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Terrorisme

DU MÊME AUTEUR

Djihad : l’asymétrie entre fanatisme et incompréhension, Éditions Lavauzelle,


2009.

Encyclopédie des Terrorismes et Violences Organisées, Éditions Lavauzelle,


2009.

Le Renseignement et la Lutte contre le Terrorisme : stratégies et perspectives


internationales, Éditions Lavauzelle, 2005.

Encyclopédie du Renseignement et des Services Secrets, Éditions Lavauzelle,


2004.

La Guerre asymétrique ou la Défaite du vainqueur, Éditions du Rocher, 2003.

Les forces spéciales de l’organisation du Traité de Varsovie, 1917-2000,


L’Harmattan, 2002.
Tous droits de traduction, d’adaptation et
de reproduction réservés pour tous pays.

© 2016, Groupe Artège


Éditions du Rocher
28, rue Comte Félix Gastaldi - BP 521
98015 Monaco

www.editionsdurocher.fr

ISBN : 978-2-268-08403-9
ISBN epub : 978-2-268-08547-0
Terrorisme
Mensonges politiques et
stratégies fatales de l’Occident
À ma cousine Valérie

Remerciements à Étienne D.,


infatigable explorateur du net
au service de la paix et de la raison
Préambule

« Je monte sur mon bureau pour ne pas oublier


qu’on doit s’obliger sans cesse à tout regarder
sous un angle différent. »

Le Cercle des poètes disparus (1989)


écrit par Tom
Schulman

En 2003, un précédent ouvrage intitulé La Guerre asymétrique ou la défaite


du vainqueur1, décrivait les mécanismes complexes du terrorisme djihadiste,
clairs, mais hors de la logique cartésienne occidentale et à contre-sens de l’art de
la guerre occidental. En 2015, toutes ses conclusions se sont vérifiées, les
mécanismes se sont déroulés comme décrits douze ans plus tôt avec leurs
sanglantes conséquences et dans l’incohérence occidentale. Pour mieux
comprendre cette violence toujours plus présente, il nous faut retourner sur les
événements qui y ont effectivement conduit.
Fin 2015, les ambitions américaines, puis européennes, d’instaurer la
démocratie en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et ailleurs, sont de
lointains souvenirs. La situation en Syrie s’enlise avec l’installation toujours plus
robuste d’un « État islamique » qui, du statut de groupe armé, passe
progressivement à celui d’État. L’Irak s’enfonce toujours plus profondément
dans le chaos. L’Afghanistan suit inexorablement le même chemin, contraignant
le Président Obama à retarder d’un an le départ des forces américaines. La Libye
est devenue un État failli et la plaque tournante d’un trafic illicite d’armes en
Afrique du Nord qui alimente des mouvements armés jusqu’en Syrie et en
Somalie. Des pays pour-tant prometteurs comme la Tunisie et l’Égypte – qui
furent à la pointe du développement des droits sociaux, et notamment des droits
de la femme – montrent des velléités totalitaires pro-occidentales, qui ont
encouragé le développement de zones de non-droit sur leur territoire et
l’apparition de groupes terroristes autrefois inconnus dans ces pays
traditionnellement conviviaux.
Il n’y avait pas d’opposition islamiste structurée avant la tentative de
déstabilisation de l’Afghanistan, que l’intervention soviétique voulait maîtriser.
Ce que nous appelons « Al-Qaïda » est issu d’une volonté de résistance contre ce
qui était, à tort ou à raison, considéré comme une occupation militaire en Arabie
Saoudite. Il n’y avait pas de groupe « État islamique en Irak » (qui deviendra
« l’État islamique ») avant qu’une résistance s’organise face à l’occupation
américaine. À défaut de démocratie, la Libye était le pays avec le plus haut
niveau de développement humain d’Afrique en 2010 avant l’intervention de
l’OTAN. Il n’y aurait pas de force islamiste armée en Syrie sans le vide du
pouvoir, que la France et les États-Unis ont créé en militarisant et en fournissant
des armes à la rébellion syrienne, et permettant ainsi à l’État islamique de s’y
déployer à partir de l’Irak.
Simultanément, et malgré la mort de quelque 130 000 militaires occidentaux2
pour le combattre, le terrorisme frappe toujours plus. En 1990, le nombre
d’attentats terroristes à travers le monde atteignait le chiffre de 455 provoquant
la mort d’environ 350 personnes3 (soit 0,77 morts par attentat). En 2014, le
monde a connu 13 463 attentats causant quelque 32 700 morts4 (soit 2,43 morts
par attentat). Autrement dit, non seulement les attentats ont augmenté en
nombre, mais ils sont également devenus globalement plus meurtriers. La
France, épargnée par la vague d’attentats des années 2000, devient la cible
d’actes qui frappent l’Europe, commis par des individus isolés et quasi-
indétectables : au Musée juif de Bruxelles (24 mai 2014), contre Charlie Hebdo
à Paris (7 janvier 2015), à Copenhague (14 février 2015), dans le Thalys en
France (21 août 2015), et dans les rues de Paris et au Bataclan (13 novembre
2015).
Or, assez curieusement, depuis un quart de siècle, l’Occident semble subir
ces changements sans que les politiciens, les citoyens, les journalistes, les
militaires ni même les humanitaires s’interrogent sur le séquencement de ces
événements et les enchaînements de décisions désastreuses qui y conduisirent.
Plus grave, on répète les mêmes schémas pour tenter de résoudre les problèmes
que l’on a créés précédemment… avec des effets qui se cumulent.
En fait, le terrorisme reste compris en Occident comme il y a un demi-siècle.
Dans les années 60-80, le terrorisme était lié à des mouvements marxistes
révolutionnaires – alors largement soutenus par l’URSS – et motivé par la
volonté de « changer le système ». En d’autres termes, il y avait une certaine
inéluctabilité du terrorisme, liée à une dialectique qui voyait la guerre entre les
systèmes capitalistes et socialistes comme inévitable. Aujourd’hui, le terrorisme
islamiste n’a pas vocation à « changer le système ». À part certains attentats
motivés par la seule haine (comme par exemple l’attentat contre la synagogue de
Djerba du 11 avril 2002) la grande majorité des attentats terroristes islamistes
ont été perpétrés dans le cadre d’une réponse aux interventions occidentales, et
pourraient donc – en théorie – être évités.
Nous avons tendance à expliquer (pour ne pas dire « construire ») la doctrine
des terroristes à partir des faits, au lieu d’expliquer les faits à partir de la
doctrine. Il en résulte une image qui reflète l’état de nos émotions, mais nous
empêche de concevoir une réelle prévention du phénomène.
La religion est devenue le support d’une revendication identitaire et une
forme de guerre de libération contre une emprise occidentale
multidimensionnelle qui accepte – et même revendique – de bousculer les
cultures locales. Les interventions militaires occidentales, souvent illégitimes,
voire illégales, ont transformé cette revendication en une résistance (Djihad) qui
a rapidement pris la forme du terrorisme. La violence islamiste obéit à des
logiques que nous comprenons mal, ne serait-ce que parce que le Djihad place la
mort dans une perspective inhabituelle pour la culture occidentale, créant une
dynamique asymétrique où les mécanismes de la dissuasion conventionnelle ne
fonctionnent plus.
Devant l’incapacité à résoudre le problème, le langage de la fermeté
s’impose au détriment des libertés individuelles et de la vie privée qui reculent,
les législations nationales sur le renseignement se durcissent, l’usage de la
torture se banalise en Occident, mettant en question les valeurs mêmes que nous
défendions un quart de siècle plus tôt. Les réponses simples, fermes et martiales
confortent l’opinion publique, mais déchargent les services de renseignement et
les politiques de leur capacité de réflexion. Les solutions sont superficielles et
amplifient le problème et, au final, n’en sont pas.
Le renseignement, dont il semble que plus on en parle moins on en comprend
la finalité, gagne en pouvoir, et perd en efficacité. Or, de crise en crise, depuis
1990, tout était prévisible. Les signes laissant prévoir le désastre actuel étaient
présents, ouvertement disponibles et connus. Les massacres des chrétiens d’Irak
par les milices sunnites « modérées », alors alliées des États-Unis dès 2004, la
nature criminelle (et terroriste) des organisations soutenues par la France et les
États-Unis en Libye et en Syrie dès 2011-2012, la culpabilité des organisations
rebelles dans les attaques chimiques de 2013 en Syrie, et bien d’autres faits
étaient parfaitement documentés, mais ont été volontairement occultés, comme
nous le verrons ultérieurement.
Dans les pays occidentaux, le renseignement est essentiellement un outil de
l’État de Droit, dont le but est d’éviter l’arbitraire dans la décision, et de
permettre une traçabilité, même confidentielle, du processus décisionnel. Les
échecs stratégiques que l’on observe en Afghanistan, en Irak, en Libye ou en
Syrie (pour ne mentionner que les exemples les plus récents) posent la question
des capacités effectives des services, et suggèrent deux hypothèses, qui ne sont
pas mutuellement exclusives : une faiblesse analytique avec, comme corollaire,
l’incapacité à anticiper les problèmes stratégiques, ou un déficit de
communication avec les décideurs politiques, qui se fient plus à leur intuition
qu’aux services. Dans les deux cas, et a fortiori avec une combinaison des deux,
il s’agit de profonds dysfonctionnements de nos appareils démocratiques, mais
qui ne semblent pas susciter d’émotion particulière. Étonnamment, dans
plusieurs pays européens, dont la France, le renforcement – nécessaire – des
capacités de renseignement s’est traduit par des législations qui favorisent
l’acquisition d’informations (souvent au détriment des libertés individuelles)
alors que le vrai problème se situe en amont, requérant des capacités analytiques
plus étoffées.
Cette évolution n’est certes pas le fruit du hasard. Mais elle n’est pas non
plus la conséquence de complots ourdis par quelque entreprise multinationale,
ou par de grands ordonnateurs, de sectes ou de sociétés secrètes qui cherchent à
dominer le monde. Elle résulte essentiellement d’une perception ethnocentrique
du problème terroriste, largement teintée de marxisme, laquelle nous a
progressivement amenés à y répondre de manière inadaptée.
Il ne s’agit pas ici de refaire l’Histoire, mais de tenter de comprendre les
erreurs commises, d’identifier les points d’inflexion qui nous ont conduits où
nous sommes, et mesurer l’écart entre la trajectoire initiale et celle que nous
avons prise. À cet effet, il faut reprendre les faits, réécouter les acteurs eux-
mêmes et revoir nos interprétations. Comme nous le constaterons, plus que du
machiavélisme, les problèmes viennent de l’incompétence des dirigeants
politiques et de leurs administrations, « éclairés » par l’ignorance d’« experts »
elle-même modulée par l’ambition, la recherche de gloire personnelle, le manque
de vision à long terme, le diktat des sondages et une soif politicienne de
« résultats » à court terme.

1. Jacques Baud, La Guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Éditions du Rocher, Monaco, 2003.
2. Ce chiffre comprend outre les 30 000 morts sur les théâtres d’opérations, les morts par suicide. (« The true
cost of the war on terror : $3,7 trillion and counting… and up to 258,000 lives », The Daily Mail, 20 juin
2011, http://www.dailymail.co.uk/news/article-2009371/Iraq-Afghanistan-Pakistan-wars-US-cost-3-
7trillion-258k-lives.html), Aux États-Unis, depuis 2003, le suicide fait environ 7000 victimes par an
parmi les vétérans des guerres d’Irak et d’Afghanistan (Janet Kemp, RN PhD & Robert M. Bossarte,
PhD, Suicide Data Report, 2012, Department of Veterans Affairs, Mental Health Services, Suicide
Prevention Program).
3. U.S. Department of State, Patterns of Global Terrorism – 1990, G.P.O., Washington D.C., 1991.
4. National Consortium for the Study of Terrorism and Responses to Terrorism, Annex of Statistical
Information, Country Reports on Terrorism 2014, College Park (MD), juin 2015.
Les acteurs

LES ÉTATS-UNIS

Une histoire de manipulations

Plus particulièrement depuis le XIXe siècle, les États-Unis ont été un objet
d’admiration, de fascination et d’espoir pour les Européens, auquel s’est ajouté
dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, un profond sentiment de gratitude. La
crainte de l’Union soviétique, et d’une troisième guerre mondiale, a non
seulement renforcé ces sentiments, mais a également généré une confiance
quasi-aveugle des Européens envers les capacités militaires américaines, créant
une véri-table dépendance intellectuelle, qui persiste encore aujourd’hui.
En réalité, sur le plan militaire, malgré une grande opulence matérielle, les
capacités opérationnelles américaines sont inefficientes et inefficaces. Depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale, à part quelques victoires à la Pyrrhus dans
des conflits de dimension tactique-opérative (invasion de la Grenade, du
Panama, libération du Koweït) les forces armées américaines ont été
relativement inefficaces dans les conflits nécessitant une approche stratégique
complexe dépassant l’usage de la force brute (Vietnam, Somalie, Afghanistan,
Irak, Syrie), avec un coût humain disproportionné. Ce fut le cas avec l’emploi
des deux premières bombes nucléaires sur le Japon en 1945, comme devait le
confesser le général américain Dwight D. Eisenhower, ancien Commandant
suprême des Forces alliées en Europe et président des États-Unis :

J’étais contre pour deux raisons. Premièrement, les


Japonais étaient prêts à se rendre et il n’était pas nécessaire
de les bombarder. Deuxièmement, je détestais voir notre pays
être le premier à utiliser de telles armes1.

Dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, les insuffisances du


commandement américain et la brutalité des frappes contre les civils en France,
en Belgique et en Allemagne ont fait craindre aux Américains que leur
crédibilité ne s’effondre rapidement après le conflit, et que l’Europe puisse se
retourner contre eux. Ainsi, dès avril 1945, une opération de désinformation
considérable est organisée par l’Office of War Information (OWI) – et bien
documentée aujourd’hui – visant, entre autres, à faire oublier les crimes
américains en accentuant les horreurs attribuées à l’Allemagne2. Les crimes de
guerre américains, parmi lesquels l’extermination de plus d’un million de
prisonniers de guerre allemands dans des camps français et belges entre 1945 et
19463, et le viol de quelque 3500 femmes et enfants français et 11 400 femmes
et enfants allemands entre 1944 et 1945 (la plupart traités avec complaisance par
la hiérarchie américaine et impunis4) passeront à la trappe de l’Histoire :

Un remarquable professeur américain que j’ai rencontré à


Heidelberg exprime l’idée que les autorités militaires des
États-Unis, lorsqu’elles sont entrées en Allemagne et ont vu les
terribles destructions causées par nos bombardements, ont
craint que la connaissance de ces faits provoque une révulsion
de l’opinion en Amérique, et puisse empêcher la mise en œuvre
de la politique de Washington pour l’Allemagne, en réveillant
la sympathie pour les vaincus et en dévoilant nos crimes de
guerre. Ceci, pense-t-il, est la raison pour laquelle une
complète flotte d’avions a été utilisée par le général
Eisenhower pour amener des journalistes, des parlementaires
et des ecclésiastiques voir les camps de concentration ; l’idée
étant que la vision des victimes affamées d’Hitler effacerait de
leur conscience notre propre culpabilité. Cela a certainement
fonctionné ainsi. Aucun journal de grande distribution
américain actuel n’a décrit les horreurs de nos
bombardements, ou décrit les conditions dans lesquelles les
survivants vivent dans des ruines pleines de cadavres. Les
Américains ont été abreuvés uniquement par les atrocités
allemandes5.

Dans l’euphorie de la victoire, de la reconstruction et sur un fond de guerre


froide, la communauté internationale occidentale a complaisamment accepté
cette distorsion, qui s’est imposée dans nos livres d’Histoire. Par la suite, les
États-Unis n’ont guère eu de scrupules à utiliser les mêmes ressorts pour justifier
l’usage de la force et y entraîner leurs alliés européens.
Si formellement, les États-Unis ne peuvent entrer en guerre que sur décision
du Congrès, le président – en tant que Chef suprême des Forces armées – a la
possibilité de contourner cette décision et d’utiliser la force, notamment en cas
de danger imminent ou de légitime défense. Ainsi, les présidents américains ont
dû soit attendre un événement qui leur donne le droit d’entrer en guerre… soit le
provoquer.
Force est de constater que pratiquement chaque conflit où les États-Unis ont
été impliqués a débuté soit par une opération clandestine (souvent de nature
criminelle), soit par une manipulation visant à faire passer les États-Unis pour
les victimes d’une agression, permettant ainsi de forcer la main du Congrès :
- En 1898, une explosion accidentelle à bord de l’USS Maine provoque 255
morts américains et son naufrage dans le port de La Havane. La cause en est
attribuée à l’Espagne et sert de prétexte à l’entrée en guerre des États-Unis, qui
conduira à la conquête de Cuba, des Philippines et de Guam. On apprendra, en
1980, que la cause était en réalité une explosion à l’intérieur du navire et que
l’Espagne n’avait aucune responsabilité dans l’incident dont on ignore encore
s’il a été accidentel ou délibéré6.
- En 1915, le naufrage du paquebot Lusitania (1200 morts) – navire civil
utilisé par les États-Unis, alors neutres, pour convoyer clandestinement, et en
violation des conventions internationales concernant la neutralité, en cas de
guerre, du matériel militaire vers la Grande-Bretagne – a été causé par
l’explosion d’une partie des trois tonnes de munitions à bord. Le torpillage par
un sous-marin allemand, qui a servi de prétexte à l’entrée en guerre des États-
Unis, reste un sujet de controverse : son passage dans une zone déclarée « de
guerre », sans escorte, infestée de sous-marins allemands, le condamnait
irrémédiablement7. Les affirmations selon lesquelles les services de
renseignements américains auraient « glissé » aux services allemands
l’information selon laquelle le paquebot transportait des munitions, afin d’en
provoquer le torpillage, restent contestées.
- En 1941, l’attaque contre Pearl Harbor par le Japon n’est pas arrivée de
manière totalement inattendue. Non seulement les États-Unis avaient déjà
engagé en Chine, dès 1940, une unité d’aviation américaine opérant sous
cocardes chi-noises (les « Tigres volants »), laquelle avait déjà abattu quelque
100 avions japonais avant décembre 1941, mais encore ils avaient imposé au
Japon un blocus des importations de pétrole, notamment en lui interdisant
l’accès au canal de Panama. De plus, les préparatifs japonais pour l’attaque
contre la base aéronavale de Pearl Harbor avaient été détectés, mais non
communiqués à l’amiral Husband E. Kimmel, commandant de la Flotte du
Pacifique, qui avait été délibérément désinformé par un mémo présidentiel sur la
nature de la menace sur la base. Cette attaque a permis de justifier l’entrée en
guerre des États-Unis.
- En 1950, l’attaque de la Corée du Nord a été provoquée par des opérations
clandestines menées conjointement par la Corée du Sud, la Chine nationaliste
(Taïwan) et les États-Unis dès 1949.
- Le 13 mars 1962, le président du Joint Chiefs of Staff, L. L. Lemnitzer,
signe un document TOP SECRET intitulé « Justification pour une intervention
militaire américaine à Cuba » qui propose de créer des incidents suggérant
l’implication de Cuba, justifiant ainsi une intervention américaine contre le
régime castriste. Parmi les suggestions avancées, la menée d’attentats terroristes
dans la région de Miami ou la destruction en vol d’un avion de ligne américain.
Connu sous le nom de code NORTHWOODS8, ce document est souvent évoqué
comme un possible modèle pour les attentats du 11 Septembre.
- Le 2 août 1964, une prétendue attaque à la torpille contre le navire
américain USS Maddox par des vedettes nord-viet-namiennes sert de prétexte
pour justifier l’intervention américaine au Vietnam. Ce qui restera dans
l’Histoire comme l’« Incident du Golfe du Tonkin » n’a, en fait, jamais eu lieu9.
Plus récemment, au Moyen-Orient, toute une série de falsifications et
d’impostures destinées à influencer le Conseil de sécurité des Nations unies ou le
Congrès américain – que nous examinerons plus en détail dans cet ouvrage –
permettent aux États-Unis d’entrer en guerre en contournant les procédures
légales. Oubliées en Occident, mais bien présentes dans la littérature et l’esprit
des islamistes – pour qui elles constituent une preuve de la mauvaise foi
occidentale –, elles ont contribué de façon significative à la radicalisation des
rapports entre Occident et Islam, y compris en Europe :
- En 1991, la mystification de la mise à sac de la maternité de Koweït City ;
- En 2001, le prétexte du rôle des Taliban10 dans les attentats du 11
Septembre ;
- En 2003, l’imposture des armes de destruction massive pour attaquer
l’Irak ;
- En 2013, l’imposture de l’usage d’armes chimiques pour justifier une
intervention contre le régime syrien ;
- En 2014, l’imposture du « groupe Khorasan » pour justifier l’intervention
américaine contre le régime syrien.
Au final, depuis plus d’un siècle, les États-Unis ne sont jamais entrés dans un
conflit majeur sans en avoir créé les conditions au préalable. La méthode est
pratiquement toujours la même et comprend trois ingrédients essentiels :
- Un adversaire, présenté comme suffisamment dangereux, irrationnel et
impitoyable pour justifier moralement sa destruction par la force, voire la
violation du droit international;
- Un incident ou une menace, qui place les États-Unis dans une posture de
légitime défense ;
- Une cause consensuelle avec un objectif qui transcende l’usage de la force
(démocratie, droit international, droits de l’homme, etc.) et qui culpabilise ceux
qui ne seraient pas déterminés à embrasser cette cause (« avec nous ou contre
nous »).

Des intérêts sans stratégie

Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis sont restés en permanence


impliqués dans un conflit quelque part sur le globe, générant des problèmes en
cascade. Souvent présentés comme le résultat d’une intelligence coordonnée et
machiavélique, ces engagements sont probablement davantage le fruit de la
concomitance d’intérêts variés, pas toujours cohérents et souvent antagonistes.
On peut trouver de multiples raisons qui poussent les États-Unis à s’engager
dans des conflits, dont les plus significatives sont sans doute :
- La protection du pétrodollar. En résumé, avec l’abandon des accords de
Bretton Woods et de la convertibilité du dollar en or en 1972 (pour pouvoir
financer la guerre du Vietnam), les États-Unis ont manœuvré avec les pays du
Golfe (1973), puis avec l’ensemble des pays producteurs de pétrole (1975), pour
que le pétrole soit payé exclusivement en dollars. Ce système du « pétrodollar »
a obligé les autres pays du monde à se procurer des dollars, permettant ainsi aux
États-Unis de produire des dollars sans se trouver pris dans une boucle
inflationniste, dans une sorte de « système de Ponzi11 ». Ainsi, grâce au
pétrodollar, l’économie américaine – qui est essentiellement une économie de
consommation – est soutenue par les économies des autres pays du globe. La
disparition du pétrodollar constituerait un revers considérable pour l’économie
américaine, voire son effondrement, comme a averti le sénateur républicain Ron
Paul12. Il est dès lors intéressant de mettre cette dépendance, et ce risque, en
relation avec les divers conflits du Moyen-Orient. Le 26 septembre 2000, l’Irak
signale qu’il vendra désormais son pétrole en euros13 ; en 2004, l’Iran annonce
la création d’une bourse séparée, indépendante du dollar, opérationnelle depuis
2011, et, depuis avril 2008, n’accepte plus de dollars pour son pétrole14 ; en
septembre 2008, la Russie ouvre une bourse pour la vente du pétrole contre des
roubles et de l’or et, depuis quelques années, achète de l’or en quantité15 ; en
mars 2009, Kadhafi – alors président de l’Union africaine – réussit à faire
accepter l’idée d’une monnaie africaine unique, liée à l’or et destinée à payer les
matières premières, dont les produits pétroliers16. En clair, et pour autant que ces
initiatives prennent pied, les États-Unis seraient engagés dans un combat pour
leur survie économique pour le moyen et long terme. Ce n’est probablement pas
une coïncidence si l’accord signé en décembre 2015 entre les factions libyennes,
et avalisé par les ÉtatsUnis, prévoit comme mesure immédiate la nomination du
directeur de la Banque centrale et le ministre des Ressources pétrolières.
- La survie du complexe militaro-industriel. Après la guerre froide, les États-
Unis ont observé avec inquiétude, et intérêt, le démantèlement du secteur
militaro-industriel européen et sa restructuration autour de priorités nouvelles.
Aux ÉtatsUnis, le secteur militaro-industriel est l’un des rares domaines où le
potentiel d’innovation reste intact, d’où la réticence à abandonner ce secteur dont
l’avantage comparatif est certain. Avec un Extrême-Orient qui a bousculé les
industries de l’automobile et des chantiers navals, et une Asie du Sud-Est qui
devient le centre de gravité de la production de matériel informatique et de
logiciels, et globalement une industrie américaine en panne d’innovation17, le
besoin de maintenir une capacité de recherche et développement (R & D) et de
production dans le – et grâce au – domaine militaire est devenu un enjeu
national. Ainsi, en 2010, les dépenses de R & D américaines s’élevaient à 75
milliards de dollars, tandis que la France et la Grande-Bretagne dépensaient
ensemble 6,6 milliards de dollars18. Déjà en 1961, le général et Prési-dent des
États-Unis Dwight Eisenhower mettait en garde contre l’importance croissante
du complexe militaro-industriel dans la politique américaine :

Parmi les conseillers du gouvernement, nous devons nous


préserver contre la progression indue, voulue ou non, de
l’influence du complexe militaro-industriel. Le potentiel pour
une croissance désastreuse d’un pouvoir inopportun existe et
persistera19.

L’économie américaine est devenue étroitement dépendante de la défense.


Certains économistes américains y voient la raison du déclin de la capacité
industrielle civile (automobile, aviation, chantiers navals, etc.)20.
- Le soutien à Israël. Le soutien à Israël est un aspect essentiel de la politique
extérieure et de l’engagement américain au Proche et Moyen-Orient, mais il
n’est pas certain qu’il en soit l’élément central. Ceci étant, il est également
évident que le gouvernement américain n’a pas une influence décisive sur Israël,
en raison des forces qui existent dans l’administration et dans l’establishment
américain. Les différentes affaires qui ont opposé Israël aux États-Unis, comme
l’attaque israélienne délibérée contre le navire USS Liberty (1967), l’affaire
d’espionnage de Jonathan Pollard21 (1985) ou la question israélo-palestinienne,
n’ont jamais réellement affecté profondément les relations bilatérales entre les
deux pays.
- À ces aspects « matériels » s’ajoutent des éléments culturels comme une
certaine forme de messianisme, probablement influencé par une culture
essentiellement protestante, et guidé par une conviction profonde que le modèle
américain répond à une aspiration profonde des peuples et que sa diffusion va
dans le sens de l’Histoire. Cette vision, quasi-marxiste, est alimentée par le fait
que, globalement, l’économie américaine fonctionne bien et que la démocratie
américaine est souvent considérée comme un exemple dans nos sociétés.
Si – et dans quelle mesure – ces divers facteurs sont intervenus dans les
décisions prises par les Américains pour s’engager dans des conflits est matière à
discussion, sort également du cadre de cet ouvrage. Dans tous les cas, il est
difficile d’y déceler une stratégie cohérente. En fait, forts de leur héritage du far-
west, les États-Unis pratiquent le tir à la hanche, sans grande réflexion, même au
niveau stratégique. Loin d’être une boutade, cette manière de faire a acquis une
dimension doctrinale, énoncée par le vice-président Dick Cheney en 2001, et
mieux connue sous le nom de « Doctrine Cheney » ou « Doctrine du 1 % » :

S’il y a 1% de probabilité que des scientifiques pakistanais


aident les terroristes à développer ou à construire des armes
de destruction massive, nous devons le traiter comme une
certitude, en terme de réponse22.

Cette doctrine, quelque peu simpliste, explique les interventions américaines


menées depuis un quart de siècle… et leurs échecs. Ainsi l’action américaine
dans le monde est-elle sans doute le résultat de combinaisons et de convergences
d’intérêts, liées plus par l’opportunité que par un machiavélisme intelligent. Il en
est ainsi du pétrole irakien, que l’on avait vu comme raison première de
l’invasion américaine en 2003, mais qui profite aujourd’hui en premier lieu à la
Chine23, sans que les États-Unis ne puissent tirer profit de l’investissement
financier et humain payé.

Après 10 ans, nous savons que les raisons pour la guerre


en Irak étaient considérablement plus incohérentes que ce que
suggérait la théorie du complot. L’invasion du 20 mars 2003
apparaît comme étant le produit d’un mélange d’opportunisme,
de crédulité béate de l’administration Bush envers ce que les
exilés irakiens lui racontaient, de frustrations néo-libérales
d’une grandeur impériale, d’une obsession irrationnelle de
Saddam Hussein, de problèmes psychologiques entre les Bush
père et fils – et quelque part là-dedans des intérêts de Dick
Cheney dans le pétrole24.

Le bouleversement programmé du Moyen-Orient

En fait, dès la mi-septembre 2001 déjà, bien avant le début des prétendues
« révolutions citoyennes » de 2010-2012, les États-Unis avaient un plan pour
renverser 7 gouvernements du Proche et Moyen-Orient, dont le régime syrien.
En mars 2007, le général américain Wesley Clark, ancien Commandant suprême
des Forces alliées en Europe de l’OTAN, lors d’une interview télévisée, rapporte
une conversation qu’il a eue au Pentagone juste après le 11 Septembre :

Un des généraux […] me dit :


« Nous avons pris la décision d’aller en guerre contre l’Irak !
— Nous allons en guerre contre l’Irak ? Pour-quoi ?
— Je ne sais pas… Je pense qu’ils n’ont rien d’autre à faire. »
Je dis :
« Auraient-ils découvert quelque information qui
relie Saddam à Al-Qaïda ?
— Non, non. Il n’y a rien de nouveau dans ce domaine. Ils ont juste pris la
décision d’aller en guerre contre l’Irak. Je pense qu’on ne sait pas quoi faire à
propos du terrorisme, mais nous avons un bon appareil militaire et nous savons
renverser des gouvernements ! »
Je suis revenu le voir quelques semaines plus tard, et à ce moment nous
étions en train de bombarder l’Afghanistan, et je lui demande :
« Nous allons encore en guerre contre l’Irak ? »
Il me répond :
« C’est pire que ça ! »
Il prend sur son bureau un papier : « Je viens de recevoir aujourd’hui ce
mémo de l’étage du dessus, du bureau du secrétaire à la Défense, qui décrit
comment nous allons faire tomber 7 pays en 5 ans : l’Irak, la Syrie, le Liban, la
Libye, la Somalie, le Soudan, et finir par l’Iran25 ! »

On retrouve dans cette liste les 3 pays arabes qui ont renoncé au système des
pétrodollars pour vendre leur pétrole et les ennemis « traditionnels » d’Israël.
Cette intention avait aussi été évoquée dans le message attribué à Oussama Ben
Laden et diffusé le 16 février 2003, par l’entremise d’une cassette audio et
communiquée à l’agence de presse Islamic Al-Ansaar, basée en Grande-
Bretagne26 :

Il est clair que les préparations d’attaques contre l’Irak


font partie d’une série d’attaques planifiées contre des nations
de la région, qui incluent la Syrie, l’Iran, l’Égypte et le
Soudan.

Ce sont apparemment les échecs – pour ne pas dire les défaites – subies par
les Américains en Irak, en Afghanistan et en Libye qui ont finalement perturbé
cette planification. Par la suite, comme nous le verrons, l’existence d’un plan
spécifique pour déstabiliser la Syrie sera également confirmée par l’ex-ministre
des Affaires étrangères, Roland Dumas.
De ces éléments, on peut retirer deux observations essentielles :
- Premièrement, il est aujourd’hui établi que l’épisode des armes de
destruction massive irakiennes n’était qu’un écran de fumée et que la guerre en
Irak était déjà prévue de longue date, comme le seront plus tard les interventions
en Libye et en Syrie. Mais outre le fait que les États-Unis ont systématiquement
menti à leurs alliés afin de les entraîner dans des conflits servant leurs propres
intérêts, il est frappant de constater l’incapacité de ces alliés à détecter les
mystifications et à avoir une capacité analytique indépendante.
- Deuxièmement, on observe que les mécanismes structurels ou
institutionnels, au sein des démocraties occidentales, ne suffisent pas à infléchir
les décisions de l’exécutif pour partir en guerre, même si les raisons sont
fallacieuses. En 2003, l’opposition française à la guerre en Irak était alors
empreinte de bon sens, mais elle ne semble pas avoir été appuyée de manière
décisive par des éléments de renseignement sur la situation en Irak.
Malgré les multiples théories du complot qui tentent d’expliquer la stratégie
américaine, la réalité semble être plus prosaïque. Les diverses guerres dans
lesquelles les États-Unis s’impliquent bruyamment – et qu’ils perdent d’ailleurs
presque systématiquement – ne sont pas conduites selon une stratégie définie,
mais à travers un ensemble d’engagements tactiques, guidés par un mélange
d’arrogance, une surestimation de leurs capacités, une propension quasi-marxiste
à propager un système politique et économique qu’ils pensent être le meilleur et,
surtout, une énorme incapacité à en comprendre la vraie nature.
ISRAËL
La logique de la violence islamiste, même si elle diffère profondément de la
logique occidentale, est relativement simple à saisir et s’appuie sur des
constantes culturelles (et religieuses) connues, qui ont une cohérence propre. La
difficulté de l’Occident à rapprocher cette logique de la sienne propre génère une
asymétrie, que nous définirons plus loin, et une difficulté fondamentale pour les
stratèges occidentaux à maîtriser la violence. En revanche, la logique avec
laquelle Israël combat le terrorisme est plus difficile à saisir. Elle est le fruit
d’une manière de penser plus ambiguë, capable de jouer sur plusieurs tableaux à
la fois, qui s’appuie sur un pragmatisme et une confiance en soi exacerbés.
De fait, Israël est le seul pays du monde à n’avoir pas su juguler la menace
terroriste en plus de 60 ans. Des centaines de terroristes ont été tués, des milliers
de maisons détruites, mais les groupes armés se sont multipliés et se sont
radicalisés au fil des ans. Il n’y a pas de fatalisme ici. Travaillant dans un
véritable carcan idéologique, les autorités et les services de renseignement n’ont
pas créé les outils nécessaires à la lutte contre le terrorisme au niveau
stratégique. La lutte est donc menée avec une certaine efficacité au niveau
tactique, mais tend à générer davantage de terrorisme. Que ce mécanisme, qui
est clairement observable, soit le résultat d’un aveuglement ou, au contraire, le
fait d’un machiavélisme cynique, est un débat qui sort du cadre de cet ouvrage.
Ce qui est certain, c’est que la politique régionale et sécuritaire d’Israël depuis sa
création a été de nature déstabilisante.
Pourtant, Israël se place dans une perspective stratégique fondamentalement
distincte de celle des pays occidentaux, en théorie tout au moins. Depuis plus de
60 ans, le pays mène une « politique du pire » à l’égard de ses voisins, qui
favorise les mouvements extrémistes, mais empêche les cohésions nationales et
rend difficile la constitution d’éventuelles coalitions arabes capables de
« rejeter » sa population à la mer. Cette politique est exactement celle qui a été
appliquée aux relations israélo-palestiniennes. Alors qu’en Europe a prévalu
l’idée que la paix et la sécurité résultent de la stabilité et de la coopération entre
voisins, Israël a construit sa sécurité en accentuant et stimulant les divisions
entre Arabes. Malgré cette divergence stratégique, pour des raisons diverses,
l’Occident a maintenu son soutien à la politique israélienne.

Une Histoire entre mythes et réalités

Le regard que les pays occidentaux, États-Unis en tête, portent sur Israël est
largement acritique. Il est alimenté par une connaissance très imparfaite de la
genèse de l’État d’Israël, qui a induit une dissymétrie profonde dans notre
lecture du conflit palestinien. Portés par la compassion et encouragés par la
dynamique de la guerre froide, les pays occidentaux ont fermé les yeux sur des
événements et des crimes du jeune État hébreu, dont le souvenir reste très vivace
chez les Palestiniens.
Pour des raisons historiques et juridiques, l’Occident peine à sortir d’une
logique manichéenne pour comprendre la position palestinienne, très largement
perçue sous l’angle de la lutte contre le terrorisme. Comme nous l’avons vu plus
haut, les notions de terrorisme (mode d’action) et de résistance à une occupation
(finalité de l’action) ne sont pas nécessairement antinomiques. Or, l’histoire des
Palestiniens est en premier lieu l’histoire d’une résistance, qui a été poussée vers
le terrorisme en raison du désintérêt de la communauté internationale, et d’une
dynamique de la guerre froide où les Pays de l’Est cherchaient à créer et à
exploiter les faiblesses de l’Occident.

Convaincu que les efforts consentis par l’Union soviétique dans la


lutte contre le nazisme susciteraient l’appui des juifs, Staline pousse à
la création de l’État d’Israël dès 1944, et ce malgré les hésitations occidentales.
L’Union soviétique espérait ainsi avoir un point d’appui stratégique au bord
d’une Méditerranée dont le pourtour était alors complètement aux mains de la
France et de la Grande-Bretagne. Les services secrets soviétiques soutiennent
alors la communauté juive de Palestine dans sa lutte contre les Britanniques en
s’appuyant sur ses chefs de file comme Golda Meir, ou David Ben Gourion27.
Les liens entre le régime soviétique et la communauté juive sont alors solides.
Depuis 1917, la communauté juive est l’un des piliers du régime soviétique et
fournit un grand nombre de cadres des services secrets – le NKVD, puis MGB –
et des opérations clandestines. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la
montée de l’antisémitisme en Allemagne dans les années 20-30, et
l’antisémitisme ukrainien qui a récemment refait surface en 201328. Dans les
années 40-60, Staline accorde une certaine confiance à la communauté juive,
alors surreprésentée dans les réseaux d’espionnage soviétiques déployés en
Europe et aux États-Unis.
Il est également important de noter qu’en 1946, la population en Palestine
comptait environ 1 846 000 âmes, dont 1 203 000 Arabes (65 %) et 608 000
Juifs (33 %)29 ; avec une population arabe essentiellement autochtone et une
population juive en majorité issue de l’immigration consécutive à l’« Accord de
Transfert » (Accord Haavara) du 25 août 1933, entre la Fédération sioniste
d’Allemagne, la Banque anglo-palestinienne et le régime nazi30. Par ailleurs, la
population arabe possédait alors 85 %31 des terres et la population juive moins
de 7 %32.
Mais la Commission spéciale des Nations unies sur la Palestine (UNSCOP)
proposa néanmoins une répartition du territoire à raison de 55,5 % pour la
population juive et 45,5 % pour la population arabe.

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies


adopte la Résolution 181 qui entérine un plan de partition de la
Palestine entre un État juif et un État arabe. Mais ce plan ne sera jamais appliqué
car les divers groupes armés sionistes – composés d’une majorité de vétérans de
l’armée britannique – en Palestine s’approprient les terres au-delà de ce que
prévoyait le plan de partition, par la terreur et des déportations forcées, dont
l’épisode le plus connu a été le massacre brutal, le 9 avril 1948, de femmes et
d’enfants à Deir Yassin – surnommé l’Oradoursur-Glane palestinien – par des
unités du Lehi33 et de l’Irgoun, alors dirigées par Menahem Begin34. En tout, un
peu moins d’un million de Palestiniens seront déportés ou chassés par la terreur
et les massacres entre fin 1947 et début 194835. Ces actions sont à l’origine de la
première guerre israéloarabe, que l’histoire officielle place au lendemain de la
déclaration d’indépendance israélienne, le 14 mai 1948, mais qui en réalité avait
commencé bien avant36.
Cette appropriation par la force des terres par les premiers Israéliens est à
l’origine de l’exigence sans cesse répétée des Palestiniens pour le « droit au
retour37 ». C’est d’ailleurs pour avoir tenté d’imposer ce droit au retour que le
diplomate suédois Folke Bernadotte a été assassiné en septembre 1948 à
Jérusalem par des combattants du Lehi38.
Mais après leur indépendance, les Israéliens ne veulent pas être inféodés à
l’URSS. C’est cette « trahison » que Staline sanctionnera par des pogroms et une
campagne contre les juifs dans l’administration et les services de sécurité.
Presque simultanément, la montée des nationalismes arabes, au début des années
50, fait basculer les « alliances » : des pays comme la Syrie et l’Égypte
commenceront à recevoir de l’aide des pays communistes, alors que les
Occidentaux se rapprocheront timidement d’Israël. Ce n’est véritablement
qu’avec la guerre d’octobre 1973 (Guerre du Yom Kippour), que les États-Unis
– et l’Europe occidentale – se rapprochent d’Israël de manière décisive.

Des services de renseignement exemplaires ?


On avance volontiers que les services de renseignement israéliens sont parmi
les plus performants du monde. En effet, petit pays entouré de nations qu’il
considère comme hostiles, Israël doit disposer de services de renseignement
efficaces. Pourtant, la réalité est nuancée. Certes, les services israéliens ont
gagné leurs lettres de noblesse avec l’enlèvement d’Adolf Eichmann en 1960, et
un certain nombre d’opérations spectaculaires, dont l’élimination de nombre de
terroristes palestiniens. En fait, l’essentiel de leurs succès provient d’un réseau
d’informateurs incomparable, qui leur permet de collecter très largement de
l’information. Toutefois, là n’est pas l’essence du renseignement. Bien que
chaque pays ait sa propre interprétation du rôle des services de renseignement, il
n’en demeure pas moins que la fonction première et essentielle du
renseignement est… de renseigner. Il s’agit d’éclairer les décisions stratégiques,
notamment celles relatives à la sécurité nationale. Or, dans ce domaine, les
capacités analytiques stratégiques israéliennes ont montré des failles
considérables, parmi lesquelles :
- En mai-juin 1967, la surestimation de la menace arabe, qui conduira à la
Guerre des Six Jours ;
- En mars-octobre 1973, l’incapacité à discerner les préparatifs de l’offensive
égyptienne (Opération BADR), qui donnera à l’Égypte un effet de surprise ;
- En 1982, l’incapacité de distinguer un potentiel allié auprès de la
population chiite au Sud-Liban ;
- La mauvaise qualité des renseignements fournis aux États-Unis et à la
Grande-Bretagne sur les armes de destruction massive irakiennes avant
l’offensive de 2003 (la commission d’enquête parlementaire israélienne mise sur
pied pour cette occasion a exclu l’intention d’induire en erreur les
Américains39) ;
- En 2006, l’ignorance des infrastructures de défense construites par le
Hezbollah dans la profondeur du territoire libanais pour se protéger d’une
invasion israélienne, la sousévaluation des capacités de cryptage et de contre-
mesures électroniques du Hezbollah et l’ignorance des capacités de pénétration
électronique du Hezbollah établies grâce à l’aide de l’Iran40.
Ces failles ont fait l’objet de multiples commissions d’enquête dès les années
60 et ont révélé de nombreux dysfonctionnements dans le système même de
renseignement national41. Le caractère très idéologique de la politique
israélienne a non seulement influencé la manière dont les services devaient
accomplir leur tâche, favorisant ainsi une instrumentalisation du renseignement
qui a été la cause de nombreux conflits entre le gouvernement et les chefs des
services, mais a également affecté la qualité de la communication entre le
politique et le renseignement. En juin 2011, Meir Dagan, directeur du Mossad,
démissionne après avoir vivement critiqué la politique du gouvernement
Netanyahu envers l’Iran et qualifié de « stupide » l’idée de frapper l’Iran de
manière préventive42. Quelques mois auparavant, Yuval Diskin, chef du Service
de sécurité intérieur, le Shabak, démissionnait pour les mêmes raisons43.
On constate en général un décalage – qui tend à devenir systémique – entre
les organes de renseignement qui sont, par la nature des choses, au courant de la
réalité des situations, et l’establishment politique qui tend à agir de manière
idéologique, souvent au mépris du bon sens. Dans le cas de l’Iran, le Mossad a
ainsi « doublé » le Premier ministre Netanyahu, en incitant les parlementaires
américains à renoncer à appliquer des sanctions supplémentaires à l’Iran en
201544. L’ouverture d’esprit et le bon sens des services israéliens ont parfois de
la peine à s’exprimer dans un contexte institutionnel. Dans la lutte contre le
terrorisme, l’ex-directeur du Mossad, Ephraïm Halevy, s’est ainsi exprimé –
après sa dé-mission – en faveur de l’ouverture d’un dialogue avec le Hamas
palestinien, afin de contenir la progression des mouvements islamistes qui
tendent à le « déborder45 ».
En septembre 2014, ce sont 43 militaires de la prestigieuse « Unité 8200 » –
qui assure le renseignement d’origine électromagnétique au sein du Service du
renseignement militaire israélien (AMAN) – qui refusent d’aller servir dans les
territoires occupés, arguant que les activités de renseignement contre la
population palestinienne enfreignent les règles de l’éthique46.

Le risque

Israël a construit sa politique de sécurité autour de la dissuasion nucléaire dès


les années 60. Non signataire du Traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires (TNP), il a développé ses capacités nucléaires militaires avec l’aide de
la France, à l’insu de la communauté internationale ; capacité qui est par essence
déstabilisante pour la région, et ce pour deux raisons. La première est que,
compte tenu de sa petite taille, Israël pourrait être facilement détruit (par une ou
des frappes nucléaires, par exemple), ce qui lui impose la nécessité de pouvoir
frapper en premier un adversaire potentiel. La seconde est le fait qu’Israël est le
seul pays de la région à disposer du « parapluie nucléaire » d’une grande
puissance, en l’occurrence les États-Unis ; ce qui constitue un désinhibiteur de
décision.
Le 17 avril 2013, la Commission des relations internationales du Sénat
américain adopte la Résolution 65 qui affirme le soutien total des États-Unis, en
cas de conflit entre Israël et l’Iran :

Si le Gouvernement d’Israël est contraint d’engager une


action militaire en cas de légitime auto-défense contre le
programme d’armes nucléaires de l’Iran, le Gouvernement des
États Unis doit être aux côtés d’Israël et fournir, en accord
avec la loi des États-Unis et la responsabilité du Congrès à
autoriser l’usage de la force militaire, l’appui diplomatique,
militaire et économique au gouvernement d’Israël pour la
défense de son territoire, de son peuple et de son existence47.

Cette résolution, dont l’objectif est de rassurer et faire accepter à Israël


l’accord avec l’Iran sur la question nucléaire, a évidemment des conséquences
opérationnelles concrètes.
Comme ce serait le cas pour un autre pays, le risque de cette situation repose
sur la combinaison de deux éléments discrétionnaires : l’interprétation de la
notion de « légitime défense » et la capacité à analyser correctement la menace
stratégique sur le pays. Ainsi, la notion de « légitime auto-défense » est assez
largement interprétée par Israël, qui l’a invoquée les 3 et 5 mai 2013 (15 jours
après l’adoption de la Résolution 65 par le Sénat américain), pour attaquer des
positions du Hezbollah, alors engagé dans les combats contre les islamistes
syriens, et pour justifier son action à Gaza en juillet 2014. Quant à la menace
stratégique sur le pays, l’expérience montre que les services de renseignement
ont rarement été en mesure de l’analyser correctement. Sa surévaluation –
comme dans le cas de l’Iran – ou sa sousévaluation – comme avec l’Égypte en
1973 – peut conduire à des décisions hâtives, qui pourraient se traduire par la
tentation de déclencher des frappes nucléaires préventives, même au risque de se
tromper, grâce à la protection nucléaire américaine.
Il est intéressant de noter que, apparemment, une des raisons majeures de
l’intervention russe en Géorgie en 2008 a été d’empêcher une attaque israélienne
sur l’Iran48 en bombardant les bases aériennes d’Alekseevka et de Marneuli,
utilisées par les Israéliens en vertu d’un accord secret entre les deux pays avec la
bénédiction des États-Unis. Les Russes auraient alors capturé un certain nombre
de drones et un important matériel électronique, réduisant ainsi significativement
les capacités israéliennes de reconnaissance sur l’Iran et la Syrie49.

Territoires occupés et frontières


Une question souvent ignorée et sous-estimée en Europe est la question des
frontières de l’État d’Israël. L’ambiguïté qu’entretiennent les Israéliens sur cette
question, sur laquelle s’est greffé le problème des territoires occupés, constitue
un aspect essentiel du problème israélo-palestinien. Déjà en 1940, bien avant la
création de l’État d’Israël, les ambitions allaient au-delà de ce qui sera décidé par
les Nations unies :

Il doit être clair qu’il n’y a pas d’espace dans le pays pour
deux peuples […] Si les Arabes s’en vont, le pays deviendra
large et spacieux pour nous… La seule solution après la fin de
la Seconde Guerre mondiale, c’est la Terre d’Israël au moins
la partie occidentale de la Terre [N.D.A. : c’est-à-dire la
Palestine à l’ouest du Jourdain] sans Arabes. Il n’y a pas de
compromis possible sur ce point. Il n’y a pas d’autre moyen
que de transférer les Arabes d’ici vers les pays voi-sins, de les
transférer tous, sauf peut-être ceux de Bethléem, de Nazareth
et de la vieille Jérusalem. Pas un village ne doit rester, pas une
tribu bédouine. Le transfert doit être organisé vers l’Irak, la
Syrie et même la Transjordanie. Pour cet objectif des fonds
doivent être trouvés […] Et c’est seulement après ce transfert
que le pays sera à même d’accueillir des millions de nos frères,
et le problème juif cessera d’exister50.

Formellement, cependant, les seules frontières internationalement reconnues


de l’État d’Israël sont celles qui ont été définies lors de sa création par
l’Assemblée générale des Nations unies en novembre 1947. La ligne d’armistice
de 1949 – également appelée « Frontière Verte » – est une ligne non permanente
généralement acceptée, mais qui ne constitue pas une frontière
internationalement reconnue. En fait, Israël est l’un des seuls pays au monde à
n’avoir jamais défini avec précision ses frontières. Avant même la Déclaration
d’Indépendance, du 12 au 14 mai 1948, le Gouvernement provisoire israélien a
eu une discussion houleuse sur la question de la définition des frontières. Et, sur
la proposition de Ben-Gourion, le gouvernement votera à 5 contre 4 la décision
de ne pas les définir, avec l’idée – déjà à ce stade – d’élargir les frontières
définies par les Nations unies51.
Aujourd’hui, la question des frontières tend à se cristalliser autour des
relations entre Israël et le Hamas, et plus largement sur la question d’un dialogue
possible entre les extrémistes palestiniens et le gouvernement israélien. Ainsi, la
condition préalable à toute discussion avec le Hamas est la reconnaissance de
l’État d’Israël. Mais en l’absence d’une définition claire des frontières, cette
reconnaissance pourrait signifier reconnaître la souveraineté d’Israël sur les
territoires occupés, et donc perdre ipso facto la légitimité de les revendiquer. La
reconnaissance de l’existence de l’État d’Israël en 1993 par l’Autorité
palestinienne n’a pas été suivie par de nombreux groupes palestiniens, qui y
voient un véritable « chèque en blanc » pour l’occupant israélien.
Le Hamas est en conflit avec une puissance occupante. Il lui est donc
difficile de reconnaître la légitimité territoriale de son adversaire. La Résistance
française aurait-elle reconnu la France occupée comme étant l’Allemagne –
légitimant ainsi l’occupation ? Sans doute pas. Ce refus est généralement
interprété en Israël, aux États-Unis et dans de nombreux pays européens comme
la volonté du Hamas de détruire Israël. En réalité, et comme souvent au Proche-
Orient, il faut faire la distinction entre la parole et l’acte. Le Hamas n’est ni
structuré, ni ne dispose des ressources nécessaires pour mener une telle
entreprise. D’ailleurs, selon Ephraïm Halevy :

[…] Ils [les chefs du Hamas] ont reconnu que cet objectif
idéologique n’est pas atteignable et ne le sera pas à l’avenir.
Ils sont prêts et désireux de voir s’établir un État palestinien à
l’intérieur des frontières temporaires de 1967, et ils sont
conscients qu’ils devront donc emprunter un chemin qui
pourrait les mener loin de leurs objectifs originels 52.

La rhétorique occidentale et israélienne, qui s’est durcie depuis 2001, tend à


prêter au Hamas une stratégie qui s’inscrirait dans un projet religieux plus large
et qui – par conséquent – empêcherait toute solution politique. Pourtant, selon le
cheikh Yassine, fondateur du Hamas :

Le conflit n’est pas religieux. Nous respectons toutes les


religions et nous avons de bonnes relations avec toutes les
religions. La question, c’est d’abord une agression. Il y a un
agresseur, qui nous a agressés, qui nous a exilés, qui nous a
confisqué nos maisons et notre terre. Nous devons résister et
nous devons récupérer nos droits53.

Plus tard, comme pour confirmer cette position, le cheikh Yassine a indiqué
à plusieurs reprises qu’une indépendance palestinienne dans les limites des
frontières de 1967 (en fait, la ligne d’armistice de 1949) serait négociable avec
Israël54, suggérant par là même que le Hamas ne cherche pas l’anéantissement
d’Israël :

Si Israël se retire sur les frontières de 1967, y compris à


Jérusalem, reconnaît le droit au retour, lève son siège,
démantèle les implantations [dans les territoires occupés] et
relâche les prisonniers, alors il est possible pour nous
Palestiniens et Arabes de faire un pas sérieux en faveur des
Sionistes55.

Il serait inexact d’assimiler la non-reconnaissance d’Israël à une volonté d’en


nier l’existence, voire de l’anéantir comme le prétendent certains. Ainsi, le
Hamas ne se situe pas dans une perspective de Djihad global de l’Islam contre la
chrétienté ou le judaïsme. Toutefois, le lien que le gouvernement de Benjamin
Netanyahu voudrait établir en définissant Israël comme « État juif » génère (à
dessein ?) une ambiguïté. La Résolution 181 des Nations unies de 1947
prévoyait bien la création d’un « État juif », et donc, cette appellation ne devrait
pas poser problème pour la communauté internationale. En revanche, elle
constitue un obstacle pour les Palestiniens, qui ont toujours l’objectif de pouvoir
retourner sur les terres qui leur ont été confisquées dès 1947 et pour qui le
caractère juif de l’État leur enlèverait tous les droits. C’est pour cette raison que
de nombreux intellectuels israéliens préfèreraient voir Israël être l’« État des
Juifs56 ».
Il est important de noter ici que le Hamas palestinien n’a aucun lien de
« parenté » doctrinal avec les mouvements terroristes islamistes actuels (comme
« Al-Qaïda » ou l’État islamique), en dépit du fait que de nombreux « experts »
les associent. Certes, pour tous les islamistes, la dimension religieuse est un
support, une sorte de ciment, qui permet d’articuler les intérêts particuliers dans
une cohérence, une sorte de substitut de fait au marxisme des groupes
palestiniens des années 60-80. Mais la finalité de leurs actions est très
différente : pour le Hamas, il s’agit avant tout de mener une lutte pour un
territoire ; pour « Al-Qaïda », il s’agissait de forcer les États-Unis à se retirer du
Moyen-Orient ; pour l’État islamique, l’axe central de l’action est le rejet de
toute intervention occidentale, auquel s’est ajouté le rejet de l’influence chiite ou
iranienne (nous y reviendrons plus loin). En fait, il suffit de lire la revue
officielle de l’État islamique :

Les divers chefs et branches du Hamas ont proclamé


effectuer le Djihad contre les Juifs durant des années. La
réalité est que cette milice est une entité nationaliste, qui
adopte activement la démocratie comme vecteur du
changement depuis « 2005 ». Le Hamas s’est engagé dans les
élections municipales, présidentielles et législatives, a pris part
dans l’élaboration des lois et l’exécution de lois écrites par
l’homme. Cette idéologie démocratique a été propagée par son
leadership avant même « 2005 », depuis l’époque d’Ahmed
Yassine57.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Hamas s’est efforcé – avec succès –
de maintenir sa lutte à l’intérieur de la Palestine, aussi afin d’éviter de s’aliéner
l’opinion publique internationale. Une faute qu’avaient commise les
mouvements de libération palestiniens des années 60-70, prônant alors un
combat internationaliste dans un cadre idéologique marxiste. Malgré les
accusations répétées de collusion avec « Al-Qaïda », le Hamas s’est
systématiquement distancé des tendances djihadistes qui seraient apparues en
Palestine. Il en est ainsi du Jaïsh al-Islam, qui a été brutalement démantelé par
les forces de sécurité du Hamas en septembre 2008 à Gaza et de plusieurs
groupuscules radicaux apparus dans le sillage de la montée du Djihadisme en
Syrie et en Égypte, également démantelés entre 2013 et 2015. Ainsi, le 4 mai
2015, le quartier-général du Hamas a fait l’objet d’une attaque à la bombe par
des militants salafistes du groupe Ansar Beit al-Maqdis, visant à faire libérer un
de ses chefs arrêté par le Hamas58. Le même mois, le magazine officiel de l’État
islamique rapporte que ses forces ont attaqué le groupe Aknaf Beit al-Maqdis, la
milice locale du Hamas59 qui protège les Palestiniens dans le camp de réfugiés
de Yarmouk, près de Damas en Syrie60.
La question des frontières est d’autant plus profonde qu’en Israël certains
revendiquent un territoire qui s’étendrait du Nil à l’Euphrate (« Eretz Israel »).
Par ailleurs, le discours officiel israélien tend à jouer sur l’ambigüité de la
situation :

Nous ne devons pas cesser de répéter que la cause du


conflit est l’existence même de l’État d’Israël, le refus de
reconnaître l’État d’Israël dans quelques frontières que ce
soit61.

Ceci aussi explique pourquoi une étude menée par le Dr Nurit Peled-
Elhanan, de l’université hébraïque de Jéru-salem, portant sur 6 manuels scolaires
édités après les accords d’Oslo (dont plusieurs accrédités par le ministère de
l’Éducation) montre que l’on apprend aux élèves la géographie d’un « Grand
Israël » sans zone arabe62. Un enseignement conforme à une décision de la
Knesset du 14 octobre 2007, qui interdit la représentation de la « Frontière
Verte » comme frontière d’Israël dans les manuels scolaires63.
Malgré le fait que les Palestiniens utilisent eux aussi la carte de la Palestine
d’avant la partition de 1947 (sans Israël), les divers chefs politiques du Hamas,
dont son chef actuel, Khaled Meshaal, sont restés malgré tout très souples en
déclarant accepter de baisser les armes si Israël acceptait :

L’établissement d’un État palestinien indépendant à


l’intérieur des frontières de 1967 avec Jérusalem comme
capitale pour tous les territoires occupés64.

Tout en soulignant :

Il est vrai que, dans la réalité, il y aura une entité ou État


appelé Israël sur le reste des terres palestiniennes […] C’est
une réalité, mais je ne veux pas pour autant la reconnaître ou
l’admettre formellement65.

Comme on le constate, le discours du Hamas est parfaitement cohérent : la


terre est bien au centre de la question et non la religion ou même la création d’un
« califat » islamique.
Actuellement, la situation est telle que la revendication des Palestiniens pour
récupérer leurs terres a acquis une grande légitimité dans l’opinion publique
internationale. En termes militaires, en se fondant sur Clausewitz, on peut définir
cette légitimité comme le « centre de gravité66 » des mouvements palestiniens.
Ainsi, sur le plan stratégique, la manière disproportionnée dont le gouvernement
israélien réagit aux revendications palestiniennes ne fait que consolider ce centre
de gravité et renforcer la pression internationale sur Israël. Cette pression est
contenue par une confusion – soigneusement entretenue – entre 3 notions que
l’on tend à mélanger : ce qui relève de l’État d’Israël (« israélien »), ce qui est
associé à la religion (« juif ») et ce qui est lié au nationalisme (« sioniste »).
Cette confusion est l’une des sources – si ce n’est la principale – d’un
antisémitisme croissant, qui en réalité, concerne bien davantage la politique
israélienne que la religion juive ; mais qui permet également de limiter le soutien
aux réflexions émergentes d’intellectuels israéliens67, critiques sur la politique à
l’égard des Palestiniens, qui tombe ainsi rapidement sous le qualificatif
d’« antisémite ».
Quant aux territoires occupés en 1967 et 1973 (en l’occurrence la
Cisjordanie et le Golan), Israël n’a tout simplement jamais eu la moindre
intention de les restituer, jouant ainsi avec la naïveté américaine et européenne
dans les diverses initiatives de paix proposées depuis 1967. Pour une raison très
simple : Israël, qui entretient des relations tendues avec ses voisins, doit
impérativement conserver le contrôle sur ces territoires afin de pouvoir articuler
sa défense. Après plusieurs conflits avec ses voisins, l’État hébreu a compris que
ces territoires lui offrent une profondeur stratégique indispensable à sa survie. À
ceci s’ajoutent plusieurs autres facteurs stratégiques, telles les réserves en eau
douce du bassin du Jourdain devenues indispensables au pays et à son économie.
Tant qu’une stratégie de sécurité par la coopération (« à l’européenne ») ne sera
pas à l’ordre du jour en Israël, il est inconcevable que les territoires occupés
soient restitués, comme l’avait prévu la Résolution 242 des Nations unies.
Bien que le conflit israélo-palestinien ne soit pas religieux par essence, il est
naturellement influencé par des éléments culturels et des logiques liées à la
religion. Ainsi, dès 1948, les immigrants juifs se sont approprié des terres
considérées comme « sans maître » et donc – selon eux – librement disponibles.
Mais, dans la tradition islamique (et notamment en Palestine), les terres sont
considérées comme « waqf » (mainmorte), c’est-à-dire que la terre appartient à
Dieu et les hommes ne peuvent en avoir que l’usufruit68. Cette perception
différente du droit de la terre constitue l’un des (multiples) obstacles à une
(éventuelle) restitution des terres par Israël. Cela explique pourquoi le Hamas –
qui définit clairement dans sa charte (article 11) la terre de Palestine comme
« waqf » – insiste sur cette dimension, qui lui confère une légitimité à
revendiquer des terres et le retour sur ces terres, pour lesquelles il n’existe pas de
titres de propriété.
Parmi les territoires occupés, la bande de Gaza occupe une place particulière.
Devenue un immense refuge pour les Palestiniens dès 1948, elle est aussi une
source de problèmes pour l’Égypte, dans un premier temps, et pour Israël depuis
1967. Sa restitution à l’Autorité palestinienne en 2005 n’est donc pas vraiment
une surprise et ne témoigne pas d’une magnanimité particulière d’Israël.
D’autant plus qu’après la confirmation de la présence de nappes de gaz naturel
au large de la bande de Gaza, l’embargo israélien et les limitations sur les zones
des eaux territoriales ont fait partie des éléments centraux de la politique menée
envers cette zone.
Lorsqu’en janvier 2009, Avi Pazner, porte-parole du gouvernement israélien,
rappelle le « geste unilatéral » effectué par Israël en rendant la bande de Gaza
aux Palestiniens en 200569, il omet de dire que ce retrait de 9000 colons de Gaza
a été compensé jusqu’alors par l’arrivée de 50 000 colons de plus en
Cisjordanie70. En tout, entre 2001 et 2005, la population juive implantée en
Cisjordanie a connu une croissance de 5,5 %, alors que la population juive en
Israël n’a crû que de 1,8 %71, tendant à montrer – s’il le fallait encore – la mise
en œuvre d’une stratégie d’occupation par grignotage des terres palestiniennes.
En 1972, il y avait quelque 11 000 Israéliens vivant dans les territoires occupés,
en 2015, ce nombre atteindrait 570 000 selon l’organisation israélienne
B’Tselem72, sur la base de chiffres officiels. Par ailleurs, il faut rappeler ici que
ces implantations sont illégales au regard du droit international, ainsi que le
précise la Résolution 446 du Conseil de sécurité des Nations unies73.
Or cette colonisation qui s’accroît en Cisjordanie a pour finalité d’être
irréversible. En mars 2006, à l’issue des élections parlementaires israéliennes,
M. Ehud Olmert a déclaré qu’Israël tenterait de définir ses frontières jusqu’en
2010, soulignant que celles-ci suivraient la barrière de séparation construite
depuis 200274.

Efficacité tactique – Inefficacité stratégique

En juin 2002, le gouvernement du Premier ministre Ariel Sharon décide de


construire une « barrière de sécurité » (Security Fence) – un « Mur » selon les
Palestiniens – afin de réduire les possibilités d’infiltration de terroristes arabes
en Israël. Il s’agit d’une barrière de 4-8 m de haut et longue de 360 km, qui suit
le tracé de la « Frontière Verte » de 1949. Mais elle a un parcours capricieux,
séparant à de nombreux endroits les terres palestiniennes de leurs propriétaires,
passant parfois au milieu de villages, voire excluant certains villages palestiniens
de la Cisjordanie.
Paradoxalement, alors qu’il est parfaitement légitime pour Israël de protéger
sa population, le choix du tracé a été tel qu’il n’a fait qu’accentuer les rancœurs
palestiniennes, lui enlevant toute adhésion dans l’opinion publique mondiale.
Ainsi, contrairement aux règles du droit international75, cette construction s’est
effectuée sur les terres palestiniennes, qui sont ainsi confisquées. Au final, la
barrière, large de 50-80 m, exige 7 270 ha pour son tracé, tandis qu’elle détache
de facto 39 000 hectares de la Cisjordanie. Rien de très surprenant dès lors que la
barrière elle-même constitue une source de tensions supplémentaires, qui
s’ajoute à l’expropriation progressive des populations palestiniennes. En outre,
la seule première phase de construction a impliqué la destruction de près de 83
000 arbres (dont une part importante d’oliviers), 35 km de canaux d’irrigation et
31 sources d’eau, représentant quelque 4 millions de mètres cubes d’eau76,
nécessaires pour l’agriculture, principale ressource des Palestiniens.
À ces questions matérielles s’ajoutent les chicanes quotidiennes, comme
pour ces villageois, pris entre la barrière et la « Frontière Verte », qui ne peuvent
se rendre sur leurs terres sans un important détour par le territoire israélien, mais
ne disposent pas des papiers nécessaires y pénétrer ! Ainsi, dans un contexte
insurrectionnel, le gouvernement israélien a réussi à transformer une démarche
parfaitement légitime en source supplémentaire de discorde.
Ainsi, par son concept même, la « barrière » illustre le fait qu’Israël n’a
jamais réussi (ou voulu) traiter stratégiquement la question du terrorisme
palestinien. Malgré une certaine efficacité tactique, l’approche israélienne de la
lutte contre le terrorisme palestinien n’a pas réussi à prendre la forme d’une
stratégie holistique et s’est montrée incapable d’agir sur la volonté des
Palestiniens à lutter. On peut difficilement nier que cette construction ait été
exécutée pour provoquer un maximum de dommages à l’économie palestinienne,
contribuant ainsi à rendre cette mesure illégale aux yeux du droit international, et
constituant une provocation délibérée envers les « durs » palestiniens.
De fait, on constate que si cette « barrière » a permis de réduire le nombre de
victimes israéliennes, elle a aussi fait passer le nombre moyen d’attentats
préparés chaque mois contre Israël de 7,4 (entre octobre 2000 et avril 2002) à
15,8 (entre mai 2002 et juin 2004)77, et a été la principale raison des attaques à la
roquette et au mortier depuis les territoires palestiniens. Le gain tactique a donc
été contrebalancé par une défaite stratégique, parce que l’on n’a pas su intégrer
ces gains dans une stratégie plus générale. Par ailleurs, en admettant qu’Israël
cherche effectivement à lutter contre le terrorisme, cette barrière est révélatrice
d’une médiocre compréhension de la « pensée militaire » palestinienne.
Cette inefficacité d’Israël dans la lutte antiterroriste est également illustrée
par la politique de destruction punitive des maisons des familles de terroristes.
Adoptée en 1967, cette politique a été appliquée jusqu’en février 2005 par
l’armée israélienne, avec une parenthèse entre 1998 et octobre 2001. Il s’agissait
de détruire les maisons des familles de personnes suspectées de participer à des
activités terroristes. Entre 1987 et 2005, 1783 maisons ont ainsi été détruites78.
En 2005, un moratoire sur les destructions a été déclaré par les auto-rités
israéliennes, jusqu’en été 2014. En 2014, Israël a détruit 590 maisons
palestiniennes, selon l’Office de coordination des affaires humanitaires des
Nations unies79.
Le premier effet de ces démolitions a sans aucun doute été d’attiser la
violence sans avoir d’effet dissuasif sur les attentats terroristes80. De plus, cette
politique a été mal perçue parce que les personnes recherchées (terroristes) ne
vivaient généralement plus dans les maisons des familles concernées et que la
mesure ne touchait que des enfants, des femmes et des personnes âgées. Sur le
plan stratégique de la lutte contre le terrorisme, on constate que ces familles ont
été prises en charge par le Fonds pour le soutien aux familles (Waqfiat Ria’at al-
Usra) du Hamas et par l’Union du bien (I’tilaf al-Kheïr) saoudienne, qui
coordonne depuis octobre 2000 les organisations de bienfaisance dans les
territoires occupés81. En d’autres termes, la politique israélienne – en dehors des
considérations liées aux Droits de l’homme – a tout simplement contribué à
accroître l’audience du Hamas et à en grossir les rangs.
Si dans un conflit symétrique (comme, par exemple, contre la criminalité
organisée ou le narco-terrorisme) de tels procédés peuvent sans doute faire partie
d’une stratégie de contre-terrorisme, dans une situation asymétrique ils
équivalent à offrir des munitions à l’adversaire !
Tentant de faire jouer les factions les unes contre les autres, la seule stratégie
israélienne perceptible a donc abouti à l’émergence, puis à la consolidation des
islamistes (Hamas). Ensuite, elle a résolument combattu les forces modérées du
Fatah en affaiblissant politiquement Yasser Arafat, le rendant responsable de la
montée du radicalisme et des actes de terrorisme – tout en lui ôtant toute capacité
de s’imposer contre les islamistes. Et finalement, au début 2006, alors que les
Islamistes parvenaient au pouvoir par un processus démocratique, Israël – et la
communauté internationale – a manqué l’occasion de faire sortir le Hamas de
son rôle de mouvement de résistance, pour le placer face à ses responsabilités.
En écartant toute possibilité de développement dans les territoires occupés,
les Israéliens ont confiné les Palestiniens dans une posture de pays en voie de
développement, non seulement au niveau économique, mais également au plan
sociétal. Alors que la démographie israélienne montre un profil similaire à celui
des populations européennes (avec un taux de fécondité de 2,71
enfants/femme82), la population arabe dans les territoires occupés présente la
structure démographique d’un pays en voie de développement (avec un taux de
fécondité de 5,3 enfants/femme, qui est l’un des plus élevés de la région83).
C’est pour compenser ce différentiel de natalité qu’Israël a eu une politique
d’immigration très agressive, qui a permis de peupler les territoires occupés.
Le danger aujourd’hui est que le rétrécissement constant des territoires
palestiniens, accompagné du blocage des négociations entre Israéliens et
Palestiniens, pousse ces derniers dans les bras des extrémistes sunnites qui
apparaissent en Égypte et en Syrie. Les autorités du Fatah et du Hamas luttent
contre ces groupes qui commencent à s’installer sur le territoire palestinien et
israélien avec l’appui de l’Arabie saoudite et du Qatar, et qui prolifèrent au gré
des interventions occidentales, notamment des États-Unis et de la France.

La stratégie du chaos

Avec cynisme et pragmatisme, Israël a constaté que sa sécurité relevait


moins de sa supériorité militaire que de l’incapacité des Arabes à se mettre
d’accord sur une approche coordonnée, unifiée, ou même cohérente. Qu’il
s’agisse de la position arabe à l’égard du conflit palestinien ou d’autres conflits
de la région, de politique pétrolière, ou de questions religieuses, la communauté
arabe peine à s’exprimer d’une seule voix. Israël en a tiré la conclusion que les
tensions au sein de la région sont la plus sûre garantie de sa propre sécurité.
Ainsi, dès ses débuts, Israël choisit l’option de la confrontation. Au début des
années 50, avec l’arrivée des régimes nationalistes et panarabes en Égypte et en
Syrie, la tentation des États-Unis à les soutenir et de la Grande-Bretagne à se
désengager du Proche-Orient, Israël sent sa sécurité menacée et cherche à
prévenir la constitution d’une coalition arabe contre lui. L’État hébreu lance
donc l’Opération SUSANNAH en 1954, qui est un plan conçu et exécuté par le
Service de renseignement militaire israélien (Agaf Modiin ou AMAN)et qui
utilise des attentats terroristes contre des cibles anglaise, américaine et
égyptienne, afin de faire accuser les Frères musulmans et provoquer une
intervention anglo-américaine. Mise à jour par la sécurité égyptienne, devenue
l’« Affaire Lavon », l’opération est éventée et se solde par un fiasco complet qui
aboutira à la démission du ministre de la Défense israélien de l’époque, Pinhas
Lavon. Elle provoquera une vague d’indignation et d’antisémitisme qui se
traduira par l’expulsion des juifs d’Égypte par Nasser en 195684. Elle illustre
cependant la stratégie du pire adoptée par Israël pour assurer sa sécurité : un
environnement instable, accaparé par les luttes intestines et incapable de
mobiliser les ressources susceptibles de mettre en danger Israël.
Cette même politique du « diviser pour régner » a été appliquée avec succès
pour gérer la question palestinienne. L’absence de cohésion était déjà manifeste
au sein des mouvements palestiniens « historiques » des années 50-60. Elle s’est
accentuée avec l’apparition du Hamas, qui apportera une dimension religieuse
dans l’équation, même si les objectifs et les fondamentaux du conflit restent
inchangés. C’est pour introduire cette nouvelle division au sein des Palestiniens
qu’Israël a soutenu et financé la création du Hamas, affaiblissant la position de
Yasser Arafat, figure fédératrice des Palestiniens de toutes tendances, et
renforçant d’autre part les Frères musulmans égyptiens, dont il est une
émanation. Le brigadier-général Yitzhak Segev, gouverneur militaire de Gaza
dès 1979, a des contacts réguliers avec le cheikh Yassine, chef du Mujama al-
Islamiya, précurseur du Hamas, et qui finance la construction de mosquées85. À
ce moment, l’ennemi est l’OLP, et la stratégie d’Israël est de constituer un
contrepoids à la popularité croissante de Yasser Arafat.
En complément de cette approche, le lien avec les ÉtatsUnis, est devenu,
particulièrement après 1973, un des piliers de la stratégie israélienne, avec
comme conséquence une propension à provoquer une implication plus directe
des États-Unis dans les affaires de la région. Or, contrairement à ce que l’on
pourrait penser en Occident, la destruction d’Israël n’est pas une priorité pour les
islamistes – du moins pour l’instant, car Israël fait bien partie de la zone
prioritaire du Djihad, comme nous le verrons plus bas. La littérature djihadiste –
et celle de l’État islamique en particulier – est relativement peu virulente à
l’égard d’Israël, mais concentre son venin sur le soutien apporté à Israël par les
pays occidentaux, États-Unis en tête.

Le Liban et le Hezbollah

En fait, au début des années 80, un autre problème inquiète Israël. Les
Palestiniens refoulés de Palestine après la guerre de 1967, puis de Jordanie après
les événements de septembre 1970, se sont installés au Sud-Liban dans la partie
chiite, la plus pauvre du pays, et opèrent des raids à travers la frontière contre
Israël. Par ailleurs, la dégradation rapide de la situation entre communautés
chrétiennes et islamiques dès 1975 a rendu le pays ingérable et le gouvernement
libanais n’est plus en mesure de maîtriser la situation au sud du pays.
En juin 1982, Israël lance l’Opération PAIX EN GALILÉE qui vise à
éliminer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat. Au
début de l’opération, la population chiite sud-libanaise accueille assez
favorablement les Israéliens. Par leur présence massive et leurs actions
transfrontalières contre Israël, les Palestiniens avaient déstabilisé la région et
entraîné la population du Sud-Liban dans un conflit qui n’était pas le sien. Mais,
au lieu de s’appuyer sur ces dissensions intra-arabes pour lutter contre les
organisations terroristes palestiniennes, les Israéliens ne font pas de différence
entre chiites libanais et sunnites palestiniens et les combattent indistinctement.
Ils parviennent donc assez rapidement à créer l’unanimité contre eux, malgré un
camp arabe profondément désuni.
Bien qu’unis de fait contre Israël, Palestiniens et chiites libanais mènent
cependant des combats différents. À ce stade, les Palestiniens réfugiés au Liban
défendent la capacité de combat qui leur est nécessaire pour récupérer leurs
terres, tandis que les chiites se battent contre l’occupation du Sud-Liban. Ainsi
apparaissent des mouvements de résistance chiites, dont le Djihad islamique, qui
reste encore à ce jour une organisation mal définie (toutes proportions gardées,
analogue à ce que l’on appelle « Al-Qaïda » aujourd’hui), sans structure de
conduite claire, à laquelle on attribue la responsabilité d’un grand nombre
d’attentats, et qui restera insaisissable.
Le 18 avril 1983, un attentat à la bombe contre l’ambassade américaine à
Beyrouth fait 63 victimes. L’attentat sera revendiqué par le Djihad islamique,
mais, selon l’ex-officier du Mossad israélien, Victor Ostrovsky, il apparaît que
les services israéliens étaient au courant des préparatifs de l’attentat, mais ont
délibérément caché l’information aux Américains86. Cet événement avait
d’ailleurs été précédé en 1982-1983 de toute une série de petites attaques contre
les forces américaines au Liban, menées par des commandos israéliens87.
Le 23 octobre 1983, deux attentats alors attribués au Djihad islamique
frappent la Force multinationale de sécurité (MNF) à Beyrouth : le premier fait
241 morts au quartier général des US Marines, et le second, 2 minutes plus tard,
anéantit le « Drakkar », tuant 58 parachutistes français. En dépit d’un narratif qui
viendra plus tard et renvoie la responsabilité de ces attentats sur le Hezbollah, et
place les Occidentaux comme simples victimes du terrorisme (iranien), la réalité
semble être sensiblement différente et mal connue.
Les raisons de l’attentat contre les parachutistes français et la chaîne de cause
à effet qui y a conduit sont encore à ce jour spéculatives, malgré une multitude
de théories possibles, comme la livraison quelques jours plus tôt d’avions Super-
Étendard à l’Irak, par la France. On est alors en effet en pleine guerre Iran-Irak,
et les combattants du Djihad islamique sont chiites, mais leurs liens avec l’Iran
pourraient constituer une explication plausible. Néanmoins, l’Iran est loin du
Liban et il faut probablement plutôt chercher l’explication dans la stratégie
adoptée par la France à Beyrouth, qui avait opté pour un appui opérationnel de
l’armée Libanaise – notamment par des patrouilles conjointes, mais sans
participation à des opérations militaires – qui l’a mise dans la position d’une
partie au conflit. Ceci expliquerait que le contingent italien – déployé entre les
secteurs américain et français – qui avait une tâche strictement humanitaire, n’ait
pas été touché par des attentats.
L’attentat contre les Marines américains est un peu plus clair et s’explique
par l’ambiguïté de la présence américaine dans la MNF. Il faut tout d’abord
comprendre que la législation américaine interdit à un militaire américain
d’obéir à une autre autorité que celle du Président des États-Unis. Il en résulte
des structures de conduite hybrides dès lors qu’une force américaine se trouve
dans une structure multinationale. Il en était ainsi au Liban où, parallèlement à
leur engagement au sein de la MNF (sous mandat des Nations unies), les
Américains ont décidé d’appuyer l’armée libanaise. En avril 1983, sans grande
consultation au sein de l’administration, Robert McFarlane, représentant spécial
au Moyen-Orient du Président, fait engager le cuirassé USS New Jersey au large
des côtes libanaises pour bombarder les villages libanais occupés par
l’opposition – causant environ un millier de victimes civiles et innocentes. Ce
sont ces bombardements qui sont à l’origine des attentats menés à titre de
représailles (et ce, contre des militaires uniquement). Il est intéressant de noter
que le commandement américain avait renoncé à élever le niveau d’alerte de son
contingent de main-tien de la paix après ces bombardements, afin de souligner le
fait que les militaires de la MNF étaient distincts des forces américaines qui
combattaient par ailleurs au Liban88. C’est exactement la même erreur qui
conduira au désastre de Mogadiscio en Somalie 10 ans plus tard, et qui
contribuera à l’insuccès de la mission de stabilisation en Afghanistan 30 ans plus
tard.
Les deux attaques terroristes restent encore à ce jour attribuées au Hezbollah.
Pourtant, aucune information sérieuse ne confirme cette responsabilité, comme
devait le dire l’ancien secrétaire à la Défense de l’époque, Caspar Weinberger,
dans une interview donnée en septembre 2001 :

[…] Nous ne savons toujours pas qui a effectué l’attentat à


la bombe contre la caserne des Marines à l’aéroport de
Beyrouth, et nous ne le savions certainement pas à ce moment-
là89.

Le Hezbollah n’apparaîtra que 2 ans après les attentats de Beyrouth, en


198590, avec l’aide de l’Iran, afin de protéger les intérêts de la communauté
chiite et de reconstruire le Sud-Liban. Cette protection s’articule en volet social
et militaire. Le volet social comprend des organisations d’entraide – comme le
Djihad al-Binah (« Effort pour la reconstruction »), spécialisé dans la
reconstruction des infrastructures, ou le Mou’assat al-Shahid (« Institution du
martyr »), qui vient en aide aux victimes physiques et sociales de la guerre. Ce
sont les structures du Hezbollah qui ont reconstruit le réseau routier du Sud-
Liban, construit et géré 5 hôpitaux, 14 cliniques et 12 écoles, avant que les
Israéliens détruisent ces infrastructures en 2006. La structure militaire est
principalement composée d’une organisation de résistance militaire territoriale
(al-Muqawamah). Cette structure d’auto-défense a été formée par les unités
territoriales du ministère de l’Intérieur iranien, les unités Al-Quds. Souvent
qualifiée de « terroriste » par les pays anglo-saxons et Israël91, elle est structurée
comme une organisation défensive. C’est d’ailleurs l’amère expérience qu’en a
faite l’armée israélienne lors de son intervention en 2006 ; elle n’avait pas su
détecter le réseau complexe de tranchées et fortins défensifs construits par le
Hezbollah en prévision d’une invasion israélienne. Ici encore, le renseignement
israélien a été victime d’une véritable surprise stratégique.
La position du Hezbollah à l’égard d’Israël est certes empreinte d’une
certaine solidarité avec le peuple palestinien, mais ses objectifs sont clairement
distincts. Ainsi, les chiites libanais n’ont pas de revendications territoriales en
Israël même : il s’agit avant tout de la libération du territoire libanais de toute
présence israélienne. Alors que l’on affirme qu’Israël s’est retiré du Sud-Liban
en 2000, la réalité est plus nuancée : Israël non seulement a conservé le secteur
des « Fermes de Chebaa » aux confins d’Israël, du Liban et de la Syrie, mais de
nombreux petits secteurs de la frontière israélo-libanaise n’ont pas été restitués
au Liban. C’est dans l’une de ces petites bandes de terre conservées par Israël –
mais revendiquées par le Liban – que le Hezbollah avait enlevé des soldats
israéliens en patrouille, déclenchant ainsi la guerre de juillet 2006 (Harb
Tamouz).
Le problème israélo-palestinien est généralement compris comme un
problème israélo-arabe, dans lequel l’Iran (perse) n’a pas de place :

Le prince Turki al-Faysal a des mots durs à l’égard de


l’Iran, disant que ce pays à prédominance perse n’a rien à
faire avec la paix israélopalestinienne : « C’est une affaire
arabe qui doit être résolue dans le giron arabe92. »

Le soutien à la rébellion syrienne

Dans la crise syrienne qui éclate en 2011, deux aspects influencent la


position israélienne. Le premier est le simple fait que la Syrie est formellement
encore en guerre avec l’État hébreu. Les tentatives de paix amorcées à la fin
1999, sous le Premier ministre Ehud Barak, et qui ont presque abouti à une
restitution (partielle) du Golan à la Syrie, sont un lointain souvenir. Le second
est la montée de l’Iran dans l’image de l’ennemi d’Israël et dont l’alliance avec
la Syrie est perçue comme une menace permanente et existentielle. Dès lors, les
actions israéliennes contre la Syrie font partie d’une stratégie pour contenir
l’influence de l’Iran. Assez curieusement, Israël préfère avoir à ses frontières un
ensemble désordonné de factions radicales, qu’un État stable avec lequel on
pour-rait négocier.
Israël entretient des contacts réguliers avec l’opposition syrienne, notamment
avec le Front al-Nosrah, dont certains ont été relevés par la Force des Nations
unies chargées d’observer le désengagement (FNUOD)93 dans leur rapport de
novembre 2014. Israël ne cache d’ailleurs pas ce soutien, et les images de
Benjamin Netanyahu allant féliciter des combattants djihadistes soignés dans un
hôpital militaire israélien le confirment94. Le choix israélien est motivé par le
fait que l’Iran – et donc la Syrie – est, selon le gouvernement actuel, une menace
plus grande que l’État islamique et les Djihadistes, corroborant ainsi le fait qu’il
n’y a pas de liens entre les Djihadistes syriens, le Hamas et les mouvements
palestiniens.
Israël a d’ailleurs continué à faire le jeu de l’insurrection islamiste en
bombardant les forces syriennes après des attentats clairement perpétrés par les
insurgés islamistes en « tenant Assad responsable pour toute attaque venant de
son pays, et accusant ses forces de permettre à ces attaques de se dérouler95. »
Cela a été le cas, par exemple, le 19 mars 2014, après qu’une patrouille de
l’armée israélienne a été touchée par l’explosion d’un engin improvisé sur les
hauteurs du Golan. Sans même savoir qui était le groupe djihadiste à l’origine de
la bombe, l’aviation israélienne a riposté contre l’armée régulière syrienne alors
engagée dans des combats contre les rebelles islamistes96.
Pour le gouvernement Netanyahu, la principale menace de l’État d’Israël
reste l’Iran, ce qui signifie que l’axe Hezbollah-Assad-Iran doit être brisé. Israël
s’est clairement prononcé pour le départ de Bachar al-Assad, ainsi que le
déclarait l’ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Michael Oren97 :

Dès le départ, notre message concernant l’affaire syrienne


était que nous avons toujours voulu que [le Président] Bachar
al-Assad parte ; nous avons toujours préféré les « méchants »
qui n’étaient pas soutenus par l’Iran aux « méchants » qui
étaient soutenus par l’Iran.

Et il précise que cela est vrai même si ces « méchants » sont soutenus par
« Al-Qaïda » ! C’est ainsi que le déploiement d’unités du Hezbollah en Syrie
pour assurer la sécurité des frontières libanaises aux côtés de l’armée régulière
syrienne est perçu par Israël comme une menace directe. Les 3 et 5 mai 2013, 15
jours après l’adoption de la « Résolution 65 » par le Sénat américain, Israël
mène deux raids aériens contre un convoi militaire et un centre de recherche
syriens. En janvier 2015, Israël élimine le fils d’Imad Mougnieh, déployé en
Syrie, puis, le 20 décembre 2015, Samir Kuntar, un chef du Hezbollah déployé
pour combattre l’État islamique dans le Golan, est abattu par un raid israélien98.
Le gouvernement syrien a feint d’ignorer ces attaques, afin de ne pas être mis
sous pression pour riposter, ce qui le conduirait à mener une guerre sur trois
fronts.
Il serait erroné d’interpréter cette position comme destinée à favoriser l’État
islamique. Il s’agit plutôt d’une posture pragmatique, basée sur une lecture
beaucoup plus sobre que celle de la France ou des États-Unis, qui n’envisage pas
l’État islamique comme une structure viable à long terme, et qui – dans
l’immédiat – contribue à neutraliser l’ennemi syrien.

L’IRAN

L’Iran et son environnement stratégique

L’Iran est un pays traditionnellement bienveillant vis-àvis de l’Occident.


Ethniquement distincte des Arabes, sa population est fortement influencée par la
culture indienne et pratique un islam chiite fondamentalement plus libéral que
l’islam sunnite de l’Arabie saoudite – protégée de l’Occident. Ses liens avec
Israël étaient traditionnellement excellents jusqu’au début des années 80 : la
question palestinienne est une question essentiellement arabe, qui n’est pas
partagée par les communautés chiites de la région.
En 1979, l’arrivée de Khomeiny au pouvoir en Iran change sans doute la
perception du sionisme auprès des chiites, mais il n’en reste pas moins que,
durant la décennie précédente, l’Iran du Shah et Israël ont connu une étroite
collaboration au niveau militaire et des services de renseignement. Certes, leur
dénominateur commun est alors principalement l’Amérique, mais pas seulement.
Israël a besoin d’un contrepoids stratégique à la pression des pays arabes
sunnites, ce qui le pousse à soutenir l’Iran contre l’Irak, notamment en
bombardant le centre de recherche Tuwaitha près de Bagdad (30 septembre
1980), puis la centrale nucléaire irakienne d’Osirak (7 juin 1981). À cette
époque, l’ennemi d’Israël est l’Irak. C’est ainsi qu’Israël, en fournissant des
armes à l’Iran islamique, devient la pierre angulaire de ce que l’on appellera plus
tard l’« Irangate » et qui contribuera à la libération des otages américains en Iran
– 20 minutes après la prestation de serment du nouveau président Ronald
Reagan99.

La destruction d’Israël, entre incompréhension occidentale et désinformation


L’Iran n’est pas arabe, n’a pas de tradition d’expansion guerrière, ni
d’ambitions territoriales vis-à-vis d’Israël, et n’a attaqué aucun pays depuis
1798. Sa guerre avec l’Irak lui a été imposée (« Jang-e-tahmili »), et il aurait été
facile pour l’Occident de s’en faire un allié en prenant la main qui lui est tendue
depuis des années. Durant la première guerre du Golfe, la neutralité de l’Iran a
été une clé du succès de la coalition internationale en Irak. Depuis 2001, ce sont
les erreurs occidentales qui ont donné à l’Iran son rôle de puissance régionale,
grâce aux interventions en Afghanistan et en Irak. Même l’ancien ministre des
Affaires étrangères israélien, Shlomo Ben-Ami, concède que l’Occident a mal
manœuvré avec l’Iran :

L’Iran a soutenu les États-Unis durant la première guerre


du Golfe, mais a été écarté de la conférence de Madrid. L’Iran
s’est également placé du côté de l’Administration américaine
dans la guerre contre les Taliban en Afghanistan. Et lorsque
les forces armées américaines ont mis l’armée de Saddam
Hussein en déroute au printemps 2003, les Iraniens sur la
défensive ont proposé un « pacte global » qui mettrait tous les
points de contentieux sur la table, de la question nucléaire à
Israël, du Hezbollah au Hamas. Les Iraniens se sont aussi
engagés à ne plus faire obstruction au processus de paix
israélo-arabe. Mais l’arrogance néoconservatrice américaine
– « Nous ne discutons pas avec l’axe du Mal » – a empêché de
donner une réponse pragmatique à la démarche iranienne100.

En 2001, le gouvernement modéré du président Mohammed Khatami a


adressé ses condoléances au peuple américain après les attentats du 11
Septembre et a appuyé l’intervention américaine en Afghanistan. Après
l’assassinat de 9 diplomates iraniens par les Taliban en 1998, les deux pays
étaient en conflit et l’Iran a apporté un appui non négligeable dans le domaine du
renseignement aux Américains au début de l’opération ENDURING
FREEDOM. C’est également l’Iran qui a financé et entraîné l’Alliance du Nord
d’Ahmed Shah Massoud, qui a renversé les Taliban et s’est emparé du pouvoir à
Kaboul le 14 novembre 2001. En décembre 2001, à la Conférence de Bonn, le
négociateur américain James Dobbins a remercié l’Iran d’avoir convaincu ses
alliés de rejoindre la coalition d’unité nationale en Afghanistan… Mais un mois
plus tard, le 29 janvier 2002, lors de son discours sur l’état de l’union, le
Président américain, pour tout remerciement de son soutien, placera l’Iran dans
l’« Axe du Mal » !
Ce sont les discours et les démonstrations de force occidentales au Proche-
Orient qui ont stimulé les « durs » du régime iranien et virtuellement propulsé
M. Ahmadinejad au pouvoir en 2005, alors que les réformateurs avaient jusque-
là l’avantage.
Lorsque Mahmoud Ahmadinejad accède à la présidence iranienne, le 3 août
2005, l’Iran se trouve déjà dans le collimateur des États-Unis. Les États-Unis
affirment que l’Iran abrite des responsables du 11 Septembre101 (!) en tentant –
une fois de plus – de fabriquer des événements qui pour-ront justifier une
intervention. Et des plans d’attaque contre l’Iran sont établis102. Le 21 avril
2004, le président George Bush déclare : « Nous allons nous occuper de
l’Iran103. » Une première planification d’attaque est élaborée et le Congrès
américain donne son autorisation pour l’usage d’armes nucléaires sur le théâtre
proche-oriental et en Asie centrale, conduisant l’Iran à annoncer officiellement,
en février 2005, qu’il entame des préparatifs pour lutter contre une éventuelle
agression américaine. En juin 2005, les Américains ont établi une planification
d’attaque nucléaire et conventionnelle contre l’Iran, qui comprend la désignation
de 450 objectifs stratégiques à détruire104. Même les opposants à Ahmadinejad –
et ils étaient nombreux – lui donnaient raison dès lors qu’il s’agissait de faire
face à l’« arrogance américaine ».
Bien que l’intervention américaine en mars 2003 se fût largement appuyée
sur les réseaux de l’opposition chiite à Saddam Hussein, les stratèges américains
n’avaient pas prévu que leur intervention en Irak allait consolider le rôle régional
de l’Iran. En Irak, la conséquence immédiate a été une explosion du
communautarisme, avec le retour de nombreux Irakiens chiites, exilés en Iran
durant la dictature de Saddam Hussein et incorporés dans l’armée, ou les
Pasdaran, qui participent à la résistance.
Les détails de la question nucléaire iranienne sortent du cadre de cet ouvrage.
Il apparaît néanmoins important de souligner que, malgré la politique
particulièrement agressive des États-Unis – en partie pour répondre aux
inquiétudes, pas toujours fondées, d’Israël105 –, l’Iran est demeuré très prudent
dans ce domaine. Le contexte de suspicion induit par la détermination des États-
Unis à imposer leur volonté dans la région a conduit l’Iran à prendre toutes les
mesures pour protéger ses activités légales en matière nucléaire. Connaissant la
propension des États-Unis et d’Israël à mener des frappes sur les installations de
la région quelle que soit leur destination, l’Iran a pris l’option d’enterrer ses
centrales nucléaires. Ce faisant, cependant, l’Iran faisait naître un légitime
surcroît de suspicion à son égard.
Le respect de ses engagements internationaux en matière nucléaire est
évidemment un sujet de débat. Alors que les États-Unis exigent des informations
qu’ils considèrent comme faisant partie de l’application de la législation
internationale, le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de
l’énergie atomique (AIEA) tend à confirmer que l’Iran respecte les traités
internationaux, et le Conseil de sécurité des Nations unies n’a jamais déclaré que
l’Iran ne respectait pas les clauses du Traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires106. À part les affirmations du gouvernement israélien – en
contradiction avec les analyses du Mossad107 – pour attirer les États-Unis dans
une action contre l’Iran, dont rien ne permet d’affirmer qu’il a l’intention de
construire une arme nucléaire. D’ailleurs, la CIA américaine et le Mossad
israélien s’accordaient, en mars 2012, pour dire que l’Iran n’avait jamais pris la
décision de construire l’arme nucléaire108. Mais cela n’empêche pas le Conseil
de sécurité des Nations unies de reconduire le régime de sanctions contre l’Iran
en juin 2012109, dont l’objectif réel est de faire chuter le gouvernement
Ahmadinejad, selon les services de renseignement américains110. Ceci étant,
compte tenu de la posture agressive des États-Unis (avec ses interventions
militaires en Irak et en Syrie au nord ; et en Afghanistan au sud) et le discours
guerrier d’Israël, il n’est pas impensable que le régime iranien ait à l’esprit de
faire évoluer ultérieurement sa technologie nucléaire, afin de se doter d’une
capacité de dissuasion.
Dans un tel contexte, on constate qu’en dépit d’écarts verbaux provocateurs,
les dirigeants iraniens se sont montrés très rationnels dans leurs choix. Les
déclarations spectaculaires contre Israël et les États-Unis doivent être prises pour
ce qu’elles sont : une rhétorique, qui vise à exprimer une résistance (« Djihad
verbal ») face à une menace d’intervention militaire. Parlant de l’éventualité
d’une action nucléaire iranienne, l’ex-directeur du Mossad, le service de
renseignement stratégique israélien, Meir Dagan, confirme cette lecture :

Le régime en Iran est un régime très rationnel […] Il n’y a


pas de doute qu’ils sont conscients de toutes les implications de
leurs actions et qu’ils les paieraient très cher… et je pense
qu’à ce stade les Iraniens sont très prudents sur cette
question111.

