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FIBRES

INTIMES
POÉSIES
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FRIDOLIN \\T.EUI

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me rient, qu'tmtnnt de fois que ic • les
rotastc, autant de fois--ic m'en dcspitc.
J'ay tousiours uno idée en l'a.me et
ccrtaiuo imago trouble, qui me pré'sentc
comme en songe une meilleure fotmc
que celle que i'ni mis en besongnc; 91nis
ie ne ln. pnis saisir et exploicter.
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PARIS ,
BAUDRY, LIBRAIRIE EUROPÉENNE
DRAl\lARD-BAUDR Y ET û•, SUCCESSEURS
]2, RUE BONAPARTE'
PRÈS LE PALAIS DES BEAUX-ARTS

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IMPRIMERIE Gli:Nli:RALE DE CH. LAHURE


Rue de Fleurus, 9, à Paris
INTIMES
FIBRES
POÉSIES
PAR

FRIDOLINWERM
Mes ouvr:aru, Il 11 cn fautt t:mt qu'U1
me rient, q'-l'autan, de fois que ie le,
retaste, autant de fois ie m'en de.pite.
l'ay lousiours une idôe on l'Ame et
eortaino imago trouble, qui me prèscntc
commt• en 1nnre une meilleure forme
que celle que i'ai mi, ea bes(\ncne; maia
itt no la puis saisir et esploicter .
.MONTAIGN~.

PARIS
BAUDRY,LIBRAIRIEEUROPJ.1:ENNE
DRAllARD-IlAUDRY ET Ci•, SUCCESSEURS
12, RUE BONAPARTE
PR&S LE PALAIS DES BEAUX-ARTS

1867
Tons droits réae"t!s
ALPHA.

Qu'estl'Espérance? - Un cycle de mirages


j
•1 D'eaux fraîches, de palmiers, de bosquets souriants;
C'est l'arc-en-ciel d'un hiver gros d'orages
Qui trempe jusqu'aux os les piétons confiants.

Ou bien encore, une gaze magique


Qui couvre artistement un objet inconnu,
Et lorsqu'on cède à l'attrait magnétique -
Une épine se plante au doigt trop ingénu.

Si l'aimez mieux, c'est la légère brise


Qui s'enfuit d'Orient au pudique matin,
Boit le joyau dont tout brin vert 11'ir1se,
Et porte on ne sait où son vaporeux butin.

Qu'est le Bonheur? - C'est la bulle qui glisse


Et qu'un enfant pourchasse au milieu des roseaux;
C'est l'attirail d'un barbouilleur novice -
Palette, chevalet, et couleurs et pinceaux.
-
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trT::::a

2 FIBRES INTIMES.

C'est un fantôme impossible à décrire


Qui semble avoir deux fronts comme un Janus romain ;
Chacun s'éclaire on dirait d'un sourire,
Sur l'un on lit Hier et sur l'autre Demain.

Préférez-vous? C'est la claire frangette


Qui serpente parmi de grands nuages noirs;
Ou bien encor, c'est l'écume blanchette
Qui danse sur l'abîme à la chute des soirs.

La Vérité? - C'est un mot trisyllabe;


• Un sphinx qui rit de voir l'homme s'ingénier;
C'est un parfait, un di vin astrolabe,
Seulement nul n'a su, ne sait le manier.

Voyons encor : - C'est un aérolithe


Adoré tour à tour dans cent temples détru!Ls;
C'est un vieillard, barbon cosmopolite;
C'est une femme nue à la gueule d'un puits.

Qu'est la Beauté? - J'ai fouillé la boutique


De maint bavard juché sür son grand escabeau ,
Des courtiers d'art, des vendeurs d'esthétique ....
-- Ma foi, tout compte fait, la Beauté c'est le Beau.

C'est notre terre au matin dévoilée,


Autre et même à la fois pour plaire à son sultan;
C'est l'air si bleu, c'est la· nuit étoilée,
C'est la vague en courroux que frappe l'ouragan.
ALPHA. 3

Et c'est la femme, idéale épousée,


Assemblage parfait de lignes> de couleurs;
C'est l'âme humaine en ses jeux exposée;
C'est le rhythme puissant qui fouille dans les cœurs.

Et c'est aussi le royal stoïcisme,


La générosité, le muet dévouement;
L'esprit superbe affrontant l'ostracisme,
La .bonté patiente et que rien ne dément.

Qu'est le Plaisir? - Un gamin qui s'empresse>


Qui court sans trop savoir où donner de l'orteil;
C'est un jeune homme au lit de sa maîtresse;
C'est un être courbé qui se chauffe au soleil.

Un oiseau bleu dans un fourré d'épines;


lJn feu follet lutin sur le gouffre béant;
Une main blanche apprêtant des houssines;
Un sergent-recruteur aux gages du néant.

C'est un article adorable en boutique ,


Mais quand on l'a payé> sans goût et sans couleurs;
Un œillet faux puant le cosmétique;
Un masque archiboufi'on qui recouvre des pleurs.

Qu'est la Douleur? - Un rejeton hybride


Qui sort on ne sait d'où, contrefait et meurtri;
C'est une part, c'est l'élément liquide
Du mortier dont cü monde au début fut pétri.

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li FIBRES INTIMES,

Un cercle d'or comme on en peint aux anges;


Un pieux chapelet humide à chaque grain;
Un fort pressoir pour d'immenses vendanges ;
Un soc ferLilisant; un garde-fou d'airain.

C'est le ciseau d'un puissant statuaire


Qui taille à grands éclats une forme d'amour;
C'est la quenoui Ile occupée au suaire
De l'enfant malvenu qui ne vivra qu'un jour.

Qu'est l'Amitié? - C'est une double amande;


Un bon essieu solide; une mince cloison;
Un blason net et de céleste offrande -
1
Champs de sable et d'azur, mais un même écusson •

C'est une plante à la lente germure;


Un coureur téméraire aussitôt sur le flanc;
Un crochet propre à plus d'une serrure;
Un souper, une place, un mythe, un merle blanc.

Et qu'est l'Amour? - C'est la flamme secrèle


Qui fend au grand Flotteur son cours laborieux;
C'est l'aiguillon harcelant la planète;
La chaîne qui l'enroule au clou mystérieux.

Le mal mortel dont souffrent les poëles ;


Le baiser de la mère à son enfant qui dort;
Un tic qui rend les filles inquiètes;
Et - rien que pour rimer - c'est ce qu'a dit Chamforl.

1. Shakespeare.
ALPHA.

C'est un fétu qui fait loucher le sage;


C'est un sûr oculiste aux cas désespérés;
C'est un aimant à l'immanquable usage;
C'est un colin-maillard aux gestes_effarés.

Une liqueur défiant le chimiste;


Un chèvrefeuille heureux d'un arbre où s'attacher;
Un chien courant qui ne vit qu'à la piste;
Un loup rongeant le ventre à qui veut le cacher.

C'est un bouquet qu'on ne fait qu'à l'aurore;


Un exquis badigeon qui s'en va s'effaçant;
Un triple extrait qui soudain s'évapore;
Un bibelot brisé par le premier passant.

Du grand Fiat c'est l'ombre vagabonde;


Un cercle façonné de rêves bout à bout;
Une vapeur plus palpable qu'un monde;
C'est tout et ce n'est rien; ce n'est rien et c'est tout.

Et qu'est le Temps? - C'est un fil élastique


Que mille mannequins tirent à volonté;
C'est un peu d·or qu'on aime en fanatique,
Qu'on dépense pourtant en prodigue éhonté.

Un chef poli toujours en audience ;


Un sourd rébarbatif; un obstiné chiffreur;
Un âne lent; un aigle au vol immense
Qui porte dans son bec la joie et la terreur 1 •

J. Shakespeare.
6 FIBRES INTIMES.

Un juge ami qui veille aux grandes âmes ;


Un voleur qui s'échappe à petits pas mais sùrs;
Un gros malin qui fait des tours aux femmes ;
Un bonhomme hideux qui coupe les blés mùrs.

Et qu'est l'Espace? - Une sorte de voùte


Où l'on vit fort à l'aise et sans murs mitoyens;
Une pancarte où l'on ne comprend goutte -
Pour autres détails voir « Métaphysiciens. ii

Non, attendez. C'est un berceau de paille;


La chambre où l'on versa la première eau du cœur;
Le coin marqué d'un bonheur, quoi qu'il vaille;
Le gazon où, tel jour, se tint le fossoyeur.

C'est l'œil qui dit tous les tons de la gamme,


La main qui fait bondir quand on la sent frôler;
C'est l'arc sanguin des lèvres de la femme,
- Ma rime fait la prude et fait tout envoler.

Et qu'est la Vie? - Une rivière immense


Qu'on regarde passer sans savoir son chemin;
C'est un cuvier qui bout comme en démence;
C'est une roue en rut; c'est une vis sans fin.

Un battement - ahuri, brusque, étrange;


Comme un chœur de soupirs et tus et reproduits;
De traits de feu comme un rapide échange;
Comme un sillon ardent qui glisse entre deux nuits.
ALPHA. 7

C'est un problème - absurde à n'y pas croire;


Un drame entremêlé de lourds couplets grivois;
Un court ruban surchargé de grimoire;
Deux registres fermés et marqués d'une croix.

C'est un poupon de si laide venue


Qn'il faut de cent chiffons l'entourer, le garnir, -
Et, nonobstant sa face saugrenue,
Le bercer bien longtemps pour pouvoir l'endormir.

C'est un palais fait de douleur fossile;


Une froide antichambre; un cul-de-sac au nord;
Un conte bleu dit par un imbécile 1 ;
Une amorce au bonheur ou le fou de la mort 2.

Et qu'est la Mort?- C'est un filet immense


Pcomené sur le monde en tous sens àtla fois;
Le bois fatal dont l'Ètre se balance;
Un niveau-d'eau mignon; un pilon de haut poids.

C'est un cours d'eau, peu fier, mais froid en diable;


Un poteau raturé dans un noir carrefour;
Un éteignoir colossal, implacable;
Un gobelet magique où mijote le tour.

C'est un filou qui sous le lit se cache;


Un spadassin qui guette à la porte du bal;
Un envieux de toute longue tâche;
Un goinfre à grosse panse en constant carnaval.

1. Shakespeare. - 2. Ibid.
8 FIBRES INTIMES.

C'est un docteur renommé très-habile;


Le convive en retard des pauvres exilés;
Un saint pontife; une absurde sibylle;
Un chiourme barbare; un savant porte-clefs.

C'est un caveau d'une horreur indicible;


La pupe qui clôt l'aile aux multiples couleurs;
Un dur carcan; un bâillon impassible;
Un engrais excellent qui fait venir les fleurs .....

Dorset Janvier 1866.


LARMEET SOURIRE.

\'
Un beau matin sur mon visage
Un sourire aperçut une larine en retard, -
Et les voilà jasant comme après un orage
La tiède pluie et l'astre goguenard.
Le sourire disait: - cc La belle, qui t'envoie?
Je suis fils de l'amour, du bonheur, de la joie,
L'esprit et la saillie entouraient mon berceau,
Le plaisir m'a nourri d'un beau vin qui chatoie,
Et l'espoir m'a donné son radieux pinceau.
Le monde entier connaît ma grâce et ma puissance.
Le bienvenu partout, on me fête, on m'encense.
Est-il rien sous les cieux qu'on puisse comparer
Au charme que je prête à femme et jeune fille?
La ride du vieillard sait de moi se parer,
Et le calme du cœur porte mon estampille.
Je suis sur l'homme un céleste reflet.
Et toi, qu'es-tu?» - c<Ton langage me plaît, »

Lui repartit la perle. ,c Au sein de la souffrance


:Moij'ai reçu le jour.
La pitié, la bonté, la douceur, l'espérance,
M'ont offert leur lait tour à tour.

...
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JO F'IBRES INTIMES.

Je le sais bien, je ne suis pas jolie,


Tel me croit un grain de folie,
Cependant j'ennoblis l'existence et l'amour.
Sans rabaisser le tien, mon pouvoir est immense:
Je rends bon le méchant; le bon, meilleur encor;
Partout où je parais je laisse une semence,
Et toute âme d'élite en moi trouve un trésor.
.\ Sois l'aimable reflet; je suis le saint baptême! >>
'

Ils devisèrent sur ce thème,


Sans parti pris ni désir de primer;
Et moi, ravi de les surprendre,
Je sentais qu'ils allaient s'entendre,
Je sentais qu'ils allaient s'aimer.
En effet, la mignonne, en sillonnant la joue,
Sur la lèvre en tremblant descendit se poser,
Et le sourire, avec gentille moue,
Lui donna le baiser.

Sudb. 1864.

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RACHEL.

Sous les figuiers épais l'ombre en festons se berce,


Des souffles parfumés parcourent les jardins,
Lapomme d'or sourit à la brûlante averse,
Les bouquets d'oliviers s'étalent en gradins.
Le cactus fait jaillir ses flèches endentées,
Chaque roc surplombant dresse un front chevelu, I'
Le tintement chemine aux abruptes montées,
Le nuage s'accroche aux flancs du mont chenn.
Le flot bat le galet de sa frange sonore,
Des tons chauds et dorés emplissent l'horizon,
La voile blanche brille et soudain s'évapore,
Le cap jette à la mer sa grave inclinaison ....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le château vers l'Afrique ouvre ses colonnades


Et son long péristyle et ses pures arcades.
L'italien balustre entoure le toit plat;
De ce côté s'élance en un joyeux éclat
Le minaret de !'Est avec sa large boule, ''1
Où comme un bruit d'amour timidement roucoule. l
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12 FIBRRES INTIMES.

Les marches du palais descendent en trois fois;


Puis - telle une structure aux magiques parois -
Une terrasse à l'autre en plans se superpose,
Et les jardins, penchés comme en suprême pause,
Suspendent sur la mer leurs multiples couleurs
En cascade brillante et de fruits et de fleurs.
Enfin, la baie immense et bleue et pailletée.
L'Estrelle par ici, colossale jetée;
Antibes sur la gauche et ses mignons créneaux;
Comme les dos saillants de deux nageurs rivaux
Les îles Marguerite à l'horizon s'estompent,
j• Et le donjon haussé par les vapeurs qui trompent
Semble un torse géant sur la vague accroupi .....
..... ....... ..........
................ ..... .
C'est l'heure de la sieste et tout est assoupi.
A travers les couleurs d'un panneau diaphane
Î,
1 Un oswro charmant' caresse l'ottomane;
Mille jets et soupirs aux piscines formés
Dispersent la fraîcheur et murmurent: Dormez.
Aucun pas étouffé par l'épaisse moquette;
Dans ~edouble salon que le store marquète
Un silence profond mais d'aveux tout chargé :
Sous le piano béant ce rouleau naufragé,
Ces fleurs et ces albums, ces tableaux, cette harpe,
Sur ce sofa doré cette mignonne écharpe,
Tout parle l'opulence et l'art assaisonneur
Attendant anxieux le réveil du bonheur ....

Voici que du palmier la grande ombre s'allonge,


Et qu'au delà du cap le soleil se replonge.
RACHEL. 13

Sur la crête des flots la folle brise accourt,


Froisse les orangers et rit au volet sourd.
Tout s'ouvre et tout revit. Aux degrés, aux charmilles,
S'égrène un fin collier de blanches jeunes filles:
Louisa vers la grève en sautillant descend,
Car elle aime l'écume au galet bondissant;
Helen au front pensif dans les détours s'égare
Pour écouter la voix qui vers le soir l'effare;
Mary part en souci que les ardeurs du jour
N'aient allumé la soif de la fleur son amour;
Charlotte à l'œil lutin n'a pas de préférence,
Et court un peu partout ainsi que !'Espérance;
Lucy, la fière blonde, est tou_jours en retard,
Car elle aime à prêter son doux bras au vieillard;
Rachel au plein corsage, aux longs cheveux rebelles,
Appelle à petits cris ses chères tourterelles ....

.
.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Du concert éternel premiers frémissements,
De l'âme qui fleurit premiers embrassements,
Voluptés de l'amour qui lui-même s'ignore,
Rachel, la brune enfant, t'en souvient-il encore?
Que savaient nos regards, nos lèvres, nos accents?
Nous nous aimions pourtant- mais nous avions quinze ans ...
. . . . .. . .. . . . . . . . . . . . ..
. . . . . . . . . . .. . . . . .. . . . . .
Clic, clac! du postillon le fouet joyeux résonne:
Maint visage pâlit et plus d'un cœur frissonne ....
Derrière ce pilier furtive s'esquivant,
Rachel baise une fleur, la jette en se sauvant,
Et monte s'accouder sur la terrasse haute ....
Quelques instants après, à la première côte,
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~,; 14 FIBRES INTIMES.
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1
J'entendis le clavier qui chantait ccles Adieux » -
i Il chantait avec force et les larmes aux yeux ....
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. . . . .. . .

Je ne l'ai pas gardé, ton œillet blanc, ma belle,


Je l'effeuillai sans doute aux prochains alentours -
Pardonne, j'étais sot, dans ma jeune cervelle
Le monde se parait de stupides atours.
,,
1 .
On m'avait insufflé l'ambition, la,gloire,
L'avenir, et puis l'or, - l'idole au grand complet, -
Et mes yeux ne voyaient dans la charmante histoire
Qu'une jolie enfant qui donne un simple œillet.

Je sais mieux aujourd'hui. L'illusion ravie


A mis la poudre au bloc, l'idole sur le flanc ;
A la place d'honneur au fronton de ma vie
J'attache avec respect ton humide œillet blanc.

Ah l si l'on m'en offrait les débris, la poussière,


Je donnerais pour lui mon reste de vigueur;
Je voudrais le baiser cette nuit tout entière,
Je voudrais en pleurant le choyer sur mon cœur.

0 mon bel œillet blanc, dans la juste balance


Tu surpasses en poids toute chose ici-bas!
Vers ton parfum d'amour mon souvenir s'élance:
Et toi, douce Rachel, ne te souviens-tu pas?

,,
RACHEL. 15

Cannes, Nice, ô doux lieux du sud de notre France,


Largement.des deux vins vous m'avez mesuré;
Vous gardez des bonheurs, vous gardez ma souffrance -
Elle marche et grandit près du' flot azuré .....
Que la rose se sème aux rubans de vos haies,
Descende la fraîcheur sur vous des monts neigeux;
Que la vague d'argent endentelle vos baies,
S'emplissent vos vallons de troupeaux et de jeax ....
Riez, blanches villas du soleil caressées,
Orangers, frissonnez sous les brises du soir, -
Donnez aux corps souffrants comme aux âmes blessées
Un moment de •répit, à défaut de l'espoir ....
. . . .. . . . . . . . . . .. . . . . . .. .

Paris, 1863.
•◄

7
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ŒUFS DE PÂQUES.

Ah, je suis las de toi, fardeau dur et pesant!


Mesreins sont tout meurtris et mon dos est en sang.
Ah! il paraît qu'il faut te porter à demeure,
Sanspouvoir seulement s'arrêter un quart-d'heure,
Sanspouvoir seulement d'épaule te changer ....
Voicila nuit, je veux m'asseoir et me venger.

Eh bien quoi ? Qu'est-ce encor? Quel démon me tourmente?


De quelle angoisse encore ai-je fait mon amante?
Quel spectre aux yeux plombés, magnétiseur hideux,
De ses passes d •enfer me fend le crâne en deux?
Quel gantelet de fer, fouillant dans ma poitrine,
Touche-t-il à dessein ce qui tombe en ruine?
Qu'ai-je fait pour qu'un être impossible à saisir
Mehouspille en tous sens et me frappe à plaisir?
Pourquoi donc, raffinant la peine à sa victime,
Remuer tour à tour chaque douleur intime?
De quel droit l'inconnu vient-il me triturer,
Et, rivant mon regard, m'empêcher de pleurer?

Je traîne aux carrefours comme deux corps inertes,


Et je prends au hasard les ruelles ouvertes;
2
18 FIBRES INTIMES,
T
Ployé, brisé, je passe en frôlant les maisons,
Comme quelque voleur échappé des prisons;
Je soupçonne chaque œil, j'ai peur que l'on me voie,
Qu'on me plaigne, et qu'ainsi ma misère à leur joie
Se heurte brusquement. Nu, couvert de haillons ,
Quelque immense méfait me battant les talons,
J'aurais l'air moins puni, l'allure moins stupide,
Qu'avec cette douleur qui ronge dans le vide.
Car je n'ai rien,-non, rien,-non, vraiment, rien de neuf;
Le monde est comme il est, et d'amour je suis veuf;
Femme, gloire, bonté, foi, science, justice,
N'ont pas même effleuré ma vieille cicatrice;
Rien qu'on puisse nommer, qu'on sache définir,
Qu'on espère calmer à force de gémir, -
Rien, je n'ai vraiment rien - et cependant je souffre.

Lorsque désespérant de me fondre en ce gouffre


Abrutissant et fou qu'on appelle Paris,
Chaos de vanités, de roulements, de cris,
Aujourd'hui compliqué des quadruples volées
Que glapissent aux cieux les cloches enrôlées
Par un bana.l Credo, - lorsqu'à la paix des champs
Je porte un cœur de fiel et des pas trébuchants,
Bonne consolatrice, ô Nature! ô ma mère!
Tu ris en appelant ma croix une chimère,
Tu chantes un air gai, m'inondes de soleil,
Et me rends en tous points à tout autre pareil. ...

Et toi, lyre sans âme ! où sont tes cordes mâles?


Mes doigts cherchent en vain .... Tes mots, tes rimes pâles
N'ont pas souffle de vie .... Et c'est bien de tes coups
De me souffler encor des rhythmes plats et mous ....
t; l t;

ŒUFS DE PAQUES. 19

Avril à son heure est fidèle,


Les lilas vont fleurir ,
La vie accourt à tire d'aile
Tout bercer, tout nourrir.
Souriez tous, plus de détresse,
Flora pour tous défait sa tresse,
Les frais lilas, les lilas vont fleurir.

Comme une touffe à chaque branche -


Les oiseaux vont chanter.
Hier, dans le bois, une enf'ant blanche
Près de moi vint sauter;
Elle disait : - cc Vois, petit père!
« Que de nids I que de nids!. .. j'espère! ,, -
Oui, les oiseaux, doux oiseaux, vont chanter.

L'ombre s'épand sous la charmille-


C'est bon d'être amoureux.
Hier j'ai surpris paire gentille,
Jeunes gens fort peureux:
- « Ah, chers amis, à vous la place l
« Que la ceinture au bras s'enlace -
11 Car il fait bon, très-bon, d'être amoureux. >>

J'embrasse aussi ma blonde amante


Lorsque le jour s'enfuit.
- Et quelle est donc cette charmante?
- Le joyau de la nuit.
- Son nom?- Jamai,s. L'âme est jalouse ....
Stella descend sur la pelouse
Lorsque le jour, le jour, décline et fuit ...

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20 FlBRES INTIMES.

Le sommeil couvre tout de son pouce incolore


Ou ma lampe se meurt ....

Oh, parle, parle encore,


Telle que je t'ai vue en ce rêve enchanteur,
Vierge sainte, ange ou femme, au regard rédempteur!
Sur un jeune rameau de lilas accoudée,
Ta robe diaphane en verveine brodée,
Une étoile à ton front, des œufs d'or dans ta main ....
Une lumière intense!. .. Un sinueux chemin
Qui court avide d'ombre .... Au fond de la charmille
Sonne un baiser .... Et puis, une enfant qui sautille
Et s'arrête étonnée en levant haut les yeux ....

Quoi, seulement un rêve! Habitante des cieux,


Dis-moi que je t'ai vue, et que ta voix meilleure
Que les chants les plus doux encor d'un oui m'effleure ....
Endors-moi, parle-moi .... Non, je n'ai pu rêver ....
Si je te redis tout, viendras-tu l'achever?

« Te venger 1 pauvre ami 1 depuis quand la souffrance


Amène-t-elle donc Némésis à ton seuil?
Non, ce n'est pas. Crois-m'en, fuis la désespérance,
Prends exemple d'autrui, tourne le grand écueil.
Et quand l'archange noir te frôle de son aile
Ne te roidis jamais, ne lui résiste pas;
Sollicite plutôt l'étreinte fraternelle,
Baise ses doigts pâlis, jette-toi dans ses bras.
Souffre tant que tu peux, - tâche donc davantage,
Mais pleure .... A ce prix seul tu seras fort et grand;
=

ŒUFS DE PAQUES. 21

Il faut à la douleur des larmes en otage,


Mais en vivants joyaux toujours elle les rend.
La fatigue bien sûr, l'insomnie à l' œil fixe,
T'ont dicté ces accents dont la Muse a pleuré ;
Efface cette plainte, amertume prolixe,
Jamais pareil blasphème en ton cœur n'est entré.
Ce n'est pas sérieux. Voudrais-tu de la joie
Du troupeau qui bondit sur le chemin battu?
Dans l'ivresse mesquine où leur âme se noie
Ils vont se régalant de l'ombre d'un fétu.
Laisse-les. Toutefois, n'use pas d'anathème;
Peut-être qu'ils ont rôle en l'immense maintien,
Qu'ils posent quelque chiffre à l'immense problème, -
Qui peut le dire, ami ?-mais ce n'est pas le tien.
0 poëtes, le vôtre est écrit sur des larmes.
Contre un monde de fer ce sont vos seules armes,
Mais, tel l'égouttement au roc même fatal,
Elles sauront percer le masque de métal.
Pleurez-donc. Qu'à leur aise, eux, ils s'enorgueillissent
Des triomphes d'un jour, qui sont et ne sont plus, -
La tendresse a des fleurs qui jam ais ne vieillissent,
Le durable est à vous, et les pleurs qui jaillissent
Sont l'eau sainte dont Dieu consacre ses élus .....
Parmi les vieux témoins des âges de la Terre
Que le marteau découvre à l'esprit ébloui,
Te souvient-il d'un seul, muet dépositaire
D'un discours merveilleux bien longtemps enfoui?
Un vaste bloc de grè:; d'une couleur rougeâtre,
Débris de quelque bord d'océan transvasé
Aux siècles dévoniens, lorsque le grand théâtre
Par les feux créateurs cessait d'être embrasé.
Le minéral rugueux était semé de bosses,
22 FIBl\ES INTIMES.

De tertres, soupiraux de gigantesques vers,


Des hideux frôlements de crustacés colosses ,
Les maîtres, les fléaux de la plage et des mers.
Plus merveilleux encor l Sur la face bombée
Par les cuisants rayons d'un ciel incandescent,
Serrés et drus, les creux d'une averse tombée,
Et que la nue au sable a fouillés en passant.
Ne semble-t-il pas voir la goutte fraîche et pure,
Et l'angle par le vent à sa chute imprimé?
- Et pourtant cette pluie et la rafale obscure,
I.e tout dans un passé sans nombre est abîmé ....
0 Poëtes ! vos pleurs sont comme cette ondée
Qui se grave à jamais sur la scène de mort:
Elle atteste le ciel, la terre fécondée,
Sur les siècles éteints doucement elle dort.
Et lorsque les chercheurs d'un monde encore à naître
Fouilleront aux dossiers des mondes disparus,
Pieux et recueillis, lorsqu'ils voudront connaître
Comment le vrai bonheur, le bien se sont accrus, -
On les verra, penchés dessus l'humide signe,
Tout ravis s'écrier d'uri accent convaincu :
Salut, ô fondateurs! aïeux en droite ligne!
Car vous avez aimé, souffert, pleuré, vécu ....

,c - La Nature ... Tu sais, malgré ta raillerie,


Qu'elle est ta bienfaitrice et ta mère chérie;
Que les prés et les bois, la montagne et la fleur,
Ont bercé bien souvent, parfumé ta douleur;
Que les émotions, les fécondes pensées,
Qui toujours s'entr'aidant forment l'homme complet,
Viennent aussi des voix de lêl.terre élancées

1
CEUFS DE PAQUES. 23
t
Et q~'un ange traduit sur le divin feuillet.
Des sites bien-aimés n'as-tu plus souvenance,
Au midi langoureux, au vert septentrion?
ll
Aux flancs pyrénéens, aux rochers de Provence? l
j

Aux doux jardins de Nice, aux rives d'Albion? 1


1
Tu n'as qu'à le vouloir, ces cadres de ta vie
Passeront imagés des meilleurs de tes jours,
\
Comme au magique verre où l'enfance ravie
Acclame au défilé de rayonnants contours. r
l
Que la nature en paix jamais ne t'effarouche, i
Ne romps pas le lien qui t'attache à son flanc, !
\
Enguirlande ton front des baisers de sa bouche, 1\
Que son air soit le tieri, que son sang soit ton sang ....

,c -La femme ... A ce nom seul ton être entier s'agite


Comme en avril l'oiseau rempli d'amour palpite ...
La femme! Enigme sainte, or, perle, fruit, concert,
Étoile aux cieux sans fond, oasis au désert,
Centre aux mille couleurs, aimant qui tout attire,
But, source, chemin, fleuve, oubli, pressentiment,
Douleur et volupté, souveraine et martyre,
Mais avant et surtout, tendresse et dévoûment ...
Qu'a-t-elle donc commis? Ces griefs d'inconstance,
De froideur, vas-tu donc aussi les répéter?
Lieu commun bien usé, cette antique jactance
Est aussi vraie au moins qu'elle est neuve à chanter.
Le chapitre final n'est jamais venu d'Etle, -
C'e:;t vous qui l'écrivez ou quelque dur destin;
Quand vous avez tout pris, sa poitrine fidèle
Ne veut qu'attraits nouveaux pour grossir le butin;
Sur son cœur généreux l'injustice s'émousse;
FIBRES INTIMES.

Un mot fait oublier l'abandon qui flétrit;


Bonne comme le chien que du pied l'on repousse,
Elle revient toujours et caressante et douce,
Et veut poser sa lèvre au talon qui meurtrit. ...
De quoi te plains-tu donc? Respecte la couronne
Que la jeunesse en fleur a liée à ton front;
N'outrage pas l'amour, car c'est Dieu qui le donne,
Et tu verras, toujours, dans l'hiver monotone,
Des fantômes aimés sur toi voltigeront.. ..
Ou bien encor, pareils au chœur des blondes fées
Quand le vent assoupit ses dernières bouffées
Et que Luna discrète argente l'horizon,
Ému, tu les verras s'appeler pour la danse,
S'attacher l'un à l'autre et former en cadence
De blancs anneaux d'amour sur le pâle gazon ....
L'amour, c'est vrai pourtant, ne satisfait pas l'âme
Du penseur, du poète, abîme inassouvi,
Mais la faute, mortels, n'en est pas à la femme,
Elle est au for intime au désir asservi.
Qu'y faire? On le dirait, c'est une prophétie,
Quelque pressentiment: un timide avant-goût,
Un encouragement que le ciel balbutie
Pour qu'on cherche sans cesse et qu'on meure debout.
Bienvenu tel qu'il est l Lumineuse traînée,
Parure au vert chemin par le sort égrenée, -
Et quand le terme approche et qu'on se sent lassé ,
La traînée - on la lie en une belle gerbe,
Les grains - on les recueille en un collier superbe,
Pour réjouir ses yeux dans le tombeau glacé ....

« - Et la gloire .... Sans doute aussi quelque traîtresse!


ŒUFS DE PAQUES. 25

Non, je veux être douce :l ta pauvre tristesse,


Car sous le noir manteau dont s'enfle ton humeur
Je vois les vrais pensers qui logent dans ton cœur.
Ce n'est pas que j'ignore, enfant peu téméraire,
Qu'autant d'éclat te semble impossible à saisir, -
N"espérant pas pour toi, tu le veux pour to-n frère,
Lutteur qui se retrempe au tout-puissant désir.
Tu le crois si peu vain, que ta plus chère envie
Serait de le cueillir, ce beau laurier de vie,
Puis, appliquant dessus un bon et franc baiser,
Au front marqué du ciel toi-même le poser.
A qui donc en as-tu? La gloire, tu l'honores \
1
Chez tous les travailleurs, talents les plus divers: '\
A tous la palme verte et les cuivres sonores,
Pour tous les huis du temple à deux battants ouverts.
Aussi loin de l'esprit du brut utilitaire
Que des dires bouffis des mâcheurs d'idéal,
Tu connais plus d'un but, plus d'une œuvre sur terre,--
Et quand les doigts sont nets, que le cœur est austère,
Tout succès est sacré, tout mérite est égal.
D'éléments variés le bien présent résulte,
Des éléments divers vont fonder l'avenir :
Entoure de respect, protége de l'insulte,
Plus d'une ardente soif d'immortel souvenir.
Ce mobile est parfait quand le bien le seconde,
Que le beau l'entretient, que le vrai le nourrit;
Il jette à l'ouvrier la semence féconde,
Dans l'âme vigoureuse un dieu même l'écrit ....

- <<La bonté .... Pauvre ami, ton épreuve est fort triste,
Et tu peux bien douter si telle chose existe .

.,
26 FIBRES INTIMES.

Tu presses ta mémoire : aucun nom n'apparaît,


Aucun nom vraiment pur <l'intrigue, d'intérêt.
1
Et tu dis : L'amitié, c'est le ciment du lucre;
La bonne foi, l'honneur : un couple de vains mots;
Les proLestations : la poudre dont on sucre
La corvée attachée aux bras de nobles sots.
Hélas, que répondrai-je? Un peu de patience :
Ta vie est neuve encore, et quelque honnête cœur
Adoucira soudain ton âpre expérience;;
Mêlera son parfum à l'amère liqueur ....
Je la vois qui déborde, et j'en connais la cause.
Quand la coupe est à ras, il faut de peu de chose
Pour remuer le tout jusques aux profondeurs
Et jeter la surface en cascades de pleurs.
C'est encore cet homme, un fourbe à l'air facile,
A la main doucereuse et dont rien ne défend,
Qui te trompe en riant de ton humeur docile -
Car il te regardait caresser son enfant.
Mais plains-le! Plains tous ceux gui de propos se priver!t
Du bonheur de servir et du charme d'aimer;
Leur être est une ébauche; ils sont morts, bien qu'ils vivent,
Et pauvres, auraient-ils de l'or à le semer ....

- ccLa foi .... Polll'quoi toujours d'une main sacrilt>ge


Remuer ce squelette au fond du monument,
Et quêter un miracle ou quelque sortilége
Qui fasse tressaillir un antique ossement?
Vous ne le croiriez pas si vous le voyiez faire.
Qu'un ange quitte, ému, quelque divine sphère,
Qu'il salisse son aile aux flancs du noir caveau~
Qu'il ramasse le crâne et lui rende un cerveau,

Mm:- --
ŒUFS DE PAQUES. 27

Qu'il emplisse l'orbite, aux côtes qu'il enferme


Des viscères t0ut neufs, d'une blanche épiderme
Qu'il recouvre le corps, - puis, le mettant debout,
Qu'il le pose à ravir et le drape avec goût, -
Enfin, soufflant la vie aux parois de l'aorte,
Qu'il crie aux quatre vents :-c, Non, la foin 'est pas mo:·tc 1
« Vous qui voulez un dogme, accourez, à genoux.! » -
- Dites, sceptiques fils, vous y jetteriez-vous? ...
Et quel type d'ailleurs voulez-vous qu'il lui fasse?
Comment tourner son front vers tout le genre humain?
Et quelle expression lui mettre sur la face?
Quel rouleau de mystère enchâsser dans sa main?
Foi 1Cela sonne haut, - mais encore laquelle?
En quel siècle, en quel temps faut-il vous rappeler?
Quel fétiche vous sied, quel nom, quelle chapelle?
A quel parfait croyant voulez-vous ressembler?
Décidez-vous enfin .... Voulez-vous être brahmes,
Lâchement au néant habituer vos âmes?
Enviez l'Iodien qui hurle sous le char,
Ou la veuve voilée en flamme à Malabar?
Car ils ont tous la foi .... Si Moloch vous engage,
On pourrait lui porter vos enfants à Carthage :
La foi s'en trouvait bien .... Quand les fils de Juda
Massacraient des vieillards pour plaire à Jéhova,
La foi leur revenait .... L'implacable Peau-Rouge
Orne de scalps hideux sa poitrine et son bouge,
l\fais croit au Manitou .... Vous souciez-vous fo1t
Dans les hordes d'Islam d'avoir eu votre sort,
Quand Omar s'élançant de la Mecque agrandie
\
1 '
Secoua le tison pour l'immense incendie?
C'était acte de foi.... Préférez-vous la part
De ce moine hébété dans l'ombre du rempart?

--J
1
,.
28 FIBRES INTIMES.

Il use ses genoux pour la Rose mystique,


Indifférent à tout, d'être mort il se pique,
Cadavre plein de foi.... Vous eùt-il convenu
D'être un magnat pourpré par Rom!:)entretenu?
Il jette au noir Arno les reliques du juste,
Il tue et s'enrichit par le bras des saints rois,
De Galilée à terre il trouble l'âme auguste,
Et tenaille la chair devant le Christ en croîx ....
Qu'il a fallu de foi pour commettre ces choses,
Roidir ainsi ses nerfs et le cœur si puissant,
Joindre de tels effets à de divines causes,
Semer, les yeux au ciel, la rapine et le sang 1...
Regarde enfin cet homme aux degrés de ce temple:
Celui-là n'est pas mort, c'est un vivant exemple.
Il est fils de ton siècle, et tu peux chaque jour
Le coudoyer à table ou bien au carrefour.
C'est un ultra-fidèle, un croyant tout moderne,
Âu maintien distingué, souvent à l'air paterne.
Interroge-le donc. li a quelque talent;
Sa phrase est bien tournée et son ton pétillant.
Que dit-il? Que veut-il? Tuer? ... Bien pis encore.
li veut chasser de l'Est la radieuse aurore;
Il veut son idéal : le calme de la nuit
Pour une double entraYe. Il abhorre le bruit
Des mille opinions qui se frottant entre elles
Donnent de la chaleur, jettent des étincelles.
Les pas du saint Progrès, il les trouve trop longs,
Et pour les raccourcir i I tire à reculons.
Il réchigne au nouveau. Tout écart l'épouvante.
Il voudrait renverser le creuset qui fermente
Et qui bout dans le sein du fécond Avenir.
La pensée est un leurre; il faut vous souvenir
l .

ŒUFS DE PAQUES. 29

Que vous êtes déchus, que l'humaine nature


Est fille du malin et de la pourriture, -
Que de bons fers aux pieds, la camisole aux bras,
Peuvent seuls l'empêcher de se vautrer plus bas.
Liberté - vaine image! Égalité - bêtise 1
Conceptions d'enfer et que le diable attise!
Lever le paria? rédimer l'ouvrier?
Leur lot est celui-ci : travailler et prier;
.\,
Qu 'on les mette au carcan de la double tutelle-·-
Cela dans l'intérêt de leur âme immortelle ....
Car cet homme a la foi ....
Sortons de ces tableaux
Éclairés des lueurs de funèbres falots.
C'est assez si tu vois d'un regard plus tranquille
Que .ta plainte est vieillotte ainsi que puérile.
Sans jamais offenser le simple, le naïf
Qui se confie encore en son pieux esquif,
Acceptez bravement tous les coups de l'orage.
Ah! je sais qu'on défaille et que l'on perd courage
De cheminer ainsi, comme de vrais proscrits, \
Heurtant de chaque pied des monceaux de débri,;
Dans l'espoir d'y trouver une étincelle, un germe .... .\
- Avec un râle affreux le noir ,monceau se ferme. \
Allez, résignez-vous à vouloir d'autres cieux.
Songez à vos enfants et non à vos aïeux.
Pour eux dévouez-vous sans recul, sans murmure.
Travaillez sous la tente et couchez sur la dure.
Soyez pauvres et nus et tristes en leur lieu, 1
Et pleurez en silence en leur cherchant un Dieu l ...

