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DE LA VITALITE ORACULAIRE A L'EPOQUE HELLENISTIQUE


LE CAS DU SANCTUAIRE D'APOLLON À KOROPÈ.

Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en études anciennes
pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.)

FACULTE DES LETTRES


UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC

NOVEMBRE 2004

© Vincent Du Sablon, 2004


Ill

RESUME

L'étude du phénomène oraculaire à l'époque hellénistique semble quelque peu


négligée par les modernes. Bien que la plupart mentionne la vitalité des oracles
hellénistiques, peu ont analysé ce dynamisme. À Delphes, plusieurs éléments montrent
qu'Apollon conserva son prestige jusqu'à la basse époque hellénistique. Les sources
montrent alors une réduction, voire une localisation de son rayonnement. Malgré le déclin
apparent de certains lieux de mantique, d'autres sources attestent plutôt une continuité
dans la foi aux oracles chez les Grecs. Tel est le cas de l'inscription relative au maintien
de l'ordre à l'oracle d'Apollon de Koropè, situé près de Démétrias. Ce document
témoigne de la vitalité d'un manteion local, vers 116 a.C. Ainsi, l'époque hellénistique,
quant au phénomène oraculaire, apparaît à la fois comme une période de continuité et de
changement. Continuité en ce qui a trait à la vitalité des croyances oraculaires, et
changement relatif à une modification du rayonnement des oracles traditionnels.
IV

AVANT-PROPOS

La rédaction de ce mémoire n'aurait pu être possible sans l'aide et le soutien de


plusieurs personnes qui, de près ou de loin, directement ou indirectement, y ont collaboré.
Je tiens d'abord à remercier mon directeur de maîtrise, M. Patrick Baker, dont les
commentaires et les suggestions ont su guider mes recherches, du début à la fin de mon
étude. J'aimerais aussi remercier M. Gaétan Thériault qui, à quelques reprises, a eu la
générosité de son temps afin d'orienter ma réflexion et de me fournir des indications
bibliographiques pertinentes.

Un remerciement particulier revient aussi au Fonds George-et-Theodora-Trakas,


qui a rendu possible un séjour d'étude de trois mois en Grèce. La bourse octroyée m'a
notamment donné la chance d'analyser sur place, au musée de Volos, l'inscription
concernant l'oracle d'Apollon Koropaios, au centre du présent mémoire, et la possibilité
d'en présenter une nouvelle édition, après révision de la pierre. Je remercie aussi tous
ceux qui, rencontrés au cours de ce voyage, professeurs, collègues étudiants et ami(e)s,
ont facilité mon séjour d'étude et m'ont accompagné dans ma découverte de la terre des
Anciens. Us m'ont en outre permis d'échanger avec eux sur le sujet des oracles grecs,
mais aussi sur une multitude d'aspects de l'histoire ancienne.

Sur une note moins académique, mais tout aussi importante, sinon plus, j'aimerais
remercier très sincèrement tous ceux qui, hors du cercle purement universitaire, surent
contribuer, à leur façon, à l'aboutissement de mes études. Je pense en particulier à mes
amis, Patrice, Aude et Sara, pour ne nommer que ceux-là, dont le soutien a permis de
traverser des moments plus difficiles qu'implique une longue recherche, ne serait-ce
qu'en me changeant les idées, et même, pour certains, en m'aidant à trouver solution aux
problèmes rencontrés. Mes parents, en particulier, m'ont apporté tout le soutien
nécessaire, tant au point de vue moral que financier. Les multiples lectures et relectures
qu'ils ont effectuées, sans doute parfois longues et ennuyeuses, ont grandement contribué
à donner sa forme finale à la présente étude. À eux sont dédiées les pages qui suivent, et
puissent-ils y trouver l'expression d'une profonde reconnaissance.
TABLE DES MATIERES

Résumé iii
Avant-propos iv
INTRODUCTION 1
1. Delphes et les oracles grecs 1
2. État de la question 4
3. Sources 6
4. Méthodologie 8

I. Des dieux, des mortels et des oracles 10


A. Des hommes et des dieux 10
1. De la conception du monde 11
2. De la communication avec les puissances divines 13
3. Des pratiques divinatoires 15
B. Le paysage oraculaire grec 21
1. Les sanctuaires prophétiques locaux 21
2. Les grands centres de mantique 27
C. Delphes et les hauts lieux oraculaires à l'époque hellénistique 31
1. La haute époque hellénistique ou la continuité du prestige delphique 32
2. La basse époque hellénistique ou la modification du paysage oraculaire 37

II. Démétrias et le cas du sanctuaire d'Apollon à Koropè 44


A. Démétrias, cité hellénistique 44
1. Démétrias, verrou de la Grèce 45
2. Démétrias, de la cité antigonide à la cité des Magnètes 47
3. Démétrias dans la seconde moitié du IIe siècle a.C 50
B. Les décrets concernant l'oracle d'Apollon à Koropè : présentation
et traduction des textes 53
1. Présentation des décrets 54
VI

2. Lemme et édition nouvelle de l'inscription sur l'oracle


d'Apollon Koropaios 56
3. Traduction française inédite 61
C. Apollon Koropaios ou de la vitalité d'un
sanctuaire oraculaire hellénistique 65
1. Un achalandage nouveau 65
2. Une adaptation nécessaire 69
3. De la fréquentation des oracles à l'époque hellénistique 78

III. Entre continuité et changement 84


A. La religiosité hellénistique ou de la recherche du divin 84
1. Une intériorisation religieuse 84
2. Des divinités bienveillantes 90
B. Un contexte favorable aux oracles locaux 97
1. Persistance des cultes traditionnels 97
2. De l'action des forces régionalisantes 103

CONCLUSION 111
ÉPILOGUE 117
Cartes 119
Annexe 121

BIBLIOGRAPHIE 123

Abréviations utilisées 137


INTRODUCTION

1. Delphes et les oracles grecs.


Le quotidien des Hellènes était largement imprégné de l'idée de fusion entre le
profane et le sacré, et cette osmose prit forme, dès l'époque archaïque, dans le cadre de
vie de la cité. Au sein de l'entité poliade, les Grecs entretenaient avec grand soin leur
relation avec les puissances divines, et les cultes, sacrifices et autres rituels ponctuant leur
vie de tous les jours témoignaient de ce souci constant d'honorer les dieux. La qualité
divinatoire de maints sanctuaires grecs permettait d'ailleurs aux mortels, simples
particuliers ou représentants d'une cité, de consulter un dieu et de s'enquérir de son avis
sur différents sujets. Apollon était le dieu oraculaire par excellence, transmettant les
volontés de Zeus aux consultants par la bouche d'un prophète, telle la Pythie de Delphes.
Centre oraculaire panhellénique depuis environ 750 a.C, le sanctuaire delphique fut
longtemps considéré par les Grecs comme étant, de tous les oracles, une autorité morale
de premier plan.

« C'est un fait qu'une impression de divinité émane de ce lieu », disait Socrate à


propos de ce sanctuaire, s'adressant à Phèdre dans le dialogue éponyme de Platon. Sis au
pied du Parnasse aux cimes rocheuses et escarpées, le sanctuaire pythique se découpe
dans un paysage dont la magnificence a inspiré maints auteurs, tant anciens que
modernes. De tout le monde grec, communautés poliades ou particuliers venaient y
consulter Apollon, afin de sortir de leurs dilemmes ou d'obtenir l'assentiment divin pour
certains choix. À l'époque archaïque, le siège de mantique du Parnasse devint étroitement
associé aux transformations fondamentales affectant la société grecque. Progressivement,
à travers les crises politiques et sociales caractéristiques de cette époque, un lien se tissa
entre Apollon delphien et les forces de changements d'alors, incarnées par les fondateurs
de cités, les législateurs et les tyrans. Exégète divin, médiateur entre les dieux et les

Le terme oracle peut désigner à la fois le sanctuaire oraculaire, le prophète porte-parole d'un dieu,
de même que la réponse donnée par ce dernier à un consultant. Cette polysémie était aussi le fait
du terme xà ^avieiov employé par les Anciens. Tout au long de cette étude, la translittération
« manteion », lorsque employée, le sera uniquement pour désigner le sanctuaire prophétique,
comme synonyme et par souci de clarté.
Platon, Phèdre, 230 B-D, cité par G. Roux, Delphes, son oracle et ses dieux, p. 13.
2

hommes, Apollon, dans son sanctuaire du Parnasse, devint le dieu parfaitement désigné
afin de donner caution aux projets des hommes qui, comme Lycurgue à Sparte ou
Clisthène à Athènes, s'affairaient à « penser » la cité naissante afin d'en ordonner le
cadre, à l'image de l'harmonie régissant le divin kosmos. L'oracle de Delphes devint
donc très tôt associé, par les Grecs eux-mêmes, aux grands progrès de leur civilisation, et
très tôt aussi fut établi le prestige panhellénique de ce sanctuaire apollinien.

L'époque classique fut pour l'oracle d'Apollon Pythien une période de grande
influence : sa renommée était telle qu'elle voilait de sa gloire l'existence d'autres centres
divinatoires. Ainsi en fut-il de nombreux manteia ayant une influence moindre et
restreinte, dont l'histoire n'a souvent retenu tout au plus que le nom. D'autres hauts lieux
divinatoires, tels les oracles de Zeus à Dodone et à l'oasis de Siwah, bien que pouvant
rivaliser de prestige avec Delphes, n'eurent jamais le même rayonnement que le
sanctuaire pythique, et sans doute leur position excentrée par rapport au monde grec, l'un
dans la lointaine Épire et l'autre dans les sables d'Egypte, ne permettait pas une telle
influence.

Mais dès l'époque classique, et encore davantage à l'époque hellénistique, une


réflexion critique se développa dans certains cercles philosophiques, notamment chez les
Sophistes et chez Platon, de même que dans le Stoïcisme et les milieux épicuriens,
remettant en cause l'univers religieux traditionnel et les modes de communications avec

Ibid, p. 5.
De fait, le site de Delphes était à la croisée de deux routes importantes. La première, s'étendant sur
un axe est-ouest, liait l'Attique et la Béotie à la Grèce occidentale, tandis que la seconde, orientée
nord-sud, permettait le passage, par le Parnasse, de la Thessalie au port de Kirrha, s'ouvrant ainsi
sur le Golfe de Corinthe. Strabon, Géographie, IX, 3, 6, affirmait d'ailleurs que la position
géographique de Delphes « contribua aussi, pour une part, [au prestige du sanctuaire], placé à peu
près au centre de la Grèce entière, celle de l'intérieur de l'Isthme comme celle de l'extérieur. »
Voir à ce sujet J.-F. Bommelaer, Guide de Delphes, le site, p. 13-14. Les sanctuaires de Dodone et
de Siwah étaient, quant à eux, essentiellement périphériques, sans toutefois être situés à des
carrefours routiers importants qui leur auraient certainement assuré un achalandage plus
volumineux. Certes, l'oasis de Siwah devait être, par sa nature même de verdure parmi les sables,
un carrefour fréquenté par maints caravaniers du désert et par les populations d'Afrique du Nord.
Cependant, à l'échelle du monde grec, ce point n'avait pas la centralité de Delphes. Du reste, « qui
voulait consulter Dodone aux deux hivers ou Zeus-Ammort Sous la canicule de Lybie devait
entreprendre un voyage lointain et braver les rigueurs de pénibles climats. » G. Roux, Delphes,
son oracle et ses dieux, p. 12. Voir aussi H. Lloyd-Jones, « The Delphic Oracle », G&R 23 (1976),
p. 62.
les dieux. Cependant, ces critiques n'apparaissent pas comme ayant grandement influencé
les masses, puisqu'une continuité de la foi aux oracles est perceptible. À l'époque
hellénistique, la continuité semble même se traduire par une véritable vitalité des centres
prophétiques. L'aspect oraculaire de l'univers religieux grec, par sa continuité jusqu'à
l'époque hellénistique et même au-delà, se présente alors comme une structure inscrite
dans la mentalité des Grecs, reflétée par leur constante fréquentation des sanctuaires
prophétiques.

Sous la longue stabilité de cette structure à la temporalité apparemment immuable,


des mouvements conjoncturels sont toutefois perceptibles à l'époque hellénistique.
L'élargissement du monde issu des conquêtes d'Alexandre le Grand, en déplaçant le
centre de l'œcoumène grec vers les cités côtières d'Asie, favorisa entre autres le
développement et le renouveau des sanctuaires oraculaires traditionnels de cette région.
Des sites prophétiques voués à Apollon, tels Didymes ou Claros en Ionie, devenaient de
plus en plus prestigieux, jusqu'à interférer avec des fonctions relevant jadis presque
exclusivement de centres traditionnels, dont la principale autorité morale restait Delphes.
Ainsi, des oracles de la côte anatolienne « provided authority for the settlement of a city
or foretold the accession and death of a ruler. » En Grèce même, il semble que certains
oracles à l'influence plus régionale gagnèrent aussi en popularité, participant à la vitalité
des lieux divinatoires hellénistiques.

La stèle sur laquelle furent gravés les deux décrets au cœur du présent mémoire
témoigne de ce phénomène. Légiférant sur le bon déroulement des consultations de
l'oracle d'Apollon Koropaios, elle fut trouvée en 1881, près de Koropè, en Magnésie.
L'inscription a été datée d'environ 116 a.C, et il s'agit de l'unique témoin épigraphique
de l'existence du manteion koropéen. Les décisions qu'elle contient furent promulguées
par la ci|p Ç^e pprn^trias, dont Koropè constituait un dème depuis la fondation de la cité
par synœcisme, YÇrs 294 a.C. Le premier décret YJspit clairement à discipliner la

À ce sujet et sur ce qui suit, voir H. W. Parke, Greek Oracles, p. 121-123


Ibid., p. 123. L'oracle de Didymes aurait notamment prédit la royauté de Séleucos Ier et sa mort en
Macédoine, en 281, suivant une tradition littéraire exprimée par Appien, Guerres syriennes, 9, 56
et 10,63.
consultation de l'oracle dont le culte était florissant puisque, selon l'inscription, beaucoup
d'étrangers venaient au sanctuaire prophétique. Pour réglementer l'interrogation du dieu
dans ce contexte d'affluence, le premier décret établit certains détails de l'organisation
des consultations et fixe les devoirs des sept magistrats y étant affectés. Le second décret,
quant à lui, a pour objectif la protection des arbres du sanctuaire contre les déprédations
causées par l'affluence des pèlerins et l'insouciance des bergers conduisant dans le
temenos leurs troupeaux qui broutaient les jeunes pousses.

L'inscription de Koropè est un témoin ponctuel de la vitalité d'un lieu de


mantique local et illustre de façon éloquente la continuité de la ferveur oraculaire à la
basse époque hellénistique. Dans la perspective plus large de l'activité oraculaire
hellénistique, serait-il possible que ce texte témoigne aussi de changements affectant cette
dimension de la religiosité grecque d'alors? Comment les bouleversements du monde
grec, suivant les conquêtes d'Alexandre, influencèrent-ils les pratiques oraculaires? Quels
éléments soutinrent la vitalité des sanctuaires prophétiques de la période, et de quelle
façon se manifesta le dynamisme des manteia grecs dans la temporalité hellénistique? À
ces questions, le présent mémoire tentera de répondre.

2. État de la question.
Bien que l'activité oraculaire en Grèce ancienne ait fait l'objet de plusieurs
études, en particulier pour l'époque classique, il appert que la période hellénistique a été
quelque peu négligée par les chercheurs. En fait, pratiquement aucune étude de synthèse
n'est parue sur les manteia, après les conquêtes d'Alexandre le Grand. L'étude
d'ensemble la plus récente sur les oracles grecs, publiée en 1967 par H. W. Parke, ne
consacre tout au plus qu'une dizaine de pages à la période hellénistique. L'auteur aborde
brièvement ce qu'il qualifie de « rise of the local oracle-centres », tandis que
F. Chamoux, dans son ouvrage général sur La civilisation hellénistique, évoque en une
page la « vogue des oracles ».7 La plupart des auteurs semblent mentionner la vitalité des
sanctuaires prophétiques pour cette période, mais une analyse détaillée du dynamisme
sous-tendant la vivacité oraculaire hellénistique reste à effectuer.

H. W. Parke, Greek Oracles, p. 121; F. Chamoux, La civilisation hellénistique, p. 356.


L'historiographie des lieux divinatoires grecs est du reste largement dominée par
les grands centres, à l'image de l'attrait qu'ils exerçaient sur les populations d'alors.
Parmi ces hauts lieux d'où retentissaient les paroles de Zeus ou d'Apollon, le grand
centre spirituel qu'était Delphes occupe une place prépondérante chez les modernes. Pour
ces auteurs, l'attrait delphique s'exerce dans une large mesure aux époques archaïque et
classique, comme c'est le cas, par exemple, dans l'ouvrage de H. W. Parke et
D. E. W. Wormell, The Delphic Oracle (1956) ou encore dans celui de P. Amandry, La
mantique apollinienne à Delphes (1950). Dans l'ensemble de l'historiographie d'avant
les années 1970, l'époque hellénistique ouvrait pour Delphes une période de déclin, allant
de pair avec la conception, aujourd'hui largement réfutée, du déclin des cités grecques
dès la haute époque hellénistique. Depuis, les modernes ayant traité de Delphes à
l'époque des grandes monarchies, malgré l'apport important de leurs travaux, notamment
pour l'établissement de la chronologie delphique, ont pratiquement délaissé l'aspect
oraculaire du sanctuaire. Certains, tel F. Lefèvre, L'Amphictionie pyléo-delphique :
histoire et institutions (1998), abordent le sanctuaire par le biais de l'organisation
o

internationale chargée de son administration, l'Amphictionie pyléo-delphique. D'autres,


à la suite de G. Daux, Delphes au If et au 1er siècles (1936), s'intéressent plutôt à
l'histoire de la cité des Delphiens.

G. Rougemont, dans un récent article au titre évocateur de « Delphes


hellénistique: et l'oracle?» (1998), arguait de la nécessité de renouveler l'étude du
sanctuaire de la Pythie en sortant du cadre hermétiquement delphique, dans lequel les
modernes se sont trop longtemps enfermés, comme « enchantés » par l'antique aura
apollinienne, pour reprendre l'expression même de l'auteur. Car le phénomène
oraculaire en Grèce ancienne ne se résuma jamais au seul oracle de Delphes, malgré tout
le prestige y étant attaché, et il est nécessaire d'élargir la discussion aux autres manteia,

P. Sânchez élaborait aussi, en parallèle à l'ouvrage de F. Lefèvre, une étude sur L'Amphictionie
des Pyles et de Delphes. Recherches sur son rôle historique, des origines au I f siècle de notre ère,
parue en 2001.
G. Rougemont, « Delphes hellénistique : et l'oracle? », Recherches récentes sur le monde
hellénistique. Actes du colloque international organisé à l'occasion du 60 e anniversaire de Pierre
Ducrey (Lausanne, 20-21 novembre 1998), p. 69-71. On trouvera, à la page 65 de cet article, un
aperçu concis des tendances de l'historiographie de Delphes, d'où sont tirées les lignes qui
précèdent.
considérés comme autant de manifestations d'une même dimension de la religiosité
grecque. La présente étude s'inscrira donc dans cette visée historiographique exposée par
G. Rougemont, et se voudra une réflexion sur l'ensemble des oracles grecs hellénistiques.
Cette approche permettra de mieux saisir le phénomène oraculaire de la période, en plus
de combler le manque d'études sur le sujet.

3. Sources.
Pour s'affranchir du cadre de Delphes et tendre vers une vue d'ensemble de
l'activité oraculaire après les conquêtes d'Alexandre, il convient donc de considérer
l'ensemble des lieux divinatoires, tant les grands centres que les sanctuaires locaux. Les
premiers sont relativement bien documentés par l'épigraphie et, dans une large part, par
la littérature. Les auteurs anciens tels Hérodote, Callimaque ou encore Plutarque, lui-
même prêtre d'Apollon delphien, abordèrent plus volontiers ces grands centres ayant
marqué les esprits de leur temps. Mais il est aussi nécessaire, et c'est là une seconde
recommandation de G. Rougemont concernant l'étude plus particulière de Delphes,1 de
considérer les autres sources archéologiques; les nombreuses dédicaces et offrandes
exposées dans les sanctuaires peuvent, par exemple, s'avérer d'importants témoins de la
variation de leur clientèle à travers le temps.

En ce qui concerne les lieux prophétiques locaux, les sources connues sont peu
nombreuses et, pour la plupart, laconiques, ce qui rend leur étude moins aisée. Quelques
lignes d'auteurs anciens attestent parfois de leur existence. Pausanias est sans doute
l'auteur le plus utile à ce sujet, puisque sa Description de la Grèce l'a conduit dans
maints sanctuaires dont il décrit souvent les rituels, comme sa propre consultation de
l'oracle de Trophonios à Lébadée.11 Pour la grande majorité de ces sanctuaires locaux
cependant, les documents épigraphiques sont les seuls indices de leur existence. Mais ces
textes ne portent généralement que la mention d'un manteion, et ne sont parfois que des
fragments d'une question posée à un dieu, retrouvés dans son sanctuaire. Rien de
comparable, toutefois, à la centaine de lamelles de plomb découvertes à Dodone, sur

Ibid., p. 69.
Pausanias, IX, 39, 14.
lesquelles les consultants eux-mêmes gravèrent leur question. Comme c'est le cas à
Koropè, une seule inscription peut assurer de la présence d'un oracle local.

L'intérêt du long texte koropéen réside d'abord dans le fait que les deux décrets
qu'il contient témoignent explicitement de l'adaptation, sous l'impulsion des autorités
responsables de la cité de Démétrias, à l'accroissement de la fréquentation d'un manteion
local. Par ailleurs, bien que l'inscription soit connue depuis plus d'un siècle, il n'en existe
apparemment aucune traduction française : celle établie pour les fins de ce mémoire est
donc une nouveauté. L'intérêt de ces deux décrets est aussi rehaussé par la possibilité
d'en présenter une nouvelle édition, après une révision de la pierre effectuée en novembre
2002, au musée de Volos.

Dans un article de 1948 décrivant en profondeur le contenu de l'inscription,


L. Robert affirmait que, malgré deux brefs commentaires de L. Ziehen et de A. Reichl en
19

1891, aucune étude d'ensemble satisfaisante n'a permis de dégager la véritable portée
de ces documents, principalement en ce qui concerne le premier décret. Pour L. Robert,
« on ne peut demander à ce texte que des renseignements sur reoKÔapta au moment des
cérémonies oraculaires ».13 La justesse des propos de l'épigraphiste français semble avoir
clos tout débat sur l'interprétation de cette inscription, et aucune nouvelle étude de ces
décrets n'est parue depuis 1948. Certes, la rigueur de l'analyse de L. Robert permet de
bien saisir la portée intrinsèque du document, c'est-à-dire ses objectifs directs et
ponctuels, répondant à des impératifs immédiats de maintien de l'ordre. En d'autres
termes, L. Robert a rigoureusement analysé le document, et surtout le premier décret,
mais sur une base essentiellement événementielle. Or, « la véritable portée de ce
document » ne serait-elle pas mieux saisie à une échelle temporelle plus vaste, plus
englobante? Dans son article précédemment cité, G. Rougemont n'insistait-il d'ailleurs
pas sur l'importance, pour une étude des oracles grecs comme pour toute autre recherche

L. Robert, « Sur l'oracle d'Apollon Koropaios », Hellenica. Recueil d'épigraphie, de


numismatique et d'antiquités gracques, volume V, p. 16, qualifie de « très bref» le commentaire
de L. Ziehen (LSG II, no. 80 et 81), tandis que celui de A. Reichl a été, selon G. Daux, sinon
ignoré, du moins vertement critiqué. Voir à ce sujet infra, p. 56, n. 136.
Ibid, p. 21.
historique, de discerner « avec soin les divers temps de l'histoire »? Car toute source
historique est en soi un témoin événementiel de conjonctures plus larges, observables à
l'intérieur d'un temps plus long.

4. Méthodologie.
Pour bien comprendre la vitalité oraculaire de l'ère hellénistique, le cas du
sanctuaire d'Apollon à Koropè doit être inclus dans le grand contexte lié aux
bouleversements de l'époque des monarchies gréco-macédoniennes. Ces transformations
de l'ordre traditionnel et poliade eurent d'inévitables répercussions sur la religiosité
grecque, cependant que cette religiosité hellénistique assura, pour l'ensemble de la
période, la fréquentation de manteia qui, comme celui de Koropè, gagnèrent même en
popularité à la basse époque. La vitalité oraculaire hellénistique se serait donc manifestée
d'une part dans la continuité d'une structure mentale héritée des siècles précédents, et,
d'autre part, dans la popularité nouvelle de certains sanctuaires prophétiques.

Il est avant tout nécessaire de cerner la structure mentale à l'origine de la longue


durée des croyances oraculaires grecques. Concrètement, cette structure mentale se
refléta dans le paysage religieux hellénique, riche en sanctuaires prophétiques de
rayonnement variable où les Grecs allaient interroger diverses puissances divines. En se
plaçant du point de vue des hauts lieux de mantique, et en particulier du sanctuaire
d'Apollon à Delphes, mieux documenté, ce premier chapitre mettra ensuite en lumière la
transformation du paysage des oracles grecs après les conquêtes d'Alexandre.

Témoignant de cette transformation, le cas du sanctuaire d'Apollon à Koropè sera


analysé dans un second chapitre. Avant de présenter l'édition nouvelle de l'inscription et
sa traduction inédite française, cette source sera d'abord remise dans son contexte général
de production, celui de la cité de Démétrias dont dépendait l'oracle koropéen. Une
troisième partie sera consacrée à l'analyse critique des deux décrets de l'inscription, ce
qui permettra de bien voir les raisons de la vitalité de ce manteion local. En analysant le
cas de ce sanctuaire et en le mettant en parallèle avec celui d'autres lieux prophétiques

G. Rougemont, « Delphes hellénistique », p. 71.


locaux, il sera possible de dresser un portrait de la fréquentation des oracles grecs et de
son évolution tout au long de la période.

Les deux premières parties ayant montré comment se présenta le dynamisme des
activités oraculaires hellénistiques, le troisième et dernier chapitre analysera plus en
profondeur les éléments caractéristiques de l'époque à la source de la vitalité des
sanctuaires divinatoires grecs. L'effet des transformations politiques sur la religiosité
hellénique devra alors être abordé, et il sera aussi démontré dans quelle mesure
l'influence romaine sur le monde grec, solidement établie à la basse époque hellénistique,
contribua à façonner la forme dans laquelle s'exprima la vitalité oraculaire d'alors.
I. DES DIEUX, DES MORTELS ET DES ORACLES.
« Je sais le nombre des grains de sable et les
mesures de la mer, Je comprends le muet,
j'entends celui qui ne parle point. »

- Extrait d'un oracle de la Pythie à


Crésus. Hérodote, I, 47.

Dans un monde où la nature même parlait le langage des dieux et où l'homme,


entouré dans son quotidien par les puissances divines, s'efforçait d'en saisir l'expression
et d'assurer la communication avec ces forces, la fonction oraculaire d'un certain nombre
de sanctuaires occupait une place primordiale dans son système de pensée. Le paysage
oraculaire de la Grèce antique comptait plusieurs lieux divinatoires où les Hellènes
pouvaient consulter des dieux, Apollon ou Zeus, par exemple, mais aussi des héros tels
Amphiaraos ou Trophonios. Ainsi se trouvaient répartis à travers le monde grec de grands
centres prophétiques et des lieux oraculaires d'influence plus restreinte. Siège de l'oracle
le plus prestigieux du monde hellénique, le sanctuaire d'Apollon à Delphes connut à
l'époque classique une grande prospérité et un rayonnement panhellénique qui se
poursuivit à l'époque hellénistique. Tout au long de l'Antiquité, la représentation du
monde que se faisaient les Grecs les poussait à constamment renouveler et entretenir les
liens et la communication avec les puissances divines. La vitalité des lieux de mantique
durant toute la période suivant les conquêtes d'Alexandre s'en trouvait assurée.

A. Des hommes et des dieux.


La tradition enseignait aux Grecs un ensemble de mythes s'organisant en un
système cosmogonique, caractérisé par un long processus de différenciation des entités
cosmiques et divines. La conception du monde que se faisaient les Hellènes découlait
directement de cette tradition, et la Théogonie d'Hésiode illustrait bien le processus ayant
conduit à l'ordre cosmique dans lequel évoluait le Grec. La religion de la cité, que l'on
pourrait qualifier d'hésiodique, visait à faire comprendre l'homme par le biais de ses
relations avec les dieux.
11

1. De la conception du monde.
Selon la tradition hésiodique, à l'origine de toutes choses se trouvaient des
principes indéfinis, puissances primordiales telles le Chaos, la Nuit, Gaia et Ouranos. Les
Olympiens, dieux des cultes helléniques, n'apparurent que plus tard. N'étant point
créateurs de l'univers physique et biologique, ces divinités émergèrent elles-mêmes des
puissances primordiales.15 Elles n'étaient donc pas extérieures au monde, contrairement
au dieu transcendant et créateur des chrétiens, par exemple. Les Immortels grecs étaient
plutôt partie intégrante du cosmos. La multiplication des puissances, se succédant aux
rythmes des générations divines, trouvait son aboutissement avec l'avènement de Zeus,
grand ordonnateur de la pluralité des choses. À la suite d'un titanesque conflit, le lanceur
de foudre assit son autorité sur le monde en tant que souverain incontesté, assignant à
chaque Olympien sa place et son rôle dans l'univers. Aux principes indéfinis des
origines succéda l'ordre des résidents de l'Olympe, et le processus de spécification de cet
ordre, de ce KÔopoç, connut son aboutissement ultime dans l'homme dont l'existence,
circonscrite dans le temps et l'espace, ne pouvait être que mortelle.

La conception du monde impliquée par cette tradition mythologique faisait en


sorte que le Grec se percevait comme étant l'une des parties d'un univers ordonné.
Autour de lui, tout témoignait de la présence de puissances divines le surpassant, et avec
lesquelles il s'efforçait d'être en harmonie. Dans la nature l'environnant, l'homme grec
voyait une multitude de signes qui, dissimulés comme autant de hiéroglyphes trahissant
les présences divines, conféraient un sens à son monde. Des entités ordonnaient ainsi le
cosmos, chacune selon leurs domaines propres. Visibles, elles ne l'étaient

15
Hésiode, Théogonie, 116 et sqq., de même que 454 et sqq. À ce sujet et sur ce qui suit, voir
J.-P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, p. 112-113. La conception du monde et de
l'homme exposée ici, bien que largement dominante, trouvait cependant quelques exceptions dans
certains milieux, et ce dès le VIe siècle, notamment dans le pythagorisme et les croyances dites
orphiques. Par exemple, les individus adeptes de l'orphisme (le terme adeptes peut ici être
trompeur : il ne réfère aucunement à un mouvement sectaire, ces croyances étant principalement le
fait d'individus isolés) croyaient en un schéma théogonique issu des chants de l'aède légendaire
Orphée et s'opposant de façon radicale avec la conception hésiodique du monde.
16
Hésiode, Théogonie, 882-886. La théogonie orphique affirmait qu'au début se dressait dans le
néant un œuf enfermant en son sein la plénitude, la perfection et l'unité primaire de l'Être. Dans
une soudaine explosion de lumière incandescente apparut Protogonos, le premier-né. Les
successions de générations divines, semblables à celles d'Hésiode, étaient plutôt perçues comme
une dégradation du Tout, une désorganisation de l'Unité primordiale ovoïde résultant en une
multitude d'existences individuelles. Voir à ce sujet M. Détienne, Dionysos mis à mort, p. 168.
12

qu'indirectement pour les mortels, par le biais des signes de leurs actions : foudre de
Zeus, pourfendeur de nuages, séisme de Poséidon, maître des abîmes, ou peste
d'Apollon, dispensateur de fléaux. La religion était un véritable langage du monde par
lequel s'exprimaient les liens étroits unissant mortels et Immortels. Afin d'entrer en
contact avec ces puissances, une série de signes religieux furent établis par les Grecs :
actions rituelles, telles les libations ou les sacrifices sanglants, représentations figurées,
comme la statue d'un dieu dans son temple, de même que l'expression orale, par la prière
notamment.17 En eux-mêmes, ces signes «se présentaient comme créateurs de forces,
porteurs ou mobilisateurs de puissances [ et assuraient une ] dialectique du langage
1 fi

religieux. » Par exemple, la statue d'une divinité établie dans son temple agissait
comme un véritable signifiant du dieu. Cette production humaine, ce symbole religieux,
permettait à son tour de signifier le divin, en « rendant immanente au monde humain de
la nature »19 la sphère surnaturelle et invisible du monde des Immortels.

Cette conception du monde impliquait une inévitable promiscuité entre les


Anciens et leurs dieux, d'où l'absence de distinction, dans la pensée religieuse
hellénique, entre le profane et le sacré. Les Grecs n'avaient aucun mot pour désigner ce
que nous appelons profane. Le seul mot pouvant être rapproché au concept de profane,
semblant parfois être mis en opposition avec TOC tepot, qui désignait les choses sacrées,
serait xct omet. Or, J. Rudhartd a bien montré que l'adjectif ô'otoç présente
définitivement une consonance religieuse. Le terme pouvait être employé pour qualifier
des rites comme pour parler de la fidélité aux serments, pour qualifier le comportement
des enfants à l'égard de leurs parents autant que la vie d'un homme."Omoç impliquait
une notion de conformité à l'usage et à la tradition dans les actions et les comportements
humains. Plus qu'une qualité conférée à un acte ou une personne, il s'agissait d'une
valeur recherchée et louée par les Grecs, « établissant entre les dieux et les hommes ou
entre les hommes eux-mêmes, à l'intérieur de la famille ou de la cité, des relations

A ce sujet et sur ce qui suit, voir J.-P. Vernant, Religions, histoires, raisons, p. 55-56; J. Gould,
« On the Making Sense of Greek Religion », Greek Religion and Society, p. 4-5.
J.-P. Vernant, Religions, histoires, raisons, p. 56.
Ibid.
À propos de cette expression et sur ce qui suit, voir J. Rudhardt, Notions fondamentales de la
pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique, p. 30-36.
13

conformes à certaines normes et qui s'intègrent dans un ordre permanent. » Porter atteinte
à la stabilité de cet ordre, commettre un acte àvdrjiov, un meurtre par exemple, troublait
gravement « l'ordre religieux selon lequel la puissance s'exerce normalement en assurant,
dans les rapports qui les définissent, l'existence des êtres et des choses. » Était donc
ôcrtoç ce qui portait égard à l'ordre sacré du monde et, de ce fait, le terme recouvre une
attitude de respect religieux envers le KÔopoç et témoigne de l'imperceptibilité de la
frontière entre profane et sacré chez les Hellènes.

La fusion du profane et du sacré, l'imbrication du social et du religieux, était


particulièrement visible à l'intérieur du cadre de vie de la cité. Au sein de l'entité poliade,
les citoyens organisaient et régissaient minutieusement leurs cultes et leurs fêtes
religieuses afin d'assurer la pérennité d'une bonne interaction entre les hommes et les
puissances divines. Les calendriers des cités rythmaient la vie des citoyens tandis que les
fêtes religieuses se succédaient tout au long de l'année. Aucune assemblée ne s'ouvrait
sans prières et « tout pouvoir politique, pour s'exercer, toute décision politique, pour être
valable, exigeait la pratique d'un sacrifice. » Les cités veillaient à l'administration de
leurs lieux de cultes, promulguaient des lois religieuses, et l'Assemblée élisait les prêtres
comme elle élisait les autres magistrats.

2. De la communication avec les puissances divines.


Les Anciens étaient en interaction quotidienne avec leurs dieux. Dans leur
expérience religieuse, les Grecs témoignaient de leur appartenance à l'ordre sacré à
'y-y

l'intérieur duquel ils cherchaient à demeurer à la place qui leur convenait. Le rituel
sacrificiel offre un exemple intéressant de cette caractéristique de la pensée grecque.

Point central de la pratique religieuse hellénique, il permettait d'établir un lien et


d'entretenir une relation, une forme de communication, entre les hommes et les dieux.

J.-P. Vernant, Mythe et religion en Grèce ancienne, p. 77.


J. Rudhardt, « Religion sociale et religion personnelle dans la Grèce antique », Dialectica
3 0 : 4 ( 1 9 7 6 ) , p. 270-274.
M. Détienne, « P.ratiques culinaires et esprit de sacrifice », La cuisine du sacrifice en pays
grec, p. 7.
14

En même temps, il rappelait aux humains la distance les séparant des Immortels, résultat
du premier sacrifice, expliqué par Hésiode dans le mythe de Prométhée. Ce Titan, fils de
Japet, divisa un bœuf en deux parts. La première, os enveloppés de graisse, fut remise
aux dieux, tandis que la seconde, chairs de la victime recouvertes de sa peau et de son
estomac, fut remise aux humains. Le mythe du fils de Japet, de même que le rituel
sacrificiel en tant que tel, illustrait par ce partage la délimitation de la place de l'homme,
sa position particulière dans l'ordre des choses, mortel et dépendant de la nourriture pour
survivre.

L'acte sacrificiel avait deux fonctions principales, reflétant les fondements de


l'attitude religieuse des Hellènes. Le sacrifice répondait, d'une part, à une recherche de
communication avec le divin. Les os de la victime, enveloppés de graisse, étaient
consumés sur l'autel tandis que la fumée montait vers l'Éther. La voie de communication
avec les dieux se trouvait ouverte par cette flamme s'élevant de l'aire sacrificielle. Non
seulement le feu consumait-il la part de la victime offerte à la puissance honorée, mais
aussi permettait-il de rôtir la part des hommes. Car ce même feu grillait les viscères
réservés aux exécutants du rite et établissait de la sorte le contact entre la divinité et les
participants du rituel. D'autre part, la seconde fonction essentielle du sacrifice était
d'intégrer le sacrifiant et les participants du rite « à l'existence d'ici-bas, conformément à

IA
Hésiode, Théogonie, 535-560; J.-P. Vernant, Mythe et religion, p. 79-85 : il s'agissait en fait d'une
ruse de Prométhée. Celui-ci fut chargé par Zeus le Tonnant de trouver un procédé afin de définir le
genre de vie des deux races, hommes et dieux qui vivaient alors en commensalité les uns avec les
autres. Mais l'esprit fourbe du Titan, voulant tromper le fils de Cronos au profit des hommes,
présenta à Zeus deux portions d'un même bœuf en lui demandant de choisir celle dont il désirait
être nourri. Le divin souverain, n'étant pas dupe, choisit à dessin la part la plus appétissante pour
l'œil, soit la graisse de l'animal camouflant ses os. Il laissa aux hommes l'autre part qui,
dissimulée sous la peau et l'estomac de la victime, contenait la chair comestible. Depuis lors, les
hommes furent condamnés à se nourrir de viande, telles des créatures vouées « au vieillissement et
à la mort». Ainsi fut établi la place des deux races dans le cosmos, à l'image de la distance
séparant les mortels des Immortels.
25
J.-P. Vernant, « Théorie générale du sacrifice et mise à mort dans la Gooia grecque », Le sacrifice
dans l'Antiquité, p. 13; W. Burkert, Greek Religion, p. 57; R. Parker, «Greek Religion», The
Oxford Illustrated History of Greece and the Hellenistic World, p. 250.
26
Voir J.-P. Vernant, Mythe et religion, p. 71 et p. 82-83. Courroucé par la ruse de Prométhée, Zeus
décida de priver les hommes du feu, en se refusant, comme l'affirme Hésiode aux vers 562-564 de
sa Théogonie, à « diriger sur les frênes l'élan du feu infatigable pour le profit des mortels,
habitants de cette terre. » Mais le fils de Japet trompa le Cronide en lui dérobant une étincelle pour
l'apporter aux mortels, afin qu'ils puissent cuire leur nourriture et ainsi se différencier des bêtes.
De cette façon, les humains partageaient la possession du feu avec les dieux, et cette flamme « les
unit au divin en s'élevant depuis les autels où elle est allumée ».
15

l'ordre du monde auquel les dieux présidaient. » La pratique du sacrifice sanglant


répondait donc aussi d'une attitude de recherche de soumission au cosmos sacré. Ce type
de sacrifice ne rappelait pas seulement aux Anciens leur place vis-à-vis des dieux, il leur
signifiait également, par le biais du repas rituel, l'ordre ancestral établi par le mode de vie
poliade. Le banquet, suivant habituellement le sacrifice, impliquait la consommation en
commun d'une part égale d'une même victime, partagée entre les citoyens participants du
rite. Les liens entre membres du corps civique, fondements de la cité, se trouvaient alors
renforcés par ce repas, « cet acte de communion sociale » qui assurait entre les politai
un partage égal, à l'image de Yisonomia caractérisant leur mode de vie. Le sacrifice
permettait donc à la fois de rappeler aux citoyens leur place dans le monde par rapport
aux divinités, mais aussi entre eux, avec l'affirmation de leur position d'égalité dans le
cadre de l'ordre civique, partie intégrante de l'ordre cosmique.

3. Des pratiques divinatoires.


Ce lien étroit entre les Grecs et leurs dieux, ce besoin constant de communiquer
avec le monde divin, caractéristique fondamentale de la religion grecque, offrait aux
croyances divinatoires les fondements de leur rationalité.

Les Grecs distinguaient deux formes de divination. Dans le Phèdre, Platon


opposait la mania à la sôphrosunè, soit d'une part l'inspiration, rendant le prophète ou la
Pythie enthéos, possédé par le dieu, et d'autre part la technique issue d'un apprentissage,
telle celle d'un devin interprétant le vol des oiseaux ou le mouvement de la flamme d'un
feu.29 Cette technè permettait de déceler dans la nature la signification du langage divin et
de s'informer auprès des Immortels de l'opportunité ou non d'une action.

Le sacrifice mantique appartenait à cette catégorie d'art divinatoire. Avant toute


activité ou entreprise importante, assemblée, bataille ou voyage, et même avant de

27
J.-P. Vernant, Mythe et religion, p. 76.
28
J.-P. Vernant, ibid., p. 76. Voir aussi J. Rudhardt, Notions, p. 289.
29
Platon, Phèdre, 244-249. Voir à ce sujet P. Amandry, « Propos sur l'oracle de Delphes », JS
(1997), p. 195-196. L'auteur affirme que cette possession n'impliquait pas de manifestations
extérieures, comme l'ont notamment laissé entendre les Pères de l'Église, plus particulièrement
saint Jean Chrysostome, parlant du délire convulsif de la Pythie. Il s'agissait plutôt d'un état
intérieur.
16

consulter un oracle, une victime était sacrifiée et ses entrailles observées attentivement.
Un devin, prophète du dieu ou prêtre présidant à l'acte sacrificiel, s'affairait à observer
les viscères de la victime. Il y recherchait alors certaines caractéristiques, certains signes
témoignant de l'acceptation du sacrifice de la part de la puissance à laquelle était offerte
la bête et, par le fait même, de l'accord du dieu avec l'entreprise envisagée. Les dieux
pouvaient donc être sollicités pour leur connaissance de l'avenir.30 Lorsque les signes
s'avéraient défavorables, l'entreprise était remise à plus tard, après qu'un nouveau
sacrifice eut témoigné que, à ce moment précis, conformément à l'ordre du cosmos, le
projet pouvait être mis en œuvre. Ainsi, les pratiques divinatoires grecques ne cherchaient
pas tant à connaître l'avenir qu'à donner l'assurance aux exécutants d'agir en conformité
avec l'ordre religieux. Le sacrifice mantique, et plus largement la divination dite
technique, répondait, au même titre que le rite sacrificiel, à la recherche de soumission à
un ordre sacré.