Le Djihad verbal (Djihad bil-Lisan)

Le 26 octobre 2005, le président Mahmoud Ahmadinejad prononce un


discours dans le cadre d’une conférence dont le thème est « Un Monde sans
Sionisme ». Il utilise alors une citation de l’Ayatollah Khomeiny :

« Comme l’a dit l’imam, le régime qui occupe Jérusalem


doit être effacé de la page du temps112. »

Mais la phrase est mal traduite et devient :

« Comme l’a dit l’imam [l’Ayatollah Rouhollah


Khomeiny], Israël doit être rayé de la carte113. »

Ironiquement, cette erreur initiale incombe au service de traduction de


l’Agence iranienne d’information (IRNA), qui, malgré une prompte correction,
n’a pas pu en éviter la diffusion. Elle fera l’effet d’une bombe et constitue
aujourd’hui encore, pour de nombreux hommes politiques occidentaux, une clé
de lecture de la pensée iranienne sur Israël.
En fait, Ahmadinejad n’a jamais évoqué la destruction d’Israël, ni dans
l’esprit ni dans la lettre114. Ainsi, il n’a pas mentionné l’État d’Israël, mais
uniquement son gouvernement (qui, à l’évidence, ne se raye pas d’une carte !), et
ne s’est pas référé à une notion géographique mais à l’histoire (page du temps) ;
sa citation était d’ailleurs accompagnée de 3 exemples : le régime soviétique, le
régime du Shah d’Iran et le régime de Saddam Hussein. Même l’Institut de
recherche sur les médias au Moyen-Orient (MEMRI) – israélien – confirme cette
erreur de traduction115.
Mais évidemment, dans un contexte de guerre contre l’« Axe du Mal », où
les forces américaines affrontent la résistance chiite en Irak, et où l’on attribue
l’intention à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, l’erreur de traduction tombe à
pic et a eu un impact considérable et durable sur l’opinion publique
internationale. Plus grave, cette erreur s’est établie comme un véritable outil de
manipulation et continue à influencer la perception occidentale de l’Iran, faisant
obstacle à tout dialogue constructif. Dans ce contexte, les déclarations de
certains chefs d’État – comme le Président Nicolas Sarkozy alors en visite en
Israël – illustrent soit leur mauvaise foi, soit les insuffisances de leurs services de
renseignement stratégiques :

Ceux qui appellent, de manière scandaleuse, à la


destruction d’Israël trouveront toujours la France face à eux
pour leur barrer la route116.

L’Iran n’a aucune raison objective d’entrer en guerre avec Israël, voire de le
détruire. Sans frontières communes, sans liens ethniques et sans différends
politiques spécifiques et avec une minorité juive qui n’est pas persécutée (elle est
même représentée au Parlement), on imagine difficilement que le gouvernement
iranien se lance dans une aventure qui pourrait mener à sa propre destruction.
On évoque fréquemment le soutien de l’Iran au terrorisme palestinien. S’il
est vrai que, depuis le début des années 80, l’Iran appuie politiquement les
Palestiniens, rien ne permet d’affirmer qu’il soutient des activités violentes.
L’interception, en 2002, du cargo Karine A – transportant des armes iraniennes
destinées, selon les autorités israéliennes, à la résistance palestinienne –, est
souvent citée comme exemple de la volonté de Téhéran de soutenir le terrorisme
palestinien. En fait, la réalité semble plus complexe et la version officielle
israélienne présente un certain nombre d’invraisemblances qui ramènent plutôt
vers un éventuel soutien au Hezbollah libanais117. Ce d’autant plus que la
politique de l’époque du Président Khatami se voulait tournée vers le dialogue et
l’apaisement.
Ceci étant, l’intervention américaine en Irak renforce les « durs » du régime
et leur permet d’accéder au pouvoir en 2005, provoquant une hausse du ton entre
Israël et l’Iran. Il n’est donc guère surprenant de voir l’Iran offrir très
officiellement une aide financière au Hamas en février 2006118, après les
élections législatives, alors que la communauté internationale lui retirait son
aide. Les raisons de la virulence contre Israël ne sont probablement pas à
chercher dans une haine à l’égard de l’État hébreu, mais sont sans doute plus
subtiles. Le régime des Mollahs ne fait de loin pas l’unanimité en Iran et, après
l’intervention américaine en Afghanistan, puis en Irak, beaucoup d’Iraniens
sentent que leur pays pourrait être la prochaine cible des États-Unis. Or, une
partie importante de la population iranienne est pro-occidentale, et pourrait fort
bien se retourner contre le régime en cas d’invasion. Par une rhétorique
agressive contre Israël, le pouvoir iranien générait une réaction américaine
suffisamment forte pour entretenir une unité nationale, sans toutefois donner de
prétexte tangible à une intervention militaire.
La Palestine n’est pas un centre d’intérêt de l’Iran et même le Hezbollah n’a
pas réagi « militairement » à l’intervention israélienne à Gaza en décembre 2008
ou en juillet 2014, contrairement à ce que pensaient de nombreux experts
occidentaux et israéliens. La Palestine n’est pas le combat des chiites libanais ou
iraniens. Ce qui explique qu’avec le conflit syrien, l’Iran a interrompu son
soutien financier aux Palestiniens.
Mais le jeu du gouvernement iranien est délicat car, à la campagne de
désinformation américaine, s’ajoutent des actions de déstabilisation très
concrètes contre l’Iran destinées à contrer l’importance croissante du pays dans
la région depuis l’invasion de l’Irak. Dès 2003-2004, les États-Unis mènent deux
catégories d’opérations spéciales (clandestines) en Iran :
- Les opérations menées par le Joint Special Operations Command (JSOC)
qui ont été ordonnées directement par le président G. W. Bush, en sa qualité de
commandant en chef des armées, qui peut donc ainsi s’affranchir de
l’autorisation du Congrès. Ce type d’opération est mené depuis 2003-2004 au
nord et au sud du pays, depuis le Pakistan.
- Les opérations clandestines menées par les services spéciaux de la Central
Intelligence Agency (CIA), qui sont soumises à un mécanisme de surveillance
parlementaire. Ce type d’opération est autorisé depuis mars 2007 par un
Presidential Finding signé par le président George W. Bush119.
Ces opérations s’appuient sur les mouvements séparatistes baloutches et
ahwazi iraniens, ainsi que sur d’autres organisations dissidentes, et comprennent
un soutien actif du Joint Special Operations Command (JSOC) – livraison
d’armes et d’équipements, entraînement de troupes, etc. – à des mouvements
comme le Parti de la vie libre au Kurdistan (PJAK) ou le Modjahedin-e-Khalq
(MeK), pourtant considéré comme un mouvement terroriste par les USA depuis
le 10 août 1997120 et considéré comme l’un des principaux exemples de la
connivence de l’Irak avec le terrorisme121 ! Ces opérations coïncident avec une
recrudescence des attentats à la bombe commis par ces minorités ethniques
(notamment à Ahvaz, le 12 juin et le 15 octobre 2005 et le 24 janvier 2006), et
pour lesquels, le gouvernement iranien a accusé les gouvernements américain et
britannique122.

Un contexte régional bouleversé

En renversant le régime irakien en 2003, les États-Unis ont modifié


l’équilibre des influences qui s’était installé depuis la fin des années 70 et ont
donné une nouvelle impulsion aux mouvements chiites, en accroissant ipso facto
l’importance de l’Iran. Cette nouvelle donne a créé la perception d’un
« encerclement » chiite autour du cœur de l’Islam sunnite. Or c’est contre le
risque d’un tel encerclement que les monarchies du Golfe avaient créé le Conseil
de coopération du Golfe (CCG) en mai 1981 et en soutenant la guerre
irakoiranienne. Les révolutions arabes de 2010-2011 visent en premier lieu à
briser cet encerclement et à restaurer la primauté du sunnisme dans la région.
Toutes ces explications doivent conduire à une constatation : entre
incompréhension et désinformation, il reste un très grand potentiel de dialogue
avec l’Iran. La rhétorique propre aux cultures du Moyen-Orient utilise plusieurs
niveaux de lecture et il serait faux d’y voir systématiquement des velléités
guerrières. Cela n’exclut pas la vigilance, mais devrait réfréner un discours
occidental qui a plutôt tendance à envenimer le climat. Dans cette perspective, le
rôle des États-Unis est central et pourrait contribuer à assouplir les positions, à
condition que le dialogue qui a été engagé se poursuive après le mandat du
Président Obama et s’effectue sans condescendance et sans se transformer en un
« diktat » occidental.

LA TURQUIE
La Turquie est un grand pays dans de multiples sens : géographique, culturel
et historique, pour ne mentionner que ceux-ci, et il en retire une fierté légitime.
Sa volonté de s’affirmer comme un pays européen, à la fin de la Première Guerre
mondiale, s’est heurtée dès le début à un certain dédain de la part des Européens
pour ce pays alors encore en voie de développement, et à une hostilité liée au
traitement de la minorité arménienne durant la guerre.
Accueillie avec enthousiasme au sein de l’OTAN durant la guerre froide, en
raison de sa position stratégique sur le flanc sud de l’Union soviétique et
gardienne des détroits gouvernant l’accès à la Méditerranée, la Turquie a vu son
image européenne se dégrader dès la fin de la guerre froide. Une présence
immigrée importante en Europe et la montée générale de la conscience islamique
dans le monde ont généré des opinions très marquées et divergentes sur son
entrée au sein de l’Union européenne.
Sa situation géographique de carrefour entre le monde chrétien et le monde
musulman, entre le monde européen et le monde asiatique, entre le monde
méditerranéen et l’Asie centrale, et entre modernité et archaïsme, en fait un pays
complexe et mal compris en Europe.
Dans ce contexte, la Turquie a toujours perçu l’unité nationale comme un
facteur critique de survie et de succès, où l’intégration des diverses minorités qui
la composent constitue un enjeu national ; tandis qu’au plan international
l’instrumentalisation de ces mêmes minorités alimente les ambitions régionales
de ses voisins, comme cela a été le cas pour les Kurdes. Par ailleurs, stimulée par
une politique américaine maladroite, et ignorée par une Europe centrée sur ses
propres enjeux, l’affirmation croissante d’une identité islamique touche tout le
Proche et Moyen-Orient dès le début des années 90 et affecte également la
Turquie. Cette évolution vient se superposer à un nationalisme musulman latent,
qui bouscule la laïcité voulue par le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa
Kemal Atatürk, comme un fondement de la république. Entre un séparatisme
kurde imprégné de marxisme et la montée d’un islamisme qui ne cache pas ses
sympathies pour la résistance irakienne, la marge de manœuvre du
gouvernement turc est étroite.
Les Kurdes sont les lointains héritiers de l’empire mède. Un État
indépendant leur avait été promis par le Traité de Sèvres (10 août 1920), mais ils
ne l’ont jamais eu en raison de la victoire de Mustafa Kemal Atatürk contre la
Grèce, qui a conduit au Traité de Lausanne (24 juillet 1923), lequel morcelle le
Kurdistan entre les divers pays de la région alors sous contrôle des Européens.
L’Union soviétique, qui perpétue la rivalité ancestrale entre la Russie orthodoxe
et les Ottomans, et qui est engagée dans une lutte féroce contre les insurgés
musulmans en Asie centrale et dans le Caucase (« Basmatchis »), soutient les
Kurdes dans leur combat pour l’indépendance. Il en résulte une lutte armée
kurde à forte composante communiste et révolutionnaire, qui sera
instrumentalisée et soutenue par l’Union soviétique jusqu’à la fin de la guerre
froide, et qui conservera ses aspirations marxistes jusqu’à nos jours.
Les Kurdes partagent avec les Turcs une solide réputation de combattants
déterminés, tenaces et endurants. Ce n’est donc pas un hasard s’ils sont
aujourd’hui les protagonistes les plus fiables et les plus efficaces dans la lutte
contre la poussée islamiste en Irak et en Syrie. Mais leur aspiration à un État
indépendant pourrait bien se heurter à terme à un Occident qui soutiendrait
l’intégrité territoriale de la Turquie.
La Turquie a toujours eu un rôle particulier et considérable au sein du
dispositif stratégique occidental : il est le seul pays musulman de l’OTAN, le
seul pays de l’OTAN situé sur le continent asiatique, le seul pays de l’OTAN qui
était limitrophe de l’URSS123 et le seul pays en mesure de fermer l’accès à la
Méditerranée à la Flotte Soviétique. Les bases aériennes des États-Unis qui y
sont implantées constituent un tremplin indispensable à leur dispositif de
projection des forces vers l’Asie centrale et le Moyen-Orient.
En 1990-1991, la Turquie avait soutenu la coalition internationale contre
l’Irak : l’Irak était dans une position d’agresseur, et la coalition avait une
légitimité assez large. En 2003, en revanche, la Turquie a exprimé des réserves
sérieuses sur la volonté américaine de démanteler le pouvoir irakien. Pressentant
le chaos qui en résulterait et le renforcement du nationalisme kurde, elle a refusé
de participer à la coalition proposée par George Bush junior. Aujourd’hui, à la
menace kurde, s’ajoute la menace islamiste. Le « nationalisme islamiste », né
avec Oussama Ben Laden et qui s’est prolongé jusque dans l’État islamique,
jouit d’une certaine sympathie dans la population turque. Durant les années
1990-2000, une croissance économique exemplaire a permis de contenir un
islamisme qui se nourrit d’animosité envers l’Occident. Mais le vent tourne au
début des années 2000. Les guerres menées par les Occidentaux en Irak et en
Afghanistan, la brutalité d’Israël envers la population palestinienne, ont
encouragé des sentiments favorables aux islamistes.
La notion de « croisade », utilisée par les Américains pour intervenir en
Afghanistan et en Irak, a alimenté un véritable nationalisme islamique qui touche
non seulement le monde arabe mais aussi la population turque, réveillant
probablement dans son sillage le souvenir d’une grandeur passée. Le
gouvernement turc est donc dans une situation extrêmement délicate. Avec une
population globalement favorable aux islamistes et à 22,2 % favorable à l’État
islamique124, son défi est d’éviter une contagion de ses voisins, alimentée par les
« nationalismes » kurdes et islamiques. Il doit donc naviguer près du vent, en
tenant compte des intérêts de ses alliés occidentaux. Le gouvernement de Recep
Tayyip Erdogan a compris qu’attaquer de front les islamistes en Syrie ne pour-
rait que stimuler les extrémistes et partisans de l’État islamique en Turquie
même. Ceci explique pourquoi la Turquie s’est contentée de jouer un rôle
d’arrière-plan dans le conflit syrien125 et s’est concentrée sur le maintien de
l’unité nationale en luttant contre les résurgences kurdes.
Cette dynamique a favorisé une ouverture vers l’islamisation de la société
turque, comme une manière « d’absorber » la pression intégriste, afin d’éviter
qu’elle ne dégénère en une opposition violente. Le gouvernement a tiré les
leçons des attentats à la bombe d’Istanbul des 15 et 20 novembre 2003 (qui
avaient fait 57 victimes et 700 blessés). En décembre 2003, la Syrie avait extradé
22 suspects vers la Turquie, dont deux jeunes filles d’origine turque qui avaient
dû s’expatrier pour étudier dans une école islamiste, car les lois turques
interdisaient le port du « voile islamique » en classe126. Ainsi, pour reprendre le
contrôle sur l’islamisme, les Turcs ont compris qu’il fallait « lâcher du lest » sur
la laïcité, et, par exemple, autoriser le port du voile dans les écoles.
Cette ambiguïté tout orientale est mal comprise en Europe – où l’on fustige
volontiers le « messianisme » du « sultan Erdogan127 » –, mais elle s’inscrit dans
une cohérence stratégique. Depuis une quarantaine d’années, l’opinion publique
européenne a développé une certaine sympathie pour les Kurdes, initialement
dans les cercles de la gauche politique, et aujourd’hui partagée par certains
cercles de droite – en raison de la présence de pétrole dans les zones couvertes
par le Kurdistan. Il faut comprendre qu’à tort ou à raison, pour l’État turc,
l’image de la menace est constituée par les Kurdes, alors que l’État islamique ne
figure pas dans cette image, du moins pas directement. On peut certes contester
cette priorité, mais elle est fondée sur un critère objectif du point de vue de la
Turquie et se situe dans le prolongement de sa neutralité dans les conflits qui ont
secoué la région.

L’ARABIE SAOUDITE ET LES ÉMIRATS


En 1979, l’accession au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny en Iran et la
déclaration de sa Révolution islamique avaient provoqué une vive réaction des
monarchies sunnites du Golfe et la constitution du Conseil de coopération du
golfe (CCG) pour faire barrage au chiisme. Il faut rappeler qu’audelà de la
dimension religieuse, les minorités chiites des divers pays du Golfe sont toutes
situées dans les zones pétrolifères de la région, donnant une dimension
stratégique aux tensions communautaires.
Saddam Hussein avait évité les conflits religieux, tout en maintenant une
prédominance sunnite de fait sur l’Irak, raison pour laquelle il avait été
largement soutenu par les pays du Golfe dans le conflit Iran-Irak. L’invasion
américaine de 2003 et l’accession au pouvoir de la communauté chiite irakienne
ont eu une conséquence fondamentalement déstabilisante pour la région en
donnant corps à l’axe Damas-Téhéran, stimulant l’importance de l’Iran dans la
région et créant ainsi une « ceinture » autour des pays sunnites du Golfe. Il en est
résulté, dans les monarchies du Golfe, un sentiment d’encerclement, renforcé par
la rébellion Houti au Yémen, qui n’avait pas été anticipée par les services de
renseignement stratégiques américains.
La vague des révoltes sunnites, qui secouent successivement la Tunisie,
l’Égypte, la Libye et la Syrie, frappe tous les pays qui avaient tenté de
moderniser leur société dès les années 50, sous la double influence du socialisme
et du nationalisme arabe. Cette succession de rébellions dès 2010 n’est pas due
au hasard. Ses causes profondes sont les volontés rivales, mais concourantes, de
l’Arabie saoudite et de l’Émirat du Qatar pour contenir un repli perçu du
sunnisme provoqué par l’intervention américaine en Irak.
Les États-Unis considèrent les États du Golfe comme un foyer de stabilité au
Moyen-Orient, sans doute en raison de leurs réserves énergétiques mais aussi et
surtout à cause de leur soutien au système du pétrodollar qui constitue un pilier
vital de l’économie américaine. L’alliance – imprévue par les services
américains (!) – entre le nouveau gouvernement chiite irakien et l’Iran a incité
les Américains à changer leur fusil d’épaule et à soutenir les mouvements armés
sunnites pour combattre l’influence iranienne dans la région. Il s’agissait de
créer une base solide entre Sunnites et Kurdes, afin de combattre les Chiites, qui
constituent la majorité en Irak. Ce volte-face politique, connu sous l’appellation
de « Redirection128 » a été dévoilé en 2007 par le journaliste Seymour Hersh,
proche des milieux du renseignement américain, qui soulignait le danger qu’il
représentait en favorisant le terrorisme sunnite.
De fait, cette « Redirection » a permis la mise en place de la stratégie du
« Réveil de l’Irak », qui s’est traduite par un soutien financier et militaire aux
milices sunnites. Elle a donc constitué un point de convergence entre les
préoccupations des monarchies du Golfe, la situation inextricable créée par les
Américains en Irak et leur plan déjà esquissé en 2001 de renversement de 7
gouvernements de la région. La « Redirection » a encouragé l’émergence du
radicalisme sunnite et ouvert la voie aux printemps arabes dès 2010.
Le rôle de l’Arabie saoudite et du Qatar dans le développement de l’État
islamique semble empreint de duplicité. Le propos doit être nuancé. Si – de
l’aveu même de l’État islamique129 – des financements proviennent bien de ces
pays, ils ne sont pas officiels, mais viennent principalement de dons privés. Il
existe dans ces pays des forces concurrentes, indépendantes de l’État,
suffisamment puissantes et riches pour déstabiliser la région, mais qui
contribuent à leur stabilité intérieure. Le phénomène n’est pas nouveau, puisqu’il
avait accompagné la résistance à la présence américaine dans le pays après la
première guerre du Golfe, contribuant ainsi à créer ainsi le mythe d’« Al-
Qaïda ».
Ici encore, l’idée d’un vaste complot dirigé par une intelligence centralisée
doit céder le pas à la constatation d’une multitude d’intérêts particuliers mal
coordonnés et contradictoires, qui croisent ceux des États-Unis, lesquels, pour
des raisons diverses, cherchent à transformer le paysage politique du Proche et
Moyen-Orient. Une analyse plus approfondie montre que l’on se trouve face à
une succession de décisions, prises dans l’urgence, sans vision de long terme et
basées sur une grande méconnaissance de l’environnement politico-militaire ;
avec comme conséquences une absence de cohérence, une très faible adhésion
des populations locales et, au final, un accroissement des ressentiments de ces
dernières contre l’Occident.

1. « Ike on Ike », Newsweek, 11 novembre 1963, p. 107.


2. Daniel Lerner, Sykewar : Psychological Warfare against Germany, D-Day to VeDay, George W. Stewart,
1949.
3. James Bacque, Other Losses, Stoddart, 1989, ISBN 0-7737-2269-6. La publication de ce livre aux États-
Unis a soulevé un émoi considérable et provoqué plusieurs contre-enquêtes. Néanmoins, il reste la seule
vraie étude sur cette question basée sur les documents existants.
4. Prof. J. Robert Lilly, Taken by Force: Rape and American GIs in Europe in World War II, Northern
Kentucky University, 7 août 2007 ; et Benoît Majerus, « Robert J. Lilly, La face cachée des GI’s. Les
viols commis par des soldats américains en France, en Angleterre et en Allemagne pendant la Seconde
Guerre mondiale », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies [En ligne], vol. 13, n° 1 |
2009, mis en ligne le 25 mars 2009, consulté le 28 août 2015. URL : http://chs.revues.org/705
5. Freda Utley, The High Cost Of Vengeance, Henry Regnery Company, Chicago, 1949.
6. http://www.loc.gov/law/help/usconlaw/pdf/Maine.1898.pdf
7. http://www.herodote.net/7_mai_1915-evenement-19150507.php
8. http://nsarchive.gwu.edu/news/20010430/northwoods.pdf
9. Tonkin Gulf Intelligence « Skewed » According to Official History and Intercepts, National Security
Archive, Electronic Briefing Book n°132 – Update.
10. Littéralement : « Ceux-qui-exigent [le savoir]. » Taliban est le pluriel de Talib (raison pour laquelle il est
écrit sans « s » dans cet ouvrage).
11. Wikipédia : un système de Ponzi est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les
investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants.
12. Addison Wiggin, « No Iran Deal, No Petrodollar », The Daily Reckoning, 18 août 2015.
13. « Iraq Decides to Stop Using US Dollar in Foreign Trade », People’s Daily, 26 septembre 2000. Dans la
presse occidentale, un seul article relatera cette information primordiale.
14. « Iran Ends Oil Transactions In U.S. Dollars », AP/CBS News, 30 avril 2008.
15. « Voici comment la Russie prépare la mise à mort du pétrodollar », 22 décembre 2014 (http://or-
argent.eu/voici-comment-la-russie-prepare-la-misea-mort-du-petrodollar/).
16. Volume 1 : les Actes du Premier Congrès des Économistes Africains - Vers la Création d’une Monnaie
Unique Africaine, 2-4 mars 2009, Nairobi, Kenya.
(http://ea.au.int/en/sites/default/files/DOCUMENT_EN_ FR_2_
4_MARCH_2009_EA_CONGRESS_ARTICLE_VOLUME_1.pdf)
17. « Why U.S. Firms Are Dying: Failure To Innovate », Forbes, 27 février 2015.
18. Rémy Herrera, « Between crisis and wars - where is the United States heading? », CNRS, Sorbonne
Economic Centre, dans Journal of Innovation Economics & Management, 2013/2 (n°12).
19. « Military-Industrial Complex Speech », Dwight D. Eisenhower, 1961, Public Papers of the Presidents,
Dwight D. Eisenhower, 1960, pp. 1035-1040.
20. Chuck Spinney, «Defense Dependency?»,Time Magazine, 13 novembre 2012.
21. Jonathan Pollard était un analyste des services de renseignements de la marine américaine. Juif
américain, il s’est senti une obligation morale à transmettre des documents classifiés à Israël, ce qu’il
fera entre juin 1984 et novembre 1985. Arrêté, il est condamné à la prison à vie. Naturalisé israélien en
prison, il a été l’objet de nombreuses demandes du gouvernement d’Israël pour sa libération. Il sera
libéré en novembre 2015, comme gage d’amitié envers Israël, peu après la signature d’un accord avec
l’Iran sur la question nucléaire.
22. Ron Suskind, The One Percent Doctrine: Deep Inside America’s Pursuit of Its Enemies Since 9/11,
Simon & Schuster; 15 mai 2007.
23. Tim Arango & Clifford Krauss, « China Is Reaping Biggest Benefits of Iraq Oil Boom », The New York
Times, 2 juin 2013.
24. Gordon Campbell, « Who Controls Iraq’s Oil? - Ten years on from the invasion, it is not the
Americans », Werewolf.co.nz, 27 mars 2013.
25. Interview à Democracy Now! (https://www.youtube.com/watch?v=SXS3vW47mOE)
26. Maamoun Youssef, « Ben Laden Tape Claims Plot Vs. Muslims », Associated Press, 16 février 2003.
27. Secrets of War The Cold War 05of10 Inside the KGB, YouTube (https://www.youtube.com/watch?
v=_Lmwlok2yCo&list=PLYbocufkwRFDE6OckAht8eg92nrm17KT&index=95)
28. Les Ukrainiens attribuent à la communauté juive, alors surreprésentée dans les services de sécurité
soviétiques (NKVD), la responsabilité de l’« Holodomor » (l’équivalent ukrainien de l’Holocauste) qui a
causé quelque 7-10 millions de victimes dans les années 30. Ceci explique – en partie tout au moins –
l’apparition dans les manifestations de la place Maïdan à la fin 2013, des portraits de Stepan Bandera
(nationaliste et collaborateur de l’occupant nazi durant la Seconde Guerre mondiale) et figure
symbolique du nouveau régime ukrainien.
29. United Nations Special Committee on Palestine, Report To the General Assembly - Volume 1, A/364,
Lake Success, New York, 3 septembre 1947, Chapter II - Para 13.
30. Voir Edwin Black, The Transfer Agreement – Pact between the Third Reich and Jewish Palestine, Caroll
& Graf, New York, 2001.
31. United Nations Special Committee on Palestine, Report To the General Assembly - Volume 1, A/364,
Lake Success, New York, 3 septembre 1947, Chapter II - Para 164.
32. Walid Khalidi, « Revisiting the UNGA Partition Resolution », Journal of Palestine Studies XXVII, n°1
(automne 1997), p. 11.
33. Le chef des opérations du Lehi (également connu sous le nom de « Groupe Stern ») à l’époque était un
certain Yitzhak Shamir, qui deviendra Premier ministre de l’État israélien.
34. Menahem Begin deviendra Premier ministre d’Israël (1977-1981) et recevra le prix Nobel de la Paix en
1979.
35. Voir Dominique Vidal, avec Joseph Algazy, Le Péché originel d’Israël. L’expulsion des Palestiniens
revisitée par les « nouveaux historiens » israéliens, Éditions de l’Atelier, Paris, 2002.
36. Voir la conférence de Miko Peled, fils d’un général israélien: https://www.youtube.com/watch?
v=TOaxAckFCuQ
37. Conférence de Miko Peled, op. cit.
38. Richard H. Curtiss, « Why Did Syria Call Israel’s Prime Minister a “Terrorist” ? », Washington Report
on Middle East Affairs, décembre-janvier 1991/92, p. 41.
39. Greg Myre, « Israeli Report Faults Intelligence on Iraq », The New York Times, 28 mars 2004.
40. Col. David Eshel, « Hezbollah’s Intelligence War – Assessment of the Second Lebanon War », Defense
Update, 2007 (http://defense-update.com/analysis/lebanon_war_1.htm)
41. Shlomo Brom, « Israel: Unintelligent on Intelligence », The National Interest, 6 octobre 2006.
42. Etan Bronner, « A Former Spy Chief Questions the Judgment of Israeli Leaders », The New York Times,
3 juin 2011.
43. Jodi Rudoren, « Former Israeli Security Chiefs Calls Netanyahu a Poor Leader », The New York Times, 4
janvier 2013.
44. Jpost.Com Staff, « Report : Mossad undercuts Netanyahu, warns US Congress against more Iran
sanctions », Jerusalem Post, 22 janvier 2015.
45. Ben Lynfield, « It’s time for Israel to talk to Hamas, says former Mossad head », The Independent, 10
juin 2015 (http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/its-time-for-israel-to-talk-to-hamas-
says-former-mossad-head-10311651.html)
46. Yaakov Lappin, « IDF dismisses unit 8200 reservists who refused to serve in Palestinian territories »,
Jerusalem Post, 26 janvier 2015.
47. MJ Rosenberg, « Senate Resolution : U.S. Will Go to War With Iran if Israel Does », The World Post, 17
avril 2015.
48. « Russians raided Israeli airfields in Georgia that were to be used against Iran », Israel Matzav, 5
septembre 2008 (http://israelmatzav.blogspot.co.uk/)
49. Israel Matzav, op. cit.
50. Joseph Weitz, décembre 1940. Cité par Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem
1947-1949, Cambridge University Press, 1987, p. 27, et par Dominique Vidal, Le Péché originel
d’Israël, Éditions Ouvrières, Paris, 1998, p. 99.
51. Shelley Kleiman, The State of Israel Declares Independence, Israel Ministry of Foreign Affairs, 27 avril
1999.
52. Johann Hari, « The true story behind this war is not the one Israel is telling», The Independent, 29
décembre 2008.
53. Cheikh Yassine, interview pour la Radio Suisse Romande, par Malika Nedir (décembre 2000).
54. Les territoires occupés depuis 1967 auraient dû être libérés aux termes de la Résolution 242 des Nations
unies, si la formulation ambiguë de sa version anglaise n’avait pas offert à Israël une échappatoire à cette
obligation. La version anglaise de la Résolution 242 impose le retrait « de territoires » (« of territories »),
formulation que les Britanniques et les Américains ont choisie pour contrer la proposition soviétique
d’imposer un retrait « des territoires » (« of the territories »). Apparemment, c’est sur l’instruction de De
Gaulle, que la version française de la résolution comprend la formulation plus précise pour un retrait
« des territoires », qui correspondait à l’inter-prétation alors admise par tous les membres du Conseil de
sécurité (voir Noam Chomsky, The Israel-Arafat Agreement, Z Magazine, octobre, 1993
(http://www.chomsky.info/articles/199310--.htm)).
55. Khaled Meshaal, chef politique du Hamas (Reuters, 3 mai 2006).
56. Alexis Varende, « Un “État juif” pour interdire un État palestinien », Orient XXI, 4 mars 2014.
57. « From Jihad to Fasad », Dabiq Magazine, n° 11, p. 27.
58. « Une explosion vise le siège de la sécurité du Hamas à Gaza », 24 Heures/ ATS, 4 mai 2015.
59. Cette milice a été créée durant la rébellion contre le gouvernement syrien.
60. « The Yarm k Camp », Dabiq Magazine, n° 9, Shaban 1436 (mai 2015).
61. Elad Benari, « Netanyahu : Conflict with Arabs is Not About Settlements »,
www.israelnationalnews.com, 12 mai 2012.
62. http://newjewisheducation.blogspot.com/2006/12/israeli-textbooks-green-line-and-yuli.html. En Israël, la
carte proposée en 1922 d’un « Foyer national juif » présentant une Palestine totalement sous contrôle juif
reste très populaire, et pour certains la seule configuration légitime de l’État juif.
63. « La Knesset bannit la ligne verte des écoles », Le Figaro, 15 octobre 2007.
64. Khaled Meshaal, BBC News, 8 février 2006.
65. Khaled Meshaal, Reuters, 10 janvier 2007.
66. « […] ein gewisser Schwerpunkt, ein Zentrum der Kraft und Bewegung bilden, von welchem das Ganze
abhängt, und auf diesen Schwerpunkt des Gegners muß der gesammelte Stoß aller Kräfte gerichtet
sein », Karl von Clausewitz, Vom Kriege, Achtes Buch, Dümmlers Verlag, Berlin, 1832. Selon le
dictionnaire militaire américain : « Le centre de gravité est « […] le centre de toute puissance et de tout
mouvement, dont tout dépend ; la caractéristique, la capacité ou l’emplacement dont les forces ennemies
et amies dégagent leur liberté d’action, leur force physique ou leur volonté de combattre. » Texte
original : « The hub of all power and movement upon which everything depends ; that characteristic,
capability, or location from which enemy and friendly forces derive their freedom of action, physical
strength, or the will to fight. », Glossary, FM 100-5 (en allemand : Schwerpunkt) on trouve également :
« …characteristic(s), capability(ies), or locality(ies) from which a nation, an alliance, a military force or
other grouping derives its freedom of action, physical strength, or will to fight. » Office of the Joint
Staff, DOD Dictionary of Military and Associated Terms, Joint Publication 1er février, (Washington DC,
1984) p. 188.
67. Voir Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Paris, Éditions Fayard, 3 septembre 2008.
68. Ce système est en vigueur dans la plupart des pays islamiques : la terre est la propriété de Dieu et
l’Homme ne peut en être que le possesseur. Celui qui veut un terrain ne peut acquérir qu’une
« concession » pour l’utiliser (habituellement pour une durée de 99 ans) et sur lequel il pourra construire
un bâtiment (qui lui appartient). Cette notion de waqf explique pourquoi, dans les pays islamiques, la
gestion du waqf revient souvent aux autorités religieuses. Le revenu du waqf est alors utilisé pour
financer des œuvres sociales (l’équivalent de la « Sécurité sociale » dans les pays occidentaux). Ce qui
explique pourquoi, la « sécurité sociale » est un domaine souvent associé aux autorités cléricales du
pays.
69. Interview à la Télévision Suisse Romande, 5 janvier 2009.
70. Hagit Ofran & Noa Galili, « West Bank Settlements-Facts and Figures, June 2009 », juin 2009,
(http://peacenow.org.il/eng/node/297)
71. Chiffres du Prof. Zaki Shalom, « Two States for Two Peoples : A Vision Rapidly Eroding », Strategic
Assessment, Volume 11, n° 2, novembre 2008, université Ben Gourion.
72. http://www.btselem.org/settlements/statistics
73. Résolution 446 (1979) du 22 mars 1979.
74. New York Times, 9 mars 2006.
75. « L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire
palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est
associé, sont contraires au droit international ; […] » (Résolution ES-10/14 de la Cour internationale de
Justice, citée dans la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, A/RES/ES-10/15, 2 août
2004).
76. Azmi Bishara, « The Wall : Its Implications And Dangers », Al-Hayat, 7 juillet 2003.
77. Terrorism Against Israel : Successful vs. Thwarted Attacks (2000 - 2004), chiffres du ministère de la
Défense d’Israël (http://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Terrorism/thwartgraph.html).
78. Chiffres de B’Tselem (www.btselem.org). À ces chiffres s’ajoute la destruction de 3432 maisons
construites sans permis dans les territoires occupés. Il faut préciser que, dans ces territoires, la
construction de maisons par les Palestiniens est soumise à un régime d’autorisation extrêmement sévère
qui tend à pousser les Palestiniens à construire sans permis.
79. http://www.ochaopt.org/documents/hc_statement_on_demolitions_ 23jan2015.pdf
80. Meir Margalit, « The Truth Behind Formal Statistics – Demolition of illegal houses in the West Bank
during 2004 », Israeli Committee Against Houses Demolition, avril 2005.
81. On estime que 75-80 % du budget du Hamas est utilisé pour le financement d’assistance sociale et
médicale, la construction d’infrastructures médicales et d’orphelinats. (David H. Gray & Larson John
Bennett, « Grass Roots Terrorism : How Hamas’ Structure Defines a Policy of Counterterrorism »,
Research Journal of International Studies, novembre 2008).
82. Chiffre de 2004 (Haaretz, 16 juin 2006).
83. Chiffre de 2006 (UNICEF, 2006) Ce taux de fécondité évolue, mais montre une certaine régularité à être
le double de celui observé en Israël.
84. Voir Wikipedia, article « Lavon Affair ».
85. Richard Sale, « Hamas history tied to Israel », UPI, 18 juin 2002.
86. Ostrovsky, Victor and Claire Hoy, By Way of Deception, New York, St. Martin’s Press, 1990, p. 321.
87. Donald Neff, « Israel Charged With Systematic Harassment of U.S. Marines », Washington Report on
Middle East Affairs, mars 1995, pp. 79-81.
88. Nir Rosen, « Lesson Unlearned », Foreign Policy, 29 octobre 2009
(http://foreignpolicy.com/2009/10/29/lesson-unlearned/).
89. Frontline – Target America, Interview: Caspar Weinberger,
(http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/target/interviews/weinberger.html)
90. 1985 est la date de publication de la Charte du Hezbollah, qui marque la création officielle du parti.
Toutefois, Israël et plusieurs pays occidentaux, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, établissent la
date de fondation du Hezbollah à 1982. C’est inexact. À cette époque aucun groupe armé libanais ne se
réfère à, ou se définit par rapport au Parti de Dieu (Hezbollah). Le principal groupe de résistance chiite
est alors le Djihad islamique, qui est une entité floue dont les contours ne seront jamais connus avec
précision. En 1985, lorsque le Hezbollah est créé, on y relie des individus que l’on avait associés –
toutefois sans certitude aucune – au Djihad Islamique, comme Imad Mougnieh (qui sera assassiné à
Damas, en 2008). C’est la raison pour laquelle il a été commode de supposer que le Hezbollah avait été
créé avant, notamment afin de « situer » les auteurs des attentats de 1983 dans le cadre d’une structure
identifiable.
91. La nature terroriste du Hezbollah est sujette à débat en Occident. Les ÉtatsUnis, le Canada, les Pays-Bas
et Israël considèrent le Hezbollah comme un mouvement terroriste. Le Parlement européen, dans une
résolution adoptée le 10 mars 2005, peu après l’attentat contre Rafic Hariri « considère qu’il existe des
preuves irréfutables de l’action terroriste du Hezbollah ». Le Conseil de l’Union européenne, le
Royaume-Uni et l’Australie ne considèrent comme terroriste que l’organisation de la sécurité extérieure
du Hezbollah mais pas sa branche politique. La Russie, l’Union européenne ou la France ne considèrent
pas le Hezbollah comme une organisation terroriste.
92. Washington Post, 19 mai 2007.
93. Rapport du Secrétaire général sur la Force des Nations unies, chargées d’observer le désengagement pour
la période allant du 4 septembre au 19 novembre 2014, Nations unies S/2014/859, 28 novembre 2014,
voir également Maya Shwayder, « New UN report reveals collaboration between Israel and Syrian
rebels », The Jerusalem Post, 7 décembre 2014.
94. Herb Keinon, « Netanyahu visits IDF field hospital for Syrians », The Jerusalem Post, 18 février 2014.
95. « Israeli Airstrikes Escalate Tensions with Syria », The Associated Press, 19 mars 2014.
96. Ibid.
97. Herb Keinon, « Israel wanted Assad gone since start of Syria civil war », The Jerusalem Post, 17
septembre 2013.
98. Diaa Hadid & Anne Barnard, « Commander of Hezbollah Freed by Israel Is Killed in Syria », The New
York Times, 20 décembre 2015.
99. Interview de Robert Baer, ex-agent de la CIA, « Iran Must be an International Player »,
www.roozonline.com
100. Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères, Le
Figaro, 19 septembre 2007.
101. CNN, « Bush: U.S. probes possible Iran links to 9/11 », 19 juillet 2004.
102. James Fallows, « Will Iran Be Next? », The Atlantic, décembre 2004.
103. Mike Allen, « Iran ‘Will Be Dealt With,’ Bush Says », The Washington Post, 22 avril 2004.
104. Philip Giraldi, « Attack on Iran: Preemptive Nuclear War », The American Conservative, 2 août 2005.
105. « Sharon says U.S. should also disarm Iran, Libya and Syria », Haaretz, 30 septembre 2004.
106. Paul K. Kerr, Iran’s Nuclear Program: Tehran’s Compliance with International Obligations, US
Congressional Research Service, 14 janvier 2016, p. 8 et p.11.
107. Seumas Milne, Ewen MacAskill & Clayton Swisher, « Leaked cables show Netanyahu’s Iran bomb
claim contradicted by Mossad », The Guardian, 23 février 2015.
108. « Mossad, CIA Agree Iran Has Yet to Decide to Build Nuclear Weapon », Haaretz, 18 mars 2012.
109. http://www.un.org/press/en/2012/sc10666.doc.htm
110. Karen DeYoung & Scott Wilson, « Goal of Iran sanctions is regime collapse, U.S. official says »,
Washington Post, 13 janvier 2012.
111. Watch Stahl, « Ex-Mossad chief: Iran rational; don’t attack now », CBS News, 11 mars 2012.
112. Voir memri.org/bin/articles.cgi?Page=archives&Area=sd&ID=SP101305
113. « En voie de radicalisation, l’Iran veut “rayer” Israël de la carte », Le Monde, 27 octobre 2005.
114. Jonathan Steele, « Lost in Translation », The Guardian, 22 juin 2006.
115. memri.org, op. cit.
116. Discours du président Sarkozy à la Knesset, Le Figaro, 20 juin 2008.
117. Brian Whitaker, « The strange affair of Karine A », The Guardian, 21 jan-vier 2002.
118. BBC News, 22 février 2006.
119. Aux États-Unis, le « Presidential Finding » est un décret présidentiel, équivalent à l’« Executive
Order ». À la différence de l’Executive Order, le Presidential Finding ne doit pas être publié dans le
Registre Fédéral des décisions exécutives. (CRS Report for Congress, Harold C. Relyea, Presidential
Directives : Background and Overview, mis à jour 23 avril 2007).
120. Foreign Terrorist Organizations, Bureau of Counterterrorism, US Department of State
(http://www.state.gov/j/ct/rls/other/des/123085.htm)
121. Saddam Hussein’s Support for International Terrorism, The White House, (http://georgewbush-
whitehouse.archives.gov/infocus/iraq/decade/sect5.html). Le MeK a été retiré de la liste des mouvements
terroristes du Département d’État américain le 28 septembre 2012 afin de permettre aux États-Unis et à
la Grande-Bretagne de collaborer avec lui pour mener des actions clandestines en Iran.
(http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2012/09/198443.htm)
122. Seymour Hersh, « Preparing the Battlefield », The New Yorker, 7 juillet 2008.
123. Mis à part l’extrême nord de la Norvège, lui aussi limitrophe de l’URSS, mais dans une zone
considérablement moins critique.
124. Shiv Malik, « Support for Isis stronger in Arabic social media in Europe than in Syria”, The Guardian,
28 novembre 2014.
125. Berkay Mandiraci, « Islamic State’s Threat to Turkey », International Crisis Group, 19 octobre 2015
(http://blog.crisisgroup.org/europe-central-asia/2015/10/19/islamic-states-threat-to-turkey/).
126. « Veiled threats », The Economist, 6 décembre 2003
127. Pierre Servent, Extension du domaine de la guerre, Robert Laffont, Paris, 2015, pp. 98-104.
128. Seymour M. Hersh, « The Redirection », The New Yorker, 5 mars 2007.
129. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (Safar 1437), p. 38.
« Al-Quaïda », le mythe fondateur

LES RACINES HISTORIQUES


Ce que l’on appelle communément aujourd’hui « Al-Qaïda » est un des
éléments centraux du prisme à travers lequel est perçue la menace terroriste –
qui trouve aujourd’hui son apex dans l’État islamique. Si le terrorisme islamiste
est une réalité depuis un quart de siècle, sa compréhension en Occident reste
extrêmement mauvaise. Nous n’en avons pas compris la genèse, le
fonctionnement, la logique, les motivations et, par voie de conséquence, la
manière de le maîtriser. En réalité, nous y réagissons de manière émotionnelle,
sans réflexion et sans stratégie : exactement comme le souhaitent les terroristes.
C’est la raison pour laquelle, depuis 1990, le terrorisme n’a fait que croître, sans
qu’aucune guerre ni aucune technologie ne l’ait stoppé, affectant même les
valeurs qui font la grandeur de la démocratie, comme la liberté individuelle, le
droit à la vie privée, ou la liberté d’expression.

La naissance et le développement de ce que l’on appelle « Al-


Qaïda » sont irrémédiablement associés à la personne d’Oussama Ben
Laden. Et pourtant, aucun groupe terroriste du nom d’« Al-Qaïda » n’a jamais
été créé, ni par Oussama Ben Laden, ni par quiconque. Comme le confirme
l’intéressé lui-même dans une interview donnée à la chaîne de télévision Al-
Jazira en octobre 2001, mais jamais diffusée en Occident1.
Oussama Ben Laden (Oussama Bin Muhammad ben Awad) est né en 1957,
17e des 52 enfants d’un riche entrepreneur saoudien. Ingénieur en génie civil, il
s’engage dès 1979 en Afghanistan dans la lutte contre l’occupant soviétique,
initialement pour y apporter son savoir technique. En 1983, après avoir consulté
le cheikh Abd Rabb ul-Rassoul, chef de l’Union islamique des moudjahidines
afghans, Oussama Ben Laden est autorisé à créer un camp d’entraînement à Jaji,
dans la province de Paktia (à proximité de la frontière Pakistanaise). Ce camp,
spécialement établi pour accueillir et former les moudjahidines d’origine arabe,
est baptisé la Tanière des partisans (Ma’sadat-ul-Ansâr)2 par Ben Laden, mais
restera connu sous le terme générique d’« al-qa’ïda al-’askariyya » (« la base
militaire »)3.
En 1984, Ben Laden crée le Bureau des services pour les moudjahidines
arabes, Maktab al-Khidamat lil Moudjahidin al-Arab ou Maktab al-Khidamat
(MAK), avec le cheikh Abdallah Azzam, chef des Frères musulmans de
Palestine, installé à Peshawar, responsable de financer et d’organiser la
répartition des volontaires musulmans, qui affluent vers l’Afghanistan. Le MAK
installe des bureaux de recrutement aux USA, en Égypte, en Arabie saoudite et
au Pakistan, et des camps d’entraînement au Pakistan et en Afghanistan.
Quelque 200 millions de dollars, provenant principalement des États-Unis et
d’Arabie Saoudite, sont collectés et plus de 10 000 combattants sont ainsi
amenés dans la guerre contre les Soviétiques avec l’aide des Américains.
En 1988, sur une divergence de vues d’ordre stratégique, Ben Laden se
sépare d’Azzam et concentre ses activités sur « La Base Militaire » – que l’on
appelle couramment « La Base » (« Al-Qaïda ») – qui n’est pas une organisation
de combat ou de résistance, mais un simple camp, dont la fonction est de
préparer, puis de répartir les volontaires étrangers pour combattre les Soviétiques
dans les différentes zones de combat. Une part importante de ses activités est la
construction de routes4. Après la mort d’Azzam dans l’explosion d’une voiture-
bombe, le MAK est dissous et ses activités sont reprises par « La Base ». Avec le
départ des Soviétiques, en 1989, « La Base » aide les volontaires étrangers à
retourner vers leurs pays d’origine, puis est démantelée, et Oussama Ben Laden
retourne en Arabie saoudite.
À la fin 1990, après l’attaque irakienne contre le Koweït, Oussama Ben
Laden propose à l’Arabie saoudite d’organiser la défense du pays avec des
volontaires islamiques. Mais le gouvernement saoudien rejette son offre, jugeant
plus crédible l’intervention d’une coalition menée par les États-Unis. Ben Laden
fonde alors le Comité du Djihad, qui regroupe le Gama’ah al-Islamiyyah
égyptien, le Djihad yéménite, le groupe pakistanais al-Hadith5, l’Asbat al-Ansar
libanais, le Groupe combattant islamique en Libye (GICL), le groupe jordanien
Beït al-Imam et le Groupe islamique armé (GIA) algérien.
Après la guerre du Golfe, le déploiement des forces américaines se poursuit
en Arabie saoudite pour surveiller l’Irak. Cette présence inquiète les autorités
saoudiennes car elle alimente une opposition radicale qui commence à émerger
et menace le régime. En fait, depuis les années 50, la présence américaine en
Arabie saoudite a fait l’objet de critiques dans le monde musulman et, déjà en
1960, le prince Fayçal avait demandé – sans succès – au président John F.
Kennedy de retirer ses troupes de la base de Dhahran6.
Il faut préciser ici que le territoire saoudien, territoire sacré souvent qualifié
de « Terre Sainte de l’Islam », n’exclut pas formellement une présence non-
musulmane. Quant à l’appellation de « Pays des Deux Lieux Saints » (La
Mecque et Médine), que l’on attribue à l’Arabie saoudite, elle ne désigne à
l’origine que la région (devenue province) de Hijaz. À l’époque où le Coran est
écrit, la notion de « pays » – et de frontière – n’existe pas dans son sens moderne
dans cette partie du monde. Dès lors, la question de l’illégitimité de la présence
occidentale en Arabie saoudite est donc essentiellement devenue une affaire de
sensibilité, suffisante néanmoins pour provoquer des réflexes djihadistes.
Le 25 juin 1996, un attentat vise les quartiers d’habitation des forces
américaines en Arabie saoudite, les tours Khobar, près de Dhahran. Les États-
Unis accusent immédiatement Oussama Ben Laden, exilé au Soudan depuis
1992. Toutefois, la paternité de cet attentat reste – encore aujourd’hui – sujette à
discussion. À cette époque, si Ben Laden est la personnalité la plus médiatique
de l’opposition conservatrice saoudienne, il n’en est pas le principal acteur. Il
existe alors de nombreux groupuscules radicaux, opposés à la présence
américaine en Arabie saoudite et l’emprise de Ben Laden sur ces groupes est
faible.
Les autorités saoudiennes, elles, désignent immédiatement le Hizbollah al-
Hijaz, groupuscule radical de tendance chiite – et qui serait donc piloté par l’Iran
– basé dans la province de Hijaz, comme responsable des attentats. Quelquesuns
des auteurs sont rapidement appréhendés par la police saoudienne, mais les
enquêteurs américains du FBI n’auront pas l’occasion de les interroger. En
désignant l’Iran comme responsable de cet attentat, on avait une explication qui
convenait à la fois aux Américains et aux Saoudiens7. En réalité, on sait
aujourd’hui que cet attentat était une opération « sous fausse bannière8 »,
commanditée par certaines personnalités du régime saoudien, afin d’inciter les
États-Unis à retirer leurs troupes.

UNE INVENTION AMÉRICAINE


Dans l’usage « officiel » des Djihadistes, « Al-Qaïda » est donc une simple
base militaire, et des personnages comme Oussama Ben Laden ou Ayman al-
Zawahiri n’utilisent pas ce terme pour désigner une organisation. En revanche,
dès 2005, on trouve un usage toujours plus fréquent de l’expression « Qaïdat al-
Djihad » (Base du Djihad) dans divers pays pour désigner un noyau de résistance
armée.
L’usage du nom « Al-Qaïda » pour décrire cette mouvance djihadiste
naissante est en fait dû aux autorités américaines9. Pas de complot ici, ni de
calcul machiavélique de la part des Américains, mais un simple problème
juridique. En janvier 2001, alors qu’ils s’apprêtaient à juger les auteurs de
l’attentat de février 1993 contre le World Trade Center (WTC), les États-Unis ne
disposaient pas de loi spécifique10 pour traiter des organisations terroristes
internationales et ont donc dû utiliser les lois destinées à la lutte contre la
criminalité organisée. Mais, aux termes de cette législation, afin de pouvoir
mettre en accusation les chefs et commanditaires supposés d’une organisation
criminelle à l’étranger, il fallait que cette organisation ait un nom. Or, les
protagonistes de cet attentat n’avaient pas agi dans le cadre d’une organisation
connue11, mais on leur prêtait des liens – qui n’ont jamais été démontrés par la
suite – avec Oussama Ben Laden. Les États-Unis ont donc simplement baptisé
de manière arbitraire l’organisation d’Oussama Ben Laden du nom de son
ancienne structure afghane (al-qa’ïda al-’askariyya) : « AlQaïda12 ».

De fait, Michael Scheuer, ex-chef de la « Ben Laden Issue Station »


de la CIA – créée spécialement en 1996 pour traquer Ben Laden et
démantelée à la fin 200513 –, confirme qu’« Al-Qaïda » n’a jamais existé, mais
qu’elle est une manière simple de désigner les terroristes islamistes14 et en outre,
facilement compréhensible pour le public.
Oussama Ben Laden lui-même n’a jamais revendiqué cette appellation, mais
le nom d’ « Al-Qaïda » a été tellement utilisé en Occident qu’il est devenu le
symbole du Djihadisme et un véritable « label », revendiqué ensuite peu à peu
par certains groupes terroristes, plus pour des raisons de « marketing » que
d’appartenance structurelle. Ainsi, les noms de mouvements comme « Al-Qaïda
au Maghreb islamique » (AQMI) ou « Al-Qaïda dans la péninsule arabique »
(AQPA) sont-ils des traductions inexactes véhiculées par les instances
sécuritaires occidentales pour accréditer l’existence d’une multinationale de la
terreur avec ses « filiales ». Or, leurs noms réels respectifs sont « Qaïdat al-Jihad
fi’l-Maghrib al-Islamiy – Base du Djihad dans le Maghreb Islamique » et
« Qaïdat al-Jihad fi’l-Jazirah al-Arrabiyyah – Base du Djihad dans la péninsule
arabique15 » et n’impliquent pas de relation fonctionnelle avec une structure
centrale.
Aujourd’hui, « Al-Qaïda » est devenu une commodité de langage, pour
désigner une mouvance difficile à définir. Le paradoxe de cette situation est que,
pour des raisons purement légales, l’Occident a non seulement littéralement créé
une structure qui a acquis une existence virtuelle, mais il lui a aussi conféré des
attributs qui en ont fait une référence pour les Djihadistes eux-mêmes. On a ainsi
perdu une énergie précieuse à tenter de découvrir des structures de
commandement qui n’existent pas. Aujourd’hui, même l’organe officiel de l’État
islamique, Dabiq, utilise l’expression « Al-Qaïda » pour désigner ses
organisations rivales. Ainsi, par ignorance, l’Occident a probablement contribué
au développement du Djihadisme en lui donnant un point de référence qu’il
n’avait pas précédemment. Ce phénomène est clairement apparent à travers les
documents retrouvés à Abbottabad lors du raid américain pour éliminer Oussama
Ben Laden, le 2 mai 2011 : il n’y avait pas de liens fonctionnels ou structurels
entre Oussama Ben Laden et les divers groupes djihadistes, mais apparemment,
bien qu’il ne fût pas favorable à ces groupes, il préférait maintenir une
correspondance informelle avec eux afin de les conseiller. Ces documents
soulignant le rôle très secondaire d’Oussama Ben Laden ont été publiés par le
Centre de lutte contre le terrorisme de l’académie de West Point sous le titre
évocateur de : Lettres d’Abbottabad : Ben Laden mis à l’écart ?16

OUSSAMA BEN LADEN INNOCENT ?


Depuis le 11 Septembre, le nom d’Oussama Ben Laden est resté sur toutes
les lèvres. Même les centaines d’« experts » du terrorisme apparus soudainement
après les attentats, voire les membres des services de renseignement continuent à
tenir « OBL » pour responsable du « 9/11 ». Et pourtant…
L’avis de recherche d’Oussama Ben Laden, publié par le FBI et révisé en
novembre 2001, ne fait pas mention du 11 Septembre : seuls sont mentionnés les
attentats d’août 1998 à Nairobi et Dar-Es-Salaam17, comme le confirmait, en
juin 2006, Rex Tomb, Chef des relations publiques du FBI :

La raison pour laquelle le 11 Septembre n’est pas mentionné sur


l’avis de recherche d’Oussama Ben Laden, est que le FBI n’a aucune
preuve qui relie Ben Laden au 11 Septembre18.

Or, même pour les attentats de 1998, aucune preuve n’existe et un doute
important subsiste sur l’implication même d’OBL. Ainsi, le président Bill
Clinton écrivit sur une note, à propos de ces attentats et de Ben Laden, à
l’intention de Sandy Berger, son conseiller à la sécurité nationale : « Sandy, si
cet article est correct, la CIA a certainement exagéré les faits qui m’ont été
présentés. Quels sont les faits19 ? »
En clair, Oussama Ben Laden a été, dès 1998, une sorte de bouc émissaire
des services américains – et occidentaux – pour tenter de faire croire qu’ils
connaissaient les réseaux responsables des attentats. Or, il n’en était rien et cette
situation perdure à ce jour. Au-delà des supputations diverses, rien n permet –
encore à l’heure actuelle – d’identifier une chaîne de commandement qui aurait
lié de manière fonctionnelle Oussama Ben Laden aux diverses cellules coupables
d’actes terroristes dans le monde.

La preuve la plus souvent mentionnée est son « aveu » enregistré


sur une vidéo tournée le 9 novembre 2001 et « trouvée » à Jalalabad, le
13 décembre, dans laquelle il aurait confirmé sa connaissance et son rôle dans
les attentats. Une deuxième vidéo, qui fait surface le 27 décembre –
apparemment tournée le 19 novembre –, montre un Oussama Ben Laden
différent, dont la barbe a blanchi (en 10 jours !). Or, il apparaît que ces vidéos, et
plusieurs qui ont suivi, tentant entre autres de le faire passer pour homosexuel,
étaient des impostures, produites par la CIA américaine afin de le discréditer vis-
à-vis de ses admirateurs, comme l’ont admis, en 2010, les agents « auteurs » des
faux20.
Ainsi, malgré le fait qu’elle soit considérée aujourd’hui par la grande
majorité du public comme une vérité, la responsabilité d’Oussama Ben Laden
dans les attentats du 11 Septembre n’a jamais été démontrée. Comme devait le
préciser le Vice-Président américain Richard (Dick) Cheney, lors d’une
interview télévisée, en mars 2006 :

Nous n’avons jamais défendu le fait ou l’idée, qu’Oussama Ben


Laden ait été impliqué directement d’une manière ou une autre dans le
11 Septembre. La preuve n’en a jamais été présentée21.

Selon Seymour Hersh, journaliste américain généralement bien informé sur


les questions de renseignements et d’opérations clandestines, Ben Laden avait
été arrêté par les autorités pakistanaises, puis placé en résidence surveillée à
Abbottābād dès 200622. C’est d’ailleurs à la même époque que la CIA
américaine décide la fermeture de la « Ben Laden Issue Station » (également
connue sous l’appellation d’« Alec Station »), l’unité ad hoc créée en janvier
1996 pour traiter les questions liées à Ben Laden, et dirigée par Michael
Scheuer.
Toujours selon Hersh, l’élimination médiatisée de Ben Laden le 2 mai 2011
n’a été qu’un trompe-l’œil. En fait, les États-Unis savaient que Ben Laden avait
été arrêté et l’opération des forces spéciales américaines n’a été qu’une mise en
scène en vue de préparer la campagne présidentielle d’Obama – peu de bravoure,
peu de courage… la simple exécution d’un homme déjà prisonnier23. Les
modalités de cette action restent encore controversées et les affirmations de
Seymour Hersh sur son déroulement ont été contredites par certains officiels de
la CIA. Il n’en reste pas moins que l’assignation à résidence d’Oussama Ben
Laden et le fait qu’elle ait été connue des services américains semblent être des
faits acquis.
L’opération avait deux objectifs stratégiques pour le gouvernement
américain : apporter un succès opérationnel à mettre au crédit du président
Obama en vue des élections présidentielles, et désamorcer les critiques sur le
programme de torture mis en œuvre par la CIA. En effet, le 5 mars 2009, la
Commission du Sénat sur le Renseignement avait décidé de mener une enquête
sur la pertinence de l’usage de la torture dans la lutte contre le terrorisme, et
l’élimination de Ben Laden permettra de relever les « vertus » de cette
pratique24. Ce ne sera que lors de la publication du rapport de la Commission,
que l’on constatera que les informations nécessaires à cette opération sont
venues par d’autres canaux et que la torture n’y a absolument pas contribué.
Nous y reviendrons plus loin.

APRÈS LE « 9/11 »
ENTRE FANTASMES ET RÉALITÉ
Peu après les attentats du 11 Septembre, les États-Unis – suivis en cela
aveuglément par tous les services de renseignement occidentaux – ont tracé un
portrait très exagéré de l’organisation, lui attribuant des ambitions mondiales
avec des installations complexes et hautement sophistiquées pour l’entraînement
des terroristes et la conduite des opérations, dans le massif de Tora-Bora en
Afghanistan. Or, les opérations coalisées menées par la suite dans cette région
ont démontré que ces « experts » sur « Al-Qaïda » ne nous avaient servi que des
élucubrations. Si effectivement les combattants afghans utilisaient bien des
grottes pour s’abriter, celles-ci étaient naturelles, de petites dimensions, ni
aménagées, ni bétonnées, et loin d’abriter les installations sophistiquées que l’on
prétendait25.
Par la suite, on constatera que l’adhésion des groupes islamistes aux objectifs
d’Oussama Ben Laden, que l’on qualifie d’« allégeance » (« Bayah »), n’est pas
toujours aussi claire que la presse et les services de renseignements occidentaux
le prétendent.
En fait, ce que nous appelons « allégeance » serait mieux traduit par
« ralliement » et est le plus souvent une déclaration unilatérale d’un groupe, qui
cherche une caution « politique », mais elle n’est pas nécessairement une
démarche bilatérale. Autrement dit, le ralliement n’est pas toujours reconnu par
l’autorité (en l’occurrence, Ben Laden ou « Al-Qaïda »). De plus, il semble que
les ralliements formulés par les divers groupes islamistes se soient attachés plus
à la personne même de Ben Laden – érigée en mythe par les Occidentaux – qu’à
ses idées et ses objectifs (que bien peu connaissaient en réalité). Ainsi, les
documents retrouvés à Abbottabad, lors du raid américain, ont confirmé que si
de nombreux mouvements djihadistes dans le monde se réclamaient d’« Al-
Qaïda » et rapportaient leurs exploits à Ben Laden, aucun élément n’indiquait
qu’ils agissaient sur les ordres de ce dernier. Il semble même que Ben Laden ait
été fortement coupé du monde extérieur durant des années et qu’il n’ait pas
donné d’instructions ou de directives à des groupes extérieurs. La
correspondance retrouvée indique même que Ben Laden était agacé du nombre
de mouvements qui se réclamaient de son enseignement mais avaient des
objectifs totalement différents26.
Manifestement, les États-Unis ont eu des difficultés à admettre que les
événements du 11 Septembre aient pu être l’œuvre de simples « amateurs ».
Pour un pays réputé pour la qualité de ses forces de sécurité, il était difficilement
concevable de ne pas y voir une organisation puissante, dotée de moyens
illimités. L’image d’un milliardaire fanatique, approvisionné par quelques
« États renégats » était l’explication la plus acceptable. Or, non seulement il s’est
avéré plus tard que la fortune d’Oussama Ben Laden était bien plus modeste que
ce que l’on avait imaginé, mais encore que les organes de surveillance financiers
– qui avaient rapidement pointé du doigt des pays comme le Luxembourg ou la
Suisse – n’ont pu découvrir que de petits financements épars de sources très
diverses et non une puissance financière.
En fait, de nombreux points obscurs demeurent dans la connaissance
publique du 11 Septembre. Le rapport des Commissions spéciales sur le
renseignement du Congrès américain publié en décembre 200227, outre de
nombreuses erreurs factuelles (dues notamment à des informations obtenues
sous la torture et invérifiées), comporte 28 pages, qui ont été classifiées et tenues
à l’écart du public. Les tentatives d’obtenir la déclassification de ces pages par
de nombreux parlementaires américains se sont heurtées jusqu’à présent à
l’opposition des présidents Bush et Obama. Les spéculations sur leur contenu
restent nombreuses et certains évoquent le fait que l’implication de personnalités
saoudiennes serait à l’origine des réticences présidentielles.
Alors que l’essence du terrorisme est d’atteindre des objectifs stratégiques
par l’action tactique, on observe toute une série d’attentats, notamment à Djerba
(11 avril 2002), Bali (12 octobre 2002) et Casablanca (16 mai 2003) qui ne
s’inscrivent dans aucune cohérence opérationnelle ou stratégique et qui ne
semblent pas être associés à des objectifs concrets autres que toucher des
Occidentaux. Il n’en demeure pas moins que les différentes interventions
occidentales menées par la suite ont donné au combat des islamistes un sens
articulé autour de la notion de « résistance » (« Djihad »), tout d’abord militaire,
puis contre l’omniprésence d’un Occident – et des États-Unis en particulier – qui
cherche à imposer ses modèles culturels, politiques, légaux, voire sociétaux.
La surdramatisation, qui a suivi le 11 Septembre aux États-Unis, a très
largement contribué à donner un profil plus marqué au terrorisme, et donc à le
rendre plus efficace. Alors que le nombre d’objectifs potentiels pour des attentats
terroristes recensés dans le pays s’élevait à 160 en 2003, il est passé à 300 000
en 2007. L’État de l’Indiana, avec 8591 objectifs potentiels, dépassait New
York, qui n’en n’avait « que » 5687. Les objectifs terroristes potentiels
comprenaient la fabrique de pop-corn du Pays Amish, le marché aux puces de
Sweetwater, et même une « plage au bout d’une rue28 » ! Dans un souci de
pouvoir punir tous les terroristes potentiels, des termes comme « armes de
destruction massive » (qui désignent, à l’origine les armes nucléaires, chimiques
et bactériologiques) ont été redéfinis pour couvrir toutes sortes d’armes, y
compris la simple grenade à main29 !
Au-delà de l’anecdote, cette obsession de punir a conduit à ne plus savoir ce
que l’on combat, à ne plus pouvoir faire la différence entre un « simple » crime
et un attentat terroriste. Car même si les deux peuvent se manifester (bombe,
fusillade, etc.) et donc se combattre de manière identique au niveau tactique, ils
exigent souvent des stratégies très différentes pour être prévenus. Les États-Unis,
suivis de pratiquement tous les pays occidentaux, ont ainsi – par défaut –
encouragé le développement du terrorisme : les mesures pour intercepter les
terroristes abondent, mais aucun pays n’a adopté de réelle stratégie pour lutter
contre le terrorisme.

LA DIMENSION ASYMÉTRIQUE
DU DJIHADISME

Les attentats de Madrid et Londres

Ce sont les interventions américaines et britanniques, avec leurs alliés en


Afghanistan et en Irak en 2001 et 2003, qui apportent une rationalité concrète au
combat des Djihadistes, non seulement en leur offrant une cohérence stratégique,
mais aussi en plaçant les attentats dans une logique de résistance armée à des
invasions clairement illégales et largement illégitimes. Les attentats les plus
marquants de cette période, à savoir ceux de Madrid (11 mars 2004) et de
Londres (7 et 21 juillet 2005)30 étaient clairement destinés à provoquer un retrait
des forces engagées en Afghanistan et en Irak31.
En Espagne, en pleine période électorale, le gouvernement Aznar ne peut se
permettre de remettre en question sa politique de soutien inconditionnel des
États-Unis en Irak, et rejette immédiatement la responsabilité des attentats sur les
Basques. Mais la population n’est pas dupe et le résultat des élections est sans
appel et amènera l’opposition au pouvoir, qui décidera le retrait des forces
espagnoles d’Irak, et provoquera le retrait du Honduras. Du point de vue des
Djihadistes, l’attentat de Madrid est une « opération de dissuasion », qui reste
considérée comme un succès stratégique32, même si l’analyse a posteriori
montre que ce succès est moins dû aux terroristes eux-mêmes qu’à l’incapacité
du gouvernement espagnol de l’époque de gérer une situation de type
asymétrique.
Le 17 mars 2004, quelques jours après le terrible attentat de Madrid, la
revendication des brigades d’Abou Hafs al-Masri qui parvient au journal Al-
Quds al-Arabi, annonçant de futures actions terroristes contre certains pays
occidentaux, illustre parfaitement le caractère asymétrique du conflit qui
s’installe :

[…] une opération d’envergure [aux ÉtatsUnis] détruira


ton administration. Nous ne souhaitons aucunement ta défaite
aux élections […] nous voulons ta victoire, Bush le criminel33.

Paradoxalement, le mouvement terroriste avoue ainsi qu’il a besoin d’un


adversaire déterminé pour légitimer son combat… alors qu’ironiquement le
président Bush est présenté lors de la Convention républicaine à la fin août 2004,
comme le champion de la lutte contre le terrorisme ! On a ici l’illustration de
cette situation particulière des conflits asymétriques, où les succès tactiques,
obtenus par l’un des adversaires, alimentent l’avantage stratégique de l’autre.
Censée contribuer à la lutte contre le terrorisme, l’intervention américaine en
Irak a fait apparaître de nouveaux groupes terroristes et forgé une nouvelle
légitimité aux extrémistes islamistes. Nous sommes ici au cœur du phénomène
djihadiste, que nous ne parvenons pas à comprendre et à inclure dans nos
réflexions stratégiques.
Il est probable que le succès de l’attentat de Madrid a été l’une des sources
d’inspiration pour les attentats de Londres un an plus tard, même s’il n’y a pas
de liens formels entre les deux. À cette époque, les Britanniques ne sont pas
convaincus par l’engagement de Tony Blair aux côtés du président américain en
faveur d’une intervention en Irak. Le 15 février 2003, la manifestation contre la
guerre la plus importante jamais organisée à Londres aurait réuni 2 millions de
manifestants selon ses organisateurs34. Cette opposition populaire à la guerre
constitue une opportunité pour la résistance irakienne et les Djihadistes qui vont
chercher à provoquer un retrait britannique.
Mais un retrait sous la pression des attentats est un pari dangereux.
L’enchaînement des événements après Madrid a certainement conduit à une
décision juste au plan moral, mais pas nécessairement au plan opérationnel, car
elle a créé un précédent incitant les terroristes à répéter le processus afin
d’influencer les gouvernements par l’action violente. Dix ans plus tard, le
président François Hollande se trouvera devant le même problème, mais le
risque de déprécier la crédibilité déjà vacillante de son gouvernement le poussera
à s’engager davantage dans la spirale de la violence.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement de Tony Blair cherchera à
« déconnecter » les attentats et tentatives d’attentat de la guerre en Irak, et à faire
passer les terroristes comme des victimes de troubles mentaux et sociaux35.
Pour-tant, la vidéo de revendication de Mohammed Siddique Khan, explique très
clairement que l’attentat du 7 juillet est motivé par la guerre en Irak :

[…] et nos mots n’ont pas d’impact sur vous,


c’est pourquoi nous allons parler le langage que
vous comprenez. Nos mots sont vides tant que
nous ne leur donnons pas vie avec notre sang.
Je suis sûr qu’à ce moment les médias auront
déjà dépeint une image appropriée de moi, cette
machine de propagande prévisible va donner un
tour favorable au gouvernement et effrayer les
masses pour qu’elles se conforment à des
agendas de pouvoir et obsédés par les richesses.
Moi et des milliers comme moi abandonnent
tout pour ce en quoi ils croient. Notre motivation
ne vient pas des biens tangibles que ce monde
peut offrir.
Vos gouvernements démocratiquement élus
perpétuent continuellement des atrocités contre
mon peuple dans le monde entier. Et votre
soutien pour eux vous rend directement
responsables, comme je suis directement
responsable de protéger et de venger mes frères
et sœurs musulmans.
Jusqu’à ce que nous nous sentions en sécurité,
vous serez nos cibles, et tant que vous
bombarderez, gazerez, emprisonnerez et
torturerez mon peuple, nous n’arrêterons pas ce
combat.
Nous sommes en guerre et je suis un soldat.
Maintenant vous apprécierez vous aussi la réalité
de la situation36 […]

Une vidéo d’un autre terroriste du 7 juillet 2005, Shehzad Tanweer, publiée
un an plus tard par la chaîne Al-Jazirah, reprend exactement les mêmes thèmes
en s’adressant aux Britanniques :

Vous vous demandez sans doute pourquoi vous


méritez cela. Vous êtes, vous et votre
gouvernement, ceux qui, jusqu’à ce jour,
oppressez nos femmes et enfants, nos frères et
nos sœurs, de l’Est à l’Ouest, de Palestine,
d’Afghanistan, d’Irak et de Tchétchénie. Votre
gouvernement a soutenu le massacre de quelque
50 000 innocents à Fallujah […] vous êtes
directement responsables du problème de la
Palestine et en Irak jusqu’à ce jour. […] Nous
sommes à 100 % engagés dans la cause de
l’Islam. Nous aimons la mort comme vous aimez
la vie. Nous vous demandons d’arrêter votre
soutien au gouvernement britannique et à la
prétendue « Guerre contre la Terreur ».
Demandez-vous pourquoi des milliers d’hommes
sont prêts à donner leur vie pour la cause des
musulmans37 […]
La conséquence stratégique des interventions en Afghanistan et en Irak a été
de donner un sens matériel à l’action terroriste en la plaçant dans le contexte
d’une résistance à une guerre illégitime. Cette revendication n’évoque ni une
guerre contre la chrétienté, ni de guerre sainte contre l’Occident, mais une
réponse à une intervention qui était non seulement illégale, mais également
illégitime et meurtrière. Ainsi, à défaut de donner une légalité à l’acte terroriste,
les actions conjointes de la Grande-Bretagne et des États-Unis lui ont donné une
forme de légitimité, qui est à l’origine de son développement considérable dans
le monde et conduira, 10 ans plus tard, à l’émergence de l’État islamique.

Une machinerie terroriste mal comprise

On a tenté de présenter les attentats des années 2001-2005 comme le résultat


d’une machination complexe orchestrée par « Al-Qaïda », et donc par Oussama
Ben Laden, qui est alors représenté comme le monstre absolu. La réalité est à la
fois plus simple et plus complexe. Plus simple, car les attentats ne sont pas le fait
d’une organisation tentaculaire, comme on a voulu le croire, et plus complexe
car l’atomisation de l’organisation des attentats a complètement dérouté les
services occidentaux qui n’étaient pas (et ne sont toujours pas) armés pour entrer
dans l’intimité de la prise de décision terroriste.
Il est certain que les liens qui se sont tissés entre les vétérans de la guerre
d’Afghanistan ont constitué une série de petits réseaux informels, restés vivaces
une fois les hommes rentrés dans leurs pays respectifs, constituant la base de
réseaux djihadistes locaux. Mais il est important de retenir que ces réseaux ne
sont liés ni par un commandement, ni par une structure, ni par une stratégie, ni
par des réseaux logistiques communs, et doivent se comprendre plus comme des
« carnets d’adresses » que comme des réseaux opérationnels. Ce qui explique
que les liens et les maillons de ces réseaux sont différents à chaque opération, et
activés de manière opportuniste.
Cette absence de liens organiques et l’existence de liens fonctionnels
éphémères fondés sur des relations personnelles et l’opportunisme et non sur une
répartition rationnelle des tâches – ainsi que l’a démontré le procès des auteurs
de l’attentat de Madrid (11 mars 2004) – ont souvent induit en erreur les
« experts » occidentaux. On a alors parlé de 2e et 3e génération pour définir les
« réseaux » d’« Al-Qaïda » et ainsi suggérer que la gestion des réseaux était
soumise à une intelligence supérieure. Rien ne permet de confirmer de telles
affirmations. Plus récemment, constatant qu’on ne parvenait pas à identifier de
structures ou d’organisation commune aux divers groupuscules islamistes, les
mêmes experts expliquent par une pirouette que l’organisation a muté en une
structure plus atomisée. Voire, ont affirmé qu’Oussama Ben Laden aurait
« perdu la maîtrise de l’organisation “Al-Qaïda”38 ».
Le fait de considérer Al-Qaïda comme une organisation a donné le sentiment
aux Occidentaux de pouvoir la maîtriser de manière militaire, en perturbant ses
lignes de communication et en touchant ses structures de conduite. En fait, il
n’en est rien. Le problème est que les États-Unis et les autres pays européens
n’ont jamais réellement compris dans quel type de guerre ils se sont engagés. En
2006-2007, on a applaudi devant le caractère novateur de la « stratégie » du
général Petraeus, qui consistait à s’allier avec des milices locales (sunnites) pour
combattre les groupes qui luttaient contre la présence occidentale (américaine).
Cette stratégie – que l’on connaît également sous le nom de Mouvement du
Réveil – n’a réellement fonctionné que parce que les États-Unis payaient les
combattants. Partant de l’idée – très occidentale – que la guerre ne se fait que
pour acquérir des avantages concrets, aucun effort n’a été effectué pour modifier
la motivation fondamentale des combattants, et ce sont ces mêmes groupes qui
ont créé le noyau des forces islamistes d’aujourd’hui. Les mêmes erreurs seront
commises en Syrie en 2011-2012 avec la fourniture d’armes aux « islamistes
modérés », puis les tentatives du même général Petraeus en 2015 pour se
rapprocher des Djihadistes39.

1. Al Jazeera, 21 octobre 2001 (https://www.youtube.com/watch?v=1V-y2zww XlE).


2. Issam Diraz, Ma’sadat ul-Ansâr al ‘arab bi Afghanistan, al-Manar al-Jadid, Le Caire, 1991.
3. Don Rassler & Vahid Brown, The Haqqani Nexus and the Evolution of al Qa’ida, Harmony Program, The
Combating Terrorism Center, West Point, 14 juillet 2011, p. 24.
4. Robert Fisk, « Anti-Soviet warrior puts his army on the road to peace : The Saudi businessman who
recruited mujahedin now uses them for large-scale building projects in Sudan », The Independent, 6
décembre 1993.
5. Emanation du Harkat ul-Mudjahidin (HuM).
6. Gresh Alain, « Les grands écarts de l’Arabie saoudite », Le Monde Diploma-tique, juin 2003.
7. Gareth Porter, « US Officials Leaked False Story Blaming Iran for Khobar Attack », Antiwar.com, 25 juin
2009.
8. Une opération « sous fausse bannière » est une opération effectuée par un acteur, de telle manière qu’elle
soit attribuée à un autre.
9. Jason Burke, Al-Qaida – La véritable histoire de l’islam radical, Cahiers libres, mars 2005, pp. 324.
10. Ce dispositif juridique ne sera finalement adopté qu’après les attentats du 11 Septembre sous le nom de
« PATRIOT Act ».
11. De fait, les Islamistes considèrent cet attentat comme étant un précurseur du « terrorisme individuel ».
Voir Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience : The Schools of Jihad », Inspire Magazine, n° 1, été
2010 (1431).
12. BBC, The Power of Nightmare, (Série de 3 films), automne 2004.
13. Mark Mazzetti, « C.I.A. Closes Unit Focused on Capture of bin Laden », The New York Times, 4 juillet
2006.
14. « CIA Agent Exposes How Al-Qaeda Doesn’t Exist », Youtube, 16 novembre 2011
(https://www.youtube.com/watch?v=-8CqUJoEWBs)
15. En avril 2015, la Base du Dhjihad dans la péninsule arabique est devenue « Les Fils d’Hadramaut ».
16. Nelly Lahoud et al., Letters from Abbottabad: Bin Ladin Sidelined ?, The Combating Terrorism Center,
West Point, www.ctc.usma.edu, 3 mai 2012.
17. https://www.fbi.gov/wanted/topten/usama-bin-laden (consulté le 26 juillet 2015).
18. http://www.historycommons.org/entity.jsp?entity=rex_tomb_1
19. « Sandy – If this article is right, the CIA sure overstated its case to me – what are the facts? » cité par
David Martosko, “Bill Clinton doubted CIA’s intelligence on Osama Ben Laden After his own 1998
‘Wag the Dog’ cruise missile strikes in Afghanistan and Sudan”, Daily Mail, 19 juillet 2014.
20. http://blog.washingtonpost.com/spy-talk/2010/05/cia_group_had_ wacky_ideas_to_d.html
21. The Tony Snow Show, 29 mars 2006 (http://www.twf.org/News/Y2006/0608-CheneyOBLnot.mov).
22. Seymour M. Hersh, « The Killing of Osama bin Laden », London Review of Books, Vol. 37 n° 10, 21 mai
2015.
23. Sandip Roy, « Osama Ben Laden was a Prisoner in Pakistan: 5 Shocking Facts Revealed from Hersh’s
Expose », 12 mai 2015 (http://newamericamedia.org/2015/05/osama-bin-laden-was-a-prisoner-in-
pakistan-5-shocking-facts-revealed-from-hershs-expose.php)
24. Michael B. Mukasey, « The Waterboarding Trail to bin Laden », The Wall Street Journal, 6 mai 2011.
25. Voir l’article de Wikipédia sur « Tora Bora » qui est éloquent.
(https://en.wikipedia.org/wiki/Tora_Bora).
26. Nelly Lahoud et al., op. cit.
27. Joint Inquiry into Intelligence Community Activities before and after the Terrorist Attacks of September
11, 2001, Washington DC, Government Printing Office, décembre 2002.
28. Eric Lipton, « Come One, Come All, Join the Terror Target List”, The New York Times, 12 juillet 2006.
29. https://www.schneier.com/blog/archives/2009/04/definition_of_w.html
30. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », Inspire
Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 23.
31. « Mohammed Siddique Khan’s ‘martyrdom video », YouTube, (https://www.youtube.com/watch?
v=jHXLaio8G3I)
32. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », op. cit.
33. « Un texte attribué à Al-Qaïda menace d’attentats “les valets de l’Amérique” », lemonde.fr, 18 mars
2004.
34. « Anti-war protest Britain’s biggest demo », MailOnline, Daily Mail, London
(http://www.dailymail.co.uk/news/article-161546/Anti-war-protest-Britains-biggest-demo.html)
35. Report of the Official Account of the Bombings in London on 7th July 2005, Ordered by the House of
Commons to be printed 11th May 2006, The Stationery Office, London [HC 1087].
36. « London bomber : Text in full », BBC News Channel, 1er septembre 2005, (consulté le 22 juin 2015).
37. « Shehzad Tanweer’s ‘martyrdom video », YouTube, (https://www.youtube. com/watch?
v=FG6a26uX1eA).
38. CNN, 7 juillet 2008.
39. Shane Harris & Nancy A. Youssef, « Petraeus: Use Al Qaeda Fighters to Beat ISIS », Small Wars
Journal, 1er septembre 2015.
À la source des problèmes
Le 11 Septembre a indubitablement marqué l’Histoire, mais le réel tournant a
été la manière de comprendre, d’interpréter et de répondre au terrorisme.
Touchés dans leur orgueil, les Américains ont réagi de manière émotionnelle et
impulsive, avec une grille de lecture du terrorisme datant des années 50, suivis
en cela par le reste du monde auquel ils ont imposé leur vision.
Entre 1980 et 2003, moins de 10 % des 343 attaques suicides enregistrées
dans le monde étaient dirigées contre les États-Unis, mais après 2004, 91 % des
quelque 2000 attaques suicides iden-tifiées avaient pour objectif les États-Unis
ou leurs alliés1.
La volonté de punir a pris le pas sur la nécessité de comprendre. Il en est
résulté une compréhension simpliste du terrorisme djihadiste, qui persiste
jusqu’à ce jour, et se concentre davantage sur la manière dont il frappe que sur
les causes qui le font émerger. Ainsi, la vraie nature de l’asymétrie djihadiste n’a
pas pu être intégrée dans une doctrine stratégique et d’action efficace contre le
terrorisme. On a fait d’« Al-Qaïda » une représentation fantaisiste qui a conduit
les forces de sécurité à poursuivre le faux ennemi, à chercher des structures là où
elles n’existent pas2, à frapper des innocents, augmentant ainsi le ressentiment
contre l’Occident et à anéantir les efforts d’intégration de populations immigrées
en Occident.

Les batailles bénies du 11 septembre étaient le résultat des


crimes répétés de l’Amérique contre les musulmans, et son
occupation des pays musul-mans. Et jusqu’à aujourd’hui, 12
ans après ces batailles, l’Amérique a perpétré plus de crimes,
inspirant des musulmans pour répéter ces attaques. En effet,
parmi les bonnes nouvelles de victoire à la Communauté des
Croyants, il y a que les Américains continuent de répéter les
mêmes erreurs, ils persistent à continuer dans le même tunnel
sombre, et vont d’un échec à l’autre, et d’une défaite à l’autre.
[…]
C’est l’arrogance des empires qui refusent d’accepter la
réalité des choses, et se conduisent eux-mêmes vers la
destruction. Cette arrogance américaine oblige les musulmans
à résister. La résistance n’est pas impossible3.

Dans un contexte asymétrique, l’absence d’une cohérence stratégique


occidentale et une riposte de nature essentiellement tactique ont conduit à une
exacerbation du Djihadisme, un phénomène clairement observable en
Afghanistan, en Irak et en Palestine, dont les soubresauts commencent à toucher
l’Europe en son sein. Les erreurs commises par les États-Unis en 2001 sont
aujourd’hui répétées par la France en 2015, comme si aucune leçon n’avait été
apprise du passé.

LA PREMIÈRE GUERRE DU GOLFE LE PÉCHÉ ORIGINEL


L’Irak est issu du démantèlement de l’Empire ottoman après la Première
Guerre mondiale. Le pays est alors géré par le Royaume-Uni, avant la
restauration d’une monarchie qui sera renversée le 14 juillet 1958 par le
brigadier général Abd al-Karim Qassem. La posture anti-occidentale de Qassem
pousse l’administration américaine à mener un coup d’État en février 1963, qui
amènera au pouvoir le colonel Abdul Salam Arif, qui sera renversé 5 ans plus
tard par Ahmed Hassan al-Bakr du parti Baath, avec l’aide de la CIA, ouvrant
ainsi la porte du pouvoir à Saddam Hussein4. La collaboration entre les États-
Unis et le régime de Saddam Hussein continuera, en particulier après l’accession
au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny en Iran, que leurs services de renseignement
n’avaient pas su anticiper. Les États-Unis – et les États du Golfe – soutiendront
Saddam financièrement et matériellement. Cette assistance ira jusqu’à l’aider
lorsqu’il engagera des armes chimiques contre l’Iran5 au début des années 806 ce
que les États-Unis lui reprocheront 20 ans plus tard !
En 1990, l’intervention irakienne contre le Koweït n’avait pas été perçue
comme complètement illégitime dans le monde arabe. L’Irak, qui sortait d’un
conflit coûteux contre l’Iran, et qui avait été assez largement soutenu par les
monarchies sunnites (qui craignaient alors la menace de la Révolution iranienne
chiite), comptait rembourser sa dette d’environ 30 milliards de dollars envers le
Koweït grâce à ses ressources pétrolières. Mais, en 1988-1989, le cours du
pétrole s’effondre – en partie à cause du dépassement de près de 40 % par le
Koweït des quotas de production définis par l’OPEP – remettant ainsi en
question le remboursement de la dette irakienne. À ceci s’ajoute le fait que le
Koweït pompait son pétrole dans des nappes pétrolifères communes avec l’Irak,
mais que ce dernier exploitait en respectant les limites autorisées par l’OPEP ! Il
était évident que le Koweït outrepassait ses droits dans cette affaire.
À la fin juillet 1990, alors que les négociations avec le Koweït sont au point
mort, l’Irak masse des troupes le long de la frontière koweïtienne afin de faire
pression sur son voisin. Le 25 juillet 1990, Saddam Hussein rencontre
l’ambassadrice américaine en Irak, Mme April Glaspie, afin de lui faire part de
son intention d’engager la force. L’ambassadrice lui répond alors :

Nous n’avons pas d’opinion sur les conflits arabo-arabes,


comme votre dispute de frontière avec le Koweït. Cette affaire
ne concerne pas les États-Unis. Tout ce que nous souhaitons
est que cette affaire soit réglée rapidement7.

laissant ainsi entendre que les États-Unis ne réagiraient pas en cas de coup de
force contre le Koweït. Cette réponse sera lourde de conséquences et de
malentendus, car c’est fort de cette « carte blanche » des États-Unis que Saddam
Hussein décide d’envahir le Koweït, afin de le contraindre à cesser ce qu’il
considérait comme le vol de son pétrole.
Après l’invasion irakienne, l’option d’une réponse militaire internationale
était loin d’être acquise au Conseil de sécurité des Nations unies. Malgré cette
évidente infraction au droit international, il était clair que l’Irak voulait
simplement « mettre au pas » son ancienne province8 et ne cherchait pas à
conquérir le Moyen-Orient, et qu’une solution politique était donc possible.
Plusieurs pays, dont la Russie, étaient d’ailleurs opposés à une intervention
militaire internationale.
Afin de créer les conditions politiques favorables à une intervention
internationale, le gouvernement koweïtien et le gouvernement américain
s’associent alors dans une opération de désinformation, destinée à influencer
l’opinion publique internationale. Aujourd’hui oublié en Occident, ce mensonge
organisé reste encore très présent dans la mémoire des pays arabes, qui
continuent à y voir – non sans raison – une intention délibérée des Occidentaux
pour intervenir dans la région.

Ainsi donc, le 10 août 1990, la firme de relations publiques Hill &


Knowlton est mandatée par une organisation privée, dénommée
« Citoyens pour un Koweït libre », avec un budget de 10,7 millions de dollars,
afin de développer une sympathie américaine pour le Koweït. L’organisation est
basée à Washington, dans le même immeuble que Hill & Knowlton, dont la
succursale est dirigée par Craig L. Fuller, ancien chef d’état-major de George
Bush (père) lorsqu’il était vice-président. Est alors créé de toutes pièces un
événement qui ne s’est jamais déroulé : la mise à sac de la maternité Al-Adan de
Koweït City par l’armée irakienne. Une vidéo est tournée, des « témoins » sont
« trouvés » et des photos sont distribuées. Tout est mis en scène, sans morts, sans
victimes. Le 10 octobre 1990, devant le Congressional Human Rights Caucus9,
comparait la jeune Nayirah (dont seul le prénom est alors divulgué « pour des
raisons de sécurité ») qui témoigne, en qualité d’infirmière de l’hôpital, avoir vu
les militaires irakiens enlever les incubateurs de la maternité et jeter les bébés à
terre10. L’affaire est largement répercutée dans la presse. Son impact mondial est
immédiat et suscite la colère.
Les conclusions américaines de cet événement sont présentées au Conseil de
sécurité des Nations unies, qui accepte alors quelques jours plus tard, le 29
novembre 1990, l’idée d’une intervention militaire. Comme le diront les
commentateurs :

De toutes les accusations contre le dictateur, aucune n’a eu


plus d’impact dans l’opinion publique américaine que celle de
militaires irakiens retirant 312 bébés de leurs incubateurs et
laissés mourants sur le sol froid de la maternité de Koweït
City11.

Très rapidement, la supercherie sera mise à jour et il s’avérera que la petite


« Nayirah » n’était autre que la fille de Saud Nasir al-Sabah, ambassadeur du
Koweït aux ÉtatsUnis, membre de la famille royale et qu’elle ne se trouvait pas
au Koweït au moment des prétendus événements12.
Parallèlement, à la mi-septembre 1990, afin de rendre la menace irakienne
sur la péninsule arabique plus crédible, le Pentagone affirme, citant des sources
satellitaires, que l’Irak a concentré 250 000 hommes et près de 1500 chars de
combat le long de la frontière saoudienne et s’apprête à attaquer l’Arabie
saoudite, principal fournisseur de pétrole des ÉtatsUnis. La machine est lancée et
la marche vers la guerre est enclenchée, malgré la publication, le 6 janvier 1991,
par The St. Petersburg Times, en Floride, de photos prises par des satellites
russes couvrant la même région à la même période, constatant qu’aucune troupe
irakienne n’est déployée le long de la frontière13 !
Mais il est trop tard, la guerre aura lieu. L’offensive DESERT STORM
contre l’Irak sera fulgurante et s’arrêtera après 100 heures, avant que les forces
coalisées n’atteignent Bagdad. Anticipant les problèmes liés à un éventuel
renversement du régime de Saddam Hussein, les Américains se retirent non sans
avoir détruit l’essentiel de la capacité militaire irakienne. Interrogé en 1994 afin
de savoir si la coalition occidentale aurait dû pousser son offensive jusqu’à
Bagdad en 1991, Richard (Dick) Cheney, secrétaire à la Défense lors de la
guerre répondit :

Non […] Si vous renversez le gouvernement


central en Irak, vous verrez facilement l’Irak voler en
éclats. Les Syriens en voudront une partie à l’Ouest, les
Iraniens en réclameront la partie orientale pour laquelle ils
ont combattu durant 8 ans.
Au Nord, vous avez les Kurdes, et les Kurdes peuvent se
joindre avec les Kurdes turcs et menacer l’intégrité territoriale
de la Turquie. Envahir l’Irak est un cauchemar14.

énumérant ainsi les problèmes qu’il rencontrera 10 ans plus tard, comme vice-
président des États-Unis, après avoir prôné exactement l’inverse !

La naissance d’une doctrine djihadiste

Après DESERT STORM, les forces britanniques et américaines, stationnées


en Arabie saoudite et au Koweït, assurent la surveillance de l’embargo décrété
par les Nations unies. Aux yeux de l’opinion publique arabe, non seulement
l’intervention coalisée contre l’Irak avait une légitimité douteuse, mais le
maintien de la présence occidentale en Arabie saoudite après la guerre n’avait
pas de raison d’être pour une large frange de la population arabe, et des
islamistes en particulier.
Les autorités saoudiennes s’inquiètent des effets de cette présence et du
risque qu’elle ne réveille les mouvements islamistes. Lors de son adresse au
Congrès, le 6 mars 1991, le Président Bush annonce clairement que les troupes
américaines seront retirées d’Arabie saoudite. Pourtant, 24 000 militaires
resteront sur place. Les États-Unis tenteront à plusieurs reprises d’obtenir
l’autorisation des Saoudiens pour augmenter ce nombre, mais ces derniers
souhaitent au contraire en limiter l’étendue et les prérogatives conformément aux
accords de coopération de 197715. Finalement, une date butoir est fixée en 1995,
qui ne sera toujours pas respectée. C’est à ce moment que les attentats terroristes
contre les États-Unis commenceront.
Les exigences saoudiennes de retrait seront réitérées à plusieurs reprises, afin
d’inciter les Américains à tenir leur promesse. Mais, par ignorance ou par
arrogance, l’Amérique méprise ces demandes, nourrissant ainsi l’opposition
saoudienne islamiste qui gagne en popularité en soulignant la « complaisance »
des autorités. Le 13 novembre 1995, un attentat à la bombe frappe la Garde
nationale saoudienne et la Vinnell Corporation, une compagnie privée
américaine, chargée de former les militaires saoudiens. L’attentat est alors
revendiqué par deux organisations de l’opposition radicale saoudienne – les
Tigres du Golfe et le Mouvement islamique pour le changement16 – et marquera
le début d’une série d’attentats anti-américains dans la région.
À ce stade, l’opposition islamiste en Arabie saoudite est forte et le
gouvernement craint d’être débordé « par sa droite », qui est également
représentée au sein même de l’élite dirigeante. Oussama Ben Laden n’est alors
que l’un des représentants de cette opposition radicale. En août 1996, il publie
une « Déclaration de Guerre » contre les États-Unis, considérés comme des
occupants illégitimes du territoire d’Arabie saoudite.

Il n’est plus actuel et plus acceptable de clamer que la


présence des Croisés est une nécessité et seulement une mesure
temporaire pour protéger [l’Arabie saoudite], spécialement si
les infrastructures civiles et militaires de l’Irak ont été
sauvagement détruites17 […]

Après l’attentat de juin 1996 contre les tours Khobar, Oussama Ben Laden
est expulsé du Soudan sous la pression des États-Unis. Il se réfugie en
Afghanistan, dans la région de Kandahar, où il poursuit sa lutte contre la
présence américaine en Arabie saoudite. Avec un bémol toutefois, car dès 1998,
les Taliban lui imposent comme condition, pour rester dans le pays, de
n’entreprendre aucun acte d’agression contre les États-Unis18 ; et comme nous
l’avons vu, rien n’indique que Ben Laden ait rompu cet accord. Pourtant, les
efforts des Taliban n’empêcheront par les États-Unis d’attaquer en octobre 2001,
ce qui alimentera l’idée que la capture de Ben Laden n’était qu’un prétexte pour
mener une Croisade.
Au début 1998, Ben Laden crée un mouvement, nommé « Front islamique
mondial pour le combat contre les Juifs et les Croisés » (Al-Jabhah al-Islamiya
al-’Alamiyah li-Qital al-Yahud wal-Salibiyyin), qui rassemble plusieurs groupes
djihadistes, dont les motivations sont énoncées dans une déclaration (« fatwa »)
du 23 février 1998 :

Premièrement, depuis plus de 7 ans les États-Unis


occupent la terre d’Islam dans sa partie la plus sainte, la
péninsule arabique, pillant ses richesses, imposant leur volonté
aux dirigeants, humiliant sa population, terrorisant ses voisins
et utilisant ses bases de la péninsule comme fer de lance pour
attaquer les peuples musulmans voisins.
Si quelques personnes ont dans le passé mis en cause
l’occupation, toute la population de la péninsule l’a
maintenant reconnue. La meilleure preuve de ceci est
l’agression continue des Américains contre le peuple irakien,
en utilisant la péninsule comme poste avancé, malgré le fait
que les dirigeants soient opposés à l’usage de leur territoire à
cette fin, mais ils sont sans aide.
Deuxièmement, malgré la grande dévastation infligée au
peuple irakien par l’alliance des croisés sionistes, et malgré le
nombre élevé de tués, qui a atteint plus d’un million… malgré
tout cela, les Américains sont de nouveau en train de répéter
ces massacres horribles, car ils ne sont pas satisfaits du blocus
prolongé imposé après une guerre féroce et dévastatrice. Ainsi,
ils sont prêts à anéantir ce qui reste de ce peuple et à humilier
leurs voisins musulmans.
Troisièmement, si les objectifs des Américains derrière ces
guerres sont religieux et économiques, ils servent aussi les
intérêts de l’état juif en détournant l’attention de son
occupation de Jérusalem et du meurtre de musulmans. La
meilleure preuve en est leur acharnement à vouloir détruire
l’Irak, le voisin arabe le plus puissant, et leur manœuvre pour
fractionner tous les états de la région comme l’Irak, l’Arabie
saoudite, l’Égypte et le Soudan en de petits états de papier et
qui par leur désunion et leur faiblesse garantissent la survie
d’Israël, et permettent la poursuite de la brutale occupation
croisée de la péninsule19.

