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2.2.2.

Culturellement, les universels - singuliers, sont


d'une exceptionnelle richesse
De même que, linguistiquement, chaque élève possède sa
propre manière d'aborder l'eau, de même en va-t-il cultu-
rellement.
- L'eau et l'art: dans toutes les pratiques artisti-
ques, la présence de l'eau est multiple. En peinture, en
musique (musique classique, chansons, etc.), en littérature
(poèmes, romans, contes, etc.), l'eau a donné lieu à des
incarnations très nombreuses qui permettent aisément de
regrouper autour d'elle des activités visant la «culture
cultivée ».
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- L'eau et la technologie: les barrages, l'embou-


teillage de l'eau minérale, le transport de l'eau, bien
d'autres dimensions encore permettent de conforter, à
travers la langue, une culture technologique, ou de s'ap-
puyer sur elle.
- L'eau et le commerce.
- L'eau et les loisirs.
- L'eau et les sports de compétition.
- L'eau et la vie politique: les compagnies des
eaux, partout, sont des puissances politiques de première
grandeur (Vivendi et Lyonnaise des eaux, en France cons-
tituent deux pôles majeurs autour desquels tourne, certes,
la vie économique, mais qui se situent au cœur même des
enjeux politiques).
- L'eau et les faits divers (catastrophes naturelles,
noyades ).
- L'eau et la profession: les pêcheurs (à rapprocher
des pêcheurs du dimanche, dans la rubrique « l'eau et les
loisirs» ).
- L'eau et l'entretien: propreté personnelle, hygiè-
ne, entretien des logements, des villes, des lieux publics ou
privés.
- L'eau et le feu (pompiers, etc.).

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- L'eau et la santé (pollutions, purification, eaux
minérales, sources thermales, thalassothérapies, etc. ...).
- L'eau et l'agriculture (sécheresse, etc. ..).
- L'eau et l'alimentation.
- Les diverses sortes d'eau: puits, torrents, fleuves,
mers, lacs, étangs, rivières, eaux souterraines, etc..
- L'histoire de l'eau (les grands navigateurs, les
combats navals, le creusement des grands canaux, etc. ...)
ou l'eau et l'histoire.
- L'eau et la géographie.
. les îles
. les pays maritimes et ceux qui
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ne le sont pas
. les grands fleuves
. les climats humides et ceux qui
ne le sont pas (moussons, dé-
serts, etc.)
. les régions humides dans un
même pays
. les ports
. les côtes
. les plages
. l'eau et le sable, l'eau et les
rochers, les vagues
. l'eau et les volcans
. les chutes d'eau
. l'internationalisation de l'eau
. l'eau et les animaux
- L'eau et l'anthropologie (mythes, religions, rites,
divinités païennes).

2.2.3. Pédagogie
Il n'est nul besoin d'insister. Aussi bien en langues
maternelles qu'en langues étrangères quelles qu'elles
soient, les universels - singuliers fournissent une matière à
157
la fois inépuisable, proche des usagers, et hautement riche
en ressources formatrices. Il ne nous appartient évidem-
ment pas ici de développer les conséquences techniques de
cette option; elles sont à la fois claires et d'une multipli-
cité indéfinie.
Une politique linguistique, aussi bien dans ses aspects
d'enseignement que dans ses dimensions culturelles
diverses (aussi bien en termes anthropologiques que pour
ce qui touche à la culture cultivée) peut se fonder solide-
ment sur un tel soubassement. Même «les cultures
invisibles », c'est-à-dire celles qui sont pratiquées par les
individus dans leur intimité éventuellement non parta-
gée42,donnent toute leur place aux universels - singuliers
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qui constituent ainsi une sorte de colonne vertébrale d'une


politique linguistique définie.

42
Article de Louis PORCHER in « Culture, Cultures», Le Français
Dans Le Monde, série « Recherches et Applications », Hachette, 1996.
158
LES MEDIAS

Aujourd'hui, depuis plusieurs décennies, mais de manière


chaque jour plus présente au sein de tous les secteurs de la
vie quotidienne, les médias ont imposé leur place dans la
mise en œuvre d'une politique linguistique. Ils en consti-
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tuent un élément impossible à éviter. Ils sont déjà large-


ment plus puissants que les systèmes scolaires, bien qu'ils
n'aient pas les mêmes objectifs. Les systèmes éducatifs
peuvent, certes, se les approprier, pour moderniser et
affermir leurs pratiques, mais, au-delà, les médias exercent
une fonction spécifique qui s'inscrit nécessairement dans
la diffusion des langues et des cultures.

1. LEUR ACCES EST DIRECT ET ATTRACTIF


Pour la radio et la télévision, il n'y a aucun besoin
d'intermédiaires pour qu'un individu quelconque accède à
leur fréquentation, et, en outre, aucun savoir préalable
n'est nécessaire. Le contact est immédiat entre les deux
partenaires, et, par conséquent, l'usager se trouve beau-
coup plus libre de ses comportements et n'a pas l'obli-
gation de passer par une institution pleine de règles et de
contraintes comme l'école. L'autonomie y est donc mieux
garantie mais il lui manque le tuteur, le consultant, l'aide
personnalisée dont l'usager peut ressentir le besoin ou
chercher le recours. Radio et télévision, en outre, possè-
dent cette vertu relativement énigmatique de plaire de
manière quasi-universelle (contrairement à l'école, là

159
encore). Les usagers choisissent massivement (et il ne
serait sans doute même pas exagéré de dire «unanime-
ment») de les intégrer dans leur vie et se trouvent de plein
pied avec eux. En conjuguant la liberté, précédemment
citée, et ce plaisir, ces médias constituent le véhicule
principal de la diffusion des langues et des cultures.

2. ILS ABOLISSENT L'ESPACE ET LE TEMPS


Le phénomène est aujourd'hui bien connu, maintes fois
décrit, mais conserve évidemment toute sa pertinence.
L'ubiquité dont se trouvent dotés les médias classiques
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leur confère leur richesse exactement sans rival. Ils


plongent leurs usagers dans n'importe quel espace et
n'importe quel temps et forment, à cet égard, un outil
d'une fécondité qui, en fin de compte, ne dépend que de
l'usager lui-même.
Ils sont, certes, parcellaires, par définition, mais fonda-
mentalement beaucoup moins que n'importe quel
enseignement, aussi plein de qualités soit-il. La diffusion
pédagogique d'une langue suppose toujours des choix
fortement lacunaires, même essentiellement lacunaires, et,
par conséquent, à cet égard, les critiques constamment
formulées par les pédagogues à l'égard des médias sont,
purement et simplement, nulles et non avenues.
A vrai dire, c'est exactement en cet endroit qu'une
complémentarité entre l'école et ces médias « de flot» est
la plus aisée, la plus féconde, et, à coup sûr la plus
indispensable 43. Chacun des deux partenaires potentiels
possède en effet les capacités qui enrichissent mutuel-
lement, au moins à titre potentiel, la fonction de l'autre.
L'école doit, pour être dans son rôle, établir dans les têtes
les aptitudes au classement, à la hiérarchisation, au

43
Louis PORCHER, Télévision, culture, enseignement, Armand
Colin, 1994.
160
repérage, qui permettent à l'usager de s'approprier
véritablement les messages des médias qui, eux, se
caractérisent à la fois par leur richesse, leur succession
aléatoire, et leur très faible demande de classement.
Or, le pouvoir de classer forme aujourd'hui, plus qu'autre-
fois encore où il était pourtant indispensable, un outillage
intellectuel absolument nécessaire pour dominer le monde
et s'orienter en lui. Sans la maîtrise des catégories de
classement on se trouve presque inévitablement dominé
par les médias, et, donc, dans l'impossibilité d'en tirer
bénéfice. L'équipement intellectuel, fondement de toute
éducation (bien au-delà de toute linguistique, celle-ci y
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étant au contraire, incluse) ne peut être délivré que systé-


matiquement, c'est-à-dire de manière organisée, ordonnée,
rigoureuse, et, pour cette raison, exige, au moins pour
l'instant, le truchement d'un médiateur humain.
Classer rationnellement, en somme, ne s'apprend pas
spontanément, ni par imprégnation, mais seulement avec
l'aide d'un enseignant, et, aujourd'hui, on ne peut pas dire
que ce rôle soit fréquemment et objectivement rempli par
l'école, dont c'est pourtant la fonction majeure, celle par
laquelle elle a une chance, une seule, de contribuer à l' éga-
lisation des chances, qui lui incombe et dont tout le monde
ne fait que se gargariser et ne change rien à un système
inégalitaire.
On peut légitimement dire, symétriquement, que les mé-
dias dont nous parlons à cet instant sont des fournisseurs
en accès libre de «matières à classer », qui atteignent
l'usager en vrac sans que celui-ci n'ait appris à trier pour
s'orienter en elles. Les médias forment la chair de l'ap-
prentissage mais doit s'y ajouter la structuration pour que
l'apprentissage ait bien lieu.
C'est pourquoi la complémentarité, évidente, s'imposera
un jour ou l'autre, parce qu'elle est une articulation entre
deux infirmités opposées: la prolifération médiatique, qui

161
fait légitimement partie du fonctionnement des médias, et
la rigueur disciplinée de l'école, qui incombe à celle-ci et
qui est, en somme, une mise en ordre permettant à la fois
la construction de l'identité personnelle (intellectuellement
parlant) et le partage mutuellement compréhensible entre
deux partenaires individuels.
Dans le cas d'une politique linguistique qui, là, visible-
ment, s'inscrit à l'intérieur d'une politique éducative,
l'ubiquité, dans le temps et dans l'espace, des médias,
constitue une voie aujourd'hui impossible à contourner.
Encore convient-il que, dans les domaines considérés, la
complémentarité mentionnée ci-dessus soit établie par ses
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conditions mêmes, c'est-à-dire effectivement mise en


pratique. Faute de quoi les langues continueront à se
diffuser n'importe comment, et le processus aboutira
inéluctablement, comme c'est le cas aujourd'hui, au
creusement des inégalités.

3. LA DIVERSIFICATION CONCRETE
Le «village global» ou planétaire, diagnostiqué par Mc
Luhan alors qu'il n'était pas encore effectif, est désormais
établi. L'irrigation mondiale s'est vertigineusement accrue
au cours de la dernière décennie44, notamment par le
développement des communications satellitaires et la
numérisation. Les radios et les télévisions ont littéralement
proliféré, au point qu'une installation banale permet de
recevoir désormais à peu près deux cents chaînes.

