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MÉMENTOS

MÉMENTOS
MÉMENTOS

Gustave Peiser
Droit administratif des biens
La 19e édition de cet ouvrage comporte d’importantes innovations
liées à l’évolution récente du droit administratif des biens.
La théorie de la domanialité constitue l’une des théories les plus
originales et les plus intéressantes du droit administratif. D’origine
très ancienne, elle a jusqu’à une date récente été développée surtout
par la jurisprudence. Mais le nouveau « Code général de la propriété
des personnes publiques » entré en vigueur le 1er juillet 2006 modifie
et modernise très sensiblement le droit applicable. Ce Code prend
Droit administratif
en compte en particulier la valorisation économique du domaine
et l’intrusion du droit de la concurrence. des biens

Droit administratif des biens


La possibilité d’exproprier des biens constitue une nécessité
pour l’administration. Les modifications intervenues ces dernières
années tentent d’améliorer la protection des personnes expropriées.
L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme devient fondamentale.
En matière de travaux publics, il faudra tenir compte, pour la 19e édition
passation des marchés, du nouveau Code des marchés publics
qui cherche à rendre le droit français conforme au droit européen.
Cet ouvrage est destiné essentiellement aux étudiants des facultés,
aux candidats aux concours administratifs et aux agents publics Gustave Peiser
ou aux professionnels qui s’occupent des problèmes de construction
et d’urbanisme.
Gustave Peiser est professeur émérite de l’Université Pierre-Mendès-
France (Grenoble II).
ISBN 978-2-247-07251-4
6726319

16 e 9 782247 072514
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Droit administratif
des biens
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MÉMENTOS DALLOZ
série droit public - science politique
sous la direction de Yves Jégouzo
professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Droit administratif
des biens

19e ÉDITION – 2007

Gustave Peiser
Professeur émérite de l’Université
Pierre-Mendès-France (Grenoble II)
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 4

Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son objet est
d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, parti-
culièrement dans le domaine de l’édition technique et universitaire, le dévelop-
pement massif du photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet
expréssément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit.
Or, cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supé-
rieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres et de revues, au point
que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui
menacée.
Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de la présente publication est interdite sans autorisation de
l’auteur, de son éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

31-35 rue Froideveaux - 75685 Paris cedex 14

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2o et 3o a), d’une part, que les « copies
ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part,
que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale
ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

© ÉDITIONS DALLOZ - 2007


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SOMMAIRE

Introduction 1
Bibliographie sommaire 4

P R E M I È R E P A R T I E
LE DOMAINE 5

> CHAPITRE I LES SOURCES DES RÈGLES DE LA DOMANIALITÉ 6


> CHAPITRE II L E S N O T I O N S D E D O M A I N E P U B L I C E T D E D O M A I N E P R I V É 9
> CHAPITRE III L A N A T U R E J U R I D I Q U E D E L A D O M A N I A L I T É P U B L I Q U E 26
> CHAPITRE IV L E R É G I M E J U R I D I Q U E D U D O M A I N E P U B L I C 29
> CHAPITRE V LE RÉGIME JURIDIQUE DU DOMAINE PRIVÉ 79
> CHAPITRE VI C O N C L U S I O N G É N É R A L E S U R L A D O M A N I A L I T É P U B L I Q U E 85

D E U X I È M E P A R T I E
L’EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITÉ PUBLIQUE
ET LA RÉQUISITION 89

T ITRE I L’expropriation pour cause d’utilité publique 90

> C H A P I T R E I N T R O D U C T I F L’ É V O L U T I O N H I S T O R I Q U E 90
> CHAPITRE I LES CONDITIONS DU RECOURS À L’EXPROPRIATION 92
> C H A P I T R E II L A P R O C É D U R E D ’ E X P R O P R I A T I O N 101
> C H A P I T R E III L E S R É G I M E S P A R T I C U L I E R S 117
EN MATIÈRE D’EXPROPRIATION
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VI - S O M M A I R E

T ITRE II La réquisition 125

> CHAPITRE I LES POSSIBILITÉS D’EMPLOI DE LA RÉQUISITION 126


> C H A P I T R E II P R O C É D U R E E T C O N T E N T I E U X 127

T R O I S I È M E P A R T I E
LE TRAVAIL PUBLIC 129

> CHAPITRE I LA DÉFINITION DU TRAVAIL PUBLIC 130


> C H A P I T R E II L E R É G I M E J U R I D I Q U E D U T R A V A I L P U B L I C 140

Index alphabétique 169


Table des matières 173
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INTRODUCTION
● Les particuliers on le sait, sont propriétaires de biens. Ils exercent sur ces biens un
droit de propriété qui vient du droit romain et qui est repris très largement dans le
Code civil. Celui-ci donne au propriétaire un droit qui semble parfois être absolu. On
fait souvent allusion, encore que cela ne corresponde plus tout à fait à la réalité, à
l’« usus, fructus, abusus ». Mais même si le droit de propriété privée a subi certaines
limitations, il constitue toujours une donnée essentielle des sociétés modernes.
Le droit de propriété a même été hissé par la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyens de 1789 au même rang que la liberté et l’égalité.
Art. 2 de la déclaration : « Le but de toute association politique est la conservation des
droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété,
la sûreté et la résistance à l’oppression. »
● Le Code civil ne détermine pas seulement le régime juridique du droit de propriété
mais il détermine aussi les modes de transmission qui se font par contrat, par succession
ou par l’intermédiaire des régimes matrimoniaux. Mais les modes de transmission font
appel à la volonté du propriétaire. Ce caractère sacré du droit de propriété est souligné
lui aussi par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré...
● Enfin, lorsque des particuliers font des travaux sur leur propriété, ils sont soumis
au régime de droit commun et le régime de responsabilité relève des Art. 1382-1386
du Code civil.
● Les collectivités publiques, l’administration possèdent aussi des biens. Or, le

régime juridique de ces biens échappe, en général, aux règles du droit commun et en
particulier aux règles du Code civil. De même qu’il existe un droit administratif
général qui soumet à un régime particulier les actes et les activités de l’administration
(v. Mémento Droit administratif général, Actes administratifs) il existe un droit admi-
nistratif spécifique pour les « biens » de l’administration. Mais la détermination précise
du champ d’application et du contenu de ces règles n’est pas toujours aisée.
Trois problèmes essentiels seront étudiés : La nature juridique du droit de l’adminis-
tration sur ses biens ; c’est la distinction domaine public-domaine privé. La possibilité
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2 - I N T R O D U C T I O N

pour les collectivités publiques d’acquérir des biens, dans certaines hypothèses, par
décision unilatérale de l’administration. C’est le régime très particulier de « l’expro-
priation pour cause d’utilité publique ».
Enfin, l’administration réalise des travaux sur ses biens. Dans certains cas, ces travaux
ont un régime juridique très particulier : c’est le régime des « travaux publics ».
1. Le droit de propriété de l’administration sur ses biens : la distinction du domaine
public et du domaine privé
Les collectivités publiques, l’administration possèdent deux sortes de biens, les biens
que l’on appelle « biens du domaine public » et les biens que l’on fait entrer dans la
catégorie « biens du domaine privé ». Le domaine public ce sont p. ex. les routes, les
ouvrages militaires, les rivages de la mer, etc. La théorie du domaine public est
ancienne, elle remonte à l’Ancien Régime, même si les conceptions actuelles sont très
éloignées des conceptions traditionnelles. Ce droit de propriété – et encore on s’est
interrogé s’il s’agissait réellement d’un droit de propriété – est très différent du droit
de propriété privé. D’ailleurs la détermination précise des biens appartenant au
domaine public et ceux appartenant au domaine privé est très délicate. Lorsqu’on aura
classé un bien dans le domaine public, un régime juridique tout à fait particulier, qui
sera étudié en détail, lui sera applicable. Quant aux biens du domaine privé, (forêts,
maisons d’habitation, etc.), l’administration en est en principe propriétaire comme un
propriétaire ordinaire. Mais la réalité est différente et on verra que même les biens du
domaine privé sont soumis à certaines règles particulières.
La distinction domaine public-domaine privé constitue l’une des théories les plus
intéressantes du droit administratif français. Il est à remarquer que les textes sur la
domanialité sont relativement rares et d’ailleurs pas toujours appliqués. La distinction
domaine public-domaine privé ainsi que le régime appliqué à ces domaines, en
particulier au domaine public, constitue un bel exemple de construction du droit par
le juge.
Peu de pays sont allés aussi loin dans la spécificité du régime de la domanialité
publique. Mais ce régime sans qu’il soit aujourd’hui réellement en crise, a du mal à
s’adapter à l’évolution générale de la société française et aux problèmes posés par
l’Europe (v. p. 85 et s.).
Il faut souligner que le droit du domaine a été largement « codifié » et remanié par
le Code général de la propriété des personnes publiques entré en vigueur le 1er juillet
2006 (v. infra).
Voir les deux dossiers : « La codification du droit des propriétés des personnes publi-
ques » (AJDA 2006, p. 1073 et s.) et « Propriété publique, domaine public » (RFDA
2006, p. 899 et s.).
2. L’acquisition des biens par l’administration par la procédure de l’expropriation
pour cause d’utilité publique
L’administration et les collectivités publiques acquièrent très fréquemment des biens
comme les particuliers, c’est-à-dire par des contrats d’achat. Parfois ces contrats d’achat
sont soumis à des régimes spécifiques, p. ex. la soumission aux Codes des marchés
publics. Mais ce n’est pas ici que se situe la différence essentielle de l’acquisition des
biens par l’administration. En effet, dans certains cas, mais dans certains cas seulement,
l’administration peut acquérir des biens par seule volonté unilatérale, elle peut imposer
aux particuliers la cession de certains biens. L’administration recourt donc à une sorte
de privilège fondamentalement attentatoire au droit de propriété tel qu’il existe en
droit français.
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I N T R O D U C T I O N - 3

L’expropriation pour cause d’utilité publique ne constitue pas une nouveauté en


droit français. L’Ancien Régime y avait déjà recours. Un tel système existe aussi dans
les autres pays. En effet, lorsque la collectivité veut construire une route, une caserne,
une voie de chemin de fer, elle va tenter d’acquérir les terrains nécessaires par la voie
amiable, en achetant les biens. Mais par la force des choses, elle va se heurter à l’absence
d’accord de certains propriétaires, qui ne veulent pas céder leurs biens, ou qui trouvent
l’indemnité qu’on leur accorde, insuffisante. Le recours à l’expropriation « forcée » est
donc nécessaire. Mais il faut garantir aussi les droits des particuliers afin que les
expropriations restent dans les limites des nécessités qui les justifient, et que les
indemnités compensent financièrement, le bien perdu.
On comprend alors que l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen cité partiellement plus haut, y fasse directement allusion : « La propriété étant
un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la néces-
sité publique, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable
indemnité. »
Le régime de l’expropriation pour cause d’utilité publique, auquel s’adjoindront
certains autres régimes du même type, mais moins importants, tels que la réquisition
et le droit de préemption, tentera de tenir compte de la formule de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen. On constatera surtout que ce régime ne s’applique
qu’aux biens immobiliers et que le législateur a très fortement encadré par des textes
détaillés, le régime de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Mais l’importance
de la jurisprudence est loin d’être négligeable.
Les transformations actuelles de la société, le droit européen ne pourront pas mettre
fin au système même de l’expropriation. Mais les modalités de mise en œuvre, p. ex.
la double compétence juridictionnelle, administrative et judiciaire, peut être mise à
mal (v. p. 114 et s.).
3. L’administration, comme tout autre propriétaire effectue des travaux sur ses
biens. Certains types de travaux sont soumis à des régimes analogues ou similaires
de ceux du droit privé. Mais, dans de nombreux cas, l’administration recourt à un
régime spécifique de travaux, le régime des « travaux publics ».
La loi du 28 pluviôse de l’an VIII a soumis les « travaux publics » à la compétence des
conseils de préfecture (aujourd’hui tribunaux administratifs). La loi n’en dit guère
plus. Mais lorsque des travaux sont considérés comme des travaux publics, le juge
administratif les a enserrés dans un réseau étroit de règles particulières qui soit
avantagent l’administration, soit la soumettent, en particulier en matière de respon-
sabilité, à un régime beaucoup plus sévère pour elle et plus favorable aux particuliers
que le régime général de responsabilité.
En effet, lorsque l’administration construit des routes, des autoroutes, des barrages,
des centrales nucléaires, des voies de chemins de fer, des aérodromes, elle a besoin de
certains privilèges pour arriver à ses fins (p. ex. modification unilatérale des contrats
en cours d’exécution, contrôle des sous-traitants). Mais elle cause aussi aux particuliers
des dommages tout à fait spécifiques par leur ampleur et par leurs caractéristiques.
Dans la pratique, le régime des « travaux publics » a une importance considérable.
Contrairement au régime de l’expropriation, il est essentiellement d’origine
jurisprudentielle.
Il est peu probable que les principes de ce régime soient mis en cause par les
modifications actuelles de la société et le développement du droit européen. Mais
certaines modalités seront sans doute à revoir (v. p. 167).
La Convention européenne des droits de l’homme a et aura des conséquences sur le
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4 - B I B L I O G R A P H I E S O M M A I R E

droit administratif des biens. En particulier, on y reviendra, l’art. 6 de la Convention


européenne garantissant le droit à un procès équitable peut avoir des répercussions
sur le droit de l’expropriation et même sur le droit du domaine public. Toutefois, il
ne semble pas que le droit au respect de la Convention européenne des droits de
l’homme déstabilise réellement le droit administratif des biens.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
– Jean-Marie Auby, Pierre Bon
Droit administratif des biens, Précis Dalloz, 4e éd., 2003.
– René Chapus
Droit administratif général, t. 2, Domat, 15e éd., 2001.
– Charles Debbasch, Jacques Bourdon, Jean-Marie Pontier, Jean-Claude Ricci
Institutions et droit administratifs, t. 3, PUF, 3e éd., 1999.
– Philippe Godfrin, Michel Degoffe
Droit administratif des biens, A. Colin, 8e éd., 2007.
– Yves Gaudemet
Traité de droit administratif, t. 2, 12e éd., LGDJ, 2001.
– Charles Lavialle
Droit administratif des biens, PUF, 1996.
– Jacqueline Morand-Deviller
Cours de droit administratif des biens, Montchrestien, 2003.
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P R E M I È R E P A R T I E

LE DOMAINE
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6 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> C HAPITRE I
LES SOURCES DES RÈGLES DE LA DOMANIALITÉ

> INTRODUCTION
L’évolution des sources : la codification
Il existe depuis 1957 un « Code du domaine de l’État » qui n’avait pas fait l’objet d’une
révision d’ensemble depuis 1970. Les problèmes fondamentaux posés par la distinction
du domaine public et du domaine privé ainsi que du régime juridique de ces domaines
n’étaient pas réellement résolus. Le Code était extrêmement mal rédigé et certains
articles du Code étaient en réalité inapplicables. De plus de nombreuses règles étaient
devenues complètement obsolètes. Ainsi, et jusqu’à une date récente, l’essentiel du
droit de la domanialité était d’origine jurisprudentielle. La jurisprudence, celle du
Conseil d’État en particulier, a réellement créé l’essentiel des règles de la domanialité.
(Sur tous ces points et ceux qui suivent voir l’important article « Genèse et présentation
du Code général de la propriété des personnes publiques » par Christine Maugue et
Gilles Bachelier, AJDA 2006, p. 1073 et s.)
Une importante réforme vient d’avoir lieu : une ordonnance du 21 avril 2006 est
relative à la partie législative du « Code général de la propriété des personnes
publiques » (appelé aussi CG3P) entré en vigueur le 1er juillet 2006. Cette réforme
est fondamentale en la forme et la méthode, puisqu’est désormais codifié un droit
d’origine principalement jurisprudentiel. Mais la réforme est aussi lourde de consé-
quences pratiques et elle soulèvera bien des questions.
Cette codification a la particularité, contrairement à bien d’autres, d’être une codifi-
cation à droit « non-constant ». En effet dès 1986, le Conseil d’État dans son rapport
avait estimé qu’il fallait moderniser le droit de la propriété des personnes publiques.
Le droit domanial était devenu trop rigide, inadapté ; il y avait une sédimentation de
textes successifs largement contradictoires et inadaptés.
À la suite du rapport du Conseil d’État de 1986 un groupe de travail s’est réuni en
1991 et a achevé ses travaux en 1999. Le projet de Code établi par le gouvernement a
été transmis au Conseil d’État qui a étudié le texte pendant 18 mois.

§ 1 - L ES CHOIX OPÉRÉS POUR L ’ ÉLABORATION DU C ODE


A. Le périmètre du Code
Il est délicat à déterminer car le CG3P intéresse, de manière transversale, toutes les
personnes publiques et toutes les administrations de l’État. Il fallait aussi tracer les
frontière avec bien d’autres Codes (santé publique, environnement, urbanisme, col-
lectivités territoriales, etc.).
Les choix qui ont été faits sont dans l’ensemble assez réalistes. Ainsi, sans qu’on puisse
aller dans les détails pour le moment, ont été reprises des dispositions présentant
un caractère législatif du Code du domaine de l’État élaboré en 1957, révisé en 1962,
des dispositions de nature domaniale du domaine public fluvial et de la navigation
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 7

intérieure. Dans d’autres cas et pour des raisons de lisibilité, le Code se réfère
fréquemment aux dispositions d’autres Codes.
Ainsi, le Code s’applique à des personnes publiques différentes – il est donc trans-
versal – mais il n’embrasse pas toutes les dispositions relatives aux biens des personnes
publiques.

B. Le plan retenu
Il montre que les problèmes de propriété des personnes publiques ne sont pas
fondamentalement différents du problème de la propriété dans le Code civil. La
commission avait suggéré la différenciation fondamentale domaine public/domaine
privé. Mais le cadre retenu par le Code civil centré autour des questions d’acquisition,
d’administration et d’aliénation est apparu plus adéquat. La structure du Code en
5 parties suit l’ordre logique de déroulement pour le propriétaire (procédés d’acqui-
sition, modes de gestion et enfin aliénation). Les régimes spécifiques (domanialité
publique) correspondent à une réglementation supplémentaire qui vient s’ajouter aux
droits et obligations que la personne publique tient de sa qualité de propriétaire du
bien.

C. La rédaction du Code a été soumise à certaines contraintes juridiques


Il fallait respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel (v. p. 50, 62). Différentes
décisions du Conseil constitutionnel, que l’on retrouvera, ont précisé certains points
qui ne sont qu’évoqués ici : respect de l’existence et de la continuité des services publics,
respect des droits et libertés à l’usage desquels le domaine public « est affecté » ; respect
sous certaines formes du principe d’inaliénabilité du domaine public.
Il fallait ensuite respecter la loi d’habilitation qui permettait au gouvernement de
prendre l’ordonnance. Mais cette loi d’habilitation (A 48, loi du 26 septembre 2005
pour la confiance et la modernisation de l’économie modifiée par la loi du 31 mars
2006 relative aux offres publiques d’acquisition) était très large.

§ 2 - L’ ÉCONOMIE GÉNÉRALE DU C ODE


Les modifications apportées au régime précédent sont très nombreuses. Elles seront
étudiées tout au long de notre étude. Il ne sera procédé pour le moment qu’à un
résumé d’ensemble.

A. Clarification des notions fondamentales


Les modifications sont importantes et variées : réduction du périmètre de la doma-
nialité publique immobilière (v. p. 19), introduction d’une définition du domaine
public mobilier (v. p. 21), codification de la théorie des mutations domaniales (v. p. 43
et s.), ; rénovation de la définition du domaine privé.

B. Modernisation de la gestion et valorisation économique


Les règles de gestion sont largement précisées et parfois transformées : légalité sous
condition d’un déclassement anticipé (v. p. 32), les transferts de propriété du domaine
public (v. p. 43 et s.), l’admission de servitudes conventionnelles sur le domaine public
(v. p. 46).
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8 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

La valorisation économique fait l’objet de nombreuses mesures : clarification du régime


des droits réels d’occupation du domaine public, élargissement des possibilités offertes
aux collectivités territoriales, une modeste modernisation du régime financier de
l’occupation du domaine public.
Conclusion
La réforme est importante mais elles est loin de résoudre tous les problèmes (p. ex.
celui de l’insaisissabilité des biens des personnes publiques). De plus une partie
réglementaire devra voir le jour. Surtout, et cela est normal, il ne sera pas possible
d’appliquer « automatiquement » les règles. La jurisprudence administrative en parti-
culier, devra préciser leur portée et combiner les règles nouvelles avec la jurisprudence
traditionnelle.
Il est impossible d’étudier le statut du domaine sans tenir compte de la jurisprudence
traditionnelle. Pour cette raison, tous les éléments traditionnels seront exposés en
caractère d’imprimerie normaux et les modifications seront exposées en « italique ».
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 9

> C HAPITRE II
LES NOTIONS DE DOMAINE PUBLIC
ET DE DOMAINE PRIVÉ

Les collectivités publiques sont propriétaires de biens formant 10 % environ du


patrimoine foncier national. Ces biens ne sont pas soumis simplement aux règles du
droit civil. Le Code civil lui-même indique dans l’article 537/2 « Les biens qui n’ap-
partiennent pas à des particuliers sont administrés et ne peuvent être alignés que dans
les formes et suivant les règles qui leur sont particulières ». Ces règles varient d’ailleurs
selon les biens dont il s’agit.
Si de multiples classifications sont possibles parmi les biens appartenant à l’adminis-
tration, la classification la plus courante est celle de la division des biens en deux
domaines, le domaine public et le domaine privé. Les biens du domaine public sont
soumis à un régime de droit public (en particulier l’inaliénabilité) et au contentieux
administratif. Les biens du domaine privé sont soumis à un régime de droit privé et
au contentieux judiciaire.
On verra ci-après (p. 23 et s.) que si cette distinction est encore largement valable à
l’heure actuelle, l’intérêt de cette classification a tout de même été fortement critiqué.
Quoiqu’il en soit, la division des biens de l’administration en domaine public et
domaine privé domine encore aujourd’hui le droit administratif français.

> SECTION 1
La distinction du domaine public et du domaine privé
§ 1 - L’ ÉVOLUTION DE LA DISTINCTION
e
A. Les théories antérieures au XIX siècle
1. Sous l’Ancien Régime, les biens du roi étaient certes soumis à un régime juridique
particulier, marqué essentiellement par leur inaliénabilité (édit de Moulins, 1566), mais
à l’intérieur de ces biens on ne fait pas la distinction entre domaine public et domaine
privé.
2. Le législateur révolutionnaire a transformé le domaine de la Couronne en domaine
de la nation, abolissant en même temps leur inaliénabilité, car les pouvoirs de la nation
ne peuvent être limités. Mais l’unité du domaine est maintenue, l’emploi par le décret
de 1790 du terme « domaine public » n’ayant pas de signification à cet égard.
3. Le Code civil a consacré au domaine les articles 538 à 541. Si l’emploi du terme de
domaine public devient plus fréquent, en réalité domaine public et domaine national
sont toujours considérés comme synonymes. Il n’existe pas de domaine public distinct
du domaine privé.
e
B. Les théories développées depuis le XIX siècle
1. La théorie de la domanialité publique est d’origine doctrinale. Elle a été développée
par des juristes tels que Pardessus, Toullier et surtout Proudhon dans son Traité du
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10 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

domaine public. L’idée fondamentale est que certains biens des collectivités publiques
doivent être soumis à un régime juridique particulier. Proudhon distingue entre les
biens du domaine privé appartenant en propriété à la communauté politique qui en
jouit comme les particuliers, et les « biens », du domaine public, « qui sont comme
asservis par les dispositions de la loi civile aux usages de tous ». Ces derniers biens
seront inaliénables et imprescriptibles.
2. Cette distinction de base sera très rapidement consacrée par la doctrine et la
jurisprudence. Mais les auteurs ont de profondes divergences portant à la fois sur la
nature du domaine public et sa consistance. Pour Berthélémy, ces biens se reconnais-
sent du fait qu’il s’agit de « portions » du territoire affectées à l’usage de tous et
insusceptibles de propriété privée. Pour Duguit et Jèze, il ne peut y avoir dépendance
du domaine public que si la chose est affectée à un service public ; pour Hauriou,
pour qu’il y ait domanialité publique, il faut qu’il s’agisse de « propriétés administra-
tives » affectées à l’utilité publique. Pour M. Waline, le domaine public ne doit
comprendre, parmi les biens affectés à « l’utilité publique », que ceux qui sont indis-
pensables à la satisfaction des exigences de l’utilité publique. Doit appartenir au
domaine public, tout bien, qui soit à raison de sa configuration naturelle, soit à raison
d’un aménagement spécial, est particulièrement adapté à la satisfaction d’un besoin
public et ne saurait être remplacé par aucun autre dans ce rôle.
3. L’évolution doctrinale et jurisprudentielle relative au critère de la distinction du
domaine public et du domaine privé est donc liée à la conception que l’on se fait de la
nature du domaine public (p. ex. biens insusceptibles d’appropriation privée ou « pro-
priété administrative » ayant une affectation particulière). Tout dépend alors des finali-
tés que l’on veut assurer en soumettant des biens à un régime juridique particulier.
À cet égard une profonde évolution s’est faite jour. À l’origine, on estimait qu’il
s’agissait uniquement d’assurer la finalité naturelle de certains biens destinés à l’usage
de tous (voies de communication). Le régime particulier de la domanialité était limité
à ces biens. Les pouvoirs de l’administration étaient eux-mêmes fonction de cette fin.
Puis, on a estimé qu’il fallait étendre la domanialité publique à des biens que la
puissance publique voulait affecter à l’intérêt général. C’est donc la volonté d’affecter
un bien à l’intérêt général et la nécessité de la soumettre au régime de la domanialité
qui déterminera le critère de la domanialité publique.
4. C’est le juge administratif qui a compétence pour déterminer l’appartenance au
domaine public d’un bien (T. confl. 28 avr. 1980, Préfet de la Seine St-Denis, AJDA
1980, p. 60). C’est donc lui qui en pratique détermine les critères et en fera application.
La juridiction administrative est exclusivement compétente pour définir et délimiter
le domaine public. Cette exclusivité a aussi été reconnue à la juridiction administrative
par le juge judiciaire lui-même. Toutefois, le juge judiciaire est compétent s’il n’y a
pas de contestation sérieuse sur la qualité des biens (T. confl. 17 déc. 1962, Sté civ. du
domaine de Couteville, Rec, p. 838).
Dans certaines rares hypothèses, l’appartenance d’un bien au domaine public est
directement prévue par la loi (voies communales, Ord. 7 janv. 1959, autoroutes, etc.).
En revanche, on estimait comme inopérant et inapplicable, l’article 2 du Code du
domaine de l’État de 1957 qui stipulait que « ceux des biens qui ne sont pas susceptibles
d’une propriété privée en raison de leur nature ou de la destination qui leur est donnée
sont considérés comme des dépendances du domaine public national ».
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 11

5. En cas de question préalable portant sur l’appartenance d’un bien au domaine


public, le président du tribunal administratif peut prendre des mesures conserva-
toires par référé (ex. : suspension de travaux sur des parcelles appartenant éventuel-
lement au domaine public maritime, CE, 16 janv. 1985, Codorniu, RFDA 1985.4,
p. 516).

§ 2 - L ES CRITÈRES ET LA CONSISTANCE DU DOMAINE PUBLIC


ANTÉRIEURS AU NOUVEAU CODE (CG3P)

Seuls peuvent faire partie du domaine public les biens qui sont les propriétés des
personnes publiques. Lorsqu’un service public a été concédé à une société privée, les
biens qu’elle utilise ne peuvent faire partie du domaine public que s’ils sont restés
propriété de la collectivité concédante (p. ex. autoroutes concédées à des sociétés
privées). La question de savoir si un bien appartient à une personne publique ou à
une personne privée, relève de la compétence du juge judiciaire. Dans certains cas, la
double question, à qui appartient le bien et son appartenance au domaine public ou
privé peut entraîner des difficultés considérables (T. confl. 24 févr. 1992, M. Couach,
AJDA 1992, p. 365).
La domanialité publique est parfois imposée par les textes.
Au nombre des textes qui sont intervenus, on peut mentionner :
● Une ordonnance du 7 janvier 1959 relative à la voirie communale qui a classé les
chemins ruraux dans le domaine privé des communes, ce qui facilite leur aliénation.
● La loi du 28 novembre 1963 qui a fait figurer parmi les biens composant le domaine
public maritime, le sol et le sous-sol de la mer territoriale ainsi que les lais et relais
futurs de la mer.
● La loi du 16 décembre 1964 relative au régime des eaux et à la lutte contre leur
pollution qui a ajouté au critère traditionnel du domaine public fluvial, reposant sur
la notion de cours d’eau navigables et flottables, un critère d’ordre formel faisant appel
à la notion de classement dans le domaine public de cours d’eau déterminés, baptisés
cours d’eau domaniaux.
● La loi du 3 janvier 1969 sur les voies rapides affirmant que les routes font partie du
domaine public.
Mais plus généralement les critères de la domanialité ont été déterminés par la
jurisprudence administrative.
La jurisprudence administrative a du reste été inspirée par la formule contenue dans
le projet élaboré par la commission de réforme du Code civil. Selon ce projet font
partie du domaine public, les biens des collectivités publiques ou établissements
publics, qui sont, soit mis à la disposition directe du public usager, soit affectés à
un service public pourvu qu’en ce cas, ils soient par nature ou par le fait d’amé-
nagements spéciaux, adaptés exclusivement ou essentiellement au but particulier
de ces services.
Ainsi, l’origine du bien, les éléments formels d’acquisition, l’intention manifestée par
l’administration dans une décision ou un contrat, n’ont pas d’importance. En revanche,
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12 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

un bien ne peut faire partie du domaine public que s’il est propriété d’une personne
publique. Un tel bien fera partie du domaine public s’il a reçu une certaine affectation.
A. Affectation à l’usage du public
Font partie du domaine public, les biens affectés à l’usage du public, mais la notion
d’aménagement spécial peut aussi intervenir.
1. NOTION
● Font partie normalement du domaine public les biens affectés à l’usage du public.
C’est le critère le plus ancien, le plus traditionnel du domaine public. Ainsi, à titre
d’exemple, feront partie du domaine public, la presque totalité de la voirie terrestre
(font partie du domaine public, les « usoirs » lorrains, bande de terrain entre la voie
publique et les habitations, qui servent aux dépôts faits par les riverains mais qui sont
aussi affectés à la circulation publique [T. confl. 22 sept. 2003, Grandidier, AJDA 2004,
p. 930]), les rivages de la mer, les rivières navigables et flottables etc. (v. ci-après p. 13
et s.). Mais ce principe général connaît certaines exceptions. Tout d’abord, les chemins
ruraux avaient été classés expressément dans le domaine privé de la commune par le
Code de la voirie routière. (Toutefois, la loi d’orientation pour l’aménagement et le
développement durable du 25 juin 1999 consacre l’affectation à l’usage du public des
chemins ruraux et pose de nouvelles règles relatives à leur aliénation, afin de prendre
en compte, pour le développement rural et le tourisme vert, la protection de l’envi-
ronnement.) Quant aux forêts domaniales elles sont traditionnellement classées dans
le domaine privé. Les forêts ne sont pas prioritairement affectées à l’usage public, et
leur utilisation est dominée souvent par des considérations économiques. Ainsi, une
énorme partie des biens immobiliers des collectivités territoriales et surtout des
communes échappe au régime du domaine public. Enfin, ne font pas partie du domaine
public, les promenades publiques.
Mais ces exceptions ont elles mêmes connu des exceptions importantes, en particulier
en ce qui concerne les forêts et les promenades publiques. En effet, le juge se référant
à la notion « d’aménagement spécial », notion qu’il emploie depuis plus longtemps
et plus fréquemment lorsqu’il s’agit du domaine public affecté au service public (v.
ci-après p. 16 et s.), a utilisé ce critère subsidiaire pour classer certains biens dans le
domaine public. Mais, on le verra, la jurisprudence est loin d’être claire.
● Tout d’abord il y a des hypothèses où l’aménagement spécial d’un bien suffit à le
faire entrer dans le domaine public. En ce qui concerne les promenades publiques,
lorsque celles-ci sont aménagées, elles font partie du domaine public (CE, Ass., 22 avril
1960 Berthier Rec. p. 486 ; RDP 1962, p. 1213) : place aménagée en jardin public ; v.
aussi CE S., 13 juillet 1961 Dame Lauriau, Rec. p. 486, RDP 1962 p. 524, parc municipal.
Il en va différemment s’il s’agit d’améliorer la desserte des bâtiments du domaine privé
sans créer une promenade publique (CE, 3 juin 1998, Cne de Saint-Palais ; Juris-data
1998-050663). La jurisprudence est parfois similaire en matière de forêts : ainsi, le bois
de Vincennes a été considéré comme faisant partie du domaine public (CE, 14 juin
1972, Eidel, Rec. p. 442, AJDA 1973, p. 495). Il en va de même du bois de Boulogne
(CE, 23 février 1979, Gourdain Henry, AJDA 1979(10)40).
Parfois la notion d’aménagement spécial a un caractère très attractif. Le bois de
Boulogne fait partie du domaine public non seulement dans ses parcelles aménagées
mais même dans les parcelles non aménagées (CAA Paris 6 juin 1989, SA Le Pavillon
Royal, DA 1989 no 559). On peut invoquer ici le caractère « indivisible » de l’ensemble
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 13

de la parcelle. Fait aussi partie du domaine public, la plage de Bonnegrâce à Six-Fours


(Var) qui est « affectée à l’usage du public et fait l’objet d’un entretien dans des
conditions telles qu’elle doit être regardée comme bénéficiant d’un aménagement
spécial à cet effet ». Or, en l’espèce « l’aménagement spécial » consistait uniquement
dans l’obligation contractuelle de nettoyer et de rincer la plage (CE S., 30 mai 1975,
Dame Gozzoli, p. 325, AJDA 1975, p. 348).
● En revanche, le domaine public n’a pas été étendu à de vastes massifs forestiers tels
que la forêt de Fontainebleau (CE S., 20 juill. 1971 Consorts Bolusset, Rec. p. 547 ;
AJDA 1971, p. 527) même lorsqu’il y a des aménagements spéciaux pour ouvrir la
forêt au public. Le juge a estimé que les mesures prises par l’Office national des forêts
pour ouvrir la forêt de Banney au public, notamment par la réalisation d’aménage-
ments spéciaux, n’étaient pas de nature à faire regarder ladite forêt comme faisant
partie du domaine public (CE, ONF c/ Sieur Abamonté, p. 602) ; idem Le domaine de
la Tour du Guesclin, CE, 8 févr. 1988, Leparoux, RDP 1988, p. 1516).
L’explication de la jurisprudence n’est pas toujours aisée. Mais on peut constater que
les forêts pas trop étendues, près des grandes agglomérations, et qui servent surtout
au public, sont considérées comme faisant partie du domaine public.

2. CONSISTANCE
a) Domaine public terrestre : il comprend les voies publiques, leurs acces-
soires (égouts, arbres, colonnes de publicité, etc.), les halles et marchés, les cime-
tières (CE, 28 juin 1935, Marécar, D. 1936-2-20), les bibliothèques publiques, les
lavoirs publics, les édifices du culte... La loi du 22 juin 1983 et le décret du
4 septembre 1989 ont institué le Code de la voirie routière (voirie nationale,
départementale, communale).
La voirie nationale est composée des autoroutes et des routes nationales appartenant
à l’État.
La voirie départementale comprend les routes départementales.
La voirie communale comprend les « voies communales » regroupant les anciennes
voies urbaines et les chemins vicinaux.
Un chemin rural non classé expressément dans le domaine public reste dans le
domaine privé (T. confl. 21 juin 2004, M. Belin c/ Cne de Vernet-la-Varenne, AJDA
2004, p. 2357).
b) Domaine public fluvial : il comprend essentiellement les cours d’eau
navigable ou flottables, lacs navigables ou flottables et canaux inscrits sur une
nomenclature (loi du 8 avr. 1910) et ceux rayés de la nomenclature et maintenus
dans le domaine public par décret en Conseil d’État, ainsi que les cours d’eau et
lacs classés spécialement en vue d’assurer l’alimentation en eau des voies navigables,
les besoins en eau de l’agriculture et de l’industrie, l’alimentation des populations
ou la protection contre les inondations (loi du 16 déc. 1964). L’installation de
barrages en vue de la production d’électricité est également conforme à la desti-
nation de ce domaine (CE, 22 févr. 1961, Bousquet et Lurgvié, p. 136) idem Canal
d’amenée des eaux à un moulin constitué par un bras naturel de la Garonne (CE,
20 juin 1997 ; LPA 5 oct. 1998-13) (v. aussi l’important arrêt du Conseil d’État,
Ass., 15 oct. 1999, Cne de Lattes et autres, RFDA 1999, p. 1284, sur la répartition des
compétences entre les différentes collectivités, en l’espèce, l’État et la région). Même
si la question reste discutée, il semble admis que l’eau elle-même, difficilement
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14 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

« appropriable », ne fasse pas partie du domaine public (v. art. Géraldine Chevrier,
RFDA 2004, p. 928 et s.). Toutefois, la jurisprudence fait certaines exceptions. Ne
font pas partie du domaine public fluvial, les ponts enjambant une rivière. Ils
s’intègrent à la voirie routière pour assurer la « continuité du passage » (CE, 26 sept
2001, Dpt de la Somme, RFDA 2001, p. 1319) ainsi d’ailleurs que les quais de la
Seine où exercent les bouquinistes (CE, 6 nov. 1998, Assoc. amis des bouquinistes,
res. 17131). Il en va différemment des pont tournants et des ponts sur les chemins
de halage (Rép. min, JOAN, Q. 7, déc. 1998 p. 6719).

c) Domaine public maritime : le problème du domaine public maritime


est particulièrement important car la France métropolitaine possède 5 500 km de
rivages et ceux-ci attirent une population considérable. Ces rivages sont par ailleurs
le lieu d’importantes activités de toute nature.
● La protection du domaine public maritime a été particulièrement assurée par la

loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime et la loi du 3 janvier


1986 relative au littoral (v. sur la protection, p. 32). En ce qui concerne la
délimitation du domaine maritime, p. 57, 59.
● Le domaine public maritime comprend les rivages de la mer, les havres et rades

en communication avec la mer, les étangs salés, les plages « aménagées » (CE, 7 déc.
1984, Delapierre, RDP, 1986, p. 213). La loi du 28 novembre 1963 incorpore au
domaine public maritime, le sol et le sous-sol de la mer territoriale française dont
la largeur a été portée de trois à douze milles marins (de 5,5 à 22 km environ) (loi
du 24 déc. 1971). En ce qui concerne les lais et relais, c’est-à-dire les parties du
rivage de la mer qui par suite d’alluvionnements ou de soulèvements de terrain
émergent au-dessus des plus hautes eaux, leur statut a été modifié en 1963. Les lais
et relais, existants à cette date peuvent être inclus dans le domaine public si l’intérêt
général le commande (CE, 3 mars 1989, Sté gestion du golfe de Valinco, p. 81).
Quant aux lais et relais « futurs » (apparus après l’entrée en vigueur de la loi de
1963) ils s’incorporent au domaine public (CE, 29 nov. 1978, Bessière, p. 478 ; CE,
25 janv. 1989, Sté civile familiale Giraudet, RDP 1989, p. 1517). Il faut toutefois
préciser que si des terrains avaient été inclus dans le périmètre de délimitation du
domaine public maritime par un décret ancien (en l’espèce de 1884) et qu’ils aient
été exondés avant l’intervention de la loi du 28 novembre 1963, ils font bien partie
du « domaine privé » de l’État, et le régime juridique du domaine privé doit
s’appliquer à ces terrains (CAA Marseille 10 février 1998 Sinigaglia, AJDA 1998,
p. 279). Le Code général des propriétés publiques prévoit que font désormais partie
du domaine public de l’État tous les lais et relais du domaine privé de l’État
(c’est-à-dire tous ceux qui n’ont pas été acquis par des tiers (art. L. 2111-4 du
Code).
● Un problème particulier se pose aussi pour les concessions d’endigage, c’est-

à-dire les terrains artificiellement soustraits à l’action des flots (v. détails, p. 74 et s.).
Le domaine public maritime peut être accru par l’adjonction de « zones réservées »
de 20 à 50 mètres que la loi peut instituer sans indemnité ; en cas d’acquisition par
l’État (que les propriétaires peuvent exiger) ces zones entrent dans le domaine
public de l’État.
● À côté du régime particulier de la domanialité publique, le domaine public

maritime est fréquemment soumis à des législations particulières qui ne sont pas
toujours en relation avec la notion de domaine public, mais qui cherchent à protéger
la mer et les côtes.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 15

On citera à titre d’exemple : loi du 30 décembre 1988 relative à l’exploitation du


plateau continental ; diverses lois (7 juill. 1976, 16 juill. 1976) relatives à la pollution,
à la prospection et à l’exploitation de substances minérales, relatives à la zone
économique. En ce qui concerne les bords de mer, on a déjà cité la loi du 3 janvier
1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ; loi du
10 juillet 1975 créant le « Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacus-
tres » pour acquisition de terrains littoraux afin de les soustraire à l’urbanisation
et à la spéculation.
Mais il faut bien souligner que les eaux territoriales, l’eau de la mer est « res
communis ». Bien que l’État français y exerce ses pouvoirs de police, elles ne font
pas partie du domaine public.

d) Quant au fait de savoir si les « ondes » appartiennent au domaine


public, la question est discutée par la doctrine (v. RFDA 1989, p. 251, articles de
MM. Delcros et Truchet). Toutefois, la loi du 30 sept. 1986, modifiée par la loi du
17 janvier 1989, considère « l’espace hertzien » comme faisant partie du domaine
public de l’État. De toute façon, l’utilisation des fréquences hertziennes constitue
une occupation du domaine public de type très particulier et largement réglementé
par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

e) Domaine public aérien : il comprend l’espace aérien relevant de la sou-


veraineté nationale (CE, 7 mars 1930, Cie aérienne française, note Trotabas, D.
1913.III.1). Mais aujourd’hui l’existence d’un domaine public aérien semble rejetée
par une partie de la doctrine (v. RFDA, article Lavialle, 1986, p. 848).
f) Le domaine public mobilier
L’existence d’un domaine public mobilier a souvent été mise en doute. Certains
ont fait valoir que l’ensemble des principes de la domanialité publique ne s’appli-
quaient pas au domaine public mobilier. Mais comme l’a bien constaté M. Lavialle,
« la question du champ d’application de la domanialité est une question sans
rapport avec celle-ci ».
Ainsi on peut constater que la jurisprudence judiciaire a dès le XIXe siècle rangé
dans le domaine public des meubles précieux, ainsi que des objets d’art et de
collection. La Cour de cassation avait ainsi jugé qu’un tableau de Seurat faisait
partie du domaine public. Il est vrai que la plupart des arrêts viennent des tribunaux
judiciaires. Cela s’explique aisément, car c’est l’application de l’art. 2279 du Code
civil qui est en jeu, quant à la bonne foi du possesseur du meuble. Au-delà de la
jurisprudence, on peut faire valoir un argument de texte. En effet, la loi du
31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines fait mention des immeubles
et des meubles faisant partie du domaine public des communes.
Il est vrai qu’il est loin d’être aisé de déterminer quels sont les biens meubles qui
font partie du domaine public. L’application des critères traditionnels s’avère très
aléatoire. On peut, sans doute faire entrer dans le domaine public mobilier, les
œuvres d’art, car ils sont affectés à un musée. D’ailleurs la loi du 4 janvier 2002
indique expressément que les biens relevant de musées appartenant à des person-
nes publiques font partie de leur domaine public. Qu’en est-il des livres dans les
bibliothèques publiques ? Les avis sont variés, les uns admettant que les livres d’une
bibliothèque publique font partie du domaine public mobilier, d’autres au contraire
estiment que sauf les livres rares, les livres sont des biens fongibles qui peuvent
être remplacés. Dans deux intéressantes décisions (TA Paris 9 avril 2004, AJDA
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16 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

2004, p. 1709 et CAA Paris 4 avril 2006, Mme Mercier, AJDA 2006, p. 1294) il a été
jugé que les fragments de la « colonne Vendôme » que se sont appropriés les
particuliers au moment de la démolition du monument (en 1872) ont certes perdu
leur caractère immobilier mais, qu’eu égard à leur origine, ils ont toutefois acquis
le caractère de biens meubles du domaine public de l’État (légalité du refus de
certification d’exportation par la ministre de la Culture).
On peut en tout cas exclure de la domanialité publique mobilière, les voitures, les
armoires, les meubles non précieux. Certes, il n’existe pas de jurisprudence sur ce
point, mais il n’y a aucune raison de les classer dans le domaine public. Il faut bien
constater que la classification de certains biens mobiliers dans le domaine public
n’est pas aisée.
Le Conseil d’État dans un avis du 14 octobre 1980 estime que les contrats d’ins-
tallation de mobilier urbain (p. ex. abris) sont des contrats administratifs (variété
de marchés publics).
Ne font pas partie du domaine public les matériels informatiques et logiciels affectés
au service public (CE 28 mai 2004, Aéroports de Paris, RFDA 2004, p. 855).

B. Affectation à un service public


Peuvent faire partie du domaine public les biens affectés à un service public.
1. NOTION
Si l’affectation à un service public constitue une source de domanialité publique,
doit-on admettre que tous les biens affectés à un service public fassent partie du
domaine public ? C’est le point de vue soutenu par certains auteurs (Duguit, Hauriou,
Bonnard) alors que d’autres estiment que parmi les biens affectés à un service public,
seuls ceux ayant un rôle essentiel ou irremplaçable font partie du domaine public
(Jèze).
Quant à la jurisprudence, retenant les formules du projet de révision du Code civil,
elle exige une adaptation exclusive ou essentielle au but particulier du service public,
cette adaptation pouvant résulter de la nature même du bien ou d’un aménagement
spécial (v. l’important arrêt CE, 19 oct. 1956, Sté Le Béton, p. 375).
L’arrêt Sté Le Béton présente un très grand intérêt pour montrer à quel point la
détermination du domaine public peut parfois prendre une très grande extension.
En l’espèce, il s’agissait de l’Office national de la navigation qui était concessionnaire
du port de Bonneuil-sur-Marne. L’Office avait été chargé par le décret de concession
de 1932, d’aménager dans le voisinage un port industriel. Le texte précisait qu’il pouvait
dans ce but louer à des particuliers des terrains dépendant du port. Aussi un bail fut-il
consenti à une société qui aménagea une cimenterie sur le terrain loué. Un litige s’étant
élevé entre les parties, il était nécessaire de déterminer la juridiction compétente. La
détermination de la juridiction entraînait l’application des règles de fond. La question
de la définition du domaine public était donc posée. Jusqu’alors, le Conseil d’État
n’avait pas donné une définition aussi large de la domanialité. Or, dans l’arrêt Sté le
Béton, le Conseil d’État prend nettement position : « Cons. qu’il résulte de ce décret
(que)... la partie des terrains que groupe le “port industriel” constitue l’un des éléments
de l’organisation d’ensemble qui forme le port de Bonneuil-sur-Marne ; qu’elle est,
dès lors au même titre que les autres parties de ce port, affectée à l’objet d’utilité
générale qui a déterminé la concession à l’Office national de la navigation de la totalité
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 17

de ces terrains en raison duquel ceux-ci se sont trouvés incorporés du fait de cette
concession, dans le domaine public de l’État. »
Même le fait que ces terrains, à la différence des autres terrains aménagés pour une
utilisation commune qui en font partie, font l’objet de contrats d’utilisation privative
au profit de particuliers ou de sociétés purement privées, ne saurait avoir pour
conséquence de les soustraire au régime de la domanialité publique. Cette jurispru-
dence, quoique critiquée, a été abondamment appliquée.
Ex. : acquisition par voie d’expropriation d’un hôtel particulier pour y implanter des
services publics municipaux. Réalisation d’importants travaux de restauration et réno-
vation. La location du rez-de-chaussée à des particuliers maintient le caractère de
domaine public de l’ensemble (CE 1er juin 2005, M. et Mme Gayant, AJDA 2005, p. 1747,
idem CE 19 juin 2006, Ville de Lyon, AJDA 2006, p. 1686 : une fraction de parcelle
affectée à un service public fait entrer tout le terrain dans le domaine public). Toutefois,
la création de deux sentiers et d’un centre de découverte ne confère pas la domanialité
publique à l’ensemble des terrains (CE 8 juin 2005, Synd. mixte pour la protection,
AJDA 2005, p. 1700).
En réalité, l’application des critères jurisprudentiels a permis d’étendre la Domanialité
publique à un très grand nombre de biens dont la liste s’allonge constamment. Cette
extension résulte de divers facteurs.
2. CONSISTANCE
Le domaine affecté aux services publics comprend essentiellement les dépendances
artificielles du domaine public naturel (ports maritimes et fluviaux, aérodromes et
leurs installations, p. ex. bar-restaurant dans un aéroport : CE, 25 mars 1988, Consorts
Desserreau, RDP 1988, p. 1406), phares, bouées, balises, ouvrages de défense des rives
fluviales, le domaine public militaire (fortifications, arsenaux, bases navales et aérien-
nes) le domaine public ferroviaire (voies ferrées, ainsi que les dépendances des gares)
(CE, 15 janv. 1988, Cie française d’entreprise et de garage, RDP 1989, p. 1516), (v. Décr.
13 sept. 1983, relatif au domaine confié à la SNCF), les meubles précieux, les halles
des marchés (CE, 22 avr. 1977, Michaud, p. 185).
L’application des critères jurisprudentiels permet d’étendre la domanialité publique à
un très grand nombre de biens dont la liste s’allonge. Cette extension résulte de divers
facteurs. D’une part, la jurisprudence a aujourd’hui une conception très large de la
notion de service public.
Ainsi, dans un intéressant arrêt du 11 mai 1959 (CE, Dauphin, p. 294 D. 1959.314), il
s’agissait de savoir quelle était la nature juridique de l’allée des Alyscamps, allée très
connue, qui appartient à la ville d’Arles. Le Conseil d’État a considéré que cette allée
est affectée à un service public « de caractère culturel et touristique » et qu’elle a fait
l’objet d’aménagements spéciaux en vue de cet usage. De même a été considéré comme
un service public, la prise en charge par une société, d’enfants atteints de déficience
mentale (T. confl. 3 déc. 1979 Ville de Paris, p. 579).
Mais c’est surtout la notion d’aménagement spécial qui a reçu une interprétation
extrêmement extensive :
C’est ainsi qu’ont été inclus dans le domaine public :
● le stade municipal de Toulouse « édifié en vue de permettre le développement
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18 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

d’activités sportives et d’éducation physique présentant un caractère d’utilité géné-


rale » (CE, 13 juillet 1961 Ville de Toulouse, Rec. p. 513, AJ 1961 p. 467) ;
● les eaux captées par une ville pour assurer l’alimentation en eau potable de sa

population ainsi que les ouvrages publics destinés à les recueillir (CE S., 16 nov.
1962 Ville de Grenoble, Rec. p. 611 ; il en va différemment des eaux non-captées),
(CAA de Lyon, 25 oct. 1995, Cne de Saint-Ours les Roches, Juris-data 1995-057019) ;
● le dépôt d’autobus de Saint-Ouen affecté au service public des transports en

commun et spécialement adapté à l’exploitation, (CE, 6 mars 1963 Ville de Saint-


Ouen, Rec. p. 141) ; l’hôtel de ville de Saint-Etienne spécialement aménagé pour
regrouper les services publics municipaux (CE S., 17 mars 1967 Ranchon p. 131,
D. 1968 p. 247), le palais de justice de Paris (CE, 23 oct. 1968 Époux Brun, Rec.
p. 503) la dalle centrale du quartier de la Défense (CE, 21 mars 1984 Mansuy p. 616,
RFDA 1984, p. 54) les biens appartenant au Muséum national d’histoire naturelle
(CE, 23 juin 1986 Thomas p. 167 ; AJ 1986 p. 550) ; le parc public de stationnement
souterrain de l’avenue Foch à Paris et ses locaux annexes ; (CE, 24 janv. 1973 Spiteri
et époux Krehl p. 64, AJDA 1973, p. 496), le garage d’un aéroport (T. confl. 17 nov.
1975 Gamba p. 800 ; AJDA 1976, p. 82), une salle des fêtes (CE, 17 janv. 1986, Sté
du Casino, RDP 1987, p. 820.).
Un gîte rural aménagé par une commune et affecté au service public de développement
économique et touristique est une dépendance du domaine public (CE 25 janvier 2006,
Cne de la Souche c/ M. et Mme Claite, AJDA 2006, p. 231). Ce procédé a été contesté
(v. art. J.-F. Brisson, AJDA 2005, p. 1835 et s.).
Mais un autre arrêt, un peu plus ancien, est particulièrement intéressant. Dans cette
affaire (CE S., 5 févr. 1965 Sté lyonnaise des transports, p. 76, RDP 1965 p. 493) il
s’agissait de déterminer la nature juridique du garage souterrain de l’hôtel Terminus
de la gare de Lyon-Perrache, qui sert de parking aux voyageurs des chemins de fer.
Or, le juge a estimé que ce parking faisait partie du domaine public car il est affecté
au service public du chemin de fer et qu’il est considéré comme spécialement aménagé
à cette fin du fait qu’il est situé « à proximité immédiate de la gare ». L’aménagement
spécial résulte donc ici de la simple situation du bien. Ainsi font partie du « domaine
public » les chambres situées dans l’enceinte des bases aériennes militaires (CE, 28 sept.
2001, M. Favot, RFDA 2001, p. 1319) ou les logements des instituteurs situés dans un
groupe scolaire.
Lorsque les biens affectés à un service public sont la propriété d’une société conces-
sionnaire, ils ne peuvent faire partie du domaine public. Mais de façon générale, ils res-
tent propriété de la collectivité concédante et font ainsi partie du domaine public. C’est
le cas en particulier des biens utilisés par des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Il faut cependant souligner (v. Lavialle, RFDA 1996, p. 1124-1126) que la privatisation
partielle ou totale de certains services publics (France Télécom p. ex.) réduit la caté-
gorie des biens affectés à un service public et faisant partie du domaine public (v. p. 23
et s.).
Conclusion : Un bien appartenant à la puissance publique peut faire partie du domaine
public uniquement parce qu’il est en contact avec un autre bien faisant partie du
domaine public. Il en va ainsi, jusqu’à une certaine profondeur, du sous-sol des voies
publiques considérées comme compléments indissociables de la voie ; p. ex. sous-sol
dépendant du domaine public (CE, 28 mai 1971, Gautheron, p. 402) ; de même des
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 19

locaux situés sous la gare d’Auteuil (CE, 2 oct. 1987, Sté « Le Sully d’Auteuil », RDP
1988, p. 575). Il en va différemment lorsque les galeries sont trop profondes (CE,
17 déc. 1971, Véricel, p. 782). Font partie du domaine public, étant donné leur
configuration, des locaux indivisibles du reste de l’immeuble affecté à un service public
(cinéma lié à un palais des sports et des congrès de la commune, AJDA 2005, p. 1804).
Font partie du domaine public, des lieux occupés entre deux voûtes de soutènement
de la voie publique (CE, 14 oct. 1989, M. Félix, RDP 1989, p. 1517), ou des parcs
publics de stationnement situés sous les voies publiques et considérés comme acces-
soires de la voie (CE, 24 janv. 1973, Spiteri, p. 64) ; un canal qui fait partie du réseau
d’assainissement d’une commune fait partie du domaine public de cette commune en
tous ses éléments, y compris la voûte qui le recouvre (CE, 28 janv. 1970, Consorts
Bissinger, p. 58). De même, un bien peut être considéré comme faisant partie du
domaine public en tant qu’il constitue un accessoire utile (arbres des routes, bornes
kilométriques, corbeilles à papier). Lorsqu’un ouvrage est construit sur le domaine
public, même par un particulier, il peut faire partie du domaine public par voie
d’accession (CAA Lyon, 20 mai 1992, Torre, RFDA 1993, p. 1151). En revanche dans
certains ensembles immobiliers modernes (p. ex. grands centres commerciaux), il se
peut que certains niveaux fassent partie du domaine public (p. ex. la gare, le métro)
mais non pas les niveaux supérieurs (magasins).
● L’application du critère domanial peut être écarté éventuellement si l’intéressé peut
se prévaloir d’un titre juridique sur la parcelle tel que p. ex. titre juridique datant de
l’Ancien Régime, en particulier sur le domaine public maritime. Mais le Conseil d’État
n’admet que difficilement l’existence de tels titres (CE, 27 nov. 1985, Sté Couach, RDP,
1987, p. 819).
● De toute façon l’application trop large du critère jurisprudentiel du domaine public
a été critiquée par la section du rapport du Conseil d’État (v. détails p. 29 et s.). La
jurisprudence est peut-être en train d’évoluer. Il semble que le juge s’oriente vers une
appréciation plus restrictive de la notion « d’accessoire » (CE, 24 janv. 1990, Boulier
CJEG, 1990, p. 238-240). De même dans un arrêt du 8 août 1990 (CE, Min. de
l’Urbanisme, CJEG, 1991, p. 15 à 21), le juge s’oriente vers la reconnaissance d’une
divisibilité possible des locaux, volumes, terrains en fonction de leur affectation et
aménagement et non de leur juxtaposition ou superposition. Un terrain servant
d’assiette à un réseau de distribution d’eau ne fait pas partie du domaine public. (Il
en est de même d’un logement de fonction, CE, 24 janv. 1990, Dame Boulier).
● Enfin, lorsqu’il y a copropriété, il est difficile de concilier celle-ci avec les principes
de la domanialité publique. Aussi la Cour administrative d’appel de Paris a-t-elle estimé
(20 juin 1989, Min. Éco. c/ Sté Prévoyance foncière, RDP, 1990, p. 545-555, note Lorens)
que les locaux détenus en copropriété par l’État n’ont pas le caractère de domaine
public, sans qu’il soit nécessaire de se référer à l’affectation à l’usage du public ou à
un service public (v. aussi CE, 11 févr. 1994, Cie d’assur. Préservatrice foncière, op. cit.).

§ 3 - LA NOUVELLE DÉFINITION DU DOMAINE PUBLIC


A. Le domaine public immobilier
Le nouveau Code a substantiellement modifié la définition du domaine public immobilier
mais la pratique à venir est loin d’être certaine (art. L. 2111-1) : « Sous réserve des
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20 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique, men-


tionnée à l’art L. 1, est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à
l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent
l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de service public. »
Pour les biens affectés à l’usage direct du public toute référence explicite à l’aména-
gement disparaît (CE 29 juin 1935, Marécar, p. 734). Mais en réalité il n’y a pas
transformation fondamentale. Il faut en effet une véritable « affectation à l’usage du
public » ; une simple ouverture au public est insuffisante pour que le bien devienne un
bien du domaine public. L’ouverture d’une plage au public ne signifie pas par elle-même
que la dépendance domaniale soit affectée a l’usage du public.
Le critère de l’aménagement spécial avait surtout été retenu pour les « forêts domaniales ».
Or, et c’est une réforme importante, le Code prévoit, et il y a ici détermination par la loi,
que les bois et forêts relèveront désormais du domaine privé (art. L. 2212-1).
Pour les biens affectés au service public, ils doivent désormais faire l’objet d’un
aménagement « indispensable » à l’exécution des missions de service public et non
seulement d’un simple aménagement spécial.
Dans le rapport au président de la République, il est indiqué que « l’existence d’un simple
aménagement spécial n’est plus suffisante pour caractériser la nature domaniale d’un bien.
Il s’agit de proposer une définition qui réduit le périmètre de la domanialité publique.
C’est désormais la réalisation certaine et effective d’un aménagement indispensable pour
concrétiser l’affectation d’un immeuble au service public qui déterminera de façon objective
l’application à ce bien du régime de la domanialité publique. »
La distinction ne sera pas simple. Une salle d’audience dans une juridiction, une salle de
mariage dans une mairie constituent des « aménagements indispensables ». En revanche,
un immeuble de bureaux en face de la mairie pour y loger des services, ne constitue pas
un « aménagement indispensable ». Mais que dira la jurisprudence ?
De plus, selon l’article L. 2111-2 « Font également partie du domaine public, les biens des
personnes mentionnées à l’art. L. 1 qui, concourant à l’utilisation d’un bien appartenant
au domaine public, en constituent un accessoire indissociable. »
Cette notion d’indissociabilité est délicate à analyser. Comme le fait remarquer très
justement M. Fatôme (« La consistance du domaine public immobilier : évolution et
questions », AJDA 2006, p. 1087 et s.), il y a deux conceptions de l’indissociabilité : « Une
conception très étroite qui consiste à considérer que cette « indissociabilité » n’existe que si
la démolition de ce bien a nécessairement pour conséquence d’entraîner la démolition au
moins partielle de l’autre, ou tout au moins d’en affecter la structure… une conception,
plus large qui consiste à considérer qu’il suffit que le bien « accessoire » soit ancré et donc
fasse physiquement corps avec le bien « principal » (construction réalisée sur le terrain) ».
M. Fatôme espère que la jurisprudence retiendra la seconde conception.
Dans cette hypothèse, la domanialité horizontale telle qu’elle résulte de la jurisprudence
Le Béton serait maintenue (terrains dans l’enceinte d’un port ou d’un aéroport).
Le nouvel article s’appliquerait plutôt à « l’indivisibilité » des éléments verticaux compo-
sant un immeuble ; ainsi un immeuble abritant un service public mais contenant aussi
des dépendances étrangères à celui-ci.
Mais dans la pratique la situation est complexe. La notion d’« indissociabilité » fera l’objet
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 21

de la jurisprudence. Et puis il y a – on le verra aussi ci-dessous – des exceptions : en effet


l’art. L. 2211/1 du Code prévoit qu’en dehors du cas ou des bureaux des administrations
forment un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine
public, tous les immeubles de bureaux relèvent du domaine privé.
L’aménagement indispensable a aussi pour conséquence, du moins en principe, la fin de
la théorie de la domanialité virtuelle (v. p. 30). Dans le rapport au président de la
République il est bien spécifié que « c’est désormais la réalisation certaine et effective d’un
aménagement indispensable pour concrétiser l’affectation d’un immeuble au service public
qui déterminera de façon objective l’application à ce bien du régime de la domanialité
publique. De la sorte, cette définition prive d’effet la théorie de la domanialité publique
virtuelle. » Un bien fait partie ou ne fait pas partie du domaine public. Il n’en fait pas
partie tant que l’affectation ne peut être objectivement constatée. Mais il n’est pas nécessaire
que les aménagements soient achevés. Mais M. Fatôme (article précité) montre bien que
cette notion reste très imprécise.
Sont exclus du champ d’application de ces deux critères les biens qui en sont exclus
par la loi : art. L. 2111-1 « Sous réserve de dispositions législatives spéciales ».
Il peut s’agit soit de biens exclus par la loi alors qu’ils remplissent l’un des deux critères,
ou de bien qui font partie du domaine public sans remplir obligatoirement l’un des deux
critères.
En ce qui concerne les biens exclus du domaine public le Code ajoute, on l’a déjà signalé,
les immeubles à usage de bureaux de toutes les personnes publiques (art. L. 2211-1), les
forêts, les réserves foncières…).
En revanche en vertu des articles L. 2111-6 et L. 2111-10, les domaines publics maritimes
et fluvial artificiel constituent des domaines publics dont la consistance n’est plus régie
par la définition générale du domaine public, mais par les dispositions qui font de ces
deux domaines des domaines publics spécifiques
En conclusion, et comme le remarque M. Fatôme (op. cit.), la loi prévoit deux objectifs :
améliorer l’accessibilité et la lisibilité de ces règles et réduire le champ d’application de la
domanialité publique pour faire en sorte que seuls y soient soumis les biens pour lesquels
cette soumission apparaît réellement nécessaire.
Le premier objectif semble atteint par le regroupement des règles dans un même instru-
ment : le Code. En ce qui concerne le second objectif, il faudra attendre la jurisprudence ;
le juge devra dire quelles interprétations il retient dans les notions nouvelles et dans quelle
mesure les théories jurisprudentielles seront remises en question

B. Le domaine public mobilier


Le Code tente de donner une définition du domaine public constitué par les biens
culturels (art. L. 2112-1).
On sait que la jurisprudence admet l’existence d’un domaine public mobilier (v. p. 15).
Le premier alinéa de l’article L. 2112-1 comporte une définition des biens : « éléments
composant le domaine public mobilier centré essentiellement sur les biens à vocation
culturelle ». Mais la définition n’est pas fermée et il est possible que la jurisprudence
reconnaisse comme faisant partie du domaine public mobilier d’autres biens.
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22 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Le Code s’inspire de diverses lois relatives aux monuments historiques. L’article fait une
énumération (1 à 11) qui n’est pas exhaustive puisque l’article emploi le terme
« notamment ».

