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Jean de La Fontaine

Fables
livres VII à XI

Livre du professeur par


Stéphane Maltère
Professeur de Lettres
Sommaire
Étude de l’œuvre :
toutes les réponses aux questions
Séance Œ L’art de la fable………………………………………………………………………………………… 3
Séance  Philosophie de La Fontaine……………………………………………………………………… 14
Séance Ž Dimensions critique et satirique des Fables……………………………………………. 25
Séance  Imagination et pensée…………………………………………………………………………….. 39
Autour de l’œuvre :
toutes les réponses aux questions
Lecteurs de La Fontaine
1. LETTRE : Lettre à Madame de Grignan, 29 avril 1671, MADAME DE SEVIGNE………………………… 50
2. ESSAI : Émile ou De l’éducation, JEAN-JACQUES ROUSSEAU……………………………………………….… 50
3. CONFERENCE : Les Cinq Tentations de La Fontaine, JEAN GIRAUDOUX…………………………….….… 51
4. ROMAN : Silbermann, JACQUES DE LACRETELLE……………………………………………………………..…… 51
5. MONUMENT : Buste de Jean de La Fontaine, ACHILLE DUMILÂTRE et VICTOR THIÉBAUT…………… 52

Pour aller plus loin : documentation


et informations complémentaires
Autour de l’œuvre : textes complémentaires et questions…………………………………….……….…. 54
Information/Documentation…………………………..………………….…………………………...……………. 71

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ÉTUDE DE L’ŒUVRE
toutes les réponses aux questions

Séance Œ L’art de la fable ► LIVRE ÉLÈVE P. 190

LECTURE
Lecture du texte
Lecture d’ensemble
1. Relevez, au cours de votre lecture, les différentes manières dont use La Fontaine pour parler de la fable.
Dans la dédicace à Madame de Montespan, La Fontaine rappelle la paternité divine du genre : « L’apologue est un don
qui vient des immortels ». Il insiste ensuite sur les pouvoirs de la fable, qui sont d’attirer l’attention pour faire passer des
idées, comme un ensorcellement : « C’est proprement un charme : il rend l’âme attentive, /
Ou plutôt il la tient captive, / Nous attachant à des récits / Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits ». Il associe le
genre à un art de mentir : « Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous ».
Dans Le Pouvoir des fables (VIII, 4), il insiste sur l’aspect divertissant du genre : « Le monde est vieux, dit-on : je le crois ;
cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant ». Au contraire, dans Le Rat et l’Huître (VIII, 9), il met l’accent sur
son aspect didactique : « Cette fable contient plus d’un enseignement ». Dans Tircis et Amarante (VIII, 13), il ne s’intéresse
qu’à son aspect esthétique : des animaux qui se parlent en vers : « Sire Loup, sire Corbeau / Chez moi se parlent en rime ».
La fable Le Bassa et le Marchand (VIII, 18) revient sur l’aspect divertissant de ce genre, sans oublier toutefois que cet
agrément est là pour faire passer des idées : « Écoute-moi ; sans tant de dialogue. / Et de raisons qui pourraient t’ennuyer,
/ Je ne te veux conter qu’un apologue ». Ce leurre du divertissement dissimulant un enseignement se retrouve dans Le
Dépositaire infidèle (IX, 1) : « Le doux charme de maint songe / Par leur bel art inventé, / Sous les habits du mensonge /
Nous offre la vérité ». La fable 7 du livre IX, La Souris métamorphosée en Fille fait de la fable une manière de prouver ces
vérités, en donnant un exemple plus parlant que dix théories : « Cette fable / Prouve assez bien ce point ». Dans l’Épilogue
(livre XI), enfin, La Fontaine s’adresse aux poètes inspirés qui prendront sa suite et leur demande d’achever ce qu’il a
commencé : « Donnez mainte leçon que j’ai sans doute omise / Sous ces inventions il faut l’envelopper », ce qui reprend
la définition de la fable visant à enseigner des vérités dissimulées sous un masque plaisant.

2. Quels sont les principaux décors des fables ? Aident-ils à identifier l’auteur qui les a inspirées ?
Parmi les inspirateurs de La Fontaine, on compte bien sûr Ésope, mais aussi Abstémius, Pilpay, et, dans une moindre
mesure, Phèdre et Horace.
On peut parfois reconnaître la source d’inspiration au « décor » des fables.
Ainsi, l’on distingue souvent celles de Pilpay (ou d’autres inspirateurs venus d’Orient), à l’aspect oriental : les deux Amis
(VIII, 11) se passe au « Monomotapa », Le Bassa et le Marchand (VIII, 18), Le dépositaire infidèle (IX, 1), qui parle d’un
« trafiquant de Perse », La Souris métamorphosée en Fille (IX, 7), qui évoque un « bramin » (même si La Fontaine y mêle
aussi l’antiquité grecque), Les deux Aventuriers et le Talisman (X, 13).
Parfois, La Fontaine hellénise ou latinise un décor : de ce fait, la source orientale est impossible à distinguer. C’est le cas,
par exemple, de L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10), Le Loup et le Chasseur (VIII, 27). Il peut également supprimer
toute référence grecque, latine ou orientale, et donner, d’une fable de Pilpay, un aspect universel : Le Faucon et le Chapon
(VIII, 21) en est un exemple, comme Les deux Pigeons (IX, 2), Le Mari, la Femme et le Voleur (IX, 15).
La Fontaine multiplie, dans ses fables, les allusions aux dieux de la mythologie gréco-latine. Les deux Coqs (VII, 12) fait de
nombreuses références à la Guerre de Troie, La tête et la queue du Serpent (VII, 16) évoque le Styx, Le Pouvoir des fables
(VIII, 4) a un « décor » antique, comme L’Homme et la Puce (VIII, 5), Jupiter et le Passager (IX, 13) ou La Tortue et les deux
Canards (X, 2). Ces fables sont d’Ésope, mais là encore, La Fontaine peut nous tromper. L’Horoscope (VIII, 16), Le Singe et
le Léopard (IX, 3), Le Loup et le Chien maigre (IX, 10) sont du même auteur, mais sans indication dans le texte de l’antiquité
de la source. De plus, l’inspiration antique passe aussi par Phèdre, Horace, Abstémius, et le traitement qu’en fait La
Fontaine est proche de celui des textes inspirés d’Ésope.
D’autres textes, enfin, ont un aspect médiéval, proches du fabliau, de la farce. Là encore, le décor peut être trompeur car
les sources en sont très diverses : Le mal Marié (VII, 2) vient d’Ésope, La Laitière et le pot au lait (VII, 9) est à la fois du XVIe

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siècle (Bonaventure des Périers) et orientale, Les Femmes et le secret (VIII, 6) d’Abstémius et Le Paysan du Danube (XI, 7)
d’un ouvrage du XVIe siècle.

3. Classez les personnages des fables selon qu’ils appartiennent aux hommes, aux animaux, aux végétaux ou aux dieux.
PERSONNAGES DES FABLES
HOMMES ANIMAUX VEGETAUX DIEUX
Livre VII
2 homme, femme 1 lion, renard, tigre, ours, - 5 follet
4 fille âne, loup 11 Fortune
5 hôtes du follet 3 rat 13 Fortune
9 laitière (Perrette) 4 héron 16 Ciel
10 curé 6 lion, ours, singe, renard
11 deux hommes 7 vautours, pigeons
13 commerçant, ami 8 mouche
14 deux femmes 12 coqs, vautour
17 monarque 15 chat, belette, lapin
16 serpent
Livre VIII
1 mourant 3 lion, loup, renard - 1 Mort
2 savetier, financier 4 anguille, hirondelle 4 Cérès
4 orateur, peuple 5 puce 5 Dieux, Jupiter
5 homme 7 chiens 20 Jupiter, Mercure, Furies,
6 homme, femmes 9 rat, huître Vulcain
8 rieur 10 ours
10 amateur des jardins 12 cochon, chèvre, mouton
11 deux amis 14 lion, cerf
13 Tircis, Amarante 15 rat, éléphant, chat
16 père, fils 17 âne, chien
18 bassa, marchand, berger 18 chiens
19 riche, ignorant 21 faucon, chapon
23 homme 22 chat, rat, hibou, belette
26 Démocrite, Hippocrate, 24 chiens
Abdéritains 25 chiens, âne mort
27 chasseur 27 loup
Livre IX
1 commerçant, voisin 2 pigeons (4 gland, citrouille) 7 bramin
4 homme (Garo) 3 singe, léopard 12 Jupiter
5 écolier, maître d’école, 7 souris 16 Fortune
maître d’un jardin 10 loup, chien
6 statuaire 14 chat, renard
7 fille 17 singe, chat
8 fou 18 milan, rossignol
9 plaideurs, Perrin Dandin 19 moutons (Robin), loup
12 homme 20 rats, renard
15 mari, femme, voleur
16 hommes
19 berger (Guillot)
Livre X
1 homme 1 couleuvre, vache, bœuf 1 arbre
4 avare, compère 2 tortue, canards
5 bergers 3 écrevisse, cormoran
9 berger, roi 5 loup
10 berger 6 araignée, hirondelle
11 roi, fils du roi 7 perdrix, coqs
13 aventuriers 8 chien (Mouflar)
10 poissons
4
15 pâtre, gentilhomme, 11 perroquets
marchand, fils de roi 12 lionne, ourse
Livre XI
3 fermier 1 lion, léopard, renard - 2 Jupiter, dieux
4 homme 3 chien, renard
7 paysan, Romains 5 lion, singe, ânes
8 vieillard, trois jeunes 6 loup, renard
hommes 9 souris, chat-huant
Cette rapide analyse montrera la prédominance, comme sujet des fables, des animaux, mais la présence très importante
(souvent méconnue, sous-estimée) des personnages humains.

Avertissement du deuxième recueil


4. De quelle manière La Fontaine compte-t-il donner « un air et un tour un peu différent » à ce nouveau livre de fables ?
Dans l’Avertissement, La Fontaine annonce des nouveautés par rapport au premier recueil. Il évoque d’abord une
« différence de sujets » (l. 4) puis une volonté de « remplir de plus de variété » (l. 4) son livre. En changeant de perspective,
il souhaite donner plus de place aux « circonstances de ces récits » (l. 10), sans doute influencé par l’art des contes qu’il a
pratiqué à deux reprises en 1671 et 1674. La variété, qu’il appelle plus loin « diversité », paraît être une quête importante
dans la composition de ces nouvelles fables.

5. Montrez qu’une part des « enrichissements » (l. 9) voulus par La Fontaine sont proviennent d’autres auteurs ?
Si les « inventions d’Ésope » (l. 6-7) semblent moins influencer ce recueil, par peur des « répétitions » (l. 8), La Fontaine a
recherché des « enrichissements » (l. 9) auprès d’autres sources : « Pilpay, sage indien » (l. 16), « Locman » (l. 18),
« Quelques autres m’ont fourni des sujets assez heureux » (l. 19).

À Madame de Montespan
6. Vers 1-10 : quelle définition de l’apologue est donnée par La Fontaine ?
Invention des dieux ou d’un seul homme, l’apologue est défini comme un « bel art » (v. 6) capable d’envoûter les hommes
(« C’est proprement un charme », v. 7). Ce pouvoir est ainsi défini : « il rend l’âme attentive, / Ou plutôt il la tient captive,
/ Nous attachant à des récits / Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits » (v. 7-10).

7. Quelles demandes La Fontaine fait-il à Madame de Montespan ?


Avec cette dédicace, La Fontaine se montre plus mondain qu’il ne l’a été auparavant. Il cherche en Madame de Montespan
un mécène. Il connaît l’influence qu’elle a sur le monde des arts, la protection qu’elle pourrait lui apporter, le soutien qui
lui permettrait le succès et la gloire éternelle. Il exprime tout cela dans cette dédicace :
- v. 14 : « Favorisez les jeux où mon esprit s’amuse » (v. 14) : La Fontaine demande à Madame de Montespan d’agir pour
le soutenir et pour faire en sorte que son livre accède à l’immortalité (« Le temps qui détruit tout, respectant votre appui
/ Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage », v. 15-16) ;
- v. 19 : « C’est de vous que mes vers attendent tout leur prix » : il attend un marrainage de cette spécialiste des arts qui
saura reconnaître les beautés de son œuvre ;
- v. 31 : « Protégez désormais le livre favori » : si Madame de Montespan soutient La Fontaine, le nom même de cette
protectrice sera un « rempart », un « abri » (v. 30) contre les critiques et les cabales ;
- v. 33-35 : « Sous vos seuls auspices, ces vers / Seront jugés, malgré l’envie, / Dignes des yeux de l’univers » : La Fontaine
croit à l’influence de Madame de Montespan qui saura relayer son admiration bienveillante à tous les futurs lecteurs.

Livres VII à XI
8. Quel est le Pouvoir des fables (VIII, 4) selon le fabuliste ?
Pour La Fontaine, le pouvoir des fables est d’être un moyen efficace pour attirer l’attention : « l’assemblée / Par l’apologue
réveillée / Se donne entière à l’orateur » (v. 62-64). En effet, leur aspect plaisant, varié, dépasse les discours et les
sermons. Loin de cet « art tyrannique » (v. 37) auquel les esprits sont rompus, la fable est une autre manière d’exposer
des idées, de se faire entendre, « un autre tour » (v. 49). Ce ne sont pourtant que des « contes d’enfants » (v. 58), mais ils
valent mieux que l’éloquence.

9. Pourquoi le bassa recourt-il à l’apologue dans la fable Le Bassa et le Marchand (VIII, 18) ? Quel usage La Fontaine
fait-il de cette fable ?
Le bassa, qui protégeait un marchand, est sur le point d’être remplacé par trois autres hommes qui demandent moins
d’argent que lui. Il est même menacé de mort. Il décide de faire changer d’avis le marchand grec, mais, plutôt que de lui

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donner des arguments, il lui raconte une histoire : « Sans tant de dialogue, / Et de raisons qui pourraient t’ennuyer, / Je
ne veux te conter qu’un apologue » (v. 34-36). La fable en question sert à persuader le marchand de le garder comme
protecteur.
La Fontaine élargit le sens de cette fable et lui donne une interprétation politique, en conseillant la fidélité au pouvoir
royal : « mieux vaut en bonne foi / S’abandonner à quelque puissant roi, / Que s’appuyer de plusieurs petits princes » (v.
55-57). L’allégorie politique est même liée à un événement politique, les Provinces-Unies (la Hollande) ayant cherché à se
passer de la protection de Louis XIV.

10. Résumez les idées essentielles au sujet de la fable des vers 1 à 39 du Dépositaire infidèle (IX, 1).
Le Dépositaire infidèle, qui ouvre le livre IX, parle du genre de la fable et de l’idée que La Fontaine en conçoit. La fable
débute par une reconnaissance aux Muses qui l’ont bien inspiré en choisissant ce genre : « J’ai chanté des animaux. /
Peut-être d’autres héros / M’auraient acquis moins de gloire » (v. 2-4). Il montre qu’en faisant dialoguer le chien et le loup
(« Le loup en langue des dieux / Parle au chien dans mes ouvrages », v. 5-6), de manière à mettre en scène des types du
genre humain : « Je mets aussi sur la scène / Des trompeurs, des scélérats, / Des tyrans, et des ingrats, / Mainte
imprudente pécore, / Force sots, force flatteurs » (v. 14-17), des sages, des fous, des menteurs. Il met en valeur aussi
l’héritage qu’il doit à Ésope et à Homère (v. 30) qui ont su, les premiers, dissimuler la vérité sous le masque du mensonge,
en créant des fictions qui disent la vérité : « Le doux charme de maint songe / Par leur bel art inventé, / Sous les habits du
mensonge / Nous offre la vérité » (v. 32-35).

11. Montrez que l’Épilogue (XI) agit comme un bilan et une conclusion. Reformulez-en les principales idées.
Ce dernier texte du livre XI clôt une succession impressionnante de fables. Il offre une conclusion aux recueils parus en
1678 et 1679. Cet achèvement est montré par l’adverbe conclusif « ainsi » (v. 1) qui ouvre le poème. La Fontaine y fait un
bilan des textes écrits, en insistant sur son rôle de traducteur, d’interprète des voix de la nature mais aussi sur son rôle de
pionnier (v. 12). S’il reconnaît humblement ses possibles insuffisances, des morales oubliées, il passe le relais à d’autres
poètes qui pourront continuer son œuvre. Il termine en minimisant son art au regard des exploits de Louis XIV et loue la
pérennité de l’action qu’il conteste à ses fables.

Questions de synthèse
12. Montrez que les Fables des livres VII à XI prennent parfois l’apparence d’autres genres comme le conte, le fabliau
ou le poème amoureux.
Les Fables de La Fontaine ne forment pas un ensemble uniforme. La variété, au contraire, y est essentielle. Diversité de
ton, d’inspiration, de fonctions, de personnages, de vers… les Fables sont aussi diverses par les genres auxquelles elles
empruntent parfois l’apparence.
Ainsi, aux fables « authentiques », présentant un récit suivi ou précédé d’une morale (le corps et l’âme, selon La Fontaine),
s’ajoutent :
- des contes et des récits : La Laitière et le pot au lait, Le Curé et le Mort, L’ingratitude et l’injustice des Hommes envers la
Fortune, L’Écolier, Le Pédant et le Maître d’un jardin, Les deux Aventuriers et le Talisman, Le mal Marié, Le Savetier et le
Financier, Les Femmes et le secret, Le Rieu et les Poissons, Le Mari, La Femme et le Voleur, ... ;
- des épîtres : À Madame de Montespan, la première partie du Pouvoir des Fables (adressée à M. de Barillon), le début de
Tircis et Amarante pour Mademoiselle de Sillery, le début du Discours à Madame de La Sablière ;
- des poèmes philosophiques : L’Horoscope ;
- des poèmes scientifiques : Un animal dans la Lune, le Discours à Madame de La Sablière ;
- des poèmes amoureux : Tircis et Amarante, la fin des Deux Pigeons ou celle du Songe d’un habitant du Mogol.

Questions supplémentaires
Étudiez la théâtralité des fables.
On peut associer le genre de la fable, tel que le pratique La Fontaine, avec le genre théâtral. En effet, la structure même
de certaines fables montre des similitudes de construction, qui vont de l’exposition au dénouement en passant par une
progression de l’action qui fait la part belle aux dialogues et aux monologues.
On pourrait demander aux élèves de faire une liste de quelques fables théâtrales. On pourrait y trouver : La cour du Lion
(VII, 6), Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3), Le Chien qui porte à son cou le dîner de son maître (VIII, 7), Le Mari, la Femme
et le Voleur (IX, 15), L’Enfouisseur et son Compère (X, 4), Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5) …
On pourrait d’ailleurs proposer aux élèves une transposition de la fable en scène théâtrale, de manière à faire comprendre
les points communs et les différences d’écriture entre un poème et une pièce de théâtre.

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Pourquoi peut-on dire que La Fontaine fait, avec ses Fables, l’éloge de la variété ?
La Fontaine cherche, par ses Fables, à provoquer le plaisir du lecteur par des effets de changement qu’on appelle, au XVIe
siècle, dans le langage de la rhétorique la varietas. Cette stimulation de l’esprit devant la diversité et les changements est
l’un des aspects de l’esthétique de La Fontaine. Dans le conte Le pâté d’anguille, il écrit d’ailleurs : « Diversité, c’est ma
devise ».
Les Fables sont donc un hymne à la variété. Cette diversité se trouve à la fois dans la multiplicité des genres qui figurent
dans le recueil de La Fontaine (conte, poème amoureux, poème philosophique, épître, élégie…), mais aussi dans les
changements de tons et de registres (tantôt pathétique, tantôt comique, tantôt tragique, usant du langage populaire
comme du plus beau style). Les changements métriques sont une manière de diversifier ses poèmes : choix de types de
vers différents, volonté de varier le rythme (rejets, contre-rejets, enjambement…). La diversité du bestiaire (tous les
animaux, de la puce à l’éléphant), mais aussi la présence de l’hommes, des objets, des dieux, des végétaux pour former
les personnages des Fables, tout concourt à la variété le recueil.

Lecture d’image
13. Décrivez précisément cette image. Illustre-t-elle vraiment le texte de La Fontaine ?
Quand on observe cette image, on a d’abord du mal à imaginer qu’il s’agit d’une illustration d’une fable de La Fontaine.
L’arrière-plan montre la tribune d’une assemblée nationale (Chambre des députés ou Sénat) : à cette tribune, un homme
(député ou sénateur), un discours à la main, s’exprime avec emphase face à un ensemble d’hommes. Sur les murs, des
toiles soulignant la majesté du décor. Au-dessus de cet orateur, le président de l’assemblée, les bras croisés et endormi à
son bureau sur lequel on trouve une clochette et un registre ouvert. Au milieu de la salle des séances, un groupe
d’hommes est réuni autour d’un seul, qui tient une image dans ses mains, attirant la curiosité et la fascination de tous.
Autour d’eux, d’autres hommes discutent, inattentifs ou endormis. Au premier plan, sur une rambarde, on trouve du
courrier ouvert (le coupe-papier en témoigne), des lettres écrites et une cocotte en papier. Tout est fait pour montrer le
manque d’intérêt que provoque le discours de l’orateur à la tribune.
Grandville s’est montré, en dépit d’une première impression, très fidèle au sens et à l’esprit de la fable de La Fontaine.
Mais ce n’est pas l’orateur qui se met à parler de Cérès, l’hirondelle et l’anguille pour attirer l’attention. Grandville montre
donc dans son image que les discours politiques et les préoccupations pour le pays passent après le divertissement. Il
critique ici ouvertement les hommes politiques de son temps, faisant de son dessin une satire des députés et des
sénateurs.

14. Comment Grandville renforce-t-il le sens politique de la fable ?


Grandville, en choisissant de représenter des députés plus intéressés par une image – celle de Cérès, l’anguille et
l’hirondelle – que par le discours que fait le député à la tribune. Il actualise la fable : ce n’est plus Athènes dont il est
question, ni de Philippe de Macédoine, mais de la France du XIXe siècle. La Fontaine inscrivait déjà sa fable dans la politique
de l’époque (l’intervention de l’ambassadeur pour éviter un conflit entre la France et l’Angleterre dans la guerre de
Hollande). Grandville fait de même, en utilisant un décor et des personnages familiers de ses contemporains. On pourrait
tout aussi bien imaginer que ce dessin figure dans la presse, comme les caricatures de Daumier, dont le trait est similaire.

Gravure du « Pouvoir des fables » par Franz Richard Brend’amour d’après un dessin de J. J. Grandville, 1864 (Leemage)

7
Étude de la langue
Stylistique
15. Faites la liste des différents types de vers utilisés par La Fontaine dans ses Fables. Commentez ces choix.
Jean de La Fontaine, dans son souci de variété et de diversité, utilise rarement dans la même fable le même mètre (le
même type de vers). On exceptera Les Vautours et les Pigeons (VII, 7) formé de 45 décasyllabes, L’Homme et la Puce (VIII,
5) fait de 16 alexandrins, Jupiter et les Tonnerre (VIII, 20) écrit en 63 heptasyllabes et Le Statuaire et la Statue de Jupiter
(IX, 6), constitué de 9 quatrains d’octosyllabes. Quatre poèmes isométriques sur quatre-vingt-onze (parmi les livres VII à
XI), on comprend par ce chiffre le goût de La Fontaine pour l’irrégularité.
On trouve donc, parfois au sein d’un même texte, différents types de vers, qui servent à créer des ruptures, des
accélérations, des ralentissements, qui épousent bien souvent l’action ou l’idée, créant une chute, une surprise, un
contraste.
Si l’on observe la première fable du livre VII, Les Animaux malades de la peste, les octosyllabes alternent irrégulièrement
avec les alexandrins. La surprise vient du vers 29, qui présente un trissyllabe (« Le berger »), qui présente cette ultime
proie du vorace lion de manière atténuée.
On trouve dans la fable 2 du même livre le premier décasyllabe du recueil : v. 46 : « Je vous rappelle et qu’il m’en prenne
envie ».
La Tête et la Queue du Serpent (VII, 16), commence par sept heptasyllabes, comme Tircis et Amarante (VIII, 13), qui débute
par vingt-sept vers de sept syllabes, ou comme « Le Dépositaire infidèle » et ses quarante-trois heptasyllabes initiaux.
Une autre curiosité se trouve au livre IX, fable 16 : dans Le Trésor et les deux Hommes, le vers 20 est un dissyllabe :
« Absent ».

16. Trouvez des exemples de rejets, de contre-rejet et d’enjambements et analysez leurs effets.
Le rejet, le contre-rejet, l’enjambement sont des effets rythmiques qui consistent dans le report d’un mot, de plusieurs
ou de la totalité d’un vers sur le vers suivant.
Pour les repérer, il faut observer les vers qui ne s’achèvent pas par un signe de ponctuation. Dans ce cas, d’ailleurs, le
lecteur ne s’arrête pas en fin de vers et enchaîne sur le vers suivant. Cela rompt la régularité du poème, et crée des
diversités rythmiques.
1. Le rejet reporte un mot (ou plusieurs) avant la césure (avant la moitié du vers) du second vers, de manière à ne pas
séparer des groupes grammaticaux qui vont ensemble. L’élément long est sur le premier vers, l’élément court sur le
second.
Ex. : Les Devineresses (VII, 14, v. 47-50) : plusieurs enchaînements de rejets.
J’ai vu dans le palais une robe mal mise
Gagner gros : les gens l’avaient prise
Pour maître tel, qui traînait après soi
Force écoutants. Demandez-moi pourquoi.

Ex. : Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 15, v. 1-3)


Du palais d’un jeune lapin
Dame Belette un beau matin
S’empara ; c’est une rusée.
2. Le contre-rejet repose sur le principe contraire : une phrase, commencée à la fin du premier vers (après la césure) est
poursuivi au-delà de la césure du vers suivant. L’élément court est sur le premier vers, l’élément long sur le second.
Ex. : Les Animaux malades de la peste (VII, 1, v. 30-31)
Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi.

Ex. : Le mal Marié (VII, 2, v. 45-46)


Retournez au village : adieu. Si de ma vie
Je vous rappelle et qu’il m’en prenne envie…

Ex. : Jupiter et le Passager (IX, 13, v. 22-23)


… Qu’un tel trésor était en tel lieu. L’homme au vœu
Courit au trésor comme au feu…
3. L’enjambement, enfin, fait se suivre deux vers (ou plus), sans interruption, et dans le but de ne pas séparer des éléments
grammaticaux nécessairement ensemble.
8
Ex. : Le Loup et le Renard (XI, 6, v. 13-14)
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément.

Ex. : Rien de trop, (IX, 11, v. 1-2)


Je ne vois point de créature
Se comporter modérément.

Ex : Le Rat et l’Huître (VIII, 9, v. 35-37)


Nous y voyons premièrement
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d’étonnement.

17. Étudiez les rimes (genre, disposition, richesse) dans les vers 1 à 22 de L’horoscope (VIII, 16).
Pour étudier les rimes d’un poème, on s’appuie sur trois éléments :
- leur genre (rime féminine ou rime masculine) ;
- leur disposition ;
- leur richesse.
Pour les rimes des vers 1 à 22 de L’horoscope, on peut dire que La Fontaine se sert de l’ensemble des possibilités, dans le
souci esthétique de la variété.
LE GENRE :
Une rime féminine se termine par un « e », graphique et/ou sonore (« âge / davantage »). Les autres terminaisons sont
masculines (« surtout / bout »). La règle veut que les rimes masculines et féminines alternent dans le poème.
Rimes féminines : « destinée / lignée ; géniture / aventure ; âge / davantage ; vie / envie ; chasse / fasse » ;
Rimes masculines : « éviter / consulter ; surtout / bout ; jamais / palais ; badiner / promener ; esprits / mépris ;
enseignement / tempérament ».
LA DISPOSITION :
3 dispositions sont fréquentes dans les poèmes :
- rimes suivies (ou plates) : les sonorités se suivent selon un schéma AA, BB, CC… ;
- rimes croisées (ou alternées) : les sonorités sont disposées selon le schéma ABAB ;
- rimes embrassées : les sonorités sont disposées selon le schéma ABBA.

Destinée A
Éviter B
Lignée A
Consulter B
à rimes croisées

Géniture A
Aventure A
à rimes suivies

Surtout A
Âge B
Davantage B
Bout A
à rimes embrassées

Vie A
Jamais B
Palais B
Envie A
à rimes embrassées

Badiner A
Promener A

9
à rimes suivies

Chasse A
Esprit B
Mépris B
Fasse A
à rimes embrassées

Enseignement A
Tempérament A
à rimes suivies

LA RICHESSE :
La richesse d’une rime se mesure au nombre de son en communs à la rime.
S’il n’y a qu’un son en commun, la rime est dite « pauvre », si deux sons sont en commun, elle est « suffisante » ; pour
trois sons ou plus, la rime est « riche ».

Destin[ée]
Lign[ée]
1 seul son en commun : [e] : rime pauvre

Évi[t][er]
Consul[t][er]
2 sons en commun : [t] [e] : rime suffisante

Géni[t][u][re]
Aven[t][u][re]
3 sons en commun : [t] [y] [R] : rime riche

Surt[out]
B[out]
1 seul son en commun : [u] : rime pauvre

[Â][ge]
Davant[a][ge]
2 sons en commun : [a] [j] : rime suffisante

[V][ie]
En[v][ie]
2 sons en commun : [v] [i] : rime suffisante

Jam[ais]
Pal[ais]
1 seul son en commun : [ɛ] : rime pauvre

Badi[n][er]
Prome[n][er]
2 sons en commun : [n] [e] : rime suffisante

Ch[a][sse]
F[a][sse]
2 sons en commun : [a] [s] : rime suffisante

Es[p][r][its]
Mé[p][r][is]
3 sons en commun : [p] [R] [i] : rime riche

10
Enseigne[m][ent]
Tempéra[m][ent]
2 sons en commun : [m] [ã] : rime suffisante

Étymologie
18. Recherchez l’étymologie du mot « fable ». Trouvez, à la fin de la dédicace À Madame de Montespan, un mot qui
confirme l’un de ces premiers sens.
Le mot « fable » vient du latin fabula qui signifie « récit, propos ». Lui-même vient du verbe latin fari qui veut dire
« parler ». Le nom « fable » a très vite servi à désigner les récits mythologiques, les contes et les apologues. Au moyen-
âge le terme prend aussi le sens de mensonge, sens qu’on retrouve dans les verbes « fabuler », « affabuler » ou les noms
« affabulation » et « affabulateur ».
À la fin de la dédicace à Madame de Montespan, La Fontaine parle, au sujet de la fable, d’un « mensonge » qui aurait de
l’influence sur ses lecteurs.

PATRIMOINE
19. Qu’est-ce qu’un fabliau ? Montrez que Le mal marié (VII, 2), Les femmes et le secret (VIII, 6), … sont proches de ce
genre.
Le fabliau appartient aux textes à visée morale : il s’agit d’un récit bref, se concentrant sur des types de personnages. Il
cherche à divertir par des situations risibles et joue beaucoup sur les comiques de mots, de gestes et de situation. Par le
rire, le fabliau dénonce des travers de la société du moyen-âge à laquelle il appartient et cherche à éduquer.
Dans le fabliau, les relations conjugales sont souvent exploitées.
Dans la fable Le mal Marié (VII, 2), La Fontaine montre des relations conjugales rendues impossibles par une femme
« querelleuse, avare et jalouse » (v. 14). Insupportable partout, il décide de la renvoyer définitivement.
Dans Les Femmes et le Secret (VIII, 6), un mari teste la discrétion de sa femme en lui révélant un extraordinaire secret : il
a pondu un œuf. Évidemment, l’ « indiscrète et peu fine » épouse révèle rapidement le secret, qui est amplifié par les
autres commères. La Fontaine, par ce conte, fait à nouveau la satire des femmes sur le mode comique et exagéré des
fabliaux.
Enfin, dans Le Mari, la Femme et le Voleur, La Fontaine crée une situation digne d’un fabliau : un mari, sans cesse repoussé
par sa femme, se voit soudain l’objet d’une tendresse inattendue quand un voleur pénètre dans leur maison.
Ces fables, aux personnages humains typiques et réduits à leur rôle (mari, femme…), sont donc proches du fabliau, une
forme de conte comme La Fontaine les affectionnait.

