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Économie industrielle 1 - Document de cours

Pascal Toquebeuf
Année universitaire 2023-2024
Introduction

L’économie industrielle est la branche de l’économie qui étudie les marchés imparfaits, i.e.
les marchés sur lesquels les firmes ont du pouvoir de marché. L’économie industrielle s’intéresse
aux relations entre la structure d’un marché, la conduite (ou comportement) des entreprises
évoluant sur ce marché, et la performance du secteur industriel, notamment en terme de bien-
être.

La structure de marché Elle s’impose aux entreprises : leur comportement s’insère dans une
structure de marché donnée. La structure de marché comprend notamment :
— Le nombre d’acheteurs et de vendeurs. Lorsqu’un marché a peu d’offreurs, on dit que
l’offre est concentrée. Un marché qui n’a qu’un seul offreur est un monopole. Un marché
qui n’a qu’un seul acheteur est un monopsone.
— Les barrières à l’entrée. Elle diminue le profit anticipé par les firmes qui souhaitent entrer
sur le marché.
— Le degré de différenciation des produits. Les produits sont différenciés lorsque les consom-
mateurs les jugent différents. Si les consommateurs jugent les produits identiques, on dit
que le bien produit est homogène.
— Le degré d’intégration verticale. L’intégration verticale désigne le fait, pour une firme,
de contrôler une plus grande partie du processus de production. Par exemple, une firme
qui produit de l’aluminium peut chercher à contrôler les mines de bauxite.

Le comportement des entreprises On s’intéresse notamment à :


— La publicité ;
— La fixation des prix ;
— La stratégie d’investissement ;
— La formation d’un cartel ;
— La stratégie de fusion/acquisition.

La performance de l’industrie Il s’agit de la capacité du secteur à satisfaire les besoins de


la société. On jugera notamment :
— Le niveau des prix ;

1
2

— L’efficacité productive ;
— L’équité ;
— La qualité du produit ;
— Le progrès technique ;
— Le niveau des profits.
Ce cours repose sur l’approche Structure-Conduite-Performance (SCP). Dans cette approche,
la performance de l’industrie dépend de la conduite des entreprises, laquelle est elle-même dé-
terminée par la structure du marché. Celle-ci dépend de conditions fondamentales telles que la
technologie et la demande d’un produit. Par exemple, une industrie a une technologie caracté-
risée par une courbe de coût moyen décroissante en fonction du niveau de la production. Cette
donnée technologique implique que le marché est dominée par un faible nombre de firmes :
l’offre est concentrée. Dans ce cas, le prix fixé est supérieur au coût marginal de production.
De plus, si la demande qui s’adresse aux firmes est inélastique, i.e. si les demandeurs sont peu
sensibles au prix, le prix fixé sera plus élevé que si la demande était élastique, i.e. si les clients
étaient relativement sensibles aux prix.
Notamment, les chapitres 1, 2, 5 et 6, proposeront d’expliquer le niveau des profits et du
bien-être social, donc les performances du secteur industriel, à partiœr de la structure de marché
-concurrence, oligopole, monopole.
Table des matières

La structure de marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Le comportement des entreprises . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
La performance de l’industrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

1 Le marché concurrentiel 6
1.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Les postulats du modèle concurrentiel . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2 L’offre et la demande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3 Le surplus total et l’équilibre concurrentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.4 Efficacité paretienne et surplus total . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.5 L’équilibre concurrentiel avec demande affine et coût linéaire . . . . . . . . . . 11

2 Le monopole 13
2.1 La tarification du monopole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Demande affine et coût linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
2.2 L’inefficience allocative du monopole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Demande affine et coût linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

3 Le pouvoir de marché 20
3.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Substitution de l’offre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Substitution de la demande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
3.2 Mesure et déterminants du pouvoir de marché . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Demande affine et coût linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Le marché des consoles de salon . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
3.3 Les barrières à l’entrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.3.1 Les barrières à l’entrée d’origine juridico-légales . . . . . . . . . . . . 23
Le monopole naturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
Source de revenus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
La redistribution des profits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

3
TABLE DES MATIÈRES 4

La propriété intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
3.3.2 Les caractéristiques structurelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Les économies d’échelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Coûts irrécupérables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Les avantages absolus de coût . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Dépenses irrécupérables des consommateurs et différenciation
des produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
3.3.3 Le comportement stratégique des entreprises en place . . . . . . . . . . 28
Comportement post-entrée agressif . . . . . . . . . . . . . . . 28
Hausse des coûts de l’entrant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
La réduction des recettes de l’entrant . . . . . . . . . . . . . . 28
3.4 Pouvoir de marché et firmes dominantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.4.1 Description générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Exemple introductif : Intel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
3.4.2 Déterminants du pouvoir de marché de l’entreprise dominante . . . . . 30
3.4.3 Les hypothèses du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
3.4.4 Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
3.4.5 Pouvoir de marché de la firme dominante . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3.4.6 Analyse graphique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

4 Introduction à la théorie des jeux 35


4.1 Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Jeux coopératifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Jeux non-coopératifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Jeux statiques (simultanés) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Jeux dynamiques (séquentiels) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Jeux à information (in)complète . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Jeux à information (im)parfaite . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
La rationalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
La connaissance commune . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
4.2 Notations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
4.3 L’équilibre en stratégies dominantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
Le dilemme des prisonniers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
L’élimination itérative des stratégies dominées . . . . . . . . . 38
4.4 L’équilibre de Nash . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
La bataille des sexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
TABLE DES MATIÈRES 5

5 Le duopole de Cournot 42
5.1 Contexte du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
5.2 Les fonctions de meilleur réponse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
5.3 Équilibre de Cournot avec demande affine et coût linéaire . . . . . . . . . . . . 46
5.4 Pouvoir de marché et efficience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
5.5 Le cartel de quantités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
L’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP) . . . . 50
5.6 Le duopole de cournot avec différenciation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
5.6.1 La différenciation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
5.6.2 Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
5.6.3 Détermination de l’équilibre de Nash . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

6 Le duopole de Bertrand 54
6.1 Le paradoxe de Bertrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
6.2 La différenciation des produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Les fonctions de meilleure réponse . . . . . . . . . . . . . . . . 57
L’équilibre de Bertrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
6.3 L’équilibre collusif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
Entente dans le secteur de la restauration des monuments histo-
riques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Entente sur le marché de la téléphonie mobile . . . . . . . . . . 62
Chapitre 1

Le marché concurrentiel

1.1 Définition
On appelle marché concurrentiel un marché sur lequel les entreprises prennent le prix
d’équilibre, soit le prix qui égalise l’offre et la demande, comme une donnée. Elles ne peuvent
pas avoir d’impact sur le prix d’équilibre. Si une entreprise vend à un prix plus élevé que le prix
d’équilibre, les acheteurs ont toujours la possibilité de se tourner vers d’autres offreurs qui eux
vendent au prix d’équilibre. Si une entreprise vend à un prix plus bas que le prix d’équilibre,
alors elle réalise des pertes et doit sortir du marché.
Le modèle concurrentiel s’applique sur un grand nombre de marchés, dans le sens où sur
beaucoup de marchés, aucun acteur ne décide seul du prix. Par exemple, le marché du café
dans une certaine ville. Aucun acheteur ou vendeur (bars, épicerie, supermarché, distributeurs,
chaînes et commerces indépendants...) n’a une influence décisive sur le prix. Sur un marché
concurrentiel, chaque vendeur/acheteur a un impact négligeable sur le prix. L’économie indus-
trielle s’intéresse aux marchés sur lesquels certains acteurs ont une influence importante sur le
prix et l’output. Nous allons donc étudier, dans les chapitres ultérieurs, des modèles différents
du modèle concurrentiel.

Les postulats du modèle concurrentiel Le modèle concurrentiel, ou modèle de la concur-


rence parfaite, repose sur six postulats 1 :
— Atomicité. Les économies d’échelle sont faibles relativement à la taille du marché ;
— Homogénéité. Toutes les entreprises vendent un produit identique. Les consommateurs
considèrent que les produits fournis par les différentes entreprises sont les mêmes. Ils
sont donc indifférents à l’origine du produit.
— Transparence. Les acheteurs et les vendeurs disposent de toutes les informations utiles
concernant le marché. En particulier, ils connaissent le prix et la qualité du produit.
1. Le nombre et le contenu des postulats est variable selon les auteurs et les manuels.

6
CHAPITRE 1. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL 7

— Coûts de transaction nuls. Ni les acheteurs, ni les vendeurs ne supportent de coûts ou de


droits d’entrée pour accéder au marché.
— Liberté d’entrée et de sortie. Les entreprises peuvent pénétrer un marché et le quitter, ra-
pidement et à tout moment, sans avoir à supporter de dépenses particulières. Autrement
dit, il n’y a ni barrières à l’entrée, ni barrières à la sortie.
— Divisibilité parfaite de la production. Les entreprises peuvent produire et les consomma-
teurs acheter n’importe quelle fraction d’unité produite. De ce fait, la quantité produite
peut être considérée comme une fonction continue du prix. Il s’agit d’un postulat tech-
nique qui évite d’avoir à se préoccuper des problèmes causés par de larges variations
ponctuelles d’offre et de demande en réaction à de faibles variations de prix.

1.2 L’offre et la demande


Le profit économique se définit comme la différence entre la recette totale et le coût total.
L’hypothèse communément admise est que les firmes maximisent leur profit. Par définition, une
entreprise concurrentielle n’a pas d’influence sur le prix du marché. Le problème de maximisa-
tion auquel elle est confrontée est donc le suivant :

max[pq −C(q)],
q≥0

où pq est la recette totale. Quel niveau d’output une entreprise concurrentielle choisira-t-elle de
produire ? La condition de premier ordre pour un maximum implique qu’elle produit qc , défini
par p = Cm(q), soit la quantité pour laquelle la recette marginale, donc le prix pour une firme
concurrentielle, est égal au coût marginal (la dérivée du coût total). Cela signifie que la firme
concurrentielle augmente son offre jusqu’à ce que la dernière unité produite coûte exactement
le prix auquel elle est vendue. C’est pour cette raison que le coût marginal est aussi appelé
fonction d’offre, puisque Cm(q) donne le prix à partir duquel une firme concurrentielle offre la
quantité q.
La courbe de demande P(Q) 2 représente le prix que les consommateurs sont disposés à
payer lorsqu’ils achètent Q unités du bien, soit leur consentement à payer. Ce prix décroît car
lorsque les consommateurs achètent une unité supplémentaire du bien, la satisfaction qu’ils
retirent de cette consommation est moins importante que celle retirée de l’unité précédemment
achetée 3 . Ils sont donc disposés à payer chaque unité à un prix moins élevé que la précédente.
Le graphique suivant montre l’équilibre d’un marché concurrentiel. Sur ce type de marché,
le prix de l’offre, soit le coût marginal, est égal au prix de la demande, soit le consentement
à payer des consommateurs. À long terme 4 , tous les coûts sont variables et le coût marginal
2. La majuscule Q désigne la quantité totale demandée, donc la somme des demandes individuelles.
3. On parle de convexité des préférences.
CHAPITRE 1. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL 8

F IGURE 1.1 – L’offre et la demande sur un marché concurrentiel

Prix

O=Cm(Q)

Pc

D=P(Q)

Qc Quantité

L'équilibre est trouvé lorsque les courbes d'offre et de demande se croisent. À l'équilibre du
marché concurrentiel, les offreurs sont disposés à recevoir le prix que les demandeurs sont prêts
à payer.

coïncide avec le coût moyen. Ceci implique notamment l’absence d’économies d’échelle. Dans
la suite de ce cours, nous aurons souvent recours à une fonction de coût de la forme C(q) = cq,
où c > 0 représente le coût marginal et moyen. Implicitement, cela signifie que nous raisonnons
à long terme. Cela permet de simplifier l’analyse.

1.3 Le surplus total et l’équilibre concurrentiel


Le surplus des producteurs représente la différence entre ce que gagne le producteur grâce
à la vente de son bien, soit la recette totale pq, et la valeur des ressources auxquelles il a fallu
renoncer pour produire le bien, soit le coût variable total CV (q). À long terme, le surplus des
producteurs coïncide avec le profit. En l’absence de coût fixe, le profit constitue donc une me-
sure du bien-être des producteurs.
Le surplus des consommateurs est une mesure du bien-être des consommateurs. Il est don-
née par la différence entre le consentement à payer des consommateurs et la dépense qu’il a fallu
4. Le long terme désigne une période suffisamment longue pour que la quantité utilisée de tous les facteurs de
production puisse être modifiée sans coûts, autre que ceux liés au volume utilisé. Par exemple, à la fin de l’année,
le boulanger qui loue un local est libre de renouveler son bail ou de choisir un autre local. En revanche, durant
l’année, il ne peut pas rompre son bail sans supporter des pénalités, i.e. des coûts irrécupérables. Dans cet exemple,
le court terme est inférieur à un an et long terme est supérieur à un an.
CHAPITRE 1. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL 9

supporter pour consommer le bien. Le graphique suivant montre comment l’équilibre concur-
rentiel maximise le surplus total, soit la somme du surplus des producteurs et du surplus des
consommateurs. Dit autrement, le surplus total est la différence entre la valeur que la société
accorde à un bien, et la valeur des ressources auxquelles il a fallu renoncer pour produire le
bien. Sur le graphique 1.2, on remarque que :

F IGURE 1.2 – Le surplus total à l’équilibre concurrentiel

Prix
A

D
Offre
SC
E
P*

SP
Demande

Q* Quantité

Le surplus total, qui correspond à la somme du surplus du consommateur et du surplus du


producteur, est mesuré par l'aire du triangle AEC. L’équilibre concurrentiel maximise le surplus total.

— Les acheteurs qui attribuent au bien une valeur supérieure au prix sont sur le segment
AE ;
— Les acheteurs qui lui attribuent une valeur inférieure sont sur le segment EB. Ils n’achètent
pas le bien ;
— Les vendeurs qui produisent à un coût marginal inférieur au prix sont sur le segment
CE ;
— Les vendeurs qui produisent à un coût marginal plus élevé que le prix sont sur le segment
ED. Ils n’offrent pas le bien.
Trois enseignements simples peuvent être tirés de l’analyse graphique :
1. Les marchés concurrentiels allouent l’offre de biens aux acheteurs qui leur attribuent le
plus de valeur, au sens du consentement à payer ;
2. Les marchés concurrentiels allouent la demande de biens aux vendeurs qui peuvent les
produire au coût marginal le plus bas ;
CHAPITRE 1. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL 10

3. Les marchés concurrentiels maximisent le surplus total. En effet, un autre équilibre, avant
le point E ou après le point E sur la figure 1.2, résulterait dans une baisse du surplus total.
Ces arguments expliquent pourquoi les économistes pensent qu’il est préférable que les marchés
fonctionnent, la plupart du temps, de manière concurrentielle.

1.4 Efficacité paretienne et surplus total


En sciences économiques, le critère retenu pour évaluer le bien-être est celui de l’optimum
de Pareto. Un état social est Pareto-optimal s’il n’est pas possible d’améliorer la situation d’un
agent sans détériorer celle d’au moins un autre agent. Si un état social B améliore la situation,
par rapport à l’état social A, d’au moins un agent sans détériorer celle d’un aude p∆Qtre agent,
alors on parle d’amélioration paretienne (PI=Pareto Improvement) pour qualifier le passage de
A vers B. Si le passage de A vers B implique qu’il y ait à la fois des gagnants et des perdants,
mais que les gagnants pourraient toujours être des gagnants après compensation des perdants,
on parle d’amélioration paretienne potentielle (PPI=Potentiel Pareto Improvement). Le change-
ment n’est plus potentiel lorsque la compensation est effectivement payée, on parle alors de PI.
L’adoption du critère PPI signifie que nous pouvons nous concentrer sur les variations du sur-
plus total, puisque de toutes façons celui-ci pourra être redistribué entre les agents. Ainsi, dans
le cas d’une variation positive du surplus total, les gagnants peuvent compenser les perdants et
rester des gagnants. Une situation dans laquelle le surplus total est maximisé est, par définition,
une situation dans laquelle il n’y aucun gain à l’échange qui ne soit pas exploité. Une telle
situation est donc Pareto-optimale. Il n’existe donc plus de situation, état social ou allocation,
qui soit PI ou PPI. Il est facile de voir, sur la figure 1.2, que tous les gains à l’échange ont été
exploités au point E.
Assimiler l’efficience paretienne au surplus total n’est néanmoins possible que sous trois
hypothèses, qui seront supposés tenir pour la suite du cours.
— L’absence d’effet de revenu. Le surplus des consommateurs n’est pas une mesure mo-
nétaire exacte du bien-être des consommateurs. Pour que le surplus puisse constituer
une approximation correcte du bien-être des consommateurs, il faut que l’effet revenu
soit faible. L’effet revenu mesure les effets de la modification du prix d’un output sur
la consommation de tous les biens et servies à travers la modification du revenu réel.
Ainsi, si la demande n’est pas trop affectée par l’effet revenu dû à changement de prix
(e.g. marché des stylos), les variations du surplus sont une bonne approximation. En re-
vanche, si l’effet revenu est fort (marché immobilier), le surplus des consommateurs ne
doit pas être utilisé.
— L’absence d’externalités. Les surplus des consommateurs et des producteurs doivent non
seulement refléter les bénéfices et les coûts privés, mais également les bénéfices et les
CHAPITRE 1. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL 11

coûts sociaux. Ces surplus sont donc des indicateurs de bien-être en l’absence d’externa-
lités. Si certains coûts (externalités négatives), environnementaux par exemple, ne sont
pas intégrés, la courbe d’offre sous-estime les ressources auxquelles il a fallu renoncer
pour produire et la demande surestime le consentement à payer des consommateurs.
La conclusion inverse tient dans le cas d’externalités positives. Dans ce cas, la courbe
d’offre, i.e. le coût marginal, est trop élevée, et la courbe de demande est trop basse.
— L’absence de jugements de valeur. La manière dont les gains de l’échange sont redis-
tribués n’est pas explicitement prise en compte. On ne fait donc pas de jugements de
valeur : un euro de surplus total a la même valeur, peu importe qu’il fasse partie du sur-
plus des consommateurs ou de celui des producteurs. Dans la réalité, l’opinion publique,
les lois ou les partis politiques ne traitent pas forcément de la même manière tous les
groupes sociaux.

