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XAVIER RAUFER

À QUI PROFITE LE DJIHAD ?

LES ÉDITIONS DU CERF


© Les Éditions du Cerf, 2021
www.editionsducerf.fr
24, rue des Tanneries
75013 Paris

EAN 978-2-204-14323-3

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Introduction

Lors de l’initiale vague de terrorisme moyen-oriental, dans la


décennie 1980 (attentats de Paris, prises d’otages, etc.), le gouvernement
français découvrit péniblement, pragmatiquement, que tous les actes
perpétrés dans ce contexte provenaient d’un omniprésent sommet… Il y
avait bien un bouton marche-arrêt : quand certains gestes furent accomplis
côté français, le chaos terroriste issu du Moyen-Orient s’arrêta net, pour
17 ans.
Dans cette même région, le « camp problématique » (Iran, Syrie,
Hezbollah…) est aujourd’hui le même que quarante ans plus tôt : acteurs,
services, méthodes, etc. Or, tout le monde voit que le chaos terroriste est
revenu… Certaines actions récentes (comme l’attaque du Bataclan)
semblent en effet bien complexes pour avoir germé dans le seul esprit
d’individus primaires, alcooliques ou drogués, hypnotisés par la constante
récitation des al-hamd shareef (litanies coraniques).
Que s’est-il donc passé ? Répondre à cette énigme est ardu car les
acteurs – surtout, les donneurs d’ordres – du terrorisme moyen-oriental
maintiennent à tout prix le secret sur leurs actions. Tandis qu’un secret plus
hermétique encore verrouille leur surplombant principe directeur : au
Moyen-Orient, d’abord dans la zone Liban-Syrie-Irak, toute émergente
entité paramilitaire ou terroriste ne survit que si elle obtient le support d’un
des États de la grande région, voire au-delà ; sinon, elle disparaît. Ce crucial
théorème 1 est toujours vérifié, du début de la guerre civile au Liban (vers
1975) à nos jours ; on lui cherche en vain un contre-exemple.
Pour les commanditaires régionaux de ces entités paramilitaires ou
terroristes, agir ainsi est un réflexe d’autant plus élémentaire que dans leurs
origines – pas forcément lointaines – la plupart des régimes en cause ont
vécu des épisodes parfois longs de clandestinité, les ayant marqués à
jamais.
Dans ce contexte, recevoir des informations sensibles nous a cependant
été possible, du fait de relations dans la région Iran, champ de bataille Irak
Syrie-Liban, etc. Voici comment.
D’abord, cette règle sine qua non pour qui parle à des officiers de
renseignement présents sur le terrain (ici, du Moyen-Orient) – ce, quels que
soient leur nationalité ou service d’appartenance ; car même s’ils acceptent
d’échanger avec des experts issus du monde académique, ces officiers
cherchent à tout prix à éviter l’accusation – gravissime pour leur carrière –
de compromission de secrets de défense, ou d’État. Les informations qu’ils
transmettent doivent donc impérativement être corroborées par une ou
plusieurs sources ouvertes, quelle qu’en soit l’origine. Si besoin, l’officier
de renseignement peut ainsi répliquer à une accusation de divulgation de
secret, que « c’est déjà dans le journal ».
Voici l’intérêt de tels échanges factuels : sur l’immense éventail
d’informations qu’offrent les médias, ils permettent, mieux et plus vite,
d’approcher les réalités du terrain ; transmis qu’ils sont par des agents
informés au quotidien (sources humaines ou électroniques), et analysant
ainsi, sans grands risques d’erreur, ce que cache le local « brouillard de la
guerre », terroriste, criminel ou hybride. Cette règle a été respectée en tout
point dans ce texte.
Mais la source des services spéciaux d’États n’est bien sûr pas la seule :
– À tout instant, la guerre civile peut reprendre au Liban : les milices
communautaires y conservent donc d’actifs dispositifs d’information, dans
certains desquels nous avons des contacts, qui partagent volontiers les
informations… d’usage, sur le camp d’en face.
– Il existe en Iran des intellectuels critiques envers le régime des
mollahs. Non des militants exilés à l’étranger, plutôt, des esprits libres
évoluant entre Téhéran et des capitales d’Europe. En Iran même, certains
proches de ces intellectuels occupent parfois des postes officiels, mais le
côté État-voyou du régime les gêne ; pour eux, la Perse mérite mieux que sa
présente réputation : terroriste-parrain de sanguinaires milices. Or ces
intellectuels disposent parfois d’informations internes au régime et partager
ce qui justement concerne son côté « infréquentable » ne les effraie pas.
Nous avons grâce à ces intellectuels critiques accédé à bien des données
inédites, cruciales pour notre étude.

Ces éléments bruts réunis, comment aller à l’essentiel, comprendre à


temps, concevoir des démarches et itinéraires ? L’architecture de cette étude
est pleinement phénoménologique ; discipline philosophique qui fut notre
seul principe directeur, ou « système d’exploitation », pour user d’une
image de l’informatique.
Des phénomènes donc, rien que des phénomènes.
PREMIÈRE PARTIE

NOS DERNIÈRES
CONNAISSANCES
SUR LE TERRORISME
ISLAMIQUE
Que savons-nous vraiment de l’actuel terrorisme islamique ? Et surtout :
que pouvons-nous en savoir ? Dans un monde fragmenté et instable,
éprouvant une mondialisation risquée sur tous les plans, politique, religieux,
et face à des ennemis indéfinissables et souvent hybrides, se borner à
prolonger des courbes ne sert qu’à s’aveugler soi-même ou à faire perdurer
le chaos.
L’approche phénoménologique tout comme la pensée de Martin
Heidegger 1 nous aidera dès lors au travers de trois concepts.
1. L’INCALCULABLE – celui qui compte « admet comme ce qui reste et
toujours restera hors de sa portée, ce qui s’enfuit devant lui. Même ainsi, ce
n’est jamais que du calculable que la computation n’est simplement pas
parvenue à faire entrer en ligne de compte ». 2. L’IMPRÉVISIBLE – « Le
calcul basique imagine que ce qui est futur se tient déjà là quelque part en
tant que but fixé et solide… comme objet se tenant en face, vers quoi les
chemins peuvent être calculés. » 3. L’IMPERCEPTIBLE – « L’avenir n’est pas
une simple rallonge du présent tel qu’il se laisse planifier ».
Grâce à la méthode phénoménologique, nous pouvons déceler et
analyser plus sûrement : 1. Ce qui est hors de la sphère du calculable et du
modélisable. 2. Ce qu’on ne sait pas percevoir à temps. 3. Ce qu’on ne peut
prévoir ou prédire : l’irruption sauvage du non-décelé, du non-familier, de
ce qui fait encontre.
Pour aller vite, disons que l’approche phénoménologique nous fournit
aussi la pensée non-linéaire : « Ce mouvement d’aller au fond ne signifie
nullement une volatilisation, une pulvérisation dans le néant – car en ce cas,
le milieu ne serait précisément pas compris dans sa fonction médiatrice,
comme passage véritable qui conduit à autre chose… Le mouvement vers le
fond est avant tout retour au fondement. » L’apprentissage au décèlement
précoce s’effectue ainsi dans une logique circulaire et non linéaire.
Cela fait toute la différence avec l’entendement courant qui, lui, « ne
peut voir et saisir que ce qui se présente directement devant lui ; il veut
ainsi constamment se déplacer en ligne droite et de la chose la plus proche à
celle qui suit au plus près ». En revanche, le mouvement circulaire « trouve
son élément essentiel… dans le regard – possible uniquement dans la
démarche circulaire – jeté vers le centre. Celui-ci, le milieu et le fond, ne se
révèle comme centre que dans et pour la formation d’un cercle autour de
lui 2 ».
Fondée sur une vision élaborée du temps 3, estimant importantes et
prédictives ses turbulences, ses discontinuités, la pratique non-linéaire
visant au décèlement précoce est fondée sur une constante volonté
d’anticipation, d’observation de symptômes, permettant de cerner au plus
vite un problème, puis d’accéder à son fond.
Doté de ces armes conceptuelles, on répondra à quatre questions :
1. Entièrement fondé sur le calculable, le paramétrable et le
modélisable, le dispositif stratégique des États-Unis peut-il combattre
efficacement en terrain chaotique ? Plus encore, y remporter une
« victoire » – si ce mot a encore un sens dans la société de
l’information, génératrice de guerres sans fin ? (Afghanistan : 19 ans
continus).
2. Dans leur durée, les attentats sophistiqués de la vague 2015-2016
(Bataclan-Zaventem), peuvent-ils vraiment avoir été imaginés et
préparés par de simples malfaiteurs de Molenbeek ou d’autres zones
hors-contrôle ?
3. Comment expliquer la persistance d’entités salafistes-djihadistes,
face à la coalition d’une majeure partie des forces planétaires de défense
et de sécurité ?
4. Quels types d’hostilité sont enfin à l’œuvre au Moyen-Orient ? Et si
la nature non-euclidienne (stratégies indirectes) de ces guerres
expliquait les étrangetés régionales : survivances curieuses, survies
inespérées, victoires incroyables ?
CHAPITRE 1

Questionnements décisifs

Pourquoi les États-Unis échouent


au Moyen-Orient ?
L’influente sénatrice américaine Elisabeth Warren s’inquiétait dès
novembre 2018 de l’enlisement de son pays dans des guerres in-finies – aux
deux sens du terme, interminables et non achevées 1. En deux décennies, ces
néo-guerres coloniales ont en effet provoqué la mort de 6 900 militaires
américains (plus 52 000 blessés) et tué des centaines de milliers de civils.
Coût direct estimé : mille milliards de dollars. Or le chaos perdure dans les
pays ciblés : Afghanistan, Moyen-Orient (Irak, Syrie), Somalie, Yémen. Ni
la Maison-Blanche ni Pentagone, insiste la sénatrice, ne semblent savoir ce
que serait « gagner » ces guerres confuses. En tout cas, en 2020, le budget
du Pentagone dépassera les 730 milliards de dollars 2…
De fait, transformer l’Irak en « démocratie » à l’Américaine, conduire
en Syrie un « changement de régime » contre Bachar al-Assad, pour faire
de ce pays une autre « démocratie », furent de retentissants échecs. Mais
précédés par d’autres, dans les Balkans. En 1992-1995, on se souvient des
combats en Bosnie-Herzégovine et de la volonté du président Clinton de
faire de cette marqueterie de clans hostiles un État-nation classique.
Résultat, presque vingt-quatre ans plus tard : un apartheid total. L’Afrique
du Sud de jadis, l’Irlande du nord de naguère, étant en comparaison
« inclusives » et conviviales. En Bosnie-Herzégovine en effet, jusqu’à ce
jour : les artères ont deux plaques, « bosniaque » et croate, portant donc des
noms différents ; pour une même ville, pompiers, propreté, hôpitaux,
électricité, stations de bus, discothèques, équipes de foot, sont séparés ;
dans ce « pays » dont pourtant les habitants sont tous physiquement
indiscernables et parlent (à 95 %) la même langue, règne une absolue
ségrégation ethnique sociale et scolaire – avec dans la même localité, des
administrations aux locaux et horaires différents !
Bien sûr, un pays parrain « protège » chaque canton ethnique : Russie
pour le Serbe, Allemagne pour le Croate, Turc pour le « Bosniaque ». Entre
tous règne un fragile état de non-guerre, révocable à la première occasion.
Et ces islamistes des Balkans, dont naguère, Washington s’alarmait
fort ? De 70 à 100 Kosovars-Albanais ont combattu en Irak-Syrie. Là,
disent des sources sûres, leur chef fut longtemps Lavdim Muhaxheri
(« Abu Abdulla al-Kosova », peut-être tué en juin 2017). Issu du village de
Kacanik à la « frontière » Kosovo-Macédoine du Nord, Muhaxheri fut
durablement employé à la base américaine Bondsteel du Kosovo, puis à la
mission US en Afghanistan. Comment expliquer de tels itinéraires ?
Confusion, ignorance, naïveté ?
Retour au Moyen-Orient. Où le bât blesse-t-il ? Nombre d’experts
américains soulignent l’incompréhension durable par Washington de
phénomènes militaires locaux. Ces phénomènes sont sans doute compris
par la CIA (qui a d’excellents experts de terrain), mais en amont, cette
agence n’a pu ou su convaincre le Pentagone ou la Maison-Blanche de la
nécessité de prendre en compte :
– Le jeu néo-Ottoman d’Erdogan, depuis les « Kurdistans » syrien,
irakien, etc., jusqu’au Qatar,
– La nature purement militaire-irakienne du commandement de la
durable entité, dont le dernier avatar se prétend « État islamique »,
– La porosité des « rebelles syriens » avec al-Qaïda et l’État islamique,
– la constante incapacité de Washington – Big Data ou pas, Intelligence
Artificielle ou non – à concevoir tout jeu géopolitique à plus de deux
acteurs ; ce, par distribution arbitraire jusqu’à l’absurde, des rôles de
« gentils » ou « méchants ».

Que se passe-t-il vraiment en Syrie


et en Irak ?
Jamais l’appareil militaire et de renseignement des États-Unis n’a
intégré la nature mercenaire des kataeb (« grandes compagnies ») actives
dans la région. Du fait, dit pudiquement le New York Times, de « la visibilité
limitée des responsables militaires et du renseignement, sur la réalité du
terrain ». Mais acquérir cette visibilité demande bien sûr d’avoir d’abord en
tête le schéma d’ensemble et les règles du jeu régional – le « champ
préalable d’inspection », toujours.
Durant l’épisode irakien, le général David Petraeus parvint à pacifier
Mossoul, chaotique depuis l’invasion américaine. Ensuite ? Selon l’expert
Fred Kaplan :

Sa tactique improvisée marchait plutôt bien, mais avorta à son


remplacement par un nouveau général. Suivant l’ordre reçu de
former au plus vite une force indigène, efficace ou pas, Petraeus
avait engagé des centaines de milliers de policiers et de soldats,
peu et mal entraînés, mais bien armés, pour que l’armée
[américaine] puisse se retirer. Quand la guerre civile embrasa
l’Irak, ces forces incontrôlées ont déserté, fui ou formé des
escadrons de la mort.

Puis elles ont fourni le gros de ses troupes à l’État islamique. Voilà pour
l’ignorance de la population sunnite de l’Irak.
Pour les chi’ites, c’est pire encore. Fin 2017, le ministre de l’intérieur
irakien était Qassim al-Araji, naguère chef d’une milice chi’ite encadrée par
les Pasdaran iraniens. Deux fois détenu en Irak (23 mois en tout) pour
avoir importé d’Iran de puissantes bombes, afin de détruire des tanks
américains. Or, Araji demanda à ces militaires américains de rester en Irak ;
il leur proposa d’entraîner les milices chi’ites, de partager avec elles du
renseignement, puis de planifier ensemble des opérations jointes contre
l’État islamique. Pourquoi pas ? se dirent les officiels Américains, dans
« l’espoir de détacher les chi’ites irakiens de l’Iran »… Une folie. « L’Iran ?
Où est-ce déjà ? » s’amusait le supérieur d’Araji, Hadi al-Ameri, chef de
l’Organisation Badr, filiale irakienne de la division al-Qods des Pasdaran,
aux ordres du général iranien Qassim Soleimani.
En 2017, l’armée américaine dépensa ainsi 3,6 milliards de dollars pour
« équiper et entraîner les forces de sécurité irakiennes » ; dont celles du
ministère de l’Intérieur de Bagdad, les Hashd al-Shaabi, « Forces
populaires de mobilisation », nom en arabe des milices chi’ites. Washington
offrait au renard la clé du poulailler.

Qui a attaqué la France et la Belgique


en 2015 et 2016 ?

2015-2018 : UNE TROUPE NOMBREUSE.


Islamisme armé 3 : depuis mars 2012 et les attaques de Mohamed
Merah, la justice française en est (fin 2018) à 1 699 individus sous enquête ;
470 mis en examen ; 373 jugés ou en instance ; 856 recherchés. Enfin, 250
à 300 islamistes adultes de nationalité française subsisteraient dans la zone
Irak-Syrie 4.
Un effectif de plus de 1 500 individus plus ou moins aguerris est sans
précédent dans l’histoire du terrorisme en France, dans toute sa durée. Ni la
« Bande à Bonnot », ni l’OAS-métropole, ni ETA, ni les NAPAP, ni Action
directe, ni les divers avatars du FLB-ARB, ni les GAL, ni l’ASALA, ni les
FARL, ni le GIA, pour les principales entités terroristes actives en France
depuis le début du XXe siècle, n’ont jamais dépassé quelques dizaines
d’individus.

5
CHARLIE-HEBDO, HYPERCASHER .

Inutile ici de reprendre in extenso l’histoire de ces récents attentats,


restés gravés dans les mémoires, et ayant coûté la vie à 12 innocents, dont
2 policiers. Il convient plutôt de détailler les propos de magistrats et avocats
ayant accédé au dossier judiciaire, désormais bouclé.
Dans ce dossier, si bien sûr les principaux terroristes en cause ont tous
péri, restent 15 mis en examen, 13 prisonniers et 3 mandats d’arrêt visant
les fuyards, Hayat Boumeddiène et les deux frères Mohamed et Mehdi
Belhoucine, tous alors réfugiés dans la zone de djihad Irak-Syrie.
Pour le procureur de Paris (d’après son réquisitoire, qui fait 484 pages),
c’était « un projet mûrement construit », « un attentat bien planifié, exécuté
par une équipe entraînée et déterminée », avec « des préparatifs quasi-
militaires… ». On y lisait une « sophistication des modes opératoires »,
ainsi qu’un « processus complexe de passage à l’acte », une longue
« coopération avec un donneur d’ordre », et une « concertation d’Amedy
Coulibaly et de Chérif Kouachi ».
Reste le point crucial : « Un commanditaire à identifier ». Pour un
avocat des victimes ayant lu le dossier et écouté les magistrats : « C’est
toute une chaîne qu’on doit comprendre… Toute une équipe amène ces
trois-là à tirer ».
Nous sommes ici face à une structure solide capable de planification
durable, avec réseau de soutien, groupe d’action, commandite extérieure.
On est loin d’une fratrie confuse, agissant sur coup de tête pour « venger le
prophète », comme des officiels l’avaient un peu vite énoncé à l’origine.

6
BATACLAN, ZAVENTEM .

Avec prescience, Le Monde observe dès le 11 novembre 2017 :

Loin des récentes et rudimentaires attaques au couteau ou à la


voiture-bélier, ces attentats sont le fruit d’une réelle
« ingénierie » djihadiste. Le résultat d’un plan type « poupées
russes », savamment pensé en amont [nous soulignons] : un
grand nombre de kamikazes, « coordinateurs » à distance, une
demi-dizaine de planques et soutien de petites mains plus ou
moins radicalisées.

De fait, le bilan des attentats de Paris et de Bruxelles Zaventem est


terrible : 130 morts à Paris et Saint-Denis, 32 morts à Bruxelles et
Zaventem, plus au total 800 blessés entre ces deux métropoles. Déjà en
novembre 2017, l’enquête (française) des six juges d’instruction comprend
230 tomes de procédure et 28 000 procès-verbaux. Et quand se tiendra le
procès des attentats de Paris, il rassemblera au minimum 1 700 parties
civiles et 300 avocats.
On compte encore quatre commandos – peut-être cinq ; au moins un
autre attentat envisagé à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol : pour les
experts du terrain, un « tentaculaire réseau djihadiste », est à l’œuvre,
derrière lequel se devine « une cellule djihadiste plus importante… avec
ramifications à travers toute l’Europe, surtout en Belgique ».
La plupart des attentats se préparent en Syrie ; de là, le réseau se déploie
en Turquie, puis à travers toute l’Europe : Grèce, Croatie, Autriche,
Allemagne ; à pied d’œuvre, la logistique du réseau multiplie les locations
d’« appartements conspiratifs » dans la région bruxelloise (Anderlecht,
Bruxelles même, Etterbeek, Jette, Molenbeek, Schaerbeek) et au-delà,
Auvelais (Namur), Charleroi, Verviers. Bien sûr, à Saint-Denis, près de
Paris.
Là se cachent les artificiers, coordinateurs et logisticiens. Là se
fabriquent, dans au moins un atelier spécialisé (Saint-Gilles), ces faux
documents permettant aux commandos de circuler en Europe incognito,
sous maintes fausses identités. Là se fabriquent l’explosif TATP et les gilets
prévus pour les attentats. Là sont dissimulés armes, munitions, téléphones ;
de là se louent de multiples véhicules, nécessaires au transport des
terroristes et de leur arsenal.
Pendant au moins 17 mois, des dizaines de terroristes agissent ainsi
dans toute l’Europe – sans qu’alors, nul dans les services de renseignement
des pays en cause ne repère leurs préparatifs ; moins encore dans les
coordinations européennes supposées les alerter et les réunir en un commun
maillage.
Pourquoi 17 mois ? En juin 2014, les frères el-Bakraoui, que nous
retrouvons plus bas, braquent à Auderghem (Belgique) le Crédit Agricole
local, acte classé sans suite en décembre suivant par le parquet de
Bruxelles ; mais acte destiné à financer les attentats à venir, à Bruxelles et
Paris. Juin 2014, novembre 2015 : cela fait bien 17 mois, lors desquels la
préparation de la vague terroriste débutant en novembre 2015 va son train.
Au centre de la nébuleuse
Au centre de la nébuleuse, une cinquantaine d’individus diversement
impliqués ; morts, vivants, détenus ou en fuite. Un considérable effectif
terroriste : pour une seule attaque, plus d’opérateurs que dans tout autre
attentat, jamais exécuté en France :
Abaaoud Abdelhamid, coordinateur – Abdeslam, fratrie, Brahim,
Mohamed et Salah, purs hybrides, voyous et braqueurs confirmés – el-Abdi
Souhaib – el-Abdi Ismaël – Aberkan Abid – Abraimi Lazez – Abrini
Mohamed – Aït Boulahcen Hasna – Aït Boulahcen Youssef (cousins
d’Abaaoud) – el-Ajmi Youssef – Akrouh Chakib – Amghar Sofiane –
Amimour Samy – Amri Mohammed – Arshad Mohamed – Atar Oussama
« Abou Ahmed », recruteur et coordinateur (éliminé en Syrie par une
frappe ciblée en novembre 2017) – Atar Yassine (les Atar, cousins des
Bakraoui) – Attou Hamza – al-Ayari Sofiane, Tunisien ex-djihadiste de
l’État islamique – Bakkali Mohamed « Abou Walid », Belge – el-Bakraoui
Khalid (kamikaze du métro de Bruxelles) – el-Bakraoui Ibrahim – el-Bali
Marouane – Bazarouj Ayoub – Belkaid Mohamed – Ben Larbi Khalid –
Bouzid Samir – Chouaa Abdellah – Clain Fabien, son épouse Mylène, son
frère Jean-Michel 7 – Dahmani Ahmed – Damache Omar – el-Haddad Ali –
Haddadi Adel, Algérien – Hadfi Bilal – al-Iraki Ali “Ahmad al-
Mohammad” – al-Iraki Ouchaka – Jaffal Zakaria – Kayal Sofiane –
Kharkhach Farid – Krayem Oussama, syrien-suédois – Laachraoui Najim,
artificier – al-Marmod Mohammad – Mehdaoui Zouhir – Mohamed-Aggad
Foued – Mostefaï Omar Ismaël – Nouri Yassin – « Ahmad Alkald »,
« Mahmoud », syrien artificier – Ouali Djamaleddine – Oulkadi Ali –
Usman Muhammad, Pakistanais – Zerkani Khalid.
Durée, effectifs, logistique – insistons : jamais, sur une durée aussi
ramassée, depuis le milieu du XIXe siècle et les premiers attentats anarchistes
ou « nihilistes », l’Europe n’a affronté une campagne terroriste aussi intense
et meurtrière 8.
Cette concentration d’hommes et de moyens est-elle sui generis,
spontanée, imaginée et conduite de part en part par de jeunes malfaiteurs
fanatisés, des hybrides ? Ou bien s’agit-il d’une opération décidée,
planifiée, soutenue par une puissance étrangère, étatique ou non ? Sommes-
nous alors dans un terrorisme bricolé et réactif, ou au cœur de la « guerre
civile internationale » ? Telles sont les questions imposées par cette
description de la « campagne-Europe, Bataclan-Molenbeek ».
CHAPITRE 2

Djihad, terrorisme : la topographie


régionale

Quelques questions découlent de l’énigme terroriste actuelle : qu’est-ce


structurellement que l’État islamique ? Quelle est l’originalité de cette
entité, que dans une antérieure étude nous avions qualifiée d’« objet
terroriste non-identifié » ? En quoi consistent et quelles sont les missions de
son appareil de renseignement et d’action ?