EXPRESSION
Expression écrite
Commentaire
20. Faites le commentaire de la fable Le pouvoir des fables (VIII, 4).
Le commentaire de cette fable concerne les vers 34 à 70, la fable à proprement parler. Si la première partie, l’épître à M.
de Barillon, n’est pas l’objet du commentaire, il est important de ne pas perdre de vue cette introduction politique, afin
de l’exploiter dans l’introduction, mais aussi dans le cours de l’analyse.
On peut proposer, pour ce commentaire, le plan suivant :
I. Une fable dans la fable
On montrera les aspects formels de la fable (récit, dialogue, vers, morale), en insistant sur les aspects de la variété et de
la diversité chers à La Fontaine (rythme, types de vers), et la présence de deux fabulistes dans ce texte, le personnage de
l’orateur utilisant à son tout une fable.
II. L’échec relatif de la rhétorique
Dans cette partie, on étudiera à la fois la stratégie inefficace de l’orateur (violence des images, échec des procédés
habituels de l’art oratoire), mais aussi la frivolité de l’auditoire. On relativisera ensuite l’échec de l’orateur par le fait
qu’après avoir capté l’attention de son public, il fait passer son message selon, sans doute, sa manière.
III. le pouvoir de la fable
On montrera ici à la fois le changement de façon de l’orateur mais aussi la réaction de son public ; on verra l’effet produit
par la fable et la colère de l’orateur. Le message politique passe et, s’il n’est encore développé, il a au moins été évoqué.
La morale appuie sur la futilité utile de la fable.

11
Dissertation
21. La Fontaine, dans Le Bûcheron et Mercure (V, 1) définit la fable comme « une ample comédie à cent actes divers, /
Et dont la scène est l’univers ». Cette formule vous paraît-elle s’appliquer aux fables des livres VII à XI ?
Les termes théâtraux de cette citation invitent les élèves à réfléchir sur l’aspect dramatique des fables, à la mise en scène
d’animaux, d’hommes, de dieux dans des objectifs typiques du XVIIe siècle : plaire et enseigner. Cette « ample » comédie
en « cent actes » montre la diversité des saynètes représentées par les fables, qui, chacune à sa manière, est une parcelle
de la compréhension du monde et des hommes. La diversité est aussi un rappel du souci de variété de La Fontaine.
On pourrait proposer ce plan :
I. Les fables : des saynètes dramatiques
Relevé des aspects proches du théâtre (exposition, développement de l’action, dénouement) des fables (personnages
stéréotypées, proximité de la farce, comique de situation…)
II. Variété et diversité : plaire
Mise en rapport des procédés de la variété (voir réponse à la question supplémentaire) avec la nécessité d’apporter un
divertissement plaisant et éloigner les hommes de leur inquiétude.
III. Le théâtre du monde des Fables
Montrer que l’objectif des fables est de faire voir l’homme et le monde, d’en critiquer les travers, mais aussi d’en révéler
les beautés et les bienfaits.

Carnet de lecture et d’écriture


22. Faites la liste des fables que vous préférez en en expliquant la raison (plaisir de l’histoire, pertinence de la morale,
etc.)
Ce travail peut se faire au fil de la lecture : l’élève peut relever les titres des fables qui lui ont paru intéressantes ou
plaisantes. Au terme de la lecture, il peut proposer un Top 10 de ses fables préférées et expliquer, pour chacune d’elles,
les raisons de sa préférence. Il peut s’appuyer sur ses réactions, liées à l’histoire racontée, à la morale, à la manière de
traiter le sujet par la Fontaine, au style du fabuliste…

23. À la manière d’un journal intime, transcrivez, dans un carnet, au fil de la lecture, vos impressions, vos commentaires,
vos interrogations, vos protestations au sujet des Fables.
L’exercice, s’il peut sembler rébarbatif à des lycéens, est pourtant formateur : il permet de garder une trace de ses lectures
(ce qui est souvent négligé), dans la perspective de l’oral de l’épreuve anticipée de français ou dans la constitution d’une
culture générale. On peut simplifier la tâche en demandant aux élèves de circonscrire ce « journal de lecture » au premier
livre (livre VII) des Fables, en insistant sur les hypothèses de lecture, les premières réactions, les difficultés rencontrées,
les impressions, tout en conservant une place pour le commentaire : comment l’élève perçoit-il le projet de La Fontaine ?

Expression orale
Exposé sur un texte
24. Faites le commentaire linéaire de L’Huître et les Plaideurs (IX, 9)
On peut relever quatre mouvements dans cette fable :
v. 1-6 : récit : la trouvaille
v. 6-14 : dialogue : échange de paroles
v. 15-21 : le jugement
v. 22-25 : moralité
On comprend, à la lecture de ce texte, qu’il est question de la satire de la justice. Le relevé des procédés et l’analyse
pourra se diriger en ce sens. On n’oubliera pas, également de traiter de ce qui fait de ce texte une fable (formellement et
dans le fond).
Problématique : En quoi cette fable, par sa composition, offre-t-elle une satire de la justice ?
Exemple de relevés :
v. 1 : « Un jour » : marqueur temporel typique des récits.
v. 1 : « deux pèlerins » : présentation des personnages : sont-ils de simples voyageurs ou des chrétiens en pèlerinage ?
Dans le second cas, la violence physique, la dispute pour une huître révèlent aussi la satire de deux croyants ni altruistes,
ni partageurs.
v. 2 : l’enjambement des vers 1-2 place le complément « Une huître » au début du vers, et le met ainsi en valeur.
v. 3 : chiasme : Sujet/verbe + complément / complément + Sujet/verbe. Ce vers montre deux parties du corps « yeux »,
« doigt » qui annoncent le débat au sujet d’une troisième « la dent » (v. 4), mais aussi une action chimérique (ils mangent
l’huître virtuellement) et éloignée (ils la montrent du doigt). Leurs deux actions sont encore communes. Le verbe
« contester » (v.4) annonce la rupture de deux êtres qui agissaient jusqu’à présent de concert.

12
v. 5-6 : la rupture est marquée par la distinction entre « L’un » et « L’autre » …
On procède ainsi jusqu’à la fin de du texte, puis on essaye de classer les éléments afin de les analyser au fur et à mesure
qu’on étudiera le texte, mouvement par mouvement.
On n’oublie pas qu’un relevé (versification, figure de style, etc.) ne vaut rien en lui-même. Il faut le rattacher au sens et à
la démonstration. Dire qu’il y a une métaphore ou une rime riche n’a aucun sens en soi.

25. Analysez les compléments dans la phrase des vers 15 à 18 du texte.


Dans cette phrase des vers 15 à 18 de L’Huître et les Plaideurs, on relève des compléments circonstanciels (v. 15 :
« Pendant tout ce bel incident », CCT ; v. 17 : « fort gravement », CCM) et des compléments d’objet direct sous la forme
d’un groupe nominal (« l’huître », v. 17) ou de pronoms personnels antéposés (v. 16 : « le » ; v. 17 : « la » ; v. 18 : « le »).
NB : On ne relèvera pas « juge », ni « pour juge » comme un complément : il s’agit là d’un attribut du COD « le ».

Présentation de l’œuvre au programme


26. En vous appuyant sur les pages 4 à 9, préparer une présentation des livres VII à XI des Fables.
Pour débuter la présentation de l’œuvre choisie à l’oral, l’élève doit en donner, en quelques mots, les informations
essentielles. La partie présentation p. 4 à 9 permet à la fois d’informer sur l’auteur, sur la composition du recueil, sur les
objectifs de La Fontaine ainsi que sur le contexte historique et littéraire.

27. Cherchez des arguments pour justifier pourquoi vous avez choisi de présenter cette œuvre à l’oral.
Toujours dans le cadre de la présentation de l’œuvre choisie à l’oral, le candidat doit expliquer pourquoi il a choisi cette
œuvre. On ne pourrait accepter des arguments contre les autres œuvres (« je n’ai pas aimé les autres », « je n’ai rien
compris aux autres », etc.). Il faut donc, dans une démarche personnelle et sincère, trouver quelques raisons au choix de
l’œuvre : être capable de justifier ses choix est un des éléments de l’évaluation de l’oral. Aime-t-on une œuvre en fonction
de son sujet, de ses thèmes ? parce que le genre littéraire plaît ? parce que l’œuvre mêle les registres ? parce que les
visées de l’œuvre nous paraissent pertinentes ?

13
Séance  Philosophie de La Fontaine ► LIVRE ÉLÈVE P. 194

LECTURE
Lecture du texte
Lecture d’ensemble
1. Étudiez la thématique de la fortune dans le livre VII des Fables.
Cinq fables du livre VII traitent de la thématique de la fortune, au sens des aléas de la destinée, du hasard et de la chance :
Les Souhaits (5), L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit (11), Les deux Coqs (12),
L’ingratitude et l’injustice des hommes envers la Fortune (13), Les Devineresses (14).
Dans Les Souhaits, il n’est fait qu’une rapide allusion à la fortune : les hôtes du follet, ayant fait le souhait de l’abondance,
ne rencontrent que des problèmes (excès, temps perdu, voleurs, taxes) : « Voilà les pauvres gens / Malheureux par trop
de fortune » (v. 44-45). Ce n’est pas l’allégorie de la divinité qui apparaît là. La Fontaine joue d’ailleurs sur le mot
« fortune » qu’on peut comprendre aussi bien comme « richesse » que comme « chance ».
Les fables 11, 12 et 13 forment un ensemble homogène sur la thématique de la fortune, et sur la destinée en règle
générale. La Fontaine brosse d’abord le portrait de la déesse : « Cette fille du Sort », « un volage fantôme »,
« L’inconstante » (v. 5, 6 et 8 de la fable 11). On comprend très vite le caractère capricieux de la divinité (« cette
capricieuse », v. 46). Le début de la fable 11 montre que le « mérite » (v. 14) ne compte pour rien dans la destinée, qui
est entièrement vouée au hasard : « La Fortune a-t-elle des yeux ? » (v. 15), « Ne cherchez point cette Déesse, / Elle vous
cherchera » (v. 20-21). Dans la fable 11, le fabuliste oppose deux amis, l’un « soupira[n]t sans cesse / Pour la Fortune » (v.
23-24) ambitionnant un avenir meilleur, l’autre se contentant de ce qu’il a et ne cherchant rien. Commence alors pour le
premier une quête de la Fortune dans les lieux qu’elle doit fréquenter : la cour, Surate, chez le riche Mogol, le Japon… Ne
la trouvant pas, il regrette son village et y retourne. Là, il tombe sur elle. Dans cette fable, La Fontaine se place en
observateur de cette vaine recherche (v. 2-5), en sage qui a compris que cette quête est inutile : « je les plains » (v. 9). La
Fontaine se sert de cette thématique pour parler du bonheur : être riche, avoir les honneurs, être pape, cela rend-il
heureux ? Cela permet-il de trouver le repos, la tranquillité ? Évite-t-elle la mort ? La fin de la fable montre plutôt que la
fortune a favorisé l’ami resté au village, qui sait profiter du « profond sommeil » (v. 87). Au moins le voyage aura-t-il appris
la sagesse à l’homme qui cherchait la Fortune.
La fable 12 illustre les changements du sort, les caprices de Fortune : un coq, vaincu par un autre pour l’amour d’une belle
poule, voit son destin changé subitement par un vautour qui vient supprimer son rival : on parle là de « fatal retour » (v.
24) et des coups du sort : « La Fortune se plaît à faire de ces coups » (v. 29). On retrouve un exemple semblable au livre
IX dans « Le Trésor et les deux Hommes » (16).
La fable 13 met en scène le « Sort », la « Fortune » (v. 4, 6), sauvant un marchand des flots agités et qui devient riche.
Quand un ami lui demande d’où lui vient ce succès il répond : « Je n’en dois rien qu’à moi, qu’à mes soins, qu’au talent /
De risquer à propos, et bien placer l’argent » (v. 20-21). Il a sans doute oublié que la Fortune a fait de lui le seul survivant
du navire battu par les flots. Quelque temps après, retournement de situation : il fait de mauvaises affaires, est victime
des corsaires et devient pauvre. Il dit alors à son ami que c’est la Fortune qui en est responsable. La Fontaine en tire une
morale sur la responsabilité et le libre-arbitre : « Le bien nous le faisons ; le mal c’est la Fortune : / On a toujours raison,
le Destin toujours tort ».
Enfin, « Les Devineresses » traite de la fortune sous l’angle du hasard : « C’est souvent du hasard que naît l’opinion » (v.
1). Une femme, déménageant dans l’ancienne maison d’une astrologue qui a fait fortune se voit poussée à faire de même.
La Fontaine, par cette thématique, insiste sur les hasards de la Fortune : il met ainsi en garde contre l’ambition, l’agitation
et rappelle que puisque tout est hasard, autant profiter de l’existence en repos. La mort viendra bien assez tôt.

14
Représentations allégoriques de la Fortune :

De gauche à droite : La roue de Fortune par Herrade de Landsberg, Hortus Deliciarum (calque d’Engelhardt, XIIe siècle) –
Sebald Beham, Fortuna, 1541 – Louis Testelin, La Roue de la Fortune (XVIIe siècle) – La Roue de la Fortune par le Maître
de Rohan (XVe siècle)

2. Commentez la place de l’homme dans le livre X.


Sur les quinze fables du livre X, neuf ont pour sujet des hommes.
On y voit d’abord l’homme cruel envers les animaux et régnant sur la nature qu’il exploite à son profit. Dans L’Homme et
la Couleuvre, l’homme décide du sort du serpent au nom de sa supposée ingratitude. Mais le « pervers » (v. 4), l’ingrat, le
cruel, c’est l’homme qui, en dépit des arguments et des exemples donnés par la vache, le bœuf et l’arbre, n’admet pas sa
position exagérément dominante. La Fontaine en profite pour associer cette domination à celle des puissants : « tout est
né pour eux, quadrupèdes, et gens, / Et serpents » (v. 86-87). Le Loup et les Bergers souligne également la cruauté et la
bestialité des hommes : un loup, prêt à devenir végétarien en raison de la haine qu’on lui voue pour sa supposée cruauté,
se rend compte que l’homme fait comme lui, « mangean[t] un agneau cuit en broche » (v. 24). L’homme est cruel aussi
(même si c’est pour son bien), avec son chien à qui il a coupé les oreilles (fable 8). Cette attitude de l’homme contre les
animaux est évoquée aussi au début du Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld, v. 1-3).
Le livre X montre aussi un avare (L’Enfouisseur et son Compère) qui refuse de jouir de sa fortune, mais change d’avis après
avoir été volé par son ami ; un berger devenu juge par l’ambition d’un autre et qui retourne heureux à sa situation
première, bien plus reposante et sans risque de fausses accusations sur sa probité (fable 9) ; un aventurier qui réussit
grâce à son audace, amie de la fortune (fable 13) ; des hommes qui préfèrent la puissance et la force à la raison et au
langage (« les Poissons et le Berger qui joue de la flûte ») ; des hommes, ne valant pas mieux que les perroquets, portés à
la querelle, à la haine et à la vengeance (fable 11) ; des hommes incapables malgré leurs connaissances et leur savoir
(fable 15).

Livres VII à XI
Chercher la tranquillité et le bonheur
3. Quelle conception du bonheur est exposée dans « Le mal Marié » (VII, 2) ? La Fontaine vous semble-t-il y souscrire
lui-même ?
Dans cette fable, La Fontaine se prononce contre le mariage, source de difficultés et d’embarras. L’exemple qu’il donne
de ce mari rejetant par deux fois une épouse insupportable (« Querelleuse, avare et jalouse », v. 14) lui laisse à penser
que le mariage est un danger (« hasar[d] », v. 9) et que les exemples de mariages qu’il a observés conduisent tous à un
repentir des époux (« Les quatre parts aussi des humains se repentent », v. 10). La Fontaine, réputé n’avoir pas été très
heureux dans sa vie conjugale, s’implique lui-même dans cette fable et utilise, pour cela, le pronom « je » : « Ne trouvez
pas mauvais que je ne cherche point » (v. 6). Le célibat serait-il, pour la Fontaine, une source de bonheur ?

4. Dans Le Héron, La Fille (VII, 4) et Les Souhaits (VII, 5), quels conseils La Fontaine donne-t-il pour vivre heureux ?
Les fables jumelles Le héron, La fille donnent une leçon commune : celle de ne pas refuser quelque chose par une trop
grande exigence : « Ne soyons pas si difficiles » (v. 27). Le héros, repoussant avec dédain tous les poissons qui se
présentent sous son bec, finit par devoir se contenter d’un escargot : « Gardez-vous de rien dédaigner ; / Surtout quand
vous avez à peu près votre compte » (v. 30-31). La fille agit comme le héron, repoussant les avances de tous ses
prétendants, faisant la difficile. Vieillissante et sans plus pouvoir finalement choisir, la Précieuse prend pour mari un
« malotru ». Ces conseils de modération sont poursuivis dans la fable « Les souhaits », qui montre que, contrairement à
l’adage, l’abondance de biens nuit, entraînant un excès de labeur, la menace des voleurs, la ruée des emprunteurs et la
dureté des taxes : « Voilà les pauvres gens / Malheureux par trop de fortune » (v. 43-44). Ils en viennent à l’excès inverse,

15
souhaitant la pauvreté et appelant l’indigence de leurs vœux. Finalement, ils usent de leur troisième souhait pour
« demand[er] la sagesse » (v. 60). Pour vivre heureux, il faut vivre en sage, voilà le conseil de La Fontaine.

5. Montrez que Le songe d’un habitant du Mogol (XI, 4) est aussi un hymne à la solitude et à la retraite.
Dans cette fable, La Fontaine se place du côté du vizir cherchant la solitude : il a compris que le pouvoir ni la richesse
n’étaient source de bonheur. Il est d’avis qu’il faut se retirer du monde et vivre en harmonie avec la nature : « J’inspirerais
ici l’amour de la retraite » (v. 19). La Fontaine explique ensuite les avantages de la solitude :
- « Elle offre à ses amants des biens sans embarras » (v. 20), des cadeaux du ciel et de la nature ;
- elle isole des agitations du monde « Loin du monde et du bruit » (v. 24) ;
- elle permet au poète de se consacrer pleinement à son art (v. 26-30) ;
- elle permet de profiter des beautés de la nature (v. 32) ;
- elle éloigne des soucis et permet de dormir en paix (v. 40 et 36).

Fuir les excès


6. Dans La Laitière et le pot au lait (VII, 9), montrez que Perrette et le poète doivent servir d’exemples de modération.
Dans cette fable, Perrette et le poète sont abusés par leur rêverie. La laitière, si elle rêve légitimement d’accroître son
bien (le prix de son lait lui permettant d’acheter des œufs, puis des poules, puis un cochon…), pèche par excès d’ambition.
Son rêve d’avenir est démesuré, au point qu’elle quitte son rang pour s’élever au rang de riche fermière, gérant un
« troupeau » (v. 21). C’est l’absence de modération qui provoque la catastrophe due à son enthousiasme. La Fontaine, s’il
excuse ce rêve commun à tous les hommes, « les sages [et] les fous » (v. 33), n’est pas plus raisonnable que la laitière. Lui
aussi, à force de rêves, dépasse son statut de poète pour égaler ou dépasser les plus grands : « je fais au plus brave un
défi » (v. 38), « je vais détrôner le Sophi » (v. 39), « On m’élit roi, le peuple m’aime ; / Les diadème vont sur ma tête
pleuvant » (v. 40-41). Certes, « il n’est rien de plus doux » (v. 34) que la rêverie, mais en tout il faut être modéré, sous
peine de tomber de haut.

7. « C’est la mer à boire » (p. 94, v. 38) : expliquez le sens de cette expression et ce que La Fontaine cherche à montrer
dans la fable Les deux Chiens et l’Âne mort (VIII, 25).
On connaît cette expression sous sa forme négative, « Ce n’est pas la mer à boire », pour signifier qu’une entreprise qui
paraît difficile n’est pas si dure que cela. « C’est la mer à boire » signifie au contraire que ce qu’on entreprend est long et
difficile, à l’image de ces chiens de la fable qui s’imaginent pouvoir boire toute l’eau de la mer pour récupérer le corps
d’un âne mort. Ils en meurent car la tâche est impossible.
La Fontaine, s’il cherche d’abord à montrer que les défauts viennent davantage en nombre que les vertus chez l’homme
(v. 1-9), illustre ensuite l’union des vices par un exemple : les deux chiens gourmands et sots qui meurent de ces deux
défauts associés. Il transforme enfin cette réflexion en l’axant autour de l’excès, excès d’enthousiasme, excès d’ambition,
excès de désirs que l’homme ne peut maîtriser.

8. Quelle fable du livre IX met en évidence les dangers de l’excès ?


La fable Rien de trop (IX, 11) met en évidence les dangers de l’excès. La Fontaine prône tout le contraire : la modération
et la médiocrité, qu’il appelle un « certain tempérament » (v. 3). Dans cette fable, La Fontaine montre une chaîne d’excès :
trop de blé ? les moutons dévorent tout ; trop de moutons ? les loups les exterminent ; trop de loups ? les humains se
chargent de les tuer. Personne ne sait garder la mesure nécessaire à une vie simple et sereine : « Il n’est âme vivante /
Qui ne pèche en ceci » (v. 26-27).

Penser avec les philosophes


9. Qu’enseignent aux hommes les philosophes dans Un Animal dans la Lune (VII, 17) ?
Le principal enseignement apporté par les philosophes dans cette fable c’est que les hommes peuvent faire confiance à
leurs sens à condition que la raison y ait sa part. La Fontaine donne, pour bien se faire comprendre, des exemples où les
sens pourraient tromper l’homme s’il n’avait sa raison pour corriger ce qu’il sent :
- la taille du soleil, qui paraît infime vue de la terre ;
- la rotondité du soleil, qui n’apparaît pas à l’œil ;
- l’immobilité du soleil, qui semble pourtant se mouvoir ;
- l’illusion d’optique qui montre un bâton courbé quand il est plongé dans l’eau ;
- les formes dessinées par les ombres et les reliefs de la lune.
L’apologue qui suit ce développement philosophique des vers 1 à 41 apporte une autre illustration : observée par une
lunette astronomique, on découvre un animal étrange sur la lune : aussitôt, on crie au miracle jusqu’à ce que le doute
philosophique fasse examiner de plus près l’instrument dans lequel on trouve cachée une souris.

16
Accepter l’idée de la mort
10. Reformulez les vers 1 à 19 de La Mort et le Mourant (VIII, 1). Quelles sont les revendications du mourant ? Que lui
répond la mort ? Quel commentaire en fait le fabuliste ?
Dans la première partie de sa fable, La Fontaine livre ses pensées sur la mort :
- le sage se prépare à la mort : « La mort ne surprend point le sage : / Il est toujours prêt à partir, / S’étant su lui-même
avertir / Du temps où l’on doit se résoudre à ce passage » (v. 1-4) ;
- la mort peut survenir à tout moment : « Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps » (v. 5) ;
- tous les hommes y sont soumis, y compris les puissants et quelles que soient les qualités qu’on possède : « tous sont de
son domaine » (v. 8), « Défendez-vous par la grandeur, / Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse, / la mort ravit tout sans
pudeur » (v. 13-15) ; « Un jour le monde entier accroîtra sa richesse » (v. 16) ;
- tous les mortels savent qu’ils vont mourir mais personne ne veut voir cette vérité en face : « Il n’est rien de moins ignoré,
/ […] / Rien où l’on soit moins préparé » (v. 17 et 19).
L’exemple donné par La Fontaine dans l’apologue qui suit ces réflexions est celui d’un centenaire, réputé avoir eu le temps
de vivre, qui se plaint à la mort de devoir partir « précipitamment » (v. 21), sans avoir été prévenu (« Sans l’avertir au
moins », v. 24) : « Est-il juste qu’on meure / Au pied levé ? » (v. 24-25). Il enchaîne ensuite trois revendications, qui
constituent autant de raisons de ne pas mourir tout de suite :
- il ne doit pas mourir sans sa femme : « Ma femme ne veut pas que je parte sans elle » (v. 26) ;
- il doit rester vivant pour aider financièrement l’un de ses descendants : « Il me reste à pourvoir un arrière-neveu » (v.
27) ;
- il a des travaux à faire : « Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile » (v. 28).
Ces trois raisons paraissent de peu de valeur, comme s’il s’agissait d’excuses de mauvaise foi pour échapper à la mort.
La mort répond qu’à cent ans passés, elle lui a laissé le temps de se faire à l’idée de mourir, et qu’elle lui a donné des
avertissements comme la faillite des sens (le goût, l’ouïe), les difficultés pour se déplacer, l’affaiblissement de son esprit
et de son jugement, la perte ou la maladie de ses amis…
Au terme de cet apologue, La Fontaine fait un commentaire à la fois sur l’art d’apprendre à mourir (comme quitter un
banquet), mais aussi sur l’injustice qui voit la jeunesse sacrifiée dans des guerres ou des morts précoces.

11. De quelle manière la fable Le Cochon, la Chèvre et le Mouton (VIII, 12) parle-t-elle aussi de la mort ?
Cette fable parle aussi de la mort, à travers la peur irrépressible du cochon qui la pressent. En allant à la foire pour y être
vendu, il sait que la mort l’attend. Ses cris sont alors autant de protestations contre cette mort qui le privera de son « toit »
et de sa « maison » (v. 28), c’est-à-dire de ce qui fait sa vie ici-bas. Les autres autour de lui ne comprennent pas le sens de
ses cris : « Ils ne voyaient nul mal à craindre » (v. 12). La morale de la fable donne raison à l’inquiétude du cochon, mais
la trouve sans remède : à quoi bon tous ces cris quand ils sont impuissants face au sort ? « Quand le mal est certain / La
plainte ni la peur ne changent le destin » (v. 30-31). Il vaut mieux se résigner à son sort et ne pas y penser (« le moins
prévoyant est toujours le plus sage », v. 32).

Se méfier de l’argent
12. Dans Le Savetier et le Financier (VIII, 2) quelles idées le fabuliste fait-il passer sur l’argent ?
Dans cette fable, deux personnages s’opposent : l’un est riche (le financier), l’autre survit par son travail d’artisan (le
savetier). Le premier dort mal et ne chante guère, le second « chant[e] du matin au soir » (v. 1), montrant ainsi sa joie de
vivre. Le financier, las d’être réveillé par ce voisin chantant, lui donne un jour cent écus, sûr qu’ils ne lui donneront plus le
loisir de chanter. En effet, inquiet en permanence de se faire voler, le savetier ne chante plus, et ne dort plus, au point
qu’il préfère rendre l’argent et vivre.
La Fontaine oppose donc l’argent au bonheur. Le savetier, pauvre, est « content » (v. 4), donne du plaisir aux autres
(« C’était merveilles de le voir », v. 2), il est « rieur » (v. 17), « gaillard » (v. 18), ne se soucie que de vivre, en dépit de
finances au plus bas. À partir du moment où il obtient cent écus, tout change, comme si l’argent était incompatible avec
la joie et le bonheur : « il enserre / L’argent et sa joie à la fois » (v. 37-38). La Fontaine montre bien un rapport de cause à
conséquence entre cet argent et cette perte de gaieté, en soulignant la temporalité commune : « Plus de chant ; il perdit
la voix / Du moment qu’il gagna ce qui cause nos peines » (v. 39-40). Au lieu de la joie, il récupère l’insomnie (v. 41), « les
soucis, / Les soupçons, les alarmes vaines » (v. 42-43). Sans cesse sur le qui-vive (v. 44-46), il ne vit plus que dans la crainte
d’être volé.

13. Comment La Fontaine montre-t-il l’Avantage de la science (VIII, 19) sur l’argent ?
Des deux hommes de cette fable (« L’un […] pauvre, mais habile, / L’autre riche, mais ignorant » (v. 3-4), La Fontaine
montre sa préférence pour le premier, qui subit les critiques de l’ignorant dont les seuls mérites tiennent dans sa richesse.

17
Cet homme se prétend utile à la société (v. 24-26). Le savant ne dit rien, laissant le destin le venger. Une guerre vient
réduire à néant les richesses de l’homme prétentieux qui « resta sans asile » et « reçut partout des mépris » (v. 35), alors
que le savant, toujours pauvre « reçut partout quelque ferveur nouvelle » (v. 36), ayant quelque chose à transmettre et à
donner, ayant toujours une valeur aux yeux des autres. La Fontaine conclut : « le savoir a son prix » (v. 38). Un exemple a
pour lui valeur de démonstration. Le savoir est supérieur à la fortune.

Travailler
14. Dans le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils de Roi (X, 15), comment les quatre hommes comptent-ils sortir
de leur revers de fortune ? Quel est celui qui sera le plus utile ?
Pour sortir de la misère, les quatre hommes comptent user de leurs compétences, sur les conseils du pâtre qui leur
conseille de travailler (v. 18) : le marchand veut donner des cours d’arithmétique (v. 26-27), le fils du roi veut donner des
cours de politique (v. 28-29), le noble veut enseigner l’héraldique (v. 30). Le pâtre, qui n’a que ses mains pour
compétences, voit l’insuffisance de ces savoirs théoriques pour sortir de leur situation. Il préfère agir dans l’instant et faire
des fagots de bois qu’il va vendre. Assurément, selon La Fontaine, le plus utile est celui qui agit et qui travaille de ses
mains : « La main est le plus sûr et le plus prompt secours » (v. 52).

Avoir des amis


15. Quelles fables traitent de l’amitié ? Que dit La Fontaine à ce sujet ?
Si l’on trouve un « couple d’amis » (v. 22) dans L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit
(VII, 11), ce n’est que pour marquer le contraste entre les deux personnages. De même, dans L’Enfouisseur et son Compère
(X, 4), le « compère », familier plus qu’ami véritable, mais digne de se voir confier le secret d’un trésor, le thème n’est pas
l’amitié, ni même la trahison de l’amitié. Les deux Pigeons (IX, 2) établit une relation amicale, amoureuse et fraternelle
entre les deux personnages, mais la fable traite davantage des douceurs du foyer que de l’amitié.
Deux fables sont, en revanche, totalement consacrées à l’amitié : L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10) et Les deux Amis
(VIII, 11) qui forment un diptyque sur le sujet.
La première fable montre la naissance de l’amitié entre un ours solitaire et un vieillard qui s’ennuie de ne pas avoir de
compagnie ; il voudrait « quelque doux et discret ami » (v. 18) au milieu des jardins qu’il aime et cultive. Leurs deux ennuis
se rencontrent et les deux êtres, sur le chemin de la demeure du vieillard, deviennent « bons amis » (v. 37). La cohabitation
se passe bien : l’ours est discret et serviable et le vieillard poursuit sa tâche. Leur amitié prend fin par un excès de soins :
l’ours, voulant chasser une mouche sur le nez de son « ami dormant » (v. 46), lui écrase la tête avec une pierre. La Fontaine
met donc en garde : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ; / Mieux vaudrait un sage ennemi ».
La seconde fable est un hymne véritable à l’amitié. Les deux personnages apportent des preuves, quoique différentes, de
leur amitié pour l’autre : ainsi, le premier, réveillé par un cauchemar dans lequel il a vu son ami triste, accourt chez lui en
pleine nuit pour prendre de ses nouvelles : « Un songe, un rien, tout lui fait peur / Quand il s’agit de ce qu’il aime » (v. 30-
31). L’autre ami, réveillé en sursaut, met tout en œuvre pour satisfaire son ami, qu’il croit en difficultés (argent, épée,
femme). La Fontaine pose la question : « Qui d’eux aimait le mieux ? » (v. 24) Il ne peut répondre mais laisse entendre
qu’il est aussi amical de précéder les désirs et les besoins de ses amis que de montrer de l’inquiétude pour eux.