3.1. Les conséquences sur les langues


Nous ne raisonnerons ici, pour la simple vertu de
l'exemple, que sur la télévision. La nouveauté décisive est
que chaque usager reçoit librement presque autant de
44
Nous traiterons d'Internet ultérieurement.
162
chaînes qu'il veut et que beaucoup sont d'origine
étrangère et s'expriment donc dans la langue de leur pays
producteur. Dès lors, le destinataire concret peut être
baigné dans plusieurs langues qui ne sont pas la sienne. En
résulte, et la présence des images constitue à cet égard une
aide considérable à la compréhension, une accoutumance,
forte et douce à la fois, d'abord à la prosodie des langues
étrangères, à leur rythme, à leur couleur sonore, et sans
doute aussi, en partie, à leur lexique.
Les langues étrangères cessent, par conséquent, d'être
radicalement étrangères, extérieures. Elles deviennent
comme une habitude, une rassérénération à leur sujet, et
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l'usager se trouve ainsi prédisposé à l'approfondissement


de leur connaissance. Il est exposé à d'autres messages
que ceux de sa langue maternelle, est en mesure de
développer sa curiosité pour des pratiques qui, jusqu'alors,
lui étaient fermées.
Symétriquement, bien entendu, le français devient acces-
sible aux quatre coins de la planète. Le développement très
rapide de TV5 en témoigne suffisamment, et l'on peut
noter à ce propos, que les professeurs de français langue
étrangère sont des clients fidèles de cette chaîne. L'inter-
prétation linguistique s'inscrit dorénavant dans l'univers
journalier des téléspectateurs, avec, probablement, un
double phénomène qui peut être simultané.
- La naissance, avec la confiance, d'un désir de
perfectionner sa connaissance d'une langue étrangère.
Beaucoup d'adultes ne veulent pas retourner en classe
pour un nouvel apprentissage, soit parce qu'ils ont gardé
un mauvais souvenir de leur existence d'élèves, soit parce
qu'ils redoutent de se retrouver en position d'être jugés
par d'autres (leurs condisciples et l'enseignant dans une
situation institutionnelle). Les médias sont des partenaires
rêvés, parce que vous les fréquentez sans jugement, qu'ils

163
ne se préoccupent pas de vos lacunes ou de vos ratés, que
vous gérez seul votre exposition médiatique.
En outre, et c'est un avantage littéralement inconnu
mesurable, contrairement à l'enseignement, ils ne parlent
pas leur langue pour des étrangers mais bien pour leur
propre indigénat linguistique. L'usager se trouve donc
bénéficiaire de la « vraie» langue parlée par des natifs à
destination d'autres natifs. «La classe de langue, dit
Bourdieu, est une classe où l'on parle pour ne rien dire» 45,
et c'est vrai. Les interventions dans une classe ne sont pas
sanctionnées par l'expérience, ne répondent pas à des
besoins de communication vraie, mais sont jugées seule-
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ment par le professeur.


Au contraire, la télévision opère dans l'univers de la com-
munication effective, non stigmatisée, et qui ne confond
pas, comme l'école, la correction de la langue avec la
capacité communicative. Chacun commet de multiples
erreurs en parlant, y compris bien sûr dans sa langue
maternelle et cela ne nuit en rien à la compréhension de
l'autre, contrairement à ce que jugent, en classe, les
professeurs. Si, récepteurs des médias, vous ne comprenez
pas, vous n'y pouvez rien, c'est une communication réelle
en temps réel.
- La sensibilisation à d'autres langues que la sienne
et à de nouvelles formes d'apprentissage. Dans l'arrière de
la tête de l'enseignant (et parfois de l'apprenant) il y a
l'idée, absurde, que l'apogée de l'apprentissage consiste à
pratiquer la langue étrangère comme un natif. Mais hormis
le fait qu'aucun natif ne s'exprime oralement sans faute
(mettant fréquemment un sujet au singulier avec un verbe
au pluriel, un substantif masculin avec un adjectif
féminin), presque personne ne vise le but de «pratiquer

45 Entretien avec Louis PORCHER in Le Français Dans le Monde,


septembre - octobre 1986.
164
comme un natif» (à l'exception, sans doute unique, des
traducteurs - interprètes).
Chacun d'entre nous ne souhaite en vérité que deux
compétences, très fortement étrangères au milieu scolaire:
comprendre une langue étrangère, se faire comprendre en
elle. Visée pragmatique donc. La correction est tout à fait
secondaire. C'est vrai pour les besoins professionnels
comme pour les besoins touristiques. L'exactitude, synta-
xique en particulier, n'est bel et bien qu'une réalisation
d'examen et n'a pratiquement aucune existence ailleurs.
Or, dans cette affaire, et contrairement encore à ce que
prétendent beaucoup la compréhension est plus difficile
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que l'expression et ne doit pas marcher, en classe, du


même pas que cette dernière. En compréhension, en effet,
vous êtes soumis au rythme d'un interlocuteur, à ses
choix, à ses décisions, et vous n'y pouvez rien. Vous êtes
condamné à vous adapter. C'est aussi vrai en langue
maternelle où l'école travaille encore moins le phénomène
pourtant socialement capital46.
L'expression, elle, est beaucoup moins stigmatisée, en
contexte social effectif. Si votre expression n'est pas claire
(comprise), on vous pose une question pour demander une
précision, ou vous faire répéter, bref on utilise mille
possibilités pour saisir ce que vous dites. Il y a une
véritable interlocution d'où finit par jaillir la compréhen-
sion et, donc, le dialogue. Vous êtes, en expression, enfin,
relativement maître du jeu puisque c'est vous qui
choisissez vos tournures, vos manières de dire, votre lexi-
que, votre rythme même.
En compréhension il en va tout autrement. Une preuve
empirique magnifique en est fournie par le fait que, dans
une librairie « grand public », vous trouvez des mètres de
bouquins conçus pour aider à l'expression (manuels

46
Pierre BOURDIEU, Ce que parler veut dire, Fayard, 1982 (recueil
d'articles).
165
d'énoncés tout faits qu'il suffit de répéter, «phrase
books », recueils d'expressions utiles dans diverses
situations, etc.), mais qu'il n'y a aucun outil disponible
pour vous aider à pallier vos éventuelles insuffisances ou
vos ratés de compréhension. Simplement parce que ce
n'est pas possible, par définition même.
Sauf dans quelques situations fortement ritualisées, nul
n'est en mesure d'anticiper sur ce que son interlocuteur va
lui dire. Le champ du possible est indéfini, et un manuel,
manifestement, ne servirait à rien parce qu'il ne pourrait
jamais correspondre à l'instantané, la caractéristique
essentielle de celui-ci étant son imprévisibilité. Contraire-
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ment à nombre d'affirmations pédagogiques, donc, il n'y a


pas de fondement, de lien, dans l'apprentissage, entre
compréhension et expression.
La première, beaucoup plus importante que la deuxième,
la commande en outre en partie. Les élèves, spontanément,
le savent bien, et le commun des mortels aussi. Il suffit
qu'un étranger vous demande une banalité dans sa langue
pour que vous vous en rendiez compte si vous ne connais-
sez pas celle-ci. Non qu'il faille négliger l'expression,
certes, parce qu'elle est très souvent nécessaire, et parce
qu'elle aussi aide à la compréhension. Il faut simplement
établir un ordre chronologique de priorité.
Or, pour la compréhension, les médias constituent le
moyen optimal. L'usager se trouve en effet confronté à la
parole du petit écran et il lui faut se débrouiller seul, aidé
simplement par le contexte visuel et par le degré qu'il a
déjà atteint dans sa capacité à comprendre. Le sujet n'a
pas peur d'être stigmatisé (la compréhension, on le sait,
est toujours plus sévèrement jugée, dans le concret, que
l'expression) parce que la télévision ne sanctionne pas, et
parce qu'il peut s'équiper à sa guise, à son rythme, selon
ses propres lacunes qu'il est le mieux à même de détecter.

166
L'interlocuteur télévisuel possède l'avantage immense de
n'être que virtuel.
Même aujourd'hui, celui qui ne fréquente qu'une
télévision en français se trouve exposé à une sorte de
douche écossaise d'où les langues étrangères ne sont pas
absentes. Il est fréquent en effet que des invités divers qui,
eux, parlent leur langue maternelle, apparaissent sur les
petits écrans et s'expriment en traduction simultanée, qui
est de mieux en mieux conduite, linguistiquement et
technologiquement, et permet au téléspectateur d'entendre
ensemble les deux langues, la française et l'autre. Le
«Nulle part ailleurs» de Canal +, chaque soir, est
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particulièrement fécond à cet égard.


L'autre version du même phénomène, elle aussi de plus en
plus abondante, consiste en le sous-titrage, grâce auquel
(fréquemment sur Arte), on peut à la fois lire la traduction
française et entendre la langue étrangère. Ce télescopage
de l'oral et de l'écrit pourrait devenir une démarche
pédagogique particulièrement féconde (au point que les
éditions Hatier s'y sont essayées, apparemment sans réel
succès, à propos de l'enseignement de 1' anglais).
En somme, un monde potentiellement multilingue peut
désormais parvenir à chaque usager et celui-ci se trouve
par conséquent exposé à une sorte de banalisation des
langues étrangères. Même l'enseignement n'en a pas tiré
encore tous les fruits, c'est un grand progrès pour la
pratique langagière chez nous.

3.2. Les conséquences pour les cultures


C'est évidemment le secteur le plus profondément
bouleversé par le surgissement omniprésent de la
télévision. Les travaux abondent là-dessus et nous n'y
reviendrons pas sauf pour en mentionner quelques-uns,
chemin faisant, susceptibles d'éclairer notre champ de

167
préoccupations. Tous les territoires de la culture ont été
atteints par l'ouragan médiatique, y compris ceux de la
culture cultivée et, du coup, les informations culturelles
ont changé à la fois de nature et de publics.
- Depuis les télévisions satellitaires, notamment, et,
donc, la multiplication des chaînes et l'apparition qui s'ac-
croît sans cesse de chaînes thématiques disponibles à tous,
le petit écran offre une sorte d'encyclopédie en vrac, dont
le téléspectateur n'est pas le maître (contrairement à
l'usager d'une encyclopédie livresque) et qui meuble son
esprit de connaissances disparates entre elles (et non pas
en elles-mêmes comme on le dit souvent). Dès lors les
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cultures individuelles ont tendance, encore plus fortement


que les précédentes, à être « arlequinées » (pour pasticher
Michel Serres).
Des sujets dont on n'aurait pas même eu l'idée auparavant,
sont dégrossis pour vous, mis à votre portée, éclairés. Il
paraît indiscutable, malgré l'avis hautement proclamé des
« spécialistes» de la culture (<<les indigènes de la culture
savante» dont parle Bourdieu47) que la culture indivi-
duelle, en termes de territoire du savoir parcouru, est
beaucoup plus vaste pour le plus grand nombre des
couches sociales, que ce n'était le cas. L'équivalent d'une
nouvelle « culture générale» est aujourd'hui capitalisé.
- Celle-ci est ouverte à tout le monde puisqu'elle
ne s'inscrit plus dans le monde normé de l'école qui a
perdu sa nature d'unique pourvoyeuse en savoirs. Les
médias ne supposent pas de performances, ne fonctionnent
pas selon la notation, et donc, n'exigent aucune hiérarchie.
Chacun y a librement accès, et peu importe (pour la
présente démonstration) ce qu'il y prélève. En outre, nul
ne porte un jugement (sauf en termes banals de
« classements» sociaux: il y a des émissions à regarder

47
Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, La reproduction,
Minuit, 1970.
168
pour être distinctif et d'autres qui ne le méritent pas) sur
l'usage et la consommation télévisuels. L'autodidaxie a
trouvé un nouveau véhicule, bien adapté à ce que l'on
pourrait appeler « l'absorption» de nourritures intellec-
tuelles (à notre avis pas pires que celles de I' école).
Une démocratisation n'est pas construite par ce seul
processus de fréquentation libre et dépourvu de sanction.
Mais ses conditions nécessaires sont remplies, pour la
première fois dans I'histoire. Il suffira que se mette en
place une instance d' « incorporation» (Bourdieu encore),
d'organisation de ces savoirs erratiques, pour que la
démocratisation atteigne son plein effet, et qu'une moda-
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lité véritable d'auto-apprentissage soit mise en place.