- « Et la science aussi! ... Grandement il m'étonne


30 FIBRES INTIMES.

D'entendre celle-là dans ton pénible aveu,


Car tu suis, gai soldat, le clairon qu'elle entonne,
Et tu rêves souvent aux rayons de son feu.
Rappelle-toi les ans de pures jouissances
Que ses premiers transports, enfant, t'ont procurés;
Plus tard, ces cordiaux de vivaces essences
Qu'au doute, en l'abandon, elle t'a mesurés.
,, Qu'est-ce donc? Cesses-tu d'admirer ses conquêtes
1
:, Sur le passé barbare aux fétides languettes
Qui s'allongent sur nous et nous lèchent encor?
Son champ est-il étroit? Trop faible son essor?
Accroissement de vie, utilité, bien-être;
Force d'éliminer, prévoir, guérir, soumettre;
Armes contre l'abus, la superstition;
Entente d'intérêts, féconde expansion;
Respect et charité, pardon et tolérance;
Sentiment de grandeur, divine exubérance
Qui rend l'homme hardi pour le plus haut dessein ....
La science contient tout cela dans son sein.
N'est-ce donc pas assez? C'est la forte ouvrière
Qui construit et construit sans tourner en arrière
De regards désolés ou de dévots soupirs;
Elle est at'dente et jeune, et n'a pas ces loisirs.
Noble fille du siècle, elle imprime sa trace
Au suprême tournant du sort de notre race :
Là, d'espoirs couronnée, elle se tient debout,
Sans doute son salut - et peut-être son tout ....
Ingrat, souviens-toi donc! Faut-il qu'on te rappelle
Qu'elle est charmante aus!-i? Que pour tant de beauté
Tu voudrais lui verser une gloire nouvelle
En plaçant de tes mains la Muse à son côté?
Depuis longtemps déjà n'est-ce pas ton cher rêve
ŒUFS DE PAQUES. 31

De voir se consommer l'alliance d'amour,


Et de mêler leur sang, de confondre leur séve,
En un moule tout neuf au merveilleux contour?
Il court parmi les faits de la nature nue
Et du monde nouveau des moraux aperçus
Comme des fils brillants de facture inconnue
Dont on pourrait former de splendides tissus.
Les causes, les effets, sont tout pleins d'harmonies
Qu'aucun pas indiscret ne vient effaroucher,
Et l'on trouve au strict vrai des beautés infinies
Dont nulle fiction n'a su même approcher.
N'est-ce la mission de sainte Poésie
De se faire l'écho des battements humains?
Or, le siècle le veut, - la bouche d'ambroisie
Doit chanter la Science aux populeux chemins.
Le poëte aux vieux temps fut le premier élève
Qui fit parler les faits, allia les rapports;
La tâche court toujours, - que le poëte achève
En hymnes transparents, prophétiques accords .... \
\ '
Tant d'heur, tant d'avenir, à votre impatience
Ne suffisent donc plus? Il faut que la science )
Produise tout, de suite, en ses jeunes guérets,
Remplisse chaque vide, ouvre tous les secrets. \· 1
D~ quel droit, débutants, lui cherchez-vous chicane
De n'avoir pas encor fouillé le grand Arcane?
De n'avoir pas sondé de son jeune flambeau
La vie en la cellule et le ver au tombeau?
Tout, et sans tarder - tout, au prix d'un peu d'étude l '
\
A peine vous partez, vous criez lassitude.
Comme l'enfant qui croit aux monticules verts
Toucher facilement la fin de l'univers, \
Vous êtes étonnés qu'aux prochaines collines \
,\

\
________ ..:::__
_________ _...~--""'-""=;;.;;.;.;.-----~;,.,__::::::::.:~~ ..
--r-
r-r-=-••--=-=-=:::~K;;;;;b~»;;;;;:;;:;Ç;;;;::;_;;;;_:;:;;:;:;;,::;:;:';:;:;::;::::::::;;:;~--=--~t,-,-••~~-k-~,=-.à...,....&-<-,.....,......,
__

1,., !
,, 32 FI.BRES INTIMES.
1.,
1.1
Succèdent en tableaux d'autres rangs de courtines 1
Puis des monts au-delà, puis des plaines encor,
Puis des flots inconnus le décevant décor ....
Irez-vous pas gémir que la·terre est trop belle
Parce qu'à vos regards son ensemble est rebelle?
Et pourquoi donc lancer à l'autre immensité
En impuissant courroux le coup d' œil dépité,
Et, dès les premiers pas, en grand émoi vous plaindre
Que vous ne pouvez point l'entourer et l'étreindre?
De quel droit épuiser à votre seul profit
Le filon où, qui sait? se retrempe et revit
Du genre humain la force et le mobile-maître?
Qui sait si ce n'est pas sa condition d'être
De devoir sans repos chercher, chercher toujours?
Et si, - du Mouvement mystérieux détours,
Des Fiats éternels fortuite connivence, -
Le dernier mot ne fuit autant que l'homme avance ....
Il est bon cependant de se rendre à l'instinct
Qui chante au cœur de l'homme un apogée atteint,
Et qui fait que chacun s'offre entier, sans relâche,
Comme s'il devait clore et couronner la tâche.
Marchez, c'est noble et sain. Et d'ailleurs, imminents,
Quels plateaux radieux, quels vastes continents,
Quels fleuves enchâssés aux verdeurs les plus fines,
Quels sillons, quels chemins, quelles cités divines,
Où des songeurs outrés les rêves prennent corps ....
Que d'espoirs raisonnés dans les récents apports !
Ce n'est .pas seulement, quoi qu'on en veuille dire,
L'extension du brut, matériel empire;
C'est aussi le bonheur beaucoup mieux partagé,
Le libre individu du vortex dégagé,
Le préjugé conquis, le cœur humain plus tendre,
ŒUFS DE PAQUES.

L'être entier agrandi pour aimer et comprendre ....


C'est même un lumignon au tombeau de la Foi -
Avant-coureur de Dieu, n'avez-vous pas la Loi? ...

- « La justice ... Ah, je sais, cette plainte.est fondée :


Lejuste est comme au sable un palmier üiolé,
Ou comme un vert bouquet sur la plaine inondée
Tandis qu'au loin croupit le sillon désolé.
Je sais que l'ardent Vœu ne se peut satisfaire
De résultats en bloc et de progrès en grand,
Et que l'âme du bon trouve en son atmosphère
Des détails· de bonheur dont vite elle s'éprend.
Ah! je sais les soupirs que le présent engouffre
Dans sa bouche de fer sans langue et sans échos,
Je sais comme on gémit, comme on meurt, comme on souffre,
Tout ce qu'on paye au pleur de funèbres écots ...
Je t'ai dit quelques-uns des laboureurs robustes
• Qui sèment aujourd'hui pour des heures plus justes;
Leurs nombreux rejetons et des secours nouveaux
Viendront hâ.ter les temps d'équitables niveaux ....
Mais il faut s'oublier, user de patience,
Aimer le but lointain d'intime conscience,
Travailler et veiller; marcher, marcher toujours,
Sans même s'arrêter aux captieux discours
De gens morts ou vivants qui veulent qu'on regarde
Du passé nuageux la grimace camarde
Pour y chercher un calque ou l'inspiration
Sous peine de déclin ou de damnation.
En avant! en avant I car l'épreuve est suprême.
On demande des cœurs po,ur le grand théorème.
Sans outrer votre espoir, l'âge doré, joyeux,
3
FIBRES INTIMES.

C'est ce beau char roulant qui l'a sur ses essieux.


On a fort renchéri sur celui de la fable, ---,
Pour être moins complet, le vôtre est véritable.
Ayez foi seulement. Je ne puis témoigner
Si le juste absolu jamais viendra régner,
De l'imperfection effaçant tout vestige, -
Mais les maux douloureux que l'homme à l'homme inflige
Baisseront de fréquence et puis d'intensité
Comme les coups de hache au bois qu'on a quitté.
L'injustice criante allégera sa dîme,
Et l'abus monstrueux rentrera dans l'abîme.
On ne verra plus Un, en maître s'érigeant,
S'attacher en sangsue, en vampire exigeant,
Au suc essentiel, à la moelle de vie
D'êtres par millions, - et sa grotesque envie
De se faire passer pour céleste envoyé
Rira comme un sarcasme au lointain fourvoyé.
Les peuples n'auront pas besoin qu'on les maîtrise;
Du culte des Héros se fermera l'église,
Et, sans naufrages grands, i;ans immenses malhem·s, -
On n'aura plus l'emploi : GrandsHommeset Saiweurs.
Légitime retour, - le capital vorace
Cessera de marquer de sa fumante trace
Le cou du travailleur abattu, sur les dents;
Celui-ci lèvera ses bras indépendants
Et les enlacera dans les bras de ses frères
Pour former avec eux des chaînons tutélaires.
Coopération, - et la propriété
Trouvera son niveau par nul inquiété.
Appelés aux bienfaits du loisir, du bien-être,
Personne ne pourra, ne voudra méconnaître
La part qui leur revient du maniement des lois
ŒUFS DE PAQUES.

A ceux qui du Progrès portent la rude croix.


L'irradiation du bien, de la science,
Éclaü:ara <leneuf l'humaine conscience.
Certains modes d'agir qu présent réprouvés,
Naturels, innocents, plus tard seront trouvés;
Mais des riens d'aujourd'hui condamnés en revanche)
Comme de vrais méfaits n'auront plus carLc blanche.
Au minimum tombé, le brutal attentat,
D'une source physique exclusif résultat,
Ne recevra jamais de la mort le salaire.
On saura l'expliquer, guérir s'il se peut faire.
Car ce sera la règle en ces temps éclairés
De fuir les jugements hâtifs, intcmpérés;
De chercher à comprendre avant toute autre chose,
Et d'affixer d'abord à tout écart sa cause.
Que de chocs meurtriers, de coups immérités,
De vengeances sans nom, de ~alheurs évités!
Sarcasmes, vanité, sots propos et censures,
Parti pris, zèle outré, conversions, injures,
Ne viendront plus verser leurs dégoûtants poisons
Jusqu'au bonheur intime aux parvis des m1isons.
Sur la lointaine route, éclairée, aplanie,
La raison et le cœur iront de compagnie,
Grandissant à la fois, également heureux, -
Et les traits d'union ou les fils amoureux
Que la nature a mis entre les deux organes,
Multiplieront pareils aux fécondes lianes.
:Et lorsqu'au bout d'efforts et d'espoirs studieux
La cause ou le remède échapperont aux yeux,
Il restera toujours en réserve suprême
La ressource du cœur qui saura comme on aime, -
Qui saura le pardon, l'oubli, le dévoûment,
36 FIBRES IN TIMES.

La pitié qui s'en va les caresses semant,


Et l'hommage au malheur, pieuse déférence,
Et cette enfant du éiel, la sainte Tolérance.
Car ce sera le sceau des temps que je prédis
De chasser à jamais jusqu'aux restes maudüs
Des persécutions que votre siècle endure,
Et de l'art d'opprimer, n'importe sa natul'e.
Aucun homme déchu contraint de s'abrutir,
Aucun homme jouet, marchepied ou martyr;
Parias, déclassés, souffreteuse cohorte,
Victimes de tout rang, honnis de toute sorte,
Pâliront, se fondront, comme au matin rieur
Les ombres d'une nuit de fièvre et de frayeur.
La femme s'ornera de cent grâces nouvelles;
Elle aura la pudeur et la vertu réelles.
Échappée aux liens des usages étroits,
En son cercle élargi forte de nouveaux droits,
Elle s'affranchira de cette honte amère
.
Qui. la force pour vivre au sort d'épouse et mère
t
Et quand le fruit d'amour en son sein tressaillan
Ira ses beaux projets, ses rêves éveillant,
Elle ne craindra plus que son sang des entrailles
Soit livré sans façon aux bouchers des batailles,
Ou bien que la misère aux trottoirs gangrenés
Le ramasse, et l'étouffe en ses bras décharnés.
Ou bien que sous motif d'excellence future
Son enfance aussitôt soit mise à la torture :
Qu'un ignare attitré lui gonfle le cerveau
De vétilles, de riens tournés en écheveau, -
Qu'un monsieur différent qui du ciel se réclame
De pénibles terreurs enveloppe son âme, -
De ~orle que plus tard le pauvre être flottant
ŒUFS DE PAQUES.

Comme un cerf dans les lacs s'en va se débattant,


Et qu'il lui faudra presque un effort de génie
Pour s'élancer dehors la double tyrannie.
Plus d'entrave factice et de barbares soins; ,
Plus de cœurs, plus d'esprits, par la force disjoints;
Plus de souffrance en vain; non, plus de cette larme
Qui coule lourde et dure, inféconde et sans charme,
Qui brise le courage, abêtit la vigueur,
Ou, creusant le poumon, vient corroder le cœur ....
Au li.eu du fer qui tue et du sanglot qui broie,
Un développement dans l'espoir et la joie,
Une évolution en pleine liberté,
Un parcours progressif dans l'amour concerté,
Comme un transfert rhythmé, comme une symphonie
Emportant tout peut-être à l'étape infinie ....

- cc Poëtes;
et.c'est vous, vous qui sacrifiez
A la désespérance en lugubres fanfares !
Vous, les enfants aimés, les premiers conviés,
Vous, les regards de feu, vous, les voix, vous, les phares!
Passez sur votre lèvre un charbon de l'autel,
Plongez vos yeux ouverts dans l'Orient immence,
Humez dans l'air vivant le souffle solennel,
Prenez un luth nouveau, la tâche recommence....

- ccEt toi, l'incorrigible, à quoi bon ce fracas,


Ce blasphème assumé qui ne saitfoù se prendre;
Quand on te parle, ami, que ne réponds-tu pas,
Et pourquoi refuser si longtemps à te rendre?
Ne me connais-tu plus? De l'orbite trop lent
38 FIBRES INTIMES.

J'ai pourtant maintes fois tiré le pleur sonore,


Maintes fois rafraîchi ton pauvre front brûlant
Du baiser d'une amour que la mortelle ignore ....
Travaille, et que ta lyre ....

Ah ! parle, parle encore,


Telle que je t'ai vue en ce rêve enchanteur,
Vierge sainte, Immortelle, au regard rédempteur!
Sur un jeune rameau de lilas accoudée,
Ta robe diaphane en verveine brodée,
Une étoile à ton front, des œufs d'or dans ta main ....
Une lumière intense !... Un sinueux chemin
Qui court avide d'ombre .... Au fond de la charmille
Sonne un baiser .... Et puis, une enfant qui sautiile
Et s'arrête étonnée en levant haut les yeux ....
;\h ! parle, parle encore, habitante des cieux!
Si belle et bonne, à toi je viens entier me rendre.
Parle, de mieux en mieux je me sens te comprendre;
Toute chose revêt comme un autre contour,
Et mon pouls ne bat plus de fièvre, mais d'amour,
Et je suis digne enfin, - la vivante rosée
En frais sillons bénis sur ma joue est posée ....

Paris. Avril 1ll65.


-r.-a.-~------~-----~-----· -·~·~-- .......
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LUMFiN!

Salut, premier rayon! salut, jeune lumière!


Salut, souffle attiédi qui glisses sur les eaux!
Salut, salut, ciel bleu si bon à la paupière!
Salut, semeur de vie en d'éternels berceaux!

L'horizon s'élargit, la nue est envolée,


La paix verse partout recueillement pieux :
L'Esprit sans nom t'écoute, ô terre désolée,
Jette encore une fois ton soupir vers les cieux!

Le buisson aux aguets butine chaque haleine,


Le coq lance son chant à l'écho réjoui,
Le cheval amoureux gambade dans la plaine,
Et la larve pressent son sort épanoui.

Il court par les halliers des senteurs indicibles,


Chaque aile rêve un nid pour l'amour revenu;
Je sens sourdre en mon cœur des désirs impossibles
De tous mes jours heureux je me suis souvenu.
40 FIBRES INTIMES.

Je sais qu'il n'en est plus. Mais au moins que ne puis-je-


Ouvrant ce cœur vieilli que la joie anima -
Appuyer contre lui dans un dernier vertige
Ce qui l'a fait bondir et tout ce qu'il aima!. ..

Tu sautilles gaîment dans la jeune ramée;


Entre chez moi, bel hôte, attendu si longtemps ....
Si dans mon corps d'un jour une âme est renfermée,
Elle a quelque air de toi, cher rayon de printemps!

. Te disséquer l cruels! armés d'un froid cynisme,


D'oxyde de cobalt et d'un verre vermeil.. ..
Je me moque aujourd'hui de tout leur Actinigmp,
N'est-ce assez que tu sois un rayon de soleil?

Si l'on pouvait fléchir la déesse amaigrie


Qui se clot le tympan et nous laisse crier,
Non, je ne voudrais pas, commune effronterie,
Une année, et puis deux, pour tester, pour prier;

Je lui dirais : Attends, que sur moi ta main plombe


Un jour comme voilà, plein de vie et de chants:
Qu ïl vienne par degrés, le dur froid de la tombe,
Qu'en expirant je voie an moins l'espoir aux champs.

Et si le lendemain quelque forme voilée


S'acheminait vers moi portant un noir souci,
Fais reluire ma pierre en la nouvelle allée,
Gentil rayon, dis-lui : Madame, c'est ici.

13irkenhencl.Avril 1863.
MISÈRE.

Connais-tu les jours de pâleur


Où ronge le secret ulcère,
Où le cœur halète en la serre
De quelque invisible oiseleur,
Où l'âme s'exfolie,
Où tout crie et supplie,
Où l'on touche la lie
Du flacon d'humaine douleur ....

lis étaient cinq autour d'un piano-miniature


En plein vent. Je dis bien - une bise âpre et dure
Soulevait la poussière à tous les carrefours
Et la jetait au front du mois cher aux amours.
Ils étaient cinq enfants, et leur mère en arrière
Se tenait, cils baissés, comme en morne prière.
Eux, ils chantaient. Posés en écran protecteur
Deux parasols s'ouvraient sur l'accompagnateur
- Fillette de dix ans - la lampe et la musique.
D'aucun côté jamais un geste de supplique :
FIBRES INTIMES.

Dignes, ils ne prenaient pas d'apparent souci


Du cercle de passants par degrés épaissi,
I Et leurs yeux bleus plombés d'une auréole sombre
I Se tournaient fixement vers un même point d'ombre
t
Comme s'ils attendaient que leur ange endormi
Fût prêt pour les mener sous un ciel plus ami.
A tout examiner, leur misère était neuve,
Neuve et soudaine. Aux plis des habits qe la veuve,
A l'air pur et naïf des mignons concertants,
Misère avait frappé, sans doute ce printemps;
Et pour dernier supplice, hélas! la pauvre femme
Exhibait ses· petits, ces oiseaux de son âme ....

C'était dans un passage attenant aux trottoirs


Où le riche et l'oisif accourent tous les soirs :
Les cabarets bruyants où la foule s'empresse
Vomissaient au dehors la lumière et l'ivresse;
Le dandy parfumé coudoyait le haillon,
Le vice marchait nu, sans frein et sans bàillon,
Et la prostituée eu rubanée et folle
Apportait à la mère une hideuse obole ....

. Le lendemain matin, devançant le so~eil,


Je sortis. Tout dormait d'un effrayant sommeil
Dans les briques sans fin, -- car c'était le dimanche
Où toute œuvre se tait, où la prière blanche .
S'envole et bat de l'aile aux célestes vitraux ....
Tout dormait .... Au milieu des muets soupiraux
Un seul disait la vie .... Au fond d'une boutique
S'étalait vaguement un fouillis fantastique,

•\
---
Ml SÈRE.

Des copeaux frais et blancs s'entassaient sur le seuil,


Et deux hommes sifflaient en clouant un cercueil.. ..

Quelques instants après j'étais dans la campagne


Avec mon triste cœur qui souvent m'acco,rnpagne. 1

Les collines ·de craie en riant rougissaient, \


Les bois vêtus de neuf de bonheur frémissaient, \
Le fleurette des champs secouait son ombelle,
Et l'on sentait partout la fenaison nouvelle, ...

Connais-tu les jours de pâleur


Où ronge le secret ulcère,
Où le cœur halète en la serre
De quelque invisible oiseleur,
Où l'âme s'exfolie,
Où tout crie et supplie,
Où l'on touche la lie
Du flacon d'humaine douleur .... \

Londres, 28 mai 1860.


'.

ANNIE.

Quand la vie a parlé, quand l'âpre expérience


Nous dégarnit la tempe et verse au cœur le fiel, -
Que tout est sombre ou nu, que même la souffrance
Nous fuit en nous fermant et la terr~ et le ciel, -
Que la plaine est sans fin, que la route est déserte,
Qu'on marche indifférent à l'heure, à l'aYenir, -
Si l'on veut retrouver une touffe encor verte,
Uu rayon fugitif, une fleur entr'ouverte,
On se retourne, on cherche aux flancs du souvenir ....

Elle avait dit : au port, et je volai vers elle.


L'été se faisait vieux, mais le ciel était pur -
Il est des jom·s si doux sous ce climat si dur!
La Mersey si bougonne avait - bien rare zèle ~.
Quitté ses haillons gris pour se vêtir d'azur.
Les pavillons joyeux déroulés par la brise
Battaient un air de fête, en dépit de la crise
D'Amérique. Et j'étais du même sentiment -
Lincoln n'occupait pas ma pensée un moment.
- Annie était fidèle à sa tendre promesse.
Fll3RES INTIMES.

Les longs plis de sa robe, ondoyés par le vent,


Parlaient à toute force un langage émouvant :
Les mains avaient beau faire; on voyait h souplesse
D'une ceinture altière, et la pleine jeunesse
De contours bien mûris. Quant à ses pieds d'enfant,
Excusez-moi. Voyez, la rime est fort mauvaise,
Et vous m'accuseriez de flatter une Anglaise.
D'ailleurs,- dût-on me croire un ours très-peu chrétien,- ~
A plante vigoureuse il faut ferme soutien.
Il suffit. Aimez-vous que sans être coquette
Une femme étudie un peu vos moindres goûts?
Que toujours scmpuleuse aux détails de toilette,
Elle sache d'un nœud charmer un tête-à-tête,
D'une fleur parfumer tout un long rendez-vous?
J'adore la surprise; un gant me passionne,
Un col blanc me transporte, un chapeau me ravit :
Je ramasse aussitôt la gisante couronne,
La fraîcheur rentre au cœur, l'amour semble - inédit.
- Ah! le joli ruban! Il lui sied à merveille,
Je l'aime beaucoup mieux que celui d'avant-hier;
Comme il fait ressortir ce cher menton si fier,
La pâleur de son teint et sa bouche vermeille.
Annie est vraiment bien. - Where shall we go?- Vois-Lu
Cette colline au loin couverte de futaie?
La lumière ruisselle au large flanc herbu,
De là nous plongerons sur les monts et la baie.
Allons, viens sans tarder, je me sens l'âme gaie,
Quelque oiseau merveilleux chante au-ded;ms de moi ....
Cet oiseau merveilleux, je soupçonne, c'est.toi! -
- lndeed? - Et nous partons par delà le grand fleuve,
Nous regardant souvent et nous donnant la main,
Trouvant l'air embaumé, la terre fraîche et neuve,

1 '

- .
7
ANNIE. 47

Et marquant de baisers les deux bords du chemin -


De quoi le retrouver dans cent ans de ~emain.
Oui, la terre était belle et pleine de sourires)
De visibles parfums voltigeaient sur les prés,
Aux cieux étaient des voix, dans les arbres des lyres
Dont émanaient des chants sur des rhythmes sacrés.
0 saint Épithalame! erreur harmonieuse!
Combien d'êtres humains as-Lu déjà bercés! .\
Jeune et vivace encor, chimère lnmineuseJ \
·Dans un monde où tout passe, où la raison dupeuse
Abandonne au lichen ses autels renversés!
- Asseyons-nous, veux-tu? De ce bois la lisière '\
Est adorable. Entends ces trembles babillards)
Et l'essaim vagabond des corbeaux goguenards
Qui s'abattent en rond là-bas dans la clairière ...
- Vois, la mer resplendit sous le blond éventail
Que la nue a tiré de dessous son camail
Commepour échapper à l'œillade un peu franc'he
Du Snowdon amoureux malgré sa barbe blanche.
Sous les baisers du ciel la vague au dos gibbeux
Se calme et s'amollit) pour recevoir· les jeux
De paillettes sans nombre, étincelles vivantes,
Grouillement de rayons, fourmilière de feux ...
- Voudrais-tu voyager sur ces ombres mouvantes
Qui glissent en silence au déclin de ces pentes J
Puis montent ces coteaux ? Si nous étions sorciern
Nous nous élancerions sur un de ces coursiers
Pour aller nous aimer au pays où les roses
Ne se fanent jamais) - où les lèvres mi-closes
De la terre endormie après l'ardeur du jour
Exhalent des accords et d'ineffables choses
Qui font perdre la tête en accablant d'amour ...
- '. "'---,------ -
............... __, _
.,.,..._,;

48 FIBRES INTI~IES.

- Aperçois-tu cet homme au fond de la vallée


Qui manœuvre un engin aux longs bras ferrailleurs ?
C'est un râteau qui glane et tourne en javelée
Des restes de regain échappés aux faneurs .....
V - Quel est ce bruit mourant comme l'écho d'un rêve?
On dirait la rumeur des vagues sur la grève
S'éteignant près de nous ... Non, regarde ces pins
Qui s'alignent en rangs, s'étagent en gradins,
Voilà l'orchestre immense et qui sans paix ni trêve
Répète au grand complet des concerts sibyllins ...
Salut, salut, forêt l salut, ô grands poëtes ! ...
- Vois donc notre vieillard, il a fait des conquêtes!
Do vaporeux enfants, fraîches éclosions,
Nymphes au blanc corsage ouvragé de rayons,
Sollicitent ses yeux 1 sur ses genoux se prPssent, .
Et puis, plus près encor, tendrement le caressent. ...
I
Ce que c'est d'être roi 1... Voici que de leurs bras
Enlaçant son vieux cou pelé par les frimas
Elles dansent en rond, amoureuse guirlande!
Vierges au cœur naïf, que le ciel vous défende -
Car il va vous dissoudre en ses embrassements .....
Rêveuse, dear? ...
V,
Ainsi de rapides moments
S'enfuyaient tout chargés de blonde fantaisie-
Poussière de pollen en nos âmes saisie ...
Tout à coup, sur la droite, avec de grands émois
Débouchent dés chasseurs, cohorte en frénésie,
Gens qui ·vivent de mort et sèment les abois ...

Et je lui dis : - Annie, entrons.plus loin au bois.

Birkenhead, 1865.
FUITE D'ÉGYPTE.

A PLUSIEURS
MIISSIEURS.

Champs aimés, gais coteaux, encore en vous, encore!


De vous je me pénètre, en vous je m'incorpore -
Recevezvotre enfant, je le suis, n'est-ce pas?
Servez-moi, servez-moi es éternels repas
De laitage calmant, d'enivrante ambroisie_.,
Qui découlent de vous pour toute âme choisie ...
èhassez de mes poumons, brises pures du ciel,
Les sporules de mort, miasmes de Babel. ..
Je m'enfuis de la ville ... I[ y fait laid et sombre,
Et froid, bien froid au cœur; des misères sans nombre
Y grouillent dans la fange avec un air hagard,
Et la joie elle-même est un spectre blafard ...
Reposes-en mes yeux, ô verdure hyémale !
Et toi, prince déchu, soleil au front d'opale
Qui rases l'horizon en jetant des regrets,
Me voici: tisse-moi de tes plus humbles traits
Un habit tout pareil à celui qu'ont les rustres
Méprisés des bonheurs grimaçant sous les lustres ...
Passereaux sans abri, chemins creux dépouillés,
Béants ados déserts à l'automne fouillés,
~
50 FinHES INTIMES.

Alentours assoupis et bleuâtres fumées,


Jardinets sans enfants et chaumines fermées,
Voyageurs ténébreux plus hâtifs chaque soir ...
Parlez-moi, chantez-moi la lumière et l'espoir!

Enfin! Je rnrvis donc à ces longues semaines


De courses sur les rails des pratiques domaines
De Madame Industrie! Au fait, je suis ravi
De savoir qu'à tel but tel gaz est asservi,
Qu'en utiles desseins le monde est convertible,
Et qu'on peut, par brevet, rogner son combustible.
Merveilleux! Mais v!:'aiment, ne m'en dites plus rien ;
Tout ce que vous ferez, je le trouverai bien,
Commode et bon marché. Hardiment, sans scrupules,
Tel'mites, enfoncez toutes vos mandibules;
Rongez tout à votre aise, au meilleur escient,
Cette bonne Cybr.Ieau ventrP-patient, -
Pourvu que vous laissiez à mon âme pieuse
Son front resplendissant, sa bouche harmonieuse,
Ses souples cheveux verts, son grand œil bleu profond,
Le carmin de sa joue au réveil pudibond,
Ses deux brasblancs tout nus, ses deux beaux seins sans voiles,
Son collier de parfums, sa tiare d'étoiles !

Mes amis, vous blâmez ce grand capricieux


Qui sait trouer d'un bond vos rets officieux,
Et j'entends vos propos : - « Ridicules boutades!
« Sans-souci de rêveur! Coups de tête ! Incartades !
« Déraison et folie!. .. >> Ah, c'est bien mérité;
De vos exemples d'or j'ai bien peu profité;
? 7

FUITE D'ÉCYPTE. 51
Au prudent tribunal moi-même je m·accuse
D'avoir limé mes fers, d'avoir rompu l'écluse ...
- ccL'âge avance ... pourtant ... chacun ... et cœlern,
c< Nous verrons ... rira bien qui le dernier rira. » -
Je vous arrête ici. Du mépris sardonique
Je n'offense jamais des autres la pratique.
Nul ne peut me taxer d'avoir trouvé mauvais
Qu'autrui ne marche pas où moi-même je vais.
Plus d'un espace s'ouvre à la pensée humaine,
Et toute œuvre a son droit quand l'honnête la mène.
Commercez, bâtissez, forgez, mariez-vous,
Inventez pour remplir un coffre-fort jaloux,
Parcourez à l'envi la raisonnable ronde,
Le cycle que parcourt à peu près tout le monde, -
Qu'est-ce que vous voulez? Démence ou bien orgueil,
Je veux à ma manière arriver au cercueil;
J'ai dégoùt du chemin piétiné mais bien sage,
Et je me sens cousin des oiseaux de passage;
Il me plaît de n'avoir ni foyer ni maison,
Et d'enfourcher le vent en narguant l'horizon.
J'admire vos travaux et votre humeur contente;
Je n'en puis revenir qu'aussi peu vous enchante,
Et comme on m'a conté qu'il y a parmi nous
Des philosophes gueux, - il faut que ce soit vous.
Vous avez fait le vœu, vous portez la besace :
Votre esprit s'accommode au moindre coin <l'espace;
C'est abnégation qu'un être humain enlier
Consente à ployer l'aile à si trisLe métier ....

Plaisanterie à part et trèvc de satire.


Du pl'ogrès la fortune en chaque objet m'attire,
52 FIBRES INTIMES.

Et j'ai fort mince égard pour tous ces songe-creux


Qui, des gants sur les mains, nous prêc}:lentd'être heureux.
J'aime le positif et j'honore l'utile,
J'y laisse, quand je pu-is , mon empreinte débile,
Et je sais rattacher l'infime journalier
Au bien-être total de l'immense atelier.
Mais, hommes d'action, permettez que je dise
Que le funeste nœud qui parfois nous divise
C'est votre intolérance, et ce sont tous vos soins
Pour dénigrer ceux-là qui forgent un peu moins.
Quand à votre mérite ils sont prêts à se rendre
Pourquoi donc persister sur eux à vous méprendre?
Est-ce étrange qu'on ait des besoins différents?
N'est-il donc d'autres biens que les biens apparents?
Quelle injuste lubie en votre esprit se niche
D'excuser tout hormis le refus d'être riche,
Riche à votre façon? Eh, n'est-il qu'un cordeau,
Qu'un type, qu'un seul poids, qu'un but, qu'un écriteau
Les choux sont nourrissants et la rose parfume, -
Vite, plantons partout le restaurant légume, . \
Et joie aux estomacs! ... l\fais nous avons des nez,
Que diront-ils? .... De grâce, apprenez, comprenez.
Ne ramenez pas tout à la même stature,
A la vôtre. Il existe une double nature, -
Si vous ne voyez pas, laissez donc regarder.
C'est d'un étroit cerveau que de goguenarder.
Je le dis sans façon : l'exclusivisme est bête,
En quelque camp , hélas! que se dresse sa tête,
Bête et brutal. Fuyons les jugements tranchants,
Et n'exilons personne excepté les méchants.
Moins portés à blâmer, expliquons davantage
Comment des goûts divers ont eu divers partage.
' ... 4 .:;,w.......-.x:zz;4% 1i

FUITE D'ÉGYPTE. 53

L'essence de ce monde est la variété.


Le vaste pain du Vrai par le ciel émietté
Tombe de çi de là; quelle sottise altière
De se targuer d'avoir la miche tout entière!
Soyons moins suffisants. Enclin à transiger,
Le penseur fuit l'extrême au lieu de l'infliger.
Laissons, de quel destin que le hasard nous dote) 1
A chacun sa couleur, son désir) ou sa note. j
Au ruisseau son babil, à l'oiseau sa chanson)
La neige à la montagne et l'or à l'horizon,
Au papillon son aile) à la fleur son corsage,
Les souffies aux bosquets et l'éclair à l'orage)
Le silence à l'étoile, aux grèves la rumeur,
Le fer au forgeron et son rêve au rheur !

Middlesex. Décembre 1864.


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MARDI-GRAS.

Mardi-gras aviné chancelle aux carrefours,


Ou bien, l'épaule nue, aux lustres se démène;
La Folie et !'Oubli, ces bruyants troubadours ,
Dans des spasmes derniers enterrent leur semaine.

Ce m'est indifférent, et je rentre chez moi


Pour allumer la lampe au travail amicale, -
Mais la plume faiblit je ne sais trop pourquoi,
Et dans les mots pressés un soupir s'intercale.

Bientôt le front s'incline en les mains abattu,


De mille diamants les objets étincellent,
Les sanglots se font jour et les larmes ruissellent -
Mon pauvre cœur, qu'as-tu?
Pourquoi ces diamants, ces larmes qui ruissellent?

Certes , ce ne sont pas du moins de vains regrets


Des soi-disant plaisirs tendus par la débauche;
Ils vont mal à ma soif, ces petits vins aigrets
Dont s'enivrent ceux-là que le néant embauche.

j
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56 FIBRES INTIMES.

Oublier je ne puis, et souvent je ne veux.


Qu'est--ce donc, et pourquoi cette nouvelle crise?
f.ar ces sales clameurs n'ont pourtant plus d'aveux
Pour l'hymne de douleur depuis longtemps apprise.

Serait-ce un brusque choc du contraste impromptu?


Le gaz étincelant et la froide bourrasque, -
Les grelots sur la tête et les plenrs sous le masque, -
Mon pauvre cœur, qu'as-tu?
Que te sont les grelots dans la froide bourrasque?

N'est-ce donc pas assez de mon propre souci


Auquel j'adjoins un peu celui de toute chose?
Sous le vide éperon faut-il aller aussi
Fouiller hors de propos et regimber sans cause?

Certes, j'aime l'étude et ses rudes tournois


Contre le dogmatisme et contre l'ignoranee;
Et la subjection des naturelles lois
M'exalte de bonheur, m'e11fièvre d'espérance.

Attendez, - et voilà que tout devient fétu,


Que la main qui cueillait s'égare et puis délaisse,
Que l'œil se fixe ailleurs, que la tête se baisse -
Mon pauvre cœur, qu'as-tu?
Pourquoi ces yeux ail leurs, cette main qui délaisse?

Certes, j'aime la femme et j'aime son amour;


Et dans son sein ému de toutes les tendresses
Il me semble parfois me perdre sans retour
Comme au foyer final de toutes allégresses ....
MARDI-GRAS. '57
1

l
Pourtant, ,en d'autres jours, quand l'orage s'est tû,
Je contemple attristé les brûlantes morsures ....
C'est comme une autre faim pour d'autres meurtrissures-
Mon pauvre cœur, qu'as-tu?
Pourquoi cette autre faim de brûlantes morsures?

Certes, j'aime les champs, les horizons lointains,


Les grands bruits de la mer, la paix de la montagne,
Et les soirs empourprés et les tièdes matins,
Et les souffies discrets que l'étoile accompagne;

Certes, j' aimè un tableau qui parle un sens caché,


)
l
Un marbre qui respire une forte pensée;
J'aime l'écho sonore au génie arraché •
Par quelque souriante ou pâle fiancée;

Certes) j'aime le bien, l'honneur, le dévoûment,


La générosité, le muet sacrifice,
La ligue du travail pour l'humain mouvement
Avec la liberté, seule juste complice;

Mais par moments tout perd son dire et sa vertu, -


Je repousse en pleurant le trop mince partage, -
Lapoitrine fermente et je veux davantage -
Pauvre cœur, que veux-tu?

Paris. l865.
ADIEUX.
\
Adieu, berceau de mon adolescence,
Fraîche oasis de mes illusions,
Tertre fleuri de ma jeune espérance,
Cadre vermeil de blanches visions ....
Encore adieu! je te laisse mes joies,
Mes longs soupirs, mes vœux, ces douces proies
Qu'un ciel sans tache offre à nos blonds vingt ans;
Mes premiers chants, l'étude ardente et neuve,
Mespleurs d'amour .... et tout ce dont s'abreuve
La soif de vie au vert printemps.
\

Adieu maison qui reposes sur l'herbe


Comme un vrai nid entre d'épais rideaux;
Tu n'as pas l'air grandiose et superbe
De nos voisins, les castels féodaux -
Mais que me fait'? L'aube toute première
Te rencontrant au parcours de lumière
Étend sur toi ses plis de blanc satin;
Alors la rose au clair fronton s'agite,
Rend la caresse, et bien vite, bien vite,
Entonne l'hymne du matin.
''
1,
' 60 FIBRES INTIMES.

Adieu beau cèdre au coin de la pelouse,


Quasi mon frère - on t'a vu si petit;
Adieu verger plein d'une ombre jalouse,
Où si souvent mon rêve se blottit;
Adieu ruisseau que j'appelais volage
D'en conter tant aux mousses du rivage
l Puis de t'enfuir chargé de leurs aveux;
,
I Adieu la source aux mignonnes cascades,
r: Où, curieux, j'épiais les naïades
i
Peignant leurs humides cheveux.

Adieu colline à la rapide pente


Qu'en légers bonds je franchis tant de fois,
Pour couper court au sentier qui serpente
A ton sommet égayé par les bois.
Méandres chers, ah combien je vous aime!
Gardiens bénis, le meilleur de moi-même
Est encor là, caché dans vos buissons ....
Vous savez tout, car ma lèvre indiscrète
Vous effeuilla, comme une pâquerette,
Mon âme en naïves chansons.

Adieu ma lande assise en souveraine


Au fier plateau, la face vers le ciel,
Où se gonflait ma poitrine incertaine
De respirer encor notre air mortel. ..,,
Je m'en souviens, quand les puissantes brises
Lançaient là-haut l'allegro des reprises
Je m'arrêtais, vaincu d'émotion;
Et j'attendais un rite de Mystère
Quand les grands pins s'inclinaient jusqu'à terre
En pieuse adoration .....