§ 4 - LA CONSISTANCE DU DOMAINE PRIVÉ


Celui-ci est composé par tous les biens appartenant aux personnes publiques et qui
ne font pas partie du domaine public. Il s’agit soit de biens corporels, d’ailleurs très
divers (biens faisant l’objet d’une pure exploitation financière : immeubles de rapport,
forêts...) les promenades publiques non aménagées, les biens affectés à un service public
mais que la jurisprudence n’inclut pas dans le domaine public (p. ex. tables d’une
école), les biens des entreprises nationalisées (CE, avis du 16 mars 1948), les biens
incorporels (participations financières).
Du fait des récentes nationalisations, la consistance du domaine privé s’est largement
enrichie.
Finalement les biens du domaine privé sont très nombreux. Il faut y inclure tout
d’abord les biens communaux sur lesquels les habitants de certaines communes ont
un droit spécifique, ainsi d’ailleurs que le domaine privé communal proprement dit,
propriété de la commune. Cette catégorie de biens est très importante et certaines
communes ont des biens, souvent forestiers, considérables.
De plus il y a un domaine privé maritime et fluvial. Le domaine privé fluvial comprend
les rivières et fleuves non classés, les lacs d’État classés ni navigables, ni flottables. En
principe le domaine privé fluvial est étatique. Il y a aussi un domaine privé maritime.
Il est vrai que ce domaine est très limité depuis l’intervention des lois de 1963 et 1986.
Il y a toutefois les lais et relais constitués avant la loi du 28 novembre 1963.
Le domaine privé terrestre est plus important et se répartit entre toutes les collectivités
publiques. On ne peut en donner une liste exhaustive. Mais il s’agit avant tout des
forêts domaniales, étendues vastes et importantes.
Le domaine privé mobilier domine par rapport au domaine public mobilier. La notion
de domaine public mobilier étant réduite, c’est l’immense majorité des biens appar-
tenant aux collectivités qui font partie du domaine privé mobilier. À ces biens mobiliers
réels, il faut ajouter des droits incorporels, tels les droits de pêche et de chasse dans les
forêts domaniales, les brevets d’invention. Mais une autre catégorie a pris ces dernières
années une importance considérable, ce sont les actions détenues par les personnes
publiques dans les sociétés, qu’il s’agisse de sociétés à capital public (avis du Conseil
d’État, 19 mars 1948) ou de sociétés d’économie mixte.
L’article L. 2211-1 du CGPPP donne une définition résiduelle du domaine privé :
« Font partie du domaine privé les biens des personnes publiques mentionnées à l’article
L. 1 qui ne relèvent pas du domaine public par application des dispositions du titre 1er du
livre 1er ». Le Code rappelle que les chemins ruraux et « les bois et forêts des personnes
publiques relevant du régime forestier » font partie du domaine privé. De même les
« bureaux » de toutes les personnes publiques font partie du domaine privé – à l’exclusion
de ceux formant un ensemble indivisible avec les biens immobiliers appartenant au
domaine public ».
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 23

> SECTION 2
Intérêt et valeur de la distinction
du domaine public – domaine privé
● En principe, l’intérêt de la distinction s’énonce très clairement : le domaine public
est soumis au régime juridique du droit public, le domaine privé au régime juridique
du droit privé. Le contentieux relèvera dans le premier cas du juge administratif, dans
le second cas, du juge judiciaire.
●Mais la valeur de cette distinction a été très critiquée (en particulier par M. Duguit,
M. Auby et M. Capitant) :
1. Les auteurs ont fait remarquer que tous les biens des collectivités publiques sont
par définition affectés à l’intérêt général. Le critère de distinction entre domaine
public et domaine privé n’a pas grande utilité dans la mesure où l’on fait entrer
dans le domaine privé des biens dont la destination générale est certaine (prome-
nades publiques, biens affectés à un service public sans aménagement spécial).
2. On constate aussi que le domaine public n’est plus simplement objet de police
(v. infra), il fait aussi l’objet d’une exploitation économique. Inversement, le
domaine privé ne tend pas uniquement à procurer des revenus aux collectivités
publiques. Ce domaine privé peut être le siège d’activités administratives d’intérêt
général (p. ex. travaux publics sur le domaine privé) ; sa gestion même peut être
dominée par des considérations d’intérêt général (forêts).
Cela ne sera pas sans incidence sur les régimes respectifs des biens faisant partie
des deux domaines. Certains biens faisant partie du domaine public ont un régime
moins dérogatoire au droit commun que d’autres ; inversement, certains biens du
domaine privé ont un régime plus dérogatoire au droit commun que d’autres.
Quelques auteurs ont donc estimé qu’il valait peut-être mieux abandonner les
distinctions du domaine public-domaine privé ou classer les biens d’une autre
manière en tenant compte « des échelles de la domanialité ».
● En conclusion, on peut dire que ces théories sont certainement intéressantes et

mettent en valeur les difficultés des distinctions. Il faut toutefois souligner que s’il
existe bien une « échelle de domanialité », législation et jurisprudence ont maintenu
la distinction de base domaine public-domaine privé : le domaine public est par
définition soumis au Droit public et le contentieux relève du juge administratif, le
domaine privé est en principe soumis au droit privé et le contentieux relève du
juge judiciaire.
● Dans un important rapport du Conseil d’État sur le droit des propriétés

publiques (EDCE, 1987, no 38, p. 14 et s.) il est indiqué « que même si l’État, les
collectivités locales et les établissements publics ont des règles propres d’organisa-
tion et de fonctionnement et des patrimoines d’importance et de composition
différentes, il est souhaitable que les principes de base applicables à leurs biens
soient communs ».
Il faut évidemment souligner que ce rapport du Conseil d’État est antérieur de
neuf années au nouveau CGPPP et que celui-ci s’est largement inspiré de ce
rapport. Il nous a semblé important cependant, de voir quelles avaient été les
conclusions et propositions de ce rapport.
Surtout, et cela concerne directement le problème posé ici, le rapport estime « qu’il
faut maintenir la ligne générale de droit positif actuel qui est celle d’une
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24 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

adaptation des règles aux différentes catégories de biens appartenant aux per-
sonnes morales de droit public ».
Le rapport constate que même si le bien fait partie du domaine privé, un minimum
incompressible de règles de droit public est applicable du seul fait de la qualité du
propriétaire. Toujours pour les biens du domaine privé, des dispositions législatives
particulières soustraient certains biens à l’application du droit commun de la
propriété privée. Quant aux biens faisant partie du domaine public, ils sont soumis
par définition à un régime particulier, mais pour certains de ces biens, il existe des
dispositions législatives ou réglementaires spécifiques.
Cela ne remet pas en cause l’existence du domaine public. « La solidité du régime
jurisprudentiel de la domanialité publique tient à son réalisme fondamental. »
Il ne s’agit pas de faire du bien, un bien de mainmorte. « Il s’agit seulement de
défendre l’affectation du bien à l’usage du public ou d’un service public parce
qu’elle répond à la mission même des personnes publiques » (rapport p. 16).
Mais le rapport estime qu’il est nécessaire d’apporter des améliorations ponctuelles
à la portée ou au champ d’application du régime du domaine public.
En ce qui concerne la portée du régime juridique, l’expropriation d’un bien du
domaine public n’est pas possible et, si une autre collectivité publique veut utiliser
ce bien, une « mutation domaniale » est nécessaire (v. p. 40 et s.). Le rapport
préférerait que l’on consacre pour l’État, la possibilité d’exproprier les biens du
domaine public, d’une autre personne morale de droit public. En ce qui concerne
le champ d’application du régime du domaine public, il est souvent difficile de
savoir d’avance pour certains immeubles s’ils font oui ou non partie du domaine
public. Lorsque l’immeuble est loué, le bail commercial est très différent du régime
de la domanialité publique. La jurisprudence pourrait réduire progressivement
l’application du régime de la domanialité publique. Mais le rapport envisage aussi
le recours nécessaire à la voie législative pour réduire le champ d’application du
régime actuel de la domanialité publique.
Si le rapport conclut « les textes qui régissent actuellement le domaine public sont
anachroniques et inadaptés et il faudra de toute façon les revoir », il ne remet
aucunement en cause la distinction domaine public, domaine privé.
Il faut ajouter que la récente loi sur la privatisation de France Télécom (loi du
27 juill. 1996) fait sortir les biens de cette entreprise du domaine public, mais
ils restent largement soumis à certaines exigences des biens du domaine public
(v. p. 37).
De même, la loi du 11 décembre 2001 (MURCEF) pose le principe, sans que la
Poste ne soit privatisée que les biens immobiliers de cette entreprise, lorsqu’ils
relèvent du domaine public sont « déclassés » et qu’ils peuvent donc être gérés et
aliénés dans les conditions de droit commun. La loi prévoit toutefois certaines
restrictions à cette liberté, comme en matière de France Télécom (v. p. 37) (v. aussi
EDF, p. 37 et s.).
Est-il possible de chercher un « critère réducteur de la domanialité publique ? »
(v. Fabrice Melleray, AJDA 2004, p. 1490). Pour l’auteur, à l’heure où le gouver-
nement a été « habilité » à moderniser par ordonnance la définition du domaine
public, il est peut-être opportun de chercher un critère réducteur de la domanialité
publique. Cette recherche, on l’a vu, a mobilisé doctrine et jurisprudence depuis
près d’un siècle. Pour l’auteur, on peut constater que cette recherche s’est avérée
infructueuse. Elle lui semble même vaine, avec la substitution de plus en plus
importante de la législation aux définitions jurisprudentielles.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 25

Le nouveau Code a largement tenu compte du rapport du Conseil d’État sans le


mettre en œuvre totalement. On l’a vu, on le verra, dans les différents chapitres.
Même si le nouveau Code ne reprend pas la distinction fondamentale « domaine
public-domaine privé » il n’en résulte pas moins qu’il y a bien un domaine public et
un domaine privé. Les analyses faites ci-dessus ne sont pas fondamentalement modifiées
même si la présentation actuelle est très différente (v. p. 6 et s.).
La loi du 20 avril 2005 modifie profondément le régime juridique des aéroports.
L’établissement public Aéroport de Paris est transformé en société anonyme contrô-
lée par l’État. L’ensemble des biens du domaine aéroportuaire est déclassé et
transféré à la nouvelle société. Mais la loi met en place, comme pour France
Télécom, un régime de servitudes légales pour certains biens pour garantir l’exé-
cution de la mission de service public.
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26 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> C HAPITRE III


LA NATURE JURIDIQUE
DE LA DOMANIALITÉ PUBLIQUE

§ 1 - É VOLUTION
Pendant très longtemps, la doctrine s’est montrée hostile à l’idée d’une reconnaissance
d’une propriété des personnes publiques sur leur domaine public. Cela résultait
d’ailleurs tout naturellement de la conception prévalant au XIXe siècle selon laquelle le
domaine public est constitué de « biens insusceptibles de propriété privée ». L’État
n’exerce aucun des attributs de la propriété, ni l’usus, ni le fructus, ni l’abusus. On
ajoutait parfois que l’État exerce un « droit de garde et de surintendance ».
C’est Hauriou qui a introduit dans la doctrine l’idée d’un droit de propriété sur le
domaine public, propriété sans doute marquée par un caractère propre qui résulte de
l’affectation du bien, « propriété d’affectation » ou « propriété administrative », mais
propriété tout de même. Le caractère spécifique de cette propriété provient du fait que
la collectivité publique ne peut retirer du domaine public les avantages du Droit de
propriété que dans la mesure où ceux-ci ne contredisent pas l’affectation du bien.

§ 2 - LA NATURE ACTUELLE
L’idée d’un droit de propriété sur le domaine public a progressé et est généralement
admise aujourd’hui.
1. La jurisprudence a admis sur de nombreux points particuliers des solutions dans
lesquelles on peut voir des arguments en faveur du droit de propriété : les collectivités
publiques peuvent exercer au profit de leur domaine public, l’action en revendication,
les actions possessoires, invoquer la mitoyenneté, s’approprier les éléments acces-
soires de la propriété (alluvions, fruits naturels).
2. L’idée d’un droit de propriété correspond aux tendances générales du droit
administratif en matière de domanialité publique. Si la négation de l’idée de propriété
au XIXe siècle a permis de débarrasser le domaine public de conceptions qui, pendant
très longtemps, furent trop patrimoniales, la réintroduction de cette idée à notre
époque permet à l’administration de tenir compte des impératifs économiques. Le
domaine public n’est plus seulement le moyen d’organiser l’exercice et la police de
certaines libertés, mais « c’est un bien dont l’administration doit assurer, dans
l’intérêt collectif, la meilleure exploitation » (concl. Chenot, CE, Cie maritime de
l’Afrique Orientale, 5 mai 1944, p. 278).
L’idée de propriété permet aussi de déterminer la collectivité qui a la charge de
l’entretien, la collectivité responsable en cas de dommages, la détermination du
possesseur des revenus que procure le bien. La jurisprudence a d’ailleurs employé le
terme de « propriété » à propos du domaine public (CE, 17 janv. 1923, Piccoli, p. 44).
3. Il est nécessaire toutefois que l’utilisation économique du bien ne nuise pas à son
affectation à l’usage du public ou au service public. Malgré les conceptions qui se sont
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 27

faites jour (Maroger, Capitant) il ne peut donc s’agir d’une propriété privée ordinaire.
Il est préférable d’en revenir aux idées d’Hauriou de « propriété d’affectation » ou
« propriété administrative ». Ainsi on peut paralyser les conséquences habituelles de
la propriété ordinaire incompatibles avec l’affectation du bien.
4. Les décisions récentes du Conseil constitutionnel renforcent ce point de vue. Dans
plusieurs décisions, en particulier celle du 21 juillet 1994 relative à la constitutionnalité
du projet de loi concernant la création de droits réels sur le domaine public, la haute
juridiction estime que la possibilité d’un renouvellement d’une autorisation après 70
ans « est de nature à porter atteinte à la protection due à la propriété publique ».
De même le Conseil constitutionnel estime que les dispositions sur le domaine public
ne doivent pas nuire au principe de continuité des services publics.
5. Si le nouveau Code ne donne pas une définition du droit des personnes publiques
sur leur domaine public, il retient bien l’idée d’un droit de propriété. Tout d’abord il
s’intitule « Code général de la propriété des personnes publiques ». Dans le rapport au
président de la République il est indiqué que « la structure du code… privilégie une
approche par la propriété publique qui rompt avec l’approche domaniale du Code du
domaine de l’État ». Par ailleurs, et comme le fait remarquer M. Gaudemet (« Les droits
réels sur le domaine public », AJDA 2006 p. 1094 et s.), « C’est sur cette base d’un solide
droit de propriété reconnu aux personnes publiques que (l’ordonnance) a ou reprend,
clarifie et systématise la question par ailleurs si débattue et controversée récemment des
droits réels sur le domaine public. » Le même auteur l’indiquait déjà en 2004 (LPA
23 juillet 2004, no 147, p. 12) « La propriété des personnes publiques est – dans son
principe – celle du droit privé ; la domanialité (on devrait dire les domanialités) – dont
la domanialité publique – est un régime d’affectation. Il y a une sorte de « propriété
éminente de l’État » (article Xavier Boy, AJDA 2006, p. 963 et s.).

Conclusion

Existe-t-il des bases constitutionnelles du droit du domaine public ? La question


s’est surtout posée avec les différents textes récents concernant le droit du domaine
public et en particulier la loi d’habilitation du 2 juillet 2003 permettant au gouverne-
ment de prendre des ordonnances « relatives à la définition, à l’administration, à la
protection et au contentieux du domaine public... afin de simplifier, de le préciser, de
l’harmoniser, d’améliorer la gestion domaniale et de les codifier ». « Mais le législateur
ne peut modifier le droit de la domanialité publique qu’à la condition de « ne pas
priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence
et de la continuité des services publics auxquels le domaine public est affecté ».
M. Fatôme a bien analysé le problème (v. art. AJDA 2003, p. 1192). Déjà dans sa
décision du 21 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a en quelque sorte constitution-
nalisé, au moins de façon indirecte, l’existence d’un domaine public (v. p. 85).
Toutefois, il n’y a pas d’obligation constitutionnelle d’appartenance au domaine public,
ni des biens affectés au service public ni des biens affectés à l’usage direct du public.
Mais le régime juridique de ces derniers biens doit garantir le respect des exigences
constitutionnelles qui résultent des libertés qui s’y exercent. Enfin, s’agissant des biens
appartenant au domaine public naturel, ce sont des éléments du patrimoine national
qui, à la différence de ceux du domaine public artificiel, sont irremplaçables. M. Fatome
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28 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

montre bien que les contraintes constitutionnelles aboutissent à redécouvrir la fameuse


« échelle de domanialité publique » (v. p. 23 et s.).
Dans sa décision du 26 juin 2003 à propos de la loi d’habilitation, le Conseil consti-
tutionnel émet des réserves d’interprétation en ce qui concerne les garanties de
certaines exigences constitutionnelles, qui selon le Conseil « seraient susceptibles
d’être compromises par la généralisation des “dérogations” au droit commun de la
“commande publique” et du “domaine public” ». Dans une très importante décision
du 14 avril 2005 (loi relative aux transports), le Conseil constitutionnel confirme que
l’appartenance au domaine public de biens affectés à un service public n’est jamais
constitutionnellement obligatoire (aéroports) mais que seule l’est la soumission de ces
biens à un régime de nature à préserver la continuité du service. « Le déclassement
d’un bien appartenant au domaine public ne saurait avoir pour effet de priver de
garanties légales les exigences qui résultent de la continuité des services publics auxquels
il est affecté » (v. l’important article de M. Fatôme : « Le régime juridique des biens
affectés au service public », AJDA 2004, p. 178 et s.).
Le Conseil d’État à son tour élève le domaine public au rang d’un impératif d’ordre
constitutionnel (CE, 21 mars 2003, Syndicat intercommunal, RFDA 2003, p. 903).
Comme en même temps le domaine public se réduit, M. Soulié en vient à considérer
qu’on se trouve en présence d’un « domaine moins étendu mais mieux protégé »
(v. p. 85 et s.). Dans un avis de l’Assemblée générale du Conseil d’État (consultatif),
celle-ci a estimé que l’impératif d’ordre constitutionnel de protection du domaine
public s’opposait à ce que fut institué, même par la loi, un régime d’autorisation tacite
en matière de permission de voirie qui ferait notamment obstacle à ce que soient, le
cas échéant, précisées les prescriptions d’implantation et d’exploitation nécessaires à
la circulation publique et à la préservation de la voirie (EDCE 2004, p. 95).
Toutefois, il faut bien remarquer que cette « réduction » du domaine public est elle
aussi dangereuse (v. Ph. Yolka, « Un État sans domaine ? », AJDA 2003, p. 1017. Il est
normal que l’État vende des biens qui ne servent plus à rien. Mais on va « externaliser »
des biens toujours utiles (France Télécom, Poste et bien d’autres exemples). Cette
externalisation rompt avec la tradition d’appropriation publique qui remonte aux
origines de l’État français. La vente des biens rapporte de l’agent dans l’immédiat, mais
ensuite il faudra bien payer des loyers. On sacrifie le long terme au court terme.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 29

> C HAPITRE IV
LE RÉGIME JURIDIQUE DU DOMAINE PUBLIC
L’existence d’un Code du domaine de l’État déterminant le régime juridique du
domaine laisse place à un très large droit jurisprudentiel. L’administration du domaine
fait intervenir un service important, le « service des domaines » qui gère aussi le
domaine privé.

> SECTION 1
La détermination particulière du domaine public

§ 1 - L’ INCORPORATION ET LA SORTIE DU DOMAINE PUBLIC

A. L’incorporation au domaine public


L’incorporation est l’acte par lequel un bien entre dans le domaine public d’une
collectivité publique.
1. EN CE QUI CONCERNE LE DOMAINE PUBLIC NATUREL (rivage de la mer, cours d’eau...)
l’incorporation au domaine public est automatique et ne nécessite aucun acte admi-
nistratif particulier (extension des rivages de la mer). L’importante loi du 3 janvier
1986 relative au littoral maritime consacre le caractère « déclaratif » de la délimitation
du rivage maritime. Toutefois l’entrée d’un cours d’eau dans le domaine public résulte
d’une décision administrative de classement.
2. EN CE QUI CONCERNE LE DOMAINE PUBLIC ARTIFICIEL (voirie, ponts, etc.) l’incorpora-
tion d’un bien à ce domaine nécessite, outre la propriété de ce bien, l’affectation de ce
bien à sa destination. Cette affectation prend deux formes, toutes deux obligatoires,
l’acte juridique d’affectation et l’affectation de fait.
a) L’acte juridique d’affectation : l’affectation formelle par un acte admi-
nistratif est en principe nécessaire (ex. : CAA Paris, 27 sept. 2001, Institut de
France, RFDA 2003, p. 67 : l’acquisition d’un bien du domaine privé par l’Institut
de France ne le fait pas rentrer dans le domaine public, surtout qu’aucune
délibération de l’Institut ne prononce « expressément » l’affectation de ce bien au
domaine public de l’Institut). L’appartenance d’un bien au domaine public se
constate, elle ne se décrète pas. L’incorporation d’un bien au domaine public de
l’État nécessite ainsi qu’il en soit propriétaire et la domanialité publique « virtuelle »
d’un bien requiert un degré certain de réalisation de l’affectation. La propriété
publique est l’affectation précédent la domanialité publique (CE 29 nov. 2004, Sté
des Autoroutes du Sud de la France, AJDA 2005, p. 1183 : parcelles litigieuses n’ayant
pas reçu l’affectation [autoroutière] prévue).
Il y a des exceptions : rues, impasses, et places publiques situées dans une agglo-
mération pour lesquelles l’affectation de fait à la circulation publique est suffisante.
Dans la pratique, le problème est plus complexe, le juge administratif semblant
admettre qu’une affectation, de fait, est suffisante (p. ex. un immeuble abritant
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30 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

un buffet de gare est, par ce fait, incorporé au service public des transports et
incorporé au domaine public ferroviaire (CE, 14 févr. 1969, Sté des Éts Frenkiel,
p. 100, v. a contrario, CE, 15 févr. 1989, Cne de Mouvaux, RDP 1989, p. 1517).
L’affectation juridique résulte en général d’un acte de la collectivité propriétaire
qui a une compétence discrétionnaire à cet effet. Toutefois, dans certains cas, cette
compétence n’est pas discrétionnaire (les routes nationales sont ainsi classées par
décret en Conseil d’État) ; parfois le législateur lui-même dessaisit la collectivité
propriétaire des compétences d’affectation (ex. : le préfet, sur avis du conseil
municipal, prononce l’établissement ou la translation des cimetières, propriétés
communales).
Avec la décentralisation, les problèmes sont parfois devenus plus complexes. Il
appartient à la région en vertu de l’article 5 de la loi du 22 juillet 1983, de créer
des canaux et d’aménager des ports fluviaux. Que ces ports ou ces canaux soient
créés sur un canal ou sur une voie navigable transférés à la région, l’État, dont
relèvent les fleuves, rivières et lacs appartenant au domaine public, est seul compé-
tent, en vertu des prescriptions du Code du domaine public fluvial et de la
navigation intérieure pour décider au préalable qu’un cours d’eau ni navigable, ni
flottable, sera incorporé au domaine public fluvial. Aussi l’aménagement par une
région d’un cours d’eau en voie navigable et la création d’un port sur ce cours
d’eau, doivent être précédés de décisions de l’État relatives à l’incorporation de ce
cours d’eau dans le domaine public fluvial et au transfert de sa gestion à la région.
En l’espèce les travaux devaient être réalisés sur une section non-navigable d’un
cours d’eau. Le cours d’eau est donc non-domanial et les délibérations du conseil
régional concédant la réalisation et l’exploitation d’installation à une commune
sont illégales (CE, Ass., 15 oct. 1999, Cne de Lattes et autres, RFDA 1999, p. 1284).

b) L’affectation de fait : pour qu’un bien entre dans le domaine public, il est
nécessaire que l’acte juridique d’affectation soit suivi de l’affectation réelle du bien
et éventuellement de l’aménagement du bien à cet usage. L’acte administratif non
suivi d’affectation effective est entaché de nullité (CE, 21 déc. 1956, SNCF c/ Époux
Giraud, p. 492).
Toutefois dans un important avis donné par le Conseil d’État le 31 janvier 1995,
celui-ci a estimé que le fait de prévoir l’affectation, implique que ce terrain est
soumis dès ce moment aux principes de la domanialité publique. On est donc en
présence d’une sorte de domanialité « virtuelle » (CE, avis, 31 janv. 1995, Section
Int. et Trav. pub. réunies, AJDA 1997, p. 139, v. commentaire d’Étienne Fatome et
Philippe Terneyre). Cet avis avait d’ailleurs été précédé d’un arrêt du Conseil d’État
du 6 mai 1985 (Eurolat) allant dans le même sens et a été confirmé par l’arrêt CE,
1er février 1995 (Préfet de la Meuse). Mais les problèmes restent très délicats. Selon
un avis de la section de l’intérieur du Conseil d’État du 18 mai 2004 (EDCE 2005,
p. 185) il faut distinguer le moment ou le bien est affecté de manière certaine à un
service public ou à l’usage direct du public et celui ou il devient un bien du
« domaine public ». Si un bien est affecté de manière « certaine » pour l’avenir à
un service public ou à l’usage du public les règles générales de la domanialité
publique doivent s’appliquer (domaine public virtuel) mais le bien n’entre dans
« le domaine public » qu’à compter de l’achèvement des aménagements impliqués
par l’affectation (v. article E. Fatôme, « À propos de l’incorporation au domaine
public », AJDA 2006, p. 292 et s.). (V. aussi p. 21.)
Dans l’affaire de la destruction des paillotes en Corse, affaire que l’on retrouvera,
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 31

la Cour de cassation a jugé que « du seul fait qu’il est propriétaire du domaine
public maritime naturel auquel elles étaient attachées (paillotes), à défaut d’auto-
risation temporaire, l’État a acquis la propriété des paillotes par accession ».
Le Conseil d’État (S. 20 janv. 2005, Cne de Cyprien) a admis l’acquisition par la
commune de biens sur la plage, par voie d’accession, car le restaurant discothèque
était fermé depuis longtemps.
B. La sortie du domaine public
La sortie d’un bien du domaine public résulte de la désaffectation (ou du déclasse-
ment) du bien, sinon il continue à faire partie du domaine public (CE, 30 déc. 2002,
Cne de Pont-Audemer, cité AJDA 2003, p. 1792). Le bien déclassé reste propriété
publique mais fait partie à l’avenir de son domaine privé, échappant ainsi au régime
juridique sévère de la domanialité publique.
1. L’acte juridique de désaffectation ou de déclassement s’impose en principe pour
faire sortir un bien du domaine public. Ce sont les autorités compétentes pour affecter
un bien, qui sont aussi compétentes pour le désaffecter. Comme la désaffectation
constitue une mesure grave, le contrôle juridictionnel sera très étroit (ex. : en l’espèce
le déclassement d’une partie de la voie publique a un motif d’intérêt général, le
développement économique. La fermeture à la circulation générale ne gène guère les
usagers alors que les entreprises peuvent être mieux desservies – CAA Douai, 29 janvier
2004, Sarl artisanale Sambre modelage, AJDA 2004, p. 1044).
Il n’est pas certain que cette désaffectation juridique constitue une mesure suffisante
pour faire sortir un bien du domaine public et elle doit être suivie d’une désaffectation
de fait. Il n’y pas de déclassement d’un bien tant qu’il est affecté au service public
(CAA Versailles 23 mars 2006, Cne du Chesnay, AJDA 2006, p. 1404 : bien encore
occupé par la police ; pas de désaffectation de fait antérieure ou concomitante ; il ne
pouvait faire l’objet d’une décision de déclassement).
Le déclassement peut aussi se faire par voie législative. Le Conseil constitutionnel
exercera éventuellement un contrôle (Cons. const., 23 juill. 1996 à propos du déclas-
sement des installations France Télécom). En l’espèce d’ailleurs, les biens, quoique ne
faisant plus partie du domaine public, gardent leur affectation primitive (v. Duroy, La
sortie des biens du domaine public : Le déclassement, AJDA 1997, p. 819). On est ainsi
en présence de biens déclassés mais qui demeurent affectés au service public de la
télécommunication. En ce qui concerne la Poste, le « déclassement » des biens, qui les
fait sortir du domaine public, a été réalisé par la loi MURCEF du 11 décembre 2001
(v. p. 37 et s.).
2. En revanche, dans certaines rares hypothèses, la désaffectation de fait est suffisante,
sans qu’un acte juridique de désaffectation ne s’impose. Ainsi, en ce qui concerne le
domaine public naturel, les biens sortent du domaine lorsque les circonstances qui
avaient justifié l’incorporation du bien dans le domaine public disparaissent. Toutefois,
la loi du 28 mai 1963 a apporté des atténuations à ce principe pour le domaine public
maritime.
Quant au domaine public artificiel sa simple désaffectation de fait est insuffisante et la
cessation de son appartenance au domaine public est subordonnée à l’intervention
d’une décision de « déclassement » expresse (CE, 17 mars 1967, Ranchon p. 131 ; 6 avril
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32 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

1979, Sté la Plage-la-Forêt, p. 656 ; 19 mars 1988, Marou, RDP 1989, église démolie,
domanialité subsiste).
En ce qui concerne en particulier le domaine public ferroviaire, le Conseil d’État tente
de distinguer la décision de « fermeture de la ligne » de celle qui la « déclasse », la
faisant sortir du domaine public (CE, 6 nov. 2000, Comité Somport..., AJDA 2001,
p. 574). Mais en l’espèce, la distinction semble fragile et pas très convaincante.
Conclusion : le juge cherche à éviter qu’un bien ne sorte trop facilement du domaine public.
Ainsi dans une affaire Michaud du 22 avril 1977 (AJDA 1977, p. 441), le Conseil d’État
a estimé qu’une délibération d’un Conseil municipal classant une halle municipale
dans le domaine privé n’avait pas d’effet (idem, TA Nice, 6 févr. 1997, Assoc. région.
des œuvres éducatives, RFDA 1997, p. 1189 : à propos d’une caserne utilisée par une
association qui organise des colonies de vacances. La désaffectation par simple arrêté
ministériel constitue une illégalité).
La haute juridiction a aussi estimé qu’un bien affecté au domaine public puis classé
dans ce domaine n’en sortait pas du seul fait de sa désaffectation, mais qu’il fallait en
outre une décision de désaffectation (CE, 6 avr. 1979, Sté la Plage-la-Forêt, p. 656).
De même la décision de déclassement d’un terrain dépendant d’un fort, doit être
confortée par la disparition effective de l’aménagement spécial pour que le bien fasse
partie du domaine privé (CE, 13 nov. 1987, Secrét. État c/ Mme Amiot, AJDA 1988,
p. 296). Enfin, lorsqu’un bien désaffecté a vocation à entrer dans le domaine public,
la circonstance que les aménagements spéciaux nécessaires à son affectation à un
nouveau service public n’aient pas encore été réalisés, n’autorise pas à procéder au
déclassement (CE, 1er févr. 1995, Préfet de la Meuse, Petites affiches, 26 janv. 1996,
p. 4-6).
Si normalement la décision de désaffectation revient à la collectivité propriétaire, il peut
en aller autrement lorsqu’une autre collectivité publique que la collectivité propriétaire
intervient dans l’organisation du service public qui fonctionne sur le bien. Pour les
établissements d’enseignement public, qui appartiennent soit aux communes (écoles),
soit aux départements (collèges) soit aux régions (lycées), une décision de désaffecta-
tion ne peut être prise que par accord de l’État et de la collectivité locale propriétaire
(CE, Ass. 2 déc. 1994, Dpt de la Seine-St-Denis ; Cne de Pulversheim, même date ; AJDA
1995, p. 47).
La désaffectation d’une église ne peut avoir lieu sans l’accord écrit du représentant du
culte affectataire, même si le culte n’y est plus célébré (CAA Bordeaux, Assoc. Église
St-Éloi, AJDA 2004, p. 949).
La loi peut désaffecter et déclasser des biens (p. ex. ouvrages militaires) qui sortent
ainsi du domaine public (CE, 13 nov. 1987, Secrét. d’État, RDP 1989, p. 1516).
De plus, l’ordonnance du 19 août 2004 a autorisé la cession de bureaux sans avoir
besoin de les déclasser du domaine public. Il est aussi permis de les vendre alors qu’ils
sont encore utilisés par les services publics qui y sont implantés. La continuité du
service public est toutefois assurée par des clauses inscrites dans l’acte de vente.
Le nouveau Code (art. L. 2141-1) exige explicitement un acte formel de déclassement
à toute procédure de sortie du domaine public qui en constitue ainsi au delà d’une formalité
substantielle une condition nécessaire.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 33

Mais il faut surtout ajouter que le nouveau Code a prévu la légalité sous conditions d’un
déclassement anticipé.
L’article L. 2141-2 permet de déroger au principe fondamental selon lequel une mesure
de déclassement est illégale, si elle ne sanctionne pas une désaffectation de fait. Il est
possible dans certains cas de procéder à un déclassement par anticipation, d’immeubles
encore affectés à un service public. Une cession ne pourra plus être empêchée au prétexte
que la désaffectation matérielle de l’immeuble n’est pas encore réalisée, alors qu’elle est
certaine ou en cours.
Cette mesure est cependant limitée, et on peut le regretter à l’État et ses établissements
publics, excluant les collectivités territoriales et les établissements publics.
L’intérêt de cette mesure permet d’accélérer les opérations lorsque la désaffectation se
prolonge dans le temps. Il faut noter que le régime est strictement encadré : désaffectation
du bien décidée préalablement ; il faut que les nécessités du service public justifient le
déclassement dans un certain délai (fixé par l’acte de déclassement), etc. En principe le
déclassement ne peut porter que sur les biens immobiliers du domaine artificiel lorsqu’il
s’agit d’une vente. En cas d’échange, le déclassement peut porter sur tout bien – donc
aussi bien mobilier qu’immobilier.

§ 2 - LA DÉLIMITATION DU DOMAINE PUBLIC


En droit privé, la délimitation des biens fonciers consiste dans le bornage, qui résulte
soit d’un accord amiable, soit de la constatation des titres de propriété opérée en cas
de litige par une action judiciaire, l’action en bornage. En droit administratif, la
délimitation – tout au moins la délimitation des biens affectés à l’usage de tous –
résulte d’un acte administratif unilatéral de l’administration. Dans certaines hypo-
thèses, cet acte n’a pas seulement un caractère déclaratif, mais est même attributif
de propriété. Cet acte est de la compétence du juge administratif.

A. La délimitation du domaine public naturel


1. La délimitation résulte de décisions unilatérales de l’administration. Ainsi, en ce qui
concerne les rivages de la mer, la délimitation résulte de décrets ainsi que d’arrêtés de
déclaration de domanialité pris par les préfets sur la base de ces décrets. (Des précisions
ont été apportées par la loi du 3 janvier 1986. Le projet de délimitation fait l’objet
d’une « enquête publique »). Le décret du 29 mars 2004 modifie de façon substantielle
la délimitation du domaine public maritime naturel. Les procédures anciennes sont
simplifiées et unifiées tout en garantissant les droits des tiers (pour des détails v. art.
Burguburu et Jégouzo, AJDA 2005, p. 360 et s.). Pour les cours d’eau, la délimitation
des parties navigables ou flottables est faite par décret et par arrêté préfectoral. Les
limites des cours d’eau domaniaux sont déterminées par la hauteur des eaux coulant
à pleins-bords avant de déborder (ex. CE, 14 déc. 1984, Laguerre, RDP, 1986, p. 268).
2. Les riverains du domaine public naturel sont en droit d’obtenir que l’administration
procède à la délimitation (CE, 6 févr. 1976, Secrét. État aux transports c/ SCI villa
Miramar, p. 88).
3. Cet acte administratif n’a qu’un caractère déclaratif, l’administration se bornant
à constater les limites du domaine fixées en fonction de phénomènes naturels : ainsi,
le domaine public constitué par les rivages de la mer est délimité par la partie du
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34 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

rivage, que la mer couvre et découvre entre ses plus hautes et ses plus basses eaux.
L’administration doit tenir compte de ces limites naturelles (CE, 12 oct. 1973, Kreit-
mann, p. 563, application aussi bien pour la Méditerranée que pour l’Océan de
l’Ordonnance de 1681 retenant le plus haut flot de mars). Des difficultés importantes
peuvent apparaître (CE, 11 avr. 1986, Min. Transports c/ M. Dancy, RFDA 1987, p. 44
et s. ; v. aussi CAA Marseille, 10 févr. 1998, AJDA 1998, p. 279). En principe la
domanialité publique s’étend « au point jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre
en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles » (CE, 6 mars 1987, Lavern,
RDP 1988, p. 574 ; 11 déc. 1987, Sté Face au Grand Large, RDP 1988, p. 1518).
Dans l’arrêt Bessière du 29 novembre 1978, (p. 478), il est décidé que si la mer se retire
après submersion du rivage, la domanialité publique persiste s’il y a création de lais et
relais « futurs » (loi de 1963) qui tombent de plein-droit dans le domaine public (pour
les lacs v. CE, 23 févr. 1979, Assoc. syndic. des copropriétaires, p. 89) ; de même si la
création de lais et relais est artificielle (CE, 25 janv. 1989, Sté civile familiale Giraudet,
RDP, 1989, p. 1517) (v. p. 14). Selon le juge, « la délimitation du domaine public
maritime dépend de la constatation d’une situation de fait à un moment donné » (CE,
27 juill. 1988, Bellay, RFDA 1988, p. 885, v. aussi CE, 26 juill. 1991, Consorts Lecuyer,
RFDA 1991, p. 876).
Pour les cours d’eaux domaniaux, il y a constatation de la hauteur des eaux coulant à
plein bord avant de déborder. Il faut remarquer toutefois que dans la pratique, et on
peut le regretter, seulement 10 % du rivage a fait l’objet d’une délimitation.
La délimitation du domaine public fluvial demandée par un riverain est obligatoire
(CAA Lyon, 12 nov. 2003, Favier, AJDA 2004, p. 728). Il est plus délicat de déterminer
la ligne séparant, à l’embouchure, le domaine public maritime et le domaine public
fluvial.
4. Le particulier, qui estime qu’une délimitation est irrégulière, peut attaquer cette
décision par la voie du recours pour excès de pouvoir. Ce contentieux relève évidem-
ment du juge administratif. Le particulier a-t-il aussi la possibilité de demander une
indemnité au juge judiciaire en se fondant sur l’expropriation indirecte dont il a été
victime ? L’existence d’une telle voie juridique a été très discutée par la doctrine ; elle
a cependant été admise par le Tribunal des conflits dans un important arrêt de 1873
(T. confl. 11 janv. 1873, Paris-Labrosse, D. 1873.3.70).
Lorsque la délimitation est régulière, il ne peut y avoir lieu à indemnisation du
propriétaire, que dans les hypothèses où les propriétaires tiennent de l’administration
des droits sur les biens en cause (vente domaniale, concession de lais et de relais). Le
juge administratif sera compétent.

B. La délimitation du domaine public artificiel


La délimitation du domaine public artificiel, affecté à l’usage de tous, c’est-à-dire des
voies publiques, se fait par la procédure très particulière de l’alignement. Établie par
l’édit de 1607, cette procédure très rigoureuse, qui confère de nombreuses prérogatives
à l’administration, en particulier la possibilité de modifier les limites existantes en
empiétant sur les propriétés riveraines, a été maintenue à l’époque actuelle étant donné
les avantages qu’elle présente pour la rectification et l’élargissement de voies publiques.
La procédure d’alignement comprend l’établissement de plans d’alignement et des
alignements individuels. Elle est prévue aujourd’hui dans le code de la voirie routière.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 35

1. LE PLAN D’ALIGNEMENT
● Le plan d’alignement est la délimitation générale d’une ou d’un ensemble de
voies. Il est toujours établi unilatéralement par les autorités administratives (décret en
CE ou arrêté préfectoral pour les routes nationales, décision du conseil général pour
les chemins départementaux etc.). Les plans doivent faire l’objet d’une publication.
● L’administration peut rétrécir la voie, la conserver dans ses limites ou l’élargir.
En cas d’élargissement de la voie, les terrains nus, ni bâtis, ni clos de murs, sont
incorporés à la voie publique, les propriétaires ayant droit à une indemnité. Les terrains
clos de murs ou bâtis ne sont pas, en principe, incorporés immédiatement à la voie
publique ; le transfert n’a lieu qu’au moment de la démolition de l’immeuble, quelle
que soit la cause de cette démolition (péril pour la sécurité, démolition volontaire...).
En attendant, ces terrains sont frappés d’une servitude de reculement, qui empêche
le propriétaire de faire des constructions nouvelles ou des travaux confortatifs pouvant
prolonger la durée de l’immeuble.
● Ce procédé de cession forcée, malgré l’indemnité touchée par les propriétaires,

comporte évidemment de graves inconvénients pour la propriété privée. Aussi le juge


a-t-il été amené à fixer certaines limites : sur les voies existantes, le plan d’alignement
ne peut servir qu’à redresser la voie ou à l’élargir, non pas à la déplacer ; l’élargissement
ne doit pas être trop profond (CE, 24 juill. 1987, Cne de Sannat, RDP, 1988, p. 577 ;
CE, 9 déc. 1987, Cne d’Aumerval, RDP, 1989, p. 1519) (CAA Nancy 12 janv. 2004,
Cne de Housenne, Ann. voirie 85/2004, p. 65, Comm. P. Billet). Les bâtiments non
touchés directement ne doivent pas être rendus inutilisables ; quant aux voies nou-
velles, la servitude de reculement ne s’imposera que le jour où le plan est réellement
entré en application. En revanche, les différentes législations sur les plans d’urbanisme
rejettent expressément la plupart de ces limitations admises par la jurisprudence.
2. L’ALIGNEMENT INDIVIDUEL
L’alignement individuel est l’arrêté pris par l’administration sur demande du
propriétaire lui indiquant les limites de sa propriété par rapport à la voie publique ;
il peut aussi être pris spontanément. L’arrêté d’alignement a un caractère « déclaratif ».
L’alignement individuel en absence de faits nouveaux reste valable sans limite (CE
24 mai 2004, M. Joubert, AJDA 2004, p. 1722).
Le propriétaire qui veut construire en bordure de la voie publique est obligé de deman-
der l’alignement ; l’administration est tenue de délivrer l’alignement demandé ; l’arrêté
d’alignement ou le refus de délivrer l’alignement constituent des actes administratifs
susceptibles de recours. L’arrêté d’alignement peut donner lieu à une indemnité.
La délivrance de l’alignement individuel ne se confond pas avec la délivrance du permis
de construire.
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36 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> SECTION 2
La répartition du domaine public
entre les collectivités publiques

§ 1 - I NTRODUCTION
A. Les solutions traditionnelles
a) Le domaine public doit être la propriété d’une collectivité publique
À l’heure actuelle, toutes les collectivités publiques ont un domaine public. Ainsi,
le département est propriétaire d’un domaine public extrêmement important,
puisque un décret du 25 avril 1972 a permis le transfert aux départements de
55 000 km de routes nationales alors qu’il existe déjà de nombreux chemins
départementaux.
Le problème essentiel s’est posé pour les établissements publics. De façon tradi-
tionnelle, on refusait aux établissements publics la possibilité d’avoir un domaine
public. Même certains auteurs comme Hauriou et Bonnard ont affirmé que les
établissements publics ne pouvaient être propriétaires d’un domaine public.
La jurisprudence a évolué. Avant 1965, la jurisprudence était incertaine. En 1965,
dans un arrêt sans ambiguïté (CE, 19 mars 1965, Sté Lyonnaise des eaux et de
l’éclairage, Rec. p. 184, JCP 1966-II-14583 note Dufau), la Haute juridiction exclut
la possibilité pour les établissements publics d’avoir un domaine. Toutefois, déjà à
cette époque la Cour de cassation avait admis la solution contraire (Cass 1re civ.,
2 avril 1963, Sieur Montagne c/ Réunion des Musées de France et autres, AJDA
1963.483). Les sections administratives du Conseil d’État ont elles-mêmes donné
des avis favorables à l’existence d’un domaine public des établissements publics
(28 août 1977, 31 janv. 1978, domaine public hospitalier, domaine public d’un
aérodrome géré par un établissement public).
C’est certainement sous la pression des tribunaux administratifs que le Conseil
d’État allait modifier sa jurisprudence. (p. ex. TA Marseille 19 novembre 1954,
Administration de l’Assistance publique à Marseille, D. 1955 J 624 ; et plus tard TA,
Paris 18 septembre 1979, Établissement public pour l’aménagement de la région
Défense, AJDA 1979, p. 36 ; D. 1980 p. 439).
Le Conseil d’État se rallia à cette solution par les décisions Epp et Mansuy, rendues
à propos de syndicats de commune et d’aménagement urbain (CE, 6 févr. 1981
Epp p. 745 et surtout CE, 21 mars 1984, Mansuy, R. 616 et 645 ; RFDA 1984,
p. 1059) : les établissements publics ont la possibilité d’avoir un domaine public.
Deux questions restaient alors ouvertes : cette décision n’était-elle valable que pour
les seuls établissements publics territoriaux ou s’appliquait-elle à tous les établissements
publics ? En cas de réponse positive à la première question, fallait-il limiter la
possibilité d’avoir un domaine public aux établissements publics administratifs ou
fallait-il l’étendre aux établissements publics industriels et commerciaux ?
Dans les deux cas, la jurisprudence a donné une réponse positive. Tout d’abord, le
Conseil d’État a étendu la solution à des établissements publics non-territoriaux (CE,
23 juin 1986, Thomas, p. 167, à propos du muséum national d’histoire naturelle,
AJDA 1986, p. 598 et 599). Quant à la cour administrative d’appel de Bordeaux, elle
étend la solution aux établissements publics industriels et commerciaux, en confir-
mant une solution en ce sens du tribunal administratif de Limoges (CAA Bordeaux,
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 37

Électricité de France c/ Consorts Renault, D. A. 1994 no 448 ; v. aussi TA Limoges,


23 juillet 1992, SNC d’Aboville c/ Consorts Renault et EDF, CJEG 1992. Jur. p. 498).
La reconnaissance d’un domaine public des établissements publics n’est pas sans
poser d’importants problèmes dans le cadre des privatisations, du développement
du droit de la concurrence et de l’envahissement du droit européen. C’est ce qui
ressort d’un arrêt particulièrement important du Conseil d’État du 23 octobre 1998
(CE, Ass, 23 oct. 1998, Électricité de France, RFDA 1999, p. 588). En l’espèce il
s’agissait de savoir si certains biens de l’Électricité de France, (l’usine de l’Osmonerie
et les droits qui y étaient attachés) constituaient des biens du domaine public de
l’Électricité de France. La cour administrative d’appel de Bordeaux, jugeant sur
renvoi de la cour d’appel de Riom, avait conclu que ces biens constituaient des
biens du domaine public.
Le Conseil d’État arrive à une solution opposée, mais après un raisonnement assez
complexe. Certes, d’après la loi de nationalisation de 1946, le capital de l’Électricité
de France appartient à la nation et est donc inaliénable. Mais la loi sur la nationalisa-
tion prévoit que les services d’EDF « sont habilitées à acquérir de l’État et des person-
nes publiques ou privées des biens de toute nature, à les prendre en bail, à les gérer
et à les aliéner aux personnes privées »... Aussi le législateur a-t-il fixé pour la gestion
et la disposition des biens et valeur de l’EDF et constituant l’actif de ce dernier, des
règles « qui sont incompatibles avec celles de la domanialité publique ». Ainsi les
biens en question ne constituent pas des biens du domaine public.
M. Lavialle se demande, en analysant cet arrêt si le domaine public n’est pas une
catégorie juridique menacée (Lavialle, « Le domaine public, une catégorie juridique
menacée ? », RFDA 1999, p. 578 et s.). Peut-être est-on en présence d’un arrêt qui
confirme la crise de la notion de domaine public, tout en permettant peut-être de
mieux la recentrer. Pour l’auteur, c’est de moins en moins l’affectation du bien qui
définit la domanialité publique, mais le régime juridique lui-même. L’arrêt Électricité
de France fait sortir du domaine public les biens dont le statut apparaît inconciliable
avec le régime administratif du domaine public. Le Conseil d’État se fonde ici sur la
loi de nationalisation elle-même. Mais le juge ne sera pas obligé de se fonder toujours
sur un texte. Ce qui resterait « domaine public » après cet arrêt, deviendrait une sorte
de « noyau » de plus en plus dur où les règles de la domanialité publique – en
particulier celles de l’indisponibilité – seraient strictement appliquées. Il y aurait un
coup d’arrêt dans l’évolution du régime juridique des biens restant dans le domaine
public et le creusement de l’écart entre les deux régimes domaniaux s’accentuerait.
Mais, l’auteur en est bien conscient, la crise de la domanialité publique, qui est
antérieure à l’arrêt Électricité de France et que celui-ci « dévoile » peut avoir des
conséquences très variées qui ne sont guère très claires à l’heure actuelle.
b) Les personnes privées ne peuvent détenir de domaine public
Lorsqu’une société privée, concessionnaire d’un service public a besoin de biens
qui normalement relèvent du domaine public, elle ne peut qu’être autorisée à
utiliser les biens du domaine public d’une autre collectivité publique. Inversement,
si un droit de propriété d’une société privée est reconnu sur un bien, celui-ci ne
fait pas partie du domaine public. (T. confl. 2 déc. 1968 EDF c/ Dame Faucher
p. 803). Les mêmes règles sont applicables lorsqu’un établissement public se
transforme en société privée. Dans ce cas, si la nouvelle société veut rester pro-
priétaire des biens, il faut un déclassement simultané de ces biens. C’est bien ce
qui s’est passé pour France Télécom (v. ci-dessous). Le Conseil d’État a même
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38 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

estimé que les ouvrages du réseau de télécommunications de France Télécom ne


constituent plus des ouvrages publics (v. aussi p. 139) (CE, 11 juillet 2001,
M. Adelee, RFDA 2001, p. 1133).
On peut prendre deux exemples récents : la création récente du « Réseau ferré de
France » (loi du 13 février 1997) sous forme d’établissement public industriel et
commercial a permis à cet établissement de maintenir la domanialité publique des
anciens biens de la SNCF. En revanche, et on l’a indiqué (v. supra), le domaine de
France Télécom qui n’est plus un établissement public n’appartient plus au domaine
public. Mais le régime des biens est soumis à des règles particulières. (décision
Conseil constitutionnel du 23 juill. 1996, op. cit.). Comme l’indique M. Lavialle
(RFDA 1996, p. 1124-1126) cette décision consacre d’une part l’émergence d’une
nouvelle catégorie de biens, les biens grevés par la volonté du Législateur d’une
affectation à un service public et d’autre part recentre davantage la domanialité
publique sur les seuls biens affectés à l’usage du public.
On constatera que ce régime spécifique – hors domaine public – vient d’être
appliqué aux biens de la Poste qui pourtant n’a pas été privatisée pour le moment.
Ces biens, qui ne font plus partie du domaine public, sont aliénés et gérés librement.
Mais, selon la loi, dans l’hypothèse où la cession ou les conditions qui y sont mises
« compromettent la bonne exécution par la Poste de ses obligations ou des enga-
gements pris dans son contrat de plan en ce qui concerne la “continuité du service
public” et “la politique d’aménagement du territoire” » l’État s’oppose à leur cession
ou la subordonne à des conditions permettant de ne pas porter « préjudice à la
bonne exécution des obligations » précitées. La nullité de la cession est la sanction
de la méconnaissance de ces règles. On l’a vu, les solutions sont les mêmes pour
Aéroport de Paris (loi du 20 avril 2005).
Dans un très important arrêt d’Assemblée (avis) du 10 juin 2004 à propos de
l’agence France Presse, la Haute juridiction a estimé que l’agence France Presse,
étant un organisme de droit privé, ne pouvait être propriétaire d’un domaine public
(RFDA 2004, p. 927).
(Note : Des problèmes importants vont se poser à la suite de la transformation en
société anonyme de l’EDF, même si des éléments du réseau sont transférés aux
collectivités territoriales [Loi du 9 août 2004].)
Ainsi se développe, peu à peu, un domaine privé affecté au service public dont
l’existence remet en cause les distinctions classiques domaine public – domaine
privé (v. p. 23 et s.)
Ces solutions expliquent aussi, et on l’a vu (v. plus haut) que lorsqu’un bien est en
copropriété entre une personne publique et une personne « privée », ce bien ne
saurait être un bien du domaine public. L’administration en devenant coproprié-
taire, devient un propriétaire indivis, et la domanialité publique est exclue.
L’ensemble de cette jurisprudence, qui rend parfois peu aisée l’application de
certaines règles correspond bien à l’idée, déjà énoncée, que le droit de propriété
des personnes publiques sur leur domaine public est un droit très particulier (v.
p. 26 et s.) et que si de préoccupations de « propriétaire » ne sont pas absentes il
« fait une place privilégiée aux usagers ; il est davantage conçu pour la satisfaction
des usagers que pour celle du propriétaire » (Godfrin).
c) Conclusion
En cas de contestation sérieuse sur la propriété privée ou publique d’un bien, qui,
s’il appartenait à une collectivité publique, pourrait faire partie du domaine public,
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 39

le juge administratif doit renvoyer devant le juge judiciaire qui a seul qualité pour
déterminer la personne propriétaire (CE, 29 juin 1990, Consorts Marquassuroli,
RFDA 1990, p. 660).
B. Les solutions du nouveau Code
Comme le constate M. Fatôme (op. cit.), alors qu’aux termes de la jurisprudence antérieure
toute personne pouvait être propriétaire d’un domaine public sous réserve qu’aucune
« disposition législative la concernant ne fasse obstacle à l’application de la domanialité
publique » (CE Avis 9 déc. 1999, relatif à la Banque de France, EDCE 2000, p. 21 ; ainsi
que dans le cas de l’EDF déjà analysé), il convient désormais d’opérer la distinction entre
deux catégories de personnes publiques (art. L. 1, L. 2 et L. 2111-1).
Il y a tout d’abord les personnes publiques mentionnées à l’art. 1 c’est-à-dire les
personnes publiques classiques (État, collectivités territoriales, groupement de collectivités
territoriales, établissements publics). Elles peuvent de plein droit être propriétaire d’un
domaine public.
Il y a ensuite les « autres personnes publiques », les personnes publiques sui generis
(Banque de France, groupements d’intérêt public, Institut de France, etc. Aussi l’ordon-
nance à laquelle le CGPPP est annexé complète le statut d’un certain nombre de personnes
publiques sui generis (Banque de France, Autorité de contrôle des assurances et des
mutuelles) par une disposition leur permettant d’avoir un domaine public dans les mêmes
conditions que les établissements publics. Toutefois, en cas de silence des textes, le régime
des biens de ces personnes sui generis reste assez vague.

§ 2 - L ES COLLECTIVITÉS PUBLIQUES PROPRIÉTAIRES


A. Le domaine public de l’État
Le plus important, il comprend le domaine maritime, le domaine fluvial et aérien, les
routes nationales ainsi que les voies rapides comprenant autoroutes et routes express et
assimilées, le domaine militaire etc. En ce qui concerne le domaine public maritime, la
délimitation des eaux territoriales d’une commune par rapport à une autre commune
peut être faite par le préfet en vertu de motifs tirés de l’intérêt général (CE, 20 févr. 1981,
St-Quay-Portrieux, p. 96). La consistance de ce domaine public de l’État, en particulier
le domaine public maritime, ne peut être modifiée par une délibération d’une assemblée
provinciale d’un territoire d’outre-mer (CE, 18 nov. 1994, Ht-commissaire de la Républi-
que, Nlle-Calédonie, RFDA 1995, p. 210).
B. Le domaine public régional
L’existence d’un domaine public régional est indiscutable depuis que la région est une
collectivité territoriale (L. 2 mars 1982). Il comprend p. ex. les immeubles et ouvrages
régionaux répondant aux critères du domaine public.
C. Le domaine public départemental
Il comprend les chemins départementaux, des chemins de fer et tramways d’intérêt
local, des édifices (hôpitaux psychiatriques), des meubles. La loi de finances pour 1972
permet de classer dans le domaine départemental d’importantes sections de routes
nationales. Les nouvelles lois de décentralisation (2003-2004) renforceront encore le
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40 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

domaine public départemental (routes). La loi du 13 août 2004 et d’autres textes


ultérieurs transfèrent une grande partie de la voirie nationale au département.
La loi du 30 juillet 2003 crée un domaine public fluvial local.
D. Le domaine public communal
Il comprend les voies communales, les halles et marchés, édifices du culte, lavoirs,
abattoirs, cimetières, théâtres, des hôpitaux, etc.
E. Le domaine public des établissements publics
Il comprend certains biens construits par l’établissement, ou des biens du domaine
public des collectivités territoriales transférés à un établissement public (v. surtout le
Réseau ferré de France, loi du 13 févr. 1997).
Pour la gestion du domaine public, v. France-Domaine, p. 81.
F. Il faut ajouter aujourd’hui le domaine public de certaines personnes
sui generis (Banque de France, Institut de France (v. ci-dessus).
Conclusion : La loi du 22 juillet 1983 portant transfert de compétences, prévoit que
certaines dépendances surtout étatiques (certains ports, voies d’eau) sont mises à la
disposition des régions, départements, communes. Le juge administratif est amené
assez fréquemment à déterminer la collectivité publique dont fait partie une parcelle
du domaine public (CE, 10 avr. 1992, SNCF c/ Ville de Paris, RFDA 1992, p. 601 :
contrairement à la décision de la CAA de Paris, certaines parcelles du domaine public
de la SNCF n’avaient pas été transférées à la ville de Paris).

§ 3 - LE PROBLÈME DES MUTATIONS DOMANIALES


Les collectivités publiques peuvent, on l’a constaté (v. p. 31 et s., 33) faire sortir un
bien du domaine public en le désaffectant. Elles peuvent, de même, changer l’affecta-
tion d’un bien. On peut se demander dans quelle mesure une collectivité publique
peut modifier l’affectation d’un bien appartenant à une autre personne publique soit
en changeant la propriété de ce bien, soit en changeant l’affectation : c’est le problème
des mutations domaniales.

A. Système traditionnel
1. MUTATION PAR TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ
En réalité, il s’agit généralement d’un changement de propriétaire qui implique très
souvent aussi un changement d’affectation.
Cette transformation a lieu parfois par voie législative : la loi du 16 avril 1930 a
autorisé le transfert dans la voirie nationale de 40 000 km de routes départementales
et communales. La loi de finances de 1972 prévoit la possibilité de transférer 55 000 km
de routes nationales dans la voirie départementale. Dans ces cas précis, il n’y a pas de
changement d’affectation.
Parfois il y a un accord amiable ; dans ce cas il n’y a pas de problème. Le problème
qui avait été posé en particulier au siècle dernier est le suivant : l’État peut-il obliger
les collectivités publiques territoriales de leur céder des biens de leur domaine public ?
Si le recours éventuel à l’expropriation était possible au siècle dernier, il n’est plus
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 41

possible aujourd’hui (v. p. 48). Même si les réflexions sur cette question sont en train
d’évoluer, la solution reste certaine pour le moment.
Ainsi, la seule solution est la voie législative, telle qu’on l’a vu pour les routes. Mais en
dehors de ce problème très général des routes, il y a eu des transferts par voie législative
pour des biens plus spécifiques : ainsi, l’ordonnance du 4 février 1959 et l’article 19 de
la loi du 10 juillet 1964 décident que certains biens appartenant à la ville de Paris (ou
au département de la Seine) sont transférés à l’établissement public « Syndicat des
transports de la région parisienne ».
Il existe aussi des cas de transfert de propriété des biens des communes aux commu-
nautés urbaines (art. L. 5218-28, CGCT). Les biens sont transférés par accord amiable,
sinon par décret en Conseil d’État.
Le Code général des collectivités territoriales prévoit aussi des possibilités facultatives
– de transfert de biens – par convention aux syndicats et aux communautés d’agglo-
mération nouvelle (L. 5211-5). Le transfert se fait sans indemnité. Éventuellement,
mais les hypothèses sont complexes, il peut y avoir dans certaines hypothèses « resti-
tution du bien » (v. p. 42 et s.).
Il faut bien souligner que la théorie des « mutations domaniales » est très entravée par
l’impossibilité actuelle d’exproprier des biens du domaine public.

2. MUTATION PAR CHANGEMENT D’AFFECTATION


Il s’agit dans ce cas non pas d’obtenir un changement de propriétaire mais un
changement d’affectation qui peut prendre selon les cas un caractère autoritaire ou
un caractère non autoritaire.
Dans la dernière hypothèse, qui ne pose pas beaucoup de problèmes, c’est la collectivité
propriétaire qui désire changer l’affectation du bien (CE, 5 mai 1944, Sté auxiliaire d’en-
treprise p. 131). Rien n’empêche une collectivité propriétaire de mettre son domaine
public à la disposition d’un autre service. Ainsi elle peut aussi retirer à un service
public un bien insuffisamment utilisé et l’attribuer à un nouveau service public (CE,
30 oct. 1987, Cne de Levallois-Perret c/ Union des Syndicats CGT de Levallois-Perret,
p. 335 ; AJDA 1988, p. 43). Il y aura lieu parfois à une indemnité.
La première hypothèse, celle d’un changement d’affectation autoritaire n’atteignant
pas le droit de propriété, est beaucoup plus délicate. En pratique, il s’agit du cas où
l’État veut utiliser un bien du domaine public d’une autre collectivité publique, mais
sans qu’il y ait eu changement de propriétaire. Les débats sur cette question ont été
très nombreux et la possibilité très discutée, car a priori il semble que l’État ne puisse
modifier la destination d’un bien appartenant à une autre collectivité publique sans
l’accord de celle-ci.
Pourtant les solutions, aussi bien du Conseil d’État que celles de la Cour de cassation,
solutions déjà anciennes, mais toujours valables, vont en sens contraire. Les tribunaux
judiciaires se sont fondés sur l’idée « d’unité du domaine public » alors que le Conseil
d’État se fonde sur l’idée de biens domaniaux « grevés d’une servitude d’intérêt
général ».
Les décisions en la matière, quoique anciennes, sont très intéressantes : il s’agissait du
prolongement du chemin de fer de la ligne de Sceaux sous le boulevard Saint-Michel
et la rue Denfert-Rochereau à Paris. La compagnie du chemin de fer d’Orléans,
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42 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

concessionnaire de la ligne avait passé un contrat avec la ville de Paris, prévoyant qu’en
cas de difficulté en ce qui concerne les indemnités, il y aurait expropriation. La Cour
de cassation rejette la possibilité d’expropriation (Cass. 20 déc. 1897 Chemin de fer
d’Orléans, D. 1899.I.257). Paris reste propriétaire. La Cie des chemins de fer se retourne
contre l’État devant le Conseil d’État pour obtenir une indemnisation. Celui-ci estime,
tout comme la Cour de cassation, que la ville de Paris reste propriétaire, même si
l’affectation a été modifiée. D’ailleurs, toute indemnité est refusée finalement à la
compagnie concessionnaire.
Si ces solutions ont été critiquées et sont peut-être critiquables, elles n’en sont pas
moins certaines. La solution a été expressément consacrée par l’idée de « transfert de
gestion » dans le Code du domaine (art. L. 35 et R. 58). Ces textes prévoient le transfert
de gestion des immeubles dépendant du domaine public de l’État dont la destination
est modifiée par le préfet (ex. CE, 8 juill. 1996, M. Merie, RFDA 1996, p. 1040 ; transfert
de gestion de certaines parties du domaine maritime et fluvial du département de
l’Hérault à la commune d’Agde).
Dans un très important arrêt du 23 juin 2004, amplement commenté (Cne de Proville,
AJDA 2004, p. 2149, chron. Landais et Lenica) le Conseil d’État avait à juger si la théorie
des mutations domaniales jouait encore malgré certains textes récents en matière d’ex-
propriation. L’art. 11-8 du Code de l’expropriation donne en effet au préfet, en cas
d’arrêté de cessibilité (v. p. 43), le pouvoir de prononcer le transfert de gestion des
dépendances du domaine public de la personne concernée. Mais le Haute juridiction
estime que ces dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet de priver le Premier
ministre ou les ministres intéressés du pouvoir qu’ils tiennent… « des principes géné-
raux qui régissent le domaine public, de décider pour un motif d’intérêt général de
procéder à un changement d’affectation d’une dépendance du domaine public d’une
collectivité territoriale » (Premier ministre autorisant par décret le changement au profit
de l’État d’une parcelle du domaine public de la commune de Proville).
Il y a donc, comme on l’a fait remarquer à juste titre, « une irréductible théorie des
mutations domaniales » (v. article Ariane Vidal-Naquet, RFDA 2005, p. 1106 et s.).
D’ailleurs des mutations domaniales peuvent avoir lieu sur le domaine public maritime
dans le cadre de la loi Littoral du 3 janvier 1986 ; ainsi un arrêté préfectoral peut
prévoir la gestion conjointe par l’État et le département de terrains du domaine public
nécessaires (à la liaison fixe de l’île de Ré au continent) si cet arrêté n’a ni pour objet,
ni pour effet d’entraîner un changement substantiel de l’utilisation de ces biens
(CE S., 8 avr. 1994, Dpt Charente-Maritime c/ Assoc. Amis de l’Ile de Ré, RFDA 1995,
p. 621).
Conclusion :
● Les solutions dégagées jusqu’ici sont insuffisantes. Mais nous avons vu que le
Conseil d’État, dans son rapport sur le domaine public rendu en 1986 (v. ci-dessus
p. 17 et s.) a lui-même critiqué cette possibilité du changement d’affectation autoritaire.
Le Conseil d’État préférerait que la loi permette à l’État d’exercer son droit régalien
d’expropriation après enquête publique à l’égard d’un bien faisant partie du domaine
public d’une autre collectivité publique.
● À côté du transfert de gestion il y aussi la « mise à la disposition ». Cette mise à la
disposition résulte essentiellement des lois de décentralisation de 1982 et 1983. La loi
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 43

du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences décide « que le transfert


d’une compétence entraîne de plein droit la mise à la disposition de la collectivité
bénéficiaire des biens utilisés pour l’exercice de cette compétence à la date de ce
transfert ». Mais il est évident qu’ici la décision est prise par le Législateur, l’affectation
reste identique ; de plus et pour une fois, l’État n’est pas le seul bénéficiaire. Il est
possible que ce régime ne soit que transitoire. Cette « mise à disposition » est détaillée
aujourd’hui dans le titre II : Dispositions communes du Code général des collectivités
territoriales sous l’appellation « Règles particulières en cas de transfert de compé-
tence ». Y sont consacrés les articles L. 1321-1 à L. 1321-8.
Cette mise à disposition s’applique en particulier aujourd’hui aux Établissements
publics de coopération intercommunale (EPCI). Elle permet aux EPCI d’exercer
pleinement leurs compétences avec et sur les moyens utiles à cette fin (syndicats,
communautés d’agglomération, etc.) (application CE, 29 avril 2002, District de l’ag-
glomération de Montpellier, AJDA 2003, p. 676).
– On arrive aussi à une sorte d’expropriation indirecte par la loi du 27 février 2002
relative à la démocratie de proximité. Le nouveau Code de l’expropriation prévoit
(art. L. 11-8) de permettre au préfet de prononcer l’affectation forcée d’une
dépendance domaniale d’une collectivité territoriale à l’occasion d’une expropria-
tion, si ces dépendances domaniales sont « nécessaires » à la réalisation du projet.
En l’espèce et en cas de désaccord, le juge de l’expropriation fixe les modalités de
répartition des charges entre les collectivités ainsi que « le préjudice éventuelle-
ment subi par le propriétaire » ce qui est exceptionnel en matière de mutations
domaniales.
– Il faut souligner aussi que les équipements et personnels de lutte contre l’incendie,
mais aussi les biens ont été transférés aux nouveaux services départementaux
d’incendie et de secours (application CE, 18 oct. 2002 ; esp. Syndicat intercommunal,
Cne de Saint-Laurent du Maroni, Ville de Saverne, Ville de Saint-Giron, AJDA 2003,
p. 288 et s.).
● Le problème du transfert de biens entre collectivités publiques reste posé. Les
problèmes qui surgissent à cette occasion sont nombreux. L’équilibre est très difficile
à trouver entre « inaliénabilité » et « libre administration » (v. Jean-Marc Peyrical,
AJDA 2002, p. 1157 et s.).
● Comme on l’a indiqué (supra) le domaine public ferroviaire a été transféré par la
loi (loi 13 févr. 1998) de l’État à l’établissement public « Réseau ferré de France ».

B. Les réformes introduites par le nouveau Code


1. CHANGEMENT D’AFFECTATION
On a déjà constaté (v. p. 42), peu de temps avant la promulgation du nouveau Code, que
le Conseil d’État, pour la première fois, développe l’idée que « le Premier ministre ou les
ministres intéressés tiennent des principes généraux qui régissent le domaine public de
décider, pour un motif d’intérêt général, de procéder à un changement d’affectation d’une
dépendance du domaine public d’une collectivité territoriale » (CE 23 juin 2004, Cne de
Proville, p. 259, AJDA 2004, p. 2148 chron. C. Landais et F. Lenica).
Le Code procède à une codification des mutations domaniales telles qu’elles résultent de
la jurisprudence (Code art. 2123-4, etc.). Ainsi l’État peut procéder à des transferts de ges-
tion autoritaires vis-à-vis des dépendances du domaine public des collectivités territoriales,
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44 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

de leurs groupements et de leurs établissements publics. Ces transferts ne peuvent intervenir


que pour un motif d’intérêt général consistant dans un changement d’affectation sans que
la collectivité publique ne perde la propriété du bien comme le Code le prévoit (art. 2136-6).
Est nouveau aussi le droit à indemnisation des collectivités qui font l’objet d’une mutation
autoritaire de l’affectation.
On peut toutefois se demander dans quelle mesure cette possibilité autoritaire d’affectation
est compatible avec « le principe de la libre administration » des collectivité territoriales
affirmé par la Constitution.
2. CHANGEMENT DE PROPRIÉTAIRE
Des solutions analogues sont retenues pour le changement de la collectivité propriétaire.
Certes le domaine public ne peut être exproprié – solution traditionnelle – mais les articles
L. 3112-1 et L. 3112-2 autorisent les transferts de propriété entre personnes publiques
lorsque s’opère un changement de service public qui maintient le bien cédé sous un régime
de domanialité publique. La personne publique propriétaire, en cas de cessions amiables
entre personnes publiques, peut s’affranchir de la contrainte du déclassement (L. 3112-1).
Il en va de même pour les échanges d’immeubles. Mais la continuité du service public doit
être préservée par des clauses contractuelles ad hoc. Cette mesure était devenue nécessaire.
Quant aux échanges de biens avec des personnes privés (ou relevant du domaine privé des
personnes publiques), ils sont possibles mais après déclassement du bien (L. 3112-3).

> SECTION 3
Les charges pesant sur le domaine public
§ 1 - L ES CHARGES DE DROIT COMMUN
Le domaine public constitue une propriété des collectivités publiques. Toutefois les
principales charges de caractère légal ou conventionnel pesant habituellement sur la
propriété privée, ne pèsent pas sur le domaine public. Ainsi les servitudes légales de
droit privé (vues, drainage, bornage, écoulement des eaux, servitude d’aqueduc, de
prise d’eau) ou les servitudes conventionnelles, ne pèsent pas sur le domaine public.
Il en va différemment des servitudes conventionnelles constituées avant l’incorpo-
ration au domaine et compatibles avec l’affectation. S’il y a incompatibilité, la
décision mettant fin à l’usage de la servitude sera légale, mais l’usager sera indemnisé
(CE, 29 mai 1967, Gué, p. 467). Le domaine public ne supporte ni hypothèque légale,
ni conventionnelle. Il ne peut être exproprié. Il n’y a pas cession de mitoyenneté au
profit du riverain du domaine public.
Le nouveau Code (art. L. 2122-4) consacre la possibilité « de constituer des servitudes
conventionnelles » sur le domaine public et en détermine les modalités.
L’insertion de dispositions reconnaissant la possibilité de constituer des servitudes posté-
rieurement à l’appartenance du bien au domaine public était très attendue. Des servitudes
conventionnelles pourront désormais être créées sur le domaine public quelles que soient
les personnes publiques propriétaires. Elles pourront être constituées au profit de personnes
publiques et de personnes privées. Sous réserve qu’elle soient compatibles avec l’affectation
du domaine, l’existence de ces servitudes permet de mieux concilier l’imbrication du
domaine public et des propriétés privées.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 45

§ 2 - L ES CHARGES DE VOISINAGE
DE CARACTÈRE ADMINISTRATIF
Si, comme on vient de le voir, les règles de droit commun concernant le voisinage
sont inapplicables, les riverains bénéficient tout de même de certains droits particuliers
de caractère administratif.
A. Les aisances de voirie
Les aisances de voirie sont des droits dont bénéficient les riverains du domaine public
à l’égard de celui-ci.
Ces aisances de voirie ne sont plus considérées, comme elles l’étaient à une certaine
époque, comme des servitudes du droit civil, mais comme des droits de nature
administrative, découlant de l’affectation même des voies publiques destinées à servir
les immeubles riverains.
● Les aisances de voirie sont constituées par le droit de vue, le droit d’accès, le droit
d’égout, de déversement des eaux pluviales et ménagères. Il n’existe pas d’autres
aisances de voirie.
Ces aisances n’existent qu’à l’égard des voies publiques régulièrement classées et
affectées à la circulation publique. Elles sont très limitées pour les riverains des voies
rapides et autoroutes. Elles n’existent pas à l’égard d’autres dépendances du domaine
public ou à l’égard du domaine privé (CE, 27 juill. 1984, Mme Gaillard et M. Rudelle,
RDP, 1986, p. 268).
● L’administration doit respecter les aisances de voirie tant que la voie n’est pas
désaffectée. Le cas échéant le riverain pourra exercer un recours en annulation contre
les actes administratifs portant atteinte à ses droits. En interdisant à des riverains qui
n’ont pas de garage, l’accès de cette rue interdite à la circulation ou en limitant cet
accès à des tranches horaires, le maire excède ses pouvoirs (CE, 3 juin 1994, Cne de
Coulommiers, Dr. adm., 1994, comm. 441). Toutefois, en cas d’exécution de travaux
publics (p. ex. suppression ou modification d’accès), il ne pourra prétendre qu’à
une indemnité. Envers les tiers, le riverain pourra se défendre au moyen d’actions
possessoires.
Dans un important arrêt (CE S. 16 déc. 2005, Mme Kostiuk et autres, AJDA 2006, p. 365,
chron. C. Landais et Frédéric Lenica) la Section du contentieux juge que ne sont
recevables à former tierce-opposition – contre une décision juridictionnelle déniant à
un chemin la qualité de dépendance du domaine public – que les seuls riverains de
ce chemin ou les personnes qui en dépendent pour accéder à leur propriété (aisance
de voirie). Le Conseil d’État retient ainsi en cette matière une conception stricte de la
notion de droits lésés, condition d’ouverture de cette voie de rétractation.
● En cas de déclassement de la voie publique, les riverains n’ont droit qu’à une
indemnité ; dans certaines hypothèses ils peuvent bénéficier d’un droit de préemption.

