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de crise
Management de crise
Encore une fois, répétons qu’il ne s’agit pas de remettre à l’honneur le mythe
de la Révolution et du Grand Soir (on sait déjà ce que cela peut donner), mais de
constater froidement que nous avons perdu la capacité de penser le futur, de le
préparer collectivement, et de l’organiser en nous appuyant sur l’héritage intel-
lectuel, culturel, social, économique, politique, que nous ont légué les générations
qui nous précédèrent.
La déréliction nous atteint tous : elle est quasiment palpable à chaque instant
qui passe. Le tissu de l’espace et de l’expérience partagés se fragilise sous nos yeux
et rend particulièrement problématique la survivance féconde du vivre-ensemble.
C’est d’abord de cela qu’est faite la crise contemporaine… Elle signe profondé-
ment l’installation d’une société de défiance, de peur du danger, semblant ne
jamais devoir cesser et se confondant avec une tendance au chaos ; elle fut bien
décrite par Michela Marzano1, et fait corps avec des mots-clés : peur, danger,
vulnérabilité, risque, menace…
À retenir
• Danger : atteinte (dommage, blessure) à l’intégrité physique, à la propriété
ou à l’environnement. Il est créateur de peurs, et révèle des vulnérabilités,
c’est-à-dire des points de faiblesse traduisant une exposition particulière aux
risques (accidents ou malveillances).
• Risque : « combinaison de la probabilité et des conséquences de la survenue
d’un événement dangereux spécifié » (CNPP).
• L’ère de la crise On/Off est révolue2. Il s’agit désormais d’un état permanent.
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À retenir
Les logiques de déstabilisation médiatique ne traduisent pas en soi – la plupart
du temps – un projet conscient et malveillant. C’est une dynamique systémique
qui nourrit d’ordinaire les scandales médiatiques, pas la volonté de quelques
journalistes obsédés. Cette mécanique sans sujet peut en revanche être instru-
mentalisée par des adversaires favorisant la circulation et l’altération de cer-
taines informations afin que la caisse de résonance médiatique joue son rôle…
2. La fabrique du scoop
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Elle peut dès lors s’engager dans la dynamique du scoop et du scandale, vec-
teurs de séduction d’un large public…
Dans le monde des affaires actuel, la qualité de l’image d’un individu ou d’une
organisation conditionne son succès, son développement, et ses possibilités
d’évolution en général. Dans le monde des affaires, ce constat apparaît particuliè-
rement déterminant. Quelle entreprise peut désormais survivre à la ruine de sa
réputation ? Rien de nouveau sous le soleil, est-on tenté de répliquer.
Certes, mais dans le passé, beaucoup de moyens, de temps, d’énergie, s’avé-
raient nécessaires pour réduire à néant le crédit d’un « nom ». Les médias
modernes et la cybersphère permettent désormais d’obtenir un tel résultat sans
débourser le moindre euro, ou presque, et en quelques heures, parfois en quelques
minutes. La révolution digitale a consacré le règne de la déstabilisation à bon
marché… Les réseaux sociaux autorisent une expansion virale des informations,
mais aussi des rumeurs, parfois même des légendes urbaines dont il devient vite
délicat d’identifier la source.
Pour une structure privée ou publique, cela tourne rapidement au désastre.
Très souvent, la déstabilisation « informationnelle » d’une entreprise passe
par celle de son dirigeant. Bien entendu, ce dernier pourra saisir la justice, s’offrir
les services d’une agence exerçant dans le domaine de la communication de crise,
etc. Il dépensera énormément d’argent tandis qu’un doute subsistera néanmoins
dans l’opinion publique, ou l’environnement proche, sur sa probité et son effica-
cité. Que faire ? Miser sur la prévention, comme souvent. Veiller sur sa réputation
et construire des réseaux d’acteurs, pour se faire honorablement connaître, dans
sa réalité quotidienne, par un maximum de personnes et d’organisations, consti-
tuent deux actions fortes à conduire de manière permanente.