Cette déclaration constitue en fait la base doctrinale de ce que l’Occident


appellera par la suite « Al-Qaïda ». Les attentats de la seconde moitié des années
90 attribués à Ben Laden montreront une grande cohérence stratégique avec
cette déclaration, d’où l’on pouvait déjà dégager les principales revendications
des Djihadistes :
- Le retrait de la présence américaine du territoire de l’Arabie saoudite, car
des non-croyants (chrétiens) ne sauraient occuper tout ou partie de la terre sacrée
d’Arabie.
- La levée de l’embargo contre l’Irak, car il est alors considéré comme une
manifestation de l’arrogance occidentale contre un pays musulman (et non pour
le soutien du régime de Saddam Hussein, considéré comme un « traître » en
raison de son hostilité à un régime islamiste).
- La cessation du soutien à l’État d’Israël, vu comme un outil pour maintenir
la division de la nation arabe.
Ainsi, contrairement aux affirmations fantaisistes qui ont suivi le 11
Septembre, et qui persistent depuis, on ne trouvait ici ni ambition mondiale
d’extension de l’Islam, ni Califat, ni guerre sainte contre la chrétienté dans le
monde, ni contre le monde Occidental, mais uniquement la lutte contre une
présence américaine au Moyen-Orient, perçue comme envahissante, arrogante et
déstabilisante. Le message était simple, clair et cohérent.
Mais à ce moment, le manque de sensibilité et d’intelligence politique du
gouvernement américain se manifeste dans une rhétorique maladroite qui utilise
très rapidement après le 11 Septembre le terme de « croisade » pour encadrer sa
lutte contre le terrorisme, plaçant une lutte légitime contre des activités
criminelles dans un contexte de lutte entre des sociétés différentes :

On aurait difficilement pu faire une gaffe aussi


indélicate. Le président Bush a juré dimanche « de
débarrasser le monde des malfaisants », et a averti : « Cette
croisade, cette guerre contre le terrorisme, prendra du
temps20. »

Il ne s’agit pas ici d’une simple erreur de vocabulaire, mais d’une idée plus
profonde, qu’illustre l’affirmation de George W. Bush à la délégation
palestinienne, lors des négociations avec Abou Mazen, Premier ministre
palestinien et Nabil Shaath, son ministre des Affaires étrangères, à Charm el-
Cheikh, en juin 2003 :

Je suis guidé par une mission de Dieu. Dieu m’a dit


George, va et combats ces terroristes en Afghanistan. Et je l’ai
fait. Alors Dieu m’a dit George, va et mets une fin à cette
tyrannie en Irak. Et je l’ai fait.

M. Erik Prince, fondateur et directeur de la compagnie de sécurité privée


Blackwater, mandatée pour exécuter les basses-œuvres de l’armée américaine en
Irak, et inculpé – mais jamais condamné – pour les meurtres causés par ses
employés, se déclarait lui-même comme un « croisé chrétien chargé d’éliminer
les musulmans et la foi musulmane de la surface du globe21 ».

Cette notion de « croisade » est relayée au sein des forces armées


américaines par des organisations comme l’Officer’s christian
fellowship (OCF) qui rassemble quelque 15 000 officiers supérieurs répartis sur
plus de 80 % des bases américaines, et dont le chef, le lieutenant général Bruce
Fister, définit les forces américaines comme des « ambassadeurs du Christ en
uniforme22 ». Dans les plus hautes sphères du commandement, cette idée est
portée par des officiers comme le lieutenant général Jerry Boykin, vice-sous-
secrétaire à la Défense, qui pense que George Bush a été choisi par Dieu et
devait dire à propos du terrorisme :

Notre ennemi spirituel sera vaincu seulement si nous allons


le combattre au nom de Jésus23.

Il en est même résulté un cours au Joint Forces Staff College de Norfolk sur
la « Guerre totale contre l’islam », qui préconisait la destruction par l’arme
nucléaire des villes comme Médine et La Mecque et soulignant l’invalidité des
conventions de Genève dans cette situation. Préparé par un cabinet de
consultants proches du parti républicain, le Strategic Engagement Group, le
cours a finalement été retiré du programme en avril 2012 après les plaintes de
plusieurs élèves, mais souligne que la lutte contre le terrorisme aux États-Unis se
base sur des notions extrêmement simplistes24.
Mais ce n’est pas tout, et l’idée d’une guerre religieuse contre l’islam
s’infiltre jusque dans les plus petits détails. La firme Trijicon, qui fournit des
dispositifs de visée pour les fusils d’assaut, a gravé sur tous ses viseurs ACOG
des références aux évangiles, à tel point que les fusils ainsi équipés ont été
surnommés « fusils de Jésus » en Afghanistan25 !
Après les attentats « hors normes » du 11 Septembre, le geste des terroristes
a été analysé de manière simpliste, comme un « acte de folie » ou le « début
d’une nouvelle guerre » contre l’Occident. Le point commun à toutes ces
« analyses » est qu’elles ont vu ces attentats hors contexte. Comme c’est le cas
aujourd’hui encore, afin d’éviter de confondre « explication » et « justification »,
on a esquivé la nécessité d’en trouver les causes profondes. Les interprétations
de l’événement sont alors empreintes de naïveté, et jouxtent la bêtise :

La télévision par satellite projette la société d’abondance


de l’Occident dans chaque hutte, dans chaque tente bédouine.
Il n’est donc pas surprenant que cela suscite des sentiments de
jalousie et de frustration26.

Or, pour les auteurs des attentats, il ne s’agissait pas de commencer une
guerre, mais plutôt de la terminer. La guerre avait commencé 10 ans plus tôt, en
1991, par une présence américaine ressentie comme illégitime. L’Occident a une
mémoire courte et une grande indulgence par rapport à ses propres actions.
Comme nous le verrons, les diverses interventions occidentales au Proche et
Moyen-Orient ont toutes été entourées d’une atmosphère de mensonges et de
tromperies, rapidement oubliée par l’opinion publique occidentale, mais bien
connue et très présente dans la mémoire des populations concernées. Ainsi,
depuis plus de 25 ans, avec une candeur affligeante, l’Occident n’a pas même
envisagé que ses tricheries et ses meurtres puissent provoquer une réaction.
Cette forme de déni n’est pas une exclusivité américaine. On se rappellera
que le même phénomène s’est produit après les attentats de janvier et novembre
2015 en France, où non seulement la politique extérieure n’a à aucun moment
fait l’objet d’une évaluation critique, mais en plus on a persisté dans une
direction qui ne pouvait que conduire à une aggravation dans le futur. Et
pourtant, Amédy Coulibaly dans sa vidéo posthume expliquait clairement que
son geste – et celui des frères Kouachi – était une conséquence directe de la
politique du gouvernement Hollande.
Les groupes djihadistes qui arriveront plus tard, après l’intervention
américaine en Irak, avec des structures plus ou moins définies, seront assimilés à
« Al-Qaïda ». Issus du combat, leur doctrine, cependant, sera très différente :
orientée sur la résistance à l’occupant. Leur action internationale visera
essentiellement à exercer une pression sur les forces occidentales déployées sur
le terrain en Irak. Elle sera exemplifiée en 2004 à Madrid, avec l’apparition d’un
nouveau concept avant la lettre : le « terrorisme de dissuasion », qui frappe les
pays impliqués dans la guerre sur leurs arrières (en Europe), afin de les inciter à
se retirer du conflit. Le même exemple sera repris un an plus tard à Londres.
Formalisée et définie de manière doctrinale, c’est une dynamique semblable qui
animera les attentats de 2015 à Paris.

Les frappes de 1998 – La route vers le 11 Septembre

Que les Américains aient compris ou non le message qui leur avait été
martelé à coup d’attentats dès 1995, pour retirer leurs troupes d’Arabie saoudite,
reste une question ouverte, même si les indices suggèrent que les États-Unis ont
préféré ignorer les divers coups de semonce des terroristes. Plus le temps passait,
plus il devenait difficile d’envisager un retrait des troupes américaines sans
sembler céder aux exigences terroristes et perdre la face. Il est toutefois évident
que les islamistes ont progressivement augmenté la pression jusqu’au 7 août
1998, avec deux frappes simultanées sur les ambassades américaines de Nairobi
et de Dar-Es-Salam.
La réponse américaine à ces attentats a été deux groupes de frappes
ordonnées par le président Bill Clinton et exécutées le 20 août 1998 sous le nom
de code INFINITE REACH. Effectuées au moyen de 79 missiles de croisière
lancés depuis des navires situés dans le Golfe persique, ces attaques visaient 4
camps d’entraînement dans la région de Khost-Jala-labad (Afghanistan) et le
complexe pharmaceutique Al-Shifa, près de Khartoum (Soudan). Basées sur des
informations non vérifiées et dépassées, aucune de ces frappes n’a touché de
cibles terroristes, mais elles ont causé plusieurs dizaines de victimes civiles. Au
Soudan, selon l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Khartoum, Werner Daum, la
destruction du complexe Al-Shifa – principal centre de production de
médicaments pour le Soudan – a causé « la mort de plusieurs dizaines de milliers
de personnes civiles27 ».
En fait, ces frappes ont été planifiées sur la base d’informations mal
analysées et, au final, n’ont pas atteint les objectifs visés. En 1999, un rapport
officiel du Département de l’énergie américain concluait – entre autres – que ces
frappes…
- Constituaient une justice douteuse, car elles n’avaient touché que des
innocents ;
- Avaient eu une efficacité discutable sur les capacités opérationnelles d’Al-
Qaïda ;
- Tendaient à démontrer que les USA avaient peur d’affronter directement
les terroristes ;
- Avaient suscité plus de projets terroristes ;
- Avaient frappé les Taliban, qui n’avaient probablement eu aucune
responsabilité sur les activités terroristes vu leur autorité limitée sur le
territoire28.
Rapidement oubliés en Occident, ces bombardements indiscriminés et
touchant exclusivement des victimes innocentes, depuis plusieurs milliers de
kilomètres, sans permettre aucune parade, et sans que leurs auteurs ne s’exposent
physiquement, ont généralement été perçus comme un acte de lâcheté :

Les attaques [de 1998] n’ont pas amélioré l’image de


l’Amérique auprès des moudjahidines que j’ai interviewés, qui
décrivent les missiles Tomahawk comme des armes de lâches,
qui ont trop peur de risquer leur vie au combat ou de regarder
leur ennemi dans les yeux29.

Ces attaques n’ont donc frappé que des innocents, qui n’avaient ni de près ni
de loin un lien avec les attentats de Nairobi et Dar-es-Salam. Les États-Unis
n’ont jamais fourni d’excuses ou de dédommagements aux victimes30.

L’Amérique – comme les autres pays occidentaux qui l’imitent – n’a pas
compris qu’on se situe déjà dans une logique asymétrique. En voulant montrer sa
force, elle a montré sa faiblesse aux yeux des islamistes : a) en manifestant le fait
qu’elle n’était pas disposée à mettre en jeu ses combattants (l’expérience de la
Somalie est encore proche) ; b) parce qu’elle n’avait pas été capable de savoir
d’où « venaient les coups » et c) parce qu’elle n’avait pas été capable de
reconnaître son erreur. Sans parler du fait qu’en frappant de manière aveugle des
populations civiles, les États-Unis se plaçaient dans la même posture que les
terroristes qu’ils voulaient combattre. Quelques jours après les frappes, le
magazine The Economist prophétisait que les bombardements avaient « créé 10
000 nouveaux fanatiques là où il n’y en aurait eu aucun31 ». Tandis que Louis
Freeh, directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI) devait d’ailleurs
déclarer qu’après ces frappes « il y aura[it] probablement plus d’attaques
[terroristes] et plus de morts32 ».
De plus, dans l’opinion publique américaine, ces frappes semblaient
constituer une manœuvre politique du Président Bill Clinton, alors empêtré dans
l’affaire Lewinsky et qui venait de comparaître devant le « Grand Jury » le 17
août. Pour de nombreux commentateurs de la politique intérieure américaine, les
attaques contre l’Afghanistan et le Soudan, le 20 août avaient pour objectif
« stratégique » de restaurer l’image du Président face à son opinion et de
« gommer » les contradictions de son témoignage. Si cette interprétation est
correcte, l’objectif réel des frappes n’aurait pas été le terrorisme, mais
l’opposition républicaine33. On évoque alors la « théorie du Wag The Dog », du
nom d’un film de fiction (diffusé en français sous le titre Des Hommes
d’influence) de 1997, réalisé par Barry Levinson, où l’état-major du Prési-dent
des États-Unis crée une situation de guerre afin de couvrir un scandale de mœurs
impliquant le Président.
Les commentateurs avaient raison. Le 25 août, le restaurant Planet
Hollywood du Cap, en Afrique du Sud, fait l’objet d’un attentat à la bombe qui
fait 25 morts et 26 blessés, revendiqué par les « musulmans contre une
oppression globale, un groupe islamiste inconnu, en représailles des
bombardements américains. Mais plus grave, on sait aujourd’hui que les
attentats du 11 Septembre ont été conçus comme une réplique de ces frappes par
les missiles de croisière.

Le 11 Septembre

On a beaucoup écrit sur les attentats du 11 Septembre (« 9/11»), qui ont


traumatisé les États-Unis et, par ricochet, le monde entier. Les nombreux points
d’ombre et les incohérences de la version officielle pour expliquer le
déroulement des événements ont suscité de multiples doutes et questionnements.
Quelques jours déjà après les attentats, une version alternative des événements
circulait, qui se retrouvera presque intégralement dans le livre de Thierry
Meyssan, L’Effroyable imposture34. Malgré les aspects troublants de la version
officielle, les explications alternatives restent très vagues sur le « Pourquoi ? »
d’un complot et encore trop floues pour permettre une remise en cause sérieuse
de la version officielle. Au risque de paraître superficiel, nous préférons mettre
ce débat entre parenthèses, afin de nous concentrer sur les aspects factuels qui
ont conduit à la dépréciation de notre environnement sécuritaire.
Un élément est certain : les islamistes revendiquent les attentats du 11
septembre et les considèrent comme « la plus grande opération spéciale de tous
les temps35 ». L’Occident a vu le 11 Septembre comme le début d’une nouvelle
guerre : les journaux titraient « Déclaration de Guerre », « L’Amérique en
Guerre » suggérant que l’événement était un point de départ. Nous avons vu les
événements qui ont motivé et conduit au 11 Septembre, qui confirment ce que
les islamistes disent eux-mêmes :

Le «9/11» n’était ni le début d’une guerre entre les


musulmans et l’Occident, ni la fin. C’était simplement un
épisode d’une longue guerre36 […]

Il est essentiel de comprendre la continuité dans laquelle s’inscrivent ces


événements, car elle signifie que les attentats « ne tombent pas du ciel », mais
sont fondamentalement prévisibles. Certes, le lieu, le mode d’action, l’objectif
opérationnel restent difficiles à anticiper (et sont alors du ressort du
renseignement opérationnel), mais il est possible de prévoir si un attentat a des
chances de se produire et, éventuellement, quelles sont les politiques à adopter
pour éviter que l’on arrive au point où des attentats sont commis, et c’est là le
rôle du renseignement stratégique. C’est aussi là que tous les services de
renseignement occidentaux ont failli. Incapables de lier les événements entre
eux, ils n’ont pas su en tirer les conclusions qui auraient permis d’élaborer de
véritables stratégies antiterroristes, au lieu de s’engager tête baissée dans des
conflits nouveaux.

LA GUERRE EN AFGHANISTAN

Les Taliban et « Al-Qaïda »

Malgré notre accès quasi illimité à l’information, nous avons évacué des
pans complets de l’Histoire pour ne garder qu’une « histoire officielle » qui
transcende les clivages politiques. C’est le cas du terrorisme, du rôle des
Taliban, de Ben Laden et autres, qui échappent désormais à un regard critique et
autorisent l’adoption de politiques absurdes et contre-productives avec des
conséquences dramatiques dans le long terme. C’est le cas de la guerre en
Afghanistan.

On attribue souvent la responsabilité de l’apparition du Djihadisme


et d’« Al-Qaïda » à l’intervention soviétique en Afghanistan, le 24
décembre 1979, qui aurait provoqué l’émergence d’un mouvement de résistance
islamique37. Or, la réalité est bien différente, et on oublie que l’intervention
soviétique était elle-même une réaction à une tentative occidentale de
déstabilisation.
On oublie également que l’Afghanistan des années 50-70 était probablement
le pays le plus avancé socialement en Asie centrale. Les femmes étudiaient,
pouvaient sortir seules dans les rues de Kaboul en portant des jupes jusqu’aux
genoux et sans voile38.
Mais cela était sans compter avec les États-Unis…
En février 1979, l’Ayatollah Khomeiny prend le pouvoir en Iran et fait
fermer en avril la station d’écoute électronique de la CIA à Tacksman.
Simultanément en Afghanistan, la réforme agraire provoque un mécontentement
croissant, et malgré les demandes répétées du président Taraki, l’URSS refuse
d’intervenir pour rétablir l’ordre. Il y a donc alors une opportunité pour les
Américains de stimuler une rébellion islamique en Afghanistan afin de
provoquer un renversement de régime et tenir en échec la présence soviétique
dans la région. Accessoirement, la CIA envisage d’y redéployer sa station
d’écoute, qui permet de surveiller tout le flanc sud de l’URSS. C’est ainsi que le
3 juillet 1979, comme le rappelle Robert M. Gates, ancien directeur de la CIA,
dans ses mémoires39, le Président Carter signe une directive qui autorise la CIA
à appuyer les moudjahidines en Afghanistan par des opérations psychologiques
clandestines et un soutien matériel40. C’est le début de l’Opération CYCLONE,
qui bénéficiera d’un budget de 4 milliards de dollars41 et par laquelle la CIA
équipera les islamistes afghans. La brutale montée de la violence islamiste qui en
résulte déborde dans les républiques méridionales de l’URSS et provoque le
coup d’État d’Hafizullah Amin à Kaboul en septembre 1979. C’est cette
situation qui force l’Union soviétique à intervenir en décembre 1979, provoquant
le début d’une guerre de 10 ans.
Dans un premier temps (jusqu’en 1983), les Soviétiques déploient au pied
levé leur 40e armée, configurée pour une guerre conventionnelle et mal préparée
pour un combat de contre-insurrection : leurs pertes sont élevées et leurs
résultats maigres. Progressivement, la 40e armée est totalement restructurée et,
dans un second temps (dès 1983), adopte de nouveaux concepts opératifs : les
unités blindées ont été supprimées et son ossature est désormais constituée
d’artillerie, d’unités de transmissions, de forces spéciales et d’hélicoptères.
L’autonomie des petites unités indépendantes est accrue, l’intégration des
moyens de combat est améliorée, provoquant assez rapidement une diminution
des pertes et une augmentation de l’efficacité opérationnelle42. À tel point que
les États-Unis décident dès 1986 de fournir à la résistance afghane des missiles
antiaériens portables Stinger dans le cadre de l’Opération CYCLONE. En tout,
quelque 2300 missiles seront fournis. L’objectif des Soviétiques est de maintenir
le gouvernement du président Amin et, après les tentatives infructueuses de
prendre le contrôle de certaines vallées au début des années 80, ils se
contenteront de superviser les principaux axes routiers et les grandes villes. Ils
abandonnent ainsi les vallées aux moudjahidines soutenus par l’Ouest, qui
développeront la culture industrielle de l’opium pour se financer, en l’absence
d’investissements gouvernementaux, dans une politique agricole cohérente.
D’un autre côté, comme auparavant les Français en Indochine et les Américains
au Laos et en Amérique du Sud face aux guérillas communistes, les Occidentaux
peuvent ainsi s’appuyer sur la loyauté des « seigneurs de la guerre » vivant du
trafic de la drogue.
En 1989, lorsque les Soviétiques quittent le pays, les multiples groupes de
moudjahidines, qui ne sont plus unis par un ennemi commun, règlent leurs
comptes entre eux et luttent pour le pouvoir. Des dizaines de mouvements
insurrectionnels du sous-continent indien se retrouvent rapidement en possession
des armes fournies par les Américains. Il en est ainsi des 200-300 Stingers non
utilisés qui ont une histoire incertaine et arriveront dans les mains de divers
groupes terroristes, en Iran, aux Philippines et au Tadjikistan43.
À cette époque, l’Afghanistan – et plus particulièrement sa capitale – est
livré aux combats entre factions. Comme souvent, les luttes fratricides sont les
plus brutales et les plus cruelles. Les lynchages et exécutions publiques – parfois
même dans un luxe de cruauté – sont quotidiens44. C’est dans cette atmosphère
que les Taliban (« Étudiants en religion »), partis du sud, conquièrent rapidement
et pratiquement sans combat l’ensemble du pays, à l’exception du nord qui reste
alors dans les mains du Tajik Ahmed Shah Massoud.

Les Taliban

D’origine sunnite, le mouvement des Taliban est apparu en septembre 1994


et est issu des écoles coraniques du sud de l’Afghanistan. Il se veut rassembleur
des différentes ethnies, tendances religieuses et familles politiques qui avaient
fait de la résistance afghane un amalgame hétéroclite de tendances souvent
opposées. Afin d’atteindre leur objectif d’unification de l’Afghanistan, les
Taliban ont basé leur doctrine sur une approche fondamentaliste. Leur conquête
de l’Afghanistan depuis la région de Kandahar s’effectue avec un large soutien
populaire. Dès leur installation au pouvoir, ils mettent en place un régime
rigoureux, qui a pour objectif – dans un premier temps tout au moins – de
rétablir la paix civile et l’ordre, supprimer le factionnalisme et permettre la
gestion de l’État.
Le régime de la charia – la loi islamique – est imposé et appliqué
sévèrement. Et même si la corruption, endémique et enracinée dans la culture
afghane, subsiste, le pouvoir des seigneurs de la guerre locaux est réduit et les
péages locaux sont supprimés. Le mouvement reçoit un assez large soutien
populaire, principalement parce qu’il apporte une forme de sécurité et élimine
l’anarchie et l’arbitraire qui régnaient sous le pouvoir des milices. Toutefois le
nouveau gouvernement taliban ne parvient pas à obtenir la reconnaissance
internationale qui permettrait un développement du pays45. Ses représentations
diplomatiques à l’étranger, y compris aux Nations unies, restent aux mains de
l’opposition de l’Alliance du Nord, et ne contribuent pas à générer le soutien
international nécessaire.
À la fin 1999, sous la pression extérieure, les Taliban acceptent d’interdire la
culture de l’opium, pourtant source de revenus importante depuis que la guerre
avec les Soviétiques a empêché tout effort pour le développement agricole dans
les zones montagneuses et fait de l’opium une lucrative exploitation de
substitution. Un décret interdisant la culture d’opium est publié le 27 juillet
2000. En 2000, les surfaces cultivées tombent de 82 000 ha à un minimum
historique de 8000 ha en 2001, et la production passe de 3000 tonnes en 2000 à
74 tonnes en octobre 200146. On notera qu’en 2014, après 13 ans de présence
occidentale, les surfaces cultivées atteindront 224 000 ha, faisant passer
l’Afghanistan du dernier au premier rang des pays producteurs en Asie du Sud47.
Mais les efforts des Taliban seront rattrapés par le 11 Septembre et ne serviront à
rien. Des sanctions seront imposées à l’Afghanistan pour ne pas avoir détruit les
stocks d’opium existants (qui, dans cette région, constituent l’équivalent d’une
épargne pour les petits paysans) et pour ne pas accepter de livrer Oussama Ben
Laden (dont personne ne pouvait – et ne peut encore aujourd’hui – démontrer la
culpabilité dans les divers attentats terroristes).
La conséquence de cette intransigeance occidentale a été de décrédibiliser la
frange modérée des Taliban, qui étaient favorables à des réformes, afin d’obtenir
une reconnaissance internationale et développer le pays. Ainsi, l’Occident a
largement contribué à renforcer l’aile dure du mouvement des Taliban en
Afghanistan.

Le « djihadisme » afghan

Les Taliban ne sont pas des Djihadistes, et n’ont jamais eu pour objectif de
diffuser leur doctrine à travers le monde. On peut noter ici qu’ils n’ont jamais été
désignés comme une organisation terroriste, ni par les États-Unis (pourtant très
prompts à enrichir leurs listes), ni par les Nations unies48.En revanche, ils
soutiennent – plus par conviction religieuse que par ambition politique ou
territoriale – les efforts des combattants islamistes de la région49, notamment le
conflit du Jammu-et-Cachemire, opposant l’Inde au Pakistan, et qui draine alors
des combattants islamistes du monde entier, qui s’installent dans les « zones
tribales » à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan. Ce sont ces
combattants qui seront capturés à la fin 2001 début 2002 par les forces spéciales
américaines et constitueront le premier contingent de prisonniers à Guantanamo.
En fait, les Taliban sont essentiellement concentrés sur les affaires afghanes
et luttent contre les chefs djihadistes locaux :

Les Taliban et Mollah Omar, en fait, se sont souvent définis


contre les autres leaders afghans qu’ils considèrent
représenter une pensée radicale panislamiste. Les Taliban se
moquaient de ces musulmans, qui comprennent Gulbuddin
Hekmatyar et Abdoul Rassoul Sayyaf, en les désignant
d’« Ikhwanis50 », leur expression pour désigner les
panislamistes radicaux51.

Les frappes américaines d’août 1998 changent quelque peu cette


posture, et rapprochent les Taliban des Djihadistes panislamistes dans
une défense de l’Islam52, sans toutefois les pousser dans le Djihad global. Le 21
février 2001, les Taliban offrent aux États-Unis d’extrader Oussama Ben Laden
en échange d’un accord sur les sanctions qui touchent le pays, mais, pour des
raisons qui n’ont jamais vraiment été éclaircies par la suite, le gouvernement
américain refuse.
Dans ce contexte, lorsque les Américains demandent aux Taliban de livrer
Ben Laden après le 11 Septembre, leur émissaire déclare au chargé d’affaires
américain d’Islamabad que si les États-Unis apportaient des preuves de
l’implication d’Oussama Ben Laden, le « problème pourrait être facilement
résolu53 ». Manifestement, à ce stade, les Taliban étaient prêts à extrader
Oussama Ben Laden dans un autre pays54, malgré des réticences de fond à
remettre un musulman à la justice « chrétienne ».
Mais les accusations de la communauté internationale contre Oussama Ben
Laden sont spéculatives et les documents américains fournis aux Taliban ne sont
pas convaincants. La Haute Cour de justice afghane, saisie de la question, juge
qu’il n’y a pas de preuve démontrant son implication dans les divers attentats
dont il est accusé, et refuse de le livrer. Alors, les Taliban demandent aux
Américains de faire une « proposition constructive » afin de résoudre la crise55.
Mais cette demande des Taliban ne sera jamais relatée comme telle dans les
médias occidentaux et il n’y aura pas de proposition américaine. C’est le
président américain qui « a refusé de manière péremptoire de fournir des preuves
que M. Ben Laden était derrière les agressions du 11 Septembre56 ».
Probablement pour la simple raison qu’à ce stade – comme jusqu’à ce jour – ces
preuves n’existaient pas.
Le 4 octobre 2001, afin de convaincre le Parlement et l’opinion publique
britannique, le gouvernement de Tony Blair produit un document de 70 points
sur « Al-Qaïda » et Oussama Ben Laden. Publié, ce document est considéré par
la presse britannique comme un tissu de « conjectures, suppositions et
affirmations de faits57 » et « presque sans valeur d’un point de vue juridique58 ».
La plupart des accusations sont des extrapolations à partir d’observations faites
en 1998 et dont très peu concernent les attentats du 11 Septembre. On y peut lire,
par exemple, que Ben Laden était impliqué dans le trafic de drogue (ce qui n’a
jamais été le cas, ni de près, ni de loin), ce qui permet à Tony Blair d’invoquer
l’interruption de la production d’opium comme une raison d’intervenir en
Afghanistan.
En réalité, les preuves de l’implication d’Oussama Ben Laden n’intéressent
personne. Le 16 octobre 2001, les Taliban proposent une nouvelle fois au
gouvernement américain d’extrader Oussama Ben Laden, sans même alors
exiger les preuves de son implication, en échange de l’arrêt des bombardements
qui affectent les populations civiles59. Mais une fois de plus, le gouvernement
américain refuse.
L’invocation par l’OTAN de l’article 5 de sa Charte, le 12 septembre 2001 –
« […] une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles […] sera
considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties […] », qui permet
l’usage de la force dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations unies sur
la légitime défense, pour attaquer l’Afghanistan – était pour le moins tirée par les
cheveux. Cet article avait été établi pour la situation où un membre de l’Alliance
aurait été victime d’une agression de la part d’un autre pays. Mais pour le cas de
l’Afghanistan, il s’agissait de répondre à une agression menée contre les États-
Unis par un petit groupe d’individus de nationalité saoudienne, sans liens avec le
gouvernement afghan, qui avaient préparé leurs attentats en Allemagne et aux
États-Unis.

La confusion des genres

L’opération ENDURING FREEDOM en Afghanistan (OEF-A), conduite par


les États-Unis avec la participation de la Grande-Bretagne, a été lancée
unilatéralement le 5 octobre 2001, sans autorisation du Conseil de sécurité des
Nations unies. Elle sera suivie d’une seconde opération, mandatée par les
Nations unies le 20 décembre 2001 par la Résolution 1386, qui sera conduite par
l’OTAN dès le 11 août 2003 sous l’appellation d’International Security
Assistance Force (ISAF). L’ISAF n’a pas un mandat de combat, mais
uniquement d’assistance aux autorités intérimaires afghanes pour instaurer la
sécurité dans une zone initialement limitée à Kaboul. Entre 2004 et 2006, l’ISAF
étendra progressivement ses activités à toutes les provinces du pays.
Ainsi, l’intervention en Afghanistan a une composante légitime (l’ISAF)
sous mandat des Nations unies, et une composante « illégale » aux yeux du droit
international (l’OEF-A) sous commandement américain. La première a un
mandat de consolidation de la paix, tandis que la seconde mène une guerre. La
coexistence de deux opérations militaires d’envergure, avec des objectifs
différents, sous des commandements différents, sur le même théâtre
d’opérations, s’est rapidement traduite par l’utilisation d’éléments logistiques
communs et a abouti, en août 2009, à une fusion des deux opérations. Ainsi le
mandat initial de consolidation de la paix a-t-il été considérablement dilué,
comme le confirme le général américain David McKiernan, commandant de
l’ISAF :

Le fait est que nous sommes en guerre en Afghanistan. Ce


n’est pas du maintien de la paix. Ce ne sont pas des opérations
de stabilité. Ce n’est pas de l’assistance humanitaire. C’est la
guerre60.

Cette collision de mandats au sein de l’ISAF suscitera de nombreuses


discussions d’ordre juridique et politique au sein de la coalition. Au final, les
deux missions, aux objectifs parfois contradictoires, étaient menées par les
mêmes nations. Comme cela avait été le cas à Beyrouth en 1983, et en Somalie
en 1993, la présence simultanée de combattants et de soldats de la paix –
provenant parfois des mêmes pays – ne pouvait assurer une cohérence propre à
stabiliser la situation. Il en est résulté une confusion pour la population locale et
pour les forces en présence, qui ne pouvait que conduire au désastre.
Non seulement l’Occident s’est engagé avec une légitimité contestable dans
des conflits aux objectifs vagues, mais il a été incapable de présenter une
cohérence stratégique qui aurait pu faciliter les opérations, voire générer
l’adhésion des populations locales. On retrouvera le même phénomène en Irak,
en Libye et en Syrie. Un autre exemple de confusion stratégique, qui a affecté la
guerre d’Afghanistan, a été la mise en place des « Provincial Reconstruction
Teams » (PRT).
En 2002, les États-Unis ont réalisé que les actions militaires de l’opération
ENDURING FREEDOM ne permettraient pas, à terme, de résoudre le problème
afghan. Est né alors le concept des PRT qui consiste à mettre en place des
noyaux de reconstruction économique et sociale dans les zones fraîchement
libérées des Taliban. Il s’agit d’exploiter une dynamique de succès et de faire
passer le plus rapidement possible les populations libérées dans une logique de
développement et les sortir d’une logique de combat.
Le concept – pertinent en soi – avait déjà été appliqué au Vietnam. Mais le
travail de fidélisation des populations avait là-bas fait l’objet d’un travail de
proximité, alors que les PRT en Afghanistan se sont concentrés sur certains
centres urbains et n’ont qu’un effet limité auprès des populations locales,
largement inféodées aux seigneurs de la guerre locaux61. Par ailleurs, dans la
phase initiale du projet, des PRT sont installés au nord du pays, dans des zones
peu ou pas touchées par le conflit et où les organisations humanitaires opèrent
déjà sans obstacles majeurs, créant ainsi une confusion. En termes de stratégie,
alors que les PRT dans les zones de combat constituent une tentative de
« civiliser » une zone militaire, les PRT des zones plus calmes « militarisent »
une zone qui n’en n’a pas besoin. Ces PRT sont donc exactement le type
d’engagement qu’il faut éviter dans une stratégie de lutte contre le terrorisme :
ils ont donné le sentiment d’une occupation étrangère du pays et assez
rapidement provoqué une recrudescence des activités des Taliban.
Ainsi, l’extension progressive de la présence de l’OTAN en Afghanistan est
suivie presque « mathématiquement » d’une augmentation de l’activité terroriste,
et des attentats-suicides. Dès 2003, l’OTAN – qui n’avait jusque-là qu’une
présence à Kaboul – est autorisée à couvrir l’ensemble du pays. Cette extension
s’effectue par phases : Phase I : le nord (2004) ; Phase II : l’ouest (2005) ; Phase
III : le Sud (été 2006) et Phase IV : l’est (automne 2006). Parallèlement, le
nombre d’attaques-suicides dans le pays, qui avaient été au nombre de 15 entre
2002 et 2005, passe à 93 en 2006, 137 en 2007 et 136 en 200862.
La guerre en Afghanistan présente les mêmes travers que l’on trouve dans les
autres conflits récents : des prétextes fallacieux, présentés par les États-Unis à
une communauté internationale peu critique et une action internationale aux
objectifs opaques, où se mélangent de manière désordonnée des aspects
religieux, sociétaux et sécuritaires. La prééminence des États-Unis dans des
opérations internationales et leur faible sensibilité culturelle pour affronter ces
situations hybrides ont considérablement nui à l’image et à la crédibilité de la
communauté internationale dans le monde, aggravant encore le clivage entre les
mondes occidental et musulman.

LA GUERRE EN IRAK
Après la guerre du Golfe en 1991, l’idée de renverser Saddam Hussein reste
vivace aux États-Unis. Immédiatement après le conflit, le gouvernement
américain entreprend une campagne de désinformation intense, afin de préparer
le terrain pour un renversement de pouvoir par l’opposition. La CIA mandate le
Rendon Group63, une entreprise de communication et de relations publiques
basée à Boston, avec un budget de 23 millions de dollars pour publier des
brochures, livres et autres médias destinés à ridiculiser Saddam Hussein et son
régime et à encourager les membres de ses forces de sécurité à déserter. En
1992, le Rendon Group contribue à la création d’un mouvement d’opposition
irakien appelé « Iraqi National Congress » (INC), à la tête duquel est placé
Ahmed Chalabi, en octobre. Au total, entre 1992 et 2004, la CIA versera quelque
100 millions de dollars à l’INC par l’entremise du Rendon Group.
L’INC est composé d’opposants au régime en Irak avec des antennes hors du
pays. Fortement contestés par la CIA qui leur reproche la mauvaise qualité de
leurs informations et leur absence de sens moral, Chalabi et son INC fourniront
une majorité des informations concernant les armes de destruction massive
irakiennes. En fait, l’INC a tout intérêt à provoquer une intervention occidentale
et n’hésite pas à désinformer l’Occident avec la complicité du vice-président
Richard (Dick) Cheney et du sous-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz, dont
il s’attire les bonnes grâces.
Déjà en 1990, les États-Unis ont réclamé un embargo contre l’Irak qui sera
entériné par le Conseil de sécurité des Nations unies. Son objectif premier est de
forcer l’Irak à se retirer du Koweït et à payer des réparations. Mais il y a un autre
but. Les objets sur lesquels porte l’embargo (notamment les médicaments) sont
de nature à provoquer une révolte de la population contre le régime de Saddam
Hussein.

Depuis que l’embargo a été imposé à l’Irak le 6 août


[1990] après l’invasion du Koweït, les États-Unis se sont
opposés à tout assouplissement en pensant qu’en rendant la vie
difficile au peuple irakien, cela l’encouragera à renverser
Saddam Hussein du pouvoir64.

Il s’agit, en fait, de la même stratégie que celle qui avait été appliquée à
l’Allemagne et au Japon durant la Seconde Guerre mondiale : frapper les
populations civiles afin de les couper de leurs dirigeants et de les monter contre
eux. Au final, non seulement la population irakienne ne s’est pas révoltée, mais
les conséquences humaines ont été terribles.
Selon les Nations unies, cet embargo aurait causé la mort de plus d’un demi-
million d’enfants irakiens65. Le 12 mai 1996, Madeleine Albright66, alors
ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies à New York, apparaît
dans une émission télévisée consacrée à l’embargo en Irak :

La journaliste : « Nous avons appris qu’un demi-


million d’enfants sont morts. C’est plus que le nombre
d’enfants morts à Hiroshima. Est-ce que le prix en vaut la
peine ? »
Réponse de Mme Albright :
« Je pense que c’est un choix difficile, mais nous pensons
que le prix en vaut la peine. »

Qu’il y ait eu effectivement 500 000 enfants victimes de l’embargo ou 170


000, comme le prétendent d’autres, n’est pas la question ici. Il suffit de mettre
cette réponse en perspective avec l’émoi causé par la photographie du petit
Eylan échoué sur les côtes de Turquie en septembre 2015, pour constater
l’hypocrisie dont l’Occident fait parfois preuve et la complaisance à l’égard de la
politique américaine.
Si pour la grande partie de l’opinion publique occidentale, la guerre du Golfe
s’était terminée en 1991, il n’en était rien pour la population irakienne. Sitôt la
guerre finie, les ÉtatsUnis, la Grande-Bretagne et la France invoquent la
Résolution 688 du Conseil de sécurité des Nations unies67 pour instaurer des
zones d’interdiction de vol au nord et au sud de l’Irak (Opérations NORTHERN
WATCH et SOUTHERN WATCH). En fait la « 688 » ne mentionne aucune
mesure de la sorte, et le secrétaire-général de l’ONU d’alors, Boutros Boutros
Ghali, confirmera en 2003 que la décision de ces trois pays était illégale. La
définition de ces zones a été le prétexte pour mener des frappes tous les deux
jours sur l’Irak entre 1991 et 2003. Leur fonction « humanitaire » a, en réalité,
essentiellement couvert les incursions de l’armée turque contre les positions
kurdes au nord de l’Irak.
Au début 1998, après que la présence d’agents de la CIA au sein de la
Commission de vérification des Nations unies (UNSCOM)68 a été mise à jour (et
qui sera confirmée par Bill Tierney, l’agent lui-même69), le gouvernement
irakien décide d’arrêter la coopération avec les Nations unies. Cette décision
provoquera dans un premier temps l’établissement par le président Bill Clinton
de l’Iraq Liberation Act en octobre 1998, qui vise au renversement de Saddam
Hussein70.
Dans un deuxième temps, les États-Unis lanceront une campagne de frappes
contre l’Irak sous le nom d’Opération DESERT FOX, en prétextant que l’Irak a
expulsé la mission des Nations unies. Cette affirmation sera répétée par Colin
Powell le 5 février 2003 lors de la réunion du Conseil de sécurité qui décidera de
la guerre. Mais elle est mensongère. En effet, le chef de l’UNSCOM, Richard
Butler, écrira dans ses mémoires que le départ d’Irak lui a été suggéré par
l’ambassadeur américain, afin de protéger les inspecteurs onusiens des frappes
américaines71.
L’objectif officiel de DESERT FOX était de dégrader les capacités
irakiennes de production d’armes de destruction massive. Or, en réalité, sur les
100 objectifs identifiés pour l’opération, seuls 13 concernaient de près ou de loin
d’éventuelles installations liées aux armes de destruction massive. Les autres
objectifs visaient le gouvernement irakien et les forces armées irakiennes72. La
déclaration de Saddam Hussein de ne plus coopérer avec les pays occidentaux
après ces frappes, qui enfreignaient pourtant clairement le droit international,
constituera l’un des prétextes de l’invasion 5 ans plus tard.
Trop souvent, les crimes occidentaux – accomplis sous la bannière des Droits
de l’homme et du droit humanitaire – sont empreints de notre bonne conscience
et sont commodément évacués de notre mémoire collective. Mais ils restent
encore vivaces dans la mémoire des populations locales, comme l’illustre la
fatwa du 23 février 1998 d’Oussama Ben Laden. Il était donc évident qu’une
intervention en Irak allait réveiller ces sentiments mitigés à l’égard de
l’Occident :

[…] Ironiquement, une invasion et une occupation de l’Irak


au nom de la lutte contre le terrorisme causera probablement
une augmentation des attaques anti-américaines de la part de
sources islamiques fondamentalistes. L’administration Bush a
simplement remplacé une présence militaire dans une nation
qui abrite les lieux saints de l’Islam par une occupation armée
dans une autre. L’Irak a aussi des lieux saints, et est le berceau
et le centre académique et spirituel de l’Islam chiite.
L’administration devrait se rappeler que l’occupation
soviétique « infidèle » de la nation islamique d’Afghanistan
durant les années 80 a attiré des combattants fanatiques du
monde entier dans l’opposition. […] Le monde islamique
perçoit la guerre américaine contre le terrorisme comme une
guerre contre la foi73.

C’est dans ces événements qu’il faut voir le point de dé-part des velléités
djihadistes. Un mélange d’incompréhension et de manœuvres, qui a mis en doute
la sincérité de l’intervention occidentale au Moyen-Orient et qui, renforcée par
des propos très maladroits à connotation religieuse, n’a fait que consolider les
conditions d’un Djihad pour les islamistes radicaux.
En octobre 2001, des envois postaux contenant des germes d’anthrax et
adressés à certaines personnalités (journalistes, juifs et affiliés au parti
démocrate) sont immédiatement perçus comme étant dans le prolongement des
attaques de septembre et l’incident est rapidement connu sous le nom
d’« Amerithrax ». Dès son apparition, l’Amerithrax présentait toutes les
caractéristiques d’un problème intérieur aux USA, mais sa coïncidence avec les
événements de septembre 2001 a orienté les recherches des services de
renseignement vers l’Irak et les réseaux « Al-Qaïda ». Or, la nature des objectifs
et la séquence des attaques dans le temps, de même que la nature des souches
d’anthrax, tendaient à exclure l’implication de l’Irak, qui avait pourtant été
montré du doigt par le Federal Bureau of Investigation (FBI) américain, et dont
on avait évoqué les liens avec des agents d’« Al-Qaïda74 ». Le 28 octobre, le FBI
annonçait l’abandon des investigations en relation avec le réseau « Al-Qaïda » et
la réorientation de son enquête sur une piste criminelle américaine.
Après le 11 Septembre, l’Irak devient pour les États-Unis la cause de toutes
les activités terroristes dans le monde. Alors que, dans les semaines qui ont suivi
le « 11 Septembre », le public américain n’y avait pas immédiatement associé
l’Irak ; début 2003, 44 % des Américains estimaient que les terroristes étaient
irakiens, tandis que 45 % étaient convaincus que Saddam Hussein était
personnellement impliqué dans ces attentats75.
Le message alors martelé par le président George Bush et les membres de
son administration imprime dans la tête des Américains l’idée d’un lien
organique entre le terrorisme et Saddam Hussein. Le secrétaire à la Défense
Donald Rumsfeld affirme détenir les preuves « irréfutables » de l’implication de
l’Irak dans le 11 Septembre76. C’est évidemment un mensonge éhonté : on sait
aujourd’hui que ces liens sont sortis de l’imagination de l’administration Bush77.
Pourtant, malgré la publication du rapport de la commission d’enquête du
Congrès qui souligne l’absence de liens entre l’Irak et « Al-Qaïda », le vice-
président Richard (Dick) Cheney persiste dans une interview avec CBS News en
2004 :

Il y avait clairement une relation. Nous avons témoigné à


ce sujet. Les preuves sont accablantes […] « La presse, avec
tout le respect que je lui dois est souvent paresseuse, et souvent
ne publie que ce que quelqu’un d’autre a dit sans effectuer son
travail78. »

avant de faire marche arrière en 2009, dans une interview avec NBC News, où il
déclare qu’il n’y a jamais eu aucun lien entre l’Irak et les terroristes
djihadistes79.
Si aujourd’hui la manipulation liée aux armes de destruction massive
apparaît comme une raison majeure pour l’intervention américaine en Irak,
l’importance du lien fabriqué entre l’Irak et les auteurs des attentats du 11
Septembre ne doit pas être sous-estimée. En fait, pour une majorité
d’Américains, ce lien était une raison beaucoup plus valable d’intervenir en Irak
que les armes de destruction massive. Au final, non seulement l’intervention en
Irak a été soutenue par 72 % des Américains, qui n’ont rien compris à la guerre
dans laquelle ils s’engageaient, mais la cote de popularité du président Bush a
bondi à la fin mars 2003 pour atteindre 71 % d’opinions positives80. Les mêmes
causes ayant les mêmes effets, c’est le même mécanisme que l’on observera en
France en 2015.

Caprices américains – Incapacité européenne

L’imposture des armes de destruction massive irakienne, qui a fourni le


prétexte pour l’invasion américaine, a été très largement couverte dans les
médias et la littérature. La publication de faux rapports, le choix délibéré
d’accorder un crédit indu à des sources dont on savait déjà à ce moment qu’elles
n’étaient pas fiables, et la distorsion volontaire de faits qui étaient tous déjà
connus et n’ont pas changé depuis 2002, font de l’intervention des États-Unis (et
de leurs alliés81) une entreprise illégale, illégitime, et de nature criminelle. Nous
n’y reviendrons donc pas ici. Dans les faits, le président des États-Unis et ses
acolytes voulaient attaquer l’Irak déjà bien avant le 11 Septembre, et ils ont tout
mis en œuvre pour y parvenir.
Le 11 septembre à 12 heures déjà, dans le National Military Command
Center, alors que le directeur de la CIA évoque l’interception d’une conversation
téléphonique d’Oussama Ben Laden pour désigner le coupable, le secrétaire à la
Défense Donald Rumsfeld déclare que l’information est « vague », « pourrait ne
rien signifier du tout » et être une « base trop fragile pour y accrocher son
chapeau » ; l’idée de riposter sur l’Irak est déjà présente. Dans le journal qu’il est
chargé de tenir, l’un des assistants du ministre prend note de l’ordre de préparer
des frappes sur l’Irak, avec la recommandation suivante :

Allez-y massivement ! Balayez tout, que cela soit lié [à


l’attentat] ou non82 !

Le 12 septembre 2001, lors d’une réunion de travail pour


déterminer la nature de la réponse à apporter au 11 Septembre, et alors
que l’on évoque le bombardement des infrastructures afghanes d’« Al-Qaïda »,
Donald Rumsfeld répond qu’il n’y a pas assez d’objectifs en Afghanistan pour
une campagne de bombardements et qu’il faut donc bombarder l’Irak! Le chef
de la lutte antiterroriste, Richard Clarke, lui fait alors remarquer que l’Irak n’est
pour rien dans cette affaire « mais cela n’a fait aucune différence83».
L’éthique n’y trouve certes pas son compte, mais il faut admettre que
l’entreprise a été menée de manière cohérente. Ce qui est moins compréhensible
est l’absence de réaction des pays qui étaient opposés à cette intervention et
l’incapacité de leurs services de renseignement à démontrer la désinformation et
les mensonges produits par les États-Unis et la Grande-Bretagne, car toute
l’information était disponible avant l’invasion. La seule chose qu’a apportée
l’intervention américaine a été de confirmer des informations qui avaient déjà été
largement validées précédemment… mais délibérément mises de côté par les
services de renseignement, par les politiques et la presse. Ainsi, outre les pannes
des services américains, ce que révèle la genèse de la guerre en Irak est
l’insuffisance du renseignement stratégique des autres pays occidentaux.
La valeur exagérée accordée, par les services de renseignement américains et
britanniques, aux déclarations de réfugiés et membres de l’opposition irakienne
en ce qui concerne les armes de destruction massive, entre également dans la
mauvaise gestion du cycle du renseignement. Les déclarations de George Tenet,
alors directeur de la CIA, confirment indirectement ces faiblesses :

La question brutalement posée à propos de l’Irak est :


avions-nous « raison » ou avions-nous « tort » ? Dans le
métier du renseignement, vous n’avez presque jamais
complètement tort ou complètement raison… Comme
professionnels du renseignement, nous suivons l’information
où elle nous conduit. Nous ne craignons aucun fait ou
information, qu’elle nous soutienne ou non. […] Aurais-je dû
ignorer ou rejeter ces rapports ? Absolument pas84 !

Cette réponse peut satisfaire l’homme de la rue, mais pas le professionnel du


renseignement, car elle n’explique pas pourquoi on a utilisé des informations
sans savoir dans quelle mesure elles étaient correctes, comment on a déterminé
qu’elles étaient correctes et ce que l’on a fait pour les confirmer (ou les infirmer)
avant qu’elles n’arrivent dans l’environnement du président.
Le renseignement n’est efficace que s’il peut s’exprimer librement, en
fonction de la réalité du terrain et non en fonction des attentes du décideur. C’est
un point essentiel. Or, les services de renseignement ont souvent tendance à
« précuire » et à adapter le produit analytique pour qu’il corresponde mieux aux
vues du décideur, afin qu’il soit mieux accepté. C’est ainsi que Greg Thielmann,
analyste du Bureau de renseignement et de recherche85 (INR) du Département
d’État, désigné comme officier de liaison pour le renseignement auprès de John
R. Bolton, sous-secrétaire d’État pour le contrôle des armements, et dont les
vues sur l’Irak ne correspondaient pas à celles du sous-secrétaire d’État, a été
rapidement écarté des réunions de travail sur l’Irak86.
C’est aussi ce qui s’est produit avec les divers rapports adressés par les
services de renseignement américains et britanniques à leurs gouvernements
respectifs avant la guerre en Irak. Le 11 octobre 2002, le Congrès américain
vote87 une résolution autorisant le Président Bush à attaquer l’Irak, si l’Irak
n’obtempère pas aux décisions de l’ONU. Ce vote est basé sur un « National
Intelligence Estimate » (NIE)88 distribué aux parlementaires le 1er octobre 2002.
Ce document, mal rédigé, sans substance et sans réelle documentation des faits,
fera – plus tard – l’objet de vives critiques de la part de professionnels du
renseignement. Début juillet 2004, la Commission du Sénat sur le renseignement
a publié un rapport relevant les « distorsions » de l’information contenue dans
les rapports de la CIA. Elle illustre son propos en mentionnant le « White
Paper » consacré aux armes de destruction massive en Irak89, publié le 4 octobre
2002 à l’intention du public américain et basé sur le NIE distribué au Congrès.
La commission sénatoriale relève que la version destinée au public est
beaucoup plus catégorique que la version classifiée. Les expressions telles que
« nous jugeons » ou « nous estimons », qui figurent dans la version classifiée,
ont été supprimées et laissent apparaître ces estimations comme des faits avérés
dans la version publique.
Par exemple, le NIE classifié mentionnait que :

La plupart des agences croient en l’intérêt personnel de


Saddam et les tentatives agressives de l’Irak pour obtenir des
tubes d’aluminium à haute résistance pour des rotors de
centrifugeuses – de même que les tentatives de l’Irak
d’acquérir des aimants, des machines d’équilibrage à haute
vitesse, et des machines-outils – fournissent des preuves
accablantes que Saddam est en train de reconstituer un effort
pour enrichir de l’uranium pour le programme d’armes
nucléaires de Bagdad. (Le Département de l’énergie (DoE) est
d’accord avec le fait qu’un programme nucléaire est en cours,
mais estime que les tubes ne font probablement pas partie de
ce programme)90.

Alors que le document non classifié était plus catégorique:


Les tentatives agressives de l’Irak pour obtenir des tubes
en aluminium à haute résistance inter-dits sont un souci
significatif. Tous les experts du renseignement sont d’accord
avec le fait que l’Irak est en train de chercher des armes
nucléaires et que ces tubes pourraient être utilisés dans un
programme d’enrichissement d’uranium. La plupart des
spécialistes du renseignement estiment qu’il s’agit là de leur
usage prévu, mais quelques-uns pensent que ces tubes sont
probablement destinés à des programmes d’armes
conventionnelles91.

Lorsque le NIE du 1er octobre 2002 cite « la plupart des agences », il se


réfère aux agences analytiques que sont la Central Intelligence Agency (CIA) et
la Defense Intelligence Agency (DIA) et aux agences de collecte que sont la
National Security Agency (NSA)92 et la National Geospatial-intelligence
Agency (NGA). Alors que ces deux dernières étaient d’accord avec l’idée que
les tubes pouvaient être destinés à un programme nucléaire, les agences
analytiques étaient partagées sur la question : la CIA et la DIA pensaient que les
tubes étaient liés à un programme nucléaire, alors que le Département de
l’énergie et le Bureau de renseignement et de recherche (INR) du Département
d’État pensaient que les deux objets n’étaient probablement pas liés.
Prétendre que le « White Paper » a été une tentative de manipuler l’opinion
reste cependant discutable. Dans le souci de rendre le document accessible à un
large public, le NIE a été raccourci, certaines réserves ont été dépersonnalisées –
en retirant la mention de l’agence de renseignement qui était dubitative –, faisant
de l’ensemble un document plus catégorique que l’analyse ne le permettait,
même au sein des services. Sans entrer ici dans la polémique, cet exemple
montre la difficulté pour un service de renseignement à retranscrire de manière
concise toutes les nuances d’une situation dans un document court. Ce problème
se pose lorsqu’il s’agit de donner au décideur politique un document à la fois
complet et suffisamment réduit pour qu’il puisse le lire : les subtilités de langage
doivent souvent être gommées et le message final peut apparaître plus tranché.
Les informations rendues publiques par Colin Powell, le 5 février 2003,
devant le Conseil de sécurité de l’ONU sur les « laboratoires mobiles d’armes
biologiques irakiennes », provenaient de 4 sources : une source désignée « Red
River » par la CIA, qui n’avait pas satisfait au test du détecteur de mensonges ;
les sources « Curveball » et « Red XXXX», dont la « fiabilité et les informations
n’avaient pas été évaluées », informations qui « contenaient des incohérences
nécessitant des vérifications supplémentaires », selon l’avertissement donné par
l’Agence de renseignement de la défense (DIA)93 à la CIA ; et une autre source
que la DIA avait taxée du qualificatif d’« affabulateur94 » !
Finalement, les États-Unis et la Grande-Bretagne décideront d’attaquer l’Irak
sans avoir l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, bafouant ainsi
un des fondements de la Charte de l’ONU, comme le précise le Secrétaire
général de l’ONU d’alors, Kofi Annan :

[L’attaque] n’était pas en conformité avec les


règles de la Charte des Nations unies. Du point de
vue de la Charte, c’était illégal 95.

L’invasion de l’Irak s’est avérée être un fiasco complet, à l’origine de la


montée des mouvements islamistes dans la région et de la déstabilisation de la
Syrie. Or, ces conséquences que l’on feint de voir comme une fatalité
surprenante étaient parfaitement prévisibles.
En effet, les rapports de forces entre chiites et sunnites étaient connus et,
comme l’avait évoqué Dick Cheney en 1994, plaçaient les États-Unis face à un
choix entre la peste et le choléra : soutenir la majorité chiite équivalait à
valoriser le rôle régional de l’Iran, tandis qu’un appui aux mouvements sunnites
encourageait de facto les groupes djihadistes. Les états-majors américains ont
très clairement sous-estimé l’importance du problème et sont entrés en Irak sans
stratégie définie pour la reconstruction du pays.
Le soutien inconditionnel des États-Unis au gouvernement Maliki96 et
l’appui matériel à ses exactions contre les dissidents politiques sunnites97 ont été
un formidable tremplin pour l’opposition djihadiste et ont largement contribué à
encourager les extrémistes98.

Mensonges et incompétences britanniques

La participation de la Grande-Bretagne sera largement le fait de la candeur et


du manque de rigueur éthique du Premier ministre Tony Blair, qui mentit à
l’opinion publique et au Parlement afin de suivre les États-Unis dans l’aventure
irakienne. La posture de Tony Blair est alors en grande partie due à ses échecs en
politique intérieure et les critiques dont il faisait l’objet pour n’avoir pas tenu ses
promesses, ainsi que le confirme un mémorandum secret écrit par Colin Powell
– alors secrétaire d’État – à George W. Bush en mars 2002, en vue du sommet de
Crawford, en avril 200299.
En Grande-Bretagne, dès 2002, le gouvernement Blair a fait face à une
opposition massive de sa population contre la guerre, car le bon sens populaire y
voyait une impasse. La mobilisation contre la guerre à travers le monde à ce
moment-là est considérée comme la plus importante de l’Histoire avec une
participation de 10 à 30 millions de personnes. À Londres, le 16 février 2003, 2
millions de citoyens se rassemblent pour protester contre la guerre100. La
réponse de Tony Blair est d’organiser, avec les services de renseignement
britanniques, une campagne de désinformation afin de convaincre son peuple et
le Parlement du bien-fondé de sa décision. Quant au ministre des Affaires
étrangères, Jack Straw, il rejette l’avis de son conseiller juridique qui confirmait
que la guerre en Irak serait illégale101.
Après l’attentat meurtrier du 7 juillet 2005 dans le métro londonien, puis la
tentative d’attentat du 21 juillet 2005, il faut éviter que le peuple ne fasse
pression sur le Parlement, comme cela avait été le cas un an plus tôt en Espagne.
Questionné sur les raisons des attentats, Tony Blair nie catégoriquement toute
relation avec la guerre en Irak102.
Le rapport officiel de la Commission du renseignement et de la sécurité
britannique, dans son évaluation des causes de l’attentat du 7 juillet 2005 à
Londres, se concentre sur les aspects policiers et n’évoque à aucun moment la
politique étrangère du gouvernement Blair, ni les mensonges – déjà connus alors
– qui ont servi à justifier l’alignement britannique sur les États-Unis pour
attaquer l’Irak, contribuant ainsi à l’illégitimité de cette guerre aux yeux des
islamistes103. Parmi les milliers d’ouvrages et d’articles consacrés au terrorisme,
très peu étudient la genèse des attentats, comme si chaque événement était
unique, issu d’une impulsion soudaine et aléatoire de quelque cerveau dérangé.
Or, il n’en est rien. Le Djihad est par essence une réponse et les attentats
islamistes en sont des expressions opérationnelles.
Un incident permettra au gouvernement britannique de littéralement mettre
en scène un complot islamiste en Grande-Bretagne et de tenter d’asseoir la
crédibilité de son engagement en Afghanistan et en Irak. Il s’agit de la
découverte, le 9 août 2006, d’un « complot » visant à faire exploser
simultanément 7 avions en vol à l’aide d’explosifs liquides. Dans un premier
temps et dans l’urgence, le Royaume-Uni ferme tous ses aéroports, y compris
celui de Heathrow (Londres), puis interdit tous les liquides à bord des appareils
décollant du territoire national.
Dès la « découverte » de ce complot, due à un prisonnier soumis à la torture
au Pakistan, dans le cadre du programme de torture des États-Unis, 24 personnes
sont arrêtées, y compris un bébé, dont 14 seront presque immédiatement libérées
et 8 seront mises en accusation. Un premier procès a lieu en avril 2008, pour
juger les 8 personnes accusées de conspiration terroriste et de tentative de
meurtre sur des milliers de passagers sur des vols à destination de l’Amérique du
Nord. Le 9 septembre 2008, le tribunal condamne 3 d’entre elles pour tentative
de meurtre, mais ne parvient pas à émettre un verdict pour l’accusation la plus
importante, celle de faire exploser des avions. Le 17 février 2009, un deuxième
procès s’ouvre pour rejuger les 8 prévenus. Ne parvenant toujours pas à établir
un verdict à l’issue du deuxième procès, un troisième procès est organisé en
2010. Au final, des 8 accusés, 5 seront déclarées innocents, et 3 seront
finalement accusés et jugés pour terrorisme, pour des faits qui n’ont rien à voir
avec la destruction d’avions.
Les manchettes des journaux ont fait leurs titres avec ces mères islamistes
qui prévoyaient d’utiliser les biberons de leurs bébés pour faire exploser les
avions ! En fait, il s’avérera que les produits chimiques trouvés dans les biberons
étaient des produits de stérilisation en vente dans les pharmacies. On notera
qu’aucun des protagonistes de cet « attentat imminent » n’avait acheté de billet
d’avion, et que certains d’entre eux n’avaient même pas de passeport et ne
pouvaient donc pas se présenter pour un vol extérieur, comme le rappelle
l’ancien ambassadeur britannique Craig Murray104…
Le complot « imaginé » par les services de renseignement britannique
envisageait l’usage d’explosifs de type binaire, c’est-à-dire réalisés avec deux
composants inoffensifs qui, réunis, deviennent hautement explosifs. Un fantasme
de cinéaste, car bien qu’on ait vu ce type d’explosifs dans de nombreux films, il
est irréalisable dans l’état actuel de nos connaissances105, dans des conditions
improvisées, comme par exemple à bord d’un avion, ainsi que le précisent des
experts en explosifs de l’armée britannique106.
Le scénario n’était donc pas réalisable, aucun des protagonistes n’a été jugé
coupable d’un complot à l’explosif contre des avions, et aucun d’entre eux
n’aurait pu même voyager. Pourtant des mesures de sécurité ont été mises en
place. Elles sont restées en vigueur dans tous les aéroports du monde et
interdisent l’embarquement dans les bagages à main de liquides au-delà d’un
certain volume. Mais elles n’ont pas permis de détecter une seule bouteille
d’explosif sur les quelque 32 milliards de passagers qui ont pris l’avion depuis
2006.
La menace était donc totalement imaginaire et fut « montée en épingle ». La
question – qui se reposera à de nombreuses autres reprises dans d’autres pays –
est d’évaluer jusqu’à quel point les services de renseignement souffrent d’un
déficit analytique et dans quelle mesure l’analyse de la menace n’est qu’une fuite
en avant pour asseoir l’autorité de gouvernements qui ne maîtrisent pas la
situation.

La deuxième naissance du Djihadisme

En 2003, les Américains entrent en Irak en libérateurs, mais sans avoir aucun
plan pour restaurer des institutions capables de prendre la relève du régime de
Saddam Hussein. Il n’y a alors pas de groupes islamistes militants en Irak, mais
les services de renseignement ont très largement sous-estimé le phénomène
communautariste. Ainsi, peu après leur arrivée à Bagdad, les forces américaines
se sont trouvées confrontées à une résistance populaire vigoureuse dont les
objectifs diffèrent significativement, mais dont les efforts convergent vers un
rejet de la présence américaine :
- Les forces islamistes sunnites, comme les Partisans de l’Islam (Ansar al-
Islam), les Partisans de la Sunna (Ansar al-Sunna), ou de l’État islamique d’Irak
(EII) (Dawlat al-’Eiraq al-Islamiyah), qui cherchent à instaurer un régime
sunnite sous la loi islamique en Irak ;
- Les forces associées au régime de Saddam Hussein et au parti Baath,
comme les Martyrs de Saddam (Feddayin Saddam), le Retour (al-Awda), ou la
Flamme de l’Irak (Wahaj al`Eiraq), dont l’objectif est de restaurer un régime laïc
en Irak ;
- Les forces chiites – qui représentent la majorité de la population irakienne –
et visent à instaurer un régime islamique sur le modèle iranien, comme le Front
islamique de la résistance irakienne (al-Jabha al-Islamiyya al-Iraqiyya
alMuqawima).
La stratégie opérationnelle des Américains, lors de leur avancée vers
Bagdad, a été de disloquer la conduite irakienne et de couper les troupes de leur
commandement afin de les rendre plus vulnérables. Cette manière de procéder,
déjà utilisée lors de la Seconde Guerre mondiale et remise à jour du-rant la
guerre froide107, a pour conséquence une désagrégation du commandement des
forces irakiennes, et une atomisation des forces qui poussent les ex-militaires du
régime dans les divers groupes de résistance. La différence toutefois –
totalement ignorée du commandement américain – est que, durant la dernière
guerre mondiale et la guerre froide, le concept s’appliquait à des forces qui
n’étaient pas sur leur sol national. Or, en Irak, les Américains sont les
envahisseurs et les populations locales installent des mécanismes de résistance.
Dès lors, les groupes de résistance se sont multipliés – comme cela a été le cas
en France après 1940 – mais les Américains en 2003 n’ont ni un de Gaulle, ni un
Jean Moulin, pour unifier la résistance et la maîtriser ! À ce stade, un maintien,
voire une reconstitution, d’une structure armée est quasi-impossible.
Après la prise de Bagdad, il ne s’agit plus de combattre, mais de rétablir la
sécurité. Convaincus que la chute de Saddam Hussein apportera ipso facto un
vent de liberté et de démocratie au peuple irakien, les Américains ne s’attendent
pas à devoir mener une « guerre d’occupation » contre une résistance populaire.
Les jeunes GI’s, formés pour opérer sur des champs de bataille dynamiques, ne
sont pas préparés à une guerre de type anti-insurrectionnel et il faut relativement
rapidement les appuyer par des unités de réservistes et par la Garde nationale
américaine, plus mûres.

Les nombreux membres des compagnies de sécurité privées,


comme la compagnie américaine Black-water ou la compagnie
britannique Aegis, ont un statut juridique qui leur permet d’échapper aux
conventions applicables aux militaires réguliers. Ces « mercenaires » de faible
niveau opérationnel et mal préparés pour mener une contre-insurrection, qui
requiert intelligence et sensibilité culturelle, se livrent à des meurtres et
massacres peu compatibles avec les valeurs occidentales que l’intervention
voulait apporter dans cette région108. Leurs nombreux abus contribuent
significativement à encourager les actions de résistance et terroristes.
Dès 2004 déjà, l’incapacité des Américains à maîtriser la situation en Irak
même favorise le développement d’un foyer terroriste international dans le pays,
comme devait le confesser en 2004 le gouverneur de la province de Ninive,
Oussama Kashmoula :

Maintenant, l’Irak est ouvert à tous les terroristes […]


Nous avons arrêté des Iraniens, des Jordaniens, des
Palestiniens, des Algériens – je n’en connais pas le nombre109.

Pour faire face à cette situation, les Américains se lancent hâtivement dans la
reconstitution des forces de sécurité. Entre juin 2004 et septembre 2005, ils
distribuent quelque 185 000 fusils d’assaut AKM/AK-47, 170 000 pistolets, 215
000 gilets pare-balles et 140 000 casques. Mais l’exécution s’effectue dans la
précipitation et, jusqu’en décembre 2004, les armes n’ont fait l’objet d’aucun
enregistrement (!). Au final, dans cette opération, 110 000 fusils d’assaut et plus
de 80 000 pistolets importés en Irak par les États-Unis ont été disséminés, sans
laisser aucune trace, sans que l’on sache exactement à qui ils ont été
distribués110. Notons ici qu’en Afghanistan, la situation n’est guère meilleure.
De fait, les États-Unis ne sont pas en mesure de dire exactement où sont les
quelque 465 000 armes légères distribuées aux forces armées afghanes et autres
factions « amies », selon un rapport d’audit de l’inspecteur-général spécial pour
la reconstruction de l’Afghanistan111, publié en juillet 2014112.
La « stratégie » du général Petraeus, appliquée dès 2007, basée sur le
financement de milices sunnites locales, a souvent été qualifiée de novatrice et
de « solution ». En réalité, il n’en est rien. Le fait d’exploiter les rivalités et
loyautés locales pour régler des problèmes d’insurrection est vieux comme le
monde et avait déjà été utilisé au Vietnam et au Laos par les Français, puis par
les Américains, avec succès. La différence – et non des moindres – est qu’en
Irak les loyautés ne s’articulent plus autour d’une idéologie politique, du pouvoir
des tribus ou de l’argent, mais autour de rapports de force entre communautés
religieuses, ce que les stratèges américains n’ont pas compris. Ainsi, dans leur
volonté de « diviser pour régner » les États-Unis ont distribué très libéralement
des armes à divers groupes armés sunnites, qui seront connus collectivement
sous le nom de « Mouvement du Réveil » ou des « Fils d’Irak ». Ceux-là mêmes
qui constitueront la base de ce qui deviendra plus tard l’État islamique.
L’incapacité des Américains à remettre en place un régime dont l’autorité se
positionne au-dessus des nombreux clivages de la société irakienne a provoqué
un déplacement des enjeux du domaine politique vers le domaine religieux.
Comme on l’avait observé en Palestine après la chute du monde communiste –
qui soutenait jusqu’alors la cause palestinienne –, l’élément fédérateur est
devenu la religion, alimenté par un communautarisme latent que le régime de
Saddam Hussein était parvenu à contenir par la force. Ce déplacement du
curseur sur un logiciel religieux a été totalement sous-estimé par les stratèges
américains, ce qui était logique puisqu’ils n’avaient pas su en tirer les
conclusions 10 ans auparavant. Ainsi, les combattants nouvellement équipés par
les États-Unis se sont assez rapidement retrouvés dans une opposition armée113,
faisant réapparaître ces armes dans les mains de combattants islamistes.
Cette polarisation des forces en présence le long de clivages religieux est
catastrophique pour les populations chrétiennes et autres minorités, qui
constituaient l’une des richesses culturelles et humaines de cette région. Ainsi,
par une cruelle ironie de l’Histoire, la lutte contre l’islamisme déclenchée par les
« bigots » chrétiens américains a conduit à la perte des chrétiens d’Orient.

Sous Saddam Hussein, il y avait 1 million de chrétiens


protégés par la loi en Irak. Depuis l’invasion, un demi-million
a fui ou a été tué114.
LA GUERRE EN LIBYE
Les diverses révolutions dites « citoyennes », qui ont touché l’Afrique du
Nord en 2010-2012, ont toutes comme point commun d’avoir été inspirées et
menées par une volonté politico-religieuse, sous les impulsions concurrentes du
Qatar et de l’Arabie saoudite. Leur intensité a été modulée en fonction des
cultures politiques locales, mais toutes ont visé les régimes modernistes laïcs
issus des années 50-60, qui avaient notamment promu le rôle de la femme dans
la société et prônaient un mode de vie occidental. La révolution libyenne n’a pas
fait exception et a été menée dès son début par des groupes fondamentalistes
sunnites.

Le régime du président Kadhafi n’était à l’évidence ni


démocratique, ni conforme à la définition d’un État de Droit.
Néanmoins, en 2010, selon les Nations unies, la Libye était le pays dont l’index
de développement humain était le plus élevé d’Afrique115. Elle ne figurait plus
sur la liste des pays soutenant le terrorisme depuis le 15 mai 2007116 et, au
contraire, participait activement à la lutte contre l’islamisme radical aux côtés de
l’Occident. Le gouvernement Sarkozy avait négocié avec Kadhafi la vente
d’avions de combat Rafale. En clair, tout imparfait qu’il fût, le régime du
président Kadhafi ne constituait pas une menace pour l’Occident en 2011, et rien
ne justifiait une intervention militaire extérieure pour renverser son
gouvernement.
Dans son livre sur le désastre de la politique américaine en Libye117, Peter
Hoekstra, député et ancien président de la Commission du renseignement de la
Chambre des représentants américains, rappelle qu’en 2003, il avait participé à
une délégation parlementaire américaine auprès du dirigeant libyen, qui avait
conclu que la Libye « se dirigeait dans la bonne direction ». Il constate par
ailleurs que, même après les attentats de la discothèque La Belle à Berlin (1986)
ou du vol 103 de la Pan Am (1989), aucun gouvernement américain n’avait
sérieusement pris en considération l’idée de renverser Kadhafi. Alors pourquoi
en 2011 ?
En 2011, un facteur déterminant a été le rôle actif de la France dans la
destitution de Mouammar Kadhafi. Pour de nombreux commentateurs, cette
opération est davantage associée à une manœuvre de politique intérieure
(comparable à celle qui avait conduit le président Bill Clinton à ordonner les
bombardements de 1998) qu’à l’expression d’une politique extérieure
cohérente118. En mars 2011, le Président Sarkozy – en baisse constante dans les
sondages – est donné perdant pour les présidentielles de 2012119. Il saisit alors
l’opportunité de s’impliquer dans un printemps arabe qu’on lui avait reproché de
ne pas avoir vu arriver en Tunisie, et ce afin de restaurer son image.

Il est aidé dans cette entreprise par un personnage qui cherche –


malgré sa méconnaissance complète de la région – à se créer une
stature internationale, Bernard-Henri Lévy (BHL), qui se fera le porte-voix de
l’opposition islamiste libyenne et colportera de fausses informations de nature à
provoquer une réaction de l’Occident.

Ainsi, l’ex-dirigeant de la révolution libyenne et chef du Conseil national de


transition (CNT), Moustafa Abdul Jalil, en 2014, avouera que le massacre de
Benghazi, qui aurait eu lieu entre le 16 et le 26 février 2011 et a servi de prétexte
aux frappes aériennes françaises, britanniques, et américaines, n’a jamais été
ordonné par Kadhafi, mais, en fait, a été effectué par des mercenaires islamistes
alliés et en intelligence avec ceux qui ont prôné l’intervention occidentale120. Or,
c’est l’information sur ce massacre, rapportée par Bernard-Henri Lévy121, qui,
de son propre aveu, sera déterminante pour l’intervention internationale et de la
France. En fait, BHL n’est que la façade de manipulations en sous-main, qui ont
débuté dès février 2011 avec l’aide de la DGSE, comme l’ont dévoilé les emails
d’Hillary Clinton, découverts lors de l’enquête sur son rôle dans la crise122.

De fait, des documents déclassifiés depuis les événements montrent que la


Defense Intelligence Agency (DIA), responsable du renseignement militaire
américain et qui avait des agents sur place, n’avait constaté aucune indication
d’un génocide imminent : les forces envoyées par Kadhafi pour engager la
rébellion de Benghazi étaient relativement modestes, n’étaient pas de nature à
causer des massacres de grande ampleur et une grande partie de la population
avait déjà quitté la ville. Pourtant, Hillary Clinton évoquait des dizaines de
milliers de morts sur les ondes d’ABC News le 27 mars 2011123, mais les
analyses qui ne soutenaient pas la politique du gouvernement ont
systématiquement été mises de côté124.
C’est donc sur la base de manipulations et de rumeurs de génocide colportées
par la France et les États-Unis que la Résolution 1973 sera établie par le Conseil
de sécurité des Nations unies125, définissant un mandat de protection des civils
qui fournira le cadre légal des frappes occidentales et le prétexte pour le
renversement de Kadhafi.
Un mandat détourné

Avant même le début des bombardements aériens de l’OTAN menés sous le


couvert de la Résolution 1973, les États-Unis126, la France127 et la Grande-
Bretagne128 ont déployé des forces spéciales et leurs services spéciaux pour
établir un lien avec les Djihadistes et leur livrer des armes. Il est déjà clair, à ce
stade, que le mandat des Nations unies n’est qu’un prétexte que les Occidentaux
vont outrepasser pour renverser le régime. L’embargo sur les armes décrété par
le Conseil de sécurité en février 2011129 n’est – évidemment – pas respecté par
les membres même du Conseil : dès le début juin, la France procède à des
parachutages au profit des rebelles d’Al-Zintan et qui permettront d’ouvrir un
troisième front contre les forces gouvernementales130.
La Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies visait
essentiellement à interdire l’usage de l’espace aérien par les forces armées
libyennes afin de protéger les civils d’éventuels bombardements. Mais en réalité,
les Occidentaux ont fourni un appui aérien aux troupes rebelles au sol dans le
cadre d’actions de combat, et non pour protéger des civils131. Au final, non
seulement ces frappes n’ont pas atteint l’objectif de protection des civils défini
par la Résolution 1973 de l’ONU, mais elles ont clairement dépassé leur mandat
en cherchant à renverser le régime libyen, sans stratégie cohérente pour la
conduite du pays, comme l’avait relevé Marcel André Boisard, ancien sous-
secrétaire général de l’ONU :

Rien n’a été respecté. Aucun cessez-le-feu n’a été


véritablement négocié. La domination exclusive du ciel fut
utilisée pour appuyer les insurgés. La protection des civils fut
le prétexte pour justifier n’importe quelle opération. Il ne
s’agissait plus de protéger, mais de changer de régime. Le
principe de « responsabilité de protéger » est mort en Libye,
comme celui de l’« intervention humanitaire » avait péri en
Somalie, en 1992132.

En fait, la résolution des Nations unies n’a été, en l’occurrence, qu’une


couverture légale pour une opération de renversement du pouvoir avec l’aide des
rebelles. En juin 2011, l’Amiral américain Samuel Locklear, commandant du
NATO Joint Operations Command à Naples, Italie, confie au député Mike
Turner (Républicain), membre de la commission des Services armés, que la
mission définie par l’OTAN comprend l’anéantissement de la chaîne de
commandement, y compris Kadhafi133.
Quant à la mission de protection des civils, qui constituait la base du mandat
des Nations unies pour les frappes occidentales, elle n’a pas suscité la moindre
analyse ou réflexion au niveau de la conception des opérations. Soucieux
d’affaiblir les forces gouvernementales, les états-majors occidentaux ont réfléchi
selon le canevas des opérations conventionnelles et ont coupé les structures de
conduite militaires, laissant ainsi les troupes gouvernementales sur le terrain sans
commandement et livrées à elles-mêmes. Ainsi, paradoxalement, dès le début
des bombardements, les rapports sur les exactions contre les civils ont augmenté
de manière dramatique134 ! Ceci, sans mentionner les victimes « collatérales »
des frappes occidentales135, ni les crimes commis par les rebelles avec l’appui
des forces aériennes françaises et britanniques, comme la ville de Tawarga entre
le 11 et le 13 août 2011136 – forte de plus de 30 000 habitants, essentiellement
des travailleurs de race noire, dont la population a été massacrée ou chassée de la
ville et enfermée dans des camps par les combattants rebelles de Misrata. Ce
triste épisode est en partie le résultat de la propagande occidentale et islamiste
qui avait fait passer fallacieusement ces travailleurs pour des mercenaires
étrangers (« payés grassement », selon Bernard-Henri Levy) et ainsi propager
l’idée que Kadhafi cherchait à massacrer son propre peuple. Les organisations
comme Amnesty International – pas vraiment indulgentes à l’égard du régime
libyen, et qui avaient, dans un premier temps, soutenu ces allégations – ont
effectivement constaté cette manipulation137.
En fait, le mandat de protection des civils n’a été, en l’occurrence, qu’une
couverture légale pour une opération de renversement du pouvoir avec l’aide des
rebelles.
L’opposition libyenne, soutenue par la coalition internationale, est
représentée dans les médias occidentaux avec des contours adoucis, propres à
créer l’adhésion des opinions publiques :

Leur Conseil de Coordination est composé de


professionnels séculiers – avocats, universitaires, hommes
d’affaires – qui parlent de démocratie, de transparence, de
droits humains, et d’État de droit138.

Or, la nature islamiste de la rébellion était alors parfaitement connue. Non


seulement « les rebelles ne sont clairement pas des civils, mais une force
armée139 », mais il s’agissait des mêmes combattants que ceux qui affrontaient la
coalition occidentale en Irak. Une étude du Combating Terrorism Center de
l’Académie militaire de West Point aux États-Unis, datée de 2007140, démontrait
clairement que la majorité des combattants islamistes libyens en Irak provenait
principalement (88,6 %) de la région de Darnah-Benghazi, la région dans
laquelle la révolution libyenne avait commencé.
Dès mars 2011, les services de renseignement libyens constatent que des
avions de l’« OTAN » atterrissent à Benghazi et en Tunisie pour délivrer des
armes à la rébellion, et informent les services occidentaux – dans un rapport
secret rédigé en anglais – que les groupes qui reçoivent ces armes sont affiliés à
« Al-Qaïda141 ».
Le fait était d’ailleurs confirmé en mars 2011 déjà par Abdel-Hakim al-
Hasidi142 et il jette une lumière bien crue sur la naïveté du discours de Bernard-
Henri Lévy à Benghazi, le 13 avril 2011143 (où il fait un parallèle entre la
révolution libyenne et les tribus d’Israël), et du gouvernement français d’alors.
La révolution libyenne, plus clairement que ce qui s’est passé en Tunisie,
voire en Égypte, n’est pas le fruit d’un mouvement populaire, mais s’est
articulée autour de groupes islamistes djihadistes, au centre desquels se trouvait
le Groupe islamique combattant en Libye (GICL) (Al-Jama’ah al-Islamiyyah al-
Muqatilah bi-Libya). Le GICL, soutenu par la coalition occidentale, est apparu
en 1995, avec pour objectif le renversement de Kadhafi, et avait fait partie du
Comité du Djihad créé par Oussama Ben Laden dans les années 90. Il était non
seulement désigné comme organisation terroriste par les États-Unis144, mais il
s’agissait du second plus grand fournisseur de combattants étrangers en Irak
prêts à se battre contre la Coalition145. En novembre 2007, Ayman al-Zawahiri,
alors considéré comme le bras droit d’Oussama Ben Laden, annonce que le
GICL s’est associé à la mouvance djihadiste, surnommée « Al-Qaïda146 ».
Abdel-Hakim al-Hasidi était un des chefs du GICL lorsqu’il a été capturé à
Peshawar (Pakistan), en 2002, remis aux Américains, puis livré à la Libye qui l’a
libéré en avril 2008 avec plusieurs dizaines de militants, à la suite d’un accord
avec Kadhafi pour que le mouvement abandonne la violence. Il a alors recruté
des combattants pour la résistance armée irakienne… pour lutter contre les
Occidentaux. Le chef du GICL, Abdel Hakim Belhadj, sera plus tard
l’interlocuteur des Américains pour assurer le transfert d’armes légères vers la
Syrie.
Il était donc très clair, dès le début de l’insurrection libyenne, qu’il ne
s’agissait pas d’une révolution citoyenne pour la démocratie, mais d’une
tentative des islamistes pour s’emparer du pouvoir en profitant de la crédulité –
et de l’ignorance – des Occidentaux. Cette coopération ambiguë entre l’Occident
et des groupes terroristes islamistes n’est pas nouvelle, puisque les services
secrets britanniques avaient déjà coopéré en 1996 avec le GICL dans une
tentative d’assassinat de Mouammar Kadhafi147.
En fait, la révolution libyenne ne suit pas le schéma de la révolution
tunisienne. Kadhafi est détesté en Occident, mais il jouit toujours d’une
importante popularité en Libye même. Comme dans les conflits précédents, la
révolution libyenne sera l’objet d’une intense campagne de désinformation
destinée à discréditer le régime. Ainsi, afin d’encourager le soutien international
et de décourager la résistance populaire favorable à Kadhafi, la prise de Tripoli
par les forces rebelles a été falsifiée dans les studios d’Al-Jazira et diffusée sur
les chaînes de télévision du monde148.
Comme dans les crises précédentes, ce qui est choquant, ce n’est pas
seulement le dilettantisme et la naïveté dont ont fait preuve des acteurs de la
crise – qui ni ne connaissaient, ni ne comprenaient la réalité libyenne – mais
l’absence d’esprit critique qui aurait permis de déceler une manipulation et son
corollaire : le fait que les mécanismes républicains n’aient pas été en mesure
d’amener les éléments correcteurs à des décisions qui étaient à l’évidence
erronées. Les développements en Libye étaient bien suivis et évalués au siège
des Nations unies à New York, et les risques générés par cette intervention
avaient été correctement anticipés. La question se pose de savoir comment, en
France, les services de renseignement – que l’on crédite d’une bonne
connaissance du monde africain – évaluaient alors la situation et dans quelle
mesure ils ont été intégrés au mécanisme de décision.
Trois ans après l’intervention occidentale, la Libye est considérée comme un
« État failli » en proie aux rivalités tribales149.

La préparation de la crise syrienne

À peine la Libye tombée aux mains des islamistes en octobre 2011, les États-
Unis et la France ont déjà un œil sur le prochain théâtre d’opérations : la Syrie.
Ce dessein sera servi par la quantité incroyable d’armes accumulées en
Libye, que certains experts expliquent de manière assez simpliste par la
recherche d’un « apanage de puissance150 » par le colonel Mouammar Kadhafi.
En réalité, il faut rappeler que – comme nous l’avons vu plus haut – depuis 2001,
les États-Unis avaient un plan qui devait conduire au renversement du régime
libyen. Ainsi, convaincu qu’il serait l’objet d’une agression occidentale, le
colonel Kadhafi avait organisé la défense de la Libye avec des dépôts d’armes
répartis sur l’ensemble du territoire, afin de constituer une véritable résistance
par des milices et tribus locales, comme l’avait fait naguère le Mahdi soudanais
contre les Britanniques. Rappelons ici que la Libye n’était pas un État au sens
westphalien du terme, mais une coordination entre les diverses tribus du pays.
De même, après le raid américain d’avril 1986, où il a perdu sa petite-fille, le
président libyen s’est pris d’une véritable obsession de la défense aérienne et a
acquis plusieurs dizaines de milliers de missiles antiaériens – portables ou non –
également répartis sur une bonne partie du territoire. Après les frappes aériennes
occidentales qui ont disloqué les structures de conduite de l’armée libyenne, ces
armes se sont retrouvées à la portée des groupes les plus divers.
L’ambassadeur américain Chris Stevens, mandaté dès mars 2011 par le
Département d’État pour assurer la liaison avec Abdel Hakim Belhadj du
Groupe islamique combattant en Libye (GICL) – qui est alors encore sur la liste
des mouvements terroristes étrangers du Département d’État américain151 –,
négocie pour racheter les armes découvertes dans les dépôts et caches des forces
de sécurité libyennes afin de les fournir aux rebelles syriens. En novembre 2011,
Belhadj se rend à Istanbul, où il rencontre les représentants de l’Armée syrienne
libre, dans le but officiel de leur fournir des armes et de les soutenir
financièrement152. À la même époque, le journal turc Milliyet rapporte que les
services français sont à Tripoli (au Liban) avec leurs homologues américains
pour prendre contact avec les rebelles syriens, afin d’organiser la révolte contre
le gouvernement légal de Bachar al-Assad et d’entraîner des milices rebelles153.
Dès le début 2012, la CIA met en place une « Rat Line » (« Couloir de
rats ») pour acheminer les armes libyennes vers la Syrie via la Turquie. Il s’agit
essentiellement d’une filière clandestine destinée à acheminer des armes vers
l’Arabie saoudite et le Qatar, puis vers la Turquie et la Croatie d’où elles sont
envoyées vers la Syrie. En Syrie, les armes sont prises en charge par des agents
de la CIA qui les répartissent entre les divers groupes de l’opposition armée154.
L’attaque du 11 septembre 2012 contre le « consulat » américain de
Benghazi – en réalité, l’antenne de la CIA en Libye, placée sous la protection de
la Brigade des martyrs du 17 février155, dont la page d’accueil sur Facebook est
alors ornée d’un combattant avec le drapeau djihadiste, et qui a donné naissance
au groupe Ansar al-Sharia, l’un des plus virulents groupes djihadistes de la
région – avait pour objet les missiles antiaériens SA 7156, que l’ambassadeur
américain Chris Stevens (mort dans l’attentat) avait convenu de faire transporter
en Syrie par Abdel Hakim Belhadj, chef du Conseil militaire de Tripoli et ancien
chef du GICL157.

LA GUERRE EN SYRIE ET LA MONTÉE DE L’ÉTAT


ISLAMIQUE

La Syrie – La confusion entre les deux Assad

Le régime syrien est l’héritier des mouvements nationalistes arabes des


années 50. Il combine nationalisme et socialisme et suit une évolution
comparable à celle de la Tunisie et de l’Égypte. Directement impliquée dans les
divers conflits israélo-arabes, et abritant une grande quantité de réfugiés
palestiniens, la Syrie tente de maintenir une stabilité dans la région frontalière
avec Israël. En juillet 1976, c’est à la demande des milices chrétiennes que la
Syrie intervient au Liban pour combattre la montée en puissance des Palestiniens
qui déstabilisent le sud du Liban.
Lorsqu’Israël intervient au Liban en 1982 – également pour combattre les
Palestiniens – l’armée syrienne évite l’affrontement et se retire dans la région de
la Bekaa. À ce moment, la Syrie fait face à une autre menace interne : la montée
des Frères musulmans en Syrie (Ikhwan al-Muslimin fil-Suriya). Leur
insurrection comprend de multiples assassinats et attentats à la bombe. Le 16
juin 1979, le massacre d’entre 32 et 83158 jeunes cadets de l’armée syrienne,
déclenchera la colère d’Hafez al-Assad, et conduira en 1982 à un siège de 27
jours de la ville de Hama, aboutissant à la liquidation des Frères musulmans. Il
en restera l’image d’un régime brutal, qui sera accentuée par la propagande
occidentale en raison de l’alignement de la Syrie sur Moscou tout au long de la
guerre froide. Pourtant, si le régime syrien n’était certes pas romantique, il était
loin d’être sanguinaire.
En 1990, la Syrie avait clairement pris le parti de la coalition occidentale
contre l’Irak. Des unités de combat syriennes avaient été déployées au sein de la
coalition pour l’Opération DESERT STORM, et des membres des forces
spéciales américaines avaient même été intégrés aux 14 500 militaires syriens
afin d’aider les officiers syriens pour la traduction. L’objectif des Syriens est
alors de se rapprocher des États-Unis afin de trouver une solution sur la question
du Golan.
Durant la guerre froide, l’Union soviétique animait une véritable politique et
économie de guerre, qui justifiait une aide militaire exorbitante. La Syrie – ainsi
que la Libye et l’Algérie – était considérée comme essentielle pour prévenir un
encerclement stratégique en Méditerranée et éviter les effets néfastes d’une
fermeture des détroits turcs. Après la chute du régime communiste, la Russie
donne la priorité à sa propre reconstruction. Des pays comme Cuba et la Syrie –
jusqu’alors sous « perfusion » – ne peuvent plus compter sur son aide et doivent
s’engager dans une nouvelle voie, ce qui se traduit pour la Syrie par la volonté
affichée d’engager un dialogue avec l’Europe, les États-Unis et Israël.
Avec l’appui du président américain, la Syrie entame des négociations
directes avec Israël. Une première réunion secrète aura lieu le 8 décembre 1999,
suivie le 15 décembre par une réunion plus officielle à Washington, entre le
ministre des Affaires étrangères syrien Farouk al-Sharaa et le Premier ministre
israélien Ehud Barak. Un retrait du Golan était en principe accepté par les
Israéliens, avec toutefois un maintien de souveraineté israélienne sur certains
secteurs. La réunion du 26 mars 2000 entre Hafez al-Assad et le président
Clinton ne permettra pas de conclure un accord et restera considérée comme un
échec. Une voie vers la paix existe donc, mais elle ne sera approfondie.
La suite des événements contribuera à dégrader la situation : la mort d’Hafez
al-Assad (juin 2000), le début de la seconde Intifada en Israël, l’élection du
président Bush aux États-Unis, l’arrivée d’Ariel Sharon au pouvoir en Israël,
puis le 11 Septembre sonneront le glas de ces tentatives de paix et figeront les
positions anti-syriennes en Occident, malgré les tentatives d’ouverture que
Bachar al-Assad poursuivra, dans la ligne de son père. Porté au pouvoir un peu
malgré lui, Bachar Al-Assad n’est pas l’homme barbare que l’on décrit
habituellement. Sa culture personnelle est celle d’un médecin ayant étudié et
vécu en Occident. Il est l’héritier d’un régime, avec lequel il doit fonctionner,
mais qu’il a commencé à réformer, avec de réels efforts d’ouverture159.
Peu après le 11 Septembre, les États-Unis définissent un « Axe du Mal », qui
n’inclut pas la Syrie. Mais le Département d’État continue à la décrire comme un
« État soutenant le terrorisme », tout en soulignant que la Syrie n’a plus été
directement impliquée dans les opérations terroristes depuis 1986160. Il est vrai
qu’un contentieux subsiste, car ont trouvé refuge en Syrie les chefs de certains
groupes palestiniens marxistes des années 70-80, mais, dont l’importance et
l’influence sont devenues quasi-nulles dans un environnement fortement
imprégné de Djihadisme. La lutte menée par le régime syrien contre les Frères
musulmans au début des années 80, et la guerre qui ravage le pays dès 2012,
montrent que le gouvernement syrien n’avait pas d’intérêt particulier à soutenir
les extrémistes sunnites.
Malgré l’impasse des négociations avec Israël, et le poids de sa présence au
Liban, la Syrie parvient à maintenir une image globalement neutre, qui se
dégradera cependant en. Les États-Unis cherchent alors à créer leur coalition
contre l’Irak. Le secrétaire d’État américain, Colin Powell, visite Bachar Al-
Assad alors placé devant le difficile choix « d’être pour les Américains ou contre
les Américains ». À ce moment, l’opinion publique arabe est consciente – tout
comme la Turquie – du danger d’une intervention en Irak et du risque de
déstabilisation régionale qu’elle impliquera nécessairement. Comme l’expliquait
Bachar Al-Assad aux Américains :

J’ai dit aux Américains comment lutter contre Al-Qaïda


après le 11 septembre. Qu’il ne faut pas faire la guerre. Qu’il
est impossible de lutter contre le terrorisme si vous êtes en
guerre. La guerre ne fait que rendre service aux terroristes.
C’est comme un cancer, au lieu de retirer toute la tumeur, vous
allez la découper. Lorsque vous le découpez, le cancer se
propage161.

La Syrie ne rejoindra donc pas la nouvelle coalition, mais elle subira


l’impact de la guerre en accueillant entre 1 et 1,5 million de réfugiés irakiens,
essentiellement des sunnites – dont certains radicalisés par la présence
occidentale –, qui contribueront à sa déstabilisation quelques années plus tard.
La frontière avec l’Irak, qui avait été fermée en 1991, a été rouverte en 1997,
permettant à plusieurs centaines de milliers d’Irakiens d’échapper aux effets de
l’embargo occidental contre l’Irak. En 2003, le flot de réfugiés est massif et les
tentatives syriennes pour maîtriser la situation le long des 600 km de frontière
avec l’Irak sont vaines. Sous la pression américaine, la Syrie ferme ses 5 postes
frontières avec l’Irak afin d’empêcher les rebelles irakiens d’alimenter la
résistance contre l’occupation américaine.
À ce stade, bien que neutre dans ce conflit, la Syrie essaie de se rapprocher
de l’Occident. Dès le 11 Septembre, la Syrie coopère activement à la lutte contre
les mouvements islamistes radicaux et djihadistes (« Al-Qaïda ») avec le
Commandement des opérations spéciales américain. En 2002, Bachar al-Assad
autorise le partage de centaines de documents avec les services occidentaux sur
les activités des Frères musulmans en Syrie et en Allemagne. La Syrie participe
au programme de détention secrète de la CIA américaine et accueille les
prisonniers qu’elle lui livre162. Elle fournit également des centaines de
documents à la CIA qui avoue que « la qualité et la quantité des informations en
provenance de Syrie ont dépassé les attentes de l’Agence », mais également que
la Syrie « a reçu bien peu en retour163 ».
Ne participant pas à la coalition occidentale en Irak, la Syrie est isolée.
L’ouverture voulue par le président Bachar ne se fait pas et l’éventail de ses
alliés se réduit. La situation sera encore plus problématique après l’attentat
contre l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariki, le 14 février 2005 à Beyrouth,
qui placera – opportunément – la Syrie dans le collimateur de la communauté
internationale et obligera son retrait du Liban. L’isolement de la Syrie renforce
les liens avec l’Iran – où Mahmoud Ahmadinejad est porté au pouvoir grâce à
l’intervention américaine en Irak – créant un nouveau problème.
Le tribunal international chargé d’instruire l’assassinat de Rafic Hariri a
dirigé ses investigations vers la Syrie, avant de se tourner vers le Hezbollah
libanais. Mais les bonnes relations entre le Hezbollah et Rafic Hariri (entre
autres le fait que Rafic Hariri et Nasrallah venaient de constituer un « comité
permanent conjoint regroupant le Courant du futur et des cadres du Hezbollah
dans le but de préparer les élections parlementaires de 2005164 »), les
dénégations de la Syrie et l’absence de motifs réels ont rendu ces accusations
extrêmement fragiles165. En fait, le tribunal international a d’emblée exclu
d’autres auteurs probables de l’assassinat et notamment Israël, qui en est le
principal bénéficiaire. Malgré le fait que de nombreux éléments techniques et
politiques tendent à démontrer son implication, l’enquête ne se dirigera jamais
dans cette direction. En effet, les manœuvres de rapprochement de la Syrie vers
l’Occident et son attitude coopérative vis-à-vis des États-Unis dans la lutte
contre le terrorisme sunnite étaient de nature à affaiblir la position d’Israël dans
la région166.
Un autre phénomène, qui entre dans l’équation de la stabilité de la Syrie dans
cette région troublée, est l’impact de la sécheresse qui affecte la Syrie entre 2005
et 2010, touchant en majeure partie l’agriculture et les zones sunnites du pays,
s’ajoutant à l’immigration en provenance d’Irak, et qui accentue la pression sur
une économie syrienne affaiblie167.
Un changement – que les « stratèges » américains, qui voulaient renverser
Saddam Hussein en s’appuyant sur la majorité chiite en Irak, n’avaient pas
anticipé – est l’émergence d’une ceinture chiite autour de l’Arabie saoudite,
entre l’Iran et le Liban, modifiant ainsi l’équilibre géostratégique entre les
communautés chiite et sunnite dans la région. Le sentiment d’encerclement qui
en résulte poussera l’Arabie saoudite – et le Qatar – à réaffirmer la
prépondérance du sunnisme dans le monde islamique grâce aux « révolutions
arabes » ou « révolutions citoyennes » : ce sont les interventions militaires au
Bahreïn et au Yémen, et le soutien aux révolutions contre les gouvernements
« laïcs » issus du nationalisme arabe dans les années 50-60 (la Tunisie, l’Égypte,
la Libye, l’Irak et la Syrie).
Il est certain que la Syrie n’est pas un État démocratique au sens où nous
l’entendons en Europe et qu’elle nécessite des réformes. Mais, comme la Tunisie
et l’Égypte, elle n’est pas non plus une tyrannie méthodique et impitoyable
comme l’était l’Union soviétique sous Staline.
Le fait est que le peuple syrien est très amical et tolérant
avec les communautés minoritaires. Le citoyen syrien doit faire
son service militaire obligatoire et ainsi les différentes
religions sont brassées et les liens se créent au-delà des
barrières religieuses. C’est une société très cosmopolite168.