L'école serait en principe dévolue à ce rôle, mais elle
dédaigne cette besogne au profit de sa tradition propre,
faite de connaissances compartimentées, elles-mêmes dis-
parates entre elles, et qui, pour certains, ne correspondent
plus à rien, ni à la modernité ni à la formation des esprits.
Pensons à l'exemple remarquable traité par Jacques
Gonnet48 : l'actualité. Elle est en effet inscrite désormais
dans la culture anthropologique quotidienne de tout un
chacun, et nul ne peut pratiquement plus la court-circuiter
parce que les médias, par leur omniprésence, constituent
un sujet de conversation, d'échanges, et le soubassement,
le « sol commun» de jugements qui eux restent personnels
mais portent sur les messages des médias. Si vous ne
pouvez pas participer, socialement, au débat quotidien,
vous vous trouvez, de fait, exclu. Or, l'actualité est
particulièrement complexe et il est extrêmement difficile,
même pour les tenants de la culture cultivée, de s'y
orienter sereinement et avec certitude. Moins votre capital
culturel est volumineux et structurellement diversifié, plus
les obstacles bloquent votre compréhension de l'actualité

48 Jacques GONNET, L'actualité à l'école. Pour des ateliers de


démocratie, Armand Colin, 1995.
169
relayée par les médias. Les écarts, là encore, se creusent si
l'on y veille, et l'école se devrait d'assumer ce nouvel en-
jeu qui consiste à s'orienter dans le maquis de l'actualité.
En outre, celle-ci malgré son clinquant et ses tape à l' œil
(la spectacularisation médiatique), existe réellement et
affecte des personnes et des objets à travers le monde au
point que les échos en parviennent partout sur la planète.
L'actualité, en somme, en partie au moins, existe et nous
concerne. Elle est intégrée dans notre culture et nul n'y
échappe véritablement. C'est une doxa œcuméniquequi se
définit d'une part à travers « l'analogon» (Barthes)49 de
l'image (ce que la caméra montre a bien eu lieu malgré
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quelques dérives calamiteuses comme Timisoara), c'est-à-


dire ce qui est présenté à tout le monde, et, d'autre part, à
travers les interprétations personnelles que chacun en fait
et qu'il confronte avec ses relations sociales, à mesure du
déroulement de l'actualité.
- L'instantanéité et l'éphémérité caractérisent ce
capital culturel spécifique.
L'oubli y est une matière première, mais, contrairement à
ce que l'on pourrait penser, laisse des traces, même
inconscientes, dans la mémoire nouvelle, construite sur la
base de la communication médiatique, une espèce, en
somme, de culture télévisuelle qui, comme la célèbre
culture d'autrefois, «subsiste quand on a tout oublié ».
L'actualité est un flux sans fin. Même si des horreurs, par
exemple, ne font pas agir les individus, elles les font
réagir, et c'est déjà quelque chose.
L'aide à la mise en ordre, dans tous les cas de figure étu-
diés ici, est devenue nécessaire. Une politique culturelle ne
saurait en faire l'économie, sauf à laisser les écarts se
creuser et à entériner une société duale (et même
davantage). On ne saurait faire, en tout cas, comme si
l'information et la connaissance n'étaient que triées pour
49
Rhétorique de l'image in Communications n° 4, Seuil, 1966.
170
les élites, elles sont, sous une forme sans doute discutable
(mais ni plus ni moins que toute autre forme), disponibles
à tous, saisissables par tous. C'est donc de ceux-ci qu'il
doit être question et non des médias eux-mêmes
seulement.

3.3. Les conséquences sur les personnes


Les médias, Mac Luhan l'avait exactement prévu, ont pour
fonction moins visible mais plus profonde encore, de fa-
çonner sans doute les esprits, de modifier les représen-
tations, et de changer les conceptions même de la culture,
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ou peut-être même sa définition. Ils transforment les


mentalités, au moins superficiellement et lorsque la quoti-
dienneté reste la quotidienneté sans solliciter profondé-
ment « l'esprit ou l'âme» de quelqu'un. Ils induisent des
conduites culturelles radicalement (dans I'histoire) neuves.
* L'instantanéité
On la retrouve ici, dans une autre posture. Les médias
(alliés aux moyens technologiques de déplacement des
personnes: trains, avions, autos) semblent rétrécir le
temps et contraindre tout un chacun, culturellement, à
vivre dans l'urgence et la brièveté. Tout se passe comme si
tout le monde était pressé et ne connaissait plus le temps
de la lenteur dont parle Pierre Sansot après beaucoup
d'autres.
On veut, par exemple, accéder immédiatement à l'infor-
mation, disposer dans l'instant des outils distribuant tout
apprentissage nouveau. On ne veut plus consacrer du
temps à quoi que ce soit. Or, les langues s'inscrivent dans
ce paysage historiquement inédit. Toutes les institutions
spécialisées, et surtout dans tous les pays, constatent le
phénomène: le temps que l'on souhaite consacrer à ap-
prendre une langue est incroyablement court par rapport à
ce qu'il était il y a à peine un quart de siècle.

171
L'investissement temporel dans l'apprentissage des
langues, en somme, se raccourcit et les objectifs en sont
mieux inscrits: d'abord la compréhension et l'expression
orales. Communiquer dans la langue. On ne veut plus
accumuler les connaissances sur la langue, dont on ne voit
pas l'utilité (et qui n'en ont qu'une faible, en effet). Les
enseignants professionnels, là non plus, n'ont pas compris
(ni même, probablement, perçu, le phénomène), persistent
dans leurs rythmes anciens dont ils croient de bonne foi
que ce sont les seuls rythmes possibles et refusent
dogmatiquement d'y réfléchir.
A cet égard aussi, les médias manifestent une supériorité
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indiscutable parce qu'eux pareillement fonctionnent à la


brièveté, puisqu'ils sont en partie à l'origine du phéno-
mène. Leur usage pour apprendre une langue, dans les
nouvelles perspectives, est de plus en plus développé,
d'autant, comme déjà dit, que le besoin d'apprentissage
autonome (ici autodidaxique) grandit et que les médias
sont considérés comme des instruments banals que l'on
peut employer avec simplicité (comme ce fut le cas des
voitures ).
* Le goût du concret et de l'utile
On sait qu'une des caractéristiques des modes de vie
actuels consiste en la préférence vers tout ce qui est
palpable, tangible, pragmatique. L'apprentissage des
langues évolue dans ce sens, contrairement, une fois de
plus, à l'enseignement. On désire fortement pouvoir se
servir aussitôt de ce que l'on apprend, et c'est pourquoi,
d'ailleurs, contrairement au temps d'autrefois où l'on
fuyait les séances d'évaluation parce qu'elles étaient
reçues comme académiques et sans fondement existentiel,
on réclame aujourd'hui des évaluations fréquentes et très
tôt dans l'apprentissage, à condition qu'elles soient orien-
tées vers l'efficacité (c'est-à-dire le contrôle de l'utilité).

172
De plus en plus, donc, les évaluations valorisées par les
apprenants sont celles qui sont exercées par des natifs de
la langue apprise: dès le début les usagers veulent savoir
où ils en sont, par rapport à leur objectif utilitaire, et le
chemin qui leur reste à parcourir. Les médias, à ce propos,
exercent une forte influence, parmi d'autres facteurs, parce
qu'ils sont beaucoup plus sensoriels qu'intellectuels (Mac
Luhan) et beaucoup plus globaux qu'analytiques (idem).
Ils ont contribué à modifier le sens et les modalités d'un
apprentissage, dans la direction d'une appropriation
immédiate.
* Le développement des auto-apprentissages
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Il ne s'agit pas ici nécessairement d'apprentissages


absolument solitaires, autodidaxiques, mais d'apprentissa-
ges choisis, où l'impétrant veut fixer seul son propre but et
son propre chemin vers celui-ci. C'est pourquoi les centres
institutionnels (parfois à l'intérieur même des centres
traditionnels) se sont installés et multipliés, fondés sur
l'autonomie de l'apprentissage, donc que chaque usager
emploie à sa guise et son rythme.
Il trouve tous les outils qu'il peut souhaiter (manuels,
livres, journaux, médias divers) et aussi l'aide humaine
dont il éprouve le besoin. Mais celle-ci n'intervient qu'à sa
demande: le tuteur (ou conseiller, ou consultant) mais non
un enseignant (qui disposerait, par hypothèse, de la
puissance de décision et de conduite) est là pour l'aider,
s'il le souhaite, à clarifier ses objectifs et à lui indiquer,
dans telle ou telle hypothèse, les divers chemins qu'il peut
suivre et leurs avantages et inconvénients5o.
Pour tout le reste, l'apprenant gère seul son apprentissage
et il peut légitimement se faire qu'il reste seul d'un bout à
l'autre, sans avoir jamais recours au tuteur. Il décide lui-
même où il commence, à quel rythme il vient au centre

50
Marie-José BARBOT et Giovanni CAMA TARRI, Autonomie et
apprentissage, P.U.F., 1999.
173
d'apprentissage et quand il arrête. Il n'est pas du tout bridé
par des instances externes. Il se situe donc dans ce que le
Crapel nomme justement un « apprentissage auto-dirigé ».
De là s'est progressivement installée une pratique désor-
mais courante et qui possède deux versants: soit une
personne commence son apprentissage seule, puis, arrivée
à une certaine étape, éprouve le besoin de le poursuivre ou
de l'asseoir plus formellement, ou plus solidement, par
une inscription dans une institution (classique ou d'auto-
apprentissage), enfin abandonne celle-ci et procède elle-
même au perfectionnement jusqu'à l'objectif qu'elle s'est
fixé. Soit une personne commence son apprentissage en
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institution, et, à un moment donné, parce que cela corres-


pond mieux à son rythme ou à la démarche qu'elle vise,
continue seule. Instauration d'un régime mixte, donc.
Cette pratique se répand d'autant plus que, sur le plan
professionnel, des requis linguistiques deviennent néces-
saires (pour une promotion, un changement, ou la transfor-
mation des tâches elles-mêmes) et le sujet se trouve
confronté à la nécessité d'apprendre (ou de se perfection-
ner dans) une langue étrangère en disposant d'un temps
limité parce qu'il ne bénéficie pas, pour ce faire, d'un
congé-formation, ou du loisir indispensable.