1.5 L’équilibre concurrentiel avec demande affine et coût li-


néaire
Soit un marché concurrentiel avec une demande inverse P(Q) = A − bQ, A, b > 0, et C(q) =
cq, A > c > 0, la fonction de coût total des firmes présentes sur le marché. À l’équilibre du
marché concurrentiel, le prix de l’offre est égal à celui de la demande, soit c = A − bQ. La
quantité échangée sur le marché est donc :
A−c
Qc = . (1.1)
b
Le prix de marché est le coût marginal, Pc = c. Le surplus total est la surface située entre la
courbe de demande P(Q) est la courbe d’offre c sur le graphique 1.3 :

(A − c)2
ST c = . (1.2)
2b
Il est égal au surplus des consommateurs, puisque le surplus des producteurs est nul.

Résumé
— Un marché concurrentiel est un marché sur lequel chaque acteur a une influencer négli-
geable sur le prix et l’output de marché.
— Sur un marché concurrentiel, les économies d’échelle sont faibles relativement à la taille
du marché. On parle d’atomicité de l’offre.
— Une firme concurrentielle tarife au coût marginal et la courbe d’offre est donnée par le
coût marginal.
CHAPITRE 1. LE MARCHÉ CONCURRENTIEL 12

F IGURE 1.3 – L’équilibre concurrentiel avec demande affine et coût linéaire

SCc=STc

P(Q) = A-bQ
Pc=c

Qc Q

À l’équilibre concurrentiel de long terme (sans coût fixe), le surplus des producteurs est nul. Le
surplus des consommateurs SCc est donc égal au surplus total STc.

— La courbe de demande fait apparaître le consentement à payer des consommateurs, ap-


pelée taux marginal de substitution dans l’analyse microéconomique.
— À l’équilibre de long terme du marché concurrentiel, le prix est égal au coût marginal et
moyen. Les profits des firmes sont nuls.
— Les marchés concurrentiels maximisent le surplus total.
Chapitre 2

Le monopole

Dans le chapitre précédent, nous avons analysé le comportement d’un secteur d’activité
concurrentiel, i.e. une structure de marché qui est très vraisemblable quand il y a un grand
nombre de petites entreprises. Dans ce chapitre, nous nous tournons vers le cas extrême opposé ;
nous allons considérer un secteur d’activité où il n’y a qu’une seule entreprise, i.e. un monopole.
Cette structure de marché est un cas extrême d’imperfection de marché. Quand il n’y a qu’une
entreprise sur le marché, il est fort peu vraisemblable que celle-ci prenne le prix du marché pour
une donnée. Au contraire, un monopole aura en principe conscience de son influence sur le prix
du marché et choisira le prix et l’output qui maximisent ses profits totaux. Évidemment, il ne
peut pas choisir le prix et l’output de façon indépendante ; pour un prix donné, le monopole ne
peut vendre que ce que le marché acucepte. S’il choisit un prix élevé, il ne peut vendre qu’une
petite quantité. Le comportement de demande des consommateurs constitue une contrainte pour
le monopole quand celui-ci choisit le prix et la quantité.
Dans ce chapitre, nous aborderons également le cas du monopole naturel, qui désigne un
secteur dans lequel il ne peut y avoir qu’une seule entreprise, car plusieurs firmes ne peuvent
pas subsister : une seule finit toujours par s’imposer.

2.1 La tarification du monopole


Commençons par étudier le problème de maximisation du profit du monopole. Utilisons
P(Q) pour représenter la fonction de demande inverse du marché et C(Q) la fonction de coût
du monopole. Soit R(Q) = P(Q)Q, la fonction de recette du monopole. Le problème de maxi-
misation du profit du monopole revêt dès lors la forme suivante :

max[R(Q) −C(Q)].
Q≥0

La condition d’optimalité correspondant à ce problème est évidente : au niveau de l’output opti-


mal, nous devons avoir l’égalité entre la recette marginale et le coût marginal. Le raisonnement

13
CHAPITRE 2. LE MONOPOLE 14

est le même que pour une firme concurrentielle. Si la recette marginale était inférieur au coût
marginal, l’entreprise aurait intérêt à diminuer son output puisque la diminution du coût serait
plus importante que la diminution des recettes. Si la recette marginale était supérieure au coût
marginal, l’entreprise aurait au contraire intérêt à augmenter son output. Le seul output que
l’entreprise n’a pas intérêt à modifier est celui qui correspond à l’égalité de la recette marginale
et du coût marginal. En termes algébriques, nous pouvons écrire la condition d’optimisation
comme suit :
Rm(Q) = Cm(Q)
Une entreprise concurrentielle doit respecter la même condition Rm = Cm, mais pour une telle
entreprise, la recette marginale est égale au prix et cette condition se ramène à l’égalité entre
le prix et le coût marginal. Dans le cas d’un monopole, l’expression de la recette marginale
est quelque peu plus compliquée. Si le monopole décide d’accroître son output de ∆Q, cette
décision a deux effets sur ses profits. D’un côté, le monopole vend davantage d’output et perçoit
en contrepartie une recette sur les nouvelles unités qu’il vend, mais d’un autre côté il diminue
le prix de ∆p et il reçoit ce prix plus faible pour l’ensemble de la production qu’il vendait. Le
monopole a donc une incitation à modérer le niveau de sa production, de façon à maintenir un
prix suffisamment élevé.

Demande affine et coût linéaire Examinons le cas d’une demande de la forme P(Q) = A −
bQ et d’une fonction de coût de la forme C(Q) = cQ, avec A, b, c > 0. La recette totale du
monopole est :
R(Q) = P(Q)Q = AQ − bQ2 .
Le coût marginal est simplement Cm = c. La recette marginale du monopole est simplement la
dérivée de R(Q) :
dR(Q)
Rm(Q) = = A − 2bQ
dQ
Notons que nous pourrions aussi appliquer l’expression :
dP(Q)
Rm(Q) = P(Q) + × Q. (2.1)
dQ
Cette expression montre que la recette marginale du monopole est toujours plus faible que le
prix, P(Q). Cela signifie que, pour vendre une unité de plus, le monopole doit consentir à une
baisse du prix de marché. Le deuxième terme de l’équation (2.1) montre l’ampleur de cette
baisse. Il est d’ailleurs facile de voir que, avec A − 2bQ < A − bQ, nous avons bien Rm(Q) <
P(Q). L’égalisation de la recette marginale et du coût marginale donne :

A − 2bQ = c.

Le profit du monopole est donc maximal lorsqu’il produit


A−c
Qm = (2.2)
2b
CHAPITRE 2. LE MONOPOLE 15

unités d’output. Le prix d’équilibre qui correspond à Qm est :


A+c
Pm = P(Qm ) = A − bQm = . (2.3)
2
Notons que ce prix est forcément supérieur au coût marginal c, puisque A > c pour que le
monopole produise une quantité positive 1 . L’équilibre (Qm , Pm ) du monopole est montré sur le
graphique 2.1.

F IGURE 2.1 – L’équilibre du monopole

Pm

Demande=A-bQ
Cm=c
Rm=A-2bQ

Qm Q

L'output correspondant au profit maximum du monopole est celui pour lequel la recette marginale
est égale au coût marginal.

2.2 L’inefficience allocative du monopole


Un secteur d’activité concurrentiel opère en un point où le prix est égal au coût marginal.
Un monopole opère par contre en un point où le prix est supérieur au coût marginal. Dès lors, en
règle générale, le prix sera plus élevé et l’output plus faible si une entreprise adopte un compor-
tement monopolistique plutôt qu’un comportement parfaitement concurrentiel. Par conséquent,
les consommateurs bénéficieront généralement d’un niveau de satisfaction moindre quand un
secteur d’activité est organisé sous la forme d’un monopole plutôt que sous la forme concurren-
tielle. Mais pour les mêmes raisons, l’entreprise préfère le monopole à la concurrence parfaite.
Si nous prenons en compte à la fois l’entreprise et les consommateurs, il n’est pas évident de
1. Si A ≤ c, alors la quantité Qm est forcément nulle.
CHAPITRE 2. LE MONOPOLE 16

déterminer si la meilleure formule est la concurrence parfaite ou le monopole. Toutefois, nous


allons voir que nous pouvons le faire sans avoir recours à un quelconque jugement de valeur,
mais uniquement sur la base de l’efficacité économique, telle que mesurée par le surplus total.
Considérons la situation de monopole représentée à la figure 2.2.

F IGURE 2.2 – L’inefficience allocative du monopole

SCm
Pm

SPm
c
DWLm P(Q)=A-bQ
P =Cm

Qm Qc Q

Sur ce graphique, le coût marginal est supposé constant. La surface DWLm mesure la charge
morte du monopole, soit le surplus total détruit par la monopolisation du marché.
Le surplus du producteur (ou profit) en monopole est SPm. Le surplus des consommateurs en
monopole est SCm.

Supposons que nous puissions contraindre d’une quelconque façon et sans coût cette en-
treprise à se comporter comme un concurrent parfait et à prendre le prix du marché comme
fixé de façon exogène. Dans ce cas, nous aurions (Qc , Pc ), où Pc = Cm, pour l’output et le prix
concurrentiels. Alternativement, si l’entreprise prend conscience de son influence sur le prix du
marché et choisit son niveau d’output de façon à maximiser son profit, nous aurions le prix et
l’output de monopole (Qm , Pm ).
Rappelons qu’une allocation économique est efficace au sens de Pareto s’il n’est pas pos-
sible d’accroître la satisfaction d’un agent sans réduire celle d’un autre agent. Le niveau d’output
produit en situation de monopole est-il efficace au sens de Pareto ? Rappelons-nous également
la définition de la fonction de demande inverse. Pour chaque niveau d’output, P(Q) mesure la
somme que les gens sont disposés à payer pour unité additionnelle du bien. Puisque P(Q) est
supérieur à Cm(Q) pour toutes les unités d’output comprises entre Qm et Qc , le consentement
à payer des consommateurs est plus grand que le coût de production : ils souhaitent acquérir
ce bien à son coût de production mais tous ne le peuvent pas si le bien est produit en Qm uni-
tés et non Qc unités. Il existe donc des possibilités pour une amélioration au sens de Pareto.
CHAPITRE 2. LE MONOPOLE 17

Considérons par exemple l’output Qm optimal pour le monopole. Puisque P(Qm ) > Cm(Qm ),
soit Pm > c, nous savons qu’il existe quelqu’un qui est disposé à payer pour une unité supplé-
mentaire d’output un montant supérieur à ce que cette unité coûterait à l’entreprise. Supposons
que l’entreprise produise cette unité additionnelle et la vende à cette personne pour un prix p tel
que Pm > p > c. Le consommateur a un niveau de satisfaction supérieur puisqu’il était disposé
à payer Pm pour cette unité de consommation et que celle-ci lui est vendue pour p < Pm . De
même, cette unité coûte au monopole c et celui-ci la vend pour p > c. Toutes les autres unités
d’output sont vendues au même prix que précédemment, de sorte que rien d’autre n’est modifié.
Grâce à la vente de cette unité supplémentaire d’output, chaque partie reçoit un surplus supplé-
mentaire, i.e. que chaque partie sur le marché voit son niveau de satisfaction augmenter et que
personne d’autre n’est pénalisé. Nous avons ainsi trouvé une amélioration au sens de Pareto.
Il est intéressant d’examiner la raison de cette inefficacité. Le niveau d’output efficace est
celui pour lequel la propension à payer pour une unité supplémentaire est juste égale au coût
marginal de production de cette unité. Une entreprise concurrentielle respecte cette égalité.
Mais un monopole prend également en compte l’effet de l’augmentation de l’output sur les
recettes provenant des unités inframarginales et ces unités inframarginales n’ont rien à voir
avec l’efficacité. Un monopole serait toujours disposé à vendre une unité additionnelle à un
prix inférieur à celui qu’il pratique actuellement s’il n’avait pas à diminuer le prix de toutes les
autres unités inframarginales qu’il vend actuellement.
Le monopole est donc inefficace, relativement à la situation concurrentielle. Puisque la
source d’inefficacité dont il est question ici concerne la capacité du marché à allouer le bien
produit, on parle d’inefficience allocative. Cela signifie que la monopolisation d’un marché en-
gendre un coût social, i.e. un coût supporté par tous les membres de la société, producteurs et
consommateurs.
Maintenant que nous savons qu’un monopole est inefficace, nous pourrions souhaiter connaître
l’ampleur de cette inefficacité. Est-il possible de mesurer la perte d’efficacité imputable à un
monopole ? Nous savons comment mesurer ce que perdent les consommateurs du fait qu’ils
doivent payer Pm au lieu de Pc : il suffit de regarder la variation du surplus des consommateurs.
De même pour l’entreprise, nous savons comment mesurer ce que représente en termes de profit
supplémentaire le fait de pratiquer un prix Pm plutôt que Pc : il suffit d’utiliser la variation du
surplus du producteur. La façon la plus logique de combiner ces deux valeurs consiste à trai-
ter de façon symétrique l’entreprise, ou plus exactement les propriétaires de l’entreprise, et les
consommateurs et d’additionner le profit de la firme et le surplus des consommateurs. La varia-
tion du profit de l’entreprise, i.e. la variation du surplus du producteur, mesure la somme que
les propriétaires seraient disposés à payer pour obtenir le prix plus élevé qu’ils pratiquent en
situation de monopole tandis que la variation du surplus des consommateurs mesure la somme
que les consommateurs devraient recevoir pour être dédommagés de ce prix plus élevé. La diffé-
CHAPITRE 2. LE MONOPOLE 18

rence entre ces deux grandeurs devrait dès lors mesurer le coût net ou le bénéfice net de ces deux
grandeurs. La figure 2.2 représente la variation des surplus du producteur et des consommateurs
suite à un déplacement de l’output de la position de monopole à la position concurrentielle. Le
surplus du monopole diminue de SPm suite à la réduction du prix sur les unités qu’il vendait
déjà.
Le surplus des consommateurs augmente lui de SPm puisque les consommateurs obtiennent
toutes les unités qu’ils achetaient auparavant, à un prix inférieur. Il augmente également de
DW Lm puisque les consommateurs obtiennent un surplus sur les unités additionnelles qui sont
désormais vendues. La surface SPm correspond donc simplement à un transfert du monopole
aux consommateurs ; une des deux parties voit son niveau de satisfaction augmenter et l’autre
diminuer, mais le surplus total ne varie pas. Il est facile de vérifier que la surface SPm correspond
au profit du monopole, lui-même égal au surplus du producteur puisqu’il n’y a pas de coût fixe.
La surface DW Lm représente par contre une réelle augmentation du surplus ; elle mesure la
valeur que les consommateurs et les producteurs attribuent à l’output supplémentaire qui serait
produit. On appelle la surface DW Lm , la charge morte (DWL=DeadWeight Loss) du monopole.
Elle mesure l’inefficience allocative du monopole, i.e. le coût social résultant de la baisse de
l’output due à la situation de monopole. Ou encore la perte de satisfaction des gens découlant
du fait qu’ils payent le prix du monopole plutôt que le prix concurrentiel. La charge morte du
monopole, tout comme la charge morte d’une taxe, mesure la perte d’output en évaluant chaque
unité d’output au prix que les gens sont disposés à payer pour l’acheter.
Pour vérifier que la charge morte mesure effectivement la valeur de l’output perdu, il suffit
de partir du point de monopole et d’imaginer que l’on produise une unité supplémentaire. La
valeur de cette unité marginale d’output correspond exactement au prix du marché. Le coût de
production de cette unité additionnelle est le coût marginal. La "valeur sociale" de la production
d’une unité supplémentaire est donc simplement le prix moins le coût marginal. Considérons
maintenant la valeur de l’unité d’output suivante. De nouveau, sa valeur sociale est l’écart entre
le prix et le coût marginal correspondant à ce niveau d’output ; et ainsi de suite. À mesure que
nous nous déplaçons de l’output de monopole vers l’output concurrentiel, nous additionnons les
écarts entre la courbe de demande et la courbe de coût marginal afin de dégager la valeur des
unités d’output perdues à cause du monopole. La surface totale entre les deux courbes située
entre l’output de monopole et l’output concurrentiel correspond à la charge morte.

Demande affine et coût linéaire Soit P(Q) = A − bQ et C(Q) = cQ. La surface DW Lm à la


figure 2.2 est un triangle rectangle de hauteur (Pm − c) et de base (Qc − Qm ). Qc est donné par
l’équation (1.1). On peut à présent calculer la charge morte du monopole, soit la surface DW Lm :

(Pm − Pc ) × (Qc − Qm ) (A − c)2


DW Lm = = . (2.4)
2 8b
CHAPITRE 2. LE MONOPOLE 19

On peut retrouver ce résultat en faisant la différence entre le surplus total en concurrence,


donnée par l’équation (1.2), et le surplus total en monopole, qui est la somme du surplus des
consommateurs, soit la surface SCm sur la figure 2.2, et du surplus du producteur (surface SPm ) :

Qm (A − Pm )
ST m = SCm + SPm = + (Pm − c)Qm (2.5)
2
En reprenant les valeurs de Pm et de Qm définies aux équations (2.2) et (2.3), nous obtenons :

(A − c)2 (A − c)2 3(A − c)2


ST m = + = . (2.6)
8b 4b 8b
La charge morte correspond donc à la différence (ST c − ST m ), soit :

(A − c)2 3(A − c)2


− ,
2b 8b
qui donne bien la même expression que l’équation (2.4).