En fait, le principal défaut de la Syrie est d’être un ennemi d’Israël. Un


document stratégique établi en 1996 par un Think Tank américain pour le
Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, définit la stratégie israélienne
pour la région169 : une déstabilisation de la région, y compris le renversement
des gouvernements irakien et syrien, au lieu d’une paix générale ; un droit de
poursuite et d’intervention accru dans les territoires palestiniens ; et une
coopération renforcée avec les États-Unis. Il est intéressant de constater que ce
document a été rejeté par Netanyahu, alors Premier ministre ; mais ses auteurs,
qui seront largement représentés dans le gouvernement Bush, s’en inspireront
pour façonner leur politique au Moyen-Orient170.

La rébellion syrienne et son soutien occidental

Comme nous l’avons vu, apparemment, les États-Unis avaient déjà


un plan pour renverser toute une série de gouvernements au Proche-
Orient, y compris le régime syrien, dès septembre 2001. Avec le début des
prétendues « révolutions citoyennes » de 2010-2012, les intérêts saoudiens et
américains semblent alors se rejoindre. Le caractère préparé de la révolution
syrienne – et l’absence totale de dimension populaire – est confirmé par Roland
Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de la France, qui déclarait avoir
été contacté deux ans avant la crise syrienne par les services secrets britanniques
en vue d’une opération destinée à renverser le régime de Bachar Al-Assad. Au
début 2011 donc, conformément au plan dévoilé par le général Wesley Clark en
2006, que nous avons évoqué auparavant, se préparait déjà en Grande-Bretagne,
avec les États-Unis, une insurrection qui visait à mettre au pouvoir une faction
dissidente de l’armée syrienne171.

Des messages diplomatiques entre l’ambassade américaine de


Damas et Washington, publiés par WikiLeaks, témoignent d’un effort
de l’administration américaine afin de déstabiliser le gouvernement syrien dès
2006, en esquissant toute une série d’opérations possibles pour soutenir une
stratégie de subversion172 dont l’objectif est de créer une situation qui vise à
mettre « Bachar personnellement dans une situation d’anxiété, qui le pousse à
agir de manière irrationnelle173 ». Il s’agissait donc de pousser Bachar al-Assad
à commettre des crimes, afin d’en prendre prétexte pour intervenir.
Les premières manifestations en Syrie ont éclaté le 15 mars 2011 dans la
ville de Daraa, au sud du pays à proximité de la frontière israélienne. Il est
important de mentionner ici qu’à l’inverse des autres révolutions arabes –
notamment en Tunisie et en Égypte – qui avaient débuté dans les grandes villes,
grâce aux étudiants et aux réseaux sociaux, ces derniers n’ont pratiquement pas
été utilisés en Syrie. On a largement caché en Occident – et en France en
particulier – que le Président Assad n’a pas ressenti le besoin d’interrompre
l’accès à l’Internet et aux réseaux sociaux qui ont fonctionné normalement,
depuis qu’ils ont été totalement libérés de toute censure en février 2011, malgré
l’insurrection. La seule interruption du trafic sur Internet a été en novembre
2012, ce que es médias « alignés », comme le quotidien belge Le Soir174 ou Le
Monde175, ont immédiatement interprété comme une tentative du gouvernement
syrien de brider l’opposition. Or, il s’agissait en fait, comme l’explique Edward
Snowden176, d’une erreur de manipulation de l’unité de sabotage informatique
de la National Security Agency (NSA) américaine – la S32 Tailored Access
Operations (TAO) – lors de leur tentative d’implanter des virus sur les serveurs
syriens177 !
Symptomatiquement, sur la page Facebook de la révolution syrienne, le point
de départ de l’insurrection est placé au 18 janvier 2011178, c’est-à-dire deux
mois avant les manifestations de Daraa, indiquant que les manifestations de
Daraa puis d’Homs et d’autres villes du pays n’étaient pas si spontanées que les
médias occidentaux ont tenté de le présenter, mais ont fait l’objet d’une
planification soigneuse. La manifestation de Daraa, présentée dans les médias
occidentaux comme « pacifique », fut en réalité particulièrement violente, ainsi
que le rapporte le journal israélien Arutz Sheva179.
Le Père jésuite néerlandais Frans van der Lugt, vivant en Syrie depuis les
années 60, est un témoin oculaire des premières manifestations de 2011 en Syrie.
Il écrit :

Dès le début, les manifestations n’étaient pas purement


pacifiques. Dès le début, j’ai vu des manifestants armés
marchant avec les autres manifestants, et qui ont tiré sur les
policiers en premier. Très souvent, la violence des forces de
sécurité a été une réaction à des actes de violence brutaux de
la part des rebelles180.
L’engagement de provocateurs au sein des manifestants pour éliminer des
agents des forces de police, provoquer une escalade de la répression afin de
stimuler une insurrection populaire, et faire porter la responsabilité au
gouvernement, semble avoir été la stratégie utilisée.

De plus, dès le début il y a eu le problème des groupes


armés, qui sont aussi partis de l’opposition… L’opposition de
la rue est beaucoup plus forte que toute autre forme
d’opposition. Et cette opposition est armée et emploie
fréquemment la brutalité et la violence, de sorte à en faire
porter la responsabilité au gouvernement. De nombreux
représentants du gouvernement ont été torturés et tués par
eux181.

Pourtant, le gouvernement syrien montre une grande retenue dès le départ


des événements. En septembre 2011, le groupe d’analyse américain Stratfor,
basé au Texas et spécialisé dans l’analyse stratégique des conflits, écrivait à
propos de la situation en Syrie :

L’opposition doit trouver une manière de maintenir le


discours du « Printemps arabe », et il faut s’attendre donc à un
flot d’informations sur la brutalité du régime et de la valeur de
l’opposition. Bien qu’il soit certain que des manifestants et des
civils aient été tués, il n’y a pas d’information évidente sur une
brutalité massive, comme il y avait eu en 1982 ou dans
d’autres remises à l’ordre de la région. Stratfor n’a décelé
aucun signe d’usage d’armes lourdes pour massacrer des civils
ou créer des dégâts de combat significatifs, bien que des
mitrailleuses de 12,7 mm montées sur des véhicules blindés
aient été utilisées pour disperser la foule182.

C’est donc plus tard, comme nous le verrons, que le conflit se durcit, après
que les pays occidentaux, notamment la France183, la Grande-Bretagne et les
États-Unis, ont formé des combattants et fourni des armes aux insurgés. À ce
moment, l’État islamique n’est pas encore apparu en Syrie, mais les atrocités
commises par les rebelles – notamment les décapitations de chrétiens –, elles,
sont bien réelles184, et les armes livrées par les Occidentaux ne sont pas utilisées
comme levier pour moraliser le conflit, bien au contraire.
Afin de justifier son intervention en Syrie, le gouvernement français a
simplifié à l’extrême la situation sur le terrain, en divisant les intervenants en
deux catégories principales : le gouvernement et les opposants, qui se
subdivisent en l’État islamique (« Daech »), les islamistes modérés et les Kurdes.
L’opposition étant considérée par définition comme légitime, toutes les pertes
(soit environ 220 000 personnes – chiffre qui n’a jamais fait l’objet d’une
quelconque vérification) sont ainsi attribuées au gouvernement syrien.
La réalité est plus complexe. En 2015, on peut évaluer le nombre des
groupes armés combattant en Syrie à environ 1200, toutes tendances confondues.
Avant l’émergence de l’État islamique, ces groupes peuvent être catégorisés
comme suit :
- L’opposition islamiste, qui se subdivise de la manière suivante, d’après les
islamistes eux-mêmes185 :
• Les factions islamiques, qui regroupaient les groupes djihadistes y
compris les combattants étrangers (« Muhajirin »), comme l’État islamique en
Irak, issues de l’État-Islamique en Irak et en Syrie, apparus comme groupes de
résistance à l’occupation occidentale de l’Irak ;
• Les factions « islamiques » avec un agenda nationaliste, qui
privilégiaient la dimension islamique, dans un contexte nationaliste. Elles sont
fondées sur une doctrine salafiste, et leurs combattants ont une pratique
religieuse plus assidue. Dans cette catégorie, on compte les Hommes libres du
levant (Ahrar al-Sham), l’Armée de l’Islam (Jaysh al-Islam), le Front al-Nosrah
(Jabhat al-Nosrah186 ou Jabhat al-Jawlānī) ;
• Les factions nationalistes avec un agenda « islamique », qui sont
essentiellement nationalistes, mais ont un langage islamiste. Dans cette catégorie
se trouvent, notamment, le Front islamique (Jabhat al-Islamiya), l’Armée des
moudjahidines (Jaïsh al-Moudjahidin), le Front levantin (Jabhat al-Shamiyyah),
le Corps du levant (Faylaq ash-Sham), etc.
• Les factions laïques avec un agenda séculier, qui comprend l’Armée
syrienne libre (ASL), dont l’existence effective sur le terrain reste un objet de
controverses.
- Des acteurs, qui ne sont pas le gouvernement syrien, qui ne partagent pas
nécessairement les vues du gouvernement, mais qui sont de son côté car il s’agit
de leur sécurité – et de leur survie – face aux islamistes sunnites :
• Les milices locales d’auto-défense villageoises laïques, sans coloration
religieuse particulière ;
• Les milices locales chiites ;
• Les milices chrétiennes, assyriennes, ou syriaques ;
• Les milices du Hezbollah ;
• Les milices kurdes.
La « sur-simplification » de cette réalité par le gouvernement français a
ouvert la porte à une critique virulente contre Bachar al-Assad, en délimitant de
manière plus nette et artificielle le camp des « méchants » et celui des
« gentils ». Le problème est que cette simplification appliquée au terrain, à
travers un soutien matériel, financier et militaire à l’opposition au régime, a tout
simplement sacrifié les communautés chrétiennes comme nous le verrons.
Il faut rappeler ici que la Syrie est le berceau des plus anciennes formes de
chrétienté. Dès 2004, le pays a accueilli ces populations persécutées – et
délaissées par les pays occidentaux – depuis l’intervention américaine en Irak.
Dès 2011, en Syrie, avec le soutien occidental à l’insurrection sunnite, les
massacres des populations syriaques, chiites, chrétiennes, alaouites, kurdes,
assyriennes, ismaéliennes et autres ont suivi le même schéma qu’en Irak.
Dénoncés par Amnesty International187, ces massacres n’ont suscité aucune
réaction, tandis que les tentatives occidentales de renverser le gouvernement
syrien – qui les protège – provoqueront l’explosion de l’émigration syrienne (en
grande partie chrétienne) dès l’été 2014.
Très tôt, l’absence de chiffres précis et fiables sur le nombre total de victimes
du conflit syrien devient un outil politique en Amérique et en Europe. Assez
logiquement, le gouvernement syrien ne fait pas d’annonce sur ses pertes afin de
ne pas démoraliser ses troupes – le crédit des rebelles en la matière est plus que
discutable –, tandis que l’absence de la présence internationale rend l’évaluation
du nombre des morts extrêmement hasardeuse et ouvre la porte à la propagande
et la désinformation.
En fait, une seule source d’information s’est imposée dès le début de
l’insurrection syrienne : l’Observatoire syrien des Droits de l’homme (OSDH).
Un nom pompeux qui cache une réalité bien modeste. Basé dans un appartement
de deux pièces à Londres, l’OSDH est géré par un seul individu, Rami Abder
Rahman, ancien opposant sunnite au régime syrien, qui tient une boutique de
vêtements188. La qualité relative des informations de l’OSDH est relevée par
l’ancien chef du renseignement de sécurité de la DGSE, Alain Chouet189 :

Si vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et


audiovisuels, en particulier en France, vous n’aurez pas
manqué de constater que toutes les informations concernant la
situation sont sourcées « Observatoire syrien des droits de
l’homme » (OSDH) ou plus laconiquement « ONG », ce qui
revient au même, l’ONG en question étant toujours
l’Observatoire syrien des Droits de l’homme.
L’Observatoire syrien des Droits de l’homme, c’est une
dénomination qui sonne bien aux oreilles occidentales dont il
est devenu la source d’information privilégiée voire unique. Il
n’a pourtant rien à voir avec la respectable Ligue
internationale des Droits de l’homme. C’est en fait une
émanation de l’Association des Frères musulmans et il est
dirigé par des militants islamistes dont certains ont été
autrefois condamnés pour activisme violent, en particulier son
fondateur et premier président, Monsieur Ryadh el-Maleh.
L’OSDH s’est installé à la fin des années 80 à Londres sous la
houlette bienveillante des services anglo-saxons et fonctionne
en quasi-totalité sur fonds saoudiens et maintenant qataris190.

L’absence totale d’analyse et de capacité de recoupements n’a absolument


pas dérangé les médias et services de renseignement des pays occidentaux, qui
ont quantifié de manière invérifiable la répression du gouvernement de Bachar
alAssad, justifiant ainsi leur politique à l’égard du régime. Le député démocrate
Tulsi Gabbard, membre de la Commission des services armés de la Chambre des
représentants américaine, souligne :

Les histoires que l’on raconte sur Assad actuellement sont


les mêmes que ce que l’on racontait sur Kadhafi, les mêmes
que l’on racontait sur Saddam Hussein, par ceux qui
défendaient les États-Unis pour renverser ces régimes. Si cela
devait arriver en Syrie, nous finirions par avoir une situation
de beaucoup plus grandes souf-frances encore, beaucoup plus
de persécutions de minorités religieuses et de chrétiens en
Syrie, et notre ennemi deviendrait considérablement plus
puissant191.

Au Conseil de sécurité des Nations unies, la discussion est bloquée. La


Russie et la Chine, qui s’étaient senties trompées en 2011 par la France et ses
alliés occidentaux avec la Résolution 1973 sur la Libye, ne sont plus disposées à
accepter des interventions sans stratégie de long terme et la politique occidentale
du fait accompli, qui se solde par le chaos, comme en Libye. D’autant plus que
les commentaires de Laurent Fabius, en août 2012, laissent peu de place à
l’imagination, et montrent clairement que l’objectif de la France est de renverser
le pouvoir syrien :
Le régime syrien doit être abattu, et rapidement […]
Bachar el-Assad ne mériterait pas d’être sur la terre192.

La presse occidentale s’est volontiers déchaînée contre ces deux


superpuissances, en restant cependant silencieuse sur la désinvolture avec
laquelle les Occidentaux ont appliqué les décisions du Conseil de sécurité sur la
Libye, qui ont amené les blocages sur la question syrienne.

Le soutien occidental

Les activités de subversion contre le gouvernement de Bachar al-Assad ont


commencé dès 2005-2006 sous le Président George W. Bush, et se sont
poursuivies sous Barak Obama. C’est à l’occasion de l’intervention israélienne
au Liban, en 2006, qu’émerge réellement l’idée d’interrompre l’espace continu
qui relie l’Iran au Hezbollah. Cette même année, le gouvernement américain
finance le Mouvement pour la justice et le développement (MJD), une
organisation d’opposition à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie, qui reçoit
quelque 6 millions de dollars pour mettre en place une station de télévision
destinée à diffuser de la propagande contre le gouvernement syrien. Dès avril
2009, la chaîne Barada TV – basée à Londres – commence à diffuser des
messages destinés à soutenir un renversement du régime. Elle sera instrumentale
en 2011 par sa couverture des émeutes du début de la révolution, et ses messages
destinés à enflammer l’opinion publique193. En avril 2009, cependant,
l’ambassadeur américain de Damas dans un câble secret envoyé à Washington,
fait part de ses doutes sur la capacité des États-Unis à maîtriser les mouvements
d’opposition en Syrie :

Avec la réévaluation de la politique à l’égard de la Syrie, et


avec l’effondrement apparent de la principale organisation
d’opposition syrienne extérieure194, une chose apparaît
clairement : la politique américaine devrait moins insister sur
un « changement de régime » et aller davantage vers un
encouragement à un « comportement de réformes ». Si cette
hypothèse se confirme, alors une réévaluation des programmes
actuels de soutien aux factions antigouvernementales à
l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie pourrait s’avérer plus
productive195.

Il fait part de ses inquiétudes sur le fait que les services de renseignement
syriens se doutent du soutien de Washington à l’opposition :

Jusqu’à quel point le renseignement [syrien] a compris que


le financement du gouvernement américain entre en Syrie et
par quelles organisations, n’est pas clair. […] Ce qui est clair,
cependant, est que la sécurité s’intéresse toujours davantage à
cette question196.

Très tôt, la révolution en Syrie apparaît différente des insurrections


tunisienne et égyptienne. Les revendications initiales en faveur d’une
démocratisation du régime sont rapidement tombées pour se concentrer – dès le
7 avril 2011 – sur le renversement du gouvernement de Bachar al-Assad. En
juillet 2011, la création de l’Armée syrienne libre (ASL), avec d’ex-officiers de
l’armée syrienne et son armement avec l’aide des États-Unis et de la France, a
constitué un pas décisif vers la militarisation et l’escalade du conflit.
Dès le début des incidents dans le sud du pays, on trouve des traces d’une
implication d’Israël, qui espérait ainsi pouvoir se débarrasser du régime syrien,
comme on l’avait vu en Tunisie, en Égypte et en Libye. La découverte d’armes
d’origine israélienne en 2012 auprès d’insurgés syriens sera suivie de
nombreuses indications de l’implication d’Israël dans le conflit, visant à
renverser le régime en place.
Dès le début 2012, des transports organisés par la Central Intelligence
Agency (CIA), et exécutés par des avions-cargos saoudiens, croates, jordaniens
et américains vers la base aérienne turque d’Esenboga, acheminent des tonnes de
matériel militaires vers les rebelles syriens. Ces livraisons, qui s’accroissent dès
novembre – après les élections présidentielles américaines –, comprennent des
armes collectives antichars et des missiles portables antiaériens en provenance
de Libye197.
Mais très rapidement d’autres puissances apparaissent aussi sur le théâtre des
opérations, outre l’Arabie saoudite et le Qatar : la France et les États-Unis. En
mars 2012, 13 officiers français sont capturés par l’armée syrienne à Baba Amr à
Homs dans un quartier jusqu’alors tenu par les Phalanges Al-Farouq et Khalid
Bin al-Walid initialement parties de l’Armée syrienne libre (ASL) et soutenues
par la France. En mai 2014, le Président Hollande, confirme que la France a
commencé à livrer des armes aux rebelles syriens dès 2012 (malgré l’embargo
sur les armes décrété par l’Union européenne198 en mai 2011199). Pourtant, le 28
mars 2013, il affirmait :

Il ne peut y avoir de livraison d’armes à la fin de


l’embargo […] s’il n’y a pas la certitude que ces armes seront
utilisées par des opposants légitimes et coupés de toute
emprise terroriste […] Pour l’instant, nous n’avons pas cette
certitude.

Et il ajoute :

Aujourd’hui, il y a un embargo, nous le respectons […]


[mais cette règle est] violée par les Russes qui envoient des
armes à Bachar el-Assad, c’est un problème200.

Les Occidentaux proclament naturellement qu’ils soutiennent les factions


armées modérées, et notamment l’ASL. Mais les limites d’une politique
cohérente en l’absence d’un renseignement solide sont ici clairement illustrées :
la Phalange Khalid Bin al-Walid, armée et entraînée par la France, est
aujourd’hui une unité de l’État islamique201, et en mars 2012 déjà, la Phalange
al-Farouq, également entraînée par la France, procède à une épuration ethnique
contre la population chrétienne de la ville, généralement considérée favorable au
régime syrien, comme le rapporte l’Église orthodoxe chrétienne de Syrie202.
Bien que la dimension islamiste radicale ait été identifiée dès le début de
l’insurrection, elle a été masquée au profit d’un discours occidental lénifiant,
orienté sur son côté populaire et l’établissement de la démocratie. Pour la France
et les États-Unis, l’ennemi est alors clairement Bachar al-Assad.
Afin de justifier sa posture incohérente, le gouvernement français a été
contraint d’accentuer la responsabilité de Bachar al-Assad sur la situation en
Syrie. Ce sont la France et les États-Unis, bien avant d’aller bombarder l’État
islamique en Syrie, qui ont militarisé le « printemps syrien », par leur soutien
matériel aux factions « modérées », qui sont loin de représenter les valeurs
humanistes que l’on clame. Le 12 décembre 2012, le ministre des Affaires
étrangères français, Laurent Fabius, déclarait203, lors d’une conférence de presse,
regretter que les états-Unis aient porté le Front al-Nosrah204 sur la liste des
organisations terroristes de leur département d’État205 !
Et 2 semaines plus tard, on apprenait que des éléments de l’ASL – soutenue
par l’Occident, et réputée encore plus « modérée » – avaient décapité un chrétien
et donné son cadavre comme nourriture à des chiens206.
Mais en plus de cela, la formation donnée par les États-Unis aux combattants
des groupes rebelles « modérés » semble bien peu compatible avec ce que
l’intervention occidentale veut promouvoir :
Ils nous ont entraînés à tendre des embuscades à des
véhicules ennemis du régime et à couper les routes […] Ils
nous ont également formés à attaquer des véhicules, à les
fouiller, à trouver des informations, des armes ou des
munitions, et à achever les soldats encore vivants après une
embuscade207.

Autre exemple du caractère très discutable des choix de la France et


des États-Unis en ce qui concerne le soutien des rebelles contre le
régime de Bachar al-Assad, est que ces groupes « modérés » n’ont guère plus de
considération pour les Droits de l’homme que les autres acteurs du conflit,
comme naguère les groupes qu’ils avaient soutenus en Libye. Ainsi, l’Armée de
l’Islam (Jaïsh al-Islam) – soutenue par l’Arabie saoudite, les États-Unis et la
France – utilise-t-elle des cages dans lesquelles ses miliciens enferment des
chrétiens, afin de les exposer comme boucliers humains mobiles contre les
frappes occidentales et russes.
La bataille de Kobane (Aïn al-Arab) a été proclamée comme un des succès
des bombardements américains en Syrie. Si effectivement, l’appui américain a
permis aux Kurdes de se dégager de la menace islamiste durant un moment, il a
également eu comme effet stratégique de donner aux factions rivales islamistes
(en particulier le Front al-Nosrah et l’État islamique) un ennemi commun, et les
a conduits à unir leurs forces208.

En fait, on savait déjà, dès 2012, que l’Armée syrienne libre (ASL)
était dominée par les islamistes209 et que les armes fournies par
l’Occident arrivaient immanquablement dans les mains des Djihadistes210. On
observe dès cette période une modification des logos des diverses factions de
l’ASL vers une symbolique plus islamiste211 ; il s’agissait alors aussi pour ces
groupes d’accentuer leur image sunnite pour bénéficier de l’aide de l’Arabie
saoudite et du Qatar.
En 2013, l’OTAN considère que l’ASL ne combat plus contre Assad et que
seuls les islamistes assurent ce combat212. En effet, la présence écrasante
d’islamistes radicaux au sein de l’ASL remet en question son existence-
même213. Ainsi, en octobre 2015, le ministre des Affaires étrangères russe
Sergueï Lavrov, répondant aux critiques occidentales sur les premières vagues
de bombardements russes contre les rebelles syriens, déclarait :

Personne ne nous a dit où l’Armée syrienne libre opère, ni


comment et où les unités de l’opposition modérée agissent.
Nous sommes prêts à établir des contacts avec elle, s’il
s’agit effectivement de groupes armés efficaces de l’opposition
patriotique modérée composée de Syriens.
Jusqu’à présent, l’Armée syrienne libre reste un groupe
fantôme […] Rien n’est connu sur elle214.

Au début 2014, la livraison de missiles antichars américains BQM-71 TOW-


2 est annoncée officiellement. L’apparition de ces missiles soulève quelques
questions. Non seulement, il est aujourd’hui démontré que certains de ces
missiles (d’une portée utile de 4,2 km) sont engagés régulièrement depuis le
territoire turc par-dessus la frontière contre des positions fortifiées et des blindés
syriens, mais encore que les unités rebelles qui les ont reçus – déclarées
« modérées » par les Américains, comme le Harakat al-Hazm – collaborent
régulièrement avec des formations rebelles considérablement plus radicales,
comme le Front al-Nosrah, à qui elles prêtent leurs armes. Puis, au début 2015, à
la suite d’un différend, le Harakat al-Hazm sera défait par le Front al-Nosrah, qui
reprendra ses armes sophistiquées fournies par les Américains.
Comme on le constate, la structure de la rébellion syrienne ne s’apparente en
aucune manière à une structure de rébellion traditionnelle, mais se transforme au
gré des opportunités et des situations tactiques, sans considération pour les
questions idéologiques. Des groupes ennemis un jour peuvent être alliés le
lendemain, ce qui rend le soutien matériel à ces mouvements extrêmement
aléatoire, particulièrement lorsqu’on les connaît mal, ce qui est le cas.
Les Occidentaux (comprendre : les États-Unis et la France) tendent à
maintenir la fiction d’une opposition laïque en Syrie afin de justifier leur aide
contre le régime de Bachar al-Assad. Il en est ainsi du « Front Sud » « apparu »
le 13 février 2014 dans les gouvernorats de Daraa, Damas, Quneitra, et
Suweydah à partir de la désagrégation de l’Armée syrienne libre (ASL) dans le
sud du pays. Du moins, c’est ce qui est rapporté par les canaux occidentaux. Il
serait composé d’une cinquantaine de groupes armés (les analyses oscillent entre
49 et 56), parmi lesquels les Liwa al-Yarmouk et Liwa al-Muhajirin wa Ansar. Il
serait dirigé par Bachar al-Zoubi, également commandant de la Liwa al-
Yarmouk. Le communiqué de presse pour sa fondation insiste sur son caractère
non islamiste et l’autonomie opérationnelle de ses composantes, qui ne
disposeraient pas d’un état-major conjoint. Cette apparition du « Front Sud »,
juste avant la décision du Congrès américain du 18 septembre 2014, qui autorise
le financement et le soutien à la rébellion syrienne215, est troublante et, pour de
nombreux observateurs, ne semble ne pas être le fruit du hasard. En effet, aucun
commandement ni aucune unité de ce front n’a montré une activité coordonnée.
Selon certains, il pourrait s’agir d’une création factice, encouragée par les
Américains, qui serait en fait une simple déclaration d’intention (et de bonne
conduite) destinée à pousser les députés américains à délier les cordons de la
bourse216.
En réalité, il est impossible de distinguer clairement entre opposition
modérée et opposition radicale. En décembre 2015, un rapport produit par la
fondation britannique « Tony Blair » relève l’impossibilité d’une telle
distinction217 :

Quelles que soient les tentatives des puissances


internationales pour distinguer entre « modérés » acceptables
et « extrémistes» inacceptables, cela est incohérent. Les
superpositions sont sans fin. Lors d’une bataille à Jisr al-
Shughour cette année, les forces du Front al-Nosrah ont été
utilisées comme troupes de choc, avec un appui de feu par des
rebelles soutenus par l’Occident. Parallèlement, un groupe de
l’Armée syrienne libre, vérifié et soutenu par les États-Unis, a
été rapporté comme ayant menti à propos de sa collaboration
avec le Front al-Nosrah.

En avril 2015, l’armée américaine lance un programme de 500


millions de dollars pour entraîner 5400 rebelles syriens par an pour
lutter contre le régime de Bachar alAssad et l’État islamique218. La formation
d’une première volée de rebelles « soigneusement sélectionnés » est annoncée
par le Central Command le 7 mai 2015219. Mais, le 16 septembre 2015, le
général Lloyd Austin, commandant de l’US Central Command, responsable de la
mise en œuvre du programme, rapporte que déjà 42 millions ont été dépensés, et
que les 54 premiers soldats formés ont été tués, ont fui ou sont passés à l’ennemi
(c’est-à-dire à l’État islamique) lors de leur premier engagement en Syrie et que
seuls restent… « 4 ou 5 » combattants220 !
L’obsession de la France et des États-Unis à satisfaire Israël dans sa volonté
de faire tomber le gouvernement syrien a conduit ces pays à soutenir
l’opposition islamiste – qui s’est avérée très tôt être associée à l’État islamique –
au détriment des centaines de groupes et milices d’auto-défense des
communautés chrétiennes et chiites (dont les médias ne parlent jamais !) qui
constituent aujourd’hui une bonne partie des réfugiés syriens. Ainsi, à cause
d’une obstination peu compréhensible de la France et des États-Unis à soutenir
les différents groupes islamistes, les forces vives chrétiennes et chiites sont
progressivement décimées et la Syrie se vide des forces qui permettraient un vrai
renouveau après le conflit. Les minorités chrétiennes de Syrie sont aujourd’hui
abandonnées, comme l’ont été les minorités chrétiennes irakiennes après 2004.
Il apparaît assez rapidement que l’intervention des pays occidentaux a eu un
effet déstabilisateur sur la situation, comme l’avaient prophétisé très tôt des
organisations chrétiennes américaines et européennes :

Le problème pour la Syrie est que s’il y a des interférences


de gouvernements étrangers, ce sont les chrétiens et les autres
minorités qui en souffriront le plus221.

Essentiellement parce que les États-Unis et la France se placent dans une


relation triangulaire contre le régime du président Assad, ils constituent une
menace pour les communautés chrétiennes de Syrie. C’est le message lancé en
2014 par l’évêque Armash Nalbandian, primat de l’Église arménienne de
Damas :

Les États-Unis doivent changer leur politique et choisir la


voie de la diplomatie et du dialogue, non soutenir les rebelles
et les appeler combattants de la liberté222.

La particularité des interventions coalisées en Syrie est qu’elles ne sont


intégrées dans aucune stratégie d’ensemble. Menées indépendamment du
gouvernement syrien – voire contre lui –, les frappes ne font partie d’aucun
concept global qui permette, par exemple, d’exploiter les effets de ces frappes ou
de restaurer une autorité quelconque. L’objectif est simplement de frapper.
Le gouvernement français, plus que le gouvernement américain a mis
l’accent sur le renversement du régime Assad. Alors que la responsabilité morale
des États-Unis pour soutenir le gouvernement irakien contre les islamistes se
conçoit facilement, les raisons françaises s’expliquent mal. En admettant que les
déclarations de François Hollande en août 2015 constituent un objectif, la
manière de l’atteindre semble totalement dépourvue de stratégie cohérente223 :

Un dialogue peut être engagé, faut-il en fixer les


conditions. La première, c’est la neutralisation de Bachar al-
Assad. La seconde, c’est d’offrir des garanties solides à toutes
les forces de l’opposition modérée, notamment sunnites et
kurdes, et de préserver les structures étatiques et l’unité de la
Syrie.

En outre, la déclaration d’illégitimité du président Assad sur laquelle se base


cette détermination à le renverser semble être contredite par l’OTAN même, qui
affirmait en 2013 que Bachar al-Assad bénéficiait du soutien de 70 % de la
population syrienne224. On soulignera ici le côté paradoxal de la situation quand
on constate que l’indice de popularité du président français se situait alors à
29 %225… avant de retomber à 15 % la même année ! En fait, la raison pour
laquelle les Occidentaux – États-Unis et France en tête – sont réticents à
favoriser un développement vers la démocratie et une élection populaire pour le
successeur de Bachar al-Assad, est que ce dernier pourrait bien gagner une telle
élection226 ! Cela explique – au moins en partie – le jeu pervers mené par la
France et les États-Unis, qui ont tout fait pour vider la Syrie de ses éléments
chiites et chrétiens, généralement favorables au régime, en soutenant les milices
sunnites.
Il est intéressant de noter ici qu’aux États-Unis, c’est le pouvoir politique qui
pousse à la guerre. En juillet 2013, dans une présentation au Congrès, le Chef de
l’état-major conjoint, Martin E. Dempsey, recommande que les États-Unis
n’interviennent pas dans le conflit syrien et affirme que les tentatives de
renverser Assad ne peuvent conduire qu’à une détérioration de la situation
sécuritaire227. L’analyse confidentielle sur laquelle il s’appuie confirme que
l’aide fournie aux rebelles « modérés » s’est transformée en une aide aux
mouvements djihadistes radicaux comme le Jabhat al-Nosrah et plus tard l’État
islamique228.

L’État islamique

Comme on l’avait constaté pour « Al-Qaïda », l’apparition de l’État


islamique (EI) (al-Dawlah al-Islamiyah) est souvent perçue comme l’expression
d’un plan machiavélique élaboré entre Washington DC et Tel Aviv pour des
raisons aussi diverses qu’obscures. Il ne fait aucun doute que les Occidentaux
sont à l’origine de l’émergence de l’EI, mais pour des raisons beaucoup plus
triviales. Des visions à court terme, une connaissance médiocre du contexte
culturel et une lecture ethnocentrique des conflits latents de la région ont conduit
à sous-estimer les conséquences des actions politiques et militaires occidentales.
En clair, la sottise et l’aveuglement sont les causes les plus certaines de cette
émergence.
L’EI a ses racines en Irak dans le Groupe de l’unicité et du Djihad (Jama’at
al-Tawhid wal-Djihad), apparu le 24 avril 2004 comme groupe de résistance à
l’occupation américaine. Cette origine irakienne, aujourd’hui déniée par le
gouvernement français qui cherche à attribuer l’émergence de l’EI à Bachar al-
Assad, est clairement assumée par les islamistes eux-mêmes, comme l’affirmait
Abou Moussab al-Zarkawi en septembre 2004229 :

L’étincelle est apparue ici en Irak et sa chaleur continuera


à se développer – si Allah le permet – jusqu’à ce qu’elle brûle
les Croisés à Dabiq230.

Le 17 octobre de la même année, le groupe décide de se donner une base


plus large et prend le nom d’Organisation de la base du Djihad en Mésopotamie
(OBDM) (Tanzim Qaïdat al-Djihad fi Bilad al-Rafidaïn). Le mot « base »
(« Qaïdah ») est alors immédiatement interprété comme une décla-ration
d’affiliation à « Al-Qaïda », en dépit du fait que sa genèse et ses objectifs sont
différents des revendications initiales d’Oussama Ben Laden : il ne s’agit plus de
forcer les États-Unis à quitter la terre sainte d’Arabie saoudite, mais de
résistance militaire face à une occupation. En janvier 2006, le chef de l’OBDM,
Abou Moussab al-Zarkawi, élargit son groupe en y intégrant divers groupes
sunnites, créant ainsi le Conseil consultatif des moudjahidines en Iraq (Majlis
Shura al-Mujahidin fi’l-Eiraq). En octobre 2006, 4 mois après la mort d’Al-
Zarkawi, son successeur, Abou Hamza al-Mouhajir, intègre ses forces dans un
groupe nouvellement créé et dirigé par Abou Omar al-Baghdadi : l’État
islamique d’Irak (EII) (Dawlat al-’Eiraq al-Islamiyah).
Les Lettres d’Abbottabad231 nous dévoilent qu’à ce stade Oussama Ben
Laden ne se réjouit pas à l’idée de la création d’un « État islamique » et que,
critique quant à la manière dont l’OBDM avait fonctionné sur le terrain, il ne
voit pas d’un bon œil le renforcement de l’État islamique d’Irak232.
Il estime alors que les capacités d’une telle structure ne sont pas de nature à
protéger les populations contre l’intervention occidentale, ni à fournir les
prestations attendues d’un État. Il adoptera la même position par rapport à des
initiatives similaires provenant d’autres groupes (comme la Base du Djihad dans
la péninsule arabique, au Yémen, ou Al-Shabaab, en Somalie).
Dès 2011, grâce à l’appui militaire et aux livraisons d’armes des États-
Unis233, de la Turquie et de la France, les groupes djihadistes commencent à se
développer dans la partie sunnite de la Syrie, à l’est du pays, contraignant le
gouvernement syrien à resserrer son dispositif sur la partie ouest du pays. Il en
résulte un vide du pouvoir dans l’est de la Syrie, avec, comme corollaire, la perte
de contrôle de la frontière irakosyrienne qui constituera un appel d’air pour
l’État islamique d’Irak (EII). A priori, le combat de l’EII, qui n’est ni syrien ni
composé de Syriens, n’est pas dirigé contre le régime du président Assad, mais il
se situe dans une perspective plus large de lutte d’influence entre sunnisme et
chiisme. C’est un prolongement du conflit irakien, où l’arrivée au pouvoir des
chiites, grâce à l’intervention américaine, a rompu l’équilibre régional qui
existait.
Pour les États-Unis, la France et Israël, l’émergence de cette insurrection
sunnite, dont l’État islamique, permet de s’attaquer à l’influence de l’Iran dans la
région et de couper la Syrie et le Hezbollah libanais de leur allié. C’est ainsi que,
début août 2012, la DIA américaine publie un « rapport d’information » classifié
SECRET sur la situation en Syrie, qui identifie clairement l’avantage de soutenir
les islamistes syriens, et ce malgré les risques de voir apparaître un État
islamique234 :

Si la situation le permet, il y a la possibilité


d’établir une zone déclarée salafiste ou non dans l’est
de la Syrie (Hasaka et Deir Zor), et c’est exactement ce que les
pays qui soutiennent l’opposition veulent afin d’isoler le
régime syrien, qui est considéré comme la profondeur
stratégique de l’expansion chiite (Irak et Iran)235.

Le lendemain de la publication de ce rapport, le Conseil pour les relations


internationales, basé à New York et à Washington, publie un article qui s’en
inspire et souligne le fait que l’opposition « modérée » ne parviendra pas à
subsister sans une alliance avec les islamistes d’« Al-Qaïda ». Il était donc
parfaitement connu que l’opposition syrienne – déjà très radicalisée – ne pouvait
qu’évoluer vers un Djihadisme encore plus radical236.
Rappelons qu’en 2012, les aspirations de l’État islamique d’Irak sont
exclusivement locales, comme le souligne le rapport annuel de la police
européenne EUROPOL sur le terrorisme dans son édition de 2013 (donc portant
sur 2012, avant les frappes occidentales en Syrie) :

L’État islamique en Irak237 a accentué la nature locale de


son combat et a délibérément abandonné l’idéologie et
l’empreinte d’Al-Qaïda et son Djihad global 238.

À ce stade, l’État islamique ne constitue donc pas une menace pour


l’Occident. Mais l’intérêt pour les États-Unis – comme pour la France, d’ailleurs
– est d’avoir une force rebelle suffisamment puissante, violente et radicale,
capable de provoquer une réponse brutale du gouvernement syrien, qui puisse
justifier son renversement239. Car l’objectif de ces deux pays, nous l’avons dit,
est de renverser le régime syrien, dans la ligne de ce que souhaite le
gouvernement israélien.
En avril 2013, après s’être bien implanté dans l’est de la Syrie, et avoir
financé le Front al-Nosrah (Jabhat al-Nosrah) l’EII tente de l’absorber et prend le
nom d’État islamique en Iraq et au Levant (EIIL) (Dawlah al-Islamiyah
fil-’Eiraq wal-Sham)240. Les relations entre les deux groupes connaissent des
hauts et des bas, mais la désapprobation, en mars 2014, d’Ayman al-Zawahiri
(considéré comme le successeur d’Oussama Ben Laden) sur la question de la
création d’un Califat, consacrera leur division. Il y aura encore une brève
tentative de fusion à la fin juin 2014241, avant que l’EIIL ne devienne
simplement l’État islamique (EI) (Dawlah al-Islamiyah) au 29 juin 2014. Au
niveau opérationnel, les deux groupes sont essentiellement divisés par des
rivalités de personnes, même si la propagande de l’État islamique met en avant
des différences d’interprétation dans l’application du Coran. Toutefois, au
niveau régional, leur objectif stratégique est le même, comme le précise le chef
du Front al-Nosrah, Abou Mohammed al-Jaulani :

En tout cas, l’État islamique en Syrie sera construit par


tout le monde, sans exclusion d’aucune partie ayant participé
au Djihad et au combat en Syrie242.

Après les attentats de Paris en janvier et novembre 2015, le gouvernement


français répétera à l’envi que l’État islamique est un allié du régime du président
Bachar al-Assad et a été créé par lui243. En janvier 2014 déjà, Laurent Fabius,
alors ministre des Affaires étrangères, affirmait à Genève :

Je crois qu’il y a une alliance objective entre M. Bachar el-


Assad et les terroristes. Une alliance objective, pourquoi ?
C’est le revers et l’avers d’une même médaille244.

L’affirmation est mensongère, absurde et destinée à justifier la politique


française envers le gouvernement syrien. Mais elle est reprise par certains
exégètes245 dans des montages alambiqués, attribuant à Bachar al-Assad la
création de l’État islamique comme « contre-feu » face à l’opposition.
Colportées par le gouvernement Hollande, ces allégations sont démenties par les
faits : elles se basent sur l’hypothèse que les divers mouvements insurgés en
Syrie se battent avec une égale violence entre eux et contre le régime. Or, c’est
inexact. Il y a en Syrie environ 130 organisations combat-tantes majeures et plus
de 1000 phalanges, dont les loyautés sont fluctuantes et qui s’affrontent au gré
des opportunités pour des motifs plus politiciens que politiques, mais qui
présentent les mêmes degrés de virulence. Faire une distinction entre les uns et
les autres, tant au plan de la doctrine que de la brutalité, relève du sophisme.
La désinformation occidentale vise ici plusieurs objectifs. En premier lieu,
elle veut masquer le fait que la politique française s’aligne sur la politique
israélienne (tout au moins est-elle perçue comme telle), ce qui constituera l’une
des rai-sons des attentats de janvier 2015 à Paris, comme le soulignera la vidéo
de revendication laissée par Amédy Coulibaly. En deuxième lieu, elle cherche à
imposer une distinction entre les « mauvais » et les « bons » rebelles – que l’on
peut légitimement soutenir. En troisième lieu, il s’agit de culpa-biliser davantage
le régime syrien au niveau des victimes de la guerre et de déplacer la
responsabilité des attentats de Paris en 2015 sur le régime syrien, afin d’exonérer
les Occidentaux pour leurs erreurs de jugement en aidant les oppositions
islamistes libyennes et syriennes. C’est pourtant bien l’action occidentale – et
non la Syrie de Bachar al-Assad – qui a permis l’apparition de l’État islamique.
Même les États-Unis le reconnaissent246 et l’État islamique lui-même le
confirme dans son organe officiel :

Le 12 juin 2014, le croisé John McCain vient à la tribune


du Sénat pour vitupérer sur les victoires de l’État islamique en
Irak. Il a oublié qu’il a lui-même participé à l’invasion de
l’Irak qui a conduit aux événements bénis, qui se déroulent
aujourd’hui par la bonté et la justice d’Allah […]247

Il faut cependant bien comprendre que cette « création » n’est pas


le produit d’une intelligence supérieure, mais bien au contraire, le
cumul de plusieurs problèmes tels que le manque de renseignement et de
planification, un grand opportunisme et l’absence de contrôle parlementaire en
matière de politique étrangère. En fait, les États-Unis – comme la France – ont
observé l’émergence de l’État islamique avec une bienveillance mêlée de
naïveté, mais sans réaliser la portée de cette évolution, et l’ont délibérément
laissé se dérouler en pensant que cela servirait leurs objectifs, comme le
confessait le lieutenant-général Michael Flynn, ex-Commandant du
commandement conjoint des opérations spéciales (2004-2007) et ex-directeur de
la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine (2007-2014).
Je pense que c’était une décision délibérée [du
gouvernement]248 !

La qualité de l’État islamique comme force militaire et sa capacité à


conquérir ont été largement médiatisées et servent aujourd’hui de prétexte aux
interventions de la coalition internationale. La réalité est plus prosaïque. La
rapide et impressionnante progression de l’État islamique à travers l’Irak et la
Syrie, que l’on peut visualiser sur la carte, est trompeuse. En fait, la progression
ne s’est limitée uniquement qu’aux grands axes routiers, le reste du territoire
« conquis » étant en majeure partie désertique. On a souvent comparé son avance
rapide à la « Blitzkrieg » allemande de la Seconde Guerre mondiale. Il n’en est
rien. Les opérations allemandes étaient le résultat de l’intégration des différentes
composantes aériennes et terrestres dans un seul concept opératif. Ce n’est pas le
cas avec l’État islamique, qui joue sur une réputation de brutalité pour effrayer
ses adversaires.
Toujours dans le but d’expliquer les succès de l’État islamique, on a
également tenté de le présenter comme une alliance entre les Djihadistes et les
anciens militaires de l’armée de Saddam Hussein249. Une fois encore, il s’agit de
dégager les Occidentaux de leurs responsabilités dans des programmes de
formation aussi exorbitants qu’inefficaces250. Mais là aussi, les affirmations
gratuites ne résistent pas à l’analyse. Les tactiques utilisées par l’État islamique
n’ont rien à voir avec celles, très conventionnelles, utilisées par l’exarmée
irakienne, mais sont bien davantage liées aux tactiques utilisées en Tchétchénie
et au Daguestan par les islamistes contre les forces russes. C’est l’apport des
Djihadistes de l’Émirat du Caucase251 qui a été déterminant252.
Une partie du problème est qu’en Irak, les forces armées, supposées
maintenir la souveraineté de l’État et contenir les rebelles, formées et armées par
les États-Unis, ont été incapables de remplir leur mission. Leur manque de
détermination à combattre a donné à l’État islamique des victoires pratiquement
sans combats, comme à Mossoul, où 30 000 militaires irakiens ont capitulé
devant 800 combattants de l’État islamique253. En Syrie, comme nous l’avons
vu, c’est la militarisation de l’opposition – avec l’aide des États-Unis et de la
France – qui a favorisé la progression de l’État islamique.
À partir de là, il fallait représenter l’État islamique comme suffisamment
faible pour pouvoir être combattu par les frappes de la coalition internationale, et
suffisamment fort pour expliquer les échecs des forces soutenues par l’Occident.
Il en est résulté une distorsion délibérée des renseignements en provenance du
Central Command (CENTCOM), responsable des opérations militaires
américaines au Proche et Moyen-Orient, qui a été dénoncée par les analystes de
renseignement eux-mêmes, dans une lettre adressée à l’inspecteur général des
forces armées américaines254.
Il faut également noter que la distinction faite en Occident entre l’État
islamique et « Al-Qaïda » avec d’autres factions islamistes, comme le Front al-
Nosrah, même si elle est effective sur le terrain, reste très académique et très
conjoncturelle. Leurs fondements doctrinaux, ainsi que leurs méthodes de
combat et d’influence opérative, sont très proches et ils coopèrent régulièrement
au niveau opérationnel. Leurs différences au niveau de l’interprétation de
certains textes et principes religieux et de leur traduction opérationnelle tendent
à s’effacer de manière opportuniste, en fonction de la situation tactique. Les
relations « transitives » que l’on reconstitue sur la base de notre logique ne
fonctionnent pas exactement comme nous le voyons. La Base du Djihad dans la
péninsule arabique (que l’on considère généralement dans la « constellation
d’Al-Qaïda »), tout comme l’État islamique, n’avaient pas reçu la bénédiction
d’Ayman al-Zawahiri, considéré comme le chef d’« Al-Qaïda », mais les deux
utilisent les mêmes principes doctrinaux quant à l’usage du terrorisme, que nous
détaillerons plus loin.
À ceci s’ajoute le fait que l’approche sélective des Occidentaux dans leur
intervention en Irak et en Syrie en 2014-2015 a conduit à une véritable
surenchère dans la violence. Les défections observées de militants de l’État
islamique vers d’autres factions ne sont pas motivées par un rejet de l’EI, mais
plutôt par l’idée que leurs chances de survie sont plus élevées. En clair, ces
défections ne sont pas nécessairement l’expression de rivalités entre l’EI et les
autres groupes, et tendent à généraliser les pratiques de l’EI. Ainsi, l’idée de
« diviser pour régner » qui domine la réflexion stratégique israélienne et
occidentale semble conduire à une plus grande convergence entre les groupes
armés, où les rivalités partisanes (« Hizbiyya ») ne deviennent que des combats
de chefs, mais avec des militants de base aux comportements relativement
similaires.

L’usage d’armes chimiques

Les diverses attaques à l’arme chimique dont les populations civiles


syriennes ont été l’objet ont suscité un émoi considérable en Occident.
Fortement médiatisées et très rapidement attribuées au gouvernement syrien,
dans le but évident de justifier une intervention militaire contre le régime, ces
attaques méritent d’être replacées dans leur contexte.
Au milieu des années 80, après qu’Israël se fut doté de l’arme atomique, la
Syrie entreprend de s’équiper d’un moyen de dissuasion contre une éventuelle
agression nucléaire. Le soutien des États-Unis et la capacité de seconde frappe
qu’ils peuvent offrir, font d’Israël le seul pays du Moyen-Orient virtuellement
capable de déclencher un conflit nucléaire. C’est le refus d’Israël, en 1981,
d’appliquer la Résolution 487 du Conseil de sécurité des Nations unies
l’enjoignant de mettre son arsenal nucléaire sous la supervision de l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA)255 qui pousse la Syrie à se doter de
l’arme chimique comme moyen de dissuasion. La Syrie est signataire du Traité
de non-prolifération nucléaire et respecte les clauses de sauvegarde de l’AIEA.
Par ailleurs, il convient de rappeler ici que la Syrie n’a jamais utilisé ses armes
chimiques, comme l’avait fait l’Irak durant sa guerre contre l’Iran avec l’aide
active des États-Unis256.
Dès la fin 2012, des rapports non confirmés font état de l’usage d’armes
chimiques en Syrie. Assez curieusement, ils font suite à une déclaration du
président Obama, du 20 août 2012, dans une entrevue avec des journalistes, qui
émet l’idée d’une « ligne rouge » et suggère que les États-Unis pourraient
intervenir au profit de la rébellion en Syrie sous certaines conditions :

Nous avons été très clairs envers le régime Assad, ainsi qu’avec
d’autres acteurs sur le terrain, qu’une ligne rouge est pour nous le fait
de voir une quantité d’armes chimiques être déployée ou utilisée. Cela
changerait mon calcul. Cela modifierait mon équation257.
Mais les prétendues attaques de 2012 ne déclenchent rien : les observations
rapportées par les services de renseignement français et britanniques ne sont pas
solides. Il faudra attendre le 19 mars 2013, avec une attaque chimique qui frappe
le village de Khan al-Assal, suivie de plusieurs attaques confirmées et non
confirmées en avril, pour avoir des informations plus consistantes sur l’usage
d’armes chimiques.
Toutefois à ce stade, et en dépit des accusations des gouvernements français
et américain contre le régime syrien, l’usage des armes chimiques par les
rebelles ne fait guère de doute. Début mai 2013, il est déjà établi que les groupes
rebelles syriens sont en possession d’armes chimiques. Des informations
concordantes indiquent que les attaques de mars et avril viennent des rebelles.
Le 6 mai 2013, Mme Carla del Ponte, membre de la Commission d’enquête des
Nations unies sur la Syrie258 déclare que les rebelles ont utilisé des armes
chimiques lors des attaques de mars et avril 2013259. Les conclusions des
Nations unies sont confirmées par l’ambassadeur russe auprès des Nations unies,
Vladimir Churkin, qui a fait analyser des échantillons récupérés à Khan al-Assal
par un laboratoire agréé par l’Organisation pour l’interdiction des armes
chimiques (OIAC) : on constate alors l’absence de stabilisateur dans les
composants chimiques des munitions, confirmant une fabrication artisanale par
la brigade rebelle Bashair al-Nasr260.
Le 31 mai 2013, un fût de 2 kg de produit toxique chimique de type Sarin est
découvert dans le sud de la Turquie, par les forces de sécurité, dans
l’appartement d’un islamiste syrien affilié au Jabhat al-Nosrah li-Ahli al-Sham
(Front pour la protection du peuple du Levant, plus connu sous l’appellation
courte de Front al-Nosrah)261 un des groupes rebelles syriens soutenus par les
États-Unis, Israël et la France (!). Le 20 juin, un rapport secret de la Defense
Intelligence Agency (DIA) américaine – l’équivalent de la Direction du
renseignement militaire (DRM) française – confirme que le Front al-Nosrah a
établi une capacité de production de toxiques chimiques sans précédent262.
Comme pour confirmer les conclusions américaines, le 7 juillet, l’armée
syrienne découvre à Banias un laboratoire clandestin destiné à la fabrication de
toxiques chimiques, avec 281 fûts pleins, entreposés à l’intérieur263.
Mais ce sont les événements de la nuit du 20 au 21 août 2013 à Al-Ghouta,
où des armes chimiques auraient été utilisées contre la population civile
syrienne, causant quelque 1500 morts, qui ont frappé l’opinion mondiale. Les
Prési-dents Obama et Hollande sont alors prêts à intervenir militairement avec
des frappes aériennes contre le gouvernement syrien. En France, le 2 septembre,
une « Synthèse nationale de renseignement déclassifié » est rendue publique afin
d’appuyer la position du président Hollande. Proposant une analyse très
sommaire, elle contredit les informations disponibles à ce moment et conclut :

Il est clair, à l’étude des points d’application de


l’attaque, que nul autre que le régime ne pouvait s’en
prendre ainsi à des positions stratégiques pour l’opposition.
Nous estimons enfin que l’opposition syrienne n’a pas les
capacités de conduire une opération d’une telle ampleur avec
des agents chimiques. Aucun groupe appartenant à
l’insurrection syrienne ne détient, à ce stade, la capacité de
stocker et d’utiliser ces agents, a fortiori dans une proportion
similaire à celle employée dans la nuit du 21 août 2013 à
Damas. Ces groupes n’ont ni l’expérience ni le savoir-faire
pour les mettre en œuvre, en particulier par des vecteurs tels
que ceux utilisés lors de l’attaque du 21 août264.
Cette note de renseignement s’appuie exclusivement sur les capacités
estimées de la Syrie et ne comporte aucune analyse stratégique (intérêt de la
Syrie, cohérence d’une telle attaque le jour de la visite annoncée d’experts des
Nations unies sur les armes chimiques, etc.). Elle ne mentionne aucun indice qui
aurait pu ressortir du trafic des transmissions, de déploiement d’unités militaires
particulières dans le secteur (unités d’artillerie ou chimiques), ou de mesures de
protection qui auraient pu être prises par les unités militaires syriennes engagées
dans les combats. Elle se base en partie sur des vidéos des forces rebelles, dont
certaines avaient été mises en ligne plusieurs heures avant les événements (!) et
qui montraient – entre autres – les mêmes victimes en plusieurs endroits
différents et des infirmières faisant des injections à des cadavres265 ! Par ailleurs,
la note ne fait aucune référence à la découverte du laboratoire clandestin de
Banias, pourtant annoncé au Bureau des affaires du désarmement des Nations
unies et visité par des experts internationaux, ni ne prend en compte les
conclusions établies en mai par les Nations unies, et n’émet donc aucune réserve
sur son jugement catégorique contre le régime syrien.
Parmi les nombreuses carences que comporte la note des services français, la
plus importante est une estimation des trajectoires basée sur des roquettes
d’artillerie convention-nelles de 122 mm dont la portée maximale est de 20 km.
Or, le Massachussetts Institute of Technology (MIT) de Boston a pu établir que
les roquettes chimiques utilisées, réalisées artisanalement et plus lourdes, ont une
balistique totalement différente avec une portée maximale de 2,5-3 km, et n’ont
donc pu être tirées – apparemment – que des zones alors occupées par les
rebelles266. De fait, les roquettes retrouvées se présentent comme une fabrication
locale, qui ne correspond pas aux roquettes chimiques d’ordonnance, conçues
pour être utilisées avec ce système d’arme, et dont les forces syriennes disposent
sans aucun doute. Les conclusions du MIT seront confirmées plus tard par
d’autres analyses techniques267, même si le rapport établi par les Nations unies
en septembre 2013 reste prudent sur les auteurs de l’attaque, et tend à écarter
l’hypothèse d’une action gouvernementale.
L’analyse américaine est confirmée par divers témoignages crédibles : le
journaliste belge Pierre Piccinin, retenu comme otage en Syrie et libéré le 8
septembre, affirme avoir entendu une conversation confirmant la responsabilité
des rebelles dans l’attaque chimique268. Parallèlement, diverses analyses issues
de la région apparaissent, mettant clairement à jour la désinformation organisée
par les États-Unis et la France269.
De plus, depuis mai 2013, Bachar al-Assad était en train de reprendre
l’avantage sur les rebelles, il n’était pas aux abois. Le 18 juillet 2013, le général
Martin E. Dempsey, Chef d’état-major des armées270, témoignant devant la
Commission du Sénat pour les forces armées, affirmait qu’Assad avait repris la
main dans le conflit271. Ainsi, sur le plan opérationnel, l’engagement d’armes
chimique par le régime syrien était-il totalement incongru à ce moment : non
seulement l’armée syrienne avait l’avantage sur le terrain272 – et n’avait donc
aucune raison d’utiliser des armes de « dernier recours » – mais la date de ces
événements (le jour de l’arrivée en Syrie d’experts des Nations unies pour
discuter la question des armes chimiques) aurait été particulièrement mal
choisie. Mais là encore, la note « déclassifiée » produite par le gouvernement
français ne fait aucune mention de ces éléments essentiels d’appréciation, il est
difficile ici de ne pas y voir un mensonge par omission afin d’induire en erreur le
Parlement et l’opinion publique.
Ce sont finalement les prudentes hésitations d’Obama – le 31 août 2013 –
qui feront reculer le président Hollande, prêt à partir en guerre sur la base
d’informations mal vérifiées, voire fausses273. Finalement, l’acceptation par le
régime syrien de la proposition russe de démanteler son arsenal chimique sous
supervision internationale, finira de couper l’herbe sous les pieds des « va-t-en-
guerre » américains et français.
Dans une interview donnée le 10 juin 2013 à la chaîne de télévision Al-
Jazeera, le commandant du Front nord de l’Armée syrienne libre (ASL), le
colonel Abd al-Basset alTawil, donnait un mois à l’Occident pour fournir des
armes lourdes à l’ASL sans quoi il dévoilerait la vérité sur les armes
chimiques274 :

[…] En toute sincérité, nous voudrions un État


civilisé avec la loi islamique. Laissez-moi vous
donner un exemple : nous voulons pour notre armée une claire
nature islamique. Je laisse à la communauté internationale un
mois pour four-nir aux rebelles et à l’ASL les armes et les
munitions de sorte à ce que nous puissions vaincre ce régime
criminel. Nous leur donnons un mois. Si nous voyons que la
communauté internationale continue à ignorer notre
révolution, nous révélerons toutes les preuves que nous avons
[sur l’emploi des armes chimiques]. Je pense que vous
comprenez très bien ce que je veux dire.

Coïncidence ou non, 9 jours plus tard, la presse rapportait que les rebelles
recevaient leurs premières armes lourdes275…
Il apparaît très clairement aujourd’hui que les armes chimiques utilisées en
2013 en Syrie, l’ont été par les rebelles. Une opération « sous fausse bannière »
afin de donner aux États-Unis et à la France une raison pour intervenir contre le
régime de Bachar al-Assad.
Le 8 décembre 2012, le gouvernement syrien avait informé les Nations
unies276 que le Front al-Nosrah s’était emparé d’une usine chimique à Al-Safira,
près d’Alep, avec près de 200 tonnes de chlore277. Le 1er octobre 2014, les
Nations unies annoncent que les stocks syriens déclarés d’armes chimiques ont
été détruits et que les sites destinés à la production et au stockage seront
démantelés sous contrôle international le même mois, indiquant que le
gouvernement syrien remplit ses obligations278. Pourtant, le 6 mars 2015, à
l’instigation de la France, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la
Résolution 2209, qui condamne l’usage d’armes chimiques au chlore en
Syrie279, malgré le fait que jusqu’à cette date aucune attaque au chlore n’avait
été rapportée280. Or, dans les 2 mois qui suivent la promulgation de la résolution,
35 attaques au chlore par le gouvernement syrien sont rapportées281. Bachar al-
Assad attendait-il donc une résolution des Nations unies pour engager des armes
qui le condamneraient ?

En réalité, malgré le fait que le secrétaire d’État John Kerry se


déclare « absolument certain » que le régime syrien utilise des armes
chimiques contre sa popu-lation, les enquêtes menées par l’Organisation pour
l’interdiction des armes chimiques (OIAC) n’ont pas permis de confirmer
l’usage de chlore par les forces armées syriennes282, mais elles confirment
l’usage de « gaz moutarde » – nom courant de l’ypérite283 – et de chlore lors de
combats entre forces rebelles284. Bachar al-Assad sait que cette question est
déterminante pour une intervention internationale, car la Russie et la Chine
auraient alors du mal à s’y opposer au Conseil de sécurité. De manière très
conséquente, il a donc fait en sorte que la coopération syrienne soit totale dans
cette affaire. Ce n’est pas le cas des rebelles soutenus par la coalition
occidentale, qui cherchent à provoquer une implication internationale contre le
régime. Un rapport confidentiel de l’OIAC, publié le 29 octobre 2015, confirme
l’usage de gaz moutarde par les rebelles285.
Finalement, le 8 janvier 2016, la presse rapportait que l’OIAC, après avoir
analysé les échantillons de toxiques trouvés à Ghouta, avait conclu qu’ils ne
correspondaient pas à la structure des agents chimiques des stocks de l’armée
syrienne, disculpant ainsi le régime de Bachar al-Assad, mais incriminant les
groupes islamistes soutenus par la France et les États-Unis286.
Outre les armes chimiques, et dans une dynamique de désinformation
similaire, l’usage des « barils explosifs326 » est régulièrement attribué aux forces
armées syriennes, malgré le fait qu’aucune enquête sérieuse n’ait été faite sur ce
sujet. Il s’agit de bombes artisanales réalisées à partir de cylindres d’acier ou de
barils de pétrole et remplis d’explosif et de projectiles divers (clous, écrous,
etc.), tirées à partir de mortiers improvisés ou larguées à partir d’hélicoptères.
Ces bombes – qui sont toutes de facture différente – ont frappé la population
civile dès août 2012. Toute l’accusation contre les forces armées syriennes
repose sur l’hypothèse que les rebelles n’ont pas de moyens aériens. Or, c’est
faux. On sait que de nombreux pilotes ont déserté l’armée régulière au début du
conflit pour rejoindre l’Armée syrienne libre et que les rebelles ont été en
mesure d’employer plusieurs aéronefs288. Par ailleurs, en dépit des témoignages
oraux, les observations effectives et documents filmés de largages à partir
d’hélicoptères datent de la fin 2012, et coïncident avec la prise par les forces
rebelles de plusieurs bases d’hélicoptères de l’armée syrienne (Majr as-Sultan –
25 novembre 2012 ; Majr as-Sultan – 11 janvier 2013 ; Mennegh – 6 août
2013)289.
Par ailleurs, on se demande pourquoi l’armée syrienne s’engagerait dans la
manufacture de barils explosifs au fonctionnement incertain (comme le montrent
les nombreuses photos de bombes non explosées290), alors qu’elle dispose de
bombes russes OFAB-100 et OFAB-250-270 qui rempliraient plus sûrement la
même fonction291.
Ces armes terribles ont donc, selon toute vraisemblance, été utilisées par les
rebelles contre leurs propres populations, laissant la rumeur faire le reste.
L’aspect tragique de cette situation est qu’il est la conséquence des déclarations
imprudentes – pour ne pas dire criminelles – de pays occidentaux qui ont fait
comprendre aux rebelles que leur soutien et leur intervention était fonction des
massacres attribués au régime. Au final, les vrais promoteurs de ces massacres
sont donc les membres de la coalition internationale. Comme naguère en Libye,
où les « sonneurs d’alerte » étaient de connivence avec les rebelles pour
présenter une situation qui puisse justifier une intervention, les mêmes recettes
ont les mêmes effets. Une fois de plus, les pays occidentaux n’ont pas compris le
sens des conflits asymétriques où – à l’inverse des guerres symétriques – ce sont
les pertes qui apportent la victoire !
Comme 10 ans plus tôt avec la question des armes de destruction massive
irakiennes, l’affirmation de l’usage des armes chimiques par l’armée syrienne,
sans aucun élément probant et basée uniquement sur les allégations des
organisations islamistes rebelles, est relayée sans vergogne par des « experts »
dans la presse internationale292, dans le but de soutenir une intervention
occidentale dans le conflit. Une fois de plus, dans quelle mesure cela reflète-t-il
l’inca-pacité des services de renseignement à analyser correctement
l’information disponible ou la mauvaise foi des gouvernements à utiliser les
renseignements produits, est une question ouverte.
Pour le cas de la France, cet incident pourrait être révélateur de graves
faiblesses au sein de l’appareil gouvernemental et aurait mérité une attention
plus professionnelle de la part des organes parlementaires. On aurait pu en
déduire, par exemple, des indices pour renforcer les capacités analytiques des
services de renseignement, ou constater que l’administration de l’État a été
utilisée délibérément pour tromper la population française et ses parlementaires.

Le Groupe « Khorasan »

Le 22 juin 2014, lors d’une conférence de presse, inter-rogé sur l’émergence


de l’État islamique, le Président Obama déclarait qu’il pouvait représenter une
menace dans le « moyen et long-terme », mais suggérait qu’il ne constituait,
pour les États-Unis, ni une menace immédiate ni une menace nécessaire et
suffisante pour les autoriser à engager des opérations militaires extérieures sans
l’accord du Congrès.
Le 10 septembre, pressé par l’opposition républicaine, le Président Obama
déclare :

[…] j’ai clairement dit que nous chasserons les terroristes


qui menacent notre pays, où qu’ils soient. Ce qui signifie que je
n’hésiterai pas à agir contre l’ISIL en Syrie et en Irak293.

C’est alors qu’apparaît de manière très opportune dans les médias un groupe
terroriste d’une virulence encore inconnue :

Alors que l’État islamique attire l’attention, un autre


groupe d’extrémistes en Syrie – un mé-lange de Djihadistes
expérimentés d’Afghanistan, du Yémen, de la Syrie et d’Europe
– constitue une menace plus directe et plus imminente pour les
États-Unis, travaillant avec des fabricants de bombes
yéménites pour viser l’aviation américaine, affirme un officiel
américain. Au centre est une cellule connue comme le groupe
Khorasan, un groupe de vétérans de combattant d’Al-Qaïda
d’Afghanistan et du Pakistan qui ont été en Syrie pour se
connecter avec la filiale d’Al-Qaïda, le Front al-Nosrah.
Mais les militants de Khorasan ne sont pas allés en Syrie
principalement pour combattre le gouvernement du Président
Bachar al-Assad, affirme l’officiel américain. Mais ils ont été
envoyés par le chef d’Al-Qaïda, Aïman al-Zawahiri, pour
recruter des Européens et des Américains, dont le passeport
leur permet de s’embarquer dans des avions américains sans
attirer l’attention des membres de la sécurité.
De plus, selon des analyses classifiées du renseignement
américain, les militants de Khorasan ont travaillé avec les
constructeurs de bombes d’Al-Qaïda au Yémen, afin de tester
de nouvelles méthodes pour faire passer des explosifs à travers
la sécurité des aéroports. La crainte est que les militants de
Khorasan fournissent ces explosifs sophistiqués à leurs recrues
européennes, afin qu’elles puissent les introduire dans des vols
vers les États-Unis294.

Quelques jours plus tard, CBS News rapporte :

L’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL) peut bien


dominer les affiches et capter l’attention avec sa propagande
prolifique, mais Bob Orr de CBS News écrit sur un autre
groupe en Syrie – un dont peu ont entendu parler parce que
l’information le concernant a été tenue secrète – qui est
considéré comme un problème urgent. Des sources ont confié à
CBS News que des agents et experts en explosifs de l’ancien
réseau d’Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden pourraient
représenter à nouveau une menace immédiate pour les
ÉtatsUnis.
Les sources confirment que la cellule d’AlQaïda est
appelée « Khorasan » […]
Selon un membre de la CIA, la menace posée par le
nouveau groupe syrien est plus dangereuse que l’ISIL295.

Le 20 septembre, on apprend que le groupe Khorasan296 est dirigé par


Muhsin al-Fadhli (un islamiste proche d’Oussama Ben Laden), qui aurait
participé à la préparation des attentats du 11 Septembre297, et aurait financé
l’opération contre le navire français M/V Limburg en 2002. À noter qu’Al-
Fadhli, vétéran de la guerre en Tchétchénie et d’Afghanistan, sera tué lors d’un
raid américain le 8 juillet 2015 à l’âge de 33 ans, ce qui signifie qu’âgé d’une
vingtaine d’années il aurait déjà été l’un des « seniors » dans la hiérarchie
d’« Al-Qaïda » avec des collègues ayant deux à trois fois son âge. Possible, mais
douteux.
On attribue même à ce nouveau groupe l’utilisation de « vêtements
explosifs298 ». Les organes contre-terroristes américains lui prêtent une
« aspiration » à commettre un attentat semblable à celui du 11 Septembre et
suggèrent une relation avec le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran299. C’est sur cette
base que, le 23 septembre 2014, le Président Obama déclenche les frappes
aériennes sur le territoire syrien :

La nuit dernière, nous avons également mené des attaques


pour détruire les complots contre les États-Unis par des agents
expérimentés d’AlQaïda, connus sous le nom de groupe
Khorasan. Une fois de plus, il doit être clair pour quiconque
chercherait à comploter contre l’Amérique et pour faire du mal
aux Américains, que nous ne tolérerons pas de sanctuaires
pour les terroristes qui menacent notre peuple300.

Il se place ainsi dans une situation de légitime défense en suggérant par là


que la Syrie accordait des sanctuaires pour des terroristes préparant des actions
contre les États-Unis. Le Washington Post, citant des sources du Pentagone,
mentionne que le groupe était proche de la mise en œuvre de frappes
« imminentes » contre l’Europe ou les États-Unis301.
Pourtant, le même jour des doutes apparaissent, et le magazine Foreign
Policy s’interroge :

Quel renseignement concret – s’il y en a – a permis aux


États-Unis de frapper maintenant ? Les officiels qui ont parlé
aux journalistes au sujet des frappes en Syrie n’ont apporté
aucune information sur un complot particulier. Ils n’ont pas
non plus expliqué pourquoi la menace actuelle, qui aurait été
décrite aux membres du Congrès il y a une année, est plus
dangereuse maintenant qu’au mois de juillet, lorsque les
efforts de Khorasan pour recruter des Occidentaux avaient
conduit à renforcer les contrôles de sécurité dans certains
aéroports étrangers avec des vols directs vers les États-
Unis302.

Et l’article de citer un officiel de la lutte antiterroriste américaine :


« Khorasan a l’intention de frapper, mais nous ne savons pas si leurs capacités
correspondent à leurs désirs303. » Peu à peu, l’affaire se dégonfle. Il apparaît que
le groupe (qui avait préparé des attaques imminentes) n’avait défini aucune cible
et le New York Times rapporte les déclarations d’un officiel américain qui décrit
le groupe comme ayant « des aspirations » à commettre des attentats et précise
qu’il semblait que le groupe n’ait pas même eu de plans concrets304.

James Comey, le directeur du FBI, et le contreamiral John


Kirby, porte-parole du Pentagone, ont chacun reconnu que les
États-Unis n’avaient pas de renseignements précis sur le lieu
ou la date choisie par la cellule, connue sous le nom de groupe
Khorasan, pour attaquer une cible occidentale.
Nous pouvons débattre du fait qu’il fallait ou non les
frapper et si cela était trop tôt ou trop tard […] Je ne pense
pas qu’il faille discuter du fait que c’étaient de mauvais
garçons305.

À la fin septembre 2014, un article dans la National Review confirme :

Vous n’avez jamais entendu parler d’un groupe appelé


Khorasan parce qu’il n’y en a jamais eu. C’est un nom créé
par l’administration, qui avait calculé que Khorasan – une
région située dans la région frontalière de l’Iran et de
l’Afghanistan – avait suffisamment de liens avec le contexte
djihadiste pour que personne ne remette en question la parole
du Président306.

Finalement, au début octobre 2014, le vice-président Joseph R. « Joe »


Biden, lors d’une allocution à la prestigieuse université de Harvard, souligne
cette absence de menace existentielle :

La menace posée par l’extrémisme violent est


réelle. Et je veux dire ici sur le campus de l’université
de Harvard : notre réponse doit être très sérieuse, mais nous
devons la garder en perspective. Les États-Unis font
aujourd’hui face à de menaces qui exigent une attention. Mais
nous ne faisons pas face à des menaces existentielles par
rapport à notre mode de vie ou notre sécurité. Permettez-moi
de répéter : nous ne faisons face à aucune menace existentielle
– aucune – par rapport à notre mode de vie ou notre sécurité.
Vous avez deux fois plus de risques d’être frappé par la foudre
que d’être touché par un événement terroriste aux États-
Unis307.

En clair, les États-Unis ont simplement créé de toutes pièces une raison –
légitime aux yeux du Congrès, mais qui reste illégale au regard du droit
international – pour intervenir militairement en Syrie. En inventant une menace
imminente, l’administration Obama plaçait les frappes américaines sous le label
de la légitime défense. Un an plus tard, la France fera exactement la même chose
– sans aller jusqu’à inventer l’existence d’un groupe pour la circonstance – afin
de justifier ses frappes – illégales – en Syrie.
L’intervention russe

En février 2016, Alexander Yakovenko, ambassadeur de Russie en Grande-


Bretagne, révèle que la décision d’intervenir en Syrie a été provoquée par la
prévision de la coalition occidentale, en été 2015, que l’État islamique, qui avait
alors atteint la ville de Palmyre, entrerait dans Damas en octobre, et que les
États-Unis s’apprêtaient à instaurer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de
la ville. L’intervention russe avait ainsi pour but d’empêcher la création de cette
zone, qui aurait livré la capitale aux Djihadistes308.
Dès le début des frappes russes, les États-Unis et la France se sont empressés
de mettre en avant leur caractère déstabilisant. En fait, la particularité de
l’intervention russe est qu’elle résulte d’une demande d’assistance du
gouvernement légal syrien. En d’autres termes, à la différence de la coalition
occidentale, la Russie intervient légalement en Syrie au sens de la Charte des
Nations unies. Outre la légalité, la nature de cette action place la Russie dans une
posture stratégique cohérente en Syrie.
Intervenant à titre subsidiaire à la demande et au profit du gouvernement
syrien, la Russie se positionne stratégiquement et politiquement en second plan,
alors que l’action américaine ou française est en premier plan et s’expose,
comme naguère en Libye, à devoir supporter tout le poids d’un échec. Par
ailleurs, le gouvernement russe n’a pas formulé de jugement officiel sur le
gouvernement syrien, qui puisse contredire son engagement. Cette posture lui
confère un crédit considérable auprès d’autres pays du monde qui n’ont qu’une
confiance limitée dans les pays occidentaux, même s’ils sont proches d’eux. La
crainte d’être l’objet d’un renversement par les États-Unis ou l’un de ses alliés
est un obstacle considérable au dialogue et à une éventuelle démocratisation du
régime, comme l’auteur du présent ouvrage a pu le noter au Soudan.
Un avantage de la position russe est de s’affranchir des difficultés d’un
« ménage à trois » en se débattant avec des définitions spécieuses et des
contorsions sémantiques sur la définition de l’islamisme dit « modéré ». Comme
nous l’avons vu, avec quelque 1200 groupes armés présents en Syrie, couvrant
un spectre continu de tendances mouvantes et des alliances qui se font et défont
au gré des besoins, l’identification du caractère « modéré » d’un groupe relève
de la gageure ou… du mensonge.
Un autre avantage de la nature de l’intervention russe est qu’elle bénéficie
des fameuses « boots-on-the-ground » (bottes sur le terrain) dont manquent les
forces de la coalition occidentale : il s’agit simplement de l’armée syrienne, dont
les actions sont coordonnées avec les frappes aériennes russes, ce qui permet
d’entrevoir un succès. De fait, quelques semaines après le début des frappes
russes, l’armée syrienne enregistre des succès marquants, alors que deux ans de
frappes occidentales n’ont pas fait évoluer la situation sur le terrain.
Finalement, la position russe a l’avantage indiscutable de ne pas abandonner
les groupes et milices d’auto-défense chrétiens, ismaéliens ou assyriens, qui
protègent leurs communautés en combattant aux côtés du gouvernement sans
nécessairement en partager les fondements politiques. En combattant les forces
favorables au régime et l’État islamique, les forces coalisées (France et États-
Unis) ont contribué à l’affaiblissement de la communauté chrétienne309 face aux
islamistes. Ainsi, le début des frappes occidentales sur la Syrie en été 2014 sera
la principale cause du flux d’émigration massive vers l’Europe observé dès ce
moment.
Sur un plan plus large – mais non moins important au niveau stratégique – la
Russie consolide sa position comme contrepoids à l’interventionnisme
américain. En déployant des capacités militaires substantielles et efficaces, elle
envoie un message clair aux interventionnistes occidentaux qui ont cherché
impunément durant deux décennies à déstabiliser toute une région.
Sur un plan opératif, le fait que les Russes agissent à la demande de la Syrie
et en coopération avec son gouvernement a pour conséquence immédiate qu’elle
s’intègre dans une stratégie d’action : il ne s’agit pas simplement de frapper,
mais aussi de reconquérir des territoires perdus et de restaurer une autorité. Les
critiques occidentales sont assez surprenantes : il s’agit simplement de frapper
les positions de l’État islamique, sans avoir aucun moyen de restaurer une
autorité ; dès lors, on peut probablement choisir quels combattants on tentera
d’éliminer, mais au risque de n’avoir rigoureusement aucun résultat, car on ne
peut savoir qui aura finalement la maîtrise du terrain. Pour le gouvernement
syrien, il s’agit de reprendre du terrain, restaurer une autorité et rétablir les
services de l’État. Dès lors, il est difficile de simplement frapper un acteur et
d’ignorer les autres. Le mérite majeur de l’intervention russe en Syrie est
d’apporter une cohérence dans la lutte contre les forces islamistes. En outre,
quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir du régime syrien, la restauration
de l’autorité de l’État légal permet d’avoir un point de départ clair pour une
nouvelle évolution. Jusqu’à présent, les vides créés par les interventions
occidentales en Libye et en Syrie n’ont fait que favoriser le développement de la
violence terroriste. Il apparaît difficilement concevable que la stabilisation d’une
région puisse se limiter à des frappes aériennes, sans même savoir quel sera leur
effet !
La France et les États-Unis ont vivement critiqué les frappes russes en
alléguant qu’elles ne visent pas l’État islamique, notamment lors de la bataille
d’Alep au début 2016. Ces critiques ne sont pas pertinentes. Tout d’abord, à la
différence des pays occidentaux qui pratiquent des frappes au gré des objectifs
identifiés, les Russes mènent des frappes synchronisées avec des opérations
terrestres dans une cohérence opérative, que les Occidentaux ont négligée. Les
attaques russes contre les voies de ravitaillement des rebelles islamistes
témoigne d’une planification en fonction d’objectifs opérationnels clairs ; alors
que les frappes américaines et françaises sont dictées par l’opportunité et ne
s’intègrent pas dans un plan d’ensemble interarmées. Par ailleurs, l’examen de la
carte montre que, pour la reprise d’Alep en février 2016, les adversaires à
prendre en compte étaient les divers groupes islamistes et non l’État islamique.

Le reproche adressé aux Russes fait écho aux allégations colportées


par le ministre français des Affaires étrangères selon lesquelles l’État
islamique aurait été créé par le régime syrien. Pourtant, alors que le général
d’Armée Lloyd J. Austin, commandant du Central command (CENTCOM) –
responsable des opérations au Proche-Orient – déclarait en octobre 2014 que
l’État islamique retirait une part importante de ses ressources du commerce du
pétrole310 !

Les frappes américaines et françaises ont soigneusement évité de


toucher ces sources de revenu, pour des raisons spécieuses, parmi
lesquelles le fait de maintenir une infrastructure en vue de la reconstruction du
pays et des considérations sur l’environnement(!), selon l’ex-vice-directeur de la
CIA Michael Morell311 ! Il faudra attendre la fin 2015 pour que les Russes
frappent les colonnes de camions-citernes au nord de la Syrie !
Ensuite, en subdivisant grossièrement l’opposition syrienne entre rebelles
modérés et État islamique, les pays occidentaux ont occulté les divers groupes
islamistes qu’ils soutiennent contre Bachar al-Assad. En fait, la Russie est le seul
pays à respecter à la lettre la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations
unies, et en particulier son point 8 :

[…] Demande aux États Membres, comme il l’a déjà fait


dans sa résolution 2249 (2015), de prévenir et de réprimer les
actes de terrorisme commis en particulier par l’État islamique
d’Irak et du Levant (EIIL, également connu sous le nom de
Daech), ainsi que par le Front el-Nosra et tous les autres
individus, groupes, entreprises et entités associés à Al-Qaida
ou à l’EIIL, ainsi que les autres groupes terroristes qu’il a
désignés comme tels ou qui pourraient par la suite être
considérés comme tels […], et d’éliminer le sanctuaire qu’ils
ont créé sur une grande partie des territoires de la Syrie, et
note que le cessez-le-feu susmentionné ne s’appliquera pas aux
actions offensives ou défensives dirigées contre ces individus,
groupes, entreprises et entités312[…]

Le « ménage à trois » inventé par les États-Unis et la France pour justifier


leur initiative de déstabilisation de la Syrie se heurte à la logique de la position
russe. En outre, en aidant les rebelles, les Occidentaux entrent en confrontation
avec la Turquie, pour qui le soutien aux Kurdes constitue un danger pour son
unité nationale.
L’action russe en Syrie a également eu un impact stratégique important dans
les pays de la région. À l’opposé des interventions occidentales qui répondaient
manifestement à leurs propres intérêts nationaux, l’engagement de la Russie est
fondé sur un intérêt qu’elle partage avec la Syrie. Dès lors, sa crédibilité est
considérable. Au point que l’Irak commence à se tourner vers la Russie dans sa
lutte contre l’État islamique313 ; une évolution qui est à rapprocher de son refus
catégorique d’accepter un déploiement terrestre américain sur son sol314. Une
position similaire à celle des rebelles libyens, qui avaient naguère demandé
l’appui aérien occidental pour venir à bout du régime de Kadhafi, mais s’étaient
farouchement opposés à toute présence physique occidentale, y compris dans le
cadre d’une opération de maintien de la paix.

CARICATURES ET DÉMOCRATIE

Qui maîtrise le passé, maîtrise le présent

Le 7 janvier 2015, vers 11 h 30, les frères Chérif et Saïd Kouachi font
irruption dans la salle de rédaction du journal Charlie Hebdo, à Paris. Ils
exécutent froidement 11 personnes et abattront encore un gardien de la paix dans
leur fuite. Ils parviennent à s’extraire avant l’arrivée des forces de l’ordre et une
chasse à l’homme s’engage, qui se terminera deux jours plus tard à Dammartin-
en-Goële, au nord de Paris, par la mort des deux terroristes. Afin de couvrir leur
cavale, des actions de diversion sont menées par un troisième protagoniste,
Amédy Coulibaly, qui attaque l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes le 9
janvier après avoir abattu, la veille, une gardienne de la paix.
L’émotion considérable, suscitée par ces événements, se traduira le 11
janvier par de gigantesques manifestations à Paris et en province pour dénoncer
le terrorisme et défendre la liberté d’expression.
Cet épisode tragique est l’expression du décalage culturel qui alimente et
envenime la situation que l’on connaît au Proche et Moyen-Orient. Nous le
répétons : sans, bien évidemment, exonérer les auteurs des attentats, dont les
actes sont manifestement criminels, ces actions sont des réponses. En d’autres
termes, cet événement aurait aisément pu être évité grâce à une meilleure
compréhension de ce qui était réellement en jeu et par une politique extérieure
plus judicieuse, sans remettre en cause en aucune manière nos valeurs, nos
libertés et ce que la démocratie représente.
Cet attentat trouve son origine le 30 septembre 2005, dans la publication, par
le journal danois Jyllands-Posten, des résultats d’un concours où 12 dessinateurs
présentaient des caricatures du Prophète Mohammed, sous le titre « Le visage de
Mohammed315 ».
Les réactions sont vives dans certains milieux islamiques danois. Le 12
octobre 2005, une entrevue avec le Premier ministre danois, Fogh Rasmussen,
est alors sollicitée par des imams. Mais elle n’aura pas lieu. La raison avancée
officiellement est que la presse est libre et qu’il n’entre pas dans les attributions
du gouvernement de l’influencer, ni a fortiori de s’excuser pour ses possibles
écarts. Le 27 octobre, une plainte est alors déposée à Copenhague contre le
journal, mais elle n’aboutira à aucun résultat, bien que le droit danois condamne
le blasphème. Le 6 décembre, l’Organisation de la conférence islamique tente,
sans succès, de porter la question devant le Conseil de sécurité des Nations
unies.
En Norvège, le 13 janvier 2006, un magazine chrétien publie à son tour les
dessins en question. Mais l’Église luthérienne de Norvège condamne cette
publication, tandis que le gouvernement, alors dirigé par Jens Stoltenberg,
présente des excuses officielles, non pour la publication ellemême – la liberté de
la presse est même soulignée – mais pour l’offense qu’elle pourrait constituer
envers certains316. C’est ce qu’attendaient les musulmans : pas une interdiction,
mais une reconnaissance.
Les caricatures provoquent des accès de violence dans le monde entier à la
fin janvier-début février 2006. Ils toucheront principalement le Danemark, dont
les produits font même l’objet de boycotts et, dans une très moindre mesure, la
Norvège. Répercutés au Proche et Moyen-Orient, ces troubles causeront la mort
de plus de 150 personnes à travers le monde317. C’est ce moment-là, le 8 février,
après des journaux comme France Soir et Le Soir, que Charlie Hebdo choisit
pour publier ces mêmes caricatures, ne pouvant ainsi que mettre de l’huile sur le
feu. Cette deuxième vague de publications en Europe, au moment où éclataient
ces réactions violentes un peu partout dans le monde, a été perçue par les musul-
mans comme un acte d’hostilité. Ceci d’autant plus que le monde occidental était
engagé – sur des bases clairement mensongères – dans une « croisade » (selon
les termes de George W. Bush) en Afghanistan et en Irak, guerre alors soutenue
par Charlie Hebdo ! L’affaire prenait alors une dimension quasi-puérile et
provocatrice avec l’intention manifeste de blesser, sous le couvert d’un débat sur
la liberté de la presse et de la laïcité. Le Président Chirac déclare alors avec
sagesse :

Je condamne toutes les provocations manifestes,


susceptibles d’attiser dangereusement les passions318.

La passion se répand pourtant dans le monde et touche le Soudan, où la


Mission des Nations unies au Soudan (MINUS) est menacée ouvertement par
des islamistes par voie radiophonique. L’auteur du présent ouvrage, alors chef
du Renseignement conjoint de la mission des Nations unies319, est chargé par le
Représentant spécial du Secrétaire général de clarifier la situation et d’évaluer la
menace sur la mission et ses personnels. Une réunion discrète est donc organisée
avec des représentants de groupes islamistes soudanais – proches de la
mouvance djihadiste. Cette réunion se déroule dans une grande sérénité et notre
interlocuteur nous confie alors : « Nous savons que vos pays sont démocratiques,
et nous ne contestons pas votre droit de publier ce que vous voulez ; mais
lorsque vous voyez que cela nous blesse, pourquoi ne vous excusez-vous pas ? »
Et il devait ajouter : « Si la même chose s’était passée avec des juifs vous vous
seriez excusés ! »
À aucun moment durant cette rencontre, la liberté d’expression et de la
presse ne sont remises en cause. Toute la discussion tourne autour du respect et
du vivre ensemble. À la question de savoir si la MINUS devait s’attendre à des
actes de violence – qui était l’objet de la réunion – notre interlocuteur nous
répond : « Nous avons parlé, il n’y aura pas de violence ! » Et effectivement,
aucune violence, ni verbale, ni physique ne sera portée contre la MINUS en
relation avec les caricatures.
Comme en Norvège, l’écoute et le dialogue ont apaisé les passions, sans
remettre en cause à aucun moment – même de la part des islamistes – les libertés
fondamentales et spécifiquement celles de la presse. Alors qu’en Europe la
discussion a porté sur la liberté d’expression, la question des musulmans portait
sur le respect des sensibilités. Cette asymétrie reflète exactement la nature du
conflit qui oppose l’islamisme à l’Occident.
À la fin janvier 2008, le parlementaire d’extrême droite néerlandais Geert
Wilders dévoile son film, Fitna, très critique envers la communauté musulmane
aux Pays-Bas. La liberté d’expression existe aux Pays-Bas et il n’est pas
question d’interdire ce film de 17 minutes. Mais, afin de prévenir tout problème,
sa diffusion est précédée d’un intense effort de communication de la part du
gouvernement auprès des pays musulmans et des organisations islamiques en
Hollande et à l’étranger. Résultat : malgré sa virulence, le film ne soulèvera ni
violences, ni animosité particulière320.
En d’autres termes, par leur volonté de provoquer, aveuglés par leur propre
vision des choses, sans essayer de comprendre les motivations profondes de la
colère, Charlie Hebdo et ses confrères n’ont pas compris la nature de l’enjeu.
Leur combat était inutile parce que le champ de bataille se situait ailleurs…
Aux questions qui divisent musulmans et chrétiens, l’Occident tend à
apporter des réponses froides et légalistes. Nous vivons certes dans des États de
Droit, mais où le bon sens, la sensibilité et le respect tendent à être sélectifs321.
Or, c’est ce manque de sensibilité et de respect, très fortement ressenti, qui
génère le Djihad. L’exemple hollandais montre qu’il est possible d’accommoder
intelligemment des principes et valeurs occidentales – et même les critiques les
plus virulentes – sans remettre en question la liberté de pensée ou de la presse, et
sans émeutes, mais simplement en expliquant…
Les exemples de la Norvège et des Pays-Bas illustrent également le rôle
structurant de l’État dans la gestion des problèmes en amont de la crise.
Paradoxalement, le gouvernement socialiste de François Hollande a traité le
problème comme l’avait fait avant lui le très conservateur Fogh Rasmussen au
Danemark : sans le gérer. La violence qui en a découlé et les morts qu’elle a
provoqués ont toutefois permis au président français de mieux se positionner –
temporairement – dans les sondages, tout comme pour son prédécesseur, Nicolas
Sarkozy en bombardant la Libye…
Les démocraties occidentales doivent se défendre fermement contre la
tyrannie que constitue le terrorisme. Mais la fermeté ne doit pas exclure
l’intelligence et la sensibilité. Il s’agit d’éviter de générer de nouvelles velléités
terroristes sans mettre en péril les valeurs mêmes qui font la force de la
démocratie. Or, nous tendons à faire exactement l’inverse, parce que nos
mesures ne sont pas intégrées dans une cohérence stratégique, mais ne sont
qu’une suite d’actions « tactiques ».
Les lois et coutumes des pays occidentaux sont issues de l’Histoire et de la
culture de leurs nations respectives. Elles sont ainsi en adéquation avec une
certaine évolution de la société et l’on conçoit aisément que tous ces éléments
fassent partie d’une identité individuelle, régionale et/ou nationale. On peut
également admettre que l’identité n’est pas une constante, mais qu’elle est
composée d’une multitude de facteurs qui évoluent dans le temps. Cette
évolution n’est probablement pas faite d’« à-coups » soudains, mais d’une lente
adaptation qui se fait dans les cœurs et les esprits. Dès lors, et plus spécialement
lorsque l’on prône la multi-culturalité, on doit en assumer un certain nombre de
conséquences. La question n’est pas triviale, car l’Islam est une religion plus
complexe que les religions et confessions chrétiennes, et intègre des aspects à la
fois spirituels, sociétaux et politiques, qu’il est difficile de dissocier par essence.
En France, force est de constater que la notion de multi-culturalité reste
fortement teintée de marxisme, comme le débat sur le « foulard islamique » dans
les écoles l’avait illustré. À bien des égards, on est resté sur des modèles
internationalistes de la fin du XIXe siècle, qui s’adressaient à des populations
vivant dans un espace culturel relativement homogène. Ainsi, ceux qui sont si
prompts à encourager l’immigration refusent-ils pourtant d’en assumer les
conséquences socié-tales.
Ce manque de cohérence face à la situation, qui frise parfois la provocation à
tous les niveaux, entraîne des réactions de violence et fait le terreau de la
radicalisation islamiste. Ainsi, lors de la crise de Gaza, le 9 juillet 2014, le
Président Hollande adresse un message de soutien au Premier ministre
Netanyahu soulignant qu’il « appartient au gouvernement israélien de prendre
toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces322 ». Cette
formulation, bien peu apaisante, sera certes suivie par un timide rectificatif de
l’Élysée quelques jours plus tard, mais ce « cri du cœur » initial restera en
mémoire d’une large partie de la population française323.
C’est dans ces détails que se cachent les bases de la radicalisation, et ce sont
eux que les stratégies de déradicalisation devraient cibler en première priorité.
Particulièrement dans un contexte asymétrique, la politique étrangère n’est pas
détachée des autres aspects de la politique, mais concourt à la stabilité intérieure
du pays. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’une partie importante de la société se
positionne dans un contexte culturel qui dépasse la notion de frontière et voit un
continuum entre l’intérieur et l’extérieur du pays.

L’Occident dans son carcan intellectuel

En août 2005, c’est la « croisade » occidentale en Afghanistan et en Irak qui


propulse Mahmoud Ahmadinejad au pouvoir en Iran. Dans un contexte régional
tendu, le président iranien sera poussé dans un « Djihad verbal », qui alimentera
une désinformation active contre l’Iran tout en renforçant une unité nationale
fragile. L’une des premières manifestations de ce « Djihad verbal » est apportée
par l’affaire des caricatures à la fin 2005. Face à l’argumentation occidentale
centrée sur la liberté de la presse, les milieux islamistes soutiennent que la liberté
d’expression en Occident est à deux vitesses et s’exerce au détriment de l’Islam.
Dans les milieux islamistes, on relève que la liberté d’expression ne s’applique
pas avec la même insistance dès lors qu’il s’agit de critiquer Israël. C’est dans
cet esprit qu’Ahmadinejad propose la tenue d’une conférence les 11 et 12
décembre 2006 à Téhéran, intitulée « Review of the Holocaust : Global Vision ».
Malgré son titre, cette conférence est davantage dirigée contre l’Europe que
contre Israël. À cette conférence assistaient des membres d’un groupe de juifs
orthodoxes – dont certains appartenaient au courant hassidique – qui ne nient
certainement pas la réalité de l’Holocauste, mais qui en contestent l’exploitation
politique. Cette conférence était donc un piège ; pas contre les juifs, mais contre
les Occidentaux. Même si cet objectif a été dévoyé de part et d’autre par les
commentateurs extérieurs, au profit d’un discours politique souvent déplacé, il
importait aux organisateurs iraniens de démontrer à l’opinion internationale que
la liberté d’expression s’applique inégalement dès lors que l’on froisse les
musulmans ou les juifs :

Le gouvernement iranien insiste sur le fait que la


conférence qui se tient actuellement à Téhéran n’a rien à voir
avec la négation de l’holocauste. Mais cette réunion de deux
jours, appelée « Review of the Holocaust : Global Vision », est
en fait destinée à « créer une opportunité pour les chercheurs
qui ne peuvent exprimer leur opinion librement en Europe sur
l’Holocauste », a déclaré le ministre iranien des Affaires
étrangères Manouchehr Mottaki324.

Et en effet, la tenue de cette conférence a déclenché une vague de


protestations en Occident, démontrant ainsi pour les organisateurs la partialité
occidentale à l’égard des musulmans325.
Dans le même esprit, en février 2006, le journal iranien Hamshahri organise
un concours de caricatures sur l’Holocauste. Contrairement à ce qui a été
rapporté dans les médias occidentaux, l’objectif n’était pas de contester la réalité
de l’Holocauste, mais de mettre en évidence le fait que les Occidentaux soient
autorisés à blesser les musulmans, alors qu’il est interdit dans de nombreux pays
de simplement discuter la question de l’Holocauste. Il s’agissait simplement de
souligner l’inégalité de traitement, comme en témoignaient les règles du
concours et les trois questions qui devaient guider les dessinateurs : aucune
d’entre elles ne niait, de près ou de loin, le fait historique326. D’ailleurs, le
vainqueur de ce concours ne contestait pas l’existence de l’Holocauste, bien au
contraire, puisqu’il le plaçait sur le même plan que la situation des Palestiniens
d’aujourd’hui327. Après les attentats de Charlie Hebdo, un deuxième concours
de même nature a été organisé par le Sarcheshmeh Cultural Complex iranien328.
La question du « bon goût » de ces concours est hors de propos ici. Il est
important en revanche d’en retenir le message de fond : à tort ou à raison, il nous
faut accepter que des sociétés vivant côte à côte aient des perceptions
différentes. Nous avons tendance à rejeter ces différences au nom de
« l’intégration » et de la « laïcité » mais elles existent. Dans l’Histoire (et jusqu’à
ce jour), le Judaïsme et l’Islam ont toujours mieux coexisté qu’avec le
christianisme. C’est l’Occident qui va renverser les régimes, envahir des pays, et
appliquer la « politique de la canonnière ». Malgré les récents – et controversés –
propos du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui affirmait que
l’extermination des juifs avait été inspirée à Hitler par le Grand Mufti de
Jérusalem – tentant ainsi de rejeter la responsabilité de l’Holocauste sur les
Palestiniens329 (!) –, la cohabitation entre juifs et musulmans, sur tout le
pourtour de la Méditerranée et au Moyen-Orient a toujours été pacifique.
On oppose fréquemment la tolérance européenne au rigorisme saoudien en
ce qui concerne la pratique des religions. Mais là encore, nous tendons à pécher
par manque de cohérence. En Arabie saoudite, à tort ou à raison, la politique est
claire d’entrée de jeu : c’est une terre d’Islam et les autres cultes n’y sont pas
tolérés. À l’opposé, les États-Unis protègent férocement une liberté d’expression
qui s’exerce dans les registres les plus étendus, voire les plus extrêmes. En
Europe, les positions sont moins nettes. Certes nous protégeons les libertés de
pensée et de religion, mais seulement jusqu’à un certain point, comme en
témoignent les discussions sur le voile islamique ou la « burqa », ce qui est perçu
comme une sorte de démocratie à géométrie variable. Les choses seraient beau-
coup plus simples si l’on énonçait de manière explicite, les conditions strictes
des pratiques religieuses ou culturelles acceptables pour entrer dans un pays et
s’y établir. Ces restrictions seraient sans doute mieux acceptées si elles n’étaient
pas appliquées (et donc perçues) comme des punitions.