I
1 '
l

ADIEUX. 61

Lande, je t'aime aujourd'hui plus encore,


L
Car aujourd'hui j'ai vécu, j'ai souffert;
J'explique mieux ta passion sonore,
Mon œil pénètre au grand temple entr' ouvert.
Je la comprends, la violette trace
Qui se répand à ta brune surface
Tout ondulée en ravins crevassés ....
Qui me l'eût dit ? C'est un sourire pâle
Sur un visage accentué du hâle
Et travaillé de durs pensers.

Il faut partir ... Dans l'humide vallée


Hier j'ai cueilli ce bleu myosotis,
Et quand son âme au vent s'est exhalée \
Voici les mots que troublé j'entendis :
- <<N'oubliez pas l. .. Le cœur humain s'égare
cc Quand au futur il ~oit la perle rare :
<< Rendu présent, c'est un rien ramassé.
cc La souvenance est la seule pâture.
cc Souvenez-vous; l'humaine créature
cc Ne connaît bonheur que - passé. - »

Il faut partir ... Une humble sensitive


Vivait bien saine en un modeste enclos,
Et promettait longue existence active,
Et confiait son espoir aux échos;
Quand tout-à-coup quelques méchant::; surviennent
Qui, tour à tour, dans leurs doigts la détiennent,
Puis, sans propos, s'en vont la torturer ....
La voici pâle, en lambeaux, affaissée -
Non, plus d'espoir, car la pauvre blessée
N'a de forces que pour pleurer. \
r
62 FIBRES INTIMES,

Il faut partil' ! - Où voulez-vous que j'aille?


- Pour l'action, vois, l'espace est ouvert.
- Mais je n'ai pas d'armes pour la bataille
Et pas d'enjeu pour le grand tapis vert.
Que celui-ci prospère avec son glaive,
Que celui-là sur son argent s'élève,
Que son talent fasse acclamer ce fort. ...
Moi, je n'ai rien pour entrer dans la lice,
Agir, agir, vous voulez que j'agisse
Quand de sentir est tout mon sort!

Quand je me mêle à la clameur immense


J'en reconnais bientôt la triste loi,
Et, pauvre atome au vortex en démence,
Les flots amers valsent toujours sur moi.
Je vois le mal, l~s dégoûtantes plaies,
L'oppression, les gibets et les claies,
L'oi8if - bourr~au, le travail - étouffant ....
Et là, devant l'éclatante ironie -
Quelques rieurs, la masse à l'agonie -
Je suis faible comme un enfant!

C.arj'ai pour bien - un cœur prêt aux alarmes


Et qui s'étire en spasmes douloureux;
J'ai pour pouvoir - un cœur rempli de larmes
Et débordant, de vaine eau généreux;
Et l'on me classe - aux rangs des fils du rêve,
Dupes d'une ombre, aiguillonnés sans trêve
D'un désir fou de changer le réel.. ..
Au fer, au roc, leur belle ardeur s'exerce,
Et, ricanant, l'impossible les berce
Pour le lourd sommeil éternel. ...
~
ADIEUX. 63

- Il faut partir! - Par delà cette route


Distinguez-vous comme un asile épais ?
Le sycomore en un dôme s'y voûte
Comme pour mieux y concentrer la paix ....
Couchez-moi là ... Lorsque tous les dimanches
La cloche amie entr'ouvrirales ~ranches
Je m'appuierai sur mon chevet obscur,_
Pour voir entrer au seuil de la prière
L'adolescent inondé de lumière,
L'adolescent aux yeux d'azur.

Que me veut-on? Par pitié qu'on me laisse


Où mon bonheur est à jamais ancré;
Où, prisme en main, prisme de la jeunesse,
J'ai, haletant, gravi le mont sacré;
oJj'entrevis un portail chimérique
En marbre blanc, de céleste fabrique,
Et sur un sol de g~irlandes semé;
Où tout brûlant d'ardeur que rien ne lasse,
L'âme élargie à contenir respace,
J'ai si complétement aimé ....

Ah, mon amour!. .. Seulement quand j'y songe


Comme un frisson aux entrailles me prend,
Puis vers le cœur en des replis s'allonge,
'
Puis sur mon corps en ondes va courant ....
Qu'on me le rende- un jour encÇ>re-- une heure,
Ce ciel perdu, - si vous voulez, ce leurre,
N'égarant point, - ce mensonge, si:rnlvrai ...•
Puis à toujours .... 0 brise que j'adore,
De mon amour tout imprégnée encore,
Au tombeau j'en trernaillcrai !
i
l

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FIBRES INTIMES.
;,

Ainsi, c'est dit? Cher nid couvert de roses


Que le baiser de l'Est vient agiter,
Ombreux verger aux comtines bien clo~es,
Je ne vais pas avoir à vous quitter;
Source connue aux ondines peureuses)
Myosotis et mousses amoureuses,
Flots inconstants qui fuyez au milieu,
Colline aimée aux méandres fidèles)
Lande ou s'entend comme un battement ù'ailei_::,
Je ne vous dirai pas adieu!

- Il faut partir! Comprends qu'il serait lâche


En tel moment de s'enfuir au linceul;
L'heure qui sonne à chacun fait sa tâche,
Nul n'a le droit même de pleurer seul.
Le siècle marche entre tous inémorable :
Il faut pousser ln roue inexorable,
De sa sueur au besoin la marquer ....
Au grand chantier le naviré s'apprête
Où notre race, enfin levant la tête,
Pour l'avenir va s'embarquer ....

L'ombre douteuse est celle d'un vrai temple,


Et l'impossible a peur de nos efforts;
Allons, songeurs, prêchez d'abord d'exemple,
Puis stimulez, - et soyez deux fois forts.
Faire œuvre utile et qu'un chant parachève,
Et compléter l'action par le rêve,
C'est là confondre en maître les railleurs ....
Tu sens, dis-tu? L'émotion t'oppresse?
Tant mieux-pars donc-dès demain-ne serait-ce
Que pour aller souffrir ailleurs!
l
ADlEUX. 65

Vibre et travaille l Il n'est pas de faiblesse


Qui ne se trempe à ce puissant aloi;
Épée, enjeu, trésor, souffle et noblesse,
C'est le labeur joint à l'oubli de soi.
Saisis les lois du physique équilibre,
Fouille au passé le fatal et le libre,
De la science arpente la longueur;
Prends les douleurs, les vœux: les espérances,
Dejours meilleurs les vagues transparences,
Et jette le tout dans ton cœur !

Et que ce moule au capiteux mélange


Des vins d'étude et des tristes festins,
Fermente un temps dessous l'aile de l'ange,
De l'ange aimant qui veille à nos destins ....
Peut-être un jour les peuples qui s'éveillent
Demanderont aux échos qui sommeillent
Des chants profonds, libres comme la mer;
Peut-être un jour que pour prix de ta vie
La Voix dira - d'une flamme suivie :
Prends ce luth aux cordes de fer.

En revisitant B-y. (Yorkshire). Septembre 186il.

1
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L'ENFANT AU BORD DE L'EAU.

(SCHTLLER.)

Les mains pleines de marguerites,


Assis sur un petit îlot,
L'enfant jette ses favorites
Poiir voir - comment danse le flot.
Mesjours s'écoulent comme l'onde
Que suit cet œil tout triomphant, --
Tu fuis, tu fuis, jeunesse blonde,
Comme les fleurs de cet enfant.

Vous demandez commentje pleure


Quand tout renaît, quand tout raviL,
Quand la sainte espérance effleure
Tout l'innombrable essaim qui vit ....
J'entends les mille voix joyeuses
De la nature en doux émoi,
Mais ces rumeurs mélodieuses
Éveillent le sanglot chez moi.
68 FIBRES INTIMES.

Que me sort liesse nouvelle


Que m'offrent les premiers beaux jours'?
Il n'en est qu'une que j'appelle,
Toujours bien près, bien loin toujours.
Vers l'ombre ardemment désirée
Je tends en vain mes bras ouverts ....
A mon âme seule et navrée
Que font l'eau bleue et les bois verts!

Oh, viens, descends, ma souveraine,


Descends de ces créneaux jaloux,
De fleurs que le printemps égrène
Je veux te couvrir les genoux.
Ouïs .... Zéphyre nous câline,
La source chante doucement,
Et la hutte sur la colline
Appelle un heureux couple aimant.

1860.
LE PARTAGE
DU MONDK
(SUR UN THÈME DE SCHILLER.)

L'Olympe festoyait. Jupiter bien en train


Se leva, généreux, la coupe d'or en main.
- « Mortels! )) s'écria-t-il, cc sous cet épais nuage
E~t un vaste domaine, un fort bel héritage:
Je vous le donne. Allez. Je n'entendrai jamais
Ni les vœux importuns, ni les si, ni les mais.
Voyez-bien, calculez, arrangez-vous en frères,
Je ne me mêlerai jamais de vos affaires. » -
Là-dessus Jupiter fit un signe au Destin,
Appela Ganymède et reprit son festin.

Grande clameur! la foule avide


Comme un seul homme se rua;
Chacun, bousculant, intrépide,
Tout ce qu'il pnt s'attribua.

Le paysan choisit la glèbe,


Le fier chasseur s'enfonce aux bois,
Cet autre, en dépit de l'Érèbe,
Fuit sous le sol en tapinois .

...,.~.._ ..........
...__ _ _z.;, _____ ......;.........'"'-"
71 FIBRES INTIMES

Du marinier l'âme indocile


Sans peur s'élance sur le flot,
Et le marchand d'un doigt fébrile
Cloue et décloue un gros ballot.

Le soldat prend la javeline,


Le prêtre invente un parchemin,
Le philosophe s'embéguine
De ce qu'il reniera demain.

Roi, courtisan, portier, notaire,


Chacun au mieux va s'arranger;
Bientôt il ne fut plus sur terre
Un pauvre endroit pour se loger.

Alors on vit venir par la route poudreuse


Un homme au doux maintien, la candeur <lans les yeux;
rrun geste il comprima peine mystérieuse,
Et s'adressa tremblant au souverain des dieux: -

«Grand Zeus, ô Fils du Temps! Toi dont les mains puissantes


Soutiennent en leur vol les sphères frémissantes
Sous un de tes regatds ,
Entends ma faible voix! De ta sainte présence
Pourquoi donc me bannir, sans joie et sans défense,
Victime des hasards?
LE •PARTAGE DU MONDE, 71

« Attardé, je reviens de ces lointaines grèves


Que tu chéris le plus, - des beaux pays des Hèves)
Tes jardins, Jupiter!
•J'y respirais des fleurs près des eaux vagahondes)
Et j'écoutais, ravi, la musique des mondes
Dans l'invisible éther!

« Je n'envie aueun bien dont ces hommes jouissent -


Mais que faire ici-bas? Oublieux, ils agissent;
Moije ne suis qu'amour.
Ah, rends-moi ton Olympe et la vierge, ma Muse,
Et les vagues concerts, la lumière diffuse
En l'immortel séjour! ii

L'héritier de Satume entendit cette plainte.


- « 0 poëte ! ii dit-il, c< toi, mon fils) mon empreinte,
Toi seul deshérité ! Combien il me plairait
De révoquer pour toi ce trop hâtif arrêt ....
Reste. Je ne le puis. Chante donc ta souffrance.
Pour toi seul que 1a uue ait toujours transparence.
Viens visiter ta Muse en le sacré vallon,
A ses chastes baisers rafraîchis ta couronne) -
A mes banquets je veux que ta lyre résonne)
Sœur de la lyre d'Apollon! >>--

1860.
r1!
l
1
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ARABE
D'UN MANUSCRIT
FRAGMENT

E
DELAFINDUTREIZIÈMSIÈCLE.

Et Khadiz poursuivit son récit en ces mots :

Là je fis arrêter l'escorte et les chameaux.


C'était une cité puissante, populeuse,
Et par ses monuments splendide, merveilleuse.
J'en exprimai tout haut mon admiration,
,· Demandant des détails sur sa fondation.
Il me fut répondu: - « De notre capitale,
« Notre hôte, en vérité, tu n'as pas vu l'égale.
« Son origine dort au fier passé j alonx:
« Nos pères en étaient ignorants comme nous. >>-

\
\
Et cinq cents ans plus tard passant au même site
Je ne vis de cité trace ln, plus petite;
Un homme cherchait là quelque herbe au gazon dru.
Je m'informai du sort du géant disparu.
- ccLa bonne question! ii <lit-il; « vous voulez rire
<< Avec vos grands remparts et votre grand empire.

;,;;;
FIBRES INTIMES.

« La plaine fut toujours ce que vous la voyez. » -


J'insistai: - cc Dans les champs devant nous déployés
ccFut-il pas de cité renommée entre mille? >•-
- cc Nous autres 1 ,, reprit-il, cc n'avons pas vu de ville,
<< Et nos anciens jamais ne nous en ont rien dit. » -

Et cinq cents ans plus tard ma surprise grandit


Î En trouvant l'Océan à cette même place;
Des pêcheurs vigomeux en retiraient leur nasse.
- ,c Depuis quand, braves gens, la mer est-elle ici?,>-
- ccUn homme comme vous peut-il parler ainsi!
,c La belle question pou'r tête qui grisonne !
,c Allez 1 nous sommes gais, car la pêche est fort bonne.,,-

Et cinq cents ans plus tard l'Océan n'était plus,


Et le bruit des forêts remplaça'it le reflux.

Et cinq cents ans plus tard passant au même site


Je vis poindre de loin dans la sombre limite
Des tours et des remparts. C'était une cité ;
D'un immense parcours et belle en vérité;
Plus peuplée et plus riche encor que la première;
Et l'on m'y renseigna de la même manière:
- c,Son origine dort au fier passé jaloux,
1c Nos pères en étaient ignorants comme nous. >> -

Pads, 18ô5,
t:

A QUOI JE RÊVE.
AM' . .1. G.

Moncher, vous plaisantez sur ce qu'à toutes brides


Je fuis n'importe quand sans clairon ni tambour;
Vous demandez à quoi, seul dans ces thébaïdes,
On peut en vérité songeasser tout le jour .... 1,

Pour moi, voyez, jamais de trève -


Jusqu'à rêver à quoi je rêve!

La mer scintille au loin semblable au firmament,


Ou revêt des tons verts sous le fouet de la houle;
Et les flots, amoureux, s'éteignent doucement,
Ou s'acharnent au roc dont l'écume découle ....
Près de la plage ou sur l'îlot,
Je rêve à, ce que dit le flot.
\
Au front de ces coteaux un petit bois s'allonge,
Puis, serpent monstrueux, s'enfuit dans le ravin;
Aucun œil curieux dans les taillis ne plonge,
La brise vole aux bords comme un gai séraphin ....
Au bois, sans crainte de surprise,
Je rêve à ce que dit la brise.

l
~
76 FIBRES INTIMES.

Près d'ici je connais un beau jardin riant


Où dans un coin obscur une source parlotte;
Les fleurs et les oiseaux y vont se défiant
A qui l'emportera, du parfum, de la note ....
Parmi les fleurs, près du ruisseau,
Je rêve à ce que dit l'oiseau.

En zigzags dans les prés avec ma nonchalance


Je rôde, etje repose un peu partout mes yeux;
De l'ouest un beau nuage en grandissants' élance,
Et comme un gai Protée il arpente les cieux ....
Flottant du ciel au paysage,
Je :rêveaux destins du nuage.

J'adore du matin le charmant branle-bas


Quand les signaux de flamme à l'orient s'agitent;
Ce sont mille baisers, mille chants, mille éclats,
Quand les forces de vie en traits se précipitent ....
Aux aguets au matin vermeil,
Je rêve au pouvoÎl' du soleil.

J'adore aussi du soir l'amoureuse folie


Qui se pare en fuyant d'un crêpe de langueur; -
Ce doux effacement, cette mélancolie
Qui, courbant toute chose, atteint enfin mon cœt.r ....
A ma fenêtre où l'ombre ondule,
Je rêve aux pleurs du crépuscule.

Tantôt tel qu'un chasseur je me tiens à l'affùt


Quand sortent tour-à-tour les sphères éternelles :
Ch:;.quenouvelle éclose, en'guise de salut,
Cligne au clignotement de toutes les prunelles ....
A 1,JUOI JE Rlh!i:. 77

Plongeant au ciel et par delà,


Je rêve à ce que voit Stella.

Parfois·c'est quelque forme au temps jadis chérie


Qui me suit au sentier, dans le ciel, sur le fioL;
J'ai beau vouloir tourner ailleurs ma rêverie,
Je ne puis échapper au ravissant complot ....
Au souvenir baignant mon âme,
Je rêve à l'amour de la femme.

Parfois c'est un poëte aux chanLs passionnés


Qui lance à bonds pressés tout mon sang à ma joue;
Parfois l'accord fortuit d'airs affectionnés
Qui pousse à l'inconnu l'âme qui se dénoue ....
Touché du souffle inspirateur,
Je rêve au rbythme créateur.

Souvent aassi je fouille aux âges de la Terre


Pour déchiffrer un mot des merveilleux secrets;
Ou bien, scalpel en ma.in, je recherche l'artère
Qui, dans l'histoire humaine, a porté le progrès ....
Parmi les bouquins, les décombres,
Je rêve au passé grouillant d'ombres.

Mais plus souvent encore, emporté dans les temps,


Je vois à son midi notre pâlotte aurore;
Je suis là qui lui parle, et l'appelle, et l'attends,
Commesi sur ma vie elle pouvait éclore....
Triste ou' gai, mais toujours pieux,
Je rêve au Futur radieux.
78 FJBRES INTIMES.

Je rêve à coniger quelque stance rétive ....


Ma blanchisseuse aussi quand elle ne vient pas;
Je rêve, quand j'ai mal, à quelque eau sédative,
Et quand j'ai faim je rêve à l'heure du repas.
Parfois encor, - souffrez, j'achève, -
Je ne rêve à rien quand je rêve.
,,

C'est bien long, n'est-ce pas, pour dire peu de neuf'?


Ah, le neuf sonne vieux Bous notre pauvre lune.
Vous vouliez un poulet, je vous envoie un bœuf-
Pour l'échange cornu n'ayez pas de rancune ....
Mon cher, c'est qu'une fois de plus
J'aurai rêvé, sommeil inclus.

Sudb., 1863.

,,

.,
CE QUE JE VOUDRAISÊTRE.

Je voudrais être une églantine,


Une églantine au chemin creux ;
J'auraiR ma robe rose et fine,
Et les passants seraient heureux.

Un papillon je voudrais être,


Un papillon aux frais ébats;
Dans tous les cœurs entrer en maürc,
Boire parfums à mes repas.

Je voudrais être, ah! mieux encore,


Le baiser du premier amour, -
Lors l'âme aux lèvres s'évapore:
Lors l'infini s'enroule autour.

- « Pauvre calcul, je m'en étonne l


L'églantier perd si tôt sa fleur,
Le papillon n'a pas d'automne,
Et le baiser meurt de pâleur. >J -
,.
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r,
80 FIJ3RES INTIMES.

- « On a de la peine à vous suivre,


Votre savoir est si profond ....
Quoi, si je veux cesser de vivre
Quand his belles choses s'en vont? >,-

Mai 1866.

...
SAINT-SYLVESTRE.

Les champs dorment en paix, minuit sonne et je vciile,


Le corps tout frissonnant et l'esprit plein d'émoi;
L'heure a fui - c'est en vain que je prête l'oreille -
Je n'entends que le sang qui bat rapide en moi.

Qui suis-je? Où suis-je? Où vais-je?- Énigmes éternelles,


Encore, là, debout, me criant: Vérité!
Je ne sais - je ne puis - allez-vous en, cruelles,
Spectresà cave joue, au regard irrité.

Être ou bien n'être pas! A ce dilemme immense


Les plus forts d'entre nous se sont cassé les dents;
Cela pour trouver quoi? Quelque vague espérance,
Quelques vœux bien tournés, quelques rêves ardents.

Ah, rêvons donc, rêvons une nouvelle vie


Où la mort ne pourra nous ressaisir la main ....
Cesonge est fait pl)ur toi, nature inassouvie,
Tièdepo,ur le· présent et de feu pour demain.

Birkei1head, 31 décembre 1861.


6

---
::.-..
,,
LA. GOUTTE D) EAU.
(SUJET PERSAN.)

A LA PE'l'ITE AIMÉE L.

Fille de la nue éthérée)


Tombée en l'océan grondeur,
Une goutte d'eau diaprée
Déplorait son malheur :
- « Hélas! hélas! où suis-je donc) pauvrette?
« Qui :ineconnaît parmi ces flots émus?
« Vapeurs des cieux, combien je vous regrette!
<< Je suis trop loin, - non) Dieu ne me voit plus .. >i -

Sur ce modeste soliloque,


L'huître en bâillant la consomma;
Prisonnière une longue époque,
En perle elle se transforma.
Perle éclatante aux mains du plongeur intrépide ,
C'est aujourd'hui la plus belle des trois
Qui parent au sommet la couronne splendide
De Khosroës) le roi des rois .

.1861.

'"'
'\
APRÈS TROIS SONATES.

A i'i!LLE I. H.

On le dit qnelquefois : c'en est fait de la lyre,


Son sort est en déclin au domaine -del' art,
L'avenir est à vous, les chants qu'elle soupire
N'empliraient qu'à demi les poumons de Mozart.

Dès les âges premiers le barde fut en gloire,


Et des peuples enfants il aida la mémoire;
Mais quant à la musique, ou science du son,
Jusqu'à ces derniers_temps - le fait est bien notoire -
Elle est toujours restée un simple et pur soupçon.
De sainte Faculté je ne veux pas médire,
Mais, vrai, je crois qu'Orphée était un pauvre sire;
Ses accords, on prétend, apprivoisaient les ours, -
Chez Herz il n'aurait pas grand monde de nos jour».
Amphion construisit Thèbes la magnifique
Rien qu'en pinçant les nerfs de la tortue antique, -

.,
86 FIBRES INTIMES.

La bâtisse eût souffert tant soit peu de retard


S'il eût eu pour truelle un Broadwood,un Érard....

Vous venP,Zles derniers, harmonistes sublimes,


Quand l'homme a tout fouillé 1 les gouffres et les cîmes 1
Qu'il s'assoit dans sa nuit, las de toujours chercher ....
Vous approchant de lui d'un pas léger de femme,
Doucement vous passez tout autour de son âme
Quelque essence sans nom qui la vient étancher ....

Et les savants, c'est vous , ô chers et grands génies i


Le r6èl et le vrai sont dans vos symphonies :
Deux notes tour à tour ;
Vous seuls savez chanter en strophes variées
Les seules entités à jamais mariées :
La douleur et l'amour.

Mars 18ôq,
POINT DU JOUR-

(LONGFELLOW,)

Un vent passa sur la mer en émoi,


Et dit: - « Brouillards, faites place pour moi_! >>

Haut il hêla l'impatient navire : -


« Marins, marins, la longue nuit expire! »

Il envahit dunes, plaines, et monts.


Criant : - ,c Voici, voici les feux féconds l ))

Puis aux forêts : - « Bruissez, les altières!


« Tous plis dehors, ô vous, vertes bannières! »

,Il toucha l'aile endormie au buisson : -


<< C'est l'heure, oiseau, commence ta chanson! >)
88 FIBRES INTIMES.

Puis aux pignons des fermes il s'accroche : ---


<< Clairon du jour, à toi, le jour approche ! »

Il chuchota dans les blés remués : -


,c· Matin, matin, saluez, saluez! ))

11~'élança dans la tour de l'église : -


« Allons, ô cloche, encore une reprise! >)

Parmi les croix il traça son essor


En soupirant: -- « Non, domiez, pas encor! n

1862

...
LACRIM.LE.

TROIS PÊCHEURSS'EN ALLi\.IENT.

(CHARLESKINGSLEY.)

Trois pêcheurs s'en allaient devers le couchant blême,


Au couchant ils allaient aux approches du soir,
Et chacun d'eux songeait à la femme qui l'aime,
Et leurs petits enfants se haussaient pour les voir.

Faut que l'homme travaille et que la femme pleure.


Les gains ne sont pas gros, peuplée est la demefüe,
Et dans l'anse gémit souvent
Le vent.

Trois épouses veillaient dedans la tour du phare,


Elles veillaient les feux quand fut venu le soir,
Interrogeaient le ciel, interrogeaient la barre -
Et l'ouragan de nuit accourut fol et noir.

Faut qùe l'homme travaille et qué la femme pleure.


Le flot est bien profond, le danger n'a pae d'heure,
Et dans l'anse gémit souvent
Le vent.

1
90 FIBRES INTIMES.

Trois cadavres gisaient sur les galets tranquilles,


Gisaient dans les rayons du matin plein d'espoir,
Et les femmes criaient, tordaient leurs mains débiles
Pour ceux qu'ici jamais elles ne pourront voir.

Faut que l'homme travaille et que la femme pleure;


Et plus tôt c'est fini, plus tôt l'autre demeure, -
Adieu l'anse où gémit sournnt
Le vent.

LE CHANTDE LA CHEMISE.

(TOM HOOD.)
) '
1

Les doigts fatigués, les yeux lourds,


Ma.niant le fil et l'aiguille,
Une femme était là dans d'indignes atours,
Indignes de femme ou de fille.
Couds, couds, et couds toujours!
Misère et faim chassent remise.
Pourtant elle chantait en tons brusques et sourds,
Chantait le ,c Chant de la chemise. »

« Couds, couds, et couds déjà


Quand ·au demi-jour le coq chante;
Cou<ls, couds, couds encor là
Quand la vitre d'yeux bleus s'argente.
LACRIMlE. 91

Ah, vaudrait mieux servir


Le païen, le Turc imbécile,
Où la femme n'a pas même une âme où s'enfuir -
Est ceci l'Evangile?
·-
«Couds, couds, couds, mes amours!
L'orbite est sorti du visage;
Couds, couds, et couds toujours!
Le cerveau s'embrouille et voyage.
Point droit et gousset et rabat,
Rabat, gousset, point droit, sans trève, -
Aux boutons le sommeil m'abat,
Et je les couds en rêve.

« Hommes, hommes, favorisés


De mères, sœurs, et femmes,
Pensez-y, ce n'est pas du beau linge qu'usez,
Mais des dépouilles d'âmes.
Couds, couds, et couds toujours!
Misère et faim chassent remise;
En double fil, couds, mes amours,
Linceul aussi bien que chemise.

« Mais à quoi bon parler de Mort,


Fantôme osseux dont chacun tremble :
0 'en craindre rien j'aurais bien tort,
Car on dirait qµ'il me ressemble.
Oui, nous avons même air
Parce que bien des fois j 'étou1fomon envie ....
0 Dieu ! que le pain soit si cher!
Si bon marché le sang, la vie!
92 FIBRES INTIMES.

« Couds, couds, couds, mes amout's 1


Travail est le sort ordinaire;
Couds, couds, et couds toujours!
Faut-il pas gagner son salaire?
Cette chaise brisée et ce lit maigrelet,
L'affreux toit qui surplombe,
Ce mur si nu que mon ombre me plaît
Quand parfois elle y tombe.

« Couds, couds, couds, mes amours,


Dans le pâle jour de décembre;
Couds, couds, et couds toujours,
Quand le soleil fait le tour de la chambre;
Quand dessous les plombs palpitants
La couveuse s'accroche,
Et me jette le doux printemps,
Le cher printemps comme en reproche.

u Oh, respirer un peu dans les champs déployés


L'aubépine et la violette,
Avec l'herbe dessous mes pieds
Et le ciel bleu dessus ma tête!
Pendant une heure seulement
Sentir comme j'avais coutume
Avant que j'aie appris comment
Le bonheur hors de soi peut remplir d'amertume!

«Oh, ne pas même avoir ..


Une heure, seulement une heure!
Ce n'est pas pour rêver ni d'amour ni d'espoir -
Un peu de temps pour que je pleure!
LA GRIMA~. 93

Un peu pleurer me ferait tant de bien !


Mais non, non, source double,
Ne coule pas : les pleurs ne valent rien,
L'aiguille s'emmêle et se trouble._»

Les doigts fatigués, les yeux lourds,


Maniant le fil et l'aiguille,
Une femme était là dans d'indignes atours,
Indignes de femme ou de fille.
Couds, couds, et coud~ toujours!
Misère et faim chassent remise ; -
Pourtant elle chantait en tons brùsques et sourds,
Chantait ce « Chant de la chemise. "

* '1-
*

LE CRI DES ENFANTS.

(Mrs. BARRETT BROWNINU.)

Entendez-vous gémir ces enfants, ô mes frères?


Pourquoi ces précoces douleurs?
lis ont posé leurs fronts sur les seins de leurs mères,
Mais cela n'apaise leurs pleurs.
Jeun~s agneaux bêlent dans les prairies,
Les oisillons gazouillent dans les nids,
Les jeunes faons se fopt agaceries,
Petites fleurs hoi vent rayons bénis;

' 4,,,,...,-- ➔
FIBRES INTIMES.

., Mais les jeunes enfants, les enfants, ô mes frèI'es,


V
Eux, ils pleurent, en vérité!
Quand d'autres vont aux jeux, pleurent larmes amères
Au pays de la liberté.

« Parce que, » disent-ils, « notre fatigue est grande;


Nous ne pouvons sauter, courir;
La prairie au soleil ne nous paraît friande
Que pour s'y jeter et dormir.
Car nos genoux trernblen t d'étrange sorte;
Quand nous courons, nous tombons aussitôt;
Et par devant notre paupière morte
La fleur vermeille aurait l'air tout pâlot.
Car toujours et toujours nous essuyons nos joues
Sous terre à tirer le ·charbon;
Ou bien, toujours, toujours, nous conduisons les roues
Dans la fabrique, en rond, en rond. >>

« Oui, toujours et toujours elles tournent, bourdonnent;


Jusqu'à nous arrivent leurs vents;
Tournent nos cœurs, nos fronts brùlantsqui s ·abandonncn L,
Tournent les murs comme vivants.
Tourne le ciel ·dans les hautes mâchoires -
Tourne le jour qui descend tout roussi -
Tourne au plafond l'amas de mouches noires -
Tout tourne et tourne, et nous tournons aussi.
Oui, toujours et toujours les ronds de fer bourdonnent;
Nous avons beau dire à genoux :
« - Ronds de fer, rbnds de•fer, que vos dents nous pardonnent!
Hien qu'un seul jour arrêtez-vous! »
LACRIM.iE. 95

Oui, paix, arrêtez-vous l Laissez-les qu'ils s'entendent


Respirer l'un l'autre un moment;
Qu'en un cercle de chair leurs mains pures se tendent,
En fraternel attouchement!
Qu'ils sentent donc que hors ce branle raide
Un Dieu de vie a semé d'autres dons;
Que ce penser jamais ne les possède
Qu'ils sont en vous, plus bas que vous, ô ronds! ...
Cependant, tout le j our,'le fer, le fer bourdonne
Comme un vent de fatalité,
Et ces âmes que Dieu de lumière façonne
Vont filant dans l'obscurité.

1863.
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SAUVAGEONS.

A thing of beauty is a joy for ever.


• JOHN KEATS.

Sous la ramure où pend la neige et la bruine


Voyezpoindre d'abord la blanche galantine:
Légère suspendue, elle brave sans peur
Les déluges du ciel et Borée en fureur:
Bien que besoin lui soit de regarder la terre,
Elle aime, elle accomplit l'œuvre du grand mystère.
Salut, belle pâlotte au manteau de satin,
Flocon touché de vie et perle du matin!

La lumière est accrue et l'alouette chante,


Les vergers sont saisis d'un étrange frisson,
La primevère luit à chaque chaude pente,
Regarde l'eau couler ou pointe le buisson.
Les uns la disent jaune et d'autres la font verte.
Il faut être bien fort pour y mettre autant d'art, -
N'importe, on t'aime bien, première joie ouverte 1
De la terre en émoi simple et soudain regard.
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98 FIBRES INTIMES.

Et personne pourtant à toi ne s'intéresse


Quand au plus beau de mai, toi, tu fléchis le cou;
A nous rien que la joie, à toi toute tristesse, -
Mignonne, au clair courant mire•toi tout ton saoul!

A l'abri des chatons, pères de la noisette,


On découvre souvent de mars la violette;
Bien qu'on l'ait attendue, on n'en croit pas ses yeux,
Et l'on revient demain errer aux mêmes lieux.
Car tu dures si peu, ma belle éperonnée l . . .
Au moins saches avant d'achever ta journée
Qu'au ciel de ton berceau les oiseaux chanteront;
Qu'en ton feuillage à toi, dessus ta verte hampe,
Le lutin scarabée allumera la lampe
Qui guide vers l'amour quelque amant vagabond.

Qui les a vus danser, les milliers de narcisses,


Danser en agitant leurs tubes de pur or?
Qu'il rappelle le lieu dans ses rêveurs caprices,
'.l.'outaussitôt vivants ils danseront encor.
On a voulu, narcisse, au jardin tutélaire
T'entourer, t'accabler des soins les plus touchants;
Tu te fis double, oui-da, mais lourd à ne plus plaire -
Que c'est preuve d'esprit I Tu fais bien, reste aux champs.

Le papillon hâtif; à voilure soufrée.•


S'arrête, qu'est-ce donc? daris cette ombre azurée.
C'est vous, enfants gâtés des bosquets et des eaux,
Vous, les bluets d'avril, vous, coquettes jacintes ... ,
Oui, la nuit, quelque fée avec fer et ciseaux
Vous fait belles, et laisse un parfum aux empreintes,
SAUVAGEONS. 99

Dans les prés de son choix la renoncule luiL


EL tend vers le soleil sa coupe vernissée;
On y voit au matin une flamme enchâssée,
Reste de ce qu'ont bu les Elfes dans la nuit.

Et que dire de vous, de vous, les marguerites,


Qui repeuplez soudain quand les freux .... sont si gais;
Repeuplez, car tout l'an nous vous avons, petites,
EL l'on dirait quasi que ne mourez jamais.
Voyez-la qui repose aux plantureuses plaines,
Gravit du mont pelé le rocheux escalier,
Descend dans le vallon, margine les fontaines,
Empiète sur la route et regarde au terrier.
Elle aime tout venant et qui veut elle oblige:
Sous l'abeille voilà son sein qui s'embrunit,
La cantharide plie en se jouanL sa tige,
Son double disque jette une ombre douce au nid.
Ah l que dire de toi? Quelle chanson nouvelle?
Sur quel rhythme inconnu, ma blanche universelle?
Pythonisse à Colas, du poëte l'amour,
Triomphe de l'enfant, sensitive, œil du jour!

De vous toutes que dire, ô nos chères sauvages,


Qui n'ait été touché quelque part par quelqu'un, -
Sans entendre aussitôt les critiques visages
Crier au lieu-commun?

Du vouloir d'exprimer joie intense est suivie,


Car chacun croit de bon qu'il vient de l'inventer;
Il est cerLains bonheurs, une fois en la vie
Il nous faut les conter.
~:::::::::;r.,.

100 FIBRES INTIMES,

Lieu-commun! oui vraiment! Aux pieds de leurs maîLresses


Des milliards d'amoureux se sont mis à genoux;
Quand votre idole est belle, au milieu des caresses
Ne le lui dites-vous

Elles le sont aussi. Dès qu'on les voit paraître


On est comme repris d'éternelles amours.
L'incontestable trait du vraiment beau, c'est d'être
Une joie à toujours.

Nous vous aimons aussi parce qu'en connivence


Des pensers les plus saints venez nous enrichir :
Rayons changés en fleurs, vous êtes l'espérance,
Aussi le souvenir.

Pourquoi l'on vous chérit, hâtives printanières,


Il est autre raison qui me frappe aujourd'hui :
Parce que notre cœur vous aima les premières,
En son printemps à lui.

Pom· chercher une étoile au fond des cieux on monte;


Je puis vous en montrer à beaucoup meilleur compte:
Regardez ces lychnis, astres roses, ma foi,
Et chacun, qui plus est, ayant un sexe à soi;
La chélidoine d'or et qui déjà scintille
Quand à peine un bourgeon se pose à la charmille;
Cette troisième encore, un blanc satin vivant,
Et pour qui l'on a peur quand il fait un grand vent.
Anémone des bois, si pensive et si frêle,
SAUVAGEONS, 101

Qui te met sur la joue un tel fin vermillon?


Tes couleurs, je le crois, c'est Luna qui les mêle
Quand le sommeil a tu ton discret carillon.
La véronique bleue à tous les bancs se place :
La beauté de ses sœurs elle fait ressortir;
Mais qu'un nuage humide à l'horizon menace,
Elle rentre aussitôt ses longs cils pour dormir ....

S'il me fallait au milieu de vous toutes


Fixer mon choix,
J'aurais grand'peine et j'aurais de longs doutes,
Je le prévois.

Peut-être bien qu'à vous les sensitives


Mon cœur irait, -
Qui pour fermer vos corolles craintives
Avez secret.

Vous n'aimez pas les ténèbres traîtresses,


L'air inclément;
Vous ne vivez que du ciel, des caresses
De votre amant.

Je sens aussi la nuit de cette terre


Et ses vents fous;
J'attends demain; j'adore la lumière
Ainsi que vous!

La tulipe tigrée, en savant - fritillaire,


Dans les prés coupés d'eaux se balance légère.
La cardamine vient s'y baigner à son tour:
102 FIBRES INTIMES.

D'un vrai lilas d'abord, elle pâlit d'amour.


Quintefeuille à l'abri ne se fait pas attendre,
Et ressemble à la fraise, on pourrait s'y méprendre.
On la trouve souvent sur les mêmes talus
Que l'autre violette, hélas! qui ne sent plus -
Mais elle a la beauté, n'est-ce pas quelque chose?
Aussi se produit-elle, et personne n'en glose.
La surelle me plaît, la surelle des bois,
Sensible dans sa fleur et sa feuille à la fois,
Sa feuille que connaît mainte toile mystique.
J'aime aussi le glechome ou lierre aromatique;
Et la bugle empourprée, aux eeflets indécis,
Qui tient fleurs et feuillage en pyramide assis;
Et le pied-de-pigeon, géranium sauvage,
Amoureux du soleil, amoureux de l'ombrage,
Sous le dense buisson ou sur le pan de mur;
La scorpione aussi, d'un bleu si fin, si pur,
Myosotis des champs et cousin de l'humide;
Et l'excentrique orchis, de famille torride,
Qui s'am~se à jouer la gamme des couleurs
Et répand vers le soir d'impossibles odeurs ;
Et là-bas au vallon, là-bas aux marécages,
Ces récoltes d'or vrai 1 hordes de populages
Qui font 1 luxuriants, le plus joyeux tableau,
La tête au g:·and soleil et les deux pieds dans l'eau;
Et là-haut, dans ce bois aux rocheuses approches,
Du muguet favori les délicates cloches :
Essaim de blancs enfants sous des parasols verts,
Ne se plaisantqu' entre eux, dans l'ombre, aux lieux déserts ....

Le roitele s'enfuit dans les branches des saules


SAUVAGEONS. 103

Qui viennent de fleurir, et qui de leurs épaules


Ont en rond secoué le pollen abondant.
Le roi de la forêt, au soleil répondant,
Modeste a marié les rameaux de sa force.
L'épine-prunellier, à ténébreuse écorce,
Espoir toujours fécond de l'écolier rôd~ur,
A hâté son feuillage à rejoindre sa fleur.
Le pommier, noble aïeul de nos métamorphoses)
Est devenu bouquet gigantesque de roses.
Le sycomore exhale ainsi qu'un vent de miel,
Et l'abeille en a fait un fourmillant castel.
Aux rectangles des champs la neige d'aubépine
N'en peut mais de tarder, et déjà se devine.
De tous côtés se gonfle et se déroule à neuf
Le tordyle léger de la langue-de-bœuf.
Les ajoncs, les genêts) chaque lande est en fête)
La lande où tout un monde en butinant s'arrête,
Et devant qui Linné plia les deux genoux.
Il n'est pas) voyez donc, il n'est pas jusqu'au houx,
Rébarbatif qu'il soit, qui n'essaie un sourire ....

