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Art, individu et société ISSN :


1131-5598
ais@ucm.es
Université Complutense de Madrid
Espagne

León-Casero, Jorge ; Cámara-Menoyo, Carlos


L'architecture de la séduction : une analyse des architectures numériques dans la société
de consommation
Art, individu et société, vol. 27, no. 3, 2015, pp. 447-462
Universidad Complutense de Madrid
Madrid, Espagne

Disponible à l'adresse suivante : http://www.redalyc.org/articulo.oa?id=513551298006


Numéro complet
Système d'information
Plus d'informations sur l'article scientifique Réseau de revues scientifiques en Amérique latine, dans les
Page du journal à redalyc.org Caraïbes, en Espagne et au Portugal
Projet académique à but non lucratif, développé dans le cadre de l'initiative de libre
accès.
L'architecture de la séduction :
Une analyse des architectures
numériques dans la société de
consommation
L'architecture de la séduction :
Une analyse des architectures numériques dans la société de
consommation

JORGE LEÓN-CASERO
Université San Jorge (Saragosse)
jleon@usj.es

CARLOS CÁMARA-MENOYO
Université San Jorge (Saragosse)
ccamara@usj.es

Reçu le 25 août 2014


Approuvé : 20 mai 2015

Résumé
Actuellement, les nouvelles technologies numériques utilisées en architecture le sont
principalement au service d'une conception de l'architecture comme un bien culturel parmi d'autres de
la société de consommation. Dans ce cadre culturel néolibéral, la fonction sociale des architectes n'est
plus comprise comme la production de faits urbains construits avec une vocation de service, mais
comme un autre maillon de la logique symbolique qui régit la production sociale de valeurs culturelles
telle que définie par Veblen et développée par Baudrillard. Ainsi, le potentiel apporté par les nouvelles
technologies numériques de représentation, plutôt qu'un instrument dédié à la pré-vérification du
bâtiment construit, est orienté vers deux modèles principaux. D'une part, le développement
d'architectures purement virtuelles, configurées exclusivement sur la base de leur valeur symbolique en
tant qu'"image" artistique facilement reproductible. D'autre part, tous les projets qui, tout en maintenant
l'accent sur l'architecture en tant que fait construit, fondent leur valeur symbolique sur l'image de
l'auteur et sur une esthétique virtuelle imposée à la matérialité de l'architecture. La fonction de service
social de l'architecte a définitivement atteint un tournant.
Mots-clés : architecture numérique, Baudrillard, esthétique virtuelle, fonction sociale de l'architecte,
spéculation
culturel.

León-Casero, J., Cámara-Menoyo, C. (2015) : L'architecture de la séduction : une analyse d e s


architectures numériques dans la société de consommation. Art, individu et société, 27(3) 447-462.
Résumé
Art, individu et société 447 ISSN : 1131-5598
2015, 27(3), 447-462 http://dx.doi.org/10.5209/rev_ARIS.2015.v27.n3.46485
Jorge León-Casero, Carlos Cámara-Menoyo L'architecture de la séduction...

Actuellement, les nouveaux outils numériques utilisés en architecture sont souvent au service d'une
conception de l'architecture comme bien culturel de la société de consommation. Dans ce cadre culturel
néolibéral, la fonction sociale des architectes n'est plus considérée comme la production de faits urbains avec
un sens du devoir, mais comme un élément de la logique symbolique qui régit la production sociale de
valeurs culturelles telle qu'elle a été définie par Veblen et développée par Baudrillard. Par conséquent, le
potentiel offert par les nouveaux outils numériques utilisés dans la représentation est passé d'un
instrument utilisé pour vérifier un projet construit à deux modèles principaux différents : d'une part, le
développement d'architectures virtuelles pures qui sont exclusivement configurées dans leur valeur
symbolique en tant qu'"images" artistiques facilement reproductibles. D'autre part, le développement de
tous les projets qui, tout en maintenant leur attention sur l'architecture en tant que fait construit,
fondent leur valeur symbolique sur l'image de l'auteur et sur une esthétique et une logique virtuelles
qui prévalent sur la matérialité de l'architecture. Le sens du devoir des architectes est définitivement
arrivé à un tournant. Mots-clés : architecture numérique, Baudrillard, esthétique virtuelle, sens du devoir de
l'architecte, spéculation culturelle.

Résumé : 1. problème théorique : représentation. La consommation. Technologie. Séduction, 1.1. de


la représentation, 1.2. de la consommation, 1.3. de la technologie numérique, 1.4. de la séduction, 2.
des effets pratiques. Consommation, 1.3. technologie numérique, 1.4. séduction, 2. des effets
pratiques. Architectures virtuelles. Esthétique virtuelle. Virtualisation de la tectonique, 2.1.
architectures virtuelles, 2.2. De l'e s t h é t i q u e v i r t u e l l e , 2 . 3. De la virtualisation de la
tectonique, 3. Des conclusions désespérées, désespérantes. Références.

Cet article présente les résultats de la recherche "Social Risk Map" financée par le ministère de
l'économie et de la compétitivité, programme de R&D&I orienté vers les défis de la société, 2013.