LES ATTENTATS DE 2015 EN FRANCE


[…] Et la France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir
qu’ils restent les principales cibles de l’État islamique et qu’ils
continueront à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête
de la croisade, avoir osé insulter notre Prophète, s’être vantés
de combattre l’islam en France et frapper les musulmans en
terre du califat avec leurs avions330 […]

Le 10 juillet 2014, témoignant devant le Sénat américain, le secrétaire à la


sécurité du territoire331, Jeh Johnson, déclarait que « les États Unis n’avaient pas
connaissance d’une menace particulière de l’État islamique sur le territoire
américain332 ». Son avis sera confirmé quelques jours plus tard, début
septembre, par le directeur du Centre national de contre-terrorisme333 américain,
Matthew Olsen334. Comme nous l’avons déjà vu, c’est la situation qui prévaut en
été 2014, lors de l’apparition formelle de l’État islamique. C’est cette absence de
menace concrète qui conduit les États-Unis à créer de toutes pièces l’existence
du groupe « Khorasan » vu plus haut.
En clair, l’Occident, à ce stade n’est pas menacé et n’a aucune raison pour
intervenir contre l’État islamique en Syrie, et a fortiori dans un État souverain
sans son consentement. Le 10 août 2014, interrogé par France 2 sur l’action de
la France en Irak, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, affirme
même :

Est-ce que, nous-mêmes, nous allons nous impliquer


militairement ? La réponse pour le moment est non, je vous le
dis clairement, puisque notre doctrine est que nous
n’intervenons pas s’il n’y a pas un feu vert du Conseil de
sécurité des Nations unies et s’il n’y a pas une menace directe
pour nos ressortissants. Mais nous saluons le travail que font
les Américains. C’est un premier point. Et, de toutes les
manières, il n’est pas question d’envoyer des gens au sol335.

Pourtant, cette position changera très rapidement après cette déclaration, qui
cache que des militaires français sont déjà déployés en Syrie, comme nous
l’avons vu. Ceci étant, le ministre ne ment pas vraiment, puisqu’à ce stade, ces
militaires sont là pour contribuer à un renversement de régime et non pas pour
lutter contre l’État islamique, qui partage le même objectif.
Le 5 septembre 2014, en marge du Sommet de l’OTAN du Pays de Galles,
les États-Unis réunissent 9 pays336 autour d’eux dans une coalition destinée à
lutter contre l’État islamique tout d’abord en Irak, puis en Syrie, non pas pour
protéger l’Occident – qui n’est pas menacé – mais pour préserver la fragile
stabilité de l’Irak Cette coalition sera augmentée de 18 pays337 lors de la
conférence de Paris du 15 septembre 2014. Le 18 septembre 2014, lors de sa
conférence de presse, le président Hollande informe qu’à la demande du
gouvernement irakien, l’armée française frappera les groupes terroristes en Irak.
Formellement effectuées à la demande du gouvernement irakien, les frappes en
Irak contre l’État islamique n’ont pas besoin de l’aval des Nations unies. Ainsi,
le 19 septembre, François Hollande annonce que la France a mené ses premières
frappes sur des cibles en Irak :

Ce matin à 9 h 40, conformément aux ordres que j’avais


donnés, les avions Rafale ont pilonné un objectif et l’ont
entièrement détruit […] En aucun cas il n’y a de troupes
françaises au sol 338 […]

Lors de la réunion ministérielle de l’OTAN à Bruxelles, le 4 décembre 2014,


la coalition est élargie de 33 autres pays339. Après les images obscènes des
égorgements et décapitations, le langage de la fermeté plaît en Occident.
Toutefois, la décision de mener ces bombardements en Syrie, sans mandat et
sans l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies – et donc, sans légalité
internationale – n’était justifiée par aucune menace directe contre l’Occident340.
Ceci étant, si l’on peut concevoir une « responsabilité morale » de la part des
États-Unis et de la Grande-Bretagne à aider le gouvernement irakien dans la lutte
contre l’État islamique, les raisons de la France et de la Belgique, qui étaient
restées judicieusement à l’écart de la guerre de 2003, les protégeant ainsi du
terrorisme djihadiste jusqu’alors, apparais-sent moins clairement. Se renforce
alors l’hypothèse d’une manœuvre politicienne destinée à resserrer l’unité
nationale autour d’une menace extérieure. Pour ces deux gouvernements, alors
très impopulaires et sujets à de nombreux mouvements sociaux, un scénario
semblable au film Des Hommes d’influence341 se dessine, avec le risque de
conséquences mal évaluées sur la vie et la sécurité de leurs concitoyens.
À ceci s’ajoute le fait que les bombardements occidentaux n’ont pas la
précision qu’on leur attribue généralement. Dès lors, les « dommages
collatéraux » deviennent une justification pour utiliser des méthodes terroristes :

L’artillerie, tout comme le terrorisme, conduit à des pertes


de vies de non-combattants. Un missile qui frappe une ville, et
qui n’est à l’évidence pas une arme précise, n’est pas différent
d’une bombe dans une ville d’un pays qui est en guerre contre
les musulmans.
Dès lors, […] il est clair que les musulmans sont autorisés
à cibler des populations des pays qui sont en guerre avec les
musulmans, par des bombes, des armes à feu ou d’autres
formes d’attaques qui conduisent inévitablement à la mort de
non-combattants342.

En fait, les pays occidentaux n’ont pas réalisé qu’ils s’engageaient dans un
combat asymétrique : l’usage de la force n’a eu pas d’effet dissuasif – comme
dans la logique des conflits symétriques – mais au contraire a renforcé la posture
de l’État islamique :

Ne soyez pas lâches en nous attaquant avec des drones.


Envoyez-nous vos troupes à la place, ceux que nous avons
humiliés en Irak343 !

Lors de sa conférence de presse du 18 septembre 2014, le Président Hollande


avait précisé que la France n’interviendrait pas en Syrie. Il fallait donc trouver
une raison valable pour intervenir en Syrie, en alléguant que la France avait été
attaquée la première en janvier 2015. C’est le message de Laurent Fabius,
ministre des Affaires étrangères :

On a été parmi les premiers à lutter contre Daech parce


que ce sont des terroristes qui veulent nous détruire. C’est
parce qu’ils veulent nous détruire que nous sommes en Syrie.
D’ailleurs, le premier attentat contre Charlie Hebdo, nous
n’étions pas en Syrie. Donc c’est vraiment nous, notre
existence qui est visée344.

Il faut certes placer cette lecture dans son contexte. Nous passerons
rapidement sur l’affirmation factuellement fausse selon laquelle l’attentat contre
Charlie Hebdo aurait été conçu ou décidé en Syrie, puisque – de l’aveu même
des terroristes – cette action a été commanditée et financée par la Base du Djihad
dans la péninsule arabique (BDPA) au Yémen et non par l’État islamique en Irak
et en Syrie. Juste à l’aube d’une période électorale, il était difficile de reconnaître
que les attentats étaient une conséquence directe de la politique française en Irak
et en Syrie. Mais il est évident, d’autre part, que les terroristes ne sont pas
irrationnels au point de penser que des attentats puissent « détruire » la France,
et mettre en danger son « existence » ou celle de sa société. C’est absurde et
appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, cette affirmation tend à révéler une erreur stratégique : que
les décideurs français ont considéré les parties irakienne et syrienne du groupe
État islamique (« DAECH345») comme deux entités différentes, ignorant que les
islamistes réfléchissent en termes de « communauté » sans frontière délimitée.
Ainsi, si le fait de bombarder l’État islamique en Syrie ou en Irak fait une
différence considérable aux yeux des Occidentaux et du Droit international, il
n’en fait aucune pour les islamistes et au niveau stratégique.
En deuxième lieu, en liant les attentats à l’existence même de la France ou de
sa société, non seulement on ignore les revendications et multiples explications
données par les terroristes, mais, plus grave, on tend à les placer dans le cadre
d’une fatalité contre laquelle on ne peut rien, puisque la France existe. C’est le
même type d’explication que l’on entend de la part des autorités israéliennes
pour expliquer le conflit avec les Palestiniens, et qui permet d’éviter d’y
répondre de manière stratégique et d’y trouver des solutions.
En troisième lieu, en définissant pour les attentats un objectif (à savoir la
destruction de la France et de sa société) sans commune mesure avec les moyens
utilisés, on place la discussion dans un registre totalement irrationnel, qui est
générateur de panique et dégage la responsabilité du gouvernement. Aucune des
revendications pour les attentats de Paris ne mentionne la destruction de la
France, de sa société, voire l’imposition de la loi islamique. Cette démarche est
particulièrement grave, car elle conduit à créer un amalgame entre les
revendications des populations immigrées et celles – imaginaires – des
terroristes. Or, ce sont deux problèmes distincts et qui demandent des solutions
différenciées. C’est exactement la même démarche qui avait été adoptée par le
gouvernement Bush aux États-Unis après le 11 Septembre, qui visait à créer
délibérément une psychose qu’il puisse exploiter politiquement.
Cette explication de Laurent Fabius doit être rapprochée d’une autre
simplification qu’il avait déjà évoquée en 2014 et que nous avons vue plus haut :
l’affirmation d’une « alliance objective » entre le régime de Bachar al-Assad et
les terroristes, évidemment fallacieuse, mais qui fournit le prétexte d’une
intervention en Syrie sous le label de la « légitime défense ». Ici également, on
retrouve les mêmes ingrédients qui avaient permis aux Américains d’associer
Saddam Hussein à « Al-Qaïda », ouvrant ainsi la porte à la guerre.
Ces sophismes – pour ne pas dire cette désinformation – ont alimenté
l’aveuglement de la conduite française, et empêché les décisions stratégiques qui
auraient pu prévenir les attentats de novembre 2015, et ont rendu le
gouvernement français incapable de maîtriser l’escalade déclenchée en 2014: les
attentats de janvier 2015 étaient une réponse aux frappes françaises de 2014 en
Irak, puis la réaction française en Syrie a constitué la motivation pour les
attentats de novembre 2015.

La politique de l’autruche

Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, le gouvernement français a


réagi comme le gouvernement espagnol en 2004 et le Premier ministre
britannique Tony Blair en 2005, qui avaient menti à leurs Parlements et à
l’opinion publique, afin de masquer l’impact de leur politique étrangère dans les
attentats. Le Premier ministre Manuel Valls manifeste le même déni devant
l’Assemblée nationale, le 19 novembre 2015, en tentant de dégager la
responsabilité du gouvernement dans la motivation des terroristes en affirmant :

Ne nous y trompons pas : un totalitarisme a frappé la


France non pas pour ce qu’elle fait, mais pour ce qu’elle
est346.

Le discours plaît par sa fermeté et la glorification de notre société, mais il est


faux, car il pose le terrorisme comme une fatalité. La conséquence d’une telle
lecture est que nous voyons les diverses vagues d’attentats qu’a subies la France
(1985-1986, 1994-1996, 2004) placées sur le même plan. Or, elles ont toutes des
causes différentes. Si les bombardements en Irak avaient été correctement
identifiés en janvier 2015 comme une source de radicalisation et une justification
possible pour d’éventuels attentats, la France se serait-elle engagée en Syrie 8
mois plus tard, prenant ainsi le risque de générer de nouveaux attentats ?
En Espagne, la politique de déni a fait perdre les élections au parti du
Premier ministre Aznar en 2004. En Grande-Bretagne, la guerre en Irak fait
l’objet d’une enquête (« Chilcot Inquiry347 ») que certains veulent voir aboutir à
une mise en accusation de l’ex-Premier ministre Tony Blair pour crime de
guerre348.
Au-delà des mots, si l’on refuse d’énoncer les causes réelles de la
radicalisation et des attentats, il n’y a aucune chance de résoudre le problème et
les mesures prises ne feront probablement que l’amplifier. Les revendications
des attentats de janvier 2015 n’évoquent pas les caricatures de 2005-2006 ou la
liberté d’expression, tandis que les revendications émises par l’État islamique le
14 novembre 2015, puis dans le numéro 12 de son organe officiel, Dabiq – paru
le 18 novembre – et dans sa revue Dar al-Islam de novembre 2015 n’évoquent ni
le caractère chrétien de la France, ni sa démocratie, ni son mode de vie, comme
justification pour les attaques, mais mentionnent clairement une réponse aux
frappes aériennes en Irak et en Syrie. Les Djihadistes justifient ces ripostes
d’autant plus « facilement » qu’à leurs yeux – comme sans doute pour une bonne
partie de l’opinion – l’intervention française n’était pas justifiée en premier lieu :

Le vendredi 19 septembre 2014 – soit plus de trois mois


avant les opérations de l’Hyper Casher et de Charlie Hebdo, et
plus d’un an avant les opérations de Paris et Saint-Denis – les
Rafales français ont bombardé l’État islamique par haine de
l’islam et de la Charia et non pas en représailles à des
attentats qui auraient été perpétrés par l’État islamique contre
la France349.

À l’appui de cette constatation, on pourrait arguer que les attentats de l’État


islamique ne touchent pas (pour l’instant) l’Allemagne, la très catholique
Pologne, la Grèce orthodoxe ou même l’Autriche. La vidéo posthume laissée par
Amédy Coulibaly est elle aussi éloquente quant à la motivation des terroristes, et
nous explique assez clairement les raisons des choix, qui seront confirmés par
les revendications écrites des groupes islamistes et leurs analyses après
l’événement. Dans cette vidéo, pas de conquête du monde, pas de lutte contre la
liberté d’expression, mais une réponse à des bombardements :

Ce que l’on est en train de faire c’est tout à


fait légitime, vu ce qu’ils font […] C’est
amplement mérité depuis le temps.
Vous attaquez le Khalifat, vous attaquez l’État
islamique, on vous attaque. Vous ne pouvez pas
attaquer et ne rien avoir en retour. Alors vous
faites votre victime, comme si vous ne
compreniez pas ce qui se passe, pour quelques
morts, alors que vous et votre coalition, vous en
tête presque même, vous bombardez
régulièrement là-bas, vous avez investi des
forces, vous tuez des civils, vous tuez des
combattants, vous tuez… Pourquoi ? Parce qu’on
applique la Charia ? Même chez nous on a peur
d’appliquer la Charia maintenant. C’est vous qui
décidez de ce qui va se passer sur la terre. […]
On ne va pas laisser faire ça. On va se battre.
Inch’ Allah350 […]

L’interview téléphonique donnée par Chérif Kouachi351 durant les


événements explique clairement ses objectifs. Ici aussi, pas de lutte
contre la chrétienté ou sa destruction, mais une « vengeance » contre les
« femmes et les enfants tués en Irak, en Syrie et en Afghanistan ». Il est aussi
intéressant de constater qu’il introduit une confusion entre « civil » et
« innocent », suggérant que les dessinateurs de Charlie Hebdo ne sont pas des
« civils » (et donc pas « innocents »).
On pourrait même voir dans le texte de la revendication que les attentats ont
été effectués pour défendre leur propre liberté de religion dans leur pays (ou
zone) et non la liberté d’exercer leur religion dans nos pays. C’est donc bien une
action tactique offensive qui s’inscrit dans une posture stratégique défensive
cohérente avec le discours et les écrits de l’État islamique et des autres
théoriciens du Djihad.
Il faut insister ici sur le fait qu’il ne s’agit pas de justifier d’une quelconque
manière les attentats terroristes, mais de comprendre sans préjugés la réflexion
qui y conduit. Ainsi, les attentats de janvier 2015 sont la combinaison de deux
opérations menées conjointement par deux cellules indépendantes, appelée
« Djihad individuel hybride » dans la doctrine terroriste djihadiste : l’action des
frères Kouachi contre Charlie Hebdo, placée sous la bannière de la Base du
Djihad dans la péninsule arabique (BDPA), comme l’expliquent son magazine
Inspire352 et les déclarations téléphoniques de Chérif Kouachi353 ; et l’action
d’Amédy Coulibaly contre l’Hyper Cacher placée sous la bannière de l’État
islamique (EI), comme le confirment sa vidéo et Dabiq354, le magazine de l’EI.
Il est important de noter ici que ces deux actions sont coordonnées par leurs
acteurs eux-mêmes, sans intervention d’une autorité extérieure. Les informations
retrouvées sur l’ordinateur de Coulibaly355 ne sont que des conseils techniques
(et non des « ordres », comme la presse l’a interprété). Mais les décisions
opérationnelles ont été prises avec un apport extérieur minimal, conformément à
la doctrine moderne du terrorisme djihadiste que nous verrons plus loin.
Il est intéressant de noter que, même si les attentats nous ont été
insupportables et nous ont semblé aveugles, il y a, dans l’optique des islamistes,
le sentiment d’une réponse maîtrisée ; à la fois par le choix des victimes, qui – à
leurs yeux – portaient une responsabilité par rapport aux bombardements de
civils, et dans l’intensité de l’action. Cette perception est clairement exprimée
dans le magazine Inspire, qui est l’organe de la Base du Djihad dans la péninsule
arabique (BDPA) et constitue une référence doctrinale pour le Djihadisme
moderne :

Malgré la publication de vos dessins insultants, vous


n’avez pas vu de réactions insultantes de la part du milliard et
demi de musulmans envers le Prophète d’Allah, Jésus, fils de
Marie […]. Parce que nous croyons dans tous les prophètes
[…] et que quiconque se moque ou les détracte est un apostat
et un incroyant356.

Sur un plan doctrinal, on peut constater qu’à l’inverse du message qui a été
compris en Occident, les inspirateurs des attentats de janvier 2015 à Paris ne
cherchent pas à « détruire ce que nous sommes » ou à « combattre notre
religion » :

[…] Une remarque finale en ce qui concerne le ciblage au


cœur des pays ennemis, l’Amérique et ses Alliés occidentaux,
est qu’il faut éviter de cibler les lieux de prière de n’importe
quelle religion ou foi, qu’elle soit chrétienne, juive ou autre.
On doit éviter de blesser des civils qui sont citoyens de pays
qui n’ont pas de relation avec le conflit, même s’ils ne sont pas
musulmans. Ceci doit être fait de sorte à maintenir la
réputation de la Résistance dans les différents cercles de
l’opinion publique357.

Même si, au niveau tactique, les actes terroristes djihadistes ont un caractère
offensif, sur le plan stratégique, ils ont essentiellement un caractère de
« réponse » (un concept pas très éloigné de ce que les Soviétiques appelaient
« offense-défensive »). Notre analyse du phénomène terroriste tend à extrapoler
linéairement l’action tactique pour en tirer une image stratégique. Cette
démarche est manifestement fausse et nous pousse vers des stratégies erronées.
De fait, l’étude des diverses revendications et les analyses des Djihadistes eux-
mêmes nous montrent un discours beaucoup plus sobre que celui qui est colporté
par les dirigeants politiques occidentaux. Comme nous l’avons vu, il ne s’agit
pas de détruire l’Occident, mais d’apporter une réponse à ses actions.
Il est d’ailleurs significatif de constater que l’attentat multiple du 13
novembre 2015, qui a bouleversé la politique française au point de pousser le
gouvernement à demander l’aide militaire de l’Union européenne, n’est
mentionné qu’en quelques lignes dans Dabiq (l’organe « officiel » de l’État
islamique) à la 13e place, après 12 autres opérations en Syrie, au Sinaï et
ailleurs358.
On a vu, dans les divers attentats parisiens de 2015, un ciblage récurrent
« d’objectifs » juifs, comme un fil rouge qui semble les lier. C’est certes un point
commun. Pourtant, les textes de revendications et analyses « officielles »
publiées par l’EI – en janvier comme en novembre – ne singularisent pas les
« juifs », et mettent l’accent sur la réponse aux bombardements français. Ce
choix semble d’autant plus surprenant qu’à l’exception de la situation en
Palestine (que les Palestiniens eux-mêmes ne considèrent pas comme un conflit
religieux) les communautés juives et musulmanes coexistent généralement bien
et de manière pacifique dans les pays musulmans. Alors, pourquoi cet accent
porté sur des objectifs juifs ?
De fait, dans sa revendication des attentats du 13 novembre 2015 pour
répondre aux bombardements français, l’État islamique a bien précisé que les
objectifs avaient été « choisis minutieusement », et donc que les terroristes
n’avaient pas frappé au hasard dans Paris (comme dans le métro ou dans une
gare) :

Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils


d’assaut ont pris pour cibles des endroits choisis
minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française359
[…]

Ainsi, au lieu de frapper au hasard, les terroristes ont frappé ceux qui leur
semblaient les « plus coupables » : en janvier, Charlie Hebdo qui avait attisé les
violences en 2006 était la cible principale ; l’Hyper Cacher de Vincennes, que
l’on a « minutieusement choisi360 », vraisemblablement en raison des
événements de Gaza en juillet-août 2014 (si l’on en croit le terroriste Amédy
Coulibaly) et probablement parce que l’on n’y trouverait pas de musulmans,
n’était en réalité qu’une diversion pour diminuer la pression policière sur les
frères Kouachi. En novembre, on trouve un scénario analogue : le Bataclan, qui
était fréquenté par la Ligue de défense juive (LDJ) et le Bétar – deux
organisations extrémistes juives – étaient l’objectif principal avec le Stade de
France ; c’est sur ces deux objectifs qu’étaient placées les bombes et où les
terroristes étaient prêts à causer un maximum de dommages. Quant aux
mitraillages dans les rues de Paris, ils semblent avoir eu la même fonction que
l’attaque contre l’Hyper Cacher en janvier, à savoir des actions de diversion afin
d’empêcher les forces de l’ordre de se concentrer sur les objectifs principaux. Ce
qui a d’ailleurs bien fonctionné, puisque les forces d’intervention de la police
sont arrivées au Bataclan une demi-heure après le début de la prise d’otages,
après avoir été engagées sur les « mitraillages » qui étaient déjà terminés.
Concernant le Bataclan, certains « experts » ont évoqué un lien avec
l’attentat du 22 février 2009 à Khan el-Khalili, au Caire, car certains acteurs
associés à cet événement se retrouvent en novembre 2015361. C’est un exemple
de la différence entre l’analyse de renseignement stratégique et tactique. Sur le
plan tactique, on trouve évidemment des points communs à travers les
personnes, l’évocation du Bataclan comme objectif possible d’un attentat. Mais
au niveau stratégique, aucune similitude n’apparaît. Considéré comme un
attentat « anti-français » par la France362, les motifs de l’attentat du Caire restent
cependant inconnus à ce jour et s’apparentent davantage à une opération « anti-
touristes », dirigé contre le gouvernement égyptien, qui avait cédé aux pressions
américaines et israéliennes dans sa politique à l’égard de la Bande de Gaza. Les
attentats de novembre 2015, eux, sont de manière évidente « anti-français » avec
des motifs clairement exprimés : les frappes en Syrie et en Irak. Le fait que le
Bataclan soit mentionné dans les deux affaires tend à accréditer l’idée que les
Djihadistes ont une sorte de « catalogue » informel d’objectifs possibles. Ainsi,
pour toucher la France, les terroristes n’ont pas frappé n’importe quel citoyen
« au hasard », mais ont choisi ceux qui – à leurs yeux – étaient les plus
« coupables », les clients de l’établissement étant des victimes « collatérales ». Il
s’agissait donc, vraisemblablement, plus d’un « choix par défaut » qu’une
attaque contre Israël ou des intérêts juifs, ainsi que l’ont d’ailleurs confirmé les
témoignages des survivants du Bataclan363.
La lutte contre le terrorisme est trop souvent comprise comme une affaire de
police et d’accumulation de données. C’est vrai en ce qui concerne la chasse aux
individus. Mais pour combattre efficacement le phénomène lui-même, il est
essentiel de commencer en amont, avec des stratégies et des postures telles
qu’elles empêchent des individus de basculer dans une stratégie terroriste.
Naturellement, une telle démarche n’est possible que si l’on admet que le
terrorisme n’est pas une fatalité…
Dans ce contexte, la teneur du message de soutien adressé par le président
Hollande au gouvernement israélien en juillet 2014364, ou le lien affiché et
affirmé du Premier ministre Manuel Valls avec la communauté juive365, ont sans
doute eu plus de conséquences qu’on n’imagine, en suggé-rant une posture plus
généralement partisane du gouvernement français en faveur d’Israël et
impliquant une certaine « connivence » entre les deux pays. Même s’il est
légitime pour une personnalité politique d’avoir des affinités pour une
communauté, celles-ci devraient s’accompagner de la retenue nécessaire, afin
d’inspirer la confiance et de ne pas suggérer un manque d’impartialité. C’est le
sens fondamental de la laïcité républicaine.
Si l’on écarte la multitude de ceux – que Lénine appelait les « idiots utiles »
– qui se sont félicités des attentats sans réellement en connaître le contexte, pour
se concentrer sur les textes « officiels » de l’EI, on peut en déduire que la
sélection des objectifs (Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Bataclan) a probablement
suivi une démarche plus fine qu’il n’y paraît.
Il n’en demeure pas moins que les morts et les blessés sont des victimes
innocentes, et donnent le sentiment de cibles choisies au hasard. Mais il semble,
malgré tout, qu’il y ait un processus de sélection des objectifs, ainsi que le
précise la doctrine djihadiste :

[…] concernant ces opérations, il y a certains facteurs qui


doivent être pris en considération afin d’assurer leur succès.
La vie des musulmans doit retenir la plus grande attention. Les
bons objectifs sont des lieux où il ne devrait pas y avoir de
musulmans, comme les lieux de perdition, les night-clubs
comme à Bali, Mardi Gras, les lieux de jeux d’argent, ou les
établissements financiers qui vivent de l’usure comme les tours
jumelles. Il faut viser des partis politiques ou des organisations
qui persécutent les musulmans366.

En clair, à leurs yeux, les victimes des actes terroristes sont des « dommages
collatéraux » – au même titre que les victimes civiles en Irak et en Syrie. La
similitude avec les victimes collatérales provoquées par les bombardements
occidentaux est exploitée par les terroristes islamistes depuis le début des années
90.
Pour comprendre ce raisonnement, il faut rappeler qu’exception faite des
bombardements alliés contre l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale,
de l’usage des bombes atomiques contre le Japon, de l’usage indiscriminé de
bombes à sous-munitions lors du bombardement de la ville de Bagdad en 2003,
ou du bombardement délibéré de l’hôpital de Qunduz en Afghanistan (3 octobre
2015), les frappes aériennes occidentales ne visent généralement pas des civils.
Mais la nature des méthodes de ciblage et leur capacité limitée de distinguer
entre civils et militaires font que l’on peut raisonnablement estimer que les
frappes toucheront des civils. Ce sont alors des « dommages collatéraux ». Or,
on oublie volontiers de mentionner en Occident que les frappes de la coalition
internationale, dont fait partie la France, auraient fait entre 2232 et 2958 victimes
civiles « collatérales » en Irak et Syrie entre août 2014 et mars 2016 selon le site
Air-wars, une plateforme coopérative sur l’analyse des frappes aériennes
internationales367.
Contrairement à la rhétorique officielle et aussi à celle de nombreux
« experts », les opérations de janvier et novembre 2015 à Paris présentaient
toutes les caractéristiques des « opérations de dissuasion », qui ont pour objectif
déclaré de forcer les pays occidentaux à stopper leurs frappes, comme le précise
l’organe « officiel » de l’État islamique :

Je crois qu’on ne peut pas faire plus clair. Ce sont donc les
bombardements aveugles français qui sont la cause de cette
menace. Menace qui a été mise à exécution le 13 novembre
2015 à Paris et Saint-Denis368.

L’affirmation du président François Hollande de « légitime


défense », avancée le 27 septembre 2015 pour justifier officiellement le
début des bombardements français en Syrie, est sujette à caution. Les attentats
terroristes individuels sont vus par les islamistes comme des drones ou des
missiles de croisière, qui frappent sur nos arrières :

Nous n’avons pas d’avions pour vous bombarder comme


vous nous bombardez. Nous avons des hommes qui aiment la
mort comme vous aimez la vie369.

Le moment choisi pour les attentats de 2015 n’était pas complètement


imprévisible. Il faisait suite, d’une part, à plusieurs articles doctrinaux dans la
littérature djihadiste sur la question des « opérations de dissuasion370 » et,
d’autre part, s’appuyait assez significativement sur l’impopularité du
gouvernement du président Hollande, pour le forcer à revoir sa politique au
Proche-Orient (comme cela avait été le cas en Espagne en 2004)371. La faiblesse
politique du gouvernement et son faible soutien populaire sont des facteurs de
décision pour les terroristes.
On peut comprendre que nous percevions l’intention des terroristes à travers
leurs actes, avec le danger d’appliquer une grille de lecture faussée par notre
culture et nos objectifs politiques, mais cela est insuffisant pour articuler des
stratégies. Une stratégie de lutte contre le terrorisme doit comprendre une
analyse objective des objectifs que l’on cherche à atteindre et leurs conséquences
avant de s’engager dans des opérations hasardeuses.
1. Robert A. Pape, « It’s the Occupation, Stupid », Foreign Policy, 18 octobre 2010.
2. Nelly Lahoud et al., Letters from Abbottabad: Bin Ladin Sidelined ?, (op. cit.)
3. Dr. Aiman Al-Zawahiny, « Iman Defeats Arrogance », Inspire Magazine, n° 12, printemps 2014 (1435),
p.12.
4. Roger Morris, « A Tyrant 40 Years in the Making », New York Times, 14 mars 2003.
5. Shane Harris & Matthew M. Aid, « Exclusive: CIA Files Prove America Helped Saddam as He Gassed
Iran », Foreign Policy, 26 août 2013.
6. Tyler, Patrick E., « Officers Say U.S. Aided Iraq in War Despite Use of Gas », The New York Times, 18
août 2002.
7. Source : la transcription originale de la discussion entre Saddam Hussein et l’ambassadrice Glaspie,
fournie par elle au Département d’État, (New York Times, « Confrontation In The Gulf – Excerpts From
Iraqi Document on Meeting With U.S. Envoy », 23 septembre 1990, récupéré sur le web le 20 juin
2015). Plus tard, cependant, lors de l’enquête parlementaire sur cet événement, l’ambassadrice Glaspie
donnera une autre version de sa discussion, prétendant qu’elle aurait ajouté que la solution de la crise
devait être pacifique.
8. Jusqu’en 1963, avant la scission et son indépendance, le Koweït faisait partie de la province irakienne de
Bassorah. Cette scission a été incitée par les Britanniques, afin de préserver leurs intérêts pétroliers,
nationalisés en Irak.
9. Le Congressional Human Rights Caucus n’est pas une institution officielle, mais une association de
politiciens du Congrès américain, dirigé par le démocrate Tom Lantos (CA) et le républicain John Porter
(IL). Porter et Lantos sont également à la tête de la Congressional Human Rights Foundation, qui
incidemment occupe gratuitement des locaux dans les locaux de Hill & Knowlton. (Source : Center for
Media & Democracy, Madison, WI). Lors de la présentation du 10 octobre 1990, Lantos est au courant
de la supercherie, alors que Porter ignore que l’événement est fabriqué.
10. Ce faux témoignage peut être vu sur Youtube: https://www.youtube.com/watch?v=LmfVs3WaE9Y
11. John R. MacArthur, Second Front: Censorship and Propaganda in the Gulf War, University of CA
Press, Berkeley (CA), 1992, p. 54.
12. Le Congressional Human Rights Caucus n’étant pas une commission ou un organe officiel du Congrès
américain, le témoignage de la jeune Nayirah a été considéré comme une conversation privée, et son
mensonge n’a pu être poursuivi pénalement.
13. Jean Heller, « Photos don’t show buildup », The St. Petersburg Times, 6 janvier 1991 ; The Christian
Science Monitor, 6 septembre 2002.
14. Interview de Richard (Dick) Cheney sur C-Span, 15 avril 1994.
15. Il s’agit en essence de limiter les activités américaines à des activités d’entraînement, conformément au
« 1977 Military Training Mission Treaty » (Gwyn Prins, « Blood and Sand », The Guardian, 21
décembre 2001).
16. William O. Beeman, « Saudi bombings were a carefully calculated act », The Daily Star, 16 mai 2003.
17. Oussama Ben Laden, « Déclaration de guerre contre les Américains occupant le pays des deux Lieux
Saints », 23 août 1996 (publié dans Al-Quds al-Arabi).
18. Mark Matthews, « U.S. sets conditions for killing terrorist Cohen says bin Laden may be hit in line of
fire », The Baltimore Sun, 24 août 1998.
19. Déclaration du front Islamique mondial, 23 février 1998, signée par le cheikh Oussama Bin Mohammad
ben Laden, Aïman al-Zawahiri, émir du Gama’a al-Jihad en Égypte, Abou-Yasir Rifa’i Ahmad Taha, du
Gama’a alIslamiyya égyptien, cheikh Mir Hamzah, secrétaire du Jamiat-ul-Ulema-e-Pakistan et Fazlur
Rahman, émir du Mouvement islamique au Bangladesh.
20. Peter Waldman & Hugh Pope, « ‘Crusade’ Reference Reinforces Fears War on Terrorism Is Against
Muslims », The Wall Street Journal, 21 septembre 2001. Voir aussi: « 9/11 George Bush - This Crusade
Is Gonna Take A While », YouTube, 17 septembre 2001.
21. Erik Prince and the last crusade, The Economist, 6 août 2009.
22. Alan Cooperman, « Marching as to War », The Washington Post, 16 juillet 2006.
23. William M. Arkin, « The Pentagon Unleashes a Holy Warrior », Los Angeles Times, 16 octobre 2003.
24. Pauline Jelinek & Robert Burns, « Joint Forces Staff College Class Suspended After Teaching America’s
Enemy Is Islam », www.huffingtonpost.com, 10 juillet 2012.
25. Les références délibérées à « Jean 8:12 » et « 2 Corinthiens 4:6 » sur les lunettes de visées Trijicon
ACOG ont fait grand bruit aux États-Unis, où la laïcité est la règle dans les forces armées. (Joseph Rhee,
Tahman Bradley & Brian Ross, « U.S. Military Weapons Inscribed With Secret ‘Jesus’ Bible Codes »,
ABC News, 18 janvier 2010).
26. Prof. Kurt R. Spillmann, entretien dans « Terrorisme islamiste : causes et conséquences », Bulletin SIT,
2/2002, Berne.
27. Werner Daum (ambassadeur d’Allemagne au Soudan entre 1996 et 2000), Universalism and the West —
An Agenda for Understanding, Harvard International Review, 2001.
28. Sandia National Laboratories, Osama Ben Laden : A Case Study, US Department of Energy, Livermore
(CA), 1999.
29. Jessica Stern, « Being Feared Is Not Enough to Keep Us Safe », Washington Post, 15 septembre 2001.
30. Lacey Marc, « Look at the Place! Sudan Says, ‘Say Sorry,’ but U.S. Won’t », The New York Times, 20
octobre 2005 (consulté le 1er octobre 2015).
31. Editorial, « Punish and Be Damned », The Economist, 29 août 1998.
32. Ronald K. Noble, « A Neglected Anti-Terror Weapon », New York Times, 9 septembre 1998.
33. Après les frappes d’août 1998, le chef de la Commission sénatoriale aux services armés, le sénateur Dan
Coats (Républicain) devait déclarer : « Nous devons manifestement en savoir plus sur cette attaque et
pourquoi elle a été ordonnée aujourd’hui. Compte tenu des problèmes personnels du Président cette
semaine, il est légitime de soulever la question du calendrier de cette action. », CNN, 20 août 1998.
34. Thierry Meyssan, L’Effroyable imposture : 11 Septembre, Chatou, Carnot, 2002.
35. Inspire Magazine, n° 7, automne 2011.
36. Yahya Ibrahim, « Letter from the Editor », Inspire Magazine, n° 7, automne 2011 (1432), p. 3.
37. Par exemple, François Clemenceau, au cours de l’émission « C dans l’air », France 5, 29 septembre
2015.
38. Ted Thornhill, « When women lived FREE in Afghanistan : Pictures show how they were once able to
study, wear skirts and mix freely with men – before civil war, invasion and the Taliban enslaved them »,
The Daily Mail, 22 janvier 2014. (http://www.dailymail.co.uk/news/article-2543902/Photos-just-free-
women-Afghanistan-Taliban-rule.html) voir également: https://afghanistannow.wordpress.com/tag/1970/
39. Robert M. Gates, From the Shadows : The Ultimate Insider’s Story of Five Presidents and How They
Won the Cold War, Simon and Schuster, 20 décembre 2011, p. 608, p. 132.
40. Cette version est également confirmée par une interview de Zbigniew Brzezinski, Conseiller à la sécurité
nationale du Président Carter, au Nouvel Observateur (Le Nouvel Observateur, Paris, 15-21 janvier
1998).
41. « The CIA’s “Operation Cyclone” – Stirring The Hornet’s Nest Of Islamic Unrest », Rense.com, 27
février 2010 (http://rense.com/general31/cyc.htm).
42. Lester W. Grau, Mine Warfare and Counterinsurgency : The Russian View, Foreign Military Studies
Office, Fort Leavenworth (KS), 1999.
43. Au milieu des années 90, soucieuse de l’utilisation que pourraient en faire des mouvements terroristes, la
Central Intelligence Agency (CIA) américaine a lancé un programme de rachat de ces missiles. L’offre
de 68 000 dollars pour chaque Stinger rendu, semble n’avoir pas connu un grand succès, car ces missiles
se vendaient alors sur le marché clandestin à des prix situés entre 120 000 et 208 000 dollars l’unité.
44. Selon des témoignages visuels transmis directement à l’auteur.
45. Le gouvernement taliban n’a été reconnu que par l’Arabie saoudite, les Émi-rats arabes unis et le
Pakistan.
46. Raphael F. Perl (Foreign Affairs, Defense, and Trade Division), Taliban and the Drug Trade,
Congressional Research Service, Report RS21041, 5 octobre 2001 (accessible à
https://file.wikileaks.org/file/crs/RS21041.pdf).
47. Chiffres: UNODC Afghanistan Opium Survey 2014, United Nations Office on Drugs and Crime &
Islamic Republic of Afghanistan – Ministry of Counter Narcotics, 2015.
48. Voir, par exemple: https://web.stanford.edu/group/mappingmilitants/cgibin/groups/view/367?
highlight=taliban
49. Rapport de l’Ambassade américaine d’Islamabad au Département d’État, daté du 22 octobre 1998
(SECRET).
50. NdA : Le terme d’Ikhwani désigne dans cette région les adeptes des Frères musulmans.
51. Rapport de l’Ambassade américaine d’Islamabad, op. cit.
52. Ibid.
53. Alex Strick van Linschoten & Felix Kuehn, An Enemy We Created : The Myth of the Taliban / Al-Qaeda
Merger in Afghanistan, 1970-2010, C Hurst & Co Publishers Ltd, 18 janvier 2012.
54. Mollah Abdul Salaam Zaeef, ambassadeur des Taliban au Pakistan, Times, 22 septembre 2001.
55. Rapport de l’ambassade américaine d’Islamabad au Département d’État, daté du 28 novembre 1998
(SECRET), (Chiffres 6-10).
56. The Independent, 22 septembre 2001, p. 1.
57. The Independent, 7 octobre 2001, p. 7.
58. The Guardian, 5 octobre 2001, p. 23.
59. Rory McCarthy, « New offer on Bin Laden », The Guardian, 17 octobre 2001.
60. General David McKiernan, Atlantic Council, Washington DC, 18 novembre 2008.
61. The United Kingdom Parliament, Examination of Witnesses, 16 mars 2003.
62. Robert A. Pape & James K. Feldman, Cutting the Fuse, University of Chicago Press, 2010, pp. 34-37.
63. Fondé et dirigé par John W. Rendon, ancien consultant en communication pour les campagnes
électorales des candidats démocrates Michael Dukakis et Jimmy Carter, le Rendon Group travaille
régulièrement avec le gouvernement américain dans des actions de propagande et de désinformation. Peu
après le 11 Septembre, le Rendon Group a reçu un mandat de 397 000 dollars sur quatre mois pour traiter
toutes les questions de relations publiques liées à l’intervention américaine en Afghanistan.
64. Paul H. Lewis, « After The War; U.N. Survey Calls Iraq’s War Damage Near-Apocalyptic », New York
Times, 22 mars 1991.
65. Chiffres du Fonds international de secours à l’enfance des Nations unies. « UNICEF – Results of the
1999 Iraq Child and Maternal Mortality Surveys », Federation of American Scientists,
(https://fas.org/news/iraq/1999/08/990812-unicef.htm). Ces chiffres ont fait l’objet de discussions, les
estimations variant selon les auteurs entre 170 000 et 567 000.
66. En 1997, Madeleine Albright deviendra la première secrétaire d’État (ministre des Affaires étrangères)
féminine des États-Unis.
67. http://daccess-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/596/24/IMG/NR059624.pdf?OpenElement
68. La Commission spéciale des Nation unies (UNSCOM) avait pour mission de vérifier le respect par l’Irak
des résolutions concernant la production des armes de destruction massive.
69. Oonagh Blackman, « Weapons inspector is US spy », The Mirror-UK, 23 octobre 2002 et également
Richard Wallace, « UN Inspectors Angry About US Intelligence ‘Garbage’ », The Mirror-UK, 23 février
2003.
70. H.R.4655-Iraq Liberation Act of 1998 – ENR, (http://thomas.loc.gov/cgi-bin/query/z?
c105:H.R.4655.ENR:)
71. Butler, Richard « Saddam Defiant: The Threat of Weapons of Mass Destruction, and the Crisis of Global
Security » Weidenfeld & Nicholson, 2000, p.224. ISBN 978-0753811160
72. William M. Arkin, “The Difference Was in the Details”, The Washington Post, 17 janvier 1999, Page
B1.
73. Eland Ivan, « Is Withdrawal of US Forces from Saudi Arabia Enough ? », The Independent Institute, 30
avril 2003 (www.independent.org).
74. Le 26 octobre 2001, l’auteur annonçait, au journal télévisé de la Télévision suisse romande, l’implication
de mouvements d’extrême droite américains dans les attaques d’anthrax, alors que les services de
renseignements y voyaient encore une action d’« Al-Qaïda ».
75. Ari Berman, « Polls Suggest Media Failure in Pre-War Coverage », 26 mars 2003, Editor & Publisher
(http://www.editorandpublisher.com/Print Article/Polls-Suggest-Media-Failure-in-Pre-War-Coverage.
76. Eric Schmitt, « Rumsfeld Says U.S. Has ‘Bulletproof’ Evidence of Iraq’s Links to Al Qaeda », The New
York Times – International Edition, 28 septembre 2002.
77. « U.S. Officials Guilty of War Crimes for Using 9/11 As a False Justification for the Iraq War »,
WashingtonsBlog, 24 octobre 2012.
78. CNBC « Capitol Report », « Cheney blasts media on al Qaeda-Iraq link », CNN.com, 18 juin 2004.
79. Caitlin Millat, « Cheney Admits No 9/11, Iraq Link », NBC News, 2 juin 2009.
80. Frank Newport, « Seventy-Two Percent of Americans Support War Against Iraq », Gallup News Service,
24 mars 2003.
81. Il s’agit des pays suivants : Albanie, Arménie, Australie, Azerbaïdjan, BosnieHerzégovine, Bulgarie,
Corée du Sud, Danemark, Estonie, États-Unis, Géorgie, Kazakhstan, Lettonie, Macédoine, Mongolie,
Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Salvador, Tonga, Ukraine.
82. Joel Roberts, « Plans for Iraq Attack Began On 9/11 », CBS News, 4 septembre 2002.
83. Interview de Richard Clarke à la télévision américaine (« Richard Clarke explains George W Bush was
LUSTING to Bomb Iraq », YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=nTBx7hrkA7E)
84. George Tenet lors d’une allocution à l’université de Georgetown, le 5 février 2004 (Jane’s Intelligence
Review, avril 2004).
85. Bureau of Intelligence and Research (INR)
86. Greg Thielmann, The New Yorker, 20 octobre 2003.
87. Vote accepté par 296 voix contre 133 à la Chambre des représentants et par 77 voix contre 23 au Sénat
(CNN, 11 octobre 2002).
88. La CIA définit le National Intelligence Estimate comme suit : « Le NIE est le jugement qui fait le plus
autorité en matière de sécurité nationale préparée par le Director of Central Intelligence. À la différence
des produits de « renseignement de situation », qui décrivent essentiellement le présent, la plupart des
NIE prévoient des développements futurs et le plus souvent traitent leurs implications pour les États-
Unis. Les NIE couvrent une vaste palette de questions qui va des tendances militaires, jusqu’aux
tendances technologiques, économiques ou politiques. Les NIE s’adressent au plus haut niveau des
décideurs politiques – y compris le Président. Ils sont souvent établis en réponse à une question
spécifique d’un décideur politique. Les évaluations ne sont pas destinées à juste fournir des informations,
mais à aider les décideurs politiques à évaluer les problèmes. Ils sont préparés par la CIA → → avec la
participation d’autres agences de la Communauté du renseignement et sont coordonnés avec ces agences.
Lorsque des vues différentes apparaissent au sein de la Communauté du renseignement, elles sont
reflétées dans le NIE » (www.foia.cia.gov, juillet 2004).
89. White Paper on Iraq’s Weapons of Mass Destruction Programs, non classifié, source : CIA public
release, octobre 2002.
90. National Intelligence Estimate, (S//NF) Iraq’s Continuing Programs for Weapons of Mass Destruction,
NIE 2002-16HC, octobe 2002 (TOP SECRET), p. 6 (Approved for release 12 septembre 2014).
91. White Paper on Iraq’s Weapons of Mass Destruction Programs, non classifié, source : CIA public
release, octobre 2002.
92. La NSA est l’organe des États-Unis responsable du renseignement d’origine électromagnétique et la
sécurité électronique du département de la Défense. En France, ces fonctions sont partagées entre la
Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) et
d’autres entités.
93. Defense Intelligence Agency.
94. Final Report of the National Commission on Terrorist Attacks upon the United States, The 9/11,
Commission Report, Authorized Edition, W.W. Norton & Company, New York, 2004; Douglas Jehl,
« Intelligence report questions credibility of Iraqi defector », International Herald Tribune, 14 juillet
2004.
95. https://www.youtube.com/watch?v=EitbzTAJWws
96. Ali Khedery, « Why we stuck with Maliki — and lost Iraq », The Washington Post, 3 juillet 2014.
97. Chelsea Manning, « The Fog Machine of War », International New York Times, 14 juin 2014.
98. Ben Reynolds, « Iran Didn’t Create ISIS; We Did », The Diplomat, 31 août 2014.
99. Document secret daté du 28 mars 2002, découvert dans le cadre de l’enquête du Congrès sur Hillary
Clinton, sur son ordinateur. Source : Glen Owen & William Lowther, « Smoking gun emails reveal
Blair’s ‘deal in blood’ with George Bush over Iraq war was forged a YEAR before the invasion had even
started », The Mail On Sunday, 17 octobre 2015 (updated 18 octobre 2015).
100. Patrick Barkham, « Iraq war 10 years on: mass protest that defined a generation », The Guardian, 15
février 2013.
101. Richard Norton-Taylor, « Chilcot report likely to cast net of criticism far and wide », The Guardian, 26
octobre 2015.
102. Matt Dathan, « Iraq war not to blame for 7/7 bombings, insists Tony Blair », The Independent UK, 7
juillet 2015.
103. « Could 7/7 Have Been Prevented? Review of the Intelligence on the London Terrorist Attacks on 7
July 2005 », Intelligence and Security Committee, London, May 2009.
104. Craig Murray, « Liquid Lies Revisited », 3 juillet 2014 (https://www.craig-
murray.org.uk/archives/2014/07/liquid-lies-revisited/)
105. Thomas C Greene, « Mass murder in the skies : was the plot feasible? », The Register, 17 août 2006.
106. Nafeez Ahmed, « Sources: August terror plot is a ‘fiction’ underscoring police failures », rawstory.com,
18 septembre 2006
(http://www.rawstory.com/news/2006/Sources_August_Terror_Plot_Fiction_Underscoring_0918.html).
107. Voir les travaux du colonel Warden, Col John A., III, « The Enemy as a system », Air & Space Power
Journal, n° 1, printemps 1995, pp. 40-55.
108. Video of Aegis contractors killing Iraq civilians (http://www.liveleak.com/view?i=c15_1333825385)
109. Ann Scott Tyson, « Iraq battles its leaking borders », The Christian Science Monitor, 6 juillet 2004.
110. « US “loses track” of Iraq weapons », BBC News, 6 août 2007 (consulté le 20 juin 2014).
111. Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR).
112. Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction, SIGAR 14-84 Audit Report - Afghan
National Security Forces: Actions Needed to Improve Weapons Accountability, (SIGAR 14-84-
AR/ANSF Weapons Accountability), juillet 2014.
113. Timothy Williams and Duraid Adnan, « Sunnis in Iraq Allied With U.S. Rejoin Rebels », New York
Times, 16 octobre 2010.
114. Kaley Payne, Syrian Christians fear overturn of Assad regime, http://www.biblesociety.org.au
115. https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_Libya_under_Muammar_Gad dafi
116. Eben Kaplan, « How Libya Got Off the List », Council on Foreign Relations (CFR), 16 octobre 2007.
117. Peter Hoekstra, Architects of Disaster: The Destruction of Libya, The Calamo Press, 2 octobre 2015.
118. Anne Applebaum, « Wag le Chien – Did French President Nicolas Sarkozy push the Libyan
intervention to boost his re-election bid? »,
(http://www.slate.com/articles/news_and_politics/foreigners/2011/03/wag_le_chien.html?from=rss)
(consulté le 22.01.2015), 28 mars 2011
119. Pauline Fréour, « 2012 : un sondage donne Le Pen devant DSK et Sarkozy», lefigaro.fr, mis à jour le 8
mars 2011.
120. Voir l’interview de Moustafa Abdul Jalil sur Youtube, mise en ligne le 31 mai 2014
(https://www.youtube.com/watch?v=Jjf5MTKHbqw)
121. Steven Erlanger, « By His Own Reckoning, One Man Made Libya a French Cause », The New York
Times, 1er avril 2011.
122. http://www.al-
monitor.com/pulse/files/live/sites/almonitor/files/documents/2015/France_created_NLC.pdf
123. « ‘This Week’ Transcript: Hillary Clinton, Robert Gates and Donald Rumsfeld », ABC News.
124. Kelly Riddell & Jeffrey Scott Shapiro, « Hillary Clinton’s ‘WMD’ moment: U.S. intelligence saw false
narrative in Libya », The Washington Times, 29 janvier 2015.
125. S/RES/1973(2011), 17 mars 2011.
126. Adam Goldman & Donna Cassata, « CIA sends teams to Libya; US considers rebel aid », Associated
Press, 31 mars 2011.
127. Canard Enchaîné, 16 mars 2011.
128. « Les services secrets britanniques humiliés en Libye », liberation.fr, 7 mars 2011.
129. UN Security Council Resolution 1970 (2011) (S/RES/1970), 26 février 2011.
130. Philippe Gélie, « La France a parachuté des armes aux rebelles libyens », lefigaro.fr, 28 juin 2011.
131. Ibid.
132. Marcel André Boisard, ancien Sous-secrétaire général de l’ONU, « La responsabilité de protéger, un
principe jetable et à usage unique », Le Temps, 28 octobre 2011, cité par Bruno Pommier dans « Le
recours à la force pour protéger les civils et l’action humanitaire : le cas libyen et au-delà », Revue
internationale de la Croix-Rouge, n° 884 – L’avenir de l’action humanitaire, 31 décembre 2011.
133. Josh Rogin, « Top U.S. admiral admits we are trying to kill Qaddafi », Foreign Policy, 24 juin 2011.
134. Conçues comme pour un conflit conventionnel, ces frappes ont en fait péjoré la situation des
populations civiles (sans compter les inévitables « dommages collatéraux » liés à ce type d’action) ainsi
que l’auteur – alors en poste aux Nations unies – a pu le constater au quartier-général des opérations de
maintien de la paix.
135. C. J. Chivers & Eric Schmitt, « In Strikes on Libya by NATO, an Unspoken Civilian Toll », The New
York Times, 17 février 2011.
136. Intervention en Libye : précipitation et approximations (2), France Inter, 21 septembre 2013.
137. Human Rights Investigations, « Libyan rebel ethnic cleansing and lynching of black people », 7 juillet
2011 (http://humanrightsinvestigations.org/2011/07/07/libya-ethnic-cleansing/)
138. David D. Kirkpatrick, « Hopes for a Qaddafi Exit, and Worries of What Comes Next », The
International New York Times, 21 mars 2011.
139. Webster G. Tarpley, PhD, « The CIA’s Libya Rebels : The Same Terrorists who Killed US, NATO
Troops in Iraq », TARPLEY.net, 24 février 2011.
140. Joseph Felter and Brian Fishman, Al Qa’ida’s Foreign Fighters in Iraq: A First Look at the Sinjar
Records, Combating Terrorism Center, Department of Social Sciences, US Military Academy, West
Point, New York, 2007.
141. Jeffrey Scott Shapiro, « Secret Benghazi report reveals Hillary’s Libya war push armed al Qaeda-tied
terrorists », The Washington Times, 1er février 2015.
142. Praveen Swami, Nick Squires and Duncan Gardham, « Libyan rebel commander admits his fighters
have al-Qaeda links », The Telegraph, 25 mars 2011.
143. « Libye : BHL s’est engagé “en tant que juif” », Le Figaro/AFP, 20 novembre 2011.
144. Le GCIL a été désigné groupe terroriste le 27 décembre 2004 par le Département d’État américain, et en
octobre 2005 par la Grande-Bretagne.
145. Praveen Swami, Nick Squires, and Duncan Gardham, op. cit.
146. « Libya releases scores of prisoners », Aljazeera, 9 avril 2008
(http://www.aljazeera.com/news/africa/2008/04/200861502740131239.html)
147. Shaw, Dallas E. (Maj, USMC), Libyan Former Foreign Fighters and Their Effects on the Libyan
Revolution, USMC Command and Staff College, 12 mars 2012.
148. Paul Joseph Watson, « Aljazeera FAKED the Green Square Celebration in Libya », LiveLeak.com
(http://www.liveleak.com/view?i=077_1314759488)
149. Alastair Jamieson, « Deadly Libya Violence Pushes Country Toward ‘Failed State’ », NBC News, 31
juillet 2014.
150. « C dans l’air – Daech : Et Maintenant la Libye », France 5, 18 décembre 2015.
151. Country Reports on Terrorism 2014, US Department of State Publication, Bureau of Counterterrorism,
juin 2015.
152. Ruth Sherlock, « Libya’s new rulers offer weapons to Syrian rebels », The Daily Telegraph, 25
novembre 2011; Ruth Sherlock, « Leading Libyan Islamist met Free Syrian Army opposition group »,
The Daily Telegraph, 27 novembre 2011.
153. « France training rebels to fight Syria », Press TV, 26 novembre 2011 (page archivée et consultée le 20
octobre 2015).
154. Eric Schmitt, « C.I.A. Said to Aid in Steering Arms to Syrian Opposition», The New York Times, 21
juin 2012.
155. http://www.state.gov/documents/organization/202446.pdf
156. Elad Benari, « Benghazi Attack Also Targeted CIA Installation », Arutz Sheva/israelnationalnews, 23
octobre 2012.
157. Michael B Kelley, « How US Ambassador Chris Stevens May Have Been Linked To Jihadist Rebels In
Syria », Business Insider UK, 19 octobre 2012.
158. Les chiffres concernant ce massacre sont controversés. Voir Patrick Seale, « Asad, the Struggle for the
Middle East », University of California Press, 1989.
159. Bachar Al-Assad, Dictateur ou Visionnaire Démocrate ?, YouTube, 10 novembre 2013,
(https://www.youtube.com/watch?v=3wOsXTKvKzc)
160. Country Reports on Terrorism, Department of State, updated 30 avril 2007.
161. Bachar Al-Assad, Dictateur ou Visionnaire Démocrate ?, op. cit.
162. Seymour Hersh, « Military to Military », London Review of Books, Vol. 38, n° 1, 7 janvier 2016.
163. Seymour Hersh, « The Syrian Bet », The New Yorker, 27 juillet 2003.
164. Bulletin du Tribunal Spécial pour le Liban, décembre 2014 – janvier 2015, Section de l’information et
de la communication du Tribunal spécial pour le Liban, (http://www.stl-tsl.org/fr/).
165. Nicholas Blanford, « Did Hezbollah Kill Hariri? », Foreign Policy, 1er avril 2010.
166. Jürgen Cain Külbel, Mordakte Hariri. Unterdrückte Spuren im Libanon, Éditions Kai Homilius, 2006.
167. Joe Romm, « Human-Caused Warming Helped Trigger Current Syrian Conflict and Rise of ISIS »,
thinkprogress.org, 3 mars 2015.
168. Kaley Payne, Syrian Christians fear overturn of Assad regime, http://www.biblesociety.org.au
169. « A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm », The Institute for Advanced Strategic and
Political Studies, July 1996, (http://www.informationclearinghouse.info/article1438.htm)
170. Brian Whitaker, « Playing skittles with Saddam », The Guardian, 3 septembre 2002.
171. Interview de Roland Dumas sur Radio Courtoisie, le 24 septembre 2013. « Syrie : Roland Dumas dit
tout ! (octobre 2013) », YouTube, 12 novembre 2013 (https://www.youtube.com/watch?v=Is8o-wiRY4s)
et « Roland Dumas : les Anglais préparaient la guerre en Syrie deux ans avant les manifestations en
2011 », YouTube, 20 juin 2013 (https://www.youtube.com/watch?v=HI23UkYl3Eo)
172. « Influencing the SARG in the End of 2006 », 13 décembre 2006 (SARG = Syria Republic
Government) (https://wikileaks.org/plusd/cables/06DAMASCUS5399_a.html)
173. “Influencing the SARG in the End of 2006”, 13 décembre 2006 (SARG = Syria Republic Government)
(https://wikileaks.org/plusd/cables/06DAMASCUS5399_a.html)
174. Didier Zacharie, « L’accès internet coupé en Syrie », Le Soir/AP/AFP, 29 novembre 2012.
175. « Internet : la Syrie coupée du reste du monde », Le Monde/Reuters, 15 mai 2013.
176. Edward Snowden est un ex-employé de la Central Intelligence Agency (CIA), puis consultant employé
par La National Security Agency (NSA) américaine, qui a copié des milliers de documents de la NSA et
du Government Communication Headquarters (GCHQ) britannique relatifs à des activités clandestines
de ces agences, et en a publié certains par l’entremise du journal britannique The Guardian dès 2013.
Poursuivi pour espionnage par les autorités américaines, Snowden vit en Russie.
177. http://www.wired.com/2014/08/edward-snowden/ ; voir également Spencer Ackerman, « Snowden :
NSA accidentally caused Syria’s internet blackout in 2012 », The Guardian, 12 août 2014.
178. https://www.facebook.com/photo.php?
fbid=10151232961170727&set=a.10150308582340727.567536.420796315726&type=3&theater
(consultée le 28 février 2016)
179. Gabe Kahn, « Syria : Seven Police Killed, Buildings Torched in Protests », Israel National News/Arutz
Sheva, 21 mars 2011.
180. John Rosenthal, « An Eyewitness to the Syrian Rebellion: Father Frans in His Own Words », The
BRICS Post, 19 avril 2014.
181. Ibid.
182. « Syria Opposition, take half », Stratfor, 14 septembre 2011 (publié le 11 mars 2013 par Wikileaks dans
The Global Intelligence Files).
183. « Syrie : La France a livré des armes aux rebelles syriens », 20 Minutes/AFP, 21 août 2014 (mis à jour
le 22 août 2014).
184. Cheryl K. Chumley, « Syrians behead Christians for helping military, as CIA ships in arms », The
Washington Times, 27 juin 2013.
185. D’après Dar al-Islam, n°6, septembre 2015 (Dhou al-Hijjah 1436)
186. Nom complet : Jabhat an-Nu?rah li-Ahl ash-Sham (Front pour la victoire du peuple du Levant)
187. Background - Religious Minorities in Iraq Face Persecution, (http://www.amnestyusa.org/our-
work/countries/middle-east-and-north-africa/iraq/background-religious-minorities-in-iraq-face-
persecution)
188. « A Very Busy Man Behind the Syrian Civil War’s Casualty Count », New York Times, 9 avril 2013,
(consulté le 26 juin 2014).
189. Alain Chouet a été chef du Service de renseignement de sécurité à la Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE) (2000-2001).
190. http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2012/09/alain-chouet-nos-ministresson.html
191. Seymour Hersh, « Military to Military », London Review of Books, vol. 38, n° 1, 7 janvier 2016.
192. lepoint.fr, « Fabius : “Le régime syrien doit être abattu, et rapidement” », AFP, 17 août 2012.
193. Craig Whitlock, « WikiLeaks : U.S. secretly backed Syria opposition », Washington Post, 18 novembre
2011.
194. Il s’agit du MJD.
195. Câble diplomatique du 28 avril 2009 de l’ambassade américaine de Damas à destination de Washington
(SECRET), 09DAMASCUS306 (https://wikileaks.org/plusd/cables/09DAMASCUS306_a.html)
196. Ibid.
197. C. J. Chivers and Eric Schmitt, « Arms Airlift to Syria Rebels Expands, With Aid From C.I.A. », New
York Times, 24 mars 2013.
198. http://www.sipri.org/databases/embargoes/eu_arms_embargoes/syria_LAS/eu-embargo-on-Syria
199. Xavier Panon, Dans les coulisses de la diplomatie française, L’Archipel, mai 2014.
200. « Syrie : Hollande a-t-il rétropédalé sur la livraison d’armes aux rebelles ? », lexpress.fr, 29 mars 2013.
201. « Khalid Bin Al-Waleed Brigade-one of the largest brigades in Homs splits from FSA and IS frees 3
Syrians in Lebanon », LiveLeak, 2 août 2014.
202. Frank Crimi, « Ethnic Cleansing Of Syrian Christians », FrontPageMag.com, 28 mars 2012
(http://www.frontpagemag.com/fpm/127087/ethnic-cleansing-syrian-christians-frank-crimi)
203. Isabelle Maudraud, « Pression militaire et succès diplomatique pour les rebelles syriens », Le Monde,
13 décembre 2012.
204. On prête même au ministre des Affaires étrangères le fait d’avoir dit que le Front al-Nosrah « faisait du
bon boulot ». En l’absence du verbatim de la déclaration du ministre, en raison du manque de clareté des
citations évoquées dans la presse, nous laisserons le lecteur juge. (ibid.)
205. Le Front al-Nosrah a été placé sur la liste des organisations terroristes du Département d’État US le 11
décembre 2012, et sur celle des Nations unies le 30 mai 2013.
206. Nick Fagge, « Syria rebels “beheaded a Christian and fed him to the dogs” as fears grow over Islamist
atrocities », Daily Mail, 30 décembre 2015.
207. Nancy A. Youssef McClatchy, « Syrian Rebels Describe U.S.-Backed Training in Qatar », Frontline,
26 mai 2014 (http://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/foreign-affairs-defense/syria-arming-the-
rebels/syrian-rebels-describe-u-s-backed-training-in-qatar/).
208. Reyhanli & Urfa, « The War against Islamic State – Unintended consequences ? », The Economist, 4
octobre 2014
209. Reuters, « Syrian rebels elect Islamist-dominated unified command », 8 décembre 2012.
210. David E. Sanger, « Rebel Arms Flow Is Said to Benefit Jihadists in Syria », The New York Times, 14
octobre 2012.
211. http://www.syr-now.net/index.php?d=26&id=104061
212. « NATO: Assad, Russia and Iran are prevailing in Syria », WorldTribune.com, 21 juillet 2013.
213. Richard Engel, Jim Miklaszewski, Ghazi Balkiz and Robert Windrem, « Extremist element among
Syrian rebels a growing worry », NBC News, 10 septembre 2013.
214. TASS, « Lavrov: Show Us Your Fake “Free Syrian Army” », 7 octobre 2015.
215. Patricia Zengerle & David Lawder, « U.S. Congress approves arming Syrian rebels, funding
government », Reuters, 18 septembre 2014.
216. Aron Lund, « Does the “Southern Front” Exist ? », Carnegie Endowment for International Peace,
Washington DC, 21 mars 2014.
217. If the Castle Falls, Tony Blair Faith Foundation, décembre 2015, p. 8.
218. « Les États-Unis entraînent des rebelles syriens modérés en Jordanie », RFI, 8 mai 2015.
219. « Initial Class of Syrian Opposition Forces Begin Training », U.S. Central Command News Release, 7
mai 2015 http://www.defense.gov/Portals/1/features/2014/0814_iraq/docs/20150503-
_CENTCOM_News_Release_-_Initial_Class_of_Syrian_Opposition_Forces_Begin_Training.pdf
220. Thomas Gibbons-Neff, « Only 4 to 5 American-trained Syrians fighting against the Islamic State », The
Washington Post, 16 septembre 2015.
221. Kaley Payne, « Syrian Christians fear overturn of Assad regime », http://www.biblesociety.org.au,
2012.
222. Elizabeth Dias, « Syrian Christian Leaders Call on U.S. To End Support for Anti-Assad Rebels », Time
Magazine, 30 janvier 2014.
223. Allocution du président Hollande lors de la Conférence des ambassadeurs du 25 août 2015.
224. « NATO data: Assad winning the war for Syrians’ hearts and minds », WorldTribune.com, 31 mai 2013
(http://www.worldtribune.com/nato-data-assad-winning-the-war-for-syrians-hearts-and-minds/)
225. « La cote de popularité de François Hollande en hausse », AFP/L’Obs, 26 mai 2013.
226. Jonathan Steele, « Most Syrians back President Assad, but you’d never know from western media »,
The Guardian, 17 janvier 2012.
227. Mark Landler and Thom Shanker, « Pentagon Lays Out Options for U.S.Military Effort in Syria », The
New York Times, 22 juillet 2013.
228. Seymour Hersh, « Military to Military », London Review of Books, vol. 38 n° 1, 7 janvier 2016.
229. Dabiq Magazine, n° 8, mars 2015 (Jumada al-Akhira 1436), p. 2.
230. Dabiq est une petite ville de quelque 3000 habitants en Syrie, à proximité de la frontière turque, où
Mohammed avait prédit un combat final avec les Turcs. Il est un peu l’équivalent de Meggido dans la
Bible (certains pen-sent qu’il s’agit de la même ville) où devrait se dérouler la bataille finale
(Armageddon) contre Satan. « Dabiq » est également le nom choisi pour le magazine officiel de l’État
islamique.
231. Nelly Lahoud et al., op. cit.
232. The Group That Calls Itself a State: Understanding the Evolution and Challenges of the Islamic State,
U.S. Military Academy, Combating Terrorism Center, (West Point), décembre 2014.
233. David E. Sanger, « Rebel Arms Flow Is Said to Benefit Jihadists in Syria », The New York Times, 14
octobre 2012.
234. http://www.judicialwatch.org/wp-content/uploads/2015/05/Pg.-291-Pgs.-287-293-JW-v-DOD-and-
State-14-812-DOD-Release-2015-04-10-final-version11.pdf
235. Brad Hoff, « West will facilitate rise of Islamic State “in order to isolate the Syrian regime: 2012 DIA
document », Foreign Policy Journal, 21 mai 2015; voir également: http://www.judicialwatch.org/wp-
content/uploads/2015/05/Pg.-291-Pgs.-287-293-JW-v-DOD-and-State-14-812-DOD-Release-2015-04-
10-final-version11.pdf
236. Ed Husain, « Al-Qaeda’s Specter in Syria », Council on Foreign Relations (CFR), 6 août 2012.
237. NdA : Strictement parlé, il s’agit en fait de l’État islamique d’Irak (Dawlat al-’Eiraq al-Islamiyah) et
non « en » Irak (Dawlah al-Islamiyah fil-’Eiraq)
238. TE-SAT 2013 - EU Terrorism Situation and Trend Report, European Police Office, 2013, p. 21
(https://www.europol.europa.eu/content/te-sat-2013-eu-terrorism-situation-and-trend-report)
239. « Former DIA Chief Michael Flynn Says Rise of ISIS Was a “Willful Decision” of US Government »,
YouTube, 6 octobre 2015.
240. C’est l’abréviation DAIESh (prononcée « DASH » par les officiels français) qui ne désigne qu’une
forme antérieure de l’État islamique. Il est cependant intéressant de constater que l’usage occidental de
l’ancienne abréviation du mouvement (ISIS, ISIL ou DAIESh) tend à s’imposer dans la littérature des
islamistes eux-mêmes, comme naguère « Al-Qaïda ».
241. Al-Qaeda merges with Isis at Syria-Iraq border town, The Telegraph/AFP, 25 juin 2014.
242. « La fulgurante ascension du Front Al-Nosra en Syrie », lemonde.fr/AFP Reuters, 10 avril 2013
(http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/04/10/la-fulgurante-ascension-du-front-al-nosra-en-
syrie_3157351_3218.html#0DgjKhluqIpSqzHa.99)
243. L’Express, « Hollande à l’ONU : en Syrie, “Assad est une partie du problème, pas de la solution” »,
publié le 28 septembre 2015, mis à jour le 29 septembre 2015.
(http://www.lexpress.fr/actualite/politique/hollandea-l-onu-en-syrie-assad-est-une-partie-du-probleme-
pas-de-la-solution_1720366.html)
244. Syrie – Conférence de Genève II (Montreux, 22 janvier 2014), France Diplomatie
(http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/conference-geneve-ii/article/syrie-conference-de-
geneve-ii)
245. Coralie Muller, Enquête sur l’État islamique, Éditions du Moment, Paris, 2015, p. 160.
246. Sean Adl-Tabatabai, « Rick Santorum Bombshell : US Created ISIS And Caused Paris Attacks »,
YourNewsWire.com, 15 novembre 2015.
247. Dabiq Magazine, n° 2, Ramadan 1435 (juin 2014), p. 31.
248. « Ex-DIA boss Michael Flynn: White House took “willful decision” to fund, train Syria Islamists
ISIS », YouTube, 23 août 2015.
249. Paul McLeary, « Pourquoi les généraux de l’État islamique sont meilleurs que ceux de l’armée
irakienne », Slate.fr/Foreign Policy (trad. Peggy Sastre), 19 juin 2015.
250. Il s’agit essentiellement de la Mission de Formation de l’OTAN en Irak (2004-2011).
251. L’Émirat du Caucase a été créé formellement le 7 octobre 2007 dans l’indifférence générale. Il a été un
grand pourvoyeur de combattants étrangers en Syrie et est soutenu par certains pays occidentaux. Son
ralliement à l’État islamique, le 23 juin 2015 a été un élément déterminant pour la décision russe de
s’impliquer militairement en Syrie aux côtés du gouvernement.
252. Barak Barfi, « The Military Doctrine of the Islamic State and the Limits of Ba’athist Influence », CTC
Sentinel, Combating Terrorism Center (West Point), 19 février 2016, pp. 18-22.
253. https://www.quora.com/Why-is-the-Iraqi-military-unable-to-handle-fighting-ISIS-without-US-
intervention.
254. Mark Mazzetti and Matt Apuzzo, « Analysts Detail Claims That Reports on ISIS Were Distorted », The
New York Times, 15 septembre 2015.
255. S/RES/487 (1981) du 19 juin 1981. Cette résolution a été prise après l’attaque israélienne contre la
centrale irakienne d’Osirak, déclarée contraire au droit international et en violation de la Charte des
Nations unies.
256. Shane Harris & Matthew M. Aid, « Exclusive: CIA Files Prove America Helped Saddam as He Gassed
Iran », Foreign Policy, 26 août 2013.
257. Glenn Kessler, « President Obama and the ‘red line’ on Syria’s chemical weapons », The Washington
Post, 6 septembre 2013.
258. Nom complet : Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne.
Elle a été instituée par le Conseil des Droits de l’homme (ONU) en 2011 et comprend M. Paulo Sérgio
Pinheiro (Prési-dent), Karen Koning AbuZayd, Vitit Muntarbhorn et Carla Del Ponte.
259. Damien McElroy and agencies, « UN accuses Syrian rebels of chemical weapons use », The Telegraph,
6 mai 2013.
260. « Russian Inquiry to UN: Rebels, not Army, Behind Syria Aleppo Sarin Attack », Information Clearing
House/RT, 10 juillet 2013.
261. OE Watch, « Turkey – Al Nusra With Sarin Gas? », Foreign Military Studies Office, Fort Leavenworth,
(http://fmso.leavenworth.army.mil/OEWatch/201307/Turkey_02.html)
262. Seymour M. Hersh, « The Red Line and the Rat Line », London Review of Books, vol. 36 n°8, 17 avril
2014.
263. Christof Lehmann, « Syrian Army seizes Massive Chemical Stockpile from Insurgents. Enough to Wipe
Out Entire Country », NSNBC, 10 juillet 2013.
264. Synthèse nationale de renseignement déclassifié – Programme chimique syrien – Cas d’emplois passés
d’agents chimiques par le régime – Attaque chimique conduite par le régime le 21 août 2013, Paris, août
2013. Cette note, apparemment réalisée par le Secrétariat générale de la défense et de la sécurité
nationale (SGDSN), sur la base de notes réalisées par la → →Direction générale de la sécurité extérieure
(DGSE) et de la Direction du renseignement militaire (DRM)
(http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Syrie_Synthese_nationale_de_renseignement_declassifie_le_02_09_2013_cle
265. Symptomatiquement, les 6 vidéos postées sur le site du ministère de la Défense en appui de la synthèse
de renseignement ont été retirées depuis. (http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/programme-
chimique-syrien-et-attaque-du-21-aout-2013)
266. Richard Lloyd (Former UN Weapons Inspector) & Theodore A. Postol (Professor of Science,
Technology, and National Security Policy, Massachusetts Institute of Technology), Possible
Implications of Faulty US Technical Intelligence in the Damascus Nerve Agent Attack of August 21,
2013, MIT, Washington DC, 14 janvier 2014.
https://s3.amazonaws.com/s3.documentcloud.org/documents/1006045/possible-implications-ofbad-
intelligence.pdf
267. Matthew Schofield, « New analysis of rocket used in Syria chemical attack undercuts U.S. claims »,
McClatchy Foreign Staff, Washington DC, 15 jan-vier 2014.
268. Rédaction Numérique de RTL, « Armes chimiques en Syrie : l’otage belge libéré dédouane le régime
d’Assad », RTL/AFP, 9 septembre 2013.
269. Sœur Agnès Miriam de la Croix et al., The Chemical Attacks on East Ghouta – To Justify Military Right
to Protect Intervention in Syria, International Support Team for Mussalaha in Syria (ISTEAMS),
Monastère St Jacques (Syrie), publié par l’Institut international pour la paix, la justice et les Droits de
l’homme (Genève), 15 septembre 2013.
270. Aux États-Unis : Chairman of the Joint Chiefs of Staff.
271. John Grady, « Testy Dempsey Reconfirmation Hearing Dominated by Syria », U.S. Naval Institute’s
News 19 juillet 2013 (http://news.usni.org/2013/07/19/testy-dempsey-reconfirmation-hearing-
dominated-bysyria#more-4055)
272. Richard Spencer, Aleppo and Ruth Sherlock, « Is Bashar al-Assad winning the civil war in Syria ? »,
The Telegraph, 23 mai 2013.
273. http://www.lemonde.fr/international/article/2014/02/15/intervention-ensyrie-comment-les-americains-
ont-lache-les-francais-3-3_4367078_3210.html
274. https://www.youtube.com/watch?v=HYIdmlk2gAU
275. Richard Spencer, « Syrian rebels get first heavy weapons on the front line of Aleppo », The Telegraph,
19 juin 2013.
276. UN document 917/2012 S 628/ 67
277. NdA: soit quatre jours après que le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius déclare que Front al-
Nosrah « fait du bon boulot » !
278. « OPCW-UN Joint Mission Draws to a Close », OPCW (Communiqué de l’Organisation pour
l’Interdiction des Armes Chimiques), 1er octobre 2014.
279. SC/11810, Adopting Resolution 2209 (2015), Security Council Condemns Use of Chlorine Gas as
Weapon in Syria, 7401st Meeting, Security Council, 6 mars 2015.
280. https://en.wikipedia.org/wiki/Use_of_chemical_weapons_in_the_Syrian_Civil_War
281. Ibid.
282. Jerry Smith, « The challenge of assessing Syria’s chemical weapons », BBC News, 23 mai 2015.
283. Il s’agit du même gaz que celui utilisé pour la première fois durant la Première Guerre mondiale à
Ypres.
284. Andrew V. Pestano, « U.N. confirms use of mustard, chlorine gas in Syrian civil war », UPI, 8
novembre 2015.
285. Anthony Deutsch, « Exclusive: Chemical weapons used by fighters in Syria – sources », Reuters, 6
novembre 2015.
286. GPD, « Official Report: US Backed Groups Proven to Use Sarin Gas in Syria from 2013 Onward »,
Veterans Today, 8 janvier 2016; et « Scientific report: it was not the Syrian army to use chemical
weapons in Ghouta », Vatican News, 8 janvier 2016.
287. Mieux connues sous leur appellation anglaise de « Barrel Bomb ».
288. « Video shows Syrian govt aircraft in rebel hands », Al-Arabiya, 1er mai 2014.
289. https://www.bellingcat.com/news/mena/2015/01/16/the-syrian-arab-air-force-beware-of-its-wings/
290. Eliot Higgins, « A Brief Open Source History of the Syrian Barrel Bomb », ByLine, 7 juillet 2015.
291. http://brown-moses.blogspot.com/2012/06/evidence-of-unguided-bombs-being.html
292. Voir, par exemple, les allégations péremptoires – et totalement infondées – de Frédéric Encel dans
l’émission « C dans l’air » sur France 5, le 28 août 2013. (https://www.youtube.com/watch?
v=BXDh6YHCpLQ&index=28&list=WL)
293. « President Obama : “We Will Degrade and Ultimately Destroy ISIL” ». White House office of the
Press Secretary. 10 septembre 2014. Consulté le 1er octobre 2015.
294. Ken Dilanian & Eileen Sullivan, « Syrian extremists may pose more direct threat to US than Islamic
State », Associated Press, 13 septembre 2014.
295. « Al Qaeda’s quiet plan to outdo ISIS and hit U.S. », CBS News, 18 septembre 2014.
296. Ce groupe ne doit pas être confondu avec le groupe « Province de Khorasan », apparu le 12 janvier
2015 au Pakistan à partir d’une dissidence des Taliban et rallié à l’État islamique, et qui sera porté sur la
liste des mouvements terroristes étrangers des États-Unis le 16 janvier 2016.
297. Mark Mazzetti, Michael S. Schmidt & Ben Hubbard, « U.S. Suspects More Direct Threats Beyond
ISIS », 20 septembre 2014.
298. Josh Levs, Paul Cruickshank & Tim Lister, « Source : Al Qaeda group in Syria plotted attack against
U.S. with explosive clothes », CNN, 24 septembre 2014.
299. Eli Lake, « Al Qaeda Plotters in Syria ‘Went Dark’ U.S. Spies Say », The Daily Beast, 23 septembre
2014.
300. « Statement by the President on Airstrikes in Syria », The White House, Office of the Press Secretary,
23 septembre 2014.
301. Terrence McCoy, « Targeted by U.S. airstrikes : The secretive al-Qaeda cell was plotting an imminent
attack », The Washington Post, 23 septembre 2014.
302. Shane Harris, « We’re Not Sure Their Capabilities Match Their Desire », Foreign Policy, 23 septembre
2014.
303. Ibid.
304. Mark Mazzetti, « A Terror Cell That Avoided the Spotlight », The New York Times, 24 septembre 2014.
305. CBS News, « U.S. offers more nuanced take on Khorasan threat », Associated Press, 25 septembre
2014.
306. Andrew C. McCarthy, The Khorosan Group Does Not Exist, National Review, 27 septembre 2014.
307. Biden at Harvard : America « Faces No Existential Threat » From Islamic Terrorism, YouTube,
(https://www.youtube.com/watch?v=dOZfom5rI2U)
308. Alexander Yakovenko, « Russia and the US are partners in trying to end the war in Syria », The
Evening Standard, 15 février 2016.
309. Nodisinfo.com, « Syria Christians targeted for supporting Assad », 30 octobre 2013.
310. « “ISIL Derives Significant Revenue from Oil Productions” Army Gen. Lloyd J. Austin III », YouTube,
20 octobre 2014.
311. « CIA On ISIS Oil », YouTube, 29 novembre 2015.
312. Résolution 2254 (2015), Conseil de sécurité, 18 décembre 2015 (S/RES/2254 (2015)).
313. Ahmed Rasheed & Saif Hameed, « Iraq leans toward Russia in war on Islamic State », Reuters, 7
octobre 2015.
314. Rebecca Kheel, « Iraqi government says it doesn’t want US ground operations », The Hill, 28 octobre
2015.
315. Rose Fleming, « Muhammeds ansigt », Jyllands-Posten, 30 septembre 2005.
316. Filip van Laenen, « Norway Apologizes over Muhammad Cartoons », The Brussels Journal, 27 janvier
2006.
317. Per Anders Rudling, « Denmark as the Big Satan : Projections of Scandinavia in the Arab World and
the Future of Multiculturalism », Review of European and Russian Affairs, vol. 2, issue 3/2006.
318. Béatrice Gurrey, « M. Chirac condamne “toute provocation”, Charlie Hebdo réimprime », Le Monde, 9
février 2006.
319. Joint Mission Analysis Center (JMAC).
320. Hillel Fendel, « Movie Portrays Islam as Violent and Bloodthirsty », Arutz Sheva, 28 mars 2008.
321. En ce qui concerne la liberté d’expression à géométrie variable, on pourrait également rappeler ici le
contentieux qui a opposé le caricaturiste Siné au magazine Charlie Hebdo, qui l’avait licencié le 15
juillet 2008 pour anti-sémitisme. L’affaire donnera lieu à un procès face à la Ligue contre le racisme et
l’antisémitisme (LICRA) pour antisémitisme et incitation à la haine raciale. Le dessinateur sera relaxé de
l’accusation d’antisémitisme le 24 février 2009 et Charlie Hebdo sera condamné le 30 novembre 2010, à
verser 40 000 euros de dommage et intérêts à Siné. Ces indemnités seront portées à 90 000 euros en
décembre 2012 par la cour d’appel.
322. Libération, 22 juillet 2014.
323. Grégoire Biseau et Jonathan Bouchet-Petersen, « Soutien à Israël : Hollande ou le péché originel »,
Libération, 22 juillet 2014 ; « Le soutien de Hollande à Israël agace une partie de la gauche », Le JDD,
11 juillet 2014.
324. Anna Reimann, « Berlin Counters Holocaust Conference : “This Is What Happened” », Der Spiegel
Online - International, 11 décembre 2006.
325. BBC News, « Why are Jews at the “Holocaust denial” conference? », 13 décembre 2006.
326. http://www.irancartoon.com/the-second-holocaust-international-cartoon-contest-2015/
327. Voir les caricatures dans Wikipédia, « International Holocaust Cartoon Competition ».
328. Le délai pour participer était fixé au 1er avril 2015 et le premier prix s’élevait à 12 000 dollars (The
Times of Israel, « Iran Holocaust cartoon contest draws 839 entries – Over 300 artists, including from
France, Turkey and Brazil, turn in works for competition derided by UNESCO », 7 avril 2015.
329. Jodi Rudoren, « Netanyahu Denounced for Saying Palestinian Inspired Holocaust », The New York
Times, 21 octobre 2015.
330. Texte de revendication de l’État islamique pour les attentats du 13 novembre 2015 (14 novembre 2015).
331. US Department of Homeland Security (DHS).
332. Doina Chiacu & Mark Hosenball, « U.S. says no precise threat to home-land from Islamic State »,
Reuters, 29 août 2014.
333. National Counterterrorism Center (NCTC)
334. Shane Harris, « United States Counterterrorism Chief Says Islamic State Is Not Planning an Attack on
the U.S. », Foreign Policy, 3 septembre 2014.
335. Déclarations officielles de politique étrangère du 11 août 2014, Direction de la Communication et de la
Presse (www.diplomatie.gouv.fr).
336. Allemagne, Australie, Canada, Danemark, France, Italie, Pologne, Royaume-Uni, Turquie.
337. Arabie Saoudite, Bahreïn, Belgique, Chine, Emirats Arabes Unis, Égypte, l’Irak, Japon, Jordanie,
Koweït, Liban, Oman, Qatar, République tchèque, Pays-Bas, Norvège, Russie et Espagne.
338. Premier bombardement français contre l’État islamique en Irak, Le Monde.fr/AFP/Reuters, 26
septembre 2014.
339. Albanie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Corée du Sud, Croatie, Estonie, Finlande,
Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Macédoine,
Moldavie, Monténégro, Maroc, Nouvelle-Zélande, Portugal, Roumanie, Serbie, Singapour, Slovaquie,
Slovénie, Somalie, Suède, Taiwan et Ukraine.
340. Jacqueline Klimas, « Islamic State no threat to U.S. homeland: Air Force general », The Washington
Times, 14 juillet 2015.
341. Des Hommes d’influence (Wag the Dog) est un film américain réalisé par Barry Levinson, sorti en
1997.
342. Inspire Magazine, n° 8, Automne 2011, p. 42.
343. Porte-parole de l’État islamique (http://dailycaller.com/2014/08/08/isis-threatens-america-we-will-raise-
the-flag-of-allah-in-the-white-house /#ixzz3n1ziZgJ5)
344. « Laurent Fabius : “Il faut s’unir et vaincre ces gens-là” », interview par Jean-François Achilli, France
Info, 19 novembre 2015 (http://www.franceinfo.fr/emission/l-interview-politique/2015-2016/laurent-
fabius-il-faut-s-unir-etvaincre-ces-gens-la-19-11-2015-08-04)
345. La France a choisi de ne pas utiliser le nom officiel du groupe « État islamique » afin de ne pas lui
donner la légitimité d’un État. Or, l’appellation « DAECH » signifie « État islamique en Irak et au
Levant », ce qui implique que le bombarder en Irak ou en Syrie revient au même.
346. « Discours devant l’Assemblée Nationale - Manuel Valls : “Un risque d’armes chimiques ou
bactériologiques” », www.parismatch.com, 19 novembre 2015
(http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Manuel-Vallsun-risque-d-armes-chimiques-ou-
bacteriologiques-868053) et https://twitter.com/manuelvalls/status/667260865092173824/photo/1
347. http://www.iraqinquiry.org.uk/
348. Christopher Hope, « Tony Blair “could face war crimes charges” over Iraq War », The Telegraph, 6
janvier 2015.
349. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (Safar 1437), p. 4.
350. Vidéo en français, présentée sous un titre anglais « Amedy Coulibaly & Islamic State », Youtube, 11
janvier 2015, (https://www.youtube.com/watch?v=_VUoQ39lpbE)
351. https://www.youtube.com/watch?v=KNFbfnPBKdY
352. Inspire Magazine, n° 14, été 2015, p. 38.
353. Message audio de la part des frères Kouachi, YouTube, 9 janvier 2015.
(https://www.youtube.com/watch?v=KNFbfnPBKdY)
354. Dabiq Magazine, n°7, janvier-février 2915, p. 50 et p. 68.
355. « Amédy Coulibaly : les instructions retrouvées dans son ordinateur en partie dévoilées », Hufftington
Post/AFP, 14 octobre 2015.
356. Inspire Magazine, n° 14, été 2015, p. 16.
357. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experience », Inspire Magazine, n° 9, hiver 2012.
358. Dabiq Magazine, n° 12, p. 28.
359. Texte de la revendication “officielle” de l’État islamique : « Communiqué sur l’attaque bénie de Paris
contre la France croisée », 2 Safar 1437. (14 novembre 2015).
360. Ibid.
361. En résumé, il s’agit de Farouk Ben Abbes, associé aux événements de 2009, qui serait proche d’un
Djihadiste de l’État islamique, Fabien Clain. (« Terrorisme : des menaces d’attentats contre le Bataclan
dès 2010 », France Soir, 16 décembre 2015).
362. Tangi Sala, « Un an après la mort d’une jeune Française, l’enquête n’est toujours pas bouclée », Le
Figaro, 23 février 2010.
363. Céline Berthon, émission « C dans l’air », France 5, 16 décembre 2015.
364. Cf. supra.
365. Voir https://www.youtube.com/watch?v=Y9Bs3tF1jj0
366. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », Inspire
Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 23.
367. Voir http://airwars.org/civilian-casualty-claims/. Mais, en novembre 2015, le Pentagone ne comptait
que 6 victimes civiles (!) « US air strike on IS in Iraq ‘killed civilians’ », BBC News, 20 novembre 2015)
tandis que le secrétaire à la Défense britannique Michael Fallon soutenait que les frappes occidentales
n’avaient fait aucune victime civile (!!) (Mikey Smith, « Michael Fallon claims there have been ZERO
civilian casualties from air strikes in Iraq », The Mirror, 29 novembre 2015.
368. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (safar 1437), p. 4.
369. Dar Al-Islam Magazine, n° 2, 2015, p. 2.
370. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience : The Strategy of Deterring with Terrorism », Inspire
Magazine, n° 10, printemps 2013.
371. Voir Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », op.
cit.
Le terrorisme djihadiste aujourd’hui
L’incompréhension de l’Occident face aux mécanismes du terrorisme
islamiste, composante du « Djihad », est due à plusieurs facteurs :
- La logique d’un conflit qui a pour référence Dieu (Allah) et cherche à
défendre non un territoire, mais une identité contenue dans la foi, qui prend ainsi
un caractère « absolu », dépassant la logique capacitaire occidentale, qui voit les
conflits à travers des logiques économiques (guerres coloniales, etc.), politiques
(Algérie, Viêt-Nam), ethniques (Rwanda) ou autres (jusqu’à la « guerre du
football » entre le Honduras et le Salvador en 1969 !). Dans certains pays déjà
touchés par le terrorisme dans les années 70-80 (comme la France, l’Allemagne
ou la Grande-Bretagne), la réflexion et la lutte contre le terrorisme islamiste se
sont largement articulées autour d’une grille de lecture dépassée, établie par
analogie aux expériences des années 70-80, qui n’a pas permis d’en saisir la
logique et d’en dégager une réponse stratégique.
- Le souci – bien compréhensible – de certains gouvernements occidentaux
(dont la France) et des communautés musulmanes basées en Occident d’éviter de
donner une image radicale de l’islam et de se distancier des terroristes. Il en est
résulté une interprétation édulcorée de certains aspects de l’islam – comme le
Djihad lui-même ou la notion de martyr – plus orientée sur une justification de
leur existence dans la pensée islamique que sur une explication de leurs
mécanismes dans la stratégie islamiste.
- L’ignorance occidentale en ce qui concerne la mentalité et la culture de
l’Islam, et qui trouve des explications simplistes en fonction d’obscures
réminiscences moyenâgeuses, a conduit à une lecture émotionnelle du Djihad.
Ainsi, les notions de « guerre sainte » et d’« Islam conquérant » continuent à
fausser la perception de l’Occident sur le Djihad et l’empêchent de se concentrer
sur des solutions rationnelles, adéquates et efficaces !
- L’absence d’informations objectives sur un certain nombre d’événements-
clés – comme le 11 Septembre – a permis à la désinformation américaine
d’imposer une forme de « pensée unique » quant à la nature de la menace
terroriste et ses acteurs. Les attentats du 11 Septembre ont généré une pléthore
d’experts incapables de saisir la logique du terrorisme et de la pensée islamique,
qui ont réarrangé des faits afin de fabriquer des explications plus acceptables
pour la logique occidentale. Loués pour leur condamnation du terrorisme, ces
« experts » n’ont souvent fait que pousser l’Occident dans de fausses réflexions,
qui le rendent aujourd’hui plus vulnérable au terrorisme.
- Une approche juridique de la violence politique, mue par un souci de punir
durement les auteurs d’actes terroristes, a inhibé notre capacité à adopter une
lecture stratégique du Djihad, par souci d’écarter toute complaisance à l’égard
des terroristes.
La réticence occidentale à comprendre les mécanismes asymétriques du
Djihad a conduit à l’engagement de stratégies « dures » à l’égard du terrorisme.
Cette fermeté – pour ne pas dire intransigeance – à l’égard des islamistes est
comprise en Occident comme un gage d’efficacité et de dissuasion, or
l’expérience montre qu’elle comporte en elle-même les germes d’un
encouragement au Djihad.
Au lieu de concevoir des stratégies qui dissuadent l’émergence de ces
groupes, nous concentrons nos efforts sur l’action en aval des attentats. Nous
tentons d’expliquer les réseaux à travers notre manière de fonctionner, avec des
hiérarchies claires, des structures similaires à celles de nos états-majors. Ce qui
n’entre pas dans un schéma connu ou les faits inexpliqués tend à être interprété
comme des dysfonctionnements, des phénomènes marginaux, voire comme un
affaiblissement de « l’organisation », alors qu’il n’en est rien.
Les terroristes ont bien compris que nous les comprenons mal, puisqu’ils ont
même conceptualisé la déstructuration de leurs réseaux, précisément pour mettre
en échec le travail des services de renseignement occidentaux, qui sont très
prévisibles dans leur manière de lire les événements, de réfléchir et de
comprendre le phénomène terroriste.
Un pas important – mais tardif – dans la compréhension du phénomène « Al-
Qaïda » a été fait avec l’exploitation des documents trouvées à Abbottābād en
2011, qui démontrent que ce que beaucoup d’experts occidentaux appellent « Al-
Qaïda Central » était en décalage complet par rapport aux autres structures
attribuées à l’organisation : Ben Laden n’avait aucune fonction de coordination,
et désapprouvait même les activités de la plupart des organisations avec
lesquelles on lui attribuait une relation hiérarchique.

DÉFINITION
La traduction de « Djihad » par « guerre sainte », que l’on rencontre
fréquemment en Occident, est inexacte et nous renvoie, en fait, à un vocabulaire
utilisé par les chrétiens lors des Croisades, alimentant la perception d’un islam
offensif, dont l’objectif est la conquête et la destruction de l’Occident. Cette
perception est très largement conditionnée par le fait que l’Occident, comme
nous l’avons vu plus haut, a systématiquement occulté ses propres interventions,
dont le Djihad est la conséquence. Un exemple significatif est la résistance
(Djihad) qui s’est constituée après l’intervention occidentale en Irak, que l’on
continue à qualifier de rebelle, au caractère plus offensif.
Le mot « Djihad » est étymologiquement lié à la notion de s’efforcer
(djahada), d’effort (djouhd), dans le sens de résistance et de refus d’abandon aux
tentations. Le Djihad est donc essentiellement une attitude de l’esprit, qui
cherche à préserver un ensemble de valeurs et qui suppose un certain nombre de
sacrifices pour y parvenir. En arabe, le mot « guerre », dans son sens militaire, se
traduit par « harb » ou « qital ».
Le « Djihad dans la voie de Dieu » (Djihad fi Sabil Allah ou Djihad fi
sabilillah) peut prendre des formes diverses et de nombreux exégètes islamiques
ont exprimé des vues différentes à ce sujet, qui ne sont pas nécessairement
contradictoires et appartiennent au débat intellectuel normal. Les deux
principales formes du Djihad sont :
- le Djihad al-Akbar (« Grand Djihad1 »), qui est une démarche individuelle
et permanente et un devoir (fard ay’n), qui vise à élever son esprit en dépit des
tentations du monde matériel, à travers une recherche de Dieu (Djihad bil-Nafs).
Pour les musulmans pratiquants, le (grand) Djihad est une démarche quotidienne
et essentiellement individuelle et pacifique, par laquelle il s’efforce de maintenir
une ligne de conduite en accord avec sa foi.
- le Djihad al-Asghar (« petit Djihad2 ») – le « plus facile » selon
Mohammed – qui s’inscrit dans une démarche collective et vise à protéger
l’islam contre des agressions extérieures (Djihad bis-Sayf). Il désigne avant tout
la volonté de défendre à titre individuel ou collectif l’Islam contre une agression
extérieure, que celle-ci soit d’ordre moral ou physique.
Lorsqu’il conduit à la guerre (harb), le Djihad a, avant tout, une connotation
défensive et militaire. Mais, comme dans toute conception de la guerre, la notion
de « défense » ne se limite pas à attendre passivement l’action de l’adversaire,
mais peut aussi avoir une forme offensive (en termes opérationnels modernes on
parlerait de « guerre préemptive3 »). Il ne constitue alors qu’une obligation
collective pour l’Oummah4, dont la responsabilité incombe au chef de guerre.
Les croyants peuvent donc s’y soustraire à titre individuel5. En revanche, selon
l’État islamique, face à une agression frontale et une « invasion », la Résistance
(Djihad) devient un devoir individuel (fard’ayn6).

Le point central est que le Djihad restera fard’ayn [un


devoir] tant que les États-Unis et leurs alliés apostats n’auront
pas été boutés hors des pays musulmans7.

Celui qui accomplit le Djihad est le « moudjahid » (« celui qui s’efforce » ou


« celui qui résiste8 »). Ainsi, il apparaît assez clairement que le concept de
Djihad n’exprime pas a priori l’intention d’imposer l’islam, mais simplement la
volonté de le défendre contre une agression. On cite volontiers les sourates qui
prônent la guerre et on les associe au terrorisme avec, en filigrane, l’idée
d’imposer l’islam à travers la violence. Or :

Si ton Seigneur l’avait voulu, tous les habitants de la terre


auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les hommes à être
croyants9 ?