Profiter de l’existence
16. Quelles recommandations La Fontaine multiplie-t-il dans Le Loup et le Chasseur (VIII, 27) ? Comment l’apologue
illustre-t-elle ces conseils ?
La Fontaine conseille, au début de la fable, de jouir de l’existence sans tarder : « jouissons » (v. 6), « Jouis » (v. 9), « Jouis
dès aujourd’hui » (v. 11), « Hâte-toi […], tu n’as pas tant à vivre » (v. 7), sans attendre « demain » (v. 9). Il conseille aussi
d’arrêter de vouloir toujours plus de bien, qu’il appelle « Fureur d’accumuler » (v. 1) et qui est un frein à la jouissance.
Parce que l’homme cherche sans cesse toujours plus, il ne s’arrête jamais pour profiter de ce qu’il a. L’apologue l’illustre
très bien puisqu’un chasseur, toujours plus avide, ne cesse de tuer (daim, faon, sanglier) : au lieu de s’arrêter et de profiter
des fruits de sa chasse, il veut encore plus et tente de tuer une perdrix, mais le sanglier, simplement blessé, le tue. Il ne
faut donc pas sans cesse convoiter. Il poursuit l’apologue en racontant comment un loup compte profiter de ce carnage.
Là encore, au lieu de profiter d’une des proies, qu’il souhaite conserver pour plus tard, il veut manger le boyau de l’arc. Il
trouve la mort par une flèche de l’arc ainsi débandé. S’il n’avait voulu garder son bien, le loup ne serait pas mort. Il a péché
par avarice.

17. Reformulez les principales idées de la fable Le Vieillard et les trois jeunes Hommes (XI, 8).
Dans cette fable, il est également question de profiter de l’instant présent : le vieillard, en travaillant pour sa postérité, se
procure un plaisir immédiat : « Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui ». Mais l’idée principale est peut-être
contenue dans le destin des trois jeunes hommes qui croient que l’avenir leur appartient et meurent tous avant le vieillard.

18
Comme la mort peut frapper quiconque à chaque instant, jeunes comme vieux, il importe de profiter de l’existence, ce
qui n’exclut pas de travailler pour l’avenir.

Aimer
18. Quel enseignement le fabuliste tire-t-il de la fable Les deux Pigeons (IX, 2) ? De quelle manière y livre-t-il une part
de son intimité ?
Le sort du pigeon voyageur est une réflexion sur l’amour : l’être aimé doit être l’horizon de l’amoureux, et rien ne sert
d’aller chercher ailleurs ce que l’on possède chez soi, que l’on doit entretenir. La Fontaine délivre cette morale sous forme
de conseils aux amoureux, qu’il apostrophe : « Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ? / Que ce soit aux rives
prochaines ; / Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau, / Toujours divers, toujours nouveau ; / Tenez-vous lieu
de tout, comptez pour rien le reste » (v. 65-69). Quand on s’aime, comme les pigeons, « d’amour tendre » (v. 1), il faut
entretenir cet amour pour ne pas être gagné par l’ennui (v. 2) et être tenté par l’aventure.
À la fin de cette fable, La Fontaine, qui utilise le pronom personnel « je » (v. 70, 77, 82, 83) se livre intimement, se confiant
sur ses amours. Pour lui, amoureux, il n’aurait pour rien au monde quitté l’objet de son amour. Mais cet amour a semble-
t-il disparu et le poète regrette ces moments perdus : « Hélas ! quand reviendront de semblables moments ? » (v. 78) et
dresse un tableau mélancolique et désespéré de sa situation amoureuse (v. 81-83).
La fable, pour une rare fois, est ainsi l’occasion pour La Fontaine de se livrer intimement.

Vivre avec la nature et les animaux


19. Montrez que Le Loup et les Bergers (X, 5) et La Perdrix et les Coqs (X, 7) traitent de la relation entre l’homme et les
animaux. Complétez votre réponse en tirant les principales idées du Discours à M. le duc de La Rochefoucauld (X, 14).
Dans Le Loup et les Bergers, le loup réfléchit sur la manière dont il est perçu par les hommes : « Je suis haï » (v. 6), « Le
loup est l’ennemi commun » (v. 7). Quoique décrit comme « rempli d’humanité » (v. 1), il est caractérisé par sa « cruauté »
(v. 3), même s’il ne s’en sert « que par nécessité » (v.4), en prédateur naturel des bêtes vieillissantes et malades (v. 16-
17). Il est celui par qui l’on effraie les enfants (v. 14-15). La Fontaine montre ensuite que le loup, sur le point de se résigner
à devenir herbivore, constate que ses proies sont aussi celles des hommes et de leurs chiens : « il vit des bergers pour leur
rôt / Mangeant un agneau cuit en broche » (v. 23-24). Il se ravise alors. Cette fable est l’occasion pour La Fontaine de
réfléchir sur la cruauté, sur l’animalité, sur la bestialité, qui appartient autant à l’homme qu’au loup : « Est-il dit qu’on
nous voie / Faire festin de toute proie, / Manger les animaux, et nous les réduirons / Aux mets de l’âge d’or autant que
nous pourrons ? » (v. 34-37).
Dans La Perdrix et les Coqs, La Fontaine donne encore le mauvais rôle aux hommes. La perdrix, violentée par des coqs
avec lesquels elle est contrainte de vivre, relativise le mal qu’elle subit en constatant que ce sont les mœurs des coqs qui
les font agir ainsi. Seul l’homme est responsable de les avoir enfermés avec elle : « Il nous prend avec des tonnelles, /
Nous loge avec des coqs, et nous coupe les ailes : C’est de l’homme qu’il faut se plaindre seulement » (v. 22-24).
Le Discours à M. le Duc de la Rochefoucauld poursuit cette réflexion sur les rapports entre l’homme et l’animal. En effet,
dès le début de ce texte, il constate les mauvais agissements de l’homme : « Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
/ L’homme agit et qu’il se comporte / En mille occasions comme les animaux : / Le roi de ces gens-là n’a pas moins de
défauts / Que ses sujets » (v. 1-5). L’espèce humaine ne serait donc pas différente de l’espèce animale. Il en tire ensuite
des exemples : celui des lapins qui oublient vite leur frayeur, semblables aux hommes qui, une fois un danger couru, s’y
précipitent de nouveau : « Ne reconnaît-on pas en cela les humains ? / Dispersés par quelque orage, / A peine ils touchent
le port / Qu’ils vont hasarder encor / Même vent, même naufrage » (v. 29-33). Il prend ensuite l’exemple de chiens qui
chassent les chiens étrangers, semblables aux hommes qui ne veulent pas accepter d’autres hommes dans leurs
corporations : La coquette et l’auteur sont de ce caractère ; / Malheur à l’écrivain nouveau ! » (v. 49-50), afin d’avoir à
moins partager.

Discours à Madame de La Sablière


20. Par quels exemples La Fontaine tente-t-il de réfuter la thèse cartésienne de l’animal-machine ? Trouvez-en un autre
à la fin du livre XI.
Pour réfuter la thèse de l’animal-machine, un animal tout mécanique sans âme ni pensée, La Fontaine choisit quatre
exemples :
- les cerfs qui, poursuivis par les chasseurs, brouillent les pistes : « Que de raisonnements pour conserver ses jours ! / Le
retour sur ses pas, les malices, les tours, / Et le change, et cent stratagèmes / Dignes des plus grands chefs » (v. 76-79) ;
- les perdrix qui, voyant ses petits en danger, fait diversion : « Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile, / Attirant le
chasseur, et le chien sur ses pas, / Détourne le danger, sauve ainsi sa famille » (v. 86-88) ;
- les castors qui sont capables de bâtir sur les fleuves : « Ils y construisent des travaux / Qui des torrents grossis arrêtent
le ravage, / Et font communiquer l’un et l’autre rivage » (v. 97-99) ;

19
- les bobaques qui sont des guerriers organisés et stratèges : « Jamais la guerre avec tant d’art / Ne s’est faite parmi les
hommes, […] / Corps de garde avancé, vedettes, espions, / Embuscades, partis, et mille inventions / D’une pernicieuse et
maudite science » (v. 127-132).
À la fin de livre XI, Les Souris et le Chat-Huant, La Fontaine donne un autre exemple d’intelligence animale : le Chat-Huant
estropiant les souris qu’il chasse afin d’avoir un garde-manger toujours rempli (v. 8-33).

21. Quels mots du champ lexical de la raison et de l’intelligence emploie-t-il à leur sujet ?
La Fontaine utilise des mots du champ lexical de la raison et de l’intelligence au sujet des animaux : « raisonnements » (v.
76), « stratagèmes » (v. 78), « ils savent » (v. 108), loin de l’« ignorance profonde » des hommes (v. 95), loin d’être des
« corps vide[s] d’esprit » (v. 114). Ils ont la « science » (v. 132), le « bon sens » (v. 135), « l’expérience » (v. 135).

22. De quelle façon La Fontaine glorifie-t-il ces animaux cités en exemple ?


Le cerf est comparé aux « plus grands chefs » (v. 79), sa mort est vu comme « ses honneurs suprêmes » (v. 81). Les castors,
par leur organisation, sont mis au rang d’inspirateurs de Platon : « La république de Platon / Ne serait rien que l’apprentie
/ De cette famille amphibie » (v. 105-107). Enfin, les bobaques, ces valeureux guerriers, méritent un aède à la hauteur de
leurs exploits : « Pour chanter leurs combats, l’Achéron nous devrait / Rendre Homère » (v. 136-137).

23. De quelle manière la fable Les deux Rats, le Renard et l’Œuf poursuit-il la réflexion sur le même sujet ?
En guise de dernier exemple à sa réflexion, La Fontaine propose une fable, assez brève, qui prouve une nouvelle fois
l’intelligence animale. Deux rats ont l’idée, pour transporter un œuf, de le faire porter par l’un allongé sur le dos pendant
que l’autre le traîne par la queue : « Qu’on m’aille soutenir après un tel récit, / Que les bêtes n’ont point d’esprit » (v. 19-
20). Il poursuite ensuite sa pensée en affirmant que cette intelligence animale est équivalente à celle d’un enfant, que
leur raison n’est pas celle des hommes, ni même leur âme.

Lecture d’image
24. Décrivez, en vous servant d’un vocabulaire technique précis, cet « animal-machine ».
On pourra proposer aux élèves une liste de mots à employer dans leur réponse : Mécanique, ressort, machine, rouage,
engrenage, automate, rotation, piston, activation et proposer, pour une plus grande précision technique, un schéma (ci-
dessous) assorti d’un vocabulaire technique plus précis encore.

Sur la figure tirée des Merveilles de l’horlogerie, on peut voir un canard automate en plan de coupe avec le dessin du
mécanisme des engrenages. D’un bec métallique part un entonnoir relié à un tuyau qui entre dans une boîte en métal.
Au moyen de pistons, le liquide est ensuite propulsé dans un long tuyau qui l’expulse par un orifice situé à l’arrière de
l’animal-machine. À cela s’ajoute un ensemble de barillets, de rouages, de roues et de pignons qui servent à actionner le
mécanisme afin d’assurer le mouvement de l’animal.

20
25. Trouvez dans le Discours à Madame de la Sablière une phrase qui puisse servir de légende à cette image.
On peut noter, en légende de cette image, des vers tirés du « Discours à Madame de la Sablière » :
- « Ils disent donc / Que la bête est une machine ; / Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts : / Nul sentiment,
point d’âme, en elle tout est corps » (v. 29-32) ;
- « Telle est la montre qui chemine, / A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein » (v. 33-34).

Le canard de Vaucanson dans Les Merveilles de l’horlogerie par Camille Portal et Henry de Graffigny, 1888.

Étude de la langue
Lexique
26. « Philosophie », « inquiétude », « bonheur » : recherchez la formation, l’origine, le sens et des synonymes de ces
mots.
FORMATION ORIGINE SENS SYNONYMES
philosophie Emprunt au grec Grecque : philo veut Manière de voir le Système de pensée
philosophia, dire « j’aime » et monde, de le Doctrine
composé en grec de sophia signifie questionner, de le Théorie
philo et de sophia « sagesse » définir Sagesse
inquiétude Dérivation préfixale Latine : quies signifie État de celui qui n’a Tourment
du mot quiétude « calme » et a donné pas le repos moral, Souci
(radical) auquel on a quietudo qui est tourment Agitation
ajouté le préfixe Trouble
privatif « in-» Incertitude
bonheur Composition à partir Latine : bonus signifie État heureux de Joie
de l’adjectif « bon » « bon » et augurium satisfaction Félicité
et du nom « heur » désigne le présage. Allégresse
Béatitude
Exultation
Contentement

Grammaire
27. Étudiez les moyens d’exprimer la négation dans Les animaux malades de la peste (VII, 1).
Le corpus est constitué d’abord de corrélations (l’adverbe de négation en deux unités) :
- « ne… pas » (v. 9) ;
- « ne… point » (v. 10, 25) ;
- « ne… trop » (v. 46).
L’adverbe « ne… pas » exprime une négation moins forte de « ne… point », qu’on considèrerait aujourd’hui plus soutenu.

21
On trouve également le pronom négatif sujet « Nul » (v. 12), doublé de l’adverbe négatif « n’ », le déterminant indéfini
« Nulle » (v. 29) ou « nul » (v. 56) utilisés dans une phrase à la forme négative, le pronom « Rien » (v. 63), la conjonction
de coordination « ni » (v. 47) et l’adverbe « non » (v. 39).

Stylistique
28. Relevez et étudiez les figures de styles dans les vers 11 à 19 de la fable Le rat et l’éléphant (VIII, 15).
Dans ce passage de la fable Le rat et l’éléphant, on peut trouver plusieurs figures de style :
Un rat des plus petits voyait un éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent à antithèse (petit / gros)
De la bête de haut parage, à périphrase
Qui marchait à gros équipage.
Sur l’animal à triple étage à périphrase
Une sultane de renom,
Son chien, son chat, et sa guenon,
Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison, à énumération, accumulation
S’en allait en pèlerinage.

L’antithèse initiale et les deux périphrases illustrent déjà la sentence du début de la fable : « Se croire un personnage est
fort commun en France. / On y fait l’homme d’importance, / Et l’on n’est souvent qu’un bourgeois » (v. 1-3). En montrant
l’éléphant dans toute sa hauteur et sa grosseur, La Fontaine n’en souligne que mieux la petitesse du rat et prépare la suite
de la fable. L’accumulation elle-même suggère que l’animal n’est pas important pour rien puisqu’il peut soutenir une telle
quantité de gens et d’animaux.

EXPRESSION
Expression écrite
Commentaire
29. Faites le commentaire de la fable Les deux pigeons (IX, 2).
On cherchera à montrer comment La Fontaine, en exploitant le thème de l’amitié/de l’amour, par les péripéties de son
personnage, parvient à donner une recette personnelle et intime du bonheur.
On pourra ainsi proposer, comme axes de lecture :
I. Les manifestations de l’amour et de l’amitié
II. L’expérience du bonheur extérieur : les aventures du pigeon
III. Moralité et expérience personnelle : la recette du bonheur

Dissertation
30. En 1947, dans La Fontaine : l’homme et l’œuvre, Pierre Clarac affirme que le fabuliste, dans les textes du deuxième
recueil « se livre à nous dans l’inquiétude de son cœur et de son esprit, […] tout à la fois […] rusé et franc, prudent et
généreux, sceptique et enthousiaste, résigné et tourné vers le long espoir. » Cette affirmation vous semble-t-elle
convenir pour les fables des livres VII à XI ?
Cette citation tirée d’un ouvrage consacré à La Fontaine invite à réfléchir sur certaines notions, comme celle de
l’inquiétude, très importante au XVIIIe siècle, qui est une forme d’agitation morale et physique, qui est à l’inverse du repos.
Cette agitation peut aussi bien concerner la quête du bonheur que la peur de la mort, que la soumission au destin ou
encore les exigences du pouvoir et de la cour. Les couples d’adjectifs servant à caractériser La Fontaine, parfois
antithétiques, sont là pour montrer cette agitation de l’esprit, qui fait entrer en jeu le contraste, le compromis. Cela revient
aussi à la notion de variété et de diversité qui est constitutive des Fables. Il n’est donc pas étonnant de trouver ces termes
opposés : ils forment aussi la personnalité du fabuliste. On pourra développer l’idée d’un fabuliste qui, à travers ses fables,
dévoile sa propre expérience de l’homme et du monde ; que l’inquiétude et les préoccupations morales sont constantes
dans ces parties du recueil et que La Fontaine cherche à faire de ses fables un manuel de vie heureuse, à la manière des
philosophes.

Contraction de texte et essai


31. Résumez en 200 mots le Discours à Madame de la Sablière puis interrogez-vous, à la suite de La Fontaine sur la
sensibilité et l’intelligence des animaux.
Voilà un texte suffisamment long pour pouvoir être résumé dans les proportions attendues à l’examen. On s’appuiera sur
les conseils donnés dans l’encadré « Méthode » (p. 198).

22
L’essai est une réflexion qui doit être argumentée. Elle s’appuie aussi bien sur le texte du résumé que sur les connaissances
personnelles.

Expression orale
Exposé sur un texte
32. Faites le commentaire linéaire des vers 18-40 du Songe d’un habitant du Mogol (XI, 4).
Il conviendrait, dans une introduction, de ne pas oublier que cette fable forme un diptyque et d’en dire un mot. L’extrait
à commenter est la deuxième partie de ce diptyque
Quelques axes de lecture :
I. Le discours lyrique du poète
II. Une philosophie du bonheur : la solitude

33. Relevez dans le passage deux Propositions subordonnées conjonctives ayant pour fonction d’être Complément
circonstanciel.
Dans ce passage, on trouve une Proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de condition : « Si j’osais ajouter
au mot de l’interprète », v. 18 ; une circonstancielle d’opposition : « si je ne suis né pour de si grands projets », v. 31 ; une
circonstancielle de temps : « Quand le moment viendra d’aller trouver les mots », v. 39).

Entretien sur l’œuvre au programme


34. Comment La Fontaine traite-t-il de l’écologie dans ses Fables ? Vous vous appuierez entre autres sur L’homme et la
couleuvre (X,1).
Le lecteur d’aujourd’hui sera peut-être sensible à l’esprit écologiste de La Fontaine, qui est l’un des traits de sa modernité.
Outre le retour à la nature (comme l’amateur des jardins, VIII, 10 ou le fabuliste lui-même dans le Songe d’un habitant du
Mogol, XI, 4, qui souhaite « Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais », être « loin des cours et des villes », v.
24 et 26), la condamnation des excès en tout (Rien de trop, IX, 11), la défense animal est au cœur de L’Homme et la
Couleuvre (X,1), dans laquelle l’homme passe devant le tribunal de la Nature (une vache, un bœuf et un arbre) et se fait
dire des vérités qui le vexent.

PATRIMOINE
35. Recherchez qui sont Épicure, Lucrèce, Démocrite, Descartes, Gassendi et Malebranche.

SIÈCLE NATIONALITÉ ŒUVRES THÉORIE


e e
Épicure IV – III Grecque Lettres et maximes L’âme est composée d’atomes ; le plaisir
av. J.-C. est une absence de douleur ; les sens
permettent d’accéder à la connaissance.
Lucrèce Ier Latine De rerum natura (De la Disciple d’Épicure, il en reprend la
nature) doctrine (sur l’atome, sur l’homme et la
nature formés d’atomes) et oppose
Épicure à la religion pour expliquer
l’univers.
Démocrite Ve – IVe Grecque fragments Disciple de Leucippe et fondateur de
av. J.-C. l’atomisme, qui a influencé Épicure.
Adepte du doute et du scepticisme, il est
considéré comme le père des sciences
modernes.
Descartes XVIIe Française Discours de la méthode Théories de la connaissance ;
Méditations métaphysiques interprétation mathématique du monde
(explicable par des figures, des
mouvements, des lois) ; élaboration
d’une méthode de recherche de la vérité ;
cogito ergo sum (« Je pense donc je
suis »)
Gassendi XVIIe Française Œuvres en latin Théoricien de l’atomisme, disciple
d’Épicure, il est rationaliste comme
Descartes (et s’oppose à lui dans sa
théorie de l’animal-machine).
23
Malebranche XVIIe - Française De la recherche de la vérité Occasionnalisme (intervention active de
XVIIIe Dieu sur le monde)

24
Séance Ž Dimensions critique et satirique des Fables ► LIVRE ÉLÈVE P. 199

LECTURE
Lecture du texte
Lecture d’ensemble
1. Quelles visions de la monarchie absolue sont données dans les Fables ?
Il est courant de dire que l’animal qui sert de masque à la critique du pouvoir royal est le lion. Dans les livres VII à XI, cette
figure est présente dans les fables suivantes :
- Les Animaux malades de la peste (VII, 1) ;
- La cour du Lion (VII, 6) ;
- Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) ;
- Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5).
Dans ces fables où le lion figure, on constate que le monarque est sanguinaire (« Satisfaisant mes appétits gloutons / J’ai
dévoré force moutons. […] / Même il m’est arrivé quelquefois de manger / Le berger » (VII, 1, v. 25-26, 28-29) ; il préside
le conseil, donne la direction à suivre. Dans La cour du Lion, le roi étale ses richesses (« un fort grand festin », v. 10 ;
« magnificence », v. 12) pour montrer sa puissance. Mais son pouvoir est là encore sanguinaire et le « Louvre », palais des
rois est un « vrai charnier » (v. 15) puant. La violence y est de rigueur : tout opposant, tout contestataire est mis en pièces
(le sort de l’ours et du singe). Son pouvoir absolu est tyrannique, à l’image de « Caligula » auquel il est fait allusion (v. 27).
Le roi est colérique (VIII, 14, v. 30-31) ; c’est un « terrible sire » (XI, 5, v. 74), dont les courtisans se méfient. L’image de la
monarchie absolue est celle d’un régime de terreur où tout dépend d’un homme, aussi éclairé veuille-t-il devenir (XI, 5, v.
1-2).
La figure de Jupiter est également associée au pouvoir absolu. Dans Jupiter et les Tonnerres (VIII, 20), le personnage est à
la fois roi et dieu et les divinités qui l’entourent (et qui font plus de mal aux hommes que lui) sont ses ministres. On voit
là un roi à l’autorité indulgente et bienveillante envers les hommes, vers qui il n’adresse jamais directement sa foudre.
Ce pouvoir absolu existe aussi par les courtisans qui entourent le monarque. Dans Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3) ou
dans La cour de Lion, ils sont bien plus malfaisants que lui.

2. Quelles fables peuvent être considérées comme des fables politiques ?


Contrairement aux idées reçues, les Fables ne sont pas toutes politiques ni toutes dirigées contre le pouvoir absolu. On
en dénombre certaines, dans les livres VII à XI, politiques ou d’actualité :
- Les Animaux malades de la peste (VII, 1) ;
- Le Rat qui s’est retiré du monde (VII, 3) ;
- La cour du Lion (VII, 6) ;
- Les Vautours et les Pigeons (VII, 7) ;
- Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 15) ;
- La Tête et la Queue du Serpent (VII, 16) ;
- Un Animal dans la Lune (VII, 17) ;
- Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3) ;
- Le Pouvoir des Fables (VIII, 4) ;
- Le Chien qui porte à son cou le dîné de son maître (VIII, 7) ;
- Les Obsèques de la Lionne (VIII ? 14) ;
- Le Bassa et le Marchand (VIII, 18) ;
- Le Singe et le Chat (IX, 17) ;
- L’Homme et la Couleuvre (X, 1) ;
- Le Berger et le Roi (X, 9) ;
- Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte (X, 10) ;
- Le Lion (XI, 1) ;
- Les Dieux voulant instruire un Fils de Jupiter (XI, 2) ;
- Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5).
Livres VII à XI
La justice royale
3. Dans les animaux malades de la peste (VII, 1), le principe de justice (v. 34-35) est-il respecté ?
Le lion, symbole du roi dans les Fables, réunit la cour pour désigner quel animal sera sacrifié pour calmer la colère du Ciel
et faire disparaître la peste qui fait des ravages parmi les animaux. Il pose un principe de justice : « [I]l est bon que chacun
s’accuse ainsi que moi / Car on doit souhaiter selon toute justice / Que le plus coupable périsse » (v. 33-35). Mais ce
25
principe est dévoyé car les fautes sont jugées à hauteur de la puissance de celui qui les a commises. Ainsi, le roi est
pardonné (son crime est même un honneur pour les moutons et les bergers qui ont eu les faveurs d’une mort aussi digne),
tout comme les autres animaux redoutables : « On n’osa trop approfondir / Du tigre, ni de l’ours, ni des autres puissances
/ les moins pardonnables offenses » (v. 46-48). Le pouvoir et la force excusent ainsi les crimes, ce que l’antithèse des vers
49-50 souligne : « Tous les gens querelleurs, jusqu’aux simples mâtins, / Au dire de chacun, étaient de petits saints ».
L’âne, représentant des faibles, des pauvres (« Ce pelé, ce galeux », v. 60) est ainsi injustement sacrifié, en dépit même
de la faiblesse de sa faute : « Sa peccadille fut jugée un cas pendable » (v. 61). Si le lion disparaît dès le milieu de la fable,
le relais est pris par sa Cour, les renards, les loups, qui dictent une justice inique et opportuniste.

4. Qui du roi (Jupiter) ou de ses ministres (les Furies, les autres dieux de l’Olympe) semble être la cible des attaques de
La Fontaine dans Jupiter et les Tonnerres (VIII, 20) ?
Dans cette fable, La Fontaine montre un roi paternel, indulgent et qui manque (exprès ?) ses coups en direction des
hommes : « Jupiter ne tarda guère / A modérer son transport » (v. 12-13), « Tout père frappe à côté » (v. 41), « On lui dit
qu’il était père » (v. 49), v. 59-63.
Au contraire, les autres dieux et les Furies semblent impitoyables envers les hommes, qu’ils sont avides de punir : Alecton,
l’une des Furies, est la première à vouloir agir : « Ce choix la rendit si fière, / Qu’elle jura par Pluton / Que toute l’engeance
humaine / Serait bientôt du domaine / Des déités de là-bas » (v. 25-29). L’ensemble des dieux de l’Olympe se plaint des
conséquences de l’indulgence de Jupiter et c’est Vulcain qui se charge des tonnerres qui frappent les hommes tandis que
Jupiter se charge de ceux qui frappent les montagnes.
Cette fable est une critique des ministres d’un roi, de leur férocité et de leur manque d’indulgence.

5. À quelle fable du livre VII, L’Huître et les Plaideurs peut-elle être rapprochée ?
La fable L’Huître et les Plaideurs met en scène deux hommes qui se battent pour savoir qui emportera l’huître qu’ils
viennent de trouver. Ils s’en remettent à la justice d’un troisième, Perrin Dandin, qui, en « juge » (v. 16), « d’un ton de
président » (v. 19), les départage en mangeant l’huître et en leur laissant la coquille.
Cette fable ressemble à une autre, du livre VII : Le Chat, la Belette et le petit Lapin (fable 15), qui met aussi en scène deux
individus en litige (une belette a volé le logis d’un lapin) qui ne parviennent à trouver un accord. Ils s’en vont trouver
« Raminagrobis » (v. 31), un chat « arbitre expert sur tous les cas » (v. 35), qui a tout l’air, lui aussi, d’un président de
tribunal (« bien, fourré », « juge », « Sa Majesté fourrée », v. 34-38). Il les met d’accord en les mangeant tous les deux.
Dans les deux cas, La Fontaine s’en prend à la dureté de la justice, rapprochant celle-ci de celle du roi : « Ceci ressemble
fort aux débats qu’ont parfois / Les petits souverains se rapportant aux rois » (v. 46-47).

Les moines et les prêtres


6. Dans Le rat qui s’est retiré du monde (VII, 3), de quelle manière La Fontaine fait-il une critique indirecte des moines
ayant refusé en 1675 de financer la guerre de Hollande ?
« Le rat qui s’est retiré du monde » est une fable d’actualité : en 1675, le clergé, ayant été sollicité pour participer à l’effort
de guerre sous la forme d’un « don gratuit », refusa, préférant payer en prières. Trois ans plus tard, au moment de la
publication du deuxième recueil des Fables, l’allusion devait être transparente, la référence au « fromage de Hollande »
étant un astucieux clin d’œil. La Fontaine prend pourtant soin de dissimuler derrière un masque oriental la cible de sa
satire. Il parle alors d’une légende venue des « Levantins » (v. 1), évoque la ville imaginaire, mais à consonance orientale,
de « Ratopolis » (v. 18) et dévoile l’identité de « ce rat si peu secourable » (v. 33), niant que ce soit un moine (v. 34), mais
le désignant comme un « dervis ». La critique, ainsi dissimulée, est inattaquable.

7. Quels comportements des moines y sont dénoncés de manière satirique ?


C’est une tradition médiévale que d’attaquer l’état monastique, considéré comme inutile à la société. Villon, Rabelais,
Rutebeuf puis, plus tard Voltaire et les mouvements anticléricaux du début du XXe siècle ont fait du moine un portrait
caricatural qu’on retrouve dans la fable de La Fontaine :
- le moine misanthrope : « se retira loin des tracas » (v. 4), « Notre ermite » (v. 7), « Le nouveau saint ferma sa porte » (v.
31) ;
- le moine égoïste : « Les choses d’ici-bas ne me regardent plus » (v. 25), « ce rat si peu secourable » (v. 33) ;
- le moine goinfre et jouisseur : « Il fit tant de pieds et de dents / Qu’en peu de jours il eut au fond de l’ermitage / Le vivre
et le couvert » (v. 8-10), « Il devint gros et gras » (v. 11).
On sent dans le portrait de ce rat-moine que La Fontaine critique l’opportunisme de cet « ermite nouveau » qui, par
gloutonnerie et égoïsme, plus que par vocation religieuse, s’est retiré du monde. Alors qu’il a tant fait pour lui-même (v.
8), que ses valeurs chrétiennes devraient l’obliger à porter secours, il semble ne vouloir rien faire pour les autres. On
notera la réponse impersonnelle du rat : « que peut-il faire […] ? »

26
8. Quel portrait du prêtre La Fontaine fait-il dans Le Curé et le Mort (VII, 10) ?
Dans cette fable, La Fontaine brosse le portrait d’un curé heureux de conduire un mort à sa dernière demeure : « Un curé
s’en allait gaiement / Enterrer ce mort au plus vite » (v. 3-4). Comme Perrette, dans la fable précédente, le curé échafaude
des plans sur l’avenir : grâce à ce mort, il aura de l’argent (« salaire », v. 17 ; « ce trésor », v. 19 ; « j’aurai de vous tant en
argent », v. 21-22) qui lui permettra d’assouvir ses vices (la boisson et la débauche) : « Il fondait là-dessus l’achat d’une
feuillette / Du meilleur vin des environs ; / Certaine nièce assez propette / Et sa chambrière Pâquette / Devaient avoir des
cotillons » (v. 24-28).
Le Curé est donc montré avide et libidineux, semblable à beaucoup de portraits anticléricaux de l’époque.