La nature de l’État islamique 1


L’essence de l’entité dite « État islamique » (EI) relève de ce que Carl
Schmitt nomme une « théologie politique », conception pour laquelle la
politique remplit une mission héritée de la religion, dans un monde qui se
sécularise, ou sécularisé. Redoutablement efficace carburant politique, la
théologie politique a permis à l’EI une irruption dramatique sur la scène
mondiale en 2014. Mais bien sûr, cette entité avait alors déjà une longue
histoire. En janvier 2019 encore, le directeur national du renseignement des
États-Unis avertit que l’EI « dispose toujours de milliers de combattants en
Irak et en Syrie ; anime huit filiales, plus d’une douzaine de réseaux et des
milliers de sympathisants de par le monde ; ce, malgré de sévères pertes en
dirigeants et en territoires ».
N’évoquons ici que l’Asie du Sud : début 2019 encore, des
moudjahidine du groupe philippin Abu Sayyaf, ralliés à l’EI, font sauter une
bombe dans la cathédrale de Jolo, île philippine surtout musulmane
(20 morts). Aussi, environ 130 salafistes de Malaisie ont combattu avec l’EI
en Syrie-Irak ; en Indonésie enfin, l’entité salafiste Jamaah Ansharut
Daulah, rallié à l’EI, a commis des attentats meurtriers en 2016-2018.

Une structure originale 2


D’origine, des officiers supérieurs de l’armée de Saddam et des cadres
du parti Baas forment la colonne vertébrale de l’EI. Des hommes
expérimentés rompus aux affaires officielles, au renseignement, à la
stratégie militaire. Leurs premières victoires sur le sol irakien puis leur
gouvernement terroriste des populations par eux inféodées doivent tout au
régime de Saddam et rien à l’islam – hors un mince emballage.
Le prouve une étude méticuleuse, partant (formule pudique) de
« sources informées israéliennes », effectuée sur 631 cadres moyens et
supérieurs de l’EI, morts ou vifs, de 2006 à 2017. L’étude recense les
origines nationales, sociales, professionnelles, régionales et tribales de ces
plus de 600 sujets. Voici ce qu’on y apprend :
Nationalité. Sur les 631 individus identifiés, 534 dont la nationalité est
connue : environ 70 % Irakiens, 7 % Saoudiens, 5 % Syriens, 4,5 %
Égyptiens.
Ethnie & religion. Musulmans sunnites à 100 % ; Arabes : 90 % ;
sinon : Turkmènes, Kurdes, Caucasiens.
Nationalité des cadres supérieurs. Sur 129 identifiés, 116 de
nationalités connues : 80 % Irakiens ; 7 % Saoudiens ; 7 % Syriens. Le rôle
des étrangers est limité : aux Syrien la presse, communications, vidéo,
administration ; aux Saoudiens le rôle des muftis, police religieuse,
formation de volontaires pour « missions de sacrifice ». Nul cadre dirigeant
issu d’Europe ou d’Asie. 8 cadres moyens d’Europe ou du Maghreb 3.
Sur ces 631 cadres civils ou militaires de l’EI, 65 sont totalement
connus (nom complet, curriculum vitae, profession pré-djihad, etc.). Parmi
eux, 73 % d’ex-cadres de l’armée, de la police ou des services spéciaux de
Saddam. Sinon : à l’origine médecins, ingénieurs, enseignants.

Amniyat, puissant appareil


de renseignement-action 4
Ces caractéristiques, on les retrouve dans Amniyat, le service de
renseignement, contre-espionnage et action de l’EI. Identifié vers 2016 par
des déserteurs de l’EI, ce service est d’abord nommé Emni par les
Américains, mauvaise transcription phonétique d’Amni-Amniyat. Son
premier chef est l’ex-officier du renseignement de Saddam Ayal al-Jumaili
« Abu Yahya », « ministre de la guerre » de l’EI, tué par frappe ciblée en
avril 2017, vers la frontière Irak-Syrie.
Parlant de ces cadres, un expert officiel affirme :

Dans le lot, il y avait des vétérans du grand banditisme et du


renseignement, habitués à la clandestinité, montés très vite en
grade au sein de l’EI. On s’est ensuite aperçu qu’il s’agissait de
gens brillants, bons tacticiens, ni d’arriérés ou de barbares
incultes… Opérationnellement parlant, le camp adverse était
plutôt doué.
Amniyat est divisé en deux branches :
1. « Amn al Dawla » (Sécurité d’État) : renseignement type Stasi (ex-
DDR), contre-espionnage et contre-ingérence sur le sol du « califat »,
infiltrations, charia. Une fonction fort utile, car d’emblée, des services
étrangers ont entrepris d’infiltrer l’E. I. Ainsi, le chef des Tchétchènes de
Russie Ramzan Kadyrov déclare : « Avant même que l’EI ne soit connu
sous ce nom, nous y avions des agents. »
2. « Amn al-Kharji » : sécurité extérieure, opérations spéciales, support
logistique et technique, espionnage économique, racket, infiltrations-
exfiltrations, implantation d’agents dormants, pénétration, recrutement de
sources hors du « califat ». Cibles initiales : les Peshmerga kurdes, les
cadres du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham en Syrie.
À cet effet, Amniyat dispose d’une armée d’informateurs bien payés :
5 000 dollars US par vrai espion dénoncé. Ces « yeux » de l’E. I. pullulent
en Irak, notamment parmi les petits fonctionnaires, le personnel
hôtelier, etc. Amniyat a son propre réseau de prisons et de tortionnaires, fort
redoutés. Son appareil recrute même des proches et gardes du corps de
dirigeants, pour qu’ils les espionnent.
Haï au sein de l’EI, Amniyat a souvent subi des attaques de son propre
camp. Premiers prévenus des défaites du « califat », sur le terrain, pertes de
villes, de provinces, les cadres d’Amniyat ont aisément pu préparer leur
fuite, trouver des refuges, etc. ; d’où la conviction d’experts européens
officiels 5 qu’Amniyat existe toujours – quoique diminué.
CHAPITRE 3

1
Persistance du djihad organisé

L’État islamique a certes pris, ces dernières années, des coups violents
sur tous les continents où il était implanté. Par rapport à 2014-2017, les
tentatives d’attentats restent nombreuses en 2018, mais les attaques
déjouées sont chaque année plus fréquentes.
Attaques meurtrières revendiquée par l’E. I., en nombre de victimes :
2015, 130 morts ; 2016, 86 ; 2017, 22 ; 2018, 3.
Attaques dans les 28 pays de l’UE. En 2017 : 15 réussies,
47 entreprises/ratées. En 2016 : 14 réussies, 40 ratées.
De la Syrie à la Somalie et à la Libye, en passant par l’Irak, le Yémen,
l’État islamique, al-Qaïda et autres groupes djihadistes comptent en 2018
quelque 20 000 moudjahidines. Tous sont liés à des groupes voisins au
Maghreb/Sahel, au Moyen-Orient et en Asie de l’Ouest.

Le foyer libyen 2
Depuis la fin 2011, le pays qui fut jadis la Libye est devenu le terrain
d’exercice et le champ de tir de fanatiques, miliciens et terroristes. Dans cet
état de fait échoué, où règne la seule loi des armes, fragmenté en une
marqueterie de tribus, clans et bandes armées, les hôpitaux sont dévastés,
l’éducation effondrée. Environ six millions en 2011, les Libyens ont depuis
fui pour moitié au Maghreb ou en Afrique. En Libye même, les
« gouvernements » locaux servent bien plutôt de faire-valoir à diverses
milices, Rada, Nawasi, « Bataillon des révolutionnaires de Tripoli »
Ghaniwa – cartels criminels pillant les ressources du pays.
Hors de ce pacte de rapine, des milices extérieures, type « Septième
Brigade » de Tarhounah (Sud de Tripoli), attaquent le centre pour rafler
d’hypothétiques parts du gâteau. Dans un total chaos, ces bandes armées
prolifèrent : alliances momentanées, trahisons subites et retournements
brutaux. Au point que des vétérans renseignement présents sur place
s’imaginent revenus au Kaboul d’avant l’arrivée des talibans, quand
Gulbuddin Hekmatyar, pourtant « Premier ministre » de l’Afghanistan,
faisait bombarder sa propre capitale par ses miliciens pachtounes.
Significatives d’un vaste chaos, de massives évasions de prisonniers se
succèdent – capturés lors des précédentes tentatives de « remise en ordre »
du pays. Sept ans d’anarchie totale, L’État islamique sur place : pour
l’avenir maîtrisable, tout peut arriver en Libye, tout peut en provenir.

L’éclairant cas de l’Espagne 3


Les attentats de Catalogne (Barcelone, Cambrils, 16 morts, 130 blessés)
juste perpétrés, Gilles De Kerchove donnait son diagnostic. Pour le
« coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le Terrorisme »,
la cellule catalane coupable de l’attaque « était finalement assez peu
formée… Le fait qu’ils échouent à confectionner des explosifs, qu’ils
disposent de ceintures factices et attaquent à la voiture-bélier faute d’armes,
est le signe que la stratégie européenne fonctionne. » Or la réalité est bien
différente.
La fanatique détermination de ces terroristes, leur organisation soignée,
apparaît tout de même dans une vidéo trouvée après l’attentat. Les futurs
« martyrs » y posent, vêtus de gilets explosifs, devant des bouteilles de
butane et des bombes bricolées. Calmement, l’un d’eux annonce : « Nous
allons vous tuer… Chaque gramme de ce métal est voué à fracasser vos
têtes, celles de vos femmes et enfants. » Après l’enregistrement, ils passent
à l’acte. À l’origine, ils voulaient cibler la cathédrale barcelonaise Sagrada
Familia et attaquer le Camp Nou, stade de football de l’équipe du Barça.
Privés d’explosifs par accident, ils lancent un véhicule sur la foule des
Ramblas.
Des ahuris frappant dans l’improvisation, comme suggère
M. De Kerchove ? Émir et guide spirituel du groupe, Abdelbaki es-Sati est
alors, depuis plus d’une décennie, lié à des éléments d’al-Qaïda et d’Ansar
al-Islam 4. Proche de la « Cellule de Villanova », de l’algérien Belkacem
Belil 5, es-Sati est ensuite détenu en Espagne avec Rachid Aglif, l’un des
instigateurs du sanglant attentat de la gare d’Atocha à Madrid (mars 2004,
190 morts).
La « peu formée » cellule de Ripoll compte en fait une douzaine de
jeunes fanatisés, issus de quatre fratries marocaines 6. L’année précédant
l’attaque de Barcelone, ils multiplient les voyages (Maroc, France, Belgique
Suisse, etc.). Pour le chef de l’antiterrorisme d’Europol, c’est « une cellule
locale devenue très sophistiquée » ; pour le chef de l’antiterrorisme en
Catalogne, un cerveau directeur et un expert technique ont forcément
contribué, de l’étranger, à une opération de cette ampleur.
Comme pour les attentats de Paris et de Bruxelles – dont ceux de
Barcelone ne sont que le copier-coller – d’antérieures infractions et attaques
(vols et revente de bijoux et d’or dans des boutiques de la côte catalane) ont
fourni du financement.
Preuve supplémentaire de l’infiltration réussie de salafistes-djihadistes
en Espagne : un réseau proche de l’EI est démantelé à l’automne 2018 dans
17 prisons du pays. Ce réseau de prosélytisme d’au moins 25 prisonniers
djihadis ou radicalisés recrute dans les prisons d’Espagne, dont plus de la
moitié (55 %) abritent des islamistes, condamnés pour terrorisme ou crimes
de droit commun.
Une fois encore, ces activistes fanatisés parcourent l’Europe ; certains
connus depuis près de vingt ans pour contacts avérés avec ce que
le djihadisme fait de plus dangereux – sans être le moins du monde repérés
ni signalés par la coordination européenne et les entités qui l’alimentent.
Voilà donc ce que révèle l’observation attentive des opérations
terroristes conduites en Europe par des vassaux de l’E. I. Chacune de ces
attaques émane à coup sûr du Moyen-Orient ou du Maghreb et (sources
personnelles de l’auteur) nul des officiels concernés (France ou pays voisins
victimes de ces attentats), ne croit à l’improvisation de jeunes malfaiteurs
agissant par impulsions personnelles. Voir comment ces opérations
s’agencent et s’articulent entre pays-sources et pays-cibles exige d’abord
d’analyser les règles de la guerre au Moyen-Orient.
CHAPITRE 4

1
La guerre non-euclidienne au Moyen-
Orient

La guerre est un phénomène culturel. Pas de surprise : dans notre


univers mental européen, et sur un analogue champ de bataille, on le sait
depuis l’empire Byzantin – ou on devrait le savoir :

Dès que Bélisaire eut débarqué sur l’île, il montra de l’irritation,


car il était dans l’embarras. Ce qui le tourmentait, c’était
d’ignorer le genre d’hommes que représentaient les Vandales
contre qui il marchait, leurs capacités guerrières, la manière dont
il devait les combattre et le lieu même d’où il lui fallait lancer
ses attaques 2.

Or l’essence de la guerre au Moyen-Orient reste aujourd’hui pour


l’essentiel un phénomène incompris des élites européennes civiles ou
militaires. Elles supposent l’adversaire connu. Elles partent du postulat –
faux ! – que l’ennemi va de soi. Nos élites civiles et militaires ignorent ce
qui confère à la société du Moyen-Orient sa cohérence stratégique, ses
structures de signification 3, éléments doctrinaux (mentaux…
idéologiques… culturels…) qui l’imprègnent et lui confèrent réflexes et
cadres de pensée. Or cela est décisif, car la guerre, telle que séculairement
conçue au Levant, repose principalement sur le concept de stratégie
indirecte, que nous exposons et analysons ici.

La logique de la stratégie indirecte 4


Partons d’un sujet a priori différent – mais qu’en fait, tout rapproche du
nôtre : « L’Affaire Cedar », du blanchiment de banquiers occultes de la
diaspora libanaise, les « saraf ». Par le classique hawala, ils collectent,
transportent et compensent d’invisibles millions, selon les besoins de la
clientèle.
Ce réseau fonctionne notamment au service de narcos colombiens,
notamment de « La Oficina » (le bureau) de Medellín, survivance de
l’appareil logistique de Pablo Escobar. Il s’agit de rapatrier en Colombie le
produit de la vente en gros de cocaïne en Europe (en espèces bien sûr).
À l’œuvre, ces réseaux libanais, souvent des bureaux de change, installés en
Europe, en Afrique de l’Ouest, à Dubaï, et en Amérique latine.
Classiquement, des complices achètent des bijoux, montres de luxe ou
véhicules haut de gamme ; leur revente produisant de l’argent « propre ».
Or, entre Libanais, ce réseau sert à la fois et en même temps :
– au Hezbollah, qui en rapatrie ainsi au Liban des fonds récoltés en
Amérique latine ;
– aux frères Fahd et Saad Hariri, sunnites libanais et pires ennemis du
Hezbollah : là, l’argent transite entre le Moyen-Orient et l’Europe.
Telle est la logique non-contradictoire-flexible de la stratégie indirecte –
sous le double patronage de Sigmund Freud : « L’inconscient ignore la
contradiction 5 » ; et du Joseph Prudhomme de Gustave Flaubert, au célèbre
serment : « Je jure de défendre les institutions et au besoin, de les
combattre. » À certain niveau, l’ennemi se combat – férocement parfois – à
d’autres, la logique du commerce s’impose : les affaires sont les affaires.
L’inverse est bien entendu tout autant possible : dans un univers où rien
n’est exactement ni durablement parallèle, votre allié le plus constant peut
aussi être votre pire ennemi. On le verra plus bas à partir de deux cas
spectaculaires : le Pakistan et l’Arabie saoudite.

Une guerre que les États-Unis


ne comprennent pas 6
Les États-Unis ont conscience de la persistante stratégie indirecte en
Orient et en Asie ; ils la perçoivent confusément et parfois, s’y essayent. La
comprennent-ils vraiment ? En usent-ils en artistes, comme les Israéliens ou
les Russes – pour n’évoquer ici que des puissances de culture européenne,
actives au Moyen-Orient ? C’est moins sûr…
Trois exemples :
En août 2012, la Defence Intelligence Agency (Renseignement militaire
du Pentagone) publie une note de cadrage secrète sur la zone Irak-Syrie,
déclassifiée au printemps 2015 en vertu du droit à l’information de la
presse. On y lit ceci « Si la situation se dégrade, existe la possibilité
d’établir une principauté salafiste (avouée ou implicite) en Syrie
orientale (Hazaka ou Deir-Ezzor), ce que souhaitent précisément les
pouvoirs soutenant l’opposition, pour isoler le régime syrien. » Plus
loin : « L’État islamique en Irak pourrait aussi fonder un État islamique
en s’unissant à d’autres organisations terroristes en Irak ou en Syrie, ce
qui mettra gravement en danger l’unité de l’Irak et la protection de son
territoire. » Texte écrit à l’été 2012. Or c’est exactement ce que réalise
l’EI au nord-ouest de l’Irak et en Syrie orientale, début juin 2014.
L’ONG Conflict Armament Research (CAR) trace, partout où c’est
possible, les armes en usage dans les conflits, notamment au Moyen-
Orient. Sur 2015-2017, CAR analyse ainsi 40 000 armes retrouvées sur
des combattants, ou dans des caches de l’EI. La plupart ont été fournies
par l’Arabie saoudite et les États-Unis à des rebelles syriens
« modérés », leurs supplétifs sur le terrain, type (alors) « Armée
syrienne libre », ou Jabhat al-Nosra (en fait, al-Qaïda en Syrie). Ces
armes sont ensuite « mystérieusement » tombées aux mains de l’EI.
Gaffe isolée ? Non, pratique constante. Remarquant en juin 2017 que
l’EI « recrute de nouveaux éléments en Afghanistan » et d’ailleurs au
Pakistan voisin, Rex Tillerson (ministre des Affaires étrangères des
États-Unis, 2016-2018) déclare : « Il semble donc que les talibans en
Afghanistan sont la meilleure option pour affronter Daesh. »

Pour qui jouent le Pakistan et l’Arabie


saoudite 7 ?

LE PAKISTAN ET L’ENNEMI/AMI AMÉRICAIN EN AFGHANISTAN.

Jamais Washington n’a réalisé qu’en Afghanistan, dès le 8 octobre 2001


et jusqu’à ce jour, il guerroie en fait contre son propre allié pakistanais et
ses opaques services spéciaux (ISI Inter-Services Intelligence).
Depuis la fondation du pays en 1949, les cadres, chefs et généraux de
l’ISI sont issus de la discrète aristocratie moghole, les Ashraf 8. Ce n’est pas
une caste, à l’indienne, car elle est entièrement musulmane ; plutôt une
sorte d’ENA issue des grandes académies militaires du pays. Ces hommes
de langue Ourdoue (iranophone) sont sunnites, chi’ites ou ismaéliens,
qu’importe ; de culture soufie, ils interagissent aisément.
Pour Islamabad, l’Afghanistan constitue une cruciale profondeur
stratégique face à l’Inde. Or l’ISI sait qu’un jour, les États-Unis perdront
patience et partiront – ce qu’ils ont toujours fini par faire dans leurs
entreprises néo-coloniales. Appuyée sur le « Cachemire Libre » qu’elle
contrôle, ses 130 camps islamistes et leurs 100 000 moudjahidine, la
patiente ISI attend son heure ; multipliant, sinon, offres de services et
amabilités envers les « amis » américains, perdus dans cette vipérine
subtilité.

L’ARABIE SAOUDITE, ÉMINENT PRATICIEN DE LA STRATÉGIE


INDIRECTE…

En juillet 2016 est déclassifié en partie le texte officiel américain le plus


révélateur jamais publié sur les attentats du 11 septembre ; sur les rapports
proprement triangulaires entre le gouvernement des États-Unis, celui du
Royaume d’Arabie saoudite (ci-après KSA, initiales d’usage employées de
Kingdom of Saudi Arabia), et les terroristes du 11 septembre.
La publication de ce prodigieux « champ préalable d’inspection » des
pires attentats jamais commis sur le sol américain n’a cependant fait aucun
bruit. C’est sans doute qu’à Silicon Valley (contrôle des flux d’information)
et dans les grands médias des États-Unis (maîtrise du contenu) l’argent de
KSA coule à flots.
Générosité qui se comprend, car ce rapport officiel répond en fait à la
question cruciale qui taraude les experts attentifs, depuis le 11 septembre :
jamais dans l’histoire du terrorisme un groupe opérationnel n’a opéré sans
réseau de soutien – a fortiori pour une opération de l’importance de 9/11.
Or jamais le réseau de soutien des terroristes du 11 septembre aux États-
Unis mêmes n’a été clairement identifié ; nul membre de ce réseau qui à
coup sûr existait n’a été poursuivi, arrêté et condamné sur le sol américain.
L’existence, la nature, l’étendue de ce réseau de soutien à al-Qaïda aux
États-Unis sont clairement connus des officiels de Washington depuis
2002 ; on le découvre dans 28 des pages (p. 415 et suiv.) du rapport
commun des deux commissions parlementaires (Sénat, Représentants)
transmis à l’exécutif américain le 29 janvier 2003.
Citons ce rapport (cf. note 53, traduit par nous en français) :

Aux États-Unis mêmes, certains des pirates de l’air du


11 septembre étaient en contact, et ont reçu aide et assistance,
d’individus pouvant être liés au gouvernement saoudien… Au
moins deux de ces individus seraient, selon certaines sources,
des officiers du renseignement saoudien… Des individus
associés aux officiels Saoudiens aux États-Unis auraient d’autres
liens encore avec al-Qaïda.

Au cœur du dispositif logistique d’assistance aux terroristes du


11 septembre, le rapport cible un nommé Omar al-B. comme agent secret
saoudien, aux « contacts répétés avec des agences officielles saoudiennes
aux États-Unis… ayant reçu des fonds d’une société saoudienne liée au
ministère saoudien de la Défense ; [Ercan, Implantée aux États-Unis] – où
il ne met jamais les pieds. Ercan est aussi liée à Oussama ben Laden et à al-
Qaïda ». Jointe au rapport, une note déclassifiée de la CIA du 2/07/2002,
annonce « des preuves incontestables que les terroristes [d’al-Qaïda] ont
des soutiens à l’intérieur du gouvernement saoudien. » Deux des terroristes
du 11 septembre, Nawaf al-Hazmi et Khaled al-Midhbar, habitent plusieurs
semaines chez Omar al-B. ; puis al-B. leur trouve un appartement, se porte
caution pour eux et organise une soirée pour les présenter à ses amis
musulmans du secteur.
Omar al-B. a fait aux États-Unis des études payées par le gouvernement
de KSA ; de janvier à mai 2000, il téléphone plus de cent fois à des officiels
Saoudiens résidant aux États-Unis (à l’ambassade de KSA ou chez eux). Le
FBI analyse ses mails et en trouve certains « clairement djihadistes ».
Quand les terroristes du 11 septembre résident aux États-Unis, la paye d’al-
B.. est soudain multipliée par 7. Omar al-B quitte enfin les États-Unis un
mois avant le 11 septembre : mission accomplished ?
Binôme d’al-B., Osama B. l’assiste au quotidien ; ils se téléphonent
plusieurs fois par jour. L’épouse d’Osama B. se dit « nurse » des enfants de
la princesse Haifa bint Sultan, épouse du prince Bandar, ambassadeur du
KSA à Washington – mais nulle trace n’existe de ce travail. De février 1999
à mai 2002, l’épouse d’Osama B. perçoit 74 000 US $, du compte de Haifa
à la Riggs Bank de Washington 9. Osama B. lui, est en théorie employé à la
« Mission éducative de KSA aux États-Unis » ; une source fiable confie au
FBI qu’un jour, Osama B. lui a déclaré que « Oussama ben Laden est le vrai
calife et émir du monde islamique ».
Plusieurs des soutiens logistiques des terroristes du 11 septembre aux
États-Unis ont un analogue profil, souligne le rapport : « Étudiants attardés
aux États-Unis » ; « nul salaire normal ou moyen de subsistance clair » ;
« Contacts très fréquents avec des officiels de KSA aux États unis » ; « Très
impliqués dans la communauté saoudienne d’Amérique » ; « Nombre de
sources du FBI ne se connaissant pas entre elles, en des lieux et à des
époques divers, les décrivent comme des agents ou opérateurs des services
saoudiens »…
Ces individus fréquentent des employés de Saudi Arabian Airlines et de
l’ambassade de KSA à Washington, repérés comme agents de
renseignements de KSA. Séjournant aux États-Unis, les futurs terroristes et
leurs soutiens logistiques fréquentent la mosquée Ibn Taimiyah (Los
Angeles), le Islamic center de San Diego, la Umm al-Qura islamic
charitable foundation et la al-Haramain foundation, cette dernière, la plus
grande ONG islamique du monde, parrainée et financée par la famille
royale des Saoud.
Dans l’enquête suivant les attentats du 11 septembre, la justice
américaine demande à entendre les suspects ci-dessus mentionnés,
fournissant des copies de passeports avec photos et autres documents
officiels. Ces demandes reviennent avec la mention « inconnus ».
Le rapport indique enfin que « le FBI et la CIA vont créer un groupe de
travail commun pour étudier le cas saoudien ». La lecture attentive du
rapport aurait suggéré à ce groupe de travail (s’il a bien existé), quelques
questions cruciales :
– En 2000-2002, quels dirigeants de l’Arabie saoudite savaient que des
paiements étaient faits à des terroristes, préparant un immense attentat ?
– Les paiements faits aux logisticiens des terroristes résultaient-ils
d’initiatives locales, voire individuelles, ou étaient-ils ordonnés de plus
haut ?
– Ceux qui donnaient l’argent en connaissaient-ils la réelle destination ?
– Ces paiements résultaient-ils d’un racket d’Oussama ben Laden sur
l’État saoudien ? Ou à l’inverse, finançaient-ils une activité connue – voire
approuvée ?
À présent, rien n’indique qu’on dispose de réponses claires à ces
questions. L’ennui, c’est que l’appareil clandestin repéré et plus ou moins
radiographié aux États-Unis voici quinze ans est sans doute le même que
celui qui élimina récemment Jamal Kashoggi.

