vertu ne s’oppose à un bien, car le
Praeterea, nulla virtus opponitur alicui bono: quia bien n’est pas contraire au bien, comme le mal
bonum bono non est contrarium, sicut malum au mal, comme il est dit dans les Prédicaments.
malo, ut dicitur in praedicamentis. Sed spes Or, l’espérance s’oppose à la crainte, ce qui est
opponitur timori, quod est bonum et laudabile. bien et louable. L’espérance n’est donc pas une
Ergo spes non est virtus. vertu.
[10985] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Aucune vertu n’a un acte mercenaire, car la
Praeterea, nulla virtus habet actum mercenarium: vertu fait le bien pour lui-même. Or, l’espérance
quia virtus operatur bonum propter seipsum. Sed a un acte mercenaire, puisqu’elle a en vue une
spes habet actum mercenarium, cum intendat in récompense. L’espérance n’est donc pas une
remunerationem. Ergo spes non est virtus. vertu.
[10986] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] rien ne mène à la vie éternelle
Sed contra, nihil inducit ad vitam aeternam, nisi que la vertu. Or, l’espérance mène à la vie
virtus. Sed spes inducit ad vitam aeternam, ut éternelle, comme cela ressort de Ps 5, 12 : Que
patet in Psal. 5, 12: laetentur omnes qui sperant in se réjouissent tous ceux qui espèrent en toi : ils
te: in aeternum exultabunt, et habitabis in eis. exulteront pour l’éternité et tu habiteras en eux!
Ergo spes est virtus. L’espérance est donc une vertu.
[10987] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 2 [2] L’espérance est plus proche de la charité, qui
Praeterea, spes est propinquior caritati, quae est est la mère de toutes les vertus, que la foi, car
mater omnium virtutum, quam fides, quia est in elle se trouve dans l’affectivité. Or, la foi est une
affectu. Sed fides est virtus. Ergo et spes. vertu. Donc, l’espérance aussi.
[10988] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 3 [3] Rien n’est méritoire que l’acte de vertu. Or,
Praeterea, nihil est meritorium, nisi actus virtutis. l’acte d’espérance est méritoire, car il libère de
Sed spei actus est meritorius: quia a confusione l’humiliation. Ps 30, 1 : En toi, Seigneur, j’ai
liberat. Psal. 30, 1: in te domine speravi: non espéré : que je ne sois pas confondu pour
confundar in aeternum. Ergo spes est virtus. l’éternité! L’espérance est donc une vertu.
[10989] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d’ 23,
808

Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 23, q. 1, a. 2 et 3, selon la manière habituelle de
quaest. 1, art. 2 et 3, dictum est, virtus secundum parler, on appelle vertu un habitus inclinant à un
communem usum loquendi dicitur habitus acte qui est bon de deux manières : selon qu’il
inclinans ad actum; qui est bonus dupliciter, convient à la puissance agissante, et selon son
scilicet secundum convenientiam ad potentiam objet, qui a raison de bien pour autant qu’il est
agentem, et secundum objectum; quod habet l’objet d’un tel acte. Or, ces deux choses existent
rationem boni, inquantum est objectum talis actus. dans l’espérance. En effet, puisque l’espoir se
Haec autem duo sunt in actu spei. Cum enim spes trouve dans la partie appétitive, il est nécessaire
in appetitiva parte sit, oportet quod objectum ejus que son objet soit le bien sous la raison de bien.
sit bonum sub ratione boni; et sic actus spei habet Ainsi, l’acte d’espérance tire sa bonté de la
bonitatem ex ratione objecti. Similiter etiam spes raison de son objet. De même aussi, l’espérance
supra expectationem addit certitudinem, ut patet ajoute à l’attente une certitude, comme cela
per definitionem in littera positam. Certitudo ressort de la définition donnée dans le texte. Or,
autem importat determinationem respectu ejus ad la certitude comporte une détermination par
quod dicitur certitudo. Unde cum certitudo spei sit rapport à ce sur quoi porte la certitude. Puisque
de bono expectato, importat determinationem ad la certitude de l’espérance porte sur le bien
bonum. Et ex hoc aliquis actus est perfectae attendu, elle comporte donc une détermination
potentiae conveniens, quod ad bonum ipsius au bien. Et l’acte qui comporte une
determinationem habet; sicut actus scientiae, qui détermination par rapport à son bien convient à
determinat intellectum ad verum, quod est bonum une puissance parfaite; ainsi, l’acte de science,
intellectus; non autem actus opinionis, quae est qui détermine l’intelligence au vrai, qui est le
veri et falsi: propter quod scientia est virtus, et bien de l’intelligence, mais non l’acte d’opinion,
non opinio, ut dicitur in 6 Ethic. Unde patet quod qui porte sur le vrai et sur le faux. C’est « la
spes virtus debet dici etiam secundum communem raison pour laquelle la science est une vertu, et
usum loquendi. non l’opinion », comme il est dit dans Éthique,
VI. Il est donc clair que l’espérance doit être
appelée une vertu, même selon qu’on en parle
généralement de manière habituelle.
[10990] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. L’espoir en tant que passion n’est pas une
primum ergo dicendum, quod spes, secundum vertu, mais selon qu’il se trouve dans l’appétit de
quod est passio, non est virtus, sed secundum la partie intellectuelle. Et les noms des autres
quod est in appetitu intellectivae partis. Nec passions ne peuvent pas être transférés aux
aliarum passionum nomina ita convenienter ad vertus aussi adéquatement que le nom de
virtutes transumi possunt sicut nomen spei: quia l’espérance, car on parle d’espérance en rapport
spes dicitur in ordine ad bonum, et propter hoc avec le bien et, pour cette raison, elle comporte
importat motum appetitus in bonum tendentis; et un mouvement de l’appétit qui tend vers le bien.
sic habet quamdam similitudinem cum intentione Elle a ainsi une certaine ressemblance avec
et electione boni, quae requiruntur in omni virtute; l’intention et le choix du bien, qui sont requis en
timor autem dicitur in ordine ad malum. Recedere toute vertu. Mais on parle de crainte en rapport
autem a malo, quamvis ad virtutem pertineat, non avec le mal. Or, s’éloigner du mal, bien que cela
tamen in hoc consistit perfectio virtutis, sed in relève de la vertu, n’est pas ce en quoi consiste la
electione boni. Gaudium autem et tristitia magis perfection de la vertu, mais le choix du bien.
dicunt impressionem boni et mali in appetitum, Mais la joie et la tristesse expriment plutôt
quam motum appetitus in ea; unde non habent l’empreinte du bien et du mal dans l’appétit, que
similitudinem cum electione virtutis. le mouvement de l’appétit vers eux. Aussi n’ont-
elles pas de ressemblance avec le choix de la
vertu.
[10991] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. L’ardu auquel ordonnent les vertus acquises
secundum dicendum, quod illud arduum in quod est une fin proportionnée à la capacité de la
ordinant virtutes acquisitae, est finis nature. C’est pourquoi la nature a été déterminée
809

proportionatus facultati naturae; et ideo natura per par elle-même à espérer cette fin. Elle n’a donc
seipsam determinata est ad sperandum illum pas besoin d’un habitus ajouté par lequel elle
finem; unde non indiget aliquo habitu serait déterminée par rapport à lui. Mais l’ardu
superaddito, per quem determinetur in illud. Sed qu’est la vie éternelle dépasse la capacité de la
hoc arduum quod est vita aeterna, excedit nature. Puisque la nature n’est pas déterminée
facultatem naturae. Unde cum ex se natura non sit par elle-même à l’espérer, il faut donc qu’elle
determinata ad sperandum illud, oportet quod soit déterminée par un habitus infus. Telle est
determinetur per aliquem habitum infusum; et l’espérance, qui est une vertu.
haec est spes, quae est virtus.
[10992] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 3 Ad 3. On parle d’espérance de plusieurs manières.
tertium dicendum, quod spes multis modis dicitur. En effet, parfois elle désigne une passion : elle
Quandoque enim nominat passionem; et sic non n’est pas ainsi une vertu. Parfois, elle désigne un
est virtus. Quandoque nominat habitum habitus inclinant la volonté à un acte qui
inclinantem ad actum voluntatis similem spei ressemble à l’espérance qui se trouve dans la
quae est in parte sensitiva, quae est passio; et sic partie sensible, qui est une passion : elle est ainsi
est virtus. Quandoque vero nominat ipsum actum; une vertu. Mais parfois elle désigne l’acte lui-
et sic est actus virtutis. Quandoque autem nominat même : elle est ainsi un acte de la vertu. Parfois
ipsam rem speratam; Tit. 2, 13: expectantes elle désigne la chose même qui est espérée.
beatam spem; et sic est objectum virtutis. Tt 2, 13 : Dans l’attente d’une bienheureuse
Quandoque autem nominat certitudinem, quae espérance : elle est ainsi l’objet de la vertu.
consequitur spem; Rom. 5, 4: probatio vero spem, Parfois, elle désigne la certitude qui découle de
idest spei certitudinem; et sic nominat statum l’espérance, Rm 5, 4 : La mise à l’épreuve,
perfectionis in virtutem, quantum ad certitudinis l’espérance, c’est-à-dire la certitude de
intentionem. Habitus ergo spei quae est virtus, ex l’espérance : elle désigne ainsi un état de
meritis non procedit: sed objectum, idest ipsa res perfection dans la vertu pour ce qui est visé par
sperata, pro meritis redditur; et ideo etiam actus la certitude. L’habitus de l’espérance ne vient
spei in suum objectum tendit ex praesuppositione donc pas de mérites, mais son objet, c’est-à-dire
meritorum; et secundum hoc dicitur ex meritis la chose espérée, est rendue en fonction des
provenire ratione sui actus. mérites. Aussi l’acte de l’espérance tend-il vers
son objet selon des mérites présupposés. Sous
cet aspect, on dit donc qu’elle vient de mérites en
raison de son acte.
[10993] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 4 Ad 4. L’espérance qui est une vertu ne s’oppose pas
quartum dicendum, quod spes quae est virtus, non à la crainte qui est un don, car l’espérance se
opponitur timori qui est donum: quia spes extendit porte vers Dieu en considération de la générosité
se in Deum ex consideratione divinae largitatis, divine, mais la crainte exprime un recul en
timor vero dicit resilitionem ex consideratione considération de sa propre malice. Ainsi le recul
propriae parvitatis; et ita non est secundum idem de la crainte et l’élan de l’espérance ne portent-
resilitio timoris et extensio spei; unde non sunt ils pas sur la même chose. Ils ne sont donc pas
contraria. contraires.
[10994] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 1 ad 5 Ad 5. Faire quelque chose en vue d’un avantage
quintum dicendum, quod facere aliquid propter temporel rend un acte mercenaire, mais non le
aliquod commodum temporale, facit actum faire en vue d’une récompense éternelle, car la
mercenarium, non autem facere propter continence ne se suffit pas à elle-même pour le
remunerationem aeternam; quia continentia non salut, si elle est gardée par le seul amour de la
sibi sufficit ad salutem, si pro solo amore chasteté, comme le dit le Livre sur les
pudicitiae retinetur, ut dicitur in Lib. de Eccles. enseignements de l’Église. Et il en est de même
Dogmat., et eadem ratio est de aliis humanis pour les autres actes humains. Ou bien il faut
actibus. Vel dicendum, quod actus dicitur esse dire qu’on appelle acte mercenaire celui qui est
mercenarius qui propter mercedem fit, non autem fait pour une récompense, mais non celui qui
810

qui est circa ipsam mercedem. Quamvis ergo porte sur une récompense. Bien que l’acte de
actus spei sit expectare beatitudinem, quae est l’espérance consiste à attendre la béatitude, qui
merces; non tamen eam expectat propter ipsam est une récompense, il ne l’attend cependant pas
mercedem, sed ex inclinatione habitus, sicut et in en raison de la récompense elle-même, mais par
aliis virtutibus contingit. Et praeterea non expectat l’inclination de l’habitus, comme cela se produit
eam inquantum est merces, sed inquantum est dans les autres vertus. De plus, il ne l’attend pas
summum quoddam arduum: habet enim Deum pro en tant qu’elle est une récompense, mais en tant
principali objecto. qu’elle est un bien suprême ardu : en effet, elle a
Dieu comme objet principal.

Articulus 2 [10995] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 Article 2 – L’espérance est-elle une vertu
a. 2 tit. Utrum spes sit virtus theologica théologale ?
[10996] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 1 1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spes théologale. En effet, toute vertu théologale a
non sit virtus theologica. Omnis enim virtus Dieu comme objet. Or, Dieu ne peut pas être
theologica habet Deum pro objecto. Sed irascibilis l’objet de l’irascible, car, étant un appétit de la
objectum Deus esse non potest: quia cum sit partie sensible, il ne va pas au-delà d’un bien
appetitus sensitivae partis, non extendit se ultra sensible. Puisque l’espérance relève de
bonum sensibile. Cum ergo spes ad irascibilem l’irascible, il semble donc que l’espérance ne soit
pertineat, videtur quod spes non sit virtus pas une vertu théologale.
theologica.
[10997] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 2 2. En Is 30, 15, il est dit : Votre force sera dans
Praeterea, Isa. 30, 15, dicitur: in spe erit fortitudo votre espérance. Or, la force n’est pas une vertu
vestra. Sed fortitudo non est virtus theologica, sed théologale, mais cardinale. Donc, l’espérance
cardinalis. Ergo et spes; et praecipue cum eadem aussi, surtout qu’elles semblent avoir les mêmes
extrema videantur habere, scilicet timiditatem et extrêmes : la timidité et l’audace.
audaciam.
[10998] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 3 3. Attendre relève de la longanimité. Ga 5, 2 : La
Praeterea, expectare est longanimitatis: Gal. 5, 22: longanimité de l’attente. De même cela semble-
longanimitas expectationis. Similiter videtur esse t-il relever de la patience. Rm 8, 25 : Si nous
patientiae; Rom. 8, 25: si quae non videmus, espérons ce que nous ne voyons pas, nous
speramus, per patientiam expectamus. Ergo cum l’attendons par la patience. Puisque l’espérance
spes sit expectatio, videtur quod spes sit idem est une attente, il semble donc que l’espérance
quod patientia vel longanimitas: quae quidem non soit la même chose que la patience ou la
sunt virtutes theologicae: ergo nec spes. longanimité, qui ne sont pas des vertus
théologales. Donc, l’espérance non plus.
[10999] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Il appartient à l’espérance de tendre vers ce
Praeterea, spei est in arduum tendere. Sed hoc est qui est ardu. Or, cela relève de la magnanimité,
magnanimitatis, quae maxime magnum attendit. qui porte surtout sur ce qui est grand.
Ergo spes est idem quod magnanimitas. Sed L’espérance est donc la même chose que la
magnanimitas est virtus moralis et non theologica. longanimité. Or, la magnanimité est une vertu
Ergo et spes. morale, et non théologale. Donc, l’espérance
aussi.
[11000] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] l’espérance est opposée aux
Sed contra, spes dividitur ex opposito aliis autres vertus théologales. 1 Co, 13, 13 :
virtutibus theologicis; 1 Corinth. 13, 13: nunc Maintenant, la foi, l’espérance et la charité
autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Ergo demeurent, ces trois choses. Elle est donc une
est virtus theologica. vertu théologale.
[11001] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] Toute vertu qui a la fin ultime comme objet
Praeterea, omnis virtus quae habet finem ultimum est une vertu théologale. Or, telle est l’espérance,
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pro objecto, est virtus theologica. Talis autem est puisqu’elle est l’attente de la béatitude future.
spes, cum sit expectatio futurae beatitudinis. Ergo L’espérance est donc une vertu théologale.
spes est virtus theologica.
[11002] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] Toute vertu morale porte sur les passions,
Praeterea, omnis virtus moralis est circa comme il est dit dans Éthique, II. Or, cela ne
passiones, ut dicitur in 2 Ethic. Hoc autem non vaut pas pour l’espérance. Elle n’est donc pas
competit spei. Ergo non est virtus moralis. Neque une vertu morale. Elle n’est pas non plus une
est intellectualis, quia non pertinet ad vertu intellectuelle, car elle ne concerne pas la
cognitionem, ut prius dictum est. Ergo est virtus connaissance, comme on l’a dit plus haut. Elle
theologica. est donc une vertu théologale.
[11003] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 co. Réponse. Par sa raison même, l’espoir exprime
Respondeo dicendum, quod spes de ratione sua une élan de l’appétit vers quelque chose d’ardu,
dicit extensionem appetitus in aliquod arduum, qui ne dépasse pas complètement la capacité de
quod non omnino excedit facultatem sperantis. Ea celui qui espère. En effet, ce qui dépasse et est
enim quae excedunt, et velut excedentia perçu comme dépassant engendre plutôt le
apprehenduntur, desperationem magis quam spem désespoir que l’espérance. Du fait donc que la
faciunt; unde secundum hoc quod inest alicui possibilité de quelque chose d’ardu se trouve
facultas in aliquod arduum, secundum hoc est chez quelqu’un, l’inclination à ce qui est ainsi
inclinatio in illud arduum; et ideo in illud arduum ardu existe. L’inclination de l’appétit sensible à
quod proportionatur facultati naturae sensitivae, une chose ardue qui est proportionnée à la
inclinatio sensitivi appetitus spem facit, quae est capacité de la nature sensible suscite donc
passio; in illud vero arduum quod proportionatur l’espoir, qui est une passion; l’inclination à une
naturae intellectivae, inclinatio illius facit spem,chose ardue qui est proportionnée à la nature
quae est actus voluntatis. Sed quia est aliquod intellectuelle suscite l’espérance, qui est un acte
arduum quod excedit facultatem naturae, ad quod de la volonté. Mais parce qu’il existe quelque
homo per gratiam potest pervenire, scilicet ipse chose d’ardu qui dépasse la capacité de la nature,
Deus, inquantum est nostra beatitudo; ideo oportet à quoi l’homme peut parvenir par la grâce, à
quod ex aliquo dono gratuito naturae superaddito savoir Dieu lui-même en tant qu’il est notre
fiat inclinatio in illud arduum; et illud donum est béatitude, il est donc nécessaire que l’inclination
habitus spei et quia habet objectum ipsum Deum, à cette chose ardue vienne d’un don gratuit
ideo oportet quod sit virtus theologica: et ideo in ajouté à la nature. Ce don est l’habitus de
secunda definitione spei quam Magister ponit, l’espérance, et parce qu’il a Dieu comme objet, il
exprimitur tota ratio spei secundum quod est est donc nécessaire qu’il soit une vertu
virtus theologica. Expectatio enim, ut ex dictis théologale. Aussi, dans le seconde définition de
patet, proprie loquendo, dicit extensionem l’espérance que le Maître donne, toute la raison
appetitus in aliquod arduum; certa autem dicit de l’espérance, selon qu’elle est une vertu
completionem praedictae extensionis, et quasi théologale, est donc exprimée. En effet, comme
determinationem; et in hoc completur ratio spei cela ressort de ce qui a été dit, l’attente exprime
absolute. Objectum autem quod facit spem esse à proprement parler une élan de l’esprit vers
theologicam virtutem, est futura beatitudo. Illud quelque chose d’ardu; [l’attente] certaine
autem unde est facultas perveniendi in finem exprime l’achèvement de l’élan mentionné et
istum, est gratia, et merita, sive accipiatur gratiacomme sa détermination. C’est en cela que
pro divina liberalitate, sive pro dono gratuito. s’accomplit de manière absolue la raison
d’espérance. Mais l’objet qui fait de l’espérance
une vertu théologale est la béatitude future. Or,
ce dont vient la capacité de parvenir à cette fin
est la grâce et les mérites, que la grâce soit
entendue comme la générosité divine ou comme
un don gratuit.
[11004] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. Certains disent que même l’appétit de la
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primum ergo dicendum, quod quidam dicunt quod raison se divise en irascible et en concupiscible;
etiam appetitus rationis dividitur per irascibilem et de ce point de vue, la proposition comporte une
concupiscibilem: et secundum hoc propositio fausseté. Mais parce que tous les auteurs qui font
habet falsitatem. Sed quia omnes auctores une distinction entre irascible et concupiscible,
distinguentes irascibilem a concupiscibili, sive qu’ils soient des saints ou des philosophes,
sancti, sive philosophi, ponunt irascibilem et placent l’irascible et le concupiscible dans
concupiscibilem in appetitu sensitivo; ideo l’appétit sensible, il faut donc dire que le sujet de
dicendum, quod subjectum spei, prout dicitur l’espérance, pour autant qu’elle signifie une
virtus theologica, non est vis irascibilis, sed vertu théologale, n’est pas la puissance irascible,
voluntas, inquantum actus ejus spes dici potest: mais la volonté, pour autant que son acte peut
nisi forte ipsam voluntatem, inquantum habet être appelé l’espérance, à moins que nous
actus similes actibus irascibilis, dicamus appelions irascible cette volonté elle-même pour
irascibilem; sed tunc irascibilis et concupiscibilis autant qu’elle a des actes semblables aux actes
non erunt diversae potentiae, sed nominabunt de l’irascible. Toutefois, l’irascible et le
eamdem potentiam, scilicet voluntatem, concupiscible ne seront pas alors des puissances
secundum diversos actus. différentes, mais ils désigneront la même
puissance, à savoir, la volonté, selon divers
actes.
[11005] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. Comme on l’a dit à la question précédente,
secundum dicendum, quod, sicut supra, praec. a. 3 et 4, ad 5, tendre vers quelque chose d’ardu
quaest., art. 3 et 4 ad 5, dictum est, extendi in se réalise de deux manières : soit qu’il s’agisse
aliquod arduum, est dupliciter: quia vel est bonum d’un bien vers lequel on tend pour l’acquérir, et
in quod extenditur ut acquiratur; et sic extendi est tendre de cette manière relève de l’espérance; ou
spei: vel in aliquod arduum, ut repellatur; et hoc vers quelque chose d’ardu pour l’écarter, et cela
est audaciae. Et similiter resilire ab aliquo arduo relève de l’audace. De même, reculer devant
est dupliciter: quia vel est bonum quod propter quelque chose d’ardu se réalise de deux
difficultatem dimittitur; et sic est desperatio: vel manières : soit il s’agit d’un bien qui est écarté
est malum quod propter difficultatem fugitur; et en raison de sa difficulté, et on a ainsi le
sic est timor. Et sic patet quod spes non inter désespoir; soit il s’agit d’un mal qui est fui en
audaciam et timiditatem est, sed inter raison des sa difficulté, et on a ainsi la crainte. Il
praesumptionem et desperationem. Fortitudo ressort ainsi clairement que l’espérance n’est pas
autem quae habet pericula pro objecto, est inter intermédiaire entre l’audace et la timidité, mais
timiditatem et audaciam. Et ideo spes et fortitudo entre la présomption et le désespoir. Mais la
non est idem. Nec fortitudo potest esse virtus force, qui a pour objet les dangers, se situe entre
theologica: quia Deus, qui est objectum virtutis la timidité et l’audace. L’espérance et la force ne
theologicae, non habet rationem periculi quamvis sont donc pas la même chose. La force ne peut
habeat rationem ardui. Sed quia ex fine diriguntur pas non plus être une vertu théologale, car Dieu,
ea quae sunt ad finem, ideo virtutes theologicae, qui est l’objet d’une vertu théologale, n’a pas le
quae habent finem ultimum pro objecto, non caractère d’un danger, bien qu’il ait le caractère
solum operantur circa ipsum secundum se, sed ut d’ardu. Mais parce que ce qui tend vers la fin est
est directivum aliorum quae sunt ad finem; et ideo dirigé par la fin, les vertus théologales, qui ont la
sunt quodammodo principia aliarum virtutum. fin ultime comme objet, n’agissent pas
Sicut fides non solum cognoscit verum primum, seulement en vue d’elle pour elles-mêmes, mais
sed etiam alia quae ex veritate prima comme dirigeant les autres choses qui sont
manifestantur ordinantia in ipsam; unde et in ordonnées à la fin. C’est pourquoi elles sont
articulis fidei multa continentur quae ad creaturas d’une certaine manière les principes des autres
pertinent. Similiter et caritas non solum facit vertus – comme la foi ne connaît pas seulement
diligere Deum, sed etiam proximum propter la Vérité première, mais aussi les autres choses
Deum. Similiter et spes non facit tendere in ipsum qui sont manifestées par la Vérité première et qui
Deum ut quoddam arduum consequendum, sed ordonnent à elle; ainsi plusieurs choses qui se
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etiam ut ex ipso est auxilium in omnibus aliis rapportent à des créatures sont-elles contenues
arduis, vel bonis acquirendis, vel malis vincendis. dans les articles de foi. De même la charité ne
Unde qui habet spem, sperat Deum consequi, fait-elle pas seulement aimer Dieu, mais aussi le
speratque per ipsum omnia necessaria, prochain à cause de Dieu. De même aussi,
quantumcumque sint difficilia, obtinere: sperat l’espérance ne fait-elle pas [seulement] tendre
omnia nociva, quantumcumque sint difficilia, vers Dieu lui-même comme vers quelque chose
repellere. Et secundum hoc spes est in homine d’ardu à obtenir, mais aussi comme vers une aide
principium omnium operationum quae ad bonum venant de lui-même pour toutes les autres choses
arduum ordinantur, sicut caritas omnium quae in difficiles, qu’il s’agisse de biens à acquérir ou de
bonum tendunt, et sicut fides omnium quae ad maux à vaincre. Aussi celui qui a l’espérance
cognitionem pertinent. Unde fides est in gratuitis, espère-t-il obtenir Dieu et il espère obtenir par
sicut intellectus principiorum in naturalibus et lui tout ce qui est nécessaire, aussi difficile que
acquisitis; unde secundum hoc dicitur: in spe erit ce soit, et il espère écarter tout ce qui nuit, aussi
fortitudo vestra; non quasi spes sit ipsa fortitudo, difficile que ce soit. De ce point de vue,
sed quia est principium ipsius fortitudinis. l’espérance est chez l’homme le principe de
toutes les opérations qui sont ordonnées à un
bien ardu, comme la charité, de tout ce qui tend
vers le bien, et comme la foi, de tout ce qui se
rapporte à la connaissance. La foi est donc pour
ce qui est gratuit comme l’intelligence des
principes pour ce qui est naturel et acquis. Aussi
est-il dit : Votre force sera dans l’espérance, non
pas que l’espérance soit la force elle-même, mais
parce qu’elle est le principe de la force même.
[11006] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. L’attente de la patience est l’attente de l’aide
tertium dicendum, quod expectatio patientiae est divine dans les dangers; mais l’attente de la
expectatio divini auxilii in periculis; expectatio longanimité est l’attente de l’aide divine dans les
autem longanimitatis est expectatio divini auxilii efforts d’une action tendue vers l’obtention d’un
in laboribus actionis tendentis in aliquod bonum bien ardu. Il ressort donc de ce qui a été dit que
arduum obtinendum. Unde patet ex praedictis l’attente de la patience et celle de la longanimité
quod expectatio patientiae et longanimitatis est participent à l’attente de l’espérance selon que
per participationem expectationis a spe, secundum les vertus secondes participent aux vertus
quod virtutes posteriores participant aliquid a premières, comme toutes les vertus morales
prioribus; sicut omnes morales a prudentia, et [participent] à la prudence et toutes les autres
omnes aliae virtutes participant aliquid a caritate, vertus participent à quelque chose de la charité, à
scilicet desiderium summi boni, propter quod savoir le désir du Bien suprême en vue duquel
operantur. elles agissent.
[11007] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. La magnanimité se rapproche davantage de
quartum dicendum, quod magnanimitas magis l’espérance que l’une des vertus mentionnées,
accedit ad spem quam aliqua dictarum virtutum: car elle est l’élan de l’appétit vers l’obtention
quia est secundum extensionem appetitus in d’un bien ardu; elle porte donc sur la passion de
aliquod bonum arduum obtinendum; et ideo circa l’espoir et ses contraires, de sorte que les trois
spem passionem versatur, et ejus opposita, ut sic vertus se trouvent dans l’irascible selon trois
sint in irascibili tres virtutes quantum ad tria genres de passions : la magnanimité, pour le
genera passionum. Magnanimitas quidem genre de l’espoir et des autres qui l’entourent,
quantum ad genus spei et aliarum passionum qui ont comme objet un bien ardu attendu; la
circumstantium ipsam, quae habent bonum force, pour la crainte et l’audace; la douceur,
arduum expectatum pro objecto; fortitudo autem pour la colère. Cependant, la magnanimité n’est
circa timorem et audaciam; mansuetudo autem pas la même chose que la vertu d’espérance, car
circa iram. Sed tamen magnanimitas non est idem elle porte sur quelque chose d’ardu dans les
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quod spes virtus: quia est circa arduum quod choses humaines, et non sur quelque chose
consistit in rebus humanis, non circa arduum quod d’ardu qui est Dieu. Aussi n’est-elle pas une
est Deus; unde non est virtus theologica, sed vertu théologale, mais morale, qui participe à
moralis, participans aliquid a spe. quelque chose de l’espérance.

Articulus 3 [11008] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 Article 3 – L’espérance est-elle une vertu
a. 3 tit. Utrum spes sit virtus distincta ab aliis distincte des autres [vertus théologales] ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’espérance est-elle une
vertu distincte des vertus théologales ?]
[11009] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 1. Il semble que l’espérance ne soit pas une vertu
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod distincte des autres vertus théologales. En effet,
spes non sit virtus distincta ab aliis virtutibus les vertus se distinguent par leurs actes et leurs
theologicis. Virtutes enim distinguuntur per actus objets. Or, l’espérance est l’attente de la
et objecta. Sed spes est expectatio futurae béatitude future, qui est aussi l’objet des autres
beatitudinis, quae est etiam objectum omnium vertus théologales. L’espérance ne se distingue
virtutum theologicarum. Ergo spes non donc pas des autres vertus théologales.
distinguitur ab aliis virtutibus theologicis.
[11010] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 2. Les vertus théologales nous ordonnent
arg. 2 Praeterea, virtutes theologicae ordinant nos immédiatement à Dieu. Or, on [lui] est
immediate ad Deum. Sed aliquis sufficienter suffisamment ordonné par le fait de le connaître
ordinatur per hoc quod cognoscit eum, et amat et de l’aimer, ce que réalisent la foi et la charité.
ipsum: quod facit fides et caritas. Ergo spes non L’espérance ne se distingue pas des deux autres.
distinguitur ab utraque.
[11011] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 3. Attendre est un acte d’espérance. Or, attendre
arg. 3 Praeterea, expectare est actus spei. Sed relève de la foi, car il est dit dans le symbole :
expectare pertinet ad fidem: quia in symbolo « J’attends la résurrection des morts. »
dicitur: expecto resurrectionem mortuorum. Ergo L’espérance ne diffère donc pas de la foi.
spes non differt a fide.
[11012] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 4. Il semble [que l’espérance ne se distingue] pas
arg. 4 Praeterea, videtur quod nec a caritate. Quia non plus de la charité, car il revient à l’espérance
spei est tendere in Deum, quod est proprium de tendre vers Dieu, ce qui est le propre de la
caritatis. Ergo spes non differt a fide, et caritate. charité. L’espérance ne diffère donc pas de la foi
ni de la charité.
[11013] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] dans 1 Co 13, l’espérance est
c. 1 Sed contra, 1 Corinth. 13, spes connumeratur énumérée avec les deux autres. Elle diffère donc
aliis duabus. Ergo differt ab eis. d’elles.
[11014] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 s. [2] On parle de l’espérance qui se trouve dans la
c. 2 Praeterea, spes in voluntate dicitur ad volonté par ressemblance avec l’espoir qui se
similitudinem spei quae est in irascibili, ut prius trouve dans l’irascible, comme on l’a dit
dictum est. Sed spes quae est passio irascibilis, antérieurement. Or, l’espoir, qui est une passion
differt a cognitione quae est fidei, et amore qui est de l’irascible, diffère de la connaissance qui est
caritatis. Ergo spes quae est in voluntate, differt a celle de la foi, et de l’amour qui est celui de la
fide et caritate. charité. L’espérance qui se trouve dans la
volonté diffère donc de la foi et de la charité.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’espérance doit-elle être
formée par la charité ?]
[11015] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 1. Il semble que l’espérance ne puisse exister que
arg. 1 Ulterius. Videtur quod spes non possit esse formée par la charité. En effet, l’espérance
nisi formata caritate. Spes enim praesupponit présuppose des mérites, comme cela ressort de sa
merita, ut patet ex definitione ipsius. Sed meritum définition. Or, le mérite ne peut exister chez
815

non potest esse in habente aliquam virtutem celui qui a une vertu informe. L’espérance ne
informem. Ergo spes non potest esse informis. peut donc exister informe.
[11016] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 2. Du fait même que la foi tend vers Dieu, elle
arg. 2 Praeterea, ex hoc ipso quod tendit fides in est une foi formée. Or, l’espérance comporte de
Deum, est fides formata. Sed spes habet in Deum tendre vers Dieu. L’espérance est donc toujours
tendere. Ergo semper est spes formata. formée.
[11017] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 3. Augustin dit que « toute affection vient de
arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, quod omnis l’amour ». Or, l’espérance est une affection. Elle
affectio ex amore est. Sed spes est affectio vient donc de l’amour. Or, tout ce qui vient de
quaedam. Ergo est ex amore. Sed omne quod est l’amour est formé, car il appartient à la charité de
ex amore, est formatum: quia caritatis est formare former les autres vertus. L’espérance est donc
alias virtutes. Ergo spes semper est formata. toujours formée.
[11018] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] de même que la crainte porte sur
c. 1 Sed contra, sicut timor est suppliciorum les supplices éternels, de même l’espérance
aeternorum, ita et spes praemiorum. Sed timor [porte-elle] sur les récompenses [éternelles]. Or,
potest esse formatus et informis. Ergo et spes. la crainte peut être formée ou informe. Donc,
l’espérance aussi.
[11019] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 s. [2] Quiconque ne possède pas l’espérance est
c. 2 Praeterea, quicumque non habet spem, est désespéré. Or, quiconque pèche mortellement ne
desperatus. Sed quicumque peccat mortaliter, non possède pas une espérance formée. Si donc toute
habet spem formatam. Si ergo omnis spes esset espérance était formée, quiconque pèche
formata, quicumque peccat mortaliter, esset mortellement serait désespéré. Or, le désespoir
desperatus. Sed desperatio est peccatum in est le péché contre l’Esprit Saint. Quiconque
spiritum sanctum. Ergo quicumque peccaret pécherait mortellement pécherait donc contre
mortaliter, peccaret in spiritum sanctum, quod est l’Esprit, ce qui est faux.
falsum.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11020] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Comme on l’a dit plus haut, d 13, q. 1, a. 4, qa 2,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, c., les vertus théologales existent afin de nous
quod, sicut supra, dist. 13, quaest. 1, art. 4, ordonner à la fin ultime. Or, pour que quelqu’un
quaestiunc. 2, in corp., dictum est, virtutes commence à agir en vue d’une fin, il faut, en
theologicae sunt ad ordinandum nos in finem premier lieu, qu’il connaisse cette fin, et, en
ultimum. Ad hoc autem quod aliquis incipiat second lieu, qu’il la désire. Mais parce que la
operari propter finem aliquem, oportet primo volonté porte sur ce qui est possible et sur ce qui
quod cognoscat finem illum, et secundo quod est impossible, et que l’on n’agit pas en vue de
desideret ipsum. Sed quia voluntas est possibilium quelque chose qu’il est impossible d’obtenir,
et impossibilium; neque aliquis operatur propter bien qu’on le désire, il est donc nécessaire que,
aliquid quod est impossibile adipisci, quamvis pour que la volonté commence à agir, elle tende
illud appetat: ideo oportet quod voluntas ad hoc vers cela comme vers quelque chose de possible.
quod operari incipiat, tendat in illud sicut in Cette inclination de la volonté tendant vers le
possibile: et haec inclinatio voluntatis tendentis in bien éternel comme quelque chose qui nous est
bonum aeternum quasi possibile sibi per gratiam, possible par la grâce est l’acte de l’espérance.
est actus spei. Et ideo spes est aliquid distinctum a C’est pourquoi l’espérance est quelque chose de
fide et caritate: quia fides facit cognitionem de distinct de la foi et de la charité, car la foi donne
fine, inquantum ostendit finem bonum esse, et sic la connaissance de la fin, pour autant qu’elle
insurgit motus caritatis; inquantum vero ostendit montre que la fin est bonne, et ainsi se lève le
finem esse possibilem, sic insurgit motus spei: mouvement de la charité; mais, pour autant
quia fides est fundamentum omnium virtutum, qu’elle montre que la fin est possible, le
praecedens omnes quantum ad naturalem ordinem mouvement de l’espérance se lève ainsi, car la
actuum. foi est le fondement de toutes les vertus et les
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précède toutes selon l’ordre naturel des actes.


[11021] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 1. La même réalité est en réalité l’objet de toutes
1 Ad primum ergo dicendum, quod idem les vertus théologales, mais elle difère selon la
secundum rem est objectum omnium virtutum raison, car, en tant qu’elle est la Vérité première,
theologicarum, sed differt secundum rationem: elle est objet de la foi; en tant qu’elle est le Bien
quia inquantum est primum verum, est objectum suprême, elle est objet de la charité; en tant
fidei; inquantum est summum bonum, est qu’elle est ce qu’il y a de plus élevé et ardu, elle
objectum caritatis; inquantum est altissimum est objet de l’espérance. Et parce que la béatitude
arduum, est objectum spei. Et quia beatitudo désigne ce qu’il y a de plus ardu, puisqu’elle est
nominat maxime arduum, cum sit status omnium « l’état achevé de la concentration de tous les
bonorum aggregatione completus, ut dicit biens », comme le dit Boèce, c’est pourquoi la
Boetius, ideo in definitione spei praecipue ponitur béatitude est placée comme élément principal
beatitudo. Virtus autem et potentia non differunt dans la définition de l’espérance. Mais la vertu et
ex objectis secundum differentiam realem objecti, la puissance ne diffèrent pas par les objets selon
sed secundum diversas rationes objecti: quae une différence réelle de l’objet, mais selon les
quidem rationes formaliter complent objectum diverses raisons de l’objet, raisons qui
ipsum. complètent de manière formelle l’objet lui-
même.
[11022] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 1 ad 2. Ces deux choses ne suffisent pas pour que
2 Ad secundum dicendum, quod illa duo non quelqu’un commence à agir en vue d’une fin,
sufficiunt ad hoc quod aliquis incipiat operari comme on l’a dit dans le corps de l’article.
propter finem, ut dictum est in corp. art.
[11023] Super Sent., lib. 3 d. 26, q. 2 a. 3 qc. 1 ad 3. On dit que la foi attend dans la mesure où est
2 Ad tertium dicendum, quod fides dicitur elle est l’origine de l’attente, en montrant que ce
expectare, inquantum est origo expectationis, qui doit être attendu peut en soi être acquis.
ostendendo illud quod est expectandum, ex se
possibile acquiri.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11025] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 co. Comme on l’a dit plus haut, à la question
Ad secundam quaestionem dicendum, quod, sicut précédente, a. 8, c., le désir et l’amour diffèrent
supra dictum est, quaest. praec., art. 8, in corp., en ceci que l’amour comporte parfois un certain
desiderium et amor in hoc differunt quod amor caractère commun et une connaturalité avec ce
quodammodo importat quamdam convenientiam qui est aimé, qui se réalise lorsque ce qui est
et connaturalitatem ad amatum, quod quidem aimé est possédé d’une certaine manière. Mais le
perficitur dum amatum aliquo modo habetur; désir comporte un mouvement vers cela même
desiderium autem importat motum in ipsum qui est aimable, mais non encore possédé. Aussi
amabile nondum habitum; unde motus appetitus le mouvement de l’appétit commence-t-il par le
incipit in desiderio, et terminatur in amore désir et se termine-t-il par l’amour achevé. C’est
completo; et ideo desiderium est quaedam pourquoi le désir est un commencement d’amour
inchoatio amoris, et quasi quidam amor et comme un amour imparfait. Mais parce que la
imperfectus. Sed quia primum habere rei est possession d’une chose se réalise d’abord selon
secundum quod est in potentia: quia quod est in ce qui existe en puissance – car ce qui existe
facultate habentis, quasi jam haberi reputatur: dans la capacité de celui qui possède est
ideo primum quod amorem inducit, est facultas considéré comme si cela était déjà possédé -,
habendi id quod desideratur. In hac autem c’est la raison pour laquelle ce qui suscite en
facultate spes consistit; et ideo amor rei distantis, premier l’amour est la capacité de posséder ce
quae actu non habetur, praesupponit spem. Sed qui est désiré. Or, l’espérance consiste dans cette
quia spes non est nisi boni, et primus motus capacité. C’est pourquoi l’amour d’une chose
appetitus in bonum, est desiderium; ideo spes éloignée, qui n’est pas possédée en acte,
praesupponit desiderium, et est media inter présuppose l’espoir. Mais parce que l’espoir ne
817

amorem et desiderium. Et hoc rationabiliter porte que sur le bien, et que le premier
accidit: quia enim irascibilis est propter mouvement de l’appétit vers le bien est le désir,
concupiscibilem, ideo actus irascibilis a l’espoir présuppose donc le désir et est
concupiscibili incipit, et in concupiscibili intermédiaire entre l’amour et le désir. Cela est
terminatur. Amor enim et desiderium in d’ailleurs raisonnable. En effet, l’irascible existe
concupiscibili sunt; spes autem in irascibili; et en vue du concupiscible et se termine dans le
similis est eorum ordo secundum quod est in concupiscible, car l’amour et le désir se trouvent
voluntate. Unde patet quod actus fidei praecedit dans le concupiscible, mais l’espoir dans
desiderium, quia omnis actus affectivae l’irascible, et leur ordre est le même que celui
praesupponit actum cognitivae; desiderium autem qui existe dans la volonté. Il est donc clair que
praecedit spem, spes autem amorem; et ideo sicut l’acte de la foi précède le désir, car tout acte de
fides potest esse informis, quia actus ejus la partie affective présuppose un acte de la partie
praecedit actum amoris; ita et spes. cognitive; mais le désir précède l’espoir, et
l’espoir, l’amour. Aussi, de même que la foi peut
être informe parce que son acte précède l’acte
d’amour, de même en est-il de l’espérance.
[11026] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1. L’espérance ne présuppose pas de mérites en
1 Ad primum ergo dicendum, quod spes non acte, mais en intention. En effet, quelqu’un
praesupponit merita in actu, sed in proposito. Non n’espère pas à cause des mérites, comme si les
enim aliquis sperat propter merita, quasi merita mérites existants produisaient l’acte d’espérance,
existentia producant actum spei; sed quia per mais parce que, par les mérites qu’il se propose,
merita quae proponit, ad beatitudinem se il espère parvenir à la béatitude.
pervenire sperat.
[11027] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2. La foi formée tend vers Dieu par l’amour,
2 Ad secundum dicendum, quod fides formata mais la foi informe [ne le fait pas] par l’amour,
tendit in Deum ex amore; sed spes informis non mais par le désir.
est ex amore, sed ex desiderio.
[11028] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3. L’amour est entendu là au sens large pour
3 Ad tertium dicendum, quod ibi accipitur amor l’amour imparfait qu’est le désir, qui est le
large pro amore imperfecto, quod est desiderium, premier mouvement de la puissance appétitive;
quod est primus motus appetitivae virtutis: mais le désir ne suffit pas à donner forme aux
desiderium autem non sufficit ad formandum actes des vertus.
actus virtutum.
Articulus 4 [11029] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 Article 4 – L’acte de l’espérance comporte-il
a. 4 tit. Utrum spes habeat certitudinem in suo une certitude ?
actu
[11030] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 1 1. Il semble que l’acte d’espérance ne comporte
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod spes non pas de certitude. En effet, la certitude concerne la
habeat certitudinem in suo actu. Certitudo enim ad connaissance, car elle s’oppose au doute. Or,
cognitionem pertinet, quia dubitationi opponitur. l’espérance ne concerne pas la connaissance,
Sed spes non pertinet ad cognitionem, sed ad mais l’affectivité. La certitude ne concerne donc
affectionem. Ergo ad spem non pertinet certitudo. pas l’espérance.
[11031] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 2 2. Il ne peut y avoir de certitude de ce qui
Praeterea, de eo quod nunquam erit, non potest n’existera jamais. Or, quelqu’un a l’espérance de
esse certitudo. Sed aliquis habet spem de vita la vie éternelle qu’il ne possédera jamais.
aeterna, quam nunquam habebit. Ergo spes non L’espérance ne comporte donc pas de certitude.
habet certitudinem.
[11032] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 3 3. Tout ce qui dépend de quelque chose de
Praeterea, omne quod dependet ex contingenti, contingent ne peut avoir de certitude que lorsque
non potest habere certitudinem, nisi quando jam cela existe déjà. Or, le fait pour quelqu’un
818

est. Sed hunc habere vitam aeternam, dependet ex d’avoir la vie éternelle dépend de ses mérites
meritis, quae sunt ex libero arbitrio, quod est provenant du libre arbitre, qui est la cause la plus
maxime contingens causa. Ergo non potest esse contingente. Il ne peut donc y avoir de certitude
certitudo de hoc quod iste habeat vitam aeternam; du fait que celui-là possédera la vie éternelle.
ergo cum spes sit de hoc, videtur quod spes non Puisque l’espérance porte sur cela, il semble
habeat certitudinem. donc que l’espérance ne comporte pas de
certitude.
[11033] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 4 4. Il ne peut exister pour une même chose
Praeterea, non potest de eodem esse certitudo, seu certitude, assurance et crainte. Or, l’homme,
securitas, et timor. Sed homo quamdiu in hac vita aussi longtemps qu’il est en cette vie, a une juste
est, habet timorem castum de separatione a Deo. crainte d’être séparé de Dieu. Il ne peut donc
Ergo non potest habere certitudinem de habendo avoir la certitude de posséder la vie éternelle.
vitam aeternam.
[11034] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 arg. 5 5. Personne ne possédera la vie éternelle à moins
Praeterea, nullus habebit vitam aeternam, nisi d’avoir la charité et la grâce. Or, personne ne sait
habeat caritatem et gratiam. Sed nullus scit se s’il a la grâce et la charité, ni s’il les aura à la fin.
habere gratiam et caritatem, necdum ut finaliter Il ne peut donc y avoir de certitude de la vie
habeat. Ergo non potest esse in spe certitudo de éternelle dans l’espérance.
vita aeterna.
[11035] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] 2 Tm 1, 12 dit : Je sais en qui j’ai
Sed contra, 2 Tim. 1, 12: scio cui credidi, et mis ma foi, et j’ai la certitude, car il est capable
certus sum quia potens est depositum meum de sauver mon dépôt en ce jour. Or, cela relève
servare in illum diem. Sed hoc ad spem pertinet. de l’espérance. L’espérance a donc une certitude.
Ergo spes habet certitudinem.
[11036] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 2 [2] Le Philosophe dit que la vertu est plus
Praeterea, philosophus dicit, quod virtus est certaine que l’art. Or, l’espérance est une vertu.
certior omni arte. Sed spes est virtus. Ergo habet Elle possède donc une certitude.
certitudinem.
[11037] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 s. c. 3 [3] De même que la foi se fonde sur la Vérité
Praeterea, sicut fides innititur primae veritati, ita première, de même l’espérance [se fonde-t-elle]
spes summae largitati: quia ex gratia provenit, ut sur la générosité suprême. Or, la libéralité
in littera dicitur. Sed summa largitas non potest suprême ne peut faire défaut à quelqu’un, pas
alicui deficere, sicut neque prima veritas aliquem plus que la Vérité première ne peut tromper
decipere. Ergo sicut fides habet certitudinem, ita quelqu’un. Donc, de même que la foi comporte
et spes. une certitude, de même aussi l’espérance.
[11038] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 co. Réponse. Certains ont dit que l’espérance n’a de
Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt, certitude que celle de la foi Mais ils divergent
quod spes non habet aliam certitudinem nisi a sur le fait que la certitude la foi a un caractère
fide; sed in hoc differunt quod certitudo fidei est universel. Ainsi, tout homme bon aura la vie
in universali, sicut quod quilibet bonus habebit éternelle. Mais la certitude de l’espérance a un
vitam aeternam; certitudo autem spei est in caractère particulier : ainsi, si celui-ci agit bien,
particulari, sicut quod iste, si bene facit, habebit il aura la vie éternelle. C’est pourquoi la
vitam aeternam; et ideo certitudo fidei est certitude de la foi est absolue et universelle, mais
absoluta et universalis, certitudo autem spei la certitude de l’espérance est particulière et
particularis est, et conditionata. Sed hoc non conditionnelle. Mais cela ne tient pas, car
potest stare: quia universale et particulare non l’universel et le particulier ne diversifient ni une
diversificant potentiam neque habitum; unde puissance ni un habitus. Aussi l’espérance ne
secundum hoc spes a fide non differret secundum différerait-elle de la foi pour cette raison et ne se
habitum, neque in alia potentia esset; quod trouverait-elle pas non plus dans une autre
omnino falsum est. Et ideo aliter est dicendum, puissance, ce qui est tout à fait faux. C’est
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quod certitudo proprie dicitur firmitas adhaesionis pourquoi il faut dire autre chose. À proprement
virtutis cognitivae in suum cognoscibile. Sed parler, on appelle certitude la fermeté de
omnis operatio et motus cujuscumque tendentis in l’adhésion d’une puissance cognitive à ce qui est
finem est ex cognitione dirigente, vel conjuncta, connaissable par elle. Or, toute opération et tout
sicut in agentibus per voluntatem, vel remota, mouvement de celui qui tend vers une fin vient
sicut in agentibus per naturam. Quia vero non de la connaissance qui dirige ou qui lui est
tenderet determinate in finem suum nisi ab aliqua associée, comme dans le cas des agents
cognitione praecedente in ipsum ordinaretur, inde volontaires, ou qui en est éloignée, comme dans
est quod opus naturae est simile operi artis, le cas des agents naturels. Mais parce qu’elle ne
inquantum per determinata media tendit in suum tendrait pas de manière déterminée vers sa fin si
finem. Et hoc habet ex determinatione divinae elle n’était ordonnée vers elle par une
sapientiae instituentis naturam; et ideo nomina connaissance préalable, de là vient que l’action
quae ad cognitionem pertinent, ad naturales de la nature est semblable à l’œuvre de l’art,
operationes transferuntur; sicut dicitur quod pour autant qu’elle tend vers sa fin à travers des
natura sagaciter operatur et infallibiliter; et sic intermédiaires déterminés. Et elle tient cela de la
etiam dicitur certitudo in natura tendente in finem. détermination de la sagesse divine qui crée la
Et quia virtus in modum naturae operatur nature. C’est ainsi que les mots qui se rapportent
inclinando in determinatum finem, ideo virtus à la connaissance sont transférés aux opérations
dicitur esse certior arte; sicut et natura inquantum naturelles; ainsi on dit que la nature agit avec
inclinat infallibiliter, quantum ex ea est, in finem: sagesse et de manière infaillible; de même aussi
et talis est certitudo spei; aliter tamen quam in parle-t-on de la certitude de la nature qui tend
aliis virtutibus. Quia enim spes supponit vers sa fin. Et parce que la vertu agit selon le
facultatem in finem perveniendi, quae quidem est mode de la nature en inclinant vers une fin
ex liberalitate divina ordinante nos in finem, et ex déterminée, on dit donc que la vertu est plus
meritis, secundum quae omnes virtutes in finem certaine que l’art, comme la nature, en tant que,
ultimum perveniunt; ideo certitudo spei causatur d’elle-même, elle incline infailliblement vers sa
ex liberalitate divina ordinante nos in finem, et fin. Telle est la certitude de l’espérance, mais
etiam ex inclinatione omnium aliarum virtutum, et autrement que pour les autres vertus. En effet,
etiam ex inclinatione ipsius habitus: et ideo parce que l’espérance suppose la capacité de
praeter certitudinem quam habet ut quaedam parvenir à la fin, qui vient de la générosité divine
virtus, includit certitudinem quae est in omnibus qui nous ordonne à cette fin, et des mérites par
aliis virtutibus, et ulterius certitudinem divinae lesquels toutes les vertus parviennent à la fin
ordinationis. ultime, la certitude de l’espérance est donc
causée par la générosité divine qui nous ordonne
à la fin, par l’inclination de toutes les autres
vertus, et aussi par l’inclination de l’habitus lui-
même. C’est pourquoi, en plus de la certitude
qu’elle possède comme vertu, elle comporte la
certitude qui existe dans toutes les autres vertus
et, en plus, la certitude d’une disposition divine.
[11039] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 1 Ad 1. La certitude se trouve en premier et
primum ergo dicendum, quod certitudo primo et principalement dans la connaissance; mais, par
principaliter est in cognitione: sed per ressemblance et par mode de participation, elle
similitudinem et participative est in omnibus se trouve dans toutes les actions de la nature et
operibus naturae et virtutis. de la vertu.
[11040] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 2 Ad 2. La certitude de la connaissance vient d’elle-
secundum dicendum, quod certitudo cognitionis même; mais la certitude de la nature vient d’un
est ex seipsa; certitudo autem naturae est ex alio autre qui ordonne à la fin. C’est pourquoi la
ordinante in finem; et ideo certitudo cognitionis certitude de la connaissance ne fait jamais
nunquam deficit, sed certitudo naturae deficit défaut, mais la certitude de la nature fait parfois
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quidem non per se, sed per accidens, quia talis défaut, non pas par elle-même, mais par
defectus non est ex ipso directivo in finem, ex quo accident, car un tel défaut ne vient pas de celui-là
habet certitudinem, sed ex aliquo accidente; sicut même qui dirige vers la fin et dont elle tient sa
ignis habet certitudinem absolutam calefaciendi, certitude, mais d’un accident, comme le feu
et tamen deficit quandoque ex aliquo possède la certitude absolue de réchauffer, mais
impedimento. Et similiter est de spe; unde etiam y fait cependant parfois défaut en raison d’un
ipsa inclinationis naturae certitudo dicitur spes, ut empêchement. De même en est-il de l’espérance.
patet Rom. 4, 18: qui contra spem in spem Ainsi, l’inclination de la nature elle-même est-
credidit. elle appelée une espérance, comme cela ressort
de Rm 4, 18 : Lui qui a cru en l’espérance
contre toute espérance.
[11041] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 3 Et 3. Il faut dire la même chose pour le troisième
similiter dicendum ad tertium. argument.
[11042] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 4 Ad 4. Aussi longtemps que nous sommes en cette
quartum dicendum, quod quamdiu in hac vita vie, il peut exister un empêchement accidentel à
sumus, potest esse accidentale impedimentum ne ce que l’espérance, qui de soi possède la
spes, quae de se certitudinem habet, suum finem certitude, atteigne sa fin. C’est pourquoi la
consequatur; et ideo nunc cum spe adjungitur crainte de la séparation est maintenant associée à
timor separationis; sed in futuro, quando non l’espérance. Mais, dans l’avenir, alors qu’il ne
poterit esse accidentale impedimentum, tunc non pourra y avoir d’empêchement accidentel, il n’y
erit timor separationis, neque etiam spes; quia aura alors pas de crainte de la séparation, ni non
quod sperabatur, tunc habebitur. plus d’espérance, car ce qui était espéré sera
alors possédé.
[11043] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 4 ad 5 Ad 5. Bien que je ne sache pas si j’aurai la charité à
quintum dicendum, quod licet nesciam utrum la fin, je sais cependant que la charité et les
finaliter habiturus sim caritatem, tamen scio quod mérites que j’ai en vue conduisent avec certitude
caritas et merita quae in proposito habeo, ad vitam à la vie éternelle. Il ressort clairement de ce qui a
aeternam certitudinaliter perducunt. Ex praedictis été dit plus haut que la certitude de l’espérance et
patet quod certitudo spei et fidei in quatuor de la foi diffèrent sur quatre points.
differunt. Primo in hoc quod certitudo fidei est Premièrement, par le fait que la certitude de la
intellectus, certitudo autem spei est affectus. foi relève de l’intellect, mais la certitude de
Secundo, quia certitudo fidei non potest deficere; l’espérance, de l’affectivité. Deuxièmement,
sed certitudo spei per accidens deficit. Tertio, quia parce que la certitude de la foi ne peut faire
certitudo fidei est de complexo; certitudo autem défaut, mais que la certitude de l’espérance peut
spei est de incomplexo, quod est appetitus faire défaut par accident. Troisièmement, la
objectum. Quarto, quia certitudini fidei opponitur certitude de la foi porte sur une réalité complexe,
dubitatio; certitudini autem spei opponitur mais la certitude de l’espérance sur une réalité
diffidentia vel haesitatio. Ideo sciendum est, quod non complexe, qui est l’objet de l’appétit.
certitudo spei, quantum ad inclinationem habitus, Quatrièmement, parce que la doute s’oppose à la
est major in habente spem formatam, etiam certitude de la foi, mais que le manque de
praescito ad mortem, quam in praedestinato confiance ou l’hésitation s’oppose à la certitude
habente spem informem; sed inquantum includit de l’espérance. C’est pourquoi il faut savoir que
certitudinem quae est ex Dei ordinatione, et ex la certitude de l’espérance, pour ce qui est de
meritis quae sunt in proposito, est aequalis in l’inclination de l’habitus, est plus grande chez
utroque. celui qui possède une foi formée, même si l’on
sait d’avance qu’il est destiné à la mort, que chez
le prédestiné qui possède une foi informe; mais,
dans la mesure où elle inclut la certitude qui
vient d’une disposition divine et des mérites
qu’on a en vue, elle est égale chez les deux.
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Articulus 5 [11044] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 Article 5 – L’espérance existait-elle chez le


a. 5 tit. Utrum in Christo fuerit spes Christ ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’espérance existait-elle
chez le Christ ?]
[11045] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 1. Il semble que l’espérance existait chez le
arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod in Christ. Ps 30, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espéré :
Christo fuerit spes. Ps. 30, 1: in te domine speravi; on l’interprète de la personne du Christ. Il a donc
et exponitur in persona Christi. Ergo habuit spem. possédé l’espérance.
[11046] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 2. Il lui manquait quelque chose pour la
arg. 2 Praeterea, deerat ei aliquid ad beatitudinem, béatitude : la gloire du corps. Il pouvait donc
scilicet gloria corporis. Ergo potuit illam sperare, l’espérer, puisque l’espérance est l’attente de la
cum spes sit expectatio beatitudinis. béatitude.
[11047] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 s. Cependant, l’espérance porte sur ce qui n’est
c. 1 Sed contra, spes est de non visis, Rom. 8. Sed pas vu, Rm 8. Or, le Christ voyait les biens
Christus videbat bona aeterna, quorum est spes. éternels, sur lesquels porte l’espérance. Il n’avait
Ergo non habuit spem. donc pas l’espérance.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Les anges et les âmes des
saints ont-ils l’espérance ?]
[11048] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 1. Il semble que les anges et les âmes des saints
arg. 1 Ulterius. Videtur quod Angeli et animae aient l’espérance. En effet, la joie pour le salut
sanctorum spem habeant. Angelis enim accrescit de ceux qu’ils gardent augmente chez les anges.
gaudium ex salute illorum quos custodiunt: Luc. Lc 5, 10 : Les anges de Dieu se réjouissent pour
15, 10: gaudium est Angelis Dei super uno un pécheur qui fait pénitence; de même aussi, les
peccatore poenitentiam agente; et similiter etiam saints se réjouissent-ils des biens des autres, qui
sancti gaudent de bonis aliorum, quae quotidie sont accomplis chaque jour. Ils ont donc quelque
fiunt. Ergo habent aliquid quod sperent. chose à espérer.
[11049] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 2. Les âmes des saints attendent la tunique du
arg. 2 Praeterea, animae sanctorum expectant corps. Aussi leur a-t-il été dit, Ap 6, 11 : Afin
stolam corporis; unde dictum est eis, Apoc. 6, 11, qu’ils attendent encore un peu, le temps que
ut expectarent adhuc modicum tempus, donec soient au complet ceux qui ont servi avec eux.
compleantur conservi eorum. Sed expectatio est Or, l’attente relève de l’espérance. Ils ont donc
spei. Ergo ipsi habent spem. l’espérance.
[11050] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 s. Cependant, lorsque sera venu ce qui est parfait,
c. 1 Sed contra: cum venerit quod perfectum est, ce qui est imparfait sera rejeté, 1 Co 13, 10. Or,
evacuabitur quod ex parte est, 1 Corinth. 13, 10. l’espérance porte sur ce qui est imparfait, car elle
Sed spes ex parte est, quia est de non habitis. Ergo porte sur ce qui n’est pas possédé. Lorsque ce
cum sanctis venerit quod perfectum est, videtur qui est parfait sera venu pour les saints, il semble
quod spem non habeant. donc qu’ils n’auront pas l’espérance.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Les pères qui étaient dans
les limbes avaient-ils l’espérance ?]
[11051] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 1. Il semble que les pères qui étaient dans les
arg. 1 Videtur quod nec patres qui erant in Limbo, limbes n’avaient pas non plus l’espérance, car,
spem habuerint. Quia spes quae differtur, affligit l’espérance qui est reportée afflige l’âme,
animam, ut dicitur in Prov. 13, 12. Sed in sanctis comme il est dit dans Pr 13, 12. Or, chez les
patribus qui erant in Limbo, non erat aliqua saints pères qui se trouvaient dans les limbes, il
afflictio. Ergo non habebant spem. n’y avait pas d’affliction. Ils n’avaient donc pas
d’espérance.
[11052] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 2. L’espérance vient des mérites. Or, ceux-ci
arg. 2 Praeterea, spes procedit ex meritis. Sed ipsi n’étaient pas en état de mériter; de même ne le
non erant in statu merendi; similiter nec illi qui sont pas non plus ceux qui sont au purgatoire. Ils
822

sunt in Purgatorio. Ergo non habent spem. ne possèdent donc pas l’espérance.
[11053] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 s. Cependant, quiconque désire quelque chose
c. 1 Sed contra, quicumque cupit aliquid quod qu’il n’a pas encore l’attend. Or, les pères qui
nondum habet, expectat illud. Sed patres qui erant étaient dans les limbes désiraient la béatitude,
in Limbo, cupiebant beatitudinem, quam nondum qu’ils ne possédaient pas encore. Ils l’attendaient
habebant. Ergo expectabant illam; ergo habebant donc. Ils avaient donc l’espérance.
spem.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Les damnés et les démons
ont-il l’espérance ?]
[11054] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 1. Il semble que les damnés et les démons aient
arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam damnati et l’espérance. En Jb 40, 28, il est dit de lui-même :
Daemones habeant spem. Job 40, 28, dicitur de Son espoir sera illusoire. Il a donc l’espérance.
ipso: spes ejus frustrabitur eum. Ergo habet spem.
[11055] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 2. De même que la foi est informe, de même
arg. 2 Praeterea, sicut fides est informis, ita et aussi l’espérance. Or, ils ont une foi informe. Ils
spes. Sed habent fidem informem. Ergo et spem. ont donc aussi l’espérance.
[11056] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 s. Cependant, l’espérance ne porte pas sur quelque
c. 1 Sed contra, spes non est de impossibili. Sed chose d’impossible. Or, les démons et les
Daemones et damnati, cum sint in malitia damnés, puisqu’ils sont obstinés dans le mal, ne
obstinati, non possunt pervenire ad vitam peuvent parvenir à la vie éternelle. Ils ne peuvent
aeternam. Ergo non possunt habere spem. donc avoir l’espérance.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11057] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 co. Le Christ n’avait pas l’espérance, car l’espérance
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, comporte une imperfection, puisqu’elle se fonde
quod Christus non habuit spem: quia spes sur une connaissance énigmatique. Or, aucune
imperfectionem importat, cum fundetur supra imperfection n’existait chez le Christ du côté des
agnitionem aenigmaticam; nihil autem perfections de l’âme. C’est pourquoi il n’y avait
imperfectionis ex parte perfectionum animae fuit pas d’espérance chez lui.
in Christo; et ideo non fuit in ipso spes.
[11058] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 1. On entend là l’espérance de l’attente de la
1 Ad primum ergo dicendum, quod spes sumitur récompense accidentelle, sur laquelle ne porte
ibi pro expectatione praemii accidentalis, de quo pas à proprement parler l’espérance, qui a Dieu
non est proprie spes, quae habet Deum pro comme objet. Il n’en découle donc pas que le
objecto; et ideo non sequitur quod Christus Christ ait eu l’espérance au sens propre.
proprie spem habuerit.
[11059] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 1 ad 2. La gloire du corps n’est pas la principale dans
2 Et similiter dicendum ad secundum: quia gloria la béatitude.
corporis non est principalis in beatitudine.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11060] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 co. Au sens propre, les anges et les âmes des
Ad secundam quaestionem dicendum, quod bienheureux n’ont pas l’espérance, et cela ressort
Angeli et beatorum animae, proprie loquendo, de deux choses. Premièrement, parce l’espérance
spem non habent; et hoc patet ex duobus. Primo, étant une vertu théologale, elle a Dieu pour
quia cum spes sit virtus theologica, habet Deum objet; et parce que leur joie, qu’ils reçoivent de
pro objecto; et quia gaudium eorum, quod de Deo Dieu, ne peut croître; aussi ce qui s’accroît chez
habent, crescere non potest, ideo illud quod eis eux ne concerne pas à l’espérance.
accrescit, non pertinet ad spem. Secundo, quia est Deuxièmement, parce que [l’espérance] porte sur
de arduo et difficili; et quia habenti gloriam ce qui est ardu et difficile, et parce que, pour
essentialem, quae in Dei visione consistit, celui qui possède la gloire essentielle qui
quidquid aliud creatum est, parvum est; et ideo consiste dans la vision de Dieu, toute autre
823

non potest esse spes neque de gaudio quod de réalité créée est peu de chose. C’est pourquoi il
salute aliorum eis accrescit, neque de gaudio quod ne peut exister d’espérance ni de joie qui
accrescit animae de gloria corporis; sed potest s’ajoutent chez eux en raison du salut des autres,
esse de eis desiderium; et hoc desiderium ni de joie qui s’ajoute à propos de la gloire du
expectatio large dicitur. corps, mais il peut en exister le désir. Ce désir est
appelé au sens large une attente.
[11061] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 2 ad 1-2. Ainsi ressort la réponse aux objections.
arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11062] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 co. Ceux qui sont au purgatoire et les pères qui
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod illi qui étaient dans les limbes avaient l’espérance, car
sunt in Purgatorio, et patres qui erant in Limbo, l’espérance n’est rejetée que parce que quelqu’un
habebant spem: quia spes non evacuatur nisi possède en acte ce qu’il espérait, comme la foi
secundum hoc quod aliquis habet actu id quod est rejetée du fait qu’il voit ce qu’il croyait. Or,
speravit; sicut fides evacuatur per id quod videt ceux qui se trouvaient dans les limbes des pères
illud quod credidit. Illi autem qui in Limbo et sont maintenant au purgatoire ne possèdent
patrum erant, et qui sunt modo in Purgatorio, pas encore la béatitude sur laquelle porte
nondum habent beatitudinem, de qua est spes; et l’espérance. C’est pourquoi l’espérance qu’ils
ideo spes eorum quam in hac vita habebant, non avaient en cette vie n’a pas été rejetée.
est evacuata.
[11063] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 1. Le report de l’espérance ne causait pas
1 Ad primum ergo dicendum, quod dilatio spei d’affliction chez les pères anciens, car ils
antiquis patribus non faciebat afflictionem, quia n’étaient pas capables d’affliction. Ou bien il
afflictionis capaces non erant. Vel dicendum, faut dire que, bien que l’espérance cause une
quod quamvis spes ratione absentiae speranti affliction chez celui qui espére en raison de
afflictionem faciat, tamen ratione certitudinis l’absence, elle cause cependant une délectation
delectationem facit. Et quia certitudo spei in eis en raison de sa certitude. Et parce que la
deficere non poterat, ideo delectatio quae ex certitude de l’espérance ne peut leur faire défaut,
certitudine causabatur, absorbebat omnem la délectation qui était causée par la certitude
afflictionem, quae ex absentia contingere posset. absorbait toute affliction qui pouvait survenir en
raison de l’absence.
[11064] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 3 ad 2. Bien qu’ils ne soient pas en état de mériter, ils
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non sint avaient cependant mérité antérieurement, et leur
in statu merendi, tamen prius meruerunt, et ex illis espérance provenait de ces mérites.
meritis spes eorum provenit.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[11065] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 co. L’espérance se fonde sur la capacité vraie ou
Ad quartam quaestionem dicendum, quod spes estimée de parvenir à ce qui est espéré. Or, chez
fundatur super facultatem perveniendi ad illud les démons et les damnés, il n’existe pas de
quod speratur, vel veram vel aestimatam. In capacité de parvenir à la béatitude, ni en vérité ni
Daemonibus autem et damnatis non est facultas selon leur estimation, car ils n’ignorent pas leur
ad beatitudinem perveniendi neque in rei veritate damnation. C’est pourquoi il ne peut exister chez
neque in eorum aestimatione, quia suae eux d’espérance de la béatitude future.
damnationis ignari non sunt; et ideo in eis spes
futurae beatitudinis esse non potest.
[11066] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 1. L’espérance est entendue là au sens impropre
1 Ad primum ergo dicendum, quod spes ibi pour l’attente du report du jugement. Aussi
improprie sumitur pro expectatione dilationis disaient-ils aussi au Christ, Mt 8, 29 : Tu es venu
judicii: unde etiam Christo dicebant, Matth. 8, 29: avant le temps pour nous torturer.
venisti ante tempus torquere nos.
824

[11067] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4 ad 2. La foi ne porte pas seulement sur ce qui
2 Ad secundum dicendum, quod fides non est concerne soi-même, comme l’espérance. C’est
tantum de illis quae pertinent ad se, sicut spes; et pourquoi ils peuvent avoir la foi en Dieu et dans
ideo possunt habere fidem de Deo et de aliis, non les autres, mais l’espérance pour eux-mêmes. Ou
autem spem de seipsis. Vel dicendum, quod fides bien il faut dire que la foi informe ne fait
informis nullo modo facit tendere in Deum, sicut aucunement tendre vers Dieu, comme le fait
facit spes etiam informis aliquo modo, ut prius aussi d’une certaine manière l’espérance
dictum est; et ideo non est simile de fide et spe. informe, ainsi qu’on l’a dit plus haut. C’est
pourquoi il n’en va pas de même de la foi et de
l’espérance.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard,


Distinction 26
[11068] Super Sent., lib. 3 d. 26 q. 2 a. 5 qc. 4
expos. Qua spiritualia et aeterna bona sperantur.
Contra. Aeternum est unum tantum. Ergo non
debuit pluraliter dicere aeterna. Praeterea, spes est
de futuro. Omne autem futurum, est temporale;
nullum temporale aeternum. Ergo spes non est de
aeternis. Praeterea, nullum temporale aeternum.
Ergo superfluit quod dixit, spiritualia. Et
dicendum, quod illud quod per se est aeternum,
est unum tantum; sed ejus aeternitas participatur
quantum ad multa bona in beatis, scilicet quantum
ad diversas dotes; et hae participationes dicuntur
bona aeterna, non quia careant principio, sed quia
carent fine. Vel referendum est ad pluralitatem
attributorum. Ad secundum dicendum, quod illud
quod in se est aeternum, est futurum speranti; et
sic de Deo potest esse spes. Ad tertium dicendum,
quod spiritualia dicit propter dotes corporis, quae
corporalia sunt, et quodammodo aeterna,
inquantum in perpetuum durabunt. Vel dicendum,
quod utrumque posuit, ut quasi gradatim ad
objectum proprium spei perveniretur: quia est de
bono spirituali, neque quolibet, sed de aeterno,
quod est Deus. Est enim spes certa expectatio
futurae beatitudinis. Haec definitio datur per
actum, ut dictum est. Prima autem data fuit per
genus. Quam natura praeit caritas. Verum est
secundum quod est virtus, quod non habet nisi
secundum quod est informata caritate. Vel natura
praeit, sicut perfectum imperfecto prius est
natura, tempore posterius. Spes est de
invisibilibus. Contra, aliquis sperat pecuniam
quam videt. Dicendum, quod spes, proprie
loquendo, est de non habitis. In spiritualibus
autem et aeternis, ea videre, est ipsa habere; non
autem in corporalibus; et ideo dicitur esse de
invisibilibus. Vel dicendum, quod dicitur esse de
825

invisibilibus, inquantum est de futuris: quia


pecunia etsi videatur in se, non tamen videtur ut
possessa; et hoc modo spes in ipsam tendit. Spes
autem non nisi bonarum rerum est, nec nisi
futurarum rerum, et ad eum pertinentium qui
earum spem gerere perhibetur. Contra, Luc. 24,
21: nos autem sperabamus quod ipse esset
redempturus Israel. Ergo spes est etiam de alienis.
Praeterea, aliquis desperat de aliquo alio, sicut
dicit Augustinus, quod de nemine est
desperandum, quamdiu est in hac vita. Ergo et
sperari potest de alienis. Praeterea, sicut homo
expectat bonum proprium, ita et per invidiam
malum alienum. Ergo spes est etiam de malis.
Praeterea, beatitudo nec in se est futura, sed
aeterna; nec respectu praesciti, quia nunquam
habebit eam. Ergo spes non semper est de futuris.
Et dicendum ad primum, quod spes est de re
aliqua, sicut dicitur: spero beatitudinem; et sic non
est nisi de pertinentibus ad se. Est etiam de
eventu, sicut dicimus: spero quod hoc eveniat; et
sic est de illis quae ad alios pertinent: tamen de
hoc eventu non est spes nisi inquantum aestimatur
ut bonum speranti. Et per hoc patet solutio ad
secundum. Ad tertium dicendum, quod malum
alterius invidus aestimat bonum suum; unde est de
malo alieno sicut de bono suo. Ad quartum
dicendum, quod quamvis praescitus non sit
habiturus vitam aeternam in rei veritate, et ita non
sit ei futura; est tamen ei futura quantum ad suam
aestimationem, alias non speraret; et iterum
inquantum est in ordine divinae largitatis et
possibilitatis istius vel ad recipiendum gratiam vel
merendum; sicut dicitur illud futurum ad cujus
eventum sunt causae ordinatae in natura, quamvis
nunquam eveniat, secundum quod dicit
philosophus 2 de generatione, quod futurus quis
incedere, non incedet.

Distinctio 27 Distinction 27 – [La charité]

Quaestio 1 Question 1 – [Qu’est-ce que l’amour ?]


Prooemium Prologue
[11069] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 pr. Après avoir déterminé de la foi et de l’espérance,
Postquam determinavit Magister de fide et spe, le Maître détermine ici, en troisième lieu, de la
hic tertio determinat de caritate. Dividitur autem charité. Cette partie se divise en deux : dans la
haec pars in duas: in prima determinat de caritate première, il détermine de la charité par laquelle
qua nos diligimus Deum; in secunda de caritate nous aimons Dieu; dans la seconde, de la charité
qua nos diligit Deus, dist. 32: praemissis par laquelle Dieu nous aime, d. 32 : « Il faut
adjiciendum est de dilectione Dei qua ipse diligit ajouter à ce qui a été dit plus haut l’amour de
826

nos. Prima in duas: in prima determinat de ipsa Dieu, par lequel lui-même nous aime. » La
caritate; in secunda de caritatis duratione, ibi: première partie se divise en deux : dans la
illud quoque non est praetermittendum quod première, il détermine de la charité elle-même;
quidam asserunt caritatem semel habitam ab dans la seconde, de la durée de la charité, à cet
aliquo non posse excidere. Prima in duas: in endroit : « Il ne faut pas omettre que certains
prima determinat de ipsa dilectione caritatis; in affirment que la charité une fois possédée par
secunda de his quae per caritatem diliguntur, dist. quelqu’un ne peut être retranchée... » La
28, ibi: hic quaeri potest, utrum in illo mandato première partie se divise en deux : dans la
dilectionis proximi totum proximum (...) diligere première, il détermine de l’amour de charité lui-
praecipiamur. Prima in tres partes: in prima même; dans la seconde, de ceux qui sont aimés
continuat se ad praecedentia; in secunda de charité, d. 28, à cet endroit : « Ici, on peut se
prosequitur suam intentionem, ibi: caritas est demander si, par ce commandement de l’amour
dilectio qua diligitur Deus; in tertia continuat se du prochain, il nous est ordonné d’aimer… tout
ad sequentia, ibi: sed quae hac dilectione prochain. » La première partie se divise en trois :
diligenda sint, inquiramus. Secunda harum dans la première, il poursuit ce qui précède; dans
partium dividitur in duas: in prima determinat de la deuxième, il traite de son intention, à cet
dilectione caritatis, secundum quod duobus endroit : « La charité est l’amour par lequel Dieu
praeceptis imperatur; in secunda ostendit quod illa est aimé »; dans la troisième, il se rattache à ce
duo praecepta mutuo se includunt, ibi: cum autem qui suit, à cet endroit : « Mais recherchons ceux
duo sint praecepta caritatis, pro utroque saepe qui doivent être aimés de cet amour. » La
unum ponitur. Prima in duas: in prima determinat seconde partie se divise en deux : dans la
de dilectione caritatis, secundum quod per duo première, il détermine de l’amour de charité,
praecepta in duo diligenda dirigitur, scilicet Deum selon qu’il relève de deux commandements; dans
et proximum; in secunda inquirit modum la seconde, il montre que ces deux
dilectionis quantum ad utrumque diligibile, ibi: commandements s’incluent mutuellement, à cet
consequenter modum utriusque dilectionis endroit : « Puisqu’il existe deux
advertamus. Circa primum duo facit: primo commandements de la charité, l’un est souvent
ostendit quod per caritatem Deus et proximus pris pour les deux. » La première partie se divise
diligitur; secundo ostendit quod ex eadem caritate, en deux : dans la première, il détermine de
ibi: hic quaeritur, si ex eadem dilectione diligitur l’amour de charité, selon qu’il est orienté par
Deus qua diligitur proximus. Consequenter deux commandements à l’amour de deux
modum utriusque dilectionis advertamus. Hic réalités : Dieu et le prochain; dans la seconde, il
ostendit modum praedictae dilectionis: et primo s’enquiert du mode de l’amour selon ces deux
quantum ad dilectionem proximi; secundo objets d’amour, à cet endroit : « En conséquence,
quantum ad dilectionem Dei, ibi: dilectionis tournons-nous vers le mode des deux amours. »
autem Dei modus insinuatur cum dicitur, ex toto À propos du premier point, il fait deux choses :
corde. Et circa hoc tria facit: primo ostendit premièrement, il montre que, par la charité, Dieu
dilectionis nostrae modum respectu Dei; secundo et le prochain sont aimés; deuxièmement, il
ostendit ubi modus ille observari possit, ibi: illud montre que c’est par la même charité, à cet
autem praeceptum non penitus impletur ab endroit : « Ici, on se demande si Dieu est aimé
homine in hac mortali vita. Tertio movet par la même charité que le prochain. » « En
quamdam quaestionem, ibi: sed cur praecipitur conséquence, tournons-nous vers le mode des
homini ista perfectio. Hic est triplex quaestio. deux amours. » Ici, il montre le mode de l’amour
Prima de amore in generali. Secunda de caritate. dont il a été question : premièrement, pour
Tertia de actu et modo caritatis. Circa primum l’amour du prochain; deuxièment, pour l’amour
quaeruntur quatuor: 1 quid sit amor; 2 in quo sit; 3 de Dieu, à cet endroit : « Le mode de l’amour de
de comparatione ejus ad alias animi affectiones; 4 Dieu est déclaré lorsqu’il est dit : De tout ton
de comparatione ejus ad ea quae in cognitione cœur. » À ce sujet, il fait trois choses.
sunt. Premièrement, il montre le mode de notre amour
envers Dieu. Deuxièmement, il montre où ce
827

mode peut être observé, à cet endroit : « Mais ce


commandement n’est pas pleinement accompli
par l’homme en cette vie mortelle. »
Troisièmement, il soulève une question, à cet
endroit : « Mais pourquoi cette perfection est-
elle ordonnée à l’homme ? » Il y a ici une triple
question. La première porte sur l’amour en
général. La deuxième, sur la charité. La
troisième, sur l’acte et le mode de la charité. À
propos du premier point, quatre questions sont
posées : 1 – Qu’est-ce que l’amour ? 2 – Chez
qui existe-t-il ? 3 –Sa comparaison avec les
autres affections de l’âme. 4 – Sa comparaison
avec ce qui existe dans la connaissance.
Articulus 1 [11070] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 Article 1 – La définition que Denys donne de
a. 1 tit. Utrum definitio Dionysii de amore, l’amour est-elle bonne en toutes ses parties ?
secundum omnem partem suam sit bona
[11071] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Denys définit ainsi l’amour dans Les noms
Ad primum sic proceditur. Dionysius 4 cap. de divins, IV : « L’amour est une puissance unitive
Div. Nom. sic definit amorem: amor virtus est qui meut les réalités supérieures à s’occuper de
unitiva, movens superiora ad providentiam minus ceux qui ont moins - c’est-à-dire les inférieures;
habentium, idest inferiorum: coordinata autem, les réalités ordonnées entre elles, - c’est-à-dire,
idest aequalia, rursus ad communicativam les réalités égales -, à établir un rapport
alternam habitudinem: subjecta, idest inferiora, réciproque; celles qui sont soumises – c’est-à-
ad meliorum, idest superiorum, conversionem. dire les inférieures -, à se toourner vers les
Sed videtur quod inconvenienter definiatur hic meilleures – c’est-à-dire les réalités
amor. Nulla enim passio est virtus, ut dicitur 2 supérieures. » Or, il semble que l’amour soit
Eth. Sed amor est passio. Ergo non est virtus. défini ici de manière inappropriée. En effet,
aucune passion n’est une vertu, comme il est dit
dans Éthique, II. Or, l’amour est une passion. Il
n’est donc pas une vertu.
[11072] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Augustin dit que « l’amour porte sur ce qui est
Praeterea, Augustinus dicit, quod amor est jam déjà possédé ». Or, ce qui est déjà possédé est
habiti. Sed illud quod jam habitum est, uni d’une certaine manière. L’amour n’est donc
quodammodo est unitum. Ergo amor non est pas une puissance unitive, mais il découle de
virtus unitiva, sed unionem sequens. l’union.
[11073] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Ce qui est davantage préservé dans la
Praeterea, illud quod magis salvatur in dissimilitude n’a pas de puissance unitive. Or,
dissimilitudine non habet vim uniendi. Sed amor l’amour est davantage préservé dans la
magis salvatur in dissimilitudine quam in dissimilitude que dans la similitude. En effet,
similitudine. Videmus enim quod artifices unius nous voyons que les artisans d’un art, comme les
artis, sicut figuli, corrixantur ad invicem; cum potiers, se querellent entre eux, mais ils vivent en
aliis autem artificibus pacifice vivunt. Similiter paix avec les autres artisans. De même, un
stomachus vacuus cibum amat, quem plenus estomac vide aime la nourriture, que celui qui est
abhorret. Ergo amor non habet vim uniendi. rempli déteste. L’amour n’a donc pas la capacité
d’unir.
[11074] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Parmi les propriétés de l’amour, on dit qu’il
Praeterea, Dionysius, inter proprietates amoris est pénétrant et fervent; la liquéfaction est aussi
ponit acutum et fervidum; et etiam liquefactio donnée comme un effet de l’amour, Ct 5, 6 :
ponitur effectus amoris; Cant. 5, 6: anima mea Mon âme a fondu. Denys donne aussi comme
828

liquefacta est. Dionysius etiam ponit effectum effet de l’amour l’extase, c’est-à-dire le fait
amoris extasim, idest extra se positionem. Haec d’être hors de soi. Or, toutes ces choses semblent
autem omnia ad divisionem pertinere videntur, se rapporter à la division, car il revient à ce qui
quia acuti est penetrando dividere; fervidi vero est aigu de diviser en pénétrant, mais à ce qui est
per exhalationem resolvi; liquefactio autem fervent, de se dissoudre en rendant l’âme; la
divisio quaedam est congelationi opposita: quod liquéfaction est aussi une certaine division
etiam est extra se positum, a seipso dividitur. Ergo opposée à la congélation; et ce qui est mis hors
amor magis est vis divisiva quam unitiva. de soi est divisé de soi. L’amour est donc plutôt
une puissance de division que d’union.
[11075] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Toute cohésion est une union. Il était donc
Praeterea, omnis concretio est quaedam unio. superflu de placer les deux dans la définition de
Ergo superfluum fuit utrumque ponere in l’amour : [sa capacité] d’union et de cohésion.
definitione amoris, unitivum, et concretivum.
[11076] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 6 6. L’amour est une passion. Or, il n’appartient
Praeterea, amor est passio. Sed passionis non est pas à la passion de mouvoir, mais plutôt d’être
movere, immo motionis et actionis effectum esse. l’effet d’un mouvement et d’une action. L’amour
Ergo amor non est movens superiora, ut ipse dicit. ne meut donc pas les réalités supérieures, comme
il le dit.
[11077] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 7 7. Les réalités supérieures sont inclinées à agir
Praeterea, superiora inclinantur ad agendum in sur les inférieures en raison de leurs propres
inferiora ex propriis formis. Sed agendo in ipsa formes. Or, en agissant sur elles, elles s’en
eis provident. Ergo non est amoris movere occupent. Il ne revient donc pas à l’amour, mais
superiora ad providendum inferioribus, sed à la nature, de mouvoir les réalités supérieures
naturae. afin de s’en occuper.
[11078] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 8 8. Tout ce qui communique quelque chose à
Praeterea, omne quod communicat aliquid alicui quelqu’un le dépasse. Il ne revient donc pas aux
praefertur illi. Ergo non est aequalium ut sibi réalités égales de se rejoindre mutuellement par
mutuo per amorem communicent. l’amour.
[11079] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 9 9. Tout ce qui est fait par amour provient d’un
Praeterea, omne quod fit ex amore procedit ex principe intérieur qui est volontaire. Or, le fait
principio intrinseco, quod est voluntarium. Sed pour les réalités inférieures de se tourner vers les
conversio inferiorum ad superiora est ex principio réalités supérieures vient d’un principe
extrinseco, scilicet ex ipsa actione superiorum, extrinsèque : l’action même des réalités
qua sibi ea assimilant. Ergo amor inferiora non supérieures, par laquelle elles se les assimile.
convertit ad superiora. L’amour ne tourne donc pas les réalités
inférieures vers les réalités supérieures.
[11080] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 co. Réponse. L’amour relève de l’appétit; or,
Respondeo dicendum, quod amor ad appetitum l’appétit est une puissance passive. Aussi, dans
pertinet; appetitus autem est virtus passiva; unde Sur l’âme, III, le Philosophe dit-il que ce qui est
in 3 de anima, dicit philosophus, quod appetibile désirable meut comme un moteur qui est mû. Or,
movet sicut movens motum. Omne autem tout ce qui est passif est achevé en recevant la
passivum perficitur secundum quod informatur forme de ce qui le meut; c’est en cela que son
per formam sui activi; et in hoc motus ejus mouvement se termine et se repose, comme
terminatur et quiescit; sicut intellectus, antequam l’intellect, avant qu’il ne reçoive une forme par
formetur per forma intelligibilis, inquirit et la forme (corr. forma/formam) de l’intelligible,
dubitat: qua cum informatus fuerit, inquisitio cherche et doute; lorsqu’il en a reçu la forme, la
cessat, et intellectus in illo figitur; et tunc dicitur recherche cesse et l’intellect se fixe sur cela. On
intellectus firmiter illi rei inhaerere. Similiter dit alors que l’intellect adhère fermement à cette
quando affectus vel appetitus omnino imbuitur chose. De la même manière, lorsque l’affectivité
forma boni quod est sibi objectum, complacet sibi ou l’appétit est entièrement imprégnée par la
829

in illo, et adhaeret ei quasi fixus in ipso; et tunc forme du bien qui est son objet, elle se plaît en
dicitur amare ipsum. Unde amor nihil aliud est lui et y adhère comme si elle était établie en lui.
quam quaedam transformatio affectus in rem On dit alors qu’elle l’aime. L’amour n’est donc
amatam. Et quia omne quod efficitur forma rien d’autre qu’une transformation de
alicujus, efficitur unum cum illo; ideo per amorem l’affectivité en la chose aimée. Et parce que tout
amans fit unum cum amato, quod est factum ce qui devient la forme de quelque chose devient
forma amantis; et ideo dicit philosophus 9 Ethic., un avec lui, celui qui aime devient un par
quod amicus est alter ipse; et 1 Corinth. 6, 17: qui l’amour avec ce qui est aimé, qui est devenu la
adhaeret Deo unus spiritus est. Unumquodque forme de celui qui aime. C’est pourquoi le
autem agit secundum exigentiam suae formae, Philosophe dit, dans Éthique, IX, que « l’ami est
quae est principium agendi et regula operis. un autre soi-même »; et il est dit dans 1
Bonum autem amatum est finis: finis autem est Co 6, 17 : Celui qui adhère à Dieu est un seul
principium in operabilibus sicut prima principia in esprit [avec lui]. Or, tout agit selon que sa forme
cognoscendis. Unde sicut intellectus formatus per l’exige, laquelle est le principe de l’action et la
quidditates rerum ex hoc dirigitur in cognitione règle de l’œuvre. Or, le bien aimé est une fin, et
principiorum, quae scitis terminis cognoscuntur; la fin est, pour ce qui est objet d’action, comme
et ulterius in cognitionibus conclusionum, quae les premiers principes pour ce qui objet de
notae fiunt ex principiis; ita amans, cujus affectus connaissance. De même donc que l’intellect,
est informatus ipso bono, quod habet rationem formé par les quiddités des choses, est ainsi
finis, quamvis non semper ultimi, inclinatur per dirigé dans la connaissance des principes, qui
amorem ad operandum secundum exigentiam sont connus du fait que les termes sont connus,
amati; et talis operatio est maxime sibi et, par la suite, dans la connaissance des
delectabilis, quasi formae suae conveniens; unde conclusions, qui deviennent connues par les
amans quidquid facit vel patitur pro amato, totum principes, de même celui qui aime, dont
est sibi delectabile, et semper magis accenditur in l’affectivité a reçu la forme du bien lui-même,
amatum, inquantum majorem delectationem in qui a raison de fin, bien que ce ne soit pas
amato experitur in his quae propter ipsum facit vel toujours [le bien] ultime, est incliné par l’amour
patitur. Et sicut ignis non potest retineri a motu à agir selon que l’exige celui qui est aimé. Et une
qui competit sibi secundum exigentiam suae telle action lui est au plus haut point délectable,
formae, nisi per violentiam; ita neque amans quin comme si elle convenait à sa forme. Quoi que
agat secundum amorem; et propter hoc dicit fasse ou subisse pour l’aimé celui qui aime, tout
Gregorius, quod non potest esse otiosus, immo lui est délectable, et il s’enflamme toujours
magna operatur, si est. Et quia omne violentum davantage pour l’aimé, dans la mesure où il
est tristabile, quasi voluntati repugnans, ut dicitur éprouve une plus grande délectation pour l’aimé
5 Metaphys.; ideo etiam est poenosum contra dans ce qu’il fait ou supporte pour lui. Et de
inclinationem amoris operari, vel etiam praeter même que le feu ne peut être empêché que par la
eam; operari autem secundum eam, est operari ea violence dans le mouvement qui lui convient
quae amato competunt. Cum enim amans amatum selon que l’exige sa forme, de même celui qui
assumpserit quasi idem sibi, oportet ut quasi aime [ne peut-il être empêché] d’agir selon son
personam amati amans gerat in omnibus quae ad amour. Pour cette raison, Grégoire dit qu’« il ne
amatum spectant; et sic quodammodo amans peut rester inactif, bien plus, il fait de grandes
amato inservit, inquantum amati terminis choses, s’il aime ». Et parce que tout ce qui est
regulatur. Sic ergo Dionysius completissime violent est source de tristesse puisque que cela
rationem amoris in praedicta assignatione ponit. répugne à la volonté, ainsi qu’il est dit dans
Ponit enim ipsam unionem amantis ad amatum, Métaphysique, V, il est aussi pénible d’agir à
quae est facta per transformationem affectus l’encontre de l’inclination de l’amour ou encore
amantis in amatum, in hoc quod dicit amorem indépendamment d’elle; mais agir selon elle,
esse unitivam et concretivam virtutem; et ponit c’est faire ce qui convient à l’aimé. En effet,
inclinationem ipsius amoris ad operandum ea puisque celui qui aime a considéré l’aimé
quae ad amatum spectant, sive sit superius, sive comme identique à lui-même, il est nécessaire
830

inferius, sive aequale, in hoc quod dicit: movens que celui qui aime joue le rôle de l’aimé en tout
superiora et cetera. ce qui concerne l’aimé. Celui qui aime devient
ainsi d’une certaine manière l’esclave de l’aimé,
pour autant qu’il est soumis aux termes de
l’aimé. Ainsi donc, Denys donne-t-il de manière
très complète la raison de l’amour dans la
définition rappelée. En effet, il indique l’union
même de celui qui aime avec l’aimé, qui s’est
réalisée par la transformation de l’affectivité de
celui qui aime en l’aimé, lorsqu’il dit que
l’amour a une capacité d’union et d’assemblage;
et il indique l’inclination de l’amour lui-même à
faire ce qui concerne l’aimé, qu’il [lui] soit
supérieur, inférieur ou égal, lorsqu’il dit : « …
qui meut les réalités supérieures, etc. »
[11081] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. La vertu n’est pas considérée ici comme un
primum ergo dicendum, quod virtus hic non habitus, comme dans Éthique, II, mais, d’une
sumitur pro habitu, sicut in 2 Ethic., sed manière générale, pour tout ce qui peut être
communiter pro omni eo quod potest esse principe d’une action ou d’un mouvement. Et
principium alicujus operationis vel motus. Et quia parce que l’amour donne une inclination à agir,
amor inclinationem facit ad operandum, ut dictum ainsi qu’on l’a dit, il appelle donc l’amour une
est, ideo amorem virtutem dicit. vertu.
[11082] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. On dit que l’amour est le fait de ce qui est
secundum dicendum, quod amor dicitur esse possédé comme si ce qui en a reçu la forme
habiti, si ut formatum habet suam formam: quam possédait sa forme. Le désir précède une telle
quidem formationem desiderium praecedit in formation en tendant vers elle, comme la raison
ipsam tendens, sicut ratio intellectum vel [précède] la simple intelligence ou la science.
scientiam; et ideo dicitur esse non habiti. Unde C’est pourquoi on dit qu’il est le fait de ce qui
amor dicitur virtus unitiva formaliter: quia est ipsa n’est pas possédé. L’amour est ainsi appelé une
unio vel nexus vel transformatio qua amans in puissance unitive de manière formelle, car il est
amatum transformatur, et quodammodo l’union même, le nœud ou la transformation par
convertitur in ipsum. Vel dicendum, quod lesquels celui qui aime est transformé en l’aimé
quietatio affectus in aliquo, quam amor importat, et, d’une certaine manière, est changé en lui. Ou
non potest esse nisi secundum convenientiam bien il faut dire que l’apaisement de l’affectivité
unius ad alterum: quae quidem convenientia est en quelqu’un, entraîné par l’amour, ne peut
secundum quod ab uno participatur id quod est exister que selon une conformité de l’un par
alterius; et sic amans quodammodo habet rapport à l’autre, conformité qui vient de ce l’un
amatum; unde conjunctio quae in habere participe à ce qu’est l’autre. Ainsi, celui qui aime
importatur, est conjunctio rei ad rem, et praecedit possède d’une certaine manière l’aimé. L’union
unionem rei ad affectum, quae est amor. qui est impliquée par le fait de posséder est donc
l’union d’une réalité à une autre et elle précède
l’union de la réalité à l’affectivité qu’est l’amour.
[11083] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. À parler en soi, la racine de l’amour est la
tertium dicendum, quod amoris radix, per se ressemblance de l’aimé avec celui qui aime, car
loquendo, est similitudo amati ad amantem; quia c’est ainsi qu’il est un bien pour lui et lui
sic est ei bonum et conveniens. Contingit autem convient. Mais il arrive par accident qu’une
per accidens dissimilitudinem amoris et dissemblance soit cause d’amour et une
similitudinem odii esse causam tripliciter. Uno ressemblance, cause de haine de trois manières.
modo quando affectus amantis non sibi Premièrement, lorsque l’affectivité de celui qui
complacet, neque quiescit in conditione vel aliqua aime ne se plaît pas à elle-même et ne se repose
831

proprietate sui ipsius, sicut cum quis aliquid in se pas dans sa condition ou dans une de ses
ipso odit; et tunc oportet quod diligat ipsum qui in propriétés, comme lorsque quelqu’un hait
hoc est sibi dissimilis, quia ex hoc ipso quod est quelque chose en lui-même; il faut alors qu’il
dissimilis sibi in conditione, efficitur similis aime celui qui lui est en cela dissemblable, car
affectui suo; et e contrario odit illum qui sibi par le fait même qu’il lui est dissemblable par sa
similatur, et affectui suo non similatur. Secundo condition, il lui devient semblable par son
quando aliquis ex ipsa similitudine impedit affectivité; en sens contraire, il hait celui qui est
amantem ab amati fruitione; et hoc invenitur in semblable à lui et n’est pas semblable à son
omnibus rebus quae non possunt simul a multis affectivité. Deuxièmement, lorsque quelqu’un,
haberi, sicut sunt res temporales; unde qui amat en raison de la ressemblance elle-même,
lucrum de aliqua re, vel delectationem, impeditur empêche celui qui aime de jouir de l’aimé. Cela
a fruitione sui amati per alium, qui sibi vult se rencontre dans toutes les choses qui ne
similiter illud appropriare; et hinc oritur zelotypia, peuvent être possédées en même temps par
quae non patitur consortium in amato; et invidia, plusieurs, comme le sont les choses temporelles;
inquantum bonum alterius aestimatur ainsi celui qui aime tirer un gain ou un plaisir
impeditivum boni proprii. Tertio secundum quod d’une chose est empêché de jouir de ce qu’il
dissimilitudo praecedens facit percipi amorem aime par un autre, qui veut semblablement se
sequentem. Quia enim sentimus in hoc quod l’approprier. De là naissent la jalousie, qui ne
sensus movetur (quae quidem motio cessat, souffre pas le partage de ce qui est aimé, et
quando sensibile jam effectum est forma l’envie, pour autant que le bien de l’autre est
sentientis), ideo ea quae consuevimus, non ita estimé empêcher son bien propre.
percipimus; sicut patet de fabris, quorum aures Troisièmement, une dissimilitude précédente fait
plenae sunt sonis malleorum; et propter hoc amor percevoir un amour subséquent. En effet, parce
magis sentitur, quando affectus de novo per que nous sentons du fait que le sens est mû (ce
amorem ad aliquid transformatur. Et ideo etiam mouvement cesse lorsque le sensible est devenu
quando aliquis non habet praesentiam sui amati, la forme de celui qui sent), nous ne percevons
magis fervet et anxiatur de amato, inquantum pas autant ce à quoi nous sommes habitués,
magis amorem percipit, quamvis apud comme cela ressort chez les artisans, dont les
praesentiam amati non sit amor minor, sed minus oreilles sont remplies par les bruits des marteaux.
perceptus. Unde Augustinus: amor ipse non ita Pour cette raison, l’amour est davantage ressenti
sentitur cum eum non prodit indigentia: quoniam lorsque l’affectivité est transformée en quelque
semper praesto est quod amatur. chose pour la première fois par l’amour. C’est
pourquoi aussi, lorsque quelqu’un n’a pas la
présence de ce qu’il aime, il s’échauffe et
s’inquiète davantage de l’aimé, dans la mesure
où il perçoit davantage l’amour, bien que, lors de
la présence de l’aimé, l’amour ne soit pas plus
faible, mais moins perçu. Aussi Augustin dit-il :
« L’amour même n’est pas autant ressenti
lorsque le manque ne le manifeste pas, car ce qui
est aimé est toujours là. »
[11084] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Dans l’amour, existe l’union de celui qui aime
quartum dicendum, quod in amore est unio avec ce qui est aimé, mais il s’y trouve une triple
amantis ad amatum, sed est ibi triplex divisio. Ex division. En effet, parce que l’amour transforme
hoc enim quod amor transformat amantem in celui qui aime en l’aimé, il fait entrer celui qui
amatum, facit amantem intrare ad interiora amati, aime à l’intérieur de l’aimé, et vice-versa, de
et e contra; ut nihil amati amanti remaneat non sorte que rien de l’aimé ne demeure non uni,
unitum; sicut forma pervenit ad intima formati, et comme une forme atteint l’intimité de ce qui est
e converso; et ideo amans quodammodo penetrat formé, et vice-versa. C’est pourquoi celui qui
in amatum, et secundum hoc amor dicitur acutus: aime pénètre d’une certaine manière dans l’aimé.
832

acuti enim est dividendo ad intima rei devenire; et Sous cet aspect, on dit que l’amour est acéré. En
similiter amatum penetrat amantem, ad interiora effet, c’est le propre de ce qui est acéré de
ejus perveniens; et propter hoc dicitur quod amor parvenir à l’intimité d’une chose en la divisant.
vulnerat, et quod transfigit jecur. Sed quia nihil De même, l’aimé pénètre dans celui qui aime en
potest in alterum transformari nisi secundum quod parvenant jusqu’à son intimité : pour cette
a sua forma quodammodo recedit, quia unius una raison, on dit que l’amour blesse et transperce le
est forma, ideo hanc divisionem penetrationis cœur. Mais parce que rien ne peut être
praecedit alia divisio, qua amans a seipso transformé en un autre sans se retirer d’une
separatur in amatum tendens; et secundum hoc certaine manière de sa propre forme, puisque il
dicitur amor extasim facere, et fervere, quia quod n’y a qu’une seule forme pour un seul être, une
fervet extra se bullit, et exhalat. Quia vero nihil a autre division précède cette division de la
se recedit nisi soluto eo quod intra seipsum pénétration, par laquelle celui qui aime est séparé
continebatur, sicut res naturalis non amittit de lui-même en tendant vers l’aimé; on dit ainsi
formam nisi solutis dispositionibus quibus forma que l’amour provoque l’extase et brûle, car ce
in materia retinebatur, ideo oportet quod ab qui brûle bouillonne hors de soi et expire. Mais
amante terminatio illa, qua infra terminos suos parce que rien ne se retire de soi qu’en rompant
tantum continebatur, amoveatur; et propter hoc ce qui était contenu à l’intérieur de soi-même,
amor dicitur liquefacere cor, quia liquidum suis comme une chose naturelle ne se défait de sa
terminis non continetur; et contraria dispositio forme qu’en rompant les dispositions par
dicitur cordis duritia. lesquelles la forme était retenue dans la matière,
il est nécessaire que soit enlevée par celui qui
aime la délimitation par laquelle il était gardé à
l’intérieur de ses limites, car un liquide n’est pas
maintenu dans ses limites; une disposition
contraire est appelée dureté de cœur.
[11085] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. L’union est double. L’une qui rend un de
quintum dicendum, quod unio est duplex. manière relative, comme l’union d’aggrégats qui
Quaedam quae facit unum secundum quid, sicut se touchent de manière superficielle. Telle n’est
unio congregatorum se superficialiter tangentium; pas l’union d’amour, puisque celui qui aime est
et talis non est unio amoris, cum amans in transporté à l’intérieur de l’aimé, comme on l’a
interiora amati transferatur, ut dictum est. Alia est dit. L’autre est une union qui rend un
unio quae facit unum simpliciter, sicut unio simplement, comme l’union de ce qui est continu
continuorum, et formae et materiae; et talis est et celle de la forme et de la matière. Telle est
unio amoris, quia amor facit amatum esse formam l’union d’amour, car l’amour fait en sorte que
amantis; et ideo supra unionem addit l’aimé est la forme de celui qui aime. C’est
concretionem, ad differentiam primae unionis, pourquoi il ajoute à l’union l’incorporation, à la
quia concreta dicuntur quae simpliciter unum sunt différence de la première union, car on dit que
effecta; unde et alia littera habet continuativa. les choses qui sont rendues unes simplement sont
incorporées. Aussi une autre version porte-t-elle
continuativa.
[11086] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Comme on l’a dit, l’appétit meut en tant qu’il
sextum dicendum, quod appetitus, ut dictum est, est mû. Aussi la passion, parce qu’elle est mue
movet motus: unde passio, quia movetur ab par ce qui est aimé, meut-elle par la suite comme
amato, est ulterius movens secundum exigentiam l’exige ce qui est aimé.
amati.
[11087] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. L’inclination même des réalités supérieures à
septimum dicendum, quod ipsa inclinatio s’occuper des réalités inférieures, qui se réalise
superiorum ad providendum inferioribus, quae est chez elles par leurs propres formes, est appelée
eis ex propriis formis, amor eorum dicitur, ut infra leur amour, comme cela ressortira plus loin.
patebit.
833

[11088] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 8 Ad 8. Il n’est pas inapproprié qu’un égal soit plus
octavum dicendum, quod non est inconveniens grand que l’autre sous un aspect, selon que l’un a
aequalium simpliciter, unum altero, quo ad quid, besoin de l’autre.
majus esse, secundum quod unum indiget altero.
[11089] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 1 ad 9 Ad 9. La conversion par laquelle des réalités
nonum dicendum, quod conversio qua inferiora ad inférieures se tournent vers des réalités
superiora convertuntur, est ordinatio eorum ad supérieures est leur orientation vers la fin visée
finem a superioribus intentum. Et quamvis par les réalités supérieures. Bien que cette
hujusmodi ordinatio sit a principio extrinseco orientation vienne d’un principe extrinsèque,
inquantum ab ipsis superioribus inferiora dans la mesure où les réalités inférieures sont
ordinantur in fines superiorum; nihilominus est et ordonnées aux fins des réalités supérieures par
a principio intrinseco, inquantum in inferioribus celles-ci, elle vient néanmoins aussi d’un
est quaedam inclinatio ad hoc, vel ex natura, sicut principe intrinsèque, dans la mesure où il existe à
in amore naturali, vel ex voluntate, sicut est in cela une certaine inclination chez les réalités
amore animali; et propter hoc Deus dicitur omnia inférieures, soit par leur nature, comme dans
suaviter disponere, inquantum singula etiam ex l’amour naturel, soit par volonté, comme dans
seipsis faciunt hoc ad quod ordinata sunt. l’amour animal. Pour cette raison, on dit que
Dieu a tout disposé avec douceur, dans la
mesure où chaque chose fait aussi par soi-même
ce à quoi elle a été ordonnée.

Articulus 2 [11090] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 Article 2 – L’amour se trouve-t-il seulement


a. 2 tit. Utrum amor sit tantum in concupiscibili dans le concupiscible ?
[11091] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que l’amour se trouve seulement
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod amor dans le concupiscible. En effet, Denys affirme
non sit tantum in concupiscibili. Dionysius enim que l’amour est divin, angélique, intellectuel,
ponit amorem esse divinum, angelicum, animal, naturel. Or, tout ce qui est en nous se
intellectualem, animalem, naturalem. Sed rapporte à l’intellect, à l’animalité ou à la nature.
quidquid est in nobis, pertinet ad intellectum, vel On trouve donc l’amour dans tout ce qui est en
animalitatem, vel naturam. Ergo in omnibus quae nous.
sunt in nobis, invenitur amor.
[11092] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Le Commentateur donne au même endroit
Praeterea, Commentator ibidem ponit duas deux définitions de l’amour. La première est
definitiones amoris. Prima est haec: amor est celle-ci : « L’amour est une union ou un lien, par
connexio vel vinculum, quo omnium rerum lequel l’ensemble de toutes les choses est uni par
universitas ineffabili amicitia insolubilique une amitié ineffable et une unité indissoluble. »
unitate copulatur. Secunda est: amor est naturalis La seconde est : « L’amour est un mouvement
motus omnium rerum quae in motu sunt, finis, naturel de toutes les choses qui sont en
quietaque statio, ultra quam nullius creaturae mouvement, une fin et un repos apaisé, au-delà
progreditur motus. Ex quibus est accipere quod desquels ne s’avance le mouvement d’aucune
amor in omnibus rebus invenitur. Ergo et in créature. » On comprend de cela que l’amour se
omnibus quae in nobis sunt, sive sint partes trouve dans toutes les choses. [Il est donc] dans
animae, sive corporis. tout ce qui est en nous, que ce soit les parties de
l’âme ou celles du corps.
[11093] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Toute puissance se délecte dans l’union avec
Praeterea, omnis potentia delectatur in ce qui lui convient. Or, la délectation n’existe
conjunctione sui convenientis. Sed delectatio non que dans une chose animée. L’amour de ce qui
est nisi in re animata. Ergo et cuilibet potentiae lui convient se trouve donc dans n’importe
inest amor sui convenientis. quelle puissance.
[11094] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Comme on l’a dit plus haut, à l’article
834

Praeterea, sicut praedictum est, art. praeced., et ex précédent, et comme on le conclut de la


praedicta definitione colligitur, amor est finis et définition rappelée plus haut, l’amour est la fin et
quietatio appetitivi motus. Sed cuilibet potentiae l’apaisement d’un mouvement de l’appétit. Or,
quae in nobis est, inest appetitus proprii boni, et un appétit de son propre bien est présent dans
tendit in ipsum. Ergo in qualibet potentia est toutes les puissances qui sont en nous et il tend
invenire amorem. vers lui. On trouve donc l’amour en toute
puissance.
[11095] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 5 5. L’irascible appartient au moins à la partie
Praeterea, ad minus irascibilis ad partem appétitive. Or, l’objet universel de la partie
appetitivam pertinet. Appetitivae autem partis appétitive est le bien. Puisque l’amour porte sur
universale objectum est bonum. Cum ergo amor le bien, il semble donc que l’amour ne se trouve
sit boni, videtur quod amor non sit tantum in pas seulement dans le concupiscible, mais aussi
concupiscibili, sed etiam in irascibili. dans l’irascible.
[11096] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] le Philosophe dit en sens
Sed contra est, quod dicit philosophus in 2 Top., contraire, dans Topiques, II, que l’amour se
quod amor est in concupiscibili. trouve dans le concupiscible.
[11097] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] L’ordre entre les parties de l’âme est
Praeterea, ordo partium animae proportionatur proportionné à l’ordre entre les parties du corps.
ordini partium corporis. Sed in partibus corporis Or, dans les parties du corps, un seul membre
unum membrum officium suum exercet respectu exerce sa fonction par rapport à tous les
omnium membrorum, sicut pes non solum se, sed membres, comme le pied porte non seulement
omnia alia membra portat. Ergo et concupiscibilis lui-même, mais tous les autres membres. Le
non solum sibi, sed omnibus aliis concupiscit et concupiscible ne désire et n’aime donc pas
amat; et ita amor eorum quae ad omnes potentias seulement pour lui-même, mais pour tous les
pertinent, in concupiscibili esse videtur. autres, et ainsi l’amour de ce qui se rapporte à
toutes les puissances semble se trouver dans le
concupiscible.
[11098] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] L’amour ne peut porter que sur ce qui est
Praeterea, amor non est nisi cogniti. Si ergo in connu. Si donc existait un amour de son propre
omnibus viribus esset amor proprii boni, pari bien dans toutes les puissances, il existerait pour
ratione in omnibus esset cognitio proprii boni; la même raison en toutes une connaissance de
quod falsum est. leur propre bien, ce qui est faux.
[11099] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 4 [4] L’objet du concupiscible est un bien qui
Praeterea, objectum concupiscibilis est bonum convient de manière absolue à celui qui désire.
concupiscenti conveniens absolute. Sed quidquid Or, tout ce qui est bon en chaque puissance
est bonum secundum unamquamque potentiam est convient à celui qui désire. Désirer le bien de
concupiscenti conveniens. Ergo appetere bonum toutes les puissances relève donc du
uniuscujusque potentiae pertinet ad concupiscible et, pour la même raison, l’amour.
concupiscibilem, et eadem ratione amor; et ita Ainsi, l’amour ne se trouvera que dans le
amor non erit nisi in concupiscibili. Probatio concupiscible. Démonstration de la majeure. En
primae. Si enim objectum concupiscibilis non effet, si l’objet du concupiscible n’était pas un
esset bonum conveniens concupiscenti bien qui convient simplement à celui désire, son
simpliciter, esset objectum ejus bonum objet ne conviendrait qu’au seul concupiscible.
conveniens solum concupiscibili. Bonum autem Or, le bien qui convient à chaque puissance se
conveniens unicuique potentiae est per prend par rapport à son acte, comme le bien qui
comparationem ad suum actum, sicut bonum convient à la vue est ce qui est bon à voir.
conveniens visui, id quod est bonum ad L’objet du concupiscible serait ainsi bon sous
videndum. Ergo secundum hoc, objectum l’aspect où il est bon à désirer. Or, cela est
concupiscibilis esset bonum sub hac ratione qua impossible, car désirer ce qui est bon à désirer
est bonum ad concupiscendum. Sed hoc est découle d’un retour du concupiscible sur son
835

impossibile: quia concupiscere id quod est bonum propre acte, selon qu’il désire lui-même désirer
ad concupiscendum, sequitur reflexionem ou bien désirer. En effet, ce pour quoi quelque
concupiscibilis super actum suum, secundum chose est bon est désiré en priorité, puisque cela
quod concupiscit se concupiscere, vel bene est la fin. Or, l’acte simple de la puissance elle-
concupiscere: illud enim ad quod aliquid est même qui tend directement vers son objet
bonum, per prius desideratur, cum sit finis. Sed précède le retour de la puissance sur son prope
reflexionem potentiae super suum actum praecedit acte, comme je vois en priorité une couleur avant
naturaliter simplex actus ipsius potentiae in suum que je ne me voie voir. L’objet du concupiscible
objectum directe tendens, sicut per prius video ne peut donc être quelque chose sous l’aspect où
colorem, quam videam me videre. Ergo objectum cela est bon à désirer, car désirer cela serait
concupiscibilis non potest esse aliquid sub hac naturellement antérieur et postérieur au retour du
ratione quod est bonum ad concupiscendum: quia concupiscible sur son propre acte, ce qui est
concupiscere hoc esset naturaliter prius et impossible. Il est donc nécessaire de dire autre
posterius reflexione concupiscibilis supra suum chose : le bien qui convient à celui qui désire est
actum; quod est impossibile. Ergo necessarium est de manière absolue l’objet du concupiscible.
alterum dare, scilicet quod bonum conveniens
concupiscenti absolute sit objectum
concupiscibilis.
[11100] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 co. Réponse. Tout ce qui découle d’une fin doit
Respondeo dicendum, quod omne quod sequitur d’une certaine manière avoir été déterminé à
aliquem finem, oportet quod fuerit aliquo modo cette fin, autrement cela ne parviendrait pas à
determinatum ad illum finem: alias non magis in cette fin plutôt qu’à une autre [fin]. Or, cette
hunc finem quam in alium perveniret. Illa autem détermination doit provenir de l’intention de la
determinatio oportet quod proveniat ex intentione fin, et non seulement de la nature qui tend vers
finis, non solum ex natura tendente in finem: quia cette fin, car alors tout serait hasard, comme
sic omnia essent casu, ut quidam philosophi l’ont affirmé certains philosophes. Or, avoir
posuerunt. Intendere autem finem impossibile est, l’intention d’une fin est impossible à moins que
nisi cognoscatur finis sub ratione finis, et la fin ne soit connue sous la raison de fin, ainsi
proportio eorum quae sunt ad finem in finem que la proportion de ce qui est ordonné à la fin
ipsum. Cognoscens autem finem et ea quae sunt vers la fin même. Or, celui qui connaît la fin et
ad finem, non solum seipsum in finem dirigit, sed ce qui est ordonné à la fin ne dirige pas
etiam alia, sicut sagittator emittit sagittam ad seulement lui-même vers la fin, mais aussi
signum. Sic ergo dupliciter aliquid tendit in d’autres choses, comme l’archer lance la flèche
finem. Uno modo directum in finem a seipso, vers la cible. Ainsi donc, quelque chose tend de
quod est tantum in cognoscente finem et rationem deux manières vers la fin. Premièrement, en tant
finis. Alio modo directum ab alio; et hoc modo que dirigé vers la fin par lui-même, ce qui
omnia secundum suam naturam tendunt in fines n’existe que chez celui qui connaît la fin et la
proprios et naturales, directa a sapientia raison de fin. D’une autre manière, en tant que
instituente naturam. Et secundum hoc invenimus dirigé par un autre, et, de cette manière, toutes
duos appetitus: scilicet appetitum naturalem, qui choses tendent selon leur nature vers leurs fins
nihil aliud est quam inclinatio rei in finem suum propres et naturelles, dirigées par la sagesse qui
naturalem qui est ex directione instituentis crée la nature. De sorte que nous trouvons deux
naturam, et iterum appetitum voluntarium, qui est appétits : l’appétit naturel, qui n’est rien d’autre
inclinatio cognoscentis finem, et ordinem in finem que l’inclination d’une chose à sa fin naturelle,
illum; et inter hos duos appetitus est unus medius, qui vient de la direction de celui qui crée la
qui procedit ex cognitione finis sine hoc quod nature; et l’appétit volontaire, qui est
cognoscatur ratio finis et proportio ejus quod est l’inclination de celui qui connaît la fin et l’ordre
ad finem, in finem ipsum; et iste est appetitus à cette fin. Entre ces deux appétits, il existe un
sensitivus. Et hujusmodi duo appetitus qui est intermédiaire : il vient de la connaissance
inveniuntur tantum in natura vivente et de la fin sans que la raison de fin ne soit connue,
836

cognoscente. Omne autem quod est proprium ni proportion à la fin elle-même de ce qui est
naturae viventis, oportet quod ad aliquam ordonné à la fin : c’est l’appétit sensible. Ces
potentiam animae reducatur in habentibus deux appétits se trouvent seulement dans la
animam; et ideo oportet unam potentiam animae nature vivante et connaissante. Or, tout ce qui est
esse cujus sit appetere, condivisam contra eam propre à la nature du vivant doit se ramener à
cujus est cognoscere, sicut etiam substantiae une puissance de l’âme chez ceux qui ont une
separatae dividuntur in intellectum et voluntatem, âme; aussi est-il nécessaire qu’existe une
ut dicunt philosophi. Sic ergo patet quod in hoc puissance de l’âme à qui il appartient de désirer,
differt appetitus naturalis et voluntarius, quod par opposition à celle à laquelle il appartient de
inclinatio naturalis appetitus est ex principio connaître, de la même manière que les
extrinseco; et ideo non habet libertatem, quia substances séparées se divisent en intellect et
liberum est quod est sui causa: inclinatio autem volonté, comme le disent les philosophes. Ainsi
voluntarii appetitus est in ipso volente; et ideo donc, il ressort que l’appétit naturel et l’appétit
habet voluntas libertatem. Sed inclinatio appetitus volontaire diffèrent en ceci que l’inclination de
sensitivi partim est ab appetente, inquantum l’appétit naturel vient d’un principe extrinsèque :
sequitur apprehensionem appetibilis; unde dicit c’est pourquoi il n’a pas de liberté, car est libre
Augustinus, quod animalia moventur visis: partim ce qui est cause de soi. Mais l’inclination de
ab objecto, inquantum deest cognitio ordinis in l’appétit volontaire se trouve à l’intérieur de
finem: et ideo oportet quod ab alio cognoscente celui-là même qui veut : la volonté possède donc
finem, expedientia eis provideantur. Et propter la liberté. Mais l’inclination de l’appétit sensible
hoc non omnino habent libertatem, sed participant vient en partie de celui qui désire, pour autant
aliquid libertatis. Omne autem quod est a Deo, qu’il découle de la perception de ce qui est
accipit aliquam naturam qua in finem suum désirable. Aussi Augustin dit-il que « les
ultimum ordinetur. Unde oportet in omnibus animaux sont mus par ce qui est vu », en partie
creaturis habentibus aliquem finem inveniri par l’objet, dans la mesure où la connaissance de
appetitum naturalem etiam in ipsa voluntate l’ordre à la fin leur fait défaut. C’est pourquoi il
respectu ultimi finis; unde naturali appetitu vult faut que ce qui leur convient leur soit assuré par
homo beatitudinem, et ea quae ad naturam un autre qui connaît la fin. Or, tout ce qui vient
voluntatis spectant. Sic ergo dicendum est, quod de Dieu reçoit une certaine nature par laquelle il
naturalis appetitus inest omnibus potentiis animae est ordonné à sa fin ultime. Il faut donc que, dans
et partibus corporis respectu proprii boni; sed toutes les créatures qui ont une fin, se trouve
appetitus animalis, qui est boni determinati, ad aussi dans la volonté elle-même un appétit
quod non sufficit naturae inclinatio, est alicujus naturel par rapport à la fin ultime. C’est ainsi que
determinatae potentiae, vel voluntatis vel l’homme veut par appétit naturel la béatitude et
concupiscibilis. Et inde est quod omnes aliae vires ce qui concerne la nature de la volonté. Il faut
animae coguntur a suis objectis praeter donc dire qu’un appétit naturel est inhérent à
voluntatem: quia omnes aliae habent appetitum toutes les puissances de l’âme et à toutes les
naturalem tantum respectu sui objecti; voluntas parties du corps par rapport à leur propre bien;
autem habet praeter inclinationem naturalem, mais l’appétit animal, qui porte sur un bien
aliam, cujus est ipse volens causa. Et similiter déterminé, pour lequel l’inclination de la nature
dicendum est de amore, qui est terminatio ne suffit pas, relève d’une puissance déterminée,
appetitivi motus: quia amor naturalis est in soit de la volonté, soit du concupiscible. De là
omnibus potentiis et omnibus rebus; amor autem vient que toutes les puissances de l’âme sont
animalis, ut ita dicam, est in aliqua potentia entraînées par leurs objets au-delà de la volonté,
determinata, vel voluntate, secundum quod dicit car toutes les autres possèdent un appétit naturel
terminationem appetitus intellectivae partis; vel in seulement par rapport à leur objet, mais la
concupiscibili, secundum quod dicit volonté en possède un autre en plus de
determinationem sensitivi appetitus. l’inclination naturelle, dont celui qui veut est lui-
même la cause. Il faut dire la même chose de
l’amour, qui est l’achèvemenet du mouvement
837

appétitif, car un amour naturel existe dans toutes


les puissances et dans toutes les choses; mais
l’amour animal, pour ainsi parler, existe dans
une puissance déterminée, soit dans la volonté,
selon que [cette puissance] exprime
l’achèvement de l’appétit de la partie
intellectuelle, soit dans le concupiscible, selon
qu’elle exprime une détermination de l’appétit
sensible.
[11101] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. D’une manière générale, Denys entend
primum ergo dicendum, quod Dionysius accipit l’amour de l’amour naturel; sensible, qu’il
amorem communiter ad naturalem, sensitivum appelle « animal »; intellectuel, qu’il appelle
quem animalem dicit, et intellectivum, quem dicit intelligible, pour ce qui est des hommes;
intelligibilem, quantum ad homines; angelicum et angélique et divin, pour ce qui est des substances
divinum, quantum ad substantias separatas. Et séparées. Il présente ces cinq [amours], parce
ponit quinque haec, quia non possunt esse plures qu’il ne peut y avoir plus de degrés de l’appétit,
gradus appetitus: quia in Deo est voluntarius car, en Dieu, il n’existe qu’un appétit volontaire,
appetitus tantum, quia ipse determinat omnia et puisqu’il détermine lui-même toutes choses et
non determinatur ab aliquo: in Angelis autem n’est déterminé par rien. Chez les anges, il existe
voluntarius cum naturali, inquantum determinatur un [appétit] volontaire associé à un appétit
a Deo ad aliquid volendum naturaliter; in homine naturel, pour autant qu’il est déterminé par Dieu
autem voluntarius cum sensibili et naturali; in à vouloir quelque chose naturellement; chez
animalibus sensibilis cum naturali; in aliis l’homme, un [appétit] volontaire associé à un
naturalis tantum. appétit sensible et à un appétit naturel; chez les
animaux, un [appétit] sensible associé à un
appétit naturel; chez les autres choses, un
[appétit] naturel seulement.
[11102] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 2 Et 2. Le Commentateur définit l’amour selon qu’il
similiter etiam dicendum ad secundum, quod se rapporte à tous d’une manière générale.
Commentator definit amorem, secundum quod se
habet ad omnes communiter.
[11103] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. La délectation est causée par l’union avec ce
tertium dicendum, quod delectatio causatur ex qui convient. En effet, la venue de ce qui
conjunctione convenientis. Conveniens enim convient perfectionne ce à quoi cela est advenu
adveniens perficit id cui advenit, et quietat et apaise son inclination vers lui. Cet apaisement,
inclinationem in illud; et haec quietatio, selon qu’il est perçu, est la délectation. Aussi
secundum quod est percepta, est delectatio; unde Platon disait-il que la délectation est « une
Plato dixit, quod delectatio est generatio génération sensible », c’est-à-dire connue, « à
sensibilis, idest cognita, in naturam, idest l’intérieur de la nature », c’est-à-dire
connaturalis; unde in his quae cognitionem non connaturelle. C’est ainsi que, là où il n’y a pas de
habent, non est delectatio aliquo modo. In connaissance, n’existe de délectation d’aucune
quodlibet autem conveniens habenti cognitionem manière. Or, il existe une double inclination à
est duplex inclinatio: scilicet appetitus naturalis, tout ce qui convient à celui qui a la
et appetitus animalis; et utraque inclinatio connaissance : l’appétit naturel et l’appétit
quietatur per rem praesentem, et utraque etiam animal. Les deux inclinations sont apaisées par la
quietatio percipitur; unde ex utraque parte présence de la chose et les deux apaisements sont
delectatio causatur. Delectatio ergo quae est aussi perçus. Aussi la délectation est-elle causée
quietatio appetitus naturalis, invenitur in omni des deux côtés. La délectation qui est
potentia cui conjungitur suum objectum; l’apaisement de l’appétit naturel se trouve donc
delectatio vero quae est quietatio appetitus en toute puissance à laquelle est uni son objet;
838

animalis, est tantum in concupiscibili, vel mais la délection qui est l’apaisement de
voluntate. Prima autem delectatio dicitur tantum l’appétit animal existe seulement dans le
delectatio, proprie loquendo, et opposita passio concupiscible ou dans la volonté. Or, la première
dolor; sed secunda delectatio habet etiam nomen délectation s’appelle seulement plaisir
gaudii, et opposita passio dicitur tristitia. Unde (delectatio) au sens propre et la passion opposée
quamvis delectatio et dolor sint aliquo modo in est la douleur; mais la seconde délectation porte
omnibus potentiis animae, tamen gaudium et aussi le nom de joie et la passion opposée est la
tristitia sunt tantum in concupiscibili vel tristesse. Ainsi, bien que la délectation et la
voluntate. douleur existent d’une certaine manière dans
toutes les puissances de l’âme, la joie et la
tristesse n’existent cependant que dans le
concupiscible ou la volonté.
[11104] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Il faut répondre comme au premier argument,
quartum dicendum sicut ad primum: quia ratio car la raison fonctionne à partir de l’appétit
procedit de appetitu naturali. naturel.
[11105] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. L’amour animal ne relève pas de l’irascible,
quintum dicendum, quod amor animalis non car l’objet de l’amour est le bien sans ajout
pertinet ad irascibilem; quia objectum amoris est d’ardu ou de difficile, ce qui est l’objet propre de
bonum sine adjunctione ardui vel difficilis, quod l’irascible.
est proprium objectum irascibilis.
Articulus 3 [11106] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 Article 3 – L’amour est-il la première et la
a. 3 tit. Utrum amor sit prima et principalior principale disposition affective de l’âme ?
affectio animae
[11107] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble que l’amour ne soit pas la première
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod amor non et la principale parmi toutes les autres
sit prima et principalis inter omnes alias animae dispositions affectives de l’âme. En effet, le
affectiones. Motus enim praecedit terminum. Sed mouvement précède le terme. Or, l’amour est
amor est determinatio appetitivi motus, ut patet ex une détermination du mouvement de l’appétit,
dictis, art. 1. Ergo amor sequitur desiderium quod comme cela ressort de ce qui a été dit, a. 1.
motum ipsum appetitus importat. L’amour suit donc le désir, qui exprime le
mouvement même de l’appétit.
[11108] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Ce pour quoi chaque chose existe l’emporte.
Praeterea, propter quod unumquodque, illud Or, la cause de l’amour est la délectation; aussi
magis. Sed amoris causa est delectatio; unde et toute amitié est-elle fondée sur quelque chose de
quaedam amicitia super delectabili fundatur. Ergo délectable. La délectation est donc une
delectatio est principalior affectio quam amor. disposition affective plus importante que
l’amour.
[11109] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Augustin dit dans le Livre sur 83 questions,
Praeterea, Augustinus dicit in Lib. 83 Quaestion., que « tous fuient la douleur plutôt qu’ils ne
quod nemo est qui non magis dolorem fugiat désirent la volupté ». Or, la fuite de la douleur
quam appetat voluptatem. Sed fuga doloris facit engendre la haine, comme le désir de la
odium, sicut appetitus delectationis facit amorem. délectation engendre l’amour. La haine est donc
Ergo odium est vehementior passio quam amor. une passion plus impétueuse que l’amour.
[11110] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Ce qui est vaincu par un autre est moins
Praeterea, illud quod vincitur ab alio, est minus puissant. Or, l’amour est vaincu par la colère, car
potens. Sed amor vincitur ab ira: quia ira odium « la colère engendre la haine », comme le dit
parit, ut dicit Augustinus. Ergo ira est Augustin. La colère est donc une passion plus
vehementior passio quam amor. impétueuse que l’amour.
[11111] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Ce pour quoi on fait tout ce qu’on fait est ce
Praeterea, illud propter quod agunt quaecumque qui est le plus efficace. Or, comme le dit Denys
839

agunt, est efficacissimum. Sed sicut Dionysius dans le Livre sur les noms divins, « tout agit en
dicit in Lib. de Divin. Nom. propter pacem agunt vue de la paix ». La paix est donc, parmi toutes
quaecumque. Ergo pax inter omnes affectiones est les dispositions affectives, la plus efficace, même
efficacissima, etiam respectu amoris. par rapport à l’amour.
[11112] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin dit que « toute
Sed contra est quod dicit Augustinus, quod omnis disposition affective vient de l’amour ».
affectio ex amore est.
[11113] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] Le bien est l’objet de l’affectivité. Or, c’est
Praeterea, bonum est objectum affectus. Sed illud l’amour qui regarde d’abord le bien. L’amour est
quod primo respicit ad bonum, est amor. Ergo donc le principe de toute disposition affective et
amor est principium totius affectionis, et la passion principale.
principalior passio.
[11114] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 3 [3] L’amour est comparé au feu et même à la
Praeterea, amor igni comparatur, et etiam morti, mort, comme cela ressort de Ct 8. Or, rien n’est
ut patet Cant. 8. Sed his nihil est vehementius. plus impétueux qu’eux. Aucune passion n’est
Ergo nulla passio est vehementior amore. donc plus forte que l’amour.
[11115] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 s. c. 4 [4] [Jean] Chrysostome dit : « L’amour est une
Praeterea, Chrysostomus dicit: magnum amor, nec grande chose, et il n’y a rien qui puisse résister à
est aliquid quod ejus impetum sustinere possit. son élan. »
[11116] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 co. Réponse. Parmi toutes les dispositions affectives
Respondeo dicendum, quod inter alias affectiones de l’âme, l’amour est la première. En effet,
animae amor est prior. Amor enim dicit l’amour exprime l’achèvement de la puissance
terminationem affectus per hoc quod informatur affective du fait qu’elle reçoit la forme de son
suo objecto. In omnibus autem hoc invenitur quod objet. Or, en tout, l’on trouve que le mouvement
motus procedit a primo immobili quieto: quod vient de ce qui est le premier immobile au repos.
quidem patet in naturalibus: quia primum movens Cela ressort dans les réalités naturelles, car le
in quolibet genere est non motum illo genere premier moteur de tous les genres est quelque
motus, sicut primum alterans est non alteratum. chose qui n’est pas mû par ce genre de
Similiter patet de intellectualibus: quia motus mouvement : ainsi, le premier qui altère n’est pas
rationis discurrentis procedit a principiis et altéré. De même, cela ressort dans les réalités
quidditatibus rerum, quibus intellectus informatus intellectuelles, car le mouvement discursif de la
terminatur. Cum ergo affectus informetur et raison vient des principes et des quiddités des
terminetur amore, sicut intellectus principiis et choses dans lesquelles l’intellect qui a reçu une
quidditatibus, ut prius dictum est, oportet quod forme trouve son terme. Puisque la puissance
omnis motus affectivae procedat ex quietatione et affective reçoit sa forme par l’amour et se
terminatione amoris. Et quia omne quod est termine par lui, comme l’intellect, par les
primum in aliquo genere, est perfectius, sicut principes et les quiddités, comme on l’a dit plus
intellectus principiorum in demonstrabilibus; et haut, il est donc nécessaire que tout mouvement
motus caeli in naturalibus; ideo oportet quod amor de la partie affective provienne de l’apaisement
inter ceteras affectiones etiam sit vehementior, ut et de l’accomplissement de l’amour. Et parce que
patebit per singula. tout ce qui est premier dans un genre est plus
parfait, comme l’intelligence des principes pour
ce qui est démontrable et le mouvement du ciel
pour les réalités naturelles, il faut donc que
l’amour soit aussi la plus impétueuse parmi les
autres dispositions affectives, comme cela
ressortira pour chaque cas.
[11117] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. De même que, dans l’opération de l’intellect,
primum ergo dicendum, quod sicut in operatione s’achève un cercle, de même dans l’opération de
intellectus concluditur quidam circulus, ita et in la puissance affective. En effet, l’intellect, à
840

operatione affectus. Intellectus enim ex partir de la certitude des principes auxquels il


certitudine principiorum, quibus immobiliter donne un assentiment immuable, poursuit
assentit, procedit ratiocinando ad conclusiones, in jusqu’aux conclusions en raisonnant; il se repose
quarum cognitione certitudinaliter quiescit, avec certitude dans la connaissance de celles-ci,
secundum quod resolvuntur in prima principia, selon qu’elles se ramènent aux premiers
quae in eis sunt virtute. Similiter etiam affectus ex principes qui existent en puissance en elles. De
amore finis, qui est principium, procedit la même manière aussi, la puissance affective, à
desiderando in ea quae sunt ad finem, quae prout partir de l’amour de la fin, qui est le principe,
accipit ut finem in se aliquo modo continentia, per poursuit par le désir de ce qui est ordonné à la
amorem in eis quiescit; et ideo desiderium fin : elle s’y repose par l’amour, dans la mesure
sequitur amorem finis, quamvis praecedat où elle le perçoit comme contenant en soi la fin
amorem eorum quae sunt ad finem. Est etiam d’une certaine manière. C’est pourquoi le désir
amor vehementior affectio quam desiderium, découle de l’amour de la fin, bien qu’il précède
inquantum dicit terminationem et informationem l’amour de ce qui est ordonné à la fin. L’amour
affectus per appetibile ad quod movetur est aussi une disposition affective plus
desiderium. impétueuse que le désir dans la mesure où il
exprime l’achèvement et la formation de la
puissance affective par l’objet désirable vers
lequel le désir est mû.
[11118] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. L’amour précède naturellement la délectation.
secundum dicendum, quod amor naturaliter En effet, la délectation vient de l’union effective
praecedit delectationem: delectatio enim contingit de la réalité qui convient; mais l’amour fait en
ex conjunctione rei convenientis realiter; amor sorte que ce qui est aimé convienne à celui qui
autem facit quod amatum sit amanti conveniens, aime et lui devienne connaturel, dans la mesure
et quasi connaturale, inquantum unit affectum où il unit la puissance affective de celui qui aime
amantis amato, ut dictum est; et ideo ex amati à ce qui est aimé, comme on l’a dit. C’est
reali praesentia consurgit delectatio. Sed quia pourquoi la délectation est issue de la présence
delectabile etiam potest amari ut quoddam réelle de ce qui est aimé. Mais parce que ce qui
bonum, ideo contingit per accidens ut aliquis est délectable peut aussi être aimé comme un
amor ex delectatione causetur, sicut actus ab bien, il arrive par accident qu’un amour soit
objecto vel fine. Qui enim aliquid propter causé par la délectation, comme l’acte par son
delectationem amat, delectationem ipsam objet ou par sa fin. En effet, celui qui aime
praecipue amat. Quamvis ergo quaedam delectatio quelque chose en raison de la délectation, aime
quodam amore sit prior, tamen amor delectatione principalement la délectation. Bien qu’une
simpliciter est prior. Similiter etiam vehementior: certaine délectation soit antérieure à un certain
quia amor est per informationem appetitus ab amour, l’amour est cependant simplement
appetibili; delectatio autem per conjunctionem rei, antérieur à la délectation. [L’amour] est aussi
ex re praesente sibi conveniente. Non est autem plus impétueux, car l’amour se réalise par la
tanta conjunctio rei ad rem, sicut appetitus ad formation de l’appétit par ce qui est désirable,
appetibile: quia res adveniens, quae delectationem mais la délectation, par l’union avec la chose, par
causat, non conjungitur secundum naturam, quia une réalité présente qui lui convient. Or, l’union
hoc non fit illud; unde est ibi conjunctio quasi d’une réalité à une autre n’est pas aussi grande
contactus: sed appetitus est ipsius appetibilis que l’union de l’appétit et de ce qui est appétible,
secundum suam naturam et substantiam. Unde car la chose qui survient et qui cause la
quando appetitus informatur per appetibile, est délectation n’est pas unie selon la nature, car
quasi conjunctio continuitatis et concretionis; cela ne devient pas ceci. Il y a donc là une union
unde amor plus unit quam delectatio, quia facit comme par contact. Mais [l’union] de l’appétit se
quod amans sit secundum affectum ipsa res réalise avec l’appétible lui-même selon sa nature
amata; delectatio autem est per participationem et sa substance. Lorsque l’appétit est formé par
alicujus ab illo, secundum quod est realiter l’appétible, il se réalise donc comme une union
841

praesens. Sciendum autem, quod quando amatum par continuité et par intégration. L’amour unit
est praesens realiter, secundum quod possibile est, donc davantage que la délectation, car il fait en
tunc est delectatio, sicut ex conjunctione maxime sorte que celui qui aime soit, par la puissance
convenientis. Quando autem est omnino absens affective, la réalité aimée elle-même; mais la
secundum rem, tunc maxime affligit; sicut ex délectation se réalise par la participation à
divisione continui sequitur dolor, quia amor est quelque chose de cette réalité, selon qu’elle est
continuativa vis, ut dictum est; et inde dicitur, réellement présente. Mais il faut savoir que
quod amor languere facit. Quando autem est lorsque ce qui est aimé est réellement présent,
secundum aliquid praesens, et secundum aliquid lorsque cela est possible, alors se réalise la
absens, tunc habet delectationem admixtam délectation par l’union de ce qui convient au plus
afflictioni. haut point. Mais lorsque [ce qui est aimé] est en
réalité complètement absent, alors [la puissance
affective] s’afflige au plus haut point, comme la
douleur découle de la division du continu, car
l’amour est une puissance qui réalise un continu,
ainsi qu’on l’a dit. Aussi dit-on que l’amour fait
languir. Mais lorsque [ce qui est aimé] est
présent sous un aspect et absent sous un autre,
alors [la puissance affective] a une délectation
mêlée d’affliction.
[11119] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Le bien est plus impétueux dans l’action que
tertium dicendum, quod bonum est vehementius le mal, car le bien ne possède pas par nécessité
in agendo quam malum: quia bonum non habet de un mélange de bien; aussi « le bien agit-il par sa
necessitate admixtionem boni; et iterum bonum propre puissance, mais le mal agit-il par la
agit in virtute propria, sed malum agit in virtute puissance du bien », comme le dit Denys. Aussi
boni, ut dicit Dionysius; unde magis amatur le bien est-il davantage aimé que n’est haï le mal
bonum quam odiatur malum illi oppositum. Sed qui lui est opposé. Or, la douleur corporelle est
dolor corporalis est magis malum quam delectatio davantage un mal qu’une délectation n’est un
quaedam sit bonum: quia delectatio de qua bien, car la délectation dont parle là Augustin
Augustinus ibi loquitur, contingit ex survient par l’ajout de perfections secondaires,
superadditione perfectionum secundarum, sicut in comme c’est le cas de la nourriture et des plaisirs
cibis vel in venereis; sed tristitia vel dolor, propter sexuels; mais la tristesse ou la douleur, par
quae dimittitur delectatio talis, contingit ex lesquelles une telle délectation est écartée,
subtractione primarum perfectionum, quae survient par la soustraction de perfections
pertinent ad esse rei, sicut ex divisione continui. primaires, qui se rapportent à l’être d’une chose,
Unde si acciperetur tristitia opposita delectationi comme par la division du continu. Si donc l’on
illi, magis appeteretur delectatio quam fugeretur prenait une tristesse opposée à cette délectation,
tristitia; sicut qui appeteret delectationem in cibo, la délectation serait davantage désirée que la
ut postea pateretur tristitiam quae est de tristesse ne serait fuie, comme ce serait le cas de
subtractione cibi, vel alicujus hujusmodi. celui qui désirerait la délectation de la nourriture
afin de souffrir par la suite la tristesse qui vient
de la soustraction de la nourriture ou de quelque
chose de ce genre.
[11120] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. L’amour vient avant la colère et est plus
quartum dicendum, quod amor est prior ira, et impétueux. En effet, la colère est causée par la
vehementior. Ira enim ex tristitia causatur, ut tristesse, comme on l’a dit auparavant, d. 26,
prius dictum est, dist. 26, quaest. 1, art. 3, corp., q. 1, a. 3, c. comme toutes les passions de
sicut omnes passiones irascibilis. Et ideo, cum l’irascible. Puisque l’amour vient avant et est
amor sit prior et vehementior passionibus plus impétueux que les passions du
concupiscibilis, erit prior et vehementior concupiscible, il viendra donc avant et sera plus
842

passionibus irascibilis. Quamvis autem ira odium impétueux que les passions de l’irascible. Bien
pariat, non tamen amorem destruit; sed amoris que la colère engendre la haine, elle ne détruit
destructionem sequitur, quia non posset appetitus cependant pas l’amour; mais elle découle de la
moveri in nocumentum alicujus, nisi antea destruction de l’amour, car l’appétit ne pourrait
affectus ab amore superatus esset. être mû de manière à nuire à quelqu’un que si la
puissance affective avait été auparavant vaincue
par l’amour.
[11121] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. La paix ne se distingue pas de l’amour, mais
quintum dicendum, quod pax non distinguitur ab elle est quelque chose de l’amour. En effet, elle
amore, sed est aliquid amoris: dicit enim quasi exprime un certain apaisement de l’appétit. Mais
quietationem appetitus; sed amor dicit ulterius l’amour exprime en plus une transformation et
transformationem, et quamdam conversionem une certaine conversion de lui-même en ce qui
ipsius in amatum; unde pax est medium inter est aimé. La paix tient donc le milieu entre le
desiderium et amorem. désir et l’amour.

