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Discours de George Marshall (Harvard, 5 juin 1947)

Légende: Le 5 juin 1947, George Marshall, secrétaire d'État américain, prononce à l'université Harvard (Massachusetts)
un discours dans lequel il propose à tous les pays européens affaiblis par la guerre une importante aide économique.
Source: CHURCHILL, Winston S.; MARSHALL, George C. Points de repère. Lausanne: Centre de recherches
européennes, 1973. 16 p. (Cahiers rouges). p. 13-16.
Copyright: (c) Fondation Jean Monnet pour l'Europe et Centre de recherches européennes, Lausanne
URL: http://www.cvce.eu/obj/discours_de_george_marshall_harvard_5_juin_1947-fr-dc2f8c43-4269-48c8-ab58-
2ef075080e6c.html
Date de dernière mise à jour: 02/07/2015

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Discours de George Marshall (Harvard, 5 juin 1947)

Je n'ai pas besoin de vous dire, Messieurs, que la situation mondiale est très grave. Cela est bien évident
pour tous les gens intelligents. Je crois que l'une des plus sérieuses difficultés, c'est que le problème est d'une
si grande complexité que la masse même des faits présentés au public par la presse et la radio rend
extrêmement difficile, pour l'homme de la rue, une évaluation nette de la situation. De plus, la population de
ce pays se trouve très loin des régions troublées de la terre, et elle a beaucoup de peine à imaginer la misère,
les réactions qui la suivent chez les peuples qui ont longtemps souffert, et l'effet que ces réactions ont sur
leurs gouvernements au cours de nos tentatives pour établir la paix dans le monde.

Lorsqu'on a étudié les besoins de la reconstruction de l'Europe, les pertes en vies humaines, les destructions
de villages, d'usines, de mines et de voies ferrées ont été estimées de façon assez exacte, mais il est devenu
évident au cours des mois qui viennent de s'écouler que ces destructions visibles sont probablement moins
graves que la dislocation de toute la structure de l'économie européenne. Depuis dix ans la situation est très
anormale. Les fiévreux préparatifs de guerre et l'activité encore plus fiévreuse déployée pour soutenir l'effort
de guerre ont détruit toutes les branches des économies nationales. L'outillage industriel n'a pas été
entretenu, a été endommagé ou est tout à fait démodé. Sous la domination arbitraire et destructive des Nazis,
presque toutes les entreprises ont été attelées à la machine de guerre allemande. Les relations commerciales
anciennes, les institutions privées, les banques, les compagnies d'assurance et les compagnies de navigation
ont disparu, faute de capitaux, par suite de leur absorption lorsqu'elles ont été nationalisées, ou simplement
parce qu'elles ont été détruites. Dans beaucoup de pays, la confiance en la monnaie nationale a été rudement
ébranlée. L'effondrement de la structure commerciale de l'Europe s'est produit pendant la guerre.

La reprise économique a été sérieusement retardée par le fait que deux ans après la cessation des hostilités
l'accord n'a pas encore été réalisé sur les traités de paix avec l'Allemagne et avec l'Autriche. Mais, même si
une solution plus rapide de ces problèmes difficiles était acquise, la reconstruction de la structure
économique de l'Europe demandera évidemment beaucoup plus de temps et des efforts plus grands que nous
ne l'avions prévu.

L'un des aspects de ce problème est à la fois intéressant et grave : le fermier a toujours produit les vivres
qu'il peut échanger avec les citadins contre les autres choses nécessaires à la vie. Cette division du travail est
à la base de la civilisation moderne. A l'heure actuelle, elle est menacée de ruine. Les industries des villes ne
produisent pas assez de marchandises à échanger avec les fermiers producteurs de vivres. Les matières
premières et le combustible manquent. L'outillage industriel manque, ou est trop usé. Le fermier et le paysan
ne peuvent trouver sur le marché les marchandises qu'ils veulent acheter. Si bien que la vente de leurs
produits fermiers en échange d'argent qu'ils ne peuvent utiliser leur semble une transaction sans intérêt. Ils
ont donc cessé de cultiver beaucoup de champs pour en faire des pâtures, bien qu'ils manquent de vêtements
et des autres produits ordinaires de la civilisation. Pendant ce temps, les habitants des villes manquent de
vivres et de combustible. Les gouvernements sont donc forcés de se servir de leurs ressources en devises
étrangères et de leurs crédits pour acheter ces produits indispensables à l'étranger, épuisant ainsi les fonds
dont ils ont un urgent besoin pour la reconstruction. Une situation très grave se crée donc rapidement, qui est
de fort mauvais augure pour le monde. Le système moderne qui repose sur la division du travail et l'échange
des produits est en danger de s'effondrer.