Les crises fortement médiatisées impactant des groupes importants
démontrent à quel point une vulnérabilité d’image non traitée peut rapidement
déstabiliser le management.
La société de l’information et ses technologies bouleversent quotidiennement
l’environnement des firmes et leurs modes de fonctionnement et de développe-
ment. Caisse de résonance instantanée d’amplitude planétaire, Internet a créé
de nouvelles formes d’interactions entre les entreprises, les médias et la société
civile, laquelle se transforme alors instantanément en « tribunal de l’opinion »
dès qu’un événement fâcheux survient. Du coup, la communication des organi-
sations devient omniprésente et s’engage même dans l’affirmation de « valeurs »
et « principes éthiques » (la fameuse responsabilité sociale d’entreprise – RSE).
Via des produits et services, les firmes finissent par symboliser un style de vie et
des modes de pensée.
Parallèlement, la société civile, notamment les ONG, mettent en cause la
marchandisation des valeurs et construisent également des jeux d’influence. Cer-
taines structures, collectifs ou individus orchestrent même des opérations de
désinformation pour déstabiliser des entreprises, et parfois même des États. Ces
derniers, faute d’anticipation, de préparation, apparaissent fortement désarmés
face à ces offensives. Dans la mesure où les entreprises, en particulier, n’étant plus
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B) Storytelling…
À l’heure de la société du spectacle et de l’information, alors que l’image et
l’émotion constituent les ressorts principaux du système médiatique, il
importe par-dessus tout de savoir raconter une histoire (le storytelling)… L’en-
treprise en est devenue par excellence le lieu d’application.
Nul ne le dit mieux que Christian Salmon : « On voit ainsi un modèle d’auto-
rité se substituer à un autre. L’autorité du directeur céder la place à l’autorité d’un récit
dont l’entreprise n’est plus que la mise en œuvre, une partition dont le management règle
l’exécution. Une fiction qu’il s’agit de jouer au mieux. Les techniques du management
s’apparentent de plus en plus à celles de la mise en scène, les partenaires doivent s’ajus-
ter le mieux possible à leurs rôles, de façon à rendre le récit crédible aux yeux d’un public
de consommateurs et d’investisseurs »1.
Les fameux spin doctors sont devenus les spécialistes de la création de récits,
quelle que soit l’organisation qu’il faut promouvoir ou le dirigeant dont il faut
renforcer l’image.
Dans une époque où tout va de plus en plus vite, où une information chasse
l’autre, où une crise naît en quelques heures pour disparaître en quelques jours,
faisant place à une autre, l’espace se réduit pour les raisonnements lents et les
successions d’arguments logiques…
Il convient de faire à la fois simple et « glamour » pour entrer convenable-
ment dans l’économie et l’univers sociétal de la vitesse et de l’apparence.
L’entreprise se doit donc d’entretenir un capital image, de créer de la valeur
réputationnelle, et de forger l’histoire de la marque, avec ses valeurs, ses grands
moments et ses personnages-clés.
Le but de ce récit est d’agir à la fois en interne (rassurer, motiver, conduire les
salariés) et aussi en externe (sur les investisseurs, les clients, la société civile, les
concurrents, les pouvoirs publics, etc.) ; en tout état de cause, il vise à produire de
la notoriété et donc de la richesse.
Le storytelling est également solidaire de la transformation du lien hiérar-
chique dans l’espace social et de l’obsession du changement. « Le succès du
storytelling constitue, à partir du milieu des années 1990, une réponse déterminée à la
mutation des organisations. […] La collaboration entre équipes se substitue à la hié-
rarchie, la circulation de connaissances à l’étroite spécialisation de la chaîne. […]
Insuffler l’idéologie du changement à une organisation suppose désormais que chacun
[…] et se soumette à une fiction commune, celle de l’entreprise, comme on se laisse
captiver par un roman »2.