Comme dans toutes les autres religions, le discours fondamentaliste n’est pas
nouveau dans l’islam. Mais il s’est radicalisé à cause de la présence occidentale
croissante dans le monde, qui s’est accompagnée d’une volonté d’imposer des
cadres normatifs perçus comme déconnectés du contexte culturel musulman,
comme les Droits de l’homme ou des modèles de gouvernance occidentaux. Le
Djihadisme est la forme exacerbée d’une résistance à ce qui est perçu comme
une ingérence dans le cœur des sociétés.
Naturellement, et particulièrement dans la multiplicité des sources et textes
disponibles, on trouvera aisément des interprétations plus offensives du Djihad,
qui dépassent très nettement la notion de « défense » dans une vision de
domination du monde. Mais ces interprétations sont le fait d’individus
relativement isolés. L’expérience et l’examen des écrits publiés par les groupes
ou mouvements djihadistes, ainsi que les interrogatoires de combattants
djihadistes montrent que leur réflexion s’inscrit dans des sentiments assez
largement répandus dans les populations, même si elles n’en partagent pas la
violence.

DJIHAD ET GUERRE ASYMÉTRIQUE


Le Djihad, qui constitue l’ossature idéologique du terrorisme contemporain,
est souvent compris en Occident comme une « guerre sainte » destinée à
conquérir l’Occident. Cette vision occidentale est alimentée par une immigration
croissante en provenance de pays musulmans, qui n’a aucun lien de quelque
manière que ce soit avec un « Djihad », mais que la perception occidentale
associe en un seul phénomène, notamment à cause des difficultés économiques
qui bousculent souvent les plus fragiles dans les sociétés européennes, et
génèrent un populisme qui se nourrit d’amalgames.
En admettant l’existence d’un hypothétique projet global pour transformer la
société occidentale en une société musulmane, on ne voit pas très bien quel serait
le rôle joué par les attentats terroristes dans cette démarche. La progression de
l’islam en Europe s’est faite à travers une immigration largement consentie par
les pays européens eux-mêmes, et l’apport des bombes dans ce processus
apparaît aller plutôt à contresens… Par ailleurs, en admettant que l’objectif des
Djihadistes – comme on l’évoque souvent en Occident – soit de restaurer le
Califat10, il impliquerait logiquement d’abord des changements fondamentaux
dans les pays musulmans eux-mêmes et plus qu’en Occident. C’est d’ailleurs ce
que nous disent les écrits doctrinaux actuels, que nous verrons plus loin. De plus,
les pays occidentaux victimes du terrorisme aujourd’hui sont essentiellement des
pays qui n’ont jamais fait partie du Califat historique, et ceux des pays
occidentaux qui ont fait partie du Califat11 ne sont pas particulièrement visés par
les Djihadistes.
En fait, nous continuons à comprendre le terrorisme moderne à travers
l’expérience terroriste marxiste d’il y a 50 ans. Par analogie au processus
marxiste, nous voyons le terrorisme Djihadiste comme l’élément d’un processus
révolutionnaire qui viserait à remplacer la culture occidentale (judéo-chrétienne)
par une culture musulmane. Les théories selon lesquelles la stratégie djihadiste12
serait dérivée des stratégies révolutionnaires trotskistes ou maoïstes des années
de guerre froide sont inexactes. On trouve certes certaines similitudes
superficielles, mais les théories révolutionnaires marxistes visaient à donner le
pouvoir à une classe de la société et, sur le plan opérationnel, à pousser le
gouvernement à se positionner de telle manière qu’il devienne totalement
illégitime pour la population. Ce processus, qui fait du terrorisme l’étape
essentielle de la révolution marxiste, avait été décrit par Carlos Marighella et a
été appliqué en Amérique Latine :

Le gouvernement ne pourra plus qu’intensifier la


répression, ce qui rendra la vie des citoyens plus
insupportable. Les foyers seront violés, des battues de police
organisées, des innocents arrêtés, des voies de communication
fermées. La terreur policière s’installera, les assassinats
politiques se multiplieront ; ce sera la persécution politique
massive. La population refusera de collaborer avec les
autorités qui ne pourront plus, pour vaincre les difficultés, que
recourir à la liquidation physique des opposants. La situation
politique du pays se transformera en situation militaire et les
« gorilles » passeront pour être les responsables de toutes les
violences, des erreurs et des calamités qui pèsent sur le
peuple13.

Or, il n’y a rien de semblable avec le terrorisme islamiste. On ne construit


pas une conquête sur une somme d’actions individuelles non-coordonnées et
aléatoires ! L’exploitation opérative ou stratégique des actions tactiques dans un
mécanisme révolutionnaire n’apparaît pas dans les doctrines djihadistes
islamistes. On ne constate pas, à partir de l’action terroriste, de mécanismes de
mobilisation des masses ou d’enclenchement d’une violence plus large pouvant
déboucher sur une déstabilisation profonde de l’État. Le terrorisme djihadiste
n’est pas configuré pour la révolution, ne seraitce que parce que ses combattants
sont destinés à mourir et non pas à vivre dans des « lendemains qui chantent ».
Les actions terroristes menées actuellement ont des objectifs beaucoup plus
directs, comme un désengagement des pays occidentaux dans les pays
musulmans, aux niveaux politique, humanitaire, militaire, religieux, etc.
Ceci se confirme par l’absence de structures capables de prendre le relais des
attentats dans une dynamique politique ou stratégique. Les organisations
terroristes marxistes étaient structurées pour une éventuelle prise du pouvoir,
alors que le terrorisme djihadiste tend à s’affranchir des structures, ce qui est
encore plus marqué dans le concept de « terrorisme individuel ».
Ceci étant, parallèlement aux attentats menés en Occident, les mouvements
islamistes en Irak, en Syrie ou en Libye sont dans un processus de conquête du
pouvoir, où il s’agit d’imposer une idéologie et où d’autres mécanismes entrent
en jeu. Ils ont donc, dans ces pays, des structures destinées à assurer la conduite
des opérations et à gérer les espaces conquis.
Il est donc important de distinguer entre le régime de terreur appliqué dans
les territoires tenus par l’État islamique et le terrorisme djihadiste utilisé contre
les pays occidentaux.

Le régime de terreur

De nombreux ouvrages américains – mais aussi de plus en plus d’ouvrages


français – font remonter l’origine du terrorisme au régime de « Terreur »
instauré durant la Révolution française. Or, « la Terreur » ne visait pas la
destruction de l’État, mais au contraire son renforcement. Les décapitations
publiques avaient pour objet de démontrer la détermination du pouvoir
révolutionnaire et de décourager les tentatives contre-révolutionnaires. Les
Bolchéviques utiliseront le même moyen (« la Terreur rouge ») pour consolider
leur pouvoir en Union soviétique dans les années 20.
L’État islamique utilise le même principe. Les décapitations ont exactement
la même fonction que celles pratiquées durant la Révolution française. Il s’agit
avant tout de montrer une détermination sans faille, dans un pays où les groupes
armés pullulent et où les tentations centrifuges sont très fortes ; la dureté des
images doit contribuer à décourager les brebis qui tenteraient de s’écarter du
troupeau. Les peines infligées pour les délits sont inspirées par une certaine
lecture de la tradition islamique, et sont presque identiques à celles pratiquées
par l’Arabie saoudite14 – largement soutenue par l’Occident – et avec les mêmes
objectifs dissuasifs. On prétend, sur la base des données fournies par Amnesty
International15 et Wikipédia16, que l’Arabie saoudite a pratiqué deux fois plus
d’exécutions que l’État islamique en 2015. Les informations disponibles sur ces
exécutions étant presque exclusivement issues des vidéos publiées sur Internet,
et donc partielles, la comparaison est discutable, mais elle fournit un ordre de
grandeur et illustre notre manière sélective d’accommoder la réalité afin de
conforter nos alliances.

Le terrorisme djihadiste

L’usage du terrorisme par les Djihadistes en Occident, depuis les années 90,
a une finalité différente. Il a pour seul objectif de nous inciter à nous désengager
du Proche et Moyen-Orient. Les théories selon lesquelles l’objectif du terrorisme
serait de nous inciter à nous engager au Moyen-Orient afin de générer
l’exaspération et la haine nécessaires pour alimenter une reconquista islamique,
comme le suggère Yuval Noah Harari de l’université de Jérusalem17, n’est pas
crédible, car elle ne tient pas compte de l’absence de moyens pour réaliser cette
reconquête. En fait, l’Occident accueille toujours plus d’émigrés en provenance
de pays musulmans et la manière la plus sûre d’effectuer cette reconquête serait
de capitaliser sur la démographie. Or, le terrorisme aurait plutôt tendance à faire
ralentir ce processus qu’à l’accélérer.
Nous avons la mémoire courte et avons le sentiment que l’Histoire
recommence à chaque événement terroriste ou avec l’apparition de chaque
groupe terroriste. La complexité du terrorisme djihadiste vient de notre difficulté
à voir la simplicité des relations de cause à effets qui lient ces événements.
Les islamistes sont loin d’être des idiots ou des fous. Ils savent qu’ils n’ont
pas le soutien populaire pour restaurer un califat sur tout le pourtour de la
Méditerranée. Ils savent aussi qu’ils n’auront pas besoin de la violence pour
l’instaurer. Les modèles à partir desquels nous basons nos réflexions sont les
expériences faites par l’État islamique en Irak, qui ont été traduites en une
doctrine pour être employées en Syrie. Le processus qui y est décrit18 s’appuie
sur les conséquences d’une agression par une coalition occidentale, provoquant
un mouvement de résistance armée qui s’est ensuite transformée en une lutte
fratricide pour le pouvoir. C’est l’exemple irakien, qui se prolonge en Syrie, et
où les agresseurs occidentaux – essentiellement les États-Unis et la France –
permettent de maintenir la « flamme ». Ici, le rôle des Occidentaux a été celui
d’un catalyseur, qui a permis une consolidation de l’État islamique et lui donnant
l’image de la seule structure « gardienne » de l’Islam contre les « Croisés ». Ceci
explique les déclarations ambiguës des islamistes – déjà bien avant l’État
islamique – qui « remercient » l’intervention occidentale, mais la combattent en
même temps. Car en définitive, comme nous l’avons vu, ce n’est pas le résultat,
mais le fait de combattre (pour la défense de l’Islam) qui est important.
Par définition, la résistance n’existe que du fait d’une agression. C’est la
raison pour laquelle le mollah Omar, un des chefs des Taliban, avait remercié
ouvertement George W. Bush :

Vraiment nous sommes bénis. Jamais dans nos vœux les


plus fous nous n’avons espéré un cadeau aussi précieux que
Bush. Il est la tête d’affiche de notre mouvement
international19.

Comme nous l’avons dit, l’impressionnant déploiement de forces


occidentales au Moyen-Orient et en Afghanistan entre 2001 et 2014 n’a non
seulement eu aucun effet dissuasif sur la volonté des islamistes de s’engager sur
la voie du terrorisme, mais a eu au contraire un effet multiplicateur sur la volonté
de combattre l’Occident. Et le phénomène s’est encore accentué avec l’annonce
des bombardements américains et français sur l’Irak et la Syrie à partir de l’été
2014 : d’après un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies, publié en mai
2015, le nombre de volontaires combattants étrangers dans ces pays a augmenté
de 71 % entre l’été 2014 et mars 201520. En été 2014, on estimait à 15 000 le
nombre de combattants étrangers venant de 80 pays ; or en été 2015, 30 000
combattants en provenance de 100 pays se trouvaient en Syrie21, soulignant
l’inefficacité de la stratégie occidentale, comme le rappelle l’organe officiel de
l’État islamique :

En prenant le chemin de la guerre, les gouvernements se


sont mis eux-mêmes sur une voie mortelle. Chaque bombe
larguée en Syrie ou en Irak sert comme un moyen de
recrutement pour l’État islamique. C’est un choix peu sage
lorsque des millions de musulmans vivent dans ces mêmes
pays, qui seront rapidement poussés en avant par l’appel du
Djihad22 […]

Nous lisons trop souvent les messages de victoire des terroristes comme des
bravades et de la rhétorique propagandiste et écartons ainsi les messages qu’ils
contiennent. Après les attentats de Paris, en novembre 2015, on pouvait lire dans
la version française de la revue de l’État islamique :

Les nombreux bénéfices de ces opérations [de Paris] ne


pourront être entièrement cernés que dans les mois à venir et,
plus particulièrement, suite à la position de la France et à sa
réaction forcément stupide. En effet, s’il est une chose que
l’Histoire a démontrée, c’est que les croisés ne tirent aucune
leçon de leurs échecs face aux moudjahidines23.

En clair, les terroristes ont compris que nous refusons – volens nolens –
d’expliquer et de comprendre la nature du terrorisme, et que, par conséquent, nos
réactions sont prévisibles, « forcément stupides(s) », et nous placent dans une
posture négative. Force est de constater que les Djihadistes nous comprennent
mieux que nous les comprenons, ce qui est la pire des situations stratégiques
selon le stratège chinois Sun Tsu.

La prééminence de l’intention sur le résultat

Dans l’Islam, d’une manière générale,

Les actes ne valent qu’en fonction de leur intention. Et à


chaque homme revient ce dont il a eu l’intention24.

Une lecture que l’on retrouvera dans la notion de victoire. Pour simplifier et
reprendre une terminologie occidentale, l’action n’a pas d’obligation de résultat,
mais une obligation d’effort.
Ceci explique en partie le fait que des islamistes soupçonnés de terrorisme
s’attribuent la paternité d’un nombre incalculable – et souvent bien peu réaliste –
d’attentats. Cela a été notamment le cas dans les affaires de Khalid Sheikh
Mohammed (surnommé « KSM »), de Zacarias Moussaoui et de José Padilla aux
États-Unis. KSM a « avoué » sa participation à plus de 30 attentats terroristes
dans le monde (y compris le 11 Septembre, les chaussures-bombes de Reid,
l’attentat de Bali et bien d’autres), si invraisemblable qu’il a été surnommé le
« One-Stop Shopping Terrorist Super Store25 ».
Au-delà du fait que ces aveux ont été obtenus sous la torture, le refus de
l’assistance d’un conseil juridique (à défaut d’un avocat) par les « coupables »
souligne le caractère djihadiste de leurs « aveux ». Sans doute innocents pour la
plupart des crimes dont ils s’accusent, ils en assument une responsabilité au
niveau de l’intention. Ainsi, le système judiciaire américain leur donne
l’opportunité de poursuivre leur Djihad et de servir de modèle pour de nouvelles
générations de terroristes ! Ici également, cette démarche éclaire une dimension
asymétrique. Le système des « Commissions militaires », mis en place par les
États-Unis en 2006 pour juger les terroristes présumés, ne permet pas de
produire des témoins ou des discussions contradictoires par rapport aux charges
retenues contre les accusés. Il n’y a ainsi aucun moyen de déterminer la véracité
des crimes dont s’accusent les détenus, et ces procès ne permettent pas de faire
toute la lumière sur les faits réels. Ces « tribunaux », qui se veulent plus durs,
permettent ainsi aux inculpés de s’attribuer des succès et, dans cette logique
asymétrique, contribuent à donner un sens au Djihadisme.
La prééminence de l’intention sur l’action, que l’on retrouve assez largement
dans la culture des pays musulmans, tend à encourager une forme de résilience
qui rend les musulmans généralement plus « philosophes » par rapport aux
événements politiques ou militaires. Ce décalage entre l’intention et l’action –
souvent traduit par le terme d’« irja » – tend à déborder sur la pratique religieuse,
qui est ainsi souvent interprétée de manière flexible. Or, récemment, on constate
une importance accrue portée sur une cohérence plus rigide entre l’intention et
l’action dans la littérature de l’État islamique. En d’autres termes, il ne s’agit
plus seulement d’être en accord avec le Djihad, mais de le pratiquer
effectivement et concrètement dans tous ses aspects. La raison de ce recentrage
est double et vise d’une part à lutter contre les islamistes qui préfèrent rejoindre
les factions islamistes voisines – pour éviter d’être bombardés par la coalition
occidentale – et d’autre part à pousser les militants à un engagement plus concret
et plus radical.

La notion de victoire

Il découle de la définition même du Djihad et de l’importance donnée à


l’intention de l’action, une notion de victoire fondamentalement différente de
celle généralement comprise en Occident. Alors qu’en Occident la victoire est
associée à la destruction de l’adversaire, dans l’islam, elle est associée à la
détermination à ne pas abandonner le combat. Nul ne peut vaincre un adversaire
plus fort que lui, mais il est de son devoir de tenter de le faire. Ainsi, dans le
Grand Djihad comme dans le Petit Djihad, la notion de victoire est analogue :
c’est essentiellement une victoire sur soi-même, une victoire sur la facilité
apparente et sur le découragement.
En d’autres termes, la victoire dans l’islam n’a pas de caractère absolu, mais
relatif : il suffit de marquer sa volonté de combattre pour être victorieux.
Concrètement, la victoire se résume souvent au fait d’« avoir le dernier mot »,
même si celui-ci n’a pas de caractère décisif.
Cette lecture de la victoire n’est pas propre aux islamistes, mais se retrouve
plus largement dans la pensée musulmane. C’est pourquoi les Égyptiens
célèbrent leur franchissement du Canal de Suez en octobre 1973 et la rupture de
la ligne Bar-Lev comme une victoire26 – même s’ils ont été vaincus par la suite.
Ceci explique aussi la victoire proclamée de Saddam Hussein à Bagdad en 1991
malgré l’anéantissement d’une grande partie de ses capacités militaires ; les cris
de victoire et défilés des milices de l’Ayatollah Moqtada al-Sadr dans la
Mosquée d’Ali à Nadjaf, en août 2004, après la fin des combats négociée par
l’Ayatollah Sistani27, et la victoire d’Hassan Nasrallah au Liban en 2006, malgré
les destructions massives causées par les bombardements israéliens. Vus en
Occident comme des « fanfarons », ils avaient acquis leurs victoires non pas par
la destruction de l’adversaire, mais par leur refus de céder devant la pression de
forces considérablement plus puissantes, malgré des pertes et des destructions
majeures. Leur victoire – dans l’esprit du Djihad – est donc d’avoir gardé la tête
haute quelle qu’ait pu être l’issue de la bataille.
Les tirs palestiniens contre Israël constituent un autre exemple de la manière
dont est comprise la victoire. Le nombre de projectiles tirés depuis la bande de
Gaza sur Israël entre 2001 et 2015 serait de 18 92828, avec des pointes lors des
opérations israéliennes PLOMB DURCI (2007-2008), COLONNE DE NUAGE
(2012) et BORDURE PROTECTRICE (2014), avec un nombre de morts qui
s’élève à 44, dont la majorité durant ces 3 opérations (respectivement 4, 6 et 17
victimes)29. Sans vouloir justifier ces tirs, force est de constater qu’avec un
rapport de 1 mort pour 280 tirs, l’efficacité n’est pas l’objectif ici. L’objectif est
de maintenir la confiance de la population à travers une activité de résistance,
avec le danger que – comme on le constate déjà à Gaza – des structures comme
le Hamas, qui cherchent à obtenir une reconnaissance internationale, se fassent
déborder par leur droite par des groupes considérablement plus dangereux,
stimulés par ce qui se passe en Égypte et en Syrie.
Le terrorisme palestinien des années 60-80 avait des objectifs de portée très
opérationnelle (forcer la libération de prisonniers, éliminer une personnalité,
etc.) Aujourd’hui, avec le concept de terrorisme individuel, la démonstration
d’une détermination par la violence constitue un objectif, plus que son résultat
effectif. L’acte terrorisme djihadiste contemporain est important parce qu’il a
lieu, mais pas nécessairement à cause du nombre de victimes. La vague
d’attaques au poignard, en Israël à la fin 2015 - début 2016, illustre ce
phénomène. Typiquement, l’attaque d’un commissariat parisien le 7 janvier
2016 par un jeune ressortissant marocain est un exemple de ce type de
terrorisme. Un exemple encore plus extrême est l’événement de Saint-Quentin-
Fallavier (Isère), du 26 juin 2015, où un meurtre, probablement à caractère
personnel, a été mis en scène pour lui donner l’apparence d’un attentat. Toutes
ces « petites » attaques s’inscrivent dans un concept terroriste qui fait planer une
menace qui n’a pas besoin d’être spectaculaire, mais qui est diffuse et
permanente.

La notion d’espace

Parce que nous projetons nos propres schémas sur l’adversaire, nous lui
attribuons des stratégies dérivées de notre compréhension des choses. Ainsi,
dans l’esprit occidental, la notion de guerre est indissociable de celle de « gain ».
Dès lors, nous comprenons mal ceux qui partent au combat prêts à mourir et à
mener des actions qui s’inscrivent dans une discontinuité géographique : l’action
militaire dans le cadre du Djihad ne s’inscrit en effet pas nécessairement dans
une logique territoriale mais dans celle d’une communauté.
Ainsi, le Djihad transcende la notion de « frontières », car il se positionne
dans le cadre de la défense de l’Islam et donc au niveau de la communauté
musulmane, l’Oummah. Il ne s’agit pas d’une dimension « multinationale »
comme nous le comprenons, mais d’une dimension encore plus large, qui se
comprend comme un seul espace religieux et sociétal qui transcende la notion de
« nation » et les questions ethniques, administratives et linguistiques.
C’est la raison pour laquelle l’absence d’attentats sur le sol américain depuis
2001 tend à accréditer l’efficacité des mesures de protection. Ce n’est pas tout à
fait exact. Dans l’esprit des Djihadistes, le Djihad s’est poursuivi, mais en
Afghanistan et en Irak, avec une extension de la zone de guerre voulue par les
États-Unis, où les « victimes » ont été amenées aux Djihadistes, et non l’inverse.
Dès lors, frapper un Américain en Irak équivaut à aller le frapper sur le sol des
États-Unis :

Tout pays qui entre en guerre contre les musulmans, ou


participe à l’invasion d’un pays musulman est devenu de facto
une Zone de guerre (Dar al-Harb). C’est pourquoi tous les
pays occidentaux qui ont une participation active à
l’occupation de l’Afghanistan, de l’Irak ou de quelque pays
musulmans sont considérés comme zones de guerre30.

Ainsi, peu importe l’endroit où l’on combat son adversaire. L’important est
de le combattre. Cette lecture est d’autant plus légitime aux yeux des terroristes,
que les États-Unis et les autres pays occidentaux ne respectent pas non plus les
frontières nationales (comme au Pakistan, par exemple) pour mener leurs
guerres.

L’émergence du Califat

La crainte exprimée par certains d’un Califat, qui s’emparerait de tout le


pourtour de la Méditerranée en lançant de vastes opérations militaires, n’a pas de
fondement. En fait, cette idée a émergé au sein du gouvernement américain. En
septembre 2004, à Lake Elmo, le vice-président Dick Cheney émet pour la
première fois la notion d’un Califat qui menacerait directement l’Europe
occidentale et qu’il attribue à « Al-Qaïda » :

Ils parlent de vouloir rétablir ce que vous pourriez appeler


le Califat du VIIe siècle. C’est comme le monde était organisé
il y a 1200-1300 ans, alors que l’Islam ou les Musulmans
contrôlaient tout du Portugal et l’Espagne à l’Ouest ; à travers
la Méditerranée jusqu’à l’Afrique du Nord ; toute l’Afrique du
Nord ; le Moyen-Orient ; jusque dans les Balkans ; les
républiques d’Asie centrale ; la pointe sud de la Russie ; une
bonne partie de l’Inde ; et jusqu’à l’Indonésie moderne. Dans
un sens, de Bali et Djakarta à un bout jusqu’à Madrid à
l’autre31.

L’idée est reprise dans un rapport du Conseil national du


renseignement américain – un conseil consultatif, qui fait partie de la
Communauté du renseignement – publié en décembre 2004. Intitulé
« Modélisation du Futur du Monde », il présente 4 scénarios pour l’évolution
possible du monde à l’horizon 2020, parmi lesquels la reconstitution du Califat.
Ce rapport, qui est un modèle hypothétique, sera cependant présenté par le
gouvernement Bush – et en premier lieu par le secrétaire à la Défense Donald
Rumsfeld – comme étant l’objectif d’« Al-Qaïda32 » :

Ils ont constaté que la grande résonance de l’usage du mot


« califat » [a] un impact de terreur presque instinctive.

Ce modèle permettra de fournir une explication pour définir la stratégie


djihadiste, que l’on ne veut pas comprendre dans son sens de « résistance », en
lui donnant une dimension plus inquiétante, et il alimentera désormais la crainte
de l’Occident et justifiera ses interventions. La carte du Califat que l’on attribue
à l’État islamique33, et qui représenterait selon les experts occidentaux son
objectif recherché, est un mirage. En réalité, cette carte – publiée par la chaîne
américaine ABC News le 3 juillet 2014, suggérant qu’elle représente la
progression prévue par l’État islamique pour les 5 années suivantes34 – a été
reprise du compte Twitter de l’organisation nationaliste américaine d’extrême
droite American Third Position (A3P)35. Rien n’indique cependant qu’elle soit
liée effectivement à une planification de l’État islamique.
En admettant, par hypothèse, qu’il s’agisse d’un objectif de très long terme,
il est clair que les islamistes ne voient pas le terrorisme comme un moyen de
l’établir. Que certains islamistes caressent l’idée de reconstituer un Califat est
probable, mais il ne faut pas confondre deux processus distincts :
- Le premier, l’extension de la terre d’islam (Dar al-Islam), s’effectuera le
plus sûrement sans terrorisme, à travers l’émigration, dans un processus déjà
amorcé il y a plusieurs décennies. Il n’est pas même certain qu’il s’agisse d’un
processus délibéré, même si les avis divergent sur ce point. Il s’agit plus
certainement d’un mécanisme opportuniste, basé sur la perméabilité de la société
occidentale, qui a servi les intérêts des partis et organisations de gauche
européennes, et qui sera appuyé par les investissements croissants des
monarchies du Golfe dans les pays occidentaux.
- Le second, que nous avons déjà évoqué, qui est l’utilisation du terrorisme
(« opérations de dissuasion »), afin de forcer les pays occidentaux à renoncer à
imposer à la communauté musulmane des modes de vie, une manière de voir et
de faire. C’est exactement le sens du mot « Djihad » dans son contexte militaire.
Mais l’amalgame de ces deux processus, pourtant très distincts, dans l’idée
« d’imposer » une religion, conforte les esprits occidentaux qui refusent de voir
dans le terrorisme une simple réponse à leurs actions de déstabilisation.
Ensuite, toujours en admettant l’hypothèse de la reconstitution du Califat, ses
priorités de développement concerneront en premier lieu le monde musulman,
comme nous le verrons. Par ailleurs, l’extension de l’État islamique ne se fera
probablement pas par une colonisation venant de Syrie, mais par le ralliement de
groupes islamistes orphelins (parfois créés par l’action occidentale, comme en
Libye) en quête d’une légitimité, comme en Tunisie, en Libye ou en Égypte. Un
phénomène rigoureusement identique à ce que l’on avait observé avec « Al-
Qaïda » 10 ans auparavant. Aujourd’hui, grâce à la « publicité » que lui ont faite
les gouvernements occidentaux et l’importance qu’ils lui ont donnée, l’État
islamique est devenu la référence, alors que ses objectifs sont clairement limités
à l’Irak et à la Syrie, du moins pour l’instant.

La nature du terrorisme

Il est intéressant de constater qu’en Occident le mot « terrorisme » est


largement défini en fonction de ses modes d’action et ses effets. Cela en facilite
son traitement judiciaire, mais rend difficile une différenciation en fonction des
objectifs recherchés et des motivations, et donc un traitement stratégique. De
fait, le terrorisme n’est pas combattu de manière stratégique mais uniquement de
manière tactique et policière. Pour les théoriciens du Djihad, le « terrorisme » est
une technique, avec un sens beaucoup plus neutre, dont la valeur morale est
donnée par le contexte dans lequel il est utilisé ou l’objectif qu’il poursuit :

Nous refusons de comprendre ce terme en fonction de sa


définition américaine. « Terrorisme » est un mot abstrait, et
comme beaucoup de mots abstraits, il peut porter des
significations bonnes ou mauvaises selon le contexte, ce qu’on
lui attache et ce à quoi on l’associe. Le mot est un terme
abstrait, qui n’a une signification ni positive, ni négative36.

Cette interprétation est proche du débat qui oppose l’Occident et les pays en
voie de développement depuis plus de 40 ans, et pourrait se résumer à la
distinction entre le « combattant de la liberté » et le « terroriste ». Sur un plan
sémantique, il s’agit de deux choses fondamentalement différentes :
« combattant de la liberté » définit une finalité, alors que « terroriste » définit un
mode d’action. On peut « résister » par le « terrorisme » et donc être à la fois
« résistant » et « terroriste ». Techniquement, l’un n’exclut donc pas l’autre,
mais bien peu font cette analyse, par crainte de donner une justification au
terrorisme, ou de ternir l’image d’une « résistance » légitime (comme la
Résistance en France, par exemple).
Les Djihadistes définissent donc le terrorisme à travers ses motivations et
distinguent deux types fondamentaux de terrorisme37 :
- Le terrorisme blâmable (irhab madhmum), qui est le terrorisme du
mensonge (irhab al-batil) et de l’usage de la force du mensonge (quwwat al-
batil). Il concerne les actions, discours ou comportements qui ont pour but de
blesser ou de terroriser les innocents sans une juste cause. Ce type de terrorisme
comprend le terrorisme associé au vol, au brigandage, aux envahisseurs, aux
assaillants, aux oppresseurs et aux dirigeants illégitimes des peuples. L’auteur
d’un acte de terrorisme de cette sorte doit être puni en fonction de ses actes et de
leurs effets. (Nota : cette définition proche de la notion de « terrorisme d’État »
souvent évoquée en Occident, concerne plus particulièrement les
bombardements occidentaux par drones ou missiles de croisière, contre lesquels
on ne peut se prémunir et qui frappent, de manière « très mal discriminée »,
combattants et non-combattants, et sont vus comme particulièrement lâches dans
le monde islamique.)
- Le terrorisme louable (irhab mahmud) est le terrorisme du juste qui a été
injustement traité. Il vise à combattre l’injustice dont est victime l’oppressé et est
pratiqué de sorte à terroriser et repousser l’oppresseur. Le terrorisme du
personnel de sécurité qui combat les voleurs et les brigands est de même nature
que le terrorisme de ceux qui résistent à une occupation, et le terrorisme des
peuples « qui se défendent contre les servants de Satan ». (Nota : Cette lecture
du terrorisme rejoint la position de certains pays en voie de développement dans
les discussions sur la définition du terrorisme dans les enceintes internationales
comme l’ONU, avec en point de mire des situations telles que l’occupation
israélienne des territoires palestiniens).
Si cette lecture rend la répression et la condamnation du terrorisme plus
difficiles, elle en facilite la cohérence stratégique. Or, cette cohérence stratégique
constitue le principal problème de l’Occident. C’est exactement le dilemme – et
l’impasse – des positions américaine et française en Syrie, qui soutiennent, pour
déstabiliser des États légaux, des groupes comme le Jabhat al-Nosrah, ou le
Groupe combattant islamique en Libye (GICL), et bien d’autres, qui sont
clairement de nature terroriste.
Le terrorisme est une méthode et non une finalité. Le problème de fond est
que dans le cadre du terrorisme islamiste, la méthode se place dans un référentiel
religieux, plus large que celui dans lequel la mentalité occidentale place la guerre
– ce qui explique aussi pourquoi le terrorisme est devenu plus meurtrier. Assez
paradoxalement, on pourrait voir ici une interprétation extrême de la relation
« rousseauiste » entre intérêt particulier et intérêt général, où l’individu s’efface
– et accepte de se sacrifier – dans l’intérêt de la communauté des croyants
(Oummah).
L’incapacité des Occidentaux à maintenir leurs interventions dans une
cohérence stratégique a permis aux islamistes de placer leur combat dans le
cadre d’un Djihad, renforçant l’idée du « choc des civilisations ». Le même
phénomène s’est produit en Israël avec les Palestiniens, dont le combat est
essentiellement territorial et séculier, mais où l’absence de résultat dans ces
domaines les a poussés à placer leur lutte dans un référentiel religieux, ouvrant la
porte à une action plus radicale du Hamas. Aujourd’hui, un phénomène analogue
se produit à nouveau, qui tend à déborder le Hamas par sa droite, et pourrait
conduire à terme à un terrorisme encore plus brutal et ainsi constituer alors une
menace sur l’existence même d’Israël.
Même lorsqu’ils présentent des caractéristiques et méthodes similaires, les
attentats terroristes s’inscrivent dans une logique qui leur est propre. Le
terrorisme islamiste en Algérie, les vagues d’attentat de 1995 et de 2005 en
France, les actions de Mohammed Merah (2012) ont tous des objectifs très
différents. Si les terroristes islamistes utilisent la religion comme plateforme
(leur « système d’exploitation », en quelque sorte), leur objectif peut être de
nature très séculière, comme nous l’avons vu pour les attentats de Madrid
(2004), de Londres (2005) et de Paris (2015)
Il serait faux de voir dans l’approche islamiste un caractère inéluctable dicté
par la volonté de s’attaquer irrémédiablement aux démocraties occidentales et
« d’imposer » une manière de voir ou un système. Si c’était le cas, les terroristes
nous diraient ce qu’ils veulent imposer à notre société. Les revendications des
attentats terroristes ne reflètent pas cette « volonté d’imposer » l’islam ou autre
chose. En revanche, les conflits et tensions issues de notre politique
d’assimilation laïque, qui tend à gommer l’appartenance religieuse (comme le
voile islamique, par exemple), permettent de définir une « image de l’ennemi »,
justifiant – ou excusant – l’emploi de la violence.
En réalité, les actes terroristes sont une combinaison variable de vengeance
et de dissuasion, la première alimentant fréquemment la seconde :

Les moudjahidines ou la Résistance ne doivent pas négliger


l’importance de la dissuasion contre ces ennemis. Ils doivent
s’efforcer de créer l’impression que leur bras est prêt à les
atteindre et à frapper quiconque pense prendre part à une
agression. Généralement, la plupart de nos ennemis, du
président aux troupes, sont en fait de lâches rats. Ils peuvent
être dissuadés si un exemple fort est fait en frappant et
punissant quelques-uns d’entre eux. Cette dissuasion vise à
faire se retirer ceux qui sont engagés ou à agir préventivement
contre ceux qui pensent s’engager38.

Pourtant, après les attentats de Paris, la rhétorique officielle ressemble


étrangement à celle des autorités américaines 14 ans plus tôt et tente de présenter
l’image d’un terrorisme conquérant, qui cherche à imposer un modèle de société
ou une idéologie, automatiquement totalitaire puisque contre la démocratie.
De nombreux commentateurs ont alors été choqués par l’usage du mot
« guerre » par le président Hollande (certains jugeant que le mot « guerre »
élevait les terroristes au rang de « combattants », ce qu’ils ne peuvent pas être).
Il semblait que les commentateurs n’avaient pas compris que les Occidentaux
avaient déclaré la guerre à l’État islamique en septembre 2014 déjà – lui
conférant par la même occasion un statut qu’il n’aurait pas dû avoir. Le Figaro
en ligne avait d’ailleurs titré « À Paris, les alliés déclarent la guerre à l’État
islamique39 ». Quelques jours plus tard François Hollande avait rappelé cette
déclaration de guerre devant l’Assemblée générale des Nations unies, à New
York :

Notre meilleure réponse à cette menace, à cette agression,


c’est l’unité nationale dans cette guerre, car c’en est une,
contre le terrorisme40.

Une guerre initiée par une coalition occidentale en Irak et en Syrie, contre un
adversaire qui alors ne constituait pas une menace contre l’Occident. Pourtant, à
aucun moment, l’action française au Moyen-Orient n’a été remise en question.
Or, au 14 novembre 2015, la coalition occidentale avait largué au total 28 578
bombes en Irak et en Syrie, au cours de 8174 sorties et provoqué la mort de 639
à 1974 civils innocents, dont plus d’une centaine d’enfants41. Victimes
collatérales, probablement. Mais au nom de quel objectif stratégique ?
Sur les réseaux sociaux, les sympathisants des terroristes ne se sont pas
appuyés sur des arguments religieux, mais sur des considérations
géostratégiques. Plus exactement, l’argument religieux est venu en appui du
raisonnement géostratégique et non l’inverse. Les attaques de Paris ont été
fréquemment désignées « ghazawat » (razzias), un terme militaire qui se réfère
aux raids menés par les partisans de Mohammed au VIIe siècle, et qui continue à
désigner les opérations entre tribus que l’on observe en Afrique du Nord, par
exemple. On a ainsi une violence qui trouve sa justification à travers l’histoire
religieuse, mais qui n’a pas un objectif religieux en soi. Un raisonnement pas
très différent de la réflexion occidentale, qui accepte l’usage de la torture au nom
des Droits de l’homme et des valeurs occidentales. Les victimes collatérales des
bombardements occidentaux en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, en Syrie, au
Yémen, etc. sont des sujets récurrents dans les messages des organisations
islamistes et non la diffusion de la foi islamique.

LES DJIHADISTES – PSYCHOPATHES OU FOUS ?


Pour expliquer les attentats du 11 Septembre, ou ceux de novembre
2015 à Paris, on a présenté les terroristes comme des psychopathes
assoiffés de sang ou sexuellement frustrés, arguant que ces actes étaient le
résultat de troubles mentaux. D’où le mythe des « 72 vierges », auxquelles le
martyr aurait accès dans l’au-delà, qui relève davantage de l’impuissance
occidentale à expliquer et répondre à ce type d’attentat que de la réalité. En fait,
même si le Coran décrit avec beaucoup de détails le paradis, la légende des « 72
vierges » ne s’y trouve pas, comme le confirme la brillante explication donnée
par Lesley Hazleton, qui n’est ni arabe, ni musulmane, mais juive américano-
britannique42. On en rencontre une forme dans les hadiths (tradition) et encore,
elle ne s’applique pas qu’aux martyrs, mais à tous les musulmans. On peut donc
difficilement trouver là une motivation pour devenir martyr. Cela n’expliquerait
pas non plus les bombes humaines en Indonésie, où cette croyance n’est pas
répandue dans la population musulmane et où les études ont montré que les
terroristes concernés vivaient généralement dans des ménages heureux43. Par
ailleurs, la légende des « 72 vierges » si elle constituait une motivation majeure,
n’expliquerait pas l’importance des femmes martyres. Celles-ci, si l’on ne peut
exclure dans certains cas isolés que leur action soit le fait d’une pression
extérieure, ont généralement une démarche volontaire. En Tchétchénie, des
jeunes femmes – souvent épouses, fiancées ou sœurs de combattants tchétchènes
tués au combat – ont rejoint les rangs des terroristes islamistes, afin de
commettre des attentats, cette fois dans un esprit de « vendetta ». Également
surnommées « veuves noires » (en russe : « shakhidki » ou « smertnitsy »), elles
sont impliquées dans la plupart des attentats les plus spectaculaires réalisés par
les terroristes tchétchènes depuis 2000.
Un profil inattendu

Nous aimons voir dans les terroristes des individus « paumés » ou des
« branleurs »44 et leur appliquons les qualificatifs les plus divers. Sous-estimer
son ennemi est une grave erreur stratégique… que nous nous complaisons à
répéter. La réalité est bien différente. On trouve certes aussi des individus avec
peu d’éducation et un passé criminel, mais il serait faux d’en tirer une règle.
L’État islamique, par exemple attire un grand nombre d’universitaires et
d’individus ayant une formation supérieure45.
Dans leur majorité, les « martyrs » sont jeunes. En Israël, environ 67 % des
auteurs d’attentats-suicide avaient entre 17 et 23 ans, tandis que les « martyrs »
du Hamas sont en moyenne plus âgés que ceux du Djihad islamique. Le plus
jeune « martyr » palestinien avait 16 ans, mais les forces de sécurité ont arrêté
des volontaires de 13 ans ! En revanche, leur niveau intellectuel et de formation
est élevé. Un chercheur de la RAND Corporation, Berrebi, a relevé qu’en Israël,
sur 208 cas où une biographie des terroristes était disponible, 96 % d’entre eux
(200) avaient au moins une formation universitaire, 65 % (135) avaient une
éducation supérieure, alors que dans la population « normale » ces chiffres
étaient de 51 % et 15 %46. Ce qui s’explique en partie par le fait que les
mouvements islamistes, et particulièrement le Hamas, recrutent dans l’université
Al-Najah de Naplouse et à l’université islamique de Gaza47.
Ces observations sont confirmées par d’autres études sur les terroristes
islamistes, où l’on constate également un niveau intellectuel et social
relativement élevé. Un document SECRET de 200 pages, établi par le Service de
sécurité (MI-5) britannique en 2011, constate que plus de 60 % des 200
personnes arrêtées en Grande-Bretagne pour des affaires liées au terrorisme,
proviennent de la classe moyenne, la plupart ayant bénéficié d’une éducation
dans le supérieur. Par ailleurs, 90 % d’entre eux étaient qualifiés de « sociables »
et avaient une vie de famille normale et des amis nombreux, contredisant ainsi
l’image répandue du « loup solitaire », psychopathe et mal intégré48.
Ces constatations sont corroborées par une étude de deux chercheurs en
sociologie de l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne, qui ont étudié les
profils psychologiques de 404 terroristes impliqués dans des attentats islamistes
et le plus souvent des attentats-suicides. Ils observent qu’entre 48,5 % et 69 %
des terroristes avaient reçu une éducation académique supérieure. Parmi ceux-ci,
une majorité (56,7 %) avait fait des études en sciences, médecine et ingénierie,
non pas parce que les études d’ingénierie sont populaires dans les zones de
recrutement ou parce que les organisations terroristes ont besoin de concepteurs
de bombes, mais en raison du manque de débouchés après les études d’une part,
et du caractère plutôt conservateur et religieux des ingénieurs. Par ailleurs, les
chercheurs notent que la plupart des terroristes provenaient de milieux aisés et
avaient une vie familiale stable49.
On est donc bien loin des diatribes occidentales sur les « fous de Dieu » et
les théories selon lesquelles la pauvreté serait un moteur du Djihad. Ce qui ne
signifie pas qu’une situation économique florissante n’aurait pas d’influence sur
le terrorisme ; ni que les combattants du Jabhat al-Nosrah ou de l’État islamique
en Syrie ont un profil similaire. Il faut néanmoins considérer que les terroristes
qui mènent des opérations d’importance, ont probablement un niveau
d’éducation plus élevé que les « combattants de base » déployés sur le champ de
bataille.
Ceci étant, les nouveaux concepts de « Djihad ouvert » et de « terrorisme
individuel », qui émergent actuellement en réponse à l’omniprésence des
moyens de surveillance des services de renseignement, pourraient changer
radicalement ces constatations dans le futur. En effet, on observe d’une part une
capacité stratégique et doctrinale des terroristes qui s’améliore, mais qui reste
localisée au Moyen et Proche-Orient, et d’autre part, comme on a pu le constater
avec les attentats en France en 2015, un niveau opérationnel qui tend à recruter
des jeunes qui ont grandi en Occident, qui ne peuvent se valoriser ou obtenir une
reconnaissance sociale au niveau professionnel, et sont ainsi plus vulnérables au
« romantisme guerrier », comme nous le verrons ultérieurement.

Une dimension religieuse mal comprise en Occident

On attribue souvent aux terroristes islamistes la qualification de « fous de


Dieu », et la volonté d’« imposer leur religion » ou « leur manière de voir » de
façon « totalitaire ». On débat sur la question de savoir si l’Islam est une religion
de guerre ou de paix, en comparant la fréquence d’apparition des mots « guerre »
ou « amour » entre le Coran et la Bible… À cette approche souvent simpliste,
s’ajoutent paradoxalement les tentatives d’exégètes musulmans pour distinguer
le « bon islam » du « mauvais islam », qui contribuent à cette confusion. Toutes
ces polémiques sont spécieuses. D’ailleurs, de récentes études un peu moins
superficielles et basées sur l’analyse du langage tendent à démontrer que la Bible
est un ouvrage plus guerrier que le Coran50…
Ce même catholicisme qui promeut l’amour et le respect du prochain, a
exterminé des peuples entiers aux Amériques aux XVe et XVIe siècles au nom
de l’Église et a sauvagement massacré ceux dont la pensée n’était pas alignée sur
celle de l’Église à travers la Sainte Inquisition, entre le XIIIe et le XIXe siècle
(soit durant 600 ans !). Le problème n’est donc pas la religion en soi, mais la
manière de la lire et de la pratiquer. Il n’y a qu’un islam, mais diverses manières
de le comprendre, de l’interpréter et de le pratiquer. Il y a des millions de
musulmans – y compris fondamentalistes – qui vivent normalement sans être
terroristes, ni en Occident, ni ailleurs. Nos biais culturels sont utiles pour
justifier des politiques étrangères agressives et tendent parfois à occulter la
réalité. Par exemple, selon le Federal Bureau of Investigation (FBI) américain, il
y a eu entre 1980 et 2005 aux États-Unis plus d’attentats terroristes juifs (7 %)
que musulmans (6 %)51 ! même si – comparaison n’est pas raison – la mortalité
due aux attentats islamistes a été incomparablement plus élevée.
La religion n’est donc que l’équivalent d’un « système d’exploitation » pour
l’action terroriste, et qui lui donne les éléments pour fonctionner, mais ne
constitue pas automatiquement la finalité de l’acte terroriste. En réalité, les
motivations pour les auteurs d’attentats terroristes sont à chercher dans des
registres sociaux, sociétaux, économiques, historiques, légaux ou politiques et
les agglutiner sous la rubrique « violence religieuse », comme le font le
gouvernement français et de nombreux experts, n’est pas vraiment constructif et
constitue un obstacle majeur à l’identification des solutions. Ainsi l’auteur de la
tentative d’attentat du 1er janvier 2016 à Valence, n’était pas un islamiste – ou du
moins n’en avait-il pas les caractéristiques52. Dans l’étude des mécanismes de
radicalisation, on peut noter que la motivation des actes terroristes observés
amène un constat plus orienté sur l’islamisation d’individus radicaux, que sur la
radicalisation de musulmans.
En Palestine, les futurs « martyrs » ne subissent pas de « lavage de
cerveau », comme on le prétend souvent. Les interrogatoires des jeunes
Palestiniens, qui ont pu être arrêtés avant de perpétrer leur acte, montrent que les
« combattantssuicide » ne se sacrifient pas « pour » la religion, mais que celle-ci
offre un cadre culturel propice à ce mode d’action53. Les motivations sont le plus
souvent liées à des revendications identitaires, un sentiment d’humiliation
nationale, etc.54. La qualification « antisémite » que nous donnons aux attentats
est « confortable » car elle place le terrorisme dans une fatalité immuable, qui
nous dégage de nos responsabilités. Dans le cas palestinien, il s’agit
essentiellement d’un combat contre un ennemi dont l’occupation territoriale n’a
fait que s’étendre au fil des ans et a ainsi alimenté une exaspération croissante
dans le monde. En Occident, cette évolution s’est traduite par une sympathie
plus marquée à l’égard des Palestiniens, mais dans le monde musulman, avec la
« guerre contre le terrorisme », elle a permis de singulariser une communauté,
perçue comme plus « coupable » que les autres. Mais il ne s’agit pas d’un
antisémitisme à caractère religieux, comparable à celui que l’on a connu en
Europe jusqu’à la période nazie, par exemple. Dans ce contexte, il faut relever
que l’usage indistinct des mots « Israélien » et « Juif » tend à empêcher une
distinction entre ce qui est du ressort de l’État d’Israël et ce qui appartient au
judaïsme, facilitant les amalgames meurtriers pour les terroristes.
Les motifs de la violence ne sont donc pas la religion. La tendance de
l’Occident à vouloir tout maîtriser et décider pour tous est l’élément moteur de la
révolte qui appelle la violence. Le Dr Marc Sageman – un sociologue et
psychiatre, ancien membre de la CIA – a étudié près de 500 cas de terroristes
djihadistes, dans le cadre de son ouvrage Leaderless Jihad et constate que le
processus de radicalisation d’un individu est favorisé par 4 facteurs55 :
1 - Un sentiment de colère issu de sa perception des souffrances subies par
ses coreligionnaires dans le monde ;
2 - La manière dont l’individu place cette colère dans le contexte d’une
guerre plus globale contre l’islam ;
3 - Si cette « colère » fait écho à son expérience personnelle au sein de la
société occidentale (comme les discriminations ou une difficulté à s’intégrer) ;
4 - L’embrigadement dans un groupe, dont la dynamique peut lui faire
traduire sa « colère » en acte violent.
Ces observations répondent aux écrits doctrinaux du Djihad moderne et sont
en cohérence avec les revendications des actes terroristes observés ces dernières
années. Encore une fois, nous sommes très loin d’une volonté de changer la
société occidentale ou d’imposer le salafisme en Europe. Le problème est que,
convaincus par les « experts » que le terrorisme est un phénomène religieux dont
l’objectif est lui aussi religieux, les gouvernements occidentaux lui appliquent
une thérapie inadaptée.
Pris au piège de leurs décisions, les gouvernements préfèrent propager l’idée
d’un terrorisme servant une finalité religieuse et donc inéluctable, refusant même
de tenter de comprendre la motivation des terroristes, exprimée dans leurs
messages. Ainsi, l’un des 4 auteurs de la tentative d’attentat du 21 juillet 2005 à
Londres, arrêté en Italie et interrogé par les services italiens, devait leur avouer :

Cela n’a rien à voir avec la religion… nous avons vu des


images et des vidéos de la guerre en Irak56 !

Mais nous refusons d’écouter les terroristes et de comprendre leurs


motivations. Par crainte d’excuser, on n’écoute pas, on n’explique pas et, donc,
on ne comprend pas. Ainsi, les mécanismes de la radicalisation sont interprétés
au gré des croyances. Selon l’ex-Garde des Sceaux, Christiane Taubira, seuls
15 % des extrémistes sont radicalisés en prison, tandis que leur grande majorité
est radicalisée sur Internet57; selon l’Unité de coordination de la lutte
antiterroriste (UCLAT), 95 % des cas de radicalisation seraient dus à des
contacts humains58 ; selon Pierre Conesa, professeur à Science-Po « les services
judiciaires antiterroristes disent que 80 % des personnes revenues de Syrie n’ont
fréquenté ni la mosquée, ni la prison59». Par ailleurs, on constate que les frères
Kouachi n’avaient pas été en prison avant leur ultime forfait et qu’aucun des
auteurs des attentats du 13 novembre n’avait eu à faire avec la justice avant ces
événements60.
La radicalisation est un processus complexe dans lequel les mosquées, les
prisons ou Internet ne sont que des éléments facilitateurs. Les conclusions du Dr
Sageman apparaissent pertinentes et confirment les observations effectuées en
Israël, en Irak ou en Europe. Les attentats terroristes ne sont pas issus du néant,
mais sont une conséquence d’événements, le plus souvent provoqués par
l’Occident, comme le constate l’un des plus importants « think tanks »
américains, le CATO Institute :

Au lieu de la religion, presque tous les attentats-suicide


dans le monde ont en commun un objectif politique déterminé :
forcer un pays démocratique à retirer ses forces militaires d’un
territoire, que les terroristes considèrent comme leur patrie ou
estiment particulièrement61.

Pour simplifier, et en se basant sur le concept de « Djihad individuel » on


pourrait esquisser le schéma suivant : l’action occidentale est l’élément
déclencheur du processus ; la religion fournit le « système d’exploitation » et
permettra de définir le niveau d’engagement et sa cohérence dans l’action
d’ensemble ; les contacts personnels ou la prison contribuent au réseau
logistique et d’appui ; tandis qu’Internet apporte des éléments doctrinaux, les
méthodes et la partie didactique.
L’élément déterminant dans le processus de radicalisation et la raison
fondamentale du Djihad armé est notre ingérence dans le mode de vie des
musulmans par la force ou par la politique. Les autres aspects ne concernent que
les modalités de l’action terroriste.
Dès lors que cette radicalisation affecte la sécurité intérieure de l’État, force
est de constater que les pays occidentaux ne se sont jamais vraiment préoccupés
de l’impact de leurs politiques extérieures sur leurs communautés immigrées. En
fait, on part implicitement de l’idée qu’il y a un consensus national – toutes
communautés confondues – sur la politique étrangère. En France, malgré les
attentats de 2015, la lutte contre la radicalisation reste sécuritaire en nature et n’a
pas de caractère holistique, et ce en partie délibérément, afin de ne pas mettre en
évidence des incohérences de la politique globale du gouvernement. Les
initiatives sont nombreuses, mais manquent souvent de cohérence au risque
d’accroître les tensions qu’elles voudraient combattre. Ainsi, au plan stratégique,
les tentatives – en France et en Belgique – pour « certifier » les imams et autres
prédicateurs, risquent au contraire d’accentuer le sentiment d’un Occident qui
tente de s’immiscer dans tous les aspects de la vie civile et religieuse des
musulmans.

LE « DJIHAD OUVERT »
La Base du Djihad dans la péninsule arabique (BDPA) (Qa’idat al-Jihad fi
Jazirat al-Arab – plus connue sous l’appellation d’Al-Qaïda dans la péninsule
arabique (AQPA)62 – fait partie de ces « franchises » qui n’ont jamais reçu
l’approbation d’Oussama Ben Laden. Elle est pourtant devenue, depuis 2010, la
principale source doctrinale du mouvement djihadiste. Elle a notamment
développé le concept de « Djihad Ouvert » (« Open Jihad »), qui allège
considérablement les activités terroristes et rend les structures, les réseaux, les
voyages inutiles. Basé sur l’exploitation des ressources offertes par les nouvelles
technologies et Internet, il s’agit d’un concept de décentralisation extrême du
Djihad qui fait de chaque Djihadiste une cellule indépendante. La connaissance
technique et doctrinale est fournie à travers les réseaux sociaux et Internet, tandis
que le moteur et le déclencheur de l’action terroriste est fonction de l’action
occidentale (bombardements, action clandestine, etc.) qui agit comme un
catalyseur.
À la différence des fatwas d’Oussama Ben Laden, qui avaient un objectif et
des intentions limitées dans l’espace et dans le temps, le Djihad moderne s’est
adapté aux interventions globales et plus agressives de l’Occident. Ainsi le
Djihad est-il devenu l’Appel à la résistance islamique globale (Da’wat al-
Muqāwamah al-Islāmīyyah al-’Alāmīyyah), un concept générique dans lequel
prend place l’action djihadiste. On en retiendra le terme de « Résistance » qui
suggère – dans l’esprit de ses auteurs – qu’il s’agit d’un combat répondant à une
agression (ou ce qui est ressenti comme tel), ainsi que le précise très clairement
un dirigeant de la BDPA :
À mon avis, ce type de méthode djihadiste peut être l’un des
principaux motifs pour faire cesser la guerre agressive contre
les Musulmans […] Le Djihad individuel contre l’Occident,
particulièrement lorsqu’il s’intensifiera, créera un climat de
terreur et d’anxiété, un ressentiment public et des plaintes
contre les gouvernements et les politiques qui ont amené le
Djihad individuel 63 […]

On peut constater ici une cohérence avec les revendications des divers
attentats qui ont frappé l’Occident, et la France en particulier. Le terrorisme qui
frappe l’Occident n’est pas une fatalité, fruit de quelque esprit dérangé, et il
serait, par conséquent, possible de mettre un frein à cette violence. En théorie
cependant, car l’action américaine et française – notamment en Irak, en Libye et
en Syrie, en sou-tenant et stimulant l’éclosion de mouvements islamistes – a créé
des déséquilibres durables et des tendances probablement irréversibles dans le
moyen terme.

Principes de base

Les théoriciens du Djihad ont identifié 4 facteurs qui créent une dissymétrie
entre les moyens utilisés par les Occidentaux et ceux utilisés par la Résistance et
qui exigent une adaptation de leur stratégie d’action64 :
- La vulnérabilité des organisations clandestines structurées, face aux
moyens sécuritaires internationaux et à des coalitions internationales et
régionales ; et donc la nécessité de disposer de structures plus souples capables
de résister à l’arrestation de leurs membres et à l’usage de la torture ;
- L’incapacité des structures clandestines à atteindre et à intégrer tout le
potentiel des ressources de la jeunesse de l’Oummah (Communauté des
croyants) qui voudrait s’engager dans le Djihad et à participer à toutes sortes
d’activités sans vouloir assumer des responsabilités dans une structure
centralisée ;
- La présence d’un adversaire (l’Occident) réparti sur de très larges zones,
avec des objectifs variés et sur des sites très distants, rendant difficile un combat
sur des fronts ouverts et par des structures centralisées ;
- L’utilisation par l’Occident de moyens aériens et de missiles pour mener
des frappes aériennes, pilotées par des satellites, qui peuvent également voir des
objets et installations cachées, rendent difficiles des confrontations ouvertes à
partir de positions permanentes, et sont des facteurs qui doivent être pris en
considération dans la planification du combat.
De ces constatations découlent les principes généraux d’une théorie plus
large, qui utilise la violence de manière plus diffuse par l’action djihadiste
individuelle et dénommée « Appel à la résistance islamique globale » (ARIG)
(Da’wat al-Muqa-wamah al-Islāmīyyah al-’Alāmīyyah). Ses principes sont65 :
- Propager la culture de la Résistance et en faire un phénomène stratégique
cohérent et pas seulement un ensemble de réactions individuelles ;
- Propager l’idéologie de la Résistance, son programme, ses bases légales et
politiques, et ses théories opérationnelles afin qu’elles soient accessibles à la
jeunesse de la communauté islamique (Oummah), qui veut fortement participer
au Djihad et à la Résistance ;
- Diriger les combattants de la Résistance vers des zones d’opération
adaptées au « Djihad par terrorisme individuel » ;
- Diriger les combattants de la Résistance vers les objectifs les plus
significatifs qu’il faut viser dans des opérations de Résistance et le Djihad de
petites unités ;
- Propager les sciences et les connaissances légales, politiques, militaires et
autres nécessaires aux moudjahidines pour mener des opérations de Résistance,
sans courir le risque d’une dislocation des réseaux comme cela peut être le cas
avec des structures centralisées ;
- Instruire les jeunes en matière de méthodes opérationnelles pour
l’établissement de cellules de Résistance comme un « système d’action » (nizam
al-amal) et non comme une « organisation d’action clandestine » (tanzim lil-
amal) ;
- Coordonner les efforts de façon à combiner leurs résultats en un mécanisme
qui désoriente l’ennemi et l’épuise, tout en stimulant l’esprit de la Nation
islamique afin qu’il s’associe au phénomène de Résistance.

Théorie militaire de l’Appel à la Résistance Islamique


Globale (ARIG)

Les constatations énoncées plus haut conduisent à une réflexion sur une
nouvelle articulation de la lutte armée fondée sur 2 formes de Djihad (militaire) :
- Le « Djihad par terrorisme individuel » (Djihad al-Irhab al-Fardi) qui
comprend des activités clandestines menées par de très petites unités
indépendantes ; il constitue une première étape vers la seconde forme de Djihad
qu’il appuie ;
- Le « Djihad par front ouvert » qui est un affrontement sur le champ de
bataille à partir de positions établies contre un agresseur, et qui permet, lorsque
les conditions le permettent, la confrontation sur le terrain et la saisie de
territoires indispensables à l’émergence d’un État – objectif final de la
Résistance.
Cette doctrine est issue de l’occupation occidentale en Irak et ailleurs, elle a
ici clairement un objectif de reconquête, face à l’occupation étrangère et aux
gouvernements mis en place par l’Occident. On pourrait voir dans ce passage
fluide entre le terrorisme et l’action sur le champ de bataille, une similitude avec
la doctrine du général vietna-mien Nguyen Vô Giap. Mais elle ne s’applique que
sur un territoire occupé par des puissances illégitimes et, en l’état, ne concerne
que l’Irak et la Syrie. Cependant, ce schéma pourra assez facilement s’étendre à
d’autres régions où l’Occident s’efforce de promouvoir des régimes qui lui sont
favorables, comme en Égypte ou en Tunisie.

Le Djihad par terrorisme individuel (Djihad al-Irhab al-Fardi)

Le Djihad par terrorisme individuel (également évoqué dans la littérature


djihadiste sous les appellations de « Djihad individuel » ou « Terrorisme
individuel ») est une forme de combat mise en œuvre par des individus seuls ou
par de très petits groupes, indépendants. Il correspond approximativement à ce
que les Occidentaux appellent « loup solitaire ». Mais là où les Occidentaux
tendent à voir l’action d’un individu asocial et retiré du monde, les Djihadistes y
voient simplement le mode opératoire d’un individu avec une vie sociale
parfaitement normale, qui constitue une forme de « terrorisme furtif » destiné à
contourner – voire saturer – les moyens de surveillance des services de
renseignement occidentaux. Les terroristes montrent ainsi leur capacité à
maintenir l’initiative par rapport aux organes de sécurité occidentaux.
Totalement déconnecté de toute organisation et structure de conduite, le
terroriste ne reçoit aucun ordre ou instruction : il organise son action au niveau
local avec ses propres moyens et réseaux individuels. Les apprentis terroristes
sont même découragés à se rendre dans des pays ou zones islamistes pour se
former. Grâce au Djihad ouvert, ils doivent pouvoir se former seuls, de manière
discrète, à la maison, sans contact avec des réseaux extérieurs, en utilisant des
cours, manuels, et documents accessibles sur le net pour acquérir la
connaissance technique nécessaire au Djihad. L’aspect le plus important de ce
concept est que le déclenchement de l’action terroriste – ou son inspiration –
vient du pays-cible luimême, plaçant ainsi la responsabilité de l’acte terroriste
sur l’agresseur des musulmans. C’est d’ailleurs l’origine du nom du magazine de
la BDPA : Inspire.
Le Djihad individuel n’est pas un phénomène nouveau en soi, mais il a été
conceptualisé par la BDPA récemment et a acquis une dimension doctrinale,
dont l’idée-maîtresse est clairement orientée sur la réponse aux actions
occidentales :

[Ces opérations] portent la guerre vers le territoire de


l’ennemi, exactement comme il le fait en tuant nos frères et
sœurs musulmans dans les pays islamiques, en détruisant leurs
maisons et brûlant leurs plantations.
Elles obligent l’ennemi à revoir ses politiques agressives
contre les musulmans. Lorsqu’il est frappé sur son sol à cause
de sa guerre contre l’Islam et l’occupation de terres
musulmanes, il doit modifier sa posture. Celui qui est à l’abri
des châtiments, se conduit mal 66.

Dans sa forme la plus « aboutie », le terrorisme par Djihad individuel ou


terrorisme individuel tire son efficacité stratégique d’un ensemble d’actions
déclenchées de manière individuelle et non-coordonnée, contre des objectifs
variés, qui prend l’apparence d’une insurrection.

Le principe de base de cette activité opérationnelle est que


le moudjahid, le membre de la Résistance, pratique le Djihad
individuel dans son pays, là où il vit et réside, sans que le
Djihad lui coûte le problème de voyager, de migrer et de se
déplacer là où le Djihad est possible. L’ennemi aujourd’hui est
un, et il est partout67.

Le recours au terrorisme68 individuel est donc mené « dans des situations ou


les moudjahidines repoussent leurs ennemis et la terreur ennemie par un Djihad
défensif69 ».
Ces concepts, qui ont été développés à l’origine par la Base du Djihad dans
la péninsule arabique (BDPA), ne sont pas exclusifs à ce groupe, mais – comme
le suggère l’idée de Djihad ouvert – sont utilisés par d’autres structures
terroristes, comme l’État islamique :
Premièrement, les structures opérationnelles clandestines complexes (dans le
pays-cible) sont abandonnées au profit d’individus (ou de très petits groupes)
indépendants et qui peuvent communiquer sans passer par des moyens
techniques, et avoir ainsi des activités qui échappent aux services de
renseignement.
Deuxièmement, l’action terroriste est totalement déconnectée des structures
existant en Syrie ou ailleurs. Elle est conçue, financée, et exécutée par les
militants eux-mêmes. Ses objectifs sont définis de manière générique, parfois par
l’entremise des médias conventionnels. Par exemple, pour les attentats de janvier
(Paris) et février (Copenhague) 2015, une liste des « cibles » avait été publiée
dans l’organe de la BDPA, dans son numéro du printemps 201370 à l’intention
des « terroristes individuels ».
Troisièmement, les attentats ne sont pas activés par une structure centrale,
mais par la réaction du militant à l’action occidentale. Ainsi, ce sont de facto les
Occidentaux qui détiennent en quelque sorte la clé de déclenchement des
attentats.
Son principe de fonctionnement est la quasi-suppression de toute structure de
conduite et logistique entre le terroriste et ceux au profit desquels il opère. La
subtilité ici est qu’il n’y a pas de chaîne logistique complexe, pas de financement
qui passe par des canaux observables, et que l’on amène le terroriste individuel à
décider lui-même, de manière autonome – et donc indétectable – à entreprendre
son action. Il n’y a donc pas de « donneur d’ordre », ou plus exactement cette
fonction est implicitement laissée à… l’ennemi. Ceci a plusieurs avantages outre
une « empreinte » plus discrète : elle permet plus facilement de décharger la
responsabilité de l’action terroriste sur le pays-cible lui-même. C’est une
application radicale de la mécanique asymétrique, que nous avons encore et
toujours du mal à saisir en Occident :

Quant à la méthode spontanée, [elle] a commencé à se


répandre avec l’intensification des attaques des campagnes
américaines contre les pays musulmans, l’adoption du projet
sioniste en Palestine, et la diffusion des nouvelles par les
satellites et réseaux de communication71 […]

Le Djihad individuel n’est pas une nouveauté totale. Il a été utilisé dans les
attaques dites « vert-contre-bleu » (« green-on-blue »), qui sont les attaques de
militaires afghans ou irakiens contre leurs instructeurs occidentaux. En
Afghanistan seulement, ces attaques ont fait 16 morts en 2012, 35 en 2011 et 61
en 201272. Outre les attentats de Paris en 2015, les exemples les plus
spectaculaires ont été l’attentat de Boston (2012), l’attentat contre le Musée juif
de Bruxelles (2014), l’attentat contre le Thalys (2015), l’attentat de San
Bernardino (Californie) (2015) et l’attentat de Londres (6 décembre 2015).
Du fait que le terrorisme est considéré par les islamistes comme un
témoignage du refus d’abandonner le combat face à des puissances
numériquement supérieures, l’action est déjà une victoire en soi. Il en résulte que
les frappes aériennes en Irak et en Syrie constituent certes des victoires tactiques
pour les Occidentaux, mais chaque réponse à ces frappes, sous forme attentat ou
tentative d’attentat constituera une nouvelle victoire stratégique pour les
Djihadistes.

Les priorités géographiques

En ce qui concerne la mise en œuvre du Djihad individuel, la BDPA a


articulé la liste des théâtres d’opérations possibles et les a classés par ordre
d’importance :
« 1 - Les pays de la péninsule arabique (Émirats arabes unis, Arabie
saoudite, Yémen, etc.), du Levant (Liban, Syrie, Jordanie, Israël), l’Égypte et
l’Irak. Cette zone comprend les lieux saints, le pétrole, Israël, et la présence
militaire et économique américaine. Elle accueillera l’Assemblée victorieuse
(Al-Taïfah al-Mansourah) qui dirigera l’Islam.
2 - Les pays d’Afrique du Nord de la Libye à la Mauritanie (Maghreb). Cette
zone est riche en intérêts occidentaux, notamment pour les principaux pays
européens, alliés des États-Unis et de l’OTAN.
3 - La Turquie, le Pakistan et les pays d’Asie centrale. Ils représentent la
deuxième plus grande réserve de pétrole du monde, ainsi que les intérêts
militaires, économiques et stratégiques américains. Ils comportent des
mouvements islamistes importants et ancrés dans l’Histoire, qui constituent la
profondeur stratégique des mouvements djihadistes et de Résistance arabes.
4 - Le reste du monde islamique : les Américains et leurs alliés y ont des
intérêts importants. Cette partie du monde islamique comprend l’essence de la
Résistance, à savoir des centaines de millions de musulmans, de jeunes membres
de la Nation islamique, qui sympathise avec sa cause et est prête à s’engager
dans le Djihad et la Résistance.
5 - Les intérêts américains et alliés dans les pays du tiers-monde, en
particulier dans les pays qui participent aux campagnes des Croisés. En raison
des faibles mesures de sécurité qui règnent dans ces pays, le Djihad peut se
reposer sur les moudjahidines qui y vivent et y ont une vie normale. Ils peuvent
se déplacer librement, se cacher et acquérir des informations sur l’adversaire et
s’en occuper facilement.
6 - Les pays européens alliés des États-Unis et qui participent à leurs guerres.
N’oublions pas la présence d’anciennes et grandes communautés musulmanes en
Europe, dont le nombre dépasse 45 millions d’individus, auxquels s’ajoutent des
communautés de plusieurs millions en Australie, au Canada, et en Amérique du
Sud. L’Europe est particulièrement importante en raison de sa proximité avec le
monde arabe et musulman et les intérêts multiples qui les lient, ainsi que des
nombreuses communications entre eux. Les musul-mans dans ces pays sont
comme les autres musulmans, leur devoir de Djihad de repousser l’adversaire et
de lui résister leur incombe, tout comme aux musulmans des autres pays du
monde (par exemple les musulmans résidant dans le monde arabe et islamique).
L’action dans ces pays est sujette aux règles de l’équilibre entre le gain politique
et les pertes politiques, au regard des positions européennes. Il s’agit d’avoir des
stratégies qui permettent de gagner le soutien des populations tout en évitant de
leur porter préjudice.
7 - Le cœur de l’Amérique elle-même, en le ciblant par des actions
stratégiques efficaces73. »

La mise en œuvre

Les bombardements de la coalition occidentale ont donc répondu aux


attentes des islamistes de l’État islamique en élevant une démarche « normale »
de respect des préceptes de l’islam à un niveau de combat. Clairement énoncé
dans les publications des théoriciens islamistes, le mécanisme de déclenchement
du « Djihad individuel » ne dépend plus d’instructions en provenance d’une
centrale, mais il est laissé au jugement des militants :

Il y a des différences entre les théoriciens au sein du


mouvement djihadiste sur la mise en œuvre du « Djihad
individuel ». Certains considèrent que ce terme est applicable
à tous les individus et groupes qui sont indépendants d’un
groupe plus large ou d’une organisation, qu’elle soit
administrative ou armée. Parmi ceux qui adhèrent à cette
approche, il y a Abou Moussab al-Suri. D’autres attribuent ce
terme à quiconque exécute une opération seul, même s’il a été
envoyé par un groupe ou une organisation, comme lors de
l’opération d’Omar al-Farouq74 […]

Mon opinion est qu’un moudjahid individuel est celui qui


combine les deux caractéristiques mentionnées plus haut : être
indépendant d’un groupe ou d’une organisation, qu’elle soit
administrative ou armée, et qui agit seul. Ce mode de Djihad
est imprévisible pour les services de renseignement
occidentaux. C’est ce qu’ils appellent un « loup solitaire ». Il
est difficile à découvrir, car il est connu d’Allah seul. Il n’a pas
de relation avec aucun groupe ou individu. C’est ce que nous
cherchons75.

Cette manière de procéder a été adoptée afin de contourner les dispositifs de


surveillance des services de renseignement occidentaux, qui peuvent facilement
reconstituer des réseaux ou structure de conduite. Cette décentralisation extrême
semble incongrue pour un esprit militaire occidental, car elle exclut
pratiquement toute coordination.
Toutefois, cette « coordination » n’est nécessaire qu’en fonction de l’objectif
que l’État islamique se fixe. Si l’État islamique avait pour objectif la conquête de
l’Occident, il lui faudrait une approche opérative plus élaborée.

Le Djihad par front ouvert

Le Djihad par Front ouvert76 peut être assimilé à la guerre de guérilla et il


n’a des chances de succès que s’il intervient dans un environnement géo-
militaire particulier. Selon la doctrine, il peut être précédé par une phase de
Djihad par terrorisme individuel, mais les conditions fixées pour un tel
développement ne s’appliquent qu’au Proche-Orient, en Irak ou en Syrie
aujourd’hui, là où l’autorité de l’État ne s’exerce que de manière très limitée et
où le soutien populaire permet à la résistance de se mouvoir « comme un poisson
dans l’eau », selon l’expression de Mao.

Il y a une abondance d’armes et d’équipements dans la


région, qui a également une grande diversité de frontières, de
côtes et de cols. Israël constitue un motif pour la cause
islamique globale, et l’occupation américaine permet d’y
ajouter une dimension révolutionnaire, qui est une excellente
clé pour le Djihad77.

Les critères géographiques optimaux pour le Djihad par Front ouvert,


identifiés par la doctrine djihadiste, sont assez classiques pour une guerre de
guérilla et décrivent assez précisément l’environnement irako-syrien. On n’y
trouve pas les bases pour un conflit qui s’étendrait au-delà du Proche et Moyen-
Orient.

Les facteurs [favorables] comprennent l’existence d’une


cause dans laquelle la population peut croire de manière
suffisamment forte pour embrasser la cause du Djihad. Cette
cause doit pouvoir mobiliser la nation islamique [dans le
monde] de façon à ce qu’elle apporte au Djihad son soutien
moral, financier… et autre. La cause la plus appropriée entre
toutes est la résistance en réponse à une agression étrangère, à
laquelle on peut ajouter des raisons religieuses, politiques,
économiques et sociales pour en faire une révolution et le
Djihad. C’est ce que la littérature sur la guérilla appelle le
« climat révolutionnaire », et c’est ce que nous appellerons ici
le « climat du Djihad 78 ».

1. Littéralement : Djihad al-Akbar : Djihad majeur.


2. Littéralement : Djihad al-Asghar : Djihad mineur.
3. On pourrait rapprocher cette notion à celle de « défense offensive » prônée par les Soviétiques en 1987-
89, qui plaçait l’action militaire offensive dans un contexte stratégique défensif.
4. Oummah = Communauté des croyants.
5. Ici également de nombreuses lectures différentes de cette obligation existent. Ainsi, pour certains, dès lors
que des populations (civiles) musulmanes sont menacées, il y a un devoir individuel (fard ay’n) de
prendre les armes.
6. Abou Moussab al-Suri, « The Jihadi Experiences – The strategy of deterring with Terrorism », Inspire
Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 22.
7. Inspire Magazine, n° 4, p. 16.
8. Les combattants algériens qui s’affrontaient à l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-63)
étaient aussi désignés « moudjahid » ou « moudjahidoun » (Schmidt Jean-Jacques, Vers une approche du
monde arabe, Éditions du Dauphin, Paris, 2000), en dépit du caractère évidemment laïc de leur révolte.
9. Q’uran, Sourate 10, Verset 99.
10. En réalité, il n’y a pas eu « un » Califat, mais une succession de Califats entre 632 et 1924 et, dont
l’extension maximale a été de l’Inde à l’Andalousie, sans frontières intérieures. Les configurations
politiques et religieuses de ces « empires » musulmans ont très largement varié durant cette période.
11. Il s’agit essentiellement de la Turquie, de la Grèce, des Balkans et de l’Espagne.
12. Voir l’ouvrage : Michael W. S. Ryan, Decoding Al-Qaeda’s Strategy: The Deep Battle Against America,
Columbia University Press, 2013.
13. Carlos Marighella, Manuel du guérillero urbain, juin 1969, Chapitre « Appui de la population »
(www.terrorisme.net)
14. Rori Donaghy, « Crime and punishment: Islamic State vs Saudi Arabia », Middle East Eye, 13 octobre
2015 (http://www.middleeasteye.net/news/crime-and-punishment-islamic-state-vs-saudi-arabia-
1588245666)
15. « Killing in The Name of Justice : The Death Penalty in Saudi Arabia », Amnesty International, 24 août
2015, Index number: MDE 23/2092/2015.
16. ISIL beheading incidents, Wikipédia.
17. Voir Yuval Noah Harari, “The theatre of terror, The Guardian, 31 janvier 2015.
18. Voir http://www.globalterrorwatch.ch/index.php/califat/
19. Tom Goeller, « Playing Devil’s Advocate », Egypt Today, octobre 2004.
20. S/2015/358, Letter dated 19 May 2015 from the Chair of the Security Council Committee pursuant to
resolutions 1267 (1999) and 1989 (2011) concerning Al-Qaida and associated individuals and entities
addressed to the President of the Security Council, UN, New York, 19 mai 2015.
21. Eric Schmitt & Somini Sengupta, « Thousands Enter Syria to Join ISIS Despite Global Efforts », The
New York Times, 26 septembre 2015.
22. Dabiq Magazine, n° 7, février 2015, p. 79.
23. Dar al-Islam Magazine, n° 7, novembre 2015 (Safar 1437), p. 4.
24. Hadith attribué à Mohammed, rapporté par Al-Boukhari, Imam, 41. Cité dans le Livre des Haltes, Abd
Al-Qadir Al-Djazairi, traduit par Michel Lagarde, Brill, 2000, ISBN 9004115676.
25. http://mayday.blogsome.com/2007/03/19/khalid-sheikh-mohammed-thewally-world-of-wickedness/
26. Un musée au Caire (« Panorama de la guerre d’Octobre ») est spécialement dédié à cette opération.
27. Reportage de Grégoire Deniau, « La Bataille de Najjaf », France 2, 2 septembre 2004.
28. Wikipedia, « Palestinian rocket attacks on Israel », (consulté le 20 mars 2015).
29. Mondoweiss, « How many people have died from Gaza rockets into Israel ? »
(http://mondoweiss.net/2014/07/rocket-deaths-israel), (consulté le 20 mars 2015).
30. Sheikh Anwar al-Awlaki, « Les Règles pour Déposséder les Incroyants de leurs Richesses en Zone de
Guerre », Inspire Magazine, n° 4, hiver 2010 (1431).
31. Vice President’s Remarks and Q&A at a BC’04 Roundtable in Lake Elmo, Minnesota, Office of the Vice
President, 29.09.2004
(http://georgewbushwhitehouse.archives.gov/news/releases/2004/09/text/20040929-5.html)
32. Elisabeth Bumiller, « 21st-Century Warnings of a Threat Rooted in the 7th », The New York Times, 12
décembre 2005.
33. http://www.vox.com/2014/7/10/5884593/9-questions-about-the-caliphate-you-were-too-embarrassed-to-
ask
34. Colleen Curry, « See the Terrifying ISIS Map Showing Its 5-Year Expansion Plan », ABC News, 3 juillet
2014.
35. Voir: https://twitter.com/Third_Position/status/478626230418173952/photo/1?ref_src=twsrc%5Etfw
36. Inspire Magazine, n° 5, printemps 2011 (1431), p. 29.
37. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: Individual Terrorism Jihad and the Global Islamic
Resistance Units », Inspire Magazine, n° 5, printemps 2011, p. 29.
38. Abu Mu’sab al-Suri, « The Jihadi Experience – The Strategy of Deterring with Terrorism », Inspire
Magazine, n° 10, printemps 2013, p. 23.
39. Isabelle Lasserre, « À Paris, les alliés déclarent la guerre à l’État islamique », lefigaro.fr, 15 septembre
2014.
40. Cordélia Bonal, « La France est-elle vraiment en “guerre” ? », Libération, 26 septembre 2014.
41. http://airwars.org/index.html
42. Lesley Hazleton : mythe des 72 vierges et le paradis dans le Coran, YouTube,
(https://www.youtube.com/watch?v=yyV2aipCnMI&list=WL&index=147)
43. Sarlito Wirawan Sarwono, What is in their minds? The psychology of suicide bombers in Indonesia,
Université d’Indonésie, 20 novembre 2007.
44. Pierre Servent, Extension du domaine de la guerre, Robert Laffont, Paris, 2015, p. 152.
45. Caroline Piquet, « Comment Daech attire de jeunes médecins et ingénieurs », lefigaro.fr, 16 février 2016.
46. Claude Berrebi, « Evidence about the Link Between Education, Poverty and Terrorism among
Palestinians », Peace Economics, Peace Science and Public Policy, Volume 13, Issue 1, 2007 Article 2.
47. Nachman Tal, « Suicide Attacks : Israel and Islamic Terrorism », Strategic Assessment, Volume 5, n°1,
juin 2002.
48. Abul Taher, « The middle-class terrorists: More than 60pc of suspects are well educated and from
comfortable backgrounds, says secret M15 file », The Mail on Sunday, 15 octobre 2011.
49. Diego Gambetta & Steffen Hertog, Engineers of Jihad, Sociology Working Papers, Paper Number 2007-
10, Department of Sociology, University of Oxford, 2007.
50. Samuel Osborne, « ‘Violence more common’ in Bible than Quran, text analysis reveals », The
Independent.uk, 10 février 2016; Christine Talos, « La Bible est bien plus violente que le Coran »,
Tribune de Genève, 11 février 2016.
51. https://www.fbi.gov/stats-services/publications/terrorism-2002-2005/terror02_05.pdf
52. Alain Leger, « Une première inquiétante en France : l’auteur franco-tunisien de l’attentat de Valence
n’est pas islamiste », Dreuz.info, 2 janvier 2016.
53. The Atlantic Council, Topics in Terrorism: Toward a Transatlantic Consensus on the Nature of the
Threat, « Understanding Suicide Terrorism : Countering Human Bombs and Their Senders », Anne
Speckhard, Ph.D., juillet 2005.
54. NATO Research & Technology Organisation, Report – Suicide Terrorism : The Strategic Threat and
Countermeasures, août 2004.
55. Marc Sageman, Leaderless Jihad : Terror Networks in the Twenty First Century, University of
Pennsylvania Press, 2008, 208 pages.
56. David Leppard & John Follain, « The Third Terror Cell on the Loose? », The Times, 31 juillet 2008.
57. Interview avec Christiane Taubira, Le Temps, 20 décembre 2015.
58. Christophe Cornevin, « Islamisme : 8250 individus radicalisés en France », lefigaro.fr, 2 février 2016.
59. Pierre Conesa, Rapport fait pour la fondation d’aide aux victimes du terrorisme - « Quelle politique de
contre-radicalisation en France ? », décembre 2014.
60. Christiane Taubira, émission « On n’est pas couché », France 2, 6 février 2016
(https://www.youtube.com/watch?v=Q2zAmWfoUEU)
61. Robert A. Pape, « Suicide Terrorism and Democracy - What We’ve Learned Since 9/11 », Policy
Analysis (CATO Institute), 1er novembre 2006.
62. Egalement appelée : Organisation de la base du Djihad dans la Péninsule Arabique (OBDPA) (Tanzim
Qa’idat al-Jihad fi Jazirat al-Arab) et, depuis avril 2015, « Les Fils d’Hadramaut » (Abna Hadramawt).
63. « Interview with the AQ-Chief », Inspire Magazine, n° 13, hiver 2014, p. 19.
64. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: Conditions for the Resistance to Use Individual Jihad »,
Inspire Magazine, n° 6, automne 2011, p.15.
65. Ibid.
66. Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013 (1434), p. 10.
67. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences : The most important enemy targets aimed at by the
individual jihad », Inspire Magazine, n° 9, hiver 2012 (1433), p.23.
68. En arabe, le mot terrorisme (« irhab ») vient du verbe « arhaba » (terroriser) et la terreur est « al-rahab ».
Celui qui terrorise est donc l’« irhabi » et sa victime est le « murharb » ou « marhub ». Ibid.
69. Ibid. p. 31
70. Inspire Magazine, n° 10, printemps 2013, pp. 14-15.
71. Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences : Open Fronts and Individual Initiative », Inspire
Magazine, n° 2, automne 2010 (1431), p. 20.
72. Jacey Fortin, « Green-On-Blue, Fade To Black : Are Insider Attacks Drawing Down In Afghanistan ? »,
International Business Times, 12 mars 2013.
73. D’après Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences: The main arenas of operation for individual
jihad », Inspire Magazine, n° 8, automne 2011, p.18.
74. NdA : Omar al-Farouq a fait une tentative d’attentat en 2009 contre un avion de ligne américain en
cachant des explosifs dans ses sous-vêtements, déjouant ainsi tous les systèmes de détection. Finalement
la tentative échouera en raison d’un dysfonctionnement dans le système de mise à feu de l’explosif.
75. Interview du chef de la Base du Djihad dans la péninsule arabique, Inspire Magazine, n° 13, hiver 2014,
p. 19.
76. D’après Abu Musab al-Suri, « The Jihadi Experiences : The Military Theory of Open Fronts », Inspire
Magazine, n° 4, hiver 2010, p.31.
77. Ibid.
78. Ibid.
Le constat
Durant ce dernier quart de siècle, l’Occident s’est attaché à combattre avec
vigueur le terrorisme. Les États-Unis seuls auraient dépensé plus de 5 trillions de
dollars1 dans cette guerre qui finalement n’a fait – nolens volens – qu’encourager
le terrorisme. Parallèlement, dans tous les pays occidentaux, on observe un recul
constant des libertés individuelles, une intrusion toujours plus marquée de l’État
et des services de renseignement dans la vie privée des individus, une action
politique souvent incohérente – qui échappe toujours plus aux principes de l’État
de Droit –, et une compromission des pays « démocratiques » dans des pratiques
– comme la torture – en contradiction avec les fondements mêmes des valeurs de
la société occidentale. Nous pouvons saisir la logique de cette « fuite en avant »,
mais nous arriverons un jour au point où les valeurs que nous prétendons
défendre auront simplement disparu derrière les besoins sécuritaires que nous
aurons créés de toutes pièces : que défendronsnous alors ? Et tout se passe dans
une indifférence populaire qui surprend et alimente des tendances extrémistes
qui pour-raient menacer, à terme, nos démocraties. C’est d’ailleurs en substance
le message transmis par la présidente de la Commission du renseignement du
Sénat américain, en décembre 2014, lors de la publication du Rapport sur
l’usage de la torture par la CIA2. Nous y reviendrons.
Comme nous l’avons vu, depuis plus de 35 ans, les conflits du Moyen et
Proche-Orient se sont enchaînés de manière incrémentale, liés entre eux par des
manipulations et des falsifications qui ont toutes leur origine en Occident et qui
visaient systématiquement à induire les opinions publiques en erreur :
- L’intervention soviétique de 1979 est une conséquence de l’action
clandestine des services secrets américains en Afghanistan, qui cherchait à créer
des foyers insurrectionnels islamistes, financés et soutenus par les États-Unis,
pour renverser le gouvernement prosoviétique ; ces foyers ont ouvert la voie à
une « conscience islamique », qui est arrivée à point pour prendre le relais des
idéologies révolutionnaires marxistes, en perte de vitesse dès les années 90 ;
- L’offensive irakienne contre le Koweït en 1990 résulte d’une carte blanche
donnée par les Américains à Saddam Hussein, après qu’il leur a demandé leur
avis ;
- L’intervention américaine en Irak de 1991 a été autorisée par le Conseil de
sécurité des Nations unies sur la base d’un crime attribué à l’Irak et fabriqué de
toutes pièces par les États-Unis ;
- La fin de non-recevoir adressée par les Américains aux Saoudiens qui leur
demandaient de quitter leur pays après la première guerre du Golfe a motivé les
attentats islamistes contre les États-Unis dès 1995 ;
- Les frappes américaines aveugles de 1998 sur l’Afghanistan et le Soudan,
sans savoir qui étaient les réels coupables des attentats de Nairobi et Dar-es-
Salaam, qui ne toucheront que des civils et inspireront les attentats du 11
Septembre ;
- L’intervention américaine – puis de l’OTAN – contre l’Afghanistan, qui
n’est pas autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies, et est motivée
par le soi-disant refus des Taliban d’extrader Oussama Ben Laden, alors que de
l’aveu même du ministre de la Défense américain, celui-ci n’est pas considéré
comme impliqué dans les attentats du 11 Septembre ;
- L’intervention américaine en Irak, qui n’a pas été auto-risée par le Conseil
de sécurité des Nations unies, était motivée par les affirmations fallacieuses
selon lesquelles, d’une part, l’Irak aurait détenu des armes de destruction
massive et, d’autre part, qu’il aurait eu des liens avec « Al-Qaïda » ; le tout après
un embargo qui avait causé des milliers de morts parmi les civils irakiens ;
- L’offensive américano-britannique en Irak en 2003, et l’incapacité de
mettre en place une gouvernance, génère un mouvement de résistance en Irak,
s’articulant autour de clivages religieux qui conduiront aux attentats de Madrid
(2004) et de Londres (2005) ;
- L’intervention de la France et des États-Unis en Libye, qui outrepassait
clairement le mandat des Nations unies pour renverser le gouvernement sans
alternative viable, et qui a ainsi poussé le pays dans le chaos et généré des
massacres de populations ;
- L’intervention clandestine des États-Unis, puis de la France, en Syrie, afin
de soutenir des rebelles islamistes avec pour objectif le renversement du
gouvernement de Bachar Al-Assad ;
- Le déclenchement des frappes américaines en Syrie – sans l’autorisation du
Conseil de sécurité des Nations unies – contre un État Islamique qui n’avait pas
été considéré comme une menace pour les États-Unis – a été motivée par
l’existence d’une menace « imminente » contre les États-Unis, qui a été créée de
toutes pièces et qui s’est avérée être inexistante.
Au total, en 2015, le nombre de victimes civiles innocentes directement
provoquées par les coalitions occidentales a été de 26 000 en Afghanistan et de
165 000 en Irak, deux pays contre lesquels l’Occident s’est engagé et dont il
s’est retiré sans aucun résultat après y avoir installé le chaos, auxquels s’ajoutent
21 500 civils au Pakistan, un pays contre lequel nous ne sommes pas en guerre3.
Ainsi, à l’origine de chaque étape de la crise qui enflamme aujourd’hui le
Proche-Orient, on trouve une action occidentale, le plus souvent américaine.
Mais on trouve aussi le « silence assourdissant » des pays européens et de leurs
services de renseignement, l’absence de retour d’expérience et une
méconnaissance profonde des conflits. Par l’importance de leurs aspects
sociétaux, sociaux ou culturels, les conflits modernes ont une cohérence
particulière que l’esprit occidental a de la peine à suivre. Il en résulte que
l’intuition, plus que la connaissance, nous guide dans la compréhension et la
conduite de ces conflits. Dès lors, chaque incident ou attentat est perçu comme
déconnecté d’une logique et du passé, et donc gratuit, seulement animé par la
volonté de détruire.
En fait, pour chacune de ces crises que nous venons de lister, nous pouvons
constater que les pays du monde occidental ont agi selon les principes de la
dialectique hégélienne :
1 - Créer le problème en armant ou provocant un groupe ou un parti, et le
pousser à adopter une posture violente ;
2 - Générer une réaction dans l’opinion publique et dans la classe politique
par de la désinformation ou en diabolisant le groupe pour le rendre
particulièrement odieux ;
3 - Proposer une solution pour résoudre le problème (une intervention
militaire, l’établissement d’un état d’urgence, une réduction des libertés ou des
droits fondamentaux, etc.).
Ce qui est troublant et doit interpeller le citoyen est le fait que ces
mécanismes se déroulent sous nos yeux, avec une information globalement
ouvertement disponible, mais que l’on ne parvient pas intégrer dans les
mécanismes de prise de décision démocratiques.
Toutes ces constatations doivent être ramenées au droit et usages
internationaux. Il ne s’agit pas ici de faire une analyse juridique de l’action
occidentale. Néanmoins, on constate que les deux grands principes qui ont guidé
les nations après la Seconde Guerre mondiale – et qui restent parfaitement
valables aujourd’hui – ont systématiquement été bafoués pour des raisons
politiciennes : le respect de la souveraineté des États et l’interdiction du crime
d’agression. Ces deux principes résident dans deux règles fondamentales de
Droit international qui permettent de mettre en perspective 35 années de
politique étrangère américaine, britannique et française.
La première règle est l’article 2 de la Charte des Nations unies :

Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs


relations internationales, de recourir à la menace ou à
l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou
l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre
manière incompatible avec les buts des Nations unies4.

La seconde est issue des jugements prononcés par le tribunal de Nuremberg


– qui jugea les criminels de guerre nazis – et qui furent transformés en principes
de droit international, afin que l’expérience du passé permette d’éviter de répéter
la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale. En 1950, ces principes sont
formalisés dans une liste, parmi lesquels le principe VI, pertinent pour notre
propos :

[…] Les crimes énumérés ci-après sont punis en tant que


crimes de droit international :
a) Crimes contre la paix :
i) Projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre
d’agression ou une guerre faite en violation de traités, accords
et engagements inter-nationaux ;
ii) Participer à un plan concerté ou à un com-plot pour
l’accomplissement de l’un quelconque des actes mentionnés à
l’alinéa i5[…]

Ainsi, lorsque l’on parle de la montée du terrorisme, il est essentiel d’en


comprendre les raisons sous-jacentes, et – sans justifier en aucune manière le
recours à la violence terroriste – de réaliser que toutes les actions occidentales
qui nous y ont menés ont enfreint l’une ou l’autre de ces règles. Seule notre
arrogance occidentale peut nous amener à penser que les autres peuples
accepteront docilement d’être frappés de manière répétitive pour des motifs qui
leur sont étrangers, sans réagir.

UNE SOCIÉTÉ EN MUTATION


Depuis les années 70, les traditions, les valeurs spirituelles, religieuses et
culturelles de notre société se sont lentement estompées au profit de valeurs plus
« universelles ». La conséquence majeure de cette évolution, qui privilégie
l’échange et la mobilité, est la difficulté à trouver ses racines et à se définir par
rapport aux autres. Aux États-Unis, pays d’immigration par excellence, la
société s’est construite autour d’un respect quasi-religieux du drapeau national et
de traditions religieuses diverses, dont la fonction de ciment social est essentielle
pour une cohésion au niveau local, qui se répercute au niveau national.
En France, la laïcité a contribué à maintenir une cohésion nationale dans les
turbulences du XXe siècle, mais elle a aussi étouffé les sensibilités religieuses et
occulté leur impact sur la politique nationale. Dans l’immigration venant du Sud,
la religion occupe une place différente, que les conflits ré-cents ont exacerbée.
Or la laïcité n’est pas un ciment, mais un aplanisseur de différences. Les
autorités n’ont donc pas été en mesure de suivre – ni, a fortiori, d’anticiper – les
changements de perception au sein de la population française en relation avec le
Proche-Orient, comme en témoigne le soutien aveugle affiché par le
gouvernement Hollande/Valls à la politique israélienne dans les territoires
occupés.
Ces mutations au cœur de la société ne sont perçues qu’en creux à travers la
progression du Front national. Mais l’impact d’une multitude de petits
événements, qui, pris individuellement n’ont que peu de portée, s’additionnent
jusqu’à créer une saturation. Ainsi, par exemple, certains politiciens – comme
Jean-François Copé – se sont offusqués de la demande des communautés
musulmanes d’horaires distincts pour hommes et femmes dans les piscines, au
nom de la laïcité. Mais peu d’opposants à cette pratique savent que cette
question a déjà été soulevée bien avant, dès la fin des années 70, sans faire
l’objet de polémiques… mais pour la communauté juive6. Les problèmes
intercommunautaires se sont radicalisés sous les présidences de Nicolas Sarkozy
et de François Hollande, perçus – à tort ou à raison – comme très partiaux dans
leur approche des questions communautaires.
Ainsi, même si les conflits actuels résultent essentiellement de décisions
politiques opportunistes, politiciennes, sans vision de long terme et sans
stratégie, la séquence des événements et des opérations menées par les pays
occidentaux a conforté la perception d’une guerre de religion, créant ainsi la
motivation pour le Djihad.