Aujourd'hui) qu'il fait bon! Il semble qu'on respire


Un milieu plus subtil d'un poumon sans défaut,
Et que ce soit ainsi qu'on respire là-haut;
On se sent plus léger bien que le cœm· s'emplisse)
Et, ne sachant que faire, une larme se glisse ....
Aux sols transfigurés et comme aux cieux pareils,
Ce sont chemins lactés, systèmes de soleils)
Nébuleuses qu'un vent d'incarnat ensemence ....
Une grêle de vie, une rougeur immense,
Commeun frémissement ardent, illimité,
\

FIBRES INTIMES,

Un échange de traits serré, précipité ....


Par-dessus tout encor comme un feu qui ruisselle ....

Viens, ma triste pensée, ô pâle demoiselle 1


Viens-t'en, laissons l'étude et le bec du vautour,
Et, puisque tout invite, ayons au moins un jour.
Viens-t'en; que ta beauté dans son midi s'habille
Comme aux printemps jadis, quand encor jeune fille:
Brunes tresses au vent et fine écharpe aux bras.
Viens, il fait bon partout, viens-t'en où tu voudras.
Attends-je sais un banc-dans un fouillis de branches
J'ai découvert un nid, un grand nid de pervenches -
Les pervenches, tu sais, bleu qui te va si bien;
J'en ceindrai tes cheveux, j'en emplirai ton sein, -
Vinca, tu sais, la fleur du toscan mariage,
Que nous avons, je crois, vue au même voyage
Nouée autour d'un mort en humides festons ....
S'agit bien de pleurer - allons-nous-en - chantons!

Bella dix-sept printemps achève,


Et son corsage est rond, ma foi;
Mais un peu pâle, oui-da, pourquoi
S'arrête -t-elle et longtemps rêve?
Ah! qu'est-ce donc qu'elle a,
Bella?

Au petit bois sur la colline


Elles' enfuit en rougissant,
- -·.-.. < r:;uç U<...,)4-Jl.L E ,..,..:::::=.c-.V•

,I

SAUVAGEONS. 105

Pour écouter comme un accent


Qui tantôt gronde et puis câline.
Ah! qu'est-ce donc qu'elle a,
Bella?

Revenue au bord qui serpente,


Il lui prend un plaisant dessein :
Tout attirer contre son sein,
Tout presser de main caressante.
Ah! qu'est-ce donc qu'elle a,
Bella?

Quoi donc alanguit ses prières,


Et le soir la fait soupirer?
Même on la voit parfois pleurer
Sur les cheveux blonds de ses frères.
Ah l qu'est-ce donc qu'elle a,
Bella?
\

Dit-elle un jour: - « Va-t'en, fauvette,


« Sois libre et mère aux bois touffus;
« Non, je ne te cueillerai plus, •
<< C'est mal peut-être, pâquerette. >>
-
Ah! qu'est-ce donc qu'elle a,
Bella?

Malgré ces repentirs extrêmes, \


Dura le mal, le ne sait quoi.
106 FIBRES INTIMES.

En vain Bella : - ccQu'ai-je? dis-moi,


« Ange gardien, ange qui m'aimes? >1 -
Ah! qu'est-ce donc qu'elle a,
Bella?

.l'ai beau pour faire connaissance


... Courir à me rompre le cou .
Ta note est toujours à distance :
Coucou! coucou!

Qu'es-tu, bizarre locataire?


- < Un quelque chose on ne sait où)) -
1

Bonjour, bonjour, voix ou mystère,


Coucou! coucou!

Dieu t'apprit la carte sans doute


Pour boire de ciel neuf ton soûl;
Tu suis le Printemps dans sa route,
Coucou ! coucou!

Tel un troubadour en vacances


Tu vas filant le guilledou,
Sans nul souci des conséquences ....
Coucou ! coucou !
I
l
SAUVAGEONS. 107 '
1
l
1
Le moineau - le ciel le seconde - \
\
Fournit la becquée au .... joujou.... \
1
Oh! que de pierrots par le monde,
Coucou ! coucou l

La giroflée aime la brèche,


La tour où brûla mainte mèche,
Les vaincus panonceaux; - '
Elle s'empresse à l'abbaye
Où le vent seul désormais prie J
Dans les restes d'arceaux.

J'eus pour elle instinctive flamme


Quand bien petit encor - quand l'âme
Saute tout en lisant;
Quand la prairie était plus verte,
Et que le ciel s'étendait, certe,
Bien plus bleu qu'à présent.

Plus d'un, dans la saison nouvelle,


En chante une autre, une plus belle,
Car chacun a sa loi;
Chacun son bonheur et sa rime ....
Mais la giroflée est sublime,
Et c'est ma fleur à moi.
108 FIBRES INTIMES.

Rossignol, rossignol, est-il donc déjà l'heure? ...


Je ne retrouve plus le sourire apprêté;
La journée aux chansons est peut-être meilleure-
Au grand soleil j'avais des cordes de gaîté.

Rossignol, rossignol, attends, attènds encore !


Les sureaux vont fleurir au plus dans quelques jours,
La rose des buissons ne peut tarder d'éclore,
Déjà le chèvrefeuille a sorti ses atours.

Attends, car je me trouble aussitôt que tu chantes,


De nos moyens je sens toute la pauvreté,
Strophes à mi-chemin s'arrêtent haletantes,
Mon rêve enfourche un vent de vague volupté;

Et ton délire à toi, je crois le reconnaître


Pour l'avoir entendu dans quelque paradis;
Et sur ma lèvre en feu tout à coup je sens naître
Un langage subtil, des mortels incompris;

Et je voudrais savoir un enchanté breuvage


Effervescent d'écume et de brùlants extraits,
Pour dépouiller d'un coup l'entier humain partage,
Sur quelque aile m'enfuir au profond des forêts;

Et n'avoir rien, non, rien qui rappelle une vie


Où des spectres perclus se meuvent pour gémir;
Où la pensée a faim, mais reste inassouvie,
Où l'amour le plus grand ne vient que pour mourir;
SAUVAGEONS. 109

Et gagnant la hauteur de lune crénelée,


Me plairait d'écouter le silence un moment,
Plonger de longs regards dans la nuit étoilée,
Et, s'il est un foyer, y rentrer doucement ... ,

Non, sylphe, je suis homme, et j'en chéris la peine ....


·- Mais la voix a franchi les jardins, les sillons,
Par-delà la rivière on la suit qui promène,
Monte au prochain coteau, puis se perd aux vallons ....

Tu fais bien, rossignol, il n'est pas encor l'heure,


Laisse-moi retrouver le sourire apprêté; J
La journée aux chansons est sans doute meilleure,
• Pourtant je veux chercher les cordes de gaîté.

* >/- *

Dans un sentier près de la ville


J'ai rencontré plaisant gamin :
Rose et bouclé, joli pour mille,
Mais nu, pardieu! comme la main.
Pour voir son aile étincelante
Je me mis par terre à genoux,
Et dis : - cc Patrouille est vigilante,
Mon beau mignon, où logez-vous?» -

Et lui : - c<J'habite une vallée


Où l'eau chantonne, écho répond, -
Une plaine de bois mêlée, -
L'abrupte cime d'un grand mont, -
110 FIBRES INTIMES.

Un torrent qui se précipite, -


Un lac pur au ciel bleu pareil, -
Une cave de stalactite, -
Une corolle en plein soleil.

« J'habite aux lueurs de l'aurore,


Et dans les franges des couchants;
Dans l'arc-en-ciel je loge encore -
J'ai même là de fameux champs;
J'aima maison dans chaque étoile,
Dans la lune vingt châteaux forts;
Et sur la mer je tends ma voile
Comme un nautile, et je m'endors.

cc L' œilde la femme aussi j'habite


Et je joue avec son regard, -
C'est ma demeure favorite,
Sans préjudice - d'autre part.
Pour varier, je prends auberge
Dans une parure à trois rangs,
Et tout pensif parfois j'émerge
D'une touffe de cheveux blancs.

« J'habite le front du poëte -


Et j'ai tapissé son cerveau
Des teintes que la rose jette
A son pendant, au clair ruisseau.
A leur insu, souvent je campe
Chez maint honnête travailleur,
Et volontiers monte la rampe
Qui guide au seuil d'un ·noble cœur. n -
SAUVAGEONS. 111
- «Vraiment, ,, dis-je, « Sa Seîgneurie
Ne manque pas de logement;
Excusez-moi, je vous en prie,
Et faites grâce en vous nommant ....
- « Je suis de fréquente rencontre;
Loin d'en vouloir, en vérité,
A qui me cherche je me montre,
Car je suis l'Esprit de Beauté. >>-

D'autre aventure j'ai mémoire :


J'ai rencontré troupe d'enfants
Qui s'en allaient tout triomphants
Couronnés de bryone noire.

J'ai rencontré troupe d'enfants


Couronnés de bryone noire.

Ils allaient, ployant d'une main


Le tablier de toile blanche,
Tandis que l'autre bras se penche
A droite, à gauche, du chemin.

Au tablier de toile blanche


Ils mettaient les fleurs du chemin.

ils sautèrent dans la prairie


Dans l'espoir d'un butin plus grand;
Et l'ardeur à nouveau les prend
A la trouver aussi fleurie.
1 12 FIBRES INT1MES.

Pour emporter butin plus grand


Ils sautèrent dans la prairie.

Aux abords d'un soudain ruisseau


l: Ce fut allégresse nouvelle -
Et chacun à son tour appelle :
- « Venez, venez, c'est bien plus beau! ,>-

Cè fut allégresse nouvelle


De cueillir les fleurs du ruisseau.

Toujours allant ils arrivèrent


Au pied d'un très-antique mur,
Et les plus grands d'entre eux grimpèrent,
Firent butin d'un doigt peu sûr.

Et les plus grands d'entre eux grimpèrent


Et prirent des fleurs au vieux mur.

Mais voici qu'une vieiile bonne


Qui de loin les avait suivis,
S'approche d'eux.: - cc Vite, au logis,
« Allons, allons, troupe friponne! " -

Force fut d'aller au logis


Lorsque parut la vieille bonne .

.J
SAUVAGEONS. 113

Quand chacun déballa sa part


Il fallut voir sa longue mine :
De tant de travail, de rapine,
Ne restait pas le demi-quart.

Il fallut voir leur longue mine


D'avoir perdu si grande part.

En outre, ce butin suprême,


Ce reliquat d'occasion,
Par l'ardeur de possession
Était flétri, broyé, lui-même.

Ce qui restait d'occasion


Était gâté par l'ardeur même.

Et qui plus est, quand il s'agit


De mettre bouquets à l'étude,
Si grande était leur lassitude -
La vieille dut les mettre au lit.

Ils tombèrent de lassitude


Lorsque de bouquets il s'agit.

Et rêvèrent rêve champêtre


Teint de merveilleuses couleurs, -
A d'autres prés, à d'autres fleurs,
A d'autres cieux, - à rien peut-être.
8
ll4 FIBRES INTIMES.

Ils rêvèrent à d'autres fleurs,


A d'autres cieux, - à rien peut-être.

* 'f
*

Ohé I Le printemps vient de naître!


S'ouvre-t-il pas une fenêtre
Au ciel? - Ohé!
Par instants elle se referme -
Mais ayons foi dans le bon germe,
Ohé!
Ohé!

Ohé! Le vrai printemps s'avance,


Et l'on voit poindre l'espérance
En herbe - Ohé !
Un vent venu de l'est essuie
Ce qu'il fallut de chaude pluie ....
Ohé!
Ohé!

Ohé! la canicule approche -


Faut-il pas le feu pour la roche,
Le fer?- Ohé!
A la forge je vous invite,
Car le temps marche, il marche vite;
Ohé!
Ohé!
SAUVAGEONS. 115
Ohé! les campagnes sont mûres; -
Je vois décharger les moutures,
Le vin-Ohé!
Au grand banquet je vous invite,
Car le temps marche, il marche vite,
Ohé!
Ohé!

Ohé ! que la terre est donc belle!


Chacun, chacun sa part nouvelle,
Chacun- Ohé !
Un câble entoure la planète,
Et chaque horizon dit, répète :
Ohé!
Ohé!

DorseL, 11-1li mai 1866.


ÉGAREMENT.

Cette fois, c'en est fait, et la page est suprême.


Il faut savoir céder quand la lutte est de trop.
Il est, décidément, une minute extrême
Où l'existence brûle à l'instar d'un fer chaud.

Bien que je sois sa chair, ce monde me repousse;


Et j'ai beau supplier, pleurer l'adhésion, -
Je suis le pôle ami qu'un autre aimant rebrousse
Sans motif apparent à tant d'aversion.

Oui, j'ai voulu lutter contre son anathème,


Me faire à ses chemins, entrer- dans son courant, -
Cette onde est un glacier qui ne veut que soi-même,
Étreint d'abord l'intrus, puis en dégoût le rend.

Ah! je la connais bien, cette féroce étreinte


Qui fait craquer les os et dissout la vigueur ....
Et je meurs achevé sous la sanglante empreinte
Des durs coups de talon que j'ai reçus au cœur ....
118 FIBRES INTIMES.

Car c'est là le secret de ma triste fortune --


J'ai voulu tout servir, j'ai voulu tout aimer;
J'ai versé de l'amour d'une main importune, -
Je n'ai pu, je n'ai pu tout en moi renfermer.

Corvéeet dénûment, multiforme détresse,


Éconduite sournoise et bruts refus tranchants,
Sarcasme, calomnie, égoïste caresse, -
C'est la part qu'ils m'ont faite .... ah! les pauvres méchants!

D'autres sont innocents selon toute apparence,


N'ont pas volé ma vie ou trahi mon essor....
Ils ont passé bien clos dans leur indifférence,
Sans un mot, un regard .... ah! plus cruels encor l

J'ai même été frustré du banal héritage


Qu' an acquiert en naissant, qui qu'on soit, n'importe où ....
Trêve, la coupe est pleine et l'écume surnage,
Sans tarde:r, brisons-la, brisons-la d'un seul coup 1

Adieu, poëme écrit au front de la matière,


Cieux, flots, bois, horizons, par Dieu même rimés!
Objets charmants conçus de boue et de lumière,
Êtres qu'un sot orgueil a dits inanimés ....

A toi je m'abandonne, ô Nature éternelle,


Toi que j'ai tant aimée et qui m'as consolé;
Transforme à ton bon gré ma dépouille charnelle,
Fais ce que tu voudras de l'esprit envolé ....
ÉGAREMENT. 119

La lune des moissons luit radieuse et pleine -


Les champs sous ses baisers viennent de s'assoupir -
Le regaip dans le calme exhale son haleine -
Quel bonheur, quelle paix!. .. Quelle nuit pour mourir ....

C'était par une nuit à cette nuit pareille -


Je la tenais vaincue, et brisée, à genoux-
Notre amour tû longtemps avait fleuri la veille,
C'était l'heureux moment qui rend l'ange jaloux ....

Elle disait : Approche, approche encor ta tête -


N'épargne pas l'étreinte à mon sein agité -
Sur la terre, en nous-même, et partout, quelle fête !
On resterait ainsi pendant l'éternité ....

Blond quatrain, qui t'envoie en ces stances funèbres?


Quel est ce cri d'amour sur le fatal radeau?
Comment donc ce rayon perce-t-il ces ténèbres?
Que veut ce ramier blanc sur cet affreux tombeau? ...

Parti de la colline, un tintement approche ....


Fou que je suis, qui peut si tard se marier?
L'Angelus est passé ... Des mourants c'est la cloche, -
Si je pouvais encor, si je savais prier l

Pourquoi pâlir déjà, toi, ma lampe fidèle?


Toi, mon unique amie, entends-moi jusqu'au bout;
Attends, attends venir le pleur qui s'amoncel
Dernière volupté d'un cœur qui se dissout.
9

120 FIBRES IN TIMES.

Adieu, de mes projets papillonnante escorte,


Souffles qu'on n'entend point et risibles courroux;
Ils disent qu'aujourd'hui la poésie est morte ....
Peut.être ils ont raison .... Et que me sert de vous?

Ah I pourtant il est dur d'abandonner la vie


Sans tomber sur l'abus, triple fouet à la main,
Sans fixer tant soit peu l'image poursuivie,
Sans verser de son cœur l'indicible trop-plein ....

Mes larmes, vous voici, coulez sans retenue,


Votre dernier impôt, venez le prélever ....
Maintenant laissez.moi, ne troublez pas ma vue,
Laissez-moi, laissez.moi cette fois achever.
1
l Quel qu'ait été mon sort, je bénis et j'espère, -
Pour d'autres, loin, bien loin, un meilleur jour éclot....
Le moment m'est fatal. ... Aussi qu'avais•je affaire
De m'en venir céans ou trop tard ou trop tôt?

Terre, n'est-il pas temps? Autour de toi s'amasse


la poussière, le tuf, des générations;
Que ton soleil se hâte à ce point de l'espace
Où doivent s'accomplir les dispensations -

Quand hommes et milieux seront en harmonie,


Quand le monde moral enfantera sa loi,
Quand on ne pourra voir l'affreuse anomalie
D'un être souffreteux, malheureux comme moi ....

S,iptembre 1865.
1
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DEUX FEMMES. \
'I

A WH. S.

Comme les blonds épis blondinette et dorée,


Comme un tout jeune saule élancée et pliant,
• Comme le frais matin vaguement azurée,
Comme un flot abrité dans la paix ondoyant, -
Elle allait et venait, transparente et mystique;
Je la sentais passer comme une aile d'oiseau, -
Tel un ange échappé d'un beau missel gothique
Et traînant après soi le céleste réseau.
Elle allait et venait dans une symphonie
De fleurs et de lumière et de vibrations, -
Et sa robe en marchant faisait cette harmonie,
Et sa guirlande d'or dispersait ces rayons ....

1.
Comme une pêche mûre et ronde et veloutée,
Qui tente le passant et veut être goûtée;
Brune, brune et vivante, - on eùt dit que Satan
L'avait nourrie exprès de quelque orviétan, -
Une enfant d'Israël, à la lèvre torride,
Au regard prolongé, par instants tout humide .. ,.
'1
122 FIED.ES INTIMES.

Langueur et passion enveloppaient son corps,


Se prêtant l'une à l'autre aiguillon et renforts;
Ses cheveux débordant sur sa basquine rouge,
Elle allait et venait, disons-le, dans un bouge;
A l'entour s'échangeaient les lazzis, les accrocs,
Et l'hôtesse versait de son cœur dans les brocs ....

Vous rappelez, ami, l'incident de voyage


Où, coup sur coup, je mis ma fantaisie en gage -
Dans la même soirée, hélas oui, deux amours !
Le temps, demandez-vous, m'a-t-il rendu plus sage?
- Snr mon âme, les deux, toujours.

Paris 1864.
LAQUELLE?

Il est sous le soleil d'étranges harmonies-


Contraires en accord, alliances bénies
Des mains du grand moqueur, le sort!
Moi,jeune et bien vivant, que j'aille ou que je dorme,
• Quelque espoir ou douleur qu'en mon cœur il se forme,
Ma pensée est à toi, la Mort.

,.l
Tu recueilles partout le pleur ou l'anathème;
Moi, je veux être tien, je te cherche et je t'aime
D'amour profond et sans pareil;
Seulement je me perds entre deux conjectures,
Et j'hésite toujours entre tes deux figures
Peintes par mes nuits sans sommeil.

Tu m'apparais parfois sous l'image agréable


D'une aïeule encor verte, au fin visage aimable,
L'œil bon et le pied toujours prêt;
Je te vois par moments consulter une liste,
\'
Et, pensive, hochant la tête d'un air triste, \
Donner comme un ordre à regret. f
FIBRES INTIMES.

Salut, ma noble dame .... Ah l laisse que je voie


Ces bizarres dessins sur ta robe de soie,
Et ce bâton qui te défend ....
Ne crains rien. Loin de moi toute parole amère:
J'aime les vieilles gens. Je n'ai pas eu de mère,
Veux-tu de moi pour ton enfant?

Il est tard aujourd'hui, mais demain, à l'aurore,


Quand le ciel ouvrira la radieuse amphore
Qui verse l'immense réveil,
Laisse-moi te rejoindre. En mai la terre est belle,
Elle fait oublier la vieillesse rebelle
Et tout son pénible appareil.

Et d'ailleurs sur mon bras ta main sera posée ,


Et je garantirai tes pieds de la rosée
Qu'en hâte le matin dissout; •
Puis je te mènerai dans un jardin plein d'ombre,
Où l'on trouve des fleurs et des oiseaux sans nombre,
Avec de la mousse partout.

Là tu m'enseigneras. J'ai tant et tant de choses


Où mon esprit se perd: l'être, les fins, les causes,
Le vrai, l'idéal, le devoir ....
Donne-moi sans tarder une réponse franche,
Pour que la lutte cesse et pour qu'enfin j'étanche
Mon immense soif de savoir.

Savoir, oui, je le veux, - mais d"une égale envie


Oublier, oublier!.: .. La science assouvie,
LAQUELLE? 125

Reste le souvenir qui mord ....


Mère,je te dirai mon mal et ma blessure,
Et j'en approcherai ta droite sage et sûre,
Et tu les guériras, ô Mort!

l\Ière,je te dirai mon trouble et mon angoisse


Dans ce monde inconnu qui me heurte et ine froisse
Comme si j'étais un maudit ....
Moncomplet dénûment de ces communes choses
Que goûte le plus pauvre, et des plus pâles roses
Que respire le plus petit.

Mèœ, je te dirai la solitude affreuse, \


La bonté qui n'est pas, la tendresse peureuse,
La légère ou feinte amitié,
L'amour insuffisant, les âmes mal germées,
Les partages cruels, les poitrines fermées
Au moindre vent de la pitié ....

Sont-ils comme il convient et suis-je un trouble-fête?


Un être maladif, nature contrefaite
Fille de quelque esprit moqueur? ...
Je ne sais. Mais ce monde aux formes tant prisées,
Moije le sens rugueux, tout en lignes brisées,
Et ses angles m'enti:ent au eœur l

Comme un homme qui noie au flacon sa tristesse,


Je bondis, talonné par ma fiévreuse ivresse,
Vers quelque mirage fleuri ;
Mon entrain s'enfonce aux buissons pleins d'épines,
fol
J'escalade les temps, je franchis les ruines ....
Etje m'éveille nu, meurtri.
► --00__,.tA
f~----=--------------
~-

126 FIBRES INTIMES,

Je suis bien fatigué. Je marche sans relâche


Comme un homme affamé qui se harrasse et tâche
De tromper son horrible faim ..... -
Aux carrefours je prends au hasard, que m'importe?
Je ne la connais pas, la souriante porte
Qui s'ouvre et dit joyeuse: Enfin 1

Et par moments mes yeux de larmes s'obscurcissent -


Je ne distingue plus les bornes qui surgissent,
Les fossés, les murs des chemins, -
Je tombe lourdement sur la terre sonore, -
Je me relève, hélas I pour retomber encore,
Le sang au front, le sang aux mains!

Mère, je te dirai ma ténébreuse histoire.


Tu rempliras ta coupe et tu me feras boire
Du souverain contre-poison ;
Et quand j'aurai pleuré la mesure complète,
Quand le sommeil aura penché sur toi ma tête,
Tu m'étendras sur le gazon ....

Voici l'autre - accoudée au froid manteau de l'âtre.


Voici ma brune altière, au visage d'albâtre,
Au long péplum de crêpe noir ....
Son œil luit d'un éclat qui ressemble au délire,
Et sa lèvre blémie accuse un mi-sourire
Jntra.duisible, étrange à voir.

'---1

~'-'--------
LAQUELLE? 127

Sur son beau front bombé la ciguë en couronne


Mord ses cheveux de jais; des grains de belladone
Lui font trois colliers ondulants;
Par des plis ramenés sa gorge est défendue,
Et sa main gauche tient, négligemment pendue,
Un gros bouquet de pavots blancs ....

D'où vient tant de pâleur, ô belle tentatrice?


De tout temps, sur ma foi, pâleur fut mon caprice
Comme plus savante au plaisir ....
Que sert de tous ces plis dont ta gorge s'habille?
Maigreur charme souvent lorsqu'on sait qu'elle est fille
De la passion, du désir .... '\

Je t'aime ainsi - qu'importe à quiconque sur terre ·t


Depuis longtemps déjà ma couche trop austère
Languit de son désœuvrement;
Je souffre et je travaille, et l'étude traîtresse
A chassé les amours .... Je n'ai plus de maîtresse,
Veux-tu de moi pour ton amant?

Veux-tu? Monsang est jeune et ma lèvre est ardente ....


En ma poitrine émue, ô pâle confidente,
Se pressent déjà mille aveux .... "·
Ma bouche est de carmin .... Il ne manque pas une
De mes dents d'émail pur .... Dis, veux-tu, fière brune,
D'un doux regard aux rayons bleus?

Ne me dédaigne pas. Les soucis, les alarmes,


N'ont jamais rien flétri de ces intimes charmes___:,
128 FIBRES INTIMES.

De mon avril naïfs atours;


Désespéré, mon cœur d'illusions s'abreuve,
Bien qu'éplorée, à vif, mon âme est aussi neuve
Qu'au matin des premiers amours.

Veux-tu? Je vais parer ma chambrette ravie


Comme au bon temps jadis, lorsque ma sombre vie
S'égayait parfois d'un éclair ....
Lorsque la bien-aimée apparaissait rieuse,
Allait, venait, touchait à tout, la curieuse,
Et me laissait gronder en l'air.

Je vais garnir pour toi d'immortelles cette urne.


Ici, l' OEnothera,primevère nocturne,
Qu'entr' ouvre un feu-follet lutin;
Là, près ce guéridon, un Cactusgrandi/fore
Qui fleurit à minuit et ne voit pas l'aurore, -
Étoile fanée au matin.

, Que de flocons d'argent mes rideaux se parsèment;


Qu'on mette des flambeaux, pâles comme les aiment
Les habitués du saint lieu;
Qu'on m'apporte des draps aussi blancs qu'un suaire;
Qu'on allume l'encens qui brûle au sanctuaire
Quand le Requiemmonte à Dieu ....

Viens, j'ai besoin d'aimer .... Voici l'heure profonde


Où l'on oublie ensemble et le jour et le monde
En de passionnés combats ....
Viens, j'ai les longs baisers, les brûlantes paroles,
Les étreintes d'acier, les mille choses folles
Qu'on dit sur l'oreiller tout bas ....
LAQUELLE? 129
...
Viens, je veux effeuiller ta couronne, ô ma reine !
Respirer ton bouquet, jouer avec la graine
Du collier au triple dessin ,
Jusqu'à ce qu'enivré mes forces me trahissent,
Que mes nerfs soient muets, que mes yeux s'assoupissent
0 femme, sur ton maigre sein ....

Le sang bourdonne et frappe à ma tempe inquiète ....


Qu'entends-je? Est-ce déjà le chant de l'alouette,
Ou le cri perçant des hiboux?
Est-ce minuit d'amour ou l'aurore amarante?
J'attends .... Qui va venir? Une mère? Une amante?
Serai-je enfant ou bien époux"?.. .'

Paris. Mai 1865.

9
r
1


A UNEMARGUERITE
DES MONTAGNES

RETOURNÉE
AVECLA CHARRUE
EN AVRIL1786.

(BURNS.)

Petite fleur à bordure pourprée,


En jour mauvais te voilà rencontrée;
li m'a fallu dans l'éteule effondrée
Broyer ton cou ;
Ores n'y puis, -j'en ai l'âme navrée,
Gentil bijou !

Hélas, ce n'est ta fidèle voisine


Au blond matin, l'alouette mutine
Qui, tout humide, avec chaude poitrine
Doux te fléchit,
Lorsque s'élance et salue et lutine
L'Est qui rougit.

En vain le Nord de toute sa puissance


A combattu ta précoce naissance;
,,_ ..::.:::::C::::, PO 04 Z

f
132 FIBRES INTIMES.

En belle humeur tu soutins contenance


A l'aquilon,
Et sur ta mère ouvris en patience
Ton corps mignon.

Mainte s'étale en l'o-rgueilleux parterre,


Près la futaie ou l'enclos tutélaire;
Toi, tu choisis quelque auvent éphémère-
Motte ou caillou,
Charmes le pré, l'éteule solitaire,
Sans crier où.

Vêtue à-mi de ta pauvre sayette,


Tournant au ciel ta poitrine blanchette,
Seule tu vis, sans vœux qu'on s'inquiète,
Qu'on fasse cas;
Ores ce soc dans ma main indiscrète
Te jette à bas!

Pareil le sort de fillette innocente,


Fleur du vallon sans désirs et contente,
A qui le fourbe enjolive et présente
Traîtres appâts ;
Lors, comme toi, salie et suppliante
Elle est à bas.

Pareil le sort de tout barde à la ronde.


Aucune étoile au ciel ne le seconde,
A UNE MARGUERITE DES MONTAGNES. 133

Il ne sait pas sur la carte du monde


Le cours prudent;
Et le vent souffle et la tempête gronde -
Le flot l'attend.

Pareil le sort de la vertu modeste


Qui croit un temps, s'ingénie et conteste.
Ruse et rebuts la poussent de main preste
Au bord fatal ;
Faisant appel au jugement céleste,
Finit son mal.

Et même toi qui pleures cette morte ,


Son sort est tien; - à t'y faire on t'exhorte.
Vois, la charrue avance rude et forte
'Plein sur ta fleur;
Encore un peu, sous le guéret t'emporte
Le soc fouilleur.

1864.
IJl.-0'.:€..;-! :t rw.<;:M~Q ...GOf.84_, te P V •'lf!IP• • ,_ 04 •• S.

1
1

1•

-
1
LE SIFFLET. ,

(BURNS.)

Oui, je chante un sifflet, un sifflet en ébène.


Que Bacchus et son train m'entendent pour ma peine!
En Écosse - et l'histoire en rien ne mentira -
Le son de ce sifflet longtemps retentira.

Dans le nord vigoureux, au pays scandinave,


Vivait noble seigneur, haut en stature et brave :
Son épaule était faite on eût dit un créneau,
Son bras une massue, et son ventre un tonneau.

Il avait un sifflet, mignon sifflet d'ébène,


Qu'il posait sur la table où le défi l'amène, -
Ce sifflet pour servir de trophée et de prix
Au dernier survivant an milieu des débris.
-...- C -.-.: . Q g 5 c. 41 .... • ~@ ,,_ , ► , . c:r · < •

136 FIBRES INTIMES.

Bientôt les francs buveurs de la Scandinavie


Y perdirent leur nom et de boire l'envie.
Chacun avait beau jeu, - mais idem, ibidem,
Le géant leur sifflait le fatal Requiem.

Il visita Moscou, les vingt cours d'Allemagne,


La Pologne altérée et primant sans compagne:
Plus d'un crut le tenir, - mais idem, ibidem,
Le géant leur sifflait le fatal Requiem.

Revenu de tournée à nulle autre pareille,


En songe il crut ouïr le dieu de la bouteille :
- « En Écosse, en Écosse, aux castels des barons,
te Il est de gros tonneaux, il est de vrais lurons. » -

Il prit donc traversée à bord de la tartane


Qui par delà les mers conduisit la belle Anne, -
Anne de Danemark, blanche tout comme un lis,
Qui s'en vint en Écosse épouser Jacques six.

Maint poëte a rimé, la chronique raconte,


Qu'on but sec et du vieux, au comptant sans escompte.
Les Scots s'y connaissaient, - mais idem, ibidem,
Le Danois leur siffla le fatal Requiem.
LE SIFFLET. 137

Survint un chef de clan, seigneur haut en lignée,


Au vaste ceinturon, à la rude poignée;
Comme le double flux il avait soif, dit-on,
Et son nom - Sir Robert Lawri de Maxvelton.

Un plus digne a narré ce fait de haute parise.


Trois jours avec trois nuits oscilla la balance :
Les deux outres buvaient, - mais tandem, mais tandem,
Le Danois fut sifflé du fatal Requiem.

Robert victorieux emporta le trophée,


Et sur ses descendants sa soif parut greffée.
Hier encore trois chefs, mais tous trois de son sang,
Ont joûté le sifflet en champ clos et bien franc.

Trois joyeux compagnons à l'âme sans malice :


Craigdarroch, beau parleur et disert en justice,
Glenriddel, fort savant sur les profils romains,
Et Sir Robert Lawri - connaisseur en grands vins.

Craigdarroch demanda de langue magnifique


Que Glenriddel rendît le sifflet sans réplique,
Ou que lui, Craigdarroch, assemblerait le clan
Pour voir qui le dernier garderait son tympan.
r

138 FIBRES INTIMES.

- Par tous les dieux d'Olympe l » exclama l'antiquaire,


«
<< Mon aïeul Glenriddel l'obtint de bonne guerre;

« Plutôt que de céder, j'avalerais, je crois,


« La corne d'abondance emplie au moins trois fois.»

Sir Robert, un soldat, n'avait pas long à dire,


Mais au combat jamais son épaule ne vire.
Sans retard il voulut qu'on fixât rendez-vous:
-(l On triomphe ou l'on meurt! Du vinjusqu'auxgenoux!>i

Glenriddel aux héros offrit sa vaste table,


Pour chasser spleen et cure en tout temps charitable;
Moins fameuse pourtant par chère et flots joyeux,
Que par le cœur, l'esprit'; d'une dame aux beaux yeux.

Un barde fut choisi pour avoir l'œil aux verres


Et conter aux enfants la prouesse des pères, -
Un barde ami juré de la franche gaîté,
Et voulant que Parnasse une vigne ait été.

Les buffets sont chargés et le chêne flamboie.


Chaque nouveau goulot, fraîche source de joie.
L'amitié de liens les enlace d'un bond,
Et plus ils sont mouillés plus étroits ils se font.

Le discours se colore et le geste s'égare.


Jamais Phœbus ne vit plus joyeuse bagarre;
Il regretta tout hant que fût venu le soir,
Mais Cynthie intima qu'il allait les revoir.
•,..
1
1

LE SIFFLET. 139

Dix bouchons par convive et l'on n'était pas quitte.


Lors le brave Robert, pour en finir plus vite,
Renversa d'un seul coup tout un flacon de vieux,
Jurant que de la sorte en usaient leurs aïeux.

Glenriddel se mit droit, mais bouda cette lance,


Arguant et Phœbus et mœurs et conscience;
Se vautrer dans la lie! un savant ! un ancien !
A d'autres de vider ce tournoi non-chrétien.

\
Le brave Sir Robert avait l'âme obstinée, -
Mais qui pourrait lutter contre sa destinée?
L'oracle l'avait dit : Primd luce albâ; »
Phœbus s'était levé - le chevalier tomba.

Le barde sous Bacchus comme un prophète tremble :


- « Craigdarroch, tu vivras, quant toutchoirait ensemble 1
« Cependant si mon vers doit te donner l'essor,
<< Allons - pour du sublime! - encore une autre, encor!

<< Ta ligne que sous Bruce arma l'indépendance,


« Tient encore en ses flancs de héros abondance!
« Emporte ce laitrier témoin de cent trépas,
c< Et tu l'as bien gagné, par le dieu blond là-bas! »

1861.
(;
LE CORBEAU.
\_
t

(EDGAR POE.)

La nuit sonnait la douzième heure.


Las, faible, et seul en ma demeure,
J'étais assis fouillant des bouquins vermoulus;
Par instants le sommeil m'attrappe -
Soudain je crois ouïr qu'on frappe-
Commequelqu'un qui tape et tape
Dehors la porte à coups menus ....
- ~ Un visiteur tardif qui frappe à coups menus -
Sans aucun doute, et rien de plus. »

J'en ai distincte souvenance :


C'était décembre froid et dense,
Et les tisons mourants jetaient des tons confus;
Et j'appelais la matinée, -
En vain mon âme chagrinée
Croyait dans l'étude obstinée
Trou ver l'oubli des biens perdus -
De ma Lénore au ciel - de mes amours perdus -
Lénore ici-bas jamais plus.

Tout bruissement, tout murmure,


Et mon ombre sur la tenture,
142 FIBRES INTIMES.

M'emplissaient de terreurs, de frissons inconnus.


Pour me redonner l'assurance
. Je répétais avec instance :
- « C'est quelque visiteur, je pense,
Qui frappe à l'huis à coups menus -
Un visiteur tardif qui frappe à coups menus -
Certainement, et rien de plus. »

Bientôt mon cœur reprit courage,


Et sans hésiter davantage :
- «Monsieur,« dis-je, )) ou Madame, on m'en voit tout
Mais le fait est, sans m'en défendre, [ confus,
Que le sommeil allait me prendre,
Et je ne pouvais guère entendre
Tant vous frappiez à coups menus )) -
J'avais ouvert à qui frappait à coups menus -
L'obscurité - mais rien de plus.

Les regards plongés dans le vide,


Je restai là fixé, stupide,
·Craignant, doutant, rêvant des rêves inconnus;
Et l'ombre pendait froide et dense -
Et rien ne brisa le silence
Qu'un mot, un soupir de souffrance
Dont les échos furent émus -
Car j'avais dit - Lénore - et les échos émus
Dirent -,- Lénore - et rien de plus.

Assis à peine dans ma chaise,


L'âme brûlant comme fournaise,
J'entendis qu'on frappait à coups plus forts et drus :
- « Bien sûr, « dis-je,)) ce ne peut être

l,
LE CORBEAU.

Que quelque chose à ma fenêtre,


Et sans retard je veux connaître
Qui fait tous ces bruits saugrenus -
Je veux savoir qui fait tous ces bruits saugrenus -
Le vent sans doute - et rien de plus. »

Par les pe!.'siennesbéantes


.\_
l
Entra, les ailes palpitantes,
Un corbeau rappelant des types disparus.
Sans faire signe ou révérence,
D'un air rempli de suffisance, .
Il gagna droit, comme accointance,
Ma porte, et se percha dessus, -
Au buste de Pallas placé juste au-dessus
Se tint perché - mais rien de plus.

Fixant longtemps l'oiseau d'ébène,


Je ris tout haut, malgré ma peine,
Tant son air grave était de décorum infus.
Enfin je dis : - « Bien que ta tête
Ait comme reçu la toilette,
Non, tu n'es pas coq en défaite,
Vieux corbeau des bords inconnus ;
Qu'est ton nom chez Pluton sur les bords inconnus ? ,,
Le corbeau dit: - « Non, jamais plus. >i -

Certes, ma surprise fut grande


D'ouïr ces mots sur ma demande,
Bien qu'ils fussent de sens, d'à-propos dépourvus;
Car on m'accordera sans peine
Que jamais de mémoire humaine
On ne vit un oiseau d'ébène
Gagnant porte et perchant dessus -
-~

FIBRES INTIMES,

Au buste de Pallas placé juste au-dessus-


Et se nommant: Non, jamais plus.