B. Riverains des autres dépendances du domaine public


Ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les riverains des voies publiques ; c’est
ainsi que les riverains des rivages de la mer n’ont aucun droit d’accès. On ne peut
citer que le droit de préemption appartenant aux riverains des cours d’eau domaniaux
en cas de déclassement.
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46 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

§ 3 - D ÉCENTRALISATION ET DOMAINE PUBLIC


M. Christian Lavialle a bien montré les liens entre décentralisation et domanialité
(C. Lavialle, Décentralisation et Domanialité, RFDA 1996, p. 953 et s.).
Alors qu’à l’origine il n’y avait pratiquement qu’un domaine, celui de l’État, le
développement des collectivités territoriales a multiplié les détenteurs du domaine, ce
qui est d’ailleurs encore plus vrai pour le domaine privé que pour le domaine public.
Mais la décentralisation a aussi altéré l’unité juridique du domaine public. La loi du
5 janvier 1988 (v. p. 70 et s.) permet la création de baux emphytéotiques sur les biens
du domaine public, des collectivités territoriales, alors que la loi du 26 juillet 1994 (et
le décret du 6 mai 1995) (v. p. 70 et s.) confère au seul État la faculté de consentir à
certains occupants de son domaine public, des droits réels et administratifs.
Inversement, la domanialité publique a infléchi la décentralisation. L’existence de
propriétaires domaniaux divers a freiné la décentralisation par la difficulté ou l’im-
possibilité de transférer les biens. On a tenté avec beaucoup de mal à maintenir la
propriété de la collectivité tout en donnant à l’État, dans certains cas, un droit éminent
pour changer l’affectation, par la théorie déjà vue et très complexe des « mutations
domaniales ». De même, l’affectation au service du culte, des églises dont elles sont
propriétaires, ont été imposées aux communes.
Toutefois la domanialité peut aussi venir au secours de la décentralisation. Depuis les
deux lois de 1988 et de 1994, c’est surtout sur le domaine local que s’applique le régime
de droit commun, le régime de la loi de 1994 modifiant beaucoup plus les données
pour la domanialité de l’État que ne le fait la loi de 1988 pour le domaine des
collectivités locales (v. p. 70 et s.).
Il y a donc des liens dans les deux sens entre la domanialité et décentralisation.

> SECTION 4
La protection du domaine public

§ 1 - L’ OBLIGATION D ’ ENTRETIEN
L’administration est obligée d’entretenir le domaine public. Cette obligation revient
à la collectivité propriétaire. Le mauvais entretien du domaine peut entraîner la
responsabilité de l’administration. Les dépenses d’entretien de leur domaine consti-
tuent pour les collectivités locales des dépenses obligatoires.
● Après de longues discussions, il est généralement admis à l’heure actuelle que le
domaine public bénéficie des charges de voisinage de droit commun, en particulier
de la cession de la mitoyenneté alors que la réciproque, n’existe pas (v. infra,
Inaliénabilité).
● Plus intéressante est la question des servitudes administratives pesant sur les
propriétés riverains au profit du domaine public. Elles sont établies par de très
nombreux textes particuliers et ne sont pas soumises aux règles du Code civil. Il ne
faut pas confondre ces servitudes administratives établies au profit d’un fond appar-
tenant au domaine public avec les très nombreuses servitudes d’utilité publique qui
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 47

peuvent être établies à l’encontre de propriétés privées (servitudes de passage en faveur


de lignes téléphoniques, télégraphiques, électriques... servitudes d’urbanisme).
« L’expression de “servitudes administratives” (ou de servitudes d’utilité publique)
désigne les charges qui (contre indemnité ou à titre gratuit selon le cas) doivent être
supportées par les propriétés voisines de dépendances du domaine public et qui tendent
essentiellement à assurer que ces dépendances pourront toujours être utilisées au mieux
et conformément aux exigences de leur affectation » (Chapus).
Il y a trois sortes de servitudes pesant sur le domaine public : les obligations de
s’abstenir, les obligations de supporter et les obligations de faire.
1. En ce qui concerne tout d’abord les obligations de s’abstenir (servitudes « in
faciendo ») :
Elles sont en fait extrêmement nombreuses et on se bornera ici à donner des exemples,
tous importants. Ainsi on peut y ranger les obligations de ne pas planter d’arbres
ou de faire des fouilles à une certaine distance des routes et voies ferrées ; obligation
de ne pas construire (servitude « non aedificandi ») dans un certain périmètre autour
des aéroports, ouvrages militaires, cimetières ; servitude de marchepied sur les pro-
priétés riveraines des cours d’eaux et lacs domaniaux ; les fameuses « servitudes de
halage », plus importantes que les servitudes de marchepied, le long de certaines voies
d’eau.
La protection particulière du domaine public maritime a créé des servitudes spécifiques
plus récentes. La loi du 28 novembre 1963 et le décret du 17 juin 1966 ont crée des
servitudes de « zones réservées » (v. p. 14).
2. En second lieu, il existe des servitudes du type obligation de supporter (servitudes
« in patiendo »).
On peut citer à titre d’exemples : possibilité pour l’administration de procéder à la
résection de talus appartenant à des particuliers, lorsque ces talus gênent la visibilité
sur une route ; le Code forestier détermine des possibilités de débroussaillage pour
éviter que les routes ne soient envahies par des incendies ; il y a des obligations de
recevoir des déchets résultant du curage des fossés ; (servitude de rejet des fossés). On
peut encore citer les « servitudes d’écoulement des eaux » pour les eaux venant de la
voie publique ; les pêcheurs disposent le long des cours d’eau domaniaux, de droits
de passage.
L’accès de la mer, on l’a vu, est particulièrement favorisé, par des servitudes. Ainsi
doit-on laisser les piétons circuler parallèlement au rivage ; pour l’accès aux places, les
piétons ont le droit de passer sur certains chemins privés qui conduisent de la terre à
la mer.
3. Il y a enfin des servitudes qui constituent des obligations de faire (servitudes « in
faciendo »). On peut citer l’obligation pour les riverains des voies publiques de sup-
primer les murs et plantations gênant la vue dans les croisements et points dangereux,
dans le but d’assurer la sécurité de la circulation.
Il s’agit bien de véritables servitudes au profit du domaine public, fonds dominant,
mais de caractère administratif car elles comportent un régime juridique particulier
(Inaliénabilité, etc.).
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48 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

§ 2 - I NALIÉNABILITÉ ET IMPRESCRIPTIBILITÉ
DU DOMAINE PUBLIC
Les dépendances du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles. Cette règle,
prévue par le Code du domaine de l’État, a cependant une origine coutumière et est
en fait fort ancienne.
A. L’évolution du principe
● L’édit de Moulins de 1566 avait interdit l’aliénation des biens de la Couronne. Cette
règle, qui n’était nullement spéciale au domaine public d’ailleurs inconnu, ne cherchait
pas à respecter l’affectation du domaine royal, mais à protéger le domaine de la
Couronne contre les générosités et prodigalités royales. Sous la Révolution, les biens
deviennent aliénables, après décision de la représentation nationale. Le Code civil
n’établit pas, lui non plus, l’inaliénabilité des biens domaniaux.
● Le principe de l’inaliénabilité a été dégagé par les mêmes auteurs qui ont établi
la théorie du domaine public (v. supra, p. 9 et s.). Elle correspondait d’ailleurs, à cette
époque, à la conception que l’on se faisait du domaine public, composé de biens
insusceptibles de propriété privée. Aujourd’hui, la règle est unanimement admise et
l’inaliénabilité du domaine est considérée comme la conséquence de l’affectation.
Le code du domaine de l’État prévoit que les biens du domaine public sont inaliénables
et imprescriptibles.
B. La portée du principe
● L’inaliénabilité est liée à la notion d’affectation du domaine public et c’est cette

notion qui permettra d’expliquer la portée du principe. Ainsi, le domaine privé n’est-il
pas inaliénable ; de même, lorsque disparaît l’affectation, un bien devient aliénable.
● Certains auteurs ont nié la valeur du principe d’inaliénabilité ; M. Waline a fait
remarquer que l’autorité administrative ayant compétence discrétionnaire pour désaf-
fecter le domaine public, l’aliénation devient pratiquement toujours possible ; M. Capi-
tant a estimé, à propos de l’arrêt Cne de Barran (CE, 17 févr. 1933, D. 1933.3.49) que
l’aliénation est possible même sans désaffectation préalable du domaine à condition
que l’acheteur respecte l’affectation. Cette seconde théorie ne correspond pas à la
jurisprudence actuelle.
C. Les conséquences du principe
● L’inaliénabilité interdit les aliénations de toutes natures, qu’il s’agisse de vente,
d’expropriation (CE, 3 déc. 1993, Ville de Paris c/ M. Parent, RFDA 1994, p. 591).
(Cass., 20 déc. 1987, Chem. de fer d’Orléans, D., 1899.1257) de création de droits réels,
d’usufruit, d’emphytéose ou d’hypothèque, de cession de mitoyenneté. Ce n’est qu’au
cas où la preuve est apportée qu’un bien n’appartient pas au domaine public, qu’une
expropriation est possible (CE, 8 août 1990, Min. Urbanisme, RFDA 1990, 941) (CAA
Douai 23 mai 2004, Cne d’Hersoin-Coupigny, AJDA 2004, p. 1668). Les particuliers ne
peuvent exercer à l’égard du domaine public des actions possessoires contre la personne
publique propriétaire (T. confl. 24 févr. 1992, Couach., AJ, 1992, p. 327). Par ailleurs
le domaine public ne peut faire l’objet d’un contrat portant bail emphytéotique (CE,
6 mai 1985, Assoc. Eurelat, AJDA 1985, p. 620). L’inaliénabilité peut être invoquée par
des tiers (Cass. civ., 3 mai 1988, Consorts Renault c/ EDF, AJDA 1988, p. 679).
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 49

Les biens du domaine public sont aussi insaisissables, quelle que soit la collectivité
propriétaire. Toutefois, dans une décision du 18 novembre 2005 (Sté fermière de
Campoloro, AJDA 2006, p. 137, chron. C. Landais et F. Lenica), le Conseil d’État en
Section a jugé qu’en application des pouvoirs du préfet, en cas de carence d’une
collectivité territoriale à assurer l’exécution d’un décision juridictionnelle passée en
force de chose jugée, le préfet peut à ce titre procéder à la vente des biens appartenant
à la collectivité défaillante dès lors que ceux-ci ne sont pas indispensables au bon
fonctionnement des services publics dont elle a la charge. Dans ce cas très particulier
il y a partiellement échec au principe d’insaisissabilité.
Le principe d’insaisissabilité est maintenu par le nouveau Code (art. L. 2311-1). Il
devient ainsi une loi. Mais on peut se demander si le principe d’insaisissabilité n’est pas
contraire, dans certains cas au moins, aux principes communautaires.
L’impossibilité d’exproprier les dépendances du domaine public crée aujourd’hui des
difficultés. La théorie des mutations domaniales ou le transfert de gestion prévus par
la loi (v. p. 40 et s.) n’étant que des pis-aller (v. art. Hostiou, AJDI 2006, p. 212). Plus
généralement, il y a « nécessité de revoir les règles de l’indisponibilité des dépendances
domaniales entre personnes publiques » (article de Marys Douence, AJDA 2006,
p. 238).
● Les articles L. 145-1 et L. 145-2 du Code de commerce excluent du champ d’appli-
cation du statut des baux commerciaux, les contrats portant sur des immeubles
nécessaires à la poursuite de l’activité des entreprises publiques et établissements
publics à caractère industriel et commercial dès lors que ces baux emportent emprise
sur le domaine public. Il en va de même lorsque le contrat est conclu entre deux
personnes privées (Cass., 20 déc. 2001 cité AJDA 2001, p 117).
● Deux réformes importantes ont cependant eu lieu :
– tout d’abord, sans remettre en cause à proprement parler l’inaliénabilité, la loi
du 5 janvier 1988 permet aux personnes publiques territoriales de passer des
baux de longue durée sur leurs biens appartenant au domaine public (99 ans au
plus) ;
– en second lieu, et ce texte est encore plus important, pour permettre de concilier
l’exploitation économique du domaine public avec les principes qui le régissent, le
législateur a procédé à d’importantes réformes pour le seul domaine public
artificiel de l’État et de ses établissements publics. La loi du 27 juillet 1994 donne
au titulaire d’une autorisation temporaire d’occupation du domaine public un
véritable droit réel.
● Pour plus de détails, v. les importants développements p. 70 et s.
Le régime de la domanialité publique est ainsi partiellement modernisé (v. AJDA nov.
1994).
● Les aliénations consenties sur le domaine public sont nulles. Le caractère relatif ou
absolu de cette nullité a été discuté. La nullité est prononcée par l’autorité judiciaire.
● L’inaliénabilité du domaine entraîne son imprescriptibilité. Les tiers ne peuvent
acquérir par voie de prescription un droit sur le domaine public qu’il s’agisse d’un
droit de propriété ou d’une servitude (mitoyenneté). L’action en réparation de
dommages causés au domaine public est imprescriptible. L’imprescriptibilité est une
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 56

50 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

protection de l’administration contre elle-même et une protection contre les tiers (CE,
27 mai 1988, Marcel Brisse, LPA, 21 avril 1989, p. 12-13).
● Pour les concessions d’endigage (v. p. 12, 14, 33, 45).
● L’inaliénabilité n’interdit pas la création au profit des administrés de droits d’occu-
pation du domaine public (v. p. 64 et s.).
● Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 juillet 1994 affirme l’existence
d’un principe d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité mais sans préciser exactement sa
valeur et sa portée.
En ce qui concerne l’expropriation, il y a aussi eu quelques entorses : ainsi la CAA de
Paris considérait le 22 novembre 1994, qu’une parcelle du domaine public maritime
affecté au service des phares et balises du ministère de l’Équipement peut être expro-
priée « eu égard à l’objet de l’opération déclarée d’utilité publique et à la très faible
importance de la surface de la parcelle » (CAA Paris, 22 nov. 1994, Conservatoire de
l’espace littoral et des rivages lacustres, LPA no 62, 24 mai 1995, p. 4, note
J. Morand-Deviller).

§ 3 - LA PROTECTION PÉNALE DU DOMAINE PUBLIC


A. La police de la conservation du domaine public
La police de la conservation est constituée par les pouvoirs appartenant à certaines
autorités administratives en vue de prendre des règlements de police afin d’assurer
l’intégrité matérielle du domaine. Elle s’ajoute à la police de l’ordre public, qui a un
caractère très général et dont le but est d’édicter des mesures en vue de la sécurité, de
la tranquillité, et de la salubrité.
● La police de la conservation s’exerce par voie réglementaire et est assortie, tout
comme la police de l’ordre public, de sanctions pénales.
● La police de la conservation, qui constitue un élément du régime domanial établi
par le législateur en vue d’assurer la protection de certains biens domaniaux ne
s’applique donc qu’au seul domaine public ; par ailleurs, cette police n’a d’existence
que dans la mesure où des textes particuliers l’établissent ; ex. : voirie terrestre, voies
navigables, ports maritimes, etc.
● La police de la conservation visant un but de protection domaniale appartient
logiquement aux autorités de la collectivité propriétaire de la dépendance domaniale.
Dans la mesure où la police de l’ordre public ne relève pas toujours de la collectivité
propriétaire, il peut y avoir, dans certaines circonstances, dissociation entre les autorités
de police compétentes.
Pour assurer l’exécution d’un jugement censurant le défaut de mise en œuvre par le
préfet de ses pouvoirs de police sur une portion du domaine public maritime dans la
continuité d’un chemin rural, le juge ordonne à l’État la réalisation de travaux comme
la conséquence nécessaire de son jugement en associant police et conservation du
domaine (TA Rennes 4 nov. 2004, Assoc. pour la défense…, AJDA 2005, p. 439, concl.
Guittet).
Par une décision du 23 mai 1977 (CE, Sté Victor Delforge, p. 253), le Conseil d’État a
rappelé que les autorités chargées de la police et de la conservation des voies navigables,
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 51

sont tenues en principe d’exercer leurs pouvoirs afin d’écarter les obstacles qui
s’opposent à l’utilisation normale du domaine public fluvial. Toutefois cette obligation
trouve sa limite dans les « nécessités de l’ordre public » (en l’espèce il n’y a pas de
faute lourde de l’autorité de police en s’abstenant d’utiliser la force pour rompre des
barrages de péniches créés en signe de protestation). Mais la responsabilité de la
puissance publique peut éventuellement être fondée sur la responsabilité sans faute
(rupture du principe d’égalité). De même, lorsqu’une situation irrégulière compromet
l’usage normal des voies communales, l’autorité communale doit mettre en œuvre les
pouvoirs que les textes lui confèrent pour mettre fin à cette situation (CE, 11 mai
1984, M. et Mme Arribey, RDP, 1986, p. 270).
L’autorité de police ne peut se soustraire à ses charges pour de simples raisons de
convenance.
Il y a parfois difficulté à distinguer la police de la conservation du domaine de la
police de l’ordre public : la réglementation de l’occupation par les artistes de la place
du Tertre à Paris, même pour des motifs d’ordre et de sécurité publique, ne lui enlève
pas son caractère de règlement relatif à l’occupation du domaine public ; c’est le maire
de Paris et non le préfet qui est compétent. Toutefois, il ne peut soumettre l’exercice
de la profession de peintre à une autorisation (CE, 11 févr. 1998, Ville de Paris c/ Assoc.
pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre, RFDA 1998, p. 458,
no 8, AJDA 1998, p. 523 et s.).

B. Les contraventions de voirie


Si les infractions prises par la police de l’ordre public sont sanctionnées par les
contraventions ordinaires de police, les infractions à la police de la conservation sont
sanctionnées par « contraventions de voirie ». À l’intérieur des contraventions de
voirie, il faut distinguer entre les « contraventions de petite voirie » (aujourd’hui
« contravention de voirie routière ») et les « contraventions de grande voirie ». Les
contraventions de « grande voirie » ont un régime juridique très particulier.
1. LES CONTRAVENTIONS DE VOIRIE ROUTIÈRE avaient en principe le même régime
juridique que les contraventions à la police de la circulation. Le juge judiciaire est
compétent.
Mais les contraventions de « voirie routière » qui relèvent pourtant du juge judiciaire
(CE, 5 nov. 1986, Ville de Besançon, RDP, 1986, p. 824), ont, depuis deux décrets du
27 décembre 1958 et du 14 décembre 1964 (art. R. 166-2, Code voirie routière), un
régime différent qui les rapproche des contraventions de grande voirie tout en laissant
subsister la compétence du juge judiciaire ; les procès-verbaux et les poursuites peuvent
être faites par les autorités judiciaires normales, mais aussi les fonctionnaires des ponts
et chaussées ; le tribunal peut condamner l’auteur du dommage à une amende et à la
réparation du dommage ; cette seconde action est imprescriptible. Le tribunal peut
prescrire l’enlèvement d’ouvrages ou l’arrêt immédiat des travaux.
Toutefois, même en matière de voirie routière la compétence est parfois administrative.
Ex. : contestation d’un commandement émis par une collectivité publique pour la
réparation d’un préjudice que cette dernière impute à une société à la suite de travaux
publics (T. confl. 24 avr. 2006, Sté Bouygues bâtiments), action en responsabilité
introduite par une collectivité publique pour la réparation d’un préjudice consécutif à
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52 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

l’exécution défectueuse d’un ouvrage public pour le compte d’une autre personne de
droit public (T. confl. 20 févr. 2005, Cne d’Ormesson).
2. LE CHAMP D’APPLICATION DES CONTRAVENTIONS DE GRANDE VOIRIE comprend essen-
tiellement les atteintes portées au domaine maritime, au domaine fluvial, et à
certaines dépendances du domaine terrestre à l’exclusion des voies publiques :
chemins de fer, domaine militaire etc. (ex. : non-respect d’une servitude près du
chemin de fer (CE, 30 déc. 1996, Gordeau, RFDA 1996, p. 195) dégradation d’une
barrière de passage à niveau d’une piste d’aéroport) (CE, 8 déc. 1988, Sté Varig Brazilian
Airlines D., 1988, SC, p. 387) déversement d’eaux usées (CE, 17 juill. 1974, Dame Galli,
AJDA 1983, p. 47) ; circulation d’une voiture sur un chemin de halage, édification
d’un mur faisant obstacle à la circulation sur la plage, stationnement sans autorisation
d’un bateau, endommagement d’une cabine publique de téléphone : CE, 21 avr. 1989,
Min. PTT, RDP 1989, p. 152) ; la contravention de grande voirie suppose la violation
d’un texte par le contrevenant. Elle constitue une infraction matérielle. Mais depuis la
privatisation partielle de France Télécom, la dégradation d’un réseau de télécommu-
nications n’est plus soumise au régime juridique des contraventions de grande voirie
(CE S., 23 avr. 1997, Préfet de la Manche, RFDA 1997, p. 658, no 10).
Un bien du domaine privé de l’État qui est tombé dans le domaine public maritime
artificiel de l’État n’est pas soumis au régime des contraventions de « grande voirie »
(CAA Marseille 10 février 1998 Sinigaglia AJDA 1998, p. 279).
● Les contraventions de grande voirie sont de la compétence du juge administratif.

Les peines sont des amendes, d’ailleurs fort élevées et qui ont un caractère mixte,
comportant un élément de pénalité mais aussi un élément de réparation du préjudice
porté au domaine public ; le cumul des amendes est possible. Cette action pénale se
prescrit toutefois par un an. De plus, la loi pénale plus douce a un effet rétroactif.
Mais à cette amende, peut s’ajouter la condamnation aux frais de réparation du
préjudice causé au domaine public ; cette dernière action est imprescriptible. En
matière de contravention de grande voirie, le juge applique le principe de la possibilité
de contester la légalité d’un acte individuel non définitif par voie d’exception à
l’occasion d’un recours dirigé contre une décision ultérieure (CE, 26 juill. 1982,
Boissieu, p. 302).
● Le juge peut enjoindre au contrevenant d’évacuer l’emplacement qu’il occupait et
parfois même l’ensemble du domaine public (CAA Paris, 3 avr. 1990, Min. Transports
et mer, 1990, p. 647-648).
● Le Conseil d’État a jugé par décision du 23 février 1979 (Assoc. des chemins de Ronde,
p. 75) que lorsque l’attention de l’administration a été appelée sur le fait que des
occupations du domaine public maritime sont effectuées dans des conditions consti-
tutives d’une contravention de grande voirie, elle ne peut rester inactive en se retran-
chant derrière le principe de l’opportunité des poursuites, qui dans le domaine pénal,
est applicable au Ministère public.
● La responsabilité peut toutefois être écartée en cas de force majeure (CE, 31 janv.
1986, Patrick Payan, RDP, 1987, p. 823 ; CE, 12 juin 1989, Min. délégué Transports,
req. 77.960), ou si le fait dommageable provient de l’administration (CE, 28 nov. 1986,
Sté Brugger, RDP, 1987, p. 824, CE, 6 févr. 1987, Sté des Cars Petit, RDP, 1988, p. 578,
27 nov. 1985, Secrét. État c/ Jour, RFDA 1986, p. 188) ou si le contrevenant qui ne
comprend pas le français, n’a été informé que dans cette langue (TA Lille 30 mars
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 53

1995, Voies navig. de France c/Verlu, AJDA 1995, p. 569). Les contraventions de voirie
peuvent faire l’objet d’une mesure d’amnistie (CE, 8 avr. 1987, Entr. Jean Lefebvre,
AJDA 1987, p. 547).
● Jusqu’à une date récente, le Conseil d’État estimait que lorsque des faits concourant
à la réalisation du dommage étaient constitutifs d’une contravention de grande voirie,
le propriétaire pouvait être condamné à la réparation du dommage, même si le véhicule
lui avait été subtilisé, dès lors qu’il n’établissait pas avoir pris toutes les précautions
nécessaires pour que sa voiture soit à l’abri du vol, preuve en pratique impossible à
apporter. Cette jurisprudence semblait tout à fait injuste et constituait une dérogation
grave aux principes de mise en jeu de la responsabilité pénale et d’engagement de la
responsabilité civile. Dans un important arrêt du 5 juillet 2000 (CE, Min. de l’Équip.
c/M. Chevallier, AJDA 2000, p. 800 et 857) le Conseil d’État abandonne cette juris-
prudence : le propriétaire d’un véhicule volé, dès lors qu’il n’a plus la garde de son
véhicule, ne peut être tenu pour l’auteur de la contravention de grande voirie causée
par ce véhicule.
● Le juge de cassation contrôle aussi sévèrement les décisions des juridictions infé-
rieures (CE, 30 nov. 1997, Sté de chauffe, de combustible, de réparations et d’appareils
ménagers, RFDA 1997, p. 659, no 11).
Dans une intéressante décision à propos des dégâts causés par le pétrolier Erika, le
juge estime que l’obligation de dresser une contravention de voirie trouve sa limite
aussi bien s’il existe une convention internationale sur la réparation des dommages
causés par la pollution par les hydrocarbures, que s’il existe un « motif d’intérêt
général » (en l’espèce accord conclu avec le responsable s’engageant à participer à la
réparation dans les plus brefs délais) et notamment lorsqu’il s’agit du maintien de
l’ordre public. Mais les autorités administratives ne peuvent se soustraire à leurs obli-
gations « pour des raisons de simple convenance administrative » (CE 20 sept. 2005,
Cacheux, RFDA 2005, p. 1217) (v. aussi AJDA 2005, p. 2469, concl. Collin).
● Selon le Conseil constitutionnel, les contraventions de voirie ne constituent pas des
contraventions de police, mais elles peuvent relever du domaine législatif lorsque les
amendes dépassent le montant prévu pour les contraventions de police (Cons. const.,
23 sept. 1987, AJDA 1988, p. 60 ; RFDA, p. 273 et s.).

§ 4 - A UTRES PROTECTIONS DU DOMAINE PUBLIC

a) Le domaine public est aussi protégé contre les occupants sans titre
L’exécution d’office quand celle-ci est possible, action répressive, actions devant le
juge administratif ou civil en expulsion (ex. : CE, 30 mars 1984, Sté civ. immob.,
RFDA 1984, p. 39).
b) L’obligation pour l’administration de se plier aux documents d’ur-
banisme
Elle a été nettement affirmée par le Conseil d’État dans l’arrêt du 30 mars 1973
(Ministre de l’Aménagement du territoire c/ Schwetzoff, p. 264). L’administration
avait autorisé la réalisation d’un port de plaisance et de maisons à usage d’habitation
sur des terrains soustraits artificiellement à l’action des flots. Or, le document
d’urbanisme prévoyait qu’aucune construction ne serait possible en bord de mer.
Ici, il s’agissait de terrains gagnés artificiellement sur la mer. Le juge estime que le
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54 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

document d’urbanisme englobe le domaine public maritime. Par ailleurs le docu-


ment d’urbanisme doit être interprété comme autorisant uniquement les occupa-
tions du domaine compatibles avec son usage normal, ce qui n’est pas le cas de la
réalisation d’une « marina ».
Mais il n’y a pas atteinte à l’autorité de chose jugée si la modification des documents
d’urbanisme rend la nouvelle concession légale (CE, 5 nov. 1982, Schwetzoff, p. 369).
c) Il est inutile de préciser que la police de l’ordre public est exercé par
les autorités compétentes de façon générale en cette matière (Premier ministre,
préfet, président du conseil régional et général, maire) (v. « Mémentos » Droit
administratif général).
A été jugé que si en vertu de l’art. L. 3221-4 du CGCT le président du conseil
général assure le pouvoir de police sur le domaine du département, il est exclu que
tels pouvoirs puissent s’exercer sur des parcelles appartenant à des personnes privées
(CE 29 nov. 2004, Dpt Alpes-Maritimes, AJDA 2005, p. 1006).

> SECTION 5
L’utilisation du domaine public
Les utilisations du domaine public doivent être conformes à l’affectation : elles ne
doivent jamais entraver le droit qu’a l’administration de déterminer ou de modifier
l’affectation du domaine.

§ 1 - L’ UTILISATION DU DOMAINE
AFFECTÉ AUX SERVICES PUBLICS
● En principe, le domaine affecté aux services publics ne peut être utilisé par les
particuliers. Toutefois, le public a parfois une possibilité d’accès aux bâtiments admi-
nistratifs, chemins de fer, mais il n’utilise alors le domaine public que par l’intermé-
diaire du service public.
● L’administration utilise le domaine conformément à son affectation. S’il y a disso-
ciation entre le service affectataire et la collectivité propriétaire, cette dernière ne reste
maîtresse de l’utilisation que dans la mesure où cette utilisation n’est pas contraire à
l’affectation.
● Le domaine public peut être utilisé par un concessionnaire de service public. Le
cas type est celui de la concession de chemin de fer. Il faut remarquer que si à l’origine
on estimait que le concessionnaire n’avait que des droits précaires et révocables, ceux-ci
ont peu à peu été affermis. Envers les tiers, le concessionnaire possède des actions
possessoires : le concessionnaire peut retirer du bien tous les profits compatibles avec
l’affectation enfin, au cas où l’administration mettrait fin à l’affectation, le concession-
naire peut obtenir une indemnisation.
● Les autorités de police ont l’obligation juridique de permettre aux usagers l’uti-

lisation des services publics. Mais en application de l’ancienne jurisprudence Couitéas


(1923), l’administration peut éventuellement refuser de faire évacuer, par ex. un port
occupé par des grévistes. La responsabilité de la puissance publique sera alors engagée,
non pas sur le fondement de la faute, mais celui de l’égalité des citoyens devant les
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 55

charges publiques (ex. : CE, 11 juin 1984, Port autonome de Marseille, AJDA 1984,
p. 706). Mais dans certains cas, le Conseil d’État a aussi estimé que les pouvoirs publics
restés passifs devant une action de blocage de ports ont commis une faute lourde de
nature à engager la responsabilité de l’État (CE, 15 juin 1987, Sté navale chargeurs
Delmas-Vieljeux, RFDA 1988, p. 518).

§ 2 - L’ UTILISATION DU DOMAINE
AFFECTÉ À L ’ USAGE DU PUBLIC
C’est à propos de l’utilisation du domaine affecté à l’usage du public et particulièrement
du domaine public naturel que la jurisprudence a explicité que l’administration doit
assurer l’utilisation normale du domaine et qu’elle était tenue d’engager des poursuites
justifiées s’il y avait atteinte à l’affectation du domaine (CE, 27 mai 1977, Victor
Delforge, p. 253).
Mais c’est aussi à propos de cette utilisation que l’on ressent tout particulièrement
l’évolution des conceptions relatives au domaine public. Le domaine public a long-
temps été considéré comme un ensemble de biens que l’administration a seulement
pour obligation de mettre à la disposition des usagers sans avoir à organiser cette
utilisation du domaine public, sans pouvoir l’orienter vers une meilleure exploitation
économique. Il en découle une sorte de devoir de neutralité, d’abstention des autorités
détentrices du domaine, dont la compétence se restreint à des compétences de police.
Cette conception a sensiblement évolué. On a reconnu à l’administration, par le biais
de ses compétences domaniales, des droits d’intervention d’un caractère nouveau. Le
domaine public est apparu, plus qu’il n’était autrefois, comme une richesse de l’ad-
ministration. Les personnes publiques peuvent et doivent se préoccuper de sa
meilleure utilisation dans l’intérêt général.
Diverses classifications peuvent être faites à propos de l’utilisation du domaine public :
● Le domaine public peut être l’objet d’utilisations communes ou d’utilisations
privatives. L’utilisation commune est celle qui est réalisée collectivement et anony-
mement par le public (circulation et stationnement sur les voies publiques) ; l’utilisa-
tion privative comporte l’utilisation d’une partie du domaine public par des usagers
individuellement identifiés et qui possèdent un titre juridique (terrasse de café, sépul-
ture dans un cimetière).
● Le domaine public peut être utilisé de façon normale ou anormale. L’utilisation
normale du domaine public est celle qui est directement en rapport avec l’affectation
même du bien (circulation sur la voie publique) ; l’utilisation anormale du domaine
public est l’utilisation qui n’est pas directement en rapport avec l’affectation du bien
mais qui est toutefois compatible avec elle (terrasses de café installées sur la voie
publique qui est destinée à la circulation).
● Si l’on tente de faire une classification des différentes portions du domaine public,
on constate que certaines d’entre elles sont affectées par nature à l’utilisation collective
du public (voirie publique) alors que d’autres sont affectées à l’utilisation privative
(ex. stalles dans les halles et marchés). Mais comme on vient de le préciser, il est
possible que même le domaine affecté à l’usage collectif soit utilisé privativement ;
l’utilisation sera cependant compatible avec l’affectation (terrasses de café).
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56 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

A. Les utilisations collectives du domaine public


Les biens du domaine public affectés à l’usage collectif du public sont essentiellement
constitués par les voies publiques terrestres, les rivages de la mer, les cours d’eau ainsi
que l’espace aérien.
● On entend par utilisations communes, les utilisations réalisées par le public en tant
que tel, de façon anonyme. Cette utilisation a lieu sans intervention d’un titre juridique
particulier.
● Cette utilisation commune peut prendre plusieurs modalités ; la plus importante
consiste dans la circulation ou le stationnement sur les voies publiques ; parfois les
usagers peuvent s’approprier les fruits ou produits de la dépendance domaniale (pêche,
chasse).
● La tâche essentielle de l’administration est d’assurer la liberté de l’utilisation du
domaine et ses compétences se limitent en principe à cela ; elle doit faire respecter
avant tout les trois principes qui régissent l’utilisation du domaine public, la liberté,
l’égalité, la gratuité. L’obligation d’une autorisation préalable dans le domaine affecté
à l’usage de tous n’était traditionnellement admise que dans le cadre de l’occupation
privative (terrasse de café) mais non pas dans le cadre de l’utilisation commune. Peu
à peu, toutefois, on a admis, en particulier avec le développement de la circulation
automobile, la possibilité d’une réglementation qui dépasse largement les pouvoirs
traditionnels de police de maintien de l’ordre public ; on peut estimer en effet que
dans certains cas l’utilisation du domaine public, tout en n’ayant pas un caractère
privatif, prend un aspect particulier justifiant les pouvoirs accrus de l’administration.
1. LE RÉGIME TRADITIONNEL DES UTILISATIONS COLLECTIVES : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, GRATUITÉ
L’administration ne peut imposer à l’utilisation collective du domaine public que
des limitations de police, limitations de police qui ne doivent pas dépasser ce qui
est strictement nécessaire pour assurer l’utilisation du domaine conformément à
son affectation. Elle ne peut jamais interdire totalement l’utilisation du domaine
public affecté à l’usage de tous ; elle ne peut prendre une réglementation que dans
un but de police administrative.
● La liberté d’utilisation : L’utilisation des dépendances affectées à l’usage collectif du
public est libre. Très fréquemment cette utilisation correspond à une liberté publique
(p. ex. liberté d’aller et venir et circulation sur les voies publiques). L’administration
peut, par l’exercice de ses pouvoirs de police, réglementer l’utilisation, afin que la
liberté de tous soit maintenue (p. ex. limiter la circulation dans certaines rues à
certaines heures). Toutefois, la jurisprudence récente a prévu des limitations au pouvoir
de l’autorité chargée de la voirie. Le TA de Lyon, dans une importante décision du
17 septembre 1997 (AJDA 1998, p. 87, Assoc. pour lutter contre les effets néfastes du
périphérique nord) a estimé que le rétrécissement excessif d’un boulevard « compromet
la commodité » de la circulation au point de faire obstacle à un usage normal de cette
voie publique conformément à sa destination.
● Ajoutons que les arrêtés d’interdiction ou de limitation de mendicité, édictés par
de nombreux maires ces dernières années, ont entraîné un important contentieux. Ces
décisions soulèvent la question de l’utilisation du domaine public par les SDF et la
compatibilité de leurs activités avec l’ordre public. En outre, elles révèlent des atteintes
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 57

aux droits fondamentaux de ces personnes en marge de la société, en particulier la


liberté d’aller et de venir (v. art. Isabelle Ichallet, AJDA 2001, p. 320 et s.).
Il faut souligner que, si sur les rivages de la mer, les particuliers ont le droit de circuler
librement, l’accès de ces rivages est souvent rendu matériellement impossible par la
barrière que constituent les propriétés privées. Toutefois, la loi du 31 décembre 1976
a créé une servitude de passage sur les propriétés privées riveraines du domaine public
maritime. Cette servitude grève les propriétés riveraines sur une bande de trois mètres
de largeur (CE, 18 déc. 1987, M. Loyer, RDP 1989, p. 1520). Par ailleurs, l’autorité
administrative est désormais tenue de saisir le juge des contraventions de grande voirie
afin de faire cesser les occupations sans titre et d’enlever les obstacles créés de manière
illicite qui s’opposent à l’exercice par le public de son droit à l’usage du domaine
public maritime (CE, 23 févr. 1979, Min. Équip. c/ Assoc. des amis des chemins de ronde,
p. 75). L’article 30 de la loi du 3 janv. 1986 pose le principe selon lequel l’usage libre
et gratuit constitue la destination fondamentale des plages et que l’accès des piétons
aux plages est libre. Cette loi « littoral » a fait l’objet de très nombreuses applications
(v. art. AJDA 2002, p. 600 et s.) (pour les occupations privatives, v. p. 74).
Particulièrement intéressante est l’évolution du régime du stationnement. On a
longtemps estimé que les voies publiques étant destinées à la circulation, on ne pouvait
pas s’y arrêter ; puis, on a admis un droit de stationnement pour les propriétaires
riverains, enfin on a admis le stationnement au profit de tous les usagers. Mais dans
la mesure où le stationnement prend un caractère anormal, il peut être fortement
réglementé (v. ci-après p. 59 et s.).
● L’égalité dans l’utilisation : ce principe implique que toutes les personnes se trou-

vant dans la même situation doivent être traitées de manière identique (CE, 2 nov.
1956, Biberon, p. 403).
Des situations de faits différentes peuvent certes justifier des discriminations dont
l’appréciation est délicate. Mais la jurisprudence est restée longtemps très sévère,
n’admettant pas p. ex. les stationnements réservés au profit de certains usagers (même
pas les services publics).
● La gratuité de l’utilisation : l’abolition des péages a été réalisée progressivement et
la gratuité d’utilisation du domaine constitue aujourd’hui la condition la plus impor-
tante de la liberté d’utilisation. Toutefois ce principe n’a jamais eu un caractère absolu
(taxe pour l’accès aux musées, bacs). Par ailleurs, l’application de l’idée d’une utilisation
économique du domaine par l’administration ainsi que l’extension de la circulation
automobile ont eu pour effet de réinstituer très largement le système du péage.
(Autoroutes : les péages sont considérés comme des taxes. T. confl. Mlle Ruban, 28 juin
1965, p. 816.) Le Conseil d’État a pris une position différente en voyant dans le péage
une redevance, c’est-à-dire la somme d’argent demandée à l’usager en contrepartie
du service rendu (CE, 13 mai 1977, Sté Cofiroute, p. 219). Dans l’importante affaire
Tête (second arrêt dans cette affaire) à propos de la réalisation du tronçon nord du
boulevard périphérique de Lyon, le Conseil d’État a de nouveau confirmé que les
péages sur une voirie routière ne sont pas des impositions, mais des redevances pour
service rendu (CE, 28 juillet 2000, RFDA 2001, p. 126).
● En ce qui concerne les plages, la loi du 3 janvier 1986 (art. 30) prévoit que « l’usage

libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages »


(pour les réformes récentes, v. p. 12, 14, 33, 45, 74).
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58 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

2. LES ATTEINTES AUX PRINCIPES TRADITIONNELS


Le développement considérable de la circulation automobile, la modification des
conceptions que l’on a fait du domaine public, l’utilisation croissante du domaine
public par des entreprises commerciales dont le domaine public est le siège, la nature
très particulière de certaines dépendances du domaine public ont eu pour conséquence
de porter de profondes atteintes au régime traditionnel.

a) Le développement considérable de la circulation automobile


Il a conduit l’administration à prendre des mesures sévères restreignant fortement
la liberté, l’égalité, la gratuité. Les essais de vitesse sur route ont pu être soumis à
un régime d’autorisation préalable.
● En ce qui concerne les voies publiques terrestres, les atteintes à la liberté de

circulation sont de plus en plus nombreuses. Il arrive même que certaines zones
soient interdites à certains véhicules (ainsi dans la zone verte de Paris de 13 heures
à 19 heures). La loi permet aujourd’hui de limiter la liberté de circulation. La loi
du 18 juin 1966 dispose que la mairie peut, par arrêté motivé, eu égard aux
nécessités de la circulation « interdire à certaines heures l’accès de certaines voies
de l’agglomération ou réserver cet accès à certaines heures, à diverses catégories
d’usagers ou de véhicules » ; des emplacements peuvent aussi être réservés pour
faciliter la circulation et le stationnement des transports en commun et des taxis,
ainsi qu’en faveur des grands invalides ou handicapés. Évidemment, les plus atteints
sont les poids lourds.
On a aussi pris l’habitude, dans de nombreuses communes de réserver des rues à
certains jours, à certaines heures pour des manifestations ou des activités très
variées : marchés, spectacles, rues piétonnes à certaines heures. C’est d’ailleurs le
développement considérable de l’institution permanente de rues piétonnes ou de
secteurs piétons dans les villes qui devient la norme. À Paris, le secteur piéton
autour du centre Georges-Pompidou est très étendu. Si autrefois le Conseil d’État
était très réservé à l’égard de ces « rues piétonnes » il n’en va plus du tout de
même de nos jours (CE S., 8 déc. 1972, Ville de Dieppe, AJDA 1972, p. 28).
Pour le juge administratif il faut que les mesures de police respectent et aient pour
objet « la commodité et la sécurité de la circulation ». Mais dans des jurisprudences
plus récentes, le juge se réfère aussi à la notion « meilleures conditions d’agrément ».
Le juge a même admis plus récemment qu’une réglementation peut dans une
certaine mesure porter atteinte aux droits des propriétaires riverains à condition
toutefois que les atteintes ne soient pas excessives (CE, 3 juin 1994, Cne de
Coulommiers, p. 288).
Dans certains cas le Conseil d’État s’appuie aussi sur la notion de tranquillité.
Parfois il est interdit de circuler la nuit ou certaines nuits dans certaines rues qui
comportent de nombreux hôtels de tourisme (CE, 9 juin 1976, Ville de Menton,
p. 7911). L’exercice d’activités commerciales peut-être réglementé (par ex. ventes
ambulantes, CE, 25 janv. 1980, Gadiaga, p. 44).
Une autre préoccupation devient déterminante dans les grandes cités depuis quel-
ques années. Cette préoccupation est d’éviter la pollution de l’air, de permettre aux
habitants de respirer un « air sain ». Toute une série de mesures vont alors limiter
la circulation (jours sans voitures, jours pairs, impairs, mesures pour favoriser les
transports en commun)...
(Restrictions en ce qui concerne d’autres dépendances du domaine public :
Le domaine public maritime : Si les mesures restrictives sont moins importantes,
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 65

1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 59

elles existent néanmoins. Ainsi, dans un arrêt important, le Conseil d’État a-t-il
reconnu que l’autorité gouvernementale pouvait imposer un pilote professionnel
pour l’entrée dans le port de certains bateaux [CE, 2 juin 1972, Féd. fçse des Syndicats
professionnels des pilotes maritimes, AJDA 1972, p. 647]. On prend en compte ici
« des raisons impérieuses se rattachant aux nécessités de l’utilisation du domaine
ou de la sécurité publique ». V. aussi CE, 13 nov. 2002, Cne de Ramatuelle, AJDA
2003, p. 337 : lorsqu’un espace est identifié comme un espace remarquable ou
caractéristique du patrimoine, la loi « littoral » en prescrit l’inconstructibilité à
l’exception « d’aménagements légers ». Comme l’indique M. Hostiou, le décret du
29 mars 2004 n’apporte « que des modifications à la marge des règles de la loi
littoral ». La question qu’il pose est de savoir s’il faut y voir un aménagement
raisonnable de ces règles ou un premier pas vers une plus large remise en cause de
celles-ci (Hostiou, art. AJDA 2005, p. 370 et s.) (notion d’espace « remarquable »,
notion d’aménagement « léger »).
En ce qui concerne le domaine public fluvial, la liberté de navigation peut subir
des restrictions pour des raisons de sécurité [p. ex. navigation de plaisance sur les
canaux entravant les bateliers professionnels]. La pêche est exploitée au nom de
l’État. Le droit s’exerce par voie d’adjudication. L’établissement public « Voies
navigables de France » qui gère le domaine public fluvial peut percevoir des taxes
[CE S., 6 mars 2002, Mmes Triboulet et Brosset-Potpisil, sur l’obligation de remettre
les lieux en l’état].) (Sur la liberté de navigation et responsabilité sur le domaine
public fluvial v. art de Matthieu Fau-Nougaret, AJDA 2005, p. 1990 et s.)
● Le problème du stationnement est l’un des problèmes les plus délicats qui soient.

L’évolution a été considérable puisque à partir de la situation initiale (v. ci-dessus


p. 57), on a admis de plus de restrictions, rendant souvent le stationnement difficile,
parfois impossible. Au point de vue juridique, le stationnement diffère de la
circulation dans la mesure où il ne s’agit pas d’un véritable droit : la liberté existe,
certes, mais seulement dans le cas où elle ne prend pas un caractère abusif.
Il faut d’ailleurs faire des distinctions. Il y a tout d’abord, l’arrêt, immobilisation
du véhicule pendant une courte période, permettant de charger ou de décharger
des passagers ou des marchandises. Il pose certes des problèmes (pendant quel
temps peut-on retrouver le conducteur pour déplacer le véhicule ?) mais moins
que le stationnement. Les « arrêts » sont généralement admis assez largement ;
toutefois il a bien fallu prévoir là aussi des réglementations. Ainsi, la création de
« voies rouges » à Paris, non seulement le stationnement mais aussi l’arrêt y sont
interdits. – Il y a très fréquemment des réglementations de l’arrêt pour livraisons
(on voit très souvent de tels panneaux dans les villes).
Quant au stationnement il correspond en principe à l’utilisation commune du
domaine. Mais ce régime n’existe plus guère dans les grandes communes.
Certes, il ne peut y avoir « d’interdiction générale et absolue » toute interdiction
générale et absolue étant contraire à la jurisprudence du Conseil d’État. (Ex. : pas
d’interdiction totale de stationnement, CAA Paris 24 nov. 2003, Cne de Velleron,
AJDA 2004, p. 895.)
Mais la loi du 18 juin 1966 admet aussi la création, dans certaines hypothèses, de
stationnements « réservés » mais non pas, p. ex., au profit des voitures personnelles
des agents (CE, 16 févr. 1972, Bernard, p. 140). Enfin, le stationnement des
automobiles sur les trottoirs peut éventuellement être autorisé (CE, 28 mars 1973,
Assoc. dite « Les droits du piéton »). Le stationnement peut être interdit à certaines
heures, à certains jours à certains ou à tous les véhicules (CE, 27 févr. 1961, Lagoutte
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 23/3/2007 Heure : 11 : 24 Page : 66

60 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

et Robin). Toutefois, le stationnement ne doit pas porter atteinte au libre accès aux
immeubles riverains (CE, 26 mai 1975, Juillard, RDP, 1977, p. 243) et doit être
distingué d’un simple « arrêt » qui doit être plus largement admis. Mais le Conseil
d’État, laisse, semble-t-il un large pouvoir d’appréciation à l’administration (ex. :
CE, 30 oct. 1996, Sté Henri-Henmann, RFDA 1996, p. 1263).
Le stationnement payant constitue un bouleversement fondamental du système
du stationnement depuis quelques décennies. Mais la multiplication des voitures,
la rareté des places de stationnement, la nécessité d’assurer une rotation des
« stationnements automobiles » ont peu à peu conduit à multiplier, probablement
à l’excès, les stationnements payants. Contrairement aux péages autoroutiers ou
aux péages pour les ouvrages d’art, il ne s’agit pas de récolter de l’argent (encore
que cette préoccupation ne soit pas totalement absente) mais d’assurer la commo-
dité de la circulation et du stationnement.
Le stationnement payant est déterminé par le maire après délibération du conseil
municipal. Le nouveau projet de loi sur l’habitat et les transports prévoit que le
stationnement payant échappera à la compétence du maire.
C’est à partir de 1928 que la création de stationnements payants a été admise. Le
Conseil d’État s’était référé à l’idée de « stationnement excédant l’usage normal du
domaine public » (CE, 16 mai 1928, Laurens, p. 645, D. 1928.3.65) Peu à peu, on
est passé des stationnements payants sur des « emplacements réservés » au station-
nement payant le long des voies publiques (CE, 26 février 1969, Féd. nat. des clubs
automobiles de France, p. 121, AJDA 1969, p. 706). Le Conseil d’État se réfère encore
nettement à l’idée d’un stationnement excédant l’usage normal des voies publiques
mais aussi aux « exigences de la circulation ».
Plus récemment, on a créé des parcs de stationnement, soit en surface, mais
souvent aussi souterrains dont l’aménagement requiert des investissements finan-
ciers considérables. L’aménagement et l’exploitation sont alors confiés à des conces-
sionnaires, qui tenteront d’en tirer des avantages financiers (CE, 26 févr. 1969,
Chabrot, p. 120, AJDA 1969, p. 318).
Théoriquement, le stationnement ne devrait être payant que lorsque l’institution
d’une redevance s’avère réellement nécessaire pour permettre la fluidité de la
circulation et des arrêts. Mais la réalité est bien différente. Certes, dans les petites
communes où aucun problème réel de stationnement ne se pose, des stationne-
ments payants ne pourront pas être institués. Dans les villes importantes, si
théoriquement il faudrait toujours laisser une partie de stationnements gratuits le
long des voies publiques, cette possibilité est de moins en moins réalisée. Comme
le fait remarquer très justement M. Chapus « il ne paraît pas exagéré de dire (à la
lumière des arrêts) qu’il y a usage anormal de la voie publique dès lors que le
stationnement des uns empêche celui des autres ». On sait que dans toutes les
grandes villes de France, la quasi-totalité des stationnements du centre-ville, et à
l’approche du centre ville, sont payants.
Est-il possible de faire des tarifs différenciés suivant les catégories d’usagers ? En
principe il faudrait tenir compte uniquement des « différences de situation ». Mais
les jurisprudences ne sont pas toujours très nettes. La chambre criminelle de la
Cour de cassation (16 juin 1993, JCP 1994.II.22303) et le Conseil d’État (4 mai
1994, Ville de Toulon, p. 121) ont jugé légale l’institution par un arrêté municipal
d’un forfait mensuel de péage au profit des seuls résidents d’une zone de sta-
tionnement payant. Mais la cour d’appel de Grenoble (3 oct. 1997, Prudhomme,
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 61

D. 1999, p. 60) a considéré comme illégal, le tarif réduit offert aux seuls « résidents »
domiciliés dans la zone.
Ajoutons que ces stationnements payants, dans la mesure où ils ne relèvent pas des
pouvoirs de police de la seule compétence de l’autorité publique, peuvent faire
l’objet de contrats de délégation de service public, qu’il s’agisse de stationnement sur
la voie publique ou de stationnement dans les parcs publics. La jurisprudence a
progressivement précisé le régime juridique de ces délégations tant en ce qui
concerne la formation que l’exécution du contrat (v. article Muriel Dreifuss, AJDA
2001, p. 129). Ex. : CAA Paris 13 juin 2006, Cne d’Asnières-sur-Seine, AJDA 2006,
p. 1844 et s. ; contrôle du juge sur une délégation de service public pour un ouvrage
public de stationnement.

b) L’idée d’une meilleure utilisation économique du domaine public


Elle a eu pour conséquence l’utilisation des pouvoirs de police à l’égard des
entreprises qui utilisent le domaine public pour en faire le siège d’une exploitation
commerciale.
Deux mouvements jurisprudentiels illustrent cette évolution. Tout d’abord par
des arrêts qui à l’époque ont eu un grand retentissement, le Conseil d’État a admis
que si l’administration a elle-même un concessionnaire, elle pouvait protéger
celui-ci à l’égard des entreprises privées de transport ; cette protection peut se
faire par l’utilisation des pouvoirs de police dont dispose l’administration. Les
pouvoirs de police sont utilisés dans un but économique (CE, 29 janv. 1932, Sté
des Autobus Antibois, p. 117). Dans l’affaire Sté des Autobus Antibois on était en
présence d’un arrêté du maire de Cannes, pris en 1927, qui avait interdit à toute
voiture de transports en commun, non seulement de stationner sur la voie publique
mais encore « de s’arrêter ou même de ralentir en cours de route pour prendre ou
laisser des voyageurs dans l’agglomération de Cannes sans autorisation du maire ».
La société des Autobus Antibois qui exploitait un service entre Cannes et Antibes
s’était vue dans l’impossibilité de continuer son exploitation ; elle demanda l’an-
nulation de la décision du maire dont le seul but était de réserver un monopole à
la Cie cannoise des transports. Suivant son commissaire du gouvernement, le juge
distingue entre les transports à l’intérieur de l’agglomération et les transports à
l’extérieur de l’agglomération : Pour les services à l’intérieur de l’agglomération, la
délivrance d’une autorisation est possible, on peut limiter le nombre de véhicules
et d’entreprises. Pour les services interurbains le Conseil d’État permet au maire le
droit de protéger l’entreprise concessionnaire de la commune contre la concurrence
d’autres entreprises. Autre exemple : monopole de service de pilotage dans un port
conféré à une entreprise (CE, 2 juin 1972, Féd. fçse des Syndicats professionnels des
pilotes maritimes, p. 407). Ce monopole privilégié ne peut être institué que si l’on
est en présence d’un service public, que l’initiative privée, écartée, concurrence
effectivement le service public ; mais il n’y a pas de possibilité de monopole si le
service dépasse le cadre du domaine public (CE, 9 oct. 1981, Ch. de commerce et
d’industrie de Toulon et du Var, p. 38 ; annulation d’une décision réservant l’ex-
clusivité de l’accès des installations portuaires à une société ; la mer est en effet une
« chose commune »). Les pouvoirs de police peuvent être utilisés même dans un
but d’ordre esthétique ou financier (CE, 2 mai 1969, Sté d’affichage Giraudy, p. 238).
Un autre mouvement jurisprudentiel concerne la possibilité qu’a l’administration
d’imposer à des entreprises privées utilisant le domaine public de véritables
« obligations de service public » par l’intermédiaire des autorisations de police
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62 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

qu’elle délivre. L’autorisation accordée est assortie d’un véritable cahier de charges
transformant l’entrepreneur en « service public » et même en une sorte de conces-
sionnaire de service public. Cette jurisprudence, inaugurée à propos des entreprises
de transport en commun fut étendue ensuite à d’autres domaines (à propos d’une
entreprise de remorquage dans un port CE, Cie maritime de l’Afrique orientale,
5 mai 1994, p. 129 ; v. aussi CE, 2 juin 1972, Féd. fçse des Syndicats professionnels
de pilotes maritimes, p. 407).
Ces jurisprudences ne font pas obstacle, à moins que les nécessités du fonctionne-
ment l’exigent, au respect du principe d’égalité de traitement (à propos des diffé-
rents usagers d’armement dans un port, CAA Nantes, 28 juin 2002, Sté Vedette,
AJDA 2002, p. 908).
● La nature très particulière de certaines dépendances domaniales a aussi eu pour

conséquence des atteintes au régime normal. On cite traditionnellement le caractère


très particulier de l’utilisation des édifices du culte. Mais ce sont surtout les
constructions de routes express et d’autoroutes qui ont soulevé des difficultés. Ces
dernières ne sont accessibles qu’à certaines catégories de véhicules, l’accès se fait
uniquement en des endroits réservés. Enfin, étant donné à la fois les difficultés et
les modalités du financement (souvent fait par des concessionnaires) la possibilité
de péage a été admise.

c) Le Conseil constitutionnel a bien reconnu que la gratuité constituait


un « principe »
Mais il ne l’a pas rangé parmi ceux qui ont une valeur constitutionnelle (Cons.
const., 12 juillet 1979, Ponts à péage, p. 31 ; AJDA 1979, no 9, p. 46). Aussi les
atteintes au principe se sont-elles développées considérablement ces dernières
années, à côté des stationnements payants déjà étudiés.
Aussi l’exception la plus importante à la gratuité, c’est l’institution, devenue
habituelle, de péages sur certaines voies publiques. Il faut distinguer à cet égard les
autoroutes et les péages spécifiques à certains ouvrages.
● En ce qui concerne les autoroutes (qui font partie du domaine public même

lorsqu’elles sont concédées), la loi du 18 avril 1955 avait introduit à titre « exception-
nel » les péages sur les autoroutes. Ce sont les premières concessions d’autoroutes
qui ont amené le législateur à prendre cette position. On pensait à l’époque que le
recours à la concession resterait exceptionnel. En réalité, peu à peu, ce qui était
exceptionnel est devenu la norme, et la majorité des autoroutes sont aujourd’hui
des autoroutes confiées à des concessionnaires, avec institution de péages, d’ailleurs
fort élevées, même si des mesures de péréquation sont prévues. Un décret du 12 mai
1970 a permis d’accorder des concessions à de véritables sociétés privées, qui se
rémunéreront sur les péages. Sur les près de 8 000 km d’autoroutes existant en
France, aujourd’hui la plus grande partie sont des autoroutes à péage. La variation
des prix du péage selon l’intensité du trafic à tel ou tel moment, n’est pas discrimina-
toire (CE, 28 févr. 1996, FO Consomm., RFDA 1996, p. 406).
● À coté des péages sur les autoroutes, il existe des possibilités de péage sur certains

ouvrages d’art. Pour le pont de Tancarville, une loi du 17 mai 1951 avait prévu la
création d’un passage sur ce pont. Mais la loi du 12 juillet 1979 relative à certains
ouvrages reliant des voies nationales ou départementales, et qui avait justement été
soumis au Conseil constitutionnel, a permis d’institutionnaliser des péages pour
certains ouvrages faisant partie de la voirie : il s’agit en particulier de certains ponts,
de bacs routiers, et de tunnels. Cette loi doit être interprétée de façon restrictive,
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 63

puisqu’elle se présente comme une dérogation au principe de la gratuité ;


l’application doit rester exceptionnelle, temporaire et il faut que l’institution du
péage soit justifiée par l’utilité, les dimensions de l’ouvrage, son coût et les services
rendus aux usagers. La loi du 12 juillet 1979 (ainsi que la loi du 2 février 1995)
valident rétroactivement la perception de péages qui avaient été annulés par la
Conseil d’État (en ce qui concerne le péage sur le pont de l’île d’Oléron ; CE S.,
16 février 1979, Comité d’action et de défense des intérêts de l’île d’Oléron, p. 64,
AJDA 1979, no 9, p. 54). Mais la loi permet aujourd’hui pour les ponts qui relient
les îles au Continent d’instituer des péages. Lorsque l’ouvrage a été construit par le
département, c’est le conseil général qui peut ainsi créer « un droit de péage
départemental » sur les véhicules à moteur.
Il faut souligner que le système du péage, au lieu de se retrécir, aura probablement
tendance à s’élargir nettement ces prochaines années. Ainsi un récent rapport du
Sénat propose, de façon détaillée, davantage de péages sur le réseau routier (p. ex.
pour les poids lourds sur les tronçons d’autoroutes gratuites ; instauration aussi de
péages sur certains réseaux routiers pour financer le développement du réseau,
etc.). (Doc. Sénat, no 303, année 2003, AJDA 2003, p. 1132.)
● Dans quelle mesure doit-on respecter l’application du principe d’égalité dans

l’institution des péages ? Le Conseil d’État applique ici sa jurisprudence tradition-


nelle selon laquelle le principe d’égalité est respecté lorsque à des situations diffé-
rentes justifie l’institution de péages adaptés à ces situations. Le juge tiendra compte
aussi bien de la situation particulière de certains usagers ainsi que des nécessités
d’intérêt général ; des différenciations peuvent aussi être justifiées par l’exercice de
missions de service public. Ex. : Le conseil général de la Charente-Maritime avait
accordé la gratuité pour tous les véhicules immatriculés dans le département pour
le franchissement du pont du Martrou. Le tribunal administratif de Poitiers (7 mai
1996, Dumas c/ Dpt de la Charente-Maritime) avait jugé la gratuité illégale ; la cour
administrative d’appel de Bordeaux annule ce jugement en estimant que la discri-
mination est bien légale (CAA Bordeaux, 28 avril 1997, Dpt de la Charente Maritime,
AJDA 1997, p. 849).
Enfin, se pose la question de la nature juridique de ces différents péages. La
question s’est posée essentiellement pour les péages institués sur les autoroutes et
les juridictions n’ont pas toujours été unanimes.
Dans un important arrêt Dlle Ruban (T. confl. 28 juin 1965, p. 816, D. 1966, p. 380)
le Tribunal des conflits avait estimé que ces péages avaient un caractère fiscal,
c’est-à-dire qu’il s’agit de taxes. En revanche, le Conseil d’État, un peu plus tard, a
refusé de reconnaître à ces taxes un caractère fiscal et les a considérées comme une
redevance en contre partie d’un service rendu (en particulier dans l’arrêt CE,
3 juillet 1987, Sté Cofiroute, p. 245 ; AJDA 1987, p. 581). Il n’en résulte cependant
pas que l’usager soit dans une situation contractuelle.
● La juridiction administrative est compétente en matière de péage pour l’utilisation

de la voie publique (pont) car on est présence d’un service public administratif
(CE, 2 oct. 1985, Jeisson, AJDA 1986, p. 40).
● De façon accessoire s’est posé aussi le problème de la liberté de manifestation :

le Code général des collectivités territoriales ne permet pas d’instituer un droit de


péage aux participants à une manifestation sur la voie publique. Il en va différem-
ment et un droit d’entrée peut être exigé, si la « manifestation se déroule sur un
emplacement délimité physiquement avec des moyens adéquats, permettant de
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64 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

contrôler les personnes qui veulent déambuler dans l’espace clos » (Rép. min. 3560,
Q JOAN, 15 nov. 1999, p. 6603).
Conclusion : L’usage des édifices du culte. Le culte n’est plus, depuis 1905, un
service public mais les lieux du culte sont affectés depuis la loi du 2 janvier 1907 à
l’exercice du culte. Les édifices construits avant 1905 sont mis à la disposition des
fidèles, et des ministres du culte. L’administration doit respecter cette affectation.
Les ministres du culte disposent d’un certain pouvoir de réglementation intérieure.
Même si le culte n’y est plus célébré, une église ne peut être désaffectée sans l’accord
des autorités religieuses, ni tacitement. La convention par laquelle la commune met
cet édifice religieux à la disposition d’une association porte atteinte aux droits du
clergé affectataire (TA Bordeaux, 20 déc. 2002, M. Savary, AJDA 2003, p. 390).
Par ailleurs, malgré la séparation de l’Église et de l’État, le juge prend en compte,
pour déterminer quel ecclésiastique peut y célébrer l’office, « l’institution ecclé-
siale » telle qu’elle se présente à lui (à propos des occupations d’églises, v. en
particulier article Vandermeeren, AJDA 2003, p. 427 et s.).
Toutefois, les églises qui étaient des biens privés avant 1905, même si elles ont été
cédées ultérieurement à une collectivité locale qui les loue à une association pour
célébrer le culte, ne constituent pas des biens du domaine public (CE, 19 oct. 1990,
Assoc. Saint Pie V et Saint Pie X, AJDA 1991, p. 46). Une commune ne peut instituer
des visites payantes qu’avec l’accord du desservant (CE, 4 nov. 1994, Abbé Chalu-
mey, RFDA 1995, p. 992).
La liberté du culte, qui a le caractère d’une liberté fondamentale, inclut la libre
disposition des biens nécessaires à l’exercice d’un culte. Ainsi, un maire commet
une illégalité manifeste en autorisant une manifestation dans un édifice affecté à
l’exercice d’un culte sans l’accord du prêtre chargé d’en régler l’usage (CE, Ord.
réf., 25 août 2005, Cne de Massat, AJDA 2006, p. 91).
En ce qui concerne les donations faites à une église : TA Grenoble 26 oct. 2005,
Féd. Isère…, AJDA 2006, p. 199.
Le Code général de la propriété des personnes publiques comporte une disposition
originale (art. L. 2124-31) qui a pour objet de permettre le développement dans les
lieux du culte d’activités compatibles avec leur destination cultuelle. Il y a obligation
d’obtenir l’accord de l’affectataire de l’édifice (v. art. C.-H. Lavialle, RFDA 2006,
p. 949 et s.).
Le nouveau Code confirme la possibilité « conformément à une pratique ancienne et
constante de l’utilisation du bail emphythéotique pour la réalisation d’édifices du
culte ouverts au public par une association cultuelle » (rapport au président de la
République).
B. Les utilisations privatives du domaine public
On entend par utilisation privative les utilisations faites par des personnes à titre
individuel, utilisation qui résulte d’un titre obtenu de la part de l’administration. Cette
utilisation ne bénéficie donc pas du même régime de liberté que l’utilisation collective ;
elle n’est jamais gratuite ; du fait du caractère privatif, la règle de l’égalité n’est pas
respectée. Il faut toutefois faire une distinction importante à l’intérieur de ces utilisa-
tions privatives : lorsque l’utilisation privative a lieu sur une dépendance du domaine
affecté à l’usage public, l’utilisation privative présente un caractère anormal ; les
pouvoirs de l’administration seront très importants, les droits du bénéficiaire réduits ;
lorsqu’au contraire l’utilisation privative a lieu sur une dépendance du domaine affecté
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 65

à l’utilisation privative, l’utilisation est directement conforme à l’affectation. Les pou-


voirs de l’administration seront plus réduits, les droits du bénéficiaire plus importants.
1. L’UTILISATION PRIVATIVE DU DOMAINE AFFECTÉ À L’UTILISATION COMMUNE
C’est le cas p. ex. de l’installation de terrasses de café, de kiosques à journaux, d’étalages,
de pompes à essence, etc. sur la voie publique ou le cas des installations faites par un
concessionnaire de service public (rails de tramways). Particulièrement important est
le problème des « concessions de plage » faites à des plagistes. Après location d’une
plage par l’État à la commune, cette dernière peut concéder l’exploitation de 30 % de
la surface totale à un plagiste. Le libre accès à la mer doit être maintenu.
● L’occupation privative implique l’intervention préalable de l’administration des-

tinée à créer le titre juridique de l’usager ; cette intervention peut se faire soit sous
forme d’une autorisation (permission de voirie) soit sous forme d’un contrat (conces-
sion de voirie) qui pourra d’ailleurs être le complément d’une concession de service
public. Une concession domaniale peut même être requalifiée éventuellement de
« délégation de service public » (Olivier Rousset, art. RFDA 2002, 9 1059). En dehors
de la voirie, des permissions et des contrats peuvent permettre une installation (p. ex.
installation d’une librairie dans des locaux situés à l’intérieur du jardin des plantes à
Paris : CE, 23 juin 1986, Thomas, AJDA 1986, p. 598), ou sur le domaine public affecté
aux Universités (CE, 10 mars 1996, p. 186). Ces contrats, comme tous les contrats
comportant occupation du domaine public, ont un caractère administratif en vertu
du décret du 17 juin 1938 (CE, 12 mars 1987, Nivose, AJDA 1987, p. 548). Lorsque
des conventions d’occupation du domaine public sont passées, il est parfois très difficile
de déterminer la nature de la convention. (Ex. : un contrat confiait une mission
d’intérêt général d’animation culturelle à une société. Ce contrat portait occupation
du domaine public ; la société pouvait user de prérogatives de puissance publique pour
la gestion du domaine public ; la rémunération est assurée par des redevances payées
par les locataires. On est bien en présence d’une concession de service public ; CE,
11 déc. 2000, Mme Agofroy, AJDA 2001, p. 193, p. 62.) Ce problème n’est certes pas
limité à ce type de conventions et se pose de plus en plus en droit public. Très souvent
on doit se poser la question : est-on, oui ou non en présence d’une « délégation de
service publics » ? On sait que c’est là un des grands problèmes actuels du droit
administratif des contrats. Il se pose aussi sur le domaine public (CE, 12 mars 1999,
Ville de Paris c/ Sté Stella Maillot Orée du Bois, AJDA 1999, p. 439). La ville de Paris
avait voulu conclure avec la Sté Stella un contrat comportant occupation du domaine
public, pour l’exploitation du café-restaurant « L’Orée du Bois ». Le magistrat délégué
du TA avait suspendu, sur demande d’un tiers, la procédure de passation et le juge du
fond avait estimé qu’on était en présence d’une délégation de service public exigeant
le respect des procédures spécifiques. Pour le Conseil d’État « si l’activité du restaurant
à l’Orée du Bois contribue à l’accueil des touristes dans la capitale et concourt ainsi
au rayonnement et au développement de son attrait touristique, cette seule circons-
tance, compte tenu des modalités d’exploitation de l’établissement et de son intérêt
propre, ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un service public ».
● Les autorités administratives compétentes pour délivrer la permission ou la
concession sont variables : s’agit-il d’une modification de l’assiette du sol (pompes à
essences, pose de canalisations) c’est l’autorité propriétaire qui est compétente ; dans
le cas d’une occupation sans emprise (terrasse de café, cabines de bains) la compétence
appartient à l’autorité qui a la police de la circulation (permis de stationnement), à
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66 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

moins que l’occupation ne soit permanente (CE, 20 janv. 1989, SARL Ammis club,
RDP, 1989, p. 1521). Font partie du domaine public départemental, la voirie dépar-
tementale même dans la traversée des agglomérations. Seul le président du Conseil
général et non le maire, est compétent pour délivrer des permissions de voirie en vue
de l’installation de mobiliers urbains (TA Montpellier, 21 janv. 1998, Rev. gén. coll.
terr. 1998, p. 76-83).
Même les décisions prises éventuellement par un particulier et relatives à l’occupation
du domaine public (en l’espèce organisateur privé d’une brocante sur le domaine public,
TA Versailles, M. Milliot, AJDA 2003, p. 1106) sont des actes administratifs. Il faut par
ailleurs préciser, à propos d’implantations d’ouvrages par des opérateurs de télécom, que
le pouvoir réglementaire ne peut légalement instituer un régime d’autorisation tacite
d’occupation du domaine public, qui fait obstacle à ce que soient précisées les différentes
prescriptions d’implantation et d’exploitation nécessaires à la circulation et à la conser-
vation du domaine (CE, 21 mars 2003, Synd. intercommunal, AJDA 2003, p. 1935).
Selon l’Assemblée générale du Conseil d’État (avis consultatif) (21 mars 2003, Synd.
intercommunal, EDCE 2004, p. 95) l’impératif d’ordre constitutionnel de protection du
domaine public s’oppose à ce que fut institué, même par la loi, un régime d’autorisation
tacite en matière de permissions de voirie qui ferait notamment obstacle à ce que soient,
le cas échéant, précisées les prescriptions d’implantation et d’exploitation nécessaires à
la circulation publique et à la conservation de la voirie. Mais le juge annule évidemment
les autorisations d’occupation du domaine public incompatibles avec l’intérêt général
(CAA Nancy 24 juin 2004, Cne de Chantrain, AJDA 2004, p. 1722).
Sur les contrats de partenariat public-privé, v. p. 73.
● L’occupant sans titre d’une dépendance du domaine public peut être expulsé (CE,
10 oct. 1986, Sté Nautique de Fos s/ Mer, RDP, 1987, p. 821). Déjà avant, mais surtout
depuis la décision du Tribunal des conflits du 24 septembre 2001 Sté B Diffusion (AJDA
2002, p. 445 et s., note Jean Dufau) « les litiges nés de l’occupation sans titre du
domaine public, que celle-ci résulte de l’absence de tout titre d’occupation ou de
l’expiration pour quelque cause que ce soit du titre précédemment détenu » relèvent
du seul juge administratif (T. confl. 24 sept. 2001, Sté BE Diffusion c/ RATP). Le principe
comporte cependant deux séries d’exceptions : le juge judiciaire demeure compétent
soit par application « de dispositions législatives spéciales » (p. ex. en matière de voirie
routière, CE, 14 juin 1972, Eidel, p. 442) soit « dans le cas “de voie de fait ou dans
celui où s’élève une contestation sérieuse en matière de propriété” ». Lorsque l’expul-
sion est ordonnée par le juge administratif celui-ci pourra condamner l’occupant
récalcitrant à une astreinte et même permettre à l’administration de recourir à l’exé-
cution forcée. En cas d’urgence, mais seulement dans ce cas (CE, 23 juin 1986, Muséum
national d’histoire naturelle, AJDA 1986, p. 599 ; absence d’urgence à expulser l’occu-
pant sans titre d’un local à usage de librairie du muséum), l’expulsion peut être
demandée par référé (CE, 15 févr. 1989, Port autonome de Dunkerque, RDP, 1989,
p. 1493). Dans la même affaire du Muséum, le Conseil d’État estime que le juge
administratif doit faire droit à une demande d’expulsion d’un occupant sans titre du
domaine public (en dehors du référé) et que le muséum peut même réclamer des
dommages-intérêts (CE, 13 févr. 1991, Thomas, RFDA 1991, p. 367).
Autres exemples de référés : expulsion par voie de référé de personnes occupant un
bien sans titre ; astreinte possible ; expulsion sans qu’il soit nécessaire de désigner
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 73

1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 67

nominativement les occupants (parc Paul-Mistral à Grenoble, TA Grenoble, 22 déc.


