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Cacophonie silencieuse – pour t’écrire

Personne ne le sait, mais depuis 3 semaines, Jonathan et moi, on ne vit plus ensemble… Jonathan a
rencontré quelqu’un, et il faut bien admettre, mais depuis quelques temps… Jonathan et moi, nous nous
aimons encore, mais il y a un mal-être qui s’est installé…

Je ne veux pas dire aux filles ce que nous traversons. Parce que Nate et moi, on ne peut pas dire que
c’est fini… Nous avons tenté de parler franchement…

Ce qui en ressort, c’est que nous nous aimons encore tellement. Nous aimons notre chez-nous. Nous
raffolons de notre quartier. Nous aimons nos emplois. Nous sommes fiers de ce que nous avons
accompli

Nate est parti chez cette fille. Elle est éperdument amoureuse de lui, mais lui, il a été sincère avec elle ; il
souhaite essayer, mais il n’est pas sûr de vouloir me quitter… Il n’est pas sur de vouloir officiellement
déménager avec elle, mais il est ouvert à essayer.

Je sais tout cela, parce qu’on s’est toujours tout dit. Ce qu’il a demandé à cette fille, c’est de l’aider à
changer d’air. L’aider à se changer les idées. L’aider à voir s’il pouvait l’aimer. Elle a accepté, et elle sait
que je sais

Scène de ménage sans colère et sans heurts… C’est comme si tout coulait de source… Sensation bizarre,
nous aurions préféré nous lancer des assiettes à la figure, nous emporter, ou pleurer comme des
madeleines… Tout semble se dérouler de façon paisible, et pourtant, c’est une situation qui est
douloureuse, quasiment tragique… Comment peut-on à la fois encore tellement aimer et avoir autant
besoin de s’éloigner l’un de l’autre ? Être attaché à tout ce que nous sommes, et avoir besoin de s’en
départir tout autant

***

Mariane est venue me rejoindre lorsque je lui ai tout raconté au téléphone… Nous avons toujours été là
l’une pour l’autre, ma sœur et moi. C’est vraiment bien, parce que depuis 2 semaines j’hésite, et je sais
qu’elle sera de bon conseil

Voyez-vous, il y a ce Mason. Il est l’ingénieur informatique de la boîte où Je travaille depuis 5 ans déjà
dans le département de la comptabilité. C’est une place où je suis bien ; les filles et moi, nous nous
rejoignons même souvent le jeudi soir pour des 5 à 7 au café du coin…
Mason est notre légende urbaine. Personne ne sait s’il est célibataire ou engagé… Personne même ne
sait s’il est straight ou gay… Et aucune de nous ne veut savoir ; nous sommes toutes mariées ou en
couple depuis des années. Nous avons des enfants, et ce n’est pas tant qu’on voudrait vivre des
aventures extra conjugales ; on a juste besoin d’y rêver, des fois…

***

Pourquoi est-ce que je parle de ce technicien informatique ?

Parce qu’il a entendu ma conversation avec Nate l’autre jour. Et il m’a demandé si je désirais faire la
même chose. J’ai été éberluée lorsqu’il m’a posé la question.

Voyez-vous; Mason se joint parfois à nous quand la société fait des partys. Discret et réservé, il n’aborde
jamais vraiment des sujets personnels, mais il se révèle avoir une très vaste culture

C’est pourquoi j’ai été surprise par sa proposition; par un autre que lui, j’aurais trouvé qu’il ne manquait
pas de culot… Il m’a parlé de ce chalet qu’il possède près de l’eau dans les Laurentides… Il m’a dit que
M. Renzo allait fermer la boite, dû à la covid-19, pour au moins 3 mois…

Il s’est excusé pour avoir écouté ce que je disais au téléphone, mais il n’avait pas pu s’en empêcher alors
que j’étais en train de pleurer… Il a dit qu’il me montrerait des photos de son chalet le lendemain, et il
m’a demandé d’y réfléchir… Qu’il m’offrait de me ressourcer à la campagne sans avoir à m’engager de
quelque façon que ce soit; que je pourrais y demeurer quelques jours, quelques semaines ou quelques
mois, à ma guise

J’ai pris 2 semaines pour y penser. Mason est demeuré aussi discret et réservé qu’à son habitude.
Personne ne se doutait de ce dont je ne voulais pas parler

M. Renzo a fait son annonce lundi passé. J’avais déjà demandé à ma sœur si elle accepterait de venir
demeurer chez moi le temps que je me retrouve.
J’ai accepté. Parce que Mason n’a jamais eu de gestes déplacés. Parce que je connait son caractère
effacé. Parce que j’en avais vraiment besoin…

J’ai quitté le bureau avec lui, et je lui ai donné ma réponse dans le parking.