Et l'oiseau perchait sur le buste,


Et ne dit que ces mots tout juste,
Comme si tout son être en eux était inclus;
Il ne changea plus de posture.
Il ne bougea plume ou figure 1 -
Enfin je dis presque en murmure :
- « D'autres amis sont disparus -
Au matin lui suivra mes Espoirs disparus~ ;;
Et l'oiseau dit : « Non, jamais plus. ;;

Plus grande encor fut ma surprise


D'ouïr réponse aussi précise.
- « Bien sûr, « dis-je, >>ces mots sont des sons rebattus
Appris d'un maître misérable
Que le désastre impitoyable
Poursuivit à rendre croyable
Qu'ainsi ses chants fussent vêtus -
Que ses refrains d'espoir toujours fussent vêtus
De ces seuls mots: « Non, jamais plus. r

Et je fixais l'oiseau d'ébène, -


Et, souriant malgré ma peine,
Je roulai le fauteuil vis-à-vis mon intrus;
Là, face à face avec le sire,
J'attends un rêve qui m'inspire
Ce que pouvait bien vouloir dire
Ce corbeau des bords inconnus -
Spectre de chez Pluton sur les bords inconnus-"
En croassant : « Non, jamais plus. "
LE CORBEAU. 145

Je restai là longtemps sans dire


La moindre parole au vampire
Dont les regards de feu me perçaient continus;
Je rêvai là, bouche muette,
Tout à l'aise appuyant ma tête
Contre l'étoffe violette
Avec la lampe en plein dessus -
Étoile violette avec rayons dessus
Qu'Etle ne presse jamais plus.

Et voilà- l'air se fit plus dense,


Parfumé d'encens que balance
Unséraphin de qui résonnaient les pieds nus;
Et je criai : - « Dieu s'apitoie 1
Et par ses anges il t'envoie
Répit~ - le népenthe où l'on noie
Le souvenir d'amours perdus!
Bois! oh bois ce breuvage, et laisse amours pe1·dus! >>-
Le corbeau dit: « Non, jamais plus. » •

« Prophète l » dis-je, c<


goule ou bête,
Qui que tu sois - pourtant prophète!
Conduit du Tentateur ou des vents éperdus,
Dis-moi - car mon âme qui plie
N'est pas par la peur avilie -
Est-il - dis-moi - je t'en supplie -
Un baume aux pays inconnus?
Un baume à Galaad - aux pays inconnus? >) -
Le corbeau dit : c< Non, jamais plus. »

« Prophète! i, dis-je, c< diable ou hête 1


(.Juique lu sois - pourtant prophète l
JO

j
:, .. e,__
~

FIBRES IN1'1MES.

Par Celui qui commande en les cieux étendus,


Dis-moi - dans l'Éden qu'on ignore
Si je pourrai presser encore
Une vierge ayant nom Lénore -
Ici-bas mes amours perdus-
Étreindre ma Léuore et tous mes biens perdus? " -
Le corbeau dit : <<Non, jamais plus. "

« Assez, assez, toi, bête ou piége ! "


En m'élançant soudain criai-je, -
« Retourne à la tempête, aux noirs bords
inconnus!
Ne laisse plume à faire trace
Du mensonge qu'a dit ta face, -
Remets mon silence à sa place, -
Quitte ma porte, horrible intrus, -
" -·
Sors ton bec de mon cœur, et fuis ma porte, intrus 1
Le corbeau dit : « Non, jamais plus. "

Et le corbeau, son aiie morle,


Reste assis, assis sur ma porte -
l Sur la blême Pallas qui se trouve au-dessus ;

f Et son œil coi lui fait la face


De quelque démon qui rêvasse;
Et la lampe, quoi que je fasse,
Jette en bas i'ombre de l'intrus;
Et mon âme jamais de l'ombre de l'intrus
Ne sortiru, --- non; jamais plus.

1861,.
STANCES.

AM•·• W.

Bienvenue à vos vers; ils sont tels que les veut


Ma bonne affection que chaque année augmente.
Pourquoi dire humblement: Chacun fai.t ce qu'il peut,
- 1)n fait toujours très-bien avec une âme aimante.
Pour l'invitation, je crois que cet été
Il me faudra rôtir dans notre capitale;
De travaux ennuyeux je suis fort endetté,
La corvée est, je crains, fatale.

Cependant je saurai même de loin vous voir


Active et serviable en votre maisonnette,
Joyeuse de donner comme de recevoir
Ces plai.sfrs innocents que mon cœur vous sou ha iLc :
Des retraites à l'ombre, un abondant gazon,
Des fruits en quantité, des légumes de même,
Des chants plein les taillis, des roses à foison, -
Et tout le reste du poëme.
Fll3llES INTIMES.

Au courant monotone un peu vous en voulez.


N'ayez aucun regret. L'heure qui fuit paisible,
:Et les mêmes devoirs tous les jours rappelés,
Sont peut-être l'aspect du seul bonheur possible;
Et l'on a dit parfois que certain jugement
Sur les peuples émis par un penseur notoire
On peut nous l'appliquer aussi séparément :
Heureux ceux qui n'ont pas d'histoire !

Combien de fois Désir, ce faux enlumineui·,


Triture ses couleurs contre nous conjurées!
L'objet qu il peint ressemble en tous points au bonheur,
1

JI a l'aile d'or fin, les teintes azurées.


Mais dans les courts moments où la main le saisil,
Pendant qu'elle l'amène au poumon qui l'appelle,
L'aile d'or se fait griffe et la teinte noircit -
Reste une souffrance réelle.

Vous me questionnez de votre aimable ton.


Cela va bien et mal; le flottant me harrasse.
Capricieux d'ailleurs comme un vrai rejeton
De la pensée en deuil et du songe vorace.
Comme un chien affamé je vais toujours cherchant;
Et j'ai beau vous prêcher en me croyant fort sage,
On m'entend envier le soldat, le marchand,
Et l'épicier du voisinage.

J'aurais besoin vraiment de quittec mes caveaux.


Les maisons me font froid et la ville m'attriste,
Car sans cesse des cris et des ~anglols nouveaux
'ci'y viennent ajouter à ma funèbre liste.
·1

STANCES. 149

En voyant cet amas imparfait, malvenu,


Je refoule en mon sein comme un vent d'anathème;
Et presque à chaque pas le tacite Inconnu
Me heurte au multiple problème.

Aux champs je subis moins ces attaques de mort


De haine contenue ou de fière atonie; •
Chaque angle s'adoucit, tout contraste est moins fort,
Il me semble rentrer dans la grande harmonie.
Et lorsque, voyageur, vers le déclin du jour
Je franchis votre seuil que vous ouvrez vous-même,
Tandis que l'épagneul acclame mon retour -
Spontanément j'oublie et j'aime.

Vers vous je vais tâcher de frayer mon chemin.


Votre hospitalité plus que d'autres m'est chè1·e;
Je suis gai du franc dire et du cœur sur la main
Du travailleur fidèle et de la ménagère.
J'aime du jardinet le modeste décor
Et la simplicité de votre maisonnette,
Et ces prés d'un beau vert où se dessine encor
La grande ombre du grand poëte i.

Paris. Mai 1864.

1. Byron, étudiant à l'écoln dd Harrow.

. ··-·
SOUVENIR.
A MADEMOISELLEP. H.

Votre parole est bonne et porte un cher sourire.


Je ne puis l'embaumer d'un fin sachet de myrrhe,
Je n'ai pour la loger aucun beau coffret d'or, -
D'une main affaiblie au moins je veux écrire
Quelques stances encor.

Je ne suis point surpris. L'expérience entame


Bien de ces fils légers dont se tisse la trame
De nos illusions aux chatoyants reflets, -
Mais la foi dans vos cœurs, ma croyance en la femme,
Jeles garde complets.

Je fais bien, vous voyez. Hors de votre humble sphère


Vous élançant soudain, votre bonté transfère
Aux autres le vouloir qu'en leur lieu vous auriez;
Et, naturellement, vous comptez qu'ils vont faire
Ce que vous, vous feriez.

Avec une âme large ainsi l'on déraisonne.


La bonté de surface en ce monde foisonne)
Et ceux dont vous parlez ont le cœur entr' ouvert;
~........,....---

152 FIBRES INTIMES.

~fais n'exigez pas trop ni d'eux ni de personne


Qui n'a beaucoup souffert.

Il faut avoir connu l'affreuse servitude


Et le labeur ingrat, - et puis la lassitude
Qui vous prend de marcher toujours au froid chemin,
Sans fleurs et sans rayons, avec l'inquiétude
Qui vous brise la main.

Il faut avoir passé de bien longues années


A meurtrir de bâillons les clameurs spontanées
D'un cœur qui veut s'épandre et qu'on tient prisonnier -
Pour manger l'incertain, bribes momentanées,
Ava1-eet dur denier.

Il faut avoir goûté l'abandon dans la foule,


L'amertume que laisse un gai bruit qui s'écoule ....
Il faut avoir Yécu s3.ns liens, sans amour,
Et senti le sanglot qu'en sa gorge on refoule
Aux calmes fins de jour ....

A1ors on peut s'entendre à l'humaine souffrance.


Maiseux, qu'en savent-ils? Tout leur est déférence,
Liberté, plénitude, et lumière et couleur;
Et-j'en rends grâce au ciel - ils vivent <l'espérance
Et non pas de douleur.

Ils n'y comprennent rien. Laissez-les. Qu'ils ignorent.


Seuls d'égards délicats les malheureux s'honorent,
Car au chapitre noir-ils sont fins connaisseurs;
Leurs chagrins vont à deux, leurs tristesses s'adorent,
Et leurs larmes sont sœurs.

Paris, mai 1865.


l

BLUET. \

Dans les jeunes blés de ma vie


J'allais courant,
De fleurette j'avais envie -
Cœur ignorant.

Et j'avisai - terre féconde!


Bluet gentil;
Jtcharpe bleue et tête blonde,
T'en souvient-il?

Je m'en souviens, c'est à l'église,


En juin riant,
Que d'abord je te vis assise,
Humble et priant. \

L'orgue pleurait sa note émue,


Pleine de foi, -
Les yeux sur ta nuque charnue,
Priais-je, moi?
FIBRES INTIMES.

Il m'en souvient, caché dans l'ombre


De ta maison,
Je t'attendais, joyeux puis sombre
A chaque son.

Guetter, guetter, l'âme affamée,


Quoi de meilleur?
Frôlement de la robe aimée,
Tu mords le cœur !

Enfin, c'est toi, ma Juliette,


Timide oiseau,
Approche ta craintive tête
De Roméo.

Que l'on s'aimait - Trois-Étoiles l'atteste,


Ce charmant lieu l
Bonheur perdu dont il me reste -
Un ruban bleu.

Cheltenham, 1861.

f.
\

EMMA.

Rappelle-toi la bonne étoile


Qui passa ton bras sous le mien;
Ton œil brillait sous le fin voile,
Tu riais du tremblant soutien.
Bientôt, hélas l baissa la toile
Quand ta porte se referma ....
Rappelle-toi la bonne étoile,
Emma, ma brune Emma !

Rappelle-toi nos fiançailles


Certain dimanche auprès du feu;
Il me fallut ronger les mailles
L'une après l'autre, palsembleu !
Enfin il parut aux murailles
Le signe qui te désarma ....
Rappelle-toi nos fiançailles,
Emma, ma belle Emma!

Rappelle-toi le soir des larmes


A propos de je ne·sais quoi;
Encore un peu, sires gendarmes
Apparaissaient dans le tournoi.
- --
- --- ·-- - --· - , -,. -
-y

156 FIBRES INTIMES,

Q~e dire? j'y t1'ouvai des charmes,


Et notre amour ~·en enflamma ....
Rappelle-toi le soir des larmes,
Emma, ma douce Emma l

Rappelle-toi les violettes,


Les violettes des adieux.
Les gardes-tu, les chers squelettes,
Y poses-tu parfois les yeux?
Un jour, comme ces gentillettes,
Ton cher soupir me parfuma ....
Rappelle-toi les violettes,
Emma, ma pauvre Emma l


A UNE ALOUETTEDES CHAMPS.

(SHELLEY.)

SaluL, salut, âme joyeuse!


- Oiseau tu n'as jamais été -
Toi qui, de lumière amoureuse,
Verses ta volupté
En hymnes débordant d'art non prémédité.

Plus haut, plus haut, plus haut encore,


Tu vas t'élançant des labours;
Ainsi qu'un brûlant météore
L'air profond tu parcours;
Tu chantes en montant, montant chantes toujours.

Dans la lueur rouge et do.rée


Qui de l'horizon peint les bords,
Dans la nue à frange pourprée
ÉclatenL tes transports,
- On diraiL une joie it peine ayant pris corps.
,_ ---

,,
'
158 FIBRES INTIMES.

La terre, l'air, et tout l'espace,


Semblent de toi seule s'emplir;
Et quand mon œil fixé se lasse,
.Jereste à te sentir, -
Je te perds, mais j'entends tes notes de plaisir.

Qui tu peux être, je l'igp.ore;


Et quoi d'approchant concevoir?
Gouttes quel' arc-en-ciel colore
Sont moins pures à voir
(lue les sons irisés que toi tu fais pleuvoir.

Tel un poëte qui s'abrite


Dans sa lumière - et chante ainsi;
Il chante - et le monde palpite,
Voit et ressent aussi
Les douleurs, les espoirs, dont il n'avait souci.

Telle une noble demoiselle


Qui, secrète, au haut de la tour,
Écoute au cœur peine nouvelle
Vers le déclin du jour, -
Elle chante, et son chant inonde tout d'amour.

Tel un ver-luisant qui repose


Dans la rosée, au vallon creux, -
Sans qu'on le voie et qu'on en glo~ê
Il disperse ses feux
Parmi l'herbe et les fleurs qui le cachent aux yeux.
A UNE ALOUETTE DES CHAMPS. 159

Telle une rose - en la tonnelle


Que font ses rameaux arrondis -
Aux souffles brûlants s'échevèle
Jusqu'à ce qu'affadis
S'endorment ces pillards de douceurs alourdis.

Chute de printanière pluie


Sur l'herbe scintillant d'émoi;
Verdeurs que vent d'avril essuie) •-
Tout ce qui porte en soi
Clarté, joie et fraîcheur, n'approche pas de toi!

Dis-nous, où que ton nom te range,


De quoi ton cher penser est plein;
Je n'ai jamais ouï louange
De la femme ou du vin
()ui respirât à flots un transport si di vin !

Chœur de bienheureux hyménée,


Ou dithyrambe triomphal,
Ne sont à ton ivresse innée
Qu'étalage banal -
Quelque chose où l'on sent comme un vide final.

Dis) quels objets sont les fontaines


De ce pur bonheur sans appel?
Quelles mers, quels monts) quelles plaines?
Quels traits de terre ou ciel?
Quel grand amour des tiens? quel non-sasoir du fiel?

..
)fApA ..

160 FIBRES INTIMES,

Kon, non, ta joie est claire et franche,


Sans la moindre ombre à son côté;
Ta soif d'aimer toujours s'étanche;
Tu n'asjarnai.s goûté
Dans le fond de l'amour triste satiété.

Que tu veilles ou que tu dormes


Tu dois apercevoir la mort
Sous d'autres traits, sous d'autres formesi
Que tout l'humain effort,
Ou comment coulerait ce crystallin transport'?

Nous regardons devant, derrière,


Et désirons ce qui n'est pas;
Notre rire le plus sincère
De quelque peine est las, --
Nos plus doux chants sont ceux qui sonnent quelque glas.

Mème si nous cessions de suivre


La haine, l'orgueil, et la peur,
Et si nous étions nés pour vivre
✓ Sans verser un seul pleur,
Je doute que ta joie eût place en notre cœur.

Meilleur cent fois que l'assonance


D'un beau langage au rhythme mol,
Meilleur cent fois que la science
Qu'on peut glaner au vol,
Au poële ton art, - dédaigneuse du sol!
-~...i--,,•- •..,...,,.-------

A UNE ALOUETTE DES CHAMPS. 161

Ah, enseigne-moi, ma jolie,


Rien que moitié de ton secret, -
Telle harmonieuse folie
De mon cœur coulerait -
Tel je t'écoute ici, le monde écoutirait.

Mars 1866.

11
< Siâ • $Z
-
FIN D'AUTOMNE.

Vois donc, la feuille a jauni


Et fini
Son éphémère existence;
Loin, bien loin, on ne sait où,
Le vent fou
L'entraîne en funèbre danse.

Qui sait d'où la brume accourl -


D'un pas lourd
Envahissant val et plaine?
Tout fuit, recule glacé,
Effacé,
Devant sa. bleuâtre haleine.

Elle a froid, la pauvre fleur;


Sa pâleur
Est sa dernière parure.
Triste, au-dessus du ruisseau
L'arbrisseau
Pend sa rouge chevelure.

---...J
164 FTBRES INTIMES.

Le soleil luit pauvrement;


Un moment
Il joue aux rubans des haies :
Dans les buissons épineux
Mille feux
Pendent du corail des baies.

Si peu, quoi, n'était-ce hier


Que tout l'air
Se parfumait d'aubépine?
Qu'oubliant mes jours mauvais
Je rêvais
A l'ombre sur la colline?

De nos jours) à nous aussi,


C'est ainsi -
Mai donne) l'hiver empùrte.
Où dois-je) être passager,
Me ranger?
Vais-je où va la feuille morte?

Parle encor, qui que tu sois)


Souffle ou voix)
Qui me consoles sur terre ....
- Pauvre oiseau sur l'arbre nu,
Qµe fais-tu ?
- Moi je chante, ami, j'espère!

Birkenhead, 1862.

1.

=-===
L
A LA COMÈTE.

Vagabonde des cieux, inconcevable étoile,


Reine de notre nuit, myslériense voile,
Beau chevalier-errant à l'avant-train de feu!
En silence et rapide en la voûte féconde
Que vas-tu donc portant de l'un à l'autre monde?
Es-tu l'estafette de Dieu?

Détachée on eût dit d'un port de la Polaire,


Tu ne viens pas à nous, ô blonde messagère, -
Hélas, mon pauvre cœur, encore un songe enfui!
Ailleurs elle va dire un glorieux sésame,
Ailleurs l'archange assis au chario1.de flamme
Va leur parler de Lui!

1861.
PETITE ÉMILIE.

A SA Mf:RE.

Que j'aime, enfant) tes grands yeux azurés,


Ton cou si blanc, ta bouche si joiie,
Ces longs cheveux qu'un ange t'a dorés,
Mon Émilie!

Que j'aime, enfant, ton gran<l parlee mutin,


Ton pleur subit qui si vite s'oublie,
Ta bonne foi qui prend tout pour certain,
Mon Émilie!

Sur mes genoux, viens, petite, t'asseoir-


Pose tes mains sur ma tempe pâlie-
Dis-moi du ciel ce qu'on en peut savoir,
Mon Émilie!
168 FIBRES INTIMES,

Dans ce baiser je voudrais t'insuffler


Des meilleurs dons une âme tout emplie;
Sache surtout aimer et consoler,
Mon Jtmilie !

Dire que toi, tu sauras les douleurs,


Le fiel, la mort, et l'humaine folie ....
Va-t'en,·va-t'en cueillir des fleurs,
.MonÉmilie!

1866.

-----iiiiiiiiiiil_.-r--
f 1

MOURON-ROUGE.

- « Je vais aller voir ce que dit


c, Dans les blés le mouron petit;
"Et si, comme j'espère,
<1 Le temps n'est pas contraire,

« A la foire j'irai,
cc Mon amoureux verrai -
ccM.ouron-rouge,dis moi, quel temps va-t-il donc faire?»

:Mouron-rouge, tout au travail,


Fermait sa porte de corail;
Mais relevant la tête,
Il dit vile à Nan et.te :
- cc N'en crois pas le soleil.

« Puisque tu veux conseil,


<c Reste auprès de ta mère, - un orage s'apprête. )) -

D'abord l'air triste, et puis, grognon,


1 '
Nanette branla du chignon :

;:JZ-~--------==-=iillllii!llla!l!li!===:=~~~~
170 FIBRES INTIMES.

- Oui-dà ! moi j'irais croire


«
« De mauvaise herbe histoire?
« Ton dépit m'est de peu,
« Car le ciel est tout bleu -
« A d'autres, beau mouron! Moi, je vais à la foire. »

- ccReste chez toi. ,, - « Nenni, nenni!


« Je mettrai mon bonnet garni
« De plus fine dentelle -
« Et ma robe nouvelle -
« Mes souliers à talons -
« Pour mon fichu - voyons! -
« Je vais y repenser, car je veux être belle. ,, -

Faut-il dire qui prévalut,


J.( Et qu'à la fête elle s'en fut?
Déjà loin du village,
Survint un gros orage;
Alors on l'entendit
Moitié pleurant qui dit:
,, Ah, que n'ai-je écouté le petit mouron sage? »

Ne mettez pas vos biaux habits


En temps douteux, je vous engage.
N'allez non plus quêter avis
Quand vous avez un parti pris.

1863.

r
C'EST ICI.

C'est ici; n'a-t-elle pas dit


Sous ce berceau de clématite?
Le jour qui baisse t'avertit,
Pourquoi tarder, ma Marguerite?

L'église sonne un autre appel,


Le laboureur gagne son gîte ,
La première étoile est au ciel. ... \ 1

Que tardes-tu, ma Marguerite?

Les bruits se sont tûs en suivant - \


Chut! par un pas l'herbe est frôlée....
Mais non, ce n'était que le vent, 1

C'est le vent seul dans la feuillée. -\


•\
L'ombre épaissit aux bords de l'eau -
Voici, la voici blanche et fière ....
Non, sur la robe d'un bouleau
C'est un dernier jeu de lumière.
FIBRES INTIMES.
172
C'est elle, enfin, j'entends sa voix
Qui m'appelle, s'elève et tremble;
Ainsi l'alouette des bois,
Amour, musique - tout ensemble.

1862.
--
·I

AH! VOUS DIRAI-JE MAMAN?

Qui n'as pas, tout à l'aurore,


Quelque amour prématuré ?
Quand l'âme n'est pas encore,
Nul le cœur, vide l'amphore ....
Sol, sol, ré, ré, mi, mi, ré.

Dois-je dire quel ombrage


Vit poindre mon éclair fol?
Neuf printemps était mon âge,.
Les pensums tout mon partage .•..
Do, do, si, si, la, la, sol.

Jeune et jolie était-elle?


Que savais-je de cela?
Seulement je me rappelle \ '
Ce que le fichu recèle .... '' ' '
Ré, ré, do, do, si, si, la.
• \
FIBRES INTIMES.

Son doigt patient m'indique


Ronde, dièze, et bémol ;
Et j'adorais la musique,
Je la croyais chose unique .....
Ré, ré, do, do, si, si, sol.

Pour chaque note un salaire ,


Un baiser de vrai forban;
Elle grondait d'ordinaire,
Mais toujours se laissait faire ....
Ah, vous dirai-je maman?

1861.
LA VIEILLE.
\

J'adore la campagne en plein hiver, tout comme


Un rustre, un paysan, un malheureux bonhomme
Ignorant la couleur des trottoirll de Paris.
Ah! ce n'est pas le temps des azurés lambris,
Des zéphirs amoureux et des rossignolades,
- Ni de trente degrés bel et bien centigrades;
Il faut presser son chef de chapeaux effarés,
Il faut porter aux pieds de gros souliers ferrés, -
Et les souliers ferrés ne suivent pas les modes,
Mais, d'honneûr, beaux messieurs, ils sont sains et commodes.
Je vous assure aussi, délicats ennuyés,
Que l'hiver dans les champs n'est pas ce que croyez.
Les furieux autans n'y hurlent pas sans cesse;
On n'y meurt pas de froid; de faim, ni de tristesse;
L'oxygène s'y donne, inépuisable bien,
A toute heure, en tout lieu, sans fatigue et pour rien;
Les prés sont verts toujours et les eaux y serpentent;
Les lignes des coteaux, fidèles, nous enchantent;
L'oiseau n'est pas muet dans l'arbre dépouillé;
Le blé rit au sillon que l'automne a fouillé;
i 76 FIBRES INTIMES.

Les bàisers du soleil, pour être plus avares,


-
Sont goûtés au décuple, ainsi que faveurs rares,
Mais on peut maintes fois, dans le tiède senti er,
Porter, comme en été, son rêve tout entier,
Tenir son regard haut et son âme aux écoutes,
Et couver avec fruit ses espoirs et ses doutes.
Loin d'être misérable et de tout dépo,;.rvu,
L'hiver aux champs est jeune et chargé d'imprérn.
Ce sont des traits naïfs et cent grâces nouvelles
Que n'ont pa.s déflorés le_srimeuses crécelles;
Des changements à. vue et de soudains effets
faiLs.
Que le vers n'a pas dits, qu'aucun pinceau n'a
estom pe!
Voyez donc ces contours tremblant dans leur
Comme ce raccourci s'arrête net et trompe!
Tenez, ce plan là-bas que doit baigner la mer,
Quel effet impossible, à surprendre un Turner !
Regardez ce brouillard qui nage en la vallée,
Étire ses bras, monte, et-puis prend sa volée!
Examinez ce ciel à. trente-six crayons :
A-t-on jamais rêvé pareil jeu de rayons?
De ce côté, ce bois qui fuit dans la pénombre -
Il n'a pas une feuille, et ses tons sont sans nombre!
Le ravissant damier fait d'herbe et de labour l
Tout nuage qui passe est comme un abat-jour
....
Dont la nuance un peu sur le tout vient déteindre

( Si je savais décrire, oh! si je savais peind re!.


Sans compter les beautés qu'on ouït et qu'on sent:
Ces notes à. mi-voix, cet hymne ravissant
..

Que lance on ne sait où, sublime virtuose,


Ce que notre sagesse a dénommé la chose....
Ce ne sont pas ces chants pleins de trilles de feu,
De pleine jouissance irrépressible aveu,
-~--~-·---
• 1

LA VIEILLE. 177

Quand notre terre en août sous son soleil se pâme;


Ce n'est non plus le tendre et doux épithalame
Qu'avril inspire à l'arbre, au sillon, à la fleur,
Achevant d'espérer, déjà sûrs du bonheur;
Non - ce sont des accents plus déliés encore, -
Comme un cri mi-formé qu'un sourire évapore,
Comme un soupir rentré, comme un désir constant
Que l'on chasse incompris, qu'on rappelle pourtant,
Un lamentonoté sur d'indécises lignes
Et portant à la clef de mystérieux signes
Qui fiancent la notP,au couplet un p·eu noir
Mais suffusentJe tout des rougeurs de l'espoir ....
- Chansons que tout cela! voilà bien les poëtes !
- Eh bien, soit pour l'instant, fortes· et sages têtes;
·Maisje préfère encor mes neiges, mes frimas,
Mes gros souliers ferrés et mes boueux amas,
Ma nature qui râle en sa décrépitude,
Ma nuit sauvage et dense, et puis ma solitude, -
Je les préfère encore à cet air étouffant
Qu'on respire aux salons du bouffi triomphant,
Aux dissipations de votre humeur badaude,
A votre joie étique, au vice en serre-chaude,
Au vain, au faux, au bête ....

Arrêtons-nous, holà l
Je ne voulais pas dire un mot de tout cela ....
Suis-je pas bien faillé pour tourner la satire!
Mais aussi, tout de bon, qu'avais-je donc à dire? ...
Pauvre fou, je voulais pour la millième fois
Emprisonner une ombre et saisir une voix,
Étirer une larme aux trous d'une filière,
Disséquer un fantôme, écrire une lumière ....
12
178 FIBRES INTIMES.

Tantôt je m'en allais d'un pied assez banal


Vers le plateau choisi pour mon tour matinal -
Un beau plateau moussu que crevasse la craie -
Lorsque dans le sentier coupant la fougeraie,
Suivant d'œil curieux un gros vol de corbeaux,
Je frôlai par mégarde une vieille en lambeaux.
Pauvre femme, elle avait son tablier de bure
Percé de part en part de débris de ramure,
Et sa droite traînait, en accrocs regimbants,
....
Un branchage abattu par les derniers grands vents
ntable.
-Est-ce tout? - Voilà tout. Rien de bien prése
.
Ma vieille à mainte vieille en tout était semblable
Toujours l'ancienne histoire et le même portr ait:
Rides, froid et besoin, misère et corps maigret.
e,
Ses baillons n'avaient même aucun tour pittoresqu
presque,
Le jour s'annonçait mal, je crois qu'il pleuvait
Tout était laid, réel, du haut jusques en bas -
Pourtant je fus ému .... C'est bien sot, n'est-ce pas?

Et je m'acheminai vers mon plateau de mousse


usse
N'ayant plus d'yeux qu'à l'âme; une sainte seco
et mon cerve au;
Ébranlait tous mes nerfs, mon cœur
Il s'ajoutait à moi comme un être nouveauj
Et. le débordement de plus en plus intense
.
S'étendit, s'étendit comme la mer immense .. ,
Je crois me souvenir que d'abord je suivis
La vieille mendiante en son obscur taudis :
J'en furetai les coins;j'étalai, là, par terre,
Son méchant bric-à-hrac et toute sa misère;
Et du hideux réduit mon regard se reput
t,
Longtemps. Puis, comme on fait dans un rare bahu
LA VIEILLE, \ 79

Je plongeai dans sa vie une main importune :


Je touchai les douleurs de mes doigts une à une,
Je palpai leurs contours et je cherchai leur poids, ...
Car c'est un tic qui m'entre en l'esprit maintes fois
De comparer entre eux les degrés de puissance
Qu'un même sentiment, de peine ou jouissance,
Pe~,t assumer selon les variés états .
D'esprit, de cœur, des sens, des êtres d'ici-bas;
En sorte que je goûte à tout humain breuvage,
Que j'unis en moi seul le multiple partage,
Que mon âme est la cire où chaque sceau s'empreint,
Que je suis gai pour dix, que je souffre pour vingt ....
Mais qui sait, après tout, si ce n'est pas chimère?
Qui sait où la souffrance est plus ou moins amère 't
Où le bonheur éclate en rayons plus ardents 't
Où le désir s'agite et montre plus les dents 't
Où l'espérance rit d'un rire plus sonore?
Qui dira l'officine où cela s'élabore?
Peut-être on trouverait souvent l'intensité
En inverse raison de la capacité 't
Peut-être cette vieille, abaissée, ignorante,
A mille traits humains aveugle, indifférente,
Sent les vulgaires croix dont son sort est semé,
Autant, plus vivement que tel homme animé
Par les ressorts complets de l'être en plénitude
N'éprouve des douleurs la sombre multitude,
Qui l'assaiHe en raison des contacts plus nombreuxJ
Mais qui rencontre aussi des conduits généreux
D'action, de pensée, et dont elle s'échappe
Comme fait la vapeur à travers la soupape.....
Mais en voilà beaucoup pour dire simplement -
Quoi 't Le sillon d'amour que la vieille au sarment

AAll:..t.
U<M µ 1 , ..
::.SCU CE$A!iLk >

180 FII3RES INTIMES.

Traça dans la fougère avec son pas pénible.


Et je pleurai pour elle; et son mal indicible
Je le dis en sa place; et mon œil parcourut
1
Ce que la femme paye au malheur en tribut;
Je comptai les assauts que le fatal nous livre;
Je lus partout: souffrir synonyme de vi•.1r~; 1
eons;
J'entendis les durs coups que nous~même inflig
Anxieux je palpai nos vertus-sauvageons ....
Que sais-je encore? Autour de ce pauvre squelette 1
Se dressa d'un seul bond la phalange complète
De tout ce qui m'emplit le cœur à déborder:
Je fustigeai l'abus qui cherche à s'évader
Sous les dehors cafards de crime inévitable;
Je pansai de mon mieux la plaie épouvantable
Que portent à leur front tous mes pauvres blessés;
Je rassemblai les vœux par cent chocs dispersés,
J'avançai les espoirs, je dépouillai les haines,
Et j'habillai de neuf les tristesses humaines ....
Ce furent tour à tour du matin la candeur.
L'ivresse du midi, les voix du soir rêveur;
D'avril la douce ondée et des torrents la chute;
Le parfum qui caresse et le vent qui culbute ....
Ce furent mille échos en un seul roulement .. ,.
Ce fut, plus juste encor, comme un fourmillement
De pitiés, de pardons, d'amours et de colères,

I De jugements de feu, de froids calculs sévères,


De mornes désespoirs, de longs soupirs brûlants,
D'écarts audacieux, de correctifs tremblants,
De croyances d'azur, d'amertumes sceptiques,
De ténèbres sans fin, de lueurs prophétiques ....
-
Tout un monde détruit, un autre en fondement
Et ce double univers l'affaire d'un moment!

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LA VIEILLE. 181

Qu·es-tu, gentil esprit dont l'aile me réveille -


Maître puissant qui fais vaciller mes genoux -
Voix prête à révéler l'ineffable merveille -
Chaleur qui lèches l'âme au creuset clos pareille -
Maître, esprit, voix, chaleur, qu'êtes-vous, qu'êtes-vous?

Il faut que je sois vôtre aux heures de paresse,


Vôtre quand le travail a tiré mes verrous,
Vôtre dans les transports d'amoureuse caresse,
Vôtre dans le sommeil, le rire, la détresse ....
Mes tyrans bien-aiméa, oh, que me voulez-vous?

Qui m'apporte à la fois de tendresses ces nombres?


De quels durs battements sens-je les contre-coups?
Qui fait devant mes pas s'abîmer ces décombres?
Que montrent donc du doigt ces radieuses ombres? ...
0 guides inconnus, où me conduisez-vous?

Vers la sainte montagne aux pentes arrondies


Tout palpitant d'espoir je cours à m'essouffier,
J'escalade la base en gambades hardies,
Je devine déjà clartés et mélodies,
Un moment - et je vais entendre, voir, parler ....

Et tout à coup je suis seul avec ma méprise,


Seul avec mon silence, avec mon triste poids;
La nuit d'un mal mortel sur mon cœur est assise,
La lyre trop tendue en un sanglot se brise,
Et le pauvre poëte est à terre et sans voix ....

Dorset. Janvier 1866.


l
-1"

JE VOUDRAIS
ÊTRE UN ENFANTSANSSOUCI.

(BYRON.)

Je voudrais être un enfant sans souci


Encor logé dans mon antre d'Écosse,
Fréquent rôdeur au désert obscurci,
Ou le jouet de la vague véloce;
Le faste lourd des nobles us .axons
N'est pas le fait d'une âme libre-née,
Qui se plaît mieux aux âpres flancs des monts,
Aux rocs battus de l'écume obstinée.

Reprends ce nom qui sonore s'épand,


Reprends, ô sort! ce domaine fertile,
Je hais l'esclave autour de moi rampant,
Et le contact de toute main servile.
Replace-moi dans mon rocheux décor
Avec la voix de l'océan sauvage :
Mon seul souhait - pouvoir errer encor
Aux lieux connus, aimés de mon jeune âge.
\

FIBRES INTIMES.

Ma vie est courte - et néanmoins je sens


Qu'il n'est pas fait pour moi 1 ce monde traître;
Ah! pourquoi donc les destins menaçants
Cachent-ils Pheure où l'on doit cesser d'être?
Un jour j'ai yu splendide vision,
Un jour mon rêve enfanta sa merveille, -
0 vrai ! pourquoi ton détesté rayon
M'éveille-t-il sur structure pareille·?

Et les amours? - mes amours ne sont plus;


Les amitiés? - je survis aux plus fortes;
Qu'il est affreux d'avoir ce cœur perclus,
Tout seul avec ses espérances mortes!
Les gais festins ont beau me démentir,
Ont beau chasser un moment ma misère~ -
L'âme s'affole au-devant du plaisir,
Le cœur - le cœur - est toujours solitaire.

Qu'il est donc triste et sec le son de voix


De ceux que l'or, le hasard, la paresse,
Viennent donner, - aimés, haïs, au choix, -
Pour compagnons aux heures de l'ivresse.
Ah! qu'on me cherche un nombre bien réduit
Lié par l'âge et par un même culte,
Et je fuirai la bande de minuit

( Chez qui la joie est un mot pour tumulte.

Gracieux être I ô femme aimable, ô toi,


Mon cher espoir, mon ciel, mon existence 1
Quel vide affreux le sein doit prendre en soi
Quand ton sourire à .s'émousser commence!
Jg VOUDRAIS JÎ:'l'RE UN ENFANT SANS SOUCI. 185

Sans un soupir que je renoncerais


Au faux éclat d'un splendide mal-être,
Pour faire miens quelques bonheurs discrets
Que la vertu sait ou semble connaître.

Je n'en puis plus de tout ce tourbillon -


Je cherche à fuir, non pas à haïr l'homme;
' '
Ce qu'il me faut, c'est un sombre vallon
Où mon esprit cuve son triste somme.
Qui, pour gagner un .ignoré recoin,
Me donnera de la colombe l'aile?
Fendant les cieux, je m'enfuirais bien loin,
Je voudrais fuir dans la paix éternelle!

1863.

\
1
ENCORE
UN GOBELET!
(BYRON.)

Encore un gobelet ! car de toute ma vie


Je n'ai senti tel feu dans ma moëlle ravie;
Oui, buvons! - faut-il pas? puisqu'au désert mouvant
Le gobelet, lui seul, n'est jamais décevant.

De tous les biens d'ici tour à tour j'ai mémoire:


J'ai goûté des rayons d'une prunelle noire,
Oui, j'aimai! - qui n'a pas? - mais quel cœur me dira
Que Plaisir existait Passion étant là.

En mes jours premiers-nés, confiant et tout zèle,


J'ai cru que les amis ne tiraient pas de l'aile;
J'en avais l - qui n'en a? - mais fou qui dit, ma foi,
Qu'ils sont; beau vin rosé, fidèles comme toi!

Le cœur d'une maîtresse a des tournants étranges,


L'amitié vire au vent, - toi seul jamais ne changes;
Tu vieillis! - qui non pas? - mais sur terre où voit-on
L'âge, comme chez toi, cumuler don sur don?
t

. ==
FIDRES INTIMES.
188
l a dispense,
Et même quand l'amour tout ce qu'i
sence,
Nous sommes chagrinés de rivale pré
n'es pas si véreux,
Et jaloux l - quel faux pas! - Tu
s sommes heureux.
Plus tu comptes d'amants, plus nou

printanière,
Quand partent les oiseaux de saison
son dernière;
Nous cherchons le Principe et la Rai
plus sublime vol
Nous trouvons - n'est-cepas?-au
s un bol.
Que le vrai de tout temps habita dan

sur la terre
Quand Pandore eût ouvert sa boîte
ère
Il ne resta, dit-on, à l'humaine mis
sons le gobelet
Que l'espoir - n'est-ce pas? - Bai
r complet!
Et rions de l'espoir, sttrs du bonheu

l'été volage
Longtemps vive la vigne! -Après
re âge;
L'âge du cher nectar échauffera not
pour nos péchés!
Faut mourir !-faut-il pas 't-Grâce
seront penchés.
Au ciel les doigts d'Hébé sur nous

l862.
CHARIVARI.

Mademoiselle, j'ai quelque chose à vous dire.


A voir les cœurs, croirait-on pas ....
Bon, voilà que vous allez rire )
Et me jeter dans l'embarras.

Donc, les cœurs humains, vous disais-je,


Comme cloches rendent des sons;
Et puisqu'en tout l'exemple abrége,
En voici de plusieurs façons. 1
l

Le paysan, l'homme qui pense,


Tout vrai travailleur par destin,
Son cœur est l'airain qui balance
Première messe au grand matin.

L'homme d'affaires qui s'embauche


A tout projet dont il a flair,
Porte, ma foi, du côté gauche,
La cloche du chemin de fer.

------
,!.
190 FIBRES INTIMES.

Le timide et le lymphatique
Ont là quelque clochette à main;
A les secouer qu'on s'applique,
Il n'en sort qu'un maigre drelin.

Le noir despote qui rumine


Les quand, les comment et les où,
A pour le moins quelque machine
Comme la cloche de Moscou.

Pantag, qui tient pour théorie


Qu'il faut se nourrir ici-bas,
C'est la cloche d'hôtellerie
Qui ne sonne que les repas.

Le sot bouffi qui pirouette


Sur sa botte ou sur un bon mot,
N'a pour cœur cloche ni clochette -
Seigneur, gare-nous du grelot.