3.4. La diversification, mot pivotai d'une politique


linguistique
Il est évidemment insensé qu'une politique linguistique ne
prenne pas en compte ces situations nouvelles, extrême-
ment variées selon les individus, et n'instaure pas les
conditions d'une véritable diversification des modalités
possibles d'apprentissage. Chaque personne possède des
objectifs dits sectoriels, qui découlent de son propre
contexte et de ses représentations qui lui sont singulières.
Dès lors, une politique linguistique réduite à l'ensei-

174
gnement institutionnel habituel est devenue complètement
désadaptée. Il lui faut, en outre, intégrer l'apport, difficile
à mesurer, mais indéniable et puissant, des voyages à
l'étranger. Ces immersions momentanées contribuent à
l'intériorisation de la langue considérée, et placent l'impé-
trant dans une situation linguistique qui ne correspond pas
nécessairement aux étapes institutionnelles classiques.
D'ailleurs, l'enseignement officiel a pris le phénomène en
compte en intégrant dans ses propres pratiques «des
classes transplantées» à l'étranger pour une période x.
D'une manière plus générale, les désormais fameux
«séjours linguistiques », accessibles sur le mode privé,
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prolifèrent. Il suffit pour s'en convaincre de visiter le salon


« Expo-langues » chaque année: la surface prise par les
organismes qui proposent ces séjours est beaucoup plus
importante que l'espace imparti aux modalités
traditionnelles d'apprentissage.
Donc, au total, les rythmes, les objectifs, et les démarches
méthodologiques, s'inscrivent désormais au sein d'une
diversité constitutive, linguistiquement et culturellement.
Les usagers ont maintenant compris que «plaie linguis-
tique n'est pas mortelle », que l'on peut toujours y
remédier, mais que, en revanche, les ignorances ou les
méconnaissances culturelles demeurent fortement stigma-
tisées (par les populations indigènes) et, d'autre part,
beaucoup plus complexes que les stricts apprentissages
linguistico-linguistiques.
Preuve supplémentaire, s'il en fallait, qu'une politique
linguistique doit à la fois reposer sur une philosophie
d'ensemble et s'adapter constamment, à l'intérieur de
celle-ci, aux contextes divers et à la transformation inces-
sante de ceux-ci. Pour l'instant nous en sommes très loin
mais la pression est en train de devenir si forte que les
politiques linguistiques finiront bien, de gré ou de force,
par se construire.

175
4. LA REVOLUTION INFORMATIQUE
Nous passerons vite sur les cédéroms parce qu'ils sont
déjà implantés, que même les institutions ont commencé à
les utiliser et que les individus y ont recours presque sans
y penser. Indiquons seulement qu'ils possèdent trois
avantages: leur maniabilité remarquable (et leur faible
encombrement), leur extrême richesse (par l'existence et
la facilité d'accès des hypertextes), et leur nombre de plus
en plus grand correspondant à leur souci (commercial) de
coller au plus près à la diversité de la clientèle potentielle.
Il faudrait probablement y ajouter la sophistication des
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articulations entre langue et culture et l'incarnation


iconique du contexte considéré qui le rend plus accessible
(au moins dans l'esprit des usagers) que le simple manuel,
et plus « intéressant », c'est-à-dire développant davantage
la motivation et son renouvellement. L'attractivité télévi-
suelle dont nous parlions ci-dessus, s'est transférée intacte
sur les cédéroms.
De même n'insisterons-nous pas, pour d'autres raisons,
sur les téléphones portables, dont la croissance est
proprement hallucinante, parce que, pour l'instant, leur
pertinence (pourtant manifestement indiscutable), sur l' ap-
prentissage des langues et des cultures, reste relativement
énigmatique et encore très mal stabilisée. Leur ubiquité et
leur multifonctionnalité s'inscrivent cependant pleinement
dans une internationalisation de leur usage et nul doute
qu'une politique linguistique ne pourra pas les contourner.
D'une certaine manière, ces deux instrumentations nouvel-
les peuvent être considérées comme des cas particuliers
d'internet qui constitue, à coup sûr, la révolution la plus
profonde qu'il y ait eu dans la gestion de l'information et
du savoir et dans leur appropriation pour tout un chacun.
L'internet dévoile des possibilités bien supérieures à celles
de la télévision (y compris celles de la télévision elle-

176
même). Dans très peu de temps, l'ignorance de son usage
sera une infirmité sociale cardinale, plus forte encore que
la méconnaissance des langues étrangères, bien qu'inter-
net, par définition, pratique toutes les langues.
Il reste cependant dominé par l'anglais, parce que c'est
celui-ci qui t'approvisionne le plus puissamment, et les
écarts se creusent chaque jour à l'égard des autres langues.
Il faut cependant surligner fortement un point, qui n'est
presque jamais mentionné: toutes les langues écrites,
désormais, ont accès à internet, et, par conséquent,
peuvent se manifester concrètement auprès de n'importe
qui. Elles sont, véritablement, ouvertes, et c'est une grande
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nouveauté parce que, naguère, beaucoup ne restaient


enfermées que sur soi.

4.1. N'importe qui avec n'importe qui


Pourvu que l'on en connaisse l'utilisation technique,
internet est disponible à n'importe qui et celui-ci peut
donc entrer en communication avec n'importe qui. Plus de
frontières, c'est-à-dire une radicalisation forte de l'ubiqui-
té signalée ci-dessus pour les médias « classiques» : l' es-
pace et le temps se trouvent, comme biens d'usage, abolis
ou très fortement amenuisés. Chacun peut dire ce qu'il
veut, il trouve toujours des interlocuteurs, même ceux
qu'il ne prévoit pas, et parfois à l'autre bout du monde.
Pour l'instant, l'instrument informatique contribue massi-
vement à un nouveau développement de la langue écrite
(en lecture et en écriture), et il faut impérativement en
tenir compte. Il est hautement probable que, dans un faible
délai temporel, l'oral et l'écrit se retrouvent à égalité et
que chacun d'eux s'épanouira en fonction des contextes.
La revalorisation d'aujourd'hui que connaît la langue
écrite doit évidemment être prise en compte par une
politique linguistique.

177
4.2. L'interactivité
C'est le deuxième atout maître de la toile, mais il importe
de le placer après le premier parce que, concrètement, il
n'acquiert toute sa valeur que par rapport à celui-ci.
L'interactivité, c'est-à-dire une espèce particulière de
l'interlocution, c'est-à-dire de la communication, du
dialogue (que l'on n'oublie pas Bakhtine) et de l'échange,
fournit l'extraordinaire disponibilité de l'instrument. Les
cédéroms et les portables, cas particuliers de cet ensemble,
sont dotés de cette même caractéristique, méthodologique-
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ment décisive.
L'interactivité, en effet, c'est l'implication directe du sujet
dans son apprentissage, sa possibilité inépuisable
d'intervenir, de rectifier, de s'approprier véritablement le
processus, de déployer son activité propre, et, donc, de
développer librement son initiative. Dans les méthodolo-
gies pédagogiques, ces conditions constituent pratique-
ment l'idéal de l'apprentissage parce qu'elles s'appuient
sur l'intervention du sujet apprenant lui-même.
D'une certaine façon, à cet égard, internet incarne le
média des médias, enferme en lui-même tous les autres.
On comprend qu'une politique linguistique ne l'ait pas
encore pleinement intégré, parce qu'il incarne une nou-
veauté absolument radicale, d'une part, et que, d'autre
part, il se transforme incessamment à une vitesse jusqu'ici
inconnue qui rend extrêmement délicate une prévision
relativement longue (qui est indispensable à une définition
effective d'une politique linguistique).
La seule initiative qu'une politique linguistique, nationale,
régionale, locale, d'entreprise, devrait être en mesure
d'établir, c'est de former adéquatement ses prestataires à
l'usage optimal de cet équipement inédit. De préparer
l'avenir, en somme, en imposant fermement une compé-

178
tence d'usage (de l'informatique en général) à tous ses
acteurs, en sorte qu'ils ne laissent pas passer ce train-là,
qui filera à coup sûr sans eux en les laissant irrémédiable-
ment sur la voie.
Il ne fait pas de doute qu'internet va opérer, par ses deux
qualités mises en évidence, une révolution complète dans
les modalités d'utilisation des langues étrangères, et donc,
aussi, façonner, modeler leurs façons de procéder, et, par
conséquent, favoriser une dualité inédite dans une société,
cette fois entre les générations.
Une communauté sera d'autant plus forte pour user opti-
malement d'internet qu'elle disposera d'avance d'une
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politique linguistique à la fois claire, déterminée, et simple


(les trois qualités fondamentales d'une politique linguisti-
que efficace et saine à la fois). La disponibilité culturelle
d'internet est illimitée, plus encore (par définition) que sa
disponibilité linguistique, et la première est en train de
donner un coup d'accélérateur à la deuxième, et sans
doute, de simplifier encore les modalités d'appréhension
d'une langue par un usager en fonction de ses besoins
propres.
Dans ces conditions l'institution scolaire court le risque de
se désadapter encore davantage sauf si elle se décide à
intégrer internet dans sa propre instrumentation pédagogi-
que. C'est aussi une raison pour qu'une politique linguisti-
que (et, plus globalement, une politique éducative) antici-
pe la formation de ses prestataires (ici les enseignants
principalement) à l'usage de ce média dont les possibilités
dernières restent inimaginables alors même que ses
performances d'aujourd'hui sont déjà sidérantes.
Pour peu qu'une commande véritablement multisenso-
rielle soit rapidement maîtrisée par internet, celui-ci
constituera véritablement l'athlète complet d'une diffusion
des langues et des cultures, d'un échange à la fois
international et personnel, d'une banque de données à la

179
fois complète et flexible, soumise seulement à la capacité
de circulation, donc d'initiative, de l'usager pour trouver
ce qui lui convient le mieux.
Il est hors de propos, enfin, que cette technologie neuve,
sonne le glas des précédentes. Tel n'a jamais été le cas
dans l'histoire, Mac Luhan l'a montré le premier. Au con-
traire, une technologie inédite revivifie les anciennes en
leur assignant, par déplacement fonctionnel, un autre rôle.
C'est pourquoi, même s'il y a révolution de disponibilité
par internet, le savoir, lui, par exemple, continuera de
s'élaborer lentement, par rationalité et tâtonnements,
même si les données nécessaires sont beaucoup plus
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immédiatement fournies. Debussy disait qu'« il y a encore


de la belle musique à faire en do majeur ». Tel est le cas
ici aussi, et une telle situation doit susciter plutôt la
motivation qu'un regret nostalgique.