Cependant ces technai divinatoires ne pouvaient suffire à elles seules à satisfaire


totalement l'autre démarche essentielle de l'attitude religieuse grecque, soit la recherche
de communication avec le divin. Certes, elles permettaient l'interprétation de signes
laissés dans la nature par des puissances, mais elles ne demeuraient en quelque sorte
qu'un monologue de ces entités. Aux hommes alors d'apercevoir et de déchiffrer ces
signes. La mania, par laquelle un mortel parlait ou agissait sous l'inspiration d'un dieu,
offrait quant à elle une possibilité de communication beaucoup plus directe, voire
dialogique avec le monde divin. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les Grecs

50
Sur le sacrifice mantique, voir entre autres J. Rudhardt, Notions, p. 212-214; J.-P. Vernant, Mythe
et religion, p. 70. La présence d'un certain lobe sur le foie signifiait que les dieux acceptaient le
sacrifice et étaient favorables à l'entreprise. Voir notamment Eschyle, Prométhée enchaîné,
v. 485-495. Bien que les dieux eussent une connaissance de l'avenir, ils n'étaient cependant pas
les créateurs de la destinée humaine. Devant un sacrifice défavorable, il était de coutume de
réessayer à trois reprises un nouveau sacrifice, non pas dans le but de modifier l'avenir en
sollicitant le concours de la divinité, mais plutôt afin de « s'assurer que l'entreprise, déconseillée
lors de la première consultation, ne devienne pas opportune ultérieurement. » J. Rudhardt, ibid.,
p. 58. Voir aussi L. Genet et A. Boulanger, Le génie grec dans la religion, p. 239. D'autres
pratiques et croyances témoignent aussi de ce lien dieu-avenir. Certains rêves étaient considérés
comme étant d'inspiration divine et leur contenu perçu comme un ensemble de symboles à
déchiffrer afin de saisir le destin révélé par la puissance. La prière consultative, dans laquelle
l'orant pouvait demander à la divinité de lui faire connaître par un signe son agrément avec son
projet, en est un autre exemple. À ce sujet, voir J. Rudhardt, ibid., p. 197-198.
17

privilégièrent cette forme de divination.31 Tel était le cas des pratiques oraculaires, qui
offraient aux fidèles la possibilité d'un dialogue avec la divinité, puisque « tout oracle est
[...] un échange qui passe par les procédures du langage, qu'elles soient orales ou écrites.
L'un [le fidèle] interroge, l'autre [la divinité], répond. »

En cela résidait la persistance des croyances oraculaires à travers l'Antiquité : la


possibilité d'avoir accès, en certains lieux sacrés, à un point de communication avec une
puissance à laquelle pouvaient être posées diverses questions afin d'avoir l'assurance
divine que tout agissement était en conformité avec l'ordre, que l'on était ôaioç. Ainsi, la
structure mentale régulant la foi aux oracles répondait des même principes fondamentaux
à la base du sacrifice sanglant.

Plus concrètement, quels pouvaient être les sujets des consultations? Les sources
littéraires informant sur les questions posées aux oracles sont sujettes à caution, autant en
raison de la subjectivité des auteurs que de leur manque de représentativité. Comme
dans bien des cas, l'épigraphie permet ici de compléter et de critiquer les sources
littéraires en fournissant plusieurs exemples de questions demandées aux oracles. Dans
certains cas, ces questions étaient soumises aux prêtres ou au prophète par écrit, et donc

P. Bonnechère, « Les oracles de Béotie », Kernos 3 (1990), p. 59.


32
Telle est la définition des pratiques oraculaires empruntée par P. Amandry à J. Champeaux,
« Propos », p. 198. Il est cependant à noter que la distinction entre les deux modes de mantiques,
technè et mania, aussi appelées divination inductive et intuitive, n'était pas aussi tranchée dans la
réalité que dans le système philosophique platonicien. Voir à ce sujet P. Amandry, ibid., p. 204.
Ainsi, une complémentarité des méthodes était souvent possible. Par exemple, à l'oracle de
Dodone, le bruissement des feuilles d'un chêne était interprété par des prêtresses qui étaient sans
doute en état d'inspiration intérieure. Platon, Phèdre, 244 a-b, associait d'ailleurs ces prêtresses à
la Pythie delphique qui, elle, prophétisait clairement en étant inspirée par Apollon. Les oracles
rendus par tirage au sort, ou cléromantie, pouvaient aussi être considérés comme inspirés, dans la
mesure ou la main du prophète ou de la prophétesse était guidée par la puissance inspiratrice. Du
reste, tout oracle n'était pas nécessairement le fruit de l'inspiration par une divinité. En certains
lieux oraculaires par exemple, l'on procédait par immersion d'objet spécifique, et la flottaison ou
non de celui-ci indiquait la réponse affirmative ou non du dieu sollicité. Tel était le cas à Épidaure
Limera, en Laconie. Sur ce qui précède, voir B. Cabouret, « L'oracle de la source Castalie à
Daphnè près d'Antioche», Eukrata. Mélanges offerts à Claude Vatin, p. 99-100. Ce n'est donc
pas la méthode qui fait que la divination est dite oraculaire, mais bien le dialogue qu'elle ouvre
avec une entité divine.
Voir G. Rougemont, « Apports de l'épigraphie à l'histoire grecque : l'exemple des oracles »,
Èpigraphie et histoire : acquis et problèmes, p. 71-72 : les auteurs transmettent généralement les
consultations sortant de l'ordinaire, marquantes par leur côté énigmatique et étrange ou encore
édifiant et moralisateur.
18

parfois gravées sur divers supports, comme les lamelles de plomb à Dodone. Ce
sanctuaire de Zeus a fourni une centaine de ces inscriptions qui donnent une bonne idée
de « l'usage ordinaire que les Grecs faisaient des oracles. »

Habituellement, la question posée à l'oracle, présentée au dieu sous la forme d'un


dilemme ou d'une alternative, en était une qui tourmentait le consultant.35 P. Amandry a
discerné trois catégories dans la formulation des interrogations faites aux sièges de
mantique. Le consultant pouvait demander s'il était préférable de faire telle action plutôt
qu'une autre, ou, plus simplement, s'il était préférable de faire une chose en particulier. Il
pouvait aussi demander à quelle divinité était-il préférable de rendre un culte ou d'offrir
des sacrifices afin d'assurer le succès d'une entreprise. La première formulation donnait à
l'oracle le choix entre deux possibilités d'une alternative, tandis que le second type de
question n'offrait au dieu que le choix d'une réponse affirmative ou négative. Enfin, la
dernière catégorie de questions laissait à l'oracle toute la latitude possible dans sa
réponse, puisqu'il devait uniquement nommer le dieu à honorer.

Les lamelles provenant du centre oraculaire de Dodone sont sans contredit parmi
les témoignages les plus directs des raisons poussant un Grec à s'enquérir de l'avis divin.
Par exemple, Zeus dodonéen fut consulté par un certain Cleotas, qui lui demanda « s'il
était mieux et profitable pour [lui] de garder des moutons », ou encore par ce Parmenidas
qui voulut savoir « s'il était meilleur et bon pour lui de demeurer chez lui ». Certains

Ibid., p. 70-71. G. Rougemont note qu'« il existe un peu partout dans le moneta^Ec-des
inscriptions de questions oraculaires. » *,-''
À ce sujet et sur ce qui suit, voir F. Jouan, « L'oracle, thérapeutique de l'angoisse», Kernos 3
(1990), p. 18 et p. 23-24 pour des exemples de questions retrouvées à Dodone; Chr. Forbes,
Prophecy and Inspired Speech in Early Christianity and its Hellenistic Environment, p. 311 ;
G. K. Park, « Divination and its Social Context », JRAI93 (1963), p. 195-199.
Voir P. Amandry, « Propos », p. 201 : dans ces trois catégories, la question, comme la réponse,
était introduite par l'expression taoïov Kai a^eivov. L'auteur ajoute que ce type de consultation
perdura à Delphes tout au long de l'Antiquité, et que « cette façon d'enfermer l'oracle dans un
dilemme n'était pas particulière à l'oracle pythique; on y procédait de même à d'autres oracles
grecs, par exemple à Dodone et à Didymes, et hors de Grèce, par exemple en Syrie et en Egypte. »
Voir aussi R. Crahay, La littérature oraculaire chez Hérodote, p. 9. L'auteur donne en outre
l'exemple de Xénophon, qui demanda à Apollon Pythien à quel dieu il devrait sacrifier afin
d'assurer le succès de son expédition en Asie.
37
H. W. Parke, dans The Oracles of Zeus. Dodona, Olympia, Ammon, p. 259-273, présente une
sélection de ces lamelles retrouvées à Dodone. Les deux exemples présentés ici (no. 17 et 22) sont
respectivement datés du Ve et du IVe siècle.
19

pouvaient en outre demander au lanceur de foudre s'ils devaient se marier, si l'enfant de


sa femme était bien le sien ou encore si son fils était sain et sauf. La réponse du dieu était
alors un véritable baume permettant d'exorciser l'angoisse des consultants et de limiter
ainsi l'anxiété liée à l'imprévisibilité des affaires humaines. En ce sens, l'oracle se
présentait comme un mécanisme décisionnel permettant de soulager le consultant d'un
problème ou d'une inquiétude, en le remettant entre les mains du dieu. Mais la
fréquentation des lieux prophétiques n'était pas seulement le fait de simples individus
venus consulter l'oracle pour des raisons d'ordre personnel.

Bien que le nombre de consultations privées ait très certainement occupé une
place plus importante dans la majorité des lieux prophétiques grecs, des communautés
entières pouvaient se tourner, par le biais d'un représentant, vers les prophètes oraculaires
afin de faire avaliser par un dieu certaines décisions ou entreprises collectives. Plusieurs
témoignages sont conservés de cités recherchant l'assentiment d'un oracle sur des sujets
politiques. L'oracle de Delphes, centre prophétique de premier plan, en fournit maints
exemples. Dans leurs relations extérieures, les cités pouvaient notamment consulter un
oracle avant de déclarer une guerre. Hérodote, dont les Histoires offrent plusieurs
exemples de consultations, affirmait que les Cretois, à l'aube de la seconde guerre
médique, avaient interrogé Apollon Pythien afin de savoir s'ils devaient prêter main-forte
aux autres Grecs dans le conflit. La Pythie leur répondit qu'aucun d'entre eux ne les avait
aidés à venger la mort de Minos, décédé en Sicile. C'est pourquoi les Cretois ne seraient
pas intervenus contre les Perses. Mais la guerre n'était pas la seule raison^jjew^t
pousser une cité à consulter un oracle.

G. Rougemont, « Apports de l'épigraphie à l'histoire grecque », p. 72-73. L'auteur fait


que, parmi les questions inscrites sur les lamelles de plomb de Dodone, celles témoignant de
consultations étatiques sont « numériquement surclassées, et de très loin, par les questions triviales
ou pittoresques des particuliers. » Tel devait aussi être cas à Delphes, car malgré le fait que les
sources épigraphiques et littéraires, témoignant en majorité de consultations publiques de l'oracle,
semblent indiquer le contraire, « it must not be supposed that these great enquiries made up the
total or even the bulk of the questions submitted». H. W. Parke et D. E. W. Wormell, Delphic
Oracle, vol. I, The History, p. 393.
-,<> Le roi s'était rendu en Sicile à la recherche de Dédale et y périt, selon Hérodote, d'une mort
violente. Hérodote, VII, 169-171; M. P. Nilsson, Cults, Myths, Oracles, and Politics in Ancient
Greece, p. 126.
20

À l'époque archaïque, tandis que les sociétés grecques étaient en pleine


transformation, réformateurs et oikistes consultèrent la Pythie afin d'obtenir d'Apollon
une caution de leur projet et une légitimité divine.40 À Dodone, une lamelle de plomb
stipule qu'une certaine communauté épirote, dont le nom est malheureusement illisible,
demanda à l'oracle de Zeus si le fait de joindre le koinon des Molosses serait sûr pour
elle.41 À l'échelle intérieure, les communautés poliades eurent aussi recours aux oracles
sur différents sujets, dont le plus commun relevait sans doute du domaine religieux. La
construction d'un nouveau temple, l'introduction d'un nouveau culte dans la cité où
encore l'adoption de nouvelles lois religieuses en sont autant d'exemples.42

Selon Plutarque, les importantes réformes de Sparte, attribuées à Lycurgue vers les VIIIe ou
VIIe siècles, lui furent transmises par la bouche de la prophétesse de Delphes sous la forme de la
réthra. De même, à la fin du VI e siècle, Clisthène fit sanctionner par le même dieu les nouvelles
divisions tribales d'Athènes, cautionnant ainsi sa nouvelle constitution par la bouche d'Apollon.
Vers la même époque, la lointaine Cyrène, fondée après une consultation d'Apollon par les
habitants de Théra (Hérodote, IV, 155-158), se tourna aussi vers cet oracle afin de trouver une
solution à la stasis troublant la colonie. La Pythie ordonna de nommer un arbitre, un certain
Démomax de Mantinée en Arcadie, ayant le pouvoir de restaurer l'ordre social dans la cité. Le
gouvernement de la cité fut ensuite réorganisé, comme le corps civique dont les tribus furent
redivisées. Concernant les réformes de Lycurgue, voir Plutarque, Vie de Lycurge 5, 4, de même
que 6, 1-10, où est citée la réponse de la Pythie. Voir aussi I. Malkin, « Delphoi and the Founding
of Social Order in Archaic Greece », Metis 4 (1989), p. 136-138. Pour Clisthène, voir G. Roux,
Delphes, son oracle et ses dieux, p. 8-9 et I. Malkin, ibid., p. 141-142. Sur la consultation des
Cyrénéens, voir ibid., p. 139 et Hérodote, IV, 161. Nommé à son départ par sa cité comme chef
d'une expédition coloniale, Voikistès cumulait en sa personne les fonctions de roi et de
commandant militaire, mais aussi de législateur et de chef religieux. Sur ses épaules reposait le
succès de l'expédition et de l'implantation de la colonie en terre étrangère. Guidant les colons tout
au long du voyage, il était responsable, une fois le site atteint, de la création de l'ordre social et
religieux du groupe, décidant par exemple des lois à établir, des dieux et héros à honorer et de
l'emplacement des autels et temples sur le nouveau territoire. De telles responsabilités devaient
être revêtues d'une autorité divine, et, avant le départ, Voikistès recherchait habituellement caution
de sa périlleuse entreprise par une consultation oraculaire. Maints exemples sont connus de chefs
d'expéditions coloniales s'enquérant à Delphes de leur projet. L'oracle du Parnasse devint
rapidement considéré comme l'autorité de loin la plus influente en matière de projets coloniaux, et
les rares sources concernant le rôle d'autres sanctuaires prophétiques en ce domaine sont
d'authenticité incertaine. Sur les liens entre la colonisation et l'oracle de Delphes, voir I. Malkin,
Religion and Colonisation in Ancient Greece, p. 17; H. Lloyd-Jones, «The Delphic Oracle»,
G&R, p. 62-63; H. W. Parke et D. E. W. Wormell, The Delphic Oracle I, P- 49 sqq.; W. G.
Forrest, « Colonisation and the Rise of Delphi », Historia 6 (1957), p. 173-174.
41 H. W. Parke, Oracles of Zeus, p. 262, no. 8. L'inscription est datée approximativement de la fin du
IIe siècle ou du Ier siècle.
42
En 429, les Athéniens consultèrent Zeus à Dodone pour l'introduction du culte de la déesse thrace
Bendis au Pirée. H. W. Parke, Greek Oracles, p. 110 et Oracles of Zeus, p. 149-150; En 325, la
lointaine cité de Cyrène se rendit à Delphes afin de faire approuver par Apollon son code de lois
religieuses. J. Fontenrose, The Delphic Oracle. Its Responses and Operation with a Catalogue of
Responses, p. 252, no. 26.
21

Tout comme le rituel sacrificiel, les pratiques divinatoires s'inscrivaient


directement dans la rationalité religieuse hellénique qu'enseignaient la tradition et une
série de mythes, tel celui de Prométhée. Dans l'attitude religieuse grecque, la recherche
de communication avec les puissances divines, tout comme la recherche de soumission à
un ordre sacré, structurait le comportement religieux. La mantique oraculaire offrait,
parmi les diverses pratiques divinatoires, la possibilité d'un contact direct avec une
divinité à laquelle l'on pouvait s'adresser et qui, par ses réponses transmises par la
bouche de son prophète, apportait aux consultants, particuliers ou représentants d'une
cité, le réconfort et l'assurance que leurs agissements s'inscrivaient dans l'harmonie du
cosmos. L'importance que les Anciens accordaient aux croyances oraculaires se reflétait
par la présence en terre grecque de maints sanctuaires voués à la consultation
prophétique, comme autant de points de communication avec les puissances divines.

B. Le paysage oraculaire grec.


Dans tout le monde grec furent établis des lieux de mantique oraculaire,
constellant le paysage des sanctuaires helléniques de leur présence. En ces lieux, diverses
puissances pouvaient être consultées. Parmi celles-ci, Apollon était le dieu prophétique
par excellence, comptant de nombreux sanctuaires divinatoires partout en Grèce. Zeus
était aussi maître d'importants centres de consultation. Cependant, plusieurs lieux
prophétiques n'avaient qu'un faible rayonnement d'influence.

1. Sanctuaires prophétiques locaux.


Hors de ses sanctuaires les plus connus de Delphes, Didymes ou Claros, Apollon,
le plus fameux possesseur du don prophétique, disposait de plusieurs sanctuaires locaux
où il se faisait le porte-parole de Zeus devant les hommes. 4

Le dieu à la lyre était ainsi entendu en ses résidences plus modestes d'Argos dans
le Péloponnèse et de Koropè sur la péninsule magnète, près de l'actuelle Volos. Pour le

Sur les principales fonctions d'Apollon, voir notamment J Rudhardt, Notions, p. 94-95;
H. W. Parke, Greek Oracles, p. 28; I. Chirassi Collombo, « Le Dionysos oraculaire », Kernos 4
(1991), p. 205. Tout au long de cette partie, le lecteur pourra se référer à la carte I, infra, p. 119,
qui présente la plupart des oracles grecs connus.
22

premier, Pausanias, au temps duquel l'oracle était toujours en opération, informe que la
divination s'y faisait par inspiration du dieu, selon un procédé original, peu fréquent mais
non pas inusité. Une nuit par mois, la prophétesse du dieu buvait le sang d'un agneau
sacrifié, et devenait ainsi inspirée par Apollon. En ce qui a trait au sanctuaire d'Apollon
Koropaios, la seule inscription attestant son existence, et dont il sera question plus en
détail ultérieurement, ne fournit aucun renseignement sur la façon de communiquer avec
le dieu. Cependant, un bref passage de Nicandre stipule que les oracles y auraient été
rendus par rhabdomancie, c'est-à-dire par un procédé de tirage au sort impliquant des
branches d'arbre, dans ce cas-ci le tamaris.

Toujours en Grèce propre, la région béotienne fut qualifiée par Plutarque de


poluphônos, en raison de ses multiples oracles, au nombre de quinze environ.4 Parmi
ceux-ci, près de quatre ou cinq étaient voués à Apollon. S'y trouvait notamment l'oracle
d'Apollon Hisménios qui, non loin de Thèbes, paraît avoir connu une certaine prospérité
à l'époque archaïque, et où le dieu était consulté par empyromancie. S'y trouvait aussi
celui d'Apollon Ptôios, à l'est du lac Copaïs, près d'Acraiphia. Ce dernier figure
d'ailleurs parmi le groupe de sanctuaires prophétiques où s'est rendu Mys, l'envoyé de
Mardonios, ce général perse qui désirait consulter plusieurs oracles helléniques.47 Son

Pausanias, II, 24, 1. Il semble que, selon Pline, Histoire Naturelle, XXVIII, 41, 147, cité par
M. Piérart, la prêtresse de Gè à Aigai, en Achate, rendait ses oracles selon le même procédé. Outre
le témoignage de Pausanias, deux inscriptions témoignent de l'existence de l'oracle avant la venue
du Périégète, soit SEG I, 67, datée de 340 environ, et SylF 735 I, datée de 92/1. À ce sujet, voir
M. Piérart, «Un oracle d'Apollon à Argos », Kernos 3 (1990), p. 319 sqq., de même que
Ed. Kadletz, « The Cult of Apollo Deiradiotes », TaPha 108 (1978), p. 93-101.
4?
Les branches de tamaris auraient été découpées pour servir de sorts. P. Amandry, La mantique
apollinienne à Delphes, essai sur le fonctionnement de l'oracle, 1950, p. 132; mais voir ma
remarque, infra, p. 71-72 et n. 155. Le même procédé aurait aussi été utilisé à un oracle de Lesbos,
affirme l'auteur, toujours selon Nicandre, Thériaques, 612-614.
Sur ce qui suit, voir P. Bonnechère, « Oracles de Béotie », p. 55-56 et ssq, de même que
A. Schachter, Cults ofBoiotia I, BICS, suppl. 38 (1981).
D'après Hérodote, VIII, 133-135. Après avoir passé l'hiver 480/479 en Thessalie et avant de se
lancer contre Athènes, Mardonios fit consulter maints oracles par le Carien Mys, qui avait pour
ordre, comme le dit Hérodote, « d'aller interroger les dieux partout où la chose était possible pour
les Perses », et ce à propos de sa situation présente et sur les éventuels succès de ses prochaines
campagnes. Les oracles de Trophonios à Lébadée, d'Abai en Phocide, d'Apollon Hisménios et
d'Amphiaraos furent alors consultés.
23

messager reçut la réponse du dieu par la bouche d'un prophète. L'inspiration était aussi la
procédure divinatoire pour Apollon Tégyraios, aux environs d'Orchomène.

D'autres modestes sièges de mantique apolliniens étaient situés sur les côtes
d'Asie Mineure. Ainsi en était-il de l'oracle d'Apollon Chresterios, à Chalcédone, sur la
rive orientale du Bosphore. La cité côtière de Gryneion, légèrement au sud-ouest de
Pergame, aurait aussi entendu les paroles du fils de Léto par l'entremise d'un prophète
inspiré. Strabon évoque cette cité où se dressait un sanctuaire d'Apollon, de même qu'un
temple de marbre blanc, et où se trouvait un ancien oracle.49 Un autre exemple est fourni
par le sanctuaire de Phébus à Patara, en Lycie. Hérodote écrit que la porte-parole du dieu
y procédait aussi par inspiration, mais que cette inspiration résultait de la pratique de
l'incubation, c'est-à-dire que la prophétesse devait coucher dans le sanctuaire et qu'elle y
recevait les prophéties d'Apollon dans son sommeil.

Cependant, Apollon n'était pas le seul dieu consulté par les Grecs dans leurs
sanctuaires oraculaires. Zeus avait aussi ses manteia, outre ceux plus prestigieux de
Dodone et d'Ammon. Il fut notamment interrogé à Salamis de Chypre, comme en
témoigne un ostrakon trouvé dans le sanctuaire de Zeus Epikoinios et sur lequel fut
gravée une réponse du lanceur de foudre. Ici encore, la divination inspirée semble avoir

4S
P. Bonnechère, dans « Oracles de Béotie », rappelle que Plutarque, dans Pélopidas, XVI, 5-7 et
Sur la disparition des oracles, 5, affirmait que cet oracle aurait prédit la défaite perse lors des
guerres médiques.
Strabon, Géographie, XIII, 3, 5. cité par H. W. Parke, The Oracles of Apollo in Asia Minor,
p. 172. L'auteur cite aussi Pausanias, I, 21, 7, qui décrit brièvement le bois sacré de ce sanctuaire.
Un texte épigraphique vient corroborer les dires de Strabon quant à la présence d'un oracle dans ce
temple. 11 s'agit d'une inscription témoignant d'une consultation d'Apollon faite par la cité de
Kaunos en Carie et datée du début du Ier siècle, stipulant qu'un certain Ménodoros, fils de
Sosiclès, interrogea le dieu au nom de sa cité, afin de savoir quelle divinité sa cité devait-elle
apaiser pour avoir de meilleures récoltes. Voir H. W. Parke, ibid., p. 175. Sur la même inscription,
la réponse du dieu fut partiellement conservée, bien que ne pouvant être restituée que de façon
conjecturale. Cependant, il est clair qu'elle fut rédigée en hexamètre, preuve habituelle d'une
prophétie inspirée. Le texte fut publié par G. E. Bean, « Notes and Inscriptions from Caunus »,
JHS14 {1964), p. 85.
50
Hérodote, I, 182; H. W. Parke, Oracles of Apollo, p. 186; L. Robert, dans son article concernant
« L'oracle de Claros » paru dans La civilisation grecque de l'Antiquité à nos jours, p. 305, classe
les oracles de Gryneion et Patara parmi les sièges de mantique de renommée internationale et
littéraire, au côté d'un autre lieu divinatoire d'Apollon à Hamaxitos, en Troade. Toutefois, il
précise que le site de ces oracles « n'a pas été fouillé ou n'est même pas connu exactement ».
24

été la méthode utilisée.51 Selon Hérodote, Dionysos aurait aussi été un dieu oraculaire.
Connu pour sa possession des ménades, il aurait ainsi inspiré une prophétesse dans un
sanctuaire hissé sur les montagnes de Thrace. Pausanias ajoute qu'il aurait rendu un
oracle à une cité du Mont Olympe du nom de Libethra. Le Périégète mentionne en outre
un autre lieu prophétique de ce dieu à Amphicleia, mais sans préciser le procédé
divinatoire.52 Le même voyageur affirme encore la présence d'un oracle d'Hermès dans
la cité achéenne de Pharae, avec une procédure particulière. Au milieu de l'agora, une
statue du dieu était consultée de nuit après avoir allumé de l'encens et déposé une pièce
de monnaie sur un autel. Une fois la question susurrée à l'oreille de la statue, le
consultant s'en éloignait, couvrant ses oreilles de ses mains. La première parole qu'il
entendait, après avoir retiré ses mains, était considérée comme étant l'oracle.53

Les sanctuaires oraculaires ne relevaient cependant pas tous d'une divinité.


D'autres puissances avaient leurs lieux de mantique, ajoutant à la grande diversité des
oracles grecs. Des héros avaient leur propre sanctuaire divinatoire, tel Amphiaraos à
Oropos de Béotie, cité faisant face à Erétrie en Eubée. Dans ce sanctuaire fondé vers la
fin du Ve siècle, le héros, devin ayant participé à l'expédition des Sept contre Thèbes,54
accordait ses oracles aux pèlerins par voie d'incubation oniromantique. Après avoir

P. Amandry, Mantique, p. 166-167. De la réponse il est possible de déterminer la question posée :


« le consultant avait demandé à l'oracle local s'il lui était permis ou non de combler le lit d'un
ruisseau. La réponse est gravée sur l'ostrakon sous deux formes», soit l'une en caractères
stoichédon et en vers, tandis que l'autre était simplement inscrite en prose. Selon P. Amandry, la
première forme aurait été destinée à une déclaration solennelle, et la seconde était plutôt pour le
seul usage du consultant.
52
Hérodote, VII, 111; Pausanias, IX, 30, 9 et X, 33, 11. P. Amandry, ibid., p. 196, note cependant
que, selon K. Latte et M. P. Nilsson, « Dionysos n'est pas un dieu prophète. » Ibid., n. 6 : selon
Nilsson, l'oracle d'Amphicleia se serait superposé à un ancien oracle au procédé incubatoire. Il y
aurait possiblement eu un autre oracle de Dionysos à Corinthe, mais ici les données reposent sur
des conjectures relatives à l'architecture des soubassements et de la canalisation d'un temple
pouvant être attribué au dieu bachique. Voir à ce sujet C. Bonner, « A Dionysiac Miracle at
Corinth», AJA 33 (1929), p. 371; O. Broneer, «Hero Cults in the Corinthian Agora»,
Hesperia 11 (1942), p. 151. P. Amandry, ibid., p. 138, n. 3, précise cependant qu'aucune des
différentes théories proposées par ces auteurs n'est sûre.
Pausanias, VII, 22, 2 sqq. Aucune autre source ne permet toutefois de corroborer les dires de
l'auteur.
Eschyle, Les Sept contre Thèbes, v. 568-596. Sur la fondation du sanctuaire et le mythe de son
héros, voir B. Petracos, The Amphiareion of Oropos, p. 12-13. Il est probable que l'activité
mantique d'Amphiaraos fut d'abord pratiquée dans un sanctuaire thébain pour être ensuite
transférée, selon Strabon IX, 2, 10, cité par P. Bonnechère, « Oracles de Béotie », p. 54, n. 7, au
site d'Oropos. A. Schachter, Cuits L p. 22, s'oppose à cette conception.
25

sacrifié un bélier, les fidèles devaient passer la nuit dans une des deux pièces situées à
chaque extrémité de la stoa du sanctuaire, dormant sur la peau de la victime. Dans leurs
rêves intervenait alors Amphiaraos en personne, donnant réponse à leur interrogation.
Bien que pouvant être consulté sur différents sujets, l'oracle de l'Amphiaraion était
surtout reconnu pour sa fonction iatromantique. Plusieurs offrandes votives, retrouvées
sur le site, y furent érigées en signe de remerciement au héros ayant guéri des fidèles
pendant leur sommeil ou leur ayant prodigué des conseils conduisant à leur guérison.55

Toujours en territoire béotien, un autre héros oraculaire, Trophonios, officiait à


Lébadée, à l'ouest du lac Copaïs. Établi dans cette cité en tant que héros prophétique dès
le VIe siècle, Trophonios était interrogé selon une méthode des plus particulières. Le
consultant devait, après une longue procédure incluant les traditionnelles purifications et
les sacrifices propitiatoires, descendre de nuit dans l'antre du héros. C'est alors que, dans
une atmosphère imprégnée de crainte religieuse, le fidèle, « mué lui-même en prophète
du dieu, » recevait par des visions et des voix sa réponse.56

La Béotie recelait éventuellement un troisième héros oraculaire. Pausanias


mentionne la présence d'un Héracleion à Hyettos, possiblement caractérisé par une
activité iatromantique. Une petite inscription, découverte en 1972, attesterait la présence
d'un manteion d'Héraclès en ce lieu. Selon la restitution de R. Etienne et D. Knoepfler, il
y serait mentionné le bref règlement que voici : « Que celui qui a fait la (ou : une)
consécration s'approche de l'oracle! » Voilà donc trois héros qui auraient communiqué
leurs oracles aux consultants par inspiration dans leurs sanctuaires.

55
Sur la procédure de consultation, voir B. Petracos, The Amphiareion, p. 23-24, où l'auteur cite
Pausanias IX, 8, 3. Voir aussi, entre autres, les pages 19 et 22 pour des exemples de reliefs votifs
relatifs à des guérisons.
56
P. Bonnechère, « Oracles de Béotie », p. 53. Pour une description plus détaillée, voir notamment
A. Schachter, Cuits L p. 82-84. L'auteur se fonde principalement sur la description faite par
Pausanias, IX, 39, 14, dans laquelle le Périégète décrit sa propre expérience d'une consultation. Le
consultant exposait ensuite son expérience aux prêtres, qui rédigeaient éventuellement une réponse
écrite.
« 'O àveiç énixcû navieico ». R. Etienne et D. Knoepfler, Hyettos de Béotie et la chronologie
des archontes fédéraux entre 250 et 171 avant J.-C., BCH, suppl. 3 (1976), p. 181-185. Voir aussi,
au sujet de cet oracle potentiel (l'Héracleion n'a pas été, à ce jour, retrouvé), P. Bonnechère,
« Oracles de Béotie », p. 54-55, qui atteste la présence d'un oracle d'Héraclès sur la seule foi de
26

Le monde grec était ainsi parsemé de ces lieux de mantiques locaux qui
permettaient aux hommes de communiquer avec le divin. Diverses étaient les entités,
dieux ou héros, auprès desquelles les Grecs recherchaient réconfort et assurance dans
leurs choix. Ces quelques exemples de sanctuaires prophétiques montrent comment la
structure mentale des croyances oraculaires s'est transposée dans le paysage des
sanctuaires grecs. Cette structure se reflète dans une diversité de puissances consultées,
de même que dans les différents moyens de communication avec ces entités. Cependant,
sous la diversité des méthodes, il appert que la plus fréquente fut l'inspiration, la mania,
forme de divination privilégiée par les Grecs au détriment des méthodes par signes,
nécessitant la connaissance d'une technè.

Les sources témoignant de ces modestes oracles, peu nombreuses, ne fournissent


habituellement que peu d'information à leur sujet, rendant leur étude difficile. Bien des
manteia locaux ne sont connus que par quelques lignes d'un texte épigraphique ou encore
par de brefs passages d'auteurs anciens. L'influence réelle de ces sanctuaires est parfois
difficile à cerner, compte tenu du manque de sources. Les oracles d'Amphiaraos et de
Trophonios, par exemple, eurent certainement un rayonnement dépassant le cadre
strictement local, comme le laissent entrevoir certaines sources épigraphiques.
Néanmoins, pour l'ensemble des oracles mentionnés plus haut, leur influence avait pour
corollaire la parcimonie avec laquelle les auteurs anciens traitèrent de ces lieux. Tout
naturellement, ces derniers s'affairèrent davantage à aborder les sièges prophétiques
ayant occupé une place importante dans leur temps et dont le prestige établi avait marqué

cette inscription, de même que A. Schachter, Cuits III, p. 2-3 qui, un peu plus prudent, affirme que
l'inscription peut tout autant se rapporter au culte d'Asclépios, aussi célébré à Hyettos.
Sur la carte des oracles helléniques de V. Rosenberger, infra, p. 119, ces deux manteia figurent
parmi ceux ayant une « Uberregionaler Bedeutung », au même titre que Delphes, Didymes ou
Claros. Mais voir F. Salviat et C. Vatin, « Le règlement de Lébadée sur la consultation de l'oracle
de Trophonios », Inscriptions de Grèce centrale, p. 89-94 : les auteurs commentent le texte IG
VII, 3055, qui présente une liste des visiteurs du sanctuaire de Trophonios. Outre le cas du roi
Amyntas de Macédoine, l'origine des consultants, lorsque identifiable, demeure confinée aux
régions « limitrophes ou très voisines de la Béotie » (p. 93). L'influence de cet oracle est
certainement uberregionaler, mais « son rayonnement reste très limité, au moins au IVe siècle, » et
ne peut, en ce sens, être considéré comme celui des grands centres de mantique. En ce qui
concerne le rayonnement et la popularité de l'Amphiaraion, voir infra, p. 78-79.
27

les esprits. À cet égard, Hérodote, source littéraire la plus ancienne concernant les
oracles,59 illustre bien cette tendance.

2. Les grands centres de mantique.


L'Enquête d'Hérodote mentionne quelques 18 sanctuaires oraculaires. À ce
nombre se rapportent 64 oracles cités ou résumés par l'historien d'Halicarnasse, dont 49
furent émis par la Pythie delphique. La proéminence de Delphes par rapport aux autres
lieux divinatoires transparaît ainsi dans l'œuvre de cet auteur, à l'image de la préséance
de l'Apollon du Parnasse sur les autres sièges de mantique d'alors. Tout portrait du
paysage oraculaire grec sera donc inexorablement dominé par les grands sièges
prophétiques qui surent attirer l'attention de leurs contemporains, à l'exemple de
Delphes, mais aussi de Didymes, en Asie mineure, et des oracles de Zeus à Dodone et à
Siwah. Ces quelques sièges de mantique attiraient à leur sanctuaire une clientèle
provenant d'ensembles géographiques plus vastes. Leur renommée et leur prestige
faisaient d'eux de véritables autorités en matière oraculaire, et leur rayonnement
dépassait de loin celui des modestes centres prophétiques qu'ils éclipsèrent pratiquement
des sources littéraires.

De ces sanctuaires, celui de Delphes fut le plus prestigieux. Son influence voilait
le paysage oraculaire grec de sa prépondérance, tout en laissant entrevoir le jeu de sa
rivalité avec les autres sièges de mantique. Certains oracles de la Pythie, transmis par
Hérodote, illustrent bien cette rivalité et diffusent une véritable propagande émanant du
sanctuaire apollinien, visant à affermir sa propre gloire parmi tous les oracles du monde
hellénique et à y attirer les fidèles. À ce sujet, bien connue est l'épreuve que fit subir le
roi Crésus de Lydie aux oracles grecs. Désirant avoir l'avis des dieux à propos de sa
guerre contre les Perses, le souverain éprouva d'abord les oracles afin de déterminer
lequel était le plus véridique, en leur faisant deviner ce qu'il ferait en un moment précis.
Hérodote narre donc que Crésus envoya ses délégués à sept manteia : à Delphes, bien sûr,
mais aussi à Abai en Phocide, à Dodone, à l'Amphiaraion et à Lébadée, de même qu'à

R. Crahay, Littérature oraculaire, p. 69. Sur ce qui suit, voir p. 63-64


28

Didymes et à Ammon.60 Aucun de ces sièges divinatoires n'eut la bonne réponse, hormis
le sanctuaire pythique qui en fut honoré par maints dons du riche Lydien.61 Parmi ces
sanctuaires, outre les trois oracles d'influence plus restreinte mais situés dans les régions
avoisinant Delphes, figurent aussi trois centres prophétiques dont le prestige entrait en
compétition avec celui d'Apollon delphien.

Zeus comptait en Grèce propre deux lieux majeurs de consultation. Le plus


important fut sans contredit le sanctuaire de Dodone. Dès le VIIIe siècle, il semble que ce
sanctuaire ait connu une intense activité religieuse, comme en témoignent les offrandes
votives retrouvées sur le site. Datées à partir de la seconde moitié de ce siècle, elles
apparurent en quantité grandissante tandis qu'avançait l'époque archaïque.62 Lieu de
contact direct avec le souverain des dieux - ce qui était d'ailleurs un élément de son
prestige que le sanctuaire dodonéen pouvait opposer à Delphes où Apollon était considéré
comme le porte-parole de Zeus -, ce siège prophétique revendiquait le titre d'oracle le
plus ancien du monde grec. Hérodote, rapportant ce qu'il avait appris à Dodone même, en

60
Hérodote, I, 46-49. Crésus avait choisi de faire bouillir une tortue et un agneau dans un chaudron
de bronze. À ce sujet, voir R. Crahay, Littérature oraculaire, p. 193-197. Le sanctuaire d'Abai fut
saccagé par les armées de Xerxès en 480 et ne fut jamais restauré. H. W. Parke, Oracles of Zeus,
p. 186 de même que 201-202. Voir aussi J. Defradas, Les thèmes de la propagande delphique,
p. 215-217.
61
Or, selon R. Crahay, cette liste des lieux prophétiques correspond d'avantage à l'époque
d'Hérodote qu'à celle de Crésus, affirmant que « tous ces sanctuaires furent bien rivaux de
Delphes, non aux yeux de Crésus vers 550, mais aux yeux d'un Grec d'Europe, un siècle plus
tard. » Ainsi, cette légende, qu'Hérodote aurait éventuellement apprise auprès des prêtres
delphiens, se serait insérée dans le système propagandiste élaboré par les autorités du sanctuaire.
R. Crahay, Littérature oraculaire, p. 195. Voir aussi J. Defradas, Propagande delphique, p. 217,
qui stipule que cette mise à l'épreuve des oracles de Grèce, véritable apologie du manteion de
Delphes, faisait partie « des morceaux de propagande que l'on devait raconter aux visiteurs du
sanctuaire » comme Hérodote.
Il semble que, à partir de 600 et jusqu'à l'époque classique, ces offrandes aient une facture
f>:

principalement corinthienne et péloponnésienne. Les offrandes archaïques de Dodone suggèrent


ainsi que la clientèle du sanctuaire était, d'affirmer H. W. Parke, « completely or almost
completely confined to the Péloponnèse and west Greece. » Cependant, comme le fait remarquer
l'auteur, la localisation des ateliers à l'origine de ces pièces n'implique pas automatiquement que
celui ayant fait les dedications soit de même origine. Parke note qu'il y a pourtant, à ce niveau, un
contraste notable avec Delphes où les objets votifs, pour la même période, étaient plutôt de
provenance égéenne et ionienne. À Dodone, les traces matérielles de ces offrandes consistent
principalement en des fragments de trépieds, des figurines et des broches. Voir H. W. Parke,
Oracles of Zeus, p. 99-100 et 274-275; F. Quantin, « Aspects épirotes de la vie religieuse
antique», REG 112 (1999), p. 72. Pour une discussion plus détaillée sur l'origine des offrandes
votives de Dodone et sur les liens de ce sanctuaire avec le sud de la Grèce pour l'époque
archaïque, voir N. G. L. Hammond, Epirus. The Geography, the Ancient Remains, the History and
the Topography of Epirus and Adjacent Areas, p. 430 sqq.
29

faisait remonter l'existence jusqu'à l'époque des Pélasges, précisant que ce manteion était
« regardé en effet comme le plus ancien qu'il y ait chez les Grecs, et il était le seul à cette
époque. » Le rite de consultation y était unique en son genre. Le lanceur de foudre se
serait fait entendre par le bruissement du vent dans les branches d'un antique chêne et par
le cri des colombes y étant perchées. Les prêtres, les ozkXoi, de même que, plus tard, des
prêtresses appelées neXetcu, auraient interprété ces signes.64

Poursuivant leur quête de véracité oraculaire, les messagers de Crésus se rendirent


à un autre centre consultatif du Tonnant, l'oracle de Zeus Ammon, situé dans l'oasis de
Siwah en Egypte. Dieu du soleil et de la fertilité, Amon-Rà était le propriétaire
autochtone de ce sanctuaire, et sa position dominante dans le panthéon égyptien fit en
sorte que les premiers Grecs en contact avec ce lieu de culte l'identifièrent directement à
Zeus. 65 La méthode de consultation peut être associée à une forme de cléromancie. Le
dieu répondait aux consultants en donnant son approbation ou son désaccord selon le
mouvement de sa statue, portée par les prêtres. 66 Il est intéressant de noter que, à partir du
début du V e siècle, le culte de Zeus Ammon se répandit à travers le monde grec, se
manifestant par l'apparition de temples et d'autels à Athènes, Thèbes, Sparte, Olympie, et
même jusqu'en Chalcidique, ainsi que dans les îles égéennes de Délos, Lesbos, Samos,
Nisyros, Ténos, Crète, Rhodes et Chypre. 6 La grande diffusion du culte du Zeus de

6?
Hérodote, II, 52. H. W. Parke, Oracles of Zeus, p. 53 et Greek Oracles, p. 38; P. Amandry,
Mantique, p. 212, n. 2.
64
Cette méthode de divination, qualifiée de rudimentaire par H. W. Parke, pourrait en elle-même
être vue comme une preuve de l'ancienneté du rite dodonéen. H. W. Parke, Greek Oracles, p. 25.
Pour plus de détail concernant le système rituel de cet oracle de Zeus, voir A. Gartziou-Tatti,
« L'oracle de Dodone. Mythe et rituel », Kernos 3 (1990), p. 175-184.
6<
Ces Hellènes étaient les habitants de Cyrène, colonie établie en Afrique du Nord aux environs
de 631. Au sujet de la datation de la fondation de Cyrène, voir F. Chamoux, Cyrène sous la
monarchie des Battiades, p. 115-127. En ce qui concerne l'assimilation du dieu égyptien à Zeus,
voir p. 334-335. Vers la fin du VIe siècle, certaines pièces de monnaies de cette cité furent
frappées à l'effigie de Zeus Ammon et elles devinrent prédominantes dès le début du siècle
suivant, attestant ainsi des premiers contacts de Grecs avec ce Zeus oraculaire d'origine
égyptienne. Le dieu y est représenté, comme l'est elle-même la figure d'Ammon, arborant des
cornes de bélier. À ce sujet, voir F. Chamoux, ibid., p. 337; A. M Holmes, The Cult of Zeus
Ammon and its Dissemination in the Greek World, p. 100.
H. W. Parke, Greek Oracles, p. 120; A. M. Holmes, Zeus Ammon, p. 43-44.
67
F. Chamoux, Cyrène, p. 336-337. La popularité du dieu se manifeste en outre par des mentions
d'Ammon chez Pindare (Pythiques IV, 1-15, 3-56; IX, 3-53). Pour une discussion plus détaillée,
voir A. M. Holmes, Zeus Ammon, p. 98 sqq. p. 145 : la diffusion du culte se serait faite
30

Siwah atteste de l'importance prise par cette figure divine à partir de son centre
prophétique libyen.