Le vieu·xblasé qui, sans reproche,


Veut encor s'en mêler pourtant,
Son cœur a bien l'air d'une clocheJ
Mais il a perdu le battant.

Ah, vous riez, mademoiselle,


Et croyez que ce n'est pas vrai;
Que je n'entends pas oagatelle
A l'instant je vous prouverai.
\

11
CHARIVARI. 191

Voyons, permettez que je touche-


De reculer quelle raison?
Je vais donc écouter, farouche -
Bonté du ciel, quel carillon!

Pas de doute - du mariage


C'est la volée,- ah, quel bonheur!
Mettonsnos cloches en ménage,
Je veux bien être le sonneur.

1866.
- --.---.:----·-
._______,,,.......
r-~·.___
t'-'.
S JOURS.
CONNAISSEZ-VOUDES

Connaissez-vous des jours où tous les nerfs rendus


Sont pourtant au plus fort, au maximum tendus,
Et l'on veut qu'ils le soient encore davantage ....
La tristesse envahit, en canaux se partage,
Court à travers le corps en zigzags impudents,
Et l'on voudrait bien mettre aux points interscctants
La main .... Le cœur se gonfle, et puis se réinstalle,
Dix fois, vingt fois, cent fois, avec force inégale ....
On est mal, et l'on jette un grand mépris au mieux ....
Quand on les sent venir, les larmes, dans ses yeux,
On les chasse, et cela pour qu'elles s'amoncellent
Où leur semblera bon. Les moindres bruits harcèlent,
Ils ont comme un dessein, comme une intensité
Qu'on ne leur savait pas, dont on est dépité ... .
On tire ses rideaux au soleil que l'on aime ... .
Ce qui plaît d'ordinaire avec dédain suprême
Est brusqué .... L'on mettrait volontiers l'embargo
Sur tout.. .. Oui, oui, parfois la douleur dit Ego,
Et ne veut que soi-même. . ..

1861f.
13

...
{)

,1

'
ca

SUR L'HERBE.

Asseyons-nous ici. L'été, l'été s'avance :


Le liseron partout s'est remis en honneur,
La mûre des buissons tente déjà l'enfance,
Et les prés vont bientôt rappeler le faneur.
Oui, la terre fidèle à sa courbe excentrique
Persiste à tournoyer sur son même axe oblique :
De Milton ni d'un autre elle ne prend conseil,
Et donne tour à tour chaque joue au soleil,
Au soleil, son amant, - d'autres disent - son père ....

Je l'aime mieux ainsi : la savante chimère


M'a tout ému le sein, je ne sais trop pourquoi.
Quel rêve pour une âme ivre de la lumière :
Pour son berceau prem~er, pour sa raison dernière,
T'avoir; soleil bien-aimé, toi!

Cela doit être ainsi. Qu'est-ce que ce symptôme


Qu'on a coninie étincelle en son cœur vacillant?
L'éclair de passion, l'ardeur sans idionie? .•.
Sinon le souvenir, les restes d'un atome
Jeté hors d'un foyer brûlant!
-1 :;.;..;..:.
<- ♦ ::;

196 FIBRES INTIMES.

e!
Que cet ombrage est frais et que cette herbe est douc
Tout crépite de vie, et j'ai là sous mon pouce
Un monde qui m'émeut à titre différent,
Mais semblable en ce point - que j'en suis ignorant.
l
La vie! Ah, le splendide et l'attristant problème
La vie au bas degré, la vie au rang suprê me,
Et tant de traits communs l La fourmi sous ma main
Porte quelque pensée aussi sur son chemin :
Cet être, comme moi, décrit sa parabole ....
-
Un oiseau, pris d'effroi, bat de l'aile et s'envole

Oiseau, ne t'enfuis pas, reconnais un ami, -


Je n'ai poudre ni plomb ni savants stratagèmes;
Tout être palpitant m'est cousin à demi,
Rt je l'aime quasi comme l'un de nous-mêmes.

Je n'ai pas eu le temps de voir ....


Es-tu la drôlette mésange
Qui jette trois cris de louange
A mars nous rapportant l'espoir?

Serais-tu la bergeronnette
Qui court, qui court, la queue au vent,
Tantôt deçà, tantôt devant
Le bœuf malin, la vache honnête?

Ou le rouge-gorge courtois
Qu'épargne l'écolier lui-même, -
Sans doute pour ton soin suprême
Des enfants perdus, morts au bois?
~~

SUR L'HERBE. 197

Ou bien cet architecte sage,


Ce peintre prudent, le pinson,
Qui flâne l'hiver en garçon
Tant que madame est en voyage?

Oiseau, que t'enfuis-tu? Suis-je pas un· ami?


Je déteste la mort et tous ses stratagèmes,
Le moindre cœur qui bat m'est cousin à demi,
Et je te porte amour comme à l'un de nous-mêmes.

Les bizarres contours dans ces trembles là-bas!


Pardieu, c'est l'oncle Tom avec sa femme au bras :
Crépu, lippu, camus, un vrai buste d'ébène;
Elle en chapeau flambant le suit à grande peine,
Et les voilà gagnant quelque fête ou marché ....
Voilà-t-il pas un couple en bon lieu déniché!
Ma foi, l'on n'en a plus que faire en Amérique .... -
Quelle étape nouvelle en la marche historique,
Quel vieil os à ronger au noir passé perclus,
Quel rouage pourri hors l'humaine fabrique,
Quelle tache de moins, quel triomphe de plus!
C'est cher. Mais il paraît qu'un levain d'injustice
N'est pas, d'aucuns moyens, neutralisé longtemps;
Qu'il faut, quand même faut, que le droit s'accomplisse,
Dût-il en advenir un conflit de géants.
C'est cher. Mais le Progrès n'est pas un char splendide,
C'est comme un grand cuvier trois fois blindé de fer:
Pour en faire sortir une vapeur timide,
Il faut quatre ans dura.nt chauffer d'un feu d'enfer.
C'est cher, mais c'est la loi. Toute vivante idée
A, si l'on cherche bien, sa cicatrice au flanc;

1 j
r
t

198 FÎBRES INTIMES.

La fille tant voulue est enfin accordée,


-
Mais ses langes premiers sont tout remplis de sang ....
J'aime ce grand pays; c'est une immense épreu ve:
C'est notre monde vieux avec une peau neuve;
Je surveille inquiet ses partis, ses dollars,
Son travail colossal, et jusqu'à ses écarts
Sans maugréer jamais. Allez, laissez-le faire,
Ce rameau frais plant,é dans la vaste lumière ....

Que ces prés sont donc verts, de ce vert d'Albion


Que l'on ne trouve ailleurs que par exception;
Mais cette terre crie ainsi qu'une gourmande,
Il lui faut tous les ans riche et choisie offrande.
L'homme s'est bien longtemps sans nul souci repu,
Faut qu'il paye aujourd'hui le cercle interrompu.
Ores sagesse vient. L'Anglais rit à la face
Du Nouveau-Zélandais dont Macaulaymenace,
Mais rit en travaillant au problème lointain.
Périr de défaillance est peu dans son destin,
Je n'en crois rien pour lui. J'ai foi tout au contraire
Qu'il montera toujours, l'astre de l'Angleterre.
J'admire son génie, - etje dois, pour ma part,
Ajouter que je l'aime avec un cœur sans fard :
J'ai reçu son parler presque dès mon enfance,
Une place au banquet de son intelligence,
Aux fréquents jours de deuil un welcometouchant-
t.
Oui, je lui dois beaucoup - et je n'ai que mon chan

Angleterre! Angleterre! en vérité j'admire


Ce mouvement fécond, fissipare on dirait,
Qui détache de toi chaque siècle un empire, -
C '

SUR L'HERBE. 199

Mais te grandit pourtant du gigantesque extrait;


Un empire où l'on a la volonté tenace;
L'union pour le but, - un empire où l'audace
Du libre individu forme tout le secret.

Je ne suis pas de ceux, grande île hospitalière,


Qui riment tes laideurs au premier débotté1
Ou te font la leçon de langue cavalière
Et sans bouger jamais hors de leur vanité.
Longtemps hôte attentif et sans orthodoxie,
Autrement je calcule, autrement j'apprécie
Le rapport du pan sombre au lumineux côté.

On croit avoir tout dit : « Le roi de la matière! »


Anglais, ce nom t'honore et tu l'as mérité;
Mais s'ensuit-il pourtant que tu n'as part entière
Des instincts relevés de notre humanité?
N'as-tu pas le joyau de ta littérature,
Des penseurs tout-puissants dans la double nature,
De sublimes élans de générosité?

Ce qui prête à l'erreur, c'est ton esprit pratique,


Qui, tant qu'il n'a remède, a patience au mal; -
Nous devrions savoir son prix en politique,
Nous les pauvres martyrs entichés d'idéal.
Mais, ne nous plains pas trop, Angleterre superbe 1
De travaux et d'acquis nous avons notre gerbe -
Nous le voulons garder, le don noble et fatal!

Commerçons, Angleterre. Excitons à l'Échange :


La Paix évidemment le veut pour son époux;

>;,.c:i.!!'-ii::=~~~;;.....;;..;;...,;:,..;...~.;...;_;~~..:....~--__,.;.,----~
200 FIBRES INTIMES.

Que chacun serre bien sa nouvelle phalange,


Et qu'on se jette là des regards bien jaloux.
Donnons un digne exemple aux spectateurs immenses,
Pour le bienfait du monde unissons nos tendances,
Sans chicaner la part, toujours complétons-nous!

Angleterre ! un beau toast, comme chez toi coutume :


Un toast au fier îlot sur l'abîme planté;
Un toast à la vapeur, au haut fourneau qui fume;
Un toast au verbe ami sur un éclair porté.
Un toast aux écrivains, un toast aux grandes âmes,
Un toast, mais comment donc! un beau toast pour les dames,
Angleterre, un dernier-c'est pour la Liberté! ...

Quel est donc ce bruit mat et dont mon vers s'effraie?


- Rien qu'un fruit détaché derrière cette haie -
Une pomme qui tombe. Une pomme! - Vraiment
Il faut qu'à cet objet je tourne un compliment.
La Muse le connaît. N'a-t-il, parmi le:; hommes,
Joué notoire part? De ces « Célèbres Pommes »
Que ferais-je donc bien? ... Quelque plat alléchant :
Quelque grande épopée au classique plain-chant.
J'invoquerai d'abord et Vertumne et Pomone -
Je les ferai descendre et parler en personne -
Je crois déjà tenir un truc éblouissant,
Et je cours de ce pas .... Hélas! Phœbus puissant,
Tout s'en va; tes autels sont tombés en ruines,
Et ce siècle sans foi se rebiffe aux machines ....
Tentons fortune ailleurs. Sur tels tréteaux français
Dans de vieux oripeaux on taille grands succès;
SUR L'HERBE. 201

Comment approuveriez vaudeville en musique?


Je crains fort qu'il ne faille un talent mirifique ....
Bornons-nous, triste cœur, au chansonnier quatrain -
't1
Encor trouvé-je pas un passable refrain.

Bonté du ciel, la belle femme


Que voilà donc dans ce jardin!
Pas un jupon, non, sur mon âme, -
De quoi damner un sacristain.
Elle grignote un quart de pomme,
Porte le reste à la maison ....
Voilà, voilà l'histoire en somme,
\ Pour tous les détails voir - Milton.

Il était dans certain village


Une vierge faite à ravir;
Vingt gars la voulaient en ménage,
Mais elle les faisait- courir.
Lorsqu'un Colas des plus ingambes
D'un fameux moyen s'avisa :
Il lui jeta pommes aux jambes -
Et sur-le-champ il l'épousa.

J'ai lu d'un verger fort en vogue


Dont avaient hérité trois sœurs;
On y tenait un bouledogue
Pour éloigner les malfaiteurs.
Un finaud boulette lui glisse,
De pommes il mange son soûl,
Puis se soustrait à la police -
C'est pourtant son douzième coup.
------

202 FIBRES INTIMES.

Au sortir du bain trois donzelles


S'en furent trouver un berger;
- c<Vois cette pomme, n dirent-elles,
<<Donne-nous-en, sans partager. » -
- ccPardine, me la baillez bonne, >>
Qu'il dit, ccpar où donc commencer? >>
Le reste., Homère vous le donne,
Et je n'aurais qu'à l'éclipser.

Il me revient dans la mémoire


Odin, un grand-duc allemand;
Ses soldats - tout porte à le croire -
Se faisaient assommer gaîment,
Car aussitôt leu.r mort ces hommes
S'en allaient en lieu de gala,
Où l'on servait de cuites pommes,
De la bière en veux-tu voilà.

Un sorcier qu'au loin on renomme


Plantait des choux dans son jardin,
Quand du ciel lui tombe une pomme
Avec ce billet anodin :
<<Le soleil, pris de fièvre tierce,
cc Appelle la terre en ses bras,
cc Mais la terre à la chose adverse

r cc Dit à la lune: T'en vas pas! >>

Un tyran sur place publique


Fait amener certain Tircis :
- ccKerl, bois cet acide prussique,
cc Ou j'abats la pommeà ton fils ! - >>

---
7 \

SUR L'HERBE. 203

L'enfant expert en manigance


Se mit une tête en carton, -
Les Autrichiens n'ont pas de chance,
- Mais l'autre en veut aussi, dit-on.

A poursuivre je serais homme,


Mais je vois le fond du panier;
Si connaissez une autre pomme
Donnez-en donc au chansonnier.
A ceux qui hantent les coulisses
De la grande érudition,
J'offre une part des bénéfices
De la seconde édition.

C'est bien un autre bruit : c'est la locomotive


Qui, ci-près détachée, en se jouant arrive,
Piaffe, souffle, renifle, et des pieds de devant
Lancedes jets moqueurs pour défier le vent.
Je ne me lasse pas d'une joie enfantine
A voir se démener la sorcière divine,
Les esprits infernaux par un homme régis ....
Éperonnons un peu la folle du logis,
Et soyons indiscrets à l'instar d'Asmodée .•.•
Des larmes plein les yeux, cette femme accoudée
A quelque front de mort marqué sur son sein noir.
Ce matelot en face a cru bon de s'asseoir :
li n'a rien, celui-là, qui sente le mystère, -
Il a fait, verre en main, ses adieux à la terre,
Pour aller voir Dieu seul assis sur !'Océan.
Celourdaud va grossir une vente à l'encan :

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1

~
20'1 FIBRES INTIMES.

Sur le crâne un chapeau, des écus dans sa poche,


Il jase et prend la part de la mouche du coche.
Le souci dans les traits, où vont ces émigrants?
Ils sont six : père, mère, et deux fils déjà grands -
Les deux autres, petits, assiégent la fenêtre;
Ils vont, las d'incertain, affronter le peut-être -
Pauvres gens, bonne chance en ces lointains climats 1
Ce jeune homme se plaint que l'on n'avance pas;
En son gousset il froisse on croirait une lettre.
Ce vieux s'épanouit à chaque kilomètre :
Il m'a l'air, entre nous, d'un époux échappé-
Laissons-le. Dans le coin ce gros enveloppé
Prend vingt-cinq fois à l'heure une mine rendue :
Il cherche une santé qu'il n'a jamais perdue.
Ce commis voyageur est frais, dispos, heureux :
Il a tout ce qu'il faut - ventre plein, esprit creux.
En face, par contraste, est une gouvernante,
D'âge moyen, modeste, et de tous points charmante:
Une dame de droit, autl'e chose en effet,
Elle vend tout bonheur de la vie à prix fait.. ..
Passons vite. Au wagon de la première classe
Quel est ce beau monsieur qui fume et se prélasse?
Un diplomate en herbe allant à l'étranger
Jongler avec deux mots et virer sans changer.
Ici c'est un banquier - serviteur plus utile :
Commetout parle en lui <lecentaines de mille 1
On le respirerait! Une combinaison ....
Mais je rêve sans doute-?Ai-je bien ma raison?
En chair, en os, c'est lui! Que fait-il hors de France?
Je le tiens -- vous allez faire sa connaissance :
Permettez-moi, lecteur, de vous le présenter.
Il n'a rien, à l'abord, de quoi le mériter.

"tn
SUR L'HERBE. 205

Il n'est ni beau ni laid; d'expression commune.


Parlez-lui. Ne craignez que cela l'importune :
Il se pique de dire, et 'longtempE>parlera
Du ciel et de la terre et force et cœtera.
Quand il vous croira mûr et selon son attente,
Il vous décochera quelque pointe impudente,
Et s'il découvre usage en votre aveu surpris,
Vous recevrez son nom, son. adresse à Paris.
Vous l'avez oublié - lorsqu'une circonstance
Vous fait heurter l'esprit à sa. grande parlance,
Et vous allez. De suite il vous reconnaîtra,
A dîner sans façon il vous invitera.
Vous serez enchanté de l'aspect de la table :
Une femme de sens, aussi simple qu'aimable,
Et des enfants nombreux, des enfants ravissants
Qu'au dessert il prendra dans ses bras caressants.
Tout apparaît au mieux. Il est propriétaire,
Remplit dans son quartier quelque poste honoraire,
Court la messe au matin, jure par Monseigneur,
Et de noms haut placés se fait modeste honneur.
Un ordre, on ne sait quel, rougit sa boutonnière ....
Eh bien! c'est un monsieur d'espèce avant-dernière.
Les gens de son métier l'appellent dangereux,
Maisles loups, on le sait, se respectent entre eux.
Je dis de son métier, mais la langue me pèche -
Son métier? De tout bois faire au moins une flèche.
C'est ceci, puis cela. Pour gagner de l'argent,
Tout marchepied est bon, tout moyen engageant -
Tout moyen que la loi n'a pas écrit coupable.
Et c'est là sa laideur: il n'est pas vulnérable,
Maisau tour le plus bas et le plus éhonté,
Juriste, il a pour soi pleine légalité.

-""'IISZ::r
206 FIBRES INTIMES.
Enfin c'est un faiseur d'inénarrable sorte :
Où l'adresse faillit, l'aplomb toujours l'emporte.
S'ingérant de plain-pied, au travail acharné,
Et l'esprit tout entier du but présent borné,
11court en culbutant qui se trouve au passage.
De rien, il a de quoi - monter à l'abordage.
Hors son coin de foyer, le monde n'est pour lui
Qu'un fécond réservoir à harponner autrui.
Il n'a le moindre sens de tout ce que l'on nomme
Art, vrai, beauté, plaisir, ou passion chez l'homme;
Hors après le dîner quelque grivois propos,
Il ne se donne pas un instant de repos.
Au labeur, aux efforts, sans pitié pour lui-même,
Je vous laisse à penser s'il épargne et s'il aime
Le malheureux poisson vers ses filets porté.
Au mieux, faut redouter son importunité.
Mais lorsque, au mauvais jour, il vous passe la chaîn
e,
Faut voir comme il profite, il faut voir comme il mène
,
Et comme il vous pressure, et, le cas échéant,
Comme il couvre l'épine ou le gouffre béant.
Réussissez pour lui, sans mesure il vous flatte;
Maisque vienne l'échec, et son humeur éclate ;
Et quand vous lui prouvez dans cette erreur sa part,
Sur tout vous~même il porte un rapide regard,
Il fait arme de tout pour achever la crise,
Et, fussiez-'vouspetit, il vous lâche et vous brise ....
Il se peut cependant qu'en enfant curieux
Vous vous leviez de terre et le suiviez des yeux -
Vous êtes atiiré comme on l'est par l'abîme.
Un signe, - il vous accepte encore pour victime.
Il vous reste du sang? Vous êtes de son goût.
~fais vous le regardez du haut de votre cime,
l

SUR L'HERBE. 207

Vous le voyez le même et toujours et partout)


Et vous abandonnez l'étude de dégoût.

S'agit bien de cela l Je suis venu sur l'herbe


Pour lire et méditer, non tourner à l'acerbe.
Et d'ailleurs à quoi sert? Qui veut peut me trahir :
Je ne suis bon à rien, non pas même à haïr ....
Viens) mon pauvre Shelley, meilleure est notre entente:
J'admire ton beau feu, ta veine palpitante)
Et si ton œuvre pèche et force à raturer,
La faute en est au vent qui t'a fait chavirer.
La poésie anglaise a quelques fronts étranges!
Des embryons divins, des hommes dans des anges,
Météorites qui, s'égarant dans notre air,
Meurent au dur conta.et en jetant un éclair ....
Quelstrésors pour le vers aux mines teutoniques !
Point de sons sexuels ni de tyrans logiques,
Et l'on envierait presque à l'Anglais, l'Allemand,
Leur abondant parler et leur bel instrument.
1· Nous sommes peu doués : notre lyre ei,t ingrate;
L'air nous manque souvent et l'émotion rate;
Et l'on a beau brûler dans la conception)
Il faut prendre une douche à l'exécution;
Commesi ce n'était assez de ce déboire,
Voicique l'on nous sert, fiche consolatoire,
L'assonance à tous crins. Eh quoi l vous enlevez
Un lien à la forme, et de suite rivez ,
Une menotte en place? En vérité, c'est faire
Un peu beaucoup d'honneur au simple syllabaire.
Sans compter qu'il n'est pas le moins du monde sûr
Que le riche rimer soit tout miel, tout azur.
FIBRES INTIMES.
208
le contraire est notoire.
Je prétends qu'en maint cas
rien d'obligatoire,
Je sais bien que ce point n'a
iles à classer,
Et que certaines gens, fac
voir su s'en passer.
Se sont pas mal trouvés d'a
me la pensée
Mais c'est contagieux, et com
que l'erreur soit tancée.
En souffre, - sans façon
he à d'autres traits;
M'est avis que la rime est ric
à des biens plus discrets :
M'est avis qu'on s'efforce
de la cheville,
Césure moins en l'air, haine
et la fille....
Diction du penser et l'image
loir: fort obligés!
Vous dites qu'il faudra vou
quand vousdécouragez ....
Je crois bien qu'il le faut,
ésie est morte ....
Et l'on viendra crier que Po
où ma bile s'emporte!
C'est encor quelque chose
le est votre foi,
Ne dites pas cela! - Si tel uoi.
dre en même temps pourq
Veuillez donc nous appren s?
nque aujourd'hui des poëte
Vous plaignez-vous qu'il ma s,
Mais, ingrats que vous ête
Parlez-vous tout de bon?
st un gratuit affront.
Aux quarante ans échus c'e
qui lui correspond
Montrez l'époque égale et
. Toute une immense face
En germes comme en fruits
cle de grâce ;
De poésie est née en ce siè
le faux est exilé,
Le guindé n'en peut plus,
s est filé;
Avec la passion le beau ver
grande nature,
On s'est mieux saturé de la
que créature,
On a parlé sa langue à.cha
diant son cœur,
Et l'homme davantage étu
sère et splendeur.
En a tiré des chants de mi
l'attention est morte :
- Du public, direz-vous,
e, et le torrent emporte.
On vend, on forge, on jou
mon assentiment,
Le vendre et le forger ont
siste l'argument;
Mais je ne vois en quoi con
SUR L'HERBE. 209

Car s'il est plus d'esprits esclaves des affaires,


Combien plus, en retour, d'appelés aux lumières!
Je sais que le pays à cette heure est saisi
D'une fièvre maligne et d'un sens raccourci,
Mais au premier coup d'œil la cause en est notoire;
Bien que terrible, elle est simplement transitoire,
Et je n'y vois matière à sonner notre glas.
De ces nouveaux amours nous serons bientôt las.
Sur ses pieds on retombe en notre belle France,
Chez nous toujours ressource et toujours espérance.
- Est-ce que par hasard nous sommes trop savants,
Et serait Poésie un jeu propre aux enfants?
Quel fat l'ose appeler fille de l'ignorance?
A l'aurore, on le sait, remonte sa naissance;
Elle fut l'art premier et tout l'enseignement,
Maisje la sens aussi le dernier complément
De tout ce qu'on saura; le mot final du sage;
Du dernier fait - ailleurs le suprême passage :
Fidèle à son début redevenue autel.. ..
Ah! le thème est immense autant que solennel!
Quelle qu'en soit l'issue, il échoit à notre âge,
Je maintiens, un plus grand poétique partage :
L'univers agrandi de ressorts merveilleux,
Le monde social et ses travaux pieux,
Le progrès - un ferment, l'idée - une cohorte ....
- Ah ! ne me dites pas : la Poésie est morte!
Ne dites pas cela! conseillez donc plutôt
Lorsqu'à vous satisfaire on se trouve en défaut.
N'est-ce pas qu'il faudrait rechercher davantage.
L'aisance dans la rime et le vrai dans l'image?
Moins d'efforts avoués, plus de correction
Au plan comme aux détails : si la perfection
1i.
210 FIBRES INTIMES.

Devait abandonner les champs de poésie,


Dans quel œuvre veut-on qu'elle se réfugie?
L'art des vers, malgré tout, est le seul art complet.
C'est plus qu'un son puissant, c'est plus qu'un beau reflet:
Sentiment et raison conjoints dans l'harmonie ....
Dites que la cheville est indigne et honnie ;
Dites qu'il faut chasser d'un doigt non timoré
Maint trait fort bon en soi mais longtemps défloré.
En la nature, au fait, que de veines nouvelles
De francs rapports exquis et d'images fidèles !
Le vrai! plus que jamais c'est là le réservoir :
Jeune il faut s'y plonger - se taire - et puis vouloir.
Les premiers sentiments ont certes leur empire -
Mais qu'on se hâte peu, qu'on vive avant d'écrire.
Et non pas seulement du pauvre souffle à soi,
Mais de son siècle entier qu'on incarne la loi -
Qu'on vive son savoir, sa soif, sa jouissance,
Qu'on soit ainsi qu'un chiffre à millième puissance ....
Poëtes, c'est cela : faut vous multiplier;
Faut de votre cerveau faire un grand encrier
Où vous aurez versé l'essence des idées
Que le temps patient a pour l'heure exsudées....
Votre cœur, étirez ses fibres en tous sens,
Présentez-le sans peur aux terrestres passants
Ainsi qu'on fait en jeu la harpe d'Éolie ... .
Savoir avec aimer : c'est là tout le génie .. ..
Le savoir et l'amour sont plus grands aujourd'hui,
On tient le minerai, comme un éclair a lui ....

Ah! ne dites donc pas : la Poésie est morte 1


Qui lança ce décret ?
SUR L'HERBE.

Une phrase banale aisément se colporte -


On vous croirait -
On sourirait.

Autant dire, autant dire aussitôt que la terre


N'est qu'un cerceau de lois;
Que l'Océan, les monts, ont perdu leur mystère,
Et que les bois
N'ont plus de voix.

Autant dire aussitôt qu'il n'est pas de prophète


A l'aurore, au bourgeon;
Et que la voûte bleue où nous levons la tête
N'est q1:1'undonjon -
Un badigeon.

Autant dire aussitôt que la nuit constellée


N'importe qu'au compas;
Qu'en y plongeant longtemps son âme découplée
,
Ailes et pas
On n'entend pas.

Autant dire aussitôt que la terrestre épouse


N'est qu'un charmant contour;
Que ment la Passion désireuse et jalouse,
Et que l'amour
N'est que d'un jour.

Autant dire aussitôt qu'aux boucles de l'enfance


Il n'est pas un parfum;
FIBHES INTIMES.
212
s'élance
Ou que la fleur n'a pas un soupir qui
Quand importun
Vient l'heur commun.

nd même
Autant dire aussitôt que la bonté qua
N'a rien de quelque Dieu ;
tagème,-
Qu'Espérance n'est plus le béni stra
Qu'un autre essieu
A pris son lieu.

immense
Autant dire aussitôt que le Travail
N'est qu'un fatal tribut;
de démence,
Que l'amas Je Richesse est un fait
Et non l'affût,
Non le salut.

ousiasme
Autant dire aussitôt que chaque enth
A des trous dans le flanc;
nasme, -
Que parler d'avenir est un gros pléo
Qu'il aura rang
Aux pleurs, au sang.

larer en somme
C'est assez, - autant vaut nous déc
Que nous naîtrons mort-nés,
x du nouvel homme
Ou bien que tout au moins les yeu
Seront bornés
Du bout du nez.

est morte!
Ah! ne nous di tes pas : la Poésie
D'où vous vient ce décret?
orte -
Un mot même banal une tristesse app

1lilllw
:± S :...!h -a S ..., :..;:_;::;;;c..?: 4 lOCti!t(T:.iC¼AQ-~..,_.

SUR L'HERBE. 213

Au for secret
On pleurerait.

Un volume d'histoire t un de biographie!


Quel chargement! - L'histoire! oui-da, fou qui s'y fie!
C'est tout au plus les faits et gestes de certains,
Et la masse est noyée en ces gloutons destins.
Destinsvient à propos, car sa faute prochaine
Est bien de négliger la maille qui s'enchaîne,
Et d'avoir dépensé ses châssis et son art
A mouvoir devant nous des pantins du hasard.
En son aveuglement ou son cant elle n'ose
Chercher au fait moral une physique cause,
Et le physique a tant de grands secrets en soi ....
ll faudrait tout refaire, et l'on n'a pas de quoi.
Aujourd'hui, quand on veut palper un peu l'artère,
JI faut forer un puits incroyable sous terre,
Ou bien, comme un géant à cette heure le fait,
Percer flot après flot l'abîme stupéfait,
Et là, dans les débris et la nuit pêle-mêle,
Pêcher le câble fin où courut l'étincelle ....
- Biographie! oui-da, c'est fort encourageant
A se faire souci de cette humaine gent.
Aux martyres des bons que de lignes communes !
Ou verra donc toujours ces âmes importunes
Qui ne peuvent s'asseoir et jouir en repos ....
Je crois me souvenir d'un trait à ce propos;
Je n'en sais plus l'auteur; s'il me voit, je l'en prie,
Sans façon et tout haut: au voleur! qu'il me crie.

JI survint en royale cour,


Un barde incomparable :
2Ul FIBRES INTIMES.

Il demandait pour ce seul jour


Un petit coin à table.
Rien n'égalait sa clef de voix,
Et la souplesse de ses doigts,
Et son_grand œil aimable.

Il tend sa lyre de son mieux


Pour qu'au prince elle plaise,
Et chante doux comme les cieux,
Brûlant comme fournaise.
Il variait rhythme et sujet. ...
Mais le monarque ailleurs songeait,
Ou bâillait sur sa chaise.

Le monarque aimait coffres-forts


Pleins de jaune monnoie,
Banquets chargés jusques aux bords,
Grands vins, filles de joie.
Et se levant avec dépit,
Il étira ses bras et dit :
cc A table, qu'on m'en croie! »

« Mes bouffons ont mes égards grands,


J'aime la pirouette;
Je sais louer quand je comprends,
Quand je ne puis - c'est bête.
Qui m'a donné cet ennuyeux
Avec son front virant aux cieux -
Hors d'ici qu'on le mette! ii

Il dit, et se passe au menton


SUR L'HERBE. 215

La fine serviette,
EtIDaintes fois de l'échanson
La main sur lui s'arrête.
Puis il reçoit marchands, soldats,
Prêteurs, ·flatteurs de tous états -
Chacun eut sa requête.

Cependant le barde banni


Aux bois sombres s'égare,
Et bientôt la mort eut fini
Son traitement barbare.
Le roi s'en essuya le cil,
« - C'était un grand barde,» dit-il,
« Et son espèce est rare. >>

« Qu'on le proclame en or, en feux,


Que son nom ne succombe;
Ses restes auront, je le veux,
Royale catacombe :
Que dans le marbre artistement
On taille un riche monument,
Qu'on en orne sa tombe. »

0 monde ! toi, traites ainsi


Plus d'un fils de lumière;
Tu mens avec ton faux souci
De quelque heure dernière;
Là-haut vont-ils donc dire en vain:
- « Quand nous lui demandons du pain,
Il nous offre - une pierre. »
_____
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0

216 FIBRES INTIMES.

Mais à propos de pain, bon Pégase, en arrière!


Cette herbe n'en peut mais, gémit la ménagère,
Et pour gronder déjà l'appétit un peu sourd
Voici que l'épagneul en ambassade accourt., ..

Sudbury. Aollt 1866.

·I

l '

-
LE LIÈVRE ET SES AMIS.

Un certain Lièvre - ainsi Gay nous le narre -


Aimable, attentif, obligeant,
S'était fait bien venir près la diverse gent
Quibroute dans la plaine ou dans les bois s'égare,
D'offenser il se gardait bien,
. Il ne demandait jamais rien,
Et chacun d'assurer l'amitié la plus rare.
Or, il sortait un beau matin,
En quête de cytise ou thym,
Lorsque arrivent à ses oreilles
Des clameurs nonpareilles.
Il part, il fuit à tous jarrets;
Par moments, il s'arrête exprès,
Double ses pas, de courbes les embrouille,
Et jure aux chiens bredouille.
Enfin, à court de souffle et de vigueur,
Il tombe à demi mort de peur.
Qu'onjuge du transport de sa pauvre âme émue
Quand le Cheval frappa sa vue. l ,
- « Ah! prends-moi sur ton dos,
« Car mes pieds me trahissent, -
<< Pour l'amitié point de fardeaux -
,c:;;:;,~""'""'-- ....... ----------~-- ....... ---·

218 FIBRES INTIMES.

« Que nos liens s'en affermissent! - »


Le Cheval lui répond : - cc Mon pauvre petit chou,
« Il me peine beaucoup
,c De te trouver en si triste occurrence,
cc Mais prends du cœur, aie espérance,
cc Aide s'avance. - »
Sire Taureau se récuse· à son tour : -
« Dans tout cet alentour
« Il n'est bête sans pouvoir dire
« Le bien que pour toi je désire.
,c Qui pourrait t'aimer à demi?
cc Il me faut donc agir sans façon, en ami.
c, L'amour m'appelle : une vache mignonne
« M'attend près la meule là-bas,
cc Et lorsque le sexe est en cas,
« Tu sais, mon bon, tout s'abandonne.
« Certes, j'aurais souci
cc De te laisser ainsi,
« Mais la Chèvre vient par ici
ccEt je la sais bonne personne. ,i -
La Chèvre avait le pouls très-haut,
L'estomac n'allait p~s, l'œil était en défaut;
- « Mon échine d'ailleurs maigrement s'échafaude, »
Dit-elle, « et voici mieux, - la laine est douce et chaude. » -

1/ La Brebis était faible : elle pouvait au plus


l
Porter les poids à ses flancs suspendus;
\
Elle était lente; elle avouait ses craintes,
Ayant goûté morsures maintes.
Le Veau s'approcha. guilleret.
De bon vouloir il ne fit pas secret ;
- « Mais, » dit.il, « ma jeunesse tendre
,, Irait pareil cas entreprendre?
LE LIÈVRE ET SES AMIS, 219

"A plus dignesrevient une telle action;


c< De ma part ce serait pure présomption,

cc Et comment m'en défendre?


« Veuillezdonc m'excuser. Au moins ne doutez pas
ccDemon cœur. Ah ! la vie a de rudes combats,
cc De pied ferme il faut les attendre.
« Croyezà mes regrets. Adieu, portez-vous bien,
« Je vois tourner le premier chien. - >>

1863.
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ViPRES ET MATINES.
'I

Oui, je me plais parfois à hanter les 'églises,


Et vous? - Mais à quoi bon? Nos longues analyses
N'ont-elles pas dûment dissous, décomposé
La Foi? N'a-t-on pas tout et plus encore osé?
Se peut-il concevoir puissance galvanique
Capable de souder en ensemble organique
Les éléments épars, connus, étiquetés? -
- Les choses ont cet air. - Alors, vous vous jetez
Dans quelque belle humeur bordant la moquerie?
Ou bien allez frapper d'une plainte ahurie
Des pans de murs croulés, désormais sans échos,
Et pleurer au hasard en vous payant de mots? -

- Non, non, je ne vais pas gémir sur des ruines,


Ni lancer au passé doléances chagrines;
En leurs sites maint trait est fait pour m'arrêter,
Mais, au second coup d'œil, je m'en veux écarter.
Non,je n'ai nul désir de remonter ces pierres,
Ni par un faux éclat d'éblouir mes paupières.
Ce serait puéril : l'apparente beauté
A râlé ses secrets; elle a par trop coûté.
222 FIBRES INTIMES.

Je suis fils de mon jour : au vrai ma déférence,


Dût ce vrai m'imposer la plus dure souffrance!
Je préfère un sol nu que l'herbe vient vêtir
Au plus bel édifice où le beau sait mentir.
Quant à la moquerie, - ah! parfois, je l'avoue,
Quelque chose de tel me vient plisser la joue,
" Quand portant mes regards dessus l'humain troupeau
Je le vois échanger, comme un serpent sa peau,
Bêtise pour bêtise, et n'avoir pas de cesse.
Mais l'éclair moqueur brille en un fonds de tristesse
Qui m'est venu de voir le cercle vicieux
Où l'homme se ramène au superstitieux.
D'un vin grossier il faut que son âme se soûle.
C'est à désespérer. Jetez donc à la foule
Un principe complet, le plus saint, le plus pur,
Applicable à chacun et nullement obscur,
Puis attendez un peu l'arbre de la semence : -
Ils grefferont dessus le fruit de leur démence;
Ils trouveront moyen, et cela sans retard,
De loger à son ombre et l'abus et l'écart;
Ils trouveront moyen, par l'art d'une figure,
D'unir parfaitement ce qui semblait s'exclure;
Ils dresseront cent trucs ·et force épouvantails,
Oublieront le grand point pour se battre aux détails,
Et, lâchant tout l'esprit pour la grossière forme,
En viendront par degrés au saut le plus énorme.
Celui-ci, par amour, massacre son pareil,
Et, pour sauver son âme, ébranle le soleil;
Cet autre, un esprit fort, réformateur tenace,
Voit le diable et lui jette un pot d'encre à la face;
Ces gens-îà, ses cousins, insulaire tribu,
Se séparent en bloc d'un culte corrompu,

L.._
.VÊPRES ET MATINES. 223

Et, gardant pour seul dieu la Pauvreté Sublime,


Vont à quatre chevaux et grignotent la dîme;
L'Utah avec Stamboul se rencontre soudain ....
Ah! non, rire on a beau, ce n'est pas si badin
D'avoir pour ennemi cet obstiné mystère
Qui, dans l'espoir d'un ciel, tient l'homme à ras de terre.
Il lui faut son erreur, il lui faut l'ancien veau,
Seulement il lui met quelque ornement nouveau.
Quand il s'agit de l'âme, ah! qu'elle est fine et rare
La ligne qui le vrai de l'absurde sépare 1
Le plus triste est qu'ici le bête a du penchant \
(C'est assez sa nature) à tourner au méchant.
Aussi suis-je saisi d'une folle colère
De voir ce que produit ce tic d'un formulaire
Pieux, religieux, - ce saint entêtement
De donner au Credo fixe linéament,
Ce divin parti-pris, ce céleste ostracisme,
Ce leurre plein de soi, cet étrange strabisme,
Cette ornière où l'on vient à nouveau s'enrayer ....
Et, m'égarant aussi, je voudrais balayer ....
Maisje songe après tout que lente est notre marche,
Que le Vrai, l'Éternel, voguent là-bas dans l'arche,
Que ces autels d'essai, quoi qu'on en ait parlé,
Ont eu des cœurs naïfs, ont parfois consolé,
Ont fermé la paupière aux minutes augustes ....
Et la merci nie prend pour l'amour des diœ justes!