180
L'EDUCATION COMPAREE

Même si l'école n'est plus, et de loin, la seule source


d'apprentissage des langues, et même si elle ne constitue
plus l'instrument unique de la construction et de la
diffusion du savoir, une politique éducative est de plus en
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plus nécessaire, incluant une politique linguistique


(générique) pour répondre aux besoins à la fois tradition-
nels et émergents de l'éducation de tous. Simplement, les
deux ont à transformer leur rôle, leur place dans la
construction et l'adaptation des savoirs, à redéfinir, en
somme, leur nature et leurs modalités.
A cet égard, il est rigoureux d'affirmer que les nouvelles
fonctions de ces politiques sont doubles: d'une part doter
chacun de l'équipement intellectuel par lequel l'autonomie
est possible et d'autre part contribuer à l'internationalisa-
tion qui progresse en même temps que la volonté
patrimoniale, c'est-à-dire les deux composantes de ce qui
élabore conjointement une identité, dans sa diversité
désormais constitutive, et une flexibilité (capacité
adaptative) qui permet à chaque individu d'être l'acteur de
son histoire plutôt que de la regarder passer.
L'éducation, désormais, s'étend du «berceau à la tombe »,
comme le disent depuis longtemps les Britanniques et, par
conséquent, la pratique des langues étrangères doit
commencer dès le plus jeune âge 51 sans être jamais
terminée. Telle est la nouvelle donne pour le temps d'une
51
Dominique GROUX, L'enseignement précoce des langues,
Chronique sociale, Lyon, 1995.
181
vie. L'espace lui aussi se trouve autrement défini, et la
circulation sans cesse accrue des personnes et des biens, y
compris « symboliques» (Bourdieu), conduit inéluctable-
ment vers un œkoumène qui ne néglige pas les apparte-
nances de proximité.
C'est pourquoi la réflexion éducative appelle aujourd'hui
un accent particulièrement fort mis sur l'éducation com-
parée 52, qui est, sans avoir encore atteint la pleine
conscience ni des politiques, ni des enseignants, ni des
parents, l'alpha et l'omega de toute éducation, quel que
soit l'endroit du monde où l'on se trouve. L'éducation
comparée s'imposera à coup sûr, est en train de s'imposer,
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à mesure que les échanges se multiplient.

1. UNE DIVERSITE NATIONALE INTERNE


A l'intérieur même d'un pays, les circulations et les
réseaux éducatifs sont appelés à se multiplier. Les
coopérations entre régions, par similitudes et différences,
se trouvent désormais convoquées, précisément par
l'articulation entre l'universalité éducative et les ancrages
culturels locaux. Les montagnes, les mers, les fleuves et
les plaines, les neiges et les profondeurs historiques, sont à
la fois propriétés communes et différenciations patrimo-
niales. Ils appellent une connaissance mutuelle et un
savoir partagé de même qu'une accoutumance culturelle à
l'identité de l'autre, qui, globalement, tend à l'admission
de l'altérité en tant qu'altérité jusqu'au niveau des
individus.
Que la conscience d'une même appartenance nationale
passe par un colbertisme, un jacobinisme, une uniformi-
sation, est aujourd'hui une absurdité. C'est au contraire à
travers la diversité que se cimente l'unité et celle-ci résulte

52 Dominique GROUX et Louis PORCHER, L'éducation comparée,


Nathan, Paris, 1997.
182
d'une adhésion libre à une inculcation et à une éducation
qui mettent en œuvre les universels-singuliers. Une éduca-
tion comparée interne à la nation est donc indispensable.
Il est probable que le problème se pose différemment,
mais avec les mêmes visées, dans certains de nos pays
voisins, où l'unité, historiquement, a été plutôt de type
fédératif, comme en Allemagne, ou sur le mode du
conventionnalisme entre régions comme en Espagne.
C'est un argument supplémentaire, au nom de l'Europe et
de bien au-delà, pour que la France introduise la
circulation éducative en son sein pour atteindre à la fois
une couleur propre, celle du fond de tableau, sur lequel se
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repèrent les bigarrures qui caractérisent les appartenances


lignagèrement héritées.
Les classes transplantées, déjà fortement développées, ne
peuvent que se multiplier, de même que les appariements
entre écoles, ou entre classes, par le biais des médias infor-
matiques. Dans certaines académies, déjà, des réseaux
d'enseignants se sont mis en place, à travers des liaisons
internet qui permettent les échanges et contribuent à faire
cesser l' enfermement traditionnel de l'enseignant seul
dans sa classe. Le mouvement est lancé, il faut l' encou-
rager par tous les moyens, dès la formation initiale des
enseignants.
Toutes sortes d'échanges sont possibles: d'expériences,
de manières de procéder, d'instrumentations pédagogi-
ques, d'interrogations, de pratiques. Pour l'instant, presque
personne ne sait comment procède l'autre: il y a donc
beaucoup à espérer. «Les styles d'enseignement et les
styles d'apprentissage» (Crapel) sont, certes, uniformisés
par les programmes, mais ils possèdent tous leur singula-
rité qui tient, en partie, aux appartenances de proximité.
C'est une espèce nouvelle de la pédagogie interculturelle
qui est en train de naître au sein d'un ensemble national,
fondée justement sur le sol commun (qui permet l' échan-

183
ge, ne l'oublions jamais: sans point fixe, pas de mobilité)
et sur des singularités (qui constituent 1'enrichissement).
Toutes les disciplines se trouvent ici engagées, même si
certaines (histoire, géographie, langues) sont probable-
ment plus favQrables que d'autres à des interactions
fertiles et impossibles autrement.
Il en va de même, évidemment, entre le système scolaire
proprement dit et les autres acteurs, désormais multiples,
de « l'entreprise» éducative: associations diverses, clubs,
partenariats, municipalités, fonctionnaires ayant une tâche
de nature éducative à accomplir. Il est bien entendu
indispensable que, pour cela, finissent par être bannies les
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échelles mentales (et sociales) de hiérarchie des profes-


sions, de la croyance en ce que la méritocratie, mesurée
seulement aux diplômes, entraîne quasi-automatiquement
des métiers supérieurs et d'autres inférieurs. Là se situera
à coup sûr le travail le plus ardu et le plus long. Tout le
syndrome de « la noblesse d'Etat» est fortement implanté
dans notre cultures3.
Il importera aussi, et cela implique le même cheminement,
que les enseignants cessent de se considérer comme les
seuls professionnels qualifiés de l'enseignement, d'où sort
sans erreur la seule vérité de celui-ci. La cité entière est en
train de devenir éducative, et de multiples compétences
nouvelles existent sur ce champ ou sur le bord de celui-ci:
que l'on pense, par exemple, aux éducateurs de toutes
sortes, à certaines professions psychologiques, anthropolo-
giques, sociologiques, qui ne relèvent pas de l'obédience
« Education Nationale », mais ont manifestement quelque
chose à apporter en ce lieu.

53
Pierre BOURDIEU, La noblesse d'Etat, Minuit, 1987.
184
2. LA FRANCOPHONIE
Nous ne prendrons pas ici le terme en son sens strictement
politique, qui se traduit par des sommets réguliers et par
une bureaucratie de plus où se retrouvent des pays dans
lesquels la pratique de la langue française est loin d'être
avérée. Que de tels groupements existent, fort bien. Que
leur pertinence soit assurée pour notre espace de
préoccupation reste à démontrer. Nous restreindrons donc
le terme « francophonie» à son acception plus simple: les
lieux où, officiellement ou concrètement, la langue
française occupe une place assignable.
Compte tenu de l'évolution actuelle du monde et des
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technologies, compte tenu aussi de la «quasi-toute-puis-


sance» de l'anglais sur le plan des communications mon-
diales, ce monde francophone acquiert une signification
spécifique qui crée entre les pays concernés un apparente-
ment certain coloré par des cultures diverses. Dans la
mesure où le plurilinguisme, nous l'avons dit, fournit
probablement, dans l'état actuel des forces et des tendan-
ces, ce vers quoi il est souhaitable de tendre, la francopho-
nie a son rôle à jouer, tout comme l'hispanophonie où
n'importe quel autre regroupement de similitudes.
L'éducation comparée entre pays francophones s'impose
visiblement parce qu'il existe à la fois une communauté
linguistique et une pluralité d'appartenances culturelles.
Que les politiques linguistiques puissent se coordonner
(abolissant ainsi les rivalités longues qui, techniquement
au moins, sont dépourvues de pertinence) contribuerait à
ce que chacune prenne conscience qu'il existe des français
et non pas une langue française unique et strictement
balisée, et qu'aucune de ces langues françaises puisse se
targuer d'une quelconque supériorité.
Le mouvement est, certes, entamé depuis deux décennies,
mais les coopérations restent encore largement à dévelop-
per. Dans le cas propre de la France, le problème se

185
complexifie par l'existence des DOM - TOM, dont cha-
cun possède ses soubassements identitaires et un rapport
spécifique, linguistiquement et culturellement, avec les
créoles, qui, sur le plan pédagogique (et sur les autres
aussi, évidemment), constituent des enjeux identifiables et
bien réels54. Des progrès notables ont été accomplis, mais
des accords, des mises en réseaux, des échanges avec
l'hexagone, doivent être inventés, à la fois semblables et
autres que ceux qui doivent s'enclencher avec les langues
régionales.
Mettre en commun sans que chaque entité francophone
perde son identité, tel est le pari qu'il faut engager, et qui,
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en littérature par exemple ou dans d'autres activités


mettant en jeu la langue, s'est déjà traduit par des actes:
Chamoiseau, Réjan Ducharme, Mimouni, Brel, Barbara,
Césaire, Antonine Maillet, en fournissent quelques exem-
ples parmi des milliers d'autres. Le chemin est ouvert, il
nous appartient à tous de l'approfondir.

3. LA COMPARAISON DES SYSTEMES


EDUCA TIFS
L'uniformisation de ceux-ci n'est ni souhaitable ni possi-
ble, même sur le plan européen (aussi bien au sens de
l'Europe politique que pour la quarantaine des pays
membres de l'Europe). La voie la plus fructueuse consiste
alors à instaurer, sinon une harmonisation (qui prendra du
temps mais permettra réellement de travailler en commun,
chacun selon ses intérêts), du moins des réseaux de
communication, qui passent par une connaissance mu-
tuelle (et, en outre, renforcent celle-ci).

54
Paule FIOUX, L'école à l'île de la Réunion entre les deux guerres,
Karthala, 1999.
186
3.1. L'Union Européenne
Il existe pour l'instant une discrépance frappante entre
l'état économique de cette Union et son état éducatif.
S'agissant de celui-ci, les liens se tissent lentement, mais
les coopératwns fertiles se heurtent à des blocages qui
tiennent à l'histoire des systèmes d'enseignement, aux
options choisies pour instaurer ceux -ci, et aux accents mis
par ce qu'il faut bien appeler les cultures nationales sur
telle ou telle valeur éducative.
Un point est à souligner fortement: dans tous les pays
européens, l'attachement national au système d' enseigne-
ment, même quand il est décentralisé, est tellement
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puissant que, manifestement, il ressortit à l'ordre du


symbolique, du bien patrimonial qui relève largement de
l'irrationnel, de l'affectif, de l'atteinte à l'identité de soi.
Pour cette raison, les groupes d'experts réunis par
Bruxelles, pourtant dotés de la meilleure volonté, ne sont
pas parvenus à se mettre d'accord sur une simple
harmonisation des disciplines, des finalités, des objectifs
mêmes, des manières de procéder.
Imaginons ce qui se passerait en France si un gouverne-
ment entreprenait de s'attaquer sérieusement au baccalau-
réat, ce monument national qui constitue un véritable
«lieu de mémoire». Il est tellement ancré dans les
mentalités, il pèse d'un poids si lourd sur la conscience
(ou l'inconscient) individuelle et collective, il incarne tant
de valeurs non-réfléchies, qu'y toucher ressemblerait à une
sorte de blasphème, de profanation d'une croyance com-
mune immédiate et qui gèle toute analyse.
* Les élèves
Il est donc vain, à vue humaine, de chercher à modifier
profondément le système scolaire français, et, sans doute,
ceux des voisins. C'est par conséquent de communications
plus ouvertes et plus fréquentes entre eux qu'il doit s'agir
si la circulation des personnes (donc aussi des enfants) est