Résumé
— Contrairement à une firme concurrentielle, le monopole a une incitation à baisser sa
production pour élever le profit créé sur les unités inframarginales.
— Le monopole tarife au-dessus du coût marginal, donc au-dessus du prix concurrentiel.
— L’inefficience allocative du monopole est la perte de bien-être social engendrée par la
monopolisation du marché. Elle est mesurée par la charge morte.
Chapitre 3

Le pouvoir de marché

3.1 Définition
On dit qu’une firme dispose d’un pouvoir de marché si elle peut retirer un profit de la hausse
de son prix au-dessus du coût marginal. C’est par exemple le cas du monopole examiné dans le
chapitre précédent 1 .
La capacité d’une firme à exercer un prix au-dessus du coût marginal dépend de celle des
consommateurs à substituer un autre bien ou service à celui proposé. Deux mécanismes limitent
le pouvoir de marché des firmes. On distingue la substitution de l’offre et celle de la demande.
La première est pertinente lorsque les biens sont homogènes, tandis que la substitution de la
demande s’applique lorsqu’ils sont différenciés.

Substitution de l’offre L’offre est substituable lorsque les consommateurs peuvent se tourner
vers d’autres offreurs du même produit. Si les consommateurs ne peuvent pas se tourner vers
d’autres offreurs, le producteur dispose d’un fort pouvoir de marché. C’est par exemple le cas
du monopole, qui est le seul à offrir son produit.

Substitution de la demande Le potentiel de substitution de la demande dépend du degré de


substituabilité des autres biens/services. Si les biens sont suffisamment différenciés, il n’y a
pas de substituts proches. Donc, en cas de hausse du prix d’un produit au-dessus de son coût
marginal, les consommateurs ne peuvent pas lui substituer un autre bien. La différenciation
des produits est donc un bon moyen, pour les producteurs, d’accroître leur pouvoir de marché.
Par exemple, la firme Apple a depuis longtemps suivi une stratégie de différenciation, de façon
à convaincre les consommateurs que ses produits sont différents de ceux de ses concurrents.
Ceux-ci sont alors plus réticents à se tourner vers les produits des autres offreurs car ils les
1. Nous avons vu que le prix Pm qui maximise le profit du monopole est supérieur au coût marginal et unitaire
c.

20
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 21

perçoivent comme différents.

3.2 Mesure et déterminants du pouvoir de marché


Quels sont les facteurs qui déterminent la capacité d’un monopole à exercer un pouvoir de
marché ? Il est facile de montrer que l’indice de Lerner du monopole est donné par :

Pm −Cm(Qm ) 1
Lm = m
= (3.1)
P |ε|

où ε est l’élasticité-prix de la demande. Il y a donc deux façons possibles de calculer l’indice


de Lerner du monopole. Il s’agit d’une mesure du pouvoir de marché puisque Lm croit avec
la différence entre le prix et le coût marginal. De plus, l’expression (1/|ε|) fait apparaître que
le pouvoir de marché dépend négativement de l’élasticité de la demande 2 : un monopole aura
d’autant plus de pouvoir de marché que la demande réagit peu au prix. En effet, seule la substi-
tution de la demande limite le pouvoir de marché du monopole.

Demande affine et coût linéaire Soit une demande P(Q) = A − bQ et un coût C(Q) = cQ.
L’indice de Lerner du monopole est
A−c
Lm =. (3.2)
A+c
Le principal déterminant du pouvoir de marché du monopole est donc l’élasticité de la demande.
Cela signifie que seul le comportement de la demande peut faire obstacle au pouvoir de marché
du monopole. Néanmoins, une firme peut très bien avoir un pouvoir de marché, i.e. la capacité
d’exercer durablement un prix supérieur au coût marginal, mais ne pas être un monopole. Nous
reviendrons sur ce point dans les chapitres 5 et 6. La capacité d’une firme à exercer son pouvoir
de marché dépend du nombre de concurrents (substitution de l’offre) et de l’élasticité de la de-
mande (substitution de la demande). À long terme, l’élasticité de la demande tend à augmenter
pour trois raisons :
1. Adaptation des consommateurs à long terme. La réponse à long terme des consomma-
teurs à une hausse des prix et souvent plus élevé que leur réponse à court terme. Par
exemple, le fait que le prix que l’électricité augmente ne pousse pas forcément à se tour-
ner vers le gaz à court terme, car cela supposerait d’investir dans une chaudière à gaz.
En revanche, à long terme, lorsque le consommateur aura la possibilité de changer sa
chaudière, il choisira le gaz.
2. Arrivée de nouveaux entrants. Si les profits sont positifs, d’autres firmes peuvent essayer
de rentrer sur le marché. Chaque nouvel arrivant réduit le pouvoir de marché de la firme en
2. L’élasticité de la demande est écrite en valeur absolue car elle est négative, puisque la demande dépend
négativement du prix du bien.
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 22

place. Un monopole peut même finir par devenir un preneur de prix si le marché devient
trop atomistique.
3. Les changements technologiques. Ils peuvent générer de nouveaux biens et services, et
leur introduction réduit le pouvoir de marché des producteurs en place.
L’étude de cas suivante illustre les points 2 et 3.

Le marché des consoles de salon Sur le marché des consoles de salon de troisième généra-
tion, Nintendo dominait le marché des systèmes 8 bits avec la NES, lancée en 1985. Sega, avec
la MasterSystem (1985) était moins présent. Avec l’introduction des systèmes 16 bits (qua-
trième génération), le marché est resté un duopole : Megadrive de Sega versus Super Nintendo.
L’arrivée de la PlayStation 1 et l’avènement des systèmes 32 et 64 bits (cinquième génération)
a entraîné la domination de Sony. Le succès auprès du public de la Saturn de Sega et de la
Nintendo 64 bits a en effet était inférieur à celui de la Playstation. La première console "128
bits" (sixième génération) à sortir sur le marché est la Dreamcast, en 1998 au Japon et en 1999
dans le reste du monde ; cette console devait permettre à Sega de compenser les faibles ventes
de la Saturn. En avance sur son temps, elle permettait déjà de se connecter à Internet pour jouer
en ligne. Mais la sortie de la PlayStation 2 de Sony en 2000 rendra son succès difficile. Seule
10 millions d’unités sont vendues et en mars 2001, Sega sort du marché des consoles de salon.
La même année la Gamecube de Nintendo et la Xbox de Microsoft sont commercialisées. Avec
21 millions d’unités vendues, la console de Nintendo n’atteint pas les ventes de la Nintendo
64. La PlayStation 2 connaît un succès fracassant, en partie grâce à son lecteur de DVD, très
coûteux à cette époque. Elle domine les ventes, avec plus de 150 millions d’unités vendues.
La Xbox est la plus puissante du marché. Le succès de cette console sera dû en grande partie
aux services en ligne qu’elle propose, ainsi que quelques franchises cèlèbres (Halo 1 et 2, TES
3...). Avec 24 millions de consoles vendues, la console se hisse à la seconde place du marché,
derrière la PlayStation 2. Sony était donc le leader incontesté du marché des consoles de jeux
vidéo, devant Microsoft et Nintendo. En 2005, une nouvelle génération de console de salon ap-
paraît avec la Xbox 360 de Microsoft (septième génération). La PlayStation 3 (Sony) et la Wii
(Nintendo) sortent l’année suivante. En 2012, la console de cette nouvelle génération a avoir
été le plus vendue est la Wii avec 96 millions d’exemplaires. Vient ensuite la Xbox360 avec
68 millions d’exemplaires et la PlayStation 3 avec 66 millions d’unités vendues. En résumé,
le marché d’abord monopolistique, est ensuite devenu un duopole, puis un oligopole avec une
entreprise dominante, et aujourd’hui un oligopole relativement équilibré. Le marché semble in-
capable d’accueillir plus de trois offreurs simultanément, ce qui peut se justifier par le niveau
des économies d’échelle. En effet, les coût fixes sur ce marché sont très élevés, notamment
la recherche et développement. Aujourd’hui (huitième génération), la segmentation du marché
est assez forte, entre Nintendo d’un côté (Wii U et Switch) et Microsoft et Sony de l’autre
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 23

(Xbox One et PlayStation 4, respectivement). La PlayStation 4 se vend toutefois mieux que ses
concurrentes.

Les deux dernières causes de la baisse du pouvoir de marché suggèrent que la capacité d’une
firme à exercer ce pouvoir à long terme dépend de l’existence de barrières à l’entrée. Si l’entrée
est facile, alors les firmes en place auront peu de pouvoir de marché à long terme. L’entrée
et la concurrence des autres produits (substitution de la demande) ou des autres producteurs
(substitution de l’offre) limitera, voir éliminera, le pouvoir de marché d’une firme si les barrières
à l’entrée sont insignifiantes. À l’inverse, l’existence de barrières à l’entrée garantit un pouvoir
de marché à long terme.

3.3 Les barrières à l’entrée


On appelle barrière à l’entrée un mécanisme qui réduit le profit post-entrée d’une firme qui
souhaite entrer sur le marché. Les barrières à l’entrée sont de plusieurs sortes.

3.3.1 Les barrières à l’entrée d’origine juridico-légales


Les gouvernements créent des barrières à l’entrée quand ils garantissent à une entreprise le
droit exclusif de produire un bien ou un service. Par exemple, ce fut le cas de France Télécom
sur le marché des télécommunications et plus récemment le transport de voyageurs par la SNCF.
On trouve fréquemment des monopoles publics dans des activités de réseaux et de distribution.
Plusieurs raisons peuvent conduire un gouvernement à accorder un droit de monopole à une
entreprise.

Le monopole naturel L’argument du monopole naturel est fréquemment employé pour jus-
tifier les monopoles publics. Plus la taille de l’entreprise est importante, plus les coûts sont
faibles. Il devient donc en principe possible d’offrir un bien ou un service moins cher que si
le secteur était concurrentiel, avec des entreprises plus petites et donc moins compétitives en
termes de coût.

Source de revenus Un monopole public peut constituer une source de revenu pour le gou-
vernement. Le but est donc de créer un monopole pour dégager un profit pour l’État. C’est par
exemple le cas de la vente des boissons alcoolisées au Canada : les provinces ont mis en place
des restrictions légales sur le marché des boissons alcoolisées. Le revenu de cette activité pour
la seule province de l’Ontario entre 1993 et 1997 était d’environ 650 millions de dollars US par
an. En France, exemple de la Française des Jeux. L’Uruguay a adopté le même type de stratégie
avec le cannabis : l’État contrôle la production et la distribution.
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 24

La redistribution des profits Le but est de créer et de redistribuer les profits du monopole.
Dans beaucoup de pays, les gouvernements ont longtemps mis en place des barrières à l’entrée
sur le marché des télécommunications pour tarifer au dessus du coût marginal et dégager un
profit (ex : communications longue distance, affichage du numéro...). Ce profit servait ensuite
à financer d’autres services fournis par le monopole pour pouvoir les vendre à un prix plus bas
(ex : communication locale).

La propriété intellectuelle Un droit de propriété intellectuelle consécutif à une innovation


peut également créer également un monopole. Il protège les nouvelles idées de l’imitation et de
la concurrence. Juridiquement, ils peuvent revêtir deux formes.
— Le brevet, qui garantit aux innovateurs l’usage exclusif de leurs innovations.
— Le copyright, i.e. l’ensemble des prérogatives exclusives dont dispose une personne phy-
sique ou morale sur une oeuvre de l’esprit originale. Le copyright n’existe que dans les
pays de "common law" (droit jurisprudentiel). Dans les pays de droit civil, comme la
France, on parle de droit d’auteur.
Dans de nombreux cas, la protection intellectuelle peut être contournée. Par exemple avec la
création de substituts quasi-identiques. Les droits de propriété intellectuelles ne créent donc
souvent qu’un pouvoir de marché limité, d’autant plus qu’ils ne sont accordés que pour une
durée limitée. Ils peuvent néanmoins donner lieu à l’exercice d’un fort pouvoir de marché.

Xerox Dans les années 1972, la Federal Trade Commission (FTC) a engagé une action
contre Xerox, l’inventeur du photocopieur qui avait empilé les brevets pour empêcher l’émer-
gence de toute concurrence sur le marché des photocopieurs. Non seulement la technologie de
base étant brevetée, mais aussi tout itinéraire possible aboutissant au même résultat. Cette situa-
tion avait abouti à un verrouillage complet du marché pendant vingt ans. La FTC lui a enjoint
de donner accès gratuitement à trois de ses brevets.

3.3.2 Les caractéristiques structurelles


Certaines caractéristiques structurelles des marchés sont des barrières à l’entrée. Ces carac-
téristiques protègent le pouvoir de marché de l’entreprise en place en réduisant la profitabilité
de l’entrée sur le marché.

Les économies d’échelle Si l’échelle efficace minimum, soit le niveau d’output qui minimise
le coût moyen (MES), est à un niveau élevé, il est nécessaire de beaucoup produire pour être
compétitif en termes de coûts. Le nouvel entrant devra donc avoir une part de marché significa-
tive. Cela risque de baisser les prix. Ce ne sera pas le cas si l’entrant produit peu. Mais dans ce
cas il devra supporter des coûts de production plus élevés et ne sera pas compétitif.
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 25

Coûts irrécupérables Si la part des investissements qui sont irrécupérables est importante,
les entrants anticiperont qu’ils ne pourront pas recouvrés une partie des dépenses. En effet, une
dépense irrécupérable est irrécupérable même si l’entrant sort du marché. Il s’agit donc d’une
prise de risque. Beaucoup d’investissements irrécupérables sont des coûts fixes qui permettent
des économies d’échelle.

Microsoft Dans ses attaques antitrust contre Microsoft, le Department of Justice (DoJ)
établit l’existence de plusieurs barrières à l’entrée.
— La protection copyright. Les systèmes d’exploitation (OS) Windows sont protégés contre
la copie. Dans le cas des OS pour PC, ce type de protection élimine toute concurrence
car il est impossible d’imiter "imparfaitement" un OS, i.e. de ne pas le copier exactement
pour contourner le copyright. Si on le copie en contournant le copyright, il y aura forcé-
ment des problèmes de compatibilité hardware et software. Un OS alternatif ne peut pas
faire fonctionner correctement les logiciels prévus pour tourner sous les OS Windows.
— Coûts fixes et irrécupérables pour développer un OS. La mise sur le marché d’un nouvel
OS réclame des investissements irrécupérables importants dans le développement, la
programmation, le test et le marketing. Ces dépenses irrécupérables sont des coûts de
démarrage/d’installation, qui contribuent à des économies d’échelle substantielles.
— Coûts fixes et irrécupérables pour développer des applications. Les nouveaux entrants
doivent en plus effectuer des investissements fixes et irrécupérables dans le développe-
ment d’applications prévues pour l’OS, tels que le navigateur internet, le traitement de
texte, le tableur, le logiciel de présentations, de dessins, de bases de données... Cela rend
les utilisateurs peu enclins à changer d’OS une fois qu’ils maîtrisent ces logiciels.

Les avantages absolus de coût La firme en place peut avoir un avantage de compétitivité-coût
quelque soit le niveau de la production. Cet avantage est notamment dû au fait que l’entrant doit
payer un prix plus élevé pour acheter certains facteurs de production. Par exemple, la firme en
place a un meilleur accès à certaines matières premières ou à une technologie supérieure. À
l’extrême, la firme en place peut contrôler toute l’offre d’une matière première indispensable.
Un désavantage absolu de coût se traduit par un désavantage concurrentiel pour l’entrant et le
prix de monopole de la firme dominante peut être inférieur au minimum du coût moyen de
l’entrant. Le résultat est la dissuasion à l’entrée. La propriété d’une mine de fer ou d’un brevet
sur un input fournit à la firme dominante un avantage absolu de coût et constitue une barrière
à l’entrée. L’accès à un facteur de production plus efficient peut fournir à la firme un pouvoir
de marché. C’est notamment le cas s’il s’agit d’une firme dominante (niveau élevé de parts de
marché), qui peut agir comme un price maker. L’étude de cas suivante fournit un bon exemple.
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 26

De Beers En 1870, on découvre de gros diamants dans la vallée de l’Orange (Afrique du


Sud), sur les terres des frères De Beers, des fermiers. C’est la ruée vers le diamant. À l’époque,
Cecil Rhodes fournit les prospecteurs en vivres et en eau, vidange leurs concessions. Avec l’ar-
gent gagné, il achète des concessions, tant et si bien qu’il se retrouve vite à la tête d’un petit
empire : la "De Beers". Il convainc les banques anglaises engagées dans l’achat de diamants de
n’acheter qu’à lui. Grâce à cette entente, la concurrence est étouffée et les cours peuvent être
stabilisés à un niveau très élevé. Le Syndicat de Londres est né. Quand Cecil Rhodes meurt, en
1902, la De Beers contrôle 95% de la production mondiale de diamants ! De Beers possède alors
l’essentiel des mines en Afrique du Sud, au Botswana et en Namibie, les plus gros producteurs
mondiaux. Outre la production de ses mines, elle achète aussi tous les bruts que lui proposent
les producteurs indépendants. Ernest Oppenheimer, le nouveau patron de la De Beers, crée en
1933 la Central Selling Organisation (CSO), une filiale chargée d’acheter et d’écouler rationnel-
lement la production mondiale de diamants. Ceux-ci sont classés en fonction de leur taille, de
leur couleur, de leur forme et de leur qualité, et stockés aussi longtemps que nécessaire, avant
d’être vendus. De Beers n’ayant aucun intérêt dans la taille et la vente au détail, elle préfère
vendre ses bruts à des clients triés sur le volet, choisis parmi les grands diamantaires de la pla-
nète. Dix fois par an, la CSO convoque à Londres ses clients, les "sightholders" (ceux qui ont le
droit de voir), entre 100 et 200 personnes selon les années. Là, les heureux élus se voient attri-
buer une boîte contenant un certain nombre de diamants bruts. Le diamantaire n’a qu’un droit :
celui de prendre son lot tel quel. Il ne peut ni changer le contenu, ni marchander les prix, ni
discuter la qualité. C’est à prendre ou à laisser, aux prix indiqués par De Beers. Le"sightholder"
doit en outre s’engager à ne pas revendre les bruts mais à les façonner, un autre moyen pour le
Syndicat de réguler le stock de diamants sur le marché. Comme producteur ou comme ache-
teur, De Beers contrôle ainsi 80% de l’offre mondiale. Stockés dans les coffres de la CSO, les
diamants sont mis sur le marché parcimonieusement, pour préserver les prix et l’illusion de la
rareté. Les autres acteurs de la filière tiraient avantage du monopole de la De Beers. Grâce à
cette firme, les prix restaient élevés. Diamantaires et joailliers profitaient aussi des campagnes
de publicité générique prises en charge par De Beers. Enfin, la CSO réduisait efficacement leurs
coûts de transaction, en apportant une réponse efficace au problème des asymétries d’informa-
tion : sans elle, l’acheteur d’un diamant aurait dû consacrer beaucoup de temps et d’expertise
pour s’assurer de la qualité du produit, négocier les prix ; avec la CSO, la qualité est garantie, et
tout le monde est soumis aux mêmes conditions. C’est donc la prise de contrôle des mines de
diamant par De Beers qui a permis à cette firme de devenir dominante. D’ailleurs, en 2003, De
Beers ne contrôle plus que 45% du marché car des prospecteurs ont découverts d’autres mines
dans d’autres pays. De Beers s’est adaptée à la nouvelle donne en changeant radicalement sa
stratégie. En premier lieu, la CSO est démantelée. Pour se conformer au droit de la concurrence
américain et européen, la De Beers a renoncé au monopole et à l’achat systématique de tout
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 27

diamant brut. Elle vend désormais des bruts choisis à des clients choisis. En second lieu, pour
se prémunir contre une éventuelle OPA, De Beers n’est plus cotée en bourse. Son capital est
contrôlé à 85% par le groupe Anglo American et à 15% par entreprise d’exploitation minière
Debswana. En troisième lieu, De Beers ajuste au plus près la production de ses mines en fonc-
tion de la demande. Ainsi, au premier trimestre 2009, en pleine récession mondiale, la firme a
réduit sa production de 91% !