1. A partir de la problématique théorique : Représentation. La consommation.


Technologie numérique. Séduction

1.1. Représentation
D'une manière ou d'une autre, la considération symbolico-culturelle de
l'architecture construite et de sa simple représentation artistique a accompagné la
discipline de l'architecture depuis ses débuts à la Renaissance. Dès le premier livre du De
Re Aedificatoria d'Alberti, il est fait référence à l'essence du fait architectural comme
lineamenta, c'est-à-dire non pas la matérialité tectonique de la chose construite, mais
"la manière dont tous les éléments singuliers sont agencés pour composer un
ensemble cohérent capable de faire partie du beau et d'exercer une influence
ennoblissante" (Alberti, 1988, p. 87). Cela implique que l'essence du fait architectural
peut être observée aussi bien dans l'œuvre construite que dans la représentation de celle-
ci, traditionnellement réalisée à travers le dessin de plans, d'élévations et de coupes.
Cependant, de ce point de vue, il existe des différences majeures entre les concepts
traditionnels de "dessin" ou de lineamenta comme outil de représentation, et le
concept moderne d'"image".
Dans le cas des lineamenta, Alberti divise son célèbre chapitre en six parties :
Regio (zone), Area (parcelle), Partitio (disposition), Paries (murs), Tectum (toits) et
Aperitio (ouvertures). En d'autres termes, les lineamenta sont conçus en termes d'utilitas
intrinsèque. L'objectif principal du dessin en tant qu'élément de la représentation
architecturale n'est pas tant la représentation elle-même que sa fonction d'outil de
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composition capable de représenter la logique structurelle des éléments impliqués dans


l'acte architectural, qu'ils soient tectoniques, organisationnels ou ornementaux
(symboliques). Le dessin en tant qu'outil de conception s'identifie donc à un processus
de projection dont l'intention principale est de pouvoir "mesurer" ou contrôler
rationnellement l'espace.
A cet égard, il est significatif de constater que Panofsky considérait déjà la perspective
comme

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un outil qui, pour la première fois dans l'histoire des technologies de représentation
graphique, a réussi à définir l'espace comme un système de relations fondamentales
entre la hauteur, la largeur et la profondeur. Selon Panofsky, avant la perspective de
la Renaissance, "quelle que soit la variété des théories anciennes de l'espace, aucune
d'entre elles n'a jamais réussi à définir l'espace comme un système de simples
relations entre hauteur, largeur et profondeur [...] et la totalité du monde reste
toujours fondamentalement discontinue". (Panofsky, 1999, p. 27)
Ainsi, une fois l'objectif fondamental du dessin d'architecture identifié comme la
mesure de l'espace "selon le bon nombre, la bonne proportion et le bon rythme", il
était possible pour le spectateur d'architecture de reconnaître la beauté d'un bâtiment
sans être conscient de ses causes rationnelles de mesure de l'espace. Une capacité à
saisir la beauté toujours comprise comme l'harmonie des relations de mesure
spatiale qu'Alberti avait déjà appelée cocinnitas. Ainsi, le concept de cocinnitas de
la Renaissance englobait à la fois l'activité d'ordonnancement de l'architecte par le
dessin et la perception physique de cet ordonnancement par le spectateur (Van Eck,
1998).
Le problème se pose lorsque, du point de vue de la discipline esthétique, la beauté
architecturale cesse d'être comprise comme un effet direct des relations harmoniques
de mesure de l'espace et commence à se confondre avec le concept kantien du
"sublime" dans son aspect dynamique. Ce dernier est compris par Kant précisément
comme l'impossibilité de trouver un concept dans la raison, adéquat à la réalité du
phénomène perçu. Kant affirme : "Est sublime ce qui, parce qu'il ne peut être que
conçu, révèle une faculté de l'esprit qui dépasse toute mesure des sens". (Kant, 2005,
p. 103). Ou ce qui revient au même, la reconnaissance qu'il y a quelque chose dans le
phénomène perçu qui est au-delà de la raison, spécifiquement dans notre cas, au-delà
des relations de mesure introduites dans l'essence du fait architectural en tant
qu'instrument de mesure de l'espace à travers l'utilisation de techniques de dessin
graphique.
Ainsi, malgré les tentatives continues d'une grande partie de la théorie architecturale
de continuer à considérer la conception architecturale comme un outil de mesure et
de rationalisation de l'espace, ce point de vue semble avoir reçu un coup de grâce
définitif avec l'exposition Deconstructivist Architecture organisée par Mark Wigley et
Philip Johnson au MOMA de New York en 1988. C'est dans le texte accompagnant
le catalogue de l'exposition que Wigley défend le fait que l'objectif fondamental de
ces architectures est précisément "leur défi à l'harmonie, à l'unité et à la stabilité"
(Wigley, 1988, p. 11). Plus précisément, la considération du fait architectural par
Wigley et Johnson implique une considération exclusivement formelle de
l'architecture mais dans laquelle la forme, c'est-à-dire les lineamenta, ne doit plus être
soumise au critère de l'utilitas ou de l'instrument de mesure et de rationalisation de
l'espace.
Au lieu de cela, il fait directement référence à une "matérialité constructive de la
forme", affirmant que "ce qui compte, c'est la condition de l'objet". Pas la théorie elle-
même. Toute théorie est contenue dans l'objet lui-même", concluant que "la
condition formelle de l'objet porte en elle toute sa force idéologique" (Wigley, 1988,
p. 19). Si l'on ajoute à cela le fait que la plupart des projets présentés, à l'exception de la
maison de Santa Monica de Frank Gehry, n'ont pas été construits, que la quasi-totalité
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du matériel présenté est constituée de panneaux graphiques ou de photos de


maquettes, et que l'essentiel des projets n'est constitué que de l'image de marque de
l'architecte.

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Avec les ruptures, les délocalisations, les dé-flexions, les déviations ou les distorsions
formelles qui s'y opèrent, on voit comment l'architecture est considérée comme des
manipulations graphiques au-delà, ou en deçà, de l'utilisation de ces outils graphiques
ou de représentation comme instrument de mesure de l'espace. Contrairement au dessin
comme outil de mesure de l'espace utilisé à partir d'Alberti, le concept d'image
apparaît ici comme un instrument de démesure et dont la valeur, ne pouvant plus être
l'opération de mesure et de rationalisation de l'espace, ne peut être reconstruite qu'à
partir de la considération symbolique de ce graphisme comme ayant une valeur en soi
et pour soi. C'est-à-dire d'un point de vue symbolico-culturel.