187
amenée à s'accroître. Certes, il existe beaucoup de moyens
de procéder autrement, notamment celui d'ouvrir à l'étran-
ger des établissements scolaires, «exportés» en somme,
comme le fait la France depuis longtemps dans les grandes
villes.
C'est positif, évidemment, parce qu'il y a, dans le lycée
français de Londres, par exemple (ou de Rome, etc.) une
ouverture réservée aux Britanniques eux-mêmes, et que,
par conséquent, l'enseignement, quoiqu'il reste français,
est marqué de « britannicité» et que, en outre, les élèves
hexagonaux, à la sortie des classes, sont plongés dans un
bain linguistique indigène. Il faut reconnaître cependant
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que cette voie n'est pas idéale et que, si la circulation


intro-européenne, dans les années à venir, n'est pas
réservée à l'élite des élites, cette «solution» sera
beaucoup trop onéreuse pour être répandue.
Dans l'enseignement supérieur en revanche, Erasmus,
programme bruxellois de participation des étudiants
membres de l'Union à l'enseignement de leur choix dans
l'un des quatorze autres pays pendant une période de
temps brève, fonctionne mieux parce qu'il est effective-
ment utilisé. Quand on regarde les chiffres cependant, il
reste embryonnaire, et presque nul au niveau des
enseignants. D'autres programmes européens existent, qui
connaissent aussi un succès mitigé.
Dans tous les cas se pose le problème de la langue et c'est
celui-ci qui devrait être résolu en priorité, notamment en
organisant, dans les universités, c'est-à-dire au moment du
choix des orientations étudiantes, des enseignements
intensifs de la langue souhaitée. Tel n'est pas le cas pour
l'instant, mais l'on note, situation rarissime, mais, donc,
possible, et, en tout cas, souhaitable, l'ouverture de
programmes universitaires par exemple sur trois pays,
dont deux années dans deux autres pays que la France.

188
Des frémissements se font sentir, au total, mais le
problème reste quasi-entier, mis à part, dans les enseigne-
ments secondaire et parfois primaire, l'organisation
d'échanges réguliers avec des établissements étrangers
homologues. Mais, là encore, les difficultés financières
sont telles que des discriminations insupportables entre
élèves pourraient apparaître et limiter la tendance.
* Les enseignants
C'est à leur endroit, par conséquent, qu'il convient
d'orienter l'effort, en sachant d'emblée que les Français
sont, en pourcentage, de loin les moins «circulateurs»
d'Europe. Il est inconsidéré, malgré les apparences, de
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

chercher à encourager leurs déplacements vers l'étranger


parce que, si même cela se fait, cela prendra des
décennies. Il est plus opportun de rendre obligatoire pour
tous, et dans l'ensemble des pays européens, une forma-
tion à l'éducation comparée, faite par de vrais spécialistes.
Le but en est, et il est maintenant urgent, de faire connaître
par tous les partenaires, les modalités de fonctionnement
des systèmes d'enseignement des autres pays. Il ne s'agit
pas de faire de ces enseignants (ou chefs d'établissement)
des spécialistes d'éducation comparée, mais de traiter, en
un premier temps, les aspects de celle-ci qui leur seraient
utiles dans leur métier. Ils permettraient, même globale-
ment et indépendamment de l'Europe, de donner aux
prestataires français de l'éducation la vertu fondamentale
dont ils ont besoin et dont ils sont, pour l'instant,
complètement dépourvus: la décentration, c'est-à-dire la
capacité de sortir d'eux-mêmes, de se placer à distance de
leurs propres pratiques et d'acquérir ainsi davantage de
lucidité, donc de regard critique, sur eux-mêmes.
Les enseignants français en effet, et ils ne sont
malheureusement pas les seuls, sont profondément
ethnocentriques et croient sincèrement que leur manière
d'enseigner est la meilleure au monde (certains pensent

189
même, tellement ils sont mal formés, qu'elle est la seule
possible). Ils seraient stupéfaits de découvrir qu'ailleurs on
ne procède pas comme chez eux, et que, nonobstant, le
système scolaire considéré est plein de cohérence et atteint
la même efficacité que le leur.
Peut-être, au début, cela ne servirait-il à rien, parce qu'ils
jugeraient les manières de procéder des autres exotiques
ou folkloriques (au sens que nous avons donné précédem-
ment à ces deux mots), mais à la longue, la comparaison
cheminerait dans leur esprit et contribuerait à ouvrir celui-
ci. Et puis un effet d'entraînement s'opérerait par les plus
dynamiques, ceux qui saisiraient d'emblée la philosophie
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

de l'entreprise.
Non seulement leur ethnocentrisme serait bousculé par
l'éducation comparée, mais leur sociocentrisme aussi,
c'est-à-dire le mouvement au terme duquel, dans leur
propre société, ils se considèrent comme des profession-
nels de l'enseignement qui n'ont pas à échanger, à ce
sujet, avec ces amateurs que sont, par exemple, les parents
d'élèves. Les enseignants français jugent que l'enseigne-
ment français est leur propriété et qu'il ne relève que de
leur seule appréciation. Par l'éducation comparée ils
apprendraient qu'une telle attitude est loin d'exister par-
tout, et que les pays où les parents d'élèves sont officiel-
lement dotés du pouvoir d'intervenir dans la vie de
l'établissement ne sont pas rares.
Ils s'apercevraient aussi que les programmes, par exemple,
ne sont pas nécessairement fixés par le gouvernement et
que, dans la plupart des cas, ils sont fixés par une autorité
plus proche de la réalité scolaire: la région, ou parfois
même la municipalité, ou parfois même encore l' établisse-
ment lui-même. Bref, ils constateraient que l'enseigne-
ment est un produit culturel, historiquement construit, et
que, chez eux, il n'est, quasiment par définition, ni pire ni
meilleur qu'ailleurs.

190
Si nous avons fait un sort particulier à l'union européenne,
c'est qu'on imagine difficilement que des transformations
harmoni santes n'affectent pas les différents systèmes
scolaires, même s'il est évidemment capital que chaque
pays conserve sa culture identitaire. L'exception cultu-
relle, à laquelle va peut-être s'ajouter, dit-on, l'exception
sportive, est certes capitale, mais elle ne constitue pas un
service comme c'est le cas de l'enseignement (ce que les
enseignants français refusent de voir).
Dans ces conditions, il deviendra vite impossible que des
convergences ne se créent pas, tout en maintenant les
différences qui relèvent de l'identité nationale effective-
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

ment vécue ou symbolique (ce qu'un système d'enseigne-


ment est toujours aussi). On peut suggérer, sans grand
risque de se tromper, que les décennies à venir verront se
confronter les points de vue (et, donc, négocier) autour de
questions centrales.
. La définition des programmes: qui les construit,
pourquoi sont-ils imposés alors qu'ils ne sont qu'à
peine contrôlés, en quoi sont-ils utiles, à quoi servent-
ils sinon à une bureaucratie apparemment dirigeante
du système? Sont-ils bien composés? (Non: pour-
quoi, par exemple, placer I'histoire ancienne en début
de cursus secondaire, à un âge où les enfants éprouvent
de grandes difficultés à se décentrer) ? Etc. ...
. Qu'en est-il de l'évaluation? Est-elle nécessaire?
Doit-elle obligatoirement porter sur des contrôles de
connaissances? Implique-t-elle nécessairement les
enseignants seulement? Est-elle rédhibitoire? Surtout,
sur quoi se fondent ses modalités qui, en France, ne
sont rien moins que chancelantes, peu fiables, et
brinquebalantes ?
. Quelles sont les matières présentes et absentes dans les
systèmes scolaires? De quel poids sont celles qui
existent?

191
. Quelles sont les méthodologies d'enseignement 7
Quels objectifs, quelles progressions 7 Quel rôle est
assigné à l'élève dans la construction de son savoir 7
. Quelles sont les représentations de l'enfant ou de
l'adolescent utilisées par la communauté éducative
(parents et enfants) 7
. Comment sont formés les enseignants 7 Comment
participent-ils à la formation continue 7 (en France très
faiblement parce que, en ce domaine, ils restent libres
de leurs initiatives, et, donc, s'immobilisent).
. Quels sont les contrôles hiérarchiques 7
. Quelles sont les places du sport et de la culture
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

artistique 7
. Où se situe la religion et comment se définit la laïcité
si elle est une valeur sociale importante 7
. Comment se déroule l'avancée des élèves dans le
système et quels sont le statut et l'organisation des
examens 7
. Quels sont les manuels scolaires, leur découpage, leur
usage, leurs relations avec les enseignants et avec les
élèves 7
. Sur quels exercices s'appuie-t-on 7 Vise-t-on plutôt
l'initiative de l'élève ou leur aptitude à répéter 7
Cherche-t-on l'accumulation de savoirs ou la socialisa-
tion (comme c'est le cas dans certains pays
scandinaves 7)
. Comment s'opère l'articulation entre le temps scolaire
et le temps libre 7 Se préoccupe-t-on, et dans quelle
mesure (selon quelles modalités) de l'autonomie
apprenante 7 Y a-t-il des relais d'apprentissage hors de
l'école 7

192
3.2. Hors Europe
Les questions précédentes sont inscrites dans la
construction continuée de l'Europe mais elles se posent
pareillement (avec d'autres attendus et d'autres consé-
quences poliljques) sur l'ensemble de la planète. Il est
clair en effet que l'internationalisation ira en s'accentuant
et que, de plus en plus, une connaissance aussi exacte que
possible de ce qui se passe ailleurs sera indispensable à
l'exercice du métier éducatif. Si d'aventure il n'en allait
pas ainsi, les écarts ne manqueraient pas de se creuser
entre les différents pays et l'opacité entre les cultures se
maintiendrait sans la moindre chance d'interculturalité.
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

Là réside le danger, précisément. Que les systèmes


d'enseignement, partout, se désadaptent toujours plus de la
réalité et deviennent progressivement des institutions sco-
lastiques qui ne reposent que sur leur propre répétition.
Qu'ils s'enferment sur eux-mêmes au lieu de s'interpéné-
trer et s'enrichir potentiellement de leur manière propre
d'aborder l'éducation en laissant les échanges à la marge.
L'éducation comparée s'inscrit donc au premier rang des
urgences d'une politique éducative où l'on veut éviter la
nécrose que toutes les autorités semblent redouter sans
agir véritablement. Au fond, les sciences de l'éducation,
qui ne fonctionnent nulle part de manière satisfaisante et
demeurent profondément marginalisées par rapport aux
enjeux essentiels des sociétés et des personnes, ne
devraient être désormais qu'une province de l'éducation
comparée qui devient, par l'évolution du monde,
l'instance de guidance au premier rang d'une éducation
adaptée à la fois aux transformations sociales et à la
transmission des héritages identitaires, patrimoniaux,
lignagers.