Dépenses irrécupérables des consommateurs et différenciation des produits Si les consom-


mateurs effectuent des dépenses irrécupérables pour utiliser un produit, alors ils seront réti-
cents à utiliser un produit d’une autre firme. Le changement de marques requiert de la part des
consommateurs d’effectuer de nouvelles dépenses irrécupérables pour utiliser une marque dif-
férente. L’existence de dépenses irrécupérables créera de la loyauté envers la marque. Les coûts
de changement proviennent de plusieurs sources, incluant
(i) Les coûts d’apprentissage ;
(ii) Les investissements dans les produits complémentaires ;
(iii) La perte des bénéfices de réseaux ;
(iv) Une adéquation moindre entre les préférences des consommateurs et les attributs du pro-
duit.
Prenons un exemple : plaçons nous dans le cas où le produit est l’OS Windows.
Examinons d’abord les coûts d’apprentissage pour utiliser un OS. Supposons que vous ap-
preniez à utiliser un ordinateur sous l’OS Windows. Quand vous rachèterez un ordinateur, ce
sera couteux pour vous d’apprendre à utiliser un autre environnement, par exemple Linux ou
MacOs. Donc vous préférerez racheter un ordinateur équipé de Windows, parce que vous au-
rez supporter des coûts irrécupérables. Ceux-ci sont irrécupérables parce que ce sont les coûts
supportés pour utiliser Windows, cet apprentissage ne sert à rien pour utiliser un autre OS.
Un investissement dans les produits complémentaires concernent, par exemple, l’apprentis-
sage dans els applications qui ne fonctionnent que sous Windows, comme Internet Explorer.
Le perte des bénéfices de réseaux concernent le fait que lorsque tous les membres de votre
équipe utilisent Windows, le fait de ne pas l’utiliser peut avoir un coût pour vous. Par exemple,
si vous êtes sous Linux, vous n’aurez pas accès à la suite MS Office et vous aurez davantage
de difficultés à travailler avec vos collègues, par exemple parce que vous générerez des .docx
moins "propres".
L’adéquation moindre entre les préférences des consommateurs et les attributs du produit
signifie, dans cet exemple, que Windows et ses applications répondent bien à vos besoin et que
le changement vers un autre OS n’est pas forcément intéressant pour vous.
Tout cela implique que l’entrant doit compenser les coûts des consommateurs en offrant une
meilleure qualité, un prix plus bas ou une promotion très importante (ou les trois), réduisant
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 28

d’autant la profitabilité post-entrée. La différenciation des produits signifie que les consom-
mateurs ne les voient pas comme des substituts parfaits. Elle permet d’ériger des barrières à
l’entrée.

3.3.3 Le comportement stratégique des entreprises en place


Parce que la profitabilité dépend de la nature de la concurrence post-entrée et donc du com-
portement de l’entreprise en place, il est possible que le comportement pré-entrée contribue à
la taille des barrières à l’entrée ou dissuade l’entrée en réduisant sa profitabilité. Les stratégies
disponibles pour les entreprises en place peuvent être de trois types.

Comportement post-entrée agressif Les firmes en place peuvent agir de façon stratégique
pour s’engager à adopter un comportement post-entrée agressif. Pour cela, l’entreprise en place
peut réaliser des investissements irrécupérables pré-entrée qui lui permettront de baisser ses
coûts post-entrée. La baisse du coût marginal constitue une menace crédible. Exemples : in-
vestissements irrécupérables dans les capacités de production, investissements dans une tech-
nologie de production qui substitue des coûts fixes irrécupérables à des coûts variables récupé-
rables. Dans plusieurs industries, le coût marginal dépend de l’expérience accumulée (learning
by doing). L’entreprise en place peut baisser ses coûts en surinvestissant dans le learning by
doing. Comment ? En produisant plus que la production de monopole Qm avant l’entrée.

Hausse des coûts de l’entrant La firme en place peut agir stratégiquement pour augmen-
ter les coûts de l’entrant potentiel, créant ainsi un désavantage concurrentiel pour ce dernier et
réduisant la profitabilité de l’entrée. En 1993, British Airways (BA) a reconnu avoir usé de mé-
thodes peu recommandables pour éliminer un petit concurrent -Virgin Atlantic Airways (VAA)-
et accepté de payer 2,5 millions de dollars au propriétaire de VAA pour que l’affaire soit réglée
à l’amiable. Des employés de BA avaient en effet réussi à accéder aux fichiers informatiques
de VAA, contacté des clients en leur annonçant que les vols étaient annulés ou différés et leur
avaient proposé des vols sur BA. BA avait également fait forcé les domiciles et les voitures
de certains employés de VAA et recruté un consultant pour déterrer d’éventuelles affaires sor-
dides concernant les dirigeants de VAA. Enfin, BA avait mis fin sans préavis à des accords de
coopération avec VAA concernant la maintenance des appareils et la formation du personnel.

La réduction des recettes de l’entrant La firme en place peut agir stratégiquement pour
réduire la recette de l’entrant, réduisant là aussi la profitabilité de l’entrée. Les stratégies qui
réduisent la recette consistent à diminuer la demande qui s’adresse aux entrants. Par exemple,
la firme en place peut augmenter les coûts de changements des consommateurs. C’est le cas des
programmes de fidélité.
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 29

3.4 Pouvoir de marché et firmes dominantes

3.4.1 Description générale


Définition Une entreprise dominante a une part de marché importante et se trouve être en
concurrence avec de nombreuses petites entreprises ayant chacune une très faible part de mar-
ché.
La firme dominante est celle qui arrive à fixer le prix de vente d’un produit tout en étant en
concurrence avec un frange concurrentielle.

Les "petites" entreprises, qui ne disposent pas d’un pouvoir de marché, constituent la frange
concurrentielle.

Exemple introductif : Intel Intel, fabricant de chipsets. Un chipset est un microprocesseur,


le « moteur » d’un PC (ou d’une tablette, d’un smartphone, d’un serveur...). Intel a vendu
60 millions de chipsets en 1996, gagnant 5,2 milliards de dollars. Et encore plus en 1997. En
1986, en revanche, le CA d’Intel était de « seulement » 1,27 milliards de dollars. Les profits
était négatifs : 173 millions $ de pertes. Comment expliquer une différence de rentabilité aussi
importante en 10 ans ? Par la stratégie du tapis roulant depuis 1985. En 1993, Intel était devenu
presqu’impossible à concurrencer :
— La tarification du 486 et du Pentium était agressive ;
— La performance du Pentium était nettement supérieure à celle des autres produits.
— L’image de marque « Intel Inside » était établie.
Les concurrents devinrent marginaux. En 1998, plus de 70% des PC contenaient un Pentium II.
Intel avait donc établi et maintenu sa domination avec le standard « Wintel » (Windows +
Intel) sur le marché des processeurs x86. Cette tendance s’est confirmée par la suite. Fin 2011,
Intel possédait 82,6% du marché et AMD 10%, tous supports confondus (tablettes, desktop,
portables, téléphones...). La tendance semble désormais s’inverser : en 2021, Intel posséde 60%
des parts de marché tous CPU confondus, les 40% restant étant détenus par la frange concur-
rentielle, essentielllement AMD et Ryzen. Intel reste néanmoins un acteur dominant du marché
des CPU.

Dans cette section, nous proposons un cadre analytique pour comprendre :


— Comment les prix et les parts de marchés sont déterminés sur ce type de marché ?
— Comment la structure du marché évolue dans le temps ?

Les petits producteurs sont souvent supposés ne pas avoir de parts de marchés. Ils sont
supposés agir comme des firmes concurrentielles, répondant au prix de marché déterminé par
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 30

la firme dominante. Ils sont collectivement appelés frange concurrentielle/compétitive. Leur


offre totale pour n’importe quel niveau de prix correspond à la somme de leurs courbes d’offres
individuelles (coût marginal).

3.4.2 Déterminants du pouvoir de marché de l’entreprise dominante


Deux facteurs contribuent à l’apparition d’une firme dominante :
1. La firme dominante est plus efficiente que ses rivaux et le résultat en est un avantage
absolu en termes de coûts. Cela peut être dû à des économies d’échelle, l’effet d’expé-
rience (premier arrivé sur le marché), une technique brevetée inimitable, une situation
géographique inimitable...
Cas d’Intel : sa taille lui permet de réaliser des économies d’échelle.
2. La firme dominante a un meilleur produit. Intel, depuis le milieu des 80’s, produit des
CPU de meilleure qualité, plus rapides et plus avancés

3.4.3 Les hypothèses du modèle


(H1) Les entreprises fabriquent un produit homogène ;
(H2) La firme dominante fixe le prix ;
(H3) Les entreprises de la frange s’alignent sur le prix fixé par la firme dominante et le prennent
comme une donnée ;
(H4) Les coûts de production sont les mêmes pour les entreprises de la frange.
(H5) La firme dominante connaît la fonction de demande du marché ;
(H6) La firme dominante connaît la fonction d’offre de la frange concurrentielle. Ainsi, pour
tout niveau de prix, elle est capable de déterminer le niveau de production de la frange.

On montrera que la frange concurrentielle affaiblit mais n’élimine pas le contrôle de la firme
dominante sur le prix. Elle rend la demande adressée à la firme dominante plus élastique au prix.
Le prix qui maximise le profit de la firme dominante est alors plus bas, tout comme un monopole
qui fait face à une demande plus élastique.

3.4.4 Le modèle
Soit Q f (p) l’offre de la frange concurrentielle, où p est le prix établi par la firme dominante.
La fonction de demande totale (du marché) est QM (p). La demande résiduelle qui s’adresse à
la firme dominante est la différence entre la demande totale et celle satisfaite par l’offre concur-
rentielle :
QD (p) = QM (p) − Q f (p)
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 31

La demande résiduelle QD (p) (D = Dominante) montre la quantité vendue par la firme domi-
nante pour n’importe quel niveau de prix. Inversement, Q f (p) = QM (p) − QD (p) est la réponse
de l’offre concurrentielle aux variations de l’offre de la firme dominante. On raisonne à l’équi-
libre : QD (p) est l’offre de la firme dominante pour n’importe quel niveau de prix et la demande
adressée à la firme dominante pour n’importe quel niveau de prix.
Le profit de la firme dominante est donné par

πD (p) = p × QD (p) −CD [QD (p)]

où C(QD ) est le coût total supporté par la firme dominante. La firme dominante souhaite maxi-
miser πD . La modification marginale du profit consécutive à une modification marginale du prix
est donnée par :
πD0 (p) = QD (p) + [p −CD0 (QD )]Q0D (p)

Lorsque la firme dominante augmente son prix de 1, son profit augmente sur les QD premières
unités. Mais la demande qui lui est adressée baisse de Q0D (p). Toute unité non vendue engendre
une perte égale au profit marginal de cette unité, soit [p −CmD (QD )]. La firme dominante, pour
maximiser son profit, établit un prix p tel que le profit marginal s’annule :

QD (p) + [p −CmD (QD )]Q0D (p) = 0 (3.3)

La hausse du prix conduit à une baisse de la demande pour deux raisons :


1. Effet indirect : Une hausse de p rend plus profitable, pour les entreprises de la frange
concurrentielle, l’augmentation de leur production.
Donc, une hausse de p baisse la demande résiduelle adressée à la firme dominante,
puisque QD (p) = QM (p) − Q f (p) baisse quand Q f (p) augmente).
2. Effet direct : La demande de marché QM (p) baisse quand le prix augmente.
Puisque
Q0D (p) = Q0M (p) − Q0f (p),

l’équation 3.3 devient

QD (p) + [p −CmD (QD )][Q0M (p) − Q0f (p)] = 0

où :
— D0 (p) est la réduction de la demande quand p augmente de une unité ;
— Q0f (p) est la hausse de l’offre de la frange concurrentielle quand p augmente de une
unité.
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 32

3.4.5 Pouvoir de marché de la firme dominante


L’indice de Lerner de la firme dominante LD est donné à l’équilibre par

∗ p∗ −CmD (Q∗D ) s∗
LD = = ∗ ∗D ∗ (3.4)
p∗ εf sf +ε

Il dépend de :
— CmD (Q∗D ), soit le coût marginal de la firme dominante à l’équilibre. Donc, au plus la
firme dominante est efficiente, au plus sont povoir de marché est élevé.
— sD , la part de marché de la firme dominante : au plus la part de marché de firme domi-
nante est élevée, au plus celle-ci a du pouvoir de marché.
— s∗f = q∗f /Q∗f est la part de marché de la frange concurrentielle à l’équilibre : plus elle est
élevée, moins la firme dominante a du pouvoir de marché.
— εf 3 est l’élasticité de la frange concurrentielle à l’équilibre : au plus la frange concur-
rentielle réagit fortement à une hausse du prix en augmentant sa production, au moins la
firme dominante a du pouvoir de marché.
— ε est l’élasticité de la demande de marché à l’équilibre : au plus la demande de marché
réagit fortement au prix, au moins la firme dominante a du pouvoir de marché.
On observe que le pouvoir de marché de la firme dominante est déterminée par trois élé-
ments :
1. L’élasticité de la demande. Lorsqu’elle augmente, le pouvoir de marché de la firme
dominante décroît puisque le consentement à payer des consommateurs pour les substituts
augmente.
2. L’élasticité de l’offre de la frange concurrentielle. Lorsqu’elle augmente, le pouvoir de
marché de la firme dominante décroît.
3. Le coût marginal de la firme dominante par rapport à celui de la frange. Au plus la
firme dominante est efficiente par rapport à ses concurrents, au plus elle a du pouvoir de
marché.
LD exprime une relation endogène entre le pouvoir de marché et le niveau des parts de
marché. Cela donne un argument à l’idée selon laquelle des parts de marchés importantes im-
pliquent un fort pouvoir de marché.
S’il n’y a pas de frange, LD correspond à l’indice de Lerner du monopole. La présence
d’une frange concurrentielle augmente l’élasticité de la demande adressée à la firme dominante
et donc réduit son pouvoir de marché.
3.
dQ f p∗
εf = (p)
dp Q f (p∗ )
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 33

3.4.6 Analyse graphique

p
Qf(p)

pmax

p*
QD(p)
p0
CmD

RmD

QM(p)

CmD1

RmD
Qf Q =Q*QM QD(p0) Q
D

Figure 3.1 : La firme dominante avec une frange concurrentielle.

F IGURE 3.1 – entreprise dominante et frange concurrentielle - Branche fermée

Graphiquement, on observe que la quantité QD produite par la firme dominante égalise sa


recette marginale RmD et son coût marginal CmD . Les entreprises de la frange concurrentielle
égalise la courbe Q f (p) qui, sur le graphique, représente leur coût marginal (les prix sont en
abscisse et les quantités en orconnées, donc sur le graphique Q f (p) est une courbe d’offre
inverse, ou coût marginal), avec leur recette marginale p∗ . Lorsque p∗ est inférieur à p0 , la
frange concurrentielle ne produit rien, soit Q f (p0 ) = 0 et QD (p0 ) = QM (p0 ). En revanche,
lorsque p∗ est plus grand que pmax , la frange concurrentielle dessert tout le marché et la demande
résiduelle de la firme dominante est nulle (QD (pmax ) = 0).
Lorsque la firme dominante est beaucoup plus efficiente que les firmes de la frange concur-
rentiielle, elle peut les ignorer. Par exemple, si la firme dominante peut proposer un prix p∗ <
p0 : c’est le cas lorsque le coût marginal de la firme dominante est CmD1 . Dans ce cas, l’inter-
section avec RmD implique une quantité Q∗ plus grande que Q f (p0 ).
CHAPITRE 3. LE POUVOIR DE MARCHÉ 34

Résumé
— Le pouvoir de marché désigne la possibilité, pour une firme, d’augmenter son profit en
accroissant le prix au-delà du coût marginal de production.
— La substitution de la demande désigne la possibilité, pour les consommateurs, de se
tourner vers d’autres produits, qui sont des substituts imparfaits.
— La substitution de l’offre désigne la possibilité, pour les consommateurs, de se tourner
vers d’autres offreurs du même produit.
— À long terme, le pouvoir de marché des firmes en place tend à diminuer.
— Si une firme a du pouvoir de marché à long terme, cela suggère l’existence de barrières
à l’entrée.
— Une barrière à l’entrée est un dispositif qui diminue la profitabilité de l’entrée sur un
marché.
Chapitre 4

Introduction à la théorie des jeux

La théorie des jeux est largement utilisée par l’économie industrielle moderne, notamment
pour rendre compte des interactions stratégiques sur les marchés oligopolistiques.