1.2. Consommation
Contrairement à la théorie du linéament d'Alberti, selon laquelle la valeur de
l'architecture était comprise à travers l'utilitas et la rationalisation de l'espace, c'est-à-
dire à travers une valeur d'usage primaire et fondamentale de l'acte architectural, la
forme de revalorisation caractéristique de la société de consommation se caractérise
par une indépendance radicale des processus de valorisation des objets culturels qui y
sont immergés par rapport à leur valeur d'usage. Bien que Marx ait déjà établi dans Le
Capital comment la valeur d'échange, c'est-à-dire les processus de valorisation des
objets et d'allocation des prix à travers l'échange marchand, s'opère indépendamment
de la valeur d'usage (d'où son injustice ou son inopportunité), il a toujours considéré
la marchandise, dans notre cas l'objet architectural, d'abord et ontologiquement
comme " un objet extérieur, une chose capable de satisfaire des besoins " (Marx,
1999, p. 3). C'est donc la matérialité même de la marchandise " support matériel de
la valeur d'échange " (Marx, 1999, p. 4). Implicitement, donc, toute valeur d'usage
est refusée à toute re-présentation de l'architecture qui n'est pas un moyen utile pour sa
construction physique et tectonique, alors que, comme base de la possibilité même
d'une telle architecture d'acquérir une valeur d'échange sur le marché, la possibilité
de spéculer avec une valeur d'usage déjà existante est supposée : "Derrière les
tentatives de ceux qui s'efforcent de présenter la circulation des marchandises
comme la source de la plus-value, il y a donc presque toujours un quiproquo, une
confusion de la valeur d'usage et de la valeur d'échange." (Marx, 1999, pp. 113-114)
De son côté, la société de consommation dans laquelle nous nous trouvons va
encore plus loin en présupposant une inversion fondamentale de la logique marxiste
des processus de valorisation. Dans cette société, les pratiques de consommation
n'ont aucun sens si elles sont analysées comme des événements individuels, séparés
les uns des autres. Ainsi, comme l'affirme Luis Enrique Alonso, "consommer
signifie avant tout échanger des significations sociales et culturelles, et les
biens/signes qui sont théoriquement des moyens d'échange finissent par devenir la fin
ultime de l'interaction sociale" (Alonso, 2009, p. XXXI). La consommation ne se
définit donc pas comme un simple désir de possession d'objets en vertu de leur
valeur d'usage, comme c'était encore le cas pour Marx, mais comme une
organisation manipulée d'objets, convertis en images qui signifient un certain statut
ou une position sociale au sein de l'ensemble. Les "dessins" d'Alberti cessent d'avoir
une valeur d'organisation du projet et de mesure rationnelle de l'espace pour devenir
des "images" culturellement revalorisées dans leur nature même d'images.
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Bien que Veblen ait déjà défendu une telle position en 1899 dans sa Théorie de la
classe inactive

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(Veblen & Mellizo, 2003) en considérant les phénomènes de consommation comme


des formes de différenciation et d'aspiration des sujets consuméristes, Baudrillard
sera le premier à avancer la priorité de la consommation sur l'idée même de valeur
d'usage ou de nécessité. Dans la perspective radicale du sociologue français, la valeur
d'usage censée sous-tendre la valeur d'échange donnée sur le marché ou la valeur
symbolique donnée par les rapports sociaux de consommation n'est en réalité qu'une
conséquence des processus de valorisation symbolique. En d'autres termes, une image
architecturale déconstructiviste peut n'avoir aucune valeur d'usage, mais elle crée
néanmoins un besoin de consommation motivé par l'aspiration à un certain statut
social. L'architecture de marque acquiert ainsi son statut social hégémonique.
Ainsi, de ce point de vue, " les besoins introduits par la société de consommation
sont nécessaires, non pas aux personnes, mais surtout au bon fonctionnement du
système de signes, selon une formule autoréférentielle " (Alonso, 2009, p. XXXIV).
Les besoins ne produisent pas la consommation, c'est la consommation qui produit
les besoins. Dans notre cas, produire de la culture visuelle. Pas une architecture
fonctionnellement utile. De plus, dans la société de consommation, il faut produire
les consommateurs eux-mêmes, il faut produire la demande elle-même, et cette
production est infiniment plus coûteuse que celle des biens. Aujourd'hui, c'est
fondamentalement ce que l'on demande aux architectes et ce pour quoi ils sont
éduqués, au-delà de la résolution de problèmes techniques ou de logement. Leur
fonction sociale semble se réduire à celle de catalyseurs dans le processus de
production symbolico-culturelle.

1.3. Technologie numérique


Dans le domaine de la représentation graphique, l'architecture a connu de
nombreuses évolutions technologiques depuis les débuts de la Renaissance jusqu'à
nos jours. Cependant, du point de vue de la conception et du développement d'un
projet architectural, il convient de faire une première distinction basée sur celle que
nous avons déjà faite entre "dessin" et "image". Ainsi, d'une part, il y a toutes les
technologies qui sont pleinement établies dans les moyens de production de
l'architecture et qui continuent à être fondamentalement orientées vers l'accélération
et la facilitation de l'utilisation de la représentation graphique comme instrument de
mesure spatiale et de construction de l'objet architectural. Toute une série de
technologies qui ont en commun d'être orientées vers la production d'objets
architecturaux qui sont encore principalement définis en termes de valeur d'usage
concrète et matérielle. Dans ce domaine, nous aurions, par exemple, l'utilisation massive
de la CAO ou du BIM (Alors que la CAO reste une extension numérique des techniques
de dessin traditionnelles, le BIM, quant à lui, offre un nouveau paradigme de travail et
de conception car il introduit des éléments paramétriques et des informations sous
forme de bases de données relatives aux éléments constructifs, en tant qu'éléments de
conception et de représentation. Contrairement à la CAO, la BIM ne dessine pas
d'éléments constructifs, mais à partir d'éléments constructifs virtuels et
paramétriques, un modèle unique est "construit" à partir duquel différentes
représentations sont extraites) en tant que méthodes de pré-vérification du
fonctionnement du futur ouvrage construit.
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Cependant, à l'opposé de l'architecture dite paramétrique ou informationnelle,


