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Plus encore, à l’échelle planétaire, elle redistribue les cartes entre puissances,
ce qui accroît la tension entre pays hégémoniques et pays révisionnistes de
l’ordre établi.
Est-ce possible ? Les obstacles à une réflexion normative sont nombreux. Les
connaître afin de mieux les surmonter est néanmoins utile à celles et ceux qui
se lancent dans son étude.
Premier obstacle, comment distinguer ce qui est bon pour soi de ce qui est bon
pour l’humanité ?
Mais aucune norme n’édicte que la souveraineté exercée par des collectivités
territoriales ou des Etats est en soi préférable au fait d’en déléguer une partie à
des réseaux d’organisations internationales, intergouvernementales et non
gouvernementales.
Celles-ci sont d’ailleurs éclairées par des experts confirmés ou des savants de
renom ; elles sont surveillées par des médias en quête de transparence ; elles
sont auditées par des gouvernements les poussant à la performance.
Leurs dirigeants sont tenus de viser le Bien commun non pas à l’échelle d’un
canton ou d’une circonscription, mais à celle du globe, et bientôt au-delà de
son espace extra-atmosphérique.
Venons-en au troisième obstacle : les sociétés du Vieux Monde sont plus âgées
que celle des nouveaux mondes. Or, plus l’on est jeune, plus l’on est
dynamique et entreprenant ; plus l’on accepte le risque ; plus l’on est ouvert au
changement.
D’un point de vue moral, on doit donc se demander ce qui justifierait que les
peuples composés de davantage de vieux que de jeunes accaparent la majeure
partie des richesses produites, ou, tout au moins, ne les partagent pas
équitablement.
Mais on pourrait dire, à l’inverse, que les gens qui ont fait l’effort de produire
de la valeur ont le droit de jouir paisiblement des retombées de leur travail et
de leur créativité passés, donc de décider seuls des aides compassionnelles
qu’ils sont prêts à accorder, et à qui ils choisissent de les réserver.
Cela fait sens, spontanément, et un peu partout dans le monde d’écarter les
étrangers des débats collectifs, de leur refuser l’entrée ou l’installation durable
sur son sol, et surtout de les empêcher d’y transplanter un mode de vie et des
Non, car ce n’est pas vraiment ainsi que le problème est ressenti par nombre
d’habitants de pays confrontés à l’afflux de produits et de gens venus de
sociétés organisées selon des principes différents des leurs.
D’un autre côté, les droits sont toujours équilibrés par des devoirs : il n’est pas
injuste de réserver sa solidarité à celles et ceux qui font vivre leur pays par
leurs impôts et par leur capacité à se sacrifier face à un ennemi, celles et ceux
qui font preuve de vertus civiques.
Aux yeux des habitants des pays d’accueil, les considérations éthiques sont
donc trop complexes pour qu’il soit facile de décider jusqu’à quel point les
migrants sont les bienvenus.
Elles sont plus simples pour les migrants qui veulent préserver leurs enfants de
la barbarie, de la pauvreté, de l’absence d’avenir – même si les envoyer ailleurs
affaiblit leur propre pays.
Cinquième obstacle, le dernier mais non le moindre : la mondialisation en cours
est plus capitaliste encore que les précédentes ‘elles aussi basées sur la
propriété et l’argent), comme au temps de la conquête de l’Amérique et à celui
de la colonisation.
Mais là encore, au nom de quoi une plus grande humilité dans l’exploitation de
notre environnement et une simplification de nos modes de vie permettant de
les égaliser sur l’ensemble de la planète seraient-elles préférables à une
croissance tirée par des pays leaders, dont les précédents laissent penser
qu’elle finit toujours par s’autoréguler ?
Mais qui voudrait diminuer son niveau de vie confortable pour réduire cet écart
scandaleux ? Qui voudrait voir son accès aux soins ou aux télécommunications
limité ?
Comment se positionner ?
Une chose est sûre : ignorer les arguments d’autrui et les faits qui contredisent
ses propres croyances serait éthiquement moins louable que d’essayer de les
comprendre en se mettant à la place d’autrui. Ou bien, en s’appuyant sur ce
que la science nous apporte à cet égard.
Pire encore, imputer à autrui de mauvaises intentions quand il s’en tient à une
position sur la mondialisation que l’on ne partage pas soi-même – par exemple,
abriter son intérêt personnel en tant que gagnant du processus derrière un
prétendu intérêt général – ne conduirait nulle part.
Même une fois que nous serons au clair là-dessus, nous n’en aurons pas fini
avec les dilemmes éthiques.
Voudrions-nous plutôt que les peuples de la planète des normes forgées par
certains mais acceptables par tous, quitte à vivre encore longtemps dans
l’inégalité ?
Sur tous ces points, aucune réponse n’est simple ni aisément justifiable.
Chacune obéit à sa propre rationalité, conformément à une éthique qu’il serait
hardi de juger universelle.
Se positionner par rapport à la mondialisation est un des défis les plus grands
que les citoyens et citoyennes d’un pays mais aussi de la planète ont à
résoudre.
La complexité des faits et des projections dans le futur dans ce domaine est
sans comparaison avec les problèmes que les sciences sociales ont
habituellement à résoudre.