4.1 Généralités
On distingue jeux coopératifs et non-coopératifs.

Jeux coopératifs Jeux dans lesquels les joueurs s’associent en formant des coalitions.

Jeux non-coopératifs Jeux dans lesquels les joueurs s’affrontent (Ex. : les échecs, le tennis).
Dans la suite, nous allons nous focaliser sur les jeux non-coopératifs.

Nous avons besoin de quatre ingrédients pour faire un jeu :


— Les joueurs ;
— Les règles. Elles spécifient le timing des décisions, les actions et/ou stratégies que les
joueurs peuvent entreprendre et l’information dont dispose les joueurs ;
— Les résultats des actions/stratégies.
— Les paiements : utilités associées aux résultats (objectifs).
On distingue jeux statiques et jeux dynamiques.

Jeux statiques (simultanés) Chaque joueur joue sans connaître le choix des autres joueurs.

Jeux dynamiques (séquentiels) Les participants jouent après avoir observé le choix d’au
moins un autre joueur.

On distingue également les jeux selon l’information dont disposent les joueurs.

35
CHAPITRE 4. INTRODUCTION À LA THÉORIE DES JEUX 36

Jeux à information (in)complète Les joueurs connaissent leurs propres paiements et (mais
pas) ceux associés aux actions/stratégies de leurs adversaires.

Jeux à information (im)parfaite Dans le cas des jeux dynamiques, l’information est parfaite
lorsque les joueurs connaissent (im)parfaitement l’historique des choix/mouvements des autres
joueurs.

Finalement, la théorie des jeux repose sur deux hypothèses fondamentales.

La rationalité Les joueurs sont rationnels : leurs préférences sont représentables par des fonc-
tions d’utilité strictement croissantes. Les joueurs recherchent la maximisation de leur utilité.
En théorie des jeux, on parle de fonction de paiements plutôt que de fonction d’utilité.

La connaissance commune Cela signifie que tous les joueurs savent que leurs adversaires
sont rationnels, que tous les joueurs savent que tous les joueurs savent que leurs adversaires sont
rationnels, etc. L’hypothèse de connaissance commune est cruciale pour expliquer comment les
joueurs forment leurs anticipations sur le comportement des autres joueurs.

4.2 Notations
Nous allons simplement considérer des jeux à deux joueurs, le joueur 1 et le joueur 2. Soit
S1 l’ensemble des stratégies du joueur 1 et S2 l’ensemble des stratégies du joueur 2. Un profil
de stratégies est un couple s = (s1 , s2 ), où s1 ∈ S1 et s2 ∈ S2 , qui spécifient les stratégies choisies
par les deux joueurs. On notera S = S1 × S2 l’ensemble des profils de stratégies. La fonction
de paiement du joueur i, pour i = 1, 2, est notée ui : S → R. Un jeu statique composé de deux
joueurs se représente à l’aide d’une matrice des paiements :

s12 s22
s11 u1 (s11 , s12 ), u2 (s11 , s12 ) u1 (s11 , s22 ), u2 (s11 , s22 )
s21 u1 (s21 , s12 ), u2 (s21 , s12 ) u1 (s21 , s22 ), u2 (s21 , s22 )

On parle aussi de représentation du jeu sous forme normale. Les stratégies du joueur 1 sont
j
représentées par les lignes et celles du joueur 2 par les colonnes. Ainsi, si est la stratégie j du
joueur i, pour i, j = 1, 2. Dans chaque case, le paiement de gauche est celui du joueur 1. Pour
s = (s11 , s12 ), donc la case supérieure gauche, u1 (s) représente le paiement du joueur 1 lorsqu’il
choisit la stratégie s11 et que le joueur 2 choisit la stratégie s12 . Le paiement de droite, u2 (s), est
celui du joueur 2 pour ces mêmes stratégies. Prenons un exemple numérique. Chaque joueur a
le choix entre gauche et droite. Par convention, les stratégies du joueur 1 sont représentées en
minuscules et celles du joueur 2 en majuscules.
CHAPITRE 4. INTRODUCTION À LA THÉORIE DES JEUX 37

G D
g 2,1 3,-1
d 1,2 2,2

Ainsi, si les deux joueurs choisissent gauche, le joueur 1 gagne 2 et le joueur 2 gagne 1. Si le
joueur 1 choisit d et que le joueur 2 choisit G, 1 gagne 1 et 2 gagne 2. Si 1 choisit g et que 2
choisit D, 1 gagne 3 et 2 gagne -1. Enfin, si les deux joueurs choisissent droite, tous les deux
gagnent 2.

4.3 L’équilibre en stratégies dominantes


L’équilibre d’un jeu est sa solution, i.e. le résultat des décisions stratégiques des joueurs.
Chercher à résoudre un jeu revient à déterminer son équilibre. Tout d’abord, définissons la
notion de stratégie dominante.

Définition 1 (Stratégie dominante) Soit i, j = 1, 2 et i 6= j. Une stratégie s∗i ∈ Si est dominante


si, pour tout si ∈ Si ,
ui (s∗i , s j ) ≥ ui (si , s j )

pour tout s j ∈ S j .

En termes littéraires, une stratégie s∗i est dominante si elle offre un paiement à i supérieur à celui
procuré par n’importe quelle autre stratégie si , et ce quelque soit la stratégie jouée par le joueur
j.

Définition 2 (Équilibre en stratégies dominantes) L’équilibre en stratégies dominantes d’un


jeu est un profil de stratégies dominantes s∗ ∈ S tel que s∗ = (s∗1 , s∗2 ), où s∗i est une stratégie
dominante du joueur i, pour i = 1, 2.

On notera ESD l’ensemble des équilibres en stratégies dominantes d’un jeu. L’exemple suivant
est un jeu célèbre qui contient un équilibre en stratégies dominantes.

Le dilemme des prisonniers Deux suspects sont arrêtés par la police. Mais les agents n’ont
pas assez de preuves pour les inculper, donc ils les interrogent séparément en leur faisant la
même offre. "Si tu dénonces ton complice et qu’il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté
et l’autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et que lui aussi, vous écoperez tous les
deux de 5 ans de prison. Si personne ne se dénonce, vous aurez tous deux 6 mois de prisons". La
stratégie qui consiste à se taire est la stratégie 1 et celle qui consiste à dénoncer l’autre suspect
est la stratégie 2. Une matrice des paiements possible est la suivante :
CHAPITRE 4. INTRODUCTION À LA THÉORIE DES JEUX 38

s12 s22
s11 −1/2, −1/2 −10, 0
s21 0, −10 −5, −5

Nous souhaitons déterminer l’équilibre en stratégies dominantes de ce jeu. On remarque que :

u1 (s11 , s12 ) = −1/2 < 0 = u1 (s21 , s12 )


u1 (s11 , s22 ) = −10 < −5 = u1 (s21 , s22 )

Donc, la stratégie 2 du joueur 1, s21 , est une stratégie dominante puisqu’elle offre un paiement
supérieur à s11 dans le cas où le joueur 2 joue s12 et dans le cas où il joue s22 . Le même raison-
nement pour le joueur 2 montre que s22 est une stratégie dominante. L’équilibre en stratégies
dominantes de ce jeu est donc (s21 , s22 ), soit la situation dans laquelle chaque suspect dénonce
son complice, de sorte que tous les deux écopent de 5 ans de prison.
Le dilemme des prisonniers est un bon exemple d’une divergence entre les incitations pri-
vées et collectives. Dans ce cas, on dit que les actions individuelles génèrent des externalités.
Souvent, il s’agit d’une situation de laquelle le marché est absent : il n’y a pas de mécanisme
de coordination (comme par exemple le système de prix) et donc la poursuite des intérêts indi-
viduels n’aboutit pas à l’intérêt collectif. C’est aussi le cas pour les externalités environnemen-
tales : les ressources communes (air pur, eau potable, faune sauvage...) n’ont pas de prix donc
elles sont sur-consommées. Adam Smith (1776) avait déjà remarqué que les incitations privées
générées par les mécanismes de marché permettent de coordonner les actions individuelles pour
aboutir à l’intérêt collectif : c’est la fameuse "Main invisible".
Parfois, les stratégies dominantes n’apparaissent pas de façon aussi évidente que dans le
dilemme des prisonniers. Pour les identifier, on utilise la notion de stratégie dominée.

Définition 3 (Stratégie dominée) Soit i, j = 1, 2 et i 6= j. Nous dirons qu’une stratégie s0i est
strictement dominée par si si ∀s j ∈ S j , ui (si , s j ) > ui (s0i , s j ).

Une stratégie dominée est donc une stratégie qui procure un paiement toujours inférieur à celui
d’au moins une autre stratégie. Pour déterminer l’équilibre en stratégies dominantes d’un jeu,
on doit parfois procéder à une élimination itérative des stratégies strictement dominées. En effet,
une stratégie dominée ne sera jamais jouée car les joueurs sont rationnels et maximisent leurs
paiements. De plus, grâce à l’hypothèse de connaissance commune de la rationalité, chaque
joueur sait que son adversaire ne jouera pas de stratégie dominée car il sait qu’il est rationnel.

L’élimination itérative des stratégies dominées Considérons la matrice des paiements sui-
vantes, dans laquelle chaque joueur a trois stratégies à sa disposition.
CHAPITRE 4. INTRODUCTION À LA THÉORIE DES JEUX 39

s12 s22 s32


s11 4, 3 5, 1 6, 2
s21 2, 1 3, 4 3, 6
s31 3, 0 9, 6 2, 8
Nous allons déterminer l’équilibre en stratégies dominantes de ce jeu grâce à l’élimination
itérative des stratégies dominées. Nous procédons en plusieurs étapes :
1. En nous plaçant du point de vue du joueur 1, on observe que la stratégie s21 est dominée
par la stratégie s11 . En effet, si 2 joue s12 , le paiement de 1 est de 4 avec s11 contre 2 avec s21 .
Si 2 joue s22 , le paiement de 1 est de 5 avec s11 contre 3 avec s21 . Si 2 joue s32 , le paiement
de 1 est de 6 avec s11 contre 3 avec s21 . Donc s11 offre un paiement toujours strictement
supérieur à s21 .
2. Du point de vue du joueur 2, on observe que s22 est dominée par s32 .
3. Les joueurs sont rationnels. Donc, ils ne jouent jamais les stratégies dominées. De plus,
la rationalité est connaissance commune, donc chaque joueur sait que l’autre ne jouera
pas de stratégie dominée. Grâce à ce raisonnement, on obtient la matrice des paiements
suivantes :
s12 s32
s11 4, 3 6, 2
s31 3, 0 2, 8
4. Dans cette nouvelle matrice, s31 est dominée par s11 . Le joueur 1 ne jouera pas s31 et le
joueur 2 le sait. On obtient :
s12 s32
s11 4, 3 6, 2
5. Dans cette nouvelle matrice, il apparaît que s12 domine strictement s32 . Ce jeu admet donc
un unique équilibre en stratégies dominantes :

ESD = {(s11 , s12 )}

La plupart du temps, ESD = {0}.


/ Cela provient du fait que ce concept d’équilibre est très
exigeant : il requiert que la stratégie jouée par chaque joueur soit la meilleure possible, indé-
pendamment des stratégies jouées par les autres joueurs. En général,il n’y a pas de stratégies
dominantes et donc il nous faut un concept d’équilibre plus général que l’équilibre en stratégies
dominantes.

4.4 L’équilibre de Nash


À l’équilibre de Nash, chaque joueur joue la stratégie qui lui assure le paiement le plus
élevé possible, compte tenu des stratégies jouées par les autres joueurs. Tout d’abord, nous
CHAPITRE 4. INTRODUCTION À LA THÉORIE DES JEUX 40

avons besoin de définir la notion de stratégie de meilleure réponse.

Définition 4 (Stratégie de meilleure réponse) Soit i, j = 1, 2 et i 6= j. Étant donnée une straté-


gie s j ∈ S j , la stratégie s∗i est une stratégie de meilleure réponse pour le joueur i si et seulement
si pour tout si ∈ Si , ui (s∗i , s j ) ≥ ui (si , s j ).

En termes littéraires, s∗i est une stratégie de meilleure réponse à la stratégie s j si elle offre
un paiement supérieur à n’importe quelle autre si ∈ Si . Remarquons q’une stratégie dominante
est une nécessairement une stratégie de meilleure réponse. Plus spécifiquement, il s’agit d’une
stratégie de meilleure réponse à n’importe quelle stratégie de l’autre joueur. À l’équilibre de
Nash, chaque joueur joue sa stratégie de meilleure réponse.

Définition 5 (Équilibre de Nash) Soit i, j = 1, 2 et i 6= j. Un Équilibre de Nash est un profil


s∗ = (s∗1 , s∗2 ) de stratégies de meilleures réponses tel que ui (s∗i , s∗j ) ≥ ui (si , s∗j ) pour tout si ∈ Si .

Un équilibre de Nash est donc simplement un équilibre d’anticipations rationnelles. À l’équi-


libre de Nash, chaque joueur joue la meilleure stratégie compte tenu des stratégies des autres
joueurs. L’ensemble des équilibres de Nash se détermine simplement en considérant tous les
profils de stratégies et en cherchant si un joueur aurait intérêt à dévier. Si le fait de modifier sa
stratégie peut augmenter le paiement du joueur, alors le profil de stratégies n’est pas un équi-
libre de Nash. Remarquons que tout équilibre en stratégies dominantes est aussi un équilibre de
Nash. L’inverse n’est en général pas vrai

La bataille des sexes Le jeu suivant est un jeu de coordination proposé par Luce et Raiffa
(1957). Nous allons l’utiliser comme exemple pour montrer comment on détermine les équi-
libres de Nash d’un jeu. Soit un coup ;e composé d’un homme et d’une femme qui ont des
préférences divergentes quant à leur activité du soir. L’homme préfère aller voir un match de
foot et la femme aller voir un film au cinéma, mais tous les deux préfèrent être ensemble plutôt
qu’être séparés. Supposons que le joueur 1 soit la femme et que le joueur 2 soit l’homme.

Foot Cinéma
Foot 1, 3 0, 0
Cinéma 0, 0 3, 1

On remarque que si le joueur 1 joue Foot, le joueur 2 a aussi intérêt à jouer Foot, pour gagner
3 plutôt que 0. Si le joueur 2 joue Foot, le joueur 1 a intérêt à jouer Foot, pour gagner 1 plutôt
que 0. Donc, (Foot, Foot) est un équilibre de Nash.
De même, si le joueur 1 joue Cinéma, le joueur 2 a aussi intérêt à jouer Cinéma, pour gagner
1 plutôt que 0. Si le joueur 2 joue Cinéma, le joueur 1 a intérêt à jouer Cinéma, pour gagner 3
plutôt que 0. Donc, (Cinéma, Cinéma) est un équilibre de Nash.
CHAPITRE 4. INTRODUCTION À LA THÉORIE DES JEUX 41

Remarquons que le jeu de la bataille des sexes peut-être réécrit en termes d’économie in-
dustrielle :
— Deux firmes souhaitent chacune imposer un nouveau standard (Ex. : Betamax de Sony
versus VHS de JVC) ;
— Collectivement, elles ont intérêt à ce qu’un seul standard soit adopté ;
— Individuellement, chacune a intérêt à ce que son propre standard s’impose mais préfère
qu’un standard s’impose plutôt qu’il n’y en ait pas. Quel standard chaque firme va-t-elle
adopter ?
L’exemple de la bataille des sexes montre qu’il peut y avoir plusieurs équilibres de Nash
dans un jeu. Néanmoins, les jeux d’oligopole que nous aborderons dans les chapitres suivants
admettent un unique équilibre de Nash, aussi cette limite n’est pas gênante pour nous.

Résumé
— Une stratégie est dominante si le joueur a toujours intérêt à la mettre en oeuvre, quelle
que soit la stratégie jouée par son adversaire.
— Une stratégie est dominée par une autre stratégie si elle offre un paiement toujours infé-
rieur.
— La plupart du temps, il n’y a pas de stratégie dominante donc on utilise l’équilibre de
Nash plutôt que l’équilibre en stratégies dominantes.
— Un équilibre en stratégie dominantes est forcément un équilibre de Nash mais l’inverse
n’est pas vrai.
— L’équilibre de Nash est une situation dans laquelle aucun joueur n’a intérêt à changer sa
stratégie.
Chapitre 5

Le duopole de Cournot

De nombreux marchés (téléphonie mobile, FAI, whisky, smartphones ...) ne sont pas parfai-
tement concurrentiels, sans être des monopoles. Sur un marché oligopolistique, les firmes ont
un pouvoir de marché et leurs décisions ont un impact sur les prix et les quantités du marché.
Dans ce chapitre et le suivant, nous considérons les deux questions suivantes :
— Comment sont déterminés les prix et les quantités lorsqu’un bien homogène est produit
par deux firmes identiques ?
— Qu’est ce qui détermine le pouvoir de marché d’une firme sur un marché de duopole
avec bien homogène ?
Pour répondre à ces questions, nous utiliserons des modèles classiques de duopole. Ces modèles
sont statiques et considèrent la concurrence soit par les prix, soit par les quantités. Ils traitent
comme des données les facteurs qui déterminent les coûts variables de court terme et la demande
de marché. L’output produit est homogène. Ces modèles seront présentés sous l’angle de la
théorie des jeux, bien qu’ils n’ont pas été "pensés" en termes de théorie des jeux, laquelle
n’existait pas quand ces modèles ont été proposés pour la première fois.