Révélations sur le 11 septembre


Depuis l’écriture des paragraphes qui précèdent, la justice des États-
Unis a déclassifié d’autres documents – d’une importance extrême – sur
l’origine et la logistique des attentats du 11 septembre 2001. Saisir leur
signification immense impose de partir de deux points fondamentaux :
1 – Jamais, dans l’histoire du terrorisme, un groupe d’action – même
suicidaire – n’a opéré sans réseau de soutien ; surtout pour de massives et
complexes opérations. La radiographie de dizaines d’attentats complexes ou
d’actions de commandos, prouve qu’agir sans logistique est quasi-
impossible.
2 – Au Moyen-Orient (matrice des attentats ici rappelés) ; d’abord dans
la zone Liban-Syrie-Irak, toute entité émergente, paramilitaire ou terroriste
(islamiste ou pas) disparaît vite si elle n’est pas captée par un des États de la
région (de la Libye à L’Iran). Ce crucial théorème est valide de 1975, début
de la guerre civile du Liban, à nos jours. On lui cherche en vain un contre-
exemple.
Or s’agissant des attentats du 11 septembre 2001, aux États-Unis, un
document déclassifié – à grand-peine – 10sur demande de victimes de ces
attentats, répond clairement à la question qui taraude les experts depuis
septembre 2001 : jamais l’appareil logistique appuyant les 20 terroristes du
11 septembre n’a été identifié. Nul membre cette cellule logistique qui
forcément a agi aux États-Unis, n’a jamais été poursuivi, arrêté ou jugé.
Or la réalité, la nature, l’étendue de ce réseau logistique d’al-Qaïda sont
connues à Washington depuis 2002, figurant dans les 28 pages les plus
secrètes du rapport ici mentionné en note. Que disent-elles ? Ce crucial
réseau logistique opérait depuis l’ambassade saoudienne de Washington.
Citons le rapport :

Aux États-Unis, des pirates de l’air du 11 septembre étaient en


contact, et ont reçu aide et assistance, d’individus liés au
gouvernement saoudien… Aux moins deux de ces individus
seraient, selon des sources, des officiers de renseignement
saoudien… Des associés d’officiels Saoudiens aux États-Unis
auraient d’autres liens encore avec al-Qaïda.
Suivent 28 pages de noms, dates, actes repérés par le FBI ou la CIA ; de
téléphones et adresses. En septembre 2020, une juge de New York donne
enfin aux victimes le droit de poursuivre « 24 officiels, ou ex-officiels
Saoudiens » et révèle le nom (caché depuis 2002 !) du chef du réseau de
soutien : Mussaed Ahmed al-J… chef de cabinet du prince royal de la
famille al-Saud, alors ambassadeur à Washington.
Ces écrasantes révélations ont fait peu de bruit aux États-Unis et sont
ignorées en Europe par les médias d’information. Coïncidence ? Ces
mutiques médias sont souvent contrôlés (voire stipendiés) par des GAFAM,
eux-mêmes couverts d’or par l’Arabie saoudite.
CHAPITRE 5

Iran, Syrie : parfois coupables, parfois


1
victimes

Juste un rappel et quelques exemples. Le premier : au sens de la


Physique d’Aristote, toute stratégie est une force 2. Quels sont ses effets ? De
façon discrète, voire souterraine, des coalitions s’amorcent, des alliances se
nouent – nous sommes toujours dans la « modestie secrète des
commencements ».
C’est ainsi que Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, reçoit des
membres du bureau politique houthi (« Ansar Allah »), Abdulmalek al-Afri,
Ibrahim al-Dilmi, Mohamed Abdelsalam (porte-parole) et leur promet tout
soutien utile, logistique, renseignement, etc. Après quoi, la délégation
houthie visite Nadjaf et Bagdad, où elle rencontre Moqtada as-Sadr ; enfin,
l’Iran.
Ce que Téhéran nomme « Axe de la résistance » et la géopolitique, « arc
chi’ite » se densifie ainsi à vue d’œil. D’Iran au Liban, via l’Irak et la Syrie,
se déploie désormais tout un réseau de milices inféodées à Téhéran ;
20 000 hommes dans la zone des combats syrienne, dont 6 000 du
Hezbollah ; trois importantes bases, l’une au nord vers Alep et deux au sud
de Damas, plus sept bases tactiques plus réduites, près des fronts 3.
La stratégie indirecte consiste aussi à semer le doute et le désordre chez
l’ennemi – quand on n’essaie pas de l’infiltrer ou de le retourner, pour lui
faire accomplir les pires exactions à sa place. En quelques mois, sont ainsi
publiées les deux nouvelles suivantes, dont le rapprochement n’est pas
dépourvu de sens :
1. Le général britannique Felix Gedney, commandant alors la coalition
internationale Inherent Resolve en Syrie-Irak, et les « Forces
démocratiques syriennes » qui sont ses supplétifs de terrain, se
plaignent ensemble de ce que Bachar al-Assad accorde l’impunité à l’EI
dans les territoires sous son contrôle ; il peut s’y déplacer et y résider à
son gré – par petits groupes bien sûr, passant ainsi sous le radar.
2. Quelques mois plus tard, dans les villes de Saraqib et al-Dana, province
d’Idlib sous contrôle (approximatif) des Turcs et de milices islamistes,
l’EI massacre des moudjahidine de Tahrir al-Sham Hayat (TaSH) 4, des
Ouzbeks, Tchétchènes, Turcs, etc. Des bombes explosent devant leurs
convois ou dans leurs mosquées (dont celle d’al-Abrar à Idlib). Dans la
région de Jabal al-Turmen, « al-Jazrawi », le commandant local de
TaSH est assassiné, tandis que de multiples voitures piégées de l’EI
explosent dans les villes de Harza, Sarmiri et Khan Sheikhoun, province
d’Idlib toujours. Cette violence offensive terroriste de l’EI contre les
pires ennemis de Bachar ressemble assez à un échange de bons
procédés.
Cependant l’Iran n’est pas à l’abri de ripostes. Et le recrutement de
mercenaires aux fins d’attentats n’est pas l’apanage d’un seul pays. En
juin 2017, deux commandos porteurs de gilets explosifs et armés de
kalachnikovs attaquent le parlement et le mausolée de l’imam Khomeini à
Téhéran faisant 17 morts et une cinquantaine de blessés – premier attentat
sérieux en Iran depuis dix ans. Cela – symboliquement ? – peu après deux
événements importants dans la vie politique du Moyen-Orient :
1. Le président Trump achève peu auparavant sa première grande visite
en Arabie saoudite ;
2. Le Qatar vient d’être mis en quarantaine par les cinq autres membres
du Conseil de coopération du Golfe… Revendication de ces attaques : le
(très flexible) État islamique.

Iran et salafi-djihadis : la logique du chien


d’attaque 5
La logique de cette entente entre inexpiables ennemis (B-A-BA de la
stratégie indirecte) est exposée en détail et dans sa profondeur historique
dans le premier chapitre de notre troisième partie ; nous n’en exposons ici
que les mécanismes élémentaires, illustrés de quelques exemples.
Postulat de départ : l’ennemi de mon ennemi (du jour) est (pour
l’instant) mon ami. Résultat, dit en homme du sérail, le berbère mauritanien
Mahfoud Ould el-Waled « Abou Hafs al-Mauritani », l’un des premiers
compagnons d’Oussama ben Laden et ex-mufti d’al-Qaïda, rentré dans son
pays en 2012, où il est aujourd’hui détenu :

Le régime iranien a établi des relations informelles avec


l’organisation de ben Laden… Une union tactique s’est créée à
Khartoum au début des années 1990… Des entraînements
communs au maniement d’explosifs ont eu lieu.

Vers la fin d’octobre 2001, abou Hafs entre en Iran : « Les autorités
iraniennes se montraient heureuses de nous recevoir. »
Ce bien sûr, sélectivement : quand arrivent en Iran des combattants d’al-
Qaïda, le régime les arrête et les trie : certains sont expulsés, d’autres
restent, sous étroit contrôle. Tout cela dans une ambiance tout sauf
complaisante : Abu Hafs se retrouve ainsi un temps en prison à Téhéran
avec Ahmad Fadil Nazzal al-Khalayleh, ensuite promis à la gloire
médiatique sous son Kuniya de « Abu Mussab al-Zarqawi », chef de l’État
islamique en Irak.
Au minimum, les groupe salafi-djihadis procurent donc à l’Iran
islamique d’intéressants « effets d’aubaine » d’ampleur régionale. Celui qui
l’assure est Tamir Pardo, ancien patron du Mossad, à la parole rare 6 :

Les Iraniens sont un peuple très doué. Ils ont une longue histoire
et pensent devoir figurer, disons, dans le G9 ou le G10
mondial… ISIS [L’État islamique] a été une opportunité majeure
pour l’Iran, du fait que nulle puissance occidentale ne voulait
envoyer sur place de troupes au sol. Ce pourquoi ISIS a pu
conquérir une bonne partie de l’Irak et de la Syrie. Ils [les
Iraniens], eux, étaient prêts à combattre ISIS : ce serait leur billet
de retour dans la communauté internationale. Ils l’ont donc fait
et aujourd’hui, leurs forces armées sont à nos [Israël] frontières,
avec le Hezbollah au nord et au nord-est, en Syrie… Je tiens
l’Iran pour une puissance régionale majeure. Il faut les
considérer comme un pays important, mais contrer leurs actions.

Plus précisément maintenant : que faut-il à Téhéran pour effrayer ses


grands ennemis sunnites, d’abord l’Arabie saoudite ? Ou pour intimider ses
voisins plus fragiles, comme les Émirats arabes unis ? Des auxiliaires de
terrain, des mercenaires. Mais avec eux, la haine persiste, la confiance reste
nulle, lors même de ces simples mariages de convenance.
Chacun voit la présente situation au Yémen. Dans ce contexte, est-il
indifférent que Nasser al-Wahishi, kuniya : « Abou Bassir al-Yamani »,
yéménite, longtemps secrétaire personnel d’Oussama ben Laden, ensuite
chef d’al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQAP), ait longtemps résidé en
Iran 7 ? Dans l’ultime cachette d’Oussama ben Laden, des documents depuis
lors publiés exposent ce dont il s’agit : argent, armement, entraînement par
des experts du Hezbollah, projets d’attentats en Arabie saoudite et aux
Émirats.
Au fil des ans, de grands noms d’al-Qaïda ont résidé en Iran, à
commencer par la propre famille d’Oussama ben Laden : Najwa Ghanem,
sa première épouse (syrienne) mère de Saad, Othman, Fatima, Bakr et
Imane ben Laden ; plus une dizaine de ses petits-enfants ; Khayriah Sabar
« Oum Hamza », troisième épouse (saoudienne) d’Oussama ben Laden et
mère de leur fils Hamza.
Au-delà du cercle familial, mais dans l’appareil central d’al-Qaïda, ont
aussi séjourné en Iran, parfois une décennie et plus : Saif al-Adel *1,
Suleiman abu Ghaith, abu’l-Walid al-Masri, abu Hafs al-Mauritani, abu
Laith al-Libi, abu Mohammed al-Masri, etc. Par eux passait – passe sans
doute encore – la « facilitation logistique » qu’accorde Téhéran à ces utiles
ennemis : moudjahidine, communications, armes, argent – informel pipeline
étendu de l’Afghanistan-Pakistan au Yémen, via la Syrie et l’Irak. Dans la
région, cette coopération tient du secret de Polichinelle – bien sûr, Téhéran
nie mollement : l’intérêt du chien d’attaque est préventif – il est là pour
gronder, montrer ses crocs ; ne mordre qu’exceptionnellement – mais on
doit connaître sa présence.
De même, sur le front afghan, le strictement sunnite Gulbuddin
Hekmatyar 8 joue-t-il longtemps le sergent recruteur de Téhéran – ce qui
fonctionne bien sur le terrain. À la mi-mai 2018, des talibans entraînés et
financés par les Pasdaran de la province iranienne voisine du Sistan-
Baloutchistan, conquièrent trois jours durant Farah, capitale régionale
provinciale afghane proche de la frontière avec l’Iran, puis se replient en
Iran.
Décisive, invisible : une victoire
de la stratégie indirecte 9
Devant une partie d’échec, arrive un moment où le joueur expérimenté
se dit : « les Noirs gagnent dans trois coups », il se lève alors et part. Il sait.
Le sort de la partie est scellé ; son issue, irréversible. Or dans la guerre
lancée par les États-Unis en 2011 contre le régime syrien, un tel épisode
advient fin 2016. On l’apprend début août 2017, dans un éclairant article du
New York Times qui – rareté dans les médias – ne retranscrit pas les propos
d’un attaché de presse officiel mais révèle un authentique secret d’État. Cet
épisode est crucial pour comprendre l’implacable efficacité d’une stratégie
indirecte bien conduite : nous le relatons donc en détail.
L’analyse initiale est fort bien présentée par Faysal Itani (Atlantic
Council Center for the Middle-East) ; expert hostile à Assad, mais lucide :

Quand la guerre civile éclata en Syrie en 2011, M. Assad prend


des mesures pour parer à une intervention américaine. Il laisse
prospérer l’État islamique, confrontant les Américains à un
grave dilemme : laisseront-ils les djihadistes conquérir la Syrie –
ou pas ? Tant qu’existe l’État islamique, M. Assad est tranquille
et n’a qu’à attendre. Car d’abord cela le sauve, mais encore, les
États-Unis l’aident en combattant l’État islamique, et le laissent
sans obstacle combattre sa propre opposition.

De la pure et parfaite stratégie indirecte, bien comprise par Faysal Itani


– mais comment cela est-il advenu ? En été 2012, David Petraeus, directeur
de la CIA, propose au président Obama, qui accepte, un programme
clandestin d’aide aux rebelles « modérés » de Syrie, type « Armée syrienne
libre ». Chacun sait alors que ces « modérés » sont des fantoches, le gros de
la rébellion se composant de groupes salafi-djihadistes, type Ahrar al Sham
puis Jabhat al-Nosra, etc. – entité-caméléon changeant sans cesse de nom
pour cacher à ses soutiens des pétromonarchies (qui la financent dès
l’origine, en 2011), sa réelle nature de filiale d’al-Qaïda en Syrie.
Coût total du programme 2012-2016 : 5 milliards de dollars – le plus
cher de l’histoire de la CIA. Résultat néant. À lire ci-dessus M. Itani, on
comprend pourquoi. Sur le terrain syrien, les rebelles « modérés » ou
présentables sont écrasés sous les bombes russes ; leurs « zones libérées »
s’effilochent. Leurs armes sont pillées par les djihadistes, ou raflées par des
officiers jordaniens corrompus qui les soldent au marché noir.
Ainsi, fin 2016, le Hezbollah du Liban organise un grand défilé militaire
dans la stratégique ville syrienne d’al-Qoseir, qu’il vient de reconquérir. Il y
exhibe des dizaines de tanks et véhicules blindés de transports de troupes…
américains. Encore, le Hezbollah du Liban n’est-il qu’un petit joueur face à
ses frères du Hezbollah d’Irak, qui, eux, disposent de dix tanks M1-Abrams
dernier cri…
Venons-en à l’essentiel. Assad, ses conseillers et alliés, savent combien
l’opinion occidentale est sensible. Supposons un instant que cette coalition
pro-syrienne ait sur l’État islamique quelque influence. Pousser sa direction
à l’orgie de massacre qu’en effet on a vue, aura sans tarder un double et
rapide effet : rendre par comparaison Assad & ses alliés fréquentables, et
déclencher dans l’opinion mondiale l’absolue horreur des fanatiques
salafistes.
En deux ans, finalement à peu de frais, les concepteurs de ce sanglant
spectacle imposent à l’opinion planétaire une irrésistible pression : l’ennemi
n’est, ne peut-être que l’État islamique. Assad utilise des gaz de combat ?
Les milices chi’ites irakiennes s’amusent-elles des conventions de Genève ?
Rien n’y fait : devant les décapitations face caméra de l’EI, devant ses
sanglants attentats en Europe, l’indignation planétaire emporte tout.
Début 2016, John Brennan, directeur de la CIA – en théorie, l’homme le
mieux informé du monde – ne voit rien venir. Il veut poursuivre le
programme d’élimination d’Assad. L’idée de départ du Pentagone est
d’entraîner et envoyer en trois ans au combat 15 000 « rebelles modérés ».
Fin 2015, une centaine à peine de ces mercenaires hante la Syrie, vendant
ses armes au plus offrant ? Accentuons l’effort.
Mais au premier semestre 2016, la stratégie indirecte gagne la bataille à
l’endroit décisif : la psyché du président Obama et de ses conseillers.
L’horreur du djihad de l’État islamique révulse le monde et produit dans les
âmes des hauts dirigeants américains une sorte de transfert psychanalytique,
à l’issue duquel l’ennemi n’est plus Bachar al-Assad et la mission, de
renverser son régime : c’est l’État islamique, qu’il faut désormais anéantir.
Fin 2016, John Brennan le comprend lors d’un comité stratégique à la
Maison-Blanche, où la conseillère de sécurité nationale Susan Rice le
rembarre sèchement : « Ne vous y trompez pas, assène-t-elle à un Brennan
abasourdi, la priorité du président n’est plus de renverser Assad ; c’est de
vaincre l’État islamique. »
Cette décision ne tient ni du hasard ni de la génération spontanée : le
Loup-Garou a joué son effrayant rôle. Lors de la partie, l’usage des
localement classiques méthodes de la stratégie indirecte, séculaires mais
imperceptibles et incompréhensibles dans un contexte où prédomine le tout-
calculable, impose à l’écrasante superpuissance américaine l’inouïe
obligation de changer d’ennemi. Ce jour-là – décisive, invisible victoire de
la stratégie indirecte Irano-syrienne –, Assad est sauvé, sans doute bientôt
vainqueur d’une guerre civile qu’au départ, des politiciens et services
spéciaux « alliés », États-Unis, Grande-Bretagne, France, etc., lui voyaient
perdre en quelques mois.

Que conclure de tout cela ?


Les États-Unis sont bien entendu le grand protagoniste du jeu moyen-
oriental. Au début de la décennie 2010, leur action poursuivait deux buts
visant à s’extraire des difficiles années Bush :
1. En Syrie, créer une opposition « modérée » à Bachar al-Assad,
conduisant à un changement de régime à Damas.
2. En Irak, susciter un gouvernement surmontant la guerre religieuse
sunnites-chiites.
Or qui a totalement anéanti ces deux projets, dont rétrospectivement, la
seule mention fait sourire, sinon l’étrange État islamique ? Quelle option
restait-il dès lors au président Obama pour éviter l’échec et mat régional ?
Emprunter le chemin de Téhéran, capitale de l’empire qui popularisa jadis
le jeu d’échecs.
Depuis, la présidence Trump a changé la donne. Mais qui cet homme
impatient affronte-t-il ? Des chi’ites – pour qui attendre est la suprême
vertu. Dans ce qui est aujourd’hui l’Irak, leur XIIe imam, Muhammad al-
Mahdi, s’occulta voici (en gros) un millénaire. Depuis, patiemment, les
fidèles attendent que revienne leur messie, « Sahib al-Zaman », le Seigneur
du Temps. Voilà pour la dimension temporelle.
Nous savons aussi qu’au Moyen-Orient, le terrorisme d’État a pour
intangible but d’appeler l’adversaire du moment à négocier ou évoluer ;
qu’outil de la stratégie indirecte, ce terrorisme-là – malgré les discours et
gesticulations – ne vise au fond ni à punir, ni à venger. Nous savons surtout
qu’au-delà des modes, de la naïveté ou des emballements médiatiques, la
baguette magique du tout-calculable est peu efficace dans un milieu
chaotique ; face à un ennemi dont la culture est ignorée ou méprisée.
Ainsi, ne serait-il pas temps de se livrer pleinement au travail de
déchiffrement des normes et règles stratégiques moyen-orientales, non pour
capituler bien sûr, mais pour comprendre ?
DEUXIÈME PARTIE

SURVIE ET STRATÉGIE
INDIRECTE EN ORIENT
Rappelons tout d’abord que l’islam sunnite domine toujours le monde
musulman, à 85 %, depuis la mort du prophète Mahomet et l’instauration
du califat ; et qu’il est féroce pour les hérétiques et les apostats, voués tout
simplement à l’extermination. Au fil des siècles, l’islam a connu plus de
cinquante hérésies notables. Toutes, à peu d’exceptions près (Alaouites
divers, Druzes), ont été anéanties. Devant ce péril existentiel, ces déviants
qualifiés de sectes ghulat, ceux « qui dépassent les bornes », ont recouru
pour survivre à diverses techniques de dissimulation et de riposte. Elles sont
ici exposées comme « stratégie indirecte » et forment l’objet de cette
deuxième partie.
Voyons d’abord quel sort réserve l’islam sunnite aux « Alaouites »
syriens 1 – de leur vrai nom, « Nosaïri », ou « Nusaïri ». Au Moyen-âge
chrétien, Taqieddine ibn Taymiya (d. 1327 AD), docteur de l’école
islamique ultra-rigoriste dite « Hanbalite », statue sur leur sort dans sa
« Fatwa sur les Nosaïri 2 ». Dès la deuxième ligne de son décret religieux,
Taymiya appelle à « anéantir la secte hérétique ». Dans sa Fatwa, toute
citation d’un texte nosaïri porte la mention « maudite en soit la teneur ».
Sentence finale : « Plus infidèles que les Juifs et les Chrétiens – plus encore
que les idolâtres ». Donc : extermination.
Le sort réservé aux chi’ites n’est guère plus enviable. Pour les
wahhabites/salafistes, les chi’ites sont des « rafida », (« ceux-qui-
rejettent »), car ils tiennent pour illégitimes Abu Bakr, Omar et Othman, les
trois successeurs (« califes ») du prophète Mahomet, avant Ali (le 4e).
Quand par exemple Oussama ben Laden écrit à ses collègues d’al-Qaïda,
vers 2006-2008, il traite toujours les Iraniens chi’ites de « rafida 3 ». Seul
châtiment prévu pour les « rafida », selon les wahhabites-salafistes : la
mort.
C’est ainsi que le 21 avril 1801, Abdelaziz ibn Mohamed ibn Saoud, fils
du fondateur de la dynastie saoudite 4, fonce sur Karbala, avec ses
12 000 guerriers issus du Nejd. Dans cette ville sainte chi’ite se trouve la
mosquée de Hussein, imam des chi’ites, fils d’Ali ibn Abi Talib et petit-fils
du prophète Mahomet (par sa fille Fatima). Sur place, ces wahhabites rasent
la tombe-sanctuaire de Hussein, pillent la ville et l’on considère qu’ils
assassinent de 3 000 à 5 000 chi’ites, hommes, femmes et enfants. De ce
carnage, les wahhabites remportent 200 chameaux chargés de bijoux, tapis
et biens précieux. À l’époque, un explorateur français raconte 5 :

Kerbala : ce lieu si révéré par les Shias a essuyé en différents


temps des outrages insignes ; et les Wahabis qui le surprirent il y
a quelques années… y commirent des désordres affreux… Le
20 avril de l’année 1801… Ces barbares mirent tout à feu et à
sang… Ils étaient venus au nombre de 15 000. Les cruautés
qu’ils commirent sont inouïes ; vieillards, femmes et enfants,
tout périt sous leur glaive impitoyable ; on les vit même, dans la
fureur qui les animait, éventrer des femmes enceintes… Des
gens dignes de foi m’ont assuré à Bagdad avoir vu quelques-uns
de ces hommes féroces se repaître du sang de leurs infortunées
victimes… L’on évalua dans le temps à plus de quatre mille le
nombre de victimes dans cette affreuse catastrophe. Les Wahabis
emmenèrent, à leur sortie d’Imam-Hussein qu’ils saccagèrent
pendant deux jours et deux nuits, deux cents chameaux chargés
de riches dépouilles. Non contents d’avoir assouvi leur rage sur
les habitants, ils rasèrent leurs maisons et firent de la riche
chapelle de l’Imam un cloaque d’immondices et de sang.