Articulus 4 [11122] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 Article 4 -- La connaissance est-elle plus


a. 4 tit. Utrum cognitio sit altior amore élevée que l’amour ?
[11123] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble que la connaissance soit plus élevée
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod cognitio que l’amour, car l’acte le plus élevé est celui de
sit altior amore. Quia altissimae potentiae est la puissance la plus élevée. Or, l’intellect est la
altissimus actus. Sed intellectus est altissima puissance la plus élevée en nous, comme le dit le
potentia in nobis, ut dicit philosophus in 10 Ethic. Philosophe dans Éthique, X. La connaissance est
Ergo cognitio est altissima operatio eorum quae in donc l’opération la plus élevée parmi celles qui
nobis sunt, et ita dignior amore. existent en nous, et ainsi elle est plus digne que
l’amour.
[11124] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Comme le dit Boèce dans le livre III, la nature
Praeterea, sicut Boetius dicit in Lib. 3, natura a a pris origine dans des réalités parfaites. Or, la
perfectis sumpsit originem. Sed cognitio praecedit connaissance précède l’amour. La connaissance
amorem. Ergo cognitio est altior quam amor. est donc plus élevée que l’amour.
[11125] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 3 3. Ce qui est propre à l’homme est plus noble
Praeterea, illud quod est proprium homini, est que ce qu’il a en commun avec les animaux sans
nobilius quam illud in quo communicat cum raison. Or, intelliger est le propre de l’homme,
brutis. Sed intelligere est proprium hominis, in mais il a l’amour en commun avec les animaux
amore autem convenit cum brutis. Ergo scientia et sans raison. La science et l’intellect sont donc
intellectus sunt digniora quam amor. des choses plus dignes que l’amour.
[11126] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 4 4. La vie contemplative est plus noble et plus
Praeterea, vita contemplativa est nobilior quam élevée que la vie active. Or, la science se
vita activa, et altior. Sed scientia pertinet ad vitam rapporte à la vie contemplative, mais l’amour
contemplativam: amor autem videtur ad praxim semble relever de l’action, car son objet est le
pertinere, quia objectum ejus est bonum. Ergo bien. La science est donc plus élevée que
scientia est altior quam amor. l’amour.
[11127] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 5 5. L’objet de l’amour est simplement le bien. Or,
Praeterea, objectum amoris est bonum simpliciter. le vrai est meilleur que le simple bien, car le vrai
Sed verum est melius quam bonum simpliciter, est ce qu’il y a de plus élevé dans le genre des
quia verum est summum in genere bonorum; sicut biens, de même que l’homme le meilleur est
et optimus homo est melior quam homo meilleur que l’homme tout simplement. La
simpliciter. Ergo scientia et cognitio est altior science et la connaissance sont donc plus élevées
quam amor. que l’amour.
[11128] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 6 6. Plus quelque chose est spirituel, plus cela est
Praeterea, quanto aliquid est spiritualius, tanto est élevé. Or, la connaissance est plus spirituelle que
843

altius. Sed cognitio est spiritualior quam amor: l’amour, car la connaissance vient d’un
quia secundum motum a rebus ad animam est mouvement des choses vers l’âme, mais l’amour
cognitio, secundum autem motum ab anima ad res va de l’âme vers les choses. La connaissance est
est amor. Ergo cognitio est nobilior quam amor. donc plus noble que l’amour.
[11129] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 7 7. La récompense est supérieure au mérite. Or, la
Praeterea, praemium est praestantius merito. Sed connaissance est la récompense de l’amour,
cognitio est praemium amoris; Joan. 14, 21: qui Jn 14, 21 : Celui qui m’aime est aimé par mon
diligit me, diligetur a patre meo; et ego Père, et je me manifesterai à lui; et Augustin dit
manifestabo ei me ipsum; et Augustinus dicit, que « la vision est la récompense entière ». La
quod visio est tota merces. Ergo cognitio connaissance l’emporte donc sur l’amour.
praeeminet amori.
[11130] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 8 8. En sens contraire, il est dit dans Ep 3, 19 :
Sed contra est quod dicitur Ephes. 3, 19: L’amour du Christ qui dépasse toute
supereminentem scientiae caritatem Christi. connaissance.
[11131] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 9 9. En 1 Co 13, il est dit que la charité est plus
Praeterea, 1 Cor. 13, dicitur, quod caritas est grande que la foi. Pour la même raison, tout
major fide. Ergo eadem ratione quilibet amor est amour est plus grand et plus digne que la
major et dignior cognitione sibi respondente. connaissance qui lui correspond.
[11132] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 10 10. Hugues de Saint-Victor dit, à propos de ce
Praeterea, Hugo de sancto Victore super illud que dit Denys : « mobile et acéré » : « L’amour
Dionysii: mobile et acutum, dicit: dilectio est supérieur à la science et plus grand que
supereminet scientiae, et major est intelligentia; l’intelligence. En effet, on aime davantage qu’on
plus enim diligitur quam intelligitur: quia intrat connaît, car l’amour pénètre là où la science
dilectio, ubi scientia foris est. Ergo amor excedit reste à l’extérieur. » L’amour dépasse donc la
scientiam. science.
[11133] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 11 11. La fin est ce qu’il y a de plus important en
Praeterea, finis in unaquaque re est potissimum. toute chose. Or, l’objet de l’amour est le bien,
Sed objectum amoris est bonum, quod habet qui a raison de fin. Puisque les opérations se
rationem finis. Ergo cum operationes distinguent par leurs objets, l’amour est donc la
distinguantur penes objecta, amor inter omnes plus importante de toutes les opérations de
operationes animae est potior. l’âme.
[11134] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 12 12. La proportion de puissance à puissance est la
Praeterea, sicut se habet potentia ad potentiam, ita même que d’opération à opération. Or, la volonté
se habet operatio ad operationem. Sed voluntas est est plus élevée que toutes les autres puissances
altior omnibus aliis potentiis animae; quia movet de l’âme, car elle meut toutes les autres et elle
omnes alias et non cogitur. Ergo et amor, qui est n’est pas forcée. L’amour aussi, qui est
operatio voluntatis, praeeminet omnibus aliis l’opération de la volonté, l’emporte donc sur les
animae operationibus. autres opérations.
[11135] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 arg. 13 13. Comme le dit Denys, « ce qui se trouve en
Praeterea, sicut dicit Dionysius, illud quod in plusieurs choses est plus simple et plus noble,
pluribus invenitur, simplicius et nobilius est; sicut comme être est plus noble que vivre, bien que les
esse nobilius est quam vivere, quamvis viventia vivants soient plus nobles que ce qui existe
sint nobiliora quam existentia tantum, inquantum seulement, dans la mesure où les vivants
etiam viventia nobilius esse participant. Sed amor participent plus noblement à l’être ». Or, plus de
in pluribus participatur quam cognitio; quia in choses participent à l’amour que la connaissance,
omnibus aliquo modo est amor, ut dictum est car l’amour existe d’une certaine manière en
prius, in praec. art., non autem cognitio. Ergo toutes choses, comme on l’a dit plus haut, dans
amor est praestantior cognitione. Ridiculum enim l’article précédent, mais non la connaissance.
est dicere, quod in lapidibus sit cognitio naturalis, L’amour est donc plus élevé que la connaissance.
sicut amor vel appetitus naturalis. En effet, il est ridicule de dire qu’il existe une
844

connaissance naturelle dans les pierres, comme


un amour ou un appétit naturel.
[11136] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 co. Réponse. En toute chose, on trouve deux
Respondeo dicendum, quod in rebus omnibus perfections : l’une par laquelle elle subsiste en
duplex perfectio invenitur; una qua in se subsistit; elle-même; l’autre par laquelle elle est ordonnée
alia qua ad res alias ordinatur; et utraque perfectio à d’autres choses. Et les deux perfections sont
in rebus materialibus terminata et finita est; quia limitées et finies dans les réalités matérielles, car
et formam unam determinatam habet, per quam in elles ont une forme déterminée, par laquelle elles
una tantum specie est; et etiam per determinatam se trouvent dans une seule espèce, et elles ont
virtutem ad res quasdam sibi proportionatas aussi, par une puissance déterminée, une
inclinationem habet et ordinem, sicut grave ad inclination et un ordre à certaines choses qui leur
centrum. Ex utraque autem parte res immateriales sont proportionnées, comme ce qui est lourd par
infinitatem habent quodammodo, quia sunt rapport à un centre. Or, sous les deux aspects, les
quodammodo omnia, sive inquantum essentia rei réalités immatérielles possèdent en quelque sorte
immaterialis est exemplar et similitudo omnium, une infinité, car elles sont d’une certaine manière
sicut in Deo accidit, sive quia habet similitudinem toutes choses, soit que l’essence de la réalité
omnium vel actu vel potentia, sicut accidit in immatérielle est le modèle et la ressemblance de
Angelis et animabus; et ex hac parte accidit eis toutes choses, comme cela se produit en Dieu,
cognitio. Similiter etiam ad omnes res soit qu’elle possède la ressemblance de toutes
inclinationem et ordinem habent, ex qua parte choses en acte ou en puissance, comme cela se
accidit eis voluntas, secundum quam omnia produit chez les anges et les âmes; c’est ainsi que
placent vel displicent vel actu vel potentia. Et la connaissance leur est donnée. Elles ont aussi
secundum quod aliquam immaterialitatem une inclination et un ordre par rapport à toutes
participant, secundum hoc cognitionis et choses, sous l’aspect où la volonté leur est
voluntatis participativa sunt. Unde et animalia donnée, selon laquelle toutes choses plaisent ou
cognoscunt, inquantum species sensibilium déplaisent en acte ou en puissance. Et selon
immaterialiter in organis sensuum recipiuntur, et qu’elles participent à une certaine immatérialité,
secundum intentiones spiritualiter ex rebus elles participent ainsi à la connaissance et à la
perceptas per appetitum sensibilem ad diversa volonté. C’est pourquoi les animaux connaissent
inclinantur. Patet ergo quod cognitio pertinet ad dans la mesure où les espèces des réalités
perfectionem cognoscentis, qua in seipso sensibles sont reçues dans les organes des sens et
perfectum est: voluntas autem pertinet ad que, selon les intentions, ils sont inclinées
perfectionem rei secundum ordinem ad alias res; spirituellement par l’appétit sensible à diverses
et ideo objectum cognoscitivae virtutis est verum, choses à partir des réalités perçues. Il est donc
quod est in anima, ut dicit philosophus, 6 clair que la connaissance concerne la perfection
Metaph.: objectum autem appetitivae bonum, de ce qui connaît, par laquelle cela est parfait en
quod est in rebus, ut dicitur ibidem. Potest ergo soi; mais la volonté concerne la perfection d’une
comparari potentia cognoscitiva ad appetitivam chose dans son rapport à d’autres choses. C’est
tripliciter. Primo secundum ordinem; et sic pourquoi l’objet de la puissance cognitive est le
cognitiva potentia naturaliter prior est, quia prius vrai, qui existe dans l’âme, comme le dit le
est perfectio rei in seipsa quam secundum Philosophe, Métaphysique, VI, mais l’objet de la
ordinem ad aliam. Secundo quantum ad partie appétitive est le bien, qui existe dans les
capacitatem; et secundum hoc sunt aequales: quia choses, comme on le dit au même endroit. La
sicut cognoscitiva est respectu omnium, ita et puissance cognitive peut donc se comparer de
appetitiva; unde etiam mutuo se includunt, quia trois manières à la puissance appétitive.
intellectus voluntatem cognoscit, et voluntas ea Premièrement, selon l’ordre : la puissance
quae ad intellectum pertinent, appetit et amat. cognitive est ainsi naturellement première, car la
Tertio possunt comparari secundum eminentiam perfection d’une chose en elle-même vient avant
vel dignitatem; et sic se habent ut excedentia et son ordre à une autre chose. Deuxièmement, du
excessa: quia si consideretur intellectus et point de vue de la capacité : sous cet aspect, elles
845

voluntas, et quae ad ipsa pertinent, ut quaedam sont égales, car de même que la puissance
proprietates et accidentia ejus in quo sunt, sic cognitive porte sur toutes choses, de même aussi
intellectus est praestantior, et quae ad ipsum la puissance appétitive. Aussi s’incluent-elles
pertinent. Si autem considerentur ut potentiae, réciproquement, car l’intellect connaît la volonté
idest secundum ordinem ad actus et objecta; sic et la volonté désire et aime ce qui se rapporte à
voluntas, et quae ad ipsam pertinent, excedit. Si l’intellect. Troisièmement, elles peuvent être
autem quaeratur quid horum simpliciter dignius comparées selon leur éminence et leur dignité :
sit, dicendum quod res quaedam sunt anima elles se comparent ainsi comme ce qui dépasse et
superiores, et quaedam inferiores; unde cum per ce qui est dépassé. En effet, si l’intellect et la
voluntatem et amorem homo in ipsas res volitas et volonté et ce qui s’y rapporte sont considérés
amatas quodammodo trahatur, per cognitionem comme des propriétés et des accidents de ce dans
autem e converso res cognitae in cognoscente quoi elles se trouvent, l’intelligence et ce qui s’y
efficiantur per suas similitudines; respectu earum rapporte sont ainsi plus élevés. Mais si elles sont
rerum quae sunt supra animam, nobilior et altior envisagées comme des puissances, c’est-à-dire
est amor quam cognitio; illarum vero quae sunt selon leur rapport aux actes et aux objets, la
infra animam, cognitio est potior; unde etiam volonté et ce qui s’y rapporte l’emportent. Si
malarum rerum quarum est malus amor, est bona l’on se demande laquelle est simplement plus
cognitio. digne, il faut dire que certaines choses sont
supérieures à l’âme et certaines sont inférieures.
Aussi, puisque, par la volonté et l’amour,
l’homme est entraîné vers les réalités voulues et
aimées elles-mêmes, mais que, par la
connaissance, les réalités deviennent connues par
celui qui connaît par leurs ressemblances,
l’amour est plus noble et plus élevé que la
connaissance par rapport aux réalités qui sont
supérieures à l’âme; mais, par rapport aux
réalités qui sont inférieures à l’âme, la
connaissance est meilleure. Aussi existe-t-il une
connaissance bonne, même de choses mauvaises,
dont il existe un amour mauvais.
[11137] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Le Philosophe parle des puissances selon
primum ergo dicendum, quod philosophus qu’elles sont des propriétés de ce en quoi elles
loquitur de potentiis secundum quod sunt existent. Ou bien il faut dire que le Philosophe
proprietates quaedam ejus in quo sunt. Vel inclut sous l’intellect la volonté qui correspond à
dicendum, quod philosophus sub intellectu l’intellect, de même qu’elle est parfois inclus
comprehendit voluntatem intellectui sous la raison. C’est pourquoi il n’y a pas là une
respondentem, sicut et sub ratione quandoque comparaison entre l’intellect et la volonté, mais
comprehenditur; et ideo non est ibi comparatio entre l’intellect et les puissances inférieures.
intellectus ad voluntatem, sed intellectus ad vires
inferiores.
[11138] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Bien que le premier principe soit en tout genre
secundum dicendum, quod quamvis primum ce qu’il y a de plus parfait, il n’est cependant pas
principium in quolibet genere sit perfectissimum, nécessaire que tout ce qui vient avant soit plus
non tamen oportet quod omne quod est prius, sit parfait, puisque quelque chose de plus imparfait
perfectius, cum aliquid sit prius in via est antérieur selon le processus de la génération,
generationis quod est imperfectius, sicut puer comme l’enfant par rapport à l’adulte et celui qui
viro, et addiscens sciente: et ita etiam cognitio apprend par rapport à celui qui sait. C’est ainsi
quodammodo amorem praecedit. que la connaissance précède d’une certaine
manière l’amour.
846

[11139] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. Cet argument vient de l’intellect et de la


tertium dicendum, quod illa ratio procedit de volonté dans leur rapport à ce en quoi elles
intellectu et voluntate secundum respectum ad id existent. Ou bien il faut dire que les animaux
in quo sunt. Vel dicendum, quod intellectu aliquo participent d’une certaine manière à l’intellect
modo alia animalia participant per quamdam par une obscur écho, dans la mesure où ils
obscuram resonantiam, inquantum sentiunt; sicut sentent, de même qu’ils participent à la volonté,
et voluntate participant, inquantum habent dans la mesure où ils possèdent un appétit
appetitum sensualem, unde et in brutis sensible grâce auquel on trouve aussi du
voluntarium invenitur, ut dicit philosophus 3 volontaire chez les animaux sans raison, ainsi
Ethic., non quod simpliciter voluntatem habeant. que le dit le Philosophe, Éthique, III, sans qu’ils
possèdent tout simplement la volonté.
[11140] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. La volonté et l’amour ne sont pas exclus de la
quartum dicendum, quod a vita contemplativa non vie contemplative, pas plus que l’intellect ne
excluditur voluntas et amor, sicut nec intellectus a l’est de la vie active. C’est pourquoi les degrés
vita activa; et ideo non potest harum gradus entre les deux ne peuvent être distingués selon
distingui secundum gradus duarum vitarum. les degrés des deux vies.
[11141] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Quelque chose de particulier ne possède la
quintum dicendum, quod particulare non habet nature et la raison de son universel que selon que
naturam et rationem sui universalis nisi secundum la nature universelle se trouve en cette chose. Il
quod natura universalis invenitur in ipso; unde est ainsi impossible que la raison universelle
impossibile est quod ratio universalis magis sit in existe davantage dans une chose particulière que
particulari quam in ipso universali, quamvis ratio dans la chose universelle elle-même, bien que la
alicujus alterius possit inveniri magis in raison de quelque chose d’autre puisse plutôt se
particulari quam in universali: sicut homo non trouver dans une chose particulière que dans une
potest esse magis animal quam animal commune; chose universelle : ainsi l’homme ne peut être
potest tamen esse magis bonum, vel aliquid plus animal que l’animal au sens général; il peut
hujusmodi; et ideo neque verum neque aliquod cependant être meilleur ou quelque chose de ce
bonum particulariter acceptum potest dici genre. C’est pourquoi ni le vrai ni un bien
praestantius quam ipsum bonum. considéré de manière particulière ne peuvent être
appelés meilleurs que le bien même.
[11142] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 6 Ad 6. Cet argument porte sur les réalités qui sont
sextum dicendum, quod ratio illa procedit inférieures à l’âme, qui sont moins spirituelles
quantum ad illas res quae sunt infra animam; quae que l’âme.
sunt minus spirituales quam anima.
[11143] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 7 Ad 7. Cette vision ne sera pas sans amour dans de la
septimum dicendum, quod visio illa, non erit sine récompense, pas plus que l’amour n’a existé sans
amore in praemio, sicut nec amor fuit sine connaissance dans le mérite. Cependant, la
cognitione in merito: ideo tamen praemium magis raison pour laquelle la récompense est davantage
attribuitur cognitioni, meritum vero amori, quia attribuée à la connaissance, mais le mérite, à
praemium est secundum receptionem, qua aliquis l’amour, est que la récompense se réalise par
in seipso perficitur; meritum vero secundum mode d’une réception, par laquelle on est
operationem, qua aliquis in remunerationem se perfectionné en soi-même; mais le mérite est
extendit, et ei se conjungit. attribué selon l’opération, par laquelle on atteint
la récompense et l’on s’y unit.
[11144] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 8 Et 8-9. Parce qu’il est nécessaire de répondre aussi
quia oportet etiam ad alia respondere, ideo aux autres arguments, il faut donc dire, pour le
dicendum ad octavum et nonum, quod illae huitième et le neuvième, que ces arguments
rationes procedunt de cognitione Dei quae est portent sur la connaissance de Dieu qui dépasse
supra animam; unde amor ejus cognitionem de l’âme. Son amour dépasse donc la connaissance
ipso excedit. qu’on en a.
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[11145] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 10 10. L’amour pénètre davantage une chose que la
Ad decimum dicendum, quod amor magis intrat connaissance, car la connaissance porte sur une
ad rem quam cognitio: quia cognitio est de re chose selon ce qui est reçu dans celui qui
secundum id quod recipitur in cognoscente: amor connaît; mais l’amour porte sur une chose pour
autem de re, inquantum ipse amans in rem ipsam autant que celui qui aime est transformé en la
transformatur, ut dictum est prius. In hac autem chose elle-même, comme on l’a dit
via, qua perficitur anima in ordine ad res alias, précédemment. Selon la manière dont l’âme est
dictum est, quod voluntas cognitionem excedit, ad perfectionnée par rapport à d’autres choses, on a
quam viam pertinet esse magis vel minus intimum dit que la volonté dépasse la connaissance; il
rei. revient à cette manière d’être plus ou moins
intime avec la chose.
[11146] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 11 11. La raison de fin concerne au sens propre le
Ad undecimum dicendum, quod ratio finis proprie mouvement et l’opération et l’ordre entre une
respicit motum et operationem, et ordinem rei ad chose et une [autre] chose, et non pas l’être
rem, et non esse rei absolute; unde in d’une chose de manière absolue. Aussi, dans les
mathematicis, in quibus non est operatio et motus, réalités mathématiques, où il n’y a pas
non invenitur finis, ut dicitur in 3 Metaph.; et ideo d’opération et nni mouvement, on ne trouve pas
etiam haec ratio procedit secundum illum modum de fin, comme il est dit dans Métaphysique, III.
quo voluntas dicitur intellectui praeeminere. C’est pourquoi même cet argument se déroule de
la manière dont on dit que la volonté l’emporte
sur l’intelligence.
[11147] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 12 12. Mouvoir les autres puissances et ne pas être
Ad duodecimum dicendum, quod movere alias forcée par un objet relèvent de la volonté, selon
vires et non cogi ab objecto, pertinet ad qu’elle détermine d’abord les autres puissances
voluntatem secundum quod ipsa est primum humaines par rapport aux choses sur lesquelles
determinans alias potentias humanas in ordine ad elles agissent, alors qu’elle-même n’est pas
res alias circa quas operantur, et ipsa non déterminée par autre chose. Aussi, dans la
determinatur ab alio: unde quantum ad hoc ad mesure où elle est déterminée par Dieu à une
quod a Deo determinatur naturali inclinatione, inclination naturelle, elle ne possède pas d’une
quodammodo libertatem non habet, sed quasi certaine manière la liberté, mais elle est comme
cogitur naturali inclinatione, sicut respectu forcée par l’inclination naturelle, comme c’est le
beatitudinis, quam nullus non potest non velle. Ex cas de la béatitude, que personne ne peut pas ne
hac autem parte qua homo ab alio ordinatur, pas vouloir. Du point de vue où l’homme est
dictum est, quod amor cognitionem excedit. ordonné par un autre, on a dit que l’amour
dépasse la connaissance.
[11148] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 1 a. 4 ad 13 13. À proprement parler, il faut dire que l’amour
Ad tertium decimum dicendum, quod amor, n’existe que dans les choses où se trouve la
proprie loquendo, non est nisi in illis in quibus est connaissance; mais le mot « amour » a été
cognitio; sed amoris nomen transumitur ad ea ad reporté sur ce à quoi ne peut s’étendre le mot
quae cognitionis nomen extendi non potest: quia « connaissance », car on parle d’amour lorsque
amor dicitur secundum quod amans ad rem aliam celui qui aime est ordonné à une autre chose. Or,
ordinatur; aliquid autem ad alterum ordinari potest une chose peut être ordonnée à une autre même
etiam ab exteriori ordinante; et ideo illa quae ad par une chose extérieure qui ordonne. C’est
aliquid ordinantur ab habentibus cognitionem pourquoi ce qui est ordonné à quelque chose par
(quorum proprie est amor, inquantum ex seipsis ce qui possède la connaissance (à qui l’amour
ad amata ordinantur) nomen amoris vel appetitus appartient en propre, pour autant que cela est
recipere possunt. Cognitio autem dicitur ordonné par soi-même à ce qui est aimé), peut
secundum quod res cognita fit in cognoscente per porter le nom d’amour ou d’appétit. Mais on
modum cognoscentis, scilicet secundum esse parle de connaissance selon que la chose connue
spirituale et immateriale. Dispositio autem talis apparaît dans celui qui connaît selon le mode de
848

non inest alicui nisi ex proprietate suae naturae; celui qui connaît, à savoir, selon un être spirituel
unde nomen cognitionis ad animalia quae talem et immatériel. Or, une telle disposition n’est
naturam non habent, extendi non potest, ut inhérente à quelqu’un que selon ce qui est propre
dicantur insensibilia naturaliter cognoscere, sicut à sa nature. Aussi le mot « connaissance » ne
naturaliter amant vel appetunt. peut-il être étendu aux animaux qui n’ont pas
une telle nature, de sorte qu’on dise que les
réalités insensibles connaissent naturellement,
comme elles aiment ou désirent naturellement.

Quaestio 2 Question 2 – [La charité]


Prooemium Prologue
[11149] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la charité. À ce
quaeritur de caritate; et circa hoc quaeruntur propos, quatre questions sont posées : 1 –
quatuor: 1 quid sit caritas; 2 utrum sit virtus; 3 in Qu’est-ce que la charité ? 2 – Est-elle une vertu ?
quo sit sicut in subjecto; 4 de comparatione ejus 3 – Quel est le sujet de la charité ? 4 - Comment
ad alias virtutes. se compare-t-elle aux autres vertus ?

Articulus 1 [11150] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 Article 1 – La charité est-elle la même chose
a. 1 tit. Utrum caritas sit idem quod que la concupiscence ou qu’est-ce que la
concupiscentia, vel quid sit caritas charité ?
[11151] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 1 1. Il semble que la charité soit la même chose
Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas sit que la concupiscence. En effet, Augustin dit que
idem quod concupiscentia. Augustinus enim dicit, « la charité est une vertu par laquelle nous
quod caritas est virtus qua Deum videre désirons voir Dieu et en jouir ». Or, cela relève
perfruique eo desideramus. Hoc autem de la concupiscence. La charité est donc la
concupiscentiae est. Ergo caritas est concupiscence.
concupiscentia.
[11152] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 2 2. Il semble que [la charité] soit la même chose
Item, videtur quod sit idem quod amor. Quia, que l’amour, car, selon ce que dit Denys, « la
sicut dicit Dionysius, dilectio est idem quod amor. dilection est la même chose que l’amour ». Or, il
Sed in littera dicitur, quod amor est dilectio qua est dit dans le texte que « l’amour est la dilection
diligitur Deus propter se, et proximus propter par laquelle Dieu est aimé pour lui-même et le
Deum. Ergo caritas est idem quod amor. prochain pour Dieu ». La charité est donc la
même chose que l’amour.
[11153] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 3 3. Il semble que [la charité] soit la même chose
Item, videtur quod sit idem quod benevolentia. que la bienveillance. En effet, la bienveillance
Benevolentia enim est qua alicui aliquod bonum est ce en vertu de quoi nous souhaitons un bien à
optamus. Sed hoc facit caritas, quia optat sibi et quelqu’un. Or, la charité fait cela, car elle
aliis vitam aeternam, secundum quod dicitur souhaite à soi-même et aux autres la vie
habens caritatem diligere proximum sicut éternelle, étant donné qu’on dit de celui qui a la
seipsum. Ergo caritas est idem quod benevolentia. charité qu’il aime son prochain comme soi-
même. La charité est donc la même chose que la
bienveillance.
[11154] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 4 4. Il semble que [la charité] soit la même chose
Praeterea, videtur quod sit idem quod concordia. que la concorde, car la charité réalise l’unité de
Quia caritas unitatem Ecclesiae facit, quae in hoc l’Église, qui consiste en que nous disions que
consistit ut idem dicamus omnes, et non sint in tous sont la même chose et qu’il n’existe pas de
nobis schismata, ut dicitur 1 Corinth., 1. Hoc schisme parmi nous, comme il est dit dans
autem ad concordiam pertinet. Ergo caritas est 1 Co 1. Or, cela relève de la concorde. La charité
idem quod concordia. est donc la même chose que la concorde.
849

[11155] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 5 5. Il semble que [la charité] soit la même chose
Praeterea, videtur quod sit idem quod que la bienfaisance, car le monde de la charité
beneficentia. Quia modus caritatis est ut consiste en ce que nous n’aimions pas en paroles
diligamus non lingua tantum, sed opere et seulement, mais en acte et en vérité, 1 Jn 3. Or,
veritate; 1 Joan. 3. Sed diligere per effectum, ad aimer efficacement relève de la bienfaisance. La
beneficentiam pertinet. Ergo caritas videtur esse charité semble donc être la même chose que la
idem quod beneficentia. bienfaisance.
[11156] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 6 6. Il semble qu’elle soit la même chose que la
Praeterea, videtur quod sit idem quod pax. Caritas paix. En effet, la charité est le lien qui réalise
enim est vinculum faciens spirituum unitatem. l’unité entre les esprits. Or, cela est attribué à la
Hoc autem paci attribuitur; Ephes. 4, 3: soliciti paix, Ep 4, 3 : Prenez soin de maintenir l’unité
servare unitatem spiritus in vinculo pacis. Ergo de l’esprit dans le lien de la paix. La charité est
caritas est idem quod pax. donc la même chose que la paix.
[11157] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 7 7. Il semble que [la charité] soit la même chose
Praeterea, videtur quod sit idem quod amicitia. que l’amitié, car, ainsi que le dit le Philosophe
Quia, ut dicit philosophus in 9 Ethic., amicitia dans Éthique, IX, « l’amitié est assimilée à la
superabundantiae amoris similatur. Sed caritas surabondance de l’amour ». Or, la charité
habet superabundantissimum amorem; unde et comporte un amour surabondant; aussi est-elle
caritas dicitur, eo quod sub inaestimabili pretio, appelée « charité » du fait qu’elle confère à celui
quasi carissimam rem, ponat amatum. Ergo caritas qui est aimé un prix inestimable, comme étant
est idem quod amicitia. une réalité très chère. La charité est donc la
même chose que l’amitié.
[11158] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 8 8. Comme le dit le Philosophe, « l’amitié est le
Sed contra, amicitia, ut dicit philosophus, est fait de ceux qui sont aimés en retour ». Or, la
redamantium. Sed caritas est etiam ad inimicos. charité s’adresse aussi aux ennemis. Elle n’est
Ergo non est idem quod amicitia. donc pas la même chose que l’amitié.
[11159] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 9 9. L’amitié ne se cache pas. Or, la charité se
Praeterea, amicitia est non latens. Sed caritas cache au plus haut point. Elle n’est donc pas
maxime latet. Ergo non est amicitia. amitié.
[11160] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 10 10. L’amitié est le fait de ceux qui vivent
Praeterea, amicitia est eorum qui convivunt ad ensemble et participent aux mêmes actions. Or,
invicem, et communicant in eisdem operibus. Sed la charité s’adresse à Dieu et aux anges, qui ne
caritas est ad Deum et ad Angelos, quorum vivent pas au milieu des hommes. La charité
conversatio non est cum hominibus. Ergo caritas n’est donc pas une amitié.
non est amicitia.
[11161] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 11 11. « L’amitié recherche surtout à parler avec
Praeterea, amicitia quaerit maxime colloqui, et l’ami et à le voir », comme le dit le Philosophe.
videre amicum, ut dicit philosophus. Sed hoc non Or, la charité ne recherche pas cela, comme le dit
quaerit caritas, ut dicit Hieronymus in prologo Jérôme dans le prologue de la Bible. Elle n’est
Bibliae. Ergo non est idem quod amicitia. donc pas la même chose que l’amitié.
[11162] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 12 12. L’amitié ne s’adresse qu’à un petit nombre et
Praeterea, amicitia non est nisi ad paucos, et à ceux qui sont vertueux. Or, la charité s’adresse
virtuosos. Sed caritas est ad omnes, etiam malos. à tous, même aux méchants. La charité n’est
Ergo caritas non est idem quod amicitia. donc pas la même chose que l’amitié.
[11163] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 co. Réponse. L’amour est un apaisement, comme on
Respondeo dicendum, quod amor est quaedam l’a dit plus haut, à la question précédente, a. 1;
quietatio, ut supra dictum est, quaest. praec., art. aussi, de même que l’appétit se trouve dans la
1; unde sicut appetitus invenitur in parte sensitiva partie sensible et dans la partie intellectuelle, de
et intellectiva, ita et amor. Ea autem quae ad même aussi l’amour. Or, ce qui se rapporte à
sensitivum appetitum pertinent, ad intellectivum l’appétit sensible est reporté sur la partie
850

transferuntur, sicut nomina passionum. Quod intellectuelle, tels les noms des passions; mais ce
autem appetitus intellectivi est proprium, sensitivo qui est relève de l’appétit intellectuel ne convient
appetitui non convenit, ut nomen voluntatis. Et pas à l’appétit sensible, tel le nom de volonté.
ideo amor in utroque appetitu invenitur. Et C’est pourquoi l’amour se trouve dans les deux
secundum quod invenitur in appetitu sensitivo, appétits. Selon qu’il se trouve dans l’appétit
proprie dicitur amor, eo quod passionem importat; sensible, on parle au sens propre d’amour, du fait
secundum autem quod invenitur in intellectiva qu’il implique une passion; mais, selon qu’il se
parte, dicitur dilectio, quae electionem includit, trouve dans la partie intellective, il s’appelle
quae ad appetitum intellectivum pertinet. dilection, qui inclut un choix (dilectio/electio),
Nihilominus nomen amoris etiam ad superiorem lequel relève de l’appétit intellectuel.
partem transfertur; nomen autem dilectionis ad Néanmoins, le mot « amour » est aussi reporté
inferiorem nunquam. Omnia autem alia nomina sur la partie supérieure, mais le mot de
quae ad amorem pertinere videntur, vel « dilection » n’est jamais reporté sur la partie
includuntur ab istis, vel includunt ea, quasi inférieure. Or, tous les mots qui semblent se
addentia aliquid supra dilectionem et amorem. rapporter à l’amour sont soit inclus dans ceux-ci,
Quia enim amor unit quodammodo amantem soit les incluent, parce qu’ils ajoutent quelque
amato, ideo amans se habet ad amatum quasi ad chose à la dilection et à l’amour. En effet, parce
seipsum, vel ad id quod est de perfectione sui. Ad que l’amour unit d’une certaine manière celui
seipsum autem et ad ea quae sui sunt, hoc modo qui aime à celui qui est aimé, celui qui aime a
se habet ut primo velit sibi praesens esse quidquid avec l’aimé les mêmes rapports qu’avec lui-
de perfectione sua est; et ideo amor includit même ou avec ce qui relève de sa perfection. Or,
concupiscentiam amati, qua desideratur ejus il se comporte par rapport à lui-même et à ce qui
praesentia. Secundo homo alia in seipsum est sien en voulant, en premier lieu, que lui soit
retorquet per affectum, et sibi appetit quaecumque présent tout ce qui appartient à sa perfection;
sibi expediunt; et secundum quod hoc ad amatum ainsi l’amour inclut-il la concupiscence de ce qui
efficitur, amor benevolentiam includit, secundum est aimé, par laquelle est désirée sa présence.
quam aliquis amato bona desiderat. Tertio homo Deuxièmement, l’homme ramène les autres
ea quae sibi appetit, operando sibi acquirit; et choses à lui-même par l’amour et désire pour lui-
secundum quod hoc ad alium exercetur, même tout ce qui lui convient; si cela est fait
beneficentia in amore includitur. Quarto homo ea pour celui qui est aimé, l’amour comporte donc
quae sibi bona videntur, implere consentit: et la bienveillance, par laquelle quelqu’un désire
secundum quod hoc ad amicum fit, amor des biens pour l’aimé. Troisièmement, l’homme
concordiam includit, secundum quam aliquis acquiert pour lui-même en agissant ce qu’il
consentit in his quae amico videntur: non quidem désire pour lui-même; selon que cela est fait pour
in speculativis: quia concordia in his, secundum quelqu’un d’autre, l’amour comporte la
philosophum, 9 Ethic., ad amicitiam non pertinet, bienfaisance. Quatrièmement, l’homme consent
et discordia in eisdem esse potest sine amicitiae à accomplir ce qui semble bon pour lui-même;
praejudicio, eo quod in his concordare vel selon que cela est fait pour un ami, l’amour
discordare, voluntati non subjacet, cum intellectus comporte donc la concorde, par laquelle
ratione cogatur. Amor tamen super quatuor quelqu’un consent à ce que pense son ami, mais
praedicta aliquid addit, scilicet quietationem non en matière spéculative, car la concorde sur
appetitus in re amata, sine qua quodlibet ces choses ne relève pas de l’amitié, selon le
praedictorum quatuor esse potest. Sunt etiam Philosophe, Éthique, IX, et la discorde sur ces
quaedam quae super dilectionem vel amorem mêmes choses peut exister sans préjudice pour
aliquid addunt. Amatio enim addit super amorem l’amitié, du fait qu’être en accord ou en
intensionem quamdam amoris, quasi fervorem désaccord n’est pas soumis à la volonté, lorsque
quemdam. Amicitia vero addit duo: quorum unum l’intellect est contraint par la raison. Toutefois,
est societas quaedam amantis et amati in amore, l’amour ajoute quelque chose aux quatre points
ut scilicet mutuo se diligere sciant; aliud est ut ex mentionnés : l’apaisement de l’appétit dans la
electione operentur, non tantum ex passione. réalité aimée, sans lequel peut exister n’importe
851

Unde dicit philosophus, quod amicitia similatur laquelle des choses mentionnées. Il existe aussi
habitui, amatio autem passioni. Sic ergo patet certaines choses qui ajoutent quelque chose à la
quod amicitia est perfectissimum inter ea quae ad dilection ou à l’amour. En effet, la relation
amorem pertinent, omnia praedicta includens; amoureuse (amatio) ajoute à l’amour une
unde in genere hujusmodi ponenda est caritas, certaine intensité de l’amour, comme une
quae est quaedam amicitia hominis ad Deum, per certaine ferveur. Mais l’amitié ajoute deux
quam homo Deum diligit, et Deus hominem; et choses : l’une est une certaine communion de
sic efficitur quaedam associatio hominis ad celui qui aime et de celui qui est aimé dans
Deum, ut 1 Joan., 1, 7: si in luce ambulamus, sicut l’amour, de sorte qu’ils savent qu’ils s’aiment
et ipse in luce est, societatem habemus ad mutuellement; l’autre est qu’ils agissent par
invicem. choix, et pas seulement par passion. Aussi le
Philosophe dit-il que « l’amitié ressemble à un
habitus, mais la relation amoureuse à une
passion ». Il est donc clair que l’amitié est la
chose la plus parfaite parmi les choses qui se
rapportent à l’amour, et qu’elle inclut tout ce qui
a été dit plus haut. Aussi la charité doit-elle être
placée dans ce genre, elle qui est une certaine
amitié entre l’homme et Dieu, par laquelle
l’homme aime Dieu et Dieu [aime] l’homme.
Ainsi se réalise une certaine communion entre
l’homme et Dieu, comme le dit 1 Jn 1, 7 : Si
nous marchons dans la lumière, de même que lui
est dans la lumière, nous sommes en communion
les uns avec les autres.
[11164] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad 1. Toute amitié inclut la concupiscence ou le
primum ergo dicendum, quod quaelibet amicitia désir, et y ajoute quelque chose, comme on l’a
concupiscentiam seu desiderium includit, et dit.
aliquid super eam addit, ut dictum est.
[11165] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad 2. La charité ajoute quelque chose à la dilection
secundum dicendum, quod caritas addit aliquid et à l’amour.
supra dilectionem et amorem.
[11166] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 3 Et 3-5. Il faut dire la même chose pour le troisième
similiter dicendum ad tertium de benevolentia, et argument sur la bienveillance, pour le quatrième
ad quartum de concordia, et ad quintum de sur la concorde et pour le cinquième sur la
beneficentia. bienfaisance.
[11167] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 6 Ad 6. La paix se ramène à la concorde, sauf qu’on
sextum dicendum, quod pax ad concordiam parle de paix pour l’éloignement de la discorde,
reducitur: nisi quod magis pax dicitur quantum ad mais de concorde pour l’union elle-même.
remotionem discordiae, concordia autem quantum
ad ipsam unionem.
[11168] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 7 Ad 7. La charité est une amitié, mais elle lui ajoute
septimum dicendum, quod caritas est amicitia, sed quelque chose: la détermination de l’ami, car elle
aliquid addit supra ipsam, scilicet est une amitié envers Dieu, qui est plus précieuse
determinationem amici: quia est amicitia ad et plus chère que toutes les autres.
Deum, quae omnibus pretiosior est et carior.
[11169] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 8 Ad 8. L’ami n’aime pas seulement l’ami envers qui
octavum dicendum, quod amicus non tantum il a une amitié, mais tout ce qui le concerne,
diligit amicum ad quem amicitiam habet, sed comme ses fils, ses frères et ceux de ce genre,
omnia quae ad ipsum pertinent, quamvis ab illis bien qu’il ne soit pas aimé d’eux. De même, la
852

non ametur, sicut filios ejus, fratres et hujusmodi. charité fait principalement aimer Dieu, qui aime
Similiter et caritas diligere facit principaliter ceux qui l’aime et précède aussi les hommes
Deum, qui amantes se amat, et in amando dans l’amour, dans la mesure où ils sont à lui.
praevenit et homines, inquantum illius sunt. Unde Aussi que l’amitié soit le fait de ceux qui
quod dicitur, quod amicitia est redamantium, retournent l’amitié, cela s’entend de ceux entre
intelligitur quantum ad eos inter quos principaliter qui existe principalement l’amitié.
est amicitia.
[11170] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 9 Ad 9. Pour autant que les hommes deviennent
nonum dicendum, quod inquantum homines per déiformes par la charité, ils sont ainsi au-dessus
caritatem deiformes efficiuntur, sic sunt supra des hommes et leur séjour est dans le ciel. Ils ont
homines, et eorum conversatio in caelis est; et sic ainsi semblables à Dieu et aux anges, pour autant
cum Deo et Angelis ejus conveniunt, inquantum qu’ils se portent sur les mêmes choses, comme le
ad similia se extendunt, secundum quod dominus Seigneur l’enseigne : Soyez parfaits comme votre
docet: estote perfecti, sicut et pater vester Père est parfait.
perfectus est.
[11171] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 10 10. On dit que l’amitié n’est pas cachée, non pas
Ad decimum dicendum, quod amicitia dicitur esse parce que l’amour de l’ami est connu avec
non latens, non quod per certitudinem amor amici certitude, mais parce qu’on juge de l’amour
cognoscatur, sed quia per signa probabilia amor mutuel par des signes probables. Une telle
mutuus hinc inde colligitur; et talis manifestatio manifestation peut venir de la charité dans la
potest esse de caritate inquantum per aliqua signa mesure où quelqu’un peut estimer de manière
potest aliquis probabiliter aestimare se habere probable qu’il possède la charité.
caritatem.
[11172] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 11 11. La véritable amitié désire voir l’ami à qui
Ad undecimum dicendum, quod amicitia vera s’adresse principalement l’amitié, et elle se
desiderat videre amicum, et colloquiis mutuis réjouit de parler avec lui. Mais la délectation qui
gaudere facit, ad quem principaliter est amicitia; vient de la vision et du plaisir mutuels n’est
non autem ita quod delectatio quae est ex mutua cependant pas la fin de l’amitié, aussi délectable
visione et perfruitione, finis amicitiae ponatur, soit-elle dans l’amitié. C’est ce qu’entend écarter
sicut est in amicitia delectabilis; et hoc intendit Jérôme : l’amitié de la charité ne s’adresse pas
removere Hieronymus, scilicet quod non est d’abord aux hommes, mais elle est unie au Christ
amicitia caritatis principaliter ad homines, sed est par un lieu, et la délectation tirée des amis ne
Christi glutino copulata, et quod delectatio doit pas être principalement recherchée.
principaliter de amicis non est quaerenda.
[11173] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 1 ad 12 12. Cette objection vient de celui à qui s’adresse
Ad duodecimum dicendum, quod objectio illa principalement l’amitié, et non de ce qui est aimé
procedit quantum ad illum ad quem attenditur pour autant que cela concerne l’ami, car elle
principaliter amicitia, et non de illis qui diliguntur porte ainsi sur plusieurs choses.
inquantum ad amicum principaliter pertinent, quia
sic multorum est.

Articulus 2 [11174] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 Article 2 – La charité est-elle une vertu ?
a. 2 tit. Utrum caritas sit virtus
[11175] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 1 1. Il semble que la charité ne soit pas une vertu.
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas En effet, la charité, comme on l’a dit, est une
non sit virtus. Caritas enim, ut dictum est, est amitié de l’homme envers Dieu. Or, l’amitié
quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed amicitia n’est pas donnée comme une vertu par les
a philosophis non ponitur virtus, sed habet philosophes, mais elle a une vertu comme
virtutem pro fundamento; quia est propter bonum fondement, car elle existe en vue d’un bien
honestum, quod est virtus. Ergo caritas non est honnête, ce qu’est la vertu. La charité n’est donc
853

virtus. pas une vertu.


[11176] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Les commandements de la loi portent sur les
Praeterea, praecepta legis sunt de actibus actes des vertus. Or, la fin du commandement est
virtutum. Sed finis praecepti est caritas, 1 Timoth. la charité, 1 Tm 1. La charité est donc la fin des
1. Ergo caritas est finis virtutum. Sed finis vertus. Or, la fin des vertus n’est pas une vertu,
virtutum non est virtus, sed felicitas. Ergo caritas mais la félicité. La charité n’est donc pas une
non est virtus. vertu.
[11177] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 3 3. La vertu est le point ultime d’une puissance,
Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut dicitur comme on le dit dans le livre Sur le ciel et le
in Lib. 1 de Cael. et Mun. Sed delectatio est magis monde. Or, la délectation est un point plus ultime
ultimum quam amor: quia ipsa est ex ipsa que l’amour, car elle est ce que l’amour
conjunctione rei amatae, quam amor quaerit. Ergo recherche par l’union elle-même à la chose
delectatio magis debet esse virtus quam amor. aimée. La délectation doit donc être une vertu
Cum ergo delectatio non ponatur virtus, neque plutôt que l’amour. Puisque la délectation n’est
caritas virtus dici debet. pas donnée comme une vertu, la charité non plus
ne doit donc pas être appelée une vertu.
[11178] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Ce pour quoi la nature suffit n’a pas besoin
Praeterea, ad illud ad quod natura sufficit, non d’être élevé par une vertu. Or, l’homme peut
oportet quod elevetur per virtutem. Sed diligere aimer Dieu par-dessus tout par ses capacités
Deum super omnia, quod est actus caritatis, potest naturelles, ce qui est l’acte de la charité, dans la
homo per naturalia, inquantum naturali ratione mesure où il peut le connaître comme étant le
potest cognoscere ipsum esse summum bonum. bien suprême. Il n’est donc pas nécessaire
Ergo non oportet superaddi aliquam virtutem qu’une vertu soit ajoutée à la charité.
caritati.
[11179] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 5 5. Pour que nous tendions vers la fin, il suffit de
Praeterea, ad hoc quod tendamus in finem, sufficit la connaître et de la désirer. Or, la charité fait
ipsum cognoscere et desiderare. Sed caritas plus davantage, car elle la fait aimer et avoir de
facit; quia facit ipsum amare, et amicitiam ad l’amitié pour elle. Il n’était donc pas nécessaire
ipsum habere. Ergo non fuit necessarium quod que la charité soit une vertu théologale, mais
caritas esset virtus theologica, sed subjecisset qu’elle soumette le désir.
desiderium.
[11180] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 arg. 6 6. La vertu porte sur ce qui est difficile, comme
Praeterea, virtus est circa difficile, ut dicitur 2 on le dit dans Éthique, II. Or, aimer n’est pas
Ethic. Sed amare non est difficile, immo amor difficile, bien plus, l’amour rend léger tout ce qui
omnia difficilia levigat. Ergo caritas non est est difficile. La charité n’est donc pas une vertu.
virtus.
[11181] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] les commandements de la loi
Sed contra, praecepta legis sunt de actibus portent sur les actes des vertus. Or, la charité est
virtutum. Sed caritas est quae implet omnia ce qui accomplit tous les commandements de la
praecepta legis: quia plenitudo legis est dilectio: loi, car la plénitude de la loi est l’amour,
Rom. 13, 10. Ergo caritas est virtus. Rm 13, 10. La charité est donc une vertu.
[11182] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 s. c. 2 [2] L’être spirituel vient de la vertu. Or, il
Praeterea, esse spirituale est a virtute. Sed non est n’existe pas sans la charité; aussi l’Apôtre dit-il,
sine caritate; unde apostolus dicit 1 Corinth. 13, 2: 1 Co 13, 2 : Si j’avais la plénitude de la foi…,
si habuero omnem fidem (...) caritatem autem non mais sans avoir la charité, je ne suis rien. La
habeam, nihil sum. Ergo caritas est maxima charité est donc la plus grande des vertus.
virtutum.
[11183] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 s. c. 3 [3] Rien ne chasse le péché que la vertu. Or,
Praeterea, nihil expellit peccatum nisi virtus. Hoc c’est ce que fait la charité au plus haut point, elle
autem maxime facit caritas, quae operit universa qui recouvre toutes les fautes, comme il est dit
854

delicta, ut dicitur Prov. 10; ergo caritas est virtus. dans Pr 10. La charité est donc une vertu.
[11184] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 co. Réponse. La fin de la vie humaine est la félicité.
Respondeo dicendum, quod finis humanae vitae Aussi distingue-t-on diverses félicités selon
est felicitas: unde secundum diversas vitas etiam diverses vies. En effet, ceux qui sont hors de la
distinguuntur diversae felicitates. Qui enim sunt vie civile ne peuvent parvenir à la félicité civile,
extra vitam civilem, ad felicitatem civilem non qui atteint ce qu’il y a de plus élevé en cette vie.
possunt pervenire, quae attingit summum illius De même, pour parvenir à la félicité
vitae. Similiter ad hoc quod ad felicitatem contemplative, il faut participer à cette vie. Aussi
contemplativam quis perveniat, oportet quod illius la félicité à laquelle l’homme peut parvenir par
vitae particeps fiat; unde felicitas ad quam homo ses capacités naturelles est-elle conforme à la vie
per naturalia sua potest devenire, est secundum humaine; c’est d’elle que les philosophes ont
vitam humanam; et de hac philosophi locuti sunt; parlé. Ainsi est-il dit dans Éthique, I : « Heureux
unde 1 Ethic. dicitur: beatos autem ut homines. comme des hommes… » Mais parce qu’une
Sed quia nobis promittitur quaedam felicitas in félicité nous est promise par laquelle nous serons
qua erimus Angelis aequales, ut patet Matth. 22, les égaux des anges, comme cela ressort de
quae non solum vires hominis, sed etiam Mt 22, [félicité] qui dépasse non seulement les
Angelorum, excedit, qui per gratiam ad hanc forces de l’homme, mais aussi celles des anges,
perducuntur sicut nos; soli autem Deo est qui y sont conduits comme nous par la grâce,
naturalis; ideo oportet ad hoc quod ad felicitatem mais qui est naturelle à Dieu seul, il est donc
illam divinam homo perveniat quod divinae vitae nécessaire, pour que l’homme parvienne à cette
particeps fiat. Illud autem quod ad alterum félicité, qu’il devienne participant à la vie divine.
convivere facit, maxime amicitia est; quia, ut dicit Or, ce qui fait vivre pour un autre est surtout
philosophus 9 Ethic., unusquisque cum suo amico l’amitié, car, ainsi que le dit le Philosophe,
conversatur in illis quae maxime diligit, et quae Éthique, IX, « chacun échange avec son ami sur
suam vitam reputat, quasi amico convivere les choses qu’il aime en premier lieu et qu’il
volens; unde quidam simul venantur, quidam considère comme sa vie, comme s’il voulait
simul potant, quidam philosophantur, et sic de vivre avec son ami ». Aussi certains chassent-ils
aliis. Et ideo oportuit haberi quamdam amicitiam ensemble, certains boivent-ils ensemble, certains
ad Deum, qua sibi conviveremus; et haec est s’exercent-ils à la philosophie, et ainsi de suite.
caritas, ut dictum est. Haec autem communicatio C’est pourquoi il était nécessaire que nous ayons
divinae vitae facultatem naturae excedit, sicut et avec Dieu une amitié par laquelle nous vivrions
felicitas ad quam ordinatur; et ideo oportet quod avec lui : telle est la charité, comme on l’a dit.
per aliquod bonum superadditum natura in hoc Or, ce partage de la vie divine dépasse la
perficiatur; et haec est ratio virtutis. Unde oportet capacité de la nature, de même que la félicité à
dicere caritatem virtutem theologicam, quae laquelle elle est ordonnée. Aussi est-il nécessaire
diffunditur in cordibus nostris per spiritum que la nature soit perfectionnée sur ce point par
sanctum qui datus est nobis: Rom. 5. un bien ajouté : telle est la raison de vertu. Il est
donc nécessaire de dire que la charité est une
vertu théologale, qui est répandue dans nos
cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné,
Rm 5, 5.
[11185] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. L’amitié dont traite le Philosophe est causée
primum ergo dicendum, quod amicitia de qua soit par une inclination de la nature, pour ce qui
philosophus tractat, causatur vel ex inclinatione est de l’amitié portant sur ce qui est délectable et
naturae quantum ad amicitiam delectabilis et utile, soit par l’inclination d’un habitus vertueux,
utilis; vel ex inclinatione habitus virtuosi l’inclination de la nature étant présupposée, pour
praesupposita inclinatione naturae quantum ad ce qui est de l’amitié portant sur ce qui est
amicitiam honesti, inquantum omne quod facit honnête, dans la mesure où tout ce qui rend
similitudinem cum aliquo, inclinat ad amorem semblable à un autre incline à son amour. C’est
illius; et ideo non ponitur aliqua virtus, sed pourquoi elle n’est pas donnée comme une vertu,
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quiddam consequens ad virtutes. Sed amicitia mais comme quelque chose qui découle des
quam habemus ad Deum, non potest habere vertus. Mais l’amitié que nous avons pour Dieu
aliquod hujusmodi fundamentum, cum naturae ne peut avoir un fondement de ce genre,
metas excedat; et ideo oportet quod per speciale puisqu’elle dépasse les limites de la nature.
donum in dictam amicitiam elevemur; et hoc Aussi est-il nécessaire que nous soyons élevés à
donum dicimus virtutem. cette amitié par un don spécial. Nous appelons ce
don une vertu.
[11186] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. On ne dit pas que la charité est la fin du
secundum dicendum, quod caritas non dicitur esse commandement en tant que fin ultime des vertus,
finis praecepti, quasi ultimus finis virtutum, sed mais comme ce par quoi toutes les autres vertus
sicut id quo omnes aliae virtutes in finem ultimum sont ordonnées à la fin ultime. Et, à cet endroit,
ordinantur. Et excludit ibi apostolus tria a caritate, l’Apôtre écarte de la charité trois choses qui
quae verae amicitiae repugnant: quorum primum s’opposent à une amitié véritable. La première
est fictio, sicut est in simulantibus amicitiam, cum est la feinte, comme c’est le cas chez ceux qui
non sint amici: quod removet per hoc quod dicit: simulent l’amitié, alors qu’ils ne sont pas des
fides non ficta; fidem pro fidelitate accipiens. amis; il écarte cela lorsqu’il dit : Une foi sans
Secundum est malum fundamentum, sicut eorum feinte, en prenant la foi pour la fidélité. La
qui communicant in peccato, et ex hoc fiunt deuxième est un fondement mauvais, comme
amici; et ad hoc removendum dicit: conscientia c’est le cas de ceux qui communient dans le
bona. Tertium obliquata intentio, sicut cum quis péché et, pour cette raison, deviennent amis; il
diligit amicum propter lucrum; et hoc excludit per dit que cela doit être écarté : une bonne
hoc quod dicit: de corde puro. conscience. La troisième est une intention
déviée, comme lorsque quelqu’un aime son ami
pour un gain; il écarte cela lorsqu’il dit : Avec un
cœur pur.
[11187] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. Puisqu’ils sont louables, les actes des vertus
tertium dicendum, quod actus virtutum cum sint doivent avoir leur principe en nous. Or,
laudabiles, oportet quod habeant principium in puisqu’elle vient de l’union avec une chose qui
nobis. Delectatio autem cum sit ex conjunctione convient, la délectation signale une certaine
rei convenientis, in quamdam receptionem sonat, réception et ainsi une passion, dont le principe
et ita in passionem, cujus principium est ab vient d’un agent. Elle doit donc plutôt être
agente; et ideo magis se tenet ex parte praemii: considérée comme une récompense. Mais la
sed dilectio dicit extensionem appetitus in rem dilection exprime la tension de l’appétit vers une
amatam, et hoc operationem importat: et ita chose aimée et elle comporte cette opération.
caritas ponitur virtus: sed fruitio, quae Ainsi, la charité est-elle donnée comme une
delectationem importat, ponitur dos. vertu; mais la jouissance, qui comporte une
délectation, est-elle donnée comme une dot.
[11188] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Comme cela ressort de l’article précédent, la
quartum dicendum, quod caritas, ut ex praedictis, charité inclut l’amitié, l’amour et le désir. Or, le
art. praeced., patet, amicitiam et amorem et désir naturel ne peut porter que sur une chose qui
desiderium includit. Desiderium autem naturale peut être obtenue naturellement; aussi le désir
non potest esse nisi rei quae naturaliter haberi naturel du bien suprême existe-t-il en nous par la
potest; unde desiderium naturale summi boni inest nature pour autant que nous pouvons participer
nobis secundum naturam, inquantum summum au bien suprême par des effets naturels. De
bonum participabile est a nobis per effectus même, l’amour est causé par une similitude;
naturales. Similiter amor ex similitudine causatur; aussi le bien suprême est-il naturellement plus
unde naturaliter diligitur summum bonum super que tout, pour autant que nous avons une
omnia, inquantum habemus similitudinem ad similitude avec lui par des biens naturels. Mais
ipsum per bona naturalia. Sed quia natura non parce que la nature ne peut parvenir à ses
potest pervenire ad operationes ejus, quae sunt opérations, qui sont sa vie et sa béatitude, à
856

vita sua, et beatitudo, scilicet visio divinae savoir, la vision de l’essence divine, elle ne peut
essentiae; ideo etiam ad amicitiam non pertingit, parvenir à l’amitié, qui fait que les amis vivent
quae facit amicos convivere, et in omnibus ensemble et partagent tout. C’est pourquoi il est
communicare; et ideo oportet superaddi caritatem, nécessaire que soit ajoutée la charité, par laquelle
per quam amicitiam ad Deum habeamus, et ipsum nous avons une amitié envers Dieu, nous
amemus, et desideremus assimilari ei per l’aimons et désirons lui ressembler par la
participationem spiritualium donorum, ut participation aux dons spirituels, pour autant que
participabilem per gloriam ab amicis suis. ses amis peuvent participer à lui par la gloire.
[11189] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Le désir ne suffit pas, mais il est nécessaire
quintum dicendum, quod non sufficit desiderium, qu’il y ait partiage de vie, comme on l’a dit.
sed oportet esse communicationem in vita, ut
dictum est, art. 1.
[11190] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 2 ad 6 Ad 6. La difficulté qui existe dans les actes des
sextum dicendum, quod difficultas quae est in vertus n’est pas toujours celle de l’effort ou de
operibus virtutum, non semper est laboris, vel quelque chose qui attriste; mais ce sur quoi porte
alicujus contristantis; sed proprie ea quorum est à proprement parler la vertu comporte une
virtus dicuntur habere difficultatem, inquantum difficulté dans la mesure où cela dépasse les
supra vires elevantur eorum qui virtutem non forces de ceux qui n’ont pas la vertu.
habent.

Articulus 3 [11191] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 Article 3 – Le sujet de la charité est-il la


a. 3 tit. Utrum subjectum caritatis sit ratio raison ?
[11192] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 1 1. Il semble que le sujet de la charité soit la
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod raison. En effet, comme le dit Éthique, III, le
subjectum caritatis sit ratio. Omnis enim virtutis, sujet de toutes les vertus est ce qui est
ut in 1 Ethic. dicitur, subjectum est rationale per raisonnable par participation ou ce qui est
participationem, vel rationale per essentiam. Sed raisonnable par essence. Or, la charité est une
caritas est virtus, ut dictum est. Cum ergo vertu, comme on l’a dit. Puisque son sujet n’est
subjectum ejus non sit rationale per pas quelque chose de raisonnable par
participationem, quia sic esset virtus moralis, participation, car elle serait alors une vertu
videtur quod subjectum ejus sit rationale per morale, il semble donc que son sujet soit ce qui
essentiam. est raisonnable par essence.
[11193] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 2 2. Les choses qui se repoussent réciproquement
Praeterea, ea quae mutuo se expellunt, oportet doivent exister dans une même chose. Or, la
esse in eodem. Sed caritas et peccatum mortale charité et le péché mortel se repoussent. Puisque
mutuo se expellunt. Cum ergo omne peccatum tout péché mortel se trouve soit dans la raison
mortale, sit vel in ratione superiori vel inferiori, ut supérieure, soit dans la [raison] inférieure,
in 2 Lib., dist. 30, dictum est; videtur quod etiam comme on l’a dit dans le livre II, d. 30, il semble
caritas sit in ratione. donc que la charité aussi se trouve dans la raison.
[11194] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 3 3. Comme la charité est la principale des vertus
Praeterea, sicut caritas est principalis in gratuitis gratuites, de même en est-il de la prudence parmi
virtutibus, ita prudentia in moralibus. Sed les vertus morales. Or, le sujet de la prudence est
prudentiae subjectum est ratio. Ergo et caritatis. la raison. Elle est donc aussi celui de la charité.
[11195] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 4 4. Puisque la charité est une vertu théologale,
Praeterea, cum caritas sit virtus theologica, non elle ne peut se trouver dans la partie sensible,
potest esse in parte sensitiva, cujus objectum Deus dont l’objet ne peut être Dieu. Il est donc
esse non potest. Ergo oportet quod sit in parte nécessaire qu’elle existe dans la partie
intellectiva. Sed non est in libero arbitrio: quia intellectuelle. Or, elle ne se trouve dans le libre
objectum ejus est contingens operabile a nobis; arbitre, car son objet est quelque chose de
caritas autem est ultimi finis, supra quem non contingent qui peut être fait par nous. Or, la
857

cadit contingentia, neque nostra operatio, neque charité porte sur la fin ultime qui n’est pas
electio. Similiter non potest esse in voluntate: quia affectée par la contingence, par notre opération
voluntas non habet determinatum actum, sed ni par notre choix. De même ne peut-elle pas se
imperat omnes actus animae; unde si caritas esset trouver dans la volonté, car la volonté n’a pas
in voluntate, eadem ratione quaelibet alia virtus. d’acte déterminé, mais elle commande tous les
Ergo restat quod sit in ratione. actes de l’âme. Si la charité était dans la volonté,
toute autre vertu s’y trouverait donc pour la
même raison. Il reste donc qu’elle se trouve dans
la raison.
[11196] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 5 5. Les philosophes qui traitent des vertus n’ont
Praeterea, philosophi de virtutibus tractantes situé aucune vertu dans la volonté. Ils placent les
nullam virtutem in voluntate posuerunt, ponentes [vertus] intellectuelles dans ce qui est
intellectuales in rationali per essentiam, morales raisonnable par essence, mais les vertus morales
vero in rationali per participationem, cujusmodi dans ce qui est raisonnable par participation,
est irascibilis et concupiscibilis, ut patet ex 1 dont font partie l’irascible et le concupiscible,
Ethic. Cum ergo caritas sit virtus, videtur quod comme cela ressort d’Éthique, I. Puisque la
non sit in voluntate. charité est une vertu, il semble donc qu’elle ne se
trouve pas dans la volonté.
[11197] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] l’objet de la raison est le vrai.
Sed contra, objectum rationis est verum; caritatis Or, il n’est pas celui de la charité, mais plutôt le
autem non, sed magis bonum. Ergo caritas est in bien. La charité se trouve donc dans la volonté,
voluntate, non in ratione. et non dans la raison.
[11198] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 s. c. 2 [2] L’amour se rapporte à l’appétit. Or, la raison
Praeterea, amor ad appetitum pertinet. Sed ratio se rapporte à la connaissance La charité ne se
pertinet ad cognitionem. Ergo caritas non est in trouve donc pas dans la raison.
ratione.
[11199] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 co. Réponse. Pour savoir dans quelle puissance se
Respondeo dicendum, quod ad sciendum in qua trouve une vertu, il faut considérer de quelle
potentia est aliqua virtus, oportet considerare cui puissance son acte relève. Or, l’acte principal de
potentiae actus ejus competat. Actus autem la charité est d’aimer Dieu, ce qui est [un acte]
principalis caritatis est diligere Deum: qui quidem de la raison en tant qu’elle dirige, mais de
rationis est quasi dirigentis, sed appetitus quasi l’appétit en tant qu’il exécute. Il est donc
exequentis. Unde oportet quod ad appetitum nécessaire qu’il se ramène à l’appétit. Or,
reducatur. Non potest autem hunc actum exequi l’appétit sensible ne peut exécuter cet acte, car
appetitus sensitivus, quia ejus objectum Deus esse son objet ne peut être Dieu. Il faut donc que cela
non potest. Ergo oportet quod ad appetitum relève de l’appétit de la partie intellectuelle, non
intellectivae partis pertineat, non inquantum est pas en tant qu’il choisit ce qui est ordonné à la
electivus eorum quae sunt ad finem, sed fin, mais en tant qu’il se rapporte à la fin ultime
inquantum se habet ad ipsum ultimum finem; et elle-même. Cela est le fait de la volonté. Le sujet
hoc est voluntatis; unde proprium subjectum propre de la charité est donc la volonté. Mais
caritatis est voluntas. Quidam autem dicunt, certains disent que la charité se trouve dans le
caritatem in concupiscibili esse; quod esse non concupiscible, ce qui est impossible, car le
potest: quia concupiscibilis pars appetitus concupiscible est une partie de l’appétit de la
sensitivae est partis. Et si dicatur concupiscibilis partie sensible. Et si l’on parle du concupiscible
humana, hoc non habet nisi per participationem humain, il ne possède qu’une participation à la
rationis; nisi forte ipsam voluntatem aequivoce raison, à moins qu’on veuille appeler de manière
irascibilem et concupiscibilem vocare vellent. équivoque l’irascible et le concupiscible la
volonté elle-même.
[11200] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1. On n’appelle pas seulement partie raisonnable
primum ergo dicendum, quod pars rationalis per par essence la raison elle-même, mais aussi
858

essentiam non dicitur solum ipsa ratio, sed etiam l’appétit associé à la raison, à savoir, la volonté.
appetitus rationi annexus, scilicet voluntas; unde Aussi le Philosophe dit-il, dans Sur l’âme, III,
philosophus dicit in 3 de anima, quod voluntas in que la volonté se trouve dans la raison. C’est
ratione est. Et ideo caritas non est virtus moralis, pourquoi la charité n’est pas une vertu morale,
quia non est circa passiones, quae sunt in appetitu car elle ne porte pas sur les passions qui se
sensitivo, qui est rationalis per participationem: trouvent dans l’appétit sensible et qui est
neque est virtus intellectualis; non enim est in raisonnable par participation. Elle n’est pas non
ratione per essentiam quantum ad vires plus une vertu intellectuelle : en effet, elle ne se
apprehensivas; sed est virtus theologica. trouve pas dans la raison par essence, pour ce qui
est des puissances de perception. Mais elle est
une vertu théologale.
[11201] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 2 Ad 2. On ne dit pas toujours que le péché mortel se
secundum dicendum, quod peccatum mortale non trouve dans la raison comme dans son sujet,
semper dicitur esse in ratione sicut in subjecto, puisque parfois il se trouve dans l’irascible et
cum quandoque sit in irascibili, quandoque in parfois dans le concupiscible. Mais il se trouve
concupiscibili; sed est semper in ratione sicut in toujours dans la raison en tant qu’elle dirige, et
dirigente, et in voluntate, seu libero arbitrio, sicut dans la volonté, ou dans le libre arbitre, en tant
imperante et dirigente actum ejus: et sic etiam qu’elle commande et dirige son acte. La charité
caritas habet rationem quasi dirigentem in suo comporte donc aussi la raison en tant qu’elle
actu, vel magis intellectum. dirige dans son acte, ou plutôt l’intellect.
[11202] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. La prudence est la principale des vertus
tertium dicendum, quod prudentia principalis est morales pour autant qu’elle les dirige toutes.
in virtutibus moralibus, inquantum est directiva C’est pourquoi elle relève de la raison. Mais la
omnium; et ideo ad rationem pertinet: sed caritas charité est principale en tant qu’elle commande,
est principalis per modum imperantis et unit à la fin et donne forme, ce qui relève de la
conjungentis fini et informantis; quod pertinet ad volonté.
voluntatem.
[11203] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 4 Ad 4. Ni l’appétit sensible ni le libre arbitre ne sont
quartum dicendum, quod nec appetitus sensitivus, à proprement parler le sujet de la charité, mais la
nec liberum arbitrium, proprie loquendo, est volonté qui, tout en étant d’une certaine manière
subjectum caritatis; sed voluntas, quae quamvis la cause de tous les actes humains, n’a cependant
habeat se quodammodo ut causa ad omnes actus pas le même rapport avec tous. En effet, elle-
humanos, non tamen eodem modo se habet ad même suscite certains actes en tant qu’elle est
omnes. Quosdam enim actus ipsa elicit, une puissance particulière, tel l’acte de vouloir;
inquantum est quaedam specialis potentia, sicut mais elle en commande certains, en tant qu’elle
velle; quosdam vero imperat, ut est universalis est le moteur universel des puissances de l’âme.
motor virium animae. Unde virtutes perficientes Les vertus qui perfectionnent en vue des actes
ad actus quod voluntas tantum imperat, non sunt que la volonté ne fait que commander ne se
in voluntate sicut in subjecto, sed in illis potentiis trouvent donc pas dans la volonté comme dans
quae illos actus eliciunt; sed virtutes perficientes leur sujet, mais dans les puissances qui suscitent
ad actus quos voluntas elicit, sunt in voluntate ces actes; mais les vertus qui perfectionnent en
quasi in subjecto: et sic non est eadem ratio de vue des actes que suscite la volonté se trouvent
omnibus. Diligere autem est actus a voluntate dans la volonté comme dans leur sujet. Il n’en va
elicitus, cum importet quietationem voluntatis, et donc pas de même pour toutes. Or, aimer est un
transformationem quamdam in rem amatam; et acte susciter suscité par la volonté, puisqu’il
ideo caritas, quae ad hunc actum perficit, est in comporte l’apaisement de la volonté et une
voluntate sicut in subjecto. certaine transformation en la chose aimée. C’est
pourquoi la charité, qui perfectionne en vue de
cet acte, se trouve dans la volonté comme dans
son sujet.
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[11204] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad 5. Comme on l’a dit plus haut, d. 23, q. 1, a. 1,
quintum dicendum, quod virtutes, ut supra dictum les vertus nous sont nécessaires pour que les
est, dist. 23, quaest. 1, art. 1, sunt nobis puissances naturelles soient déterminées au bien.
necessariae ad hoc quod potentiae naturales Chez ceux dont les puissances naturelles sont
determinentur ad bonum; unde in illis in quibus déterminées au bien par leur nature, d’autres
potentiae naturales sunt ex sui natura ad bonum vertus ne sont pas nécessaires. Mais la volonté a
determinatae, non requiruntur aliae virtutes. comme objet le bien, qui est la fin; en elle-
Voluntas autem habet bonum, quod est finis, pro même, elle est donc naturellement déterminée au
objecto; unde quantum in se est, naturaliter est bien, qui est la fin proportionnée à la nature
determinata ad bonum; quod est finis humanae humaine. Aussi les philosophes n’ont-ils situé
naturae proportionatus: et ideo in voluntate aucune vertu dans la volonté par rapport à la fin
respectu finis ultimi, philosophi nullam virtutem ultime. Cependant, il est nécessaire de placer une
posuerunt. Tamen oportet ponere aliquam vertu acquise dans la volonté selon qu’elle porte
virtutem acquisitam in voluntate secundum quod sur ce qui se rapporte à la fin, à savoir la justice,
est eorum quae sunt ad finem, scilicet justitiam, ut comme on le dira plus loin, d. 33, q. 2, a. 4, qa 2,
infra dicetur, dist. 33, quaest. 2, art. 4, quaestiunc. qui porte sur les biens qui sont utilisés pour la
2, quae est circa bona quae in usum vitae veniunt, vie, mais qui est cependant comptée par les
et tamen inter morales computatur: quia voluntas [vertus] morales, car la volonté, bien qu’elle se
quamvis secundum suam essentiam sit in rationali trouve selon son essence dans la [partie]
per essentiam, tamen quantum ad similitudinem raisonnable par essence, a, par la ressemblance
actus convenit cum irascibili et concupiscibili, de l’acte, quelque chose en commun avec
quae dicuntur rationales per participationem: et l’irascible et le concupiscible, dont on dit qu’ils
ipsa etiam voluntas aliqualiter rationem participat, sont raisonnables par participation. La volonté
inquantum a ratione apprehensiva dirigitur. At elle-même participe aussi d’une certaine manière
secundum doctrinam fidei ponitur finis ultimus à la raison pour autant qu’elle est dirigée par la
naturalem inclinationem excedens; et ideo raison qui appréhende. Mais, selon
secundum theologos oportet ponere virtutem l’enseignement de la foi, on affirme une fin
aliquam in voluntate ad elevandum in praedictum ultime qui dépasse l’inclination naturelle. C’est
finem: et hanc dicimus caritatem. pourquoi il est nécessaire, selon les théologiens,
d’affirmer une vertu se trouvant dans la volonté
afin de l’élever à la fin mentionnée. C’est celle
que nous appelons charité.

Articulus 4 [11205] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 Article 4 – La charité est-elle une seule vertu
a. 4 tit. Utrum caritas sit una virtus vel plures ou plusieurs ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La charité est-elle une
seule vertu ?]
[11206] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 1. Il semble que la charité ne soit pas une seule
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod vertu. En effet, les habitus se distinguent par
caritas non sit una virtus. Habitus enim leurs actes, et les actes par les objets. Or, la
distinguuntur per actus, et actus per objecta. Sed charité a deux objets très éloignés : Dieu et le
caritas habet duo objecta maxime distantia, prochain. Elle n’est donc pas une seule vertu.
scilicet Deum et proximum. Ergo non est una
virtus.
[11207] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 2. Les vertus théologales se distinguent des
arg. 2 Praeterea, virtutes theologicae a moralibus vertus morales, car les vertus morales dirigent
distinguuntur: quia virtutes morales dirigunt in his pour ce qui se rapporte à la fin, mais les vertus
quae sunt ad finem, theologicae autem sunt de théologales portent sur la fin elle-même. Or, la
ipso fine. Sed caritas est et de fine, inquantum per charité porte sur la fin, pour autant que Dieu est
eam diligitur Deus; et de his quae sunt ad finem, aimé par elle, et sur ce qui se rapporte à la fin,
860

inquantum per eam diligitur proximus. Ergo pour autant que le prochain est aimé par elle. La
caritas continet duas virtutes, quarum una est charité contient donc deux vertus, dont l’une est
moralis et alia theologica. morale et l’autre théologale.
[11208] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 3. Les vertus sont ordonnées à certains actes, car
arg. 3 Praeterea, virtutes ad actus aliquos « la vertu accomplit ce qu’il y a de meilleur »,
ordinantur: quia virtus est optimorum operativa, comme il est dit dans Éthique, II, et elles
ut dicitur in 2 Eth., et modum aliquem in suis établissent une certaine manière dans leurs actes,
actibus ponunt: quia virtus est in hoc quod non car la vertu ne consiste pas seulement à
solum bona, sed bene fiant; et iterum actus accomplir ce qui est bien, mais à bien
virtutum per praecepta legis imperantur. Sed l’accomplir; de plus, les actes des vertus sont
caritas habet duos actus et duos modos et duo commandés par les commandements de la loi.
praecepta. Ergo non est una virtus. Or, la charité comporte deux actes, deux modes
et deux commandements. Elle n’est donc pas une
seule vertu.
[11209] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 s. Cependant, [1] il n’y a qu’un seul moteur en
c. 1 Sed contra, motor in quolibet genere est unus chaque genre. Or, la charité meut toutes les
tantum. Sed caritas movet omnes alias virtutes ad autres vertus vers sa fin par leurs actes propres.
suum finem per actus proprios. Ergo caritas est La charité est donc une seule vertu.
una virtus.
[11210] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 s. [2] L’objet de la charité est Dieu, puisqu’elle est
c. 2 Praeterea, objectum caritatis est Deus, cum sit une vertu théologale. Or, Dieu est un au plus
virtus theologica. Sed Deus est summe unus. Ergo haut point. La charité est donc une seule vertu.
caritas est una tantum virtus.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La charité est-elle distincte
des autres vertus ?]
[11211] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 1. Il semble que la charité ne soit pas distinte des
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non sit distincta ab autres vertus. En effet, tout ce qui fait partie du
aliis virtutibus. Quidquid enim cadit in caractère distinct d’une vertu ne se distingue pas
distinctione virtutis, non distinguitur a virtutibus. des vertus. Or, la charité est de ce genre. Aussi
Sed caritas est hujusmodi; unde Hieronymus dicit: Jérôme dit-il : « Pour résumer brièvement toute
ut breviter omnem virtutis definitionem la définition de la vertu, la vertu est la charité par
complectar, virtus est caritas qua diligitur Deus et laquelle Dieu et le prochain sont aimés. » Et
proximus: et Augustinus dicit, quod virtus est Augustin dit que « la vertu est l’ordre de
ordo amoris. Ergo caritas non distinguitur ab aliis l’amour ». La charité ne se distingue donc pas
virtutibus. des autres vertus.
[11212] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 2. Les vertus se distinguent par leurs actes. Or,
arg. 2 Praeterea, virtutes distinguuntur per actus. les actes de toutes les autres vertus sont attribués
Sed actus omnium aliarum virtutum caritati à la charité, comme cela ressort de 1 Co 13. La
attribuuntur, ut patet 1 Cor. 13. Ergo caritas non charité n’est donc pas une vertu distincte des
est virtus distincta ab aliis virtutibus. autres vertus.
[11213] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 3. Toute vertu particulière a un objet particulier.
arg. 3 Praeterea, quaelibet virtus specialis habet Or, la charité n’a pas d’objet particulier, mais [un
speciale objectum. Sed caritas non habet speciale objet] commun à toutes [les vertus] : le bien. La
objectum, sed omnibus commune, scilicet bonum. charité n’est donc pas une vertu particulière.
Ergo caritas non est specialis virtus.
[11214] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 4. Les commandements de la loi portent sur les
arg. 4 Praeterea, praecepta legis sunt de actibus actes des vertus. Or, le commandement qui se
virtutum. Sed praeceptum quod ad caritatem rapporte à la charité ne se distingue pas des
pertinet, non distinguitur ab aliis praeceptis; sed autres commandements, mais il embrasse tous
omnia alia praecepta complectitur. Ergo et caritas les autres commandements. La charité ne se
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non distinguitur ab aliis virtutibus. distingue donc pas des autres vertus.
[11215] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 s. Cependant, [1] tout ce qui est séparé des autres
c. 1 Sed contra, omne quod dividitur contra alia, choses est distinct de ces choses. Or, la charité se
est distinctum ab illis. Sed caritas distinguitur distingue des autres vertus théologales, comme
contra alias virtutes theologicas, ut patet 1 cela ressort de 1 Co 13, et de Grégoire, qui dit
Corinth. 13, et per Gregorium, qui dicit, quod que «la charité est indiquée par une des filles de
caritas signatur per unam de filiabus Job. Ergo est Jacob». Elle est donc une vertu particulière.
virtus specialis.
[11216] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 s. [2] Le Philosophe prouve que la justice est une
c. 2 Praeterea, philosophus probat justitiam esse vertu particulière par le fait qu’elle a un vice
specialem virtutem per hoc quod habet aliquod particulier qui lui est opposé. Or, la charité a un
vitium speciale sibi tantum oppositum. Sed caritas vice particulier qui est opposé à elle seule : la
habet aliquod vitium speciale sibi tantum haine. La charité est donc une vertu particulière.
oppositum, scilicet odium. Ergo caritas est virtus
specialis.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La charité est-elle la forme
des autres vertus ?]
[11217] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 1. Il semble que la charité ne soit pas la forme
arg. 1 Ulterius. Videtur quod caritas non sit forma des autres vertus. En effet, toute forme est soit
aliarum virtutum. Omnis enim forma vel est exemplaire ou intrinsèque. Or, la charité n’est
exemplaris vel intrinseca. Sed caritas non est pas la forme exemplaire des vertus, car alors les
forma exemplaris virtutum, quia tunc in eamdem autres vertus seraient attirées vers la même
speciem traherentur aliae virtutes: nec iterum est espèce; elle n’est pas non plus leur forme
forma intrinseca: quia daret esse et speciem aliis intrinsèque, car elle donnerait l’être et l’espèce
virtutibus; et sic omnes virtutes essent eaedem aux autres vertus. Toutes les vertus seraient ainsi
specie, et essent in eodem subjecto ubi est caritas, de la même espèce, elles se trouveraient dans le
nec ab ipsa distinguerentur. Ergo caritas nullo même sujet où se trouve la charité et elles ne
modo est forma virtutum. s’en distingueraient pas. La charité n’est donc
d’aucune manière la forme des vertus.
[11218] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 2. La charité diffère de la grâce. Or, on dit que la
arg. 2 Praeterea, caritas differt a gratia. Sed gratia grâce est la forme de toutes les vertus, car elle
dicitur esse forma omnium virtutum, quia facit rend un acte méritoire. La charité n’est donc pas
actum meritorium. Ergo caritas non est forma. la forme.
[11219] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 3. Le rapport de puissance à puissance est le
arg. 3 Praeterea, sicut se habet potentia ad même que celui d’habitus à habitus. Or, la raison
potentiam, ita habitus ad habitum. Sed ratio impose un mode à toutes les puissances.
imponit modum omnibus aliis viribus. Ergo et L’habitus qui se trouve dans la raison [en impose
habitus existens in ratione omnibus aliis habitibus; donc] aussi un à tous les autres habitus. Ainsi, la
et ita fides est magis forma virtutum quam caritas; foi est davantage que la charité la forme des
vel etiam prudentia, quae etiam ponitur a vertus, ou même la prudence, qui est aussi
philosophis quasi forma omnium aliarum donnée par les philosophes comme la forme de
virtutum. toutes les autres vertus.
[11220] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 4. La forme efficiente et la fin ne tombent pas
arg. 4 Praeterea, forma efficiens et finis non sous le même nombre, comme il est dit dans
incidunt in idem numero, ut dicitur in 2 Phys. Sed Physique, II. Or, la charité est la fin du
caritas est finis praecepti, et ita virtutum: est etiam commandement, et ainsi, des vertus; elle en est
motor, inquantum imperat actus earum. Ergo ipsa aussi le moteur, pour autant qu’elle commande
non est forma. leurs actes. Elle n’en est donc pas la forme.
[11221] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 5. Les habitus sont indiqués par leurs actes. Or,
arg. 5 Praeterea, habitus indicantur per actus. Sed chaque vertu impose son mode ou sa forme à son
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unaquaeque virtus ponit suum modum vel formam acte; ainsi, le juste agit justement, et le fort,
in actu suo, secundum quem justus juste facit, et fortement. Les vertus ne sont donc pas formées
fortis fortiter. Ergo virtutes non formantur per par la charité, mais elles sont formées par elles-
caritatem, sed per seipsas formatae sunt. mêmes.
[11222] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 s. Cependant, [1] Ambroise dit que la charité
c. 1 Sed contra, Ambrosius dicit, quod caritas donne forme à toutes les autres vertus et en est la
omnes alias virtutes informat et est mater earum. mère.
[11223] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 s. [2] Ce qui est principal, même dans les choses
c. 2 Praeterea, illud quod est principale, etiam in corporelles, a le caractère de forme par rapport
corporalibus, est formale respectu aliorum; sicut aux autres choses; ainsi, le feu est d’une certaine
ignis est quodammodo forma aeris, aer aquae, et manière la forme de l’air, l’air de l’eau et l’eau
aqua terrae, ut dicitur 4 Physic. Sed caritas est de la terre, comme il est dit dans Physique, IV.
principalis inter alias virtutes. Ergo ipsa est forma Or, la charité est la principale parmi les autres
aliarum virtutum. vertus. Elle est donc la forme des autres vertus.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [La charité peut-elle être
informe ?]
[11224] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 1. Il semble que la charité puisse être informe.
arg. 1 Ulterius. Videtur quod caritas possit esse En effet, de même que la foi existe chez celui qui
informis. Sicut enim fides est in eo qui non n’agit pas bien, de même aussi l.amour par
operatur bene, ita et dilectio qua Deus diligitur: lequel Dieu est aimé, car même les pécheurs et
quia etiam peccatores et infideles Deum diligunt. les infidèles aiment Dieu. Or, la foi sans les
Sed fides quae est sine operibus, est informis. œuvres est informe. Donc, de la même manière,
Ergo similiter caritas. la charité.
[11225] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 2. Personne ne sait s’il a la grâce. Or, quelqu’un
arg. 2 Praeterea, nullus scit se habere gratiam. peut savoir s’il a l’amour. L’amour de Dieu peut
Potest autem aliquis scire se habere dilectionem. donc exister sans la grâce, et ainsi [la charité]
Ergo dilectio Dei potest esse sine gratia; et ita peut-elle être informe.
potest esse informis.
[11226] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 3. La crainte et l’amour naissent de la foi. Or, la
arg. 3 Praeterea, ex fide oriuntur timor et amor. crainte peut être informe, comme cela ressort
Sed timor potest esse informis, ut patet de timore dans le cas de la crainte servile. Donc aussi,
servili. Ergo et amor. l’amour.
[11227] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 s. Cependant, [1] l’Esprit Saint ne peut être sans la
c. 1 Sed contra, spiritus sanctus non potest esse grâce. Or, l’amour de Dieu est répandu dans nos
sine gratia. Sed caritas Dei diffunditur in cordibus cœurs par l’Esprit Saint, Rm 5. La charité ne
nostris per spiritum sanctum; Rom. 5. Ergo caritas peut donc être informe.
non potest esse informis.
[11228] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 s. [2] La forme ne peut être informe. Or, la charité
c. 2 Praeterea, forma non potest esse informis. est la forme de toutes les autres vertus. Elle-
Sed caritas est forma omnium aliarum virtutum. même ne peut donc pas être informe.
Ergo ipsa non potest esse informis.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11229] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 co. Une vertu est spécifiée par son objet selon la
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, raison par laquelle elle tend principalement vers
quod virtus specificatur ex objecto suo secundum lui; aussi, puisque la charité aime principalement
illam rationem qua principaliter in ipsum tendit; Dieu et n’aime toutes les autres choses que pour
unde cum caritas diligat Deum principaliter, et autant qu’elles sont à Dieu, il est clair qu’elle
omnia alia non diligat nisi inquantum sunt Dei, reçoit son unité de l’unité de la bonté divine,
constat quod ex unitate divinae bonitatis, quam visée en premier par la charité, et qu’elle est une
caritas primo respicit, unitatem recipit, et est una seule vertu.
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virtus.
[11230] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1. Le prochain n’est pas l’objet principal de la
1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non charité elle-même, comme on l’a dit.
est objectum principale ipsius caritatis, ut dictum
est.
[11231] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2. Les vertus théologales aussi dirigent pour ce
2 Ad secundum dicendum, quod virtutes etiam qui se rapporte à la fin, non pas selon les raisons
theologicae dirigunt in his quae sunt ad finem, propres des choses qui sont ordonnées à la fin,
non quidem secundum proprias rationes rerum mais selon la raison de fin. Ainsi, la foi fait
quae sunt ad finem, sed secundum rationem finis; croire certaines choses à propos des créatures à
sicut fides facit etiam quaedam credere de cause de la Vérité première dont elle a reçu. De
creaturis propter veritatem primam, a qua accipit: même aussi, la charité fait aimer les hommes
similiter et caritas facit diligere homines pour autant qu’ils peuvent participer à la bonté
inquantum sunt participabiles divinae bonitatis, divine, qui est la fin ultime.
quae est finis ultimus.
[11232] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3. La diversité matérielle des objets suffit à
3 Ad tertium dicendum, quod materialis diversitas diversifier l’acte selon le nombre; mais les actes
objectorum sufficit ad diversificandum actum ne se diversifient selon l’espèce que par la
secundum numerum; sed secundum speciem actus diversité formelle de l’objet. Or, la diversité
non diversificantur nisi ex diversitate formali formelle de l’objet vient de la raison selon
objecti. Formalis autem objecti diversitas est laquelle l’habitus ou la puisance sont considérés.
secundum illam rationem quam principaliter Aussi, aimer Dieu et [aimer] le prochain sont-ils
attendit vel habitus vel potentia; et ideo diligere des actes différents, mais ils relèvent du même
Deum et proximum sunt quidem diversi actus, sed habitus, comme voir le blanc et le noir, le proche
ad eumdem habitum pertinent; sicut etiam videre et le lointain sont des visions diverses en nombre
album et nigrum, et propinquum et distans, sunt et elles comportent des modes différents;
diversae visiones secundum numerum, et diversos cependant, elles relèvent d’une seule puissance
modos habent, et tamen ad unam visivam de vision. Aussi divers commandements sont-ils
potentiam pertinent: et sic etiam de actibus donnés à propos de actes de la charité selon les
caritatis dantur diversa praecepta secundum modes divers qui sont les leurs.
diversos modos quos habent.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11233] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Comme on l’a dit, les habitus reçoivent leurs
Ad secundam quaestionem dicendum, quod, ut espèces de leurs objets selon la raison qu’ils
dictum est, habitus specificantur ex objectis suis envisagent principalement. Or, la raison de
secundum rationem quam principaliter attendunt. l’objet se prend de la proportion de la chose sur
Ratio autem objecti sumitur secundum laquelle porte l’opération de l’habitus ou de la
proportionem rei circa quam est operatio habitus puissance par rapport à l’acte de l’âme, dans
vel potentiae, ad actum animae, in qua sunt laquelle se trouvent les habitus et les puissances.
habitus vel potentiae. Quia autem per operationem Or, parce que, par une opération de l’âme, sont
animae dividuntur quandoque quae secundum rem parfois divisées des choses qui sont en réalité
conjuncta, et summe unum sunt; ideo contingit unies et sont au plus haut point une seule chose,
quod ubi res est eadem, sunt diversae rationes il arrive que, là où une chose est la même, il
objecti, sicut eadem res objectum est liberalitatis, existe diverses raisons de l’objet : ainsi l’objet de
ut est donabilis, et justitiae, ut habet debiti la libéralité est-il la même chose, qui a raison de
rationem. Et similiter ubi res est communis, est don possible, que celui de la justice, qui a raison
ratio objecti particularis et propria: sicut de dette. De même, là où une chose est
philosophia prima est specialis scientia, quamvis commune, la raison de l’objet peut être
consideret ens secundum quod est omnibus particulière et propre : ainsi, la philosophie
commune: quia specialem rationem entis première est une science particulière, bien
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considerat secundum quod non dependet a materia qu’elle considère l’être selon qu’il est commun à
et a motu: et similiter est in proposito. Objectum toutes choses, car elle considère la raison
enim caritatis proprium et principale est bonitas particulière de l’être selon qu’il ne dépend pas de
divina. In omnibus autem aliis virtutibus est la matière ni du mouvement. De même en est-il
aliquod bonum divinum; sed tamen hoc quod est dans le cas présent. En effet, l’objet propre et
commune secundum rem, habet specialem principal de la charité est la bonté divine. Or,
rationem: et ideo caritas est specialis virtus ab dans toutes les autres vertus, il existe un bien
omnibus aliis distincta. divin. Cependant, ce qui est en réalité commun
possède une raison particulière. C’est pourquoi
la charité est une vertu particulière distincte de
toutes les autres.
[11234] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1. De même que dans les sciences, une science
1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut est in particulière distincte des autres, la philosophie
scientiis, quod una scientia specialis ab aliis première, communique sa perfection à toutes les
distincta, scilicet prima philosophia, omnibus aliis autres sciences, pour autant que son objet est en
scientiis perfectionem impartitur, inquantum réalité commun avec les objets de toutes les
objectum suum est commune secundum rem autres sciences, de même en est-il aussi pour les
objectis omnium aliarum scientiarum; ita etiam vertus où ce qui relève d’une vertu peut être mis
est in virtutibus, ubi illud quod ad aliquam dans la définition d’une vertu commune, comme
virtutem pertinet, potest poni in definitione cela ressort pour la prudence qui perfectionne la
virtutis communis; sicut patet de prudentia, quae raison de vertu pour toutes les vertus morales.
perficit rationem virtutis in omnibus virtutibus Aussi la raison droite, qui relève de la prudence,
moralibus: et ideo ratio recta, quae ad prudentiam est-elle placée dans la définition de la vertu,
pertinet, ponitur in definitione virtutis, ut patet 2 comme cela ressort d’Éthique, II : « La vertu est
Ethic.: virtus est habitus electivus in mediocritate un habitus électif consistant dans un milieu qui
consistens determinata ratione, prout sapiens est déterminé par la raison, comme le sage en
determinabit. Nec ex hoc habetur quod prudentia aura déterminé. » On n’en conclut pas que la
non sit specialis virtus, sed quod est generalis prudence n’est pas une vertu particulière, mais
regula omnium virtutum; et ita etiam caritas, quae qu’elle est la règle générale de toutes les vertus.
perficit omnes alias virtutes, ponitur in definitione Ainsi encore la charité, qui perfectionne toutes
virtutis; nec ex hoc habetur quod sit generalis les autres vertus, est-elle placée dans la
virtus, sed generalis perfectio virtutum. Tamen définition de la vertu; on n’en conclut pas qu’elle
hoc quod dicit Augustinus, quod est virtus ordo est une vertu générale, mais la perfection
amoris, potest dupliciter accipi: vel pro ipso générale des vertus. Toutefois, ce que dit
amore caritatis, et tunc praedicta responsio tenet; Augustin : « la vertu est l’ordre de l’amour »,
vel pro amore in communi, et sic amor sumitur peut s’entendre de deux manières : soit de
pro amore naturali, qui inest cuilibet potentiae l’amour même de la charité, et alors la réponse
respectu sui objecti, quem virtus determinat: quia précédente demeure, soit de l’amour en général,
est ordinatio affectionum animae. Quidam autem et ainsi l’amour est entendu de l’amour naturel,
non attendentes differentiam naturalis amoris vel qui est inhérent à toute puissance par rapport à
appetitus, ad amorem et appetitum animalem, son objet et que la vertu détermine, car elle est la
intantum erraverunt, quod posuerunt mise en ordre des dispositions affectives de
concupiscibilem non esse specialem vim, sed l’âme. Mais certains, ne prenant pas en compte la
diffusam in omnibus aliis viribus; et similiter différence de l’amour ou appétit naturel par
caritatem indistinctam ab aliis virtutibus. rapport à l’amour et à l’appétit animal, se sont
trompés en affirmant que le concupiscible n’est
pas une puissance particulière, mais [une
puissance] répandue dans toutes les autres
puissances, et que la charité ne se distingue pas
des autres vertus.
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[11235] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2. Les actes des autres vertus ne sont pas
2 Ad secundum dicendum, quod actus aliarum attribués à la charité parce qu’elle les suscite,
virtutum non attribuuntur caritati quasi ipsa eos mais parce qu’elle les commande. Mais elle
eliciat, sed quia ipsa eos imperat. Habet autem possède un acte qu’elle suscite : aimer Dieu.
specialem actum quem elicit, diligere Deum.
[11236] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3. Ce n’est pas n’importe quel bien qui est
3 Ad tertium dicendum, quod non quodlibet l’objet de la charité, mais le bien divin; et celui-
bonum est objectum caritatis, sed bonum ci, même s’il existe dans tous les biens d’une
divinum; et hoc etiam quamvis sit in omnibus certaine manière, possède une raison particulière,
bonis aliqualiter, tamen habet specialem rationem, comme on l’a dit.
ut dictum est.
[11237] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4. Le commandement se rapportant à la charité
4 Ad quartum dicendum, quod praeceptum ad ne comprend pas tous les autres commandements
caritatem pertinens, non comprehendit omnia alia comme étant quelque chose d’universel par
praecepta sicut universale ad illa, sed per rapport à ceux-ci, mais comme s’ils se
quamdam reductionem, quia omnia praecepta ad ramenaient à lui, car tous les commandements lui
illud ordinantur, sicut etiam actus omnium sont ordonnés, de même que les actes de toutes
aliarum virtutum ad actum caritatis, inquantum les autres vertus le sont par rapport à la charité,
omnes imperat. Unde ex hoc non ostenditur quod pour autant qu’elle les commande tous. On ne
caritas sit generalis virtus, sed quod est generalis montre donc pas ainsi que la charité est une vertu
motor omnium virtutum. générale, mais qu’elle est le moteur général de
toutes les vertus.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11238] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 co. La charité se compare à toutes les autres vertus
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod caritas comme un moteur, une fin et une forme. Qu’elle
ad omnes alias virtutes comparatur et ut motor et soit le moteur de toutes les autres vertus, cela est
ut finis et ut forma. Quod autem motor sit clair, car le bien lui-même, qui est l’objet de la
omnium aliarum virtutum, ex hoc patet, quia charité sous son aspect de fin, est la fin des
ipsum bonum, quod est objectum caritatis sub vertus. Or, dans toutes les puissances ou les arts
ratione finis, est finis virtutum. In omnibus autem ordonnés, il se fait que l’art ou la puissance qui
potentiis vel artibus ordinatis ita accidit, quod ars porte sur la fin ordonne les actes des autres à sa
vel potentia quae est circa finem, ordinat aliarum fin propre, comme [l’art] militaire, qui existe en
actus ad finem proprium; sicut militaris, quae est vue de la victoire à laquelle toutes les fonctions
propter victoriam, ad quam omne officium guerrières sont ordonnées, ordonne l’art de la
bellicum ordinatur, ordinat equestrem et navalem chevalerie, l’art naval et tous les arts de ce genre
et omnia hujusmodi in suum finem; et ideo dicitur à sa fin. C’est pourquoi on appelle la charité la
caritas mater aliarum virtutum, inquantum earum mère des autres vertus, pour autant qu’elle fait
actus producit ex conceptione finis, inquantum apparaître leurs actes à partir de la conception de
ipse finis habet se per modum seminis, cum sit la fin, dans la mesure où la fin elle-même agit
principium in operabilibus, ut dicit philosophus: par soi à la manière d’une semence, puisqu’elle
et secundum hoc dicitur imperare actus inferiorum est le principe pour les choses à faire, ainsi que
virtutum, secundum quod facit eas operari propter le dit le Philosophe. De cette manière, on dit
finem suum; et secundum hoc movet alias artes qu’elle commande les actes des vertus
inferiores ad finem suum; unde caritas etiam inférieures selon qu’elle les fait agir en vue de sa
omnes alias virtutes ad suum finem movet, et propre fin. Elle meut ainsi les autres arts
secundum hoc dicitur actus earum imperare. Hoc inférieurs vers sa propre fin. Aussi la charité
enim interest inter elicere actum et imperare, quod meut-elle toutes les autres vertus vers sa propre
habitus vel potentia elicit illum actum quem fin; on dit ainsi qu’elle commande leurs actes.
producit circa objectum nullo mediante: sed En effet, la différence entre susciter un acte et le
imperat actum qui producitur mediante potentia commander est qu’un habitus ou une puissance
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vel habitu inferiori circa objectum illius potentiae. suscite sans intermédiaire l’acte qu’ils produisent
Sic ergo caritas est motor aliarum virtutum: par rapport à leur objet; mais ils commandent un
similiter etiam finis: quia hoc commune est in acte, qui est produit par l’intermédiaire d’une
omnibus virtutibus, quod actus ipsarum sunt puissance ou d’un habitus inférieurs, par rapport
proximi fines earum cum actus sit perfectio à l’objet de cette puissance. Ainsi donc, la
prima; et minus completum ordinatur ad magis charité est le moteur des autres vertus. De même
completum sicut ad finem. Finis autem inferioris en est-elle la fin, car cela est commun à toutes
potentiae vel habitus ordinatur ad finem les vertus que leurs actes sont leurs fins
superioris, sicut finis militaris ad finem civilis; prochaines, puisque l’acte est la perfection
unde actus omnium aliarum virtutum ordinantur première; et ce qui est moins achevé est ordonné
ad actum caritatis sicut ad finem; et propter hoc à ce qui est plus achevé comme à sa fin. Or, la
dicitur caritas praecepti finis. Similiter etiam patet fin d’une puissance ou d’un habitus inférieurs est
quod est forma perficiens unamquamque virtutem ordonnée à la fin [d’une puissance ou d’un
in ratione virtutis. Inferior enim potentia non habitus supérieurs], comme la fin [de l’art]
habet perfectionem virtutis nisi secundum quod militaire à la fin de la cité. Aussi les actes de
participat perfectionem potentiae superioris; sicut toutes les autres vertus sont-ils ordonnés à l’acte
habitus qui est in irascibili, non habet rationem de la charité comme à leur fin. Pour cette raison,
virtutis, ut dicitur in 4 Ethic., nisi inquantum on dit que la charité est la fin du commandement.
intellectum et discretionem recipit a ratione, quam De même, il est clair qu’une puissance ne
perficit prudentia; et secundum hoc prudentia possède la perfection d’une vertu que selon
ponit modum et formam in omnibus aliis qu’elle participe à la perfection d’une puissance
virtutibus moralibus. Omnes autem aliae virtutes supérieure, comme l’habitus qui se trouve dans
quae sunt meritoriae vitae aeternae, secundum l’irascible n’a raison de vertu, comme il est dit
quod nunc loquimur de virtutibus, sunt in dans Éthique, IV, que dans la mesure où il reçoit
potentiis voluntati subjectis: quia nullus actus l’intelligence et le jugement de la raison, que
alicujus potentiae potest esse meritorius nisi perfectionne la prudence. Ainsi la prudence
inquantum habet aliquid de voluntario: quod donne-t-elle mode et forme à toutes les autres
contingit ex hoc quod voluntas imperat et movet vertus morales. Or, toutes les autres vertus qui
actus aliarum potentiarum. Unde non potest esse sont méritoires de la vie éternelle, selon que nous
quod aliquis habitus existens in aliqua potentia parlons maintenant des vertus, se trouvent dans
animae habeat rationem virtutis loquendo de les puissances soumises à la volonté, car aucun
virtutibus meritoriis, de quibus hic loquimur, nisi acte d’une puissance ne peut être méritoire que
secundum hoc quod in illa potentia participatur dans la mesure où il possède quelque chose de
aliquid de perfectione voluntatis quam caritas volontaire, ce qui se produit du fait que la
perficit; et ideo caritas est forma virtutum aliarum volonté commande et meut les actes des autres
omnium, sicut prudentia moralium. Et hic est puissances. Il ne peut donc pas arriver qu’un
unus modus quo caritas est forma aliarum habitus qui se trouve dans une puissance de
virtutum. Alii autem duo modi possunt accipi ex l’âme ait raison de vertu, si l’on parle des vertus
hoc quod ipsa est motor et finis, inquantum méritoires dont nous parlons ici, que si cette
movens ponit motum suum in instrumento, et ea puissance participe à quelque chose de la
quae sunt ad finem, diriguntur ex ratione finis; et perfection de la volonté, que perfectionne la
ita modus caritatis participatur in aliis virtutibus, charité. C’est pourquoi la charité est la forme des
inquantum moventur a caritate, et inquantum autres vertus, comme la prudence celle des
ordinantur in ipsam sicut in finem. vertus morales. C’est là un mode selon lequel la
charité est la forme des autres vertus. Mais les
deux autres modes peuvent se concevoir du fait
qu’elle est le moteur et la fin, pour autant que ce
qui meut instaure son mouvement dans
l’instrument et que ce qui est ordonné à la fin est
dirigé par la raison de la fin. Ainsi les autres
867

vertus participent au mode de la charité dans la


mesure où elles sont mues par la charité et dans
la mesure où elles sont ordonnées à elle comme à
leur fin.
[11239] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1. La charité est la forme exemplaire des vertus,
1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est mais il existe une double forme exemplaire.
forma exemplaris virtutum; sed forma exemplaris L’une selon la représentation de laquelle quelque
est duplex. Una ad cujus repraesentationem chose est fait : pour celle-là, seule une similitude
aliquid fit: et ad hanc non exigitur nisi similitudo est requise, comme nous disons que les vraies
tantum: sicut dicimus res veras esse formas réalités sont les formes exemplaires des
exemplares picturarum. Alio modo dicitur forma peintures. D’une autre manière, on parle de la
exemplaris ad cujus similitudinem aliquid fit, et forme exemplaire selon la représentation de
per cujus participationem esse habet; sicut divina laquelle quelque chose est fait et par
bonitas est forma exemplaris omnis bonitatis, et participation à laquelle cela possède l’être; ainsi,
divina sapientia omnis sapientiae; et talis forma la bonté divine est la forme exemplaire de toute
exemplaris non oportet quod sit unius speciei cum bonté, et la sagesse divine [est la forme
causatis: quia participantia non semper participant exemplaire] de toute sagesse. Et il n’est pas
per modum participati; et hoc modo prudentia est nécessaire qu’une telle cause exemplaire soit de
forma aliarum virtutum moralium, inquantum la même espèce que les choses causées, car ce
sigillatio quedam prudentiae in inferioribus qui participe ne participe pas toujours selon le
viribus dat habitibus qui ibi sunt, rationem mode de ce à quoi cela. De cette manière, la
virtutis. Et similiter est de caritate respectu prudence est la forme des autres vertus morales
omnium aliarum virtutum. pour autant qu’un sceau de la prudence donne
aux puissances inférieures et aux habitus qui s’y
trouvent la raison de vertu. De même en est-il
pour la charité par rapport à toutes les autres
vertus.
[11240] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2. Les puissances inférieures ne sont
2 Ad secundum dicendum, quod inferiores vires perfectionnées par la perfection de la vertu que
non perficiuntur perfectione virtutis, nisi per par participation à la perfection issue des
participationem perfectionis a superioribus. Cum puissances supérieures. Mais puisque les réalités
autem superiora sint formalia respectu inferiorum, supérieures ont le caractère de formes par
quasi perfectiora; quod participatur a superioribus rapport aux réalités inférieures dans la mesure où
in inferioribus, formale est. Unde ad perfectionem elles sont plus parfaites, ce à quoi les réalités
virtutis in aliqua potentia tot formae exiguntur, inférieures participent aux réalités supérieures a
quot superiora sunt respectu illius potentiae; sicut le caractère de forme. Aussi, pour la perfection
ratio superior est quam concupiscibilis, quasi de la vertu dans une puissance, autant de formes
ordinans ipsam; et ideo prudentia, quae est sont requises qu’il y a de [puissances]
perfectio rationis, est forma temperantiae, quae est supérieures par rapport à cette puissance, comme
virtus concupiscibilis. Similiter voluntas est la raison est supérieure au concupiscible en tant
superior ratione, secundum quod actus rationis qu’elle l’ordonne. C’est pourquoi la prudence,
consideratur ut voluntarius et meritorius; et ideo qui est la perfection de la raison, est la forme de
caritas est forma prudentiae et temperantiae. la tempérance, qui est une vertu du
Similiter essentia animae superior est voluntate, concupiscible. De même, la volonté est
inquantum ab essentia et voluntas et omnes vires supérieure à la raison selon que l’acte de la
animae fluunt. Et ideo gratia, quae est perfectio raison est considéré comme volontaire et
essentiae animae, constituens ipsam in esse méritoire; la charité est donc la forme de la
spirituali, est forma et caritatis et prudentiae et prudence et de la tempérance. De même
temperantiae; nec caritas esset virtus si esset sine l’essence de l’âme est-elle supérieure à la
gratia, sicut nec prudentia si esset sine caritate, volonté pour autant que la volonté et toutes les
868

loquendo de virtutibus infusis ordinatis ad puissances de l’âme découlent de son essence.


merendum: neque temperantia sine caritate et C’est pourquoi la grâce, qui est une perfection de
prudentia. Quidam autem dicunt, quod caritas et l’essence de l’âme l’établissant dans l’être
gratia sunt idem per essentiam. Sed de hoc dictum spirituel, est la forme de la charité, de la
est in 2 Lib., dist. 26, art. 4, corp. prudence et de la tempérance; et la charité ne
serait pas une vertu si elle était sans la grâce, de
même que la prudence si elle était sans la charité,
en parlant des vertus infuses ordonnées au
mérite; ni la tempérance sans la charité et la
prudence. Mais certains disent que la charité et la
grâce sont la même chose par essence. Mais on a
parlé de cela dans le livre II, d. 26, a. 4, c.
[11241] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3. La raison impose son mode à toutes les
3 Ad tertium dicendum, quod ratio imponit puissances qui lui sont soumises, et de même la
modum omnibus viribus quae sunt sub ipsa, et volonté à toutes les puissances inférieures à elle.
similiter voluntas omnibus viribus inferioribus ea. Mais les philosophes ont affirmé seulement que
Sed ideo non posuerunt philosophi virtutem nisi a la vertu est formée par la prudence parce qu’ils
prudentia formari, quia in voluntate, prout est n’ont pas affirmé dans l’essence de l’âme une
finis ultimi, et in essentia animae non posuerunt perfection ajoutée à la nature. Or, il est clair que
aliquam perfectionem superadditam naturae; toutes les vertus participent à la perfection
naturalis autem perfectio constat quod in omnibus naturelle.
virtutibus participatur.
[11242] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4. La forme exemplaire est une en nombre avec
4 Ad quartum dicendum, quod forma exemplaris l’agent et la fin, comme cela ressort en Dieu,
incidit in idem numero cum agente et fine; sicut mais non une forme intrinsèque.
patet in Deo; non autem forma intrinseca.
[11243] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 5. Les réalités inférieures participent aux
5 Ad quintum dicendum, quod inferiora perfections des réalités supérieures à leur
participant perfectiones superiorum secundum manière. C’est pourquoi les participations sont
modum suum: et ideo participationes déterminées chez les participants selon la
determinantur in participantibus ex capacitate et capacité et la nature des participants. Aussi toute
natura participantium. Et ideo unaquaeque virtus vertu qui se trouve dans une puissance inférieure
quae est in inferiori potentia, habet quidem possède une forme par laquelle elle est une vertu
formam, qua est virtus, ex participatione en raison de sa participation à la perfection d’une
perfectionis superioris potentiae; sed forma qua puissance supérieure; mais elle tient la forme par
est haec virtus, habet ex natura propriae potentiae laquelle elle est cette vertu de la nature de sa
per determinationem ad proprium objectum; et propre puissance en vertu de la détermination à
hanc formam et modum ponit unaquaeque virtus son objet propre, et toute vertu impose cette
circa suum actum; et iterum illam formam vel forme et ce mode à son acte; et en plus, [elle
modum quem habet ex superiori; sic temperantia impose] la forme ou le mode qu’elle tient d’une
in actu suo ponit modum proprium et prudentiae puissance supérieure. Ainsi, la tempérance
et caritatis et gratiae. impose dans son acte le mode propre de la
prudence, de la charité et de la grâce.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[11244] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 co. La charité ne peut jamais être informe : sur ce
Ad quartum quaestionem dicendum, quod caritas point, tous s’entendent. Mais, selon certains, cela
nunquam potest esse informis: et in hoc omnes vient du fait que la grâce n’est rien d’autre que
concordant. Hoc autem contingit secundum l’Esprit saint. Mais cela a été démoli dans le livre
quosdam, ex hoc quod caritas nihil est aliud quam I, d. 17, q. 1, a. 1 et 2. Mais, selon d’autres, la
spiritus sanctus. Sed hoc in 1 Lib., dist. 17, qu. 1, charité est la même chose que la grâce, ce qui a
869

art. 1 et 2, destructum est. Secundum alios vero été rejeté dans le livre II, d. 26, a. 4. C’est
caritas est idem quod gratia; quod in Lib. 2, dist. pourquoi il faut fournir d’autres arguments. Or,
26, art. 4, reprobatum est. Et ideo oportet alias on peut tirer une double justification à partir de
rationes assignare. Potest autem hujusmodi ratio ce qui a déjà été dit. La première se prend de
ex jam dictis haberi duplex. Prima ratio accipitur l’effet de la charité : puisque la charité est une
ex effectu caritatis: quia cum caritas sit amicitia certaine amitié, qui exige une vie commune entre
quaedam, quae requirit convictum inter amatos, ceux qui sont aimés, il ne peut y avoir de charité
non potest esse caritas, nisi sit participatio divinae s’il n’y a pas de participation à la vie divine, ce
vitae, quae est per gratiam; ideo caritas sine gratia qui se réalise par la grâce. Aussi la charité ne
esse non potest. Secunda ratio potest assignari ex peut-elle exister sans la grâce. La seconde
hoc quod ipsa motor est omnium virtutum et jusification peut être tirée du fait qu’elle est le
forma; unde omne peccatum caritatem tollit, moteur et la forme de toutes les vertus. Aussi
inquantum opponitur actui alicujus virtutis. Et tout péché enlève-t-il la charité dans la mesure
quia gratia non potest tolli nisi per peccatum, ideo où il est opposé à l’acte d’une vertu. Et parce que
caritas tollitur ablata gratia. la grâce ne peut être enlevée que par le péché, la
charité est donc enlevée par la disparition de la
grâce.
[11245] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1. Tout péché ne s’oppose pas à la foi, mais toute
1 Ad primum ergo dicendum, quod fidei non infidélité. C’est pourquoi, de même que du fait
opponitur omne peccatum, sed omnis infidelitas; qu’un homme erre à propos d’un article,
et ideo sicut per hoc quod homo errat in uno l’habitus de la foi est enlevé, comme on l’a dit
articulo, tollitur habitus fidei, ut supra dictum est, plus haut, d. 23, q. 3, a. 3, qa 1, de même, du fait
dist. 23, quaest. 3, art. 3, quaestiunc. 1, ita per hoc qu’est commis n’importe quel péché, qui
quod fit quodcumque peccatum, quod caritati s’oppose à la charité, l’habitus de la charité est
opponitur, tollitur totaliter habitus caritatis; unde entièrement enlevé. Aussi rien ne demeure-t-il
in caritate nihil manet informe, sicut in aliis d’informe dans la charité, comme dans les autres
virtutibus. vertus.
[11246] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2. À partir de l’amour que quelqu’un sait avoir, il
2 Ad secundum dicendum, quod de dilectione ne sait pas si cela est un amour de charité. Aussi,
quam aliquis scit se habere, nescit utrum sit de même que l’homme ne sait pas s’il a la grâce,
dilectio caritatis; unde sicut homo nescit habere ne sait-il pas s’il a la charité.
gratiam, ita nescit se habere caritatem.
[11247] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3. La crainte ne requiert pas une participation à
3 Ad tertium dicendum, quod timor non requirit la vie divine. Il n’en va donc pas de même pour
participationem divinae vitae, sicut amor caritatis; la crainte et pour l’amour.
et ideo non est simile de timore et amore.