5.1 Contexte du modèle


En 1838, Augustin Cournot publie ses « Recherches sur les principes mathématiques de la
théorie des richesses », ouvrage fondateur de l’économie mathématique. Cournot considérait
le problème suivant : combien d’eau de source deux entreprises en concurrence devraient-elles
vendre ? Deux offreurs, 1 et 2, produisent de l’eau de source. Les firmes se font concurrencent
en décidant de la quantité d’eau à produire pour la vendre sur le marché. Le profit d’une firme
dépend du niveau de ses ventes, mais également de celui de sa concurrente. Au plus la firme
concurrente vend, au plus le prix de marché est bas, ce qui diminue les profits. Il y a donc bien
interdépendance des paiements : le profit de chaque firme dépend du comportement de l’autre.
C’est pourquoi la théorie des jeux est utile ici : nous ne pouvons plus recourir aux modèles de

42
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 43

la concurrence et du monopole.
L’interdépendance signifie que les profits de la firme 1 doivent être écrit π1 (q1 , q2 ) et ceux de
la firme 2 π2 (q1 , q2 ), où qi est la quantité produite par la firme i, pour i = 1, 2. Pour déterminer
la quantité qui maximise son profit, chaque entreprise essaie d’anticiper combien d’output va
produire sa concurrente, tout en sachant que celle-ci fait de même. Chaque firme sait que si
elle parvient à augmenter unilatéralement sa part de marché en produisant plus, ses profits vont
augmenter. Cependant, chaque firme sait également que si toutes les firmes cherchent à avoir
plus de parts de marchés, le résultat sera une baisse des profits. Cette tension entre intérêts
privés et collectifs rappelle celle du dilemme du prisonnier.
En termes de théorie des jeux, les règles de ce jeu de duopole sont très simple :
— Les produits sont homogènes ;
— Les stratégies des firmes portent sur les quantités à produire ;
— Les firmes se font concurrence juste une fois et effectuent leurs décisions de production
simultanément ;
— Il n’y a pas d’entrants.
Le jeu de Cournot est un jeu statique d’information complète. La concurrence par les quantités
est aussi appelée concurrence à la Cournot.
L’équilibre de Cournot est simplement l’équilibre de Nash du jeu de Cournot. Un équilibre
de Cournot-Nash dans un jeu du duopole est une paire de stratégies (qC1 , qC2 ) telle qu’aucune
firme i ne peut augmenter son profit en déviant unilatéralement, étant donné que l’autre firme
produit qCj . Pour que qC1 et qC2 soient les quantités produites à l’équilibre de Nash, les deux
conditions suivantes doivent tenir :

∀q1 , π1 (qC1 , qC2 ) ≥ π1 (q1 , qC2 ) (5.1)


∀q2 , π2 (qC1 , qC2 ) ≥ π2 (qC1 , q2 ) (5.2)

5.2 Les fonctions de meilleur réponse


Les décisions de production à l’équilibre de Nash, qC1 et qC2 , peuvent être obtenues à partir
des fonctions de meilleurs réponses ou fonctions de réactions. La fonction de meilleure réponse
de la firme 1 donne le choix du niveau de l’output qui maximise son profit pour n’importe quel
niveau de production de l’entreprise 2, soit q1 = R1 (q2 ). De même, la fonction de meilleur
réponse de la firme 2 sera notée q2 = R2 (q1 ). Les quantités à l’équilibre de Nash satisfont les
fonctions de meilleures réponses pour les deux firmes simultanément : qC1 = R1 (qC2 ) et qC2 =
R2 (qC1 ). Si les deux firmes produisent le niveau d’output qui maximisent leur profit étant donné
la production de l’autre entreprise, alors aucune n’a intérêt à dévier de sa stratégie. Nous allons
à présent voir comment déterminer les fonctions de meilleures réponses.
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 44

La fonction de meilleure réponse de la firme i exprime une relation entre la production de


la firme j et la quantité qui maximise le profit de i. Les fonctions de meilleures réponses sont
obtenues en égalisant la recette marginale au coût marginal pour chaque firme. Le profit de la
firme 1 s’écrit π1 (q1 , q2 ) = P(q1 + q2 )q1 − C1 (q1 ), où P(q1 + q2) est la fonction de demande
inverse du marché 1 et C1 (q1 ) la fonction de coût total de la firme 1. Supposons que la firme
1 croit que la firme 2 va produire et vendre une certaine quantité qa2 . La courbe de demande
résiduelle de la firme 1 montre comment le prix varie lorsque la firme 1 modifie sa production,
étant donnée sa croyance que 2 produira qa2 . Si la firme 1 ne produit rien, le prix de marché
sera simplement P(q1 + qa2 ). Cela correspond au point A sur la figure 5.1. Lorsque la firme 1

F IGURE 5.1 – Le marché et la demande résiduelle de la firme 1

P
A P
B

P(0,q2a) P(0,q2a) q2a

q2b
P(0,q2b) P(0,q2b)

P(Q)

P(Q) P1(q2b) P1(q2a)

q2a q2b Q q1

(A) Les points P(0,q2a) et P(0,q2b) désignent le prix de marché lorsque la firme 1 ne produit rien et
que la firme 2 produit les quantités q2a et q2b, respectivement.
(B) P1(q2a) et P1(q2b) représentent les courbes de demande résiduelle adressée à la firme 1
lorsque la firme 2 produit q2a et q2b.

augmente son output, le prix baisse et la demande se déplace vers la droite du point P(0, qa2 ) le
long de P(Q), sur le graphique A de la figure 5.1. Le segment de la courbe de demande au-delà
de ce point représente la demande résiduelle de la firme 1. Si nous déplaçons cette courbe vers
la gauche par une quantité qa2 , nous pouvons mesurer l’output de la firme depuis l’origine dans
la figure 5.1 (B), où la demande résiduelle pour la firme 1 est notée P1 (qa2 ).
De façon équivalente, si la firme 1 croit que la firme 2 produira qb2 , où qb2 > qa2 , la firme
1 devrait anticiper des prix plus faibles puisque sa demande résiduelle commencera au point
P(0, qb2 ) du graphique A de la figure 5.1. Sur le graphique B, la droite de demande résiduelle
1. La quantité totale sur le marché est Q = q1 + q2 , donc on peut écrire P(q1 + q2 ) à la place de P(Q).
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 45

devient P1 (qb2 ). En résumé : pour n’importe quel niveau anticipé d’output de la firme 2, nous
pouvons déduire la courbe de demande résiduelle de la firme 1, qui montre la relation entre
l’output de la firme 1 et le prix. À retenir
Étant données les croyances de la firme 1 à propos de q2 , elle agira comme un monopole sur
sa courbe de demande résiduelle. La recette marginale obtenue est alors :

dP(q1 + q2 )
Rm1 (q1 , q2 ) = P(q1 + q2 ) + q1 (5.3)
dq1

Le niveau d’output qui maximise le profit de la firme 1, note q∗1 , égalise la recette marginale et
le coût marginal de la firme 1 :

Rm1 (q∗1 , q2 ) = Cm1 (q∗1 ) (5.4)

La figure 5.2, montre comment déduire la quantité d’output qui maximise le profit de la firme
1 (qa1 et qb1 ), selon sa croyance relative à la production de 2, qa2 ou qb2 , où qb2 > qa2 . Lorsque la

F IGURE 5.2 – La détermination de l’output qui maximise le profit pour l’entreprise 1

P(0,q2a)

P1(q2a)
Rm1(q2a)
P(0,q2b)

Rm1(q2b)
Cm=c

P1(q2b)
q1b q1a q1

Le niveau d'output qui maximise le profit de la firme 1 est q1a ou q1b, selon que la firme 2 produit
la quantité q2a ou q2b: il s'agit de l'intersection de Rm1 et du coût marginal c.

production de la firme 2 augmente, celle qui maximise le profit de la firme 1 doit diminuer. Une
hausse de la production de la firme 2 de qa2 à qb2 :
— Baisse le prix maximum que la firme 1 peut espérer ;
— Déplace la demande résiduelle de la firme 1 vers le bas, de P1 (qa2 ) à P1 (qb2 ) ;
— Réduit la recette marginale de la firme 1 de Rm1 (q1 , qa2 ) à Rm1 (q1 , qb2 ).
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 46

La profitabilité marginale de la firme 1 baisse donc lorsque la firme 2 augmente ses ventes. Si q2
varie de manière continue, alors l’équation (5.4) contient une définition implicite de la fonction
de meilleure réponse de 1. Les fonctions de meilleures réponses sont représentées à la figure
5.3. L’intersection des fonctions de meilleures réponses définit l’équilibre de Nash-Cournot. La

F IGURE 5.3 – L’équilibre de Cournot

q2

q2b
Qm q1=R1(q2)

C
q2C

q2=R2(q1)

q2a
a
q1b q1C Qmq1 q1

L'équilibre de Cournot s'obtient à l'intersection des fonctions de réaction. Autrement dit, chaque
entreprise maximise son profit en anticipant que l'autre entreprise fait la même chose.

figure 5.3 montre aussi que si la firme 1 anticipe que la firme 2 va augmenter sa production
de qa2 à qb2 , elle réagit en diminuant sa production de qa1 à qb1 . Les jeux du type du duopole de
Cournot sont des jeux à substituts stratégiques, car les stratégies des joueurs se substituent les
unes aux autres. Ici, lorsqu’une firme augmente sa production, l’autre firme voit son marché se
réduire et réagit en baissant sa production. À l’extrême, si la firme 1 anticipe que sa concurrente
ne produit rien, elle réagit en produisant la production de monopole qm
1 . À retenir

5.3 Équilibre de Cournot avec demande affine et coût linéaire


Déterminons l’équilibre de Cournot lorsque P(Q) = A − bQ, Q = q1 + q2 et Ci (qi ) = c(qi ),
pour i = 1, 2. Remarquons que les deux firmes ont la même fonction de coût, elles sont donc
identiques. La demande inverse peut-être récrite P(q1 , q2 ) = A − b(q1 + q2 ).
1. On commence par déterminer les fonctions de meilleure réponse. Pour cela, on égalise re-
cette marginale et coût marginal. Pour trouver la recette marginale, on applique l’équation
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 47

(5.3) :
Rm1 (q1 , q2 ) = A − b(q1 + q2 ) − bq1 = A − bq2 − 2bq1 .

Le coût marginal est simplement Cm1 = c. Donc :


A − bq2 A − c q2
A − bq2 − 2bq1 = c ⇔ q1 = = − .
2b 2b 2
Cela nous donne la fonction de meilleur réponse de l’entreprise 1,
A − c q2
R1 (q2 ) = − (5.5)
2b 2
Le même raisonnement pour l’entreprise 2 nous donne sa fonction de meilleure réponse :
A − c q1
R2 (q1 ) = − (5.6)
2b 2
2. On détermine l’équilibre de Nash-Cournot. Pour cela, on remplace q2 dans l’équation
(5.5) par R2 (q1 ), donnée par l’équation (5.6) :

A−c A−c
2b − q21
q1 = R1 [R2 (q1 )] ⇔ q1 = −
2b 2
On résout cette équation en q1 pour obtenir la stratégie de la firme 1 à l’équilibre de Nash :
A−c
qC1 =
3b
Pour trouver qC2 , on utilise le fait que q2 = R2 (qC1 ), il suffit donc de remplacer q1 par qC1
dans l’équation (5.6) :
A−c
qC2 = .
3b
On peut aussi remarquer que, les deux firmes étant identiques, elles auront la même stra-
tégie à l’équilibre.
3. On détermine le prix et la quantité du marché :
2(A − c) A + 2c
QC = qC1 + qC2 = et PC = P(QC ) = .
3b 3

5.4 Pouvoir de marché et efficience


Le pouvoir de marché d’une firme du duopole de Cournot est donné par :

PC −Cmi (qC ) si
i = 1, 2, LCi = =
PC |ε|

où ε est l’élasticité-prix de la demande et si = qCi /QC = 1/2 la part de marché de la firme i.


Lorsque si = 1, la firme est en monopole et nous retrouvons l’équation (3.2). Il y a une relation
endogène entre le coût marginal c et la part de marché si . Les firmes avec un coût marginal
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 48

plus faible auront une part de marché plus importante : les firmes les plus efficaces sont les
plus grosses 2 . Puisque PC < Pm (ou puisque si = 1/2 < 1), l’indice de Lerner du duopole de
Cournot est plus faible que celui du monopole. C’est intuitif : les firmes du duopole ont moins
de pouvoir de marché que le monopole. On s’attend donc à ce que la perte de bien-être en
duopole, relativement à la situation concurrentielle, soit moins importante que la charge morte
du monopole. Le surplus des consommateurs en situation de duopole est :

2(A − c)2
SCC = , (5.7)
9b
et le surplus des producteurs est :

2(A − c)2
SPC = (PC − c)QC = . (5.8)
9b
Le surplus total à l’équilibre de Cournot est donc :

C C 4(A − c)2
C
ST = SC + SP =
9b
On vérifie aisément que ST c > ST C > ST m . Il y a donc bien une inefficience allocative du
duopole de Cournot, mais elle moins importante que celle du monopole.

5.5 Le cartel de quantités


Si la production de l’entreprise 2 est nulle, la meilleure réponse de la firme 1 consiste à
produire la quantité de monopole, donnée par Qm = R1 (0). Cela est aussi vrai pour la firme 2.
Si les deux fonctions de coût marginal sont les mêmes, nous aurons qm m m
1 = q2 = Q . De plus,
comme le coût marginal est constant (= c), n’importe quelle division de la quantité de monopole
Qm entre les deux firmes donnera un surplus des producteurs égal aux profits du monopole
SPm . Au point M de la figure 5.4, les entreprises se répartissent également (puisqu’elles ont
les mêmes coûts) le profit du monopole. C’est le cas lorsqu’elles choisissent de s’entendre
sur les quantités produites pour maximiser leur profit collectif, égal au profit de monopole.
Chacune produit Qm /2 et gagne SPm /2. Étant donné un coût marginal constant identique (= c)
pour les deux firmes, l’équilibre de Cournot est symétrique, comme l’indique le point C, où
qC1 = qC2 = qC = (A − c)/3b. Les profits du monopole seront plus élevés que ceux de Cournot,
et la moitié des profits de monopole sera supérieure à la moitié de ceux de Cournot (logique).
Chaque firme a donc intérêt à se trouver au point M plut qu’au point C. Les deux firmes ont
donc un intérêt à la collusion, i.e. à former un cartel de quantités. Si chacune restreint sa quantité
à qm = Qm /2, plutôt que de produire qC , les profits individuels et collectifs seront plus élevés.
2. Cela n’apparaît pas directement dans notre modèle car nous avons supposé que les deux firmes avaient le
même coût marginal et moyen.
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 49

F IGURE 5.4 – Le cartel de quantités

q2

Qm q1=R1(q2)

C
q2C
D
Qm/2
M

q2=R2(q1)

Qm/2 q1d Qm q1
q1C

L'équilibre collusif M ne se trouve sur aucune fonction de réaction : le cartel de quantités est
impossible car si la firme 1 anticipe que la firme 2 va produire Qm/2, elle produit q1d (point D).

Supposons que les deux firmes s’accordent sur le fait de produire individuellement Qm /2. Est-
ce que cet accord est soutenable ? Autrement dit : est-ce que cet accord sera respecté par les
firmes ? Si la firme 1 pense que la firme 2 honorera l’accord, elle peut trahir cette dernière et
faire défection. Dans ce cas, elle obtiendra un profit plus élevé en produisant qd1 à la place de
qm , où qd1 = R1 (Qm /2). Cela correspond au point D de la figure 5.4. Le point M ne se trouve
pas sur les fonctions de réaction des firmes et ne maximise donc pas le profit pour chaque firme.
Chaque firme pourrait en effet augmenter son profit en produisant unilatéralement plus que
Qm /2. Chacune sait que l’autre a intérêt à le faire et que l’autre sait la même chose. L’accord
collusif n’est donc pas un équilibre de Nash et ne sera pas respecté.
Le problème auquel sont confrontés les joueurs est de la même nature que le dilemme des
prisonniers. Les firmes/prisonniers se porteraient mieux en choisissant de coopérer/se taire.
Mais les firmes comme les prisonniers répondent à des incitations privées et choisissent une
solution qui n’est pas optimale collectivement. Ainsi, la recette marginale égalise le coût mar-
ginal au point M pour un monopole, mais pas pour la firme du duopole de duopole Cournot.
La recette marginale d’une firme du duopole est plus grande que celle du monopole car lorsque
ce dernier augmente sa quantité, l’impact sur le prix de marché est plus fort que dans le cas
du duopole. Le monopole doit donc subir une baisse plus importante sur l’unité supplémentaire
qu’il souhaite vendre.
Dans la réalité, les cartels de quantités sont rares, puisque les firmes fixent les prix et peuvent
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 50

s’entendre directement sur les prix. Nous aborderons ces comportements dans le prochain cha-
pitre.

L’Organisation des Pays Producteurs de Pétrole (OPEP) Il s’agit d’une alliance entre pays,
dont le fonctionnement est similaire à celui d’un cartel de firmes qui s’entendent sur les quan-
tités. Ainsi, l’OPEP fixe des quotas de production suffisamment faible pour maintenir élevé le
prix du pétrole brut. Toutefois, puisque chaque pays membre a intérêt, tout comme les firmes
du duopole de Cournot, à produire plus que son quota, le prix est souvent plus bas que l’objectif
visé.

5.6 Le duopole de cournot avec différenciation

5.6.1 La différenciation
Nous pouvons reconnaître une différenciation lorsque le produit qui est proposé par une
firme lui assure un avantage face à ses concurrents.
La différenciation signifie que, pour les consommateurs, et pour des raisons subjectives ou
objectives, les biens proposés par les deux firmes sont différents. Donc, le consenetemnt à payer
des consommateurs pour les deux biens sont également différents.