2003, AJDA 2004, p. 1091 et s.).
Expulsion accordée aussi : CE, 30 sept. 2002, Laffrechine, par référé conservatoire,
AJDA 2003, p. 1074. Toujours en matière de référé conservatoire, lorsqu’il est saisi
d’une demande d’expulsion d’un occupant sans titre, le juge doit rechercher si cette
demande ne se heurte pas à une « contestation sérieuse » l’existence de celle-ci étant
appréciée compte tenu de la nature et du bien-fondé des moyens soulevés (CE S.,
16 mai 2003, Sarl Icomatex, AJDA 2003, p. 1156 et s.).
● Les autorisations d’occupation du domaine doivent être en rapport avec la nature
de l’utilisation qui en est faite (CE, 12 mai 1976, Époux Leduc, p. 252 ; 5 oct. 1979, Sté
anonyme Jeanne d’Arc, p. 389, avis du 16 oct. 1980). Une autorisation d’occupation
domaniale donnée à une société privée pour l’exploitation d’une librairie universitaire
est pleinement compatible avec la vocation et la destination du domaine public (CE,
10 mai 1996, Sarl Roustane et autres, AJDA 1996, p. 553, p. 558 ; RFDA 1996, p. 837).
Il en est de même des autorisations (en l’espèce un cahier de charges) qui permet des
manifestations, des fêtes (forains ou de jardin, des fêtes liées à la mode dans le jardin
des Tuileries, CE S., 23 juin 1995, Min. Cult. et Francophonie, RFDA 1995, p. 838).
Enfin le maire ne peut restreindre excessivement, même s’il exige une autorisation
préalable, les emplacements réservés aux commerçants sur les promenades au bord de
la mer (CE, 6 mai 1996, Vanderhaegen, AJDA 1996, p. 711). L’édification sur le domaine
public (maritime en l’espèce) d’un ouvrage destiné à être durablement implanté ne
peut être faite qu’en vertu d’un titre approprié, c’est-à-dire une concession de caractère
contractuel et non pas d’un arrêté d’occupation temporaire limité. En effet l’octroi de
concession est soumis à une procédure plus étendue et plus objective. Mais l’exploitant
du domaine public ne doit pas être confondu avec un délégataire de service public
(CE, 13 juin 1997, AJDA 1997, p. 794, Sté des transports par pipe-line) (Sauf exceptions
v. p. 65).
Le domaine public maritime est d’ailleurs particulièrement bien protégé, tout au
moins en théorie, contre les abus d’occupation (v. art. AJDA 2002, p. 600 et s.).
(M. Hostiou, « La protection du domaine maritime naturel à l’épreuve de l’évolution
contemporaine des idées et du droit », RFDA 2003, p. 60 et s.) À propos de l’arrêt CE
S., 6 mars 2002, Mmes Tribboulet et Brosset-Potpisil sur l’obligation de remettre les
lieux en l’état.) V. aussi CE 13 nov. 2002, Cne de Ramatuelle, AJDA 2003, p. 337 :
lorsqu’un espace est identifié comme un espace remarquable ou caractéristique du
patrimoine, la loi « littoral » en prescrit l’inconstructibilité à l’exception « d’aménage-
ments légers ».
● L’occupant doit payer une redevance. La nature et le régime juridique de cette

redevance ont été très discutés. On admet aujourd’hui qu’il s’agit d’une taxe. Elle ne
peut résulter que d’un tarif préétabli. Elle peut varier selon l’emplacement et la nature
de l’activité exercée. Dans le cas de la concession de voirie, le tarif peut être établi par
le moyen d’une stipulation contractuelle. Mais dans les deux hypothèses, la redevance
peut faire l’objet d’une révision unilatérale. Le contentieux est généralement de la
compétence du juge administratif (CE, 5 mai 1993, Cne de Montrouge ; T. confl. 20 oct.
1997, SA Papeteries Ètienne c/ Voies navigables de France, RFDA 1998, p. 452, no 3). Le
concessionnaire d’une autoroute doit payer une redevance annuelle pour l’occupation
du domaine public (CE, 28 juill. 1999, Cie fin. et ind. des autoroutes, req. 189412).
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 74

68 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Les décisions juridictionnelles relatives à la fixation du montant des redevances sont


très nombreuses. Ex. : CAA Nancy 30 sept. 2004, M. Jean Devaux, AJDA 2004, p. 2237 ;
inexactitude matérielle sur la superficie ; TA Lyon 10 mars 2005, M. Lavaurs, AJDA
2005, p. 1474 ; redevance due par un club de football pour l’utilisation privative d’un
stade municipal ; elle doit être fixée en fonction des avantages qu’il en retire ; TA Lyon
24 févr. 2005, Cie nat. du Rhône, AJDA 2005, p. 1678 ; incertitude sur les avantages et
de l’occupation et le montant de la redevance. Particulièrement intéressant est un arrêt
de la CAA de Marseille (6 déc. 2004, Cne de Nice, AJDA 2004, p. 832) : une commune
ne peut légalement autoriser à titre gratuit une occupation privative de domaine public
à moins que celle-ci ne présente un intérêt communal.
La redevance est due alors même que l’autorisation de stationnement ne serait pas
utilisée effectivement. Il ne s’agit ni d’une imposition, ni d’une redevance pour service
rendu.
Le Conseil d’État a ainsi fortement souligné « que la redevance en cause étant due non
pour service rendu, mais pour occupation du domaine public, les requérants ne
peuvent utilement soutenir qu’elle ne trouve pas contrepartie dans la fourniture de
services effectifs autres que celui que leur procure (ladite) autorisation » (CE, 29 nov.
2002, Cne du Barcarès, RFDA 2003, p. 173).
Dans un important arrêt Synd. intercommunal de la périphérie de Paris, le Conseil
d’État (21 mars 2003, AJDA 2003, p. 1935 et s., op. cit.) estime que l’écart entre le
montant de la redevance due pour l’implantation d’infrastructures de télécommuni-
cations sur les autoroutes et celui prévu pour les routes nationales, ne peut être regardé
comme respectant le principe d’égalité.
● L’occupant bénéficie d’un titre juridique qui lui vaut une double protection ;
vis-à-vis des tiers, il bénéficie des actions possessoires ; vis-à-vis de l’administration, il
a le droit d’être indemnisé pour les dommages résultant de travaux publics (sauf si les
travaux ont été faits dans l’intérêt de la voie elle-même). Toutefois, si les travaux sont
entrepris dans un intérêt autre que celui de la dépendance occupée, il y a indemnisation
(p. ex. obligation de déplacer un bateau-lavoir pour permettre des travaux sur la voie
longeant le cours d’eau) mais la jurisprudence est devenue plus restrictive, et depuis
1981, elle n’admet l’indemnisation que si les travaux ne constituent pas une « opération
d’aménagement conforme à la destination du domaine occupé » (CE, 6 févr. 1981, Cie
fçse de raffinage, p. 62). Des travaux de construction d’une écluse nouvelle dans un
port fluvial ne donnent pas droit à indemnité, ni des travaux d’amélioration des
conditions de la circulation imposant le déplacement de lignes électriques et de
canalisations de gaz. Il en va différemment en cas de création d’une autoroute ou
d’une voie locale nouvelle (CE, 9 mars 1983, GDF, p. 103). Enfin, s’il s’agit d’un
concessionnaire, le concessionnaire évincé a droit à une indemnisation. Une personne
qui occupe sans droits le domaine public, peut être expulsée (v. p. 66, op. cit.) ; il
pourra même y être procédé d’office (CE, 15 févr. 1989, Port autonome de Dunkerque,
RDP, 1989, p. 1493 ; CE, 14 oct. 1988, M. Félix, RDP, 1988, p. 1521). L’occupant sans
titre du domaine public peut être expulsé. Mais si elle s’accompagne de la destruction
des biens, il peut y avoir voie de fait (T. confl. 4 juill. 1991, Assoc. de la maison des
Jeunes et de la Culture Boris-Vian, AJDA 1991, p. 738).
Sinon, la compétence contentieuse relève du juge administratif sauf pour le domaine
public routier (T. confl. 17 oct. 1988, Cne de Ste Geneviève, RDP, 1989, p. 1521).
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 75

1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 69

● L’administration bénéficie d’importants pouvoirs à la fois en ce qui concerne


l’octroi et le retrait de la permission que les conditions auxquelles l’octroi peut être
subordonné. Ces pouvoirs résultent bien évidemment du caractère anormal de l’occu-
pation. Toutefois, à l’origine, l’idée que l’administration n’a que de simples pouvoirs
de police qui ne peuvent être utilisés que dans un but de police, prévalait même à
l’égard des permissions ou concessions de voirie. C’est ainsi que le juge admettait bien
le caractère précaire et révocable de la permission et du contrat, mais cette précarité et
cette révocabilité s’interprétaient en fonction des pouvoirs de maintien de l’ordre que
l’administration avait sur le domaine. L’octroi du titre ne pouvait être soumis qu’à des
conditions relatives à la conservation du domaine ou à la circulation. La jurisprudence
admet aujourd’hui que le refus d’octroi, d’assujettissement à des conditions, le
retrait, peuvent s’exercer en considération d’intérêt généraux dépassant largement
la notion de police ; ces pouvoirs peuvent s’exercer en considération de l’exploitation
la plus rationnelle, du domaine public (ex. : retrait de permissions accordées à des
commerçants pour les regrouper en vue d’une meilleure gestion, CE, 6 mai 1932, Dlle
Taillandier, p. 467) légalité du retrait d’une autorisation d’une librairie qui refuse
d’accepter une augmentation de la redevance qui garantirait une meilleure exploitation
du domaine (CE, 23 juin 1986, Thomas, p. 167) mettre fin unilatéralement au contrat
si la redevance est insuffisante ; CE, 31 mai 1989, Sté Ducaux, RDP, p. 1814) ; autori-
sation de palissades pour clôturer le chantier : réglementation de l’affichage ne se
fondant que sur des motifs d’ordre esthétique et financier (CE, 7 janv. 1987, Ville de
Bordeaux, RFDA 1987, p. 149, légalité) ; non renouvellement de concessions de parcs à
huîtres pour insuffisance d’exploitation (CE, 14 oct. 1991, Helie, req. 95857) (v. aussi
CE, 29 mars 2000, Isas ; Le Moniteur, 28 avr. 2000, p. 84). Il y a toutefois des limites : il
n’y a pas urgence, au nom du principe de précaution, à suspendre immédiatement
l’autorisation d’installation d’une antenne pour la téléphonie mobile à Saint-Pierre-
et-Miquelon (CE, 19 mai 2003, Sté SPM Télécom, AJDA 2003, p. 1519).
Les décisions en matière d’expulsion du domaine public se sont multipliées ces
dernières années.
Ex. : contrôle du juge de cassation sur un refus du juge des référés d’ordonner une
expulsion du domaine public (CE 23 sept 2005, Cne de Cannes, AJDA 2005, p. 2308).
En principe, le prononcé d’une ordonnance d’expulsion d’un occupant sans titre du
domaine public est subordonné à la justification par la collectivité requérante d’une
condition d’urgence. Cette urgence peut résulter soit d’une atteinte grave et immédiate
portée à l’intégrité du domaine, soit de l’existence avérée d’un risque sérieux ou d’un
danger réel et immédiat pour les occupants sans titre à se maintenir sur les lieux, soit
encore d’un changement d’affectation de l’ouvrage dans l’intérêt d’un service public
déterminé, nécessitant alors une libération des locaux sans délai (TA Cergy-Pontoise
1er juill. 2006, Cne de Noisy-le-Grand, AJDA 2006, p. 2187, concl. Fournales).
La licence délivrée à un pharmacien d’exploiter une officine ne fait pas obstacle à ce
que le juge ordonne une mesure d’expulsion du domaine public de l’officine implantée
sur le domaine public sans titre, ni droit, (CE 2 juin 2006, CCI de Marseille, AJDA
2006, p. 1559). V. aussi CAA Marseille 21 févr. 2005, Cie Axa France, AJDA 2005,
p. 2250. C’est la fameuse affaire des paillotes « Chez Francis » : l’occupation illégale
du domaine public maritime ne confère aucun droit et ne permet pas d’exiger
réparation en cas de destruction d’un bien par l’administration (incendie du bien) dès
lors que celui-ci était irrégulièrement implanté. On sait que la Cour de cassation
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70 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

(chambre criminelle), par un arrêt du 13 octobre 2004, a aussi sanctionné l’occupation


privative du domaine public par le requérant (sur cette question v. Lavialle, « L’affaire
des paillotes et la domanialité publique » RFDA 2005, p. 105). L’auteur se demande si
le juge pénal n’est pas allée trop loin dans l’exercice de ses compétences.
On remarquera aussi que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la
France à verser des indemnités à deux sociétés à la suite de la résiliation unilatérale de
la concession et des sous-traités de concession d’un port par la commune (CEDH
26 sept. 2006, Sté de gestion du port de Campoloro…, AJDA 2006, p. 1752). C’est la
suite d’une affaire jugée par le Conseil d’État (CE S. 18 nov. 2005, Sté fermière de
Camparolo, AJDA 2006, p. 137 et s.).
Le Conseil d’État estime (CE, 20 mars 1968, Entr. Menneret c/ Ville de Bordeaux, p. 217)
que le refus de renouvellement d’une permission de voirie arrivé à expiration
n’ouvre pas de droit d’indemnité au profit du concessionnaire, mais en cas de retrait
de la permission avant la date de son expiration, il y a droit à indemnisation du
moment que le retrait est fondé sur des travaux qui ne sont pas exécutés pour
l’utilisation de ce domaine conformément à sa destination. (Il peut en aller autrement
en cas de conventions spécifiques TA Strasbourg ; 9 mai 2000, 2e esp. ; France Télécom
c/ Communauté urbaine Strasbourg et Gaz de Strasbourg c/ Communauté urbaine de
Strasbourg, AJDA 2000, p. 941 et s.)
Il n’y a pas non plus indemnité en cas de transfert des installations du permissionnaire
lorsque les travaux sont entrepris dans l’intérêt du domaine public (CE, 6 févr. 1981,
Min. de l’Équipement, p. 62) (v. aussi art. 26 du Code du domaine de l’État, Arr. du
23 avr. 1970). La construction d’une ligne de tramway sur la voirie communale est
réalisée dans l’intérêt de la voirie. L’occupant privatif est obligé de déplacer à ses frais
les installations construites (CE, 23 févr. 2000, p. 460). Il est parfois difficile de
déterminer dans quel intérêt les travaux ont été entrepris.
Il y a droit à indemnité, si la collectivité laisse croire à tort à une société qu’elle
bénéficiait d’une autorisation d’occupation du domaine public (CE, 1er mars 2000, Sté
Nautique maritime, req. 182242).
En ce qui concerne la protection contre les occupations irrégulières : L’avis transmis
par le préfet à des exploitants de parcs ostréicoles sur le domaine public maritime les
avertissant que l’exécution d’office d’avoir à libérer les lieux peut intervenir à tout
moment ne constitue pas une voie de fait, car il n’y a pas de menace précise
d’exécution : compétence administrative (T. confl. 5 juill. 1999, RFDA 1999-2000,
p. 455).
Les contrats d’occupation privative du domaine public constituent des contrats de
droit public.
● Deux importantes lois déjà signalées, la loi du 5 janvier 1988 et celle du 27 juillet
1994 ont apporté d’importantes innovations modifiées par le CG3P :

a) Les deux lois traditionnelles


1. La loi du 5 janvier 1988 permet aux personnes publiques territoriales, mais
pas à l’État, de passer des baux de longue durée sur leur domaine public en vue
de l’accomplissement pour le compte de la collectivité d’une mission de service
public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 77

1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 71

compétence. Ces baux « emphytéotiques » sont limités au maximum à 99 ans. Il


semble que plus de mille baux aient été passés. Cette loi constitue un assouplisse-
ment important du principe d’inaliénabilité mais « la loi fait en sorte que le principe
n’en souffre pas trop ; le droit public est à l’arrière-garde des opérations et la
possibilité de les réaliser est étroitement encadrée » (Chapus). La possibilité de
consentir ces baux est soumise à un certain nombre de conditions :
– La première condition est relative à l’objet du bail. Celui-ci ne peut être consenti
que si le cocontractant soit accomplit une « mission de service public » ou qu’il
réalise une opération d’intérêt général.
– La deuxième condition est relative aux conditions du bail. Le bénéficiaire ne
peut le rétrocéder sans l’accord de la personne publique propriétaire. Au cas où
une hypothèque serait constituée sur le bien, l’accord de la personne publique est
aussi nécessaire.
– La troisième condition, fondamentale, est relative à la nature des biens qui
peuvent faire l’objet d’un bail. Le législateur a expressément exclu les voies
publiques (CE, 19 oct.1995, Cne de Brive-la-Gaillarde, p. 356).
Le Conseil d’État a précisé les modalités d’application de cette loi. Ainsi, à propos
de l’extension de l’hôtel de ville de Lille, il a été admis que ces baux emphytéotiques
peuvent être utilisés « en vue de la réalisation d’un ouvrage mis à la disposition de
la collectivité publique elle-même » (CE, 25 févr. 1994, SA Sofap-Marignan Immo-
bilier, AJDA 1994, p. 550). Mais il ne peut être réalisé de bail emphytéotique sur
les dépendances de la voirie routière (A. 12 de la loi, CE, 18 oct. 1995, Cne de
Brive-la-Gaillarde, RFDA 1995, p. 1259).
Un certain nombre d’autres décisions juridictionnelles ont déjà été rendues à propos
de ces baux emphytéotiques. Ainsi dans un arrêt Communauté urbaine de Lyon
(CE, 6 avril 1998) le juge estime illégale une clause qui dispense pendant 10 ans le
preneur du paiement de sa redevance ; v. aussi CE S., 25 févr. 1994, SOFAP-
Marignan Immobilier, p. 94, AJDA 1994, p. 550 : la loi n’interdit pas que le bail
soit destiné à la réalisation d’un ouvrage destiné à la collectivité publique elle-
même ; le bail peut contenir une clause de résiliation unilatérale).
La loi prévoit la cession, sous certaines conditions, des droits résultant du bail à
une personne subrogée au preneur.
2. La loi du 27 juillet 1994 (et le décret du 6 mai 1995) créent un droit réel, en
ce qui concerne le seul domaine public artificiel de l’État et de ses établissements
au profit du titulaire d’une autorisation temporaire du domaine de l’État.
● Ce droit réel peut avoir une durée variable, avec un plafond de 70 ans. Le Conseil

constitutionnel dans sa décision du 21 juillet 1994 a annulé la possibilité d’un


renouvellement au-delà de cette limite.
● Ces droits peuvent être transmis, cédés ou soumis à hypothèque. Des contrats

de crédit-bail peuvent être conclus.


● L’exercice des droits réels prend fin par l’arrivée du terme ou par retrait anticipé

de l’autorisation. En cas de retrait de l’autorisation avant le terme prévu pour un


motif autre que l’inexécution des clauses et conditions, c’est-à-dire si le retrait est
exclusif de faute de la part du titulaire de l’autorisation, qu’il s’agit de l’exercice
d’une prérogative de puissance publique dans un but d’intérêt général, une
indemnisation doit avoir lieu, dont les règles peuvent être précisées dans le titre
d’occupation.
● Le décret du 6 mai 1995 a précisé la nature et les modalités de cette occupation.

Il en résulte notamment que le droit réel est constitué aussi bien lorsqu’il s’agit des
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72 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

ouvrages, constructions et installations nécessaires à la continuité du service public


que lorsqu’il s’agit des droits de l’occupant lui-même. Mais le droit réel est
strictement finalisé, car il ne peut être conféré qu’à des occupants qui réalisent
des ouvrages, constructions ou installations de caractère immobilier sur le domaine
public artificiel de l’État pour faire en sorte que ces occupants aient sur ces ouvrages
les prérogatives et obligations du propriétaire. De plus le titulaire d’une autorisation
d’occupation de la loi de 1994 ne bénéficie du droit réel, que pour une activité
autorisée par le titre (art. L. 34 du Code).
● De toute façon, l’administration peut toujours transformer ce droit d’occupation

en droit à indemnité et le titulaire ne peut le céder qu’à une personne préalablement


agréée par l’administration.
● (Sur ces points, v. Fatôme et Terneyre, « Droits réels sur le domaine public de

l’État : clarification ou multiplication des interrogations », AJDA 1995, p. 905 et s.)


● À ces deux lois il faut ajouter la loi du 29 août 2002 d’orientation et de

programmation pour la sécurité intérieure, qui amende le Code général des col-
lectivités territoriales et le Code du domaine de l’État, afin de faciliter la construc-
tion de bâtiments à construire pour les besoins de la justice, de la police ou de la
gendarmerie nationale. Il s’agit de permettre l’utilisation de la location avec option
d’achat pour les immeubles réalisés sur le domaine public par les bénéficiaires
d’autorisations temporaires, d’autoriser en la matière la technique du crédit-bail et
d’étendre les possibilités d’utilisation de la technique du bail emphythéotique par
les collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a estimé (22 août 2002) que la
loi apporte à la sauvegarde des propriétés publiques des garanties suffisantes mais
il ne faut pas que les prérogatives du crédit-bailleur soient incompatibles avec le
bon fonctionnement du service public.
● Le Conseil d’État dans un important avis du 31 janvier 1995 (AJDA 1997,

p. 126 et s.) a estimé que le titulaire d’une occupation temporaire sur le domaine
public de l’État possède un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations
de caractère immobilier qu’il réalise. Il est même titulaire de droits réels sur les
immeubles à usage de bureau que le gestionnaire l’autoriserait à construire. Il peut
réaliser des ouvrages qui par voie de bail sont mis à la disposition de la personne
gestionnaire du domaine de l’État. Le problème de la propriété des biens construits
est complexe (v. CE, 21 avr. 1997, Min. du Budget c/ Sté Sagifa, et note de Fatome
et Terneyre, RFDA 1997, p. 935 et s., CA, 27 févr. 1998, Secrét. d’État à la Mer
c/ M. Torre, RFDA 1996, p. 1127-1130).
(En ce qui concerne les ports, la possibilité de constituer des droits réels a finalement
été étendue même aux communes, qui pourront constituer des droits réels sur les
ports qui dépendent d’elles [loi 27 févr. 2002, décret 30 oct. 2003].)

b) Les modifications apportées par le nouveau Code (CG3P)

1. COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Une innovation importante est apportée par le Code. Les collectivités locales pourront
disposer, à côté des « baux emphythéotiques », d’un dispositif adapté d’autorisations
d’occupation constitutives de droits réels sur leur propre domaine inspiré de celui
accordé à l’État par la loi du 25 juillet 1994 (v. ci-dessous) (art. L. 2122-20 du Code).
Il s’agit d’une ouverture importante qui répond aux besoins des collectivités territoriales.
Toutefois il y a une certaine complexification du doit. Il n’y a pas unification des droits
réels de l’État et des collectivités publiques, mais maintien de l’existant avec possibilité
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 73

aux collectivités locales de recourir au mécanisme prévu par l’État. Il existe par ailleurs
des différences dans le régime d’ouverture de ces droits réels. Pour les collectivités locales,
le droit est limité à l’accomplissement d’une mission de service public ou d’une mission,
d’intérêt général ce qui n’est pas le cas pour l’État. Le crédit-bail est possible sans
limitation pour les collectivités locales, pas pour l’État. De plus la délivrance de droits
réels ne constitue pour les collectivités locales qu’une simple faculté, alors que pour
l’État la délivrance de droits réels est systématique sauf prescription contraire du titre.
Il en résulte des différences substantielles.
On peut remarquer aussi que le Code n’évoque pas les contrats de partenariat
public-privé régis par l’ordonnance du 17 juin 2004. Selon celle-ci « lorsque le contrat
emporte occupation du domaine public, il vaut autorisation d’occupation de ce domaine
pour sa durée ». Signalons que le titulaire dispose (sauf stipulations contraires) de
droits réels sur les ouvrages et équipements. Ces droits lui confèrent les prérogatives et
obligations du propriétaire, « dans les conditions et les limites définies par les clauses
du contrat ayant pour objet de garantir l’intégrité et l’affectation du domaine public »
(art. 13 Ord. ; art. L. 1414-6 CGCT).

2. L’ÉTAT ET SES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS


Si le Code n’innove pas en ce qui concerne le régime des occupations constitutives de
droits réels sur le domaine public de l’État et des ses établissements publics, il procède
à deux clarifications.
Tout d’abord la rédaction retenue (art. L. 2122-6-8) fait ressortir que le titulaire a un
droit d’occupation aussi bien sur « la superficie » et sur « les ouvrages ». Le droit de
superficie peut être « valorisé » en dehors de la réalisation de l’ouvrage. Mais, lorsque
l’ouvrage a été réalisé, le droit de superficie ne peut plus être valorisé de façon autonome.
De plus, la présentation retenue fait ressortir que le régime de la loi de 1994 est un
régime particulier non exclusif d’autres types d’occupation du domaine public. Ainsi,
si le domaine public naturel est exclu de la loi de 1994 ainsi que du nouveau Code
(art. L. 2122-5), il peut y avoir, comme le prévoyait déjà la jurisprudence, appropriation
privative d’installations édifiées sur le domaine public naturel (p. ex. maritime) si le
titre d’occupation le prévoit.
L’art. L. 2122-9 du Code pose qu’à l’issue du titre « les ouvrages et installations de
caractère immobilier doivent être démolis… à moins que le maintien en l’état ait été
expressément prévu ». Pour les constructions, installations dont le maintien… a été
accepté, ils deviennent de plein droit et gratuitement la propriété de l’État (al. 2).
En ce qui concerne les occupations privatives, le Code n’a pas précisé la façon de délivrer
les titres d’occupation.
L’art. L. 2125-1 du Code dispose « que toute occupation ou utilisation du domaine
public… donne lieu au paiement d’une redevance ». Elle tient compte (v. p. 57, 62,
67) des avantages de toute nature procurés au titulaire. Il n’y pas de changement par
rapport au système précédent.

3. LE CODE PROCÈDE À UNE MODERNISATION INACHEVÉE DU RÉGIME FINANCIER


DE L’OCCUPATION DU DOMAINE PUBLIC
La loi consacre le principe (v. ci-dessus) que toute occupation ou utilisation du domaine
public donne lieu au paiement d’une redevance. Seules certaines situations d’intérêt
public justifient la gratuité (art. L. 2125-1, L. 2125-3), lorsque l’occupation est la
condition naturelle d’exécution et forcée de travaux intéressant un service public. Il
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74 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

s’agit surtout de sécurité et salubrité publiques (ex. : poste de secours sur une plage)
ou lorsque l’occupation contribue à assurer la conservation du domaine (canalisation
d’égout ou d’eaux pluviales) ou la sécurité des usagers.
Mais le Code n’a pas saisi l’occasion pour donner une cohérence au système de
crédit-bail, se bornant à reprendre la loi de 1994 excluant toujours les ouvrages affectés
à un service public ou affectés directement à l’usage du public. Le système du crédit-bail
reste très complexe (v. art. Maugue et Bachelier op. cit., p. 1084).
Conclusion :
● Par ailleurs depuis quelques années, les concessions délivrées sur le domaine
public maritime ont pris une importance tout à fait particulière.
● Les plages naturelles sont en principe louées par l’État aux communes qui peuvent

les concéder à des plagistes. Mais le cahier des charges type impose certaines limites
à l’exploitation, v. aussi loi 27 févr. 2002. Les concessions de plages artificielles sont
soumises à des règles moins sévères pour le concessionnaire, mais il ne peut en aucun
cas obtenir la propriété des terrains. Quelle est la nature juridique des concessions
de plage ? Cette question est restée sans réponse très longtemps. Les concessions de
plage sont sans conteste des concessions domaniales. Dans un important arrêt du
21 juin 2001 (Sarl Plage « chez Joseph », RFDA 2000, p. 802) le Conseil d’État a en
outre admis qu’on est bien en présence d’une « délégation de service public ».
Il en va autrement des concessions d’endigage, contrat par lequel l’État autorise un
concessionnaire à effectuer des travaux pour soustraire les terrains à l’action des flots
et qui peut entraîner transfert de propriété au profit du concessionnaire. En effet, si
en principe la loi du 28 novembre 1963 prévoyait l’incorporation au domaine public
maritime de terrains « artificiellement soustraits à l’action des flots », elle prévoyait
toutefois la possibilité de dispositions contraires, permettant le transfert des terrains
exondés au profit du concessionnaire (CE, 13 oct. 1967, Cazeaux, p. 368). Cette
pratique a donné lieu à des abus considérables dénoncés par la Cour des comptes en
1973. Deux circulaires ministérielles des 3 janvier et 16 juillet 1973 et le décret du
3 janvier 1979 ont tenté d’y remédier. L’utilisation du domaine public maritime
doit être orientée fondamentalement vers la satisfaction des besoins collectifs.
Des concessions d’endigage doivent en principe être accordées sans transfert de
propriété et pour une durée limitée (CE, 18 nov. 1977, Sté Anon, Entr. J. Mar-
chand). Le Conseil d’État estime par ailleurs que les projets de ports de plaisance et
d’endigage devront être obligatoirement mentionnés dans le plan d’urbanisme (CE,
30 mars 1973, Min. Amén. territ. Schwetzoff, p. 269). La loi du 3 janvier 1986 prévoit
qu’en dehors des zones portuaires, il est en principe interdit de porter atteinte à l’état
naturel du rivage notamment pour endigage, assèchement, etc.) (sauf exception telle
que la réalisation d’ouvrages de sécurité, etc.). En principe ces dispositions ont pour
objet de rendre impossible les opérations immobilières réalisées sur le domaine
public maritime par le moyen de concessions d’endigage.
Deux nouveaux décrets ont vu le jour sur ce problème important.
Le décret du 29 mars 2004 simplifie la procédure de délivrance des concessions et
élargit le champ des concessions. Le décret cherche à trouver un équilibre entre
rationalité économique et protection de l’environnement. On l’a vu la notion d’es-
pace « remarquable », d’aménagement « léger »est précisé.
Le décret du 26 mai 2006 vient réglementer de façon stricte l’attribution de conces-
sions et de sous-concessions sur les plages appartenant au domaine public de l’État.
Le régime est nettement modernisé. La notion de plage est précisée, le décret partant
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 75

du postulat que les plages font nécessairement partie du domaine public de l’État.
La nature juridique des concessions est clarifiée ; les règles sont articulées avec le
Code de l’urbanisme et le droit de l’environnement. Les concessions portent sur le
domaine public maritime. Les activités autorisées sont destinées « à répondre au
besoins du service public balnéaire ». Le maintien de l’usage libre et gratuit des plages
doit être assuré ; il y a des impératifs de préservation des paysages. La durée maxi-
male des contrats est de 12 années. Un minimum de 80 % (en linéaire et en surface)
doit rester libre de tout équipement et installation. Les équipements ou installa-
tions doivent être démontables et transportables. Les investissements réalisés par les
concessionnaires et sous-traitants sont sécurisés. D’autres règles, importantes, préci-
sent les modalités d’attribution, de résiliation.

2. L’UTILISATION PRIVATIVE DU DOMAINE AFFECTÉ À L’USAGE PRIVATIF DU PUBLIC


C’est le cas p. ex. des cimetières, des stalles des halles et marchés, des parcs de sta-
tionnement pour les automobiles. L’utilisation privative est ici conforme à l’affectation.
1. Le caractère privatif de l’utilisation entraîne l’obligation d’obtenir une autorisation.
2. Les pouvoirs de l’administration sont plus réduits que dans le cas précédent puisque
le domaine est utilisé ici conformément à son affectation.
● Cas des contrats de place dans les halles et marchés : Les halles et marchés font

l’objet d’une utilisation collective par les acheteurs, mais d’une utilisation privative par
les marchands (dans leurs stalles). La concession, généralement faite par la commune
propriétaire, est un contrat administratif. Au cas où par erreur, l’administration
contracte un bail commercial sur le domaine public, sa responsabilité peut être
éventuellement engagée. (Ex. : Bail commercial passé pour l’occupation d’un empla-
cement dans la halle centrale lyonnaise ; offre de continuer l’exploitation par un contrat
comportant occupation du domaine public moins favorable ; responsabilité de l’ad-
ministration CE, 6 déc. 1985, Mlle Boin-Favre, RFDA 1986, p. 393.) Les maires
possèdent d’importants pouvoirs pour réglementer les ventes ou exclure des mar-
chands. De nouveaux problèmes ont été posés par la création des marchés d’intérêt
national, problèmes qui dépassent le cadre de l’étude du domaine public.
● Cas des concessions funéraires dans les cimetières : particularité de ces contrats

comportant occupation du domaine public et disparition quasi totale de la précarité ;


à côté des concessions de 15, 30, 50 ans, il existe des concessions perpétuelles. Si une
commune est obligée d’assurer l’inhumation des personnes, elle peut refuser une
concession funéraire qui réalise une occupation privative du domaine public (CE S.,
5 déc. 1997, Cne de Bachy c/ Mme Saluden-Laniel, AJDA 1998, p. 258 et s.).

3. LES PROBLÈMES NOUVEAUX POSÉS PAR LE DROIT DE LA CONCURRENCE.


Le droit de la concurrence qui a récemment connu un développement considérable
en droit administratif avec l’arrêt du 3 nov. 1997 Sté Million et Marais (GAJA 15e éd.,
p. 746) devait fatalement s’introduire au sein du domaine public. Depuis de nom-
breuses années, on l’a vu on avait admis que le domaine public était objet de richesse,
un objet d’exploitation économique qu’il fallait concilier, souvent non sans difficultés,
avec les nombreuses règles contraignantes de la domanialité publique (v. p. 45 et s.).
L’occupant du domaine public outre son intérêt particulier, sert aussi l’intérêt général.
Aussi faut-il éviter pour que l’exploitation économique du domaine ne devienne un
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76 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

repaire « des marchands du temple ». Les règles de la concurrence qui s’appliqueront


au domaine doivent tenir compte des mêmes préoccupations. On sait qu’un certain
nombre de règles fondamentales ont été posées par l’ordonnance du 1er décembre 1986
relative à la concurrence et à la compétence du Conseil de la concurrence et de la
cour d’appel de Paris. L’arrêt Ville de Pamiers (T. confl. 6 juin 1989, RFDA 1989,
p. 459) a donné une interprétation relativement restrictive de cette ordonnance. Sans
aller dans les détails, on donnera certains éléments de l’application de ce texte et de la
jurisprudence Ville de Pamiers en matière de domaine public.
● Il faut, même lorsqu’on accorde des droits privatifs, ne pas oublier les exigences de
la concurrence, nettement mises en avant ces dernières années sous l’influence du
droit européen. Le Conseil d’État a été amené à prendre une position de principe sur
cette importante question, dans l’arrêt Sté EDA (CE S., 26 mars 1999, AJDA 1999,
p. 427). Le juge devait statuer sur la légalité des conditions d’occupation du domaine
public pour l’exploitation des points de location de voiture sans chauffeur sur les deux
aéroports parisiens d’Orly et de Roissy – Charles-de-Gaulle. Le Conseil d’État pose le
principe suivant : « s’il appartient à l’autorité administrative affectataire des dépen-
dances du domaine public de gérer celles-ci tant dans l’intérêt du domaine et de son
affectation que dans l’intérêt général, il lui incombe en outre lorsque, conformément
à l’affectation de ces dépendances, celles-ci sont le siège d’activités de production, de
distribution ou de services, de prendre en considération les diverses règles telles que le
principe de la liberté du commerce ou de l’industrie ou de l’ordonnance du 1er décem-
bre 1986 dans le cadre desquelles s’exercent ces activités ». Il entre en outre dans la
mission du juge de l’excès de pouvoir « à qui il revient d’apprécier la légalité des actes
juridiques de gestion du domaine public, de s’assurer que ces actes ont été pris compte
tenu de l’ensemble de ces principes et de ces règles et qu’ils en ont fait, en les
combinant, une exacte application ».
● Ainsi des éléments du droit de la concurrence peuvent être mis en œuvre
partiellement par le Conseil d’État lui-même. Très souvent, le Conseil d’État s’appuie
sur le principe de la liberté de commerce et de l’industrie en lui donnant une notation
particulière (CE, 10 mai 1996, Sarl La Roustane et autres et Université de Provence,
AJDA 1996, p. 553-558). Le juge mettra en œuvre des moyens et techniques divers.
Ainsi, l’autorisation d’occupation du domaine peut conférer une position dominante,
qui n’est pas condamnable en elle-même. Seul l’est l’abus de position dominante.
Mais le juge administratif ne sera directement compétent, sans le filtre du Conseil de
la concurrence, que si le titre d’occupation constitue en lui-même une violation des
règles de la concurrence. Il fera appel à la théorie de « l’abus automatique ». Mais les
modalités de contrôle du juge administratif ne seront pas aisées.
Aussi le Conseil d’État, lorsqu’il est saisi des problèmes de droits de la concurrence
sur le domaine public, saisit fréquemment, comme la loi l’y autorise, le Conseil de la
concurrence pour savoir si le droit de la concurrence a été bafoué. C’est ce qu’il fait
avec éclat dans l’arrêt de section Sté EDA (op. cit.) (et aussi dans l’affaire Sté Hertz-
France et autres) du 26 mars 1999 (AJDA 1999 p. 427 concl. Stahl). S’agissant du
recours de la société de location de voitures EDA éliminée par les décisions d’Aéroport
de Paris au profit d’autres sociétés de location de voitures, le Conseil d’État demande
son avis au Conseil de la concurrence sur l’existence de « marchés pertinents » et de
l’obligation faite aux candidats de présenter une offre conjointement sur les deux
aéroports de Roissy et d’Orly.
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 77

Le domaine public est donc réellement investi par les règles de la concurrence
(v. art. Gérard Gonzalez, « Domaine public et droit de la concurrence », AJDA 1999,
p. 387 et s.). Les décisions du Conseil de la concurrence et de la cour d’appel de Paris
en la matière deviennent de plus en plus nombreuses (pour la répartition des compé-
tences v. aussi T. confl., Aérodrome de Paris, 18 oct. 1999, AJDA 1999, p. 996). Certes,
la légalité des actes administratifs d’occupation du domaine public ne peut être
appréciée que par le juge administratif mais, et c’est le cas p. ex. du choix par le
concessionnaire des loueurs de voitures, lorsque les chambres de commerce (ou
l’aéroport de Paris) donnent des autorisations d’accès au domaine public à des
entreprises concurrentes moyennant le versement d’une redevance, on est bien en
présence d’activités de services soumises au droit de la concurrence. Cette intervention
du Conseil de la concurrence et de la cour d’appel de Paris sera fondée soit sur renvoi
du juge administratif (v. plus haut), ou plus directement sur la théorie de l’acte
détachable. Les fondements juridiques sont parfois complexes, mais elles ont été
admises aussi par la Cour de cassation (CA Paris, 31 oct. 1991 Mme Parouty, D. 1992,
Jur. p. 312 ; Com., 5 mars 1996, Sté Total Réunion Comores et Sté Elf-Antar France,
Bull. Cass. no 76) v. aussi à propos d’accès aux hôtels dans la périphérie de l’Aéroport
de Paris : le Conseil de la concurrence enjoint à l’Aéroport de Paris de faire des
propositions sur le poids d’auvent des navettes.
Une personne morale de droit public ne peut accorder à une entreprise chargée d’un
service public de transport maritime, le monopole de l’utilisation des ouvrages por-
tuaires. Il lui appartient en revanche, dans des limites compatibles avec le respect des
règles de la concurrence et du principe de la liberté du commerce et de l’industrie,
d’apporter aux armements chargés du service public l’appui nécessaire, ce qui peut
inclure des facilités particulières pour l’utilisation du domaine public (CE 20 juin 2004,
Dép. de la Vendée, AJDA 2004, p. 2210). Toute autorité administrative détenant des
pouvoirs dont l’exercice est susceptible d’affecter des activités économiques doit veiller
au respect des règles de concurrence (confrontation au droit de l’urbanisme, CE 5 mars
2003, Immaldi et Cie, 30 juillet 2003, Caen Distribution, 17 décembre 2003, Cne
Nanterre, AJDA 2004, p. 1508).
L’application du droit de la concurrence par le juge ne touche pas seulement le
contentieux de l’annulation mais aussi le plein-contentieux (CAA Paris 4 déc. 2003,
Sté d’équip. de Tahiti…, AJDA p. 200 : responsabilité d’un opérateur public pour
méconnaissance des règles de la concurrence lorsqu’il accorde une autorisation d’oc-
cupation du domaine public) (sur la compétence du Conseil de la concurrence v. Civ.
1re 29 sept. 2004, EDF/SNIET, AJDA 2004, p. 2309).
On constate que si le Conseil d’État et le Conseil de la concurrence vont globalement
dans le même sens (CE S., 26 mars 1999, Sté EDA, AJDA 1999, p. 427, op. cit.) (BOCC,
12 mai 1999, p. 258, reproduite AJDA 1999, p. 534, note L. Richer), il y a toutefois
des différences d’appréciation. Certes le Conseil de la concurrence et la Cour d’appel
de Paris ne sont pas compétents pour annuler une autorisation d’occupation du
domaine public. Seul le juge administratif reste compétent. Toutefois pour le Conseil
d’État, agir par voie d’actes administratifs à propos de la gestion du domaine public,
ne constitue pas une activité de production, de distribution ou de service au sens de
l’ordonnance sur le droit de la concurrence (Ord. 1er déc. 1986). Les règles de la
concurrence s’appliquent néanmoins, mais uniquement parce que l’autorisation portait
sur des dépendances qui sont « le siège d’activités de production, de distribution ou
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78 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

de services ». En revanche, pour le Conseil de la concurrence, c’est l’activité même de


gestion du domaine qui constitue une activité économique. M. Richer fait remarquer
« Le Conseil de la concurrence tire les dernières conséquences de cette qualification
en considérant qu’il est compétent pour apprécier non seulement les comportements,
mais aussi les décisions. Apprécier n’est certes pas annuler, mais si l’appréciation est
suivie d’une injonction de mettre fin aux effets, la situation est exactement semblable
à celle qui résulte d’un sursis à exécution, lequel ne peut être ordonné que par le
titulaire du pouvoir d’annulation ».
Le droit communautaire participe à la banalisation de l’occupation du domaine
public dans le contentieux de la concurrence. Ainsi dans une affaire Decaux, le Conseil
de la concurrence a relevé que les pratiques concernées « étaient contraires aux
dispositions de l’art. 86 du traité de Rome dès lors que mises en œuvre par un opérateur
détenant une position dominante sur une partie substantielle du Marché commun,
elles ont pu empêcher des entreprises d’autres pays de la Communauté européenne
d’assurer leurs prestations sur le territoire national » (Décis. Cons. conc. 7 juill. 1998,
BOCC, 7 oct. 1998 no 19).
Plus généralement dès qu’une activité économique et commerciale s’exerce sur le
domaine public, les problèmes de la concurrence, dans le cadre du droit communau-
taire, pourront se poser. Comme le précise M. Gonzalez (article op. cit.) l’évolution de
la domanialité publique en contact de plus en plus étroit avec les activités économiques
était inéluctable. Sous l’influence du droit public de la concurrence, le domaine public
sera lui aussi a changé. « Lorsqu’il est le support d’activités de service public, le domaine
public subit la domination du régime applicable à l’activité en question qui fait
aujourd’hui la part belle au droit de la concurrence ». Si les critères de la domanialité
perdurent, ainsi que les modalités de protection (inaliénabilité, imprescriptibilité) en
revanche le choix de l’occupant, la précarité de l’occupation, ses modalités financières
dépendront de plus en plus du droit de la concurrence.
Il faut souligner que les problèmes de répartition de compétence entre le Conseil de la
concurrence et la juridiction administrative sont loin d’être tous résolus (T. confl.
18 oct. 1999, AJDA 1999, p. 1029, chronique ; Conseil de la concurrence, 10 déc. 2002
et Com. 7 janvier 2004, Assoc. du parc hôtelier, AJDA 2004, p. 851).
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 79

> C HAPITRE V
LE RÉGIME JURIDIQUE DU DOMAINE PRIVÉ
Le domaine privé des collectivités publiques constitue une sorte de propriété ordi-
naire comme la propriété des particuliers. La doctrine s’est longtemps attachée à
montrer l’analogie du domaine privé et des biens des particuliers soumis au droit civil.
Mais si cette analogie est souvent réelle, on a pu démontrer que très souvent la réalité
est différente. Comme on l’a déjà vu (v. supra p. 23 et s.) M. Auby dans un célèbre
article (Études et Documents du Conseil d’État) de 1958 « Contribution à l’étude du
domaine privé de l’administration » a bien montré que la distinction du domaine
public affecté à l’intérêt général et du domaine privé dont l’intérêt serait purement
patrimonial, était exagérée. Des nombreuses activités sur le domaine privé « sont des
activités d’intérêt général ». Il en va ainsi et à titre d’exemple, des travaux publics
effectués sur le domaine privé ou la gestion de chemins ruraux qui pourtant font partie
du domaine privé de la loi. L’administration, en gérant son domaine privé, n’a pas
seulement des préoccupations d’intérêt financier. Aussi M. Auby estime-t-il qu’au fond
le domaine privé est « un service public à gestion privée ». Cette analyse est très
certainement exacte dans son ensemble. Elle nous fait revenir à l’idée d’échelles de la
domanialité, et il faudra en tenir compte dans notre étude. Mais il reste qu’à l’heure
actuelle, même si elle est partiellement critiquable, la distinction de base reste celle du
domaine public et du domaine privé.
Pour définir le domaine privé, on peut dire qu’il s’agit de biens non-affectés essentielle-
ment à un service public ou à l’usage du public. Mais cette définition ne veut pas dire
que le public ne peut pas utiliser les biens du domaine privé. Rien n’empêche le public
d’aller en forêt et de s’y promener. Mais les forêts (du moins les plus grandes) font partie
du domaine privé car leur vocation essentielle n’est pas d’être utilisée par le public. De
même, de nombreux services publics peuvent être installés sur le domaine privé. Mais
les biens n’ont pas été aménagés dans le but de faire fonctionner le service public.
L’ordonnance du 19 août 2004 a autorisé le classement dans le domaine privé de certains
biens immobiliers de l’État (immeubles à usage de bureau, immeubles dans lesquels
sont effectués le contrôle technique des véhicules). Il s’agit de vendre, avant fin 2004,
une partie du patrimoine pour un montant de 500 millions d’euros. Ce texte n’est que
la première étape d’une modernisation importante du patrimoine domanial.

§ 1 - C ONSTITUTION ET ALIÉNATION DU DOMAINE PRIVÉ

A. Constitution du domaine privé


1. LES MODES D’ACQUISITIONS DE DROIT COMMUN
● Les biens du domaine privé peuvent être acquis à titre gratuit – dons ou legs faits
par des personnes privées à des personnes publiques. Certaines formalités particulières
seront nécessaires. Les biens peuvent être acquis à titre onéreux (achat, échange).
Certaines formalités ont un caractère exorbitant du droit commun.
Selon l’art. L. 1111-1 du CGPPP les acquisitions de biens et droits à caractère immobilier
s’opèrent suivant les règles du Code civil. Au titre « acquisitions à titre gratuit » figurent
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80 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

« l’échange », « les dons et legs » soumis éventuellement à des règles spécifiques. L’acqui-
sition des « successions en déshérence » et des « biens sans maître » est clarifiée.
2. LES MODES D’ACQUISITION EXORBITANTS DU DROIT COMMUN
● Les biens du domaine privé peuvent être acquis à titre gratuit (successions en
déshérence, biens vacants et sans maître, épaves terrestres et fluviales ou maritimes)
ou à titre onéreux, impliquant donc une contre-prestation de la part de la collectivité
publique (expropriation, réquisition, nationalisation).
Le nouveau Code fait référence aux acquisitions « selon des procédures de contrainte » :
nationalisation, expropriation, droits de préemption du Code de l’urbanisme et du Code
du patrimoine (art. L. 1112-1 et s. du CGPPP).
● Il faut remarquer enfin que la délimitation du domaine privé se fait par le moyen
du bornage.
B. Aliénation du domaine privé
En principe le domaine privé est aliénable et prescriptible. Mais la réalité est très
différente et il peut exister des aliénations interdites ou des aliénations soumises à des
procédures spéciales.
1. LES ALIÉNATIONS INTERDITES
Il faut tout d’abord se référer à l’art. 34 de la Constitution. L’art. 34 de la Constitution
de 1958 décide que la loi fixe les règles concernant « les transferts de propriété
d’entreprises du secteur public au secteur privé ». En clair, cela a pour conséquence
que le capital des entreprises publiques est certes aliénable, mais que cette aliénation
ne peut être faite que par le législateur ; si le législateur ne cède pas lui-même le capital
ou une partie du capital, au moins doit-il déterminer les modalités de cession.
Ce problème de l’aliénation du capital a été maintes fois soulevé. Ce sont toutes les
questions de la participation du personnel, des privatisations entières ou partielles,
l’instillation de capitaux extérieurs qui sont en jeu. Ce sont les lois des 2 juillet et
6 août 1986 ainsi que celle du 19 juillet 1993, qui tentent de résoudre les problèmes.
Selon ces lois, telles qu’elles sont interprétées par le Conseil constitutionnel, un acte
administratif est suffisant pour un transfert de propriété mais il faut que le prix de
cession soit conforme à celui fixé par la commission de privatisation.
D’autres aliénations sont plus ou moins interdites : tout d’abord les procédures d’aliéna-
tion forcée ne peuvent être utilisées à l’égard des biens, même du domaine privé de
l’administration. En effet, on sait qu’aucune mesure d’exécution forcée n’existe à l’égard
de l’administration. Mais les biens du domaine privé peuvent faire l’objet d’une expro-
priation pour cause d’utilité publique. Il faut aussi signaler que l’administration ne peut
jamais céder un bien, ni à titre gratuit, ni à un prix inférieur à la valeur du bien.
En dernier lieu, certaines aliénations de biens spécifiques ne peuvent se faire qu’au profit
de certaines personnes ou dans un but précis ; on peut citer en particulier les réserves
foncières et surtout les réserves qui ont été acquises par le Conservatoire du littoral.
2. LES ALIÉNATIONS SOUMISES À DES FORMALITÉS PARTICULIÈRES
Les biens du domaine privé ne peuvent être vendus qu’après intervention du Service des
domaines (aujourd’hui « France-domaine »). En ce qui concerne les biens appartenant
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 81

à l’État, le service France-domaine procède lui-même à l’aliénation. Pour les collectivités


territoriales le service des domaines donne généralement un avis.
En ce qui concerne les collectivités territoriales, les ventes sont décidées par l’autorité
délibérante et exécutées par les autorités exécutives.
Toutes ces ventes sont soumises à des règles particulières d’ailleurs très variables. En ce
qui concerne les biens de l’État il faut en principe recourir à la procédure de l’adjudica-
tion publique ; pour les biens des collectivités locales il faut généralement recourir aux
enchères. On peut aussi signaler que même les aliénations mobilières sont soumises aux
régies de publicité et de concurrence ; il existe aussi des régimes très spécifiques pour
certains biens, en particulier les forêts, les lais et relais de la mer...
La troisième partie du CGPPP intitulée « Cessions » comporte deux livres, le premier consa-
cré aux biens du domaine public, le second consacré aux biens du domaine privé. De
nombreuses dispositions antérieures et se trouvant parfois dans d’autres lois (p. ex. pro-
gramme de cohésion sociale) sont ainsi codifiées.
● Les ventes des biens du domaine privé de l’État sont effectuées par le service des

domaines (aujourd’hui service France-domaine). Les ventes des biens des collectivités
locales sont décidées par l’autorité délibérante et réalisées par l’autorité exécutive.

§ 2 - L A GESTION DU DOMAINE PRIVÉ


Les travaux effectués sur le domaine privé ne sont pas en principe des travaux publics,
mais ce principe n’est pas absolu.
A. La gestion du domaine de l’État
● La gestion du domaine de l’État est essentiellement confiée au service des domaines
(aujourd’hui service France-domaine) qui gère d’ailleurs aussi le domaine public. Le
service des domaines dont l’origine est très ancienne, constitue depuis 1948 un service
central au sein de la direction générale des impôts. À l’échelon départemental, on trouve
des directions dirigées par des directeurs départementaux.
● Le service des domaines est chargé de la gestion proprement dite du domaine privé à
l’exception de ceux affectés à un service public ou des forêts. Il intervient dans les
acquisitions d’immeubles ; il est chargé de l’aliénation de biens mobiliers et immobiliers ;
le chef du service des domaines représente l’État dans les instances domaniales. Les
commissions de contrôle des opérations immobilières exercent un contrôle sur les
acquisitions.
B. La gestion du domaine des collectivités locales
● Si en principe, la gestion du domaine des collectivités locales revient aux autorités de
la collectivité publique en question, le service des domaines a vu ses pouvoirs d’inter-
vention nettement accrus depuis 1933. Il faut signaler en outre le contrôle exercé par les
commissions de contrôle des opérations immobilières.
En ce qui concerne la gestion du domaine privé communal, le conseil municipal est seul
compétent (CE 16 déc. 2005, Cne d’Arpajon, AJDA 2006, p. 12).
Le maire, le président du conseil général, etc. assurent les pouvoir de police sur le
domaine de leurs collectivités respectives. Mais il est exclu que de tels pouvoirs puissent
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82 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

s’exercer sur des parcelles appartenant à des personnes privées (CE 29 nov. 2004, Dpt
Alpes-Maritimes, AJDA 2005, p. 1006).

§ 3 - L E DROIT APPLICABLE AU DOMAINE PRIVÉ


A. La soumission de principe au droit privé et au juge judiciaire
● En principe l’administration gère son domaine privé comme un propriétaire privé.
Elle dispose des mêmes droits que les propriétaires privés, les biens du domaine privé
sont soumis aux charges normales que supportent les biens des particuliers (servitudes).
Le juge judiciaire est compétent (CE, 13 nov. 1987, Secrét. État Mer c/ Mme Amiot, AJDA
1988, p. 296, CE, 25 mai 1988, Cne de St-Saturnin, RDP, 1989, p. 257 ; CE, 7 juin 1991,
Richard, RDP, 1992, p. 233 ; T. confl. 18 mars 1991, Mme Bartoli, RDP, 1992, p. 258). Il
en va ainsi de la décision de maintenir une personne sur le domaine privé, puis de
l’expulser (CE, 20 nov. 1984, Consorts Delombe, req. 65.695) ou de la décision de refuser
d’ouvrir un passage sur une parcelle du domaine privé (CE, 6 mai 1996 Formery, AJDA
1996, p. 551 et s. ; RFDA 1996, p. 836), de la requête tendant à l’expulsion d’un occupant
sans titre d’immeubles relevant du domaine privé (à moins que le contrat puisse être
qualifié de contrat de droit public (CE, 12 déc. 2003, Cne de Lamentin, AJDA 2004,
p. 613 ; idem CE, 13 oct. 2003, M. Meunier, AJDA 2004, p. 107).
Le Tribunal des conflits attribue aussi au juge judiciaire la compétence pour connaître
de l’action tendant à demander le rétablissement d’une servitude d’écoulement, établie
sur le domaine privé d’une personne publique (T. confl., mai 2002, Sté SM/Syndicat, cité
AJDA 2003, p. 51).
Les agents chargés d’une activité de gestion du domaine privé ont un contrat de droit
privé (T. confl. 19 janv. 2004, AJDA, M. Pierrat c/ Cne de Wildenstein, AJDA 2004, p. 104).
● Dans de nombreuses hypothèses, le domaine privé sera soumis à des règles déroga-
toires au droit commun : droit de préemption, prescriptions acquisitives spéciales, etc.
Il faut remarquer toutefois que dans la plupart de ces hypothèses, le juge judiciaire reste
compétent (p. ex. décisions non réglementaires relatives à la gestion du domaine privé,
CE, 20 janv. 1984, Sté civ. du domaine du Bernet, p. 12) ainsi que les dommages subis sur
le domaine privé s’ils ne sont pas causés par un service public ou un travail ou un ouvrage
public.
L’occupation précaire du domaine privé dans l’intérêt général n’est pas exorbitante du
droit commun (Civ. 3e, 2 févr. 2005, Office national des forêts, AJDA 2005, p. 1125).
Incompétence du juge administratif sur la vente d’un bien du domaine privé communal
(TA Caen 14 juin 2005, M. Burel et M. Lesourd, AJDA 2005, p. 1917).