Les courtisans
9. Quelle image des courtisans La Fontaine donne-t-il dans La cour du Lion (VII, 6), Le Lion, le Loup et le Renard (VIII, 3),
Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) ?
La cour du Lion, après avoir montré un ours trop sincère, montre un singe courtisan qui complimente la tyrannie du roi et
vante l’odeur infecte de son antre. Il n’y a aucune sincérité dans ses paroles : « Et flatteur excessif il loua la colère / Et la
griffe du prince, et l’antre, et cette odeur : / Il n’était ambre, il n’était fleur / Qui ne fut ail au prix » (v. 21-24). « Sa sotte
flatterie » (v. 24) le conduit à la mort. La Fontaine en vient alors à donner un conseil aux courtisans, sous la forme d’une
morale : « Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, / Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère » (v. 34-35).
Dans Le Lion, le Loup et le Renard, le danger ne vient pas directement du roi, mais des autres courtisans. On s’y dénigre
(« Le loup […] daube au coucher du roi / Son camarade absent » (v. 10-11), on y ment et manipule (le mensonge du renard,
v. 15-21), on s’y venge (le loup qui donne la peau du renard comme remède aux maux du lion). Là encore, La Fontaine
termine par des conseils aux courtisans : « cessez de vous détruire : / Faites si vous pouvez votre cour sans vous nuire »
(v. 35-36).
Enfin, dans Les Obsèques de la Lionne, la cour apparaît comme un essaim de mouches qui se précipite pour flatter à toute
occasion : « Aussitôt chacun accourut / Pour s’acquitter envers le prince / De certains compliments de consolation » (v.
2-4). Le courtisan est imitateur : le lion rugit-il de douleur, aussitôt ils font de même : « On entendit à son exemple / Rugir
en leurs patois messieurs les courtisans » (v. 15-16). Le courtisan est délateur et menteur : quand il s’aperçoit qu’un des
leurs ne participe pas à la comédie des larmes, il le dénonce : « Un flatteur l’alla dire, / Et soutint qu’il l’avait vu rire » (v.
28-29). La Fontaine, au cœur de sa fable, tire un portrait saisissant des courtisans : « prêts à tout » (v. 18), « à tout
indifférents » (v. 18), « sont ce qu’il plaît au prince, ou […] / Tâchent au moins de le paraître » (v. 19-20). Ils agissent
mécaniquement, comme un seul homme, imitant l’attitude des autres et du roi : « Peuple caméléon, peuple singe du
maître, / On dirait qu’un esprit anime mille corps ; / C’est bien là que les gens sont de simples ressorts » (v. 21-23).

Les hommes et leurs défauts


10. Quelles sont les cibles de la fable Le Loup et le Chasseur (VIII, 27) ?
Cette fable prend pour cible les avares et les envieux : par l’exemple d’un chasseur insatiable (« C’était assez de biens ;
mais quoi ? rien ne remplit / Les vastes appétits d’un faiseur de conquêtes », v. 24-25) qui trouve la mort pour n’avoir pas
su éteindre sa soif de tuer, et par l’exemple d’un loup qui ne sait pas profiter de la fraîcheur des proies qu’il trouve, voulant
économiser cet énorme butin et qui préfère croquer le boyau de la corde de l’arc plutôt que les victimes du chasseur, La
Fontaine montre que l’homme doit profiter et ne pas chercher ni à vainement accumuler ni conserver sans usage les
biens. Le style vient souligner cette double cible : La Fontaine utilise deux chiasmes pour montrer que les deux sont
identiques : « Cette part du récit s’adresse au convoiteux : / L’avare aura pour lui le reste de l’exemple » (v. 33-34) et « La
convoitise perdit l’un ; / L’autre périt par l’avarice » (v. 51-52).

11. Quelles fables dénoncent la cupidité ?


L’avarice et la cupidité sont des défauts familiers des fables de La Fontaine, qu’on pense à La Cigale et la Fourmi ou bien
à L’Avare qui a perdu son trésor. On trouve ce thème exploité dans les fables des livres VII à XI :
- Le Rat qui s’est retiré du monde (VII, 3) ;
- Le Curé et le Mort (VII, 10) ;
- Les deux Chiens et l’Âne mort (VIII, 25) ;
- Le Loup et le Chasseur (VIII, 27) ;
- L’Enfouisseur et son Compère (X, 4).

27
12. Dans L’Homme et la Couleuvre (X, 1), montrez que La Fontaine, en prenant le parti des animaux, critique l’homme.
Relevez, dans Les Poissons et le Cormoran (X, 3) deux expressions péjoratives au sujet des hommes.
Dans la fable L’Homme et la Couleuvre, La Fontaine, par un animal redouté – le serpent –, lance un plaidoyer contre les
hommes. Il commence par lui adresser quelques piques : « l’animal pervers » (v. 4) n’est pas celui qu’on croit, le fabuliste
le précise dans une parenthèse (« (C’est le serpent que je veux dire, / Et non l’homme, on pourrait aisément s’y tromper) »,
v. 5-6) ; quand l’homme veut tuer le serpent pour le punir de son ingratitude (« Symbole des ingrats », v. 12), le serpent
rétorque : « le symbole des ingrats / Ce n’est point le serpent, c’est l’homme » (v. 25-26). Dans le débat qui commence
alors, l’homme voit défiler toute sortes d’animaux qui font des reproches à l’homme :
- la vache dénonce le vol de son lait, l’abandon quand elle devient vieille ;
- le bœuf dénonce les tâches pénibles qu’on lui fait faire, les coups qu’il reçoit, les sacrifices dont il est la cible ;
- l’arbre vient également dans ce débat avec les animaux et dénonce l’abattage dont il est victime alors qu’il donne ombre
et fruits.
Ces raisons sont toutes recevables pour le lecteur, qui se range du côté de la nature. Pourtant, l’homme, ne voulant plus
rien écouter, se montre le maître et tue le serpent.
Dans Le Poisson et le Cormoran, l’homme est qualifié de « traîtres humains » (v. 31) et d’« humaine engeance » (v. 43).

Lecture d’image
13. Montrez que le lion incarne la puissance royale.
Le lion, dans l’imaginaire collectif, est l’incarnation de la puissance. La Fontaine, et d’autres artistes, en ont fait le symbole
de la puissance royale. Grandville, sur cette image, montre le lion assis sur un trône de pierre, habillé à l’antique d’une
toge et d’une couronne de lauriers. Il surplombe les autres animaux, une patte sur le corps mort d’un ennemi redoutable,
l’ours, et une autre patte appuyée sur l’accoudoir de pierre, le corps en avant, dans une situation d’impatience ou de
colère. Derrière lui, un blason représentant un lion, accentue la référence au pouvoir royal.

14. Comment sont montrés les courtisans ?


Les courtisans sont représentés par un renard en tenue de seigneur qui s’incline devant le lion. Cette position de respect
et de soumission est accentuée par l’expression humble et apeurée du courtisan. Derrière lui, en arrière-plan, deux lapins
semblent effarés. Les autres courtisans présents (le singe, par exemple) sont morts ou réduits à l’état d’ossements.

15. Commentez le décor qui entoure les personnages.


Le décor est antique (trône de pierre, colonnades) et montre une certaine décrépitude, de celle des royaumes tombés
dans le déclin et la décadence. Les colonnes sont brisées, le palais qui les abritait est envahi par la végétation. Tout autour
du trône, des ossements, des cadavres et, auprès du roi, un vautour, symbole des charognards. Cette représentation de
la cour du lion par Grandville est une critique du pouvoir monarchique.

Illustration de « La cour du lion » par J. J. Granville, 1864 (Bibliothèque Stanislas, Nancy).

28
Étude de la langue
Lexique
16. Recherchez l’étymologie et le sens du mot « satire ». Trouvez ensuite un homonyme et un antonyme que vous
emploierez dans une phrase de votre invention.
Le mot « satire » a une origine inattendue. Il vient du latin satira, variante d’un autre mot latin, satura, qui désigne la
macédoine de légumes, appliqué en littérature pour parler de textes mélangeant les genres. C’est au sujet de deux auteurs
latins, Juvénal et Horace, que le terme a indiqué la critique des vices dans un poème.
La satire est un texte attaquant et critiquant les vices et les ridicules des hommes.
Le « satyre » est un homonyme de la « satire » : il désigne un homme lubrique, exhibitionniste mais aussi un faune (une
divinité à corps d’homme, à pieds et cornes de bouc) faisant partie du cortège des débauches de Dionysos. Ex. : On dit
aux enfants de se méfier des satyres qui rôdent autour des écoles.
L’éloge est un antonyme de la satire, puisqu’il loue les qualités des hommes, apporte, au contraire de la satire, un
jugement favorable destiné à mettre en valeur. Ex. : Ses professeurs l’ont félicitée : ils l’ont couvertes d’éloges.

Grammaire
17. Dans la fable Le berger et le roi (X, 9), relevez les connecteurs logiques des vers 1 à 21 et indiquez la relation logique
qu’ils expriment.
CONNECTEUR RELATION LOGIQUE
v. 4 : si Condition
v. 7 : car Cause
v. 8 : mais Opposition
v. 13 : grâce aux Cause
v. 14 : par Cause
v. 19 : quoiqu’il Opposition
18. Dans la même fable, reformulez les vers 14 et 21 de manière à faire ressortir pour l’un la cause, pour l’autre la
conséquence.
v. 14 : « Le berger plut au roi par ces soins diligents » à Le berger plut au roi parce qu’il soignait avec précaution ses
moutons.
v. 21 : « Il avait du bon sens ; le reste vient ensuite » à Il avait du bon sens donc le reste vient ensuite.

19. Relevez et analysez les expansions des noms des vers 1 à 18 de Jupiter et les tonnerres (VIII, 20).
Il existe trois types d’expansions du nom : l’adjectif qualificatif épithète ; le groupe prépositionnel complément du nom
et la proposition subordonnée relative complément de l’antécédent.

NOM EXPANSION
Adjectif qualificatif Groupe prépositionnel Proposition subordonnée relative
Épithète Complément du nom Complément de l’antécédent
v. 2 : « haut » des airs
v. 3 : « hôtes » nouveaux
v. 4 : « cantons » de l’univers
v. 5 : « race » qui m’importune et qui me lasse
v. 8 : « Furie » la plus cruelle
v. 10 : « Race » que j’ai trop chérie
v. 14 : « rois » qu’il voulut faire arbitres de notre sort
v. 15 : « arbitres » de notre sort
v. 17 : « orage » qui la suit
v. 18 : « intervalle » d’une nuit

20. Dans Le lion (XI, 1), relevez les propositions subordonnées conjonctives circonstancielles.
On peut trouver plusieurs propositions subordonnées conjonctives circonstancielles dans cette fable :
- v. 7 : « Comme entre grands il se pratique » : circonstancielle de comparaison ;
- v. 15 : « S’il garde ce qu’il a » : circonstancielle de condition ;
- v. 20-21 : « Avant que la griffe et la dent / Lui soit crue » : circonstancielle de temps ;
- v. 21 : « qu’il soit en état de nous nuire » : circonstancielle de temps (« que » mis pour « avant que ») ;
- v. 29-30 : « tant qu’enfin / Le lionceau devient vrai lion » : circonstancielle de conséquence ;

29
- v. 43 : « S’il n’en est pas content » : circonstancielle de condition ;
- v. 50 : « Quoi que fît ce monde ennemi » : circonstancielle d’opposition ;
- v. 53 : « Si vous voulez le laisser craître » : circonstancielle de condition.

Stylistique
21. Le « dieu de Cythère » (p. 171, v. 45), « le manoir liquide » (p. 173, v. 32), « l’hôte des terriers » (p. 179, v. 10) : quelle
figure de style identifiez-vous ?
Ces expressions sont des périphrases : le « dieu de Cythère » est l’amour, le « manoir liquide » désigne la mer, l’océan,
l’« hôte des terriers » est le renard, qui s’invite dans les terriers.

EXPRESSION
Expression écrite
Commentaire
22. Faites le commentaire du Rat qui s’est retiré du monde, en montrant comment la fable favorise la visée satirique
du texte.
On pourrait, pour ce texte, voir comment s’appliquent les différentes méthodes d’approche des textes pour le
commentaire :
- celle qui part de la définition du texte et des impressions de lecture
- celle qui part d’une analyse linéaire
1- La première méthode appliquée au texte
Il s’agit de définir les caractéristiques du texte : objet d’étude, genre, formes de discours, registres et autres qualifications,
thème, appartenance à un mouvement littéraire, objectifs de l’auteur.
- Objet d’étude : imagination et pensée ; l’argumentation (apologue – argumentation indirecte)
- Genre : poésie (fable)
- Formes de discours : narratif, descriptif et argumentatif
- Registres et qualifications : ironique, satirique + plaisant
- Thème : égoïsme et misanthropie des moines ; religion
- Appartenance à un mouvement littéraire : classicisme (volonté d’instruire le lecteur, en suscitant son émotion ; retrouver
l’universalité des caractères et des passions ; imitation des anciens ; style simple et naturel…)
- Objectifs de l’auteur : présenter une satire du monachisme ; raconter une histoire plaisante ; rechercher l’adhésion du
lecteur
À partir de ces éléments, une problématique, des axes, un plan peuvent commencer à émerger (mise en évidence de ce
qui paraît le plus important, ou le plus exploitable et relevé d’éléments du texte) :
- Idées importantes (axes retenus) : la forme du texte (son genre, la forme de discours principale ─ la narration) ; les
registres satirique et ironique employés pour une critique, une dénonciation.
> visée satirique
> aspect plaisant du conte
> analyse des procédés de l’argumentation indirecte, par l’apologue
NB : validation des axes par la présence d’éléments du texte pour aider à la démonstration et par la nécessité de prouver
quelque chose (« je veux montrer que… »)
Relevé dans le texte et classement de la matière utile au commentaire :
- les aspects et caractéristiques du conte, de la fable
- les aspects de la critique
Problématique possible : En quoi la fable favorise-t-elle la visée satirique de La Fontaine ?
Mise en forme d’un plan détaillé :
I. Un conte plaisant
A. distanciation spatiale et temporelle
B. personnification et caractère humain
C. le conteur et son auditoire
II. Une satire habile
A. jeu d’oppositions
B. ironie du moraliste
C. cible actuelle, cible éternelle
Rassemblement du savoir autour du texte :
- l’auteur
- son œuvre
30
- le contexte historique : la guerre de Hollande et le refus du clergé de participer à l’effort de guerre
- l’intertexte : Tartuffe, tradition anticléricale
- le mouvement littéraire
- citations (sur la fable)
- connaissance du genre

Rédaction d’une introduction et d’une conclusion :
• Introduction :
- accroche (généralité utile)
- présentation du texte
- annonce de la problématique et du plan
• Conclusion :
- récapitulation
- ouverture (critique du clergé dans les fables : hypocrisie et exploitation des autres)

2- La seconde méthode appliquée au texte


Il s’agit de faire émerger les idées à partir d’une observation ligne à ligne (ou vers à vers) du texte. Analyse linéaire qui
permettra de faire jaillir des points forts, des points de rapprochement. Chaque relevé fait l’objet d’une analyse ou d’une
remarque.
Remarque formelle générale : alternance irrégulière d’octosyllabes et d’alexandrins.
Structure du passage : v. 1 à 12 : situation initiale : la retraite fructueuse d’un rat
v. 13 à 23 : élément perturbateur : la requête des rats
v. 24 à 31 : résolution de l’action : la réponse de l’ermite
v. 32 à 35 : conclusion en forme de morale

RELEVÉ COMMENTAIRE
v. 1 : Levantins Choix de l’exotisme par un déplacement de l’histoire au Proche-Orient
à volonté de distance
v. 1 : en leur légende Distance temporelle (légende connotant un temps lointain et une part
d’imagination) ; leur (pronom possessif qui accentue la distance avec la France)

v. 2 : un certain rat Généralisation (article indéfini ; déterminant indéfini)


v. 2 : las des soins d’ici-bas Raison donnée à cet isolement monacal : non pas la spiritualité mais la fuite
des soucis du monde)
v. 3 : fromage de Hollande Limite de la distanciation ? rapprochement européen. Allusion à la guerre de
Hollande (commencée en 1672).
v. 4 : Se retira loin du tracas Retraite liée à une fuite égoïste (pas de préoccupation religieuse)
v. 6 : partout à la ronde Rondeur du fromage ; jeu de mots.
v. 7 : Notre ermite nouveau Présence du conteur ; caractère récent de la vocation : vocation sincère ?
v. 7 : Subsistait là dedans Impression de survie (« pour subsister jusqu’à la saison nouvelle ») ; lieu
désigné par deux adverbes sans indication de description : lieu neutre, voire
inconfortable.
v. 8 : Il fit tant Activité extrême pour se sauver : énergie pour son propre profit.
v. 8 : de pieds et de dents Personnification du rat ; faire des pieds et des mains : activité extrême (actions
du corps, pas de l’esprit)
v. 9 : en peu de jours Rapidité de l’exécution – action miraculeuse ?
v. 10 : Le vivre et le couvert Redondance de la préoccupation : voracité (éloignement de l’ascèse et des
privations qui vont de pair avec l’isolement monacal)
v. 10 : que faut-il davantage ? Question rhétorique ; implication du lecteur ; suggestion d’une vie de
privations
v. 11 : Il devint gros et gras Réponse à la question implicite ; réponse attendue : « Rien » ; réponse
effective : le rat vit en pacha, pas en reclus.

31
v. 11-12 : Dieu prodigue ses biens / A Générosité et protection divine (les bienfaits que Dieu accorde) ; sentence
ceux qui font vœu d’être siens (vérité générale) ; vie au service de Dieu.
On poursuit l’analyse au brouillon, en notant les éléments qui paraissent intéressants :
v. 13 : ironie qui pointe « dévot personnage »
v. 15 : euphémisation : persuasion
v. 16 à 23 : Discours indirect libre : volonté de se montrer aussi humble que le rat ; accumulation d’éléments persuasifs
(éloignement, férocité de l’ennemi, indigence…)
v. 18 : Ratopolis : exotisme (du côté de la Grèce)
v. 24 : espoir dans l’apostrophe « Mes amis » ; le solitaire (nom donné aux ermites jansénistes de Port-Royal : cible ?)
v. 25 : raison du refus : donnée générale : retraite du monde
v. 26 : mise en avant de sa faiblesse : « pauvre reclus » (ironie) ; questionnement rhétorique
v. 27 : mise en exergue de l’aide : rejet de « vous assister » ; questionnement rhétorique ; « que peut-il faire » vs « Il fit
tant »
v. 28 : report de la responsabilité sur Dieu ; quelle action ? une absence d’action : « prier » ; « en ceci » (neutralité,
désintérêt)
v. 29 : indifférence : « quelque souci »
v. 30-31 : fin de non-recevoir : « cette sorte » « nouveau saint » (comportement différent de la tradition de charité) ;
clôture de l’histoire / fermeture sèche de la porte
v. 32-33 : « je », « votre » : présence du conteur et du destinataire ; « votre avis » : nécessité de réflexion, participation
du lecteur, complicité. Devinette (aspect plaisant)
v. 34 : Question-réponse : « Un moine ? » Récusation immédiate : « une dervis » : éloignement géographique ; proximité
des deux assurée par le « mais »
v. 35 : présence du « je » ; hypothèse (manque de certitude mais volonté de se dédouaner) ; ironie.
Regroupement des idées proches
Dégagement des axes et de la problématique :
> on doit pouvoir arriver au même résultat avec les deux méthodes
> l’avantage de la seconde est qu’elle offre une proximité immédiate avec le texte
Rédaction de l’introduction et de la conclusion

Commentaire du texte
Le rat qui s’est retiré du monde
Cette fable de La Fontaine permet de s’interroger sur le rôle critique de l’apologue et de se demander ainsi en quoi le
récit favorise la visée satirique du fabuliste.
Dans un premier temps, nous aborderons la fable comme un récit plaisant, en mettant en valeur ce qui constitue
l’agrément de ce conte.
Puis nous nous intéresserons à l’enjeu et aux procédés satiriques du texte.
I- Un conte plaisant
Tout d’abord, le recours au récit apparaît comme une façon de divertir le lecteur pour l’intéresser à sa cause. La
construction de la fable elle-même, par succession d’étapes narratives propres au conte, semble mimer un genre florissant
au XVIIème siècle. La Fontaine l’a pratiqué (en vers), comme ses contemporains Charles Perrault, Mme d’Aulnoy et
d’autres nombreuses femmes-conteuses. La fable suit ainsi, en accéléré, le schéma narratif caractéristique des contes.
A. Distanciation spatiale et temporelle
Pour faire de sa fable un texte purement fictif, La Fontaine va se servir de différents moyens pour créer une distance avec
la réalité de son temps.
- distanciation spatiale par le recours à l’Orient mythique, encadrant la fable : « les Levantins » du premier vers appelant
le « dervis » du v. 34 ;
- distanciation temporelle : l’action se passe dans un temps lui aussi mythique : celui de la « légende » ;
- distanciation avec la réalité et le monde sensible : la « légende » renvoyant à un univers fictif et souvent merveilleux ;
« Ratopolis » (au vers 18) plongeant le récit à la fois dans la Grèce antique (formation du mot sur celui de la Cité grecque)
et dans le bestiaire humanisé de La Fontaine.
à univers fantaisiste, riche et divers pour brouiller les pistes.
B. Personnification et caractère humain
Dans cette recherche du divertissement propre aux classiques (instruire et plaire), la personnification prend une place
importante. Ainsi, le choix de transposer le monde des humains en monde animalier permet à La Fontaine de proposer

32
un agrément de façade efficace. Les traits de la personnification : éléments de la double lecture (un rat humain,
incarnation d’un caractère humain).
C. Le conteur et son auditoire : dialogues
L’art de La Fontaine est un art de la diversité et son objectif est de ne pas ennuyer son lecteur. Pour cela, il endosse le
rôle du conteur, faisant dialoguer ses personnages, jouant de la versification tout en s’adressant à son auditoire.
Pour plaire, le récit doit être vivant, et La Fontaine trouve l’agrément dans l’art du dialogue.
- diversité du vers
- conversation avec le lecteur
[Transition]
Les attributs du conte, la diversité qu’il amène et l’agrément qu’il propose, permettent une légèreté de façade favorisant
cependant une profondeur du propos, une visée critique de la fable, une satire habile.

II- Une satire habile contre les moines


En choisissant, pour incarner un moine, un rat, animal qui, dans ses Fables, est souvent stupide ou vantard, La Fontaine
semble diriger la lecture vers une critique de l’état monastique.
A. Un portrait peu élogieux
Le moine-rat de la fable subit en effet un portrait féroce :
- goinfrerie
- égoïsme : euphémisation de la demande
- misanthropie (en dépit d’une amorce de réponse qui laisse un espoir).
B. L’ironie du moraliste
La satire de La Fontaine passe par une ironie mordante. Si La Fontaine critique l’opportunisme du rat-moine, devenu
« ermite nouveau » par gloutonnerie plus que par vocation religieuse, il le fait par opposition des paroles aux actes. Ainsi,
à ses valeurs chrétiennes supposées (« dévot personnage ») s’opposent l’égoïsme et un refus d’assistance. Celui qui peut
tant pour lui-même (« il fit tant, de pieds et de dents ») semble ne rien pouvoir faire pour les autres : d’ailleurs, son refus
n’est pas tout à fait personnel puisqu’il s’efface derrière le pronom « il » qui semble excuser un autre que lui : « que peut-
il faire ? » (v. 27)
La Fontaine peut alors laisser libre cours à l’ironie par les antiphrases utilisées : outre le « dévot personnage » (v. 13), le
« pauvre reclus » du vers 26 (alors qu’il semble profiter d’un certain confort) ou le « nouveau saint » (v. 31) permettent
une certaine complicité avec un lecteur qui n’est pas dupe de la critique.
La dénégation finale, qui fait passer la cible du moine au dervis, et la supposition qui clôt la fable, laisse planer le doute
sur la charité des moines. La critique est cinglante, bien que sous-entendue, la charité des moines étant sérieusement
contestée.
C. Cible actuelle, cible éternelle
La critique touche une partie du clergé catholique français (les moines), mais semble se généraliser à l’ensemble des
religieux. Ainsi, la cible est à la fois très précise pour les contemporains de La Fontaine et s’étend à une critique plus
globale de la religion.

23. Quels avantages présente le recours à l’argumentation indirecte dans Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) ?
Analyse de la question et re-formulation :
- avantages : ce qui est utile, profitable
- argumentation indirecte : recours au récit pour faire passer un message à visée didactique, critique, morale…
à En quoi le choix de l’argumentation indirecte est-il favorable au passage du message ?
Quels avantages ?
- la séduction par le récit
- le détournement de la censure / la possibilité de sauver sa peau
- la possibilité de faire passer un message, une critique
I- Une avantageuse séduction par le récit en vers
L’argumentation indirecte a pour principe de faire passer un message par l’agrément d’un récit : dans la fable inaugurale
du livre VI des Fables, La Fontaine insiste sur ce fondement de l’apologue : « Le conte fait passer le précepte avec lui. »
Ainsi, « Les Obsèques de la lionne » illustrerait, par les techniques narratives, aussi bien que par la variété de la
versification, cet avantage de l’apologue qui permet de séduire par le récit.

A. Attraits de la narration et du dialogue


1. La progression narrative (rebondissements, récit alerte…)

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- concision du récit : rapidité du récit (mort de la lionne > organisation des obsèques > obsèques > dénonciation du Cerf >
défense du Cerf > fête)
- récit guidé par un narrateur
2. Qui commente régulièrement son récit :
- v. 5 : « Qui son surcroît d’affliction » (présent de vérité générale)
- v. 10 : « Jugez si chacun s’y trouva » (ellipse)
- v. 14 : « Les Lions n’ont point d’autre temple » (présent de vérité générale)
- v. 17-24 : définition du courtisan (pause explicative, ralentissement du récit)
- v. 30-31 : maxime, sentence : référence aux Proverbes de Salomon dans la Bible.
- v. 32 : « Mais ce Cerf n’avait pas accoutumé de rire »
3. Qui dirige son récit :
- v. 24 : « Pour revenir à notre affaire » (implication du lecteur ; fin de la digression)
- v. 28 : « Bref » (adverbe)
à Cela donne de la vivacité au récit.
4. Les paroles rapportées
La Fontaine a apporté au genre court de la fable à la façon d’Ésope ou de Phèdre un moyen d’étoffer et de rendre vivante
sa fable : les paroles des personnages.
- le discours narrativisé des courtisans (v. 2 à 5) qui n’a pas besoin d’être développé pour être compris : banalités de la
consolation.
- le DIL du Roi (v. 6-10), qui montre la solennité de ses propos (à la fois repris et entendus)
- le DI du flatteur-délateur : discours indirect, comme l’est la façon de dénoncer hypocritement.
- le moment fort du récit, celui qui constitue une scène sur le plan narratif aussi bien que sur le plan théâtral, est celui du
DD du lion et la réponse, selon les mêmes modalités, du cerf.
à On peut ajouter à ces moyens de dynamiser le récit par la parole celle du narrateur qui intervient, comme dans un
exposé, par le « je » v. 17 ainsi que la prise en compte du lecteur dans la morale (succession d’impératifs : « Amusez,
flattez, payez » et présence du pronom « vous » v. 55).
B. Diversité de la versification
Mais La Fontaine ne se contente pas de rassembler tout ce qui fait l’agrément d’une histoire bien racontée ; il fait le choix
des vers : celui de la diversité.
1. Le mètre au service du sens
La Fontaine fait de l’hétérométrie un principe poétique de la diversité.
Ainsi, il choisit l’alternance irrégulière des alexandrins et des octosyllabes, ce qui confère à sa fable une grande souplesse.
Souvent, les alexandrins représentent une certaine gravité, une majesté que viennent rompre un octosyllabe, en même
temps qu’il rompt le rythme.
La métrique est alors au service du sens :
- mise en valeur
Les octosyllabes des vers 27 et 29 succèdent à des alexandrins ; la rupture est nette et semble mettre en valeur à la fois
la cruauté de la reine défunte et la traîtrise du courtisan.
- mimétisme des attitudes
Les octosyllabes des premiers vers rendent compte de la vitesse avec laquelle les courtisans agissent et se rendent à leurs
devoirs. (v. 2) : le mètre insiste sur l’aspect mécanique et servile du comportement des courtisans.
L’alexandrin au vers 4 mime les devoirs liés aux funérailles, et insiste sur le même aspect servile et affecté (la diérèse sur
« consolati-on » l’appuie encore)
Mais l’alexandrin est surtout là pour accompagner le discours du lion (montrer sa majesté aux vers 34-35) aussi bien que
l’octosyllabe dans ses propos souligne le caractère impérieux et autoritaire des ordres du roi (v. 36-38)
2. Jeux de rimes, jeux de vers
De la même façon, certaines rimes ou certains effets métriques permettent d’appuyer le sens ou d’apporter une certaine
fluidité.
• Rimes :
- v. 1-2 : « mourut / accourut » : agitation des vivants : comédie sociale qui se met en marche automatiquement.
- définition par les rimes du Courtisan : v. 16-21 : « courtisans = gens indifférents (gens sans intérêt, sans importance)
ballottés entre « être » et « parêtre » à cause de leur « maître » qui les empêche d’être sincères et honnêtes.
- v. 30-31 : « Salomon » / « Lion » : Salomon, roi biblique d’Israël connu pour ses jugements pleins de sagesse ; le lion de
la fable est arbitraire, juge sur délation, se venge.
• Enjambements, rejets et contre-rejets :
- ils rendent la fable fluide et cassent toute régularité des vers tout en faisant ressortir des effets de sens

34
- v. 2-4 : enchaînement rapide (conforme à l’attitude des courtisans)
- v. 6-10 : ordres du roi
- v. 26-27 : mise en valeur par le contre-rejet de la cruauté de la reine
- v. 35-36 : mise en valeur du roi-divin
On le voit, La Fontaine, dans son choix de l’argumentation indirecte, choisit de mettre en œuvre des procédés de la variété
et de la diversité, de façon à séduire son lecteur, tant par la richesse du rythme de son récit, que par les paroles rapportées,
que par la fluidité des vers. C’est un avantage certain que l’apologue a sur l’argumentation directe, qui peut être pesante
et indigeste.
Par ce biais, indirectement, l’apologue permet de contourner bien des dangers.

II- Une profitable contournement des dangers


La Fontaine n’a jamais subi la censure royale. Sa liberté de ton aurait pu le mettre nombre de fois en danger. Mais Louis
XIV semblait tolérer les Fables de La Fontaine, notamment en raison du peu de cas qu’il faisait du genre de la fable, noble
bas et sans importance.
Mais c’est dans le genre lui-même que La Fontaine trouve sa protection, sa couverture : la double lecture est toujours
possible, mais le fabuliste aime à rappeler que ces fables sont des « badineries », des simples façons de faire parler des
animaux.
Dans ce texte, La Fontaine marque sa présence par un conseil cynique autant que par la présence de son double : le Cerf.
A. Conseils pratiques et définition de la fable
1. Une morale dangereuse et effrontée :
Comment se faire aimer des rois ? En leur mentant et en les flattant.
- conseils donnés par des impératifs « Amusez, flattez, payez »
- quels destinataire : les courtisans ? le commun des mortels ?
- quelle cible ? « les rois » (façon de se protéger par la généralisation)
2. Définition de la fable comme un mensonge :
- « agréables mensonges »
- « songes »
à idée d’irréalité (celle de l’apologue », agréable lui aussi et qui permet de faire passer bien des critiques)
à impunité pour La Fontaine, grâce à ses fables.
B. Le discours du cerf, double du fabuliste
Le cerf contourne le danger (un danger de mort immédiate) par une fable (fable dans la fable v. 41-49) et par des voies
qui sont celles du mensonges et de la parole à double sens.
1. Composition du discours du cerf :
- il capte l’attention du roi (apostrophe respectueuse « Sire ») en allant à l’encontre des fausses consolations du début :
« le temps des pleurs / Est passé » à parole choquante en plein enterrement
- double sens : « la douleur est ici superflue » : il ne faut plus pleurer ou la reine ne mérite pas ces pleurs.
- compliments, flatteries et valorisation : « votre digne moitié »…
- euphémisme : « couchée entre des fleurs »
- mise en valeur de sa personne et du lien d’amitié avec la reine : « je », « m’ », apostrophe « Ami »
- prosopopée (figure de style qui consiste à faire parler les morts, ce qui constitue une sorte d’argument d’autorité) qui
permet d’expliquer le comportement atypique du cerf.
à Le cerf est ainsi un double du fabuliste : ils font tout deux de la littérature pour s’innocenter. Pourtant tous deux sont
coupables : l’un ne respecte pas le protocole ; l’autre dénonce les vices du pouvoir.
Si La Fontaine se protège par l’argumentation indirecte, c’est parce que ses fables, et particulièrement celle-ci, présentent
une critique féroce du pouvoir et de la cour.