L'oracle d'Olympie, bien que non éprouvé par Crésus dans l'histoire rapportée
par Hérodote, était un autre sanctuaire où le maître des Immortels pouvait être consulté.
Avec Delphes et Délos, il faisait partie de la triade des sanctuaires panhelléniques dont
l'importance s'était développée à l'époque archaïque. Si l'historien d'Halicarnasse n'en
fit pas mention, c'est tout simplement qu'à son époque, ce sanctuaire n'opposait pas une
concurrence aussi sérieuse que Zeus dodonéen à l'Archer de Delphes. Hérodote ne réfère
qu'une seule fois à la fonction mantique de Zeus olympien, et encore qu'indirectement,
en parlant du sanctuaire d'Apollon Hisménios et en stipulant que l'«on peut, là comme à
Olympie, obtenir des réponses en brûlant des victimes, » par empyromancie. En fait,
lorsque Hérodote parle de ce sanctuaire, il réfère le reste du temps à ses célèbres jeux.
Bien que Dodone fut de loin le principal endroit où Zeus était consulté, il n'en demeure
pas moins que le sanctuaire d'Olympie était le centre cultuel le plus important du maître
de l'Olympe. Dès la fin de la période archaïque cependant, il semble que l'importance
des jeux olympiques ait pris le dessus sur l'aspect oraculaire du sanctuaire.69

En dehors de la Grèce, outre l'oracle de Zeus Ammon, Hérodote mentionne, dans


sa liste des manteia éprouvés par Crésus, le siège de mantique d'Apollon à Didymes,
dépendant de la cité de Milet en Asie Mineure. Le Didymeion connut deux périodes
d'activités. La première, pour laquelle Hérodote fournit quelques indications d'une
certaine popularité du manteion, telles des dédicaces de Crésus et même d'un Pharaon,
comprend la période archaïque jusqu'au sac de Milet et de son sanctuaire oraculaire par
les Perses en 494.70 Un silence de 160 ans s'ensuivit, jusqu'à ce que, en 334, l'oracle

principalement par l'entremise de liens migratoires ou commerciaux de ces cités et îles avec
Cyrène.
68
Hérodote, VIII, 134.
69
Le dieu de ce sanctuaire continua bien d'être consulté, mais les questions lui étant soumises ne
concernèrent plus que les chances de victoires d'athlètes lors des jeux. Voir H. W. Parke, Greek
Oracles, p. 93 et Oracles ofZeus, p. 164 et 183.
7(1
Peu est connu concernant la méthode divinatoire de cette première période d'activité qui prit fin
lorsque « le sanctuaire de Didymes, tant le temple que l'oracle, fut pillé et brûlé » par les Perses,
selon Hérodote, VI, 19, 3. L'archéologie confirme ce sac du sanctuaire et son incendie. Voir à ce
sujet V. B. Gorman, Miletos, the Ornament of Ionia. A History of the City to 400 B. C, p. 144. Du
31

reprenne son activité à la suite du passage d'Alexandre le Grand, et à la reconstruction


ultérieure du sanctuaire. Il appert alors qu'une femme inspirée par le dieu rendait les
oracles, à l'image de la Pythie de Delphes.

C. Delphes et les hauts lieux oraculaires à l'époque hellénistique.


De tous les sanctuaires oraculaires grecs dont les sources anciennes ont transmis
l'écho, celui d'Apollon à Delphes a connu la plus forte résonance à travers les temps,
signe indubitable d'un antique prestige, comme en témoigne la place majeure qu'occupe
ce siège de mantique dans les écrits d'Hérodote. Plusieurs éléments montrent que ce
prestige, acquis aux époques archaïque et classique, s'est poursuivi pour la majeure partie
de l'époque hellénistique, comme en fait foi le rayonnement de ce lieu divinatoire
pendant la haute époque hellénistique.

reste, l'origine de ce centre de mantique n'est pas établie avec certitude. Certains modernes
arguent de la haute antiquité du sanctuaire apollinien, qui aurait pris la place d'un ancien oracle
carien, accordant ainsi tout le crédit à Pausanias qui en faisait remonter l'origine avant la
migration ionienne en Asie mineure, soit dans le courant du XIe siècle. L'archéologie ne permet
cependant pas d'être aussi catégorique. Les plus anciennes traces de l'oracle remontent en fait à
l'époque archaïque et consistent en trois inscriptions de réponses du dieu, gravées en
boustrophédon au VI e siècle. Pour H. W. Parke, Oracles ofApollo, p. 2, le fait que Hérodote réfère
à la localité de Didymes en la nommant Branchidée, du nom de la famille des prophètes qui avait
charge de l'oracle tout au long de cette première période d'activité, serait en soi une preuve de la
haute antiquité du sanctuaire. L'auteur affirme que ce fait témoigne que le sanctuaire était jadis le
centre d'une de ces communautés typiques de l'Asie Mineure préhellénique, établies autour du
temple d'une divinité locale. À ceci, J. Fontenrose, Didyma. Apollo's Oracle, Cult and
Companions, p. 7, oppose que nulle trace d'un centre cultuel carien n'est connue à Didymes, et
encore moins d'un oracle, avant l'arrivée ionienne. En ce qui concerne les inscriptions archaïques,
voir ibid., p. 8 et p. 179-181. Au sujet de la popularité du sanctuaire de Didymes pour cette
première période, Hérodote stipule que, vers 608, le Pharaon Necho aurait dédié au dieu de
Didymes les habits de combats qu'il portait lors d'une bataille. Vers le milieu du même siècle,
Crésus aurait aussi enrichi le sanctuaire de ses dons. Les Histoires rapportent en outre que la cité
de Kymè, légèrement au nord-ouest de Smyrne, aurait consulté l'Apollon de Milet au sujet du sort
d'un suppliant réfugié dans un sanctuaire et revendiqué par les Perses. Voir à ce sujet
J. Fontenrose, Didyma, p. 9-11; H. W. Parke, Oracles of Apollo, p. 14-17; V. B. Gorman,
Miletos, p. 188 : dédicaces de Necho : Hérodote II, 159, 3; Kymè : I, 157, 3- 1, 159, 4; Crésus :
1,46, 2; I, 92, 22 et V, 36, 3. En ce qui concerne les offrandes du roi lydien, voir aussi
H. W. Parke, « Croesus and Delphi », GRBS 25 (1984), p. 213, où l'auteur argue que les dédicaces
de Crésus, mentionnées par Hérodote, à certains sanctuaires figurant dans l'épreuve des oracles
(i.e . Amphiaraion, Apollon Hisménios et Didymes) furent en réalité antérieures à l'épreuve elle-
même.
J. Fontenrose, Didyma, p. 78-79. Voir aussi H. W. Parke, Oracles of Apollo, p. 210-219, qui
présente la seule description du fonctionnement de la mantique didyméenne tardivement fournie
par Jamblique, qui écrivait au IIIe siècle p.C.
32

1. La haute époque hellénistique ou la continuité du prestige delphique.


Bien qu'aucune source ne fournisse le témoignage d'un roi hellénistique ayant
consulté la Pythie sur une question politique ou militaire, comme cela pouvait être le cas
l'y • •

des cités aux périodes précédentes, plusieurs puissances de l'époque laissèrent dans le
sanctuaire pythique des marques de leur passage. Ainsi, certains rois s'y rendirent en
pèlerinage et y érigèrent des monuments consacrés au dieu.

Les rois pergaméniens furent sans doute les plus généreux à l'égard du sanctuaire
d'Apollon. Dans le dernier quart du IIIe siècle, Attale Ier fit consacrer au dieu une terrasse
de l'enceinte sacrée, sur laquelle il fit construire une série de monuments dont le portique
portant son nom. Eumène II, son fils et successeur, procura des esclaves au sanctuaire
afin de participer à la construction de certains bâtiments, dont le théâtre. Selon Polybe et
Tite-Live, le roi s'était lui-même rendu au sanctuaire d'Apollon, en 172, alors qu'il
revenait d'une ambassade à Rome. La raison de ce périple était d'aviser le Sénat de ses
inquiétudes face à la puissance montante de Persée de Macédoine.74 Le souverain s'était
d'ailleurs rendu au sanctuaire pythique deux ans plus tôt, dans le cadre d'un pèlerinage
armé. Après la répression du soulèvement dolope en 174, le roi antigonide traversa la
Grèce centrale avec quelques troupes et se rendit à Delphes pour y consulter l'oracle et y
faire un sacrifice « qui prenait la valeur d'une manifestation de prestige puisqu'il
7S

coïncida, semble-t-il, avec la fête des Pythia. » Le même roi fit aussi ériger deux piliers,
offrandes faites au dieu, dont l'un devait recevoir sa statue.
72
Voir supra, p. 19-20.
Voir, notamment, A. Jacquemin, Offrandes monumentales à Delphes, p. 74; G. Murray, Delphes
et les Attalides : un cas d'évergétisme royal en 160/159 avant J . - C , p. 8. L'auteure affirme que
cette consécration fut érigée par le roi de Pergame pour commémorer une victoire navale. Voir
n. 25 pour les principales études concernant la terrasse d'Attale.
74
C'est alors que Persée aurait, selon Tite-Live, XLII, 15-17, ourdi un complot pour attenter à la vie
d'Eumène, en envoyant à Delphes trois hommes chargés de faire périr le roi de Pergame dans une
embuscade. Malgré les blessures infligées à Eumène, l'entreprise échoua. Voir aussi G. Murray,
Delphes et les Attalides, p. 12; G. Daux, Delphes au IIe et au Ier siècle, depuis l'abaissement de
TÉtolie jusqu'à la paix romaine, 191-31 av. J.-C, p. 317-318.
75
G. Daux, Delphes au I f et au I er siècle, p. 315-317; G. Rougemont, «Delphes hellénistique»,
p. 66. L'auteur affirme, d'après Tite-Live, XLI, 22, 5, que Persée aurait consulté le dieu parce que
« certains scrupules religieux étaient venus l'inquiéter. »
76
Sur ces piliers, voir notamment A. Jacquemin, D. Laroche, F. Lefèvre, « Delphes, Persée et les
Romains », BCH 119 (1995), p. 134-135. Après sa victoire de Pydna, le consul Paul-Émile trouva
ces monuments inachevés. Ils furent donc vraisemblablement mis en chantier tard dans le règne de
Persée. Polybe, XXX, 10, 2, stipule que cette offrande fut l'initiative même du roi tandis que les
33

Tite-Live affirme qu'un autre monarque, le séleucide Antiochos III, allié des
Étoliens contre la puissance romaine, visita aussi la terre d'Apollon pour y sacrifier.77 Les
descendants de Séleucos entretenaient d'ailleurs une relation toute particulière avec
Apollon, qu'ils considéraient non seulement comme leur ancêtre, mais aussi comme « le
dieu archégète traditionnel de la colonisation par son oracle de Delphes ».78 C'est pour
cette raison que les Séleucides consultèrent le dieu pour la fondation de villes, telle
Laodicée du Lycos, probablement fondée sous le règne d'Antiochos II, entre 261 et
253.79

Les Romains aussi laissèrent à Delphes des traces de leur passage. Que ce soit
Flamininus qui offrit au dieu une couronne d'or ou encore Paul-Émile qui, vainqueur de
Persée à Pydna en 168, s'appropria l'un des piliers offerts par le roi macédonien, les
descendants d'Énée surent utiliser la prestigieuse terre de Pythô comme le faisaient
depuis longtemps les cités et les souverains, c'est-à-dire comme un miroir reflétant leurs
luttes d'influence.

auteurs ajoutent qu'il aurait reçu l'aval de l'Amphictionie. Les Étoliens, du temps de leur
domination sur l'Amphictionie, de même que les membres siégeant au Conseil de cette
organisation, honorèrent certains monarques par l'érection de leur statut dans le sanctuaire. Les
auteurs mentionnent entre autres un pilier de provenance inconnue pour Attale Ier, deux piliers,
l'un étolien et l'autre amphictionique, pour Eumène II, de même qu'une statue de huit coudées
honorant Antiochos III. Mais « la décision d'édifier ces offrandes dans le sanctuaire est en réalité
bien malaisée à identifier [et] il est seulement probable que l'Amphictionie était au moins
consultée » (n. 27).
77
Tite-Live, XXXVI, 11, 5; G. Rougemont, « Delphes hellénistique », p. 67.
78
L. Robert, « Inscriptions », Fouilles de Laodicée du Lycos. Le Nymphée, campagnes 1961-1963,
p. 296. Sur les liens entre Delphes et les entreprises de colonisation, voir supra, p. 20, n. 40.
79
Voir J . Des Gagniers, ibid., p. 2, pour les différentes hypothèses quant à la date de fondation de la
ville. Les dates présentées ici sont généralement admises. L. Robert, ibid., p. 295 : Etienne
de Byzance témoigne de cette consultation : Aïoç nrjvu.ua 8i' 'Epuou, ovap ôià xpvpyiou
'ArcoXAcùvoç [...] 'AvxidxûJ paai/Vri xd5e XPX1 ^ o i P o ç 'ATOXACÙV ■ K.TiÇépxvai nxoXizQpov
âyaKÀ-eéç, à>ç ÈKÉ^euaev Zeùç ùvj/i0peuérr|ç, nz\i\\iaq èpioo'viov ' Epunv. L. Robert affirme,
à l'encontre de H. W. Parke, que les documents amènent à conclure avec assurance que cet oracle
émane bien de l'Apollon de Delphes. Dans ces villes neuves, les Séleucides établissaient aussi un
culte d'Apollon Pythien, comme ce fut le cas dans cette Laodicée du Lycos, mais aussi à Daphnè
près d'Antioche, où Phébus pouvait d'ailleurs être consulté. Au sujet de cet oracle, voir l'article de
B. Cabouret, « L'oracle de la source de Castalie ».
A. J acquemin et al., « Delphes, Persée, Romains », p. 135. Sur l'appropriation par Paul-Émile des
offrandes macédoniennes, voir n. 33, où les auteurs réfèrent à Polybe, XXX, 10, 2; Voir aussi
S.G.Miller, «Macedonians at Delphi», BCH, suppl. 36 (2000), p. 280-281; G. Rougemont,
«Delphes hellénistique», p. 67; offrande de Flamininus: Plutarque, Vie de Flamininus, 12.
Suivant Polybe, XXXIX, 6, 1, G. Rougemont affirme en outre que, à la suite de la guerre
d'Achaïe, Mummius y alla aussi de maintes générosités envers Apollon Pythien.
34

Certes, ces marques de piété envers le dieu de Delphes étaient toutes faites dans
un but intéressé, voire propagandiste. Elles montrent cependant que, jusque tard à
l'époque hellénistique, le sanctuaire de Delphes demeurait un terrain prestigieux où
s'affrontaient, par monuments et autres générosités interposées, les principaux acteurs et
protagonistes de la Grèce et du monde grec. Attrait majeur du sanctuaire d'Apollon,
l'oracle, fameux et renommé depuis l'époque archaïque, continuait de rayonner et
d'attirer à lui une foule de gens à même d'y constater les largesses des grands de leur
temps car, à l'échelle poliade, les cités consultaient toujours de façon officielle l'oracle
du Parnasse. Avant la seconde moitié du IIe siècle, de nombreuses traces de telles
consultations sont perceptibles, témoins de la vitalité de ce centre de mantique à la haute
époque hellénistique. Comme à l'époque classique, les questions adressées par les
communautés à Apollon Pythien relevaient principalement du domaine cultuel.

À partir de la seconde moitié du IIIe siècle jusqu'à la première moitié du IIe,


plusieurs cités égéennes se tournèrent vers le dieu de Delphes afin de faire reconnaître
l'asylie de leur territoire poliade ou d'un sanctuaire par le fils de Zeus, conférant de la
sorte à ces lieux un caractère sacré et inviolable, tepoç Kai aau^oç. 8 1 Le plus ancien cas
connu de demande d'asylie d'une cité et de son sanctuaire est celui de Ténos, île
voisinant Délos dans les Cyclades, et de son temenos de Poséidon. Quatre documents
épigraphiques témoignent que, peu après 278, des théores téniotes demandèrent
notamment aux confédérations phocidienne et étolienne, de même qu'à la cité Cretoise de
Phaistos et à Byzance, la reconnaissance du caractère sacré et inviolable de leur île.
L'autorité soutenant cette demande n'était nulle autre que l'Apollon delphien, duquel les
Téniotes reçurent un oracle affirmant que le sanctuaire de Poséidon, comme son sol
insulaire, devait être reconnu inviolable. Le titre de théôre, qualifiant les ambassadeurs de
Ténos dans les inscriptions, désignait habituellement les envoyés d'une cité chargés
d'annoncer à l'étranger les concours sacrés tenus dans leur polis. Dans le cas de Ténos,
les décrets ne mentionnent pas l'annonce des Posideia célébrés sur l'île. Mais

L'expression concerne, dans les inscriptions, essentiellement les villes déclarées sacrées et
inviolables, les temples étant par nature ispoi. Sur l'asylie des sanctuaires, voir K. J. Rigsby,
Asylia, Territorial Inviolability in the Hellenistic World, p. 20, de même que Ph. Gauthier,
Symbola, les étrangers et la justice dans les cités grecques, p. 226-230 pour l'asylie des
sanctuaires et du territoire poliade.
35

l'ambassade n'en revêtait pas moins un caractère sacré, « dû au fait que l'oracle de
Delphes est à l'origine de la requête présentée par les ambassadeurs ». Depuis le cas de
Ténos, l'autorité de l'oracle de l'Archer fut régulièrement recherchée par les cités
désireuses de se faire reconnaître saintes et asiles.

Dans le dernier quart du IIIe siècle, la Pythie sanctionna aussi la demande d'asylie
faite par Magnésie-du-Méandre. Après avoir eu une épiphanie de leur déesse poliade
Artémis, les Magnètes envoyèrent une délégation s'enquérir à Delphes auprès du dieu sur
la signification de l'apparition divine. Parlant par la bouche de sa prophétesse, le fils de
Zeus aurait affirmé, comme en témoigne une inscription de la cité du Méandre, que
« tous ceux qui vénèrent Apollon Pythien et Artémis Leukophryènè reconnaissent comme
sacrés et asiles la ville et le territoire de Magnésie-du-Méandre ». De plus, l'oracle
décréta qu'un nouveau concours isopythique devait être créé en l'honneur de la déesse
sœur d'Apollon, allant de pair avec la qualité sainte de la ville. En 206/5, les théores
magnètes annoncèrent dans le monde grec la tenue des concours et le caractère sacré de
leur territoire lors des àycoveç. Dans leur réponse, les cités participantes ne manquaient
pas d'acquiescer à la demande des ambassadeurs, reconnaissant la cité d'Artémis sacrée
et asile, « conformément à l'oracle du dieu ». Ainsi Apollon fournissait-il la
légitimation divine qui conférait à la cité de Magnésie-du-Méandre une protection
politique lors des Leukophryèna. Entre une cité demandante et celles donnant leur accord
aux négociations d'asylie, un lien religieux, reposant sur une foi commune, sur
l'eùrjépsict, était mis en valeur et unissait les partenaires. Au centre de cette foi

81
Voir R. Etienne, Ténos et les cyclades de milieu du IVe siècle av. J.-C au milieu du IIP siècle ap
J.-C, tome II, p. 93-97 et p. 175-176 : décret des Phocidiens : IG IX 1, 97; des Étoliens : IG IX l2,
191; de Phaistos : /. Cret., p. 152, no. 1; de Ténos en l'honneur de Nymphaios de Byzance : IG
XII 5, 802. Au sujet des Posideia, voir p. 24. La citation est à la page 98, n. 48. En outre, l'auteur
y affirme que les Posideia ne furent jamais, selon l'état actuel des connaissances, un concours
international.
SylP 557, 1. 7-11, cité par Ph. Gauthier, Symbola, p. 270. À ce sujet et sur ce qui suit, voir aussi
M. Wôrrle, « Delphes et l'Asie Mineure : pourquoi Delphes? », BCH, suppl. 36 (2000), p. 160-
161. La consultation aurait eu lieu en 221/220.
Cité par Ph. Gauthier, Symbola, p. 270. Tel est le cas des réponses des Phocidiens, des Samiens de
Céphallonie, d'Ithaque, d'Athènes, de Corcyre, d'Épidamne et d'Érétrie.
36

panhellénique, Apollon Pythien siégeait en son sanctuaire, sis près de Y omphalos, au pied
du Parnasse à la double cime. 85

Cependant, la preuve la plus éloquente du rayonnement du sanctuaire pythique à


la haute époque hellénistique fut gravée sur une base retrouvée à Aï-Khanoum, dans
l'actuel Afghanistan, aux extrémités du monde grec résultant des conquêtes d'Alexandre
le Grand. Datant du début du IIIe siècle, la base fut gravée sur son côté droit des cinq
maximes delphiques suivantes : « Étant enfant, deviens bien élevé; jeune homme, maître
de toi-même; au milieu de la vie, juste; vieillard, de bon conseil; à ta mort, sans
chagrin. » Plus intéressant encore est le fait que ces paroles furent vraisemblablement
copiées à Delphes même par un certain Cléarque, que L. Robert identifia brillamment à
Cléarque de Soloi, afin de les ériger dans le sanctuaire du fondateur de cette cité sur les
rives de l'Amou-Daria. En témoigne la seconde inscription gravée sur le même bloc :

« Ces sages paroles des hommes d'autrefois sont consacrées, dits des
hommes célèbres, dans la sainte Pythô. Là les a prises Cléarque, en les
copiant soigneusement, pour les dresser, brillant au loin, dans le temenos
de Kinéas. »

Pour les colons de cette cité grecque des confins, ce texte apparaissait comme
sacré, directement issu de Delphes, centre cultuel auquel ils se rattachaient et
s'identifiaient toujours. Malgré l'élargissement du monde issu des conquêtes d'Alexandre
et le déplacement vers l'est du centre de gravité du monde grec classique, Delphes, à la
haute époque hellénistique, demeura au centre de la foi religieuse panhellénique, source
d'identité culturelle et oracle de référence, auréolé de son antique prestige.

M. Wôrrle, « Delphes et l'Asie Mineure », p. 161.


86
Sur ce qui précède, voir L. Robert, « D e Delphes à l'Oxus », CRAI (1968), p. 416-442. Les
traductions présentées ici sont respectivement aux pages 424 et 422. Kinéas n'est autre que le
héros fondateur de cette cité.
37

2. La basse époque hellénistique ou la modification du paysage oraculaire.


Vers le milieu du IIe siècle cependant, une nouvelle tendance laisse entrevoir
l'avènement d'un nouveau contexte dans le paysage des sanctuaires oraculaires grecs. À
Delphes, cette conjoncture se traduit par une apparente diminution du rayonnement de
l'oracle d'Apollon.

Un premier signe de ce changement peut être vu dans la réduction de l'aire des


proxénies accordées par les Delphiens aux étrangers de marques visitant leur cité et leur
sanctuaire. Gravée à même le mur polygonal dans le sanctuaire d'Apollon, la liste des
proxènes mentionne le nom des étrangers ainsi honorés par les Delphiens, et ce pour la
période située entre 197/196 et 165/164. En plus de la présenter sous forme de tableau,
G. Daux y ajouta un tableau complémentaire compilant le nom des proxènes connus par
• R7

des décrets particuliers, à partir de 176/175 jusqu'à l'Empire. Cette liste montre que, à
partir de 146 environ, soit à la suite de la guerre d'Achaïe laissant les Romains victorieux
et maîtres de la Grèce, non seulement le nombre des proxénies diminue, mais, plus
intéressant encore, aucun proxène ne provient désormais plus des îles, d'Asie Mineure ou
encore d'Afrique. Dès lors, les représentants des intérêts delphiens à l'étranger se
résumèrent aux contrées voisines de la cité d'Apollon, en Grèce propre. Certes, la
proxénie était par nature accordée aux personnages de marque, et la liste ne peut être
tenue comme représentative du nombre de pèlerins fréquentant le sanctuaire. Elle n'en
témoigne pas moins d'une diminution de l'influence du nom delphique à l'étranger. Cette
déduction quant à la réduction de l'aire des proxénies prend véritablement son sens
lorsqu'elle est corroborée par deux autres séries de documents épigraphiques, attestant
une régionalisation de l'influence apollinienne delphique à la basse époque hellénistique.

La première série d'inscriptions, toujours analysée par G. Daux, est constituée des
actes d'affranchissement d'esclaves. Aussi gravés sur le mur polygonal, ces actes
témoignaient de la vente fictive de l'esclave d'un particulier à Apollon, le libérant ainsi

Pour le tableau de la liste du mur polygonal, voir G. Daux, Delphes au If et au f siècle, p. 17 sqq.
L'auteur justifie la date de début de son complément à la liste en spécifiant qu'aux environs de
176/175, la liste du temple appert quelque peu négligée. Voir p. 417 sqq.
88
Ibid, p. 4i3.
38

de la servilité.89 Dans la première moitié du IIe siècle, les vendeurs étrangers provenaient
essentiellement des régions avoisinant le sanctuaire, notamment des Locriens, des
Phocidiens, des Étoliens, des Béotiens, des Oitaiens et des Doriens de la Métropole. Mais
après 150 environ, la proportion des affranchissements étrangers connut une diminution
constante, «jusqu'à s'effondrer au Ier siècle.» Il appert donc que, même dans la
clientèle la plus constante du sanctuaire, celle des populations qui, par leur proximité
géographique avec la terre d'Apollon, fréquentaient de façon plus assidue le temple du
Parnasse, même chez cette clientèle le rayonnement de l'oracle faiblissait.

La réduction de l'aire des proxénies et la diminution notable des actes


d'affranchissement allèrent de pair avec une réduction du nombre d'offrandes
monumentales érigées dans le sanctuaire. Ces consécrations, trésors, statues ou autres
monuments tels ceux de la terrasse d'Attale, furent offerts en grand nombre à Apollon par
des cités de tout le monde grec, principalement entre la fin du VI e siècle et celle du IVe.91
Au IIIe siècle, une nette diminution de ce type d'offrande apparaît et n'est certes pas
étrangère au contrôle exercé sur Delphes par la confédération étolienne. En pleine
expansion au début de ce siècle, le KOIVOV étolien s'étendait, dès la fin des années 270,
d'ouest en est sur le continent. Comme les Étoliens considéraient le lieu sacré de Delphes
comme étant leur second sanctuaire fédéral, les puissances ou les cités non alliées de la
confédération s'abstinrent d'enrichir le sanctuaire de riches consécrations.9 À partir du

SO
Ces quelques 900 actes forment le corpus le plus important de la documentation delphique pour la
période s'étendant entre 201 et 40 a.C. À ce sujet, voir ibid., p. 46 sqq. Sur ce qui suit, voir
p. 490 sqq.
90
Ibib., p. 494. L'auteur précise que le fait que, après la seconde moitié du IIe siècle, davantage de
textes sont perdus ne contredit aucunement cette tendance, qui est bien marquée.
91
À ce sujet et sur ce qui suit, voir A. Jacquemin, Offrandes monumentales, p. 78-79.
92
À propos de l'expansion étolienne et sur l'histoire du KOIVOV, voir J. B. Scholten, The Politics of
Plunder. Aitolians and Their Koinon in the Early Hellenistic Era, 279-217 B.C., p. 29-96. Le lien
entre la diminution des offrandes monumentales à Delphes et la présence étolienne au sanctuaire
pythique peut être nuancé par les propos de P. Sanchez sur L 'Amphictionie des Pyles et de
Delphes, p. 302 sqq. L'auteur montre que, pendant la centaine d'années que dura la domination
étolienne en Grèce centrale et au Conseil amphictionique, ce dernier conserva non seulement ses
prérogatives traditionnelles quant à l'administration des affaires sacrées du sanctuaire, mais joua
en outre un rôle politique nouveau sur la scène internationale. Le synédrion étendit alors ses
fonctions à « la protection des collèges d'artistes dionysiaques, la reconnaissance de nouvelles
panégyries et la proclamation de l'inviolabilité des sanctuaires », ce qui conduit P. Sanchez à
conclure que « cette institution a connu un rayonnement et un prestige panhelléniques au
Ilf siècle. »(p. 363).
39

siècle suivant, l'aire géographique des dédicants se réduisit considérablement, se


confinant aux régions voisines du sanctuaire, pour n'être finalement représentée, au
I er siècle, que par des Delphiens ou des Amphictions, peuples membres de l'organisation
vouée à la gestion et à l'administration du sanctuaire.

Le phénomène est aussi perceptible dans l'évolution de la composition du Conseil


amphictionique, au IIe siècle : après l'abaissement de l'Étolie et la chute de la monarchie
macédonienne, dans la première moitié du siècle, le Conseil retrouva sa composition
traditionnelle, qui était celle d'avant 346, date à laquelle Philippe II avait été admis au
synédrion. « Pour la première fois, affirme P. Sanchez, cette institution était sortie de son
cadre régional, en admettant en son sein un roi ambitieux, qui prétendait diriger les
affaires de la Grèce ». Le retour à la composition traditionnelle de l'Amphictionie, après
deux siècles de domination macédonienne, puis étolienne, était donc un retour de
l'organisation à un cadre plus régional. 93 Certes, le nom delphique résonnait toujours
d'un prestige panhellénique, en particulier par le biais des jeux pythiques et des Sôteria,
mais en dehors de ces concours et de sa gloire passée, l'éclat de ce lieu de culte apollinien
diminua. Delphes, centre oraculaire dont le prestige et le rayonnement avaient perduré
depuis l'époque archaïque, connut à la basse époque hellénistique une régionalisation de
son influence.

93
Sur ce qui précède, voir P. Sanchez, L'Amphictionie des Pyles et de Delphes, p. 371 sqq. et p. 424-
425. La citation est à la page 490. Après la troisième guerre de Macédoine, « aucun État ne fut
plus en mesure d'utiliser l'Amphictionie comme un terrain de propagande pour asseoir son
hégémonie en Grèce centrale », comme l'avaient fait les Macédoniens et les Étoliens, entre 346 et
167 (p. 424). L'auteur ajoute que, « de ce point de vue seulement, on peut parler d'une forme de
déclin politique de l'institution». Cependant, P. Sanchez mentionne, p. 415 sqq., le décret
amphictionique CID IV 127, daté de la fin du IIe siècle, et par lequel les Amphictions enjoignaient
tous les Grecs, ndvxaç TOGÇ "EX/vnvaç (1. 3), d'accepter le tétradrachme attique pour quatre
drachmes d'argent, sous peine de sanctions. Selon lui, l'Amphictionie « était désormais la seule à
jouer un rôle international », et « ils est possible qu'ils [les Amphictions] aient agi sur l'ordre du
Sénat » (p. 419-420). Sur la tendance des Romains à se servir d'entités régionales afin d'aménager
la Grèce, à partir du IIe siècle, voir infra, p. 105-106. Pour une interprétation plus nuancée de cette
inscription, voir le commentaire fait par F. Lefèvre, aux pages 319-321 du corpus CID IV, de
même que la page 465. Selon lui, .idvTaç TOUÇ "E/\./\.n,vaç se référait sans doute à tous ceux qui,
« étrangers, citoyens, esclaves, homme ou femme » (1. 4-5), se trouvaient sur le territoire de
peuples amphictioniques. Juridiquement, « ce décret atypique ne pouvait être contraignant que
pour les États-membres : c'est la seule solution réaliste », affirme F. Lefèvre, bien qu'il admette
que le synédrion ait pu, « sous forme purement incitative » mais « sans possibilité réelle de
répression », s'adresser à un public plus large. Les citations sont à la page 320
40

Qu'en est-il des autres lieux de mantique grecs pour la même époque? À Dodone,
l'oracle de Zeus, second en prestige après Delphes, semble avoir connu une diminution
de son activité à l'approche de la basse époque hellénistique. Après la fin du IIIe siècle,
une importante diminution du nombre d'offrandes faites à Zeus est perceptible. En fait, à
peine quelques statuettes de bronze datant de cette période furent retrouvées sur le site
épirote. H. W. Parke parle même d'une extinction virtuelle de l'oracle après le sac de
l'Épire par les Romains en 189.94 Après la victoire romaine de Pydna, le consul Paul-
Émile ordonna le ravage systématique et punitif de l'Épire, qui s'était alliée à Persée.
Selon Polybe, sept cités furent rasées, et 150 000 habitants furent réduits en esclavage et
envoyés en Italie. Bien que les fouilles de Dodone permettent mal de saisir l'impact de
ces événements, il est clair que cela dut affecter sérieusement l'activité de l'oracle de
Zeus. Malgré le déclin apparent des deux principaux centres oraculaires de Grèce
propre, malgré cette transformation dans le paysage mantique grec, la continuité et la
vitalité de la foi aux oracles sont attestées en d'autres lieux divinatoires, dont les plus
importants sont Didymes et Claros en Asie Mineure.

Après la prise de Milet par Alexandre en 334, l'oracle de Didymes reprit vie et
connut ensuite un rayonnement important en Asie Mineure. Dès le IIIe siècle, la
reconstruction du temple débuta, et l'édifice sacré devint le plus imposant du monde
grec.97 En même temps, la littérature se faisait l'écho du renouveau du sanctuaire,
notamment chez Callimaque et Apollonios de Rhodes. Il est intéressant de noter que ce
dernier, dans un poème perdu sur la fondation de la cité carienne de Kaunos, prit modèle

94
H. W. Parke, Greek Oracles, p. 132. Mais voir supra, p. 20 et n. 41. Le même auteur, dans
Oracles of Zeus, p. 120, affirme aussi, à la suite de Polybe IV, 67, 3, que le temple de Dodone
subit, 30 ans auparavant, l'attaque de l'Épire par les Étoliens qui, sous le commandement du
stratège Dorimachos, « incendièrent les portiques, détruisirent une grande quantité d'offrandes et
renversèrent même l'édifice sacré. » Les fouilles du site ont d'ailleurs révélé des traces de ce sac.
Cependant, une période de reconstruction s'ensuivit, et assura encore quelques décennies de
prospérité relative du sanctuaire.
95
H. W. Parke, Oracles of Zeus, p. 122.
96
Idem, Oracles of Apollo, p. 33-43, et Greek Oracles, p. 121-122. L'auteur affirme que, peu après
la libération de Milet par le conquérant, la source oraculaire du sanctuaire, aux vertus inspiratrices
et tarie depuis la destruction du temple par les Perses, aurait jailli à nouveau. L'oracle aurait ainsi
pu, selon Callisthène, prophétiser les futurs succès d'Alexandre.
Pour plus de détails quant à la reconstruction du temple, voir entre autres J. Fontenrose, Didyma,
p. 15-17 et H. W. Parke, « The Temple of Apollo at Didyma : the Building and its Fonction », JHS
106(1986), p. 125-131.
41

sur une tradition accordant à l'oracle de Delphes la prédiction de la naissance de Thésée,


roi légendaire d'Athènes. Selon un schéma similaire, Apollonios de Rhodes présente
l'oracle de Didymes comme ayant prédit la naissance du roi de Kaunos.98 Bien que
plusieurs cités se soient tournées vers la Pythie afin de faire reconnaître l'asylie de leur
territoire et de leur sanctuaire, Milet s'est plutôt tournée vers l'oracle de Didymes pour
faire reconnaître l'inviolabilité de son territoire. Didymes, dans la littérature et dans le
processus de reconnaissance de l'asylie, se hissait au même rang que Delphes.

Tout porte d'ailleurs à croire que les Milésiens, afin d'insuffler à leur oracle une
seconde vie, s'inspirèrent fortement du modèle delphien.100 Aux porte-parole
héréditairement issus de la famille des Branchides ayant jadis charge de l'oracle fut alors
substituée une prophétesse, à l'image de la Pythie de Delphes. Aussi, tandis qu'à
l'époque archaïque les réponses d'Apollon gravées sur la pierre furent inscrites en prose,
la seconde période de vie de l'oracle didyméen vit plutôt ces réponses exprimées en
hexamètre, comme ce fut le cas à Delphes, du moins jusque tard au IVe siècle. À
Didymes, cette façon de rendre les réponses d'Apollon perdura jusqu'à la fin du IIIe p.C.
Tant par la tradition littéraire qu'en devenant un instrument de reconnaissance d'asylie,
tant par sa prophétesse inspirée que par les réponses oraculaires données en vers, l'oracle
apollinien de Milet fut revitalisé en se modelant sur celui de Delphes. Et de cette vitalité
témoigne une importante clientèle, provenant de maintes cités d'Asie Mineure.

Au IIe et au Ier siècles, les inscriptions retrouvées au sanctuaire de Didymes,


listant des coupes à libations envoyées en offrandes à Apollon par maintes poleis,
révèlent le nom de plusieurs cités égéennes et d'Asie Mineure, telles Clazomènes,
Érythrées, Iasos, Mylasa, Alabanda, Alinda, Rhodes, Cos, Amorgos, Myrina, Ilion,
Cyzique, Chios, et Chalcédoine.101 Même si les constructions entreprises furent

"8
H. W. Parke, Oracles of Apollo, p. 56-57.
Ibid., p. 58-59. Ce fait est connu par un décret de Cos qui évoque la reconnaissance de ce privilège
en relation avec la célébration des Didymeia. L'asylie fut accordée par plusieurs cités qui
reconnaissaient le territoire sacré et inviolable sur la base d'une réponse de l'oracle de Didymes
affirmant la sainteté du lieu. Voir SylP 590.
100 Sur ce qui suit, voir H. W. Parke, « Apollo at Didyma », p. 124.
101 L. Robert, Les fouilles de Claros, p. 27. Cependant, Chr. Forbes, dans Prophecy, p. 309, argue
maladroitement que Didymes fut, au IIe siècle, parmi les oracles ayant le plus de succès sur la
42

pratiquement arrêtées par les guerres mithridatiques et que Milet subit maintes actions
piratiques sur son territoire, un certain Conon affirmait, au tournant du Ier siècle a.C,
qu'Apollon didyméen était, parmi les oracles grecs, second en prestige après Delphes.102

L'oracle d'Apollon à Claros est un second exemple de centre de mantique ayant


connu une vitalité certaine à la basse époque hellénistique. Après avoir échappé au
synœcisme de 294 que Lysimaque tenta d'imposer à la cité de Colophon, dont dépendait
l'oracle clarien, le sanctuaire fut soumis à une profonde réorganisation tout au long du
IIIe siècle. C'est à cette époque que débuta la construction du grand temple d'Apollon et
qu'apparurent les premiers monuments honorifiques.103 À la fin du IIe siècle, de
nouvelles modifications accrurent l'aspect monumental du sanctuaire, préfigurant ainsi
l'immense succès que connut l'oracle de Claros sous l'Empire, en particulier sous
Hadrien, qui entreprit d'achever la construction du temple.104 Pour cette période
s'étendant entre le début du IIe siècle p.C. et celui du IIIe siècle, véritable âge d'or du
sanctuaire, plus de 300 inscriptions furent retrouvées. Elles témoignent de délégations de
cités envoyées à Claros pour y consulter l'oracle.

scène internationale, ayant pour preuve un « rich supply of oracular responses » sur divers sujets.
La maladresse de Forbes vient du fait que, citant H. W. Parke, Oracles of Apollo, p. 75 sqq., il
applique au IIe siècle a.C les exemples de consultations clairement et incontestablement attribués
par Parke au second siècle de notre ère. La fâcheuse méprise de Forbes ne peut du reste être due à
une simple erreur de l'éditeur, puisque dans ce passage, son argumentation s'insère directement
dans son traitement de l'époque hellénistique. Néanmoins, ces éléments attestent d'une popularité
tardive de l'oracle de Didymes, popularité ayant pris naissance à la basse époque hellénistique,
comme en témoignent d'une part la reconstruction du temple, mais aussi les liste d'offrandes
présentées par L. Robert.
102
J. Fontenrose, Didyma, p. 3, n. 1; M. K. Brown, The Narratives ofKonon, no. 33, 1. 21-23 : iced
uéxpt vôv x P ^ T i P ^ v 'EX^nviKcov ©v Xauev, UETO: AeXcpoùç KpcmaTov ôuo.vov{.eiTca
xô TCÙV Bpayxiôoov. Dans cette narration, Conon raconte l'histoire de Branchos, fondateur de
l'oracle didyméen.
10?
J.-L. Ferrary et S. Verger, « Contribution à l'histoire du sanctuaire de Claros à la fin du IIe et au
I"siècle av. J . - C : l'apport des inscriptions en l'honneur des Romains et des fouilles de
1994-1997 », CRAI (1999), p. 815. La fonction oraculaire d'Apollon clarien n'est apparue que
vers la fin du IV* siècle, comme en témoignent notamment les monnaies retrouvées sur le site, qui,
à partir de cette période, furent frappées d'un trépied sur un côté, symbole de la mantique
apollinienne. À ce sujet, voir M. Dewailly, « Le sanctuaire d'Apollon à Claros: place et fonction
des dieux d'après leurs images », Mélange de l'Ecole française de Rome. Antiquité, 113, p. 368-
374.
Voir L. Robert, Fouilles de Claros, p. 20 et 24-27, pour des preuves épigraphiques de l'influence
clarienne à cette époque. Sur ce qui suit, voir aussi T. L. Robinson, « Oracles and Their Society :
Social Realities as Reflected in the Oracles of Claros and Didyma », Semeia 56 (1992), p. 63-63.
43

Pour l'ensemble de l'époque hellénistique, la vitalité de la foi oraculaire des Grecs


continua de se manifester dans les différents lieux de mantique leur permettant de
communiquer avec leurs dieux. La basse époque hellénistique, loin de voir diminuer la
vitalité des oracles grecs, en révèle plutôt le dynamisme. Aux grands centres prophétiques
de Delphes et de Dodone, dont le prestige résonnait depuis l'époque archaïque, cette
période vit émerger et se développer d'autres hauts lieux, tels Didymes et Claros, dont
l'influence perdura jusque tard sous l'Empire romain. Plutôt que de déclin des manteia
traditionnels, ne vaudrait-il pas mieux alors parler de la diversification des lieux
oraculaires grecs? Car tandis que l'influence de Delphes se régionalisait et que se
développaient deux importants oracles en Asie Mineure, d'autres lieux de mantique
connurent, à l'échelle locale, une intense activité à la basse époque hellénistique. Tel fut
le cas de l'oracle d'Apollon à Koropè.
II. DÉMÉTRIAS ET LE CAS DU SANCTUAIRE D'APOLLON À KOROPÈ.
« Elle [la Nuée] l'éleva et le nomma Centaure,
au pied du Pélion, il s'unit aux cavales de
Magnésie, et de lui naquit une troupe
prodigieuse. »

-Pindare, Deuxième pythique, II, 1. 44-46.

Sur la montagneuse péninsule de la Magnésie d'Europe se trouvait, sur les pentes


mythiques du mont Pélion, un sanctuaire prophétique apollinien, situé près d'une
bourgade appelée Koropè. Jadis indépendante, cette petite cité fut absorbée, comme bien
d'autres, dans l'antigonide Démétrias, fondée par synœcisme au début du IIIe siècle. Le
sanctuaire koropéen devint alors dépendant, administrativement, de la nouvelle entité
poliade. C'est ainsi que, peu après 116 a.C, les Démétriens promulguèrent deux décrets
qui, seuls, témoignent de l'existence et surtout de la vitalité de cet oracle local d'Apollon,
à la basse époque hellénistique. Avant d'aborder directement cette inscription, il convient
d'élaborer brièvement sur son contexte de production et celui de la cité ayant fait graver
ces deux décrets sur une pierre.

A. Démétrias, cité hellénistique.


Sous l'ethnique de Magnètes, les cités de la péninsule formaient un peuple
(ëGvoç) représenté à l'Amphictionie delphique depuis le VIe siècle. Pour la majeure
partie de leur histoire, elles furent, à divers degrés, dépendantes des puissances
avoisinantes. Périoikoi des Thessaliens à l'époque classique, leur principale polis,
Pagasai, près de laquelle sera ultérieurement fondée Démétrias, 105 fut conquise par
Philippe II de Macédoine, vers 344. 106 Dès lors, au même titre que la Thessalie, la
Magnésie demeura sous contrôle des rois macédoniens, jusqu'à l'intervention romaine de
197 et la formation du premier KOIVOV TCOV Mayvfjxcov.

105 A. Efstathiou-Batziou, « L'histoire de Démétrias », DosArch. 159 (avril 1991), p. 56.


106
Quelques années auparavant, en 352, Philippe II avait pris possession des principales cités
thessaliennes et se fit nommer àpxcov des Thessaliens, prenant par le fait même le titre et les
fonctions de l'autorité suprême de ce koinon. À ce sujet, voir B. Helly, L 'État thessalien, Aleuas le
Roux, les tétrades et les tagoi, p. 60-62; G. Hourmouziadis, P. Asimakopoulou-Atzaka,
K. A. Makris, Magnesia, the Story of a Civilisation, p. 92-93.
45

1. Démétrias, verrou de la Grèce.


C'est dans ce contexte de domination de la région par les Antigonides que fut
fondée, vers 294, l'imposante cité de Démétrias, éponyme de son fondateur, le roi
Démétrios Poliorcète. Sise sur la pointe de Pefkakia au creux du golfe Pagasétique, la cité
allait rapidement devenir le centre des activités économiques et politiques de la
Magnésie, en plus d'être une base militaire à l'avant-scène de toute entreprise
macédonienne en Egée et en Grèce du sud.