Ainsi, la crainte qu’éprouvent chi’ites et alaouites des exterminations


wahhabites, salafistes etc., n’est ni fantasmatique ni paranoïaque. Elle
repose sur le souvenir d’un cruel passé, parfois récent. D’où, l’usage
personnel de techniques de dissimulation désormais connues (takiya,
ketman, etc.) ; et pour une communauté importante ou un pays, de la
stratégie indirecte que nous exposons maintenant.
CHAPITRE 1

Subtil et vital : l’art de la stratégie


indirecte

Ici, sous peine de s’y égarer fatalement, l’européen cartésien doit


délaisser toute logique d’exclusion des contraires, type chi’ite donc ennemi
mortel des sunnites, et vice versa.
Dans la stratégie indirecte, la bonne pratique est celle-ci : l’ennemi
(pour l’instant) de mon ennemi (actuel) est mon ami (temporaire). Avec cet
ennemi, en théorie implacable, l’alliance d’intérêt mutuel est désirable. Elle
est bien sûr limitée, réversible à tout instant, selon d’imprévisibles
évolutions. Aborder ces relations instables nécessite une immense
prudence ; enfin, l’alliance tactique d’intérêt mutuel n’implique ni la
confiance, ni l’amour et n’empêche ni les coups tordus, ni les services
rendus.
Voici par exemple une lettre d’Oussama ben Laden, le 26 septembre
2010, à son collègue en jihad, Mahmud Abderrahman Atiyah 1. Dans cette
lettre comme dans bien d’autres, Ben Laden, dont l’appareil logistique et
« militaire » est implanté en Iran (on le verra plus bas), use toujours du
terme injurieux « rafida » pour désigner les officiels iraniens.
L’alliance tactique d’intérêt mutuel est une pratique constante : en voici
un exemple vieux de vingt ans. Le 17 novembre 1997, une bande terroriste
déguisée en policiers massacre 62 touristes et guides dans le temple et site
archéologique de Louxor (Égypte). Une répression féroce lamine alors la
Jamaa Islamiyya d’Égypte, qui éclate en deux fractions, dont l’une renonce
à la lutte armée. La fraction restée violente est bien sûr traquée dans le
monde entier. Où trouve-t-elle refuge ? En Iran. Cela, c’est l’un des
penseurs et stratèges majeurs du jihad, Abu Musab al-Suri 2, qui le narre
(comme une pratique banale) dans son texte Appel à la résistance islamique
globale :

La Jamaa islamiyya (J. I.) d’Égypte était en bons termes avec le


gouvernement de Khomeini… Elle glorifiait la révolution
islamique et son idéologie. Cela a fourni à la J. I. une retraite
sûre lors de la vague répressive qu’elle subit partout ailleurs.

À peu de frais, Téhéran tient ainsi en laisse une sorte de « pitbull »


terroriste, qu’il peut lâcher à tout instant – utile outil de rétorsion contre des
pouvoirs régionaux sunnites hostiles à l’Iran chi’ite 3.
CHAPITRE 2

La République islamique d’Iran


(R.I.I.) et les djihadis sunnites

La R.I.I manifeste une indéniable « flexibilité » envers ces djihadis


salafistes, dont la doctrine prévoit pourtant d’exterminer les « rafida ». Ce
qu’explique Brian Fishman, auteur de l’instructif ouvrage The Master
plan 1 :

Nombre des membres d’al-Qaïda ayant fui l’Afghanistan après


9/11 agissaient quasi ouvertement en Iran. Saïf al-Adel 2 vivait
libre à Shiraz quand les États-Unis ont envahi l’Irak. Il a
continué à jouer un rôle-clé dans l’état-major d’al-Qaïda…
Début mars 2003, quand les troupes US fonçaient au sud de
l’Irak, al-Adel écrivait un guide détaillé, expliquant aux Irakiens
comment affronter les États-Unis sur le champ de bataille.

Même « souplesse » côté djihadis sunnites. Abu Musab al-Zarqawi 3


massacre tant et plus les chi’ites irakiens, fait exploser leurs mosquées,
ravage de ses bombes leurs quartiers – mais (nous citons toujours
Fishman) :
Pendant que Zarqawi et ses successeurs ciblaient les chi’ites
d’Irak, ils s’appuyaient sur leurs propres réseaux en Iran chi’ite
pour communiquer avec al-Qaïda ; et dans la Syrie « alaouite »
[voir note 1], pour infiltrer (en Irak) des moudjahidine étrangers.
Or alors même que l’Iran et la Syrie toléraient les réseaux
djihadis, ils aidaient les milices chi’ites combattant les
zarqaouites 4.

Pourquoi ce jeu entortillé et, vu d’Europe, absurde ? À quoi rime d’être


à la fois dans la forteresse – et de l’assiéger ? Nous sommes ici au cœur
même de la stratégie indirecte, toujours selon Fishman :

L’assassinat de l’ayatollah al-Hakim (par Zarqawi) avait ouvert


la voie à une nouvelle génération de militants chi’ites en Irak,
cornaqués par d’omniprésents et très efficaces agents iraniens.

Leçon de texte : la vieille génération chi’ite irakienne regimbe à


l’emprise de Téhéran ? On la fait éliminer par des djihadis sunnites, au
profit de jeunes chi’ites irakiens plus souples… Précoces adeptes du jeu
d’échecs, les Perses maîtrisent l’art du gambit 5.
Coutumier du fait, Zarqawi discrimine fort bien entre chi’ites, irakiens
et iraniens. Ainsi, le 4 août 2004, Faridoun Jihani rejoint en voiture son
poste de consul d’Iran à Karbala. Il est kidnappé au sud de la ville par des
moudjahidine (sunnites) de l’Armée Islamique en Irak. Peu après, Zarqawi
récupère (le Perse et « rafida » honni) Jihani. Pour l’égorger devant une
caméra ? Non : il le libère en septembre 2004. Comment joue ici la stratégie
indirecte ? En Irak ou en Syrie, les djihadis d’al-Qaïda ou de l’État
islamique en liberté parlent souvent entre eux d’enlever des officiels
iraniens, pour faire libérer des « frères » en « résidence surveillée » en Iran.
À libérer Jihani, Zarqawi obtient sans doute en échange quelque secret
avantage.
Successeur à la tête d’al-Qaïda d’Oussama ben Laden, éliminé en
mai 2011, Ayman al-Zawahiri agit de même : en septembre 2013, il interdit
à ses moudjahidine de « combattre les sectes déviantes 6 » (de massacrer des
civils chi’ites) ; mais en août 2016, Zawahiri dénonce « l’occupation de
l’Irak par les Safavides, les Croisés et leurs milices chi’ites 7 ». Expliquons :
les Safavides sont la dynastie impériale en Iran, du XIVe au XVIII siècle AD ;
l’allusion signale donc que l’empire chi’ite cherche une fois encore à
dominer les sunnites. Et bien sûr, Zawahiri qualifie de « rafida » les forces
militaires irakiennes d’obédience chi’ite.
Revenons à Oussama ben Laden. Le 18 octobre 2007, il écrit une très
intéressante « lettre à Karim » (un de ses lieutenants, non identifié). Cette
lettre établit à la fois l’importance de l’Iran dans la stratégie d’al-Qaïda, et
pour parler familièrement, l’aspect « amour vache » des relations entre
chi’ites et salafistes :

J’ai des remarques à vous faire sur vos menaces envers l’Iran.
Vous ne m’avez pas consulté d’abord sur ce grave sujet, qui
affecte notre sort à tous. J’espérais que vous me demanderiez,
car, vous le savez, l’Iran est notre canal majeur de
communication, de transfert de fonds et d’hommes ; aussi, le lieu
où sont détenus nos otages. » Plus loin ben Laden ajoute
« Souvenez-vous que négocier avec l’Iran est plus aisé, si le mal
qu’on lui fait est sévère ». Enfin, ben Laden évoque « la prise
d’otages iraniens en vue de négociations 8.
Le bras de fer entre Téhéran
et les djihadistes
Juste trois exemples :
1. En novembre 2008, le diplomate iranien Hesmatollah Attarzadeh est
kidnappé par des inconnus près de Peshawar (territoires tribaux
pakistanais), puis libéré à Peshawar en mars 2010. Peu après sa libération,
les dirigeants d’al-Qaïda détenus en Iran commencent à jouir d’une plus
grande liberté de mouvement et d’expression publique 9.
2. Le 21 juillet 2013, Noor Ahmad Nikbath, de l’ambassade d’Iran à
Sanaa (Yémen), est enlevé par « des moudjahidine d’Al-Qaïda dans la
péninsule arabe » (AQAP). Il est libéré le 5 mars 2015, toujours au Yémen.
Le même mois, des dirigeants d’al-Qaïda et autres chefs djihadis sont
libérés en Iran et peuvent partir, sans doute pour la Syrie 10 : Saïf al-Adel,
Abu al-Khayr al-Masri 11, Abu Muhammad al-Masri 12, Khaled al-Aruri
« Abu’l-Kassam » ou « Abu Ashraf » 13 et Sari Muhammad Hassan Shihab
« Abu safar 14 ».
3. De son côté l’Iran (qui n’héberge pas des salafistes par plaisir) songe
un temps à échanger, avec l’armée américaine d’Irak, des djihadis réfugiés
en Iran, auteurs de maints attentats anti-américains, contre les
« Moudjahidine du peuple iranien » (MEK) honnis à Téhéran.

Les djihadis sunnites


Au passage, notons que les rapports entre activistes sunnites, supposés
frères en jihad, ne sont pas moins féroces. Deux exemples :
1. Après la rupture entre al-Qaïda et l’État islamique (naguère « al-
Qaïda en Mésopotamie ») – la scission formelle est annoncée par Zawahiri
le 3 février 2014. Ce dernier traite ses ex-frères d’armes de « néo-
kharijites » 15, donc hérétiques à exterminer jusqu’au dernier.
2. Parfois, on sort même de la malédiction théologique, comme pour la
mort d’Abu Musab al-Zarqawi, en février 2006 (tir de roquettes lors d’un
raid aérien). Selon le New York Times (8/06/2006) un moudjahid d’al-Qaïda
en Mésopotamie fournit au renseignement jordanien (qui passe aux
Américains) la localisation du cheikh irakien Abu Abdul Rahman,
conseiller spirituel de Zarqawi, dès lors filé sans cesse et enfin tué avec lui
dans le raid aérien.
CHAPITRE 3

La République islamique d’Iran (R.I.I.)

La première organisation terroriste fondée par Zarqawi (Jund al-Sham,


les soldats du Levant) est présente en Iran depuis la décennie 1990. Or dès
cette époque, Zarqawi songe à frapper en Europe. Vers 2001, il ordonne à
Mohamed Ghassan Abu Dhess « Abu Ali », qui dirige en Allemagne un
groupe « Tawhid 1 » (classique nom salafiste), d’y repérer des boîtes de nuit
possédées par des Juifs ou des Israéliens, en vue d’attentats. Ce réseau est
démantelé au printemps 2002 avant d’agir – après quoi, Berlin accuse
Téhéran de monter des attentats depuis l’Iran. Sur le champ, Zarqawi est
expulsé d’Iran vers le Kurdistan irakien, où il attend l’invasion américaine
(avril 2003) avant de sévir à nouveau 2.
Renouveau de prudence à Téhéran, dès l’invasion de l’Irak par les
États-Unis. Le péril est aux portes : couvrir ses traces devient impératif –
tout en se dotant d’outils de rétorsion, si ça se gâte avec les Américains…
Comme on l’a vu, Saïf al-Adel vit au calme à Shiraz, sans doute depuis
2001 et la fuite d’al-Qaïda d’Afghanistan ; il joue toujours un rôle central
dans l’état-major d’al-Qaïda – ce qu’on sait à Téhéran. Or coup sur coup, en
avril 2003, Bagdad tombe aux mains de l’armée américaine. En mai 2003,
un attentat-suicide fait une vingtaine de morts à Riyad : pour les services
saoudiens, l’affaire est pilotée par l’état-major d’al-Qaïda en Iran,
notamment par al-Adel. Immédiatement, ce dernier est enfermé dans sa
villa de Shiraz, et perd (en théorie) sa capacité d’agir et de s’exprimer.

Au cœur de la stratégie indirecte, Saïf al-


Adel 3
Montrons maintenant l’importance du salafiste et dirigeant d’al-Qaïda
« Saïf al-Adel » ou « Muhamad Ibrahim Makkawi », de son nom Mohamed
Salah al-Din Abdel Halim Zaydan.
Cet ex-officier de l’armée égyptienne est l’un des rares survivants actifs
de l’al-Qaïda originel de la décennie 1990. Djihadi théorique et pratique
depuis bien avant le « 9/11 » et jusqu’à 2017, il a fondé l’appareil militaire
du Jihad islamique d’Égypte, sous les ordres d’Ayman al-Zawahiri, et a
trempé, en octobre 1981, dans l’assassinat du président égyptien Anouar el-
Sadate.
Dans la décennie 1980, al-Adel participe au djihad afghan. Entre
Soudan, Afghanistan et Iran, il dirige au fil des ans le conseil militaire et le
conseil de sécurité d’al-Qaïda et est impliqué dans les attentats visant les
ambassades américaines à Nairobi et Dar es-Salaam (été 1998). Opposé aux
projets d’attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, comme dangereux
pour la survie d’al-Qaïda, al-Adel est nommé émir par intérim d’al-Qaïda
après l’élimination d’Oussama ben Laden, en attendant l’émirat d’Ayman
al-Zawahiri.
Or de 2001 à 2015, Saïf al-Adel vit constamment en Iran (plus ou moins
libre, selon l’humeur de Téhéran). Il arrive en Syrie au second semestre de
2015 et y pilote en juillet 2016, avec Abu al-Khayr al-Masri (voir note 20)
la mue d’al-Qaïda-Syrie (Jabhat al-Nosra) en un plus anodin et « modéré »
Jabhat Fateh al-Sham 4. Il s’y trouve sans doute encore quand ces lignes
sont écrites.
1998-2011 : les plans décisifs pour al-
Qaïda et l’État islamique 5
1998. Repliée en Iran, la direction de la Jamaa Islamiyya d’Égypte (qui
persiste après l’attentat de Louxor) se réunit à Téhéran et décide de
signer « la déclaration du Front islamique mondial de lutte contre les
Juifs et les Croisés » d’Oussama ben Laden, publiée le 23 février 1998
(en fait, la déclaration de guerre aux États-Unis). Après quoi, la J. I. met
son réseau en Iran à disposition de Saïf al-Adel et d’Abu Musab al-
Zarqawi.
2002. À partir de cette année-là, Saïf al-Adel et le stratégique 6
Muhammad Khalil Hassan al-Hakaymah, vivent pour sûr en Iran ; Adel
jusqu’en 2015 et Hakaymah, jusqu’en 2006.
2003-2004. « Aux arrêts à domicile » à Shiraz (Iran) avec d’autres chefs
d’al-Qaïda et leurs familles, Saïf al-Adel écrit des études de stratégie et
de tactique djihadie, pour « Mu’askar al-Battar » (le camp
d’entraînement d’al-Battar), un bulletin d’AQAP. Saïf al-Adel écrit en
Iran son célèbre « Maître-plan » (ci-après MP) feuille de route en
7 étapes, visant à instaurer un califat (avec al-Qaïda et l’entité de
Zarqawi, alors unies). Le MP fixe alors le cadre stratégique qui
imposera en 15 ans la victoire djihadie, partant de positions (acquises)
en Irak et (à gagner) en Syrie. Le texte du MP sort d’Iran avec un
Palestinien qu’al-Adel a connu en prison en Égypte 15 ans avant et qui
vit alors à Téhéran. Le MP est ensuite remis à Fouad Husayn,
journaliste jordanien ami d’al-Adel, jadis détenu en Jordanie avec
Zarqawi. Quoiqu’aux « arrêts à domicile » à Shiraz, Al-Adel échange
alors aisément avec des chefs islamistes d’Arabie saoudite et du
Pakistan.
2004. Première rencontre entre Zarqawi et Oussama ben Laden,
organisée par Saïf al-Adel, « en résidence surveillée » en Iran. Or ben
Laden lui-même dit qu’elle s’est tenue à l’ombre du renseignement
iranien 7 ! Par la suite, al-Qaïda finance et équipe un camp de Zarqawi
proche de Herat, en Afghanistan, et lui donne accès à un réseau de
locaux discrets à Téhéran et Mashhad. En octobre 2004, Zarqawi fait
allégeance à ben Laden.
2004-2005. En Iran toujours, Muhammad Khalil al-Hakaymah écrit
(sous le nom de Abu Bakr Naji) The management of Savagery (« Gérer
la sauvagerie »), publié par le bulletin de l’AQAP, Mu’askar al-Battar.
Ce manuel fondateur de la méthode Zarqawi, tous les avatars successifs
de l’État islamique l’appliquent dès lors aveuglément et jusqu’à ce jour.
(Rappel du projet de Zarqawi : 1. Établir un État islamique ; 2. Chasser
les États-Unis de Mésopotamie ; 3. Étendre le Jihad outre l’Irak : tout ce
qu’accomplit concrètement l’État islamique ; 4. Instaurer un califat au
« Levant », Irak + Syrie, atrocités propagandistes, etc. Tout ce plan
provient de deux textes fondateurs écrits en Iran, pays où, on l’a vu, les
services officiels ne sont jamais bien loin.)
2011. Oussama ben Laden éliminé (en mai) Saïf al-Adel, qui habite
toujours l’Iran, est nommé émir intérimaire d’al-Qaïda (avant l’émirat
de Zawahiri).

*
L’Iran est ainsi la constante base arrière d’al-Qaïda, avant, pendant sa
fusion avec la bande de Zarqawi, puis après la scission des deux entités
(février 2014). Après les départs de mars 2015, reste-t-il des cadres d’al-
Qaïda en Iran ? Sans doute oui. Ce seraient 8 :
Faycal al-Khalidi, proche d’Atiyah Abderrahman – il assurait en 2011
la liaison entre le Shura council d’al-Qaïda et les talibans pakistanais
(Tehrik-e-Taliban Pakistan, TTP). Aujourd’hui, Khalidi dirigerait le
comité militaire d’al-Qaïda,
Ysra Bayumi, cadre d’al-Qaïda depuis 2006, installé en Iran depuis
2014, membre du conseil financier et médiateur avec les autorités
iraniennes,
Abu Bakr Muhammad Ghumayn, vétéran et cadre majeur d’al-Qaïda en
Iran (secteur financier et gestion).
Ajoutons au moins un fils d’Oussama ben Laden (qui a eu vingt enfants
en cinq mariages) : Hamza « Abu Moaz », marié à une fille de Zawahiri
dont il a deux enfants, Khairiah et Saad.

La stratégie indirecte : dans l’ADN


de l’« État islamique »
Quand émerge cet « objet terroriste non identifié », quelques
journalistes, notamment allemands, veulent en savoir plus. Ils sillonnent la
Syrie et l’Irak ; ils recueillent des témoignages directs, achètent des
documents à des djihadistes-mercenaires, traînant d’une katiba l’autre pour
la solde, le pillage – et les bakchichs soutirés aux médias.
Or au printemps 2015, les révélations du Spiegel restent incomprises 9.
Cette négligence se comprend : l’enquête du Spiegel porte sur un inconnu –
cependant crucial, ô combien ! – et les sensationnels éléments qu’on y
trouve sont noyés dans un immense récit, à vrai dire un peu confus.
Cependant, ces révélations du Spiegel sont confondantes. En voici la
synthèse :
L’architecte, créateur et visionnaire de l’entité dite « État islamique »
(EI), sortie tout armée de son cerveau, est Samir abd Muhammad al-
Khlifawi « Hajj Bakr » de son nom de guerre. Ce colonel irakien du
service de renseignement (SR) spécial de la division antiaérienne de
l’armée de l’air d’Irak, est tout sauf islamiste. Le journaliste irakien
Hisham al-Hashimi a comme cousin un officier du SR irakien
longtemps en poste à la base aérienne Habbaniyah 10, ami proche et alors
voisin de « Hajji Bakr ». Ce collègue affirme « Le colonel Samir était
un nationaliste, pas un islamiste ».
Quand le « proconsul » américain Paul Bremer dissout l’armée
irakienne en mai 2003, « Hajji Bakr » se rapproche d’Abu Musab al-
Zarqawi, qui gagne alors à la cause djihadie la province sunnite
irakienne d’al-Anbar. De 2006 à 2008, « Hajji Bakr » connaît les
prisons de l’occupant américain, Camp Bucca puis Abu Ghraib.
En 2010, le projet « État islamique » mûrit. « Hajji Bakr » et d’autres
officiers irakiens choisissent comme émir, puis « calife », Abu Bakr al-
Bagdadi, censé donner à l’EI un masque religieux. Dans les faits, al-
Bagdadi n’est pourtant qu’un pantin – ce qu’ont saisi d’autres chefs
islamistes : quand Zawahiri veut négocier avec l’EI, c’est « Hajji Bakr »
et sa clique d’ex-officiers qu’il contacte – sans illusion sur leur foi
réelle. Un proche de Zawahiri vitupère alors « ces serpents perfides qui
trahissent le jihad »…
Fin 2012, « Hajji Bakr » s’installe à Tal Rifaat (Syrie), à 40 km au nord
d’Alep ; la base arrière et future tour de contrôle de l’EI. Dans cette
ville alors dominée par la rébellion anti-Bachar, « Hajji Bakr » écrit le
plan stratégique de l’EI, 31 pages si précises et détaillées, avec
organigrammes, etc., que les experts l’ayant étudié y voient le vrai
« code – source » de l’E. I.
Là éclate la première révélation – vertigineuse – de l’enquête du
Spiegel. Le journaliste achète l’original manuscrit de ce maître-plan, en
langue arabe, à un milicien (voir plus bas dans quelles circonstances) et
constate que le texte est écrit au verso d’un papier à en-tête… du ministère
syrien de la Défense – ministère du régime de Bachar al-Assad.
Autres remarques d’experts officiels sur ce plan d’action : étranger à
l’islamisme, l’appareil de sécurité de l’EI conçu par « Hajji Bakr » est un
copier-coller de celui de la Stasi (police politique de l’ex-DDR) – tout
comme l’appareil sécuritaire de Saddam Hussein, que « Hajji Bakr »
connaît bien sûr à fond. En surface donc, Abu Bakr al-Bagdadi et salafisme
– en profondeur et au sommet, le calcul froid : les méthodes et actions de
l’EI ; sa maîtrise de la planification stratégique ; ses alliances semblant
contre-nature ; sa propagande élaborée, n’ont rien d’islamiste.
La stratégie indirecte explique encore l’usage par « Hajji Bakr » d’un
papier à en-tête du régime syrien. Revenons à avril 2003 : après l’invasion
de l’Irak, Bachar craint que, sur sa lancée, l’armée US surgisse en Syrie et
le renverse. Contre-mesure immédiate : injecter en Irak tous les fanatiques
et djihadis possibles, pour y paralyser l’armée américaine. De fait, 90 % des
commandos-suicides (libyens, tunisiens, saoudiens) gagnent l’Irak via la
Syrie. Se crée alors une anti-américaine coalition entre chefs des SR
syriens, émirs djihadis et ex-officiers de Saddam ; liens qui perdurent
en 2012, lorsque Hajji Bakr s’installe à Tal Rifaat.
En Syrie, les stratèges rebelles soupçonnent vite l’EI qui frappe la
rébellion à coups redoublés au nom d’un douteux purisme religieux. Fin
janvier 2014, les émirs rebelles ont compris le jeu réel de « Hajji Bakr » :
un commando attaque sa base et le tue. Tout ce qui permet aux SR rebelles
d’analyser l’EI est récupéré chez « Hajji Bakr » : ordinateurs, passeports,
cartes SIM des téléphones, boitiers GPS, papiers et documents.
Tout est précisément collecté et emporté – notamment, par le milicien
(plus haut évoqué) qui revend ensuite des documents originaux au Spiegel.
Or l’homme fait une seconde et vertigineuse révélation au journaliste
allemand : il a lui-même passé au peigne fin toute la base de « Hajji
Bakr » ; où vivait et travaillait ce fondateur de l’entité dite « État
islamique », dont l’explicite objectif est de rétablir le califat sur terre.
Il n’y a pas trouvé un seul Coran.
Pas un seul.
CHAPITRE 4

Autres scènes de la stratégie indirecte

La R.I.I. et la stratégie indirecte


en Afghanistan
Le 8 août 1998, des talibans massacrent huit diplomates iraniens à
Mazar-i-Sharif (nord du pays). L’Iran y cherche alors un allié de revers,
sunnite mais hostile aux talibans. Il existe : c’est Gulbuddin Hekmatyar, qui
dès lors circule librement en Iran, où parfois il réside ; y contrôle des
réseaux et bases logistiques.

Le régime syrien dans « sa » guerre civile


et alentours
Le régime syrien « alaouite » réagit de même. Écoutons Fishman :

De longue date, la Syrie soutient des salafistes au Liban. Malgré


d’immenses divergences avec les djihadis, les successifs régimes
syriens les ont soutenus pour affaiblir les mouvements
nationalistes palestiniens. Quoiqu’il déteste Israël, le régime
syrien voulait qu’au Liban, les Palestiniens restent faibles et
divisés – et les djihadis excellent dans les divisions. Le danger
étant que parfois, ces djihadis mordent la main qui les nourrit…

Un autre expert ajoute 1 :

Les Assad ont toujours soutenu les djihadis, surtout au Liban,


pour diviser ses ennemis. Nul doute : l’émergence de groupes
djihadis en Syrie rendait service au régime.