Quaestio 3 Question 3 – [L’acte de la charité comme


amour de Dieu]
Prooemium Prologue
[11248] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur l’acte de la charité
quaeritur de actu caritatis, secundum quem selon lequel Dieu est aimé, car il y aura lieu de
diligitur Deus; quia de dilectione proximi infra s’interroger plus loin sur l’amour du prochain.
erit locus quaerendi. Quaeruntur autem quatuor: 1 Or, quatre questions sont posées. 1 – Dieu peut-il
utrum Deus immediate per suam essentiam possit être aimé de manière immédiate par son
amari; 2 utrum possit totaliter amari; 3 utrum essence ? 2 – Dieu peut-il être aimé totalement ?
dilectio qua Deum diligimus, habeat modum; 4 3 – L’amour par lequel nous aimons Dieu
utrum ille modus qui in praecepto de caritate comporte-t-il une mode ? 4 – Cette mode, qui est
implicatur, scilicet: ex toto corde etc. possit in via impliqué dans le commandement : De tout ton
servari. cœur, etc., peut-il être observé dans l’état de
870

cheminement ?

Articulus 1 [11249] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 Article 1 – Dieu peut-il être aimé par nous par
a. 1 tit. Utrum Deus per essentiam suam in statu son essence dans l’état de cheminement ?
viae possit a nobis amari
[11250] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 1 1. Il semble que Dieu ne puisse être aimé par
Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non nous de manière immédiate dans l’état de
possit a nobis in statu viae immediate amari. cheminement. En effet, l’intellect est plus rapide
Intellectus enim velocior est quam affectus: unde que la puissance affective; aussi Augustin dit-il
dicit Augustinus, quod praecedit intellectus; que « l’intellect précède, mais la disposition
sequitur tardus aut nullus affectus. Sed intellectus affective est lente ou il n’y en a aucune ». Or,
noster in statu viae non potest Deum immediate notre intellect ne peut voir Dieu de manière
videre. Ergo nec affectus amare. immédiate dans l’état de cheminement. La
puissance affective ne peut donc pas non plus
l’aimer.
[11251] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 2 2. Il ne peut pas y avoir d’amour de ce qui est
Praeterea, amor non potest esse incogniti et non inconnu et non vu. Aussi le Philosophe dit-il,
visi; unde philosophus in 9 Ethic., dicit, quod dans Éthique, IX, que « personne ne commence
nullus amare incipit specie non praedelectatus. à aimer sans avoir d’abord été délecté par la
Sed in statu viae non videmus essentiam divinam. vision ». Or, dans l’état de cheminement, nous
Ergo nec ipsum immediate per essentiam amare ne voyons pas l’essence divine. Nous ne
possumus. pouvons donc pas non plus l’aimer par son
essence de manière immédiate.
[11252] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 3 3. La connaissance de la patrie dépasse la
Praeterea, cognitio patriae excedit cognitionem connaissance du cheminement, dans la mesure
viae, inquantum homo in patria videt Deum per où, dans la patrie, l’homme voit Dieu par son
essentiam immediate. Si ergo in via homo Deum essence de manière immédiate. Si donc l’homme
immediate amaret, caritas patriae non excederet aimait Dieu de manière immédiate, la charité de
caritatem viae. la patrie ne dépasserait pas la charité du
cheminement.
[11253] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 4 4. Le fait que, dans l’état de cheminement, nous
Praeterea, ex hoc contingit quod Deum in statu ne puissions voir Dieu de manière immédiate
viae immediate videre non possumus, quia ex vient de ce que nous accédons à la connaissance
visibilibus in invisibilium cognitionem des réalités invisibles à partir de la connaissance
devenimus. Sed similiter devenimus ex amore des réalités visibles. Or, nous parvenons de la
visibilium in amorem invisibilium; unde même manière à l’amour des réalités invisibles à
Gregorius dicit in quadam Homil.: regnum partir de l’amour des réalités visibles. Aussi
caelorum rebus terrenis simile dicitur, ut per hoc Grégoire dit-il dans une homélie : « On dit que le
quod animus novit diligere, discat et incognita royaume des cieux est semblable aux réalités
amare; et in praefatione dicitur: ut dum visibiliter terrestres afin que, par ce que l’esprit a appris à
Deum cognoscimus, per hunc in invisibilium aimer, il apprenne à aimer les réalités
amorem rapiamur. Ergo similiter in statu viae non inconnues. » Et on dit dans une préface : « Afin
diligimus Deum immediate. que, connaissant Dieu de manière visible, nous
soyons entraînés par lui à l’amour des réalités
invisibles. » De la même manière, n’aimons-
nous pas Dieu de manière immédiate dans l’état
de cheminement.
[11254] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 arg. 5 5. La volonté, qui est la racine première du
Praeterea, voluntas, quae est prima radix peccati, péché, devait être davantage corrompue par le
magis debuit corrumpi per peccatum quam aliqua péché qu’une autre des puissances de l’âme. Or,
871

alia potentiarum animae. Sed intellectus non l’intellect ne peut exercer de manière immédiate
potest actum suum, qui est videre, exercere circa son acte, qui est de voir, à propos de Dieu. La
Deum immediate. Ergo neque voluntas actum volonté ne peut donc pas non plus exercer son
delectationis. acte de délectation.
[11255] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin dit, dans le livre des
Sed contra, Augustinus in Lib. Confess.: vae illis Confessions : « Malheur à ceux qui aiment tes
qui diligunt nutus tuos pro te. Nutus autem divini gestes à ta place! » Or, on appelle gestes de Dieu
dicuntur participatio bonitatis divinae in creaturis. la participation des créatures à la bonté divine.
Ergo Deus amatur a sanctis in statu viae Dieu est donc aimé de manière immédiate par les
immediate, non solum secundum quod ejus saints dans l’état de cheminement, et non
bonitas in creaturis participatur. seulement selon que les créatures participent à sa
bonté.
[11256] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 s. c. 2 [2] La connaissance du cheminement, parce
Praeterea cognitio viae, propter hoc quod Deum qu’elle connaît Dieu par l’intermédiaire des
mediantibus creaturis cognoscit, evacuatur, et est créatures, est rejetée et elle est énigmatique. Or,
aenigmatica. Sed caritas nunquam excidit, 1 la charité ne disparaît jamais, 1 Co 13. Elle
Corinth. 13. Ergo non diligit Deum mediante n’aime donc pas Dieu par l’intermédiaire de la
creatura. créature.
[11257] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 s. c. 3 [3] Ce qui est le moyen de connaissance est la
Praeterea, illud quod est medium cognoscendi, est raison de la connaissance; et de même doit-il en
ratio cognitionis; et similiter debet esse de être pour l’amour. Or, les créatures ne sont pas la
dilectione. Sed ratio diligendi Deum non sunt raison d’aimer Dieu, bien plutôt, c’est l’inverse,
creaturae, immo potius e converso, maxime surtout si l’on parle de l’amour de charité. Dieu
loquendo de dilectione caritatis. Ergo Deus est donc aimé de manière immédiate par son
immediate per essentiam amatur. essence.
[11258] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 co. Réponse. Dans les puissances ordonnées, la
Respondeo dicendum, quod in potentiis ordinatis situation est telle que là où se termine l’opération
ita est quod ubi terminatur operatio prioris de la première puissance, là commence
potentiae, ibi incipit operatio sequentis; sicut patet l’opération de la puissance suivante, comme il
quod sensus terminatur ad imaginationem, quae est clair que le sens se termine à l’imagination,
est motus factus a sensu secundum actum; et qui est un mouvement produit par le sens en
intellectus in termino imaginationis incipit, quia fonction de son acte, et que l’intelligence
phantasmata accipit pro objecto, ut dicitur in 2 commence là où se termine l’imagination, car
Lib. de anima; et ideo illarum rerum quae non elle reçoit les fantasmes comme objet, ainsi qu’il
habent phantasmata, cognitionem non potest est dit dans le livre Sur l’âme, II. Aussi ne peut-
accipere, nisi ex rebus quarum sibi elle recevoir de connaissance, pour les réalités
repraesentantur phantasmata. Unde in statu viae, qui n’ont pas de fantasmes, qu’à partir des
in qua accipit a phantasmatibus, non potest Deum réalités dont les fantasmes lui sont présentés.
immediate videre; sed oportet ut ex visibilibus, Aussi, dans l’état de cheminement, où
quorum phantasmata capit, in ejus cognitionem [l’intelligence] reçoit des fantasmes, Dieu ne
deveniat. Quamvis autem ipsam essentiam non peut-il être vu de manière immédiate, mais il faut
videat immediate, tamen cognitio intellectus ad qu’elle parvienne à sa connaissance à partir des
ipsum Deum terminatur, quia ipsum esse ex réalités visibles dont elle saisit les fantasmes.
effectibus apprehendit; unde cum ad intellectum Bien qu’elle ne voie pas l’essence même [de
affectus sequatur, ubi terminatur operatio Dieu] de manière immédiate, la connaissance de
intellectus, ibi incipit operatio affectus, sive l’intellect a cependant Dieu lui-même comme
voluntatis. Dictum est autem, quod operatio terme parce qu’elle saisit qu’il existe à partir de
intellectus, scilicet ejus cognitio, ad ipsum Deum ses effets. Puisque la puissance affective suit
terminatur, quem esse ex effectibus apprehendit; l’intellect, là où se termine l’opération de
unde operatio voluntatis circa ipsum Deum potest l’intellect, là commence donc l’opération de la
872

esse immediate nullo medio interveniente quod ad puissance affective ou volonté. Or, on a dit que
voluntatem pertineat; multis tamen mediis l’opération de l’intellect, à savoir, sa
praecedentibus ex parte intellectus, quibus in connaissance, a Dieu comme terme, dont elle
Deum cognoscendum pervenit. saisit qu’il est à partir de ses effets. L’opération
de la volonté portant sur Dieu peut donc exister
de manière immédiate sans qu’intervienne aucun
intermédiaire qui se rapporte à la volonté, mais
cependant après plusieurs intermédiaires qui
précèdent du côté de l’intelligence, par lesquels
elle parvient à connaître Dieu.
[11259] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 1 Ad 1. L’intellect est plus rapide en ce qu’il précède
primum ergo dicendum, quod intellectus est la puissance affective; mais la puissance
velocior quantum ad hoc quod praevenit affectum: affective atteint davantage par l’amour ce qui est
sed affectus in amando magis pertingit ad intima, plus intime, comme on l’a dit plus haut.
ut supra dictum est.
[11260] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 2 Ad 2. Il faut que l’amour porte sur quelque chose de
secundum dicendum, quod amor oportet quod sit connu et de vu d’une certaine manière, mais non
cogniti et visi aliqualiter, sed non cogniti et visi in pas de connu et de vu en soi. Aussi ce qui est
se; unde illud quod cognoscitur in alio, potest in connu dans autre chose peut-il être aimé en soi-
seipso amari. même.
[11261] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 3 Ad 3. Mieux le bien est connu, plus il est aimable,
tertium dicendum, quod quanto bonum plenius surtout ce bien qui est la fin et dans lequel ne se
cognoscitur, tanto magis est amabile; et praecipue trouve rien qui offense la puissance affective.
illud bonum quod est finis, et in quo non invenitur Parce que Dieu est mieux connu dans la patrie
aliquod quo offendatur affectus; et ideo, quia que maintenant, il sera donc davantage aimé.
Deus plenius cognoscetur in patria, quam nunc, Mais cette différence du point de vue de la
etiam plenius amabitur. Sed ista diversitas ex connaissance viendra de ce qui est propre à la
parte cognitionis erit per id quod est proprium connaissance, à savoir, connaître par soi et non
cognitioni, scilicet cognoscere per se, non alio; et par un autre; aussi la connaissance ne sera-t-elle
ideo non erit unius rationis cognitio. In affectu pas de même nature. Mais, dans la puissance
autem erit per diversitatem, non ejus quod per se affective, ce sera par une différence qui ne
ad ipsam pertineat, sed per diversitatem viendra pas de ce qui relève d’elle-même, mais
cognitionis; et tamen erit eadem ratio amoris, sed par une différence de la connaissance;
differt amor per magis et minus. cependant, l’amour sera de même nature, mais il
diffère en plus et en moins.
[11262] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 4 Ad 4. Le fait que l’amour tende vers les réalités
quartum dicendum, quod hoc quod amor ex invisibles à partir des réalités visibles ne vient
visibilibus ad invisibilia tendat, non est ex parte pas de lui, mais de la connaissance qui précède.
sui, sed ex parte cognitionis praecedentis; unde in Aussi est-il fait mention de la connaissance dans
utraque auctoritate inducta fit mentio de les deux autorités invoquées.
cognitione.
[11263] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 1 ad 5 Ad 5. La nature des puissances de l’âme n’a pas été
quintum dicendum, quod per peccatum non est enlevée par le péché, ni ce qui découle d’elles
ablata potentiarum animae natura, nec illud quod selon leur nature.
eas secundum naturam suam consequitur.

Articulus 2 [11264] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 Article 2 – Dieu peut-il être totalement aimé ?
a. 2 tit. Utrum Deus possit totaliter diligi
[11265] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 1 1. Il semble que Dieu ne puisse être totalement
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus aimé. En effet, l’amour présuppose la
873

non possit totaliter diligi. Dilectio enim connaissance. Or, Dieu n’est pas totalement
cognitionem praesupponit. Sed Deus non totaliter connu par les saints, même dans la patrie. Il ne
cognoscitur etiam in patria a sanctis. Ergo nec ab peut donc pas non plus être totalement aimé par
aliqua creatura potest totaliter diligi. une créature.
[11266] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 2 2. De même que la lumière divine est infinie, de
Praeterea, sicut divina lux est infinita, ita et divina même aussi la bonté divine. Or, la lumière divine
bonitas. Sed lux divina ratione suae infinitatis ne peut être saisie par l’intelligence en raison de
comprehendi non potest intellectu, ut totaliter son infinité, de sorte qu’elle soit totalement vue.
videatur. Ergo nec divina bonitas potest Ni la divine bonté ne peut donc être saisie par la
comprehendi affectu, ut totaliter diligatur. puissance affective, de sorte qu’elle soit
totalement aimée.
[11267] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 arg. 3 3. Dieu ne s’aime pas plus que totalement. Si
Praeterea, Deus seipsum non diligit plusquam donc une créature pouvait aimer Dieu
totaliter. Si ergo aliqua creatura totaliter Deum totalement, l’amour d’une créature serait égal à
diligere posset, dilectio alicujus creaturae l’amour divin, ce qui est faux.
adaequaretur dilectioni divinae; quod falsum est.
[11268] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 s. c. 1 Cependant, Dt 6, 5 dit : Tu aimeras le Seigneur,
Sed contra, Deut. 6, 5: diliges dominum Deum ton Dieu, de tout ton cœur; la Glose dit à cet
tuum ex toto corde tuo; ubi Glossa: hoc servabitur endroit : « Cela s’accomplira au moins dans la
ad minus in patria. Ergo Deus potest ab homine patrie. » Dieu peut donc être totalement aimé par
totaliter diligi. l’homme.
[11269] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 2 co. Réponse. Trois choses concourent à l’amour :
Respondeo dicendum, quod ad dilectionem tria celui qui aime, l’amour et ce qui est aimé, et à
concurrunt, scilicet diligens, dilectio, et dilectum; chacune correspond son mode. En effet, la chose
et cuilibet horum respondet suus modus. Habet aimée possède un mode selon lequel elle est
enim res dilecta modum quo est diligibilis; et aimable, et celui qui aime, un mode selon lequel
diligens modum quo est dilectivus, idest natus il aime, à savoir qu’il est fait pour aimer. Mais le
diligere. Sed dilectionis modus attenditur in mode de l’amour se prend de la comparaison
comparatione diligentis ad dilectum, quia dilectio entre celui qui aime et ce qui est aimé, car
media est inter utrumque: et similiter etiam est de l’amour se situe entre les deux, et il en va de
visione. Si ergo totaliter dicat modum rei dilectae même de la vision. Si donc par « totalement »,
et visae, sic sancti qui sunt in patria, Deum on entend le mode de la chose aimée et vue, ainsi
totaliter diligunt, et totaliter vident: quia sicut les saints qui sont dans la patrie aiment Dieu
nihil est de sua essentia quod non videant et totalement et le voient totalement, car de même
diligant (propter quod dicuntur totum videre et qu’il n’y a rien de son essence qu’ils ne voient
diligere), ita etiam nihil de modo quo Deus est, pas et n’aiment pas (raison pour laquelle on dit
remanet ab eis non visum aut non dilectum; unde qu’ils le voient et l’aiment en entier), de même
totaliter vident et diligunt: quia vident et diligunt aussi il n’y a rien du mode selon lequel Dieu
totum quod Deus est. Similiter etiam si totaliter existe qui demeure non vu ou non aimé. Ils
dicat modum diligentis; quia secundum totum voient donc et aiment totalement parce qu’ils
modum suum, scilicet secundum totum suum voient et aiment tout ce que Dieu est. De même
posse diligent et videbunt, nihil suae potentiae aussi, si [« totalement »] exprime le mode de
subtrahentes divinae visioni et dilectioni; et sic celui qui aime, parce qu’il aimeront et verront
Deus intelligitur diligi ex toto corde. Si autem selon tout leur mode, à savoir, selon tout leur
totaliter dicat modum dilectionis, sic neque pouvoir, en ne soustrayant rien de leur puissance
totaliter diligent, neque totaliter videbunt: quia à la vision et à l’amour de Dieu. C’est ainsi que
modus dilectionis et visionis, ut dictum est, l’on entend que Dieu est aimé de tout son cœur.
attenditur in comparatione diligibilis et visibilis ad Mais si « totalement » exprime le mode de
diligentem et videntem. Modus autem quo Deus l’amour, de cette manière ils n’aimeront pas
diligibilis est et visibilis, excedit modum quo totalement ni ne verront totalement, car le mode
874

homo diligere et videre potest: quia lux et bonitas de l’amour et de la vision, comme on l’a dit, se
ejus est infinita: et ideo non totaliter videtur et prend de la comparaison entre ce qui est aimable
diligitur ab aliis, quia non diligitur ita intense et et visible et celui qui aime et voit. Or, le mode
ferventer, nec videtur ita clare, sicut est diligibilis selon lequel Dieu est aimable et visible dépasse
et visibilis, nisi a seipso; et ita ipse solus se le mode selon lequel l’homme peut aimer et voir,
comprehendit amando et videndo. car sa lumière et sa bonté sont infinies. C’est
pourquoi il n’est pas vu ni aimé totalement par
les autres, parce qu’il n’est pas aimé avec autant
d’intensité et de ferveur, et il n’est vu aussi
clairement qu’il est aimable et visible que par
lui-même. Ainsi, lui seul se saisit (comprehendit)
en s’aimant et en se voyant.

Articulus 3 [11270] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 Article 3 – L’amour dont nous aimons Dieu a-
a. 3 tit. Utrum dilectio qua Deum diligimus, t-il un mode ?
habeat modum
[11271] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 1 1. Il semble que l’amour dont nous aimons Dieu
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod dilectio ait un mode. En effet, tout ce qui est fini a un
qua Deum diligimus, modum habeat. Omne enim mode. Or, le mouvement est causé par la mesure,
finitum mensuram habet. Sed motus ex mensura comme on l’a dit dans le livre I, d. 3. Puisque
causatur, ut dictum est, in 1 Lib., dist. 3. Cum l’amour dont nous aimons Dieu est fini, il est
ergo dilectio qua Deum diligimus, finita sit, donc nécessaire qu’il ait un mode.
oportet quod modum habeat.
[11272] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 2 2. Comme le dit Bernard, « la charité progresse
Praeterea, sicut dicit Bernardus, caritas in en sagesse ». Or, la sagesse a une mode, Rm 12 :
sapientiam proficit. Sed sapientia habet modum: Ne pas en savoir plus qu’il n’est nécessaire.
Rom. 12: non plus sapere quam oportet. Ergo L’amour a donc une mesure.
dilectio habet modum.
[11273] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 3 3. Tout acte de vertu est modéré, car ce qui est
Praeterea, omnis actus virtutis moderatus est: quia immodéré est blâmable et vicieux. Or, l’amour
quod immoderatum est, vituperabile est et par lequel nous aimons Dieu est un acte de la
vitiosum. Sed dilectio qua Deum diligimus, actus principale vertu. Il a donc une mesure.
est praecipuae virtutis. Ergo habet modum.
[11274] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 arg. 4 4. Tous les actes des autres vertus sont faits par
Praeterea, omnes actus aliarum virtutum ex charité. Si donc la charité n’a pas de mesure dans
caritate fiunt. Si ergo caritas in suo actu non habet son acte, ni les autres vertus n’ont de mesure.
modum, nec aliae virtutes modum habent.
[11275] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] dans le livre Sur l’amour de
Sed contra, Bernardus in Lib. de diligendo Deum: Dieu, Bernard dit : « La cause de l’amour de
causa diligendi Deum, Deus est: modus, sine Dieu est Dieu; sa mesure, aimer sans mesure. »
modo diligere.
[11276] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 s. c. 2 [2] L’amour doit être mesuré par ce qui est
Praeterea, dilectio mensuranda est ad diligibile. aimable. Or, la bonté divine est sans mesure. Son
Sed divina bonitas est immensa. Ergo dilectio amour n’a donc pas de mode.
ipsius non habet modum.
[11277] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 co. Réponse. Le mode comporte une certaine
Respondeo dicendum, quod modus mesure. Or, un acte est mesuré par ce qui est la
mensurationem quamdam importat. Actus autem raison d’agir; ainsi, la miséricorde reçoit la
ab eo mensuratur quod est ratio agendi; sicut mesure de l’aide à apporter au miséreux de la
misericordia accipit mensuram in subventione quantité de la misère qui meut la misécorde. Or,
875

misero facienda ex quantitate miseriae quae la cause de l’amour de Dieu est la bonté divine,
misericordiam movet. Causa autem diligendi qui est infinie. Mais l’acte de la créature est fini,
Deum est divina bonitas, quae est infinita. Actus puisqu’il procède d’une puissance finie. C’est
autem creaturae est finitus, cum ex finita potentia pourquoi il ne peut avoir la même mesure que la
procedat; et ideo non potest esse commensuratus raison d’aimer. Pour cette raison, aucun mode
rationi dilectionis; et propter hoc in dilectione Dei n’est donné à l’amour de Dieu au-delà duquel il
non ponitur aliquis modus, ultra quem non ne lui serait pas nécessaire de progresser; mais,
oporteat progredi; sed quantumcumque diligat, autant qu’il aime, il s’étend toujours au-delà.
semper ad ulteriora se extendit: et propter hoc C’est pourquoi on dit que [l’amour de Dieu] n’a
dicitur, quod non habet modum, scilicet pas de mode fixé d’avance au-delà duquel il ne
praefixum, ultra quem non oportet progredi. lui est pas nécessaire de progresser.
[11278] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 1 Ad 1. Parce que l’amour dont nous aimons Dieu est
primum ergo dicendum, quod quia dilectio qua fini, il a donc un certain mode auquel il parvient;
Deum diligimus, est finita, ideo habet quemdam mais il n’a pas de mode auquel il s’arrête ou
modum ad quem pertingit; non autem habet devrait s’arrêter, comme c’est le cas pour les
modum in quo sistat vel sistere debeat, sicut est in autres vertus.
aliis virtutibus.
[11279] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 2 Ad 2. Comme on l’a dit plus haut, q. 1, a. 1, par la
secundum dicendum, quod sicut supra dictum est, connaissance, une chose est attirée vers celui qui
qu. 1, art. 1, res per cognitionem quodammodo connaît. C’est pourquoi ce qui concerne la
trahitur ad cognoscentem; et ideo ea quae ad connaissance est mesuré par la puissance de
cognitionem pertinent, ex potentia cognoscentis celui qui connaît, bien que la vérité de la
sunt mensurata, quamvis veritas cognitionis ad connaissance soit mesurée par la chose. Mais,
rem mensuretur. Sed per amorem amans trahitur par l’amour, celui qui aime est attiré vers cela
ad ipsum amatum; et ideo amor mensurandus est même qui est aimé. C’est pourquoi l’amour doit
ad ipsam rem amatam magis quam ad amantem. être mesuré selon la chose aimée elle-même,
plutôt que selon celui qui aime.
[11280] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 3 Ad 3. Autant que Dieu est aimé, l’acte ne sera pas
tertium dicendum, quod quantumcumque Deus immodéré, car il ne dépasse pas la proportion
diligatur, actus non erit immoderatus, quia non avec son objet.
excedit proportionem sui objecti.
[11281] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 3 ad 4 Ad 4. Qu’on dise que la charité n’a pas de mode,
quartum dicendum, quod hoc quod dicitur quod cela s’entend par rapport à l’acte qui est issu de
caritas non habet modum, intelligitur quantum ad la charité, et non aux actes qu’elle commande,
actum quem caritas elicit, non quantum ad actus car ceux-ci doivent recevoir leurs modes de la
quos imperat: quia illi modos accipere debent ex raison de l’objet propre sur lequel ils portent.
ratione proprii objecti circa quod fiunt.

Articulus 4 [11282] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 Article 4 – La manière d’aimer qui se trouve
a. 4 tit. Utrum modus diligendi qui est in dans le commandement peut-elle être
praecepto, possit in via servari respectée en cours de cheminement ?
[11283] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 arg. 1 1. Il semble que la manière qui est impliquée par
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod modus le commandement puisse être respectée en cours
ille qui in praecepto implicatur possit in via de cheminement, car Jérôme dit : « Celui qui dit
servari: quia Hieronymus dicit: qui dicit Deum que Dieu a ordonné à l’homme quelque chose
homini aliquid impossibile praecepisse, anathema d’impossible, qu’il soit anathème! » Or, Dieu l’a
sit. Sed hoc Deus praecepit omnibus existentibus ordonné à tous ceux qui se trouvent dans l’état
in statu viae. Ergo haereticum est dicere, quod de cheminement. Il est donc hérétique de dire
non possit in via observari. que [ce commandement] ne peut être observé en
cours de cheminement.
876

[11284] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 arg. 2 2. La charité est une vertu plus nécessaire que les
Praeterea, caritas est magis necessaria virtus quam autres. Or, les commandements donnés pour les
aliae. Sed praecepta data de actibus aliarum actes des autres vertus peuvent être accomplis en
virtutum, in via possunt impleri. Ergo et cours du cheminement. Le commandement
praeceptum datum de actu caritatis. donné à propos de l’acte de la charité le peut
donc aussi.
[11285] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 arg. 3 3. Tout commandement de la loi lie, car « loi »
Praeterea, omne praeceptum legis ligat, quia lex a (lex) vient de « lier » (ligando). Or, personne ne
ligando dicitur. Sed nullus potest dimittere illud peut sans pécher écarter ce à quoi il est obligé. Si
ad quod obligatus est, quin peccet. Si ergo lex donc la loi commande quelque chose qui ne peut
aliquid praecipiat quod observari non possit, non être observé, elle tuerait, non seulement comme
solum occasionaliter, ut dicit apostolus, sed etiam occasion, comme le dit l’Apôtre, mais aussi
directe occideret; et sic erit mala; quod est directement. Elle serait donc ainsi mauvaise, ce
inconveniens. qui est inapproprié.
[11286] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] nous ne pouvons en cette vie
Sed contra, non possumus in hac vita sine peccato demeurer sans péché, comme cela ressort de
manere, sicut patet 1 Joan., 1. Sed cum quis 1 Jn 1. Or, lorsque quelqu’un pèche, il n’aime
peccat, non diligit Deum ex toto corde. Ergo illud pas Dieu de tout son cœur. Ce commandement
praeceptum non potest totaliter impleri in via. ne peut donc être totalement observé en cours de
cheminement.
[11287] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 s. c. 2 [2] L’homme ne peut en même temps avoir le
Praeterea, non potest homo simul cor ad multa cœur à plusieurs choses. Or, pendant que nous
habere. Sed oportet, dum in hac vita sumus, quod sommes en cette vie, il est nécessaire que nous
cor rebus temporalibus aliquando apponamus. ayons parfois notre cœur à des réalités
Ergo non potest homo in hac vita Deum ex toto temporelles. L’homme ne peut donc pas aimer
corde diligere. Dieu de tout son cœur en cette vie.
[11288] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 co. Réponse. « Tout » et « parfait » sont la même
Respondeo dicendum, quod totum et perfectum chose, comme le dit le Philosophe. Or, la raison
idem est, ut dicit philosophus. Ratio autem de « parfait » consiste en ce que rien ne lui
perfecti in hoc consistit ut nihil ei desit. Sed hoc manque. Or, cela se produit de deux manières :
contingit dupliciter: aut ita quod nihil desit eorum soit que rien ne manque de ce qu’il doit avoir par
quae natum est habere; aut ita quod nihil desit nature; soit que rien ne manque de ce qu’il doit
eorum quae debet habere; sicut aliquis habet avoir. Ainsi, quelqu’un possède une quantité
perfectam quantitatem, quando habet tantam parfaite lorsqu’il possède la quantité qu’exige la
quantitatem quantam requirit humana natura, etsi nature humaine, même s’il n’a pas la quantité
non habeat quantitatem gigantis quam possibile d’un géant, qui peut se trouver dans la nature
est esse in humana natura. Prima ergo perfectio humaine. La première perfection de la nature
humanae naturae est in statu gloriae, quando humaine existe donc dans l’état de la gloire,
homo habebit totum hoc quod possibile est esse in alors que l’homme possédera tout ce qui peut
humana natura; sed secunda perfectio est naturae exister dans la nature humaine. Mais la seconde
conditae, quando scilicet homo habuit totum hoc perfection est celle de la nature créée, alors que
quod debebat habere secundum tempus illud. Et l’homme a possédé tout ce qu’il devait avoir en
secundum hoc etiam duplex totalitas in dilectione ce temps-là. On relève ainsi une double totalité
Dei attenditur. Una, qua nihil deerit de his quae de l’amour de Dieu. L’une, par laquelle rien ne
homo potest expendere in amorem Dei, quin in manquera de ce que l’homme peut dépenser pour
dilectione ponat: et haec quidem perfectio, seu l’amour de Dieu : cette perfection ou totalité
totalitas, non praecipitur, ut facienda, sed magis n’est pas commandée comme si elle devait être
ostenditur, ut sciatur quo perveniendum est, ut accomplie, mais elle est plutôt montrée afin
dicit Augustinus; et per hanc perfectionem seu qu’on sache jusqu’où il faut parvenir, comme le
totalitatem excluditur omne quod etiam ad tempus dit Augustin. Par cette perfection ou totalité, est
877

actum dilectionis interrumpere posset. Alia écarté tout ce qui pourrait interrompre pour un
secundum quam nihil homo subtrahit de his quae temps l’acte d’amour. L’autre, par laquelle
debet ponere secundum tempus illud in amore l’homme ne soustrait rien de ce qui doit être
Dei; et haec perfectio seu totalitas ponitur in placé dans l’amour de Dieu en ce temps : cette
praecepto etiam ut nunc implenda, ut scilicet nihil perfection ou totalité est donnée comme un
omittat eorum quae ponere debet in amore Dei; et commandement à accomplir maintenant, de sorte
haec totalitas excludit omne illud quod est que l’homme n’omette rien de ce qu’il doit
contrarium et repugnans dilectioni divinae, non placer dans l’amour de Dieu. Une telle totalité
autem illud quod ad tempus actum dilectionis exclut tout ce qui est contraire et s’oppose à
intercipit: quia semper agere secundum actum l’amour de Dieu, mais non ce qui interrompt
virtutis, non est nisi eorum qui sunt in statu pour un temps l’acte d’amour, car toujours agir
beatitudinis: quia perfectio felicis est in selon l’acte de la vertu ne revient qu’à ceux qui
operatione; perfectio autem virtutis est in habitu. sont dans l’état de la béatitude, puisque la
perfection du bienheureux se trouve dans l’acte,
alors que la perfection de la vertu se trouve dans
l’habitus.
[11289] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 1 Ad 1. Ce que le commandement ordonne de faire
primum ergo dicendum, quod illud quod praecipit peut être accompli et est accompli par tous dans
lex ut faciendum, impleri potest, et impletur ab l’état du salut.
omnibus in statu salutis.
[11290] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 2 Ad 2. Les actes des autres vertus ne sont pas la fin
secundum dicendum, quod actus aliarum virtutum du commandement, comme c’est le cas pour
non sunt finis praecepti, quemadmodum actus l’acte de la charité. C’est pourquoi l’acte de la
caritatis; et ideo actus caritatis habet aliquem charité a un mode qui convient d’une manière à
modum, qui competit uno modo fini, et alio modo la fin et d’une autre, à la route. Mais il n’en va
viae; non autem ita est in aliis virtutibus. pas de même pour les autres vertus.
[11291] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad 3 Ad 3.Il doit être accompli en route de la manière
tertium dicendum, quod secundum hoc quod dont il est donné comme un commandement de
ponitur ut legis praeceptum, secundum hoc ligat la loi. Mais pour ce qui est de la manière dont il
ad id quod implendum est in via; quantum vero ad est accompli dans la patrie, il est plutôt donné
id quod de ipso impletur in patria, magis ponitur comme un enseignement de la foi que comme un
ut documentum fidei, quam ut praeceptum legis. commandement de la loi.
[11292] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 ad s. c. La réponse aux autres arguments ressort de ce
Ad alia etiam patet solutio per ea quae dicta sunt. qui a été dit.
Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.
27
[11293] Super Sent., lib. 3 d. 27 q. 3 a. 4 expos.
Non ergo jam se diligit. Contra. Omne peccatum,
secundum Augustinum, est ex amore sui. Ergo
videtur etiam quod immoderate se diligat.
Dicendum, quod diligit in se naturam exteriorem,
quam se aestimat esse; non autem naturam
intellectivam, secundum quam vere est id quod
est; et ita diligit id quod se esse existimat, non
autem id quod vere est: quia unaquaeque res
proprie est id quod est potissimum in ipsa; sicut
civitas est rex, ut dicit philosophus. Sic condita est
mens humana ut nunquam sui non meminerit,
nunquam se non intelligat, nunquam se non
diligat. De his quae in hac notula dicuntur, dictum
878

est in 1 Lib., dist. 3. Ex toto corde, idest ex toto


intellectu; ex tota anima, idest voluntate; ex tota
mente, idest memoria. Sciendum quod ad
caritatem exigitur aliquid tripliciter: uno modo
sicut subjectum caritatis quod est ipsa voluntas;
alio modo sicut praecedens ad caritatem, sicut
memoria et intelligentia; tertio sicut consequens
ad caritatem, quemadmodum irascibilis et
concupiscibilis, et etiam membra corporalia quae
imperium caritatis exequuntur. Quia ergo actum
caritatis oportet esse perfectum, sicut cujuslibet
virtutis; ideo praeceptum de actu caritatis, includit
perfectionem omnium praedictorum secundum
diversas expositiones: ut scilicet neque in
voluntate neque in omnibus praecedentibus aut
sequentibus aliquid sit quod caritati obsistat
quantum ad perfectionem viae, vel quod actum
caritatis interrumpere possit quantum ad
perfectionem patriae. Et ideo secundum unam
expositionem dicitur: ex tota mente, idest ex tota
memoria, ut absit oblivio: ex toto corde, idest
intellectu, ut desit error: ex tota anima, idest
voluntate, ut tollatur omnis contraria affectio. Alio
modo exponitur: ex toto corde, quantum ad
concupiscibilem: ex tota anima, quantum ad
irascibilem, ut nulla passione sensitivi appetitus
dilectio Dei impediatur: ex tota mente, quantum
ad rationalem, quae includit voluntatem et
intellectum. Item Gregorius Nyssenus exponit: ex
toto corde, quantum ad animam vegetabilem: ex
tota anima, quantum ad sensibilem: ex tota mente,
quantum ad rationalem. Sed Deuter. 6, ponitur: ex
tota fortitudine, quod referendum est ad membra
exteriora, quae imperium caritatis exequuntur; vel
etiam ad irascibilem, ut quidam dicunt: vel
ponitur circumstantia dilectionis, ut scilicet sit
firma.

Distinctio 28 Distinction 28 – [L’objet de la charité]

Quaestio 1 Question unique – [L’objet de la charité]


Prooemium Prologue
[11294] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 pr. Hic Le Maître détermine ici de la charité par rapport
determinat de caritate per comparationem ad à l’objet de l’amour. Il y a deux parties : dans la
ipsum diligibile; et dividitur in duas partes: in première, il se demande ce qui doit être aimé par
prima inquirit quid sit per caritatem diligendum; charité ; dans la seconde, [il se demande] selon
in secunda quo ordine, distinct. 29, ibi: post quel ordre, d. 29, à cet endroit : « Après ce qui a
praedicta de ordine caritatis agendum est. Prima été dit, il faut traiter de l’ordre de la charité. » La
in tres: in prima ostendit ad quos se extendit première partie [se divise] en trois : dans la
praeceptum caritatis quantum ad homines; in pemière, il montre à qui s’étend le précepte de la
879

secunda quantum ad Angelos, ibi: oritur autem charité pour ce qui est des hommes ; dans la
hic quaestio; in tertia elicit ex dictis quamdam deuxième, pour ce qui est des anges, à cet
distinctionem, ibi: hic notandum est. Circa endroit : « Une question est ici soulevée… » ;
primum duo facit: primo determinat veritatem; dans la troisième, il tire de ce qui a été dit une
secundo removet dubitationem, ibi: hic videtur distinction, à cet endroit : « Ici, il faut
Augustinus tradere, quod ex praecepto non remarquer… » À propos du premier point, il fait
teneamur diligere nosmetipsos. Hic quaeruntur deux choses : premièrement, il détermine de la
septem: 1 utrum virtutes sint ex caritate vérité ; deuxièmement, il écarte un doute, à cet
diligendae; 2 utrum inanimata; 3 utrum Angeli; 4 endroit : « Ici, Augustin semble enseigner que
utrum Daemones; 5 utrum mali homines; 6 utrum nous ne sommes pas obligés par un
homo ex caritate seipsum diligere possit; 7 utrum commandement à nous aimer nous-mêmes. » Ici,
proprium corpus. sept questions sont posées : 1. Les vertus
doivent-elles être aimées par charité ? 2. Les
choses inanimées ? 3. Les anges ? 4. Les
démons ? 5. Les hommes mauvais ? 6. L’homme
peut-il s’aimer lui-même par charité ? 7. Son
propre corps [peut-il l’être] ?

Articulus 1 [11295] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 Article 1 – Les vertus doivent-elles être aimées
a. 1 tit. Utrum virtutes sint diligendae ex caritate par charité ?
[11296] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble que les vertus doivent être aimées de
Ad primum sic proceditur. Videtur quod virtutes charité. En effet, Augustin dit : « Celui qui aime
ex caritate sint diligendae. Augustinus enim dicit: son frère aime plutôt l’amour par lequel il
qui diligit fratrem, dilectionem qua diligit magis aime. » Or, l’amour par lequel le prochain est
diligit. Sed dilectio qua proximus diligitur, est aimé est la vertu de charité. Les vertus doivent
virtus caritatis. Ergo virtutes ex caritate sunt donc être aimées de charité, puisque le prochain
diligendae, cum proximus diligatur ex caritate. est aimé de charité.
[11297] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Ce pour quoi tout est fait l’emporte en tout.
Praeterea, propter quod unumquodque, illud Or, l’amitié véritable aime l’ami pour ce qui est
magis. Sed amicitia vera diligit amicum propter honnête. Elle aime donc aussi ce qui est honnête
honestum. Ergo diligit honestum etiam magis plus que l’ami. La charité aussi, qui est une
quam amicum. Ergo et caritas, quae est amicitia certaine amitié, ainsi qu’on l’a dit, d. 27, q. 2,
quaedam, ut dictum est, dist. 27, quaest. 2, art. 1, a. 1, c., aime donc davantage les vertus que le
corp., magis est dilectiva virtutum quam etiam prochain.
proximorum.
[11298] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Les actes premiers et les actes réflexes portant
Praeterea, actus primi et actus reflexi super eos ad sur eux relèvent de la même puissance, car elles
eamdem potentiam pertinent, quia sunt ejusdem relèvent de la même raison, comme intelliger
rationis; sicut intelligere aliquod intelligibile, et quelque chose d’intelligible et intelliger qu’on
intelligere se intelligere. Sed ad actus ejusdem intellige. Or, les actes de la même raison relèvent
rationis pertinet eadem virtus. Ergo cum per de la même vertu. Puisque le prochain est aimé
caritatem diligatur proximus, per caritatem de charité, l’amour sera donc davantage aimé par
diligetur dilectio qua diligitur proximus: et eadem la charité selon laquelle le prochain est aimé et,
ratione aliae virtutes. pour la même raison, les autres vertus.
[11299] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Doit être aimé de charité ce qui se rapporte à
Praeterea, ex caritate diligenda sunt illa quae ad la béatitude. Or, nous sommes conduits à la
beatitudinem referuntur. Sed virtutibus in béatitude par les vertus et elles demeurent en
beatitudinem ducimur, et nobiscum manent in nous dans la béatitude. Les vertus doivent donc
beatitudine. Ergo virtutes ex caritate sunt être aimées de charité.
diligendae.
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[11300] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 5 5. La charité est l’amour de la fin ultime. Or, la
Praeterea, caritas est dilectio finis ultimi. Sed fin ultime de notre vie est la béatitude. Nous
ultimus finis nostrae vitae est beatitudo. Ergo devons donc aimer de charité la béatitude. Or, les
beatitudinem ex caritate diligere debemus. Sed vertus et les grâces, lorsqu’elles sont
virtutes et gratiae, cum consummantur, in consommées, passent dans la béatitude. Les
beatitudinem transeunt. Ergo virtutes diligendae vertus doivent donc être aimées de charité.
sunt ex caritate.
[11301] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin énumère de manière
Sed contra est quod Augustinus sufficienter suffisante ce qui doit être aimé de charité et il ne
enumerat ea quae sunt diligenda ex caritate, et fait aucune mention des vertus, comme cela
nullam mentionem facit de virtutibus, ut patet in ressort du texte.
littera.
[11302] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Ce que nous aimons pour nous seulement
Praeterea, illud quod propter nos tantum n’est pas aimé de charité, car la charité ne
diligimus, non diligitur ex caritate: quia caritas recherche pas son bien propre, 1 Co 13, 5. Or,
non quaerit quae sua sunt; 1 Cor. 13, 5. Sed nous aimons les vertus pour nous-mêmes, car
virtutes propter nos tantum diligimus, quia in elles ne subsistent pas par elles-mêmes,
seipsis non subsistunt, cum accidentia sint; unde puisqu’elles sont des accidents ; elles n’ont donc
neque bonitatem habent, nisi secundum quod in non plus de bonté que selon qu’elles existent en
nobis sunt. Ergo non sunt diligendae ex caritate. nous. Elles ne doivent donc pas être aimées de
charité.
[11303] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Seul doit être aimé de charité ce qui participe
Praeterea, illa sola sunt ex caritate diligenda quae avec nous à la béatitude. Or, les vertus,
nobiscum participant beatitudinem. Sed virtutes, puisqu’elles sont des accidents, ne sont pas
cum sint accidentia, non sunt capabilia capables de béatitude ni même de vie. Elle ne
beatitudinis, nec etiam vitae. Ergo non sunt ex doivent donc pas être aimées de charité.
caritate diligendae.
[11304] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 co. Réponse. Puisque la charité inclut l’amour et y
Respondeo dicendum, quod cum caritas amorem ajoute quelque chose, il arrive qu’on aime
includat, et aliquid addat, diligi aliquid ex caritate quelque chose de charité de deux manières.
contingit dupliciter. Uno modo sicut id ad quod D’une manière, comme ce qui constitue le terme
amicitia caritatis terminatur; et hoc modo non de l’amitié qu’est la charité ; de cette manière,
diligitur ex caritate nisi illud ad quod nata est n’est aimé de charité que ce qui à quoi l’amitié
amicitia esse. Amicitia autem non potest esse ad est ordonnée par nature. Or, l’amitié ne peut
virtutes, nec ad aliqua accidentia, propter duo. porter sur les vertus ni sur des accidents pour
Primo, quia amicitia facit ut homo velit amicum deux raisons. Premièrement, parce que l’amitié
esse, et bona habere. Accidentia autem non habent fait en sorte qu’un homme veuille que l’ami
esse per se, nec bonitatem per se, sed eorum esse existe et ait des biens. Or, les accidents n’ont pas
et bene esse est eis in substantiis; unde quod d’être par eux-mêmes ni de bonté par eux-
volumus virtutes et accidentia esse, hoc ad mêmes, mais leur être et leur bien leur vient des
substantiam refertur, quam volumus sub illis substances [où ils existent] ; aussi le fait que
accidentibus esse vel bene esse habere. Secundo, nous voulions des vertus et des accidents se
quia amicitia consistit in quadam societate, rapporte à la substance, dont nous voulons
secundum quod amati seipsos redamant, et eadem qu’elle existe et existe bien sous ces accidents.
operantur, et simul conversantur; unde amicitia Deuxièmement, parce que l’amitié consiste en
non potest esse nisi ad aliquid quod sit natum une certaine communion, aux termes de laquelle
agere. Et quia agere non est accidentium, sed ceux qui sont aimés s’aiment en retour, font les
substantiarum, ideo non potest esse amicitia ad mêmes choses et vivent ensemble. L’amitié ne
virtutes, neque ad alia accidentia; et ideo non peut donc porter que sur ce qui est destiné à agir
possunt virtutes diligi ex caritate, sicut ad quae par nature. Et parce que l’action n’est pas le fait
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caritas terminetur. Alio modo potest aliquid diligi des accidents mais des substances, l’amitié ne
ex caritate sicut ad quod terminatur amor, seu peut donc porter sur les vertus ni sur d’autres
dilectio, qui in caritate includitur, quamvis ad accidents. Les vertus ne peuvent donc être
illud amicitia non sit; et hic amor ordinatur ad aimées de charité, comme ce que la charité a
amorem alicujus quod principaliter amatur, et comme terme. D’une autre manière, quelque
concupiscentiae dilectio dicitur; sicut amicus chose peut être aimé de charité comme ce qui a
dicitur amare sanitatem amici sui; et hoc modo pour terme l’amour ou la dilection, qui est inclus
virtutes ex caritate diliguntur. dans la charité, bien que l’amitié ne s’adresse pas
à cela. Et cet amour est ordonné à l’amour de
quelque chose qui est aimé de manière
principale, et il est appelé un amour de
concupiscence. Ainsi dit-on qu’un ami aime la
santé de son ami. De cette manière, les vertus
sont aimées de charité.
[11305] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Augustin parle de l’amour qui est Dieu, par
primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur lequel le prochain est aimé comme effet et
de dilectione quae Deus est, qua diligitur comme image [de Dieu].
proximus effective et exemplariter.
[11306] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. La vertu ou la justice n’est pas la cause finale
secundum dicendum, quod virtus vel honestum pour laquelle un ami est aimé, mais elle le fait
non est causa finalis quare amicus diligatur, sed aimer comme cause formelle. Il n’en découle
formaliter facit eum diligibilem; unde non donc pas que la vertu soit plus aimable ou
sequitur quod virtus sit magis diligibilis, vel aimable pour la même raison, comme il ne
eadem ratione diligibilis: sicut non sequitur quod découle pas que la blancheur soit plus blanche
albedo sit magis alba quam corpus album. que le corps blanc.
[11307] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Aimer l’amour relève de la charité, mais non
tertium dicendum, quod diligere dilectionem, ad comme ce que la charité a comme terme.
caritatem pertinet, sed non sicut ad quod caritas
terminatur.
[11308] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. La charité a comme terme ce qui est en
quartum dicendum, quod caritas terminatur ad illa rapport avec la béatitude, comme ce qui peut
quae ad beatitudinem referuntur sicut possibilia participer à la béatitude. Mais la vertu n’est pas
participare beatitudinem. Sic autem non refertur ainsi en rapport avec la béatitude parce que la
ad beatitudinem virtus, quia virtus beata fieri non vertu ne peut pas devenir bienheureuse.
potest.
[11309] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. La fin que la charité a comme terme principal
quintum dicendum, quod finis ad quem est la béatitude incréée elle-même. Mais la
principaliter terminatur caritas, est ipsa beatitudo béatitude créée et les vertus sont du même ordre.
increata. Sed de beatitudine creata est eadem ratio
et de virtutibus.

Articulus 2 [11310] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 Article 2 – Les créatures sans raison doivent-
a. 2 tit. Utrum creaturae irrationales ex caritate elles être aimées par charité ?
sint diligendae
[11311] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que les créatures sans raison doivent
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod être aimées de charité. En effet, tout amour
creaturae irrationales ex caritate diligendae sint. méritoire relève de la charité. Or, quelqu’un peut
Omnis enim dilectio meritoria ad caritatem aimer de manière méritoire des êtres sans raison,
pertinet. Sed aliquis potest meritorie diligere comme lorsqu’il les aime en les mettant en
aliqua irrationalia, sicut cum quis diligit ea rapport avec Dieu, soit qu’elles aient été créées
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referendo in Deum, vel quia factae sunt a Deo, vel par Dieu, soit qu’elles aident ceux qui tendent
quia juvant tendentes in Deum. Ergo creaturae vers Dieu. Les créatures sans raison doivent donc
irrationales sunt diligendae ex caritate. être aimées de charité.
[11312] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2 2. La charité rend l’homme conforme à Dieu par
Praeterea, caritas facit hominem conformem Deo l’amour. Or, Dieu aime de charité les créatures
in diligendo. Sed Deus ex caritate diligit creaturas sans raison, Sg 11, 25 : Tu aimes tout ce qui
irrationales. Sapient. 11, 25: diligis omnia quae existe. L’homme aussi doit donc aimer de charité
sunt. Ergo et homo ex caritate creaturas les créatures sans raison.
irrationales diligere debet.
[11313] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Les créatures raisonnables doivent être aimées
Praeterea, creaturae rationales sunt ex caritate de charité parce qu’il y a en elles une similitude
diligendae, quia in ipsis est similitudo Dei. Sed in de Dieu. Or, il existe une certaine similitude de
creaturis irrationalibus invenitur aliqua similitudo Dieu dans les créatires sans raison, bien qu’elle
Dei, licet non tanta sicut in rationalibus. Ergo ne soit pas aussi grande que chez les créatures
irrationalia sunt ex caritate diligenda. raisonnables. Les créatures sans raison doivent
donc être aimées de charité.
[11314] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4 4. La foi est une vertu théologale, comme l’est
Praeterea, fides est virtus theologica, sicut et aussi la charité. Or, la foi s’étend aussi à des
caritas. Sed fides extendit se etiam ad irrationales créatures sans raison, pour autant que l’homme
creaturas, secundum quod homo eas a Deo creatas croit qu’elles sont créées par Dieu et qu’elles
credit, et divina providentia regi. Ergo et caritas. sont gouvernées par la providence divine. Donc,
la charité aussi.
[11315] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] Augustin dit que « seul doit être
Sed contra, Augustinus dicit, quod illa sola sunt aimé de charité ce qui se rapporte à Dieu selon
ex caritate diligenda quae nobiscum societate une certaine communion avec nous ». Or, les
quadam referuntur in Deum. Sed irrationalia non êtres sans raison ne sont pas de cette sorte. Ils ne
sunt hujusmodi. Ergo non sunt ex caritate doivent donc pas être aimés de charité.
diligenda.
[11316] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] La charité inclut la bienveillance, comme on
Praeterea, caritas includit benevolentiam; ut supra l’a dit plus haut, d. 27, a. 1. Or, il ne peut y avoir
dictum est, dist. 27, art. 1. Sed benevolentia non de bienveillance envers les êtres sans raison,
potest esse ad irrationalia, ut dicit philosophus in comme le dit le Philosophe dans Éthique, VIII.
8 Ethic. Ergo nec caritas. Donc, ni charité.
[11317] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 co. Réponse. Il ne peut y avoir d’amitié pour les
Respondeo dicendum, quod ad res irrationales êtres sans raison pour les mêmes raisons qu’il
non potest esse amicitia eisdem rationibus quibus n’y en a pas envers les accidents. En effet, bien
nec ad accidentia. Quamvis enim esse habeant in qu’ils possèdent un être dans lequel ils subsistent
quo subsistant, et operationes aliquas habeant, non et certaines opérations, ils n’ont cependant pas
tamen nobiscum in vita communicant humana en commun avec nous ni la vie humaine, ni
neque quantum ad esse, neque quantum ad l’être, ni l’opération de la vie. Il n’y a donc pas
operationem vitae; et ideo non est ad ea de bienveillance envers eux, par laquelle nous
benevolentia, secundum quam volumus amicum voulons qu’un ami existe et ait des biens, ce que
esse, et habere bona; quod irrationalibus non nous ne voulons pour les êtres sans raison que
volumus, nisi secundum quod ad hominem dans la mesure où ils sont en rapport avec
referuntur: neque concordia, secundum quod l’homme. Il n’y a pas non plus de concorde par
eadem volumus et agimus amicis: quod ad laquelle nous voulons et faisons la même chose
irrationalia esse non potest, cum nobiscum in que nos amis, ce qui ne peut exister envers les
eisdem operibus non possint communicare; et êtres sans raison, puisqu’ils ne peuvent avoir en
ideo non possunt diligi ex caritate, sicut ad quae commun avec nous les mêmes actions. C’est
caritas terminatur: possunt tamen diligi ex pourquoi ils ne peuvent être aimés de charité en
883

caritate, sicut ea ad quae amor, quem caritas tant que termes de la charité. Ils peuvent
includit, terminatur, qui est amor concupiscentiae; cependant être aimés de charité comme termes
sicut amicus amat possessiones, et alia sui amici, de l’amour qu’inclut la charité et qui est un
non tamen ad ea amicitiam habet. Nec ista dilectio amour de concupiscence, comme un ami aime
est tantum imperata ex caritate, sed etiam elicita: les biens et les autres choses de son ami, mais
quia caritas elicit actum dilectionis non tantum ad n’a cependant pas d’amitié envers cela. Cet
ea ad quae principaliter est caritas, sed etiam ad amour n’est pas non plus seulement commandé
alia quae in illa ordinantur: et sic diliguntur ex par la charité, mais il est issu d’elle, car la charité
caritate inanimata, inquantum ordinantur ad ea ad fait naître un acte d’amour non seulement pour
quae principaliter et directe est caritas. ce à quoi la charité est principalement ordonnée,
mais aussi pour les autres choses qui y sont
ordonnées. Ainsi les êtres inanimés sont-ils
aimés de charité, pour autant qu’ils sont
ordonnés à ce qui est l’objet principal et direct de
la charité.
[11318] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. L’amour des êtres inanimés relève de la
primum ergo dicendum, quod dilectio charité, mais non comme ce sur quoi porte la
inanimatorum ad caritatem pertinet non sicut ad charité.
quae caritas habeatur.
[11319] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Dieu aime les créatures de charité, mais il n’a
secundum dicendum, quod Deus diligit ex caritate cependant de charité qu’envers les créatures
creaturas, non tamen habet caritatem nisi ad raisonnables, qu’il a créées pour la béatitude par
creaturas rationales, quas ad beatitudinem creavit laquelle elles participeront à sa propre vie.
per quam efficiuntur suae vitae participes.
[11320] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. La similitude de l’image, qui se trouve dans
tertium dicendum, quod similitudo imaginis quae les créatures raisonnables, les rend capables
est in creaturis rationalibus, facit eas cum Deo et d’une seule et même vie avec Dieu et entre
ad invicem capaces unius et ejusdem vitae, elles : la gloire. À cela ne suffit pas la similitude
scilicet gloriae, ad quod non sufficit similitudo du vestige, qui se trouve dans les autres
vestigii, quae est in aliis creaturis; unde non est créatures. Ce n’est donc pas la même chose.
simile.
[11321] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. La foi ne comporte pas d’association du
quartum dicendum, quod fides non importat croyant avec ce qui est cru, comme la charité de
aliquam associationem credentis ad creditum, celui qui aime avec celui qui est aimé. C’est
sicut caritas amantis ad amatum; et ideo non est pourquoi le même raisonnement ne vaut pas pour
similis ratio utrobique. les deux.

Articulus 3 [11322] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 Article 3 – Les anges doivent-ils être aimés
a. 3 tit. Utrum Angeli ex caritate sint diligendi par charité ?
[11323] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble que les anges ne doivent pas être
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angeli aimés de charité, car, ainsi qu’on l’a dit dans les
non sint diligendi ex caritate. Quia, ut dictum est, aa. 1 et 2, l’homme n’a pas de charité pour ce qui
art. 1 et 2, corp., caritas non est hominis ad ea ne participe pas à la vie humaine. Or, les anges
quae vitam humanam non participant. Sed Angeli ne vivent pas de la vie humaine. La charité ne
non vivunt vita humana. Ergo caritas non facit fait donc pas en sorte que les anges soient aimés
Angelos ab hominibus diligi. par les hommes.
[11324] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 2 2. La charité, puisqu’elle est une amitié, existe
Praeterea, caritas, cum sit amicitia, est inter eos entre ceux qui sont destinés à vivre ensemble.
qui ad invicem nati sunt conversari. Sed Or, les anges, qui sont appelés des dieux, ne
Angelorum qui dicuntur dii, conversatio non est vivent pas avec les hommes, comme il est dit
884

cum hominibus, ut dicitur Daniel. 11. Ergo Angeli dans Dn 11. Les anges ne doivent donc pas être
ex caritate non sunt diligendi. aimés de charité.
[11325] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 3 3. La charité, puisqu’elle est une amitié, est une
Praeterea, caritas, cum sit amicitia, aequalitas certaine égalité. Or, les anges nous sont de
quaedam est. Sed Angeli sunt nobis multo beaucoup supérieurs. On ne peut donc avoir de
superiores. Ergo ad eos caritas vel amicitia haberi charité ou d’amitié envers eux.
non potest.
[11326] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Les anges sont plus éloignés de nous,
Praeterea, plus distant a nobis Angeli, cum sint puisqu’ils sont incorporels et ainsi d’une autre
incorporei, et ita alterius generis, quam animalia genre, que les animaux sans raison, qui font
irrationalia, quae sunt unius generis nobiscum. partie du même genre que nous. Or, nous ne
Sed animalia irrationalia non possumus diligere pouvons aimer de charité les animaux sans
ex caritate. Ergo multo minus Angelos. raison. Donc, encore bien moins les anges.
[11327] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] le prochain doit être aimé de
Sed contra, proximi sunt diligendi ex caritate. Sed charité. Or, les anges sont notre prochain,
Angeli sunt nobis proximi, ut dicitur in littera. comme le dit le texte. Ils doivent donc être aimés
Ergo sunt ex caritate diligendi. de charité.
[11328] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 s. c. 2 [2] L’amitié fait en sorte que les amis veuillent la
Praeterea, amicitia facit amicos idem velle, et même chose et qu’ils soient amis de la même
ejusdem amicos esse. Sed Deus ex caritate diligit [personne]. Or, Dieu aime les anges de charité,
Angelos, sicut et nos. Ergo et nos debemus ex comme nous. Nous devons donc aimer les anges
caritate Angelos diligere. de charité.
[11329] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 co. Réponse. Comme on l’a dit, la charité ne peut
Respondeo dicendum, sicut dictum est, quod exister, pas plus que l’amitié, qu’entre ceux qui
caritas non potest esse, sicut nec amicitia, nisi participent à la même vie. Or, la vie de l’homme
inter eos qui eamdem vitam participant. Vita et de l’ange est double. L’une qui leur convient
autem hominis et Angeli est duplex. Una quae selon leur nature : ainsi, les hommes et les anges
competit eis secundum naturam suam; et sic ne partagent pas la même vie, mais les hommes
homines et Angeli non communicant in eadem entre eux et les anges entre eux, car il leur
vita; sed homines ad invicem, et Angeli ad convient de s’adonner aux mêmes opérations.
invicem, quia convenit eis circa easdem L’autre vie pour les deux est celle qui vient de la
operationes occupari. Alia vita utriusque est per grâce, selon laquelle ils participent à la vie
gratiam, secundum quam fiunt participes divinae divine, et ils ont cette vie en commun entre eux
vitae; et in hac vita communicant et ad invicem, et et avec Dieu. C’est pourquoi il peut exister une
cum Deo. Et ideo secundum hanc vitam potest amitié entre eux selon cette vie, et cette amitié
esse amicitia eorum ad invicem, et haec amicitia est la charité.
est caritas.
[11330] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. On parle de vie humaine de deux manières :
primum ergo dicendum, quod vita humana dicitur soit pour celle qui existe selon la nature
dupliciter: vel quae est secundum humanam humaine, et ainsi les anges n’ont pas en commun
naturam, et sic non communicant Angeli in vita [avec nous] la vie humaine ; soit pour celle de
humana; vel quae est hominis secundum l’homme selon qu’il participe à la vie divine, et
participationem divinae vitae, et sic communicant ainsi les anges ont en commun [avec nous] la vie
in humana vita. humaine.
[11331] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Les hommes et les anges sont destinés à vivre
secundum dicendum, quod nati sunt ad invicem les uns avec les autres dans la patrie, alors que
conversari homines et Angeli in patria, quando nous serons les égaux des anges, comme il est dit
erimus aequales Angelis, ut dicitur Matth. 22: et en Mt 22. Ainsi vivons-nous d’une certaine
sic in hac vita aliquo modo cum Angelis manière avec les anges en cette vie, dans la
conversamur, inquantum angelicam vitam in terris mesure où nous menons une vie angélique sur
885

ducimus. terre.
[11332] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. L’amitié n’exige pas une égalité parfaite, mais
tertium dicendum, quod amicitia non requirit une égalité proportionnelle, à savoir que l’un des
aequalitatem aequiparantiae, sed aequalitatem amis agisse envers l’autre selon sa proportion,
proportionis, ut scilicet unus amicorum operetur comme il est dit dans Éthique, VIII. Cependant,
ad alterum secundum suam proportionem, ut une grande inégalité dissout l’amitié : c’est le cas
dicitur in 8 Ethic.: tamen magna inaequalitas lorsqu’ils ne partagent pas la même vie.
amicitiam solvit, quando scilicet non
communicant in eadem vita.
[11333] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Nous avons plus en commun avec les anges
quartum dicendum, quod cum Angelis magis qu’avec les animaux sans raison pour ce qui est
communicamus quam cum brutis quantum ad de l’âme, mais avec les animaux sans raison,
animam: sed cum brutis quantum ad corpus, et ad pour ce qui est du corps et des puissances
virtutes corporeas. Homo autem, ut dicit corporelles, comme le dit le Philosophe dans
philosophus in 9 Ethic., magis est id quod est ex Éthique, IX. Or, l’homme est davantage ce qui
parte animae quam ex parte corporis: quia concerne l’âme que ce qui concerne le corps, car
unumquodque est id quod est potissimum in ipso; toute chose est ce qu’il y a de meilleur en elle.
et ideo, simpliciter loquendo, magis distamus a C’est pourquoi, à parler simplement, nous
brutis quam ab Angelis. sommes plus éloignés des animaux sans raison
que des anges.

Articulus 4 [11334] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 Article 4 – Devons-nous avoir de la charité


a. 4 tit. Utrum ad malos homines caritatem habere envers les méchants ?
debeamus
[11335] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble que nous ne puissions pas avoir de
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ad malos charité envers les méchants. En effet, la charité
homines caritatem habere non possimus. Caritas exige de partager la vie divine, ce qui se réalise
enim exigit communicationem in divina vita, quae par la grâce, comme on l’a dit au livre II, d. 27,
est per gratiam, ut dictum est, 2, dist. 27, quaest. q. 2, a. 2. Or, une telle vie n’existe pas chez les
2, art. 2. Sed haec vita non est in peccatoribus. pécheurs. Ils ne doivent donc pas être aimés de
Ergo non sunt ex caritate diligendi. charité.
[11336] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 2 2. De même que la similitude est la cause de
Praeterea, sicut similitudo est causa dilectionis, ita l’amour, de même la dissimilitude est-elle la
dissimilitudo est causa contrarii. Sed mali sunt cause du contraire. Or, les méchants ne
dissimiles bonis. Ergo non sunt ab eis ex caritate ressemblent pas aux bons. Ils ne doivent donc
diligendi. pas être aimés de charité.
[11337] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 3 3. Comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX,
Praeterea, sicut philosophus dicit, 9 Ethic., il est impossible que l’amitié existe entre ceux
impossibile est amicitiam esse inter eos qui non qui ne se réjouissent pas des mêmes choses. Or,
eisdem gaudent. Sed boni et mali non gaudent les bons et les méchants ne se réjouissent pas des
eisdem, sed contrariis. Ergo non potest esse mêmes choses, mais des choses contraires. Il ne
amicitia eorum ad invicem. peut donc exister d’amitié des uns envers les
autres.
[11338] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 4 4. L’amitié est le fait de ceux qui aiment en
Praeterea, amicitia redamantium est, ut retour. Or, les méchants ne nous aiment pas en
philosophus dicit. Sed mali non redamant nos, sed retour, mais ils haïssent les bons. Les bons ne
odiunt bonos. Ergo nec boni ex caritate debent doivent donc pas non plus aimer de charité les
diligere malos. méchants.
[11339] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 arg. 5 5. L’amitié consiste en ce que les amis aiment le
Praeterea, amicorum est ad eumdem amicitiam même. Si donc les bons aiment d’amitié les
886

habere. Si ergo boni ex caritate diligunt malos, et méchants, les méchants s’aimeront aussi eux-
mali seipsos diligent. Hoc autem falsum est: quia mêmes. Or, cela est faux, car le Philosophe
philosophus probat, quod nullus malus sui ipsius montre qu’aucun méchant n’est son propre ami.
amicus est. Ergo mali non sunt ex caritate Les méchants ne doivent donc pas être aimés de
diligendi. charité.
[11340] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] il est dit en Mt 5, 44 : Aimez vos
Sed contra, Matth. 5, 44: diligite inimicos vestros. ennemis. Or, tous ceux qui sont des ennemis sont
Sed omnis qui inimicatur, malus est. Ergo mali ex des méchants. Les méchants doivent donc être
caritate sunt diligendi. aimés de charité.
[11341] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] Tous ceux à qui on doit faire du bien doivent
Praeterea, quibuscumque est benefaciendum, illi être aimés de charité. Or, nous devons faire du
sunt ex caritate diligendi. Sed malis debemus bien aux méchants en les convertissant et en
benefacere, convertendo eos, et in necessariis venant à leur secours pour le nécessaire. Les
subveniendo eis. Ergo mali sunt ex caritate méchants doivent donc être aimés de charité.
diligendi.
[11342] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 co. Réponse. Chez les méchants, il faut considérer
Respondeo dicendum, quod in malis est duo deux choses : la nature par laquelle ils sont des
considerare: scilicet naturam qua homines sunt, et hommes, et la malice par laquelle ils sont
malitiam qua mali sunt. Quia ergo secundum méchants. Parce qu’ils sont à l’image de Dieu et
naturam suam sunt ad imaginem Dei, et vitae sont capables de la vie divine par leur nature, ils
divinae capaces sunt, ideo secundum naturam sunt doivent donc être aimés de charité. Mais leur
ex caritate diligendi. Malitia autem ipsorum est méchanceté est contraire à la bonté divine ; aussi
contraria divinae bonitati, et ideo ipsa in eis faut-il la haïr en eux. C’est pourquoi Augustin
odienda est. Unde Augustinus dicit: sic diligendi dit : « Les hommes doivent être aimés de telle
sunt homines, ut eorum non diligantur errores. manière que ne soient pas aimées leurs erreurs. »
[11343] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. La charité n’exige pas un partage de la vie
primum ergo dicendum, quod caritas non exigit divine en acte, mais il suffit qu’il existe en
communicationem in divina vita in actu, sed puissance, car ce qui est en puissance existe
sufficit ut sit in potentia: quia quod est in potentia, d’une certaine manière.
quodammodo est.
[11344] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Ce par quoi il nous sont dissemblables, nous
secundum dicendum, quod illud secundum quod devons le haïr ; mais nous devons aimer leur
nobis dissimiles sunt, odire debemus naturam nature, car leur malice n’est pas incompatible
diligere, quia eorum malitia bonitati naturae avec la bonté de leur nature.
repugnat.
[11345] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. Bien que, par ce qui existe maintenant, ils ne
tertium dicendum, quod quamvis quantum ad id se réjouissent pas des mêmes choses, il est
quod nunc est, non gaudeant eisdem, tamen cependant possible qu’ils se réjouissent des
possibile est ut eisdem gaudeant; et ideo dicit mêmes choses. C’est pourquoi le Philosophe dit,
philosophus in 9 Ethic., quod non confestim dans Éthique, IX, que l’amitié envers celui qui
dissolvenda est amicitia ad eum qui ex bono devient méchant après avoir été bon ne doit pas
factus est malus, sed multo plus adjuvandi sunt ad être immédiatement dissoute ; ils doivent bien
recuperandam bonitatem virtutis quam ad plutôt être aidés à retrouver la bonté de la vertu
recuperandam possessionem bonorum qu’à retrouver la possession de biens temporels.
temporalium.
[11346] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. Bien qu’ils n’aiment pas en retour en acte, ils
quartum dicendum, quod quamvis actu non sont cependant destinés à aimer en retour, surtout
redament, tamen nati sunt redamare, et praecipue dans la vie future, vie dont la charité vise surtout
in vita futura, cujus vitae communicationem le partage. [L’amitié] peut donc aussi exister
praecipue attendit caritas; unde bene potest esse entre ceux qui ne se connaissent pas en cette vie.
887

etiam inter eos qui se in hac vita non cognoscunt.


[11347] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Le méchant est partagé en lui-même, car il
quintum dicendum, quod malus in seipso divisus combat la bonté de sa nature par sa méchanceté ;
est, quia per affectum malitiae impugnat on dit ainsi qu’il se hait lui-même. Mais nous
bonitatem naturae; et secundum hoc dicitur devons aimer les méchants pour la nature qu’ils
seipsum odire. Nos autem malos quantum ad possèdent, et non pour leur malice.
naturam quam habent, diligere debemus, non
quantum ad malitiam.

Articulus 5 [11348] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 Article 5 – Les démons doivent-ils être aimés
a. 5 tit. Utrum Daemones ex caritate sint diligendi par charité ?
[11349] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 1 1. Il semble que les démons doivent être aimés
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod de charité. Lv 19, 18 : Aime ton prochain.
Daemones ex caritate sint diligendi. Lev. 19, 18: Glose : « Par prochain, il ne faut pas entendre
dilige proximum tuum. Glossa: proximus non une proximité du sang, mais une communauté de
propinquitate sanguinis intelligendus est, sed raison. » Or, les démons et les damnés partagent
societate rationis. Sed Daemones et damnati avec nous la raison. Ils doivent donc être aimés
nobiscum habent societatem in ratione. Ergo sunt de charité.
ex caritate diligendi.
[11350] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 2 2. Nous avons dit, à l’article précédent, que nous
Praeterea, dictum est, art. praec., quod malos devons aimer les méchants en raison de leur
debemus diligere ratione naturae, quae in eis bona nature, qui est bonne en eux. Or, comme le dit
est. Sed, sicut dicit Dionysius, in Daemonibus est Denys, il existe aussi chez les démons une nature
etiam natura bona: quia bona naturalia per bonne, car ils n’ont pas perdu leurs biens
peccatum non amiserunt. Ergo sunt diligendi ex naturels par le péché. Ils doivent donc être aimés
caritate. de charité.
[11351] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 3 3. Dieu aime de charité toutes les créatures
Praeterea, omnem creaturam rationalem quam raisonnables. Or, Dieu aime les démons, car il
Deus diligit, ex caritate diligit. Sed Deus diligit aime tout ce qu’il a fait. Il les aime donc de
Daemones, quia diligit omnia quae fecit. Ergo ex charité, puisqu’ils sont des créatures
caritate diligit eos, cum sint rationales creaturae. raisonnables. Nous devons donc les aimer de
Ergo et nos ex caritate debemus eos diligere. charité.
[11352] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 arg. 4 4. Ce qui contribue à l’accroissement de notre
Praeterea, quod facit ad cumulum nostri meriti et mérite et à la gloire de Dieu, nous devons l’aimer
ad Dei gloriam, debemus ex caritate diligere. Sed de charité. Or, les démons, pour autant qu’ils
Daemones, inquantum nos tentant, nobis nous tentent, nous sont utiles, comme on l’a dit
proficiunt, sicut in 2 Lib., dist. 6, dictum est; et dans le livre II, d. 6 ; de plus la gloire de Dieu est
iterum gloria Dei in eis manifestatur. Ergo sunt ex manifestée en eux. Ils doivent donc être aimés de
caritate diligendi. charité.
[11353] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] il faut partager avec ses amis.
Sed contra, cum amicis communicandum est. Sed Or, tout partage avec les démons nous est
omnis communicatio ad Daemones est nobis interdit. Aussi, en Is 38, ceux dont on dit qu’ils
interdicta; unde Isaiae 38 reprehenduntur illi qui ont fait un pacte avec la mort et avec l’enfer
dicuntur cum morte et Inferno pactum iniisse. essuient-ils des reproches. Les démons ne
Ergo Daemones non sunt ex caritate diligendi. doivent donc pas être aimés de charité.
[11354] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 s. c. 2 [2] Augustin dit que le prochain est aimé de
Praeterea, Augustinus dicit, quod proximus ex charité soit parce qu’il est juste, soit pour qu’il
caritate diligitur, vel quia justus est, vel ut justus devienne juste. Or, les démons ne sont pas des
sit. Sed Daemones neque justi sunt, neque justi justes et ne peuvent pas non plus être des justes.
esse possunt. Ergo ex caritate diligendi non sunt. Ils ne doivent donc pas être aimés de charité.
888

[11355] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 co. Réponse. Comme on l’a déjà dit, on aime
Respondeo dicendum, quod, sicut praedictum est, quelque chose de charité de deux manières :
ex caritate diligitur aliquid dupliciter: uno modo d’une manière, comme ce pour quoi on a de la
sicut id ad quod habetur caritas; alio modo sicut idcharité ; d’une autre manière, comme ce qui est
ad quod terminatur aliquo modo amor, quem en quelque sorte le terme de l’amour, que la
includit caritas, inquantum ordinatur ad aliquod charité inclut, pour autant que cela est ordonné à
eorum ad quae habetur caritas. Primo igitur modo l’une des choses sur lesquelles porte la charité.
Daemones non sunt ex caritate diligendi: quia non Donc, de la première manière, les démons ne
communicant nobiscum in vita divina neque actu doivent pas être aimés, car ils ne partagent avec
neque potentia; et similiter est etiam de damnatis. nous la vie divine ni en acte ni en puissance ; de
Unde philosophus dicit, quod amicitia est même en est-il pour les damnés. C’est ainsi que
dissolvenda ad illos qui sunt insanabiles propter le Philosophe dit que l’amitié envers ceux qui ne
malitiam abundantem. Haec autem insanabilitas sont pas guérissables en raison de l’étendue de
quamvis in hac vita contingat in quibusdam leur malice doit être rompue. Or, cette
consideratis humanis viribus, non tamen contingit impossibilité de guérir, bien qu’elle se produise
nisi post hanc vitam considerato ordine divinae en cette vie, si l’on considère certaines
misericordiae. Caritas autem attendit quod puissances humaines, ne se produit cependant
divinum est, sed amicitia quod humanum; et ideo qu’après cette vie, si l’on considère l’ordre de la
amicitia politica dissolvitur ad illos qui secundum miséricorde divine. Or, la charité porte sur ce qui
humanas considerationes, insanabiles sunt effecti; est divin, mais l’amitié, sur ce qui est humain.
quod etiam in hac vita quandoque contingit; sed C’est pourquoi l’amitié politique est rompue
caritas non dissolvitur ad aliquem in hac vita, envers ceux qui, selon des considérations
quantumcumque sit malus: quia adhuc secundum humaines, sont devenus inguérissables, et cela se
ordinem divinae misericordiae, manet possibilitas produit parfois en cette vie. Mais la charité
ad vitam gloriae; sed post hanc vitam non manet; envers quelqu’un n’est pas dissoute en cette vie,
et ideo per modum praedictum neque damnati, aussi méchant soit-il, car, toujours selon l’ordre
neque Daemones sunt ex caritate diligendi. de la miséricorde divine, demeure la possibilité
Quantum autem ad secundum modum, de la vie de gloire. Toutefois, après cette vie, elle
Daemonum natura ex caritate diligi potest, ne demeure pas. C’est pourquoi, conformément à
inquantum est creatura Dei; non autem ce qui a été dit, ni les damnés ni les démons ne
Daemones, quia hoc nomen vitium principaliter doivent être aimés de charité. Pour ce qui est de
ipsorum designat. la seconde manière, la nature des démons peut
être aimée en tant qu’elle est une créature de
Dieu, mais non les démons, car ce nom désigne
principalement leur vice.
[11356] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. Il faut l’entendre d’une communauté de la
primum ergo dicendum, quod intelligendum est raison, dans laquelle demeure l’ordre à la vie de
de societate rationis, in qua manet ordo ad vitam la grâce : la charité exige un tel partage.
gratiae, cujusmodi communicationem requirit
caritas.
[11357] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. Aussi longtemps qu’ils sont dans la vie
secundum dicendum, quod in peccatoribus présente, demeure encore chez les pécheurs la
quamdiu in hac vita sunt, adhuc ratione naturae capacité de la grâce, mais non chez les damnés et
manet potestas ad gratiam, non autem in damnatis les démons. C’est pourquoi le raisonnement n’est
et Daemonibus; et ideo non est similis ratio. pas le même.
[11358] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. Dieu aime la nature des démons, non pas qu’il
tertium dicendum, quod Deus diligit naturam ait de la charité à son endroit, mais pour autant
Daemonum, non quasi ad eam caritatem habeat, qu’elle est son effet. Nous devons nous aussi
sed inquantum est effectus ejus: et hoc modo l’aimer de cette manière.
etiam nos eam debemus diligere.
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[11359] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. Le fait que les démons contribuent à notre
quartum dicendum, quod hoc quod Daemones mérite et que leurs actes tournent aussi à la gloire
prosint nobis ad meritum, et quod eorum actus et de Dieu est accidentel et par-delà leur intention.
vita in gloriam Dei cedant, est per accidens, Du fait qu’une chose est accidentelle, il ne faut
praeter intentionem eorum: et ex eo quod est pas en tirer un jugement.
secundum accidens, non est sumendum judicium
de re aliqua.

Articulus 6 [11360] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 Article 6 – L’homme doit-il s’aimer lui-même
a. 6 tit. Utrum homo debeat seipsum ex caritate par charité ?
diligere
[11361] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 1 1. Il semble que l’homme ne doive pas s’aimer
Ad sextum sic proceditur. Videtur quod homo non lui-même de charité, car, ainsi que le dit
debeat seipsum diligere ex caritate. Quia, sicut Grégoire, « il ne peut exister de charité qu’entre
dicit Gregorius, caritas minus quam inter duos au moins deux personnes ». Quelqu’un ne peut
haberi non potest. Ergo non potest esse alicujus donc avoir de charité envers lui-même.
ad seipsum.
[11362] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 2 2. L’amitié requiert un amour en retour, un
Praeterea, amicitia redamationem exigit, et partage de vie et d’autres choses de ce genre,
communicationem in vita, et alia hujusmodi, quae qu’un homme n’a part à l’égard de lui-même.
non sunt hominis ad seipsum. Sed caritas amicitia Or, la charité est une certaine amitié. Un homme
quaedam est. Ergo caritas non est hominis ad ne peut donc avoir de charité envers lui-même.
seipsum.
[11363] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 3 3. La charité est un amour. Or, comme le dit
Praeterea, caritas amor quidam est. Amor autem, Denys, « l’amour est une puissance unitive ».
ut dicit Dionysius, est unitiva virtus. Cum ergo Puisque l’union n’existe qu’entre des personnes
unio non sit nisi diversorum, videtur quod caritas différentes, il semble donc que la charité ne
non possit esse ad seipsum. puisse exister envers soi-même.
[11364] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 4 4. L’amitié consiste en une égalité, comme la
Praeterea, amicitia in aequalitate consistit, sicut justice, comme on le dit dans Éthique, VIII, 9.
justitia, ut dicitur 8 Ethic., cap. 9. Sed justitia non Or, à proprement parler, il n’existe pas de justice
est ad seipsum, proprie loquendo, ut philosophus envers soi-même, comme le dit le Philosophe. Il
dicit. Ergo neque amicitia seu caritas. n’existe donc pas d’amitié ou de charité [envers
soi-même].
[11365] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 arg. 5 5. Rien de blâmable ne doit être aimé de charité.
Praeterea, nihil vituperabile est diligendum ex Or, s’aimer soi-même est blâmable, comme cela
caritate. Sed amare seipsum est vituperabile, ut ressort de 2 Tm 3, 2 : Les hommes s’aimeront
patet 2 Tim. 3, 2: erunt homines se ipsos amantes. eux-mêmes. Un homme ne s’aime donc pas lui-
Ergo ex caritate homo seipsum non diligit. même de charité.
[11366] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 s. c. 1 Cependant, [1] l’homme doit aimer son
Sed contra, homo debet diligere proximum sicut prochain comme soi-même. Or, il doit aimer son
seipsum. Sed proximum debet ex caritate diligere. prochain de charité. Donc, lui-même aussi.
Ergo et seipsum.
[11367] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 s. c. 2 [2] La miséricorde est causée par la charité. Or,
Praeterea, misericordia ex caritate causatur. Sed l’homme peut être miséricordieux envers lui-
homo sibi ipsi potest misericors esse. Ergo et même. Il peut donc aussi s’aimer lui-même de
seipsum potest ex caritate diligere. charité.
[11368] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 co. Réponse. Le déroulement de l’amour ressemble
Respondeo dicendum, quod processus amoris se au déroulement de la connaissance. Or, en
habet ad similitudinem processus cognitionis. In matière de connaissance, on trouve d’abord
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cognoscitivis autem invenitur aliquid ubi primo quelque chose sur lequel se fixe l’intellect de
figitur intellectus cognoscentis, sicut in primis celui qui connaît, comme les premiers principes ;
principiis, et ex his ad alia derivatur; et ipsa à partir d’eux, elle passe à d’autres choses. La
quidem cognitio, secundum quod stat in connaissance elle-même, en tant qu’elle s’arrête
principiis, accipit nomen intellectus; secundum aux principes, reçoit le nom d’« intelligence » ;
autem quod derivatur ad conclusiones, quae ex mais, selon qu’elle passe à des conclusions, qui
principiis cognoscuntur, accipit nomen scientiae. sont connues à partir des principes, elle reçoit le
Sed quia cognitio principiorum est in nom de « science ». Mais parce que la
conclusionibus sicut causa in causato, et e connaissance des principes se trouve dans les
converso cognitio conclusionis est in principiis conclucions comme la cause dans ce qui est
sicut causatum in causa; ideo etiam dicuntur causé, et que, en sens inverse, la connaissance de
intelligi conclusiones et sciri principia. Similiterla conclusion se trouve dans les principes comme
et affectus amantis primo figitur in ipso amante, etce qui est causé dans sa cause, on dit donc aussi
ex eo derivatur ad alios; ut philosophus dicit in 9 qu’on « intellige » les conclusions et que les
Ethic., quod ex his quae sunt hominis ad seipsum principes sont « sus ». De la même manière,
venerunt ea quae sunt hominis ad amicum, dum se l’affection de celui qui aime se trouve-t-il
habet ad amicum sicut ad seipsum. Nec est d’abord chez celui qui aime, et il passe de celui-
mirum; quia unita ad similitudinem se habent ci à d’autres. Ainsi le Philosophe dit, dans
eorum quae sunt unum. Et quamvis nomen Éthique, IX, que « les sentiments de l’homme
amicitiae imponatur proprie secundum quod amor envers un ami viennent des sentiments de
ad alios se diffundit, tamen etiam amor quem quis l’homme envers lui-même, puisqu’il a avec son
habet ad seipsum amicitia et caritas potest dici, ami la même relation qu’avec lui-même ». Et
inquantum amor quem quis habet ad alterum, cela n’est pas étonnant, car ce qui est uni par la
procedit a similitudine amoris quem quis habet ad ressemblance se comporte comme ce qui est un.
seipsum. Et bien que, à proprement parler, le nom
d’« amitié » soit donné à l’amour qui se diffuse
vers les autres, on peut cependant aussi parler
d’amitié et de charité envers soi-même, pour
autant que l’amour que l’on a envers l’autre vient
de la ressemblance avec l’amour que l’on a
envers soi-même.
[11369] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 1 Ad 1. Grégoire parle de la première imposition du
primum ergo dicendum, quod Gregorius loquitur nom de «charité».
quantum ad primam impositionem nominis
caritatis.
[11370] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 2 Ad 2. Ce raisonnement se fonde sur l’amitié en tant
secundum dicendum, quod ratio illa procedit de qu’elle comporte un amour qui se diffuse vers
amicitia secundum quod importat amorem les autres.
diffusum ad alios.
[11371] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 3 Ad 3. Ce qui est un selon le nombre peut aussi être
tertium dicendum, quod illa quae sunt unum uni par l’affection. C’est pourquoi l’amour,
secundum numerum, possunt adhuc uniri per même au sens propre, peut exister envers soi-
affectum; et ideo potest esse amor, etiam proprie même.
dictus, ad seipsum.
[11372] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 4 Ad 4. L’amitié consiste dans l’égalité de sentiment ;
quartum dicendum, quod amicitia consistit in mais la justice, dans l’égalité des choses. Or, par
adaequatione quantum ad affectum; sed justitia in l’opération de l’âme, des choses diverses
adaequatione rerum. Sed per operationem animae peuvent être considérées comme une seule
possunt accipi sicut diversa ut unum, ita idem ut chose ; de même, une seule chose peut-elle être
plura; quod contingit quando actus animae in considérée comme plusieurs. Cela se produit
891

ipsum agentem reflectitur: et ideo amicitia magis lorsque l’acte de l’âme se retourne vers l’agent
potest esse ad se quam justitia: quamvis etiam lui-même. C’est pourquoi l’amitié peut
justitia possit esse hominis ad seipsum davantage exister envers soi-même que la
metaphorice dictum, inquantum in homine etiam justice, bien que la justice, si on l’entend
diversa secundum rem inveniuntur, scilicet métaphoriquement, puisse aussi être le fait de
diversae vires, quarum adaequatio in eo quod l’homme envers lui-même, dans la mesure où,
unicuique competit, justitiam metaphoricam facit, chez l’homme, on trouve aussi des choses, en
ut in 5 Ethic. dicitur. réalité différentes : les diverses puissances, dont
l’égalité par rapport à ce qui convient à chacune
réalise la justice au sens métaphorique, comme il
est dit dans Éthique, V.
[11373] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 6 ad 5 Ad 5. S’aimer soi-même pour ce qui est de l’homme
quintum dicendum, quod amare seipsum quantum extérieur est tout à fait blâmable ; mais s’aimer
ad hominem exteriorem nimis est vituperabile: soi-même pour ce qui est de l’homme intérieur
sed amare seipsum quantum ad hominem est tout à fait louable. Et cela relève de la charité.
interiorem est valde laudabile; et hoc est caritatis.

d [11374] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 tit. Article 7 – Devons-nous aimer nos corps par
Utrum diligere debeamus corpora nostra ex charité ?
caritate
[11375] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 1 1. Il semble que nos corps ne doivent pas être
Ad septimum sic proceditur. Videtur quod aimés par charité. En effet, la charité ne fuit pas
corpora nostra non sint ex caritate diligenda. le partage avec celui envers qui la charité existe.
Caritas enim non refugit conversationem cum eo Or, la charité fait fuir le partage avec le corps,
ad quem caritas est. Sed caritas facit refugere comme cela ressort de Rm 7, 24 : Qui me
communicationem ad corpus, ut patet Rom. 7, 24: délivrera de ce corps de mort ? Le corps ne doit
quis me liberabit de corpore mortis hujus? Ergo donc pas être aimé par charité.
corpus non est ex caritate diligendum.
[11376] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 2 2. Le Philosophe dit qu’il est blâmable que
Praeterea, philosophus dicit, quod vituperabile est l’homme s’aime lui-même pour ce qui est
hominem seipsum diligere quantum ad id quod est extérieur chez lui. Or, notre corps est extérieur
exterius in seipso. Sed corpus nostrum est maxime au plus au point. Il est donc blâmable d’aimer
exterius. Ergo vituperabile est corpus nostrum notre corps. Il n’est donc pas aimé par charité.
diligere. Ergo non diligitur ex caritate.
[11377] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 3 3. Notre béatitude consistera dans la jouissance
Praeterea, beatitudo nostra erit in fruitione Dei. de Dieu. Or, notre corps ne peut participer à cette
Sed illius fruitionis corpus nostrum particeps esse jouissance. Il ne participe donc pas à notre
non potest. Ergo non est particeps nostrae béatitude. Il ne faut donc pas l’aimer de charité.
beatitudinis: ergo non est ex caritate diligendum.
[11378] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 4 4. Une partie n’est mise dans un nombre par par
Praeterea, pars non ponitur in numerum contra opposition au tout. Or, notre corps est une partie.
totum. Sed corpus nostri pars est. Ergo non debet Notre corps ne doit donc pas être considéré
poni aliud diligibile corpus nostrum quam nos comme un autre autre objet d’amour que nous-
ipsi. mêmes.
[11379] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 arg. 5 5. Nous devons aimer le prochain comme nous-
Praeterea, proximum debemus diligere sicut nos. mêmes. Or, le corps du prochain n’est pas
Sed non ponitur aliud diligibile proximus et considéré comme un autre objet d’amour que le
corpus proximi. Ergo non debet poni aliud prochain. Nous ne devons donc pas considérer
diligibile nos ipsi et corpus nostrum. notre corps comme un autre objet d’amour que
nous-mêmes.
892

[11380] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 s. c. 1 Cependant, [1] Ep 5 dit que les maris doivent
Sed contra, Eph. 5, viri debent diligere uxores aimer leurs épouses comme leur propre corps.
suas sicut corpora. Sed uxores debent diligere ex Or, ils doivent aimer leurs épouses par charité.
caritate. Ergo et corpora. Donc, leur corps aussi.
[11381] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 s. c. 2 [2] Tout ce qui peut être bienheureux doit être
Praeterea, omne beatificabile est ex caritate aimé par charité. Or, notre corps peut devenir
diligendum. Sed corpus nostrum est beatificabile. bienheureux. Il doit donc être aimé par charité.
Ergo est diligendum ex caritate.
[11382] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 co. Réponse. Notre corps est une des quatre choses
Respondeo dicendum, quod corpus nostrum est qui doivent être aimées de charité. En effet,
unum de quatuor quae sunt ex caritate diligenda. comme cela ressort de ce qui a été dit, l’amour
Dilectio enim caritatis habet pro fundamento de charité a comme fondement principal le
communicationem beatae vitae principaliter ut ex partage de la vie bienheureuse et de la vie de la
dictis patet, et vitae gratiae secundum quod grâce, selon que celle-ci lui est ordonnée. Or,
ordinatur ad ipsam. Haec autem vita tripliciter cette vie a un triple rapport avec celui qui a la
habet relationem ad habentem caritatem. Est enim charité. En effet, d’une manière, elle existe en lui
uno modo in aliquo sicut in principio diffundente comme dans le principe qui diffuse la vie chez
vitam istam in aliis, et sic est in Deo. Est etiam in les autres : elle existe ainsi chez Dieu. Elle existe
ipso amante sicut in participante vitam istam: et aussi chez celui qui aime en tant qu’il participe à
hoc dupliciter; quia secundum animam cette vie, et cela, de deux manières : selon l’âme
principaliter, et per quamdam redundantiam principalement, et selon le corps par un certain
secundum corpus. Est etiam in aliis sicut rejaillissement. Elle existe aussi chez les autres
comparticipantibus; et sic est in proximo. Et ideo comme chez ceux qui [la] partagent avec nous :
quatuor sunt ex caritate diligenda, scilicet Deus, elle existe ainsi chez le prochain. C’est pourquoi
proximus, nos, et corpus nostrum. il existe quatre objets de la charité : Dieu, le
prochain, nous et notre corps.
[11383] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 1 Ad 1. La charité ne fuit pas les rapports avec le
primum ergo dicendum, quod caritas non refugit corps en tant qu’il est capable de la gloire, mais
communicationem corporis secundum quod est en tant qu’il est sujet de la misère qui empêche la
capax gloriae, sed secundum quod est subjectum gloire.
miseriae, quae impedit ad gloriam.
[11384] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 2 Ad 2. Il est blâmable que l’homme s’aime lui-même
secundum dicendum, quod hominem diligere selon la nature extérieure pour ce qui est
seipsum secundum exteriorem naturam in his contraire à la raison; mais cela est louable pour
quae repugnant rationi, est vituperabile; sed in his ce en quoi la nature extérieure est en accord avec
in quibus natura exterior interiori concordat, est la nature intérieure.
laudabile.
[11385] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 3 Ad 3. Bien que le corps ne jouisse pas de Dieu de
tertium dicendum, quod quamvis corpus non manière immédiate, il existera cependant un
fruatur Deo immediate, tamen ex anima fruente certain rejaillissement de la gloire dans le corps à
erit quaedam redundantia gloriae in corpus. partie de l’âme qui jouira [de Dieu de manière
immédiate].

[11387] Super Sent., lib. 3 d. 28 q. 1 a. 7 ad 5 Ad 5. Le corps et l’âme du prochain ont, par rapport
quintum dicendum, quod corpus proximi et anima à la vie bienheureuse, la même relation avec
in eadem relatione se habent ad habentem celui qui possède la charité, à savoir qu’ils y
caritatem respectu beatae vitae, scilicet ut simul participent ensemble. C’est pourquoi on ne fait
participans; et ideo non distinguitur diversum pas de distinction entre des objets d’amour
diligibile penes animam et corpus proximi. différents selon l’âme et le corps du prochain.
b
893

Expositio textus[11388] Super Sent., lib. 3 d. 28 Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.
q. 1 a. 7 expos. De secundo et quarto nulla 28
praecepta danda erant. Contra. Lex debet
universaliter hominem de omnibus ordinare quae
ad virtutes pertinent. Praeterea, dilectio Dei
similiter erat omnibus insita naturaliter. Et
dicendum, quod sicut se habent scientiae
speculativae ad cognoscenda, ita se habet lex ad
operanda. Unde sicut in scientiis speculativis non
traditur doctrina de principiis per se notis, quia
per naturam cognoscuntur, sed tantum de
conclusionibus quae per ea cognoscuntur; ita
neque lex determinat explicite de dilectione sui
ipsius ad quam natura inclinat, sed de dilectione
proximi quae ex illa oritur, sicut conclusiones ex
principiis. Dilectio autem Dei, quamvis nobis
naturaliter insit, non tamen hoc modo quo per
caritatem diligitur, ut supra dictum est. Ex hoc
autem ipso quod praecipitur Deus diligi
specialiter, docemur nos ipsos specialiter diligere.
Nemo unquam carnem suam odio habuit. Contra.
Multi seipsos interficiunt, ut dicit philosophus
propter abundantem malitiam. Et dicendum, quod
vitam suam corporalem quilibet diligit naturaliter;
sed quod aliqui ad mortem suam corporalem
anhelant, hoc contingit per accidens, vel
inquantum retardantur ab aliquo bono magis
amato per vitam corporalem, sicut in quaerentibus
aliam vitam accidit; vel inquantum per
corporalem vitam ipsorum aliquo modo
consequuntur aliqua mala, quibus carere melius
aestimant quam vitam corporalem habere. Oritur
autem hic quaestio. Videtur quod dilectio
Angelorum et beatae virginis et Christi secundum
quod homo, non contineatur in dilectione proximi,
sed magis debeat reduci ad dilectionem Dei, quia
supra nos sunt. Et dicendum, quod Deus est supra
nos quasi influens nobis aeternam vitam; sic
autem neque Angeli neque homo virtuosus neque
Christus secundum quod homo, supra nos sunt:
quia sicut sola Trinitas nos creavit ad vitam
naturae, ita ipsa sola nos sanctificat vita gratiae, et
beatificabit vita gloriae. Sed sunt diligendi sicut
simul nobiscum participantes a Deo vitam
aeternam; et in hoc juxta nos sunt; quamvis sint
supra nos in hoc quod plenius participant.

Distinctio 29 Distinction 29 – [L’ordre de la charité]


Prooemium Prologue
[11389] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de l’objet de la charité, le
894

determinavit Magister quid esset ex caritate Maître détermine ici de l’ordre de la charité.
diligendum, hic determinat de ordine caritatis. Cette partie se divise en deux : dans la première,
Dividitur autem haec pars in duas: in prima il détermine de l’ordre de la charité entre les
determinat ordinem caritatis respectu diligibilium objets de l’amour pour ce qui est de la quantité
quantum ad quantitatem dilectionis; in secunda de l’amour ; dans la seconde, pour ce qui est de
quantum ad quantitatem meriti, distinct. 30, ibi: la quantité du mérite, d. 30, à cet endroit : « Ici,
hic quaeri solet. Prima pars dividitur in duas: in on a coutume de demander… » La première
prima determinat de ordine caritatis quantum ad partie se divise en deux : dans la première, il
diversos gradus diligibilium; in secunda quantum détermine de l’ordre de la charité pour ce qui est
ad diversos respectu status ipsius diligentis, ibi: des divers degrés entre les objets de l’amour ;
sciendum quoque est, diversos esse gradus dans la seconde, pour ce qui est des divers
caritatis. Prima in duas: in prima determinat [degrés] par rapport à l’état de celui qui aime, à
ordinem caritatis respectu diligibilium; in secunda cet endroit : « Il faut savoir aussi qu’il existe
movet quasdam quaestiones circa determinata, ibi: divers degrés de la charité… » La première
solet etiam quaeri, si parentes nostri mali sint, vel partie [se divise] en deux : dans la première, il
filii, vel fratres, an magis vel minus diligendi sint détermine de l’ordre de la charité entre les divers
aliis bonis hac ratione nobis non copulatis. Circa objets d’amour ; dans la seconde il soulève des
primum duo facit: primo ostendit caritatem habere questions à propos de ce qui a été déterminé, à
ordinem; secundo ostendit secundum quid cet endroit : « On a aussi coutume de demander,
attendendus sit ordo iste, ibi: unde super hoc si nos parents sont mauvais, ou nos fils ou nos
saepe movetur quaestio. Et circa hoc duo facit: frères, s’ils doivent être davantage aimés que les
primo ponit diversas circa hoc opiniones; in autres qui sont bons et qui ne nous sont pas unis
secunda determinat quid sibi videatur, ibi: verum de cette manière. » À propos du premier point,
quia praemissa movetur quaestio. Circa primum [le Maître] fait deux choses : premièrement, il
duo facit: primo ponit quaestiones diversas, et montre qu’il existe un ordre de la charité ;
rationes earum; secundo ostendit quomodo prima deuxièmement, il montre d’après quoi cet ordre
opinio rationibus alterius partis respondet, ibi: sed doit être envisagé, à cet endroit : « Aussi une
inquiunt illi, quae de ordine dilectionis supra question est-elle souvent soulevée à ce
dicuntur, esse referenda ad operis exhibitionem. propos… » À ce sujet, il fait deux choses :
Circa primum duo facit: primo ponit opinionem premièrement, il présente diverses opinions à ce
illorum qui dicunt, ordinem caritatis attendendum sujet ; dans la seconde, il détermine ce qu’il lui
esse solum secundum effectum; secundo illorum en semble, à cet endroit : « Puisqu’à vrai dire la
qui dicunt etiam secundum affectum attendendum question précédente est soulevée… » À propos
esse, ibi: quibus obviat illud praeceptum legis de du premier point, il fait deux choses :
diligendis parentibus. Sed inquiunt illi, quae de premièrement, il présente diverses questions et
ordine dilectionis supra dicuntur, esse referenda leurs raisons ; deuxièmement, il montre
ad operis exhibitionem. Hic ostendit quomodo comment la première opinion répond aux
prima opinio respondet rationibus alterius partis; arguments de l’autre partie, à cet endroit : « Mais
et circa hoc duo facit: primo ostendit quomodo ceux-là disent que ce qui a été dit plus haut à
prima opinio respondet rationibus secundae. In propos de l’ordre de l’amour doit être mis en
secunda ostendit quomodo prima opinio addit rapport avec la manifestation de l’acte. » Ici, il
aequalem dilectionem esse impendendam montre comment la première opinion répond aux
proximo quantum ad affectum, sicut et sibi ipsi, arguments de l’autre partie. À ce sujet, il fait
ibi: quorum etiam nonnulli tradunt affectu deux choses : premièrement, il montre comment
caritatis tantum proximos esse diligendos. Solet la première opinion répond aux arguments de la
autem quaeri, si parentes nostri mali sint vel filii, seconde ; dans la seconde, il montre comment la
vel fratres, an magis vel minus diligendi sint aliis première opinion ajoute qu’un amour égal à celui
bonis. Hic movet quasdam quaestiones circa qu’on a pour soi-même doit être manifesté au
veritatem determinatam; et dividitur in duas partes prochain pour ce qui est de la disposition
secundum duas quaestiones quas movet; secunda affective, à cet endroit : « Certains d’entre eux
895

incipit ibi: quaeri etiam solet, cur dominus affirment que les proches doivent être aimés
praeceperit diligere inimicos. Hic quaeruntur selon la disposition affective de la charité
octo. 1 utrum caritatis sit habere ordinem; 2 utrum seulement. » « On a aussi coutume de demander,
ille ordo sit attendendus secundum affectum et si nos parents sont mauvais, ou nos fils ou nos
effectum simul, vel secundum affectum tantum; 3 frères, s’ils doivent être davantage aimés que les
utrum Deus super omnia diligendus sit; 4 utrum autres qui sont bons. » Ici, il soulève des
ejus dilectio admittat intuitum alicujus mercedis; questions à propos de la vérité déterminée. Cela
5 utrum proximos quantum nosipsos diligere se divise en deux parties selon les deux questions
debeamus; 6 utrum inter proximos propinqui qu’il soulève ; la seconde commence à cet
extraneis praeferendi sint; 7 de ordine endroit : « On a aussi coutume de demander
propinquorum ad invicem; 8 de perfectione pourquoi le Seigneur a ordonné d’aimer ses
caritatis, et gradibus enumeratis. ennemis. » Huit questions sont posées ici : 1. La
charité doit-elle avoir un ordre ? 2. Cet ordre
doit-il être envisagé selon la disposition affective
et aussi l’effet, ou selon la disposition affective
seulement ? 3. Dieu doit-il être aimé plus que
tout ? 4. L’amour qu’on a pour lui admet-il
qu’on ait à l’œil une récompense ? 5. Devons-
nous aimer le prochain comme nous-mêmes ?
6. Parmi le prochain, les proches doivent-ils être
préférés aux étrangers ? 7. À propos de l’ordre
entre les proches. 8. À propos de la perfection de
la charité et des degrés énumérés.

Articulus 1 [11390] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 1 – Existe-t-il un ordre de la charité ?


a. 1 tit. Utrum caritas habeat ordinem
[11391] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble qu’il n’y ait pas d’ordre de la
Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas charité. En effet, Bernard dit que « l’amour ne
ordinem non habeat, Bernardus enim dicit, quod connaît pas de degrés : il ne considère pas la
amor gradum nescit, dignitatem non considerat. dignité ». Or, tout ordre comporte un degré. Il
Sed omnis ordo habet aliquem gradum. Ergo in n’y a donc pas d’ordre de la charité.
caritate non est aliquis ordo.
[11392] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Le Philosophe dit que l’amitié est une certaine
Praeterea, philosophus dicit, quod amicitia égalité. Or, l’égalité est uniforme et ne souffre
aequalitas quaedam est. Sed aequalitas est pas de diversité, pas plus que l’unité ne supporte
uniformis diversitatem non patiens, sicut nec la division. La charité ne comporte donc pas
unitas divisionem. Ergo caritas non habet d’ordre.
ordinem.
[11393] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Ordonner relève de la raison, dont c’est le
Praeterea, ordinare rationis est, cujus est conferre. propre de comparer. Or, la charité ne se trouve
Sed caritas non est in ratione, sed in voluntate, pas dans la raison mais dans la volonté, qui n’est
quae non est vis collativa. Ergo in caritate non est pas une puissance comparative. Il n’y a donc pas
ordo. d’ordre dans la charité.
[11394] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 4 4. L’ordre exige la distinction. Or, la charité est
Praeterea, ordo distinctionem requirit. Sed caritas celle qui unit le plus parmi les autres vertus.
est magis unitiva inter alias virtutes. Cum ergo in Puisqu’un ordre n’est pas assigné dans les autres
aliis virtutibus non assignetur ordo, neque in vertus, on ne doit donc pas en assigner à
caritate assignari debet. l’intérieur de la charité.
[11395] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Tout ce qui relève de l’acte d’une vertu,
Praeterea, omne illud quod pertinet ad actum comme certaines circonstances nécessaires,
896

virtutis sicut circumstantia quaedam necessaria, tombe sous le commandement. Or, l’ordre de
cadit sub praecepto. Sed ordo dilectionis non cadit l’amour ne tombe pas sous le commandement,
sub praecepto: quia ex quo impendo alicui quod car du fait que je rends à quelqu’un ce que je lui
debeo, lex non prohibet quin illi cui non teneor dois, la loi n’empêche pas que je donne
plus impendam. Ergo ordo dilectionis non est davantage à celui envers qui je n’ai pas
circumstantia debita in caritate. d’obligation. L’ordre de l’amour n’est donc pas
une circonstance nécessaire à l’intérieur de la
charité.
[11396] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] comme le dit Denys, le mal chez
Sed contra, sicut Dionysius dicit, malum hominis l’homme consiste à aller contre le bien de la
est contra bonum rationis esse. Sed malum raison. Or, le mal chez l’homme consiste à aller
hominis est contra virtutem esse. Ergo in qualibet contre la vertu. Donc, en chaque vertu, il faut
virtute oportet bonum rationis esse. Sed bonum que se trouve le bien de la raison. Or, le bien de
rationis est quod homo faciat ordinate la raison consiste en ce que l’homme fasse de
unumquodque quod facit. Cum ergo caritas sit manière ordonnée tout ce qu’il fait. Puisque la
virtus, oportet quod ordinem habeat. charité est une vertu, il faut donc qu’elle ait un
ordre.
[11397] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] L’acte des vertus varie selon que l’exigent les
Praeterea, actus virtutum variatur secundum objets. Or, l’objet de la charité, qui est le bien,
exigentiam objectorum. Sed objectum caritatis, possède un ordre, puisqu’une chose est meilleure
quod est bonum, ordinem habet, cum quoddam sit qu’une autre. La charité aussi doit donc avoir un
melius altero. Ergo et caritas debet ordinem ordre.
habere.
[11398] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Partout où une chose existe pour une autre, il
Praeterea, ubicumque unum est propter alterum, existe un ordre. Or, la charité aime une chose
ibi est aliquis ordo. Sed caritas diligit aliquid pour autre chose : ainsi, [elle aime] tout pour
propter alterum, sicut omnia propter Deum. Ergo Dieu. La charité possède donc un ordre.
caritas ordinem habet.
[11399] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 co. Réponse. En tout acte de vertu, il doit exister
Respondeo dicendum, quod in quolibet actu une mesure, car on n’est juste que si l’on
virtutis oportet esse modum: quia non est justus accomplit des choses justes de manière juste. Or,
aliquis, nisi justa juste faciat. Modus autem in la mesure dans l’acte de vertu vient de la
actu virtutis est ex commensuratione potentiae ad comparaison entre la puissance et l’objet, de
objectum, ut ab eodem a quo speciem habet, sorte qu’elle reçoive une mesure de la même
mensuram recipiat. Objectum autem caritatis chose qui lui confère son espèce. Or, l’objet de la
bonum est hoc modo quod bonum simpliciter, ut charité est le bien selon que ce qui est tout
dicit philosophus, est amabile simpliciter: simplement bon est tout simplement aimable,
unicuique autem proprium bonum. Unde cum in comme le dit le Philosophe ; mais à chacun son
hoc contingat esse magnam diversitatem, et propre bien. Puisqu’une grande diversité et
gradus diversos, secundum quod unum est altero divers degrés surviennenet selon qu’une chose
melius vel magis propinquum, oportet quod etiam est meilleure qu’une autre ou plus rapprochée, il
et actus dilectionis ordinem habeat, ad hoc quod faut donc aussi que l’acte d’amour ait un ordre
sit virtuosus. pour qu’il soit vertueux.
[11400] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Dans l’amour, on peut saisir un double degré.
primum ergo dicendum, quod in amore potest L’un est celui qui existe entre les objets
accipi duplex gradus. Unus diligibilis ad d’amour : c’est de cet ordre que nous parlons ;
diligibile; et de hoc gradu loquimur: alius gradus l’autre est celui existe entre celui qui aime et
diligentis ad diligibile; et de hoc loquitur l’objet de l’amour : c’est de celui-là que parle
Bernardus. Hunc tamen gradum quodammodo scit Bernard. Cependant, il reconnaît d’une certaine
amor, quodammodo nescit. Scit quidem quantum manière ce degré et, d’une certaine manière, il ne
897

ad exteriorem effectum, quia non eadem le reconnaît pas. Il le reconnaît pour ce qui est de
superioribus et aequalibus impendit; sed nescit son effet extérieur, car il n’attribue les mêmes
quantum ad affectum, inquantum unit amantem choses à ceux qui sont supérieurs et aux égaux.
amato; et interdum aliquid de affectu in effectu Mais il ne le reconnaît pas pour ce qui est de la
relucet, ut scilicet ad superiores nos magis disposition affective, dans la mesure où
confidenter habeamus, et ad inferiores magis [l’amour] unit celui qui aime à celui qui est aimé.
socialiter. Et parfois, quelque chose de la disposition
affective se réfléchit dans l’effet, comme lorsque
nous nous comportons avec plus de confiance
avec ceux qui sont supérieurs, et de manière plus
liante avec les inférieurs.
[11401] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. L’amitié ne consiste pas dans une égalité
secundum dicendum, quod amicitia non consistit d’équivalence seulement, car elle peut exister
in aequalitate aequiparantiae solum: quia potest avec les supérieurs, les inférieurs et les égaux ;
esse ad superiores, inferiores, et aequales: sed mais elle consiste dans une égalité de proportion.
consistit in aequalitate proportionis; quae quidem Une telle égalité ne fuit pas la diversité dans la
aequalitas diversitatem non refugit quantitatis; quantité : ainsi, la même proportion, une fois et
sicut eadem proportio, scilicet sesquialtera, est demie, entre trois et deux et entre six et quatre,
trium ad duo, et sex ad quatuor, quamvis bien que le dépassement en quantité soit inégal.
inaequalis sit quantitatis excessus.
[11402] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. L’acte de la raison précède l’amour. Or, ce qui
tertium dicendum, quod actus rationis dilectionem est antérieur laisse quelque chose dans ce qui
praecedit. Priora autem aliquid sui in suit, et on trouve un ordre que réalise la raison
posterioribus relinquunt, et ordo quem facit ratio dans l’amour, de sorte que l’amour soit ordonné ;
in dilectione invenitur, ut dilectio sit ordinata; non non pas qu’il réalise lui-même l’ordre, mais
quod ipsa ordinem faciat, sed quia in ordinata parce qu’il tend de manière ordonnée aux biens
bona per rationem accepta ordinate tendit. ordonnés saisis par la raison.
[11403] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Les autres vertus ordonnent l’homme en lui-
quartum dicendum, quod aliae virtutes ordinant même, telles la foi, la tempérance et celles de ce
hominem in seipso, sicut fides, temperantia et genre ; mais la justice l’ordonne par rapport à un
hujusmodi: justitia vero ordinat ad alium, autre, pour autant qu’il lui est rendu égal pour les
secundum quod aequatur ei quantum ad res circa réalités sur lesquelles porte la justice. Toutefois,
quas est justitia; sed caritas ordinat ad alium la charité ordonne par rapport à un autre selon
secundum quod unit per affectum quantum ad qu’elle unit par une disposition affective à son
ipsum; et ideo proprium objectum caritatis est endroit. C’est pourquoi l’objet propre de la
ipsa rationalis natura, ad quam caritas habenda charité est la nature raisonnable elle-même, à qui
est, in qua plurimi gradus inveniuntur: et ideo doit s’adresser la charité et à l’intérieur de
magis assignatur ordo in caritate quam in aliqua laquelle se trouvent plusieurs degrés. Aussi un
alia virtute. ordre est assigné à la charité plutôt qu’aux autres
vertus.
[11404] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Dans un seul genre, il ne peut exister qu’un
quintum dicendum, quod in uno genere non potest seul plus élevé. Si j’aime quelque chose comme
esse nisi unum summum; et ideo si diligo aliquid la fin ultime, je ne peux donc pas aimer Dieu
quasi ultimum finem, non possum Deum diligere comme la fin ultime. Du fait donc que je donne
quasi ultimum finem. Ex hoc ergo ipso quod par l’amour, à ce qui doit être moins aimé, la
alterum quod est minus diligendum, aequiparo in même valeur qu’à ce qui doit être plus aimé, je
dilectione ei quod diligendum est magis, non ne donne pas à ce qui doit être plus aimé tout
totum dilectionis quod debeo, impendo ei quod l’amour que je lui dois. Et il en est de même
magis diligendum est; et similiter etiam patet in pour les autres. L’ordre de la charité fait donc
aliis. Unde caritatis ordo est in praecepto; et partie du commandement et celui qui agit en
898

peccat qui praepostere agit, ut in littera dicitur. inversant l’ordre pèche, comme il est dit dans le
texte.