c'est-à-dire l'architecture dont le résultat formel est la paramétrisation de tous les
types de données et d'informations qui sont utilisées comme outils

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Parallèlement à cela (Schumacher, 2011), nous assistons à un développement


exponentiel des programmes de modélisation 3D tels que 3DStudio, Rhinoceros,
Blender ou Sketch-up (et des programmes d'édition d'images tels que Photoshop)
utilisés non pas tant pour la création de modèles ou de prototypes définis par leur
fonction ou leur valeur d'usage, mais précisément comme instruments de production
d'images directement revalorisées par la valeur symbolique qu'elles acquièrent à
travers leur publication dans les principaux mass media culturels du domaine
architectural. Des progrès qui, associés à l'abaissement du coût et à la vulgarisation
des logiciels et du matériel utilisés, ont rendu possible la numérisation totale du
processus de conception dans toutes ses phases. Parmi toutes ces avancées, il en est
une qui mérite une attention particulière en raison de son influence massive sur le
changement de la fonction sociale des architectes au sein de la société de
consommation : les images de synthèse (infographies ou rendus).
Bien que la photographie et même le photomontage aient été utilisés pendant des
années pour compléter les plans, élévations et coupes traditionnels, leur utilisation
était relativement restreinte en raison des coûts économiques et temporels élevés du
processus. De plus, leur expressivité étant certainement limitée, elles servaient
essentiellement à représenter l'environnement du bâtiment ou, tout au plus, à simuler
de manière rudimentaire l'effet du bâtiment fini. Contrairement à cette utilisation
purement représentative de la photographie, les images de synthèse ont fourni un outil
idéal qui va au-delà de la possibilité de montrer la représentation de l'ouvrage fini
dans son environnement : le fait qu'elles soient totalement générées par ordinateur
signifie qu'elles n'ont pas les limites de la photographie (Berenguer, 1991) et, par
conséquent, ne restent pas liées uniquement à la représentation, mais à la création ou
à la simulation complète d'espaces complètement virtuels, totalement étrangers aux
besoins du monde matériel.
À partir de ce moment, les images de synthèse (rendus) sont intégrées dans le
processus de conception comme des formes autonomes de création, non plus
destinées au processus de pré-vérification des espaces, des éclairages ou des
matériaux avant leur construction, mais, comme le détermine la société de
consommation, comme production directe de processus de valorisation de l'image elle-
même. Et c'est précisément dans sa qualité d'image indépendante du processus de
construction que l'image synthétique trouve sa capacité de singularisation et de
création de marque. C'est ainsi que naît un nouveau langage propre qui, pour la
première fois, passe de l'éminemment graphique au multimédia, en raison de
l'incorporation potentielle d'éléments tels que les vidéos, les animations et même la
réalité virtuelle et/ou la réalité augmentée (Moya, 2010). Un nouveau langage qui
permet à l'artiste de se distinguer en tant que créateur dans la recherche de son image de
marque. À tel point qu'il existe des groupes de recherche tels que EDPA - L'Expressió
del Projecte d'Arquitectura. Anàlisi i Evolució (Universitat de Catalunya) et des
thèses de doctorat sur l'architecture et la représentation comme celle de Laura Lopes
(Lopes, 2008). Comme le veut la société de consommation, ce qui était à l'origine
un moyen de réaliser quelque chose plus efficacement (qu'il s'agisse d'un rendu,
d'un système d'information ou d'un processus de travail) est devenu l'objectif ultime.
Ainsi, la génération d'un bon rendu, qui était à l'origine utilisé comme une
vérification ou une représentation d'une réalité pas encore matérielle, est devenue le
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véritable objectif du projet.

1.4. Séduction

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De la confluence des processus de valorisation de la société de consommation


avec les nouvelles techniques, non plus tant de représentation que de simulation de
la réalité, massivement employées dans la conception architecturale émerge ce que
nous pourrions appeler, en hommage à Baudrillard, le système actuel de l'architecture
de la séduction. Celle-ci, selon les termes mêmes de Baudrillard, est considérée
précisément comme " ce qui n'a pas de représentation possible, parce que la distance
entre le réel et son double, la distorsion entre le Moi et l'Autre est abolie "
(Baudrillard, 1981, p. 67). L'architecture de la séduction ne séduit pas par sa valeur
d'usage, ni même par la médiation que la représentation suppose entre le modèle simulé et
le futur constructible potentiel, mais par la génération de simulacres en tant que tels
comme produits en soi capables de revalorisation sociale. Il n'y a plus de modèles et
de bâtiments, mais seulement des images. L'architecture est donc un processus de
simulation, de construction du réel en tant que virtuel. L'architecture de la société de
consommation est un pur simulacre, "c'est-à-dire un effet de vérité qui cache le fait
qu'il n'existe pas" (Baudrillard, 1981, p. 39). L'architecture ne construit plus. Elle fait
simplement semblant de construire. Ou bien elle construit des simulacres. C'est à partir
de ce constat que nous analyserons trois pratiques actuelles qui, de notre point de vue,
définissent l'architecture de la séduction :
1. Le développement de projets conçus exclusivement depuis et pour l'espace
virtuel, rendu possible par les nouvelles technologies de simulation, que
nous avons appelé "Architectures virtuelles".
2. La génération d'une nouvelle esthétique virtuelle, c'est-à-dire produite de
manière autonome à partir des capacités que les nouvelles technologies de
modélisation et de simulation numériques sont capables de générer, avec le
problème qui en découle de la traduire ensuite en systèmes de construction
tectonique.
3. Les processus de virtualisation des architectures construites, que ce soit
par la perte progressive du caractère tectonique des matériaux, ou par la prise
en compte multimédia de l'espace bâti.