Depuis cent cinquante ans ne court-il pas le bruit


Que le ciel se déserte et que la Foi s'enfuit? ...
Avant que de savoir comment on doit le prendre,
M'estavis qu'il faudrait préciser et s'entendre.
!.
1
FIBRES INTIMES.

d'abord
Tant mieux, si c'est la foi qui récuse
le apport;
Le grand outil du vrai, notre plus nob
boles,
La foi dans la vertu de prétendus sym
Dans l'efficacité d'un ordre de paroles;
chargé,
La foi qui fait qu'un tel, de hontes tout
ge allé gé;
Dans la foule et sa boue à neuf plon
re
La foi qui par la ruse amène au baptistè
de la· terre ...
Et voit l'entrée au ciel dans un coin
à tous crins,
Tant mieux, si c'est la foi, chicaneuse
verains;
Qui couve jour et nuit ses feuillets sou
ramasse
Qui dans tous les milliards pieusement
grâce;·
Quelques rares élus, les touche de la
is,
Qui de la fin du monde a le savoir préc
x réci ts,
Gourmande la science avec de vieu
prétextes,
Pour dire blanc et noir trouve toujours
es;
Et pose le salut à cheval sur deux text
main
Libérale d'ailleurs et vous lâchant la
son petit chemin.
- Pourvu que vous marchiez dans
foi dogmatique
Tant mieux, tant mieux si c'est toute
t optique,
Qui persiste à garder son même poin
Qui se bute obstinée à son identité,
.
Et se berne orgueilleuse en sa finalité
croire;
., La règle est absolue - il suffit de la
1
n en ait la mémoire;
Le cadre est strict et clair - qu'o
,
Lamoindre expansion à l'erreur aboutit
dit, tout est dit.
Le code est bien complet, - tout est
c'est un blasphème!
Non, non, tout n'est pas dit; non, non,
problème;
L'homme ne fut jamais au bout de son
ment.;
L'humanité n'a pas tout son enseigne
ent.
La Vérité n'est pasJentière en ce mom
ace
Finalité I Mais là, se peut-il qu'on grim
à la face?
Au point de ne pas voir ce qui saute
Vf:PRES ET MATINES. 22f

Le sus à l'immédiat, le zèle outré du mien,


Le recours sans vergogne au plus proche moyen;
Les préjugés, le fiel, la haine qui divise
Races, classes, - et puis un tant soit peul' Église;
Les longs gémissements, les fers, la cruauté,
Le travail sans merci, l'abjecte pauvreté;
De la honte et du mal les constantes recrues;
Nos tribunaux le jour, et vers le soir nos rues ....
Finalité! C'est là l'ultième expression?
Quoi c'est là, quoi c'est là la consommation? ...
Ah! si c'est cette foi qui s'enfuit à cette heure,
Tant mieux, qu'elle s'en aille, ah! tant mieux, qu'elle meure!

Mais il est une Foi, de longs travaux le prix,


Qui graduellement émerge des débris :
Pareille à ces îlots, corbeilles corallines,
Qui montent au soleil des profondeurs salines.
Une Foi toujours fraîche et toujours de saison,
Car elle a pour appuis le cœur et la raison.
Commele sol nouveau que le polype affleure
Elle attend par degrés une flore meilleure.
Elle sait que tout change, et que l'expansion
Detout notre univers est la condition;
Que mainte vérité, sans réplique fût-elle,
Prend selon les milieux une face nouvelle ;
Que la formule cède et craque avec le temps
Sous le flux plus pressé de la sève au dedans.
L'obscur, le statuquo, lui sont antipathiques,
Et sa profession a des teintes pratiques.
Sans vouloir dépouiller l'homme de son espoir,
Elle ne prétend pas tant et plus en savoir
15

,,,,.,.
~ . .....

226 FIBRES INTIMES.

re;
Sur la tombe et le ciel et la forme futu
e
Elle ne remet pas à lointaine aventur
ici:
L'entier achèvement de ce qu'on rêve
d souci;
De cet éclair terrestre elle a plus gran
me on souffre,
Elle voit comme on pleure, elle voit com
gouffre
Elle voit par milliers s'abîmer dans le
e à leur flanc
Des spectres cachant mal quelque plai
de leur sang 1
Et laissant aux rochers des lambeaux
, elle plaide
Et, sans cesse en alerte, elle cherche
ède.
A tous les carrefours guérison ou rem
Car de cette foi-là le signe distinctif
ur excessif
C'est d'aimer, oui d'aimer d'un amo
e terre
Tout ce qui n'a reçu sa part dès cett
ctère
De vie et de bonheur; son autre cara
Est de se refuser à souscrire au marché
ché
Qui veut que l'affreux mal ici soit atta
ance.
A toujours, et qu'après se paîra la b:il
rance.
Sans nier tout le fait, plus près son espé
t
Elle ne prétend pas déterminer le poin
disjoint,
Auquel le mal de nous par nous sera
sur !'Échelle
Mais elle sent bien net qu'avançant
belle,
La Terre se fera cent fois au moins plus
on,
Qu'on verra s'accomplir plus d'une visi
son rayo n ....
Que plus d'un recevra sa note et
le que vaille,
C'est son instinct sublime. Aussi, vail
aille,
Elle se tient à l'œuvre, elle pense et trav
as,
De ses efforts perdus ne fait aucun frac
quiert pas.
Et s'il est récompense ou non ne s'en
rce,
Elle n'a pas besoin de la vulgaire amo
force.
Et dans ]e dévouement elle trempe sa
:
Triste, elle se rejette en l'adoration
Lafouille aux faits, aux lois, de la création, -
vJ;:PRES ET MATINES. 227

Car il lui semble clair que très-mal on honore


Un auteur en louant un livre qu'on ignore:
Louer sur reliure est faible assurément.
D'autre part, la matière au mixte agencement
De bienfaits et de maux est la grande réserve :
Terrible à l'ignorant, soumise à qui l'observe.
Le remède est souvent tout à côté du mal.
La Foi prend la Science, - à l'alambic moral
Apporte le fait brut, et, joyeuse, distille
La beauté de la force et le bon de l'utile.
Elle pense et travaille, appelle l'examen,
Prend tous les ouvriers, et tend à tous la main.
Sur l'autel inconnu cette Église s'engage
A chercher aux enfants un meilleur héritage;
A suivre dans ce but, de ferme volonté,
Deux lignes de pur or: lumière et liberté, -
Et dans un angle saint qui déjà se devine
Paraîtra le bonheur, résultante divine ....

A hanter quelque église, oui, je me plais parfois;


Un délire m'y prend, il m'y parle une voix
Qui vient je ne sais d'où, pourtant pas de ce monde ....
Et quand l'orgue gémit plain te douce ou profonde,
Je sens grandir mes yeux, mon cœur se délier -
Puis, j'ai comme un désir de prier, de prier ....

0 Christ! ô Fils de l'Homme! au milieu de la crise


Où nous sommes forcés de changer, de trier,
Nous acceptons d'un trait ta céleste prêtrise,
Et personne de nous ne veut te renier;
ei--'1JF4tf!:,111 •»:,:;:;:;.ec;.:. --.
!

FIBRES INTIMES.
228
sont faites;
Dans le jour de ta croix des étapes
lleur dessin ;
Les peuples sont groupés en un mei
bêtes;
On ne voit plus jeter des esclaves aux
ain.
Sur la route a passé le bon Samarit
orte
Notre reconnaissance au Calvaire rapp
élément:
Mainte force vivante et maint pur
vertu sorte
Il est bien vrai, Jésus, pour qu'une
ment.
Il suffit de toucher à ton saint vête
victime,
Mais il est aussi vrai, débonnaire
cercle étouffant;
Que des zélés t'ont fait comme un
sublime,
Mais il est aussi vrai que, ton penser
enfant.
Le monde jusqu'ici l'a compris en
e est finie,
Car pourquoi disent-ils que la pag
tscrit?
Qu'il ne faut hasarder rature ni pos
e idolâtrie,
Pourquoi ce dieu de chair, cette autr
esprit? ...
0 Maître qui nous dis d'adorer en
s'évapore
De nos lits de douleur mainte âme
cieux réjouis, -
Au matin, lorsque l'aube est aux
tant d'aurore,
Ainsi d'eux, ils n'ont pu soutenir
éblouis.
Et devant ta splendeur sont tombés
ais ta grande âme
N'est-ce pas, ô doux Christ, que jam
pris ainsi
N'a cru tout achever) - ne l'a com
du bois infâme,
Quand, à l'heure dernière, en haut
ci?
Tu jetas vers le ciel ton suprême sou
ne peut être
N'est-ce pas, n'est-ce pas, que cela
tion?
La fin? Eh quoi: toujours la malédic
ns voir paraître
N'est-ce pas, n'est-ce pas, nous allo
n?
Comme des compléments de révélatio
ouvrir nous-mêmes
N'est-ce pas qu'il nous faut les déc
ense amour?
En trempant notre peine en ton imm
les problèmes,
N'est-ce pas qu'il nous faut remuer
ps qu'il fait jour?
Qu'il nous faut travailler si longtem

-
:u, , ew - :c:c;;. w

Vl':PRES ET MATINES. 229

C'est lent, bien lent, ô Frère! Ah I l'idée en dépense


Du temps pour s'éclairer et pour faire le tour!
Enseigne-nous, ami, ta sainte patience,
Et donne-nous surtout de !'amour, del' amour!
0 Christ, ô Fils de l'Homme, ah! quel sein te rejette,
Toi, parfum du passé, toi, notre cher espoir, -
Ainsi deux beaux points d'or, pourtant·même planète,
L'étoile du matin et l'étoile du soir!

Dorset. Avril 1866.

1
' 1
DE 1862.
DE L'EXPOSITION
SOUVENIR

J'allais et je venais dans ces tas de merveilles:


Les tempes m'en battaient, m'en cornaient les oreilles,
Et je m'extasiais en détail, à la fois,
Sur le puissant je veux au bout de nos cinq doigts,
Je veux avec je sais. A la fin, je l'avoue,
Tant d'écarquillement me fit faire la moue.
C'est un plat fatigant que l'admiration
Pure et simple; il nous faut ....

Pas de digression.
Je passais la cour grecque au hasard de ma route,
Quand je vis, quand je vis .... devinez .... une croûte 1
Une croûte impossible! A quel jury nouveau
Doit-on d'avoir adjoint au bazar ce tableau?
Une croûte impossible! ... Un coin de mer, un port;
Un jeune homme débarque : un fin type du Nord,
Une haute, une belle, une puissante mine;
Pâle et presque tremblant il s'avance, il s'incline,
Un manteau sur le bras, la casquetle à la main.
Pour l'accueillir, voyez, groupés sur son chemin,
Ces chefs resµlendissants sous l'a~ple fustanelle,
Avec flamme triplée en leur noire prunelle.
Le jeune homme s'avance, et la foule ù. l'entour

J~-< -----..:....____ J
2:\2 FIBRES INTIMES,

Semble avoir attendu longtemps cejoyeuxjonr.


Des fleurs jonchent ses pas; - voici- le canon tonne -
On crie - on fait chorus - la cloche carillonne -
D'un souffle on ne sait quel l'air est comme embrasé ....
Une enfant en haillons, au grand œil avisé,
Pieds nus s'est approchée, - et, petite indiscrète,
A toucher un des bords de son habit s'apprête ....

Je restai là longtemps, ému comme une bête ....

Et lui, lui, je le vis - un enfant tout petit


Dans un site sauvage où se dresse en maudit
Loch-na-gar grandiose;
S'égarant aux brouillards et perdu tout un jour,
Ou tendant la poupée à son premier amour,
Mary Duff, ange rose!

Je le vis -- noble lord d'un coup inespéré,


Sur le sein de sa bonne entrant au prieuré
Aux ogives muettes ;
Grandissant comme il put et sa mère bravant,
Jouet de ses humeurs, et, boiteux, esquivant
La pelle ou les' pincettes.

Je le vis - à Harrow, colline aux verts talus,


Aimant et protégeant, combattant chaque abus,
Toute cafarderie;
Boudant le savoir mort, primant à tous les jeux,
Assis sur une tombe, en ses jours ombrageux,
En longue rêverie.
-----~----------~$<$ ... ( ... .. ~~--- ......... -~,.-~----.-~ ...

SOUVENIR DE L'EXPOSITION DE 1862. 233

Je le vis - cette fois il avait dix-huit ans -


Il aimait une vierge aux regards trop constants -
Oui, cette fois il aime l
Mais ce cœur était pris, était en lointain lieu,
Quand sur l'autre colline il gémit son adieu,
Colline au diadème!

Je le vis - il tenait une plume à la main


Et versait sa bonne encre au critique inhumain
Des moments de PARESSE;
Le carquois trop vidé frappa des innocents -
C'était mal : il le dit; oui, dans ses jours puissants,
Sa bonté s'en empresse.

Je le vis - à Cadix, à Cintra ses amours,


A Séville friponne, à Malte aux chers discours,
Chez Ali d'Albanie;
Dans Athène au départ redemandant son cœur,
A Sestos imitant, intrépide nageur,
De l'amour un génie.

Je le vis - c'était Childe au pays revenu -


S'éveillantun matin, saluant ingénu
La gloire et les louanges;
Imprimant d'un seul jet, on eût dit comme enjeu,
Au hasard de la nuit, sur des pages de feu,
De fiers types étranges ;

Étranges mais vivants, car chacun d'eux avait


Une marque au côté, - comme un sanglant rivet
\
1
23/i FIBRES INTIMES,

Sur blessure profonde;


Car chacun d'eux avait comme un lambeau de lui ....
Car il savait déjà, le réel pour appui,
Soulever tout un_'.monde.
\'
Je le vis-· il était deboutdevant l'a·utel-
Devant ses yeux passait comme un brouillard mortel,
Au cœur mortelle transe, -
Elleétait belleaussi, mais ce n'était pas là
Sa destinée à lui, l'étoile qui brûla
Dans son adolescence.

!JI Je le vis - sur les eaux, de nouveausur les eaux;


Dans la plaine où gisaient encore les morceaux
De l'aigle à rougeserre;
Au bosquet de Julie, au puits du Prisonnier,
A Coppet, sur un mot, faisant effort dernier
Vers son enfant sans père.

Je le vis - il était sur le Pont des Soupirs;


Harold se souvenait des esclaves martyrs,
Du Tasse en sa ruine;
Beppo du monastère épelait l'in-quarto,
Mazeppa galopait aux berges du Lido,
Hélas, la Fornarine ....

C'était mal, c'était mal; mais qui saura jamais


Le vertige qui vient à ces tristes sommets
Où le génie isole?
Qnand l'âme n'a pas d'âme à savoir ses soupirs,
Mordue avec la dent d'impossibles désirs,
Du vide elle s'affole!
.\

SOUVENIR DE L'EXPOSITION DE 1862, 235

Je le vis - à Bologne: il marchait tout rêveur


Par les jardins peuplés de son absent sauveur,
L'héroïne coupable;
Auprès d'une fontaine il se tordait les mains
Et ses larmes coulaient .... - Pleurent les libertins
D'une amour véritable?
I.;

Je le vis - autre et même - et Manfred et Caïn;


Plongeur, chercheur, fouilleur dans le plus sombre sein,
L'âme la plus bourbeuse; .
Le monde prit au mot ces portraits peu flattés, -
Pour qui s'entend un peu, perce de tous côtés
L'autreàme lumineuse.

Je le vis - Don Juan - grand artiste et rapin,


Sublime et méprisable, Apollon et Scapin,
Et splendeur et misère;
Don Juan, dernier-né de tendresse et de fiel,
Don Juan parfumé des chers parfums du ciel,
Du rance de 1~terre;
\
,

De la terre, en ce temps où tout était dissous,


Tandis que dans son cœur se disputaient jaloux
Les deux anges l'empire .....
Tel l'oiseau de l'orage et qui court au-devant -
Levoyageur tressaille à son cri décevant:
Douleur, éclat de rire.

Je le vis - à Ravenne - il vivait en reclus :


Avec Dante il voyait venir Je vaste flux -
236 FIBRES INTIMES.
1.,'

Fait plus noble en échange;


Du sol italien il pressait la ferveur -
Venait la Liberté, son deuxième sauveur ....
L'emportait le bon ange!

Je le vis - près de Pise, aux sables de la mer, -


Sur un bûcher gisait une verdâtre chair,
On bien-aimé visage;
Il approchait la torche en se tournant un peu ....
Shelley, ton cœur jamais ne voulut prendre feu -
N'en pouvant davantage.

Je le vis - il voguait vers ce coin de soleil


Où son génie apprit, en un subit éveil,
La beauté poursuivie;
Une flamme courait du Pinde à !'Hélicon...
Childe Harold rapportait et sa gloire et son nom,
Et, par-dessus, sa vie.

Je le vis - il voguait - pour la dernière fois.


Il fait nuit. Sur le pont, couché, je l'aperçois -
« Les Turcs! les Turcs•! » on crie; -
Mais grâce à tous les saints, ou bien aux Turcs jobards,
Le Mistico passa - le nègre - les dollars -
Et la ménagerie.

Je le vis - aux marais. Il sortait un matin


De sa chambre, - il avait un feuillet à la main,
Dans les yeux un sourire : -
<cDit-on pas que Byron n'écrit plus rien? Tenez : -
cc J'aime, souffre, et regrette ... Aux lieux prédestinés
« En soldat que j'expire! ,,
SOUVENIR DE L'EXPOSITION DE 1862. 237

Je le vis... - Au dehors, les Suliotes fous


Ourdissaient la révolte et hurlaient tels des loups,
Au ciel craquait l'orage, -
Sa gorge s'emplissait d'un long râle étouffant -
\
Il disait: «A l'assaut-à l'assaut -Augusta-mon enfant. ... ,i

A trente-six ans d'âge I

Je le vis ... - A Noël, ainsi que de raison,


Missolonghipriait; de Dieu l'humble maison
Était toute occupée; -
Un manteau noir faisait son dernier ornement,
Et dessus on avait déposé seulement
Un laurier: une épée.

Je le vis - il voguait - pour la dernière fois ...


L'Océanbien-aimé n'avait pour lui de voix -
Sortie était l'épine, -
Le pèlerin voguait- devers !'Éternité ...
Toutesles passions avaient alors quitté
La fiévreusepoitrine.

Je me jetai derrière un gros meuble discret -


Et mon cœur eut céans le Prix qu'il désirait.

Bath. Septembre 1866.


:J

•,
f

' '
MINUIT TINTE AU CLOCHER.
(T. MOORE.)

neige
Minuit tinte au clocher, et sur un lit de
La lune dort;
len s' allége -
Auprès d'une humble croix le_cœur d'El
Près de Lindar.

Par le froid congelée, une larme dernière


Au sol roula;
lumière
• La nuit sut cacher, mais devant la
la
Elle brilla.

,
Un céleste passant, pris de pitié suprême
Doux se pencha, _:_
ème
S'en fut vers la Douleur, et sur son diad
Il l'accrocha.

1861.
AMI,TU CONNAIS
BIENLES'CHARMES.
(BURNS.)

Ami, tu connais bien les charmes


Que fait naître au bonheur la sensibilité;
Mais comme elle accroît les alarmes,
Tu peux le dire aussi, mon cher, en vérité.

Du lis la fleur immaculée


Dans les premiers rayons éclôt;
L'autan souffie dans la vallée -
La voilà brisée aussitôt.

L'alouette conte sa joie


Au bois, dans la plaine, en tous lieux;
Pauvrette! autant plus sûre proie
Pour chaque pirate des cieux.

Ah\ coûte cher cette puissance


Que sensibilité nous cache dans le cœur;
Cordes vibrant mieux jouissance,
Vibrent aussi le mieux les notes de douleur.

1862.
16
,1

1-

...
,
FRAGMENT.
(BURNS.)

• • • • • • • • • • • • • • • • • • ♦ • • • • •

La nature couvait son suprême dessein,


Son chef-d'œuvre dernier, savoir l'esprit humain.
Tout le plan compliqué des yeux elle traverse,
Et d'éléments divers forme l'âme diverse.

Elle produit d'abord la grande quantité -


Le travail patient, la sobre utilité :
De là les paysans, autochthone gueusaille,
La gent au tablier qui sans cesse travaille,
Puis ceux que le trafic talonne au mouvement,
- Et tout ce monde-là se façonne aisément.

Besoin fut d'agencer quelque plus rare sorte :


Il faut que le filet et plomb et liége porte.
Le caput-mort1wmdes sentiments épais
Fit seigneurs terriens et tous nobles dadais;
L'ouvrière coula le martial phosphure;
Elle pétrit la pâte académique et dure,
Puis écrivit dessus de ses doigts souverains :
Jus, Theologia,Casuismeà tous crins;
FIBRES INTIMES.

En dernier sublima l'auro:re boréale,


Et l'âme de la femme en sortit sans égale.

Le système était là, prêt pour être livré.


La Nature l'a vu, très-bon l'a déclaré.
Mais avant de poser la force créatrice
Il lui saute à l'idée un étrange caprice.
Dans sa veine d'humour de créer il lui plaît
Esprit des plus subtils, tenant du feu follet;
Elle y mêle à trois fois le Joyeux et le Triste,
(Nature comme nous se montra fantaisiste -
Les faits à la Hogarthne sont pas d'aujourd'hui)
Et Poëteest le nom qu'elle invente pour lui ....

Créature souvent des angoisses la proie,


Mais oubliant demain dans la présente joie;
Un être qu'on dit bon, charmant et cretera,
Qu'on admire, qu'on loue, - et tout se borne là;
Un mortel mal doué pour soutenir la lutte,
Pourtant presque toujours à tous les maux en butte;
Au luxe, à la richesse, incliné par sa loi,
Quand plus souvent pour vivre il lui manque de quoi;
Anxieux d'essuyer le moindre pleur qui coule,
Quand, sans souci du sien, froide passe la foule.

1862.

1
QUOI,ME QUITTERAINSI!
A IRMA.

Quoi, me quitter ainsi!


Karl, n'as-tu pas souci
De marcher sur mon cœur dans ton humeur hautaine
Au moins parle pourquoi -
Ah! par pitié, dis-moi
Ce qu'il faut que je fasse avec mon bout de chaîne!

Tu n'as daigné jamais


Dire que tu m'aimais,
Et je n'ai pas cherché combien tu voulais taire;
Car j'ai cru voir parfois
Dans tes yeux, à ta voix,
Qu'un entier sacrifice était fait pour te plaire.

Karl, Karl, et tu t'en vas!


Je t'ai fait triste et las ....
Tu ne souffriras plus de fatigue et tristesse -
J'apprendrai tes douleurs,
Inventerai des fleurs,
Te ferai de ma vie une urne enchanteresse!
FIBRES INTIMES.

Karl, mon Karl, aimons-nous!


Prends-moi sur tes genoux,
Et je vais t'avouer un mystère suprême ...
Certain soir obstiné,
Je n'ai pas tout donné,
.Tesens qu'il reste en moi le meilleur de moi-même....

Quoi, me quitter ainsi 1


Karl, n'as-tu pas souci
De marcher sur mon cœur dans ton humeur hautaine?
Au moins parle pourquoi -
Ah I par pitié, dis-moi
Ce qu'il faut que je fasse avec mon bout de chaîne!
A UN PHILOSOPHEANGLAIS.

Ami, - permettez-moi de vous donner ce nom -


Avez-vous souvenir encor de la maison
Où le hasard nous mit ensemble au même gîte
Pendant tout un hiver? - Que le temps passe vite!
De vous rien ne savais - qu'en pouvais-je savoir?
Pourtant je me plaisais - par instinct? - â vous vofr.
Je ne glosais jamais de l'humeur taciturne
Que vous nous apportiez à tout contact diurne;
J'éprouvais au contraire un plaisir sans second
Quand je réussissais à vous ouvrir le front
Par la folle saillie en mon adolescence....

A propos, avez-vous aussi la souvenance


Du jour, heureux trois fois, où vous m'avez remis
Un livre qui venait agiter les esprits?
Un livre qui posait à neuf un grand Principe:
Le Développement; qui retrempe, émancipe
Presque chaque science en son vaste horizon;
Que vous, l'hôte incompris de l'obscure maison,
Aviez cinq ans avant au plus noble domaine
Appliqué, c'est-à-dire à l'aptitude humaine ....

,.,,-,,-------------------=-----==-c
FIBRES INTTMES.

'
Je vous rendis le tome impossible à saisÏl',
Une moue à la lèvre - au fin fond un soupir ....

J'étais jeune, j'aimais assez fort la paresse,


Le jupon chatoyant, la blonde ou brune tresse .. ;.
Pardon; je n'en puis guère avoir pour bien longtemps -
A peine encor quarante ou cinquante printemps,
Mais j'ai vu naître en moi ma seconde nature;
Le monde m'a saisi dans toute sa figure;
Le rêveur a volé, courant, deux vérités
Aux champs où, patient, moissonnez et plantez, -
Mais il en sait assez pour que cette heure inspire
Une estime grandie - et qu'il aime à la dire.

J'ai devant moi votre œuvre, ébauche de Titan,


Et j'admire à la fois l'envergure et le plan.
Ce sont d'abord ces Lois en qui le Phénomène
Trouve sa raison d'être et partout se ramène, -
Ces PRINCIPES derniers, notre suprême effort,
Du possible à connaître et la clef et le bord. -
Puis de suite la Vm avec son fier problème;
La vie où la Nat.ure a savoir d'elle-même;
Ce corps organisé, cet étrange milieu,
Par où le grand Ensemble enfin désire un Dieu ....
Pourtant ce n'est aussi rien que Force et Matière, -
C'est là logiquement la sentence dernière, -
Mais, en dépit de tout, cet enfant du cerveau
Est rejeté du père et voulu de nouveau ... ;
Puis c'est lui, c'est !'ESPRIT, outil brut, magnifique,
Qui se cherche en dehors de l'atelier physique,
4

A UN PHILOSOPHE ANGLA 1S. 249

Ne prétendant pourtant se séparer de lui, 1


Et conservant toujours le fait pour son appui.
Science aux lents acquis, - chère entre ses pareilles,
Car l'homme a beau courir de merveille en merveilles,
Il semblerait que c'est aussi comme une Loi
Qui force l'œil ardent à se regarder, soi. -
\'
Puis l'évolution de la masse complexe, •
De l'HoMME SOCIAL. Ah! la petite annexe

Prend des proportio ns qu'il fait plaisir à voir,


Qui font bondir le cœur d'un juvénile espoir!
Oui, oui, l'homqie bien libre, et que pourtant régente
Le nécessaire Aller de main archisavante;
Soumis au même entrain que tout dans l'univers,
Les livres du Destin devant lui sont ouverts ....
Énigme comme un seul, oui, - mais, race totale,
11doit passer la porte et bénie et fatale; -
Sa colonne de feu? - Mathématique appui; ~ 1
1
Son but? son Chanaan? - Il ne tiendra qu'à. lui.
Puis enfin u MoRALE.Oh! non pas la Minerve . f
Sortie à bout portant d'un beau prêcheur en verve,
Mais un code pratique, adapté, raisonné, •
!.1
Relié de tous points du multiple donné;
Un beau fruit bien mûri que le sage retranche
_De l'arbre du Savoir, de sa plus haute branche, -
Bon au palais, tenant dans son globe de miel
L'essence de la terre et les brises du ciel. ... -
Ami, c'estbienlà l'ordre, -oui, c'est la Pyramide
Qu'il nous faut élever sur le chaos hybride.
La base est vide encor, par ici, puis par là,
Et le badaud demande : A quoi sert de cela?
l\Jainte assise pourtant de vrai ciment est jointe,
Et nous saurons pousser hardiment vers la pointe ....
r
1
),
V

250 FIBRES INTIMES.

Et qu'y trouverons-nous? Je ne sais, je ne sais;


Mais c'est le seul chemin désormais, désormais ....
1 En tout cas nous aurons, pour trophée infaillible,
t Du bonheurtant voulu la mesure possible, -
v Ce sont les derniers mots du programme pieux -
Je vous en aime plus, je vous en aime mieux.

Ami, la tâche est grande; ami, la tâche est lourde :


Gare au dur assiégeant dedans la mine sourde.
La pensée amincit le corps comme un carreau,
Et l'épée au travail use jusqu'au fourreau.
L'on voit tôt s'isoler mainte mèche folâtre,
Et le front exhaussé prend des teintes d'albâtre ....

Mais que viens-je de dire? Il n'a pas ce souci


Le pionnier sacré que l'Esprit a saisi.
Il laisse aller la foule où le Présent l'envoie,
A ses désirs d'un jour, à son bruit, à sa joie;
Il n'a le temps de rire, à peine de pleurer,
Et sa vie est au trait qu'il ne peut retirer.
, ,I
~ Le penseur d'aujourd'hui, quel type de noblesse!
Non, ce n'est plus ici le sage de Lucrèce,
Contempteur déclaré de tout ce qui n'a pas
D'aspect net et direct, de contours immédiats;

/ Ardemment curieux d'expliquer le palpable,


Mais calme aussi devant la structure implacable;
Le Nécessaire en tout n'a pas l'air malséant, -
Et, résigné d'avance, il se donne au néant.
Non, ce n'est plus Platon, sublime aristocrate,
Qui promène un beau fil par la filière ingrate;
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 251

Enchanté de lui-même, exquis monopoleur,


Un bouton sans parfum, un rayon sans chaleur 1.
Eux tous n'avaient soupçon de l'immense Cadastre;
La pepsée était jeune et peu faite au désastre ....
Ils avaient la Pensée, - ils croyaient qu'on pouvait
Laisser aller sa tête au logique chevet, •
Et que, certainement, quelque subite aurore
Proclamerait aux forts la Vérité sonore ....
Il n'est pas aujourd'hui jusqu-es à l'instrument
Sur qui le doute affreux n'ait jeté son tourment.
Le chercheur de ce siècle est tout cerné d'alarmes :
Armé comme on le voit, il se coupe à ses armes;
Archilibre en effet, en effet affranchi,
. Pourtant aux durs moments un sépulcre blanchi.
Il veut, il a la foi des Cités qu'il combine, -
Pourtant on le surprend dans la grande ruine
Qui cause avec la voix qui le rattache au sol,
Baise l'ancien espoir avant de prendre vol.. ..
L'émigrant sait qu'ici son sort n'a plus que faire,
Qu'il trouvera bien mieux dans un autre hémisphère,
Que son champ est étroit et son toit biscornu, =-
Maisun frisson le prend, frisson de l'inconnu ....
La Vérité n'est plus cette bonne Aspasie,
Par le talent, la bourse, à donner adoucie;
La moderne beauté mange tout notre bien,
Et nous tend après tout le bout des doigts - ou rien ....
Maisje me perds, ami, dans ma triste manie.
Je sens que je divague et que je calomnie.
Ou plutôt n'est-ce pas la sublime vertu
Oecontraindre au labeur un cœur de noir vêtu;

1. Ch. Dollfus.

~
252 FIBRES INTIMES.

D'aimer, d'aimer toujours celle qui se dérobe,


Rien que pour en entendre au loin frôler la robe;
De savoir que la tâche est immense et sans bord,
t
l Et faire néanmoins de sa vie un apport,
Une expiation pour l'humaine faiblesse ....
Je l'ai dit : c'est un type, un type de noblesse!
Car il aime, aime plus qu'euœ n'ontjamais aimé;
Dans son moindre soupir le Genreest renfermé;
S'il se frappe le front, s'inspire de tristesses,
C'est pour qu'on puisse avoir ailleursdes allégresses,
Du pain, de la lumière, et du pardon aussi -
Un Dieu, quoi qu'on en dise, a passé par ici!

Cetté exclamation à propos s'interpose,


Car je venais, ami, vous parler d'autre chose.
Votre dernier écrit m'est venu contenter.
On veut donc, vous aussi, vous enrégimenter :
Un disciple de Comte! On a comme la rage
De mettre un ancien masque à tout nouveau .visage.
Chez nous c'est bien de même: Ah! oui, monsieur un tel,
ll s'est allé repaître aux grands bufîets d'Hégel !
A propos de Français d'un haut sens méthodique
Qui seraient morts de faim dans l'étrange boutique.
Parbleu! faut bien toujours être fils de quelqu'un.
r
Le fait est que on trouve héritage commun,
Qu'on travaille dessus, et, quand l'étude est mûre,
On a des résultats de semblable t.ournure.
Si Comte se fût tu, quelqu'un d'autre eût parlé
Et donné nouveau corps au passé rassemblé.
Pour son école et lui j'ai ,la plus grande estime,
Mais aux dénis trop vifs je crois qu'elle s'abîme.

-
r
1 (

A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 253

J'aime assez la largeur, les jugements rejoints ....


Je relève avec vous et surtout ces deux points :

En premier lieu l'erreur et grosse et capitale


Qui cimente l'ensemble et l'unité ravale.
Que de gouvernement! bon Dieu, que d'embarras
De classes, d'attributs, de cordeaux au compas, 1'
De lisières de fer, d'engins hiérarchiques,
Jetés dans les mollets des libertés civiques ... ,
C'est tout bonnement fou, meurtrier et fatal.
Je suis de votre avis : je crois que l'idéal
Que nous devons chercher est un état de choses
Où de gouvernement diminueront les doses,
Et tomberont enfin au dernier minimum;
Où chacun, tant qu'il peut, sera son factotum,
Jaloux du franc aller, revêche à la contrainte,
Secouant sans merci toute inutile atteinte,
N'ayant de gouvernants que pour défendre autrui
Aux identiques droits qu'il réclame pour lui,
Et de solide main balayer l'atmosphère
De tout ce qui s'oppose au libre honnête faire;
En un mot un état où de l'individu
Le partage serait au possibleétendu,
Tandis que, d'autre part, la forme sociale
Serait milieu surtout où l'unité s'étale ....
C'est bien nous, n'est-ce pas, avec nos règlements,
Et nos pères cherchés en nos gouvernements?
Après bien des malheurs, en ce moment auguste
A combien ça revient, on le sait au plus juste -
On devrait le savoir et changer de chanson ....
En Écosse l'on prend un superbe saumon,

...---..

FIBRES INTIMES.

On le porte à Newcastle, où des manufactures


En font, j'ai vu cela, comme des confitures
Que l'on ferme avec soin dans des vases divers
Et que le vent emporte aux bouts de l'univers;
C'est exquis, et pourtant, par un caprice étrange,
~ Le Newcastlois lui-même au grand jamais n'en mange ...
Nous aussi préparons saumon à tour de bras,
Nous l'envoyons partout, mais nous n'en usons pas,

r Comte a dit : Point de sens au mythe de la Cause,


Et son camp à peu près dans le gros Non se pose.
Ce n'est pas bien parlé. Cette Idée, au rebours,
Est et sera vivante ainsi que fut toujours.
Dans l'Anthropomorphisme et l'Unique Immanence,
Dans le subtil Abstrait, la Nature en balance,
Je retrouve partout courant le même fil...
On n'en démordra pas dans n'importe quel mil.
A mesure, je sais, que l'on généralise,
La notion nous fuit et, fuyant, se divise; ....
Je sais qu'elle rec~le, et qu'à neuf réuni,
Le concept en devient comme moins défini;
Mais ce que je maintiens de tête incorrigi.ble;
C'est que la Notion est une, indestructible-,
Qu'on ne peut l'arracher qu'avec le Conscient -
Et je prends ce grand mot comme on voudra pliant
- Voyons laNotion?- J'ai motif de m'en taire.
Aœiomeéternel,.Abîme notre Père,
il1ensagitat molem, ln Deovivimus,
J'accorde ce qu'on veut et même beaucoup plus.
Je vais encor parfois jusqu'à croire possible
Que cet extrême Agent est incompréhensible;
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 255

Cequi n'empêche point que tant qu'homme vivra,


En dépit qu'il en ait, il s'en occupera, -
Qu'à l'entour on verra circonscrits les problèmes,
Que vers ce but tendront tous ses efforts suprêmes,
Qu'il est amoureux fou d'un seul unique essieu,
Que c'est comme une Loi de chercher Cause ou Dieu.
Jusqu'ici rien n'a pu l'homme entier satisfaire:
Il veut un commun centre à l'une et l'autre sphère,
Et tant qu'il cherche il est à moitié satisfait.
Chercher, chercher, chercher: le seul pain qui repait.
C'est un Culte cela, - peut-être il n'en est' d'autre.
LaScience ainsi vue est le divin Apôtre.
Elle est religieuse et sainte éminemment,
Car elle n'aime pas des lèvres un moment,
Maistraduit son amour en constant sacrifice....
La notion de _Causeest donc vraie et propice;
Toutle monde est d'accord - pourvu qu'Elle ou bien Lui
Demeurent en avant et non aux plans d'appui.
Quant à l'expressionque trop tôt on réclame,
,,. i
i • l
Que qui veut s'en fasse une et de taille à son âme.
. l
\
Cependant cherchons tous et sachons à tous gré,
i1
Car quiconque travaille est dans le camp sacré.
Que chacun porte un pas le grand faix avec joie -
Qu'il ira jusqu'au bout, ardemment qu'il le croie.
il se peut que quand tous, quand tous aurons passé,
L'Eternelle aura plein ce sein si fort pressé ;
il se peut que le vrai, qui tant ressemble à l'autre,
Quoi que nous y fassions entier ne sera nôtre,
Mais laissons-nous aller aux chers omnipotents,
Et sans doute qu'ainsi nous hâterons les temps ....
1
256 FIBRES INTI.MES.

Espérons. L'homme est grand même dans sa détresse.


Il apprend à mener Force et Matière en laisse,
Plus grand que la Nature. Elle a beau bougonner,
Par des trucs de Protée effrayer, étonner,
L'homme ne peut un peu s'empêcher de sourire
Quand, le poing sur la gorge, il l'oblige à lui dire.
Depuis un temps fort long oscille le combat,
:Maison ne peut douter quant à son résultat.
f Le combat! je dis mal et l'image m'entraîne :
La fière antagoniste au même titre est reine,
Et d'esprit patient il faut tout à la fois
Conquérir l'ennemie, obéir à ses lois.

Espérons, travaillons, car l'acquis encourage.


Ceux qui cherchent la Cause avec nouveau visage
Ne sont par !'Inconnue égarés, délaissés,
Mais de mille faveurs bénis, récompensés.
L'héritage s'entasse en dépit des dilemmes :
Où sont les morts? dit-on. -Les morts sont en nous-mêmes•
1

Nous avons la méthode et maintes vérités :


Les effets pe~sistants - deux immortalités,
Les écarts ordonnés, du faible la puissance,
Le simple comme fin de touie connaissance....
Combien n'en est-il pas, qui, jalouses encor,
Ne veulent. rien donner de leur divin trésor,
Ou, comme la princesse enchantée et pudique,
Attendent délivrance au souterrain magique.
Je n'ai pas oublié kDéveloppement,

1. A. Schopenhauer.
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 257

Qui) plus fort que jamais, nous charme en ce moment;


Le Développement! qui ne prétend connaître
Comment le Mal, le Mal, en ce Tout a pu naître,
Maismontre qu'incident, par degrés mitigé,
Il n'a jamais été volontiers infligé ....
Oui, l'Évolution, qui s'arrête dans l'homxne
En tant qu'apport physique et structurale somme,
Maisce pour achever au monde de l'Esprit
Ce qui dans la Matière au début fut écrit ....

Le Progrès I le Progrès! il nous tient, nous enlève!


Il n'y comprenait rien, l'indécis de Genève;
Vicofait un effort et s'arrête tout court;
Mill est sec : son monceau de faits est comme sourd;
Avec Gœthe il me plaît, tournant par intervalle,
Monter, monter toujours sur la sainte spirale!
Son chemin quel qu'il soit, quels que soient ses secrets,
Il est, il est pourtant, le Marcheur ! le Progrès!
j
Il nous tient, nous enlève.... On sait certaines· plages
'.
Où bat ainsi qu'au pouls la lente œuvre des âges.
Les grossiers habitants ne s'en doutent en rien :
Chacun trouve son champ, chacun trouve son bien;
Ils gagnent leur pitance, ils s'amusent, ils prient;
Parlez-en-je les vois presque tous qui s'en rient ... ,
Le penseur lit au roc quelques marques d'Hier -
Il est sûr que le sol s'exhausse sur la mer.