III- Une critique féroce de la cour


« Les Obsèques de la lionne » montrent une critique à la fois claire et explicite (le fabuliste dénonce en son nom l’attitude
courtisane, montre dans la morale la crédulité des rois) et une critique implicite, qui est tout l’avantage de l’apologue.
Ses cibles sont à la fois l’autorité de pouvoir royal et la servilité des courtisans.
A. Nature autoritaire du pouvoir royal
- convocation, réglage des moindres détails
- roi au chagrin exagéré et démonstratif (hyperbole v. 12-13) ; terrible dans sa colère, arrogant et méprisant avec les
faibles
- roi cruel qui condamne arbitrairement et sur délation
- roi sensible à la flatterie, qu’il récompense

35
- formes impératives
B. Servilité des courtisans
- absence d’individualité propre : pronom indéfini « chacun » « chacun accourut », « chacun s’y trouva » ; « on »
- emploi de termes collectifs : « la compagnie », « Messieurs les Courtisans » (emploi ironique de mépris), « la Cour »,
« peuple », « les gens », « mille corps »
- la rapidité de leur réaction : « aussitôt »
- comportement mimétique : emplois métaphoriques de « caméléon » et de « singe » (animalisation péjorative), « de
simples ressorts » (déshumanisation) à la cour devient un mécanisme dont le courtisan est un rouage
- rapprochement de termes singuliers et pluriels « les gens / Prince », « un esprit / mille corps »
- l’homme de cour est changeant : antithèse – chiasme v.18 + rythme irrégulier et sautillant du vers
- l’hypocrisie : v. 20 « parêtre » rime anti-sémantique et riche avec « être »

Carnet de lecture et d’écriture


24. À la manière de La Fontaine, réécrivez en vers la fable d’Abstémius Le Lion et le Loup. Vous y ajouterez une morale
à portée critique contre le pouvoir royal.
Le Lion et le Loup d’Abstémius est un texte dont La Fontaine a fait usage pour ses fables, sans en garder toutefois ni
l’intrigue originelle, ni la morale (Le Lion, le Loup et le Renard, VIII, 3). Voici cette fable :

Le Loup et le renard chassaient ensemble. Ils forcèrent un Cerf qu’ils allaient partager, lorsque survint le Lion, qui
prit un tiers de la proie, comme Roi des Animaux. Le loup voulut s’y opposer. Mais le Lion lui enleva entièrement la
peau de la tête. À peine put-il gagner son gîte. Après cette expédition, le Lion se tourna vers le Renard, et lui demanda
s’il voulait quelque chose ? « Mon Roi, répondit le Renard, je consens non seulement que vous preniez le tiers du
Cerf, mais encore que vous l’emportiez tout entier. – Qui t’a appris à si bien parler, demanda le Lion ? – Le bonnet
rouge que vous avez mis au Loup, mon compagnon », lui répondit le Renard.
Il vaut mieux céder une partie de ce que l’on possède, que de perdre tout.
Traduction M. Pillot, 1814

Si l’on compare ce texte avec les vers de La Fontaine, on constate la sécheresse de cette prose, quand bien même le
dialogue est présent. Il faut donc, pour cet exercice, écrire en vers cette fable, en ajoutant une morale dirigée contre le
pouvoir royal.
Exemple :
Un Loup et un Renard, tous deux de compagnie,
Chassaient un jour ensemble en un bois reculé.
Bien loin de la cité, aucun ne se plaignit
D’être de tout impôt ainsi dissimulé.
Point de cens à payer, de gabelle à lever,
La proie serait pour eux,
Des pieds au bout du nez,
Leur entier pot-au-feu.
A cent pattes de là se présente un beau cerf,
Sévèrement casqué.
« Attaquons ! – Volontiers ! » Si le premier se sert
De sa férocité
Le second, plus rusé, plus matois, plus futé,
Élabore le plan qu’il faut exécuter.
Ils firent tant que le pauvre Actéon
Mourut sous les coups de leur barbarie.
Proie nouvelle à leur panthéon,
Belle bête, ma foi, pour leur gros appétit.
A l’heure du festin, rêvant d’être repus,
Nos deux amis gloutons sont lors interrompus
Par un Lion.
Jugez alors leur émotion !
Rattrapés par le fisc, saisis par la finance,
Les voilà empêchés de jouir de tout leur bien.
« Un tiers pour la Régence !
C’est un tout petit rien… »,
S’écrie le puissant Lion. Mais le Loup s’interpose,
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Sort les crocs, sort les griffes.
Sire Lion s’avance et d’un geste agressif
Sur la tête du Loup soudainement il pose
Sa patte griffue.
Avec elle il retire – oh sanglante cagoule !
L’entière peau de notre ami le Loup
Qui s’enfuit en hurlant loin des bois, loin de tout,
Répandant après lui un sang noir qui s’écoule.
Le renard, spectateur de cet horrible drame,
Se tourne vers le Lion, se prosterne et lui dit :
« Seigneur, un tiers de l’animal qui brame
Est un prélèvement bien trop petit.
Prenez le tout.
Je n’ai pas faim. »
Il ne faut pas jouer au plus fin
Avec ce genre de matous.
Tous les rois sont semblables à ce lion avide :
Ils prennent sur nos biens jusqu’au moindre centime
Pour remplir des coffrets que, d’un air magnanime,
Ils vident.

Expression orale
Exposé sur un texte
25. Effectuez l’explication linéaire de La Cour du Lion (VII, 6).
On peut définir trois mouvements :
v. 1-14 : l’invitation du lion
v. 15-32 : le carnage et la prudence
v. 33-36 : la moralité
Des axes de lecture possibles :
I. L’art de la fable : simplicité et variété
II. La critique de la cour et du pouvoir royal
III. L’ironie comme arme critique
Pour les commentaires linéaires, on commence par rassembler, ligne à ligne, le matériau nécessaire à l’analyse.

26. Donnez la nature et la fonction des propositions subordonnées dans la phrase des vers 7 à 11.
La phrase à étudier est la suivante :
« L’écrit portait / [Qu’un mois durant le roi tiendrait / Cour plénière], [dont l’ouverture / Devait être un fort
N : Proposition subordonnée conjonctive complétive N : Proposition subordonnée relative
F : COD du verbe « portait » F : Complément de l’antécédent
« cour plénière »
grand festin, / Suivi des tours de Fagotin]. »

Entretien sur l’œuvre au programme


27. Quelle idée les Fables donnent-elles des relations conjugales au XVIIe siècle ?
Dans les Fables des livres VII à XI, on trouve quelques fables mettant en scène des hommes et des femmes dans le cadre
de la vie conjugale.
Le mal Marié (VII, 2), montre l’union impossible entre un mari et sa femme « querelleuse, avare, et jalouse » (v. 14). Elle
est si désagréable qu’il la chasse du foyer. La Fontaine, dans les premiers vers de la fable, en fait un hymne contre le
mariage ;
Dans La Fille (VII, 4), on n’a pas une idée de ce que donnera le mariage entre la fille et le « malotru » (v. 77), mais on ne
peut guère avoir d’espoir à ce sujet ;
La Laitière et le pot au lait (VII, 9) laisse supposer la violence conjugale (« En grand danger d’être battue », v. 27) et la
soumission de la femme à son époux ;
Les Femmes et le secret (VIII, 6) dénonce l’indiscrétion des femmes (et de certains hommes) et montre leur bêtise
supposée, facilement jouées par leur mari ;
Dans Le Mari, la Femme et le Voleur (IX, 15), La Fontaine montre le difficile quotidien des époux amoureux d’une femme
qui ne l’est guère. Les mariages arrangés en sont peut-être la cause.
37
Dans les Fables, l’image des relations conjugales est assez négative. La Fontaine était mal marié et reporte peut-être cette
frustration sur ses personnages. Il prône, en tout cas, la retraite et la solitude.

PATRIMOINE
28. Recherchez des œuvres littéraires ayant pour personnages des animaux servant à la critique des hommes.
Parmi les nombreuses œuvres littéraires ayant pour personnages des animaux servant à la critique des hommes, on peut
citer :
- le Roman de Renart ;
- Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll ;
- La Métamorphose de Kafka ;
- Mémoires d’un Rat de Pierre Chaine ;
- La Ferme des animaux de George Orwell ;
- La Fameuse Invasion de la Sicile par les Ours de Dino Buzzatti ;
- Truismes de Marie Darrieussecq.
À partir de ces quelques titres, on pourra en proposer aux élèves la lecture, ainsi qu’une présentation succincte de
l’intrigue et des principaux aspects critiques et satiriques.

38
Séance  Imagination et pensée ► LIVRE ÉLÈVE P. 203

LECTURE
Lecture du texte
Lecture d’ensemble
1. Relevez, au fil de votre lecture, les morales qui sont restées dans le langage de tous les jours.
Dans les livres VII à XI, on trouve des phrases restées célèbres :
- Les Animaux malades de la peste (VII, 1) : « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous
rendront blanc ou noir » ;
- Le Héron (VII, 4) : « On hasarde de perdre en voulant trop gagner » ;
- Le Rat et l’Huître (VIII, 9) : « Tel est pris qui croyait prendre » ;
- L’Horoscope (VIII, 16) : « On rencontre sa destinée / Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter » ;
- L’Âne et le Chien (VIII, 17) : « Il se faut entraider, c'est la loi de nature » ;
- L’avantage de la Science (VIII, 19) : « Laissez dire les sots, le savoir a son prix » ;
- Le Milan et le Rossignol (IX, 17) : « Ventre affamé n'a point d'oreilles ».

Certains vers, moins connus, mériteraient de l’être, constats, conseils avisés ou art de vivre :
- La cour du Lion (VII, 7) : « Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, / Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère, / Et
tâchez quelquefois de répondre en Normand » ;
- Les Vautours et les Pigeons (VII, 8) : « Tenez toujours divisés les méchants » ;
- La Mort et le Mourant (VIII, 1) : « La Mort ne surprend point le sage ; / Il est toujours prêt à partir, / S'étant su lui-
même avertir / Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage » ;
- Le pouvoir des Fables (VIII, 4) : « Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant / Il le faut amuser encor comme un
enfant » ;
- Les Femmes et le secret (VIII, 6) : « Rien ne pèse tant qu'un secret : / Le porter loin est difficile aux dames ; / Et je sais
même sur ce fait / Bon nombre d'hommes qui sont femmes » ;
- L’Ours et l’Amateur des jardins (VIII, 10) : « Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ; / mieux vaudrait un sage
ennemi » ;
- Les deux Amis (VIII, 11) : « Qu'un ami véritable est une douce chose ! »
- Le Cochon, la Chèvre et le Mouton (VIII, 12) : « Quand le mal est certain, / La plainte ni la peur ne changent le destin ; /
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage » ;
- Le Torrent et la Rivière (VIII, 23) : « Les gens sans bruit sont dangereux / Il n'en est pas ainsi des autres » ;
- Le Statuaire et la Statue de Jupiter (IX, 6) : « Chacun tourne en réalités, / Autant qu'il peut, ses propres songes : /
L'homme est de glace aux vérités ; / Il est de feu pour les mensonges » ;
- Rien de trop (IX, 11) : « […] Rien de trop est un point / Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point » ;
- La Tortue et les deux Canards (X, 2) : « Imprudence, babil, et sotte vanité, / Et vaine curiosité, / Ont ensemble étroit
parentage. / Ce sont enfants tous d'un lignage » ;
- L’Enfouisseur et son Compère (X, 4) : « Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur » ;
- Les deux Perroquets, le Roi et son Fils (X, 11) : « L'absence est aussi bien un remède à la haine / Qu'un appareil contre
l'amour ;
- Les deux Aventuriers et le Talisman (X, 13) : « Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire ».
Il ne serait pas inutile de faire rechercher également les morales et phrases restées célèbres des premières Fables, souvent
étudiées au collège :
Par exemple :
- Le Corbeau et le Renard (I, 1) : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute » ;
- Le Loup et l’Agneau (I, 10) : « La raison du plus fort est toujours la meilleure » ;
- Les Frelons et les Mouches à miel (I, 21) : « À l'œuvre on connaît l'artisan » ;
- Le Lion et le Rat (II, 11) : « On a souvent besoin d'un plus petit que soi » ; « Patience et longueur de temps font plus
que force ni que rage » ;
- Le Renard et le Bouc (III, 5) : « En toute chose il faut considérer la fin » ;
- Le Chat et un vieux Rat (III, 18) : « La Méfiance est mère de la sûreté » ;
- Le Lion amoureux (IV, 1) : « Amour, Amour, quand tu nous tiens, / On peut bien dire : ‟Adieu prudence” » ;
- Le petit Poisson et le Pêcheur (V, 3) : « Petit poisson deviendra grand / Pourvu que Dieu lui prête vie » ;
« Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l'auras » ;
- Le Laboureur et ses Enfants (V, 9) : « Travaillez, prenez de la peine : / C'est le fonds qui manque le moins » ;

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- Le Cochet, le Chat et le Souriceau (VI, 5) : « Garde-toi, tant que tu vivras, / de juger les gens sur la mine » ;
- Le Lièvre et la Tortue (VI, 10) : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point » ;
- Le Chartier embourbé (VI, 18) : « Aide-toi, le ciel t'aidera ».

2. Étudiez le rôle du langage dans le livre VIII des Fables. Quelle fable du livre XI fait l’éloge de l’éloquence ?
Le langage, la parole, la voix sont des thématiques importantes des Fables : le dialogue y est omniprésent et nombre de
personnages se sortent des situations embarrassantes grâce aux mots.
La parole est d’abord une arme, comme le montre Le Lion, le Loup et le Renard (3) : la perfidie du loup, qui dénigre auprès
du roi le renard, est vengée par des mots : le renard en effet se justifie et fait tuer le loup par le lion, en prétextant que sa
peau sera un remède à son mal. C’est également une manière d’agir sur les foules comme dans Le Pouvoir des Fables (4),
de manipuler et d’agir sur les autres : dans « Le Rieur et les Poissons » 8), l’homme, par sa plaisanterie, arrive à ses fins ;
dans Les Obsèques de la Lionne (14), le Cerf se sort d’une mort assurée en payant le lion de bons mots, de flatteries et de
mensonges ; dans Le Bassa et le Marchand (18), le bassa convainc par ses arguments et l’apologue qu’il conte. La voix
peut être « traîtresse » (v. 1) dans Le Faucon et le Chapon (21) et le chapon, par peur de mourir, préfère ne pas faire
confiance à la voix de son bourreau. Enfin, le langage est dénaturé dans Les Femmes et le Secret (6) puisqu’une parole
tient lieu de vérité et est amplifiée à outrance.
Dans le livre XI, Le Paysan du Danube (7) fait l’éloge de l’éloquence : on admire « l’éloquence / Du sauvage » (v. 86-87)
qui en tire de grands biens. On veut même se servir de lui comme modèle d’éloquence : « Le Sénat demanda ce qu’avait
dit cet homme, / Pour servir de modèle aux parleurs à venir » (v. 91-92).

Livres VII à XI
Imagination
3. Quel est le rôle de l’imagination dans La Laitière et le pot au lait (VII, 9) ?
L’imagination, dans cette fable, a une double place : présente au cœur de l’histoire de Perrette, elle est ensuite
longuement analysée dans la morale.
Dans la fable, on entre dans la pensée de Perrette (dès le vers 8). L’adverbe « déjà » (v. 8) souligne la fertilité de
l’imagination de la jeune fille. Suit une série d’actions, marquée par la rapidité et l’ellipse : on passe très rapidement (deux
vers) du lait à une « triple couvée » (v. 10). L’imparfait employé suggère l’inachèvement des actions. Commence alors, v.
12 à 21, un monologue intérieur qui établit, dans la tête de la jeune femme, la succession de ses achats assurant sa
prospérité. On notera l’emploi du futur (« sera », v. 14 ; « coûtera », v. 16 ; « aurai », v. 18, etc.) pour évoquer ces
projections. On passe ainsi rapidement des poulets au cochon, du cochon à la vache et son veau… jusqu’au « troupeau »
(v. 21). Les dangers sont envisagés (« le renard », v. 14-15), comme ce qu’il en coûtera (champ lexical de l’argent). Dans
ce rêve éveillé, on notera l’intéressant emploi du passé, au vers 17 : « Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable »,
actant comme une réalité cette acquisition.
Dans la seconde partie du texte, v. 30-43, l’imagination est analysée. Elle est présente :
- sous la forme d’expressions : « ba[ttre] la campagne » (v. 30) ; « fai[re des] châteaux en Espagne » (v. 31) ;
- par l’évocation de personnages ambitieux « Picrochole, Pyrrhus » (v. 32).
La Fontaine analyse la rêverie (« Chacun songe en veillant », v. 34), comme un acte commun à tous les hommes. Loin de
la condamner, il montre quel bien elle apporte (« il n’est rien de plus doux », v. 34) et comment cette « flatteuse erreur »
gonfle l’égo et fait du bien à l’amour-propre. Rien n’est impossible : richesse (« tous les biens du monde », « honneurs »,
« femmes » (v. 35-36). Il livre même une expérience personnelle, confiant ses propres rêves de gloire (v. 38-41) avant la
chute fatale qui ramène au réel : « Je suis Gros-Jean comme devant » (v. 43).

4. P. 100-102, v. 40-91 : comment s’opposent raison et imagination dans Le Dépositaire infidèle (IX, 1) ?
Dans cette fable, La Fontaine dénonce l’absurdité des exagérations et des renchérissements, que ce soit par ruse ou par
vantardise. La première histoire racontée est celle d’un commerçant qui, ayant déposé du fer chez son voisin, ne peut le
récupérer, le voisin prétendant qu’un Rat l’a dévoré. Cette impossibilité, qu’il qualifie de « prodige » (v. 52) se heurte donc
à la raison : l’homme « feint de le croire » (v. 52). Pour se venger, le commerçant kidnappe le fils de son voisin et, le voyant
éploré, lui dit qu’il a vu son fils enlevé par un chat-huant. Là encore, l’histoire est incroyable, volontairement : « Comment
voulez-vous que je croie / Qu’un hibou pût jamais emporter cette proie ? » (v. 64-65). L’autre lui répond, moqueur : « Faut-
il que vous trouviez étrange / Que les chats-huants d’un pays / Où le quintal de fer par un seul rat se mange, / Enlèvent
un garçon pesant un demi-cent ? » (v. 71-74). Le mensonge est lié à l’imagination, mais quand il est trop gros, trop
incroyable, il se heurte à la raison. La seconde histoire est plus anecdotique : elle concerne une exagération sans
conséquences d’un voyageur qu’un autre refuse de combattre par des arguments : il préfère renchérir afin de lui montrer
l’absurdité de ce qu’il avance : « Quand l’absurde est outré, l’on lui fait trop d’honneur / De vouloir par raison combattre
son erreur ; / Enchérir est plus court » (v. 89-91).

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5. De quelle manière La Fontaine traite-t-il du pouvoir de l’imagination dans Le Statuaire et la Statue de Jupiter (IX, 6)
?
Dans cette fable, l’imagination du sculpteur est montrée comme illimitée : devant un bloc de marbre, il a tout pouvoir
créateur : « Qu’en fera […] mon ciseau ? / Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? » (v. 3-4). Le futur souligne cette réalité en
devenir : « Il sera dieu » (v. 5). Il réussit si bien son Jupiter qu’il se met à en avoir peur (v. 15-16). La Fontaine poursuit en
prétendant que l’imagination des hommes, des poètes, a créé les dieux (v. 19-20) et que l’humanité entière s’est prise au
jeu de cette invention (v. 25-28). Dans le dernier quatrain, il oppose le réel à l’imaginaire.

Destin et revers de fortune


6. Quelle réflexion porte La Fontaine sur le destin et l’art de le prédire dans L’horoscope (VIII, 16) ?
L’horoscope débute par une morale, illustrée par l’apologue, et qui est reprise au début du commentaire que fait le
fabuliste au sujet du destin et de l’astrologie : « On rencontre sa destinée / Souvent par des chemins qu’on prend pour
l’éviter » (v. 1) équivaut en effet à « cet art […] fait tomber dans les maux / Que craint celui qui le consulte » (v. 56-57). La
Fontaine émet immédiatement une réserve sur l’existence d’une telle science : « s’il est vrai » (v. 56), ce qu’il réfute
quelques vers plus loin : « je […] maintiens qu’il est faux » (v. 58). Pour lui, le destin ne peut pas être inscrit (« Je ne crois
pas que la nature / Se soit liée les mains », v. 59-60) car tout dépend du hasard, « d’une conjecture / de lieux, de
personnes, de temps » (v. 62-63). Qu’on prétende que le destin (ou Jupiter) ait décidé du roi et du berger lui paraît une
idée non recevable car le monde est si vaste et si rempli d’atomes minuscules qu’il est impossible à quiconque d’influencer
cette matière : « L’immense éloignement, le point, et sa vitesse, / Celle aussi de nos passions / Permettent-ils à leur
faiblesse / De suivre pas à pas toutes nos actions ? » (v. 79-82). L’astrologie est donc une imposture de « charlata[n] » (v.
64), un art « aveugle et menteur » (v. 90) qui profite parfois des hasards.

7. Comment La Souris métamorphosée en Fille (IX, 7) illustre-t-elle la force du destin ?


Dans cette fable, une souris métamorphosée par un sorcier en fille finit par choisir pour époux un rat. La Fontaine conclut :
« On tient toujours du lieu dont on vient » (v. 48) et ajoute, dans les quatre vers qui terminent le poème : « Il en faut
revenir toujours à son destin / C’est-à-dire, à la loi par le Ciel établie. / Parlez au diable, employez la magie, / Vous ne
détournerez nul être de sa fin » (v. 77-80). La souris-fille aurait pu prendre pour mari le soleil, le nuage, le vent, la
montagne, mais elle a été poussée vers le rat (v. 43-44).

8. Quels tours joue la « déesse inconstante » (p. 127, v. 36) dans la fable Le Trésor et les Deux Hommes (IX, 16) ?
La « déesse inconstance », la Fortune, qui symbolise le destin et la fatalité, change le destin de deux hommes : l’un
miséreux qui, en voulant se pendre, tombe sur un trésor, l’autre, propriétaire du trésor, un « avare » (v. 29), qui, voyant
que l’argent a disparu préfère se pendre avec la corde que l’autre avait laissée. La Fontaine estime que la Fortune a fait
« du troc » (v. 33), ayant décidé qu’un homme se pendrait, elle choisit celui qui s’y attendait le moins. Là encore, La
Fontaine insiste sur la destinée, étrange (« bizarre », v. 35), à laquelle il faut se soumettre.

Pensée
9. Expliquez la raison de la visite d’Hippocrate à Démocrite dans la fable Démocrite et les Abdéritains (VIII, 26). Qu’est-
ce qui oppose le philosophe et le peuple d’Abdère ?
Les habitants d’Abdère invitent Hippocrate à visiter Démocrite parce qu’ils le croient fou : « Son pays le crut fou » (v. 6),
« Sa folie est extrême » (v. 25). On le voit parler tout seul (v. 24). Hippocrate est censé « venir rétablir la raison du malade »
(v. 12). Pour eux, l’infinité des nombres (v. 16), la théorie de l’atome (v. 19-21) n’est pas compréhensible et ils le prennent
pour de la démence. Hippocrate ne met pas longtemps à comprendre qu’il est loin d’être fou…

Folie
10. Quelle place La Fontaine fait-il à la folie dans ses fables ?
Le thème de la folie est présent dans les Fables de La Fontaine. Le fabuliste en fait une catégorie sociale souvent associée
aux sages : « Autant les sages que les fous » (VII, 9, v. 33), « Sages, fous, enfants, idiots » (IX, Discours, v. 222). Au début
du livre IX, parlant de la fable, La Fontaine parle de la diversité de ses personnages : « Les uns fous, les autres sages / De
telle sorte pourtant / Que les fous vont l’emportant » (IX, 1, v. 9-11).
La folie des personnages est parfois dans leurs actions : le cierge se lance dans la flamme par « pure folie » (IX, 12, v. 14) :
il n’a pas raisonné, ne sachant « grain de philosophie » (v. 16). Le pigeon qui veut voyager est « assez fou pour
entreprendre / Un voyage en lointain pays » (IX, 2, v. 3-4). Il paiera son manque de prévoyance au prix de quelques plumes.
Certains personnages sont pris pour fous alors qu’ils sont sages : c’est le cas de Démocrite, incompris à son époque (« Son
pays le crut fou », « Sa folie est extrême », VIII, 26, v. 6 et 25). Un autre pourrait devenir « fou » de solitude (l’ours dans

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la fable 10 du livre VIII). On sent une sympathie pour les fous de la part de La Fontaine : « on a pour les fous / Plus de pitié
que de courroux », écrit-il aux vers 9 et 10 de « L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit »
(VII, 11). Enfin, un véritable dément est le personnage principal d’une fable : « Le Fou qui vend la sagesse » (IX, 7). La
recommandation est claire : ne pas s’approcher des fous. La Fontaine raconte l’histoire d’un fou qui piège les crédules
(plus fous que lui ?) et leur vend un morceau de ficelle en leur donnant une gifle. Finalement on comprend que la sagesse
vendue par le fou est la distance de ficelle vendue pour être tenu à distance des fous.

Amour-propre
11. De quelle manière la question de l’amour-propre est-elle traitée dans Le Lion, le Singe et les deux Ânes (XI, 5) ?
L’amour-propre, qu’on appellerait aujourd’hui plus facilement l’« ego », est vu dans la fable de La Fontaine comme « le
père, / […] l’auteur de tous les défauts » (v. 10-11). Le Singe met ainsi en garde de Lion contre les méfaits de l’amour-
propre, qui fait passer sa propre personne avant les intérêts de l’État : « pour régner sagement / Il faut que tout prince
préfère / Le zèle de l’État à certain mouvement / Qu’on appelle communément / Amour-propre » (v. 6-10). Le Singe
explique qu’il est difficile de ne pas lui donner la priorité et qu’il est déjà bien de vouloir le diminuer : « C’est beaucoup
de pouvoir modérer cet amour » (v. 16). Cela permettra au monarque de n’être ni ridicule ni injuste (v. 18-19). La fable
développe alors prudemment le premier point : comment l’amour-propre évite le ridicule (le Singe se garde bien, devant
la cruauté supposée du roi, de traiter l’autre point, v. 71-74). Il donne alors l’exemple de deux ânes qui se croient
supérieurs, en intelligence et pour la beauté de leur chant, aux hommes.
Le thème de l’amour-propre est traité par l’un des amis de La Fontaine, le moraliste La Rochefoucauld à qui il s’adresse
dans le « Discours » du livre X. Dans ses Maximes et réflexions morales (en 1678), il parle abondamment du sujet :
2 « L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs » ;
3 « Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues » ;
4 « L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde » ;
13 « Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions » ;
83 « Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts, et qu’un
échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à
gagner » ;
88 « L’amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que
nous avons d’eux ; et nous jugeons de leur mérite par la manière dont ils vivent avec nous » ;
324 « Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour » ;
339 « Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu’à proportion de notre amour-propre »
Maximes supprimées :
« L’amour-propre est l’amour de soi-même, et de toutes choses pour soi ; il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et
les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête
dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre » ;
« Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur de nos amis ne vient ni de la bonté de notre naturel, ni de
l’amitié que nous avons pour eux ; c’est un effet de l’amour-propre qui nous flatte de l’espérance d’être heureux à notre
tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune » ;
« L’amour-propre empêche bien que celui qui nous flatte ne soit jamais celui qui nous flatte le plus » ;
« Dieu a permis, pour punir l’homme du péché originel, qu’il se fît un dieu de son amour-propre pour en être tourmenté
dans toutes les actions de sa vie ».

Question de synthèse
12. Comment le Discours à Mme de La Sablière et la fable qui le suit (IX, 20) permettent-ils de montrer la littérature est
la jonction entre pensée et imagination ?
Dans ce discours, La Fontaine montre qu’il mélange dans la fable des éléments de réflexion, de la philosophie de l’époque :
« j’entremêle des traits / De certaine philosophie / Subtile, engageante et hardie » (v. 25-27). Si le texte adressé à Mme
de La Sablière est théorique, du côté de la pensée. Pourtant, afin de faire comprendre les idées qu’il y exprime, le fabuliste
a recours à des exemples qui sont du domaine de la fiction imaginative, même si les faits sont tirés du réel. La fable qui
suit le discours mêle imagination (la première partie de la fable) et réflexion (la seconde partie, qui est une reprise des
idées du discours).

Lecture d’image
13. Qu’est-ce qu’une eau-forte ?
L’eau-forte est un type de gravure lié à un procédé chimique. L’aquafortiste utilise un mordant chimique tel que l’acide
nitrique. Sur une plaque en métal (cuivre ou zinc), on étale un vernis résistant au produit chimique utilisé. Le dessin est

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exécuté sur ce vernis qui est ainsi retiré. La plaque est ensuite plongée dans le bain d’acide qui creuse ainsi l’espace où le
vernis a disparu. Le reste du vernis est alors retiré et la plaque encrée pour donner l’eau-forte.
Pour voir la technique de l’aquatinte (autre nom de l’eau-forte), suivre ce lien :
https://www.youtube.com/watch?v=_t4AuraeHeU

14. De quelle manière est représentée l’imagination de la laitière ?


Sur cette eau-forte d’Auguste Delierre, l’imagination de Perrette est montrée par la fumée qui s’élève au-dessus d’elle et
qui s’échappe du pot au lait. Dans cette fumée qui monte vers les cieux se trouvent les rêves de la laitière, un troupeau
de mouton et des volatiles. Elle-même semble dans une position de rêverie, alors qu’elle est étendue par terre à cause
d’une chute.

Eau-forte d’Auguste Delierre illustrant La laitière et le pot au lait, 1883 (Gallica)

15. Recherchez d’autres illustrations de cette fable et comparez-les.


Il existe de nombreuses illustrations de la fable de La Fontaine.

Gustave Doré Grandville Marc Chagall

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François Chauveau Jean-Baptiste Oudry Benjamin Rabier

Ces six illustrations ne sont qu’un petit échantillon des nombreuses manières qu’ont eues les illustrateurs de La Fontaine,
que ce soit pour l’édition de ses Fables, pour des jeux de cartes ou des publicités (sur des boîtes de camembert,
notamment). On a même détourné dans un but satirique ces fables, en 1939, pour en faire un pamphlet contre Hitler.
Ce qu’on remarque, c’est que toutes – hormis celle de Chagall – se concentrent sur l’accident et le constat de ses
conséquences. Les réactions de Perrette sont différentes, de la stupeur (Rabier) à la profonde tristesse (Doré). De même,
toutes ou presque ont pour point commun la fermette qui se trouve à l’horizon, parfois accompagnée des animaux que
la laitière rêve d’élever. Chez Oudry, la ferme se trouve côte à côte avec le donjon d’un château, marquant l’aboutissement
des rêves de la jeune femme. Si Chauveau saisit Perrette dans son élan d’enthousiasme et Oudry dans sa chute, le
mouvement est souvent présent par le lait qui se répand. Enfin, les rêves de la laitière sont souvent placés en haut de
l’illustration, parfois dans les nuages symbolisant ses chimères (Chagall, Rabier).

Étude de la langue
Lexique
16. Dans Le fou qui vend la sagesse (IX, 8), relevez les différentes manières de désigner les fous, puis trouvez des
synonymes du terme.
Hormis les désignations directes (« fous », v. 1 ; « fol », v. 8 ; « fou », v. 21 et « gens fous », v. 28), on trouve deux
expressions : « une tête éventée » (v. 4) et « un cerveau blessé » (v. 22).
Synonymes du mot « fou » : aliéné, dément, déséquilibré, dingue, forcené, insensé, malade mental, psychopathe… Au
registre familier, on en trouve une multitude : toqué, timbré, tapé, maboul, marteau, louf, jobard, givré, frappé, foldingue,
dingo, fada, barjo, braque, brindezingue, cinoque, etc.