B. La soumission au droit public et au juge administratif


Malgré le caractère très attractif de la compétence judiciaire en matière de domanialité
privée (même dans les hypothèses où le domaine privé est soumis à des règles déroga-
toires au droit commun) le droit public et la compétence du juge administratif s’appli-
queront dans certaines hypothèses. C’est le cas lorsque la compétence administrative
résulte de la détermination même de la loi (cas de la vente des immeubles de l’État, loi
du 28 pluviôse an VIII) ; ou de l’application générale des règles de répartition des
compétences (Recours en annulation formés contre les actes réglementaires relatifs à la
gestion du domaine, services publics fonctionnant sur le domaine privé. Travaux publics
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 83

exécutés sur les dépendances du domaine privé). Le problème de contrats relatifs au


domaine privé et contenant des clauses exorbitantes du droit commun restait discuté. À
l’heure actuelle, le Tribunal des conflits leur a reconnu le caractère de contrats adminis-
tratifs (T. confl. 17 nov. 1975, Leclert, p. 800).
Par ailleurs, le juge administratif est compétent pour les actes administratifs détacha-
bles de la gestion du domaine privé.
Parmi les actes détachables, il faut distinguer les décisions réglementaires des décisions
non-réglementaires.
Il n’y a pas de difficulté pour les décisions réglementaires. Toutes les décisions régle-
mentaires relatives à la gestion du domaine privé sont détachables de cette gestion, (ex. :
décisions prises par le maire pour circuler sur des chemins ruraux CE, 3 mai 1987 DA,
1987, no 389).
La question est plus délicate pour les actes non-réglementaires. Certains sont considérés
comme détachables et relèvent donc de la compétence administrative : ainsi ont été
considérées comme détachables les décisions prises dans l’exécution d’un service public
(demandes d’autorisation de coupes, CE, 3 mars 1975 Courrière et autre, AJDA 1975,
p. 33) décision de donner un bail sur un terrain CE, 11 juillet 1992, Cne de Saint-Crépin,
RDP, 1992 p. 1182, refus du maire de mettre une salle à la disposition d’une association
(15 octobre 1969 Assoc. Caen-demain, p. 435). Certains actes unilatéraux précédant des
contrats peuvent aussi être détachables : surtout lorsqu’ils précédent une adjudication
(p. ex. en matière de droit de chasse T. confl. 6 juillet 1981, Eysseric, p. 505, D. 1981,
IR, p. 524) ; les délibérations d’un conseil municipal relatives à l’exercice du droit de
préemption en cas de vente d’un chemin rural (CE, 9 févr. 1994, Ép. Lecureur p. 62, DA
1990 no 132). Sont aussi détachables : le refus d’un maire de faire rétablir l’assiette d’un
chemin rural (T. confl. 8 nov. 1982 Lewis, D. 1983, IR p. 272) ou la décision du conseil
municipal décidant de donner en location des biens du domaine privé communal (CAA
Nancy, 19 déc. 2002, RFDA 2003, p. 6126). De même, le juge administratif est compétent
et le droit public s’applique, lorsqu’un accident se produit sur une route forestière faisant
partie du domaine privé mais affectée par l’Office national des forêts à la circulation
générale et qui avait fait l’objet d’un aménagement (CE, 2 sept. 1988, Office national des
forêts c/ Mlle Dupouy, RFDA 1988, p. 1032). Il y a compétence de la juridiction adminis-
trative pour connaître des décisions du conseil municipal d’autoriser le maire à passer
un contrat de droit privé sur le domaine privé (CE 5 déc. 2005, Cne de Pontoy, RFDA
2006, p. 188) ; il en est de même de la décision d’acquisition d’un immeuble du domaine
privé en la forme « administrative » (CAA Douai 5 oct. 2004, M. Lefebvre, AJDA 2004,
p. 2037).
Plus généralement, le juge administratif est compétent pour connaître des « déférés
préfectoraux » contre les délibérations des conseils municipaux et les arrêtés des maires
même s’il s’agit de contrats de droit privé (T. confl. 14 févr. 2003, Cne de Baie-Mahaut).
D’autres décisions ne sont pas considérées comme détachables et restent des actes de
droit privé ; à titre d’exemple on citera : l’autorisation d’utiliser le domaine privé pour y
chasser ou pour y circuler (CE S., 15 févr. 1963, Chaussé, p. 093, AJDA 1963, p. 413)
refus du conseil municipal d’autoriser un propriétaire à ouvrir un accès entre ses terres
et une dépendance du domaine privé de la commune dans le but d’y faire passer des
engins d’exploitation forestière (CE, 6 mai 1996, Formery, p. 150, AJDA 1996, p. 551)
refus du maire de consentir une servitude (T. confl. 24 oct. 1994, Duperray et SCI Les
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84 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Rochettes, p. 606, RFDA 1995, p. 408) v. aussi CE, 3 juin 1998 Cne de Saint-Palais sur
Mer, de même la décision d’un département d’augmenter le loyer d’un logement loué à
un fonctionnaire de l’État (T. confl. 22 mai 1995, Punter, p. 718 D. 1995 IR, p. 197).
Toutes ces décisions, surtout les plus récentes, montrent la volonté du Tribunal des
conflits de maintenir la distinction entre actes détachables et actes non détachables.
En conclusion et selon l’expression de M. Chapus « le régime du contentieux du domaine
privé est l’un des plus tourmentés qui soient ».
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 85

> C HAPITRE VI
CONCLUSION GÉNÉRALE
SUR LA DOMANIALITÉ PUBLIQUE

La domanialité publique à la française possède un caractère très spécifique. Si le système


est loin d’être ignoré à l’étranger, la théorie du domaine public constitue l’un des grands
secteurs où le droit administratif s’est forgé, construisant à son tour une théorie de
possession et de gestion des biens extrêmement originale.
La soumission des patrimoines destinés au bien commun constitue une vieille tradi-
tion même si sous l’Ancien Régime, la théorie reste embryonnaire. L’Édit de Moulins
de 1566 interdit certes l’aliénation des biens de la Couronne, sans distinguer le domaine
public du domaine privé. Mais dans la mesure où il s’agissait de protéger les biens de la
Couronne contre les générosités et les prodigalités royales, l’idée de bien commun
apparaît. Les révolutionnaires ne sont guère plus clairs, admettant l’aliénation, mais
uniquement après autorisation de la représentation nationale. Quant au Code civil et
même encore l’actuel Code du domaine de l’État, ils confondent en fait le domaine public
et les « biens insusceptibles d’une propriété privée en raison de leur nature et de leur
destination », oubliant que le droit est une construction humaine et qu’aucun bien n’est
par nature insusceptible de propriété privée.
C’est avec la montée en puissance du droit administratif que les auteurs du siècle dernier
(Pardessus, Toullier, Proudhon) ou plus modernes (Duguit, Hauriuo, Barthélémy, Jèze)
dégagent la notion de domaine public et son régime spécifique. Si les théories dans le
détail sont variées, elles aboutissent, et le raccourcissement historique est un peu rapide,
à considérer qu’il y a des biens affectés à l’intérêt général, ces biens devant faire l’objet
d’une protection particulière. La plus importante de ces protections est l’inaliénabilité
au sens le plus large du terme.
Peu importe à première vue dans cette optique que la jurisprudence ait finalement
consacré l’idée que font partie du domaine public, les biens des collectivités publiques
mis à la disposition directe du public usager ou ceux affectés à un service public, pourvu
qu’en ce cas ils soient par nature ou par le fait d’aménagements spéciaux adaptés
exclusivement ou essentiellement au but particulier de ces services. Peu importe aussi à
première vue, que le juge ait sculpté dans son optique, l’inaliénabilité et l’imprescripti-
bilité du domaine public, la police de la conservation du domaine public et ait inspiré
par une jurisprudence abondante ses vues sur l’utilisation du domaine public.
Encore faut-il pour que le régime de droit administratif garde son empreinte, que les
définitions données par le législateur et le juge, ainsi que le régime juridique auquel le
bien est soumis, gardent une certaine clarté. Or, c’est ici que le bât blesse, et la blessure
risque de s’envenimer. La détermination de la consistance du domaine public est deve-
nue si floue, le régime juridique tellement varié et fluctuant que le Conseil d’État a pris,
on l’a vu, la mesure de ces évolutions dans son important rapport de 1987.
Le document constate, on l’a vu, qu’il est souvent difficile de savoir d’avance si tel ou
tel bien fait partie ou non du domaine public. Les biens du domaine public sont par
ailleurs soumis à des régimes juridiques très variés. Cela est d’autant plus perturbant
que certains biens du domaine privé sont soumis à des règles exorbitantes qui les
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86 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

rapprochent du régime de la domanialité publique. N’est-on pas en présence, comme


certains l’ont affirmé, « d’échelles de la domanialité » plutôt que de la distinction
binaire domaine public – domaine privé ? Le Conseil d’État conscient de ces problè-
mes, souhaite une intervention législative pour réduire le champ d’application de la
domanialité publique. Mais il ne met pas en cause la distinction fondamentale des
deux domaines estimant, comme on l’a vu, que « la solidité du régime jurisprudentiel
de la domanialité publique tient à son réalisme fondamental ! ». Il ne s’agit pas de faire
un bien de mainmorte « il s’agit seulement de défendre l’affection du bien à l’usage
public ou d’un service public parce qu’elle répond à la mission même des personnes
publiques ».
Les phrases écrites il y a quelques années seulement risquaient d’être plus incantatoires
que réellement rassurantes. Il existait pour l’avenir un réel danger de voir la
domanialité partir en lambeaux. Que la définition restait un peu incertaine, c’est le
lot de toute matière de droit administratif. Même la réduction des biens soumis au
régime exorbitant du droit commun de la domanialité publique n’est pas grave en soi.
Mais certaines évolutions sont annonciatrices d’un ébranlement plus grave qui modifie
les données de base. Ainsi lorsque le Juge administratif admet que les locaux détenus
en copropriété par l’État et des particuliers ne peuvent être des biens du domaine
public, sans qu’il soit nécessaire de se référer à l’affectation à l’usage du public ou à
un du service public, l’évolution devient inquiétante. Non pas qu’il faille critiquer la
décision du juge qui ne pouvait peut-être pas juger autrement en l’espèce. Mais à
l’avenir n’y aura-t-il pas multiplication, envahissement de ces copropriétés ? On peut
même concevoir que l’État soit propriétaire à 90 % et que les 10 % de propriété privée
font échapper le tout au régime de la domanialité publique. Et ne faut-il pas s’inquiéter
du récent arrêt à propos des biens de l’EDF, arrêt qui fait échapper pour des raisons
de concurrence et de règles européennes par ailleurs tout à fait compréhensibles, une
grande part de ces biens au régime de la domanialité publique, des récents textes et
jurisprudences relatifs aux biens de France Télécom et de La Poste, qui vont dans le
même sens ? (v. p. 37).
Il faut évidemment tenir compte du nouveau Code général de la propriété des personnes
publiques, déjà largement évoqué. Incontestablement il remédie à certaines des difficultés
abordées ci-dessus. Tout d’abord, et ce n’est pas négligeable, il donne une structure de
forme à la définition du domaine public et au régime juridique du domaine public. De
plus, on l’a vu, les nouvelles définitions du domaine public, affectation à l’usage direct du
public (sans référence à un aménagement) et affectation au service public, à condition que
les biens aient fait l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution du service public,
permettent de préciser ce qui appartient au domaine public et ce qui ne lui appartient
pas. Mais les problèmes d’application de ces articles subsistent et les auteurs qui ont fait
des commentaires sur le nouveau Code sont loin d’avoir une même vision de l’application
des nouveaux principes.
La notion de domaine public est peut-être précisée mais le danger de voir partir le domaine
public en lambeaux n’est pas écarté. Comme on l’a constaté le Code s’appelle bien Code
de la propriété des personnes publiques et la domanialité publique (ou privée) ne devient
qu’une sous-catégorie.
Mais c’est surtout le régime même du domaine public qui risque d’être assoupli,
rapprochant celui-ci de la propriété privée. On sait que la loi du 5 janvier 1988 a
permis aux personnes publiques de passer des baux de longue durée sur leurs biens
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1re P A R T I E – L E D O M A I N E - 87

appartenant au domaine privé. 99 ans au plus, mais c’est déjà une éternité. C’est
surtout l’importante loi du 27 juillet 1994 qui confère aux titulaires d’une simple
autorisation temporaire d’occupation du domaine, le droit de posséder de véritables
droits réels, permettant l’indemnisation éventuelle du titulaire, la transmission, la
cession ou même la soumission à hypothèque de ces droits. Même des contrats de
crédit-bail peuvent être conclus.
Ce n’est pas encore la fin de l’inaliénabilité, d’autant plus que le Conseil constitu-
tionnel dans une décision du 21 juillet 1994 a annulé la possibilité de renouvellement
et que la loi limite l’application du texte au domaine de l’État et de ses établisse-
ments publics. Mais ne peut-on craindre que cette prétendue « modernisation » du
régime de la domanialité publique n’amène à terme une sorte d’abdication du régime
administratif ?
Sur le problème du régime du domaine public, le Code ouvre aussi de nouvelles
perspectives. L’inaliénabilité subsiste certes pour les biens du domaine public, mais les
possibilités de déclassement anticipé, la prise en compte plus large des « mutations
domaniales » la possibilité d’instituer des « servitudes conventionnelles », la possibilité pour
les collectivités territoriales de disposer à coté des baux emphythéotiques d’autorisation
d’occupation constitutives de droits réels sur leur propre domaine, et celle pour le titulaire
d’un droit d’occupation sur le domaine de l’État aussi bien sur la « superficie » que sur
« l’ouvrage » montrent bien que l’inaliénabilité prend une forme très différente de ce qu’elle
était à l’origine.
Plus largement, et le problème a déjà été soulevé, on assiste à une sorte de marchan-
disation du domaine public. Le droit du domaine public a longtemps été considéré
comme un droit de souveraineté exprimant la puissance publique et la majesté des
biens mis au service de la puissance publique, sans égal, ni rival. La « valorisation » du
domaine public est aujourd’hui chose faite, alors que traditionnellement domaine
public et entreprise privée n’étaient pas appelés à se rencontrer. On passe d’un domaine
public « espace marchand » à un domaine public « espace dominé par le marché »
(Catherine Mamontoff, Domaine public et entreprises privées, L’Harmattan 2003).
À cet égard d’ailleurs le CGPPP et les commentaires sur le texte sont très clairs : la
valorisation économique fait l’objet, on l’a déjà relevé, de nombreuses mesures (clarification
du régime des droits réels élargissement des possibilités offertes aux collectivités territoriales,
servitudes conventionnées). Le régime financier est précisé et en principe toute occupation
du domaine public doit faire l’objet d’une rémunération.
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D E U X I È M E P A R T I E

L’ EXPROPRIATION POUR
CAUSE D ’ UTILITÉ PUBLIQUE
ET LA RÉQUISITION

L’expropriation pour cause d’utilité publique est une opération administrative par
laquelle l’administration contraint un particulier à lui céder la propriété d’un
immeuble dont elle a besoin pour la réalisation d’un objet d’intérêt général. La
réquisition est un procédé qui permet à l’administration de se procurer la propriété
et l’usage de biens mobiliers, l’usage de biens immobiliers, les services d’entreprises
ou de personnes.
L’expropriation et la réquisition constituent évidemment des atteintes graves au droit
de propriété. Elles constituent l’une des manifestations les plus typiques de l’inégalité
entre l’administration, gardienne de l’intérêt général, et les particuliers, qui ne défen-
dent que leur intérêt privé.
Mais alors que l’expropriation est très fréquemment utilisée, la réquisition ne constitue
pas une pratique habituelle et n’est d’ailleurs possible que dans certaines situations
particulières.
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90 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

T ITRE I
L’expropriation
pour cause d’utilité publique
Le recours à l’expropriation, on l’a déjà signalé, est très fréquent. Il constitue aujour-
d’hui l’un des aspects essentiels de la politique foncière et d’urbanisme des collectivités
publiques.

> C HAPITRE INTRODUCTIF


L’ÉVOLUTION HISTORIQUE
● Sous l’Ancien Régime, on estimait que le roi possédait sur le sol un « domaine
éminent », les particuliers n’ayant qu’un domaine utile. Ce domaine utile pouvait être
réitéré par « lettres patentes ». Les abus furent nombreux.
● Les Révolutionnaires posent le principe (art. 17, Déclaration des droits) que « La
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est quand
la nécessité publique légalement constatée l’exige évidemment et sous la condition
d’une juste et préalable indemnité. » Ainsi admet-on l’obligation de constater régu-
lièrement l’existence d’un intérêt public, le paiement d’une indemnité équitable et le
caractère préalable de cette indemnité.
● Sous le Consulat et l’Empire, le Code civil (art. 545) développe les principes de

1789, substituant les termes « d’utilité publique » à ceux de « nécessité publique ». La


loi du 8 mars 1810, première grande loi relative au régime de l’expropriation, pose le
principe de la compétence du juge judiciaire pour procéder au transfert de propriété
et fixer l’indemnité.
● La monarchie de Juillet vit le développement de procédures simplifiées et d’urgence.
Surtout, la loi du 7 juillet 1833 conféra la compétence en matière d’indemnité de
dépossession à un jury de propriétaires, qui, espérait-on, serait moins généreux que
les tribunaux judiciaires. La loi du 3 mai 1841 reprit toutes ces règles et devint la
Grande Charte de l’expropriation.
● Vers la fin de la troisième République, la procédure de fixation de l’indemnité fut

modifiée : en particulier, les évaluations seront faites, à partir du décret-loi du 8 août


1935, non plus par un jury de propriétaires, mais une commission arbitrale d’évalua-
tion (un magistrat, des représentants de l’administration et de la propriété privée).
La notion d’utilité publique s’étend. Les procédures particulières deviennent plus
nombreuses.
●L’ensemble de ce système ne donna toujours pas satisfaction : lenteur, indemnités
mal calculées, procédures trop variées.
● Sous la quatrième République on ne remédiera guère à ces défauts, la matière resta
très complexe. Deux procédures particulières furent créées : la loi du 6 août 1953 (loi
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 97

e
2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 91

foncière) facilite l’acquisition de terrains nécessaires à la construction d’habitations ;


la loi-cadre du 7 août 1957 permet au gouvernement de fixer par décret une réforme
de l’expropriation.
● La cinquième République transforma profondément le régime de l’expropriation
par l’ordonnance du 23 octobre 1958. La procédure administrative est modifiée,
l’indemnité peut être fixée avant la fin de la procédure administrative, elle est fixée
par un juge spécialisé, le juge foncier. La plupart des procédures spéciales sont
supprimées, mais, par ailleurs, on crée des règles facilitant les opérations complexes.
● De nombreux textes réglementaires d’application virent le jour (ex. RAP, 19 mai
1959 relatif à la déclaration d’utilité publique de certains travaux). Une nouvelle loi,
celle du 26 juillet 1962 remplace le juge unique par une chambre de l’expropriation.
Elle apporte des règles strictes à l’évaluation du bien, organise le droit de préemption
dans les ZUP et les ZAD. La loi du 10 juillet 1965 revient au juge unique. Elle a été
complétée par des décrets du 19 octobre 1966. De nouveaux projets sont en cours
d’élaboration.
● Le Conseil constitutionnel a été amené à faire application de l’Art. 17 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.


● La plupart des décisions ne portent pas sur le droit de l’expropriation, mais le Conseil
constitutionnel a précisé le statut du droit de propriété. Celui-ci demeure un droit
fondamental, même si ses finalités et ses conditions d’exercice ont subi une évolution
caractérisée. Pour le Conseil constitutionnel, il convient, pour juger de la limitation
de ce droit, de mettre en balance, d’une part l’ampleur de l’expropriation, d’autre part
l’importance des garanties de fond et de procédure prévues au profit du propriétaire
dépossédé.
● Dans une décision du 25 juillet 1989, (RFDA 1989, p. 1009 et s.), le Conseil
constitutionnel a pris position à propos de la procédure d’expropriation sur la notion
de « juste et préalable indemnité ».
● Les textes relatifs à l’expropriation sont aujourd’hui regroupés dans le Code de
l’expropriation (partie législative et partie réglementaire), (v. pour des commentaires
détaillés, Hostiou, Code de l’expropriation, Litec, 8e éd., 2002).
Il faut tenir compte de l’abondante jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme. Il faut surtout appliquer l’art. 6/1 de la Convention relative au droit à
un procès équitable. Par ailleurs, la Cour a sanctionné la France à plusieurs reprises
(on y reviendra) ; ex. : CEDH, 24 avril 2003, Yvon c/ France à propos du rôle du
commissaire du gouvernement (v. p. 110) ; CEDH, 22 avril 2002, Lallement c/ France
à propos de la réquisition d’emprise totale (v. p. 119), CEDH, 2 juillet 2002, Motais
de Narbonne c/ France à propos des plus-values (v. p. 113). La Cour de cassation et le
Conseil d’État vont tenir compte, au moins partiellement, de cette jurisprudence
européenne.
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92 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> C HAPITRE I
LES CONDITIONS DU RECOURS
À L’EXPROPRIATION

Si c’est de l’État qu’émane le déclenchement de la procédure, il n’est pas le seul titulaire


du droit d’exproprier, ni le seul bénéficiaire.

§ 1 - T ITULAIRES ET BÉNÉFICIAIRES DU DROIT D ’ EXPROPRIER


A. Les titulaires du droit d’exproprier
● Étant donné la gravité de la mesure que constitue l’expropriation, celle-ci ne pouvait
être poursuivie à l’origine que par les collectivités publiques territoriales. Cette
possibilité a été étendue aux établissements publics, quelle que soit leur nature (CE,
17 mars 1972, Min. Santé publique c/ Levesque, p. 230).
La possibilité de recourir à l’expropriation a été reconnue au profit de certains
particuliers : les divers concessionnaires de travaux publics, de mines, de chutes d’eau,
d’opérations d’urbanisme, etc., à certains autres particuliers nommément désignés :
propriétaires de sources thermales, Cie nationale du Rhône, les caisses de Sécurité
sociale (CE, 17 janv. 1973, Sieur Ancelle et autres, p. 58), etc. Plus généralement les orga-
nismes privés chargés d’un service public peuvent être titulaires du droit d’exproprier.
● Les communes peuvent exproprier pour la création de voies publiques, des terrains
situés sur une autre commune (CE, 6 mars 1981, Assoc. défense des habitants quartier
Chèvre Monte et autre, p. 125). Mais le préfet peut juger du bien fondé de l’expro-
priation et éventuellement refuser de prendre une déclaration d’utilité publique (CE,
20 mars 1991, Cne du Prat, AJDA, p. 651).
B. Les bénéficiaires de l’expropriation
● Tous les titulaires du droit d’exproprier peuvent être eux-mêmes bénéficiaires de
l’opération. Mais il existe des bénéficiaires de l’expropriation qui ne peuvent pas recou-
rir eux-mêmes à l’expropriation, une collectivité publique devant agir à leur place.
● Il en va ainsi en particulier des expropriations au profit des constructeurs privés (loi
foncière de 1953), expropriation de terres au profit des Safer (Décr. 1962). Le Conseil
d’État a admis plusieurs hypothèses d’expropriation au bénéfice d’entreprise d’intérêt
général. Déjà, dans l’arrêt Vézia du 20 décembre 1935, p. 1212, il avait admis l’expro-
priation au profit de sociétés indigènes de prévoyance. Peuvent être bénéficiaires de
l’expropriation des organismes internationaux (CE, 25 juill. 1986, Girod de l’Ain, RFDA
1986, p. 956 à propos du CERN) ou des États étrangers.

§ 2 - L ES BIENS SUSCEPTIBLES D ’ EXPROPRIATION


L’expropriation porte essentiellement sur la propriété des immeubles.
Cette notion mérite cependant certaines précisions :
L’expropriation ne pouvait porter en principe que sur la plénitude du droit de
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 93

propriété. L’ordonnance de 1958 a prévu la faculté d’expropriation de droits réels


immobiliers (c’est-à-dire de servitudes, ce qui aboutit à leur extinction).
On ne peut exproprier les biens du domaine public.
● Il existe un cas d’expropriation des meubles, celle des brevets d’invention concernant
la défense nationale (loi 30 oct. 1935).

§ 3 - L ES BUTS DE L ’ EXPROPRIATION
L’expropriation doit être justifiée par un motif d’utilité publique, c’est-à-dire, comme
l’affirme le Conseil d’État, d’intérêt général. Cette notion, très limitée au début du
XIXe siècle, s’est considérablement étendue, l’expropriation devenant un moyen d’ac-
tion normal et courant de l’État. Cette évolution résulte aussi bien de la législation
que de la jurisprudence.
Il en résulte que l’expropriation devient le mode normal et non plus exceptionnel
d’acquisitions de terrains auquel recourt l’administration pour mettre en œuvre ses
activités.
A. L’élargissement législatif
Le nombre de textes permettant le recours à l’expropriation est considérable. On citera,
à titre d’exemple, dans le domaine social, la loi du 7 février 1953 pour permettre
l’accession à la petite propriété, dans le domaine sportif, les lois de 1925, 1941, 1946
pour faciliter les installations d’éducation générale et sportive, dans le domaine
agricole, la loi du 23 mai 1943, pour permettre l’exploitation de terres mal exploitées,
dans le domaine de l’hygiène, la loi du 16 décembre 1964, relative à l’expropriation
destinée à éviter la pollution des eaux, dans le domaine de la construction et de
l’urbanisme, la loi relative à la disparition des bidonvilles (loi du 16 déc. 1964 et
12 juill. 1965) réalisations des opérations d’urbanisme telles que les zones à urbaniser
en priorité et à la rénovation urbaine (Déc. 31 mars 1958). Particulièrement importante
est la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967 qui a permis l’expropriation
pour constituer des réserves foncières (mod. par loi 18 juin 1985). Ce ne sont là que
quelques exemples dans un ensemble de textes complexes. On signalera encore le
récent décret du 17 oct. 1995 permettant l’expropriation en cas de risque de catastrophe
naturelle et la création d’un fonds de prévention permettant l’indemnisation (v. ci-
après).
B. L’élargissement jurisprudentiel
● Le Conseil d’État admet que l’expropriation est légale chaque fois que l’opération
est entreprise dans un but d’intérêt général. Or, la conception de l’intérêt général
devient de plus en plus large : besoins culturels d’une commune, installation d’un
musée, logement d’un secrétaire général de préfecture ou de personnels civils des
ateliers des aérodromes, construction d’une auberge de jeunesse, etc. Une commune
peut même poursuivre l’expropriation hors de son territoire (CE, 6 mars 1981, Assoc.
quartier de Chèvre morte, p. 125). Une expropriation peut avoir lieu pour satisfaire
l’intérêt d’une organisation internationale ou d’un État étranger (CE, 28 juin 1957,
Oribus, p. 428).
(Ex. récent : CE, 18 juin 2003, Assoc. fonc. urbaine : terrains ensablés Cap-Ferrat : le
fait que l’opération porte essentiellement sur des terrains appartenant à des associations
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94 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

qui auraient pu elles-mêmes réaliser une partie des travaux n’enlève pas le caractère
d’utilité publique à l’opération.)

a) Le contrôle du détournement du pouvoir


● Le juge contrôle de façon traditionnelle si l’opération d’expropriation n’a pas
constitué un détournement de pouvoir. Ainsi, le Conseil d’État a toujours jugé
que la déclaration d’utilité publique ne pouvait être prise dans le seul intérêt
financier de l’expropriant, qu’il s’agisse de réaliser des profits (CE, 20 oct. 1961,
White, p. 1063 ; expropriation sous prétexte de créer un square, mais en réalité
pour revendre des terrains) ou de faire des économies (CE, 20 mars 1953, Bluteau,
p. 691, S 1953.3.80, apparemment il s’agit d’exproprier pour l’exécution d’un plan
de reconstruction, mais en réalité il s’agit d’échapper aux clauses d’un bail très
onéreux).
● L’expropriation ne doit pas satisfaire de simples intérêts privés : c’est le cas d’une
petite commune qui exproprie en apparence pour créer un centre de développe-
ment du sport équestre, pouvant servir de foyer de préparation à de grands
concours, mais en réalité il s’agit uniquement de satisfaire un intérêt purement
privé d’un cercle hippique qui cherche un terrain (CE, 4 mars 1964, Vve Borderie,
p. 157 AJ 1964). Il en va de même de l’acquisition d’un château par une commune
dont la seule préoccupation est d’éviter l’achat de ce château par une personne
étrangère à la commune (CE, 6 janvier 1967, Boucher, p. 827, AJDA 1967, p. 292)
ou de l’expropriation d’une voie privée qui a pour unique objet de permettre la
solution d’un litige qui s’était élevé entre des voisins (CE, 13 nov. 1987, Decou, DA
1987 no 654).
● Si le Conseil d’État sanctionne le détournement de pouvoir, encore faut-il que la
protection des intérêts financiers ou des intérêts privés ait réellement été le but
déterminant de l’expropriation. Le simple fait qu’une expropriation qui a des
objectifs réels d’intérêt général et d’utilité publique, ait aussi pour conséquence,
accessoirement, d’enrichir la commune, des promoteurs ou de créer des plus-values
pour les propriétés riveraines ne la rend pas illégale. La plupart des expropriations
légales entraînent des profits accessoires au profit de telle collectivité ou de telle
personne.
● Particulièrement intéressant et important à cet égard est un arrêt Ville de Sochaux

(CE, 20 juillet 1971 p. 561 ; AJDA 1972, p. 227). Une expropriation avait été
poursuivie pour établir une déviation routière rendant plus aisée la circulation très
dense entre Sochaux et Montbéliard. Cette expropriation favorise en réalité essen-
tiellement les usines Peugeot. Pourtant le Conseil d’État admet la légalité de
l’expropriation, car « il est conforme à l’intérêt général de satisfaire à la fois les
besoins de la circulation publique et les exigences du développement d’un ensemble
industriel qui joue un rôle important dans l’économie régionale ». De même,
peut-on légalement créer un chemin propre à désenclaver une ferme de montagne
dans le cadre des programmes de maintien en activité des zones montagneuses (CE,
21 nov. 1990, Labit, p. 133 D. 1991, SC, p. 400).
● Parfois le juge va même plus loin : il n’y a pas détournement de pouvoir
lorsqu’une commune tente par le moyen de l’expropriation de réaliser une opéra-
tion d’intérêt général au moindre coût (CE, 7 déc. 1983, Cne de Lauterbourg, p. 491
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 95

D 1984 p. 583 ; la création d’une base de loisir facilite aussi l’exploitation d’une
gravière privée).
Aujourd’hui, et depuis le développement du contrôle de « l’utilité publique » (v. ci-
après) le détournement de pouvoir est rarement retenu.

b) Le contrôle direct de l’utilité publique


Avant le très important revirement de jurisprudence que constitue l’arrêt Ville
nouvelle-Est de 1971, le contrôle du juge était limité, tout en se renforçant
progressivement. On pouvait distinguer plusieurs hypothèses :
● Parfois il y avait une sorte d’appréciation concrète de l’utilité publique. Il s’agissait
de cas où l’expropriation était poursuivie en vue d’objets dont l’utilité publique
n’était pas certaine a priori. On trouve un certain nombre d’exemples : à propos
de la construction d’un établissement pouvant servir d’hôtel et de casino à Nice, le
Conseil d’État admet l’utilité publique après examen des circonstances de l’affaire
(CE, 12 avril 1967, Sté nouv. des entreprises d’hôtels, p. 154 ; AJDA 1967, p. 291). Il
prend une position opposée à propos de l’expropriation dont le but est de créer
un jeu de boules en se référant aux circonstances de l’espèce (CE, 28 octobre 1964,
Dame Hue, AJDA 1965, p. 301).
● Généralement l’objet de l’expropriation apparaît a priori comme étant d’utilité
publique (par ex. pour les besoins d’un service public). Le contrôle du juge, dans
ce cas, était très limité : il suffisait au juge que le but final invoqué par l’adminis-
tration soit d’utilité publique pour que l’expropriation soit déclarée légale. Le juge
se livre à une simple appréciation abstraite sans envisager les circonstances de
l’affaire. À cette époque le juge estimait que s’il approfondissait son contrôle, il
entrerait dans le contrôle de l’opportunité.
● L’administration pouvait donc se borner à déclarer que l’expropriation avait pour
objet p. ex. la création d’une voie publique (CE, 29 juin 1949, Bernard, p. 315)
pour que le juge la déclare légale. Le juge ne se demandait pas, s’il y avait dans les
circonstances de l’espèce, une véritable utilité publique à ouvrir une voie publique.
Le juge ne contrôlait pas davantage le choix des parcelles, la localisation des
ouvrages à construire ; surtout, il ne contrôlait pas si le but poursuivi correspondait
aux besoins réels de la population ; il ne prenait pas en compte non plus les
possibilités financières relatives de l’expropriant par rapport à l’opération envisagée
(par ex. une énorme dépense pour une petite commune).
● Ainsi, la plupart des expropriations étaient considérées comme légales car
l’immense majorité des expropriations sont bien poursuivies dans un but d’utilité
publique considéré de façon aussi abstraite. Alors que le contrôle sur la procédure
d’expropriation était déjà développé, le contrôle sur la réalité de l’utilité publique
de l’opération était quasi-inexistant.
Peu à peu, sans modifier fondamentalement sa jurisprudence le Conseil a, dans
certains arrêts, étendu son contrôle. Dans la fameuse affaire des « boues rouges » de
Cassis, le juge était déjà allé assez loin. L’expropriation avait pour but de réaliser,
de construire une canalisation pour évacuer des résidus chimiques d’une usine
d’aluminium. L’utilité publique était certaine, le Code minier y faisant d’ailleurs
directement allusion. Dans cette affaire le Conseil d’État, certes rejette le recours
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96 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

en annulation, mais il procède à un examen des faits, et constate finalement que


l’opération ne présentait pas les risques pour la santé, la flore, qui étaient mis en
avant par les requérants (CE, 18 mars 1968, Cne de Cassis, p. 189 AJDA
1968, p. 471).
● Le renversement de jurisprudence allait se produire avec l’arrêt Ville nouvelle

Est du 28 mai 1971, p. 409, concl. Braibant, AJDA 1971, p. 405). En l’espèce, des
expropriations avaient été poursuivies près de Lille pour créer à la fois une
agglomération de 20 000 habitants (aujourd’hui Villeneuve-d’Ascq) ainsi qu’un
complexe universitaire de 25 000 étudiants. L’utilité publique du projet en lui-
même ne faisait aucune doute. Le Conseil d’État, certes, rejette le recours, mais il
procède à un examen concret des éléments ; il met les avantages et les inconvénients
dans la balance, et conclut, en l’espèce au poids plus grand des avantages sur les
inconvénients. C’est la théorie du bilan.
● Le juge ira beaucoup plus loin encore avec l’arrêt Sté civile Sainte-Marie de

l’Assomption (CE, 20 octobre 1972 Ass. p. 657, AJDA 1972, p. 576). Le juge eut à se
prononcer sur l’utilité publique de la construction de l’autoroute nord de Nice,
qui devait relier la Provence à l’Italie en contournant Nice. Le juge devait aussi se
prononcer sur l’utilité publique des ouvrages reliant l’autoroute aux voies urbaines
de Nice, grâce à une bretelle et un échangeur. Cette opération menaçait l’hôpital
psychiatrique Sainte-Marie-de-l’Assomption, établissement privé, mais pratique-
ment seul établissement de ce type dans le département où il n’y avait pas d’hôpital
psychiatrique public. L’autoroute entraînait la destruction d’un bâtiment de quatre-
vingt lits, la bretelle surplombant l’hôpital interdisait toute extension de l’hôpital ;
quant à l’échangeur il imposait la démolition d’un réfectoire et privait l’hôpital de
ses espaces verts. Le Conseil d’État fit un arbitrage nuancé entre les deux
intérêts publics en cause : la démolition du bâtiment de quatre-vingts lits pouvait
se concevoir, ne contrebalançant pas l’intérêt de la construction de l’autoroute,
la construction de la bretelle de raccordement aurait en revanche créé autour de
l’hôpital, une zone de circulation intense entraînant un fort bruit, et privé l’éta-
blissement de ses espaces verts et de toute possibilité d’extension. La construction
de la bretelle fut donc annulée.
Aujourd’hui, le juge estime « qu’une opération ne peut être légalement déclarée
d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et
éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts
publics qu’elle comporte, ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle
présente ». (À propos du camp du Larzac, CE, 5 mars 1976, Tarlier et autres,
p. 130.) Le contrôle du juge se rapproche d’un contrôle de l’opportunité de
l’opération (CE, 26 oct. 1973, Grassin, p. 598, coût financier excessif). Même
l’intérêt écologique peut être invoqué par le juge (CE, 25 juill. 1975, Syndicat CFDT,
Rev. jur. environnement, 1976, p. 63 ; CE, 29 déc. 1977, Min. Équip. c/ Sieur Weber,
Rev. jur. environnement, 2/1978, p. 181), but de meilleure défense de l’environne-
ment, si les mesures de protection ne sont pas suffisantes (p. ex acquisition par le
Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (CE, 12 avr. 1995, Conser-
vatoire..., AJDA 1995, p. 660). Toujours en ce qui concerne la défense de l’envi-
ronnement, annulation d’une DUP autorisant la création d’un sentier pédestre situé
en bordure de rivière et visant à permettre au public de découvrir un ensemble
paysager et patrimonial (incidences excessives sur l’environnement, CAA Nantes
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 97

27 sept. 2005, Mme Marie-Louise Savelli, AJDA 2006, p. 604, note Hostiou) ou
l’intérêt d’un monument historique (CE, Ass. 3 mars 1993, Cne de Saint-Germain-
en-Laye, AJDA 1993, p. 384). Le juge tient largement compte aujourd’hui des efforts
de l’administration pour réduire les nuisances (p. ex. en ce qui concerne les
autoroutes, CE, 9 déc. 1994, Assoc. des riverains de l’autoroute A 12 et autres, RFDA
1995, p. 217 ; CE, 26 avril 2006, Assoc. pour RN 89, RDI 2006, p. 194). Le juge tient
compte de mesures d’aménagement compensatoires (CE, 18 juin 1997, Assoc.
Quartiers, AJDA 1998, p. 267). Il y a véritablement mise en balance des avantages
et des inconvénients d’une opération. C’est la théorie du bilan. Ex. : annulation
d’une DUP car si l’opération envisagée contribue à améliorer la circulation, elle est
aussi de nature à accroître les risques et nuisances pour les populations (CE, 19 mars
2003, Ferrand, cité AJDA 2003, p. 2224).
Inversement, étant donné les mesures prises pour protéger la flore et la faune, le
projet de déviation d’une route ne comporte pas d’inconvénients excessifs (CE,
13 déc. 2002, Assoc. pour la sauvegarde, AJDA 2003, p. 1048).
● Toutefois, entre plusieurs possibilités « légales », l’administration a un choix
discrétionnaire (CE, 22 févr. 1974, Adam, p. 145, 24 janv. 1975, Sieur Gorlier et
Bonifay, p. 53). Ainsi, si le tracé d’une autoroute constitue un élément de légalité
soumis au contrôle du juge, il reste que l’autorité compétente n’est nullement tenue
de choisir le meilleur tracé possible, et qu’entre plusieurs tracés possibles dont
aucun ne met en cause l’utilité publique de l’ouvrage public projeté, elle doit
rester libre de son choix (concl. Gentot dans aff. Adam op. cit.). Toutefois, le refus
de contrôle par le Conseil d’État de solutions alternatives est souvent critiqué
(v. B. Seiller, favorable à un contrôle de la légalité « extrinsèque », AJDA 2003,
p. 1472 et s.).
Travaux relatifs au prolongement ouest du Trans Val-de-Marne (CE, 7 févr. 2003,
Sté Rungis Delata, AJDA 2003, p. 751).
● Une expropriation peut aussi perdre son utilité publique quand les terrains
revendiqués seraient mieux utilisés par leurs propriétaires qui deviennent en quel-
que sorte meilleurs défenseurs de l’intérêt général (CE, 20 févr. 1987, Ville de
Lozanne c/ Époux Fischnaller, RFDA 1987, p. 533, D. 1989, p. 126-130), mais la
défaillance de l’initiative privée ou même l’hypothèse que l’administration substitue
son projet à celui sensiblement identique des particuliers, ne rend pas sans objet
une DUP (v. p. ex. CAA Paris, 16 juin 1994, Min. de l’Intérieur et de la Sécurité
publique, AJDA 1994, p. 808).
– Il faut constater que dans la pratique et même depuis 1971, les annulations ne
sont pas très fréquentes, surtout s’il s’agit d’opérations de grande envergure, telles
les centrales nucléaires, les autoroutes, les trains à grande vitesse (CE, 4 mai 1979,
Dpt de la Savoie, p. 185. Centrale nucléaire de Malville-rejet ; CE, 23 janv. 1985,
Cté de défense... D., 1986 IR, p. 412, TGV Atlantique-Rejet ; 3 déc. 1990, Ville
d’Amiens, D., 1991, SC, p. 902 – TGV Nord-rejet) ; DUP TGV Sud-Est (Valence-
Marseille-Montpellier) (CE, 17 nov. 1995, Union juridique Rhône-Méditerranée,
RFDA 1996, p. 154, Rejet ; CE, Ass. 28 mars 1997, M. de Malafosse, Autoroute
Rouen-Alençon (malgré les conclusions partiellement contraires du commissaire du
gouvernement Delarue) ; v. aussi Féd. des Ctés de défense..., même jour, RFDA 1997,
p. 656, no 7, RFDA 1997, p. 754 et s. ; de même pour la ligne ferroviaire Noisy-le-
Roy-Saint Germain en Laye, CE, 21 avr. 1997, Mlle Jubert et autre, RFDA 1997,
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 104

98 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

p. 659, no 9). Les annulations portent le plus souvent sur des opérations de faible
importance (CE, 24 juill. 1987, Min. Inter. c/ Époux Denizet, RFDA 1987, p. 866
CE, 25 nov. 1988, Cne de Plessis-Feu-Aussous, RFDA 1989, p. 161). Il existe aussi
des exemples d’annulation pour des opérations plus importantes (CE, 31 janv.
1986, Mlle Lansac, RDP, 1987, p. 840, projet de constitution de réserves foncières
à Toulouse) ou parce que l’opération est déraisonnable (CE, 26 mars 1980, Premier
ministre c/ Mme Vve Beau de Loménie, p. 171 – création d’une énorme station
touristique à l’Île d’Oléron) ou parce que pour une opération de moyenne impor-
tance (bretelle de desserte) il y a danger pour les riverains et des nuisances
acoustiques (CE, 11 mars 1996, Min. Équip. et Logt, RFDA 1996, p. 612) ; v. aussi
annulation d’une DUP pour la construction d’une route près d’un rivage ; utilisa-
tion injustifiée d’un texte admettant une dérogation (CE, 4 oct. 1996, Assoc. Déf. et
protect. de l’environnement de Pleurtuit et autres, RFDA 1196, p. 1262). Est d’utilité
publique : le projet d’aménagement d’une aire d’accueil de nomades qui répond à
l’obligation faite aux communes de plus de 5 000 habitants de réserver certains
terrains à cet effet (CE, 18 juin 1997 Assoc. de quartier La Chambrée, l’Oisonière, la
Gemmetruie, la Moricerie, AJDA 1997, p. 267).
● Surtout, il faut souligner, que dans une décision récente (CE, 28 mars 1997,

Assoc. contre le projet d’autoroute transchablaisienne (Annemasse-Thonon), AJDA


1997, p. 545 ; RFDA 1997, p. 656, no 8 ; 1997, p. 46) le juge a annulé, en se fondant
non pas sur un vice de forme, mais sur la théorie du « bilan », la DUP portant sur
cette autoroute. Il s’agit d’une première. Les commentaires relatifs à cette affaire
ont été très nombreux. En l’espèce, le Conseil d’État a estimé que le coût de la
construction était trop élevé par rapport au trafic attendu. L’intérêt de l’opération
était « limité » (a contrario : la liaison routière de l’autoroute A 16 au port de
Boulogne-sur-Mer est légale, CE, 17 juin 1998, M. et Mme Bracqbien, AJDA 1998,
p. 640). Autre ex. d’annulation d’une expropriation apparemment importante : le
projet de barrage pour favoriser la production d’huîtres à Marennes-Oléron et de
soutenir les débits d’étiage de la Charente et de la Botonne n’a qu’un intérêt limité ;
les inconvénients sont majeurs et le coût élevé. Absence d’utilité publique (CE,
22 oct. 2003, Assoc. SOS Rivières et environnement, RFDA 2003, p. 1261). En ce qui
concerne les gorges du Verdon, le Conseil d’État après avoir rejeté une demande
de référé-suspension (CE, Ord. réf., 24 févr. 2006, Assoc. interdépartementale…,
AJDA 2006, p. 1003) annule finalement la DUP de la ligne à très haute tension
dans ces gorges (CE 10 juill. 2006, Assoc. interdép., AJDA 2006, p. 1413). Il y a un
intérêt exceptionnel à sauvegarder le site. Les atteintes graves portées par le projet
à ces zones d’intérêt exceptionnel excèdent l’intérêt de l’opération et sont de nature
à lui retirer son caractère d’utilité publique. Cette idée qu’un « bilan négatif »
peut aboutir à l’absence d’intérêt public se retrouve dans d’autres arrêts (CE
2 oct. 2006, SCI Les Fournels, AJDA 2006, p. 1868 : « l’atteinte portée à la propriété
privée n’est (dans ce cas) pas justifiée par l’intérêt qui s’attache à l’opération
projetée qui ne peut dès lors être regardée comme présentant un caractère d’utilité
publique ».
● De même le juge considère que l’expropriation est dépourvue d’utilité publique,

si la collectivité disposait elle-même de terrains suffisants pour effectuer l’opération


envisagée (CE, 3 avr. 1987, Consorts Métayer, AJDA 1987, p. 549, RFDA 1987,
p. 531). Surtout, il ne faut pas négliger le fait que la menace juridictionnelle a un
effet préventif important sur l’administration.
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 99

L’expropriation doit être compatible avec les réglementations d’urbanisme (loi du


30 sept. 1967, art. 17) mais l’application de cette règle est délicate (CE, 13 oct.
1976, Min. Amén. territ. c/ Cognet, p. 412).

c) Le contrôle de l’expropriation par le Conseil d’État, juge de cassation


● Depuis que le Conseil d’État est devenu juge de cassation, se pose le problème,
essentiel, du contrôle du juge de cassation sur la notion d’utilité publique (v. Mé-
mento Contentieux administratif). L’utilité publique relève-t-elle de l’appréciation
souveraine du juge du fond, ou au contraire, est-on en présence d’une qualification
juridique des faits soumise au contrôle du juge de cassation ?
● Dans un important arrêt de section (Conseil d’État, S, Salva-Couderc, 3 juillet

1998, AJDA 1998, p. 847) suivant les conclusions de M. Hubert, commissaire du


gouvernement, le Conseil d’État a finalement penché pour un contrôle par le juge
de cassation de l’utilité publique de l’opération. Il s’agissait en l’espèce de
l’opération d’expropriation par la commune d’Uzès de l’immeuble de l’ancienne
poste dont était propriétaire Mme Salva-Couderc. Celle-ci soutient devant le juge,
l’absence d’utilité publique de l’opération. Le Conseil d’État, dans son arrêt très
motivé, relève que « la cour administrative d’appel a relevé dans les motifs de son
arrêt que cet immeuble était destiné à abriter un ensemble de services publics
municipaux, tels que le comité des fêtes et l’office municipal de la culture, d’autres
services publics tels qu’un bureau de l’agence nationale pour l’emploi ainsi que des
activités d’intérêt général (club du troisième âge), qu’il formait avec l’hôtel de ville
auquel il était contigu, un ensemble architectural permettant à terme une réorga-
nisation plus rationnelle de l’ensemble des services municipaux, et qu’il n’était pas
établi que d’autres locaux situés à proximité immédiate de la mairie auraient pu
remplir la même fonction ; que la Cour a pu légalement déduire de l’ensemble
de ces constatations qui ne sont entachées d’aucune dénaturation que l’opération
d’expropriation de l’immeuble présentait un caractère d’utilité publique ». En
revanche, mais on est en dehors de l’utilité publique, « en estimant que l’acquisition
de l’immeuble était sérieusement envisagée par la commune d’Uzès avant l’intro-
duction même d’une procédure judiciaire en résiliation du bail qui avait été consenti
à la commune, et qu’ainsi le détournement de pouvoir allégué n’était pas établi, la
Cour s’est livrée à une appréciation souveraine qui en absence de dénaturation des
faits de la cause, n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge de cassation ».
● Cette jurisprudence a été confirmée. Ainsi, dans un arrêt Cne de Volvic (CE,
2 juillet 1999, RFDA 1999, p. 1117), il s’agissait de fournir des terrains pour
permettre l’extension de la société des eaux de Volvic. Pour le juge de cassation, la
Cour n’a pu déduire l’absence d’utilité publique de l’opération de la seule existence
de terrains appartenant déjà à la société (et qui auraient pu servir éventuellement
à l’extension) « sans avoir recherché si ceux-ci, notamment par leur localisation
sur le territoire de la commune ou en dehors, permettaient de réaliser l’opération
dans des conditions équivalentes au regard des intérêts mis en avant par la
commune ». De plus, eu égard au rôle prépondérant joué par la société des eaux
de Volvic dans l’économie locale, la circonstance que l’extension de la zone
artisanale décidée par la commune de Volvic aurait pour rôle principal de répondre
aux besoins de cette société, n’est pas de nature à établir que la déclaration d’utilité
publique de cette opération est entachée de détournement de pouvoir.
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 106

100 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Le Conseil d’État dans ses formations administratives tiendra compte aussi du bilan
coût-avantage (ex. : installation d’une centrale hydroélectrique de la chute de
Rizzanese en Corse du Sud ; bilan finalement positif, Section des travaux publics,
EDCE 2005, p. 90).
d) Contrôle par le Conseil constitutionnel
Ce contrôle peut intervenir lorsqu’il y a une « validation législative » suite à une
déclaration d’utilité publique définitivement ou même non définitivement annulée
par le juge administratif.
C’est ainsi qu’avait été procédé, pour des motifs de légalité externe, relatif au
contenu de l’étude d’impact et à la motivation de la commission d’enquête, à
l’annulation de la déclaration d’utilité publique relative à l’extension des lignes de
tramway. Des élus du Bas-Rhin avaient fait ajouter à la loi – dite de programmation
sociale – un amendement prévoyant que pour les lignes de tramway la mise en
compatibilité des documents d’urbanisme ne peut être contestée sur le fondement
de l’illégalité des arrêtés préfectoraux. Ce « cavalier législatif » avait fait grand bruit.
Le Conseil constitutionnel saisi de la loi de programmation pour la cohésion
sociale annule la disposition avec des considérants très sévères : « Considérant
toutefois que l’intérêt général ainsi poursuivi n’est pas suffisant pour justifier
l’atteinte portée au principe de séparation des pouvoirs et au droit de recours
juridictionnel effectif, qui découlent de l’art. 16 de la Déclaration de 1789, atteinte
d’autant plus importante que la mesure contestée porte sur l’ensemble des lignes
de tramway ayant fait l’objet d’une DUP en 2004 ; qu’il ne justifie pas l’atteinte
portée au droit de propriété garanti par l’art. 17 de la Déclaration de 1789, lequel
exige avant toute expropriation, que la nécessité publique fondant la privation de
propriété ait été légalement constatée » (Cons. const. 13 janv. 2005, RFDA 2005,
p. 293, note Hostiou).
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 101

> C HAPITRE II
LA PROCÉDURE D’EXPROPRIATION

Si la procédure a pour but d’assurer des garanties aux particuliers, il faut aussi qu’elle
permette à l’administration de faire face très rapidement aux besoins croissants de
la collectivité. La multiplication des opérations complexes ne facilite pas cette
conciliation.
Avant 1958 la procédure d’expropriation était très lente. Les trois phases, décision
d’expropriation, transfert de propriété, fixation de l’indemnité devaient se dérouler
successivement. Les procédures spéciales étaient extrêmement nombreuses. La procé-
dure de droit commun devenait l’exception. Les autorités compétentes étaient parfois
difficiles à déterminer. Les procédures de fixation de l’indemnité avaient beaucoup
varié et n’étaient jamais satisfaisantes. La procédure d’expropriation était inadaptée
aux opérations d’urbanisme.
La grande réforme de 1958, complétée par divers textes, a eu pour objet de rendre
la procédure plus rapide et plus simple ; aussi la plupart des procédures spéciales
ont-elles été abolies ; les opérations administratives et judiciaires, tout en restant
distinctes, peuvent être menées simultanément. La fixation de l’indemnité qui avait
donné lieu à bien des difficultés, a été confiée à un juge unique.
Enfin, pour faciliter les travaux importants, l’expropriation a été adaptée aux opéra-
tions complexes.

§ 1 - O PÉRATIONS RELEVANT DE L ’ AUTORITÉ ADMINISTRATIVE


Si la phase administrative subsiste, rien n’empêche, depuis l’ordonnance du 23 octobre
1958, de déclencher immédiatement la procédure de fixation de l’indemnité.
A. La déclaration d’utilité publique
Il faut bien souligner qu’une déclaration d’utilité publique est souvent nécessaire pour
des travaux sans qu’il y ait obligatoirement une expropriation (ex. : rénovation et mise
en sécurité d’un tunnel routier ; CE 9 juin 2004, Assoc. Alsace Nature du Haut-Rhin,
RFDA 2004, p. 856).
La déclaration d’utilité publique est l’acte qui affirme que les travaux à entreprendre
présentent un intérêt général suffisant pour justifier les transferts de propriété néces-
saires. Elle est précédée de la constitution du dossier et d’une enquête préalable.
Les projets déclarés d’utilité publique doivent respecter les documents d’urbanisme ou
du moins s’inscrire dans une relation de compatibilité avec ceux-ci. L’étude détaillée
relève du droit de l’urbanisme (v. art. Brigitte Phémolant, AJDA 2002, p. 1101 et s.).
1. LA CONSTITUTION DU DOSSIER
Le dossier est constitué par l’expropriant et fait connaître le but de l’opération, les
immeubles visés et le coût.
Selon l’art. L. ll-1-1 du Code de l’expropriation issu de la loi sur la démocratie de proxi-
mité (v. p. 104) « L’acte déclarant d’utilité publique est accompagné d’un document
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102 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

qui expose les motifs et considérations justifiant le caractère d’utilité publique de


l’opération ».

a) Il y a d’abord l’hypothèse où l’expropriant ne poursuit que l’acqui-


sition d’immeubles ou ne projette que de réaliser des travaux limités
● L’expropriation n’a donc lieu qu’en vue de la réalisation de travaux ou d’ouvrages

ou en vue de l’acquisition d’immeubles.


Dans ces hypothèses, théoriquement simples, le dossier doit comporter :
– une notice explicative des travaux ;
– un plan de situation ;
– une estimation financière ;
– selon le cas soit un « plan général des travaux projetés » (avec indication des
caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; une « étude d’im-
pact », si les travaux sont susceptibles d’affecter l’environnement) soit une indica-
tion du périmètre délimitant les immeubles à exproprier.
● Il faut souligner l’importance de la notice explicative. C’est la notice explicative

qui détermine les raisons du choix entre les différents partis ou projet projetés.
Ainsi, si un projet initial a été abandonné, il faut donner les raisons de cet abandon.
● Particulièrement important est aussi l’estimation financière. Le service France-

domaine sera en tout état de cause, et sous des formes diverses, appelé à donner
son avis.
L’estimation financière doit aussi comporter « l’appréciation sommaire des dépen-
ses ». La notion d’appréciation est très complexe et variera selon les cas. Il faut que
l’on puisse connaître à peu près le coût réel de l’expropriation, mais le juge n’exige
pas une exacte précision, impossible à fournir (CE, 1er décembre 1993, Assoc. Meylan
Démocratie, JCP 1994, no 22236).
● Lorsqu’on est en présence de travaux, l’expropriant a pour obligation de faire

connaître la « nature et la localisation » des ouvrages projetés mais non pas les
éléments accessoires.
● La grande nouveauté de la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976

est la nécessité d’une étude d’impact (qui ne se limite d’ailleurs pas à l’hypothèse
de l’expropriation).
● Lorsque les décisions relatives à la réalisation des travaux et ouvrages sont

susceptibles de porter atteinte à l’environnement naturel, il faut procéder à une


étude approfondie (« étude d’impact ») pour en mesurer les conséquences sur
l’environnement. Un décret du 12 octobre 1977 (mod. déc. 25 févr. 1993) étend
la nécessité de l’étude d’impact aux « effets indirects » des projets.
● Les opérations effectuée sans « étude d’impact » sont soumises elles aussi à la

nouvelle procédure du « référé-suspension » (art. L. 523-1 du Code de justice


administrative).
● Dans une matière particulière, celle des transports, s’ajoute l’obligation d’une

étude d’évaluation socio-économique, surtout lorsqu’on est en présence des travaux


de TGV, d’autoroutes, d’importants choix technologiques. (CE, Ass., 23 oct. 1998,
Collectif alternative pyrénéenne de l’axe européen ; DA 1998, no 372 : à propos de la
section française du tunnel du Somport entre la France et l’Espagne, même si un
grand projet est divisé en opérations distinctes, il s’agit tout de même d’un grand
projet d’infrastructures). (On est déjà dans l’hypothèse b ; v. infra.)
Le juge exerce un contrôle rigoureux sur la constitution du dossier (CE, 23 janv.
1970 Nell, p. 44, CE, 22 janv. 1988 Assoc. def., req 69327 ; CE, 14 oct. 1991, Assoc.
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 103

dépt. interdéptle et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, RFDA


1991, p. 1014). Le Conseil d’État estime que dans la mesure où les dépenses
pouvaient être chiffrées, l’appréciation sommaire des dépenses entraîne la nullité
de la procédure (CE, 25 févr. 1985 Ville de Rodez, AJDA 1985, p. 296).
L’administration peut parfaitement ne déclarer d’utilité publique qu’une partie du
projet soumis à enquête dès lors que les travaux projetés sont divisibles du reste
des travaux et que les résultats de l’enquête ont fait apparaître la nécessité d’étudier
de nouvelles variantes pour les autres parties de l’ouvrage (CE, 12 juin 1998, M. et
Mme Brabien, RFDA 1998, p. 887).
En revanche lorsqu’on est en présence d’un grand projet d’infrastructure au sens
des dispositions de la loi, il faut que l’évaluation d’ensemble prescrite par ces
dispositions soit adjointe au dossier (à propos d’une route nationale amenant au
tunnel du Somport ; CE, Ass., 23 oct. 1998, Collectif Alternative pyrénéenne à l’axe
européen et autres, RFDA 1998, p. 1273 – annulation car estimation pas jointe)
(v. ci-après).
b) Il y a ensuite l’hypothèse où il s’agit de réaliser des travaux de
grande envergure
● Le droit de l’expropriation doit toujours être en accord avec le droit de l’urba-

nisme (qui ne sera pas étudié ici). L’expropriation doit être compatible avec le
« plan local d’urbanisme » (PLU) ainsi qu’avec les « schémas de cohérence territo-
riale » tels qu’ils ressortent de la nouvelle loi relative à la solidarité et au renou-
vellement urbains du 13 déc. 2000, (loi SRU).
● Pour les très grandes opérations telles que p. ex. la création de zones urbaines,

de travaux de rénovation portant sur des secteurs entiers, les études peuvent porter
sur de longues périodes, souvent sur plusieurs années. Il en résulte qu’il est
pratiquement impossible, au moment où l’opération est déclenchée, de connaître
tout ce qui va être finalement réalisé et surtout de chiffrer le montant global des
dépenses.
● Le problème est finalement complexe : il est en effet pratiquement impossible

à l’administration de donner d’avance toutes les précisions nécessaires, une telle


exigence rendrait impossible les grandes opérations ; il faudrait alors permettre à
l’administration de ne donner que des éléments sommaires, mais on priverait alors
les citoyens d’une information suffisante. Cette solution entraînerait de graves
dysfonctionnements.
● La jurisprudence du Conseil d’État a évolué. S’en tenant à une interprétation

stricte des textes en vigueur à cette époque, il a tout d’abord estimé que l’admi-
nistration devait fournir, comme dans la première hypothèse, toutes les indications
précises (CE, 27 mai 1964, Groupt de défense de l’îlot Firminy-centre ; p. 299, AJ
1964, p. 432.
● Cette jurisprudence s’avérait pleine d’inconvénients. Peu à peu le Conseil d’État,

donnant une interprétation peu orthodoxe des textes, a autorisé l’administration à


ne porter au dossier que les documents relatifs à l’acquisition chaque fois qu’à
l’époque de l’enquête préalable, l’étude du programme de travaux ou d’ouvrages
n’était pas assez avancée. À un certain moment il a même admis que cette
procédure, qui aurait dû rester exceptionnelle, pouvait devenir la règle.
● Revenant sur sa jurisprudence trop libérale pour l’administration, le Conseil

d’État, dans un important arrêt Ellia (CE, Ass., 24 janv. 1975, p. 55 ; AJDA 1976,
p. 128 et p. 142) n’accorde à l’administration la faculté de dissocier les opérations
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104 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

que pour les grands travaux d’urbanisme et d’aménagement du territoire lorsque


l’administration a besoin des terrains pour la réalisation d’objectifs simplement
précisés dans ses grandes lignes et aussi dans le cas d’urgence, pour éviter une
spéculation.
● Mais comme on l’a fort bien fait remarquer (Chapus), cette interprétation

jurisprudentielle, même plus restrictive que la jurisprudence antérieure, allait à


l’encontre des textes en vigueur. Aussi le décret du 14 mai 1976 reprend la
jurisprudence du Conseil d’État. Le décret autorise le recours au dossier simplifié
pour « la réalisation d’une opération d’aménagement ou d’urbanisme importante,
lorsqu’il est nécessaire de procéder à l’acquisition des immeubles avant que le projet
ait pu être établi » (v. Code expr., art. R. 11-3. II). Ce nouveau texte a été
fréquemment appliqué (ex : CE S., 20 juin 1997, Cons. Bruard, AJPI 1998 p. 49).
La déclaration d’utilité publique peut aussi ne porter que sur une partie d’un projet
soumis à l’enquête, dès lors que les travaux sont divisibles (CE, 12 juin 1998, M. et
Mme Bracqbien, Liaison A 16 – port de Boulogne-sur-Mer, RFDA 1998, p. 887).
Mais il faut souligner que la modification des caractéristiques essentielles d’une
opération déclarée d’utilité publique par une décision ultérieure, relative à la
réalisation effective des travaux, constitue une violation de la DUP primitive. Il
faut donc une nouvelle DUP qui peut éventuellement ne porter que sur la partie
du projet concernée par les modifications (CE, 2 juill. 2002, Cne de Beauregard de
Terrasson..., AJDA 2002, p. 751).
● Il faut tenir compte aussi, de l’importante loi du 27 février 2002 relative à la

« démocratie de proximité » et en particulier du titre IV de la loi intitulé (on y


reviendra à plusieurs reprises) « De la participation du public à l’élaboration des
grands projets » (v. aussi rapport du Conseil d’État, L’utilité publique aujourd’hui,
La Documentation française 1999 ; et Helin et Hostiou, article à l’AJDA, avril 2002
p 291 et s.) Une intéressante application de ces dispositions a été faite par le TA de
Paris en ce qui concerne l’important projet de tramway sur les boulevards des
maréchaux (TA Paris 18 juin 2004, AJDA 2005, p. 160, note Pierre Bon). Le juge
estime que le droit des déclaration de projet s’applique (à l’époque) nonobstant
l’absence de décret d’application. Ces déclarations de projet sont des actes faisant
grief susceptibles en principe de recours contentieux directs. Elles doivent être
suffisamment motivées (en l’espèce rapport insuffisant ; annulation).
● Il existe depuis 1995 une Commission nationale du débat public. Cette commis-

sion n’intervient pas seulement en matière d’expropriation. Il s’agit d’organiser un


« débat public » pour les grandes opérations d’aménagement d’intérêt national.
Depuis la loi du 27 février 2002 et le décret du 23 oct. 2002 (op. cit.) elle doit
« veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des
projets qui lui sont soumis », elle « doit veiller au respect des bonnes conditions
d’information du public durant la phase de réalisation des projets... ; jusqu’à la
réception des équipements et travaux » ; elle doit enfin « émettre des avis et
recommandations à caractère général ou méthodologique de nature à favoriser et
développer la concertation avec le public ».
Depuis la nouvelle loi, la Commission nationale est saisie obligatoirement
« de tous les projets d’aménagement ou d’équipement qui par leur nature, leurs
caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel, tel qu’il peut être évalué lors de
la phase d’élaboration, répondent à certains critères ou excédent des seuils fixés par
décret en Conseil d’État ». Elle peut être saisie aussi (saisine facultative) pour d’autres
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 105

opérations, dont les seuils sont inférieurs à ceux de la saisine obligatoire, mais
dépassent un autre seuil inférieur. Les seuils sont fixés par décret en Conseil d’État.
La commission peut être saisie aujourd’hui par certains élus, certaines collectivités,
le maître d’ouvrage, par les associations agréées chargées de la protection de
l’environnement.
La loi organise avec précision les modalités de participation du public. À l’issue du
débat, le président dresse un bilan et publie un compte-rendu mis à la disposition
du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête (pour une saisine tardive
de la commission au sujet du projet de l’extension d’un aéroport, CE, 8 oct. 2001,
Union fçse contre les nuisances, RFDA 2001, p. 1320.).
2. L’ENQUÊTE PRÉALABLE
Cette enquête, obligatoire, a pour objet de faire connaître à l’administration, l’avis des
collectivités et des particuliers sur le projet, de recueillir toutes les informations utiles.
Un dossier est constitué par l’autorité expropriante. Il doit être composé différemment
suivant que la déclaration est demandée en vue de la réalisation de travaux ou
d’ouvrages ou de l’acquisition d’immeubles. Le problème de la composition du
dossier a donné lieu à une jurisprudence abondante (CE, 24 janv. 1975, Ellia, p. 54)
(CE, 22 avr. 1977, Sieur Prémolli, p. 180). Ce dossier est transmis au préfet qui désigne
un « commissaire enquêteur » ou une « commission d’enquête ». Après avoir recueilli
divers avis, dont certains peuvent être obligatoires (Commission de contrôle des
opérations immobilières) le commissaire ou la commission émet un avis favorable ou
défavorable. Depuis la loi du 31 décembre 1975, toute personne concernée par une
déclaration d’utilité publique peut demander communication des conclusions du
commissaire enquêteur. Le décret du 14 mai 1976 a amélioré la procédure d’enquête
préalable sur certains points : la notice explicative sera plus étoffée, le choix des
commissaires enquêteurs est élargi, la communication des conclusions de l’enquête est
améliorée (CE, 24 nov. 1982, Colombet).
● La loi du 12 juillet 1983 a prévu de façon générale et non seulement pour
l’expropriation « la démocratisation des enquêtes publiques et protection de l’en-
vironnement ». L’enquête vise à informer le public et de recueillir ses appréciations,
suggestions et contre-propositions. La nouvelle procédure s’applique uniquement
lorsque la réalisation d’aménagements ou de travaux est susceptible d’affecter
l’environnement. Dans ce cas, la pré-publicité est renforcée ainsi que la durée de
l’enquête. La durée de validité de l’enquête est de cinq ans (éventuellement 10 ans).
Les principales modifications concernent le commissaire-enquêteur. Ceux-ci seront
désignés à l’avenir par le président du tribunal administratif. Les incompatibilités sont
précisées. Il en va de même des membres de la commission d’enquête (CE, 15 janv.
1996, Dufay ; CE, 19 janv. 1996, Assoc. quartier et avenir, AJDA, 1996, p. 465-466). Le
commissaire ou la commission rémunérés par l’État bénéficient d’un large pouvoir
d’instruction (sur les taux de vacation : CE 10 janvier 2005, MM. Hardy et Le Cornec,
AJDA 2005, p. 1575). Mais les problèmes liés à l’exercice des fonctions du commissaire
enquêteur restent complexes : le Conseil d’État a jugé qu’un commissaire enquêteur,
pouvait écarter, sans que cela ait des conséquences, une observation contestant l’utilité
publique au motif que l’expropriant possédait déjà des terrains permettant de réaliser
le projet sans recourir à l’expropriation. Cette décision a été critiquée (v. CE 13 janv.
2006, Cne de Polliat, BJCL 2006, p. 253, concl. Verclytte et Elise Carpentier, JCP A
2006, no 1155). Des réunions publiques peuvent être organisées. La loi du 2 février
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106 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

1995 prévoit la possibilité du recours à un expert, v. aussi décret du 20 juillet 1998


relatif à l’établissement des listes d’aptitude aux fonctions de commissaire-enquêteur
(v. Hostiou, « Le commissaire-enquêteur nouveau est-il enfin arrivé », RFDA 1998,
p. 1147 et s.). Un rapport et des conclusions motivées doivent être rendus et seront
rendus publics. Lorsque les conclusions du commissaire ou de la commission d’enquête
sont défavorables, le juge administratif saisi d’une demande de sursis à exécution d’une
décision prise ultérieurement doit faire droit à cette demande si l’un des moyens soulevés
paraît sérieux et de nature à justifier l’annulation (CE, 13 mars 1989, Cne de Roussillon,
RDP 1989, p. 1494). Le décret du 23 avril 1985 met en œuvre la loi de 1983. La loi du
27 février 2002 n’a guère modifié ce régime. Même solution : CE 29 mars 2004, Cne
de Soignolles en Brie, AJDA 2004, p. 1262.
Lorsqu’il y a une modification substantielle des finalités d’un ouvrage, une nouvelle
enquête publique est souvent nécessaire (p. ex. pour les centrales nucléaires Creys-
Malville, même si ce cas ne concerne pas de nouvelles expropriations, CE S., 28 févr.
1997, RFDA 1997, p. 427, no 15).
Les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’impor-
tance de leurs dimensions ou leur influence sur le milieu naturel peuvent porter atteinte
à ce dernier doivent comporter une étude d’impact, v. p. 102, permettant d’en
apprécier les conséquences (Décr. 12 oct. 1977 ; CE, 19 avr. 1989, Assoc. de défense,
RDP 1989, p. 1528) (v. aussi TA de Pau, 2 déc. 1992, RFDA 1992, p. 286 ; CE, 11 déc.
1996, Assoc. ADEAD, RFDA 1997, p. 193. CE, 14 déc. 1992, Cne de Frischemesnil et
autres, RFDA 1993, p. 293 – relations entre les études d’impact et les directives
européennes) (TA, Nice 29 janv. 1997, AJDA 1997, p. 875). D’importantes décisions
ont été rendues récemment par le Conseil d’État, juge de cassation, en matière d’étude
d’impact. (Dans une opération nécessitant une étude d’impact, le fait que la réalisation
d’ouvrages susceptibles de modifier l’écoulement des eaux sera soumise aux procédures
prévues par une autre loi, ne dispense pas l’auteur de l’étude d’impact de mentionner
dans cette étude les informations qu’il a à ce stade de la procédure sur les effets de
l’ouvrage sur le régime des eaux ; CE, Ass., 13 nov. 1998 Assoc. de défense des intérêts
des riverains de projet de l’autoroute A 20 Brive-Montauban et autres, RFDA 1999, p. 241,
en l’espèce, conditions réunies.)
Une enquête peut être considérée comme périmée après un certain délai ou lorsqu’il
y a changement de circonstances avant que ne soit intervenu l’arrêté déclarant l’utilité
publique (CE, 20 juin 1984, Delomon, RFDA 1985.2, p. 22), il y a aussi illégalité si
l’enquête sur un dossier porte sur des éléments substantiellement différents que
l’ouvrage réellement envisagé (CE, 8 mars 1989, Dpt de la Charente-Maritime (Île de
Ré), RFDA 1989, p. 375).
En conclusion, si les différentes réformes (v. aussi loi du 2 févr. 1995) ont amélioré
l’information du public, on peut cependant estimer, comme le font de nombreux
auteurs, que toutes les garanties d’une procédure démocratique ne sont pas tou-
jours données et que d’importantes carences subsistent dans l’information du public.
Toutefois, le juge devient de plus en plus sévère dans le contrôle du strict respect des
textes de procédure (CE, 20 mai 1988, Segeat, RDP 1989, p. 1526).
La décision d’ouverture de l’enquête publique est toujours, même après la loi du
27 février 2002, dans la main du préfet, lorsqu’il s’agit « d’enquête préalable à une
déclaration d’utilité publique ».
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 107

3. L’ACTE DÉCLARATIF D’UTILITÉ PUBLIQUE (Ord. de 1958, Rapp. 19 mai 1959, Déc.
29 févr. 1972).
La déclaration publique était prise jusqu’à la loi du 27 février 2002 (et décret 11 février
2004), par décret en Conseil d’Etat lorsque les conclusions du commissaire enquêteur
étaient défavorables ou lorsqu’il s’agissait d’opérations importantes. Dans les autres
cas, la déclaration d’utilité publique relevait de la compétence du ministre et surtout
du préfet (v. CE S., 11 juin 1997, Jay et autres c/ Cne de Montbonnot, St-Martin et Sté
d’aménag. du dpt de l’Isère, AJDA 1998, p. 110-112). Aujourd’hui toutes les déclarations
d’utilité publique, même lorsque les conclusions du commissaire enquêteur sont
défavorables, relèvent d’un arrêté ministériel ou d’un arrêté préfectoral. Il n’y a plus,
et c’est peut-être regrettable, de décret en Conseil d’État. Toutefois, l’utilité publique
est déclarée par décret en Conseil d’État pour certains grands travaux (art. 2, décret
11 février 2004 : autoroutes, aérodromes catégorie A, certains travaux ferroviaires,
centrales nucléaires, etc.).
Il faut surtout retenir la disparition de toute référence au sens de l’avis du commissaire-
enquêteur ainsi que la compétence de principe des préfets. L’autorité administrative
peut d’ailleurs, sous le contrôle du juge, refuser de déclarer l’utilité publique qui lui
est demandée.
Lorsque la déclaration d’utilité publique comporte des modifications des caractéristi-
ques essentielles d’une opération par rapport au dossier d’enquête publique (réalisation
de deux fois trois voies au lieu de deux) il y a illégalité (CE ; 2 juill. 2001, Cne de la
Courneuve, RFDA 2001, p. 1131).
Lorsqu’il n’y a que « projet » et pas expropriation (ce qui ne relève pas de notre étude)
il faut une « déclaration de projet ». Dans l’hypothèse de l’expropriation, que nous
étudions ici « La déclaration d’utilité publique tient lieu de déclaration du projet »
(art. L. 11-1, 2 nouveau Code de l’expropriation). Toutefois, s’il s’agit de projets
importants soumis à enquête publique de la loi sur l’environnement et qui nécessite
une expropriation au profit d’une collectivité territoriale (ou l’un de ses établissements)
l’autorité compétente de l’État, avant déclaration d’utilité publique, doit demander à
la collectivité de se prononcer, dans un délai de six mois au maximum, sur ledit projet
(loi 27 février 2002).
« L’acte déclarant l’utilité publique (doit être) accompagné d’un document qui expose
les motifs et considérations justifiant le caractère d’utilité publique de l’opération. »
De même, la décision de refus de déclarer l’utilité publique d’un projet ou d’une
opération doit être motivée. Toutefois, une fois la déclaration d’utilité publique prise,
la directive européenne qui exige une information supplémentaire explicitant les motifs
et les considérations qui ont fondé cette décision, ne sauraient être interprétées comme
imposant une motivation en la forme qui serait une condition de légalité de cette
dernière (CE, 2 juin 2003, Union féd. consommateurs Que Choisir ?, AJDA 2003, p. 1978)
(v. p. 114 et s.).
● La déclaration autorise, mais n’oblige pas l’autorité expropriante à poursuivre
l’expropriation. Le délai, qui ne peut être supérieur à cinq ans, doit être indiqué. Il
peut être prorogé une fois. Des délais spéciaux existent en matière d’opérations
d’urbanisme. L’administration ne peut légalement proroger les effets de la DUP d’une
opération, quand le projet a subi des modifications substantielles depuis la première
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108 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

déclaration (CE, 12 mai 1989, Astier et autres, Tiradon, CJEG, 1990, p. 57 et s., v. aussi
8 mars 1989, Dpt de la Charente-Maritime, RFDA 1990, p. 198 et s.).
● La déclaration d’utilité publique constitue un acte administratif susceptible de
recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif compétent. La nature
juridique de la déclaration d’utilité publique est ainsi très complexe. C’est un acte
réglementaire au point de vue du délai du recours contentieux, de la non-obligation
de motivation (CE, 6 mars 1987, Min. Intér. c/ Cne St-Égrêve, RDP, 1988, p. 564 ; CE,
27 juill. 1988 Assoc. Défense RDP, 1989, p. 1530), une sorte d’acte individuel non
créateur de droits à d’autres points de vue. Le délai de recours part de la date de
publication (CE, 10 mai 1968, Cne de Brovès, p. 287) (Conseil d’État ou tribunal
administratif selon le cas).
La déclaration d’utilité publique est un acte autonome, spécifique, ayant sa propre
réglementation. Elle n’est pas liée au respect d’autres législations qui éventuellement
peuvent s’appliquer à l’opération telle que la législation sur les Monuments Historiques
(CE, Ass., 3 mars 1993, Cne de Saint-Germain-en-Laye, op. cit.). Le moyen tiré de
l’illégalité d’un schéma directeur ou de sa modification ou de l’illégalité d’un autre
document d’urbanisme ne peut être utilement invoqué à l’encontre d’une DUP alors
même ce document d’urbanisme ou sa modification auraient eu pour objet de rendre
possible l’opération déclarée d’utilité publique (CE S. 25 févr. 2005, Assoc. Préservons
l’avenir, RFDA 2005, p. 617, concl. M. Guyomar).
Le délai du recours part de la publication de l’acte déclaratif. L’annulation de la
déclaration par le juge administratif entraîne celle de toute la phase administrative.
● Sur le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, v. supra, p. 94 et s.
● Depuis la loi du 31 décembre 1975, une meilleure information est obtenue dans la
mesure où désormais, la déclaration d’utilité publique devra intervenir dans un délai
d’un an (ou de 18 mois en cas de décret en Conseil d’État) après la clôture de l’enquête
préalable. En cas de non-respect, l’enquête devra être refaite.
Par ailleurs, tous les propriétaires dont les terrains sont compris dans une déclaration
d’utilité publique peuvent mettre en demeure l’expropriant d’acquérir leur terrain dans
un délai de quatre ans au maximum (sur le problème de la responsabilité en cas de
retard en matière d’expropriation, v. CE, 14 mars 1975, SCI de la Vallée de Chevreuse,
p. 197). À défaut d’accord, les propriétaires peuvent saisir le juge de l’expropriation.
● La DUP est un acte non-réglementaire non-créateur de droits, v. ci-dessus (CE,
29 avril 1994, Assoc. Unimate, AJDA 1994, p. 400). Elle relève donc du régime juridi-
que des « actes intermédiaires ». Ainsi en application de la théorie des « opérations
complexes » il est possible d’exciper, après expiration du délai de deux mois, de
l’illégalité de la DUP, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte postérieur à condition
qu’il y ait un lien direct et nécessaire (CE, 24 avr. 1981, Épx Vilain, RDP, 1982, p. 523)
(v. ci-après arrêté de cessibilité).
Comme l’acte déclaratif d’utilité publique ne crée pas de droits, le Conseil d’État
valide-t-il une pratique administrative regrettable qui consiste à prendre d’abord l’acte
initial (déclaration d’utilité publique), le retirer (p. ex. devant les protestations ou
l’opinion) puis une fois les passions apaisées et l’attention relâchée, d’abroger ce retrait
en faisant revivre pour l’avenir l’acte initial (CE, Ass. 29 avr. 1994, Assoc. Unimate et
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 109

autres, AJDA 1994, p. 367). (CE, 7 oct. 1994, Cne de Saint-Étienne, JCP, 1994, IV,
2642).
● Sur la validation législative d’une ordonnance préalable à une DUP (ex. : loi 12 avr.
1996).
● Il existe certaines hypothèses de sursis automatique : absence d’étude d’impact ou
absence d’enquêtes démocratisées, lorsqu’elles sont requises, etc.
Les différents référés, et surtout le référé-suspension de l’article 521-1 du Code de
justice administrative, s’appliquent en matière de déclaration d’utilité publique. Mais
s’il n’y a pas urgence, le juge peut refuser par ordonnance rendue sans instruction ni
audience la suspension d’une DUP (CE, 26 déc. 2002, Assoc. pour la protection, AJDA
2003, p. 674), v. aussi note Hostiou sous CE 30 mai 2002, Assoc. pour le respect des intérêts
de chacun, AJDI 2002, p. 1487). Le Conseil d’État a admis récemment, dans une intéres-
sante décision, la suspension de la déclaration d’utilité publique en raison d’un « détour-
nement de procédure » (CE 25 mai 2005, Sté Resimmo, AJDA 2005, p. 2225, v. aussi
p. 120). V. aussi absence d’urgence à suspendre un arrêté de cessibilité pour la réalisation
du TGV Est (CE Ord. 3 avril 2006, SA Placoplâtre, AJDA 2006, p. 795).
Dans d’autres cas, s’il y a imminence des travaux, la suspension d’une DUP de la
construction d’une route peut être justifiée (CE, 3 mai 2004, Dpt de Dordogne, AJDA
2004, p. 1374).
Il existe aussi des procédures spécifiques de suspension en ce qui concerne les DUP,
sans qu’il y ait urgence (CE, 29 mars 2004, Cne de Soignolles-en-Brie, AJDA 2004,
p. 1262 et s. ; suspensions sans urgence, art. L. 554-12 du CJA en cas d’avis défavorable
du commissaire enquêteur).