Articulus 2 [11405] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 2 – L’ordre de la charité doit-il être
a. 2 tit. Utrum ordo caritatis sit attendendus envisagé selon la disposition affective ou selon
secundum affectum, vel secundum effectum l’effet ?
[11406] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que l’ordre de la charité doive être
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ordo envisagé selon la disposition affective, et non pas
caritatis non sit attendendus secundum affectum, selon l’effet seulement. En effet, de même que la
sed secundum effectum tantum. Sicut enim prima Vérité première, sur laquelle s’appuie la foi, est
veritas, cui innititur fides, est una in omnibus; ita unique pour tous, de même la Bonté suprême,
summa bonitas, cui innititur caritas, una est. Sed sur laquelle s’appuie la charité, est-elle unique.
fides aequaliter certa est de omnibus quae ex fide Or, la foi est également certaine pour tout ce qui
creduntur. Ergo et caritas aequaliter afficitur ad est cru par la foi. La charité a donc une même
omnia quae ex caritate diligit. disposition affective à l’égard de tout ce qui est
aimé par charité.
[11407] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 2 2. L’acte est mesuré selon la raison de son objet.
Praeterea, actus mensuratur secundum rationem Or, bien qu’il y ait plusieurs réalités qui sont
objecti. Sed quamvis plura sint quae ex caritate aimées par charité, il n’existe cependant en
diliguntur, tamen in omnibus est una ratio toutes qu’une seule raison d’amour, à savoir, la
dilectionis, scilicet divina bonitas, quae est bonté divine, qui est l’objet de la charité. La
objectum caritatis. Ergo ad omnia quae ex caritate disposition affective envers tout ce qui est aimé
diliguntur est aequalis affectio. par charité est donc égale.
[11408] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Plus grande est la disposition affective envers
Praeterea, quanto aliquis ad alterum magis un autre, plus grand est le bien désiré pour lui.
afficitur, tanto majus bonum ei desiderat. Sed Or, nous souhaitons le même bien à tous ceux
omnibus quae ex caritate diligimus, idem bonum que nous aimons de charité, ou nous nous en
optamus, vel de habito complacet nobis, scilicet réjouissons, lorsqu’il est possédé : la vie
vita aeterna. Ergo aequali affectione omnes éternelle. Tous sont donc aimés selon une égale
diliguntur. disposition affective.
[11409] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 4 4. L’ordre de la chairté fait partie du
Praeterea, ordo caritatis est in praecepto. Non commandement. Or, il ne fait pas partie du
autem est in praecepto quantum ad affectum: quia commandement selon la disposition affective,
dum exhibeam unicuique quod sibi debeo, etiam car lorsque je manifeste à chacun ce que je lui
si sine affectu faciam, non sum reus praecepti. dois, même si je le fais sans disposition affective,
Ergo ordo caritatis non attenditur secundum je ne suis pas coupable aux termes du
affectum tantum. commandement. L’ordre de la charité n’est donc
pas envisagé seulement selon la disposition
affective.
[11410] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Plus la disposition affective est grande, plus
Praeterea, ubi est major affectus, est etiam majus grand est le mérite, car le mérite se mesure selon
meritum: quia meritum secundum radicem la racine de la charité. Or, un homme ne mérite
caritatis mensuratur. Sed non magis meretur homo pas davantage en raison de l’amour de ses
in dilectione propinquorum quam aliorum, vel proches que des autres, ou encore, de lui-même
etiam sui ipsius quam aliorum. Ergo ordo amoris que des autres. L’ordre de l’amour ne doit donc
non est accipiendus secundum affectum. pas être pris de la disposition affective.
[11411] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] Grégoire dit que l’amour se
Sed contra, Gregorius dicit, quod probatio manifeste par l’action. Si donc l’ordre existe
dilectionis est exhibitio operis. Si ergo secundum selon l’effet, il est nécessaire qu’il existe aussi
effectum est ordo, oportet quod etiam sit selon la disposition affective.
899

secundum affectum.
[11412] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Le bien est l’objet de la charité du point de
Praeterea, bonum est objectum caritatis quantum vue de la disposition affective. Or, comme on l’a
ad affectum. Sed ordo caritatis, ut dictum est, art. dit dans le corps de l’article précédent, l’ordre de
praec. in corp., attenditur secundum diversitatem la charité est envisagé selon la diversité des
bonorum. Ergo caritas habet ordinem non solum biens. La charité possède donc un ordre, non
secundum effectum, sed etiam secundum seulement selon l’effet, mais aussi selon la
affectum. disposition affective.
[11413] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] De même que la charité considère
Praeterea, sicut caritas principaliter respicit principalement la disposition affective, de même
affectum, ita beneficentia respicit effectum. Si la bienfaisance considère-t-elle l’effet. Si donc
ergo ordo esset solum secundum effectum, non elle existait seulement selon l’effet, il n’y aurait
esset haec ordinatio caritatis, sed solum pas cette mise en ordre de la charité, mais
beneficentiae; quod est contra auctoritatem seulement celui de la bienfaisance, ce qui va à
canticorum in littera inductam. l’encontre de l’autorité du Cantique des
cantiques invoquée dans le texte.
[11414] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 co. Réponse. L’effet extérieur ne relève de la charité
Respondeo dicendum, quod effectus exterior non que dans la mesure où il procède d’une
pertinet ad caritatem nisi inquantum ex affectu disposition affective, dans laquelle existe en
procedit, in quo primo est caritatis actus. Unde si premier lieu l’acte de la charité. Si donc on
esset ordo in effectu tantum attendendus, ordo ille devait envisager l’ordre dans l’effet seulement,
nullo modo ad caritatem pertineret, sed ad alias cet ordre ne se rapporterait aucunement à la
virtutes magis, sicut ad liberalitatem vel charité, mais plutôt à d’autres vertus, comme à la
misericordiam. Unde cum caritas ordinata libéralité ou à la miséricorde. Lorsqu’on affirme
perhibeatur, oportet quod ordo in affectu que la charité est ordonnée, il faut donc que
observetur, et ex affectu in effectum procedat: non l’ordre soit respecté dans la disposition affective
hoc modo quod ei qui plus ex affectu diligitur, et qu’il passe de la disposition affective à l’effet,
magis in effectu impendatur; sed quod homo sit non pas selon qu’on donne plus par l’effet à celui
paratus magis impendere, si necesse foret: quia qui est davantage aimé selon la disposition
quandoque qui diliguntur, nostris auxiliis non affective, mais selon que l’homme est disposé à
indigent. Et hoc etiam patet per simile in natura: donner davantage, si cela était nécessaire, car
quia unicuique rei naturali tantum inditum est a parfois ceux qui sont aimés n’ont pas besoin de
creatore de amore naturali erga aliquid, quantum notre aide. Cela ressort aussi de ce qui est
necessarium est ut effectum circa id exhibeat; et semblable dans la nature, car chaque réalité
similiter secundum gradum qui necesse est ut naturelle a reçu du Créateur autant d’amour
observetur in effectu, ordo affectus lege divina naturel envers quelque chose qu’il lui est
imperatur. nécessaire pour qu’elle manifeste un effet à son
endroit. De même, l’ordre de la disposition
affective est-il commandé par la loi divine selon
le degré nécessaire pour qu’elle se manifeste
dans l’effet.
[11415] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. L’objet de la foi n’est pas la Vérité première
primum ergo dicendum, quod objectum fidei non seulement selon qu’elle existe réellement, mais
est veritas prima secundum quod est in re existens selon qu’elle nous est annoncée par Dieu, car la
tantum, sed secundum quod est nobis divinitus foi vient de l’écoute. Parce que tout ce qui relève
annuntiata; quia fides ex auditu est; et ideo quia de la foi nous a été annoncé de la même manière,
omnia quae sunt fidei, annuntiata sunt nobis on en a donc une certitude égale. Mais l’objet de
eodem modo, ideo aequalis certitudo de eis la charité est le bien selon qu’il existe dans les
habetur. Sed caritatis objectum est bonum, choses. C’est pourquoi il est nécessaire que notre
secundum quod est in rebus; et ideo cum in amour passe en elles de diverses manières,
900

diversis rebus divina bonitas inveniatur, oportet puisque la Bonté divine se trouve dans des
quod diversimode affectio nostra in illa transeat. réalités différentes.
[11416] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Bien qu’il existe en toutes choses une raison
secundum dicendum, quod quamvis sit eadem commune d’aimer, chaque chose n’y participe
ratio communis diligendi in omnibus, tamen illa cependant pas également. C’est pourquoi un
ratio non aequaliter participatur in singulis; et amour égal ne leur est pas non plus dû.
ideo nec aequalis affectio eis debetur.
[11417] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. L’intensité de l’acte, principalement dans les
tertium dicendum, quod intensio actus, praecipue actes de l’âme (qui n’agit pas nécessairement
in actibus animae (quae non necessario secundum selon toute sa capacité, comme les réalités
totum suum posse agit sicut naturalia) non naturelles), n’est pas mesurée par la quantité de
mensuratur ad quantitatem objecti tantum, sed ad l’objet seulement, mais aussi par l’efficacité de
efficaciam agentis, et conatum in agendo; unde l’agent et par l’effort qu’il met à agir. Aussi celui
non melius videt qui majorem rem intuetur, sed qui regarde une chose plus grande ne voit-il pas
qui clarius videt; ideo etiam non oportet quod mieux que celui qui voit plus clairement. Il n’est
aequaliter afficiar ad illud cui aequale bonum donc pas non plus nécessaire que je sois
desidero. également disposé envers celui pour qui je désire
un bien égal.
[11418] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Celui qui agit envers quelqu’un sans
quartum dicendum, quod ille qui impendit quod disposition affective, bien qu’il ne soit pas
debet alicui sine affectu, quamvis non sit reus coupable aux termes du commandement qui
praecepti quod est de actu justitiae, est tamen reus porte sur un acte de justice, est cependant
praecepti quod est de caritate; unde Rom. 1, sic coupable aux termes du commandement qui
vitium reputatur sine affectione esse. porte sur la charité. Aussi Rm 1 considère-t-il
que c’est un vice de ne pas avoir la disposition
affective.
[11419] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Il sera question par la suite de la quantité du
quintum dicendum, quod de quantitate meriti mérite selon les différentes choses qui doivent
diligibilium diversorum quaestio erit in sequenti être aimées. Ce sera donc réservé pour cet
dist., et ideo ibi reservetur. endroit.

Articulus 3[11420] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. Article 3 – Dieu doit-il être aimé par charité
3 tit. Utrum Deus sit super omnia diligendus ex plus que tout ?
caritate
[11421] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble que Dieu ne doive pas être aimé par
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus non charité plus que tout, car, ainsi que le dit Denys,
sit supra omnia diligendus ex caritate. Quia, sicut l’amour est une puissance unitive. Or, chacun est
dicit Dionysius, amor est unitiva virtus. Sed magis davantage uni à soi-même qu’à Dieu. On doit
est sibi unusquisque unitus quam Deo. Ergo magis donc s’aimer davantage soi-même par charité
ex caritate debet se diligere quam Deum. que Dieu.
[11422] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Le Philosophe dit qu’est aimable pour chaque
Praeterea, philosophus dicit, quod unicuique est chose ce qui est bon pour elle. Or, l’homme aime
amabile quod est sibi bonum. Sed quidquid diligit pour lui-même ce qu’il aime parce que cela est
propter hoc quod est sibi bonum, propter seipsum bon pour lui. Tout ce qui aime aime donc pour
diligit homo. Ergo quidquid diligit propter soi-même. Il s’aime donc davantage que tout ce
seipsum diligit. Ergo se magis diligit omnibus qu’il aime. Ainsi, il n’aime pas Dieu plus que
quae diligit; et ita non diligit Deum supra omnia. tout.
[11423] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Le Philosophe dit que les manifestations
Praeterea, philosophus dicit, quod amicabilia quae d’amitié qui s’adressent à un autre viennent des
sunt ad alterum, veniunt ex amicabilibus quae manifestations d’amitié envers soi-même. Or, ce
901

sunt ad seipsum. Sed primum in quolibet genere qui est premier en tout genre est le plus puissant.
est potissimum. Ergo amor quem quisque habet ad L’amour que chacun a pour lui-même est donc
seipsum, est potior amore quem habet ad alterum; plus puissant que l’amour qu’il a envers un autre.
et ita quisque plus seipsum quam Deum diligit Ainsi, chacun s’aime davantage qu’il n’aime
secundum naturam: et ita etiam secundum Dieu par nature, et, de la sorte, selon la charité
caritatem, cum gratia naturam non destruat. aussi, puisque la grâce ne détruit pas la nature.
[11424] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Comme le dit Grégoire, « l’amour se
Praeterea, sicut dicit Gregorius, probatio manifeste par l’action ». Or, chacun fait autant
dilectionis est exhibitio operis. Sed tantum pour conserver la grâce ou pour avoir la
quisque facit pro gratia conservanda, sive béatitude créée, qu’il ne fait pour Dieu. On aime
beatitudine creata habenda, quantum pro Deo. donc autant que Dieu la grâce ou la béatitude
Ergo tantum diligit quis gratiam, vel beatitudinem créée. Or, l’amour, en vertu duquel on dit que
creatam, quantum Deum. Sed dilectio qua dicimur nous aimons la vertu ou un accident, se rapporte
diligere virtutem, vel aliquod accidens, refertur ad au sujet de l’accident pour lequel cet accident est
ipsum subjectum accidentis, cui desideratur illud désiré. Chacun s’aime donc autant, en tant que
accidens. Ergo tantum quisque diligit se habens possédant la charité, que Dieu.
caritatem, quantum Deum.
[11425] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Chacun aime son prochain autant qu’il aime
Praeterea, tantum quisque diligit proximum Dieu dans le prochain ou en lui-même, car Dieu
quantum diligit Deum in proximo vel in seipso: n’est pas meilleur en lui-même que partout où il
quia Deus non est melior in se quam ubicumque existe. Chacun aime donc soi-même et son
est. Ergo tantum quisque diligit seipsum vel prochain autant qu’il aime Dieu. Et ainsi, Dieu
proximum quantum diligit Deum: et ita non n’est pas aimé par charité plus que tout.
diligitur Deus ex caritate super omnia.
[11426] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] la fin doit être aimée davantage
Sed contra, finis magis diligendus est his quae que ce qui est ordonné à la fin. Or, Dieu est la fin
sunt ad finem. Sed Deus est finis omnium de tout ce qui doit être aimé par charité. Il doit
diligibilium ex caritate. Ergo ipse est maxime donc être aimé au plus haut point.
diligendus.
[11427] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 2 2. Son propre bien est aimable pour chacun,
Praeterea, unicuique est diligibile proprium selon le Philosophe. Or, Dieu est un bien plus
bonum, secundum philosophum. Sed Deus est grand qu’autre chose, et il est davantage propre à
majus bonum quam aliquid aliud, et est proprium quelqu’un qu’autre chose, car « il est plus intime
magis alicui quam aliquid aliud: quia est magis à l’âme qu’elle ne l’est à elle-même », comme il
intimum animae quam etiam ipsa sibi, ut dicitur in est dit dans le livre Sur l’esprit et sur l’âme.
libro de spiritu et anima. Ergo Deus super omnia Dieu doit donc être aimé plus que tout.
diligendus est.
[11428] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 3 3. Ce qui est cause des autres choses en chaque
Praeterea, quod est causa aliorum in unoquoque genre est ce qu’il y a de plus grand dans ce
genere, maximum est in genere illo, ut dicitur in 2 genre, comme il est dit dans Métaphysique, II.
Metaph. Sed Deus est causa et ratio quare omnia Or, Dieu est la cause et la raison pour laquelle
ex caritate diligantur, quia divina bonitas est per tout est aimé par charité, car la bonté divine est
se objectum caritatis. Ergo magis diligendus est par soi objet de la charité. Dieu doit donc être
Deus quam aliquid aliud. aimé davantage qu’autre chose.
[11429] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 co. Réponse. Puisque l’objet de l’amour est le bien,
Respondeo dicendum, quod cum objectum amoris on peut tendre vers le bien d’une chose de deux
sit bonum, dupliciter aliquis tendere potest in manières. D’une manière, selon que le bien de
bonum alicujus rei. Uno modo ita quod bonum cette chose renvoie à autre chose, comme
illius rei ad alterum referat, sicut quod bonum lorsqu’on souhaite le bien d’une chose pour
unius rei optet alteri, si non habet; vel complaceat quelqu’un d’autre, s’il ne le possède pas, ou
902

sibi, si habet: sicut amat quis vinum, in quantum qu’on s’y complaît avec lui, s’il le possède. C’est
dulcedinem vini peroptat, et in hoc gaudet quod le cas de celui qui aime le vin, pour autant qu’il
ea fruitur, non quod vinum ipsam habet; et hic souhaite la douceur du vin et se réjouit du fait
amor vocatur a quibusdam amor concupiscentiae. qu’il en jouit, et non que le vin la possède. Cet
Amor autem iste non terminatur ad rem quae amour est appelé par certains l’amour de
dicitur amari, sed reflectitur ad rem illam cui concupiscence. Or, cet amour n’a pas comme
optatur bonum illius rei. Alio modo amor fertur in terme la chose dont on dit qu’elle est aimée, mais
bonum alicujus rei ita quod ad rem ipsam il renvoie à ce à quoi on souhaite le bien de cette
terminatur, inquantum bonum quod habet, chose. D’une autre manière, l’amour tend vers le
complacet quod habeat, et bonum quod non habet bien d’une chose de telle sorte qu’il ait cette
optatur ei; et hic est amor benevolentiae, qui est chose même comme terme, pour autant qu’il se
principium amicitiae, ut dicit philosophus. Unde complaît dans le fait qu’elle possède ce bien et
gradus caritatis secundum hunc modum amoris lui souhaite le bien qu’elle ne possède pas. Cet
attendendi sunt, quia caritas amicitiam includit, ut [amour] est l’amour de bienveillance, qui est le
supra, dist. 27, quaest. 2, art. 1, corp., dictum est. principe de l’amitié, comme le dit le Philosophe.
Bonum autem illud unusquisque maxime vult C’est pourquoi les degrés de la charité doivent
salvari quod est sibi magis placens: quia hoc est être envisagés selon ce mode d’amour, car la
appetitui informato per amorem magis conforme; charité inclut une amitié, comme on l’a dit plus
hoc est autem suum bonum. Unde secundum quod haut, d. 27, q. 2, a. 1, c. Or, chacun veut au plus
bonum alicujus rei est vel aestimatur magis haut point préserver le bien qui lui plaît
bonum ipsius amantis, hoc amans magis salvari davantage, car il est davantage conforme à
vult in ipsa re amata. Bonum autem ipsius amantis l’appétit qui est formé par l’amour. Or, il s’agit
magis invenitur ubi perfectius est; et ideo, quia de son propre bien. Selon que le bien d’une
pars quaelibet imperfecta est in seipsa, chose est ou est estimé meilleur pour celui qui
perfectionem autem habet in suo toto; ideo etiam aime, celui qui l’aime veut donc qu’il soit
naturali amore pars plus tendit ad conservationem davantage sauvegardé dans la chose aimée elle-
sui totius quam sui ipsius. Unde etiam naturaliter même. Or, le bien de celui qui aime se trouve
animal opponit brachium ad defensionem capitis, dans ce qui est plus parfait. C’est pourquoi, parce
ex quo pendet salus totius. Et inde est etiam quod que n’importe quelle partie est imparfaite en
particulares homines seipsos morti exponunt pro elle-même, elle obtient sa perfection dans son
conservatione communitatis, cujus ipsi sunt pars. tout. Ainsi, par un amour naturel, la partie tend-
Quia ergo bonum nostrum in Deo perfectum est, elle davantage à la conservation de son tout qu’à
sicut in causa universali prima et perfecta la sienne propre. Ainsi, naturellement encore,
bonorum, ideo bonum in ipso esse magis l’animal oppose aussi son bras pour défendre sa
naturaliter complacet quam in nobis ipsis; et ideo tête, dont dépend le salut du tout. Et de là vient
etiam amore amicitiae naturaliter Deus ab homine que les hommes individuels s’exposent à la mort
plus seipso diligitur. Et quia caritas naturam pour conserver la communauté dont ils sont une
perficit, ideo etiam secundum caritatem Deum partie. Puisque notre bien est parfait en Dieu, en
supra seipsum homo diligit, et super omnia alia tant qu’il est la cause universelle première et
particularia bona. Caritas autem supra naturalem parfaite des biens, il nous plaît donc
dilectionem ipsius addit quamdam associationem naturellement davantage que le bien soit en lui
in vita gratiae, ut supra dictum est. Quidam autem qu’en nous-mêmes. C’est pourquoi Dieu est
dicunt, quod aliquis naturaliter amore naturellement aimé davantage que lui-même par
concupiscentiae Deum plus seipso diligit, l’homme, même d’amour d’amitié. Et parce que
inquantum divinum bonum est sibi delectabilius; la charité perfectionne la nature, l’homme aime
sed amore amicitiae plus seipsum naturaliter aussi par charité Dieu plus que lui-même et plus
quam Deum diligit, dum plus se vult esse et que tous les biens particuliers. Or, la charité
vivere et habere aliqua bona quam Deum; sed ajoute à son amour naturel une certaine
caritas ad hoc naturam elevat ut etiam per association dans la vie de la grâce, comme on l’a
amicitiam aliquis plus Deum diligat quam dit plus haut. Mais certains disent que quelqu’un
903

seipsum. Sed prima opinio probabilior est: quia aime Dieu plus que lui-même d’un amour de
inclinatio naturae hominis inquantum est homo, concupiscence, pour autant que le bien divin lui
nunquam contradicit inclinationi virtutis, sed est est plus délectable ; mais il s’aime naturellement
ei conformis lui-même plus que Dieu d’un amour d’amitié,
lorsqu’il veut être, vivre et posséder certains
biens plutôt que Dieu ; mais la charité élève la
nature pour que l’on aime Dieu plus que soi-
même. Mais la première opinion est plus
probable, car l’inclination de la nature de
l’homme en tant qu’homme ne contredit jamais
l’inclination de la vertu, mais lui est conforme.
.[11430] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. L’amour n’est pas une union des choses elles-
primum igitur dicendum, quod amor non est unio mêmes selon leur essence, mais selon leurs
ipsarum rerum essentialiter, sed affectuum. Non dispositions affectives. Or, il n’est pas
autem est inconveniens, ut illud quod est minus inapproprié que ce qui est moins uni en réalité
conjunctum secundum rem, sit magis conjunctum soit davantage uni selon les dispositions
secundum affectum, dum plerumque ea quae affectives, puisque la plupart du temps ce qui
realiter nobis conjuncta sunt, nobis displiceant, et nous est réellement uni nous déplaît et est au
ab affectu maxime discordent. Sed amor ad rerum plus haut point en désaccord avec notre
unionem inducit, quantum possibile est; et ideo disposition affective. Mais l’amour incite à
amor divinus facit hominem, secundum quod l’union entre les choses autant qu’il est possible.
possibile est, non sua vita, sed Dei, vivere, sicut C’est pourquoi l’amour de Dieu fait, autant qu’il
apostolus dicit Gal. 11, 20: vivo ego, jam non ego, est possible, vivre l’homme, non pas de sa
vivit vero in me Christus. propre vie, mais de celle de Dieu, comme le dit
l’Apôtre en Ga 11, 20 : Je vis, non pas moi, mais
à vrai dire le Christ vit en moi.
[11431] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Bien que soit aimable pour chacun ce qui est
secundum dicendum, quod quamvis unicuique sit bon pour lui, il n’est cependant pas nécessaire
amabile quod sibi est bonum, non tamen oportet que, parce que cela est bon, cela soit aimé pour
quod propter hoc sicut propter finem ametur, quia une fin, puisque l’amitié elle-même ne détourne
est sibi bonum; cum etiam amicitia non retorqueat pas pour soi le bien qu’elle souhaite pour un
ad seipsum bonum quod ad alterum optat: autre. En effet, nous aimons nos amis même si
diligimus enim amicos, etiam si nihil nobis debeat cela ne doit rien nous rapporter.
inde fieri.
[11432] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Les marques d’amitié destinées aux autres
tertium dicendum, quod amicabilia quae sunt ad sont venues des marques d’amitié envers soi-
alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad même, non pas comme de la cause finale, mais
seipsum, non sicut ex causa finali, sed sicut ex eo comme de ce qui est premier sur le chemin de la
quod est prius in via generationis. Quia sicut génération. Parce que chacun est d’abord connu
quilibet sibi prius est notus quam alter, et quam de lui-même plutôt qu’un autre et que Dieu,
Deus; ita etiam dilectio quam quisque habet ad l’amour que quelqu’un a envers lui-même est
seipsum, est prior ea dilectione quam habet ad donc premier par rapport à l’amour qu’il a envers
alterum, in via generationis. un autre, sur le chemin de la génération.
[11433] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. À proprement parler, nos actions ne sont pas
quartum dicendum, quod opera nostra, proprie proportionnées à la disposition affective par
loquendo, non proportionantur affectioni qua laquelle nous aimons Dieu en lui-même, car rien
Deum in seipso diligimus, quia ex nostris ne lui est ajouté ou ne peut lui êre ajouté par nos
operibus nihil ei accrescit vel accrescere potest. actes. Mais s’il était possible que quelque chose
Sed si esset possibile quod ex nostris operibus lui soit ajouté par nos actions, celui qui a la
aliquid ei accresceret, habens caritatem multo charité ferait bien plus pour lui conserver la
904

plura faceret propter beatitudinem ei béatitude que pour l’obtenir pour lui-même.
conservandam quam propter eam sibi
adipiscendam.
[11434] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Dieu est aimé partout également. Cependant,
quintum dicendum, quod Deus ubique aequaliter le fait que le bien divin existe chez un tel n’est
diligitur; tamen divinum bonum in isto esse, non pas aussi aimable que le fait qu’il existe en Dieu,
est tantum amabile sicut ipsum esse in Deo: quia car il n’existe pas en tous d’une manière
non aeque perfecte in omnibus est. également parfaite.

Articulus 4 [11435] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 4 – Peut-on tenir compte d’une
a. 4 tit. Utrum in dilectione Dei possit haberi récompense en aimant Dieu ?
respectus ad aliquam mercedem
[11436] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble qu’on ne puisse tenir compte d’une
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non récompense en aimant Dieu, car, en Jn 10, le
possit in dilectione Dei haberi respectus ad mercenaire est blâmé. Or, on appelle mercenaire
aliquam mercedem. Quia Joan. 10, mercenarius celui qui cherche un salaire. L’amour de Dieu
vituperatur. Sed mercenarius dicitur qui par charité ne permet donc pas de tenir compte
mercedem quaerit. Ergo dilectio Dei ex caritate d’une récompense.
non admittit respectum mercedis.
[11437] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Augustin dit : « Bien que Dieu ne puisse être
Praeterea, Augustinus dicit: Deo licet sine servi sans récompense, il doit cependant être
praemio serviri non possit, tamen sine intuitu servi sans égard à la récompense. » Or, une
praemii serviendum est. Sed praemium nihil aliud récompense n’est rien d’autre qu’un salaire pour
est quam merces laboris. Ergo sine respectu un travail. Dieu doit donc être servi sans égard à
mercedis Deo serviendum est. la récompense.
[11438] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 3. L’amitié civile, bien qu’elle comporte
Praeterea, amicitia civilis quamvis habeat multas plusieurs amours et plusieurs choses utiles, ne
dilectiones et utilitates, tamen ad eas non respicit, les prend cependant pas en compte, mais elle se
sed supra honestum fundatur. Sed amicitia fonde sur ce qui est bon en soi. Or, l’amitié de la
caritatis magis est honesta quam amicitia civilis. charité est meilleure que l’amitié civile. Elle ne
Ergo nec ipsa ad aliquam utilitatem respicit. prend donc pas en compte une certaine utilité.
[11439] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 4 4. La récompense est la fin de ce qui est
Praeterea, merces est finis eorum quae propter accompli pour une récompense. Or, la fin est
mercedem fiunt. Sed finis diligitur magis quam ea davantage aimée que ce qui est ordonné à la fin.
quae sunt ad finem. Si ergo Deus propter aliquam Si donc Dieu était aimé pour une récompense,
mercedem diligeretur, aliquid aliud magis quelque chose d’autre serait davantage aimé que
diligeretur Deo; quod est contra rationem caritatis. Dieu, ce qui est contraire à la notion de la
charité.
[11440] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 5 5. De même que par la charité l’homme obtient
Praeterea, sicut per caritatem homo adipiscitur sa récompense, de même fuit-il aussi la peine.
praemium, ita etiam fugit poenam. Sed caritas Or, la charité rejette la crainte de la peine,
expellit timorem poenae, maxime si sit perfecta. surtout si elle est parfaite. Il semble donc qu’elle
Ergo videtur quod etiam excludit intuitum exclue aussi la considération de la récompense.
mercedis.
[11441] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] comme il est dit dans la Glose
Sed contra, sicut dicitur in Glossa Matth. 1, spes sur Mt 1, « l’espérance engendre la charité ». Or,
generat caritatem. Sed spes est expectatio l’espérance est l’attente d’une récompense. La
mercedis. Ergo caritas potest esse cum intuitu charité peut donc comporter la considération
mercedis. d’une récompense.
[11442] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] En He 11, il est dit des saints pères qu’ils
905

Praeterea, Hebr. 11, dicitur de sanctis patribus, regardaient vers la récompense. Or, il est clair
quod aspiciebant in remunerationem. Sed constat que ceux-ci aimaient Dieu par charité. L’amour
quod ipsi diligebant Deum ex caritate. Ergo de Dieu par charité est donc compatible avec une
dilectio Dei ex caritate compatitur intuitum considération de la récompense.
mercedis.
[11443] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] Il est propre aux amis de chercher à se réjouir
Praeterea, amicorum est quod quaerant invicem les uns des autres. Or, notre récompense n’est
perfrui. Sed nihil aliud est merces nostra quam rien d’autre que de jouir de Dieu en le voyant.
perfrui Deo, videndo ipsum. Ergo caritas non Donc, non seulement la charité n’exclut pas,
solum non excludit, sed etiam facit habere oculum mais elle fait en sorte qu’on ait à l’œil la
ad mercedem. récompense.
[11444] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 co. Réponse. Au sens propre, on appelle
Respondeo dicendum, quod merces proprie dicitur récompense la rétribution que quelqu’un mérite
praemium quod quis ex labore vel aliquo opere pour un travail ou pour une action. Or, la
meretur. Praemium autem est quod alicui in rétribution est ce qui est rendu à quelqu’un pour
bonum ejus redditur; unde merces, inquantum son bien. En tant que telle, la récompense
hujusmodi, importat aliquid referibile per amorem comporte donc quelque chose qui peut être mis
ad id cui merces redditur: mercedem enim aliquis en rapport par l’amour avec celui à qui la
propter seipsum amat. Non tamen est de ratione récompense est donnée : en effet, on aime la
mercedis quod sit intentionis finis: quia récompense pour soi-même. Cependant, il n’est
plerumque aliquis mercedem ex opere non pas de la raison de récompense qu’elle fasse
quaerit, cui merces datur. Ea autem quae propter partie de l’intention de la fin, car, la plupart du
se aliquis diligit, vel sunt perfectiones illius temps, celui à qui la récompense est donnée ne
formaliter, sicut sanitas, virtus, operatio, dilectio, cherche pas de récompense de l’action pour
et hujusmodi; vel sunt effectiva vel conservativa laquelle une récompense est donnée. Or, les
horum, aut contrariorum prohibitiva. Unde si choses que quelqu’un aime pour elles-mêmes
aliquis amat aliquid extra se propter seipsum, illud sont soit des perfections de lui-même au sens
potest dici merces, inquantum ex eo aliquid in formel, tels la santé, la vertu, l’opération,
ipso relinquitur vel conservatur. Sed, sicut supra l’amour et les choses de ce genre, soit des
dictum est, de ratione amicitiae est quod amicus réalités qui les perfectionnent ou les conservent,
sui gratia diligatur; unde amicus non habet in ou empêchent leurs contraires. Si quelqu’un
amicitia rationem mercedis, proprie loquendo, aime pour lui-même quelque chose qui lui est
quamvis ea quae ex amico in nobis fiunt, rationem extérieur, cela peut être appelé une récompense
mercedis habere possint, sicut delectationes, et pour autant que quelque chose en est laissé ou
utilitates quas ex ipso amans consequitur, ratione conservé en lui. Mais, comme on l’a dit plus
quarum ipse amicus merces dicitur quasi haut, il est de la raison de l’amitié qu’un ami soit
causaliter, sicut dicitur Deus merces nostra ratione aimé pour lui-même ; l’ami n’a donc pas dans
eorum quae ex ipso in nobis sunt. Patet ergo quod l’amitié raison de récompense au sens propre,
ponere mercedem aliquam finem amoris ex parte bien que ce qui est réalisé par l’ami en nous
amati, est contra rationem amicitiae. Unde caritas puisse avoir raison de récompense, comme les
per hunc modum oculum ad mercedem habere plaisirs et les services que celui qui aime reçoit
non potest: hoc enim esset Deum non ponere de lui, et en raison desquels l’ami lui-même peut
ultimum finem, sed bona quae ex ipso être appelé une récompense pour ainsi dire à la
consequitur. Sed ponere mercedem esse finem manière d’une cause ; Dieu est ainsi appelé notre
amoris ex parte amantis, non tamen ultimum, récompense en raison de ce qui vient de lui en
prout scilicet ipse amor est quaedam operatio nous. Il est donc clair qu’affirmer qu’une
amantis, non est contra rationem amicitiae: quia récompense est la fin de l’amour du point de vue
ipsa amoris operatio cum sit quoddam accidens, de celui qui est aimé est contraire à la notion
non dicitur amari nisi propter suum subjectum, ut d’amitié. La charité ne peut donc prendre en
ex dictis patet: et inter ea quae propter se aliquis compte de cette manière la récompense : en
906

diligit, potest esse ordo, salva amicitia; unde et effet, cela reviendrait à ne pas faire de Dieu la
ipsam operationem amoris possum amare, non fin ultime, mais les biens qu’on reçoit de lui.
obstante amicitia, propter aliquid aliud. Erit tamenMais affirmer que la récompense est une fin de
contra rationem virtutis, si virtutis operatio l’amour du point de vue de celui qui aime, mais
propter aliquid aliud virtute inferius, cujusmodi non sa fin ultime, en tant que l’amour lui-même
sunt temporalia bona, diligatur. Patet ergo quod est une action de celui qui aime n’est pas
habens caritatem non potest habere oculum ad contraire à la notion d’amitié : en effet, on ne dit
mercedem, ut ponat aliquid quodcumque finem pas que l’opération même de l’amour, étant un
amati, scilicet Dei (hoc enim esset contra accident, n’est aimée qu’en raison de son sujet,
rationem caritatis, ut est amicitia quaedam), nec comme cela ressort de ce qui a été dit ; et parmi
iterum ut ponat aliquod bonum temporale finem ce que quelqu’un aime pour soi, il peut exister
ipsius amoris; quia hoc est contra rationem un ordre, tout en préservant l’amitié. Je peux
caritatis, ut est virtus: potest tamen habere oculumdonc aimer l’opération même de l’amour pour
ad mercedem, ut ponat beatitudinem creatam quelque chose d’autre, nonobstant l’amitié. Elle
finem amoris, non autem finem amati: hoc enim sera cependant contraire à la notion de vertu si
neque est contra rationem amicitiae, neque contra l’opération de la vertu est aimée pour quelque
rationem virtutis, cum beatitudo virtutum sit finis.chose d’autre qui est inférieur à la vertu, comme
c’est le cas pour les biens temporels. Il est donc
clair que celui qui a la charité ne peut prendre en
considération la récompense de telle sorte qu’il
fasse de n’importe quoi la fin de ce qui est aimé,
à savoir, Dieu (en effet, cela serait contraire à la
notion de charité pour autant qu’elle est une
amitié), ni qu’il fasse d’un bien temporel la fin
de l’amour lui-même, car cela est contraire à la
notion de charité en tant qu’elle est une vertu. Il
peut cependant prendre en considération la
récompense en faisant de la béatitude créée la fin
de l’amour, mais non la fin de ce qui est aimé :
en effet, cela n’est pas contraire à la notion
d’amitié, ni contraire à la notion de vertu,
puisque la béatitude est la fin des vertus.
[11445] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. On parle là du mercenaire qui exerce une
primum ergo dicendum, quod mercenarius ibi action spirituelle pour une récompense
dicitur qui opus spirituale propter mercedem temporelle.
temporalem exercet.
[11446] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Il faut servir sans égard à la récompense, de
secundum dicendum, quod sine intuitu praemii telle sorte que la récompense ne soit pas établie
serviendum est, ita quod praemium non ponatur comme fin de ce qui est aimé et qui est servi,
finis ejus quod amatur et cui servitur, sed quod mais qu’elle soit établie comme la fin du service
ponatur finis ipsius servitii vel amoris. lui-même ou de l’amour.
[11447] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. L’amitié ne porte pas sur les plaisirs et les
tertium dicendum, quod amicitia non respicit services des amis comme sur la fin pour laquelle
delectationes et utilitates amicorum quasi finem, l’ami aime.
propter quem amicus amat.
[11448] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. La réponse au quatrième argument ressort de
quartum patet solutio per ea quae dicta sunt in ce qui a été dit dans le corps.
corp.
[11449] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Le bien sur lequel porte l’espérance est plus en
quintum dicendum, quod bonum de quo est spes, accord avec l’amour que le mal sur lequel porte
907

magis est consonum amori quam malum de quo la crainte. C’est pourquoi, bien que la charité
est timor; et ideo quamvis perfecta caritas foras parfaite rejette la crainte de la peine, il n’est
mittat timorem poenae, non tamen oportet quod cependant pas nécessaire qu’elle rejette la
foras mittat intuitum mercedis. considération de la récompense.
Articulus 5 [11450] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 5 – L’homme doit-il s’aimer lui-même
a. 5 tit. Utrum homo magis debeat seipsum ex par charité davantage que son prochain ?
caritate diligere quam proximum
[11451] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 1 1. Il semble que l’homme ne doive pas s’aimer
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod homo ex lui-même par charité davantage que son
caritate non debeat seipsum magis quam prochain. En effet, ce pour quoi quelque chose
proximum diligere. Illud enim propter quod aliud est délaissé est davantage aimé. Or, la charité fait
relinquitur, magis amatur. Sed caritas facit en sorte que l’homme se délaisse d’une certaine
hominem seipsum relinquere quodammodo, et manière pour s’attacher à celui qui est aimé, car
amato inhaerere: quia Dionysius dicit, quod amor Denys dit que « l’amour fait sortir l’homme de
ponit hominem extra se, et collocat eum in amato. lui-même et le situe dans l’être aimé ». Il aime
Ergo plus amat amicum quam se. donc davantage son ami que lui-même.
[11452] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 2 2. Nous aimons Dieu plus que nous-mêmes pour
Praeterea, Deum magis quam nos ipsos diligimus, autant que notre bien se trouve plus parfaitement
inquantum bonum nostrum perfectius in eo quam en lui qu’en nous. Or, il se trouve de même plus
in nobis invenitur. Sed similiter perfectius parfaitement dans l’un de nos proches qu’en
invenitur in aliquo proximorum quam in nobis: nous, car ils possèdent plus parfaitement les
quia bona quae nos habemus, perfectius habent. biens que nous avons. Nous devons donc aimer
Ergo debemus magis proximum quam nos ipsos davantage le prochain que nous-mêmes.
diligere.
[11453] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 3 3. Ce que quelqu’un aime le plus en lui-même,
Praeterea, illud quod aliquis maxime in seipso c’est vivre et être. Or, la charité fait donner sa
diligit, est vivere, et esse. Sed caritas facit ponere vie corporelle pour ses frères : en effet, certains
vitam corporalem pro fratribus: quidam enim païens se sont exposés à la mort par amour de
gentiles pro amore amicorum se morti leurs amis, sans espérance de la vie éternelle.
exposuerunt sine aliqua spe vitae aeternae. Ergo L’amitié et la charité font donc aimer le prochain
amicitia et caritas facit magis diligere proximum davantage que soi-même.
quam seipsum.
[11454] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 4 4. Nous aimons davantage ceux à qui nous
Praeterea, illos magis diligimus quorum bona souhaitons davantage de biens et à qui nous
magis optamus, et mala magis vitamus. Sed, sicut évitons davantage de maux. Or, comme le dit le
dicit philosophus in 9 Ethicor., in tristitia amicos Philosophe dans Éthique, IX, « dans la tristesse,
tarde vocandum, ad eorum autem tristitias il faut tarder à faire appel aux amis, mais il faut
prompte eundum; in laetitiis autem e converso, aller promptement vers leurs tristesses ; mais
quia eos prompte vocandum, difficulter ad eorum c’est le contraire pour la joie : il faut alors les
laetitiam se ingerendum. Ergo caritas facit magis appeler rapidement, mais s’immiscer
amare proximos quam seipsos. difficilement dans leur joie ». La charité fait
donc aimer le prochain davantage que soi-même.
[11455] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 5 5. La bienfaisance est l’effet de la charité. Or, on
Praeterea, beneficentia est effectus caritatis. Sed loue davantage ceux qui sont bienfaisants envers
magis laudantur qui sunt benefici ad amicos quam leurs amis que ceux qui sont bienfaisants envers
qui sunt benefici ad seipsos. Ergo caritas facit eux-mêmes. La charité fait donc aimer le
magis amare proximos quam seipsum. prochain davantage que soi-même.
[11456] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 arg. 6 6. L’amitié fait que l’homme se réjouit de la
Praeterea, amicitia facit hominem gaudere de fréquentation de ses amis. Or, l’homme se réjouit
conversatione cum amicis. Sed homo magis davantage de la fréquentation de ses amis que de
908

delectatur de conversatione ad amicos quam de la fréquentation de soi-même. Il aime donc


conversatione sui ad seipsum. Ergo plus amicos et davantage ses amis et ses proches plus que lui-
proximos quam seipsum diligit. même.
[11457] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] plus on aime le salut de
Sed contra, quanto quis amat salutem alicujus, quelqu’un, plus on évite son péché. Or, on doit
tanto vitat peccatum ejus. Sed homo magis debet davantage éviter son propre péché que le péché
vitare peccatum suum quam peccatum alterius. d’un autre. On doit donc davantage aimer sa
Ergo magis debet amare vitam suam quam propre vie que le salut d’un autre.
salutem alterius.
[11458] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 2 [2] La miséricorde est causée par l’amour. Or,
Praeterea, misericordia ex amore causatur. Sed « l’homme doit commencer par avoir pitié de
homo debet incipere misereri a seipso, secundum lui-même », selon ce que dit Augustin. Il doit
quod dicit Augustinus. Ergo et a seipso debet donc commencer par s’aimer lui-même.
incipere amorem.
[11459] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 s. c. 3 [3] Ce qui est naturel est plus impétueux que ce
Praeterea, illud quod est naturale, vehementius est qui est seulement volontaire. Or, l’amour de soi
quam illud quod est voluntarium tantum. Sed vient de l’inclination de la nature, mais l’amour
amor sui est ex inclinatione naturae; amor autem des autres vient de la volonté de la raison
aliorum est ex voluntate rationis tantum. Ergo ex seulement. L’homme s’aime donc davantage que
caritate homo plus seipsum quam alios diligit. les autres.
[11460] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 co. Réponse. De même qu’une se trouve plus
Respondeo dicendum, quod sicut aliquid invenitur parfaitement dans la cause parfaite d’un effet
perfectius in causa perfecta in universali quam in universel que d’un effet particulier, de même une
effectu particulari; ita aliquid perfectius invenitur chose se trouve-t-elle plus parfaitement dans une
in re quam in sui similitudine; unde cum bonum réalité que dans sa ressemblance. Puisque le bien
proprium alicujus inveniatur in Deo sicut in causa propre de quelqu’un se trouve en Dieu comme
universali, in se autem sicut in effectu, in proximo dans la cause universelle, en lui comme dans son
autem sicut in similitudine; sicut Deum plus quam effet, mais dans le prochain comme dans une
seipsum diligere debet benevolentiae dilectione, similitude : de même qu’il doit aimer Dieu plus
ita etiam plus se quam proximum. Sed sciendum, que lui-même d’un amour de bienveillance, de
quod cum in homine sit duplex natura, scilicet même aussi [doit-il s’aimer plus] que le
interior, videlicet rationis, quae dicitur homo prochain. Mais il faut savoir que, l’homme
interior; et exterior, scilicet natura sensualis, quae existant dans une double nature : intérieure, celle
dicitur homo exterior: plus homo debet diligere se de la raison, qu’on appelle l’homme intérieur, et
quantum ad naturam interiorem quam quantum ad extérieure, celle de la nature sensible, qu’on
naturam exteriorem; et ideo ea quae sunt bona appelle l’homme extérieur, l’homme doit s’aimer
naturae interioris, plus debet optare quam ea quae davantage pour sa nature intérieure que pour sa
sunt bona sibi secundum naturam exteriorem. nature extérieure. C’est pourquoi il doit souhaiter
Omnia autem opera virtutis sunt sibi bona davantage les biens qui se rapportent à sa nature
secundum interiorem naturam, inter quae etiam intérieure que ceux qui se rapportent à sa nature
sunt illa quae quis ad amicum operatur; et ideo extérieure. Or, tous les actes de vertu sont pour
plura bona exteriora sunt impendenda amicis lui des biens qui se rapportent à sa nature
quam nobis ipsis, inquantum consistit in hoc intérieure, et parmi eux, se trouvent ceux que
bonum virtutis, quod est nostrum maximum l’homme pose envers un ami. C’est pourquoi
bonum; sed de bonis spiritualibus semper plus davantage de biens extérieurs doivent être
nobis quam amicis impendere debemus et velle, et donnés aux amis qu’à nous-mêmes, pour autant
similiter etiam de malis vitandis. que le bien de la vertu consiste en cela, ce qui est
notre plus grand bien ; mais nous devons
toujours nous donner et vouloir plus de biens
spirituels qu’aux amis, et de même en est-il aussi
909

pour les maux à éviter.


[11461] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. Dans l’amour, celui qui est aimé est, en tant
primum ergo dicendum, quod in amore amatum, qu’aimé, préfér à celui qui aime, en tant qu’il
ut amatum, potius est quam amans ut amans. Sed aime. Mais parce que celui qui aime est aussi
quia, ut amans est etiam amatum a seipso; ideo aimé de lui-même, il peut donc être préféré dans
potius potest esse in amore, inquantum est l’amour, en tant qu’aimé, plutôt que quelque
amatum, quam amatum extrinsecum, et magis chose d’extérieur qui est aimé, et la disposition
collocatur in ipso affectus amantis quam in affective de celui qui aime se situe plutôt en lui
exteriori amato. que dans quelque chose d’extérieur qui est aimé.
[11462] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. Bien que le bien que je possède puisse se
secundum dicendum, quod quamvis bonum quod trouver chez le prochain de manière plus parfaite
ego habeo, possit in proximo perfectius inveniri qu’en moi-même, il se trouve cependant toujours
quam in meipso, tamen in me semper invenitur chez moi de manière plus parfaite en tant qu’il
perfectius ut proprium: quia bonum quod est in est propre, car le bien qui se trouve chez lui n’est
ipso, non est meum nisi per similitudinem. mien que par ressemblance. Mais le bien qui se
Bonum autem quod est in Deo, est meum etiam trouve en Dieu est mien. même selon sa cause.
secundum causam.
[11463] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. Se livrer à la mort pour un ami est un acte
tertium dicendum, quod tradere seipsum morti vertueux très parfait. Celui qui est vertueux
propter amicum, est perfectissimus actus virtutis; désire donc davantage cet acte que sa propre vie
unde hunc actum magis appetit virtuosus quam corporelle. Le fait que quelqu’un expose sa
vitam propriam corporalem. Unde quod aliquis propre vie corporelle pour un ami ne vient donc
vitam propriam corporalem propter amicum ponit, pas de ce que quelqu’un aime davantage son ami
non contingit ex hoc quod aliquis plus amicum que lui-même, mais du fait qu’il aime davantage
quam seipsum diligat; sed quia in se plus diligit en lui-même le bien de la vertu qu’un bien
quis bonum virtutis quam bonum corporale. corporel.
[11464] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. Par le fait même que quelqu’un ne veut pas
quartum dicendum, quod in hoc ipso quod homo être à charge à son ami en lui communiquant ses
non vult esse onerosus amico, tristitias suas tristesses, mais lui être plutôt bienfaisant et
communicando eidem, sed magis beneficus et agréable, il agit selon la vertu. Et ainsi, il se
delectabilis, secundum virtutem operatur; et ita donne davantage un bien spirituel qu’à son ami.
spirituale bonum plus sibi quam amico tribuit.
[11465] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 5 Ad 5. Nous nous donnons plus de biens spirituels
quintum dicendum, quod de bonis spiritualibus qu’à nos amis ; mais [nous donnons] plus de
magis nobis impendimus quam amicis; de biens corporels à nos amis qu’à nous-mêmes
corporalibus autem magis amicis quam nobis, pour la raison déjà donnée dans le corps [de
ratione jam dicta in corp. l’article].
[11466] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 5 ad 6 Ad 6. La fréquentation de nos amis nous est agréable
sextum dicendum, quod conversatio cum amicis dans la mesure où nous connaissons leur bien,
est nobis delectabilis, inquantum cognoscimus qui nous réjouit comme s’il était le nôtre. Et
bonum ipsorum, quod nobis quasi nostrum parce que les choses sont mieux connues par la
complacet. Et quia per visum melius vue que par un autre sens, les amis désirent
cognoscuntur res quam per alium sensum; ideo davantage se voir. Et parce que quelqu’un peut
amici magis se videre desiderant; et quia magis mieux connaîttre ce qui concerne un autre que ce
potest homo cognoscere quae sunt alterius quam qui le concerne lui-même, il se réjouit davantage
quae propria, ideo magis delectatur in dans la fréquentation de l’ami que dans la sienne
conversando ad amicum quam etiam ad seipsum: propre, bien que celui qui est vertueux se
quamvis virtuosus ad seipsum delectabiliter fréquente avec plaisir, dans la mesure où il
conversetur, inquantum in seipso considerat considère en lui-même la mémoire, le propos et
memoriam, et propositum, et spem bonorum, quae l’espérance de biens, ce qui contribue à son
910

ei delectationem ingerunt, ut dicitur in 9 Ethic. plaisir, comme on le dit dans Éthique, IX.

Articulus 6 [11467] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 6 – L’homme doit-il aimer davantage
a. 6 tit. Utrum homo debeat magis ex caritate par charité les étrangers que ses proches ?
diligere extraneos quam propinquos
[11468] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 1 1. Il semble que l’homme doive aimer davantage
Ad sextum sic proceditur. Videtur quod homo ex par charité les étrangers que ses proches. En
caritate magis debeat diligere extraneos quam effet, la charité, comme l’amitié, a comme
propinquos. Caritas enim, sicut et amicitia, fondement ce qui est bon. Or, une plus grande
fundamentum habet honestum. Sed major bonté ou vertu se trouve parfois chez les
honestas vel virtus invenitur quandoque in étrangers que chez les proches. Les étrangers
extraneis quam propinquis. Ergo magis sunt doivent donc être aimés davantage par charité
diligendi ex caritate extranei quam propinqui. que les proches.
[11469] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 2 2. La charité rend l’homme conforme à Dieu. Or,
Praeterea, caritas facit conformitatem hominis ad Dieu aime davantage ceux qui nous sont
Deum. Sed Deus plus diligit extraneos nostros étrangers que nos proches, s’ils sont meilleurs.
quam propinquos, si sunt meliores. Ergo et nos Nous devons donc nous-mêmes les aimer
magis eos diligere debemus. davantage.
[11470] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 3 3. L’effet correspond à la disposition affective.
Praeterea, effectus respondet affectui. Sed in Or, pour certaines choses, nous devons
aliquibus debemus majorem affectum amoris manifester davantage aux étrangers une
ostendere ad extraneos quam ad propinquos, sicut disposition d’amour qu’à nos proches, comme
in collatione beneficiorum ecclesiasticorum, si c’est le cas pour la collation des bénéfices
extranei meliores sint. Ergo magis sunt diligendi ecclésiastiques, si les étrangers sont meilleurs.
etiam ex affectu quandoque extranei quam Par disposition affective, les étrangers doivent
propinqui. donc être aimés davantage que les proches.
[11471] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 4 4. La concorde fait partie de la charité et est
Praeterea, concordia in caritate importatur, et ex réalisée par la charité. Or, parfois, il faut être
caritate efficitur. Sed aliquando magis davantage d’accord avec des étrangers qu’avec
concordandum est extraneis quam propinquis, nos proches ; ainsi, à la guerre, il faut plutôt
sicut in bellis magis obediendum est duci obéir au chef de l’armée qu’à son père. Les
exercitus quam patri. Ergo magis sunt diligendi étrangers doivent donc davantage être aimés que
extranei quam propinqui. les proches.
[11472] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 arg. 5 5. Ce qui est dû doit l’emporter sur ce qui n’est
Praeterea, illud quod est debitum praeponendum pas dû. Or, rendre la récompense de bienfaits est
est ei quod non est debitum. Sed reddere quelue chose de dû ; mais faire du bien au
retributionem beneficiorum est debitum; prochain parfois n’est pas dû. Il faut donc faire
benefacere autem propinquis non est debitum du bien plutôt aux étrangers qu’aux proches, de
quandoque. Ergo magis benefaciendum est sorte que, au moins pour ce qui est de l’effet de
extraneis quam propinquis; et ita, ad minus l’amitié, les étrangers doivent l’emporter sur les
quantum ad effectum amicitiae, extranei proches.
propinquis proponendi sunt.
[11473] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 1 Cependant, [1] Ga 6, 10 dit : Faisons du bien à
Sed contra, Galat. 6, 10: operemur bonum ad tous, mais surtout à ceux qui sont proches par la
omnes, maxime autem ad domesticos fidei. Ergo foi. Les proches doivent donc l’emporter sur les
propinqui praeferendi sunt extraneis. étrangers.
[11474] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 2 [2] Il est dit en 1 Tm 5, 8 : Celui qui ne prend
Praeterea, 1 Timoth. 5, 8, dicitur: qui suorum, et pas soin des siens, et surtout de ses proches,
maxime domesticorum, curam non habet, fidem renie la foi et est pire que l’incroyant. Il faut
negavit, et est infideli deterior. Ergo magis donc prendre davantage soin des proches que des
911

habenda est cura propinquorum quam aliorum. autres.


[11475] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 s. c. 3 [3] L’homme doit s’aimer lui-même davantage
Praeterea, magis homo debet seipsum diligere que les autres. Plus certains lui sont proches,
quam alios. Ergo quanto aliqui sunt sibi magis plus donc doit-il les aimer.
propinqui, magis debet eos diligere.
[11476] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 co. Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in l’article précédent, nous aimons nos proches
corp. praeced. art., proximos diligimus, pour autant que nous trouvons en eux notre bien
inquantum in eis bonum nostrum per par une ressemblance, si l’on parle de l’amour de
similitudinem invenitur, loquendo de amore bienveillance. Or, cette ressemblance se prend de
benevolentiae. Haec autem similitudo attenditur ce que nous avons en commun avec eux. Aussi,
secundum quod cum eis communicamus: unde et selon les diverses choses que nous avons en
secundum diversas communicationes, diversas commun, le Philosophe distingue-t-il diverses
amicitias philosophus distinguit. Est enim amitiés. En effet, il existe assurément une nature
communicatio alia quidem naturalis, secundum commune, selon laquelle certains ont en
quod in naturali origine aliqui communicant; et in commun une origine naturelle ; l’amitié entre le
ista communicatione fundatur amicitia patris et père et le fils et les autres consanguins se fonde
filii, et aliorum consanguineorum. Alia vero donc sur ce partage. Mais un autre partage est
communicatio est oeconomica, secundum quam économique : selon lui, les hommes ont en
homines sibi in domesticis officiis communicant. commun les fonctions domestiques. Un autre
Alia vero communicatio est politica, secundum partage est politique, selon lequel les hommes
quam homines ad concives suos communicant. partagent avec leurs concitoyens. Un quatrième
Quarta communicatio est divina, secundum quam partage est divin, selon lequel tous les hommes
omnes homines communicant in uno corpore sont en communion dans un seul corps de
Ecclesiae vel actu vel potentia; et haec est l’Église, en acte ou en puissance : telle est
amicitia caritatis, quae habetur ad omnes, etiam l’amitié de la charité, qui s’adresse à tous, même
ad inimicos. Quia ergo caritas benevolentiam aux ennemis. Donc, parce que la charité
importat, quae amicis bona optat, et operatur comporte une bienveillance qui souhaite des
bonum ad ipsos; ideo secundum unamquamque biens aux amis et leur fait du bien, les amis
praedictarum amicitiarum amandi sunt amici doivent être aimés selon chacune des amitiés
quantum ad bona pertinentia ad mentionnées pour ce qui est des biens qui se
communicationem illam super quam amicitia rapportent au partage sur lequel l’amitié est
fundatur; unde ad patrem et consanguineos fondée. Aussi devons-nous nous comporter de
amicabiliter nos habere debemus in eis quae ad manière amicale envers notre père et nos
conservationem naturae pertinent; et ad consanguins pour ce qui se rapporte à la
domesticos in his quae ad dispensationem domus conservation de la nature ; envers les familiers,
pertinent; ad concives in his quae ad civilem pour ce qui se rapporte à l’administration du
vitam spectant, sicut est simul conversari, et ménage ; envers nos concitoyens, pour ce qui
morari in operibus civilibus; ad omnes autem concerne la vie civile, comme vivre ensemble et
homines in his quae ad Deum spectant, ut accorder du temps aux actions civiles ; mais
omnibus optemus vitam aeternam, et operemur ad envers tous les hommes, pour ce qui concerne
salutem ipsorum secundum modum nostrum. Dieu, afin de souhaiter à tous la vie éternelle et
Tamen, simpliciter loquendo, secundum illam d’agir pour leur salut à notre mesure. Cependant,
amicitiam major debet esse dilectio, quae magis à parler simplement, selon cette amitié, l’amour
accedit ad id quod magis diligendum est. Maxime qui s’approche davantage de ce qui doit être
autem diligendus est Deus: et post hoc maxime davantage aimé doit être plus grand. Or, Dieu
debet homo seipsum diligere, ut dictum est. Et doit être aimé au plus haut point et, après cela,
quia ultima dictarum amicitiarum, scilicet caritas, l’homme doit s’aimer lui-même au plus haut
magis appropinquat ad dilectionem Dei; ideo si ab point, comme on l’a dit. Et parce que la dernière
illa priores amicitiae separentur, potior simpliciter de ces amitiés, la charité, se rapproche davantage
912

esset ipsa sine aliis, quam aliae sine ipsa. Non de l’amour de Dieu, si les amitiés antérieures en
autem separantur quantum ad aliquem qui in hac sont séparées, elle serait tout simplement
vita vivat; sed post mortem separantur ab amicitia meilleure sans les autres que les autres sans elle.
caritatis damnati. Unde plus debeo diligere Or, elles n’en sont pas séparées dans le cas de
hominem Christianum quam patrem meum quelqu’un qui est encore dans la vie présente ;
infidelem defunctum, simpliciter loquendo; mais les damnés sont séparés de l’amitié de la
quamvis liceat secundum affectum naturalem in charité après la mort. À parler simplement, je
illud magis ferri quod magis secundum naturam dois donc aimer davantage un chrétien que mon
nobis conjunctum est. Prima amicitia magis père mort incroyant, bien que, selon une
proxima est ei qua aliquis seipsum diligit, quam disposition affective naturelle, nous puissions
secunda; et secunda quam tertia; et tertia être davantage portés vers ce qui nous est
simpliciter quam quarta tantum. Et ideo davantage uni selon la nature. La première amitié
Ambrosius (super illud Cantic. cap. 2: ordinavit in se rapproche plus de celle par laquelle on s’aime
me caritatem) hunc ordinem dilectionis ponit, ut soi-même que la deuxième, la deuxième que la
primo diligantur consanguinei, ad quos habetur troisième, et la troisième que la quatrième, à
prima amicitia: secundo domestici, ad quos parler simplement seulement. C’est pourquoi
habetur secunda, quantum ad illos qui nobiscum Ambroise (en commentant Ct 2 : Il a ordonné en
in domo conversantur; et tertia quantum ad illos moi la charité) donne cet ordre de l’amour : que
qui nobis in civilibus et honestis actibus d’abord soient aimés les consanguins, à qui
familiares sunt: tertio inimici, ad quos solum s’adresse la première amitié ; deuxièmement, les
quarta amicitia habetur; et hoc intelligendum est familiers, à qui s’adressent la deuxième, pour ce
simpliciter loquendo. Sed secundum quid potest qui est de ceux qui vivent avec nous, et la
ordo iste mutari, ut scilicet magis amicabiliter me troisième, envers ceux qui sont pour nous des
habeam ad familiarem qui mihi convenit in familiers quant aux actes civils et honnêtes ;
operibus honestis quantum ad societatem in istis, troisièmement, les ennemis, à qui seulement
quam ad patrem qui in istis non communicat; et s’adresse la quatrième amitié ; et cela doit
sic est intelligendum de aliis. s’entendre à parler simplement seulement. Mais
cet ordre peut être changé sous un aspect : par
exemple, je me comporterai plus amicalemeent
avec un familier qui a commun avec moi des
actes honnêtes, pour ce qui est de leur partage,
qu’avec mon père qui n’a pas ces choses en
commun [avec moi]. Et ainsi faut-il l’entendre
pour les autres.
[11477] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 1 Ad 1. L’amitié politique a comme fondement le
primum ergo dicendum, quod amicitia politica partage d’actions honnêtes dans lequel certains
fundamentum habet communicationem in honestis se retrouvent ; mais l’amitié naturelle a comme
operibus in quibus simul aliqui conversantur; sed fondement l’échange naturel, et cet échange est
amicitia naturalis habet fundamentum plus rapproché de celui par lequel l’homme
communicationem naturalem; et haec échange avec lui-même. Ainsi, de même que
communicatio propinquior est illi qua homo sibi l’homme doit simplement s’aimer lui-même
communicat. Unde sicut homo simpliciter se davantage qu’un autre bien, pour ce qui est de sa
ipsum debet magis diligere quo ad naturam, nature, même s’il est méchant, de même aussi
etiamsi malus sit, quam alium bonum; ita etiam doit-il, à parler simplement, aimer davantage la
naturam patris sui magis diligere debet, nature de son père qu’un autre bien, non pas
simpliciter loquendo quam alium bonum; non assurément en tant qu’il est méchant, mais afin
quidem inquantum malus, sed ad hoc ut bonus sit. qu’il soit bon.
[11478] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 2 Ad 2. Nous nous conformons à Dieu par le fait que
secundum dicendum, quod in hoc Deo nous aimons davantage ceux qui ont des rapports
conformamur quod diligimus eos magis qui avec nous, comme lui-même aime davantage
913

nobiscum magis communicant, sicut et ipse eos ceux qui ont davantage de rapports avec lui, bien
qui secum magis communicant, magis diligit: que ce ne soit pas les mêmes qui soient en
quamvis non sint iidem qui nobiscum et cum eo rapport avec nous et avec lui.
magis communicant.
[11479] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 3 Ad 3. Dans ce qui ne concerne pas les rapports
tertium dicendum, quod in illis quae non pertinent naturels que nous avons avec notre père et nos
ad communicationem naturalem quam cum patre consanguins, il n’est pas nécessaire que nous
vel consanguineis habemus, non oportet quod fassions plus de bien à nos consanguins, mais à
magis consanguineis benefaciamus, sed illis qui ceux qui nous sont davantage unis selon les
magis conjuncti sunt nobis secundum illam rapports que concernent ces biens. C’est
communicationem ad quam illa bona pertinent; et pourquoi les bénéfices ecclésiastiques ne doivent
ideo beneficia ecclesiastica non sunt danda magis pas être donnés plutôt aux consanguins, mais à
consanguineis, sed eis qui magis sunt idonei ad ceux qui sont plus aptes au gouvernement de
regimen Ecclesiae: quia illi, quantum ad hoc quod l’Église, car ceux-ci ont davantage de rapports
dispensatores divinorum sumus, magis nobiscum avec nous pour autant que nous sommes les
communicant. Sed de patrimonio proprio, et de dispensateurs des réalités divines. Mais un
his quae homo proprio et licito lucro acquirit, homme peut et doit faire bénéficier ses
potest benefacere consanguineis potius quam aliis, consanguins plutôt que d’autres de son
et debet, nisi ex alia parte sit aliquid quod patrimoine propre et de ce qu’il acquiert par un
praeponderet, ut indigentia, vel utilitas. gain légitime, à moins qu’il n’y ait par ailleurs
quelque chose qui l’emporte, comme l’indigence
ou l’utilité.
[11480] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 4 Ad 4. La solution ressort de ce qui a déjà été dit, car
quartum patet solutio per jam dicta: quia ad nous devons avoir pour chacun une attitude plus
unumquemque magis amicabiliter nos debemus amicale en ce qui concerne ces rapports, selon
habere in eis quae ad communicationem illam qu’ils nous sont unis par l’amitié.
pertinent, secundum quod amicitia nobis
junguntur.
[11481] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 6 ad 5 Ad 5. Pour ce qui se rapporte à la conservation de la
quintum dicendum, quod in his quae ad nature, nous sommes davantage redevables à nos
conservationem naturae pertinent, magis sumus parents, dont nous avons reçu notre nature, qu’à
debitores parentibus, a quibus naturam accepimus, d’autres, et, en conséquence, à nos consanguins.
quam aliquibus aliis; et consanguineis C’est pourquoi nous devons libérer notre père de
consequenter; et ideo magis liberare debemus la mort plutôt qu’un étranger, même si celui-ci
patrem a morte quam extraneum, etiam si ille nos nous avait libérés dans une situation semblable.
in casu simili liberasset. Sed in aliis beneficiis Mais, pour les autres bienfaits, nous pouvons
possumus nos quandoque magis amicabiliter parfois nous comporter de manière plus amicale
habere ad extraneos quam ad propinquos. envers des étrangers qu’envers nos proches.

Articulus 7 [11482] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 7 – Le père doit-il être préféré aux fils
a. 7 tit. Utrum pater sit maxime diligendus, vel ou aux bienfaiteurs ? Doit-on s’aimer
filii, vel benefactores; vel seipsum debeat diligere, davantage que son épouse, ses frères ou sa
vel uxorem, vel fratres, vel matrem mère ?
[11483] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 1 1. Il semble que le père ne doive pas être le plus
Ad septimum sic proceditur. Videtur quod pater aimé. En effet, l’effet répond à la disposition
non sit maxime diligendus. Effectus enim affectui affective et la manifeste. Or, nous devons plutôt
respondet, et ipsum demonstrat. Sed magis manifester l’effet de l’amour aux fils qu’aux
ostendere debemus effectum amoris filiis quam pères. En effet, les fils ne doivent pas thésauriser
patribus: non enim filii debent parentibus pour leurs parents, mais c’est le contraire,
thesaurizare, sed e converso, 2 Corinth., cap. 12. 2 Co 12. Les fils doivent donc être davantage
914

Ergo filii magis amandi sunt quam parentes. aimés que les parents.
[11484] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 2 2. L’ordre de la charité ne s’oppose pas à l’ordre
Praeterea, caritatis ordo naturae ordini non de la nature, puisque la charité ne détruit pas la
repugnat, cum caritas naturam non destruat, sed nature, mais la perfectionne. Or, l’homme aime
perficiat. Sed naturaliter homo plus diligit filium naturellement davantage son fils que son père, de
quam patrem; sicut etiam naturaliter plus diligit même aussi qu’il aime davantage celui à qui il a
beneficiatum, quam e converso, inquantum fait du bien que l’inverse, du fait que son propre
relucet in eo suum bonum magis, ut dicitur in 9 bien brille davantage en lui, comme on le dit
Ethic. Ergo et secundum caritatem filii parentibus dans Éthique, IX. Selon la charité, les fils
sunt magis amandi. doivent donc être davantage aimés que les
parents.
[11485] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 3 3. Chacun doit s’aimer davantage qu’un autre
Praeterea, unusquisque debet seipsum plus après Dieu. Or, l’homme doit aimer son épouse
diligere quam aliquem alium post Deum. Sed comme lui-même, puisqu’il n’est qu’un seul
uxorem debet homo diligere sicut seipsum, cum corps avec elle. Il doit donc aimer davantage son
sit unum corpus cum ea. Ergo debet uxorem épouse que quelqu’un d’autre.
magis quam alium aliquem diligere.
[11486] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 4 4. Nous devons aimer davantage ceux qui nous
Praeterea, magis debemus diligere eos qui nos aiment davantage. Or, les mères aiment
magis diligunt. Sed matres magis diligunt filios davantage leurs fils que les pères. Les fils aussi
quam patres. Ergo et filii magis debent diligere doivent donc aimer davantage leurs mères que
matres quam patres. leurs pères.
[11487] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 5 5. La ressemblance est la cause de l’amitié. Or,
Praeterea, similitudo est causa amicitiae. Sed les filles ressemblent davantage à leurs mères
filiae magis similantur matribus quam patribus. qu’à leurs pères. Au moins les filles doivent
Ergo ad minus filiae debent plus amare matres donc aimer davantage leurs mères que leurs
quam patres, et sorores quam fratres; et ita ordo pères, et leurs sœurs que leurs frères. Ainsi
qui in littera ponitur, non est universalis. l’ordre qui est indiqué dans le texte n’est-il pas
universel.
[11488] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 arg. 6 6. Les frères de Pierre sont plus proches de son
Praeterea, fratres Petri sunt propinquiores patri père que ses fils. Si donc le père devait être aimé
ejus quam filii sui. Si ergo pater esset super plus que tous les autres, les frères devraient être
omnes alios diligendus, fratres essent magis davantage aimés que les fils. Or, on dit le
diligendi quam filii: cujus contrarium in littera contraire dans le texte.
dicitur.
[11489] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 1 Cependant, [1] nous devons aimer Dieu plus
Sed contra, super omnia debemus diligere Deum. que tout. Or, l’amour que nous avons pour notre
Sed amor quem habemus ad patrem, magis père ressemble davantage à l’amour que nous
similatur amori quem habemus ad Deum, qui est avons pour Dieu, qui est notre père. Nous devons
pater noster. Ergo patrem super omnes alios magis donc aimer notre père plus que tous les autres.
debemus amare.
[11490] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 2 [2] Celui qui jamais ne peut être rétribué doit
Praeterea, ille cui nunquam sufficienter potest être le plus aimé. Or, comme le dit le Philosophe
retribui, maxime est amandus. Sed, sicut dicit dans Éthique, VIII, nous ne pouvons jamais
philosophus in 8 Ethic., nunquam sufficienter rétribuer suffisamment nos pères, dont nous
possumus retribuere patribus, a quibus esse, avons reçu l’être, la nourriture et l’éducation.
nutrimentum et disciplinam accepimus. Ergo Parmi les proches, nous devons donc le plus
maxime inter proximos debemus patrem amare. aimer notre père.
[11491] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 s. c. 3 [3] Plus l’amour est grand, plus il est solide. Or,
Praeterea, quanto major est amor, tanto firmior l’amour du fils pour son père est plus solide que
915

est. Sed amor filii ad patrem est firmior quam e l’inverse, car les fils ne peuvent pas renier leurs
converso: quia filii non possunt abnegare parents, comme les pères pourraient renier leurs
parentes, sicut possent patres filios abnegare, et fils, les accuser en raison d’un crime et les
eos propter aliquod crimen accusare et expellere a chasser, comme il est dit dans Éthique, VIII. Les
se, ut dicitur 8 Ethic. Ergo magis diligendi sunt pères doivent donc être davantage aimés que les
patres quam filii. fils.
[11492] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 co. Réponse. Comme on l’a dit dans le corps de
Respondeo dicendum, quod amicitia l’article précédent, l’amitié pour les proches se
propinquorum, ut dictum est, in corp. praeced. fonde sur ce qui est naturellement commun. Or,
art., fundatur super communicatione naturali. tout ce qui est naturellement commun se fonde
Omnis autem communicatio naturalis fundatur sur l’origine selon laquelle existent le père et le
super originem, secundum quam est pater et filius. fils. En effet, on parle de frères pour ceux qui
Fratres enim dicuntur aliqui in hoc quod ab eodem naissent d’un même père, et ainsi de suite. Toute
patre nascuntur, et sic deinceps. Unde tota l’amitié envers les proches se fonde donc sur
amicitia propinquorum fundatur super amicitia l’amitié du père pour son fils. C’est pourquoi
patris ad filium; et ideo haec amicitia est major cette amitié est plus grande qu’une autre envers
quam aliqua alia propinquorum. In hac autem les proches. Or, dans cette amitié, les fils
amicitia quodammodo filii praeponuntur l’emportent d’une certaine manière sur les
parentibus, quodammodo parentes filiis, parents et les parents sur les fils, selon une
secundum duplicem modum amoris. Amatur enim double forme de l’amour. En effet, quelque
aliquid ut res distincta, sicut amo hominem; et chose est aimé comme une réalité distincte :
aliquid ut alterius existens, sicut amo manum ainsi, j’aime un homme ; et quelque chose
meam, vel aliud membrum, uno amore quo amo comme faisant partie d’un autre : ainsi, j’aime
me ipsum. Loquendo ergo de amore alicujus rei in ma main ou un autre membre de l’amour par
se, sic magis amantur parentes quam filii; lequel je m’aime. Si l’on parle de l’amour d’une
loquendo autem de amore quo aliquid amatur in chose en elle-même, les parents sont ainsi
altero, sic filii magis diliguntur quam parentes. davantage aimés que les fils ; mais si l’on parle
Cujus ratio est, quia unumquodque tanto magis de l’amour par lequel quelque chose qui fait
diligitur, quanto nobis magis propinquum est. partie d’un autre est aimé, les fils sont ainsi
Propinquius autem est aliquid alicui quod habet davantage aimés que les parents. La raison en est
ordinem essentialem ad illum, quam quod qu’une chose est d’autant plus aimée qu’elle
accidentaliter ad ipsum ordinatur. Causa autem nous est plus proche. Or, une chose est plus
essentialis est effectui sicut genus speciei; sed proche d’une autre lorsqu’elle a un ordre
effectus ad causam accidentaliter se habet, quia essentiel à celle-ci, plutôt que celle qui lui est
sequitur esse ejus sicut species ad genus, nisi ordonnée de manière accidentelle. Or, la cause
effectus sit aliquid causae; quia sic effectus essentielle joue, en regard de l’effet, le rôle de
comparabitur ad causam per modum partis genre pour l’espèce ; mais l’effet a un rapport
integralis, quae est actu et essentialiter in toto; accidentel avec la cause, car il en découle
secundum autem quod est aliquid causae, non est comme l’espèce [découle] du genre, à moins que
distinctum ab ea, sed est unum cum ipsa. l’effet ne fasse partie de la cause, car ainsi l’effet
Considerando ergo patrem et filium ut sunt sera comparé à la cause comme une partie
quaedam personae in se distinctae, sic pater magis intégrale, qui existe en acte et de manière
amatur, cum sit causa, quam filius, qui est essentielle dans un tout. Or, selon que [l’effet]
effectus. Sed quia filius est quaedam res patris, et fait partie de la cause, il n’en est pas distinct,
non e converso; ideo diligitur filius alia dilectione, mais il est une seule chose avec elle. Considérant
inquantum res patris est, ut membrum diligentis donc le père et le fils comme des personnes
ipsius. Unde philosophus dicit, quod illud quod distinctes en elles-mêmes, le père est ainsi
est ex aliquo genitum, est propinquius, sicut davantage aimé, puisqu’il est cause, que le fils,
membrum, puta pes vel dens. Et quia hoc modo qui est effet. Mais parce que le fils est quelque
quasi una dilectione diligitur cum illa qua aliquid chose du père, et non l’inverse, le fils est donc
916

seipsum diligit; ideo secundum hoc filius magis aimé d’un autre amour en tant qu’il est quelque
quam pater diligitur. Et secundum hanc viam chose du père, comme un membre de lui-même
assignat philosophus tres rationes quare filii magisqu’il aime. Le Philosophe dit ainsi que ce qui est
diliguntur parentibus. Prima est quia filii sunt engendré par quelqu’un est plus proche, tel un
sicut membrum patris; unde aliquis diligit filium membre, par exemple, le pied ou une dent. Et
sicut seipsum. Secundo, quia patres sciunt magis parce qu’il est aimé du même amour par lequel
aliquos esse suos filios quam e converso. Tertio, quelqu’un s’aime lui-même, le fils est donc ainsi
quia bonum patris in filio refulget, sicut bonum plus aimé que le père. Le Philosophe donne ainsi
causae in effectu; unde naturaliter quilibet artifextrois raisons pour lesquelles les fils sont plus
diligit opera sua sicut filios. Sed quia amor quo aimés que les parents. La première est que les
diligitur aliquid in seipso, magis habet de ratione fils sont comme un membre du père ; celui-ci
benevolentiae, quae est principium amicitiae et aime donc son fils comme lui-même.
radix; ideo amicitia magis habetur ad patrem Deuxièmement, les pères savent davantage que
quam ad filium, et caritas similiter, quamvis certains sont leurs fils que l’inverse.
aliquo modo amor sit magis ad filium. Quidam Troisièmement, le bien du père brille dans son
autem dicunt, quod magis amantur filii affectu fils comme le bien de la cause dans l’effet ; ainsi,
naturali, sed patres affectu caritatis. Sed hoc non n’importe quel artiste aime ses œuvres comme
placet mihi: quia nihil naturalium inordinatum est: des fils. Mais parce que l’amour par lequel
esset autem inclinatio inordinata, si inclinaret in quelque chose est aimé en soi-même a davantage
diligendum magis quod minus diligendum est. un caractère de bienveillance, qui est le principe
Unde caritas ordinem naturae non mutat, sed et la racine de l’amitié, l’amitié envers le père est
perficit. Praeterea in quibusdam homo magis plus grande que celle envers le fils. De même en
inclinatur naturaliter ad amorem patris quam ad est-il de la charité, bien que l’amour envers le
amorem filii; sicut homo facilius expellit a se fils soit plus grande d’une certaine manière. Mais
filium quam patrem, quem non expellit nisi certains disent que les fils sont davantage aimés
propter abundantem malitiam, ut philosophus dicit selon l’amour naturel, alors que les pères le sont
in 8 Ethic. Similiter etiam quaedam animalia davantage selon la disposition affective de la
inclinantur magis ad parentes quam ad filios charité. Mais je ne suis pas d’accord avec cela,
inclinatione naturali in quibusdam, sicut narrat car rien de ce qui est naturel n’est désordonné.
Basilius in Hexameron, Lib. 8, de ciconiis, quae Or, ce serait une inclination désordonnée si elle
parentes suos aetate confectos fovent plumis, inclinait à aimer davantage ce qui doit être moins
alimenta ministrant, et in volatu supportant. Unde aimé. La charité ne change donc pas l’ordre de la
constat quod etiam secundum naturalem nature, mais elle le perfectionne. De plus, chez
inclinationem et secundum caritatem distinctione certains, l’homme est naturellement plus incliné
opus est. à l’amour du père qu’à l’amour du fils ; ainsi, un
homme chasse plus facilement son fils que son
père, qu’il ne chasse qu’en raison d’une grande
méchanceté, comme le dit le Philosophe dans
Éthique, VIII. De même, certains animaux dont
plus inclinés par une inclination naturelle vers
leurs parents que vers leurs fils, comme le
raconte Basile dans son Hexaméron, livre VIII, à
propos des cigognes, qui réchauffent leurs
parents avancés en âge de leurs plumes, leur
apportent de la nourriture et les aident à voler. Il
est donc clair que, même selon l’inclination
naturelle et selon la charité, il faut faire une
distinction.
[11493] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 1 Ad 1. Le père est cause du fils. Or, il revient à la
primum ergo dicendum, quod pater causa est filii; cause d’exercer une influence sur ce qui est
917

causae autem est influere in causatum, et non e causé, mais non l’inverse. L’amour naturel pour
converso. Unde amor naturalis ad filium le fils est donc envisagé selon l’inclination
attenditur secundum inclinationem naturalem affective naturelle à se faire du bien ; mais
affectus ad benefaciendum sibi; sed amor filii ad l’amour du fils pour son père est envisagé selon
patrem attenditur secundum inclinationem l’inclination naturelle à se soumettre à lui, et
naturalem ad subjiciendum se ei; et haec cette inclination n’est pas moindre que la
inclinatio non est minor quam prima, immo première, bien plus, elle est plus grande. Il faut
major. Unde majorem malitiam oportet advenire donc une plus grande méchanceté pour qu’un
ad hoc quod homo avertatur ab ista inclinatione homme se détourne de cette inclination plutôt
quam a prima. Quamvis autem aliquo in casu que de la première. Bien que, dans un cas, le
pater sit inferior filio, inquantum indiget auxilio père soit inférieur au fils pour autant qu’il a
ejus; hoc tamen non convenit patri inquantum besoin de son aide, cela ne convient pas au père
pater est: quia inquantum pater est, semper est en tant qu’il est père, car, en tant que père, il est
superior et causa. Et quia natura semper inclinat toujours supérieur et cause. Et parce que la
ad illud quod semper est et per se, non ad illud nature incline toujours à qui existe toujours et
quod accidit in casu; ideo non est tanta inclinatio par soi, et non à ce qui survient dans un cas,
naturalis ad benefaciendum patri sicut ad l’inclination naturelle à faire du bien à son père
benefaciendum filio. Sed hanc inclinationem facit n’est pas aussi grande qu’à faire du bien à son
ratio, quae in hominibus supplet illud ad quod fils. Toutefois, la raison, qui compense chez les
natura non sufficiebat. In aliis autem animalibus, hommes ce pour quoi la nature ne suffisait pas,
in quibus hoc frequenter contingit, quod patres réalise cette inclination. Mais, chez les autres
propter senectutem indigent filiorum auxilio, quia animaux, chez qui il arrive fréquemment qu’en
rationem non habent, indidit natura inclinationem raison de leur vieilllesse, les pères aient besoin
filiis ut patribus providerent, sicut e converso, ut de l’aide de leurs fils, parce qu’il n’ont pas de
dictum est de ciconiis. raison, la nature a mis à l’intérieur des fils une
inclination à prendre soin des parents, comme
l’inverse, ainsi qu’on l’a dit des cigognes.
[11494] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 2 Ad 2. Cet argument porte sur l’amour du fils en tant
secundum dicendum, quod ratio illa procedit de qu’il est aimé comme le bien du père. En effet,
amore filii, secundum quod diligitur ut bonum celui qui reçoit un bienfait est davantage aimé
patris: sic enim beneficiatum naturaliter plus que celui qui le donne, pour autant qu’il est
diligitur quam beneficians, inquantum est factura l’œuvre de celui qui donne le bienfait, car son
benefacientis, quia relucet in eo opus suum. action brille en lui.
[11495] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 3 Ad 3. L’épouse est prise en vue de l’acte de la
tertium dicendum, quod uxor in actum génération. Il semble donc qu’elle doive être
generationis assumitur; unde videtur in eodem située au même degré que les fils, pour ce qui est
gradu ponenda esse, quantum ad amorem de l’amour de bienveillance.
benevolentiae, cum filiis.
[11496] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 4 Ad 4. Les mères aiment plus leurs fils que les pères
quartum dicendum, quod matres naturaliter plus pour trois raisons. Premièrement, parce qu’elles
diligunt filios quam patres propter tres rationes. peinent davantage à les engendrer ; elles y
Primo, quia magis laborant in eorum generatione, mettent donc davantage du leur. Deuxièmement,
unde ponunt magis ibi de suo. Secundo, quia parce qu’elles savent davantage qu’ils sont leurs
magis sciunt quod sunt sui filii quam patres. fils que ce n’est le cas de les pères.
Tertio, quia statim natos secum tenent et nutriunt; Troisièmement, parce que, dès qu’ils sont nés,
non autem patres: sicut et consanguineos cum elles les gardent avec elles et les nourrissent ;
quibus conversati sumus, magis diligimus, quia mais ce n’est pas le cas des pères. Nous aimons
amicitiae naturali adjungitur amicitia socialis: et ainsi davantage les consanguins avec lesquels
hoc totum redit ad hoc quod plus de suo ponit nous vivons parce qu’une amitié sociale s’ajoute
mater in filio quam pater. Sed plus de eo quod est à l’amitié naturelle. Tout cela revient à ce que la
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filii, ponitur a patre quam a matre, quia pater dat mère donne davantage d’elle-même au fils que le
formam, et mater dat materiam; et ideo naturaliter père. Mais le père contribue davantage que la
homo plus diligit patrem, et consanguineos ex mère à ce qui fait le fils parce que le père donne
parte patris, quam ex parte matris. la forme et la mère donne la matière. C’est
pourquoi un homme aime davantage son père et
les consanguins paternels que les consanguins
maternels.
[11497] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 5 Ad 5. La fille, pour ce qui se rapporte à la perfection
quintum dicendum, quod filia in his quae ad qu’elle aime le plus en elle-même, ressemble
perfectionem pertinent, quae ipsa magis in se plus à son père qu’à sa mère ; mais, pour ce qui
diligit, plus similatur patri quam matri; sed in his se rapporte davantage à son insuffisance, elle
quae pertinent ad defectus plus similatur matri ressemble davantage à sa mère qu’à son père, et
quam patri, et hoc non est dilectionis ratio; et ideo cela n’est pas une raison d’aimer. C’est pourquoi
etiam homo plus diligit naturaliter fratres quam un homme aime naturellement davantage ses
sorores, inquantum perfectius imitantur patrem frères que ses sœurs, en tant qu’ils imitent
quam sorores. davantage le père que ne le font ses sœurs.
[11498] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 7 ad 6 Ad 6. Bien que les frères soient plus proches du
sextum dicendum, quod quamvis fratres sint père, les fils nous sont cependant plus proches.
propinquiores patri, tamen filii sunt propinquiores Or, nous devons nous aimer nous-mêmes
nobis. Nos autem debemus nosipsos magis davantage que nos pères. C’est pourquoi nous
diligere quam patres; et ideo magis filios quam aimons davantage nos fils que nos frères.
fratres diligimus.

Articulus 8 [11499] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 Article 8 – Les degrés de la charité sont-ils
a. 8 tit. Utrum gradus caritatis convenienter distingués de manière appropriée ?
distinguantur
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Les degrés de la charité
sont-ils distingués de manière inappropriée ?]
[11500] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 1. Il semble que ces degrés de la charité soient
arg. 1 Ad octavum sic proceditur. Videtur quod distingués de manière inappropriée, car la
inconvenienter distinguantur isti gradus caritatis. perfection de la charité consiste en ce que nous
Quia perfectio caritatis consistit in hoc quod Deus aimions Dieu de tout notre cœur. Or, cela n’est
ex toto corde diligatur. Sed hoc non est possibile pas possible sur la route, comme on l’a dit plus
in via, ut supra dictum est, distinct. 27, quaest. 3, haut, d. 27, q. 3, a. 2. La charité ne peut donc
art. 2. Ergo caritas in via non potest esse perfecta. être parfaite sur la route.
[11501] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 2. Ce qui est destiné à toujours s’accroître ne
arg. 2 Praeterea, illud quod est semper in augeri, peut être parfait. Or, la charité, aussi longtemps
non potest esse perfectum. Sed caritas, quamdiu que nous sommes dans cette vie, peut toujours
in hac vita sumus, semper potest augeri, ut in 1 s’accroître, comme on l’a dit dans le livre I,
Lib., dist. 17, quaest. 1, art. 1, corp., dictum est. d. 17, q. 1, a. 1, c. Elle ne peut donc être parfaite.
Ergo non potest esse perfecta.
[11502] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 3. En tout mouvement, on peut envisager des
arg. 3 Praeterea, in quolibet motu possunt accipi moyens termes infinis entre ce qui est premier et
infinita media inter primum et ultimum. Sed ce qui est dernier. Or, la charité qui commence
caritas incipiens est quasi principium motus; est comme le principe du mouvement, mais la
terminus autem perfectio caritatis est. Ergo perfection de la charité est comme le terme. On
possunt infiniti gradus assignari. peut donc lui assigner des degrés infinis.
[11503] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 4. Lorsquè [la charité] commence, elle est déjà
arg. 4 Praeterea, quando incipit, etiam est en progrès. On ne doit donc pas faire de
proficiens. Ergo non debet distingui proficiens ab distinction entre celle qui progresse et celle qui
919

incipiente. commence.
[11504] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 s. Cependant, [1] la vie spirituelle ressemble à la
c. 1 Sed contra, vita spiritualis similatur vitae vie naturelle. Or, dans le progrès de la vie
naturali. Sed in profectu naturalis vitae naturelle, des degrés déterminés sont assignés
assignantur determinati gradus aetatum. Ergo et in selon les âges. Selon qu’elle est la vie spirituelle
caritate, secundum quam est spiritualis vita de l’âme, on doit donc assigner des degrés
animae, debent determinati gradus assignari. déterminés à la charité.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Tous sont-ils tenus à une
charité parfaite ?]
[11505] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 1. Il semble que tous soient tenus à une charité
arg. 1 Ulterius. Videtur quod omnes teneantur ad parfaite, car « s’arrêter sur le chemin de Dieu,
caritatem perfectam. Quia stare in via Dei, ut dicit c’est reculer », comme le dit Bernard. Or, tous
Bernardus, retrocedere est. Sed omnis qui procedit ceux qui avancent sur le chemin de Dieu tendent
in via Dei, ad perfectionem tendit. Ergo omnes à la perfection. Tous sont donc tenus de tendre à
tenentur ad perfectionem caritatis tendere. la perfection de la charité.
[11506] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 2. Tous sont tenus d’aimer davantage le prochain
arg. 2 Praeterea, quilibet tenetur magis diligere que leur propre corps. Or, donner sa vie
proximum quam corpus proprium. Sed ponere corporelle pour ses frères relève d’une charité
vitam corporalem pro fratribus est perfectae parfaite. Tous sont donc tenus à une charité
caritatis. Ergo quilibet tenetur ad perfectam parfaite.
caritatem.
[11507] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 3. Ceux qui ont renié Dieu par crainte de la mort
arg. 3 Praeterea, illi qui negaverunt Deum propter ne sont pas exempts de péché. Or, ils n’auraient
timorem mortis, a peccato non excusantur. Sed pas péché s’ils n’étaient tenus à cela. Tous sont
non peccassent nisi tenerentur ad hoc. Ergo donc tenus de mourir pour le Christ, ce qui
quilibet tenetur ad moriendum pro Christo, quod relève d’une charité parfaite.
est perfectae caritatis.
[11508] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 4. Le Philosophe dit, dans Éthique, VIII, que
arg. 4 Praeterea, philosophus dicit in 8 Ethic., nous ne pouvons rendre l’équivalent des
quod in honoribus qui sunt ad parentes et ad honneurs qui s’adressent à nos parents et à Dieu ;
Deum, non possumus reddere aequivalens; sed mais considère en cela comme justice de leur
justitia attenditur in hoc quod reddit illis quod rendre ce qu’on peut. Or, tous sont tenus d’agir
potest. Sed ad opus justitiae omnes tenentur. Ergo avec justice. Tous sont donc tenus de faire pour
quilibet debet pro Deo facere totum quod potest. Dieu tout ce qu’ils peuvent. Or, ils peuvent
Potest autem ad opera perfectionis se extendere. s’adonner aux œuvres de la perfection. Ils y sont
Ergo tenetur ad illa. donc tenus.
[11509] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 s. Cependant, tous pèchent en omettant ce à quoi
c. 1 Sed contra, quilibet peccat omittens id ad ils sont tenus. Si donc tous sont tenus à une
quod tenetur. Si ergo omnes tenentur ad perfectam charité parfaite, tous ceux qui sont imparfaits
caritatem, omnes imperfecti damnarentur; quod seront damnés, ce qui est faux.
falsum est.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Ceux qui ont une charité
parfaite sont-ils tenus à tout ce qui relève de la
perfection ?]
[11510] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 1. Il semble que ceux qui ont une charité parfaite
arg. 1 Ulterius. Videtur quod habentes caritatem soient tenus à tout ce qui relève de la perfection,
perfectam teneantur ad omnia quae sunt car, ainsi que le dit Grégoire, « lorsque les dons
perfectionis. Quia, sicut dicit Gregorius, cum augmentent, le compte des dons augmente
crescunt dona, rationes etiam crescunt donorum; aussi » ; et il est dit en Lc 10, 1 : On exige plus
et Luc. 10, 1, dicitur: cui plus committitur, plus ab de celui à qui on a davantage confié. Or,
920

eo exigitur. Sed ei qui habet perfectam caritatem, davantage est confié a celui qui a une charité
plus committitur. Ergo et plus tenetur secundum plus grande. L’obligation est donc plus grande
exigentiam doni accepti; et ita videtur quod pour lui selon que l’exige le don reçu, et ainsi il
teneatur ad ea quae perfectionis sunt. semble qu’il soit tenu à ce qui relève de la
perfection.
[11511] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 2. Le rapport de l’imparfait à ce qui est commun
arg. 2 Praeterea, sicut se habet imperfectus ad est le même que celui du parfait à ce qui relève
communia, ita se habet perfectus ad ea quae de la perfection. Or, l’imparfait est tenu à ce qui
perfectionis sunt. Sed imperfectus tenetur ad est commun. Le parfait est tenu à ce qui relève
communia. Ergo et perfectus ad ea quae de la perfection.
perfectionis sunt.
[11512] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 3. L’Apôtre était tenu d’évangéliser (car il dit en
arg. 3 Praeterea, apostolus tenebatur ad 1 Co 9, 16 : Malheur à moi si je n’évangélise
evangelizandum (quia dicit 1 Corinth. 9, 16: si pas ; c’est pour moi une obligation), ce qui
non evangelizavero, vae mihi est; necessitas enim relève de la perfection ; ce ne pouvait être que
mihi incumbit), quod est perfectionis; non nisi parce qu’il avait une charité parfaite. Ceux qui
quia habebat perfectam caritatem. Ergo illi qui ont une charité parfaite sont donc tenus à ce qui
habent perfectam caritatem, tenentur ad ea quae relève de la perfection.
perfectionis sunt.
[11513] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 s. Cependant, [1] plus grande est la charité de
c. 1 Sed contra, quanto aliquis plus habet de quelqu’un, plus grande est sa liberté, car là où
caritate, plus habet de libertate: quia ubi spiritus est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté,
domini, ibi libertas; 2 Corinth. 3, 17. Sed 2 Co 3, 17. Or, celui qui a une charité parfaite a
perfectam caritatem habens, potissime habet la plus grande liberté. Il est donc moins obligé. Il
libertatem. Ergo minus habet de obligatione. Ergo est donc obligé à moins que les autres.
obligatus est ad minora quam alii.
[11514] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 s. [2] Il relève de la perfection de ne pas offenser
c. 2 Praeterea, perfectionis est lingua non par la langue et d’éviter les péchés véniels. Or,
offendere et peccata venialia vitare. Sed hoc personne n’accomplit cela, pas même les apôtres.
nullus facit, nec etiam apostoli. Ergo perfecti non Les parfaits ne sont donc pas obligés à ce qui
obligantur ad ea quae perfectionis sunt. relève de la perfection.

Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1


[11515] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 co. De même que, dans la croissance corporelle, on
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, distingue divers âges suivant divers effets
quod sicut in augmento corporali distinguuntur observables selon lesquels la nature progresse, et
diversae aetates secundum diversos effectus qu’elle ne pouvait auparavant exercer, de même,
notabiles in quos natura proficit, quos prius pour la croissance spirituelle, assigne-t-on divers
exercere non poterat; ita etiam in augmento degrés de la charité selon certains effets
spirituali assignantur gradus diversi caritatis observables qu’elle laisse chez celui qui possède
secundum aliquos notabiles effectus quos in la charité. Le premier effet de la charité consiste
habente caritatem caritas relinquit. Primus ergo donc en ce que l’homme s’éloigne du péché.
effectus caritatis est ut homo a peccato discedat; Ainsi, l’esprit de celui qui possède la charité
et ideo mens caritatem habentis in primis circa s’occupe surtout d’être purifié des péchés passés
hoc maxime occupatur ut a peccatis praeteritis et d’éviter les péchés futurs. Selon cet effet, on
emundetur, et a futuris praecaveat; et quantum ad parle d’une charité débutante. Le deuxième effet
hunc effectum dicitur caritas incipiens. Secundus consiste en ce que, confiante d’être libérée des
effectus est ut jam fiduciam de liberatione péchés, elle s’applique à atteindre le bien. Selon
peccatorum habens ad bonum adipiscendum se cet effet, on parle de charité en progrès, non pas
extendat; et quantum ad hunc effectum dicitur qu’elle progresse en d’autres états, mais parce
921

caritas proficiens: non quin in aliis statibus que, dans cet état, la préoccupation principale est
proficiat, sed quia in hoc statu praecipua cura est d’atteindre le bien, alors que l’homme aspire
de adipiscendis bonis, dum homo semper ad toujours à la perfection. Le troisième effet
perfectionem anhelat. Tertius effectus est ut homo consiste en ce que l’homme, déjà nourri de biens,
jam ad ipsa bona quasi connutritus, quodammodo les possède comme s’ils lui étaient d’une
sibi naturalia habeat ipsa, et in eis quiescat et certaine manière naturels, se repose en eux et
delectetur: et hoc ad perfectam caritatem pertinet. s’en délecte. Et cela relève de la charité parfaite.
Status autem medius duo habet: unum secundum Or, l’état intermédiaire comporte deux aspects :
quod comparatur ad primum statum, quia l’un, selon lequel il est comparé au premier état,
roboratur contra mala, de quibus caritas incipiens car il est affermi contre les maux dont se
sollicita est; aliud quod nutritur, secundum quod préoccupait la charité débutante ; l’autre, qui
tendit in statum tertium, semper magis ac magis nourrit, selon lequel il tend au troisième état,
bona quasi sibi incorporando. Similiter etiam pour ainsi dire en s’incorporant toujours de plus
perfecta caritas duos habet gradus. Unus est en plus de biens. De même, la charité parfaite
secundum quod in bonis communibus quasi jam comporte-t-elle deux degrés. L’un consiste en ce
secura conquiescit; et secundum hoc dicitur qu’elle se repose dans les biens ordinaires
perfecta: alius secundum quod ad quaelibet comme s’ils étaient déjà assurés : [la charité] est
difficilia manum mittit; et secundum hoc dicitur ainsi appelée parfaite. L’autre [consiste] en ce
perfectissima; vel perfecta quantum ad statum qu’elle entreprend tout ce qui est difficile : la
viae, perfectissima quantum ad statum patriae. charité est ainsi appelée la plus parfaite. Ou bien,
elle est appelée parfaite pour ce qui est de l’état
de la route, et la plus parfaite pour ce qui est de
l’état de la patrie.
[11516] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 1. Ce commandement est observé d’une certaine
1 Ad primum ergo dicendum, quod praeceptum manière sur la route, pour ce qui est de la
illud quodammodo servatur in via quantum ad perfection sur la route, et d’une certaine manière
perfectionem viae, quodammodo in patria dans la patrie, pour ce qui est de la perfection de
quantum ad perfectionem patriae. la patrie.
[11517] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 2. Bien que la charité augmente toujours en
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis caritas intensité selon les mêmes effets, elle ne s’accroît
semper augeatur quantum ad intensionem circa cependant pas de manière à ce que lui soient
eosdem effectus; non tamen augetur ut addantur ei ajoutés certains effets observables qui ne s’y
aliqui notabiles effectus qui prius non fuerunt. trouvaient pas.
[11518] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 3. Bien qu’on puisse concevoir des
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis possint intermédiaires infinis, ils ne se distinguent
accipi infinita media, non tamen habent notabilem cependant pas de manière notable.
diversitatem.
[11519] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 1 ad 4. Bien que le débutant progresse, son esprit est
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis incipiens cependant davantage occupé à écarter le mal
proficiat, magis tamen occupatur mens ejus circa qu’à progresser dans le bien. C’est pourquoi on
remotionem malorum quam circa profectum in ne dit pas qu’il progresse selon l’état, car les
bona; et ideo non dicitur proficiens quantum ad réalités morales tirent leur nom de leur fin.
statum, quia moralia denominantur a fine.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11520] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 co. On peut considérer la charité de deux manières.
Ad secundam quaestionem dicendum, quod D’une manière, selon l’intensité de la charité ;
quantitatis caritatis dupliciter potest attendi. Uno d’une autre manière, selon les objets, comme
modo secundum intensionem caritatis; alio modo c’est aussi le cas pour la quantité de toutes les
secundum objecta: sicut est etiam de quantitate vertus morales ou naturelles. On peut ainsi
cujuslibet virtutis vel moralis vel naturalis: et penser aussi à une double perfection de la
922

secundum hoc etiam potest attendi duplex charité : l’une, selon l’intensité, à savoir qu’on
perfectio caritatis: una secundum intensionem, aime parfaitement ; l’autre, selon les objets ou
scilicet ut perfecte diligat; alia secundum objecta les effets, à savoir qu’on réalise des choses
vel effectus, ut perfecta faciat. Unaquaeque autem parfaites. Or, on peut considérer chacune de ces
harum perfectionum potest dupliciter attendi in deux perfections de la charité de deux manières.
caritate. Habet enim perfectionem quantum ad En effet, elle possède une perfection pour ce qui
esse suum, secundum quod est perfecta in specie est de son être, selon qu’elle est parfaite dans son
sua: et haec est perfectio sufficientiae, et ad hanc espèce : il s’agit d’une perfection suffisante, à
omnes tenemur, sicut ad caritatem: quia caritas laquelle nous sommes tous tenus, comme à la
habet quantitatem determinatam utroque modo, charité, car la charité possède une quantité
citra quam non porrigitur; et in hoc stat perfectio déterminée des deux manières, au-delà
essentialis ipsius. Habet etiam perfectionem desquelles elle ne s’étend pas. C’est en cela que
quantum ad bene esse; et in hac perfectione consiste sa perfection essentielle. Elle possède
distinguendum est: quia ad perfectionem quae est aussi une perfection selon son mieux-être. Pour
per intensionem tenetur tendere, quamvis non cette perfection, il faut faire une distinction, car
teneatur eam habere: sed ad perfectionem quae est on est tenu de tendre à la perfection qui se réalise
secundum objecta non tenetur simpliciter quis par l’intensité, bien qu’on ne soit pas tenu de la
neque tendere, neque eam habere; sed tenetur eam posséder. Mais on n’est tenu ni de tendre, ni de
non contemnere, nec contra eam se obfirmare. Et posséder la perfection selon les objets ; on est
ratio est, quia praemium essentiale, ad quod cependant tenu de ne pas la mépriser ni de s’y
tendere tenemur, mensuratur secundum opposer. La raison en est que la récompense
intensionem caritatis, non secundum essentielle, vers laquelle nous sommes obligés de
magnitudinem factorum: quia Deus magis pensat tendre, se mesure selon l’intensité de la charité,
ex quanto quam quantum fiat. Sed tamen tenetur et non selon la grandeur des actes, car Dieu
in casu ad aliqua opera perfectionis operibus évalue plutôt la grandeur de la source des actes
similia, ut dicetur. que leur quantité. Cependant, nous sommes
tenus occasionnellement à certains actes qui
ressemblent aux actes de la perfection, comme
on le dira.
[11521] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 1. Il s’agit du progrès selon l’intensité, auquel on
1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligitur de doit toujours s’efforcer.
profectu qui est secundum intensionem, in quem
debet homo semper conari.
[11522] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 2. Lorsque nous savons qu’un frère peut être
2 Ad secundum dicendum, quod cum scimus libéré de la mort de l’âme par la mort de [notre]
fratrem posse liberari per mortem corporis a corps sans danger pour notre âme, livrer notre
morte animae sine periculo animae nostrae; tunc âme pour nos frères ne relève pas de la
tradere animam pro fratribus non est perfectionis, perfection, mais de la nécessité. Mais il en va
sed necessitatis: alias autem est perfectionis. autrement de la perfection.
[11523] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 3. Il relève de la perfection qu’un homme
3 Et similiter dicendum ad tertium quod s’expose à des persécutions, lorsque menace un
perfectionis est quod homo persecutionibus se danger pour la foi ; mais qu’il ne renie pas
offerat, quando incumbit periculum fidei; sed lorsqu’il a été capturé, cela relève de la nécessité.
quod comprehensus non neget, hoc necessitatis
est.
[11524] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 2 ad 4. Dans ce qui n’est pas déterminé à une seule
4 Ad quartum dicendum, quod in illis quae non chose, toute la puissance ne peut être liée à une
sunt determinata ad unum, non potest tota potentia seule chose, car la raison de contingence
obligari ad aliquid unum; quia periret ratio disparaîtrait, selon laquelle quelque chose peut
contingentiae, secundum quam aliquid deficere faire défaut dans un petit nombre de cas. Puisque
923

potest in minori parte. Cum ergo homines in statu les hommes dans cet état n’ont pas un libre
isto non habeant liberum arbitrium determinatum, arbitre déterminé, il n’est donc pas requis que
non exigitur quod totum posse expendatur in tout son pouvoir soit investi dans le service de
servitium Dei: hoc enim erit in patria, quando jam Dieu. En effet, ce sera le cas dans la patrie,
defectus incidere non poterit: sed sufficit quod lorsque ne surviendra plus de carence. Mais il
nihil de posse nostro contra Deum expendamus, et suffit que nous n’investissions contre Dieu rien
illa quae nobis determinata sunt faciamus; alias de ce que nous pouvons et que nous
periret ratio nostri status. Unde sicut Deus non accomplissions ce qui a été déterminé pour nous,
exigit a nobis quantum ipse dedit nobis, quia non autrement la raison de notre état disparaîtrait. De
possumus; ita non exigit a nobis quantum même donc que Dieu n’exige pas de nous autant
possumus, quia hoc esset contra rationem nostri qu’il nous a donné, car nous ne le pouvons pas,
status. de même aussi n’exige-t-il pas de nous autant
que nous pouvons, car cela serait contraire à la
raison de notre état.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11525] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 co. On peut entendre celui qui a la charité parfaite de
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod habens deux manières. D’une manière, quant à la
caritatem perfectam potest intelligi dupliciter. perfection de la charité en rapport avec ses
Uno modo quantum ad perfectionem caritatis objets ; ainsi, on appelle parfaits ceux à qui il
quae est penes objecta; sicut dicuntur perfecti illi convient de poser les actes parfaits soit en raison
quibus competit opera perfectionis facere vel ex d’un vœu, comme les religieux, soit en raison de
voto, sicut religiosis, vel ex officio, sicut praelatis; leur fonction, comme les prélats. De cette
et sic ex debito non tenentur tales perfecti ad quae manière, ces parfaits ne sont tenus par obligation
alii non teneantur, nisi ad illa quae voverunt, vel à ce à quoi les autres ne sont pas tenus que pour
quae officio suo sunt annexa; unde nec praelati ce dont ils ont fait vœu ou pour ce qui est associé
nec religiosi tenentur ad omnia consilia. Alio à leur fonction. Ainsi, ni les prélats ni les
modo quantum ad perfectionem caritatis quae est religieux ne sont tenus à tous les conseils. D’une
secundum intensionem, sicut aliquis saecularis autre manière, quant à la perfection de la charité
laicus fervens in caritate; et talis non obligatur ad selon son intensité : ainsi, un laïc séculier à la
opera perfectionis nisi sicut alii; sed obligatur ad charité fervente. Celui-ci n’est obligé aux œuvres
intensius Deum diligendum pro bonis acceptis; et de perfection que comme les autres, mais il est
ad hoc ex habitu caritatis perfecto inclinatur. obligé d’aimer Dieu plus intensément pour les
biens reçus. Et il est incliné à cela par l’habitus
parfait de la charité.
[11526] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 1. Il est tenu d’en faire plus et plus parfaitement,
1 Ad primum ergo dicendum, quod tenetur ad mais non de faire d’autres choses en vertu d’un
plus et perfectius agendum, sed non ad opera alia engagement, bien qu’il soit tenu à plus en vertu
facienda ex commisso; quamvis alius forte plus de la rémission. Mais l’engagement est beaucoup
teneatur ex dimisso. Sed commissum multo majus plus grand que la rémission, car le bien est
est quam dimissum: quia bonum est magis bonum meilleur que le mal n’est mauvais. Cependant,
quam malum sit malum. Tamen ille qui est celui qui est débiteur en vertu de la rémission est
debitor ex dimisso, tenetur ad aliqua ad quae iste tenu à certaines choses auxquelles celui-là n’est
non tenetur, sicut ad satisfaciendum. pas tenu, par exemple, satisfaire.
[11527] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 2. Cet argument suppose une fausseté, à moins
2 Ad secundam dicendum, quod illa ratio falsum qu’il ne soit entendu des parfaits qui ont fait vœu
supponit, nisi intelligatur de perfectis qui de certaines œuvres de perfection, auxquelles ils
voverunt aliqua perfectionis opera, ad quae sont davantage tenus que les autres.
tenentur prae aliis.
[11528] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3 ad 3. Cela revenait à Paul en raison de sa fonction
3 Ad tertium dicendum, quod Paulo competebat de supérieur. Il faut cependant savoir que
924

hoc propter officium praelationis. Sciendum l’argument avancé en sens contraire est moins
tamen, quod ratio facta ad oppositum, minus concluant, car les parfaits ne sont pas moins
concludit: quia perfecti non minus tenentur, sed tenus, mais ils sont moins mus en vertu d’une
minus ex debito moventur: quia amor magis eos obligation, car l’amour les meut davantage que la
quam debitum movet, etiam in his quae debent; et dette, même pour ce qu’ils doivent. Ainsi dit-on
quantum ad hoc dicitur major in eis esse libertas. qu’une plus grande liberté existe en eux.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


29
[11529] Super Sent., lib. 3 d. 29 q. 1 a. 8 qc. 3
expos. Multorum caritas inordinata est. Caritatem
hic large pro dilectione vel amicitia ponit. Qui si
boni sint, malis filiis praeponendi sunt: non in illis
quae ad naturalem communicationem pertinent,
sicut est hereditatis dimissio, educatio, et
hujusmodi; nisi forte superabundans malitia
filiorum eos indignos paterno beneficio faciat.
Perfecta caritas est, ut quis sit paratus pro
fratribus mori. Contra. Imperfectus non est
paratus pro Deo mori. Ergo perfectus magis diligit
proximum quam imperfectus Deum. Et dicendum,
quod hoc contingit ex hoc quod perfectus minus
amat vitam corporalem quam imperfectus. Et
iterum perfectus hoc facit ex superabundantia
divinae caritatis. Non enim potest esse ut aliqua
caritas tantum diligat proximum quantum aliqua
Deum. Sed hae duae dilectiones non sunt nisi
unius generis; sed una est ut finis et causa
diligendi; alia ut ejus quod est ad finem, et ut ejus
quod rationem diligendi ex alio sortitur; unde non
sunt comparabiles. Cum ad perfectionem
pervenerit, dicit: cupio dissolvi. Instantiam
videtur habere in beato Petro, cui dominus dixit,
Joan. 21, 18: extendes manum tuam, et alius ducet
te quo tu non vis; et in beato Martino, qui vivere
non recusavit. Ad primum ergo dicendum, quod
illud intelligitur de voluntate naturali; hoc autem
de voluntate rationis. Ad secundum dicendum,
quod perfecta caritas, inquantum habet aliquid de
amore concupiscentiae, sic vult potissime frui
Deo; sed secundum quod consistit principalius in
benevolentia, sic facit appetere id quod est Deo
placitum; et secundum hoc loquebatur beatus
Martinus. De augmento autem caritatis dictum est
in Lib. 1, dist. 27, quaest. 2, art. 1, 2, 3, 4.
Distinctio 30 Distinction 30 – [L’ordre de la charité du
point de vue de l’efficacité du mérite]

Prooemium Prologue
[11530] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de l’ordre de la charité par
925

determinavit Magister de ordine caritatis respectu rapport aux diverses personnes qui doivent être
diversorum diligendorum quantum ad quantitatem aimées et du point de vue de la quantité de
dilectionis, hic determinat ordinem quantum ad l’amour, le Maître détermine ici de l’ordre du
efficaciam merendi. Dividitur autem haec pars in point de vue de l’efficacité du mérite. Cette
duas: in prima prosequitur suam intentionem; in partie est divisée en deux : dans la première, il
secunda movet quamdam dubitationem ex dictis, poursuit son intention ; dans la seconde, il
ibi: illud vero quod sequitur, magis nos movet. soulève un doute à propos de ce qui a été dit, à
Prima in duas: in prima ponit quaestionem; in cet endroit : « Mais ce qui suit nous incite
secunda determinat eam, ibi: sed haec comparatio davantage… » La première partie [se divise] en
implicita est. Et circa hoc tria facit: primo deux : dans la première, il présente la question ;
determinat quaestionem; secundo objicit in dans la seconde, il en détermine, à cet endroit :
contrarium, ibi: Augustinus tamen sentire videtur « Mais cette comparaison est implicite… » À ce
majus esse diligere inimicum quam amicum; tertio propos, il fait trois choses : premièrement, il
solvit, ibi: quod si quis simpliciter concedere détermine de la question ; deuxièmement, il
noluerit (...) determinet ista secundum présente une objection en sens contraire, à cet
praemissam intelligentiam. Illud vero quod endroit : « Mais Augustin semble penser qu’il est
sequitur, magis nos movet. Hic tria facit: primo plus grand d’aimer un ennemi qu’un ami » ;
ponit dubitationem; secundo ponit quamdam troisièmement, il y répond, à cet endroit : « Si
falsam solutionem, ibi: quidam quod hic dicitur, quelqu’un ne veut pas le concéder
simpliciter tenere volentes, illud praeceptum simplement…, qu’il en détermine selon
determinant; tertio ponit opinionem propriam, ibi: l’interprétation qui précède. » Ici, il fait trois
sed melius est ut intelligatur omnibus illo choses : premièrement, il présente le doute :
mandato praecipi cunctos diligere, etiam deuxièmement, il présente une fausse réponse, à
inimicos. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum omnes cet endroit : « Certains, en voulant simplement
diligere teneantur inimicos; 2 utrum teneantur eis soutenir ce qui est dit ici,, déterminent de ce
signa dilectionis exhibere; 3 quid majoris meriti commandement… » ; troisièmement, il présente
sit, diligere inimicum, vel diligere amicum; 4 quid sa propre opinion, en cet endroit : « Mais il est
sit majoris meriti, diligere Deum, vel proximum; mieux de comprendre que, par ce
5 utrum tota virtus merendi penes caritatem commandement, il est ordonné d’aimer tout le
consistat. monde, même les ennemis. » Ici, cinq questions
sont posées : 1. Tous sont-ils obligés d’aimer les
ennemis ? 2. Sont-ils obligés de leur montrer des
signes d’amour ? 3. Qu’est-ce qui est plus
méritoire : aimer un ennemi ou aimer un ami ? 4.
Qu’est-ce qui est plus méritoire : aimer Dieu ou
aimer le prochain ? 5. Toute la capacité de
mériter réside-t-elle dans la charité ?
Articulus 1 [11531] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 Article 1 – Tous sont-ils obligés d’aimer les
a. 1 tit. Utrum omnes teneantur diligere inimicos ennemis ?
[11532] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble que tous ne soient pas obligés
Ad primum sic proceditur. Videtur quod non d’aimer les ennemis. À propos de Mt 5 : Aimez
omnes teneantur ad diligendum inimicos. Matth. vos ennemis, la Glose dit : « Cela est pour les
5: diligite inimicos vestros; dicit Glossa: hoc parfaits. » Or, tous ne sont pas obligés à ce qui
perfectorum est. Sed ad ea quae sunt perfectionis relève de la perfection, comme on l’a dit plus
non omnes tenentur, ut supra dictum est. Ergo non haut. Tous ne sont donc pas obligés d’aimer les
tenentur omnes inimicos diligere. ennemis
[11533] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Les hommes ne sont pas obligés à plus de
Praeterea, non tenentur ad plura homines in nova choses sous la loi nouvelle que sous l’ancienne,
lege quam in veteri, ut patet Matth. 14, ubi super comme cela ressort de Mt 14, où, à propos de
illud: acceptis quinque panibus etc., dicit Glossa: ceci : Ayant pris cinq pains, etc., la Glose dit :
926

non alia quam quae scripta erant praedicat, sed « Il ne prêche que ce qui avait été écrit, mais il
legem et prophetas gravia esse demonstrat. Sed in montre que la loi et les prophètes sont des
veteri lege non tenebantur homines ad diligendum réalités lourdes. » Or, sous la loi ancienne, les
inimicos; Matth. 5, 43: dictum est antiquis: diliges hommes n’étaient pas obligés d’aimer les
amicum tuum, et odio habebis inimicum tuum. ennemis. Mt 5, 43 : Il a été dit aux anciens : « Tu
Ergo non tenemur ad dilectionem inimicorum. aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi. » Nous
ne sommes donc pas obligés à l’amour de nos
ennemis.
[11534] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 3 3. La nature n’incline pas à quelque chose de
Praeterea, natura non inclinat in aliquid contraire à la charité. Or, toute nature incline à la
contrarium caritati. Sed omnis natura inclinat in détestation de son contraire. Puisque l’ennemi en
detestationem contrarii. Cum ergo inimicus, tant que tel nous est contraire, il semble donc que
inquantum hujusmodi, sit contrarius nobis, videtur nous ne soyons pas tenus d’aimer nos ennemis
quod non teneamur ex caritate inimicos diligere. en vertu de la charité.
[11535] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Nous n’aimons pas ceux à qui nous souhaitons
Praeterea, illos quibus optamus, et de quorum des maux et nous nous en réjouissons. Or, il est
malis gaudemus, non diligimus. Sed licet optare permis de souhaiter des maux à nos ennemis et
mala inimicis, et de eorum malis gaudere; unde in de nous réjouir de leurs maux ; c’est ainsi que,
Scriptura sacra frequenter ponuntur imprecationes dans l’Écriture sainte, sont formulées des
contra inimicos; et in consolationem fidelium imprécations contre les ennemis et que, pour la
inducitur hostium destructio. Ergo non tenemur consolation des croyants, on incite à leur
inimicos diligere. destruction. Nous ne sommes donc pas tenus
d’aimer nos ennemis.
[11536] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 5 5. La charité fait que la volonté de l’homme se
Praeterea, caritas facit voluntatem hominis conforme à la volonté divine. Or, Dieu hait
voluntati divinae conformari. Sed Deus odit certains, comme il est dit en Ml 1, 2 : J’ai haï
aliquos, sicut dicitur Malach. 1, 2: Esau odio Ésaü. Il est donc permis de haïr nos ennemis.
habui. Ergo licet inimicos odio habere.
[11537] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Cela semble être expressément le cas dans
Praeterea, hoc videtur expresse in Psalm. 138, 22: Ps 138, 22 : Je les haïssais d’une haine totale.
perfecto odio oderam illos. Sed omnis perfectio Or, toute perfection vient de la charité. La charité
ex caritate est. Ergo caritas facit inimicos odire, nous fait donc haïr nos ennemis ; elle ne fait pas
non solum quod non faciat eos diligere. seulement que nous ne les aimions pas.
[11538] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] Lv 19,18 : Tu ne chercheras pas
Sed contra, Levit. 19, 18: non quaeras ultionem, la vengeance et tu ne te souviendras pas du tort
nec memor eris injuriae civium tuorum. de tes concitoyens.
[11539] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Pr 24, 17 : Si ton ennemi est tombé, ne te
Praeterea, Prov. 24, 17: si ceciderit inimicus tuus, réjouis pas.
ne gaudeas.
[11540] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] La charité porte attention à l’image de Dieu
Praeterea, caritas attendit in homine imaginem chez les hommes, selon qu’ils peuvent avoir en
Dei, secundum quam possibiles sunt ad commun avec nous la vie de la grâce, comme on
communicandum nobiscum in vita gratiae, ut l’a dit plus haut. Or, cela se rencontre chez les
supra dictum est. Sed hoc invenitur in inimicis. ennemis. Nous sommes donc obligés d’aimer
Ergo tenemur diligere inimicos ex caritate. nos ennemis par la charité.
[11541] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 co. Réponse. Nous sommes obligés d’aimer
Respondeo dicendum, quod secundum hoc quelqu’un selon selon qu’il possède quelque
tenemur aliquem diligere secundum quod chose en commun avec nous. Or, notre ennemi a
nobiscum aliquam communicationem habet. quelque chose en commun avec nous par la
Inimicus autem noster habet quamdam nobiscum nature, selon laquelle il peut avoir la vie divine
927

communicationem in natura, secundum quam est en commun avec nous. C’est pourquoi nous
possibilis ad communicandum nobiscum in divina devons l’aimer pour ce qui se rapporte à sa
vita; et ideo in his quae pertinent ad naturam suam nature et à l’obtention de la grâce. Mais nous ne
et ad gratiam habendam, debemus eum diligere; devons pas aimer l’inimitié qu’il a envers nous,
sed inimicitiam suam quam adversus nos habet, car, selon elle, il n’a rien en commun avec nous
non debemus diligere: quia secundum eam ni avec lui-même, mais il s’y oppose plutôt,
nobiscum non communicat, nec etiam sibi ipsi, comme nous l’avons dit des autres péchés.
sed magis contrariatur; sicut etiam de aliis
peccatis dictum est.
[11542] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Aimer les ennemis en leur montrant des signes
primum ergo dicendum, quod diligere inimicos de bienveillance relève de la perfection. Tous ne
quantum ad ostensionem signorum benevolentiae, sont pas obligés à cela, mais il est nécessaire de
hoc perfectionis est, et ad hoc non omnes souhaiter à son ennemi la grâce de Dieu et la vie
tenentur; sed quod homo inimico suo optet éternelle, ce qui intéresse la charité d’une
gratiam Dei et vitam aeternam, quod specialiter manière particulière.
caritas respicit, hoc necessitatis est.
[11543] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Même sous la loi ancienne, les hommes
secundum dicendum, quod in veteri lege etiam étaient tenus d’aimer leurs ennemis, comme cela
homines tenebantur ad dilectionem inimicorum, ressort de l’autorité du Lévitique qui a été
sicut patet per auctoritatem Levitici inductam. invoquée. Ce qui est dit : Tu haïras ton ennemi,
Unde quod dicitur: odio habebis inimicum tuum, n’est pas tiré de la loi, car on ne le trouve jamais
non est ex lege sumptum, quia nusquam hoc in dans le texte, mais cela a été ajouté par une
littera invenitur; sed est additum ex prava mauvaise interprétation des Juifs, qui, du fait que
interpretatione Judaeorum, qui ex quo l’amour du prochain était commandé,
praecipiebatur dilectio proximi, concludebant concluaient que les ennemis devaient être haïs.
quod inimici essent odiendi. Additum autem est Mais, dans la loi nouvelle, le conseil de montrer
consilium in nova lege de ostensione signorum des signes de bienveillance à l’ennemi a été
benevolentiae ad inimicum. ajouté.
[11544] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. La nature incline à haïr l’ennemi, non pas en
tertium dicendum, quod natura inclinat ad tant qu’il a la nature en commun avec nous ou
odiendum inimicum, non inquantum est similis qu’il peut recevoir la grâce, mais en tant qu’il est
secundum convenientiam in natura, aut in dissemblable. Or, cela se produit dans la mesure
perceptibilitate gratiae, sed inquantum est où il manifeste de l’inimitié, ce qui doit nous
dissimilis. Hoc autem contingit, inquantum est déplaire au plus haut point.
inimicitias exercens, quod summopere nobis
displicere debet.
[11545] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. La charité porte attention à certains biens en
quartum dicendum, quod caritas attendit ad soi : les biens de la grâce, et à certains, par
quaedam bona per se, scilicet ad bona gratiae; ad accident, selon qu’ils leur sont ordonnés. Or, les
quaedam autem per accidens, inquantum ad ista biens temporels, auxquels la charité porte
ordinantur. Bona autem temporalia, quae per attention par accident et par mode de
accidens caritas attendit, et ex consequenti, conséquence, peuvent être des empêchements
possunt se invicem in diversis impedire: quia réciproques chez des sujets différents, car la
prosperitas unius inducit adversitatem alterius. prospérité de l’un entraîne l’adversité d’un autre.
Unde quia caritas ordinem habet, et plus debet Parce que la charité comporte un ordre et doit
diligere quisque se quam alium, et propinquos davantage aimer soi-même qu’un autre, les
quam extraneos, et amicos quam inimicos, et proches plutôt que les étrangers, les amis plutôt
bonum commune multorum quam bonum que les ennemis et le bien commun plutôt le bien
privatum unius; potest aliquis salva caritate optare privé d’un seul, quelqu’un peut donc, la charité
malum temporale alicui, et gaudere si contingit; étant sauve, souhaiter un mal temporel à un autre
928

non inquantum est malum illius, sed inquantum et se réjouir s’il survient, non pas en tant qu’il est
est impedimentum malorum alterius quem plus le mal de celui-ci, mais en tant qu’il empêche les
tenetur diligere, vel communitatis, aut Ecclesiae. maux d’un autre, de la communauté ou de
Similiter de malo etiam ejus qui in malum l’Église, qu’il est davantage tenu d’aimer. Il en
temporale incidit, secundum quod per malum va de même pour celui qui tombe dans un mal
poenae impeditur frequenter malum culpae ejus. temporel, selon que, par le mal de peine, le mal
Sed bona gratiae mutuo se non impediunt: quia de faute est souvent empêché de sa part. Mais les
spiritualia bona a pluribus integre possideri biens de la grâce ne sont pas des empêchements
possunt; et ideo quantum ad hoc, nullus salva les uns pour les autres, car les biens spirituels
caritate potest malum alteri optare, vel de malo peuvent être entièrement possédés par plusieurs.
gaudere; nisi inquantum in malo culpae vel C’est pourquoi, sur ce point, personne ne peut
damnationis alicujus relucet bonum divinae souhaiter de mal à autrui, la charité étant sauve,
justitiae, quod plus tenetur diligere quam aliquem ni se réjouir du mal, si ce n’est dans la mesure
hominem. Sed hoc non est per se de malo où, dans le mal de faute ou de la damnation de
gaudere, sed de bono quod adjunctum est malo. quelqu’un, brille le bien de la justice divine,
qu’on est davantage tenu d’aimer qu’un homme.
Mais cela n’est pas par soi se réjouir du mal,
mais d’un bien qui est associé à un mal.
[11546] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Même Dieu ne veut pas le mal de quelqu’un,
quintum dicendum, quod Deus etiam non vult si l’on parle du mal de faute ; mais il [le] permet,
malum alicujus, loquendo de malo culpae; sed et cette permission est bonne. Mais il veut le mal
permittit, et haec permissio bona est. Malum de peine, dont il est lui-même l’auteur, non pas
autem poenae, cujus ipse est auctor, vult non en tant qu’il est un mal, car il ne prend pas plaisir
inquantum malum, quia non delectatur in poenis, aux peines, mais en tant qu’il est juste.
sed inquantum justum.
[11547] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Il ne les haïssait pas d’une haine totale, si ce
sextum dicendum, quod non oderat eos perfecto n’est pas dans la mesure où ils étaient les
odio, nisi inquantum Deo inimici erant; hoc autem ennemis de Dieu. Or, c’était le cas dans la
est inquantum peccabant; unde non odiebat in eis memsure où ils péchaient. Aussi ne haïssait-il
quos perfecto odio oderat, nisi peccatum. que le péché en ceux qu’il haïssait d’une haine
totale.