Voilà donc le secret de cet épisode syrien de stratégie indirecte : dans ce


pays en guerre civile, l’aveugle fanatisme de l’État islamique donne à
Damas un énorme avantage stratégique.
Comment cela joue-t-il sur le terrain ? Objectif de Téhéran : sauver le
régime de Bachar al-Assad, menacé par une foule de groupes rebelles peu
ou prou islamistes. Or qui peut sûrement les détruire, à moindre coût ?
L’État islamique (E. I.) bien sûr. Quand l’E. I. s’engage à fond en Syrie, à la
mi-mars 2013, son chef de guerre est « Hajji Bakr » 2, un proche d’Abu
Musab al-Zarqawi. Il écrase les entités rebelles et d’abord Jabhat al-Nosra
(Front al-Nosra) d’Abu Muhammad al-Jawlani. Comment et avec qui ?
Écoutons un témoin aussi rare qu’important, « Abu Ayyub », transfuge
majeur de l’E. I. où peu survivent à la trahison 3. D’après lui 4, Hajji Bakr
travaille avec les services spéciaux des syriens et des Pasdaran iraniens. Le
SR des Pasdaran (dit Abu Ayyub) possède son propre « Bureau État
islamique » dont, fin 2014, le patron est Ali Faramani, qui répond à Hossein
Salami, chef en second des Pasdaran. Faramani transmet à « Hajji Bakr » et
à ses amis des données très utiles sur le Front al-Nosra.
Parmi d’autres assassinats, l’E. I. enlève et tue, en septembre 2013,
Saad al-Hadrami, émir de Raqqa (Syrie), chef tribal rallié au Front al-
Nosra. Pire à Alep, le 24 février 2014 : lors d’une attaque suicide qui fait
7 morts dans une base d’Ahrar al-Sham, un commando de l’E. I. élimine
une « star » du djihad au Moyen-Orient, Abu Khaled al-Suri 5. Ainsi sont
éliminés les chefs rebelles, au profit de Damas, par les de facto mercenaires
de l’E. I.
Notons que ces manœuvres et tactiques ne suscitent pas pour autant la
moindre « fraternité d’armes » entre tribus et sectes qui au font, se haïssent
toujours autant. Ici règne l’absolu pragmatisme ; pour citer Karl Marx, on
évolue toujours dans « les eaux glacées du calcul égoïste ».
Un dernier exemple : le sort de la « Base 17 » de l’armée de l’air
syrienne. Dans une première phase de la guerre civile en Irak, Damas et
l’État islamique s’entraident : l’aviation du régime bombarde les rebelles
pour soulager l’EI, qui jette en retour ses commandos suicides sur les
dirigeants de la rébellion, mais laisse en paix l’armée syrienne. À Raqqa
(Syrie) la base aérienne 17 du régime est ainsi encerclée par les rebelles
pendant un an les kataeb de l’EI les chassent et l’aviation de Bachar peut à
nouveau se ravitailler sur la base. Renversement brutal à l’été 2014 : L’EI
conquiert Mossoul en juin, y récupérant un énorme arsenal. Désormais
assez fortes et sûres d’elles-mêmes, les kataeb de l’EI submergent la
base 17 et massacrent jusqu’au dernier ces mêmes soldats syriens qu’elles
avaient secourus un an plus tôt.
CHAPITRE 5

Les liens entre la Syrie de Hafez el-


Assad et l’Iran islamique

On explique 1 d’usage la permanence des liens entre la Syrie des Assad


et la République islamique d’Iran par l’économie (livraisons gratuites de
pétrole), ou par la realpolitik (haine de l’Irak). Or si ces deux facteurs
existent, ils semblent secondaires par rapport à la dimension théologique de
liens forgés depuis bientôt soixante ans entre « Alaouites » et chi’ites
duodécimains.
Révéler ces rapports souterrains impose de plonger, pour quelques
explications préliminaires, dans l’univers complexe de l’hérésiographie
islamique.

Les théories d’ibn Nusaïr


Ceux que l’on nomme improprement les « Alaouites » de Syrie sont en
fait les disciples de Abou Chou’ab Mohamed ibn Nusaïr al-Numaïri, mort
en 883 (AD), qui fréquenta les cénacles des trois derniers imams chi’ites
(duodécimains). Les idées et propos d’ibn Nusaïr lui valurent d’être chassé
de l’entourage de ces derniers, et maudits par eux. En outre, ces imams
avertirent leurs fidèles du côté dangereux des théories prônées par
ibn Nusaïr. Celui-ci se proclama alors la seule autorité légitime pour
présenter et interpréter les enseignements des imams, du fait des relations
spéciales qu’il entretenait avec eux. Ibn Nusaïr finit par se proclamer la
« porte » des imams, c’est à dire :
– Le seul moyen d’accès à l’enseignement ésotérique des imams
pendant leur occultation,
– Le seul héritier de leur savoir,
– Leur seul représentant sur terre.
Pire encore, ibn Nusaïr rejeta le dogme fondamental de l’islam, qui
faisait de Mahomet « le sceau des prophètes », celui qui clôt le cycle des
prophéties, et se proclama lui-même prophète et messager de Dieu –
démarche parfaitement hérétique, même jamais imaginée par le chi’isme
duodécimain.
De l’enseignement d’ibn Nusaïr émergea une religion étrangère à
l’islam (même chi’ite), mais proche d’autres hérésies à cette même
religion : l’ismaélisme (ou chi’isme septimain) et culte des Druzes :
– Déification des douze imams, supérieurs à Mahomet
– Croyance en une trinité divine composée d’Ali (en numéro 1), de
Mahomet et de Salman al-Farsi (premier compagnon perse du Prophète)
– Croyance en la réincarnation et la transmigration des âmes
– Abolition des cinq « piliers » de l’islam (profession de foi, prière,
jeûne, aumône et pèlerinage)
– Pratique ésotérique intensive, enseignement religieux secret,
progressif, initiatique et interdit aux femmes
– Livres sacrés secrets, différents du Coran
– Culte (pseudo-shamanique) rendu à des fontaines, des arbres sacrés ou
des astres (Ali est adoré comme « prince des étoiles ») et les deux
principaux clans « alaouites » syriens étant les Shamsi et les Qamari (clan
du soleil et clan de la lune)
– Repas sacrés où l’on partage le pain et le vin, comme « chair et sang
de Dieu ».
Ce syncrétisme religieux fut bien sûr violemment condamné par les
sunnites comme par les chi’ites : pour tous, les Nusaïri (ou Nosaïri, nom
correct de la secte) sont ghoulat (ceux qui vont trop loin, qui dépassent les
bornes) en divinisant Ali. Ils condamnèrent absolument : leur théologie
(divinisation d’Ali et de sa descendance ; haine des trois premiers califes ;
rejet du concept de résurrection ; foi en la transmigration des âmes) ; leur
supposée dépravation (licence sexuelle et consommation d’alcool) ; enfin,
leurs constantes trahisons de l’islam – les Nusaïri ayant été d’efficaces
alliés pour les Croisés d’abord, puis pour les Mongols (par la suite, des
Français, durant le mandat sur la Syrie).
Ce n’est pas un hasard si Marwan Hadid, l’un des dirigeants [en 1988]
des Frères musulmans (sunnites) syriens était un fidèle disciple de Seyyed
Qutb, doctrinaire majeur de l’islamisme radical égyptien moderne ; Qutb
qui fonda lui-même sa doctrine sur les écrits d’ibn Taymiyya. Hadid
soulignait que les Nusaïri persévéraient dans leur trahison de l’islam, avec
leur entente avec les colonisateurs français avant-guerre, ou leur secours
porté aux chrétiens libanais en 1976. Comme ibn Taymiyya recommandait
d’excommunier les Nusaïri et de ne surtout jamais leur confier les frontières
de l’islam, Hadid concluait : comment les charger de lutter en première
ligne contre Israël ? Bref, pour les Frères musulmans, notamment syriens,
les Nusaïri ne sont tout simplement pas des musulmans et le culte fondé par
ibn Nusaïr n’a rien à voir avec la révélation de Mahomet.

Un certificat de bonnes mœurs islamiques


Hérésie, apostasie : depuis le début du XXe siècle, ce risque énorme –
puni de mort à tout coup – a poussé la secte nusaïrie à tout tenter pour
obtenir un certificat de bonnes mœurs islamiques, provenant d’authentiques
et incontestables autorités spirituelles musulmanes. Première
démarche dans la décennie 1920 : se faire reconnaître comme « Alaouites »
par la puissance mandataire française – passant ainsi plus aisément pour une
secte chi’ite, donc intégrée au périmètre de l’islam. Et puis, aux yeux de
l’opinion musulmane, la personnalité d’Ali était plus glorieuse que celle
d’ibn Nusaïr… Notons que l’apparentement chi’ite n’était pas totalement
factice ; Nusaïri et duodécimains ayant au moins en commun de reconnaître
la lignée des douze imams.
En 1922 donc, durant le mandat français, l’autorité coloniale autorise
l’établissement en Syrie de cours de justices propres aux « Alaouites » où,
ces derniers n’ayant pas d’école juridique propre, s’appliquera le code
chi’ite duodécimain. Clairement, les coutumes shamaniques nusaïries
étaient aussi éloignées des écoles juridiques, tant chi’ites que sunnites, mais
les néo- « Alaouites » y gagnaient une autonomie de facto. Preuve de leur
indifférence au chi’isme : à l’époque, nul mufti « Alaouite » n’étudiera le
droit canon chi’ite à Nadjaf ou à Qom. Les Nusaïris se contentèrent
d’inviter chez eux quelques mufti chi’ites du Sud-Liban qui repartirent une
fois transmises leurs connaissances en jurisprudence duodécimaine.
Preuve du persistant mystère « Alaouite » pour tous les musulmans de la
région : dans la décennie 1930, cheikh Abdel Hussein Charafeddin, éminent
religieux chi’ite de Tyr, visite un cheikh sunnite de Lattaquié (port syrien
proche du djebel Alaouite), pour s’informer sur les Nusaïri, dont il déclare
« tout ignorer ».
Nouvel effort de camouflage en 1936, quand la Syrie accède à
l’indépendance : un groupe de cheikhs « Alaouites » fait profession de foi
musulmane et déclare observer les cinq piliers de l’islam, alors qu’une
conférence religieuse « Alaouite » écrit au ministère français des Affaires
étrangères pour insister sur la nature musulmane de leur culte. Haj Amine
el-Husseini, mufti (sunnite) de Palestine, publie alors une « fatwa »
favorable aux « Alaouites », déclarés musulmans et dignes de l’estime des
autres forces islamiques. Mais ce décret politique anticolonialiste ne pèse
pas lourd. Les grands centres théologiques sunnites (al-Ahzar, au Caire) et
chi’ites (Nadjaf, Irak ; Qom, Iran), restent muets sur la question.
En 1947, le grand Ayatollah irakien Mohsen el-Hakim s’intéresse aux
« Alaouites » de Syrie. Il demande à Habib el-Ibrahim, mufti chi’ite de la
Beka’a libanaise, de visiter le djebel alaouite et de lui faire rapport.
Résultat : dès 1948, douze étudiants-mollahs nusaïris partent étudier à
Nadjaf. Mal reçus, désorientés, ils rentrent vite chez eux. On tente donc
l’inverse : une Société pour la promotion du chi’isme est installée à
Lattaquié, avec annexes à Tartous, Banias, etc. Puis un émissaire de Nadjaf,
lui-même libanais, retourne au djebel alaouite ; une autre poignée de
Nusaïris étudie à Nadjaf avec le grand Ayatollah el-Hakim – rien
d’important ni de durable.
Or en 1970, Hafez el-Assad s’empare du pouvoir – les « Alaouites »
dirigent désormais la Syrie. Les fondamentalistes sunnites colportent
aussitôt des rumeurs sur les Nusaïri « adorateurs du diable », vite renforcées
par un premier projet de constitution où l’islam n’est plus religion d’État.
Flairant le danger, les cheikhs « alaouites » craignent une émeute contre
leur communauté – très minoritaires, rappelons-le, de 10 à 15 % de la
population – ils réaffirment leur foi musulmane mais n’ont personne pour
l’authentifier sérieusement, les cheikhs sunnites officiels syriens s’étant
discrédités par leur servilité envers Hafez el-Assad. Un certificat de bon-
islam d’al-Ahzar étant exclu, il faut d’urgence, à ces cheikhs « alaouites »,
une fatwa d’un religieux chi’ite majeur.
Au même moment, la guerre civile menace au Liban. Moussa Sadr, chef
des chi’ites locaux, cherche des alliés de poids : quel bouclier plus sûr que
la Syrie pour son « Mouvement des déshérités » ? Sadr connaît Hafez el-
Assad à qui il écrit parfois ses discours 2. En juillet 1973, à Tripoli, devant
les plus éminents cheikhs « alaouites » syriens, Sadr intègre les
« Alaouites » libanais (environ 20 000 entre Tripoli et l’Akkar) dans son
Conseil supérieur chi’ite, fondant cette reconnaissance sur la (modeste)
autorité de l’Académie de recherche islamique, obscur département de la
mosquée al-Ahzar :

Cet acte arrangeait les chi’ites libanais qui gagnaient en autorité


en s’assimilant au clan dirigeant syrien. Les dirigeants alaouites
syriens tiraient, eux, une autorité nouvelle de la reconnaissance
de leur identité chi’ite ; car des musulmans [sunnites] syriens
dénonçant une influence chrétienne dans les pratiques religieuses
3
alaouites, discréditaient leur droit à diriger un État musulman .

Une intégration confirmée par le successeur de Moussa Sadr, Mehdi


Chamseddine :

Il n’y a pas de sectes à l’intérieur de la communauté chi’ite.


Quand nous disons Alaouites ou Ismaéliens, cela signifie des
nuances régionales ou historiques, des allégeances politiques et
non des différences religieuses. Les chi’ites sont absolument
indivisibles et partagent tous la même foi dans les 12 imams 4.

Mais il est dès lors clair que cette intégration est politique et non
religieuse : l’autonomie théologique des « Alaouites » reste entière et nulle
autorité religieuse majeure de Nadjaf ou de Qom ne garantit ce
rapprochement.

L’Ayatollah Seyyed Hassan Chirazi


Seul l’ayatollah Seyyed Hassan Chirazi, religieux iranien modeste,
préface une brochure de propagande « alaouite » intitulée Les Alaouites
sont du Parti (chi’at) de la Maisonnée du Prophète (Ahl el-Beit). Pour ce
texte, les croyances et pratiques religieuses des « Alaouites » de Syrie et du
Liban sont conformes au chi’isme duodécimain. Chirazi déclara avoir lui-
même vérifié cette conformité (une exigence en droit islamique).
L’Ayatollah Chirazi est le fils de l’Ayatollah Seyyed Mehdi Habibullah
el-Husseini el-Chirazi. Iranien, né à Nadjaf (Irak), en 1934, il étudie à
Kerbala, d’abord avec son père puis avec les ayatollah Mohamed-Ali el-
Milani, Mohamed-Reza el-Esfahani et Mohamed el-Chirazi (son frère).
Militant actif d’al-Dawa, il est arrêté et torturé par la police irakienne et
s’enfuit au Liban en 1970. Il s’y fixe et en reçoit la nationalité en 1977. Il y
écrit des traités islamiques, et fonde l’institut religieux Hawza el-Zeinabia,
où il enseigne. Ayant rencontré à plusieurs reprises Hafez el-Assad, il
évolue dans la communauté chi’ite libanaise. Il est assassiné à Beyrouth le
2 mai 1980 (sans doute par des agents irakiens) – alors qu’il se rend à une
cérémonie en l’honneur du grand Ayatollah Baqr el-Sadr, lui aussi victime
des mêmes baasistes irakiens.

L’incroyable alliance
En termes de réputation dans le monde islamique, les choses
s’aggravent encore pour les « Alaouites » quand en 1976, au Liban en
pleine guerre civile, Hafez el-assad vole au secours du camp chrétien. Dans
cette manœuvre, les sunnites voient une continuation de la séculaire
pratique « alaouite » de trahison de l’islam. En Syrie, cette réaction des
islamistes (notamment, Frères musulmans) débouche sur des émeutes et
même, des actes de guérilla urbaine.
Mais si le régime syrien s’appuie désormais sur des autorités chi’ites
pour soigner son image « musulmane », la secte « alaouite » refuse toujours
toute autorité théologique d’une « Source d’imitation » (grand ayatollah)
chi’ite 5 et garde jalousement ses secrets.
En février 1979, la révolution islamique triomphe en Iran. Dès lors les
Frères musulmans, même syriens, soutiennent le pouvoir nouveau et
reconnaissent l’autorité (politique) de l’imam Khomeiny. Leur déception
sera immense : dès avril 1988, une dure répression frappe les villes
syriennes de Alep et Hama, alors que la radio du régime émet depuis
Damas les louanges de l’ayatollah iranien Khalkhali sur le pouvoir syrien.
Pire, Khalkhali décrit les moujahidine sunnites comme « des bandes
exécutant la politique de Camp David », « en collusion avec l’Égypte, Israël
et les États-Unis ».
En février 1982, la ville de Hama est détruite par les Forces spéciales
syriennes et sa population, en partie massacrée (de 7 000 à 20 000 morts).
Peu après, AbdelHalim Khaddam, le N° 2 syrien d’alors, se rend à Téhéran
à la tête d’une forte délégation. Reçu avec faste, il repart nanti d’un juteux
traité commercial et économique. En prime, un communiqué commun
souligne les « objectifs communs » de la Syrie et de l’Iran.
Côté iranien, cette alliance ne s’est pas nouée aisément : les Affaires
étrangères la souhaitaient, le ministère de l’Orientation islamique et les
chefs du corps des Gardiens de la révolution étaient contre – et
bruyamment. À peine Khalkhali rentre-t-il de Damas que la revue chi’ite
iranienne « Oumma Islamique » l’attaque violemment ; il y est qualifié
d’« irresponsable » et Assad, de « marionnette des superpuissances ». Le
régime syrien, lui y est dépeint comme « anti-islamique et tyrannique
(taghouti), peuplé de laquais de l’impérialisme et du sionisme ».
À Téhéran, le réalisme finit alors par triompher. Mais si le régime
« alaouite » syrien a eu, et a encore, besoin des chi’ites comme garants de
bonnes mœurs musulmanes, l’alliance Damas-Téhéran repose sur des
intérêts communs et non sur une foi commune. Quand, dans la
décennie 1980, des dirigeants iraniens visitent la Syrie (Khalkhali, Mir
Hussein Moussavi, Rafigh Doust, etc.) ils parlent politique, stratégie,
commerce, mais jamais des opinions, croyances ou rituels des
« Alaouites », dont, alors et sans doute encore aujourd’hui – ils ignorent
tout.
TROISIÈME PARTIE

ORIENT ET MÉMOIRE :
DU PASSÉ AU PRÉSENT
CHAPITRE 1

L’État islamique, objet terroriste


non identifié

Souvenons-nous : la panique médiatique régnait à l’été 2014. Telle une


monstrueuse métastase, la tache verte de l’« État islamique » s’étalait sur
la carte du Proche-Orient. Pis, ce « califat » autoproclamé gagnait sans
cesse du terrain. Or, tout aussi brutalement, le ressenti médiatique devait
changer à l’été 2016. L’État islamique était aux abois, son anéantissement
proche. Mais la menace n’avait pas disparu pour autant. Un changement
d’organisation, ou de management dans la langue des écoles de commerce,
n’est pas à confondre avec une disparition. Le « califat » semble bel et bien
s’affaiblir, en effet, mais pourquoi ? Est-ce seulement parce qu’il est en
train d’être battu militairement ou, plus profondément et subtilement, parce
qu’il a joué son rôle ? Sa partition que d’aucuns – disons, ses
marionnettistes – lui avaient de longue date assignée ?
Affaire complexe, qui mérite que l’on y aille voir de plus près. En
commençant par observer ceci : lentement, sûrement, le tsunami
d’informations qui chaque jour nous inonde, le croissant formatage de ces
flux de données privent les dispositifs de défense-sécurité de leur cruciale
capacité à concevoir l’ennemi. Face aux réels périls de l’époque, cet
aveuglement inquiète même les doctrinaires du géant militaire américain.
Lisons ce chercheur au US Army War College :

Face à nous, un tourbillon de crimes et de guerre qui ne colle à


aucun de nos fameux modèles. Ça finit par rendre tout le monde
dingue, tant c’est étranger à notre conception du monde.
Résultat : notre pensée n’est plus dans le coup et nos institutions,
nos lois, non plus 1.

Clairement, toutes les entités hostiles apparues depuis la chute du mur


de Berlin ont en commun de ne pas aller de soi. Or, en Europe, des conflits
religieux du XVIe siècle aux guerres coloniales, l’ennemi est toujours allé de
soi. Pour nous Français, selon le cas ou l’époque, c’est le papiste ou le
parpaillot, l’Anglais ou le Boche. Mais depuis trois décennies, nous voici
privés de ce séculaire confort et ceux qui tuent au cœur même de nos
capitales ont aujourd’hui en commun d’être tout sauf évidents. Face à cette
déplaisante réalité, les appareils de défense et de sécurité réagissent en
autruches. Négligeant le vieil adage « connais ton ennemi », ces institutions
supposent cet ennemi bien connu, et négligeable la phase de diagnostic.
Mais peut-on seulement prévoir l’hostilité humaine ? Penser un
affrontement et un ennemi futurs ? Oui, on peut et même, parfois, loin
d’avance. Dès 1938, Carl Schmitt dépeint ainsi le désordre mondial de
l’avenir :

Une guerre globale largement asymétrique, soustraite à tout


contrôle et toute limitation juridique, dans laquelle une grande
puissance néo-impériale ne se déploie pas tant, ni seulement,
contre des États particuliers que contre des entités de « partisans
globaux » (Kosmospartisanen) qui opèrent à l’échelle mondiale
en usant des moyens et en poursuivant les objectifs de la guerre
civile 2.

Or, aujourd’hui, sévit à grand fracas médiatique une entité de


« partisans globaux », nommée « État islamique » (ci-après EI), « État
3
islamique en Irak et au Levant », ISIS, ISIL, « Daech » ou les « takfiris » .
Notre étude vise à montrer que, si l’on nous abreuve de récits de ses
atrocités, de chiffres effarants sur son arsenal et la taille de ses « armées » ;
si l’on est au quotidien informé de ses victoires ou défaites – l’essentiel est
d’usage négligé : qu’est-ce, au fond, que l’« État islamique » ? Quelle est sa
nature ?
D’abord, qu’entendons-nous par « nature de l’EI » ? Pour le savoir,
comparons cette entité au Hezbollah. Ce qu’est ce « parti de Dieu » est
enfantin à définir : milice chiite du Liban, à vocation paramilitaire et parfois
terroriste ; équipée, entraînée et pilotée par les forces spéciales de la
République islamique d’Iran.
Trois lignes : on sait l’essentiel.
En revanche, l’indéfinissable EI ne va pas de soi.

Trente ans d’histoire, bientôt


D’emblée, ce rappel : cette trouble entité est tout, sauf un feu follet
fanatique ou une fondamentaliste étoile filante. Tout au contraire, et sous
plusieurs noms successifs, l’EI existe depuis bientôt trente ans : on verra
plus bas que cette longévité est lourde de conséquences stratégiques. Rappel
en quelques dates.
Dès 1989, l’ancêtre de l’EI est fondé en Jordanie sous le nom de « Jund
al-Sham » (Les soldats du Levant) par Abou Moussab al-Zarqawi, pour
un projet qui n’a pas changé : combattre les ennemis de l’islam, laïcs et
nationalistes (à la Saddam Hussein, ou al-Sissi) et d’abord les chiites,
qui sont pour Zarqawi un culte proto-chrétien polluant l’islam. Jund al-
Sham est voué à la restauration d’un califat qui rassemblera quand Dieu
le voudra (insh’Allah) tous les musulmans du monde.
En 1999 à Herat (Afghanistan), Jund al-Sham devient « Jamaat al-
Tawhid Wal-Jihad » (Association monothéisme et guerre sainte). En
2004, nouveau baptême dans l’Irak sous occupation américaine : Jamaat
al-Tawhid devient « Al-Qaida en Mésopotamie ».
En octobre 2006 (Zarqawi ayant été éliminé en juin), le Conseil des
moudjahidine en Irak (Al-Qaida en Mésopotamie et ses satellites
locaux) fonde l’État islamique en Irak.
En avril 2013, l’État islamique en Irak et des salafistes syriens du
« Front pour la victoire des gens du Levant » (Jabhat al-Nosra al-
Sham 4) créent l’État islamique en Irak et au Levant.
Le 29 juin 2014, Abou Bakr proclame le califat et devient « calife » et
« commandeur des croyants ». Conquérir l’allégeance de tous les
sunnites du monde nécessite une armée : c’est désormais l’« État
islamique », tout court.
Telle est, à grands traits, l’histoire du présent État islamique. Mais sous
la surface normale des choses, derrière l’apparence que l’EI donne à voir
de lui-même : salafisme échevelé, culte de la violence, paranoïa – que
d’étrangetés et d’invraisemblances ! De cela, voici tout de suite un bref
exemple : pour les salafistes, Zarqawi en tête, l’Iran chiite et la Syrie
« alaouite » sont les fiefs de l’apostasie. Et pourtant, l’EI et ses chefs y
ont durablement été les bienvenus.