Selon Strabon, la cité du Poliorcète fut fondée entre «Néléa et Pagasai, en


regroupant en elle les populations des petites villes du voisinage » qu'étaient, outre Néléa
et Pagasai, Orménion, Rhizons, Kasthanaia, Sépias, Olizon, Boïbé ainsi qu'Iolcos, et qui,
du temps du géographe, n'étaient plus « que des bourgades dépendant de Démétrias, »
Kcoficu tqç Aqunrpidooc. 108 Dès sa création ou peut-être à une date ultérieure inconnue,
les cités d'Aiole, de Halos, de Spalauthris, de Koropè, de même que celles d'Amphanai et
d'Homolion furent incorporées à la nouvelle entité poliade.1 9 Comme les cités
macédoniennes de Cassandrée et de Thessalonique, Démétrias fut donc le fruit d'un
synœcisme, et sa fondation en fit le plus important établissement en Thessalie. Depuis ce
regroupement, le territoire de la nouvelle cité antigonide couvrait de façon stratégique la
majeure partie de la péninsule de Magnésie. Occupant la quasi-totalité de la côte du
golfe Pagasétique, Démétrias incluait aussi l'aire de plusieurs villes qui, comme Koropè
ou Rhizon, étaient situées, respectivement, sur les pentes des monts Pélion et Ossa. Tout
au nord de la Magnésie, Homolion était située sur la rive sud du Pénée, fleuve coulant au
sein de la vallée de Tempe formée par les monts Ossa et Olympe. Le rôle stratégique de
la cité du Poliorcète apparaît alors clairement.

107
G. Hourmouziadis et al., Magnesia, p. 14.
108
Strabon, LX, 5, 15. Voir la carte de Démétrias et de la Magnésie, infra, p. 120.
109
G. M. Cohen, The Hellenistic Settlements in Europe, the Island and Asia Minor, p. 111. De ces six
dernières cités, l'inclusion des quatre premières dans le synœcisme démétrien est principalement
connue par l'inscription concernant l'oracle d'Apollon Koropaios. L'auteur omet d'ailleurs de
mentionner Homolion, qui apparaît pourtant clairement dans l'inscription de Koropè, infra, p. 57,
I. 2 et p. 59, 1. 71. Il est vrai que cette cité, située loin au nord de Démétrias, à la frontière
septentrionale de la Magnésie, fut apparemment dissidente, à une certaine époque, de la grande
cité magnète. Voir infra, p. 52. Il faut aussi ajouter à cette liste, à la lumière d'une inscription
publiée en dernier lieu par B. Helly, « Décrets de Démétrias pour des juges étrangers », BCH 95
(1971), p. 555-559, la cité de Glaphyrai.
D. G. Martin, Greek Leagues in the Later Second and First Centuries BC, 1, P 94-95.
46

Qui contrôlait cette ville dominait plusieurs points de communication. Démétrias


commandait ainsi l'accès sud de la vallée de Tempe qui, séparant la Perrhèbie de la
Magnésie, ouvrait la Thessalie sur la mer Egée. C'est d'ailleurs par ce défilé de Tempe
que les Thessaliens, selon Hérodote, craignirent d'abord l'entrée en Grèce des Perses de
Xerxès, vers 480. Empruntant cette route naturelle, l'armée du Grand Roi serait passée
« de la Basse-Macédoine en Thessalie par la vallée du Pénée ». ' ' Démétrias elle-même
était une cité côtière avec un important port. La situation privilégiée de la cité faisait
d'elle un point de confluence de routes terrestres et maritimes, nœud de communication
de la Thessalie de l'intérieur avec la Thrace, l'Asie Mineure, les îles égéennes et la Grèce
du sud. Elle offrait notamment une ouverture sur l'Egée à Larissa, principale cité
thessalienne.11 N'était-ce d'ailleurs point de ces rivages que partit, à bord de la nef Argô,
la quête de la Toison d'or conduite par Jason? L'héritier du trône d'Iolkos, dont le
territoire jouxtait le site qui allait devenir Démétrias, quitta ce littoral pagasétique pour
faire voile vers le lointain royaume de Colchide, actuelle Crimée.

Tout au long de son histoire, la position géographique de Démétrias fit de la cité


un lieu militaire hautement stratégique, en particulier sous les rois macédoniens. La
création du Poliorcète était une forteresse majeure et une composante primordiale du
dispositif militaire antigonide. Lieu de résidence royale, la cité fut pourvue, entre 294 et
288, d'une enceinte de 11,25 km de long, révélant toute l'importance militaire que lui
donnait déjà Démétrios. Après les consolidations et améliorations apportées à ces
fortifications par ses successeurs, et principalement par Antigonos Gonatas, « l'œuvre
apparaît comme l'une des places fortes les plus puissantes et les plus imposantes du

m Hérodote, VII, 172-173. Après avoir établi leur campement dans la vallée pour y attendre l'armée
perse, les Thessaliens et les autres Grecs furent avisés par un messager macédonien que leur
position ne tiendrait jamais en ce lieu contre le surnombre des forces achéménides. Ils s'en
retirèrent alors, ayant du reste « appris qu'on pouvait encore entrer en Thessalie par la
Haute-Macédoine, en passant par le pays de Perrhèbes et la ville de Gonnoi, le chemin que prît
justement l'armée de Xerxès. » Voir aussi G. M. Cohen, Hellenistic Settlements, p. 33.
n: D. G. Martin, Greek Leagues I, p. 94; A. Efstathiou-Batziou, « Histoire de Démétrias »,
p. 56; G. Panessa, « Contributo epigrafico da Demetriade alla conoscenza dei rapporti
magneto-tessalici », Studi sui rapporti interstatali nel mondo antico, p. 244; G. M. Cohen,
Hellenistic Settlements, p. 33 et 111, où l'auteur rappelle que Strabon notait, en IX, 5, 15, que la
cité contrôlait autant la vallée de Tempe que les monts Ossa et Pélion, et qu'elle était une station
navale.
47

monde grec. »113 Avec Chalcis et Corinthe, Démétrias était d'ailleurs considérée comme
l'une des trois « entraves » de la Grèce, néôaç 'EA.ÀqvtKdç, selon l'expression consacrée
par Polybe. Le contrôle de ces cités-forteresses, véritables verrous de l'influence
macédonienne sur le continent, conférait aux rois antigonides une puissante emprise sur
la Grèce centrale et du sud. En 197, une délégation grecque, envoyée à Rome pour se
plaindre de la menace causée par Philippe V, affirma d'ailleurs devant le Sénat que la cité
de Démétrias dominait l'Étolie, la Magnésie et la Thessalie, et que, aussi longtemps que
les trois entraves seraient macédoniennes, les Grecs ne pourraient se sentir libres.114

2. Démétrias, de la cité antigonide à la cité des Magnètes.


Profitant de la stabilité du long règne d'Antigonos Gonatas, roi des Macédoniens
de 276 à 239, la cité fondée par le fils du premier Antigonide atteignit son apogée dès le
IIIe siècle. Sa situation géographique faisait d'elle le principal port de Thessalie et une
cité commerciale prospère.

P. Marzolff, « Développement urbanistique de Démétrias », La Thessalie, quinze années de


recherches archéologiques, 1975-1990, bilan et perspectives, p. 60. L'auteur explique que cette
période, comprise entre le règne de Gonatas et le début de celui de Philippe V, fut caractérisée par
un équilibre, à Démétrias, entre les composantes civiques et dynastiques de la cité, montrant
clairement que les Antigonides en firent l'une de leurs capitales. Selon lui, la cité aurait alors
compté 25 000 individus. L'empreinte dynastique se manifestait notamment par la présence de la
résidence du souverain, située au centre de la ville, et par le « couple monumental du théâtre et du
hérôon », ce dernier étant, selon la proposition de l'auteur, « le mausolée du fondateur de la ville
qu'on allait honorer, en commun avec les héros des principales villes participant du synœcisme
constitutif, par des manifestations cultuelles. » Ibid., p. 61-62. Voir aussi Y. Béquignon, « Études
thessaliennes », BCH 59 (1935), p. 75-77. L'auteur présente brièvement un texte épigraphique
faisant allusion au culte de fondation de Démétrias. Des mentions de la résidence royale, située au
nord de l'agora sacrée, se trouvent dans Strabon, IX, 5, 15 et Tite-Live, XXXV, 31,9.
114
G. M. Cohen, Hellenistic Settlements, p. 111; Polybe, XVIII, 11; Tite-Live, XXXII, 36, 4 à 37, 5.
Les doléances de l'ambassade grecque à Rome furent exprimées en utilisant les mots mêmes du
roi Philippe, qui aurait personnellement qualifié ces trois possessions d'« entraves » de la Grèce.
Les délégués affirmèrent, selon Polybe, que « les Péloponnésiens ne pourraient respirer à leur aise
avec une garnison royale établie à Corinthe, que les Locriens et les Béotiens ne se sentiraient pas
en sûreté tant que Philippe tiendrait Chalcis et le reste de l'Eubée, que les Thessaliens et les
Magnètes ne pourraient jamais jouir de la liberté si Démétrias restait entre ses mains. »
Strabon, IX, 4, 15, réutilisa cette expression. Sur l'utilisation de Démétrias en tant qu'« entrave »
sous Antigonos Gonatas, voir J. J. Gabbert, « The Grand Strategy of Antigonus II Gonatas and the
Chremonidean War», AncW 8 (1983), p. 129-131. À cette époque, la majorité des troupes
macédoniennes était campée à Démétrias, et cette garnison permettait d'assurer la communication
entre la Macédoine et les garnisons grecques de Gonatas au sud et à l'ouest, à Chalcis et Corinthe,
mais aussi à Rhamnonte, Sounion, Épidaure et dans plusieurs autres cités. L'auteure affirme aussi
que, tandis que la garnison corinthienne représentait sans doute la plus forte concentration de
troupes macédoniennes au sud de Démétrias, cette dernière pouvaient accommoder près de 25 000
soldats. Elle stipule en outre que la ville serait « more accuratly described as a military camp with
civilians amenities » (p. 130).
48

Déjà, à cette époque, s'y trouvait une population composite, formée autant de
Macédoniens que de Grecs du continent, des îles ou même de Sicile, ainsi que
d'immigrants d'Asie Mineure, de Syrie et de Phénicie. C'est d'ailleurs sous le règne de
Gonatas que l'urbanisme démétrien prit réellement son essor. 116 Mais cette prospérité
allait être durement ébranlée par l'agitation des règnes de Philippe V et de Persée. La
ville eut fort à souffrir de la deuxième guerre de Macédoine et de la guerre antiochique et,
conséquemment, sa prospérité déclina dans la première moitié du IIe siècle.117 La grande
cité de Magnésie ne fut certainement pas épargnée par la disette qui frappa, dans le
premier quart du IIe siècle, une grande partie de la Grèce, dont l'Eubée, la Béotie, et la
Thessalie, « et cette disette n'est sans doute pas étrangère aux troubles qui, en Thessalie
notamment, précédèrent de peu, en 174-173, la troisième guerre de Macédoine.» 118
Comme pour la majorité des cités de Grèce continentale, ce second siècle s'ouvre donc,
pour la cité du golfe Pagasétique, sur une période d'instabilité. Et cette instabilité se
concrétisa par les conflits entre la Macédoine et la puissance romaine montante.

Après la victoire romaine sur Philippe V à Cynoscéphales, en 197, et à la suite de


la déclaration de Flamininus sur la liberté des cités grecques aux jeux isthmiques l'année
suivante, les Romains cherchèrent à organiser la région thessalienne, qui venait de passer
sous leur influence. Ainsi agencèrent-ils ce territoire en créant quelques Confédérations :
celles des Thessaliens, des Perrhèbes, des Ainianes, des Oitaiens et des Magnètes.

115
M. I. Rostovtzeff, Histoire économique et sociale du monde hellénistique, p. 173.
116
Voir supra, p. 47, n. 113.
117
M. I. Rostovtzeff, Histoire économique et sociale, p. 442.
118
D. Knoepfler, «Contribution à l'épigraphie de Chalcis», BCH 114 (1990), p. 491. B. Helly,
Gonnoi, volume II, Les inscriptions, no. 41, p. 43-47, présente un décret de proxénie pour un
citoyen de Phalana qui avait fourni à crédit du blé à la cité de Gonnoi (1. 15-17). L'inscription est
datée entre 180 et 160 (l'auteur avance même, hypothétiquement, les dates de 171-169, alors que
faisait rage la troisième guerre de Macédoine) et est mise en relation avec les préliminaires de la
guerre contre Persée. Voir aussi D. Mendels, « Perseus and the Socio-Economie Question of
Greece », AncSoc 9 (1978), p. 59-62 : la troisième guerre de Macédoine fut en outre précédée par
des séditions, des staseis, déchirant l'Étolie, la Perrhébie et la Thessalie. Ces troubles étaient liés à
l'endettement d'une partie des populations de ces régions. Voir encore Ed. Will, Histoire politique
du monde hellénistique II, p. 262-263 : Étoliens et Thessaliens, ainsi déchirés par la guerre civile,
firent appel aux Romains afin d'arbitrer les conflits qui, « comme partout », avaient pour origine la
question des dettes. La diplomatie romaine parvint, en ces années 174-173, à arrêter les conflits en
Étolie et à obtenir un règlement équitable sur l'endettement en Thessalie.
119 B. Helly, « La Thessalie à l'époque romaine », Mémoires II, Centre Jean Paterne, p. 37. Les
Magnètes furent explicitement déclarés libres par Flamininus, à côté des « autres Grecs » et des
peuples soumis à la domination de la Macédoine : Corinthiens, Phocidiens, Locriens, Eubéens,
49

Libre de garnisons romaines à partir de 194, le KOIVOV TCOV MayvfJTCov alors créé avait

pour capitale Démétrias. Mais cette première naissance n'était vouée qu'à une éphémère

existence. Dès 191, Philippe V s'empara à nouveau de la cité de son ancêtre Poliorcète, et

le koinon fut dissout par le Macédonien. Démétrias demeura antigonide jusqu'à la fin du
1 90

règne de Persée et la cruciale bataille de Pydna, en 168. Il est intéressant de noter que,

sous cette dernière phase de l'occupation macédonienne, certaines modifications furent

apportées à la résidence royale démétrienne. La plus frappante est sans contredit

l'érection d'une enceinte lui étant propre, transformant ce complexe palatial en une

véritable citadelle, en une «ville dans la ville [...] qui devait refléter la crise survenue

dans la relation entre la polis et le pouvoir central. »121

Ainsi, la grande cité magnète connut une première moitié de IIe siècle agitée.

Après la bataille de Pydna, le KOIVOV TCOV MayvrJTCov fut restauré et la cité redevint le

chef-lieu d'une nouvelle Confédération qui devait perdurer jusque sous l'empereur

Dioclétien, à la fin du IIIe siècle p.C. Cependant, le nouveau statut de Démétrias, dans la

Achaiens Phthiotes, Thessaliens et Perrhèbes. Mais, dans les faits, des garnisons demeurèrent à
Démétrias, Corinthe et Chalcis jusqu'en 194, tandis que la Phocide et la Locride orientale furent
accordées aux Étoliens. Voir Ed. Will, Histoire politique II, p. 169-170. Après 146 et la
réorganisation de la Grèce par Rome, le nombre de ces Confédérations fut réduit à deux, d'une
part celle des Thessaliens, qui absorbèrent notamment les Perrhèbes, et d'autre part, celle des
Magnètes. Sur les étapes finales de l'expansion thessalienne, voir B. Helly, « Les cités antiques de
la Thessalie», DosArch 159 (avril 1991), p. 41-42. Sur le koinon des Perrhèbes, voir
H. Kramolisch, « Das Ende des perrhâbischen Bundes », La Thessalie. Actes de la Table-Ronde,
21-24 juillet 1975, Lyon, p. 201-219.
Pour une chronologie concise de cette période, voir M. Holleaux, Etudes d'épigraphie et
d'histoire grecques I, p. 256-257. Pour plus de détail, voir Ed. Will, Histoire politique II, p. 195-
209. Après Cynoscéphales, les Étoliens, regrettant leur alliance précédente avec les Romains qui,
après la deuxième guerre de Macédoine, ne leur avaient pas remis les places et cités escomptées en
échange de leur aide, commencèrent à intriguer et à montrer des signes de rapprochement avec
Antiochos III, ce Séleucide dont les mouvements attiraient déjà l'œil méfiant de Rome. À
Démétrias, un certain Eurylochos, archonte des Magnètes et pro-étolien, répandit la rumeur
voulant que Rome, afin de sécuriser cette « entrave » de la Grèce face à une éventuelle manœuvre
européenne d'Antiochos, s'apprêtât à remettre la cité à Philippe V, avec lequel le Sénat s'était
rapproché. À l'été 192, après avoir été exilé par ses opposants pro-romains, Eurylochos fut remis
en place par les Étoliens, ses opposants furent exécutés et Démétrias devint clairement sous
influence étolienne. À l'automne de la même année, la cité accueillit le roi Séleucide et son armée
en ses murs. Mais ce dernier fut défait par les phalanges macédoniennes en 191, aux Thermopyles,
et dut battre retraite en Asie. Alors abandonnée par Antiochos et les Étoliens, Démétrias n'avait
d'autre choix que de capituler devant les forces de Philippe V, qui s'était allié à Rome. Sur la
guerre antiochique en Europe et les intrigues étoliennes à Démétrias, voir S. Gruen, The
Hellenistic World and the Coming of Rome, p. 458, 460 et 478, de même que G. Hourmouziadis et
al., Magnesia, p. 14.
121
P. Marzolff « Développement urbanistique de Démétrias », p. 65
50

seconde moitié du IIe siècle, ne fut pas pour autant gage de stabilité, comme en témoigne
l'épigraphie de la cité.

3. Démétrias dans la seconde moitié du IIe siècle a.C.


Peu abondant, le corpus des inscriptions de Démétrias comprend notamment
quelques décrets honorifiques pour des juges étrangers. Les cités de Kleitor, Patras,
Messène, Magnésie-du-Méandre, Héraclée Trachinia, de même qu'une cité inconnue
furent sollicitées et y déléguèrent chacune un juge, tandis que Sparte dépêcha un tribunal.
Comme l'ensemble des inscriptions de Démétrias et de la Confédération des cités de
Magnésie, ces décrets sont inclus dans la période allant de 150 à 110.122 Dans cette
période relativement courte, les Démétriens firent appel, à au moins cinq occasions, à des
juges étrangers afin de régler leurs affaires judiciaires pendantes.

Comme l'a montré L. Robert, l'appel à des juges étrangers, institution


hellénistique apparue, en Grèce continentale du moins, au IIe siècle, est symptomatique
d'un état de crise affectant la cité requérante. Ces fréquentes demandes d'une justice
étrangère dans la cité magnète se font l'écho « des crises qui bouleversaient la vie sociale
et politique de Démétrias, comme de la plupart des cités de la Grèce du Nord, au cours du
IIe siècle a.C. »l De telles crises étaient généralement causées par de profondes
divisions sociales, notamment liées à l'endettement d'une partie de la population et à des
antagonismes politiques au sein de la cité. En résultait alors une détérioration de
l'administration publique pouvant se manifester par un retard majeur, voire une paralysie,
de la justice et par un manque d'impartialité de l'appareil judiciaire.

121
B. Helly « Décrets de Démétrias », p. 557 : cette chronologie fut établie par F. Stahlin, « Zur
Chronologie und Erklârung der Inschriften von Magnesia und Démétrias », AM 54 (1929), p. 201-
226. Le décret pour les juges de Kleitor et de Patras peut être daté avec plus de précision vers 130.
En fait, F. Stahlin divisait les textes épigraphiques démétriens en deux groupes d'inscriptions, le
premier se rattachant à cette période aux environs de 130, tandis que le second, dont le décret pour
les juges d'Héraclée Trachinia fait partie, se rapproche d'avantage de 117 environ. Sont inclus
dans ce dernier groupe, suivant B. Helly, ibid., p. 557, n. 56, les textes IG IX 2, 1101, 1105 II,
1107 b, 1109 (Apollon Koropaios), 1110, 1131-1133, Polemon 1 (1929) no. 427, de même que les
deux textes présentés par J. Pouilloux et N. M. Verdélis, « Deux inscriptions de Démétrias »,
BCH 74 (1950), p. 31, A et B.
B. Helly, « Décrets de Démétrias », p. 559; supra, p. 48. Sur les juges étrangers en général, voir
L. Robert, « Les juges étrangers dans la cité grecque », Opera Minora Selecta V, p. 137-154. Sur
ce qui suit, voir p. 145-147
51

À Démétrias, la prosopographie tend à montrer qu'un cercle restreint de familles a


comblé la majorité des hautes magistratures, et ce autant à l'échelle municipale que
fédérale. Ce régime de type oligarchique, donc composé de citoyens de premier plan et de
grands propriétaires fonciers pouvant assurer les coûts relatifs à leurs fonctions, devait
être source de tension avec les petits propriétaires, d'une part, mais aussi avec certaines
subdivisions de la cité qui, jadis indépendantes, s'étaient vues incorporées de force dans
la Démétrias du temps des Antigonides.

Quoi qu'il en soit, ces dissensions internes, tout comme le manque de confiance
en l'impartialité des tribunaux locaux, se laissent bien voir par l'épigraphie, en particulier
dans le décret honorant des juges d'Héraclée Trachinia. Cette inscription, datée des
environs de 117, montre qu'un tribunal de Démétrias aurait d'abord prononcé un
jugement contre un décret rendu illégalement, ùrcèp v|/q(pirjuctTOç cbç Ttapavôpou. Le
jugement fut apparemment source d'un conflit majeur, nécessitant une autorité tierce et
impartiale afin de résoudre la discorde. Les juges demandés aux Héracléotes agirent donc
en tant que tribunal d'appel, et furent honorés de couronnes par les Démétriens.125

Une seconde inscription concernant des juges étrangers, à rapprocher du groupe


d'inscriptions autour de 130 et honorant des ôiKCtOTCtt de Kleitor et de Patras, montre
que la cité éponyme du Poliorcète subit, plus de 150 ans après sa fondation par
synœcisme, des dissensions entre ses composantes. Selon M. Holleaux, les cités intégrées
de force pour former Démétrias revendiquèrent à quelques reprises leur indépendance, et
les juges de Kleitor et de Patras vinrent à Démétrias, tant à la demande du koinon que de
124
Sur l'oligarchie démétrienne, voir G. D. Martin, Greek Leagues I, p. 106 et n. 89. L'auteur suit en
ce sens F. Stahlin, « Zur Chronologie », p. 203, et suggère « that many prominent Magnesians
were bouleutai of Démétrias and synedroi of the League, and so could propose legislation to either
body. » Une oligarchie similaire aurait aussi existé à Larissa. Du reste, G. Hourmouziadis et al.,
Magnesia, p. 93, supposent que, après la création de Démétrias, il est possible qu'une nouvelle
classe dirigeante émergeât, composée probablement des propriétaires fonciers issus des
communautés locales et ayant profité de la nouvelle formation poliade afin de revivifier les cités
déclinantes de Magnésie, en plus de faire contrepoids aux autres cités thessaliennes, telle Larissa.
Il serait aussi possible que cette nouvelle classe dirigeante soit assimilée aux premiers magistrats
de la première Confédération des Magnètes, appelés magnétarques.
125 Sur ce décret, voir B. Helly, « Décrets de Démétrias », p. 555-559, et en particulier p. 558, de
même que L. Robert, « Les juges étrangers », p. 146. Le renommé épigraphiste français notait que
le décret attaqué en justice pour avoir été rendu illégalement « devait être fort important par ses
conséquences politiques et sociales » pour nécessiter, à lui seul, une requête déjuges étrangers.
52

la cité, « pour établir la paix soit entre les dèmes ou quelques-uns des dèmes, soit entre
les dèmes ou certains dèmes et le chef-lieu. » Ces dissensions culminèrent
éventuellement dans le dernier quart du IIe siècle, alors que la cité d'Homolion semble
avoir retrouvé son indépendance et même avoir été le centre d'un koinon distinct, sans
doute formé de quelques cités du nord de la péninsule. Dans une inscription
amphictionique de Delphes, la cité représente son propre ëOvoç, séparé de celui des
Magnètes de Démétrias. Elle envoya en effet deux hiéromnémons au synédrion de
l'Amphictionie, sous l'ethnique des Magnètes de Thessalie.127 Tout au long de la seconde
moitié du IIe siècle, la Confédération des Magnètes semble donc avoir été « tormentata da
discordie tra gli stessi membri che la componevano ».

L'inscription concernant le sanctuaire oraculaire du dème de Koropè, dont il sera


question sous peu, apparaît d'ailleurs comme un témoin indirect de forces centrifuges
animant la cité issue du synœcisme de Démétrios Poliorcète. On y voit en effet les hauts
magistrats de Démétrias proposer différentes mesures concernant l'oracle. Ce faisant, ils
affirmaient leur autorité administrative sur ce sanctuaire du territoire, la cité se montrant
« pieusement disposée envers ses autres dieux, et envers Apollon de Koropè non moins
que le reste » (1. 8-9, § 2). Une de ces mesures consistait à exiger la présence de sept
magistrats municipaux qui, partant de Démétrias, devaient prendre part à la procession

126
M. Holleaux, « Deux inscriptions trouvées à Kleitor », Etudes I, p. 246. La même pierre contient
deux décrets semblables honorant les juges envoyés. L'un fut voté par l'Assemblée fédérale des
Magnètes, l'autre par l'Assemblée des Démétriens.
127
M. Holleaux, ibid, p. 257, n. 2; G. Daux, Delphes au If et au f siècle, p. 345-348; P. Sanchez,
L 'Amphictionie des Pyles et de Delphes, p. 395 et 470. L'inscription en question est SylT 704 E. P.
Sanchez affirme que ces Magnètes de Thessalie, représentés par la cité d'Homolion,
n'apparaissent cependant qu'une seule fois dans les listes amphictioniques et occupent alors la
place des Perrhèbes, dont le koinon avait cessé de fonctionner depuis 146. Ces derniers auraient,
pendant une certaine période, conservé leurs sièges au synédrion de l'Amphictionie, mais étaient
dans les faits représentés par les Thessaliens. Les Magnètes de Thessalie obtinrent donc leurs
sièges « par faveur spéciale des Thessaliens ». Le passage d'Homolion à l'Amphictionie de
Delphes semble donc être une exception. De même, l'absence d'autres sources invite à la prudence
quant à l'existence et, le cas échéant, à la durée de vie du koinon des Magnètes de Thessalie;
G. Panessa, dans son « Contributo epigrafico da Demetriade », p. 244, ajoute cependant qu'il
existait une opposition géographique entre Démétrias et Homolion, notant les « difficoltà di
reciproca collaborazione tra la componente montana, capeggiata dalla città di Homolio, che si
séparera nell'autunno del 117 a.C. da quella costiera con centro in Demetriade vera e propria città
egemone. » Il est intéressant de noter que, dans l'inscription d'Apollon Koropaios analysée dans
les pages qui suivent, la prêtrise de Zeus Akraios, magistrature éponyme et l'une des plus hautes
fonctions à Démétrias, est remplie par un Homolien (1. 2 et 71).
128
G. Panessa, ibid.
53

vers le lieu oraculaire. Un tel cortège solennel devait sans contredit contribuer à affirmer
les liens entre la cité et son dème, voir à affermir l'emprise de la première sur le second.
Le décret tissait entre Démétrias et Koropè un lien à la fois législatif et spirituel,
symbolisé dans la procession des sept magistrats vers le dème.129 Du reste, avant le
synœcisme de 194, la cité de Koropè était l'une des plus importantes communautés
agricoles de Magnésie.130 Vers la fin du IIe siècle, il est donc possible que ce dème, jadis
parmi les cités dominantes de la péninsule, ait eu quelques velléités d'indépendance,
aiguisées par les autres forces centrifuges ayant conduit à la sécession d'Homolion.

Cité antigonide majeure fondée par synœcisme sous Démétrios Poliorcète,


Démétrias était l'une des trois « entraves » de la Grèce. Maîtresse du golfe Pagasétique et
contrôlant la vallée de Tempe, porte égéenne de la Thessalie et antichambre de la Grèce
du sud, sa position stratégique lui valut un troisième siècle prospère. Libérée de l'emprise
macédonienne avec l'avancée romaine en Grèce continentale, la cité devint, au IIe siècle,
le chef-lieu du KOIVOV TCOV MayvfJTcnv. L'épigraphie de la cité, dont l'essentiel provient
de la seconde moitié du IIe siècle, montre que Démétrias connut alors une période
d'instabilité, attisée par des dissensions sociales et politiques internes, comme en
témoignent les quelques décrets pour les juges étrangers. C'est dans ce contexte
d'agitation sociale que furent promulgués les décrets sur l'oracle d'Apollon Koropaios.

B. Les décrets concernant l'oracle d'Apollon à Koropè : présentation et traduction


des textes.
Les documents épigraphiques concernant les cultes de la cité de Démétrias sont
peu nombreux. Quelques-uns des cultes connus ne le sont que par une brève mention de

129
La cité de Megalopolis, fondée par synœcisme en 368 et chef-lieu de la Confédération arcadienne,
aurait usé de moyens similaires afin d'assurer son autorité centrale sur ses parties constituantes.
Ainsi, des statues de dieux et des lieux de cultes des anciennes cités englobées furent transférés à
Megalopolis, ce qui peut d'ailleurs être mis en parallèle avec le sanctuaire des fondateurs et
archégètes de Démétrias, mentionné plus haut en note 112, p. 46. La concentration des cultes de
différentes parties du territoire au sein d'une nouvelle fondation avait donc pour objectif principal
le renforcement du synœcisme. De même, afin d'établir une relation entre le culte éloigné
d'Apollon Parrhasios et Megalopolis, une procession partait de la cité pour se rendre au temple de
ce dieu, lors du festival en son honneur. Voir M. P. Nilsson, Cults, Myths, Oracles and Politics,
p. 19-21.
130
N. D. Papahadjis, «'H Kopo7ir| rai TO 'iepô xou 'AnoXXiova », Thessalika 3 (1960), p. 24
(résumé en anglais).
54

leur sanctuaire, tel celui dédié aux archégètes et fondateurs ou encore le Sérapeion. Les
cultes de Déméter, d'Athéna et de Zeus Meilichios sont aussi attestés.131 Zeus Akraios,
dont le sanctuaire était aussi situé sur le mont Pélion et dont le prêtre était l'éponyme de
la cité, avait sans doute l'un des plus importants lieux de culte. Divinité protectrice de
Démétrias et des Magnètes, il formait, avec Artémis Iolkia et Apollon Koropaios, la
triade des divinités de la cité. L'inscription concernant l'oracle d'Apollon à Koropè est
de loin la plus complète et la plus riche en informations sur un sanctuaire des Démétriens.
Elle met en relief la grande popularité dont jouissait ce manteion à la basse époque
hellénistique. L'afflux de pèlerins à ce lieu prophétique local, souligné dans le texte,
amène à penser qu'il s'agissait d'un culte majeur de la cité.

1. Présentation des décrets.


Gravée vers 116 a.C. sur une grande stèle de marbre blanc, l'inscription du
sanctuaire koropéen fut trouvée en 1881, sur la colline de Petraloni, entre Kanera et
Palaiopurgos, près de la rivière Bupha. Une fouille sommaire, effectuée en 1906 par
A. Arvanitopoulos, permit notamment de mettre au jour les fondations d'une stoa dans
l'enceinte du sanctuaire. À l'automne 2002, j ' a i pu voir l'inscription au musée de
Volos, grâce à la très généreuse collaboration de l'Institut canadien d'archéologie à
Athènes, qui me mit en contact avec les autorités du musée.

Les deux morceaux de la stèle (a et b-c) sont enregistrés sous l'inventaire E 714 et
se dressent dans la cour extérieure du musée. La pierre est brisée en deux parties dont la

Sanctuaire des archégètes et fondateurs : IG IX 2, 1099, 1. 32-33, où il est spécifié que le décret
sera érigé [èv TOI iep]coi TOV àpxn.Y[era>v]. Les décrets IG IX 2, 1101, 1108 et 1107 B furent
quant à eux érigés dans le sanctuaire de Sérapis, le dernier honorant un prêtre du dieu. Un décret
fut érigé dans le sanctuaire de Déméter : A. Arvanitopoulos, Polemon I (1929), no. 420 (non-vidi).
Pour Zeus Meilichos et Athéna, voir Chr. Habicht, « Neue Inschriften von Démétrias »,
Démétrias. Die deutschen archàologischen Forschungen in Thessalien, V, p. 269-274. Une cave
dédiée à Zeus Meilichos se trouvait à Goritsa, d'après les fouilles menées par S. C. Bakhuizen
Voir le bref résumé de celles-ci dans « Goritsa, a survey », La Thessalie, actes, p. 63-64.
132 Outre dans l'inscription d'Apollon de Koropè, l'éponymie du prêtre de Zeus Akraios apparaît
aussi dans les décrets IG IX 2, 1108 (1. 6) et IG V 2, 367 B (1. 30). Voir B. Helly, « Décrets de
Démétrias », p. 448, n. 13.
N. D. Papahadjis, « H Kopd.rr| rai 16 iepo TOO ''AneWwva », p. 24 : des tessons de l'époque
archaïque et de vases plus tardifs, de même que des fragments du revêtement du temple, datant de
différentes périodes, furent aussi retrouvés sur le site. Quelques brefs fragments épigraphiques
furent aussi mis à jour. Présentant tout au plus quelques mots, ils n'apportent aucune information
pertinente à la compréhension du culte d'Apollon à Koropè.
55

seconde, contenant la fin du premier décret et tout le second, est elle-même brisée en
deux, une longue cassure fuyant obliquement de droite à gauche. Une partie manquante
du troisième morceau (c) fut, au coin inférieur gauche, comblée par du béton de manière
à faciliter le recollement avec le second fragment (b).

L'écriture, régulière, est typique du second siècle, notamment avec ses apices
légèrement triangulaires. Les sigma et les xi sont de forme classique, aux barres
horizontales aussi droites que celle des thêta, tandis que la barre des alpha est brisée. Les
oméga sont sensiblement plus petits que les autres lettres, cependant qu'ils sont ouverts
au bas par deux hastes tantôt obliques, tantôt droites. La haste verticale des phi dépasse
légèrement la hauteur des lignes.

La révision de l'inscription n'a pas permis d'en modifier la lecture,


l'établissement du texte étant dans l'ensemble assuré.135 Cependant, cette relecture m'a
fait constater que l'état de la pierre s'est malheureusement quelque peu détérioré, et les
lacunes signalées par la dernière édition complète du texte, établie après révision de la
pierre par O. Kern, apparaissent généralement plus importantes de quelques lettres. De
même, le nombre de caractères incomplets s'est passablement accru. L'édition la plus
récente de ces deux décrets, publiée par F. Sokolowski, en 1969, dans son critiqué corpus
de Lois sacrées, comportait quelques erreurs diacritiques et se contentait souvent de
mentionner en note critique les correctifs aux restitutions apportées par les
commentateurs. La réédition présentée ici permet donc de rajeunir l'édition d'une
inscription qui, un peu paradoxalement, a souffert l'âpreté du vieillissement.

134
Je tiens ici à remercier mon directeur de maîtrise, P. Baker, qui m'a fourni les indications
pertinentes quant à la qualification de l'écriture de cette inscription. Des photographies de la pierre
sont présentées en annexe, p. 121 et 122.
135 C'est ce qu'affirmait déjà L. Robert, en 1948, dans son article «Sur l'oracle d'Apollon
Koropaios », p. 16. Il notait aussi, p. 16, n. 2, que pour le second décret, l'édition de la Sylloge'
avait mis à jour celle des IG. Seule la ligne 89 lui présentait encore quelques difficultés, difficultés
que résolut ultérieurement G. Daux. Voir l'apparat critique, infra, p. 61. Par ailleurs, la dernière
révision de la pierre, faite vers le milieu des années 1980 par Chr. Habicht, n'avait conduit qu'à
une modeste modification à la ligne 29. Sauf avis contraire de l'apparat critique, les restitutions
présentées ici sont donc celles des éditeurs et commentateurs précédents. À ce sujet, le lecteur
pourra se référer à l'édition de F. Sokolowski.
56

2. Lemme et édition nouvelle de l'inscription sur l'oracle d'Apollon Koropaios.


- E d . : H. G. Lolling, « Mittheilungen aus Thessalien », AM 7 (1882), p. 69-76;
M. Holleaux, « Notes sur deux inscriptions de la Confédération des Magnètes »,
R P h l l (1897), p. 181-188 (Ch. Michel, Recueil 842; W. Dittenberger, Syll2 790;
I. de Prott et L. Ziehen, LGS II, no. 80 et 81); O. Kern, IG LX 2, 1109, (W. Dittenberger,
Syll3 1157; F. Sokolowski, LSCG, no. 83 et 84).

-Cf.: C. Robert, « Ein antikes Numerirungssystem und die Bleitàfelchen von Dodona »,
Hermes 18 (1883), p. 468 ssq.; A. Reichl, «Der Bundesstaat der Magneten und das
Orakel des Apollon Koropaios », Program des K. K. deutschen Obergymnasiums der
Kleinseite in Prag, 1891, p. 3-31 [non vu//]; 136 H. Swoboda, Die griechischen
Volksbeschlusse, 1890, p. 140 [non vidi]; M. Holleaux, REA 3 (1901), p. 117-118
(Etudes I, « Curae epigraphica », p. 364-366); O. Kern, « Zum Orakel des Apollon
Koropaios », Festschrift fur Otto Hirschfeld, 1903, p. 322-326 [non vidi]; A. Wilhelm,
« Zu den Inschriften des Bundes der Magneten », Hermes 44 (1909), p. 42-50; G. Kip,
Thessalisches Studien, 1910, p. 78, 92 et 95 [non vidi]; F. Stahlin, « Zur Chronologie und
Erklàrung der Inschriften von Magnesia und Démétrias», AM 54 (1929), p. 220-221;
P. Guillon, Les trépieds du Ptoion 11, 1943, p. 157-158; L. Robert, «Sur l'oracle
d'Apollon Koropaios», Hellenica V (1948), p. 16-28; J. Pouilloux et N. M. Verdélis,
«Deux inscriptions de Démétrias», BCH 74 (1950), p. 33-47; G. Klaffenbach, Varia
Epigraphica, 1958, p. 17-19; G. Daux, « Sur les décrets relatifs au sanctuaire d'Apollon
Coropaios», BCH 83 (1959), p. 285-287; P. R. Franke, « APTEMIX IOAKIA »,
AA (1967), p. 62-64; H. W. Parke, Greek Oracles, 1967, p. 119-129; Oracles of Zeus,
1967, p. 104-108; D. E. Birge, Sacred Grooves in the Ancient Greek World, p. 459-461;
F. Chamoux, La civilisation hellénistique, 1985 (1981), p. 335-336; Chr. Habicht, « Neue
Inschriften von Demetrias », Demetrias V, 1987, p. 270, n. 7 (ne présente qu'une légère
modification du texte, après révision de la pierre); P. J. Rhodes et D. M. Lewis, The
Decrees of the Greek States, 1997, p. 168; G. Ragone, « Dentro Vàlsos. Economia e

Dans son article de 1959, G. Daux n'avait pas non plus consulté cet article, spécifiant que la
version du texte de A. Reichl « a été unanimement condamnée ou passée sous silence. » Voir son
article « Sur les décrets de Démétrias relatifs au sanctuaire d'Apollon Koropaios », BCH 83
(1959), p. 285, n. 3.
57

tutela del bosco sacro nell'antichità classica », // sistema uomo-ambiente tra passato e
présente, 1998, p. 19 et p. 22; K. Brodersen, W. Gunther, H. H. Schmitt, Historische
griechische Inschriften in Ubersetzung III. Der griechische Osten und Rom
(250-1 v Chr), 1999, p. 125-128; V. Rosenberger, Griechische Orakel: eine
Kulturgeschichte, 2001, p. 29-32.