B. L’arrêté de cessibilité
C’est l’acte par lequel le préfet désigne les parcelles qui devront être expropriées. Cet
acte doit être précédé d’une nouvelle enquête dite parcellaire qui doit permettre de
déterminer les propriétés auxquelles l’expropriation sera appliquée. Il faut souligner
que depuis 1958, la déclaration d’utilité publique peut dans certains cas tenir lieu
d’arrêté de cessibilité rendant cette seconde phase inutile. L’arrêté de cessibilité consti-
tue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir pouvant
éventuellement remettre en cause la déclaration d’utilité publique même non attaquée
à temps.
L’arrêté de cessibilité peut avoir aujourd’hui une autre utilité (loi du 27 février 2002).
Lorsqu’une autorité infra-étatique doit mettre à la disposition d’une autre collectivité
un élément de son patrimoine portant sur le domaine public, cette opération se fera
par l’arrêté de cessibilité du préfet, (v. supra p. 40 et s.).
Conclusion : la législation sur l’expropriation et en particulier la DUP est indépendante
des autres Législations concurrentes. Par exemple en matière de protection des monu-
ments historiques, une illégalité relative à une Législation protectrice de la propriété
ne remet pas en cause la validité de la DUP, qui ne constitue pas une synthèse des
procédures administratives préalables à la réalisation d’un grand projet (CE, Ass.,
3 mars 1993, Cne de Saint-Germain-en-Laye, AJDA 1993, p. 348). Mais une éventuelle
atteinte aux monuments entre dans le contrôle juridictionnel du « bilan » de l’opéra-
tion (v. aussi p. 96, 105).
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110 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

§ 2 - O PÉRATIONS RELEVANT DE L ’ AUTORITÉ JUDICIAIRE

C’est en cette matière que l’ordonnance de 1958 a eu les conséquences les plus
importantes puisqu’il est possible de fixer l’indemnité avant la fin de la procédure et
qu’un juge spécial, le juge de l’expropriation prononce à la fois l’expropriation et fixe
l’indemnité. Le transfert de propriété devient ainsi plus rapide.

A. La juridiction spéciale d’expropriation


● Le système du juge unique créé en 1958, abandonné en 1962 a été repris en 1965 :
dans chaque département, le Premier président de la cour d’appel, désigne, pour trois
ans, un juge de l’expropriation.
En ce qui concerne la procédure : la procédure est écrite et contradictoire ; l’expro-
priant après avoir recueilli l’avis des domaines fait des offres ; en absence d’accord
amiable, la procédure se poursuit. Il y aura obligatoirement une visite des lieux par le
juge. Le juge ne peut pas désigner d’expert ; il entend les intéressés et recueille
l’ensemble des informations. À l’issue de la visite des lieux, il y aura une audience
publique. À défaut d’accord amiable, il y aura jugement.
Le rôle du commissaire du gouvernement incombe au directeur des impôts chargé des
domaines. Il s’agit là d’une institution très originale. Il a une situation particulière car,
d’une part, il bénéficie d’une certaine indépendance et en même temps, il représente
l’État. La Cour européenne des droits de l’homme a mis en cause le rôle ambigu du
« commissaire du gouvernement » qui selon la Cour, comme l’expropriant et contrai-
rement à l’exproprié, a libre accès au dossier, n’est pas obligé de notifier ses écritures
aux parties et parle en dernier. Ses conclusions prennent un poids particulier lorsque
son évaluation est inférieure à celle proposée par l’expropriant (CEDH, Yvon c/ France,
24 avril 2003, AJDA 2003, p. 869 et Jégouzo, AJDA 2003, p. 865, v. p. 91) (v. aussi
Hostiou, AJDA 2004, p. 1441). Dans l’affaire Roux c/ France (CEDH 25 avril 2006,
AJDA 2006, p. 1441) la Cour, confirmant la jurisprudence Yvon c/ France, condamne
à nouveau la France au motif que la participation du commissaire du gouvernement
à la procédure de fixation de l’indemnité d’expropriation méconnaît le principe de
l’égalité des armes et contrevient aux dispositions de l’art. 6/1 de la Convention.
● Des chambres d’expropriation ont été constituées auprès des cours d’appel.
B. La compétence de la juridiction
1. L’ORDONNANCE DE TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ
Dans les huit jours de la transmission du dossier, le juge, par voie d’ordonnance,
prononce le transfert de propriété.
● La compétence du juge est limitée ; son contrôle doit se borner à la constatation de
l’existence des différentes opérations administratives ; il ne peut contrôler, ni leur
opportunité, ni même leur légalité. Il n’y a pas de versement de l’indemnité d’expro-
priation en cas de contestation sérieuse sur la propriété du bien exproprié (Civ. 15 févr.
2006, Min. Culture, AJDA 2006, p. 780).
● L’ordonnance entraîne transfert de propriété, éteint les droits réels et personnels
existant sur l’immeuble qui deviennent de simples droits à indemnité ; les créances
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sur l’immeuble se transforment en droits à l’indemnité. Bien que non notifiée, une
ordonnance d’expropriation emporte transfert immédiat de propriété (CE, 19 nov.
1993, Mme Scherron, AJDA 1994, p. 252-255).
L’expropriant peut prendre possession de l’immeuble, lorsque l’exproprié aura été
indemnisé, sinon, l’exproprié dispose d’un droit de rétention ; l’ordonnance ne peut
faire l’objet que d’un recours en cassation dans les quinze jours de la notification.
Ce recours n’est pas suspensif. Plus précisément, l’ordonnance d’expropriation ne peut
être attaquée que pour incompétence, vice de forme, excès de pouvoir (art. L. 12-5,
Code expr.) mais non pas pour violation de la loi.
2. LA FIXATION DE L’INDEMNITÉ
La première remarque est que seul le dommage certain peut être réparé et non le
dommage éventuel. De toute façon, il est rare en droit français que le dommage
éventuel soit réparé.
Par ailleurs, il doit y avoir un lien direct entre l’expropriation et le préjudice. Ce
caractère direct du lien n’est pas toujours très aisé à établir, d’autant plus que le
préjudice peut naître soit directement de la dépossession de l’immeuble, soit des
travaux qui ont suivi l’expropriation, soit enfin le dommage résultant de l’ouvrage
public qui a été construit à la suite de l’expropriation. Or, pour les deux dernières
hypothèses, c’est bien le juge administratif qui est compétent.
Seul le dommage matériel donne lieu à indemnisation et non pas le dommage moral.
Tous les auteurs sont d’accord pour considérer que cette exclusion du dommage moral
n’a pas de réelle justification. Ainsi, on a fait valoir à juste titre que l’expropriation
d’un « bien de famille » représente pour son propriétaire plus qu’une simple valeur
pécuniaire (Chapus).
Une fois ces conditions réunies, l’indemnisation doit être intégrale. Tout dépendra
donc de l’appréciation, de l’évaluation du préjudice qui sera faite. On a parfois affirmé
que le fait de se laisser exproprier au lieu de recourir à l’accord amiable ferait faire
aux propriétaires de « bonnes affaires ». Cette remarque est difficile à apprécier glo-
balement. En revanche, on tentera d’éviter d’indemniser toute spéculation sur le bien
qui aurait eu lieu peu avant l’expropriation, en considération de l’expropriation à
venir.
a) Il faut tout d’abord déterminer la consistance du bien
La règle la plus importante en la matière est qu’il faut apprécier le bien à la date
de la déclaration d’utilité publique. Toutes les modifications qui interviennent
ultérieurement ne peuvent être prises en considération ; un aménagement, une
transformation postérieure à l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique
est considérée comme ayant eu pour seul but d’obtenir une indemnité plus élevée.
On peut cependant, à titre exceptionnel, apporter la preuve contraire. Quant aux
améliorations apportées à l’immeuble avant l’enquête, l’indemnisation peut avoir
lieu, mais elle peut aussi être exclue si l’administration démontre que ces amélio-
rations n’ont eu qu’un but spéculatif.
b) Il faut ensuite apprécier la valeur du bien
1. Dans une période où l’inflation était souvent très forte, la date de l’appréciation
de la valeur du bien avait une importance considérable. L’ordonnance de 1958
fixait la date de l’appréciation au jour du jugement, ce qui avait pour conséquence
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112 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

d’entraîner une hausse spéculative des prix. Aussi la loi du 26 juillet 1962 posa le
principe, très restrictif celui-là, qu’il fallait se placer, pour évaluer le bien, à la valeur
du bien un an avant l’ouverture de l’enquête préalable. Même si cette règle était
atténuée par certains éléments, (prise en considération de l’indice du coût de la
construction) on aboutissait en fait à ne pas tenir compte des fortes hausses de
prix qui étaient très courantes.
La loi du 10 juillet 1965, qui est encore applicable aujourd’hui combine les principes
des deux textes antérieurs.
● D’une part, comme en 1958, la valeur du bien doit être appréciée à la date du

jugement.
● D’autre part, on tiendra compte de l’usage effectif du bien un an avant l’ouver-

ture de l’enquête préalable. Toute modification intervenue – sauf la hausse normale


du prix – est considérée comme ayant un aspect spéculatif. Mais cette règle joue
aussi en sens inverse : si le bien n’a plus l’usage effectif qu’il avait à la date du début
de l’enquête, il n’y a pas de répercussion sur l’évaluation (Civ. 3e, 27 mars 1997,
Ciguret, DA, 1996, no 372).
2. Il faut ensuite, qualifier la nature juridique du terrain
S’agit-il d’un terrain agricole ou d’un terrain constructible ? On se doute de
l’importance de ces qualifications qui ont fait surgir maints litiges.
À l’heure actuelle, pour qu’un terrain soit considéré comme un terrain à bâtir,
il faut d’une part que le terrain soit placé par un plan d’urbanisme dans le
périmètre d’agglomération et que d’autre part que le terrain soit effectivement
desservi par des voies et réseaux divers (VRD). Il y a donc bien cumul de critères
juridiques (il faut que le terrain soit constructible au regard de la réglementation)
et d’éléments matériels (existence de voies et réseaux).
Par ailleurs, selon les formules de la loi du 18 juillet 1985, la constructibilité doit
être évaluée « réellement... ».
Cette règle a des conséquences complexes. Ainsi on tiendra compte du plafond
légal de densité auquel est soumis le terrain. Si le coefficient de densité est p. ex.
de 0,25, sur 1 000 mètres carrés, on ne pourra construire plus de 250 mètres carrés
de surface habitable. La collectivité n’indemnise en cas d’expropriation que le droit
à construire attaché au sol.
Quant aux servitudes et restrictions administratives qui affectent un terrain, la Cour
de cassation en a tenu compte très longtemps, ce qui avantageait en fait les
expropriés. Aujourd’hui, le Code de l’expropriation ne permet plus ces indemni-
sations, à moins que la servitude ait été établie de façon intentionnelle et dolosive
par la collectivité.
3. Dans l’établissement de l’indemnité, le juge devra tenir compte ensuite de
certaines autres considérations :
● le jugement lui-même doit bien distinguer entre l’indemnité principale et les

éventuelles indemnités accessoires, telles que par ex. les indemnités de remploi.
● Le juge devra aussi tenir compte de l’estimation qui a été faite par le service

des domaines. Plus précisément, l’indemnité principale ne doit pas excéder l’esti-
mation du service des domaines, si cette estimation n’est pas inférieure à la valeur
attribuée au bien à l’occasion d’une mutation « antérieure de moins de cinq ans »
à l’expropriation. Une mutation intervenue dans les cinq ans avant l’expropriation
constituera donc un important élément de référence. Toutefois, il est naturel qu’une
importante hausse des prix pourra être prise en considération.
Certains autres facteurs vont avoir pour conséquence de limiter l’indemnité ; c’est
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ainsi que si l’expropriation entraîne des travaux qui augmenteront la valeur du


bien restant, le montant de cette plus-value peut être déduite par le juge. La Cour
de cassation admet en principe la récupération des plus-values (Cass. 21 mai 2003,
X c/ Assoc. syndicale AJDI, 2003, p. 684).
Toutefois, dans un intéressant arrêt du 2 juillet 2002, Motais de Narbonne c/ France,
la Cour européenne donne des précisions sur la prise en compte de la plus-value
des terrains expropriés (AJDA 2003, p. 407). (L’ancien propriétaire demande la
rétrocession – refus, refus aussi par la Cour de cassation ; la CEDH estime que le
maintien prolongé a indûment privé les intéressés de la plus-value prise par le
terrain en dix-neuf années.)
Un autre arrêt de la CEDH semble remettre en cause le principe de prise en compte
dans l’indemnité de la plus-value générée par les équipements (CEDH, 9 oct. 2004,
Biozokat c/ Grèce, AJDA 2003, note Jégouzo). De toute façon l’impact de la
Convention européenne sur la procédure de fixation de l’indemnité d’expro-
priation est très grand (v. Civ. 25 oct. 2005, Bouvet Saint-Léger, AJDI 2006, p. 293,
chron. Simon Gilbert et Emmanuel Simonet). Le rôle du commissaire du gouver-
nement dans la fixation des indemnités d’expropriation peut faire l’objet de débats
(ex. : Civ. 3e, 11 oct. 2006, Sté la Ferme du Bouc, AJDA 2006, p. 2301).
Le juge peut aussi opposer aux expropriés leurs déclarations fiscales, non seulement
en cas de mutation, mais aussi éventuellement dans le cadre de l’impôt de solidarité
sur la fortune.
Si normalement l’indemnité est fixée en espèces (C. expr., art. L 13-20), il peut,
dans certains cas, y avoir une indemnisation en nature. Lorsqu’un local est
occupé par un professionnel, l’expropriant peut lui offrir un local de remplacement.
Les problèmes posés par l’équivalence des locaux seront réglés par le juge de
l’expropriation.
La phase judiciaire de l’expropriation est elle même constitutive de préjudice. Il
peut y avoir des indemnités résultant de la mauvaise volonté de l’expropriant (retard
abusif de procédure de fixation de l’indemnité par ex., conditions de la prise de
possession, etc.).
Il faut ensuite que l’indemnité soit réellement versée. Le paiement doit être
antérieur à la prise de possession de l’immeuble.
Des difficultés peuvent surgir. Il arrive que l’exproprié refuse de percevoir l’indem-
nité car il n’est pas d’accord avec le montant. Si le bénéficiaire primitif décède, il
peut arriver que les ayant-droits aient quelque difficulté à établir avec rapidité leur
qualité. Dans toutes ces hypothèses, l’expropriant devra consigner la somme à la
Caisse des dépôts et consignations.
Dans l’ensemble, on peut dire que les règles d’évaluation sont assez complexes.
● En matière d’indemnisation, appel peut être interjeté dans les quinze jours devant

la chambre d’expropriation de la cour d’appel.

3. L’ENTRÉE EN POSSESSION
L’ordonnance d’expropriation prononce outre le transfert de propriété, l’envoi en
possession du bien exproprié. Mais l’envoi en possession n’est décidé que sous réserve
du versement des indemnités (ou à leur consignation s’il y a discussion). Jusque là,
l’expropriant a un droit de rétention. En cas d’urgence, il peut y avoir prise de
possession moyennant versement d’indemnités provisionnelles.
Le Conseil d’État a d’ailleurs jugé dans un important arrêt Ville de Nice (S., 18 mai
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1990, AJDA 1990, p. 524) que l’ordonnance d’expropriation et le paiement de la


consignation du prix, dispensent le bénéficiaire de toute formalité supplémentaire
avant de recourir à l’expulsion de l’exproprié, en sollicitant directement le concours
de la force publique.

§ 3 - E FFET DES IMBRICATIONS CONTENTIEUSES


Les problèmes sont extrêmement complexes et les solutions ne sont souvent pas
satisfaisantes (v. p. ex. Lemasurier, « La cacophonie juridique du contentieux de
l’expropriation », Mélanges Drago, p. 425-445). On présentera seulement certains
éléments :
1. Les jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour de cassation en matière de
légalité de l’expropriation sont souvent très différentes.
2. Si une DUP, un arrêté de cessibilité sont annulés avant que l’ordonnance
d’expropriation ne soit devenue définitive, celle-ci sera obligatoirement annulée
par le juge judiciaire (CE, 5 avr. 1993, Cne de Fréjus, RFDA 1993, p. 618).
Si l’ordonnance d’expropriation est devenue définitive avant l’annulation de la
DUP, la situation était complexe jusqu’à une date récente : certes l’expropriation
était définitive (T. confl. 26 juin 1989, Consorts Plouin c/ Ville de Saint-Denis,
D91-J-57) mais le propriétaire pouvait en demander la « rétrocession ». Si celle-ci
était impossible, il avait droit à une indemnité (CA Angers, 7 févr. 1962, JCP, 1963,
13328). En revanche, l’annulation de l’arrêté de cessibilité restait sans conséquence.
Mais selon le nouveau texte (loi du 2 févr. 1995, Code expr., art. L. 12/5), en cas
d’annulation par une décision du juge administratif de la DUP ou de l’arrêté de
cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge de l’expropriation
(donc le juge judiciaire) que l’ordonnance portant transfert de propriété est
dépourvue de toute base légale. Il y a là un progrès certain. Ces dispositions ont
fait l’objet d’un règlement d’application du 13 mai 2005 (rapprochement par
rapport aux règles procédurales du droit commun ; principe du contradictoire ;
v. article Hostiou, AJDA 2005, p. 1382 et s.). La Cour de cassation a par ailleurs
estimée que cette faculté nouvelle ne saurait priver l’exproprié de la possibilité de
former par anticipation, avant même le prononcé de la DUP, un pourvoi contre
l’ordonnance pour demander la cassation de cette dernière par voie de conséquence
de l’annulation à intervenir (Civ. 3e, 12 oct. 2005, M. Claude Soler, AJDI 2006, note
Hostiou).
Mais M. Hostiou fait remarquer (note AJDA 2006, en particulier p. 607) qu’il y a
tout de même des échappatoires et que la politique « du fait accompli » n’est pas
close (v. p. ex. CE 29 janv. 2003, Synd. dép. de l’électricité, AJDA 2003, p. 784, note
Sabliere).
3. Si les immeubles expropriés n’ont pas dans un délai de cinq ans reçu la
destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens proprié-
taires peuvent en demander la rétrocession pendant trente ans (Civ., 15 janv.
1997, Cne d’Aix-en-Provence c/ Gas, JCP 1997-II-22813, p. 150-151). Mais dans la
pratique cette rétrocession est souvent impossible, car il y a souvent démolition
ou construction d’ouvrages publics ou des biens ont été transférés à des tiers
(v. T. confl. 26 juin 1989, Cts Plouin, op. cit.). La loi du 2 févr. 1996 prévoit la
possibilité d’indemnisations complémentaires. Il a été jugé que les tribunaux
judiciaires sont seuls compétents pour connaître des litiges relatifs aux demandes
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 115

de rétrocession (auj. art. L. 12-6 du Code expr.) (CE, 16 juin 2000, Cne d’Airibeau-
sur-Siagne, RFDA 2000, 887).
4. De façon générale d’ailleurs, l’annulation d’une DUP concernant un aménage-
ment déjà réalisé a souvent peu de conséquences. En effet, très souvent l’admi-
nistration prend une DUP de régularisation « véritable tour de magie juri-
dique... » que beaucoup de justiciables perçoivent comme un véritable déni de
justice (Guy Durand, note sous CE, 25 janv. 1993, Rivière c/ Assoc. de Défense ;
Civ. 3e, 10 mai 1994, Guibert Miquel ; TGI Millau, 7 juill. 1994, LPA, 26 mai
1995, p. 14-17).
5. L’administration peut être amenée à renoncer à l’expropriation à tout stade de
la procédure. Dans certains cas, le propriétaire lésé pourra toucher une indemnité
dont le montant sera fixé par le juge administratif (CE, 23 déc. 1970, EDF c/ Farsat,
p. 790).
6. La Cour de cassation a abandonné la théorie de « l’expropriation indirecte »
ou « de fait » permettant à l’administration de régulariser moyennant indemnisa-
tion, une occupation sans titre de la propriété d’autrui. Un transfert de propriété
ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une procédure régulière d’expropriation ou d’un
accord amiable (Ass. plén. 6 janv. 1995, D. 1994-J, p. 153-155).
7. L’annulation d’une ordonnance d’expropriation peut entraîner de délicates mises
en jeu de la responsabilité administrative. Ainsi la commune de Meylan avait pris
possession d’un terrain (emprise irrégulière) malgré l’annulation de l’ordonnance
d’expropriation. Finalement une dernière ordonnance d’expropriation est considé-
rée comme légale, mais la commune est condamnée par le tribunal administratif à
indemniser les dommages causés par l’emprise irrégulière. Le Conseil d’État
estime, lui, que l’État est aussi partiellement responsable (CE, 6 oct. 2000, Cne de
Meylan, RFDA 2000, p. 1354).
8. À défaut d’utilisation régulière de la procédure d’expropriation, la prise de
possession d’un bien immobilier est constitutive d’une voie de fait ou d’une emprise
irrégulière entraînant la compétence judiciaire (T. confl. 26 juin 1989, Mme Plouin,
CJEG, 1990, chron. p. 213).
Conclusion : les problèmes de l’expropriation ne sont pas simples à résoudre. Les
expropriations seront toujours nécessaires pour construire des routes, des voies ferrées,
des infrastructures diverses, etc. Mais sauvegarder les droits des propriétaires qui soit
ne veulent pas être expropriés ou qui trouvent insuffisante l’indemnisation proposée,
n’est pas chose aisée. La protection des propriétaires a fait des progrès aussi bien en ce
qui concerne la phase administrative, qu’en ce qui concerne la phase judiciaire. En
matière administrative, le développement des procédures d’enquête, les études d’im-
pact, le renforcement du contrôle juridictionnel (l’annulation de la construction de
l’autoroute Annemasse-Évian en constitue un bon exemple) est de bon augure, v. supra.
En matière d’indemnisation, les évaluations administratives et judiciaires sont devenues
plus fiables. Mais de nombreuses imperfections subsistent.
Difficultés sur la répartition des compétences : v. R. Hostiou sous T. confl. 12 déc.
2005, Masson, AJDI 2006, p. 581).
Aussi la France a-t-elle été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne
des droits de l’homme, en particulier pour des procédures trop longues. Dans une
décision prise à l’unanimité, cette Cour a condamné la France (21 févr. 1997, AJDA
1997, p. 399, note Hostiou) au motif de l’insuffisance des garanties inhérentes à
l’expropriation en droit interne. Dans un arrêt du 2 septembre 1998 la Cour constate
que l’affaire n’est toujours pas jugée après 18 ans ! (v. aussi autres décisions, p. 89
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116 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

et s., 110, 113). (V. aussi CE, 27 févr. 2006, Alcaly, AJDI 2005, p. 635 ; Civ. 3e, 29 janv.
2006, Consorts Chevrier, AJDI 2006, p. 841.) Toutefois dans un arrêt Maupas c/ France
(CEDH 19 sept. 2006, AJDA 2007, p. 180 et s., note Hostiou) la Cour estime que le
droit au respect des biens n’est pas méconnu si les expropriés ont pu bénéficier de
garanties procédurales suffisantes pour contester « une privation de propriété ».
La Cour européenne sanctionne en particulier les dysfonctionnements consécutifs
au dualisme juridictionnel français en ce domaine et de nombreux auteurs se
demandent s’il ne faudrait pas remettre en question celui-ci.
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> C HAPITRE III


LES RÉGIMES PARTICULIERS
EN MATIÈRE D’EXPROPRIATION

Il peut s’agir tout simplement d’incidents à la procédure normale, de procédures


spéciales ou d’opérations complexes, enfin de procédures qui se rapprochent de
l’expropriation mais qui ne constituent plus des expropriations au sens juridique
restreint du terme.

§ 1 - I NCIDENTS AU COURS DE LA PROCÉDURE NORMALE


A. L’accord amiable
Il y a deux possibilités d’accord amiable : accord antérieur à la déclaration d’utilité
publique ou accord amiable postérieur à la déclaration d’utilité publique mais anté-
rieure à l’ordonnance d’expropriation.
Parfois, il y a accord amiable antérieurement à la déclaration d’utilité publique. Il y
a alors cession du bien. On est dans le cas traditionnel d’une vente dans le cadre du
droit privé. On ne peut parler alors d’un incident de la procédure d’expropriation,
mais il y a éventuellement combinaison avec la procédure d’expropriation.
Cette cession amiable est conclue devant notaire, mais en la forme administrative. Les
tiers qui jouissent de droits réels ou de droits de jouissance continuent à en bénéficier.
Si des problèmes sont soulevés, le juge judiciaire est compétent, qu’il soit saisi par le
particulier ou par l’administration. Le juge peut prendre une ordonnance de donné-
acte qui constate le consentement des cocontractants. L’administration pourra prendre
possession après paiement du prix. Cette ordonnance de donné-acte a les mêmes effets
que l’ordonnance d’expropriation ; comme il y a accord, le juge n’a pas à vérifier la
validité de la phase administrative. Cette ordonnance de donné-acte, tout comme
l’ordonnance d’expropriation, peut seulement faire l’objet d’un recours en cassation.
Parfois l’accord amiable est postérieur à la déclaration d’utilité publique, mais avant
l’ordonnance d’expropriation. On est alors en présence d’un incident de la procédure
d’expropriation. Cette cession constitue aussi un contrat de droit privé qui intervient
en principe devant notaire. Il y a une large publicité donnée à cet acte et produit les
mêmes effets que l’ordonnance d’expropriation. Elle met fin aux droits réels. Des
procédures spéciales existent pour les biens des absents, les biens des collectivités, etc.
Il y a parfois ordonnance de donné-acte. Celle-ci présente un avantage pour l’expro-
prié ; en effet, l’exproprié ne peut saisir le juge judiciaire pour déterminer l’indemnité
qu’après l’ordonnance d’expropriation. S’il n’y avait pas entente sur l’indemnité avec
l’administration, l’exproprié dépendrait du bon vouloir de l’administration.
Troisième hypothèse, l’accord amiable est postérieur à l’ordonnance d’expropria-
tion. L’accord ne portera alors que sur le montant des indemnités. On le qualifie de
traité d’adhésion. Ce dernier accord est soit un accord en forme authentique ou un
acte administratif. On est toujours en présence d’un contrat de droit privé. Il peut
arriver que l’accord se fasse au moment où le débat a lieu devant le juge. Le juge dresse
alors un procès-verbal.
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118 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

B. Le droit de délaissement
Lorsqu’un délai de un an s’est écoulé à compter de la DUP, le propriétaire peut mettre
en demeure l’expropriant d’acquérir ce bien dans un délai de deux ans, prorogeable
éventuellement de un an. À défaut d’accord amiable, le propriétaire saisit le juge de
l’expropriation qui transfère la propriété et fixe l’indemnité.
C. Le droit de rétrocession
Ce droit de rétrocession existe dans certaines hypothèses où l’administration ne réalise
pas ce qui était prévu dans la déclaration d’utilité publique. L’administration doit
bien affecter le bien exproprié à ce qui était prévu dans la déclaration d’utilité publique.
Elle doit aussi, si cela était prévu, réaliser les travaux.
La rétrocession peut prendre plusieurs formes. Dans le premier cas, il s’agit de
l’hypothèse où l’administration désire aliéner le bien. Dans ce cas elle doit en informer
les propriétaires, qui peuvent exercer leur droit de rétrocession ou qui peuvent aussi y
renoncer.
L’autre hypothèse, finalement plus importante, est celle où l’administration ne donne
pas au bien exproprié l’affectation prévue ou elle ne réalise pas les travaux prévus.
L’administration a cinq ans à partir de son entrée en possession pour donner au bien
l’affectation prévue ou pour réaliser leurs travaux. Il faut par ailleurs que l’affectation
ayant été réalisée elle se prolonge un certain temps. Mais la jurisprudence à cet égard
n’est pas parfaitement claire (Civ. 3e, 5 juillet 1978, Époux Colson, Bull. Cass. civ. III,
no 280). Si l’administration a un délai de cinq ans pour agir, il n’est toutefois pas
nécessaire que tout, et en particulier les travaux, soient complètement achevés, ce qui
serait impossible en cas de grandes opérations. Il suffit que l’opération ait fait l’objet
d’un commencement sérieux d’exécution. Le juge appréciera.
Quant aux propriétaires expropriés ils ont un délai de trente ans pour exercer leur droit.
Le droit à rétrocession dans le cadre de l’expropriation, relève du juge judiciaire, ce
qui autorise ce juge à déterminer si les biens expropriés ont effectivement reçu une
affectation conforme à celle définie dans l’acte déclaratif d’utilité publique. En revan-
che, constitue une question préjudicielle l’interprétation ou l’appréciation de la validité
des décisions relatives à l’affectation des biens expropriés (différentes décisons : CE
16 févr. 2005, G. Basset, RD imm. 2005, p. 201, obs. C. Morel ; CE 3 mai 2004, Dpt
Dordogne, AJDA 2004, p. 1374, concl. D. Chauvaux ; T. confl. 24 févr. 2004, Cne
d’Auribeau-sur-Siagne, BJCL 6/04, p. 424, concl. D. Commaret ; obs. J.-C. Bonichot,
AJDI 2004, p. 566, note Hostiou ; RD imm. 2004, p. 568, obs. C. Morel).
L’exercice du droit de rétrocession est souvent illusoire. Rien n’empêche l’administration
en vertu de l’art. 112-6 du Code de l’expropriation de faire une nouvelle déclaration
d’utilité publique qui pourra même être postérieure à la demande de rétrocession
(Civ. 3e, 26 oct. 1983, JCP 1985.II.20350).
Plus généralement, l’exercice du droit de rétrocession se heurte au fait que les biens
ne sont plus en l’état. L’immeuble a été démoli, un autre ouvrage que celui prévu a
été installé qui est parfois immunisé par l’intangibilité de l’ouvrage public, ou l’admi-
nistration a vendu le bien à un tiers sans en informer l’ancien propriétaire.
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L’ancien propriétaire ne pourra qu’obtenir une indemnité s’il fait la preuve d’avoir
subi un dommage spécifique.
Les problèmes du droit de rétrocession sont loin d’être résolus. Ainsi le Conseil
d’État déclare le juge administratif incompétent pour se prononcer à propos d’une
rétrocession après une cession à l’amiable qui avait eu lieu en 1981, le premier jugement
du tribunal administratif sur la rétrocession datant de 1991 (CE, 16 janvier 1998,
Martinez, AJDA 1998, p. 536).
De même la Cour de cassation confirme toujours sa jurisprudence selon laquelle une
demande de rétrocession pour non-affectation d’un bien exproprié à la destination est
paralysée par la réquisition d’une nouvelle déclaration d’utilité publique. Il n’y a donc
pas à rechercher si l’impossibilité de la rétrocession pouvait donner lieu à dommages-
intérêts (Civ. 3e, 17 juin 1998, Entr. Jean Spada et autre c/ Cne de Nice, JCP, 1998-II-
10190 p. 2023-2024). Plus généralement la Cour de cassation confirme l’étroitesse du
droit de rétrocession (v. Hostiou, Cass. 12 mars 2003, Morandin, AJDI 2003, p. 439).
D. La réquisition d’emprise totale
Lorsque l’expropriation ne frappe qu’une partie de l’immeuble et que l’exproprié
estime que la partie restante devient inutilisable ou trop restreinte, il peut deman-
der au juge de faire porter l’expropriation sur la totalité du bien. Cette possibilité
a été récemment accrue en matière agricole (loi d’orientation foncière du 30 déc.
1967).
La Cour européenne des droits de l’homme (22 avril 2002, Lallement c/ France, AJDA,
p. 686, note Hostiou) estime qu’en cas de réquisition d’emprise totale d’un agriculteur
touché par une expropriation partielle pour garantir le droit de propriété, le requérant
devra en outre toucher une indemnité spécifique pour la perte de l’outil de travail
(v. Jégouzo, op. cit.).

§ 2 - P ROCÉDURES SPÉCIALES
A. La procédure d’urgence
L’urgence est fixée par l’acte déclaratif d’utilité publique. Les délais sont abrégés, les
formalités simplifiées.
B. La procédure d’extrême urgence
Elle concerne les travaux intéressant la défense nationale, la construction d’autoroutes,
de voies rapides, de routes nationales, d’oléoducs etc.
Les formalités sont extrêmement simplifiées. L’autorisation de prendre possession peut
être donnée par décret en Conseil d’État. Le Conseil constitutionnel a admis la validité
de cette procédure sous certaines réserves (Cons. const., 25 juill. 1989, RFDA 1989,
p. 1023).
C. L’expropriation des « bidonvilles »
Procédure spéciale prévue par la loi du 14 décembre 1964.
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120 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

D. Les opérations complexes


Des dispositions particulières tendent à faciliter les opérations complexes : opérations
intéressant plusieurs collectivités, réalisation d’ensembles d’habitations ou d’industries.
Les grands travaux et les expropriations qui en résultent, peuvent entraîner des
bouleversements sociaux et économiques pour d’importantes populations (dispersion
des populations, éclatement des exploitations agricoles...). Une série de lois ont tenté
d’y porter remède par différents moyens (programmes de réinstallation, opérations de
remembrement).
E. L’expropriation en vue de la résorption de l’habitat insalubre
Cette procédure particulière est prévue non dans le Code de l’expropriation, mais elle
a été prévue par la loi du 14 décembre 1964, modifiée en 1966, puis la loi du 10 juillet
1970 qui abroge les dispositions antérieures. La procédure est moins protectrice que
la procédure normale d’expropriation, car la législation estime que les propriétaires
de bidonvilles ou d’immeubles insalubres sont partiellement responsables de l’état
même des ces logements. La loi prévoit toute une série de catégories d’immeubles
pouvant faire l’objet de cette procédure : les immeubles ayant fait l’objet d’une
déclaration d’insalubrité ou d’interdiction d’habiter, les véritables « bidonvilles », les
terrains contigus à ces bidonvilles lorsque ces terrains sont nécessaires pour réaliser
des aménagements, et même les immeubles ni insalubres ni impropres à l’habitation
lorsque leur expropriation est indispensable pour réaliser des travaux d’urbanisme.
Comme on l’a déjà vu le Conseil d’État qualifie de « détournement de procédure »
le comportement de l’administration consistant à rechercher l’expropriation d’un
immeuble sur le fondement de la procédure spéciale relative à « l’habitat insalubre »
et de refuser au propriétaire le concours de la force publique pour l’exécution d’un
jugement d’expulsion des occupants illégaux, sollicité précisément en vue de la pro-
cédure de travaux de réhabilitation (v. p. 109) et aussi (Terry Olson, concl. conformes
CE 25 mai 2005, Sté Resimmo, BJCL 5005, p. 443, obs. J.-C. Bonichot).

§ 3 - L ES CAS PARTICULIERS DE CESSION FORCÉE DE BIENS


Les procédures analysées de l’expropriation pour cause d’utilité publique ne sont pas
les seuls moyens d’aboutir par la voie de la contrainte à un transfert de propriété au
profit de la collectivité publique.
A. La réquisition : procédé forcé qui permet à l’administration de se procurer la
propriété et l’usage de biens mobiliers, l’usage de biens immobiliers, les services
d’entreprises ou de personnes (v. titre II).
B. Les nationalisations constituent des modes de cession forcée non plus de
certains immeubles mais d’entreprises. Les nationalisations ont porté, avant la Seconde
Guerre mondiale, sur les chemins de fer, les industries de fabrication de guerre et la
construction aéronautique. Après la guerre, ont été nationalisés les Charbonnages,
l’Électricité, le Gaz, certaines banques et certaines assurances, la Régie Renault, Air
France, les Messageries maritimes. Les nationalisations de 1982 ont porté essentielle-
ment sur cinq grandes entreprises et la quasi-totalité du secteur bancaire non mutua-
liste. Elles ont été réalisées par des actes législatifs, la procédure varie dans chaque cas.
Si en principe la nationalisation a un caractère plus politique que l’expropriation, cette
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 121

distinction ne se vérifie pas dans tous les cas. On sait qu’en pratique de nombreuses
entreprises nationales ont été au contraire privatisées en tout ou en partie depuis 1986.
C. L’expropriation indirecte constitue une procédure particulière. Lorsque l’ad-
ministration au cours d’une opération, régulière par elle-même, a pris possession
irrégulièrement d’un immeuble privé et que cette dépossession doit subsister, il y a
expropriation indirecte. Le particulier, s’adressant aux tribunaux judiciaires peut
obtenir une indemnité ; la même décision transférera la propriété (v. cependant supra,
Cour de cassation, p. 115, no 6).
D. Droit de préemption

a) Parmi les procédures spécifiques qui tendent à se rapprocher de l’ex-


propriation, le droit de préemption occupe une place particulière. Il s’agit d’un
droit important créé dans le cadre du droit de l’urbanisme et de l’aménagement
du territoire qui existe depuis 1960.
Le nouveau Code CGPPP consacre la procédure de préemption (L. 1123-1 et s.).
Il peut concerner tout à la fois, des objets d’art, des propriétés immobilières, des espaces
naturels, sensibles ou agricoles ou encore des fonds artisanaux, des fonds de commerce,
des baux commerciaux. Le droit n’appartient pas seulement à l’État, mais aussi à des
collectivités locales ou des SAFER (Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement
rural).
● Le droit de préemption ne peut être exercé que lorsque le propriétaire manifeste

la volonté d’aliéner ses biens à titre onéreux. Ce droit de préemption ne peut


être réalisé qu’à l’intérieur de certaines zones définies antérieurement par la légis-
lation puis par les communes qui classent des parties de la commune ou toute la
commune dans ces zones.
Il s’agit essentiellement des « zones urbaines ou d’urbanisation future » déterminées
par les plans d’urbanisme pour réaliser une politique sociale de l’habitat ; des zones
d’aménagement différé, pour contenir la spéculation foncière et créer des réserves
foncières, des « espaces naturels sensibles » qui sont délimités dans les départe-
ments, des périmètres d’action des sociétés d’aménagement foncier et d’établisse-
ment rural. (En ce qui concerne les limites apportées au droit de préemption dans
les espaces naturels sensibles : CE, 22 févr. 2002, AJDA 2002, p. 645.)
● Le propriétaire, lorsqu’il a l’intention de vendre, doit en faire la déclaration.

Lorsque la collectivité veut exercer son droit de préemption, elle manifeste son
intention d’acquérir le bien. La décision de la collectivité doit être dûment moti-
vée en application de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des décisions
administratives.
Le propriétaire est parfois d’accord avec l’exercice du droit de préemption par la
collectivité. Il s’agit alors d’arriver au fixation du prix, qui se fera soit à l’amiable,
soit par l’intervention des tribunaux judiciaires.
Si le propriétaire n’est pas d’accord avec le prix fixé, il peut toujours, et c’est là un
point tout à fait essentiel, renoncer à vendre son bien. Le bien restera la propriété
du propriétaire primitif, mais il ne peut le vendre à un tiers.

b) L’ensemble de la procédure est soumise au contrôle du juge administratif.


Il contrôle p. ex. si la création de la zone répond bien à l’objet que lui assigne la
Législation sur l’urbanisme (CE S., 22 juillet 1992, Synd. viticole de Pessac et Léognan,
p. 298, AJDA 1993, p. 61), si le bien est bien situé dans la zone où s’exerce le droit
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122 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

de préemption (CE S., 23 juin 1995, Cne de Bouxières-aux-Dames, p. 273, DA 1996,


fasc. I, p. 2), si l’aliénation est volontaire (CAA Paris, 29 avril 1997, Mme Lhemeru,
p. 558, DA, 1997), sur la renonciation à la vente (CE, 22 févr. 1995, Cne du
Veyrier-du-Lac, p. 1082, CJEG, 1995, p. 229) sur la motivation du droit de préemp-
tion (CCE, 30 juillet 1997, Cne de Montreuil-sous-Bois, p. 309, D. 1999, SC, p. 56)
sur les motifs réels du droit de préemption (CE, 28 oct. 1994, Communauté urbaine
de Strasbourg, p. 477, RFDA 1994, p. 1247). (Sur l’appréciation de l’urgence en cas
d’exercice du droit de préemption : CE, 13 nov. 2002, M. Hourdin, AJDA 2003,
p. 695.) Voir aussi : validité d’une opération d’intérêt général sans mesure d’urba-
nisation mais permettant l’extension d’une entreprise importante pour la commune
(CE 6 févr. 2006, Cne de Lamotte-Beuvron, RDFA 2006, p. 439). Faculté de préemp-
ter un espace naturel sensible inconstructible et non ouvert au public (CE 7 juin
2006, Dpt du Var, RFDA 2006, p. 896).
Il n’y a pas de préemption dans le seul but de maintenir un commerce (TA Lyon
24 mai 2006, J.-C. Dumas, concl. G. Gondouin, AJDA 2006, p. 1802).
● Le droit de préemption a souvent été critiqué comme portant une atteinte très

grave au droit de propriété. En réalité, les collectivités, en général n’en abusent pas.
Informée des ventes dans la commune, celle-ci peut plus facilement mettre en
œuvre sa politique de l’habitat. Dans la pratique, le droit de préemption n’a pas
pour objet principal d’acquérir des biens, mais de lutter contre la spéculation
foncière ou éventuellement de faire des opérations foncières ou de créer des réserves
foncières pour l’avenir.
On va aussi créer de véritables « périmètres d’insalubrité » qui vont au-delà des
immeubles réellement insalubres.
● Il faudra éviter un détournement de pouvoir, consistant pour la collectivité

publique de s’appuyer sur cette procédure pour réaliser en réalité d’autres opéra-
tions d’urbanisme. Le juge contrôlera donc la validité de l’opération (CE S., 26 juillet
1982, Vigne et aussi ministre de la Santé, AJDA 1982, 1982.733).
Lorsqu’une décision de préemption est annulée, le juge peut prescrire à l’auteur de
la préemption de s’abstenir de revendre le bien illégalement préempté et de proposer
à l’acquéreur évincé, puis le cas échéant au propriétaire initial, d’acquérir ce bien.
Si entre-temps le bien a été revendu, l’exécution de l’annulation de la décision de
préemption n’impose pas au juge d’ordonner des mesures qui tendraient à la remise
en cause de cette revente (CE S., 26 févr. 2003, M. et Mme Bour, AJDA 2003, p. 729 ;
v. aussi responsabilité, CAA Paris, 3 févr. 2004, M. et Mme Bour, AJDA 2004, p. 1605.)
L’affaire Bour a entraîné des complications d’exécution extrêmement difficiles
(EDCE 2004, p. 130) qu’on ne peut exposer en entier ici. Finalement, la Section
du rapport et des études a suggéré que la commune, sans attendre l’aboutissement
de la procédure judiciaire et dans le souci de prévenir une procédure administrative
contentieuse relative aux parcelles non revendues, réexamine avec les intéressés le
sort de ces parcelles.
Autre exemple intéressant : pour exécuter un jugement déclarant illégale une
préemption, la commune doit procéder à la rétrocession du bien en le proposant
à l’ancien acquéreur. Elle exécutera la jugement en le lui proposant au prix qu’elle
a effectivement payé, même si elle a bénéficié d’un enrichissement sans cause dont
l’appréciation ne relève pas du juge de l’exécution (TA Lyon 15 nov. 2005, Joseph
Pereton, AJDA 2006, p. 149, concl. J.-P. Chenevey). V. aussi CE 6 sept. 2006, France
Télécom, AJDA 2007, p. 155.
Lorsqu’il y a une illégalité fautive dans l’exercice de droit de préemption, la
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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 123

réparation du préjudice peut être invoquée par le propriétaire (CE 15 mai 2005,
Cne du Fayet, RFDA 2006, p. 895).
Les procédures de référé autorisent le juge à ordonner la suspension des décisions
d’exercice du droit de préemption. La jurisprudence est assez mitigée : d’une part
elle est assez encourageante pour les acquéreurs évincés ; d’autre part, les demandes
de suspension formés à l’appui du référé-liberté en particulier apparaissent plus
difficiles à obtenir étant donné la condition rigoureuse d’une atteinte grave et
manifestement illégale portée à une liberté fondamentale (v. art. Laurence Dard-
halon, AJDA 2005, p. 22777) (pour un exemple récent d’admission du référé-
suspension : CE 23 janvier 2006, Cne de Blauzac, AJDA 2006, p. 1006).

E. La procédure d’expropriation pour risques naturels majeurs


C’est à propos de l’éventuel glissement de terrains à Sechilienne près de Grenoble qui
risque de détruire plusieurs dizaines d’habitation et de faire de nombreux morts,
lorsque le risque se réalisera, qu’a été prise cette loi très récente du 2 décembre 1995.
Mais cette loi va bien plus loin et tend à prendre en compte les catastrophes natu-
relles qui pourraient surgir. On est bien en présence d’un véritable nouveau cas
d’expropriation.
Lorsqu’existe un risque naturel important, on peut déclarer la zone inconstructible.
Mais que faire des habitations et bâtiments déjà existants ? Après de nombreuses
discussions, la loi du 2 décembre 1995 a prévu une procédure d’expropriation spéci-
fique puisque l’État se rend acquéreur de biens dont il n’a nullement besoin et le
montant de l’indemnité sera calculé comme si le risque majeur, qui en fait déprécie
l’immeuble, n’existait pas.
Cette procédure est facultative, et l’État est seul juge de mener ou de ne pas mener
l’opération. Mais les possibilités de l’État sont limitées aux « risques prévisibles de
mouvements de terrain, d’avalanches, de crues torrentielles » qui menacent grave-
ment les vies humaines. Il faut en outre que les moyens de protection éventuels soient
impossibles ou trop coûteux.
Ainsi les conditions de mise en œuvre de la procédure restent-elles tout de même
limitées. Il ne pourra pas s’agir de séismes éventuels, de cyclones ou de tempêtes, ni
même d’inondations cycliques où en principe on peut évacuer les habitants.
Si on tient compte de l’expérience de Sechilienne dans l’Isère, on se rend compte
que la loi n’est pas facile à appliquer. La date de la réalisation du risque ne pouvant
pas être déterminée (demain, dix ans, mille ans ?), les « expropriés » ont fréquemment
tendance à préférer rester dans leur habitation que de se faire indemniser et de partir.
Pourtant, pour inciter au départ, l’indemnisation, comme il a été indiqué, ne tient pas
compte du risque naturel et elle devrait permettre en principe aux expropriés de se
reloger dans les mêmes conditions.
La jurisprudence a été amenée à prendre position sur certains éléments de la loi. À
propos de l’affaire Sechilienne, le juge, en limitant son contrôle portant sur le coût des
indemnités d’expropriation comparé au coût des autres mesures de sauvegarde et de
protection des populations et par suite sur la légalité interne de la DUP, confirme
la supériorité du principe de l’appropriation publique des terrains exposés à un risque
majeur (CE S., 7 avril 1999 Assoc. Vivre et rester au pays et autres, AJDI, 1999,
p. 808-809).
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 130

124 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Conclusion sur l’expropriation : Le problème de l’expropriation reste fondamental d’au-


tant qu’il est lié de plus en plus à celui d’acquisitions de terrains par les collectivités
publiques en matière d’opérations d’urbanisme. Les projets de réforme actuellement
en cours cherchent en particulier à accélérer la procédure, à améliorer la formation
donnée au juge, et la fixation des indemnités à un juste niveau (v. conclusion générale
p. 128).
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 131

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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 125

T ITRE II
La réquisition
La réquisition est un procédé forcé qui permet à l’administration de se procurer la
propriété et l’usage des biens mobiliers, l’usage des biens immobiliers, le service
d’entreprises ou de personnes. La procédure est très simplifiée par rapport à l’expro-
priation mais l’utilisation en reste limitée.
Jusqu’à une date récente la réquisition était uniquement militaire, elle avait pour objet
l’acquisition de biens mobiliers et en principe elle était limitée au temps de guerre.
Mais un droit de réquisition civile a été créé par le décret-loi du 11 juillet 1938 sur
l’organisation de la nation en temps de guerre. Elle ne porte plus seulement sur
l’acquisition des meubles mais sur les objets et les services les plus divers. L’application
du procédé s’est étendue, du moins dans la pratique, en dehors du temps de guerre,
fictivement maintenu.
Si les réquisitions militaires sont toujours régies par la loi du 3 juillet 1977, les
réquisitions civiles sont variées et résultent aussi bien de la loi du 11 juillet 1938 que
de l’ordonnance du 6 janvier 1962. Il faut y ajouter l’ordonnance du 7 janvier 1959
portant organisation générale de la défense.
Il existe aussi des régimes particuliers diversifiés tels que le « logement d’office », droit
de réquisition du maire, etc. Il faut surtout constater que les régimes de réquisition
sont très variables.
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 132

126 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> C HAPITRE I
LES POSSIBILITÉS D’EMPLOI
DE LA RÉQUISITION

§ 1 - L ES RÉQUISITIONS MILITAIRES
Elle n’est ouverte qu’en vue de satisfaire à un besoin proprement militaire. Ce droit
est ouvert en cas de mobilisation, de rassemblement de troupes ou lorsque les « cir-
constances l’exigent » (loi 21 janv. 1935). Cette dernière détermination se fait en
Conseil des ministres.
Alors qu’en cas de mobilisation, la réquisition peut porter sur des objets très divers,
en dehors de ce cas, la réquisition militaire est plus limitée (surtout logement,
cantonnement, etc.).

§ 2 - L ES RÉQUISITIONS CIVILES
Le droit de réquisition peut être mis en œuvre dans de nombreuses hypothèses :
mobilisation, agression manifeste, période de tension extérieure lorsque les circons-
tances l’exigent en cas d’état d’urgence. La loi sur l’organisation de la défense nationale
du 7 janvier 1959 a prévu d’autres cas de réquisition (mise en garde, menace).
Malgré la fin des hostilités en 1945, la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la
nation en temps de guerre a pris un caractère permanent.
Les réquisitions ont été largement étendues par les textes : réquisitions en propriété
ou en usage de biens (sauf la propriété des immeubles) réquisitions de personnes et
de service, réquisitions d’entreprises (moyens matériels et personnels).
Les buts de la réquisition sont devenus extrêmement divers. Elle peut être employée à
la « satisfaction des besoins du pays » (loi 1938). Le Conseil d’État a donné de cette
notion une conception très extensive (p. ex. création d’un terrain de sports, réquisition
de personnel gréviste).
Les pouvoirs de réquisition du préfet en temps de paix ne pouvaient se fonder sur un
texte de portée générale comme le Code général des collectivités territoriales, mais
uniquement sur l’ordonnance du 6 janvier 1959 relative aux réquisitions de biens et
service qui reste applicable en dehors du temps de guerre pour les besoins du pays (TA
de Lille, 2 mai 2002, Sté France Manche, AJDA 2002, p. 933, réquisitions d’usines à
Sangatte pour y installer des étrangers-légalité). Mais le Tribunal des conflits vient
d’admettre une importante exception (T. confl. 26 juin 2006, AJDA 2006, p. 1891
et s., concl. J.-H. Stahl). Le préfet tient du Code général des collectivités territoriales
la possibilité de prendre toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté
et de la tranquillité publique ; il peut ainsi requérir, en cas d’urgence, tout médecin dans
le but d’assurer ou de rétablir la continuité des soins ambulatoires interrompus par des
mouvements de refus concertés et répétés des médecins libéraux d’assurer les gardes de
nuit et des fins de semaine. Par ailleurs la détermination du montant de l’indemnisation
alloué au médecin réquisitionné appartient à la juridiction administrative.
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 133

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2 P A R T I E – E X P R O P R I A T I O N E T R É Q U I S I T I O N - 127

> C HAPITRE II
PROCÉDURE ET CONTENTIEUX

§ 1 - LA PROCÉDURE
● S’il existe certaines garanties pour les administrés, elles sont nettement moins
importantes qu’en matière d’expropriation.
● Si le droit de réquisition civile n’appartient qu’aux ministres (avec certaines possi-
bilités de délégation), la réquisition militaire appartient aux ministères des Armées et
à certains généraux avec possibilité de délégation.
● La réquisition doit être écrite et signée. Pour respecter l’égalité des charges, elle se
fait par l’intermédiaire du maire.
● Les réquisitions militaires peuvent être exécutées d’office, mais non les réquisi-
tions civiles (T. confl. 27 nov. 1952, Flavigny, p. 647), sauf les réquisitions de logement
(T. confl. 12 mai 1949, Dumont, p. 596).
● L’indemnisation est postérieure à la réquisition. L’évaluation se fait par l’intermé-
diaire de barèmes et tarifs établis à l’avance par le ministre. La détermination précise
se fait par des commissions départementales d’évaluation.

§ 2 - LE CONTENTIEUX
● Le droit des réquisitions a fait l’objet d’un développement considérable au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale.
● Le juge administratif est compétent pour statuer sur l’acte administratif individuel
de réquisition sauf en cas de voie de fait. Le juge pénal apprécie la légalité des mesures
entraînant sanctions pénales de l’ordonnance du 11 juillet 1938.
● En matière d’indemnisation, le régime est complexe. La plupart des régimes pré-
voient que le juge judiciaire est compétent pour les réquisitions régulières. En cas de
réquisition irrégulière, la compétence se partage entre le juge administratif et le juge
judiciaire en cas d’emprise et de voie de fait.
Conclusion : spécialement important est le régime particulier du logement d’office
institué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étant donné la crise du logement.
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 134

128 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Conclusion générale : l’avenir du régime d’expropriation


● Il est possible que l’acquisition des biens par la collectivité publique ne subisse pas
d’évolution fondamentale. Que l’on arrive plus fréquemment à des achats à l’amiable
ou que la procédure d’expropriation soit rendue de plus en plus transparente par le
développement de nouvelles enquêtes, études d’impact et autres procédures, ne modifie
pas les bases du système. On voit mal comment même dans une société ouverte à la
concurrence, l’acquisition autoritaire de biens par la collectivité ne continuera pas à
constituer une nécessité. Le développement des technologies en matière de transports
aériens (aéroports), routiers, ou ferroviaires, ne pourra se faire par les seules acquisi-
tions à l’amiable. Le développement éventuel par le juge, de la théorie du bilan
– comparaison plus marquée des avantages et des inconvénients d’une opération –
réduira peut-être la marge de manœuvre de l’administration gestionnaire, mais ren-
forcera les pouvoirs du juge administratif et éventuellement du droit qu’il applique.
Cette vision du caractère inéluctable de la nécessité de maintenir l’expropriation pour
cause d’utilité publique, a été probablement l’une – mais pas la seule cause du
renforcement des pouvoirs judiciaires en la matière. Il n’est pas exclu qu’un jour sa
compétence portera sur l’acte initial, la déclaration d’utilité publique. Les tendances
actuelles ne vont cependant guère en ce sens. Il faudra cependant tenir compte de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
● Toutefois, d’autres procédures de droit administratif, finalement très importantes
quoique moins connues d’acquisition autoritaire des biens, risquent d’être mises plus
à mal. Ainsi le droit de préemption – sorte d’acquisition semi-autoritaire – lorsque le
propriétaire met en vente des biens immobiliers – a été considéré – à tort à notre avis,
comme trop attentatoire à la liberté contractuelle des parties et des lois récentes ont
déjà atténué le régime de ce droit. Il est possible, voire probable, que le droit de
préemption ne puisse à l’avenir s’exercer que sous des conditions de plus en plus
restrictives ou qu’il risque même de disparaître complètement.
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 135

T R O I S I È M E P A R T I E

LE TRAVAIL PUBLIC

La théorie du travail public constitue l’une des théories les plus importantes du droit
administratif. Cette importance fondamentale s’explique de différentes façons.
1. Ancienneté : La théorie des travaux publics est l’une des plus anciennes du droit
administratif puisqu’elle trouve sa source dans la loi du 28 pluviôse de l’an VIII qui
a donné compétence aux conseils de préfecture pour connaître les litiges en matière
de travaux publics ; elle a ainsi permis au droit administratif de faire de grands progrès
à une époque où les grandes théories devenues traditionnelles depuis (contrat, res-
ponsabilité) étaient inexistantes.
2. Ampleur juridique : Par notion de travail public, il ne faut pas simplement entendre
les grands travaux en matière immobilière. Les problèmes posés par l’existence d’ou-
vrages achevés sont aussi réglés par la théorie du travail public ; de même constituent
des travaux publics, de simple travaux d’entretien. Par ailleurs, la notion de travail
public lorsqu’elle est en concurrence avec d’autres notions juridiques a un caractère
particulièrement attractif ; un litige qui par un de ses aspects présente un caractère de
travail public devient très fréquemment « Travail public » dans son ensemble.
3. Ampleur de fait : Les travaux publics constituent l’une des principales activités de
l’État et des collectivités locales. Plusieurs millions de personnes sont, directement ou
indirectement, occupées par les Travaux publics ; les dépenses se comptent en dizaines
de milliards de francs. L’industrie des travaux publics constitue l’une des grandes bases
de l’économie du pays.
4. Particularité : La théorie des dommages de travaux publics a ouvert la voie au
développement de la responsabilité sans faute.
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 136

130 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> C HAPITRE I
LA DÉFINITION DU TRAVAIL PUBLIC

> SECTION 1
La définition du travail public proprement dit
La loi du 28 pluviôse an VIII est une loi réglant des problèmes de compétence ; la
compétence contentieuse en matière de travaux publics appartient au juge adminis-
tratif. La loi n’a pas donné de définition du travail public. Cette définition est l’œuvre
de la jurisprudence. Cette notion de travail public concerne à la fois un travail
proprement dit aussi bien qu’un ouvrage public (p. ex. barrage).
Définition actuelle : le travail public est un travail immobilier exécuté dans un but
d’utilité générale, soit pour le compte d’une personne publique, soit pour la
réalisation d’une mission de service public à condition, que dans cette dernière
hypothèse, il soit réalisé par une personne publique.
La notion de travail public comprend donc des éléments communs et des éléments
alternatifs.

§ 1 - L ES ÉLÉMENTS COMMUNS DE LA DÉFINITION


A. Le travail
Cet élément a déjà été analysé ci-dessus ; par travail on entend non seulement les
modifications importantes concernant la structure de l’immeuble mais aussi l’ou-
vrage public achevé ainsi que les simples opérations matérielles (entretien, nettoie-
ment, balayage, inhumation et exhumation dans les cimetières, nettoiement des voies
publiques).
B. Le caractère immobilier
La notion d’immeuble retenue est celle que lui donne la jurisprudence en droit civil
(immeuble bâti ou non, immeuble par nature ou par destination). Il n’y a pas travail
public sur un élément mobilier (p. ex. installation de gradins démontables).
C. Le but d’utilité générale
Il n’y a travail public que lorsque les travaux sont effectués dans un but d’utilité
générale. Cette notion est extrêmement vaste.
1. La notion d’utilité publique est plus vaste que celle de service public ou de
domaine public.
● Il peut y avoir travail public sans service public. Ainsi, les travaux d’entretien d’une
église sont des travaux publics, alors que, depuis 1905, le culte ne constitue plus un
service public (CE, 1er juin 1921, Cne de Monségur, p. 573).
● Il peut y avoir travail public en dehors du domaine public, p. ex. des travaux exécutés
sur le domaine privé ou sur la propriété de particuliers (CE, 12 avr. 1957, Mimouni,
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 137

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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 131

p. 262). En tout état de cause la notion de travail public est indépendante de celle de
domaine public (T. confl. 24 oct. 1942, Préfet des Bouches-du-Rhône).
2. La notion d’utilité publique ne trouve de limite que lorsque les travaux sont effectués
dans un intérêt purement financier ou patrimonial (création de routes forestières
pour l’évacuation du bois, réparation d’immeubles de rapport) ou dans un intérêt
privé.

§ 2 - L ES ÉLÉMENTS ALTERNATIFS DE LA DÉFINITION


À côté de ces éléments communs de la définition, d’autres conditions doivent être
réalisées pour qu’un travail soit un travail public. Mais tout comme la définition du
contrat administratif, ces conditions se dédoublent. Il faut et il suffit que le travail
réponde à l’une ou l’autre des deux conditions suivantes :
– travail réalisé pour le compte d’une personne publique ;
– travail effectué en exécution d’une mission de service public, à condition qu’il
soit alors réalisé par une personne publique.
A. Travail réalisé pour le compte d’une personne publique
C’est la condition traditionnelle (CE, 10 juin 1921, Cne de Monségur, op. cit.). Après
la séparation de l’Église de l’État, un accident s’était produit, en 1908 dans une église
située en Gironde, à Monségur. Trois enfants s’étaient suspendus à la vasque du
bénitier. Le bénitier se renversa. Un morceau de marbre sectionna la jambe d’un
enfant à la hauteur de la cheville. Après avoir été condamné par le conseil de
préfecture, la commune fut condamnée en appel par le Conseil d’État. La Haute
juridiction estime que les « actions dirigées contre les communes à raison des
dommages provenant du défaut d’entretien des églises rentrent dans la compétence
du conseil de préfecture ». En effet, si depuis la loi de séparation des Églises et de
l’État le service du culte ne constitue plus un service public, les églises restent à la
disposition des fidèles. « Qu’il suit de là que les travaux exécutés dans une église pour
le compte d’une personne publique, dans un but d’utilité générale, conservent le
caractère de travaux publics. »
Il faut que le travail soit fait par la personne publique elle-même (même si l’activité
est industrielle ou commerciale) pour son compte ou par un tiers (entrepreneur)
pour le compte de la personne publique. La notion pour « le compte de » a pris peu
à peu un sens assez large : travaux effectués par le concessionnaire, car les ouvrages
font retour à la collectivité à la fin de la concession (CE, de Sigalas, 1928, p. 785),
travaux contrôlés par la puissance publique, travaux ordonnés sur un immeuble privé
pour éviter un éboulement. La jurisprudence fait encore largement application de ce
critère (CE, 19 févr. 1969, EDF c/ Entr. Pignetta et Repetti, p. 107). Un contrat unique
afférent à deux opérations dont l’une est réalisée pour le compte d’une personne
publique a, dans son ensemble, le caractère d’un marché de travaux publics (CE,
18 mars 1988, Sté civile des Néopolders, req. 69.273). Est un travail public, le travail de
construction effectué par des particuliers reliant une canalisation à l’ouvrage public
communal et remettant en état la voie publique (CE, 15 févr. 1989, Mignot, RFDA
1989, p. 375). Idem s’il s’agit de travaux pour une installation de chauffage déjà
existante au profit d’EDF-Gaz de France (T. confl. 23 oct. 2000, Solycaf c/ EDF,
Juris-data 2000, no 127337), de travaux de déplacement d’un transformateur d’électri-
cité (T. confl. 22 juin 1998, Cts Bussereau, Gaz. Pal., 1999-I-34)
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 138

132 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Autres exemples : travaux de débardage effectués par un entrepreneur sous le contrôle


de l’ONF suivant un accord conclu avec un syndicat intercommunal. Constituent des
travaux publics les travaux pour protéger un « chêne classé » (T. confl. 5 juill. 1999,
Cne de Stetten, Bull. civ., no 25) ; idem pour la construction d’un bâtiment industriel
réalisé par la commune maître de l’ouvrage dont le but est le développement écono-
mique et la création d’emplois sur le territoire (CE, 30 oct. 1998, Sté Lait Bellevue, RD
rur., 1999, p. 25-163) Constituent des « travaux publics » des travaux effectués de
réhabilitation d’une église pour le compte d’une commune (T. confl. 18 oct. 1999, Sté
Cussenot, Gaz. Pal., 16-17 juin 2000, p. 41). Mais récemment le juge a estimé que le
contrat relatif à la construction d’une direction départementale que le conseil général
se réserve seulement d’utiliser et d’acquérir éventuellement ultérieurement, n’est pas
un contrat portant sur un travail public (CE, 12 oct. 1988, Min. Aff. soc., LPA 19 juill.
1989, p. 10-15).
Une association syndicale peut avoir le caractère d’établissement public. Des travaux
effectués et financés selon les règles applicables aux associations syndicales sont des
travaux publics car réalisés par une personne publique pour l’exécution même de sa
mission de service public, il en est ainsi même si un particulier en est le seul bénéficiaire
(T. confl. 28 sept. 1998, Ribeiro, RFDA 1999, p. 425).
Les travaux ayant pour objet l’entretien et la réparation des installations de chauffage
de groupes scolaires appartenant à une commune sont des travaux publics, ils empor-
tent réalisation de travaux sur des immeubles, pour le compte d’une personne publique
et dans un intérêt général (T. confl. 7 juin 1999, Cne de Villeneuve d’Ascq c/ Sté Demars,
RFDA 1999, p. 1111.)
Constituent des travaux publics, la réalisation par une personne privée de travaux
immobiliers à des fins d’intérêt général telle que la réalisation par l’aménageur d’une
zone privée, d’un sens giratoire reliant des voies publiques (T. confl. 18 déc. 2000,
RFDA 2001, p. 514).
Constituent des travaux publics la création d’une station d’épuration sur le domaine
public pour le compte de l’État, par les concessionnaires et sous-concessionnaires de
l’État, assurant une mission de service public d’exploitation des installations annexes
de l’autoroute. La demande en réparation éventuelle est de la compétence adminis-
trative (T. confl. 26 juin 2006, Sté Perriol, AJDA 2006, p. 1916).