Trois questions pour une définition


L’EI EST-IL UN BANAL « GROUPE TERRORISTE » ?
Non : nul groupe terroriste présent ou passé n’a jamais possédé plus de
chars d’assaut que l’armée française ; en outre, depuis que l’EI sévit en Irak,
on y compte moins d’attentats qu’auparavant. Sur le terrain enfin, les succès
de l’EI en 2014-2015 étaient clairement de nature militaire et non terroriste.
Qui plus est, l’EI opère au Moyen-Orient, où l’intangible règle régionale
est que toute entité terroriste mute fatalement – et vite – en terrorisme
d’État. Sans exception connue, cette règle y prédomine depuis cinquante
ans. Rappelons le cas Abou Nidal (Fatah-Conseil révolutionnaire) : derrière
lui, la Syrie puis la Libye ; derrière Ahmed Jibril (FPLP-Commandement
général), la Syrie ; derrière l’Asala, la Syrie, de nouveau.
Le Hezbollah lui-même le prouve, comme le montre La Guerre Iran-
Irak où Pierre Razoux 5 expose maintes « stratégies indirectes » à base
terroriste. En 1985, le roi Fahd d’Arabie fait un geste envers l’Iran :

Comme par hasard à Beyrouth, le Hezbollah relâche au même


moment le consul saoudien enlevé sur place quelques mois plus
tôt par la milice chiite. » La même année, M. Gorbatchev résiste,
à l’inverse, aux approches de Téhéran. « Devant l’absence de
réaction du Kremlin, les dirigeants iraniens décident de changer
de registre. Le 30 septembre 1985, quatre diplomates soviétiques
sont kidnappés à Beyrouth.

Une stratégie, ajoute Pierre Razoux, qu’appuient alors tous les


dirigeants de l’Iran islamique, partisans ou pas de l’ouverture à l’Occident :

Pour les premiers, les attentats contre la France sont un moyen


de contraindre Paris à la négociation, tandis que pour les
seconds, ils sont destinés à punir le « petit Satan 6 ».
Même Al-Qaida n’échappera pas longtemps à l’invincible attraction du
terrorisme d’État : on sait aujourd’hui que durant son long séjour à
Abbottabad (Pakistan), Oussama ben Laden vivait sous l’étroit contrôle des
services spéciaux du pays et était soigné par Amir A., médecin-major
d’active, installé pour plus d’aisance dans la villa voisine 7. En vingt-sept
ans et plus, par quel miracle l’État islamique aurait-il donc pu couper à une
si intangible règle ?

L’EI EST-IL UNE GUÉRILLA ?


Encore moins ; contrairement aux règles les plus éprouvées de la
« petite guerre », l’EI ne se replie pas après l’attaque, mais s’enracine,
contrôle des territoires, affronte des armées régulières. À notre
connaissance, cette stratégie est sans précédent dans la région.

L’EI, GLAIVE DU FONDAMENTALISME SUNNITE ?


Énorme mystère – dans une affaire qui n’en manque pas. Dans l’islam
sunnite, l’autorité suprême est al-Azhar, mosquée du Caire et centre
théologique à la fois. Toujours prudente et pondérée, al-Azhar condamne de
loin le « terrorisme », islamiste ou pas, dans un flou étudié. En 2010, le
secrétaire général de son Conseil de la recherche daigne certifier la fatwa du
Dr Muhammad Tahir ul-Qadri (soufi pakistanais) qui rejette le terrorisme en
général comme anti-islamique, voilà tout. Mais jamais al-Azhar – pas
même l’un de ses dirigeants à titre individuel – ne prononce de nom, ne
désigne d’entité, ne qualifie quiconque de « groupe apostat » – ce qui
concrètement, revient à une sentence de mort. Oussama ben Laden et Al-
Qaida : silence, même après le 11 septembre 2001.
Revirement brutal cependant en février 2015 : le « cheikh al-Azhar »,
chef suprême de l’institution, tonne contre ces « oppresseurs et corrompus
qui combattent Dieu » et appelle à « crucifier et démembrer les terroristes
d’ISIS ». Pourquoi ce violent verdict qu’al-Azhar évite depuis sa
fondation 8 ? Sans doute un écho du revirement saoudien, dont il sera
question plus bas. Rien de plus probant.
Remarquons enfin que sur « ses » terres (son « califat »),
l’administration adoptée par l’État islamique (contrôle des populations,
contre-espionnage, etc.) n’a rien de religieux, comme c’est par exemple le
cas en Arabie saoudite 9, mais est à l’inverse et en tout point calquée sur le
modèle baassiste-laïc du binôme quadrillage-cloisonnement.
Dans leur précieux ouvrage Syrie : anatomie d’une guerre civile, Gilles
Dorronsoro et ses collègues ont recueilli de multiples témoignages de
terrain, et ils butent constamment sur cet étrange mélange entre une
superstructure intégriste-salafiste et une infrastructure typique du
« socialisme arabe » : « Pratiques sécuritaires héritées du parti baassiste » ;
« La présence d’anciens militaires irakiens au sein de l’État islamique » ;
« Les mêmes méthodes que sous la dictature de Saddam » ; « La vision
baassiste de l’État joue un rôle central dans l’explication de l’organisation
du califat » ; « Le bureau de la sécurité est l’équivalent des services de
renseignement de l’ancien régime irakien »…

Le contexte stratégique
De par leur rôle dans la région, les États-Unis sont les premiers
concernés par l’État islamique ; à coup sûr, ceux dont le monde attend une
stratégie, une contre-offensive. Or, sur la zone Irak-Syrie d’abord, puis plus
tard sur l’État islamique, les États-Unis pataugent conceptuellement – et de
longue date.
En octobre 2011, quand l’ambassadeur américain Robert Ford va quitter
Damas, il y recrute des personnalités pour un (imminent) gouvernement
post-Assad. Les officiels américains croient alors détenir la formule
magique du regime change : le « modèle libyen », selon lequel Washington
supervise et fournit l’aviation ; les opérations au sol et le contrôle des
insurgés étant dévolu aux forces spéciales britanniques et françaises.
Mais l’Orient est compliqué : en décembre 2014, le général Michael
Nagata, commandant les forces US au Moyen-Orient, avoue qu’il « ne
comprend même pas le concept » de l’EI. En septembre 2014, le président
Obama, premier usager du renseignement US, qualifiait l’EI d’« équipe de
réserve d’Al-Qaida 10 » – ce qui est une bourde grossière. L’intelligentsia
américaine ne fait pas mieux que son gouvernement : de mars à août 2015,
ces deux brillantes revues que sont The New York Review of Books et The
Atlantic publient trois études sur l’EI 11. Fascination et petit bout de la
lorgnette : on y trouve « le salafisme pour les nuls », le djihadisme gore,
tout ce que dissémine sa propagande-épouvantail, le retour de l’esclavage,
les combattants étrangers, etc.
En revanche, nul étonnement sur la nature et les buts de ce groupe, pas
tout à fait comme les autres. Cet État islamique, à quoi sert-il et qui sert-il ?
D’où vient-il vraiment ? Quelles sont ses intentions réelles ? Ces questions
ne sont même pas posées. Dans l’idée générale, les pétromonarchies du
Golfe et d’abord l’Arabie saoudite appuient l’État islamique. Récemment,
des commentateurs ont glosé là-dessus : l’Arabie saoudite serait un « État
islamique » ayant réussi à fonder un foyer national, le wahhabisme du
royaume n’étant qu’une variante d’un salafisme conçu au XIIIe siècle par
Ibn Taymiyya 12. Jusque vers 2014, cette collusion est indéniable : dans une
note interne secrète du 30 décembre 2009 (publiée par Wikileaks), la
secrétaire d’État Hillary Clinton dénonce le financement saoudien du
terrorisme sunnite 13. De fait, l’aide de Riyad aux djihadis est logique : il
s’agit de combattre l’influence iranienne dans la région et d’affaiblir, voire
de renverser, le pouvoir arabe chiite établi à Bagdad – une horreur pour les
wahhabites. Dès 2014, l’attitude de Riyad change. En mars, l’EI est désigné
comme entité terroriste – sans doute suite aux récriminations américaines et
européennes. Ensuite, les choses s’enveniment, surtout après la mort du roi
Abdallah, annoncée le 23 janvier 2015.
Ce changement à Riyad est vite perçu par l’État islamique qui réagit sur
le front yéménite. Le 6 décembre 2015, une voiture piégée tue le général
Jaafar Saad, gouverneur d’Aden et confident du président (pro-saoudien)
Abd Rabbo Mansour Hadi. Le 25 décembre, Abou Bakr al-Baghdadi rompt
un silence de sept mois, son message audio de vingt-quatre minutes
accablant le royaume saoudien traître au salafisme et allié des « croisés ».
Dès lors, l’Arabie saoudite sévit contre l’EI : militants jetés en prison,
réseaux démantelés, etc. La situation est d’autant plus délicate pour Riyad
que ses théologiens sont divisés sur le sujet – immense danger pour une
théocratie.
Certains dont le cheikh Adel al-Kalbani (imam de La Mecque, premier
Africain à ce poste) jugent l’État islamique vraiment salafiste et critiquent
ses actes, pas sa doctrine ; d’autres, comme le cheikh Saad bin Nasser al-
Shatri, conseiller personnel du roi Salman, qualifient l’EI de « bande athée
pire que les juifs et les chrétiens, qui combat Dieu et son prophète et dont il
faut exécuter les membres ».
On perçoit ici une faille entre Riyad et La Mecque – ce que nul pouvoir
saoudien ne peut tolérer. Mais au-delà ce retrait saoudien s’est-il opéré de
gré ou de force ? Riyad s’est-il éclipsé – ou fait voler les clés du camion ?
Questions qui laissent béante la question des présentes complicités de l’État
islamique : dans une région où tout terrorisme touche à l’État, quel acteur
soutient-il désormais l’EI ? Voyons ce que révèle le terrain.
CHAPITRE 2

Surprenants acteurs, étranges pratiques

« Abou Moussab al-Zarqawi » est le fondateur et chef de l’État


islamique, toujours loué comme tel par la propagande de l’EI. Il s’agit
d’Ahmad Fadhil Nazzal al-Khalayleh (né en 1966 dans le clan éponyme, de
la tribu bédouine des Bani Hassan). Devenu djihadi, il prend le nom de
guerre de « Abu Moussab » en hommage au parrain symbolique et modèle
qu’est pour lui Moussab ben Omar, compagnon du Prophète ; et « al-
Zarqawi », pour la ville jordanienne de Zarqa où il est né. Al-Zarqawi n’est
pas un chevalier blanc du salafisme, plutôt un paumé à la Lee Harvey
Oswald : vendeur dans un magasin de vidéo de la Jordanie profonde, voyou
tatoué et alcoolique. Incarcéré dans la décennie 1980 pour toxicomanie et
agression sexuelle, il est envoyé par sa famille se faire désintoxiquer
(purification et prière) à la mosquée salafiste al-Hussein ben Ali, d’Amman.
Le succès dépasse les espoirs familiaux, car vers 1988 le jeune Ahmad
Fadhil fonde le groupe djihadi Jund al-Sham ; en fait, une micro-secte
mortifère. Zarqawi part alors pour l’Afghanistan (après la fin du djihad
antisoviétique). Il est basé à Hayatabad (près de Peshawar) à la frontière
Pakistan-Afghanistan, puis à Khost (Afghanistan). Il rentre en Jordanie en
1992 où, en tant que « Afghan », le General Intelligence Directorate (GID) le
suit de près. En mars 1994, il est arrêté avec un stock d’armes et condamné
à quinze ans de prison, mais libéré en mars 1999 à la faveur de l’amnistie
qui suit le décès du roi Hussein et l’avènement du nouveau roi.
Déjà réputé agent provocateur et assassin à gages, Abou Moussab al-
Zarqawi repart pour l’Afghanistan avec des fidèles. À son arrivée, il est
basé près de Kaboul, dans un secteur contrôlé par l’émir Gulbuddin
Hekmatyar, chef du parti pachtoune tribal-islamiste Hezb-i-Islami, son
protecteur de ces années-là 1. En 2000, Zarqawi se fixe à Herat, ville-
frontière de l’Iran, grouillante d’agents de tout type, où sa bande se forme
au terrorisme.
Surviennent les attaques du 11 septembre 2001. Le 8 octobre, les États-
Unis commencent à purger l’Afghanistan de ses talibans et autres
terroristes. Devant l’offensive, les moudjahidine étrangers fuient vers le
Pakistan. Pas al-Zarqawi, qui se réfugie avec trois cents de ses hommes…
en Iran (pays des « apostats chiites » pour les salafistes). Il y vit jusqu’au
printemps 2002, toujours protégé par Gulbuddin Hekmatyar.
En Iran, il est repéré à Zahedan, Ispahan et Téhéran. Des transfuges font
aussi état d’un camp d’entraînement proche de Mehran. La branche
« opérations spéciales » des Gardiens de la révolution iraniens (« Ddivision
al-Qods » des pasdarans) lui fournit armes, uniformes et matériel, apprend à
l’époque le GID jordanien. Initiative personnelle ? Commande de Hekmatyar
ou de l’Iran ? Zarqawi s’essaie alors au terrorisme international. En
avril 2002, les services spéciaux allemands démantèlent une de ses cellules
qui préparait des attentats anti-juifs. Les médias allemands publient alors
des informations précises : pseudonymes, adresses, numéros de téléphone et
de fax. Devant les hauts cris de Berlin, les autorités iraniennes arrêtent
Zarqawi et ses complices.
Évacués vers la Syrie puis la frontière kurde Irak-Iran, ils y attendent
l’invasion américaine. Notons ce séjour en Syrie, aux mains (pour les
salafistes) d’hérétiques « alaouites », pires, même, que les chiites. Qui
l’héberge ? Pourquoi ? En échange de quoi ? À ce jour, ce mélange des
genres n’a pas vraiment intrigué grand monde.

Du déclin à la montée en puissance


D’emblée une étrangeté énorme, absente des écrits sur l’État islamique.
Abou Bakr « al-Baghdadi » (l’originaire de Bagdad) n’est pas le premier
émir de l’EI à porter ce nom de guerre. Le précédent se nomme Abou Omar
al-Baghdadi, premier chef d’une entité alors nommée « État islamique
d’Irak », officiellement créée en octobre 2006 par le successeur de
Zarqawi 2.
Ce Hamid Daoud Muhammad Khalil al-Zawi dit « Abou Omar al-
Baghdadi », (1947-2010) est un général de la fort laïque police de Saddam
Hussein – curieux pedigree pour un émir salafiste. Or quand ce Baghdadi-là
est éliminé près de Tikrit en juin 2010, la presse irakienne (qui sait de quoi
elle parle…) qualifie, unanime, « l’État islamique en Irak » de
« groupuscule ». Le même mois, le général Stanley McChrystal, chef du
Joint Special Operations Command américain en Irak, constate que l’EI
agonise, son état-major ayant perdu trente-quatre de ses quarante-deux
membres et étant coupé de sa centrale d’Al-Qaida, terrée aux confins
pakistano-afghans.
Or, trois ans plus tard (avril 2013), la bande sanguinaire armée de bric et
de broc mute en Dawla al-Islamiyya fi’il Iraq wa’l Sham (État islamique en
Irak et au Levant). De janvier 2014 (prise de Falloudjah) à juin 2014 (entrée
dans Mossoul), cet « État » conquiert, avec ses centaines de blindés pris sur
l’armée irakienne en déroute, le tiers nord de l’Irak – plus de 150 000 km2.
Désormais exclu d’Al-Qaida, l’ex- « groupuscule » est alors – selon des
experts militaires – « capable d’encercler ou d’isoler les unités ennemies, de
désorganiser les états-majors et l’approvisionnement ennemi ».
Il sait « monter des attaques coordonnées et simultanées » et ses
capacités anti-aériennes sont « sérieuses » (hélicoptères abattus en vol). Le
groupuscule dispose même de drones et de canonnières sur les fleuves. Ses
chaînes de commandement sont efficaces, tout comme ses commandos et
son renseignement (infiltration, recrutement, pénétrations, assassinats et
attentats). Il dispose de stocks énormes d’armes et de munitions.
On notera en regard que les États-Unis, en dépit de leurs énormes
moyens, ont invariablement échoué à bâtir des semblants d’armées
nationales crédibles… Comment expliquer ce miracle ? Comment rendre
compte de la subite mutation du groupuscule en armée de conquête ?

Qui dirige ?
Au premier semestre 2014, cette conquête du nord de l’Irak abasourdit
le monde. Le ci-devant « groupuscule » a muté sans que nul ne s’en avise –
sauf ceux qui ont poussé à la roue et ne vont bien sûr pas s’en vanter. Les
États-Unis, les Européens et les États de la Péninsule arabe et du Golfe,
pourtant directement menacés, n’ont rien vu venir.
Par la suite, les puissances actives dans la région ont quand même voulu
en savoir plus sur ce mutant. Leurs efforts ont fini par produire une
radiographie floue, mais exploitable, de l’État islamique. Or cette
radiographie diffère tellement de ce que croyaient savoir les États concernés
ou les médias, ce qui remonte du terrain est si incroyable que le déni
prédomine, tous restant cramponnés aux vieux clichés et nul, à ce jour,
n’intégrant ces inquiétantes découvertes dans sa stratégie.
Le constat qui remonte du terrain est le suivant : comme tout appareil
politico-militaire, celui de l’EI ressemble à une pyramide, les moudjahidine
à la base, les émirs au sommet, vers la pointe. Or un minutieux travail
d’identification, le Who’s Who des chefs réels de l’EI (entrepris à Bagdad et
par la coalition anti-EI) révèle qu’à la tête de cette entité sunnite fanatique, il
n’y a pas d’islamistes.
Deux préalables avant de poursuivre :
1. On sait ce qu’est un émir (chef de guerre) islamiste : il a passé des
années à guerroyer sur les fronts du djihad, en Afghanistan, en Somalie ou
ailleurs ; ses exploits, ses prêches sont colportés sur Internet, vidéos,
forums, etc. S’il est d’âge mûr, ses enfances, son engagement, son entrée
dans la guerre sainte, toute cette hagiographie est sans mystère : la jeunesse
dans le péché, la conversion, la montée au djihad – en attendant le martyre
final.
2. S’ils sont incapables encore de prédire, les énormes dispositifs
électroniques déployés au Moyen-Orient reconstituent quand même en
quelques mois l’organigramme fiable d’un appareil militaire. On finit par y
voir les chaînes de commandement ; ce qui monte de la base et redescend
vers elle fournit le schéma de la pyramide ci-dessus évoquée.
Or combiner ces deux ensembles d’informations montre que la direction
de l’État islamique est l’apanage d’anciens officiers de l’armée irakienne et
cadres du parti Baas. Ont ainsi été identifiés, comme cadres de l’EI, plus de
cent cinquante officiers de Saddam Hussein, en charge du renseignement,
des arsenaux et des « programmes spéciaux » (armes chimiques, etc.).
Rappelons encore que, marqués par le baassisme « socialiste » des
origines, l’armée et le parti de Saddam Hussein étaient de fort paperassières
et paranoïaques bureaucraties, conservant sur ses cadres d’épais dossiers,
façon Stasi, dont la plupart ont survécu à la guerre du printemps 2003.
Analysées par des experts officiels, ces archives livrent ceci : au sommet de
l’EI, les chefs militaires, ou chargés du renseignement et d’autres fonctions
techniques (logistique, etc.), sont tous issus de l’armée irakienne ou du parti
Baas ; ce qu’on lit dans leur dossier sur leur carrière pré-EI les révèle laïcs
ou agnostiques, vivant à l’occidentale. Sur les photos, leurs épouses sont
tête nue. Beaucoup étaient proches d’Oudaï, l’un des deux fils de Saddam.
Enfin, leurs fonctions dans l’armée et le parti étaient telles que si les
tatillons contrôles auxquels ils étaient constamment soumis les avaient
révélés, non pas même salafistes, mais simplement pratiquants, ils
n’auraient pas fait de vieux os à leurs postes.
De la défaite de 2003 à l’année 2009, ces militaires-résistants
connaissent les prisons et les camps de l’armée américaine d’occupation.
Abou Ghraib, Camp Bucca 3, et la méconnue, mais cruciale prison Tasfirat
de Tikrit 4. Là, ils approchent ces intégristes d’Al-Qaida que naguère ils
combattaient ou fuyaient comme la peste. Or au Moyen-Orient plus
qu’ailleurs encore, l’ennemi de mon ennemi devient aisément mon ami.
Ces cadres du Baas ou officiers de Saddam dirigent depuis 2014 l’État
islamique. Ont-ils tous ensemble été touchés par la grâce, en une
miraculeuse et collective conversion ? Ou bien sont-ce des mercenaires,
hier stipendiés par les pétromonarchies et désormais… (nous abordons plus
bas ce crucial sujet). Comme il serait trop long (et fastidieux) d’en faire la
nomenclature, contentons-nous d’évoquer ici les mieux identifiés :
al-Alwani Walid Jassem, dit « Abou Ahmad », ex-officier irakien,
membre du Conseil militaire (majlis al-Askari) de l’EI (sans doute tué
par une frappe aérienne fin 2014),
– al-Hiyali Fadel Ahmed Abdullah, dit « Abou Muslim al-Turkmani »
ou « Abou Mutazz al-Quraishi », membre du Conseil militaire, officier
des forces spéciales de l’armée irakienne et colonel du SR militaire de
Saddam 5.
Najem Fadel Adnan Ismaïl « Abou Abderrahman al-Bilawi », de
l’immense tribu bédouine des Dulaïmi, officier de la garde
présidentielle de Saddam ; fuit en juillet 2013 Abou Ghraib, rejoint le
Conseil militaire et meurt en juin 2014 devant Mossoul.
al-Sweidawi Adnan Latif Hamid « Abou Abdul Salem » et aussi
« Abou Ayman al-Iraqi », colonel de l’armée de Saddam, membre du
Conseil militaire (tué en 2014).
Et encore « Abou Ali al-Anbari » (nom inconnu), ex-major-général de
l’armée de Saddam, chef des opérations militaires en Syrie ; Taher
Tawfiq al-Ani, ex-colonel irakien 6, et bien d’autres…
Dans ces états-majors et directions, où sont finalement les islamistes
« canal historique » ? Nulle part. Étrange pour un califat ultra-sunnite.
CHAPITRE 3

Que fait concrètement l’EI en Irak


et en Syrie ?

Voyons maintenant ce qu’a réellement fait l’EI en Irak, puis en Syrie et


quelles ont été les conséquences réelles de ses actions.

L’EI en Irak
D’abord ceci : les Arabes irakiens chiites sont en grande majorité restés
fidèles à Saddam durant la guerre Irak-Iran. Sentimentalement, ils révèrent
sans doute le chiisme perse et ses lieux saints, mais politiquement ils
rechignent au côté « aide fraternelle » de Téhéran, qui rappelle parfois trop
celle de l’Union soviétique à la Pologne, lors de la guerre froide… Voilà
l’ambiance dans laquelle l’autorité suprême des chiites irakiens, l’ayatollah
Muhammad Bakr al-Hakim, chef du Conseil supérieur de la révolution
islamique en Irak, rentre de son exil iranien pour la ville sainte chiite
irakienne de Nadjaf. On l’attendait vent debout contre l’occupation
américaine : or le voilà conciliant, prêt même à une coopération limitée
avec l’occupant.
Suivons maintenant Zarqawi, arrivé en Irak (par le Kurdistan) début
2003. L’invasion du pays s’achève le 9 avril 2003. Le 1er mai, sous la fière
banderole « Mission accomplished » ornant le porte-avions Abraham
Lincoln, le président G. W. Bush déclare : « Nos forces et celles de nos
alliés l’ont emporté en Irak. » Cent onze jours après, Zarqawi frappe : le
19 août 2003 à 17 h 30, un camion piégé détruit le siège de l’ONU à Bagdad,
tuant ses vingt-deux occupants, dont l’envoyé spécial Sergio Vieira De
Mello. L’explosion s’entend à vingt kilomètres à la ronde.
Présage : le 7 août, une voiture piégée ravageait l’ambassade de
Jordanie (14 morts). Ces attentats ont alors abasourdi les services de
renseignement actifs à Bagdad, qui ne les avaient en rien vu venir. Résultat :
l’Irak se fige, les entreprises et organismes internationaux fuient ou sont
tétanisés ; reconstruire, retrouver une vie normale devient impossible.
L’Irak entre dans un chaos qui perdure jusqu’à ce jour – à plus bas bruit
cependant.
Le 29 août 2003, Zarqawi passe à la terreur anti-chiite. À Nadjaf,
Mouhammad Bakr al-Hakim est pulvérisé avec une centaine de fidèles par
une mégabombe. L’attentat est revendiqué par Zarqawi, mais des experts
flairent une action spéciale sous couverture djihadie. Pire encore, le
22 février 2006 : un énorme attentat ravage (dôme effondré, etc.) la
mosquée Askariyya de Samarra, où reposent deux des douze imams
chiites : Ali al-Naqi (dixième imam) et Hassan al-Askari (onzième) 1.
Cette dernière provocation de Zarqawi (après bien d’autres en 2004
et 2005) déclenche une guerre civile sunnites-chiites ; par milliers, des
fidèles des deux camps sont assassinés. Cela jette les Arabes chiites irakiens
dans les bras de l’Iran ; ils doivent désormais mendier aide et protection au
« grand frère » ; l’Irak chiite devient vassal de Téhéran. Dès lors, à Bagdad,
le général iranien Qassem Soleimani a voix au chapitre et rang de
proconsul 2.
Le surge américain déferle sur l’Irak de 2007 à 2009 – 170 000 GI’s au
combat ; coût : cent milliards de dollars par an – mais ce sursaut est futile.
Le 18 décembre 2011, la dernière unité opérationnelle de l’armée US quitte
l’Irak.