2. Des effets pratiques : Architectures virtuelles. Esthétique v i r t u e l l e .


Virtualisation de la tectonique.

2.1. Architectures virtuelles


Comme nous l'avons vu, dans la tradition architecturale, il n'y a pas eu seulement
une place pour l'architecture construite. Il existe aussi un ensemble d'architectures sans
vocation tectonique qui n'existent que dans la virtualité de leurs représentations, qu'il
s'agisse de plans, d'esquisses, de maquettes ou, aujourd'hui, d'images de synthèse.
Des œuvres de Massacio ou de Piero della Francesca aux architectures utopiques de
Boullée ou de Ledoux, en passant par les prisons de Piranèse, ou encore les
architectures urbaines utopiques d'Archigram ou de Superstudio, les architectures
virtuelles de la fin du 20ème et du début du 21ème siècle représentent une
croissance quantitative exponentielle de projets en accord avec cette vision de la
fonction sociale de l'architecte en tant que producteur d'images symboliquement
revalorisées.

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A tel point qu'à l'heure actuelle, certains architectes sont plus connus pour leurs
architectures virtuelles que pour celles qu'ils ont concrétisées, comme c'est le cas de

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WAI Think Tank et ses architectures narratives, les architectures à construire de Luis de
Garrido ou la Dynamic Tower de David Fisher. Même des architectes ayant fait leurs
preuves et construit des œuvres ont fait un pas vers ce type d'architecture. C'est le cas
de Rem Koolhaas dans Exodus (Koolhaas, 1998) et de sa déclaration controversée "
l'architecture est une fiction " (Wainwright & Levene, 2014), de nombreux projets de
Vicente Guallart (en particulier dans sa phase Metapolis), de Norman Foster avec
son étude des colonies au pôle sud de la Lune (Fernández-Galiano, 2013b, p. 324)
ou de Peter Eissenman et sa Virtual House (Eisenman, 1999).

Figure 1 : Norman Foster, Settlements at the South Pole of the Moon.


(Source : Foster + Partners : http://www.fosterandpartners.com/news/archive/2013/01/foster-partners-wor-
ks-with-european-space-agency-to-3d-print-structures-on-the-moon/)

Il est donc nécessaire d'aller au-delà de cette première définition succincte pour
mener une analyse plus détaillée qui nous permettra de distinguer deux grands groupes
d'"architectures virtuelles" : le premier, illustré par les propositions de Boullée,
Friedman ou WAI, engloberait les architectures numériques réalisées comme un
exercice réflexif sur l'architecture elle-même, sa composition et sa construction
(théorie du projet), tandis que le second, formé, entre autres, par la fausse maison en
forme de terrain de football pour le footballeur Lionel Messi de Luis de Garrido
("MIRA", 2013 ; Redacción, 2013a, 2013b, 2013c) ou la proposition de David Fisher
pour un gratte-ciel tournant (Young, 2001), comprend celles qui ont été réalisées
comme un exercice purement formel ou de marketing.
Il est essentiel de faire cette distinction, car dans les exemples du premier groupe,
on peut voir un principe de linamenta, car il s'agit de mécanismes intellectuels avec
un désir de recherche compositionnelle comme technique de contrôle et de
rationalisation de l'espace. Ce fait significatif rend ces architectures beaucoup plus
proches des architectures utopiques sur papier du XVIIIe siècle de Ledoux ou
Boullée dans leur intention d'ordonner le monde et la société future selon les idéaux
des Lumières à travers la pureté et la rationalité de leurs formes et de leurs idéaux.
Ce phénomène n'existe pas dans les exemples du deuxième groupe, totalement liés
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au concept moderne.

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L'"image" dont nous avons parlé plus haut, puisqu'elle est totalement dépourvue de
volonté au-delà de la génération de formes surprenantes simplement parce que les
ordinateurs permettent de les calculer, et qu'elle est donc traduite en objets de
consommation reconnaissables avant tout comme de l'"architecture".
Ainsi, si ces architectures de papier du XVIIIe siècle ont toujours eu pour toile de
fond la construction dans le futur d'un monde utopique, égalitaire et quasi-socialiste
selon les idéaux des Lumières, les images de ce groupe, si elles en reflètent, sont tout
au plus celles du néo-libéralisme. Il s'agit donc d'idéologies totalement opposées :
au XVIIIe siècle, il s'agissait d'organiser, de mesurer et de rationaliser un monde
nouveau à travers l'architecture, tandis qu'au XXIe siècle, il s'agit de la vendre comme de
l'art et de la revaloriser sur le marché.