B. Travail effectué en exécution d’une mission de service public par une


personne publique
1. Si le premier critère est traditionnel, ce second critère est relativement plus récent.
Il a semblé nécessaire de soumettre au régime des travaux publics, des travaux qui
sont effectués pour le compte de simples particuliers, dans la mesure où les particuliers
participent à une mission de service public. C’est la jurisprudence Effimieff.
2. L’extension réalisée par l’arrêt Effimieff (T. confl. 28 mars 1955, p. 617). D’après
cet arrêt, constituent des travaux publics, les travaux exécutés en vue d’une mission
de service public même si ces travaux sont faits pour le compte de particuliers (en
l’espèce, travaux de reconstruction immobilière). Cette importante jurisprudence a été
largement confirmée (CE, 20 avr. 1956, Min. Agriculture c/ Consorts Grimouard, travaux
de reconstitution de la forêt française, p. 284, CE, 12 avr. 1957, Mimouni, p. 262
(travaux exécutés d’office sur des immeubles menaçant ruine). Elle se situe dans le
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 139

e
3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 133

cadre général du renouveau de la notion de service public ; une des difficultés d’ap-
plication vient d’ailleurs de l’imprécision de cette dernière notion.
● L’arrêt Effimieff du Tribunal des conflits du 28 mars 1955 (AJDA 1955-II-332) a une
importance fondamentale. En l’espèce pour accélérer et coordonner la reconstruction
des immeubles sinistrés du fait de la guerre, le législateur avait institué en 1948, deux
catégories de groupements. D’une part des sociétés coopératives de reconstruction,
organismes de droit privé, et des associations syndicales de reconstruction, qui sont
elles aux termes de la loi, des organismes de droit public. Les travaux effectués avaient
donné lieu à de très nombreux litiges opposant les groupements aux entrepreneurs ou
aux sinistrés. Les travaux exécutés étaient-ils des travaux de droit privé ou des travaux
publics ? L’importance de la solution donnée était très grande, car elle intéressait
plusieurs centaines d’associations syndicales regroupant près de cent mille sinistrés.
– Les tribunaux judiciaires avaient généralement admis le caractère privé de ces travaux,
les tribunaux administratifs les rangeant en revanche dans la catégorie des travaux
publics. La solution donnée par les tribunaux judiciaires était conforme à la jurispru-
dence traditionnelle. En effet, les travaux étaient exécutés au profit de particuliers et
non au profit d’une personne publique.
– Le Tribunal des conflits allait admettre la compétence administrative. Il estime que
le « Législateur en attribuant aux associations syndicales de reconstruction le caractère
d’établissements publics » a ainsi expressément manifesté son intention d’assigner à
ces organismes dans l’œuvre de la reconstruction immobilière, une mission de service
public, dans les conditions définies et pour les fins d’intérêt national visées par la loi
et le règlement et, corrélativement, de les soumettre, qu’il s’agisse des prérogatives
de puissance publique attachées à cette qualité ou des sujétions qu’elle entraîne, à
l’ensemble des règles de droit public correspondant à cette mission ; qu’il suit de là
que nonobstant le fait que les immeubles reconstruits ne sont pas la propriété de ces
associations (qui sont maîtres d’œuvre jusqu’à la réception définitive) les opérations
de reconstruction qui ont lieu par leur intermédiaire, qu’elles intéressent des immeu-
bles appartenant à des particuliers ou des biens des collectivités publiques constituent
des opérations de travail public » (v. aussi T. confl. 28 sept 1998, Ribeirs, 1999, p. 425)
● L’arrêt Grimouard (CE S., 20 avril 1956 Ministre de l’Agriculture c/ Consorts
Grimouard, AJDA 1956-II-272) pose le même problème que l’arrêt Effimieff. L’État
s’était engagé à reboiser une propriété privée ; il est donc le maître d’œuvre. Toutefois,
il ne conserve pas la propriété des plantations. Il fait l’avance des fonds nécessaires
aux travaux, mais plus tard il se remboursera sur le produit de l’exploitation. Mais le
travail est un travail public, car il constitue l’objet même du service public de
reboisement.
3. Cette jurisprudence connaît une limite importante. En effet, pour que les travaux
effectués pour le compte d’une personne privée pour la réalisation d’une mission de
service public soient considérés comme des travaux publics, il est nécessaire que ces
travaux soient réalisés par une personne publique (T. confl. 26 oct. 1987, Gilbert,
RDP 1988, p. 1467). Ainsi, ne sont pas des travaux publics des travaux exécutés par
des personnes privées pour leur compte (CE, 18 mai 1960, Grenet, p. 340) (T. confl.
26 avr. 1980, Prunet, p. 503). Même des travaux exécutés sur la voie publique par une
entreprise privée pour le compte d’une personne privée ne constituent pas un travail
public (T. confl. 7 oct. 1991, Caisse primaire Loiret, RFDA 1992, p. 690). (Il en va
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134 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

différemment des travaux des offices publics d’HLM, établissements publics. Il n’est
pas nécessaire que les travaux aient été exécutés par la puissance publique en régie
avec son propre personnel. Il suffit que la personne publique ait eu la maîtrise des
travaux.)
Ainsi l’application de ces principes n’est pas toujours aisée. Pour que les travaux soient
des travaux publics, il n’est pas absolument nécessaire que l’administration les ait
exécutés directement en régie avec son propre matériel et son personnel. Les travaux
peuvent être faits par des entrepreneurs, ce qui est généralement le cas, à condition
que les travaux soient bien sous la maîtrise d’une personne publique.
Autres exemples (portant sur l’un ou l’autre critère) :
● Des travaux d’établissement de voies de réseaux par une association foncière libre
(personne de droit privé) créés pour gérer un lotissement, ne constituent pas des
travaux publics (T. confl. 15 nov. 1999, Mollo, RFDA 2000, p. 158).
● Les travaux effectués à la demande du maire par un particulier ont pour objet
l’entretien d’un arbre classé comme monument naturel en raison de l’intérêt général
présenté par sa conservation ou sa préservation. Ces travaux, réalisés pour le compte
d’une personne publique et dans un intérêt général, ont le caractère de travaux publics
(T. confl. 5 juill. 1999, Cne de Stetten, RFDA 1999, p. 452).
Constituent des travaux publics, des travaux de construction d’un immeuble réalisés
par une commune pour le compte d’une entreprise privée dans le cadre d’une mission
de service public (développement économique) (T. confl. 17 nov. 2003, Préfet du Nord,
AJDA 2004, p. 558) ; idem travaux de construction d’un immeuble par un OPAC
(T. confl. 23 juin 2003, Mme Carras et Pierboni, AJDA 2003, p. 1838).
● Des travaux d’établissement de voies de réseaux par une association foncière libre
(personne de droit privé) créée pour gérer un lotissement, ne constituent pas des
travaux publics (T. confl. 15 nov. 1999, Mollo, RFDA 2000, p. 158).
4. L’évolution apportée par la jurisprudence se justifie par le fait que les personnes
publiques interviennent de plus en plus en matière immobilière en réalisant des
ouvrages qui peuvent devenir la propriété de personnes privées.
5. Enfin, ont le caractère de travaux publics les travaux organisés par l’organisation
européenne pour la recherche nucléaire et à laquelle la France a adhéré. Cette orga-
nisation remplit dans l’intérêt des États membres une mission de service public (travail
de percement sous le Jura, CE, 18 déc. 1981, Min. Relations extér. c/ Pelas, p. 481).
6. Des travaux d’aménagement réalisés dans une voie privée destinée à être intégrée
au domaine public peuvent être qualifiés de travaux publics (CE 30 nov. 2005, Louis
Maggioni, AJDA 2005, p. 2323).
En revanche a été jugé que des travaux réalisés sans autorisation expresse du proprié-
taire constituent une emprise irrégulière (T. confl. 21 juin 2004, SCUI Camaret
c/ Sivom, AJDA 2004, p. 1722).
Conclusion
● La notion de travail public a un caractère attractif. Ceci est d’autant plus important

que le régime juridique des travaux publics est très exorbitant du droit commun :
prérogatives de l’administration, caractères particuliers de la responsabilité, caractère
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 135

administratif du contrat, contentieux administratif, absence de la règle de la « décision


préalable ».
Ce caractère attractif se manifeste de diverses manières :

a) Un contrat qui ne porte que partiellement ou même accessoirement


sur un travail public (p. ex. contrat qui confie au cocontractant l’organisation du
travail des détenus dans une prison mais qui le charge aussi d’aménager ou
d’entretenir des locaux) forme un tout indivisible et constitue un contrat de travail
public. Il peut en être de même des contrats apparemment simples, mais dont
l’objet est en rapport avec de tels travaux (fournisseurs effectuant certains travaux
de manutention sur la voie publique, certains contrats d’engagement d’architectes,
des transactions pour régler des litiges provoqués par l’exécution d’un travail public,
concessions d’endigage mêlant travaux publics et travaux privés) (CE, 18 mars
1988, Sté civile des NéoPolders, RDP 1989, p. 520). Toutefois, en cas de convention
d’occupation privative du domaine public, s’il y a un dommage, la responsabilité
contractuelle l’emporte sur la responsabilité en matière de travaux publics (CE,
25 nov. 1994, Sté Aticam, RFDA 1995, p. 206). De même, des travaux effectués
pour le compte d’un Office national des forêts sur une route forestière ouverte à la
circulation du public mais non affectée à la circulation générale ne constituent pas
des travaux publics (T. confl. 5 juill. 1999, Mme Menu et autres, RFDA 2000, p. 452).
Il n’y a pas travail public lorsque des travaux d’établissement de voies et d’équi-
pements sont réalisés dans un lotissement par une association foncière libre et
n’agissant pas en vertu d’un mandat donné par la commune (T. confl. 15 nov.
1999, Mme Mollo c/ Sté Entr. Industrielle, RFDA 2000, p. 458).

b) Le caractère attractif est aussi marqué pour la qualification des


« dommages de travail public » (v. p. 156 et s.).
c) Il y a travail public même si la construction méconnaît les servitudes
non aedificandi et non altius tollendi établies au profit d’un fonds voisin ; il n’y a ni
emprise irrégulière, ni voie de fait (v. à propos des travaux de construction du
palais des congrès de Cannes, T. confl. 26 oct. 1981, Synd. coprop. immeuble
Armemonville c/ Ville de Cannes, p. 517).

d) Les demandes dirigées contre les actes tendant à percevoir tout ou


partie des sommes nécessaires au financement de travaux publics doivent en
principe être regardées comme des demandes en matière de travaux publics, en
particulier les demandes de remboursement de participation (CE, 22 oct. 1976, Sté
Cie française Thomson, p. 937, 12 févr. 1988, Min. urban. et log., AJDA 1988, p. 363).
Mais cette jurisprudence a toutefois des limites : ainsi la mise à la disposition de
matériels de deux sociétés exécutant des travaux publics est un contrat de droit
privé (T. confl. 23 oct. 1989, Ricci, Req. 02563).

e) Il est possible d’utiliser, en matière de travaux publics et d’ouvrages publics,


la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Le vendeur demeure maître de
l’ouvrage jusqu’à l’achèvement de la construction, mais la propriété est transférée
aux acheteurs au fur et à mesure de la construction.
Toutefois, le Conseil d’État a encadré cette possibilité (CE, 8 févr. 1991, Région
Midi-Pyrénées, p. 41, et avis du 31 janvier 1995, AJDA 1997, p. 126). Selon la Haute
juridiction, ce contrat cesse d’être licite « lorsque tout à la fois l’objet est la
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136 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

construction même d’un immeuble pour le compte de la personne publique en


cause, l’immeuble est entièrement destiné à devenir sa propriété et qu’il a enfin été
conçu en fonction des besoins propres de la personne publique ». Ces diverses
conditions jouent de façon cumulative. Ainsi est licite une vente en l’état de futur
achèvement pour la réalisation d’un parc de stationnement dans la mesure où la
vente ne concernait « qu’une partie d’un ensemble immobilier » (CAA Bordeaux,
19 mars 2002, Cté urbaine de Bordeaux, Dr. adm., 2002, no 124).

> SECTION 2
L’ouvrage public
La notion de travail public ne doit pas être entièrement confondue avec celle
d’ouvrage public, encore que la jurisprudence ne distingue pas toujours les deux
notions.
Le travail public consiste dans l’opération de construction, l’ouvrage public dans le
résultat du travail, p. ex. stade municipal de football (CE, 15 févr. 1989, Dechaume,
req. 48.447). Mais il existe des travaux publics sans ouvrage public (démolitions,
travaux sur des propriétés privées) et des ouvrages publics sans travail public (bâtiment
construit par des particuliers puis remis à l’administration). Si l’ouvrage fait partie du
domaine public, il y a ouvrage public. Mais l’ouvrage public ne se confond pas non
plus avec le domaine public. Ainsi une entreprise publique peut être propriétaire
d’ouvrages publics (CE, 7 nov. 1962, EDF c/ Consorts Jacquet, p. 1141) lorsqu’ils sont
utilisés pour assurer le fonctionnement du service public. De même les ouvrages
appartenant à un concessionnaire, mais directement affectés au fonctionnement du
service public sont des ouvrages publics (T. confl. 12 déc. 1955, Ané, p. 628). Enfin, les
branchements de canalisation, d’eau, d’électricité et de gaz, sont des ouvrages publics
jusqu’au compteur. De même sont des ouvrages publics, les immeubles construits par
des offices d’HLM, même si les occupants deviennent propriétaires du logement.
Constituent des ouvrages publics les voies privées – fort nombreuses dans certaines
communes – ouvertes à la circulation et entretenues par la commune.
La notion d’ouvrage public est souvent incertaine et semble le devenir de plus en plus
(v. art. Pierre Sablière : « Contribution à l’étude des incertitudes pesant sur la notion
d’ouvrage public », AJDA 2005, p. 2324 et s. à propos des ouvrage de production, de
transport et de distribution d’électricité ; application de la loi du 9 août 2004). La loi
du 20 avril 2005 relative aux aéroports prévoit expressément, alors que cela ne semblait
pas nécessaire, que les ouvrages d’Aéroport de Paris affectés au service public demeu-
rent des ouvrages publics. Cette « redondance » montre les incertitudes de la notion
d’ouvrage public (v. F. Melleray, AJDA 2005, p. 1376 et s.).
● Très longtemps la jurisprudence aussi bien administrative que judiciaire avait admis
le principe « qu’ouvrage public même mal implanté ne se détruit pas ».
Le juge judiciaire affirmait clairement sous l’autorité du Tribunal des conflits qu’« il
n’appartient en aucun cas à l’autorité judiciaire de prescrire aucune mesure de nature
à porter atteinte sous quelque forme que ce soit, à l’intégrité ou au fonctionnement
d’un ouvrage public » (T. confl. 6 févr. 1956, Cons. Sauvy p. 586, Civ. 3e, 9 mars 1982,
JCP 1982.IV.185).
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 137

Les juges judiciaires ont longtemps admis ce principe même lorsque la construction
de l’ouvrage public était constitutive d’une voie de fait. L’intangibilité de l’ouvrage
public l’emporte sur la voie de fait. En fait, on est en présence d’une expropriation
indirecte. Le tribunal judiciaire se bornait à constater le transfert de propriété et à
assurer une indemnité.
Le juge administratif avait une position analogue. Le juge administratif avait en
principe deux motifs de rejet s’appuyant aussi bien sur le principe de l’intangibi-
lité de l’ouvrage public que sur l’impossibilité de donner des injonctions à l’adminis-
tration.
On pouvait se demander pourquoi les ouvrages publics sont intangibles. Seuls des
auteurs anciens comme Aucoc ou Laferrière avaient avancé des explications, l’un
admettant l’idée de « l’intérêt général » l’autre l’idée de « l’intérêt financier ».
Le principe d’intangibilité des ouvrages publics a été fortement bousculé aussi bien
par la jurisprudence que par le législateur.
Tout d’abord le Conseil d’État dans un arrêt Ép. Denard et Martin (CE S., 19 avril
1991, AJDA 1991, p. 563) n’invoque plus le principe d’intangibilité de l’ouvrage public,
mais il va rejeter le recours au fond. Des riverains d’un chemin avaient formé un
recours contre le refus du maire de supprimer une petite buse qui servait à l’écoulement
des eaux. Le Conseil d’État rejette la demande car la décision du maire n’était pas
entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. On peut supposer, a contrario, que
s’il y avait eu erreur manifeste, la demande aurait été admise.
La solution n’était cependant pas encore très claire. La Cour de cassation allait bientôt
suivre la voie ouverte par le Conseil d’État. Dans un arrêt d’Assemblée du 6 janvier
1994 (Ass. plén., Consorts Baudon de Mony c/ EdF, AJDA 1994, p. 339) la Cour de
cassation était amenée à statuer dans une affaire où des barrages hydroélectriques
avaient été implantés sur des terrains qui, suite à l’annulation ultérieure de la vente
étaient revenus dans le patrimoine des vendeurs. La Cour estime qu’un transfert de
propriété non demandé par le propriétaire ne peut intervenir qu’à la suite d’une
procédure régulière d’expropriation. Autrement dit, il n’y a pas eu transfert de
propriété par voie de « l’expropriation indirecte ».
Certes, la Cour de cassation ne fait pas détruire l’ouvrage public. Mais elle renonce au
transfert forcé du droit de propriété qui existait jusque là.
Il faut signaler aussi que la loi du 8 février 1995 qui permet au juge administratif
d’adresser des injonctions à l’administration et d’assortir cette injonction d’une
astreinte. Il semble que ce texte permet au juge administratif, en le combinant avec la
jurisprudence citée de la Cour de cassation et du Conseil d’État, de prescrire à
l’administration la destruction de l’ouvrage public mal implanté.
Il faut toutefois reconnaître que longtemps la jurisprudence était hésitante. Elle l’est
moins à l’heure actuelle.
Le Conseil d’État, dans l’arrêt Synd. départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-
Maritimes (29 janvier 2003, RFDA 2003, p. 414), donne d’autres précisions. À propos
de l’implantation irrégulière d’un pylône électrique (la DUP approuvant le tracé de la
ligne ayant été annulée) le juge distingue entre deux types d’action : s’il y a voie de
fait, le juge judiciaire, compétent, doit rétablir le propriétaire dans ses droits, au besoin
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138 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

en ordonnant la démolition de l’ouvrage. Mais le juge administratif est compétent


hors de la voie de fait (T. confl. 6 mai 2002, Binet, RFDA 2002, p. 1009). Dans cette
hypothèse, le juge fera un « bilan » entre les intérêts en présence en recherchant si la
« démolition de l’ouvrage n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».
La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 avril 2003, a elle-même donné la même
interprétation (compétence judiciaire en cas de voie de fait, et éventuellement démo-
lition de l’ouvrage).
Pour des exemples de destruction d’ouvrages « mal implantés » : CAA Nantes 18 avril
2006, Assoc. Manche-Nature, AJDA 2006, p. 1954 ; injonction de démolir un ouvrage
public non légalement régularisable, dès lors qu’il y a atteinte à un site remarquable du
littoral et que l’ouvrage ne constitue qu’une simple commodité ; CE 9 juin 2004, Cne de
Peille, RFDA 2004, p. 856. Obligation de démolition d’une ligne électrique ; impossibilité
de régularisation ; injonction de démolition dans un délai d’un an. En revanche, refus
de démolition d’un ouvrage public dont le permis a été annulé, car il peut être régularisé
(CAA Lyon, 6 juillet 2006, SCI Plein Sud, AJDA 2006, p. 2139).
● La notion d’ouvrage public est, elle aussi, soumise à certaines conditions :

a) seuls peuvent être qualifiés « ouvrages publics » les biens qui sont le
résultat d’un travail de l’homme, peu importe l’importance de l’ouvrage (il peut
s’agir d’une petite rigole ou de l’arc de Triomphe) ; idem chemins ruraux ouverts
à la circulation (CAA Bordeaux, 8 mars 1999, Yerle, Juris-data, 043397) ;
b) l’ouvrage public ne peut être qu’immobilier (ce qui n’est pas le cas
p. ex. de tribunes ou gradins démontables posés sur la voie publique). Mais il y a
parfois hésitation (p. ex. en ce qui concerne les bacs à péage) tribune démontable
dans un stade adapté à la configuration du stade avec des aménagement spéciaux,
ouvrage public (CE, 11 déc. 1970, Ville de Saint-Nazaire, p. 364). Ne constitue pas
un ouvrage public un banc non fixé au sol qui avait le caractère d’un bien
« mobilier ». La responsabilité en matière de travaux publics (v. p. 156 et s.) ne
peut jouer (CE, 26 sept. 2001, RFDA 2001, p. 131) ;
c) l’ouvrage peut être affecté à un service public industriel et commer-
cial (p. ex. barrages d’EDF) ; idem : CAA Lyon, Couture, Juris-data, 2001-151672) ;
d) il n’y a ouvrage public que s’il y a aménagement particulier et que
l’ouvrage soit affecté à une destination d’intérêt général ; intéressantes
décisions sur le droit moral des auteurs sur une œuvre « architecturale » (ouvrage
public : CAA Nantes 27 déc. 2002, Ville de Cholet, AJDA 2004, p. 2114 ; v. aussi
CE 11 sept. 2006, Agopyan, AJDA 2006, p. 2189 : en l’espèce la « dénaturation » de
l’œuvre d’art au stade de France n’était pas indispensable) ;
e) mais les « couloirs aériens » au-dessus des aérodromes ne constituent
pas des ouvrages publics (CE, 2 déc. 1987, Cie Air Inter et autres, AJDA 1988,
p. 166) ni par elles-mêmes les « pistes de ski » (CE, Rebora, 12 sept. 1986, p. 281),
contrairement aux ouvrages en bordure (CE, 13 févr. 1987, Viéville, AJDA 1987,
p. 487-488). Ne constitue pas un ouvrage public un chemin tracé sur le sommet
d’une falaise même agrémenté de bancs (CAA Nantes, 28 févr. 2001, 151619) ;
f) très fréquemment les ouvrages publics font partie du domaine
public. Les conditions pour faire entrer un bien dans le domaine public ou pour
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le considérer comme ouvrage public sont analogues (affectation à « l’utilité publi-


que », ou même « aménagement spécial »). Mais les deux notions sont loin de se
recouvrir.
Tout d’abord des biens du domaine privé peuvent fort bien être des ouvrages
publics. Il en va en particulier ainsi des chemins ruraux classés par les textes jusqu’à
une date récente dans le domaine privé et qui constituent bien des ouvrages publics
et surtout des logements construits par des offices publics d’HLM qui sont bien
des ouvrages publics (CE, 8 mars 1985, Vittet, DA, 1985 no 222.
Inversement, le domaine public n’est pas seulement constitué de biens immobiliers
même si ceux-ci sont prédominants, de plus le domaine public comprend largement
des dépendances naturelles.
Conclusion
La détermination du caractère du travail ou de l’ouvrage est souvent malaisée dans
la pratique. En particulier, il n’est pas toujours aisé de déterminer la nature des travaux
exécutés par les entreprises publiques et les sociétés d’économie mixte (v. par ex. CE,
20 mars 1968, Sté Entr. Au clair). Dans la mesure toutefois où ces travaux portent sur
le domaine public ou des ouvrages publics, ou que ces entreprises gèrent des services
publics, les travaux peuvent avoir le caractère de travaux publics (v. T. confl. SNCF,
17 janv. 1972, p. 944).
Mais la question est très délicate et l’application de la jurisprudence Effimieff aux
services publics industriels et commerciaux reste discutée.
Il faut souligner aussi que depuis la loi du 26 juillet 1996 qui a modifié la loi du
2 juillet 1990 relative à France Télécom, les ouvrages de télécommunications de
France Télécom ne présentent plus le caractère d’ouvrage public (CE, 11 juillet 2001,
Adelée, RFDA 2001, p. 1133). Cette décision est fondamentale et montre bien la
difficulté, déjà analysée (v. p. 37, 86), depuis la mise en œuvre des privatisations pour
déterminer le régime juridique des biens des entreprises partiellement ou entièrement
privatisées. Le Conseil d’État admet toutefois que les installations incorporées à un
ouvrage public tel qu’une voie publique, et qui en constituent une dépendance, sont
des ouvrages publics ; il y a donc des ouvrages publics par accessoire.
Il est possible de demander l’interruption des travaux publics par la nouvelle procédure
de référé-suspension (à propos de la réouverture du tunnel du mont Blanc, CE, 5 nov.
2001).
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140 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

> C HAPITRE II
LE RÉGIME JURIDIQUE DU TRAVAIL PUBLIC

> SECTION 1
Le projet de travail public
● L’existence d’un ministère chargé des travaux publics n’implique pas que la totalité
des opérations de travail soient faites sous l’égide de ce ministère. Il faut surtout mettre
en évidence l’importance particulière d’un grand service, celui, anciennement dit, des
Ponts et Chaussées, véritable administration des travaux publics, mais dont la struc-
ture a beaucoup évolué.
● L’initiative de la mise en œuvre d’un travail public revient aux autorités de la
personne publique qui veut réaliser le travail. Il faut signaler à cet égard qu’en principe
l’administration est libre de réaliser un travail ou de ne pas le réaliser (sauf p. ex. obli-
gation d’entretenir les bâtiments, entretien obligatoire des cimetières par les commu-
nes, etc.).
● La réalisation d’un travail public est souvent une opération complexe. Aussi de très
nombreuses personnes et autorités interviennent-elles à titre divers : consultations,
autorisations. Si l’intervention du législateur était parfois nécessaire avant 1958, l’au-
torisation de principe est aujourd’hui donnée selon le cas, par décret en Conseil d’État,
par le ministre, le préfet ou l’ingénieur en chef.
● Il existe en France quelques grandes entreprises de travaux publics : société Bouygues,
Lefebvre, Vinci, Eiffage, etc.

> SECTION 2
Les modes d’exécution du travail public

§ 1 - L ES DIFFÉRENTS MODES D ’ EXÉCUTION


Pour réaliser un travail public, l’administration a le choix entre divers procédés : la
régie, la concession de travail public, l’autorisation unilatérale ; l’offre de concours
constitue aussi, le cas échéant, un mode de réalisation du travail public. Le mode le
plus important est le marché de travaux publics (v. § 2).
A. La régie
Dans ce système, finalement assez peu utilisé pour les travaux importants, l’adminis-
tration exécute elle-même le travail en employant ses propres agents et son propre
matériel.
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B. La concession de travaux publics


La concession de travaux publics constitue une application du système de la concession
en matière de travaux publics. Une personne publique charge une personne publique
ou privée de l’exécution d’un travail public, la rémunération consistant dans la
possibilité d’exploiter l’ouvrage ainsi réalisé pendant un certain temps.
La concession de travail public est donc fréquemment liée à l’exploitation ultérieure
d’un service public. Cela est si vrai que jusque vers le milieu du XIXe siècle, on a appelé
« concession de travail public » les concessions de ce genre, même lorsqu’elles com-
portaient des éléments de service public. À partir d’une certaine époque, on a mis
davantage l’accent sur le caractère de « service public » des concessions, celles-ci
pouvant parfaitement comporter des éléments de travail public (concessions de service
public de gaz, eau, électricité). La notion de concession de travail public semblait ainsi
avoir perdu une grande partie de son intérêt.
Mais une série de textes récents ont contribué au renouveau de la concession de travail
public. Ce procédé peut être utilisé pour la construction et l’exploitation d’auto-
routes, que cette construction et cette exploitation soient confiées à des organismes
publics ou des sociétés d’économie mixte (loi du 18 avr. 1955) ou même, plus
récemment, à de simples particuliers, sans intervention de capitaux publics (v. loi de
finances, 1970, Déc. 12 mai 1970). Il en va de même des concessions pour la mise en
valeur de régions (concession accordée en matière d’aménagement urbain ou de
rénovation urbaine).
● Il faut souligner l’importance prise par les règles communautaires en la matière
(v. importante décision CE, Ass., 6 févr. 1998, M. Tête, AJDA 1998, p. 458 sur
l’application directe des directives).
C. Les travaux sur mémoire
Il est possible de confier à un entrepreneur l’exécution de travaux, sans procédure
particulière, pour certains travaux peu importants.
D. Le marché de travaux publics (v. ci-après § 2).
E. Le marché d’entreprise de travaux publics
Il s’agit d’un contrat par lequel la puissance publique confie au cocontractant la
construction et l’exploitation d’un ouvrage, ou bien l’exploitation et l’entretien d’un
ouvrage existant, la rémunération étant assurée par la puissance publique. (Ex. : une
commune charge son cocontractant de construire et d’exploiter une usine de traite-
ment d’ordures ménagères.) Ex. : le contrat ayant pour objet la conception partielle,
la restructuration et la maintenance pendant 15 ans d’un collège n’est pas un marché
d’entreprise de travaux publics, car il ne confie pas au cocontractant la gestion d’un
service public, au moyen de l’ouvrage qu’il est chargé de construire. Mais il est soumis
au Code des marchés publics (CE, 30 juin 1999, Dpt de l’Orne, RFDA 1999, p. 877).
Parfois le Conseil d’État se borne à dire que le contrat ne constitue pas une délégation
de service public ; il ne prend pas position sur le fait de savoir s’il s’agit d’un marché
d’entreprise de travaux publics, et se borne à constater que le marché est soumis au
Code des marchés publics (CE, 8 févr. 1999, Préfet des Bouches du Rhône c/ Cne de la
Ciotat, RFDA 1999, p. 427).
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142 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Les METP, qui il y a quelques années ont connu un développement spectaculaire,


ont été très critiqués, en particulier par le Conseil d’État (rapport 1993, Décentra-
lisation et ordre juridique) (endettement plus ou moins déguisé, débudgétisation,
contournement des normes d’encadrement de l’endettement des collectivités territo-
riales, etc.). La Cour des comptes (Rapport public 1999) a été aussi sévère. Si, en
principe, la jurisprudence et les textes (Code des marchés 2001) ont tendu à restreindre
le recours à cette méthode, il en va différemment depuis 2002. Ainsi la loi du 29 août
2002 permet de recourir à des sortes de METP pour les immeubles pour la gendar-
merie et la police, la loi du 9 septembre 2002 le permet pour les établissements
pénitentiaires. Le problème reste posé (v. Melleray, « Le METP, un nouveau Lazare
juridique », AJDA 2003, p. 1260 et s.).
F. Les autorisations unilatérales
Ce procédé, très rare, est utilisé par exemple pour la construction de pipe-lines (art. 11,
loi de finances, 29 mars 1958).
G. Les offres de concours
L’offre de concours est un contrat administratif par lequel des particuliers offrent
leur collaboration à l’administration en vue de la réalisation d’une tâche détermi-
née. Cette offre peut être relative à la réalisation d’un travail public. L’offre elle-même
a un caractère unilatéral. L’acceptation par l’administration fait naître le contrat
administratif d’offre de concours. Toutefois même après l’acceptation, l’administration
a toujours la possibilité de renoncer à l’exécution des travaux.
H. Le bail emphythéotique administratif
Ce nouveau contrat (v. supra, loi du 5 janvier 1988 ; à propos du domaine public, v. p. 64,
71 et s.) permet aux collectivités locales et à leurs établissements publics de constituer
des droits réels sur le domaine public. Ce bail emphythéotique intéresse aussi le droit
des travaux publics car il peut être conclu pour la réalisation d’ouvrages publics mis à la
disposition des collectivités locales. L’ouvrage peut rester propriété de la personne
privée pendant tout le bail, mais il peut quand même être qualifié d’ouvrage public.

§ 2 - LE MARCHÉ DE TRAVAUX PUBLICS


A. La définition du marché de travaux publics
1. On appelle marché de travaux publics un contrat par lequel une personne
publique confie à une personne publique ou privée l’exécution d’un travail public
moyennant le versement d’un prix en rémunération du travail effectué. Ce marché
porte parfois le nom « d’entreprise » le travail étant effectué par un entrepreneur.
2. Le marché de travail public est, par détermination de la loi du 28 pluviôse an VIII,
un contrat administratif : la compétence contentieuse revient ainsi traditionnellement
aux tribunaux administratifs ; le régime de ces marchés est un régime exorbitant du
droit commun. À côté de l’application générale de la théorie des contrats administratifs,
il convient de signaler l’existence de nombreux textes spéciaux réglementant certains
aspects de ces marchés.
3. La qualification de marché de travaux publics d’un contrat déterminé sera l’œuvre
du juge, qui appréciera si un contrat possède les caractères requis pour être qualifié
de cette façon. On constate que le juge a une conception très extensive de la notion
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 143

de marché de travail public. Cette conception dérive à la fois du caractère lui-même


attractif de la notion de travail public (v. supra), et de la volonté de soumettre au
droit administratif les différents éléments que compte l’opération de travail public.
4. Un lien relativement tenu entre le contrat et l’opération de travail public suffit
généralement à faire du contrat un marché de travail public. Toutefois, il ne faut pas
que ce lien soit trop mince : ne constituera pas un marché de travail public le contrat
de fourniture de matériaux (CE, 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges, p. 909)
un contrat d’emprunt entre un entrepreneur et une banque. Lorsque la convention a
un caractère complexe comprenant un élément de travail public, la convention est en
principe un marché de travaux publics. Mais la simple soumission d’un marché au
Code des marchés publics ne lui conférait pas obligatoirement un caractère de contrat
administratif alors qu’il ne faisait pas participer la personne privée cocontractante à
l’exécution d’un service public et ne comportait aucune clause exorbitante du droit
commun (T. confl. 5 juill. 1999, RFDA 2000, p. 454). Il en allait autrement si le marché
se réfère à un cahier des charges qui lui-même comprend une clause exorbitante du
droit commun (T. confl. 5 juill. 1999, UGAP c/ Sté SNC Activ CSA, RFDA 2000, p. 454).
Depuis la loi MURCEF du 11 décembre 2001 les marchés soumis au Code des
marchés publics sont tous des contrats administratifs.
Si le juge a ainsi une conception très large de la notion de marché de travaux publics, il
exige toutefois, en application des règles générales relatives aux contrats administratifs,
que l’une des personnes parties au contrat soit une personne publique. Cette jurispru-
dence ne reçoit exception que dans le cas où l’une des deux personnes privées parties au
contrat aurait agi « pour le compte » de la personne publique. Cette notion est restée assez
longtemps relativement restrictive. Elle a connu un certain développement lorsque le Tri-
bunal des conflits a admis que les contrats conclus entre une société d’économie mixte
concessionnaire d’autoroutes et des entrepreneurs, tous deux personnes privées, étaient
des contrats de droit public (T. confl. 8 juill. 1963, Sté Entr. Peyrot, p. 78). Le Tribunal des
conflits a estimé que ces marchés étaient, vu leur objet nécessairement, conclus pour le
compte de l’État. Il semble que le Tribunal des conflits ait voulu par tous les moyens et
pour des considérations plus pratiques que juridiques, soumettre tous les marchés liés aux
travaux publics routiers au régime juridique des contrats administratifs. Mais cette juris-
prudence n’a pas été étendue en dehors des travaux publics routiers (T. confl. SNCF
c/ Solon, 17 janv. 1972, p. 944, Cour de cassation, 2 févr. 1972 ; CE, Sté Grands Travaux
alpins, 10 nov. 1972). Toutefois, selon une jurisprudence plus récente (CE, 30 mai 1975,
Sté d’équipement de la région montpelliéraine, p. 326 ; T. confl. 7 juill. 1975, Cne d’Agde,
p. 798), des contrats passés par des sociétés d’économie mixte avec des entrepreneurs pri-
vés, soit pour la construction de voies publiques à l’intérieur des zones à urbaniser en prio-
rité, soit pour la construction de réseaux d’assainissement d’eau potable, sont bien des
contrats administratifs car les sociétés d’équipement mixte agissent « pour le compte de
la collectivité publique ». Récemment le Tribunal des conflits a confirmé la jurisprudence
Entr. Peyrot à propos du tunnel routier de Ste-Marie-aux-Mines dans les Vosges (T. confl.
12 nov. 1984, Sté Éco. mixte Tunnel Ste-Marie, AJDA 1985, p. 165). Le contrat est de droit
public même si aucune des deux sociétés n’est une société d’économie mixte (CE, 3 mars
1989, Sté des Associations région Rhône-Alpes, AJDA 1989, p. 391).
A été jugé aussi :
● En cas de marchés de travaux publics, les litiges nés de leur exécution relèvent du
juge administratif « y compris pour connaître de l’action du cessionnaire de la créance
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144 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

contre le maître de l’ouvrage » (T. confl. 18 oct. 1999, Sté Cussenot Matériaux, RFDA
2000, p. 456).
● En matière de marchés de travaux publics, la compétence est cependant judiciaire
dans l’hypothèse où le litige oppose des participants à l’exécution d’un travail public
et que ces parties sont liées par un contrat de droit privé ou lorsque s’élève une
contestation sur l’étendue d’un privilège (T. confl. 15 nov. 1999, Sté Bloc-Matériaux c/
Hôpital d’Alise Sainte-Reine et autres, RFDA 2000, p. 457).
Il faut tenir compte aussi de la notion de marché public en droit communautaire.
● Les directives « travaux » du 18 juillet 1989 et « secteurs exclus » du 17 septembre
1990 et la directive du 31 mars 2004 (qui procède à une refonte dans un document
unique) ont des formulations spécifiques :
L’objet est encore nettement plus large qu’en droit interne. Le terme « marché »
recouvre toute forme de contrat d’un montant estimé qui dépasse un certain seuil
ayant pour objet soit l’exécution, soit la conception, soit la réalisation par quelque
moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux besoins d’un pouvoir adjudicateur.
Ainsi en droit communautaire, on considérera comme marché public, même des
contrats d’acquisition « clés en main » pour des contrats de promotion.
● De plus un marché public nécessite qu’un « pouvoir adjudicateur » soit présent au
contrat. Il peut s’agir des collectivités territoriales, mais aussi de tout organisme doté
de certaines caractéristiques, en particulier « la soumission à l’influence des pouvoirs
publics », qui devient ainsi au regard de droit communautaire « un organisme de droit
public » alors qu’il peut fort bien s’agir d’une société d’économie mixte, d’une fon-
dation, d’une association dont le financement est majoritairement d’origine publique,
qui pourtant en droit français sont des organismes de droit privé. Il peut enfin s’agir
des associations formées par ces associations et organismes.
● L’idée fondamentale est de prendre en considération la totalité des commandes publi-
ques, peu importe le montage adopté dans les différents systèmes juridiques nationaux.
Un contrat passée par une personne de droit privée peut être un contrat de droit privé
sous l’angle du droit français, et un « marché public de travaux » sous l’angle du droit
communautaire. Il faudra combiner les principes des deux droits.
Un nouveau Code des marchés a vu le jour en 2006 et est entré en vigueur le
1er septembre 2006. Il apporte peu de modifications par rapport à son prédécesseur. Il
s’impose aux marchés de l’État et de ses établissements publics (à condition qu’ils ne
soient pas de nature industrielle et commerciale) aux collectivités territoriales et leurs
établissements publics (même s’ils sont de nature industrielle et commerciale) ainsi
qu’aux contrats passés par les mandataires des personnes publiques.
Le marché public de travaux est ainsi défini « Les marchés publics de travaux ont pour
objet la réalisation de tous les travaux de bâtiment ou de génie civil à la demande d’une
personne publique exerçant la maîtrise d’ouvrage » (art. 1er-II).

B. Le régime du marché de travaux publics


1. LES SOURCES ESSENTIELLES DU RÉGIME DES MARCHÉS de travaux publics sont consti-
tuées par le Code des marchés publics, les cahiers des clauses administratives générales
ainsi qu’une abondante jurisprudence. On l’a indiqué, un nouveau Code des marchés
publics est applicable depuis le 1er septembre 2006.
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 145

2. LA FORMATION DU MARCHÉ
a) Les personnes contractantes
● Le marché, au sens de la directive du 31 mars 2004 et du Code de 2006, se
caractérise par son « objet » et suppose la présence d’un « pouvoir adjudicateur »
(État, collectivités territoriales, « organismes des droit public » et les associations
formées par ces organismes de droit public. Il faut que le marché (et cela est
nouveau) soit conclu « à titre onéreux ».
● Il faut distinguer le maître d’ouvrage, personne publique pour le compte de

laquelle sont entrepris les travaux qu’elle définit et le maître d’œuvre, personne
publique ou privée qui exécute des études et dirige les travaux et enfin les
entrepreneurs.
● Lorsqu’une personne publique engage des travaux, la personne compétente doit

intervenir : soit le ministre pour les marchés de l’État mais aussi, éventuellement,
la personne spécifiquement responsable du marché. Une institution spécialisée, la
Commission centrale des marchés (CCM) placée sous l’autorité du ministre de
l’Économie et des Finances contrôle les marchés. Sa compétence a été modifiée
plusieurs fois. Diverses mesures ont tenté depuis 1972 de rendre le contrôle a priori
plus efficace tout en l’allégeant.
● Le cocontractant de l’administration ne pouvait pendant très longtemps n’être

qu’une entreprise de nationalité française. Le droit communautaire qui a institué


le libre droit d’établissement a mis fin à ce privilège. En particulier le décret du
18 septembre 1990 et la loi du 3 janvier 1990 adaptent la réglementation française
aux directives européennes. Toute discrimination entre les entreprises de l’Union
européenne est interdite.
Il faut tenir compte aussi des risques de corruption qui ont défrayé la chronique
en France et dans d’autre pays. Après une longue période de procédures de choix
trop automatiques (adjudication en particulier) on en est venu à accorder plus et
peut-être trop de liberté aux agents responsables. Les nouveaux textes tendent à
améliorer la publicité et à instituer plus de transparence dans les procédures.
● On sait que les marchés publics peuvent être passés soit par adjudication publique

ouverte ou restreinte (obligation de retenir le moins-disant), soit par appel d’offre


ouvert ou restreint (concurrence mais « possibilité de choisir le « mieux disant »)
ou par marché négocié (contrat négocié librement). L’adjudication est tombée en
désuétude. Le droit communautaire et le nouveau Code des marchés publics ont
renouvelé la matière. L’adjudication était supprimée depuis 2001. L’appel d’offres
demeure la procédure de principe mais avec de nombreuses exceptions :
– pour les marchés compris entre 210 000 et 5 270 000 i HT, la personne publique
peut choisir l’appel d’offre, mais également opter pour le marché négocié avec
publicité et mise en concurrence ou pour le « dialogue compétitif » ;
– au-dessus de 5 270 000 i HT le recours à l’appel d’offre est obligatoire ;
– en dessous de 210 000 i HT, la personne publique peut choisir la procédure la
mieux adaptée aux exigences de publicité et de mise en concurrence selon les
« caractéristiques » du marché.
Le nouveau Code cherche globalement, en se référant au droit communautaire, de
renforcer la liberté et la responsabilité de l’acheteur public (création de la « pro-
cédure adaptée », etc.).
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146 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Pour éviter les excès dans les attributions de marchés, la loi du 6 février 1992
relative à l’administration territoriale de la République a institué une commission
d’adjudication et d’appel d’offres au sein de chaque collectivité territoriale et
d’établissement public local. Elle doit porter en principe un regard impartial sur le
marché. En matière d’appel d’offres, c’est elle seule qui détermine l’offre la plus
avantageuse. Éventuellement elle pourra déclarer l’appel d’offre infructueux.
b) Documents
Le marché comprend outre le contrat proprement dit, une série de documents, le
plus important étant constitué par le cahier des clauses administratives générales.
Il existe aujourd’hui un cahier des clauses administratives générales applicables aux
marchés publics de travaux. Il faut signaler aussi le cahier des clauses techniques
générales, les cahiers des clauses techniques particulières, le bordereau des prix, le
détail estimatif, le bordereau des salaires, etc.
c) Contrôle
Le contrôle de la régularité de la procédure de choix a été renforcé ces dernières
années. En effet, les pratiques illégales se sont développées de façon importante.
Les règles de publicité et de concurrence souvent ne sont pas respectées, en
particulier par les collectivités territoriales. Les pratiques illégales sont très variées
et sont souvent difficiles à être perçues. Les collectivités fractionnent abusivement
les contrats pour faire passer chacun au dessous des seuils fixés en francs afin
d’échapper à des règles plus contraignantes ; recours à de « faux » appels d’offres,
rendant celui-ci infructueux pour pouvoir passer au marché négocié ; laisser filtrer
des informations permettant d’avantager certains candidats ou imposer des condi-
tions factices pour éliminer certains concurrents et en éliminer d’autres.
● Les contrôles à priori

Le premier contrôle est exercé par le préfet, car tous les contrats doivent lui être
communiqués. Toutefois, les préfets ne disposent pas de services suffisants pour
exercer un contrôle réel. D’ailleurs l’application pure et simple du Code des marchés
n’exclut pas les illégalités.
Les moyens du préfet ont été renforcées d’une certaine manière par la loi du 4 février
1995. D’après ce texte, en matière de marché (et certaines autres matières) lorsque
le préfet demande un sursis au tribunal administratif dans les dix jours de la
transmission de l’acte, celui-ci est suspendu pour un délai d’un mois, permettant
au tribunal d’intervenir.
De plus, le législateur, en application des directives communautaires a institué par
la loi du 4 janvier 1992 un référé précontractuel. Une personne qui s’estime lésée,
de même que le préfet, peuvent après avoir mis en vain le responsable du marché
en demeure de se conformer aux obligations légales, saisir le président du tribu-
nal administratif. Celui-ci ou son représentant statue dans les vingt jours, après
audience publique. Le juge peut ordonner au responsable de se conformer aux
obligations, suspendre la passation, annuler des décisions, supprimer des clauses
ou prescriptions. Cette procédure permet à des tiers, préalablement à la conclusion
du contrat d’obtenir des injonctions du juge administratif.
Cette avancée importante du droit avait cependant été limitée par le Conseil d’État
qui a estimé que le tribunal ne peut plus agir une fois que le contrat est conclu, si
bien que les parties auront tendance à accélérer la conclusion du contrat (CE,
3 novembre 1995, Ch. de commerce et d’industrie de Tarbes et des Hautes Pyrénées
et 2 autres espèces, p. 394 ; RFDA 1995, p. 1077). Il en va autrement depuis la loi
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30 juin 2000, qui prévoit que le juge des référés, désormais saisi sans recours
administratif préalable, pourra dès sa saisine « enjoindre de différer la signature
du contrat jusqu’au terme de la procédure » et pour une durée maximum de
vingt jours.
● Les contrôles à posteriori

Il existe tout d’abord une mission interministérielle d’enquête sur les marchés
qui a été créée par une loi du 3 janvier 1991. Cette commission est chargée
d’examiner les conditions de régularité et d’impartialité, de préparation, de passa-
tion, d’exécution des différents marchés publics.
Elle peut être saisie par l’État ou la Cour de comptes. Cette commission a de larges
pouvoirs d’investigation (accès aux documents, obtenir communication des factu-
res, documents professionnels, pénétrer dans les locaux, etc.). Le président peut
révéler les faits au procureur de la République et doit faire un rapport annuel.
Enfin, la loi du 3 janvier 1991 a inscrit dans le Code pénal, un nouveau délit, le
délit de favoritisme. Toute personne investie d’un mandat électif ou tout repré-
sentant d’un des organismes relevant de la mission interministérielle qui aura
procuré ou tenté de procurer un avantage injustifié par un acte contraire aux textes
tendant à garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés sera
puni de prison et (ou) d’amende. Ainsi tombent sous le coup de la loi, les fausses
factures, les dessous de tables, choix d’un titulaire qui ne devait pas l’être, etc.
Ces mesures ont certainement assaini les procédures de passation des marchés, elles
n’ont pas mis fin à toutes les irrégularités.
S’ajoutent à ces règles nouvelles, le contrôle du juge administratif. Le juge peut être
saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre le contrat lui-même par déféré
préfectoral. Les tiers ne peuvent attaquer le contrat lui-même, mais le juge a étendu
la notion d’acte unilatéral détachable de la convention (CE, 23 octobre 1992,
Bourdiel, req. 107107) Un tiers peut aussi contraindre l’administration à saisir le
juge pour constater la nullité du contrat (CE S., 7 oct. 1994, Époux Lopez, p. 430,
RFDA 1994, p. 1090). Mais l’ensemble des problèmes reste complexe.
Il faut enfin ajouter à ces contrôles, ceux exercés par les chambres régionales des
comptes (loi du 2 déc. 1994) et les comptables publics.

3. L’EXÉCUTION DU MARCHÉ
a) Les obligations de l’entrepreneur
● Alors que jusqu’aux textes récents (Décr. du 14 mars 1973, loi du 31 déc. 1975,
Décr. du 31 mai 1976) l’entrepreneur devait exécuter les travaux personnellement,
les nouveaux textes permettent à l’entrepreneur de sous-traiter avec l’autorisation
de l’administration dans certains cas. Le problème de la sous-traitance est à la fois
important et complexe dans les détails (v. p. 143 et s.). En tout cas, le sous-traitant
doit être accepté par le maître de l’ouvrage (CE, 6 nov. 1985, Cne de Chozy, AJDA
1986, p. 42). L’entrepreneur restera en tout état de cause responsable de l’exécution
de l’ensemble du marché. Le décès de l’entrepreneur entraîne en principe la
résiliation du contrat. Les solutions admises en cas de faillite ou de règlement
judiciaire sont variables.
● Le cocontractant est obligé de respecter les délais d’exécution.

● De façon plus générale, l’entrepreneur est obligé de respecter toutes les dispositions

découlant du contrat et qui peuvent être très variées : obligations s’imposant à tous
les cocontractants de l’administration, obligations spéciales au contrat dont il s’agit.
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148 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

Lorsque l’entrepreneur ne respecte pas ses obligations, l’administration peut lui


infliger des sanctions. Il s’agit des sanctions applicables aux contrats administratifs
(v. t. I, Droit administratif) en particulier des sanctions pécuniaires et la mise en
régie (v. t. I). La mise en régie ne met pas fin au marché mais il peut y avoir
éventuellement aussi résiliation pure et simple ou résiliation aux torts et risques
du cocontractant (réadjudication à la folle enchère).
b) Les prérogatives de l’administration
● Les prérogatives de l’administration, qui existent d’ailleurs dans tous les contrats
administratifs, sont particulièrement importantes dans les marchés de travaux
publics. Elles s’exercent essentiellement par le moyen des « ordres de service » que
l’entrepreneur doit exécuter.
● Direction et contrôle : l’importance des pouvoirs de direction et de contrôle

trouve sa justification dans le fait qu’il s’agit de travaux essentiels pour l’intérêt
public et qu’en tout état de cause l’administration reste maître de l’ouvrage. Les
pouvoirs sont donc très divers : contrôle sur les matériaux, sur l’exécution des
travaux, sur le choix du personnel, sur le travail réalisé, détermination des délais
d’exécution. Ce pouvoir de l’administration ne libère pas l’entrepreneur de la
responsabilité envers les tiers, mais il peut, le cas échéant, obtenir des indemnités
de la part de l’administration, soit au titre de la responsabilité contractuelle pour
faute de l’administration, soit en application de la théorie du fait du prince.
● Pouvoir de modification unilatérale : ce problème autrefois très discuté à propos

des contrats administratifs en général, ne soulève guère de difficultés en ce qui


concerne les marchés de travaux publics dans la mesure où en tout état de cause,
les cahiers des charges prévoient pratiquement toujours une telle possibilité au
profit de l’administration (en particulier l’art. 12-5 du cahier type des clauses
administratives générales). Ce pouvoir de modification connaît cependant des
limites : impossibilité de modifier les conditions financières du contrat, de boule-
verser le contrat dans ses éléments essentiels, de changer l’objet du contrat,
d’augmenter la masse des travaux au-delà d’un certain pourcentage, etc. Si l’ad-
ministration ne peut imposer l’exécution d’un « ouvrage nouveau » elle peut en
revanche lui imposer un ouvrage « non-prévu » (qui n’est pas totalement étranger
au contrat) ainsi que des travaux « supplémentaires » ou « complémentaires ». En
tous cas, l’entrepreneur a droit à une indemnisation.
● Pouvoir de résiliation et de sanction : l’administration bénéficie de certains

pouvoirs de résiliation qui n’ont pas un caractère de sanction, c’est l’hypothèse


d’une résiliation en absence de toute faute de l’entrepreneur et pour un motif
d’intérêt général.
Par ailleurs l’administration dispose de nombreux pouvoirs de sanction, véritable
pouvoir disciplinaire en cas de fautes commises par l’entrepreneur. Ce pouvoir de
sanction existe partiellement même si le contrat ne l’a pas prévu. L’administration
peut l’exercer sans s’adresser au juge. Ces sanctions sont soit des sanctions pécu-
niaires (qui doivent d’ailleurs être prévues par le contrat, pénalités, dommages-
intérêts forfaitaires), soit des sanctions coercitives telles que la mise en régie
(l’administration demande à un de ses agents régisseurs d’exécuter le contrat aux
risques et périls de l’entrepreneur en cas de faute grave ; il n’est pas mis fin au
contrat) soit enfin des sanctions résolutoires telles que la résiliation avec réadju-
dication sur folle enchère.
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La résiliation doit en principe être précédée d’une mise en demeure (CE, 8 nov.
1985, Entr. Ozilou, AJDA 1986, p. 52).
c) Les droits de l’entrepreneur
L’entrepreneur a essentiellement des droits pécuniaires, droit au prix et le cas
échéant à des indemnités.
1) Le prix
● le prix est en principe stipulé dans le marché. Le plus fréquemment, le prix est
stipulé de façon « globale forfaitaire ». Parfois, le prix est fixé de façon « unitaire »,
cette unité étant multipliée par le nombre de quantités exécutées ; enfin, plus
rarement le marché se fait sur dépenses contrôlées (après exécution des travaux) ;
● le prix, élément contractuel fondamental, n’est modifiable que par accord de

volonté des deux parties. Il faut toutefois remarquer que très fréquemment les
marchés contiennent des clauses de révision et de variation des prix, révision ou
variation qui auront lieu en se référant à certains « paramètres ».
2) Les indemnités
L’entrepreneur peut obtenir des indemnités dans diverses hypothèses :
● application de la théorie du fait du prince (modifications indirectes apportées

par l’administration cocontractante) (v. Mémento Droit administratif général) ;


● application de la théorie de l’imprévision (v. Mémento Droit administratif

général) ;
● exercice du pouvoir de modification unilatérale de l’administration : la contre-

partie des changements imposés par l’administration se trouve dans l’obligation


d’indemniser le cocontractant. Cette indemnité est due lorsque le cocontractant
subit un préjudice ; l’indemnisation sera intégrale ;
● exécution de travaux nécessaires à l’administration. L’entrepreneur pourra

prétendre à une indemnité lorsqu’il a exécuté, sans qu’ils aient été prévus, des
travaux nécessaires à la bonne exécution du marché ; les travaux simplement
« utiles » à l’administration sont soumis à un régime plus complexe : il peut y avoir
indemnité s’ils ont entraîné un « enrichissement sans cause » de l’administration
(v. aussi p. 151 et s.) ;
● sujétions imprévues : une indemnité sera due si l’entrepreneur dans l’exécution

du marché rencontre des difficultés particulières imprévisibles au moment de la


passation du contrat (p. ex. nappe d’eau souterraine). La sujétion imprévue doit
avoir présenté un caractère absolument anormal (v. aussi p. 151 et s.).
3) Le problème de la sous-traitance
La sous-traitance est un problème particulièrement important, qui est loin d’être
nouveau mais qui a pris ces dernières années une importance considérable. Les
entrepreneurs doivent généralement s’adresser à d’autres fournisseurs ou à d’autres
entrepreneurs plus spécialisés pour réaliser le marché. Comment intégrer les sous-
traitants dans le marché ? Il faut assurer la transparence, il faut éviter les fraudes, il
faut que le sous-traitant soit convenablement traité, mais il faut aussi qu’il soit
fiable ; il faut maintenir la responsabilité de base du titulaire du marché, il faut
assurer le contrôle de l’administration. Tous ces problèmes sont très complexes,
alors que la sous-traitance a un impact économique considérable.
C’est la loi du 31 décembre 1975 qui a institué le régime actuel de la sous-traitance.
Ce statut s’applique d’ailleurs non seulement aux marchés publics, mais aussi aux
marchés privés. Cette loi a été complétée par la loi du 6 janvier 1986 (art. 13). Ces
textes sont d’ordre public.
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150 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

La loi définit la sous-traitance de la manière suivante : « Opération par laquelle un


entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne,
appelée sous-traitant, tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou de marché
public conclu avec le maître de l’ouvrage. » En réalité, comme l’exprime plus précisé-
ment le Code des marchés, on ne peut sous-traiter que certaines parties du marché.
Si l’entrepreneur est libre de choisir son sous-traitant il doit cependant obtenir
l’acceptation du sous-traitant par le maître de l’ouvrage ainsi que son accord sur
les conditions de la rémunération du sous-traitant. – Le maître de l’ouvrage a donc
une possibilité d’appréciation, mais cette appréciation peut évidemment être sou-
mise éventuellement au contrôle du juge de l’excès de pouvoir.
Si le maître d’ouvrage ne répond pas dans les vingt et un jours, il est supposé avoir
donné un accord tacite (décret du 15 février 1985).
Le sous-traitant a le droit de demander d’être rémunéré directement par le
maître de l’ouvrage, à condition toutefois que la sous-traitance porte sur une
somme supérieure, il est vrai très faible, de 610 i. C’est là un avantage considérable
qui met le sous-traitant à l’abri des défaillances éventuelles de l’entrepreneur.
Toutefois, ce droit est limité aux sous-traitants des entrepreneurs de personnes et
entreprises publiques ; il s’agit donc bien de la sous-traitance des marchés publics.
Le contentieux du droit au paiement direct relève du juge administratif, car on est
en présence de litiges relatifs à l’exécution d’un marché de travaux publics (T. confl.
10 mai 1993, Sté Wanner Isofi Isolation, p. 339, CJEG, 1994, p. 86).
Mais lorsque la sous-traitance est restée occulte, c’est-à-dire que l’entrepreneur n’a
pas demandé l’acceptation du sous-traitant au maître de l’ouvrage, il n’y a pas
paiement direct. Seuls pourront être mis en cause la responsabilité de l’entrepreneur
(CE, 23 avril 1986, Sté Helios Paysage, DA, 1986, no 266) et celle éventuelle du
maître de l’ouvrage, qui en réalité était au courant de l’existence du sous-traitant
(pas de responsabilité, car n’a pas eu connaissance : 14 juin 1993, Office d’HLM de
l’Ardèche, RDP, 1994, p. 863).
Parfois les sous-traitants disposent d’une action directe contre le maître de l’ou-
vrage. Il en va ainsi lorsque les sous-traitants n’ont pas réussi à se faire payer par
l’entrepreneur dans les marchés privés mais aussi dans les marchés publics lorsque
le montant de la sous-traitance est inférieur à quatre mille francs.
Mais le paiement direct ne peut être réclamé lorsque le sous-traitant n’a pas, pour
une raison ou une autre, été accepté par le maître de l’ouvrage.
Dans la pratique, les problèmes posés par la sous-traitance se révèlent souvent
très délicats et cette matière a fait l’objet d’une littérature très abondante.
Dans le cadre d’un marché de travaux publics, l’action d’un entrepreneur contre le
sous-traitant de l’architecte qui n’est pas lié à ce dernier par un contrat de droit
privé, relève du juge administratif. Mais il n’appartient qu’aux tribunaux judiciaires
de connaître des actions au paiement des sommes dues par un assureur au titre de
ses obligations de droit privé et en raison du fait dommageable commis par son
assuré (T. confl. 15 févr. 1999 EURL Girod, RFDA 1999, p. 1109) (idem T. confl.
7 juin 1999, Cne de Ceyzeriat c/ Cie « Les Mutuelles du Mans », RFDA 1999, p. 1112).

4. LES TRAVAUX HORS-CONTRAT


L’entrepreneur est rémunéré pour les prestations fournies prévues dans le contrat.
Mais il arrive très fréquemment qu’il soit amené à effectuer des travaux qui dépassent
les prévisions initiales. Sera-t-il rémunéré et dans quelles conditions ?
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 151

Trois théories ont été échafaudées par la jurisprudence :


● La théorie des sujétions imprévues :
Il s’agit ici des hypothèses, finalement assez fréquentes, où les entrepreneurs sont
confrontés, au cours de l’exécution du contrat, à la nécessité d’effectuer des travaux
non-prévus car ils se heurtent à des obstacles qui ne sont pas imputables aux parties,
et qui constituent des « difficultés imprévues et exceptionnelles ». Elles sont imprévues
car on ne pouvait s’y attendre (p. ex. rencontre de rochers très durs imprévisibles,
nappes d’eau, pluies d’une intensité exceptionnelle, pendant les travaux (CE, 2 mai
1987 Sté Citra-France p. 821, D. 1987, SC, p. 433) elles sont exceptionnelles, en
dépassant le niveau ordinaire des difficultés prévisibles.
Selon une jurisprudence qui est déjà ancienne, l’entrepreneur a droit à l’indemnisation
intégrale du préjudice qu’il subit. Cela est vrai lorsque le contrat a été passé à prix
« unitaire » mais même en cas de contrat « forfaitaire » à condition cependant, dans cette
hypothèse il y ait eu, comme en matière d’imprévision, un « bouleversement de l’éco-
nomie de contrat » (CE, 19 févr. 1992, SA Dragages et TP, p. 1108 ; RDP, 1994, p. 862).
Les clauses insérées dans le contrat qui tendent à limiter ou à supprimer l’indemnisation
en cas de sujétions imprévues ne sont en principe pas applicables.
● Les travaux nécessaires
Très souvent, en procédant à l’exécution du contrat, l’entrepreneur doit exécuter des
travaux supplémentaires non prévus par le contrat : renforcement des fondations, murs
de protection contre des éboulements etc.
L’entrepreneur exécutera ces travaux sans ordre de service du maître de l’ouvrage. Pour-
tant, dans la mesure où ces travaux ont été « indispensables à l’exécution de l’ouvrage
selon les règles de l’art » il a droit au paiement intégral des travaux effectués (CE, 19 avril
1991, Sté construction, Restauration, Bâtiments industriels, DA, 1991, no 341).
● Les travaux utiles
Parfois les travaux ne sont pas nécessaires à l’exécution du contrat, mais simplement
utiles. Il en résulte que le régime de ces travaux est plus complexe.
Si l’entrepreneur a effectué des travaux supplémentaires au cours de l’exécution d’un
contrat, il se peut qu’il ait, dans certains cas, droit à des indemnités. C’est le cas p. ex.
lorsque les travaux ont été effectués à la suite d’un ordre de service irrégulier, ou d’un
simple ordre verbal alors qu’il aurait fallu un ordre écrit. Mais la jurisprudence a
tendance à refuser l’indemnisation des travaux simplement utiles, car le Conseil d’État
veut maintenir les dépenses dans les prévisions initiales. Aussi il n’y aura pas d’indem-
nisation si l’entrepreneur a fait ces travaux sans aucun ordre justificatif (v. p. ex. CE,
26 sept. 1986, Ville de Tignes, D. 1987, SC, p. 280).
Dans certaines hypothèses, un entrepreneur effectue des travaux alors qu’il n’y a pas
de contrat. L’entrepreneur a cru qu’il y avait contrat, le contrat a été conclu mais est
irrégulier, ou une personne publique bénéficie de travaux faits par une autre personne
publique. Dans certains cas, l’indemnisation pourra se faire sur le principe de « l’en-
richissement sans cause », principe général applicable même sans texte à la matière des
travaux publics (v. par ex. 19 avril 1974, Sté entreprise Louis Segrette, p. 1057, AJDA
1974, p. 453).
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152 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

5. LA FIN DU MARCHÉ
● Le marché prend normalement fin par l’achèvement des travaux. Dans certains cas
cependant, la fin est anticipée : c’est le cas lorsque le marché est résilié unilatéralement
par l’administration (soit dans l’intérêt général ou à titre de sanction) ou lorsque,
comme cela est possible dans certaines hypothèses, la résiliation se fait à la demande
de l’entrepreneur (force majeure, obligations nouvelles trop importantes).
La fin du marché entraîne plusieurs conséquences :
● La liquidation et le paiement du prix. L’état d’avancement des travaux est constaté
au moyen « d’attachements », attachements qui ont force probante quant au volume
des travaux effectués. Les décomptes sont les pièces qui déterminent le montant des
sommes dues en fonction des attachements. Les décomptes provisoires servent à la
détermination du montant des acomptes. Les décomptes définitifs, partiels ou généraux,
ont pour objet de déterminer la dette de l’administration.
● Le décompte définitif, accepté par l’entrepreneur, devient irrévocable pour les deux
parties. En revanche, si l’entrepreneur a formulé des réserves avant l’acceptation, il
pourra éventuellement saisir les tribunaux. Pour éviter le recours trop fréquent au
contentieux, le décret du 11 mai 1953 a prescrit l’institution, dans chaque administra-
tion d’État, d’un comité consultatif de règlement amiable.
● La réception des travaux. La réception a pour objet de contrôler la fin des travaux.
Le nouveau cahier des clauses et conditions générales des marchés publics de travaux
du 21 janvier 1970 a diminué pour les marchés auxquels il s’applique, le particularisme
de la réception des travaux publics en substituant une réception unique à la distinction
de la réception provisoire et de la réception définitive. L’entrepreneur est tenu à la
garantie de parfait achèvement des travaux pendant un an après la réception et pendant
six mois si le marché ne concerne que des travaux d’entretien et de terrassement. La
garantie d’un an « prévue en tout état de cause » par l’article 1792/6 du Code civil ne
s’applique pas (CE, 28 févr. 1986, Entr. Blondet, RDP, 1986, p. 1158, RFDA 1986, p. 609).
Les fautes commises au cours de l’exécution du contrat engagent la responsabilité
contractuelle d’une partie envers l’autre (de l’entrepreneur à l’égard du maître de
l’ouvrage ou inversement).
Après la réception de l’ouvrage, il n’y a pas d’appel en garantie du constructeur par la
collectivité publique condamnée à indemniser un tiers pour des travaux liés à des
travaux publics (CE S., 11 juill. 2004, Siaec, AJDA 2004, p. 1502).
Est interdite, sauf pour un dommage entrant dans le cadre de la garantie décennale,
l’action en garantie du maître de l’ouvrage contre le constructeur pour les dommages
causés aux tiers, une fois les relations contractuelles éteintes par la réception définitive de
l’ouvrage (sauf clauses contractuelles contraires ou entrepreneur indélicat) (maintien de
la jurisprudence Forrer, CE S. 4 juill. 1980 par l’arrêt CE S. 15 juill. 2004, Synd. intercom-
munal, AJDA 2004, p. 1698 et s., chron. C. Landais et F. Lénica, EDCE 2005 p. 39).
Il n’y a pas de dommage intermédiaire entre la réception des travaux sans réserves et la
garantie décennale (TA Rennes 27 janv. 2005, Cne de Quimper, AJDA 2005, p. 942).
● La responsabilité décennale de l’entrepreneur (art. 1792 et 2270 du C. civ.).
Après le délai d’un an, une responsabilité subsiste à la charge des entrepreneurs et des
architectes. Article 1792 du Code civil : loi du 4 janvier 1978 : « Tout constructeur d’un
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 153

ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des
dommages même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage
ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments
d’équipement, le rendent impropre à sa destination. » Ce texte du Code civil est
appliqué dans ses principes par le Conseil d’État. Les cahiers des clauses se réfèrent
d’ailleurs eux-mêmes à ce texte. Toutefois, le Conseil d’État donne à ce texte une
interprétation souvent différente de celle qui est donnée par les tribunaux judiciaires
lorsqu’il s’agit de litiges de leur compétence.
La responsabilité qui est décennale (le point de départ étant la prise de possession des
travaux et leur achèvement) joue uniquement pour les vices non apparents au moment
de la réception. Il doit aussi s’agir d’un vice grave, de nature à compromettre la solidité
de l’immeuble ou de le rendre impropre à sa destination. Mais la responsabilité sera
engagée sur le fondement du risque (CE, 2 févr. 1972, Trannoy, p. 95) (CE, 7 juin
1985, Dubois et Avizou, RFDA 1986, p. 763). La jurisprudence en cette matière est très
abondante et l’appréciation très concrète. La garantie décennale ne se limite pas aux
gros travaux (CE, 5 déc. 1986, Sté Entr. générale de chauffage, RDP, 1987, p. 1007).
La garantie décennale entraîne la responsabilité solidaire des constructeurs. Jusqu’à une
date récente, la garantie décennale n’était pas d’ordre public et pouvait être aménagée
par le contrat. Mais la loi du 4 janvier 1978 interdisant la limitation de la garantie
décennale en matière civile, il est possible que le juge administratif soit amené à modifier
sa jurisprudence. Toute la jurisprudence illustre la souplesse des mécanismes de la
responsabilité décennale en droit public (CE, 23 mars 1990, 18 oct. 1989, Riboulet et
autres, LPA 23 mars 1990, p. 12-14 ; CE, 22 mars 1991, Synd. mixte du parc naturel des
Volcans d’Auvergne, RFDA 1991, p. 520).
Exemple de garantie décennale : La garantie décennale joue lorsque des terrasses
d’appartement sont impropres à leur destination et que le désordre est imputable au
procédé d’étanchéité. Dans ce cas, la garantie décennale s’étend à la réparation de toutes
les terrasses, y compris de celles où des désordres ne sont pas encore apparus dans le
délai d’épreuve de dix ans (CE, 30 déc. 1998 Andrault, Parat et Carre, RFDA 1999,
p. 240). V. aussi CAA Versailles 7 juin 2005, Sté Berim, AJDA 2005, p. 1859, détermi-
nation des éléments sur lesquels portent la garantie décennale.
La garantie décennale ne peut être invoquée à l’égard de la personne publique qui a eu
la maîtrise d’ouvrage déléguée et qui n’était pas maître d’œuvre des travaux (CE, 30 juin
1999, Cne de Voreppe, RFDA 1999, p. 878).
● Nature de la responsabilité des constructeurs
On a vu que l’arrêt Trannoy a mis à la charge des constructeurs une présomption
irréfragable de responsabilité. Peu importe qu’il n’y eut pas faute, la responsabilité est
solidaire entre les différents acteurs. Les seules causes d’exclusion sont la force majeure
ou la faute du maître de l’ouvrage. Les collectivités territoriales ne peuvent renoncer
aux garanties. La victime peut demander la remise en état de l’ouvrage ou des dommages
intérêts. Chacun des constructeurs est responsable du tout, et peut éventuellement
exercer ultérieurement des actions en garantie ou des actions récursoires.
Depuis 1978, les constructeurs sont tenus de justifier qu’ils ont souscrit une assu-
rance pour couvrir la garantie décennale. Mais chaque personne physique ou morale
agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage doit aussi souscrire une « assurance
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154 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

dommage » (sauf l’État) si bien que les litiges se résumeront en fin de compte à des
litiges entre assureurs. Pendant la période de réparation ou de réfection, les collectivités
seront couvertes par leur assurance qui pourra se retourner contre l’assurance de
l’entrepreneur.
Pour simplifier le règlement des litiges entre l’administration et l’entrepreneur, diverses
possibilités ont été prévues : réclamations devant l’administration, comités de règlement
amiable.
Le Conseil d’État semble aussi admettre une « garantie biennale » (C. civ., art. 1792-3,
art. 2270) garantie de bon fonctionnement portant sur des éléments d’équipement ne
faisant pas corps indissociable avec l’ouvrage (CE, 14 mai 1990, Sté Alsthom, p. 124).
Sur le contrôle exercé par le juge de cassation (CE, 19 avr. 1991, SARL, Cartigny, RFDA
1992, p. 965).
● Le recours à l’arbitrage est possible dans les conditions strictes prévues par certains
textes (p. ex. loi du 17 avr. 1906), qui permet aux collectivités de recourir à l’arbitrage
tel qu’il est prévu par le Code de procédure civile pour la liquidation de leurs dépenses
de travaux publics et de fournitures (v. aussi décret du 25 juill. 1960). Mais la
jurisprudence interprète strictement ce texte : il n’autorise pas la « clause compromis-
soire » établie à l’avance mais seulement le compromis sur un litige né (CE, 17 juill.
1946, Min. travaux publics, p. 473 ; CE, 3 mars 1989, Sté autoroute région Rhône-Alpes,
op. cit.).