L’EI en Syrie
La guerre civile syrienne commence à bas bruit au printemps 2011,
quand une « Armée syrienne libre » se lance à la conquête de « zones
libérées ». Puis se constitue une branche syrienne d’Al-Qaida, du nom de
Jabhat (Front) al-Nosra.
Venues de la province d’al-Anbar (Irak), des kataeb de l’État islamique
entrent fin 2011 en Syrie. Pour y combattre leur bête noire, l’« alaouite »
Bachar el-Assad, allié fidèle de l’Iran chiite ? Non : à peine en Syrie, l’EI se
rue sur l’Armée syrienne libre et Jabhat al-Nosra, et sous de fumeux
prétextes religieux, occupe leurs positions, égorge leurs chefs, massacre
leurs miliciens refusant l’allégeance au califat.
Comme en Irak, le comportement de l’EI est tel qu’à comparer Bachar
devient présentable. Sur les talons de l’EI, voilà le général Suleimani en
Syrie ; peu après, des miliciens chiites, Hezbollah en tête, secourent le
régime syrien. À leur tour, les milices kurdes attaquent l’EI, soulageant
d’autant Damas.
En février 2014, à Alep, Abou Khaled al-Suri, chef syrien de la
coalition Ahrar al-Cham plus Jabhat al-Nosra, meurt dans un attentat-
suicide de l’EI. Cette sanglante guerre entre entités islamistes fait des
milliers de morts ; repliée pendant ce temps sur la « Syrie utile », l’armée
syrienne compte les points. En août 2015, al-Nosra fuit le nord de la Syrie,
suite à une vague d’attentats-suicides de l’EI (40 morts). Début septembre,
l’EI combat des rebelles pro-américains en périphérie de Damas – ainsi de
suite.
De 2003 à ce jour, d’Abou Moussab al-Zarqawi à Abou Bakr al-
Baghdadi, voici donc comment opère l’État islamique en Irak et en Syrie,
pour quelles conséquences concrètes.
CHAPITRE 4

Comment se fait-on la guerre au Moyen-


Orient ?

Avant d’observer les acteurs locaux, voyons comment se composent,


recomposent et décomposent les bandes armées actives sur le terrain – un
kaléidoscopique mercenariat qui aujourd’hui ébahit les dirigeants européens
et américains, mais fut longtemps pratiqué en Europe, des grandes
compagnies médiévales aux lansquenets des guerres de Religion.
En un système guerrier proche du mercato du football et de but en
blanc, de louches kataeb changent d’allégeance, de camp ou d’activités (de
la guérilla au pillage ou l’inverse) – quand elles ne cumulent pas le tout.
Récent exemple : à l’automne 2015, une katiba de l’État islamique active à
Mossoul apprend que la solde de la troupe tombe de quatre cents à deux
cents dollars par mois : sur-le-champ, elle déserte et rejoint Jabhat al-Nosra,
qui bénéficie encore des largesses pétromonarchiques et paie toujours « à
l’ancienne ».
Des observateurs fiables de ces pratiques régionales affirment que de
tels transferts adviennent chaque semaine. Et dans l’État islamique même,
pour ne pas parler de bandes plus chaotiques encore, nombre de
commandants locaux déclarent deux cent cinquante combattants, mais n’en
ont que la moitié et empochent les soldes fictives.
Soldats fantômes, évanescentes bandes armées, kataeb aux enchères :
comment les dirigeants européens, notamment français, peuvent-ils ainsi
discriminer entre « gentils » anti-Assad (que l’on arme) et « méchants »
islamistes de l’État islamique (que l’on bombarde) – alors que ces bandes
passent à tout bout de champ d’un camp à l’autre, par simple logique
pécuniaire ?
Quand ce n’est pas pire. Fin 2015, Abou Fatima al-Tounsi, émir de Deir
Ez-Zor, disparaît avec toute la solde de ses moudjahidine, leur laissant sur
Twitter le testament suivant :

Quel État ? Quel califat ? Bande de crétins 1…

La longue expérience de Téhéran


Dès juin 2006, des indications précises sur la stratégie irakienne de
l’Iran sont révélées par The Atlantic. Selon un officier de renseignement
d’un pays voisin de l’Irak : « Les Iraniens ont une stratégie. Ils veulent
contrôler l’Irak. Ils aident donc Zarqawi tactiquement et non
stratégiquement. Ils lui ont donné des armes, des uniformes, du matériel
militaire, du temps d’“Ansar al-Islam” 2. » Maintenant (2006), ils le laissent
faire et Al-Qaida aussi. La guerre de l’Iran [en Irak] vise les États-Unis ; ils
élimineront Zarqawi et sa bande quand les Américains seront partis 3. »
En 2006, le Joint Special Operations Command américain en Irak
signale aussi qu’Al-Qaida en Irak et les forces spéciales des pasdarans
coopèrent en secret. Il s’agit d’amplifier le chaos en Irak, pour en chasser
les Américains.
En septembre 2013, le New Yorker consacre une étude au général
Suleimani ; on y lit ceci :
Au début de la guerre [d’Irak], Suleimani a poussé le chef des
services spéciaux syriens à faciliter le passage des salafistes par
la Syrie, pour combattre les Américains [en Irak]. Al-Qaida a
aussi joui d’une certaine liberté en Iran. Les dirigeants kurdes
affirment que l’objectif de Soleimani a toujours été de diviser les
partis irakiens, pour que ce pays demeure faible et instable 4.

Comme on voit, l’inimitié supposée inexpiable entre sunnites et chiites


admet des exceptions.
Toutes ces données occidentales sont confirmées par la tête même de
l’État islamique. Le 11 mai 2014, Abou Mohammad al-Adnani al-Shami,
fondateur et porte-parole de l’EI, publie une diatribe audio à l’intention de
« cheikh Ayman al-Zawahiri, émir d’Al-Qaida » – en fait, un acte de rupture
intitulé « Nos excuses, émir d’Al-Qaida ».
Adnani y reproche amèrement à Zawahiri d’avoir forcé l’EI à épargner
l’Iran chiite « pour protéger ses intérêts et sa logistique en Iran. De cela,
l’Iran est redevable à Al-Qaida 5 ».

Les virtuoses de Damas


La scène ci-après décrite serait restée secrète sans Wikileaks, qui, fin
novembre 2010, publie plus de 250 000 dépêches diplomatiques du
Département d’État 6. Ce 18 février 2010, Daniel Benjamin, coordinateur du
Département d’État pour l’antiterrorisme, rencontre à Damas Faysal al-
Miqdad, vice-ministre syrien des Affaires étrangères, avec l’ambassadeur
syrien à Washington.
Surprise : Ali Mamlouk, le discret directeur général du renseignement
syrien est présent. Côté syrien, on souligne que la présence de M. Mamlouk
à la réunion est sans précédent. Il est là sur ordre de Bachar el-Assad, qui
veut se rapprocher du président Obama. Le général Mamlouk vante le
savoir-faire antiterroriste de la Syrie, qui combat les Frères musulmans
depuis trente ans. Mais Damas n’imite pas Washington :

D’usage, nous ne les attaquons pas, nous ne les tuons pas


directement, dit Ali Mamlouk. Nous les infiltrons d’abord (un
processus « complexe » souligne le général) et n’agissons
ensuite qu’au moment propice.

Toujours enlisés en Irak, les États-Unis y souffrent de l’infiltration de


guerriers étrangers ? Que Washington laisse faire Damas, propose Ali
Mamlouk, qui dit en savoir long sur les takfiris :

Notre expérience est grande. Nous les connaissons. Nous


sommes sur notre terrain. Laissez-nous diriger la manœuvre.
Bien sûr, nous aimerions sortir de la liste des pays soutenant le
terrorisme ; il nous faut aussi des pièces détachées pour notre
aviation… Mais ces requêtes sont fort modestes. »

Bref : aidez-nous à vous aider. Aimable proposition certes – et menace


subliminale, car qui peut vraiment dire où finit l’infiltration et où débute la
manipulation ? Et quoi de plus aisé que d’éliminer un péril qu’on a soi-
même d’abord suscité ? Au printemps suivant, la guerre civile éclate en
Syrie ; l’ambassadeur américain quitte Damas en octobre 2011 – l’affaire
reste sans suite, mais constitue un frappant révélateur de la stratégie
indirecte syrienne 7, ou d’ailleurs iranienne, dans la région. Relatons donc
des cas concrets de cette méthode Mamlouk.
En septembre 2007, un commando américain élimine « Abou Muthanna
al-Ansari », chef de l’organisation du « Sinjar », nom d’un bourg
irakien de la province de Ninive, voisine de la Syrie. Dans l’opération,
ces commandos raflent les archives (printemps 2006-été 2007) du
dispositif Irak-Syrie d’Abou Muthanna. Un trésor : livres de comptes
détaillés, états logistiques et administratifs et fiches personnelles de
576 djihadis étrangers transitant vers l’Irak – dont 212 pour
« opérations-suicides ». Toute la bureaucratie « import-export » et
« ressources humaines » d’Al-Qaida : infiltrations-exfiltrations, collecte
d’argent, contrebande, etc 8. Ces documents montrent qu’ont traversé la
Syrie, au vu et su des services spéciaux du pays : 237 Saoudiens,
111 Libyens, 46 Syriens, 44 Yéménites, 41 Algériens, 36 Marocains,
11 Jordaniens, etc.
Le 20 octobre 2008, dans la ville-frontière syrienne d’Abou Kamal, une
équipe du Joint Special Operation Command américain venue d’Irak
élimine « Abou Ghadiyah », cadre d’Al-Qaida en Irak. De son nom
Badran Turki Hisham al-Mazidih, Irakien de Mossoul nommé à ce poste
par Zarqawi lui-même, il dirige depuis 2004 la logistique
transfrontalière d’Al-Qaida. Depuis la Syrie (supposée traquer les
djihadis), son appareil logistique fournit à Zarqawi, puis à son
successeur Abou Ayoub al-Masri, argent, armes, hommes, faux papiers,
guides, planques, etc. Or, là aussi, des documents révèlent les étroits
liens d’Abou Ghadiyah avec Assef Shawkat, alors patron du SR militaire
syrien et beau-frère de Bachar el-Assad 9.
Récemment, ce troublant témoignage de Mohamed Qassim, opposant
modéré au régime de Damas, naguère procureur de la ville syrienne de
Tadmour. En avril 2015, ce magistrat pondéré voit l’armée syrienne
quitter sa ville, conquise peu après par l’EI. But du repli stratégique :
mettre l’EI au contact frontal des rebelles de Jaish al-Islam (Armée de
l’islam) dans la région voisine de Qalamoun, pour que l’EI puisse
l’anéantir 10.
Alors, qui mène donc la danse ?
L’État islamique est clairement une armée mercenaire. Ce n’est ni une
rébellion ni une guérilla – moins encore un groupe terroriste. Mais est-on
mercenaire à son propre service ? Non, bien sûr. D’où cette question
fondamentale : au service de qui est aujourd’hui l’EI ? Ou, plutôt, comme la
région résiste aux analyses simplistes, qui sait « influencer » cette machine
dans le sens de ses intérêts propres et qui est en mesure de le faire ?
Sur ce point, le Royaume d’Arabie saoudite est désormais sur la touche
– ou s’est fait voler son pitbull – et les autres pétro-monarchies du Golfe
sont incapables de conduire des opérations si lourdes, longues et
complexes. Qui d’autre alors, dans la région ? Qui pourrait ? Qui saurait ?
Car de telles meurtrières stratégies indirectes sont complexes à monter et,
plus encore, à conduire avec doigté.
Il reste la République islamique d’Iran parmi les candidats plausibles.
Constatons d’abord qu’elle a une longue et riche pratique des stratégies
indirectes à vocation terroriste :
– Lors des attentats de Paris en 1985-1986 (13 morts, 300 blessés), le
Tunisien sunnite Fouad Ali Saleh avait été recruté et formé par les services
spéciaux iraniens.
– Dans la décennie 1990, le renseignement militaire d’Ankara suscite
un Hezbollah turc, en fait un gang kurde de Turquie, pour éliminer les
cadres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Or, ensuite, les services
spéciaux iraniens volent aux Turcs le contrôle de ce Hezbollah local et
l’utilisent pour tuer des dizaines d’opposants à Téhéran, en Turquie ou
alentours. L’affaire fit grand bruit ; il y eut des procès en Turquie, nombre
de documents existent sur cette peu glorieuse affaire ; eux aussi accessibles.
Observons maintenant les États de cet arc chiite étendu de l’Iran au
Sud-Liban en passant par l’Irak et la Syrie. Tous rêvent, bien sûr, de
disqualifier le wahhabisme-salafisme. Certains disposent de gros moyens et
d’opérateurs subtils, pratiquant de longue date la stratégie indirecte. Or pour
qui dirige les pays de cet arc, l’État islamique est un rêve de propagande et
de communication : fracas médiatique… égorgements… bûchers… viols
d’esclaves… délires iconoclastes… Quoi de mieux pour horrifier la planète,
musulmans inclus ? Et l’EI éliminé, qui osera encore prôner le salafisme
dans les décennies à venir ?
Ce n’est pas tout. Le grand protagoniste du jeu moyen-oriental, ce sont,
bien entendu, les États-Unis. Leur action poursuivait deux buts pour
s’extraire des funestes années Bush. En Syrie, créer une opposition
« modérée » à Bachar el-Assad, conduisant au changement de régime à
Damas. En Irak, susciter un gouvernement dépassant la guerre
confessionnelle sunnites-chiites.
Or qui a totalement balayé ces deux projets, dont la seule mention
rétrospectivement fait sourire, sinon l’État islamique ? Et quelle option
restait-il dès lors à la Maison-Blanche pour éviter l’échec et mat régional ?
Emprunter le chemin de Téhéran, capitale de l’empire qui inventa jadis le
jeu d’échecs.
Nous savons qu’au Moyen-Orient le terrorisme d’État a pour intangible
but d’appeler l’adversaire du moment à négocier ou à évoluer ; que ce
terrorisme-là ne vise ni à la punition ni à la vengeance. Dès lors qu’un
attentat émane du Moyen-Orient, tout pays victime doit donc très vite
s’interroger : sur quels pieds ai-je marché par inadvertance ? Quelle faute
ai-je étourdiment commise ? Quel est le message ? Qui peut m’expliquer ?
Car, bien sûr, de telles missives terroristes n’ont jamais d’adresse de retour
– porté dans le noir, un coup est bien plus effrayant encore.
Ne serait-il pas temps de se livrer à ce travail de déchiffrement, non
pour capituler bien sûr, mais pour comprendre ? Scruter de près les
« influences » subies par les divers Abou successifs à la tête de l’EI, serait
probablement la voie la plus sûre pour éclairer le présent et l’avenir du
terrorisme islamiste, au Moyen-Orient certes, mais avant tout en Europe.
Une quête dont l’objet ne semble pas totalement futile.
Notes

Introduction
1. « Proposition démontrable résultant d’autres propositions déjà posées ; diffère de : axiome,
ou postulat ». Ce théorème-ci est longuement exposé et explicité dans La Nébuleuse, le
terrorisme du Moyen-Orient, Xavier RAUFER, Fayard, 1987.

Première partie
1. Martin HEIDEGGER, Réflexions II-VI et VII-XI, 1938-1939, NRF Gallimard, 2019 ; « La
métaphysique de l’idéalisme allemand (Schelling) » Gallimard-NRF, 2015.
2. Ces trois dernières citations : Martin HEIDEGGER, Phénoménologie de l’esprit, de Hegel, puis
Les concepts fondamentaux de la métaphysique.
e
3. Dans son sens quotidien hérité de la physique du XVIII siècle, le temps est unique, stable,
continu ; ne posant nul problème spécifique, il est d’ordinaire pris pour quantité négligeable.

Chapitre 1
1. New York Times International, 21/11/2018, « Foretaste of a divided world » – Sénatrice
Elisabeth Warren, discours à l’American University, novembre 2018 – AFP, 21/05/2018, « Peu
de signes de progrès en Afghanistan » – New York Times International, 12/05/2018, “US takes
risk of trying to turn foes into allies” – Prof. Michael Brenner, février 2018, « Terrorism post-
Isis » – New York Times International, 4/08/2017, “Hollowed-out force in Syria lacking allies,
lost CIA aid – Global Research, 24/08/2014, ‘Kosovo, the hidden growth of islamic extremism’
– ‘The insurgents and the plot to change the American way of war ’, Fred Kaplan,
Simon & Schuster, NY, 2013.
2. Ces réflexions proviennent aussi d’experts officiels britanniques et américains, la plupart
disant à l’auteur être accablés par des échecs n’ayant jamais dû advenir, si leur travail de terrain
avait été convenablement pris en considération par leurs gouvernants.
3. Journal du Dimanche, 23/12/2018, « Ces Djihadistes qu’on ne retrouve pas ».
4. Ces indications proviennent d’experts officiels français, belges, espagnols, au service de leur
pays ou d’instances européennes, recoupées et rapprochées des informations issues des médias.
5. L’Express, 27/12/2018, « Charlie-Hebdo : un attentat inédit selon le parquet » – Le Figaro,
21/12/2018, “Attentats de janvier 2015 : le parquet requiert les assises pour 14 personnes” –
France-Info, 20/11/2018, « Attentats de janvier 2015 : il y avait trois tueurs, mais ils étaient au
moins une quinzaine derrière les attaques, affirme l’avocat des victimes » – 20 Minutes,
26/09/2018, “Attentats de Charlie-Hebdo et de l’Hyper-Casher : bientôt la fin de l’instruction et
des zones d’ombre persistantes”.
6. Libération, 21/12/2018, « Les dénégationnistes du jihad » – France-Info, 22/11/2018,
“Procès en appel de Jawad Bendaoud : cet autre prévenu qui fait froid dans le dos” – Le Figaro,
13/11/2018, “Attentats du 13 novembre : l’enquête dans la dernière ligne droite” – Belga,
20/10/2018, “Un braquage pour financer les attentats de Paris” – France 3, 25/09/2018,
« 13 novembre : une carte d’identité relance l’enquête sur les attentats » – Ouest-France,
15/06/2018, « Belgique : le frère de Salah Abdeslam avoue un braquage à Molenbeek » – RFI,
11/06/2018, “France – Attentats du 13 novembre à Paris : un suspect-clé remis à la France et
inculpé” – Le Parisien, 11/06/2018, « Attentats de Paris : Osama Krayem mis en examen en
France » – France-Info, 1/06/2018, “Le complice de cavale d’Abdeslam, Sofiane Ayari, inculpé
dans l’enquête sur les attentats de 2016 à Bruxelles” – L’Obs, 5/06/2018, « Yassine Atar, frère
du cerveau supposé des attentats du 13 novembre, transféré à Paris » – AFP, 25/05/2018
“Belgique : deux arrestations dans l’enquête sur les attentats de Paris” – L’Obs, 19/04/2018,
« Attentats du 13 novembre : les témoignages effrayants des membres du quatrième
commando » – Le Figaro, 5/02/2018, « Attentats du 13 novembre à Paris et du 22 mars en
Belgique : un seul réseau » – 20 Minutes, 13/11/2017, « Les attaques du Thalys, de Paris et de
Bruxelles étaient peut-être une unique opération de Daech » BFMTV, 13/11/2017, « Attentats du
13 novembre : les avancées d’une enquête tentaculaire » – France-Info, 12/11/2017, « Attentats
du 13 novembre : deux ans après, où en est l’enquête ? » – Le Monde, 11/11/2017, « Attentats
du 13 novembre : deux ans après, révélations de l’enquête » – AFP, 20/03/2017, « Attentats de
Bruxelles : des mafias au jihad, une histoire du Rif » – Le Monde + AFP, 9/03/2017, « Attentats
du 13 novembre : deux mandats d’arrêt émis par la justice française » – Paris-Match,
8/03/2017, « Attentats de Paris et Bruxelles : le principal artificier probablement identifié » –
L’Express, 10/01/2017, « Attentats du 13 novembre : Abaaoud ou les failles du filet » –
Europe 1, 16/10/2016, « La préparation des attentats du 13 novembre a couté 82 000 euros aux
terroristes » – Le Parisien, 9/09/2016, « Attentats de Paris, 30 à 40 terroristes complices seraient
en fuite » – Le Monde, 9/05/2016, « Le procès de la cellule de Verviers s’ouvre à Bruxelles » –
Le Figaro, 11/04/2016 « Attentats de Paris et Bruxelles : un réseau de relations communes » –
AFP, 9/04/2016, « Un même réseau soupçonné d’être derrière les attentats de Paris et Bruxelles
– AFP, 23/03/2016 “La galaxie djihadiste liée aux attentats de Paris et Bruxelles”.
7. Métis réunionnais vivant en métropole, Fabien et Jean-Michel Clain se convertissent au
salafisme vers l’an 2000 à la mosquée de Basso Cambo, à Toulouse, quartier Bellefontaine.
Fabien Clain et son frère sont tués par « des frappes ciblées » en février-mars 2019 à la frontière
syro-irakienne, dans l’ultime réduit de l’État islamique.
8. Armées clandestines menant une guérilla visant à la libération d’une « puissance coloniale »,
ETA et l’IRA sont d’une nature différente ; entités désormais caduques, le combat que jadis
elles menèrent étant devenu impossible dans la société de l’information.

Chapitre 2
1. New York Times International, 30/01/2019, « Church bombing shows global reach of ISIS »
– Director of National Intelligence – Daniel R. Coats, 29/01/2019, « Worldwide threat
assessment of the US Intelligence community » – New York Times International, 2/06/2017,
“Bin Laden is dead. His hydra thrives”. E-IR Info, 04/03/2015, « The Islamic State – more than
a terrorist group ? » – Slate, 5/08/2014, “L’œuvre de Carl Schmitt, une théologie politique”.
2. “Anatomy of terror : from the death of Bin Laden to the rise of the Islamic State”, Ali
SOUFAN, Norton, 2017. Perspectives on Terrorism – Vol. 11-4 – August 2017 “The Dawa’ish : a
collective profile of IS commanders”, Ronen ZEIDEL.
3. Parmi eux sont clairement identifiés : Abu Bakr bin Habib al-Hakim, franco-algérien,
commandant dans la zone de Raqqa, mort au printemps 2017 ; Abu Ibrahim al-Baljiki (le Belge)
recruteur en Europe, tué à Mossoul durent l’été 2016 ; Abu Omar al-Hollandi (Néerlandais
converti) chef des moudjahidines étrangers à Mossoul, tué en janvier 2017 ; Rachid Qasim,
franco-algérien, professeur de charia d’une katiba de Mossoul (où il est tué en février 2017).
4. L’Express, 24/11/2018, « Autopsie des services spéciaux de Daech » – France 24, 6/11/2018,
“Comment les commanditaires du 13 novembre 2015 ont été tués un à un” – Foreign Affairs,
22/11/2017, « Isis intelligence service refuses to die – why the Emni isn’t going away » –
Majalla, 1/04/2017, « Iraqi State TV says ISIS second in command killed in air strike ».
5. Sources personnelles de l’auteur.

Chapitre 3
1. New York Times International, 17/09/2019, “Dramatic dip in ISIS attacks in the west” – Los
Angeles Times, 10/09/2018 “Seventeen years after sept. 11, al-Qaeda may be stronger than
ever”.
2. RT, 7/12/2018 « Libya in chaos seven years after Nato’s ‘liberation’, but who cares ? » – Le
Monde, 6/09/2018, « Le conflit à Tripoli vient du pillage de l’État par un cartel de milices
mafieuses ».
3. BFMTV, 2/10/2018, « Espagne : démantèlement d’un réseau djihadiste dans 17 prisons » –
Daily Star, 17/08/2018, “Barcelona terrorists pictured smiling in bomb vests days before
attacks” – BBC News, 8/08/2018, “Barcelona attack : the jihadists and the hunt for a second
gang” – Los Angeles Times, 29/09/2017, “In Spain, police suspect the seed for recent Islamic
State Attacks was planted years ago” – New York Times International, 25/08/2017, “Using guile
and charm, Imam built a terrorist cell” – France-Inter, 21/08/2017, “Attentats de Barcelone et
Cambrils – Gilles de Kerchove : “Au fond, la cellule était peu formée.””
4. Peu avant l’attaque, es-Sati est tué à Alcanar (sud de Barcelone) par l’explosion des plus de
200 kg d’explosifs instables (TATP, triacétone tripéroxyde) qu’il préparait. Recruteur de
combattants pour l’Irak et trafiquant de cannabis, es-Sati devait être expulsé vers le Maroc en
2015, décision rejetée par un magistrat espagnol, croyant qu’es-Sati « s’efforçait de s’intégrer ».
Passé par Vilvoorde, banlieue bruxelloise pépinière de djihadistes, es-Sati y est repéré comme
dangereux et signalé aux autorités locales – sans effet.
5. Mort lors d’une « mission de sacrifice » en Irak en novembre 2003, 28 morts.
6. Abdelbaki es-Sati, Youssef et Saïd Aallaa, Younes et Hussein abou Yaaqoub, Driss et Moussa
Oukabir, Mohamed et Omar Hychami, etc.