Articulus 2 [11548] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 Article 2 – Tous sont-ils obligés de montrer à
a. 2 tit. Utrum omnes teneantur ostendere inimicis leurs ennemis des signes de la charité ?
signa caritatis
[11549] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que tous soient obligés de montrer
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnes des signes d’amitié à leurs ennemis. En effet, les
teneantur ad ostendendum signa amicitiae signes d’amitié sont principalement des biens
inimicis. Signa enim amicitiae sunt praecipue accordés aux amis. Or, l’homme est tenu de faire
beneficia ad amicos. Sed homo tenetur benefacere du bien à ses ennemis, Pr 25, 21 : Si ton ennemi
inimicis: Proverb. 25, 21: si esurierit inimicus a faim, donne-lui à manger. On est donc tenu de
tuus, ciba illum. Ergo tenetur ostendere signa manifester des signes d’amitié à ses ennemis.
amicitiae ad inimicos.
[11550] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 2 2. L’Église prie pour ses ennemis, comme cela
Praeterea, Ecclesia orat pro inimicis, ut patet per ressort de la Glose sur Mt 5, et dans la collecte :
Glossam, Matth. 5, et in collecta: pietate tua, ubi Dans ta tendresse…, où elle dit : « … montrer
dicit: amicis et inimicis nostris veram caritatem une vraie charité à nos amis et à nos ennemis ».
largire. Sed oratio est praecipuum beneficium Or, la prière est le principal bienfait qui puisse
quod alicui impendi potest. Cum ergo actus être accordé à quelqu’un. Puisque l’acte de
Ecclesiae cuilibet membro Ecclesiae conveniat, l’Église convient à tous les membres de l’Église,
929

videtur quod quilibet qui est membrum Ecclesiae, il semble donc que tous ceux qui sont membres
teneatur inimicis beneficus esse. de l’Église soient obligés de se montrer
bienveillants envers leurs ennemis.
[11551] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 3 3. Personne ne doit avoir un amour simulé. Or,
Praeterea, nullus debet habere simulatam l’amour qui ne se manifeste pas par l’action n’est
dilectionem. Sed dilectio quae non ostendit se in pas un amour véritable, car « la preuve de
opere, non est vera dilectio: quia probatio l’amour se trouve dans la manifestation de
dilectionis est exhibitio operis, ut Gregorius dicit; l’action », comme Grégoire le dit. Et il est dit en
et 1 Joan. 3, 18, dicitur: non diligamus lingua et 1 Jn 3, 18 : N’aimons pas de langue et en parole,
verbo, sed opere et veritate. Ergo cum quilibet mais en acte et en vérité. Puisque tous doivent
debeat inimicum diligere, quilibet tenetur opera aimer leur ennemi, tous sont donc obligés
dilectionis ad illum extendere. d’accomplir envers lui des actes d’amour.
[11552] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 4 4. En Mt 5, il est commandé d’aimer les ennemis
Praeterea, simul, Matth. 5, praecipitur diligere et de leur faire du bien. Pour la même raison, les
inimicos, et benefacere eis. Ergo eadem ratione hommes sont donc obligés aux deux choses. Or,
homines obligantur ad utrumque. Sed ad primum tous sont obligés à la première. [Ils le sont] donc
omnes tenentur. Ergo et ad secundum. aussi à la seconde.
[11553] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Refuser à quelqu’un des signes de familiarité
Praeterea, abnegare homini signa familiaritatis, et et ses bienfaits est une vengeance. Or, on est
sua beneficia, quaedam vindicta est. Sed homo tenu de ne pas se venger, comme cela ressort de
tenetur non se vindicare, sicut patet Rom. 12, 18: Rm 12, 18 : Sans vous venger… On est donc
non vosmetipsos vindicantes. Ergo tenetur non tenu de ne pas refuser ses bienfaits à ses
subtrahere sua beneficia inimicos. ennemis.
[11554] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 6 6. À propos de Mt 5, la Glose dit que faire du
Sed contra, Matth. 5, dicit Glossa, quod bien à ses ennemis et prier pour eux est le
benefacere inimicis et orare pro eis, est cumulus sommet de la perfection. Or, tous ne sont pas
perfectionis. Sed ad illa quae sunt perfectionis, tenus à ce qui relève de la perfection. Donc, non
non omnes tenentur. Ergo neque ad praestandum plus, à accorder des bienfaits aux ennemis.
inimicis beneficia.
[11555] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 7 7. Sous la loi ancienne, il a été souvent ordonné
Praeterea, in veteri lege frequenter filiis Israel aux fils d’Israël de poursuivre leurs ennemis et
praeceptum fuit ut persequerentur hostes suos, et de ne pas contracter d’alliance avec eux. On
non inirent cum eis foedus. Ergo non tenebantur n’était donc pas tenu de leur accorder des
benefacere eis; ergo nec modo. bienfaits. Donc, maintenant non plus.
[11556] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 8 8. Nous voyons que, même maintenant, l’Église
Praeterea, videmus quod etiam modo Ecclesia ordonne des guerres contre les tyrans et les
indicit bella contra tyrannos et infideles. Ergo infidèles. Il est donc permis de faire du mal aux
licet inimicis mala facere: multo igitur minus non ennemis. Encore bien moins ne faut-il pas leur
oportet eis benefacere. faire de bien.
[11557] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 co. Réponse. L’effet (effectus) de la charité doit
Respondeo dicendum, quod effectus caritatis correspondre à la disposition affective (affectui).
debet affectui respondere; unde secundum quod Selon qu’on est tenu d’avoir une disposition
tenetur quis affectum caritatis ad inimicum affective de charité envers son ennemi, de même
habere, ita et effectum ad eum extendere. Caritas doit-on lui en manifester l’effet. Or, comme on
autem, ut dictum est dist. 28, art. 4, respicit bona l’a dit, d. 28, a. 4, la charité concerne les biens
gratiae, quae sunt communia omnibus viventibus de la grâce, qui sont communs à tous les vivants
vel actu vel potentia; et ideo est communior vel en acte ou en puissance. C’est pourquoi elle est
latior quam aliqua alia amicitia, quae ad pauciores davantage partagée ou plus large qu’une autre
se extendit, inquantum fundatur super amitié, qui s’étend à un plus petit nombre, dans
communicatione aliqua quae non ad omnes est. In la mesure où elle est fondée sur quelque chose
930

omnibus autem illud quod est commune qui n’est pas commun à tous. Or, en toutes
vehementius est; sed illud quod est proprium, choses, ce qui est commun est plus impétueux ;
plura complectitur actu; et perfectio communis est mais ce qui est propre embrasse plus de choses
in hoc quod se extendit ad illa quae complectitur en acte ; et la perfection commune consiste dans
proprium, ut genus perficitur per additionem ce qui s’étend aux réalités que comprend ce qui
differentiae: sicut esse vehementius inhaeret quam est propre, comme le genre est perfectionné par
vivere, et tamen vivere aliquid complectitur actu l’ajout de la différence. Ainsi, le fait d’être
quod esse non habet nisi in potentia; unde adhère plus impétueusemenet que le fait de
perfectio esse est secundum quod se extendit ad vivre, et cependant le fait de vivre comprend en
vitam. Sic ergo caritas vehementius optat alicui acte quelque chose que le fait d’être ne
bona gratiae, circa quae est principaliter, quam comprend qu’en puissance. En conséquence, la
aliqua alia amicitia bona correspondentia illi perfection de l’être consiste en ce qu’elle aille
amicitiae; tamen non est de necessitate caritatis, jusqu’à la vie. Ainsi donc, la charité souhaite à
sed de perfectione, quod ad illa bona se extendat. quelqu’un avec plus d’impétuosité les biens de la
Et ideo quilibet ex necessitate tenetur odienti se grâce, sur lesquels elle porte principalement,
optare bona aeterna, non autem bona temporalia; qu’une autre amitié les biens correspondant à
sed hoc est de perfectione caritatis ut etiam ad ista cette amitié ; cependant, il ne relève pas de ce
se extendat. Sed quia remotio mali praecedit qui fait nécessairement partie de l’amitié, mais
ordine generationis adeptionem boni, ideo de sa perfection, qu’elle aille jusqu’à ces biens.
affectus nulli optat aliquod bonum cui aliquod C’est pourquoi tous sont nécessairement tenus de
malum, inquantum est malum, optat. Unde souhaiter les biens éternels à celui qui les hait,
quamvis sit de perfectione caritatis ut bona mais non les biens temporels ; mais il relève de
temporalia optemus inimicis; tamen est de la perfection [de la charité] qu’elle aille jusqu’à
necessitate salutis ut mala eis non optemus, vel ces biens. Mais parce que, dans l’ordre de la
optemus non inquantum mala, sed per accidens, ut génération, l’éloignement du mal précède
prius dictum est. Et similiter est de effectu: quia l’obtention du bien, la disposition affective ne
cooperari in his quae sunt ad vitam aeternam pro souhaite aucun bien à celui à qui elle souhaite un
loco, tempore, et modo suo, tenetur homo etiam mal en tant que mal. Ainsi donc, bien qu’il
inimico, saltem orando in communi, ut eum a suis relève de la perfection de la charité que nous
orationibus non excludat, quamvis forte specialem souhaitions des biens temporels à nos ennemis, il
mentionem de eo non faciat; sicut nec oportet n’est cependant pas nécessaire au salut que nous
quod de omnibus ad quos caritatem habet, ne leur souhaitions pas de maux ou que nous
specialem orationem faciat, sed communem. In [les] leur souhaitions, non en tant que maux,
aliis autem bonis non tenetur ei cooperari, nisi mais par accident, comme on l’a dit plus haut. Et
necessitas incumbat; sed est de perfectione de même en est-il pour l’effet, car l’homme est
caritatis. Sed tenetur non facere ei malum, nisi tenu de coopérer même avec son ennemi pour ce
inquantum est impedimentum majoris mali, vel qui concourt à la vie éternelle, par le lieu, le
promotivum majoris boni, ut justitiae, vel alicujus temps et à sa manière, du moins en priant d’une
hujusmodi. manière générale sans l’exclure de ses prières,
bien qu’il n’en fasse peut-être pas une mention
spéciale, de même qu’il n’est pas nécessaire qu’il
fasse une prière spéciale mais commune pour
tous ceux envers qui il a la charité. Mais, pour
les autres biens, il n’est pas obligé de coopérer
avec lui, à moins que ne se présente une
nécessité, mais cela relève de la perfection de la
charité. Toutefois, il est obligé de ne pas lui faire
de mal, sauf pour empêcher un mal plus grand
ou pour promouvoir un bien plus grand, comme
la justice ou quelque chose du genre.
931

[11558] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Les bienfaits dus à l’amitié viennent de la


primum ergo dicendum, quod beneficia amicabilia liberté, et non d’une dette. Or, la nécessité rend
procedunt ex liberatione, non ex debito. tout commun. C’est pourquoi, en cas de
Necessitas autem facit omnia communia; et ideo nécessité, il faut venir au secours même des
in necessitate subveniendum est etiam inimicis. ennemis. Mais c’est là l’effet de la justice plutôt
Sed hic est magis effectus justitiae quam que de l’amitié.
amicitiae.
[11559] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. La prière porte sur les biens qui relèvent d’une
secundum dicendum, quod oratio est de his bonis vie spirituelle commune, sur lesquels porte
quae pertinent ad communicationem spiritualis principalement la charité. Il n’en va donc pas de
vitae, quae caritas principaliter attendit; et ideo même de cela et des autres [biens].
non est simile de hoc et de aliis.
[11560] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. L’amour n’est pas simulé lorsqu’on le
tertium dicendum, quod non est simulata dilectio, manifeste en acte autant qu’il existe comme
quando tantum exhibetur in opere, quantum disposition affective.
habetur in affectu.
[11561] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Ces deux choses vont d’un même pas, comme
quartum dicendum, quod illa duo aequali passu on l’a dit.
currunt, ut dictum est.
[11562] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Refuser à quelqu’un des signes de familiarité
quintum dicendum, quod negare homini signa lorsque la nécessité l’exige serait une vengeance,
familiaritatis quando necessitas expeteret, esset ou encore s’il demandait pardon, ou si celui qui
vindicta; vel etiam quando veniam peteret; vel est considéré comme un ennemi s’introduisait
quando se ille qui hostis habetur ad familiaritatem parmi les familiers, alors qu’il n’y a pas
ingereret, si habeatur praesumptio quod non présomption d’une simulation ou s’il ne le fait
simulate, vel irrisorie facit: quia tunc diligit, et pas par dérision, car alors, il aime et doit être
inter amicos deputandus est. Sed quod aliquis compté parmi les amis. Mais que quelqu’un, en
ultro se ad familiaritatem inimico ingerat, hoc se dépassant, s’introduise dans la familiarité d’un
perfectionis est. ennemi, cela relève de la perfection.
[11563] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 6 Ad 6. La Glose parle d’un bienfait qui découle de la
sextum dicendum, quod Glossa loquitur de illo charité parfaite, selon que celle-ci progresse
beneficio quod sequitur caritatem perfectam, jusqu’à ce qui relève d’autres amitiés spéciales.
secundum quod procedit in illa quae sunt aliarum
specialium amicitiarum.
[11564] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 7 Ad 7. Le commandement de persécuter leurs
septimum dicendum, quod praeceptum fuit ennemis a été donné aux anciens, alors qu’ils
antiquis ut persequerentur hostes, et cum eis n’avaient pas contracté d’alliance, dans la
foedus non inirent, inquantum per eorum mesure où, par leur amitié, ils étaient attirés vers
amicitiam in idolatriam pertrahebantur, et l’idolâtrie et pour autant qu’ils étaient les
inquantum erant executores divinae justitiae ex instruments de la justice divine, en vertu d’un
praecepto ejus qui auctoritatem habebat; non commandement de celui qui possédait l’autorité,
autem ita quod ex vindicta facerent. et non de telle sorte qu’ils exercent des
vengeances.
[11565] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 2 ad 8 Et 8. Il faut dire la même chose à propos de l’Église
similiter dicendum ad octavum, quod Ecclesia hoc qui suscite des guerres contre les injustes, soit
modo movet bella adversus iniquos, vel ut pour faire justice, soit pour éviter un mal plus
justitiam faciat, vel ut majus malum evitet, aut grand ou pour entraîner une plus grand bien.
majus bonum inducat.

Articulus 3 [11566] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 Article 3 – Y a-t-il plus de mérite à aimer un
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a. 3 tit. Utrum majoris meriti sit diligere amicum ami qu’un ennemi ?
vel inimicum
[11567] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble qu’il y ait plus de mérite à aimer un
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod majoris ennemi qu’un ami. En Mt 5, 46, le Seigneur dit :
meriti sit diligere inimicum quam amicum. Matth. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle
5, 46, dominus dicit: si dilexeritis eos qui vos récompense aurez-vous ? Or, on parle de mérite
diligunt, quam mercedem habebitis? Sed meritum en rapport avec la récompense. Il y a donc plus
dicitur respectu mercedis. Ergo majoris meriti est de mérite à aimer un ennemi qu’un ami.
diligere inimicum quam amicum.
[11568] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 2 2. Ce qui relève de la perfection est plus
Praeterea, illud quod est perfectionis, est majoris méritoire, car la charité parfaite mérite davantage
meriti: quia caritas perfecta plus meretur quam que [la charité] imparfaite. Or, aimer un ennemi
imperfecta. Sed diligere inimicum est caritatis relève de la charité parfaite, mais non aimer un
perfectae, diligere autem amicum non. Ergo ami. Aimer un ennemi est donc plus méritoire.
diligere inimicum est majoris meriti.
[11569] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 3 3. Là où la difficulté est plus grande, là existe un
Praeterea, ubi major est difficultas, ibi majus plus grand mérite, car cela relève davantage de la
meritum: quia magis pertinet ad virtutem quae est vertu, qui porte sur ce qui est difficile. Or, aimer
circa difficile. Sed diligere inimicum est un ennemi est plus difficile qu’aimer un ami.
difficilius quam diligere amicum. Ergo est majoris Cela est donc plus méritoire.
meriti.
[11570] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Selon Grégoire, les services sont d’autant plus
Praeterea, secundum Gregorium, servitia tanto agréables qu’ils sont moins dus. Or, il est moins
sunt magis accepta, quanto minus debita. Sed dû d’aimer un ennemi qu’aimer un ami. Cela est
minus est debitum diligere inimicum quam donc plus agréable à Dieu et plus méritoire.
diligere amicum. Ergo magis Deo acceptum et
magis meritorium.
[11571] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 5 5. La capacité de mériter vient de la grâce. Or,
Praeterea, virtus merendi est ex gratia. Sed ad seule la grâce incite à l’amour des ennemis, mais
dilectionem inimicorum movet tantum gratia, ad la nature avec la grâce incite ensemble à l’amour
dilectionem amicorum movet simul natura cum des amis. Il est donc plus méritoire d’aimer un
gratia. Ergo magis est meritorium diligere ennemi qu’aimer un ami.
inimicum quam diligere amicum.
[11572] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 6 6. Meilleur est un acte, plus il est méritoire. Or,
Sed contra, quanto aliquis actus est magis bonus, il est meilleur d’aimer un ami qu’un ennemi, car
tanto est magis meritorius. Sed melius est diligere c’est un acte qui s’applique davantage à une
amicum quam inimicum, quia est actus magis matière obligatoire. Il est donc mieux d’aimer un
cadens supra debitam materiam. Ergo melius est ami qu’un ennemi.
diligere amicum quam inimicum.
[11573] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 7 7. Un bien moins bon doit être écarté pour un
Praeterea, minus bonum dimittendum est pro bien meilleur, si la nécessité se présente. Or,
magis bono, si necessitas incumbit. Sed dilectio l’amour des ennemis doit être davantage écarté
inimicorum dimittenda esset magis quam dilectio que l’amour des amis : cela ressort de l’effet qui
amicorum; quod patet ex effectu qui affectui est proportionné à la disposition affective, car
proportionatur: quia quando non possumus amicis lorsque nous ne pouvons pas venir au secours
et inimicis in extrema necessitate existentibus des amis et des ennemis en cas d’extrême
subvenire, tenemur magis subvenire amicis quam nécessité, nous sommes davantage tenus de venir
inimicis. Ergo diligere amicum est magis bonum au secours des amis que des ennemis. Aimer un
quam diligere inimicum. ami est meilleur qu’aimer un ennemi.
[11574] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 8 8. Ce qui est commun et premier est meilleur que
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Praeterea, illud quod est commune et primum, ce qui s’y ajoute, comme être est meilleur que
melius est quam illud quod superadditur; sicut vivre, si on l’envisage sans l’être, comme le dit
esse melius est quam vivere, si sine esse Denys. Or, aimer un ami est le fondement
consideretur; ut dicit Dionysius. Sed diligere commun et premier de la charité, à quoi s’ajoute
amicum est commune et primum fundamentum l’amour des ennemis. Aimer un ami est donc
caritatis, cui superadditur dilectio inimicorum. meilleur et plus méritoire qu’aimer un ennemi.
Ergo diligere amicum est melius et magis
meritorium quam diligere inimicum.
[11575] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 co. Réponse. La comparaison faite entre les amours
Respondeo dicendum, quod praedicta comparatio peut s’entendre de deux manières : pour ce qui
dilectionum potest intelligi dupliciter, scilicet est de l’acte, et pour pour ce qui est de l’habitus.
quantum ad actus, et quantum ad habitus. Si S’il s’agit de l’acte, il faut savoir que lorsqu’on
quantum ad actus, sciendum est, quod quando se demande lequel de deux actes est meilleur et
quaeritur de duobus actibus quis sit melior et plus méritoire, la question doit s’entendre de ce
magis meritorius, oportet quod quaestio qui relève de son genre à parler de soi. En effet,
intelligatur de illis per se loquendo secundum il arrive que ce qui est moins bon ou moins
genus suum. Contingit enim quod illud quod méritoire selon son genre, devienne meilleur ou
secundum genus est minus bonum vel meritorium, plus méritoire en raison d’une circonstance :
aliquo adveniente efficiatur magis bonum vel ainsi, une petite action accomplie par une charité
meritorium, sicut parvum opus ex magna caritate plus grande est plus méritoire qu’une grande
factum magis est meritorium quam magnum ex action accomplie par une petite charité. Or, la
parva. Bonitas autem actus ad duo mensuratur, ex bonté d’un acte se mesure selon les deux choses
quibus bonitatem recipit; scilicet ex termino vel dont il reçoit sa bonté : son terme ou son objet, et
objecto, et ex principio, quod est voluntas. Ex son principe, qui est la volonté. Or, il a une
termino autem habet speciem bonitatis, sed ex espèce de bonté en raison de son terme, mais il a
voluntate habet rationem merendi; quia secundum une raison de mériter par la volonté, car il est
hoc est in potestate facientis quod ex voluntate ainsi au pouvoir de celui qui l’accomplit qu’il
procedit. Si ergo comparemus dilectionem amici vienne de la volonté. Si donc nous comparons
et inimici quantum ad terminos sive objecta; cum l’amour d’un ami et d’un ennemi pour ce qui est
objectum magis competens dilectioni sit amicus des termes ou des objets, puisque l’objet qui
quam inimicus; sic melius est diligere amicum convient davantage à l’amour est l’ami plutôt
quam inimicum. Si vero comparemus duas que l’ennemi, il est ainsi meilleur d’aimer un ami
dilectiones praedictas ad principium, quod est qu’un ennemi. Mais si nous comparons les deux
voluntas; sic ubi est major conatus voluntatis, ibi amours en question à leur principe, qui est la
oportet esse majus meritum: quia quanto est major volonté, là où est le plus grand effort de volonté,
conatus voluntatis, tanto est ferventior voluntas de là doit être le plus grand mérite, car plus grand
fine, propter quem attentat illud, quod secundum est l’effort de la volonté, plus la volonté
se sibi est magis repugnans; quamvis sit magis recherche intensément la fin pour laquelle elle
remissa quandoque circa id ad quod magis entreprend ce qui lui répugne davantage, bien
conatur. Meritum autem consistit ex hoc quod qu’elle soit parfois plus relâchée par rapport à ce
voluntas ad finem afficitur. Et ideo si à quoi elle s’efforce. Or, le mérite vient du fait
comparemus actus talium dilectionum, dilectio que la volonté est affectée par la fin. Si nous
inimici est magis meritoria, inquantum comparons les actes de ces amours, l’amour d’un
hujusmodi: quia secundum quod hujusmodi, ennemi est donc plus méritoire en tant que tel,
exigit majorem conatum et majorem fervorem car, en tant que tel, il exige un plus grand effort
circa finem, quamvis dilectio amici sit magis et une plus grande intensité par rapport à la fin,
intensa circa objectum; sed dilectio amici est bien que l’amour soit plus intense par rapport à
melior quantum ad bonitatem essentialem quae l’objet ; mais l’amour d’un ami est meilleur pour
consequitur speciem actus, quia actus specificatur ce qui est de la bonté essentielle qui découle de
ex objecto. Si autem comparentur praedictae l’espèce de l’acte, car l’acte reçoit son espèce de
934

dilectiones quantum ad habitus, sic oportet quod l’objet. Mais si l’on compare les actes en
vel intelligatur de dilectione inimicorum quae est question pour ce qui est des habitus, il faut alors
necessitatis; et sic nulla est comparatio, quia idem l’entendre de l’amour des ennemis qui est
habitus est aequalis respectu utriusque; vel de nécessaire, et ainsi, il n’y a pas de comparaison,
dilectione inimicorum quae est perfectionis; et sic car le même habitus est égal par rapport aux
dilectio inimicorum includit dilectionem deux ; ou de l’amour des ennemis qui relève de
amicorum, et non e converso; et sic dilectio la perfection, et ainsi l’amour des ennemis inclut
inimicorum melior est. l’amour des amis, mais non l’inverse, et ainsi
l’amour des ennemis est meilleur.
[11576] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. L’amour par lequel seuls les amis sont aimés
primum ergo dicendum, quod dilectio qua tantum ne vient pas de la grâce. C’est pourquoi il ne
amici diliguntur, non procedit ex gratia; et ideo peut être méritoire ni avoir de récompense.
non potest esse meritoria, nec mercedem habere: Cependant, si l’acte d’amour par lequel nous
sed tamen si actus dilectionis qua amicos aimons nos amis tire sa forme de la grâce, il est
diligimus, sit gratia informatus, meritorius est, et méritoire et il obtient une récompense.
mercedem habet.
[11577] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Aimer un ennemi n’est pas le fait de tous les
secundum dicendum, quod diligere inimicum non modes de perfection ; mais, en tant que cela
omnibus modis perfectionis est; sed inquantum relève de la perfection, cela devient plus
perfectionis est, efficitur magis meritorium, méritoire selon que cela exige un effort plus
secundum quod exigit majorem conatum. grand.
[11578] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. La difficulté ne contribue au mérite que pour
tertium dicendum, quod difficultas non facit ad autant qu’elle provoque une plus grande
meritum nisi inquantum facit majorem inclination et un plus effort de la volonté vers
inclinationem et conatum voluntatis in aliquid. quelque chose.
[11579] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Ce qui est dû ne diminue la raison de mérite
quartum dicendum, quod debitum non diminuit que dans la mesure où cela diminue la raison de
rationem meriti nisi quatenus diminuit rationem volontaire, selon que cela comporte une certaine
voluntarii, secundum quod quamdam nécessité. Mais si ce qui dû est volontairement
necessitatem importat. Sed si voluntarie debitum rendu, il y aura là autant de mérite qu’il y a de
reddatur, nihilominus ibi erit tantum meriti volontaire.
quantum est ibi de ratione voluntarii.
[11580] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. La nature n’est pas contraire à la grâce. Le
quintum dicendum, quod natura non est contraria mélange de la nature à la grâce n’affaiblit pas
gratiae: unde admixtio naturae ad gratiam non les effets de la grâce, qui sont affaiblis par le
facit remissionem in effectibus gratiae, quae mélange d’un contraire.
causatur ex permixtione contrarii.
[11581] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 6 Ad 6. Un acte tire sa bonté de son objet et de sa fin.
sextum dicendum, quod actus habet bonitatem ex La bonté qui vient de l’objet joue le rôle de
objecto et ex fine: et bonitas quae est ex objecto, matière par rapport à celle qui vient de la fin, que
est materialis respectu illius quae est ex fine, vise la volonté. Or, le mérite vient plutôt de
quam voluntas attendit: et penes istam potius celle-ci.
consistit meritum.
[11582] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 7 Ad 7. Pour ce qui relève de l’ajout d’une chose à une
septimum dicendum, quod in illis quae se habent autre, la conséquence se trouve dans le contraire,
secundum additionem unius ad alterum, est et l’absence de conséquence, en elle. Par
consequentia in contrario, non consequentia in exemple, pour l’homme et l’animal : le rapport
ipso; sicut patet in homine et animali; sicut enim de l’homme à l’animal est le même que ce qui
se habet homo ad animal, ita se habet non animal n’est pas un animal par rapport à ce qui n’est pas
ad non homo. Unde quia conatus qui est in un homme. Parce que l’effort qui existe dans
935

dilectione inimicorum, se habet ex additione ad l’amour des ennemis vient d’un ajout à celui qui
illum qui est in dilectione amicorum; ideo sicut existe dans l’amour des amis, de même qu’aimer
diligere inimicum est meriti, secundum quod est un ennemi est méritoire en raison d’un plus
major conatus, ita dimittere dilectionem grand effort, de même écarter l’amour des amis
amicorum est magis malum. est-il un plus grand mal.
[11583] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 3 ad 8 Ad 8. Ce raisonnement vient de la bonté que l’acte a
octavum dicendum, quod ratio illa procedit de en raison de son espèce, qui vient de l’objet.
bonitate quam actus habet ex propria ratione suae
speciei, quae est ex objecto.

Articulus 4 [11584] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 Article 4 – Aimer son prochain est-il plus
a. 4 tit. Utrum diligere proximum sit magis méritoire qu’aimer Dieu ?
meritorium quam diligere Deum
[11585] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble qu’aimer le prochain soit plus
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod diligere méritoire qu’aimer Dieu. En effet, nous ne
proximum sit magis meritorium quam diligere méritons par ce qui est naturel. Or, aimer Dieu
Deum. Naturalibus enim non meremur. Sed est naturel, car l’amour du Bien suprême est
diligere Deum est naturale: quia amor summi boni naturellement intrinsèque à toutes choses,
omnibus naturaliter inest, ut dicit Dionysius. Ergo comme le dit Denys. Aimer Dieu est donc moins
diligere Deum est minus meritorium quam méritoire qu’aimer le prochain, qui n’est pas
diligere proximum, quod non est adeo naturale. aussi naturel.
[11586] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Ce qui porte plus de fruit semble être plus
Praeterea, illud quod est fructuosius, videtur esse méritoire. Or, ce qui se rapporte à la vie active
magis meritorium. Sed ea quae pertinent ad vitam est plus pénible et fructueux que ce qui se
activam, sunt magis laboriosa et fructuosa quam rapporte à la vie contemplative. Cela est donc
ea quae pertinent ad contemplativam. Ergo sunt plus méritoire. Or, l’amour du prochain se
magis meritoria. Sed dilectio proximi pertinet ad rapporte à la vie active, mais l’amour de Dieu, à
vitam activam, dilectio autem Dei ad la vie contemplative. Il est donc plus méritoire
contemplativam. Ergo est magis meritorium d’aimer le prochain qu’aimer Dieu.
proximum diligere quam diligere Deum.
[11587] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 3 3. De même qu’aimer un ennemi se situe au
Praeterea, sicut diligere inimicum ponitur in dernier degré, de même aimer Dieu se situe au
ultimo gradu, ita diligere Deum ponitur in primo premier degré de la charité. Or, aimer un ennemi
gradu caritatis. Sed diligere inimicum est magis est plus méritoire qu’aimer un ami. Pour la
meritorium quam diligere amicum. Ergo eadem même raison, aimer le prochain [est-il donc plus
ratione diligere proximum quam diligere Deum. méritoire] qu’aimer Dieu.
[11588] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 4 4. Ce qui présuppose une autre chose sans être
Praeterea, illud quod praesupponit aliud et non convertible semble être plus parfait. Or, l’amour
convertitur, videtur esse perfectius. Sed dilectio du prochain présuppose l’amour de Dieu, car
proximi praesupponit dilectionem Dei, quia est celui-ci est la raison d’aimer le prochain.
ratio diligendi proximum. Ergo dilectio proximi L’amour du prochain est donc plus méritoire que
est magis meritoria quam dilectio Dei. l’amour de Dieu.
[11589] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 arg. 5 5. L’acte pour lequel un effort plus grand est
Praeterea, actus in quo exigitur major conatus, exigé doit nécessairement être plus méritoire. Or,
oportet quod sit magis meritorius. Sed major un plus grand effort est exigé pour aimer un
conatus exigitur ad diligendum inimicum quam ad ennemi que pour aimer Dieu. L’amour du
diligendum Deum. Ergo dilectio proximi, ad prochain, au moins pour ce qui est de l’amour
minus quantum ad dilectionem inimicorum, est des ennemis, est donc plus méritoire que l’amour
magis meritoria quam dilectio Dei. de Dieu.
[11590] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] la raison pour laquelle existe
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Sed contra, propter quod unumquodque tale, et une chose compte davantage. Or, l’amour du
illud magis. Sed dilectio proximi non est meritoria prochain n’est méritoire que pour autant qu’il
nisi inquantum ordinatur ad Deum actu vel habitu. ordonné à Dieu en acte ou en habitus. L’amour
Ergo dilectio Dei est magis meritoria. de Dieu est donc plus méritoire.
[11591] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] Plus la charité est intense, plus elle est
Praeterea, quanto caritas est magis intensa, magis méritoire. Or, la charité aime Dieu plus
erit meritoria. Sed intensius diligit caritas Deum intensément que le prochain. Pour cette raison,
quam proximum. Ergo in hoc magis meretur. elle mérite donc davantage.
[11592] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] Toute vertu agit d’autant plus efficacement
Praeterea, quaelibet virtus efficacius operatur sur son objet, qu’il lui est davantage propre et
circa objectum suum, quanto est sibi magis par soi. Or, l’objet par soi de la charité est Dieu,
proprium, et per se. Sed objectum per se caritatis mais le prochain ne l’est que par mode de
est Deus, proximus autem non nisi consequenter; conséquence, comme l’amplitude de la vue
sicut magnitudo visus consequenter, color per se. existe par mode de conséquence, mais la couleur,
Ergo cum mereri sit effectus caritatis, videtur par soi. Puisque mériter est l’effet de la charité, il
quod sicut visus melius cognoscit colorem quam semble donc que, de même que la vue connaît
magnitudinem (quia circa colorem non decipitur, mieux la couleur que l’amplitude (car elle ne se
sicut circa magnitudinem); ita caritas magis trompe pas à propos de la couleur, comme c’est
mereatur in dilectione Dei quam in dilectione le cas à propos de l’amplitude), de même la
proximi. charité mérite-t-elle davantage par l’amour de
Dieu que par l’amour du prochain.
[11593] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 s. c. 4 4. Ce qui est plus difficile semble être plus
Praeterea, quod est difficilius, videtur esse magis méritoire. Or, aimer Dieu semble être plus
meritorium. Sed diligere Deum videtur difficilius difficile qu’aimer le prochain. En effet, il est dit
quam diligere proximum; dicitur enim 1 Joan. 4, en 1 Jn 4, 20 : Celui qui n’aime pas le prochain
20: qui proximum quem videt, non diligit; Deum qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne
quem non videt, quomodo potest diligere? Ergo voit pas ? L’amour de Dieu est donc plus
dilectio Dei est magis meritoria quam dilectio méritoire que l’amour du prochain.
proximi.
[11594] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 co. Réponse. L’amour de Dieu est la cause et la
Respondeo dicendum, quod dilectio Dei est causa raison de l’amour du prochain. L’amour de Dieu
et ratio dilectionis proximi; unde dilectio Dei est donc inclus par sa puissance dans l’amour du
includitur virtute in dilectione proximi sicut causa prochain comme la cause dans son effet, et
in effectu, et dilectio proximi includitur in l’amour du prochain est inclus en puissance dans
dilectione Dei sicut effectus in causa potestate. l’amour de Dieu comme effet dans sa cause.
Nihilominus tamen alius est motus dilectionis qui Toutefois, autre est le mouvement de l’amour
terminatur in proximum et qui sistit in Deo, sicut qui a son terme dans le prochain et qui aboutit à
alius actus est quo considerantur principia et Dieu, de même qu’autre est l’acte par lequel
conclusiones, quamvis praedicto modo mutuo se nous considérons les principes et les conclusions,
includant. Comparando ergo hos duos motus ex bien qu’ils s’incluent mutuellement de la
duabus partibus, ut supra dictum est, invenimus manière déjà exposée. En comparant donc les
dilectionem Dei potiorem quam dilectionem deux mouvements des deux côtés, comme on l’a
proximi, scilicet et quantum ad objectum, quod dit, nous trouvons que l’amour de Dieu est plus
est competentius dilectioni, et quantum ad puissant que l’amour du prochain quant à son
voluntatem, quae intensius et promptius afficitur objet, qui convient davantage à l’amour, et quant
in Deum quam in proximum; et ideo motus à la volonté, qui est plus intensément et plus
dilectionis in Deum est melior et magis meritorius promptement éprise de Deu que du prochain.
quam motus dilectionis in proximum, nisi dilectio C’est pourquoi le mouvement d’amour vers Dieu
proximi procedat ex majore dilectione Dei, quam est meilleur et plus méritoire que le mouvement
sit dilectio quae fertur in Deum immediate in d’amour vers le prochain, à moins que l’amour
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aliquo actu: quod quidem aliquando contingit, sed du prochain ne vienne d’un plus grand amour de
non semper: quia minima dilectio caritatis in Dieu de manière immédiate dans un acte, ce qui
Deum sufficit ut extendat affectum in proximum. se produit parfois, mais pas toujours, car le plus
petit amour de Dieu suffit à ce que la disposition
affective atteigne le prochain.
[11595] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Ce qui est purement naturel n’est pas
primum ergo dicendum, quod illa quae sunt pure méritoire ; mais ce qui vient de la nature
naturalia, non sunt meritoria; sed illa quae perfectionnée par la charité et la grâce est
procedunt ex natura perfecta caritate et gratia, méritoire, et la nature ne diminue pas la raison de
sunt meritoria, nec natura rationem meriti mérite, comme on l’a dit.
diminuit, ut dictum est.
[11596] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. En supposant que l’acte de la vie active soit
secundum dicendum, quod supposito quod actus plus méritoire que l’acte de la vie contemplative,
activae vitae sit magis meritorius quam actus ce qui n’est peut-être pas vrai, comme on le dira
contemplativae, quod forte non est verum, ut à la d. 35, q. 1, a. 4, qa 2, il n’est pas nécessaire
infra, dist. 35, quaest. 1, art. 4, quaestiunc. 2, que l’amour du prochain soit plus méritoire que
dicetur, non oportet quod dilectio proximi sit l’amour de Dieu, car l’amour de Dieu est le
magis meritoria quam dilectio Dei: quia dilectio principe de ce qui se rapporte aux deux vies,
Dei est principium eorum quae ad utramque vitam comme on l’a dit. Ou il faut dire autrement que
pertinent, ut dictum est. Vel aliter dicendum, quod l’amour de Dieu et du prochain, pour ce qui est
dilectio Dei et proximi, quantum ad actum de l’acte intérieur, relève de la vie
interiorem, pertinet ad vitam contemplativam; contemplative ; aussi Grégoire dit-il, en
unde Gregorius dicit super Ezech. quod commentant Ézéchiel, que la vie contemplative
contemplativa vita insistit dilectioni Dei et consiste dans l’amour de Dieu et du prochain ;
proximi; sed quantum ad actus exteriores utraque mais, pour ce qui est des actes extérieurs, les
ad vitam activam pertinet; quamvis hujusmodi deux [amours] se rapportent à la vie active, bien
actus in proximos extendatur, quia Deus operum que ces actes atteignent le prochain, car Dieu n’a
nostrorum non eget. pas besoin de nos œuvres.
[11597] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. L’amour de l’ennemi n’était pas plus
tertium dicendum, quod dilectio inimici non erat méritoire, sinon dans la mesure où il provenait
magis meritoria nisi inquantum procedebat ex d’une vertu plus forte. Cette force provenait de
fortiori virtute; quae fortitudo attendebatur ce que la volonté adhérait à Dieu plus
secundum quod voluntas intensius Deo intensément. Il n’en découle donc pas que
adhaerebat; unde non sequitur quod dilectio l’amour du prochain soit plus méritoire, à moins
proximi sit magis meritoria, nisi magis etiam que Dieu ne soit aussi davantage aimé.
Deus diligeretur.
[11598] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. L’amour du prochain présuppose l’amour de
quartum dicendum, quod dilectio proximi Dieu, non pas comme quelque chose de plus
praesupponit dilectionem Dei, non sicut perfectius parfait présuppose ce qui est moins parfait,
minus perfectum, sicut erat in aliis gradibus, sed comme c’était le cas dans les autres degrés, mais
sicut effectus causam; et ideo ratio non sequitur. comme l’effet [présuppose] la cause. Le
raisonnement n’est donc pas concluant.
[11599] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Cet effort de la volonté ne vient que de ce
quintum dicendum, quod ille conatus voluntatis qu’elle est attirée vers Dieu de manière plus
non est nisi ex hoc quod vehementius ad Deum impétueuse, comme on l’a dit plus haut, car
afficitur, ut dictum est prius: quia nullus conatur personne ne fait d’effort pour quelque chose que
ad aliquid, nisi secundum desiderium finis. par le désir de la fin.
[11600] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 4 ad s. c. L’objection en sens contraire, qu’aimer Dieu est
Hoc autem quod in contrarium objicitur, quod plus difficile, doit s’entendre non pas de l’amour
diligere Deum est difficilius, intelligendum est naturel, par lequel toutes les choses l’aiment,
938

non de dilectione naturali, qua omnia ipsum mais de l’amour gratuit. On dit que celui-ci est
amant, sed de dilectione gratuita. Et haec etiam plus difficile, non pas parce qu’il exigerait plus
dicitur difficilior, non quasi laboriosior, cum sit d’effort, puisqu’il est plus doux, mais parce qu’il
dulcior, sed quia magis vires naturae excedit, quia dépasse davantage les forces de la nature,
est in altius objectum. puisqu’il porte sur un objet plus élevé.

Articulus 5 [11601] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 Article 5 – Le mérite consiste-t-il


a. 5 tit. Utrum meritum consistat principaliter in principalement dans la charité ?
caritate
[11602] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 1 1. Il semble que le mérite ne consiste pas
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod meritum principalement dans la charité. En effet, on dit
non consistat in caritate principaliter. Gratia enim que la grâce est le principe du mérite. Or, la
dicitur esse principium merendi. Sed caritas non charité n’est pas la même chose que la grâce. Le
est idem quod gratia. Ergo non consistit meritum mérite ne se fonde donc pas principalement sur
principaliter penes caritatem. la charité.
[11603] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 2 2. Un acte est méritoire par rapport à sa fin, de la
Praeterea, actus est meritorius per ordinem ad même manière qu’il est louable. Or, toutes les
finem, sicut et laudabilis. Sed cujuslibet virtutis vertus réalisent des actes louables. Donc aussi,
est facere actum laudabilem. Ergo et facere actum un acte méritoire. Et ainsi, il semble que le
meritorium; et ita videtur quod meritum non mérite ne consiste pas dans la charité.
consistat penes caritatem.
[11604] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 3 3. Celui-là seulement mérite qui est justifié. Or,
Praeterea, nullus meretur nisi justificatus. Sed il revient à la foi de justifier, comme cela ressort
fidei est justificare, ut patet Rom. 5. Ergo apud de Rm 5. C’est donc elle qui est principalement
ipsam praecipue est virtus meritoria. une vertu méritoire.
[11605] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 4 4. Ce qui contribue à la diminution du mérite ne
Praeterea, illud quod facit ad diminutionem semble pas être la racine du mérite. Or, la charité
meriti, non videtur esse radix merendi. Sed caritas provoque une diminution du mérite, car elle rend
facit diminutionem meriti, quia facit omnia facilia tout facile, non seulement en tant qu’habitus,
non solum inquantum est habitus, sed etiam mais aussi en tant qu’elle est amour, comme cela
inquantum est amor, ut ex praedictis patet. Cum ressort de ce qui a été déjà été dit. Puisque la
ergo difficultas faciat ad meritum, videtur quod difficulté contribue au mérite, il semble donc que
caritas non sit radix merendi. la charité ne soit pas la racine du mérite.
[11606] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 arg. 5 5. Si la charité était la racine du mérite, partout
Praeterea, si caritas esset radix merendi, où existerait une charité égale, le mérite serait
ubicumque esset aequalis caritas, esset aequale égal. Or, parfois, quelqu’un qui a peu de charité
meritum. Sed aliquando aliquis habens parvam pose un acte par lequel il mérite davantage que
caritatem, facit aliquem actum in quo magis celui qui a une grande charité par le petit acte
meretur quam ille qui habet magnam caritatem in qu’il pose. La charité n’est donc pas la racine du
aliquo parvo actu quem facit. Ergo caritas non est mérite.
radix merendi.
[11607] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] la racine du mérite est ce sans
Sed contra, illud videtur esse radix merendi sine quoi aucun mérite n’a de valeur. Or, la charité
quo nullum meritum valet. Sed caritas est est de ce genre, comme cela ressort de 1 Co 13.
hujusmodi, ut patet 1 Corinth. 13. Ergo caritas est La charité est donc la racine du mérite.
radix merendi.
[11608] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 2 2. Ce qui s’oppose à tout démérite semble être la
Praeterea, illud videtur esse radix merendi quod racine du mérite. Or, la charité est de cette sorte.
opponitur omni demerito. Sed caritas est Elle est donc la racine du mérite.
hujusmodi. Ergo ipsa est radix merendi.
939

[11609] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 s. c. 3 3. Nous méritons par le fait que nous sommes
Praeterea, ex hoc meremur quod Deo unis à Dieu. Or, la charité réalise cela. Elle est
conjungimur. Sed hoc facit caritas. Ergo ipsa est donc la racine du mérite.
radix merendi.
[11610] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 18, a. 2,
Respondeo dicendum, quod sicut supra, dist. 18, on appelle mérite, au sens propre, ce que produit
art. 2, dictum est, meritum proprie dicitur quod quelqu’un afin de rendre sien quelque chose, qui
aliquis exhibet ad hoc quod faciat aliquid suum, est la récompense du mérite. Deux choses sont
quod est praemium meriti. Unde ad meritum donc principalement requises pour le mérite.
requiruntur duo principaliter. Unum est quod sit L’une est que ce soit produit, et non arraché. Et
exhibitum, et non extortum. Et quia nihil potest parce que rien ne peut être produit qui ne soit au
exhiberi nisi quod in potestate exhibentis est, ideo pouvoir de celui qui le produit, il est donc
requiritur quod sit voluntarium, quia voluntas nécessaire que cela soit volontaire, car la volonté
facit nos esse dominos nostrorum actuum. Aliud nous rend maîtres de nos actes. L’autre chose est
requiritur ut hoc quod exhibetur, sit sufficiens ad requise afin que ce qui est produit suffise à
faciendum suum illud quod exhibetur. Et ex rendre sien ce qui est produit. Et la source du
utraque parte principalitas merendi est ex caritate. mérite vient de la charité sous les deux aspects.
Ipsa enim est in voluntate, sicut in subjecto, ipsam En effet, la charité réside dans la volonté comme
perficiens quantum ad primum actum ejus, et dans son sujet, la perfectionnant pour son acte
principalem: et iterum cum sit amor Dei, facit premier et principal ; et puisqu’elle est amour de
amatum ipsum, quod est proemium, esse suum, Dieu, elle fait en sorte que cela même qui est
inquantum unit ei; et ideo principalitas meriti est aimé, qui est la récompense, soit sien dans la
in caritate, in aliis autem secundum quod caritate mesure où elle unit à lui. La source du mérite se
informantur. trouve donc dans la charité, mais dans d’autres
choses selon qu’elles reçoivent leur forme de la
charité.
[11611] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 1 Ad 1. La grâce réalise le mérite en tant que principe
primum ergo dicendum, quod gratia facit meritum éloigné nous établissant dans l’existence
sicut principium remotum constituens nos in esse spirituelle, sans laquelle nous ne pouvons mériter
spirituali, sine quo non possumus mereri aliquod quelque chose de spirituel ; mais la charité [en]
spirituale; sed caritas est sicut principium est comme le principe prochain.
proximum.
[11612] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 2 Ad 2. La foi ne justifie que si elle a reçu sa forme de
secundum dicendum, quod fides non justificat nisi la charité. La justification est donc spécialement
per caritatem sit formata. Ideo autem specialiter attribuée à la foi parce que la première chose par
fidei attribuitur justificatio, quia primum in quo laquelle le juste se distingue de l’injuste est
distinguitur justus ab injusto, est actus fidei, sicut l’acte de la foi, comme la première chose par
primum in quo distinguitur vivum a non vivo, est laquelle le vivant se distingue du non-vivant est
actus nutritivae potentiae; et ideo dicitur vivere l’acte de la puissance nutritive. On dit donc qu’il
secundum illam potentiam, et sentire secundum vit selon cette puissance, et qu’il sent selon le
tactum, qui est primus sensuum, ut dicitur 2 de toucher, qui est le premier des sens, comme il est
anima. dit dans Sur l’âme, II.
[11613] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 3 Ad 3. Les actes des autres vertus ne sont méritoires
tertium dicendum, quod actus aliarum virtutum que dans la mesure où ils tirent leur forme de la
non sunt meritorii nisi inquantum sunt informati charité, de même que les actes des vertus ne sont
caritate; sicut nec actus virtutum sunt laudabiles louables que dans la mesure où ils sont
nisi inquantum sunt voluntarii. volontaires.
[11614] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 4 Ad 4. La difficulté ne contribue au mérite, peut-être,
quartum dicendum, quod difficultas non facit ad que par une remise de peine par mode
meritum, nisi forte dimissionis poenae per modum d’échange ; mais elle ne contribue pas au mérite
940

cujusdam commutationis; sed ad meritum quod qui est ordonné à l’obtention d’un bien, auquel il
ordinatur ad consecutionem boni, ad quod proprie n’est à proprement parler ordonné que dans la
ordinem habet, non facit, nisi secundum quod mesure où un effort plus grand est exigé, lequel
exigitur major conatus, qui est secundum provient d’une plus grande inclination de la
majorem inclinationem voluntatis in illud. Et quia volonté vers lui. Et parce que l’habitus et
habitus et amor ex hoc faciunt facilitatem, quia l’amour donnent ainsi de la facilité, puisqu’ils
faciunt majorem inclinationem voluntatis; ideo causent une plus grande inclination de la volonté,
talis facilitas non diminuit rationem meriti. une telle facilité ne diminue pas la raison de
mérite.
[11615] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 ad 5 Ad 5. Bien que les habitus inclinent la volonté, ils ne
quintum dicendum, quod habitus virtutum la forcent cependant pas. C’est pourquoi il peut
quamvis inclinent voluntatem, tamen non cogunt: arriver que celui qui possède un habitus plus
et ideo potest esse quod habitum majorem habens, grand montre une intensité moindre dans un acte,
quandoque minorem intensionem inducit in actu, et même parfois, d’une [intensité] nulle. Et alors,
sicut etiam quandoque nullam: et tunc actus ex un acte moins intense provenant d’une charité
majori caritate procedens minus intensus, est plus grande est plus méritoire au regard de la
magis meritorius respectu praemii accidentalis, récompense accidentelle, qui concerne l’acte lui-
quod respicit ipsum actum; sed minus respectu même, mais il l’est moins au regard de la
praemii essentialis, quod respicit capacitatem, récompense essentielle, qui concerne la capacité,
quae est ex habitu caritatis. laquelle vient de l’habitus de la charité.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


30
[11616] Super Sent., lib. 3 d. 30 q. 1 a. 5 expos.
An unus et idem motus sit erga amicum et
inimicum. Hoc est impossibile, nisi unus propter
alterum diligatur, et actuali consideratione
referatur in illud. Erga amicum ferventior. Hoc
intelligendum respectu ipsius objecti; sed respectu
finis, ille qui habet majorem conatum, inquantum
hujusmodi, est ferventior. Cum dicitur in
oratione: dimitte nobis debita nostra, sicut et nos
dimittimus debitoribus nostris. Videtur secundum
hoc quod quicumque servat rancorem, peccat
dicendo hanc orationem. Et dicendum, quod non
peccat: quia non dicit eam in persona sua, sed in
persona Ecclesiae: vel si in persona sua, non
quantum ad id quod agit, sed quantum ad id ad
quod optat pervenire.

Distinctio 31 Distinction 31 – [La durée de la charité]

Quaestio 1 Question 1 – [La charité peut-elle être


perdue ?]

Prooemium Prologue
[11617] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de la charité, le Maître
determinavit Magister de caritate, hic determinat détermine ici de sa durée. Il y a deux parties :
de ejus duratione. Dividitur autem in partes duas: dans la première partie, il détermine de la durée
in prima parte determinat de duratione caritatis de la charité quant à son essence ; dans la
941

quantum ad suam essentiam; in secunda de seconde, de sa durée quant à son ordre, en


duratione ejus quantum ad ordinem ejus, montrant comment elle a existé chez le Christ et
ostendens qualis in Christo fuerit, et in beatis comment elle existera chez les bienheureux, à cet
futurus sit, ibi: nunc autem superest investigare si endroit : « Il reste maintenant à rechercher si le
Christus, secundum quod homo, ordinem Christ, en tant qu’homme, a observé l’ordre de la
diligendi praescriptum servaverit. Prima in duas: charité qui a été prescrit. » La première partie se
in prima determinat de duratione caritatis; in divise en deux : dans la première, il détermine de
secunda de duratione aliorum habituum, ibi: la durée de la charité ; dans la seconde, de la
advertendum etiam est et cetera. Circa primum durée des autres habitus, à cet endroit : « Il faut
tria facit: primo ponit opinionem falsam aussi relever, etc. » À propos du premier point, il
quorumdam, qui dixerunt caritatem non posse fait trois choses. Premièrement, il présente la
amitti, et rationes opinionis illius; secundo objicit fausse opinion de certains qui ont dit que la
in contrarium, ibi: quos ratio vincit, et auctoritas; charité ne pouvait être perdue, et les raisons de
tertio solvit rationes in contrarium inductas, ibi: cette opinion. Deuxièmement, il soulève une
quod vero apostolus ait, caritas nunquam excidit, objection en sens contraire, à cet endroit : « La
pro illis nullatenus facit. Hic est duplex quaestio. raison et l’autorité l’emportent sur eux… »
Prima de evacuatione caritatis per peccatum. Troisièmement, il répond aux arguments
Secunda de evacuatione ejus per gloriam. Circa invoqués en sens contraire, à cet endroit : « Ce
primum quaeruntur quatuor: 1 utrum caritas semel que dit l’Apôtre, que la charité ne meurt pas,
habita possit amitti; 2 utrum aliquis possit de libro n’apporte rien en leur faveur. » Il y a ici une
vitae deleri; 3 utrum minima caritas possit cuilibet double question : la première, sur la perte de la
tentationi resistere; 4 de quantitate caritatis in charité par le péché ; la seconde, sur la perte de
resurgente. la charité par la gloire. À propos du premier
point, quatre questions sont posées : 1. Une fois
possédée, la charité peut-elle être perdue ? 2.
Quelqu’un peut-il être effacé du livre de vie ? 3.
La plus petite charité peut-elle résister à
n’importe quelle tentation ? 4. À propos de la
quantité de la charité chez celui qui ressuscite.

Articulus 1 [11618] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 Article 1 – Celui qui possède la charité peut-
a. 1 tit. Utrum qui habet caritatem, possit eam elle la perdre ?
amittere
[11619] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble que celui qui possède la charité ne
Ad primum sic proceditur. Videtur quod habens puisse pas la perdre. En effet, tous ceux qui ont
caritatem non possit eam amittere. Omnis enim la charité sont nés de Dieu, car la charité nous
qui habet caritatem, est natus ex Deo, quia caritas rend fils de Dieu. Or, quiconque est né de Dieu
facit filios Dei. Sed omnis qui natus est ex Deo, ne pèche pas, comme il est dit en 1 Jn 3. Tous
non peccat, ut dicitur 1 Joan. 3. Ergo omnis qui ceux qui ont la charité ne pèchent donc pas, et
habet caritatem non peccat; et ita caritas semel ainsi la charité, une fois possédée, ne peut pas
habita non potest amitti. être perdue.
[11620] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Chez tous ceux qui ont la charité existe le
Praeterea, in quolibet habente caritatem est mérite de la vie éternelle, car la charité est le
meritum vitae aeternae: quia caritas est principe du mérite, comme on l’a dit. Or, on agit
principium merendi, ut dictum est. Sed injuste injustement si on ne rend pas à quelqu’un ce
agitur cum aliquo, si non reddatur ei quod meruit, qu’il mérite, car cela lui est dû. La vie éternelle
quia hoc est ei debitum. Ergo cuilibet habenti sera donc donnée à tous ceux qui ont eu un jour
aliquando caritatem dabitur vita aeterna. Sed nulli la charité. Or, la vie éternelle ne sera donnée à
dabitur vita aeterna nisi finaliter habeat caritatem. personne qui n’aura pas à la fin la charité. Tous
Ergo quicumque habet caritatem, finaliter habebit ceux qui ont la charité la posséderont donc.
942

eam; et ita non potest ad minus finaliter amitti, ut Ainsi, il semble que [la charité] ne puisse être
videtur. perdue, du moins à la fin.
[11621] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 3. Ce qui est le plus fort ne peut être vaincu par
Praeterea, illud quod est fortissimum, non potest ce qui est le plus faible. Or, la charité est la plus
vinci a debilissimo. Sed caritas est fortissima, forte, car elle est forte comme la mort, ainsi qu’il
quia est fortis ut mors, ut dicitur Cant. ult.: est dit dans le dernier chapitre du Cantique ;
peccatum autem est debilissimum, quia malum est mais le péché est ce qu’il y a de plus faible, car
infirmum et pigrum, ut dicit Dionysius. Ergo le mal est faible et paresseux, comme le dit
caritas non potest per peccatum expelli. Sed nullo Denys. La charité ne peut donc pas être chassée
alio modo potest amitti. Ergo caritas semel habita par le péché. Or, elle ne peut être perdue
amitti non potest. d’aucune autre façon. La charité, une fois
possédée, ne peut donc être perdue.
[11622] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 4. La racine de tout mal est la cupidité, 1 Tm 6.
Praeterea, radix omnis mali est cupiditas: 1 Tim. Or, la charité ne supporte pas la cupidité, du
6. Sed caritas non compatitur secum cupiditatem, moins, la [charité] parfaite, comme le dit
ad minus perfecta, ut dicit Augustinus in Lib. 83 Augustin dans le Livre sur 83 questions. Celui
quaestionum. Ergo qui habet caritatem, non potest qui possède la charité ne peut donc tomber dans
incidere in aliquod malum; et ita non potest eam le mal, et ainsi, il ne peut la perdre.
amittere.
[11623] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Si le péché chasse la charité, ou bien il s’agit
Praeterea, si peccatum expellit caritatem, aut d’un péché qui existe, ou bien d’un péché qui
peccatum quod est, aut peccatum quod non est. n’existe pas. S’il ne s’agit pas d’un péché qui
Sed non peccatum quod est, quia illud caritatem existe, puisque celui-ci ne l’emporte pas sur la
non superat; nec illud quod non est, quia illud charité ; il ne s’agit pas non plus de celui qui
quod non est, non potest agere. Ergo peccatum n’existe pas, car ce qui n’existe pas ne peut agir.
nullo modo expellit caritatem. Le péché ne chasse donc la charité d’aucune
manière.
[11624] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 6 6. Ce qui existe dans une minorité de cas
Praeterea, illud quod est in minori parte, magis s’éloigne davantage de ce qui existe dans une
distat ab eo quod est in pluribus, quam ab eo quod majorité, que ce qui s’éloigne des deux. Or, du
est ad utrumlibet. Sed ex eo quod est ad fait que cela s’éloigne des deux, cela ne peut rien
utrumlibet, non potest aliquid procedere, ut dicit faire, comme le dit le Commentateur dans
Commentator in 2 Physic. Ergo multo minus ab Physique, II. Encore bien moins donc, ce qui
eo quod est in minori parte. Sed caritas quamvis existe chez une minorité. Or, la charité, bien
non faciat necessitatem ad bonum ut semper fiat, qu’elle ne fait pas en sorte que le bien soit
facit tamen inclinationem ut pluries fiat. Ergo non toujours accompli, donne cependant une
potest ille qui habet caritatem, facere malum, ad inclination à le faire la plupart du temps. Celui
quod se habet sicut in minori parte; et ita non qui possède la charité ne peut donc faire le mal,
potest peccare, vel caritatem amittere. avec lequel elle a un rapport dans une minorité
de cas. Elle ne peut donc ainsi pécher ou perdre
la charité.
[11625] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 7 7. L’amour de charité est plus fort que l’amour
Praeterea, amor caritatis est fortior quam amor naturel. Or, l’amour naturel n’est pas perdu par
naturalis. Sed amor naturalis non amittitur per la péché. Donc, ni l’amour de charité.
peccatum. Ergo nec amor caritatis.
[11626] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 8 8. La charité est plus grande que la foi, et les
Praeterea caritas est major fide; et utrumque est deux sont un don de Dieu. Puisque la foi n’est
donum Dei. Cum ergo fides non tollatur per pas enlevée par le péché mortel, il semble donc
peccatum mortale, videtur quod nec caritas. que la charité non plus.
[11627] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] Ap 2, 4 dit : Mais j’ai contre toi
943

Sed contra, Apoc. 2, 4: habeo adversum te pauca, peu de chose, car tu as perdu ta charité
quia caritatem primam reliquisti. Ergo caritas première. La charité peut donc être perdue.
potest amitti.
[11628] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Celui qui ne peut tomber n’a pas besoin de
Praeterea, in eo qui cadere non potest, non est prendre garde. Or, celui qui tient debout par la
necessaria cautela. Sed stanti per caritatem charité doit prendre garde. 1 Co 10, 12 : Celui
necessaria est cautela; 1 Corinth. 10, 12: qui stat, qui est debout, qu’il prenne garde de tomber. La
videat ne cadat. Ergo caritas potest amitti. charité peut donc être perdue.
[11629] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] David a eu d’abord la charité, autrement, il
Praeterea, David caritatem prius habuit; alias non ne demanderait pas que lui soit rendue la joie du
sibi reddendam laetitiam salutarem peteret; et salut. Cependant, il a péché et a perdu la charité,
tamen peccavit, et caritatem amisit, quam sibi dont il demande qu’elle lui soit rendue. La
restitui petit. Ergo caritas semel habita potest charité une fois possédée peut donc être perdue.
amitti.
[11630] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 4 [4] Quiconque ne peut pécher possède un libre
Praeterea, quicumque non potest peccare, habet arbitre affermi. Or, tous ceux qui ont la charité
liberum arbitrium confirmatum. Sed non omnis n’ont pas un libre arbitre affermi. Certains qui
qui habet caritatem, habet liberum arbitrium possèdent la charité peuvent donc pécher, et
confirmatum. Ergo aliquis habens caritatem potest ainsi, perdre la charité.
peccare, et ita caritatem amittere.
[11631] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 co. Réponse. L’opinion de ceux qui affirment que la
Respondeo dicendum, quod opinio ponentium charité ne peut être perdue en raison de sa
caritatem non posse amitti propter suam faiblesse ressemble à l’opinion de Socrate, qui
firmitatem, est similis opinioni Socratis, qui affirmait que celui possède la science ne peut
posuit, quod habens scientiam non potest peccare, pécher en raison de la noblesse et de la certitude
propter nobilitatem et certitudinem scientiae, ut de la science, comme le dit le Philosophe dans
dicit philosophus in 8 Ethicor.: et ideo utriusque Éthique, VIII. C’est pourquoi la preuve et la
est similis et probatio et improbatio, et probationis réfutation des deux est semblable, ainsi que la
solutio. Utraque enim potissime per experientiam démonstration. En effet, les deux sont démentis
improbatur; probatur autem per firmitatem par l’expérience, mais sont démontrés par la
scientiae et caritatis. Solvit autem philosophus fermeté de la science et de la charité. Or, le
praedictam probationem de scientia per hoc quod Philosophe a démontré la preuve en question à
scientia principaliter in universali consistit, propos de la science par le fait que la science
operationes autem circa singularia sunt. Et ideo porte principalement sur l’universel, mais les
concupiscentia, quae in particulare bonum tendit, opérations sur les choses singulières. C’est
nisi reprimatur, deductionem scientiae universalis pourquoi la concupiscence, qui tend vers un bien
ad particulare impedit, considerationem scientiae particulier, si elle n’est pas réprimée, empêche
in particulari operabili absorbens, et rationem, ita de conclure de la science universelle au
ut quamvis incontinens in fervore concupiscentiae particulier, en absorbant la considération de la
constitutus universale recte consideret, et non science universelle dans une action particulière,
tantum habitu teneat (ut quod omnis fornicatio ainsi que la raison. Ainsi, bien que l’incontinent,
fugienda est), tamen quando ad hoc particulare plongé dans l’ardeur de la concupiscence,
descenditur per concupiscentiam, habitu rationis considère correctement l’universel et ne le
rectae ligato, in actum rectae considerationis circa possède pas seulement par habitus (à savoir que
particulare homo prodire non potest. Similiter toute fornication doit être fuie), il ne peut
etiam caritas principaliter est circa bonum cependant passer à l’acte avec une considération
aeternum; unde facit universalem conceptionem correcte du particulier, lorsqu’il descend vers ce
haberi, quia nihil contra Deum faciendum est; sed particulier par la concupiscence. De même aussi,
quando ad particulare descenditur, tentatio aliqua la charité porte principalement sur un bien
inclinationem praedictam caritatis absorbet, ut éternel ; elle fait donc en sorte qu’on ait une
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dictum est de scientia. Sed quia caritas considération universelle, car rien ne doit être
vehementius diligit Deum quam aliqua fait contre Dieu. Mais lorsqu’elle descend vers le
concupiscentia diligat aliquod commutabile particulier, une tentation absorbe une telle
bonum; si aliquis affectum quem habet ad Deum, inclination de la charité, comme on l’a dit de la
ad opus particulare extenderet, ut ad regulam science. Mais parce que la charité aime Dieu
operis, nunquam incideret in peccatum. Sed quia plus intensément qu’une concupiscence n’aime
in potestate nostra est uti caritatis actu, vel non un bien changeant, si quelqu’un faisait de la
uti, cum caritas voluntatem non cogat; ideo disposition affective qu’il a envers Dieu la règle
affectio commutabilis boni praevalet, et inducit de l’action particulière, jamais il ne tomberait
peccatum. Et propter hoc patet quod omne dans le péché. Mais parce qu’il est en notre
peccatum est ex errore, et ex contemptu pouvoir de recourir ou non à un acte de charité,
negligentiae. Unde Boetius dicit: talia tibi puisque la charité ne contraint pas, l’amour du
contuleramus arma, quae nisi prior abjecisses, bien changeant l’emporte, et il mène au péché.
invicta te firmitate tuerentur. Sic ergo homo in Pour cette raison, il est clair que tout péché vient
peccatum lapsus caritatem amittit: quia per d’une erreur et du mépris de la négligence. C’est
peccatum a Deo dividitur, cum sibi alium finem pourquoi Boèce dit : « Nous t’avions donné des
constituat, cum non possint duo esse fines ultimi. armes ; si tu ne les avais pas d’abord rejetées,
Unde cum caritas habeat causam conjunctam ad elles te protégeraient avec une fermeté
Deum, statim amittitur unico actu; et hoc invincible. » Ainsi donc, l’homme tombé dans le
invenitur in omnibus accidentibus quae habent péché perd la charité, car, par le péché, il est
causam extra subjectum: quia nihil potest séparé de Dieu, puisqu’il s’est donné une autre
permanere separatum a sua causa essentiali, sicut fin et qu’il ne peut y avoir deux fins ultimes.
patet de lumine. Secus autem est de habitibus qui Puisque la cause de la charité fait un avec Dieu,
habent causam in subjecto: quia illi totaliter non elle est aussitôt perdue par un seul acte. Et cela
destruuntur per unum actum peccati. se rencontre dans tous les accidents qui ont leur
cause en dehors du sujet, car rien ne peut
demeurer séparé de sa cause essentielle, comme
cela ressort pour la lumière. Mais il en va
autrement des habitus qui ont leur cause dans
leur sujet, car ceux-ci ne sont pas totalement
détruits par un seul acte de péché.
[11632] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Cela veut dire : s’il veut faire usage de la
primum ergo dicendum, quod hoc intelligendum grâce, par quoi il est fils de Dieu. En effet, il peut
est, si velit uti gratia; per quod filius Dei est: per par elle résister au péché.
eam enim potest peccato resistere.
[11633] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Certains ont dit que la charité ne mérite
secundum dicendum, quod quidam dixerunt, quod jamais, sauf la charité finale. Mais cela est faux,
caritas nunquam meretur, nisi finalis. Sed hoc car on ne peut parler de charité finale que pour
falsum est; quia caritas finalis non potest dici nisi celle qui existe au terme ultime de la vie ; et
quae est in ultimo termino vitae; et tunc forte alors, l’homme ne peut rien mériter, car il dort. Il
homo nihil meretur, sed dormit. Unde dicendum, faut donc dire qu’on mérite la vie éternelle par
quod quolibet actu caritatis meretur vitam n’importe quel acte de charité, et celui-ci fait en
aeternam, et efficit eam sibi debitam. Sed quando sorte que [la vie éternelle] soit due. Mais,
peccat, jam efficitur quodammodo alius, ut lorsqu’on pèche, on devient en quelque sorte un
philosophus dicit 9 Ethic., quia transmutatur ab autre, comme le dit le Philosophe dans Éthique,
eo quod erat sibi conveniens secundum naturam, IX, car on est changé de ce qui convenait selon
in id quod est praeter naturam; et ideo non oportet sa nature en ce qui est étranger à sa nature. C’est
quod ei reddatur; sicut etiam id quod est debitum pourquoi il n’est pas nécessaire que [la vie
reddi sano, non redditur furioso. éternelle] lui soit rendue, de même que ce qui est
dû à celui qui est santé n’est pas rendu à celui
945

qui est fou.


[11634] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Ce n’est pas en raison d’une carence de la
tertium dicendum, quod non est ex defectu charité qu’il est vaincu par le péché, mais d’une
caritatis quod a peccato vincatur, sed ex defectu carence de celui qui possède la charité, car il ne
habentis caritatem, quia caritate non utitur, ut fait pas usage de la charité, comme on l’a dit.
dictum est.
[11635] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. Bien que la cupidité n’existe pas en acte chez
quartum dicendum, quod cupiditas quamvis non celui qui a la charité, elle existe cependant dans
sit in actu in eo qui habet caritatem, tamen est in sa racine, et elle peut empêcher la charité de
radice, et potest caritatem impedire ne in actum s’élancer vers son acte ; lorsque [la cupidité]
prorumpat; et quando non impeditur, tunc n’est pas empêchée, alors elle pousse et chasse la
germinat, et caritatem expellit. charité.
[11636] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Au moment même où le péché survient, la
quintum dicendum, quod in eodem instanti in quo charité est chassée. Et de même que c’est le
peccatum advenit, caritas expellitur; et sicut illud premier instant où le péché commence à exister,
est primum instans in quo peccatum esse incipit, de même est-ce le premier où la charité
ita illud est primum in quo caritas non esse incipit, commence à ne pas exister, comme cela ressort
sicut patet in naturalibus de duabus formis pour deux formes contraires dans les choses
contrariis. naturelles
[11637] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 6 Ad 6. Ce qui est orienté vers deux choses, dans la
sextum dicendum, quod illud quod est ad mesure où cela est mû par une cause extrinsèque,
utrumlibet, inquantum ex alia causa intrinseca cela est ainsi déterminé à l’une des deux, et ainsi
movetur, sic determinatur ad alterum, et sic potest un effet peut en provenir. C’est pourquoi,
ab eo effectus procedere. Unde quando non est lorsque cela n’est pas totalement déterminé par
determinatum totaliter ab aliquo uno, potest etiam une seule chose, cela peut être déterminé au
determinari ad oppositum; et sic ab eo quod est in contraire. Et ainsi, du fait que cela existe chez un
paucioribus respectu ipsius jam determinati per petit nombre en regard de ce qui est déjà
primum, potest contrarium accidere ut in déterminé par la première chose, le contraire
paucioribus propter aliud determinans quod est peut survenir chez un petit nombre en raison de
contrarium illi determinanti ut in pluribus; et sic quelque chose qui détermine à ce qui est
est in proposito: quia sicut caritas, quantum est in contraire à ce qui est déterminé dans la majorité
se, ut in pluribus inclinat ad bonum, ita affectio des cas. Ainsi en est-il dans le cas en question,
sensibilis inclinat ad delectabile sensui, et ab hoc car, de même que la charité en elle-même incline
sicut ex quodam habitu inclinatur voluntas ad dans la plupart des cas vers le bien, de même
peccatum. l’amour sensible incline-t-il à ce qui est
délectable pour le sens, et la volonté est-elle
inclinée au péché comme par un habitus.
[11638] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 7 Ad 7. L’amour naturel existe selon que la volonté est
septimum dicendum, quod amor naturalis est totalement déterminée à une seule chose. Mais il
secundum voluntatem totaliter determinatam ad n’en va pas de même de l’amour de charité, sauf
unum; non autem sic est de amore caritatis, nisi in chez ceux qui [y] ont déjà été confirmés.
illis qui jam confirmati sunt.
[11639] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 1 ad 8 Ad 8. Par le péché, l’homme n’est pas totalement
octavum dicendum, quod per peccatum non séparé de Dieu, car il cesserait alors d’exister,
totaliter separatur homo a Deo, quia sic esse mais il l’est pour ce qui est de l’union ultime et
desineret; sed quantum ad ultimam et perfectam parfaite que réalise la charité. C’est pourquoi il
conjunctionem quam facit caritas. Et ideo non n’est pas nécessaire que la foi soit enlevée par le
oportet quod fides per peccatum tollatur, sicut péché, comme la charité, comme, par
caritas; sicut per interpositionem nubis aer radios l’interposition d’un nuage, l’air perd les rayons
solis amittit, non tamen omnimodam claritatem, du soleil, mais non toute sa clarté, telle celle qui
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sicut quae est ex reverberatione, qualis etiam vient de la réverbération, qui apparaît encore là
apparet ubi non sunt radii solis. où il n’y a pas de rayons du soleil.

Articulus 2 [11640] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 Article 2 – Le livre de vie est-il quelque chose
a. 2 tit. Utrum liber vitae sit quid creatum de créé ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Le livre de vie est-il quelque
chose de créé ?]
[11641] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 1. Il semble que le livre de vie soit quelque chose
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod de créé. À propos de Si 24, 32 : Tout cela est le
liber vitae sit quid creatum. Eccli. 24, 32: haec livre de vie, la Glose dit : « Ce livre est l’Ancien
omnia liber vitae, Glossa: hoc liber est vetus et et le Nouveau Testaments. » Or, cela est quelque
novum testamentum. Hoc autem est quid creatum. chose de créé. Donc, le livre de vie aussi.
Ergo et liber vitae.
[11642] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 2. À propos de Ap 20, 12 : Un autre livre fut
arg. 2 Praeterea, Apoc. 20, 12: alius liber est ouvert : le livre de vie, la Glose dit : « Le Christ,
apertus, qui est vitae; Glossa: Christus, qui tunc qui alors apparaîtra à tous ouvertement. » Or, il
apparebit omnibus patens. Sed non apparebit n’apparaîtra à tous que selon sa nature humaine.
omnibus nisi secundum humanam naturam. Cum Puisque la nature humaine chez le Christ est
ergo humana natura in Christo creata sit, videtur créée, il semble donc que le livre de vie soit
quod liber vitae sit quid creatum. quelque chose de créé.
[11643] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 3. Le livre, en tant qu’on y écrit, reçoit une
arg. 3 Praeterea, liber, inquantum in eo Scriptura impression extérieure. Or, une réalité incréée ne
fit, est receptivus extraneae impressionis. Sed res reçoit pas une impression passagère. [Le livre de
increata non suscipit peregrinam impressionem. vie] n’est donc pas quelque chose d’incréé, mais
Ergo non est quid increatum, sed creatum. de créé.
[11644] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 4. Il semble qu’il soit propre au Fils, car, à
arg. 4 Item, videtur quod sit proprium filii. Quia propos de Ps 39, 9 : Au début du livre, il est
Psal. 39, 9: in capite libri scriptum est de me: écrit…, la Glose dit : « Dans le Père, qui est
Glossa: in patre, qui est caput nostrum. Sed illud notre tête. » Or, c’est le Fils dont le Père est la
in divinitate cujus caput est pater, est filius. Ergo tête dans la divinité. Le livre de vie est donc le
liber vitae est filius. Fils.
[11645] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 5. Il semble qu’il soit le Saint-Esprit, car le don
arg. 5 Item, videtur quod spiritus sanctus. Quia de la vie est attribué au Saint-Esprit et, dans le
spiritui sancto attribuitur vivificatio et in symbolo symbole et en Jn 6, 64, il est dit : C’est l’Esprit
et Joan. 6, 64: spiritus est qui vivificat. Ergo cum qui donne la vie. Puisque le livre de vie est
liber vitae ordinetur ad vitam, conveniet spiritui ordonné à la vie, il conviendra donc à l’Esprit-
sancto vel proprie, vel per appropriationem. Saint soit en propre, soit par appropriation.
[11646] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 s. Cependant, Augustin dit, dans La cité de Dieu,
c. 1 Sed contra, Augustinus, 20 de Civit. Dei: XX : « Le livre de vie est la prescience de Dieu,
liber vitae est praescientia Dei, quae falli non qui ne peut se tromper. » Or, la prescience est
potest. Sed praescientia est quid increatum quelque chose d’incréé qui est essentiel et peut
essentiale et appropriabile filio. Ergo et liber être approprié au Fils. Donc aussi, le livre de vie.
vitae.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Le livre de vie concerne-t-il
Dieu ?]
[11647] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 1. Il semble que le livre de vie concerne Dieu. À
arg. 1 Ulterius. Videtur quod liber vitae sit propos de Ps 68 : Qu’ils soient effacés du livre
respectu Dei. Psal. 68: deleantur de libro des vivants ! la Glose dit : « Le livre des vivants
viventium; Glossa: liber viventium est Dei notitia. est la connaissance de Dieu. » Or, Dieu a de lui-
Sed Deus de se habet maxime notitiam. Ergo liber même la plus haute connaissance. Le livre de vie
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vitae est respectu Dei. concerne donc Dieu.


[11648] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 2. Il est la source de vie de toutes choses. Si donc
arg. 2 Praeterea, ipse est fons vitae cujuslibet. Si il l’est pour les autres, qui ont la vie par
ergo est aliorum, quae habent vitam participative, participation, à bien plus forte raison, pour lui-
multo amplius est sui ipsius, qui habet vitam même, qui a la vie d’une manière originelle.
originaliter.
[11649] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 3. Il semble qu’il concerne toutes les créatures,
arg. 3 Item, videtur quod sit omnium creaturarum. car la prescience porte sur toutes choses. Or, le
Quia praescientia est omnium. Sed liber vitae est livre de vie est la prescience divine, comme on
divina praescientia, ut supra dictum est. Ergo erit l’a dit plus haut. Il portera donc sur toutes
omnium. choses.
[11650] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 4. De plus, il est dit en Jn 1, 3 : Ce qui a été créé
arg. 4 Praeterea, Joan. 1, 3: quod factum est, in avait en soi la vie. Or, toute créature a été créée.
ipso vita erat. Sed omnis creatura est facta. Ergo Toute créature est donc inscrite dans le livre de
omnis creatura in libro vitae scribitur. vie.
[11651] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 5. Il semble qu’il porte aussi sur le mal. À
arg. 5 Item, videtur quod sit etiam de malis. Luc. propos de Lc 10 : Vos noms sont inscrits dans le
10, super illud: nomina vestra scripta sunt in ciel, la Glose dit : « Que quelqu’un ait accompli
caelis, dicit Glossa: sive caelestia sive terrestria des choses célestes ou des choses terrestres, il est
opera gesserit quis, per hoc quasi litteris éternellement gravé dans la mémoire de Dieu,
annotatus, apud Dei memoriam aeternaliter est comme s’il était inscrit avec des lettres. » Or,
affixus. Sed gerere terrestria opera est malorum. accomplir le mal est le fait des méchants.
Ergo cum nihil aliud sit liber vitae quam Puisque le livre de vie n’est rien d’autre que ce
reservatio divinae memoriae, videtur quod liber que conserve la mémoire divine, il semble donc
vitae sit etiam malorum. que le livre de vie concerne aussi les méchants.
[11652] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 6. Le livre de vie est ordonné à la vie. Or, la vie
arg. 6 Item, liber vitae ordinatur ad vitam. Sed de la nature est commune aux bons et aux
vita naturae est communis bonis et malis; vita méchants, mais la vie de la grâce est commune à
autem gratiae communis praescitis et ceux qui sont objets de la prescience et aux
praedestinatis. Ergo liber vitae est malorum et prédestinés. Le livre de vie concerne donc les
bonorum, et praedestinatorum et praescitorum. bons, les prédestinés et ceux qui sont objets de la
prescience.
[11653] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 s. Cependant, on dit qu’est écrit en Dieu ce qui a
c. 1 Sed contra, illud dicitur esse scriptum in Deo son modèle en lui. Or, les maux, en tant que tels,
quod habet exemplar in ipso. Sed mala inquantum n’ont pas leur modèle en lui. Ils ne sont donc pas
hujusmodi, non habent exemplar in ipso. Ergo écrits en lui.
non sunt ibi scripta.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Ce qui y est inscrit peut-il en
être effacé ?]
[11654] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 1. Il semble que de rien qui y est inscrit, on doive
arg. 1 Ulterius. Videtur quod nihil quod sit ibi dire qu’il en est effacé, car le livre de vie est la
scriptum, debeat dici inde deleri. Quia liber vitae prédestination divine, comme le dit la Glose sur
est divina praedestinatio, ut dicit Glossa Phil. 4. Ph 4. Or, on ne dit de personne qu’il échappe à la
Sed a praedestinatione non dicitur aliquis prédestination. Il ne peut donc non plus être
excidere. Ergo nec a libro vitae deleri. effacé du livre de vie.
[11655] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 2. Un livre dans lequel quelque chose peut être
arg. 2 Praeterea, liber in quo potest aliquid inscrit et effacé est changeant. Or, le livre de vie
describi et deleri, est mutabilis. Sed liber vitae est est immuable, car il est quelque chose d’éternel.
immutabilis, quia est quid increatum. Ergo non Personne ne peut donc en être effacé.
potest aliquis inde deleri.
948

[11656] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 3. Ce qui est objet d’opinion seulement, puisque
arg. 3 Praeterea, quod est secundum opinionem cela est relatif, ne doit pas être affirmé
tantum, cum sit secundum quid, non debet simplement. Or, à propos de Ps 68 : Qu’ils soient
enuntiari simpliciter. Sed Glossa super illud effacés du livre des vivants ! la Glose dit que cela
Psalm. 68: deleantur de libro viventium, dicit, hoc doit peut-être être entendu de l’espérance de
accipiendum forte tantum secundum spem illorum ceux qui s’y croyaient inscrits. Il semble donc
qui se esse scriptos putabant. Ergo videtur quod qu’on ne doive pas dire que quelqu’un peut en
non debeat dici aliquem inde deleri. être effacé.
[11657] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] il est dit en Ex 32, 33 : Celui qui
c. 1 Sed contra, Exod. 32, 33: qui peccaverit mihi, aura péché contre moi, je l’effacerai de mon
delebo eum de libro meo. Sed multi peccant. Ergo livre. Or, beaucoup pèchent. Beaucoup seront
multi delentur. donc effacés.
[11658] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 s. [2] Personne n’est en même temps inscrit dans le
c. 2 Praeterea, nullus simul est scriptus in libro livre de vie et damné. Or, beaucoup, qui ont
vitae et damnatus. Sed multi qui prius fuerunt d’abord été inscrits dans le livre de vie, ont par la
scripti in libro vitae, postea damnantur, sicut patet suite été damnés, comme cela ressort des
de discipulis Christi, quibus dictum est Lucae 10, disciples du Christ, à qui il a été dit, Lc 10, 20 :
20: gaudete, quia nomina vestra scripta sunt in Réjouissez-vous, car vos noms sont inscrits dans
libro vitae: ex quibus tamen multi abierunt le livre de vie, et parmi lesquels plusieurs sont
retrorsum, ut dicitur Joan. 6. Ergo aliqui qui prius retournés en arrière, comme il est dit en Jn 6.
fuerunt ibi scripti, delentur. Certains qui y ont d’abord été inscrits seront
donc effacés.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11659] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 co. C’est par métaphore que nous parlons ici du livre
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, de vie. Aussi faut-il que sa signification soit
quod liber vitae, de quo nunc loquimur, entendue selon la ressemblance avec un livre
metaphorice dicitur. Unde oportet quod ejus matériel, dont le propre est de contenir certaines
significatio accipiatur secundum similitudinem figures qui sont comme des ressemblances de ce
libri materialis; de cujus ratione videtur esse quod qui est connu par ce livre. On parle ainsi du livre
contineat figuras aliquas quasi similitudines de vie parce qu’il contient des ressemblances par
aliquas illorum qui per librum illum lesquellles la vie peut être connue. Or, il n’est
cognoscuntur; unde et liber vitae dicitur, quia suffisamment le livre de vie, donnant une
continet similitudines quibus potest cognosci vita. parfaite connaissance de la vie, que s’il contient
Non est autem sufficienter liber vitae, quasi les ressemblances de la vie de toutes choses de
perfectam cognitionem de vita faciens, nisi manière particulière, car la connaissance dans
contineat similitudines de vita cujuslibet in l’universel est imparfaite et en puissance. Or,
particulari; quia cognitio in universali est posséder ainsi les ressemblances de tous les
imperfecta et in potentia. Sed habere hoc modo vivants d’une manière déterminée ne peut être le
similitudines omnium habentium vitam fait que de l’esprit divin, dans lequel existent les
determinate, non est nisi divinae mentis, in qua modèles propres de toutes choses. C’est
sunt exemplaria rerum omnium propria; et ideo pourquoi le livre de vie n’est pas quelque chose
liber vitae non est quid creatum, sed est divina de créé, mais il est la connaissance divine de la
notitia de vita non solum in universali, sed in vie, non seulement dans l’universel, mais de
particulari quantum ad omnes in quibus invenitur manière particulière pour tous ceux chez qui on
vita. Et quia notitia est essentiale et appropriatum trouve la vie. Et parce que la connaissance est
filio, ideo liber vitae essentiale quiddam est in quelque chose d’essentiel et d’approprié au Fils,
divinis, et filio appropriatur. le livre de vie est donc quelque chose d’essentiel
en Dieu, et il est approprié au Fils.
[11660] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1. L’Ancien et le Nouveau Testament sont
1 Ad primum ergo dicendum, quod vetus et appelés le livre de vie en tant qu’ils donnent une
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novum testamentum dicitur liber vitae, quasi connaissance de la vie dans l’universel et qu’ils
faciens cognitionem de vita universali, et docens enseignent les commandements par lesquels on
praecepta quibus pervenitur ad vitam; non tamen parvient à la vie ; cependant, ilss ne donnent pas
facit notitiam de vita uniuscujusque; et ideo une connaissance de la vie de chacun. C’est
aliquo modo potest dici liber vitae, sed non pourquoi on peut les appeler d’une certaine
secundum completam rationem. manière le livre de vie, mais non selon la raison
complète [de celui-ci].
[11661] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2. Le Christ est appelé le livre de vie selon sa
2 Ad secundum dicendum, quod Christus nature humaine, en tant que modèle universel de
secundum humanam naturam dicitur liber vitae, la vie, mais non en tant que ressemblance faisant
quasi exemplar universale vitae, sed non quasi connaître d’une manière particulière la vie de
similitudo particulariter faciens cognoscere vitam chacun.
uniuscujusque.
[11662] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3. Les ressemblances ou les figures de ce livre ne
3 Ad tertium dicendum, quod similitudines vel sont pas quelque chose d’ajouté à son essence,
figurae istius libri non sunt aliquid additum car les raisons exemplaires, comme on l’a dit
essentiae ejus: quia rationes exemplares, ut in 1 dans le livre I, sont l’essence divine elle-même.
libro dictum est, sunt ipsa divina essentia; et ideo C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il
non oportet quod recipiat peregrinas impressiones. reçoive des impressions passagères.
[11663] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4. Le Père est appelé tête du livre, c’est-à-dire du
4 Ad quartum dicendum, quod pater dicitur caput Fils, selon que le livre est approprié au Fils.
libri, idest filii, secundum quod liber appropriatur
filio.
[11664] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 5. Bien que la vie soit appropriée au Saint-Esprit,
5 Ad quintum dicendum, quod quamvis vita la connaissance de la vie est cependant
approprietur spiritui sancto, tamen notitia de vita appropriée au Fils.
appropriatur filio.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11665] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 co. C’est la connaissance de Dieu qui est appelée le
Ad secundam quaestionem dicendum, quod liber livre de vie, car le livre porte au sens propre sur
vitae dicitur notitia Dei. Quia autem liber proprie ceux dont il donne la connaissance par des
est illorum quorum notitiam facit per figuras et figures et des ressemblances se trouvant dans le
similitudines existentes in libro; ideo illorum livre. Seule la connaissance de ce que Dieu
solum notitia dici potest liber quae cognoscit connaît par leur représentation peut donc être
Deus per similitudinem. Mala autem non appelée un livre. Or, Dieu ne connaît pas le mal
cognoscit Deus per similitudines existentes par des ressemblances existant en lui, mais il est
malorum in se, sed cognoscuntur per modum connu par mode de privation. De même aussi,
privationis. Similiter etiam Deus seipsum non Dieu ne se connaît pas lui-même par une
cognoscit per similitudinem sui ipsius, sed per hoc ressemblance de lui-même, mais par le fait qu’il
quod sibi secundum essentiam suam praesens est. est présent à lui-même selon sa propre essence.
Unde neque notitia quam habet de seipso, neque En conséquence, ni la connaissance qu’il a de
notitia quam habet de malis, potest dici liber vitae, lui-même, ni la connaissance qu’il a du mal ne
nisi de malis poenae, inquantum sunt justa et peut être appelée le livre de vie, sauf pour le mal
bona, secundum quod dicitur liber mortis. Vita de peine, en tant qu’il est juste et bon ; on parle
autem inter bona computatur: unde oportet quod alors du livre de la mort. Or, la vie est comptée
liber vitae intelligatur respectu vitae quae in parmi les biens. Il faut donc que le livre de vie
creaturis invenitur. Et quamvis Deus habeat s’entendre par rapport à la vie qui se trouve dans
notitiam de vita naturae et gratiae et gloriae (unde les créatures. Et bien que Dieu ait une
respectu cujuslibet dictarum vitarum posset dici connaissance de la vie de la nature, de la grâce et
Dei notitia liber vitae); tamen perfecta ratio vitae de la gloire (on pourrait ainsi parler du livre de
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non invenitur nisi in vita gloriae, quae vie pour la connaissance que Dieu a de chacune
permixtionem mortis non patitur; et ideo liber de ces vies), la raison parfaite de vie ne se trouve
vitae secundum propriam sui acceptionem est cependant que dans la vie de la gloire, qui ne
notitia Dei quam habet de vita gloriae souffre pas de mélange avec la mort. C’est
uniuscujusque. Sic ergo differt liber vitae a pourquoi le livre de vie, au sens propre, est la
scientia Dei, quae est de temporalibus et aeternis; connaissance que Dieu a de la vie de la gloire
et a praescientia, quae est de bonis et malis; et pour chacun. Le livre de vie diffère donc de la
etiam a praedestinatione, quia praedestinatio science de Dieu, qui porte sur les réalités
proprie de futuris est, et providentia directionem temporelles et éternelles ; de la prescience, qui
in finem importat, cum sit propositum miserendi. porte sur les bons et les méchants ; de la
Sed liber vitae simplicem notitiam de vita prédestination, car la prédestination, au sens
importat, et non determinat aliquod tempus; unde propre, porte sur les réalités à venir, et de la
scripti in libro vitae dicuntur et qui vitam habent, providence, qui comporte une direction vers une
et qui habituri sunt. fin, puisqu’elle est l’intention de faire
miséricorde. Or, le livre de vie comporte une
simple connaissance de la vie et ne détermine
aucun temps. Aussi dit-on que ceux qui ont la
vie et ceux qui l’auront sont inscrits au livre de
vie.
[11666] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 2 ad La réponse à toutes les objections est ainsi claire.
arg. Et per hoc patet solutio ad omnia objecta.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11667] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Comme on l’a dit, le livre de vie est la
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod liber connaissance que Dieu a de la vie de la gloire
vitae, ut dictum est, est notitia Dei de vita gloriae pour un homme. Or, une chose possède l’être de
alicujus hominis. Res autem aliqua dupliciter deux manières : en soi et dans sa cause. En soi,
habet esse, scilicet in se et in sua causa: in se elle est simplement ; dans sa cause, elle a l’être
quidem est simpliciter; in causa autem sua habet de manière relative. Or, la cause de la gloire est
esse secundum quid. Causa autem gloriae est la grâce, qui est suffisante en elle-même ; celui
gratia, sufficiens quantum in se est: unde qui qui a la grâce possède donc déjà la vie de la
habet gratiam, habet jam vitam gloriae secundum gloire de manière relative. Dieu a donc la
quid. Cognitio ergo de vita gloriae alicujus connaissance de la vie de la gloire de quelqu’un
habetur a Deo dupliciter. Uno modo, inquantum de deux manières. D’une manière, pour autant
Deus scit ipsam vitam gloriae in isto esse, vel que Dieu sait que la vie de la gloire elle-même
futuram esse simpliciter; et tunc talis dicitur esse existe ou existera simplement en celui-là : on dit
scriptus in libro vitae simpliciter, vel adscriptus, alors qu’il est inscrit simplement dans le livre de
ut quidam dicunt, ad similitudinem illorum qui vie ou qu’il [y] est inscrit, comme certains le
adscribuntur ad militiam, vel ad aliquod officium. disent, par ressemblance avec ceux qui sont
Alio modo, inquantum Deus scit vitam gloriae inscrits dans l’armée ou pour une foncntion.
inesse isti, vel futuram esse in eo in causa sua, D’une autre manière, en tant que Dieu sait que la
quae est gratia; et talis dicitur secundum quid vie de la gloire existe ou existera en celui-là en
scriptus in libro vitae, vel annotatus, ut quidam lui en sa cause, qui est la grâce : on dit que celui-
dicunt. Quia ergo non potest esse ut scientia Dei ci est inscrit ou porté dans le livre de vie, comme
fallatur, ideo quemcumque scit habiturum vitam le disent certains. Parce qu’il ne peut arriver que
aeternam, habebit eam. Unde iste qui simpliciter la science de Dieu se trompe, si elle sait que tel
scriptus est vel adscriptus in libro vitae, non ou tel aura la vie éternelle, il l’aura donc. Aussi
potest inde deleri. Sed quia gratia, quae est causa celui qui est inscrit simplement ou porté dans le
gloriae in eo qui habet praesentem justitiam, livre de vie ne peut-il en être effacé. Mais parce
quando ipse a justitia per peccatum decidit, desinit que la grâce, qui est la cause de la gloire chez
esse gloriae causa in eo; ideo notitia Dei de gratia celui qui possède présentement la justice,
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istius non est ut de causa gloriae: unde jam ista lorsqu’il perd la justice par le péché, cesse d’être
cognitio gratiae istius quam Deus habet, non en lui cause de la gloire, la connaissance que
pertinet ad librum vitae gloriae: et secundum hoc Dieu a de la grâce de celui-ci n’existe pas
dicitur deleri de libro vitae, non aliqua mutatione comme cause de la gloire. Aussi cette
in libro facta, sed in ipso ex parte cujus accidit connaissance que Dieu a de sa grâce ne relève-t-
quod gratia non est jam causa gloriae; et dicitur elle pas du livre de vie. Sous cet aspect, on dit
Deus aliquem de libro vitae delere, inquantum qu’il est effacé du livre de vie, non pas par un
permittit eum a justitia excidere per peccatum. changement apporté au livre, mais en lui-même,
du fait que la grâce n’est pas plus cause de la
gloire. Et on dit que Dieu efface quelqu’un du
livre de vie pour autant qu’il permet qu’il perd la
justice par le péché.
[11668] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1. La prédestination comporte une direction vers
1 Ad primum igitur dicendum, quod la fin, ce que ne comporte pas le livre de vie,
praedestinatio importat directionem in finem, comme on l’a dit. Aussi ne peut-on appeler
quod non importat liber vitae, ut dictum est, et prédestiné celui qui n’a que la justice présente ;
ideo non potest dici praedestinatus ille qui habet mais on peut dire qu’il est inscrit d’une certaine
praesentem justitiam tantum; potest autem aliquo manière dans le livre de vie, comme on l’a dit.
modo dici scriptus in libro vitae, ut dictum est.
[11669] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2. La réponse ressort de ce qui a été dit plus haut.
2 Ad secundum patet solutio per id quod supra
dictum est.
[11670] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3. Cette glose parle de l’écriture par laquelle
3 Ad tertium dicendum, quod Glossa illa loquitur quelqu’un a été simplement inscrit dans le livre
de Scriptura qua aliquis scriptus est in libro vitae de vie.
simpliciter.

Articulus 3 [11671] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 Article 3 – N’importe quelle charité peut-elle
a. 3 tit. Utrum quaelibet caritas possit resistere résister à n’importe quelle tentation ?
cuilibet tentationi
[11672] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble que ce ne soit pas n’importe quelle
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non charité qui puisse résister à n’importe quelle
quaelibet caritas possit resistere cuilibet tentationi. tentation. En effet, de même que la charité
Sicut enim caritas obsistit peccato, ita et ratio, ut s’oppose au péché, de même aussi la raison le
supra dictum est. Sed non quaelibet ratio potest fait-elle, comme on l’a dit. Or, ce n’est pas
tentationi resistere, sicut patet in incontinentibus, n’importe quelle raison qui peut résister à la
qui habent rationem rectam, et vincuntur, ut dicit tentation, comme cela est clair pour les
philosophus. Ergo non quaelibet caritas potest incontinents, qui ont une raison droite et sont
tentationi cuilibet resistere. vaincus, comme le dit le Philosophe. Ce n’est
donc pas n’importe quelle charité qui peut
résister à la tentation.
[11673] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 2 2. La difficulté de résister au mal est plus grande
Praeterea, major est difficultas in resistendo malo que de simplement faire le bien. Or, la plus petite
quam in operando bonum simpliciter. Sed caritas charité ne suffit pas pour faire n’importe quel
minima non potest in quodlibet bonum. Ergo nec bien. Elle ne peut donc pas résister à n’importe
potest cuilibet tentationi resistere. quelle tentation.
[11674] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 3 3. La résistance à la plus grande tentation obtient
Praeterea, in resistendo maximae tentationi est le plus grand mérite, puisqu’il y a là le plus
maximum meritum, cum sit ibi maxima pugna grand combat qui mérite la couronne. Or, la plus
quae coronam meretur. Sed minima caritas non petite charité ne peut obtenir le bien le plus
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potest in maximum praemium. Ergo nec resistere grand. Elle ne peut donc pas non plus résister à
maximae tentationi. la plus grande tentation.
[11675] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 4 4. La charité imparfaite ne résiste pas aux fautes
Praeterea, caritas imperfecta non resistit vénielles. Or, le combat est plus grand contre les
venialibus. Sed major est impugnatio mortalium fautes mortelles que contre les vénielles. Elle ne
quam venialium. Ergo non resistit maximae résiste donc pas à la plus grande tentation.
tentationi.
[11676] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Il est dit en 1 Co 10, 13 : Le Dieu fidèle ne
Praeterea, 1 Corinth. 10, 13: fidelis Deus, qui non supportera pas que vous soyez tentés au-delà de
patietur vos tentari supra id quod potestis. Sed illi vos forces. Or, ceux à qui on écrivait avaient la
quibus scribebatur, habebant gratiam, sicut patet grâce, comme cela ressort du début de la lettre. Il
in principio epistolae. Ergo aliqua tentatio est existe donc une tentation qui dépasse le pouvoir
supra posse habentis gratiam vel caritatem. de celui qui a la grâce ou la charité.
[11677] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] tout péché ne peut être évité que
Sed contra, non potest evitari omne peccatum, nisi si l’on résiste à toute tentation. Or, la plus petite
omni tentationi resistatur. Sed minima caritas charité peut éviter tout péché, puisque l’homme
potest vitare omne peccatum, cum etiam homo in établi dans sa pure condition naturelle l’aurait
puris naturalibus existens hoc potuisset. Ergo pu. N’importe quelle charité peut donc vaincre
caritas quaelibet potest omnem tentationem toute tentation.
vincere.
[11678] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 2 2. « La charité aime davantage la loi de Dieu que
Praeterea, plus diligit caritas legem Dei quam la cupidité n’aime des milliers d’or et d’argent »,
cupiditas millia auri et argenti, ut dicit Glossa comme le dit la Glose sur Ps 118. Or, un plus
super Psalm. 118. Sed major dilectio minori grand amour peut résister à une plus petite
tentationi resistere potest. Ergo quaelibet caritas tentation. Toute charité peut donc résister à toute
resistere potest cuilibet tentationi. tentation.
[11679] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 s. c. 3 3. Personne ne pèche pour ce qu’il ne peut éviter,
Praeterea, nullus peccat in eo quod non potest comme le dit Augustin. Si donc celui qui
vitare, ut Augustinus dicit. Si ergo habens possède la charité ne pouvait résister à n’importe
caritatem non posset cuilibet tentationi resistere, quelle tentation, il semble que celui qui consent à
videtur quod tentationi consentiens non peccaret. la tentation ne pécherait pas.
[11680] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 co. Réponse. On parle de résister à la tentation de
Respondeo dicendum, quod resistere tentationi deux manières. D’une manière, de sorte qu’on ne
dupliciter dicitur. Uno modo ut quis a tentatione soit pas vaincu par la tentation ; d’une autre
non vincatur; alio modo ut quis tentationem manière, de sorte qu’on vainque sur la tentation.
vincat. Dicitur enim aliquis a tentatione vinci, En effet, on dit que quelqu’un est vaincu par la
quando a proposito bono trahitur per tentationem tentation lorsqu’il est détourné par la tentation
in consensum peccati; sicut est in incontinente qui d’une bonne intention vers un consentement au
habet rationem rectam, sed deducitur. Qui enim péché, comme c’est le cas de l’incontinent qui a
non habet propositum bonum, ut intemperatus, une raison droite, mais est entraîné. En effet,
sive luxuriosus, non vincitur, quia libenter id agit. celui qui n’a pas une bonne intention, comme
Vincit autem qui non solum a tentatione l’intempérant ou le débauché, n’est pas vaincu,
superveniente in actum peccati non deducitur, sed puisqu’il fait cela librement. Mais l’emporte
etiam ex magnitudine virtutis, quasi nihil celui qui, non seulement n’est pas entraîné à
tentationem parvipendit. Qui vero difficultatem a l’acte d’un péché lorsque la tentation survient,
tentatione patitur, sed non deducitur; resistit mais aussi, en raison de la grandeur de sa vertu,
quidem tentationi cum non consentit, sed non dédaigne la tentation comme rien. Toutefois
vincit, proprie loquendo. Loquendo ergo primo celui qui subit une difficulté en raison de la
modo de resistentia peccati, sic quaelibet caritas tentation, mais n’est pas entraîné, résiste à la
potest resistere peccato propter liberum arbitrium tentation lorsqu’il ne consent pas, mais ne
953

liberatum a servitute peccati, quamvis l’emporte pas, au sens propre. Si donc on parle
difficultatem patiatur propter tentationis de la première manière de résistance au péché,
impulsum. Loquendo vero de tentatione secundo n’importe quelle charité peut résister au péché en
modo, sic caritas quae est parva in principio raison du libre arbitre qui a été libéré de la
tentationis, potest tentationibus resistere, quia in servitude du péché, bien qu’il subisse une
fine tentationis fit magna, cum Deus pugnanti difficulté en raison de l’incitation de la tentation.
auxilium semper administret. Si tamen ponatur Mais si on parle de la tentation de la seconde
quod semper parva maneret, non posset per manière, la charité, qui est petite au début de la
modum dictum tentationi resistere. tentation, peut résister aux tentations, car, à la fin
de la tentation, elle devient grande, puisque Dieu
apporte toujours son aide à celui qui combat.
Cependant, si on affirme qu’elle demeure
toujours petite, elle ne pourrait résister à la
tentation selon le mode mentionné.
[11681] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. Il n’en va pas de même de celui qui est
primum ergo dicendum, quod non est simile de incontinent et de celui qui possède la charité, car
incontinente et habente caritatem: quia habens celui qui possède la charité possède déjà
caritatem habet jam habitum virtutis, quam non l’habitus de la vertu, que ne possède pas
habet incontinens: et praeterea incontinens etiam l’incontinent. De plus, l’incontinent n’est pas
non vincitur quando non posset resistere, si vellet non plus vaincu alors qu’il ne pourrait résister,
ratione recta quam habet uti, ut supra dictum est. s’il voulait faire usage de la raison droite qu’il
possède, comme on l’a dit.
[11682] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. Bien que la difficulté de l’effort soit plus
secundum dicendum, quod quamvis sit major grande, la difficulté considérée selon que l’action
difficultas laboris, non tamen est major difficultas dépasse la puissance n’est pas plus grande : c’est
quae attenditur secundum excessum operis ad d’elle que s’occupe la vertu, comme on l’a dit.
potentiam; qua attenditur in virtutibus, ut dictum
est.
[11683] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. Même la plus petite charité est capable d’un
tertium potest dici, quod etiam minima caritas grand mérite en regard de la récompense
potest in magnum meritum respectu praemii accidentelle, mais non en regard de la
accidentalis, non autem respectu praemii récompense substantielle, comme on l’a dit plus
substantialis, ut supra dictum est. haut.
[11684] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Elle peut résister aussi aux fautes vénielles, si
quartum dicendum, quod venialibus etiam quelqu’un faisait usage de la charité contre la
resistere posset, si aliquis caritate contra tentation de fautes vénielles, non pas qu’il
venialium tentationem uteretur, non ut vitaret éviterait toutes les [fautes], mais parce qu’il peut
omnia, sed quia potest singula vitare. éviter chacune.
[11685] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. L’Apôtre parle de ce que l’homme peut
quintum dicendum, quod apostolus loquitur supporter sans trouble de l’âme. Il ne le peut sans
quantum ad id quod homo potest sustinere sine une charité parfaite, par laquelle il conserve
animi perturbatione; quod non potest nisi caritas l’équanimité dans de grandes tribulations.
perfecta, ut in magnis tribulationibus
aequanimitatem servet.

Articulus 4 [11686] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 Article 4 – L’homme se relève-t-il toujours


a. 4 tit. Utrum homo semper resurgat in minori avec une charité moindre ?
caritate

Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’homme se relève-t-il


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toujours avec une charité moindre ?]


[11687] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 1. Il semble que l’homme se relève toujours avec
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod une charité moindre. À propos de Am 5, 2 : La
homo semper in minori caritate resurgat. Amos 5, vierge d’Israël est tombée, etc., la Glose dit : « Il
2: virgo Israel cecidit etc.; Glossa: non negat ut ne nie pas qu’elle se relève, mais qu’elle puisse
resurgat, sed ut resurgere virgo possit: quia semel relever, car celle qui s’est égarée, même si elle
aberrans etsi reportetur humeris pastoris, non est ramenée sur les épaules du pasteur, n’a pas
habet tantam gloriam quantam qui nunquam une gloire aussi grande que celle qui ne s’est
aberravit. Sed gloria commensuratur caritati. jamais égarée. » Or, la gloire se mesure à la
Ergo homo post peccatum non habet tantam charité. Lorsqu’il se relève, l’homme n’a donc
caritatem resurgens, quantam primo. pas après le péché une charité aussi grande
qu’auparavant.
[11688] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 2. Ez 44, 10 : Les lévites qui se seront éloignés
arg. 2 Praeterea, Ezech. 44, 10: Levitae qui de moi… ne m’approcheront jamais afin
recesserunt a me (...) nunquam appropinquabunt d’exercer le sacerdoce. Or, on s’approche de
mihi, ut sacerdotio fungantur. Sed aliquis Dieu par la charité, pour ce qui est du sacerdoce
quantum ad spirituale sacerdotium appropinquat spirituel. Celui qui, à un moment, s’est éloigné
Deo per caritatem. Ergo non habet tantam de Dieu par le péché n’a donc pas une charité
caritatem qui aliquando recessit a Deo per aussi grande qu’auparavant.
peccatum, quantam ante.
[11689] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 3. À ses débuts, la charité n’est jamais aussi
arg. 3 Praeterea, caritas incipiens nunquam est grande que lorsqu’elle progresse et devient
tanta, quanta proficiens et perfecta. Sed aliquis parfaite. Or, lorsque quelqu’un est tombé, il avait
quando cecidit, habuit caritatem proficientem, vel une charité en progrès ou parfaite ; mais lorsqu’il
perfectam; quando autem resurgit, habet caritatem se relève, il a une charité débutante. Il n’a donc
incipientem. Ergo non habet tantam caritatem pas une charité aussi grande qu’auparavant.
quantam prius.
[11690] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 4. Jamais celui qui n’a pas la charité ne peut se
arg. 4 Praeterea, nunquam potest tantum disposer à recevoir une aussi grande influence de
disponere se ad recipiendum divini luminis la lumière divine que celui qui a la charité. Or,
influentiam qui est sine caritate, quantum cum Dieu infuse la grâce à celui qui s’y est disposé.
caritate. Sed secundum quod aliquis disposuit se Celui qui demeure dans la charité reçoit donc
ad gratiam, Deus illi gratiam infundit. Ergo toujours plus d’influence de la grâce que celui
semper magis recipit de influentia gratiae aliquis qui reçoit de nouveau la charité. La conclusion
permanens in caritate, quam de novo caritatem est ainsi la même que précédemment.
accipiens; et sic idem quod prius.
[11691] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 s. Cependant, en Ml 3, 4, il est dit : Le sacrifice de
c. 1 Sed contra, in Malach. 3, 4: placebit Deo Juda et de Jérusalem plaira à Dieu, comme les
sacrificium Juda et Hierusalem, sicut dies saeculi jours du siècle et de l’année écoulés. Or, la
et anni antiqui. Sed caritas facit omnia nostra Deo charité fait en sorte que tout ce que nous faisons
esse accepta. Ergo aliquis post lapsum resurgens est agréable à Dieu. Après la chute, celui qui se
potest habere tantum de caritate, quantum prius. relève peut donc avoir autant de charité
qu’auparavant.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Celui qui se relève a-t-il
toujours une charité plus grande ?]
[11692] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 1. Il semble que celui qui se relève ait toujours
arg. 1 Ulterius. Videtur quod semper resurgat in une [charité] plus grande. À propos de Gn 1 : Il y
majori. Gen. 1: factum est vespere et mane dies eut un soir et il y eut un matin : un jour, la Glose
unus; Glossa: vespertina lux a qua quis cecidit, dit : « La lumière du soir est celle où on tombe,
matutina in qua resurgit. Sed lux matutina est celle du matin, celle où on se relève. » Or, la
955

major quam vespertina. Ergo et gratia vel caritas lumière du matin est plus grande que celle du
in qua quis resurgit, illa quam prius habebat. soir. La grâce ou la charité dans laquelle
quelqu’un se relève est donc plus grande que
celle qu’il possédait auparavant.
[11693] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 2. Il est dit en Rm 5, 20 : Là où la faute a
arg. 2 Praeterea, Rom. 5, 20: ubi abundavit abondé, la grâce a surabondé. Or, là où la grâce
delictum, superabundavit et gratia. Sed ubi surabonde, il y a une charité plus grande. Donc,
superabundat gratia, est ibi major caritas. Ergo et etc.
cetera.
[11694] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 3. Le péché l’emporte sur la première charité.
arg. 3 Praeterea, peccatum vincit primam Or, il est vaincu par la seconde. La seconde
caritatem. Vincitur autem a secunda. Ergo charité est donc plus forte et plus grande que la
secunda caritas est fortior et major quam prima. première.
[11695] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 s. Cependant, l’innocent n’est pas moins apte à
c. 1 Sed contra, innocens non est minus aptus ad recevoir la grâce que le pécheur. Or, l’innocent a
recipiendum gratiam quam peccator. Sed primam reçu la première grâce, le pécheur, la seconde. Il
gratiam accipit innocens, secundam accipit n’est donc pas nécessaire que la seconde [grâce]
peccator. Ergo non oportet quod secunda sit major soit plus grande que la première.
quam prima.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La grâce après le péché est-
il au moins aussi grande ?]
[11696] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 1. Il semble qu’elle soit au moins égale. À
arg. 1 Ulterius. Videtur quod ad minus semper sit propos de Rm 8, 28 : Tout concourt au bien de
aequalis. Roman. 8, 28: diligentibus Deum omnia ceux qui aiment Dieu, la Glose dit : « Même le
cooperantur in bonum; Glossa: etiam casus in fait de tomber dans le péché. » Or, ce ne serait
peccatum. Sed hoc non esset, si in majori caritate pas le cas s’il se relevait avec une charité plus
resurgeret. Ergo nunquam in minori, sed semper grande. Il ne se relève donc jamais avec une
in aequali resurgit. charité moindre, mais toujours avec une charité
égale.
[11697] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 2. Ambroise dit que la pénitence restitue tout ce
arg. 2 Praeterea, Ambrosius dicit quod poenitentia qui a été perdu. Or, ce ne serait pas le cas si l’on
omnia ablata restituit. Sed hoc non esset si non ne se relevait pas avec une charité au moins
resurgeret ad minus in aequali caritate. Ergo égale. On se relève donc toujours avec une
semper resurgit aliquis in aequali caritate. charité égale.
[11698] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 3. La contrition doit être proportionnée au péché
arg. 3 Praeterea, contritio debet proportionari précédent. Or, le péché est d’une certaine
praecedenti peccato. Sed peccatum proportionatur manière proportionné à la charité qu’il chasse.
quodammodo gratiae quam expellit. Ergo et gratia La grâce ou la charité, par laquelle un homme est
vel caritas per quam homo conteritur, debet esse contrit, doit donc être égale à la grâce
aequalis gratiae praecedenti. précédente.
[11699] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 4. La pénitence donne vie aux mérites morts par
arg. 4 Praeterea, poenitentia vivificat merita per les péchés. Donc, le pénitent aura autant de
peccata mortificata. Ergo poenitens tantam gloire qu’il en a mérité avant le péché. Or, il en a
habebit gloriam quantum ante peccatum meruerat. mérité autant qu’il avait de charité. La gloire que
Sed tantum meruerat quantum de caritate le pénitent aura est donc proportionnée à la
habuerat. Gloria ergo quam poenitens habebit, charité qu’il avait avant le péché. Or, elle est
proportionatur caritati quam ante peccatum proportionnée à la charité où le trouve la mort
habuit. Proportionatur autem caritati in qua in après la pénitence, car l’arbre se trouvera là où il
morte invenitur post poenitentiam: quia lignum est tombé, Si 50. La charité avec laquelle le
ubi ceciderit, ibi erit: Eccles. penult. Ergo caritas pénitent se relèvera est donc égale à la charité
956

in qua resurgit poenitens, est aequalis caritati a avec laquelle il est tombé.
qua cecidit.
[11700] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 s. Cependant, la plus petite contrition suffit à
c. 1 Sed contra, minima contritio sufficit ad détruire tous les péchés. Or, la quantité de la
deletionem omnium peccatorum. Sed secundum charité avec laquelle on se relève se prend de la
quantitatem contritionis attenditur quantitas quantité de la contrition. Puisqu’il pouvait, alors
caritatis in qua quis resurgit. Ergo cum potuerit, qu’il avait d’abord la grâce, avoir reçu la grâce
quando prius habuit gratiam, ex magna avec une grande préparation, il semble donc qu’il
praeparatione gratiam accepisse, videtur quod soit possible qu’il reçoive une grâce et une
possibile sit quod recipiat minorem gratiam et charité moindres qu’il n’avait antérieurement.
caritatem quam prius habuit.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11701] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 co. La mesure de la charité est fixée à l’avance par
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, Dieu selon sa volonté et, d’une certaine manière,
quod mensura caritati praefigitur a Deo secundum elle est proportionnée à l’effort de celui qui
suam voluntatem, et aliquo modo commensuratur reçoit la grâce. Ainsi, lorsque quelqu’un, après
ad conatum illius qui gratiam recipit. Unde cum un péché, peut faire plus ou moins d’effort pour
aliquis post peccatum possit multum et parum recevoir la charité et qu’il n’est pas mis de limite
conari ad recipiendum caritatem, et divinae à la libéralité divine par le péché, puisqu’il est en
liberalitati non ponatur terminus per peccatum, lui-même disposé à détruite tous les péchés, il
cum ipse quantum in se est, sit paratus omnia faut dire et on dit généralement que quelqu’un,
peccata totaliter delere; oportet dicere sicut et après le péché, se relève avec une charité plus
communiter dicitur, quod aliquis potest post grande, moins grande et égale.
peccatum in majori et in minori et aequali caritate
resurgere.
[11702] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 1. On parle de la gloire de la récompense
1 Ad primum ergo dicendum, quod loquitur de accidentelle, qui n’est pas proportionelle à la
gloria praemii accidentalis, quae non charité, mais à l’acte ou à l’état, car, après le
commensuratur caritati, sed actui vel statui: quia péché, une vierge ne recevra pas d’auréole. De
post peccatum virgo aureolam non habebit; et même, le pécheur qui se relève n’aura-t-il pas
similiter nec peccator resurgens gaudium de non plus la joie d’une innocence continue.
innocentia continua.
[11703] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 2. Quelqu’un est écarté de la fonction d’une
2 Ad secundum dicendum, quod ab officio dignité en raison d’un péché commis, même s’il
dignitatis aliquis repellitur propter peccatum a fait pénitence ; ainsi est-il écarté du sacerdoce
commissum etiam si poenitentiam egerit, sicut en raison d’un homicide. Cela est dû au fait qu’il
propter homicidium repellitur a sacerdotio; et hoc n’est pas ramené à l’état d’une si grande dignité,
est propter hoc quod non reducitur ad statum bien qu’il soit ramené à une charité égale.
tantae dignitatis, quamvis reducatur ad aequalem
caritatem.
[11704] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 3. Si l’on parle d’une seule et même charité, il
3 Ad tertium dicendum, quod loquendo de una et est vrai que la charité qui débute est moindre que
eadem caritate, verum est quod caritas incipiens celle qui progresse ou est parfaite. Mais une
minor est quam proficiens vel perfecta; sed una [charité] débutante peut être plus grande que
incipiens potest esse major quam alterius qui est celle d’un autre qui se trouve dans l’état de ceux
in statu proficientium, sicut aliquod animal statim qui progressent, de même qu’un animal naît d’un
natum est majus quam aliud etiam perfectum. coup plus grand qu’un autre, même parfait.
[11705] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 1 ad 4. Toutes choses étant égales, celui qui possède
4 Ad quartum dicendum, quod ceteris paribus la charité reçoit toujours davantage l’influence
semper ille qui habet caritatem, recipit plus de de la lumière divine ; mais celui qui ne possède
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influentia divini luminis; sed ille qui non habet pas la charité peut faire plus d’efforts, et il en
caritatem, potest plus conari, et magis recipiet. recevra davantage.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11706] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 co. Il n’est pas nécessaire qu’il se relève toujours
Ad secundam quaestionem dicendum, quod non avec une charité plus grande, car même une
est necessarium quod semper in majori caritate préparation moindre ou égale suffit pour que la
resurgat: quia etiam minor praeparatio, vel grâce soit infusée.
aequalis, sufficit ad hoc quod gratia infundatur.
[11707] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 1. Cette compariason n’est pas envisagée selon la
1 Ad primum igitur dicendum, quod similitudo quantité de la lumière, mais selon le rapport
illa attenditur non quantum ad quantitatem lucis, entre la lumière et les ténèbres.
sed quantum ad ordinem lucis ad tenebras.
[11708] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 2. L’Apôtre parle de la grâce de la rédemption,
2 Ad secundum dicendum, quod apostolus qui a surabondé par rapport à la faute du premier
loquitur de gratia redemptionis, quae homme, et il ne parle pas de manière universelle.
superabundavit ad delictum primi hominis; et non
loquitur universaliter.
[11709] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 2 ad 3. Le péché ne l’emporte pas sur la charité en
3 Ad tertium dicendum, quod peccatum non vincit raison de la faiblesse de celle-ci, mais parce que
caritatem propter ejus debilitatem; sed quia ille celui qui pèche ne fait pas usage de l’aide de la
qui peccat, non utitur auxilio caritatis; et ideo grâce. Le raisonnement n’est donc pas concluant.
ratio non sequitur.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11710] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 co. L’homme peut se relever même avec une charité
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod etiam in moindre, car, aussi peu déplore-t-il son péché et
minori caritate potest homo resurgere: quia se prépare-t-il à la grâce, pourvu qu’il atteigne la
quantulumcumque de peccato doleat, et ad limite de la contrition, par laquelle il lui déplaît
gratiam se praeparet, dummodo ad terminum davantage de s’être éloigné de Dieu que quelque
contritionis perveniat, qua plus displicet ei a Deo chose de temporel ne lui a plu, il aura la grâce,
recessisse quam aliquod temporale placuit, même s’il ne se prépare pas autant qu’il s’est
gratiam habebit, etiam si non tantum praeparet se préparé antérieurement, alors qu’il était innocent.
quantum prius, dum fuit innocens, praeparavit.
[11711] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 1. Cela ne s’entend pas toujours d’une plus
1 Ad primum igitur dicendum, quod hoc grande quantité de charité, mais de
intelligitur non semper quantum ad majorem l’empressement plus grand ou de l’humilité [plus
quantitatem caritatis, sed quantum ad majorem grande] avec laquelle le pénitent se relève, du
diligentiam vel humilitatem, in qua poenitens moins pour ce qui est de l’acte. Or, c’est un mal
resurgit, ad minus actuali. Minus autem malum moindre que la charité soit diminuée, qu’elle ne
est ut caritas diminuatur quam ut totaliter soit totalement enlevée, et un mal moindre est
amittatur; et minus malum computatur pro magis considéré comme un bien plus grand, comme on
bono, ut dicitur 5 Ethic. Et ideo in bonum le dit dans Éthique, V. C’est pourquoi le péché
diligentis Deum cedit peccatum, etiam si in tourne au bien de celui qui aime Dieu, même s’il
minori caritate resurgat: quia per humilitatem et se relève avec une charité moindre, car il est
cautelam ab omnimoda gratiae amissione curatur. guéri de toute perte de la grâce par l’humilité et
la prévoyance.
[11712] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 2. La pénitence a tout rendu, mais pas
2 Ad secundum dicendum, quod poenitentia nécessairement à égalité.
omnia restituit; sed non oportet quod aequalia.
[11713] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 3. La quantité du péché n’est pas proportionnée à
3 Ad tertium dicendum, quod quantitas peccati la grâce qu’elle écarte, car un petit péché peut
958

non proportionatur gratiae quam exclusit: quia chasser la plus grande charité, comme on dit en
parvum peccatum potest maximam caritatem sens inverse qu’une petite charité détruit les plus
expellere, sicut e converso parva caritas dicitur grands péchés, car cela dépend davantage de
maxima peccata delere, quia pendet ex conatu l’effort de l’homme que de la quantité de
hominis potius quam ex quantitate habitus. l’habitus.
[11714] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 1 a. 4 qc. 3 ad 4. Comme cela ressort de ce qui a été dit
4 Ad quartum dicendum, quod sicut ex praedictis auparavant, par les mérites antérieurs, il méritait
patet, per priora merita merebatur sibi tantam une gloire aussi grande que la charité qu’il avait.
gloriam, quantam caritatem habebat. Sed ipse per Mais, par le péché, il est devenu un autre, et il
peccatum factus est alter, et non plenarie ad n’est pas pleinement rétabli à son premier
pristinum gradum restitutus: et ideo non plenarie niveau. C’est pourquoi il ne recevra pas
recipiet affectum priorum meritorum, nisi pleinement l’effet [corr. affectum/effectum] des
quantum ad praemium accidentale, quod mérites antérieurs, sauf pour la récompense
mensuratur actibus magis quam habitu caritatis. accidentelle, qui se mesure plutôt selon les actes
que selon l’habitus de la charité.

Quaestio 2 Question 2 – [La disparition de la charité en


raison de la gloire]
Prooemium Prologue
[11715] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 pr. Deinde On s’interroge ensuite sur la disparition de la
quaeritur de evacuatione caritatis per gloriam; et charité en raison de la gloire. À ce propos, quatre
circa hoc quaeruntur quatuor: 1 utrum fides et questions sont posées : 1. La foi et l’espérance
spes evacuentur gloria adveniente; 2 utrum seront-elles éliminées lorsque surviendra la
caritas; 3 utrum ordo caritatis; 4 utrum scientia. gloire ? 2. La charité aussi ? 3. L’ordre de la
charité aussi ? 4. La science aussi ?