2.2. Esthétique virtuelle


D'autre part, il existe un autre groupe d'architectures qui partagent avec les
"architectures virtuelles" une esthétique futuriste, plus proche de l'architecture de bande
dessinée ou de film, et qui, malgré l'apparente similitude avec ces dernières, ont la
vocation - ou du moins la possibilité - d'être construites. C'est précisément ce fait
crucial qui définit ce groupe, car il implique d'être soumis aux conditionnements
morphologiques, techniques, économiques, juridiques ou culturels qui existent dans
le monde physique et qui n'existent pas dans les environnements numériques. Malgré
cela, le processus de construction ou d'exécution n'est généralement pas pris en compte
lors des phases de conception, ce qui est à la fois surprenant et significatif. C'est
pourquoi nous les considérons comme un sous-groupe d'architectures numériques à
part entière.
Bien qu'il soit courant d'utiliser des rendus, des photomontages, des vidéos, des
modèles et tout autre support permettant d'expérimenter, de tester et de développer
le projet avant sa construction (avec les difficultés qui en découlent à ce stade), les
architectures mentionnées dans cette section ne reflètent pas l'évolution du projet par
l'apparition de nouvelles nuances et de nouveaux détails dus à l'incorporation de
nouvelles données dans la phase de conception, et surtout les événements imprévus
inhérents à toute exécution sur le terrain.
Le cas de l'œuvre de Jurgen Mayer, connue sous le nom de Metropol Parasol, sur la
Plaza de la Encarnación à Séville est paradigmatique à cet égard. Bien que la silhouette
générale de l'image de synthèse du concours organisé en 2004 soit presque identique à
celle de l'objet qui a finalement été construit en 2011, une analyse minimale montre que
le système de construction est totalement différent, ce qui rend explicite les priorités
du projet : la forme extérieure était claire même si on ne savait pas comment la
construire (elle ne semblait pas importante à l'époque malgré sa complexité
technique évidente). Un détail qui a entraîné un retard de plus de 5 ans, une
augmentation du budget initial de plus de 72% et même un rapport controversé de la
société OVE ARUP sur sa faisabilité technique (AAVV., 2011).

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Figure 2 : Jurgen Mayer, Parasol Metropol, Séville.


(Composition basée sur http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=357911-)

Le cas du théâtre de Torrevieja, un projet de l'OFA, montre également une


grande similitude entre le projet et l'ouvrage fini, à l'exception du fait que,
contrairement à ce qui se passe habituellement, le rendu est plus détaillé que la
réalité construite, comme on peut le voir clairement sur la façade.

Figure 3 : FOA, théâtre de Torrevieja.


(Composition basée sur http://www.farshidmoussavi.com/)

Il existe également des cas d'architectures faussement constructibles, qui ne


semblent même pas être affectées par des règles aussi élémentaires et banales que
celles de la physique qui régissent les mondes connus, comme dans le cas de The
Stocholm Sphere Masterplan (Fernández-Galiano, 2011), réalisé par le studio BIG.
Dans cet exemple, les rendus du studio montrent sans complexe une gigantesque
sphère réfléchissante qui s'élève dans les airs sans aucune structure visible. Il ne
semble pas important qu'il soit impossible de construire quelque chose comme cela ou
que la solution finale soit loin de cet effet, même lorsqu'il s'agit de l'élément central du
projet et de celui qui lui a donné son nom.

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Figure 4 : BIG, plan directeur de Stockolm.


(Source : AV Proyectos nº 43 : Dossier BIG (Fernández-Galiano,
2011)).

A ce stade, il est important de souligner la différence entre ne pas savoir


comment construire quelque chose au moment de la réalisation du projet, et savoir
qu'il ne pourra jamais être construit de cette manière. Dans le premier cas, il s'agit du
concept de " transduction " défendu par Lefebvre tout au long de Mai 68 (Lefebvre,
1969, p.129). Dans le second cas, il s'agit de ce que nous appelons l'architecture de
la séduction. Alors que le premier cas exige un processus de recherche qui ne s'arrête pas
au rendu ou à la réalisation du projet architectural, le second cas est clairement une
fiction pour séduire. Ainsi, le fait qu'il soit si facile, rapide et bon marché de générer
des images de synthèse détachées de toute contrainte a introduit un nouveau rythme
dans l'architecture, qui est passée de quelque chose de très lent en raison de sa
nature réflexive et de la construction elle-même à un phénomène de génération et de
consommation rapide lié aux modes. La discipline architecturale est finalement réduite
à une simple mode stylistique au point que "la construction de certains de ces projets
conçus numériquement révèle l'immaturité architecturale de leurs auteurs" (Massad &
Guerrero Yeste, 2009).
Tout cela montre qu'il existe une préférence pour le virtuel par rapport à la réalité
tectonique, préférant dans de nombreux cas les images synthétiques du projet à ce qui sera
finalement la réalité construite. On en trouve des exemples chez des architectes comme
Rudy Ricciotti, qui présente sur son site officiel (Ricciotti, n. d.) présente sa Salle de
Musiques Actuelles de Metz sur la base de nombreuses images de synthèse et d'une
seule photographie d'un détail de la façade, alors que le bâtiment est achevé de manière
assez fidèle au rendu de la proposition, ou dans de nombreuses œuvres du BIG
susmentionné, comme la piscine et les thermes du port de Copenhague (Fernández-
Galiano, 2013a, p. 19, où l'on montre un montage dans lequel on peut voir comment
les garde-corps ont été éliminés). Dans les deux cas, il s'agit de travaux finis, mais
leurs auteurs préfèrent utiliser des images de synthèse ou des photomontages qui
composent la réalité construite plutôt que des photographies réelles pour diffuser les
projets, que ce soit sur leurs sites officiels respectifs ou dans les médias spécialisés.

2.3. Virtualisation de la tectonique


Paradigme des changements subis par l'architecture dans l'œuvre construite elle-
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même.