Une vision ethnocentrique du monde

Il semble inéluctable que nos sociétés aient une lecture ethnocentrique des
réalités. Nous voyons ce que nous voulons bien voir ou comprendre et nous
interprétons la réalité selon nos codes comme le font les autres sociétés en nous
observant. La différence fondamentale entre le reste du monde et l’Occident est
que ce dernier tend à imposer ses valeurs et sa manière de voir aux autres
sociétés. C’est d’ailleurs en substance la signification de la « mondialisation »
qui, ironiquement dans ce contexte, présente de grandes similitudes avec les
principes marxistes que défendent ses détracteurs. Depuis la Seconde Guerre
mondiale, à gauche comme à droite, les Occidentaux ont cultivé une vocation
missionnaire.
Nous voyons nos morts mais fermons les yeux sur les milliers d’autres que
nous générons. Il est ainsi symptomatique – et cela a été relevé par certains
internautes africains – que la tuerie de Garissa, au Kenya, qui avait fait 148
victimes, le 2 avril 2015, a été à peine qualifiée de « terroriste » et n’a
évidemment pas été l’objet de la même couverture médiatique que les attentats
de Paris7. Les Kenyans ont « été Charlie », mais les Français n’ont pas « été
Garissa » et bien sûr, il a fallu les attentats de Paris (130 morts) pour avoir un
« mark safe button » dans Facebook… Rappelons ici que la France mène une
guerre en Syrie, sans l’accord de son gouvernement, et contraire aux dispositions
de la Charte des Nations unies, alors que le Kenya est engagé dans une mission
de soutien à la paix en Somalie.
La destruction du vol de ligne Iran Air 655 causant 290 morts, dont 66
enfants, le 3 juillet 1988, « par une méprise » (c’est-à-dire par une suite
d’incompétences tout au long de la chaîne de commandement) du navire de
guerre américain USS Vincennes, n’a jamais fait l’objet ni d’excuses de la part
du gouvernement américain, ni de protestations en Europe. Aucun pays
occidental ne s’est élevé contre les frappes américaines d’août 1998, alors que
l’on savait qu’elles avaient touché des populations totalement innocentes. On
pourrait multiplier les exemples.
Notre approche des questions humanitaires, des conflits et de la paix, est
égocentrique et égoïste. La compassion est corrompue par les intérêts politiques,
à tous les niveaux. Dans la guerre comme dans la paix, nos politiques ont
l’horizon des échéances électorales, et satisfont notre indignation du moment,
sans regard sur l’avenir. Le renversement du régime de Saddam Hussein, de
Mouammar Kadhafi et l’acharnement contre Bachar al-Assad en sont des
exemples caricaturaux. Mais cela s’applique aussi à des domaines qui semblent
mineurs. Des interventions qui se voulaient humanitaires et humanistes ont
provoqué des désastres. Ainsi, lorsque l’on a lutté contre la mortalité infantile
des pays du tiers-monde dans les années 70-80 – une noble cause en soi – les
conséquences à long terme d’une brutale augmentation de la population n’ont
pas été prises en compte. Pas plus que l’on a adapté les programmes de
construction d’infrastructures, ni prévu l’encadrement nécessaire pour cette
masse de jeunes, afin de transformer ce bouleversement sociétal en richesse
économique. On a ainsi condamné des pays déjà pauvres à une asphyxie
démographique meurtrière. Ce sont eux qui, aujourd’hui, constituent les
migrants qui affluent en Europe.
Cette vision s’applique également au terrorisme. On a annoncé des attentats
pour le 11 septembre 2002, pour le 11 septembre 2011 – dixième anniversaire du
11 Septembre – pour les fêtes chrétiennes de Noël, pour les grands
rassemblements du Nouvel An, etc. Il n’est guère besoin de beau-coup
d’imagination pour constater qu’il serait possible de faire relativement
facilement un nombre considérable de victimes dans nos grands magasins, dans
des paquebots, dans des aérogares, etc. Or, rien de tel ne s’est produit. Même au
Stade de France, en novembre 2015, les trois explosions n’ont fait qu’une
victime (en plus des terroristes). Tout simplement parce que nous voyons le
terrorisme comme un but en soi, qui cherche à faire simplement un maximum de
victimes. Parce ce que nous avons une approche quantitative de la guerre.
La société occidentale n’est plus perçue comme « exemplaire ». Son modèle
économique montre des signes de vulnérabilité, tandis que la substance même de
sa société – l’Homme – apparaît comme profondément faible. Cette faiblesse est
attribuée, à tort ou à raison, à un manque de développement spirituel et à
l’abandon de valeurs dont la religion est la garante, selon les islamistes, et est
apparente au sein des forces armées.
Une vidéo de propagande diffusée par l’État Islamique en novembre 2015, et
intitulée « No Respite » rappelle ces faiblesses américaines8, qui reflètent – aux
yeux des islamistes – les faiblesses de la société occidentale et justifient la
nécessité de leur résistance à l’influence occidentale sur leur société. Entre le 7
octobre 2001 et le 28 juillet 2015, les forces armées américaines ont été
engagées dans 5 opérations majeures, et ont déploré au total 6855 morts9 mais
chaque année 8000 vétérans des guerres d’Irak et d’Afghanistan se donnent la
mort (soit 22 par jour)10. En clair, l’Amérique perd plus de militaires chaque
année par suicide, qu’en 14 ans de guerre.
Le raisonnement est simpliste, mais pas complètement faux. La perte de
repères, l’ambiguïté autour de nos « valeurs » et des notions de morale qui
évoluent très – voire trop – rapidement, ont souvent un caractère déstructurant et
déstabilisant. Ces changements se traduisent trop souvent chez nous par le
suicide, la violence ou d’autres dérives, et rendent notre « modèle occidental »
peu attirant pour d’autres sociétés.

Le nouveau logiciel de nos sociétés

Dès l’été 2014, l’Europe fait face à une vague d’immigration sans précédent
en provenance de Syrie, du Kosovo, d’Afghanistan, d’Albanie, d’Irak, du
Pakistan, d’Érythrée, de Serbie, d’Ukraine et du Nigéria11. Nous ne nous
attarderons pas sur le fait que le Kosovo, l’Albanie, la Serbie et l’Ukraine sont
des pays qui vivent déjà largement de l’aide occidentale. En Afghanistan et en
Irak, deux pays où les Droits de l’homme, la démocratie et le mode de vie
occidental devaient amener le développement, la corruption règne, alimentée par
ceux-là mêmes qui voulaient l’éliminer12. Quinze ans de guerre et des milliards
de dollars d’investissements n’ont apporté que l’insécurité et le désespoir.
De la Syrie, arrivent soudainement des chrétiens qui étaient protégés par le
régime de Bachar Al-Assad. Les bombardements occidentaux contre le régime
syrien – et accessoirement contre l’État islamique – favorisent en effet la
progression des multiples factions islamistes tout aussi radicales que l’EI (mais
dont les gouvernements américains, français ou belges ne parlent jamais) et qui
menacent aussi sûrement les nombreuses communautés non-musulmanes.
L’étrange et difficile distinction faite par la France et les États-Unis entre
islamistes modérés et radicaux, afin de justifier le renversement du régime de
Bachar al-Assad, a ainsi accru le danger contre les populations chrétiennes
depuis l’été 2014. Les Yazidis, Ismaéliens, Assyriens et autres communautés
chrétiennes sont persécutés depuis 2004 par les islamistes sunnites soutenus par
les Occidentaux en Irak et en Syrie. Jusqu’en 2014, ces populations – protégées
par la Syrie – avaient l’espoir de survivre. Un espoir qui a été ruiné dès l’été
2014 par les Occidentaux, et la France en particulier, à cause d’une politique qui
visait clairement à renverser le régime syrien, provoquant ainsi une vague
d’émigration vers l’Europe, dans laquelle se sont engouffrés d’autres migrants –
économiques ceux-là – en provenance d’autres régions du monde.
Nul doute que l’Occident et l’Europe arriveront, d’une manière ou d’une
autre, à accueillir et à faire survivre ces migrants. Mais en voulant les intégrer
trop vite, nous créerons des défis et des bouleversements culturels et sociétaux
considérables. En réalité, la vague massive d’émigration de 2014-2015 cache un
phénomène plus insidieux. Très largement soutenu par les diverses gauches
européennes, il est ce que nous pouvons appeler un « colonialisme négatif ».
Animé par une compassion occidentale, souvent de bonne foi, face au
différentiel de développement croissant entre l’hémisphère nord et l’hémisphère
sud, l’accueil de migrants s’est accéléré et s’est accompagné, dans de nombreux
pays, de mécanismes de naturalisation qui préviennent le retour éventuel de ces
immigrés dans leur pays d’origine. Il a le mérite d’apporter une aide immédiate à
ceux qui en ont besoin. Mais qu’en est-il des effets dans le long terme ?
En visite au Kosovo en 2002, l’auteur rencontrait le maire de la ville de
Suva-Reka au sud du pays. À la question de savoir pourquoi l’économie du
Kosovo ne parvenait pas à « décoller », le maire a répondu sans hésiter : « Parce
que les gens dont nous aurions besoin sont partis chez vous ! » Or, l’émigration
depuis les pays en phase de développement ne devrait pas être permanente, mais
être mise à profit par les pays occidentaux pour former les migrants, de sorte à
créer des capacités offrant un potentiel de croissance pour leurs pays d’origine.
Or trop souvent, l’Occident rechigne à former ces ressources et à les restituer
lorsqu’il les a formées. On assiste ainsi à une sorte de « colonisation en creux »,
où des pays comme la France, la Belgique et la Grande-Bretagne, utilisent la
main-d’œuvre immigrée pour des travaux dédaignés par les Européens, mais ne
créent aucun potentiel de développement pour les pays qui en auraient besoin.
Des pays comme le Kosovo – et bien des pays africains – vivent dès lors des
rentes en provenance de leurs expatriés, mais ne se développent jamais et restent
dans une forme de dépendance à l’Occident.
L’appel prononcé par Mgr Nicolas Djomo, évêque de Tshumbe et président
de la Conférence épiscopale de la République démocratique du Congo à
Kinshasa en août 2015, va dans la même direction :

Ne vous laissez pas berner par l’illusion de quitter le pays


à la recherche d’un emploi qui n’existe pas en Europe ou en
Amérique […] Vous êtes le trésor de l’Afrique. L’Église
compte sur vous, votre continent a besoin de vous13.

En clair, l’effet pervers de l’émigration est qu’elle vide les pays d’émigration
de leur substance culturelle, intellectuelle et laborieuse. De plus, dans le cas de la
Syrie, cette émigration laisse le champ libre aux islamistes, permettant ainsi à la
France et aux États-Unis de satisfaire leur objectif de renverser le régime de
Bachar al-Assad. Mais à quel prix ? Quelles qu’en aient été les motivations,
l’engagement de la France et des États-Unis pour renverser le gouvernement
syrien par la force ne pouvait que générer une catastrophe humanitaire dans le
court, moyen et long terme. C’est ce qui explique la vague d’émigration sans
précédent qui a suivi la décision des États-Unis et de la France d’intervenir en
Syrie pour renverser le gouvernement en place.
Au-delà du fait que nos politiques d’immigration incohérentes et davantage
motivées par un sentiment de culpa-bilité que par une réelle volonté d’aider,
provoquent l’appauvrissement des pays d’émigration en « aspirant » la portion la
plus dynamique et la plus industrieuse de leurs populations, c’est un changement
sociétal profond qui guette les pays occidentaux, et européens en particulier. En
effet, le « système d’exploitation » judéo-chrétien sur lequel fonctionnait
l’Occident est en train de migrer vers un logiciel plus musulman. En France, ce
changement est déjà amorcé, il se développe derrière le paravent de la laïcité et
le désintérêt des autorités, qui ne veulent pas faire écho aux revendications de ce
que l’on appelle l’« extrême-droite ». Or, ce lent changement fait résonner
différemment les décisions politiques et entre dans l’équation de la
radicalisation, notamment lorsqu’elle se combine avec ce qui est perçu comme
de l’injustice. Ainsi, le soutien de François Hollande au gouvernement israélien
lors de l’intervention de Gaza et la bruyante campagne du Premier ministre Valls
contre l’humoriste Dieudonné, seraient sans doute passés inaperçus il y a
quelques décennies. Mais aujourd’hui, sur un fond d’interventions associées à
des croisades, elles ont sans aucun doute un impact que nous évaluons mal sur la
radicalisation des jeunes et sur la montée de l’antisémitisme.
En France, comme on l’avait observé après le 11 Septembre aux États-Unis,
des médias acritiques qui relaient le message officiel partagent de facto la
responsabilité du gouvernement dans la radicalisation d’une partie de la société.
Une analyse des flux de messages (en arabe) sur les réseaux sociaux
effectuée par des chercheurs italiens, à la fin 2014, montre que le soutien à l’État
islamique est plus fort en Europe qu’en Syrie même ! En Occident, la proportion
de messages positifs envers l’EI s’articule comme suit : Belgique, 31 % ; Grande
Bretagne, 23,8 % ; États-Unis, 21,4 % ; France, 20,8 % ; Canada, 15,3 % ; Italie,
9,8 %. Par ailleurs, il est intéressant de constater que, selon la même étude, les
sentiments négatifs envers l’État islamique dus aux attentats terroristes ne sont
que de 4,7 %, tandis que les sentiments positifs sont à 37,5 %, dus au fait que
l’EI est perçu comme défendant l’islam14.
La première phase d’une vraie stratégie de lutte contre le terrorisme devrait
s’attacher à corriger ces chiffres, et ils ne le seront pas simplement en limitant
l’accès à certains sites web. Or, en Belgique comme en France, qui ont toutes
deux une présence musulmane importante et une politique sociale qui encourage
l’inaction et les activités parallèles, aucune stratégie contre-terroriste globale
n’est réellement mise en place.
Aujourd’hui, Israël peut compter sur le soutien de l’Europe et des États-Unis.
Mais qu’en sera-t-il demain, lorsque les « logiciels » culturels auront changé15 ?
Sans vouloir dramatiser une évolution qui reste hypothétique à ce stade, il faut
compter avec une opinion publique dont les sensibilités seront sans doute
différentes dans quelques décennies, et plus critiques à l’égard de certains pays
et de leur politique étrangère. Dans un contexte comme celui-là, le fait d’entrer
en guerre sans raison majeure en Syrie favorise plus que ne ralentit le terrorisme.
Les manigances de l’Occident envers le Moyen et Proche-Orient ont été
absorbées par le fatalisme du plus grand nombre, et provoqué la violence d’une
minorité. Mais nous approchons lentement la limite de la résilience des
populations. « Al-Qaïda » ne représentait qu’une idée, mais aujourd’hui, les
rebelles syriens et irakiens (y compris l’État islamique), représentent des entités
palpables, qui cristallisent l’indignation des jeunes islamistes et poussent vers
une « popularisation » du radicalisme. Ce mécanisme déclenche des effets
parallèles – qui s’observent déjà – à travers une montée des extrêmes
occidentaux, avec le danger de voir la communauté juive se trouver prise en étau
entre les deux.

LE MYTHE DE LA PUISSANCE AMÉRICAINE

Le mirage du renseignement électronique

Avec plus de 200 000 personnes, 17 agences, et un budget annuel compris


entre 50 et 60 milliards de dollars, la communauté du renseignement américain
est sans doute la plus importante du monde. Elle surveille en permanence
quelque 700 000 personnes dans le monde, tandis que sa composante
électronique, la National Security Agency (NSA), récoltait en 2013, à elle seule,
plus de 220 milliards d’éléments d’information par mois16. Selon le journal
britannique The Guardian (qui a publié les documents divulgués par Edward
Snowden), son équivalent britannique, le Government Communication
Headquarters (GCHQ), récolte toutes les 7 minutes et demie l’équivalent de la
bibliothèque nationale, soit 21 pétaoctets de données par jour, uniquement en
espionnant le flux dans les fibres optiques entre le Royaume Uni, l’Europe et les
États-Unis (projet TEMPORA)17.
Les chiffres donnent le vertige et suggèrent un savoir quasi illimité, propre à
maîtriser toutes les crises. Le cinéma prend le relais de la réalité en montrant des
satellites auxquels rien n’échappe, la conduite d’opérations en temps réel où
satellites et drones identifient des individus et les suivent pour les frapper sans
coup férir.
Il n’en est rien.
La réaction aux attentats terroristes est d’accumuler le plus d’informations
possibles sur les citoyens. Or, nous atteignons le point où la granularité de
l’information nécessaire à prévenir l’acte terroriste est telle que même les
moyens techniques les plus sophistiqués ne permettent plus de l’obtenir. De plus,
la masse d’informations acquises croît de manière exponentielle et finit par
asphyxier les mécanismes analytiques. Le problème qui en découle est que
l’analyse n’est plus faite par des hommes, mais par des ordinateurs. La masse
des données récoltées est étudiée au moyen d’algorithmes basés sur des
« comportements-types » qui, dans le meilleur des cas, définiront un suspect, et
dans le pire des cas, le condamneront à mort. C’est de cette manière que sont
sélectionnés les cibles des drones et les suspects de terrorisme au États-Unis : la
combinaison d’une série de critères (par exemple : musulman, célibataire, a fait
X voyages dans la zone Y, gagne tant par mois, fréquente A, B et C, téléphone à
B et D, a emprunté tel et tel livre à la bibliothèque municipale, etc.) permet
d’identifier un comportement terroriste susceptible d’être placé sous
surveillance.
Durant les débats qui ont accompagné la procédure d’adoption des lois sur le
renseignement en France et en Suisse durant 2015, on a largement insisté sur
l’importance de la surveillance des réseaux sociaux et des réseaux de
communication dans un but de prévention. En fait, le gigantesque programme de
recueil d’informations sur les réseaux sociaux et autres moyens de
communication électronique par la NSA, et les trillions d’éléments
d’informations recueillis depuis le début des années 2000 par les services de
renseignement américains, n’ont pas permis de prévenir un seul attentat
terroriste…
Dès 2013, avec les divulgations d’Edward Snowden, l’establishment
américain a tenté de justifier ces écoutes des citoyens américains. En juin 2013,
le général Keith Alexander, Directeur de la NSA, affirmait que 54 attentats
terroristes avaient ainsi été prévenus, dont 13 aux États-Unis, 9 contre des
intérêts américains à l’étranger, 25 en Europe, 11 en Asie et 5 en Afrique18. Mais
lors de l’enquête parlementaire diligentée par la suite, le général Alexander a dû
reconnaître que cette affirmation avait été exagérée19 et que l’information
récoltée n’avait permis que de confirmer l’information déjà existante, et que
seulement un, peut-être deux cas de « complots » « auraient » pu être
identifiés20. En réalité, il s’avérera qu’il ne s’agissait que d’un seul cas :
l’arrestation de Basaaly Moalin, un chauffeur de taxi de San Diego (Californie)
qui avait versé 500 dollars entre 2007 et 2008 à un correspondant somalien
soupçonné d’être associé à Al-Shabaab. Mais dans un rapport de 2009, le FBI a
même reconnu que ces versements n’avaient aucun rapport avec le terrorisme et
étaient dus à des liens tribaux21. Ainsi, au final, les 200 milliards d’éléments
d’informations recueillis chaque mois par la NSA à cette époque22 n’ont pas
permis de prévenir un seul attentat terroriste…
L’attentat de Boston en 2012 n’avait pas été détecté, pas plus que celui de
San Bernardino en 2015… Alors que les moyens de collecte américains couvrent
par la force des choses l’ensemble du globe, y compris la France, les attentats de
janvier et novembre 2015 n’ont pu être détectés. Le renseignement électronique
n’a pu que donner des éléments utiles à l’enquête, en aval des attentats… et
encore, très tardivement, permettant aux principaux protagonistes encore vivants
de s’éclipser.
Un résultat bien modeste, qui s’explique statistiquement par le fait que les
algorithmes de détection des terroristes utilisés conjointement avec les systèmes
d’écoute et de collecte massive sont incapables de faire ce qu’on attend d’eux.
Cette affirmation peut être démontrée mathématiquement et découle simplement
du très faible nombre de « terroristes » potentiels et de l’absence de
comportements significatifs pour une analyse. Les algorithmes qui sont, par
exemple, efficaces pour lutter contre les fraudes à la carte bancaire sont ainsi
inopérants contre le terrorisme23, en grande partie parce que l’on attribue aux
terroristes des comportements « occidentaux » et « symétriques ». Ainsi, les
diverses mesures réclamées par les « services » en France ou en Suisse à la suite
des attentats de 2015 ne sont donc qu’un miroir aux alouettes dès lors qu’il s’agit
d’anticiper le crime. Mais elles peuvent avoir une utilité dans les enquêtes qui
suivent le crime…

Quelle sécurité ?

Le terrorisme provoque des réactions émotionnelles et fonctionne par effet


d’amplification. Il est certes une menace importante, mais qui reste très
largement instrumentalisée à des fins politiciennes. Entre 1968 et 1998, le
terrorisme en Irlande du Nord – qui a été l’un des plus meurtriers en Europe – a
tué 3526 personnes24, soit approximativement le même nombre de victimes
qu’en 2014 sur les routes de France (3384 victimes)25.
Aux États-Unis, entre le 11 Septembre et juin 2015, 26 citoyens ont été
victimes du terrorisme djihadiste26, mais 48 ont été victimes du terrorisme
d’extrême-droite27. Ainsi, en moyenne par année durant cette période, plus de
1300 personnes ont été tuées lors d’une tuerie, 27 sont mortes écrasées par un
meuble dans leur appartement, et 2 seulement ont été tuées lors d’un attentat
djihadiste28. Toujours aux États-Unis, entre 2001 et 2013, le terrorisme a fait
3380 victimes, un chiffre très en-deçà des 406 496 victimes de la violence par
armes à feu durant la même période29. Entre décembre 2012 et décembre 2015,
en 1066 jours, les États Unis ont connu 1052 tueries qui ont causé 1347 décès et
3817 blessés30. Aucune n’a pu être prévenue et détectée à l’avance.
La tuerie de San Bernardino, en Californie (2 décembre 2015), qui a soulevé
un émoi considérable, n’était « que » la 353e tuerie aux États-Unis en 201531 !
Elle est exemplaire car elle correspond au concept de « Djihad individuel » ou
« terrorisme individuel » qui, nous l’avons vu, est en train d’émerger et va rendre
la violence terroriste quasi-indétectable :

Chaque musulman devrait sortir de chez lui, trouver un


croisé et le tuer. Il est important que le meurtre soit attribué à
un membre de l’État islamique, qui a suivi les ordres de ses
chefs. Ceci peut facilement se faire de manière anonyme.
Sinon, les médias croisés feront apparaître ces attaques comme
des meurtres aléatoires32.

Il ne s’agit pas ici de minimiser la menace terroriste, mais de la placer en


perspective et de constater que d’autres formes de menaces que l’on a délaissées
– souvent par commodité – peuvent potentiellement masquer de nouvelles
configurations du terrorisme.
Après le 11 Septembre les pays occidentaux ont mis en place un dispositif
surdimensionné par rapport à la menace effective. Aux États-Unis, des milliards
de dollars ont été dépensés par les services de police locaux pour s’armer contre
le terrorisme. Des véhicules blindés anti-mines développés pour la guerre en Irak
ont été fournis à plus de 500 services de police. La police de la petite ville de
North Little Rock, en Arkansas, s’est dotée d’équipements et d’armements
conçus pour la guerre en Afghanistan33.
Cette perception de la menace n’est pas nécessairement issue des organes de
sécurité, mais plutôt des politiques. Une enquête menée en 2015, auprès de 382
services de police américains, fait ressortir que 74 % d’entre eux voient la
violence anti-gouvernementale comme la menace la plus importante, mais
seulement 39 % craignent la menace djihadiste34. Une observation similaire peut
être faite concernant la réaction des autorités belges en janvier et en novembre
2015, mal pensée et potentiellement source de nouveaux attentats.
Par ailleurs, au-delà des chiffres, la sécurité a un coût social. Les organes de
sécurité tendent à regrouper des individus au niveau de formation relativement
bas (voire plus bas que le niveau des terroristes), mais qui se sentent investis
d’un pouvoir considérable, qui autorise tous les abus, au nom de la sécurité. Sans
entrer dans les détails des excès dans l’usage des armes et du droit de légitime
défense, de nombreux cas laissent songeurs sur l’éthique véhiculée par les
organes de sécurité. Aux États-Unis, la Transportation Security Administration
(TSA), responsable de la sécurité dans les aéroports, créée au lendemain des
attentats du 11 Septembre pour lutter contre le terrorisme, a certes intercepté de
nombreuses armes et autres objets contondants dans les bagages, mais n’a jamais
fait arrêter un seul terroriste. En revanche, ses agents ont été responsables de
plus de 25 000 vols dans les bagages des passagers totalisant quelque 3 millions
de dollars entre 2010 et 2014 seulement, et 500 d’entre eux ont été renvoyés
pour vol35 !
La promulgation de l’État d’urgence, et le rétablissement de pratiques qui
semblaient avoir été enterrées avec le régime de Vichy – comme la promotion de
la dénonciation –, conduisent à des dérives qui pourraient aller à l’opposé des
effets recherchés, particulièrement si ces mesures sont mal encadrées et mal
conduites. C’est ainsi qu’après le 13 novembre 2015 en France, on a assigné à
résidence des individus qui n’étaient pas fichés comme dangereux ou ne
faisaient pas l’objet d’une surveillance particulière, sur simple dénonciation
parce que leur comportement intriguait les voisins ou qu’ils venaient de se raser
la barbe (sic !). On a également utilisé l’opportunité des mesures d’urgence pour
mener des opérations contre des écologistes, en les plaçant dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme. Ce faisant, on court deux risques majeurs.
Le premier – qui est celui escompté par la nouvelle doctrine des Djihadistes
– est de saturer les capacités des services de sécurité : lorsqu’on « s’occupe »
d’un écologiste inoffensif, on distrait des ressources qui pourraient chercher une
cible plus dangereuse.
Le second, plus fondamental, est de s’écarter des principes de liberté qui sont
à la base même de la sécurité dans les sociétés occidentales, et qui est illustré par
le fait que la France a informé le Conseil de l’Europe qu’elle dérogerait aux
termes de la Convention européenne des Droits de l’homme après les attentats de
novembre 201536. Dès lors, quelles sont les valeurs que l’on défend ? Et dans ce
contexte, quelles sont les raisons d’intervenir si d’emblée on admet que l’on
enfreindra les règles… comme ceux que l’on veut combattre ?
L’incapacité à définir la nature de la menace et à prendre des vraies mesures
de sécurité conduit à des gesticulations dont chacun subit les conséquences, sans
avoir un accroissement significatif de sécurité. Il en est ainsi de la chasse aux
liquides dans les bagages à main dans les aéroports, déjà évoquée plus haut. À
pourchasser des fioles de parfum dans les trousses de toilette, ou les bouteilles de
cognac, on en vient à ignorer les vraies menaces : les Djihadistes ont mis au
point des explosifs improvisés qui échappent à ces détecteurs et dont les recettes
dont disponibles sur internet. Mieux : les Djihadistes ont effectué leurs propres
tests « grandeur nature » pour contourner les systèmes de détection aux États-
Unis et affichent un taux de réussite de 95,7 %37 ! D’ailleurs, même les agents
de sécurité n’y croient pas : lorsqu’avec un regard victorieux on vous prend une
bouteille de limonade, on la jette de manière bien peu respectueuse dans un sac
en plastique, alors qu’en fait il s’agit potentiellement d’un objet explosif qui
devrait être neutralisé sans mettre en danger les tiers ! Sans entrer dans les
détails ici, qui pourraient éclairer d’éventuels terroristes, on peut affirmer que
s’il y a eu peu d’attentats dans les aéroports, ce n’est pas une conséquence des
« mesures de sécurité » (bien au contraire), mais du fait que les terroristes n’ont
pas eu l’intention d’en commettre.
Alors que les terroristes ont des profils qui les placent généralement au-
dessus de la moyenne en termes d’éducation, au niveau opérationnel, la sécurité
semble, elle, perdre en qualité de réflexion. Manifestement, la structure de la
sécurité en Europe ne s’est pas adaptée à la nature de la menace et continue à
combattre le terrorisme comme elle le faisait il y a 40 ans. Les moyens
technologiques ont évolué, certes, mais la manière de les utiliser, d’articuler les
forces, n’a pas réellement changé. Ainsi, le 13 novembre 2015, le premier
policier est arrivé au Bataclan un quart d’heure après le début de l’attaque, suivi
une demi-heure plus tard par les hommes d’élite de la Brigade de recherche et
d’intervention (BRI), qui avaient été envoyés précédemment sur les autres lieux
où la violence avait déjà cessé depuis près de 20 minutes38. En clair, on n’a pas
tiré les leçons des attentats de janvier, et de la doctrine des terroristes. On a
renforcé les structures centrales, au lieu de s’adapter à une menace qui se
décentralisera toujours davantage. La nature de cette sécurité sort du cadre de cet
ouvrage, mais il faut retenir l’incapacité des organes de l’État à évoluer, en
grande partie en raison du refus des autorités politiques d’accepter l’évolution de
la menace.
Les régimes d’exception se traduisent souvent par une liberté plus grande
accordée aux forces de sécurité, qui permettent de contourner certains « garde-
fous » légaux ou pour étendre leur domaine d’action, afin de gagner en
efficacité. Or le risque, ici, est que la sécurité adopte une dynamique propre et
déborde des objectifs de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, en France, après
l’instauration de l’état d’urgence, la police a mené des perquisitions sans mandat
particulièrement brutales, en fracassant des portes d’entrée et en occasionnant
des dégâts à l’intérieur des habitations – alors qu’ils n’avaient pas rencontré de
résistance –, pour quitter les lieux… sans même avoir vérifié les identités des
occupants (!). Depuis novembre 2015, la police française a mené 3289
perquisitions, dont seulement 10 % ont conduit à une procédure judiciaire. Parmi
celles-ci, 28 avaient un lien avec le terrorisme, dont 23 seulement pour
« apologie du terrorisme » et 5 étaient liées à des préparatifs pour partir au
Moyen-Orient. Parmi les 407 assignations à résidence prononcées, 108 sont en
appel, 41 au moins étaient des « erreurs » et ont été annulées par la suite, 27
concernaient la conférence COP21 et n’avaient aucun rapport avec le terrorisme
islamiste. On arguera que les perquisitions ont permis de saisir plus de 500
armes, mais dans l’ensemble, le résultat est faible39.
Plus grave, les forces de police tendent à se comporter comme aux États-
Unis et à fonder leur relation avec le citoyen sur un rapport de force. Après
l’assaut contre les terroristes à Saint-Denis, le 18 novembre 2015, le Procureur
de Paris, François Molins, déclarait que les forces de police avaient essuyé des
« tirs très nourris et quasi-ininterrompus » de la part des terroristes. En réalité, si
la police a effectivement tiré environ 1500 coups, les terroristes n’en n’ont tiré
que 11 (!) avec un seul pistolet. Les terroristes sont morts de l’explosion de leur
bombe et aucun d’entre eux n’a été touché par la police, tandis que les blessés
policiers ont tous été le fait de tirs croisés (« BLUE on BLUE40 »).
En d’autres termes, les moyens se sont accrus, mais l’efficacité globale et
l’efficience ont diminué. Les conclusions que l’on peut tirer – outre
l’impréparation des échelons de conduite à tous les niveaux – est un très large
déficit du renseignement. Non pas dans la quantité d’informations qu’ils
collectent, car les individus dangereux étaient connus et faisaient l’objet d’une
surveillance, et les autres ont su se maintenir en-dessous des radars policiers.
L’incapacité à comprendre le problème est au cœur de cette inefficacité, qui tend
à mettre en évidence l’insuffisance de l’analyse. Les arrestations et mesures
judiciaires inutiles ne sont que la partie apparente de cette inefficacité. Le vrai
risque est que l’injustice de ces « erreurs » génère un sentiment de révolte qui
crée de futurs terroristes. Les forces de l’ordre – et le gouvernement – n’ont
toujours pas compris qu’ils travaillent dans un contexte asymétrique et qu’ils
contribuent activement au processus de radicalisation.
Loin d’avoir un effet dissuasif, les coalitions internationales contre le
terrorisme, tendent donc à le stimuler. L’insistance des États-Unis pour former
ces coalitions n’est pas liée à l’efficacité ou au besoin de synergies pour traiter le
problème de manière plus holistique. Il s’agit simplement d’impliquer d’autres
nations de sorte que la menace terroriste ne soit plus concentrée sur les
Américains, mais soit répartie sur les membres des coalitions. Au début mars
2016, les frappes françaises représentaient 4,7 % et les frappes belges 1 % du
nombre total de frappes menées par la coalition internationale, les États-Unis en
assurant 68,1 %41. Dès lors, l’impact des nations européennes est marginal sur le
terrorisme, mais les place en première ligne quant à la menace.
La sécurité est devenue un lucratif domaine économique, qui recrute toujours
plus et toujours moins bien. En Europe, des appareils sécuritaires et des systèmes
de police corrompus, des policiers qui surestiment leurs capacités, délaissent les
tâches de proximité pour les actions plus « viriles » et prestigieuses, ne génèrent
pas de sécurité, alors que, d’un autre côté, les terroristes ont clairement fait
évoluer leur doctrine et leurs méthodes d’action. Ici, la guerre asymétrique s’est
aggravée d’une dissymétrie intellectuelle et conceptuelle qui n’est pas en faveur
de nos démocraties.

LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT


Il semble découler du bon sens que, face à un adversaire qui utilise la
surprise comme arme essentielle, les démocra-ties doivent disposer
d’instruments qui leur permettent de déceler en temps utile les indices
nécessaires à prévenir (au mieux) ou intercepter (au pire) l’entreprise terroriste.
Or, l’expérience montre que l’efficacité des services de renseignement s’est
essentiellement manifestée en aval des actions terroristes. Autrement dit,
l’arsenal déployé au nom de la prévention a, en réalité, été essentiellement utile
pour capturer les terroristes après coup, mais n’a pas contribué à prévenir le
terrorisme, ni à freiner son développement.
Nous opposons volontiers notre société libre et respectueuse de l’État de
Droit, à l’action des terroristes de tout poil. Et c’est juste. Mais alors pourquoi
abandonnons-nous toujours plus ces valeurs au nom de la lutte contre ceux qui
veulent les détruire ? Pourquoi ne cherchons-nous pas à mieux comprendre les
raisons qui poussent de jeunes Européens, ayant grandi chez nous, dans notre
société libre et démocratique, à s’engager dans des opérations suicides ? Pour-
quoi nos services de renseignement ont-ils été incapables d’apporter ces
réponses depuis plus de 35 ans, et nous ontils poussés à nous engager sans
objectifs clairs dans des guerres sans espoir ? Pourquoi n’intégrons-nous pas
mieux le renseignement en amont des décisions politiques afin qu’elles soient
plus rationnelles, plus respectueuses du long terme ?
Si les services de renseignement sont effectivement un point central de la
lutte contre le terrorisme, ils sont cependant également un élément central des
échecs, faillites, et absurdités de ce dernier quart de siècle. L’évolution récente
du renseignement n’a pas toujours été gérée en fonction d’une idée claire de ce
que l’on en attendait. En fait, les problèmes du renseignement sont loin d’être
nouveaux, mais ils sont rarement traités parce qu’ils échappent au radar des
« experts » en renseignement qui, pour la plupart, n’ont jamais fait partie d’un
service de renseignement, ou n’ont été acteurs que d’une partie infime de la
mécanique du renseignement sans en avoir jamais la vue d’ensemble, et qui n’en
connaissent pas les subtilités. Les réformes entreprises n’ont touché que la
surface du problème, et il est peu probable que la situation s’améliore dans le
futur proche.
Depuis 2001, le renseignement est considéré comme un élément central de la
solution au terrorisme. C’est certainement vrai, à condition de comprendre ce
que l’on entend par le mot « renseignement ». Le terrorisme utilise l’action
tactique pour atteindre des objectifs stratégiques. Par conséquent, c’est sur ces
deux niveaux que le terrorisme doit être combattu. Le renseignement stratégique
doit mettre en évidence les objectifs que recherchent les terroristes, identifier
leurs vulnérabilités à ce niveau et ainsi éclairer la décision politique. Le
renseignement tactique a pour objectif de planifier l’action, d’interférer dans
l’action terroriste et d’empêcher l’exécution des attentats. Traduit en termes
opérationnels, le renseignement stratégique permet de développer des stratégies
de prévention, alors que le renseignement tactique permet d’agir de manière
préemptive et – le plus souvent – d’alimenter l’instruction des cas après coup.
Les deux niveaux sont donc complémentaires et ne doivent donc pas être
confondus… ce qui est malheureusement devenu la règle.

Un déficit analytique chronique

En anglais, « renseignement » se traduit par le mot « intelligence », qui


contient à lui seul l’essence de ce qu’il doit être. « Intelligence » vient du verbe
latin « intellegere », « comprendre ». Or, c’est là la principale faiblesse du
renseignement : alors qu’il avait permis de comprendre par une approche
méthodique la logique et la conception de la guerre du Pacte de Varsovie, nous
ne sommes plus en mesure aujourd’hui de saisir les logiques terroristes
autrement que par des préjugés et des intuitions ; et de cette incapacité découle
celle d’anticiper.
Certains pourront arguer que le décideur politique est seul responsable de
l’action quelle qu’ait pu être l’analyse des « services ». Mais si ces services sont
constamment contournés par les décisions politiques malgré la pertinence de leur
analyse, alors on touche un problème fondamental de l’État de Droit. La
fonctionnalité première des services de renseignement est d’éviter l’arbitraire
dans les décisions, de faire en sorte que ces décisions soient « traçables » (en
tenant compte, bien sûr, des questions de confidentialité). Or si les services
assurent eux-mêmes l’action et si le décideur ne tient pas compte des analyses de
ses spécialistes, nous nous retrouvons dans l’arbitraire des régimes
autocratiques.
À la fin de la guerre froide, avec la montée de la criminalité organisée et du
terrorisme, les services de renseignement occidentaux ont développé leurs
capacités tactiques, qui se sont ainsi rapprochées du renseignement de police
(« law enforcement intelligence »). Outre des chevauchements de compétences
qui ont généré des conflits entre services, cette tendance a abouti à un
affaiblissement progressif du renseignement stratégique, comme le relevait
Georges Tenet, ex-Directeur de la Central intelligence Agency (CIA) américaine
dans un rapport du Kerr Group :

En réponse à un changement de priorités et des ressources


décroissantes, le potentiel analytique de la communauté du
renseignement a subi des changements à la fois dans son
organisation et dans son orientation méthodologique. Le
changement probablement le plus significatif a été le
glissement de l’analyse en profondeur et de long terme en
faveur de produits de court terme, destinés à appuyer
directement la politique42.

Cette évolution a conduit à une impasse, car la nature toujours plus


décentralisée des réseaux terroristes rend l’anticipation toujours plus difficile,
voire impossible, à ce niveau. Le renseignement tactique permet donc, dans le
meilleur des cas, d’agir de manière préemptive et, le plus souvent, d’arrêter les
coupables après l’action. C’est certes un résultat, mais il n’empêche pas les
morts. Cette fonction de prévention est du ressort du renseignement stratégique.
L’analyse des doctrines, des cultures, des contextes et des capacités devrait
permettre d’orienter la décision politique de sorte à minimiser le risque et, au
mieux, d’éviter l’éclosion du phénomène.
Bien qu’ils frappent des innocents, les attentats terroristes ne sont pas
complètement aveugles. Ils sont perçus comme tels en Occident car on a
systématiquement occulté les facteurs qui les avaient provoqués. L’horreur des
attentats et de leurs conséquences ne doit pas nous faire perdre la raison. Ainsi,
l’interprétation du 11 Septembre comme étant une attaque contre le monde entier
était une erreur. L’attentat méritait certes une juste réprobation et une
condamnation mondiale, mais il ne concernait pas le monde entier. Il a été dirigé
contre les États-Unis et eux seuls, et constituait une réponse à des crimes déjà
commis par les États-Unis contre des populations civiles innocentes. En
reprenant cet attentat à un niveau global, on a exonéré les États-Unis de leur
responsabilité, et implicitement assumé leurs erreurs. On a donc simplement
accentué le problème au lieu de le résoudre. Certains rétorquent que les attentats
attaquaient des innocents et touchaient ainsi des valeurs essentielles et
universelles. L’objection est valable, mais alors pourquoi ne pas avoir fait valoir
ces mêmes arguments en 1996, en 1998 ou en 2003 ?
Ce qui est inacceptable, c’est la manipulation et la désin-formation qui visent
à transformer des intérêts particuliers en intérêts communs. Par la tricherie et le
mensonge, on a fait en sorte que le problème soit devenu si grave qu’il ne peut
plus être traité par la négociation ou la diplomatie, et que sa résolution
n’implique que des solutions extrêmes imposées à la communauté internationale.
Il est inadmissible de détourner les institutions multilatérales, comme l’ONU ou
l’OTAN, qui ont été conçues pour stabiliser l’environnement sécuritaire global à
des fins particulières, sans qu’aucun pays ne réagisse. Il est ironique de constater
que les pays européens, qui sont aujourd’hui les plus farouchement opposés à
accueillir des réfugiés du Moyen-Orient, sont précisément ceux qui constituaient
la « Nouvelle Europe » de Georges Bush et ont le plus contribué à créer le
problème pour des raisons simplement lucratives, car ils n’étaient ni menacés ni
concernés par les problèmes de cette région.
Paradoxalement, l’extension des capacités de recueil des informations que le
PATRIOT Act a prévue par ses Sections 215 et 702, ne s’est ainsi pas traduite
par une amélioration des capacités des services. La Section 215 autorise le
gouvernement américain à collecter des données par l’entremise de tiers
(fournisseurs d’accès, compagnies de téléphone, bibliothèques, etc.) et la Section
702 autorise le gouvernement à écouter les communications de personnes
étrangères résidant à l’étranger. Dans un rapport produit par l’Inspecteur-général
du FBI le 21 mai 2015, le service américain doit constater que cette législation,
pourtant évoquée en exemple en Europe, n’a pas permis d’empêcher un seul
attentat, en raison du fait que l’abondance d’informations noie les capacités
d’exploitation des services43.
Avec plus de 200 000 employés réguliers, on pourrait imaginer que les
services de renseignement américains aient une vision claire et cohérente du
monde. Il n’en est rien. À titre d’illustration, 14 des 19 terroristes soupçonnés
d’avoir mené les attentats du 11 Septembre sont encore aujourd’hui sur des listes
d’interdiction de vol44. Ni conspiration, ni manipulation ici. La raison en est
simplement que les services de renseignement américains ignorent encore
exactement qui étaient ces auteurs, si leur identité connue correspond à leur
identité réelle, etc.
La confusion entre les renseignements stratégique et tactique ou opérationnel
est également due au fait que des ressources, qui appartiennent
traditionnellement au niveau stratégique – comme l’écoute électronique dans
tous ses domaines spécifiques –, ont été placées au service du renseignement
tactique. Autrefois, les écoutes électroniques servaient à recréer « l’ordre de
bataille » de l’adversaire, afin d’en déduire ses intentions à partir de la
configuration des réseaux et, naturellement, à détecter ses actions à partir du
déchiffrage de ses messages. Il y avait donc un intense travail analytique qui
pouvait s’exercer dans un contexte relativement bien structuré. Aujourd’hui – et
ce sera encore plus le cas dans l’avenir – les réseaux sont fluctuants, voire
inexistants, et il est quasiment impossible de détecter une action à partir de
l’analyse des réseaux, sans connaître le contenu même des messages échangés. Il
en est résulté un transfert fonctionnel entre les deux niveaux de renseignement,
qui s’est fait au détriment du renseignement stratégique.
On pourrait résumer la situation en constatant que le renseignement durant la
guerre froide devait percer des secrets (autrement dit, des informations qui
existaient, mais étaient difficilement accessibles) alors qu’aujourd’hui ils doivent
découvrir des « mystères » (c’est-à-dire des informations qui n’existent peut-être
pas). Ce phénomène s’est considérablement accentué avec l’adoption de
doctrines telles que le « terrorisme individuel » qui atomise les processus de
planification et de décision, au point qu’ils se retrouvent hors de portée des
services de renseignement.
Une des conséquences de cet état de fait est la confusion croissante entre
« information » et « renseignement ». L’information est une matière première,
tandis que le renseignement est le produit d’un processus analytique qui utilise
des informations. Le problème est que, dans les situations de crise et en
particulier dans les situations terroristes, les informations pertinentes pour
alimenter un processus de renseignement complet sont rares. Il en résulte que,
souvent, l’information constitue le renseignement, fragilisant ainsi la base même
de la décision.
Pour répondre à cette situation, les services de renseignements américains et
européens ont développé des outils technologiques et légaux qui leur permettent
d’acquérir le plus d’informations possible, en plongeant dans l’intimité des
individus. Ils pensent ainsi disposer de la masse critique permettant de générer
du renseignement, mais c’est un miroir aux alouettes. En réalité, les terroristes
sont généralement découverts de manière fortuite et les moyens considérables
mis en œuvre pour les détecter s’avèrent peu efficaces.
La conclusion logique de cet état de fait serait de développer les mécanismes
de renseignement en amont de la décision politique, et ainsi mieux rationaliser
cette dernière.
Dans l’ensemble, on observe des organes exécutifs et législatifs peu
exigeants, qui n’ont pas cherché à faire améliorer le produit analytique des
services de renseignement et ainsi la qualité des décisions stratégiques ; mais qui
ont privilégié des outils qui réduisent l’espace des libertés individuelles, sans
augmenter significativement la sécurité des citoyens.
La fuite en avant des gouvernements occidentaux a conduit volens nolens à
une déstabilisation croissante du monde musulman. Ce phénomène est très
largement dû à notre incompréhension de la réalité islamiste – nous l’avons vu –
mais aussi à l’incapacité des services à détecter la désinformation qui guide le
plus souvent les décisions stratégiques des grandes puissances. Les exemples
abondent parmi lesquels la guerre des chiffres destinés à stigmatiser des
gouvernements afin de justifier des « interventions humanitaires ».
Au début 2007, Gérard Prunier, chercheur au CNRS, écrivait dans un article
du Monde Diplomatique que le conflit du Darfour avait déjà fait 400 000 morts
depuis 200345. En avril 2005, lorsque l’auteur est arrivé au début de la Mission
des Nations unies au Soudan (MINUS), comme chef du renseignement conjoint
de la Mission, et directement subordonné au représentant spécial du secrétaire
général des Nations unies, la communauté humanitaire parlait de 200 000 morts.
Donc, en 2 ans, malgré une absence quasi totale de combats, de batailles, de
massacres, avec un accès humanitaire globalement bon et un approvisionnement
sans accrocs des populations civiles, le nombre de morts avait « doublé » ! Or,
durant cette période, trois enquêtes sur la mortalité violente au Darfour – menées
par la MINUS avec le concours des organisations humanitaires, de la police des
Nations unies, des forces de la Mission de maintien de la paix de l’Union
africaine (AMIS), de diverses agences des Nations unies en été 2005, en hiver
2005 et au printemps 2006 – ont toutes montré un nombre de morts de l’ordre de
500 par année. Les rapports mensuels des Nations unies sur le Darfour
confirment une mortalité comprise entre 30 et 100 morts par mois entre 2004 et
201346, soit une mortalité assez proche de celle de New York entre 2004 et
200847.

D’où viennent donc ces 200 000 morts additionnels, qui ont été
largement utilisés pour accuser le Prési-dent Omar al-Bachir de
génocide ? Rappelons ici que le Soudan était l’un des 7 pays visés par le plan
américain de déstabilisation établi en 2001, mentionné plus haut.
Le même phénomène se produit aujourd’hui avec le Président Bachar al-
Assad.
Le gouvernement français a abondamment mentionné les quelque 55 000
photos de prisonniers torturés par le régime de Bachar al-Assad, copiées par
« César », pseudonyme d’un ex-agent qui aurait volé ces fichiers alors qu’il était
au service de la police de sécurité syrienne. Pourtant, malgré leur caractère
« irréfutable », selon les termes de Laurent Fabius, les documents posent
question. Publiées le 20 janvier 2014 par CNN et le Guardian, deux jours avant
l’ouverture des négociations de paix sur la Syrie à Genève, les photos sont
accompagnées d’un rapport48. Ce rapport, élaboré par le cabinet juridique
Carter-Ruck & Co à Londres, est financé par le Qatar, qui soutient l’opposition
syrienne djihadiste. Il affirme que les photographies représentent quelque 11 000
détenus des prisons du gouvernement syrien. Toutefois, une analyse plus
approfondie menée par Human Rights Investigations (HRI) démontre que 24 568
images représentent des militaires et des policiers syriens morts au combat. Les
28 707 photos restantes n’ont pu être vérifiées à ce jour par HRI, sauf pour 27
détenus, qui semblent avoir été effectivement torturés dans les geôles syriennes.
Mais là encore, des questions subsistent car un certain nombre de cas de tortures
avaient été externalisés en Syrie par les États-Unis avant 2011…
Dans cette guerre des chiffres et des horreurs, beaucoup de commentateurs
ont alors flairé la réédition de la source « Curveball », un transfuge irakien, dont
le témoignage avait été central dans la « décision » d’envahir l’Irak49. Si
effectivement des atrocités ont eu lieu, l’authentification des « preuves » et
surtout l’attribution des crimes à une des parties restent très sujettes à caution, et
ne devraient – en l’état – constituer une justification pour entrer en guerre. Cela
ne signifie pas qu’il faut les ignorer, mais qu’il est difficile de les exploiter pour
porter des jugements catégoriques.
Comme pour les armes chimiques de 2013, les échantillons d’armes
chimiques irakiennes de 2003, les incubateurs de 1990, les services de
renseignement restent trop souvent passifs devant ces informations, qui sont
lancées « gratuitement» en appui à des fins de détournement du droit
international.

« Intelligence-led Operations »

Dans un état-major, la fonction du renseignement est d’apporter des éléments


de connaissance indépendants et de fournir une image de la situation la plus
objective possible au décideur militaire ou civil. Cette « image »
(renseignement) est le résultat d’un processus analytique et est configurée pour
répondre au besoin effectif du décideur. Le renseignement constitue donc un
élément central de la décision, puisqu’il concerne l’adversaire et
l’environnement de l’action.
Dès lors que le renseignement s’attache à altérer cette image, il prend le
risque de pousser le décideur dans une direction qui n’est pas souhaitable. C’est
la raison pour laquelle les services de renseignements doivent faire preuve de la
plus grande rigueur intellectuelle.
Le processus qui aboutit à la production du renseignement peut être
relativement long. C’est ainsi que, dans un effort pour raccourcir l’intervalle de
temps entre l’acquisition d’informations et l’action, a émergé le concept anglo-
saxon d’« opérations fondées sur le renseignement » (Intelligence-led
Operations). Il s’agit en réalité d’un pléonasme, puisqu’on imagine mal une
opération militaire qui ne s’appuierait pas sur une représentation de l’adversaire.
Mais cette terminologie tend à suggérer que le renseignement génère ses propres
décisions, indépendantes du processus décisionnel principal.
Ce glissement progressif du renseignement vers un rôle plus opérationnel
témoigne ainsi de la faiblesse croissante de l’analyse stratégique sur le
terrorisme. Entre autres conséquences, alors que le rôle du renseignement devrait
se situer en amont de la décision, on constate que les services semblent de plus
en plus devenir des acteurs autonomes en aval de la décision. Il s’agit d’un
retour à une forme d’engagement proche de ce que les services américains,
britanniques et fran-çais pratiquaient lors de la Seconde Guerre mondiale. Sous
un angle systémique, on pourrait schématiser cette situation en disant que les
services sont alors en mesure de modifier eux-mêmes l’environnement qu’ils
analysent. La différence avec la Seconde Guerre mondiale est qu’aujourd’hui,
dans un contexte asymétrique, les conséquences des actions des services peuvent
être dramatiques.

Les drones – Une nouvelle forme de terrorisme ?

En 1998, le Président Bill Clinton avait signé un « presidential finding50 »


classifié autorisant la CIA à utiliser la force de manière clandestine pour éliminer
Oussama ben Laden. Pourtant, l’Ordre Exécutif 12 33351, signé par le Président
Ronald Reagan en 1981 et qui définit les rôles et missions de la communauté du
renseignement américain, stipule qu’« aucune personne employée ou agissant au
nom du Gouvernement des États-Unis ne sera engagée, ou ne conspirera pour
être engagée dans des assassinats », formalisant ainsi une politique déjà établie
par le Président Gerald Ford en 1976. Mais de nombreux juristes américains
justifient le recours à l’assassinat en avançant qu’une directive présidentielle n’a
pas valeur de loi (elle peut en effet être modifiée ou annulée par un autre ordre
exécutif) et par le principe de la « guerre juste » qui préconise que l’élimination
de personnalités adverses permet d’épargner la vie de nombreux innocents.
Le problème est que, dans un contexte asymétrique islamiste, l’assassinat de
dirigeants n’a pas d’effets dissuasifs. Il n’affaiblit pas nécessairement le groupe
terroriste et permet aux hiérarchies terroristes de se renouveler beaucoup plus
rapidement, et d’adopter de nouvelles méthodes et doctrines. C’est ce qui s’est
passé avec l’État islamique, qui ne serait peut-être jamais apparu dans sa forme
actuelle si Abou Moussab al-Zarkawi n’avait pas été éliminé par les Américains.
En outre, les éliminations extrajudiciaires légitiment la violence et le terrorisme,
comme en témoigne le magazine Inspire de la Base du Djihad dans la péninsule
arabique :

[L’assassinat de dirigeants des incroyants civils et


militaires] est l’un des arts les plus importants du terrorisme et
l’un des types d’opérations les plus avantageuses et les plus
dissuasives. Ce sont des méthodes également utilisées par les
ennemis d’Allah. La CIA a l’autorisation du gouvernement
américain pour assassiner des présidents, si cela est dans
l’intérêt national des États-Unis, et ils l’ont utilisée plus d’une
fois. Dans la CIA, il y a un département spécial pour cela ! Par
conséquent je ne sais pas pourquoi on nous empêche de le
faire52 ?

L’accroissement du rôle opérationnel des services de renseignement s’est


traduit par un recours toujours plus grand à leurs moyens pour éliminer des
individus. Pour de nombreux pays, Israël et États-Unis en tête, ces exécutions
sont le plus souvent effectuées par des drones.
Or, il est important de comprendre que ces exécutions s’effectuent rarement
sur la base d’une identification positive des individus (comme tendent à le
suggérer les films et séries télévisées), mais sur la base de comportements
mesurés à partir des données fournies par les téléphones portables ou autres. En
d’autres termes, c’est le téléphone portable qui est la cible et non pas l’individu,
sur la base d’un certain nombre d’appels dans des zones données, d’une durée
donnée, avec des individus donnés. Depuis 2012, la CIA et l’US Joint Special
Operations Command (JSOC) américains sont ainsi autorisés à mener des
frappes sur des individus qu’ils n’ont pas identifiés, et sont simplement visés en
fonction de la nature de leurs empreintes53. Ceci explique qu’en janvier 2015, un
drone américain a tué deux otages d’« Al-Qaïda » au Pakistan, qui n’avaient
même pas été détectés malgré plusieurs « centaines d’heures de surveillance »,
lors d’une frappe de la CIA, où les cibles visées n’ont pas même été touchées54.
Le ciblage dit « signature-based » (littéralement : « basé sur la trace
numérique ») utilise les « métadonnées » collectées par les services de
renseignement, combinées à des « profils » caractéristiques établis par des
algorithmes mathématiques censés représenter le comportement-type de
terroristes. Ainsi, pour simplifier, un téléphone qui se connecte fréquemment
avec des téléphones soupçonnés d’appartenir à des terroristes ou situés dans des
zones où se situent des terroristes, sera considéré comme appartenant à un
terroriste. Le téléphone ciblé par un drone ne prend pas en considération qui est
l’utilisateur actuel du téléphone ou qui est autour de lui (par exemple son épouse
ou un parent).
Par ailleurs, il faut également comprendre que, contrairement à ce qui se
passait dans les années 60-80 avec des écoutes téléphoniques, où l’on plaçait des
« bretelles » sur des lignes spécifiques, les « écoutes » sur les réseaux
numériques nous concernent tous. En effet, les « lignes » téléphoniques sont des
fréquences électromagnétiques (ou des canaux dans des fibres optiques)
partagées simultanément par des milliers d’usagers, dont les communications
sont découpées et insérées, un peu comme dans une fermeture-éclair, à d’autres
communications. Cette caractéristique, que l’on retrouve à la fois dans les
communications satellitaires, les téléphones portables et l’Internet, impose aux
services de renseignement de littéralement « ramasser » tout ce qui se trouve
dans l’espace électromagnétique, pour recoller ensuite les bribes de
communications et reconstituer des messages, afin de détecter d’éventuelles
activités terroristes. Ce travail est effectué par des ordinateurs, et concerne donc
l’ensemble des usagers et pas uniquement les personnes surveillées. En d’autres
termes, donner le pouvoir aux services de renseignement de surveiller les
communications sans mandat spécifique signifie que tous les citoyens, les
entreprises, les hauts fonctionnaires, les hommes politiques, les avocats, les
parlementaires, etc. auront leurs communications automatiquement enregistrées ;
tandis que l’usage qui en est fait sera couvert par le « secret-défense », donc hors
de contrôle des intéressés.
L’enjeu est donc considérable, mais souvent très mal compris du citoyen,
comme en a témoigné l’affaire Snowden, qui avait dévoilé le scandale aux États-
Unis, et qui a conduit la Cour suprême à déclarer illégales les activités d’écoute
en masse de l’agence55.

Comme devait l’avouer l’ex-chef de la National Security Agency


(NSA) et de la Central Intelligence Agency (CIA), le général Michael
Hayden :
« Nous tuons sur la base de métadonnées56 ! »
En d’autres termes, on tue un peu à l’aveugle avec une méthode qui est de
manière inhérente imprécise et qui crée des dommages collatéraux. En moyenne,
selon des documents secrets américains dévoilés en 201557, le nombre de
victimes collatérales atteint environ 90 % des engagements. Selon le Bureau of
Investigative Journalism (BIJ), entre 2009 et 2014, les actions des drones
américains au Pakistan (pays qui n’est pas en guerre avec les États-Unis) ont tué
quelques 2379 personnes, dont seules 84 ont été identifiées comme appartenant à
« Al-Qaïda ». En clair, 4 % seulement des victimes relèvent de la lutte contre le
terrorisme, les 96 % restants sont au mieux des sympathisants inconnus et au
pire des innocents58. Ainsi, l’élimination du terroriste algérien Mokhtar
Belmokhtar59 par un raid aérien américain60 sur la ville libyenne d’Ajdabyia, le
14 juin 2015, célébrée comme une victoire dans les médias61, s’est avérée 5
jours plus tard être une fausse information62 mais les victimes, elles, sont bien
réelles, et il n’y aura aucune excuse ou dédommagement pour elles.
Comme la campagne d’Irak l’avait montré, le renseignement électronique,
qui constitue traditionnellement une source essentielle d’information, devient
extrêmement peu utile dans un environnement qui a compris comment y
échapper, et doit être complété par du renseignement d’origine humaine, sous
peine de générer des victimes collatérales nombreuses.
Durant les 5 premières années de la présidence de Barack Obama, les États-
Unis ont mené 8 fois plus de raids de drones que durant toute la présidence de
Georges Bush, mais ces attaques ont également réduit de moitié le nombre de
civils tués à chaque frappe63. Les chiffres sont pourtant trompeurs. En réalité,
l’insistance du Président Obama pour épargner les civils lors de ces frappes ne
s’est pas traduite par un changement dans les procédures et modes d’action, mais
simplement par une manière différente de compter les victimes. Ainsi, les États-
Unis considèrent que tous

[…] les mâles en âge d’être combattants dans une zone de


frappe sont des combattants, sauf si on peut démontrer
explicitement de manière posthume qu’ils ne l’étaient pas64.

À ceci s’ajoutent des procédures parfois discutables sur le choix des cibles.
Aux États-Unis, les frappes de drones sont exécutées par deux entités
principales : l’US Air Force et la Central Intelligence Agency (CIA). Lorsqu’elle
est effectuée par les militaires, la sélection des cibles (« targeting ») obéit à des
critères et des procédures strictes, transparentes (même si elles sont classifiées)
et faisant l’objet de contrôles sévères. Il en va autrement des frappes de la CIA,
qui applique des procédures de ciblage dont le processus est totalement opaque,
et – comme cela est déjà arrivé – peut être effectué par un simple contractant
sans aucune supervision. Lorsque l’on est dans une zone de combat où des forces
nationales sont engagées, la définition des combattants – et donc des cibles – est
une tâche relativement justifiable légalement. Il en va autrement sur des théâtres
d’opérations qui ne sont pas des zones où les forces (occidentales) combattent :
il est alors plus difficile de justifier le choix des cibles par une « menace
imminente » ou d’en faire un cas de « légitime défense ». Dès lors, les
éliminations sont simplement une manière détournée d’appliquer la peine de
mort sans jugement préalable. Aux États-Unis, l’élimination de Sheikh Anwar
al-Awlaki65, un citoyen américain, radicalisé après l’invasion de l’Irak, et abattu
par un drone américain le 30 septembre 2011, a été l’occasion d’un débat sur la
question des exécutions extra-judiciaires.
La même question se pose pour un pays qui utiliserait les ressources d’un
autre pays afin d’éliminer un individu, comme la France, qui utilise
apparemment aussi les services de drones américains pour supprimer des
terroristes, comme cela a été le cas en Somalie pour l’élimination d’Ahmed Abdi
Godane d’al-Shabaab en septembre 2014.
Aux États-Unis, on notera que l’usage de la force létale contre des terroristes
– et a fortiori contre des terroristes de nationalité américaine – est généralement
justifié par le caractère « imminent » de la menace. Cette notion suggère deux
choses : que l’action terroriste est proche dans le temps et que l’on dispose d’un
faisceau d’indices qui le confirment. Or, malgré leurs ressources considérables,
les services de renseignement américains ne sont pas en mesure de détecter
l’imminence d’une attaque, ce qui implique que l’élimination d’un terroriste au
Pakistan serait légalement virtuellement impossible. Mais c’est évidemment sans
compter sur le fait que le Président Obama est un juriste ! En février 2013, la
chaîne de télévision NBC News a rendu public un « Papier Blanc » du
département de la Justice, qui fournit les interprétations nécessaires à l’usage de
la « force létale » contre des citoyens américains associés à « Al-Qaïda », et qui
redéfinit le mot « imminent ». Ainsi, en application de la « Doctrine du 1 % », le
département de la Justice considère que la nature même d’un groupe terroriste
fait que ses actions peuvent toujours être considérées comme imminentes. Dès
lors :

La menace imminente d’une attaque violente contre les


États-Unis n’exige pas de la part des États-Unis d’avoir la
preuve qu’une attaque spécifique contre des personnes ou des
intérêts américains va se dérouler dans le futur immédiat66.

En France, si les drones sont également utilisés à des fins d’élimination, on


continue – héritage de la Seconde Guerre mondiale oblige – à utiliser les
services spéciaux. L’avantage de la méthode, si elle est plus risquée, est de
minimiser les effets collatéraux. Selon le journaliste Vincent Nouzille67, le
président Hollande est le président de la Ve République qui recourt le plus aux
opérations clandestines pour éliminer physiquement des individus par le Service
Action de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) (opérations
HOMO).
Ainsi, dans le même ordre d’idée, durant la nuit du 8 au 9 octobre 2015, les
Rafales de l’Armée de l’air française frappent Raqqa, en Syrie, considéré comme
abritant le quar-tier-général de l’État Islamique et – selon la presse68 – tuent 6
ressortissants français. La question est alors soulevée de savoir si ces frappes
sont une manière déguisée d’appliquer la peine de mort. Pour certains, on se
situe dans une guerre ; ces éliminations interviennent dans le cadre d’un combat
entre adversaires, et sont donc légitimes.
Mais il faudrait pour cela que l’on puisse déterminer que ces terroristes sont
effectivement en train de planifier une action contre la France. Or nous ne
sommes pas en mesure de le déterminer. Que les attentats de Paris aient servi les
intérêts des Djihadistes est une cause entendue. Quant aux activités de
planification, d’organisation et de préparation, malgré les affirmations
péremptoires du Premier ministre français, il semble qu’elles se sont déroulées
sur les sols fran-çais et belges avec un financement participatif. Dès lors, la
justification par la « légitime défense » pour aller bombarder en Irak et en Syrie
apparaît bien fragile.
De même, le programme d’éliminations ciblées au Yémen (2002-2016) a été
l’objet de vives critiques aux États-Unis. Pour plusieurs raisons. En premier lieu,
il est difficile de le justifier par un impératif de légitime défense, du fait que le
Yémen ne menace pas les États-Unis et que les deux pays ne sont pas en guerre.
En deuxième lieu, parce que les cadres éliminés sont très rapidement remplacés
et les capacités opérationnelles des Djihadistes ne semblent pas en être affectées.
En troisième lieu, parce que – selon une étude du Centre d’études stratégiques de
l’université de Jordanie, en coopération avec les universités américaines de
Princeton et du Michigan69 – cette forme d’implication des États-Unis dans la
région justifie, pour 73,5 % des Yéménites interrogés, le fait de frapper des
Américains partout dans le monde.
Sur le plan stratégique, il est certain que ces frappes touchent des terroristes
et c’est un gain tactique. Mais dans un contexte asymétrique, ces éliminations
sont en fait une consécration pour les victimes (en l’occurrence, les terroristes) –
qui y voient l’aboutissement de leur engagement pour leur foi – et deviennent
une source de radicalisation pour les survivants et les familles de ceux qui ont
été indûment frappés. Ainsi, punir un individu signifie également générer du
terrorisme. C’est ici que le renseignement stratégique trouve sa vraie utilité, pour
éclairer les décideurs sur les mécanismes fondamentaux du terrorisme, afin
d’anticiper – compte tenu des faits, des individus, de leur passé, de leur
caractère, de leur environnement politique, etc. – les conséquences possibles des
décisions prises, et d’évaluer le gain ou le coût stratégique d’éliminer un ou des
individus.

Le renseignement – juge et partie

Dès lors qu’il définit qui est la menace et qu’il a la liberté de la neutraliser,
un service de renseignement devient juge et partie, et les risques de
compromission et de corruption sont importants. En effet, les services peuvent
alors créer eux-mêmes les conditions qui leur permettent d’intervenir. Et ce n’est
plus de la fiction !
Une étude de Human Rights Watch de 201470 constate que les principales
opérations terroristes mises à jour aux États-Unis impliquent des agents du
gouvernement71 ! Suivant une pratique qui a été développée pour la lutte contre
la drogue – qui autorise des agents infiltrés à inciter des criminels potentiels à
accomplir des actes illégaux afin de les prendre « la main dans le sac » –, la
police américaine et le FBI ont engagé plus de 15 000 informateurs et infiltrés,
qu’ils utilisent pour générer des actes terroristes et arrêter ensuite les coupables.
Une pratique qui a conduit en prison des individus relativement simples d’esprit,
qui n’avaient à l’origine aucune intention de mener des actions violentes, qui ne
constituaient aucune menace pour la sécurité nationale, souvent sans emploi, à
s’engager dans des opérations qui ne leur seraient même pas venues à l’esprit,
mais à qui on a fait miroiter une somme d’argent pouvant aller jusqu’à un quart
de million de dollars72. Dans certains cas, le FBI a fourni des explosifs et armes
factices à l’apprenti-terroriste, qui n’aurait en aucun cas été une menace pour qui
que ce soit, ce qui n’a pas empêché qu’il soit condamné à 25 ans de prison.
Jusqu’en 2012, sur 22 tentatives d’attentat jugées aux États-Unis, 14 – soit deux
tiers – avaient été provoquées par le FBI73 !
L’un des plus récents exemples de ces « attentats », organisés par le FBI est
l’arrestation, très opportune, le 30 décembre 2015, d’Emanuel Lutchman, un
chrétien récemment converti à l’islam et sujet à des troubles psychiques. Il a été
attiré dans un complot par des informateurs du FBI et toute la préparation de
l’« attentat » – y compris l’achat de la machette et de la cagoule qu’il devait
utiliser – avait été effectuée par le FBI74!
Ainsi, aussi étrange et paradoxal qu’il y paraisse, le FBI est devenu le
principal organisateur d’attentats terroristes aux USA, avant même « Al-Qaïda »
ou l’État islamique75 !
Le rôle du renseignement dans la lutte contre le terrorisme tel qu’il s’est
développé depuis 2001 s’insère dans une dynamique qui réside dans un axiome :
« La sécurité ou la liberté individuelle. » On peut en effet concevoir que la
sécurité exige une présence un peu plus appuyée de l’État. Le problème est
qu’elle tend à placer lentement les forces de sécurité audessus des lois. Un
phénomène qui apparaît relativement clairement aux États-Unis et qui
commence à prendre pied en Europe.
On retrouve ainsi, de plus en plus, les caractéristiques des pays de l’Est
durant la guerre froide : un rétrécissement toujours plus grand de la sphère
privée au bénéfice de l’État, des restrictions toujours plus grandes à la liberté de
pensée, des restrictions naissantes à la liberté de religion, etc. On peut certes
accepter ces restrictions, mais il arrivera un jour où il sera difficile d’expliquer
les valeurs que l’on défend si on y renonce. Or, ce grignotage progressif des
valeurs qui font la démocratie crée une demande pour de nouvelles valeurs. Ce
débat, qui a commencé seulement à se développer aux États-Unis, notamment
après la publication du rapport sur l’usage de la torture (que nous verrons plus
loin), est encore totalement inexistant en France, où il est occulté par un débat
politicien qui vise à lutter non pas contre le terrorisme, mais contre l’extrême
droite.

Le renseignement et la lutte contre le terrorisme

Au lendemain des attentats du 11 Septembre, les services de renseignement


américains ont immédiatement été cloués au pilori pour leur incapacité à prévoir
l’événement. Quinze ans plus tard, malgré un accroissement significatif des
moyens de renseignement dans tous les pays occidentaux, les mêmes critiques
restent valables.
On avait alors reproché aux services américains d’avoir délaissé le
renseignement humain au profit des systèmes de collecte technique. Or, s’il est
manifeste qu’un renseignement humain plus dense aurait été nécessaire, il est
inexact de prétendre qu’il avait été délaissé. Dès la fin de la guerre froide, les
services de renseignement américains ont reporté leur attention dans un premier
temps sur la lutte contre la criminalité organisée ainsi que contre les trafics de
stupéfiants, de matières premières et de matières nucléaires. L’infiltration de ces
réseaux complexes et entrelacés a nécessité le recrutement accéléré d’agents de
groupes ethniques spécifiques, d’origine asiatique et latino-américaine dès le
début des années 90. Dans un deuxième temps, après la guerre du Golfe, des
réseaux de renseignement ont été installés en Irak, afin de soutenir l’opposition à
Saddam Hussein.
En fait, le problème est que la nature des réseaux terroristes a changé. Depuis
la fin des années 90, le terrorisme islamiste est le fait de « micro-réseaux »
constitué par des « bandes de copains » ou des fratries, quasiment impossibles à
infiltrer. Même les familles de terroristes sont surprises de l’appartenance de leur
frère, fils ou cousin à des réseaux. Comme nous l’avons vu, la doctrine du
« Djihad individuel » ne fait que prôner une pratique déjà largement répandue,
qui se développe en-dessous du seuil de détection des services de renseignement.
La solution semble donc être un recours toujours plus marqué à la
surveillance des réseaux téléphoniques et dans le cyberespace. Mais les groupes
terroristes privilégient des systèmes de conduite simples et la communication
orale, en appliquant strictement le principe de « need-to-know » dans des
structures compartimentées, rendant l’accès à l’information souvent
impraticable.
Dans cet environnement, la lutte contre un problème commun, le terrorisme,
a resserré les liens entre les services de renseignements occidentaux. Les
instances et organes de concertation, de coordination, d’harmonisation des
services se sont multipliés depuis la fin des années 70, de telle sorte que la non-
détection d’un événement terroriste majeur représente davantage la faillite de la
coopération occidentale, que l’échec des services américains ou français seuls,
même s’ils ne sont pas exempts de dysfonctionnements. Le Système
d’information de Schengen (SIS), le Club de Berne76, le Groupe Kilowatt77 sont
quelques-uns uns des forums d’échange d’informations entre services dans le
domaine du terrorisme.
C’est donc l’insuffisance de tous les services occidentaux qui est en cause,
car aucun n’a été en mesure d’anticiper les attentats. On lit volontiers dans les
médias que les services de renseignement de plusieurs pays avaient informé les
services américains qu’une opération terroriste de grande envergure était en
préparation. Cela n’est que partiellement vrai, car en fait, aucun service n’a
réellement fait son travail, à savoir fournir du renseignement. Ils ont transmis des
informations qui, même mises bout à bout, n’étaient pas de nature à renvoyer
une image précise, et donc à prendre des décisions.
Comme 14 ans plus tard avec les attentats de Paris, les « avertissements »
fournis par certains services européens étaient généralement si vagues qu’ils ne
permettaient pas de prendre des mesures concrètes. Certes, avec le recul, il
apparaît que ces informations encadrent bien ces tragiques événements, mais
permettaient-elles réellement de les anticiper ? Le rapport des services de
renseignement britanniques en 1999, annonçant qu’Al-Qaïda envisageait
d’utiliser des « avions commerciaux » de « manière non conventionnelle »
« possiblement comme des bombes volantes78 », l’avertissement du 3 septembre
2001 adressé par le major-général Omar Suleyman, chef de l’Al-Mukhabarat al-
Ammah (renseignements généraux) égyptien au chef de station de la CIA au
Caire sur « l’état avancé de l’exécution d’une opération importante contre une
cible américaine79 », ou la note de la DGSE française datée du 5 janvier 2001,
dont l’existence est révélée par le journal Le Monde en 200780, seront
probablement intéressants pour les historiens, mais en 2001, avec quelque 11,5
millions de mouvements aériens par année sur les principaux aéroports
américains, des informations aussi peu précises étaient virtuellement
inutilisables pour prendre des mesures préemptives ou de protection concrète.
Trop souvent les services de renseignement (et le grand public) confondent
« prédiction » et « prévision ». La première résulte d’une intuition ou d’une
profession de foi (par exemple : « Le terrorisme augmentera ces 10 prochaines
années ! »), la seconde se base sur des faits (par exemple : « Le nombre de
volontaires étrangers en Syrie laisse supposer une augmentation des actes
terroristes ces prochaines années »). Cette confusion est souvent exacerbée par
l’absence d’informations solides sur les activités terroristes et le « besoin » de
créer une menace.
La fonction première des services de renseignement est d’anticiper le cours
des événements, afin d’aider les décideurs politiques, militaires, économiques et
autres, à prendre leur décision et à façonner leur stratégie. Or, par la nature des
choses, le renseignement ne peut (malheureusement pas) s’appuyer sur des
certitudes, en matière de prévision. Très rarement, les services disposent de
toutes les informations nécessaires à prévoir avec certitude un événement. Bien
plus souvent, ils disposent d’un faisceau d’indices et d’indicateurs, qui
permettent d’esquisser un certain nombre d’évolutions possibles auxquelles
certaines techniques et l’expérience des analystes garantissent attribuer une
probabilité de réalisation. Mais il ne peut y avoir ni de certitudes, ni
d’infaillibilité. Dès lors, un certain « risque » de la prévision doit être assumé
tant au niveau des services que des décideurs politiques.
Un des problèmes révélé par le 11 Septembre est la capacité des services
d’une grande communauté du renseignement à partager les informations
disponibles afin de les assembler en une image cohérente de la menace et propre
à prendre des décisions concrètes. Selon le rapport des commissions
parlementaires qui ont enquêté sur les pannes ayant précédé le 11 Septembre, si
tous les détails n’étaient pas alors effectivement connus, en revanche,
l’information disponible correctement assemblée aurait sans doute permis
d’accroître la vigilance et ainsi la probabilité d’éviter les attentats81.
La principale leçon du 11 Septembre est que l’anticipation de l’action
tactique est souvent impossible, ce qui donne à l’anticipation stratégique un rôle
déterminant. Autrement dit, s’il est quasi impossible de savoir ce qu’il y a dans
la tête du terroriste, on peut en revanche identifier les situations qui
encourageront les individus à devenir terroristes. La lutte contre le terrorisme ne
saurait donc se limiter à l’interception des terroristes. Mais doit s’effectuer en
amont par l’identification des points de rupture susceptibles de remettre en cause
la sécurité internationale. Ce travail est d’autant plus facile à effectuer que,
comme nous l’avons vu, pratiquement toutes les situations conflictuelles du
dernier quart de siècle ont été créées par les Occidentaux eux-mêmes.
En fait, dans les années 80, dans un environnement terroriste plus structuré,
il est vrai, une distinction plus nette existait entre les notions de « contre-
terrorisme » et d’« anti-terrorisme ». Le contre-terrorisme étant une entreprise
stratégique visant à lutter contre l’émergence du terrorisme, alors que
l’antiterrorisme était la partie opérationnelle et visait à combattre les terroristes.
Aujourd’hui, en grande partie parce que l’on continue à ne pas comprendre la
nature même du phénomène, ces deux notions sont utilisées comme synonymes
et – en dépit de ce que prétendent les organes de sécurité – il n’y a pas de travail
stratégique réel et la lutte contre le terrorisme se résume à des mesures de nature
opérationnelle. L’usage plus aisé de ressources stratégiques (comme l’imagerie
satellitaire ou le renseignement électronique sous des multiples formes) fait
croire que le problème est traité de manière stratégique. Il n’en est rien, car ces
ressources sont utilisées avec une finalité strictement opérationnelle et non pas
pour alimenter une stratégie d’action.

Guantánamo

Nous ne voulons pas entrer dans une discussion juridique détaillée des
problèmes liés à l’extra-territorialité de la base de Guantánamo, et leurs
conséquences sur les Droits de l’homme, qui sortent du cadre de cet ouvrage.
Nous nous concentrerons sur la gestion des activités de renseignement qui y ont
été menées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Relativement peu
d’information factuelle a transpiré sur son fonctionnement, et seuls quelques
articles ont rendu compte de l’inefficience et de l’inefficacité dans l’usage qui en
a été fait82.
Ici également, le dilettantisme a régné en maître derrière l’apparence d’une
mécanique bien rodée, et les Américains, dans leur esprit de revanche aveugle,
se sont engagés dans une voie qui leur a certainement plus coûté politiquement
et opérationnellement qu’elle ne leur a rapporté, à part, peutêtre, la satisfaction
des gardiens. Tout d’abord, il faut relever que les premiers pensionnaires du
« Camp-X » avaient combattu aux côtés des Taliban lors de l’intervention
américaine – illégale aux yeux du droit international – en Afghanistan. Il
s’agissait de simples combattants, parmi lesquels certains avaient été formés
pour combattre au Jammu-Cachemire, mais aucun n’avait été formé pour
combattre en Occident.
Un premier problème était la question de la finalité de ce camp de détention.
Pour les diverses agences de renseignement qui géraient les prisonniers – le
Federal Bureau of Investigation (FBI) du département de la Justice, la Central
Intelligence Agency (CIA) dépendant du Président, et la Defense Intelligence
Agency (DIA) du département de la Défense – il s’agissait d’une installation
permettant de regrouper des individus porteurs d’informations. Pour l’US
Southern Command (US SOUTHCOM) responsable de la gestion de la base, il
s’agissait d’une installation abritant des prisonniers, dont le traitement devait
être conforme à un certain nombre de règles (notamment l’interdiction de
l’usage de la torture).
Le statut des prisonniers capturés en Afghanistan et détenus à Guantánamo
est un exemple d’inadéquation des bases juridiques de la lutte contre le
terrorisme, de l’absence de séparation des pouvoirs aux États-Unis ainsi que
l’absence de respect du droit international et humanitaire par les ÉtatsUnis,
puisqu’ils ont refusé aux captifs le traitement de prisonniers de guerre83. Selon
Donald Rumsfeld, alors secrétaire à la Défense, ces détentions devaient avoir un
effet préventif :

Détenir des combattants ennemis […] peut nous aider à


prévenir des futurs actes de terrorisme. Cela peut sauver des
vies et je suis convaincu que cela peut accélérer [notre]
victoire84.

Or, ces détentions semblent n’avoir prévenu aucune action terroriste85.


Depuis l’ouverture du camp le 11 janvier 2002, au total, 779 prisonniers ont été
incarcérés à Guantanamo, dont le plus jeune avait 13 ans et le plus âgé 89 ans.
Selon les données du gouvernement américain, 92 % d’entre eux n’étaient pas
liés à « Al-Qaïda », 21 étaient des enfants, et 9 sont morts en détention. En fait
seuls 5 % des prisonniers ont été capturés par les forces américaines et 86 % ont
été livrés par des pays alliés des États-Unis, des seigneurs de la guerre afghans et
des chasseurs de primes pakistanais contre paiement. En janvier 2016, 91 y sont
encore incarcérés, dont 3 qui ont été reconnus coupable d’un crime, 45 sont
« considérés comme dangereux et non libérables », même si aucune charge ni
aucune preuve ne pèse sur eux, et 32 qui ont été libérables… mais ne sont pas
libérés86, car les Américains ont trop peur que ces individus, innocents, mais
torturés et privés de liberté pour rien, ne se retournent contre eux…
En d’autres termes, la majorité de ces prisonniers, incarcérés sans égard au
droit international, étaient innocents des crimes dont on les accusait. Certains
prisonniers, comme Abdullah Kamel Al Kandari, ont été arrêtés et incarcérés
pour le simple « crime » de posséder une montre numérique Casio F91W
(modèle réputé favori des artificiers d’« Al-Qaïda »), avant d’être libérés après
plusieurs années d’incarcération sans qu’aucune charge ne soit retenue contre
eux ! Selon un rapport confidentiel de département de la Défense environ 1
prisonnier libéré sur 7 a pris les armes contre les Américains87. Leur histoire
continue à alimenter la propagande islamiste pour le recrutement de nouveaux
combattants.
En revanche, dans le contexte d’un conflit asymétrique, dont la légitimité
constitue le noyau, de tels traitements peuvent favoriser la légitimité des
terroristes.

La conduite de la guerre

Après l’attaque américaine en Irak, en 2003, on a accusé les services


américains de ne pas avoir eu les informations sur les armes de destruction
massive irakienne. C’est faux. Les services américains savaient exactement de
quoi il retournait.
Là aussi, toutefois, il a fallu tricher. On a ainsi détourné le caractère non
partisan du renseignement pour en faire un instrument d’influence. Peu après le
11 Septembre, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a créé au Pentagone
l’Office des plans spéciaux (OSP), une sorte de petit organe d’analyse sous son
contrôle direct, destiné à produire les éléments de renseignement de nature à
soutenir la décision d’une intervention militaire. Il s’agissait de la réponse du
ministre de la Défense au manque de preuves fournies par la CIA pouvant
incriminer l’Irak, l’OSP devait fournir des analyses sur les « intentions hostiles
de l’Irak et ses liens avec le terrorisme […] qui auraient été négligés88 » par la
CIA. De fait, la CIA s’est attachée à démontrer l’absence de liens entre l’Irak et
le terrorisme. Juste après le 11 Septembre, un rapport journalier au Président
(President’s Daily Brief ou PDB), qui était un rapport alors coordonné par la
CIA sur la base d’informations de l’ensemble de la Communauté du
renseignement (Intelligence Community), soulignait l’absence de liens entre les
attentats et l’Irak89.
Au sein de l’OSP, un petit groupe confidentiel d’analystes triés sur le volet –
également connu sous le sobriquet de « Cabale » ou « Cabale de Wolfowitz » –
informait directement et exclusivement le secrétaire à la Défense et son sous-
secrétaire, Paul Wolfowitz. Relayant à Donald Rumsfeld, sans réel filtre, les
informations fournies par l’opposition irakienne, la « Cabale » est, en outre, à
l’origine de diverses opérations de désinformation, comme l’affaire de l’uranium
du Niger.
Les enquêtes des commissions parlementaires américaines, menées dès 2002,
sur les pannes du renseignement, ont montré que l’un des éléments déterminants
de l’échec des renseignements était l’absence de stratégie globale de lutte contre
le terrorisme et l’incapacité du Director of Central Intelligence (DCI) à gérer
l’ensemble des ressources de la Communauté du renseignement contre cette
menace. En outre, l’accumulation des priorités et des besoins en renseignements
rendait difficile la planification de l’engagement des ressources du
renseignement américain, tandis que les mécanismes de financement et les
processus administratifs de libération des moyens étaient trop lourds et
insuffisamment réactifs pour des menaces aussi multiformes que le terrorisme.
En revanche, absorbés qu’ils étaient à justifier une intervention, ils n’ont pas
su évaluer l’importance du communautarisme, de la résistance de la population
et leurs conséquences sur l’unité nationale.
Le rôle premier des services de renseignement est… de renseigner.
L’affirmation semble triviale, mais elle ne l’est pas. En premier lieu, pour des
raisons culturelles. En France, le renseignement est vu comme indissociable de
« l’action » : héritage de la Seconde Guerre mondiale, il est compris et utilisé
comme un outil d’influence et d’action ; avec pour conséquence des capacités
analytiques modestes. En Allemagne, le renseignement a toujours fait la part
belle à l’analyse. C’est au chef du renseignement allemand de la Première
Guerre mondiale, le colonel Walther Nicolaï, que l’on attribue la maxime
« Nachrichtendienst ist Herrendienst » (« Le service de renseignement est le
service des seigneurs »). Travaillant de manière méthodique, les services
allemands sont sans doute les mieux armés pour affronter les défis actuels. Aux
États-Unis, la rivalité entre l’analyse et l’action tend à varier en fonction des
présidents et des coordinateurs du renseignement national90. En Israël, le
renseignement est fortement idéologique, et a toujours privilégié l’action, et ce
dans un contexte sécuritaire : ceci explique sa légendaire capacité à localiser et à
éliminer des terroristes. Ses aptitudes analytiques, d’anticipation des menaces
stratégiques et de compréhension des logiques terroristes sont intrinsèquement
bonnes, mais sont trop souvent « étouffées » par la politique et l’idéologie.
En second lieu, la complexité des facteurs qui influencent le terrorisme
moderne, et la tentation de vouloir prévenir chaque attentat individuellement, ont
poussé les services de renseignement à mettre l’accent sur l’accumulation de
données en instituant une surveillance toujours plus étendue sur les citoyens.
Ainsi, les services de renseignement, dont la fonction primaire est précisément
de « renseigner », sont progressivement devenus incapables de le faire, et ont
mis l’accent sur « se renseigner ».
Ce phénomène touche l’ensemble des services de renseignement
occidentaux. La surévaluation des capacités des services de renseignement
américains par leurs homologues européens a largement contribué à écarter une
approche critique de leurs affirmations. Ainsi, en février 2003, lors de la session
du Conseil de sécurité des Nations unies où le secrétaire d’État américain Colin
Powell énumérait les infractions de l’Irak justifiant une intervention militaire,
aucun pays européen n’a été en mesure d’apporter des éléments de
renseignement qui auraient permis d’infirmer les allégations mensongères des
États-Unis. Pas même la France, qui n’a pu s’appuyer que sur les qualités
rhétoriques de son ministre des Affaires étrangères de l’époque, Dominique de
Villepin, et n’a pas présenté d’éléments concrets pour contrer les affirmations
américaines.
Au lieu de stimuler les capacités d’analyse en amont des décisions,
l’insuffisance des capacités d’anticipation des services de renseignement,
provoquera une fuite en avant pour tenter d’entrer dans « l’intimité » des
terroristes potentiels. Cette évolution conduira à divers abus, dont la pratique de
la torture aux États-Unis, mais avec le soutien de très nombreux pays européens,
qui combattent le terrorisme au nom de valeurs universelles !

La torture – Erreur tactique et trahison stratégique

Le terrorisme, comme son nom le suggère, cherche son effet à travers les
émotions, et l’Occident y a répondu de manière émotionnelle. Une peur
irrationnelle, basée sur une absence totale d’analyse du phénomène terroriste, a
conduit l’Occident à se retrancher derrière des murailles sécuritaires.
Aux États-Unis, en plus de la peur, est né un sentiment de revanche quasi-
animal, qui s’est traduit principalement par l’intervention en Afghanistan et en
Irak, mais aussi par une gesticulation sans aucun effet sécuritaire, mais qui pèse
lourd dans les relations entre cultures. La torture, telle qu’elle a été utilisée par
l’armée et la CIA américaines, en est un exemple.
Le 7 février 2002, Georges W. Bush signe un ordre exécutif qui dégage les
Etats-Unis de leurs obligations internationales en vertu des Conventions de
Genève :

Je décide qu’aucune des dispositions [des Conventions] de


Genève ne s’applique à notre conflit avec Al-Qaïda, en
Afghanistan ou ailleurs dans le monde car, entre autres
raisons, Al-Qaïda n’est pas une partie contractante [des
Conventions] de Genève […] J’ai l’autorité, en vertu de la
Constitution, de suspendre [les Conventions de] Genève entre
les Etats-Unis et l’Afghanistan […] L’Article 3 [des
Conventions] de Genève ne s’applique ni à Al-Qaïda, ni aux
Taliban, parce que, entre autres raisons, le conflit en question
est de nature internationale et l’Article 3 « est applicable aux
conflits armés non internationaux » uniquement […] Je décide
que les détenus Taliban91 sont des combattants illégaux et
donc, ne peuvent prétendre au critère de prisonnier de guerre
selon l’Article 4 [des Conventions] de Genève. Je remarque
que du fait que [des Conventions] de Genève ne s’applique pas
à notre conflit avec Al-Qaïda, les détenus d’Al-Qaïda eux non
plus ne peuvent être considérés comme prisonniers de
guerre92.

Le même jour, il décide la mise en place du système des prisons secrètes de


la CIA, dont la première sera opérationnelle dès mars 2002 en Thaïlande93. Il
s’agissait de prisons dans lesquelles la CIA sous-traitait les activités de torture
qu’elle ne pouvait pratiquer sur le territoire américain. Relevons ici que le
PATRIOT Act autorise l’utilisation d’aveux obtenus sur la torture si ceux-ci sont
obtenus à l’étranger. Ainsi, plusieurs pays européens contribueront au
programme américain en laissant le libre passage aux avions de la CIA qui
convoyaient les prisonniers, et d’autres – forts de leur expérience de l’époque
communiste, comme la Pologne et la Roumanie – ont pratiqué la torture pour
plaire, cette fois-ci, aux Américains.
Rappelons qu’il existe deux formes fondamentales de torture : la torture à
caractère punitif et la torture destinée à obtenir une information ou une action du
supplicié.
La première n’a aucun rapport avec le renseignement. Elle est fréquemment
rencontrée en Amérique latine et en Afrique, où elle est un moyen d’humilier le
« vaincu » par des traitements dégradants (souvent à connotation sexuelle) et
prend souvent la forme d’un tragique et stupide jeu sadique.
La seconde peut avoir des objectifs divers, parmi lesquels la collecte
d’informations. Elle est appliquée de manière « plus froide » et est généralement
orientée vers un résultat opérationnel et non sur l’assouvissement de fantasmes
personnels.
Pour l’obtention de renseignements, il y a deux principales méthodes de
torture, qui peuvent évidemment être combinées :
- Les méthodes coercitives (usage de la douleur physique) et les méthodes de
privation sensorielle (torture psychique), qui ont été développées aux États-Unis
et en Grande-Bretagne durant les années 60, et ont été utilisées en Irlande du
Nord par l’armée britannique. Issues de la recherche en matière de psychologie
et de science du comportement, ces techniques d’interrogation sont basées sur la
désorientation du prisonnier en manipulant ses perceptions sensorielles, et sont
très efficaces. Ces méthodes n’utilisent pas de violence physique mais des
variations de sons et de lumière pour déstabiliser et désorienter le détenu et le
rendre plus coopératif.
L’examen des tortures infligées aux prisonniers afghans et arabes détenus par
les Américains montre non seulement que les techniques utilisées étaient plus
primitives et moins efficaces que celles des Britanniques en Irlande du Nord, 40
ans plus tôt, mais également que leur manière d’utiliser la torture avait un
caractère punitif et de revanche personnelle. Ceci est confirmé par la
Commission d’enquête du Sénat américain sur le Programme d’interrogation et
de détention, qui constatait que la torture avait même été pratiquée dans des cas
où l’on savait qu’elle était inutile !

Abu Ghraïb

Les actes révélés par la presse en avril 2004 sur les traitements infligés par
les forces armées américaines aux prisonniers irakiens dans la prison d’Abou
Ghraïb à Bagdad, avaient – en réalité – pour objectif de « préparer » les
prisonniers à des interrogatoires non coercitifs. Toutefois, dans l’esprit et dans la
manière de faire, ils s’apparentent davantage aux tortures « sadiques » telles
qu’elles sont pratiquées dans le tiers-monde et qui cherchent à avilir l’ennemi.
Le rapport SECRET établi par le major-général Antonio M. Taguba et publié en
mai 2004 indique clairement :

[J’observe :] Qu’entre octobre et décembre 2003, dans


l’établissement d’isolement d’Abou Ghraïb, de nombreux
incidents impliquant des sévices sadiques, flagrants et gratuits
infligés sur plusieurs détenus. Ces maltraitances systémiques et
illégales des détenus ont été perpétrées intentionnellement par
plusieurs membres des surveillants de la Police Militaire94
[…]

Ainsi, le fait d’avoir d’une part rejeté l’application des Conventions de


Genève aux prisonniers et d’autre part le fait d’avoir établi un lien entre la guerre
contre l’Irak et la lutte contre le terrorisme a ici clairement créé une
« légitimité » pour la menée d’interrogatoires contraires aux lois internationales
et aux valeurs occidentales en Irak. Cela illustre, une fois de plus, le manque de
vision stratégique américaine dans un contexte djihadiste.
Ainsi, la décapitation de Nicolas Berg, montrée sur un website islamiste le
11 mai 2004, est une évidente réponse aux pratiques américaines, ainsi que
l’exprime un des terroristes avant la mise à mort :

Pour les mères et femmes des militaires américains, sachez


que nous avons demandé à l’administration américaine
d’échanger ces otages avec des détenus à Abou Ghraïb et ils
ont refusé. Ainsi, la dignité des hommes et des femmes
musulmans d’Abou Ghraïb ne sera restaurée que par le sang
[…] Al-Qaïda a-t-elle besoin d’autres excuses ? Et comment
un musulman libre peut-il dormir confortablement en voyant
l’Islam être massacré et sa dignité bafouée95 ?

Ainsi, les techniques de torture utilisées par l’armée américaine, destinées à


humilier les prisonniers, en plus d’avoir déshonoré l’ensemble des forces
américaines et la mémoire de ceux qui se sont loyalement battus, n’ont fait que
stimuler l’activité terroriste, voire lui donner une légitimité !
Amy Goodman, interrogateur américain qui a mené quelque 300
interrogatoires en Irak en 2006, écrivait 2 ans plus tard :
Il n’est pas exagéré de dire qu’au moins la moitié de nos
pertes et de nos blessés [en Irak] ont été le fait de
[combattants] étrangers qui ont rejoint la lutte à cause de
notre politique de traitement des prisonniers. Le nombre de
soldats US qui sont morts à cause de notre politique de torture
ne sera jamais définitivement connu, mais il est raisonnable de
dire que ce nombre avoisine le nombre de vies perdues le 11
Septembre. Comment peuton prétendre que l’usage de la
torture permet de protéger les Américains – sauf si l’on ne
considère pas les soldats américains comme Américains96 ?

Dans ce type de conflit, où la notion même de victoire est différente de part


et d’autre, les logiques traditionnelles de la guerre ne sont plus applicables. Nous
sommes au cœur même de la définition de la guerre asymétrique : le « succès »
d’une partie alimente le succès de la partie adverse. Dans un tel contexte, les
tortionnaires américains n’ont fait qu’aider les terroristes en leur donnant des
justifications pour commettre de nouveaux attentats. Dans ce type de conflits, les
« dommages collatéraux », les erreurs de communication et les injustices
alimentent le centre de gravité de l’adversaire et transforment le « patriote » en
un complice objectif de l’adversaire ! En fait, ces tortionnaires auraient dû être
jugés comme des traîtres à leur propre pays… Or, ceux qui ont été condamnés
l’ont été à des peines étonnamment légères, témoignant ainsi du fait que les
États-Unis n’ont pas vraiment compris la nature du combat qu’ils mènent.

Paradoxe ultime, Bradley E. Manning, le soldat qui a dévoilé


certains de ces crimes – en enfreignant certes les règles de la
confidentialité – a été plus sévèrement puni que les criminels eux-mêmes, d’une
peine de 35 ans en prison de haute sécurité. Parmi les 700 000 documents
transmis par Manning et dévoilés par Wikileaks, le film97 du meurtre de deux
journalistes de l’agence Reuters par l’équipage d’un hélicoptère AH-64
Apache… qui n’ont jamais été inculpés98. L’officier responsable de la prison
d’Abu Ghraïb, la générale-brigadier Janis Karpinski, a « simplement » été
relevée de son commandement (pour une autre raison que sa fonction dans la
prison) et rétrogradée au rang de colonel.

Le programme de torture de la CIA

Le 9 décembre 2014, un document de 500 pages sur le « Programme de


détention et d’interrogation » de la CIA est publié par le Congrès américain99. Il
résume plus de 6000 pages d’un rapport classifié, lui-même basé sur l’examen
de 6,3 millions de pages de documents produits par la CIA sur ce programme. La
sénatrice Dianne Feinstein, rapporteur de la commission d’enquête, qualifie le
programme de torture de la CIA de « tache sur les valeurs et l’Histoire [des
États-Unis]» et constate qu’il n’a produit aucune information qui n’aurait pu être
obtenue par d’autres moyens, et de nature à améliorer la sécurité nationale. Elle
rappelle qu’en 1990, le Sénat des États-Unis a ratifié la Convention
internationale sur la torture, qui précise :

Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit,


qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre,
d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état
d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture100.