193
Documento acquistato da () il 2023/05/02.
INTERROGATIONS POUR CONCLURE

Il est à penser que les nouvelles politiques éducatives, qui


verront inéluctablement le jour au forceps, contre les pou-
voirs établis, et probablement dans la violence, s'articu-
leront autour de la place de ce que l'on appelle, d'une
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

expression devenue pleinement adéquate, les nouvelles


technologies. C'est pour cette raison que nous ne les avons
pas ici jointes aux questions posées précédemment sur le
fonctionnement et les options des systèmes scolaires. Elles
occupent désormais une fonction centrale, à l'école
comme dans l'ensemble de la société, dans la recherche de
l'information, le traitement et la gestion de celle-ci, sa
diffusion et l'usage qui en sera fait en termes de réception.
A cet égard, les politiques linguistiques occupent certaine-
ment un créneau à part au sein de ces politiques éducatives
parce que ce sont elles qui mettent en jeu le plus nettement
et de manière probablement la plus radicale, les modalités
de communication dans un groupe social donné et pour un
individu défini. Les langues ont pour double fonction en
effet l'expression et la communication, le dialogisme
s'inscrivant au cœur de ce couple.
L'information sera la donnée majeure des décennies à
venir et elle l'est certainement déjà, en tout cas en termes
de rendement économique où elle est devenue la première
marchandise du marché mondial. Pour l'instant au moins,
et l'on ne voit pas, sauf science-fiction, ce phénomène
s'effacer, cette information est transportée, sinon produite,

195
par le truchement des langues, et son accès est conditionné
par celle-ci.
L'intelligence artificielle est à coup sûr une très mauvaise
expression, pleine de connotations erronées et trompeuses,
lourde de présupposés non élucidés. Il s'agit bien plutôt
des performances de l'informatique (dans toutes ses
acceptions) et de leurs relations avec la condition humai-
ne. Pour l'instant on aboutit seulement à une technologie
de plus en plus sophistiquée mais qui ne fait pas le poids à
côté des rêves des hommes, de leur affectivité fantasmée,
de leurs aspirations à l'imaginaire.
Dans le domaine de la pensée proprement dite, les nou-
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

velles technologies peuvent augmenter la productivité et


donner, par-là, l'impression qu'elles sont en train d'engen-
drer une nouvelle humanité capable de transformer n'im-
porte quelles réalités, même celles qui touchent les vies et
la mort. L'information est conçue le plus souvent, à cet
égard, comme une force technologique sans équivalent,
même humain, et c'est peut-être vrai. Mais c'est tout de
même l'homme qui pilote et qui n'est pas réductible à
l'information qu'il ensemence même si celle-ci, sous
certains aspects, devient plus forte que lui.
C'est pourquoi les politiques linguistiques, non seulement
demeurent indispensables mais sont de plus en plus
urgentes. Les communications sur internet ou sur les
grands réseaux sont beaucoup plus nombreuses à
concerner les rêves et les imaginations, les croyances et les
fantasmes, l'irrationnel et le pulsionnel, que celles qui
traitent des problèmes positivistes, scientistes, ou même
scientifiques et techniques.
On ne le dit jamais, mais tous les spécialistes le savent.
Internet contient en soi-même les moyens de sa propre
subversion. C'est une mince pellicule de l'humanité qui
nourrit des espérances purement technologiques et présage
que 1984 n'était qu'une bluette. L'immense majorité est

196
attachée à ses composants identitaires et partage plus de
questions insolubles que de problèmes susceptibles d'être
traités, et plus d'interrogations que de réponses. S'il n'en
allait pas ainsi, pourrait-on comprendre que ces technolo-
gies aussi sOIPhistiquéesde l'information n'aient pas mis
en place, déja, ou même d'emblée, un langage purement
symbolique, formel, identique pour tous et accessible à
tous?
Fondamentalement, et les technologues fous le savent bien
du fond de leur conscience, «dès qu'il a langue il y a
métaphore », selon l'une des plus célèbres formules fonda-
trices de la linguistique. Même si beaucoup de linguistes
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

professionnels (non pas au sens de ceux qui pratiquent des


langues mais au sens de ceux qui ont fait du langage en
général, à travers une langue particulière [et c'est dans
celle-ci qu'ils s'emprisonnent, raffinent, ratiocinent, com-
me un rat court indéfiniment sur une roue], leur objet
d'étude et ont transformé toute langue en une abstraction,
squelettique et privée de sang) ont seulement inventé, en
France, une science départementale qui n'entraîne aucune
conséquence dans quelque domaine que ce soit et reste
stérile.
Qu'une langue soit d'emblée une métaphore, en revanche,
met en fonctionnement une « œuvre ouverte », imprévisi-
ble par nature, toujours plus riche que toute technologie,
toujours au-delà de l'existant parce que toujours au-delà
d'elle-même. Une langue peut mourir, certes, mais d'au-
tres surgiront sans qu'on puisse les encadrer, les artificia-
liser, les technologiser, et les réduire à une transmission
d'informations.
C'est pourquoi chacun, et chaque appartenance, sont
attachés à leur langue propre parce qu'ils sont inscrits en
elle autant qu'elle est inscrite en eux. Il y va de leur
identité irréductible, de celles qu'ils ne sont pas prêts
d'abandonner parce qu'elle les constitue et que, sans elle,

197
ils disparaîtront complètement. Le réductionnisme de la
science aujourd'hui dominante ne peut exercer sa domina-
tion que sur un monde lui-même réduit et il faut s'opposer
fermement à l'intimidation qui en découle.
Les transports d'information n'épuiseront pas l'humanité
ni même la multiplicité des langues. Celles-ci se
revivifieront inéluctablement, comme le montre suffisam-
ment, chez nous, la résurgence forte des langues
régionales, que tous les pouvoirs officiels (politique,
économique, industriel, informatique) sous-estiment tota-
lement alors qu'elles incarnent emblématiquement l'hu-
manité même de I'homme.
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

Que peut, dès lors, une politique linguistique?


Certainement, en priorité, installer à la fois la rigueur et la
souplesse de sa langue maternelle, en sorte que celle-ci, à
la fois, garde son « génie» et vive, c'est-à-dire se trans-
forme en intégrant les nouveautés, en évoluant spontané-
ment, sans imposition ni frein. Agir de telle manière que
cette langue maternelle soit dominée par tous ses locuteurs
« naturels », ce qui est loin d'être le cas pour l'instant,
sans s'obnubiler, comme on le fait beaucoup trop sur un
illettrisme, qu'il conviendrait d'abord de bien démontrer,
et dont il faudrait surtout cerner les composantes orales
s'il y en a.
En deuxième lieu, il serait nécessaire de développer
puissamment la terminologie en français, activité qui ne se
confond nullement avec la lexicologie, mais vise à créer
des dénominations officielles d'objets. L'enjeu est écono-
miquement (commercialement) considérable, de manière
qu'un produit français soit partout identifié comme tel
(dans l'idéal). Pour l'instant, comme par hasard, les plus
grandes banques de données terminologiques sont anglo-
saxonnes.
En troisième lieu, intégrer beaucoup plus souplement les
apports étrangers qui vont se multiplier pour chaque

198
langue compte tenu de l'accroissement de la circulation
mondiale. Une langue n'est nullement en danger par
l'importation «d'étrangetés» lexicales (qui sont le plus
souvent, certes, d'origine américaine chez nous), Hagège
l'a montré sans ambiguïté55. C'est seulement si la syntaxe
était envahie qu'il faudrait s'inquiéter et ce n'est
nullement le cas pour l'instant.
Etablir, quatrièmement, une véritable politique d'exporta-
tion de notre langue qui, pendant un quart de siècle depuis
1945 a été féconde, inventive, dynamique, mais qui,
depuis, périclite, se dégrade, s'autodétruit parce qu'elle
n'obéit plus à aucun principe et se montre d'autant plus
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

arrogante que l'influence mondiale du français s'ame-


nuise. Lutter avec l'anglais, se battre pour être deuxième
langue, c'est-à-dire faire pour la deuxième place exacte-
ment ce que l'on reproche à l'anglais de faire pour la
première est absurde parce qu'une telle attitude traduit la
même tentation hégémonique, en seconde position, que
celle que l'on stigmatise pour la première.
Il faudrait plutôt se battre rigoureusement pour promou-
voir un plurilinguisme beaucoup mieux adapté au monde
contemporain et qui représente les orientations sagement
prises par plusieurs grandes organisations internationales.
Il serait, à cet égard, urgent d'établir des actions coordon-
nées entre plusieurs partenaires nationaux qui, pour l'ins-
tant, au mieux, s'ignorent ou se toisent.

1. L'enseignement
Vers l'étranger il doit être complètement réorganisé parce
qu'il ne correspond plus à rien. Il lui faut réinventer le
partenariat, la réciprocité, la négociation d'égal à égal, au
lieu de traiter les autres en assistés ou en sous-fifres. Il est
55 Claude HAGEGE, Lefrançais et les siècles, op.cit.
199
surtout décisif de promouvoir la langue, c'est-à-dire d'en
montrer l'utilité (d'abord, puisque, dorénavant, les soucis
d'emploi sont partout tels qu'ils priment sur le reste),
l'attractivité, la séduction, et de développer considérable-
ment la formation des enseignants vers l'étranger qui est
pour l'instant à peine menée, n'importe comment, au gré
des humeurs, et sans souci des véritables problèmes que
doivent traiter ces gens là.
La première dimension qui importe ici est celle de la
contextualisation, qui consiste à admettre que l' enseigne-
ment du français ne peut pas être le même sans tous les
pays du monde, sauf, justement, à ne pas respecter la
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

culture propre de ceux-ci et, donc, à être contre-productifs.


A cet égard, l'ingénierie éducative, dont quelques-uns se
gargarisent aujourd'hui, n'est qu'un gigantesque bluff, une
forme nouvelle de l'arrogance et de la suffisance dont
nous faisons volontiers montre pour expliquer aux autres
ce qu'ils devraient faire, même malgré eux et sans rien
connaître de leurs vrais problèmes à résoudre. Pour
l'instant il n'y a pas, dans le domaine du français langue
étrangère, les capacités pour conduire une véritable ingé-
nierie, et même dans le secteur plus largement éducatif, le
déficit est identique, sauf sans doute à l'endroit de pays
non encore pleinement développés et que l'on peut traiter
de manière quasiment néo-colonialiste.

2. Les médias
Ils doivent être orientés en deux directions: leur
expansion propre selon leur propre dynamisme, et selon
l'invention constante des nouvelles technologies. Par le
satellite et le numérique, nos médias classiques peuvent
être aisément partout, et s'efforcent eux aussi, tout en
gardant leur couleur nationale, de se contextualiser.
L'engagement financier est pratiquement négligeable.