17. Cherchez l’étymologie du mot « raison » (p. 115, v. 20).


Le mot « raison » vient du latin « rationem », du verbe « reri » signifiant « compter, penser ». le sens du mot « ratio » est
d’abord arithmétique. Au Moyen âge, ce sens s’affaiblit au profit de rapport de conformité d’une chose avec la vérité et
la réalité. Il désigne ensuite les facultés intellectuelles.

Stylistique
18. Commentez les rimes de la dernière strophe de la fable Le statuaire et la statue de Jupiter (IX, 6).
Les rimes finales de cette fable sont particulièrement intéressantes, le texte évoquant les rapports de l’homme aux
pouvoirs de l’imagination, étant capable de se créer des dieux, comme le statuaire effrayé de la statue de Jupiter qu’il
vient de sculpter.
Dans la dernière strophe, « réalités » rime avec « vérités », « songes » avec « mensonges ». Les rimes sont riches (3 sons
en commun), mais elles sont également riches de sens, faisant alterner les éléments de ce qui existe réellement et les
apparences. La Fontaine souligne ainsi la capacité de l’homme à croire à des illusions, alors qu’il se montre fermé à la
vérité, ou qu’il cherche à modifier le réel.

19. Dans la même fable, relevez les mots qui évoquent l’imagination.
Si « songes » (v. 34) et « mensonges » (v. 36) sont des représentants de l’imagination (imagination des rêves, des illusions,
et des histoires inventées), on trouve dans le texte d’autres mots qui évoquent l’illusion ou l’invention. Tout d’abord, dès
la première strophe, on comprend que l’imagination créatrice est dans les ciseaux du sculpteur qui peut faire ce qu’il veut
de son bloc de marbre « Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? » (v. 4). Optant pour un dieu, il en imagine la posture (« je veux
/ Qu’il ait en sa main un tonnerre », v. 5-6). L’art consiste à exprimer l’imagination (il « exprima si bien / Le caractère de

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l’idole », v. 10). Le mot « idole » en tant que représentation imagée d’une divinité, est un terme évoquant l’imagination.
Au vers 14, on trouve le mot « image », au vers 30 le mot « chimère ». On peut même considérer que le « cœur », opposé,
au vers 25, à « l’esprit », comme un synonyme de l’imagination.

Grammaire
20. Dans Le Coche et la Mouche (VII, 8), relevez aux vers 1-6 les verbes : identifiez leur mode, leur temps et leur valeur.
On relève 7 verbes conjugués entre les vers 1 à 6 du « Coche et la mouche ».
VERBE MODE TEMPS VALEUR
tiraient indicatif imparfait action de second plan, inachevée
était descendu indicatif plus-que-parfait antériorité
suait indicatif imparfait action de second plan, inachevée, actions successives
soufflait indicatif imparfait action de second plan, inachevée, actions successives
était indicatif imparfait action de second plan, inachevée, actions successives
survient indicatif présent narration
s’approche indicatif présent narration

21. Pour la même fable, réécrivez les vers 6 à 19, en remplaçant les verbes au présent par le temps du passé qui convient,
en respectant la concordance des temps.
Une mouche survint, et des chevaux s'approcha ;
Prétendit les animer par son bourdonnement ;
Piqua l'un, piqua l'autre, et pensa à tout moment
Qu'elle faisait aller la machine,
S'assit sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemina,
Et qu'elle vit les gens marcher,
Elle s'en attribua uniquement la gloire ;
Alla, vint, fit l'empressée ; il sembla/semblait que ce fût
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La mouche en ce commun besoin
Se plaignit qu'elle agissait seule, et qu'elle avait tout le soin ;
Qu'aucun n'aidait aux chevaux à se tirer d'affaire.

22. P. 83, v. 9-16 ; p. 94, l. 19-33 ; p. 137, v. 163 ; p. 145, v. 22-25 : étudiez l’interrogation dans ces extraits.
Toutes les questions de ces extraits sont directes :
p. 83, v. 9-10 : « pourquoi révérer / Des biens dépourvus de mérite ? »
p. 83, v. 15 : « tenez-vous table ? »
p. 83, v. 16 : « Que sert à vos pareils de lire incessamment ? »
p. 94, v. 19 : « Est-ce un bœuf, un cheval ? »
p. 94, v. 20 : « Hé qu’importe quel animal ? »
p. 94, v. 33-34 : « Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ? / S’outrant pour acquérir des biens ou de la gloire ? »
p. 137, v. 163 : « qui la guide ? »
p. 145, v. 22 : « D’où vous vient cet avis ? »
p. 145, v. 22 : « Quel est votre garant ? »
p. 145, v. 23 : « Êtes-vous sûr de cette affaire ? »
p. 145, v. 24 : « N’y savez-vous remède ? »
p. 145, v. 24 : « Et qu’est-il bon de faire ? »
p. 145, v. 25 : « Comment le ferons-nous ? »
• L’interrogation directe se fait par inversion du sujet et du verbe : p. 83, v. 15 : « tenez-vous table ? », p. 94, v. 19 : « Est-
ce un bœuf, un cheval ? », p. 145, v. 23 : « Êtes-vous sûr de cette affaire ? », p. 145, v. 24 : « N’y savez-vous remède ? ».
• À cette inversion sujet-verbe peut s’ajouter l’emploi d’un mot interrogatif, comme l’adverbe interrogatif (« pourquoi,
comment, combien) : p. 83, v. 9-10 : « pourquoi révérer / Des biens dépourvus de mérite ? », p. 94, v. 33-34 : « Combien
fait-il de vœux, combien perd-il de pas ? / S’outrant pour acquérir des biens ou de la gloire ? », p. 145, v. 25 : « Comment
le ferons-nous ? ».
• Les pronoms interrogatifs (qui, que, quel, d’où) permettent également de poser directement une question :
p. 83, v. 16 : « Que sert à vos pareils de lire incessamment ? », p. 137, v. 163 : « qui la guide ? », p. 145, v. 22 : « D’où vous
vient cet avis ? », p. 145, v. 22 : « Quel est votre garant ? », p. 145, v. 24 : « Et qu’est-il bon de faire ? ».
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• Le déterminant interrogatif peut également servir dans une interrogation directe : p. 94, v. 20 : « Hé qu’importe quel
animal ? ».
On peut également étudier la portée de l’interrogation. Certaines interrogations sont totales (on peut y répondre par oui
ou par non). D’autres sont partielles.
Interrogations totales : p. 83, v. 15 : « tenez-vous table ? », p. 145, v. 23 : « Êtes-vous sûr de cette affaire ? », p. 145, v.
24 : N’y savez-vous remède ? ».
Interrogations partielles : p. 83, v. 9-10 : « pourquoi révérer / Des biens dépourvus de mérite ? », p. 83, v. 16 : « Que sert
à vos pareils de lire incessamment ? », p. 94, v. 19 : « Est-ce un bœuf, un cheval ? », p. 94, v. 20 : « Hé qu’importe quel
animal ? », p. 94, v. 33-34 : « Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas ? / S’outrant pour acquérir des biens ou de
la gloire ? », p. 137, v. 163 : « qui la guide ? », p. 145, v. 22 : « D’où vous vient cet avis ? », p. 145, v. 22 : « Quel est votre
garant ? », p. 145, v. 24 : « Et qu’est-il bon de faire ? », p. 145, v. 25 : « Comment le ferons-nous ? ».

PATRIMOINE
23. Réalisez l’édition numérique enrichie de la fable de votre choix (livres VII à XI) : au texte de La Fontaine,
vous adjoindrez une présentation, des notes explicatives (les noms propres et les mots difficiles) ainsi que
deux ou trois illustrations légendées.

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24. Recherchez les principales sources de « La Laitière et le pot au lait » (VII, 9).
On trouve une version de « La Laitière et le pot au lait » chez Bonaventure des Périers, un conteur français du XVIe siècle.
Dans Les Nouvelles Récréations et joyeux devis, en 1558, la nouvelle XII s’intitule « Comparaison des alchimistes à la bonne
femme qui portait une potée de lait au marché » :

Chacun sait que le commun langage des alchimistes, c'est qu'ils se promettent un monde de richesses, et qu'ils
savent des secrets de nature que tous les hommes ensemble ne savent pas ; mais à la fin tout leur cas s'en va en
fumée, tellement que leur alchimie se pourrait plus proprement dire art qui mine ou art qui n’est mie ; et ne les
saurait-on mieux comparer qu'à une bonne femme qui portait une potée de lait au marché, faisant son compte
ainsi qu'elle la vendrait deux liards ; de ces deux liards elle en achèterait une douzaine d'œufs, lesquels elle
mettrait couver, et en aurait une douzaine de poussins ; ces poussins deviendraient grands et les ferait
chaponner ; ces chapons vaudraient cinq sols la pièce : ce serait un écu et plus, dont elle achèterait deux cochons,
mâle et femelle, qui deviendraient grands et en feraient une douzaine d'autres, qu'elle vendrait vingt sols la pièce
après les avoir nourris quelque temps : ce seraient douze francs, dont elle achèterait une jument, qui porterait un
beau poulain, lequel croîtrait et deviendrait tant gentil : il sauterait et ferait hin. Et, en disant hin, la bonne femme,
de l'aise qu'elle avait en son compte, se prit à faire la ruade que ferait son poulain, et en la faisant sa potée de lait
va tomber et se répandit toute. Et voilà ses œufs, ses poussins, ses chapons, ses cochons, sa jument et son poulain,
tous par terre. Ainsi les alchimistes, après qu'ils ont bien fournoyé, charbonné, lutté, soufflé, distillé, calciné,
congelé, fixé, liquéfié, vitrifié, putréfié, il ne faut que casser un alambic pour les mettre au compte de la bonne
femme.

Bonaventure des Périers a tiré son histoire d’un texte en latin de Nicolas de Bergame, Dialogus creaturarum, moralisatus,
jucundus, fabulis plenus en 1480 qui, lui-même, s’est sans doute inspiré d’un exemplum de Jacques de Vitry, dans les
Sermones vulgares (1240). Vitry a, quant à lui, pris cette histoire chez Pilpay (IIIe siècle), un inspirateur des fables de La
Fontaine. La Fontaine a peut-être lu « Le pot cassé » :

Un riche négociant comblait de bienfaits un pauvre homme, son voisin. Chaque jour, il lui envoyait une certaine
quantité de miel et d’huile. Le miel servait à la nourriture du malheureux : quant à l’huile, il la mettait de côté
dans une grande et large cruche.
Quand la cruche fut pleine d’huile, le malheureux se mit à songer à l’emploi qu’il en pourrait faire. Et il calcula :
« Cette cruche contient maintenant beaucoup d’huile. En vendant cette huile, je me ferai assez d’argent pour
acheter dix brebis, chaque brebis me donnera, dans le cours de l’année, deux agneaux ; ainsi, en moins de dix
années de temps, je me verrai possesseur d’un nombreux troupeau. » Et il continua ses beaux rêves : « Devenu
riche, je ferai bâtir un superbe palais. Puis je me marierai et j’aurai un fils dont je soignerai particulièrement
l’instruction. Ce fils sera reconnaissant de mes soins… Sinon, s’il me désobéissait, je lui ferais sentir mon
courroux. » Disant cela, et s’imaginant corriger son fils rebelle, il fait violemment tourner le bâton qu’il tenait à la
main.
Mais voilà que le bâton, en tournant, atteint la cruche pleine d’huile ? La cruche vole en éclats, et l’huile coule aux
pieds du malheureux qui voit ainsi, en un instant, s’évanouir son beau rêve, et ses brebis et ses moutons, et son
palais et toutes ses richesses. Le pauvre homme comprit alors combien c’était folie de faire de trop grands projets.

De nombreuses traductions de Pilpay ont été effectuée jusqu’à la Renaissance, autorisant les adaptations de la fable
ancienne.

EXPRESSION
Expression écrite
Dissertation
25. La Fontaine affirme dans son Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld (X, 14) qu’ « il faut laisser / Dans les
plus beaux sujets quelque chose à penser ». Cette affirmation vous semble-t-elle rendre compte des Fables ?
La Fontaine, dans ces deux vers du Discours à Monsieur le duc de La Rochefoucauld, mêle l’idée de beauté (l’esthétique
d’une œuvre d’art) à la réflexion. Pour lui, l’œuvre est nécessairement associée à une pensée, qu’elle soit donnée par
l’auteur ou laissée au lecteur qui pourra lui-même faire ses réflexions sur l’œuvre lue. Si l’on veut simplifier le sujet, on
pourrait associer aux « plus beaux sujets » la fiction, destinée au divertissement et au plaisir et le « quelque chose à
penser » à la morale, la philosophie, l’esprit des Fables.

Carnet de lecture et d’écriture

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26. Critique littéraire pour la Gazette du Grand Siècle, vous écrivez, au moment de leur parution, un article sur
l’originalité des Fables et l’efficacité des moyens utilisés par son auteur.
Cet écrit d’invention peut être l’occasion de montrer que le contexte d’écriture, de publication et de réception des Fables
a bien été compris.
L’objectif est d’écrire une synthèse de ce qui a été compris des Fables, de s’interroger, de critiquer ou de louer les moyens
mis en œuvre par La Fontaine, de mesurer le plaisir du lecteur, les risques éventuellement pris dans ses attaques contre
la justice, le clergé, le pouvoir et les courtisans, d’apprécier les conseils de sagesse et de bonheur. Une possibilité de mise
en page à la manière d’un article de journal de l’époque est possible.

Expression orale
Exposé sur le texte
27. Faites le commentaire linéaire de La Laitière et le pot au lait (VII, 9).
La fable de La Fontaine donne à réfléchir sur les douceurs et les limites de l’imagination.
Mouvements du texte :
v. 1-6 : situation de l’action et du personnage
v. 7-21 : pensées et paroles de Perrette
v. 22-29 : retour à la réalité
v. 30-43 : réflexions morales et exemple personnel
Pour les axes de lecture, on pourra toujours privilégier :
I. Les aspects de la fable
II. Un tableau ancré dans le réel paysan
III. Le pouvoir de la rêverie et ses limites

28. De quelle manière sont reliées les propositions de la phrase complexe des vers 34-37 ?
La phrase est la suivante : « Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux : / Une flatteuse erreur emporte alors nos
âmes : / Tout le bien du monde est à nous, / Tous les honneurs, toutes les femmes. »
On dénombre quatre propositions dans cette phrase complexe :
[Chacun songe en veillant], [il n’est rien de plus doux] : [Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes] : [Tout le bien du
monde est à nous, Tous les honneurs, toutes les femmes].
Ce sont quatre propositions indépendantes juxtaposées : en effet, chacune d’entre elles est liée à l’autre au moyen d’un
signe de ponctuation (virgule ou deux-points)

Entretien sur l’œuvre au programme


29. La Fontaine donne-t-il à rire dans ses Fables ?
La Fontaine accorde une grande importance à la notion de « gaieté », « un certain charme, un air agréable qu’on peut
donner à toutes sortes de sujet » et qui n’excite pas forcément le rire.
Cette question invite à réfléchir sur les « clichés » autour des fables qui les réduiraient à des contes plaisants et sans
profondeur. La Fontaine associe les deux, mais use de tous les registres. Le comique n’est pas forcément la tonalité la plus
courante. On pourra recourir, pour répondre, à la diversité des genres (fabliau, farce), aux situations comiques ou
drolatiques, au langage qui sert à amuser par l’ironie ou la satire, mais on pourra nuancer en évoquant le pessimisme de
certaines fables.

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AUTOUR DE L’ŒUVRE : TEXTES ET IMAGES DANS LE CONTEXTE
toutes les réponses aux questions
Lecteurs de La Fontaine ► LIVRE ÉLÈVE P. 208

1. Lettre
MADAME DE SÉVIGNÉ (1626-1696), Lettre à Madame de Grignan, Livry, 29 avril 1671

1. Quel rapprochement pouvez-vous effectuer entre le cadre dans lequel se trouve Madame de Sévigné quand elle écrit
cette lettre et l’univers des Fables ?
Madame de Sévigné écrit à sa fille entourée d’animaux, ceux de La Fontaine (le « Singe », le « Chat », « Le Rossignol »)
mais surtout ceux qui l’accompagnent dans sa solitude de Livry (« le rossignol, le coucou, la fauvette », « trois ou quatre
rossignols »). La nature est omniprésente, en ce printemps 1971, autour de la marquise, aussi bien la « Citrouille » de La
Fontaine que la « forêt » de ce « triomphe du mois de mai ».

2. Que pense Madame de Sévigné des fables de La Fontaine qu’elle a lues ?


À la lecture des quelques fables de La Fontaine qu’elle envoie à sa fille, Madame de Sévigné se forge un avis : elle les
trouve « jolies ». Elle en est charmée, transportée, « ravi[e] » au point qu’avec son ami, La Rochefoucauld, elle en apprend
par cœur. Elle donne une appréciation des textes lus en trois mots : « Cela est peint », ce qui signifie que La Fontaine est
parvenu à représenter par ses fables une vérité qui frappe l’imagination.

3. Identifiez les fables évoquées dans le dernier paragraphe.


Quand Mme de Sévigné parle de « la Citrouille » et du « Rossignol » au dernier paragraphe, elle évoque deux fables du
livre IX : Le Gland et la Citrouille (IX, 4) et Le Milan et le Rossignol (IX, 18).

2. Essai
JEAN-JACQUES ROUSSEAU (1712-1778), Émile ou De l’éducation (1762)

1. Expliquez la première phrase du deuxième paragraphe. Êtes-vous d’accord avec Jean-Jacques Rousseau ?
Jean-Jacques Rousseau, dans cette partie de son traité d’éducation, estime que les enfants ne sont pas capables de
comprendre les fables qu’on leur fait apprendre. Chacun pourra se prononcer sur la vérité de cette réflexion de Rousseau
selon sa propre expérience de lecteur des fables dans l’enfance ou par un souvenir précis d’une fable apprise sans qu’elle
ait été complètement comprise, ou encore selon les expériences de l’entourage en la matière.

2. Que reproche aux Fables Jean-Jacques Rousseau ?


Rousseau estime que les fables sont trompeuses : « l’apologue, en les amusant, les abuse ». Le reproche porte sur la
forme poétique et divertissante, pleine de moyens de séduire les enfants (les animaux…), qui, en définitive, devient un
voile cachant la vérité que les fables doivent enseigner.
Il pense également que la morale, pas toujours clairement énoncée (« mêlée ») ou « disproportionnée à leur âge », peut
produire l’effet inverse de l’effet recherché : « les porte[r] plus au vice qu’à la vertu ».

3. Quels exemples de fables choisit-il ? Que démontre-t-il dans le dernier paragraphe ?


La Fontaine choisit deux exemples : Le Corbeau et le Renard et La Cigale et la Fourmi pour montrer que les enfants peuvent
ne pas comprendre la morale et être attirés par le personnage possédant un défaut moral. Il montre que le Renard est
préféré au Corbeau dont on moque la bêtise, préférant alors la ruse du Renard, tout comme la Cigale est préférée à la
Fourmi : « On n’aime point à s’humilier ; ils prendront toujours le beau rôle », même si ce beau rôle est celui d’un
personnage vicieux. Selon Rousseau, les enfants « penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des
autres ».

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3. Conférence
JEAN GIRAUDOUX (1882-1944), « La tentation de la vie bourgeoise », Les Cinq Tentations de La Fontaine,
Grasset (1938)

1. Qu’a appris le jeune Giraudoux grâce à son professeur ?


Le jeune Giraudoux a appris, grâce à son professeur de latin, à écrire des vers. Ce professeur, M. Bornecque, « ne parlait
qu’en vers français » et ne donnait des rédactions que pour faire pratiquer la versification à ses élèves (une lettre en vers
de Racine à Molière, une épître de Voltaire à la reine Catherine de Russie).

2. Comment Giraudoux en vient-il à penser qu’il est un descendant de Jean de La Fontaine ?


Les élèves, emballés par ces exercices poétiques à répétition, se prennent au jeu de « prétendre qu’ils descendaient de
poètes connus ». Il faut donc, dans cette généalogie fictive, trouver des poètes en rapport avec sa région d’origine.
Giraudoux est en difficulté (« je tombais mal : j’étais de Bellac), car aucun poète célèbre n’est originaire de sa ville ou de
ses environs. Il doit donc s’intéresser à ceux qui sont passés par sa région et qui auraient pu fréquenter ses ancêtres. Il en
trouve deux : un archevêque, Fénélon, et le poète Jean de la Fontaine, de passage une nuit. Cela lui suffit à imaginer la
brève histoire d’amour entre la fabuliste et l’une de ses aïeules et à penser qu’il est le descendant de l’auteur des Fables.

3. « [L]’idée vint à certains d’entre nous de prétendre qu’ils descendaient de poètes connus. » À ce jeu, qui choisiriez-
vous et pourquoi ?
On peut, pour ce jeu, s’intéresser aux poètes (on peut élargir à tous les écrivains) de sa région ou de sa ville, ce qui serait
une justification simple et banale. On peut également choisir pour des raisons particulières (amour pour une œuvre,
points communs biographiques…) un écrivain dont on voudrait descendre.

4. Roman
JACQUES DE LACRETELLE (1888-1985), Silbemann, Gallimard (1922)

1. Quelles sont les principales idées de Silbermann au sujet des Fables ?


Pour Silbermann, La Fontaine, par ses Fables, est parvenu à décrire son époque : « La Fontaine est notre plus grand peintre
de mœurs. […] [I]l a dépeint son siècle ». Grâce aux animaux, il est parvenu à parler à la fois du pouvoir royal, des paysans
et des bourgeois.
De plus, il le trouve « audacieux dans sa moralité », n’hésitant pas à dépasser la simple anecdote animalière pour donner
une portée plus haute à ses fables.

2. Observez l’image (p. 217) : êtes-vous de l’avis de Silbermann au sujet de cette sculpture ?
Silbermann trouve « laid » le monument de Dumilâtre et Thiébaut : il estime que la « composition [est] banale » et qu’on
ne fait pas ainsi honneur au génie de La Fontaine. On peut être de son avis ou admiratif face à la synthèse opérée par les
deux artistes et sa vision métaphorique de l’œuvre de La Fontaine, qui n’est pas éloignée des frontispices foisonnants de
certaines éditions des Fables.

Frontispices d’éditions des Fables de La Fontaine.


De gauche à droite : Lambert (1870), Grandville (1838), Oudry (1755) et Picart (1728)

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3. « Est-ce que tu aimes La Fontaine ? » demande Silbermann au narrateur. Répondez à sa question.
La réponse ne peut être que personnelle et son traitement multiple. On peut rédiger une série de paragraphes
argumentatifs, on peut écrire une version alternative du texte tiré de Silbermann en faisant discourir le narrateur, on peut
faire un éloge (ou une condamnation) de La Fontaine, en s’appuyant sur des impressions, des émotions, des sensations…

5. Monument
ACHILLE DUMILÂTRE (1844-1923) et VICTOR THIÉBAUT (1747-1804), Buste de Jean de La Fontaine (1894,
détruit en 1942).

1. Pourquoi consacrer un monument à Jean de La Fontaine ?


Les élèves sont invités à réfléchir sur la fonction mémorielle des monuments publics. On demande également qu’ils
comprennent que les artistes et les personnages historiques constituent un socle commun de culture, un patrimoine. On
pourrait imaginer transformer cette question en exercice d’écriture : l’association des Amis de Jean de La Fontaine écrit
une lettre au maire d’une ville pour demander qu’un monument soit érigé en l’honneur du fabuliste.

2. Quels personnages apparaissent aux côtés du fabuliste ? Expliquez.


Silbermann, dans l’extrait p. 215, dresse déjà la liste des figures qui voisinent avec le buste de Jean de La Fontaine : « une
Muse », « ce groupe d’animaux, le lion, le renard, le corbeau ».
On trouve deux sortes de personnages : les allégories et les animaux :
- la « Muse » ailée est une allégorie de l’Inspiration, elle tient à la main une couronne de laurier, ce qui peut également
faire penser à l’allégorie de la Gloire ; elle est accompagnée d’un petit ange ailé, allégorie du Génie ou de l’Amour qui
court ;
- sur le piédestal, un renard convoite le fromage du corbeau posé sur le buste de La Fontaine ; un lion à l’air majestueux
et, dans la fontaine, deux pigeons. Un premier projet montrait également un singe.

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Le Magasin pittoresque du 30 septembre 1891

3. Cherchez le monument qui remplace actuellement celui-ci au jardin du Ranelagh à Paris. Comparez-les et dites celui
que vous préférez.
Le monument actuel en hommage à Jean de La Fontaine situé au jardin du Ranelagh a été fait par Charles Correia, inauguré
en 1983. Beaucoup plus dépouillé que le précédent, réduit à deux seuls animaux emblématiques des Fables, il peut être
préféré ou non à celui détruit en 1942.

Buste de La Fontaine, Charles Correia, jardin du Ranelagh (Paris), photos de Stéphane Maltère

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POUR ALLER PLUS LOIN
documentation et informations complémentaires
La fable au cours des siècles : petite anthologie

1. Loqman (Xe – IXe siècle av. J.C.)


L’homme et le porc
Un homme portait un jour sur une bête de somme, un mouton, une chèvre et un porc, et s'en allait vendre le tout
à la ville. Le mouton et la chèvre étaient tranquilles, mais le porc était rétif et ne cessait de se débattre. L'homme
alors lui dit : « O le plus mauvais des animaux, pourquoi le mouton et la chèvre sont-ils calmes et paisibles, tandis
que toi tu ne veux pas rester tranquille. » — « O mon maître, lui répondit le porc, chacun se connaît ; et je sais
qu'on recherche le mouton pour sa laine et la chèvre pour son lait, mais moi, malheureux, qui n'ai ni laine, ni lait,
à mon arrivée à la ville on m'enverra sans aucun doute à la boucherie. »

Cette fable signifie que ceux qui sont plongés dans les délits et les crimes que leurs mains ont commis,
doivent connaître le sort malheureux qui les attend dans l’autre vie.

L’enfant et le scorpion
Un jour, un enfant chassant aux sauterelles, vit un scorpion et crut que c'était une grande sauterelle : il étendit la
main pour le prendre, mais il se retira aussitôt. « Si tu m'avais pris dans ta main, lui dit le scorpion, tu aurais cessé
de chasser aux sauterelles.

Cette fable signifie que l'homme doit savoir distinguer le bien du mal, et traiter chaque chose d'une manière
convenable à sa nature.

2. Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.)


Maintenant je raconterai aux rois une fable que leur sagesse même ne dédaignera point. Un épervier venait de
saisir un rossignol au gosier sonore et l'emportait à travers les nues ; déchiré par ses serres recourbées, le
rossignol gémissait tristement ; mais l'épervier lui dit avec arrogance : « Malheureux ! pourquoi ces plaintes ? Tu
es au pouvoir du plus fort ; quoique chanteur harmonieux, tu vas où je te conduis ; je peux à mon gré ou faire de
toi mon repas ou te rendre la liberté. » Ainsi parla l'épervier au vol rapide et aux ailes étendues. Malheur à
l'insensé qui ose lutter contre un ennemi plus puissant ! privé de la victoire, il voit encore la souffrance s'ajouter
à sa honte. (Les Travaux et les Jours)
De la peinture des cinq âges du monde, Hésiode passe brusquement à la narration d'un apologue qui
semble avoir pour objet de reprocher aux puissants leur iniquité et d'exciter la pitié en faveur des faibles.
La fable, qui a pour but de fronder nos travers et nos préjugés, de châtier nos vices, de corriger le genre
humain en l'amusant, n'a pu naître en Grèce que dans une époque plus civilisée que celle d'Homère : elle
annonce un siècle où la complication des intérêts et des besoins a nécessité l'abus de la force et l'emploi de
la ruse. Alors la morale emploie un langage détourné pour faire parler la vérité ; elle ne décoche ses traits
que d'une manière oblique ; elle appelle l'allégorie à son aide : ce sont les animaux qu'elle met en scène pour
que les hommes ne s'offensent pas de reproches qui ne leur sont point adressés par leurs semblables.
L'apologue, qui est un symbole développé, une fiction morale mise à la portée de tout le monde, a existé
dans tous les pays parvenus à une certaine civilisation, dans l'Inde, dans la Perse, chez les Hébreux, en Lydie.
Fille de l'Asie centrale, cette mère patrie du symbole et du despotisme, la fable est venue en Grèce lorsqu'elle
a eu des défauts et des ridicules à censurer, des grands à punir et des petits à venger. Quoiqu'elle appartienne
à la même famille que la comédie, elle naquit longtemps avant elle, parce que le petit nombre de ses acteurs
la rendait d'abord accessible à toutes les intelligences. C'est dans Hésiode que nous trouvons le premier type
de l'apologue grec, qui se trouve placé entre la simplicité majestueuse des âges épiques et la spirituelle

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malignité de ces temps où la poésie comique vécut d'allusions politiques ou privées et fit plutôt alliance avec
la philosophie qu'avec l’histoire.

3. Ésope (VIe siècle av. J.-C.)


L’Aveugle
Un aveugle avait l’habitude de reconnaître au toucher toute bête qu’on lui mettait entre les mains, et de dire de
quelle espèce elle était. Or un jour on lui présenta un louveteau ; il le palpa et resta indécis. « Je ne sais pas, dit-il,
si c’est le petit d’un loup, d’un renard ou d’un autre animal du même genre ; mais ce que je sais bien, c’est qu’il
n’est pas fait pour aller avec un troupeau de moutons. »
C’est ainsi que le naturel des méchants se reconnaît souvent à leur extérieur.

4. Phèdre (Ier siècle)


Lupus et agnus
Ad rivum eumdem Lupus et Agnus venerant,
Siti compulsi superior stabat Lupus,
Longeque inferior Agnus. Tunc fauce improba
Latro incitatus, jurgii causam intulit.
Cur, inquit, turbulentam fecisti mihi
Aquam bibenti? Loniger contra timens:
Qui possum, quæso, lacere, quod quereris, Lupe?
A te decurrit ad meos haustus liquor.
Repulsuo ille veritatis viribus,
Ante hos sex menses male, ait, dixisti mihi.
Respondit Agnus: Equidem natus non eram.
Pater hercule tuus, inquit, maledixit mihi.
Atque ita correplum lacerat injusta nece.

Hæc propter illos scripta est homines fabula,


Qui fictis causis innocentes opprimunt.

Le loup et l’agneau (traduction)


Un Loup et un Agneau, pressés par la soif, étaient venus au même ruisseau. Le Loup se désaltérait dans le haut du
courant, l’Agneau se trouvait plus bas ; mais, excité par son appétit glouton, le brigand lui chercha querelle.
« Pourquoi, lui dit-il, viens-tu troubler mon breuvage ? » L’Agneau répondit tout, tremblant : « Comment, je vous
prie, puis-je faire ce dont vous vous plaignez ? cette eau descend de vous à moi. » Battu par la force de la vérité,
le Loup reprit : « Tu médis de nous, il y a six mois. — Mais je n’étais pas né, » répliqua l’Agneau. « Par Hercule ! ce
fut donc ton père, s’ajouta le Loup. Et, dans sa rage, il le saisit et le met en pièces injustement.
Cette fable est pour ceux qui, sous de faux prétextes, oppriment les innocents.