> SECTION 3
Les travaux publics et les tiers
En dehors des acquisitions de propriété qui peuvent résulter des travaux publics, ces
opérations peuvent porter atteinte aux droits des propriétaires. Par ailleurs, un certain
nombre de prérogatives de l’administration sont attachées aux travaux publics. Mais
de façon très générale, l’administration est tenue de réparer les dommages causés par
les travaux publics.

§ 1 - L ES SUJÉTIONS IMPOSÉES AUX PARTICULIERS


A. L’occupation temporaire
● L’occupation temporaire peut prendre plusieurs formes. La première forme, la plus
simple, c’est la nécessité pour le personnel de l’administration ou éventuellement les
entrepreneurs d’entrer dans une propriété privée pour y faire certaines études ou
recherches. Il suffit alors d’une autorisation préfectorale, si les intéressés n’ont pas
obtenu l’accord des propriétaires.
● Plus important est le droit d’occupation temporaire que constitue le droit d’entrer et
de rester pendant un certain temps sur les propriétés privées. Ce droit constitue un
véritable privilège de la puissance publique et est régi par la loi du 29 décembre 1892.
Cette occupation nécessite, à défaut d’un accord amiable, une autorisation préfectorale.
L’autorisation préfectorale d’occupation temporaire relève de la seule loi du 29 décem-
bre 1892 et n’est pas soumise à la loi sur la « motivation des actes administratifs » du
12 juillet 1999). Cette autorisation est remise au maître de l’ouvrage, avec possibilité
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de la déléguer à son entrepreneur. L’autorisation devra préciser les différents motifs


de l’occupation, la limite de l’occupation, sa durée. En principe, avant l’exercice
du droit d’occupation temporaire, un état des lieux est dressé contradictoirement.
L’autorisation n’est pas liée par les textes à des motifs précis. Il peut s’agir de
dépôts de sables, de matières diverses, de fouilles, voire d’extraction, de ramassage de
matériaux.
Mais il y a deux limites importantes au droit d’occupation temporaire : en premier
lieu, en aucun cas la durée d’occupation ne peut excéder cinq ans. Au-delà, une
acquisition du terrain serait nécessaire. La seconde limite consiste dans le fait que
l’administration ne peut y installer des ouvrages permanents (CE, 2 nov. 1927,
Charbonneaux, p. 990, D., 1928.3.1).
● Deux sortes de recours peuvent être mis en œuvre contre l’occupation temporaire.
Soit le recours pour excès de pouvoir, soit un recours en indemnité pour couvrir les
dommages résultant de l’occupation même régulière. S’agissant d’une emprise régu-
lière, la compétence est administrative. (Civ. 1re, 3 déc. 1996, Sté Autoroutes Paris-Rhin-
Rhone, D. 1997, IR, p. 10). Lorsque l’emprise est irrégulière, c’est-à-dire lorsque les
conditions de l’occupation temporaire ne sont pas toutes satisfaites, la compétence,
sera, selon le droit commun, réservé aux tribunaux judiciaires (CE, 15 janvier 1990,
Le Bihan, p. 645).
● L’action en réparation permettra d’obtenir la réparation de la totalité des préjudices
subis. L’indemnité pourra donc porter sur des éléments très divers, tels que la dépré-
ciation de la valeur du terrain, les frais de remise en état, les pertes diverses subies par
le propriétaire (v. p. ex. CE S., 17 mars 1978, SA Renaudin, p. 140, AJSA, 1979, p. 44).
L’action peut être portée contre le maître de l’ouvrage ou contre l’entrepreneur. Non
seulement le propriétaire, mais toutes les autres personnes éventuellement lésées
peuvent obtenir une indemnité : les locataires, fermiers, titulaires de servitudes.
L’action en réparation se prescrit par deux ans.
A été jugé :
Les litiges relatifs à l’occupation temporaire relèvent de la juridiction administrative
dès lors que cette occupation a été prévue par un arrêté préfectoral et nonobstant la
circonstance que des conventions aient été passées entre les parties (T. confl. 5 juill.
1999, Sté Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, RFDA 2000, p. 453). L’occupation temporaire
n’exclut pas l’expropriation (CE 26 juill. 2006, Min. Équip. Tourisme et de la Mer c/ Cts
Revillard, AJDA 2006, p. 1572).

B. La récupération des plus-values


● Le travail public peut avoir comme effet d’augmenter la valeur des propriétés privées
avoisinantes, de leur procurer une plus-value. S’il semble normal que ces plus-values
soient récupérées par l’État, en pratique la récupération est extrêmement difficile (les
propriétaires estiment évidemment qu’ils ne l’ont pas cherchée).
Aussi la récupération des plus-values n’existe-t-elle que dans quelques hypothèses :
1. Récupération par compensation : elle est possible dans le cas où le propriétaire
bénéficie d’une indemnité pour les dommages causés par les travaux publics, ou
lorsqu’il bénéficie d’une indemnité d’expropriation. Le juge peut déduire de l’in-
demnité d’expropriation l’augmentation de valeur immédiate que peut procurer à
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156 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

l’exproprié, le travail public. Des restrictions ont été imposées par la Cour euro-
péenne (v. p. 113).
2. Récupération directe : si certains textes ont prévu le principe de cette récu-
pération (p. ex. D.-L. du 30 déc. 1935 si la plus-value est supérieure à 15 % du
Ord. 23 oct. 1958) leur application s’est révélée pour le moment un échec. Le
problème se pose aujourd’hui essentiellement dans le cadre du droit de l’urbanisme.
Dans le cadre des règles relatives à l’urbanisme, les propriétaires seront souvent
amenés à participer aux dépenses de travaux publics d’équipement.

§ 2 - LA RÉPARATION DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS


L’exécution des travaux publics ou l’existence d’un ouvrage public peuvent causer des
dommages. L’administration sera généralement tenue de le réparer. On est ici dans
un secteur très important de la mise en jeu de la responsabilité de la puissance
publique. Cette responsabilité comporte une série de particularités dans la mesure où
une très large place est accordée à la responsabilité sans faute. Si la source de cette
théorie se trouve dans la loi du 28 pluviôse de l’an VIII, il n’en reste pas moins que
son développement est essentiellement d’origine jurisprudentielle.
A. La définition du dommage de travail public
1. Le dommage de travail public est constitué par toute atteinte portée à des
personnes, des biens, ou des droits par l’exécution ou l’inexécution d’un travail
public, par la présence d’un ouvrage public, ou par le fonctionnement de celui-ci.
On retrouve donc ici le caractère attractif de la notion de travail public.
La notion de dommage de travail public est donc très large pour diverses raisons :
ainsi le dommage peut être constitué par une exécution ou une absence d’exécution
(p. ex. inondation due à une absence d’égout) la jurisprudence se contente d’un lien
assez lâche entre le dommage et le travail public (ex. : accident causé par le personnel
ou le matériel d’un service chargé d’un travail public) ; le dommage causé par le
fonctionnement du service qui utilise l’ouvrage public (chemin de fer). Toutefois, il
n’y aura pas dommage de travail public s’il y a absence de tout travail ou d’ouvrage et
que l’administration n’avait pas nécessairement à y procéder (personne tombant dans
un ruisseau qui n’avait pas fait l’objet d’un aménagement et qui n’avait pas obligatoi-
rement à être aménagé).
● Le caractère attractif du dommage de travail public se vérifie fréquemment. On
donnera ici quelques autres exemples :
Ainsi, il y a bien dommage de travail public, lorsque le dommage se rattache à une
opération de travail public, ou même lorsque le matériel qui cause le dommage a été
utilisé pour un travail public. Le juge estime que subit bien un dommage de travail
public, l’enfant qui a été blessé par la chute d’une échelle utilisée pour l’exécution de
travaux publics, alors que ce sont d’autres enfants qui s’étaient emparés de l’échelle
pour jouer (CE, 26 juin 1963 Seguinot, p. 400, AJDA 1964, p. 90). On pourrait
multiplier les exemples.
● De même que la présence ou l’existence d’un travail public ou d’un ouvrage public
peut constituer un dommage de travail public, de même l’absence de travaux ou
d’ouvrages nécessaires peut constituer un dommage de travail public. C’est en 1931
dans l’arrêt Robin (CE, 18 déc. 1931, Robin, p. 1137, D. 1932-3-33) que le Conseil
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 157

d’État fait pour la première fois appel à cette hypothèse ; constitue un dommage de
travail public, l’avarie subie par un bateau suite à l’absence de balisage d’un rocher
situé dans le lit d’un cours d’eau.
Le dommage de travail public peut aussi provenir du fonctionnement du service
utilisant l’ouvrage public (v. p. 159 fait d’exploitation).
On peut encore citer à titre d’exemples récents : il y a compétence de la juridiction
administrative pour connaître des actions contre tous les participants, même indirects,
à une opération de travaux publics (CE, 30 juin 1999, Cne de Voreppe, RFDA 1999,
p. 878). De même a été jugé récemment, confirmant d’ailleurs une jurisprudence
traditionnelle, que les litiges entre un entrepreneur et un architecte relatif à une
opération de travaux publics, sauf le cas où ils seraient liés par un contrat de droit
privé, relèvent du juge administratif sans qu’il y ait lieu de rechercher s’ils sont liés
au maître de l’ouvrage par un contrat administratif (T. confl. 25 mai 1998, SARL
Benetiere c/ Sivom des Auberges et M. Berger, RFDA 1998, p. 1057).
● Toutefois, seul le juge judiciaire est habilité à connaître des dommages qui se
rattachent à l’existence de servitudes légales. Il en va ainsi du déplacement d’un pylône
électrique, nécessaire par le plan d’exploitation d’une carrière, et qui est une consé-
quence de la servitude de passage d’une ligne électrique où est implantée la carrière
(T. confl. 29 sept. 1997, Sté Ciments Lafarge c/ EDF, CJEG avril 1998, p. 168-173).
2. La notion de dommage de travail public connaît cependant une série de limites
du fait de l’existence de certains textes ou théories donnant compétence à l’autorité
judiciaire dans certaines hypothèses. On peut citer essentiellement :
– tout d’abord lorsqu’il n’y a pas de lien avec le travail public ou l’ouvrage public
(T. confl. 24 mai 2004, Garcia ; défaut d’entretien d’une dépendance d’un immeuble
HLM), AJDA 2005, p. 34) ;
– l’emprise ou la voie de fait sur la propriété privée ;
– l’exercice de servitudes d’utilité publique (loi du 15 juin 1906 sur les installations
d’énergie électrique) ;
– les dommages accessoires à une expropriation ;
– les dommages causés par des fautes personnelles des agents du service public
utilisateur de l’ouvrage.
Plus importantes sont deux autres théories :
● Il est admis aujourd’hui que lorsque le dommage de travaux publics est subi par

l’usager d’un service public industriel et commercial à l’occasion de l’utilisation de


ce service, la compétence judiciaire en matière de services industriels et commerciaux
l’emporte sur la compétence administrative (T. confl. 24 juin 1954, Dame Galland,
Guyomar, Sale, p. 717). Cette jurisprudence s’applique même au candidat usager (CE,
17 oct. 1966, Dame Canasse, p. 834). Autre exemple : personne victime d’un accident
mortel alors qu’elle se trouvait dans le hall d’une gare pour expédier un colis.
La jurisprudence a des limites : le litige n’oppose le service à l’usager que s’il est survenu
à l’« occasion de fournitures, de prestations de service », ce qui n’est pas le cas par
exemple pour une électrocution due à un autre branchement que celui de la personne
électrocutée. Il a été jugé aussi que si l’aéroport de Paris gère bien un ouvrage public,
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158 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

les « couloirs d’accès » relèvent d’un service public administratif, la compétence est
administrative (T. confl. 15 mars 1999, Pristup c/ Aéroport de Paris, no 3027).
● D’après la loi du 31 décembre 1957, sont de la compétence judiciaire, les accidents
causés par les véhicules, même lorsque le véhicule était utilisé pour une opération de
travail public. La loi du 31 décembre 1957 a un caractère encore beaucoup plus attractif
que celle du Travail public. La notion de « véhicule », est très large : il s’agit de tout
engin susceptible de se mouvoir au moyen d’un dispositif propre (drague automatique,
tondeuse à gazon automobile ; idem pour les télébennes et télécabines, téléfériques ;
en revanche ne sont pas des véhicules, les ascenseurs et monte-charges étant donné
leur incorporation à l’immeuble).
Ex. : application de la loi de 1957, curieux blessé par un arbre qu’un bulldozer arrachait
du lit d’un fleuve ; accident sur un chantier de travaux publics, fermé au public, entre
deux véhicules tous deux servant aux travaux publics ; accidents provoqués par des
boues répandues sur les routes par des camions, dommages causés aux cultures
résultant de nuages de poussière soulevés par des camions.
● En revanche, et parfois les solutions sont difficiles à comprendre, il a été jugé que
la loi de 1957 ne s’appliquait pas aux dommages résultant de trépidations dues à la
circulation des trains ; dommages causés par une pelleteuse automatique ayant creusé
des tranchées, incendie causé dans un local résultant de la combustion de matériels de
travaux publics dont un véhicule entreposé dans un garage voisin ou faute de surveil-
lance d’un chantier alors que les dommages sont causés par le véhicule (T. confl. 2 déc.
1991, Préfet Haute-Loire, RDP, 1993, p. 561).
Un conteneur qui n’avait pas vocation principale à se déplacer, n’a pas le caractère
d’un véhicule, il doit être considéré comme une dépendance de l’ouvrage public
constitué par l’immeuble au fonctionnement duquel il était affecté (CE, 7 juin 1999,
OPHLM d’Arcueil Gentilly, RFDA 1999, p. 879). Lorsqu’une commune a chargé par
contrat une société de travaux d’assainissement de voies communales, que l’État a en
outre été mis en cause pour travaux sans étude préalable et de mesures techniques
insuffisantes, on est bien en présence d’un « dommage de travail public » même si un
« véhicule » a été utilisé dans le cadre de ces travaux. La responsabilité contractuelle
prime la loi sur « les véhicules » de 1957.
Dans certains cas, la compétence est partagée : dommages causés par des vibrations
d’engins (compétence judiciaire) et des tirs de mines (compétence administrative) (CE,
16 nov. 1992, SA Entr. Ratzel Frères, AJDA 1993, p. 561).
Comme le fait remarquer M. Chapus, « la coexistence de la loi du 28 pluviôse de l’an
VIII et de celle du 31 décembre 1957 n’est pas “pacifique” et les divergences entre les
juridictions sont profondes ». Les interventions du Tribunal des conflits sont fréquen-
tes. Nouveaux arrêts en matière de dommages causés par des véhicules (ou non) :
T. confl. 21 mars 2005, Sté fçse de prévention, accident causé par un hélicoptère,
compétence judiciaire ; T. confl. 20 juin 2005, Mme Dufraisse ; dommages ; compétence
judiciaire si le dommage trouve sa cause « déterminante » dans l’action du véhicule et
non dans la conception de l’ouvrage ; T. confl. 20 juin 2005, Hyrilis c/ État, véhicule
militaire manœuvre dangereuse : compétence judiciaire, le dommage ne trouvant pas
son origine dans l’organisation défectueuse des manœuvres militaires, RFDA 2005,
p. 1057) (T. confl. 12 déc. 2005, Engin de chantier de pelle dit « pelle mécanique » ; peut
se déplacer de façon autonome ; compétence judiciaire, RFDA 2006, p. 410).
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 159

3. Jusqu’à une date récente, la jurisprudence faisait en matière de services publics


industriels et commerciaux, une distinction entre le dommage de travail public et
le fait d’exploitation. Le fait d’exploitation détachable de l’usage normal ou de
l’entretien de l’ouvrage n’est pas un dommage de travail public (ex. barrière de passage
à niveau à moitié relevée, déversement de sous-produits d’une usine dans les égouts,
ouverture intempestive de vannes d’un branchement d’eau). Toutefois, le Conseil
d’État dans un important arrêt (25 avr. 1958, Dame veuve Barbaza, p. 928) a abandonné
cette jurisprudence. Ainsi les dommages subis par les tiers même lorsqu’il s’agit de
dommages causés par les services exploitant l’ouvrage, sont des dommages de travaux
publics. Cette jurisprudence a été confirmée tardivement par le Tribunal des conflits
(T. confl. 16 mai 1983, Préfet de la Loire, p. 539 – compétence administrative pour les
dommages causés à un véhicule ayant dérapé sur le verglas causé par des embruns
d’une chute d’eau d’EDF). La victime d’une intoxication à la suite de travaux de
transformation de canalisations de gaz dans son immeuble bien que liée à Gaz de
France par un contrat d’abonnement est un tiers vis-à-vis de l’ouvrage public. Compé-
tence du juge administratif (T. confl. 1er juill. 2002, Mlle Labrosse, AJDA 2002, p. 689).
En ce qui concerne les dommages causés aux usagers, comme il s’agit de services
publics industriels et commerciaux, la compétence est en tout état de cause judiciaire.
Mais la compétence est administrative si la personne est usager de l’ouvrage public et
non du service (personnes assistant à une fête dans une gare, écrasés par l’effondrement
de la marquise de la gare ; CE, 24 nov. 1967, Dlle Labat, p. 444).
4. À l’intérieur des dommages de travaux publics, on fait une distinction classique
entre dommages permanents et dommages accidentels. Les dommages permanents
sont les dommages durables résultant de la poursuite d’un travail ou de l’existence
d’un ouvrage public (barrage hydraulique). Le dommage accidentel, c’est l’événement
brusque, soudain, qui entraîne des blessures aux personnes, des dommages aux biens.
La théorie de dommages de travaux publics recouvre ces deux situations.
5. En matière de dommages de travaux publics lorsque le concessionnaire occupant
du domaine public est insolvable, il y a responsabilité subsidiaire du concédant, en
l’espèce la commune (CE, 11 déc. 2000, Mme Agofroy, RFDA 2001, p. 245 op. cit.).
6. Même si le dommage est survenu au cours d’un travail public, la mise en cause de
la responsabilité d’une personne étrangère à l’opération de travaux publics est de la
compétence judiciaire (T. confl. 4 mars 2002, Sté Sacmat, RFDA 2002, p. 1007).
B. Le fondement de la responsabilité
● On admet traditionnellement que la matière des travaux publics constitue le domaine
d’élection du système de la responsabilité sans faute. Cette responsabilité si largement
admise trouve son fondement dans la double nécessité de compenser les larges
prérogatives de l’administration et de réparer l’atteinte que les travaux publics porte-
raient à l’égalité des citoyens.
● Toutefois, l’application de la théorie de la responsabilité sans faute n’est pas générale.
En effet, dans certaines hypothèses, la responsabilité ne pourra être mise en jeu que
sur faute présumée ou prouvée.
● Les interprétations doctrinales sont très divergentes. Certains auteurs rejettent l’idée
d’une responsabilité fondée sur la faute. Ceux qui admettent une telle responsabilité
ne sont pas d’accord sur les critères de distinction entre la responsabilité sans faute et
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160 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

la responsabilité fondée sur la faute (distinction entre dommages permanents et


dommages non permanents, distinction usager-tiers).
● Il semble toutefois qu’à l’heure actuelle il soit possible d’affirmer que la responsabilité
de la puissance publique sera engagée sur le fondement du risque lorsqu’un tiers est en
cause alors qu’il y aura responsabilité fondée sur la faute lorsqu’un usager est en cause.
1. DOMMAGES SUBIS PAR LES TIERS
● C’est le système de la responsabilité sans faute qui s’applique. Elle constitue la

contrepartie des avantages dont dispose la puissance publique, des risques exception-
nels que créent les travaux publics, le fait que l’administration retire des avantages de
ses travaux. Il suffit de prouver la relation de cause à effet entre le préjudice et le
travail public. La preuve porte seulement sur le lien de causalité.
● La difficulté essentielle est de définir la notion de tiers. Cette difficulté existe en
matière de dommages permanents (ex. : propriétaire de vergers, vergers gelant du fait
de la création d’un barrage hydroélectrique, c’est un tiers ; horticulteurs victimes de
l’éclairage puissant d’une route nationale [CE, 10 mars 1997, Cne de Lormont, RFDA
1997, p. 655, no 6], permissionnaire de voirie considéré comme usager à l’égard des
travaux exécutés dans l’intérêt de la dépendance occupée). Gaz de France est un tiers
à l’égard d’ouvrages publics réalisés pour les transmissions téléphoniques (CE, 19 déc.
1990, Gaz de France, RDP, 1991, p. 1442).
Elle existe aussi pour les dommages occasionnels : l’abonné d’un service industriel est
un tiers par rapport à la canalisation principale (CE, 22 mai 1991, Gaz de France, RDP,
1991, p. 1442) ; le piéton marchant sur la voie et blessé par la chute d’un ouvrage de
l’EDF est un tiers tant que cet ouvrage n’est pas incorporé à la voie ; de même est un
tiers par rapport aux chemins de fer, une personne franchissant à bicyclette un passage
à niveau de la SNCF (CE, 14 mars 1990, Mme Declerck, RDP, 1991, p. 1442). Le riverain
de la voie publique est un tiers tant qu’il ne l’utilise pas. Lors de la rupture du barrage
de Malpasset, la ville de Fréjus a été considérée comme « usagère » en ce qui concerne
la distribution d’eau (venant du barrage) et comme un tiers pour les autres dégâts
(CE, 22 oct. 1971, Ville de Fréjus, p. 630). Est aussi un tiers une personne électrocutée
par un câble à haute tension surplombant le lieu où elle travaillait. De même en ce
qui concerne le fonctionnement défectueux d’un collecteur d’assainissement dont les
eaux refoulées dans le branchement du requérant ont provoqué une inondation du
rez-de-chaussée de son immeuble (CE, 31 oct. 1991, District urbain de Toul). Est un
tiers, l’utilisateur d’un canal en ce qui concerne les travaux faits par la commune qui
n’ont pas été effectués dans l’intérêt de l’ouvrage public, CE, 31 mars 1989, Éts Soufflets,
req. 73843). Mais les solutions sont loin d’être claires et sont même parfois contra-
dictoires : ainsi, les dommages causés par une canalisation de gaz désaffectée dans des
conditions analogues sont, pour la cour d’appel de Dijon, des dommages causés à un
usager d’un service public industriel et commercial et, pour la cour d’appel de
Chambéry, des dommages de travaux publics subis par un tiers (CA Dijon, 5 déc.
1984 ; CA Chambéry, 25 févr. 1985, AJDA 1985, p. 624). Le propriétaire d’un appar-
tement qu’il n’habite pas est un tiers par rapport à EDF avec laquelle il n’a aucun
contrat d’abonnement. En cas d’incendie provoqué par les défectuosités du branche-
ment particulier établi par le locataire, le juge administratif est compétent (T. confl.
Cie la Lutèce, 2 mars 1987, AJDA 1987, p. 774). Lorsqu’une société est raccordée au
réseau communal d’assainissement et qu’il y a inondation du fait de la mise en charge
du réseau départemental et refoulement dans le réseau communal, la société a la qualité
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 161

de tiers à l’égard des deux réseaux (CE, 9 févr. 2000, RFDA 2000, p. 459). Enfin, ne
sont pas considérés comme usagers, les personnels même des services publics, mais ils
peuvent être considérés comme usagers des « locaux » où ils exercent leurs fonctions.
● Pour les dommages permanents, la réparation n’aura lieu que si le dommage
présente certains caractères : le dommage doit présenter un caractère spécial et un
caractère anormal (ex. : pas de réparation pour l’encombrement d’une toiture par les
feuilles mortes enlevées chaque année par l’automne aux platanes d’une place publique,
CE, 24 juill. 1931, Cne de Vic Fezensac, p. 860), les modifications apportées à la
circulation générale qui causent tort à des commerçants ne constituent pas un préjudice
anormal (CE, Sté des Bateaux... Les Vedettes blanches, 2 juin 1972, p. 414). Ils doivent
dépasser les inconvénients normaux du voisinage (p. ex. pas de réparation pour de
brefs travaux ne causant que de petites gênes normales à des commerçants, dommages
provenant de fumées ne dépassant pas une certaine importance, etc.). Pas de caractère
anormal (en l’espèce) : la création d’un passage piétonnier permanent en bordure de
la propriété du riverain d’un lac, qui crée des vues sur une terrasse du propriétaire et
un passage permanent en bordure de sa propriété (CAA Bordeaux, 22 oct. 2002,
M. Fabre, AJDA 2003, p. 187 et s., note Laurence Dardhalon).
En revanche, il y aura indemnisation lorsqu’il y a privation d’accès ou gêne sévère dans
l’accès aux lieux. Il peut en résulter des préjudices commerciaux (réduction du chiffre
d’affaires) ; il peut y avoir des troubles de jouissance (intensification du bruit lié à
l’accroissement du trafic, bruits résultant de la circulation automobile, CE, 5 déc. 1990,
M. et Mme Chapon, RDP, 1991, p. 1443) du voisinage d’un terrain de football (CE,
22 mars 1991, Rivat, RDP, 1991, p. 1143), et à l’utilisation plus fréquente d’appareils
sonores ; bruits résultant de construction d’autoroutes ; il peut y avoir réparation pour
dépréciation de la valeur d’un immeuble, inconvénients résultant du voisinage d’une
centrale nucléaire (CE, 5 avr. 1991, Époux Dacquet-Chassaing, RDP, 1991, p. 1444) bruits
causés par la présence d’un aéroport (CE, 20 nov. 1992, Cne de Saint-Victoiret, RFDA,
p. 196). Autres exemples d’indemnisation : horloge dans le clocher d’une église entraî-
nant des sonneries d’une intensité exceptionnelle, prolifération de lapins de garenne dus
à un remblai, lapins qui abîment les cultures. « Les allongements de parcours » consti-
tuent aussi une variété de dommages permanents qui sont indemnisés lorsque le
dommage est spécial et anormal (ex. CE, 30 janv. 1963, Chauvet, p. 61, du fait de la
construction d’un barrage, la distance à parcourir entre une propriété rurale et l’agglo-
mération passe de 2,4 km à 7,1 km). Constitue un préjudice anormal et spécial, un
ensemble de gênes et de nuisances importantes pour un pavillon d’exposition, consistant
notamment en de sérieuses difficultés d’accès et une moindre visibilité pour la clientèle
potentielle (CE, 18 nov. 1999, Sté Les Maison de Sophie et autres, RFDA 1999, p. 242). La
CAA de Lyon dans un arrêt du 16 mars 2000 (Cne de Saint-Laurent du Pont, ADJA, 2000,
p. 900) a admis, contrairement au tribunal administratif de Grenoble, l’existence d’un
dommage causé aux tiers par la présence d’un ouvrage public, en l’espèce une salle des
fêtes dont les nuisances excèdent les inconvénients normaux de voisinage. Il y a indem-
nisation des troubles de jouissance d’un propriétaire voisin et perte de la valeur vénale
de la propriété. Le réseau ferré de France est responsable, sans faute, pour les dommages
causés aux cultures par les lapins sauvages provenant du remblai de la voie ferrée (CE
avis, 26 févr. 2003, M. Courson, AJDA 2003, p. 519).
● Les pertes de clientèle, les diminutions d’activité entraînées par la modification
de voies de communication ne sont jamais indemnisées. Le Conseil d’État le dit
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162 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

clairement : « Les modifications apportées à la circulation générale résultant soit de


changements effectués dans l’assiette ou la direction des voies publiques, soit la création
de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit au versement d’une indemnité »
(CE, 5 juin 1987, Martin, DA 1987, no 447).
On a fait remarque à juste titre (v. Godfrin) que cette solution est difficile à justifier
sur le plan théorique, d’autant plus que les allongements définitifs de parcours ou les
gênes au droit d’accès sont indemnisés. La raison de la non-indemnisation est pure-
ment financière : ne pas alourdir la charge de certains travaux, éviter que les collectivités
ne soient dissuadées à entreprendre certains travaux par l’importance des dommages
à verser.
Aussi le juge a-t-il limité cette jurisprudence très sévère aux seuls cas où on est réellement
en présence de travaux publics. Si la baisse de fréquentation résulte d’une mesure de
police prise dans l’intérêt du bon ordre et de la sécurité de la circulation, une responsabilité
fondée sur la responsabilité sans faute peut être envisagée (Ex. : CE, 13 mai 1987 Aldebert,
RFDA 1988, p. 50, cas d’un relais routier qui avait procédé à d’importants travaux pour
recevoir des poids lourds et obtenu toutes les autorisations d’ouverture. Après la fin de
ces travaux, le maire interdit la circulation dans la commune des gros camions. L’activité
du relais chute des deux tiers, [indemnité]) ; (v. aussi à propos de fermetures d’habitations
HLM, pertes pour un pharmacien CE, 31 mars 1995, Lavaud, RFDA 1995, p. 638).
Il n’y aura pas de réparation si la victime est dans une situation juridique irrégulière
ou dans une situation de pur fait (CE, 2 juin 1972, Les Vedettes blanches, p. 419).
● L’administration sera exonérée s’il y a faute de la victime ou force majeure.
● Le Conseil d’État admet que si entre le jugement de première instance et l’arrêt
d’appel l’étendue réelle des conséquences dommageables s’est avérée plus importante,
la CAA peut réévaluer l’indemnité (CE S., 8 juill. 1998, Dpt de l’Isère, RDP, 1998,
p. 1235).
2. DOMMAGES SUBIS PAR LES USAGERS
● C’est le système de la responsabilité fondée sur la faute qui s’applique, en l’occurrence
le système de la faute présumée. Toutefois, une partie de la doctrine estime qu’il
s’agit d’un système de « présomption de responsabilité ». Quoiqu’il en soit, la victime
n’a pas d’autre preuve à apporter que le lien entre le dommage et le travail public.
L’administration peut écarter sa responsabilité en prouvant qu’elle a bien entretenu
l’ouvrage, ce qui est assez rare (preuve non-rapportée CE, 20 févr. 1985, Dlle Monzel,
D. 1987, p. 113). L’administration sera donc responsable en cas de défaut d’entretien
normal ; elle peut prouver que l’entretien normal a eu lieu et se libère ainsi de sa
responsabilité. En cas de détérioration ou de dérèglement, l’administration dispose
d’un délai « raisonnable » pour remettre l’ouvrage en état de fonctionnement. La
responsabilité pour défaut d’entretien normal s’applique aussi aux constructeurs d’un
ouvrage à l’égard des usagers (CE, 13 nov. 1987, Sté provençale d’équipement, AJDA
1987, p. 770) même après réception définitive de l’ouvrage public. Il va de soi que
l’ensemble de cette responsabilité ne peut jouer que si l’on est en présence d’un travail
ou d’un ouvrage public ce qui n’est pas le cas des couloirs aériens au-dessus des
aéroports (CE, op. cit.), ou, en principe, des pistes de ski (CE, op. cit.).
●La notion de défaut d’entretien normal est assez délicate à préciser. Les défauts
mineurs n’entraîneront pas la responsabilité de l’administration (petits trous ou saillies
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 163

sur la voie publique (CE, 12 avr. 1991, Mme Debienne, RDP, 1991, p. 1441), affaisse-
ment du sol provoquant la chute d’un cheval au cours d’une course hippique ;
l’administration sera responsable des saillies plus importantes, des chantiers non
signalés, des glissières de sécurité ni arrondies, ni munies de protections ; d’une verrière
dans une piscine ne répondant pas aux normes de sécurité, d’un mauvais fonction-
nement des feux de stop. Autre exemple : CE, 9 mars 1976, Sté des Autoroutes
Paris-Lyon, AJDA 1976, p. 528 : eu égard aux conditions de la circulation sur les
autoroutes, l’absence de tout aménagement particulier destiné à empêcher l’accès aux
grands animaux sauvages sur ces voies publiques, ne constitue un défaut d’entretien
normal que, soit à proximité des massifs forestiers qui abritent du gros gibier, soit
dans les zones où le passage des grands animaux est habituel (idem, CE, 4 nov. 1987,
Sté autoroutes Sud France c/ de Lauzon, req. 80.150). La présence d’oiseaux sur un
aéroport, oiseaux qui entrent en collision avec un avion, ne constitue pas un défaut
d’entretien normal (CE, 28 juin 1989 Sté Uni-Air req. 75335) ni le fait que des ouvrages
aient été insuffisants pour contenir une avalanche (CE, 16 juin 1989, Assoc. Le Ski
Alpin, RFDA 1989, p. 718). Une signalisation insuffisante ou inappropriée peut consti-
tuer un défaut d’entretien normal (CE, 21 juin 1991, Ridoin, RDP, 1991, p. 1439) et la
mise en place d’une signalisation ne dispense pas l’administration d’entreprendre dans
un délai raisonnable les travaux de réfection nécessaires (CE, 19 juin 1991, Min. Équip./
Gardet, RDP, 1991, p. 1440). Constituent encore un défaut d’entretien normal :
mauvais entretien d’un grillage par la SNCF près de la voie ferrée (CE, 30 mars 1990,
OPHLM de Toulon, RDP, 1991, p. 1440), panneau de signalisation d’une nappe d’eau
renversé pendant un certain temps (CE, 17 avr. 1991, Min. Transp. c/ Mme Thévenet,
RDP, 1991. p. 1440), présence sur la chaussée d’une importante excavation non signalée
(CAA Nancy, Min. des Postes et Tél., req. N.C. 00521) ; dénivellation non signalée de
8 à 10 mètres sur une tranchée d’assainissement fraîchement remblayée (CAA Nancy,
2 juill. 1991, Sté entrepr. de tr. pub., req. 00354) ; présence de bovins sur une autoroute
(CE S., 12 nov. 1997, CRAMAIF, RFDA 1998, p. 204, p. 442).
● Autres ex. de défaut d’entretien normal : défaut d’entretien d’une rampe d’accès à

une crèche, recouverte de mousse, de feuilles (CAA Marseille, Fenex, Juris-data,


043336) des routes glissantes du fait d’une épaisse couche de pommes de terre déversées
par les agriculteurs (CAA Nantes, 30 déc. 1999, Cté urb. de Brest, 055081), usager d’une
piscine qui fait une plongée et est aspiré et bloqué après que la plaque d’évacuation
ait cédé (CAA Nancy, 26 avril 2000, Vale). Insuffisante protection des voies ferrées en
ville (CAA Nancy, 13 nov. 2003, AJDA 2004, p. 231).
● Pas de défaut d’entretien normal : une fissure d’une largeur très réduite, d’une
profondeur faible sur un escalier desservant une cité administrative (CAA Nancy, 19 oct.
2000, Juris-data, 2000, 129353). Pas de défaut d’entretien normal (en l’espèce) la pré-
sence d’un chevreuil sur l’autoroute (CAA Lyon, 12 nov. 2002, AJDA 2003, p. 407).
Les chutes d’arbres et le dérèglement des feux de circulation ont entraîné un abondant
contentieux. On trouve aussi de nombreux exemples en dehors de la voie publique :
existence dans un jardin public de plantes à feuilles pointues et basses débordant sur
l’allée et blessant un enfant, matières inflammables abandonnées sur le quai d’un port.
Il y aura responsabilité de l’administration s’il y a « défaut d’entretien normal ».
● Dans ce cas, l’administration pourra cependant être exonérée en cas de faute de la
victime ou de force majeure (ex. a contrario : enfant de huit ans, blessé par l’utilisation
d’un toboggan mal installé ; pas de faute de la victime d’avoir remonté le toboggan à
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164 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

contre-sens, CE, 17 juin 1998, M. et Mme Pham, RFDA 1998, p. 897) (v. aussi CAA
Nantes, 26 oct. 2000, Vals, Juris-data, 2000 ; 129495). Mais la faute des tiers contrai-
rement au droit commun, n’exonère pas de cette responsabilité pour faute
« présumée ».
● L’appréciation du défaut d’entretien normal appartient au juge du fond et n’est pas
contrôlé par le juge de cassation (CE, 26 juin 1992, Cne de Bethoncourt c/ Éts Barbier,
CJEG, 1993, p. 519). Mais le Conseil d’État sanctionne la « dénaturation des faits »
(CE, 27 nov. 1999, Dora, no 17808) l’erreur de qualification (CE, 4 oct. 2000, Dpt de
Hte Gar., Juris-data, 2000, 19847) ainsi que « l’erreur de droit » (CE, 17 mai 2000,
Dpt Dordogne, RFDA 2000) (v. détails Mémento de Contentieux administratif).
● Les usagers bénéficient d’un système de responsabilité sans faute si l’accident est
causé par un ouvrage particulièrement ou exceptionnellement dangereux (automo-
biles victimes d’accidents en circulant sur une route nationale longeant une falaise et
sujette à des éboulements sur l’île de la Réunion : CE, 8 juill. 1973, Dalleau, p. 482).
Mais cette jurisprudence restait très limitée, un chemin départemental même exposé
aux avalanches à certaines périodes de l’année n’a pas le caractère d’un ouvrage
particulièrement dangereux (CE, 11 avr. 1975, Dpt Haute-Savoie, p. 230), ni une route
exposée à des chutes de rochers (CE, 5 mai 1992, Min. Équipt c/ M. et Mme Cala,
RFDA 1992, p. 712). D’ailleurs la jurisprudence Dalleau a été abandonnée, la route
no 1 de l’île de la Réunion n’étant plus considérée comme un ouvrage exceptionnel-
lement dangereux (CE, 11 juillet 1986, Kichenin).
3. DOMMAGES SUBIS PAR LES PARTICIPANTS AU TRAVAIL PUBLIC
Le régime est ici nettement plus rigoureux. Les participants au travail, ce sont essen-
tiellement, mais pas seulement, le maître d’ouvrage et l’entrepreneur. La jurisprudence
précise que les dommages subis par les participants à un travail public, n’ouvrent droit
à réparation « que s’il est établi que lesdits dommages sont imputables à une faute
du maître de l’ouvrage ou de l’entrepreneur ». C’est à la victime d’apporter la preuve
du dommage (Ex. : CE S., 2 juillet 1971 SNCF c/ Époux Le Piver, p. 504, Dr. Sté, 1972,
p. 50 ; CE, 24 avril 1981, Sté des autoroutes du Nord et de l’Est, p. 953, D. 1982, IR,
p. 112).
Quelle est la justification de cette jurisprudence restrictive ? Selon M. Chapus, comme
la jurisprudence n’explicite pas les motifs dont procède l’exigence d’une faute, on doit
supposer que cette exigence tient à la considération que les participants à l’exécution
de travaux publics « sont des professionnels pour lesquels la survenance d’un dom-
mage pendant l’accomplissement de leur service est un risque du métier. Et de plus,
à la considération que leur participation à l’exécution de travaux donne lieu à
rémunération ».
Mais dans la pratique, les « participants » ne sont pas toujours le maître d’œuvre ou
l’entrepreneur. Ont aussi été considérés comme des participants, l’architecte surveillant
les travaux (CE, 16 décembre 1970, Teppe, p. 774, AJDA 1971, p. 379) l’agent d’une
collectivité appelée sur le chantier pour donner un renseignement (CE, 17 décembre
1975, Entr. Carpentier, p. 649) et même le simple particulier à qui on a demandé de
venir couper une canalisation d’eau qui lui appartient et qui gênait les travaux (CE,
1er déc. 1976, Auda, p. 1161).
En revanche, lorsqu’on peut faire jouer la théorie du « collaborateur bénévole » les
rigueurs de la jurisprudence disparaissent. Le « collaborateur bénévole » est considéré
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e
3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 165

comme désintéressé, il n’est pas « participant » à l’opération de travail public. Le


collaborateur bénévole bénéficiera du régime de responsabilité sans faute (CE, 26 juin
1968, Caisse primaire de Sécurité sociale du Calvados, p. 403) v. aussi C. Ass., 27 novem-
bre 1970, Cons. Appert-Collin, p. 709, AJDA 1970, p. 37 ; accident survenu à un maire,
écrasé sous son tracteur, alors qu’il se livrait bénévolement à des travaux de nivellement
pour aménager un terrain de sport).
C. La mise en œuvre de la responsabilité
1. Le tribunal compétent est le tribunal administratif.
2. Les personnes responsables peuvent être très diverses. Lorsque le travail est exécuté
en régie, la personne publique sera seule responsable. Lorsque le travail est exécuté
par un entrepreneur, la victime peut attaquer ou l’entrepreneur ou la personne
publique (ou le concessionnaire), ou les deux à la fois. En tout état de cause, même
lorsque l’entrepreneur est attaqué, l’action sera de la compétence du tribunal
administratif. La réparation finale obéit à des règles assez complexes. S’il s’agit de
travaux exécutés par un concessionnaire, la victime ne peut attaquer que le conces-
sionnaire mais non pas l’administration, sauf insolvabilité du concessionnaire. Il y a
aussi compétence administrative si la responsabilité du sous-traitant est invoquée
(T. confl. 22 avr. 1985, Sté Oléomat, AJDA 1985, p. 508) ou éventuellement même
celle de l’architecte et du bureau d’études (CE, 7 mars 1986, Synd. d’électricité et d’équip.
collectif du Jura, AJDA 1986, p. 397).
3. En cas de pluralité de causes d’un dommage, la victime peut demander la réparation
de la totalité du dommage à l’une quelconque des personnes coauteurs (CE, 15 oct.
1976, District urbain de Reims, p. 420).
4. Lorsqu’une collectivité (commune) n’est pas maître d’ouvrage d’un immeuble bâti
par le titulaire d’un « bail emphythéotique » sa responsabilité ne peut être engagée
pour ces travaux (CE 16 févr. 2005, M. et Mme Maurel, AJDA 2005, p. 1073).
5. La réparation sera une réparation en argent ; la détermination se fera en application
des règles du droit commun de la responsabilité. L’indemnité peut éventuellement être
réduite en fonction des plus-values.
La détermination des responsables définitifs se fait par des « appels en garantie » ou
des « actions récursoires ».
6. Il n’y a pas lieu à réparation lorsque la victime a entrepris une activité alors qu’un
ouvrage public existait déjà antérieurement (CE, 28 févr. 1986, Entr. Blondet c/ Ville
d’Aix-les-Bains, AJDA 1986, p. 399). Il peut éventuellement exister aussi une compen-
sation des plus-values (même arrêt).
7. Lorsque l’exécution défectueuse d’un travail public est constitutive d’un délit pénal,
la victime peut s’adresser soit à la juridiction administrative, soit se constituer partie
civile devant le juge répressif pour faire condamner l’auteur du dommage ou l’em-
ployeur (CE, 13 juin 1960, Douïeb c/ Stokos, p. 865).
8. Le Conseil d’État, en tant que juge de Cassation, vérifie si les juridictions subor-
données ont bien recherché le lien de causalité entre le fait invoqué et le dommage
subi (CE, 16 juin 1999, Sté centrale sidérurgique de Richemont, RFDA 1999, p. 879). La
question de savoir s’il y a défaut ou non d’entretien normal relève de l’appréciation
souveraine du juge du fond.
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166 - D R O I T A D M I N I S T R A T I F D E S B I E N S

9. Comme on l’a déjà indiqué (v. p. 134), si un dommage a été causé à un abonné ou
à un usager d’un service industriel et commercial, la compétence judiciaire fondée
sur la responsabilité contractuelle l’emporte (T. confl. 24 juin 1954, Gaillard, Cogemad,
Sortel, p. 717). De même, sont de la compétence judiciaire les accidents causés par les
véhicules (loi du 31 déc. 1957).
10. En matière de travaux publics, on peut attaquer l’administration devant le juge
sans application de la règle de « décision préalable » et sans être tenu par les délais
de recours (Décr. 11 janv. 1965) (v. p. ex. CE, 12 févr. 1988, Autom. Citroën, req.
46.403).
11. Lorsque le « fonds de garantie automobile » (tout d’ailleurs comme les assurances)
ont été amenés à indemniser une personne morte ou blessée dans un accident
d’automobile parce que le conducteur de l’autre voiture n’était pas assuré, il peut se
retourner éventuellement contre l’auteur du dommage de Travail public pour le tout
ou en partie (CE, 31 juill. 1996, Fonds de garantie automobile, RFDA 1996, 1041, en
l’espèce Gaz de France).
12. Le juge peut-il ordonner la destruction d’un ouvrage public ? On sait que le principe
d’intangibilité de l’ouvrage public semble avoir été remis en cause, sous une certaine
forme du moins, dans l’arrêt Époux Denard de 1991 et les arrêts qui ont suivi (v. p. 136
et s.). De plus depuis la loi du 8 février 1995, le juge dispose dans le contentieux
administratif général, de nouveaux moyens pour contraindre l’administration à l’exé-
cution, en particulier le pouvoir d’injonction et d’astreinte qui pourra aussi être utilisé
en l’espèce (v. Mémento, Contentieux administratif).
13. Il faut tenir compte, en ce qui concerne l’imputation définitive de responsabilité,
d’éléments très divers : stipulations contractuelles spécifiques, diverses dispositions
législatives ou réglementaires spécifiques, fautes commises par les coauteurs du dom-
mage. Il faut tenir compte aussi du cas particulier des dommages réparés par les caisses
de Sécurité sociale.
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3 P A R T I E – L E T R A V A I L P U B L I C - 167

Conclusion générale : l’avenir du « Travail public »


Que va devenir le travail public ? Certes les modifications n’apparaissent guère pour
le moment mais si on analyse les éléments qui fondent la notion et déterminent le
régime juridique, l’avenir est moins certain.
Le régime du travail public remonte à la vieille loi du 28 pluviôse de l’an VIII. Pour
donner compétence aux conseil de préfecture et instituer un système très avancé de
responsabilité. Si la compétence a peu d’importance, le régime de responsabilité,
très performant, sera probablement à terme englobé dans la responsabilité de droit
commun, qui, s’orientera sans doute vers une responsabilité pour risque. Ainsi, le
régime de responsabilité du travail public, faute présumée pour l’usager, responsabilité
pour risque pour les tiers, et qui pour le moment est en avance sur les autres systèmes
de responsabilité, sera sans doute absorbé par le régime général de responsabilité. À
cet égard il n’y aura pas de recul du droit administratif, mais disparition de la spécificité
du système de responsabilité en matière de travaux publics.
On peut toutefois se demander si sur d’autres points le système du travail public ne
risque pas d’être davantage chahuté. La définition du travail public tourne, on le sait,
autour de la notion de « personne publique ». Le Tribunal des conflits s’était heurté
en 1963 à cette limite au risque d’un appauvrissement de la définition du marché de
travaux publics. Le Haut tribunal avait répondu à l’époque de façon très volontariste,
par le fameux arrêt Sté Entr. Peyrot. Est-on certain que cette jurisprudence puisse être
maintenue dans une Europe ouverte à la concurrence ? Déjà certains établissements
publics sont devenus des personnes privées soumises aux directives européennes ; c’est
le cas de France Télécom. D’autres risquent de suivre la même voie (SNCF, EDF). On
sait par ailleurs à quel point l’application la jurisprudence Effimieff aux services publics
industriels et commerciaux est discutée. Elle le sera d’autant plus que la notion même
de service public risque d’être ébranlée.
De plus, de nombreuses solutions du marché de travaux publics ne nécessiteront plus
guère de spécificité administrative ; sous-traitance, paiement du prix, réception des
travaux et surtout la garantie décennale déjà réglée de facto par le droit civil. Enfin la
mise en cause récente du principe d’intangibilité de l’ouvrage public ne constitue-t-elle
pas un signe prémonitoire ?
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INDEX ALPHABÉTIQUE
A -B publiques, 2 et s., 6 et s., 19 et s., 27,
32, 39, 43, 44 et s., 86, 87
Abus position dominante, 76 Codification, 6 et s.
Accessoires (domaine), 19, 20, 31 Commissaire-enquêteur, commission
Accord amiable (expropriation), 117 d’enquête, 105 et s.
et s. Commission nationale du débat public,
Actes détachables (domaine privé), 82 104 et s.
Acquisition (biens), 79 Compétence judiciaire, 82
Aéroport de Paris, 38 Concession d’endigage, 12, 14, 33, 45, 74
Affectation (domaine public), 9 et s., 12 Concession de service public, 54, 62
et s., 16 et s., 20 et s., 26 et s., 30 et s., Concession funéraire, 75
48 et s. Concession de travaux publics, 141
Air (domaine public aérien), 15 Concession de voirie, 64
Aisances de voirie, 45 et s., 51 Concurrence, 75 et s.
Aliénation (biens, domaine privé), 80 Conseil de la concurrence, 75 et s.
Alignement, 34 Conservation (police), 46
Aménagement spécial (domaine public) Conservatoire espace littoral, 15, 80
11 et s., 20 et s. Consistance du domaine public, 11 et s.,
Aménagement indispensable, 20 19 et s.
Amendes, 51 et s., 147 Constitution, Conseil constitutionnel,
Arrêté de cessibilité, 109 et s. 62 et s., 66, 91, 101
Attractif (caractère des TP), 130 et s., Contrats (occupation domaine), 65 et s.,
143, 156 70
Autorisation, 65 et s. Contrats (TP), 135, 143 et s., partenariat
Autorité judiciaire (expropriation), 110 public privé, 73
et s.
Copropriété (domaine), 19
Autoroute, 62 et s., 141 Contraventions de voirie, 51
Baux emphytéotiques, 64, 71 et s., 72, 142 Convention européenne des droits de
et s.
l’homme, 4, 70
Bénéficiaires (expropriation), 92 Cour européenne, 4, 70, 110, 113, 115
Bilan (théorie du), 96 et s. Crédit-bail, 72
Critère (domaine public), 11 et s., 17 et s.

C
Cassation (contrôle), 69, 99, 165
Cessibilité (arrêté), 109 D
Cession amiable, v. Accord amiable Décentralisation (domaine public), 30,
Chambres d’expropriation, 110 46
Charges (domaine public), 44 et s. Déclaration d’utilité publique, 101 et s.
Cimetières, 75 Déclassement, 31 et s., 33
Circulation, 55, 58, v. Voies publiques Décomptes (marchés TP), 152
Classement, 31 et s. Défaut entretien normal, 131, 162
Code des marchés publics, 143, 144 Délaissement, 118
Code de la propriété des personnes Délimitation, 33 et s.
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170 - I N D E X A L P H A B É T I Q U E

Désaffectation, 31, v. Affectation Entretien (domaine public), 46 et s.


Détournement de pouvoir, 94, 122 Environnement, 96, 105 et s.
Domaine privé, 2 et s., 22 et s., 79 et s. Établissements publics (domaine), 36
Domaine public, 2 et s. et s., 73
– aérien, maritime, fluvial, terrestre, 14, Étude d’impact, 102 et s., 106
17, 33, v. aussi Voirie, Mer Expulsion (dom. pub.), 66 et s.
– bases constitutionnelles, 27 Expropriation pour cause d’utilité publi-
– classement, déclassement, 31 et s. que, 2 et s., 89 et s.
– conservation, 11 et s., 13 et s.
Expropriation d’urgence, 119
– consistance, 11 et s., 19 et s.
– d’extrême urgence, 119
– critère, 11 et s., 17 et s.
– indirecte, 115, 121
– délimitation, 33 et s.
– distinction, 23 et s.
– droit réel (loi 27 juill. 94) 67 et s., 71
et s.
– échelles, 23 et s., 28, 86
– entretien, 11 et s., 13 et s.
F-G
Faute (TP), 162
– établissements publics, 36 et s. Fait d’exploitation (théorie), 159
– fluvial, 11, 59, v. Voies navigables Fleuve (domaine public fluvial), v. Voies
– inaliénabilité, 48 navigables
– imprescriptibilité, 49 Forêts, 12, 13, 22
– incorporation, 29 et s. France-domaine, 80, 102
– maritime, 17, 58, v. Mer
France Télécom, 37, 86
– mobilier, 15, 21
Gestion domaine, 81
– nature juridique, 26 et s.
– personnes privées, 36 et s. Garantie décennale (TP), 152 et s.
– propriétaire, 36, 39 Gratuité (domaine public), 56 et s.
– propriétés, 23 et s., 26 et s.
– protection, 46 et s.
– sortie, 31 et s.
– utilisations, 54
– virtuel, 21, 30
H-I
Halles et marchés, 75
Dommages accidentels, 159 et s. Imbrications contentieuses (expropria-
Dommage (expropriation), 111 et s. tion), 114 et s.
Dommages de travaux publics, 156 et s. Imprescriptibilité, 49
Dommages permanents, 159 et s.
Inaliénabilité, 48, 87
Dossier (expropriation), 101 et s.
Incorporation (domaine), 29 et s.
Droit communautaire, 76, 78, 144
Droit de la concurrence, 75 et s. Indemnités d’expropriation, 111
Droit de préemption, 121 et s. Indemnités TP, 149
Insaisissabilités, 49
Intangibilité (ouvrage public), 136 et s.,
166

EEDF (biens), 37, 38


Édifice du culte, 64
Enquête préalable, 105 J-L
Entrepreneur, 147, 150, 165 Juridiction d’expropriation, 110 et s.
Entrée en possession, 113 Lais et relais, 14
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I N D E X A L P H A B É T I Q U E - 171

M-N R
Maître d’œuvre, 145 Réception des travaux (TP), 152
Maîtrise d’ouvrage, 145 Récupération plus-values, v. Plus-values
Manifestation, 63 Redevance, 59, 65, 67, v. aussi Péage
Marché de travaux publics, 142 et s. Référé pré-contractuel, 146 et s.
Marché d’entreprise de travaux publics, Référés, 66 et s., 123
141 Régie (TP), 140, 148
Mer (Dom. pub. marit.), 33, 58, v. Riva- Réquisition, 89 et s., 125 et s.
ges de la mer – civile, 126
Modification unilatérale, 148 – d’emprise totale, 119
Mutations domaniales, 40 et s., 87 – militaire, 126
Nationalisations, 120 Résiliation (marchés), 148
Responsabilité (travail public), 152 et s.,
156 et s.
Responsabilité décennale, 162 et s.
O Responsabilité sans faute, 159 et s.
Rétrocession, 114, 118 et s., 122
Occupation domaine public, v. Utilisa-
tion Risque (responsabilité TP), 154 et s.
Occupation temporaire, 154 Risques naturels majeurs, 123
Offres de concours, 142 et s. Rivages de la mer, 12, 14, 33, 45, 57, 74,
Opérations complexes, 120 v. Domaine public maritime
Ordonnance d’expropriation, 110 Riverains voies publiques, 45 et s.
Ouvrages d’art, 62 Rivières, 13 et s.
Ouvrage public, 136 et s.
Ouvrage public mal implanté, 136 et s.

S
P Sanctions (contrat, trav. pub.), 148 et s.
Service des domaines, 80, 102 v.
Participants (TP), 164 et s. France-domaine
Péage, 57, 62, 67 Service public (affectation), 16, 20, 54
Permission de voirie, 65 et s. Servitudes (domaine), 44 et s., 46 et s.
Pertes clientèle, 161 et s. Sortie (domaine), 31
Plages, 74, v. aussi Mer, Domaine mari- Sous-traitance, 149 et s.
time, Rivages mer Stationnement, 57, 59 et s.
Plan d’alignement, 35 Sujétions imprévues, 149, 151
Plus-values, 155 et s.
Police, conservation du domaine, 50 et s.
Poste, 30, 86
Pouvoir hiérarchique, v. Hiérarchie
Préemption (droit de), 121 et s. T
Prix (marchés travaux publics), 149, 152 Tiers (travaux publics), 154 et s.
Procédure (expropriation), 101 et s. Titulaires (expropriation), 92
Procédures spéciales d’expropriation, Travaux publics, 3 et s., 130 et s.
117 et s. – définition, 130 et s.
Projet (TP), 140 et s. Travaux sur mémoire, 141
Propriété, v. Domaine Travaux hors contrat, 150
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172 - I N D E X A L P H A B É T I Q U E

U Utilité générale, 174 et s.


Utilité publique, 93, 95 et s., 130, 174 et s.
Usager (travail public), 162 et s.
Usage du public (domaine), 12 et s.,
20
Usager service public industriel et
commercial, 157 et s., 166
V
Véhicules (accidents), 158 et s.
Utilisation collective, 56 et s. Voies navigables, 11, 22, 30, 33
Utilisation privative, 64, 75 Voies publiques, 11, 13, 35, 52, 56, 58, 71
Utilisations (domaine public), 54 Validation législative, 101
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TABLE DES MATIÈRES

Sommaire V
Introduction 1
Bibliographie sommaire 4

P R E M I È R E P A R T I E
LE DOMAINE 5

> CHAPITRE I LES SOURCES DES RÈGLES DE LA DOMANIALITÉ 6


> INTRODUCTION L’évolution des sources : la codification 6
§ 1 Les choix opérés pour l’élaboration du Code 6
§ 2 L’économie générale du Code 7

> C H A P I T R E II L E S N O T I O N S D E D O M A I N E P U B L I C E T D E D O M A I N E P R I V É 9
> SECTION 1 La distinction du domaine public et du domaine privé 9
§ 1 L’évolution de la distinction 9
§ 2 Les critères et la consistance actuels du domaine public
antérieurs au nouveau code (CG3P) 11
§ 3 La nouvelle définition du domaine public 19
§ 4 La consistance du domaine privé 22

> SECTION 2 Intérêt et valeur de la distinction du domaine public – domaine privé 23

> C H A P I T R E III L A N A T U R E J U R I D I Q U E DE LA DOMANIALITÉ PUBLIQUE 26


§ 1 Évolution 26
§ 2 La nature actuelle 26

> C H A P I T R E IV L E R É G I M E J U R I D I Q U E D U D O M A I N E P U B L I C 29
> SECTION 1 La détermination particulière du domaine public 29
§ 1 L’incorporation et la sortie du domaine public 29
§ 2 La délimitation du domaine public 33

> SECTION 2 La répartition du domaine public entre les collectivités publiques 36


§ 1 Introduction 36
§ 2 Les collectivités publiques propriétaires 39
§ 3 Le problème des mutations domaniales 40

> SECTION 3 Les charges pesant sur le domaine public 44


§ 1 Les charges de droit commun 44
§ 2 Les charges de voisinage de caractère administratif 45
§ 3 Décentralisation et domaine public 46
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174 - T A B L E D E S M A T I È R E S

> SECTION 4 La protection du domaine public 46


§ 1 L’obligation d’entretien 46
§ 2 Inaliénabilité et imprescriptibilité du domaine public 48
§ 3 La protection pénale du domaine public 50
§ 4 Autres protections du domaine public 53

> SECTION 5 L’utilisation du domaine public 54


§ 1 L’utilisation du domaine affecté aux services publics 54
§ 2 L’utilisation du domaine affecté à l’usage du public 55

> CHAPITRE V LE RÉGIME JURIDIQUE DU DOMAINE PRIVÉ 79


§ 1 Constitution et aliénation du domaine privé 79
§ 2 La gestion du domaine privé 81
§ 3 Le droit applicable au domaine privé 82

> C H A P I T R E VI C ONCLUSION GÉNÉRALE SUR LA DOMANIALITÉ PUBLIQUE 85

D E U X I È M E P A R T I E
L’EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITÉ PUBLIQUE
ET LA RÉQUISITION 89

T ITRE I L’expropriation pour cause d’utilité publique 90

> C H A P I T R E I N T R O D U C T I F L’ É V O L U T I O N H I S T O R I Q U E 90
> CHAPITRE I LES CONDITIONS DU RECOURS À L’EXPROPRIATION 92
§ 1 Titulaires et bénéficiaires du droit d’exproprier 92
§ 2 Les biens susceptibles d’expropriation 92
§ 3 Les buts de l’expropriation 93

> C H A P I T R E II L A P R O C É D U R E D ’ E X P R O P R I A T I O N 101
§ 1 Opérations relevant de l’autorité administrative 101
§ 2 Opérations relevant de l’autorité judiciaire 110
§ 3 Effet des imbrications contentieuses 114

> C H A P I T R E III L E S RÉGIMES PARTICULIERS 117


EN MATIÈRE D’EXPROPRIATION
§ 1 Incidents au cours de la procédure normale 117
§ 2 Procédures spéciales 119
§ 3 Les cas particuliers de cession forcée de biens 120

T ITRE II La réquisition 125

> CHAPITRE I LES POSSIBILITÉS D’EMPLOI DE LA RÉQUISITION 126


§ 1 Les réquisitions militaires 126
§ 2 Les réquisitions civiles 126

> C H A P I T R E II P R O C É D U R E ET CONTENTIEUX 127


§ 1 La procédure 127
§ 2 Le contentieux 127
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 181

T A B L E D E S M A T I È R E S - 175

T R O I S I È M E P A R T I E
LE TRAVAIL PUBLIC 129

> CHAPITRE I LA DÉFINITION DU TRAVAIL PUBLIC 130


> SECTION 1 La définition du travail public proprement dit 130
§ 1 Les éléments communs de la définition 130
§ 2 Les éléments alternatifs de la définition 131

> SECTION 2 L’ouvrage public 136

> C H A P I T R E II L E R É G I M E J U R I D I Q U E D U TRAVAIL PUBLIC 140


> SECTION 1 Le projet de travail public 140

> SECTION 2 Les modes d’exécution du travail public 140


§ 1 Les différents modes d’exécution 140
§ 2 Le marché de travaux publics 142

> SECTION 3 Les travaux publics et les tiers 154


§ 1 Les sujétions imposées aux particuliers 154
§ 2 La réparation des dommages de travaux publics 156

Index alphabétique 169


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Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 183

Mémentos Dalloz

Série droit public – science politique


Administration de l’État, F. Chauvin
Administration régionale, départementale et municipale, J. Moreau
Contentieux administratif, G. Peiser
Droit administratif des biens, G. Peiser
Droit administratif général, G. Peiser
Droit constitutionnel et institutions politiques, J. P. Jacqué
Droit des contrats publics, F. Lichère
Droit européen, J.-C. Gautron
Droit fiscal, C. de Lauzainghein, M.-H. Stauble-de Lauzainghein, L. de Mellis
Droit de la fonction publique, G. Peiser
Droit international public, D. Ruzié
Droit public, L. Dubouis, G. Peiser
Droit public économique, D. Linotte, A. Graboy-Grobesco
Droit de la santé publique, J. Moreau, D. Truchet
Droit de l’Union européenne et politiques communes, P. Le Mire
Droit de l’urbanisme, J. Morand-Deviller
Finances locales, R. Muzellec
Finances publiques. Budget et pouvoir financier, F. Deruel, J. Buisson
Histoire du droit, J. Hilaire
Histoire des idées politiques de l’Antiquité à la fin du XVIIIe siècle, D. G. Lavroff
Histoire des idées politiques depuis le XIXe
siècle, D. G. Lavroff
Histoire des institutions publiques de la France, P. Villard
Institutions internationales, J. Charpentier
Introduction à la science politique, J. Baudouin
Libertés publiques et droits de l’homme, A. Pouille
Relations internationales, M. Gounelle
Dossier : 203215 Fichier : Biens Date : 22/3/2007 Heure : 7 : 48 Page : 184

Série droit privé


Criminologie et science pénitentiaire, J. Larguier
Droit des assurances, H. Groutel, C. J. Berr
Droit bancaire, F. Dekeuwer-Défossez
Droit civil général, P. Bihr
Droit civil. Les biens, P. Courbe
Droit civil. Les contrats spéciaux, G. Vermelle
Droit civil. Les obligations, G. Légier
Droit civil. Les personnes, la famille, les incapacités, P. Courbe
Droit civil. Régimes matrimoniaux, libéralités, successions, F. Lucet, B. Vareille
Droit civil. Sûretés, publicité foncière, M.-N. Jobard-Bachellier
Droit commercial. Notions générales, J.-P. Le Gall, C. Ruellan
Droit du commerce international, H. Kenfack
Droit de la construction, R. Saint-Alary, C. Saint-Alary-Houin
Droit des entreprises en difficulté, P.-M. Le Corre
Droit fiscal des entreprises commerciales, J.-P. Le Gall
Droit international privé, J. Derruppé, J.-P. Laborde
Droit pénal des affaires, G. Giudicelli-Delage
Droit pénal général, J. Larguier
Droit pénal spécial, J. Larguier, P. Conte, A.-M. Larguier
Droit de la propriété industrielle, J. Schmidt-Szalewski
Droit rural, J. Audier
Droit de la sécurité sociale, J.-J. Dupeyroux, X. Prétot
Droit des sociétés. Droit commun et droit spécial des sociétés, A. Constantin
Droit des sociétés. Volume II. Aspects particuliers, J.-P. Le Gall, C. Le Gall-Robinson
Droit du travail. Volume I. Rapports collectifs, J.-M. Verdier, A. Cœuret, M.-A. Souriac
Droit du travail. Volume II. Rapports individuels, J.-M. Verdier, A. Cœuret, M.-A. Souriac
Grands systèmes de droit étrangers, M. Fromont
Institutions judiciaires, J.-J. Taisne
Introduction générale au droit, P. Courbe
Procédure civile. Droit judiciaire privé, J. Larguier, P. Conte
Procédure pénale, J. Larguier, P. Conte
Propriété littéraire et artistique, P. Sirinelli

Cet ouvrage a été composé par


I.G.S. - C.P. à L’Isle-d’Espagnac (16)
MÉMENTOS
MÉMENTOS
MÉMENTOS

Gustave Peiser
Droit administratif des biens
La 19e édition de cet ouvrage comporte d’importantes innovations
liées à l’évolution récente du droit administratif des biens.
La théorie de la domanialité constitue l’une des théories les plus
originales et les plus intéressantes du droit administratif. D’origine
très ancienne, elle a jusqu’à une date récente été développée surtout
par la jurisprudence. Mais le nouveau « Code général de la propriété
des personnes publiques » entré en vigueur le 1er juillet 2006 modifie
et modernise très sensiblement le droit applicable. Ce Code prend
Droit administratif
en compte en particulier la valorisation économique du domaine
et l’intrusion du droit de la concurrence. des biens

Droit administratif des biens


La possibilité d’exproprier des biens constitue une nécessité
pour l’administration. Les modifications intervenues ces dernières
années tentent d’améliorer la protection des personnes expropriées.
L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme devient fondamentale.
En matière de travaux publics, il faudra tenir compte, pour la 19e édition
passation des marchés, du nouveau Code des marchés publics
qui cherche à rendre le droit français conforme au droit européen.
Cet ouvrage est destiné essentiellement aux étudiants des facultés,
aux candidats aux concours administratifs et aux agents publics Gustave Peiser
ou aux professionnels qui s’occupent des problèmes de construction
et d’urbanisme.
Gustave Peiser est professeur émérite de l’Université Pierre-Mendès-
France (Grenoble II).
ISBN 978-2-247-07251-4
6726319

16 e 9 782247 072514

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