Chapitre 4
1. Géométrie non-euclidienne : théorie logico-déductive usant de tous les axiomes et postulats
posés par Euclide dans les Eléments, sauf le postulat des parallèles.
2. PROCOPE DE CÉSARÉE, La guerre contre les Vandales, Les Belles Lettres, Paris, 1990.
Éclairante préface de Philippe Muray.
e
3. Sinngebilde, structures de significations, sont les idéalités (pensées au XIX siècle par le
philosophe allemand Heinrich Rickert) fondant les cohérences opérant dans le monde et dans
l’histoire.
4. L’Obs, 27/12/2017, « Lebanese Connection » : le renvoi d’une quinzaine de personnes
requis ».
5. Métapsychologie, PUF, 1994.
6. M6 Info, 15/12/2017, “Indirectement, Washington et Riyad ont armé Daech” – Document
secret de la Defence Intelligence Agency – Pentagone, 12/08/2012, Déclassifié Freedom of
Information Act, 18/05/2015” – Press-TV (Iran), 14/06/2017, “En Afghanistan, les talibans
seraient la meilleure option pour lutter contre Daech, selon Rex Tillerson”.
7. Congress of the United States – Washington DC, January 29, 2003 – The Honorable George
J. Tenet, Director of Central Intelligence – Washington DC – S Rept N° 107 – H. Rept N° 107 –
th nd
107 Congress, 2 Session. Document partiellement déclassifié en juillet 2016. Mentions
suivantes : TOP SECRET – “Joint inquiry into intelligence community activities before and
after the terrorist attacks of september 11, 2001” – “Report of the U. S. Senate select committee
on intelligence and U.S. House permanent select committee on intelligence., together with
additional views”. Ce qui est cité ici provient de : « PART FOUR – Finding, discussion and
narrative regarding certain sensitive national security matters ».
8. Participant depuis 30 ans à des conférences à Washington avec d’éminents dirigeants
américains, civils, militaires, forces spéciales, renseignement, think tanks, monde académique,
l’auteur a souvent lâché le mot Ashraf comme test, lors de discussions sur Afghanistan-Pakistan
avec ses interlocuteurs. Il n’en a jamais trouvé un seul connaissant ce pourtant crucial fait social
régional. L’aveuglement, c’est ça. Car chercher Ashraf sur un moteur de recherche en révèle
l’essentiel.
9. Le rapport précise ceci : fin mars 2002, Zein-el-Abidin Muhammad Husayn
« Abu Zubaidah », haut cadre saoudien d’al-Qaïda, est arrêté à Faisalabad, Pakistan, par un
commando américain. Son agenda téléphonique est récupéré. Y figure le numéro de téléphone
de la société ASPCOL qui gère les propriétés immobilières du prince Bandar aux États-Unis ; et
celui du chauffeur du prince Bandar à l’ambassade de Washington.
10. Congress of the United States. TOP SECRET : “Joint inquiry into intelligence community
activities before and after the terrorist attacks of september 2001”, op. cit.

Chapitre 5
1. IOL, août 2018, « L’arc pro-Houthi de Beyrouth à Téhéran se dessine au grand jour » – FARS
News Agency, 8/07/2018, “Tens of terrorists killed in infighting with rival groups, blasts in
northwestern Syria” – New York Times International, 23/02/2018, “Iran builds a network in
Syria as front against Israel” – Europe1, 27/12/2017, « Syrie : la coalition accuse Assad
d’accorder l’impunité à l’EI » – New York Times International, 8/06/2017, “ISIS claims two
attacks in Iran”.
2. Rappel : on ne voit jamais une force, on ne perçoit que ses effets : le vent et les branches qui
bougent, les courants marins et les épaves dérivant même par calme plat, etc.
3. Voir Sécurité Globale N° 10, 2017, « Le Chi’isme paramilitaire ».
4. Tahrir al-Sham Hayat est à l’origine l’avatar d’al-Qaïda en Syrie, désormais rebaptisé
« modéré » et prioritairement hostile à Bachar et son régime.
5. Fox News, 20/09/2018 “Iran allows al Qaeda operations within its borders, says report” –
State Department, septembre 2018, “Country reports on terrorism 2017 – State sponsors of
terrorism” – Le Monde, 17/08/2018, « Dans l’ouest de l’Afghanistan, la présence iranienne
devient menaçante » – RT, 3/11/2017, « Regime-change rumblings ? New CIA release suggests
Iran conspired with Osama bin Laden » – Asharq al-Awsat, 4/01/2016, “Bin Laden’s men in
Tehran-Iran heavily indebted to al-Qaeda” – BBC News, 4/05/2017, “Afghan warlord
Hekmatyar returns to Kabul after peace deal”.
6. CBS News, 22/05/2019, “Tamir Pardo talks with Michael Morell on Intelligence Matters”.
Tamir Pardo a été le chef du Mossad de 2011 à 2015.
7. Abou Bassir al-Yamani a été tué au Yémen, par une frappe ciblée, en juin 2015.
8. En septembre 2016, le gouvernement afghan accorde l’immunité à Hekmatyar, rentré à
Kaboul en juillet 2017 ; les prisonniers de son importante milice pachtoune, le Hezb-e-Islami,
sont libérés. Hekmatyar reste désigné comme terroriste et soutien d’al-Qaïda par le Département
d’État américain, ce qui localement, ne rencontre qu’indifférence.
9. New York Times International, 11/04/2018, “Assad knows what he can get away with” – New
York Times International, 4/08/2017, “Hollowed out force in Syria lacking allies, loses CIA aid”
– New York Times International, 2/08/2017, “Behind the sudden death of a $1 billion secret CIA
war in Syria”.

Deuxième partie
1. Sur l’histoire et la nature du culte des « alaouites » syriens, voir René DUSSAUD, Histoire et
religion des Nosaïris, Librairie Emile Bouillon, 1900, Paris.
e
2. Cette fatwa entière figure dans la revue scientifique Journal asiatique, 6 série, Tome XVIII,
1870.
3. Office of the Director of National Intelligence (DNI), « Bin Laden’s bookshelf », archives
saisies dans la résidence d’Oussama ben Laden au Pakistan, traduites en anglais et figurant sur
le site du DNI américain.
4. Mohamed Ibn Saoud, mort en 1765 (AD).
5. Jean-Baptiste ROUSSEAU, Description du pachalik de Bagdad, Treuttel et Würtz éditeurs,
Paris, 1809.

Chapitre 1
1. Libyen, né Jamal Ibrahim Ashtiwi al Misrati. Moudjahid en Afghanistan dans l’état-major
d’al-Qaïda, puis chef des communications d’al-Q., tué au Pakistan le 22 août 2011 par un tir de
drone. Sur cette lettre, voir note 3 « Bin Laden’s bookshelf ».
2. Mustafa Setmariam Nasar, Syrien, « Abu Musab al-Suri », stratège d’un nouveau jihad
décentralisé et architecte de « al-Qaïda.2 », post-11 septembre.
3. Les contacts entre l’Iran islamique et la Jamaa Islamiyya auraient été initiés au Soudan, au
début de la décennie 1990, par le doctrinaire islamiste soudanais Hassan Tourabi, aujourd’hui
décédé. Voir The Syrian Intifada Blog, 19/09/2015, « Iran’s partnership with al-Qaeda and
unanswered questions ».

Chapitre 2
1. Brian H. FISHMAN, The Master Plan-ISIS, al-Qaeda and the jihadi strategy for final victory,
Yale University Press, New Haven & London, 2016.
2. Personnage crucial de l’histoire d’al-Qaïda et de l’État islamique et surtout, des rapports
entre les djihadis sunnites et Téhéran, Nous donnons plus bas son portrait détaillé.
3. Voir son portrait dans « L’État islamique, objet terroriste non identifié », Xavier RAUFER, Le
Débat N° 193, Gallimard, janvier-février 2017. Téléchargeable sur le site www.xavier-
raufer.com/site/-Accueil-
4. Zarqawi a combattu pendant presque vingt ans. Les groupes qu’il a tour à tour créés dans sa
« carrière djihadie » sont : Jund al-Sham – Tawhid wal Jihad, al-Qaïda en Irak et l’État
islamique en Mésopotamie. L’« État islamique au Levant » et « État islamique » tout court
datent d’après sa mort (7 février 2006).
5. Gambit : « sacrifice volontaire d’un pion ou figure dans la phase d’ouverture, en vue d’un
avantage stratégique type attaque, gain d’espace, ouverture de lignes, dislocation du jeu adverse,
gain de temps, etc. »
6. Ayman AL-ZAWAHIRI, “General guidelines for jihad”, al-Sahab media, 14/09/2013.
7. Ayman AL-ZAWAHIRI, “Brief message to a victorious Ummah-Allah, Allah in Iraq”, Third
Episode, SITE intelligence group, 25/08/2016.
8. Office, of the DNI, 1/03/2016, “Ben Laden’s bookshelf”, op. cit.
9. Middle-Eastern Transparent, 19/09/2015, “Al Qaida’s external operation unit is back”.
Certaines sources font d’Attarzadeh un officier des Pasdaran sous couverture.
10. New York Times, 17/09/2015, “Iran releases top members of al Qaeda in a trade – Sky
News – 14/09/2015, ‘Terror fears as Iran frees al Qaeda members’.
11. De son nom Abdullah Muhammad Rajab Abderrahman. Egyptien, issu du Jihad islamique
d’Egypte (comme Zawahiri), membre du shura council (conseil suprême) d’al-Qaïda ; Trempe
dans les attentats de Nairobi et Dar es-Salaam à l’été 1998. En Afghanistan, il est le contact
d’al-Qaïda avec les chefs Taliban. Arrêté en Iran en avril 2003, libéré en mars 2015. En Iran,
chef du conseil des relations extérieures d’al-Qaïda. Envoyé en Syrie par Zawahiri. Sans doute
tué par un missile de la CIA le 26 février 2017, dans la province syrienne d’Idleb.
12. De son vrai nom Abdullah Ahmed Abdullah. Egyptien, issu du Jihad islamique d’Egypte (et
ami de Saïf el-Adel), membre du shura council d’al-Qaïda ; impliqué dans les attentats de
Nairobi et Dar es-Salaam, arrêté en Iran en 2003, libéré en mars 2015 ; chef du comité financier
d’al-Qaïda, puis de son comité militaire.
13. Palestinien de Jordanie, N° 2 d’al-Qaïda en Mésopotamie sous Zarqawi et compagnon de ce
dernier depuis la décennie 1980 (notamment en Afghanistan, deux fois). Emprisonné avec
Zarqawi en Jordanie en 1994.
14. Autre Jordanien, proche à l’origine de Zarqawi. Technicien de la guérilla et du terrorisme
mal connu, mais donné pour dangereux.
15. Kharijites : secte fanatique du premier siècle de l’islam, les assassins d’Ali, le quatrième
calife.

Chapitre 3
1. Concept de l’absolu monothéisme, de la totale unicité de Dieu.
2. Der Spiegel, 29/04/2002, « Ziele in Deutschland » ; Guido STEIBERG, German jihad – on the
internationalization of islamic terrorism, Columbia University Press, NY, 2013.
3. Selon divers médias britanniques du 14/11/2020, le Daily Mail et le Sun notamment,
Abdullah Ahmed Abdullah, dit « Abu Muhammad al-Masri » aurait été assassiné en août 2020,
dans les rues de Téhéran, par un commando « anonyme ». Il était considéré comme le « N° 2 »
d’al-Qaïda. En cas d’élimination ou de mort d’Ayman al-Zawahiri, actuel chef d’al-Qaïda, Saïf
al-Adel pourrait devenir le chef (« Émir ») de l’organisation.
4. Voir Perspectives on terrorism – Vol. 11, N°1, feb. 2017, “Deciphering Ayman al-Zawahiri
and al Qaeda’s strategic and ideological imperatives” et The Telegraph, 8/05/2016, “Al Qaeda
leader gives blessing for terror group to form own ‘Islamic State’ in Syria”.
5. Cf. Asia Times, 2/07/2003, et 17/10/2003, « Iran lines up its al Qaeda aces » ; « Iran and al
Qaeda, odd bedfellows ».
6. Dit « Abu Jihad al-Masri », doctrinaire salafiste égyptien proche de Zarqawi ; issu de la
Jamaa Islamiyya, il participe au jihad afghan. En novembre 2006, Hakaymah prête allégeance à
al-Qaïda (sur une vidéo faite avec Zawahiri) ; tué au Waziristan (territoires tribaux, Pakistan) en
octobre 2008 (missile sur sa voiture).
7. Lettre d’OBL à Atiyah Abderrahman – Office of the DNI, 26/09/2010, Ben Laden’s
bookshelf, op. cit.
8. US Treasury, 20/07/2016, “Three al Qaeda senior members located in Iran”.
9. Der Spiegel, 26/04/2015, « The terror strategist – Secret files reveal the structure of Isis ».
10. À 80 km de Bagdad, près de la ville éponyme.
Chapitre 4
1. CTC Sentinel, 22/05/2012, “The evidence of jihadi activism in Syria”.
2. De son nom Samir al-Khlifawi, cet ex-colonel (comme d’usage) de l’armée de Saddam
Hussein, restructure dès 2010, l’appareil militaire de l’E. I. « Hajji Bakr » est tué en Syrie par
des rebelles début 2014, près d’Alep.
3. Majalla (KSA), 30/08/2016, « Exclusive : a defector from the leadership of ISIS provides an
inside view of its command structures and regional ties ». Majalla est l’hebdomadaire respecté
d’un grand groupe médiatique saoudien. La personne du transfuge et la réalité des faits qu’il
avance sont vérifiés par de multiples témoins et connaissances, dont des prisonniers de l’E.I. au
Moyen-Orient et en Allemagne.
4. Comme tous les dirigeants de l’E.I., « Abu Ayyub » est un officier (ex-général de brigade) de
l’armée irakienne.
5. De son nom Mohamed al-Bahiah, ami d’Abu Musab al-Suri (voir note 7) et Syrien comme
lui. Détenu en Syrie, il est libéré fin 2011 lors d’une amnistie du régime syrien. En mai 2013,
Ayman al-Zawahiri, émir d’al-Qaïda, fait d’« Abu Khaled al-Suri » son émissaire personnel en
Syrie, comme dirigeant de la coalition Harakat Ahrar al-Sham al-Islamiyya (Ahrar al-Sham en
abrégé, Mouvement islamique des hommes libres du Levant).

Chapitre 5
1. Texte écrit en juin 1988, à la demande de magistrats de l’antiterrorisme, peu versés en
hérésiographie chi’ite.
2. Source : Mustafa Tchamran, interviewé par Hamid Algar à Téhéran le 16 décembre 1979.
3. Syrian intervention in Lebanon, Naomi Joy WEINBERGER, Oxford University Press, 1986.
4. Interview dans Magazine, Beyrouth, 15 décembre 1979.
5. Par exemple les grands Ayatollah Moussavi Kho’i, de Nadjaf, ou Chariat Madari, de Qom.

Troisième partie

Chapitre 1
1. Ioan GRILLO, Gangster Warlords. Drug Dollars, Killing Fields and the New Politics of Latin
America, Bloomsbury (NY), 2016. Le chercheur mentionné se nomme Robert Bunker.
2. Carl SCHMITT, Guerre discriminatoire et logique des grands espaces, Krisis, 2011.
3. De Takfir wa’l Hijra, groupe terroriste égyptien prônant un salafisme extrême, pour lequel la
plupart des musulmans ont sombré dans l’apostasie et méritent en fait la mort.
4. La majorité des cadres et combattants de Jabhat al-Nosra al-Sham rejette la fusion et reste
alors fidèle à Al-Qaida central.
5. Pierre RAZOUX, La Guerre Iran-Irak, 1980-1988, Perrin, 2014.
6. Ibid.
7. Abbottabad est l’équivalent pakistanais de Saint-Cyr-Coëtquidan et grouille bien sûr de
militaires – pas vraiment l’endroit rêvé pour pratiquer une réelle clandestinité. Voir “ISI
Controlled Ossama Bin Laden’s Abbottabad Compound”, Press Trust of India, 28 avril 2016 ; et
Seymour HERSCH, The Killing of Osama bin Laden, Londres et New York, Verso, 2016.
8. Le prétexte était alors la vidéo d’un pilote jordanien brûlé vif, mais l’EI avait fait pire dix fois
auparavant, sans qu’al-Azhar ne s’émeuve.
9. Systèmes inspirés par l’administration des écoles coraniques, madrassas, ou modèle maktabi
prôné par le révolutionnaire-islamique iranien Ali Shariati. Voir Xavier RAUFER, La Nébuleuse :
le terrorisme du Moyen-Orient, Fayard, 1987.
10. Précisément de « Jayvee team of Al-Qaida ». En argot sportif : Junior Varsity team = équipe
B.
11. “What is the Islamic State ?”, The Atlantic, mars 2015 ; « Inside the Islamic State » et « The
Mystery of ISIS », New York Review of Books, 9 juin et 13 août 2015.
12. Théologien salafiste-hanbalite ultra-rigoriste d’origine kurde, mort en 1328 à Damas (en
prison).
13. « Donors in Saudi Arabia constitute the most significant source of funding to sunni terrorist
groups worldwide… Saudi Arabia remains a critical financial support base for Al-Qaida, etc. »
(Memo – “Terrorist finance – action request for senior level engagement on terrorist finance”,
30 décembre 2009, signé Clinton).

Chapitre 2
1. Ex-Premier ministre afghan farouchement sunnite, G. Hekmatyar fuit Kaboul à l’arrivée des
talibans en septembre 1996 et se réfugie en Iran de 1997 à 2002, puis rentre discrètement en
Afghanistan. Depuis lors, ses appels publics trahissent un alignement pro-iranien. Fin juin 2006
(Associated Press-Peshawar) il rend hommage à Abou Moussab al-Zarqawi (tout juste éliminé)
et appelle à chasser les Américains d’Afghanistan et d’Irak. En juillet 2015, Hekmatyar appuie
l’EI qui surgit en Afghanistan, contre les talibans.
2. Zarqawi tué à Baqouba le 7 juin 2006 par une frappe américaine, Abou Ayoub al-Masri, dit
« Abou Hamza al-Mouhajir », proche de Zarqawi depuis 2003, prend la tête d’Al-Qaida en Irak.
Pour « irakiser » la rébellion, il crée en octobre 2006 un « État islamique en Irak » qui rassemble
des guérillas locales et en confie l’émirat à Abou Omar al-Baghdadi. Tous deux sont éliminés le
18 avril 2010 près de Tikrit, lors d’une opération militaire.
3. Camp militaire, proche de la ville irakienne d’Oumm Qasr. Là, des années durant, l’armée
d’occupation américaine a entretenu (involontairement, espérons-le) une efficace « couveuse à
terroristes ».
4. En septembre 2012, une attaque sophistiquée de ce qui se nomme alors Al-Qaida en Irak
libère une centaine des rebelles détenus dans cette prison. Nombre d’entre eux deviendront sept
mois plus tard des cadres de l’État islamique, lors de sa fondation.
5. Il aurait été tué près de Mossoul, au nord de l’Irak, par une attaque de drone, le 18 août 2015
(d’après l’agence Reuters, « La Maison Blanche confirme la mort du numéro deux de l’État
islamique », 21 août 2015).
6. Durant les débuts chaotiques de l’occupation américaine, Tawfiq al-Ani s’est emparé
d’énormes quantités d’armes et de munitions, ensuite livrées à l’EI.

Chapitre 3

1. Érigée en 944 de notre ère, la mosquée a reçu son dôme doré en 1905, cadeau du shah d’Iran
de l’époque. Selon les témoins, les destructeurs de la mosquée portent les uniformes du
ministère irakien de l’Intérieur.
2. Le général Soleimani commande alors la « force Al-Qods », unité des pasdarans iraniens en
charge des opérations spéciales en Syrie, au Liban et en Irak.

Chapitre 4
1. « ISIS falls prey to ghost armies who fight on both sides of the battleground », Financial
Times, 21 décembre 2015.
2. D’abord Jund al-Islam puis Ansar al-Islam. Bande armée arabo-kurde active vers 2000-2002
aux confins du Kurdistan irako-iranien. Formée de vétérans du djihad afghan, ce groupe
salafiste combat l’Irak de Saddam Hussein – donc est aidé par l’Iran. En 2002, le groupe Tawhid
de Zarqawi est actif au sein d’Ansar al-Islam. Par la suite, les survivants de ce dernier groupe
rejoignent Al-Qaida en Irak, puis l’État islamique d’Irak.
3. « The Short, Violent Life of Abu Musab al-Zarqawi », The Atlantic, juillet 2006.
4. « The Shadow Commander », The New Yorker, 30 septembre 2013.
5. https://pietervanostaeyen.wordpress.com/2014/05/12/new-audio-message-by-isis-shaykh-
abu-muhammad-al-adnani-as-shami-apologies-amir-al-qaida.
6. Ministère des Affaires étrangères des États-Unis. Câble-Wikileaks, February 24, 2010,
wikileaks.org/plusd/cables/10DAMASCUS159_a.html – “Syrian Intelligence Chief Attends CT
Dialogue with S/CT Benjamin”.
7. Ce, de longue date : Hafez al-Assad, père de Bachar, n’a rien fait d’autre durant toute la
guerre civile du Liban (1975-1990).
8. « Treasury designates members of Abu Ghadiya’s network facilitates flow of terrorists,
weapons and money from Syria to al-Qaida in Irak » (US Department of the Treasury, 28 février
2008).
9. Assef Shawkat a épousé la sœur de Bachar. L’homme est déjà divorcé…, l’histoire
n’enchante pas les Assad. En juillet 2012 (il est alors vice-ministre de la défense), il meurt à
Damas dans un attentat à la voiture piégée.
10. M. Qassim fuit en Turquie à la fin 2015. “Former Syria Official Tells of Collusion between
Assad, Russia, Daesch Terrorists”, Sabah/Anadolu Agency, 15 février 2016.
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TABLE DES MATIÈRES

Titre

Copyright

Introduction

Première partie - Nos dernières connaissances sur le terrorisme islamique

Chapitre 1 - Questionnements décisifs

Pourquoi les États-Unis échouent au Moyen-Orient ?


Que se passe-t-il vraiment en Syrie et en Irak ?

Qui a attaqué la France et la Belgique en 2015 et 2016 ?

Au centre de la nébuleuse

Chapitre 2 - Djihad, terrorisme : la topographie régionale


La nature de l’État islamique

Une structure originale

Amniyat, puissant appareil de renseignement-action

Chapitre 3 - Persistance du djihad organisé

Le foyer libyen
L’éclairant cas de l’Espagne

Chapitre 4 - La guerre non-euclidienne au Moyen-Orient

La logique de la stratégie indirecte

Une guerre que les États-Unis ne comprennent pas

Pour qui jouent le Pakistan et l’Arabie saoudite ?


Révélations sur le 11 septembre

Chapitre 5 - Iran, Syrie : parfois coupables, parfois victimes

Iran et salafi-djihadis : la logique du chien d’attaque

Décisive, invisible : une victoire de la stratégie indirecte

Que conclure de tout cela ?

Deuxième partie - Survie et stratégie indirecte en Orient

Chapitre 1 - Subtil et vital : l’art de la stratégie indirecte

Chapitre 2 - La République islamique d’Iran (R.I.I.) et les djihadis sunnites

Le bras de fer entre Téhéran et les djihadistes

Les djihadis sunnites


Chapitre 3 - La République islamique d’Iran (R.I.I.)

Au cœur de la stratégie indirecte, Saïf al-Adel

1998-2011 : les plans décisifs pour al-Qaïda et l’État islamique

La stratégie indirecte : dans l’ADN de l’« État islamique »

Chapitre 4 - Autres scènes de la stratégie indirecte

La R.I.I. et la stratégie indirecte en Afghanistan

Le régime syrien dans « sa » guerre civile et alentours

Chapitre 5 - Les liens entre la Syrie de Hafez el-Assad et l’Iran islamique

Les théories d’ibn Nusaïr


Un certificat de bonnes mœurs islamiques
L’Ayatollah Seyyed Hassan Chirazi

L’incroyable alliance

Troisième partie - Orient et mémoire : du passé au présent


Chapitre 1 - L’État islamique, objet terroriste non identifié
Trente ans d’histoire, bientôt

Trois questions pour une définition

Le contexte stratégique

Chapitre 2 - Surprenants acteurs, étranges pratiques


Du déclin à la montée en puissance
Qui dirige ?
Chapitre 3 - Que fait concrètement l’EI en Irak et en Syrie ?

L’EI en Irak
L’EI en Syrie

Chapitre 4 - Comment se fait-on la guerre au Moyen-Orient ?


La longue expérience de Téhéran

Les virtuoses de Damas

Alors, qui mène donc la danse ?

Notes

Les éditions du Cerf


*1. Sur le rôle important de Saïf al-Adel dans les liens al-Qaïda-République islamique d’Iran,
voir plus loin, ici et suivantes.
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