Articulus 1 [11716] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 Article 1 – La foi sera-t-elle éliminée dans la
a. 1 tit. Utrum fides evacuetur in patria patrie ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La foi sera-t-elle éliminée
dans la patrie ?]
[11717] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 1. Il semble que la foi ne sera pas éliminée. En
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod effet, la foi est le fondement de l’édifice
fides non evacuetur. Fides enim est fundamentum spirituel. Or, le fondement demeure immuable,
spiritualis aedificii. Sed fundamentum immobile quoi qu’on construise par-dessus. La foi n’est
manet, quidquid superaedificetur. Ergo fides non donc pas éliminée lorsque survient la gloire.
evacuatur adveniente gloria.
[11718] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 2. Rien n’est chassé que de ce qui lui est
arg. 2 Praeterea, nihil expellitur nisi a suo contraire. Or, la gloire n’est pas le contraire de la
contrario. Sed gloria non est contraria fidei. Ergo foi. Lorsque survient la gloire, la foi n’est donc
adveniente gloria non evacuatur fides. pas éliminée.
[11719] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 3. Le parfait et l’imparfait chez les choses qui
arg. 3 Praeterea, perfectum et imperfectum circa diffèrent par l’espèce sont compatibles dans une
ea quae sunt diversa specie, bene se compatiuntur même chose ; ainsi, un homme peut possèder
in eodem, sicut quod homo habeat perfectam parfaitement la géométrie et imparfaitement la
geometriam, et imperfectam grammaticam. Sed grammaire. Or, la vision de la gloire et la foi
visio gloriae et fides sunt alterius speciei. Ergo sont d’espèce différente. La vision de la gloire ne
visio gloriae non expellit fidem. chasse donc pas la foi.
[11720] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 4. Le rapport entre l’opinion et la science est le
arg. 4 Praeterea, opinio et scientia habent se sicut même qu’entre la connaissance parfaite et [la
cognitio perfecta et imperfecta; et similiter connaissance] imparfaite ; de même en est-il de
959

cognitio matutina et vespertina in Angelis. Sed in la connaissance du matin et de la connaissance


hominibus manent simul scientia et opinio; et in du soir chez les anges. Or, chez les hommes, la
Angelis simul cognitio matutina et vespertina. science et l’opinion cohabitent, et chez les anges,
Ergo fides manet cum visione patriae. la connaissance du matin et la connaissance du
soir. La foi cohabite donc avec la vision de la
patrie.
[11721] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 s. Cependant, [1] l’Apôtre dit le contraire,
c. 1 Sed contra est quod apostolus dicit 1 Corinth. 1 Co 13.
13.
[11722] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 s. 2. La foi porte sur ce qui n’est pas visible. Or,
c. 2 Praeterea, fides est non apparentium. Sed in dans la patrie, rien ne sera invisible de ce sur
patria nihil erit non apparens eorum quorum est quoi porte la foi. Il n’y aura donc pas là de foi.
fides. Ergo ibi fides non erit.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’espérance sera-t-elle
éliminée ?]
[11723] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 1. Il semble que l’espérance non plus ne sera pas
arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec spes evacuetur. éliminée, car le rapport entre l’espérance et les
Quia sicut se habet spes ad bona, ita se habet biens est le même que le rapport entre la crainte
timor ad mala. Sed in damnatis semper manebit et les maux. Or, la crainte servile demeurera
timor servilis. Ergo et similiter in beatis manebit toujours chez les damnés. Donc, de la même
spes. façon, l’espérance demeurera-t-elle chez les
bienheureux.
[11724] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 2. Il est dit dans Si 24, 29 : Ceux qui me mangent
arg. 2 Praeterea, Eccli. 24, 29: qui edunt me adhuc auront encore faim, et il parle de la jouissance
esurient; et loquitur de fruitione divinae sapientiae [fruitione] de la sagesse divine qui existera dans
quae erit in patria. Sed esuriens expectat aliquid in la patrie. Or, celui qui a faim attend quelque
futurum. Ergo sancti expectabunt aliquid in chose dans l’avenir. Les saints attendront donc
futurum etiam de praemio substantiali. quelque chose dans l’avenir, même pour ce qui
est de la récompense substantielle.
[11725] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 3. Dans la foi qui est éliminée, se trouve quelque
arg. 3 Praeterea, in fide quae evacuatur, invenitur chose de commun à la foi et à la gloire, à savoir,
aliquid commune fidei et gloriae, scilicet visio. la vision. Or, on ne trouve pas dans l’espérance
Sed non invenitur aliquid in spe quod possit in quelque chose qui puisse exister dans la patrie,
patria esse: quia id quod est substantia spei, est car ce qui est la substance de l’espérance est
expectatio, quae non manebit in patria. Ergo l’attente, qui ne demeurera pas dans la patrie. Il
videtur quod non evacuetur spes. semble donc que l’espérance ne sera pas
éliminée
[11726] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] il est dit en Rm 8, 24 : Ce que
c. 1 Sed contra, Rom. 8, 24: quod videt quis quid quelqu’un voit, comment l’espère-t-il ? Or, les
sperat? Sed sancti videbunt in patria quidquid saints verront dans la patrie tout ce qu’ils ont
expectaverunt. Ergo spes in eis non erit. attendu. Il n’y aura donc pas d’espérance chez
eux.
[11727] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 s. [2] L’espérance est l’attente de la béatitude à
c. 2 Praeterea, spes est expectatio beatitudinis venir. Or, la béatitude ne sera plus à venir dans la
futurae. Sed beatitudo in patria jam non erit patrie. Il n’y aura donc pas non plus d’espérance.
futura. Ergo neque spes erit ibi.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Quelque chose de la
substance de l’habitus de la foi et de
l’espérance demeurera-t-il identique en
nombre ?]
960

[11728] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 1. Il semble que quelque chose de l’habitus de la
arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliquid de substantia foi et l’espérance demeurera identique en
habitus fidei et spei remanebit idem numero. Quia nombre, car, en tout changement, il faut qu’il y
in omni mutatione oportet esse aliquid commune ait quelque chose de commun aux deux termes.
utrique terminorum. Sed fides et spes mutantur in Or, la foi et l’espérance sont changées en biens
bona gloriae. Ergo oportet quod aliquid de de la gloire. Il faut donc que quelque chose de la
substantia habitus fidei et spei maneat idem substance de l’habitus de foi et d’espérance
numero. demeure identique en nombre.
[11729] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 2. De même que la charité qui survient s’oppose
arg. 2 Praeterea, sicut caritas adveniens opponitur à la foi informe, non pas selon la substance de la
fidei informi non secundum substantiam fidei, sed foi, mais selon son caractère informe, de même,
secundum informitatem; ita gloria adveniens la gloire qui survient s’oppose à la foi, non pas
opponitur fidei non secundum substantiam selon la substance de la vision, mais selon son
visionis, sed secundum imperfectionem tantum. imperfection seulement. Or, la charité qui
Sed caritas adveniens tollit informitatem et survient enlève le caractère informe et l’habitus
remanet idem habitus numero fidei quantum ad de la foi demeure identique en nombre quant à sa
substantiam, ut supra dictum est, dist. 23, quaest. substance, comme on l’a dit plus haut, d. 23,
3, art. 4, quaestiunc. 1. Ergo et similiter gloria q. 3, a. 4, qa 1. De même, la gloire qui survient
adveniens tollit tantum imperfectionem, et dimittit enlève-t-elle seulement l’imperfection et laisse-t-
eamdem substantiam habitus numero. elle identique en nombre la substance de
l’habitus.
[11730] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 3. Lorsque la science imparfaite progresse vers
arg. 3 Praeterea, quando scientia imperfecta [la science] parfaite, la substance de la science
crescit in perfectam, non tollitur substantia n’est pas enlevée ; de la même façon, la
scientiae: similiter nec substantia corporis, quando substance du corps [ne l’est-elle pas] lorsque,
ex puero fit vir; sed manet idem homo. Sed d’enfant, il devient homme, mais il demeure le
apostolus evacuationem fidei comparat perfectioni même homme. Or, l’Apôtre compare la
scientiae et aetatis. Ergo substantia fidei manet disparition de la foi à la perfection de la science
eadem numero. et de l’âge. La substance de la foi demeure donc
la même en nombre.
[11731] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 s. Cependant, [1] lorsque les formes sont
c. 1 Sed contra, formae quando destruuntur, sicut détruites, comme elles viennent entièrement du
ex nihilo totaliter sunt, ita totaliter in nihilum néant, de même tendent-elles totalement vers le
tendunt. Sed fides et spes cum sint habitus, néant. Or, la foi et l’espérance, puisqu’elles sont
formae quaedam sunt. Ergo cum adveniente gloria des habitus, sont des formes. Puisqu’elles sont
destruantur, ut dicit apostolus, videtur quod nihil détruites lorsque survient la gloire, ainsi que le
ipsarum maneat secundum numerum idem. dit l’Apôtre, il semble donc que rien d’elles ne
demeure identique en nombre.
[11732] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 s. [2] Il est impossible que quelque chose soit
c. 2 Praeterea, impossibile est quod aliquid sit identique en nombre sans être identique selon
idem numero quod non sit idem specie, sicut dicit l’espèce, ainsi que le dit le Philosophe de la foi
philosophus de fide et opinione in 4 Topicor. Sed et de l’opinion dans les Topiques, IV. Or, la
visio patriae et fides differunt specie multo plus vision de la patrie et la foi diffèrent par l’espèce
quam fides et opinio. Ergo visio fidei et patriae bien plus que la foi et l’opinion. La vision de la
non est idem numero. foi et de la patrie n’est donc pas identique en
nombre.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11733] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Dans la foi, il y a une certaine connaissance et
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, une manière de connaître, car elle connaît dans
quod in fide est cognitio quaedam et modus un miroir et en énigme ; son mode est imparfait
961

cognoscendi, quia cognoscit in speculo et in et comporte une obscurité. Puisque, lorsqu’elle


aenigmate; modus autem imperfectionis est, et survient, la gloire enlève toute imperfection et
obscuritatem importat. Unde cum gloria toute obscurité, elle enlèvera donc le mode de la
adveniens omnem imperfectionem et obscuritatem foi pour ce qui est de la manière de connaître,
tollat, tollet quidem modum fidei quantum ad mais la connaissance de ce sur quoi porte la foi
modum cognoscendi, sed remanebit cognitio demeurera, non plus énigmatique, mais claire.
eorum quorum est fides, non quidem jam
aenigmatica, sed clara.
[11734] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1. Pour ce qu’elle comporte de connaissance, la
1 Ad primum ergo dicendum, quod quantum ad id foi est le fondement, mais non pour ce qu’elle
quod habet de cognitione, fides est fundamentum, comporte d’énigmatique. Pour ce qui est le
non quantum ad id quod habet de aenigmate; unde fondement, elle demeurera donc.
quantum ad id quod est fundamentum, manebit.
[11735] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2. Bien que la vision de la gloire ne soit pas
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis gloriae contraire à la foi pour ce qu’elle comporte de
visio non sit contraria fidei quantum ad id quod connaissance, elle lui est cependant contraire
habet de cognitione, est tamen sibi contraria pour ce qu’elle comporte d’énigmatique. Sous
quantum ad id quod habet de aenigmate; et ex hac cet aspect, elle la chasse.
parte eam expellit.
[11736] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3. La perfection et l’imperfection de la
3 Ad tertium dicendum, quod perfectio et connaissance par rapport à des choses différentes
imperfectio cognitionis circa diversa bene se sont compatibles, mais non par rapport à une
compatiuntur, sed non circa idem; et ideo aliquis même chose. C’est pourquoi quelqu’un peut
potest habere simul imperfectam cognitionem de posséder en même temps une connaissance
his quae pertinent ad unum, et perfectam de his imparfaite de ce qui se rapporte à une chose, et
quae pertinent ad aliud. Sed non est simile in parfaite, de ce qui est rapporte à une autre. Mais
proposito; quia fides et visio gloriae est de eodem. il n’en va pas de même ici, car la foi et la vision
portent sur la même chose.
[11737] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4. L’opinion et la science, bien qu’elles portent
4 Ad quartum dicendum, quod opinio et scientia, sur la même chose, ne le font pas selon le même
quamvis sint de eodem, non tamen secundum moyen, mais selon des moyens différents. Aussi
idem medium, sed secundum diversa; et ideo peuvent-elles exister en même temps. Mais la foi
possunt esse simul; sed fides et visio patriae sunt et la vision de la patrie portent sur une même
de eodem, et secundum idem medium: quia fides réalité et selon le même moyen, car la foi donne
assentit veritati primae propter se, et similiter son assentiment à la Vérité première en raison
visio gloriae; et ideo perfectio unius non patitur d’elle-même, et de même en est-il de la vision de
imperfectionem alterius. Cognitio autem matutina la gloire. C’est pourquoi la perfection de l’une ne
et vespertina quamvis sint de eodem secundum supporte pas l’imperfection de l’autre. Mais la
rem, non tamen sunt de eodem secundum idem connaissance du matin et la connaissance du soir,
esse; quia cognitio matutina est de re secundum bien qu’elles portent en réalité sur le même
quod habet esse in verbo; cognitio autem objet, ne portent cependant pas sur la même
vespertina de re secundum quod habet esse in chose selon le même être, car la connaissance du
propria natura; et ideo non est simile. matin porte sur une chose selon qu’elle existe
dans le Verbe, mais la connaissance du soir, sur
une chose selon qu’elle existe dans sa propre
nature.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11738] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Il faut juger des habitus selon les actes. Or, il
Ad secundam quaestionem dicendum, quod de existe un double acte : l’acte qui est l’acte de
habitibus oportet ex actibus judicium sumere. Est quelque chose d’imparfait en tant que tel, tel le
962

autem duplex actus; scilicet actus qui est actus mouvement ; et l’acte qui est l’acte de quelque
imperfecti inquantum hujusmodi, sicut motus; et chose de parfait en tant que tel, comme
actus qui est actus perfecti inquantum hujusmodi, l’opération découlant d’une forme. Or, il arrive
sicut operatio consequens formam. Contingit parfois que les actes de ce qui est parfait se
autem quandoque quod actus perfecti inveniantur trouvent dans quelque chose d’imparfait selon
in imperfecto secundum quod jam participat que cela participe déjà à quelque chose de la
aliquid de perfectione, sicut aliquid de actu albi perfection, comme quelque chose de l’acte de ce
est in pallido. Quando ergo imperfectum ad qui est blanc se trouve dans ce qui est pâle.
perfectionem venit, actus qui est ejus inquantum Lorsque l’imparfait atteint la perfection, l’acte
habet aliquid de perfectione in quam tendebat, qui est le sien, en tant qu’il possède quelque
manet quantum ad id quod est substantia actus, chose de la perfection vers laquelle il tendait,
sed tollitur quantum ad id quod erat de demeure donc pour ce qui est la substance de
imperfectione actus; sicut loquela balbutientis l’acte, mais il est enlevé pour ce qui était de
pueri tollitur, quando venit ad perfectam aetatem, l’imperfection de l’acte. Ainsi, le langage de
quantum ad id quod imperfectionis erat in ipso; l’enfant qui balbutie est-il enlevé lorsqu’il
manet autem quidquid erat de perfectione et de parvient à l’âge adulte, pour ce qui était de
substantia loquelae. Sed motus qui est actus l’imperfection qui se trouvait en lui ; mais il
imperfecti, quando pervenitur ad terminum motus, demeure quelque chose de la perfection et la
non manet quantum ad aliquid substantiae actus, substance du langage. Mais le mouvement qui
sed quantum ad radicem, secundum quam motus est l’acte de quelque chose d’imparfait, lorsqu’il
inerat, quae erat proportio quaedam et ordo a atteint le terme du mouvement, ne demeure pas
imperfecti ad perfectionem. Cognitio autem, pour ce qui est de la substance de l’acte, mais
inquantum hujusmodi, importat actum perfecti; et pour ce qui est de sa racine, selon laquelle le
ideo cognitio quae habetur in statu imperfectionis, mouvement était présent en lui : il était une
manet quantum ad id quod cognitionis est, certaine proportion et un certain ordre de
imperfectione sublata. Spes autem inquantum l’imparfait à la perfection. Or, la connaissance en
tendit in arduum quod est nondum habitum, et tant que telle comporte l’acte de ce qui est
futurum expectatum, est sicut actus imperfecti, parfait. Aussi la connaissance qui existe dans
cum sit quasi quidam motus; et ideo cum ad l’état d’imperfection demeure-t-elle pour ce qui
perfectum venerit, non manet id quod est de la connaissance, lorsque l’imperfection est
expectationis aut spei est; sed hoc tantum in quo enlevée. Mais l’espérance, en tant qu’elle tend
haec expectatio radicabatur, scilicet ordo et vers quelque chose de difficile qui n’est pas
proportio ipsius hominis ad illa jam habita, encore possédé et qui est attendu dans l’avenir,
quorum, dum non habebantur, erat spes; et ideo est comme l’acte de quelque chose d’imparfait,
non ponitur aliquid speciale succedens spei, sed puisqu’elle est comme un mouvement. C’est
tentio sive comprehensio beatitudinis, quae dicit pourquoi, lorsqu’elle parvient à ce qui est parfait,
ordinem hominis ad Deum jam habitum, cujus ce qui est attente ou espérance ne demeure pas,
non habiti erat spes; unde ordo iste communis est mais seulement ce en quoi s’enracinait cette
utrobique; et quantum ad hunc ordinem spes attente, c’est-à-dire l’ordre et la proportion entre
manet, sed quantum ad naturam actus sui transit. l’homme et ce qui est déjà possédé, sur quoi
portait l’espérance alors que cela n’était pas
possédé. Ainsi, rien de spécial n’est mis pour
succède à l’espérance, mais la possession ou la
pleine saisie (comprehensio) de la béatitude, qui
exprime l’ordre de l’homme à Dieu déjà possédé,
qui était objet de l’espérance lorsqu’il n’était pas
possédé. Cet ordre est donc commun aux deux et
l’espérance demeure quant à cet ordre, mais elle
passe quant à la nature de son acte.
[11739] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1. Ceux qui se trouveront dans les peines,
963

1 Ad primum igitur dicendum, quod illi qui erunt puisqu’ils ont été éloignés de la participation à
in poenis, cum sint remoti a participatione l’éternité, seront toujours en mouvement et en
aeternitatis, erunt semper in motu et successione; succesion ; pour cette raison, la crainte d’un mal
et propter hoc poterit esse timor futuri mali. Sed à venir pourra demeurer. Mais ceux qui seront
illi qui erunt in patria, erunt maxime quantum ad dans la patrie participeront à l’éternité, surtout
praemium substantiale in participatione pour ce qui est de la récompense substantielle.
aeternitatis; et ideo secundum hoc non erit in eis C’est pourquoi il n’y aura pas pour eux quelque
aliquid de praemio futuri, sed totum simul habent; chose d’une récompense à venir, mais ils la
unde non remanet in eis spes. posséderont en entier simultanément. Ainsi
l’espérance ne demeure-t-elle pas chez eux.
[11740] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2. Cette faim ne comporte pas d’attente d’un
2 Ad secundum dicendum, quod illa fames non avenir, mais elle enlève le dégoût de ce qui est
importat expectationem futuri, sed aufert déjà possédé. Par rapport à la récompense
fastidium jam habiti. Unde respectu praemii substantielle, il n’y aura donc pas là d’attente,
substantialis non erit ibi expectatio, sed fruitio mais une pleine jouissance ; mais par rapport à
plena: sed respectu aliquorum accidentalium, vel certaines chose accidentelles ou même au
etiam stolae corporis, poterit ibi esse expectatio, vêtement du corps, il pourra exister une attente,
sed non spes, ut supra, 26 dist., quaest. 2, art. 1, mais non une espérance, comme on l’a dit plus
quaestiunc. 2, dictum est. haut, d. 26, q. 2, a. 1, q. 2.
[11741] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3. Même dans l’espérance, on trouve quelque
3 Ad tertium dicendum, quod etiam in spe chose qui demeure dans la patrie : l’ordre et la
invenitur aliquid quod manet in patria, scilicet proportion par rapport au bien attendu. Or, cet
ordo et proportio ad expectatum bonum. Sed iste ordre sera parfait dans la patrie, alors qu’en route
ordo erit perfectus in patria, in via autem (in via), il est imparfait en raison de l’absence de
imperfectus propter absentiam ejus ad quod est. ce à quoi il se réfère.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11742] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 co. L’enlèvement de quelque chose qui fait partie de
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod ablatio la substance d’une réalité entraîne la corruption
alicujus quod est de substantia rei, inducit de cette réalité, mais non l’enlèvement de
corruptionem rei illius; non autem sublatio quelque chose qui a un rapport accidentel avec
alicujus quod se habet accidentaliter ad rem illam. cette réalité. Or, l’imperfection que la gloire
Imperfectio autem illa quam tollit gloria a fide, est enlève à la foi est la substance de la foi et se
substantia fidei, et ad speciem ejus pertinens: rapporte à son espèce, ce qui ressort du fait
quod patet ex hoc quod accipitur secundum qu’elle s’entend de la raison de l’objet, dont la
rationem objecti, a quo fides speciem recipit. foi reçoit son espèce. En effet, l’obscurité que
Obscuritas enim, quam aenigma importat, ad l’énigme comporte se rapporte au genre de
genus cognitionis pertinet. Et ideo oportet quod, connaissance. Il faut donc qu’une fois enlevée
remota ista imperfectione, substantia et species cette imperfection, la substance et l’espèce de la
fidei destruantur, sicut si ab asino removeatur sua foi soient détruites, comme si on enlevait à l’âne
irrationabilitas. Quia autem fides forma quaedam le fait qu’il n’a pas de raison. Mais parce que la
est accidentalis simplex, non composita ex foi est une forme accidentelle simple, et non
materia et forma; ideo ipsa destructa non remanet composée de matière et de forme, lorsqu’elle est
aliquid fidei idem numero, sed idem genere; sicut détruite, il ne reste rien de la foi qui soit
patet quod quando ex albo fit nigrum, vel e identique en nombre, mais quelque chose qui est
converso, manet id quod coloris est, non idem identique selon le genre, comme cela ressort
numero color, sed idem genere; sed manet eadem lorsque l’on passe du blanc au noir ou
lux numero cum est perfecta et imperfecta; quia inversemenet : ce qui se rapporte à la couleur
illa imperfectio vel perfectio non pertinet ad demeure, non pas identique en nombre, mais
speciem lucis, sed accidentalis est. Et similiter est identique selon le genre ; mais la même lumière
dicendum de spe, in qua etiam quod dictum est, demeure en nombre, puisqu’elle est parfaite et
964

magis apparet. imparfaite, car cette imperfection ou perfection


ne se rapporte pas à l’espèce de la lumière, mais
elle est accidentelle. Ainsi faut-il dire la même
chose de l’espérance, dans laquelle ce qui a été
dit apparaît encore davantage.
[11743] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1. L’élément commun qui demeure dans le
1 Ad primum ergo dicendum, quod commune changement est un sujet identique en nombre,
quod manet in mutatione, idem numero est mais il demeure identique par le genre selon la
subjectum, sed idem genere manet in natura nature du genre. Ainsi, dans ce changement,
generis; et ita in hac transmutatione manet eadem l’âme demeure-t-elle la même en nombre, mais
numero anima; sed visio vel cognitio idem genere. la vision ou la connaissance, la même selon le
genre.
[11744] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2. Cette absence de forme ne fait pas partie de ce
2 Ad secundum dicendum, quod informitas illa qui se rapporte à l’espèce de la foi, comme
non est de pertinentibus ad speciem fidei, sicut l’imperfection de l’énigme. Ce n’est donc pas la
imperfectio aenigmatica; et ideo non est simile. même chose.
[11745] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3. Il faut dire la même chose pour le troisième
3 Et similiter dicendum ad tertium. argument.

Articulus 2 [11746] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 Article 2 – La charité de la route sera-t-elle


a. 2 tit. Utrum caritas viae evacuetur in patria éliminée dans la patrie ?
[11747] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 1 1. Il semble que la charité de la route sera
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas éliminée. 1 Co 13, 10 : Lorsque surviendra ce
viae evacuetur. 1 Corinth. 13, 10: cum venerit qui est parfait, disparaîtra ce qui n’est que
quod perfectum est, evacuabitur quod ex parte partiel. Or, la charité est partielle, car ce
est. Sed caritas est ex parte: quia illud commandement : Tu aimeras le Seigneur ton
praeceptum: diliges dominum Deum tuum ex toto Dieu de tout ton cœur, n’est pas entièrement
corde tuo, non totaliter impletur in via, ut supra accompli sur la route, comme on l’a dit plus
dictum est, dist. 23, quaest. 3, art. 4. Ergo caritas haut, d. 23, q. 3, a. 4. La charité sera donc
evacuabitur. éliminée.
[11748] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 2 2. Lorsque la cause est détruite, l’effet est
Praeterea, destructa causa destruitur effectus. Sed détruit. Or, la foi engendre la charité, comme il
fides generat caritatem, sicut dicitur Matth. 1, in est dit dans la Glose à propos de Mt 1. Lorsque
Glossa. Cum ergo fides evacuetur, et caritas la foi disparaîtra, la charité sera donc aussi
evacuabitur. éliminée.
[11749] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 3 3. De même que la foi est énigmatique, de même
Praeterea, sicut fides est aenigmatica, ita et aussi la charité, car la charité meut la puissance
caritas; quia caritas movet affectum in id quod affective vers ce qui n’est pas vu selon l’espèce.
non per speciem videtur. Sed fides quae est Or, la foi qui est énigmatique disparaîtra. Donc,
aenigmatica, evacuabitur. Ergo et caritas. la charité aussi.
[11750] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 4 4. Le mouvement cesse lorsqu’on est parvenu au
Praeterea, motus cessat cum perventum fuerit ad terme. Or, la charité est un mouvement de
terminum. Sed caritas est quidam motus mentis in l’esprit vers Dieu. Lorsqu’elle sera parvenue au
Deum. Ergo cum ad terminum pervenietur, caritas terme, la charité cessera donc.
cessabit.
[11751] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 arg. 5 5. Les choses qui ont la même raison peuvent
Praeterea, ea quae sunt unius rationis, unum in progresser l’une vers l’autre, si elles diffèrent
alterum potest proficere, si differant secundum selon le parfait et l’imparfait. Or, la charité de la
perfectum et imperfectum. Sed caritas viae route, bien qu’elle puisse croître, ne peut jamais
quamvis possit crescere, nunquam tamen potest parvenir au mode de la charité de la patrie. La
965

pervenire ad modum caritatis patriae. Ergo caritas charité de la route et celle de la patrie ne sont
viae et patriae non sunt unius speciei; et ita donc pas d’une seule espèce, et il semble ainsi
videtur quod caritas evacuetur. que la charité seera éliminée.
[11752] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] 1 Co 13, 8 dit : La charité ne
Sed contra, 1 Corinth. 13, 8: caritas nunquam disparaîtra jamais.
excidit.
[11753] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 s. c. 2 2. La présence de celui qui est aimé n’enlève pas
Praeterea, praesentia amati non tollit amorem, sed l’amour, mais l’augmente. Or, la charité est
auget. Caritas autem est amor Dei. Ergo quando l’amour de Dieu. Lorsque nous verrons Dieu
Deum praesentem videbimus, non tolletur caritas, comme présent, la charité ne sera donc pas
sed magis augebitur. enlevée, mais elle sera plutôt augmentée.
[11754] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 co. Réponse. L’amour, selon la raison de son
Respondeo dicendum, quod amor secundum espèce, ne comporte pas d’imperfection, mais
rationem suae speciei non importat aliquid plutôt la perfection, dans la mesure où elle
imperfectionis, sed magis perfectionem, constitue un terme pour la puissance affective et
inquantum importat terminationem affectus, et une conformation selon la réalité aimée. Ainsi,
quamdam informationem in re amata; unde gloria lorsque surviendra la gloire, rien de ce qui fait
adveniens nihil de his quae ad speciem caritatis partie de l’espèce de la charité ne sera enlevée.
pertinent, tollet; et ideo caritas non destruetur. C’est pourquoi la charité ne sera pas détruite.
[11755] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 1 Ad 1. Cette imperfection est accidentelle pour la
primum ergo dicendum, quod illa imperfectio est charité. Lorsqu’elle sera enlevée, la charité
accidentalis caritati; et ideo ea remota, demeurera néanmoins identique en nombre.
nihilominus caritas eadem numero remanebit.
[11756] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 2 Ad 2. La foi est la cause de la charité en raison de la
secundum dicendum, quod fides est causa caritatis connaissance. Or, la connaissance demeurera,
ratione cognitionis; cognitio autem manebit, ut comme on l’a dit dans l’article précédent, qa 2.
dictum est, art. praeced. quaestiunc. 2.
[11757] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 3 Ad 3. L’énigme est essentielle à la foi, car elle fait
tertium dicendum, quod aenigma est essentiale partie de la raison de son objet propre. Mais elle
fidei, quia pertinet ad rationem proprii objecti; sed est accidentelle à la charité. C’est pourquoi le
est accidentale caritati; et ideo non est similis raisonnement n’est pas le même.
ratio.
[11758] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 4 Ad 4. Aimer n’exprime pas un mouvement qui serait
quartum dicendum, quod amare non dicit motum l’acte de quelque chose d’imparfait, mais qui est
qui sit actus imperfecti, sed qui est actus perfecti, l’acte de quelque chose de parfait, comme sentir
sicut sentire et intelligere, ut dicit philosophus in et intelliger, ainsi que le dit le Philosophe dans
3 de anima; et ideo ratio non sequitur. Sur l’âme, III. Le raisonnement n’est donc pas
concluant.
[11759] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 2 ad 5 Ad 5. Le fait que la charité de la route, qui demeure
quintum dicendum, quod hoc quod caritas viae en cours de route, ne puisse parvenir à la
manens in via, non potest pervenire ad perfection de la charité de la patrie provient de
perfectionem caritatis patriae, est propter statum l’état de celui qui est en route, et non de ce qui
viatoris, et non quantum ad id quod est de ratione fait partie de la raison de la charité, pour autant
caritatis, inquantum viator non possidet perfecte que celui qui est en route ne possède pas
quod amat. parfaitement ce qu’il aime.

Articulus 3 [11760] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 Article 3 – L’ordre de l’amour, qui existe
a. 3 tit. Utrum ordo dilectionis, qui modo est, maintenant, existe-t-il chez le Christ ou chez
fuerit in Christo, vel in sanctis qui sunt in patria les saints qui sont dans la patrie ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [L’ordre de l’amour, qui
966

existe maintenant, existe-t-il chez le Christ ou


chez les saints qui sont dans la patrie ?]
[11761] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 1. Il semble que l’ordre de l’amour, qui existe
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod maintenant, n’existe pas chez le Christ, ni chez
ordo dilectionis qui modo est, non fuerit in les saints qui sont dans la patrie, pour ce qui est
Christo, nec in sanctis qui sunt in patria, quantum de l’amour des ennemis, car les ennemis des
ad dilectionem inimicorum. Quia inimici saints, du moins après le jour du jugement, ne
sanctorum, ad minus post diem judicii non erunt seront que les démons et les damnés. Or, il ne
nisi Daemones et damnati. Sed ad illos non est faut pas avoir de charité à leur égard, comme on
habenda caritas, ut supra, dist. 28, art. 5, dictum l’a dit plus haut, d. 28, a. 5. Ils n’aimeront donc
est. Ergo non diligent inimicos. pas leurs ennemis.
[11762] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 2. Il y aura chez [le Christ et chez les saints dans
arg. 2 Praeterea, in eis erit summa conformitas la patrie] la plus grande conformité de leurs
voluntatum ad Deum. Sed Deus inimicos volontés à Dieu. Or, Dieu n’aime pas les
sanctorum non diligit, sed odit. Ergo nec Christus ennemis des saints, mais il les hait. Ni le Christ
et beati suos inimicos diligent. ni les bienheureux n’aimeront donc leurs
ennemis.
[11763] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 3. Quiconque aime quelqu’un de charité veut
arg. 3 Praeterea, quicumque diligit aliquem ex pour lui le bien de la vie éternelle. Or, le Christ
caritate, vult ei bonum vitae aeternae. Sed hoc n’a pas voulu cela pour ses ennemis, ni les
Christus non voluit inimicis, nec beati: quia si bienheureux, car s’ils le voulaient, cela se
vellent, etiam fieret. Ergo non diligunt inimicos réaliserait aussi. Ils n’aiment donc pas leurs
ex caritate. ennemis par charité.
[11764] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] aimer son ennemi relève de la
c. 1 Sed contra, diligere inimicum ad perfection de la charité. Or, chez le Christ et les
perfectionem caritatis pertinet. Sed in Christo et in bienheureux, la charité est la plus parfaite et la
beatis est perfectissima et amplissima caritas. plus étendue. Ils aiment donc leurs ennemis.
Ergo ipsi inimicos diligunt.
[11765] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 s. [2] Le Christ aime par charité ceux pour qui il est
c. 2 Praeterea, Christus ex caritate dilexit illos pro mort. Jn 15, 13 : Personne n’a de plus grand
quibus mortuus est; Joan. 15, 13: majorem hac amour que de donner sa vie pour ses amis. Or, il
dilectionem nemo habet ut animam suam ponat est mort pour ses ennemis, Rm 5. Il a donc aimé
quis pro amicis suis. Sed mortuus est pro inimicis; ses ennemis et, pour la même raison, les
Rom. 5. Ergo dilexit inimicos; et eadem ratione bienheureux aussi.
beati.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [L’ordre de la charité existe-
t-il chez eux entre soi et son prochain, et entre
les proches et les étrangers ?]
[11766] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 1. Il semble que l’ordre de la charité n’existe pas
arg. 1 Ulterius. Videtur quod in eis non sit ordo chez eux entre soi et son prochain, et entre les
caritatis quantum ad se et proximum, et proches et les étrangers. Augustin dit dans le
propinquos et extraneos. Augustinus in libro de livre Sur la véritable religion : « La justice
vera religione: perfecta justitia est, ut plus potiora parfaite consiste à aimer davantage les biens plus
bona, et minus minora diligamus. Sed in patria importants, et moins les biens moindres. » Or,
erit perfecta caritas. Ergo proximum meliorem se dans la patrie, une charité parfaite existera. On
plus diliget aliquis quam seipsum, et similiter aimera donc davantage un proche meilleur que
extraneum quam propinquum secundum carnem. soi, et, de même, un étranger qu’un proche selon
la chair.
[11767] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 2. Dans la patrie, existera une conformité
arg. 2 Praeterea, in patria erit perfecta conformitas parfaite de la volonté humaine à Dieu. Or, Dieu
967

humanae voluntatis ad Deum. Sed Deus plus aime davantage celui qui est meilleur. Chacun
diligit meliorem. Ergo et quilibet plus diliget aimera donc davantage celui qui est meilleur que
meliorem quam seipsum. lui-même.
[11768] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 3. Est davantage aimé celui à qui on souhaite un
arg. 3 Praeterea, ille plus diligitur cui majus plus grand bien. Or, tout homme veut un bien
bonum optatur. Sed quilibet homo vult majus plus grand qu’à lui-même à celui qui est meilleur
bonum meliori se quam sibi in patria: quia que lui dans la patrie : en effet, chacun veut pour
unicuique vult bonum quod habet, nec appetit un autre le bien qu’il possède et ne désire pas
alicui quod non habet: quia sic desiderium non pour quelqu’un un bien qu’il ne possède pas, car
esset quietatum. Ergo plus diligit meliorem se ainsi le désir ne serait pas apaisé. Il aime donc
quam seipsum. davantage celui qui est meilleur que lui-même.
[11769] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] la gloire perfectionne la nature.
c. 1 Sed contra, gloria perficit naturam. Sed ordo Or, l’ordre voulant qu’un homme s’aime
iste est a natura hominis progrediens, ut homo se davantage qu’un autre provient de la nature de
plus altero diligat. Ergo et gloria hunc ordinem l’homme. La gloire n’enlève donc pas cet ordre.
non aufert.
[11770] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 s. [2] Si quelqu’un négligeait son propre salut pour
c. 2 Praeterea, si aliquis salutem suam negligeret le salut d’un autre, il pécherait. Or, dans la
pro salute alterius, peccaret. Sed in patria non erit patrie, il n’y aura rien de désordonné. L’homme
aliquid inordinatum. Ergo homo ibi semper plus y aimera donc toujours plus son propre salut que
diliget salutem suam quam alterius; et ita plus celui d’un autre. Et ainsi, il s’aimera davantage
amabit se quam alterum. qu’un autre.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Le Christ aimera-t-il
davantage Pierre que Jean ?]
[11771] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 1. On demande qui le Christ a le plus aimé :
arg. 1 Ulterius. Quaeritur quem Christus plus Pierre ou Jean, et il semble que ce soit Jean.
dilexerit, Petrum vel Joannem; et videtur quod Jn 21, 20 : Il voit le disciple que Jésus aimait qui
Joannem. Joan. ultim. 20: vidit illum discipulum le suivait. Or, on ne dit pas cela parce qu’il
quem diligebat Jesus, sequentem. Hoc autem non aimait seulement celui-là. C’est donc en raison
dicitur quia illum tantum diligeret. Ergo propter de l’élévation de l’amour qu’il avait pour lui.
eminentiam dilectionis ad ipsum.
[11772] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 2. L’amour dans lequel la disposition affective
arg. 2 Praeterea, dilectio in qua affectus effectui, ne correspond pas à l’effet ou aux signes de
vel signis dilectionis non respondet, est dilectio l’amour est un amour simulé. Puisque le Christ a
simulationis. Cum ergo Christus majorem manifesté une plus grande familiarité à Jean qu’à
familiaritatem Joanni exhibuerit quam Petro, et Pierre et que son amour n’était d’aucune manière
ejus dilectio nullo modo fuerit simulata; videtur simulé, il semble donc qu’il ait aimé davantage
quod Joannem plus Petro dilexerit. Jean que Pierre.
[11773] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 s. Cependant, Pr 8, 17 dit : Moi, j’aime ceux qui
c. 1 Sed contra, Proverb. 8, 17: ego diligentes me m’aiment. Or, Pierre l’a aimé davantage, comme
diligo. Sed plus dilexit Petrus, ut patet Joan. ultim. cela ressort du dernier chapitre de Jean. Il était
Ergo et plus diligebatur. donc aussi davantage aimé.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11774] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 co. Les ennemis du Christ peuvent s’entendre de
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, deux manières : quant à l’issue finale, tels les
quod inimici Christi possunt accipi dupliciter; vel damnés, en acte ou dans la prévision divine, ou
quantum ad finalem exitum, sicut damnati, vel in quant à leur état présent seulement, comme
actu, vel in praevisione divina; vel quantum ad c’était alors le cas de Paul. Pour ce qui est des
praesentem statum tantum, sicut Paulus tunc erat. premiers ennemis, la même raison d’amour
Quantum ergo ad primos inimicos est eadem ratio existe chez le Christ et chez nous pour ceux que
968

dilectionis in Christo quae in nobis ad illos quos nous savons damnés, car nous aimons leur nature
scimus damnatos; quia naturam ipsorum et, à considérer leur nature seulement, nous leur
diligimus, et considerata natura tantum eis vitam voudrions la vie éternelle ; mais, à considérer la
aeternam vellemus; sed considerata justitia divina justice divine et leurs mérites, nous ne voulons
et eorum meritis, eis hoc non volumus, quia pas cela pour eux, car nous aimons davantage la
justitiam divinam plus diligimus quam eorum justice divine que leur nature. Et la première
naturam. Et prima voluntas est voluntas volonté est la volonté antécédente, la seconde, la
antecedens, secunda est voluntas consequens; et volonté conséquente. Ainsi, le Christ aimait ses
ita Christus diligebat inimicos qui erant damnati ennemis qui étaient damnés ou seraient damnés,
vel damnandi, volens eis bonum voluntate en leur voulant du bien selon sa volonté
antecedente, quae non semper impletur, sed non antécédente, qui ne s’accomplit pas toujours,
consequente, sicut nec Deus. Et eadem ratio est de mais non selon sa volonté conséquente, comme
aliis beatis quantum ad illos qui actu sunt c’est le cas pour Dieu. La même raison vaut pour
damnati. Sed de damnandis forte nesciunt de les autres bienheureux, quant à ceux qui sont
omnibus qui sunt. Sed quantum ad alios inimicos, damnés en acte. Mais, pour ceux qui doivent être
secundum praesentem statum tantum diligebat, et damnés, peut-être ne savent-ils pas qui ils sont
ad eos bona operabatur, quia pro eis mortem tous. Mais, pour les autres ennemis, il les aimait
subiit. et leur faisait du bien selon leur état présent
seulement, car il a subi la mort pour eux.
[11775] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 1 ad La réponse aux objections est ainsi claire.
arg. Et per hoc patet responsio ad objecta.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11776] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 co. À ce sujet, il y a deux opinions. Certains disent
Ad secundam quaestionem dicendum, quod circa que, dans la patrie, Dieu sera tout en tous, et que
hoc est duplex opinio. Quidam dicunt, quod in l’esprit, se reposant tout entier en Dieu, trouvera
patria erit Deus omnia in omnibus, et mens tota in en Dieu toute la raison d’aimer. C’est pourquoi il
Deo quiescens, totam rationem dilectionis habebit aimera Dieu par-dessus tout, et les autres,
in Deum; et ideo Deum super omnia diliget, et d’autant plus qu’ils seront plus proches de Dieu ;
alios tanto plus quanto erunt Deo proximiores, et [il aimera] même les autres plus que soi, s’ils
etiam alios plus quam se, si sunt meliores. Sed sont meilleurs. Mais cela ne semble pas être
illud non videtur rationabiliter dictum: quia affirmé de manière raisonnable, car chacun
unusquisque tantum amabit Deo frui, quantum aimera d’autant plus jouir de Dieu qu’il aimera
diliget Deum; unde cum Deum super omnia Dieu. Puisqu’il aimera Dieu par-dessus tout, il
diliget, super omnia volet Deo frui; et ideo frui voudra donc jouir de Dieu par-dessus tout. Ainsi,
Deo plus optabit sibi quam alii. Unde videtur il souhaitera jouir davantage de Dieu que les
quod magis se quam alium diliget. Praeterea, autres. Il semble donc qu’il s’aimera davantage
affectus dilectionis non quiescit in aliquo, nisi in qu’un autre. De plus, la disposition affective de
proprio objecto. Sicut autem proprium objectum l’amour ne se repose en rien d’autre que son
amoris est bonum, ita proprium subjectum amoris propre objet. Or, de même que l’objet propre de
istius hominis est bonum istius; unde et Deum l’amour est le bien, de même le sujet propre de
summe diliget, inquantum est summum bonum l’amour d’un homme est le bien de cet homme ;
suum. Unde non oportet quod tanto aliquem plus aussi aimera-t-il Dieu au plus haut point, pour
diligat quanto est simpliciter Deo proximior, sed autant qu’il est son bien le plus grand. Il n’est
quanto est Deo proximior, inquantum est bonum donc pas nécessaire qu’il aime quelqu’un
suum; et ideo videtur probabilius quod alii dicunt, d’autant plus qu’il est simplement plus proche de
quod quilibet ibi plus diliget se quam proximum. Dieu, mais dans la mesure où il en est plus
Sed de comparatione propinquorum ad extraneos proche en tant que son propre bien. Ce que
credo quod simpliciter loquendo, plus d’autres disent semble donc plus probable :
unusquisque diliget extraneum meliorem quam chacun s’y aimera davantage que le prochain.
consanguineum minus bonum: quia plus Mais, pour ce qui est de la comparaison entre les
969

attenditur ordo dilectionis quantum ad proches et les étrangers, je pense qu’à parler
proximitatem ad Deum quam quantum ad simplement, chacun aime davantage un étranger
proximitatem ad seipsum, quamvis utrumque meilleur qu’un consanguin moins bon, car on
oportet quod attendatur. Unde de aequaliter bonis tient davantage compte de l’ordre de l’amour
plus diligit proximiorem, sed de inaequalibus selon la proximité par rapport à Dieu que selon
diligit meliorem. la proximité par rapport à soi, bien qu’il faille
accorder aux deux choses leur importance. Entre
deux qui sont également bons, il aime donc le
plus proche, mais entre deux qui sont inégaux, il
aime le meilleur.
[11777] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 1. Il aime davantage les biens plus grands qui
1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligendum sont aussi pour lui des biens plus grands : ainsi,
est quod plus diligit magis bona quae etiam sibi les biens spirituels plutôt que les biens corporels.
sunt magis bona, sicut bona spiritualia quam
corporalia.
[11778] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 2. Notre volonté se conformera à la volonté
2 Ad secundum dicendum, quod in hoc ipso divine par le fait même qu’elle découlera du
voluntas nostra voluntati divinae conformabitur mouvement naturel qui lui est imposé par Dieu.
quod sequetur motum naturaliter sibi impositum a
Deo.
[11779] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 2 ad 3. Selon la volonté conséquente, il veut un plus
3 Ad tertium dicendum, quod voluntate grand bien pour un autre que pour lui-même,
consequente vult majus bonum alteri quam sibi, mais un bien plus intense pour lui-même ;
sibi autem intensius; sed voluntate antecedente toutefois, selon la volonté antécédente, il veut un
vult sibi majus. Sed hoc non impedit quietem plus grand [bien] pour lui-même. Mais cela
desiderii: quia haec voluntas non est voluntas n’empêche pas le repos du désir, car cette
simpliciter, sed conditionata, vel velleitas volonté n’est pas simplement la volonté, mais la
quaedam, ut quidam dicunt. volonté conditionnée, ou bien une certaine
vellité, comme certains le disent.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11780] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 co. Comme on le dit, Pierre a davantage aimé le
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut Christ selon l’amour qui se diffuse dans les
dicitur, Petrus plus dilexit Christum dilectione membres à partir de lui ; mais Jean a davantage
quae ab ipso in membra diffunditur; sed Joannes aimé selon l’amour qui se fixe sur le Christ.
plus dilexit dilectione quae in Christo sistit; et C’est pourquoi le Seigneur a confié à Pierre le
ideo Petro dominus commisit curam membrorum; soin de [ses] membres, mais à Jean le soin de sa
Joanni autem curam matris, quae ad personam mère, qui concernait sa personne d’une manière
ejus specialius spectabat. Unde et Petrus a Christo plus spéciale. Aussi Pierre était-il davantage
plus diligebatur quantum ad affectum interiorem, aimé par le Christ selon une disposition affective
quia donum majoris caritatis erat ei tunc collatum. intérieure, car le don d’une plus grande charité
Sed Joannes magis diligebatur quantum ad signa lui avait été fait. Mais Jean était aimé davantage
exterioris familiaritatis; et hoc propter quatuor quant aux signes de familiarité, et cela pour
causas. Primo, quia per Joannem significatur vita quatre raisons. Premièrement, parce que, par
contemplativa quae familiariorem habet Deum, Jean, était signifiée la vie contemplative qui rend
quamvis activa sit fructuosior, quae significatur in Dieu plus familier, bien que la vie active,
Petro. Secundo propter aetatem, quia juvenis erat. signifiée par Pierre, soit plus fructueuse.
Tertio propter castitatem. Quarto propter Deuxièmement, en raison de l’âge, car il était
ingenitam mansuetudinem. jeune. Troisièmement, en raison de sa chasteté.
Quatrièmement, en raison de sa douceur innée.
[11781] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 3 qc. 3 ad Ainsi ressort la réponse aux objections, car [le
970

arg. Et per hoc patet solutio ad objecta: quia Christ] aimait les deux davantage, et il en était
uterque plus diligebat, et quodammodo plus aimé davantage.
diligebatur.

Articulus 4 [11782] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 Article 4 – La science que nous possédons
a. 4 tit. Utrum scientia quam modo habemus, maintenant disparaîtra-t-elle totalement ?
totaliter tolletur
[11783] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 1 1. Il semble que la science que nous possédons
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod scientia maintenant disparaîtra totalement. 1 Co 13, 8 :
quam modo habemus, totaliter tolletur; 1 Corinth. La science sera détruite. Or, un accident qui est
13, 8: scientia destruetur. Sed accidens quod détruit disparaît totalement. La science
destruitur, totaliter tollitur. Ergo scientia totaliter disparaîtra donc totalement.
tolletur.
[11784] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 2 2. La foi est plus spirituelle que la science. Or, la
Praeterea, fides est magis spiritualis quam foi disparaîtra. Donc, la science aussi.
scientia. Sed fides tolletur. Ergo et scientia.
[11785] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 3 3. La considération de la science est ce qu’il y a
Praeterea, consideratio scientiae est de de plus délectable. Si donc la science acquise ici
delectabilibus maxime. Si ergo scientia hic demeure, un grand clerc aura plus de joie qu’une
acquisita remanet, aliquis magnus clericus plus petite vieille, qui aura une charité plus grande, ce
habebit de gaudio quam aliqua vetula, quae erit qui paraît impossible.
majoris caritatis; quod esse videtur impossibile.
[11786] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 4 4. Ceux qui sont dans la patrie connaissent dans
Praeterea, illi qui sunt in patria, cognoscunt omnia le Verbe tout ce dont ils ont eu la science, et
quorum scientiam habuerunt, et multo plura et encore bien davantage et bien mieux. Si donc la
melius, in verbo. Si ergo scientia non est nisi ad science n’existe que pour connaître, c’est en vain
cognoscendum, frustra in eis praeterita scientia que demeurerait en eux la science passée.
remaneret.
[11787] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 5 5. L’habitus est ordonné à l’acte. Là où l’acte de
Praeterea, habitus ordinatur ad actum. Ergo ubi demeure pas, l’habitus non plus ne peut donc pas
actus non remanet, neque habitus remanere potest, demeurer, car il demeurerait en vain. Or, l’acte
quia frustra remaneret. Sed actus scientiae qui de la science qui existe maintenant ne demeurera
modo est, non remanebit in patria: quia pas dans la patrie, car la considération des
consideratio scientiarum est in intelligendo cum sciences consiste à intelliger avec un phantasme,
phantasmate, non solum in accipiendo scientiam, non seulement pour recevoir la science, mais
sed etiam in considerando ea quae aliquis jam aussi pour considérer ce qu’on a déjà appris.
didicit; unde laeso organo imaginationis, C’est pourquoi, s’il y a lésion de l’organe de
impeditur operatio intellectus etiam in aliis quae l’imagination, l’opération de l’intellect est
prius sciebat. Ergo nec scientia remanebit. empêchée, même pour ce qu’il savait
antérieurement. Donc, la science non plus de
demeurera pas.
[11788] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 arg. 6 6. La considération de la science que nous
Praeterea, scientiae quam nunc habemus, possédons maintenant fonctionne par
consideratio est collativa. Sed iste modus rapprochement. Or, cette manière de rapprocher
conferendi non erit in patria: quia tunc sequeretur n’existera pas dans la patrie, car il en découlerait
quod esset ibi studium et disputatio, quod est alors qu’il y aurait là étude et dispute, ce qui est
absurdum. Ergo scientia hic acquisita non absurde. La science acquise ici ne demeurera
remanebit in patria. donc pas dans la patrie.
[11789] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] dans la première distinction du
Sed contra, Magister in prima distinctione secundi deuxième livre [des Sentences], le Maître a dit et
971

libri dixit, et philosophi etiam plures dicunt, quod plusieurs philosophes disent aussi que l’âme a
anima posita est in corpore, ut scientiis été placée dans le corps pour qu’elle soit
perficiatur. Sed frustra poneretur ad hoc, nisi post perfectionnée par les sciences. Or, c’est en vain
corpus ei scientia remaneret. Ergo scientia qu’elle y aura été mise si la science ne demeurait
remanebit. pas en elle après le corps. La science demeurera
donc.
[11790] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 2 [2] Il est clair que ceux qui sont en enfer
Praeterea, constat quod illi qui sunt in Inferno, connaissent quelque chose de ce qu’ils
aliquid cognoscunt esse de his quae prius connaissaient auparavant, comme cela ressort
cognoverunt, sicut patet de divite, qui suorum pour le riche qui gardait la mémoire des siens.
memoriam habebat. Sed eis non addetur alia Or, il ne leur sera pas ajouté une autre
cognitio quam hic habuerunt. Ergo prior scientia connaissance que celle qu’ils avaient ici. La
in eis remanebit. science antérieure demeurera donc en eux.
[11791] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 s. c. 3 [3] Si la science est détruite avec le corps, elle
Praeterea, si scientia destruatur cum corpore, erit sera un bien temporel. Et ainsi, l’étude de la
bonum temporale; et ita studium scientiae science sera comptée parmi les préoccupations
computabitur inter sollicitudines rerum des réalités temporelles, ce qui paraît absurde.
temporalium; quod videtur absurdum.
[11792] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 co. Réponse. Dans la science que nous possédons
Respondeo dicendum, quod in scientia quam maintenant, il faut considérer trois choses :
modo habemus, est tria considerare: scilicet l’habitus, l’acte et le mode de l’action. Or, le
habitum, actum, et modum agendi. Modus autem mode de l’action consiste en ce qu’elle intellige
agendi est ut intelligat cum phantasmate: quia in avec un phantasme, car, dans l’état de la route,
statu viae verum est quod dicit philosophus in 3 ce que dit le Philosophe, Sur l’âme, III, est vrai :
de anima, quod nequaquam sine phantasmate jamais l’âme n’intelligera sans phantasme, non
intelligeret anima non solum quantum ad seulement pour acquérir la science, mais aussi
acquirendam scientiam, sed etiam quo ad pour considérer les choses qu’elle connaît déjà,
considerationem eorum quae quis jam scit: quia car les phantasmes ont avec l’intellect le même
phantasmata se habent ad intellectum sicut rapport que ce qui est sensible avec le sens. Or,
sensibilia ad sensum. Actus autem scientiae l’acte propre de la science est qu’elle connaisse
proprius est ut cognoscat conclusiones, des conclusions en les ramenant aux principes
resolvendo eas ad principia prima per se nota. premiers connus par soi. Mais l’habitus est une
Habitus autem est quaedam qualitas hominem qualité préparant l’homme à cet acte. Or, la
habilitans ad hunc actum. Modus autem manière d’intelliger dont il est question vient à
intelligendi praedictus accidit humanae animae ex l’âme humaine de deux choses. Premièrement,
duobus. Uno modo ex hoc quod anima humana du fait que l’âme humaine est la dernière dans
est ultima secundum naturae ordinem in gradibus l’ordre naturel des degrés de l’intellect. Aussi
intellectus; unde se habet intellectus ejus son intellect possible est-il en rapport avec tous
possibilis ad omnia intelligibilia, sicut se habet les intelligibles, comme la matière première est
materia prima ad omnes formas sensibiles; et en rapport avec toutes les formes sensibles. Pour
propter hoc non potest in actum exire prius quam cette raison, il ne peut passer à l’acte avant de
recipiat rerum species, quod fit per sensum et recevoir les espèces des choses, ce qui se réalise
imaginationem. Alio modo ex hoc quod est forma par le sens et l’imagination. Deuxièmement, du
corporis; unde oportet quod operatio ejus sit fait que [l’âme] est la forme du corps. Aussi est-
operatio totius hominis; et ideo communicat ibi il nécessaire que son opération soit l’opération
corpus non sicut instrumentum per quod operetur, de tout l’homme. C’est pourquoi le corps a en
sed sicut repraesentans objectum, scilicet commun [avec l’âme], non seulement le fait
phantasma; et inde contingit quod anima non d’être l’instrument par lequel l’âme agit, mais
potest intelligere sine phantasmate etiam ea quae celui de représenter l’objet, à savoir, le
prius novit. In anima ergo separata a corpore phantasme. De là vient que l’âme ne peut
972

remanebit natura animae, sed non remanebit unio intelliger sans phantasme, même ce qu’elle a
ad corpus in actu; et ideo ea considerata in natura connu antérieurement. Dans l’âme séparée du
sua tantum, non indigebit phantasmatibus corps, la nature de l’âme demeurera donc, mais
quantum ad considerationem eorum quae prius l’union au corps ne demeurera pas en acte. C’est
scivit, sed solum quantum ad considerationem pourquoi, à la considérer selon sa nature
eorum quae de novo debet scire; et ideo ea quae seulement, elle n’aura pas besoin des phantasmes
prius scivit, poterit considerare non quidem pour considérer ce qu’elle a connu
utendo phantasmate, sed ex habitu scientiae prius antérieurement, mais seulement pour considérer
habito. Ea vero quae ante nescivit, non poterit ce dont elle doit acquérir la connaissance. Ainsi
scire, nisi quatenus ex his quae scit, elici possunt, pourra-t-elle considérer ce qu’elle connaissait
vel inquantum aliae species ei divinitus antérieurement, non pas en utilisant un
infunduntur. Dicere enim, quod secundum id quod phantasme, mais par l’habitus de la science
modo anima habet in natura sua, non possit possédé antérieurement. Mais ce qu’elle n’a pas
intelligere sine corpore aliquo modo, est valde connu antérieurement, elle ne pourra le savoir
familiare illis qui ponunt animam cum corpore qu’en le tirant de ce qu’elle sait ou dans la
deficere: quia, ut dicitur in 1 de anima, si nulla mesure où d’autres espèces lui sont infusées par
operationum quas habet, potest esse sine corpore, Dieu. En effet, dire que, selon ce que l’âme
nec ipsa sine corpore esse posset, cum operatio possède maintenant par sa nature, l’âme ne peut
naturalis consequatur naturam. In actu autem intelliger de quelque manière sans le corps se
scientiae praedicta duo considerantur; scilicet rapproche beaucoup de ceux qui affirment que
motus inquisitionis et rationis discurrentis; et l’âme unie au corps est affaiblie, car, ainsi qu’on
terminus, scilicet certitudo, quae habetur de le dit dans Sur l’âme, I, si aucune des opérations
conclusionibus, secundum quod jam sunt reductae qu’elle possède ne pouvait exister sans le corps,
in prima principia. Motus autem ille elle-même ne pourrait exister sans le corps,
imperfectionis est quantum ad necessitatem puisque l’opération naturelle découle de la
discurrendi, ut causetur certitudo; et ideo in beatis nature. Or, dans l’acte de la science, ces deux
non remanebit actus scientiae quantum ad choses sont prises en considération : le
necessitatem motus, sed quantum ad certitudinem mouvement de recherche et de raisonnement ; le
tantum. Et ideo videtur dicendum, secundum quod terme, à savoir, la certitude qu’on a des
quidam dicunt, quod in patria, quantum ad animas conclusions, selon qu’elles sont déjà ramenées
separatas, erit alius modus intelligendi, quia sine aux premiers principes. Or, ce mouvement relève
phantasmate considerabunt; sed post d’une imperfection quant à la nécessité de
resurrectionem poterit esse uterque modus, raisonner afin que soit produite la certitude.
inquantum anima non subjacebit corpori, sed ex C’est pourquoi, chez les bienheureux, l’acte de la
toto ei dominabitur. Actus autem mutabitur, quia science ne demeurera pas pour ce qui est de la
remanebit quantum ad terminum, sed non nécessité du mouvement, mais pour ce qui est de
quantum ad discursum in sanctis. In damnatis la certitude seulement. Il semble donc qu’il faille
autem non est remotum quin etiam collationis dire, comme certains le disent, que, dans la
necessitas remaneat; et ideo remanet habitus patrie, existera un autre mode d’intelliger pour
scientiae quantum ad substantiam. Dicere enim, les âmes séparées, car elles considéreront sans
quod habitus remaneat, et actus nullo modo, phantasme. Mais, après la résurrection, les deux
videtur absurdum: quia habitus nihil est aliud manières pourront exister, dans la mesure où
quam habilitas ad actum. l’âme ne sera pas soumise au corps, mais le
maîtrisera complètement. Cependant, l’acte sera
changé, car il demeurera chez les saints pour ce
qui est du terme, mais non pour ce qui est du
raisonnement. Mais, chez les damnés, même la
nécessité de rapprocher n’est pas enlevée ;
l’habitus de science demeure donc en sa
substance. En effet, dire que l’habitus demeure,
973

mais aucunement l’acte, semble absurde, car


l’habitus n’est rien d’autre qu’une aptitude à
l’acte.
[11793] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 1 Ad 1. La science sera détruite quant à son mode et
primum ergo dicendum, quod destruetur scientia quant à l’acte, mais elle demeurera quant à
quantum ad modum, et quantum ad actum l’habitus, comme on l’a dit.
mutabitur; sed quantum ad habitum remanebit, ut
dictum est.
[11794] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 2 Ad 2. Le mode qui relève de l’imperfection est
secundum dicendum, quod modus imperfectionis essentielle à la foi et fait partie de son essence ;
est essentialis fidei, et de ratione ejus; sed modus mais le mode de la connaissance par des
cognoscendi per phantasmata non est de ratione phantasmes ne fait pas partie de l’essence de la
scientiae, sed accidit ei ex conditione subjecti. science, mais lui est associé en raison de la
condition du sujet.
[11795] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 3 Ad 3. Il n’est pas inapproprié que celui qui a une
tertium dicendum, quod non est inconveniens charité moindre ait plus de joie en raison d’un
quod ille qui habet minorem caritatem, habeat acte, alors qu’il a moins de joie à propos de
plus de gaudio quantum ad aliquem actum; cum Dieu, qui est la récompense essentielle.
tamen habeat minus gaudium de Deo, quod est
praemium essentiale.
[11796] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 4 Ad 4. Connaître quelque chose de plusieurs
quartum dicendum, quod cognoscere aliquid manières n’est pas inutile. Ainsi, le Christ a eu
pluribus modis non est frustra; sicut etiam une science naturelle de ce qu’il connaissait dans
Christus habuit scientiam naturalem eorum quae le Verbe.
in verbo cognoscebat.
[11797] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 5 Ad 5. Cette manière de connaître est associée à la
quintum dicendum, quod ille modus cognoscendi science en raison de l’état de celui chez lequel
accidit scientiae ex statu ejus in quo est: non enim elle existe. En effet, le phantasme est l’objet
phantasma est objectum propinquum et proprium rapproché et propre de l’intellect, puisqu’il est
intellectus, cum sit intelligibile in potentia, non in intelligible en puissance, mais non en acte ; mais
actu; sed species intellecta est per se objectum l’espèce intelligée est son objet en soi.
ejus.
[11798] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 ad 6 Ad 6. Il n’y aura pas d’acte de science pour ce qui
sextum dicendum, quod non erit actus scientiae est du raisonnement, mais pour ce qui est du
quantum ad discursum, sed quantum ad terminum terme qu’est la certitude. De plus, il ne serait pas
certitudinis. Et praeterea non oporteret ibi esse nécessaire pour les bons de recourir à l’étude et à
studium vel disputationem quantum ad bonos, la dispute, car ils pourraient recevoir du Verbe
quia omnium illorum quae considerare vellent, in ou d’une illumination des êtres supérieurs la
verbo cognitionem possent accipere, vel per connaissance de tout ce qu’ils voudraient
illuminationem superiorum habere. Damnatis considérer. Mais les damnés n’auront pas le
autem non vacabit disputare poenarum pondere loisir de disputer, écrasés qu’ils seront par le
pressis. poids des peines.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


31
[11799] Super Sent., lib. 3 d. 31 q. 2 a. 4 expos.
Caritas autem, quae deseri potest. Verum est, si
posset deseri propter debilitatem amoris, ut
scilicet aliquis minus diligeret Deum quam rem
illam pro qua tunc peccat: tunc enim non esset
974

vera caritas. De perfecta intelligitur. Perfecta


dicitur quae est in confirmatis vel in via vel in
patria; vel intelligitur non quod non possit amitti,
sed quia difficile est quod amittatur.

Distinctio 32 Distinction 32 – [L’amour de Dieu]

Quaestio 1 Question unique – [L’amour de Dieu pour ses


créatures]
Prooemium Prologue
[11800] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé de l’amour de charité par
determinavit Magister de dilectione caritatis qua lequel nous aimons Dieu, le Maître détermine ici
diligimus Deum, hic determinat de dilectione qua de l’amour par lequel Dieu nous aime. Il y a
Deus diligit nos; et dividitur in partes duas: in deux parties : dans la première, il montre
prima ostendit quomodo Deus omnem creaturam comment Dieu aime toute créature ; dans la
diligit; in secunda movet quaestionem de reprobis, seconde, il soulève une question à propos des
quos diligere non videtur, ibi: de reprobis vero réprouvés qu’il ne semble pas aimer, à cet
qui praeparati non sunt ad vitam, sed ad mortem, endroit : « À propos des réprouvés qui n’ont pas
si quaeritur, utrum debeat concedi quod Deus ab été préparés pour la vie, mais pour la mort, à la
aeterno dilexit eos; dicimus de electis solis question : doit-on concéder que Dieu les a
simpliciter hoc esse concedendum. Prima in duas. éternellement aimés ? nous disons qu’il ne faut
In prima determinat de dilectione Dei, secundum concéder cela simplement que pour les seuls
quod absolute dicitur creaturam diligere. In élus. » La première partie se divise en deux.
secunda determinat de gradibus divinae Dans la première, il détermine de l’amour de
dilectionis, secundum quod unum plus et alium Dieu, selon qu’on dit de lui de manière absolue
minus dicitur diligere, ibi: cum autem dilectio Dei qu’il aime sa créature. Dans la seconde, il
immutabilis sit et cetera. Et dividitur haec pars in détermine des degrés de l’amour divin, selon
duas: in prima determinat de ordine dilectionis qu’on dit de lui qu’il en aime un davantage et
quantum ad diversos; in secunda quantum ad l’autre moins, à cet endroit : « Puisque l’amour
eumdem, ibi: si vero quaeritur de aliquo uno, de Dieu est immuable, etc. » Cette partie se
utrum magis diligatur a Deo uno tempore quam divise en deux : dans la première, il détermine de
alio; distinguenda est dilectionis intelligentia. l’ordre de l’amour pour les diverses [créatures] ;
Circa primum tria facit: primo movet dans la seconde, pour la même, à cet endroit :
quaestionem; secundo determinat eam, ibi, potest « Mais si on s’interroge à propos d’un seul, à
tamen sane intelligi etc.; tertio confirmat savoir s’il est aimé de Dieu davantage à un
solutionem, ibi: consideratur enim duobus modis moment qu’à un autre, il faut faire une
dilectio Dei. Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum distinction dans la manière de comprendre
Deus creaturam diligat; 2 utrum omnem l’amour. » À propos du premier point, il fait trois
creaturam; 3 utrum aequaliter omnia; 4 quid plus choses. Premièrement, il soulève une question.
et quid minus sive aequaliter. Deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
« On peut cependant correctement comprendre,
etc. » Troisièmement, il confirme la solution, à
cet endroit : « En effet, l’amour de Dieu est
envisagé de deux manières. » Ici, il y a quatre
questions : 1. Dieu aime-t-il sa créature ? 2.
Aime-t-il toute créature ? 3. Aime-t-il toutes
choses également ? 4. Aime-t-il quelque chose
plus, moins ou également ?

Articulus 1 [11801] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 Article 1 – Convient-il à Dieu d’aimer sa


975

a. 1 tit. Utrum Deo competat creaturam amare créature ?


[11802] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1 1. Il semble qu’il ne convienne pas à Dieu
Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non d’aimer sa créature. En effet, l’amour comporte
competat creaturam amare. Amor enim quamdam une certaine passion de l’âme. Or, les autres
passionem animi importat. Sed aliae passiones passions de l’âme, comme la colère et celles de
animi, ut ira, et hujusmodi, non sunt in Deo, nisi ce genre, n’existent en Dieu que selon leur effet
secundum effectum, et per similitudinem. Ergo et par ressemblance. L’amour non plus n’existe
nec amor est in ipso. donc pas en lui.
[11803] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 2 2. Il ne peut y avoir d’amour entre des réalités
Praeterea, inter multum distantia non potest esse très éloignées. C’est pourquoi les amis ne
amor; unde amici non optant amicis maxima souhaitent pas à leurs amis les plus grands parmi
bonorum, ne amicitia dissolvatur, ut philosophus les biens de crainte que l’amitié ne soit dissoute,
dicit in 9 Ethic. Sed nulla est tanta distantia comme le dit le Philosophe dans Éthique, IX. Or,
quanta creatoris a creatura. Ergo non potest esse aucune distance n’est aussi grande que celle
amor Dei ad creaturam. entre le Créateur et la créature.
[11804] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 3 3. L’amour transporte celui qui aime en celui qui
Praeterea, amor transfert amantem in amatum, ut est aimé, de sorte qu’il vive de la vie de celui qui
vivat jam vita amati, ut dicit Dionysius. Sed Deus est aimé, comme le dit Denys. Or, Dieu n’est pas
non transfertur in aliquid aliud, cum sit immobilis; transporté en quelque chose d’autre puisqu’il est
sed omnia ad se trahit, ut dicitur Joan. 12. Ergo immobile, mais il attire tout à lui, comme il est
ipse non amat creaturam. dit en Jn 12. Il n’aime donc pas la créature.
[11805] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 4 4. Celui qui aime est, d’une certaine manière,
Praeterea, amans quodammodo subjicitur amato, soumis à celui qui est aimé dans la mesure où la
inquantum affectus amantis amato informatur, ut disposition affective de celui qui aime prend la
supra dictum est. Sed Deus nullo modo creaturae forme de celui qui est aimé, comme on l’a dit
subjicitur. Ergo nullo modo amat creaturam. plus haut. Or, Dieu n’est soumis à aucune
créature. Il n’aime donc la créature d’aucune
manière.
[11806] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 5 5. Toute notre perfection a son modèle dans la
Praeterea, omnis nostra perfectio a divina perfection divine. Or, toute vertu est une
perfectione exemplatur. Sed omnis virtus perfection de l’esprit. Puisque certaines vertus
perfectio mentis est. Ergo cum quaedam aliae n’existent pas en Dieu, telles la tempérance et
virtutes non sint in Deo, ut temperantia, et celles de ce genre, il semble que la charité non
hujusmodi, videtur quod nec caritas. plus.
[11807] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 1 Cependant, [1] de même que l’essence [de
Sed contra, sicut essentia sua est exemplar omnis Dieu] est le modèle de toute créature, de même
creaturae, ita bonitas sua est causa omnis bonitatis sa bonté est-elle la cause de toute bonté dans la
in creatura. Sed cognoscendo essentiam cognoscit créature. Or, en connaissant son essence, il
omnia quae ab ipsa exemplantur. Ergo amando connaît tout ce qui a son modèle en elle. En
bonitatem suam, amat omnia quae ab ipsa aimant sa bonté, il aime donc tout ce qui
bonitatem participant. participe à sa bonté.
[11808] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 2 [2] Jn 3, 16 : Dieu a tant aimé le monde qu’il lui
Praeterea, Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum, ut a donné son Fils unique.
filium suum unigenitum daret.
[11809] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 3 [3] Denys dit que l’amour divin n’a pas permis
Praeterea, Dionysius dicit quod divinus amor non qu’il soit sans progéniture.
permisit ipsum sine germine esse.
[11810] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 co. Réponse. Tout ce qui a la connaissance aime son
Respondeo dicendum, quod unicuique habenti propre bien, non seulement d’un amour naturel,
cognitionem amabile est proprium bonum non mais d’un amour de l’âme (amore animali),
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solum amore naturali, sed amore animali, sive c’est-à-dire intellectuel. Puisqu’en Dieu existe
intellectuali. Unde cum in Deo sit sui perfecta une connaissance parfaite, il aime donc sa propre
cognitio, amat suam bonitatem. Bonum autem bonté. Or, on ne parle pas de la bonté d’une
alicujus non solum dicitur secundum hoc quod in chose seulement pour ce qui existe en elle-
ipso est, sed secundum quod in alio est per même, mais pour ce qui se trouve dans un autre
similitudinem. Unde cum bonitas quae est in par ressemblance. Puisque la bonté qui existe
creatura, sit similitudo divinae bonitatis, sequitur dans la créature est une ressemblance de la bonté
quod ipse creaturam diligat. divine, il en découle donc que [Dieu] aime sa
créature.
[11811] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 1 Ad 1. Certaines passions comportent par essence une
primum ergo dicendum, quod passiones quaedam transformation matérielle ; c’est pourquoi elles
important in sui ratione aliquam materialem ne peuvent être transposées en Dieu, si ce n’est
transmutationem; et ideo non possunt transferri in par ressemblance, telle la colère. De même,
Deum, nisi per similitudinem, sicut ira; et celles qui comportent un manque, comme la
similiter illae quae important defectum, ut tristitia, tristesse et encore la colère, pour autant qu’elle
et etiam ira secundum quod ex tristitia causatur. est causée par la tristesse. Mais il y a certaines
Quaedam vero passiones sunt quae de ratione sui passions qui ne comportent rien de matériel ni
non important aliquid materiale, vel aliquem manque par leur essence, comme la délectation.
defectum, sicut delectatio; unde etiam in Aussi existe-t-il une délectation dans l’opération
operatione intellectuali delectatio est, non solum intellectuelle, et non seulement dans une
in corporali operatione, ut philosophus probat in 7 opération corporelle, comme le montre le
Ethic.: et propter hoc delectatio in Deo potest Philosophe dans Éthique, VII. Pour cette raison,
poni, non quidem ut passio, sed operationem on peut reconnaître en Dieu une délectation, non
suam simplicem et sine motu consequens per comme une passion, mais comme découlant de
modum intelligendi, ut philosophus dicit in 7 son opération simple et sans mouvement par
Ethic., quod Deus simplici gaudet delectatione. Et mode d’intelligence ; ainsi le Philosophe dit,
similiter etiam de amore dicendum est. dans Éthique, VII, que Dieu se réjouit d’une
délectation simple. Il faut parler de l’amour de la
même façon.
[11812] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 2 Ad 2. Entre des réalités très éloignées, il peut fort
secundum dicendum, quod inter multum distantia bien exister de l’amour, mais non de l’amitié, car
bene potest esse amor, sed non amicitia: quia non elles ne se fréquentent pas, ce qui est le propre
conversantur simul, quod est proprium amicitiae. de l’amitié. Or, Dieu, bien qu’il soit infiniment
Deus autem quamvis in infinitum distet a distant de la créature, agit cependant en toutes
creatura; tamen operatur in omnibus, et in choses et existe en toutes choses. C’est pourquoi
omnibus est: et ideo potest salvari etiam ratio même la notion d’amitié peut être sauvegardée.
amicitiae.
[11813] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad 3. Tout amour transporte d’une certaine manière
tertium dicendum, quod amor omnis transfert celui qui aime en celui qui est aimé, mais de
quodammodo amantem in amatum, sed manières diverses. D’une manière, selon que
diversimode. Uno modo secundum quod amans celui qui aime est transporté en vue de participer
transfertur in participandum ea quae sunt amati; à ce qui appartient à celui qui est aimé ; d’une
alio modo ut communicet amato ea quae sunt sua. autre manière, afin de communiquer ce qui lui
Primo ergo modo Deus non transfertur in amatum, appartient à celui qui est aimé. Dieu n’est donc
quod est creatura; sed secundo modo, inquantum pas transporté de la première façon en ce qui est
bonitatem suam ei communicat; et sic dicit aimé, qui est la créature, mais, de la seconde
Dionysius, quod ipse Deus est per amorem manière, pour autant qu’il lui communique sa
extasim passus. propre bonté. C’est ainsi que Denys dit que Dieu
lui-même connaît par l’amour une « extase »
[sortie de soi].
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[11814] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 4 Ad 4. La puissance passive prend la forme de son


quartum dicendum, quod potentia passiva objet, mais la puissance active confère à l’objet
informatur ex objecto suo; sed potentia activa sa forme, comme cela ressort pour l’intellect
ponit formam suam circa objectum, sicut patet de agent et [l’intellect] possible. De même que
intellectu agente et possibili. Unde sicut l’intellect divin ne prend pas la forme des choses
intellectus divinus non informatur rebus quas qu’il connaît par son essence, de même sa
cognoscit per essentiam suam, ita nec voluntas volonté ne prend-elle donc pas la forme des
ejus informatur rebus quas amat: quia eas per choses qu’elle aime, car elle les aime par sa
bonitatem suam amat, et amando communicat eis bonté et, en les aimant, leur communique sa
suam bonitatem. propre bonté.
[11815] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 1 ad 5 Ad 5. Les vertus qui ont une matière déterminée
quintum dicendum, quod virtutes quae habent dans les actes et les passions corporels, ou qui
materiam determinatam circa actus et passiones comportent un certain manque, comme la foi, ne
corporales, vel quae important aliquem defectum, peuvent avoir leur modèle dans la nature divine,
sicut fides, non possunt habere exemplar in natura de telle sorte que ces vertus existent en Dieu.
divina, ita scilicet quod illae virtutes in Deo sint; Mais elles ont leur modèle dans l’intellect divin,
sed habent exemplar in intellectu divino, sicut comme l’ont les autres réalités matérielles.
habent reliquae res materiales; et ideo cum caritas Puisque la charité ne comporte aucun manque ni
nullum defectum nec aliquod materiale importet, rien de matériel, c’est la raison pour laquelle elle
invenitur in Deo prae quibusdam aliis virtutibus. se trouve en Dieu plus que les autres vertus.

Articulus 2 [11816] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 Article 2 – Dieu aime-t-il toutes les créatures ?
a. 2 tit. Utrum Deus diligat omnem creaturam
[11817] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1 1. Il semble que Dieu n’aime pas toutes les
Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus créatures. En effet, tout ce que Dieu aime, il
non diligat omnem creaturam. Quidquid enim l’aime de charité. Or, les créatures sans raison ne
Deus diligit, ex caritate diligit. Sed creaturae sont pas aimées de charité, comme on l’a dit plus
irrationales non diliguntur ex caritate, ut supra, haut, d. 21, q. 1, a. 2. Dieu ne les aime donc pas.
dist. 21, quaest. 1, art. 2, dictum est. Ergo eas
Deus non diligit.
[11818] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 2 2. Comme le dit le Philosophe dans Éthique,
Praeterea, sicut dicit philosophus in 8 Ethic., VIII, les créatures inanimées ne sont aimées que
creaturae inanimatae non diliguntur nisi amore d’un amour de concupiscence, comme cela
concupiscentiae, sicut patet de vino. Sed Deus ressort pour le vin. Or, Dieu n’aime pas d’un
non diligit amore concupiscentiae, quia ipse amour de concupiscence, car il n’a pas besoin de
bonorum nostrorum non eget. Ergo creaturas nos biens. Il n’aime donc aucunement les
inanimatas nullo modo diligit. créatures inanimées.
[11819] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 3 3. L’amour est la cause du choix. Or, Dieu ne
Praeterea, dilectio est causa electionis. Sed Deus choisit pas non plus tous les hommes. Il ne les
non omnes etiam homines eligit. Ergo non omnes aime donc pas tous.
diligit.
[11820] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 4 4. Quiconque aime quelque chose lui veut du
Praeterea, quicumque diligit aliquid, vult ei bien. Or, Dieu ne veut pas pour les réprouvés le
bonum. Sed Deus non vult reprobis bonum, quod bien qui est le bien parfait : la vie éternelle, car,
est perfectum bonum, scilicet vitam aeternam: s’il la voulait, ils l’auraient. Dieu n’aime donc
quia si vellet, haberent. Ergo Deus non diligit pas toutes les créatures.
omnem creaturam.
[11821] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 5 5. Le même ne peut pas avoir d’amour et de
Praeterea, non potest esse ejusdem ad idem amor haine à l’endroit de la même chose. Or, Dieu a
et odium. Sed Deus aliquam creaturam odit; haï une créature. Ml 1, 5 : J’ai haï Ésaü ! Il
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Malach. 1, 5: Esau odio habui. Ergo non omnem n’aime donc pas toutes les créatures.
creaturam diligit.
[11822] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 1 Cependant, [1] Sg 2, 25 dit : Tu aimes tout ce
Sed contra, Sap. 2, 25: diligis omnia quae sunt, et qui existe, et tu n’as eu de haine envers rien de
nihil odisti eorum quae fecisti. ce que tu as créé.
[11823] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 2 [2] Denys dit que l’amour divin meut aussi les
Praeterea, Dionysius dicit quod etiam amor êtres supérieurs en vue de prendre soin des êtres
divinus movet superiora in providentiam inférieurs. Or, Dieu exerce sa providence envers
inferiorum. Sed Deus habet providentiam de toutes choses. Il aime donc toutes choses.
omnibus. Ergo ipse omnia diligit.
[11824] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 3 [3] Il est dit en Gn 1, 31 : Dieu vit tout ce qu’il
Praeterea, Genes. 1, 31, dicitur: vidit Deus cuncta avait fait, et cela était très bon. Et Augustin dit
quae fecerat, et erant valde bona; et Augustinus que, par là, il est signifié qu’il a approuvé toutes
dicit, quod per hoc significatur quod omnia choses . Or, il n’approuve rien qu’il n’aime pas.
approbavit sed nihil approbatur nisi quod amatur. Dieu aime donc toutes choses.
Ergo Deus omnia amat.
[11825] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 co. Réponse. Comme on l’a dit plus haut, d. 27,
Respondeo dicendum, quod amicitia, sicut dictum q. 2, a. 1, l’amitié ajoute quelque chose à
est Sup. dist. 27, quaest. 2, art. 1, addit aliquid l’amour, car il suffit pour la notion d’amour que
supra amorem, quia ad rationem amoris sufficit l’homme veuille n’importe quel bien à
quod homo velit bonum quodcumque alicui; ad quelqu’un ; mais, pour la notion d’amitié, il est
rationem autem amicitiae oportet quod aliquis nécessaire que quelqu’un lui veuille un bien qu’il
velit ei bonum quod vult sibi, ut scilicet velit veut pour lui-même, à savoir, qu’il veuille le
conversari cum ipso, et convivere in illis quae fréquenter et vivre avec lui au sein de ce qu’il
maxime amat. Sic ergo Deus, communiter aime le plus. Ainsi donc, Dieu, à parler de
loquendo de dilectione, diligit omnia, inquantum l’amour d’une manière générale, aime toutes
vult eis bonum aliquod, scilicet bonum naturale choses pour autant qu’il leur veut un bien, à
ipsorum; sed bonum quod ipse sibi vult, scilicet savoir, leur bien naturel ; mais le bien qu’il veut
visionem sui, et fruitionem qua ipse beatus est, pour lui-même, à savoir, la vision de lui-même et
vult quidem omni creaturae rationali voluntate la jouissance par laquelle il est bienheureux, il le
antecedente, sed voluntate consequente solum veut pour toute créature raisonnable d’une
electis, quae est voluntas simpliciter; et ideo solos volonté antécédente, mais, pour les élus, d’une
electos diligit amore amicitiae, alia autem diligit volonté conséquente seulement, qui est
amore communiter dicto, inquantum sunt bona. simplement la volonté. C’est pourquoi il aime
seulement les élus d’un amour d’amitié, mais il
aime les autres choses d’un amour au sens
général, pour autant qu’elles sont bonnes.
[11826] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1 Ad 1. Dieu aime toutes les créatures, à savoir, les
primum ergo dicendum, quod Deus omnia, idest créatures non raisonnables, non pas en ayant de
creaturas irrationales, ex caritate diligit, non sicut la charité à leur endroit, mais en les ordonnant à
caritatem habens ad illa, sed sicut ordinans ea ad ce envers quoi il a de la charité.
illa ad quae ille caritatem habet.
[11827] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 2 Ad 2. Bien que nous n’aimions pas les créatures
secundum dicendum, quod quamvis nos non inanimées d’un amour de bienveillance, parce
diligamus creaturas inanimatas amore que leur bien ne vient pas de nous, Dieu les aime
benevolentiae, quia eorum bonum non est a nobis; cependant d’un amour de bienveillance, car elles
Deus tamen eas diligit amore benevolentiae: quia existent par le fait qu’il leur veut du bien et
per hoc quod eis bonum vult, sunt, et bonae sunt. qu’elles sont bonnes. Cependant, bien que Dieu
Tamen Deus quamvis non amet aliquid in n’aime pas quelque chose en le désirant
concupiscendo sibi, amat tamen in concupiscendo [concupiscendo] pour lui-même, il l’aime
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alteri, ut non fiat vis in verbo concupiscentiae, cependant en le désirant [concupiscendo] pour
quae anxietatem, non proprietatem desiderii un autre, sans insister sur le mot
importat. « concupiscence », qui comporte une anxiété, et
non le caractère propre du désir.
[11828] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 3 Ad 3. L’amour d’amitié est celui qui cause un choix,
tertium dicendum, quod dilectio amicitiae est illa et celui-ci ne porte pas sur tout.
quae electionem causat; et hanc non habet ad
omnia.
[11829] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 4 Ad 4. Dieu veut pour toutes les créatures non
quartum dicendum, quod Deus omnibus creaturis raisonnables le bien qui leur est proportionné et
irrationalibus vult bonum eis proportionatum, et dont elles sont capables. C’est pourquoi, à parler
cujus sunt capaces; et ideo simpliciter loquendo simplement, on peut dire que Dieu les aime.
potest dici quod Deus eas diligat. Sed reprobis Mais, pour les réprouvés, il veut leur bien naturel
voluntate consequente, secundum quam d’une volonté conséquente, par laquelle on dit
simpliciter dicitur aliquid velle, vult quidem qu’il veut quelque chose simplement, mais non
bonum naturae, non autem bonum cujus sunt le bien dont ils sont capables, à savoir, celui de la
capaces, scilicet gratiae et gloriae, nisi voluntate grâce et de la gloire, si ce n’est d’une volonté
antecedente: et ideo non est dicendum quod antécédente. Aussi ne faut-il pas dire que Dieu
diligat Deus eos simpliciter, sed secundum quid, les aime simplement, mais de manière relative, à
scilicet inquantum sunt creaturae. savoir, pour autant qu’ils sont des créatures.
[11830] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 2 ad 5 Ad 5. Il ne hait pas les réprouvés en tant qu’ils sont
quintum dicendum, quod non odit reprobos des créatures, mais en tant qu’ils sont mauvais,
inquantum creaturae sunt, sed inquantum mali ce qui ne vient pas de lui.
sunt, quod ab ipso non est.

Articulus 3 [11831] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 Article 3 – Dieu a-t-il aimé les créatures
a. 3 tit. Utrum Deus ab aeterno dilexerit creaturas éternellement ?
[11832] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 1. Il semble que Dieu n’ait pas aimé les créatures
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus ab éternellement. En effet, l’amour ne porte que sur
aeterno non dilexerit creaturas. Dilectio enim non le bien. Or, les créatures n’ont pas été
est nisi boni. Sed creaturae non fuerunt bonae ab éternellement bonnes. Il ne les aime donc pas
aeterno. Ergo non diligit eas ab aeterno. éternellement.
[11833] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 2 2. L’amour signifie l’essence divine et connote
Praeterea, dilectio significat divinam essentiam, et un effet dans la créature. Or, ce qui comporte un
connotat effectum in creatura. Sed ea quae effet dans la créature est dit de Dieu de manière
important effectum in creatura, dicuntur de Deo temporelle ; ainsi, Seigneur, Sauveur et les
ex tempore, sicut dominus, et salvator, et choses de ce genre. Aimer les créatures n’est
hujusmodi. Ergo et diligere creaturas non dicitur donc dit de Dieu que de manière temporelle.
de Deo nisi ex tempore.
[11834] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 3. L’amour unit celui qui aime à ce qui est aimé.
Praeterea, dilectio unit amantem amato. Sed res Or, les choses n’ont pu être reliées ou unies à
non potuerunt conjungi vel uniri Deo antequam Dieu avant d’exister. Elles ne pouvaient donc pas
essent. Ergo non poterant amari ab eo ab aeterno. être aimées par lui éternellement.
[11835] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 4 4. Pour les choses qui sont semblables, il
Praeterea, eorum quae similiter se habent, est una n’existe qu’une seule raison d’aimer. Or, avant
ratio amoris. Sed creaturae antequam essent, in qu’elles n’existent, les créatures ne se
nullo distinguebantur. Ergo non erat in uno quare distinguaient en rien. Il n’y avait donc pas chez
diligeretur magis quam in alio; et ita ab aeterno l’un une raison de l’aimer davantage qu’un autre.
non dilexit electos, nisi forte sicut alia. Ainsi, [Dieu] n’a pas aimé les élus éternellement,
sauf peut-être comme les autres choses.
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[11836] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 5 5. Celui qui aime veut être aimé. Or, Dieu ne
Praeterea, amans vult esse amatum. Sed Deus non voulait pas qu’il y ait des créatures avant qu’elles
volebat esse creaturas antequam essent: quia si n’existent, car s’il avait voulu qu’elles existent,
voluisset eas esse, fuissent. Ergo non amabat eas elles auraient existé. Il ne les aimait donc pas
antequam essent. avant qu’elles n’aient existé.
[11837] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 1 Cependant, [1] Ep 1 dit : Il nous a choisis avant
Sed contra, Ephes. 1: elegit nos ante mundi la création du monde. Or, le choix vient de
constitutionem. Sed electio est ex dilectione. Ergo l’amour. Il a donc aimé des créatures
etiam ab aeterno dilexit creaturas. éternellement.
[11838] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 2 2. Denys dit que l’amour divin a été la cause
Praeterea, Dionysius dicit, quod divinus amor fuit pour laquelle il a créé les choses. L’amour des
causa quare res fecit. Ergo amor rerum fuit in Deo choses a donc existé en Dieu avant que les
antequam res essent, et ita ab aeterno. choses ne soient, et ainsi, [il a existé]
éternellement.
[11839] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 3 3. L’amour du bien découle de la connaissance
Praeterea, affectus boni sequitur cognitionem de du bien. Or, Dieu a éternellement connu tout ce
bono. Sed Deus ab aeterno cognovit quidquid qu’il y a de bien dans les créatures. Il a donc
boni est in creaturis. Ergo ab aeterno dilexit aimé les créatures éternellement.
creaturas.
[11840] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 co. Réponse. Seuls peuvent être dits de Dieu de
Respondeo dicendum, quod illa sola nomina ex manière temporelle les noms qui comportent
tempore de Deo dici possunt quae in principali dans leur signification principale quelque chose
significato important aliquid quod in Deo qui n’existe pas réellement en Dieu, comme ceux
secundum rem non est: sicut ea quae important qui comportent une relation de Dieu à la créature
relationem Dei ad creaturam in principali dans leur signification principale ; ainsi,
significato, ut dominus, et hujusmodi: quae Seigneur et ceux de ce genre. Cette relation
quidem relatio secundum rem est in creatura, sed existe réellement dans la créature, mais elle
in Deo est secundum rationem tantum: similiter ea existe en Dieu selon la raison seulement. De
quae important in principali significato actionem même, [les noms] qui comportent dans leur
divinam terminatam ad aliquid extra se, sicut signification principale une action de Dieu qui a
causare, et hujusmodi. Amor autem non importat comme terme quelque chose qui lui est extérieur,
in principali significato relationem, sed comme causer et ceux de ce genre. Or, l’amour
operationem voluntatis; cujus operationes, sicut et ne comporte pas dans sa signification principale
operationes intellectus proximae, et ab eis elicitae, une relation, mais une opération de la volonté,
in operante manent, et non transeunt ad dont les opérations, comme les opérations
constituendum aliquid in exteriori materia. Et ideo rapprochées de l’intellect et issues d’elles,
amor Deo ab aeterno convenit. demeurent dans celui qui agit et ne sortent pas en
vue d’établir quelque chose dans une matière
extérieure. C’est pourquoi l’amour convient à
Dieu éternellement.
[11841] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad 1. Bien que les créatures n’aient pas été
primum igitur dicendum, quod quamvis creaturae éternellement bonnes dans leur nature propre,
ab aeterno non fuerint bonae in propria natura, elles furent cependant bonnes dans la prescience
fuerunt tamen bonae in Dei praescientia. de Dieu.
[11842] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 2 Ad 2. [L’amour] ne connote pas l’effet en acte, mais
secundum dicendum, quod non connotat effectum selon l’habitus. Cela vient de ce que les
in actu, sed in habitu; et hoc est, quia operationes opérations de l’âme n’ont pas comme terme
animae non terminantur ad aliquid extra quelque chose d’extérieur à celui qui agit ; elles
operantem; unde possunt extendi etiam ad id quod peuvent donc aussi atteindre ce qui n’existe pas
non est in actu. en acte.
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[11843] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 3 Ad 3. L’amour n’unit pas toujours réellement, mais
tertium dicendum, quod amor non unit secundum il est une union affective. Cette union peut se
rem semper, sed est unio affectus: quae quidem réaliser même avec ce qui est absent ou n’existe
unio potest haberi etiam ad illud quod est absens, pas du tout.
aut penitus non existens.
[11844] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 4 Ad 4. Bien qu’elles n’aient pas été différentes pour
quartum dicendum, quod quamvis non differrent autant qu’elles n’existaient pas dans leur nature
secundum id quod non erant in propria natura, propre, elles avaient cependant une différence
differentiam tamen habebant in Dei praescientia, dans la prescience de Dieu, par laquelle il
secundum quod eorum diversitates futuras connaissait à l’avance leurs diversités futures.
praesciebat.
[11845] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 3 ad 5 Ad 5. Dieu voulait éternellement que les créatures
quintum dicendum, quod Deus volebat ab aeterno soient, mais non pas qu’elles soient
creaturas esse, sed non eas esse ab aeterno, sed éternellement, mais selon l’ordre de sa sagesse.
secundum ordinem suae sapientiae.

Articulus 4 [11846] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 Article 4 – Dieu aime-t-il toutes choses
a. 4 tit. Utrum Deus omnia aequaliter diligat également ?
[11847] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble que Dieu aime toutes choses
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus également, car la providence est l’effet de
omnia aequaliter diligat. Quia providentia, ut dicit l’amour, comme le dit Denys. Or, il prend un
Dionysius, est effectus amoris. Sed aequaliter est soin égal de toutes choses, Sg 6. Il aime donc
illi cura de omnibus. Sap. 6. Ergo omnia toutes choses également.
aequaliter diligit.
[11848] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 2 2. L’amour de Dieu pour les créatures signifie
Praeterea, dilectio Dei ad creaturas significat une relation de lui aux créatures. Or, Dieu a une
habitudinem ipsius ad creaturas. Sed Deus relation égale avec toutes choses, comme le dit le
aequaliter se habet ad omnia, ut dicit philosophus, Philosophe, bien que toutes aient un rapport
quamvis omnia inaequaliter se habeant ad ipsum. inégal avec lui. Il aime donc toutes choses
Ergo ipse aequaliter omnia diligit. également.
[11849] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 3 3. De même qu’il aime toutes choses, de même
Praeterea, sicut diligit omnia, ita cognoscit omnia. connaît-il toutes choses. Or, il connaît également
Sed aequaliter cognoscit omnia. Ergo aequaliter toutes choses. Il aime donc également toutes
omnia diligit. choses.
[11850] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 4 4. Le même acte ne peut être plus intense et plus
Praeterea, idem actus non potest esse intensior et relâché, sauf selon ses divers parties. Or, [Dieu]
remissior, nisi secundum diversas sui partes. Sed aime toutes choses par un acte simple. Il n’aime
eodem actu simplici diligit omnia. Ergo non donc pas une chose plus qu’une autre.
diligit unum plus altero.
[11851] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 arg. 5 5. C’est pour la même raison qu’il en aime un
Praeterea, qua ratione diligit unum plus altero, plus qu’un autre et qu’il aime parfois quelqu’un
eadem ratione diligit aliquem quandoque plus davantage et parfois moins, car de même qu’une
quandoque minus: quia sicut una res est melior chose est meilleure qu’une autre, ainsi une même
altera, ita idem secundum diversa tempora est chose peut-elle être meilleure qu’elle-même à
melius seipso. Sed Deus non diligit aliquem divers moments. Or, Dieu n’aime pas quelqu’un
quandoque plus quandoque minus: quia sic amor parfois plus et parfois moins, car son amour
suus esset mutabilis, quod est impossibile. Ergo serait ainsi changeant, ce qui est impossible. Il
non diligit unum plus altero. n’aime donc pas l’un plus que l’autre.
[11852] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] il est dit en Pr 16, 4 : Le
Sed contra, Prov. 16, 4: universa propter seipsum Seigneur a fait toutes choses pour lui-même. De
982

operatus est dominus; et similiter etiam dicitur même est-il dit qu’il a fait toutes choses pour
quod omnia fecit propter hominem. Sed illud l’homme. Or, ce pour quoi quelque chose est fait
propter quod aliquid fit, plus diligitur. Ergo Deus est davantage aimé. Dieu s’aime donc lui-même
magis diligit se quam alia, et inter alia magis amat plus que les autres choses et, parmi les autres
unum quam aliud. choses, il en aime une plus qu’une autre.
[11853] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] La charité porte sur le bien en tant que bien.
Praeterea, caritas est boni inquantum bonum. Ergo Elle aime donc davantage ce qui est meilleur.
magis bonum magis amat.
[11854] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] L’ordre de la charité fait partie de sa
Praeterea, ordo caritatis est de perfectione ipsius. perfection. Or, la charité de Dieu est la plus
Sed caritas Dei perfectissima est. Ergo secundum parfaite. Il aime donc l’un plus que l’autre de
ordinem diligit unum plus alio. manière ordonnée.
[11855] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 co. Réponse. L’amour se mesure de deux façons.
Respondeo dicendum, quod amor dupliciter D’une façon, par son principe : on dit ainsi
mensuratur. Uno modo ex suo principio; et sic qu’est davantage aimée la chose que la volonté
dicitur magis amari illud ad quod amandum est plus efficacement inclinée à aimer. Dieu aime
efficacius voluntas inclinatur; et sic Deus ainsi également toutes choses, car, dans son
aequaliter omnia diligit: quia in dilectione sua amour pour chaque chose, il a une efficacité
respectu cujuslibet rei habet infinitam efficaciam infinie en aimant. D’une autre façon, du point de
in diligendo. Alio modo ex parte objecti, vue de l’objet : on dit ainsi que quelqu’un aime
secundum quod dicitur aliquis magis diligere illud davantage ce à quoi il veut un bien plus grand.
cui vult majus bonum; et sic Deus dicitur magis Ainsi dit-on que Dieu aime davantage une chose
diligere unum quam aliud inquantum vult ei qu’une autre pour autant qu’il lui veut un plus
majus bonum: et ex hoc etiam habet majorem grand bien. De ce fait, il produit aussi un plus
effectum in illo, quia voluntas ejus est causa grand effet en elle, car sa volonté est la cause des
rerum. choses.
[11856] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. Il prend également soin de toutes choses du
primum ergo dicendum, quod aequaliter est ei point de vue de sa sollicitude, mais non pas du
cura de omnibus ex parte solicitudinis ipsius, sed point de vue de ce qui leur est assuré.
non ex parte eorum quae eis providentur.
[11857] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. L’amour ne comporte pas seulement ce qui se
secundum dicendum, quod dilectio non tantum trouve du côté de Dieu, mais aussi ce qui existe
importat id quod est ex parte Dei, sed etiam id du côté de la créature, dont le bien, en tant qu’il
quod est ex parte creaturae; cujusmodi bonum, est voulu par Dieu, est inclus dans l’amour de
prout est a Deo volitum, in dilectione Dei Dieu. Et parce que les créatures n’ont pas un égal
includitur. Et quia creaturae non se habent rapport avec Dieu et ne peuvent pas participer
aequaliter ad Deum, nec possunt aequaliter également à sa bonté, [Dieu] n’aime donc pas
bonitatem ejus participare, ideo non aequaliter toutes choses également.
omnia diligit.
[11858] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. La connaissance se réalise par le mouvement
tertium dicendum, quod cognitio est secundum d’une chose vers l’âme, mais l’amour selon le
motum rei ad animam, amor autem secundum mouvement de l’âme vers les choses. C’est
motum animae ad res; et ideo cognitio mensuratur pourquoi la connaissance se mesure seulement
tantum ex parte cognoscentis, sed amor est ex du point de vue de celui qui connaît, mais
parte utriusque. Non enim dicitur magis l’amour existe des deux côtés. En effet, on ne dit
cognoscere, quia majorem rem inesse alicui pas qu’on connaît davantage parce qu’on connaît
cognoscit, sicut dicitur magis diligere cui majus qu’une chose plus grande se trouve dans quelque
bonum inesse vult. Unde non est simile de chose, comme on dit qu’on aime davantage celui
dilectione et cognitione. dont on veut qu’il possède un bien plus grand. Il
n’en va donc pas de même de l’amour et de la
983

connaissance.
[11859] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. On ne dit pas qu’il aime davantage parce qu’il
quartum dicendum, quod non dicitur magis aime plus intensément, mais parce qu’il veut un
diligere quia intensius diligit, sed quia majus bien plus grand.
bonum vult.
[11860] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Pour ce qui est de l’effet de l’amour, il aime
quintum dicendum, quod quantum ad effectum toujours le même également, car il veut toujours
dilectionis semper eumdem aequaliter diligit: quia comme fin pour lui le même bien, bien qu’il ne
semper vult ei idem bonum finaliter, quamvis non veuille pas toujours qu’il ait un bien égal ou le
velit quod semper habeat aequale bonum vel même bien. C’est pourquoi [l’amour] n’est pas
idem; et ideo secundum effectum non est aequalis. égal selon son effet.

Articulus 5 [11861] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 Article 5 – Dieu aime-t-il davantage le juste
a. 5 tit. Utrum Deus plus diligat justum connu d’avance [praescitum] que le pécheur
praescitum, quam peccatorem praedestinatum prédestiné [praedestinatum] ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Dieu aime-t-il davantage le
juste connu d’avance que le pécheur
prédestiné ?]
[11862] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 1. Il semble que Dieu aime davantage le juste
arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod connu d’avance que le pécheur prédestiné.
Deus diligat plus justum praescitum quam Pr 8, 17 : J’aime ceux qui m’aiment. Or, le
peccatorem praedestinatum. Proverb. 8, 17: ego pécheur prédestiné n’aime pas Dieu, que le juste
diligentes me diligo. Sed iste peccator connu d’avance aime. [Dieu] aime donc
praedestinatus non amat Deum, quem amat justus davantage le juste connu d’avance que le
praescitus. Ergo plus diligit justum praescitum pécheur prédestiné.
quam peccatorem praedestinatum.
[11863] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 2. Dieu aime plus ce qui est meilleur. Or, ce juste
arg. 2 Praeterea, magis bonum Deus magis diligit. est meilleur que ce pécheur. Il est donc
Sed iste justus est magis bonum quam ille davantage aimé par Dieu.
peccator. Ergo magis a Deo diligitur.
[11864] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 3. Dans le texte, il est dit qu’il aime davantage
arg. 3 Praeterea, in littera dicitur, quod magis les membres de son Fils unique que les autres.
diligit membra unigeniti sui quam alios. Sed Or, le pécheur prédestiné n’est pas membre du
peccator praedestinatus non est membrum Christi. Christ. Il est donc moins aimé de Dieu que le
Ergo minus a Deo diligitur quam justus praescitus juste connu d’avance, qui est membre du Christ.
qui est membrum Christi.
[11865] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. Cependant, [1] l’amour est la cause du choix.
c. 1 Sed contra, dilectio causa est electionis. Sed Or, Dieu a choisi le pécheur prédestiné. Il l’aime
peccatorem praedestinatum Deus elegit. Ergo donc davantage que le juste connu d’avance,
magis diligit eum quam justum praescitum, quem qu’il n’a pas choisi.
non elegit.
[11866] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 s. [2] Il aime davantage ce à quoi il veut un plus
c. 2 Praeterea, illud magis diligit cui majus bonum grand bien. Or, il veut un plus grand bien au
vult. Sed peccatori praedestinato vult majus pécheur prédestiné : la vie éternelle. Il l’aime
bonum, quia vitam aeternam. Ergo magis eum donc davantage.
diligit.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Dieu aime-t-il davantage
celui qui se repent que l’innocent ?]
[11867] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 1. Il semble que [Dieu] aime davantage celui qui
arg. 1 Ulterius. Videtur quod magis diligat se repent que l’innocent, car la joie découle de
984

poenitentem quam innocentem: quia gaudium ex l’amour. Or, il se réjouit davantage de celui qui
amore consequitur. Sed plus gaudet de poenitente, se repent, comme cela ressort de Lc 15. Il l’aime
ut patet Luc. 15. Ergo plus eum amat. donc plus.
[11868] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 2. Là où l’homme agit davantage, il aime
arg. 2 Praeterea, ubi homo magis operatur, magis davantage ; pour cette raison, comme le dit le
diligit: propter quod, ut philosophus dicit 9 Ethic., Philosophe dans Éthique, IX, les mères aiment
matres plus diligunt filios quam patres. Sed Deus plus leurs fils que leurs pères. Or, Dieu agit
plus operatur ad salutem poenitentis quam davantage pour le salut de celui qui se repent que
innocentis. Ergo plus eum amat. pour celui de l’innocent. Il l’aime donc
davantage.
[11869] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 3. La disposition affective de l’amour se mesure
arg. 3 Praeterea, affectus amoris ex effectu à son effet, Or, ce semble être un plus grand effet
pensatur. Sed major amoris effectus videtur de l’amour de ramener un ennemi à l’amitié, que
revocare inimicum ad amicitiam, quam amicum in de conserver l’amitié d’un ami. Il aime donc
amicitia conservare. Ergo plus diligit poenitentem davantage celui qui se repent que l’innocent.
quam innocentem.
[11870] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. Cependant, [1] il faut plutôt choisir et aimer ce
c. 1 Sed contra, quod est diuturnius, est magis qui dure plus longtemps. Or, le bien de
eligendum et diligendum. Sed bonum innocentis l’innocent est plus durable. Il est donc davantage
est diuturnius. Ergo magis diligitur a Deo. aimé par Dieu.
[11871] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 s. [2] On a dit plus haut, d. 31, q. 1, a. 10, que celui
c. 2 Praeterea, supra dictum est, dist. 31, qu. 1, art. qui se relève ne revient jamais à une dignité
10, quod resurgens nunquam redit ad tantam aussi grande, bien qu’il puisse revenir à une
dignitatem, quamvis redire possit ad tantam charité aussi grande. Dieu aime donc davantage
caritatem. Ergo Deus plus diligit innocentem l’innocent que celui qui se repent.
quam poenitentem.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Dieu aime-t-il davantage
l’homme que l’ange ?]
[11872] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 1. Il semble qu’il aime plus l’homme que l’ange,
arg. 1 Ulterius. Videtur quod diligat plus car il n’a jamais pris possession des anges, mais
hominem quam Angelum. Quia nusquam Angelos il a pris possession de la descendance
apprehendit, sed semen Abrahae apprehendit; d’Abraham, He 2, 16. Ainsi a-t-il fait davantage
Hebr. 2, 16; et sic plus fecit pro hominibus quam pour les hommes que pour les anges. Il les aime
pro Angelis. Ergo magis diligit eos. donc davantage.
[11873] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 2. Les hommes sont membres du Christ de plus
arg. 2 Praeterea, homines pluribus modis sunt de façons que les anges, à savoir, par la
membra Christi quam Angeli, scilicet quantum ad conformité de leur nature. Or, il aime davantage
conformitatem naturae. Sed membra Christi magis les membres du Christ, comme il est dit dans le
diligit, ut in littera dicitur. Ergo homines plus texte. Il aime donc davantage les hommes que
diligit quam Angelos. les anges.
[11874] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 3. Il a placé des hommes au-dessus des anges : le
arg. 3 Praeterea, homines supra Angelos Christ et la bienheureuse Vierge. Il aime donc
collocavit, scilicet Christum, et beatam virginem. davantage les hommes que les anges.
Ergo plus homines Angelis diligit.
[11875] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. Cependant, [1] l’amour est causé par ce en quoi
c. 1 Sed contra, dilectio causatur ex convenientia celui qui aime et celui qui est aimé se rejoignent.
amantis cum amato. Sed Angeli sunt similiores Or, les anges ressemblent davantage à Dieu,
Deo, ut dicit Gregorius Lib. 32 Moral. Ergo comme le dit Grégoire dans le livre des Morales,
Angelos plus diligit. XXXII. Il aime donc davantage les anges.
[11876] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 s. [2] Au commencement, Dieu a conféré aux
985

c. 2 Praeterea, Angelis in principio gratiam vel anges la grâce ou presque la gloire, mais non aux
quasi gloriam contulit; non autem hominibus. hommes. Il aime donc davantage les anges que
Ergo Angelos magis hominibus diligit. les hommes.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Dieu aime-t-il davantage le
genre humain que le Christ ?]
[11877] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 1. Il semble que [Dieu] aime davantage le genre
arg. 1 Ulterius. Videtur quod magis diligat humain que le Christ, car il l’a livré pour la
humanum genus quam Christum: quia ipsum pro rédemption du genre humain, comme cela ressort
redemptione humani generis dedit, ut patet Joan. de Jn 3.
3.
[11878] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 2. Le bien commun est plus divin que le bien
arg. 2 Praeterea, bonum commune est divinius d’un seul. Or, le bien du genre humain est un
quam bonum unius. Sed bonum humani generis bien commun, mais le bien du Christ est le bien
est bonum commune, bonum autem Christi est d’une seule personne. [Dieu] aime donc
bonum unius singularis personae. Ergo plus diligit davantage le genre humain que le Christ.
humanum genus quam Christum.
[11879] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. Cependant, [1] par le Christ, tout le genre
c. 1 Sed contra, per Christum totum genus humain est rendu agréable à Dieu. [Dieu] aime
humanum fit Deo acceptum. Ergo Christum magis donc davantage le Christ.
diligit.
[11880] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 s. [2] L’Esprit a été donné [au Christ] sans mesure,
c. 2 Praeterea, datus est ei spiritus non ad Jn 3. Il l’aime donc davantage.
mensuram; Joan. 3. Ergo plus eum diligit.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11881] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 co. À parler simplement, Dieu veut un plus grand
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, bien pour le pécheur prédestiné que pour le juste
quod Deus, simpliciter loquendo, majus bonum connu d’avance ; mais, maintenant, il le veut
vult peccatori praedestinato quam justo praescito; pour le juste connu d’avance. Cette
sed ut nunc vult justo praescito. Haec autem détermination « maintenant » ne se prend pas du
determinatio ut nunc non cadit ex parte côté de l’amour, mais plutôt du côté de l’objet,
dilectionis, sed magis ex parte objecti: quia car l’amour de Dieu ne varie pas dans le temps.
dilectio Dei non variatur per tempora: ab aeterno En effet, il a éternellement voulu un plus grand
enim isti praedestinato voluit majus bonum. Unde bien pour ce prédestiné. Il faut donc concéder
simpliciter concedendum est, quod magis diligit simplement qu’il aime davantage le prédestiné
praedestinatum quam praescitum. que celui qui est donnu d’avance.
[11882] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 1 ad La réponse aux objections est ainsi claire, car
arg. Et per hoc patet responsio ad objecta, quia elles portent sur « maintenant ».
procedunt ut nunc.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11883] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 co. Par rapport au bien de la récompense essentielle,
Ad secundam quaestionem dicendum, quod [Dieu] aime également celui qui se repent et
quantum ad bonum praemii essentialis aequaliter l’innocent, s’ils ont une charité égale, ou
diligit poenitentem et innocentem, si aequalem davantage celui qui a une charité plus grande.
habeant caritatem, vel illum magis qui majorem Mais par rapport à la récompense accidentelle, il
caritatem habet; sed quantum ad praemium aime davantage l’innocent en raison de la dignité
accidentale plus diligit innocentem propter de l’innocence, à laquelle celui qui se repent ne
dignitatem innocentiae, ad quam non potest peut parvenir.
pervenire poenitens.
[11884] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 1. Bien que celui qui se repent se relève avec une
1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis égale charité et ainsi, que le bien que Dieu lui
986

poenitens resurgat in aequali caritate, et ita bonum veut soit égal, à le considérer en lui-même, il est
quod sibi vult Deus, sit aequale consideratum in cependant plus grand comparé à celui à qui il est
se, est tamen majus in comparatione ad ipsum cui donné. Ainsi, lorsque quelqu’un est indigent, on
datur: sicut quanto aliquis est magis indigens, considère que le bienfait accordé est plus grand.
magis sibi impensum reputatur beneficium; et Pour cette raison, on dit que Dieu et les anges se
propter hoc dicitur Deus et Angeli plus gaudere de réjouissent davantage de sa conversion, comme
conversione ejus; sicut homo plus gaudet de un homme se réjouit davantage d’un petit signe
modico signo sanitatis alicujus infirmantis quam de santé chez celui qui est malade que de toute sa
de integra sanitate, dum eam habebat. Vel santé, alors qu’il la possédait. Ou bien il faut dire
dicendum, quod hoc dicitur ex hoc quod poenitens qu’on dit cela parce que souvent celui qui se
frequenter magis humilis et fervens et cautus repent se relève plus humble, plus fervent et plus
resurgit. vigilant.
[11885] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 2. Dieu n’agit pas davantage en celui à qui il
2 Ad secundum dicendum, quod Deus non magis infuse de nouveau la grâce qu’en celui chez qui
operatur in eo cui de novo infundit gratiam, quam il la poursuit, de même que le soleil n’illumine
in eo in quo eam continuat: sicut nec sol pas davantage l’air obscur que lorsqu’il fait durer
illuminans aerem tenebrosum plus quam la lumière. En effet, rien ne peut subsister, à
continuans lumen: nihil enim potest subsistere, moins que l’opération de Dieu s’y poursuive
nisi Dei operatio continuetur in ipso.
[11886] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 2 ad 3. Bien qu’il soit plus grand par rapport à celui
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis sit majus qui est libéré, il n’est cependant pas plus grand
respectu illius qui liberatur, non tamen est majus tout simplement.
simpliciter.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11887] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 co. Pour ce qui est du bien de la nature, Dieu aime
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod quantum davantage l’ange que l’homme ; mais, pour ce
ad bonum naturae plus diligit Deus Angelum qui est du bien de la gloire, ils se comparent
quam hominem; sed quantum ad bonum gloriae se comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé, car
habent ut excedentia et excessa: quia quosdam [Dieu aime] davantage certains hommes,
homines plus, et quosdam Angelos plus, et davantage certains anges, et certains également,
quosdam aequaliter: quia homines erunt aequales car des hommes seront égaux aux anges, et
Angelis, et quidam etiam superiores Angelis; et certains seront même supérieurs aux anges. Et il
unicuique providit secundum exigentiam naturae exerce sur chacun sa providence selon que
et status sui. l’exigent sa nature et son état.
[11888] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 3 ad Ainsi ressort la réponse aux objections. En effet,
arg. Et per hoc patet responsio ad objecta. Non un père n’aime pas davantage son fils malade
enim plus diligit pater filium infirmum quam que son fils en santé parce qu’il lui procure des
sanum, quia ei impendit remedia quae non remèdes qu’il ne procure pas à son fils en santé.
impendit sano.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[11889] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 co. [Dieu] aime le Christ non seulement plus que les
Ad quartam quaestionem dicendum, quod hommes, mais aussi plus que l’ensemble de la
Christum diligit non solum plus quam homines, création, non seulement pour sa nature divine,
sed etiam plus quam totam creaturam, non solum mais aussi pour [sa nature] humaine, pour autant
quantum ad divinam naturam, sed etiam quantum qu’il l’a prédestinée à un bien plus grand :
ad humanam, inquantum eam praedestinavit ad l’union à une personne divine.
majus bonum, scilicet ad unionem divinae
personae.
[11890] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 1. Par le fait que le Christ a été livré pour les
1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc etiam hommes, un bien très grand a été donné au
987

quod Christus pro hominibus fuit datus, maximum Christ, car sa puissance a ainsi été rendue
bonum ipsi Christo fuit, secundum quod in hoc manifeste et a été la cause du salut des hommes,
virtus sua manifesta fuit, et causa fuit salutis ce qui est pour lui source d’une grande gloire.
humanae, quod est sibi valde honorificum.
[11891] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4 ad 2. Bien qu’il s’agisse de la personne singulière
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit du Christ, elle est cependant la cause du salut
singularis persona Christi, tamen est causa universel du genre humain, et la cause est
universalis salutis humani generis: et causa supérieure à ce qui est causé.
praestantior est causato.

Expositio textus Explication du texte de Pierre Lombard, Dist.


32
[11892] Super Sent., lib. 3 d. 32 q. 1 a. 5 qc. 4
expos. Praemissis adjiciendum est de dilectione
Dei qua ipse diligit nos. Videtur quod hoc in
primo libro determinare debuerit. Et dicendum,
quod etiam in primo libro poni convenienter
potuit, inquantum divina dilectio est divina
essentia; et hic poni congruenter potest,
inquantum est exemplar nostrae dilectionis.
Dilectio Dei usia est. Est enim essentia et dilectio
in Deo idem re, sed differt ratione tantum, ut in
primo libro dictum est.

Distinctio 33 Distinction 33 – [Les vertus cardinales]

Quaestio 1 Question 1 – [Comment les vertus morales se


distinguent-elles ?]

Prooemium Prologue
[11893] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 pr. Postquam Après avoir déterminé des vertus théologales, le
determinavit Magister de virtutibus theologicis, Maître détermine ici des vertus cardinales. Il y a
hic determinat de virtutibus cardinalibus; et deux parties : dans la première, il détermine des
dividitur in partes duas: in prima determinat de vertus cardinales en elles-mêmes ; dans la
ipsis cardinalibus virtutibus secundum se; in seconde, il montre chez qui elles se trouvent, à
secunda ostendit in quibus esse habeant, ibi: quae cet endroit : « …qui se sont trouvées et existent
in Christo plenissime fuerunt et sunt. Prima avec la plus grande plénitude chez le Christ. » La
dividitur in tres: in prima enumerat eas; in première partie se divise en trois. Dans la
secunda ostendit actus earum, ibi: de quibus première, il les énumère. Dans la deuxième, il
Augustinus ait; in tertia ostendit qualiter montre leurs actes, à cet endroit : « Augustin dit
cardinales dicantur, ibi: hae virtutes cardinales d’elles… » Dans la troisième, il montre
vocantur. Quae in Christo plenissime fuerunt et comment les vertus cardinales sont appelées, à
sunt. Hic ostendit in quibus sunt virtutes cet endroit : « Ces vertus sont appelées
cardinales; et dividitur in duas partes: primo cardinales… » « …Qui se sont trouvées et
ostendit quod sunt et fuerunt in Christo; secundo existent avec la plus grande plénitude chez le
inquirit, utrum futurae sint in patria, ibi: Christ. » Il montre ici chez qui existent les vertus
verumtamen an hae virtutes, cum ipsae in animo cardinales. Il y a deux parties : premièrement, il
esse incipiant (...) desinant esse cum ad aeterna montre ce qu’elles sont et ce qu’elles ont été
perduxerint, nonnulla quaestio est. Et circa hoc chez le Christ ; deuxièmement, il se demande si
duo facit: primo movet quaestionem; secundo elles existent dans la patrie, à cet endroit : « À la
988

determinat eam, ibi: Augustinus autem 14 Lib. de vérité, on peut se demander si ces vertus, alors
Trin.. Hic est triplex quaestio. Prima de virtutibus qu’elles commencent à exister dans l’âme…,
moralibus in communi. Secunda de virtutibus cessent d’exister lorsqu’elles ont conduit à
cardinalibus. Tertia de partibus earum. Circa l’éternité. » À ce propos, il fait deux choses :
primum quaeruntur quatuor: 1 de distinctione premièrement, il soulève une question ;
moralium virtutum ab invicem: qualiter enim ab deuxièmement, il en détermine, à cet endroit :
intellectualibus et theologicis distinguantur, supra, « Mais, dans le livre Sur la Trinité, XIV,
23 dist., quaest. 1, art. 7, dictum est; 2 quaeritur Augustin… » Il y a ici une triple question. La
de causa efficiente earum, utrum sint scilicet a premièrement [porte] sur les vertus morales en
natura, vel per infusionem, vel per acquisitionem; général ; la deuxième, sur les vertus cardinales ;
3 de medio quod in eis requiritur; 4 utrum in la troisième, sur leurs parties. Sur le premier
patria evacuentur. point, quatre questions sont posées : 1. À propos
de la distinction des vertus morales entre elles :
comment se distinguent-elles des vertus
intellectuelles et théologales ? 2. On s’interroge
sur leur cause efficiente : viennent-elles de la
nature, d’une infusion ou d’une acquisition ? 3.
À propos du milieu qui est exigé chez elles. 4.
Sont-elles éliminées dans la patrie ?