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sont les nouvelles typologies qui inondent la production architecturale d'aujourd'hui :


les salles d'exposition. Considérés avant tout comme des "monuments de marque
habitables", la fonction principale des showrooms, au-delà d'une valeur d'usage
extrêmement éthérée et malléable d'un simple conteneur de personnes pour le catalogue
d'actions le plus varié et le plus étendu, consiste à être l'image singulière d'une entité
publique ou privée spécifique.
À cet égard, des marques mondiales telles que Prada, Apple, Roca, Citroën ou
Dior ont pour protocole de confier à des architectes de renom la construction de
leurs salles d'exposition dans des villes mondiales telles que New York, Tokyo,
Paris, Londres, Madrid et Barcelone. Les exemples paradigmatiques sont la
commande de Prada à OMA pour ses sièges de New York, Los Angeles, San
Francisco et Venise, à Herzog & de Meuron pour son siège de Tokyo et à Sanaa
pour son siège de Hong Kong ; celle de Citroën à Herzog & de Meuron pour son
showroom de Paris, celle de Dior à Sanna à Omotesando (Japon), ou encore le siège
que Foster & Partners a réalisé pour Apple à Cupertino.
Sous-ensemble actualisé de l'architecture iconique, les showrooms ne sont pas des
espaces ordinaires mais des lieux complexes à mi-chemin entre la boutique et la
salle d'exposition, entre le commercial et le culturel. Les produits sont présentés
comme dans une exposition et sont souvent accompagnés d'activités culturelles de
toutes sortes, reliant ainsi la culture au marché. La base principale sur laquelle
repose ce type de construction est le concept de séduction expliqué précédemment,
de sorte qu'il ne suffit pas d'exposer des produits : il est nécessaire de provoquer une
expérience esthétique supérieure, "sublime", et les nouvelles architectures numériques
jouent un rôle décisif à cet égard.
L'un des premiers exemples a été celui créé par le théoricien et créateur de
tendances Rem Koolhaas pour Prada à New York en 2002, à tel point que c'est avec
ce projet que l'on peut dater la naissance de cette nouvelle typologie. En témoigne
ce qu'en dit la presse spécialisée après son inauguration : "Pendant une semaine, la
boutique n'a pas désempli de la journée. Les curieux venus découvrir le "nouveau
concept" de shopping ont envahi les moindres recoins d'un espace qui ne désemplit pas.
Et, bien sûr, l'atmosphère était tout sauf celle d'un magasin. Tout le monde touche
chaque matière, chaque coin, chaque machine, explorant un terrain inconnu,
difficilement comparable à d'autres expériences de consommation. Et les vêtements ?
Personne ne le sait. Personne ne l'a remarqué. Car, en devenant le siège social, le
magasin a pour mission fondamentale de vendre son image" (Calvillo, 2002).
La plupart des caractéristiques définissant cette typologie découlent de sa condition
hybride liée à la consommation mais aussi à la culture, comme le luxe des matériaux
utilisés ainsi que les espaces créés, des espaces capables d'accueillir un grand nombre de
personnes qui devraient favoriser la contemplation confortable des produits qui y
sont exposés en tant qu'œuvres d'art. Cette combinaison est chargée non seulement de
transmettre les sensations et les sentiments associés à la marque, mais aussi d'offrir
une expérience quasi mystique qui crée la fiction de pouvoir être vécue de manière
similaire à travers l'achat de ses produits.
L'utilisation de la technologie, si étroitement liée à l'innovation, tend à être une
autre constante. Ainsi, l'expérimentation de nouvelles technologies ou l'utilisation
innovante de technologies existantes est intégrée dans la définition même du projet, sans
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être une réflexion a posteriori. Comme c'est le cas pour de nombreux produits dont
l'emballage joue un rôle crucial dans le succès du produit, les façades des salles
d'exposition jouent également un rôle important.

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Le rôle qu'ils jouent est extrêmement important, puisque, comme s'il s'agissait d'un
emballage, ils sont chargés d'attirer les gens à l'intérieur et d'offrir une image visible
qui permet au bâtiment d'être facilement reconnu et associé à la marque. Enfin, et bien
qu'il n'y ait pas à proprement parler de relation directe avec la définition du projet
architectural, on ne peut ignorer que nombre d'entre eux complètent leur activité
quotidienne par un agenda actif d'événements culturels en tout genre (débats,
expositions, etc.) qui finissent par façonner leur identité schizophrénique à la Deleuz,
mais séduisante à la Baudrillardienne.

Figure 5 : OAB, Galerie Roca, Barcelone (collage à partir d'images d'Alejo Bagué, Source :
http://wp.ferrater.com/?oab_proyecto=roca-barcelona-gallery&idioma=_en).

Dans le cas de la galerie Roca de Barcelone, œuvre de Carlos Ferrater, tout cela se
reflète dans la façade en verre coloré elle-même, dont les couleurs (surtout lorsqu'elle
est éclairée la nuit) et les reflets déformés de l'environnement, des véhicules et des
piétons circulant dans les environs, finissent par provoquer un curieux jeu visuel qui
fait office d'attraction et de divertissement. À l'intérieur, un grand espace vide sert
souvent d'espace d'exposition et de lieu de rencontre pour des discussions en
fonction de l'agenda culturel chargé, ainsi que d'espace où les produits de la marque
peuvent être vus de la même manière qu'une peinture ou une sculpture. Des écrans
intégrés aux murs offrent des interactivités multimédias qui, avec l'éclairage,
réagissent à la présence et aux mouvements des visiteurs. Tous ces mécanismes et
ressources ne sont pas ajoutés a posteriori mais ont été conçus dès les premières
phases du projet, ce qui montre bien l'importance qu'ils revêtent dans l'œuvre finale,
en contribuant à la stimulation et à la séduction du visiteur, en le transformant en
spectateur puis en "évangéliste" et client de la marque.
Cette typologie du showroom témoigne d'un fait que nous ne pouvons ignorer :
l'architecture a toujours été liée au pouvoir (Sudjic, 2007) et celui-ci est actuellement
représenté par le secteur privé, et plus particulièrement par les banques et les
entreprises transnationales. Pour cette raison, il n'est pas surprenant que beaucoup
de ces marques aient voulu s'associer à des archistars, et que les architectes
spécialisés dans les showrooms pour les transnationales aient également prospéré ces
dernières années. Un exemple clair de cette spécialisation est celui du cabinet
d'architecture

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Bohlin Cywinski Jackson, qui a réalisé 14 salles d'exposition pour Apple aux États-
Unis, au Royaume-Uni, en Australie, au Japon et en France, une salle d'exposition pour
Uniqlo et des sites pour Adobe et Pixar.