5. Bidpaï ou Pilpay (IIIe siècle)


La grue et l’épervier
Une grue, citoyenne des bords d'un lac, y vivait des différents insectes qu'elle y trouvait en abondance. Un jour
elle aperçut un épervier qui, après avoir donné la chasse à une perdrix, l’avait prise et la dévorait. Cet épervier,
dit en elle-même la grue, fait sa nourriture des oiseaux les plus délicats, et moi, qui l'emporte sur lui par la force
et par la grandeur, je me contente de vils insectes. Je veux suivre son exemple.
La grue, après ce beau monologue, aperçoit une perdrix qui d'un vol léger rasait la surface de l'eau ; elle veut
fondre sur cette proie, mais la pesanteur de son corps l'entraîne, elle tombe sur les bords du lac, qui étaient très-
fangeux, ses pattes s'enfoncent dans le limon, elle fait de vains efforts pour s'en tirer. Un berger qui était aux
environs prend l'oiseau, l'encage et le porte à ses enfants. Vous voyez par cette fable, me dit le derviche, quel
danger l'on court en quittant son état pour un autre auquel l'on n'est pas propre. Les sages conseils du derviche
ne me firent aucune impression ; Je fus sourd à sa voix. J'abandonnai mon four et j’ensemençai un champ que
j'avais loué. Me voilà donc devenu cultivateur. Les instruments nécessaires au labourage avaient absorbé le peu
que je possédais : il me fallait attendre près d'une année avant de pouvoir rien retirer de mes terres. Ma famille
se trouva réduite à la dernière misère. Je me repentis alors de n'avoir pas suivi les sages conseils du derviche ; Je
crus réparer ma faute en reprenant mon four. Un de mes amis me prêta de l'argent et je fus tout à la fois boulanger
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et laboureur. Je courais de la ville aux champs et des champs à la ville. Le garçon auquel j'avais confié mon four
me vola et prit la fuite ; des orages, qui se succédèrent les uns aux autres, ravagèrent les campagnes. J'allai
compter mes malheurs au derviche mon voisin.
─ Je vous l'avais prédit, me dit-il: vous ressemblez à cet homme entre deux âges avec ses deux femmes.

6. Marie de France (XIIIe siècle)


Ésope dit ceci du loup et de l'agneau, qui buvaient à un ruisseau : le loup à la source buvait, et l'agneau en aval
était. Avec colère parla le loup qui était très querelleur. Par mauvaise humeur il lui parla : « Tu m'as, dit-il, fait
grand ennui. » L'agneau lui a répondu : « Sire, et en quoi ? » Donc, ne le vois-tu? tu m'as ici troublé cette eau : je
n'en puis boire mon soûl. Aussi, je m'en irai, je crois, comme je vins, tout mourant de soif.» L'agnelet donc répond :
Sire, déjà vous buvez en amont : de vous me vient tout ce que j'ai bu ». « Quoi ! » fit le loup « m'outrages-tu ? »
L'agneau répond : « Je n'en ai intention ». Le loup lui dit : « Je sais de vrai ; cela même me fit ton père, à cette
source où j'étais avec lui, maintenant il y a six mois, comme je crois ». « Qu'en retirez-vous, fit-il, sur moi ? Je
n'étais pas né, comme je crois. » « Et cela est parce que cela est », lui a dit le loup, « maintenant me fais-tu
contrariété ? c'est chose que tu ne dois pas faire. » Donc le loup prit le petit agneau, l'étrangle avec ses dents, et
le tue. Ainsi font les riches voleurs, les vicomtes et les juges, de ceux qu'ils ont en leur justice. Faux prétextes par
convoitise, ils trouvent assez pour les confondre, souvent ils font comparaître à leurs plaids, la chair ils leur
enlèvent et la peau, comme le loup fit à l'agneau.

7. Fabliaux (Moyen Âge)


« Brunain, la vache au prêtre » : C'est d'un vilain et de sa femme que je veux vous conter l'histoire. Pour la fête
de Notre-Dame, ils allaient prier à l'église. Avant de commencer l'office, le curé vint faire son sermon ; il dit qu'il
était bon de donner pour l'amour de Dieu et que Dieu rendait au double à qui donnait de bon cœur. « Entends-tu,
belle sœur, ce qu'a dit le prêtre ? » fait le vilain à sa femme. « Qui pour Dieu donne de bon cœur recevra de Dieu
deux fois plus. Nous ne pourrions mieux employer notre vache, si bon te semble, que de la donner au curé. Elle a
d'ailleurs si peu de lait. – Oui, sire, je veux bien qu'il l'ait, dit-elle, de cette façon. » Ils regagnent donc leur maison,
et sans en dire davantage. Le vilain va dans son étable ; prenant la vache par la corde, il la présente à son curé. Le
prêtre était fin et madré : « Beau sire, dit l'autre, mains jointes, pour Dieu je vous donne Blérain. » Il lui a mis la
corde au poing, et jure qu'elle n'est plus sienne. « Ami, tu viens d'agir en sage, répond le curé dom Constant qui
toujours est d'humeur à prendre ; Retourne en paix, tu as bien fait ton devoir : si tous mes paroissiens étaient
aussi avisés que toi, j'aurais du bétail en abondance. » Le vilain prend congé du prêtre qui commande aussitôt
qu'on fasse, pour l'accoutumer, lier Blérain avec Brunain, sa propre vache.
Le curé les mène en son clos, trouve sa vache, ce me semble, les laisse attachées l'une à l'autre. La vache du prêtre
se baisse, car elle voulait pâturer. Mais Blérain ne veut l'endurer et tire la corde si fort qu'elle entraîne l'autre
dehors et la mène tant par maison, par chènevières et par prés qu'elle revient enfin chez elle, avec la vache du
curé qu'elle avait bien de la peine à mener. Le vilain regarde, la voit ; il en a grande joie au cœur. « Ah ! dit-il alors,
chère sœur, il est vrai que Dieu donne au double. Blérain revient avec une autre : c'est une belle vache brune.
Nous en avons donc deux pour une. Notre étable sera petite ! »
Par cet exemple, ce fabliau nous montre que fol est qui ne se résigne. Le bien est à qui Dieu le donne et non à celui
qui le cache et enfouit. Nul ne doublera son avoir sans grande chance, pour le moins. C'est par chance que le vilain
eut deux vaches, et le prêtre aucune. Tel croit avancer qui recule.

8. Bonaventure Des Périers (XVIe siècle)


Nouvelle XII Comparaison des alchimistes et la bonne femme qui portait une potée de lait au marché
Chacun sait que le commun langage des alchimistes, c’est qu’ils se promettent un monde de richesses, et qu’ils
savent des secrets de nature que tous les hommes ne savent pas ;mais à la fin tout leur cas s’en va en fumée,
tellement que leur alchimie se pourrait proprement dire : Art qui mine, ou Art qui n’est nue ; et ne les saurait-on
mieux comparer qu’à une bonne femme qui portait une potée de lait au marché, faisant son compte ainsi : qu’elle
la vendrait deux liards ; de ces deux liards elle en achèterait une douzaine d’œufs, lesquels elle mettrait couver, e
en aurait une douzaine de poussins ; ces poussins deviendraient grands, et les ferait chaponner : ces chapons
vaudraient cinq sols la pièce : ce serait un écu et plus, dont elle achèterait deux cochons, mâle et femelle, qui
deviendraient grands et en feraient une douzaine d’autres, qu’elle vendrait vingt sols la pièce après les avoir
nourris quelque temps : ce seraient douze francs, dont elle achèterait une jument, qui porterait un beau poulain,
lequel croîtrait et deviendrait tant gentil : il sauterait et ferait « hin ». Et en disant « hin », la bonne femme, de
l’aise qu’elle avait en son compte, se prit à faire la ruade que ferait son poulain, et en la faisant sa potée de lait va
tomber et se répandit toute. Et voilà ses œufs, ses poussins, ses chapons, ses cochons, sa jument et son poulain,
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tous à terre. Ainsi les alchimistes, après qu’ils ont bien fournayé, charbonné, lutté, soufflé, distillé, calciné, congelé,
fixé, liquéfié, vitrifié, putréfié, il ne manque que casser un alambic pour les mettre au compte de la bonne femme.

9. Antoine Furetière (XVIIe siècle)


De deux écrevisses
Une jeune écrevisse, et sans expérience,
Vit d’un œil envieux paraître un festin,
Quantité de ses sœurs en pompeuse apparence,
Teintes d’un bel incarnadin.
Elle courut dire à sa mère :
« J’admire de mes sœurs la fortune prospère :
J’en ai vu trente dans un plat,
Si magnifiquement vêtues
Que je les croyais parvenues
Aux honneurs du cardinalat :
Tandis que, barbotant dans la boue et l’ordure
Nous sommes couvertes de bure.
Que je souhaiterais un sort si fortuné,
Et d’avoir un habit si bien enluminé. »
La vieille et prudente écrevisse
À sa fille répond : « Vous êtes bien novice,
Celle qui brille avec plus de splendeur,
Voudrait bien retenir sa première couleur :
Et quoi qu’il semble qu’elle éclate
Sous une robe d’écarlate,
C’est un funeste accoutrement
Qui ne doit pas faire envie
Puisqu’il est vendu chèrement
Et qu’elle en a perd la vie.

Moralité :
Tel, et semblable est le fort,
D’un héros couvert de gloire :
Il vit de vrai, dans l’histoire,
Mais cependant, il est mort.

10. Jean-Pierre Claris de Florian (XVIIIe siècle)


En effet, un apologue est une espèce de petit drame : il a son exposition, son nœud, son dénouement. Que les
acteurs en soient des animaux, des dieux, des arbres, des hommes, il faut toujours qu'ils commencent par me dire
ce dont il s'agit, qu'ils m'intéressent à une situation, à un évènement quelconque, et qu'ils finissent par me laisser
satisfait, soit de cet évènement, soit quelquefois d'un simple mot, qui est le résultat moral de tout ce qu'on a dit
ou fait. Il me serait aisé, si je ne craignais d'être trop bavard, de prendre au hasard une fable de La Fontaine, et de
vous y faire voir l'avant-scène, l'exposition, faite souvent par un monologue, comme dans la fable du berger et
son troupeau ; l'intérêt commençant avec la situation, comme dans la colombe et la fourmi ; le danger croissant
d'acte en acte, car il y en a de plusieurs actes, comme l'alouette et ses petits avec le maître d'un champ ; et le
dénouement enfin, mis quelquefois en spectacle, comme dans le loup devenu berger , plus communément en
simple récit. (Préface)

Le grillon
Un pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie
L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs
L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes.
Jeune, beau, petit-maître, il court de fleur en fleur,

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Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents! dame Nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
Je n'ai point de talent, encor moins de figure;
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici bas!
Autant voudrait n'exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants.
Aussitôt les voilà courant
Après le papillon dont ils ont tous envie:
Chapeau, mouchoirs bonnets, servent à l'attraper.
L'insecte cherche vainement à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient, et le prend par la tête:
Il ne fallait pas tant d'efforts
Pour déchirer la pauvre bête.
Oh! oh! dit le grillon, je ne suis pas fâché;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde!
Pour vivre heureux, vivons cachés.

11. Les fables et l’école républicaine (XIXe siècle)


Quand Jules Ferry impose l’école gratuite et obligatoire, il redonne une nouvelle jeunesse aux fables, grâce
aux cours de morale qui s’appuient sur La Fontaine ou sur de nouveaux fabulistes.
Le porc et l’os de bœuf
Un gros vilain porc était aussi paresseux que malpropre et dégoûtant ; toujours il se vautrait au milieu des
ruisseaux ; toujours il faisait mal au cœur aux passants. Il puait comme un rat mort, et tout en le voyant chacun
se pinçait le nez, et s’enfuyait comme le vent. Ce n’est pas tout encore ; ce joli monsieur, qui s’en allait toujours
grognant, était des plus gourmands. En faisant hon, hon, le long d’un champ, il rencontra un gros Os de bœuf, et
voulut l’avaler comme un œuf. Dom glouton fut bien attrapé, car l’Os lui resta à l’entrée du gosier, et il tomba mort
auprès d’un tas de fumier.
Dans ses excès, gueule fraîche est trompée ;
La gueule fit périr plus d’hommes que l’épée.

12. Raymond Queneau (XXe siècle)


Le peuplier et le roseau
À cheval sur ses branches
Le peuplier dit au roseau
« Au lieu de remuer les hanches,
Venez faire la course du trot. »

Le peuplier caracole,
Il fait des bonds de géant
C’est tout juste s’il s’envole
Pas ; le roseau, lui, attend.

L’arbre se casse la gueule,


Expire chez le menuisier
Et servira de cercueil
À quelque déshérité.

Amère, amère victoire,


Le roseau n’a pas bougé,
Ne retira aucune gloire
58
De s’être immobilisé.

La fable vue par La Fontaine

Voici ce que dit Jean de La Fontaine de la fable.


On peut se servir ce cette fiche afin de préparer les élèves à la rédaction de l’introduction et de la conclusion
d’un devoir écrit ou d’une présentation orale.

Activités :
À partir de ces éléments, faites la liste de ce qui caractérise l’apologue chez La Fontaine et rédigez un
paragraphe qui en fasse une synthèse facile à retenir.
Surlignez quelques formules que vous apprendrez par cœur.

[1668]
À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
« L’apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes. »

PREFACE
Phèdre maniait la fable comme un art de la brièveté : « Comme il m’était impossible de l’imiter en cela, j’ai cru
qu’il fallait en récompense égayer l’Ouvrage plus qu’il n’a fait. »

« On veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui excite le rire ; mais un certain charme, un
air agréable qu’on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux. »

« […N]ous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par Paraboles ; et la Parabole est-elle autre chose que
l’Apologue, c’est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet qu’il est plus
commun et plus familier ? »

« Ces badineries ne sont telles qu’en apparence ; car dans le fond elles portent un sens très solide. »

« Elles ne sont pas seulement Morales, elles donnent encore d’autres connaissances. Les propriétés des Animaux
et leurs divers caractères y sont exprimés ; par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l’abrégé de ce
qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. »

« L’Apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l’une le Corps, l’autre l’Âme. Le Corps est la Fable ;
l’Âme, la Moralité. Aristote n’admet dans la fable que les animaux ; il en exclut les Hommes et les Plantes. Cette
règle est moins de nécessité que de bienséance, puisque ni Ésope, ni Phèdre, ni aucun des Fabulistes, ne l’a
gardée : tout au contraire de la Moralité, dont aucun ne se dispense. Que s’il m’est arrivé de le faire, ce n’a été que
dans les endroits où elle n’a pu entrer avec grâce, et où il est aisé au lecteur de la suppléer. On ne considère en
France que ce qui plaît : c’est la grande règle, et pour ainsi dire la seule. »

À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
« Je chante les Héros dont Ésope est le père :
Troupe de qui l’Histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon Ouvrage, et même les Poissons.
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes.
Je me sers d’Animaux pour instruire les Hommes. »

II, 1, « Contre ceux qui ont le goût difficile »


« Le Mensonge et les Vers de tout temps sont amis. »
« Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau
J’ai fait parler le Loup et répondre l’Agneau.
J’ai passé plus avant ; les Arbres et les Plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes :
Qui ne prendrait ceci pour un enchantement ? »

59
V, 1, « Le bûcheron et Mercure »
« J’oppose quelquefois, par une double image,
Le vice à la vertu, la sottise au bon sens,
Les Agneaux aux Loups ravissants,
La Mouche à la Fourmi ; faisant de cet ouvrage
Une ample Comédie à cent Actes divers,
Et dont la Scène est l’Univers.
Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle. »

VI, 1, « Le pâtre et le lion »


« Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui :
Le conte fait passer le précepte avec lui.
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire ;
Et conter pour conter me semble peu d’affaire.
C’est par cette raison, qu’égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit.
Tous ont fui l’ornement et le trop d’étendue »

VI, 21 « La jeune veuve »


La Fontaine annonce son apologue par une intéressante association d’idée :
« On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit, mais il n’en est rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plutôt par la vérité. »

[1678-1679]
VII « AVERTISSEMENT »
« Voici un second recueil de Fables que je présente au public ; j’ai jugé à propos de donner à la plupart de celles-
ci un air, et un tour un peu différent de celui que j’ai donné aux premières ; tant à cause de la différence des sujets,
que pour remplir de plus de variété mon Ouvrage. »
« Enfin j’ai tâché de mettre en ces deux dernières Parties toute la diversité dont j’étais capable. »

À MADAME DE MONTESPAN
« L’apologue est un don qui vient des immortels. »
« C’est proprement un charme : il rend l’âme attentive,
Ou plutôt il la tient captive,
Nous attachant à des récits
Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits. »
« Vous savez quel crédit ce mensonge a sur nous. »

VIII, 4 « Le pouvoir des fables »


« Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant. »

VIII, 9, « Le rat et l’huître »


« Cette fable contient plus d’un enseignement. »

VIII, 13, « Tircis et Amarante »


« Sire Loup, sire Corbeau
Chez moi se parlent en rime. »

VIII, 19, « Le Bassa et le marchand »


« Écoute-moi ; sans tant de dialogue.
Et de raisons qui pourraient t’ennuyer,
Je ne te veux conter qu’un apologue. »

60
IX, 1, « Le dépositaire infidèle »
« Le doux charme de maint songe
Par leur bel art inventé,
Sous les habits du mensonge
Nous offre la vérité. »

IX, 6, « Le statuaire et la statue de Jupiter »


« L’homme est de glace aux vérités ;
Il est de feu pour les mensonges. »

XI ÉPILOGUE
« Favoris des neuf Sœurs, achevez l’entreprise :
Donnez mainte leçon que j’ai sans doute omise :
Sous ces inventions il faut l’envelopper. »

[1694]
XII À MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE
« Ces mensonges sont proprement une manière d’Histoire, où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses de peu
d’importance que ces sujets. Les Animaux sont les précepteurs des Hommes dans mon Ouvrage. Je ne m’étendrai
pas davantage là-dessus ; vous voyez mieux que moi le profit qu’on en peut tirer. »

Premier recueil de Fables (1668) : Épître à Monseigneur le Dauphin, préface, à Monseigneur


le Dauphin
Épître à Monseigneur le Dauphin
MONSEIGNEUR,
S’il y a quelque chose d’ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c’est la manière dont Ésope
a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d’autres mains que les miennes y eussent ajouté les
ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu’ils n’y étaient pas inutiles. J’ose, Monseigneur,
vous en présenter quelques essais. C’est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où
l’amusement et les jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos
pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L’apparence en
est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes.
Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout
ensemble si agréables ; car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points ? Ce sont eux qui ont introduit
les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l’un avec l’autre ; la lecture de son
ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître, sans qu’elle
s’aperçoive de cette étude, et tandis qu’elle croit faire tout autre chose. C’est une adresse dont s’est servi très
heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que
vous appreniez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu’il est nécessaire qu’un prince sache.
Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment
davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités que notre invincible Monarque vous a données avec la naissance,
c’est l’exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins ; quand vous
le considérez qui regarde sans s’étonner l’agitation de l’Europe et les machines qu’elle remue pour le détourner
de son entreprise ; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d’une province où l’on trouve
à chaque pas des barrières insurmontables, et qu’il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus
ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes ; quand, non
content de dompter les hommes, il veut aussi triompher des éléments ; et quand, au retour de cette expédition,
où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez le vrai,
Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l’impuissance de vos années ; vous attendez
avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l’amour de cette divine maîtresse. Vous
ne l’attendez pas, Monseigneur ; vous le prévenez. Je n’en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette
vivacité, cette ardeur, ces marques d’esprit, de courage et de grandeur d’âme que vous faites paraître à tous les
moments. Certainement c’est une joie bien sensible à notre monarque, mais c’est un spectacle bien agréable pour
l’univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de
nations.

61
Je devrais m’étendre sur ce sujet ; mais comme le dessein que j’ai de vous divertir est plus proportionné à
mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables et n’ajouterai aux vérités que je vous ai dites
que celle-ci : c’est, Monseigneur, que je suis, avec un zèle respectueux,
Votre très humble, très obéissant
et très fidèle serviteur,
DE LA FONTAINE.

Préface
L’indulgence que l’on a eue pour quelques-unes de mes fables me donne lieu d’espérer la même grâce pour
ce recueil. Ce n’est pas qu’un des maîtres de notre éloquence n’ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers :
il a cru que leur principal ornement est de n’en avoir aucun ; que, d’ailleurs, la contrainte de la poésie, jointe à la
sévérité de notre langue, m’embarrasserait en beaucoup d’endroits, et bannirait de la plupart de ces récits la
brièveté, qu’on peut fort bien appeler l’âme du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu’il languisse.
Cette opinion ne saurait partir que d’un homme d’excellent goût ; je demanderais seulement qu’il en relâchât
quelque peu, et qu’il crût que les grâces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses françaises,
que l’on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.
Après tout, je n’ai entrepris la chose que sur l’exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à
conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C’est de tout temps, et chez tous les peuples qui font
profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. À peine les fables que l’on attribue à Ésope virent
le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable,
que je ne puis m’empêcher d’en faire un des ornements de cette préface. Il dit que Socrate étant condamné au
dernier supplice, l’on remit l’exécution de l’arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès1 l’alla voir le jour de sa mort.
Socrate lui dit que les dieux l’avaient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu’il devait s’appliquer à la
musique avant qu’il mourût. Il n’avait pas entendu d’abord ce que ce songe signifiait ; car, comme la musique ne
rend pas l’homme meilleur, à quoi bon s’y attacher ? Il fallait qu’il y eût mystère là-dessous, d’autant plus que les
dieux ne se lassaient pas de lui envoyer la même inspiration. Elle lui était encore venue une de ces fêtes. Si bien
qu’en songeant aux choses que le Ciel pouvait exiger de lui, il s’était avisé que la musique et la poésie ont tant de
rapport, que possible était-ce de la dernière qu’il s’agissait. Il n’y a point de bonne poésie sans harmonie ; mais il
n’y en a point non plus sans fictions, et Socrate ne savait que dire la vérité. Enfin il avait trouvé un tempérament :
c’était de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable, telles que sont celles d’Ésope. Il employa
donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie.
Socrate n’est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu’il était
de ce sentiment ; et par l’excellence de son ouvrage nous pouvons juger de celui du prince des philosophes. Après
Phèdre, Avienus2 a traité le même sujet. Enfin les modernes les ont suivis : nous en avons des exemples non
seulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que, lorsque nos gens y ont travaillé, la langue était si
différente de ce qu’elle est, qu’on ne les doit considérer que comme étrangers. Cela ne m’a point détourné de mon
entreprise ; au contraire, je me suis flatté de l’espérance que, si je ne courais dans cette carrière avec succès, on
me donnerait au moins la gloire de l’avoir ouverte.
Il arrivera possible que mon travail fera naître à d’autres personnes l’envie de porter la chose plus loin. Tant
s’en faut que cette matière soit épuisée, qu’il reste encore plus de fables à mettre en vers que je n’en ai mis. J’ai
choisi véritablement les meilleures, c’est-à-dire celles qui m’ont semblé telles ; mais, outre que je puis m’être
trompé dans mon choix, il ne sera pas bien difficile de donner un autre tour à celles-là mêmes que j’ai choisies ;
et, si ce tour est moins long, il sera sans doute plus approuvé. Quoi qu’il en arrive, on m’aura toujours obligation,
soit que ma témérité ait été heureuse, et que je ne me sois point trop écarté du chemin qu’il fallait tenir, soit que
j’aie seulement excité les autres à mieux faire.
Je pense avoir justifié suffisamment mon dessein ; quant à l’exécution, le public en sera juge. On ne trouvera
pas ici l’élégance et l’extrême brièveté qui rendent Phèdre recommandable ; ce sont qualités au-dessus de ma
portée. Comme il m’était impossible de l’imiter en cela, j’ai cru qu’il fallait en récompense égayer l’ouvrage plus
qu’il n’a fait. Non que je le blâme d’en être demeuré dans ces termes : la langue latine n’en demandait pas
davantage ; et, si l’on y veut prendre garde, l’on reconnaîtra dans cet auteur le vrai caractère et le vrai génie de
Térence. La simplicité est magnifique chez ces grands hommes : moi, qui n’ai pas les perfections du langage
comme ils les ont eues, je ne la puis élever à un si haut point. Il a donc fallu se compenser d’ailleurs ; et c’est ce
que j’ai fait avec d’autant plus de hardiesse, que Quintilien dit qu’on ne saurait trop égayer les narrations. Il ne
s’agit pas ici d’en apporter une raison : c’est assez que Quintilien l’ait dit. J’ai pourtant considéré que, ces fables
étant sues de tout le monde, je ne ferais rien si je ne les rendais nouvelles par quelques traits qui en relevassent

1
Disciple de Socrate.
2
Avianus est un fabuliste du IVe siècle.
62
le goût. C’est ce qu’on demande aujourd’hui : on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n’appelle pas gaieté ce qui
excite le rire, mais un certain charme, un air agréable qu’on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus
sérieux.
Mais ce n’est pas tant par la forme que j’ai donnée à cet ouvrage qu’on en doit mesurer le prix, que par son
utilité et par sa matière ; car qu’y a-t-il de recommandable dans les productions de l’esprit qui ne se rencontre
dans l’apologue ? C’est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l’antiquité ont attribué la plus
grande partie de ces fables à Socrate, choisissant, pour leur servir de père, celui des mortels qui avait le plus de
communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n’ont point fait descendre du ciel ces mêmes fables et comme
ils ne leur ont point assigné un dieu qui en eût la direction ainsi qu’à la poésie et à l’éloquence. Ce que je dis n’est
pas tout à fait sans fondement, puisque, s’il m’est permis de mêler ce que nous avons de plus sacré parmi les
erreurs du paganisme, nous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par paraboles, et la parabole est-elle autre
chose que l’apologue, c’est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet qu’il
est plus commun et plus familier ? Qui ne nous proposerait à imiter que les maîtres de la sagesse nous fournirait
un sujet d’excuse : il n’y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela même qu’on nous
demande.
C’est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homère de sa République, y a donné à Ésope une place très
honorable. Il souhaite que ses enfants sucent ses fables avec le lait ; il recommande aux nourrices de les leur
apprendre ; car on ne saurait s’accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d’être réduit
à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu’elles sont encore indifférentes au bien
ou au mal. Or quelle méthode y peut contribuer plus utilement que ces fables ? Dites à un enfant que Crassus,
allant contre les Parthes, s’engagea dans leur pays sans considérer comme il en sortirait ; que cela le fit périr, lui
et son armée, quelque effort qu’il fît pour se retirer. Dites au même enfant que le renard et le bouc descendirent
au fond d’un puits pour y éteindre leur soif ; que le renard en sortit, s’étant servi des épaules et des cornes de son
camarade comme d’une échelle : au contraire, le bouc y demeura pour n’avoir pas eu tant de prévoyance ; et par
conséquent il faut considérer en toute chose la fin ; je demande lequel de ces deux exemples fera le plus
d’impression sur cet enfant. Ne s’arrêtera-t-il pas au dernier comme plus conforme et moins disproportionné que
l’autre à la petitesse de son esprit ? Il ne faut point m’alléguer que les pensées de l’enfance sont d’elles-mêmes
assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu’en apparence,
car dans le fond elles portent un sens très solide. Et comme par la définition du point, de la ligne, de la surface, et
par d’autres principes très familiers, nous parvenons à des connaissances qui mesurent enfin le ciel et la terre ;
de même aussi, par les raisonnements et conséquences que l’on peut tirer de ces fables, on se forme et le jugement
et les mœurs, on se rend capable de grandes choses.
Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d’autres connaissances ; les propriétés des
animaux et leurs divers caractères y sont exprimés : par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes
l’abrégé de ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. Quand Prométhée voulut former
l’homme, il prit la qualité dominante de chaque bête : de ces pièces si différentes il composa notre espèce ; il fit
cet ouvrage qu’on appelle le Petit Monde. Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint.
Ce qu’elles nous représentent confirme les personnes d’âge avancé dans les connaissances que l’usage leur a
données, et apprend aux enfants ce qu’il faut qu’ils sachent. Comme ces derniers sont nouveaux venus dans le
monde, ils n’en connaissent pas encore les habitants, ils ne se connaissent pas eux-mêmes ; on ne les doit laisser
dans cette ignorance que le moins qu’on peut : il leur faut apprendre ce que c’est qu’un lion, un renard, ainsi du
reste, et pourquoi l’on compare quelquefois un homme à ce renard ou à ce lion. C’est à quoi les fables travaillent ;
les premières notions de ces choses proviennent d’elles.
J’ai déjà passé la longueur ordinaire des préfaces ; cependant je n’ai pas encore rendu raison de la conduite
de mon ouvrage.
L’apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l’une le corps, l’autre l’âme. Le corps est la
fable ; l’âme est la moralité. Aristote n’admet dans la fable que les animaux ; il en exclut les hommes et les plantes.
Cette règle est moins de nécessité que de bienséance, puisque ni Ésope, ni Phèdre, ni aucun des fabulistes ne l’a
gardée, tout au contraire de la moralité, dont aucun ne se dispense. Que s’il m’est arrivé de le faire, ce n’a été que
dans les endroits où elle n’a pu entrer avec grâce, et où il a été aisé au lecteur de la suppléer. On ne considère en
France que ce qui plaît : c’est la grande règle, et, pour ainsi dire, la seule. Je n’ai donc pas cru que ce fût un crime
de passer par-dessus les anciennes coutumes, lorsque je ne pouvais les mettre en usage sans leur faire tort. Du
temps d’Ésope, la fable était contée simplement, la moralité séparée, et toujours ensuite. Phèdre est venu, qui ne
s’est pas assujetti à cet ordre : il embellit la narration, et transporte quelquefois la moralité de la fin au
commencement. Quand il serait nécessaire de lui trouver place, je ne manque à ce précepte que pour en observer
un qui n’est pas moins important ; c’est Horace qui nous le donne. Cet auteur ne veut pas qu’un écrivain
s’opiniâtre contre l’incapacité de son esprit ni contre celle de sa matière. Jamais, à ce qu’il prétend un homme qui
veut réussir n’en vient jusque-là ; il abandonne les choses dont il voit qu’il ne saurait rien faire de bon :

63
Et quæ
Desperat tractata nitescere posse, relinquit.3

C’est ce que j’ai fait à l’égard de quelques moralités du succès desquelles je n’ai pas bien espéré.

À Monseigneur le Dauphin
Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l’histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons ;
Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes
Je me sers d’animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d’un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par des conquêtes,
Quelque autre te dira d’une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t’entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures ;
Et si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

Troisième recueil de Fables (1693) : à Monseigneur le Duc de Bourgogne

Monseigneur,
Je ne puis employer, pour mes fables, de protection qui me soit plus glorieuse que la vôtre. Ce goût exquis et
ce jugement si solide que vous faîtes paraître dans toutes choses au-delà d'un âge où à peine les autres princes
sont-ils touchés de ce qui les environne avec le plus d'éclat ; tout cela, joint au devoir de vous obéir et à la passion
de vous plaire, m'a obligé de vous présenter un ouvrage dont l'original a été l'admiration de tous les siècles aussi
bien que celle de tous les sages. Vous m'avez même ordonné de continuer ; et, si vous me permettez de le dire, il
y a des sujets dont je vous suis redevable, et où vous avez jeté des grâces qui ont été admirées de tout le monde.
Nous n'avons plus besoin de consulter ni Apollon ni les Muses, ni aucune des divinités du Parnasse : elle se
rencontrent toutes dans les présents que vous a faits la nature, et dans cette science de bien juger des ouvrages
de l'esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connaître toutes les règles qui y conviennent. Les fables d'Ésope sont
une ample matière pour ces talents, elles embrassent toutes sortes d'événements et de caractères. Ces mensonges
sont proprement une manière d'histoire où on ne flatte personne. Ce ne sont pas choses de peu d'importance que
ces sujets : les animaux sont les précepteurs des hommes dans mon ouvrage. Je ne m'étendrai pas davantage là-
dessus : vous voyez mieux que moi le profit qu'on peut en tirer. Si vous vous connaissez maintenant en orateurs
et en poètes, vous vous connaîtrez encore mieux quelque jour en bons politiques et en bons généraux d'armée ;
et vous vous tromperez aussi peu au choix des personnes qu'au mérite des actions. Je ne suis pas d'un âge à
espérer d'en être témoin. Il faut que je m’en contente de travailler sous vos ordres. L'envie de vous plaire me
tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affaiblie : quand vous souhaiterez quelque fable, je la trouverai
dans ce fonds-là. Je voudrais bien que vous y pussiez trouver des louanges dignes du monarque qui fait
maintenant le destin de tant de peuples et de nations, et qui rend toutes les parties du monde attentives à ses
conquêtes, à ses victoires, et à la paix qui semble se rapprocher, et dont il impose les conditions avec toute la
modération que peuvent souhaiter nos ennemis. Je me le figure comme un conquérant qui veut mettre des bornes
à sa gloire et à sa puissance, et de qui on pourrait dire, à meilleur titre qu'on ne l'a dit d'Alexandre, qu'il va tenir
les États de l'univers, en obligeant les ministres de tant de princes de s'assembler pour terminer une guerre qui
ne peut être que ruineuse à leurs maîtres. Ce sont des sujets au-dessus de nos paroles ; je les laisse à de meilleures
plumes que la miennes, et suis avec un profond respect.
Monseigneur,
Votre très humble, très obéissant
et très fidèle serviteur,
DE LA FONTAINE.