La vérité, c'est que les besoins de l'Europe pendant les trois ou quatre prochaines années en vivres et en
autres produits essentiels importés de l'étranger - notamment d'Amérique - sont tellement plus grands que sa
capacité actuelle de paiement qu'elle devra recevoir une aide supplémentaire très importante ou s'exposer à
une dislocation économique, sociale et politique très grave.

Le remède consiste à briser le cercle vicieux et à restaurer la confiance des habitants de l'Europe tout entière.
Le fabricant et le fermier, dans de très vastes régions, doivent pouvoir et vouloir échanger leurs produits
contre des monnaies dont la valeur constante ne fasse pas de doute.

En dehors de l'effet démoralisant qu'a le désespoir des peuples en question sur le monde entier, et des
troubles qu'il peut provoquer, les conséquences de cette situation pour l'économie des Etats-Unis devraient

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être évidentes pour tous. Il est logique que les Etats-Unis doivent faire tout ce qu'ils peuvent pour aider à
rétablir la santé économique du monde, sans laquelle la stabilité politique et la paix assurée sont impossibles.
Notre politique n'est dirigée contre aucun pays, aucune doctrine, mais contre la famine, la pauvreté, le
désespoir et le chaos. Son but doit être la renaissance d'une économie active dans le monde, afin que soient
créées les conditions politiques et sociales où de libres institutions puissent exister. Cette aide, j'en suis
convaincu, ne doit pas être accordée chichement, chaque fois que surviennent les crises. Toute aide que ce
gouvernement pourra apporter à l'avenir devrait être un remède plutôt qu'un simple palliatif. Tout
gouvernement qui veut aider à la tâche de la reprise économique jouira, j'en suis sûr, de la plus entière
coopération de la part du gouvernement des Etats-Unis. Tout gouvernement qui intrigue pour empêcher la
reprise économique des autres pays ne peut espérer recevoir notre aide. De plus, les gouvernements, les
partis et les groupes politiques qui cherchent à perpétuer la misère humaine pour en tirer un profit sur le plan
politique ou sur les autres plans se heurteront à l'opposition des Etats-Unis.

II est déjà évident qu'avant même que le gouvernement des Etats-Unis puisse poursuivre plus loin ses efforts
pour remédier à la situation et aider à remettre l'Europe sur le chemin de la guérison, un accord devra être
réalisé par les pays de l'Europe sur leurs besoins actuels et ce que ces pays de l'Europe feront eux-mêmes
pour rendre efficaces toutes les mesures que ce gouvernement pourrait prendre. Il ne serait ni bon ni utile
que ce gouvernement entreprenne d'établir de son côté un programme destiné à remettre l'économie de
l'Europe sur pied. C'est là l'affaire des Européens. L'initiative, à mon avis, doit venir de l'Europe. Le rôle de
ce pays devrait consister à apporter une aide amicale à l'établissement d'un programme européen, et à aider
ensuite à mettre en oeuvre ce programme dans la mesure où il sera possible de le faire. Ce programme
devrait être général et établi en commun par un grand nombre de nations européennes, sinon par toutes.

Il est absolument essentiel au succès de toute mesure que pourraient prendre les Etats-Unis que la population
de l'Amérique comprenne la nature du problème et les remèdes qui doivent être appliqués. Les passions et
les parti pris politiques ne devraient point y avoir de part. Avec de la sagacité et une acceptation, par notre
peuple, des immenses responsabilités que l'histoire a clairement imposées à notre pays, les difficultés que j'ai
soulignées peuvent être et seront surmontées.

3/3 02/07/2015

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