3. Des conclusions désespérées, désespérantes


Comme nous avons essayé de le montrer, l'une des principales utilisations des
nouvelles architectures numériques par la société de consommation est leur
considération unilatérale comme des produits directement orientés vers le marché
culturel, de sorte que les nouvelles typologies générées sont conçues non pas tant
pour être utilisées (pour leur valeur d'usage) que pour être consommées (leur valeur
d'échange symbolique dans la société). La conséquence paradoxale de tout cela est que,
dans son empressement à séduire, ce type d'architecture, si typique de la société de
consommation, a été séduit par la séduction elle-même, perdant son sens originel de
la fonction sociale et se rapprochant des domaines purement culturels-spéculatifs.
Cependant, il est important de pouvoir percevoir comment cette séduction de
l'architecture elle-même par la consommation n'est pas simplement un changement
d'idéologie en ce qui concerne la fonction sociale et le rôle professionnel des
architectes dans la société. "Le sens fondamental de la consommation consiste à
comprendre qu'il existe un véritable terrorisme du signe qui fonctionne de manière
totalitaire. Dans le sens où c'est lui et lui seul qui a l'efficacité" (Alonso, 2009, p.
XLVII). Et l'architecture, en tant que partie structurelle de la nouvelle société de
consommation, que les architectes qui la pratiquent le veuillent ou non, ne peut que
fonctionner structurellement comme un agent au service direct du totalitarisme du
signe.
Nous pouvons trouver trois raisons principales qui ont rendu possible la naissance de
ces nouvelles architectures "totalitaires" du 21e siècle : d'une part, les avancées
technologiques et leur réduction de prix ont fait de la manipulation numérique un
événement quotidien, rendant possible la production de ce type d'architecture à un
coût relativement faible et dans un temps relativement court (du moins si nous le
comparons à ce qu'il en coûtait dans le passé). D'autre part, la situation économique et
de l'emploi dans l'architecture exige une production séduisante à un rythme effréné
afin d'être en mesure de rivaliser dans les nombreux concours d'architecture
surchargés qui agissent comme la principale, et presque la seule, porte d'entrée pour
les commandes professionnelles. La troisième, issue de la confusion entre culture et
spectacle, se traduit par l'absence de toute autre lecture que celle du point de vue du
rendu lui-même et la facilité de transmission de l'information dans les médias
numériques. Cette diffusion à profusion favorise à son tour un emballement
médiatique des médias spécialisés et généralistes, dont ne profitent que les auteurs, les
médias qui les diffusent et les hommes politiques ou les dirigeants qui les
consomment, en espérant tirer profit de ces images. Jamais la société dans son
ensemble.
Comme nous l'avons soutenu tout au long de l'article, ces faits se traduisent par
la création d'un nouveau type d'architecture dont la motivation n'est plus la réflexion
ou la recherche (après tout, il n'y a pas de temps pour cela et personne ne l'a
demandé), et dans certains cas, pas même la construction elle-même (et donc les
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conséquences sociales, urbanistiques et morphologiques qui en découlent), mais


seulement la création d'un nouveau langage expressif dans le monde déjà surpeuplé
et surstimulé de l'architecture de la ville.

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la structure culturelle de la mode.


Enfin, cette architecture de la séduction, en se reconfigurant comme l'une des
nouvelles sphères de la distinction sociale et/ou de l'image de marque " ne peut se
passer d'un gaspillage festif [...] elle ne peut que dévorer, un peu honteusement, son
excès de richesse, en pratiquant une destruction calculée complémentaire du calcul
de la productivité " (Baudrillard, 2009, p. 29 note 2). Or, si d'une part il est vrai
qu'une telle " économie du déchet " a toujours existé sous une forme ou une autre
dans toute relation socio-économique, il n'en est pas moins vrai que d'autre part, ces
dépenses somptuaires " sont toujours l'apanage d'une minorité privilégiée et
remplissent précisément la fonction de reproduction des privilèges de caste ou de
classe " (Baudrillard, 2009, p. 44). En définitive, la nouvelle utilisation des
technologies virtuelles employées par l'architecture de la séduction se configure
comme un totalitarisme linguistique au service direct de la haute bourgeoisie au
pouvoir.
Pour notre part, en tant que chercheurs et architectes, nous défendons ouvertement
une conception du service utile et matériel de la fonction sociale de l'architecte. A
cet égard, tous les projets de recherche inclus dans le groupe de recherche
Architectures Open Source, y compris la Social Risk Map dans laquelle s'inscrit cet
article, ne cherchent pas autre chose. Cependant, avant de procéder au développement
systématique et rigoureux de ces projets à vocation de service social, il nous a
semblé opportun de réfléchir d'abord au contexte culturel, économique et
idéologico-académique actuel dans lequel s'insère le travail effectif des architectes et
des chercheurs comme étape préalable au début de la lutte contre l'utilisation
néolibérale-symbolique des nouvelles technologies. Vive la valeur d'usage social de
la technologie Open Source.

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