3
Citation d’Horace : « Et ce qu’il craint de ne pouvoir rendre attrayant par sa touche personnelle, il l’abandonne. »
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La Fontaine vu par… Perrault, Chamfort, Sainte-Beuve et les autres.

La Fontaine par Charles Perrault,


« Son plus bel ouvrage et qui vivra éternellement, c'est son recueil des fables d'Ésope qu'il a traduites ou
paraphrasées. Il a joint au bon sens d'Ésope des ornements de son invention si convenables, si judicieux et si
réjouissants en même temps, qu'il est malaisé de faire une lecture plus utile et plus agréable tout ensemble. Il
n'inventait pas les fables, mais il les choisissait bien, et les rendait presque toujours meilleures qu'elles n'étaient. »

La Fontaine par Madame de Sévigné, lettre à Bussy-Rabutin, 20 juillet 1679


« Faites-vous envoyer promptement les Fables de la Fontaine ; elles sont divines. On croit d’abord en distinguer
quelques-unes ; et à force de les relire, on les trouve toutes bonnes. C’est une manière de narrer, et un style à quoi
l’on ne s’accoutume point. Mandez-m’en votre avis, et le nom de celles qui vous auront sauté aux yeux les
premières. »

La Fontaine vu par Jean de La Bruyère, Discours de réception à l’Académie française, 15 juin 1693
« Un autre plus égal que Marot, et plus poète que Voiture, a le jeu, le tour et la naïveté de tous les deux ; il instruit en
badinant, persuade aux hommes la vertu par l’organe des bêtes, élève les petits sujets jusqu’au sublime ; homme
unique dans son genre d’écrire, toujours original, soit qu’il invente, soit qu’il traduise, qui a été au-delà de ses
modèles, modèle lui-même difficile à imiter. »

La Fontaine vu par Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation (livre II), 1762


« Émile n’apprendra jamais rien par cœur, pas même des fables, pas même celles de la Fontaine, toutes naïves, toutes
charmantes qu’elles sont ; car les mots des fables ne sont pas plus les fables que les mots de l’histoire ne sont
l’histoire. Comment peut-on s’aveugler assez pour appeler les fables la morale des enfants, sans songer que
l’apologue, en les amusant, les abuse ; que, séduits par le mensonge, ils laissent échapper la vérité, et que ce qu’on
fait pour leur rendre l’instruction agréable les empêche d’en profiter ? Les fables peuvent instruire les hommes ;
mais il faut dire la vérité nue aux enfants : sitôt qu’on la couvre d’un voile, ils ne se donnent plus la peine de le lever.
On fait apprendre les fables de la Fontaine à tous les enfants, et il n’y en a pas un seul qui les entende. Quand ils les
entendraient, ce serait encore pis ; car la morale en est tellement mêlée et si disproportionnée à leur âge, qu’elle les
porterait plus au vice qu’à la vertu. Ce sont encore là, direz-vous, des paradoxes. Soit ; mais voyons si ce sont des
vérités.
Je dis qu’un enfant n’entend point les fables qu’on lui fait apprendre, parce que quelque effort qu’on fasse pour les
rendre simples, l’instruction qu’on en veut tirer force d’y faire entrer des idées qu’il ne peut saisir, et que le tour
même de la poésie, en les lui rendant plus faciles à retenir, les lui rend plus difficiles à concevoir, en sorte qu’on
achète l’agrément aux dépens de la clarté. Sans citer cette multitude de fables qui n’ont rien d’intelligible ni d’utile
pour les enfants, et qu’on leur fait indiscrètement apprendre avec les autres, parce qu’elles s’y trouvent mêlées,
bornons-nous à celles que l’auteur semble avoir faites spécialement pour eux.
Je ne connais dans tout le Recueil de la Fontaine que cinq ou six fables où brille éminemment la naïveté puérile : de
ces cinq ou six, je prends pour exemple la première de toutes, parce que c’est celle dont la morale est le plus de tout
âge, celle que les enfants saisissent le mieux, celle qu’ils apprennent avec le plus de plaisir, enfin celle que pour cela
même l’Auteur a mise par préférence à la tête de son livre. En lui supposant réellement l’objet d’être entendu des
enfants, de leur plaire et de les instruire, cette fable est assurément son chef-d’œuvre : qu’on me permette donc de
la suivre et de l’examiner en peu de mots.

LE CORBEAU ET LE RENARD,
Fable
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Maître ! que signifie ce mot en lui-même ? que signifie-t-il au-devant d’un nom propre ? quel sens a-t-il dans cette
occasion ?
Qu’est-ce qu’un corbeau ?
Qu’est-ce qu’un arbre perché ? l’on ne dit pas ; sur un arbre perché : l’on dit, perché sur un arbre. Par conséquent il
faut parler des inversions de la Poésie ; il faut dire ce que c’est que prose et que vers.

Tenait dans son bec un fromage.


Quel fromage ? était-ce un fromage de Suisse, de Brie, ou de Hollande ? Si l’enfant n’a point vu de corbeaux, que
gagnez-vous à lui en parler ? s’il en a vu, comment concevra-t-il qu’ils tiennent un fromage à leur bec ? Faisons
toujours des images d’après nature.
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Maître Renard, par l’odeur alléché,
Encore un maître ! mais pour celui-ci c’est à bon titre : il est maître passé dans les tours de son métier. Il faut dire ce
que c’est qu’un renard, et distinguer son vrai naturel, du caractère de convention qu’il a dans les fables.

Alléché. Ce mot n’est pas usité. Il le faut expliquer : il faut dire qu’on ne s’en sert plus qu’en vers. L’enfant demandera
pourquoi l’on parle autrement en vers qu’en prose. Que lui répondrez-vous ?

Alléché par l’odeur d’un fromage ! Ce fromage tenu par un corbeau perché sur un arbre, devait avoir beaucoup
d’odeur pour être senti par le renard dans un taillis ou dans son terrier ! Est-ce ainsi que vous exercez votre élève à
cet esprit de critique judicieuse, qui ne s’en laisse imposer qu’à bonnes enseignes, et sait discerner la vérité du
mensonge, dans les narrations d’autrui ?

Lui tint à peu près ce langage :


Ce langage ! Les renards parlent donc ? ils parlent donc la même Langue que les corbeaux ? Sage précepteur, prends
garde à toi : pèse bien ta réponse avant de la faire. Elle importe plus que tu n’as pensé.

Eh ! bonjour, Monsieur le Corbeau !


Monsieur ! titre que l’enfant voit tourner en dérision, même avant qu’il sache que c’est un titre d’honneur. Ceux qui
disent Monsieur du Corbeau auront bien d’autres affaires avant que d’avoir expliqué ce du.

Que vous êtes charmant ! que vous me semblez beau !


Cheville, redondance inutile. L’enfant, voyant répéter la même chose en d’autres termes, apprend à parler lâchement.
Si vous dites que cette redondance est un art de l’auteur, et entre dans le dessein du renard, qui veut paraître
multiplier les éloges avec les paroles ; cette excuse sera bonne pour moi, mais non pas pour mon élève.

Sans mentir, si votre ramage


Sans mentir ! on ment donc quelquefois ? Où en sera l’enfant, si vous lui apprenez que le renard ne dit, sans mentir,
que parce qu’il ment ?

Répondait à votre plumage.


Répondait ! que signifie ce mot ? Apprenez à l'enfant à comparer des qualités aussi différentes que la voix et le
plumage ; vous verrez comme il vous entendra.

Vous seriez le Phénix des hôtes de ces bois.


Le Phénix ! Qu’est-ce qu’un phénix ? Nous voici tout-à-coup jetés dans la menteuse antiquité ; presque dans la
mythologie.

Les hôtes de ces bois ! Quel discours figuré ! Le flatteur ennoblit son langage et lui donne plus de dignité pour le rendre
plus séduisant. Un enfant entendra-t-il cette finesse ? sait-il seulement, peut-il savoir, ce que c’est qu’un style noble
et un style bas ?

À ces mots, le Corbeau ne se sent pas de joie.


Il faut avoir éprouvé déjà des passions bien vives pour sentir cette expression proverbiale.

Et pour montrer sa belle voix,


N’oubliez pas que pour entendre ce vers et toute la fable, l’enfant doit savoir ce que c’est que la belle voix du corbeau.

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.


Ce vers est admirable ; l’harmonie seule en fait image. Je vois un grand vilain bec ouvert ; j’entends tomber le fromage
à travers les branches : mais ces sortes de beautés sont perdues pour les enfants.

Le Renard s’en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,


Voilà donc la bonté transformée en bêtise : assurément on ne perd pas de temps pour instruire les enfants.

Apprenez que tout flatteur


Maxime générale ; nous n’y sommes plus.

Vit aux dépens de celui qui l’écoute.


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Jamais enfant de dix ans n’entendit ce vers-là.

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.


Ceci s’entend, et la pensée est très bonne. Cependant il y aura encore bien peu d’enfants qui sachent comparer une
leçon à un fromage, et qui ne préférassent le fromage à la leçon. Il faut donc leur faire entendre que ce propos n’est
qu’une raillerie. Que de finesse pour des enfants !

Le corbeau, honteux et confus,


Autre pléonasme ; mais celui-ci est inexcusable.

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.


Jura ! Quel est le sot de Maître qui ose expliquer à l’enfant ce que c’est qu’un serment ?

Voilà bien des détails ; bien moins cependant qu’il n’en faudrait pour analyser toutes les idées de cette fable, et les
réduire aux idées simples et élémentaires dont chacune d’elles est composée. Mais qui est-ce qui croit avoir besoin
de cette analyse pour se faire entendre à la jeunesse ? Nul de nous n’est assez philosophe pour savoir se mettre à la
place d’un enfant. Passons maintenant à la morale. Je demande si c’est à des enfants de dix ans qu’il faut apprendre
qu’il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur profit ? On pourrait tout au plus leur apprendre qu’il y a des
railleurs qui persiflent les petits garçons, et se moquent en secret de leur sotte vanité : mais le fromage gâte tout ;
on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec, qu’à le faire tomber du bec d’un autre. C’est ici mon
second paradoxe, et ce n’est pas le moins important.
Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font
presque toujours une contraire à l’intention de l’auteur, et qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut
guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable
précédente, les enfants se moquent du corbeau, mais ils s’affectionnent tous au renard. Dans la fable qui suit ; vous
croyez leur donner la cigale pour exemple, et point du tout, c’est la fourmi qu’ils choisiront. On n’aime point à
s’humilier ; ils prendront toujours le beau rôle ; c’est le choix de l’amour-propre, c’est un choix très naturel. Or, quelle
horrible leçon pour l’enfance ! Le plus odieux de tous les monstres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu’on
lui demande et ce qu’il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.
Dans toutes les fables où le lion est un des personnages, comme c’est d’ordinaire le plus brillant, l’enfant ne manque
point de se faire lion ; et quand il préside à quelque partage, bien instruit par son modèle, il a grand soin de s’emparer
de tout. Mais quand le moucheron terrasse le lion, c’est une autre affaire ; alors l’enfant n’est plus lion, il est
moucheron. Il apprend à tuer un jour à coups d’aiguillon ceux qu’il n’oserait attaquer de pied ferme.
Dans la fable du loup maigre et du chien gras, au lieu d’une leçon de modération qu’on retend lui donner, il en prend
une de licence. Je n’oublierai jamais d’avoir vu beaucoup pleurer une petite fille qu’on avait désolée avec cette fable,
tout en lui prêchant toujours la docilité. On eut peine à savoir la cause de ses pleurs, on la sut enfin. La pauvre enfant
s’ennuyait d’être à la chaîne : elle se sentait le cou pelé ; elle pleurait de n’être pas loup.
Ainsi donc la morale de la première fable citée est pour l’enfant une leçon de la plus basse flatterie ; celle de la
seconde une leçon d’inhumanité ; celle de la troisième une leçon d’injustice ; celle de la quatrième, une leçon de
satire ; celle de la cinquième une leçon d’indépendance. Cette dernière leçon, pour être superflue à mon élève, n’en
est pas plus convenable aux vôtres. Quand vous leur donnez des préceptes qui se contredisent, quel fruit espérez-
vous de vos soins ? Mais peut-être, à cela près, toute cette morale qui me sert d’objection contre les fables, fournit-
elle autant de raisons de les conserver. Il faut une morale en paroles et une en actions dans la société, et ces deux
morales ne se ressemblent point. La première est dans le catéchisme, où on la laisse ; l’autre est dans les fables de
La Fontaine pour les enfants, et dans ses contes pour les mères. Le même auteur suffit à tout.
Composons, Monsieur de La Fontaine. Je promets, quant à moi, de vous lire avec choix, de vous aimer, de m’instruire
dans vos fables ; car j’espère ne pas me tromper sur leur objet. Mais pour mon élève, permettez que je ne lui en laisse
pas étudier une seule, jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé qu’il est bon pour lui d’apprendre des choses dont il ne
comprendra pas le quart ; que dans celles qu’il pourra comprendre il ne prendra jamais le change, et qu’au lieu de
se corriger sur la dupe, il ne se formera pas sur le fripon.
En ôtant ainsi tous les devoirs des enfants, j’ôte les instruments de leur plus grande misère, savoir les livres. La
lecture est le fléau de l’enfance, et presque la seule occupation qu’on lui sait donner. À peine à douze ans Émile saura-
t-il ce que c’est qu’un livre. Mais il faut bien, au moins, dira-t-on, qu’il sache lire. J’en conviens : il faut qu’il sache lire
quand la lecture lui est utile ; jusqu’alors elle n’est bonne qu’à l’ennuyer. »

La Fontaine par Chamfort, Éloge de La Fontaine, 1774


« Mais ce qui distingue La Fontaine de tous les moralistes, c'est la facilité insinuante de sa morale, c'est cette sagesse
naturelle, comme lui-même, qui paraît n'être qu'un heureux développement de son instinct. Chez lui, la vertu ne se

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présente point environnée du cortège effrayant qui l'accompagne d'ordinaire. Rien d'affligeant, rien de pénible :
offre-t-il quelque exemple de générosité quelque sacrifice, il le fait naître de l'amour, de l'amitié, d'un sentiment si
simple, si doux pour celui qui l'éprouve, que ce sacrifice même a dû lui paraître un bonheur. Mais, s'il écarte en
général les idées tristes d'efforts, de privations, de dévouements, il semble qu'ils cesseraient d'être nécessaires, et
que la société n'en aurait plus besoin. Il ne vous parle que de vous-même ou pour vous-même ; et de ses leçons, ou
plutôt, de ses conseils, naîtrait le bonheur général. Combien cette morale est supérieure à celle de tant de
philosophes qui paraissent n'avoir point écrit pour des hommes, et qui « taillent », comme dit Montaigne, « nos
obligations à la raison d'un autre Être » ? Telle est en effet la misère et la vanité de l'homme, qu'après s'être mis au-
dessous de lui-même par ses vices, il veut ensuite s'élever au-dessus de sa nature par le simulacre imposant des
vertus auxquelles il se condamne, et qu'il deviendrait, en réalisant les chimères de son orgueil, aussi méconnaissable
à lui-même par sa sagesse, qu'il l'est en effet par sa folie. Mais après tous ces vains efforts, rendu à sa médiocrité
naturelle, son cœur lui répète ce mot d'un vrai sage, que c'est une cruauté de vouloir élever l'homme, à tant de
perfection. Aussi, tout ce faste philosophique tombe-t-il devant la raison simple, mais lumineuse, de La Fontaine. Un
ancien osait dire qu'il faut combattre souvent les lois par la nature ; c'est par la nature que La Fontaine combat les
maximes outrées de la philosophie. Son livre est la loi naturelle en action. C'est la morale de Montagne épurée dans
une âme plus douce, rectifiée par un sens encor plus droit, embellie des couleurs d'une imagination plus aimable,
moins forte peut-être, mais non pas moins brillante.
N'attendez point de lui ce fastueux mépris de la mort, qui, parmi quelques leçons d'un courage trop souvent
nécessaire à l'homme, a fait débiter aux philosophes tant d'orgueilleuses absurdités. Tout sentiment exagéré n'avait
point de prise sur son âme, s'en écartait naturellement, et la facilité même de son caractère semblait l'en avoir
préservé. La Fontaine n'est point le poète de l'héroïsme, il est celui de la vie commune, de la raison vulgaire. Le
travail, la vigilance, l'économie, la prudence sans inquiétude, l'avantage de vivre avec ses égaux, le besoin qu'on peut
avoir de ses inférieurs, la modération, la retraite, voilà ce qu'il aime et ce qu'il fait aimer. L'amour, cet objet de tant
de déclamations, « ce mal qui peut-être est un bien », dit La Fontaine, il le montre comme une faiblesse naturelle et
intéressante. Il n'affecte point ce mépris pour l'espèce humaine, qui aiguise la satire mordante de Lucien, qui
s'annonce hardiment dans les écrits de Montagne, se découvre dans la folie de Rabelais, et perce quelquefois même
dans l'enjouement d'Horace. Ce n'est point cette austérité qui appelle, comme dans Boileau, la plaisanterie au
secours d'une raison sévère, ni cette dureté misanthropique de La Bruyère et de Pascal, qui, portant le flambeau
dans l'abîme du cœur humain, jette une lueur effrayante sur ses tristes profondeurs. Le mal qu'il peint, il le rencontre
; les autres l'ont cherché. Pour eux, nos ridicules sont des ennemis dont ils se vengent ; pour La Fontaine, ce sont des
passants incommodes dont il songe à se garantir : il rit et ne hait point. Censeur assez indulgent de nos faiblesses,
l'avarice est de tous nos travers celui qui paraît le plus révolter son bon sens naturel. Mais s'il n'éprouve et n'inspire
point,

Ces haines vigoureuses,


Que doit donner le vice aux âmes vertueuses,

au moins préserve-t-il ses lecteurs du poison de la misanthropie, effet ordinaire de ces haines; l'âme, après la lecture
de ses ouvrages, calme, reposée, et pour ainsi dire, rafraîchie comme au retour d'une promenade solitaire et
champêtre, trouve en soi-même une compassion douce pour l'humanité, une résignation tranquille à la providence,
à la nécessité, aux lois de l'ordre établi, enfin l'heureuse disposition de supporter patiemment les défauts d'autrui,
et même les siens : leçon qui n'est peut-être pas une des moindres que puisse donner la philosophie. »

La Fontaine vu par Voltaire, lettre de M. de La Visclède au Secrétaire perpétuel de l’Académie de Pau, 1776
« Vous connaissez cet enfant de la nature, ce La Fontaine […]. Il avait ce grand don de la nature, le talent. L'esprit le
plus supérieur n'y saurait atteindre. C'est par les talents que le siècle de Louis XIV sera distingué à jamais de tous les
siècles, dans notre France si longtemps grossière. Il y aura toujours de l'esprit ; les connaissances des hommes
augmenteront, on verra des ouvrages utiles ; mais des talents, je doute qu'il en naisse beaucoup. Je doute qu'on
retrouve l'auteur de Cinna, celui d'Iphigénie, d'Athalie, de Phèdre, celui de l'Art poétique, celui de Roland et Armide,
celui qui força en chaire, jusqu'à des ministres, de pleurer et d'admirer la fille de Henri IV, veuve de Charles Ier et sa
fille Henriette, Madame. […]
Tout cela, monsieur, n'empêche pas qu'un nombre considérable de fables pleines de sentiment, d'ingénuité, de
finesse, et d'élégance, ne soient le charme de quiconque sait lire.
Quand je dis qu'il est presque égal, dans ses bonnes fables, aux grands hommes de son mémorable siècle, je ne dis
rien de trop fort. Je serais un exagérateur ridicule si j'osais comparer

Maître Corbeau, sur un arbre perché,


Tenait en son bec un fromage ;

68
et

La cigale ayant chanté


Tout l'été,

à ces vers de Cornélie qui tient l'urne de son époux :

Éternel entretien de haine et de pitié,


Restes du grand Pompée, écoutez sa moitié ;

et à ceux de César :

Reste d'un demi-dieu dont à peine je puis


Égaler le grand nom, tout vainqueur que j'en suis !

« Le Savetier et le Financier », « Les Animaux malades de la peste », « le Meunier, son Fils et l'Âne », etc., etc., tout
excellents qu'ils sont dans leur genre, ne seront jamais mis par moi au même rang que la scène d'Horace et de
Curiace, ou que les pièces inimitables de Racine, ou que le parfait Art poétique de Boileau, ou que le Misanthrope et
le Tartuffe de Molière. Le mérite extrême de la difficulté surmontée, un grand plan conçu avec génie, exécuté avec
un goût qui ne se dément jamais dans Racine, la perfection enfin dans un grand art, tout cela est bien supérieur à
l'art de conter. Je ne veux point égaler le vol de la fauvette à celui de l'aigle. Je me borne à vous soutenir que La
Fontaine a souvent réussi dans son petit genre autant que Corneille dans le sien. […] Vous me faites, monsieur, une
question plus importante. Vous me demandez pourquoi Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur La Fontaine,
comme sur les autres gens de lettres qui firent honneur au grand siècle. Je vous répondrai d'abord qu'il ne goûtait
pas assez le genre dans lequel ce conteur charmant excella. Il traitait les fables de la Fontaine comme les tableaux de
Teniers, dont il ne voulait voir aucun dans ses appartements. Il n'aimait le petit en aucun genre, quoiqu'il eût dans
l'esprit autant de délicatesse que de grandeur. Il ne goûta les petits vers de Benserade que parce qu'ils avaient
rapport aux fêtes magnifiques qu'il donnait.
De plus, La Fontaine était d'un caractère à ne se pas présenter à la cour de ce monarque. Ses distractions continuelles,
son extrême simplicité, réjouissaient ses amis, et n'auraient pu plaire à un homme tel que Louis XIV. »

La Fontaine vu par Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome VII, 1853


« Parler de La Fontaine n’est jamais un ennui, même quand on serait bien sûr de n’y rien apporter de nouveau : c’est
parler de l’expérience même, du résultat moral de la vie, du bon sens pratique, fin et profond, universel et divers,
égayé de raillerie, animé de charme et d’imagination, corrigé encore et embelli par les meilleurs sentiments, consolé
surtout par l’amitié ; c’est parler enfin de toutes ces choses qu’on ne sent jamais mieux que lorsqu’on a mûri soi-
même. Ce La Fontaine qu’on donne à lire aux enfants ne se goûte jamais si bien qu’après la quarantaine ; c’est ce vin
vieux dont parle Voltaire et auquel il a comparé la poésie d’Horace : il gagne à vieillir, et, de même que chacun en
prenant de l’âge sent mieux La Fontaine, de même aussi la littérature française, à mesure qu’elle avance et qu’elle se
prolonge, semble lui accorder une plus belle place et le reconnaître plus grand.
Longtemps on n’a osé le mettre tout à fait au même rang que les autres grands hommes, que les autres grands poètes
qui ont illustré son siècle : « Le Savetier et le Financier, disait Voltaire, les Animaux malades de la peste, le Meunier,
son Fils et l’Âne, etc., etc., tout excellents qu’ils sont dans leur genre, ne seront jamais mis par moi au même rang que
la scène d’Horace et de Curiace, ou que les pièces inimitables de Racine, ou que le parfait Art poétique de Boileau, ou
que le Misanthrope ou le Tartuffe de Molière. » Voltaire peut-être a raison, et pourtant la postérité, qui n’a pas à opter
entre ces chefs-d’œuvre divers ni à se décider pour l’un au détriment des autres, la postérité, qui n’est pas homme
de lettres, ne se pose point la question de la sorte ; elle ne recherche pas ce qui est plus ou moins difficile ou élevé
comme art, comme composition ; elle oublie les genres, elle ne voit plus que le trésor moral de sagesse, de vérité
humaine, d’observation éternelle qui lui est transmise sous une forme si parlante et si vive. Elle jouit de ces
charmants tableaux encore plus qu’elle ne songe à les mesurer ou à les classer ; elle en aime l’auteur, elle le reconnaît
pour celui qui a le plus reproduit en lui et dans sa poésie toute réelle les traits de la race et du génie de nos pères ;
et, si un critique plus hardi que Voltaire vient à dire : « Notre véritable Homère, l’Homère des Français, qui le croirait
? c’est La Fontaine, » cette postérité y réfléchit un moment, et elle finit par répondre : C’est vrai. »

69
La théorie de l’animal-machine
RENE DESCARTES (1506-1650)

Discours de la Méthode (1637)


[…Le mouvement de l’animal] ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates,
ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à
comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres
parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite
des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables
qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes.
[…] C'est aussi une chose fort remarquable que, bien qu'il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d'industrie
que nous en quelques-unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n'en témoignent point du tout en
beaucoup d'autres : de façon que ce qu'ils font mieux que nous ne prouve pas qu'ils ont de l'esprit, car à ce compte
ils en auraient plus qu'aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu'ils n'en ont point, et
que c'est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes : ainsi qu'on voit qu'une horloge, qui n'est
composée que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement que nous
avec toute notre prudence.

Pour Descartes, la nature de l’âme est distincte de celle du corps. Considérant le corps comme un pur objet matériel,
Descartes en fait une théorie mécaniste. L’organisme ne serait qu’une grande machine perfectionnée, entièrement
explicable par les lois de la physique. Le recours à un principe immatériel d’animation pour expliquer la vie est alors
inutile. Tout n’est, pour lui, que leviers, tuyaux, chaudière, rouages, ressorts… L’animal, pure machine selon
Descartes, ne ressent rien et réagit de manière purement mécanique.
Dans d’autres textes, Descartes précise davantage sa pensée en notant que toutes les actions, et surtout les plus
accomplies, des animaux peuvent être expliquées par la structure et la disposition de leurs organes et résulter de
l’instinct (nous dirions aujourd’hui : du programme génétique). La perfection même de certaines de leurs actions
plaiderait pour le caractère automatique de leur exécution. Au contraire, une action intelligente a toujours quelque
chose d’imparfait et d’inachevé, et peut être encore perfectionnée.
La différence entre l’homme et l’animal n’est donc pas une différence de degré ou de complexité, mais bien une
différence de nature. Car l’homme, parce qu’il pense, parle ou invente un système de signes destiné à communiquer
ce qu’il pense. La parole est le seul signe certain d’une pensée enfermée dans le corps. On peut alors conjecturer que
si l’animal ne nous communique pas ses pensées, ce n’est pas parce que nous ne comprendrions pas le « langage »
dans lequel il les exprime, mais parce qu’il ne pense pas. Cela ne veut pas dire qu’il ne vit pas ou qu’il n’est pas
sensible, mais seulement qu’il n’est régi que par un principe mécanique et non aussi par un principe intelligent.
(D’après Scribd)

La Fontaine s’oppose à ce principe et y revient dans son « Discours à Madame de la Sablière » (IX)
Descartes, dans sa « lettre au marquis de Newcastle » en 1646, revient sur l’animal-machine :

Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas ; car cela même
sert à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu'une horloge, laquelle montre bien mieux
l'heure qu'il est que notre jugement ne nous l'enseigne. Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au
printemps, elles agissent en cela comme des horloges. Tout ce que font les mouches à miel est de même nature et
l'ordre que tiennent les grues en volant, et celui qu'observent les singes en se battant, s'il est vrai qu'ils en
observent quelqu'un, et enfin l'instinct d'ensevelir leurs morts, n'est pas plus étrange que celui des chiens et des
chats, qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments, bien qu'ils ne les ensevelissent presque jamais : ce
qui montre qu'ils ne le font que par instinct, et sans y penser. On peut seulement dire que, bien que les bêtes ne
fassent aucune action qui nous assure qu'elles pensent, toutefois, à cause que les organes de leurs corps ne sont
pas fort différents des nôtres, on peut conjecturer qu'il y a quelque pensée jointe à ces organes, ainsi que nous
expérimentons en nous, bien que la leur soit beaucoup moins parfaite. À quoi je n'ai rien à répondre, sinon que,
si elles pensaient ainsi que nous, elles auraient une âme immortelle aussi bien que nous ; ce qui n'est pas
vraisemblable, à cause qu'il n'y a point de raison pour le croire de quelques animaux, sans le croire de tous, et
qu'il y en a plusieurs trop imparfaits pour pouvoir croire cela d'eux, comme sont les huîtres, les éponges, etc.

Bibliographie, Filmographie, Visite

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BIOGRAPHIES ET DOCUMENTAIRES
- Roger Duchêne, Jean de La Fontaine, Fayard, 1995.
- Erik Orsenna, La Fontaine, Une école buissonnière, Stock, 2017.
- Sylvie Dodeller, La Fontaine, En vers et contre tous ! École des Loisirs, 2017.
- Patrick Dandrey, La Fontaine ou Les métamorphoses d’Orphée, « Découvertes Gallimard », Gallimard, 2008.
Sur le XVIIe siècle
- Paul Morand, Fouquet ou Le Soleil offusqué, Folio histoire, 1985.
- Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, Albin Michel, 1997.
- François Lebrun, Louis XIV, Le Roi de Gloire, Découvertes Gallimard, Gallimard, 2007.
- Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, Folio classique, 2015.
- Jean-Christian Petitfils, Le Siècle de Louis XIV, Tempus, 2017.
Jean de La Fontaine
- Contes et nouvelles en vers, Folio Classique, 1982.
- Œuvres complètes tomes 1 et 2, La Pléiade, Gallimard, 1991.
Autres fabulistes
- Les Fables d’Ésope, traduites par Jacques Lacarrière, Albin Michel, 2016.
- Phèdre, Fables, Rivages Poche, 2018.
- Fables de Florian, La France pittoresque, 2017.
- Jean Anouilh, Fables, Folio, 1973.
La Fontaine illustré
- Gérard Gréverand, La Fontaine et les Artistes, La Renaissance du Livre, 2002.
- Les Fables de La Fontaine illustrées par Benjamin Rabier, Tallandier, 2003.
- Au pays de La Fontaine, Casterman, 2008.
- Choix de Fables illustrées par Gustave Doré, BNF Éditions, 2016.

FILMOGRAPHIE
- Fables de La Fontaine de Don Kent [2007], mise en scène de Robert Wilson (Comédie-Française) avec Christine
Fersen, Laurent Stocker) DVD, Éditions Montparnasse, 2007.
- Jean de La Fontaine, le défi de Daniel Vigne [2007] (avec Lorànt Deutsch et Philippe Torreton), DVD, Lancaster,
2010.
- Le Roi, l’Écureuil et la Couleuvre de Laurent Heynemann [2011] (avec Lorànt Deutsch et Thierry Frémont), DVD,
Koba Films, 2011.

VISITES
- Musée Jean de La Fontaine, 12 rue Jean de La Fontaine, Château-Thierry (Aisne).
- Château de Vaux-le-Vicomte (Seine et Marne).

SITES
www.la-fontaine-ch-thierry.net
http://www.lafontaine.net/
http://www.musee-jean-de-la-fontaine.fr/ (visite virtuelle du Musée Jean de La Fontaine).

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