200
Aujourd'hui seule Radio France Internationale et TV5 le
font de manière correcte, mais elles sont, en maints
endroits, difficilement captables, et, dans ces conditions, la
qualité ne sert à rien si la réception est impossible.
La deuxième direction de développement consiste en
l'articulation entre les médias et l'enseignement, et cela,
impérativement, dans les deux sens: l'enseignement doit
intégrer les médias dans ses pratiques habituelles parce
qu'ils constituent une source exceptionnellement riche de
documents authentiques (à la fois utiles et attractifs,
donc); les médias destinés à l'étranger doivent élaborer
systématiquement des émissions, sur quelques plages
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journalières à orientation éducative (non pédagogique,


certes, puisque la pédagogie n'est pas le métier des
médias, mais linguistiquement et culturellement riches). Il
est nécessaire, à cet égard, que des équipes mixtes
(enseignants et médiateurs) établissent ensemble des
modes de travail commun. Là encore, l'investissement
nécessaire est faible.

3. La culture
Nous prenons ici le mot au sens de «Ministère de la
Culture ». On doit viser à aider au développement interna-
tional de celle-ci, sans souci de la langue. La culture fran-
çaise ou francophone est autonome par rapport à la langue.
Jusqu'à maintenant, en effet, l'analyse sous-jacente ou
explicite a toujours été: diffusons la langue et celle-ci
entraînera la fréquentation de la culture. C'est exactement
l'inverse qu'il faut établir: répandons la culture, dans
n'importe quelle langue, et un goût pour la langue suivra,
avec les énormes pertes qui font partie de tout investisse-
ment dans ce domaine. Canal +, par exemple, installé dans
plusieurs pays étrangers, n'utilise que la langue de ces
pays, et cela explique en grande partie son succès. Il

201
n'empêche que tout le monde sait qu'il s'agit d'une chaîne
française, et, dès lors, elle développe la francophilie56, qui
représente la condition fondamentale de l'aide à l'appari-
tion de « franco-connaisseurs» 57, puis, parmi eux, de fu-
turs francophones. La « francité » est désormais au moins
aussi importante que la langue française, et la culture en
est porteuse.

4. Les entreprises
Celles-ci, elles aussi, contribuent potentiellement à la
francophilie ou, au moins, à la franco-connaissance. Ins-
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tallée à l'étranger, ou en relation avec lui, une entreprise


contribue à exporter la marque «France» (terminologie)
et, donc, à susciter un désir de langue, et participe aussi,
pour ses besoins professionnels sur place, à la diffusion du
français, puisque souvent, elle est contrainte, techni-
quement, d'employer des indigènes francophones pour
exercer certaines fonctions en son sein. L'enseignement du
français en entreprise (qui, certes, se développe un peu)
devrait être une priorité, et de l'autre, le Ministère des
Affaires Etrangères devrait accompagner systématique-
ment les exportations françaises, dans leurs diverses
modalités, par un enseignement du français (langue et
culture ).

5. Les traductions
La France est particulièrement faible en ce domaine. Il
convient de multiplier les traductions, même si un gros
effort est accompli dans cette direction depuis quelques
années. Une œuvre connue en traduction, n'en déplaise

56 Louis Porcher a été le premier à forger et dénommer ce concept,


aujourd'hui devenu banal, in Champs de signes, op. cit.
57Raymond Le Ruyet.

202
aux puristes intégristes (qui, d'ailleurs, pratiquent eux-
mêmes ce qu'ils dénoncent), c'est beaucoup mieux qu'une
œuvre qui reste inconnue par impossibilité de la lire.
Pareillement il est indispensable de développer, d'encou-
rager, la traduction d'œuvres françaises en langues étran-
gères, et, là aussi, un effort a été entrepris. Mais l' en-
semble doit être largement amplifié.

6. L'attention aux langues régionales et aux langues de


l'immigration
Celle-ci devrait aller de soi et donner lieu à une
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organisation systématique et réfléchie alors que, pour le


moment, on fonctionne au coup par coup, selon la puissan-
ce des lobbies et les pressions de l'urgence. C'est la diver-
sité qui, dans chaque cas, doit constituer la colonne verté-
brale de l'action et, surtout, de la philosophie de l'action.
Bien entendu, les mêmes principes que ceux énoncés
précédemment, sont ici aussi d'une pertinence indispensa-
ble: respect de la diversité (et coordination de celle-ci
pour une unité souple), coordination et convergence des
efforts de l'enseignement, des médias, du monde culturel
et de l'entreprise (le décret selon lequel tous les produits
étrangers vendus en France, doivent porter sur leur vignet-
te leur mode d'utilisation en français, même s'ils peuvent,
bien entendu, s'exprimer aussi, lisiblement, en toutes les
autres langues qu'ils veulent, est allé dans la bonne
direction).
Le travail d'une politique linguistique consiste précisé-
ment à organiser cette couverture des efforts, et cette
articulation de la diversité et de l'unité. Ce sont ses deux
fonctions majeures et elles sont absolument indispen-
sables. Autant dire que, à ce sujet, presque tout reste à
construire et à inventer.

203
Documento acquistato da () il 2023/05/02.
TABLE DES MA TIERES

MUL TIDIMENSIONNALITE D'UNE POLITIQUE


LINGUISTIQUE 5
1. LES LANGUESCOMMEINSTRUMENTSDE COMMUNICATION 10
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J.J. Les prestataires obligés Il


1.1.1. L'Etat Il
1.1.2. Les collectivités territoriales 15
1.2. Les enjeux différenciés. 18
1.2.1. La langue maternelle 19
1.2.2. Les langues régionales 20
1.2.3. les langues de l'immigration 21
1.2.4. les langues étrangères 22
1.2.5. Le français comme langue étrangère 23
2. LES POLITIQUESLINGUISTIQUESESSENTIELLEMENTCOMPLEXES25
2.1. L'importance des contextes 25
2.2. Les dimensions autres que l'enseignement 26
2.2.1. L'enseignement lui-même 26
2.2.2. Les médias électroniques 29
2.2.3. Les voyages 31
2.2.4. La chanson et le cinéma 32
2.2.5. L'entreprise 32
LE FRANÇAIS COMME LANGUE ÉTRANGÈRE 35
1. LANAISSANCE DUFRANÇAIS LANGUEÉTRANGÈRE 39
1.1. Les structures de légitimation 42
1.2. Le fonctionnement ... 43
1.2.1. La linguistiquestructurale... 44
1.2.2. La psychologiebehavioriste 46
1.2.3. Le supporttechnologique 48
2. L'ENTRÉEDANSLAPÉRIODECONTEMPORAINE 51
2.1. L 'universitarisation dufrançais langue étrangère
en France 54
2.2. Une véritable politique linguistique extérieure ? 59

205
L ' ENSEIGNEMENT ... 63
1. LE FRANÇAIS« LANGUEMATERNELLE» 67
1.1. La maîtrise de la langue dans le premier degré. 68
1.2. La maîtrise des langages dans le second degré 69
1.3. Lefrançais au lycée. 71
1.4. La maîtrise des langages dans l'enseignement agricole. 72
1.5. Une évaluation à mettre en place. 72
1.6. L'apprentissage du français par les élèves étrangers. Les
classes d'accueil. 72
1.7. La maîtrise de la langue française dans les politiques
d'insertion et d'intégration 75
2. LES LANGUESRÉGIONALES 77
2.1. L 'appareil législatif et administratif 81
2.2. Les cursus proposés au sein de l'enseignement public 84
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

2.2.1. Le premier degré. 84


2.2.2 Au collège. 85
2.2.3. Au Lycée. 85
2.2.4. L'Enseignement supérieur. 85
2.3. Les langues concernées 86
2.3.1. Les langues concernées à l'intérieur de l'Hexagone et proposées
au sein du système éducatif sont les suivantes: 86
2.3.2. Les langues absentes de la liste mais parlées
dans l'Hexagone. 88
2.4. Les effectifS ... 89
2.5. Les formes 90
3. LES LANGUESDE L'IMMIGRATION 91
4. L'APPRENTISSAGEDES LANGUESVIVANTES 95
4.1. La généralisation de l'apprentissage des langues dans le
premier degré. 96
4.2. Les langues vivantes étrangères étudiées dans le second
degré. 99
4.3. La politique linguistique en direction de l'enseignement des
langues vivantes. 99
4.3.1. Les langues vivantes comme outils de parcours stratégiques.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1 00

4.3.2. Une offre biaisée. 101


4.3.3. Rôle des lobbies 102
4.4. Envisager des nouvelles formules. 103
4.4.1. Réflexion sur la durée des apprentissages. 103
4.4.2. Développement des compétences de communication par famille
de langue 105
4.4.3. Modification des représentations. 105
4.4.4. Rentabilisation du bilinguisme l06
4.5. De l'utilité de la prospective en politique linguistique. 106

206
4.6. Les langues vivantes étrangères et les enseignements à
caractère international. J 07
4.6.1. Les sections intemationales 108
4.6.2. Les sections bilingues. 108
4.6.3. Les sections européennes. 108
5. LE FRANÇAISLANGUEETRANGÈRE 110
6 . FRANCOPHONIES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 115

CULTURE, CULTURES 119


1. POURQUOI UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE EST NÉCESSAIREMENT
AUSSI CULTURELLE 120
J.J. La culture dans la langue et la langue dans la culture J20
J.2. L'absurdité d'une culture pure J23
1.2.1. Toute culture est bigarrée 124
1.2.2. Inéluctabilité de la bigarrure. 128
Documento acquistato da () il 2023/05/02.

J.3. L'indéfinité, caractéristique d'une langue et d'une


culture J33
1.3.1. La lignée linguistique 133
1.3.2. La dimension « carnavalesque» 136
1.3.3. Anti et contre 138
1.3.4. le dialogisme 140
J.4. L 'interculturel J44
1.4.1. Les composantes de l' interculturel. 148
1.4.2. Fondements de l' interculturel 150
1.4.3. Conséquences en terme de politique linguistique 151
2. LES UNIVERSELS- SINGULIERS 152
2.J. Approche définitoire des universels - singuliers J54
2.2. Composantes pédagogico-culturelles des universels-
singuliers J55
2.2.1. Ils permettent un travail linguistique largement différencié.. 155
2.2.2. Culturellement, les universels - singuliers, sont d'une
exceptionnelle richesse 156
2.2.3. Pédagogie ... 157
LES MÉD lAS 159
1. LEUR ACCÈSESTDIRECTET ATTRACTIF 159
2. ILS ABOLISSENTL'ESPACE ET LE TEMPS 160
3. LA DIVERSIFICATIONCONCRÈTE 162
3.J. Les conséquences sur les langues J62
3.2. Les conséquences pour les cultures J67
3.3. Les conséquences sur les personnes. J7J
3.4. La diversification, mot pivotai d'une politique
linguistique J74
4. LA RÉVOLUTIONINFORMATIQUE 176

207
4. J. N'importe qui avec n'importe qui J 77
4.2. L'interactivité J 78
L' ÉDUC ATI0 N COMPARÉ E .181
1. UNE DIVERSITÉNATIONALEINTERNE 182
2. LA FRANCOPHONIE 185
3. LA COMPARAÎSONDES SYSTÈMESÉDUCATIFS 186
3. J. L'Union Européenne J87
3.2. Hors Europe ... J93
INTERROGA TIONS POUR CONCLURE 195
J. L'enseignement J99
2. Les médias 200
3. La culture 20 J
4. Les entreprises 202
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5. Les traductions 202


6. L'attention aux langues régionales et aux langues de
l'immigration 203

208
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