En somme, vendre un produit de qualité ne suffit plus à établir la réputation
d’une société et de ses dirigeants. Développer son activité passe par la construc-
tion d’une image, ou plutôt l’élaboration d’un récit allant des origines au temps
présent et fournissant tous les éléments fondamentaux d’une identité. La marque
1. Christian Salmon, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La
Découverte, 2008.
2. Christian Salmon, op. cit.
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Autorités
publiques
et privées Société civile/
Médias/
groupes
Cybersphère
de pression
Actionnaires/
Prestataires
investisseurs
Bien entendu, contrepartie de cette logique, le récit peut être mis en défaut
par la réalité, une déficience de l’organisation, ou même une campagne de désta-
bilisation informationnelle. S’ouvre alors un épisode de crise de l’image. C’est
cette faille qu’utilisent les médias : elle leur permet d’exploiter l’émotion du
public et les passions démocratiques…
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émissions, les moteurs et les carburants alternatifs (animé par G.J. Thomp-
son). Les résultats furent connus en 2014 : ils soulignaient l’écart important
entre les mesures réalisées et les données diffusées par le constructeur.
L’enquête de l’EPA a suivi. Cinq modèles concentrent l’attention des pou-
voirs publics : les Golf, Jetta, Beetle et Audi A3 (produits entre 2009 et
2015). Soit un total de 480 000 véhicules aux États-Unis. Mais la marque
allemande annonça très rapidement après le début de l’affaire que plus de
11 millions d’automobiles dans le monde étaient concernées.
C’est une crise majeure pour Volkswagen. D’abord pour d’évidentes rai-
sons : une vague de rappels sans précédent, très coûteuse, une amende
considérable (on évoque déjà une facture de 18 milliards de dollars), un
insigne impact boursier (le titre perdit 30 % de sa valeur en trois jours à la
Bourse de Francfort, c’est-à-dire 22 milliards d’euros), et une déstabilisa-
tion de la direction conduisant à la rapide éviction du dirigeant du construc-
teur (Martin Winterkorn).
Cependant, au-delà des conséquences opérationnelles colossales, c’est la
réputation et le storytelling de Volkswagen, son capital image, qui viennent
de recevoir un coup particulièrement sévère. Le constructeur allemand était
l’incarnation même de la célèbre qualité allemande (Deutsche Qualität) qui
combine dans nos imaginaires la robustesse, la performance et une certaine
forme de luxe automobile. Plus loin encore, ce sont les vertus archétypiques
prêtées aux habitants d’Outre-Rhin (et à leurs pratiques économiques)
qu’affecte ce scandale du logiciel truqué. À travers le « storytelling Volkswa-
gen », c’est l’Allemagne elle-même (la sincérité et l’éthique de son modèle
industriel, ses valeurs écologiques) qui se voit questionnée. Bien évidem-
ment, une telle affaire ne pouvait que passionner les médias, puisque ces
derniers exploitent en priorité ces phénomènes de dissonance entre un
mythe positif et la révélation d’une réalité négativement décalée.
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À retenir
Mécanisme de répétition de slogans simplistes travestissant et réécrivant gros-
sièrement la réalité, la propagande constitue un produit à usage interne qui
est censé consolider un pouvoir, et qui n’a généralement pas la possibilité de
mettre en situation de difficulté un système extérieur. En réalité, elle forme la
traduction d’une idéologie devenue religion séculière. Soutien d’un « appareil
idéologique d’État », la propagande est un outil de consolidation du pouvoir
(dont les résultats apparaissent pour le moins précaires…) et pas une arme de
déstabilisation de l’adversaire.
1. Voir sur ce sujet : Éric Delbecque, La métamorphose du pouvoir, Paris, Vuibert, 2009, et L’influence ou
les guerres secrètes, Paris, Vuibert, 2011.
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ZOOM
Entreprise, influence, désinformation et déstabilisation
Pour se développer, les entreprises s’emploient chaque jour davantage à
déployer des stratégies d’influence. Les entreprises travaillent par exemple
leurs réseaux et leur réputation pour façonner un environnement global favo-
rable à la conquête de marchés.