§ 1 La. 'tepecoç Kptvcovoç TOO TlapuEvicûvoç, unvôç 'Apeiou ÔEKaxqi,

Kptvcov nappevicovoç 'OpoXteùç ô tepeùç xou Aiôç xou 'AKpai-


ou Kai Atovuadôcopoç Eùcppatou ÀIOA.EÙÇ b axpaxqyôç TCOV Ma-
4. yvrjxcov Kai oi axpaxrryoi AixcoXicov Aqpqxptou n a y a a i x q ç , KXeo-
yévqç 'Apuvxou 'AXeuç, Mévqç 'Inniov AIOXEUC, Kai o'i vopocpu.la-
Keç MevéX.aoç dn^iTutou 'ICO^KIOÇ, A'ivtaç NiKaatPouXoo, 'AXèÇav-
ôpoç MEVCCTKOU 27ta>.au0peiç Kai Mévavôpoç NIKIOU Koporcatoç
§2 8. ei7xav ■ ercei xqç TidÀecoç qpcov Kai rcpôç xoùç aX^-ooç pèv Osoùç
EUCTEPCOÇ ÔiaKEipévqç, oùx, rJ Ktcxa ôè Kai npôç xôv 'ATtoX-Xcuva
xov Koponaiov, Kai xipcoanc; xaiç E7ucpavE<7xdxatç xtpaiç ôtà xàç
eùepYEataç xàç vnô xou GEOU, TtpoôriXouvxoç ôtà xou p a y -
12. xeiou Kai Kaxà KOIVOV Kai Kax' tôiav EKaaxcoi Ttspi xcov 7tpoç ùy{£ta[v]
§3 Kai rjcoxTptav àvqKovxco(v), ôtKatov ôè èaxiv Kai KaXcoç E^OV, o v -

xoç à p x a i o u xou pavxEtou Kai 7tpoxexiur)uévou ôtà 7tpoyd-


vcov, 7tapayivopévcov ôè Kai ÇÉvcov 7I.VEU_.VCOV èni xô xpq^ T 1 i _
16. pxov, 7ïoirjcjacj9ai xiva npdvotav 'e7upe>xcjxé'pav xqv TTOXAV

§4 7tspi xqç Kaxà TO pavxnpv eÙKOo-piaç, ôeôdx©at xqt POOXTU Kai

xcoi ôqpcoi, dxav auvxE^qxat xô pavxrjov, nopeuEfjOat xdv


xe tEpéa xou 'ATTOXACÙVOÇ xôv Etpqpévov ùrcô xqç ndÀ-scoç,
20. Kai xcôv axpaxrr/cov Kai vopocpuXctKcov àcp' EKaaxépaç âpxqç
'èva, Kai npuxaviv 'Éva Kai xaptav, Kai xôv ypaupaxéa xou
OEOU Kai xôv 7tpocprjxqv eàv ôé xiç xcov npoyeypappévcov àppcoa-
§5 XTU fj<t> eyôrprn, EXEpov 7t£pu/àxco ■ Kaxaypavj/dxcocrav ôè o't a x p a -
24. rnyoi Kai o't vopocpu^aKeç Kai papôouxooç EK xcov 7ioA.txcov a v -
58

ôpaç xpEtç vecoxépouç excov xptotKOvxa, o't Kai exe'xcoaav èÇou-


a t a v KcoXueiv xôv aKoapouvxa ôtôdaOco ôè xcoi papôouxcot EK xcov
A.oyEU0qaopévcov xpqpàxcov dij.coviov quEpcov ôuo, xqç qpÉpaç
28. EKotcrxqç ôpaxpqv a e à v ôé xiç (xcov) Kaxaypacpevxcov èiôcoç pq
§6 7rapayévr|xai à.xoxeio~dxco xqt ndA.ei ô p a x p à ç [P] napaypaij/dv-
xcov aùxô\ F xcov axparqycov Kai vopocpu^aKcov ■ dxav ôè 7iapa-
yévcovxai o't rcpoeipqpévoi ETU xô pavxetov Kai xqv Ouaiav ETXI-

32. xe^éacoat Kaxà xà 7tàxpta Kai KaA-Xiepqacoatv, ô ypappaxeoç

xou OEOU à-ioôeÇdaOco EÇ aùxqç xàç âjtoypacpàç xcov PouXopevcov


XpqcrxqpiaaOqvai Kai nàvxa<ç> àvaypdvyaç xà ôvdpaxa eîç XeuKcopa
n a p a x p q p a TrpoGéxco xô ÀeuKcopa 7tpô xou vaou Kai eiaayéxco Kaxà
36. xô èÇqç eKdaxqç àvaypacpqç àvaKaÀ.oupevoç, E'I prj xiatv auy-
§7 KEXcopnxai Ttpcoxotç e'irjtEvai ■ bàv ôè ô âvaKÀqGeiç pq Ttapqt, xôv

§8 ExdpEvov eirjayéxco, ëcoç à v Ttapayévqxai ô àvaKÀqGeiç • KaGrjrjGcù-


o a v ôè oi 7rpoyeypappévoi 'ev xcoi lepcoi Koapicoç ev eaGqmv À.ap-
40. Ttpaiç, erjxEcpavcopévoi axecpdvoiç ôacpvivoiç, àyveuovxeç

Kai vqcpovxec Kai ànoÔExdpsvoi xà nivaKia Txapà xcov p a v -


§9 xeuopÉvcùv ■ dxav ôè rjuvxE^ecrOqi xô pavxEiov, èpPaA.dv-
xeç E'IÇ âyyeiov KaxaacppayiadaOcoaav xqi xe xcov a x p a -
44. xqycûv Kai vopocpu.VdKCùv acppayiôi, ôpoicoç ôè Kai XTJ I

§ 10 xou lepécoç, Kai èdxcoaav péveiv ev xcoi lepcoi à p a ôè xru q-


pépai ô ypappaxeùç xou Geou npoaevéyKaç xô âyyeiov Kai e-
ntÔEi^aç xoîç npoEipqpévoiç xàç acppayiôaç àvoiÇdxco Kai è-
48. [K] XT)Ç àvaypacpqç àyaKaXcov eKdoxotç àTroôtôdxco xa 7iivd-

§11 [Kia xoù]ç xpn^PQÙç


b-c. [acre] [—o'i ôè p a p ô o u ] -
§12 x ° l TipovoEioOcooav xqç eÙKOopiaç ■ oxay ôè q(i) evvfopoç EKK>.q]-
5Z a i a ev xcoi Acppoôuncovt pqv{, rcdvxcov npcoxov oi èÇexaaxai ôpKt[Çèxco]-
o~av evavxiov xou ôfjpou xoùç npoetpqpévouç dvôpaç xo[v ÙTXO]-
59

yeypappévov ôpKov dpvuco Aia 'AKpatov Kai xôv 'A7td>i>,co[va]


xôv Kopo7raïov Kai xqv "Apxeptv xqv 'IcoÀ.Kiav Kai xôv xoùç àk[Xov]q Ge-
56. oùç 7tdvxaç Kai ndrjaç e7iixexeÀ.eKévai EKaaxa KaGd[7iep] ev
xcoi vj/qcpiapaxi ôiacracpeixai xcoi KeKupcopévcoi rcepi xou [pa]vxei-
§ 13 ou ècp' lepécoç Kpivcovoç xou riappevicovoç Kai eàv ôpdg[co]o~iv, ëaxco-
a a v àGcoioi eàv ôé xiç prj d p d a q i , ÙKOÔIKOÇ éo-[xco] xoîç 'eÇe(xao-)-
60. xaiç Kai à k X m xcoi PouÀ.opévcoi xcov 7toA.ixcov [xou rcepi] xouxou à -
ôtKqpaxoç • Kai eàv oi e£,exarjxai Ôè pq 7toiq[acorjiv] xi xcov jtpoye-
ypappévcov, Ù7ieuGuvoi éoxcoaav xoîç pex[à x]auxa eÇexaa-
§ 14 xaiç Kai àÀ.X.coi xcoi PouXopévcoi. ï v a ôè EKixe[X.]qxai ôià rtavxôç

64. xà ôeÔoypéva, ôtaîxapaôiôdvat XOÔE xô ij/qcpiapa xoùç <ÔE> Ka-


x' Eviauxôv aipoupévouç axpaxqyoùç Kai vopocpu>.aKaç xoîç
pExà xauxa KaxaaxaGqaopévoiç dpx[o]uaiv. àvaypacpqvat ôè
Kai xou lyqcpiapaxoç xô àvxiypacpov EIÇ [Ki]pva À.i6ivqv yEvopé-
68. vqç xqç èyôdaEcoç ôià xcov XEIXOTC[OICO]V, qv Kai àvaxeGqvai

èv xcoi iepcoi xou AnoXÀ-covoç xou [K]opoTta(ou. vacat

§15 IL iepécoç Kpivcovoç xou nappevuovoç, pqvôç 'Apxetpimcovoç ÔEKaxqi,


Kpivcov Tlappevicovoç Opo?a£[ùç] ô iepeùç xou Aiôç xou AKpaiou Kai
12. Atovuadôcopoç Eùcppaiou A'IO^E[ÙÇ] ô KOIVOÇ rjxpaxqyôç Kai oi axpaxq-
§ 16 yoi Kai oi vopocpùÀ.aKEç Etnay ënei xà ùndpxovxa ôévôpa èv xcoi i e -
pcoi xou 'A7idXXcovoç xou Ko(p)o7iaiou e i a i v KaxecpOappéva, Û7toÀ.ap-
pdvopev ôè âvayKai[ov] eivai Kai crupcpépov yevéaGai xivà ne-
76. pi xouxcov eTtioxpocpqv, [coaxe] guyauÇqGévxoç xou xepévou è-
§17 Tticpaveaxépav yivfeorGai rqv xou xo7i]ou peya^opépeiav ôiô Kai ôe-
ôdxGai xqt PouXqt K[ai xcoi ôrjpcoi, xôv K]aOeaxapévov vecoKopeiv
noieiv aupcpavèç [rcamv xoîç àei 7tap]ayiyvopévoiç EIÇ xô (tEpôv xô)
pqGEvi
80. èÇetvai xcov 7ioX.[ixcov pqôè xcov ëv]oiKouvxcov pqôè xcov èvôq-
poùvxcov Çévco[v ôévôpa KOTtxeiv EV XCOI] ôtaaacpoupév(coi) XOTTCOI pqôè KO-
60

§ 18 Xoueiv ôpoico[ç ôè Kai pq eio-pdÀAeiv Gp]ëppaxa vopqç ëveKev pqôè


§ 19 axpdo-Ecoç Et ô[è pq, ànoxiveiv xq]i noXei ô p a x p à ç [P], xcoi ôè npo-
84. oayyei>u_t[vxi ôiôoaGai xou eia7ipaxGé]vxoç xô qptau Ttapaxpqpa n a p à
§20 xcov xapi[cov è à v ôè ôouXoç qt, pacîxiyo]uoGat ùitô xcov axpaxryycov Kai

vo-
§ 21 pocpu.\.dK[cùv ÈJii xqç àyopaç 7tA.q]yàç EKaxdv, xou ôè Gpëppaxoç a7toxt-

§22 VEIV EKa[axou dpoÀ.dv • TtoiEirjG]ai ôè xàç TtpoaayyeXiac xouxcov Ttpôç xoù[ç]

§23 88. ôiaaacpo[upévouç àpxovxaç- à]yaypacpqvai ôè Kai xou \j.qcp{rjpaxoç xô à v -


xiypacp[ov èv xcoi iepcoi xou ATtdÀ]À,covoç, ô Kai TtpoxeQqvai Ttpô xqç

eio~dôo[u]
xou vecù[Koptou, yevopévqç ëy]ôdcrecoç ùrcô xcov xeixonoicov, OTXCOÇ 7ta-
[pa]KO^[ou6coai oi 7tapayivdpevo]i ndvxeç xà ôeôoypéva. Ôtanapaôiôda-
9Z [G]co [ôè xô n/qcpiapa xdôe Kai xoîç] aipeGqaopévoiç pexà xauxa
axpaxqyoïç
[<axpaxTiYoiç> Kai vopocpu]>»a£,iv vopoGeaiaç xdcl,iv éxov. ëôoÇev
[rqi PouÀqi] vacat Kai xqi eKKAqaiai.

L. 25 : À partir de l'édition de I. de Prott et L. Ziehen, les éditeurs s'accordèrent pour


corriger cette ligne en y introduisant une négation, (pq) vecoxépouç ëxcov xpidKovxa,
arguant du fait que les limites d'âge appliquées à certaines magistratures sont
habituellement des limites inférieures, gages, selon Platon, Lois, 917 c, de sagesse et de
discernement. Or, la correction apparaît ici inutile car, comme l'a dit G. Daux, les trois
rabdouques auxquels s'applique cette prescription n'avaient nullement pour mandat de
prendre une sanction quelconque contre les aKorjpouvxoi, auquel cas il aurait été
nécessaire d'avoir des hommes au jugement aguerri. Leur tâche en est plutôt une de
maintien de l'ordre, de police préventive, et « il est naturel que ces fonctions de police
soient confiées à des hommes jeunes. » Voir son article paru dans le BCH 83 (1959),
p. 287 et n. 5. Avant lui, A. Wilhelm souleva aussi cet argument dans Hermes 44 (1909),
p. 51, mais acceptait cependant l'ajout du pq. K. Brodersen, W. Gùnther et H. H. Schmitt
ne semblent pas avoir pris connaissance de cette réflexion dans leur récente traduction
61

des deux décrets, transcrivant cette ligne par :« drei Manner, <nicht> jiinger als drei&ig
Jahre » (p. 126).
L. 28 : Ma révision de la pierre confirme celle de Chr. Habicht, dans Demetrias V,
p. 270, n. 7, qui a vu ôpaKpqv d là où les éditeurs précédents lisaient ôpaKpq p(()a.

L. 50 : Les lettres a a e , jadis visibles, sont maintenant effacées. Les deux pierres ont
d'ailleurs particulièrement souffert à la hauteur de la cassure, comme l'indiquent les
lettres pointées des lignes 48 à 51.
L. 89 : Restitution de G. Daux, BCH 83 (1959), p. 285.

3. Traduction française inédite.


§ 1 L(a) Sous la prêtrise de Krinôn fils de Parménion, le 10 du mois d'Aréos; le prêtre de
Zeus Akraios Krinôn fils de Parménion d'Homolion, le stratège des Magnètes
Dionysodôros fils d'Euphraios d'Aiolis, les stratèges Aitôliôn fils de Démétrios de
Pagasitè, Kléogénès fils d'Amyntas d'Halos, Menés fils d'Hippias d'Aiolis, les
nomophylaques Ménélaos fils de Philippos d'Iôlkos, Ainias fils de Nikasiboulos,
Alexandres fils de Méniskos de Spalauthris 137 et Ménandros fils de Nikias de Koropè 138
ont proposé que :
§ 2. attendu que notre cité est aussi pieusement disposée envers ses autres dieux, et
envers Apollon de Koropè non moins que le reste, et qu'honorant avec une estime très

137
M. Holleaux, Études I, p. 254, notait que « tous les décrets de Démétrias parvenus jusqu'à nous
ont été votés non pas sur la proposition de simples particuliers, mais sur l'initiative des principaux
magistrats de la cité, à savoir le prêtre de Zeus Akraios, le stratège en chef, identique au stratège
fédéral (mais voir infra, p. 62, n. 139), et les stratèges et nomophylaques constitués en synarchia. »
Ces deux derniers collèges, composés de trois magistrats chacun, exerçaient les fonctions
principales à Démétrias. Voir à ce sujet J. Pouilloux et N. M. Verdélis, « Deux inscriptions de
Démétrias », p. 37; B. Helly, « Décrets de Démétrias », p. 557. Le rôle des nomophylaques était de
veiller à la légalité des propositions faites à l'Assemblée et à l'observance des lois. Ils avaient
donc un pouvoir législatif et judiciaire.
1.-8
Voir M. B. Hatzopoulos, Macedonian Institutions Under the Kings, tome I, A Historical and
Epigraphical Study, p. 155 et 157 : l'auteur rapproche la constitution de Démétrias de celle de
Cassandrée, où les stratèges et les nomophylaques auraient formé des collèges d'au moins trois
membres, et probablement pas plus, selon un fragment d'inscription cité en p. 157, n. 1. Ce fait
vient corroborer les dires de J. Pouilloux et N. M. Verdélis, « Deux inscriptions de Démétrias »,
p. 37-38, qui affirmaient, suivant G. Kip, Thessalische Studien, p. 98-99, que, dans l'inscription de
Koropè, 1. 7, Ménandre fils de Nikias de Koropè ne devait pas être considéré comme
nomophylaque au côté des trois membres de ce collège nommés avant lui, puisque son propre nom
en est séparé par un Kai. La même conjonction est en outre utilisée pour introduire chaque groupe
de magistrats.
62

manifeste le dieu pour ses bienfaits, révélant à travers son oracle en commun et à chacun
en particulier à propos des choses concernant la santé et le salut;
§3 il est juste et bon, l'oracle étant ancien et honoré de préférence par les ancêtres, et
aussi depuis que des étrangers surviennent plus nombreux au sanctuaire oraculaire, qu'il
soit fait en sorte que dorénavant notre cité prenne un plus grand soin des choses relatives
au bon ordre de l'oracle.
§ 4. Plaise au Conseil et au Peuple, lorsque l'oracle est accompli, que marchent le
prêtre d'Apollon nommé par la cité, et parmi les stratèges et les nomophylaques un de
chacune des deux magistratures, un prytane, un trésorier, le secrétaire du dieu et le
prophète. Si un des susnommés est malade ou à l'étranger, qu'il en envoie un autre à sa
place.
§ 5. Que les stratèges et les nomophylaques engagent aussi des rabdouques parmi les
citoyens, trois hommes plus jeunes que 30 ans, lesquels auront le pouvoir de réprimer ce
qui cause le désordre. Que soit donné aux rabdouques un approvisionnement de deux
jours à partir de l'argent collecté, à raison d'une drachme par jour. Si, en pleine

139
Les documents épigraphiques de Démétrias désignent l'Assemblée poliade tantôt par ÔTJUOÇ,
tantôt par EKKÀ-ncna, et ce parfois dans la même inscription, comme c'est le cas pour
IG V 2, 367 II (1. 14 et 26), mais aussi pour la présente inscription (1. 17, 51, 78 et 94). Ce fait
contribue à la confusion dans l'attribution des inscriptions de Démétrias, soit à la cité, soit au
koinon. Ainsi, dans les inscriptions, le terme èiacÀr)cria semble parfois désigner à la fois
l'Assemblée fédérale et celle de la polis. Selon D. G. Martin, Greek Leagues I, P 91-93, les
Magnètes auraient eu deux assemblées fédérales. La première, le synédrion, représentait
éventuellement les cités membres de la ligue. Les propositions acceptées par les synèdres devaient
ensuite être approuvées et ratifiées, dans la majorité des cas, par la seconde assemblée, toujours
appelée ekklésia, avant d'être effectives pour l'ensemble de la Confédération. Ainsi, plusieurs
inscriptions fédérales se terminent par la formule ëSoÇev TOIÇ ouvéôpoiç, ëSoÇev Kai trn
EKKÀnaica, parfois abrégée par ëôoÇev • ëôoÇev Kai n u EKK^naïai. Voir IG V 2, 367
(1. 22-23), IG IX 2, 1101 (1. 7-8), 1103 (1. 34), 1105 (1. 4), 1106 (1. 12) et SEG XXIII, 447 (1. 32).
Certains décrets de la cité se concluent aussi de cette dernière façon. D. Knoepfler,
« Contribution », p. 478, n. 24, abordant brièvement l'ambiguïté dans la désignation de
l'Assemblée de Démétrias, précise que M. Holleaux, dans un mémoire inédit sur la Confédération
magnète, pensait « que l'on n'avait affaire qu'à une seule et même ekklésia, celle de Démétrias. »
Bien qu'une distinction formelle des deux assemblées soit maintenant incontestable, l'auteur
ajoute qu'« il paraît légitime de se demander si, dans la pratique, la distinction était bien réelle,
d'où peut-être le flottement que l'on observe dans la désignation de l'Assemblée municipale. » Sur
les relations entre l'État fédéral et sa capitale, voir aussi D. G. Martin, Greek Leagues I,
p. 102-111; p. 102 : il y avait probablement un atelier de frappe pour la monnaie du koinon à
Démétrias, et la ville de Démétrias fournissait elle-même la majorité des magistrats fédéraux. Sans
doute est-ce attribuable à l'étalement de son territoire sur l'ensemble de la péninsule de Magnésie.
L'auteur fait aussi remarquer, p. 103, n. 81, que parmi les inscriptions IG IX 2, 1100 à 1114,
publiées par O. Kern en tant que décréta Magnetum, la plupart sont en fait des décrets de la cité.
Voir aussi infra, p. 65, n. 141.
63

connaissance de cause, un des (hommes) ayant été engagés n'est pas présent, qu'il paie à
la cité 50 drachmes, (après que) les stratèges et nomophylaques l'aient rayé de la liste
(des rabdouques).
§ 6. Lorsque ceux étant enjoints (d'être présents) arriveront au sanctuaire oraculaire,
qu'ils auront accompli le sacrifice selon les lois ancestrales et qu'ils auront obtenu un bon
présage, qu'aussitôt le secrétaire du dieu reçoive les requêtes de ceux voulant consulter
l'oracle et, ayant inscrit tous les noms sur un tableau blanc à ce moment, qu'il expose le
tableau devant le temple et qu'il introduise chacun comme il convient en appelant à haute
voix selon l'ordre de l'enregistrement, à moins que ne soit accordé à certains d'entrer les
premiers.
§ 7. Si celui qui a été appelé n'est pas présent, qu'il introduise le suivant immédiat,
jusqu'à ce que l'appelé survienne.
§ 8. Que les susnommés soient assis avec ordre dans le sanctuaire, dans des vêtements
brillants de blancheur, ceints d'une couronne de laurier, en étant purs et sobres et en
recevant les tablettes de la part des consultants de l'oracle.
§ 9. Lorsque l'oracle est accompli, déposant dans un vase (les tablettes), qu'elles
soient scellées par le sceau des stratèges et nomophylaques, de même que par celui du
prêtre, et qu'elles reposent dans le sanctuaire.
§ 10. Au point du jour, que le secrétaire du dieu, ayant apporté le vase et ayant exhibé
les sceaux aux magistrats cités, brise (les sceaux) et rende les tablettes à chacun en les
appelant à partir de la liste....
§ 11. (b/c) les réponses de l'oracle que les rabdouques veillent au bon ordre.
§ 12. Lorsque l'Assemblée légale aura lieu au mois d'Aphrodisiôn, qu'avant toutes
choses les exétastes fassent jurer devant le peuple, aux hommes susdits, le serment
suivant : je jure par Zeus Akraios, par Apollon Koropaios, par Artémis Iôlkios et par tous
les autres dieux et déesses d'accomplir chaque chose telle qu'expliquée clairement dans
le (présent) décret sanctionnant ce qui concerne l'oracle devant le prêtre Krinôn fils de
Parménion.
§ 13. S'ils prêtent serment, qu'ils soient impunis. Si quelqu'un ne prête pas serment,
qu'il soit accusé par les exétastes et par un autre qui le souhaite parmi les citoyens, en
raison de cette faute. Et si les exétastes ne font pas une des choses prescrites, qu'ils soient
64

soumis à une reddition de comptes devant les exétastes suivants et à un autre qui le
souhaite.
§ 14. Afin que soient accomplies par tous les (présentes) résolutions, que les stratèges et
nomophylaques choisis pour une année transmettent ce décret-ci aux magistrats qui
seront institués après eux; qu'une copie de ce décret soit inscrite sur une colonne de
pierre exposée par les teichopoioi, et qu'elle soit élevée dans le sanctuaire d'Apollon de
Koropè.

§15.11. Sous la prêtrise de Krinôn fils de Parménion, le 10 du mois d'Artémisiôn. Le


prêtre de Zeus Akraios Krinôn fils de Parménion d'Homolion, le stratège du koinon
Dionysodôros fils d'Euphraios d'Aiolis, les stratèges et les nomophylaques ont proposé
que :
§ 16. attendu que les arbres dont dispose le sanctuaire d'Apollon de Koropè sont dans
un état déplorable, nous sommes d'avis qu'il est nécessaire et qu'il est devenu utile que
ces choses-là méritent notre attention, afin que, le temenos ayant été agrandi, la grandeur
du lieu soit des plus manifestes;
§ 17. en raison de quoi, plaise au Conseil et au Peuple, que le néôcore désigné rende
manifeste à tous ceux qui viennent à leur tour dans le sanctuaire le fait qu'il n'est permis
à aucun des citoyens, ni des habitants, ni des étrangers séjournant dans le pays, d'abattre
des arbres dans le lieu clairement désigné, ni de les ébrancher;
§ 18. de même, ne pas introduire d'animaux pour paître, ni pour s'y tenir;
§ 19. si non, qu'il paie à la cité 50 drachmes, que soit donnée au dénonciateur la moitié
de ce qui a été réclamé sur-le-champ par les trésoriers;
§ 20. s'il s'agit d'un esclave, qu'il soit fouetté de cent coups sur l'agora, sur ordre des
stratèges et nomophylaques, et qu'il paie une obole pour chaque animal;
§21. que les dénonciations de ces choses soient faites devant les magistrats clairement
désignés.
§22. Qu'une copie de ce décret soit transcrite dans le sanctuaire d'Apollon, et qu'elle
soit placée devant l'entrée du néôcorion, ayant été exposée par les teichopoioi, afin que
tous ceux qui surviennent suivent de près ces décisions. Que soit aussi transmis ce
65

décret-ci aux stratèges et nomophylaques qui seront choisis après ceux-là, comme ayant
valeur de loi. Il a plu au Conseil et à l'Assemblée.

C. Apollon Koropaios ou de la vitalité d'un sanctuaire oraculaire hellénistique.


En promulguant ces décrets, vers 116 a.C, les Démétriens avaient un objectif
précis qui est perceptible à la lecture du document. Commentant l'inscription en 1948,
L. Robert avait exprimé ce qu'il considérait être la véritable portée de ces textes. Il ne
s'attachait cependant qu'à leur valeur intrinsèque, analysée au demeurant avec justesse,
mais dans le cadre restreint et événementiel de leur objectif direct.140 Pour la cité de
Démétrias, il s'agissait de discipliner la fréquentation de son sanctuaire oraculaire en
établissant ou en rappelant à tous les règles en vigueur pour y conserver le bon ordre,
Yeukosmia. Ainsi les propositions des hauts magistrats ne s'intéressaient nullement à la
question du culte en tant que tel, mais avaient plutôt pour but de préserver la dignité
sacrée et ancestrale du lieu prophétique apollinien, et ce, dans un contexte d'affluence
accrue de pèlerins.

1. Un achalandage nouveau.
Les mesures prises par les Démétriens, à la suite d'une proposition commune de
hauts magistrats, à savoir le prêtre de Zeus Akraios, le stratège des Magnètes, les
stratèges municipaux et les nomophylaques, accompagnés d'un délégué local de Koropè,
étaient rendues nécessaires par une augmentation du nombre de consultants.141 Cette

140
L. Robert, « Apollon Koropaios », p. 16 à 28.
141
La présence du stratège des Magnètes, proposant le décret en commun avec les principaux
magistrats civils, montre bien l'étroite et complexe relation qui existait entre Démétrias et le
koinon. Au sein de la Confédération magnète, la cité démétrienne occupait une place centrale et
prépondérante en tant que centre décisionnel poliade, bien sûr, mais elle abritait aussi les organes
du pouvoir fédéral. Comme c'était le cas pour Chalcis et la Confédération eubéenne qui offre ici le
seul parallèle connu, les décrets fédéraux et municipaux étaient pratiquement tous érigés dans la
principale cité du koinon, Démétrias, et cohabitaient parfois sur la même pierre. Voir à ce sujet
D. Knoepfler, «Contributions», p. 4 8 1 : l'auteur rapproche cette relation particulière de
promiscuité politique entre les constitutions de Démétrias et du koinon des Magnètes avec celle de
la Confédération eubéenne, dans laquelle la cité de Chalcis, autre « entrave » de la Grèce, occupait
une place tout aussi centrale et prépondérante. D. Knoepfer note « qu'il n'est point surprenant
d'observer des traits communs dans les institutions de ces deux Etats fédéraux nés au même
moment». Voir ibid., p. 479-481. Deux exemples de la cohabitation de décrets fédéral et
municipal sur une même pierre : SEG XXXII, 613 {BCH 74 (1950), p. 41) et IG IX 2, 1105, où le
décret no. 2 est « clairement fédéral ». J. Pouilloux et N. M. Verdélis firent d'ailleurs remarquer,
dans leur article sur « Deux inscriptions de Démétrias », p. 37, que « la constitution de Démétrias
66

vitalité du manteion koropéen est bien mise en évidence dans l'introduction de la formule
hortative (§ 3), où il est précisé, que « des étrangers surviennent plus nombreux au
sanctuaire oraculaire ».

Les deux inscriptions demeurent pourtant avares de détails sur l'origine de ces
étrangers. Tandis que le premier décret ne mentionne que les Çévoi (1. 15), le second,
concernant la protection du bosquet sacré du sanctuaire, parle des étrangers séjournant
dans le pays, TCOV evôqpouvicov Çévco[v] (1.80-81). Or, la cité, fondée par le Poliorcète
à la confluence de carrefours terrestres et maritimes, était, dès sa création, un lieu de
passage pour maints étrangers. 142 Plusieurs inscriptions de la polis des Magnètes, tels les
décrets honorant des juges étrangers mentionnés plus haut, illustrent la forte présence de
cjévoi en sol démétrien.

L'épigraphie de Démétrias est également célèbre pour son grand nombre de stèles
funéraires, magnifiquement peintes et conservées au musée de Volos. Ces quelque 600
stèles, provenant essentiellement de la nécropole sud de la cité, témoignent du caractère
cosmopolite de Démétrias. Environ 40 % d'entre elles révèlent des ethniques étrangers,
ce qui a conduit B. Helly à affirmer que ceux-ci étaient « presque sur-représentés » dans
cette ville au grand port international. Un décret du koinon thessalien, concernant une
réquisition de blé faite par un particulier romain et daté entre 145 et 130, permit au même
auteur d'apporter une piste quant à la provenance de ces étrangers. S'adressant à un
é vergeté romain ayant déjà, par le passé, apporté ses bienfaits aux Thessaliens, le décret

n'a été distinguée qu'assez tard de celle du koinon des Magnètes », mais que l'« on s'accorde
pourtant à reconnaître à la cité une constitution nettement séparée. » Pour plus de détail sur le rôle
des magistrats fédéraux magnètes, voir D. G. Martin, Greek Leagues I, p. 85-90. Tous ces
magistrats sont mentionnés dans IG IX 2, 1103 et comprennent le stratège, éponyme et premier
officier du koinon, Vhipparque et le navarque, les trésoriers formant un collège de tamiai et le
secrétaire du Synédrion (ô ypauuatEÙç TCOV cruvéôpa. v).
u: Voir supra, p. 48.
143
Sur ces stèles funéraires, voir B. Helly, « Les Italiens en Thessalie », Les « bourgeoisies »
municipales italiennes aux I f et f siècle av. J.-C, p. 361. La datation de ces stèles couvre la
période allant de la fondation de Démétrias aux guerres mithridatiques. De façon plus générale,
consulter la contribution de Chr. Wolters à la table ronde sur La Thessalie, actes, « Recherches sur
les stèles funéraires hellénistiques de Thessalie », p. 81-110, de même que celle de V. von Graeve,
« Zum Zeugniswert der bemalten Grabstelen von Demetrias fur die griechische Malerei »,
p. 111-138.
67

indique qu'il serait demandé à ce Romain, un certain Quinctus Caecilius Metellus, d'agir
pour eux en tant qu'armateur, puisque les Thessaliens ne possédaient apparemment aucun
bateau dans les ports de Démétrias, de Thèbes de Phthiotide et de Phalarna, sur le golfe
lamiaque. Dans le cas d'un refus de Metellus, ils devraient traiter avec les armateurs
présents sur place, à savoir les Orientaux et les autres Grecs résidant dans ces cités
portuaires offrant aux Thessaliens un débouché maritime.1

D'ailleurs, maintes épitaphes mentionnent des noms sémitiques et des ethniques


phéniciens, dont quelques ïZiXXiç, qui de Sidon, qui d'Ascalon, trépassèrent dans la
grande cité des Magnètes.145 Outre les nombreux Phéniciens, ces inscriptions révèlent,
entre autres, la présence de Macédoniens, de même que de quelques Épirotes et
Péloponnésiens. Bien que le statut exact des étrangers résidant à Démétrias ne soit pas
connu, leur présence n'en est pas moins largement attestée. L'importante activité
portuaire et commerciale de la cité avait pour inévitable corollaire le passage sur son sol
d'une foule d'étrangers qui, marchands, artisans ou simples voyageurs, participaient par
leur séjour au cosmopolitisme de l'ancienne cité macédonienne. L'aspect militaire de la
cité attira aussi en ses murs plusieurs mercenaires venus de tout le monde grec.

144
Voir B. Helly, « Italiens en Thessalie », p. 361. Sur ce décret, présenté pour la première fois par
C. Gallis au 2 e Congrès des études thessaliennes à Larissa, en septembre 1980, voir p. 356.
L'auteur affirme encore que ces armateurs n'étaient certainement pas Italiens, ni Occidentaux.
Pour Démétrias du moins, un seul décret fait mention d'un Romain, honoré dans IG IX 2, 1105,
tandis que les stèles funéraires, muettes quant aux Prouatoi, ne mentionnent que trois ou quatre
Occidentaux dont un, possédant un nom illyrien, porte vraisemblablement l'ethnique de la cité
d'Hyria, ville d'Apulie ou de Campanie. B. Helly en conclut que les armateurs italiens ne devaient
donc avoir aucune installation à Démétrias, puisqu'ils auraient eux-mêmes reçu la demande des
Thessaliens pour le transport de leur blé. Ainsi, malgré tout l'intérêt militaire et politique que
revêtait encore la cité pour la présence romaine en Egée, « les grands commerçants italiens, si bien
installés à Délos, n'étaient probablement pas ou presque pas présents à Démétrias ». Ibid., p. 361,
de même que n. 57 : le trafic maritime des ports de la côte égéenne devait être davantage tourné
vers l'Orient puisque, partant de Démétrias, le contoumement de l'entière péninsule hellénique
était nécessaire pour tout navire faisant voile vers l'Italie.
14S
À ce sujet, voir O. Masson, « Recherches sur les Phéniciens dans le monde hellénistique »,
BCH 93 (1969), p. 682-686. L'auteur recense trois Sidoniens du nom de Sillis décédés au IIIe
siècle, de même qu'un quatrième individu portant ce nom, originaire d'Ascalon, décédé vers 250-
225. L'ethnique d'Ascalon se retrouve sur cinq autres stèles funéraires démétriennes et est aussi
assez répandu à Délos (voir p. 686, n. 2, pour les références), autre centre portuaire et plaque
tournante du commerce égéen.
P. M. Fraser, « Citizens, Demesmen and Metics in Athens and Elsewhere », Sources for Ancient
Greek City-State, Symposium August 24-27 1994, Acts of the Copenhagen Polis Center, volume 2,
p. 80. Pour d'autres exemples et une analyse plus détaillée d'épitaphes de Phéniciens à Démétrias,
voir O. Masson, « Phéniciens », p. 687-699.
68

M. Launey identifia, sur les 216 épitaphes de la cité connues de lui, 57 individus « qui ont
147

pu faire partie de la garnison macédonienne. » Parmi ceux-ci s'en trouvaient dix


originaires des îles, sept des Balkans et autant de Grèce continentale, six provenant
d'Asie Mineure, six autres de Macédoine et deux d'Afrique.

Ville cosmopolite, Démétrias attirait maints étrangers de tout le monde grec par sa
position portuaire particulière. Plusieurs Çévoi ont pu profiter de leur passage coïncidant
avec les consultations de l'oracle d'Apollon Koropaios pour s'enquérir de l'avis du dieu.
Voyant la délégation des sept magistrats de Démétrias qui, suivie d'autres pèlerins,
entamait sa marche vers le sanctuaire, ils pouvaient alors s'inclure dans la procession.
Des marchands ou autres négociants venus d'Asie Mineure pouvaient, par exemple,
rechercher auprès du dieu l'assurance qu'ils reviendraient sains et saufs dans leur patrie,
esquivant les fortunes de mer, ou encore interroger Apollon sur toute autre question
concernant la santé et le salut, 7tepi 7tpôç ùyietafv] Kai acoxqptav (1. 12-13).148 La
foule de consultants attirait certainement à son tour un groupe de petits artisans et

147
À ce sujet et sur ce qui suit, voir M. Launey, Recherches sur les armées hellénistiques, p. 79-80.
L'italique est de l'auteur, qui note par ailleurs que la prudence s'impose face à sa liste. En effet, il
semble recenser l'ensemble des étrangers connus par les stèles funéraires de Démétrias en 1949, à
l'exclusion des Phéniciens qui, affirme-t-il, « n'ont jamais été de très bons soldats, mais toujours
d'excellents négociants. » En fait, seuls quatre individus, deux Magnètes et deux Cretois, furent
assurément soldats, ce qui n'empêche pas l'auteur d'inclure dans sa liste l'ensemble des noms, à
l'exception des Phéniciens, « avec la marque du doute. »
À Dodone, une tablette de plomb témoigne d'une consultation d'un commerçant, Timodamos, un
Dorien provenant peut-être des cités d'Ambracie ou de Corinthe. Voir à ce sujet F. Salviat,
« Timodamos et son Gaulos. Oracles et marchands à Dodone », L'Illyrie méridionale et l'Épire
dans l'Antiquité IL Actes du colloque de Clermont-Ferrand (25-27 octobre 1990), p. 61-64. Il
serait allé à l'oracle de Dodone en suivant une voie commerciale terrestre ou maritime Nord-Sud,
traversant l'Épire ou longeant sa côte. La tablette, datée du IVe siècle, montre que ce commerçant
interrogea Zeus dodonéen afin « d'obtenir avec plus de sécurité les profits du commerce » (p. 63).
Sur la lamelle de plomb est inscrite la question, mais aussi, fait plus rare, la réponse du dieu à
l'endos : « Ô Zeus, conseille Timodamos : faire commerce sur terre et sur mer en engageant son
argent, aussi longtemps qu'il le voudra, est-ce là le meilleur? » Et le maître des Olympiens de
répondre : « Habiter la ville; y tenir boutique; y faire commerce; et céder ta part du gaulos »
(Traduction de l'auteur, p. 63). En conclusion, p. 64, F. Salviat présente une autre tablette
témoignant encore une fois de ce que pouvait être l'anxiété d'un armateur, qui consultait l'oracle
de Dodone au IIIe siècle : après avoir construit un navire, un certain Archéphon, encore un Dorien,
souhaite en faire le meilleur usage possible, « espère en son salut et voudrait rembourser ses
dettes, avec l'aide des dieux », Kai acorripia noi ëaaexai Kai euiv Kai t a t vdi, aï Ka ;
Kai l à xpéct â.iu>ô(û>)c.(ù ; de telles questions, concernant la santé financière de commerçants et
la sécurité d'entreprises marchandes qu'ils désiraient salutaires, devaient certainement être posées
à l'oracle d'Apollon Koropaios.
69

commerçants, locaux ou provenant des régions avoisinantes et d'autres cités magnètes, et


désireux de profiter de cet achalandage de l'oracle pour vendre leurs produits.

Mais le lieu prophétique de Koropè ne devait certes pas sa popularité au seul


hasard de la présence d'étrangers lors de ses consultations, qui devaient d'ailleurs se tenir
à une date annuelle fixe. Car, l'inscription référant implicitement à une époque antérieure
où leur nombre était moindre, ceux-ci survenaient maintenant plus nombreux,
napayivopévcov ôè Kaî Çévcov 7tÀetôvcov (1. 14). La fréquentation de l'oracle par des
allochtones était chose banale en soi, vu l'importante population flottante de Démétrias.
Seulement, vers 116 a.C, l'augmentation de ce type de consultants nécessita une
réorganisation logistique du lieu. Il est alors possible de supposer qu'au flot normal de
consultants étrangers étaient venus s'ajouter, peu à peu, des xénoi venus des cités et des
régions limitrophes, au rythme où s'étendait la popularité des bienfaits de ce dieu
oraculaire (1. 12-13).

2. Une adaptation nécessaire.


Devant cette affluence nouvelle d'étrangers qui venait augmenter le nombre de
Démétriens et de gens de passage fréquentant déjà l'oracle d'Apollon à Koropè, la cité de
Démétrias prit donc des mesures afin de rétablir l'ordre troublé du sanctuaire. Car la
vitalité de l'oracle apollinien était devenue source de désordres indignes de l'ancestral
manteion (1. 14), en même temps qu'elle mettait en lumière un certain laxisme des
magistrats dans l'exécution de leurs devoirs lors des consultations, ou encore la nécessité
d'encadrer les consultations par l'autorité de magistrats aux responsabilités claires.149 Le
flux nouveau d'étrangers incita les autorités de la cité à prendre « un plus grand soin des
choses relatives au bon ordre de l'oracle» (1. 16-17), afin de s'adapter à la popularité
d'Apollon de Koropè.

149
L. Robert, «Apollon Koropaios», p. 19, notait que les décrets réformaient ou remettaient en
vigueur certains détails. Le commentaire qui suit est par ailleurs inévitablement redevable, pour
l'essentiel, à celui présenté par le prolifique épigraphiste français. Il s'agit sans contredit de
l'analyse interne la plus détaillée de ces décrets de Koropè, et la justesse et la rigueur
interprétative de l'auteur semblent avoir clos tout débat concernant ces textes, nul moderne
n'ayant jugé utile d'en réviser l'interprétation. Aussi le présent commentaire n'aura pas de telles
prétentions.
70

La première mesure évoquée par le décret I (§ 4) est de rendre obligatoire la


présence de sept magistrats, soit le prêtre d'Apollon, nommé par la cité, le prophète et le
secrétaire du dieu, de même qu'un représentant de chacun des collèges de stratèges, de
nomophylaques, de prytanes et de trésoriers. Ces sept magistrats étaient tenus de prendre
part à la procession (nopeuecrGai, 1. 19) qui partait de Démétrias pour se rendre à
l'oracle de Koropè, sans doute suivie d'un cortège de pèlerins à la recherche de l'avis
d'Apollon. Pour tous, la route était longue entre la cité et son dème koropéen, et les
quelque 22 kilomètres à parcourir impliquaient au moins une longue marche pour une
partie de la matinée. La promenade devait s'achever avant que le soleil ne fût à son
zénith, ce qui était sans aucun doute un objectif visé par les pèlerins. Les interrogations
oraculaires ne pouvaient cependant débuter immédiatement : les magistrats devaient
d'abord effectuer un sacrifice propitiatoire, et les pèlerins devaient s'enregistrer, un à un,
auprès du secrétaire du dieu. Les cérémonies consultatives risquaient donc de ne
commencer qu'en après-midi, et éventuellement de s'étaler sur plus d'une journée.

À une date antérieure, ce fait a certainement été une cause d'absentéisme de


certains magistrats qui pouvaient être tentés de se déclarer malades ou à
l'étranger (1. 21-22). Cependant, peu après 116, la foule de consultants était devenue telle
qu'un manquement de la sorte avait de sérieuses conséquences sur Yeukosmia lors des
cérémonies oraculaires, et les sept magistrats prescrits devaient, sans excuse, se rendre à
Koropè afin de représenter l'autorité de la cité. Le magistrat dans l'impossibilité de
participer aux cérémonies était tenu de déléguer un remplaçant (1. 23).

Une fois arrivés au lieu de mantique (§ 6), ces représentants de Démétrias avaient
pour tâche première d'accomplir le sacrifice Kaxà t a rcdxpia (1. 32), selon les lois
ancestrales, et d'y rechercher les présages favorables indiquant la propitiation d'Apollon
à l'égard de l'entreprise oraculaire à venir.151 Avaient lieu ensuite les consultations

L. Robert, ibid., p. 22, évaluait la distance à 35 kilomètres. Il revit ultérieurement à la baisse son
estimation, dans le Bulletin épigraphique de 1965, p. 119, no. 225, suivant les observations de
N. D. Papahadjis, « H Kopo7tr| Kai xô iepô TOO 'AnoXXava », qui présentait plutôt le chiffre
de 22 kilomètres.
Voir supra, p. 15-16 et n. 30. Dans l'éventualité où le signe recherché dans les entrailles de la
victime était absent, et donc que le sacrifice mantique s'avérait défavorable, le prêtre devait
71

proprement dites. Avant les mesures prises par la cité pour en resserrer l'encadrement, et
depuis la popularité nouvelle de l'oracle, l'interrogation du dieu se faisait de façon
désordonnée. À cette étape, l'après-midi devait être déjà avancée. Des pèlerins pouvaient
faire montre d'un empressement excessif à questionner Apollon, d'où quelques
bousculades afin de recevoir au plus vite la réponse du dieu et retourner chez soi au plus
1 S?

tôt, avant la tombée de la nuit, ou simplement dans l'excitation de connaître ce qui


concernait sa santé et son salut. La promulgation du premier décret devait alors remédier
à cette situation, et assurer le bon déroulement du questionnement de l'oracle.

Le secrétaire du dieu avait ici un rôle de premier plan, avec la tâche d'établir
l'ordre suivant lequel chacun allait questionner la divinité. Dressant la liste des
consultants sur un tableau, le ypappaxeùç exposait celui-ci 7ipô xou vaoû (1. 35), afin
que tous puissent le voir et prendre conscience de l'ordre dans lequel se déroulerait
1 S3 '

l'ensemble de la consultation. A son arrivée au lieu de mantique, chaque pèlerin devait


s'enregistrer auprès du secrétaire en lui mentionnant son nom et sa requête, xàç
â7ioypacpdç, (1. 33). La procédure n'est ici pas très claire, mais il est possible que ce
magistrat, assisté par quelques subordonnés, ait alors remis au consultant une tablette, xà
TttvdKia (1. 41), sur laquelle étaient inscrits son nom et sa question.154 Assis dans le
sanctuaire, les autres magistrats devaient ensuite recevoir ces tablettes de la part des
consultants, à7to8exopevot xà TtivaKia rcapà xcov pav|xeoopévcuv (1. 41-42). Le
moment fort de la consultation, alors que le consultant entrait en contact dialogique avec
la divinité, survenait lorsque le secrétaire du dieu, ayant appelé le fidèle de vive voix,
procéder à un nouveau sacrifice, ce qui risquait d'étirer quelque peu le séjour des consultants à
Koropè. L. Robert, « Apollon Koropaios », p. 19, notait par ailleurs la brièveté, tout à fait voulue
par les rédacteurs du décret, de cette prescription relative aux rites de consultation. Ce fait met en
évidence le but de l'inscription, qui n'était point de statuer sur le culte ou de restaurer le rituel
oraculaire et la méthode d'interrogation de la divinité. Il s'agissait plutôt « de questions de
discipline (eÙKoauia) extérieures au culte, » qui du reste se déroulera comme auparavant.
152 L. Robert, ibid., p. 23.
153 Ibid. : l'auteur note encore que l'exposition de la liste des consultants permettait à tous de
contrôler l'appel fait par le secrétaire. De la sorte, « il n'est possible à personne de se faire appeler
plus ou moins tôt par le secrétaire, parce qu'on a su se faire bien voir de lui, [...] comme il est
possible entre gens astucieux, complaisants et peut-être sensibles aux cadeaux. »
154 À l'oracle de Didymes existait un bâtiment, le chresmographeion, dans lequel les consultants
soumettaient leur question aux secrétaires, qui avaient pour tâche de les inscrire. Selon l'hypothèse
de H. W. Parke (encore une fois les sources font ici défaut), les pèlerins recevaient, dans ce même
bâtiment, une copie de leur réponse. Voir H. W. Parke, Oracles ofApollo, p. 218-219.
72

l'eut introduit dans l'enceinte oraculaire (eiaayéxco, 1. 35). Par un procédé méconnu,
sinon inconnu, l'oracle était alors rendu, et la réponse d'Apollon était vraisemblablement
transcrite sur une tablette, peut-être à l'endos de celle contenant la question posée,
comme c'était parfois le cas à Dodone. La tablette ainsi inscrite était ensuite placée
dans un vase qui, à la fin des consultations, était scellé du sceau des stratèges et des
nomophylaques et de celui du prêtre. Ce n'est que le lendemain, aux premières lueurs du
jour, que les pèlerins recevaient les réponses, un à un, toujours en respectant l'ordre établi
par la liste. Ainsi, tous devaient se résigner à ne retourner chez eux que le lendemain en
matinée. Cette disposition rendait futile tout empressement, toute bousculade, toute cohue
pour l'obtention des réponses du dieu le soir même de la consultation, et les plus exaltés
étaient enjoints de patienter calmement jusqu'au matin suivant.