La différenciation horizontale ou verticale ?

La différenciation horizontale se produit lorsque les consommateurs ne sont pas unanimes


sur la valeur relative de chaque bien. Ainsi, certains consommateurs peuvent préférer le bien
proposé par la firme 1 et d’autres le bien proposé par la firme 2.
Dans le cas de la différenciation verticale, les consommateurs sont unanimes sur la valeur
relative de chaque bien. Par exemple, tous ont un consentement à payer plus élevé pour le bien
produit par la firme 1, car ils perçoivent ce bien comme meilleur que celui proposé par la firme
2.
Dans cette section, nous nous intéressons au cas de la différenciation horizontale. Concrè-
tement, cela signifie qu’aucune des deux firmes ne peut capter toute la demande en proposant
un prix plus bas que sa concurrente.

5.6.2 Le modèle
Nous partons d’une situation où nous avons deux entreprises, 1 et 2, produisant chacune des
biens différenciés.
— Il n’existe que deux gammes de biens, et chaque bien est produit par une seule firme : la
firme i produit un bien i
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 51

— Les deux entreprises sur le marché sont en concurrence par les quantités.
— Les demandes (inverses) adressées à chacune des deux entreprises sont de la forme
p1 (q1 , q2 ) = δ − αq1 − β q2 et p2 (q1 , q2 ) = δ − αq2 − β q1 .
— Le consentement à payer des consommateurs pour chaque bien est supposé être plus
sensible à la variation de la quantité consommé du bien qu’à la variation de la quantité
consommée de l’autre bien, soit α > β , qui implique :

∂ p1 ∂ p1
(q1 , q2 ) < (q1 , q2 )
∂ q1 ∂ q2
∂ p2 ∂ p2
(q1 , q2 ) < (q1 , q2 )
∂ q2 ∂ q1

Le coefficient g = β 2 /α 2 nous permet de mesurer le degré de différenciation des pro-


duits :
— Au plus le coefficient est proche de 0, au plus le marché est fortement différencié, et
donc un changement du prix du bien j aura des effets négligeables sur la demande du
bien i. Les biens sont faiblement substituables.
— Au plus le coefficient est proche de 1, au plus le marché est homogène. Les prix de
toutes les gammes exercent des effets importants sur la demande de chaque gamme. Les
biens sont fortement substituables.
Comme nous le verrons dans la sous-section suivante, le niveau du degré de différenciation, qui
peut tendre vers 0 ou vers 1, nous permet de retrouver ces cas limites que sont le monopole (dif-
férenciation maximale, chaque firme est un monopole sur son marché) et le duopole classique
(biens homogènes).

5.6.3 Détermination de l’équilibre de Nash


Comme dans le cas d’un marché composé de produits homogènes, on cherche les quantités
qui maximisent le profit de chaque firme. Pour cela, on utilise les fonctions de demande inverse,
p1 = δ − αq1 − β q2 et p2 = δ − αq2 − β q1 . La fonction coût total de chaque firme est C(qi ) =
cqi .
Pour maximiser son profit, la firme i prend en compte les quantités produites par sa rivale
q j . On obtient alors :
max πi (qi , q j ) = (δ − αqi − β q j − c)qi ,
qi

avec ∀i, j = 1, 2 et i 6= j. La condition de premier ordre (CPO) donne la fonction de réaction de


la firme i :
∂ πi δ −βqj −c
(qi , q j ) = δ − 2αqi − β q j − c = 0 ⇔ Ri (q j ) =
∂ qi 2α
avec ∀i, j = 1, 2 et i 6= j. La condition de second ordre est nécessaire pour la concavité de la
fonction de profit πi , qui assure que la CPO définit bien un qi > 0 qui soit un maximisateur pour
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 52

πi .
∂ 2 πi
(q1 , q2 ) = −2α < 0
∂ 2 qi
La condition de second ordre est satisfaite dès lors que α > 0.
On vérifie facilement que :
— Les biens sont des substituts stratégiques comme le modèle de Cournot avec biens ho-
mogènes : plus une firme produit, moins sa concurrente a intérêt à produire.
— Au plus α tend vers β , c’est-à-dire plus les biens sont homogènes, plus les fonctions de
réactions se rapprochent de celles du modèle de Cournot avec biens homogènes.
— Inversement, au plus β beta tend 0, plus les biens sont différenciés, plus les fonctions de
réactions s’éloignent de celles du modèle de Cournot avec biens homogènes , et moins
la quantité de la firme varie en fonction de la production de sa rivale.
— Le prix de la firme i à l’équilibre, p∗i , dépend positivement de α et négativement de β .
Donc, au plus la différenciation est forte, au plus le pouvoir de marché de la firme i,
mesuré par
p∗i −Cmi
LCi = ,
p∗i
est fort.

Après résolution des fonctions de réaction des deux firmes, les caractéristiques à l’équilibre
de Cournot avec biens différenciés sont les suivantes :
δ −c
q∗i = (5.9)
2α + β
α(δ − c)
p∗i = +c (5.10)
2α + β
δ −c 2
Π∗i = α( ) (5.11)
β − 2α

avec δ > c. On remarque que :


— Lorsque β → α, les biens sont de plus en plus homogènes : les quantités produites, ainsi
que les prix et les profits diminuent. Dans le cas où les biens sont homogènes, on obtient
les mêmes valeurs que dans le Cournot classique, cf section 5.3.
— Au plus β → 0, au plus les biens sont différenciés et au plus le profit des firmes aug-
mentent. Dans le cas d’une différenciation totale, on retrouve l’équilibre du monopole
dans le cas d’un bien homogène, cf chapitre 2.
— Puisque β < α, le prix d’une firme du duopole de Cournot avec différenciation, p∗i , est
plus grand que celui d’une firme du duopole classique, PC . Donc le pouvoir de marché
est plus fort grâce à la différenciation.
CHAPITRE 5. LE DUOPOLE DE COURNOT 53

Résumé
— La fonction de réaction (ou de meilleure réponse) d’une firme donne la stratégie qui
maximise son profit, étant donnée la stratégie choisie par l’autre firme.
— L’équilibre de Cournot est l’équilibre de Nash d’un jeu dans lequel deux entreprises se
font concurrence simultanément sur un bien homogène.
— Dans un duopole de Cournot, la stratégie d’un joueur dépend négativement de la straté-
gie de l’autre joueur : il s’agit d’un jeu à substituts stratégiques.
— Les firmes du duopole de Cournot n’ont pas intérêt à former un cartel de quantités car,
tout comme dans le dilemme des prisonniers, les incitations privées et collectives dif-
fèrent.
— Dans la réalité, les firmes/pays s’entendent sur les quantités car elles peuvent se coor-
donner et car elles ont recours à des accords contraignants.
— Le duopole de Cournot avec différenciation se résout comme un duopole de Cournot
classique, en utilisant les fonctions de réactions des firmes. La différenciation permet
notamment d’accroitre le pouvoir de marché des firmes du duopole.
Chapitre 6

Le duopole de Bertrand

Dans ce chapitre, nous allons présenter le duopole de Bertrand, dans lequel la concurrence
se fait par les prix. Une conclusion forte de ce modèle, connu comme le paradoxe de Bertrand,
est que deux entreprises qui se font concurrence par les prix tarifent au coût marginal, soit le
prix concurrentiel.
Quarante-cinq ans après la publication de l’ouvrage de Cournot, Joseph Bertrand (1883)
observait que les résultats de Cournot étaient liés à son hypothèse selon laquelle les firmes se
concurrencent par les quantités. Selon Bertrand, les firmes choisissent les prix, pas les quantités,
et elles ont de fortes incitations à baisser leur prix davantage que les autres : si une firme baisse
son prix en-deçà de celui de l’autre firme du duopole, elle peut attirer toute la demande. Les jeux
statiques dans lesquels les firmes se font concurrence par les prix sont appelés jeux de Bertrand.
On parle souvent de concurrence à la Bertrand pour parler de concurrence par les prix. Dans le
jeu de Bertrand le plus simple, les biens sont homogènes, les firmes ont le même coût unitaire
de production, et il n’y a pas de contrainte de capacités. On peut alors montrer que, de façon
cohérente avec les observations de Bertrand, dès lors qu’il y a plus d’une firme, l’équilibre
de Nash de ce jeu est une situation dans laquelle chaque firme tarife au coût marginal. Elles
n’ont donc aucun pouvoir de marché. Ce résultat est connu comme le paradoxe de Bertrand. On
peut relâcher certaines hypothèses pour obtenir un résultat moins fort : économies d’échelle,
coûts unitaires asymétriques, différenciation des produits, contraintes de capacité. Nous nous
intéresserons notamment à la différenciation des produits, qui permet d’augmenter le pouvoir
de marché des firmes.

6.1 Le paradoxe de Bertrand


Considérons à nouveau l’exemple de Cournot, dans lequel deux firmes se font concurrence
pour vendre de l’eau de source. Les règles sont les suivantes :
— Le bien est homogène et la demande est Q = D(p) ;

54
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 55

— Il n’y a pas de contrainte de capacités de production ;


— Les firmes se font concurrence une seule fois par les prix de manière simultanée ;
— Pas de nouveaux entrants.
Nous supposons que les consommateurs achèteront à la firme qui propose le prix le plus bas.
Dans le cas où les deux firmes proposent le même prix, la demande est répartie également entre
les firmes. La demande adressée à la firme 1 est donc :



D(p1 ) si p1 < p2 ,

D(p) = D(p1 )/2 si p1 = p2 ,



0 si p > p . 1 2

La demande adressée à la firme 2 est identique. Par ailleurs, les deux firmes supportent un coût
marginal et moyen identique c. L’équilibre de Nash de ce jeu est une paire de prix, pB1 et pB2 , qui
satisfont les deux inégalités suivantes :

∀p1 , π1 (pB1 , pB2 ) ≥ π1 (p1 , pB2 ),


∀p2 , π2 (pB1 , pB2 ) ≥ π1 (pB1 , p2 ).

Pour résoudre le duopole de Bertrand, nous considérons quatre configurations possibles.


1. p1 > p2 > c. Il ne s’agit pas d’un équilibre. À ces prix, les ventes et le profit de la firme
1 sont nuls. La firme 1 aurait intérêt à proposer un prix p1 = p2 − ε, pour ε > 0 très petit.
Ses profits deviendraient alors π1 = D(p2 − ε) × (p2 − ε − c) > 0.
2. p1 > p2 = c. Il ne s’agit pas d’un équilibre. La firme 2 capture toute la demande mais son
profit est nul. Elle aurait intérêt à proposer un prix p2 = p1 − ε, où ε > 0 est très petit.
Les profits de la firme 2 deviendraient π2 = D(p1 − ε)(p1 − c − ε) > 0.
3. p1 = p2 > c. Il ne s’agit pas non plus d’un équilibre. En effet, l’une des deux firmes,
disons la firme 1, aurait intérêt à dévier de cette stratégie en établissant p1 = p2 − ε.
Dans ce cas, plutôt que de partager le marché et de recevoir π1 = (1/2)D(p1 )(p1 − c), la
firme 1 pourrait accaparer tout le marché et recevoir π1 = D(p1 − ε)(p1 − c − ε). Pour ε
suffisamment petit, cela revient quasiment pour la firme 1 à doubler son profit.
4. p1 = p2 = c. Il s’agit de l’équilibre de Nash. Aucune firme n’a intérêt à dévier, bien que
les deux firmes gagnent un profit nul dans cette configuration.
Par conséquent, l’équilibre de Nash du jeu de Bertrand est une situation dans la quelle les firmes
tarifent au coût marginal c. C’est le paradoxe de Bertrand : deux firmes qui se font concurrence
par les prix sur un bien homogène se comportent de façon concurrentielle et n’ont aucun pouvoir
de marché. Néanmoins, la tarification au coût marginal ne tient plus dans le jeu de Bertrand
dès lors que l’on modifie les hypothèses. Notamment, l’introduction de la différenciation des
produits et la limitation des capacités de production résolvent le paradoxe de Bertrand. Avant
cela, nous pouvons considérer deux extensions du jeu de base :
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 56

— L’effet des économies d’échelle. Supposons que la production ne requiert pas seulement
un coût unitaire c, mais aussi un coût fixe et irrécupérable f . En présence d’écono-
mies d’échelle, le coût moyen est plus grand que le coût marginal, aussi les deux firmes
subissent des pertes. À long terme, une des deux firmes devraient sortir du marché et
l’équilibre de libre entrée devrait être un monopole. Il s’agit d’un exemple de concur-
rence destructrice. Une seconde firme ne devrait pas entrer, puisqu’elle anticipera des
profits post-entrée insuffisants pour couvrir f .
— L’effet de l’asymétrie des coût marginaux. Supposons que les coûts unitaires différent
tel que c1 < c2 . La firme 1 peut alors établir un prix p1 = pm (c1 ). Si pm (c1 ) > c2 , alors la
firme 1 ne peut pas tarifer au prix de monopole, puisque la firme 2 peut baisser son prix et
capter toute la demande. L’équilibre de Nash est caractérisé par p2 = c2 et p1 = c2 − ε,
où ε est très petit. La firme 1 tarife juste en-dessous de c2 et capte toute la demande.
La firme 2 n’a pas intérêt à baisser son prix plus bas, puisque ses profits seraient alors
négatifs, i.e. inférieurs à ce qu’ils sont à l’équilibre de Nash. Si la firme 1 augmente ses
prix à c2 ou plus, c’est elle qui voit son profit baisser. Puisque pm (c1 ) < c2 , réduire le
prix en-dessous de c2 − ε réduit les profits de la firme 1. À l’équilibre, la firme 1 exerce
un pouvoir de marché et gagne un profit unitaire c2 − ε − c1 .
La limitation des capacités de production est encore une autre façon de sortir du paradoxe de
Bertrand. Cela dit, le résultat de Bertrand reste intéressant : sous les mêmes hypothèses que
Cournot, excepté en ce qui concerne les stratégies des firmes, Bertrand obtient un résultat très
différent. Cela montre que dès que l’on suppose que les firmes se concurrencent par les prix, de
nombreux résultats de l’analyse économique ne tiennent plus. C’est pourquoi les économistes
préfèrent, la plupart du temps, considérer que les entreprises fixent les quantités puis que le
marché fixe les prix.

6.2 La différenciation des produits


Sur beaucoup de marchés, les entreprises en concurrence les unes avec les autres n’offrent
pas des substituts parfaits. C’est par exemple le cas des automobiles ou des smartphones. C’est
encore davantage vrai de la musique préenregistrée : les produits se font concurrence bien qu’ils
ne soient pas des substituts parfaits. Dans ces situations, quelques consommateurs préféreront
le produit de la firme 1 à celui de la firme 2 même si le prix de 1 est plus élevé que celui de 2.
Nous devrions anticiper, cependant, qu’au fur et à mesure que la firme 1 augmente le prix de
son bien, la demande qui lui est adressée chute et se déporte sur la firme 2.
Quelles sont les implications de l’introduction de la différenciation des produits dans le jeu
de Bertrand ? Supposons que les deux firmes produisent des biens qui sont imparfaitement sub-
stituables. La fonction de demande adressée à la firme 1 ne dépendra pas seulement de son prix,
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 57

mais également de celui proposé par la firme 2. En prenant en compte cette interdépendance de
la demande, nous voyons que les fonctions de demande pour la firme 1 et pour la firme 2 sont
q1 (p1 , p2 ) et q2 (p1 , p2 ). Soit i, j = 1, 2 et i 6= j. Une hausse de pi réduit la demande pour le pro-
duit i, mais puisque les deux biens sont des substituts, une hausse de p j augmente la demande
adressée à la firme i.
La figure 6.1 montre la fonction de demande adressée à la firme 1. Lorsque le prix du bien de
la firme 2 augmente de pa2 à pb2 , la courbe de demande pour le bien 1 se déplace vers le haut et la
droite. Au prix pa1 , la demande pour le bien 1 augmente de qa1 à qb1 lorsque la firme 2 augmente
son prix. Nous supposons que les deux firmes ont le même coût unitaire c. Pour déterminer

F IGURE 6.1 – La demande pour des substituts imparfaits

p1

q1(p2b)

q1(p2a)
p1a

q1a q1b q1

Si la firme 2 augmente son prix de p2a à p2b, la demande adressée à la firme 1 augmente.

l’équilibre de Nash du duopole de Bertrand différencié, nous avons besoin des fonctions de
réactions (ou de meilleure réponse). Comme pour le duopole de Cournot, celles-ci s’obtiennent
grâce à la maximisation du profit. L’équilibre de Nash devra simultanément satisfaire les deux
fonctions de meilleure réponse.

Les fonctions de meilleure réponse Les profits de la firme 1 sont donnés par :

π1 (p1 , p2 ) = p1 q1 (p1 , p2 ) − cq1 (p1 , p2 ), (6.1)

où c > 0 est le coût marginal et unitaire. Le prix optimal de la firme 1 dépend de celui que la
firme 2 adopte. Supposons que la firme 1 anticipe que la firme 2 va fixer p2 . La firme 1 doit
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 58

alors considérer comment les modifications de son prix p1 vont affecter son profit. Une hausse
marginale de p1 a deux effets sur le profit de la firme 1 :

dπ1 (p1 , p2 ) dq1 (p1 , p2 )


= q1 (p1 , p2 ) + (p1 − c) (6.2)
d p1 d p1
Le premier terme du profit marginal correspond au fait que, lorsque p1 augmente, la firme gagne
du profit sur les unités inframarginales qu’elle continue de vendre. Donc, si p1 augmente de 1,
elle gagne q1 (p1 , p2 ). Le second terme est négatif, puisque q1 diminue quand p1 augmente. Il
correspond à la perte de profit consécutive à la baisse de la demande qui fait suite à la hausse de
p1 . Ainsi, la firme 1 perd (p1 − c) sur les unités qu’elle ne vend plus.
Le prix qui maximise le profit est celui pour lequel le profit marginal est nul, tel que la firme
1 n’a ni intérêt à augmenter son prix ni à le baisser :

dπ1 (p1 , p2 )
=0 (6.3)
d p1
L’équation (6.3) contient une définition implicite de la fonction de meilleure réponse de la firme
1, R1 (p2 ). La fonction de meilleure réponse de l’entreprise 2, R2 (p1 ), s’obtient de la même
manière, en égalisant la dérivée de π2 à 0.