En effet, le développement des organisations, et des entreprises en premier
lieu, ne repose plus uniquement sur la qualité, le prix ou le contenu techno-
logique des produits, mais sur leur pouvoir d’influence vis-à-vis des parties
prenantes (les fameux stakeholders) et plus particulièrement des consomma-
teurs. Dans une économie mondialisée, la multiplication d’acteurs sur un
même marché exige qu’une entreprise sache affirmer son identité et trouve
les moyens de se différencier de ses concurrents.
Il est devenu essentiel de savoir convaincre, d’attirer les clients, de séduire les
investisseurs et, d’une manière générale, de valoriser son image auprès des
différents acteurs de la société civile (médias, ONG, associations…) et de la
sphère publique (administrations centrales, collectivités territoriales, instances
internationales…). À cet égard, les technologies de la société de l’information
bouleversèrent l’environnement et le mode de fonctionnement des entre-
prises. Outil de communication en temps réel d’amplitude planétaire, Internet
a généré de nouvelles formes d’interactions entre les entreprises, les médias
et la société civile. Les entreprises ont naturellement exploité cette nouvelle
capacité de diffusion et de partage des informations pour agir sur les com-
portements des consommateurs. Leur communication est devenue omnipré-
sente et s’est même déplacée sur un nouveau terrain, à savoir la promotion
de « valeurs », « principes éthiques » et comportements (ce que l’on regroupe
dans la formule de responsabilité sociale des entreprises, ou RSE).
À travers leurs produits et services, les firmes véhiculent un véritable style de
vie et des modes de pensée. Mais rapidement, la société civile, et notamment
les ONG, ont dénoncé la marchandisation des valeurs et ont initié, eux aussi,
des jeux d’influence. Certaines organisations, collectifs ou individus orches-
trent même des opérations de désinformation pour déstabiliser des entre-
prises, via la mise en cause de leur image ou/et de leur réputation. Ces der-
nières, faute d’anticipation, de préparation, se révèlent particulièrement
vulnérables à ce type d’offensive. Les entreprises n’étant plus uniquement
évaluées sur des critères financiers ou sur la maîtrise de savoir-faire techniques
mais également sur des critères extra économiques tels que leur comporte-
ment éthique, leur respect de l’environnement ou leur responsabilité sociale,
il est évident qu’attaquer leur image revêt alors un intérêt hautement straté-
gique.
Mais ces tactiques ne sont pas réservées à des acteurs de la société civile
désireux de s’attaquer à des titans industriels. Certaines firmes mettent en
cause la réputation de leurs concurrents en utilisant les multiples instruments
de la « guerre par l’information ». Cette dernière vise à exploiter les points
faibles de l’adversaire en maniant l’art de la polémique et permet de mener
des campagnes de déstabilisation informelles le plus souvent licites, même si
le fair-play s’en trouve offensé.
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Dans un monde complexe et incertain, les décideurs et les communicants doivent impérativement
maîtriser les outils de management des crises et faire preuve de résilience. Les organisations, et la
société civile en général, doivent aujourd’hui être capables de réagir vite et efficacement après un
choc ou un scandale. Les réseaux sociaux et les divers moyens modernes de communication n’ont
de cesse d’accélérer cette tendance et d’accroître la pression qui s’exerce sur les entreprises,
multipliant les défis à l’infini.
Les nombreux exemples concrets et études de cas (Volkswagen, Air France, cyberdéfense, terrorisme,
fraudes internes, crise du leadership…) illustrent la diversité mais aussi la complexité croissante
des déstabilisations auxquelles les organisations font face. Cet ouvrage fournit autant d’outils et de
bonnes pratiques à adapter à un contexte particulier.
Public
Étudiants (écoles de management, écoles d’ingénieurs, IEP, universités et IAE).
Professionnels (managers, communicants et consultants).
Stagiaires de la formation continue.
Auteurs
Expert en intelligence stratégique, Éric Delbecque est membre du Conseil supérieur de la formation et de
ISBN : 978-2-311-00662-9
9 782311 006629