Articulus 1 [11894] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 Article 1 – Toutes les vertus morales sont-elles
a. 1 tit. Utrum omnes virtutes morales sint una une seule vertu ?
virtus
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Toutes les vertus sont-elles
une seule vertu ?]
[11895] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 1. Il semble que toutes les vertus morales soient
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod une seule vertu. En effet, Augustin dit, dans le
omnes virtutes morales sint una virtus. livre Sur les mœurs de l’Église : « Je dirais que
Augustinus enim dicit in Lib. de Morib. la vertu n’est rien d’autre que le plus grand
Ecclesiae: nihil virtutem esse assignaverim, nisi amour de Dieu. » Or, l’amour de Dieu, qui est la
summum amorem Dei. Sed amor Dei, qui est charité, est une seule vertu, comme cela ressort
caritas, est una virtus, ut ex dictis patet. Ergo de ce qui a été dit. Toutes les vertus ne sont donc
omnes virtutes sunt tantum una virtus. qu’une seule vertu.
[11896] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 2. Là où existe une unité formelle, ne peut
arg. 2 Praeterea, ubi est unum formale, non potest exister qu’une diversité matérielle. Or, toutes les
esse diversitas nisi materialis. Sed omnes virtutes vertus morales se rejoignent dans un seul
morales conveniunt in uno formali, quia élément formel, car elles ont la raison achevée de
completivam rationem virtutis habent, secundum vertu du fait qu’elles accueillent l’intellect et la
quod intellectum et rationem accipiunt, ut in 6 raison, comme on le dit dans Éthique, VI. Elles
Ethic. dicitur. Ergo non differunt nisi materialiter, ne diffèrent donc que matériellement, et elles ne
et non differunt secundum speciem. diffèrent pas selon l’espèce.
[11897] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 3. Les puissances cognitives se diversifient
arg. 3 Praeterea, potentiae apprehensivae magis davantage, ou pas moins, que les puissances
diversificantur, vel non minus, quam appetitivae. appétitives. Il en va donc aussi de même pour les
Ergo et habitus similiter, cum potentiis habitus, puisqu’ils sont proportionnés aux
proportionentur. Sed unus habitus cognoscitivus puissances. Or, il n’existe qu’un seul habitus
est omnium quae ad virtutes morales pertinent, cognitif pour tout ce qui se rapporte aux vertus
sicut patet de scientia morali, et de ipsa prudentia, morales, comme cela ressort de la science morale
quae est recta ratio omnium agibilium, ut dicitur et de la prudence elle-même, qui est la raison
in 6 Ethic. Ergo et virtutes morales non debent droite de tout ce qui doit être accompli, ainsi
989

esse distinctae secundum speciem. qu’il est dit dans Éthique, VI. Les vertus morales
ne doivent donc pas non plus être distinguées
selon l’espèce.
[11898] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 s. Cependant, [1] les accidents se distinguent par
c. 1 Sed contra, per se accidentia secundum soi selon l’espèce par la seule différence des
speciem distinguuntur ex sola differentia sujets, qui sont mis dans leur définition. Or, les
subjectorum, quae in eorum definitionibus vertus morales existent aussi dans divers sujets,
ponuntur. Sed virtutes morales sunt etiam in puisque certaines se trouvent dans la raison,
diversis subjectis, cum quaedam sint in rationali, certaines dans le concupiscible et certaines dans
quaedam in concupiscibili, quaedam in irascibili; l’irascible, et toujours dans les mêmes [sujets],
et semper in eisdem, quia temperantia nunquam car la tempérance ne se trouve jamais dans
est in irascibili et ceteris. Ergo videtur quod l’irascible et dans les autres. Il semble donc que
virtutes morales specie distinguantur. les vertus morales se distinguent par l’espèce.
[11899] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 s. [2] Plusieurs formes d’une seule espèce ne
c. 2 Praeterea, plures formae unius speciei non peuvent se trouver dans un même sujet. Or,
possunt esse in eodem subjecto. Sed plures plusieurs vertus morales peuvent se trouver dans
virtutes morales possunt esse in eodem etiam le même [sujet], même selon la même partie de
secundum partem eamdem animae, sicut fortitudo l’âme, comme la force et la douceur existent en
et mansuetudo sunt simul in irascibili. Ergo même temps dans l’irascible. Elles diffèrent
differunt specie. donc par l’espèce.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Les autres vertus morales se
distinguent-elles de la prudence ?]
[11900] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 1. Il semble que les autres vertus morales ne se
arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliae virtutes distinguent pas de la prudence. En effet, une
morales a prudentia non distinguantur. Eorum chose n’est pas mise dans la définition d’une
enim quae ex opposito dividuntur, unum non autre dans le cas de choses qui se distinguent
ponitur in definitione alterius. Sed prudentia est comme des contraires. Or, la prudence est la
recta ratio, quae ponitur in definitione moralium raison droite, qui est mise dans la définition des
virtutum, ut patet in 2 Ethic. Ergo morales virtutes vertus morales, comme cela ressort d’Éthique, II.
a prudentia non distinguuntur. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de
la prudence.
[11901] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 2. Pour l’acte vertueux, ne sont requises que la
arg. 2 Praeterea, ad virtutis actum non exigitur connaissance et l’opération. Or, la prudence fait
nisi cognitio et operatio. Sed totum hoc prudentia tout cela, car le prudent non seulement connaît
facit; quia prudens non solum cognitivus sed mais agit, comme on le dit dans Éthique, VI et
etiam activus est, ut in 6 Ethic. et 7 dicitur. Ergo VII. La conclusion est donc la même que
idem quod prius. précédemment.
[11902] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 3. De même que la prudence est la raison droite
arg. 3 Praeterea, sicut prudentia est recta ratio des actions à poser, de même l’art est-elle la
agibilium, ita ars est recta ratio factibilium, ut raison droite de ce qui doit être fait, comme il est
dicitur in 6 Ethic. Sed in factibilibus non dit dans Éthique, VI. Or, dans les choses à faire,
distinguuntur aliqui habitus exequentes ab artibus on ne distingue pas des arts qui sont des habitus
quae sunt habitus dirigentes. Ergo nec in qui dirigent les habitus qui exécutent. De même,
agibilibus morales virtutes, quae sunt exequentes, pour les vertus morales, ne faut-il pas distinguer
sunt distinguendae a prudentia dirigente. de la prudence qui dirige celles qui exécutent,.
[11903] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 s. Cependant, [1] les vertus morales sont distinctes
c. 1 Sed contra, virtutes morales ab des vertus intellectuelles, comme on l’a dit plus
intellectualibus distinguuntur, ut supra dictum est. haut. Or, la prudence est une vertu intellectuelle,
Sed prudentia est intellectualis virtus, ut in 6 comme cela ressort d’Éthique, VI. Elle est donc
Ethic. patet. Ergo a virtutibus moralibus distincte des vertus morales.
990

distinguitur.
[11904] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 s. [2] Les habitus se distinguent par leurs actes. Or,
c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus. Sed Augustin assigne un autre acte à la prudence et
Augustinus assignat alium actum prudentiae et aux autres vertus morales, comme cela ressort du
aliis virtutibus moralibus, ut patet in littera. Ergo texte. Elles sont donc distinctes les unes des
distinguuntur ab invicem. autres.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Les autres vertus morales se
distinguent-elles des trois vertus indiquées dans
le texte ?]
[11905] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 1. Il semble que les autres vertus morales ne se
arg. 1 Ulterius. Videtur quod nec ab aliis tribus distinguent pas des trois vertus indiquées dans le
virtutibus in littera positis reliquae morales texte. En effet, la partie ne se distingue pas par
virtutes distinguantur. Pars enim non dividitur opposition au tout. Or, Tullius [Cicéron] dit que
contra totum. Sed harum aliae omnes partes esse toutes ces autres [vertus] sont des parties. Elles
dicuntur a Tullio. Ergo ab eis non distinguuntur. ne s’en distinguent donc pas.
[11906] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 2. Les propriétés des réalités spirituelles sont
arg. 2 Praeterea, proprietates rerum spiritualium recherchées à partir de leurs noms, comme cela
ex earum nominibus investigantur, ut patet per ressort de Denys. Or, le nom de la tempérance
Dionysium. Sed nomen temperantiae temperiem comporte une certaine retenue et une certaine
et modum quemdam importat: similiter autem mesure ; de même, le nom de la force, une
nomen fortitudinis indeficientiam respectu endurance sans faiblesse devant ce qui est
difficilium: nomen autem justitiae aequalitatem difficile ; mais le nom de la justice, une égalité
vel rectitudinem; unde justum aequale dicimus, et ou une rectitude : c’est pourquoi nous appelons
quasi regulatum, ut ex 5 Eth. patet. Cum ergo juste ce qui est égal et pour ainsi dire mesuré par
haec requirantur in qualibet virtute morali, videtur une règle, comme cela ressort d’Éthique, V.
quod aliae virtutes morales ab istis non Puisque cela est exigé en toute vertu morale, il
distinguantur, nec ipsae ab invicem. semble donc que les autres vertus morales ne se
distinguent pas de celles-ci, ni elles-mêmes les
unes des autres.
[11907] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 3. Tout péché n’est chassé que par toute vertu.
arg. 3 Praeterea, omne peccatum non expellitur Or, tout péché est chassé par la justice, comme
nisi per omnem virtutem. Sed per justitiam cela apparaît dans la justification de l’impie. Les
expellitur omne peccatum, ut patet in autres vertus morales, du moins, ne sont donc
justificatione impii. Ergo ad minus ab ipsa aliae pas distinctes de celle-ci.
virtutes morales non distinguuntur.
[11908] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 s. Cependant, [1] rien n’a de caractère principal
c. 1 Sed contra, nihil est principale respectu sui par rapport à soi-même. Or, ces vertus sont
ipsius. Sed hae virtutes dicuntur cardinales vel appelées cardinales ou principales par rapport
principales respectu aliarum. Ergo ab eis aux autres. Elles s’en distinguent donc.
distinguuntur.
[11909] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 s. [2] Les habitus se distinguent par leurs actes et
c. 2 Praeterea, habitus distinguuntur per actus et leurs objets. Or, diverses matières particulières
objecta. Sed istis virtutibus assignantur diversae sont assignées à ces vertus, comme cela
materiae speciales, ut infra patebit. Ergo sunt ressortira plus loin. Elles sont donc des vertus
speciales virtutes, ab aliis et a se invicem particulières, distinctes des autres et entre elles.
distinctae.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11910] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Puisque tout ce qui est ordonné à une fin est
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, déterminé selon l’exigence de la fin, il est
quod cum unumquodque quod est ad finem, nécessaire que les puissances et les habitus qui
991

determinetur secundum exigentiam finis; sont ordonnés à leurs actes comme à leur ultime
potentiae et habitus, qui ordinantur ad actus sicut perfection soient distingués selon leurs différents
ad ultimam perfectionem, oportet quod secundum actes, de même que les puissances de la matière
actus diversos distinguantur: sicut etiam potentiae se distinguent par leurs relations à diverses
materiae distinguuntur per relationem ad diversas formes. Or, ce n’est pas n’importe quelle
formas. Non autem quaelibet diversitas actuum diversité des actes qui fait une différence entre
facit differentiam potentiarum et habituum; sed les puissances et les habitus, mais seulement
illa tantum quae est ex diversitate objectorum, a celle qui vient de la diversité des objets par
quibus actus specificantur, sicut motus a terminis. lesquels les actes sont spécifiés, comme les
Solum autem illa differentia terminorum facit mouvements par leurs termes. Or, seule la
diversam speciem motus quae attenditur différence des termes, envisagée selon la raison
secundum illam rationem secundum quam qui termine le mouvement, confère une espèce
terminat motum. Unde quod descensus terminetur différente au mouvement. Aussi le fait qu’une
ad aquam vel ad terram, non facit diversam descente se terme à l’eau ou à la terre ne donne-
speciem motus localis; quia motus localis non erat t-il pas une espèce différente au mouvement
ad terram vel aquam inquantum hujusmodi, sed local, car le mouvement local ne visait pas la
inquantum deorsum sunt. Generationes autem terre ou l’eau en tant que telles, mais en tant
differunt secundum speciem quae terminantur ad qu’elles sont en bas. Mais les générations qui se
formas aquae et terrae: et similiter objecta diversa terminent aux formes de l’eau et de la terre
non diversificant actus secundum speciem, nisi sit diffèrent selon l’espèce. De même, des objets
diversitas secundum illam rationem secundum différents ne diversifient-ils pas les actes
quam est objectum. Videre enim album et nigrum spécifiquement, à moins qu’il n’existe une
non sunt diversi actus secundum speciem: quia diversité par la raison selon laquelle elle est un
utrumque est objectum visus secundum unam objet. En effet, voir le blanc et le noir ne sont pas
rationem, inquantum scilicet sunt colorata des actes d’espèce différente, car les deux sont
visibilia actu per lucem. Et inde contingit quod l’objet de la vue selon une seule raison : en tant
quanto aliqui habitus vel potentiae sunt qu’ils sont colorés et visibles en acte par la
immaterialiores, tanto sunt universaliores, et lumière. De là vient que plus certains habitus ou
minus distinguuntur, quia attendunt puissances sont immatériels, plus ils sont
universaliorem rationem objecti; sicut quinque universels et moins ils se distinguent, car ils
sensibus propriis correspondet unus sensus portent sur une raison plus universelle de
communis, et una imaginatio. Sciendum tamen, l’objet : ainsi, un seul sens commun et une seule
quod cum plures habitus quandoque sint in una imagination correspondent aux cinq sens
potentia, aliqua diversitas sufficit ad propres. Cependant, il faut savoir que, puisqu’il
distinguendum habitus quae non sufficit ad existe parfois plusieurs habitus dans une seule
distinguendum potentiam: quia potentia alio modo puissance, une certaine diversité suffit pour
comparatur ad actum quam habitus; unde et distinguer les habitus, qui ne suffit pas pour
secundum alteram rationem objectum utrique distinguer la puissance, car la puissance a un
respondet. Potentia enim est principium agendi autre rapport avec l’acte que l’habitus. L’objet
absolute; sed habitus est principium agendi correspond donc aux deux selon une autre raison.
prompte et faciliter; et ideo objectum secundum En effet, la puissance est le principe absolu de
illam rationem qua se habet ad actum simpliciter, l’action ; mais l’habitus est le principe d’une
respondet potentiae; sed secundum quod se habet action prompte et facile. C’est pourquoi l’objet
ad facilitatem actus respondet habitui. Et ideo correspond à la puissance par la raison selon
diversitas materiae vel objecti in ordine ad ea laquelle elle a un simple rapport avec l’acte,
quae faciunt facilitatem in actu, facit diversitatem mais l’acte correspond à l’habitus selon son
habitus, et non potentiae. Et inde est quod in rapport à la facilité de l’acte. Aussi la diversité
speculativis diversitas materiae, secundum quod de matière ou d’objet par rapport à ce qui rend
est determinabilis per diversa media et principia, l’acte facile réalise-t-elle une diversité de
ex quibus est facilitas considerationis, facit l’habitus, et non de la puissance. De là vient
992

diversas scientias; sicut naturalis, quae ex qu’en matière spéculative, la diversité de la


effectibus et his quae apparent in sensu matière, selon qu’elle peut être déterminée par
demonstrat, a mathematica differt, quae circa divers moyens et principes qui rendent l’examen
suam materiam ex eisdem principiis et mediis facile, réalise des sciences diverses. Ainsi, [la
procedere non potest. Sicut autem in speculativis science] naturelle, qui démontre à partir des
est principium demonstrationis et medium; ita effets et de ce qui tombe sous le sens, diffère-t-
fines sunt in operativis, ut dicitur in 7 Ethic. Ex elle de la [science] mathématique, qui, à propos
eorum enim intentione procedimus in ea quae sunt de sa matière, ne peut procéder des mêmes
ad finem, sicut ex dignitatibus in conclusiones; et principes et moyens. Or, de même qu’en matière
ideo secundum relationem ad finem omnes spéculative, il y a un principe de démonstration
morales habitus distinguuntur, ex quo prima et un moyen, de même les fins jouent-elles ce
sumpta est differentia boni et mali: quia bonum rôle en matière d’actions, comme il est dit dans
importat finem, ut dicitur in 10 Metaph., malum Éthique, VII. En effet, à partir de leur intention,
autem deordinationem a fine: et secundum hoc nous progressons vers ce qui se rapporte à la fin,
virtutes a vitiis distinguuntur: et in virtutibus ubi comme des premiers principes [dignitatibus]
invenitur diversa ratio boni, sunt diversae virtutes vers les conclusions. C’est pourquoi tous les
secundum speciem. Bonum autem ad quod habitus moraux se distinguent selon leur rapport
humanae virtutes proxime ordinantur, est bonum à la fin, dont est tirée la première différence du
rationis, contra quam esse est malum hominis, ut bien et du mal, car le bien a caractère de fin,
dicit Dionysius in Lib. de Divin. Nom. Et quia comme il est dit dans Métaphysique, X, mais le
non in omnibus materiis moralibus eodem modo mal, d’écart par rapport à la fin. C’est ainsi que
invenitur rationis bonum, ut patet; ideo oportet les vertus se distinguent des vices, et que, dans
diversas virtutes morales esse specie differentes. les vertus où l’on trouve une raison différente de
bien, existent des vertus différentes selon
l’espèce. Or, le bien auquel les vertus humaines
sont ordonnées de manière prochaine est le bien
de la raison : agir à l’encontre de celle-ci est un
mal pour l’homme, comme le dit Denys dans le
livre Sur les noms divins. Et parce que le bien de
la raison ne se trouve pas de la même manière
dans toutes les matières morales, il est donc
nécessaire qu’il y ait des vertus morales
différentes selon l’espèce.
[11911] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1. Comme on l’a dit plus haut, il existe un
1 Ad primum igitur dicendum, quod, sicut supra double amour. L’un naturel : cela se rencontre
dictum est, duplex est amor. Unus naturalis, et dans toutes les vertus. Un tel amour n’est donc
hoc invenitur in omnibus virtutibus: unde talis pas propre à la charité, mais est commun à toutes
amor non appropriatur caritati, sed est communis les vertus. Si Augustin parle de cet amour, il est
omnibus virtutibus: et si de hoc amore loquitur clair qu’on ne démontre pas qu’il n’existe qu’une
Augustinus, patet quod non probatur quod sit seule vertu. L’autre amour est celui de l’âme
tantum una virtus. Alius autem est amor animalis, (amor animalis), qui, selon qu’il existe dans
qui secundum quod est in superiori appetitu, et l’appétit supérieur et est gratuit, est en rapport
gratuitus, ad virtutem caritatis pertinet: et hic avec la charité. Cet amour se trouve dans toutes
quidem amor invenitur in omnibus virtutibus, non les vertus, non pas comme s’il était
quasi idem per essentiam eis, sed inquantum essentiellement le même en elles, mais pour
participatur ab ipsis prout sunt a caritate autant qu’il y participe en tant qu’elles sont
imperatae. commandées par la charité.
[11912] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2. Les matières de toutes les vertus morales ne
2 Ad secundum dicendum, quod id quod est participent pas de la même façon à ce qui relève
rationis et intellectus, non eodem modo de la raison et de l’intellect, puisque le milieu de
993

participatur in materiis omnium moralium la raison se trouve correctement de diverses


virtutum, cum in diversis materiis diversimode manières dans des matières diverses. C’est
medium rationis recte inveniatur: et ideo talis pourquoi une telle diversité de matière cause une
materiae diversitas diversitatem formae et speciei diversité de forme et d’espèce, comme cela se
causat; sicut etiam accidit in naturalibus, quando produit pour les réalités naturelles, lorsque
diversae materiae non sunt proportionatae ad diverses matières ne sont pas proportionnées à
recipiendum formam unius rationis. recevoir la forme d’une seule nature.
[11913] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3. Dans toutes les réalités morales, on trouve une
3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus seule raison de vrai, qui est un vrai contingent,
moralibus invenitur una ratio veri, quod est verum consistant dans l’action de l’homme. C’est
contingens, in hominis actione consistens; et ideo pourquoi elles relèvent d’un seul acte cognitif.
ad unum actum cognoscitivum pertinent. Mais on trouve en elles une raison différente de
Invenitur autem in eis ratio boni diversa, bien, selon que l’ordre de la raison est établi
secundum quod in diversis diversimode ordo diversement dans des réalités diverses. C’est
rationis constituitur: et ideo ex parte appetitivae pourquoi, du point de vue de la puissance
oportet quod sint diversi habitus, qui dicuntur affective, il est nécessaire qu’existent divers
virtutes morales. habitus, qu’on appelle vertus morales.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11914] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 co. De même qu’on dit de la raison spéculative
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut qu’elle est droite lorsqu’elle se conforme aux
speculativa ratio dicitur esse recta secundum quod premiers principes, de même dit-on de la raison
se conformiter ad prima principia habet; ita etiam pratique qu’elle est droite lorsqu’elle se
ratio practica dicitur recta ratio secundum quod se conforme à des fins droites. Or, l’incliantion à la
habet conformiter ad rectos fines. Inclinatio autem fin relève de l’appétit. C’est pourquoi, dans
ad finem ad appetitum pertinet; et ideo in 6 Ethic. Éthique, VI, on dit que la vérité et la droitue de
dicitur, quod veritas et rectitudo rationis practicae la raison pratique se prennent de sa conformité à
est secundum quod se habet conformiter ad un appétit droit. Or, l’appétit est naturellement
appetitum rectum. Appetitus autem respectu droit par rapport à quelque chose : la fin ultime,
alicujus est rectus naturaliter, sicut respectu finis pour autant que tous veulent naturellement être
ultimi, prout quilibet naturaliter vult esse felix: heureux. Mais, par rapport aux autres [fins], la
sed respectu aliorum rectitudo appetitus ex ratione droiture de l’appétit est causée par la raison,
causatur, secundum quod appetitus aliqualiter selon que l’appétit participe d’une certaine
ratione participat, ut in 2 Ethic. dicitur. Et quia manière à la raison, comme il est dit dans
prudentia facit rationem rectam, ideo praeter Éthique, II. Et parce que la prudence rend la
prudentiam requiruntur aliae virtutes morales, raison droite, d’autres vertus morales sont
quae faciunt appetitum rectum in his in quibus nécessaires en plus de la prudence pour rendre
naturaliter rectus non est. Et quia bonum rationis l’appétit droit là où il n’est pas naturellement
non eodem modo invenitur in ipsa ratione et in his droit. Et parce que le bien de la raison ne se
quae rectitudinem rationis participative habent; trouve pas de la même manière dans la raison
ideo secundum ea quae prius dicta sunt, morales elle-même et dans ce qui participe à la droiture
virtutes sunt alii habitus secundum speciem quam de la raison, conformémenet à ce qui a été dit
prudentia. plus haut, les vertus morales sont d’autres
habitus que la prudence par leur espèce.
[11915] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 1. Lorsque certaines choses, qui reçoivent
1 Ad primum igitur dicendum, quod quando également comme prédicat quelque chose de
aliqua condividuntur aequaliter recipientia commun, se divisent également, une chose n’est
communis praedicationem, tunc unum non ponitur pas alors mise dans la définition de l’autre. Mais
in definitione alterius: sed quando commune lorsque quelque chose de commun leur est
praedicatur de eis per prius et posterius, tunc attribué selon un ordre de priorité, la première
primum ponitur in definitione aliorum, sicut chose est alors mise dans la définition des autres,
994

substantia in definitione accidentium: et propter comme la substance dans la définition des


hoc prudentia ponitur in definitione aliarum accidents. Pour cette raison, la prudence, dans
virtutum, in qua per prius bonum rationis, et per laquelle se trouve en priorité le bien de la raison,
consequens ratio virtutis invenitur: quia prius est est mise dans la définition des autres vertus, et,
quod est per essentiam quam quod est per en conséquence, la raison de vertu, car ce qui
participationem. existe par essence précède ce qui existe par
participation.
[11916] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 2. Le prudent est actif pour trouver ce qui mène à
2 Ad secundum dicendum, quod prudens est la fin droite. Mais, en plus de cela, il est
activus adinveniendo ea quae ad finem rectum nécessaire qu’existent des vertus morales qui
perducunt. Sed praeter hoc oportet esse virtutes réalisent une intention droite et une inclination
morales quae faciant rectam intentionem, et vers la fin, qui sont aussi requises pour que
inclinationem in finem, quae etiam exigitur ad hoc l’homme soit actif.
quod homo sit activus.
[11917] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 2 ad 3. Le bien de l’art consiste dans une chose
3 Ad tertium dicendum, quod bonum artis extérieure, qui est amenée à sa perfection par
consistit in re exteriori quae per actum artis ad l’acte de l’art ; mais le bien moral réside dans
perfectum perducitur; sed bonum moris consistit celui-là même qui agit. C’est pourquoi, dans les
in ipso operante: et ideo in artificialibus, réalisations de l’art, pourvu que quelqu’un
dummodo aliquis bonum perficiat, non differt réalise quelque chose de bon du point de vue de
quantum ad rationem artis qualitercumque la raison de l’art, le rapport de la volonté à
operans se secundum voluntatem ad operandum l’action, quel que soit la manière dont elle agit,
habeat, sive sit firmus in proposito, vel qu’elle ait une intention ferme ou agisse avec
delectabiliter operetur, aut non; refert autem plaisir ou non, ne fait pas de différence du point
quantum ad perfectionem virtutis moralis. Et ideo de vue de la raison de l’art ; mais cela a de
oportet esse in moralibus habitus facientes l’importance pour la perfection de la vertu
appetitum rectum, non autem in artificialibus. morale. Il faut donc qu’il existe en matière
morale des habitus qui rendent l’appétit droit,
mais non en matière d’art.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11918] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 co. Comme on l’a dit, les habitus des vertus morales
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut se diversifient selon le bien de la raison, qui
dictum est, habitus virtutum moralium ex bono consiste essentiellement dans le jugement de la
rationis diversificantur: quod quidem in ipso raison, ce qui relève de la prudence ; mais pour
rationis judicio essentialiter consistit, quod ad ce qui est disposé par la raison, [le bien de la
prudentiam pertinet; in his vero quae per rationem raison consiste dans le jugement de la raison] par
disponuntur, participative, quod ad morales mode de participation, ce qui concerne les vertus
virtutes spectat. Moralem autem materiam, idest morales. Or, la raison ordonne ou dispose de
actus et passiones humanas, ratio quantum ad tria trois manières la matière morale, à savoir les
ordinat sive disponit. Primo ordinando ipsas passions et les actes humains. Premièrement, en
passiones per actiones secundum se, prout eas ad ordonnant les passions elles-mêmes par les
medium reducit secundum quamdam actions mêmes, pour autant qu’elle les ramène à
commensurationem; et sic dicitur modum in eis un milieu selon une certaine mesure : ainsi dit-on
ponere, quia modus mensurationem importat. qu’elle leur impose une certaine mesure, car le
Secundo ordinando subjectum ad ipsas actiones et mode comporte une mesure. Deuxièmement, en
passiones primo modo ordinatas, ut scilicet homo ordonnant le sujet aux actions et aux passions
firmiter inhaereat his quae ratio ordinavit. Tertio ordonnées de la première manière, afin que
in ordine ad aliquid extra, ad quod oportet actus l’homme adhère fermement à celles qu’ordonne
nostros proportionari, sive sit finis, sive alius la raison. Troisièmement, par rapport à quelque
homo, sive quidquid extrinsecum: et secundum chose de plus à quoi il est nécessaire que nos
995

hoc causatur rectitudo vel aequalitas in virtute. actes soient proportionnés, qu’il s’agisse de la
Haec igitur tria, scilicet modus et firmitas et fin, d’un autre homme ou de n’importe quoi
rectitudo, in omnibus virtutibus moralibus d’extrinsèque : sous cet aspect, la droiture ou
inveniuntur. Sed in quibusdam materiis virtutum, l’équité est causée par la vertu. Ces trois choses :
bonum rationis attenditur praecipue secundum le mode, la fermeté et la droiture, se trouvent
unum istorum; in quibusdam vero secundum dans toutes les vertus morales. Mais, dans
aliud, secundum quod naturalis potentia, quam certaines matières des vertus, le bien de la raison
perficit habitus virtutis, magis deficit in hoc vel in est envisagé principalement selon l’une de ces
illo. Unde tota intensio rationis et virtutis ad hoc trois choses, mais, dans certaines, selon une
fertur ubi natura deficit; sicut patet quod autre, selon que la puissance naturelle que
delectationes corporales sunt nobis connaturales, perfectionne l’habitus de la vertu est plus faible
et ideo in his difficillimum est modum tenere; et sur un point ou sur l’autre. Aussi tout l’effort de
propter hoc virtus quae est circa eas, scilicet la raison et de la vertu se porte-t-il là où la nature
temperantia, praecipue modum sibi adscribit, est déficiente. Ainsi, il est clair que les plaisirs
unde et nomen accepit: et similiter naturaliter corporels nous sont connaturels : aussi est-il très
homo mortem fugit, unde et difficillimum est in difficile d’y garder la mesure ; pour cette raison,
periculis mortis firmiter persistere; et ideo la vertu qui porte sur eux, la tempérance, leur
fortitudo quae circa hujusmodi est, firmitatem sibi impose-t-elle surtout la mesure, dont elle tire son
adscribit, et inde nominatur: et similiter rectitudo nom. De même, l’homme fuit naturellement la
praecipue in communicationibus ad alterum mort ; il est donc très difficile de tenir fermement
quaeritur; et ideo justitia, quae circa has est, a au milieu des dangers de mort. Aussi la force,
rectitudine nomen habet: et sic est etiam in aliis qui porte sur ceux-ci, leur impose-t-elle la
virtutibus moralibus, quia secundum speciem fermeté et en tire son nom. De même, la droiture
distinguuntur, prout bonum rationis quantum ad est-elle surtout recherchée dans les rapports avec
aliquid praedictorum diversimode in eis invenitur l’autre ; c’est pourquoi la justice, qui porte sur
secundum conditionem materiae. eux, tire son nom de la droiture. Et il en est de
même pour les autres vertus morales, car elles se
distinguent selon l’espèce pour autant que le bien
de la raison pour l’une des choses mentionnées
se trouve de manière diverse selon la condition
de la matière.
[11919] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 1. Les autres vertus ne sont pas appelées leurs
1 Ad primum igitur dicendum, quod aliae virtutes parties subjectives ou intégrales, ce qui
non dicuntur partes subjectivae harum, vel n’empêche pas leur distinction par rapport à
integrales: quod non impedit earum distinctionem celles-ci, ce qui apparaîtra mieux plus loin, à la
ab istis: quod infra melius patebit, quaest. 3 hujus q. 3 de la présente distinction.
dist. per totam.
[11920] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 2. Ces vertus portent le nom de ce qui est
2 Ad secundum dicendum, quod istae virtutes principal en elles. Or, quelque chose est principal
denominantur ab hoc quod est principale in eis. dans une chose, qui n’est pas principal dans une
Aliquid autem est principale in uno quod non est autre, comme cela ressort de ce qui a été dit.
principale in altero, ut ex dictis patet; et ideo nihil Aussi rien n’empêche-t-il qu’elles soient
prohibet eas esse distinctas. Tamen advertendum, distinctes. Il faut cependant noter que les saints
quod sancti et philosophi inveniuntur dupliciter et les philosophes parlent de ces vertus de deux
loqui de istis virtutibus. Quandoque secundum manières. Parfois, selon qu’elles sont des vertus
quod sunt speciales virtutes habentes spéciales ayant une matière particulière : ainsi,
determinatam materiam, sicut quod temperantiae ils attribuent à la tempérance la maîtrise des
attribuunt delectationes venereas cohibere; plaisirs sexuels. Mais parfois, selon qu’elles ont
quandoque autem secundum quod habent un certain caractère général, pour autant que ce
quamdam generalitatem, prout illud a quo nomen dont elles tirent leur nom et en quoi consiste
996

accipiunt, et in quo perfectio earum principaliter principalement leur perfection est reporté sur
consistit, ad alias materias et virtutes transfertur; d’autres matières et vertus. Ainsi, ils attribuent à
sicut cum fortitudini attribuunt fortiter persistere la force, non seulement de tenir au milieu des
non solum in periculis mortis, sed etiam in dangers de mort, mais aussi de tous les dangers.
quibuscumque periculis. Sed primum dicitur Mais la première manière de parler est propre,
proprie, secundum autem appropriate, vel per alors que la seconde est une manière de les
reductionem. approprier ou de les ramener [à la première
manière de parler].
[11921] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 1 qc. 3 ad 3. Il existe une justice générale et une justice
3 Ad tertium dicendum, quod justitia quaedam est spéciale. Elles est spéciale selon qu’elle a une
generalis, quaedam autem specialis. Specialis matière déterminée dans les rapports avec les
quidem est secundum quod habet materiam autres sous la raison de dette : elle est ainsi
determinatam in communicationibus quae ad donnée comme une des quatre vertus cardinales.
alterum sunt secundum rationem debiti: et sic Elle est appelée générale d’une autre manière, et
ponitur hic una de quatuor cardinalibus virtutibus. cela pour deux raisons. Premièrement, selon
Alio modo dicitur generalis; et hoc dupliciter. qu’elle est une manière droite d’être pour l’âme
Uno modo secundum quod est quaedam habitudo elle-même, en tant que l’homme est ordonné en
recta ipsius animae, prout homo debito modo lui-même et par rapport aux autres choses : ainsi
ordinatur et in seipso et ad alia: et sic dicitur dit-on que l’impie est justifié. Deuxièmement, en
justificari impius. Alio modo, prout est idem quod tant qu’elle est la même chose que toutes les
omnis virtus, ratione differens, prout actum vertus, mais différente par la raison, pour autant
virtutis quis ordinat ad bonum commune, que quelqu’un ordonne un acte de vertu au bien
secundum imperium legis; quod contingit in commun comme l’ordonne la loi, ce qui se
actibus omnium virtutum, ut philosophus dicit, 5 produit dans les actes de toutes les vertus,
Ethic.; et hoc infra melius patebit quaest. 2 et 3. comme le dit le Philosophe dans Éthique, V.
Cela ressortira plus clairement plus loin, qq. 2 et
3.

Articulus 2 [11922] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 Article 2 – Les vertus morales existent-elles en
a. 2 tit. Utrum virtutes morales insint a natura nous naturellement ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Les vertus morales existent-
elles en nous naturellement ?]
[11923] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 1. Il semble que les vertus morales existent en
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nous naturellement. En effet, [Jean] Damascène
virtutes morales insint nobis a natura. dit dans le livre III : « Les vertus sont naturelles,
Damascenus enim dicit in 3 Lib.: naturales sunt et elles sont naturellement et également présentes
virtutes, et naturaliter et aequaliter insunt chez tous. » Antoine dit aussi la même chose
omnibus. Hoc idem etiam dicit Antonius in dans son exhortation à des moines.
exhortatione ad monachos.
[11924] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 2. Selon le Philosophe dans Physique II, les
arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 2 choses qui sont causées par des principes
Physic., quae ex principiis naturalibus causantur, naturels viennent de la nature. Or, la raison vient
natura sunt. Sed ratio est de principiis naturalibus des principes naturels de l’homme. Puisque les
hominis. Cum ergo virtutes ex ratione procedant, vertus procèdent de la raison, il semble donc
videtur quod sint naturales. qu’elles soient naturelles.
[11925] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 3. L’homme est plus parfait que les autres
arg. 3 Praeterea, homo est perfectior inter alia animaux. Or, chez les autres animaux, la
animalia. Sed aliis animalibus a natura inest disposition à faire ce qui leur convient est
dispositio ad agendum ea quae eis competunt, présente naturellement, comme faire son nid
sicut hirundini ad faciendum nidum. Cum ergo pour l’hirondelle. Puisque les vertus ne sont rien
997

virtutes nihil aliud sint quam inclinationes ad d’autre que des inclinations aux actions qui
opera convenientia homini, videtur quod virtutes conviennent à l’homme, il semble donc que les
naturales sint homini inditae. vertus soient naturelles et innées chez l’homme.
[11926] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 s. Cependant, [1] selon Denys, les biens naturels
c. 1 Sed contra, secundum Dionysium bona ne sont pas enlevés par le péché. Or, les vertus
naturalia non amittuntur per peccatum. Sed sont enlevées. Elles ne sont donc pas naturelles.
virtutes amittuntur. Ergo non sunt naturales.
[11927] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 s. [2] Nous n’acquérons pas par habitude ce qui
c. 2 Praeterea, ea quae sunt a natura, non vient de la nature. Or, l’habitude intervient dans
assuefacimus. Sed in operibus virtutum valet les actes des vertus. Les vertus ne viennent donc
assuefactio. Ergo virtutes non sunt a natura. pas de la nature.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Les vertus peuvent-elles être
acquises par nos actes ?]
[11928] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 1. Il semble que [les vertus] ne puissent
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non possint acquiri s’acquérir par nos actes. En effet, selon le
ex actibus. Continentia enim, secundum Philosophe dans Éthique, VII, la continence est
philosophum in 7 Ethic., est aliquid minus virtute. quelque chose de moins que la vertu. Or, nous ne
Sed continentiam non possumus ex actibus nostris pouvons pas acquérir la continence par nos actes.
acquirere; Sap. 8, 21: scio quod non possum esse Sg 8, 21 : Je sais que je ne puis être continent, à
continens, nisi Deus det. Ergo multo minus aliae moins que Dieu ne me l’accorde. Encore bien
virtutes ex actibus acquiri possunt. moins les autres vertus peuvent-elles donc être
acquises par des actes.
[11929] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 2. En aucune chose quelque chose est-il acquis
arg. 2 Praeterea, in nulla re per aliquam actionem par une action, à moins que cette chose ne
aliquid acquiritur, nisi per actiones aliquid res illa reçoive quelque chose par les actions. Or, celui
accipiat. Sed operans, inquantum operatur, nihil qui agit, en tant qu’il agit, ne reçoit rien, bien
recipit, immo magis operationem a se emittit. plutôt, il fait sortir de lui-même une action. Par
Ergo ex hoc quod operatur, non acquiritur in ipso le fait qu’il agit, aucune vertu n’est donc acquise
aliqua virtus. en lui.
[11930] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 3. Rien n’agit au-delà de son espèce, car l’effet
arg. 3 Praeterea, nihil agit ultra suam speciem: ne peut être plus noble que la cause. Or, les
quia effectus non potest esse nobilior causa. Sed opérations qui sont posées avant la vertu ne
operationes quae fiunt ante virtutem, non sunt viennent pas des vertus, mais seulement des
virtutum, sed potentiarum naturalium tantum. puissances naturelles. Puisque la vertu est plus
Cum ergo virtus sit nobilior quam operatio, quae noble que l’opération, qui vient seulement d’une
est ex potentia naturali tantum, videtur quod per puissance naturelle, il semble donc que les vertus
hujusmodi operationes virtutes acquiri non ne puissent pas être acquises par les opérations
possint. de ce genre.
[11931] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 4. Une seule opération ne peut causer l’habitus
arg. 4 Praeterea, una operatio non potest habitum d’une vertu, comme le Philosophe le dit dans
virtutis causare, sicut philosophus dicit in 1 Éthique, I. De même, plusieurs [ne le peuvent]
Ethic.: similiter nec plures, ut videtur, quia plures pas non plus, semble-t-il, car plusieurs
operationes non sunt simul; et quod non est, non opérations ne sont pas simultanées, et ce qui
agit. Ergo nullo modo ex actibus virtutes n’existe pas n’agit pas. Les vertus ne sont donc
acquiruntur. d’aucune manière acquises à partir des actes.
[11932] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 s. Cependant, [1] le Philosophe dit, dans le livre
c. 1 Sed contra, philosophus dicit, in libro de sur La mémoire et la réminiscence, que
memoria et reminiscentia, quod consuetudo est l’habitude est comme une nature. Par l’habitude,
quasi natura. Ergo consuetudine efficitur aliquid quelque chose devient donc connaturel et facile
homini connaturale et facile. Sed nihil aliud virtus pour l’homme. Or, la vertu n’est rien d’autre
998

est quam quaedam facilitas et inclinatio per qu’une certaine facilité et inclination par mode
modum naturae ad bonum rationis, ut dicit de nature au bien de la raison, comme le dit
Tullius. Ergo ex consuetudine acquiritur aliqua Tullius [Cicéron]. Une vertu s’acquiert donc par
virtus. l’habitude.
[11933] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 s. [2] Le mal n’agit pas plus fortement que le bien.
c. 2 Praeterea, malum non est fortius in agendo Or, par des actes mauvais, un habitus vicieux
quam bonum. Sed malis operibus acquiritur s’acquiert. Par des actes bons, un habitus
aliquis habitus vitiosus. Ergo ex bonis operibus vertueux s’acquiert donc.
acquiritur aliquis habitus virtuosus.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Est-il nécessaire d’affirmer
qu’il existe des vertus morales infuses ?]
[11934] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non oporteat ponere d’affirmer l’existence de vertus morales infuses.
aliquas virtutes morales infusas. Ea enim quae per En effet, il n’est pas nécessaire que ce qui peut
principia naturalia possunt causari, non oportet être causé par des principes naturels soit causé
quod divinitus praeter naturalia principia par Dieu par-delà les principes naturels, à moins
causentur, nisi aliquando miraculose fiat; sicut que ce ne soit parfois de manière miraculeuse,
quod sanitas restituitur, quam etiam natura posset comme le fait que la santé est redonnée, qui
restituere, licet non statim. Sed ad virtutes pourrait être redonnée par la nature, bien que ce
morales possumus pervenire per naturalia ne soit pas immédiatement. Or, nous pouvons
principia, ut probatum est. Ergo non indigemus parvenir aux vertus morales par des principes
quod virtutes nobis infundantur. naturels, comme cela a été démontré. Nous
n’avons donc pas besoin que des vertus nous
soient infusées.
[11935] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 2. Pour qu’un acte soit pleinement parfait , il est
arg. 2 Praeterea, ad actum quantumcumque seulement exigé que cet acte soit droit et
perfectum non requiritur nisi quod sit actus rectus, méritoire. Or, pour poser un acte droit, la vertu
et meritorius. Sed ad faciendum actum rectum acquise suffit, et pour poser un acte méritoire, la
sufficit virtus acquisita, ad faciendum autem charité suffit. Nous n’avons donc pas besoin de
meritorium sufficit caritas. Ergo non indigemus vertus morales infuses.
virtutibus moralibus infusis.
[11936] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 3. « Les vertus que Dieu réalisent en nous sans
arg. 3 Praeterea, virtutes quas Deus in nobis sine nous sont des qualités de l’esprit, comme le dit
nobis operatur, sunt mentis qualitates, ut dicit Augustin, et elles ne se trouvent pas dans des
Augustinus, et non in viribus organis affixis. Sed puissances liées à des organes. » Or, certaines
aliquae moralium virtutum, ut dictum est, sunt in des vertus morales, comme on l’a dit, se trouvent
irascibili et concupiscibili, quae non sunt partes dans l’irascible et dans le concupiscible, qui ne
mentis, cum sint vires organis affixae. Ergo sont pas des parties de l’esprit, puisqu’ils sont
virtutes istae ad minus non possunt esse infusae. des puissances liées à des organes. Au moins ces
vertus ne peuvent donc pas être infuses.
[11937] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 4. Les vertus morales viennent de l’habitude,
arg. 4 Praeterea, virtutes morales a consuetudine comme cela ressort d’Éthique, II. Or, ce qui
dicuntur, ut patet 2 Ethic. Sed quod est ex vient de l’habitude n’est pas infus. Les vertus
consuetudine, non est infusum. Ergo virtutes morales ne peuvent donc être infuses.
morales non possunt esse infusae.
[11938] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] Sg 8, 7 dit : Elle enseigne la
c. 1 Sed contra, Sap. 8, 8: sobrietatem et tempérance et la prudence, la justice et la force ;
prudentiam docet, et justitiam et virtutem; et comme le Maître le dit dans le texte, sont ainsi
tanguntur ibi istae quatuor cardinales virtutes, ut indiquées les quatre vertus cardinales, qui sont
in littera Magister dicit, quae sunt virtutes des vertus morales. Or, la sagesse de Dieu
999

morales. Sed sapientia Dei non solum docet n’enseigne pas seulement en instruisant
intellectum instruendo, sed etiam affectum l’intelligence, mais aussi en mobilisant la
movendo. Ergo istae virtutes etiam sunt infusae. puissance affective. Ces vertus sont donc aussi
infuses.
[11939] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 s. [2] Chez les enfants baptisés et ceux qui se
c. 2 Praeterea, in pueris baptizatis et in contritis de repentent de leurs péchés, toutes les vertus
peccatis, sunt omnes virtutes. Sed non possunt existent. Or, elles ne peuvent être acquises, car
esse acquisitae; quia proprium actum virtutis non ils ne participent pas à l’acte propre de la vertu,
participant, ut dicitur 1 Ethicor., neque etiam unus comme il est dit dans Éthique, I. Un seul acte de
actus contritionis sufficere potest ad acquirendum contrition ne peut pas non plus suffire à acquérir
omnes virtutes. Ergo omnes virtutes morales toutes les vertus. Toutes les vertus morales sont
etiam sunt infusae. donc aussi infuses.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Les vertus infuses diffèrent-
elles des vertus acquises selon l’espèce ?]
[11940] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 1. Il semble que les vertus infuses ne diffèrent
arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam non differant pas non plus des vertus acquises selon l’espèce.
specie infusae ab acquisitis. Agens enim, cum sit En effet, lorsqu’un agent est extérieur à une
extra rem, non diversificat speciem: unde ejusdem chose, il n’en diversifie pas l’espèce ; ainsi l’œil
speciei est oculus quem Deus caeco nato restituit, que Dieu rend à l’aveugle-né est-il de la même
et quem in aliqua creatura causat. Sed virtutes espèce que celui qu’il cause dans une autre
infusae differunt ab acquisitis penes agens créature. Or, les vertus infuses diffèrent des
primum. Ergo non differunt specie. vertus acquises selon le premier agent. Elles ne
diffèrent donc pas selon l’espèce.
[11941] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 2. Les habitus reçoivent leur espèce des actes et
arg. 2 Praeterea habitus specificantur ex actibus et des objets. Or, l’objet et l’acte de la tempérance
objectis. Sed idem est objectum et idem actus infuse et de la tempérance acquise sont les
temperantiae infusae et acquisitae. Ergo non mêmes. Elles ne diffèrent donc pas selon
differunt specie. l’espèce.
[11942] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 3. Les actes diffèrent dans la mesure où ceux des
arg. 3 Si dicatur, quod actus differunt, inquantum vertus infuses sont méritoires, mais non ceux des
sunt meritorii actus infusarum, non autem actus vertus acquises. Contre : l’acte de n’importe
acquisitarum; contra. Actus virtutis cujuslibet non quelle vertu n’est méritoire que dans la mesure
est meritorius nisi inquantum est formatus a où il reçoit sa forme de la charité. Or, ce qui est
caritate. Sed formatum et informe in virtutibus formé et ce qui est sans forme ne cause pas une
non facit differentiam speciei, sicut patet in fide, différence spécifique entre les vertus, comme
cum sit differentia penes extrinsecum. Ergo cela ressort pour la foi, puisque la différence
virtutes infusae ab acquisitis non differunt specie. vient de quelque chose d’extrinsèque. Les vertus
infuses ne diffèrent donc pas des vertus acquises
selon l’espèce.
[11943] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 4. Les [vertus] infuses agissent pour Dieu, mais
arg. 4 Si dicatur, quod infusae propter Deum non les [vertus] acquises. Contre : Dieu n’est pas
operantur, non autem acquisitae; contra. Deus non l’objet des vertus cardinales, mais des vertus
est objectum cardinalium virtutum, sed théologales. Puisqu’elles ne reçoivent pas leur
theologicarum. Cum igitur virtutes non recipiant espèce de la fin ultime, mais de leur objet et de
speciem a fine ultimo, sed ab objecto et actu, leur acte, il semble donc que les vertus infuses et
videtur quod adhuc per hoc non differant specie les vertus acquises ne diffèrent pas davantage
virtutes acquisitae et infusae. selon l’espèce.
[11944] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 s. Cependant, [1] toute partie mise dans une
c. 1 Sed contra, quaelibet pars posita in définition cause une différence selon l’espèce.
definitione, facit differre secundum speciem. Sed Or, l’infusion est mise dans la définition de la
1000

infusio ponitur in definitione virtutis ab vertu par Augustin, selon laquelle « Dieu agit en
Augustino, secundum quam Deus in nobis nous sans nous ». [La vertu] infuse diffère donc
operatur sine nobis. Ergo infusa differt specie ab [de la vertu] acquise selon son espèce.
acquisita.
[11945] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 s. [2] Deux formes de la même espèce ne peuvent
c. 2 Praeterea, duae formae ejusdem speciei non se trouver dans le même sujet. Or, la vertu infuse
possunt esse in uno subjecto. Sed virtus infusa est se trouve avec la vertu acquise, comme cela
simul cum virtute acquisita, ut patet in adulto qui ressort pour l’adulte qui accède au baptême avec
habens virtutem acquisitam ad Baptismum la vertu acquise, et qui ne reçoit pas moins de
accedit, qui non minus recipit de infusis quam vertus infuses que l’enfant. La vertu acquise et la
puer. Ergo virtus acquisita et infusa differunt vertu infuse diffèrent donc selon l’espèce.
specie.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11946] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 co. De même que certains ont affirmé que, pour les
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, réalités naturelles, toutes les formes existent dans
quod sicut in naturalibus posuerunt quidam la matière et que l’agent naturel les extrait de
formas omnes existere in materia, et quod agens leur condition occulte vers une condition
naturale extrahit eas de occulto ad manifestum, manifeste, pour autant qu’il enlève ce qui
inquantum removet ea quae prohibebant formam empêchait cette forme d’apparaître, de même
illam apparere; ita etiam dixerunt quidam de aussi certains ont-ils parlé à propos des habitus
habitibus animae; unde Plato dixit, quod omnes de l’âme. Ainsi, Platon disait que toutes les
scientiae sunt in anima a natura, et addiscere non sciences existent naturellement dans l’âme et
est aliud quam recordari: et similiter videtur qu’apprendre n’est rien d’autre que se souvenir.
dicere Damascenus, de virtutibus, quod insunt [Jean] Damascène semble dire la même chose à
nobis a natura, et per exercitium tolluntur propos des vertus : elles sont en nous
impedimenta virtutum; sicut ferri aeruginem naturellement et, par l’exercice, les
auferentes, videmur claritatem, quae naturaliter ei empêchements aux vertus sont enlevés, comme
inest, inducere. Omnes autem istae opiniones en enlevant la rouille du fer, nous paraissons lui
secundum aliquid verae sunt, et secundum aliquid apporter l’éclat qui est naturellement en lui. Or,
falsae. Verae quidem sunt, inquantum toutes ces opinions sont partiellement vraies et
praedictorum aliqua inchoatio est a natura, sicut partiellement fausses. Elles sont vraies pour
forma existit in potentia materiae, et scientia autant qu’une certaine amorce des choses
conclusionum in principiis universalibus: quia mentionnées vient de la nature, comme la forme
quod in particulari discitur, prius in universali existe dans la puissance de la matière et la
sciebatur; et virtutes praeexistunt in naturali science des conclusions, dans les principes
ordinatione ad bonum virtutis, quae est in ratione universels, car ce qui est appris d’une réalité
cognoscente hujusmodi bonum, et etiam in particulière était d’abord connu dans l’universel,
voluntate naturaliter appetente illud, et etiam et les vertus préexistent dans l’orientation
quandoque in inferioribus viribus, inquantum sunt naturelle au bien de la vertu, qui existe dans la
naturaliter subjectae rationi: et in quibusdam ex raison qui connaît le bien de ce genre, et aussi
ipsa complexione est minus de resistentia ad dans la volonté qui le désire naturellement, et
bonum rationis, secundum quod philosophus dicit même parfois dans les puissances inférieures,
in 6 Ethic., quod quidam confestim a nativitate pour autant qu’elles sont naturellement soumises
sunt fortes et temperati: et ideo a Tullio dicitur, à la raison. Et chez certains, en raison de leur
quod seminaria virtutum, sive initia, sunt complexion même, il existe moins de résistance
naturalia. Falsae autem sunt praedictae opiniones, au bien de la raison, selon ce que dit le
inquantum complementum formarum, secundum Philosophe dans Éthique, VI, que « certains sont
quod sunt in actu, est ab agente extrinseco: dès leur naissance forts et tempérés ». C’est
scientiae vero complementum est ex doctrina vel pourquoi Tullius [Cicéron] dit que les semences
inventione; virtutum autem ex assuefactione vel des vertus ou leurs amorces sont naturelles. Mais
1001

infusione; et hoc est quod philosophus 2 Ethic. les opinions qui précèdent sont fausses dans la
dicit innatis nobis eas suscipere, perfectis vero per mesure où l’achèvement des formes, selon
assuefactionem. qu’elles existent en acte, vient d’un agent
extérieur. L’achèvement de la science vient de
l’enseignement ou de l’invention ; celui des
vertus, de l’habitude ou de l’infusion. Et c’est ce
que dit le Philosophe dans Éthique, II, qu’elles
sont chez nous innées, mais, chez les parfaits,
par grâce à l’habitude.
[11947] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1. La réponse à l’autorité de [Jean] Damascène
1 Et per hoc patet responsio ad auctoritatem ressort ainsi clairement.
Damasceni.
[11948] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2. La raison est à la fois nature de l’homme et
2 Ad secundum dicendum, quod ratio et est natura raison. Du fait qu’elle est raison, elle ajoute une
hominis, et est ratio; unde ex hoc quod est ratio, manière de causer à la manière dont quelque
addit aliquem modum causandi supra modum quo chose est naturellement causé par autre chose.
aliquid ex altero causatur naturaliter; et secundum De cette manière, la raison est principe des
hunc modum ratio est principium virtutum. vertus.
[11949] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3. Parce que l’homme possède la raison qui a la
3 Ad tertium dicendum, quod homo propter hoc capacité de rapprocher, il est apte à plusieurs
quod habet rationem, quae collativa est, se habet opérations dont la raison est le principe. C’est
ad multas operationes, quarum ratio principium pourquoi l’homme n’est pas pourvu par la nature
est; et ideo non providentur homini a natura de ce qui est nécessaire au vêtement et à la
necessaria ad tegumentum et defensionem, sicut défense, tels les poils et les ongles, comme les
aliis animalibus, ut pili et ungues: quia non posset autres animaux, car un instrument déterminé ne
instrumentum aliquod determinatum competere ad pourrait convenir à des opérations aussi variées
tam varias et diversas operationes; et ideo dantur et diverses. C’est pourquoi lui sont données des
sibi manus, per quas possit sibi facere necessaria mains, par lesquelles il peut se procurer ce qui
secundum quod ei competit ex ratione. Et similiter est nécessaire, selon ce qui lui convient en vertu
non potuit esse in homine complementum ex de la raison. De même, il ne pouvait exister
natura, quia non est idem conveniens omnibus. d’achèvement naturel chez l’homme en vertu de
Oportet enim medium virtutis in diversis la nature, car la même chose ne convient pas à
diversimode accipi. tous. En effet, il faut comprendre diversement le
milieu de la vertu selon les divers individus.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11950] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Certains philosophes, que suit Avicenne, ont
Ad secundam quaestionem dicendum est, quod affirmé que toutes les formes viennent de celui
quidam philosophi, quos sequitur Avicenna, qui [les] donne, et que l’agent naturel ne fait que
posuerunt omnes formas esse a datore, et quod disposer à ces formes. Et Avicenne dit la même
agens naturale non facit nisi dispositionem ad chose : la science et la vertu viennent de celui
formas illas; et similiter etiam dicit Avicenna, qui [les] donne et, par l’étude et l’exercice, l’âme
quod scientia et virtus sunt a datore, et per est disposée à recevoir l’influence des habitus en
studium et exercitium disponitur anima ad question. Or, cette position écarte la capacité
recipiendum influxum dictorum habituum. Haec naturelle, présente en tout principe naturel, de
autem positio tollit naturalem virtutem, quae inest faire quelque chose de semblable à soi, selon que
cuilibet principio naturali ad faciendum sibi la matière sur laquelle il agit est apte à recevoir
simile, secundum quod materia in quam agit, est sa ressemblance. Or, cela est nécessaire du fait
receptiva suae similitudinis. Quod quidem que tout ce qui agit agit du fait qu’il est en acte.
necessarium est ex hoc quod omne quod agit, agit Il est donc nécessaire que tout ce qui est quelque
ex hoc quod est in actu: unde oportet quod omne chose en acte puisse le produire de quelque
1002

quod est in actu aliquid, aliquo modo possit esse façon. C’est pourquoi tout principe naturel est
activum illius: et ideo omne naturale principium naturellement apte à amener sa ressemblance par
natum est inducere suam similitudinem per actum son acte. Puisque les principes des sciences et
suum. Cum igitur principia scientiarum et des vertus sont naturellement présents en nous,
virtutum sint naturaliter nobis indita, ut dictum comme on l’a dit, il est donc nécessaire que, par
est, oportet quod per actiones ex illis principiis les actions provenant de ces principes, les
prodeuntes, virtutum et scientiarum habitus habitus des vertus et des sciences soient conduits
compleantur: et huic quidem attestatur à leur achèvement. Et l’expérience témoigne de
experientia: quia ex consuetudine efficitur aliquid cela, car, par l’habitude, quelque chose devient
facile et delectabile, quod prius erat difficile; et facile et délectable, alors que cela était
hoc est signum habitus generati, scilicet delectatio auparavant difficile. C’est là le signe d’un
operis. habitus engendré : la délectation que donne
l’acte.
[11951] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 1. L’homme ne peut avoir aucun bien, à moins
1 Ad primum igitur dicendum, quod nullum que Dieu ne le lui donne. Mais certains [biens]
bonum potest homo habere, nisi Deus det; sed nous viennent de Dieu sans que nous y
quaedam habentur a Deo non cooperantibus coopérions, tels ceux qui sont infus ; certains,
nobis, sicut ea quae sunt infusa; et quaedam nobis avec notre coopération, tels les biens acquis ; et
cooperantibus, sicut acquisita; et quaedam certains, avec la coopération de la nature, tels les
cooperante natura, sicut naturalia. biens naturels.
[11952] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 2. Dans les actes de l’âme, il existe certains
2 Ad secundum dicendum, quod in operibus degrés, selon qu’une puissance est soumise à une
animae est quidam gradus, secundum quod una autre ; et, dans la même puissance, on peut
potentia alteri subjacet: et in eadem potentia est trouver supérieur et inférieur, selon qu’elle est en
inveniri superius et inferius, secundum quod ad rapport avec divers objets. Or, ce qui est
diversa objecta comparatur. Inferius autem natum inférieur est destiné par nature à recevoir de ce
est recipere a superiori; et ideo per operationes qui est supérieur. C’est pourquoi, par les
egredientes a ratione naturali et voluntate, in opérations issues de la raison naturelle et de la
quibus praeexistunt seminaria virtutum, acquiritur volonté, dans lesquelles préexistent des
habitus in irascibili et concupiscibili; et per semences de vertus, un habitus est acquis dans
operationem voluntatis et rationis, inquantum sunt l’irascible et dans le concupiscible. Et par
finis et principiorum primorum, acquiritur in eis, l’opération de la volonté et de la raison, en tant
quantum ad ea quae sunt ad finem, et quantum ad qu’elles portent sur la fin et sur les principes
conclusiones, habitus scientiae et virtutis; et sic premiers, sont acquis par elles, par rapport à ce
habitus acquiritur per operationem quae ab qui est en rapport avec la fin et les conclusions,
operante egreditur, secundum quam inferior pars a les habitus de la science et de la vertu. Ainsi
superiori recipit. In superiori autem parte non est l’habitus est-il acquis par l’opération, issue de
habitus, nisi vel naturalis vel infusus. celui qui agit, selon que la partie inférieure reçoit
de la [partie] supérieure. Mais, dans la partie
supérieure, il n’existe d’habitus que naturel ou
infus.
[11953] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 3. De même que les principes ont plus de valeur
3 Ad tertium dicendum, quod sicut principia sunt que les conclusions et les contiennent en
potiora conclusionibus, et virtute eas continentia, puissance, de même, les semences de vertus, qui
ita seminaria virtutum, quae sunt in suprema parte existent dans la partie supérieure de l’âme, sont-
animae, sunt digniora virtutibus, quae sunt in elles plus dignes que les vertus, qui existent dans
partibus inferioribus, et continent eas virtute: et les parties inférieures, et les contiennent-elles en
ideo operationes procedentes ex illis principiis, puissance. C’est pourquoi les opérations issues
sunt similes operibus virtutum, et possunt habitum de ces principes ressemblent aux actes des vertus
virtutis perficere; sicut ex consideratione et peuvent parfaire l’habitus de la vertu : ainsi,
1003

principiorum generatur scientia conclusionum. par l’examen des principes, la science des
conclusions est-elle engendrée.
[11954] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 2 ad 4. De même que plusieurs gouttes creuvent la
4 Ad quartum dicendum, quod sicut multae guttae pierre, dans la mesure où la dernière agit avec la
cavant lapidem, inquantum ultima agit in virtute puissance de toutes les précédentes, qui ne
omnium praecedentium, quae tantum habilitabant faisaient que préparer la matière à être creusée
materiam ad cavationem, nihil cavantes; ita ultima sans rien creuser, de même la dernière opération,
operatio agens in virtute omnium praecedentium, agissant avec la puissance de toutes les
habitum virtutis causat. précédentes, cause-t-elle l’habitus de la vertu.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11955] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 co. Comme on l’a dit, les semences de vertus qui
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod, sicut existent en nous sont l’orientation de la volonté
dictum est, seminaria virtutum quae sunt in nobis, et de la raison vers un bien qui nous est
sunt ordinatio voluntatis et rationis ad bonum connaturel. Mais comme l’homme est ordonné
nobis connaturale. Cum autem sit homo ex divina par la libéralité divine à un bien surnaturel, la
liberalitate ordinatus ad quoddam bonum gloire éternelle, des vertus proportionnées à la
supernaturale, scilicet aeternam gloriam; ex fin mentionnée ne peuvent pas être causées par
praedictis virtutum seminariis non possunt les semences de vertus dont il est question. Il est
virtutes causari fini praedicto proportionatae. donc nécessaire que les vertus qui orientent notre
Unde oportet virtutes quae vitam nostram ordinant vie vers cette fin soient causées par ce dont nous
ad finem illum, ex eo causari, ex quo est nobis vient l’inclination vers cette fin. Or, cela vient de
inclinatio in finem illum. Hoc autem est per Dei la grâce de Dieu. Il est donc nécessaire que nous
gratiam; unde oportet nos aliquas virtutes morales ayons des vertus morales infuses.
infusas habere.
[11956] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 1. La santé retrouvée par miracle n’est pas
1 Ad primum igitur dicendum, quod sanitas per ordonnée à autre chose que la santé qui vient de
miraculum restituta, non est ad aliud ordinata la nature. C’est pourquoi la santé qui vient des
quam sanitas quae fit ex natura; et ideo illis qui miracles n’est pas nécessaire pour ceux qui ont la
habent sanitatem ex naturalibus principiis, non est santé par des principes naturels. Il n’en va donc
necessaria sanitas quae est per miracula. Et ideo pas de même de la santé et des vertus infuses,
non est simile de sanitate et virtutibus infusis, qui ordonnent à autre chose que les [vertus]
quae ad aliud ordinant quam acquisitae, ut dictum acquises, comme on l’a dit.
est.
[11957] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 2. La droiture d’un acte vient de la proportion
2 Ad secundum dicendum, quod rectitudo actus par rapport à sa fin. Or, la proportion d’un acte
est ex proportione ad finem; ad diversos autem se prend diversement par rapport à diverses fins.
fines diversimode accipitur actus proportio: unde Aussi un acte droit est-il proportionné au bien
aliquis actus est rectus proportionatus bono civili, civil, qui n’est pas droit et proportionné à la
qui non est rectus proportionatus gloriae aeternae: gloire éternelle. Il est donc nécessaire qu’il existe
unde oportet quod sint aliae virtutes infusae, quae d’autres vertus infuses, qui rendent les actes
faciant actus rectos ex proportione ad finem. droits en vertu d’une proportion par rapport à la
fin.
[11958] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 3. Les vertus infuses et les [vertus] acquises ne
3 Ad tertium dicendum, quod virtutes infusae et se trouvent dans l’irascible et dans le
acquisitae non sunt in irascibili et concupiscibili concupiscible que dans la mesure où ceux-ci
nisi secundum quod participant aliqualiter participent en acte à la raison. De ce point de
rationem: et ex hac parte non habent vue, elles ne dépendent pas d’un organe
dependentiam ab organo corporali, sed corporel, mais elles sont maintenues sous l’esprit
continentur sub mente, sicut et sub ratione, et sous la raison, dans la mesure où elles y
inquantum ipsam participant. participent.
1004

[11959] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 3 ad 4. Le comportement (mos), pour autant qu’on
4 Ad quartum dicendum, quod mos secundum désigne par là la vertu morale, comporte une
quem dicitur moralis virtus, importat inclination de l’appétit à faire le bien ou le mal.
inclinationem quamdam appetitus ad bonum vel Et parce que cette inclination vient souvent de
malum faciendum. Et quia haec inclinatio l’habitude, le comportement (mos) ainsi désigné
frequenter est ab assuefactione, ideo mos sic vient de (mœurs), pour autant qu’elles
dictus, a more prout consuetudinem importat, comportent une habitude. Or, l’inclination en
descendit. Sed dicta inclinatio non semper est ab question ne vient pas toujours de l’habitude,
assuefactione, sed quandoque a natura, sicut mais parfois de la nature : ainsi parle-t-on du
dicuntur mores brutorum in 8 de animalibus, vel comportement (mores) des animaux sans raison,
etiam ex Dei dono; et sic virtutes infusae morales dans Sur les animaux, VIII. [Cette inclination
dici possunt. vient] aussi d’un don de Dieu. Et ainsi peuvent
être désignées les vertus morales infuses.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[11960] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 co. Les vertus acquises et les [vertus] infuses
Ad quartam quaestionem dicendum, quod virtutes diffèrent selon l’espèce : la force de la force, la
acquisitae et infusae differunt specie, scilicet tempérance de la tempérance, et ainsi des autres.
fortitudo a fortitudine, et temperantia a En effet, comme on l’a dit, les fins jouent le rôle
temperantia, et sic de aliis: quia, ut dictum est, de principes en matière d’actions à poser. Or, s’il
fines sunt sicut principia in operativis. Si autem existait une science qui ne pouvait être ramenée
esset aliqua scientia quae non posset reduci ad aux principes naturellement connus, elle ne serait
principia naturaliter cognita, non esset ejusdem pas de la même espèce que les autres sciences et
speciei cum aliis scientiis, nec univoce scientia elle ne serait pas appelée une science de manière
diceretur. Unde cum fines virtutum infusarum non univoque. Puisque les fins des vertus infuses ne
praeexistant in seminariis naturalibus virtutum, préexistent pas dans les semences naturelles des
sed naturam humanam excedant; oportet quod vertus, mais dépassent la nature humaine, il est
virtutes infusae a virtutibus acquisitis, quae ab donc nécessaire que les vertus infuses diffèrent
illis seminariis procedunt, differant specie. Unde selon l’espèce des vertus acquises, qui
et in alia vita hominem perficiunt, acquisitae proviennent de ces semences. Aussi
quidem in vita civili, infusae in vita spirituali, perfectionnent-elles l’homme pour une autre
quae est ex gratia, secundum quam homo vie : les vertus acquises pour la vie civile, les
virtuosus est membrum Ecclesiae. vertus infuses pour la vie spirituelle, qui vient de
la grâce, selon que l’homme vertueux est
membre de l’Église.
[11961] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 1. L’effet proportionné à l’agent diffère selon
1 Ad primum igitur dicendum, quod effectus l’espèce selon la diversité de l’agent. Aussi les
proportionatus agenti differt specie secundum animaux engendrés d’une semence et de la
diversitatem agentis: unde animalia generata ex putréfaction ne sont-ils pas de la même espèce.
semine et ex putrefactione non sunt ejusdem Or, bien que la puissance divine s’exerce sur
speciei. Virtus autem divina, quamvis possit super tous les effets et les dépasse infiniment, il existe
omnes effectus, et in infinitum eos excedat, tamen cependant certains effets qui ne peuvent exister
aliqui effectus sunt qui non possunt esse nisi ex que par la puissance divine ; de tels effets ne sont
virtute divina; et tales effectus non sunt pas proportionnés à d’autres [causes]. Ces effets
proportionati aliis. Unde tales effectus differunt diffèrent donc selon l’espèce des effets qui
specie ab illis effectibus qui etiam ab aliis causis peuvent aussi être produits par d’autres causes,
produci possunt, quamvis et divina virtus illos bien que la puissance divine puisse les produire.
possit producere.
[11962] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 2. Bien que l’acte de la vertu acquise et celui de
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit idem la [vertu] infuse soient le même matériellement,
actus virtutis acquisitae et infusae materialiter, ce n’est cependant pas le même acte
1005

non tamen est idem actus formaliter: quia per formellement, car, par la vertu acquise, les
virtutem acquisitam collimitantur circumstantiae circonstances sont confinées à une proportion au
secundum proportionem ad bonum civile, sed per bien civil ; mais, par la vertu infuse, à une
virtutem infusam secundum proportionem ad proportion au bien de la gloire éternelle. Aussi
bonum aeternae gloriae: unde etiam aliquid quelque chose de superflu selon la vertu civile
superfluum secundum virtutem civilem est est-il modéré selon la vertu infuse, comme le fait
moderatum secundum virtutem infusam, sicut pour l’homme de jeûner et de s’offrir
quod homo jejunet, et se voluntarie morti offerat volontairement à la mort pour la défense de la
propter defensionem fidei. foi.
[11963] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 3. Sauf le fait d’être méritoires, elles ne diffèrent
3 Ad tertium dicendum, quod penes hoc quod est selon l’espèce que dans la mesure où les vertus
esse meritorium, non differunt specie, nisi infuses sont plus rapprochées du mérite en raison
inquantum virtutes acquisitae sunt magis de la fin à laquelle elles sont ordonnées.
propinquae ad meritum propter finem ad quem
ordinantur.
[11964] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 2 qc. 4 ad 4. Bien que la fin ultime n’apporte pas l’identité
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis finis selon l’espèce, elle apporte cependant une
ultimus non faciat identitatem in specie, facit diversité, comme la diversité de genre apporte la
tamen diversitatem, sicut generis diversitas facit diversité de l’espèce. Il faut cependant savoir que
diversitatem in specie. Tamen sciendum, quod la relation actuelle à une fin éloignée ne cause
relatio actualis ad remotum finem non facit pas ladite différence, mais la relation qui existait
praedictam differentiam, sed originalis relatio ad à l’origine par rapport à elle, à savoir, selon
ipsum, secundum scilicet quod ex diversitate finis qu’une proportion différente est apportée à l’acte
fit diversa proportio in actu et habitu. et à l’habitus.

Articulus 3 [11965] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 Article 3 – Les vertus morales consistent-elles
a. 3 tit. Utrum virtutes morales consistant in dans un milieu ?
medio
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Les vertus morales
consistent-elles dans un milieu ?]
[11966] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 1. Il semble que les vertus morales ne consistent
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod pas dans un milieu. En effet, dans rien de ce qui
virtutes morales non consistant in medio. In nullo est indivisible, on ne conçoit un milieu et des
enim indivisibili est accipere medium et extrema. extrêmes. Or, les passions et les opérations, sur
Sed passiones et operationes, circa quas sunt lesquelles portent les vertus morales, sont
virtutes morales, sunt indivisibiles. Ergo non sunt indivisibles. Elle ne se situent donc pas dans un
in medio. milieu.
[11967] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 2. Le milieu est équidistant des extrêmes. Or,
arg. 2 Praeterea, medium aequaliter distat ab certaines vertus s’approchent davantage d’un
extremis. Sed quaedam virtutes plus extrême que de l’autre, comme le fort ressemble
appropinquant uni extremo quam alteri, sicut davantage à l’audacieux qu’au timide, comme le
fortis plus assimilatur audaci quam timido, ut dicit dit le Philosophe dans Éthique, III. Les vertus
philosophus in 3 Ethic. Ergo virtutes morales non morales ne se situent donc pas dans un milieu.
sunt in medio.
[11968] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 3. Le milieu et l’extrême ne sont pas la même
arg. 3 Praeterea, non est idem medium et chose. Or, la vertu est un extrême, car elle est le
extremum. Sed virtus est extremum, quia est point ultime d’une puissance, comme il est dit
ultimum potentiae, ut dicitur in 1 caeli et mundi. dans Sur le ciel et le monde, I. Elle ne se situe
Ergo non est in medio. donc pas dans un milieu.
[11969] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 4. Chaque fois que le bien consiste dans un
1006

arg. 4 Praeterea, quandocumque bonum consistit milieu, le mal consiste dans quelque chose
in medio, malum consistit in extremo, ad minus d’extrême, au moins dans un [extrême] ; ainsi,
uno; sicut in castitate quantumcumque homo pour la chasteté, chaque fois que l’homme
abstineat a venereis, non peccat: similiter et in s’abstient des plaisirs sexuels, il ne pèche pas ;
magnanimitate, quae est extremum in de même pour la magnanimité, qui est le point
magnitudine, inquantum ad maxima tendit: extrême de la grandeur, dans la mesure où elle
similiter etiam in veritate, quia non potest homo tend à ce qu’il y a de plus grand ; de même aussi
nimis verum dicere. Ergo videtur quod bonum pour la vérité, car l’homme ne peut pas dire trop
virtutis non consistat in medio. la vérité. Il semble donc que le bien de la vertu
ne consiste pas dans un milieu.
[11970] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 5. Si la vertu est un milieu, elle n’est que le
arg. 5 Praeterea, si virtus sit medium, non est milieu entre deux vices. Or, il existe une vertu
medium nisi inter duo vitia. Sed aliqua virtus est qui ne se situe pas entre deux vices : la justice,
quae non est inter vitia, sicut justitia; quia si plura car si elle prend trop, elle pèche, mais s’il lui est
accipiat, peccat; si minus autem ei detur, non moins donné, elle ne pèche pas. Toute vertu
peccat. Ergo non omnis virtus moralis consistit in morale ne consiste donc pas dans un milieu.
medio.
[11971] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. Cependant, [1] ce que dit le Philosophe dans
c. 1 Sed contra, est quod dicit philosophus in 2 Éthique, II, va en sens contraire.
Eth.
[11972] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 s. [2] Le rapport de l’art avec l’objet à réaliser est
c. 2 Praeterea, sicut se habet ars ad factibilia, ita le même que celui de la vertu avec ce qui doit
se habet virtus ad agibilia. Sed ars corrumpitur ex être accompli. Or, l’art est corrompu par quelque
superfluo et diminuto. Ergo et virtus: ergo est in chose de superflu et d’amoindri. Donc, la vertu
medio. aussi. Elle se situe donc dans un milieu.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Existe-t-il un milieu objectif
(medium rei) dans la justice ?]
[11973] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 1. Il semble qu’il n’existe pas de milieu objectif
arg. 1 Ulterius. Videtur quod in justitia non sit dans la justice. En effet, la définition du genre
medium rei. Definitio enim generis debet salvari doit être préservée dans chacune des espèces. Or,
in qualibet specierum. Sed in definitione virtutis dans la définition de la vertu, on met qu’il existe
ponitur quod est medium secundum rationem. un milieu selon la raison. Dans la justice, il
Ergo in justitia est medium rationis, et non existe donc un milieu de la raison, et non un
medium rei. milieu objectif.
[11974] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 2. On dit que, pour les autres vertus, il existe un
arg. 2 Praeterea, propter hoc in aliis virtutibus milieu de la raison parce que le milieu est
dicitur esse medium rationis et non medium rei, diversement déterminé selon les conditions
quia diversimode determinatur medium secundum diverses ; ainsi, ce qui est trop manger pour l’un
diversas conditiones; sicut aliquid est multum ad n’est pas trop manger pour un autre. Or, une
comedendum uni, quod non est multum ad condition diverse est respectée dans la justice,
comedendum alteri. Sed diversa conditio etiam car la justice distributive n’attribue pas
observatur in justitia: quia justitia distributiva non également à tous, mais à chacun selon qu’il en
aequaliter tribuit omnibus, sed unicuique est digne. De même aussi, dans la justice
secundum quod dignus est: similiter etiam in commutative, celui qui frappe une personne
commutativa non tantum punitur qui percutit privée n’est pas puni autant que celui qui frappe
privatum hominem quantum qui percutit un dirigeant. Il n’existe donc pas de milieu
principem. Ergo in justitia non est medium rei, objectif dans la justice, pas davantage que pour
sicut nec in aliis virtutibus. les autres vertus.
[11975] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 3. Il faut concevoir le milieu de la vertu comme
arg. 3 Praeterea, in illo accipiendum est medium ce qui est rectifié et perfectionné par la vertu. Or,
1007

virtutis quod per virtutem rectificatur et perficitur. la fin des vertus n’est pas la rectification d’une
Sed finis virtutum non est rectificatio rei chose extérieure, mais celle de celui qui agit
exterioris, sed operantis secundum rationem: quia selon la raison, car l’eupraxia, c’est-à-dire le
eupraxia, idest bona operatio, est finis in omnibus bien agir, est la fin de toutes les vertus, comme le
virtutibus, ut dicit philosophus in 6 Eth. Ergo non dit le Philosophe dans Éthique, VI. Il n’y a donc
est ibi rei medium, sed rationis tantum. pas là de milieu objectif, mais [un milieu] selon
la raison seulement.
[11976] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. Cependant, [1] le moyen qui se prend de la
c. 1 Sed contra, medium quod accipitur secundum proportion entre deux choses est un milieu
proportionem rei ad rem, est medium rei. Sed objectif . Or, le milieu de la justice se prend de la
medium justitiae accipitur secundum proportion entre deux choses : géométrique, pour
proportionem rei ad rem, ut geometricam in la justice distributive, ou arithmétique, pour la
justitia distributiva, vel arithmeticam in justice commutative, comme le dit le Philosophe
commutativa, ut dicit philosophus in 5 Ethic. Ergo dans Éthique, V. Il y a donc là un milieu objectif.
est ibi medium rei.
[11977] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 s. [2] La justice est une certaine égalité. Or,
c. 2 Praeterea, justitia est aequalitas quaedam. Sed l’égalité est un milieu objectif entre le plus et le
aequalitas est etiam secundum rem medium inter moins. Il existe donc un milieu objectif dans la
plus et minus. Ergo etiam in justitia est medium justice.
rei.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Existe-t-il un milieu dans les
vertus intellectuelles ?]
[11978] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 1. Il semble qu’il n’y ait pas de milieu pour les
arg. 1 Ulterius. Videtur quod in virtutibus vertus intellectuelles. En effet, pour les passions,
intellectualibus non sit medium. Medium enim le milieu se prend selon sa mesure par rapport à
accipitur in passionibus, secundum quod la raison. Or, pour les vertus intellectuelles, on
mensuratur ad rationem. Sed in virtutibus ne conçoit pas quelque chose de plus élevé par
intellectualibus non est accipere aliquid superius rapport à quoi elles seraient mesurées. On ne
ad quod mensurentur. Ergo in eis non est accipere conçoit donc pas de milieu pour elles.
medium.
[11979] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 2. Le milieu de la vertu se situe entre des
arg. 2 Praeterea, medium virtutis est inter passions contraires. Or, pour les [vertus]
contrarias passiones. Sed in intellectualibus non intellectuelles, il n’exise pas de passions
sunt contrariae passiones: quia rationes contraires, car les notions des contraires qui se
contrariorum in intellectu non sunt contrariae. trouvent dans l’intellect ne sont pas contraires.
Ergo in intellectualibus virtutibus non est accipere On ne peut donc concevoir de milieu pour les
medium. vertus intellectuelles.
[11980] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 3. Partout où l’on conçoit un milieu, il faut
arg. 3 Praeterea, ubicumque est accipere medium, concevoir des extrêmes, qui corrompent le
est accipere extrema, quae corrumpunt medium. milieu. Or, pour l’intellect, on ne peut concevoir
Sed in intellectu non est accipere extrema d’extrêmes qui corrompent le milieu, car
corrumpentia medium: quia intellectus non l’intellect n’est corrompu ni par un grand
corrumpitur neque ex magno intelligibili neque ex intelligible ni par un petit, comme on le dit dans
parvo, ut dicitur in 3 de anima. Ergo in virtutibus Sur l’âme, III. Il n’y a donc pas de milieu pour
intellectualibus non est medium. les vertus intellectuelles.
[11981] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. Cependant, [1] dans les vertus morales, on ne
c. 1 Sed contra, in virtutibus moralibus non trouve de milieu que selon leur participation à la
invenitur medium nisi secundum quod participant raison droite. Or, la raison droite se trouve
rationem rectam. Sed ratio recta per prius davantage dans les [vertus] intellectuelles que
invenitur in intellectualibus quam in moralibus. dans les vertus morales. Le milieu est donc plus
1008

Ergo verius est medium in intellectualibus quam vrai dans les vertus intellectuelles que dans les
in moralibus. [vertus] morales.
[11982] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 s. [2] L’art est une vertu intellectuelle, comme cela
c. 2 Praeterea, ars est intellectualis virtus, ut patet ressort d’Éthique, VI. Or, dans Éthique, II, le
in 6 Ethic. Sed philosophus in 2 Ethic., per Philosophe prouve le milieu de la vertu par le
medium artis probat medium virtutis. Ergo virtus milieu de l’art. La vertu intellectuelle comporte
intellectualis habet medium. donc un milieu.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Les vertus théologales ont-
elles un milieu ?]
[11983] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 1. Il semble que même les vertus théologales
arg. 1 Ulterius. Videtur quod etiam theologicae aient un milieu. En effet, pour les vertus morales,
virtutes medium habeant. In moralibus enim il existe un milieu selon que leur actes viennent
virtutibus est medium, secundum quod earum de la raison droite. Or, les actes des vertus
actus ex ratione recta procedunt. Sed virtutum théologales ne vont pas contre la raison. Ils se
theologicarum actus non sunt contra rationem. situent donc dans un milieu.
Ergo sunt in medio.
[11984] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 2. L’espérance est le milieu entre la présomption
arg. 2 Praeterea, spes est medium inter et le désespoir. Or, l’espérance est une vertu
praesumptionem et desperationem. Sed spes est théologale. Les vertus [théologales] sont donc un
virtus theologica. Ergo virtutes sunt medium inter milieu entre des vices.
vitia.
[11985] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 3. La foi suit un milieu entre deux hérésies, à
arg. 3 Praeterea, fides vadit media inter duas savoir, celles de Nestorius et d’Eutychès. Or, la
haereses, scilicet Nestorii et Eutychis. Sed fides foi est une vertu théologale. Les vertus
est virtus theologica. Ergo virtutes theologicae in théologales se situent donc dans un milieu.
medio consistunt.
[11986] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 s. Cependant, [1] Bernard dit que « la mesure de
c. 1 Sed contra, Bernardus dicit, quod modus la charité est qu’elle n’a pas de mesure ». Or, on
caritatis est non habere modum. Sed virtutes dit que les vertus se situent au milieu pour autant
dicuntur in medio esse, inquantum sunt qu’elles sont mesurées. La charité ne se situe
modificatae. Ergo caritas non est in medio, et donc pas dans un milieu et, pour la même raison,
eadem ratione nec aliae duae. les deux autres non plus.
[11987] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 s. [2] Là où il n’arrive jamais qu’on rende ce qui
c. 2 Praeterea, ubi nunquam contingit aequale est égal, là ne peut exister de superflu. Or, en ce
reddere, ibi non potest esse superfluum. Sed in qui concerne Dieu, il n’arrive jamais qu’on rende
illis quae sunt ad Deum, non contingit aequale ce qui est égal, comme même le Philosophe le dit
reddere, ut etiam philosophus in 8 Ethic. dicit. dans Éthique, VIII. Il n’y a donc pas de superflu
Ergo non contingit superfluum in virtutibus dans les vertus théologales, qui ont Dieu pour
theologicis, quae Deum habent pro objecto, objet, et ainsi elles ne se situent pas dans un
accipere, et ita non sunt in medio. milieu.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[11988] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Toutes les vertus morales se situent dans un
Respondeo ad primam quaestionem dicendum, milieu. En effet, les vertus morales portent sur
quod omnes virtutes morales in medio constitutae les passions et les opérations, qu’il faut diriger
sunt. Virtutes enim morales sunt circa passiones et selon la règle de la raison. Or, dans tout ce qui
operationes, quas oportet dirigere secundum est soumis à une règle, la droiture consiste en ce
regulam rationis. In omnibus autem regulatis que cela soit égal à la règle. Or, l’égalité est un
consistit rectum, secundum quod regulae milieu entre le plus et le moins. C’est pourquoi il
aequantur; aequalitas autem media est inter majus est nécessaire que la droiture de la vertu se situe
et minus; et ideo oportet quod rectum virtutis au milieu de ce qui dépasse la droite mesure de
1009

consistat in medio ejus quod superabundat, et ejus la raison et de ce qui lui manque
quod deficit a mensura rationis recta.
[11989] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1. Les actions et les passions, bien qu’elles soient
1 Ad primum ergo dicendum, quod actiones et indivisibles par essence, sont cependant
passiones quamvis sint indivisibiles per divisibles par accident, soit selon l’intensité,
essentiam, sunt tamen per accidens divisibiles, vel selon le temps, selon le lieu, selon les objets ou
secundum intensionem, vel secundum tempus, vel selon quelque chose de ce genre. C’est pourquoi
secundum locum, vel secundum objecta, vel il faut aussi concevoir un milieu pour elles.
secundum aliquid hujusmodi; et ideo etiam
secundum hoc est in eis medium accipere.
[11990] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2. On conçoit un milieu pour quelque chose de
2 Ad secundum dicendum, quod medium deux manières. Premièrement, par comparaison
accipitur in aliquo dupliciter. Uno modo ex avec les extrêmes de la même chose, comme le
comparatione ad extrema ejusdem rei, sicut milieu par rapport au cercle : il faut qu’un tel
medium in circulo; et tale medium oportet quod milieu soit à égale distance des extrêmes.
aeque distet ab extremis. Alio modo ex Deuxièmement, par comparaison avec une règle
comparatione ad aliquam regulam extra; et tunc extérieure : il n’est pas alors nécessaire que le
non oportet quod medium aeque distet ab milieu soit à égale distance des extrêmes, mais
extremis, sed quod aequetur regulae: sicut patet qu’il soit égal à la règle, comme il est clair que
quod quando secatur lignum ad aliquam regulam, lorsqu’on coupe du bois selon une certaine règle,
non semper tantum aufertur quantum dimittitur: et on n’en enlève pas toujours autant qu’on en
tale medium est medium virtutis moralis, quae rejette. C’est un tel milieu qu’est le milieu de la
habet rectam rationem pro regula: unde vertu morale : il a comme règle la raison droite.
quandoque appropinquat plus uni extremo quam Aussi est-il parfois plus proche d’un extrême que
alteri, secundum quod competit rationi rectae. de l’autre, selon que cela convient à la raison
droite.
[11991] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3. La vertu est un point extrême pour ce qui est
3 Ad tertium dicendum, quod virtus est extremum contraire entre le bien et le mal, car le bien de
quo ad contrarietatem boni et mali: quia bonum l’homme consiste dans la raison, et ainsi dans un
hominis in ratione consistit, et ita in extremo point extrême d’égalité par rapport à la raison.
aequalitatis ad rationem; sed quantum ad Mais, pour ce qui est des aspects contraires sur
contrarietates circa quas est, virtus est in medio, lesquels elle porte, la vertu se situe au milieu,
sicut dicit philosophus in 2 Ethic. comme le dit le Philosophe dans Éthique, II.
[11992] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4. Le milieu de la vertu est préservé selon un
4 Ad quartum dicendum, quod medium virtutis égal rapport à la raison de toutes les
salvatur secundum adaequationem omnium circonstances prises simultanément. Or, il arrive
circumstantiarum simul ad rationem. Contingit pour certaines vertus que, l’égalité existant pour
autem in aliquibus virtutibus, quod adaequatis toutes les autres circonstances, un extrême ne
omnibus aliis circumstantiis, non potest accipi puisse être saisi pour une autre chose, car le
extremum in altero: quia superfluum non potest superflu ne peut être saisi dans cette-chose que
accipi in illo nisi ex comparatione aliarum par comparaison avec les autres circonstances,
circumstantiarum, sicut in veritatis virtute patet: comme cela ressort pour la vertu de vérité, car
quia non potest homo nimis verum dicere, salvato l’homme ne peut dire quelque chose de trop vrai,
quod dicat verum quod debet, et quando et ubi et étant sauf qu’il dise la vérité qu’il doit [dire], et
cui et ceteris. Sed superfluum in hac circumstantia au moment, à l’endroit, à un tel, etc. Mais le
accipitur secundum excessum in aliis: qui enim superflu se prend dans cette circonstance selon
dicit verum quod non oportet, etiam nimis verum l’excès dans les autres. En effet, celui qui dit une
dicit. Et similiter etiam in magnanimitate est vérité qu’il ne doit pas [dire] dit quelque chose
ratione quanti, et similiter etiam in castitate: quia de trop vrai. De même en est-il pour la
non potest homo nimis abstinere, dummodo magnanimité en raison de la quantité, et de
1010

salventur aliae circumstantiae. même encore pour la chasteté, car l’homme ne


peut trop s’abstenir, pourvu que les autres
circonstances soient sauvegardées.
[11993] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5. La vertu est appelée un milieu de deux
5 Ad quintum dicendum, quod virtus dicitur manières. Premièrement, en raison de la matière
medium dupliciter. Uno modo ratione materiae sur laquelle elle porte, pour autant qu’elle la rend
circa quam est, inquantum adaequat eam rationi égale à la raison droite. Cela convient à toute
rectae; et hoc per se convenit omni virtuti morali; vertu morale, et ainsi elle est un milieu par
et sic est medium per participationem partitipation aux extrêmes. Deuxièmement, elle
extremorum. Alio modo dicitur medium ratione est appelée un milieu en raison de l’habitus, pour
habitus, inquantum scilicet habitus virtutis est autant que l’habitus de la vertu est un milieu
medium inter habitus duarum malitiarum; et hoc entre les habitus de deux méchancetés. Cela est
est medium per abnegationem extremorum; et hoc un milieu par négation des extrêmes, et cela se
accidit virtuti, nec oportet quod sit in omnibus produit pour la vertu. Mais il n’est pas nécessaire
virtutibus; et propter hoc non oportet quod que ce soit le cas pour toutes les vertus. Pour
justitiae habitus sit medius inter duas malitias, ut cette raison, il n’est pas nécessaire que l’habitus
in 5 Ethic. dicitur, sed quod medium attingat in de la justice soit le milieu entre deux
materia sua. méchancetés, comme il est dit dans Éthique, V,
mais qu’elle atteigne le milieu dans sa matière.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[11994] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 co. Pour la justice, il est nécessaire qu’existe non
Ad secundam quaestionem dicendum, quod in seulement un milieu selon la raison (medium
justitia oportet esse non solum medium rationis, rationis), mais un milieu objectif (medium rei).
sed etiam rei: cujus ratio est, quia justitia est circa La raison en est que la justice porte sur des
operationes, et secundum ordinem ad alterum; opérations dans leur rapport à quelqu’un d’autre.
unde illum ad quem sunt operationes justitiae, Aussi prennent-elles comme règle celui envers
accipiunt quasi regulam. Et ideo sicut passiones qui sont faites les opérations de la justice. C’est
circa quas sunt aliae virtutes oportet quod pourquoi, de même qu’il est nécessaire que les
aequentur rationi; ita oportet quod operationes passions sur lesquelles portent les autres vertus
circa quas est justitia, adaequentur illi ad quem est soient égales à la raison, de même est-il
justitia; quod non potest esse, nisi secundum rem nécessaire que les opérations sur lesquelles porte
tantum reddatur quantum ei debetur; et ideo ibi est la justice soient égales à celui envers qui existe
medium rei. Sed inter aliquos duos potest la justice, ce qui ne peut exister à moins qu’il ne
constitui aequalitas dupliciter. Uno modo lui soit objectivement (secundum rem) rendu
secundum quod utrisque aliquid reddendum est; et autant qu’il lui est dû. C’est pourquoi il y a là un
in hoc constituit ei aequalitatem justitia milieu objectif. Or, entre deux personnes,
distributiva, quae non dat aequale utrique l’égalité peut être réalisée de deux manières.
secundum quantitatem, sed secundum Premièrement, selon que quelque chose doit être
proportionem, quia utrique dat quantum sibi rendu aux deux : c’est en cela que la justice
debetur; et ideo medium in justitia distributiva distributive réalise pour eux l’égalité de la
dicitur esse secundum proportionabilitatem justice, qui ne donne pas également aux deux en
geometricam, in qua salvatur eadem proportio, quantité, mais selon une proportion, car elle
sed non eadem quantitas; sicut sex est medium donne aux deux autant qu’il leur est dû. Aussi
inter quatuor et novem: quia in qua proportione se dit-on que le milieu, dans la justice distributive,
habet ad quatuor, scilicet in sesquialtera, in ipsa se existe selon une proportionnalité géométrique,
habet novem ad ipsum; quamvis novem excedant par laquelle est sauvegardée la même proportion,
sex in tribus, et sex quatuor in duobus. Alio modo mais non la même quantité. Ainsi, six est le
constituitur aequalitas justitiae inter aliquos, milieu entre quatre et neuf, car son rapport de
inquantum unus debet recipere ab alio propter hoc proportion avec quatre, une fois et demie, est le
quod ille prius recipit ab isto: et ad hoc est justitia même que celui que neuf a par rapport à lui, bien
1011

commutativa. Et quia tantum debet secundum que l’écart entre neuf et six soit de trois unités,
quantitatem aliquis ab altero recipere quantum ei et, entre six [et quatre], de deux unités.
tribuit, ideo in hac specie justitiae salvatur Deuxièmement, l’égalité de la justice est établie
medium secundum proportionem arithmeticam, in entre certains pour autant que l’un doit recevoir
qua salvatur eadem quantitas; sicut tria est d’un autre ce que celui-ci a d’abord reçu de
medium inter quatuor et duo, quia utrinque est celui-là : c’est ce sur quoi porte la justice
excessus in unitate. distributive. Et parce que quelqu’un doit recevoir
d’un autre en quantité autant qu’il lui a donné,
dans cette espèce de justice, le milieu est
sauvegardé selon une proportion arithmétique,
par laquelle est préservée la même quantité.
Ainsi, trois est le milieu entre quatre et deux, car
il existe un écart d’une unité par rapport aux
deux.
[11995] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1. Dans la justice, il existe un milieu de la raison,
1 Ad primum igitur dicendum, quod in justitia est qui est aussi le même que le milieu objectif.
medium rationis, quod et idem est medium rei.
[11996] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2. Pour la justice, on ne prend pas en compte la
2 Ad secundum dicendum, quod in justitia non condition de la personne, sauf dans la mesure où
consideratur conditio personae, nisi inquantum ex la quantité objective varie selon les conditions de
conditionibus personae variatur quantitas rei. Qui la personne. En effet, celui qui frappe un
enim percutit principem, majorem offensam facit; dirigeant perpètre une offense plus grande ; il
et ideo plus debet puniri. Et similiter etiam patet doit donc être puni davantage. De même, il est
in justitia distributiva, quod diversitas personarum clair que, dans la justice distributive, la diversité
in diversitatem rei redundat. des personnes rejaillit sur la diversité objective.
[11997] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3. Pour la justice, la rectification de l’opération
3 Ad tertium dicendum, quod in justitia incidit in et la rectification objective sont la même chose.
idem rectificatio operationis et rectificatio rerum,
ut dictum est.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[11998] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 co. Le bien des vertus intellectuelles consiste en ce
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod bonum que le vrai soit exprimé. Or, la vérité consiste
virtutum intellectualium consistit in hoc quod dans un certain ajustement de l’intellect et de la
verum dicatur. Veritas autem consistit in quadam parole à la réalité. Et parce que l’égalité est le
adaequatione intellectus et vocis ad rem. Et quia milieu entre ce qui est plus grand et ce qui est
aequalitas est medium inter majus et minus, ideo moins grand, il est donc nécessaire que le bien de
oportet quod bonum virtutis intellectualis in la vertu intellectuelle consiste dans un milieu, à
medio consistat, ut scilicet dicatur de re hoc quod savoir qu’on dise d’une chose ce qu’elle est.
est. Si autem excedat vel in plus vel in minus, erit Mais si on s’en écarte en plus ou en moins, ce
falsum; quod se habet ad virtutes intellectuales, sera faux, ce qui est pour les vertus
sicut vitium ad morales; et hoc inquantum intellectuelles comme le vice pour les vertus
intellectus absolute considerat; inquantum vero de morales. Cela est le cas lorsque l’intellect
uno in aliud discurrit, accipitur medium non examine de manière absolue. Mais lorsqu’il
solum secundum commensurationem ad rem, sed passe (discurrit) d’une chose à une autre, le
secundum commensurationem conclusionum ad milieu se prend non seulement selon la
principia, vel eorum quae sunt ad finem in proportion par rapport à une chose, mais selon la
operativis. proportion des conclusions par rapport aux
principes ou, pour les actions, par rapport à ce
qui se rapporte à la fin.
[11999] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1. Comme le dit le Philosophe dans
1012

1 Ad primum igitur dicendum, quod, sicut dicit Métaphysique, X, « la mesure de notre intellect
philosophus in 10 Metaph., mensura intellectus est la réalité ». Sa droiture vient donc de son
nostri est res; et ideo secundum quod adaequatur ajustement à la réalité. Néanmoins, les principes
rei, est rectum ipsius. Nihilominus et principia sont aussi la règle des conclusions, et celui qui
sunt regula conclusionum, et intelligens est intellige est, d’une certaine manière, la règle des
quodammodo regula principiorum. principes.
[12000] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 2. Le caractère contraire des passions s’approche
2 Ad secundum dicendum, quod contrarietas du milieu de la vertu morale. Ainsi, dans le cas
passionum accedit ad medium virtutis moralis; de la colère, qui n’a pas de passion opposée, le
unde circa iram, quae non habet passionem milieu de la vertu morale se prend-il selon le
oppositam, est medium virtutis moralis secundum plus et le moins de la passion elle-même.
plus et minus in ipsa eadem passione.
[12001] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 3 ad 3. Les extrêmes pour les vertus intellectuelles ne
3 Ad tertium dicendum, quod extrema in se conçoivent pas selon un objet intelligible
virtutibus intellectualibus non accipiuntur grand et petit, mais l’extrême en plus existe
secundum magnum et parvum intelligibile: sed lorsqu’on attribue à une chose ce qui ne s’y
extremum in plus est, quando attribuitur aliquid trouve pas, et l’extrême en moins, lorsqu’on lui
alicui quod non inest ei; extremum autem in enlève ce qui s’y trouve. Or, la fausseté survient
minus, quando removetur ab eo quod ei inest. des deux manières. Mais [il y a] vérité lorsqu’on
Utroque autem modo falsum contingit; verum dit que se trouve dans une chose ce qui y existe,
autem, quando dicitur inesse quod inest, aut non ou que ne s’y trouve pas ce qui n’y existe pas. Et
inesse quod non inest; et haec extrema ces extrêmes ne corrompent pas la substance,
corrumpunt non substantiam, sed veritatem mais la vérité de l’intelligence.
intellectus.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[12002] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 co. Le milieu pour toutes les vertus qui ont un milieu
Ad quartam quaestionem dicendum, quod vient de ce que la vertu atteint dans sa matière
medium in omnibus virtutibus quae habent propre ce qui est égal et une mesure adéquate.
medium, accipitur ex hoc quod virtus attingit in Donc, s’il existait une vertu qui avait sa propre
materia propria illud quod est aequale, et mesure comme matière propre, il n’y aurait pas
competens mensura. Unde si esset aliqua virtus là d’extrêmes ni de milieu, mais le bien de cette
quae haberet mensuram ipsam pro materia, non vertu consisterait simplement à atteindre cette
essent ibi extrema nec medium; sed bonum illius mesure, comme si la matière d’une vertu était la
virtutis esset simpliciter attingere mensuram vérité. Or, la première mesure de toutes choses
illam, sicut si alicujus virtutis materia esset est Dieu lui-même, comme même le Philosophe
veritas. Omnium autem prima mensura est ipse le dit dans Métaphysique, X. Aussi les vertus
Deus, sicut etiam ipse philosophus, in 10 Metaph., théologales, qui ont Dieu pour objet, lui qui est
dicit. Unde virtutes theologicae, quae habent la fin ultime à partir de qui toutes choses sont
Deum pro objecto, qui est ultimus finis, a quo mesurées, ne peuvent-elles donc posséder la
omnia mensurantur, non possunt habere rationem raison de milieu, puisqu’on ne peut concevoir
medii, cum in materia illa non sit accipere d’extrêmes en cette matière. Dans le cas aussi de
extrema: sicut etiam in his quae conjuncta sunt ce qui est uni à une fin mauvaise, on ne peut
malo fini, non potest accipi medium. concevoir de milieu.
[12003] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 1. La raison droite ne consiste pas en ce que,
1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio recta non dans cette matière, soient evités les extrêmes,
est ad hoc quod in materia illa vitentur extrema, in alors qu’un superflu ne peut exister en elle.
qua superfluum esse non potest.
[12004] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 2. La foi est une vertu théologale pour autant
2 Ad secundum dicendum, quod fides est virtus qu’elle adhère à la Vérité première. De ce point
theologica, inquantum adhaeret primae veritati; et de vue, il ne peut exister de milieu en elle (en
1013

ex hac parte non potest in ipsa medium esse (non effet, elle ne peut trop adhérer à Dieu). Mais, du
enim potest nimis Deo adhaerere): sed ex parte point de vue où elle affirme ou nie quelque chose
illa qua aliquid affirmat vel negat veritati primae en adhérant à la Vérité première, il existe un
adhaerens, ibi est medium, quia secundum hoc milieu, car, sous cet aspect, elle a une
habet similitudinem cum virtutibus ressemblance avec les vertus intellectuelles.
intellectualibus.
[12005] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 3 qc. 4 ad 3. L’espérance ne comporte pas de milieu selon
3 Et similiter dicendum ad tertium, quod spes non qu’elle adhère à Dieu, mais [elle en comporte]
habet medium, secundum quod Deo adhaeret, sed du point de vue de son sujet.
ex parte subjecti.

Articulus 4 [12006] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 Article 4 – Les vertus morales demeurent-elles
a. 4 tit. Utrum virtutes morales maneant in patria dans la patrie ?
[12007] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 1 1. Il semble que les vertus morales ne demeurent
Ad quartum sic proceditur. Videtur quod virtutes pas dans la patrie. En effet, la foi et l’espérance
morales non maneant in patria. Fides enim et spes sont plus nobles que les vertus morales. Or, la foi
sunt nobiliores quam virtutes morales. Sed fides et et l’espérance sont éliminées. Donc aussi, les
spes evacuantur. Ergo et morales virtutes. vertus morales.
[12008] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 2 2. Les vertus morales perfectionnent pour la vie
Praeterea, virtutes morales perficiunt in vita active. Or, cette vie cessera dans la patrie, où
activa. Sed haec vita cessabit in patria, in qua erit n’existera que la contemplation. Les vertus
tantum contemplatio. Ergo et virtutes morales non morales aussi n’existeront donc pas dans la
erunt in patria. patrie.
[12009] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 3 3. Certaines vertus morales portent sur les
Praeterea, virtutes morales quaedam sunt circa passions. Or, celles-ci n’existeront pas dans la
passiones. Sed hae non erunt in patria. Ergo nec patrie. Donc, ni les vertus morales.
virtutes morales.
[12010] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 4 4. La force et la tempérance se trouvent dans
Praeterea, fortitudo et temperantia sunt in l’irascible et le concupiscible. Or, selon certains,
irascibili et concupiscibili. Sed, secundum les puissances sensibles ne demeureront pas dans
quosdam, vires sensibiles non remanebunt in l’âme séparée. Donc, ni la tempérance et la
anima separata. Ergo nec temperantia et fortitudo. force.
[12011] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 5 5. Dans la patrie, nous serons comme les anges
Praeterea, in patria erimus sicut Angeli Dei; de Dieu, Mt 22. Or, ceux qui attribuent la
Matth. 22. Sed derisibiles videntur qui ponunt chasteté et la sobriété chez les anges, que le
castitatem et sobrietatem in Angelis, quos deos Philosophe appelle des dieux, Métaphysique, X,
nominat philosophus in 10 Metaph. Ergo nec in paraissent risibles. Elles n’existeront donc pas
nobis erunt. non plus chez nous.
[12012] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 arg. 6 6. La patience est une vertu très noble, car elle
Praeterea, patientia est valde nobilis virtus, quia mène une œuvre à son terme (Jc 1, 4). Or, elle ne
ipsa opus perfectum habet. Sed non remanebit in demeurera dans la patrie que pour son fruit,
patria nisi quantum ad fructum, ut Augustinus comme le dit Augustin dans le livre Sur la
dicit in Lib. de patientia. Ergo nec aliae morales patience. Donc, ni les autres vertus morales.
virtutes.
[12013] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 1 Cependant, [1] ces vertus ont existé chez le
Sed contra, istae virtutes plenissime fuerunt in Christ dans la plus grande plénitude. Or, les
Christo. Sed illae virtutes quae evacuantur in vertus qui sont éliminées dans la patrie n’ont pas
patria, non fuerunt in Christo, ut fides et spes. existé chez le Christ, telles la foi et l’espérance.
Ergo virtutes istae non evacuantur. Ces vertus ne sont donc pas éliminées [dans la
patrie].
1014

[12014] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 2 [2] Sg 1, 15 : La justice est perpétuelle et


Praeterea, Sap. 1, 15: justitia est perpetua et immortelle. Or, le juste rapport de l’homme à
immortalis. Sed non minus est necessaria lui-même n’est pas moins nécessaire que le juste
ordinatio hominis ad seipsum quam ordinatio ad rapport à l’autre, qui est le fait de la justice. Les
alterum quae est per justitiam. Ergo et aliae autres vertus morales demeurent donc dans la
virtutes morales manent in patria. patrie.
[12015] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 3 [3] Dans la patrie, les hommes seront semblables
Praeterea, in patria erunt homines Deo conformes. à Dieu. Or, ces vertus existent en Dieu comme
Sed hae virtutes in Deo sunt exemplares, ut dicit des modèles, ainsi que le dit Macrobe. Elles
Macrobius. Ergo et in sanctis erunt aliquo modo. existeront donc aussi de quelque manière chez
les saints.
[12016] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 co. Réponse. Chacune des vertus mentionnées
Respondeo dicendum, quod quaelibet virtutum comporte deux actes : l’un qu’elle exerce sur sa
praedictarum habet duos actus: unum quem matière propre ; l’autre qu’elle possède
exercet circa propriam materiam; alium quem lorsqu’elle est parvenue à la fin. Ainsi, le fort,
habet quando pervenit ad finem: sicut fortis dum lorsqu’il est au milieu des dangers du combat,
est in periculo pugnae, exercet actum qui est circa exerce l’acte qui porte sur la matière propre : les
materiam propriam, scilicet timores et audacias: craintes et les audaces ; mais, lorsqu’il revient
sed quando jam domum victor revertitur, habet chez lui comme vainqueur, il possède l’acte qui
hunc actum qui est gaudere de victoria per consiste à se réjouir de la victoire obtenue par le
pugnam praecedentem adepta. Dictum est autem combat précédent. Or, on a dit à la q. 3, a. 2, que
art. 2, quaest. 3, quod virtutes morales quaedam certaines vertus morales sont infuses et certaines
sunt infusae, et quaedam acquisitae, et quod sont acquises, et que les vertus acquises dirigent
acquisitae dirigunt in vita civili; unde habent pour la vie civile ; elles ont donc le bien civil
bonum civile pro fine. Et quia haec civilitas non comme fin. Et parce que la vie civile ne
remanebit in patria, ideo non remanebit eis aliquis demeurera pas dans la patrie, elles ne garderont
actus, nec circa finem, nec circa materiam pas d’acte portant sur la fin ou sur leur matière
propriam, secundum quam tendunt ad finem; et propre, par lequel elles tendent vers la fin. C’est
ideo habitus tollentur. Virtutes autem infusae pourquoi les habitus seront enlevés. Mais les
morales perficiunt in vita spirituali, secundum vertus morales infuses perfectionnent pour la vie
quam homo est civis civitatis Dei, et membrum spirituelle, selon laquelle l’homme est citoyen de
corporis Christi, quod est Ecclesia; et haec la cité de Dieu et membre du corps du Christ, qui
quidem civilitas in futuro non evacuabitur, sed est l’Église. Or, cette citoyenneté ne sera pas
perficietur. Unde remanebunt istis virtutibus actus éliminée à l’avenir, mais elle sera perfectionnée.
qui sunt circa finem proximum uniuscujusque Les actes qui portent sur la fin prochaine de
virtutis, et ideo remanebunt habitus virtutum toutes les vertus demeureront donc pour ces
moralium infusarum. vertus ; c’est pourquoi les habitus des vertus
morales infuses demeureront.
[12017] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 1 Ad 1. La foi et l’espérance sont plus nobles que les
primum igitur dicendum, quod fides et spes sunt vertus morales en raison de leur objet. Mais
nobiliores moralibus virtutibus ratione objecti. parce qu’elles comportent une imperfection par
Sed quia habent essentialiter annexam rapport à leur objet qui leur est associée de
imperfectionem respectu sui objecti, quae non est manière essentielle, [imperfection] qui n’est pas
annexa virtutibus moralibus; ideo non oportet associée aux vertus morales, il n’est donc pas
quod morales evacuentur, sicut spes et fides. nécessaire que les vertus morales soient
éliminées, comme la foi et l’espérance.
[12018] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 2 Ad 2. Il n’est pas nécessaire que les vertus qui
secundum dicendum, quod virtutes quae perfectionnent pour la vie active, même les
perficiunt in vita activa, etiam acquisitae, non [vertus] acquises, soient enlevées lorsque
oportet quod tollantur, cum aliquis se transfert ad quelqu’un passe à la vie contemplative ; mais
1015

vitam contemplativam; sed habent alios actus, elles ont d’autres actes, dans la mesure où elles
inquantum pertingunt ad finem proximum, quia atteignent leur fin prochaine, car la vie
contemplativa vita est finis activae. Et ideo contemplative est la fin de la vie active. C’est
distinguit Macrobius harum virtutum tres gradus, pourquoi Macrobe à distingué trois degrés dans
secundum quod sunt in hominibus. Sunt enim ces vertus, selon qu’elles existent chez les
politicae, secundum quod homo per eas in hommes. En effet, elles sont politiques selon que
civilibus operibus rectificatur; purgatoriae autem, la droiture de l’homme est assurée par elles en
secundum quod civilibus utens ad quietem matière civile ; purificatrices, selon que, par
contemplationis aliquis anhelat; sed dicuntur l’usage des réalités civiles, quelqu’un aspire au
purgati animi, inquantum aliquis abjecto omni repos de la contemplation ; mais on dit qu’elles
exercitio civilis vitae, quieti contemplationis sont le fait de l’esprit purifié, pour autant que,
totum se tribuit. Et in hoc statu dicit quod actus après avoir rejeté tout exercice de la vie civile,
temperantiae est cupiditatem non jam refrenare, quelqu’un se livre entièrement au repos de la
sed penitus oblivisci; fortitudinis autem passiones contemplation. Et il dit que, dans cet état, l’acte
ignorare, non vincere; et sic de aliis. de la tempérance consiste, non pas à réfréner la
cupidité, mais à l’oublier tout simplement ; l’acte
de la force, non pas à vaincre, mais à ignorer
complètement les passions. Et ainsi de suite pour
les autres.
[12019] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 3 Ad 3. Elles ne demeureront pas [dans la patrie] selon
tertium dicendum, quod quantum ad actus quos les actes qu’elles ont par rapport à leurs matières
habent circa materias proprias, non remanebunt, propres, mais selon les actes qu’elles auront
sed secundum actus quos habent in fine adepto, lorsque la fin sera atteinte, qui consiste à se
qui est a passionum tumultibus quietari. reposer du tumulte des passions.
[12020] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 4 Ad 4. Certains disent que les puissances sensibles ne
quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod demeurent pas en acte dans l’âme séparée ;
vires sensibiles non manent actu in anima cependant, certains disent qu’elles demeurent
separata, dicunt tamen, quod manent in essentia dans l’essence de l’âme comme dans leur racine.
animae sicut in radice: et similiter etiam manent De même aussi, les habitus des vertus de la
habitus virtutum inferioris partis, sicut in radice, partie inférieure demeurent-elles comme dans
in virtutibus quae sunt in ratione, et in ipsa gratia. leur racine dans les vertus qui se trouvent dans la
raison et dans la grâce elle-même.
[12021] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 5 Ad 5. Ces vertus existent chez les anges d’une autre
quintum dicendum, quod istae virtutes sunt in manière que chez les hommes, même dans la
Angelis alio modo quam in hominibus, etiam in patrie, car les hommes ont souffert de ces
patria: quia homines perpessi sunt hujusmodi passions qui sont réfrénées par les vertus
passiones, quae per dictas virtutes refrenantur, vel mentionnées ou ont une nature telle qu’ils
naturam habent ut perpeti possint; quod non est de peuvent en souffrir, ce qui n’est pas le cas des
Angelis. Unde in Angelis et in Deo sunt sicut anges. Elles existent donc chez les anges et en
exemplares; in hominibus autem sicut virtutes Dieu comme des modèles, mais, chez les
purgati animi in patria. Tamen sciendum, quod hommes, comme des vertus de l’âme purifiée
philosophus loquitur de virtutibus acquisitis, quae dans la patrie. Il faut cependant savoir que le
perficiunt hominem in vita civitatis terrenae, in Philosophe parle des vertus acquises qui
qua vita non habemus cum Angelis aliquam perfectionnent l’homme pour la vie de la cité
communicationem: unde non est simile de illis terrestre, vie dans laquelle nous n’avons rien en
virtutibus quae perficiunt in vita civitatis Dei, commun avec les anges. Aussi n’est-ce pas la
quae constituitur ex Angelis et hominibus. même chose pour les vertus qui perfectionnent
pour la vie de la cité de Dieu, qui est constituée
des anges et des hommes.
[12022] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 1 a. 4 ad 6 Ad 6. On dit que la patience ne demeure pas quant à
1016

sextum dicendum, quod patientia dicitur non son acte pour les maux qui doivent être
manere quantum ad actum quem habet circa mala supportés ; cependant, l’habitus demeure, ainsi
tolerabilia; manet tamen habitus, et actus quem que l’acte qu’il a dans le repos en sa fin propre.
habet in quiete finis proprii.

Quaestio 2 Question 2 – [Les vertus cardinales]


Prooemium Prologue
[12023] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur les vertus cardinales :
quaeritur specialiter de virtutibus cardinalibus: 1 1. Quelles vertus doivent être appelées cardinales
quae et quot debent dici cardinales; 2 de materiis et quel en est le nombre ? 2. Leurs matières et
et objectis earum, 3 de actibus; 4 de subjectis; 5 leurs objets. 3. Leurs actes. 4. Leurs sujets. 5.
quae ipsarum sit principalior. Quelle est la principale ?