Le programme a été conçu par deux « experts », qui en réalité n’avaient


aucune expérience dans les techniques d’interrogatoire. Non seulement ils
étaient chargés de concevoir et d’évaluer les résultats du programme, mais ils
ont également participé aux interrogations elles-mêmes, ce qui constituait un
évident conflit d’intérêts. Au total, ces deux experts ont reçu de la CIA la somme
de 80 millions de dollars ! Non seulement les techniques préconisées par ces
« experts » étaient des impostures au regard des résultats obtenus, mais elles
étaient empreintes de perversités sexuelles semblables à ce qui avait été observé
à Abu Ghraïb. Par une ironie de l’Histoire, pour concevoir ce programme, ils se
sont basés sur les techniques mises au point dans les années 60, afin de contrer
les interrogatoires menés par des pays ne respectant pas les Conventions de
Genève, et ont opéré par ingénierie inverse101.
Malgré les affirmations initiales selon lesquelles le programme
d’interrogation aurait été efficace pour obtenir des informations ou pour pousser
les détenus à plus de coopération, le rapport de la commission d’enquête du
Sénat a établi que le programme dans son ensemble a été contreproductif et n’a
pas permis de sauver une seule vie humaine. Aucun des divers succès
revendiqués par la CIA pour justifier son programme de torture n’a pu être
confirmé par la commission :
- Parce que l’information conduisant à une arrestation ou à la neutralisation
avait été acquise séparément de l’interrogation ;
- Parce que l’information obtenue de la part de l’interrogé n’avait joué aucun
rôle dans l’arrestation ou la neutralisation de terroristes ;
- Parce que le complot terroriste en question n’existait pas ou ne constituait
aucune menace pour des Américains ou des intérêts américains.
La Commission n’a pas trouvé un seul exemple où l’usage de la torture
aurait permis de prévenir un complot terroriste en cours (« ticking time bomb »)
ou un danger imminent. La plupart du temps, l’usage de la torture a conduit à
des informations fabriquées de toutes pièces. Ainsi, Ibn al-Shaykh al-Libi,
ancien chef d’un camp d’entraînement en Afghanistan et soupçonné d’appartenir
à Al-Qaïda, aurait été « inter-rogé » par des spécialistes de la CIA et du FBI. Il a
révélé les préparations d’attentats contre l’ambassade américaine au Yémen et
contre le quartier-général de la 5e Flotte à Bahreïn, qui n’ont jamais pu être
démontrées102 ; il a également « avoué » les liens existant entre l’Irak et « Al-
Qaeda103 »,
information fausse, comme nous l’avons vu. On pourrait mentionner Zaïn al-
Abidin Muhammad Husaïn (alias Abou Zoubeïda), capturé lors d’un raid
conjoint américano-pakistanais le 28 mars 2002, qui a fait l’objet
d’interrogations coercitives et dont les « confessions » restent très discutables :
« Il parle, mais le problème est de trier ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ce
qui est la réalité et ce qui est de la fanfaronnade104. » Cité par Georges Bush
dans une interview comme un exemple de succès de sa politique de torture,
Abou Zoubeïda a également « avoué » une tentative d’attentat à la « bombe
nucléaire sale » à Washington, qui n’a jamais eu lieu105.
Un des problèmes pointés par la Commission sénatoriale est que la CIA a agi
sur la base de fausses informations obtenues sous la torture, affectant ainsi des
ressources précieuses pour des actions inutiles. Accessoirement, il a été noté que
les doutes exprimés par certains analystes sur la validité et la véracité des
informations acquises ont été presque systématiquement mis de côté.
Afin de ne pas encourir les foudres du domaine politique, la CIA a caché
l’étendue de son programme au président Georges Bush jusqu’en avril 2006. De
même, Colin Powell, alors secrétaire d’État, n’en a pas été informé car la CIA
craignait qu’il « pète un plomb106 ». Même l’Inspecteur-général de la CIA
n’avait pas été mis au courant des méthodes utilisées par la CIA. Plus grave,
l’Agence savait que les informations recueillies au moyen de la torture étaient de
mauvaise qualité et le plus souvent fausses. Le rapport de la Commission
d’enquête relève que l’Agence n’avait pas même remis en question les méthodes
pratiquées, malgré les mauvaises expériences effectuées. Les détenus étaient le
plus souvent interrogés sans supervision par des agents de la CIA qui n’avaient
reçu aucune formation aux techniques d’interrogatoire et qui utilisaient des
méthodes qui n’étaient pas dans le catalogue officiel du programme
d’interrogatoire !
Comme dans le cas d’Abou Ghraïb, le personnel engagé pour faire parler les
prisonniers avait souvent une histoire personnelle qui aurait dû les écarter d’un
engagement pour le gouvernement.
Ainsi, le 11 août 2004, la Cour d’appel britannique – la plus haute instance
de justice du royaume, juste avant la Chambre des lords – a déclaré recevables
en justice les informations obtenues sous la torture pour des procès dans le cadre
de la lutte contre le terrorisme, à condition que des agents britanniques n’y aient
pas pris part107. L’US PATRIOT Act108 américain autorise également les
tribunaux à utiliser des informations, qui auraient été recueillies selon des
méthodes prohibées aux États-Unis. Bien qu’ici le législateur ait eu à l’esprit des
méthodes d’espionnage (« autorisées » pour recueillir des informations à
l’étranger, mais inter-dites dans les procédures judiciaires pénales aux États-Unis
même), la porte était ouverte à la recevabilité d’informations obtenues de
manière contraire aux règles internationales et aux Droits de l’homme.
Ceci explique sans doute également le fait que des islamistes soupçonnés de
terrorisme s’attribuent la paternité d’un nombre incalculable – et souvent bien
peu réaliste – d’attentats. Cela a été notamment le cas dans les affaires de Khalid
Sheikh Mohammed (surnommé « KSM »), de Zacarias Moussaoui et de José
Padilla aux États-Unis. KSM a subi 183 fois le supplice du « waterboarding109 »,
a « avoué » sa participation à plus de 30 attentats terroristes dans le monde (y
compris le 11 Septembre, les chaussures-bombes de Reid, l’attentat de Bali et
bien d’autres) il a constitué l’une des principales « sources » de la CIA en
abreuvant ses tortionnaires des réponses qu’ils voulaient entendre… toutes
fausses110 !
La gestion et la conduite du programme d’interrogatoire de la CIA ont été
quasi inexistantes. L’usage de techniques non approuvées par des interrogateurs
qui n’étaient pas formés pour cette tâche était monnaie courante. La CIA est
même allée jusqu’à torturer ses propres informateurs… par erreur !
Ainsi, d’un strict point de vue du renseignement – et en faisant abstraction
des questions morales et humanitaires –, le fait d’accepter des informations
provenant d’interrogatoires coercitifs et sans exactement savoir dans quelles
conditions ces informations ont été obtenues, ouvre la porte à l’intoxication et à
la désinformation. Sur un plan plus stratégique, le centre de gravité de
mouvements terroristes – et particulièrement les mouvements islamistes – est
très souvent lié à la légitimité de l’action. L’État ou l’autorité qui fait face à une
situation terroriste doit en tenir compte et éviter de permettre à l’adversaire de
légitimer sa violence. Le respect de la justice et du droit devient ainsi un
impératif stratégique, alors que son non-respect ne peut au mieux qu’apporter
des bénéfices tactiques.
La publication du rapport de la commission sénatoriale a été critiquée, sous
prétexte qu’elle pourrait provoquer des réactions violentes à travers le monde,
comme l’évoque Mike Rogers, président de la Commission du renseignement de
la Chambre des représentants :

Bien qu’il soit totalement approprié pour les commissions


du Congrès sur le renseignement de conduire une évaluation
rigoureuse de programmes classifiés, je crains que la
publication de détails de ce programme classifié – qui était
légal, autorisé et dûment présenté aux commissions du
renseignement – ne fera qu’enflammer nos ennemis, risquer la
vie de ceux qui se sacrifient pour nous, et affaiblir
l’organisation même à qui nous demandons d’accomplir les
tâches les plus dures dans les endroits les plus difficiles111.

Le souci est bien évidemment légitime. Ceci étant, le problème n’est pas le
rapport lui-même, mais bien les activités tout à la fois mal conçues, mal gérées,
mal conduites, et inefficaces qui ont été menées au mépris des valeurs que l’on
défend. Au-delà des aspects légaux, un aspect stratégique en ressort, comme en
témoigne le Dr Ayman al-Zawahiri, ancien bras droit d’Oussama Ben Laden,
dans une interview sur la chaîne islamiste Al-Sahab :

Le fait que l’Amérique a négligé ce qu’elle a signé dans les


conventions de Genève ; l’interdiction de la torture physique et
psychologique de prisonniers musulmans, leur détention dans
des sites clandestins en laissant leurs familles ignorantes de
leur sort, les détenir indéfiniment sans accusation, tous ces
crimes donnent plus de droits aux musulmans pour se dresser
contre l’agression américaine et traiter l’Amérique de la même
manière112.

L’inefficacité de la torture et son caractère contreproductif auraient dû être


identifiés avant que ce programme ne soit engagé. Les États-Unis auraient ainsi
pu facilement éviter de se créer de nouveaux opposants, voire renforcer leur
propre légitimité (en termes stratégiques : leur centre de gravité) en épargnant
l’argent du contribuable, sans perdre ni leur dignité ni leur honneur, et en retirant
à l’adversaire des rai-sons supplémentaires pour commettre des actes terroristes,
le tout sans diminuer l’efficacité globale de la lutte contre ce fléau !
CONTRE-TERRORISME OU ANTITERRORISME ?
Depuis la fin des années 90, et en particulier depuis le 11 Septembre, la
multiplicité des « experts » – souvent sans expérience aucune – a noyé les
notions de « contre-terrorisme » et d’« antiterrorisme » dans une confusion qui
explique en partie l’échec dans la lutte contre le terrorisme. D’ex- « agents » du
service Action ou des indicateurs de la DGSE deviennent des analystes, et des
« experts », qui n’ont qu’une connaissance livresque du terrorisme, deviennent
des concepteurs de systèmes opérationnels de sécurité, qui apportent après
chaque attentat des jugements davantage basés sur des impressions et des
professions de foi que sur des faits.
Le terrorisme ne pourra être jugulé qu’à partir d’une connaissance froide et
objective du phénomène. Il nous faut sortir des analyses qui satisfont notre
sentiment de revanche, pour nous attacher à ce qui est. Cela commence par avoir
de la rigueur dans les termes utilisés, afin d’assurer une cohérence d’ensemble
matérialisée par une stratégie. La « stratégie » est globalement le point faible des
diverses postures que l’on trouve en Occident. Ce que l’on appelle « stratégie »
est le plus souvent un ensemble plus ou moins heureux de mesures tactiques et
policières, sans cohérence stratégique.
La France n’a pas réagi différemment après les attentats de janvier et
novembre 2015. Les mesures du gouvernement se sont limitées au niveau
tactique et policier mais ne furent pas intégrées à une stratégie globale. De cette
incurie découlent les attentats de novembre. En réalité, en l’absence de stratégie,
les mesures prises (celles qui ont été appliquées) n’ont fait qu’alimenter les
processus de radicalisation. Significativement, les mesures prises après le 13
novembre et les ressources engagées ont surtout servi à assurer le calme autour
de la Conférence sur le climat (COP 21) en luttant contre les militants
écologistes, au lieu de se concentrer sur les Djihadistes, qui ont ainsi eu
l’opportunité de se déplacer, voire de retourner en Syrie113. La fermeture des
mosquées jugées radicales ne va-t-elle pas alimenter le discours des Djihadistes
qui reprochent à l’Occident précisément de vouloir imposer ses propres normes
en matière d’ordre religieux ?
Largement galvaudée d’une manière générale, et en particulier à l’occasion
de la guerre de 2003 en Irak, la notion de « prévention » est mal intégrée dans les
doctrines de lutte contre le terrorisme. Elle est utilisée aussi bien pour qualifier
des mesures visant à lutter contre la radicalisation que pour l’élimination d’un
terroriste. En réalité, il s’agit d’une notion « fourre-tout » si large qu’elle exclut
la mise en place de stratégies efficaces.
Le point critique qu’il faut définir en premier lieu est celui de la prise de
décision terroriste : le moment où le terroriste ou la structure terroriste décide de
mener une action terroriste. Tout ce qui permet d’influencer cette décision tombe
dans le domaine de la prévention et du contre-terrorisme. Si la décision terroriste
est prise malgré tout, alors tout ce qui permet d’empêcher la mise en œuvre de
cette décision relève de la préemption et de l’anti-terrorisme.

L’action préventive : le contre-terrorisme

Le contre-terrorisme est constitué de l’ensemble des mesures visant à lutter


contre le terrorisme de manière active, en amont de la décision terroriste, et
constitue la vraie dimension offensive de la lutte contre le terrorisme. Il
comprend en premier lieu toutes les mesures visant à éviter l’éclosion de la
violence terroriste, comme la lutte contre la radicalisation.
La prévention du terrorisme exige une parfaite compréhension du
mouvement terroriste, de sa stratégie et de sa doctrine d’action, de ses
mécanismes de légitimation, de son ancrage populaire et de son soutien politique
local et international. Elle vise à désamorcer les conflits potentiels, à éviter qu’ils
alimentent des revendications terroristes et se transforment en violence. Elle
cherche à amener les terroristes potentiels dans une autre direction que celle des
attentats.
Au plan intérieur, le contre-terrorisme concerne tous les aspects de la société.
Particulièrement dans nos sociétés, dont la composante musulmane s’est accrue
durant le dernier demisiècle, les sensibilités ont changé et les lames de fond
identitaires qui touchent le monde musulman ne les épargnent plus. L’identité
elle-même s’exprime différemment. Il s’agit de mieux comprendre les
dynamiques engendrées par la multi culturalité. Pas seulement sous l’angle
policier, mais aussi – et surtout – sous l’angle sociétal et culturel. Les questions
liées à la radicalisation dépassent de loin la question des « mosquées radicales »
ou le radicalisme carcéral.
En France, au nom de la laïcité, personne n’est en mesure de quantifier la
partie de la société qui mérite une attention particulière. Ainsi, la notion de
« radicalisation » est floue et elle se greffe sur des notions qui relèvent plus de la
profession de foi que de l’analyse. En l’absence de statistiques précises, le
contre-terrorisme ne peut valablement être traduit par des stratégies efficaces, et
il reste à l’appréciation du niveau opérationnel.
Au plan extérieur, notre manière de conduire des conflits résonne
différemment dans les communautés islamiques et chrétiennes : là où nous
entendons « État de Droit » et « Droits de l’homme », d’autres y voient une
poursuite des croisades. Le champ des perceptions dépasse largement la
dimension sociale, pour toucher le sociétal. Au-delà de la manière d’y répondre,
c’est la compréhension même du problème qui pose question.
Ainsi, dans un contexte asymétrique islamiste, les actions humanitaires ne
« compensent » pas nos actions militaires, mais s’y ajoutent ! Cela ne signifie
pas que nos actions humanitaires doivent être abandonnées, mais qu’elles
doivent être conçues de manière plus subtile, en particulier pour les
organisations d’inspiration religieuse. Ainsi, la missionnaire suisse Béatrice
Stockly, enlevée une première fois par Ansar al-Dine au Mali le 14 avril 2012,
avait été libérée sous condition de ne plus revenir dans le pays ; mais la
missionnaire est revenue, rompant ainsi l’accord conclu et a, à nouveau, été
enlevée le 7 janvier 2016.

La maîtrise de la mondialisation

On sous-estime en Occident l’impact de la mondialisation dans le reste du


monde. Son ambition est sans doute économique, et se veut porteuse de
prospérité – et du bien-être qui en découle – pour le reste du monde. Mais, plus
que jamais, sous ce label, la société occidentale s’infiltre aujourd’hui
profondément dans les cultures locales et bouscule les fondements mêmes de ces
sociétés. On peut s’en féliciter ou le déplorer, mais on doit le constater. Bon ou
mauvais, le phénomène apparaît comme inéluctable et la question est de savoir
s’il est géré de manière cohérente. Avec le « choc des civilisations », la montée
des fondamentalismes et du terrorisme, il s’agit d’aborder une réflexion nouvelle
sur notre manière de gérer et de faire progresser le phénomène de mondialisation
au contact de cultures et de sociétés différentes.
Dans la plupart des pays défavorisés, l’évolution continue à être imposée de
l’extérieur et ne résulte pas d’un développement « harmonieux » de la société.
La décolonisation s’est engagée avec une dynamique révolutionnaire servant les
intérêts de la politique étrangère de l’URSS, puis s’est prolongée par une sorte
d’utopie humanitaire centrée sur un bien-être matériel et non sur une évolution
des esprits. L’accélé-ration des processus démocratiques ou économiques dans le
tiers-monde donne souvent l’illusion d’un aboutissement, mais les progrès
restent cependant très superficiels et mal ancrés dans les cœurs et les cultures.
Animés d’intentions peut-être louables, les Occidentaux tentent – avec des
succès variables – d’éradiquer des pratiques et croyances ancestrales qu’ils
perçoivent comme des obstacles à l’accession à la démocratie et à
l’universalisme des Droits de l’homme. Ce faisant, toutefois, ils créent souvent
de nouveaux déséquilibres culturels à l’intérieur même de ces sociétés, difficiles
à gérer et générateurs de tensions.
Après le 11 Septembre, notre vision globalement marxiste des problèmes
nous a conduits à trouver dans l’inégalité des richesses dans le monde la cause
du terrorisme. Nous adaptons les causes du terrorisme à nos réponses, au lieu
d’adapter les réponses aux causes :

La pauvreté est le nid du terrorisme. Même si les attentats


du 11 septembre ont été réalisés par des intellectuels aisés, un
des fondements de leur action réside dans les conséquences des
inégalités socio-économiques existant entre pays industrialisés
et pays pauvres. La sécurité internationale et la lutte contre le
terrorisme seraient sensiblement améliorées si Américains et
Occidentaux se préoccupaient davantage du sort des
populations des pays pauvres en réorientant leur politique
économique et financière et en augmentant l’aide et la
coopération au développement114.

Aujourd’hui pourtant, de très nombreux experts s’accordent sur le fait que la


répartition des richesses et la pauvreté ne sont pas à l’origine du terrorisme
islamiste. Les 19 auteurs des attentats du 11 Septembre étaient issus de familles
plutôt aisées et avaient bénéficié d’une formation en Europe. Le Dr Aïman al-
Zawahiri, second d’Oussama ben Laden, a suivi des études de médecine, comme
Abd el-Rantisi, ancien chef du Hamas palestinien. Oussama Ben Laden était
luimême millionnaire et issu d’une famille privilégiée. Le cheikh Anwar al-
Awlaki, l’un des théoriciens du Djihadisme moderne, était fils d’un diplomate
yéménite, etc.

La politique étrangère – arme stratégique

Dans le monde musulman, où l’environnement culturel et religieux


prédispose à un certain fatalisme, la richesse et la prospérité – au sens occidental
du terme – ne constituent pas des objectifs en soi. La prospérité n’est
évidemment pas rejetée, mais elle est subordonnée à la conservation d’un certain
nombre de repères culturels essentiels pour la cohésion de la société115. À
l’inverse, en Occident, le matérialisme et la science ont profondément modifié
notre regard sur la tradition et la religion.
Ce n’est donc pas la « jalousie ni la frustration » qui animent l’agressivité
envers l’Occident, mais plutôt un réflexe de protection contre ce qui est perçu
comme un « impérialisme culturel » pouvant mettre en péril l’essence même des
sociétés. Le devoir d’« ingérence humanitaire » prôné par Bernard Kouchner116
et qui motive bien souvent notre intervention, est malheureusement à double
tranchant et doit être mis en pratique sans aveuglement missionnaire, mais avec
tact et circonspection. C’est d’ailleurs l’organisation Médecins sans frontières
qui a été poussée hors d’Afghanistan à la fin juillet 2004, après l’attaque
délibérée de 5 de ses collaborateurs au nord de l’Afghanistan.
L’Occident a vu à travers les attentats du 11 Septembre la nécessité de lutter
contre la pauvreté et de s’impliquer da-vantage dans le tiers-monde. Or, c’est
probablement exactement l’inverse que voulait nous signaler le message
terroriste djihadiste. À tort ou à raison, ils veulent moins d’Occident dans leur
culture et dans leur quotidien. Il est symptomatique de noter que la Suisse, qui
n’est pourtant pas associée à la coalition internationale contre l’État islamique,
mais a fourni une l’aide humanitaire à l’Irak (et était indiquée à ce titre comme
contribuant à la coalition sur Wikipédia117) a été menacée par l’État islamique,
indirectement il est vrai, dans sa vidéo « No Respite » publiée en novembre
2015118.
Le phénomène de mondialisation implique des bonds culturels importants,
que certaines sociétés ne peuvent pas ou ne veulent pas faire. L’évolution des
sociétés est le résultat d’un compromis sans cesse renouvelé entre la tradition et
l’innovation. C’est même ce mélange, propre à chaque communauté, qui crée la
diversité. Or, le poids de la tradition (dans ses dimensions historique, culturelle,
religieuse, etc.) est différent d’une société à l’autre, et sa « vitesse d’accession »
à la prospérité, dans son acception occidentale, varie de manière considérable.
Ainsi, la mondialisation que nous comprenons comme une manière de diffuser
des principes et des « bonnes pratiques » est souvent perçue comme une
interférence, pour ne pas dire une ingérence, et même une agression culturelle.
Cette perception est d’autant plus marquée que notre connaissance et notre
sensibilité pour les autres cultures – dont l’islam – sont partielles et simplifiées à
l’extrême. Par exemple, les mutilations génitales chez la femme (excision), que
l’on associe généralement à l’islam, sont en fait un problème africain et non pas
un problème musulman. Certes, la plupart des pays où l’on observe ces pratiques
cumulent les deux attributs, mais pas dans une relation de cause à effet. Ainsi,
parmi les pays africains (essentiellement au Sahel) où la prévalence de l’excision
est la plus élevée, on trouve l’Érythrée avec 83 % (2014) et l’Éthiopie avec
74,3 % (2014), deux pays chrétiens119.
En refusant – volontairement ou non – d’écouter ces messages, l’Occident se
place lui-même dans une situation asymétrique. La situation des femmes sous le
régime des Taliban, l’excision dans certains pays d’Afrique, le travail des
enfants en Asie du Sud-Est et la culture de coca en Amérique latine nous
choquent à juste titre, mais s’intègrent dans une cohérence sociale, culturelle ou
économique, qui s’est établie au fil des siècles, tout comme un écosystème. En
traitant ces questions de manière ponctuelle et sans stratégie globale, nous
bouleversons ces équilibres, réveillons les consciences et stimulons un réflexe
identitaire.
Nos rapports avec ces cultures et ces civilisations doivent être repensés. Il
nous faut définir des priorités dans l’action d’entraide et nous limiter à créer des
conditions favorables à leur développement plus qu’à l’imposer. Le problème est
que la gestion des interactions entre les pays du tiers-monde et l’Occident est
dispersée entre les mains de nombreux acteurs : gouvernements, organisations
internationales, compagnies privées, organisations non-gouvernementales
(ONG) et individus. Parmi ceux-ci, les ONG sont devenues des acteurs puissants
et échappant à tout contrôle, flexibles et efficaces120, mais qui poursuivent des
objectifs différents et peu coordonnés. En septembre 2015, il y avait quelque 416
ONG internationales actives en Afghanistan121 ! Or,

Sans le vouloir, les ONG renforcent les stéréo-types


racistes et mettent l’accent sur les succès, les avantages et la
compassion (aimante et sévère) de la civilisation occidentale.
Elles sont les missionnaires séculaires du monde moderne122.

Cette situation est encore accentuée par l’importance considérable des ONG
américaines, souvent financées par des églises et autres communautés religieuses
chrétiennes, ce qui stimule évidemment le Djihad. Il s’agirait de développer un
dialogue avec la société civile – dont font partie les ONG – en vue d’une
meilleure coordination de sa présence et son action afin qu’elle puisse s’intégrer
dans une politique globale, qui tienne aussi compte d’une stratégie contre-
terroriste.
En appui de l’action de politique étrangère diplomatique, les services de
renseignement peuvent aussi apporter une contribution précieuse. Leur avantage
est de combiner la crédibilité due à une relation étroite avec le pouvoir, la
disponibilité de réseaux qui ont un accès aux acteurs de la violence et la
possibilité d’utiliser des canaux « discrets ». Ils constituent ainsi une sorte de
« porte dérobée » pour communiquer avec un adversaire.

La lutte contre la radicalisation


La radicalisation n’est pas le point de départ de la violence, mais n’est
qu’une étape d’un processus. C’est le point de départ de ce processus qui devrait
retenir notre attention. On pourrait définir ce point de départ comme une
« indignation » initiale, qui s’amplifiera au gré des contacts humains, de
l’information reçue à travers les médias traditionnels et les injustices du
quotidien. Après les attentats de janvier 2015 en France, on a affirmé que la
prison était une composante centrale de la radicalisation, simplement parce que
les terroristes avaient pu se rencontrer en prison. C’est une extrapolation hâtive.
Si la prison peut constituer un point de rencontre pour des individus ayant une
propension similaire à enfreindre la loi, ce n’est pas nécessairement en prison
qu’intervient le processus d’islamisation ou de radicalisation religieuse.
Il est sans doute difficile d’émettre un jugement définitif sur la question.
Toutefois, plusieurs rapports établis dans les pays anglo-saxons montrent que la
prison n’est pas un foyer de radicalisation123. Ils sont confirmés par des études
effectuées en Europe, qui mettent en évidence la multiplicité de facteurs
intervenant dans la radicalisation et qui sortent du cadre de cet ouvrage124.
Toutefois, le point commun de ces études est qu’elles font systématiquement
abstraction des interventions occidentales comme facteur de radicalisation et
cause possible des actes de terrorisme, alors que tout aussi systématiquement, les
terroristes les mentionnent explicitement causes dans leurs revendications.
L’insistance à mettre la religion au centre du phénomène terroriste nous
conduit à insister sur la notion de « laïcité », et à l’imposer comme une solution
au terrorisme djihadiste. Or, elle est perçue comme de l’apostasie – le pire
« péché » selon les islamistes – par certains musulmans. Mal expliquée et
souvent mal appliquée, la laïcité est donc interprétée comme une composante de
la « croisade » menée par les pays occidentaux et un moyen de faire abandonner
leur foi aux musulmans. En d’autres termes, conformément à la nature
particulière de l’asymétrie djihadiste, ce qui nous semble être une solution
contribue à accroître le problème.

L’action préemptive : l’antiterrorisme

Au sens propre, l’antiterrorisme s’inscrit dans une stratégie d’action contre le


terrorisme, en aval de la décision terroriste. Autrement dit, il concerne toutes les
mesures prises pour contrer les terroristes, après qu’ils ont pris la décision de
commettre un attentat, et les empêche de mettre en œuvre leur projet.
L’antiterrorisme est donc complémentaire du contreterrorisme qui, lui, cherche à
combattre le terrorisme en amont de la décision terroriste.
L’antiterrorisme comprend : - Un dispositif juridique permettant de
poursuivre, juger et condamner des terroristes ;
- Les mesures de protection et de sécurité matérielles (création de périmètres
de sécurité, mesures anti-intrusions, renforcement des points vulnérables, etc.) ;
- Les mesures de protection personnelle (adaptation des comportements,
personnel de protection rapprochée, etc.) ;
- Les dispositifs de détection et d’alerte (détection des explosifs, des armes,
etc.) ;
- Les mécanismes et moyens d’intervention (contre des intrus, des preneurs
d’otages, etc.)
Pour être efficaces, les mesures antiterroristes doivent s’intégrer dans un plan
d’ensemble et ne pas porter préjudice aux mesures contre-terroristes. Ainsi, la
« barrière de sécurité » mise en place par Israël est un exemple de manque de
cohérence stratégique : si effectivement la barrière a amélioré la sécurité
tactique, elle renforce simultanément le sentiment des Palestiniens de voir leurs
terres « grignotées », ce qui est la cause même de leur combat, et accroît leur
volonté de lutte. En d’autres termes, il s’agit d’un outil efficace pour l’anti-
terrorisme, mais pas pour le contre-terrorisme.
Une des difficultés fondamentales de l’antiterrorisme est qu’il est souvent
perçu dans le cadre d’une stratégie préventive. Ainsi, quelques mois après la
tentative d’attentat contre le Thalys, en mai 2015, le gouvernement Hollande
inaugure en grande fanfare, en décembre, des portiques de détection des métaux
entre Paris et Bruxelles125. Dont acte… Mais quid de la coordination avec la
Belgique et les Pays-Bas (où les passagers du Thalys à destination de Paris ne
font pas l’objet de contrôles) ? Et pourquoi seulement sur cette ligne ? N’y a-t-il
donc aucun risque sur les autres trains ? La comparaison avec l’Eurostar – qui
fait déjà l’objet de mesures de sécurité particulières – frise la sottise : l’Eurostar
est l’unique train qui passe sous la Manche, dont le trajet est un tunnel et qui
relie la Grande-Bretagne, à l’évidence l’un des acteurs majeurs des conflits au
Moyen-Orient, alors que le Thalys n’a aucun attribut qui en fasse une cible plus
attractive. Pourquoi ne pas adopter les mêmes mesures sur le TGV entre
Marseille et Paris ?
Une vraie prévention doit s’inscrire dans une vision plus large, sous peine de
créer de nouvelles vulnérabilités, comme on l’a fait dans les aéroports.

L’adaptation de l’appareil juridique

Le dilemme permanent de la démocratie est qu’elle permet l’éclosion


d’individus ou d’organisations qui cherchent à la détruire, à gauche comme à
droite. La tentation est donc forte de restreindre les opportunités offertes par la
société démocratique, afin de mieux contrôler les forces d’opposition. La
démocratie impose la tolérance… même à l’égard des intolérants. Dès lors, une
des difficultés essentielles de la lutte contre des forces subversives est de trouver
un juste équilibre entre le nécessaire et légitime besoin de sécurité et le respect
des valeurs que l’on cherche à défendre. Comment imposer les règles de la
démocratie en la limitant ?
L’US PATRIOT Act (USAPA)126 signé le 26 octobre 2001 par le président
George W. Bush a été adopté afin de donner les instruments légaux nécessaires à
la lutte contre le terrorisme aux États-Unis après les attentats du 11 Septembre. Il
confère de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre et aux organes de
renseignement et allège les restrictions aux activités de surveillance des citoyens.
En substance, l’USAPA ouvre l’éventail des cas dans lesquels la surveillance
d’un citoyen peut être engagée sur la simple base d’une suspicion. Ainsi, par
exemple, il est possible au FBI ou à la CIA de surveiller les mots recherchés sur
Internet au moyen de moteurs de recherche comme Google et les courriels. Il
permet la surveillance d’un individu pour des délits qui ne sont pas directement
liés au terrorisme. L’USAPA donne également l’autorisation aux agences
fédérales d’accéder aux fichiers des bibliothèques et des librairies pour voir qui
aurait consulté ou acheté des ouvrages suspects (concernant, par exemple le
terrorisme ou des activités clandestines) ! L’une des innovations majeures du
PATRIOT Act est d’assouplir les règles d’application du Foreign Intelligence
Surveillance Act (FISA), adopté en 1978, en élargissant les possibilités
d’utilisation des renseignements extérieurs pour des investigations dans les
affaires criminelles, et de restreindre les possibilités de contrôle parlementaire
sur son utilisation. Ainsi, par exemple, tout fonctionnaire du gouvernement
américain non-membre des forces de sécurité est habilité à mener des activités
de surveil-lance sur des citoyens s’il y a « de bonnes raisons de penser que le
contenu des communications justifiera une intrusion d’investigation dans un
ordinateur ».
Outre l’extension des pouvoirs des organes de renseignements, l’USAPA
facilite également l’emprisonnement et la confiscation de biens d’individus et
vise à lutter contre les sources et mécanismes de financement du terrorisme.
Lors de l’enquête parlementaire sur les événements du 11 Septembre, le
général Michael Hayden, directeur de la NSA, devait terminer sa déclaration en
ces termes :

Permettez-moi de conclure en vous disant


ce que j’attends de ce dialogue national,
que ces commissions veulent encourager. Je
ne suis pas vraiment aidé lorsqu’on me
rappelle que j’ai besoin de plus de
linguistes arabisants, ou par
l’interprétation d’une obscure interception
perdue dans nos dossiers et qui aurait plus
de sens aujourd’hui qu’elle n’en avait il y a
2 ans. Ce dont j’ai réellement besoin est
que vous discutiez avec vos électeurs à fin
de découvrir où le peuple américain est prêt
à tracer la ligne qui sépare la sécurité de la
liberté127.

Le problème des mesures de lutte contre le terrorisme – particulièrement


lorsqu’il s’agit de mesures préventives – est qu’elles impliquent presque
obligatoirement une adaptation des bases légales, afin de disposer d’instruments
permettant de surveiller de manière intrusive avant la réalisation d’un acte
terroriste. La question est de savoir comment en minimiser les effets par
l’adoption de mesures en amont (contre-terrorisme).

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59. NdA : Mokhtar Belmokhtar est réputé être un terroriste de la Base du Djihad au Maghreb islamique. En
réalité, c’est un personnage mal connu, dont la spécialité était la contrebande de marchandises (y
compris des cigarettes et des armes) dans le sud algérien. Son rôle exact dans des entreprises terroristes
n’a jamais été formellement établi et on lui « attribue » de nombreuses actions, comme l’attaque de la
base pétrolière d’Amenas en Libye. Incidemment, les opérations qu’on lui attribue ne cadrent pas avec
les autres actions islamistes et s’apparentent davantage à des opérations de « simple » banditisme.
60. NdA : cette action a été menée par des avions F-15 et non par des drones, mais elle illustre la politique
américaine à l’égard des victimes.
61. « Mokhtar Belmokhtar : Top Islamist ‘killed’ in US strike », BBC News (US & Canada), 15 juin 2015.
62. Richard Spencer, « Mokhtar Belmokhtar has survived several previous claims to have killed him », The
Telegraph, 19 juin 2015 (http://www.telegraph.
co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/libya/11686244/One-eyed-sheikh-Mokhtar-Belmokhtar-
alive-says-al-Qaeda.html)
63. Jack Serle, « More than 2400 dead as Obama’s drone campaign marks five years comments », The
Bureau of Investigative Journalism, 23 janvier 2014.
64. Jo Becker et Scott Shane, « Secret ‘Kill List’ Proves a Test of Obama’s Principles and Will », The New
York Times, 29 mai 2012.
65. Le cheikh Anwar al-Awlaki est un imam né aux États-Unis, considéré comme un spécialiste de
l’islamisme, il est invité au Pentagone peu après le 11 Septembre afin de présenter à des hauts
fonctionnaires la situation de l’islam radical dans le monde. Pon de l’Irak, le scandale d’Abou Ghraïb et
l’usage de la torture par les États-Unis le radicalisent et il s’expatrie au Yémen où il devient l’un des
théoriciens du Djihadisme. Il échappe à plusieurs attaques de drones jusqu’au 30 septembre 2011.
66. Department of Justice White Paper, « Lawfulness of a Lethal Operation Directed Against a U.S. Citizen
Who Is a Senior Operational Leader of AlQa’ida or an Associated Force », 4 février 2013.
67. Vincent Nouzille, Les Tueurs de la République, Fayard, 21 janvier 2015.
68. « Les frappes françaises en Syrie ont tué au moins 6 Français djihadistes », BFM TV, 17 octobre 2015.
69. Arab Barometer Survey Project - Yemen Report
(http://www.arabbarometer.org/sites/default/files/Yemenreport1.pdf)
70. Illusion of Justice : Human Rights Abuses in US Terrorism Prosecutions, Human Rights Watch, 21
juillet 2014.
71. Spencer Ackerman, « Government agents ‘directly involved’ in most high-profile US terror plots », The
Guardian, 21 juillet 2014.
72. « Report finds government agents ‘directly involved’ in many U.S. terror plots », Police State USA, 31
juillet 2014. (http://www.policestateusa.com/2014/report-finds-fbi-plans-its-own-terror-plots/)
73. David K. Shipler, « Terrorist Plots, Hatched by the F.B.I. », The New York Times, 29 avril 2012.
74. Jonathan Dienst, Tom Winter and Tracy Connor, « ISIS Lover Emanuel Lutchman Planned New Year’s
Machete Attack:FBI », CBS News, 31 décembre 2015.
75. Trevor Aaronson, The Terror Factory: Inside the FBI’s Manufactured War on Terrorism, Ig Publishing,
January 2013; voir également la video : « The FBI is Responsible for More Terrorism Plots in the United
States than any other Organization. More Than Al Qaeda, More Than Al Shabaab, More Than the
Islamic State, More Than All Of Them Combined », WashingtonsBlog, 5 juin 2015.
76. Groupe des 28 pays de l’Union européenne, plus la Norvège et la Suisse, créé en 1971 pour échanger des
renseignements sur le terrorisme international.
77. Groupe de pays, créé en 1977, échangeant régulièrement des informations sur le terrorisme international.
Ses réunions sont secrètes. Les pays membres de Kilowatt sont : l’Allemagne, la Belgique, le Canada, le
Danemark, la France, l’Irlande, Israël, l’Italie, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, la Norvège, les
Pays-Bas, la Suède, la Suisse et les USA.
78. Sunday Times, 6 septembre 2002.
79. Gordon Thomas, Globe-Intel, 6 septembre 2002.
80. Guillaume Dasquié, « 11 Septembre : les Français en savaient long », Le Monde, 16 avril 2007.
81. Final Report of the National Commission on Terrorist Attacks upon the United States, The 9/11
Commission Report, Authorized Edition, W.W. Norton & Company, New York, 2004.
82. Voir James R. Van de Velde, « Camp Chaos : U.S. Counterterrorism Operations at Guantanamo Bay,
Cuba », International Journal of Intelligence and CounterIntelligence (IJIC), 23 février 2005, vol. 18,
Nr. 3, automne 2005.
83. Selon les conventions de Genève, lorsqu’il y a un doute sur le statut de prisonniers capturés au combat,
ceux-ci doivent être traités comme des prisonniers de guerre, en attendant qu’un tribunal compétent
précise leur statut. (Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août
1949, article 5)
84. Martin Bright, « Guantanamo has « failed to prevent terror attacks » », The Observer, 3 octobre 2004.
85. Ibid.
86. https://www.aclu.org/feature/close-guantanamo?redirect=closegitmo
87. Elizabeth Bumiller, « Later Terror Link Cited for 1 in 7 Freed Detainees », The New York Times, 20 mai
2009.
88. Seymour M. Hersh, « Selective Intelligence », The New Yorker, 12 mai 2003.
89. Pour la petite Histoire, la Maison Blanche a refusé de remettre à la Commission d’enquête du Sénat le
PDB en question – même sous la protection d’une classification – et n’a fait qu’en reconnaître
l’existence.
90. Aux États-Unis, la coordination de la Communauté du Renseignement (Intelligence Community) était
l’affaire du directeur de la Central Intelligence Agency jusqu’en 2004, puis – conséquences des réformes
consécutives au 11 Septembre – cette tâche a été attribuée à un directeur du Renseignement national
(Director of National Intelligence – DNI).
91. Il faut noter ici que les Taliban afghans n’ont jamais été considérés comme une organisation terroriste par
la Maison Blanche, ni par le Département d’État (voir
http://www.state.gov/j/ct/rls/other/des/123085.htm), même si le Département du Trésor les considère
comme un groupe qui mérite les mêmes sanctions qu’un groupe terroriste.
92. Memorandum du 7 février 2002, qui sera réaffirmé dans l’Ordre Exécutif 13440 du 20 juillet 2007. Voir
le document original : https://www.gpo.gov/fdsys/pkg/FR-2007-07-24/pdf/07-3656.pdf
93. John Barry, Michael Hirsh & Michael Isikoff, « The Roots of Torture », Newsweek, 24 mai 2004.
94. AR 15-6 Investigation of the 800th Military Police Brigade, Investigating Officer MG ANTONIO M.
TAGUBA, Deputy Commanding General Support, Coalition Forces Land Component Command,
DODD0A-000248, 27.05.2004. (NdA: Le (S) signifie que le paragraphe est secret)
95. Déclaration de l’un des terroristes sur la vidéo de la décapitation de Nicolas Berg (Iraq Occupation
Watch Center, San Francisco, Californie).
96. Mattew Alexander (pseudonyme d’Amy Goodman), « I’m Still Tortured by What I Saw in Iraq »,
Washington Post, 30 novembre 2008.
97. https://www.youtube.com/watch?v=5rXPrfnU3G0 (vu plus de 15 millions de fois au 20 février 2016)
98. Bradley Manning: a sentence both unjust and unfair, The Guardian, 21 août 2013.
99. Senate Select Committee on Intelligence, « Committee Study of the Central Intelligence Agency’s
Detention and Interrogation Program », 3 décembre 2014 (téléchargeable sur
http://fas.org/irp/congress/2014_rpt/ssci-rdi.pdf).
100. Art 2, al. 2, « Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants », adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale
des Nations unies le 10 décembre 1984, entrée en vigueur: le 26 juin 1987. (http://www.ohchr.
org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CAT.aspx)
101. Philip Ross, « Who Are Jim Mitchell And Bruce Jessen? CIA Torture Psychologists Were Experts In
Communist Chinese Interrogation », International Business Time, 10 décembre 2014.
102. Associated Press, 24 avril 2002.
103. Richard Norton-Taylor, « Waterboarding is no basis for truth », The Guardian, 9 novembre 2010.
104. Interview de l’un des interrogateurs (Associated Press, 24 avril 2002).
105. Richard Norton-Taylor, op. cit.
106. Email du 31 juillet 2003 de John Rizzo, cité par Mme Feinstein devant le Congrès le 9 décembre 2014.
107. Audrey Gillan, « Judges in row over torture ruling », The Guardian, 12 août 2004.
108. Son nom complet est « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to
Intercept and Obstruct Terrorism Act of 2001 » (Acte de 2001 pour unir et renforcer l’Amérique en
fournissant les outils adaptés nécessaires pour intercepter et empêcher le terrorisme).
109. Ce supplice, souvent traduit par « simulation de noyade », correspond au supplice de la « baignoire »
jadis utilisé par la Gestapo.
110. Dexter Filkins, « Khalid Sheikh Mohammed and the C.I.A. », The New Yorker, 31 décembre 2014.
111. Spencer Ackerman, Dominic Rushe, & Julian Borger, « Senate report on CIA torture claims spy agency
lied about ‘ineffective’ program », The Guardian, 9 décembre 2014.
112. « Iman Defeats Arrogance », Inspire Magazine, n° 12, printemps 2014, p. 11.
113. Eliott C. McLaughlin, « Paris terror attack suspect may be in Syria », CNN, 30 novembre 2015.
114. Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), note d’analyse, « Comment
lutter efficacement et durablement contre le terrorisme ? », Bruxelles, 27 septembre 2001.
115. La simple notion d’« assurance » est controversée par certains fondamentalistes islamiques, car
interprétée comme une tentative de corriger la décision de Dieu.
116. La notion de « droit » ou « devoir d’ingérence humanitaire » est attribuée à Bernard Kouchner, homme
politique français, co-fondateur de Médecins sans frontières et à Mario Bettati, professeur de droit
international public à l’université Paris II à la fin des années 80.
117. Military intervention against ISIL (https://en.wikipedia.org/wiki/Military_intervention_against_ISIL)
(Note de l’auteur : après détection de cette erreur de Wikipédia par l’auteur, suite à une action du
ministère suisse des Affaires étrangères, la mention de la Suisse a été supprimée de la page en question
le 11 décembre 2015)
118. Op. cit.
119. Female genital mutilation (https://en.wikipedia.org/wiki/Female_genital_mutilation)
120. C’est notamment grâce aux ONG que l’élimination des mines antipersonnel a pu faire l’objet d’un
accord international (Traité d’Ottawa – 1997).
121. International Center for Not-for-Profit Law (ICNL), NGO Law Monitor: Afghanistan, 6 novembre 2015
(http://www.icnl.org/research/monitor/afghanistan.html).
122. Arundhati Roy, « Les périls du tout-humanitaire », Le Monde Diploma-tique, octobre 2004, p. 24.
123. Sarah V. Marsden, « Little evidence to show that prisons have become ‘universities of terror’ »,
Radicalisation Research, 24 novembre 2015 (http://www.radicalisationresearch.org/debate/marsden-
prisons-radicalisation/)
124. Voir, par exemple : Expert Group on Violent Radicalisation, « Radicalisation Processes Leading to Acts
of Terrorism », Submitted to the European Commission, 15 mai 2008.
125. « Portiques de sécurité pour les Thalys : ce sera comme pour l’Eurostar de Londres », RTBF, 25
novembre 2015.
126. Son nom complet est « Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to
Intercept and Obstruct Terrorism Act of 2001 » (acte de 2001 pour unir et renforcer l’Amérique en
fournissant les outils adaptés nécessaires pour intercepter et empêcher le terrorisme).
127. Témoignage du lieutenant-général Michael V. Hayden (USAF), Directeur de la National Security
Agency (NSA) et Chef du Central Security Service devant la Commission d’Enquête Conjointe de la
Commission Spéciale du Sénat sur le Renseignement et la Commission Spéciale de la Chambre des
Représentants sur le Renseignement (Joint Inquiry of the Senate Select Committee on Intelligence and
House Permanent Select Committee on Intelligence), 17.10.2002, paragraphe 39.
(https://www.nsa.gov/public_ info/speeches_testimonies/17oct02_dirnsa.shtml)
Conclusions

L’AGRESSIVITÉ, SYMPTÔME DE FAIBLESSE


GOUVERNEMENTALE

« Ceux qui sont habiles dans l’exécution de la Stratégie, Font


ployer la stratégie des autres sans conflit ;
Ils sapent les défenses des autres sans les attaquer ;
Ils absorbent leurs structures sans opérations de longue
durée. »

Sun Tsu1

Nous avons constaté que le terrorisme islamiste depuis 1990 est la


conséquence des interventions occidentales au Proche et Moyen-Orient, mais
pour quelles raisons ces interventions ont-elles eu lieu ? Comme nous l’avons
vu, les intérêts nationaux constituent une partie seulement de l’explication.
Pourquoi les États-Unis ont-ils attaqué l’Afghanistan et l’Irak ? Quels bénéfices
en ont-ils tiré ? Pourquoi la France s’est-elle impliquée par la force en Libye ou
en Irak, déstabilisant ainsi une région en générant une situation de guerre ?
Comme on l’a observé, un des facteurs déclencheurs de conflits est
l’affaiblissement de gouvernements qui doivent restaurer leur crédibilité, ou
simplement installer leur image, comme cela a été le cas pour Georges W. Bush
(qui avait passé 42 % de son mandat avant le 11 Septembre en congé ou en
voyage), Barack Obama (incapable de mener à bien les réformes qu’il souhaitait
en raison de la composition du Congrès lors de son second mandat), Tony Blair
(dont la popularité s’effritait en raison de son manque de résultats2),
Nicolas Sarkozy (qui s’effondrait dans les sondages à la veille de l’élection
présidentielle de 20123), François Hollande (qui a été incapable de remplir sa
promesse d’infléchir la courbe du chômage, qui s’est accrue de près de 600 000
chômeurs sous son mandat4) ou Charles Michel (dont la coalition
gouvernementale nouvellement formée génère une certaine incrédulité dans la
population belge).
Le 11 Septembre, Georges W. Bush est en visite dans une école primaire en
Floride. Malgré l’impact du premier avion dans une des tours du World Trade
Center à New York, il poursuit sa visite de l’école. Il assiste au cours, assis
devant la classe, lorsqu’un autre avion frappe la seconde tour. Son chef d’État-
major Andrew Card se précipite alors vers le Président et lui glisse à l’oreille :
« Un second avion a percuté les tours. L’Amérique est attaquée ! » Le Président,
le regard vide, ne réagit pas et, ne sachant que faire, s’empare d’un livre d’enfant
intitulé Ma Biquette, et commence à le feuilleter. Durant 7 minutes, alors que le
Président ne connaît pas la nature de l’attaque contre la nation, il n’y aura
aucune réaction, aucun ordre, aucune demande d’information supplémentaire…
Il est tentant, à l’approche d’échéances électorales, de s’engager dans des
opérations de diversion afin de reconstituer une unité nationale ou de faire
oublier les promesses non tenues. Particulièrement lorsqu’il n’y a pas de menace
imminente – comme cela était le cas en 2014 lorsque la France et la Belgique5 se
sont engagées dans la coalition occidentale pour combattre l’État islamique en
Irak –, la tentation est forte de faire jouer un scénario à la Wag The Dog. Cet
effet, alors que le gouvernement Ayrault/Hollande s’effondrait dans les
sondages, a été identifié par de nombreux observateurs d’outre-Atlantique lors
de l’intervention française au Mali6 en 2013. C’est ici que les mécanismes
parlementaires doivent pouvoir jouer, afin d’empêcher qu’un pays ne soit
entraîné dans une guerre pour de simples raisons politiciennes.
De fait, les événements du 13 novembre 2015 ont été exploités par le
gouvernement Hollande/Valls à de multiples occasions, comme durant la
Conférence sur le climat (COP 21) et la campagne des élections régionales en
France, en suggé-rant même que la France pourrait aller combattre l’État
islamique en Libye7 – ce qui, compte tenu des capacités tendues des forces
armées françaises à ce moment, n’est guère plus qu’un discours politicien – afin
de retirer des voix à la droite. Le problème est que ces discours engendrent
objectivement la « radicalisation » que l’on souhaiterait éviter.
Au final, la faiblesse des gouvernements tend à stimuler le terrorisme de
deux manières : par la tentation du gouvernement de distraire l’opinion publique
des problèmes intérieurs en menant la guerre à l’extérieur, et par l’espoir pour
les terroristes qu’une faible popularité du gouvernement multiplie l’effet d’une
« opération de dissuasion ». Les gouvernements faibles sont alors pris dans un
cercle vicieux dont ils ne peuvent s’extraire sans donner l’impression de céder
aux terroristes.
Immigration et terrorisme sont deux phénomènes clairement distincts mais
qui, par opportunisme politicien et tactique, tendent à se rejoindre. En fait, cette
convergence n’est que le résultat de l’incapacité et de l’incompétence des
gouvernements à gérer ces deux phénomènes depuis des décennies.

COMPRENDRE N’EST PAS ACCEPTER


« Connais ton ennemi et connais-toi toi-même ; eussiez-vous
cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux.
« Si tu ignores ton ennemi et que tu te connais toimême, tes
chances de perdre et de gagner seront égales. « Si tu ignores à
la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats
que par tes défaites. »

Sun Tsu8

L’Occident se bat – et perd – contre un ennemi qu’il refuse de connaitre. La


réaction occidentale face au terrorisme reste très empreinte d’émotion et de
testostérone. Des expressions telles que « langage de la fermeté »,
« inacceptable », « sans compromis » font partie du quotidien dès lors que l’on
parle du terrorisme, mais s’apparentent bien souvent à une forme de vengeance
du faible, sans stratégie et sans cohérence. On se rappelle la foison de caricatures
obscènes d’Oussama Ben Laden après le 11 Septembre, sorte de bras d’honneur
fait par ceux qui n’avaient réussi ni à anticiper, ni à prévoir, ni à empêcher
malgré des ressources technologiques, humaines et financières quasi-
démesurées. Après les attaques de novembre 2015, le Premier ministre Manuel
Valls déclarait :

Rien ne peut expliquer que l’on tue à des terrasses de


cafés ! Rien ne peut expliquer que l’on tue dans une salle de
concert ! Rien ne peut expliquer que l’on tue des journalistes et
des policiers ! Et rien ne peut expliquer que l’on tue des juifs !
Rien ne pourra jamais l’expliquer9 !

Lors de la cérémonie de commémoration de l’attaque du 9 janvier 2015


contre l’Hyper Cacher de Paris, il insiste :

Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes,


qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune
explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu
excuser10 !

C’est évidemment absurde, voire idiot. Il ne faut pas confondre « expliquer »


et « excuser ». Ceci étant, cette posture de refuser une explication révèle sans
doute en partie pourquoi les mesures annoncées par le président François
Hollande, le 16 novembre 2015, pour lutter contre le terrorisme, n’ont aucune
cohérence stratégique et aucun effet préventif. Elles sont orientées sur des
actions de portée tactique et, au mieux, préemptive, et ne s’attaquent pas à ce qui
provoque la radicalisation et aboutit au terrorisme, qui pourra ainsi frapper à
nouveau.
Nous nous connaissons mal, nous surévaluons nos capacités et la force de
nos « valeurs », nous intégrons mal la substance changeante de nos sociétés
(notamment en raison de l’immigration) et nous nous cachons derrière des
principes, certes nobles, mais dont – à tort ou à raison – la lecture est
progressivement relativisée par l’apport de cultures nouvelles.
Le terrorisme doit se combattre avec intelligence, alors que c’est l’ignorance
qui domine. Nos messages sont contradictoires et incompréhensibles pour
l’adversaire. Nous l’avons vu au Liban, en Somalie, en Afghanistan et en Syrie :
nous mélangeons des finalités différentes dans nos opérations militaires et
n’avons donc pas de stratégies claires. Nous avons peur de nos propres
contradictions et de regarder notre adversaire en face. En ne tenant compte que
de ses faiblesses, nous en oublions ses forces et nous nous faisons surprendre.
En fait, les leçons de l’Histoire n’ont pas été apprises. Dans notre souci de
maintenir une distinction claire entre les « gentils » et les « méchants » durant la
dernière guerre mondiale, on a esquivé – pour ne pas dire évacué – une partie de
l’Histoire. Se souvient-on que l’une des raisons de l’attaque allemande contre la
Pologne a été le massacre de la minorité allemande de la ville de Bamberg par
les Polonais ? Que la raison pour l’annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie a
été l’appel au secours des populations allemandes face aux discriminations
linguistiques violentes dont ils faisaient l’objet ? Les mêmes causes provoquent
les mêmes effets : l’interdiction de l’usage du russe comme langue officielle en
Ukraine en 2013 sera le déclencheur des troubles en Crimée et dans le
Donbass… et là encore l’Occident – avec les mêmes acteurs – est bien plus
impliqué dans le déclenchement du conflit que la Russie, contrairement aux
apparences… mais nous sortons de notre propos.
Depuis plus de deux décennies, l’analyse qui conduit à l’élaboration de nos
stratégies est clairement faussée par une perception simpliste de l’action
terroriste. Il est trop commode de qualifier les terroristes de « fous
sanguinaires », de subordonner leur action à des troubles mentaux, ou de leur
attribuer l’objectif vague de détruire notre société et ses vertus. Comme nous
l’avons vu, les événements et leur formation montrent que les terroristes sont des
individus très rationnels qui poursuivent des objectifs précis, mais dans le cadre
d’une logique particulière, que nous devons apprendre à décrypter. Une fois
encore, il ne s’agit évidemment pas de justifier les attentats terroristes, mais de
comprendre dans quel contexte politique, militaire et doctrinal ils se conçoivent,
afin d’y apporter les réponses adéquates.
Notre regard sur la violence est partisan. Nous voyons nos invasions, nos
occupations, nos bombardements – le plus souvent au mépris du Droit
international – comme une violence légitime, puisque laïque et porteuse des
« valeurs de l’Humanité ». Nous en donnons une image « propre » à travers des
vidéos qui montrent des objectifs détruits avec précision. Alors que la violence
des autres est « barbare » et le fait de « psychopathes », nos victimes sont
importantes, mais pas celles que nous causons.
Les théoriciens de l’État islamique voient dans les actions de l’Occident la
disparition progressive et programmée par l’Occident de la « zone grise », ce qui
correspond à la « zone de paix contractuelle » (Dar al-Ahd) entre les
communautés musulmanes et non musulmanes. Cette perception est dérivée de
la déclaration de Georges W. Bush du 20 septembre 2001 : « Soit vous êtes avec
nous, soit vous êtes avec les terroristes11 ! », qui a été traduite par les islamistes
par « Soit vous êtes avec la Croisade, soit vous êtes avec l’Islam12 ». Il en est
découlé pour les islamistes la compréhension d’un affrontement inéluctable entre
les mondes musulman et chrétien, initié par l’Occident, que nos interventions ont
confirmé.
Le terrorisme des années 1995-2001 n’avait aucune ambition globale. Il
cherchait simplement à faire sortir les États-Unis de l’Arabie saoudite et du
Moyen-Orient. C’est la rhétorique américaine qui a placé ce terrorisme dans un
contexte d’affrontement entre deux systèmes de pensée, afin de dégager leur
propre responsabilité dans la conduite de leur politique conduite au Moyen-
Orient. Le terrorisme à partir de 2001 est de nature différente, car il s’inscrit
dans la dynamique de l’affrontement entre Occident et Islam, définie par le
gouvernement américain.
Lorsque l’Occident perçoit le terrorisme comme un moyen de créer et
d’étendre un Califat, l’État islamique y voit exactement l’inverse : un monde
occidental qui cherche à christianiser de force les musulmans qui y vivent ;
compréhension qui est confortée par notre vision laïque de la société et qui tend
à réprimer les pratiques religieuses (ou assimilées) qui ne correspondent pas à
certaines valeurs occidentales :
Les musulmans dans les pays croisés se trouveront
contraints à quitter leurs maisons pour un endroit où ils
pourront vivre dans le Califat, alors que les croisés
augmenteront leur persécution contre les musulmans vivant
dans les pays occidentaux et les forceront à des pratiques
apostates tolérables au nom de l’« islam », avant de les forcer
à embrasser la chrétienté et la démocratie13.

Ainsi nos réponses, comme par exemple la formation d’imams « made in


France », participent à alimenter l’idée – chez les Djihadistes – d’un Occident
qui décide de tout pour tout le monde, et contre lequel il faut résister (Djihad).
Aujourd’hui, l’État islamique est entré dans la logique énoncée par le
Président Bush, et est en guerre contre les régimes politiques alliés à l’Occident.
Dans cette démarche, il doit également affronter d’autres factions islamiques. Il
en résulte une forme de compétition, où il doit faire valoir la « qualité » de
l’islam qu’il défend, ce qui le pousse à désigner certains musulmans comme ses
ennemis. La conséquence en est une politique rigide de définitions et
d’exclusions (takfir), qui s’exprime notamment par la lutte contre les musulmans
apostats, etc. Mais sa stratégie n’implique pas (au moins pour l’instant) la
déstabilisation de l’Occident ou la lutte contre les démocraties occidentales.
Encore une fois, il ne s’agit pas d’envahir l’Occident, bien au contraire, comme
le suggère Sheikh Abou Soufiane, vice-émir de la Base du Djihad dans la
péninsule arabique :

Ils [les musulmans] doivent s’efforcer de suivre le


commandement du Messager d’Allah, qui avait prévenu les
musulmans de ne pas vivre au milieu des non-musulmans. Ils
doivent soit immigrer [vers l’Etat islamique], soit mener le
Djihad en Occident par le Djihad individuel ou avec leurs
frères dans le pays du Djihad [NdA : la Syrie] 14.

Mener le Djihad en Occident n’est donc qu’une manière d’agir sur nos
arrières, exactement comme les Alliés l’ont fait en bombardant les populations
civiles allemandes en 1942-1945, afin d’affaiblir leur soutien au régime nazi.
Ainsi, comme on l’a vu, les priorités du terrorisme individuel ne sont pas en
Occident, mais au Proche et Moyen-Orient. Actuellement, l’objectif de l’État
islamique est de s’installer comme « État » et de consolider sa présence. Dans le
processus de genèse du Califat défini par l’État islamique, on se situe entre les
phases de déstabilisation et de consolidation (Tamkin). Ces phases décrivent
clairement un mécanisme dans un environnement proche-oriental – avec des
forces rivales, des gouvernements à la solde de l’étranger et une présence
militaire étrangère –, et non en Occident15.
Les motifs pour lesquels la France a voulu s’engager en Irak et ses objectifs
stratégiques n’ont pas vraiment fait l’objet d’un débat politique. Aucune
personnalité politique (à l’exception du Front National) n’a remis en question
ces déplorables et coupables décisions de politique étrangère… Bien au
contraire, on tend à s’enfoncer davantage dans les mêmes errements.
Aux États-Unis, le débat sur la politique à l’égard du Moyen et Proche-
Orient se développe au gré des rivalités politiciennes, et suit le calendrier des
élections présidentielles. En 2014-2015, l’approche de la fin du second mandat
du Président Obama engendre les plus vives critiques de la part des
Républicains, qui n’ont cependant aucun regard critique sur les causes de la
situation actuelle, clairement imputables au « ticket Bush-Cheney ».
Il est urgent de comprendre que nous nous sommes engagés dans une spirale
de la violence, déterminée par l’asymétrie de la stratégie adverse et alimentée par
nos actions, et qui ne nous conduit nulle part. Pour la casser, il nous faudrait
admettre que notre usage de la force ne conduit à rien, et accepter que ceux que
nous combattons installent leur propre manière de gouverner, qu’elle nous plaise
ou non. Le problème est que, ce faisant, nos décideurs courraient le risque de
donner l’impression de céder aux « terroristes ». À moins de saisir l’opportunité
de changements politiques dans les puissances occidentales, nous sommes
condamnés à vivre avec des crises que nous avons créées, et que nous sommes
conduits à envenimer.

Comprendre le changement de paradigme

« Nous n’aimons pas les Taliban, mais si nous devons choisir


entre les Occidentaux et eux, nous choisirons les Taliban. »

Muhammad
Chauffeur à Kaboul

Notre incapacité à répondre valablement à la menace terroriste moderne est


due au fait que le terrorisme islamiste s’est développé en fonction de critères
nouveaux. Nous travaillons encore avec des modèles stratégiques obsolètes qui
pourraient être illustrés par la question « Comment dissuader, en punissant de
mort, des individus prêt à mourir ? »
La culture occidentale tend à s’attacher à l’apparence des choses, alors que la
mentalité islamique est plus attachée à leur substance. Phénomène qui est
illustré, partiellement au moins, par la notion de prééminence de l’intention sur
le résultat. Ainsi, notre manière de juger le terrorisme à partir de ses effets plus
qu’à partir de ses causes nous pousse à porter les mêmes jugements – et les
mêmes réponses – qu’il y a 50 ans. Tant que nous n’aurons pas intégré les
conséquences de ces changements dans nos stratégies, nous continuerons à
générer du terrorisme en voulant l’éradiquer. Pire, nous confortons les islamistes
en leur donnant l’occasion de montrer aux musulmans modérés – mais malgré
tout conscients des erreurs et de l’hypocrisie des Occidentaux – qu’ils sont ceux
qui ont le courage de s’élever contre l’arrogance et l’incohérence de l’Occident.
Il ne s’agit pas ici de dégager les terroristes de leurs responsabilités, mais il
faut également se poser des questions sur les gouvernements occidentaux qui,
par leur action – souvent inconsidérée et presque toujours illégale – exposent
leurs propres concitoyens à des actes de rétorsion. Comment peuton penser que
l’on puisse bombarder des populations avec un risque minimal, sans s’exposer
au sol, créant jusqu’à 96 % de « dommages collatéraux » (comprenez : des
femmes, des enfants et autres civils innocents) sans qu’il n’y ait aucune réaction
de l’adversaire ? Les actes terroristes sont certainement condamnables, mais aller
bombarder sans raison des objectifs, qui mettent en danger des populations
civiles, est une provocation délibérée sans doute tout aussi condamnable.
En Afghanistan seulement, il y aurait eu plus de 18 000 civils tués lors de
raids aériens16 dont l’un des incidents les plus médiatisés a été le bombardement
de l’hôpital de Kunduz, par un avion AC-130 Spectre, le 3 octobre 2015, dû à
l’incompétence des militaires américains, dont on sait qu’ils auraient pu éviter le
massacre17. Il faut bien saisir ici que, dans un contexte asymétrique, au-delà de
la question humanitaire, ces victimes alimentent la légitimité des actes terroristes
qui en sont la réponse. On pourrait pratiquement dire que les fautifs, par leur
négligence ou leur désinvolture, ont objectivement soutenu le terrorisme contre
leur propre pays.
L’affirmation est moins saugrenue qu’elle n’y paraît. L’ex-Premier ministre
britannique Tony Blair est actuellement l’objet d’une enquête pour déterminer
son degré de culpabilité dans le déclenchement sans raison d’une guerre18. Une
pétition, qui a récolté plus de 84 000 avis positifs, sur le site du parlement
britannique, demandait au gouvernement d’arrêter le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahu pour crime de guerre, lors de sa visite en Grande-
Bretagne19.
En l’état, ces initiatives ont peu de chances d’aboutir, mais elles sont assez
inédites dans l’environnement politique européen et pourraient fort bien se
développer dans l’avenir, en raison d’une population globalement plus
sensibilisée à cause de sa culture.

La dimension asymétrique de la guerre

« Notre situation est donc telle que “plus nous travaillons dur,
plus nous reculons” ? »

Donald Rumsfeld20

La guerre asymétrique a de multiples définitions, qui se basent pour la


plupart sur la différence des méthodes ou des armes utilisées. Elles constituent le
plus souvent un emballage nouveau pour une compréhension très
conventionnelle du terrorisme, qui en ignore les ressorts essentiels et empêche la
définition de stratégies adéquates pour le combattre.
Or, dans un conflit asymétrique, l’adversaire peut être comparé à un fluide
dit « non newtonien » : plus l’énergie qu’on lui applique est grande, plus il
devient dur et résistant à la déformation. Cette caractéristique, typique de
l’asymétrie islamiste, est totalement ignorée dans les doctrines occidentales.
Pourtant, elle explique que les mouvements terroristes se renforcent au gré des
interventions occidentales au lieu de se désagréger. En fait, nous traitons le
terrorisme, comme un phénomène symétrique, comme si son affaiblissement
était proportionnel à la force utilisée.

C’est ainsi que les frappes occidentales en Irak et en Syrie, dès l’été
2014, se sont sans doute super-posées à l’intervention israélienne à
Gaza pour provoquer une recrudescence des combattants étrangers et un
doublement des combattants français21 dans ces deux pays, comme devait le
constater le ministre de l’Intérieur français Bernard Cazeneuve, le 19 mai
201522. Il nous faut une fois pour toutes regarder la réalité en face et repenser
nos politiques, afin de prévenir une extension du terrorisme. Le problème, dans
cette situation, est de pouvoir se remettre en question sans sembler céder aux
pressions des terroristes. Cette difficulté à revenir en arrière sur des décisions
stratégiques devrait inciter à avoir un renseignement stratégique plus efficace et
capable d’anticiper.
Notre immobilisme stratégique est compensé par une suractivité tactique,
coûteuse, dangereuse et stérile, qui a poussé les Djihadistes à développer des
stratégies nouvelles pour contourner nos moyens techniques et tactiques,
exemplifiées par le concept de « terrorisme individuel » ou « Djihad
individuel ». Le problème se complique encore lorsque les États occidentaux
eux-mêmes ne respectent plus le Droit, le Droit international, ou l’État de Droit,
cassant ainsi les référentiels légaux, éthiques et moraux qui sont à la base de la
démocratie et justifient un « État de Jungle » où tout est permis.

UNE FAIBLESSE CHRONIQUE LE RENSEIGNEMENT


STRATÉGIQUE

« Nous ne comprenons pas ce mouvement [N.D.A. : l’État


Islamique], et tant que nous ne le comprendrons pas, nous ne
le vaincrons pas ».

Major-général Michael K. Nagata, Commandant des Opérations


spéciales de l’US Central Command (décembre 2014)23

Le paradoxe de la situation actuelle est que les moyens technologiques et


financiers dont disposent les services de renseignement n’ont jamais été plus
importants qu’aujourd’hui, mais que notre capacité à anticiper n’a jamais été
plus faible. Ce qui pourrait sans doute aussi s’expliquer par la « loi de
Parkinson24 », est plus sûrement lié à l’absence de compréhension stratégique du
terrorisme islamiste. Après les attentats de novembre 2015 à Paris, l’ex-chef des
services de renseignement suisse, Peter Regli, affirmait :

L’État Islamique a, entre autres buts, la mission d’éliminer


les « non-croyants ». La Suisse fait partie du monde occidental
et de culture judéochrétienne. Elle est donc une cible
potentielle. Les citoyens doivent être conscients qu’un
terroriste peut se faire exploser à 7 h 30 du matin à la gare de
Zurich25.

Manifestement, après un quart de siècle de lutte contre le terrorisme


islamiste, ce genre de déclaration illustre la faiblesse d’un renseignement qui se
prétend stratégique, mais a plus de points communs avec la voyance qu’avec le
renseignement lui-même. Experts en radicalisation, en islamisme, en terrorisme
et autres se sont multipliés depuis 2001, mais n’ont pas apporté la rationalité du
renseignement dans le débat : les analyses restent basées sur des professions de
foi et des impressions, souvent inspirées d’expériences dépassées et le plus
souvent guidées par l’émotion.
Le rôle premier du renseignement n’est pas de tuer, d’assassiner, de saboter
ou de pratiquer la subversion, mais de renseigner et éclairer la décision. Nous ne
disposons pas de « boule de cristal », et donc notre capacité à voir le futur est par
essence limitée. Mais nous pouvons identifier les paramètres qui influenceront
l’avenir et évaluer leur importance relative dans la configuration des événements
futurs. Un élément essentiel de cette démarche est de comprendre comment
« pense » l’adversaire, quels sont ses schémas de réflexion et sa manière de
réagir aux événements. Cette compréhension doit se faire sans état d’âme et dans
l’objectivité la plus complète possible, car elle n’est pas destinée à nous
conforter, mais à comprendre le monde avec les yeux de l’adversaire. Même si
cette manière de voir nous déplaît. C’est le rôle fondamental du renseignement.
La qualité du renseignement et des « services » est difficile à juger sur la
base de quelques documents seulement. Dans un État de droit, les mécanismes
de surveillance parlementaire ne doivent pas se limiter à des contrôles de
gestion, mais aussi être en mesure de remettre en question la qualité des
produits. En démocratie, où les décisions sont prises ration-nellement en
fonction de processus de décision transparents, on peut s’attendre à ce que les
dirigeants politiques consultent leurs organes de renseignement avant de prendre
des décisions de politique étrangère. La pertinence des décisions devrait alors –
en théorie au moins – donner une indication sur la qualité du renseignement
stratégique. Or, la chaîne de ces événements, qui va de l’Afghanistan au
Bataclan, démontre que l’on se trouve dans des processus décisionnels itératifs,
alimentés par une absence chronique d’analyse prévisionnelle de la part des
instances de renseignement.
Toutefois, avant de blâmer les services de renseignement ou leurs analyses, il
convient d’examiner soigneusement la qualité de l’interaction entre le
gouvernement et ses services. Sans véritable communication entre eux, la
meilleure analyse du monde ne servira à rien. Dans la situation actuelle, le risque
est que le traitement du terrorisme ne soit pas guidé par un souci d’efficacité,
mais par des considérations politiciennes cadencées au rythme du calendrier
électoral : peu importe la nature de l’ennemi ou la pertinence de la solution,
l’essentiel est que le discours soit suffisamment musclé pour convaincre
l’électorat.
Ces considérations pourraient expliquer que, si une évaluation stratégique a
manqué avant les interventions en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, les
exécutions extra-judiciaires se sont multipliées sous les présidences respectives
de Barack Obama aux États-Unis, et de François Hollande en France. Il apparaît
clairement que les priorités des réformes et améliorations engagées ces dernières
années dans les services occidentaux ont privilégié les organes de collecte et
d’action tactiques au détriment des structures de renseignement et d’analyse
stratégique. Les débats sur les lois sur le renseignement en France et en Suisse
en 2015 ont clairement démontré que les parlements de ces deux pays n’ont pas
compris les enjeux et ont probablement accru la vulnérabilité de leurs pays
respectifs au terrorisme, comme l’avaient fait les États-Unis et la Grande-
Bretagne au début des années 2000.
Dans la pratique, en règle générale, plus on se rapproche du « champ de
bataille » (ce terme devant être compris dans son sens le plus large) dans le
temps et dans l’espace, plus les sources confidentielles prennent de l’importance,
mais à l’inverse, plus on s’en éloigne, plus l’information ouverte est
significative. Comme nous l’avons vu, toutes les crises de ce dernier quart de
siècle étaient prévisibles, à partir d’informations ouvertement disponibles à ce
moment-là. Cette constatation devrait conforter le travail des services de
renseignement stratégiques nationaux26 et surtout les organes de renseignement
des organisations supranationales comme les Nations unies ou l’OTAN, qui
devraient pouvoir se situer au-dessus des intérêts nationaux. Or il n’en est rien.
Le renseignement dont manquent manifestement les Occidentaux est un
véritable outil stratégique, capable de comprendre la pensée des terroristes et
d’en restituer une image cohérente. En matière de lutte contre le terrorisme, le
renseignement stratégique comprend l’identification des points de rupture – qui
déterminent le moment où un mouvement est prêt à passer de l’action politique à
l’action violente –, des centres de gravité, qui permettent de déterminer les
points vulnérables du mouvement terroriste et de sa stratégie, (notamment la
définition, les éléments asymétriques de la stratégie terroriste et les champs dans
lesquels elle s’applique). Il doit apporter les éléments pertinents pour la
prévention du terrorisme et contribue à la prise de décisions visant à éviter le
développement d’une situation génératrice de plus de terrorisme.
La principale difficulté ici est, la plupart du temps, d’obtenir l’écoute des
décideurs politiques. En effet, il s’agit souvent d’alimenter des décisions de long
terme, auxquelles les décideurs politiques sont peu sensibles, trop concentrés sur
le calendrier des échéances électorales. On affirme souvent que le renseignement
ne peut avoir d’état d’âme, mais on comprend trop souvent cette expression
comme la capacité d’agir froidement. Or, la vraie signification est quelque peu
différente : il faut savoir présenter les faits au décideur, même s’ils ne lui
conviennent pas, car le renseignement doit apporter une image à la fois claire et
la plus objective possible de la situation. C’est au décideur de formuler des
options politiques sur cette base et de prendre ou non les décisions qui
s’imposent. Malheureusement, dans le renseignement contemporain, on trouve
plus de courageux pour bombarder à partir d’un drone que pour faire face au
décideur avec une analyse qui contredit sa politique.

À LA RECHERCHE DE SOLUTIONS
S’il y avait le plein-emploi à des salaires décents en Irlande
du Nord, l’IRA serait-elle aussi active ? Si le gouvernement
d’Israël autorisait simplement la liberté de commerce sur une
base égale avec les Palestiniens, est-ce que leur inclination
envers le terrorisme serait aussi grande ? […] Le terrorisme
est probablement faux dans toutes les circonstances, mais il y
en a trop dans lesquelles il peut être compréhensible, peut-être
même pardonnable. Nous devons faire ce que nous pouvons
pour minimiser les « circonstances » de cette sorte27.

Jan Narveson

Poser le problème correctement

« La tactique sans stratégie n’est que du bruit avant la défaite. »


Sun Tsu

Les évidences sur lesquelles nous basons nos jugements ne sont souvent que
des perceptions et ne reflètent pas nécessairement la réalité objective des choses.
Mais on peut admettre que d’autres – en particulier nos adversaires – puissent
avoir une lecture différente de la réalité, voire développer une vision plus
objective que nous de cette même réalité. L’opinion publique occidentale reste
convaincue de la culpabilité d’Oussama Ben Laden dans le 11 Septembre,
malgré l’absence totale de preuves matérielles et les affirmations mêmes des
Américains qui le disculpent depuis 2006 au moins. Ce simple fait devrait
éveiller notre attention et nous rendre plus prudents.
Si les Européens continuent à se faire littéralement mener par le « bout du
nez » par les États-Unis, c’est essentiellement parce qu’ils n’ont pas su, en plus
de 20 ans, développer des capacités analytiques de renseignement capables de
question-ner les divers aspects stratégiques de la guerre. Dans chaque cas, les
répercussions et conséquences des crises étaient connues ou prévisibles.
Les événements de 2001, 2004, 2005 ou 2015 ont, à juste titre, provoqué
notre émoi et notre compassion. Mais fai-sons-nous preuve de la même
sollicitude à l’égard des victimes innocentes que nous causons, sans aucune
raison, dans des opérations que nous avons déclenchées ou autorisées en toute
connaissance de cause ? Nous entraînons des combattants à achever les
prisonniers, nous attaquons des pays et renversons des gouvernements au mépris
du droit international. Si les armes deviennent plus précises, les méthodes de
ciblage par des « combattants », bien à l’abri à des milliers de kilomètres du
champ de bataille, ont accru le nombre de victimes civiles en nous forgeant une
image de lâches… pas très différente de ce que recouvre la notion de
« terroristes »…
Le problème ne se situe pas seulement dans les conflits ouverts, mais
également dans la multitude d’actions politiques maladroites qui contribuent à la
radicalisation des jeunes et dont nous avons déjà mentionné certaines. À cela
s’ajoutent des événements mineurs dans leur essence, mais qui tendent à
alimenter ce processus, comme les images de ces Israéliens, qui viennent se
distraire en regardant et en applaudissant les bombardements sur Gaza28, ou
l’audition au commissariat de police de Nice d’un enfant de 8 ans, qui aurait
tenu des propos solidaires des auteurs des attentats de janvier 2015 à Paris29.
Le monde occidental – et donc, en majorité chrétien – est certes considéré
comme un ennemi par les Djihadistes, pour les raisons vues précédemment.
Toutefois, dans cette situation, il faut se garder de faire des amalgames trop
faciles, qui ne font qu’accroître les tensions avec les communautés musulmanes.
Trois points méritent d’être soulignés :
En premier lieu, les musulmans – y compris les Djihadistes – ont du respect
pour les croyants quels qu’ils soient. Juifs, chrétiens et musulmans sont tous des
« peuples du livre » (Ahl al-Kitab) selon le Coran. Ainsi, des personnages
comme Jésus (Issa) ou Marie (Maryam) font aussi partie de la religion
musulmane, avec des rôles évidemment différents, mais importants. En Syrie, le
Front al-Nosrah, par exemple, comprend des Phalanges de Jésus fils de Marie
(Kataeb Issa bin Maryam). Dans le Califat tel qu’il existait entre le VIIe et le
XVe siècle, les chrétiens et les juifs avaient un statut particulier (dhimmi), qui
les dispensait de l’impôt religieux obligatoire pour les musulmans (zakat), mais
les soumettait à un impôt particulier (jizyah) et leur interdisait de faire partie de
l’armée. Mais il n’y avait pas de politiques de conversions forcées, comme les
ont pratiquées les Chrétiens en Amérique du Sud ou en Espagne.
En deuxième lieu, et dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, ce que
les Djihadistes reprochent aux Occidentaux en général est leur abandon des
pratiques religieuses, raison pour laquelle ils nous qualifient volontiers
d’« apostats ». La notion de laïcité est souvent perçue et instrumentalisée dans
une perspective « marxiste ». Nous avons tendance à comprendre la laïcité
comme une sorte de « page blanche » qui doit faciliter la communication entre
communautés et qui nous conduit parfois à « laïciser » des fêtes religieuses
chrétiennes et en oublier leur sens profond. C’est une erreur que d’abandonner
les symboles traditionnels chrétiens, (comme la crèche de Noël), ou de
renommer des manifestations comme on l’a vu dans certaines communes de
France et de Belgique (comme le « marché de Noël » à Bruxelles, qui devient les
« Plaisirs d’Hiver »). Dans des régions où l’on a délibérément encouragé une
immigration musulmane, il faut l’assumer, mais pas au détriment des autres
croyances, bien au contraire. Sans quoi, nous alimentons l’image que les
islamistes ont de notre « apostasie », et contribuons – sur le plan stratégique – à
leur radicalisation. La diversité n’est pas un choix entre deux cultures, mais leur
coexistence acceptée et raisonnable.
En troisième lieu, à tort ou à raison, le monde tend à fonctionner au diapason
occidental : en droit international, dans le commerce, dans la culture, dans les
habitudes alimentaires, en économie, dans les mœurs, etc. En Europe, cette
« uniformisation » génère un sentiment croissant de perte d’identité et de
souveraineté au profit d’une situation qui n’est pas meilleure, alimentant ainsi les
mouvements politiques souverainistes et indépendantistes. Au Proche-Orient,
cette tendance a été accentuée par des interventions militaires, dont le but avoué
était de transformer les sociétés et d’y imposer des standards occidentaux. Dès
lors, l’objectif du Djihad est d’empêcher cette « occidentalisation » forcée de la
société ; même si dans ce contexte les Chrétiens représentent l’ennemi, il ne
s’agit pas de détruire leur (notre) société.
Actuellement en Occident, nous avons tendance à mélanger deux
phénomènes pourtant distincts par essence : l’immigration musulmane et le
terrorisme. Les deux ont été et continuent à être piètrement gérés, et leur
convergence aujourd’hui à travers des actes violents n’est que la conséquence du
manque de vision politique à long terme de nos dirigeants, plus le résultat d’une
grande stratégie islamiste pour subjuguer l’Occident. En refusant de chercher à
expliquer le terrorisme – comme Manuel Valls le préconise – les gouvernements
occidentaux entretiennent une confusion qui masque leurs erreurs stratégiques.
Ce déni accentue les tensions internes de la société, et autorise des affirmations
simples (comme l’interdiction du territoire américain aux musulmans proposée
par le candidat à la présidence des États-Unis, Donald Trump30) qui tendent à
encourager la radicalisation et, à terme, le terrorisme.
Adopter une attitude critique

« À force de tout voir on finit par tout supporter…


À force de tout supporter on finit par tout tolérer…
À force de tout tolérer on finit par tout accepter…
À force de tout accepter on finit par tout approuver ! »

Saint Augustin

La dimension asymétrique des conflits est exacerbée par un accès illimité à


l’information et doit nous inciter à avoir une réflexion stratégique « en creux ».
La liberté d’expression n’est pas un but en soi. Elle a pour objectif de lutter
contre l’obscurantisme et la dictature. Elle n’est pas à géométrie variable et la
limiter ne fait que favoriser la radicalisation, les sentiments d’injustice. En
France, c’est la leçon des épisodes Dieudonné et Charlie Hebdo : ce qui génère
les postures radicales n’est pas le discours lui-même, mais le « deux-poidsdeux-
mesures » qui accompagne son jugement. La démocratie et ses arguments
doivent être suffisamment forts pour être amenés dans la discussion, sans
nécessiter des législations qui canalisent les points de vue – comme les lois
mémorielles. Le problème est qu’à force d’avoir dissimulé les réalités derrière
des apparences de vérités, nos démocraties ont perdu de leur force.
Le terrorisme est une chose inadmissible, mais ne faisonsnous pas tout pour
le provoquer ? L’étude de ces 35 dernières années nous montre qu’aucune de nos
interventions militaires n’était nécessaire, que toutes ont été des tentatives de
régler des problèmes créés précédemment et justifiées par des mensonges, que
nous avons acceptés et diffusés, sans nous poser de questions, et pour lesquels
nous, citoyens, n’avons demandé aucun compte à nos autorités. Nous ne
connaîtrons jamais le nombre de victimes innocentes que nous avons tuées en
Afghanistan, en Irak et en Syrie, les estimations (sans compter les effets des
embargos) tournent autour de 250 000 femmes, enfants, mères, sœurs, maris,
fils… sans raison ! et sans résultat, car tous ces engagements se sont soldés par
des défaites et une aggravation du sort de ceux que l’on voulait aider.
L’indifférence qu’oppose l’Occident aux victimes qu’il génère dans le
monde, et le souci qu’il a d’exalter ses propres victimes dans un « deux-poids-
deux-mesures » flagrant ici aussi, ne sont plus acceptés par des opinions
publiques qui suivent en détail les évolutions du monde et perçoivent ces
incohérences.
Combien avons-nous déposé de fleurs, allumé de bougies, et versé de larmes
pour les 500 000 enfants irakiens morts à cause de notre embargo, seulement
coupables d’être nés sous une dictature ?

Anticiper

« Plutôt que de penser qu’ils ne viendront pas, Nous attendrons


qu’ils apparaissent. »
« Plutôt que de penser qu’ils n’attaqueront pas, Nous
apparaîtrons à l’endroit qu’ils ne pourront pas attaquer. »

Sun Tsu
L’Art de la Stratégie (Livre Vlll)

On pourrait se limiter à affirmer que la particularité du terrorisme est


précisément d’être imprévisible. Mais ce n’est que partiellement vrai. Sur le plan
tactique, il est extrêmement difficile de prévoir un attentat terroriste sans être
dans l’intimité des terroristes eux-mêmes ; et les diverses mesures prises par tous
les services de renseignement occidentaux pour accéder à cette intimité à travers
le renseignement électronique en montrent les limites. Mais au niveau
stratégique, la chose est différente : on peut assez bien anticiper les situations qui
favoriseront l’éclosion du terrorisme. Et si l’on écoute la doctrine des groupes
islamistes, qui expliquent – et démontrent – que le terrorisme n’est qu’une
réponse aux actions de l’Occident, on peut tenter d’admettre qu’il existe une
manière de stopper cette violence.
Cela implique la mise en place d’une stratégie de lutte contre le terrorisme.
Or, étrangement, aucun pays majeur, touché par le terrorisme, n’en a établi.
L’Union européenne a adopté en 2005 une « stratégie31 », qui n’est cependant
qu’une accumulation de mesures sans réelle cohérence stratégique, et qui suit
dans les grandes lignes ce qui a été adopté au niveau de quelques nations.
Il faut donc réfléchir au niveau stratégique et non plus au niveau
opérationnel. Cette démarche devrait être d’autant plus importante dans les pays
occidentaux, où une partie toujours plus large de l’opinion est susceptible
d’avoir des sympathies pour l’adversaire. Que les menaces d’Al-Baghdadi
d’infiltrer des terroristes parmi un demi-million de réfugiés se vérifient ou pas, il
est clair que la sensibilité de la population résidente en Europe est de plus en
plus proche du monde islamique et deviendra donc toujours plus critique par
rapport à nos politiques étrangères dans cette région. Cette évolution des
sensibilités est lente et sera sans doute affectée par l’évolution démographique
plutôt favorable aux populations immigrées. Ainsi, on peut s’attendre, à terme, à
des changements significatifs d’orientation dans des politiques qui semblent
aujourd’hui acquises, comme par exemple le soutien occidental inconditionnel à
Israël.
La réflexion stratégique doit s’accompagner d’une plus grande cohérence et
d’une plus grande justice dans nos relations avec les uns et les autres au niveau
international. Si l’on peut admettre la fermeté à l’égard des dictatures et régimes
autoritaires de l’hémisphère sud, il faut également adopter la même rigueur à
l’égard des pays qui violent délibérément et systématiquement le droit
international et les droits humains – comme les États-Unis – ou bafouent les
décisions des Nations unies – comme Israël, qui détient le record mondial en la
matière32.
La France et les États-Unis ont une approche très similaire dans leur lutte
contre le terrorisme. En insistant sur son caractère religieux et en ignorant qu’il
n’a fait que répondre aux erreurs politiques de l’Occident, ces deux pays ont créé
davantage de terrorisme. Sans stratégie d’ensemble, des opérations présentées
comme des succès comme les opérations SERVAL et BARKHANE n’ont eu
que des effets tactiques et superficiels et n’ont pas traité la racine du mal. Une
approche qui s’appuie sur des alliances avec des régimes antidémocratiques,
perçus comme plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme, a fait de
l’islamisme violent une plateforme « idéale » pour l’expression des
revendications sociales ou politiques – comme avec Boko Haram au Nigeria – et
fédéré des mouvements de natures diverses, comme au Mali.
On ne pourra pas éliminer le terrorisme avec des tactiques réactives, qui
implicitement refusent d’anticiper la possibilité d’attentats et se limitent à les
punir. On ne pourra pas éli-miner le terrorisme si les parlements acceptent que
des exécutifs faibles tentent de restaurer leur image de leader en allant porter la
guerre dans des zones déjà fragiles. On ne pourra pas éliminer le terrorisme si les
parlements et les opinions publiques acceptent sans esprit critique les
justifications qu’on leur donne, pour mettre en jeu des vies humaines. En
n’exigeant pas de la part de l’exécutif des stratégies d’action claires et orientées
sur le long terme, les parlements se font complices objectifs de manœuvres
politiciennes et contribuent au délitement de la société.
Quelle qu’ait été la genèse des évènements actuels, nous ne pouvons rester
passifs devant cette situation. C’est un fait, mais la réponse ne peut être simple.
Premièrement, nous sommes toujours la veille d’un lendemain. Jusqu’à
présent, nos réponses ont été uniquement de nature tactique, prenant en compte
des situations passées ou présentes, mais jamais leurs conséquences dans
l’avenir. Le futur se construit aujourd’hui et nos réponses aux problèmes d’hier
doivent être prises en fonction des répercussions qu’elles auront demain. Elles
doivent s’inscrire dans une cohérence de long terme et éviter de générer des
problèmes supplémentaires. En admettant que nous arrivions à éliminer l’État
islamique, quelle sera la situation en Syrie ? L’opposition restante (qualifiée de
« modérée ») sera-t-elle moins radicale que ne l’était l’État islamique ? Nous
connaissons déjà la réponse à cette question : « Non », et la Libye nous en
fournit un exemple. Nous trouverons les mêmes forces islamistes – sous un autre
nom – contre le régime syrien, surtout s’il a été changé sous la pression des
Occidentaux. En admettant que le régime de Bachar al-Assad soit éliminé,
comment le pouvoir sera-t-il configuré ? Qui sera alors l’interlocuteur de
l’Occident dans un processus de reconstruction ? Ici également nous connaissons
la réponse : dans l’état actuel des choses, ce seront des islamistes.
Deuxièmement, concernant le Proche et Moyen-Orient, nous devons – et
devrons toujours plus – comprendre et tenir compte de perceptions basées sur
une lecture différente des réalités. En considérant que nous avons
significativement déformé la réalité des choses jusqu’à présent, nous devrons
admettre que nos adversaires puissent avoir une autre vision, qui peut être plus
pertinente, du passé. Ceci d’autant plus que cette perception sera toujours plus
présente au sein même de nos propres sociétés et, avec humilité et subtilité, nous
devons l’accepter, pas nécessairement pour changer nos objectifs, mais pour les
formuler et les atteindre plus intelligemment.
Finalement, l’histoire de ces 35 dernières années montre que nous avons
systématiquement répondu à un problème en en créant un nouveau. En
particulier, parce que nous n’avons pas su moduler nos outils de réponse. Nous
répétons à l’envi qu’il « n’y a pas de solution militaire » aux conflits irakien,
afghan, libyen et syrien. Mais nous n’avons jamais été capables d’engager
d’autres moyens que la guerre. Or, pour contenir l’islamisme il faut en amortir le
choc, plus que tenter de le bloquer net. Par analogie avec les arts martiaux, on
constate que l’Occident privilégie le karaté – en cher-chant à frapper un
adversaire trop agile pour lui – alors qu’il devrait pratiquer l’aïkido – en utilisant
la force de l’adversaire lui-même pour le neutraliser. Il est significatif de
constater que le seul pays où la « révolution arabe » semble avoir fonctionné est
le seul pays où l’Occident ne soit pas intervenu : la Tunisie.
Nous ne pouvons pas vaincre le terrorisme en pourchassant des terroristes.
C’est un véritable rocher de Sisyphe, rendu quasiment impossible par la nouvelle
doctrine des Djihadistes. Si nous voulons avoir un succès contre le terrorisme, il
nous faut nous pencher sur ses causes réelles, et non sur les causes que nous
avons imaginées ces dernières années.
Par leurs errements, les gouvernements américain, britannique et français ont
été les principaux promoteurs du terrorisme islamiste. Il n’y a pas de remède
miracle à cet état de fait, mais nous pouvons éviter qu’il se développe dans le
futur en portant un regard plus objectif, plus critique et mieux informé sur nos
propres activités dans le monde et l’intégrer dans nos décisions. Il nous faut
adopter une attitude plus retenue, plus mesurée et plus intelligente, dont le but
est de retirer aux terroristes la substance qui nourrit leur détermination et leur
audience.

« Ceux qui peuvent vous faire croire en des absurdités pourront


vous faire commettre des atrocités. »
Voltaire

1. Sun Tsu, The Art of Strategy, (traduit par R.L. WING), New York, 1988, Livre III.
2. Philip Smith, Why War? - The Cultural Logic of Iraq, the Gulf War, and Suez, University of Chicago
Press, 2005.
3. Pauline Fréour, « 2012 : un sondage donne Le Pen devant DSK et Sarkozy », lefigaro.fr, mis à jour le 8
mars 2011.
4. Maxime Vaudano, « Chômage : le biais de François Hollande », lemonde.fr, 29 juillet 2015.
5. Nous admettrons ici que pour les États-Unis, l’intervention en Irak pouvait constituer une sorte
d’obligation morale, compte tenu que le problème est arrivé en raison de leur manque de jugement.
6. The XX Committee, The Lessons of Mali, 16 janvier 2013 (http://20committee.com/2013/01/16/the-
lessons-of-mali/)
7. Interview de Manuel Valls, France Inter, 11 décembre 2015.
8. Sun Tsu, L’art de la Guerre, Wikisource (https://fr.wikisource.org/wiki/L%E
2%80%99Art_de_la_guerre). (Sun Tsu, Chapitre 12 – L’essence du triomphe, The Art of Strategy,
traduction de R.L. Wing, Dolphin/Doubleday, New York, 1988).
9. « Pour Valls, il ne peut y avoir d’ “explication” possible aux actes des Djihadistes », lefigaro.fr, 9 janvier
2016.
10. Ibid.
11. « Either you are with us or you are with the terrorists », YouTube (https://www.youtube.com/watch?
v=cpPABLW6F_A)
12. « The Extinction of the Grayzone », Dabiq Magazine, n° 7, p.54.
13. « The Extinction of the Grayzone », Dabiq Magazine, n° 7, p.66.
14. Vice Emir de la Base du Djihad dans la Péninsule Arabique, Inspire Magazine, n° 2, automne 2010, p.
44.
15. Voir « From Hijra to Khilafat », Dabiq Magazine, n° 1, pp. 34-40.
16. « Afghan conflict: What we know about Kunduz hospital bombing », BBC News, 25 novembre 2015.
17. Rod Nordland, « U.S. General Says Kunduz Hospital Strike Was ‘Avoidable’ », The New York Times, 25
novembre 2015.
18. Christopher Hope, « Tony Blair “could face war crimes charges” over Iraq War », The Telegraph, 6
janvier 2015.
19. « UK government dismisses petition to arrest Netanyahu », Times of Israel, 26 août 2015.
20. Mémorandum du 16 octobre 2003, de Donald Rumsfeld (Secrétaire à la Défense), adressé à diverses
personnalités du département de la Défense : général de l’Air Force Richard Myers, chef du Joint Chiefs
of Staff; vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz; général des Marine Peter Pace, vice-chef du Joint
Chiefs, et Douglas Feith, sous-secrétaire à la Défense pour la Stratégie (USA Today, 22 octobre 2003).
21. NOVOpress, « Djihad : en 18 mois, +100 % de combattants Français en Syrie, +200 % d’“impliquées” »,
19 mai 2015.
22. http://www.dailymotion.com/video/x2qnlp1_Djihadisme-le-nombre-defrancais-impliques-en-hausse-de-
203-par-rapport-a-2014_news
23. Eric Schmitt, « In Battle to Defang ISIS, U.S. Targets Its Psychology », The New York Times, 28
décembre 2014.
24. La « Loi de Parkinson », énoncée en 1955, stipule qu’une « tâche nécessite toujours tout le temps dont on
dispose pour l’effectuer ».
25. « Le Renseignement est pieds et poings liés », 20 Minutes, 17 novembre 2015.
26. En France : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la Direction du renseignement
militaire (DRM) ; en Grande-Bretagne : le Secret Intelligence Service (SIS) ; en Italie : l’Agenzia per le
Informazioni e la Siccurezza Esterna (AISE) ; aux États-Unis : la Central Intelligence Agency (CIA) ; en
Allemagne : le Bundesnachrichtendienst (BND).
27. Jan Narveson, « Terrorism and Morality », Violence, Terrorism, and Justice, Ed by R.G. Frey &
Christopher W. Morris, Cambridge University Press, New York, 1991.
28. https://www.youtube.com/watch?v=pFdBtZgnHlE
29. « Âgé de 8 ans, il est entendu pour apologie du terrorisme », Europe 1, 29 janvier 2015.
30. Patrick Bèle, « Donald Trump veut interdire l’entrée des musulmans aux États-Unis », lefigaro.fr, 8
décembre 2015.
31. Conseil de l’Union européenne, 30 novembre 2005 – Stratégie de l’Union européenne visant à lutter
contre le terrorisme (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al33275).
32. Shlomo Shamir, « Study: Israel Leads in Ignoring Security Council Resolutions », Haaretz, 10 octobre
2002.
TABLE DES MATIÈRES

Préambule

LES ACTEURS
Les États-Unis
Une histoire de manipulations
Des intérêts sans stratégie
Le bouleversement programmé du Moyen-Orient
Israël
Une Histoire entre mythes et réalités
Territoires occupés et frontières
La stratégie du chaos
L’Iran
L’Iran et son environnement stratégique
Un contexte régional bouleversé
La Turquie
L’Arabie Saoudite et les Émirats

« AL-QAÏDA », LE MYTHE FONDATEUR


Les racines historiques
Une invention américaine
Oussama Ben Laden innocent ?
Après le « 9/11 » – Entre fantasmes et réalité
La dimension asymétrique du Djihadisme
Les attentats de Madrid et Londres
Une machinerie terroriste mal comprise

À LA SOURCE DES PROBLÈMES


La première guerre du Golfe – le péché originel
La naissance d’une doctrine djihadiste
Les frappes de 1998 – La route vers le 11 Septembre
Le 11 Septembre
La guerre en Afghanistan
Les Taliban et « Al-Qaïda »
La confusion des genres
La guerre en Irak
Caprices américains – Incapacité européenne
Mensonges et incompétences britanniques
La deuxième naissance du Djihadisme
La guerre en Libye
Un mandat détourné
La préparation de la crise syrienne
La guerre en Syrie et la montée de l’État islamique
La Syrie – La confusion entre les deux Assad
La rébellion syrienne et son soutien occidental
L’intervention russe
Caricatures et démocratie
Qui maîtrise le passé, maîtrise le présent
L’Occident dans son carcan intellectuel
Les attentats de 2015 en France
La politique de l’autruche

LE TERRORISME DJIHADISTE AUJOURD’HUI


Définition
Djihad et guerre asymétrique
La prééminence de l’intention sur le résultat
La notion de victoire
La notion d’espace
La nature du terrorisme
Les djihadistes – psychopathes ou fous ?
Un profil inattendu
Une dimension religieuse mal comprise en Occident
Le « Djihad ouvert »
Principes de base
Théorie militaire de l’Appel à la Résistance Islamique Globale
(ARIG)

LE CONSTAT
Une société en mutation
Une vision ethnocentrique du monde
Le nouveau logiciel de nos sociétés
Le mythe de la puissance américaine
Le mirage du renseignement électronique
Quelle sécurité ?
Les services de renseignement
Un déficit analytique chronique
« Intelligence-led Operations »
Le renseignement et la lutte contre le terrorisme
Guantánamo
La conduite de la guerre
La torture – Erreur tactique et trahison stratégique
Contre-terrorisme ou antiterrorisme ?
L’action préventive : le contre-terrorisme
L’action préemptive : l’antiterrorisme

CONCLUSIONS
L’agressivité, symptôme de faiblesse gouvernementale
Comprendre n’est pas accepter
Comprendre le changement de paradigme
La dimension asymétrique de la guerre
Une faiblesse chronique – le renseignement stratégique
À la recherche de solutions
Poser le problème correctement
Adopter une attitude critique
Anticiper
Achevé d’imprimer par
Laballery,
en avril 2016
N° d’imprimeur : 603411

Dépôt légal : avril 2016

Imprimé en France

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