Espérons, travaillons, tenons ferme au domaine


Où depuis cinquante ans la Science nous mène.
Oui, l'Observation, !'Objet coordonné,
Ont beaucoup fait pour nous, nous ont beaucoup donné.
17
.. :w uw 4'lZO • '-· , ...

2f8 FIBRES INTIMES.

Plus on va, plus on sent que c'est la seule voie


Fertile en résultats, libre de fausse joie.
C'est un grand mouvement, bien autrement fécond
Que celui qu'intrôna le grand siècle en amont :
La Raison est plastique et le Logos nous leurre,
Le Fait est tout en fer, et !'obstiné demeure.
Critiquons, épluchons, cherchons le vrai dans tout,
Que ce vrai soit ou non conforme à notre goût;
le Temps enlacera l'apparent dualisme.
Restons armés toujours par un sain scepticisme :,
En dépit des perclus, ce mot, tiré du grec, .
A fait preuve en champ clos : tout progrès part avec.
La Méthode a bon air, et de pied sinon d'aile
Montons et descendons par notre double échelle.
Gardons-nous d'affirmer ou de nier trop tôt:
Grande hâte est le fait du préjugé lourdaud.
Dans l'explication de tous les phénomènes
Mettons d'abord la main sur les causes prochaines;
L'hypothèse a ses droits, inais les bien avisés
Bornent cette hardiesse aux seuls cas épuisés.
Tenons bien notre foi tant que la croyons bonne,
Mais ne nous engageons envers rien ou personne :
C'est un devoir égal d'ouvrir gaîment les doigts
...
Quand quelque tour soudain nous a dit : maladroits!
C'est assez faire entendre une rupture franche
Avec tout mode qui de l'Immobile tranche,
Qui chez un Formulaire à fixe est abonné,
Et confond en fouillis le cherché, le donné.
Braves gens il en est dans cette vaste sphère,
Mais ils chérissent trop sentimental repaire,
Ne veulent point apprendre à savoir ignorer,
Et montent sur l'obstacle afin de pérorer·.

-,--
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 259
Lorsque quelqu'un d'entre eux nous fait juste critique
1
Répondons sans quitter l'outil scientifique :
<< Défectueux encore? Eh, nous le savons bien!

« Mais, tel que le voyez, il est à prendre - ou rien.


<< Il donne quelque chose. Et vous; jaseur superbe
,
<< Souffrez que l'on vous cite oriental proverbe :

<<J'entendsbienle moulin qui fait, qui fait tic-tac,


<< Mais où donc la farine à mettre dansmon sac?

1e Vous eûtes votre tour; à nous un peu, de grâce.


<< Cendrillon bien longtemps a lavé votre tasse;
<< Peut-être qu'une fée accroupie aux volets

cc Cache robe de bal et carrosse et valets.... "

Est-ce à dire qu'il n'est plus de Philosophie,


Et que la Conquérante à ce point est bouffie?
Qui l'ose déclarer? Notre premier souci
Est bien de l'arracher à la mer sans merci -
Qui la ballotte seule et sans toucher de plage.
Nous voulons qu'elle garde et comptes et ménage,
Et, frétant vingt vaisseaux fringants, appareillés,
Rapporter les produits, les trésors à ses pieds 1•
Nous voulons lui changer châteaux en -Allemagne
Pour un fief bien réel de palpable campagne.
Nous voulons qu'elle soit non l'habit étriqué',
Non le roide plastron à grand'peine appliqué,
Mais un bon vêtement et bien chaud et bien large,
Cousu du meilleur fil, avec beaucoup de marge,
Qui laisse se jouer chaque organe bien franc,
Et se former le muscle et circuler le sang ... ;
1. A. Laugel.
2. L. Büchner.
z;;. ,. pc ;.c cc;;;,

260 FIBRES IN'rIMES.

Est-ce à dire qu'il n'est plus de Métaphysique?


Qui donc tranche de sorte - avant qu'on s'en explique?
Avant qu'on ait bien dit quelle plus grosse part
L'expérienceaura dans ce - colin-maillard.
Par grâce, moins au moi, davantage à l'engeance;
l\'Ioinsde transcendantal, beaucoup plus d'immanence;
Par grâce Être et Penser fondant leurs unités,
Idée et Phénomène en amis abrités ....
Philosophie ainsi, plus lourde et plus légère,
Ne perd pas de terrain, elle en gagne au contraire.
Elle commande, mais obéit à son tour,
Et servante et maîtresse ont chacune leur jour.
C'est un traité parfait entre elle et les sciences,
Un échange constant d'ultimes influences.
Elles se sont juré de ne s' envier pas,
Mais d'attendre au besoin pour remboîter le pas.
Elle a surtout promis que dans les pétaudières
Elle n'ira courir pour franchir les barrières;
Qu'on marchera toujours comme au bon pacte écrit,
S'entretenant de tout, un lest à son esprit.. ..

Suit-il de là qu'il faut bouder la compagnie


Qu'Imagination à nouer s'ingénie?
Que non pas. Et d'ailleurs l'on voudrait la chasser,
Que nous viendrait pourtant l'amoureuse embrasser.
La Science, arrivée à l'un ou l'autre abîme,
La rencontre et s'inspire à son babil sublime :
L'Hypothèse est un mot que jette sa pudeur,
Et la Loi bien sentie a deux grains de son cœur ....
Sachons l'apprécier: c'est la grande plongeusei,
1. Mme de Staël.
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS.. 261

La prêtresse éclairant la borne nuageuse -


Comme prêtres pourtant portée à - s'égayer,
Et qu'il faut, tout comme eux, tenir et surveiller.

Amoureuse ou prêtresse en souriant m'amène


A vous dire deux mots de son premier domaine.
De l'Anr la place est faite au programmepieu.x;
Ce que vous en direz, je l'attends anxieux.
Vous savez sije l'aime et sije trouve joie
Dans ce grand complément, cette deuxième voie1 ,
Des essences quasi ce découvreur subtil. ...
De mode est aujourd'hui lamento puéril
Sur l'état prétendu d'artistique flouffrance.
Certes, depuis un temps il n'est plus apparence
De ces éclats soudains que le passé connut;
Mais on semble oublier à quel prix il en eut.
On les voit d'œil abstrait, à tort on les isole
Des milieuœ - que Darwin bénisse ma parole! -
Qui les ont forcément éclos, faits, engendrés.
Par bonheur ces milieux se sont presque effondrés.
En vrais enfants gâtés je trouve qu'on se fâche :
Les cent ans écoulés n'ont-ils pas fait leur tâche?
N'a-t-on pas fort agi? N'a-t-on beaucoup pensé?
Dans chaque autre chemin ne s'est-on avancé?
Moi j'admire plutôt de l'art cette constance,
Vu ce qui s'est passé de lutte à l'existence
--Toujours ce bon Darwin - au monde des esprits.
L'imagination par d'innombrables prix
Vient d'être affriandée: elle a fait œuvre énorme.

1. H. Taine.
262 FIBRES INTIMES.

Toujours jeune et vivace, elle a pris autre forme,


Comme on voit la chaleur devenir mouvement.
Veuillons attendre un peu le réciproquement.
Il· est faux que ce temps n'a pas de perle rare;
Patience pour plus : le milieu se prépare.
Nous gagnons même en Art, il me semble certain,
Un concept plus fécond, un plus large destin;
Comme vous l'indiquez dans la feuille volante,
Une variété fidèlement croissante;
Comme une expression qui tient plus de réel;
Comme un but ennobli, plrn, digne d'être autel.
Je ne vais aux échos crier la décadence :
L'Art étant éternel, comme le reste avance;
Et moi qui volontiers fais la moue à Platon,
J'avouerai cette fois : Sa Splendeur a raison.

Quelqu'un disait-il pas en votre compagnie


Que la Science avec son sévère génie
Bride l'essor du cœur, pâlit le sentiment?
J'ai grand'peine à le croire ou je sens autrement.
L'Analyse peut bien avoir cette tendance,
Mais, en somme, un vrai gain plus que perte compense.
Si douteuse est la part qu'Imagination
Peut prendre en la Science en mainte occasion,
Je ne vois, pour _mon compte, ombre d'une équivoque
Aux avantages pleins dans pleine réciproque.
Poésie en tout cas ·n'en aurait repentir,
Et l'éternelle ainsi pourrait se rajeunir 1
Voler alerte et fraîche en nouvelle carrière ....
Et d'ailleurs il le faut, faut enfin qu'ouvrière
Elle embrasse quasi plus tangible devoir.
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 263

Sans perdre de beauté, la strophe doit vouloir 1,


Mais vouloir en sachant. - cc Quelle est cette rallonge?
« Poésie est donc pas comme un charmant mensonge?» -
Elle n'est pas cela. Je la sens Vérité,
Mais vue en un autre air~ par un certain côté,
Plusvue on le dirait qu'il n'échoit à la foule,
Tissée en nouveaux fils, passée au second moule ....
Oui, vouloirpar savoir. Plus de faux, de clinquant,
De zéphyrs et de lune en tout lieu se choquant -
Notreâme s'est remplie avec bien d'autres choses.
Il faut chercher plus haut, nous renforcer nos doses,
Verser dans notre verre un plus généreux vin -
C'est du réel qu'il faut nous tirer le divin ....
Par savoir,par aimer.... Je veux que le poëte
Prenne tout son milieu, qu'en son âme il le jette.
Oui, tout : monde physique avec forces et lois;
Histoire, un autre monde aux innombrables voix;
La souffrance et les pleurs, la joie et le sourire;
La tendresse qui fond, la haine qui déchire;
Tous les courants du jour, les désirs pour demain,
Les espoirs s'avançant par !'ignoré chemin, .
Les germes d'avenir qui flottent invisibles ....
Qu'il les jette en son âme, et des feux invincibles
De grande passion qu'il chauffe le creuset ....
Commeles végétaux - qui déjà le disait? -
Il faut qu'il soit baigné de la libre atmosphère,
Et qu'il l'expire pure et jeune et salutaire ....
Je veux qu'il sache bien que l'inspiration
Est surtout sentiment et méditation ....
Je veux qu'aux saints moments où la Muse célèbre

1. V. Hugo.
261! FIIlRES INTIMES.

Le cœur batte à brisér la rigide vertèbre,


Et que les chers sommeils en soient effarouchés ....
Je veux qu'il tire à lui tous ses vers ébauchés,
Et, comme cet oiseau de sublime imposture,
Qu'il leur donne son sang et son foie en pâture ....
Je veux qu'on pui~se voir sous son souffle brûlant
Éclore au jour du ciel plus d'un secret trop lent,
Quelques traits de l'image appelée apparaître,
Tout monter d'un_degré dans la Vie et dans l'Être ....
Quel portrait j'ai donc là que je dis faiblement -
Hei mihi! pauvre moi, quel éblouissement!

De cette humeur, pensez si dans mon cœur je porte


Ceux qui vont clabaudant que Poésie est morte.
Comprenez-vous cela, que les derniers cent ans
Aient été les sonneurs du glas pour tous les temps?
C'est risible. Vit-on jamais telle pléiade,
Et de la terre au ciel si nombreuse ambassade?
Qu'on me nomme une époque où par plus de côtés
Les cœurs et les esprits se soient vus agités?
Et dans cet aujourd'hui, dit de matérialisme,
1•
Les beaux livres sont pleins d'images, de lyrisme,
1
' D'immenses sentiments et d'immenses soupirs.
« La Musique, » dit-on, « va mieux à nos loisirs :
« C'est désormais la chère et belle remplaçante. >>
Certes, nous l'aimons bien, la cadette récente,
Cette fille du ciel que le siècle nous tend
Tandis que tourmenté notre pauvre être attend;
Sylphe exhalant l'odeur de choses innomées
Et vers lequel s'en vont nos âmes affamées.
Sans conteste elles ont plus d'un lien commun,
1
A UN PHILOSOPHE ANGLAIS. 265

Maisje ne vois comment ce peut être tout un.


Un souille vague est-il une flèche lancée?
Depuis quand un parfum tient-il lieu de pensée?
Le cri porte son fruit et travaille le cœur,
Le Verbe fait penser, ceint de longue vigueur.
L'une s'allie avec n'importe autre mesure?
Chacun selon sa part en soi la transfigure.
L'autre est le lent travail de l'être humain complet;
Condensant davantage, aux plus forts elle plaît.
Leur ordreest différent si la classeest la même.
Laissons faire l'aînée. Il se peut que maint thème
Avec notre ignorance est passé pour toujours,
Maisune voix me dit que le temps dans son cours
Charrie au genre humain sa jeunesse nouvelle 1,
Quand dans le grand savoir choisira l'éternelle ....
Le vague est pour une heure et va se définir;
Je sens les éléments s'entasser et grandir ...
Qu'ils seront beaux, ses fils, quand la flamme qùi tremble
~adieuse luira sur un nouvel ensemble;
Lorsque quelque courant acclamé, général,
A certains du passé par quelque aspect égal,
Prendra l'humanité dans son vaste méandre ....

Voilà fier bavardage : il est temps d'en descendre.


Que vous disais-je donc? ... Qu'il me semble une erreur
Que Science étrécisse et l'essor et le cœur.
Pour chacun je ne puis évidemment répondre,
Maisje sais que chez moi tout s'est venu refondre
En un mélange neuf, intense, de beauté,

1. Mme de Staël.


1
1 • 266 FIBRES INTIMES.

1 Depuis que j'ai dedans coup d'œil furtif jeté.


1
1 Je déclare, modeste, et sans crier miracle :
i
1 La coulisse vaut bien la salle de spectacle.
Le ciel n'est-il plus beau parce qu'on l'a pesé?
L'arc-en-ciel nécessaireest-il moins irisé?
La terre a-t-elle rien perdu de sa merveille
Avec sa marque au sein, au doigt de Dieu pareille?
La fleur est-elle à bas d'aimer ainsi que nous?
J...'
enfant en est-il moins pressé sur nos genoux?
L'homme est-il donc moins grand depuis que jugé digne
. Par. la lutte et les pleurs de se trouver sa ligne? ...
Je sais mon ignorance, et qu'elle se résout
En tendresse toujours, qui s'échauffe et qui bout
Et sur tout par degrés plus vivante s'étale ....
Je m'arrête .... Et d'ailleurs j'en suis à la morale.

1864 et 1866.
ANITA.

Elle est morte - et le flot d'années


Reflue aux fibres étonnées
D'un si grand poids :
Déjà, déjà, sans que j'y pense,
Mes souvenirs d'adolescence
Sont pleins de croix.

Elle est morte - et cela m'arrive


Dans un journal, comme en missive
Prime, opéra.
Lors plus que l'oubli nous divise -
Je ne sais même où me l'ont mise,
Mon Anita!

Dans un sanglot, dans un sourire,


Qu'elle savait bellement dire :
Mia vida! -
Lors la voici dans l'autre couche, \..
j
Avec le bois dessus la bouche - ·'
1
Pauvre Anita! 1
'\
Bath. Novembre1866.

1
__.)-___
OMÉGA.

·on a beau vouloir fuir son démon familiar,


Sejeter dans le bruit, ou bien se replier
Dans son indifférence, -
'
Vientl'heure où ce fracas roule insignifiant,
Où l'Esprit invisible étreint l'insouciant,
Où se taire est souffrance.

A qui gotîte une fois de ces vins fermentés


Sur les sommets abrupts en danger récoltés,
Le reste paraît fade;
Commel'ivrogne en verve et dont la soif renaît,
Il faut boire toujours, boire quoi qu'on en ait,
Rasade après rasade ! 1
l

Celui que la pensée attire à ses tournois,


Enlace de ses rets et suspend une fois
Sur l'océan sans rive,
Étouffe au chemin plat, usuel, abrité,
Il lui faut son vertige et son immensité,
Les lui faut pour qu'il vive.
F .......:,..,,,"

1
270 FIBRES INTIMES.

Quiconque a médité longues heures durant


Jusqu'à ce qu'un soupir anxieux, délirant,
Lui chuchote à l'oreille,
Il lui faut, il lui faut l'excitateur appât,
L'orbite qui grandit et la tempe qui bat, --
Volupté sans pareille!

Quelquefois un rosier s'est remis à fleurir


Quand surviennent soudain les premiers vents d'automne;
La fleur ne peut garder sa pâlotte couronne
Qui tournoie un instant et va vite mourir, -
Le cœur est plus tenace et persiste à souffrir.

Quand le château d'opale à l'occident s'écroule


Vesper entre en disant quelque chose tout bas ....
Hors du sentier ombreux l'enfant presse le pas,
Et le gazouillement aux taillis se refoule, --'-
Avec ce dernier chant la double larme roule,

JI le faut .... On s'en va de la chère maison


Qui, par un vent tangoisse, a donné paix et gîte;
Où la Sainte chaleur de quelque âme d'élite
Ressouda pour un temps le douloureux chaînon;-
On jette, déjà loin, un long regard sans nom.

Aux pentes du coteau par la mort affermées


S'accroche une ombre épaisse effaçant les cyprès :
Pas de pleurs, pas de croix, pas un soupir-auprès;

.____,_
OMÉGA. 271

Pêle-mêle, en monceau, les douleurs sont semées ....


- Luna vient épeler les syllabes aimées.

Commeune rose à nu sous l'aile des vents fous,


Comme un dernier ramage au tiède crépuscule,
Commeun adieu final vers le toit qui recule,
Commeun rayon sur l'herbe où l'on prie à genoux ....
- 0 souvenirs d'enfance, aussi tristes que doux !

-ccJulesl Jules! >>-«l\'lessieurs,cetremblementm'honorel


cc Je rends grâce d'abord au Pouvoir qu'on adore
« De nous avoir, après ces quinze ans de cahots,
« Rassemblés dans ce coin connu des fins goulots.
<< Du Doit et de l'Avoir j'ai choisi le registre:

« J'y réussis, messieurs, bien qu'à l'école un cuistre.


« Le Commerce, messieurs, c'est le nerf <le l'État,
ccLe pacificateur, patati, patata --
c< Je bois donc au Commerce, et je veux qu'à l'école

cc On l'enseigne à mes fils l >J-(( A Charles la parole l » -


- « En d'autres eaux, messieurs, j'ai jeté le grappin,
« Et pour Grand Livre j'ai ce mignon calepin.
« Je .hante tous les jours certains degrés d'un temple
« Où la nuit me mûrit provision fort ample.
c< Le flair au télégramme et l'oreille aux caquets,

<<Moi, je bois à la Bourse - et pas de tourniquets! » --- \


- « Moi, messieurs, dit Benoit, timide je confesse
« Avoir lâché des vers dans ma tendre jeunesse.

i
..,..,,,
272 FIBRES INTIMES.

« Le poëte est rp.ortjeune et moi je lui survis :


<< A l'âge mûr la prose : oui, voilà mon avis.

« J'écris abondamment et de droite et de gauche,


« Et je sers mon pays quelque roi qui chevauche.
cc En écrivant beaucoup que ne devient-on pas?
cc La rime est chose lente, et d'ailleurs en trépas.
« Je porte un toast, messieurs, à notre grande prose!-,>
cc - A Max et son lorgnon à dire quelque chose! - >>
cc - Ainsi soit-il, messieurs; pourtant, vous savez bien,
cc Mon père me fit pour que je ne fasse rien.
<<Le lac , Baden-Baden, Berlingotte et Zizine,
cc Un léger baccarat, la race chevaline -
« Le Sport, messieurs, le Sport! Mon toast est pour le Sport!»-
«-Oméga n'a rien dit!» - « Qu'est-ce qu'il fait?)>-cc Il dort!»
<c-C'estle tour d'Oméga!»-«Toujours le même!>>-«Il rêve!»
cc-A l'âme!)>- «A l'empyrée!»- «A notregrand'mèreÈve! >1
«-Ilfautqu'ilparle!J,-«Allons!»-«Qu'onnousserveüméga!n
«-0 le bon sobriquet! - »

Oméga se leva.
Et c'était en effet un type assez étrange :
De force et de faiblesse un curieux mélange :
Une femme grimée en homme vigoureux.
Mystère il fut toujours, ailleurs.comme pour eux.
On ne lui connaissait ni parents, ni patrie,
Pas d'occupation, pas de galanterie;
Qu'il fut pauvre en tout temps, cela seul était clair.
Il partait tout d'un coup, sur quelque signe en l'air, -
Restait six mois, deux ans, au Japon? en Bohême?
Puis on le revoyait, en silence et le même.
En silence - et pourtant il n'était pas secret :
Quand on !'allait chercher, son franc babil courait.
OMÉGA. 273

On le voyait enclin comme au rhythmique spasme


De la mélancolie et de l'enthousiasme;
Curieux du plus grand, du petit, tour à tour,
Il fallait que tout eût sa haine ou son amour;
Du monde il paraissait avoir expérience :
Sans mépris, il était très-dur à la croyance,
Et pourtant on sentait qu'un poignet caressant
L'eût mis à la merci d'un tel, premier passant.
Voilà tout.

Q'est-ce donc? Chancelle-t-il d'ivresse·?


Comme un tumulte fou dans sa gorge se presse -
L'œil fait un long circuit, puis se fixe au delà -
Le verre fuit la main- c'en est fait d'Oméga ....

Un bolide le prend sur sa croupe rugueuse.


Un oméga, cornac, piquait de maiq. fougueuse
Avec un long compas l'invisible action; •
Debout, derrière, un point d'interr ogation
Comme ivre brandissait un puissant télescope.
Soudain la nuit se fait : dans la noire enveloppe
Luisent ardents et froids les innombrables yeux.
Cecroissant, c'est la Terre .... -«O vous, sombres milieux,
<t Espaces, parlez-moi!... Vides ou résista
nce? - >1
Dans le lointain roula comme un écho : « Substance - »
C'est elle, c'est Vénus. - « Atome crénelé,
« Quel type le Fiat a-t-il sur toi soufflé?
<< Apparais, créature à ce monde asservie!
- 1,
L'écho répéta deux fois : « Vie. ,1

L'espa se remplit comme d'un grouillement,


ce
D'une mer de matière et <lecorps en tourment
18
FIBRES INTIMES.

Que le soleil pompait comme une artillerie -


c<- 0 mer, que fais-tu là? Quel passé t'a nourrie?
« Ne viendra-t-il, le jour de consommation? -- »
L'écho dit : « Transformation. »
« - Soleil, liquide feu balayé de tempêtes,
« De trombes de métaux en éternelles fêtes,
« Es-tu roi? Suzerain, ou féal seulement? - »
L'écho répandit: « Mouvement. »
« - Mais encore -- vers quel mystère de l'espace?
cc Est-ce Hercule, Alcyone, où cet aimant s' enchâsse?
cc Il faut quelque point fixe, un centre, en vérité 1-,,
L'écho dit : cc Solidarité. ,,
cc - De planètes, Centaure, as-tu ta colonie? -- ,,
L'écho répondit : « Harmonie. »
cc - Sirius, de quels feux te fit !'Éternité? - ,,
L'écho répondit : « Unité. s,
cc - 0 Thêta d'Orion ! dis-moi quelle genèse
cc De sorte équilibra tes soleils en trapèze?
cc Comment ce coloris différent reflété? - »
Et l'écho dit:« Variété. ,,
« -Plus loin, plus loin encor! Par delà la lumière
« Qui descend du zénith en si fine poussière.... •
c, Plus loin, plus loin encor I Vers ces taches de !rut
« Où de l'art créateur l' œuvre gît incomplet
« Peut-être .... Èncor, plus loin, sans frein, sans lassitude))-
Et l'écho dit : « Infinitude. »
o - N'importe, encor plus loin l... Il faut que quelque part
n: On rencontre à la fin le désiré regard -
« Est-il vu n'est-il point un Esprit de ces mondes? ... »
Plus rien que le silence et ténèbres profondes.

Un blanc aérostat sur la Terre planait :


OMÉGA. 275

Une immense aile rouge à chaque flanc tenait.


En travers un grimoire en algébriques lettres.
La nacelle pendait au moins de mille mètres
Par des câbles divers, près de soixante en tout.
Dedans un vrai fouillis : un gorille debout,
Un fol ornithorynque, un dronte au tour grotesque,
Un poisson fait pour l'air, un émeu gigantesque,
Un baroque apteryx, un reptile volant,
Un kangourou timide, un pingouin chancelant,
Une marmotte, un phoque, un spectre, une torpille ....
Dans un aquarium, c'était autre famille:
Libellules, tétards, moucherons assortis -
L'arves à tous degrés rêvant leur paradis ....
Avec ordre étagés, frétillant ou rigides,
Vers, chenilles, cocons, nymphes et chrysalides ....
Puis un protée en l'eau dans le fond d'un pot noir ....
Puis un arrangement d'êtres ayant pouvoir -
A la suite ou selon - d'existences diverses,
Et d'autres se créant en alternantes tierces ....
Et puis d'infusions tout un assortiment,
Où soudain travaillait la vie abondamment ....
Et puis des animaux à des plantes semblables,
Et des fleurs qu'on eût dit animaux véritables ....
Des siphons, des fourneaux, des acides, des sels,
Pompes à vider l'air, et piles et scalpels,
Herbiers, cartons, amas défiant l'inventaire .... ~
Le blanc aérostat planait dessus la Terre.
Il s'enfla tout -à coup de plus grande ~ondeur
Et s'enfuit d'un train fou le long dP,l'équateur,
Les deux ailes battant. Et sans intermittence
Il fit un tour complet de la circonférence,
Puis sembla s'attarder sur le lac Nyanza.
276 FIBRES INTlMES.

- cc C'estbien, c'est bien, ici l'homme te devança; •


« Conduis, conduis ailleurs. N'est-il pas des arcanes
<<Au pôle, au pôle nord si craintif de profanes?
<( Quel est ce pouls qui bat, ce cœur, ce ganglion
« Qui renverse l'acier dans cette région?» -
Et le ballon se mit en toute hâte en route .
Le long du méridien. Et sur la plate voûte,
Sur la tête de l'axe, un grand lac amassé,
De monts, de pics de glace à jamais enchâssé, -
Ou plutôt un grand gouffre, un maëlstrom en démence,
Et n'ayant qu'une note en sa clameur immense,--
Et dessus un jour dur qu'on eût dit éternel ....
- cc C'e.,t bien, c'est bien, voilà superbe carrousel;
cc Mais ganglion, cœur, centre, ont mot quelconque à dire-
,c C'est. ici le plus court, et ce vortex attire .... ,, -

Et ce fut un soudain, vif éblouissement


D'eaux livides valsant furieux tournoiement, -
De tranquilles dépôts comme pages d'un livre,
Puis heurtés, disloqués, impossibles à suivre, -
D'effervescent travail, d'électriques courants, -
De métaux, de cristaux, par veines, par torrents, -
De tuyaux de volcans dans des fourneaux de lave, -
De granits, de granits, où partout le feu· bave -
Le feu, pâteux, liquide, et que rien ne bornait ....

Le blanc aérostat sur la Terre planait :


Était-ce bien pourtant encor la même Terre? ...
Un air sombre pesait; la face presque entière
Était un océan où par des soupiraux
Des flammes bondissaient, luttaient avec les eaux ....
• /

OM!tGA. 2'77

La nucelle souduin comme précipitée


Descendit .... Et voilà, duns une anse abritée,
En plein soleil, un roc, un roc mystérieux
Où se mourait le flot, courait un vent joyeux, -
Et dessus, dans deux ronds comme des auréoles,
Deux vésicules, deux, comme deux taches molles,
Deux points que n' eùt pu voir I' œil le pius importun
Sans l'étincelle qui s'attachait sur chacun -
Une étincelle étrange et d'étrange lumière
Qui rendait le jour pâle .... Et soudain la première
Disparut. Et le point doubla, doubla, constunt,
A lui-même toujours et toujours s'ajoutant -
Et voilà, sur le roc allongée, une plante! ...
Et l'autre point ayant ressemblance apparente
Au premier, se doubla, doubla, toujours constant,
A lui-même toujours et toujours s'ajoutant -
Et voilà, sur le roc, une forme tout autre
Qui par degrés s'anime et lentement se vautre
Devers le flot .... - ,c Eh quoi! mais la diversité?
« L'Ordre, le Plan de l'Être à. ses fins adapté? » -
Et telle qu'une voix auparnvant ouïe
Souffla: - Forces - Milieux - Durée indéfinie .... -
- « Mais encore-pourquoi,jusqu'àquand et comment? 1
>

- Permanence, Écart, Lutte et Développement ...• -

Le blanc aérostat plunait dessus la Terre.


Déjà l'Europe avait un tracé linéaire
Facile à reconnaître; et l'ensemble pourlant,
Moins indenté, formait un plus haut continent.
La végétation était assez semblable
A des types connus, mais dense, inextricable.
- ::s:r --:x;;;::;--:; ~,;p;;:::,J>#?r

--......--1

278 FIBRES INTIMES.

Les animaux de même, et cependant entre eux?


Quelques mammoths velus et cerfs majestueux.
Les fleuves étalaient de plus larges artères
Et roulaient une eau froide en de grands estuaires ....
Et voilà, sur un lac, sur pieux en pilotis,
Des villages, des camps, grossièrement bâtis:
Huttes rondes d'osier ou d'écorce textile,
Avec toits faits en pointe et recouverts d'argile.
Un pont devers la rive. A l'entour amarrés
Des troncs creux .... Et voilà, soudain agglomérés,
Des hommes - en était-ce? - avec flèches de pierre ....

Le blanc aérostat planait de$sus la Terre :


Et le dessin était encore plus parfait,
Mais il restait toujours, attardé, plus d'un trait.
Et voici - la nacelle en brusque fantaisie
S'abattit aux plateaux de la centrale Asie.
Et là d'hommes c'était un grand fourmillement:
Tentes, métiers, troupeaux, et socs en mouvement.
Et ces hommes parlaient un langage rapide,
Sonore, et que souvent le geste aide et décide, -
Un langage à coup sûr étranger, inconnu,
Pourtant comme déjà mille fois entendu ....
Souda.in il se condense une innombrable foule
Qui, comme deux torrents, par les pentes s'écoule
Vers le sud et vers l'ouest. ... Ils avaient le port fier,
Et portaient da.os leurs mains et le bronze et le fer ....

Le blanc aérostat planait dessus la Terre.


Et voilà, découpés dans la surface entière,
OMÉGA. 279

États grands et petits, de tout gouvernement,


Avecchevaux de feu courant éperdument; ...
Et la première vue en était séduisante -
Mais l'intime laideur sortit à la suivante :
Entourage fatal de fatals ennemis;
Tous les décrets de vie aux lois de mort soumis;
L'homme butant chaque homme en dtir antagonisme;
L'ensemble pi voté, balancé d'égoïsme ....
Une foule de maux et de vices forcés,
Outre les nombres grands de propo~ amassés.
Des hommes écrasés pendant toute la vie,
Juste pour la pitance au jour le jour ravie;
Des femmes qu'on chassait même de ce bonheur;
Des enfants malvenus, ignorants sans candeur,
Qui grandissaient sans jeux, sans amour, sans lumière ....
Des hommes qui volaient de multiple manière
Le bien, l'honneur, le souffle et l'air .... D'autres encor
Qui pour un désir vain, pour l'hommage ou pour l'or,
Renversaient leur penser, tuaient leur conscience....
D'autres, riant tout seuls, tout gonflés d'impudence,
Se disaient les élus, les envoyés du ciel, '
Pour tromper, asservir .... D'autres, fardés de miel,
Aidaient ceux-là, prêchant d'imaginaires mondes
D'heureux achèvements et de terreurs immondes
Qui distrayaient les yeux des remèdes présents ....
,
C'était aussi des lois avec divers pesants
Pour le riche et le pauvre, et se croyant très-justes;
Mêmepeine en ces lois pour les têtes augustes
De penseurs, de tribuns, qui bravaient le courant,
Et pour le vil parjure et le voleur flagrant ....
Des entraves partout, toutes les tyrannies,
Douleurs d'âme sans fin, six mille maladies,
280 FIDilES INTIMES.

Des horreurs faites bas, des massacres tout haut,


Des inondations, la peste, l'échafaud,
L'amour vendu, l'enfant étouffé par sa mère ....

Le blanc aérostat planait dessus la Terre.


La même encore? ... Encor - serait-ce qu'au signal
De deux traits déjà vus : de la mort et du mal.
Et cependant tout autre - et cependant changée -
De bien, de liberté, comme à neuf ouvragée ....
L'ennemie elle-même était tendre à, ses fils,
Et le fatal disait bien moins haut: Vœ Victis....
Du loisir pour chacun; chacun bonne mesure
De pain pour l'âme avec son autre nourriture ....
Plus d'amour, moins d'orgueil, en l'âme une clameur
Par le bonheur d'autrui d'achever son bonheur ....
Champs plus verts, air plus bleu, eomme un vent de jouvence,
En fraîche éclosion cent germes d'espérance ....
« - C'est bien, c'est bien-la race en marche à l'idéal--
« C'est bien - l'humanité dans l'entrain général -
rc C'est bien- l'homme augmentant sa stature mortelle-
'' Mais la mort, mais la mort, à quoi donc conduit-elle?... ))-

Et ce fut un caveau dans un enclos connu -


Et le mort au cercueil reposait le front nu -
Un beau mort bien-aimé, dont toute l'existence
Avait été sagesse, amour, bonté, constance, -
Et son front s'éclaira soudain comme autrefois ....
« - Ame, reviens ici, reviens, qui que tu sois -
<< Tu dois être, tu dois, même si la durée

cc Aux seuls nobles et grands fut jalouse assurée .... )>

- L'ignorance confond la cause avec l'effet -


OMÉGA. 281

L'harmonie est à bout quand l'orchestre se Lait-


Tout moùe ou phénomène a même sous-enLcn te -
Quand forces ne sont plus, n'est plus de résultante ....
<<- Ame, reviens ici, reviens, où que tu sois -
cc Des astres où tu prends de graduels surcroîts
« De sagesse, d'amour et de perfection .... »
- Le procédé nommé la fermentation
.\
Est un drame chimique, à durée inégale, \

Avec commencement, maximum, et finale ....


<( - Ame, reviens ici, reviens, où que tu sois -
cc D'un Nirvana quelconque, où l'on est toutefois .... »
~ L'univers a semblant d'une série immense :
Où tel chaînon finit, autre chaînon commence;
L'homme avec la raison va l'animal devant,
Sans doute ailleurs un être est le chaînon suivant. ...
« - Reviens, âme, reviens .... On le dit à l'enfance -
« Au sang, au sang s'infiltre ù toujours l'espérance ....
« Reviens, principe, feu, force, archée, ou levain -
« Dis, Nephesch, Nichema- dis, dis, Rouah divin -
cc Mort, parle à celui qui te supplie et te touche -
cc Tu le sais, le secret; ... Je suis là, sur ta bouche \
« Qui science et sagesse et bonté prodigua .... » '

cc - Oméga se réveille! >>- Eh, bonjour, Oméga! - » '


Bath. Décembre 1866.
\
FIN,
TABLE.

i;es.
Alpha................ , ....................... , ........ ,,,. 1
Larme et sourire ..... , ... , ... , .... ,........................ 9
Rachel. ....................... , ...... , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
OEufsde Pâques, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Lumen! ................................................... 39
Misère.................................................... 41
Annie........... , .................................. ,..... 45
Fuite d'Égypte. - A plusieurs Messieurs..................... 49
Mardi-gras................................................ 55
Adieux.. , .................... , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . •. 59
L'enfant au bord de l'eau. (Schiller.).......................... 67
Le partage du monde. (Sur un thème de Schiller.).............. 69
Fragment d'un manuscrit arabe de la fin du treizième siècle. . • . • 73
A quoi je rêve. - A M•. J, G............................... 75
Ce que je voudrais être.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • • • • 79
Saint-Sylvestre............................................. 31
La goutte d'eau. - (Sujet persan.) - A la petite Aimée L....... 33
Après trois sonates, - A Mlle L H ................... , .. , ••• , l5
Point du jour. (Longfellow.)........................... ,..... l7
Lacrimre : Trois pêcheurs s'en allaient. (Charles Kingsley.)•• ,... 39
Le chant de la chemise. (Tom Hood.)............... JO
Le cri des enfants. (Mrs. Barrett Browning.).•• , •••• , )3
Sauvageons. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • • • . • • • • • • • • • )7
Égarement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . • • • • • • • • 1.7
Deux femmes. - A M•. H. S............................... • Ill
Laquelle? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • • . • • • • l !3
A une marguerite des montagnes retournée avec la charrue en
avril 1786. (Burns.).................................... 1:1
Le sifflet. (Burns.).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . • . • • • • • • • • • • • • 135
281 TABLE.
ru~cs.
. . . .. . . . . . . . 141
Le rbeau. (Edgar Poë. ). . . . .. . .. . . . . . . . . . .. . . . 147
Staes. - A Mrs. \V...................................... . . . 151
lle P. H..... ... . . . . . . . . . . . . . . . .
Sounir. - A mademoise
......... ......... ......... .... . 153
Blu..................... l:'>5
Ema.................................................... l:'>7
(Shel ley.).. ......... ......... ...
A lll alouette des champs. 163
Finl'automne............................................. 165
A !comète............................................... 167
Peb Émilie. - A sa mère. ......... ......... ......... ....
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
Mo10n-rouge. 171
C'e:ici...................................................
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Ah vou&dirai-je maman?..... . . . . 175
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La ieille. . . . . . 183
...........
Je rndrais être un enfant sans souci. (Byron.).... 187
Enire un gobelet! (Byron.).... ......... ......... ......... .
......... ......... ......... 189
Ch:ivari.............. .........
193
Co1aissez-vousdes jours...................................
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Sml'herbe.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
amis. . . . . . . . . . . . . . . .. .. .. . . . . .. .. . . . . .
Leièvre et ses 221 /;
Vê~eset Matines.......................................... . 231
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sovenir de !'Exposition de 1862. . . . . 239 A
er. ('r. Moor e.)... . . . . . . . . . . . . . . . . . .
tlfiuit tinte au cloch .
.. . . . . . . . . . . 241
An, tu connais bien les charmes. (Burns.).....
f
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243
Frgment. (Burns.). . . . . . . . . . . . . . . . 245
f.
ainsi! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Qui, me quitter . . . . 247
f
. . . . . . . . . . . . . . . .
Am philosophe anglais. . . . . . . . . . . . . . . . 267
Aita............................................... ......
. . . . . . . . . . . . . 269'
01éga.. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
f
J

FIN DE LA TABLE.

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HISTOllY 0j

Essays and trealises on various suhjeci,,


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'. \ - Master 1·111rnphre·y•s Clock. 2 vols. in-Svo. 3 [r. S,11otLK1'T'S, rrom 1760 to 1835, in 5 vols. 7 Fr.soc.10
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- Skelcheslly Boz, f vol. in-Svo. l fr. 50 c.
~ - Amrrican notes ror gcneralcirculation, t rr. soc. - Lives or !lahomet and his Successors, t vol, •u-ijr0,
~~ -uarlinC1w1.zlrwit,2vols.in-24,3fr. br.t fr.JO.,,,
1; - Pictures from llaly. 1836,l vol. in-12. t fr. 50 c. - Sketch Book. t vol. in-Svo. t [r. 50 c.
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EDGEW OR TH'S (MISS) TALES AND NOVELS. - lfonry Masterton, f vol. in-8vo. t Ir. soc. v
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1 5
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