Le décret prévoit encore deux situations risquant d'être sources de désordre dans
la file d'attente des consultants. Certains avaient reçu le privilège honorifique de
consulter le dieu en premier, la promantie, et leur arrivée subite en tête de file pouvait, au
premier abord, susciter sinon la colère, du moins une discussion plus ou moins animée
des gens derrière, ignorants de ce privilège. Les détenteurs de la Ttpopavxeia sont donc
confirmés dans leur primauté sur les consultants ordinaires.156 De même, le cas ou un
individu qui, pour une raison quelconque, était absent lors de son appel par le secrétaire,

155
Voir supra, p. 68, n. 148. La façon dont le prophète donnait les réponses pose ici problème. La
brève mention de Nicandre à propos du procédé rabdomantique d'Apollon Koropaios (voir supra,
p. 22) impliquerait forcément une réponse par l'affirmative ou la négative. Les branches de
tamaris servant de sorts éventuellement tirés par le prophète, on comprend mal alors pourquoi le
présent décret aurait pris soin de faire sceller les tablettes contenant les réponses dans un vase au
lieu de les donner directement aux consultants. Du reste, ceci implique aussi que le consultant
n'entendait pas ou encore n'était pas en mesure de comprendre la réponse du prophète à sa
question.
156
J. Pouilloux, dans son article « Promanties collectives et protocole delphique », BCH 76 (1952),
p. 49, affirmait que l'« on inscrivait les consultants dans l'ordre de leur arrivée, à charge de dresser
deux listes, l'une des privilégiés jouissant de la promantie, l'autre des consultants ordinaires. » Or,
nulle part les décrets ne mentionnent l'inscription de deux listes distinctes, un bref passage
seulement concernant la priorité des personnages ainsi honorés, ei UTT, xioiv ov)Y|Kex»PTl'cai
7ipcoToiç e'iaiévai, 1. 36-37. De plus, il n'y a qu'un seul tableau dressé devant le temple,
npoGÉxcû TO X^UKcoua 7tpo TOO vaoo, 1. 35. Mais il est vrai qu'une liste des détenteurs de
promantie devait certainement se dresser à proximité, et il n'est cependant pas impossible que
l'ordre dans lequel ces consultants interrogeaient le dieu ait été déterminé par leur ordre d'arrivée
sur les lieux, ou encore par le tirage au sort entre eux, comme c'était les cas à Delphes, selon les
conclusions de l'article de J. Pouilloux. Aussi l'hypothèse d'une seconde liste pour les privilégiés
n'est pas à exclure totalement.
73

devait aussi être mentionné dans le décret, afin de réduire, encore une fois, les risques de
chahut, voire de heurts, affectant l'EÙKOopta. A leur retour, ces consultants étaient,
conformément à l'inscription, introduits auprès de l'oracle sans retourner à la fin de la
file, et surtout sans soulever l'ire des autres, devant lesquels ils pouvaient maintenant
passer en toute légalité. Le décret pourvoyait donc à toutes les situations où le bon ordre
pouvait être altéré.

Du reste, les autorités de Démétrias présentes devaient elles-mêmes montrer


l'exemple d'un comportement digne d'un dieu « honoré de préférence par les ancêtres. »
Pour ce faire, les magistrats étaient enjoints d'être « assis avec ordre dans le sanctuaire »
afin de recevoir les tablettes avec les questions des consultants (§ 8),157 la position assise
étant plus à même d'inspirer la sérénité et la solennité de la cérémonie oraculaire. Ils
étaient en outre bien avisés de s'abstenir de vin, la sobriété (vqcpovxeç, 1. 41) étant gage
d'un comportement décent et posé, exempt d'oppiç. Ils se devaient encore d'être en état
de pureté, tout de blanc vêtus et de laurier couronnés. Élément caractéristique de la
religion apollinienne, le laurier était en soi symbole de pureté, et l'éclatante blancheur des
vêtements (èv eaGqcnv À.ap|7tpaiç, 1. 39-40) des sept magistrats était une autre preuve
visible de cette pureté. De telles prescriptions vestimentaires contribuaient aussi à établir
1 SR

l'atmosphère solennelle et ordonnée des cérémonies oraculaires. Mais les magistrats


devaient aussi être exempts de toutes souillures, tant physiques que métaphysiques. Étant
purs (àyveiiovxeç, 1. 40), ils devaient donc, dans les jours précédents la cérémonie,

157
L. Robert, « Apollon Koropaios », p. 24.
1^8 H. Mills, «Greek Clothing Regulations: Sacred and Profane?», ZPE 55 (1984), p. 256. La
plupart des cultes avaient de telles prescriptions quant à l'habillement de leurs officiels, mais aussi
des participants. Pour d'autres exemples, voir notamment ibid., p. 257-261, où l'auteure réfère,
entre autres, aux règlements sur les mystères d'Andanie, qui stipulent que les initiés devaient
porter des robes blanches. Voir aussi R. Parker, Miasma : Polution and Purification in the Early
Greek Religion, p. 68 : la propreté des vêtements est essentielle pour faire montre de respect
cultuel. Chez Homère, les références à la propreté en général « must also have been an
unconscious symbol of good order in the society that he knew. » Pour le laurier en tant que
symbole de pureté et en tant qu'arbre sacré des plus chers aux Olympiens, et plus particulièrement
à Apollon, voir ibid, p. 229. Pour l'importance de cet arbre dans la religion apollinienne,
principalement à Delphes, voir P. Amandry, Mantique, p. 126-134.
74

éviter, par exemple, tout contact avec la mort ou la naissance, de même qu'avec le
sang.159

Cependant, des consultants pouvaient tout de même être plus turbulents et


indisciplinés, désirant ardemment connaître l'avis du dieu qui verserait un baume sur
leurs inquiétudes relatives à la santé et au salut. C'est pourquoi les stratèges et
nomophylaques furent enjoints d'engager, pour la durée de la consultation, trois jeunes
hommes qui, ayant moins de 30 ans, avaient le pouvoir de réprimer les manifestations de
désordre, o'i Kai exéxcoaav e£,ou|aiav KcoXueiv xov aKoapouvxa (1. 25-26). Ces
trois rabdouques, littéralement des « teneurs de bâtons », avaient donc pour tâche de
policer la foule, de freiner les ardeurs des plus véhéments et de contenir tout
débordement. Ils devaient en outre surveiller la remise des réponses de l'oracle. L. Robert
affirme d'ailleurs que, selon toute vraisemblance, la partie manquante du premier décret,
quelques lignes tout au plus, « déterminait la façon dont les consultants seraient mis en
possession des réponses d'Apollon et l'ordre dans lequel ils quitteraient le sanctuaire,
sous la surveillance des papôouxot. »160 Le statut exact de ces trois jeunes hommes est
cependant difficile à déterminer. Étaient-ils simplement des citoyens de pleins droits qui,
âgés entre 20 et 30 ans, pouvaient fréquenter l'Assemblée, mais n'étaient pas encore
éligibles à l'exercice de magistratures? Ils devaient alors être postés aux endroits
sensibles du lieu, par exemple à l'entrée du sanctuaire, là où se faisaient l'enregistrement
des pèlerins et la remise des réponses, ou encore près de l'enceinte oraculaire. Étaient-ils

159
Sur la purification dans le monde grec en général, voir l'ouvrage de R. Parker, Miasma. Ces
obligations de pureté rituelle étaient du reste un lieu commun de la pratique religieuse hellénique,
et le décret de Koropè réaffirmait certainement ce qui était déjà prescrit à ce sujet. Plusieurs lois
sacrées contiennent de tels règlements sur la pureté et la souillure. Voir, par exemple, le décret de
Kos pour la prêtresse de Déméter Olympia, daté de la première moitié du IIIe siècle, traduit et
commenté par B. Le Guen-Pollet, La vie religieuse dans le monde grec du Ve au IIf siècle avant
notre ère. Choix de documents épigraphiques traduits et commentés, no. 39, p. 123-129. Les
éléments de souillure pouvaient varier selon les lieux et les divinités honorées. La plupart des
sanctuaires, pour ne pas dire tous, avaient une source d'eau lustrale, permettant aux fidèles de s'y
purifier avant de pénétrer dans le lieu sacré. Voir R. Parker, Miasma, p. 19-20.
160 L. Robert, « Apollon Koropaios », p. 20, n. 1. En cela, L. Robert suivait M. Holleaux, « Notes sur
deux inscriptions de la Confédération des Magnètes», RPh 21 (1897), p. 186-188. L'auteur
argumentait alors contre l'insertion dans cette lacune, par H. G. Lolling, du fragment qui allait être
édité sous IG IX 2, 1110. Il arguait avec raison, p. 188, que ce fragment n'avait «rien en
commun » avec le sanctuaire d'Apollon à Koropè puisqu'il contient des prescriptions détaillées
sur la vente des peaux issues de sacrifices dont l'argent devait revenir au prêtre de Zeus Akraios.
Ces victimes furent donc vraisemblablement immolées en l'honneur de ce dieu.
75

plutôt détenteurs d'une dpxq? Dans ce cas, ils avaient certainement sous leurs ordres des
esclaves, publics ou sacrés, contribuant à assurer le maintien de l'ordre sur l'ensemble du
territoire d'Apollon Koropaios. Le manque de sources sur les modalités d'éligibilité aux
magistratures de Démétrias rend malaisée toute tentative de définir d'une manière précise
l'étendue des responsabilités données aux rabdouques. Quoi qu'il en soit, cette présence
policière ayant un pouvoir de répression contribuait à assurer la gestion de l'ordre dans la
foule des consultants.

Concernant la préservation du bois sacré et du temenos contre les déprédations de


pèlerins, le second décret témoigne des effets qu'une telle foule pouvait avoir sur un
sanctuaire. Les considérants (§ 16) de ce deuxième texte montrent bien que l'affluence
accrue de consultants avait déjà laissé ses marques dans le sanctuaire de Koropè, à tel
point que « les arbres dont dispose le sanctuaire sont dans un état déplorable ». Aussi, la
même année que fut voté le décret sur les consultations de l'oracle, les mêmes magistrats,
exception faite du représentant de Koropè, Ménandros fils de Nikias, jugèrent « qu'il
est nécessaire et qu'il est devenu utile que ces choses là méritent [leur] attention. » Les
pèlerins devant passer la nuit au sanctuaire, leur présence avait forcément un impact sur
les infrastructures naturelles du lieu sacré.

Le temenos devait pouvoir accueillir cette foule, qui avait bien entendu des
besoins particuliers, espace d'aisance, bois de chauffe et de cuisson et autres nécessités.
La formule hortative de ce décret (§ 16) présente, à ce sujet, une mention des plus
intéressantes mais qui, étrangement, ne semble pas avoir attiré l'attention des
commentateurs de l'inscription. Il y est précisé que la proposition fut faite « afin que, le
temenos ayant été agrandi, la grandeur du lieu soit des plus manifestes. » À une date
indéterminée, l'aire du territoire sacré du sanctuaire avait donc été étendue,
rruvauÇqOévxoç xou xepévou (1. 76). Le texte rappelle plus loin que les limites du

161
L. Robert, ibid., p. 27, affirme que les décrets, tous deux promulgués sous la prêtrise éponyme de
Krinôn fils de Parménion, le premier au mois d'Aréos et le second au mois d'Artémisiôn, furent
issus de propositions des mêmes magistrats. Mais, voir supra, p. 61, n. 138, la réflexion de
J. Pouilloux et N. M. Verdélis, « Deux inscriptions de Démétrias », p. 37-38, qui exclut Ménandre
fils de Nikias de Koropè du groupe des trois nomophylaques Ce magistrat local, demote de
Koropè, n'est aucunement mentionné dans le second décret.
76

temenos étaient clairement désignées, ev xcoi ôtaaacpoopévcoi XOTTCOI (1. 81), et que nul
ne pouvait donc prétendre les ignorer. La brièveté de la mention indique que la cité avait,
auparavant, assurément déjà légiféré sur l'agrandissement de la terre d'Apollon et que ce
fait était présumé connu de tous. Une multitude de raisons pouvaient conduire à
l'élargissement d'une aire sacrée, que ce soit, par exemple, à la suite d'une donation à
Apollon de terres contiguës à son temenos ou encore après l'achat, par les autorités du
sanctuaire, de terrains environnants afin d'accroître les revenus du dieu. Mais il est aussi
probable qu'il s'agissait de la toute première mesure que prirent les Démétriens afin de
s'adapter à l'accroissement de la fréquentation de leur sanctuaire oraculaire. Cette action
aurait alors été posée au tout début de la période de nouvelle popularité de l'oracle. Un tel
agrandissement permettait d'accommoder un plus grand nombre de personnes, mais
n'anticipait pas encore les désordres causés par le flux nouveau de visiteurs.

Les consultants devaient en outre s'abriter pour la nuit ou simplement dresser une
tente afin de se protéger des éléments naturels, et notamment des brûlants rayons
d'Hélios. En plus de la stoa, les arbres du sanctuaire offraient un abri intéressant,
pourvoyant ombre et fraîcheur, et sans doute était-il préférable d'établir campement ou de
patienter sous les bras feuillus de quelques grands végétaux. 162 Le bois risquait aussi
d'être utilisé directement comme matériau pour l'érection d'un abri temporaire, comme
piquet ou poteau d'une tente, par exemple, et il semble que certains n'aient pas hésité à se
servir à même les bosquets sacrés d'Apollon, coupant des arbres ou les ébranchant
(Korcxeiv et Kota.\5eiv, 1. 80-81). Les pèlerins devaient aussi se nourrir après une longue
journée. Pour ce faire, ils avaient notamment besoin de bois pour le feu, et pouvaient être
tentés d'utiliser à cette fin les arbres secs et leurs branches, ou simplement de ramasser
sur le sol le bois mort, qui n'en demeurait pas moins sacré. Désormais, toute atteinte aux
arbres du dieu serait expressément interdite pour ceux fréquentant le sanctuaire, qu'ils
fussent citoyens, habitants ou encore étrangers séjournant dans le pays, sous peine d'une
sévère amende de 50 drachmes, ou encore d'un châtiment corporel public par le fouet,
s'il s'agissait d'un esclave.

162
D. E. Birge, Sacred Grooves, p. 219.
77

Le second décret avait pour objectif de maintenir l'ancestrale dignité et l'ordre


régnant dans le manteion koropéen de façon permanente, tout au long de l'année, non pas
seulement lors des consultations de l'oracle, contrairement au premier décret. Celui qui
était responsable de faire connaître les nouvelles résolutions du décret n'était nul autre
que le néôcore. Étant désigné pour prendre soin du sanctuaire (vecoKopetv, 1. 78), il
demeurait à même le lieu sacré, au néôcorion, en face duquel devait être érigée une copie
de ce décret (§ 23).I63 Les rabdouques, n'étant engagés que pour les deux jours de la
consultation du dieu, n'étaient donc pas présents tout au long de l'année, et pour cette
raison étaient absents du second décret. La répression des abus endommageant le temenos
devait alors se faire par dénonciation (§ 22 et 1. 84). Du reste, hors de la période de
fréquentation de l'oracle, la population rurale des environs pouvait être tentée de
s'approvisionner en bois sur la terre d'Apollon, et les bergers susceptibles de faire paître
leurs animaux dans le sanctuaire, portant ainsi atteinte à la verdure du manteion.
Désormais, la présence d'animaux en ce lieu, néfaste pour la conservation de son état
ancestral, serait aussi interdite; vopqç ëveKev pqôè axdrjecoç (§ 4), précise le texte,
apportant une distinction entre la pâture et la simple présence du bétail qui, lors des
chaudes après-midi, risquait d'être conduit à l'ombre de la flore arborescente du
164
sanctuaire.

Les deux textes épigraphiques concernant le sanctuaire oraculaire local d'Apollon


à Koropè établissaient différents règlements permettant à la cité de Démétrias d'assurer et
de maintenir l'ordre dans ce lieu de mantique. L'intérêt des Démétriens pour l'eÙKoapia
de ce culte se voulait d'abord et avant tout une réaction à l'achalandage nouveau et à la
popularité accrue de ce siège prophétique. Il ne s'agissait pas, comme l'a laissé entendre
H. W. Parke, d'un effort délibéré et élaboré par les dirigeants de la cité afin d'insuffler un

163
L. Robert, « Apollon Koropaios », p. 22. L'auteur note que, si ce magistrat n'est pas mentionné au
côté des sept autres dans le premier texte, c'est justement parce qu'il n'avait pas à se déplacer avec
eux, puisque « ce sacristain vivait au sanctuaire lui-même ».
L. Robert affirme encore, ibid, p. 27, que cette clause permettait d'écarter une excuse possible
d'un berger pris sur le fait avec ses animaux dans le temenos. Ce dernier pouvait prétendre que sa
présence avec ses bêtes sur le terrain sacré n'avait pas pour but de les y faire paître et que, « de
fait, elles n'y paissent pas », d'où la précision unôè aTaaecoç apportée par le décret.
78

dynamisme nouveau à l'oracle et d'en revivifier artificiellement le culte.165 Bien


qu'ancien, le culte d'Apollon Koropaios était florissant, à la basse époque hellénistique.
L'inscription concernant l'oracle fournit donc un témoignage probant de la vitalité d'un
sanctuaire oraculaire local. Cependant, le cas de Koropè ne doit pas être considéré
comme étant unique, et il est possible d'établir certains parallèles épigraphiques avec
d'autres inscriptions.166

3. De la fréquentation des oracles à l'époque hellénistique.


Dans le domaine oraculaire à proprement parler, peu d'inscriptions concernent
l'organisation et les réglementations des cérémonies consultatives. Cependant, un décret
de la cité d'Oropos, à propos de l'oracle iatromantique d'Amphiaraos, daté entre 386 et
377, offre d'intéressantes similitudes avec les textes de Koropè.167 L'inscription est ici
digne de mention puisqu'elle fut rédigée dans des circonstances similaires à celles qui,
plus de deux siècles plus tard, rendirent nécessaires les mesures prises par la cité de
Démétrias et exposées précédemment.

En ce premier quart du IVe siècle, l'Amphiaraion dut aussi faire face à un


accroissement du nombre de pèlerins recherchant les vertus curatives et oraculaires du

165
H. W. Parke, Greek Oracles, p. 124, parle en effet d'un « elaborate effort to revive the operation
of the oracle in a more regular and dignified manner. » Par ailleurs, l'auteur adopte une datation
plutôt basse de l'inscription de Koropè, qu'il situe au début du Ie1 siècle, contrairement à ce qui est
généralement accepté à la suite de F. Stahlin. Voir à ce sujet supra, p. 50, n. 122.
Les deux décrets promulgués par la cité de Démétrias doivent d'abord être mis en relation avec
une série d'inscriptions concernant le maintien de l'ordre et la police dans les sanctuaires grecs.
Hors du contexte strictement oraculaire, plusieurs textes épigraphiques sont connus à ce sujet,
témoignant du fait que tous les sanctuaires se prévalaient d'un certain nombre de règlements
concernant le bon ordre. Je reviendrai ultérieurement sur le sujet du maintien de l'ordre dans les
sanctuaires grecs et sur l'application de tels règlements par les magistrats concernés, dans le cadre
d'une thèse de doctorat. Pour le moment, je me contente de renvoyer le lecteur à quelques
publications. De façon générale, voir R. Parker, Miasma, p. 176-177 et M. Dillon, Pilgrims and
Pilgrimage in Ancient Greece, p. 205. Les règlements de police ayant pour but le bon
fonctionnement des sanctuaires et des activités cultuelles se réfèrent généralement au
comportement attendu des pèlerins. Ils présentent habituellement diverses interdictions concernant
l'habillement et autres parures, la pureté rituelle nécessaire ou encore la protection de l'enceinte
sacrée et du lieu de culte en général. Pour quelques exemples d'inscriptions à ce sujet, voir
notamment le décret, daté du premier quart du IIe siècle a.C, présenté par Chr. Feyel et F. Prost,
« Un règlement délien », BCH 122 (1998), p. 455-468. Voir aussi les textes traduits et commentés
par B. Le Guen-Pollet, La vie religieuse, p. 58 sqq., no. 12 sqq.
16"
Il s'agit du règlement cultuel SEG XXII, 370, traduit et commenté par B. Le Guen-Pollet, La vie
religieuse, no. 40, p. 130-135. Outre ce commentaire, voir, à ce sujet et sur ce qui suit,
A. Petropoulou, « The Eparche and the Early Oracle at Oropus », GRBS 22 ( 1981 ), p. 60.
79

héros. Les nouvelles mesures alors décrétées obligeaient le prêtre à être présent au
sanctuaire, pour un minimum de dix jours par mois, pendant la période d'achalandage de
1 f\St

l'oracle, soit «de la fin de l'hiver à la saison des labours. » Comme le sanctuaire
d'Apollon à Koropè, l'Amphiaraion était un hiéron de campagne, distant d'environ six
kilomètres de la cité d'Oropos, dont il dépendait. Le prêtre ne résidant pas de façon
permanente au sanctuaire, la cité d'Oropos rendait désormais obligatoire sa présence lors
des périodes d'affluence, afin d'accomplir ses devoirs cultuels, tels les prières et les
sacrifices, mais aussi pour y représenter l'autorité et assurer ses responsabilités quant au
maintien de l'ordre. Le décret conférait au prêtre d'Amphiaraios le pouvoir d'imposer
une amende de cinq drachmes à quiconque commettait une faute, àv ôé xiç àôiKei
(1. 9). Tandis qu'à Koropè la tâche de répression était principalement exercée par les
rabdouques, à Oropos le prêtre même avait pour devoir de faire régner l'ordre.169
Toujours à l'image du décret démétrien, il semble que l'augmentation du nombre de
consultants d'Amphiaraos ait mis en évidence la négligence d'un magistrat, à savoir le
néôcore. L'inscription stipule en effet que le prêtre « oblige le néocore à s'occuper du
sanctuaire et des visiteurs conformément au règlement. » Ainsi, les deux inscriptions,
bien que temporellement distantes, témoignent de mesures similaires afin d'assurer
l'ordre à deux sièges de mantique.

L'Amphiaraion d'Oropos connut donc une popularité considérable à la fin de


l'époque classique, et la popularité de ce héros guérisseur se poursuivit tout au long de la
période hellénistique.170 Les traces de visiteurs étrangers sont aussi nombreuses et se

168
SEG XXII, 370, 1. 8. Les traductions de ce décret présentées ici sont celles de B. Le Guen-Pollet,
La vie religieuse, p. 130-131.
Voir A. Petropoulou, « Early Oracle at Oropus », p. 50 et 52. Contrairement aux rabdouques
koropéens cependant, le hiereus d'Amphiaraos à Oropos était aussi une autorité judiciaire et faisait
office déjuge pour tout préjudice subi par un particulier au sanctuaire, étranger ou citoyen, jusqu'à
concurrence de trois drachmes. Dans les sanctuaires grecs, l'autorité punitive semble avoir été
exercée plus fréquemment par des magistrats civils ou religieux autres que le prêtre. À Athènes,
par exemple, des hieropoioi veillaient au maintien de l'ordre, voir IG II 2, 334, I. 31 sqq. et
IG I 2, 84, 1. 26 sqq. Un décret concernant le Thesmophorion du Pirée {IG II 2, 1177), daté du
IV*siècle, montre que la prêtresse n'était «qu'auxiliaire du démarque pour faire respecter le
règlement en vigueur. » B. Le Guen-Pollet, La vie religieuse, p. 133, n. 45. L'auteure traduit et
commente ce décret, no. 1, p. 15.
A. Schachter, Cuits I, P 24. L'auteur affirme, n. 2, que ce fait se traduisit, à Athènes, par plusieurs
pièces intitulées « Amphiaraos », écrites notamment par Aristophane et Sophocle.
80

manifestent dans l'épigraphie de ce sanctuaire par maintes dédicaces et décrets de


proxénies, émanant du koinon béotien et érigés dans le lieu sacré. Ces documents
montrent tout l'intérêt que des communautés et des individus avaient pour le centre
prophétique d'Oropos, en plus d'attester que ce manteion fut considéré comme un
important lieu de rencontre, le seul véritable centre international en Béotie.171

Un second exemple de lieu de mantique ayant connu un certain succès à l'époque


hellénistique, et notamment à la basse époque, est l'oracle d'Apollon Pythéen à Argos.
Une intéressante inscription, datée de 92/1, montre qu'un certain Mnasistratos a alors
consulté l'oracle argien au nom des Messéniens, afin de faire avaliser une récente
réforme du culte à mystères d'Andanie ou encore afin de recevoir les conseils divins en
vue de cette réforme. Cette inscription mentionne la présence, parmi les magistrats du
culte prophétique, outre deux promanteis et une promantis 1 , de deux secrétaires,

171
Ibid. A. Schachter ajoute qu'il devait aussi y avoir un motif politique à l'érection des proxénies
fédérales dans l'Amphiaraion, mais que « even this depended ultimately on the sanctuary's
fame. » L'auteur cite ensuite près de 20 textes épigraphiques de ce genre. Du reste, le sanctuaire
était facilement accessible par la mer, et sa position géographique, entre Oropos et Athènes, fut
probablement un facteur d'une attraction exercée par le sanctuaire tant en Attique qu'en Béotie. Le
sanctuaire fut d'ailleurs, tout au long de son histoire, successivement sous domination athénienne
et oropienne.
172
N. Deshours, « Les Messéniens, le règlement des mystères et la consultation de l'oracle d'Apollon
Pythéen à Argos », REG 112 (1999), p. 475. L'inscription en question est SylT 735 et l'auteure,
p. 478-479, présente une traduction des lignes 17 à 28. Voir aussi Ed. Kadletz, «Apollo
Deiradiotes », p. 95-97, avec édition du décret. Le règlement des mystères d'Andanie est par
ailleurs connu par une longue inscription, I G V 1, 1390.
173
Sur la terminologie et la technicité des termes liés au personnel prophétique des oracles grecs, voir
l'important article de S. Georgoudi, « Les porte-parole des dieux », Sibille e linguaggi oracolari.
Mito, storia, tradizione, p. 315-365, en particulier les pages 326-335. L'inscription d'Argos utilise
le terme masculin-féminin npduavTiç pour désigner les deux prophètes et la prophétesse :
7ipouavTtcov ôè LcoiBiou TOO ZCÛI(3IOU, 'AvTiyevoç TOO rioXotcpaTeoç Nau7i\ia5av
(1.7-9); 7ipoudvTioç fh.u.KpaTEtaç Taç Auarcovoç A'iBa>iéeç (1. 15-16). S. Georgoudi attire
l'attention sur le flottement existant dans la dénomination des porte-parole des dieux affectés à un
sanctuaire oraculaire, par opposition au mantis, devin qui, « ayant reçu d'un dieu le don de la
divination, [...] circulait parmi les hommes, prédisait le sort ou dévoilait la chose inexplicable,
l'inconnu, le merveilleux » (p. 331). Les prophètes, prophetesses et promanteis sont quant à eux
attachés, dans l'espace du sanctuaire oraculaire, à un dieu pour lequel ils parlent {pro-phêtês).
Dans la littérature comme dans les textes épigraphiques, les termes prophètes et promantis
paraissent « presque interchangeables ». L'auteure ajoute que, dans la plupart des oracles
apolliniens, le dieu transmet ses dires en inspirant, directement et sans distinction apparente, des
prophetesses, comme à Delphes ou à Didymes, des prophètes, tels aux sanctuaires du Ptoïon et de
Koropè, ou encore des promanteis, comme la femme inspirée d'Argos. Cependant, les deux
termes, 7ipo(prÎTT|ç et TipduavTiç, peuvent aussi servir à désigner des ministres du culte ayant pour
charge de veiller au bon fonctionnement de l'oracle et d'assister, pendant les consultations, le
prophète ou la prophétesse au sens propre, c'est-à-dire la personne inspirée par le dieu. À ce sujet,
81

ypocpéœv ôè ©epoayopoo xoû NtKoepaéoç, OiA.OK?iéoç xou Eevocpàvxou (1. 10-12).


Or, la présence de ces deux secrétaires du dieu est en soi une indication de la vitalité de
cet oracle et de sa fréquentation importante par des pèlerins qui, une fois par mois,
venaient interroger Apollon. À Koropè, le secrétaire du dieu avait un rôle central pour le
bon déroulement des consultations, comme en témoigne le premier texte épigraphique de
ce sanctuaire. Bien que leurs fonctions ne soient pas connues avec précision pour le
sanctuaire argien, ils avaient sans doute un rôle sinon central, du moins substantiel. S'ils
devaient rendre les réponses par écrit, comme à Koropè, leur dualité serait alors un signe
incontestable de la célébrité et de l'influence de l'oracle.174 Et comme cétait sans doute le
cas à Delphes, les secrétaires d'Argos devaient certainement assister les promanteis. Ces
derniers, responsables du bon fonctionnement de la cérémonie, pouvaient avoir besoin de
secrétaires, notamment afin de remettre les réponses « sous plis scellés aux envoyés des
cités » qui, comme Mnasistratos, se rendaient à l'oracle pour une consultation
officielle.175 Du reste, le simple fait que l'Apollon Pythéen d'Argos accueillit ce
consultant venu de Messène, ville située assez loin d'Argos et au sud-ouest du
Péloponnèse, témoigne de l'influence de ce lieu de mantique, en cette première décennie
du Ier siècle a.C. De plus, l'épiclèse portée par Apollon à Argos rapprochait cet oracle de
celui de Delphes, et les similitudes dans l'organisation des deux lieux de mantique
contribuèrent certainement à auréoler le sanctuaire argien de la gloire delphienne
d'Apollon Pythien.176

Cette consultation de l'oracle apollinien d'Argos illustre aussi une autre tendance
de la vitalité oraculaire à l'époque hellénistique. À cette époque, le sanctuaire de Delphes
devait de plus en plus partager ses fonctions antiques avec d'autres manteia, en
particulier celles faisant de lui une autorité internationale dans le domaine de l'innovation

voir aussi G. Roux, Delphes, son oracle et ses dieux, p. 56-59. Ainsi (p. 57), à Argos, une
promantis était la porte-parole d'Apollon, tandis que deux promanteis étaient « chargés du
fonctionnement de l'oracle, de l'administration et de l'entretien des bâtiments sacrés. » La
promantis mentionnée par l'inscription d'Argos doit être rapprochée de la prophétesse à laquelle
Pausanias fait allusion. À ce sujet et sur le procédé divinatoire de cet oracle, voir supra, p. 21-22.
174
Ed. Kadletz, « Apollo Deiradiotes », p. 96.
G. Roux, Delphes, son oracle et ses dieux, p. 70.
176
Les deux cultes impliquaient notamment une prophétesse inspirée et deux prophètes. Pour le lien
mythologique filial unissant les deux sanctuaires, voir M. Piérart, « Un oracle d'Apollon à
Argos », p. 323-326.
82

cultuelle, par exemple pour la fondation de cultes nouveaux ou la réforme de cultes


anciens.177 Ainsi les Messéniens, afin de recevoir caution de leur réforme des mystères
d'Andanie, recherchèrent l'autorisation « sinon du dieu de Delphes, le plus prestigieux en
matière de fondation de cultes, du moins d'un autre oracle d'Apollon qui lui soit
affilié. »178 Un autre exemple épigraphique montre que la cité béotienne de Tanagra
sollicita aussi l'avis d'Apollon afin de savoir si le sanctuaire de Déméter et de Coré
devait être transféré dans l'enceinte poliade. Le texte de l'inscription, daté de la fin du IIIe
siècle ou du début du IIe, affirme « qu'Apollon a répondu : accueillez dans l'enceinte les
déesses du faubourg en célébrant une fête florale pour votre bien et faites cela en
invoquant les déesses elles-mêmes » (1. 4-8). Or, les Tanagréens consultèrent le fils de
Léto non point en sa résidence de Delphes, mais « probablement [à] l'oracle tout proche
d'Apollon Ptoïos. »179

À l'époque hellénistique, il semble donc que la foi oraculaire ait persisté, mais les
consultants, représentants de cités ou simples individus, ne se rendaient plus
nécessairement à Delphes et préféraient souvent se tourner vers les sanctuaires
1 RO

oraculaires de leur propre cité ou d'une cité proche. Ce fait est en outre corroboré par
la diminution marquée du nombre d'offrandes monumentales au sanctuaire pythique et
t o i

par la régionalisation de son influence, dont il fut précédemment question. Il confirme


aussi que les étrangers fréquentant en plus grand nombre l'oracle de Koropè, exception
faite des gens de passage que le hasard plaçait à Démétrias le jour des consultations,
provenaient sans doute des régions ou des cités voisines.
177
Voir Chr. Forbes, Prophecy and Inspired Speech, p. 309. Aussi, N. Deshours, « Consultation de
l'oracle d'Apollon Pythéen à Argos », p. 468, rappelle que J. Fontenrose avait noté que les
consultations de l'oracle de Delphes « portaient essentiellement sur des questions religieuses
(fondations de cultes, gestions des sanctuaires) et non politiques (établissement de colonies,
sanctions de nouvelles lois), » du moins à l'époque classique. Elle ajoute que le schéma était
similaire à l'époque hellénistique, et les consultations officielles, de la part de communauté
poliade, concernaient surtout la fondation de cultes.
PS N. Deshours, « Consultation de l'oracle d'Apollon Pythéen à Argos », p. 466. Mais le choix de
l'oracle d'Argos par les Messéniens s'explique aussi par les liens étroits entre les deux cités, de
même que par la nature du culte à réformer. Pour plus de détails à ce sujet, p. 470 sqq.
179 Le décret est présenté et étudié par L. Migeotte, Les souscriptions publiques dans les cités
grecques, qui eut d'ailleurs l'amabilité de me faire connaître l'existence de ce document, lors d'un
colloque étudiant tenu en 2002 à l'Université Laval. Sur ce qui suit, voir ibid., p. 79.
180 N. Deshours, « Consultation de l'oracle d'Apollon Pythéen à Argos », p. 470.
Supra, p. 37 sqq.
83

Pour Démétrias comme pour maintes cités grecques, le IIe siècle fut une période
trouble et mouvementée, marquée par plusieurs conflits militaires et sociaux. En ces
temps de bouleversement de l'ordre des choses, du kosmos, les cultes oraculaires étaient
toujours pratiqués par les fidèles, et certains, tel celui de Koropè, étaient même en pleine
effervescence, nécessitant une réorganisation de ses consultations. La continuité des
croyances oraculaires est largement attestée tout au long de l'époque hellénistique, mais
celles-ci semblent alors se pratiquer dans un cadre plus régional qu'auparavant, en
particulier à partir de la basse époque hellénistique. Ce changement n'était peut-être pas
étranger au fait que, tout au long du second siècle, un nouvel ordre s'instaurait peu à peu,
au rythme où croissaient la puissance et l'influence de Rome sur le monde grec.
III. ENTRE CONTINUITÉ ET CHANGEMENT.
« Sache que les choses humaines sont une roue
qui tourne et ne laisse jamais les mêmes jouir
d'une bonne tychè. »
- Hérodote, I, 207.

Le cas de l'oracle d'Apollon à Koropè est un témoin de deux tendances de


l'activité oraculaire hellénistique, caractérisée à la fois par la persistance des croyances et
la régionalisation des pratiques. Continuité et changement, tels sont les fondements de la
vitalité des manteia grecs. Car la période suivant les conquêtes d'Alexandre le Grand,
transformant l'ordre classique du monde hellénique, fit aussi apparaître de nouveaux
éléments de la religiosité grecque, comme autant de vecteurs favorables à la fréquentation
des sanctuaires prophétiques et à leur dynamisme. À partir du IIe siècle, Rome,
s'imposant face aux royautés hellénistiques qu'elle finit par supplanter, devint
progressivement le seul pouvoir supra-poliade d'importance. La venue de ce nouvel
acteur et du nouvel ordre politique qui le suivait allait aussi participer aux changements
soutenant la vitalité des oracles hellénistiques.

A. La religiosité hellénistique ou de la recherche du divin.


Élargissement et ouverture du monde sur un œcoumène plus vaste et diversifié,
multiplication des contacts et échanges avec les peuples pdp(3apoi, tant économiques
que culturels et cultuels, avènement de puissances supra-poliades dirigées par des rois :
les effets produits par la formidable aventure du jeune Conquérant macédonien furent
nombreux et considérables. Cependant, une telle modification du kosmos classique ne
pouvait s'effectuer sans conséquence sur l'expérience religieuse des Hellènes,
étroitement liée qu'elle était au concept de soumission à un ordre sacré.

1. Une intériorisation religieuse.


Pour les Hellènes, les bouleversements de l'âge hellénistique ne furent pas perçus
comme une fuite du divin kosmos devant un incontrôlable désordre. Les choses de ce
monde, tant la nature et les mortels que les Immortels, faisaient toujours partie du Tout
cosmique, et le Grec devait constamment s'efforcer d'y demeurer à sa place, comme ses
85

ancêtres le faisaient depuis des siècles.182 Les évidentes transformations du monde, dans
lequel les entités poliades, face aux grandes royautés, n'occupaient plus l'avant-scène,
posaient néanmoins le problème de l'accès à cet ordre nouveau par divers moyens
1 R^

permettant de s'y soumettre. De tels changements étaient inévitablement sources


d'inquiétudes et apportèrent une teinte de pessimisme dans la religiosité grecque d'alors.
Dans le domaine religieux, c'est en recherchant une intimité sécurisante et une relation
184
intériorisée avec le monde divin que les Hellènes s'adaptèrent à ces temps nouveaux.

Pour plusieurs historiens, l'époque suivant les conquêtes d'Alexandre le Grand se


caractérise, entre autres, par l'émergence de l'individualisme en tant que tendance de
certains à s'affirmer indépendamment du corps civique.1 5
Le rôle accru des évergètes,
l'augmentation du nombre de décrets honorant des particuliers et, au point de vue
religieux, la multiplication des associations cultuelles, dont l'adhésion s'effectuait à la
suite d'un choix délibéré et personnel d'un individu, sont souvent montrés comme
témoins d'une tendance nouvelle à la promotion de l'individualisme. Or, il importe
d'utiliser avec grande prudence ce concept d'individualisme et d'éviter de transposer sur
le monde hellénistique les conceptions idéologiques modernes. Cette prudence est
notamment exprimée par L. H. Martin lorsqu'il affirme que, bien que les transformations
culturelles et politiques ayant marqué la période hellénistique aient pu conduire à une
plus grande conscience du Soi, la promotion d'une idéologie individualisante ne fut
nullement le fait de l'époque.186 Pour lui, les associations cultuelles, par exemple, étaient

is: À ce sujet, voir supra, p. 14-15.


183
L. H. Martin, Hellenistic Religions : an Introduction, p. 36.
184 Politiquement, les cités surent aussi s'adapter au nouvel ordre imposé par les États monarchiques.
Ce fait est notamment perceptible dans le phénomène de l'évergétisme royal. Les monarques
couvrirent ainsi maintes cités de bienfaits pouvant se matérialiser tant par une protection militaire
que par des subsides financiers, ou encore par l'entretien et la construction de bâtiments publics.
De telles interventions des rois, bien que limitant de fait l'indépendance des cités, permettaient
cependant la continuité de fonctionnement des institutions civiques. Ed. Will, dans son article
a Poleis hellénistiques : deux notes», Historica Graeco-Hellenistica. Choix d'écrits 1953-1993,
p. 817, a bien résumé cette adaptation nécessaire des cités : « Les bienfaits étaient le prix que
payaient les rois pour mieux faire accepter leur autorité [...]. Les honneurs décernés aux rois
étaient le prix que payaient les cités pour les bienfaits que, volentes nolentes, elles accueillaient. »
185 W. W. Tarn, J. Gwyn Grif, P. Green et E. R. Dodds suivent notamment cette tendance.
C'est l'hypothèse que soutient l'auteur dans son article « The Anti-individualistic Ideology of
Hellenistic Culture », Numen,4\ : 2 (1994), p. 117-141. Citant à la p. 121 J. M. Rist, historien de
la pensée hellénistique, il affirme que l'individualité en soi n'avait aucune importance.
86

plutôt des stratégies alternatives d'inclusion sociale. Toutefois, la conscience du Soi,


sans impliquer une idéologie individualiste, demeure perceptible dans le domaine
religieux, s'exprimant par une recherche plus intensive de puissances directement
intéressées aux aléas de la vie de chacun. Plutôt que d'individualisation, il convient alors
de parler d'intériorisation du fait religieux, en tant que quête d'une plus grande intimité,
d'une plus grande profondeur dans les relations avec le divin. Plus sécurisant, un tel lien
avec les dieux permettait à chacun de retrouver l'accès à l'ordre cosmique changeant, et
ainsi de s'assurer de sa place à l'intérieur de ce cadre.

L'époque précédente avait bien pavé la voie à l'intériorisation religieuse comme


stratégie d'apaisement de l'angoisse liée aux vicissitudes de la vie humaine. La source de
ce mouvement conjoncturel est à rechercher à même les effets de la guerre du
Péloponnèse, véritable coupure dans l'histoire du monde grec, tant dans les domaines
militaire, socio-économique et politique que religieux. Les conséquences néfastes des
conflits, fussent-ils d'importants déplacements de population, des ravages de territoires
agraires ou des épidémies, eurent d'inévitables effets psychologiques qui se répercutèrent
dans la sphère religieuse des Hellènes. A l'optimisme religieux qui avait suivi les
guerres médiques, alors que les Grecs se montrèrent fiers et reconnaissants du concours
apporté par leurs dieux pour ces victoires, une religiosité plus inquiète succéda. À partir
du dernier tiers du V e siècle, les Hellènes désirèrent s'assurer davantage du secours des
dieux relativement aux bouleversements les affectant en tant qu'individus.

187
Voir aussi, outre l'article cité à la note précédente, Ed. Will, Le monde grec et l'orient, tome II, Le
IVe siècle et l'époque hellénistique, p. 520.
188 V. D. Hanson, dans Warfare and Agriculture in Classical Greece, a montré que, bien que les
effets des dévastations de terres agricoles doivent être fortement nuancés, l'effet psychologique
sur les contemporains n'en était pas moins considérable, comme le laissent entendre des sources
telles que Thucydide ou Aristophane. Voir p. 116-120, pour une nouvelle interprétation critique
des passages de ces auteurs concernant la problématique de V. D. Hanson. Les conséquences du
ravage des terres résultaient cependant davantage de l'évacuation et de l'entassement des
populations rurales dans l'enceinte de la cité et des conditions de vie en découlant (propices, par
exemple, au développement d'épidémies), que des dommages subis par les sols arables, qui
n'étaient généralement pas permanents. À ce sujet, et pour plus de détails sur les effets des
dévastations agraires de l'Attique pendant la guerre du Péloponnèse, voir p. 109-143.
189 M. Jost, Aspect de la vie religieuse en Grèce, du début du Ve siècle à la fin du IIIe siècle av. J.-C,
p. 40.
87

La recherche du divin par une plus grande intériorisation de la relation hommes-


dieux poursuivit son développement à l'époque suivante, et fut même grandement
favorisée par l'avènement des monarchies hellénistiques. Bien que le dynamisme des
institutions poliades et la persistance des idéaux civiques soient maintenant choses
maintes fois attestées pour la haute époque hellénistique, l'établissement de
superpuissances monarchiques limitait de fait l'autonomie et l'indépendance de la
majorité des cités grecques. Dès lors, leurs habitants et citoyens se trouvèrent inclus
dans un ordre politique les dépassant, et les vieilles entités poliades n'étaient plus seules
maîtresses de leur destin.