Articulus 1 [12024] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 Article 1 – Doit-on appeler cardinales


a. 1 tit. Utrum aliquae virtutes debeant dici certaines vertus ?
cardinales
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Doit-on appeler cardinales
certaines vertus ?]
[12025] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 1. Il semble qu’aucune vertu ne doive être
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod appelée cardinale, car les mêmes vertus qui sont
nullae virtutes debeant dici cardinales. Quia appelées cardinales sont aussi appelées
eaedem virtutes quae cardinales dicuntur, dicuntur générales ; aussi Tullius [Cicéron] leur attribue-t-
etiam generales: unde et Tullius eis partes il des parties. Or, les vertus sont distinctes les
assignat. Sed virtutes sunt distinctae ab invicem; unes des autres, comme on l’a dit. Il semble donc
ut dictum est. Ergo videtur quod non debeant dici qu’on ne doive pas les appeler cardinales.
cardinales.
[12026] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 2. Une chose divisée par rapport à une autre
arg. 2 Praeterea, ea quae dividuntur ab invicem, existe en même temps, selon le Philosophe ; et
sunt simul, secundum philosophum; et ita unum ainsi, l’une ne joue pas le rôle de principe par
non est principalius altero. Sed virtutes rapport à l’autre. Or, les vertus se répartissent
condividunt ab invicem genus virtutis. Ergo una entre elles le genre de la vertu. L’une ne joue
non est principalior altera; et ita nec una debet donc pas le rôle de principe par rapport à une
dici cardinalis respectu alterius. autre. Ainsi ne doit-on pas en appeler une
cardinale par rapport à une autre.
[12027] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 3. Les vertus sont opposées aux vices. Or, les
arg. 3 Praeterea, virtutes dividuntur contra vitia. vices principaux ne sont pas appelés cardinaux,
Sed vitia principalia non dicuntur cardinalia, sed mais capitaux. Les vertus principales doivent
capitalia. Ergo virtutes principales debent dici donc être appelées capitales, et non cardinales.
capitales, et non cardinales.
[12028] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 4. Si on les appelle cardinales parce que, par
arg. 4 Praeterea, si dicuntur cardinales, quia eis elles, on parvient à la vie éternelle, comme on le
pervenitur ad vitam aeternam, ut dicitur in littera; dit dans le texte, pour la même raison, toutes les
eadem ratione omnes virtutes sunt dicendae vertus doivent être appelées cardinales, car nous
cardinales, quia omnibus vitam meremur. méritons la vie par elles.
[12029] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 s. Cependant, ce que le texte dit s’oppose à cela.
c. 1 Sed contra est quod dicitur in littera.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [D’autres vertus devraient-
elles être plutôt appelées cardinales ?]
[12030] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 1. Il semble que des vertus morales ne doivent
arg. 1 Ulterius. Videtur quod morales virtutes non pas être appelées cardinales, mais d’autres
1017

debeant dici cardinales, sed aliae. Quia [vertus], car les vertus théologales sont plus
theologicae virtutes propinquiores sunt fini, quia rapprochées de la fin, puisqu’elles ont la fin
habent finem ultimum pro objecto. Cum ergo finis ultime comme objet. Puisque la fin est le
sit principium in operativis secundum principe en matière d’action, selon le Philosophe,
philosophum 7 Ethic., virtutes theologicae erunt Éthique, VII, les vertus théologales seront donc
principaliores: et ita ipsae magis debent dici plus importantes, et ainsi ce sont elles qui
cardinales. doivent plutôt être appelées cardinales.
[12031] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 2. La charité est appelée la racine des vertus,
arg. 2 Praeterea, caritas dicitur radix virtutum, mais la foi, le fondement, et l’espérance, l’ancre.
fides autem fundamentum, spes vero anchora. Sed Or, la proportion entre la racine et l’arbre, le
quae est proportio radicis ad arborem, et fondement et la maison, et l’ancre et le bateau est
fundamenti ad domum, et anchorae ad navem, la même que la proportion du gond (cardinis)
eadem est proportio cardinis ad ostium. Ergo par rapport à la porte. Les vertus théologales
virtutes theologicae possunt dici cardinales, sicut peuvent donc être appelées cardinales, comme
et morales. certaines vertus morales.
[12032] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 3. Les vertus intellectuelles sont plus nobles que
arg. 3 Praeterea, virtutes intellectuales sunt les vertus morales, car elles perfectionnent pour
nobiliores virtutibus moralibus: quia perficiunt in la vie contemplative, qui est plus noble que la vie
vita contemplativa, quae est nobilior activa. Ergo active. Plutôt que des vertus morales, les vertus
virtutes intellectuales magis debent dici cardinales intellectuelles doivent donc être appelées
quam morales. cardinales.
[12033] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 s. Cependant, une seule des vertus cardinales
c. 1 Sed contra, una sola de cardinalibus hic énumérées ici est une vertu intellectuelle : la
enumeratis intellectualis est, scilicet prudentia, prudence, qui est d’une certaine manière une
quae moralis est aliquo modo. Ergo virtutes vertu morale. Les vertus cardinales se trouvent
cardinales magis sunt in genere moralium quam donc plutôt dans le genre des vertus morales que
intellectualium virtutum. des vertus intellectuelles.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [Quel est le nombre des
vertus cardinales ?]
[12034] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 1. Il semble qu’on ne doive pas dire qu’il existe
arg. 1 Ulterius. Videtur quod non debeant dici tot autant de vertus cardinales que le nombre
virtutes cardinales in hoc numero. Quia virtutes [indiqué dans le texte], car ces vertus se trouvent
istae sunt in tribus viribus animae. Sed inter eas dans trois puissances de l’âme. Or, une seule
est una tantum principalis, scilicet rationalis. Ergo d’entre elles est principale : la [puissance]
et inter virtutes est tantum una cardinalis. raisonnable. Il n’y a donc qu’une seule vertu
cardinale parmi les vertus.
[12035] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 2. Si les mêmes vertus sont appelées générales et
arg. 2 Praeterea, si virtutes dicuntur eaedem cardinales, et qu’il n’y a que deux vertus
generales et cardinales; generales autem sunt générales : la justice et la prudence, comme on
tantum duae, scilicet justitia et prudentia, ut l’a dit plus haut, il semble aussi qu’il n’y ait que
dictum est prius videtur etiam quod tantum sint deux vertus cardinales.
duae cardinales.
[12036] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 3. En toute puissance, on trouve quelque chose
arg. 3 Praeterea, in qualibet vi est aliquid qui est le plus important de ce qui relève de cette
principalissimum invenire eorum quae ad illam puissance. Si donc il existe trois puissances dans
vim pertinent. Si ergo vires sunt tres, in quibus lesquelles se trouvent des vertus, il semble aussi
sunt virtutes, videtur quod etiam tantum tres qu’il ne doive y avoir que trois vertus cardinales.
debeant esse virtutes cardinales.
[12037] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 Cependant, [4] il semble qu’il doive y en avoir
arg. 4 Sed contra, videtur quod debeant esse plus que quatre, car les vertus s’opposent aux
1018

plures quam quatuor. Quia virtutes vitiis vices. Or, il y a sept vices capitaux. Il doit y
opponuntur. Sed vitia capitalia sunt septem. Ergo avoir aussi sept vertus cardinales.
et virtutes cardinales debent esse septem.
[12038] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 [5] Dans la partie rationnelle, on situe deux
arg. 5 Praeterea, in rationali ponuntur duae vertus cardinales : la prudence et la justice. De la
virtutes cardinales, prudentia scilicet, et justitia. même manière, doit-on placer deux vertus
Ergo similiter in qualibet aliarum virium debent cardinales dans toutes les autres puissances, et
poni duae virtutes cardinales; et ita, cum vires sint ainsi, puisqu’il existe trois puissances, il y aura
tres, erunt sex cardinales virtutes. six vertus cardinales.
[12039] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 [6] De même que la prudence est une perfection
arg. 6 Praeterea, sicut prudentia est perfectio de la raison pratique, de même aussi l’art. Or,
rationis practicae, ita et ars. Sed rationis practicae ainsi qu’il est dit dans Éthique, VI, la droiture et
rectitudo et veritas consistit, ut dicitur in 6 Ethic., la vérité de la raison pratique consistent dans la
in conformitate ad appetitum rectum; quod fit per conformité à l’appétit droit, ce qui se réalise par
virtutes morales, ut dictum est. Ergo sicut les vertus morales, comme on l’a dit. De même
prudentia inter virtutes morales ponitur cardinalis que la prudence est mise comme une vertu
virtus, ita et ars mechanica poni debet. cardinale parmi les vertus morales, de même
aussi l’art mécanique doit-il donc y être mis.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [D’autres vertus morales que
celles mentionnées dans le texte devraient-elles
plutôt être cardinales ?]
[12040] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 1. Il semble que d’autres vertus que [celles
arg. 1 Ulterius. Videtur quod aliae virtutes magis mentionnées dans le texte] devraient être
debeant esse cardinales quam istae. Quia cardinales, car chaque chose tire son nom de ce
unumquodque denominatur a principaliori quod qui est le plus important en elle, comme le dit le
est in ipso, ut dicit philosophus in 2 de anima. Sed Philosophe dans Sur l’âme, II. Or, la puissance
vis irascibilis denominatur ab ira. Ergo cum irascible tire son nom de la colère. Puisque la
mansuetudo sit contra iram, fortitudo autem douceur s’oppose à la colère et la force aux
contra timores et audacias, quae sunt etiam craintes et aux audaces, qui sont aussi des
passiones irascibilis; videtur quod mansuetudo sit passions de l’irascible, il semble donc que la
magis virtus cardinalis quam fortitudo. douceur soit davantage une vertu cardinale que
la force.
[12041] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 2. Ce qui est grand en chaque genre est ce qui est
arg. 2 Praeterea, illud quod est magnum in le plus important dans ce genre. Or, la
quolibet genere, est principalius in illo genere. magnanimité réalise de grandes choses dans
Sed magnanimitas operatur magna in omnibus toutes les vertus, comme le dit le Philosophe au
virtutibus, ut dicit philosophus in 4. Ergo videtur livre IV [de l’Éthique]. Il semble donc que la
quod magnanimitas sit magis cardinalis quam magnanimité plutôt que la force soit une vertu
fortitudo, quia utraque est in irascibili. cardinale, car les deux sont dans l’irascible.
[12042] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 3. On appelle vertu cardinale celle sur laquelle
arg. 3 Praeterea, virtus cardinalis dicitur in qua les autres vertus sont appuyées. Or, l’humilité est
aliae virtutes firmantur. Sed humilitas est l’appui de toutes les vertus, car, ainsi que le dit
firmamentum omnium virtutum: quia, sicut dicit Grégoire, « celui qui rassemble les autres vertus
Gregorius, qui ceteras virtutes sine humilitate sans l’humilité expose pour ainsi dire de la
congregat, quasi pulverem in ventum portat. Ergo poussière au vent ». Il semble donc que surtout
videtur quod humilitas praecipue esse debeat l’humilité doive être cardinale.
cardinalis.
[12043] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 4. La pénitence ramène toutes les carences à la
arg. 4 Praeterea, poenitentia omnes defectus ad perfection. Or, les autres vertus enlèvent des
perfectum revocat. Sed aliae virtutes defectus carences particulières. Puisque la pénitence est
1019

singulares removent. Ergo, cum poenitentia sit une vertu, comme le dit Ambroise, il semble
quaedam virtus, ut dicit Ambrosius, videtur quod donc que ce soit elle qui doive plutôt être
ipsa potissime debeat dici cardinalis. appelée cardinale.
[12044] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 5. Il est plus louable de donner quelque chose
arg. 5 Praeterea, magis est laudabile dare aliquid qui nous appartient que de rendre ce qui
de proprio quam reddere alienum. Sed liberalitas appartient à un autre. Or, la libéralité distribue ce
propria largitur, justitia autem unicuique quod qui nous est propre, mais la justice rend à chacun
suum est reddit. Ergo liberalitas magis debet esse ce qui lui appartient. La libéralité doit donc être
cardinalis virtus quam justitia. appelée une vertu cardinale plutôt que la justice.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[12045] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Les quatre vertus énumérées ici sont appelées
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, générales, principales et cardinales. En effet,
quod virtutes quatuor quae hic enumerantur, parce que le principe de chaque chose est sa
dicuntur generales, et principales, et cardinales. partie la plus importante, plus même que la
Quia enim principium cujuslibet rei est potissima partie médiane, ainsi qu’il est dit dans Éthique, I,
pars ejus, etiam plus quam dimidium, ut dicitur in ce qui est plus important dans chaque genre est
1 Ethic., ideo illud quod est potissimum in appelé principal dans ce genre. Et parce que les
quolibet genere, dicitur principale in genere illo. habitus sont évalués à partir des actes, et les
Et quia habitus pensatur ex actibus, et actus ex actes à partir des objects ou de la matière, on
objectis sive materia; ideo virtutes principales appelle donc vertus principales celles qui portent
dicuntur quae sunt circa illud quod est potissimum sur ce qui est le plus important dans la matière
in materia vel materiis virtutum; sicut potissimum ou les matières des vertus. Ainsi, ce sont les
in illis quae ad concupiscibilem pertinent, sunt plaisirs du toucher qui sont les plus importants
delectationes secundum tactum; unde temperantia, dans ce qui se rapporte au concupiscible ; la
quae est circa illas delectationes, est virtus tempérance, qui porte sur ces plaisirs, est donc la
principalis; et eutrapelia, quae est circa vertu principale, et l’eutrapélie, qui porte sur les
delectationes quae sunt in ludis, est virtus plaisirs des jeux, est une vertu secondaire,
secundaria: sicut ars ad quam pertinet finis navis, comme l’art de gouverner, dont relève la fin d’un
qui est navigatio, scilicet gubernatoria, est navire, qui est la navigation, est principal par
principalis respectu illius artis quae facit navem, rapport à l’art qui réalise le navire, puisque la fin
quia finis est potissimum in unoquoque; et in arte est ce qu’il y a de plus important en tout. Et,
quae facit navem, est principalior illa quae inducit dans l’art qui réalise le navire, l’art principal est
formam quam quae praestat materiam. Et quia ad celui qui donne la forme plutôt que celui qui
illud quod est potissimum in qualibet re, fournit la matière. Et parce que tout ce qui relève
ordinantur omnia quae sunt illius rei; ideo virtutes d’une chose est ordonné à ce qui est le plus
et artes principales movent secundum suum important en chaque chose, les vertus et les arts
imperium virtutes et artes secundarias ad actus principaux meuvent par leur commandement les
proprios, sicut ars gubernatoria imperat ei quae vertus et les arts secondaires vers leurs actes
facit navem; et ex hoc dicitur architectonica propres, comme l’art de gouverner commande à
respectu ejus, quasi princeps ipsius. Et quia actus celui qui réalise le navire. Pour cette raison, on
moti fundantur super actione moventis, ideo actus l’appelle architectonique par rapport à celui-ci,
secundariae virtutis fundantur super actione comme s’il en était le dirigeant. Et parce que les
principali, sicut fundatur super cardinem motus actes mus se fondent sur l’action de ce qui meut,
ostii; et ideo virtus principalis dicitur esse les actes d’une vertu secondaire se fondent donc
cardinalis, et virtus secundaria dicitur adjuncta sur l’action principale, comme le mouvement
illi. Omne autem quod movetur ab aliquo, agit in d’une porte s’appuie sur le gond. C’est pourquoi
virtute moventis sicut instrumentum ejus: et ideo la vertu principale est appelée cardinale et on dit
etiam motus virtutis cardinalis participatur que la vertu secondaire lui est associée. Or, tout
quodammodo in virtutibus adjunctis: et secundum ce qui est mû par quelque chose agit par la
hoc virtus cardinalis dicitur generalis, inquantum puissance de ce qui meut en tant que son
1020

pluribus virtutibus adjuncta; dicitur pars ejus, instrument. Aussi, même les vertus associées
inquantum modum suum participat. participent-elles d’une certaine manière au
mouvement d’une vertu cardinale. Sous cet
aspect, la vertu cardinale est appelée générale,
pour autant qu’elle est associée à plusieurs
vertus ; celles-ci sont appelées ses parties pour
autant qu’elles participent à son mode.
[12046] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1. Elles ne sont pas appelées générales par
1 Ad primum igitur dicendum, quod non dicuntur prédication, mais selon une certaine
generales per praedicationem, sed per quamdam participation, comme on l’a dit. Aussi ne leur
participationem, ut dictum est; unde eis non assigne-t-on pas des espèces, mais des parties.
assignantur species, sed partes.
[12047] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2. Ce en quoi se répartit quelque chose de
2 Ad secundum dicendum, quod ea quae dividunt commun univoque existe simultanément pour ce
aliquod commune univocum, sunt simul quantum qui est du genre, bien que l’un puisse être la
ad intentionem generis, quamvis unum possit esse cause de l’autre du point de vue de l’être, comme
causa alterius quantum ad esse, sicut motus localis le mouvement local est la cause des autres
est causa aliorum motuum contra quos dividitur. mouvements dont il se distingue. Mais ce en
Sed ea quae dividunt aliquod commune analogum quoi se répartit quelque chose de commun
se habent secundum prius et posterius etiam analogue comporte quelque chose d’antérieur et
quantum ad intentionem communis quod de postérieur, même pour ce qui est de
dividitur, sicut patet de substantia et accidente. l’intention de la réalité commune qui est divisée,
Unde ex hoc quod una virtus condividitur alteri, comme cela ressort pour la substance et
non oportet quod una non sit altera principalior. l’accident. Aussi, du fait qu’une vertu se
distingue d’une autre, il n’est pas nécessaire que
l’une ne soit pas principale par rapport à une
autre.
[12048] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3. La perfection des péchés ne se prend pas de
3 Ad tertium dicendum, quod perfectio leur ordre à la fin, mais plutôt de leur
peccatorum non est per ordinem ad finem, sed détournement (aversionem) par rapport à la fin
magis per aversionem a fine debito: unde motus due. Aussi les mouvements des péchés ne
peccatorum non assimilantur ostio, per quod ressemblent-ils pas à une porte par laquelle on
intratur in domum: et ideo peccata principalia non entre dans une maison. C’est pourquoi les péchés
assimilantur cardini; unde non dicuntur cardinalia, principaux ne sont pas assimilés à un gond. Ils
sed capitalia tantum, ex hoc quod important ne sont donc pas appelés cardinaux, mais
quosdam actus aliorum. seulement capitaux du fait qu’ils comportent les
actes d’autres [péchés].
[12049] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4. Bien que toutes les vertus gratuites
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis omnes introduisent dans le royaume des cieux, elles ne
virtutes gratuitae introducant ad regnum tirent cependanr pas de là le nom de gond, mais
caelorum, ex hoc tamen non nanciscuntur nomen de porte. Mais les vertus par lesquelles on
cardinis, sed ostii. Illae autem virtutes quibus ad parvient à la vie éternelle et sur lesquelles se
aeternam vitam pervenitur et super eas aliarum fondent les mouvements des autres vertus sont
virtutum motus fundantur, dicuntur proprie appelées cardinales au sens propre.
cardinales.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[12050] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Comme on l’a dit, on parle de vertus cardinales
Ad secundam quaestionem dicendum, quod par ressemblance avec le gond sur lequel
virtutes cardinales dicuntur, ut dictum est, ad s’appuie le mouvement d’une porte. Or, il fait
similitudinem cardinis, in quo motus ostii partie de la notion de porte qu’on accède par elle
1021

firmatur. De ratione autem ostii est ut per ipsum à l’intérieur de la maison. C’est pourquoi ce par
interiora domus adeantur; et ideo illud per quod quoi il n’y a pas de mouvement vers quelque
non est motus in aliquid ulterius, non habet chose d’autre ne comporte pas la notion de porte.
rationem ostii. Virtutes autem theologicae, cum Or, les vertus théologales, puisqu’elles portent
sint circa finem ultimum, non est aliquid aliud sur la fin ultime, ne tendent pas vers quelque
ulterius ex parte objecti in quod tendant; unde in chose d’autre du point de vue de leur objet.
virtutibus theologicis non invenitur ratio ostii, et Aussi ne trouve-t-on pas la notion de porte pour
propter hoc non possunt dici cardinales; similiter les vertus théologales. Pour cette raison, elles ne
nec in virtutibus intellectualibus; quia perficiunt peuvent pas être appelées cardinales. Il en va de
in vita contemplativa, quae non ordinatur ulterius même pour les vertus intellectuelles, car elles
ad alteram vitam, sed activa ad ipsam ordinatur. perfectionnent pour la vie contemplative, qui
Unde cum virtutes morales perficiant in vita n’est pas ordonnée à une autre vie ; mais la [vie]
activa, et habeant actus suos non circa finem active lui est ordonnée. Puisque les vertus
ultimum, sed circa objectum, ex utraque parte morales perfectionnent pour la vie active et que
manet in eis ratio ostii; et propter hoc cardinales leur actes ne portent pas sur la fin ultime, mais
virtutes inveniuntur solum in genere moralium. sur leur objet, la notion de porte leur revient
donc des deux manières. Pour cette raison, les
vertus cardinales se trouvent seulement dans le
genre des [vertus] morales.
[12051] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 1. Bien qu’on puisse les appeler principales, elles
1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis ne sont cependant pas appelées cardinales pour
possint dici principales, non tamen dicuntur la raison déjà donnée.
cardinales ratione jam dicta.
[12052] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 2. Le fondement, l’ancre et la racine désignent ce
2 Ad secundum dicendum, quod fundamentum, sur quoi s’appuie quelque chose du point de vue
anchora et radix nominant id, in quo aliquid de son repos. C’est pourquoi ces noms
firmatur quantum ad suam quietem: et ideo conviennent aux vertus qui ont pour objet la fin
competunt illa nomina virtutibus quae habent dans laquelle se trouve le repos. Mais le gond
finem pro objecto, in quo est quies. Sed cardo désigne ce sur quoi une autre chose s’appuie
dicit aliquid in quo alterum firmatur quantum ad pour son mouvement, comme on l’a dit. Aussi ce
motum, ut dictum est; et ideo convenit hoc nomen nom convient-il aux vertus qui portent sur ce qui
virtutibus quae sunt circa ea quae sunt ad finem, se rapporte à la fin, par quoi l’on s’achemine
per quae est transitus in finem. vers la fin.
[12053] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 2 ad 3. La réponse au troisième argument est la même
3 Ad tertium sicut ad primum dicendum est. que celle donnée au premier [argument].
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[12054] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 co. Il n’existe que quatre vertus cardinales. La raison
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod non sunt en est que, puisque la matière des vertus morales
nisi quatuor virtutes cardinales; cujus ratio est, porte sur ce qui relève de l’appétit, que dirige
quia cum moralium virtutum materia sint ea quae aussi la raison, la matière mentionnée ne peut
ad appetitum pertinent, in quibus etiam ratio être envisagée que de deux manières.
dirigit, praedicta materia potest dupliciter Premièrement, en tant qu’elle est objet de conseil
considerari. Uno modo prout habet rationem et de choix, selon que la raison agit sur elle : il
consiliabilis et eligibilis, secundum quod ratio s’agit ainsi de la prudence, qui est à mi-chemin
circa eam operatur: et sic est prudentia, quae est entre les vertus morales et les vertus
media inter morales et intellectuales, ut supra intellectuelles, comme on l’a dit plus haut, d. 23,
dictum est, dist. 23, quaest. 1, art. 3. Alio modo q. 1, a. 3. Deuxièmement, selon qu’elle a le
secundum quod habet rationem boni appetibilis. caractère de bien désirable. Or, deux choses
Ad appetitum autem duo pertinent, scilicet actio et relèvent de l’appétit : l’action et la passion. Mais
passio. Passio autem est in irascibili et la passion se trouve dans l’irascible et dans le
1022

concupiscibili. Circa actiones ergo est justitia; concupiscible. La justice porte donc sur les
circa passiones irascibilis fortitudo; circa actions ; la force sur les passions du l’irascible ;
passiones concupiscibilis temperantia; et sic sunt la tempérance sur les passions du concupiscible.
quatuor virtutes cardinales. Il y a ainsi quatre vertus cardinales.
[12055] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 1. Le gond est ce sur quoi s’appuie de manière
1 Ad primum ergo dicendum, quod cardo est illud rapprochée le mouvement d’une porte. Aussi une
in quo proxime firmatur motus ostii; unde vertu cardinale doit-elle porter sur ce qui est
virtutem cardinalem oportet esse circa id quod est principal dans chaque matière, et non seulement
principale in singulis materiis, et non solum circa sur ce qui est une principe principal, qui relève
id quod est principale principium, quod ad de la raison.
rationem pertinet.
[12056] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 2. La justice et la prudence sont appelées
2 Ad secundum dicendum, quod justitia et générales par rapport à toutes les vertus ; mais la
prudentia dicuntur generales respectu omnium tempérance et la force ne le sont pas par rapport
virtutum; temperantia autem et fortitudo non à toutes les vertus, mais seulement par rapport à
respectu omnium; sed respectu virtutum tantum celles qui leur sont associées. Ce caractère
quae eis adjunguntur: et haec generalitas sufficit général suffit pour une vertu cardinale, mais
ad cardinalem virtutem, praecedens autem non celui qui précède n’est pas nécessaire. Bien que
requiritur. Quamvis justitia, secundum quod est la justice, selon qu’elle est la même chose que
idem quod omnis virtus, non sit virtus cardinalis, toute vertu, ne soit pas une vertu cardinale,
ut dictum est. Prudentia autem non est generalis comme on l’a dit. Mais la prudence n’est pas
quantum ad essentiam, cum contra alias dividatur, générale par essence, puisqu’elle se distingue des
sed quantum ad materiam, quia in omnibus autres, mais par sa matière, car elle dirige dans
moralibus dirigit. toutes les vertus morales.
[12057] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 3. La raison comprend parfois deux puissances :
3 Ad tertium dicendum, quod ratio quandoque la puissance cognitive, où se trouve la prudence ;
comprehendit duas potentias, scilicet vim et la puissance affective, qu’on appelle la
cognitivam, in qua est prudentia, et vim volonté, dans laquelle se trouve la justice,
affectivam, quae voluntas dicitur, in qua est comme on le dira plus loin. Mais le
justitia, ut infra dicetur. Concupiscibilis autem et concupiscible et l’irascible font partie de la
irascibilis sunt tantum appetitivae; et ideo non est [partie] appétitive. Le raisonnement n’est donc
ratio similis. pas le même.
[12058] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 4. Bien que les vertus soient opposées, il n’est
4 Ad quartum dicendum, quod quamvis virtutes cependant pas nécessaire que la vertu principale
opponantur, non tamen oportet quod virtus s’oppose au vice principal, car le caractère
principalis opponatur vitio principali, quia principal de la vertu se prend de ce qui est
principalitas virtutis attenditur penes id quod est simplement principal, puisque le jugement
principale simpliciter, cum idem sit judicium de re portant sur une chose de manière absolue est le
absolute, et secundum quod comparatur ad même que celui [qui porte sur elle] selon qu’elle
virtuosum, ut philosophus dicit. Sed principalitas se compare à ce qui est vertueux, comme le dit le
vitii est secundum id quod magis est natum Philosophe. Mais le caractère principal du vice
movere a rectitudine rationis; et hoc quidem in vient de ce qu’il éloigne par nature de la droiture
aliquibus consonat, in aliquibus autem non: unde de la raison, et cela s’accorde pour certaines
aliquod vitium capitale opponitur cardinali virtuti, [vertus], mais non pour d’autres. Un vice capital
sicut luxuria et gula temperantiae: aliquod autem s’oppose donc à une vertu cardinale, ainsi la
non opponitur principali, sicut ira mansuetudini. luxure et la gourmandise à la tempérance ; mais
un autre ne s’oppose pas à une [vertu] principale,
comme la colère à la douceur.
[12059] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 5. L’irascible et le concupiscible ne relèvent pas
5 Ad quintum dicendum, quod irascibilis et de la [partie] cognitive, mais de la [partie]
1023

concupiscibilis non sunt cognitivae sed appétitive seulement. C’est pourquoi il ne peut y
appetitivae tantum; et ideo in eis non potest esse avoir en eux une double vertu cardinale, comme
duplex virtus cardinalis, sicut in ratione dictum on l’a dit pour la raison.
est.
[12060] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 3 ad 6. On dit que l’appétit est droit de deux
6 Ad sextum dicendum, quod appetitus dicitur manières. Premièrement, en lui-même, selon que
rectus dupliciter. Uno modo in se, secundum quod ce qui se trouve dans l’appétit est ordonné. La
ea quae in appetitu sunt, ordinata sunt: et hanc vertu morale réalise cette droiture, et parce que
rectitudinem facit virtus moralis: et quia prudentia la prudence rend la raison pratique conforme à
conformat rationem practicam appetitui sic l’appétit ainsi redressé, puisqu’elle a une matière
directo; ideo cum moralibus virtutibus in materia commune avec les vertus morales et concourt à
communicat, et in eamdem operationem concurrit, la même opération, elle est ainsi comptée parmi
propter quod inter morales computatur. Alio les vertus morales. Deuxièmement, on parle
modo dicitur appetitus rectus a rectitudine quae d’appétit droit pour une droiture qui lui est
est extra ipsum; et hoc est materialiter, inquantum extrinsèque : c’est là parler matériellement, pour
scilicet tendit in aliquid rectum extra se autant qu’il tend vers quelque chose de droit à
faciendum, cujusmodi est rectitudo quae est in réaliser hors de lui-même. Ce genre de droiture
artificiatis; et sic conformat rationem appetitui se rencontre dans les œuvres de l’art. L’art
recto ars mechanica; ideo non computatur inter mécanique rend ainsi la raison conforme à
morales virtutes. l’appétit droit. C’est pourquoi il n’est pas compté
parmi les vertus morales.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[12061] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 co. Comme cela ressort de ce qui a été dit, toute la
Ad quartam quaestionem dicendum, quod, sicut matière morale se ramène à quatre choses, qui
ex dictis patet, omnis materia moralis ad quatuor diffèrent soit réellement, soit selon la raison (en
reducitur, quae vel re vel ratione differunt (hoc effet, cela suffit pour la différenciation des
enim sufficit ad differentiam habituum, ut prius habitus, comme on l’a dit plus haut) : la passion
dictum est): scilicet passio concupiscibilis, passio du concupiscible, la passion de l’irascible,
irascibilis, actio: et haec omnia secundum quod l’action. Tout cela, en tant que soumis à la
subjiciuntur rationi, sic omnia induunt rationem raison, revêt le caractère d’un seul objet ou
unius objecti vel materiae. Inter passiones autem matière. Or, parmi les passions du concupiscible,
concupiscibilis praecipuae sunt delectationes les principales sont celles du toucher, comme
secundum tactum, ut ex supra dictis in 26 dist., cela ressort de ce qui a été dit plus haut, d. 26,
quaest. 1, art. 4, patet, circa quas est temperantia: q. 1, a. 4 : sur elles porte la tempérance. C’est
et ideo in hac materia ipsa est cardinalis virtus. In pourquoi, en cette matière, elle est la vertu
passionibus autem irascibilis praecipuae sunt illae cardinale. Parmi les passions de l’irascible, les
quae sunt ex difficili, quod natum est mortem principales sont celles qui portent sur ce qui est
incutere: et ideo fortitudo, quae est circa difficile et qui est susceptible d’entraîner la mort.
hujusmodi passiones, est in hac materia cardinalis C’est pourquoi la force, qui porte sur ces
virtus. In actionibus autem quae sunt circa res passions, est la vertu cardinale en cette matière.
quae in usum vitae veniunt, quibus ad invicem Parmi les actions, qui portent sur les choses qui
communicamus, praecipue sunt illae actiones sont utilisées pur vivre et que nous avons en
quibus hujusmodi res distinguuntur, quia commun, les principales sont celles par
praedicta distinctio est communicationis lesquelles ces choses sont distinguées, car la
principium; et ideo justitia, quae tribuit unicuique distinction mentionnée est le principe du partage.
quod suum est, est cardinalis virtus in hac materia. C’est pourquoi la justice, qui attribue à chacun
Inter ea autem quae ratio circa moralia operatur, ce qui lui revient, est la vertu cardinale en cette
praecipuum est electio ad quam consilium et matière. Mais parmi les choses que la raison fait
omnia hujusmodi ordinantur: et ideo prudentia en matière morale, c’est le choix qui est
quae electionem rectam, facit, est cardinalis in ista principal, auquel le conseil et toutes les choses
1024

materia. de ce genre sont ordonnés. C’est pourquoi la


prudence, qui rend le choix droit, est la vertu
cardinale en cette matière.
[12062] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 1. La même chose n’est pas nécessaire pour
1 Ad primum ergo dicendum, quod non idem qu’une passion soit principale, pour qu’elle soit
requiritur ad hoc quod aliqua passio sit principalis la matière d’une vertu principale et pour qu’elle
et ad hoc quod sit materia principalis virtutis, et donne son nom à une puissance. En effet, le nom
ad hoc quod denominet potentiam. Quia enim vient de ce qui est achevé, ultime et plus
denominatio fit ex completo et ultimo et manifeste. C’est pourquoi la puissance de
manifestiori: ideo potentia irascibilis denominatur l’irascible tire son nom de la passion de la colère,
a passione irae, quae est ultima aliarum qui est l’ultime passion parmi toutes celles qui se
passionum quae sunt in irascibili, et composita trouvent dans l’irascible, et une passion
passio, sicut supra dictum est. Sed ad hoc quod sit composée, comme on l’a dit plus haut. Mais
principalis passio, requiritur quod afficiatur pour qu’elle soit une passion principale, il est
appetitus secundum conditionem appetibilis nécessaire que l’appétit soit affecté selon la
moventis, ut scilicet bonum prosequatur, et condition de l’objet désiré qui meut, à savoir
malum fugiat; et ita in irascibili timor et spes sunt qu’il recherche le bien et fuit le mal. La crainte
principales passiones. Sed ad hoc quod sit materia et l’espoir sont ainsi les passions principales de
principalis virtutis, requiritur quod sit passio l’irascible. Mais pour qu’existe la matière d’une
excedens per modum intensionis alias passiones vertu principale, il est nécessaire qu’existe une
existentes in illa vi, sicut circa maximas passion qui dépasse en intensité les autres
delectationes concupiscibilis est temperantia. passions qui se trouvent dans cette puissance ;
Magis autem intensam passionem facere natum ainsi, pour les plus grands plaisirs du
est malum corruptivum imminens, sicut sunt concupiscible, existe la tempérance. Mais un mal
mortis pericula, quam bonum expectatum, vel capable de corrompre de manière imminente est
quam vindicta desiderata de malo illato: et ideo susceptible de rendre plus intense une passion
circa audacias et timores, quae sunt circa plutôt qu’un bien attendu, comme c’est le cas des
hujusmodi pericula, est principalis virtus, non dangers de mort ou du désir de vengeance pour
autem circa spem vel circa iram. un mal causé. C’est pourquoi, pour les audaces et
les craintes qui portent sur ce genre de dangers, il
existe une vertu principale, mais non pour
l’espoir ou pour la colère.
[12063] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 2. Ce sur quoi porte une vertu principale doit non
2 Ad secundum dicendum, quod illud circa quod seulement être ce qu’il y a de principal selon
est principalis virtus, non solum debet esse l’intensité, mais aussi selon la dépendance, à
principalius secundum intensionem, sed etiam savoir que ce principal ne dépende pas d’autres
secundum dependentiam, ut scilicet illud choses, mais que, d’une certaine manière, ces
principale non dependeat ab aliis, sed alia autres choses soient ordonnées lui, comme les
quodammodo ordinentur ad ipsum; sicut plaisirs du toucher ne dépendent pas des autres
delectationes tactus non dependent ab aliis plaisirs, mais les autres y sont plutôt ordonnés ;
delectationibus, sed magis aliae ordinantur ad autrement, le caractère de vertu cardinale ne
ipsas: alias enim non salvaretur ratio cardinalis serait pas sauvegardé. Or, la grandeur sur
virtutis. Magnum autem quod attendit laquelle porte la magnanimité dépend d’autres
magnanimitas, dependet ex aliis virtutibus, quia vertus, car ce qu’il y a de grand est fait par les
operatur magnum in actibus aliarum virtutum, et actes d’autres vertus. C’est pourquoi elle
ideo praesupponit alias virtutes, ut philosophus présuppose les autres vertus, comme le
dicit in 4 Ethic.: et propter hoc magnanimitas non Philosophe le dit dans Éthique, IV. Pour cette
potest esse cardinalis virtus. raison, la magnanimité ne peut être une vertu
cardinale.
[12064] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 3. On dit que l’humilité est la sauvegarde et le
1025

3 Ad tertium dicendum, quod humilitas dicitur fondement des autres vertus pour leur existence,
conservatio et fundamentum aliarum virtutum in dans la mesure où elle écarte un obstacle :
esse suo, inquantum removet prohibens, scilicet l’orgueil, qui s’insinue dans les actions bonnes
superbiam, quae bonis operibus insidiatur ut pour les mettre en évidence, comme le dit
pareant, sicut dicit Augustinus, non autem propter Augustin, non pas en raison du caractère
principalitatem materiae, ad quam aliarum principal de la matière, à laquelle les matières
virtutum materiae reducuntur, ut sic aliarum des autres vertus sont ramenées, de sorte que les
virtutum motus in humilitate firmentur, quod facit mouvement des autres vertus soient affermis par
cardinalem virtutem. Humilitas autem habet idem l’humilité, ce que fait une vertu cardinale. Or,
pro materia quod magnanimitas, quamvis sub l’humilité a la même chose comme matière que
diversis rationibus: quia humilitas rationem parvi la magnanimité, bien que sous des raisons
ex consideratione propriae fragilitatis; sed différentes, car l’humilité a le caractère de ce qui
magnanimitas rationem magni ex consideratione est petit en considération de sa propre fragilité,
divini auxilii, vel divini doni, vel gratuiti vel mais la magnanimité a la raison de ce qui est
naturalis, sicut est rationis bonum. grand en considération de l’aide divine ou d’un
don divin, gratuit ou naturel, comme l’est le bien
de la raison.
[12065] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 4. En supposant que la pénitence soit une vertu,
4 Ad quartum dicendum, quod dato quod elle ne sera pas une vertu cardinale du fait
poenitentia sit virtus, non erit cardinalis virtus, eo qu’elle présuppose les matières d’autres vertus,
quod praesupponit aliarum virtutum materias, comme c’est aussi le cas de la magnanimité. En
sicut et magnanimitas. Poenitentia enim est dolor effet, la pénitence est une douleur à propos des
de peccatis. Peccatorum autem et virtutum eadem péchés. Or, la matière des péchés et des vertus
est materia. est la même.
[12066] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 1 qc. 4 ad 5. La libéralité présuppose aussi la justice, car
5 Ad quintum dicendum, quod liberalitas etiam personne ne pourrait donner de ce qui lui
praesupponit justitiam: quia nullus posset aliquid appartient s’il ne possédait pas quelque chose qui
de proprio dare, nisi aliquid suum haberet; et hoc est sien : c’est ce que fait la justice. Aussi l’acte
facit justitia; unde actus liberalitatis actum de la libéralité présuppose-t-il l’acte de la justice.
justitiae praesupponit; et ideo non est cardinalis C’est pourquoi elle n’est pas une vertu cardinale,
virtus, sed justitiae annexa. mais une [vertu] associée à justice.

Articulus 2 [12067] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 Article 2 – La prudence a-t-elle une matière
a. 2 tit. Utrum prudentia habeat aliquam materiam spéciale ?
specialem
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [La prudence a-t-elle une
matière spéciale ?]
[12068] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 1. Il semble que la prudence n’ait pas de matière
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod spéciale, car un philosophe dit que « la physique,
prudentia non habeat aliquam materiam la dialectique et la rhétorique font partie de la
specialem. Quia quidam philosophus dicit, quod prudence ». Or, rien n’existe dans le monde, qui
sub prudentia comprehenduntur physica, ne se ramène à ces quatre choses, car la physique
dialectica, rhetorica. Sed nihil est in mundo quod porte sur ce qui est naturel, la dialectique sur les
ad aliquid istorum quatuor non reducatur: quia opérations de la raison et la politique sur les
physica est de his quae sunt a natura, dialectica opérations civiles. La prudence n’a donc pas de
autem est de operibus rationis, politica de matière déterminée.
civilibus operibus. Ergo prudentia non habet
aliquam materiam determinatam.
[12069] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 2. Selon le Philosophe, dans Éthique, VI, le
arg. 2 Praeterea, secundum philosophum in 6 prudent prend pleinement conseil. Or, le conseil
1026

Ethic., prudens est totaliter consiliativus. Sed fait aussi partie de ce qui se fait dans les arts
consilium est etiam in his quae ab artibus mécaniques. La prudence porte donc sur tout
mechanicis fiunt. Ergo circa omnia illa est cela.
prudentia.
[12070] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 3. Le Philosophe dit dans Éthique, VI, que la
arg. 3 Praeterea, dicit philosophus in 6 Ethic., prudence est la droite raison dans les actions à
quod prudentia est recta ratio agibilium. Sed poser. Or, les actions à poser sont tout ce qui se
agibilia sunt omnia quae ad alias virtutes rapporte aux autres vertus. [La prudence] n’a
pertinent. Ergo non habet materiam distinctam ab donc pas de matière distincte des autres vertus.
aliis virtutibus.
[12071] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. Cependant, [1] toute vertu dont la définition
c. 1 Sed contra, omnis virtus in cujus definitione comporte une matière a une matière spéciale et
ponitur materia, habet specialem et determinatam déterminée. Or, une certaine matière est mise
materiam. Sed materia aliqua ponitur in dans la définition de la prudence, car elle est la
definitione prudentiae: quia est recta ratio raison droite des actions à poser. Elle possède
agibilium. Ergo habet materiam determinatam. donc une matière déterminée.
[12072] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 s. [2] [La prudence] est une vertu spéciale. Elle a
c. 2 Praeterea, est virtus specialis. Ergo habet donc un objet spécial.
objectum speciale.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Les passions sont-elles la
matière de la tempérance et de la force ?]
[12073] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 1. Il semble que les passions ne soient pas la
arg. 1 Ulterius. Videtur quod passiones non sint matière de la tempérance et de la force. En effet,
materia temperantiae et fortitudinis. Materia enim la matière est sauvegardée dans tout ce qui est
salvatur in omnibus quae ex materia vel circa fait à partir ou à propos de la matière. Or, les
materiam fiunt. Sed praedictae virtutes sunt vertus mentionnées apaisent les passions. Les
quietantes a passionibus. Ergo passiones non sunt passions ne sont donc pas leur matière.
materia earum.
[12074] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 2. Ce par quoi les vertus se distinguent doit être
arg. 2 Praeterea, illud penes quod distinguuntur assigné comme la matière des vertus, car les
virtutes, debet assignari materia virtutum: quia habitus se distinguent par les objets. Or, les
habitus per objecta distinguuntur. Sed virtutes vertus mentionnées et celles qui leur sont
praedictae et eis annexae distinguuntur penes res associées se distinguent selon des réalités
exteriores: quia quaedam sunt circa pericula extérieures, car certaines portent sur les dangers
mortis, quaedam circa delectabilia venerea, de mort, certaines sur les plaisirs sexuels,
quaedam circa honores, et sic de aliis. Ergo res certaines sur les honneurs, et ainsi de suite pour
exteriores, et non passiones, sunt earum materia. les autres. Des réalités extérieures, et non les
passions, sont donc leur matière.
[12075] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 3. Ce qui est commun à toute vertu ne doit pas
arg. 3 Praeterea, illud quod est commune omni être assigné comme matière à une vertu spéciale.
virtuti, non debet assignari materia alicui speciali Or, le plaisir se trouve dans toutes les vertus
virtuti. Sed delectatio invenitur in omnibus spéciales, car « on doit retenir comme signe d’un
specialibus virtutibus: quia oportet accipere habitus engendré le plaisir à poser une action ».
signum generati habitus fientem in opere Donc, le plaisir et les autres passions ne sont pas
delectationem. Ergo delectatio et aliae passiones la matière d’une vertu déterminée.
non sunt materia alicujus determinatae virtutis.
[12076] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 s. Cependant, [1] le Philosophe dit, dans Éthique,
c. 1 Sed contra, philosophus dicit in 3 Ethic., quod III, que la force porte sur les craintes et les
fortitudo est circa timores et audacias, temperantia audaces, mais la tempérance sur les convoitises.
autem circa concupiscentias. Hae autem passiones Or, ce sont là des noms de passions. Il semble
1027

nominant. Ergo videtur quod materia harum donc que la matière de ces vertus soit les
virtutum sint passiones. passions.
[12077] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 s. [2] La matière d’une chose est ce sur quoi sa
c. 2 Praeterea, illud est materia rei circa quod forme est placée. Or, la forme des vertus
ponitur forma ipsius. Sed forma praedictarum mentionnées est le milieu. Puisque le milieu est
virtutum est medium. Ergo cum medium ponatur placé sur les passions, il semble donc que les
in passionibus, videtur quod passiones sint passions soient la matière des vertus
materia praedictarum virtutum. mentionnées.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La justice porte-t-elle sur
des opérations ?]
[12078] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 1. Il semble que la justice ne porte pas sur des
arg. 1 Ulterius. Videtur quod justitia non sit circa opérations. En effet, la matière et les actes
operationes. Non enim potest esse idem materia, portant sur la matière ne peuvent pas être la
et actus circa materiam. Sed actus justitiae est même chose. Or, l’acte de la justice est une
quaedam operatio. Ergo operationes non possunt certaine opération. Les opérations ne peuvent
esse materia justitiae. donc pas être la matière de la justice.
[12079] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 2. Même les opérations extérieures naissent des
arg. 2 Praeterea, operationes etiam exteriores ex passions intérieures. Or, on ne dit pas que la
interioribus passionibus oriuntur. Sed justitia non justice porte sur les passions, mais c’est plutôt le
dicitur esse circa passiones, sed magis aliae cas des autres vertus. [La justice] ne porte donc
virtutes. Ergo non est circa operationes. pas sur les opérations.
[12080] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 3. La vertu qui entoure toutes les vertus n’a pas
arg. 3 Praeterea, virtus quae circuit omnes de matière spéciale. Or, la justice est de ce genre,
virtutes, non habet aliquam specialem materiam. comme il est dit dans la Glose à propos de Gn 1,
Sed justitia est hujusmodi, ut dicitur in Glossa même la justice spéciale, car, parmi les échanges
Genes. 1, etiam specialis: quia inter sur lesquels porte la justice commutative, qui est
commutationes, circa quas est commutativa une espèce de la justice spéciale, dans Éthique,
justitia, quae est species specialis justitiae, ponit V, le Philosophe met l’adultère, qui porte sur la
philosophus in 5 Ethic., moechiam, quae est circa matière de la tempérance, et le fait de tuer par
materiam temperantiae, et occisionem dolo, quae ruse, qui porte sur la matière de la douceur. Il
est circa materiam mansuetudinis. Ergo videtur semble donc qu’il ne faille pas attribuer une
quod justitiae non sit attribuenda aliqua specialis matière spéciale à la justice.
materia.
[12081] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 s. Cependant, [1] le Philosophe dit, au début
c. 1 Sed contra, est quod dicit philosophus in d’Éthique, V, que la justice porte sur les
principio 5 Ethic. quod justitia est circa opérations.
operationes.
[12082] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 s. [2] [La justice] porte sur quelque chose qui
c. 2 Praeterea, ipsa est circa aliquid circa quod n’est l’objet d’aucune autre vertu : le gain
non est aliqua alia virtus, scilicet circa lucrum d’argent. Elle a donc une matière spéciale.
pecuniarum. Ergo habet aliquam specialem
materiam.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[12083] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 co. La prudence porte sur ce qui est objet de conseil,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, du fait qu’il revient à celui qui est prudent
quod prudentia circa illa est de quibus est d’avoir un bon comportement vis-à-vis des
consilium, eo quod ad prudentem pertinet bene se conseils, en exerçant lorsqu’il conseille, juge et
habere circa consilia, consiliando, judicando, et commande. Or, le conseil porte sur les actions
praecipiendo. Consilium autem est de contingentes à poser par nous ; aussi est-il
contingentibus operabilibus a nobis; unde etiam nécessaire que la prudence porte là-dessus. Et
1028

circa hoc oportet prudentiam esse. Et quia prudens parce qu’on appelle prudent celui qui exerce
dicitur bene consiliativus simpliciter, oportet quod simplement un bon conseil, il est nécessaire qu’il
consilietur de his quae sunt ordinata ad bonum exerce son conseil sur ce qui est simplement
hominis simpliciter. Hoc autem consistit in ordonné au bien de l’homme. Or, cela consiste
animae perfectione, cujus ultima perfectio est dans la perfection de l’âme, dont la perfection
debita operatio potentiarum animae; et ideo de his ultime est l’opération appropriée des puissances
in quibus bonum operantis consistit, est prudentia; de l’âme. C’est pourquoi la prudence porte sur ce
et haec agibilia dicuntur. Ea enim quae transeunt en quoi consiste le bien de celui qui agit : cela
in exteriorem materiam ad perficiendum eam, s’appelle les actions à accomplir. En effet, ce qui
dicuntur factiones magis quam actiones, et circa passe dans une matière extérieure pour la
eas est ars mechanica praedicta. Ergo agibilia, perfectionner est appelé un ouvrage (factiones)
secundum quod sunt consiliabilia, sunt propria plutôt qu’une action (actiones) : l’art mécanique
materia prudentiae. dont il a été question porte sur celles-là. Les
actions à poser, selon qu’elles sont objets de
conseil, sont donc la matière propre de la
prudence.
[12084] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1. La physique et la dialectique ne font pas partie
1 Ad primum ergo dicendum, quod physica et de la prudence pour ce qui est de leur objet, mais
dialectica non continentur sub prudentia quantum pour ce qui est de leur usage et de leur exercice.
ad ea de quibus sunt, sed quantum ad usum et
exercitium earum.
[12085] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2. Les opérations de l’art mécanique sont
2 Ad secundum dicendum, quod operationes artis ordonnées à la perfection d’une matière
mechanicae ordinantur ad perfectionem exterioris extérieure, et non à la perfection de celui qui
materiae, et non ad perfectionem operantis, nisi agit, si ce n’est par accident, dans la mesure où il
per accidens, inquantum scilicet utitur eis quae fait usage de ce qu’il réalise ; mais cela relève de
facit: sed hoc accidit arti; et ideo bene consiliari l’art. C’est pourquoi avoir un bon conseil à ce
de his, non est bene consiliari simpliciter, sed ad sujet n’est pas avoir un bon conseil tout
finem aliquem; et propter hoc secundum hoc non simplement, mais en vue d’une certaine fin. Pour
dicitur aliquis prudens simpliciter, sed prudens in cette raison, on ne dit pas à ce propos que
hoc. quelqu’un est simplement prudent, mais prudent
pour telle chose.
[12086] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3. De même que l’objet de l’intellect : le vrai, et
3 Ad tertium dicendum, quod sicut idem l’objet de la volonté : le bien, sont en réalité la
secundum rem est objectum intellectus inquantum même chose, de même aussi la matière de la
est verum, et voluntatis inquantum est bonum; ita prudence et celle des autres vertus, qui est en
etiam idem secundum rem diversa ratione potest réalité la même, peut-elle être différente selon la
esse materia prudentiae, et aliarum moralium raison : elle est celle de la prudence en tant
virtutum; prudentiae quidem inquantum est qu’objet de conseil, et celle des autres vertus en
consiliabile, aliarum autem virtutum inquantum tant qu’action à poser.
est agibile.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[12087] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Comme on l’a dit, la matière de la prudence est
Ad secundam quaestionem dicendum, quod sicut le bien que nous devons faire et qui se rapporte à
dictum est, materia prudentiae est bonum la perfection de l’âme. Or, la droite opération de
operabile a nobis, pertinens ad perfectionem l’âme, en laquelle sa perfection consiste pour ce
animae. Operatio autem animae recta, in qua qui se rapporte à la vie active, consiste en deux
perfectio ejus consistit quantum ad vitam activam choses : la modération des passions de l’âme et
pertinet, in duobus consistit, scilicet in l’usage approprié des choses extérieures. Parce
moderatione passionum animae, et in usu debito qu’il faut avoir les vertus morales pour mettre en
1029

exteriorum rerum. Quia ergo oportet virtutes œuvre ce que la prudence a décidé, il est donc
morales haberi ad exequendum illud quod nécessaire qu’il existe des vertus pour les deux
prudentia decrevit, oportet quod sint aliquae choses mentionnées. Pour modérer les passions,
virtutes circa utrumque praedictorum. Circa il y a donc la tempérance et la force, et les autres
passiones ergo moderandas est temperantia et de ce genre. Aussi les passions portant sur les
fortitudo, et alia hujusmodi; unde propria materia plaisirs du toucher sont-elles la matière propre de
temperantiae sunt passiones circa delectabilia la tempérance ; mais les craintes et les audaces
tactus; fortitudinis autem timores et audaciae in dans les situations les plus terribles sont celle de
maximis terribilibus. la force.
[12088] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1. Les vertus n’éteignent pas complètement les
1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutes non passions, mais les modèrent. Aussi le Philosophe
omnino extinguunt passiones, sed moderant eas; dit-il dans Éthique, II, que « certains disent que
unde philosophus dicit in 2 Ethic., quod quidam les vertus sont impassibilité et repos, mais ils ne
determinant virtutes impassibilitates et quietes; parlent pas correctement ».
non bene autem.
[12089] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2. Ces vertus ne se distinguent pas à partir de
2 Ad secundum dicendum, quod virtutes istae non choses extérieures, sauf dans la mesure où il
distinguuntur ex rebus exterioribus, nisi quatenus arrive que l’âme soit affectée de diverses
circa eas contingit animam diversimode manières à leur endroit. Aussi les passions sont-
passionibus affici; unde passiones sunt proxima elles la matière prochaine, mais les choses
materia, res autem exteriores sunt materia remota, extérieures la matière éloignée, dans la mesure
inquantum sunt objecta ipsarum passionum. où elles sont objets des passions elles-mêmes.
[12090] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3. Les autres vertus ne portent pas sur les plaisirs
3 Ad tertium dicendum, quod aliae virtutes non comme sur leur matière, mais le plaisir découle
sunt circa delectationes sicut circa materiam; sed plutôt de l’acte de la vertu.
magis delectatio est consequens actum virtutis.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[12091] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 co.Il ne faut pas seulement que l’homme soit
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod non modéré pour les passions intérieures, mais aussi
solum oportet hominem moderari circa passiones pour les actions extérieures. Or, la modération en
interiores, sed etiam circa actiones exteriores. Sed celles-ci peut être double. Premièrement, par
moderatio in eis potest esse duplex. Uno modo rapport à l’agent : ainsi, la raison de modérer les
per ordinem ad agentem; et sic eadem est ratio actions extérieures est la même que celle [de
moderandi actiones exteriores, et interiores modérer] les passions intérieures. Aussi cela
passiones; unde hoc pertinet ad alias virtutes quae relève-t-il d’autres vertus qui portent sur les
sunt circa passiones. Alio modo per ordinem ad passions. Deuxièmement, par rapport à un autre
alium cum quo est convivendum; et sic habet avec qui on doit vivre : il existe ainsi une raison
specialem rationem moderationis, et ideo spéciale d’exercer la modération. C’est pourquoi
requiritur specialis virtus; unde ad hoc est justitia,
une vertu spéciale est nécessaire. Aussi la justice
et illa quae ad justitiam reducuntur. Propria ergo porte-t-elle là-dessus et sur ce qui se ramène à la
materia justitiae sunt operationes exteriores justice. Les opérations extérieures, selon qu’elles
secundum quod ordinantur ad alterum; res autem sont ordonnées à un autre, sont donc la matière
exteriores, ut pecunia, vel aliquid hujusmodi, sunt propre de la justice ; mais les choses extérieures,
materia justitiae inquantum in usum veniunt; et comme l’argent ou quelque chose de ce genre,
ideo sunt materia remota. sont la matière de la justice pour autant qu’on en
use. C’est pourquoi elles sont la matière
éloignée.
[12092] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 1. Les actes premiers et principaux des vertus
1 Ad primum igitur dicendum, quod actus sont les actes intérieurs. Si nous faisons des
virtutum primi et principales sunt actus interiores. opérations extérieures la matière de la justice,
1030

Unde si ponimus exteriores operationes materiam l’acte et la matière ne seront donc pas la même
justitiae, non erit idem actus et materia. chose.
[12093] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 2. La solution ressort clairement de ce qui a été
2 Ad secundum patet solutio per id quod dictum dit.
est.
[12094] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 2 qc. 3 ad 3. Comme cela ressort de ce qui a été dit, il
3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex dictis existe une double matière des vertus : la matière
patet, duplex est materia virtutum; scilicet remota, éloignée, comme les choses extérieures dont on
ut res exteriores, quae veniunt in usum vitae; et fait usage pour vivre ; et la [matière] prochaine,
proxima, ut passiones, et operationes. Justitia comme les passions et les opérations. Selon
igitur, secundum quod specialis est virtus, ordinat qu’elle est une vertu spéciale, la justice ordonne
materiam omnium aliarum virtutum remotam: donc la matière éloignée de toutes les autres
quia illae eaedem res quae sunt natae inferre vertus, car ces mêmes choses, qui sont
passiones violentas, possunt assumi ut materia naturellement susceptibles de provoquer des
operationis ad alterum; tamen quaedam passions violentes, peuvent être considérées
assumuntur ut materia operationis ad alterum, comme matière d’une opération envers
quae non multum nata sunt inferre passionem, quelqu’un d’autre. Cependant, certaines choses
sicut pecuniae, et hujusmodi. Et ideo quidquid est sont considérées comme matière d’une opération
materia exterior aliarum virtutum, potest esse envers quelqu’un d’autre, qui ne sont pas
materia exterior justitiae, sed non convertitur. naturellement très susceptibles de provoquer une
Quantum autem ad materiam proximam justitia passion, tels l’argent et les choses de ce genre.
specialis non circuit materiam aliarum virtutum, C’est pourquoi tout ce qui est la matière
quia ad ipsam non spectat qualiter homo irascatur, extérieure des autres vertus peut être la matière
dummodo non percutiat. extérieure de la justice, mais non l’inverse. Mais
pour ce qui est de la matière rapprochée, la
justice spéciale n’englobe pas la matière des
autres vertus, car la manière dont un homme se
met en colère ne la regarde pas, pourvu qu’il ne
frappe pas.

Articulus 3 [12095] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 Article 3 – La prudence comporte-t-elle un


a. 3 tit. Utrum prudentia habeat actum virtutis acte de vertu distinct des autres ?
distinctum ab aliis
[12096] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 1 1. Il semble que la prudence n’ait pas un acte
Ad tertium sic proceditur. Videtur quod prudentia distinct des autres vertus, car, ainsi que le dit le
non habeat actum distinctum ab aliis virtutibus. Philosophe dans Éthique, VI, la prudence
Quia, ut philosophus dicit 6 Ethic., prudentia commande. Or, commander à propos de ce qui
praeceptiva est. Sed praecipere de operandis idem doit être accompli semble être la même chose
videtur quod electio, quae est actus virtutis que le choix, qui est un acte de vertu morale,
moralis, ut dicit philosophus in 6 Ethic. Ergo comme le dit le Philosophe dans Éthique, VI. La
prudentia non habet distinctum actum ab aliis prudence n’a donc pas un acte distinct des autres
virtutibus. vertus morales.
[12097] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 2 2. Le milieu se trouve selon la raison droite, qui
Praeterea, medium invenitur secundum rationem relève de la prudence. Or, atteindre le milieu en
rectam, quae pertinet ad prudentiam. Sed attingere toute matière est un acte de la vertu qui porte sur
medium in qualibet materia est actus virtutis quae cette matière. L’acte de la prudence n’est donc
est circa materiam illam. Ergo actus prudentiae pas distinct de l’acte des autres vertus.
non distinguitur ab actu aliarum virtutum.
[12098] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 3 3. Il revient au même d’agir sur une fin et sur ce
Praeterea, ejusdem est operari circa finem et circa qui se rapporte à cette fin. Or, les autres vertus
1031

ea quae sunt ad finem. Sed aliae virtutes faciunt rendent le choix droit pour leurs propres fins.
rectam electionem de propriis finibus. Ergo etiam Elles dirigent donc aussi pour ce qui se rapporte
dirigunt in hujusmodi quae sunt ad finem. Sed hoc à la fin. Or, cela relève de la prudence, comme il
pertinet ad prudentiam, ut dicitur in 6 Ethic. Ergo est dit dans Éthique, VI. La prudence n’a donc
prudentia non habet actum distinctum ab aliis pas un acte distinct des autres vertus.
virtutibus.
[12099] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 4 4. Selon le Philosophe dans Éthique, VI, la fin
Praeterea, secundum philosophum in 6 Ethic., prochaine d’une vertu est l’action bonne. Or, la
finis proximus virtutis est bona operatio. Sed prudence dirige en vue de l’action bonne. Elle
prudentia dirigit ad bonam operationem. Ergo dirige donc pour la fin de la vertu. Or, cela relève
dirigit ad finem virtutis. Sed hoc pertinet ad alias des autres vertus, comme le dit le Philosophe.
virtutes, ut dicit philosophus. Ergo actus L’acte de la prudence ne se distingue donc pas
prudentiae non distinguitur ab actibus aliarum des actes des autres vertus.
virtutum.
[12100] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 5 5. Il semble que les actes des vertus soient
Item, videtur quod inconvenienter ponantur in présentés de manière inappropriée dans le texte,
littera actus virtutum. Quia subvenire miseris est car aider les miséreux est un acte de miséricorde,
actus misericordiae; praecavere autem insidias mais éviter les embûches relève de la
pertinet ad cautionem, quam quidam ponunt prévoyance, dont certains font une partie de la
prudentiae partem. prudence.
[12101] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 arg. 6 6. Supporter des désagréments ne semble pas
Item, perferre molestias non videtur actus être un acte de la force, tant parce
fortitudinis esse: tum quia aggredi difficilia qu’entreprendre des choses difficiles semble être
videtur esse virtuosius, et ita magis ad plus vertueux, et ainsi relever plutôt de la force,
fortitudinem pertinere: tum quia perferre non que parce supporter ne semble pas exprimer un
videtur dicere actum, sed magis acte, mais plutôt une immobilisation, et que
immobilitationem: tum quia perferre molestias parce que supporter des désagréments semble
videtur esse etiam aliarum virtutum actus, ut être l’acte d’autres vertus, comme la patience et
patientiae et caritatis, quae omnia sustinet, et la charité, qui supporte tout [1 Co 13, 7], et de la
mansuetudinis: tum etiam quia non circa quaslibet douceur ; et aussi parce que la force ne porte pas
molestias est fortitudo, ut philosophus probat in 3 sur n’importe quels désagréments, comme le
Ethic. montre le Philosophe dans Éthique, III.
[12102] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 co. Réponse. Trois choses sont nécessaires pour la
Respondeo dicendum, quod ad perfectionem perfection de la vertu morale : premièrement, la
virtutis moralis tria sunt necessaria. Primum est détermination de la fin ; deuxièmement,
praestitutio finis; secundum autem est inclinatio l’inclination vers la fin déterminée ;
ad finem praestitutum; tertium est electio eorum troisièmement, le choix de ce qui se rapporte à
quae sunt ad finem. Finis autem proximus cette fin. Or, la fin prochaine de la vie humaine
humanae vitae est bonum rationis in communi; est le bien de la raison d’une manière générale.
unde dicit Dionysius, quod malum hominis est Aussi Denys dit-il que le mal pour l’homme
contra rationem esse: et ideo est intentum in consiste à être contre la raison. C’est pourquoi
omnibus virtutibus moralibus, ut passiones et l’intention de toutes les vertus morales est de
operationes ad rectitudinem rationis reducantur. ramener les passions et les opérations à la
Rectitudo autem rationis naturalis est; unde hoc droiture de la raison. Or, la droiture relève de la
modo praestitutio finis ad naturalem rationem raison naturelle. C’est donc ainsi que la
pertinet, et praecedit prudentiam, sicut intellectus détermination de la fin relève de la raison
principiorum scientiam; et ideo dicit philosophus, naturelle et précède la prudence, comme
6 Ethic., quod prudentia habet principia fines l’intelligence des principes [précède] la science.
virtutum. Sed hoc bonum rationis determinatur C’est pourquoi le Philosophe dit dans
secundum quod constituitur medium in actionibus Éthique,VI, que la prudence a comme principes
1032

et passionibus per debitam commensurationem les fins des vertus. Mais ce bien de la raison est
circumstantiarum, quod facit prudentia. Unde déterminé par le milieu établi dans la actions et
medium virtutis moralis, ut in 2 Ethic. dicitur, est les passions selon l’évaluation appropriée des
secundum rationem rectam, quae est prudentia; et circonstances, ce que fait la prudence. Le milieu
sic quodammodo prudentia praestituit finem de la vertu morale, comme on le dit dans
virtutibus moralibus, et ejus actus in earum Éthique, II, est donc conforme à la raison droite,
actibus immiscetur; sed inclinatio in finem illum qui est la prudence. Et ainsi, la prudence a-t-elle
pertinet ad virtutem moralem quae consentit in d’une certaine manière déterminé la fin pour les
bonum rationis per modum naturae: et haec vertus morales, et son acte est-il mêlé à leurs
inclinatio in finem dicitur electio, inquantum finis actes, mais l’inclination vers cette fin relève de
proximus ad finem ultimum ordinatur. Et ideo la vertu morale qui consent au bien de la raison
dicit philosophus, 2 Ethic., quod virtus moralis par mode de nature. Cette inclination vers la fin
facit electionem rectam. Sed discretio eorum s’appelle le choix, pour autant qu’une fin
quibus hoc bonum rationis consequi possumus et prochaine est ordonnée à la fin ultime. C’est
in operationibus et in passionibus, est actus pourquoi le Philosophe dit dans Éthiques, II, que
prudentiae: unde praestitutio finis praecedit actum la vertu morale rend le choix droit. Mais le
prudentiae et virtutis moralis; sed inclinatio in discernement de ce par quoi nous pouvons
finem, sive recta electio finis proximi, est actus obtenir ce bien de la raison dans les opérations
moralis virtutis principaliter, sed prudentiae comme dans les passions est un acte de la
originaliter. Unde philosophus dicit, quod prudence. Aussi la détermination de la fin
rectitudo electionis est in aliis virtutibus a précède-t-elle l’acte de la prudence et de la vertu
prudentia, sicut rectitudo in intentione naturae est morale ; mais l’inclination vers la fin, ou le choix
ex sapientia divina ordinante naturam: et correct de la fin prochaine, est-il principalement
secundum hoc actus etiam prudentiae immixtus un acte de la vertu morale, mais un acte de la
est actibus aliarum virtutum. Sicut enim inclinatio prudence par son origine. Aussi le Philosophe
naturalis est a ratione naturali, ita inclinatio dit-il que, dans les autres vertus, la droiture du
virtutis moralis a prudentia; electio autem eorum choix vient de la prudence, comme la droiture de
quae sunt ad finem, secundum quod electio l’intention de la nature vient de la sagesse divine
importat praeceptum rationis de his prosequendis. qui ordonne la nature. L’acte de la prudence est
Sed actus prudentiae sibi proprius est, et distinctus donc ainsi mêlé aux actes des autres vertus. En
ab actibus aliarum virtutum. effet, de même que l’inclination de la vertu
morale vient de la raison naturelle, de même
l’inclination de la vertu morale vient-elle de la
prudence ; mais le choix de ce qui est ordonné à
la fin [vient] de ce que le choix comporte un
commandement de la raison de le poursuivre.
Mais l’acte de la prudence lui est propre et il est
distinct des actes des autres vertus.
[12103] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 1 Ad 1. Le choix de la fin prochaine relève de la vertu
primum igitur dicendum, quod electio finis morale dans la mesure où le choix relève de
proximi pertinet ad virtutem moralem quantum ad l’appétit ; mais le choix de ce qui est ordonné à
hoc quod electio ad appetitum pertinet; sed electio cette fin relève de la prudence pour ce qui relève
eorum quae ad illum finem ordinantur, pertinet ad de la connaissance. En effet, le choix comporte
prudentiam quantum ad id quod cognitionis est: une part de connaissance et une part d’appétit.
electio enim aliquid habet de cognitione, et
aliquid de appetitu.
[12104] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 2 Ad 2. Choisir le milieu est l’acte de chaque vertu en
secundum dicendum, quod eligere medium, est sa propre matière ; mais établir par avance ce
actus uniuscujusque virtutis in propria materia; milieu est un acte de la prudence.
sed praefigere medium hoc, est actus prudentiae.
1033

[12105] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 3 Ad 3. L’inclination de la vertu morale a quelque


tertium dicendum, quod virtutis moralis inclinatio chose en commun avec l’inclination de la nature
convenit quodammodo cum inclinatione naturae, et en diffère d’une certaine manière. Elle a
et quodammodo differt. Convenit quidem in hoc, quelque chose en commun parce que, dans les
quia utraque inclinatio est in finem determinatum; deux, l’inclination vise une fin déterminée. Mais
differt autem in hoc quod in naturalibus sicut est elle en diffère en ce que, dans les choses
finis determinatus, ita et ea quae sunt ad finem; naturelles, de même que la fin est déterminée, de
sed in virtutibus moralibus est finis determinatus, même ce qui se rapporte à la fin l’est-il aussi ;
non autem viae ad finem, quia potest medium mais, dans les vertus morales, la fin est
inveniri in diversis diversimode. Et quia naturalis déterminée, mais non les chemins vers la fin, car
inclinatio est semper uno modo, ideo inclinatio le milieu peut se trouver de diverses manières en
virtutis moralis non sufficit in ea quae sunt ad diverses choses. Et parce que l’inclination va
finem, sed oportet quod determinetur per virtutem toujours dans le même sens, l’inclination de la
cognitivam, scilicet prudentiam. vertu morale ne suffit pas pour ce qui se rapporte
à la fin, mais il est nécessaire qu’elle soit
déterminée par une vertu cognitive : la prudence.
[12106] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 4 Ad 4. N’importe quelle opération n’est pas la fin de
quartum dicendum, quod non quaelibet operatio la vertu morale, mais celle par laquelle le milieu
est finis moralis virtutis, sed illa qua attingitur est atteint, dans lequel se trouve le bien de la
medium, in quo est bonum rationis. Sed raison. Or, ces opérations, par lesquelles sont
operationes illae in quibus quaeruntur debitae recherchées les circonstances appropriées pour y
circumstantiae ut inveniatur medium, sunt trouver le milieu, sont des opérations qui se
operationes quae sunt fines. rapportent aux fins.
[12107] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 5 Ad 5. Augustin entend présenter les actes des vertus
quintum dicendum, quod Augustinus intendit selon qu’elles sont possédées ici différemment
ponere actus virtutum secundum quod habentur de ce qu’elles le seront dans la patrie. C’est
hic differenter quam in patria: et ideo ponit actus pourquoi il présente les actes des vertus en
virtutum respectu mali, quod non erit in patria. regard du mal, qui n’existera pas dans la patrie.
Nec curat utrum sint actus principales virtutis cui Et il ne se soucie pas qu’il s’agisse des actes
assignantur, dummodo ad ipsam, vel ad aliquam principaux de la vertu à laquelle ils sont
virtutem ei annexam, pertineant. assignés, pourvu qu’ils relèvent d’elle ou d’une
vertu connexe.
[12108] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 3 ad 6 Ad 6. Supporter, pour autant que cela désigne un
sextum dicendum, quod perferre, secundum quod acte de la force, n’indique pas une immobilité,
dicitur actus fortitudinis, non dicit immobilitatem, mais le choix de demeurer dans des
sed electionem immorandi in molestiis propter désagréments en vue du bien de la vertu, sans
bonum virtutis sine perturbatione immoderati être troublés par une crainte immodérée. En cela,
timoris; in quo differt ab aliis virtutibus: quia elle diffère des autres vertus, car la charité rend
caritas facit imperturbatum contra odium, impertubable contre la haine, la douceur contre
mansuetudo contra iram, patientia contra la colère, la patience contre la tristesse. Comme
tristitiam: et hic quidem, ut philosophus dicit in 3 le dit le Philosophe dans Éthique, III, cet acte est
Ethic., est magis actus fortitudinis quam aggredi davantage un acte de la force que d’entreprendre
difficilia, quanto est difficilius praesentia mala des choses difficiles, pour autant qu’il est plus
non fugere, quam insurgere in mala quae nondum difficile de ne pas fuir des maux présents que de
afficiunt. Quamvis autem fortitudo sit contra se dresser contre des maux qui ne nous affectent
molestias mortis principaliter, tamen etiam pas encore. Bien que la force porte
secundario est contra omnes alias molestias: quia principalement sur les désagréments de la mort,
in omnibus fortis bene se habet, ut dicit elle s’oppose cependant de manière secondaire à
philosophus in 3 Ethic. tous les désagréments, car celui qui est fort se
comporte bien dans tous [les désagréments],
1034

ainsi que le dit le Philosophe dans Éthique, III.

Articulus 4 [12109] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 Article 4 – Une puissance de l’âme est-elle le
a. 4 tit. Utrum aliqua potentia animae sit sujet d’une vertu ?
subjectum alicujus virtutis
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Une puissance de l’âme est-
elle le sujet d’une vertu ?]
[12110] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 1. Il semble qu’aucune puissance de l’âme ne
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod soit le sujet d’une vertu. En effet, une forme
nulla potentia animae sit subjectum alicujus simple ne peut être un sujet, comme le dit Boèce.
virtutis. Forma enim simplex, ut dicit Boetius, Or, les puissances de l’âme sont des formes
subjectum esse non potest. Sed potentiae animae simples. Elles ne peuvent donc pas être des
sunt formae simplices. Ergo non possunt esse sujets d’une vertu.
subjectum virtutis.
[12111] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 2. L’habitus se trouve là où est l’opération. Or,
arg. 2 Praeterea, cujus est operatio, ejus est l’opération ne relève pas d’une puissance, mais
habitus. Sed potentiae non est operatio, sed des suppôts. Les puissances de l’âme ne sont
suppositorum. Ergo potentiae animae non sunt donc pas des sujets des vertus.
subjecta habituum virtutum.
[12112] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 3. Selon Augustin, « par la vertu, on vit
arg. 3 Praeterea, virtute recte vivitur, secundum correctement ». Or, la vie ne relève pas d’une
Augustinum. Sed vita non est per potentiam puissance de l’âme, mais plutôt de son essence.
animae, sed magis per essentiam. Ergo virtutes Les vertus ne se trouvent donc pas dans les
non sunt in potentiis sicut in subjecto. puissances comme dans un sujet.
[12113] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 s. Cependant, « la vertu est le point ultime d’une
c. 1 Sed contra, virtus est ultimum potentiae, puissance », selon le Philosophe, Sur le ciel et le
secundum philosophum in 1 Cael. et Mund. Sed monde, I. Or, le point ultime se trouve là où se
ultimum est in eo cujus est ultimum. Ergo virtus trouve ce qui est ultime. La vertu est donc dans
est in potentia animae sicut in subjecto. une puissance de l’âme comme dans son sujet.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [La tempérance et la force se
trouvent-elles dans l’irascible et dans
leconcupiscible ?]
[12114] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 1. Il semble que la tempérance et la force ne se
arg. 1 Ulterius. Videtur quod temperantia et trouvent pas dans l’irascible et dans le
fortitudo non sint in irascibili et concupiscibili. concupiscible, car, selon le Philosophe, Éthique,
Quia, secundum philosophum, 2 Ethic., virtus II, la vertu morale rend le choix droit. Or, le
moralis facit electionem rectam. Sed electio non choix n’est pas un acte de l’irascible et du
est actus irascibilis et concupiscibilis, sed liberi concupiscible, mais du libre arbitre. Elles ne se
arbitrii. Ergo non sunt in irascibili et trouvent donc pas dans l’irascible et dans le
concupiscibili sicut in subjecto, sed in libero concupiscible comme dans un sujet, mais dans le
arbitrio. libre arbitre.
[12115] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 2. Ce qui est perpétuellement corrompu ne peut
arg. 2 Praeterea, illud quod est perpetuae être le sujet de la vertu. Or, la sensualité, dont les
corruptionis, non potest esse subjectum virtutis. parties sont l’irascible et le concupiscible, est
Sed sensualitas, cujus partes sunt irascibilis et perpétuellement corrompue ; aussi est-elle
concupiscibilis, perpetuae corruptionis est: unde signifiée par le serpent. L’irascible et le
signatur per serpentem. Ergo irascibilis et concupiscible ne sont donc pas les sujets d’une
concupiscibilis non sunt subjectum alicujus vertu.
virtutis.
[12116] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 3. L’irascible et le concupiscible sont
1035

arg. 3 Praeterea, irascibilis et concupiscibilis sunt commandés par la volonté. Or, il est inapproprié
imperata a ratione. Sed inconveniens est ponere d’affirmer que les actes des vertus sont
quod actus virtutum imperentur a naturali ratione. commandés par la raison naturelle. Il n’y a donc
Ergo non sunt aliquae virtutes in irascibili. pas de vertus dans l’irascible.
[12117] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 4. Les vertus humaines doivent se trouver dans
arg. 4 Praeterea, virtutes humanae debent esse in ce par quoi l’homme se distingue des autres
eo per quod homo ab aliis distinguitur. Sed hoc choses. Or, cela est la raison. Toutes [les vertus]
est ratio. Ergo omnes sunt in ratione, non in se trouvent donc dans la raison, et non dans
irascibili et concupiscibili. l’irascible et dans le concupiscible.
[12118] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 5. Les contraires sont par nature susceptibles
arg. 5 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa d’être accomplis à propos de la même chose. Or,
idem. Sed peccatum mortale opponitur virtuti. le péché mortel s’oppose à la vertu. Puisque son
Cum ergo ejus subjectum non possit esse nisi ratio sujet ne peut être que la raison ou la volonté, car
vel voluntas, quia omne peccatum in voluntate tout péché se trouve dans la volonté, la vertu ne
est; nec virtus poterit esse in irascibili et pourra donc pas non plus se trouver dans
concupiscibili. l’irascible et dans le concupiscible.
[12119] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 6. De même que la partie sensible appétitive est
arg. 6 Praeterea, sicut appetitiva sensibilis deservit au service de la volonté et de la raison, de même
voluntati et rationi; ita apprehensiva sensibilis la partie sensible cognitive est-elle de [au service
intellectui. Sed in apprehensivis sensitivae partis de] l’intellect. Or, on ne situe aucune vertu dans
non ponitur aliqua virtus. Ergo nec in appetitiva les [puissances] cognitives de la partie sensible.
sensibili. Donc, ni dans la [puissance] appétitive sensible.
[12120] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 s. Cependant, [1] dans Éthique, I, le Philosophe
c. 1 Sed contra, philosophus, in 1 Ethic., distinguit distingue les vertus morales des vertus
virtutes morales et intellectuales; et morales intellectuelles ; et il distingue les vertus morales
distinguit secundum rationale per essentiam et per selon ce qui est raisonnable par essence et par
participationem. Sed rationale per participationem participation. Or, ce qui est raisonnable par
est in irascibili et concupiscibili. Ergo et cetera. participation se trouve dans l’irascible et dans le
concupiscible. Donc, etc.
[12121] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 s. [2] Le Philosophe donne comme différence entre
c. 2 Praeterea, philosophus assignat differentiam le continent et le tempéré, que le continent
inter continentem et temperatum; quia continens éprouve [une passion] mais n’est pas entraîné
patitur et non deducitur; temperatus autem non [par elle], mais que le tempéré ne [l]’éprouve
patitur. Sed hoc non potest esse nisi in temperato pas. Or, cela ne peut exister chez le tempéré que
sit aliquid in illa vi in qua sunt natae esse s’il y a quelque chose dans la puissance où se
passiones. Cum ergo passiones in irascibili et trouvent par nature les passions. Puisque les
concupiscibili sint, videtur quod in irascibili et passions se trouvent dans l’irascible et dans le
concupiscibili sit aliqua virtus. concupiscible, il semble donc que la vertu se
trouve dans l’irascible et dans le concupiscible.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [La justice se trouve-t-elle
aussi dans l’irascible et dans le concupiscible ?]
[12122] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 1. Il semble que la justice se trouve aussi dans
arg. 1 Ulterius. Videtur quod justitia sit etiam in l’irascible et dans le concupiscible, car la justice
irascibili et concupiscibili. Quia justitia est est une vertu morale dont le sujet est quelque
moralis virtus, cujus subjectum est rationale per chose de raisonnable par participation, ce qui est
participationem, quod est irascibilis et le propre de l’irascible et du concupiscible. La
concupiscibilis. Ergo justitia est in irascibili et justice se trouve donc dans l’irascible et dans le
concupiscibili. concupiscible.
[12123] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 2. Il existe trois puissances qui meuvent : la
arg. 2 Praeterea, tres sunt vires motivae: [puissance] raisonnable, l’irascible et le
1036

rationalis, irascibilis, et concupiscibilis. Sed concupiscible. Or, la justice ne se trouve pas


justitia non est in rationali, quia non est virtus dans la puissance raisonnable, car elle n’est pas
cognitiva. Ergo est in irascibili vel concupiscibili. une vertu cognitive. Elle se trouve donc dans
l’irascible et le concupiscible.
[12124] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 3. La volonté a un rapport égal à tous les actes
arg. 3 Praeterea, voluntas se habet aequaliter ad des vertus, car toutes les vertus sont des habitus
omnia opera virtutum: quia omnes virtutes sunt volontaires. Donc, pour la même raison, soit
habitus voluntarii. Ergo eadem ratione vel omnes toutes les vertus se trouvent dans la volonté, soit
virtutes sunt in voluntate, vel nulla. Non autem aucune. Or, toutes les vertus ne se trouvent pas
omnes virtutes sunt in voluntate: quia fortitudo est dans la volonté, car la force se trouve dans
in irascibili, temperantia in concupiscibili. Ergo l’irascible et la tempérance, dans le
justitia non est in voluntate nec in ratione, ut concupiscible. La justice ne se trouve donc ni
dictum est; ergo est in irascibili vel concupiscibili. dans la volonté ni dans la raison, comme on l’a
dit. Elle se trouve donc dans l’irascible ou le
concupiscible.
[12125] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 4. Une vertu se trouve comme dans son sujet
arg. 4 Praeterea, in illa vi est virtus aliqua sicut in dans la puissance dont relève la matière de la
subjecto ad quam pertinet materia virtutis. Sed vertu. Or, la matière de la justice relève de
materia justitiae pertinet ad irascibilem et l’irascible et du concupiscible, car, pour ce qui
concupiscibilem: quia quantum ad materiam est de sa matière extérieure, elle englober les
exteriorem circuit actus aliarum virtutum, ut actes des autres vertus, comme on l’a dit. Elle se
dictum est. Ergo est in irascibili et concupiscibili. trouve donc dans l’irascible et dans le
concupiscible.
[12126] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 s. Cependant, [1] Anselme dit que « la justice est
c. 1 Sed contra, Anselmus dicit, quod justitia est la droiture de la volonté maintenue pour elle-
rectitudo voluntatis propter se servata. Sed même ». Or, la droiture de la volonté se trouve
rectitudo voluntatis est in voluntate sicut in dans la volonté comme dans son sujet. La justice
subjecto. Ergo justitia est in voluntate, et non in se trouve donc dans la volonté, et non dans
irascibili et concupiscibili. l’irascible et dans le concupiscible.
[12127] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 s. [2] La justice consiste dans un rapport à l’autre.
c. 2 Praeterea, justitia consistit in ordine ad alium. Or, établir un rapport ne relève que de la raison.
Sed ordinare non est nisi rationis. Ergo justitia La justice ne se trouve donc pas dans l’irascible
non est in irascibili et concupiscibili, sed in et dans le concupiscible, mais dans la raison.
ratione.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [La prudence se trouve-t-elle
dans la raison ?]
[12128] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 1. Il semble que la prudence ne se trouve pas
arg. 1 Ulterius. Videtur quod prudentia non sit in dans la raison, car, ainsi que le dit le Philosophe,
ratione. Quia, sicut dicit philosophus, in 6 Ethic., Éthique, VI, la prudence commande. Or,
prudentia praeceptiva est. Sed praecipere pertinet commander relève de la volonté, qui est le
ad voluntatem, quae est motor omnium virium, ut moteur de toutes les puissances, comme le dit
dicit Anselmus. Ergo prudentia est in voluntate Anselme. La prudence se trouve donc dans la
sicut in subjecto. volonté comme dans son sujet.
[12129] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 2. Choisir semble être un acte de la prudence. Or,
arg. 2 Praeterea, eligere videtur esse actus le choix n’est pas un acte de la raison, mais du
prudentiae. Sed electio non est actus rationis, sed libre arbitre, qui est la même chose que la
liberi arbitrii, quod est idem quod voluntas. Ergo volonté. La prudence ne se trouve donc pas dans
prudentia non est in ratione sicut in subjecto, sed la raison comme dans son sujet, mais dans la
in voluntate. volonté.
[12130] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 3. L’erreur involontaire s’oppose davantage à un
1037

arg. 3 Praeterea, habitui qui est in ratione sicut in habitus qui se trouve dans la raison comme dans
subjecto, magis opponitur error involuntarius son sujet, que l’erreur volontaire : ainsi, le
quam error voluntarius, sicut magis est grammairien est plus à blâmer s’il commet un
vituperabilis grammaticus si involuntarius solécisme involontairement plutôt que
soloecizet quam si voluntarius. Sed magis volontairement. Or, le péché que quelqu’un
opponitur prudentiae peccatum quod quis commet volontairement s’oppose davantage à la
voluntarie committit, quam illud quod quis prudence, que celui que quelqu’un commet
involuntarius facit. Ergo prudentia non est in involontairement. La prudence ne se trouve donc
ratione sicut in subjecto, sed magis in voluntate. pas dans la raison comme dans son sujet, mais
plutôt dans la volonté.
[12131] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 s. Cependant, [1] en Éthique, VI, le Philosophe dit
c. 1 Sed contra est quod philosophus dicit in 6 que la prudence est la raison droite de ce qui doit
Ethic., quod prudentia est recta ratio operabilium. être accompli.
[12132] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 s. [2] Selon Tullius [Cicéron], les parties de la
c. 2 Praeterea, partes prudentiae, secundum prudence sont la mémoire, l’intelligence et la
Tullium, assignantur memoria, intelligentia, prévoyance. Or, celles-ci ne relèvent pas de la
providentia. Sed haec non pertinent ad volonté mais de la raison. La prudence ne se
voluntatem, sed ad rationem. Ergo prudentia non trouve donc pas dans la volonté mais dans la
est in voluntate, sed in ratione. raison.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[12133] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 co. La substance, qui est le sujet de tous les
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, accidents, en reçoit certains par l’intermédiaire
quod substantia, quae est subjectum omnium, d’autres, et certains sont causés à partir des
recipit quaedam accidentia mediantibus aliis; et principes de la substance par l’intermédiaire
quaedam causantur ex principiis substantiae, d’autres accidents. Ainsi, [une substance reçoit]
mediantibus aliis accidentibus; sicut colorem la couleur par l’intermédiaire de la surface, et la
recipit mediante superficie, et ex principiis saveur est causée par l’intermédiaire du chaud et
corporis mixti causatur sapor mediante calido et du froid à partir des principes d’un corps mixte.
frigido. Unde subjectum alicujus accidentis potest Le sujet d’un accident peut donc être présenté de
dupliciter assignari. Uno modo substantia, quae deux manières. Premièrement, [ce peut être] la
est primum fundamentum accidentium; et sic substance, qui est le fondement premier des
habitus virtutum non sunt in potentiis sicut in accidents. Ainsi les habitus des vertus ne se
subjecto, sed magis in ipsa anima, vel etiam trouvent pas dans les puissances comme dans
conjuncto. Alio modo dicitur accidens quo leur sujet, mais plutôt dans l’âme elle-même ou
mediante inest alterum accidens substantiae, esse encore dans le composé [d’âme et de corps].
subjectum illius, sicut superficies coloris: et hoc Deuxièmement, on dit que l’accident, par
modo habitus virtutum dicuntur esse in potentiis l’intermédiaire duquel existe un autre accident de
sicut in subjecto: quia habitus ordinantur ad actus; la substance, est son sujet, comme c’est le cas de
actus autem egrediuntur ab essentia animae la surface pour la couleur. On dit ainsi que les
mediante potentia. habitus des vertus se trouvent dans les
puissances comme dans leur sujet parce que les
habitus sont ordonnés aux actes ; or, les actes
proviennent de l’essence de l’âme par
l’intermédiaire d’une puissance.
[12134] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 1. La forme qui n’a pas de matière comme
1 Ad primum ergo dicendum, quod forma quae principe (ex qua) ni comme sujet (in qua) ne
neque habet materiam ex qua neque in qua, nullo peut d’aucune manière être le sujet. Mais la
modo potest esse subjectum; forma autem quae forme qui a une matière comme sujet, bien
habet materiam in qua, quamvis non habeat qu’elle n’ait pas de matière comme principe,
materiam ex qua, potest esse subjectum non sicut peut être sujet, non pas en tant que premier sujet
1038

primum sustinens accidens, sed sicut id quo supportant l’accident, mais comme ce par
mediante accidens substantiae inest. l’intermédiaire de quoi un accident se trouve
dans la substance.
[12135] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 2. Bien que l’opération ne soit pas le fait de la
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis operatio puissance comme sujet agissant, elle est
non sit potentiae sicut operantis, est tamen cependant le fait de la puissance en tant que
potentiae sicut principii operationis, quo quis principe de l’opération par laquelle quelqu’un
operatur. agit.
[12136] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 1 ad 3. D’une première manière, on dit que vivre,
3 Ad tertium dicendum, quod vivere uno modo c’est être pour le vivant : de cette manière, vivre
dicitur esse viventis; et hoc modo vivere non est ne se réalise pas par les puissances, mais par
per potentias, sed per essentiam animae. Alio l’essence de l’âme. D’une autre manière, on dit
modo dicitur vivere operatio viventis; et sic vivere que vivre est l’opération du vivant : ainsi, vivre
est per potentias, quae sunt operationum vitae se réalise par l’intermédiaire des puissances, qui
principia. sont les principes des opérations de la vie.
Quaestiuncula 2 Réponse à la sous-question 2
[12137] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 co. Les vertus humaines sont ce par quoi l’action de
Ad secundam quaestionem dicendum, quod l’homme est rendue bonne ; aussi, dans toute
virtutes humanae sunt quibus opus hominis puissance qui est principe de l’action humaine, il
bonum redditur; unde in omni potentia quae est est nécessaire qu’existe l’habitus d’une vertu par
principium humani operis, oportet esse habitum lequel son action est rendue bonne ; autrement,
virtutis, quo opus ejus bonum redditur: alias non l’homme ne serait pas suffisamment perfectionné
esset sufficienter homo per virtutem perfectus. par la vertu. Or, le principe d’un acte humain est
Principium autem humani operis est omnis toute puissance dans laquelle on trouve quelque
potentia in qua aliquid rationis invenitur, a qua chose de la raison, par laquelle l’homme obtient
homo habet quod homo sit. Unde cum in irascibili d’être homme. Puisque, dans l’irascible et dans
et concupiscibili, quae sunt partes sensibilis le concupiscible, qui sont des parties de l’appétit
appetitus, sit aliquid rationis participative, sensible, existe quelque chose de la raison par
inquantum rationi obedire possunt, quod non est mode de participation, pour autant qu’elles
de potentiis nutritivae partis; oportet quod in peuvent obéir à la raison, ce qui n’est pas le cas
irascibili et concupiscibili sint aliquae virtutes des puissances de la partie nutritive, il est donc
sicut in subjecto, quibus efficitur ut facile rationi nécessaire que, dans l’irascible et dans le
obediant illae potentiae in quibus sunt; quod concupiscible, existent certaines vertus comme
quidem contingit inquantum passiones dans leur sujet, par lesquelles les puissances dans
reprimuntur, ut non rationem perturbent. Unde in lesquelles elles se trouvent obéissent facilement
illo qui passiones vehementiores patitur, sed non à la raison, ce qui se produit dans la mesure où
deducitur, est quidem habitus in ratione, qui tenet les passions sont réprimées pour qu’elles ne
eam ne deducatur, non autem in viribus illis in troublent pas la raison. Aussi, chez celui qui
quibus sunt passiones; sicut patet in continente; et subit des passions plus impétueuses, mais n’est
ideo continens, seu abstinens, non est perfecte pas entraîné [par elles], existe dans la raison un
virtuosus, sed temperatus vel mitis, in quo non habitus qui la retient pour qu’elle ne soit pas
solum superior pars est perfecta ut deduci non entraînée, mais non dans les puissances mêmes
possit, sed etiam inferior moderata ut passiones où se trouvent les passions, comme cela ressort
vehementes non insurgant; et ideo in quacumque pour le continent. C’est pourquoi le continent ou
potentia est passio circa quam est virtus aliqua, celui qui s’abstient n’est pas parfaitement
illa potentia est subjectum illius virtutis; sicut vertueux, mais le tempéré ou le doux [l’est], chez
concupiscibilis, temperantiae; fortitudinis autem qui, non seulement la partie supérieure est
et mansuetudinis, irascibilis. parfaite, de sorte qu’il n’est pas entraîné, mais
aussi la [partie] inférieure, de sorte que ne
s’élèvent pas des passions véhémentes. C’est
1039

pourquoi, en chaque puissance où existe une


passion sur laquelle porte une vertu, cette
puissance est le sujet de cette vertu, comme le
concupiscible, pour la tempérance, et l’irascible,
pour la force et la douceur.
[12138] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 1. Selon le Philosophe, Éthique, VI, le choix
1 Ad primum igitur dicendum, quod electio, relève de l’appétit et de l’intellect ou de la
secundum philosophum in 6 Ethic., est appetitus, raison. En effet, il s’achève dans l’appétit après
et intellectus sive rationis: completur enim in une recherche par la raison. Aussi tout appétit
appetitu praecedente inquisitione rationis. Unde auquel peut parvenir un commandement de la
omnis appetitus ad quem potest pervenire rationis raison peut-il participer au choix en tant que tel,
imperium, particeps electionis esse potest, principalement au choix qui porte sur la fin, bien
inquantum hujusmodi: et praecipue illius que ce ne soit pas le choix dont parle le
electionis quae est de fine; quamvis non sit electio Philosophe.
de qua loquitur philosophus.
[12139] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 2. L’appétit sensible, considéré dans sa nature
2 Ad secundum dicendum, quod sensibilis propre, est appelé sensualité, et ainsi il est
appetitus, secundum quod in natura sua corrompu de manière perpétuelle. Selon lui,
consideratur, dicitur sensualitas, et sic est l’homme ne diffère pas des animaux sans raison
perpetuae corruptionis; et secundum ipsum non et ne peut pas non plus être le sujet de la vertu,
differt homo a brutis, nec potest esse subjectum mais non pas selon qu’il participe d’une certaine
virtutis, non autem secundum quod est participans manière à la raison. C’est pourquoi rien
aliqualiter ratione; et ideo nihil prohibet sic in eo n’empêche qu’existe en lui une vertu comme
esse virtutem sicut in proximo subjecto. dans son sujet rapproché.
[12140] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 3. Certaines vertus sont acquises et certaines sont
3 Ad tertium dicendum, quod virtutes quaedam gratuites. Pour les vertus acquises, l’orientation
sunt acquisitae, et quaedam gratuitae. Virtutibus naturelle de la raison et de la volonté au bien est
autem acquisitis nobilior est naturalis ordinatio in plus noble. Il n’est donc pas inapproprié que
ratione et voluntate ad bonum. Unde non est leurs actes soient commandés par une puissance
inconveniens, si a naturali potentia earum actus naturelle, puisque les vertus des parties
imperentur, cum ex hoc sint virtutes in inférieures existent du fait qu’elles obéissent aux
inferioribus partibus quod superioribus in eo quod parties supérieures pour ce qui leur est naturel.
naturale est eis, obediunt. Sed virtutes infusae Mais les vertus infuses sont plus nobles que les
sunt nobiliores potentiis naturalibus; eis tamen puissances naturelles. Cependant, la plus noble
omnibus nobilior est caritas, quae est in voluntate, d’entre elles est la charité, qui se trouve dans la
qua mediante ratio inferioribus viribus praecipit; volonté, par l’intermédiaire de laquelle la raison
et ideo non est inconveniens quod a caritate motus commande aux puissances inférieures. C’est
aliarum virtutum etiam imperentur. pourquoi il n’est pas inapproprié que les
mouvements des autres vertus soient aussi
commandés par la charité.
[12141] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 4. L’homme se distingue des animaux sans
4 Ad quartum dicendum, quod homo distinguitur raison, non seulement par ce qu’il y a
a brutis non solum in eo quod est rationale d’essentiellement rationnel en lui, mais aussi par
essentialiter, sed etiam in eo quod est rationale per ce qu’il y a en lui de rationnel par participation.
participationem.
[12142] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 5. On ne dit pas que le péché mortel se situe
5 Ad quintum dicendum, quod non dicitur toujours dans la raison, comme si tout acte de
peccatum mortale semper esse in ratione quasi péché mortel était un acte choisi par la raison,
omnis actus peccati mortalis sit actus rationis puisqu’il peut y avoir un péché mortel même
elicitive, cum etiam in actibus exteriorum dans les actes des membres extérieurs, mais
1040

membrorum possit esse mortale peccatum; sed parce qu’aucun acte de péché ne reçoit le
quia nullus actus peccati mortalis rationem caractère de péché mortel que si un
accipit, nisi consensus adveniat; et similiter nullus consentement survient. De la même façon, il ne
actus potest esse virtutis, nisi a ratione ordinetur; peut exister aucun acte de vertu, à moins qu’il ne
et hoc est esse virtutem in inferioribus potentiis, soit ordonné par la raison. C’est ainsi qu’existe
inquantum participant ratione. la vertu dans les puissances inférieures, pour
autant qu’elles participent à la raison.
[12143] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 2 ad 6. Les puissances sensibles cognitives servent
6 Ad sextum dicendum, quod apprehensivae l’intellect autrement que les puissances sensibles
sensitivae aliter serviunt intellectui quam appétitives ne servent la raison et la volonté. En
appetitivae sensitivae rationi et voluntati. effet, la puissance sensible cognitive est au
Apprehensiva enim sensitiva servit intellectui service de l’intellect en lui présentant son objet.
ministrando ei suum objectum; et ideo magis C’est pourquoi l’intellect reçoit davantage du
intellectus participat aliquid a sensu quam e sens par participation que l’inverse. Mais la
converso; sed appetitiva sensibilis servit voluntati puissance sensible appétitive est au service de la
et rationi quasi moventi, et sic participat aliquid volonté et de la raison comme quelque chose qui
ab ea: et ideo est aliqualiter rationalis, scilicet meut, et ainsi elle reçoit d’elles quelque chose
participative, non autem vis apprehensiva par participation. Elle est donc d’une certaine
sensibilis; et propter hoc apprehensiva sensibilis manière raisonnable, à savoir, par participation,
non potest esse subjectum virtutis, sicut appetitiva mais non la puissance sensible cognitive. Pour
sensibilis. cette raison, la puissance sensible cognitive ne
peut être sujet de vertu, comme la puissance
sensible appétitive.
Quaestiuncula 3 Réponse à la sous-question 3
[12144] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 co. La justice ne peut se trouver dans l’irascible et
Ad tertiam quaestionem dicendum, quod justitia dans le concupiscible comme dans un sujet,
non potest esse in irascibili et concupiscibili sicut puisqu’elle ne porte pas sur les passions : en
in subjecto, cum non sit circa passiones: ad ipsam effet, il ne lui appartient pas de modérer les
enim non pertinet moderari passiones, sed passions, mais les actions extérieures qui se
exteriores actiones quae sunt ad alterum. Unde rapportent à quelqu’un d’autre. Il est donc
oportet quod sit in illa potentia sicut in subjecto nécessaire qu’elle se trouve comme dans son
ad quam pertinet usus rerum exteriorum in ordine sujet dans la puissance dont relève l’usage des
ad alterum. Uti autem actus voluntatis est choses extérieures en rapport avec quelqu’un
secundum Augustinum; sed non absolute d’autre. Or, l’usage est un acte de la volonté
secundum quod voluntas est finis, sed secundum selon Augustin, non pas de manière absolue
quod praesupponit collationem rationis ordinantis selon que la volonté porte sur la fin, mais selon
ad alterum; et ideo in voluntate hoc modo accepta, qu’elle présuppose un rapprochement de la
est justitia sicut in subjecto. In voluntate enim, raison qui ordonne à quelqu’un d’autre. C’est
secundum quod est finis, non potest esse aliqua pourquoi la justice se trouve dans la volonté
virtus moralis, quia ad bonum civile et naturale ainsi entendue comme dans son sujet. En effet,
hominis, voluntas naturalem inclinationem habet dans la volonté, selon qu’elle porte sur la fin, il
sicut in proprium subjectum; sed secundum quod ne peut y avoir de vertu morale, car la volonté a
voluntas est eorum quae sunt ordinata ad finem, une inclination naturelle au bien civil et naturel
sic in voluntate potest esse moralis virtus, scilicet de l’homme comme à son objet propre. Mais
justitia, sicut et prudentia in ratione cognitiva. selon que la volonté porte sur ce qui est ordonné
Hoc autem quod dictum est de subjecto justitiae, à la fin, une vertu morale peut exister dans la
consonat omnibus quae dicuntur ab aliis de volonté, à savoir, la justice, comme aussi la
subjecto justitiae. Quidam enim dicunt eam esse prudence dans la raison cognitive. Or, ce qui a
in ratione: quod non potest esse secundum quod été dit du sujet de la justice est en accord avec
ratio est cognitiva potentia, sed secundum quod tout ce qui est dit par d’autres à propos du sujet
1041

ratio comprehendit et cognitionem et affectionem: de la justice. En effet, certaines disent qu’elle se


secundum quod dicitur quod voluntas in ratione trouve dans la raison, ce qui ne peut être le cas
est. Alii vero dicunt quod est in tota anima: quod selon que la raison est une puissance cognitive,
quidem verificatur inquantum voluntas est mais selon que la raison comprend la
universalis motor omnium virium animae; unde connaissance et l’affectivité, pour autant qu’on
etiam Commentator in 5 Ethic. dicit quod est in dit de la volonté qu’elle se trouve dans la raison.
rationali et concupiscibili. Et similis ratio est de Mais d’autres disent qu’elle se trouve dans toute
omnibus virtutibus quae non sunt circa passiones, l’âme, ce qui s’avère vrai pour autant que la
sed circa operationes, sicut liberalitas, volonté est le moteur universel de toutes les
magnificentia, et hujusmodi. puissances de l’âme. Aussi, en Éthique, V, même
le Commentateur dit-il qu’elle se trouve dans la
[puissance] rationnelle et concupiscible. Et le
raisonnement est le même pour toutes les vertus
qui ne portent pas sur les passions, mais sur les
opérations, comme la libéralité, la magnificence
et celles de ce genre.
[12145] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 1. Non seulement l’irascible et le concupiscible
1 Ad primum igitur dicendum, quod rationale per sont-ils appelés raisonnables par participation,
participationem non solum dicitur irascibilis et mais aussi l’appétit d’une manière universelle,
concupiscibilis, sed universaliter appetitus, ut comme il le dit au même endroit. C’est pourquoi
ibidem dicit; et ideo voluntas quamvis per la volonté, bien qu’elle se trouve par essence
essentiam sit in parte intellectiva, tamen quantum dans la partie intellective, participe-t-elle d’une
ad actum aliqualiter ratione participat, et certaine manière à la raison pour ce qui est de
praecipue secundum quod est eorum quae sunt ad son acte, principalement selon qu’elle porte sur
finem, in quae intendit secundum quod a ratione ce qui se rapporte à la fin, vers quoi elle tend
praeordinata sunt; et ideo potest esse subjectum selon que cela a d’abord été ordonné par la
virtutis moralis. raison. Aussi peut-elle être sujet de la vertu
morale.
[12146] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 2. Ce qui est raisonnable comprend non
2 Ad secundum dicendum, quod rationale seulement la raison cognitive, mais aussi la
comprehendit non solum rationem cognitivam, volonté. Ainsi, la justice se trouve dans ce qui est
sed etiam voluntatem; et sic justitia est in rationali raisonnable comme dans son sujet.
sicut in subjecto.
[12147] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 3. Bien que la volonté commande à toutes les
3 Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas matières et à tous les actes des vertus, les
aequaliter habeat imperium super omnes materias matières de certaines vertus, telles les passions,
et actus virtutum; tamen materiae quarumdam relèvent cependant aussi d’autres puissances de
virtutum, sicut passiones, pertinent etiam ad alias manière plus immédiate. C’est pourquoi les
potentias immediatius; et ideo virtutes quae sunt vertus qui portent principalement sur les
principaliter circa passiones, sunt in illis potentiis passions se trouvent dans ces puissances comme
sicut in subjecto. Sed materiae quarumdam dans leurs sujets. Mais les matières de certaines
virtutum non pertinent ad aliam potentiam nisi ad vertus ne se rapportent à aucune autre puissance
voluntatem; et ideo virtutes quae sunt circa illas qu’à la volonté. C’est pourquoi les vertus qui
materias, sunt in voluntate sicut in subjecto. portent sur ces matières se trouvent dans la
volonté comme dans leur sujet.
[12148] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 3 ad 4. Les matières d’autres vertus peuvent être la
4 Ad quartum dicendum, quod materiae aliarum matière de la justice, non pas selon qu’elles
virtutum possunt esse materia justitiae non suscitent une passion, mais selon qu’elles sont
secundum quod passionem inferunt, sed utilisées dans une opération se rapportant à
secundum quod veniunt in usum operationis ad quelqu’un d’autre.
1042

alterum.
Quaestiuncula 4 Réponse à la sous-question 4
[12149] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 co. La prudence se trouve dans la raison cognitive
Ad quartam quaestionem dicendum, quod pratique comme dans son sujet. Mais il faut
prudentia est in ratione cognitiva practica sicut in savoir que, de même qu’il ne peut y avoir de
subjecto. Sed sciendum, quod sicut in voluntate vertu morale dans la volonté sous l’aspect où elle
non potest esse virtus moralis ex parte illa qua est porte sur la fin, en raison de l’inclination
finis, propter naturalem inclinationem, ita etiam naturelle, de même aussi [ne peut-il y en avoir]
nec in ratione ex parte illa qua est de fine, quia dans la raison sous l’aspect où elle porte sur la
finis est principium in operativis. Unde sicut in fin, car la fin est le principe en matière d’actions.
ratione speculativa sunt innata principia De même que, dans la raison spéculative,
demonstrationum, ita in ratione practica sunt existent les principes innés des démonstrations,
innati fines connaturales homini; unde circa illa de même donc, dans la raison pratique, existent
non est habitus acquisitus aut infusus, sed des fins innées connaturelles à l’homme. Il
naturalis, sicut synderesis, loco cujus philosophus n’existe donc pas d’habitus acquis ou infus à leur
in 6 Ethic. ponit intellectum in operativis. propos, mais [un habitus] naturel, comme la
Relinquitur igitur quod prudentia sit in ratione syndérèse ; en Éthique, VI, le Philosophe, la
practica secundum quod negotiatur de illis quae remplace par l’intellect en matière d’opérations.
sunt ad finem. Sed quia naturalis inclinatio ad Il reste donc que la prudence se trouve dans la
finem aliquem est ex praestituente naturam, qui raison pratique selon qu’elle traite de ce qui se
talem ordinem naturae tribuit; ideo naturalis rapporte à la fin. Mais parce que l’inclination
inclinatio voluntatis ad finem non est ex ratione, naturelle à une fin vient de la nature qui l’a
nisi forte secundum naturalem communicantiam, établie à l’avance et lui a conféré un tel ordre de
qua fit ut appetitus rationi conjunctus naturaliter la nature, l’inclination naturelle de la volonté à la
tendat ad conformandum se rationi sicut regulae; fin ne vient donc de la raison que selon un
et ex hoc est quod voluntas est naturaliter échange naturel, par lequel l’appétit
inclinata ad finem, qui naturaliter rationi est naturellement uni à la raison tend à se conformer
inditus. Unde cum negotiatio de his quae sunt ad à la raison comme à sa règle. De là vient que la
finem, praesupponat naturalem cognitionem finis, volonté est naturellement inclinée à la fin qui est
quae sequitur naturalem inclinationem voluntatis naturellement placée dans la raison. Comme le
in finem; oportet quod habitus perficiens rationem traitement de ce qui se rapporte à la fin
negotiantem de his quae sunt ad finem, présuppose une connaissance naturelle de la fin,
praesupponat inclinationem appetitus ad finem: qui découle de l’inclination naturelle de la
quae quidem inclinatio in appetitu superiori, volonté vers la fin, il est donc nécessaire que
scilicet voluntate, est naturalis; in appetitu autem l’habitus qui perfectionne la raison qui traite de
inferiori est ex assuetudine, vel ex Dei dono, ce qui se rapporte à la fin, présuppose
quantum ad sui complementum; sed aliqua ejus l’inclination de l’appétit vers la fin : cette
inchoatio etiam est a natura, inquantum est inclination de l’appétit supérieur, la volonté, est
naturaliter obaudibilis rationi. In hoc igitur differt naturelle. Mais, dans l’appétit inférieur, elle
prudens a continente; quia continens habet vient de l’habitude (assuetudine) ou d’un don de
perfectam rationem de his quae sunt ad finem, Dieu pour ce qui est de son accomplissement.
praesupposita tamen naturali inclinatione Cependant, une amorce (inchoatio) vient de la
voluntatis ad finem; prudens autem praesupposita nature pour autant qu’elle est naturellement
inclinatione quae est ex virtute acquisita vel susceptible d’obéir à la raison. En cela, donc, le
infusa in potentiis inferioribus; et ideo prudentia, prudent diffère du continent, que le continent
ut dicit philosophus, habet sua principia in aliis possède une raison parfaite à propos de ce qui se
virtutibus moralibus. rapporte à la fin, en présupposant cependant
l’inclination naturelle de la volonté vers la fin,
mais le prudent, en présupposant l’inclination
qui vient de la vertu acquise ou infuse dans les
1043

puissances inférieures. C’est pourquoi la


prudence, comme le dit le Philosophe, trouve ses
principes dans les autres vertus morales.
[12150] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 1. La raison commande par l’intermédiaire de la
1 Ad primum igitur dicendum, quod ratio etiam volonté dans la mesure où elle détermine que
praecipit mediante voluntate, inquantum quelque chose doit être fait.
sententiat aliquid esse faciendum.
[12151] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 2. Choisir est un acte de la prudence pour ce qui
2 Ad secundum dicendum, quod eligere est actus relève de la connaissance dans le choix.
prudentiae quantum ad id quod est de cognitione
in electione.
[12152] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 4 qc. 4 ad 3. Cela convient à la prudence dans la mesure où
3 Ad tertium dicendum, quod hoc convenit elle présuppose une inclination de la volonté et
prudentiae, inquantum praesupponit inclinationem des puissances inférieures.
voluntatis et inferiorum virium.

Articulus 5 [12153] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 Article 5 – Les autres vertus cardinales se
a. 5 tit. Utrum aliae virtutes cardinales reducantur ramènent-elles à la prudence comme à une
ad prudentiam sicut ad principaliorem, vel causam vertu principale ou à leur cause ?
[12154] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 1 1. Il semble que les autres vertus ne se ramènent
Ad quintum sic proceditur. Videtur quod aliae pas à la prudence comme à une vertu principale
virtutes cardinales non reducantur ad prudentiam et à leur cause. En effet, ainsi que le dit le
sicut ad principaliorem et causam. Scire enim, ut Philosophe, Éthique, II, savoir contribue peu ou
dicit philosophus in 2 Ethic., parum aut nihil facit rien à la vertu. Or, la prudence est une science,
ad virtutem. Sed prudentia quaedam scientia est, comme il est dit dans les Topiques, IV. Elle
ut in 4 Topic. dicitur. Ergo ipsa minimum habet possède donc très peu le caractère de vertu.
de ratione virtutis.
[12155] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 2 2. Les passions de l’âme sont guéries par les
Praeterea, per virtutes morales sanantur animae vertus morales. Or, pour que quelqu’un soit guéri
passiones. Sed ad hoc quod aliquis corporaliter en son corps, il n’est pas nécessaire qu’il possède
sanetur, non est necesse quod ipse scientiam la science de la médéecine, mais il suffit que
medicinae habeat, sed sufficit quod aliquis alius quelqu’un d’autre la possède, et la guérison elle-
habeat; et ipsa sanatio melius valet quam scientia même vaut mieux que la science de la médecine,
medicinae, quia finis ejus est. Ergo non est car elle en est la fin. Il n’est donc pas nécessaire
necessarium ad virtutem quod aliquis prudentiam pour la vertu de posséder la prudence ; elle est
habeat; et etiam ipsa est minus principalis inter même moins principale que les autres vertus.
alias virtutes.
[12156] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 3 3. Selon le Philosophe, Métaphysique, II, parmi
Praeterea, secundum philosophum in 2 Metaph., ce dont le nom et la définition sont communs, ce
eorum quae communicant in nomine et à quoi convient en premier le nom est ce qu’il y
definitione, illud cui per prius convenit nomen, est a de plus grand dans ce genre et la cause des
maximum in illo genere, et causa aliorum. Sed autres choses. Or, selon Boèce, le nom de vertu
nomen virtutis secundum Boetium ad alias est passé de la force aux autres vertus ; aussi,
virtutes a fortitudine derivatur; unde et Sap. 8, per dans Sg 8, entend-on la force au sens de vertu.
virtutem fortitudo intelligitur. Ergo fortitudo est La force est donc principale par rapport à toutes
principalior inter omnes alias virtutes, et non les autres vertus, et non pas la prudence.
prudentia.
[12157] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 4 4. Ce pour quoi quelque chose est suspendu est
Praeterea, illud propter quod intermittitur aliud, principal par rapport à cela. Or, toutes les autres
est principalius eo. Sed propter justitiam vertus sont suspendues en raison de la justice,
1044

intermittuntur omnes aliae virtutes, ut probat comme le montre Tullius [Cicéron] dans Sur les
Tullius in 1 de officiis. Ergo ipsa est principalior, fonctions, I. Elle est donc [la vertu] principale, et
et non prudentia. non la prudence.
[12158] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 5 5. Ce qui est visé par l’intention est comme le
Praeterea, sicut oppositum in opposito, et contraire par rapport au contraire, ainsi que
propositum in proposito, ut docet philosophus in 2 l’enseigne le Philosophe dans Topiques, II. Or, le
Topic. Sed oppositum temperantiae est maxime contraire de la tempérance est blâmable et
vituperabile et turpe, ut dicit philosophus in 3 honteux au plus haut point, comme le dit le
Ethic. Ergo temperantia est maxime laudabilis, et Philosophe, Éthique, III. La tempérance est donc
non prudentia. louable au plus haut point, et non la prudence.
[12159] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 arg. 6 6. En Éthique, VI, le Philosophe dit que les
Praeterea, philosophus dicit in 6 Ethic., quod principes de la prudence se trouvent dans les
principia prudentiae sunt in virtutibus moralibus. vertus morales. Or, les principes sont plus
Sed principia sunt potiora his quae sunt ex importants que ce qui découle des principes. Les
principiis. Ergo aliae virtutes morales sunt autres vertus morales sont donc plus dignes que
prudentia digniores. la prudence.
[12160] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 1 Cependant, [1] dans chaque genre, ce qui dirige
Sed contra, in quolibet genere illud quod dirigit, est plus noble. Or, il revient à la prudence de
nobilius est. Sed ad prudentiam pertinet dirigere diriger dans toutes les vertus morales, comme
in omnibus virtutibus moralibus, ut patet per cela ressort de la définition donnée pour la vertu,
definitionem virtutis in 2 Ethic. positam. Ergo Éthique, II. Elle est donc plus noble que les
ipsa est nobilior aliis virtutibus. autres vertus.
[12161] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 2 [2] Les habitus sont proportionnés aux
Praeterea, habitus proportionantur potentiis in puissances dans lesquelles ils se trouvent. Or, la
quibus sunt. Sed ratio, in qua est prudentia, est raison, où se trouve la prudence, est supérieure
superior aliis viribus, in quibus sunt aliae virtutes. aux autres puissances, où se trouvent les autres
Ergo prudentia est nobilior aliis virtutibus. vertus.
[12162] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 s. c. 3 [3] Grégoire dit : « La vertu [vertu] par laquelle
Praeterea, Gregorius dicit: virtus quo plus se on se voit capable de plus est plus dommageable
posse conspicit, eo sine moderamine rationis sans la modération de la raison. » Or, la
deterius in praeceps ruit. Sed moderatio rationis modération de la raison relève de la prudence.
ad prudentiam pertinet. Ergo sine prudentia aliae Donc, sans la prudence, plus les autres vertus
virtutes quanto majores sunt, tanto magis nocent; sont grandes, plus elles nuisent. Il semble ainsi
et ita videtur quod prudentia sit potissima inter que la prudence soit plus importantes que les
alias virtutes. autres vertus.
[12163] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 co. Réponse. La prudence est la principale des
Respondeo dicendum, quod prudentia inter alias vertus cardinales et toutes les autres se ramènent
virtutes cardinales principalior est, et ad ipsam à elle comme à leur cause. Aussi Antoine dit-il
reducuntur omnes aliae quasi ad causam. Unde que « le discernement, qui relève de la prudence,
Antonius dicit, quod discretio quae ad prudentiam engendre, garde et modère les vertus ». Cela se
pertinet, est genitrix et custos et moderatrix démontre de la manière suivante. Comme le dit
virtutum. Et hoc sic patet. Virtus enim, ut dicit Tullius [Cicéron], la vertu meut à la manière de
Tullius, movet in modum naturae, scilicet per la nature, c’est-à-dire par une certaine inclination
quamdam inclinationem affectus. Omnis autem de l’affectivité. Or, toute inclination de la nature
naturae inclinatio praeexigit aliquam cognitionem exige à l’avance une certaine connaissance qui
quae et finem praestituat, et in finem inclinet, et établit la fin, incline vers la fin et assure ce qui
ea quibus ad finem pervenitur provideat: haec est nécessaire à la fin : en effet, ces choses ne
enim sine cognitione fieri non possunt. Propter peuvent se faire sans la connaissance. C’est
quod etiam a philosophis dicitur, opus naturae pourquoi aussi les philosophes disent que
esse opus intelligentiae: alias ea quae natura fiunt, l’œuvre de la nature est œuvre d’intelligence,
1045

a casu acciderent. Et per hunc modum oportet autrement ce qui est fait par la nature se
quod per rationem, quam perficit prudentia, et produirait par hasard. De cette manière, il est
rectam facit, praestituatur finis aliis virtutibus, nécessaire qu’une fin soit établie pour les autres
non solum communis, sed etiam proximus, qui est vertus par la raison que perfectionne la prudence
attingere medium in propria natura. Medium et qui la rend droite, [une fin] non seulement
autem secundum rationem rectam determinatur, ut commune, mais aussi rapprochée, qui consiste à
in 2 Ethic. dicitur. Secundo per rationem rectam atteindre le milieu selon leur nature propre. Or,
est inclinatio earum in finem proprium, quae est le milieu est déterminé par la raison droite,
intentio finis in virtutibus acquisitis, inquantum ex comme il est dit dans Éthique, II.
operibus ratione regulatis habitus virtutis Deuxièmement, leur inclination vers leur fin
praedictam inclinationem causans inducitur; et propre, qui est l’intention de la fin dans les
quantum ad hoc dicitur genitrix virtutum. Tertio vertus acquises, se réalise par la raison droite
per prudentiam rectificatur via unicuique virtuti, pour autant que l’habitus de la vertu causant
quae tendit in finem, inquantum per consilium et l’inclination mentionnée est entraîné par les
electionem segregantur utilia a nocivis respectu opérations de la raison soumises à la règle. Sous
finis virtutis; et quantum ad hoc moderatrix et cet aspect, on dit que [la prudence] engendre les
custos dicitur virtutum. Unde Gregorius, 2 vertus. Troisièmement, le chemin de chaque
Moralium, dicit: nisi virtutes reliquae ea quae vertu qui tend vers la fin est redressé par la
appetunt, prudenter agant, virtutes esse prudence, pour autant que, par le conseil et le
nequaquam possunt. choix, ce qui est utile est séparé de ce qui est
nuisible en regard de la fin de la vertu. Sous cet
aspect, on dit que [la prudence] modère et garde
les vertus. Aussi Grégoire dit-il, Morales, II :
« À moins que les autres vertus ne fassent
prudemment ce qu’elles désirent, elles ne
peuvent jamais être des vertus. »
[12164] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 1 Ad 1. Il y a une double science. L’une, dans
primum igitur dicendum, quod est duplex scientia. l’universel : celle-ci contribue peu, si elle porte
Una in universali: et haec quidem facit ad susr les actes de la vertu, ou pas du tout, si elle
virtutem vel parum, si sit de operibus virtutis; vel porte sur d’autres choses qui ne se rapportent pas
nihil, si sit de aliis quae ad virtutem non pertinent. à la vertu. L’autre science dirige l’action
Alia scientia est directiva in particulari particulière : le plaisir qui provoque l’ignorance
operatione, quam corrumpit delectatio faciens dans le choix la corrompt. Cette science
ignorantiam electionis; et haec scientia multum contribue beaucoup à la vertu, bien plus, sans
facit ad virtutem; immo sine hac non est virtus, elle il n’existe pas de vertu et elle n’existe pas
nec haec sine virtute; et haec pertinet ad sans la vertu. Celle-ci relève de la prudence, car,
prudentiam: quia, ut philosophus dicit in 5 Ethic., ainsi que le dit le Philosophe, Éthique, V, « le
existimationem prudentiae corrumpit delectatio. plaisir corrompt l’estimation de la prudence ».
[12165] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 2 Ad 2. La santé corporelle n’a pas besoin de l’art de
secundum dicendum, quod sanitas corporalis non la médecine pour accomplir les actes d’un
indiget arte medicinae ad perficiendum opera sani homme en santé ; sous cet aspect, l’homme n’a
hominis; et ideo sic ad sanitatem habendam non pas besoin d’avoir de remède pour avoir la santé.
indiget homo ut ipse medicinam habeat. Sed Mais l’homme ne peut accomplir l’acte de celui
actum virtuosi non potest homo facere nisi per qui est vertueux que par la prudence, car plus
prudentiam: quia quanto virtus est intensior, tanto une puissance est intense, plus elle est nuisible, à
est magis nociva, nisi adsit discretio prudentiae, ut moins que ne soit présent le discernement de la
dicit philosophus, et patet ex auctoritate Gregorii prudence, comme le dit le Philosophe et comme
inducta. cela ressort de l’autorité de Grégoire invoquée.
[12166] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 3 Ad 3. La vertu est un nom générique, mais la vertu
tertium dicendum, quod virtus est nomen generis; humaine ou la vertu morale est un nom
1046

sed virtus humana vel virtus moralis, est nomen spécifique. Bien que ce qui est vertu, en tant que
speciei. Quamvis ergo illud quod est virtus, vertu, soit plus important dans la force,
inquantum est virtus, sit principalius in fortitudine cependant il tient à la raison que cela soit une
propter difficultatem, tamen quod sit virtus vertu morale ou humaine par laquelle l’homme
moralis vel humana, hoc habet a ratione, per quam est homme, et possède le choix de ses actes,
homo est homo, et electionem habens suorum comme il est dit dans Éthique, VI.
operum, ut dicitur in 6 Ethic.
[12167] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 4 Ad 4. Ce que dit Tullius [Cicéron] doit s’entendre de
quartum dicendum, quod hoc quod dicit Tullius, la justice légale qui porte sur le bien commun.
intelligendum est de justitia legali, quae attendit En Éthique, V, le Philosophe dit aussi d’elle
bonum commune: de qua etiam dicit philosophus, qu’elle a plus d’éclat que les autres vertus,
in 5 Ethic., quod est lucidior aliis virtutibus, sicut comme Lucifer par rapport aux autres étoiles.
Lucifer aliis stellis. Hoc autem non dicitur per Mais on ne dit pas cela en comparant une vertu à
comparationem virtutis ad virtutem, sed per une autre, mais en comparant au bien commun le
comparationem privati boni, quod attendit virtus bien privé, sur lequel porte simplement la vertu.
simpliciter, ad commune bonum.
[12168] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 5 Ad 5. Chez les contraires, la conséquence ne se
quintum dicendum, quod in contrariis non semper trouve pas toujours en soi, mais elle vient parfois
est consequentia in ipso, sed quandoque du contraire, ce qui se produit principalement
consequentia e contrario: quod contingit pour les choses qui sont réciproquement
praecipue in illis quae sunt ordinata ad invicem ordonnées l’une à l’autre selon ce qui est parfait
secundum perfectum et magis perfectum; et ideo et ce qui est plus parfait. C’est pourquoi ce qui
illud quod de perfectione majoris boni diminuit, diminue la perfection d’un bien plus grand est
est minus malum quam hoc quod etiam ipsum moins moins mauvais que ce qui enlève même
parvum bonum quod restat, tollit. un peu du bien qui demeure.
[12169] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 2 a. 5 ad 6 Ad 6. De même que la raison spéculative progresse
sextum dicendum, quod sicut ratio speculativa vers une conclusion à partir de principes connus
procedit ad conclusionem ex principiis per se par soi, de même, à propos de ce qui se rapporte
notis, ita ratio prudentiae procedit ad electionem à la fin, la raison de la prudence progresse-t-elle
et consilium de his quae sunt ad finem, ex fine; et vers le choix et le conseil à partir de la fin. C’est
ideo dicuntur fines aliarum virtutum esse principia pourquoi on dit que les fins des autres vertus
prudentiae. Hi tamen fines praeexistunt in ratione sont les principes de la prudence. Cependant, ces
essentialiter: quia ad hoc tendit virtus moralis ut fins préexistent dans la raison de manière
appetitus rationi concordet; unde his finibus essentielle, car la vertu morale tend à ce que
maxime prudentia quae rationem perficit, est l’appétit s’accorde avec la raison. Aussi la
affinis. prudence qui perfectionne la raison a-t-elle la
plus grande affinité avec ces fins.

Quaestio 3 Question 3 – [Les parties des vertus


cardinales]
Prooemium Prologue
[126170] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 pr. Deinde Ensuite, on s’interroge sur les parties des vertus
quaeritur de partibus virtutum cardinalium; et cardinales. À ce propos, quatre questions sont
circa hoc quaeruntur quatuor: 1 de partibus posées : 1. À propos des parties de la prudence.
prudentiae; 2 de partibus temperantiae; 3 de 2. À propos des parties de la tempérance. 3. À
partibus fortitudinis; 4 de partibus justitiae. propos des parties de la force. 4. À propos des
parties de la justice.

Articulus 1 [12171] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 Article 1 – La mémoire du passé, l’intelligence


a. 1 tit. An memoria praeteritorum, intelligentia du présent et la prévision de l’avenir sont-
1047

praesentium, et providentia futurorum sint partes elles les parties de la prudence, comme le dit
prudentiae, sicut dicit Tullius Tullius [Cicéron] ?
Quaestiuncula 1 Sous-question 1 – [Les parties de la prudence
sont-elles correctement attribuées par Tullius
[Cicéron] ?]
[12172] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 1. Il semble que les parties de la prudence aient
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod été mal attribuées par Tullius [Cicéron]. En effet,
partes prudentiae a Tullio male assignentur. il divise la prudence en mémoire du passé,
Dividit enim prudentiam in memoriam intelligence du présent et prévision de l’avenir,
praeteritorum, et intelligentiam praesentium et car la prévision ne va pas au-delà des biens
providentiam futurorum. Providentia enim, humains, Éthique, VI. Or, l’intelligence porte
secundum philosophum in 6 Ethic., non se aussi sur des réalités divines. Elle ne peut donc
extendit ultra humana bona. Sed intelligentia est être une partie de la prudence.
etiam divinorum. Ergo non potest esse pars
prudentiae.
[12173] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 2. Il revient principalemenet au prudent de bien
arg. 2 Praeterea, ad prudentem, ut dicitur in 6 conseiller, comme il est dit dans Éthique, VI. Or,
Ethic., praecipue pertinet bene consiliari. Sed le conseil ne porte pas sur le passé. Puisque la
consilium non est de praeteritis. Cum igitur mémoire porte sur le passé, il semble donc que la
memoria sit praeteritorum, videtur quod memoria mémoire ne soit pas une partie de la prudence.
non sit pars prudentiae.
[12174] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 3. La prévision (providentia) semble être la
arg. 3 Praeterea, providentia idem videtur quod même chose que la prudence (prudentia). Elle ne
prudentia. Ergo non debet ei assignari ut pars. doit donc pas lui être attribuée comme une
partie.
Quaestiuncula 2 Sous-question 2 – [Faut-il attribuer comme
parties de la prudence la prévision, la
précaution, la circonspection et l’aptitude à
apprendre ?]
[12175] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 1. Certains donnent, à tort, semble-t-il, comme
arg. 1 Ulterius. A quibusdam assignantur partes parties de la prudence la prévision, la discrétion,
prudentiae providentia, cautio, circumspectio, la circonspection et l’aptitude à apprendre, car
docilitas; et videtur quod male. Quia ad quemlibet tout ce qui a été mentionné concourt à tous les
actum prudentiae omnia oportet praedicta actes de la prudence. Or, les habitus se
concurrere. Sed habitus distinguuntur per actus. différencient par leurs actes. Il ne s’agit donc pas
Ergo non sunt virtutes distinctae ab invicem. de vertus distinctes les unes des autres.
[12176] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 2. L’aptitude à apprendre vient de la nature. Or,
arg. 2 Praeterea, docilitas est ex natura. Sed la prudence est une vertu acquise ou infuse. Elle
prudentia est virtus acquisita, vel infusa. Ergo non ne doit donc pas être mise comme une de ses
debet poni pars ejus. parties.
[12177] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 2 3. Éviter son contraire relève de toute vertu. La
arg. 3 Praeterea, cavere oppositum pertinet ad précaution ne doit donc pas être davantage
quamlibet virtutem. Ergo cautio non debet poni donnée comme une partie de la prudence que des
magis pars prudentiae quam aliarum virtutum. autres vertus.
Quaestiuncula 3 Sous-question 3 – [L’eubulia, la synesis et le
gnomen sont-ils des parties de la prudence ?
[12178] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 1. En Éthique, VI, le Philosophe ajoute, à tort,
arg. 1 Ulterius. Philosophus, in 6 Ethic., adjungit semble-t-il, trois choses à la prudence : l’eubulia,
prudentiae tres, scilicet eubuliam, synesim, et la synesis et le gnomen, car lui-même dit dans le
gnomen; et videtur quod male. Quia ipse dicit in même livre que le prudent est pénétré de conseil.
1048

eodem Lib. quod prudens est totaliter Or, l’eubulia, comme il le dit, est le bon conseil.
consiliativus. Sed eubulia, ut ipse dicit, est bona L’eubulia est donc la même chose que la
consiliatio. Ergo eubulia idem est quod prudentia, prudence, et non une de ses parties.
et non pars ejus.
[12179] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 2. La synesis est le bon jugement. Or, le
arg. 2 Praeterea, synesis est bona dijudicatio. Sed jugement dans les actions à poser est le choix
judicium in operabilibus est ipsa electio. Cum lui-même. Puisque choisir correctement est le
igitur eligere recte sit prudentiae proprium, propre de la prudence, il semble donc que la
videtur quod synesis sit idem quod prudentia. synesis soit la même chose que la prudence.
[12180] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 3 3. Dans Sur la foi, III, [Jean] Damascène dit que
arg. 3 Praeterea, Damascenus, in 3 Lib. de fide, la gnomè est la même chose que la décision. Or,
dicit, quod gnome idem est quod sententia. Sed la décision relève du jugement. Il semble donc
sententia ad judicium pertinet. Ergo videtur quod que la synesis et la gnomè ne soient pas
synesis et gnome non differant. différentes.
Quaestiuncula 4 Sous-question 4 – [Les dix parties de la
prudence données par un philosophe grec sont-
elles correctes ?]
[12181] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 1. Un philosophe grec attribue, à tort, semble-t-
arg. 1 Ulterius. A quodam philosopho Graeco il, dix parties à la prudence : l’eubulia,
attribuuntur prudentiae partes decem, scilicet l’ingéniosité, la prévision, la prudence du
eubulia, solertia, providentia, regnativa, militaris, dirigeant, la prudence militaire, politique,
politica, oeconomica, dialectica, rhetorica, économique, dialectique, rhétorique, physique ;
physica; et videtur quod male. Quia physica et il semble que ce soit à tort, car la physique est
scientia quaedam est de necessariis, et de his non une science qui porte sur ce qui est nécessaire, et
est prudentia, ut dicit philosophus in 6 Ethic. Ergo la prudence ne porte pas sur cela, comme le dit le
physica non est pars prudentiae. Philosophe, Éthique, VI. La physique n’est donc
pas une partie de la prudence.
[12182] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 2. La dialectique et la rhétorique sont des arts et
arg. 2 Praeterea, dialectica et rhetorica artes des sciences. Or, la prudence se distingue de la
quaedam sunt et scientiae. Sed prudentia dividitur science et de l’art, Éthique, VI. Elles n’en sont
contra scientiam et artem in 6 Ethic. Ergo non donc pas des parties.
sunt partes ejus.
[12183] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 3. En Éthique, VI, le Philosophe dit que la
arg. 3 Praeterea, philosophus dicit in 6 Ethic., politique est la même chose que la prudence.
quod politica est idem quod prudentia. Ergo non Elle ne doit donc pas être mise comme une de
debet poni pars ejus. ses parties.
[12184] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 4. Beaucoup d’autres activités que la prudence
arg. 4 Praeterea, multa alia exercitia sunt in militaire existent dans les villes. Elle ne doit
civitatibus quam militaris. Ergo non debet magis donc pas être davantage donnée comme une
ipsa poni pars prudentiae quam alia civitatis partie de la prudence que les autres fonctions de
officia, sicut est gubernatoria, negotiativa, et la ville, comme celles de gouverner, de pratiquer
hujusmodi. le commerce et celles de ce genre.
[12185] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 4 5. Comme le dit le Philosophe, Éthique, VIII, il
arg. 5 Praeterea, urbanitates, ut dicit philosophus existe trois formes de gouvernement : le
in 8 Ethic., sunt tres, scilicet regnum quando unus gouvernement royal, lorsqu’un seul préside au
praesidet ad utilitatem populi, leges condens; bien du peuple faisant les lois ; l’aristocratie,
aristocratia, quando plures principantur in diversis lorsque plusieurs dirigent selon diverses
officiis propter virtutem; timocratia quando fonctions en raison de leur vertu ; la timocratie,
divites aequaliter praesunt. In omnibus autem istis lorsque les riches gouvernent également. Or,
est aliquid prudentiae. Ergo non magis debuit dans toutes ces formes de gouvernement, il
1049

ponere regnativam quam alias duas. existe quelque chose de la prudence. Il ne devait
donc pas mettre la prudence royale davantage
que les deux autres.
Quaestiuncula 1 Réponse à la sous-question 1
[12186] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 co. Les touts se ramènent à trois genres : universel,
Respondeo dicendum ad primam quaestionem, intégral et potentiel. De même, on trouve trois
quod omne totum ad tria genera reducitur, scilicet parties correspondant aux trois choses
universale, integrale et potentiale; et similiter pars mentionnées. En effet, la partie intégrale entre
triplex invenitur dictis tribus respondens. dans la constitution d’un tout : ainsi, le mur
Integralis enim pars intrat in constitutionem d’une maison. Mais la partie d’un tout universel
totius, sicut paries domus; universalis vero totius reçoit ce qui est attribué au tout : ainsi, le fait
pars suscipit totius praedicationem, sicut homo pour l’homme d’être un animal. Toutefois, la
animalis; potentialis vero pars neque partie d’un tout potentiel n’est jamais prédiquée
praedicationem totius recipit, neque in du tout et il n’est pas nécessaire qu’elle entre
constitutionem ipsius oportet quod veniat, sed dans sa constitution ; mais elle participe à
aliquid de potentia totius participat, sicut patet in quelque chose de la puissance du tout, comme
anima. Rationalis enim anima tota anima dicitur, cela ressort pour l’âme. En effet, l’âme
eo quod in ipsa omnes animae potentiae raisonnable est tout entière appelée âme, du fait
congregantur. Sensibilis vero in brutis, et in qu’en elle toutes les puissances de l’âme sont
plantis vegetabilis, dicuntur partes animae, quia rassemblées. Mais l’âme sensible chez les
aliquid de potentia animae habent, sed non totum. animaux sans raison et chez les végétaux sont
Unde dicitur in Lib. de plantis, quod non habent appelées des parties de l’âme parce qu’elles
animam, sed partes animae. Et secundum hunc possèdent quelque chose de la puissance de
modum tripliciter assignantur partes prudentiae et l’âme, mais non sa totalité. Aussi dit-on dans le
aliis virtutibus. Uno enim modo assignantur ei livre Sur les plantes, qu’elles n’ont pas l’âme,
partes quasi integrales, cum scilicet partes virtutis mais des parties de l’âme. Ainsi, trois parties
alicujus ponuntur aliqua quae exiguntur ad sont attribuées à la prudence et aussi aux autres
virtutem, in quibus perfectio virtutis consistit; et vertus. En effet, on lui attribue premièrement des
hae partes, proprie loquendo, non nominant per se parties pour ainsi dire intégrales, lorsqu’on
virtutes, sed conditiones unius virtutis integrantes donne comme parties d’un vertu quelque chose
ipsam. Alio modo per modum partium qui est nécessaire pour la vertu et en quoi
subjectivarum; et sic partes illae nominant quidem consiste la perfection de la vertu. À proprement
virtutes, et ad invicem distinctas, sed non quidem parler, ces parties ne désignent pas par soi des
a toto, cujus partes assignantur, quia illud de eis vertus, mais les conditions qui concourent à
praedicatur. Tertio modo per modum totius l’intégrité d’une vertu. Deuxièmement, par mode
potentialis, inquantum scilicet aliquae virtutes de parties subjectives. Ces parties désignent ainsi
participant aliquid de modo qui principaliter et des vertus distinctes les unes des autres, mais
perfecte invenitur in aliqua virtute; et hoc patebit non pas du tout dont elles sont données comme
per singula. Sic igitur dico, quod partes quas des parties, car ce [tout] est prédiqué d’elles.
assignat Tullius prudentiae, sunt partes integrales. Troisièmement, par mode de tout potentiel, pour
Quia enim prudentia circa particularia operabilia autant que certaines vertus participent à quelque
est, in quibus universalia principia dirigunt chose du mode qui se trouve principalement et
propter eorum contingentiam et varietatem; parfaitement dans une vertu ; cela ressortira pour
oportet, sicut dicitur de scientiis in libro chaque cas. Je dis donc que les parties que
posteriorum, ex eodem genere principia accipere, Tullius [Cicéron] attribue à la prudence sont des
ut ex similitudine aliorum factorum de his quae parties intégrales. En effet, parce que la prudence
facere oportet, recte ratiocinetur prudens; et ideo porte sur des choses particulières susceptibles
indiget experientia et tempore, ut ex his quae d’être accomplies, où des principes universels
fuerunt, quae memoria tenet, et ex his quae exercent une direction en raison de leur
intelligentia respicit, de futuris provideat. contingence et de leur diversité, il est nécessaire,
1050

Memoria enim est, secundum ipsum, per quam comme on le dit dans le livre des Postérieurs
animus repetit illa quae fuerunt; intelligentia per analytiques, que le prudent tire des principes
quam prospicit ea quae sunt; providentia per d’un même genre, afin que raisonner
quam aliquid futurum videtur antequam factum correctement sur ce qu’il doit faire à partir de la
sit. Unde providentia est completiva et formalis ressemblance avec d’autres actions posées. C’est
pars prudentiae; aliae vero quasi materiales ad pourquoi il a besoin de l’expérience et du temps
ipsam reducuntur. afin que, à partir de ce qui a été, ce que retient la
mémoire, et de ce que l’intelligence considère, il
prévoie l’avenir. En effet, selon lui, la mémoire
est ce par quoi l’esprit rappelle ce qui a été,
l’intelligence, ce par quoi on considère ce qui
est, la prévision, ce par quoi on envisage quelque
chose à venir avant que cela ne soit accompli. La
prévision est donc une partie formelle de la
prudence, qui la complète, mais les autres se
ramènent à elle comme des parties pour ainsi
dire matérielles.
[12187] Super Sent., lib. 3 d. 33 q. 3 a. 1 qc. 1 ad 1. L’intelligence s’entend ici de la connaissance
1 Ad primum ergo dicendum, quod intelligentia de ce qui est approprié à l’action qui doit être
hic dicitur cognitio eorum quae ad opus eligibile choisie. Et parce que l’intelligence porte à
accommodata sunt. Et quia intelligentia est proprement parler sur ce qui est universel, qui
proprie universalium, quae sub tempore non n’est pas affecté par le temps et retient ainsi,
cadunt, et ita quodammodo praesentis formam d’une certaine manière, la forme du présent, on
retinent; ideo intell

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