J’ai fait mes bagages le soir même. Je suis passée en librairie acheter une série de bouquin, de journaux
et de magazines. J’ai tout embarqué dans mon auto. Le lendemain, j’ai fait une grosse épicerie, puis, j’ai
emprunté l’autoroute pour monter vers le nord.

C’était il y a 3 jours. Lorsque je suis arrivée, Nate est venu m’accueillir avec Roseau, son Golden
retriever, et Gordon, son Berger allemand, et m’a aidé à tout décharger.

Il m’a montré ma chambre et m’a donné un double des clés du chalet… Il devait aller en ville pour un
rendez-vous, et quand je lui ai mentionné que j’irais me promener en forêt, il m’a dit de ne pas sortir
sans les chiens. Il m’a indiqué la direction du quai, et il m’a dit que si je me perdais, je n’aurais qu’à
mentionner à Roseau et Gordon, que je souhaitais aller au Quai, au Relais des chasseurs, ou rentrer à la
maison pour que les chiens me guident.

J’ai emprunté bien des sentiers qui serpentaient dans la montagne. Je suis rentrée me faire un
gueuleton, et en soirée, j’ai passé deux heures au bout du quai, les pieds dans le lac.

***********

Depuis 2 jours, il pleut. Il fait bon ademeurer au coin du feu… Le foyer est fait en pierres polies. Les murs
en chêne rendent l’intérieur chaleureux. 2 jours où nous lisons, chacun dans notre chaise,

L’endroit est vraiment confortable : le mur du fond est fait de portes patio qui peuvent être entièrement
recouverts par un mur coulissant sur rails, ce qui rend le salon double fermé au monde extérieur.

Le bruit de l’averse diluvienne couplé à celui du feu qui crépite me ramène loin dans mon adolescence.
A l’époque, je souhaitais retrouver la ville, ses bruits et son agitation. Maintenant, je ne veux que le
silence et cette pérennité.

Je ferme les yeux, et même le silence est trop bruyant. Dans l’eau qui tombe, il y a ce bruit, comme une
cascade, et un torrent qui ramasse tout sur son passage. Il y a ces grains de pluie qui tombent, des
centaines à la fois. Y’a le bois qui crépite sous les flammes qui les lèchent. Il y a l’horloge grand-père
quifait résonner son tic-tac…

M’arrêter à ces sons me fait tout oublier des pensées qui m’obnubilent autrement.

Tu ne parles pas. Tu ne dis rien, et pourtant, j’ai tant écouté de discussions, j’ai pris part à tant de
débats, j’ai trop vécu en trop peu de temps, et sur une trop longue durée

Si je songe que je dois faire cesser cet orage, en 2 temps 3 mouvements, je me sens submergée non par
ce torrent extérieur, mais par toute la place que cet orage prend en moi

Tu es silencieux, et lorsque je vis ce que j’ai accumulé en trop-plein, c’est comme si tu parlais en
cacophonie, et alors, même ton silence est trop bruyant

Tu ne parleras pas tant que je ne t’ai pas invité. Et j’apprécie cela : 2 jours pleins, où tu lis le journal et
des revues de psychologie, et où tu ne dis rien

Je me lève et je rapproche du feu mon fauteuil long courbé… Je me retourne et te regarde. Sans mot
dire, tu réponds à mon invitation. Tu joins ton fauteuil au mien, et nous nous assoyons. Tu passes un
bras autour de mes épaules et je me blottis contre toi, tout en observant ta main. Je la prends, je la
tourne et la retourne… Je suis de mon index les lignes qui la jalonnent

Nous ne disons rien… Il y a un mois, c’est contre lui que je me blotissais pour une soirée cinéma. Ce soir,
j’efface son visage, son corps et sa posture… Je remplace ses bras par les tiens, ses mains par les tiennes.

Le silence est trop bruyant ; trop de choses doivent être vécues, vidées. Tout est en train de sortir en
moi, je m’arrête parfois à ton regard, pour remplacer ses mots par les tiens. Mais mon sac est trop plein,
et si peu peuvent passer

Je ferme les yeux

C’est ma façon de changer d’air, adopter les agissements et les facons de voir d’un nouvel être comme si
je déménageais sous un nouveau monde. Fermer les yeux était ma façon d’habiter la paix. Mais à
présent, je ne sais jamais où mes états d’âme vont me mener… Cette fois, cela me rappelle ce clip vidéo
qui se déroulait dans une discothèque, avec sa boule disco et ses lumières roses et mauves. Je peux
entendre la musique qui vibrait à mes oreilles. Pour oublier le vide et l’absence. Changer d’appartement
jusqu’à ce que j’aie trouvé le bon, parce que je ne peux plus endurer celui dans lequel je me trouve

Le rythme de la batterie me fait vibrer sous les hauts-parleurs. Je ne sais plus si je veux le silence ou le
bruit, tant les deux me font oublier ce que tu es et m’amènent ailleurs

Et nous ne voulons pas perdre tout cela; cela nous est trop précieux.

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