L’équilibre de Bertrand L’équilibre de Nash du jeu de Bertrand est obtenu au point B de


la figure 6.1, où les deux fonctions de meilleure réponse sont vérifiées (intersection des deux),
i.e. que les deux firmes maximisent leurs profits compte tenu du prix fixé par l’autre entreprise.
L’équation 6.3 (pour 1 et 2) implique que les profits sont maximisés pour :

dq1 (pB1 , pB2 )


q1 (pB1 , pB2 ) + (pB1 − c) =0
d p1
dq2 (pB1 , pB2 )
q2 (pB1 , pB2 ) + (pB2 − c) =0
d p2

Pour que ces deux équations soient satisfaites, on doit avoir pB1 > c et pB2 > c : la différen-
ciation permet aux deux firmes d’exercer un pouvoir de marché. En effet, les firmes ne peuvent
pas capturer toute la demande même en abaissant leur prix en dessous de celui de leur rivale.
L’intensité de la concurrence s’en trouve réduite, et les firmes ont un pouvoir de marché. La
tarification concurrentielle se trouve au point Pc de la figure 6.2. Le degré de pouvoir de marché
d’une firme peut, là aussi, être mesuré par l’indice de Lerner. Les indices de Lerner du jeu de
Bertrand avec différenciation sont donnés par :

pB1 − c 1
L1B = B
=
p1 |ε1 |
pB2 − c 1
L2B = B
=
p2 |ε2 |
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 59

F IGURE 6.2 – L’équilibre de Bertrand

p2
R1(p2)

R2(p1)

p2B
B

Pc
c

c p1B p1

Dans le jeu de Bertrand, les fonctions de réactions sont toujours croissantes.


L'équilibre de Bertrand, point B, correspond à l'intersection des fonctions de réactions.
Le point C

où, pour i = 1, 2, εi est l’élasticité-prix de la demande dressée à la firme i, soit :

dqi (p1 , p2 ) pi
i = 1, 2, εi = ×
d pi qi (p1 , p2 )

L’élasticité de la demande dépend de la capacité des consommateurs à substituer un bien pour


un autre. Cela dépend du degré de différenciation des produits. Au moins les biens sont diffé-
renciés, au plus les consommateurs peuvent les substituer et au plus εi augmente.

6.3 L’équilibre collusif


Les deux entreprises peuvent choisirent de s’entendre sur les prix, i.e. de former un cartel
de prix. Que ferait un monopole qui produirait les deux biens ? De manière équivalente : quels
seraient les prix des deux firmes si elles décidaient de s’associer et de maximiser leur profit joint
(cartel) ? Si un monopole offrait les deux produits :

π m (p1 , p2 ) = p1 q1 (p1 , p2 ) + p2 q2 (p1 , p2 ) − c[q1 (p1 , p2 ) + q2 (p1 , p2 )] (6.4)

Le monopole choisirait p1 et p2 de manière à maximiser son profit. Une hausse du prix pi a trois
effets : le profit inframarginal de la firme i augmente, mais une partie de la demande diminue
et diminue le profit. Le troisième effet est que lorsque pi augmente, la demande pour le bien j
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 60

augmente. Le profit joint est maximisé lorsque :


∂ π m (p1 , p2 ) ∂ qi (p1 , p2 ) ∂ q j (p1 , p2 )
= qi (p1 , p2 ) + (pi − c) + (p j − c) =0 (6.5)
∂ pi ∂ pi ∂ pi
pour i, j = 1, 2, i 6= j. Nous avons donc deux conditions : la dérivée partielle en p1 s’annule
et la dérivée partielle en p2 également. Comparons l’équation (6.5) avec l’équation (6.2). Les
deux premiers termes sont identiques et nous les avons commentés après l’équation (6.2), pour
i = 1. Le troisième terme de l’équation (6.5) est nouveau : il correspond au fait que, lorsque le
monopole augmente le prix du bien i, il augmente la demande pour le bien j. En effet, comme
les biens i et j sont des substituts (même imparfaits), nous avons :
∂ q j (p1 , p2 )
> 0. (6.6)
∂ pi
Le troisième terme de l’équation (6.5) est donc positif, il représente le profit créé par le cartel
grâce à la hausse de la demande de bien j. On dit que l’entente sur les prix internalise l’effet de
marché croisé. Cela donne au monopole une incitation à augmenter le prix du bien i, puisque
la demande se détourne vers l’autre bien pour lequel le monopole gagne une marge unitaire
(p j − c). Les prix de monopole, pm m
1 et p2 sont les solutions des deux équations contenues dans
l’équation 6.5, pour i = 1 et j = 2 et i = 2 et j = 1 dans l’équation (6.5), et sont montrés sur
la figure 6.3. Les prix de l’entente sont plus élevés que ceux du duopole de Bertrand, à cause

F IGURE 6.3 – Le cartel de prix

p2
R1(p2)

p2m M R2(p1)
p2D

p2B
B

Pc
c

c p1B p1D p1m p1

Le point M correspond à l’entente sur les prix. Au point M, le profit collectif est maximisé.
Le point M ne se trouve sur aucune des fonctions de réaction : cela signifie qu’aucune firme n’a
intérêt à respecter l’entente sur les prix. Si la firme 1 respecte l’entente en proposant p1m, la firme
2 a intérêt à proposer un prix p2d (d=défection), moins élevé que p2m.

de l’incitation à augmenter les prix fournie par l’internalisation de l’effet de marché croisé.
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 61

Cela dit, comme on le voit sur la figure 6.3, l’entente sur les prix ne fournit pas suffisamment
d’incitations privées pour que les entreprises la respectent. Chaque entreprise préfère tricher
en proposant un prix plus faible que le prix de l’entente, lorsqu’elle anticipe que sa partenaire
respecte les accords de prix. Tout comme dans le cas du cartel de quantités et du dilemme du
prisonnier, il n’y a pas de mécanisme de coordination ou de coercition qui permettent d’orienter
les comportement individuels vers l’intérêt collectif.
Dans la réalité, plusieurs éléments viennent expliquer pourquoi les ententes sur les prix sont
aussi fréquentes, malgré les sanctions importantes auxquelles s’exposent les entreprises qui
forment des accords de prix. Ainsi, les entreprises peuvent se coordonner, passer des accords
écrits contraignants et prévoir des sanctions contre les membres d’un cartel qui ne respectent
pas les accords. Tout cela est rendu possible par le fait que les entreprises sont amenées à se
faire concurrence durablement, et pas une seule fois de manière simultanée comme dans les
duopoles de Cournot et de Bertrand. Néanmoins, comme l’illustrent les deux études de cas
suivantes 1 , c’est bien les accords écrits et les différents mécanismes de coordination/sanction
mises en oeuvre par le cartel qui constituent les éléments matériel qui, in fine, font office de
preuve pour que les autorités de la concurrence puissent démanteler le cartel.

Entente dans le secteur de la restauration des monuments historiques Informé de l’exis-


tence d’une procédure pénale ouverte devant le tribunal de grande instance de Rouen à l’en-
contre de dirigeants d’entreprises pour participation à des ententes dans le secteur de la restau-
ration des monuments historiques, le Conseil de la concurrence s’est saisi d’office, en 2007, du
volet concurrentiel du dossier. L’Autorité de la concurrence (qui lui a succédé depuis) a rendu
sa décision le 26/01/2011 par laquelle elle prononce des sanctions à hauteur de 10 millions
d’euros à l’encontre de 14 entreprises pour s’être réparties la quasi-totalité des marchés publics
de restauration des monuments historiques (églises, cathédrales, abbayes, châteaux, patrimoine
des villes. . . ) dans trois régions : Basse-Normandie, Haute-Normandie et Picardie. Des ententes
ponctuelles ont également été mises en place dans les régions Aquitaine, Bourgogne, Nord-Pas-
de-Calais et Île-de-France.
Les entreprises se partageaient les chantiers, ce qui avait pour conséquence de renchérir le
prix des offres. Ces pratiques, de l’aveu de nombreux dirigeants, étaient une "tradition" dans le
secteur de la restauration des monuments historiques. Les éléments recueillis attestent que les
trois ententes régionales ont été mises en œuvre pendant au moins près de cinq ans en Haute-
Normandie (d’avril 1997 à février 2002), plus de quatre ans en Basse-Normandie (de décembre
1997 à février 2002) et près de quatre ans en Picardie (février 1998 à octobre 2001) avec pour
conséquence d’élever artificiellement le montant des offres. Dès le démantèlement des ententes,
les prix des prestations fournies par les mêmes entreprises ont d’ailleurs fortement baissé (de
1. Communiqués de presse de l’Autorité de la concurrence, http ://www.autoritedelaconcurrence.fr.
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 62

plus de 20% en moyenne). En faussant le jeu de la concurrence sur la quasi-totalité des chantiers
lancés dans ces régions, les entreprises ont affecté particulièrement les comptes publics, les
maîtres d’ouvrage étant à titre principal l’État, parfois pour le compte de particuliers, et des
collectivités territoriales
Au vu de ces éléments, l’Autorité de la concurrence a prononcé des sanctions pécuniaires.
Pour les déterminer, l’Autorité de la concurrence a tenu compte de la gravité des pratiques en
cause, de l’importance du dommage causé à l’économie et de la situation individuelle de chaque
société (notamment la durée de leur participation à l’entente). Pour trois d’entre elles (Pradeau
Morin, Lanfry et Coefficient), elle a accordé une réduction des sanctions comprise entre 10% et
20% pour ne pas avoir contesté les griefs et avoir pris des engagements susceptibles de prévenir
la mise en œuvre de telles pratiques à l’avenir.

Entente sur le marché de la téléphonie mobile Le 01/12/2005, le Conseil de la concurrence


a sanctionné les trois opérateurs mobiles, Orange France, SFR et Bouygues Télécom pour avoir
mis en œuvre deux types de pratiques d’entente ayant restreint le jeu de la concurrence sur le
marché, révélées par une enquête réalisée à la suite d’une autosaisine du Conseil du 28 août
2001 et d’une saisine de l’UFC-Que Choisir du 22 février 2002.
Le montant total des sanctions prononcées est de 534 millions d’euros :
— Orange France : 256 millions d’euros
— SFR : 220 millions d’euros
— Bouygues Télécom : 58 millions d’euros
Ila tout d’abord été relevé des échanges d’informations stratégiques portant sur les nouveaux
abonnements et les résiliations. Les opérateurs mobiles ont échangé entre eux, de 1997 à 2003,
tous les mois, des chiffres précis et confidentiels concernant les nouveaux abonnements qu’ils
avaient vendus durant le mois écoulé, ainsi que le nombre de clients ayant résilié leur abonne-
ment. Le Conseil a considéré que, bien que ne portant pas sur les décisions de prix qu’ils avaient
l’intention de prendre, ces échanges d’informations étaient de nature à réduire l’intensité de la
concurrence sur le marché des mobiles pour plusieurs raisons :
— D’une part, les opérateurs n’auraient pu disposer de ce type d’informations s’ils n’avaient
pas procédé à ces échanges systématiques, dont ils prenaient d’ailleurs garde de ne pas
révéler l’existence. On notera à cet égard que l’ARCEP n’a jamais publié ces informa-
tions, ne publiant qu’un indicateur agrégeant les nouvelles acquisitions et les résiliations,
tous les mois jusqu’en 2000, puis seulement tous les trimestres à partir d’avril 2000.
— D’autre part, il apparaît, au travers des différents comptes rendus des conseils de direc-
tion des trois opérateurs que l’évolution de ces indicateurs constituait une information
très importante dont il était tenu compte pour orienter les stratégies commerciales.
Sur un marché où n’opèrent que trois acteurs et sur lequel l’entrée est très difficile (du fait
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 63

notamment de l’importance des coûts fixes), des échanges d’informations de ce type sont de
nature à altérer le jeu de la concurrence, en réduisant l’incertitude sur la stratégie des autres
acteurs et en diminuant l’autonomie commerciale de chaque entreprise, particulièrement lorsque
-comme cela a été le cas sur le marché de la téléphonie mobile à partir de 2000- la croissance
de la demande se ralentit fortement. En outre, le Conseil a constaté qu’à partir de 2000, ces
échanges avaient permis aux opérateurs de surveiller l’accord qu’ils avaient conclu, par ailleurs,
quant à l’évolution de leurs parts de marché respectives.
Il a par ailleurs été constaté que les trois opérateurs se sont entendus afin de stabiliser l’évo-
lution de leurs parts de marché entre 2000 et 2002. L’existence d’une telle concertation a été
établie grâce au recoupement de plusieurs indices graves, précis et concordants, tels que l’exis-
tence de documents manuscrits mentionnant de manière explicite un "accord" entre les trois
opérateurs ou la "pacification du marché" ou encore le "Yalta des parts de marché" ainsi que des
similitudes relevées au cours de cette période dans les politiques commerciales des opérateurs,
notamment en matière de coûts d’acquisition et de tarification des communications. A cet égard,
la saisine de l’UFC-Que Choisir a été motivée par l’observation d’un tel parallélisme, s’agissant
du passage à une tarification par paliers de 30 secondes après une première minute indivisible,
lequel a été opéré concomitamment par les trois opérateurs au début de l’année 2001. Cette
concertation s’est effectivement traduite par une relative stabilité, à moyen terme, des parts des
trois opérateurs dans les ventes de nouveaux abonnements et a facilité le changement de stra-
tégie qu’ils ont opéré à partir de 2000. Jusqu’alors, le développement des opérateurs mobiles
s’était appuyé sur l’acquisition de parts de marché, au prix de dépenses d’acquisition élevées.
A partir de 2000, période qui coïncide avec la fin de la course à la part de marché, l’accent
mis par les trois opérateurs, de manière concordante, sur la rentabilisation de la base de clientèle
acquise, a notamment entraîné un relèvement des prix et l’adoption de mesures telles que la
priorité donnée aux forfaits avec engagements contre les cartes prépayées ou l’instauration des
paliers de 30 secondes après une première minute indivisible. Ces mesures, défavorables au
consommateur, présentaient le risque de provoquer une baisse des ventes (et donc des parts de
marché) de l’opérateur qui se serait aventuré à les mettre en oeuvre unilatéralement. L’intérêt
de la concertation était donc de faciliter la mise en place de cette stratégie, en permettant aux
trois opérateurs de s’assurer qu’ils poursuivaient simultanément la même politique et que leurs
parts de marché relatives resteraient par conséquent stables.
Le conseil a considéré que ces pratiques étaient particulièrement graves et avaient causé un
dommage à l’économie très important.
— Concernant la pratique d’échange d’informations. Le Conseil a tenu compte de la du-
rée des pratiques (de 1997 à 2003) et de la taille très importante du marché concerné.
Il souligne que le dommage à l’économie causé par la pratique du fait de la création
artificielle d’une structure de transparence préjudiciable à la libre concurrence, a varié
CHAPITRE 6. LE DUOPOLE DE BERTRAND 64

dans le temps et qu’il a été plus important pour la période postérieure à 2000 que pour
la période précédente. C’est en effet à partir de 2000 que l’échange, déjà en place, a per-
mis de surveiller, de la part de chacun des trois opérateurs, la politique de pacification
du marché menée par ces derniers au détriment des consommateurs.
— Concernant la pratique d’entente sur les parts de marché. Les ententes sur la répartition
des marchés sont considérées par les autorités de concurrence comme étant parmi les
plus graves. Le dommage à l’économie a été apprécié au regard de la durée des pra-
tiques, soit trois ans et de la taille très importante du marché concerné. Il y a lieu de
relever également que l’entente s’est déroulée sur un marché fermé, l’activité d’opéra-
teur mobile étant soumise à l’obtention d’une licence et aucun autre opérateur ne s’étant
vu accorder l’accès au réseau des opérateurs sur la période en cause. Le Conseil a éga-
lement tenu compte du fait que les dépenses de téléphonie mobile ont constitué depuis
la fin des années 90, une dépense nouvelle pour les ménages, qui a pris dans leur budget
une part non négligeable, et du fait que la concertation en cause a facilité la mise en
place par les opérateurs de mesures défavorables aux consommateurs.

Résumé
— Le paradoxe de Bertrand désigne le fait que deux firmes qui se font concurrence par les
prix de manière simultanée sur un bien homogène et avec un coût linéaire n’ont aucun
pouvoir de marché.
— Lorsque l’on introduit de la différenciation dans le duopole de Bertrand, les deux firmes
ont du pouvoir de marché.
— Dans le duopole de Bertrand, les firmes n’ont jamais intérêt à former une entente sur les
prix car, tout comme dans le dilemme des prisonniers, les incitations privées et collec-
tives diffèrent.
— Les ententes sur les prix existent dans la réalité car les firmes ont la possibilité de se
coordonner entre elles et de sanctionner celles qui ne respectent pas l’entente.
Table des figures

1.1 L’offre et la demande sur un marché concurrentiel . . . . . . . . . . . . . . . . 8


1.2 Le surplus total à l’équilibre concurrentiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.3 L’équilibre concurrentiel avec demande affine et coût linéaire . . . . . . . . . . 12

2.1 L’équilibre du monopole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15


2.2 L’inefficience allocative du monopole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

3.1 entreprise dominante et frange concurrentielle - Branche fermée . . . . . . . . 33

5.1 Le marché et la demande résiduelle de la firme 1 . . . . . . . . . . . . . . . . 44


5.2 La détermination de l’output qui maximise le profit pour l’entreprise 1 . . . . . 45
5.3 L’équilibre de Cournot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
5.4 Le cartel de quantités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

6.1 La demande pour des substituts imparfaits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57


6.2 L’équilibre de Bertrand . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59
6.3 Le cartel de prix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

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