L'incertitude apportée par cette altération du contrôle qu'avaient les citoyens sur
la destinée de leur communauté s'exprima de façon manifeste, dans le domaine religieux,
par le développement et la grande diffusion que connut alors le culte de Tychè.
Abstraction divinisée de la Fortune, Tychè était le symbole de l'imprévisibilité des
affaires humaines et des brusques changements du sort pouvant confondre chaque
individu et communauté. 191 Le culte de cette divinité de l'incertain illustre bien la
difficulté de l'homme grec hellénistique à s'insérer dans le nouvel ordre du monde.
Politique et religion étant continuellement entrelacées dans la mentalité des Hellènes, les
modifications internationalisantes de l'âge des grands royaumes accentuèrent le
développement de nouveaux besoins religieux, en pleine émergence depuis la fin du V e
siècle. Nouvelles exigences envers les dieux, ces besoins étaient étroitement liés à des
impératifs de sécurité et d'assurance personnelle face aux vicissitudes de la vie de
chacun. Malgré la conviction profonde et ancestrale de l'existence d'un ordre divin et
intrinsèque au monde, le cadre même de la vie des Grecs semblait maintenant les
dépasser.

190
À ce sujet, voir, entre autres, Ed. Will, « Poleis hellénistiques : deux notes », p. 816. Suivant les
réflexions présentées par Ph. Gauthier dans Les cités grecques et leurs bienfaiteurs, l'auteur
illustre cette limitation de l'autonomie poliade par le développement de l'évergétisme royal :
« Que les bienfaits royaux consistassent en subsides financiers ou en protection militaire
(euphémisme pour occupation), ils représentaient en effet autant d'interventions qui entamaient
l'indépendance ou l'autonomie des cités d'une façon encombrante ou indésirable. » Voir aussi
supra, p. 85, n. 190.
mi Sur ce culte, sa signification et son importance tout au long de la période, voir notamment
Ed. Will, Le monde grec et l'Orient II, p. 612-613.
88

Un autre signe confirmant à la fois cette tendance pessimiste, empreinte


d'insécurité, et le besoin corrélatif d'une relation plus intériorisée avec les puissances
divines est perceptible dans l'expression « pour la santé et le salut », apparaissant
fréquemment dans les inscriptions religieuses de l'époque. Des sacrifices et des prières
furent ainsi souvent offerts à des dieux npoç ùyietav Kai ocùxqptav, traduisant ce que
les fidèles recherchaient auprès des puissances divines. À Athènes, la formule apparaît
pour la première fois dès 343/2, laissant entrevoir une perspective désormais plus
défensive, contrastant nettement avec l'optimiste religieux du Ve siècle. Il est intéressant
de noter que cette dernière mention apparaît alors que l'antagonisme entre partisans et
opposants à l'expansionnisme macédonien est à un point fort, seulement deux ans avant
le premier affrontement entre Athéniens et Macédoniens. L'expression réapparaît vers
330, soit huit ans après la victoire macédonienne de Chéronée, conférant à Philippe II la
suprématie en Grèce.1 " Les changements politiques et militaires, de même que les
bouleversements issus des conquêtes d'Alexandre, ont visiblement contribué à cette
modification de l'attitude religieuse des Grecs, dont l'autonomie des cités était désormais
limitée par les nouvelles superpuissances, en particulier en ce qui avait trait aux relations
extérieures. Après Chéronée et jusqu'en 229, les Athéniens furent confrontés à la
présence menaçante d'une garnison macédonienne au Pirée. Ils perdirent alors une large
part du contrôle de leur approvisionnement en grains et, à tout moment, ils étaient « at the
whim of powerful foreign generals and kings who might or might not invade, besiege, or
even destroy Athens ».193 Les références à la santé et au salut doivent être comprises dans
leur sens le plus large : l'ùyieia évoquait plus que la seule santé corporelle, en incluant
tout ce qui pouvait assurer des conditions de vie saines, et présentait aussi une dimension
prophylactique. Le terme crcoxqpia, quant à lui, se référait au salut physique, c'est-à-dire
à la sauvegarde de l'intégrité physique et à une vie exempte de maux, allant des ravages

192
Voir l'article de V. I. Anastasiadis, « Oi èm a a r n p e i q Oucrieç a r a aOiivaÏKa' vj.rNnap.aTa
rpc e-V.vnvtc.Ti.cfjc; E7toxrjç », EAAr/vihra4] (1990), p. 225-233 (résumé en français, p. 467) La
mention de 343/2 se trouve dans SylT 227, 1. 5, et concerne la célébration de sacrifices pour la
santé et le salut du Conseil et du Peuple (p. 227). Il est significatif que, en 330, l'expression inclue
aussi les enfants, les femmes et les autres possessions des Athéniens, icai naiôcov Kai yuvaifccùv
icai TMV àXXiùv KTTmctTCùv TXÙV AGrivaitûv {SylT 289, 1. 15-16, cité à la page 228). Voir aussi,
au sujet de cette expression et sur ce qui suit, J D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens.
p. 294-296.
195
J. D. Mikalson, ibid., p. 294.
89

d'une guerre au naufrage en mer. Une inscription de Magnésie-du-Méandre, datée entre


184 et 180 a.C, exprime bien le sens donné à acoxqpia. Concernant l'organisation d'une
fête en l'honneur de Zeus Sôsipolis, littéralement « qui sauve ou qui protège la cité »,
l'inscription mentionne la prière qui devait être prononcée par le hierokeryx, ou héraut
sacré, devant les magistrats magnètes. La prière était adressée à Zeus « pour le salut de la
cité, du territoire, des citoyens, des femmes et des enfants et de tous ceux qui habitent la
cité et le territoire, pour la paix, la richesse, l'abondance de blé et de toutes les autres
récoltes, ainsi que du bétail. »194

Le fait de recourir aux dieux pour la santé et le salut exprimait donc à la fois des
inquiétudes politiques, publiques et privées, issues des aléas d'une histoire internationale
riche en incertitudes. 195 C'était d'ailleurs sur des questions concernant la santé et le salut,
nepi xcov 7tp6ç ùyieia[v]| Kai acoxqpiav (1. 12-13), qu'était consulté l'oracle
d'Apollon à Koropè. Ce dieu était à la fois guérisseur et sauveur et, en tant que tel, mais
surtout en tant que puissance oraculaire, il interagissait directement avec ses fidèles, leur
procurant soulagement physique et psychologique grâce à un contact dialogique, intime
et rassurant. Les soulagements apportés par le fils koropéen de Léto étaient ses bienfaits,
xàç eùepyeataç xàç ùno xou 0eou (1. 10-11), faisant d'Apollon Koropaios un dieu
évergète et bienveillant, répondant aux attentes et aux angoisses de ses consultants.

Cependant, qualifier de nouveau ce besoin de dieux intéressés de près aux affaires


humaines ne serait pas tout à fait exact. Car de tout temps, une dimension personnelle
était présente dans la religiosité grecque, s'exprimant de façon probante par les pratiques
votives. Platon avait d'ailleurs bien signifié cette facette des pratiques religieuses
helléniques :

194
SylV 589, 1.26-31. F. Dunand a commenté cette inscription dans son article «Fêtes et réveil
religieux dans les cités grecques à l'époque hellénistique », Dieux, fêtes, sacré dans la Grèce et la
Rome antiques, actes du Colloque tenu à Luxembourg du 24 au 26 octobre 1999, p. 110-111. La
fête aurait été instituée à la suite d'une victoire des Magnètes sur les Milésiens, connue par le traité
de paix conclu entre les deux cités, SylT 588.
195
J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 296.
90

«Il est habituel [...] à toutes personnes qu'inquiètent une maladie, un


danger, une difficulté, dans le temps même de leur inquiétude ou quand,
au contraire, un peu d'aise leur survient, de consacrer la première chose
qu'elles auront sous la main, de vouer des sacrifices, de promettre des
fondations de temples à dieux, démons et fils de dieux. »196

Reposant sur ces bases anciennes, la nouveauté de la religiosité hellénistique


serait donc plutôt à voir dans l'intensité accrue de la recherche d'une relation plus
personnelle avec le divin. Ce fait se manifesta inévitablement dans le paysage cultuel du
monde grec, et les divinités susceptibles de répondre à ce besoin furent davantage
sollicitées, à l'image de puissances oraculaires comme Apollon Koropaios.

2. Des divinités bienveillantes.


L'intensité nouvelle du besoin d'une plus grande proximité avec les dieux
favorisa le développement du culte de puissances plus proches des hommes, avec
lesquelles un contact plus intériorisé était possible. Certains cultes séculaires prirent alors
une importance nouvelle et connurent une popularité accrue, tandis que le
cosmopolitisme hellénistique ouvrait d'autres voies dans la recherche de la bienveillance
divine.

La grande popularité des divinités guérisseuses à l'époque hellénistique est en soi


un indice témoignant de la sollicitation accrue de puissances impliquées plus directement,
plus personnellement et plus visiblement dans les affaires humaines. Intéressées aux
vicissitudes et aux souffrances de la vie de chacun, ces entités, dieux ou héros, étaient
habituellement consultées par le biais d'un rite d'incubation, pendant lequel le fidèle
rencontrait la puissance. Les croyants, malades, blessés ou simplement désireux de
prévenir l'apparition de maux, passaient alors la nuit dans le sanctuaire de la divinité, et
celle-ci se manifestait en rêve pour les soulager. Un tel procédé oniromantique, déjà
mentionné à propos de l'Amphiaraion d'Oropos, établissait un contact très direct entre le
consultant et son dieu. Le principe était similaire dans l'antre lébadéen d'un autre héros

196
Platon, Lois 909 e, cité par W. Burkert, Ancient Mysteries Cults, p. 12
91

guérisseur, Trophonios.197 Mais de toutes les divinités guérisseuses, Asklépios fut sans
contredit celle dont le culte s'imposa le plus à l'époque hellénistique.

Ce fils d'Apollon et de la mortelle Coronis, élevé sur le mont Pélion par le


centaure Chiron, devint alors le dieu guérisseur par excellence, comme le montre la
diffusion de son culte depuis son sanctuaire péloponnésien d'Épidaure. Il connut, tout au
long de l'époque hellénistique, une popularité indéniable dont témoigne son
développement en plusieurs lieux, de Corinthe en passant par l'Arcadie, et de Crète
jusqu'à Cos en Asie Mineure, île qui d'ailleurs abritait son plus brillant sanctuaire.198
Athènes aurait été parmi les premières cités à importer en son sol le culte épidaurien
d'Asklépios, dans les années 420, à la suite de la peste qui, coïncidant avec les débuts de
la guerre du Péloponnèse, décimait les habitants de la cité d'Athéna. Le culte aurait
d'abord été introduit à titre privé sur les pentes de l'Acropole, par un certain Télémachos,
pour ensuite être pris en charge par la cité vers le milieu du IVe siècle.199 Dans cette
situation de crise particulièrement angoissante pour les individus, aux prises avec une
épidémie et devant l'impuissance apparente des dieux de sa cité, Télémachos, de son
propre chef, rechercha la sécurité, la protection et le réconfort auprès d'un dieu médecin
et bienveillant.200 Pour les Athéniens comme pour les autres cités qui en importèrent le
culte, l'intérêt de faire appel à Asklépios venait essentiellement de la sollicitude qu'il
portait aux individus. Dans la plupart de ses sanctuaires, le dieu théurge était assisté par
sa fille, la Santé, abstraction personnalisée et divinisée sous le nom de Hygie. C'était

197
Sur ces deux oracles, voir supra, p. 24-26 et la remarque de la note 58.
198
M. Jost, Aspects de la vie religieuse en Grèce, p. 42, affirme que ce développement « traduit le
besoin grandissant qu'avaient les hommes, en plus des divinités attachées à leur vie de citoyen, de
dieux attentifs à leurs problèmes individuels. » Voir aussi R. Martin et H. Metzger, La religion
grecque, p. 65-68; F. Chamoux, La civilisation hellénistique, p. 361-363; sur la mythologie
entourant Asklépios, voir notamment K. Kerényi, Asklépios. Archetypal Image of the Physician's
existance, p. 87 et sqq. pour différentes versions du mythe.
199
S. B. Aleshire, The Athenian Asklepieion. The People, Their Dedications, and the Inventories,
p. 8-9; J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 267; R. Martin et H. Metzger, La religion
grecque, p. 66-67 et 81-84.
200
A ce sujet et sur ce qui suit, voir A. Burford, The Greek Temple Builders at Epidauros : a Social
and Economie Study of Building in the Asklepian Sanctuary, During the Fourth and Early Third
Centuries B.C., p. 20. Pour l'histoire de ce sanctuaire, voir S. B. Aleshire, Athenian Asklepieion,
p. 7-36. L'origine de l'Asklépieion d'Athènes est connue par le monument dit de Télémachos,
retrouvé sur le site. L'inscription de ce monument, SEG XXV, 226, raconte comment TrjXéuaxoç
'iô[poc.aTo TO i|E]pov icai Ba>[uôv TCH 'Aa|aK^]n.7ncôi 7ipû.Tfoç icai 'Yyi|etai] (1. 1-4).
92

notamment le cas dans l'Asklépieion de Gortys d'Arcadie, où une inscription réfère à ces
« divinités bonnes, grandes, bienfaisantes et salvatrices. »201

Des dieux sôteres et évergètes, près des hommes, tels étaient les besoins spirituels
recherchés par les Grecs hellénistiques. Telles étaient aussi les vertus des puissances
guérisseuses, comme Asklépios, et d'autres dieux comme Apollon à Koropè. Mais la
multiplication des échanges entre Grecs et Barbares, résultat des conquêtes d'Alexandre,
favorisa aussi la pénétration de cultes étrangers dans le monde des cités. Bien que ces
cultes, souvent regroupés sous le vocable d'« orientaux »,203 demeurèrent somme toute
marginaux dans la plupart des cités grecques, les cultes égyptiens d'Isis et de Sérapis
connurent parmi ceux-ci une certaine popularité tout au long de la période, et notamment
à la basse époque hellénistique.204

Car l'attrait d'Isis et de Sérapis n'était en soi pas très différent de celui exercé par
d'autres dieux sôteres et évergètes. Ces divinités étaient spécialisées, comme Asklépios,
dans les guérissons, Isis étant même parfois associée à Hygie. Sérapis, quant à lui, était
directement associé au fils-médecin d'Apollon, et il en vint même à se substituer à
Asklépios. Ce dieu gréco-égyptien était aussi pourvu de pouvoirs oraculaires, tel que le
montre notamment une inscription d'Erétrie. Mais les pouvoirs d'Isis allaient bien au-

201
L'inscription en question, SEG XV, 234, provient de l'édifice thermal du sanctuaire et le texte en
est cité par M. Jost, Sanctuaires et cultes d'Arcadie, p. 503. L'auteure, à la note 4 de la même
page, rappelle, entre autres, une inscription similaire d'Épidaure, IG IV2 1, 133,1. 8.
202
M. Jost, ibid., p. 503, note encore que « les qualificatifs d'âyaôdç et de acùTrjp appartiennent à un
répertoire fréquent pour les divinités guérisseuses. »
203
F. Dunand, « Fêtes et réveil religieux », p. 102, n. 4, fait remarquer l'ambiguïté de ce terme, qui
regroupe des réalités cultuelles trop diverses et variantes.
204
À ce sujet, voir F. Dunand, « Cultes égyptiens hors d'Egypte. Essai d'analyse des conditions de
leur diffusion », Religion, pouvoir et rapports sociaux, p. 74. La diffusion de ces cultes se fit
principalement dès la fin du IVe siècle. Le culte d'Isis, par exemple, fit son apparition au Pirée en
333 (p. 83).
205
L'incubation était d'ailleurs pratiquée dans les sanctuaires isiaques, et des reliefs votifs,
représentant des parties du corps et similaires à ceux trouvés à l'Amphiaraion et à Epidaure, furent
retrouvés dans certains de ces lieux de cultes. Voir F. Dunand, ibid., p. 84.
206
Pour l'assimilation de Sérapis à Asklépios, voir Y. Grandjean, Une nouvelle arétalogie d'Isis à
Maronée, p. 1. Sur la fonction oraculaire du dieu, voir l'inscription retrouvée au sanctuaire des
divinités égyptiennes à Érétrie, IG XII 2, 571, brièvement commentée par P. Bruneau, Le
sanctuaire et le culte des divinités égyptiennes à Érétrie, p. 73-75. L'inscription, datée du début du
IIe siècle, honore un certain Phanias fils de lasôn, « qui a exercé la prêtrise héréditaire
conformément à l'oracle du dieu, » KaTct rrjv uavTeiav TOO OEOU (1. 7-8).
93

delà des prétentions thaumaturges, et la déesse devint rapidement considérée comme


omnipotente et universelle. Ce fait apparaît avec éloquence dans les arétalogies isiaques,
ces hymnes que firent graver des particuliers afin d'honorer la déesse pour ses bienfaits,
ses multiples pouvoirs sur la destinée humaine et les miracles lui étant attribués. Dans
l'un de ces textes, retrouvé à Maronée et daté de la seconde moitié du IIe siècle ou de la
première moitié du Ier siècle a.C, un personnage anonyme honore Isis pour une
miraculeuse guérison oculaire. Elle y est en outre décrite comme étant la première fille de
la Terre et l'institutrice du mariage, de l'écriture et de la justice.207

Au IIe siècle, les cultes d'Isis et de Sérapis semblent gagner en popularité à


l'intérieur des communautés poliades, en particulier en Asie Mineure, où les dieux
apparaissent sur les monnaies de Rhodes, Myndos, Iasos, Stratonicée, Éphèse et Tralles,
entre autres. Tandis qu'aux siècles précédents les cultes égyptiens avaient été introduits
principalement à titre privé par des particuliers, à partir du IIe siècle les cités
s'impliquèrent davantage envers ces divinités, participant notamment à la construction
des édifices sacrés nécessaires, à l'organisation des fêtes en leur honneur, de même qu'à
la nomination des serviteurs des dieux.

207
Y. Grandjean, Arétalogie d'Isis à Maronée, présente le texte grec et sa traduction aux pages 17-21.
L'auteur présente brièvement cinq autres arétalogies isiaques, connues de sources épigraphiques
ou littéraires, de même que dix autres textes similaires en l'honneur de la déesse. Parmi ces textes
figure l'hymne d'un certain Isodoros, retrouvé dans le Fayoum et daté du Ier siècle a.C. Isis y est
décrite comme étant la « Salvatrice Immortelle [...] qui protège de la guerre les cités et tous les
hommes, leurs femmes et leurs enfants chéris » qui sont « tous sauvés quand ils invoquent ton
secours. » Voir E. Bernand, Inscriptions métriques de l'Egypte gréco-romaine. Recherches sur la
poésie épigrammatique des Grecs en Egypte, no. 175 (citation : I, 1. 26-27 et 34), p. 631-652.
L'auteur affirme, p. 651-652, à l'encontre de C. Préaux, que ces hymnes ne sont pas « des litanies
égyptiennes avec des mots grecs » puisque la déesse « est pourvue de fonctions qu'elle n'a pas
eues à l'origine », comme celle de protectrice de la navigation par exemple, et que du reste « le
schéma d'ensemble demeure celui des hymnes grecs. » Bien que les pouvoirs de la déesse sur le
Destin et la Fortune aient surtout été honorés à l'époque impériale, à partir du second siècle de
notre ère, cet hymne de la basse époque hellénistique était déjà allusif à la suprématie isiaque sur
la vie et la mort, puissance guérisseuse et salvatrice de périls et désastres. Pour une discussion plus
détaillée sur les arétalogies d'Isis, voir, outre le commentaire de l'inscription de Maronée de
Y. Grandjean, H. S. Versnel, Inconsistencies in Greek and Roman Religion 1. Ter Unus. Isis,
Dionysos, Hermes. Three Studies in Henotheism, p. 41 sqq., et p. 46-50 pour l'association d'Isis à
Tychè. Des arétalogies de Sérapis sont aussi connues, notamment à Délos. À ce sujet, voir
H. Engelmann, The Delian Aretology of Sarapis. Les fameux récits des miracles d'Asklépios,
gravés sur des stèles retrouvées à Épidaure, relèvent aussi du genre arétalogique.
208
F. Dunand, « Cultes égyptiens », p. 112.
209
Ibid. Les fervents étaient, dans un premier temps, essentiellement des étrangers, et l'introduction
de ces cultes était souvent, à l'exemple de l'Asklépios d'Athènes, le fait d'initiatives privées, de la
94

Des cités prirent donc en charge ces cultes, vers la basse époque hellénistique, ce
qui implique que ces groupements poliades acceptèrent d'intégrer ces divinités aux côtés
des dieux du panthéon traditionnel. Ces inclusions de puissances égyptiennes doivent
être vues comme une mesure d'adaptation religieuse et spirituelle entreprise par des
communautés civiques afin d'offrir, à l'intérieur du cadre de la cité, des cultes rendant
possible une relation plus personnelle et plus sécurisante avec le divin. Ainsi était pris en
charge, par certaines cités, le besoin d'une plus grande intériorisation des relations avec
le monde divin, lié à une quête plus intensive du salut, entendu au sens d'exemption et de
protection de divers maux, qu'ils soient d'origine médicale ou qu'ils portent atteinte à la
sécurité et à l'intégrité physique.

De tout temps, la religiosité grecque était le fait de l'expérimentation, et lorsque


l'invocation d'un dieu ne donnait pas les résultats souhaités, il était alors normal de se
tourner vers une autre puissance, sans pour autant rejeter totalement celle honorée en
premier lieu. En incluant des cultes nouveaux aux côtés de ceux des dieux d'une cité,
les citoyens ne faisaient qu'entretenir et développer leurs relations avec le monde divin,
voire innover dans les liens hommes-dieux. Ils cherchaient à ajouter, à la gamme de leurs
recours spirituels enseignés par la tradition, toutes autres puissances susceptibles de
répondre favorablement à leurs invocations et donc à leur besoin du moment.

D'ailleurs, la religion traditionnelle offrait déjà les moyens d'une religiosité plus
intérieure, et ces pratiques gagnèrent aussi en popularité à l'époque hellénistique.
Plusieurs cités administraient des cultes à mystères depuis les époques archaïque et

part d'Égyptiens résidant en Grèce ou encore de Grecs d'Egypte de retour dans leur patrie. Mais
peu à peu, l'influence de ces cultes se fit sentir chez les citoyens. Ainsi, à Athènes et à Délos, dès
la fin du IIIe siècle, le prêtre de Sérapis était un citoyen, et il dut en être de même, de plus en plus,
pour les participants du culte. Pour Athènes, ce n'est que vers 133 que l'on possède des traces
probantes d'une participation citoyenne aux cultes égyptiens de la cité. À cette époque, les dieux
égyptiens étaient bien établis dans la cité athénienne, et « prominent Athenians served their cult. »
Ce fait est en partie explicable par la mainmise athénienne sur Délos, l'île ayant été remise à
Athènes par Rome, en 167. Voir J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 276.
F. Dunand, « Fêtes et réveil religieux », p. 102, met cependant en garde contre le fait de surestimer
l'importance des cultes « nouveaux » à l'époque hellénistique, importance qui lui « semble
largement exagérée » par rapport aux cultes traditionnels. J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic
Athens, p. 279, partage aussi cet avis.
211
W. Burkert, A ncient Mystery Cults, p. 14.
95

classique, et ce type de cultes offrait aux participants un contact intime et rassurant avec
une divinité choisie.212 Accessibles tant aux citoyens qu'aux non-citoyens, les cultes à
mystères étaient un à-côté de la religion civique collective dont la participation se fondait
sur une décision purement personnelle et individuelle. Le moment fort du rituel consistait
en l'initiation du fidèle parmi les mystai des divinités honorées. Voilées d'un secret
révélé aux seuls initiés, ces cérémonies permettaient un contact privilégié avec une ou des
puissances, en plus d'offrir, comme c'était notamment le cas à Eleusis ou dans les
mystères dionysiaques, une sécurité spirituelle foncièrement personnelle, en promettant
un sort meilleur après la mort.213 Nulle obligation donc, à l'époque hellénistique, de se
tourner vers des cultes étrangers pour développer un lien privilégié avec une divinité : des
cultes ancestraux, comme les mystères, mais aussi les cultes oraculaires, le permettaient
déjà. Le cosmopolitisme hellénistique venait simplement diversifier l'offre susceptible de
combler ce besoin spirituel.

Les cultes à mystères connurent au demeurant une grande vogue à l'époque


hellénistique. Le sanctuaire à mystères de Déméter et de Korè à Eleusis, géré par l'État
athénien, connut durant toute la période plusieurs réaménagements, constructions et
agrandissements, témoignant du développement de sa popularité à l'échelle
internationale. Dès le IVe siècle, des traces iconographiques du culte éleusinien
apparurent dans des régions aussi diverses que l'actuelle Russie méridionale, l'Italie et
l'Egypte.214 À la basse époque hellénistique, un décret de l'Amphictionie delphique, daté
de 117/6, mentionne les mystères des deux déesses comme l'un des bienfaits d'Athènes
pour le monde grec.215 De même, les mystères des Grands Dieux, célébrés au moins

212
Ibid., p. 21; J.-P. Vernant, L'individu, la mort, l'amour. Soi-même et l'autre en Grèce ancienne,
p. 220.
213
J.-P. Vernant, ibid. Cicéron, De legibus, 2, 36, spécifiait d'ailleurs que l'initiation d'Eleusis
montrait « comment vivre dans la joie, et comment mourir avec de meilleurs espoirs. » Cité par
W. Burkert, Ancient Mystery Cults, p. 21. L'auteur affirme, p. 21-23, que les mystères
dionysiaques, qui connurent une popularité accrue à l'époque hellénistique, envisageaient aussi un
au-delà heureux. Selon F. Chamoux, La civilisation hellénistique, p. 357-358, les mystères
associés à Dionysos étaient surtout populaires dans les îles égéennes et en Anatolie. Ils étaient
organisés principalement par des thiases bacchiques, et ne relevaient pas à proprement parler
d'une cité.
214
W. Burkert, Ancient Mystery Cults, p. 37.
215
IG II 2, 1134, 1. 17-19. Sur la prospérité du culte d'Eleusis après 166, voir J. D. Mikalson,
Religion in Hellenistic Athens, p. 258-261.
96

depuis le Ve siècle sur l'île égéenne de Samothrace, connurent une grande popularité à
l'époque suivant les conquêtes d'Alexandre. Ce fait est perceptible à la fois par une
intense activité de construction dans le sanctuaire, au IIIe siècle, et par une diffusion du
culte des ©eoi MeydXoi de Samothrace à l'extérieur de l'île et dans différentes parties
du monde grec. Cette diffusion aurait été le fait d'initiés et de fidèles qui, après leur
passage sur l'île de l'Egée septentrionale, auraient rapporté dans leur patrie des activités
cultuelles associées à ces divinités.217 Des listes d'initiés, apparaissant sur plus d'une
centaine d'inscriptions retrouvées sur l'île et datées entre le IIe siècle a.C et le IIIe siècle
p.C, montrent que les mystes provenaient pour l'essentiel de Macédoine, de Thrace,
d'Asie Mineure et des autres îles égéennes.218 Le cas déjà mentionné des mystères
d'Andanie, réformés au tout début du Ier siècle a.C. à la suite d'une consultation de
l'oracle d'Apollon à Argos, est aussi révélateur du souci toujours vivant qu'avaient les
cités pour ce genre de cultes traditionnels, qui permettaient un contact plus direct avec le
divin.219

Sur le plan religieux, les Grecs surent donc s'adapter aux nouveautés du monde de
l'ère hellénistique. Mais cette adaptation se fit sur les vieilles bases fondamentales de
l'attitude religieuse hellénique. Devant un kosmos changeant, de nouveaux moyens
étaient nécessaires afin de poursuivre la séculaire et ancestrale recherche de soumission à
l'ordre divin du monde.220 Ces moyens pouvaient être trouvés autant dans de nouveaux
cultes, tels qu'en offraient par exemple Isis ou Sérapis, que dans les cultes déjà existants
comme ceux de dieux guérisseurs et les cultes à mystères, mais aussi les cultes
oraculaires. Tous ces dieux étaient protecteurs, sauveurs et bienfaiteurs des hommes, et

216
S. G. Cole, Theoi Megaloi : the Cult of the Great Gods at Samothrace, p. 5. L'archéologie montre
cependant que, bien que ces mystères apparaissent dans des sources littéraires dès le Ve siècle
(i. e. Hérodote, II, 51), les principaux bâtiments du sanctuaire datent principalement de la seconde
moitié du IVe siècle. Pour l'histoire du sanctuaire, voir ibid., p. 10-25. L'auteure affirme plus loin,
p. 38, que des inscriptions permettent de penser que ces mystères comptèrent parmi leurs initiés
des personnages comme Philippe III Arrhidée, Lysimaque, Ptolémée II, Arsinoé II et Philippe V.
217 Ibid., p. 21. Les theoi samothrakes sont notamment mentionnés dans des inscriptions et papyri de
Cyrène, Stratonicée, Éphèse, Délos, Istros et Olbia. Voir la carte III présentée par S. G. Cole.
218 Ibid., p. 38-46. S. G. Cole regroupe ces inscriptions selon l'origine des initiés (p. 43-44). Des
citoyens, des hommes libres, des esclaves et quelques femmes de 40 cités telles Rhodes, Elis,
Epidamne, Pergame et Alexandrie, vinrent à Samothrace pour s'y faire initier. Voir la carte I
présentée par l'auteure.
2,9
Supra, p. 80-81.
2:0
lbid.p. 14-15.
97

les honorer permettait de renforcer la promiscuité hommes-dieux par une intensification


de l'intériorisation religieuse. Celle-ci, malgré l'ordre sacré changeant, rendait possible
l'atteinte du divin par le biais de puissances intéressées de près aux affaires humaines.

Le contexte d'intériorisation religieuse et la recherche concomitante de puissances


divines bienveillantes offraient une conjoncture favorable à la fréquentation des
sanctuaires oraculaires grecs. En ces lieux et par le biais d'un contact dialogique avec un
dieu, les Hellènes pouvaient toujours trouver l'assurance que leurs gestes du quotidien,
leurs décisions et leurs choix restaient en conformité avec l'ordre du monde, aussi
changeant soit-il. La consultation d'oracles était un autre outil spirituel bien connu des
Grecs qui permettait de s'adapter aux nouvelles conditions de la vie hellénistique.

B. Un contexte favorable aux oracles.


La recherche d'une relation plus intime et profonde avec le monde divin allait
certes fournir un terrain spirituel propice aux croyances divinatoires, et donc contribuer à
la vitalité des oracles grecs hellénistiques. Mais la conjoncture favorisant la vitalité
oraculaire n'aurait pu exister sans le soutien d'un contexte plus général de continuité des
cultes ancestraux. Bien que ceux-ci aient pu parfois souffrir des troubles politiques et
économiques des cités grecques, les poleis s'efforcèrent constamment d'honorer leurs
dieux traditionnels et de pratiquer les anciens cultes, comme par le passé. Contrairement
à ce que certains modernes affirment toujours, la persistance des cultes ancestraux était le
fait d'une attitude religieuse sincère.

1. Persistance des cultes traditionnels.


Parlant de la religion grecque pour l'ensemble de la période suivant le passage
d'Alexandre le Grand, les historiens modernes ont souvent eu tendance à la qualifier de
décadente, arguant que, sous une apparente continuité des cultes traditionnels, elle était
devenue empreinte d'un formalisme rituel et d'apparat extérieur aux croyances profondes
des gens de l'époque, une simple routine cultuelle « vide de sens ».2

C'est notamment le cas de F. Dunand, dans son article cité à la note 204. L'auteure est cependant
revenue sur sa position, dans «Fêtes et réveil religieux», p. 112. À ce sujet, voir infra,
98

Un tel déclin était en outre souvent et étroitement mis en lien avec celui de la cité,
et un des signes en était l'introduction en son sein de cultes étrangers, considérés comme
dénaturant le panthéon grec traditionnel. Or, le déclin de la cité à l'époque hellénistique a
de nos jours été fortement nuancé. Il a en outre été démontré plus haut que l'introduction
de cultes étrangers relevait davantage de l'expérimentation spirituelle, propre à la
religiosité hellénique, et de l'adaptation dynamique de celle-ci à de nouvelles conditions
existentielles. Du reste, l'intégration officielle de ces cultes n'impliquait aucunement une
désaffection des cultes traditionnels, et encore moins que la continuité de ceux-ci se fit
« sous vide ».

Certes, tout au long de la période, l'attention que portèrent les cités à leurs
sanctuaires ancestraux a pu varier au gré d'une histoire riche en rebondissements et en
conflits, sources d'une fréquente instabilité politique, sociale et économique, variable
dans le temps et l'espace du monde hellénistique. Bien que persistassent les croyances
aux dieux traditionnels, le paysage religieux du monde grec se transforma quelque peu,
certains cultes se popularisèrent alors que d'autres périclitèrent pour être ultérieurement
abandonnés ou revivifiés, d'autres encore étant réformés et célébrés de façon plus
manifeste. M. Jost a bien montré que « l'histoire des sanctuaires est indissolublement liée
à l'histoire socio-économique des régions », et que, bien souvent, un « manque de vitalité
d'une région et l'absence d'un évergétisme actif» peuvent expliquer le déclin puis
l'abandon de lieux de cultes, modifiant ainsi le paysage cultuel. " Des éléments
extérieurs au sentiment religieux pouvaient donc avoir un impact majeur sur l'état du
paysage religieux hellénique.

p. 100, n. 229. P. Green est l'un des modernes arguant du déclin de la religion grecque l'époque
hellénistique. Dans son ouvrage D'Alexandre à Actium : du partage de l'empire au triomphe de
Rome, p. 640 sqq., il affirme entre autres que, bien que les cités conservassent leurs divinités
tutélaires, « l'image s'était étiolée et vidée » (p. 642). E. R. Dodds illustre aussi cette tendance, en
particulier dans Les Grecs et l'irrationnel, où il évoquait le «pourrissement progressif de la
tradition » (p. 238).
222
M. Jost, Sanctuaires et cultes d'Arcadie, p. 550-551. L'auteure affirme aussi que des
transformations du cadre de vie d'une cité, tel un synœcisme ou encore le regroupement de cités
en un Etat fédératif, avaient généralement d'importants effets sur le paysage des sanctuaires grecs.
Les synœcismes et la fondation d'un koinon avaient souvent pour effet de concentrer l'attention de
la nouvelle cité ou du groupement fédéral sur un sanctuaire commun. L'exemple de Démétrias, qui
accueillit en son sein le sanctuaire des héros et archégètes des anciennes cités formant ses dèmes,
témoigne d'une modification du paysage cultuel amenée par un synœcisme. Le sanctuaire
d'Artémis Iolkia aurait en outre été transféré d'Iolkos à Démétrias.
99

Après une période qui, par la force des choses, conflits ou crise sociale par
exemple, a pu conduire à une interruption, ou du moins à une diminution, de certaines
activités cultuelles, les cités grecques eurent habituellement tendance à revenir à leurs
cultes ancestraux dès que les circonstances contextuelles le permettaient.223 Ce fait est
bien exprimé par Polybe, qui affirmait que, peu après la paix de Naupacte mettant fin, en
217, à la guerre des Alliés opposant Étoliens et Achaïens, les derniers, s'efforçant de
reprendre une vie normale, « cultivèrent la terre, rétablirent les sacrifices et les fêtes
traditionnelles, et toutes les institutions religieuses locales. » L'antique historien ajoute
qu' « il s'était presque fait une sorte d'oubli de ces choses à peu près partout à cause de la
durée ininterrompue des guerres précédentes. »224 Avec le retour à une relative stabilité,
les Grecs cherchaient donc à reprendre les pratiques religieuses civiques et ancestrales
interrompues par les conflits.

Ainsi, dans le courant du IIIe siècle, tandis qu'une relative stabilité - ou, pour
reprendre l'expression d'Ed. Will, une impossible stabilité - succédait à la période agitée
des Diadoques, maints décrets témoignent de la vitalité de la religion traditionnelle et de
l'attention que portèrent plusieurs cités à l'entretien de leur sanctuaire et au bon
déroulement des cultes ancestraux. Ces textes révèlent la construction ou la
reconstruction de temples, la nomination du personnel, prêtres, prêtresses ou autres
magistrats affectés aux sanctuaires par les assemblées poliades, comme par le passé, ou
encore l'organisation, la réorganisation et même la création de fêtes en l'honneur de
divinités traditionnelles. 225 L'Asie Mineure fut l'une des régions du monde grec où la
vitalité de la religion traditionnelle fut particulièrement visible, notamment par la création

223
Cependant, les dommages pouvaient parfois s'avérer irréparables, et des cités ne furent parfois pas
en mesure de reprendre la totalité de leurs activités cultuelles après un conflit particulièrement
destructif et ruineux. Au tournant du IIe siècle par exemple, Athènes appauvrie ne fut pas en
mesure de restaurer les lieux de cultes de sa chôra, qui, lors de la seconde guerre de Macédoine,
avaient subi les violents ravages faits par Philippe V. Voir à ce sujet J. D. Mikalson, Religion in
Hellenistic Athens, p. 189-194.
224
Polybe, V, 106, 2-3. La citation est tirée de J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 289.
Ed. Will, Histoire politique II, p. 74, parle du « caractère ruineux de la guerre [des Alliées] » pour
une partie du Péloponnèse, souligné par P. Ducrey, Le traitement des prisonniers de guerre dans
la Grèce antique, p. 88 sqq.
À ce sujet et sur ce qui suit, voir F. Dunand, « Fêtes et réveil religieux », p. 102 sqq.
100

de plusieurs fêtes et concours panhelléniques. Ce fait n'est sans doute pas étranger à la
prospérité économique dont jouit cette partie du monde, à partir du IIIe siècle, profitant
notamment du dynamisme évergétique de la région. C'est d'ailleurs à cette époque que se
développèrent les deux sanctuaires oraculaires d'importance que furent Didymes et
Claros, dont la vitalité et la popularité dans cette région du monde grec ont déjà été
soulignées.227

C'est aussi à cette époque que le culte d'Artémis Leucophryéné se développa à


Magnésie-du-Méandre, et que des concours panhelléniques furent fondés en l'honneur de
la déesse. Cette fondation n'était nullement un fait isolé. L'époque hellénistique fut une
période riche en concours, anciens et nouveaux, et C. Préaux parle même à ce sujet d'un
monde toujours en fête. Aux côtés d'une intériorisation religieuse qui permettait à
chacun de s'inscrire, à titre personnel, dans le nouvel ordre du monde, une forte demande
d'expression religieuse collective existait aussi, permettant à chaque entité poliade
d'asseoir son identité dans le nouvel ordre en célébrant avec faste les dieux traditionnels,
eux-mêmes garants du kosmos. Le décret des Magnètes-du-Méandre concernant la fête de
leur déesse épiphane témoigne, au-delà du cadre strictement formel du déroulement des
cérémonies, de l'implication des habitants de la cité (oi KaxoïKcov), tous étant
notamment conviés à célébrer un sacrifice « selon ses moyens, devant sa porte. » Les

226
Voir D. Magie, Roman Rule in Asia Minor to the End of the Third Century After Christ, p. 102, où
l'auteur mentionne les Asklépeia de Cos, les fêtes d'Apollon Didyméen à Milet, créées en 212, de
même que celles de Dionysos à Téos, fondées à la fin du IIIe siècle.
227
Supra, p. 40-43.
228
C. Préaux, Le monde hellénistique : la Grèce et l'Orient de la mort d'Alexandre à la conquête
romaine, 323-146 av. J - C . I, p. 250; G Shipley, The Greek World After Alexander : 323-30 B.C.,
p. 171; A. Swiderek, « La cité grecque et l'évolution de la mentalité religieuse dans les premiers
temps de l'époque hellénistique », Eos 78 (1990), p. 262-263.
Syll3 695 A, 1. 8-9, commenté par F. Dunand, « Fêtes et réveil religieux », p. 110. Dans son article
« Sens et fonction de la fête dans la Grèce hellénistique. Les cérémonies en l'honneur d'Artémis
Leucophryéné», DHA 4 (1978), l'auteure présentait une position beaucoup plus tranchée sur le
caractère religieux et politique de cette fête. Conformément à la tendance historiographique de
l'époque sur la religion hellénistique (voir supra p. 97-98), elle affirmait que le caractère officiel
et stéréotypé de la fête témoigne « d'un certain appauvrissement de son contenu » (p. 207). Elle
prétendait en outre que « la fête échappe à la sphère du sacré [...], l'acte religieux n'est plus guère
que prétexte à une pratique politique », et elle ne manquait pas de faire le lien avec « un certain
appauvrissement de la religion officielle » depuis le IV e siècle (p. 209). Elle posait enfin comme
hypothèse que ce fait illustre « la difficulté qu'éprouvent désormais les fidèles à "rencontrer" la
divinité dans le cadre de la religion officielle » (p. 213, n. 48). Or, la fête d'Artémis Leucophryéné
résultait pourtant d'une apparition de la déesse, à sa prêtresse de surcroît et donc à un magistrat
101

célébrations festives hellénistiques étaient toujours animées d'un sentiment religieux,


preuve que les Grecs continuaient à honorer leurs dieux traditionnels en toute sincérité,
avec l'éclat que leur permettaient les circonstances.

Tout au long de l'époque, plusieurs règlements concernant divers cultes, revivifiés


ou réformés, ou encore à propos du réaménagement de sanctuaires, précisent que les
activités cultuelles devaient être effectuées Kaxà xà rcdxpia, selon les coutumes
ancestrales. La formule apparaît notamment dans l'inscription sur l'oracle d'Apollon
Koropaios (1. 32). Bien que l'objectif de ce texte ne fût pas « de rehausser l'éclat des
cérémonies, comme c'est le cas dans tant d'autres documents relatifs au culte, »230
l'expression dénote toute l'importance de l'ancestralité sacrée du sanctuaire. « Kaxà xà
7tdxpia », de même que d'autres formulations apparentées, témoigne de la croyance
selon laquelle le caractère sacré d'un lieu était directement issu de son ancestralité, et il
convenait donc de préserver cet état ancien des sanctuaires et des cultes. Le texte de
Koropè met ce fait bien en relief en rappelant que le fils de Léto y était npoxexipqpévou
otà 7ipoyô|vcov (1. 14-15). Un autre décret, issu de la confédération illienne et promulgué
en 77 a.C, réinstaurait la célébration d'une panégyrie d'Athéna, après avoir réglé de
graves problèmes financiers liés aux guerres mithridatiques. Le texte de l'inscription

civique, en 221/20. Après consultation d'Apollon à Delphes au sujet de cette apparition, Magnésie
décida la fondation d'une nouvelle fête en l'honneur de la déesse épiphane, et ces célébrations
devinrent panhelléniques en 206. F. Dunand, dans son récent article « Fêtes et réveil religieux »
(2003), se fait le témoin du nouveau regard que l'historiographie moderne pose, depuis quelque
temps déjà, sur la religion grecque hellénistique. Parlant toujours des décrets SylT 695 A-B
concernant les fêtes d'Artémis Leucophryéné, l'auteure note que, au-delà du caractère politique,
bien réel, revêtu par cette fête (et les fêtes hellénistiques en général, permettant par exemple
d'affirmer la prospérité d'une cité ou d'établir des liens avec les cités et les souverains invités aux
cérémonies), «rien ne permet de dire[...] que ce qui s'exprime n'a pas une portée
authentiquement religieuse, et que les pratiques qu'ils évoquent n'étaient pas vécues comme
telles » (p. 111). Par ailleurs, sur les apparitions divines, F. Dunand note, p. 109, n. 35, qu'à partir
de l'époque hellénistique, de nombreuses epiphanies de dieux sont connues par diverses sources,
épigraphiques {e.g. OGIS 331 IV et 383, SylP 398 et 867) et littéraires, et sont souvent la cause
d'érection de temples et d'institution de fêtes, comme ici à Magnésie-du-Méandre. Aussi « destiné
à rendre manifeste la protection qu'un dieu apporte à une cité» {ibid), le phénomène s'inscrit
donc dans la recherche de liens directs, privilégiés et tangibles avec le monde divin dont il a été
question plus haut.
L. Robert, « Apollon Koropaios », p. 20. L'auteur a qualifié de « pures imaginations », les
interprétations de P. Guillon, Les trépieds du Ptoion II, qui parlait de « la restauration de l'oracle »
de Koropè (p. 80, n. 5), restauration qui aurait trahi, selon lui, « le refroidissement de la piété
populaire » (p. 157-158).
102

soulignait avec tout autant d'insistance l'importance de célébrer la déesse KOCOO'XI Kai
rcpôxepov (1. 21, 22, 37 et 39), icaOôxi eïOiaxai (1. 34) et Kaxà xôv raxxpiov vôpov
(L 24-25).231 Ces répétitions montrent le souci constant et insistant qu'avaient les Grecs
hellénistiques de leurs cultes traditionnels, en même temps qu'elles attestent de la
persistance de la foi ancestrale tout au long de la période.

Un autre exemple est fourni par l'inscription d'Argos concernant la réforme des
mystères d'Andanie, dans laquelle l'oracle d'Apollon Pythéen prescrit d'offrir « le
sacrifice qui agrée aux Grands Dieux selon l'usage ancestral » (1. 25-26). D'après
N. Deshours, cette réforme cultuelle serait à inclure dans « un large mouvement de piété
adressée aux dieux ancestraux, » qu'elle situe aux environs de 100 a.C.232 Parlant même
pour cette époque d'un contexte de retour aux cultes traditionnels, elle inclut dans ce
mouvement le renouveau des Pythaïdes athéniennes, cette procession qui partait des pieds
de l'Acropole pour se rendre au sanctuaire de Delphes. Le rite, abandonné depuis le
IVe siècle, ne fut restauré qu'en 138/7, soit environ 50 ans après que la mainmise
étolienne sur le sanctuaire d'Apollon Pythien eut été rompue par Rome. La période
mouvementée et conflictuelle qui, de 223 à 146 environ, fut caractérisée par
l'accroissement de l'implication romaine dans le monde grec, a certainement vu plusieurs
cités, subissant l'âpreté des conflits, se détourner momentanément de l'entretien des
sanctuaires, sans que cela n'implique une diminution de la foi traditionnelle.

Bien que l'instabilité récurrente caractérisant le monde hellénistique ait parfois pu


conduire à des modifications du paysage religieux, voire à une diminution apparente de
l'attention portée à certains lieux de cultes ou même parfois à leur abandon, un souci
persistant des cultes ancestraux est perceptible. L'importance de préserver ces cultes

231
SEG IV, 664 A-B. Voir F. Dunand, « Fêtes et réveil religieux », p. 108.
232
À ce sujet et sur ce qui suit, voir N. Deshours, « Consultation de l'oracle d'Apollon pythéen à
Argos », p. 482-483. La citation de l'inscription est aux pages 478-479. Sur l'oracle de la réforme
des mystères d'Andanie, voir supra, p. 80-81.
233
Ibid., p. 482. L'auteure note que « la traduction des changements politiques dans le domaine
cultuel n'est pas toujours rapide. » Dans ce contexte de retour aux cultes ancestraux, N. Deshours
évoque aussi les décrets honorifiques pour les cosmètes athéniens et la gravure de la Chronique de
Lindos (p. 483).
103

marque l'attachement continuel des Grecs à une religion traditionnelle toujours vivante à
l'époque hellénistique.

La vitalité des oracles grecs repose largement sur cette continuité de la religion
traditionnelle. Il appert même que des manteia aient pu bénéficier, à la basse époque
hellénistique, d'un contexte de retour aux cultes ancestraux, dans lequel il convient aussi
d'insérer l'inscription sur l'oracle d'Apollon à Koropè. C'est d'ailleurs pour la basse
époque hellénistique qu'est perceptible le principal changement affectant le paysage des
manteia grecs, donnant une forme particulière à la vitalité des lieux prophétiques d'alors.
Car sous le contexte de continuité des cultes traditionnels, la seconde partie de l'époque
hellénistique, caractérisée par la prépondérance nouvelle du pouvoir romain, fut aussi
porteuse d'une autre conjoncture, favorable, pour sa part, aux oracles locaux.

2. De l'action des forces régionalisantes.


Il a été démontré, à la fin des deux chapitres précédents, que la basse époque
hellénistique révélait tout le dynamisme et la mouvance du paysage oraculaire grec.
Tandis que se régionalisait l'influence delphique et qu'émergeaient, en Asie Mineure, les
grands centres prophétiques de Didymes et de Claros, des oracles locaux comme celui de
Koropè connurent aussi une popularité accrue. Ce phénomène touchant les activités
oraculaires s'insère dans un contexte plus large affectant le monde hellénistique, et dans
lequel agissaient des forces régionalisantes.

Devant le nouvel ordre politique supra-poliade qui s'était imposé au monde grec,
une forme particulière d'organisation étatique allait offrir à plusieurs communautés
grecques, cités ou tribus, un contrepoids politique assurant un meilleur rapport de force
avec les grandes monarchies. Unies par des liens familiaux et ethniques séculaires, des
communautés étaient déjà, à l'époque d'Alexandre, regroupées et organisées en koina, au
sein de cadres fédératifs dont les structures politiques et administratives furent, dans
l'ensemble, pratiquement fixées dès la fin de la période classique, et peut-être même au
104

Ve siècle.234 Ces regroupements étaient donc bien implantés en Grèce avant la domination
macédonienne. Les koina offraient à leurs membres une protection supplémentaire contre
la menace continuelle que posaient les nouvelles monarchies sur l'autonomie des cités.
C'est d'ailleurs à l'époque hellénistique que les confédérations grecques connurent leur
apogée, faisant de « la Grèce hellénistique une Grèce d'États fédéraux. »235 Étoliens et
Achaiens furent les peuples dont les ligues respectives connurent le plus grand succès,
étendant leur territoire en englobant celui des peuples voisins dans le cours du IIIe siècle.

Les koina constituaient des forces régionales pouvant être en mesure de rivaliser
avec les grandes puissances hellénistiques. L'expression la plus éloquente de ces forces
est à voir dans la citoyenneté fédérale, qui se superposait à celle des communautés
membres. Cette citoyenneté commune allait de pair avec un transfert de pouvoirs au
gouvernement central, à un degré variable d'une entité à l'autre, mais qui relevaient le
plus souvent des compétences diplomatiques, financières et militaires en lien avec les
relations extérieures. ' Les gouvernements fédéraux exerçaient une large part de leur
juridiction dans ce domaine, représentant un ensemble de communautés d'une région. Vu
de l'extérieur, un État fédéral regroupait des localités sous l'égide d'un gouvernement
central constitué, à l'exemple de ces localités, d'un conseil, d'une assemblée et de
magistratures. Il s'agissait donc d'un ensemble régional politiquement cohérent.

Mais un koinon générait aussi des forces régionalisantes, conduisant


éventuellement à un repli des communautés membres à l'intérieur d'un cadre

234
Ce type d'organisation s'était essentiellement développé en Grèce centrale, chez les Thessaliens et
les Béotiens notamment, de même qu'en Grèce occidentale et septentrionale, chez des peuples
comme les Étoliens, les Acarnaniens, et les Molosses. Voir à ce sujet P. Cabanes, « Recherches
sur les États fédéraux en Grèce », CH 21 : 4 (1976), p. 400. Pour l'ensemble de la question des
États fédéraux grecs et une histoire détaillée de chacun, voir J. A. O. Larsen, Greek Federal
States : Their Institutions and History. Un décret d'Athènes, daté de 367/6, mentionne le koinon
étolien pour la première fois dans les documents épigraphiques. Voir M. N. Tod, A Selection of
Greek Historical Inscriptions II, 137, auquel réfère P. Cabanes, ibid., p. 397. Pour le koinon des
Acarnaniens, la plus haute mention apparaît dans les Helléniques de Xénophon, IV, 6, 4, toujours
selon P. Cabanes, ibid., p. 398. Ce dernier mentionne aussi, dans son article, p. 398-399, que la
première inscription témoignant de l'existence du koinon des Molosses est datée de 370-368. Cette
fédération allait devenir ultérieurement l'État épirote. Voir P. Cabanes, L'Épire de la mort de
Pyrrhos à la conquête romaine, 272-167 av. J.-C, p. 534-545, inscriptions 1-12.
235 Ed. Will, Le monde grec et I Orient II, p. 489.
236 P. Cabanes, « Recherches sur les États fédéraux », p. 397.
105

géographique régional. Car les structures internes de ces ligues, quoique mal connues,
avaient sans contredit un effet régionalisant, propre à renforcer l'unité entre les diverses
composantes. Polybe, parlant de la Confédération Achaienne, affirmait que chacune de
ses cités avaient « mêmes magistrats, mêmes bouleutes, mêmes juges »,237 montrant bien
les liens étroits entre les parties confédérées. En fait, les ligues formaient de véritables
communautés de droit privé. La citoyenneté fédérale, accordant à tous ces politai les
mêmes droits sur l'ensemble du territoire, était aussi accompagnée du droit de propriété,
Yenktésis gès kai oikias, conférant aux citoyens le privilège d'acquérir et de posséder
terres et immeubles dans toute autre cité du koinon. Le droit d'intermariage, Yépigamia,
était un autre élément commun aux États fédéraux favorisant le resserrement des liens
intra-régionaux. La réflexion de Polybe montre encore qu'une ligue pouvait comporter
des institutions judiciaires collectives. Ph. Gauthier a noté que ce niveau judiciaire
fédéral, se superposant aux institutions poliades, avait juridiction essentiellement sur les
affaires communes, les cités conservant leurs tribunaux au même titre que leurs
magistrats et leur boulé. Des conventions judiciaires pouvaient donc être conclues entre
deux cités d'un même koinon, « et il semble que le lien fédéral a pu constituer un facteur
favorable à l'établissement de relations plus fréquentes et à la conclusion de conventions
bipartites. » 239 De tels aupPotax entre cités membres d'un même koinon, visant une
meilleure protection juridique des ressortissants d'une cité contractante à l'intérieur de la
cité partenaire, devaient être rendus nécessaires par la circulation intra-régionale des
biens et des personnes, que facilitait justement le cadre fédéral.

Forces régionales et régionalisantes, les koina grecs furent grandement favorisés,


dans la seconde moitié du IIe siècle, par l'influence croissante de la puissance romaine en
Grèce. Avant le tournant du second siècle, seulement cinq confédérations étaient
présentes sur le continent, soit celles des Achaiens, des Étoliens, des Béotiens, des

237
Polybe, II, 37, 10, cité par Ph. Gauthier, Symbola, p. 297.
238
Ed. Will, Le monde grec et l Orient II, p. 491 ; J. A. O Larsen, Greek Federal States, p. xviii-xix.
239
Ph. Gauthier, Symbola, p. 298. Le propos de Ph. Gauthier s'insère dans son commentaire de la
convention passée entre les cités achaiennes de Stymphale et d'Aigeira, IG V 2, 357, datée de la
seconde moitié du IIIe siècle. Il affirme que, dans ce texte, « l'emploi du terme oopPo^d - au lieu
de cruuBoXov - s'explique peut-être parce qu'une telle convention n'était qu'un exemple parmi
d'autres conventions du même genre, conclues entre cités membres du koinon. »
106

Acarnaniens et des Épirotes. À la suite de la seconde guerre de Macédoine, après la


victoire romaine de Cynoscéphales, la première réorganisation de la Grèce par les
Romains allait révéler la propension de ces derniers à s'appuyer sur les entités régionales
pour aménager l'Hellade. Il a déjà été mentionné que, dans la région thessalienne alors
enlevée à Philippe V, l'État fédéral des Thessaliens retrouva son indépendance de la
Macédoine, tandis qu'était créé, à côté de la confédération perrhèbe, le KOIVOV x<âv
Mayvfjxcov.240 Jusqu'au règlement de la guerre d'Achaïe, en 146, la domination
grandissante de Rome sur le monde grec se traduisit par une multiplication des États
fédéraux, formés à partir des territoires des vaincus, Macédoniens, Étoliens ou
Achaiens.241

Sous l'impulsion romaine, plusieurs États fédéraux furent soit créés, soit
simplement rendus indépendants, et occupèrent une place importante dans le paysage
politique de la basse époque hellénistique. Le résultat fut la régionalisation progressive
du monde grec en ensembles géopolitiques regroupant des communautés qui, si elles
n'étaient pas déjà liées par une organisation fédérale avant les interventions romaines,
entretenaient cependant un sentiment plus ou moins développé d'appartenance à un
même é9voç.242 L'influence de Rome avait conduit le monde grec du IIe siècle à une
provincialisation. Non pas au sens où la Grèce serait devenue, après 146, une province
romaine, mais plutôt au sens d'une compartimentation du monde grec en plusieurs
régions, dans lesquelles la plupart des entités poliades étaient regroupées en

240
Supra, p. 48-49 et n. 119.
241
La Phocide et la Locride, enlevées à Philippe V en 196, furent remises aux Étoliens, mais la
Phocide devint indépendante après la guerre antiochique, alors que le revirement des alliances
plaçait les Étoliens dans le camp ennemi de Rome. Voir J. A. O Larsen, Greek Federal States,
p. 301. Et bien qu'ils eussent été à nouveau alliés des Romains dans la troisième guerre de
Macédoine, ces derniers, jugeant sans doute la participation étolienne trop peu enthousiaste, leur
retrancha plusieurs territoires de Grèce centrale, qu'ils constituèrent aussi en koina de taille
réduite. Une inscription, SylF 653, datée d'environ 165, mentionne les koina des Doriens, des
Ainiens, des Oitaiens et des Locriens de l'Est. Voir J. A. O. Larsen, Greek Federal States, p. 478,
qui y ajoute les Locriens de l'Ouest, connus par l'inscription publiée par G. Busolt, Staatskunde,
1460. Voir aussi Tite-Live, XLV, 31, 1-3 et Diodore, XXI, 8, 6. Après la guerre d'Achaïe fut créé,
dans le Péloponnèse que contrôlait auparavant dans sa quasi-totalité les Achaiens, le koinon
lacédémonien. Voir à ce sujet D. G. Martin, Greek Leagues U, P 443-444.
242
Ibid., p. 575-577: Par exemple, les Dolopes et les Doriens, peuples sans tradition fédérale connue
et sous dépendance étolienne jusqu'en 168, formaient tous deux un ëOvoç représenté par des
hiéromnémons à l'Amphictionie de Delphes. Le statut politique des Dolopes après leur libération
de l'Étolie n'est cependant pas établi avec certitude.
107

confédérations. Il découla de cela que, bien plus tard, à l'époque d'Auguste, environ 18
koina couvraient le continent. A la suite de la guerre d'Achaïe, les États fédéraux
devinrent donc peu à peu ce qu'ils furent sous l'Empire, c'est-à-dire des « instruments for
local gouvernment of more or less importance »244 sur lesquels se dessinèrent les
subdivisions administratives impériales.

À partir du second siècle, la provincialisation du monde grec doit aussi être mise
en parallèle avec les difficultés économiques et sociales que connurent maintes cités
helléniques de la basse époque hellénistique, et dont le cas de Démétrias a fourni un
exemple probant. A ces troubles affectant la vie locale, il convient d'ajouter les
problèmes démographiques à la source d'une dépopulation marquée de la Grèce, à partir
de ce siècle, et dont Polybe fut un témoin contemporain. L'auteur parle en effet d'« une
dénatalité et [d'] une oliganthropie générale qui eurent pour effet que les cités se
dépeuplèrent et que la terre resta en friche. »245 En concentrant l'attention des
communautés sur ces problèmes internes touchant directement les corps civiques et
l'ensemble des populations des cités affectées, ces troubles étaient autant de forces
régionalisantes conduisant éventuellement à un repli sur elles-mêmes de ces
communautés. De plus, la chute de la Macédoine et l'affaiblissement des pouvoirs
monarchiques séleucide et lagide avaient ouvert une période d'insécurité dans l'ensemble
du monde grec, Rome ne suppléant pas avant le règne d'Auguste aux principales forces

243
D. G. Martin, ibid., p. 560, n. 1 : il s'agissait des Confédérations des Achaiens, des Ainianes, des
Acarnaniens, des Athamaniens, des Béotiens, des Doriens, des Eubéens, des Cretois, des
Lacédémoniens, des Locriens de l'Ouest et de l'Est, des Magnètes, des Oitaiens, des Phocidiens,
des Thessaliens et des Panachaiens. Peut-être les Dolopes avaient-ils aussi leur koinon.
244 J. A. O. Larsen, Greek Federal States, p. 502.
245 Polybe, XXXVI, 17, 5-8. Commentant ce propos de Polybe, Ed. Will, dans Le monde grec et
l'Orient II, p. 514-515, y apporta toutefois une nuance. La dépopulation dont parlait Polybe, bien
réelle comme en témoignent notamment des inscriptions révélant un ratio généralement restreint à
une seule fille par famille et la pratique plus fréquente de l'exposition d'enfants, touchant
principalement les jeunes filles et affectant donc le taux de fécondité, ne doit pas être généralisée
avant la fin du IIe siècle. Ed. Will affirme qu'à l'époque où écrivait Polybe, la dépopulation devait
plutôt concerner le milieu social même de l'historien achaïen qui, aisé mais possédant des
ressources limitées, « compromettait la génération suivante pour n'avoir pas à prélever une dot sur
le patrimoine. » À la fin du second siècle cependant, Ed. Will note que le déclin démographique
s'accentua, conséquence d'une insécurité grandissante. À propos du faible ratio de filles par
famille dans les inscriptions, voir l'article de S. M. Pomeroy, « Infanticide in Hellenistic Greece »,
Image of Women in Antiquity, en particulier aux pages 210 et sqq. où l'auteure étudie les
inscriptions du delphinion de Milet.
108

cohésives hellénistiques qu'avaient été les grands royaumes. Multiples furent alors les
dangers issus de la nouvelle situation politique, et à travers tout le monde grec ils se
manifestèrent : montée de la piraterie égéenne et des raids piratiques sur les côtes d'Asie
Mineure, accroissement du royaume arménien jusqu'en Phénicie, déportations de
populations par les Romains, guerres mithridatiques, incursions de barbares thraces ou
autres tribus danubiennes en Macédoine, et même jusqu'au cœur de la Grèce, avec le sac
de Delphes de la fin des années 80.246 Planant sur l'ensemble du monde grec, cette
insécurité était à même de favoriser, d'une part le repli défensif et angoissé des
communautés grecques, et, d'autre part, le recours aux oracles, qui offrait aux consultants
un moyen d'apaiser leur angoisse.

La régionalisation des activités oraculaires a été démontrée, à la fin du premier


chapitre, du point de vue de l'oracle de Delphes, haut lieu de mantique où le phénomène
est très bien perceptible après 150 environ. La diminution de l'aire des proxénies
delphiques comme de la quantité d'actes d'affranchissements dans le sanctuaire
d'Apollon de même que la baisse du nombre d'offrandes monumentales ont montré que
la réduction de l'influence de l'oracle pythique était bien réelle. G. Daux explique ces
faits archéologiques en précisant que « la Grèce centrale végète, divisée en une multitude
de compartiments étroits qui s'ignorent de plus en plus. » 47 Avec la chute de la
monarchie antigonide et la lente agonie des royautés séleucide et lagide, la puissance
romaine devenait le seul pouvoir supra-poliade d'importance, et le sanctuaire de Delphes
perdait de ce fait son rôle de vitrine des luttes d'influence en cours dans le monde
hellénique. Dès lors que leur propre influence fut solidement établie, les Romains
semblent avoir accordé moins d'importance à ce haut lieu de mantique. Bien que par le
passé ils aient, à quelques reprises, consulté officiellement la Pythie, aucune consultation
de la sorte n'est attestée après 204, alors qu'une délégation romaine, en route vers

F. Millar, « Greece and Rome from Mummius Achaicus to St Paul : Reflexions on a Changing
World», BCH suppl. 39 (2001), p. 2-5; Ed. Will, Le monde grec et l'Orient 11, p. 515;
R. M. Kallet-Marx, Hegemony to Empire. The Development of the Roman Imperium in the East
from 148 to 62 B. C, p. 192. Sur les incursions de barbares en Macédoine et les problèmes en
découlant pour l'autorité romaine, dès 119 (mort du préteur Sex. Pompeius dans une bataille
contre les Scodisci), voir ibid., p. 223-225.
247
G. Daux, Delphes au If et au f siècle, p. 494.
109

Pergame, s'enquit du succès de leur mission auprès d'Apollon. 248 La diminution de


l'influence delphique montre bien que les forces régionalisantes en œuvre dans le monde
grec produisirent leurs effets jusque dans les pratiques oraculaires. Le contexte de
l'époque hellénistique, et particulièrement à la basse époque, fut alors favorable à la
fréquentation des lieux prophétiques locaux, dans un monde grec de plus en plus
compartimenté.

Le besoin d'avoir recours aux oracles était encore présent et très vivant. Au même
titre que les individus, les communautés poliades avaient toujours recours aux oracles,
s'enquérant de l'avis d'un dieu sur différents problèmes affectant la communauté, et en
premier lieu certainement sur des questions d'ordre religieux. L'inscription de Koropè ne
précise-t-elle pas qu'Apollon prodiguait ses bienfaits « en commun et à chacun en
particulier» ( 1. 12)? 11 n'y a pas lieu d'affirmer, avec H. W. Parke, que l'expression
évoquait une situation passée. Le préambule de l'inscription indique plutôt que le dieu est
« honoré de façon très manifeste » puisque « révélant (rtpoôqXouvxoç, participe présent)
à travers son oracle » (1. 10-11) ses bienfaits. Parke précise encore que les mesures prises
par Démétrias ne semblent pas prévoir le cas de consultants représentant d'une cité, et
que « probably such consultation were not to be expected. » Cependant, les mesures
d'eukosmia pouvaient tout aussi bien être les mêmes pour tous, sans qu'il n'ait été besoin
de séparer les consultants ordinaires des quelques consultants publics. Ces derniers ne
devaient néanmoins pas être très nombreux, non par baisse de ferveur, mais plutôt parce
que cela fut toujours le cas, à Koropè comme en de hauts lieux de mantique tels Dodone
et même Delphes. 250 Du reste, des exemples de cités questionnant un dieu dans un
sanctuaire prophétique apparaissent toujours à la basse époque hellénistique. Le cas de
l'Apollon d'Argos, consulté par Messène, en a déjà fourni témoignage. L'exemple de

248
À ce sujet et sur les relations intermittentes de Rome avec l'oracle de Delphes, voir notamment
A. Jacquemin, « De la méconnaissance à l'abus du sanctuaire : l'apprentissage de la Grèce par les
chefs de guerre romains », BCH, Suppl. 39 (2001), p. 156-157. Tite-Live, XXIX, 10-11, informe
que l'ambassade romaine se rendait auprès d'Attale Ier de Pergame afin de recevoir l'aide de celui-
ci dans l'introduction du culte de la Grande Mère de l'Ida à Rome. Les consultations romaines
officielles de Delphes étaient, le plus souvent, le fruit de circonstances exceptionnelles, le Sénat
ayant par ailleurs ses propres moyens de consultations des dieux.
:4<J
H. W. Parke, Greek Oracles, p. 126.
Supra, p. 19 et n. 38.
10

l'oracle du même dieu à Gryneion, en Asie Mineure, en est un autre exemple. Apollon y
fut consulté au début du Ier siècle par la cité de Kaunos à la suite de mauvaises récoltes,251
signe qu'à l'époque hellénistique finissante, les communautés poliades, comme les
individus, se tournaient toujours vers les divinités oraculaires à propos des différents
problèmes les affectant.

Dans une Grèce provincialisée, dont plusieurs parties étaient aux prises avec des
difficultés internes et des menaces externes latentes, la forme que prit la vitalité
oraculaire dans le paysage des manteia grecs n'échappa pas à l'action des forces
régionalisantes en œuvre. Non seulement le contexte religieux de l'époque hellénistique
fut propice à la continuité et à la vitalité des croyances oraculaires, mais encore la
conjoncture politique favorisa-t-elle leur pratique dans un cadre plus local, comme le
montre le cas, parmi d'autres, de l'oracle d'Apollon à Koropè.

Les bouleversements majeurs de l'ordre cosmique suivant les conquêtes


d'Alexandre eurent d'inévitables répercussions sur les activités oraculaires. En
intensifiant la recherche d'une religiosité intériorisée et le besoin de communication avec
des puissances bienveillantes, ces changements devinrent la source d'une vitalité certaine
des oracles helléniques. À la basse époque hellénistique, le dynamisme des manteia grecs
se poursuivit, soutenu par la persistance des cultes traditionnels. Mais les activités
oraculaires se pratiquèrent alors à une échelle davantage localisée, subissant le contre-
coup de l'évolution politique d'un monde grec qui, désormais sous l'influence de la
puissance romaine, se régionalisait.

251
I b i d . p . 23, n. 49.
Ill

CONCLUSION

La solide et maintes fois séculaire continuité des croyances oraculaires grecques


découlait de la conception du monde qu'avaient les Hellènes. Dans un cosmos ordonné à
travers les générations divines, d'Ouranos à Zeus, l'homme occupait une place
particulière, circonscrite par sa propre mortalité. Cet ordre était celui voulu et présidé par
les Olympiens. Le Grec, dans son quotidien, était entouré des multiples signes de leurs
présences. L'exemple du rituel sacrificiel a bien montré les deux principaux fondements
de l'attitude religieuse grecque, conditionnée à la fois par le besoin de communication
avec le divin et la recherche de soumission à l'ordre sacré. La fréquentation des
sanctuaires prophétiques répondait des mêmes comportements, de la même structure
inscrite dans la mentalité des Hellènes. La consultation d'oracles offrait un accès sûr au
kosmos par un contact dialogique avec une entité divine, par l'intermédiaire d'un
prophète, porte-parole du dieu. Pour le consultant, qu'il soit représentant d'une cité ou
simple particulier, la réponse de la puissance offrait l'assurance que son projet ou son
choix était conforme à l'ordre divin du monde.

Comme tout phénomène structurel, les croyances oraculaires s'inscrivaient dans la


longue durée. Pendant toute l'Antiquité, cette structure se manifesta concrètement par la
présence, dans l'ensemble du monde grec, d'un grand nombre de sanctuaires où une
communication pouvait être établie avec diverses puissances divines. Un portrait général
du paysage des manteia helléniques en a révélé la diversité, mais aussi le rayonnement
variable des lieux de mantique. Aux côtés du nombre limité d'oracles d'influence
panhellénique, parmi lesquels Delphes était de loin le plus renommé, se trouvaient maints
centres prophétiques au rayonnement plus modeste, à l'exemple de celui de Koropè. Les
hauts lieux de mantique, comme l'oracle apollinien de Delphes ou encore ceux de Zeus à
Dodone et à l'oasis de Siwah, sont cependant mieux connus, en particulier grâce à des
auteurs anciens comme Hérodote. Leur influence dépassait de loin le cadre strictement
local, faisant de ces sièges prophétiques les principaux concurrents du grand oracle
d'Apollon à Delphes, prestigieux entre tous.
112

Véritable autorité mantique depuis l'époque archaïque, le sanctuaire delphique


demeura au centre de la foi religieuse panhellénique pendant la première partie de
l'époque hellénistique. À la basse époque cependant, une réduction géographique de
l'influence pythique est perceptible, et ce changement a mis en lumière un mouvement
plus vaste affectant les manteia grecs. La transformation ne se situe non pas au niveau
des croyances proprement dites, qui demeurèrent bien vivantes, mais plutôt au niveau du
scheme de fréquentation des lieux prophétiques et de l'importance relative des oracles
entre eux. Car malgré le déclin apparent du plus important centre de mantique, la vitalité
oraculaire fut soutenue, à la basse époque hellénistique, par une dynamique propre à cette
période, issue de forces dépassant largement le cadre strictement religieux.

Tandis que la clientèle delphique se régionalisait en Grèce centrale, d'autres


oracles se développaient. Les manteia de Didymes et de Claros émergèrent alors en Asie
Mineure, et leur vitalité nouvelle fut notamment perceptible par les reconstructions et
réaménagements que connurent ces sanctuaires à partir du IIIe siècle. L'influence de ces
grands centres prophétiques perdura d'ailleurs jusque tard sous l'Empire, et ils reçurent
des consultants en provenance de plusieurs cités égéennes et d'Asie Mineure. Cette
diversification des pôles de mantique illustre bien l'un des principaux changements de la
religion grecque à l'époque hellénistique. Une modification du degré d'importance des
cultes existants fut alors perceptible, de sorte que « new or existing cults seems to be
assuming fonctions once commonly centered in another cult. »25 ! Il a d'ailleurs été
montré que la littérature hellénistique présenta alors Didymes selon des légendes
similaires à celles traditionnellement associées à Delphes, et que l'oracle devint en outre
un instrument de reconnaissance d'asylie.

Le cas du sanctuaire d'Apollon à Koropè témoigne de ce changement affectant


alors le paysage mantique grec. Sous la juridiction de la cité de Démétrias depuis sa
fondation par Démétrios Poliorcète, en 294, l'oracle de Koropè connut une intense
activité dans la seconde moitié du IIe siècle. Verrou de la Grèce sous la domination
macédonienne, Démétrias était alors le chef-lieu du KOIVOV XCÙV Mayvqxcov. Les

252
J. D. Mikalson, Religion in Hellenistic Athens, p. 5.
113

décrets démétriens requérant l'aide de juges étrangers, datés de la seconde moitié de ce


siècle, montrent que cette période fut, pour la grande cité de Magnésie comme pour
plusieurs autres poleis grecques, caractérisée par des dissensions sociales et politiques
internes.

Dans ce contexte trouble et mouvementé, la cité dès Magnètes promulgua, peu


après 116, deux décrets ayant pour objectif d'assurer le maintien de l'ordre lors des
consultations d'Apollon Koropaios. Le culte était florissant, et ces décrets représentent la
réaction des dirigeants de Démétrias à la fréquentation accrue de leur oracle de Koropè
par des étrangers. Ce flux nouveau de consultants nécessitait une adaptation des autorités
démétriennes afin de préserver l'eÙKoapta digne de l'ancestral sanctuaire. La présence
obligatoire de sept magistrats, le déroulement des cérémonies sous l'œil attentif de trois
rabdouques et l'établissement, par le secrétaire du dieu, d'une liste déterminant l'ordre
des consultations furent les principales mesures décrétées afin de gérer la vitalité de
l'oracle koropéen. Une attention toute particulière à l'état du lieu sacré d'Apollon, altéré
par l'afflux de consultants qui devaient y passer la nuit, est illustrée par le second décret
de l'inscription, concernant la protection du bois sacré du sanctuaire. Ce souci de
préserver l'état ancestral du sanctuaire et la dignité corrélative de ses activités cultuelles,
accomplies Kaxct xà 7ictxpia (1. 32), ne fut pas unique au sanctuaire de Koropè. Du
reste, parallèlement à la vogue du manteion koropéen, la vitalité d'autres oracles locaux
ou régionaux est attestée tout au long de l'époque, notamment à l'Amphiaraion d'Oropos
et à l'oracle d'Apollon Pythéen, à Argos.

En remettant l'inscription de Koropè dans la perspective générale de l'activité


oraculaire hellénistique, la vitalité de ce centre local de mantique trouve sens dans la
principale transformation touchant alors cet aspect de la religion grecque. Au-delà des
mesures ponctuelles d'adaptation à un achalandage nouveau, témoins de la continuité des
croyances oraculaires, les décisions prises par la cité de Démétrias s'inscrivaient aussi
dans une conjoncture favorable à la régionalisation des pratiques oraculaires.
114

Bien que, à la suite des conquêtes d'Alexandre, l'ordre du monde devînt


changeant, transformé par la présence d'États monarchiques limitant à différents degrés
l'autonomie des cités, la certitude que ce kosmos était celui voulu par les dieux
demeurait. À l'époque hellénistique, « on a tout autant que par le passé besoin de "croire"
à cet ordre, en tout cas de se confier à ces puissants patrons que sont Artémis, ou Zeus, ou
Asklépios, et c'est vrai pour tout le monde, depuis les magistrats jusqu'aux plus humbles
citoyens. » L'adaptation religieuse des Hellènes aux nouveautés du monde
hellénistique s'effectua donc selon les mêmes principes fondamentaux conditionnant leur
attitude religieuse depuis des siècles. Avec la guerre du Péloponnèse, la religiosité
grecque s'était faite plus pessimiste, et la nécessité rassurante d'occuper une place précise
dans l'ordre cosmique, d'y être soumis, passait désormais par la recherche d'un divin
plus près des hommes, par l'intériorisation de la relation homme-dieux.

Ce développement fut accentué, dès les premières décennies de l'époque


hellénistique, par l'avènement d'un ordre politique dépassant celui des cités classiques,
dans lequel les rois déterminaient largement l'orientation de la politique internationale.
Dans un monde où le balancier de Tychè semblait osciller de façon incertaine, les Grecs
avaient besoin de puissances divines bienveillantes, pouvant les rassurer à travers cette
instabilité des affaires humaines. Les cultes de dieux ou de héros guérisseurs, tels
Asklépios et Amphiaraos, de divinités étrangères, comme Sérapis et Isis, de même que
les cultes à mystères, tels que ceux célébrés à Eleusis et à Samothrace, connurent une
popularité accrue à l'époque hellénistique. De fait, ils répondaient à une recherche plus
intense de dieux intéressés de près aux aléas de la vie de chaque homme. Ainsi, dès le
dernier tiers du IVe siècle et plus encore à l'époque hellénistique, la religiosité grecque
s'était développée en une conjoncture qui ne pouvait être que favorable aux puissances
oraculaires, par nature très près des hommes et avec lesquelles un dialogue rassurant
pouvait s'établir. L'intériorisation de la religiosité hellénique et la recherche d'un divin
bienveillant, intensifiées par les bouleversements de l'âge des grands royaumes,
contribuèrent à l'établissement d'un contexte propice à assurer la vitalité de sanctuaires
oraculaires.

253
F. Dunand, « Fêtes et réveil religieux », p. 112.
115

Ce contexte religieux favorable à la fréquentation des oracles fut aussi soutenu,


tout au long de la période, par un souci continuel des cultes traditionnels. Au même titre
que les croyances oraculaires, les cultes ancestraux persistèrent, et ce, bien que
l'instabilité récurrente de l'époque ait parfois empêché les cités, impliquées dans un
conflit ou aux prises avec des difficultés internes, par exemple, d'entretenir ou de
célébrer avec constance leurs cultes. Mais, dès que la situation le permettait, la tendance
générale était de retourner aux cultes ancestraux et de les célébrer Kaxà xà rcàxpia. Le
cas de Koropè, comme d'ailleurs celui des mystères d'Andanie, montre encore que des
manteia ont pu profiter d'un contexte de retour aux cultes traditionnels, en particulier à la
basse époque hellénistique.

À la même époque, la forme que prirent les activités oraculaires helléniques fut
largement influencée par deux ordres de forces régionalisantes. D'une part, la tendance
marquée, dès avant l'époque d'Alexandre, au regroupement en koinon, contrepoids
politiques devant les grands États monarchiques, conduisait à renforcir l'unité interne de
régions en établissant un sentiment collectif dépassant celui de la cité. À partir du
IIe siècle, Rome, au rythme de ses interventions victorieuses en Grèce, s'appuya sur ce
type d'organisation pour ses réaménagements successifs de l'Hellade, créant ou recréant
des koina qui devinrent, ultérieurement, des divisions régionales impériales. L'influence
de Rome conduisit le monde grec à une provincialisation, non pas au sens légal, comme
ce ne sera véritablement le cas que sous Auguste, mais bien au sens d'une
compartimentation progressive du monde hellénique en ensembles géopolitiques
régionaux.

À ces forces régionalisantes vinrent s'en ajouter d'autres, conduisant à un repli


défensif des communautés grecques sur elles-mêmes. Les importants troubles
économiques et sociaux affectant la vie locale, dont le cas de Démétrias a déjà fourni un
exemple, s'accompagnèrent d'une insécurité latente affectant alors l'ensemble du monde
grec. La principale cause en était le démembrement et l'affaiblissement des principales
forces cohésives hellénistiques. Dans un tel contexte d'angoisses et d'incertitudes, le
recours aux oracles demeurait un moyen ancestral des plus efficaces afin de s'assurer
16

que, sous le désordre apparent des choses, les dieux présidaient toujours au cosmos dans
lequel chaque homme pouvait trouver sa place. Car s'enquérir de l'avis d'un dieu était
certes le réconfort par excellence, et la réponse du dieu se voulait apaisante de l'angoisse
liée aux incertitudes de la vie. Auprès d'un oracle, les Hellènes « venaient recueillir le
témoignage que le dieu s'intéressait à eux et à leur destinée personnelle, [et] c'est cela qui
explique la pérennité des sites oraculaires à travers l'antiquité, malgré la concurrence
croissante des cultes étrangers, des mystères, [...] malgré le dédain des philosophes ».254
L'activité oraculaire n'échappa cependant pas aux forces en œuvre dans le monde grec,
et, à la basse époque hellénistique, elle s'exerça alors dans un cadre plus régional.

La vitalité des oracles hellénistiques fut donc soutenue par des phénomènes liés à
deux niveaux temporels. D'une part, elle s'inscrit dans la continuité d'une structure
mentale héritée des siècles précédents et se poursuivant jusqu'au triomphe du
christianisme. Continuité aussi en ce qui a trait aux cultes traditionnels, dont faisaient
partie les cultes oraculaires, et qui perdurèrent tout au long de l'époque. D'autre part, la
vitalité oraculaire suivant les conquêtes d'Alexandre découle aussi d'une conjoncture
d'intériorisation du fait religieux, dont la source remonte cependant à la guerre du
Péloponnèse. Dans son ensemble, l'époque hellénistique fut une période favorable aux
oracles grecs et à leur vitalité, mais l'action des forces régionalisantes de la basse époque
changea la forme que prirent les activités mantiques helléniques, et cette autre
conjoncture fut plus particulièrement favorable à des oracles locaux, comme celui
d'Apollon à Koropè.

Au besoin d'un contact direct et personnel avec les puissances et le monde divin
était aussi jointe la nécessité rassurante de percevoir des signes tangibles de la présence,
voire même de l'existence des divinités. Et c'est peut-être là le point commun entre les
cultes de guérisons, où le dieu apparaissait en rêve au fidèle, les cultes égyptiens, en
particulier dans l'omnipotence de la déesse Isis, et les mystères, où des puissances
assuraient les initiés d'un salut outre-tombe. Les cultes oraculaires répondaient aussi à la
même nécessité. Dans ces derniers, les porte-parole des dieux en étaient les messagers

254
F. Jouan, « L'oracle, thérapeutique de l'angoise », p. 28.
117

directs, et le dialogue ouvert avec un Immortel était sans doute le signe le plus manifeste,
non seulement de son existence, mais encore de l'intérêt particulier qu'il portait aux
mortels. L'astrologie et les pratiques magiques, qui gagnèrent aussi en popularité à
l'époque hellénistique, et particulièrement à la basse époque, reflètent encore cette
recherche de signes tangibles du divin. Les astres racontaient aux mortels l'ordre du
monde, tandis que la magie permettait d'accéder et même d'agir directement sur ce
kosmos. Rassurants, ces signes se voulaient autant de preuves que, malgré tous les
bouleversements transformant le monde, celui-ci était toujours intrinsèquement et
divinement ordonné.

ÉPILOGUE

La connaissance historique évoluant au gré des découvertes et des nouvelles


interprétations de chercheurs, toute étude demeure sujette aux nuances qui, tôt ou tard,
sont apportées par les modernes. À la suite de la rédaction de ce mémoire est venue à ma
connaissance l'étude récente de Chr. Chandezon, intitulée L'élevage en Grèce (fin Ve -
fin T r s. a.C). L'apport des sources épigraphiques, et parue en 2003. Aux pages 91 à 96,
l'auteur présente et commente le second décret de Koropè concernant la protection du
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bois sacré d'Apollon. Reprenant l'édition de la Sylloge , il présente une traduction


française de ce texte, la première, à ma connaissance, à être publiée. Il convient donc
d'ajouter ce titre au lemme de l'inscription, présenté plus haut aux pages 55 et 56. Le
commentaire de Chr. Chandezon ne modifie aucunement mes conclusions, mais il permet
cependant de nuancer l'interprétation de ce texte faite aux pages 74 à 76, en insistant
davantage sur l'impact qu'avait la population environnante sur la terre d'Apollon.

Aux pages 95 et 297-298, l'auteur affirme que les clauses du second texte
koropéen ne s'adressaient pas aux pèlerins, mais plutôt à la population locale. Certes, les
consultants ne sont pas expressément nommés, contrairement aux citoyens, aux habitants
et aux étrangers séjournant dans le pays (1. 80-81). En outre, l'effet des activités de la
population circonvoisine sur le sanctuaire devait être un souci permanent pour la
préservation de la verdure, et il est normal qu'un décret ayant cet objectif s'adresse plus
18

particulièrement aux gens des environs. Bien que la présence des pèlerins au manteion ne
fût limitée qu'à deux journées par année, la pression qu'ils exerçaient sur le lieu ne doit
pas être négligée, comme il a été démontré plus haut, aux pages 74 et 75. Du reste, le
texte précise que les mesures décrétées devaient être rendues manifestes « à tous ceux qui
viennent à leur tour dans le sanctuaire » (1. 79). Le second décret concerne donc les
pèlerins, mais aussi - voire surtout - la population avoisinante, susceptible de porter
atteinte à la verdure du sanctuaire d'Apollon tout au long de l'année.
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121

ANNEXE :
L'inscription sur l'oracle d'Apollon Koropaios
(Musée de Volos, inv. E 714)

Fragment A

Fragments B/C
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BIBLIOGRAPHIE

La bibliographie qui suit comprend l'ensemble des sources littéraires anciennes et des études modernes
citées et consultées. Une liste des abréviations utilisées (périodiques et corpus d'inscriptions) est présentée
à la fin. Comme pour les notes de bas de pages, les chiffres romains ont été utilisés pour identifier les
corpus d'inscriptions, les livres des auteurs anciens, de même que les tomes d'ouvrages modernes. La
numérotation des périodiques utilise quant à elle les chiffres arabes. Dans le cas d'articles parus dans des
ouvrages collectifs, les abréviations « éd. » et « éds. » ont été préférées à « dir. », par souci d'uniformité.
Pour les monographies, le nom des collections a été omis afin de ne pas alourdir la bibliographie. Sauf
mention contraire, les textes des auteurs anciens ont été consultés dans la Collection des Universités de
France. Le nom des lieux d'édition est par ailleurs indiqué dans la langue d'origine du document.

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137

ABRÉVIATIONS

I. Périodiques.
AJA = American Journal of Archeology.
AM- Mitteilungen des deustschen archàologischen Instituts. Athenische Abteilung.
AncSoc = Ancient Society.
AncW' — Ancient World.
AA — Archaologischer Anzeiger.
BCH = Bulletin de correspondance hellénique.
BICS = Bulletin of the Institute of Classical Studies.
CH = Cahiers d'histoire.
CRAI = Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
DHA = Dialogues d'histoire ancienne.
DosArch = Les dossiers d'archéologie.
GRBS = Greek, Roman and Byzantine Studies.
JHS — Journal of Hellenic Studies.
JRAI = Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland.
JS = Journal des savants.
REG = Revue des études grecques.
RPh = Revue de philologie, de littérature et d'histoire anciennes.
TAPhA = Transactions and Proceedings of the American Philological Association.
ZPE = Zeitschrift fur Papyrologie und Epigr aphik.

II. Corpus épigraphiques.


CID IV = Lefèvre, F., D. Laroche, O. Masson. Corpus des inscriptions de Delphes,
tome IV, Documents amphictioniques. Athènes, École française d'Athènes;
Paris, de Boccard, 2002. 481 p.

IG = Inscriptiones Graecae.

LSCG = Sokolowski, F. Lois sacrées des cités grecques, Paris, de Boccard, 1969. 368 p.

LSG = von Prott, J. et L. Ziehen, Leges Graecorum sacrae e titulis collectae, Leipzig,
Ernest Leroux, 1896-1907. [2 vol.]
138

OGIS = Dittenberger, W. Orientis Graeci Inscriptiones selectae, Hildesheim, G. Olms,


1960(1903-1905). [2 vol.]

Recueil = Michel, Ch. Recueil d'inscriptions grecques, Paris, Ernest Leroux, 1900.
1000 p.

SEG = Supplementum Epigraphicum Graecum.

Syll = Dittenberger, W. Sylloge


Sy Inscriptionum Graecarum, 2 e edition, Leipzig, S. Hirzel
1898-1901. [3 vol.]

Dittenberger, W.
Syll = Dittenberger, S)
W. Sylloge inscriptionum Graecarum, 3 e édition par F. Hiller von
Gârtringen, réimpression Hildesheim, G. Olms, 1960 (1915-1924). [4 vol.]

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